Audition Publique

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AUDITION PUBLIQUE

Effets et conséquences du suicide sur


l'entourage : modalités d'aide et de
soutien

PARIS ESPACE REUILLY


Mercredi 25 et Jeudi 26 Novembre 2009
FéDÉRATION FRANCAISE DE PSYCHIATRIE
Audition Publique organisée par la Fédération Française de Psychiatrie

Effets et conséquences du suicide sur l’entourage :


modalités d’aide et de soutien
25 et 26 novembre 2009, Espace Reuilly - Paris (75012)

avec les partenaires suivants :


La Société Française de Santé Publique
Le Groupement d’Etudes et de Prévention du Suicide
L’Union Nationale pour la Prévention du Suicide
La Direction de l’Administration Pénitentiaire
LÉcole des Parents et Éducateurs Ile de France
L’association Phare Enfants Parents
La Fédération Européenne Vivre son deuil

avec le soutien de la Direction Générale de la Santé

et celui des services d’Action Sociale de :


Agrica,
Groupe Ag2r,
Groupe Malakoff Médéric,
Macif Prévention,
Ocirp,
Réunica
PROGRAMME

MERCREDI 25 NOVEMBRE 2009

9h00 Allocutions d’ouverture :


Professeur Gérard SCHMIT, Président de la Fédération Française de Psychiatrie (FFP)
Docteur Olivier LEHEMBRE, Past-Président de la FFP

Question 1 • L’impact du suicide sur l’entourage :


Président de séance ; Docteur Jean-Jacques CHAVAGNAT
Psychiatre CHU Poitiers, Président du GEPS

9h30 Docteur Christophe FAURE, Psychiatre, Paris


Professeur Michel DEBOUT, Médecin légiste, Président de l’UNPS
Françoise FACY, épidémiologiste, Dirécteur de recherches INSERM
10h45 Pause
11h15 Professeur Christian BAUDELOT, Sociologue, Ecole Normale Supérieure
Axel GEERAERTS, Sociologue, Directeur du Centre de Prévention du suicide, Bruxelles
12h00 Discussion Générale
12h45 Déjeuner libre

Question 2 • Modèles de compréhension sur les suites du suicide


Président de séance : Docteur Olivier LEHEMBRE
Fédération Française de Psychiatrie

14h30 Docteur Xavier POMMEREAU, Psychiatre, Centre Abadie, CHU Bordeaux


Docteur Louis JEHEL, Psychiatre, responsable de l’Unité de psychotraumatologie CHU Tenon,
Président de l’AFORCUMPSFP.
Professeur Michel WALTER, Psychiatre CHU Brest
Docteur Michel BOTBOL, Pychiatre, Paris
16h00 Discussion générale
17h00 Conclusion de la journée
PROGRAMME

JEUDI 26 NOVEMBRE 2009

Question 3 • État des lieux sur les interventions de soutien proposées


Présidente de séance : Docteur Virginie HALLEY DES FONTAINES,
Société Française de Santé publique

9h30 ProfesseurJean-Pierre SOUBRIER, Expert OMS, Chairman section de Suicidologie, Association


Mondiale de Psychiatrie.
Docteur Didier CREMNITER, Psychiatre, Paris
Docteur Anne ALLEMANDOU, Médecin de l’Education Narionale
10h30 Pause
11h00 Philippe PEYRON, Directeur Inter-régional des Services Pénitentiaires Centre-Est-Dijon
Catherine BONIFAS, Responsable postvention à l’association nationale Jonathan Pierres Vivantes
Maja PERRET CATIPOVIC, Psychologue,responsable du CEPS, Genève
12h00 Discussion Générale
13h00 Déjeuner libre

Question 4 • Les pratiques de soutien à proposer


Présidente de séance : Madame Thérèse HANNIER,
Présidente de l’association PHARE ENFANTS PARENTS

14h30 Professeur Brian MISHARA, Psychologue, Directeur du CRISE, UQAM, Montréal,


Président de l’Association Internationale de Prévention du Suicide (IASP)
Professeur Angela CASTELLI, Université de Fribourg, Suisse
Docteur Patrice LOUVILLE, Psychiatre, Paris
Professeure Monique SEGUIN, Psychologue, UQAM à Trois-Rivières Québec, Canada
Professeur Antoine LAZARUS, Médecin en santé publique et médecine sociale, Université Paris 13.
16h15 Discussion générale
17h00 Conclusion du Colloque
Docteur Olivier LEHEMBRE & Thérèse HANNIER
Effets et conséquences du suicide sur l’entourage :
modalités d’aide et de soutien

Question 1a : « Deuil normal, deuil difficile, deuil compliqué, deuil pathologique »

Dr Christophe FAURÉ - Psychiatre

Dr Christophe Fauré, psychiatre libéral – consultant extérieur à la Maison Médicale Jeanne Garnier (soins pal-
liatifs) - auteur de « Vivre le deuil au jour le jour » Editions Albin Michel, « Vivre ensemble la maladie d’un
proche » Editions Albin Michel, « Après le suicide d’un proche » Editions Albin Michel – responsable éditorial
du site www.traverserledeuil.com (mise en ligne le 1er octobre 2009)

Le processus de deuil :
Le deuil (survenant après le décès d’un proche) désigne la souffrance psychique qu’engendre cette perte et le
processus évolutif prolongé dans le temps qui fait suite à la disparition. Le deuil peut se dérouler :
- soit de façon « normale » en suivant les étapes d’un processus désormais bien identifié,
- soit avec difficulté mais avec finalement une bonne résolution du deuil,
- soit être émaillé de complications tant psychiques que somatiques,
- soit enfin devenir pathologique.

Les étapes du deuil « normal »


Le processus du deuil normal démarre immédiatement après la connaissance du décès et se déroule chrono-
logiquement en plusieurs phases qui vont du choc affectif, à la prise de conscience de la perte et des réactions
émotionnelles associées, puis à l’acceptation progressive de la disparition et à la réduction de la douleur.

La 1ère étape : choc et sidération


Elle est caractérisée par l’état de choc et de sidération où la personne est saisie par la stupéfaction et l’incré-
dulité. Elle peut exprimer un refus de croire à la réalité de la mort, voire manifester un déni transitoire. Elle
se trouve brutalement plongée soit dans un état de torpeur et d’engourdissement, soit dans une état d’agi-
tation quasi hypomaniaque dans lequel elle continue à vivre et à agir mais de façon automatique. Cet état
d’anesthésie affective ou d’agitation la préserve des émotions intenses que soulève l’annonce du décès. Cette
1ière étape dure de quelques heures à quelques jours.
2ème étape : étape de « fuite » et de « recherche » :
Juste après le décès, même si la personne décédée n’est plus là, la dynamique relationnelle qui existait aupa-
ravant entre elle et la personne aujourd’hui en deuil continue sur sa lancée pendant des mois après son
décès. Cette 2ème étape se caractérise par :
-D
 es attitudes (inconstantes) de « fuite » de la souffrance, comme pour tenter d’annuler la réalité
de la perte. Cela se traduit par exemple par une agitation intérieure où la personne en deuil se sent
sans cesse sous tension pour retrouver au plus vite une vie « normale » (réaction caractéristique :
les hommes par exemple s’immergent dans le travail « pour ne pas penser »).
-D
 es attitudes (quasi constantes) de « recherche » où la personne en deuil tente de préserver le lien
interrompu : besoin de porter les vêtements de la personne disparue, de sentir son odeur, de regar-
der ses photos, d’entendre sa voix (sur le répondeur de sa messagerie téléphonique). Cela s’accom-
pagne du besoin irrépressible de parler d’elle, encore et encore.
Ces comportements perdurent de façon normale durant la première année, ce qui est mal perçu par les pro-
ches qui y voient, à tort, une complaisance morbide dans la souffrance.

La 3ème étape : étape de déstructuration


La survenue de cette étape marque un tournant dans le vécu du deuil. C’est le temps d’une prise de conscien-
ce pleine et entière de la dimension irrémédiable de la perte. Il s’en suit une majoration de la souffrance qui
devient plus sourde et plus lancinante. Le manque et la conscience aigue de l’absence atteignent des niveaux
que les personnes en deuil ne s’attendaient plus à connaître. Elles sont très souvent déroutées par cette re-
crudescence de leur peine, alors qu’elles pensaient que le plus gros de leur douleur était derrière elle, 6 à 10
mois après le décès. Il est donc essentiel, au cours de l’accompagnement du deuil, de souligner auprès de ces
personnes le caractère normale, prévisible et incontournable de cette majoration dépressive.
De fait, cette étape se caractérise par un « vécu dépressif » associant tristesse, pleurs, douleur morale, idées
de culpabilité avec autoaccusation, honte, irritabilité, asthénie, anorexie, insomnie, sentiment de vide. L’asso-
ciation d’un sentiment d’injustice et de colère vis-à-vis du mort n’est pas rare. L’endeuillé est envahi par un
sentiment d’ambivalence, pris entre le sentiment de n’avoir pas fait tout ce qui était en son pouvoir à l’égard
du décédé et celui d’avoir été injustement abandonné par lui. Le ralentissement psychomoteur peut être
présent mais il se manifeste souvent de manière modérée. Il existe une tendance au retrait social avec anhé-
donie et désinvestissement de la sphère socio- professionnelle avec une difficulté à maintenir les habitudes
de travail et les relations interpersonnelles. À cette période du deuil, il n’est pas toujours simple de faire le
diagnostic différentiel avec une authentique dépression clinique.
La 4ème étape : l’étape de restructuration
C’est une étape d’intégration et d’apaisement progressif. Elle passe par une redéfinition de la personne en
deuil à 3 niveaux :
-R
 edéfinition de son rapport au Monde et à autrui : la personne retrouve le goût pour ses intérêts
habituels avec le désir de s’engager dans de nouvelles relations et dans de nouveaux projets. Globa-
lement, on assiste à une pacification du rapport à autrui.
-R
 edéfinition de son rapport à la personne disparue : la personne en deuil parvient à évoquer le
souvenir de la personne disparue sans douleur excessive. Là encore, le lien se pacifie et les identi-
fications positives et autres « gains » du processus de deuil sont valorisés. Certes, la douleur surgit
à certains moments ou à des occasions particulières, comme par exemple aux anniversaires et à la
période des Fêtes, mais ceci est normal même des années après le décès.
-R
 edéfinition de son rapport à elle même : cette étape marque un retour à un mieux être psychique
et somatique. C’est aussi l’occasion de profonds remaniements dans la façon de percevoir l’exis-
tence et de donner un sens à sa vie.

La durée du processus de deuil « normal » :


Il persiste dans les esprits de nombreuses incompréhensions sur la durée du processus de deuil. La plupart
du temps, les « délais » rapportés dans la littérature sont extrêmement courts et ne correspondent pas à
l’expérience clinique (ex : au delà d’un an, le processus deviendrait pathologique, ce que contredit la clinique.
Cette méconnaissance conduit notamment à la prescription inappropriée de traitements antidépresseurs sur
le long court).
Chaque individu est unique mais, au delà des variations individuelles, les étapes du deuil semblent obéir à
une chronologie assez précise. En voici les fourchettes approximatives :
- L’étape initiale de choc et de sidération dure de quelques heures à quelques jours (Moins de 10
jours selon Colin Parkes du Saint Christopher’s Hospice)
- La 2ème étape (« fuite/recherche ») dure entre 6 et 10 mois, parfois jusqu’à 12 mois)
- La durée de la 3ème étape (déstructuration avec vécu dépressif franc) est variable et est souvent
conditionnée 1. par la nature du lien avec la personne disparue et 2. Par la nature du décès. Ainsi,
elle peut durer de 1 à 1 an et demi pour un parent ayant accompagné son enfant décédé d’un
cancer jusqu’à 2 ans pour un parent ayant découvert le corps pendu de son enfant. Une personne
ayant perdu son conjoint par cancer traversera généralement cette étape en 6 à 8 mois.
- La 4ème étape (restructuration) est difficile à évaluer en termes de temps car elle s’inscrit dans
la nouvelle identité que l’endeuillé développe au fil du temps. Même 10 ans après le décès de son
enfant, un père peut faire part de l’impact de la mort de sa fille sur la manière de mener son exis-
tence, sans que cela soit pathologique.

On observe donc un temps cumulé allant de 1 an et demi à 3 ans (si on fait abstraction de la 4ème étape)
pour une perte significative. J’ai bien conscience que ces délais vont à l’encontre de ce qui est généralement
accepté comme la durée « normale » du deuil.
Deuil difficile, deuil compliqué, deuil pathologique
Même s’il n’existe pas à l’heure actuelle de consensus pour uniformiser la dénomination et la catégorisation
des différentes variantes de deuil, les études les décrivant sont nombreuses. Classiquement, les auteurs se ré-
fèrent aux notions de deuil compliqué et de deuil pathologique dont les publications sur le sujet visent entre
autres à en délimiter les contours et en préciser les critères d’identifications.

Le deuil « difficile »
Le deuil difficile est une catégorie à part qui reste dans l’axe du deuil normal. Dans le deuil difficile, c’est
le vécu des différentes étapes ou l’élaboration du travail de deuil qui est difficile, dans le sens où il est plus
douloureux et plus lent que dans un deuil normal. Néanmoins, en dépit de cela, on observe in fine un dérou-
lement satisfaisant du processus de deuil et une résolution harmonieuse. Ce type de deuil bénéficie grande-
ment d’un accompagnement professionnel ou associatif.
Différents paramètres ou facteurs de risque de deuil difficile sont à souligner :
- La personnalité de la personne en deuil (tempérament introverti, difficulté à nommer et à exprimer
les émotions, difficulté à solliciter les réseaux de soutien… etc. – Egalement, antécédents de ruptu-
res précoces, d’abandon… etc.)
- La nature et le type de liens entre la personne en deuil et le défunt : Le décès d’un parent peut fragi-
liser un enfant, le décès d’un enfant pour les parents sera très souvent traumatique. Le veuvage est
aussi un facteur de vulnérabilité notamment par l’addition du retentissement psychosocial (iso-
lement social, perte d’un patrimoine ou de revenus, etc.). Une relation conflictuelle ou complexe
peut également avoir une incidence sur le vécu du deuil.
- La cause du décès : exposent à un deuil difficile les morts brutales, violentes, traumatiques (le deuil
après suicide entre donc d’emblée dans la catégorie des deuils difficiles, sans préjuger des éventuel-
les complications qui pourraient en découler)
- La qualité de l’environnement social et relationnel : pauvreté des liens sociaux, isolement… etc.
- L’existence de deuils multiples (à partir de trois deuils significatifs dans l’année)
- La précarité socioprofessionnelle (ex : période de chômage)
- Le fait d’avoir à charge un proche très dépendant (ex : maladie d’Alzheimer) ou au moins deux
enfants en bas

Le deuil « compliqué »
Il n’existe pas de définition universellement reconnue du deuil compliqué. Selon Marie Frédérique Bacqué
(« Deuil et santé » Odile Jacob), « le deuil compliqué implique des symptômes qui dépassent ce qui est de
l’ordre de l’adaptation à une situation nouvelle ». Le deuil compliqué est l’impossibilité de recouvrer les per-
formances et le bien être connus avant la perte.
De nombreux travaux ont isolé le concept de deuil compliqué et ont montré qu’il se différentiait des troubles
psychiatriques tels que l’épisode dépressif majeur, le syndrome de stress aigu, le syndrome de stress post-
traumatique consécutifs au deuil (Prigerson 1996 [9], Horowitz 1997 [10], Melhem 2001 [11], Jacobs 2000
[12], Forstmeier 2007 [13], Stroebe 2007 [6]).
La notion de deuil compliqué recouvre une série de critères symptomatiques suffisamment sévères pour
perturber le fonctionnement professionnel, affectif, relationnel de la personne en deuil, au delà des délais
« normaux » des différentes étapes du processus de deuil. Associés à des pensées envahissantes avec des sou-
venirs, des émotions intenses et un désarroi profond lié à l’absence, on retrouve des symptômes de détresse
traumatique dont 7 sont, selon Prigerson et al. (1995), caractéristiques des deuils compliqués (persistance au
delà de 6 mois après la perte) :
1) Refus d’accepter le décès
2) Recherche active de la personne disparue
3) Langueur, désir ardent de l’autre
4) Préoccupations constantes au sujet de la personne disparue
5) Incapacité à croire vraiment à la disparition
6) Sentiment d’être toujours assommé, frappé de stupeur par le décès
7) Pleurs incoercibles

Dans ce cas, un accompagnement psychologique, voire psychiatrique, est le plus souvent indispensable.

Les complications en fonction du temps : deuils différés, deuils inhibés, deuils chroniques

Le deuil différé renvoie à un temps de latence « asymptomatique » entre le moment du décès et l’émergence
des réactions de deuil, comme un décalage entre la réalité perçue (la personne sait que son proche est décé-
dé) et l’expression émotionnelle : la personne en deuil fait comme si rien s’était survenu dans son existence.
Il y a persistance dans le temps du déni initial de la mort et cela correspond à un refus inconscient de recon-
naître la réalité.
L’absence de dépression réactionnelle et le refus de la réalité deviennent rapidement intenables pour la
personne en deuil et pour ses proches. Néanmoins, la dépression du deuil survient inévitablement mais à
retardement. Un événement extérieur mineur suffit parfois à enclencher le processus.
Le deuil inhibé correspond à une absence des symptômes normaux du deuil dans un premier temps. Les per-
turbations affectives s’effacent au profit de nombreux troubles somatiques. Ce type de deuil est fréquent chez
l’enfant et chez les personnes dont les capacités verbales et mentales sont faibles.
Le deuil chronique est le « deuil sans fin ». Il traduit une fixation morbide sur le souvenir du défunt, faisant
obstacle au réajustement nécessaire de la personne en deuil à une vie sans lui. Le deuil chronique se caracté-
rise par une dépression chronique. Très souvent, on retrouve, sous jacent au deuil chronique, une très forte
ambivalence « haine – amour » dans la relation antérieure à la personne disparue, le deuil chronique révé-
lant une sorte d’auto-punition inconsciente face à la haine éprouvée envers le défunt aujourd’hui idéalisé.
Néanmoins, il existe aussi des situations de deuil chronique qui font suite à des décès très traumatiques
(accident ou suicide par exemple). L’intrication avec un syndrome de stress post traumatique (PTSD) doit
systématiquement être recherchée dans ce cas car le PTSD peut être moteur dans l’installation du deuil
chronique.
Les complications somatiques du deuil

Les complications somatiques du deuil peuvent entrer dans la catégorie des deuils compliqués. Elles s’ins-
crivent dans la logique du stress biologique chronique qu’induit le processus de deuil. Ces complications
somatiques recouvrent :
- Une augmentation de la mortalité chez les personnes en deuil
- Une décompensation ou une aggravation d’une pathologie chronique préexistante au décès
- Une recrudescence des pathologies cardiovasculaires
- Une possible (mais controversée) recrudescence de pathologies cancéreuses, pathologies auto-im-
munes et maladies inflammatoires (type rectocolite hémorragique)

Le deuil pathologique
Plus rares que les complications du deuil abordées précédemment, le deuil pathologique correspond à une
situation de deuil qui se manifeste par un ou des troubles psychiatriques chez un individu parfois indemne
d’antécédents psychiatriques.
La dépression clinique et les troubles anxieux sont les plus fréquents. Les décompensations de trouble de la
personnalité ne sont pas rares non plus (par exemple, chez une personnalité de type obsessionnelle le tableau
de deuil est dominé par l’inhibition et le repli, avec des ruminations obsessives et des idées de culpabilité).
En fait, tous les tableaux de la sémiologie psychiatrique peuvent se manifester comme réaction au deuil (par
exemple : deuil à tonalité hystérique ou à tonalité obsessionnelle), ce qui rend la lecture diagnostique pas
toujours aisée tant les signes du deuil et les signes cliniques des comorbidités peuvent être intriqués.
Les décompensations dépressives
Le vécu dépressif « normal » du deuil peut se compliquer d’une authentique dépression clinique. On observe
l’installation d’une dépression chronique chez 10 à 15 % des personnes. À travers sa revue de la littérature,
Hensley trouve que 40 % des endeuillés ont les critères d’épisode dépressif majeur dans le mois du décès, 15
% sont encore déprimés à 1 an et 7 % le restent à 2 ans. De nombreuses publications mettent en évidence des
corrélations entre l’existence d’un deuil compliqué et la survenue d’un épisode dépressif. Le risque suicidaire
est alors important, dans un désir ambivalent de mettre fin à la souffrance du deuil et de retrouver dans la
mort la personne disparue.
Les troubles anxieux
Le deuil peut aussi favoriser la survenue de troubles anxieux comme l’anxiété généralisée, le trouble pani-
que, etc. Le deuil est alors un facteur précipitant lié à l’anxiété de séparation. Ces troubles sont à distingués
du syndrome de stress post traumatique qui constitue une entité clinique spécifique à part.
Les deuils psychiatriques
Plus rarement encore, on peut observer soit des deuils des décompensations psychotiques au cours du deuil :
idées délirantes, hallucinations (autres que celles d’entendre la voix ou de voir transitoirement l’image du
défunt – qui sont des manifestations fréquentes et « normales » dans les premiers temps du deuil), comporte-
ments maniaques (manie du deuil), deuil mélancolique avec risque majeur de passage à l’acte suicidaire… etc.
Effets et conséquences du suicide sur l’entourage :
modalités d’aide et de soutien

Question 1b : « Particularités des deuils après suicide »

Dr Christophe FAURÉ - Psychiatre

Le deuil après suicide a des particularités, mais pas de singularités, c’est à dire qu’il ne comporte pas d’élé-
ments qu’on ne retrouverait pas dans d’autres types de deuils (après d’autres types de décès). Cet article
souligne les particularités du deuil les plus fréquemment rencontrées dans l’exercice clinique.

Les circonstances spécifiques du suicide :


Il faut tout d’abord relever l’impact potentiellement traumatisant sur les proches de l’enquête menée systé-
matiquement après la découverte du corps, ceci afin d’écarter un homicide déguisé en suicide. Même si cette
enquête est menée avec tact et même s’ils en comprennent le sens, beaucoup de proches la vivent comme une
agression, alors qu’ils sont déjà en état de choc.
Dans un même ordre d’idée, découvrir que l’assurance vie ou les autres garanties d’emprunt ne s’appliquent
pas en cas de suicide représentent également un choc, notamment quand il implique une réduction du pou-
voir d’achat par nécessité de rembourser seul(e) un emprunt (suite au décès du conjoint par exemple).
Mais le deuil après suicide est avant tout un deuil traumatique. Dans environ 50% des cas, le suicide se
déroule au domicile et ce sont les proches (conjoints, parents ou enfants) qui découvrent le corps. On sait
que ces personnes sont beaucoup plus sujettes que les autres (qui n’ont pas découvert le corps) à l’apparition
d’un syndrome de stress post-traumatique (PTSD). Si c’est le cas, deux processus complexes entrent alors en
synergie : le processus de deuil par lui même et le processus traumatique (compliqué parfois d’un PTSD). En
effet, le PTSD parasite et freine le bon déroulement du processus de deuil. Il nécessite donc un diagnostic
précoce et la mise en place d’un traitement adapté (type EMDR par exemple) pour « désengager » le proces-
sus de deuil de son emprise.
L’impact intérieur du deuil après suicide :

A. La culpabilité
La culpabilité dans le deuil après suicide revêt une intensité considérable chez les proches. Elle renvoie
directement à la question de leur éventuelle responsabilité dans le passage à l’acte. On constate qu’il faut
« travailler » cette culpabilité avec les proches pendant des mois, voire des années, avant que finalement ils
parviennent (et avant qu’ils acceptent) de s’en départir.
Il serait intéressant d’explorer la dimension paradoxalement structurante de la culpabilité dans ce deuil : en
effet, on pressent parfois que le fait de se désigner soi même comme responsable du suicide est une sorte de
garde-fou psychique face à la dimension trop effrayante et déstructurante de l’absurdité d’un passage à l’acte
que rien ne peut expliquer. Face à l’angoisse de ce vide, le proche se positionnerait comme responsable pour
introduire un semblant de cohérence. Dans cette perspective, il serait donc important de respecter le chemi-
nement du proche en deuil dans les méandres de sa culpabilité.

Trois conséquences à la culpabilité :


1.La quête du « pourquoi » est un aspect essentiel du deuil après suicide.
Quasiment aucun proche n’échappe à cette quête. Elle les pousse à lire et à étudier tous les livres et articles
écrits autour du suicide ou encore à étudier en détail les moindres écrits laissés par la personne disparue.
Derrière cette question se trouve évidemment l’espoir de trouver quelque chose qui viendra mettre un terme
à cette conviction qu’ils sont d’une façon ou d’une autre responsables du suicide.
Cette recherche couvre les raisons du suicide, mais elle est aussi une tentative de s’approcher au plus près
possible de l’état d’esprit de la personne suicidée, au moment de son passage à l’acte, pour mieux compren-
dre son geste.
Cette quête obsédante perdure parfois pendant des années, sans jamais totalement s’achever pour certains.
Il est vain de s’y opposer au cours de l’accompagnement du deuil car elle semble faire partie intégrante du
travail de deuil. On constate d’ailleurs que les personnes ont besoin de cheminer par elles mêmes vers l’ac-
ceptation du fait qu’elles ne trouveront jamais de réponses définitives. Parvenir à cette acceptation (et à ce
renoncement) marque souvent une étape favorable dans le déroulement du deuil.
Par ailleurs, un des aspects du travail de deuil consistant à développer un lien intérieur le plus apaisé pos-
sible avec la personne disparue, on constat que le suicide et la culpabilité qui en découle rendent cette tâche
difficile car la personne en deuil procède souvent à une relecture de tout ce qui a été vécu avec le défunt à
la seule lumière du suicide. Le risque est alors de réduire à son seul suicide l’histoire de vie de la personne
disparue.

2. La culpabilité renforce cette tendance au retrait social et à l’isolement qui est propre au vécu du deuil.
Le sentiment d’indignité issu de la culpabilité majore également le vécu de solitude. La personne en deuil par
suicide va en effet avoir tendance à s’auto-exclure des réseaux de soutien (amicaux, associatifs ou profes-
sionnels psy) sur la base d’un raisonnement du type : « Je ne suis pas digne d’être aidé – je ne le mérite pas
car moi même je n’ai pas su aider mon proche en souffrance »
3. La culpabilité favorise l’émergence de « punitions » que s’inflige plus ou moins consciemment la
personne en deuil pour expier ce qu’elle perçoit être sa « faute »
La culpabilité porte étymologiquement l’idée de « faute » et l’idée de « faute » implique donc l’idée de « puni-
tion » et d’« expiation ». Ainsi, il est très fréquent d’observer la mise en place d’interdits qui peuvent consi-
dérablement restreindre le champ de vie de la personne en deuil : elle s’interdit d’être heureuse, ne s’autorise
aucun plaisir, aucun succès, aucune gratification. Elle se condamne si elle se surprend à prendre du bon
temps (« Je n’ai pas le droit car mon fils/mon conjoint/mon parent… s’est tué »).
Une manière d’expier la faute du suicide peut se traduire par l’enfermement de la personne en deuil dans
un statut de victime où elle se structure au fil du temps dans un vécu très mortifère. L’accès au soin devient
alors très difficile.
Enfin, l’ultime « punition » qu’une personne en deuil après suicide peut s’infliger est la mort elle même : « je
mérite de mourir à mon tour ». Ce désir de mort n’est cependant pas univoque : on l’a déjà dit, il peut refléter
le désir de s’approcher au plus près du ressenti de la personne disparue ; mais il peut également être la consé-
quence d’une dépression clinique, complication du « vécu dépressif » réactionnel normal.

B. Des décompensations dépressives plus fréquentes


De fait, le vécu dépressif « normal » qui survient au cours du processus de deuil entre six mois et un an après
le décès a plus tendance à se compliquer d’un authentique syndrome dépressif chez les proches en deuil par
suicide. Plusieurs facteurs favorisants entrent en jeu :
- Le geste suicidaire entraine chez les proches une baisse parfois très sévère de l’estime de soi avec
une remise en question de la qualité de l’amour donné à la personne décédée (« Mon amour ne
sert à rien ; il n’a pas su retenir à la vie la personne que j’aime ; il n’a aucune valeur ; je n’ai aucune
valeur »). Ce désaveu violent nourrit un sentiment d’échec personnel.
- Le suicide est parfois perçu comme un rejet ou un abandon délibéré de la part de la personne suicidée.
Ce ressenti majorent toutes les failles narcissiques et autres carences préexistantes au suicide.
- Le suicide entraine un vécu de perte de sens plus marqué qu’au cours d’autres deuils plus « classi-
ques ». Beaucoup de proches en deuil font part d’un sentiment de futilité de l’existence et de perte
de repères par rapport aux axes qui guidaient auparavant leurs choix et leurs décisions. Il peut en
résulter pour certains l’abandon de projets avec une plus grande difficulté à réinvestir leur exis-
tence après le temps du deuil.
- Enfin, il est reconnu unanimement que le deuil après suicide est un facteur de risque d’augmenta-
tion du risque suicidaire. Sans pour autant aller jusqu’au passage à l’acte, il est toujours important
d’identifier les « équivalents suicidaires » ou autres comportements à risque auxquels s’expose
la personne en deuil plus ou moins consciemment avec une réelle ambivalence quant au désir de
mort et/ou d’auto-agression : mise en faillite personnelle, abus d’alcool, de drogues, mise en situa-
tions de danger (sports extrêmes)… etc. L’identification négative au comportement suicidaire et
au destin de la personne suicidée est parfois massive.
C. La honte et la stigmatisation :
En lien direct avec la culpabilité, la honte est un ressenti caractéristique du deuil après suicide, même si tou-
tes les personnes en deuil ne l’éprouvent pas. Elle s’accompagne généralement d’un vécu de stigmatisation
sociale, héritage du traitement social très négatif du suicide (et des personnes d’une personne suicidée) dans
les siècles passées.
La honte expose notamment à deux complications :
- La sous utilisation par la personne en deuil des ressourcements et réseaux de soutien au cours du
deuil. Souvent, la personne en deuil se plaint et souffre de la pauvreté de son réseau de soutien,
alors qu’elle est elle même à l’origine de cet appauvrissement.
- La honte enferme fréquemment la personne en deuil dans le silence. Ainsi, elle n’ose pas parler des
circonstances du décès de son proche et elle peut même construire un autre scénario où le décès
fait suite à un accident ou à une maladie foudroyante. Ce silence peut se transformer en « secret
de famille » dont on connaît les effets potentiellement délétères dans une perceptive trans-généra-
tionnelle.
 e façon plus anecdotique, on observe parfois des attitudes des proches visant à se « racheter » aux yeux
D
d’autrui, comme pour tenter d’annuler le jugement négatif qu’on pourrait porter sur eux ou sur la personne
suicidée. Certains se positionnent en « sauveur » face à la détresse d’autrui : telle femme ne se lie qu’à des
hommes souffrant d’alcoolisme, comme son conjoint suicidé ; tel adolescent s’impose d’être irréprochable
en tout et pour tout pour, dit-il, « laver l’honneur de mon père disparu » et « prouver aux gens que c’était un
homme bien ». Ce désir de réparation et de restauration de l’image sociale de la personne disparue conduit
parfois le proche à négliger ses propres besoins ainsi que les exigences de son propre travail de deuil.

D. La colère :
Le suicide fait violence à la personne en deuil et celle-ci riposte souvent à cette violence par la colère. Les
cibles de cette colère sont multiples :
- La colère peut se focaliser sur autrui dans une recherche de boucs émissaires qui pourraient en-
dosser la responsabilité du geste suicidaire (et donc en affranchir le proche en deuil…).
- La colère est parfois dirigée contre soi. Dans ce cas, la frontière entre colère et culpabilité est très floues.
- La colère contre la personne disparue : c’est une spécificité de ce deuil après suicide. Comme le
souligne Michel Hanus dans son ouvrage « Le deuil après suicide », « la spécificité première de ce
deuil est d’avoir été provoqué par celui ou celle dont on est en deuil ». Celui qui tue et celui qui est
tué se confondent : que devient alors la haine de la personne en deuil contre le meurtrier qui est en
même temps la victime ?...
Pour contourner cette difficulté, cette colère est parfois niée ou refoulée, le risque étant de la
retourner contre soi avec l’apparition de complications somatiques qui en seraient l’expression
déguisée. Parfois elle est revendiquée avec force, même si elle est toujours empreinte d’une dou-
loureuse culpabilité. L’accompagnement du deuil doit faire une large place à l’identification et à
l’expression de cette colère.
D. Le soulagement et l’ambivalence
Il est parfois difficile pour les proches en deuil d’« avouer » leur soulagement après le décès de la personne
suicidée. Dans certaines situations un peu extrêmes de perturbations majeures du cours de la vie au quoti-
dien (alcoolisme sévère, comportements chaotiques de la personne suicidaires avec TS à répétition mettant
en danger l’équilibre familial, vécu traumatisant pour les proches face aux hospitalisations multiples en psy-
chiatrie, fugues… etc.), le suicide est perçu comme la fin d’un calvaire, tant pour la personne disparue que
pour les proches. Ce constat est néanmoins extrêmement difficile à admettre et il est pétri d’ambivalence.
L’accompagnement aide à mettre des mots sur cette ambivalence douloureuse.

F. Le vécu de peur et d’anxiété


De nombreuses personnes en deuil après le suicide d’un proche font part de l’ébranlement de leur senti-
ment de « sécurité fondamentale » à exister dans le monde. A côté de l’hypervigilance au quotidien qui est
davantage un critère diagnostique du syndrome de stress post-traumatique et du stress chronique qui l’ac-
compagne, on retrouve un cortège de peurs nouvelles engendrées par le suicide dont voici quelques exemples
significatifs :
- Beaucoup de proches reconnaissent vivre dans la peur d’un nouveau suicide dans leur entourage.
Ils redoutent un nouveau décès ou une nouvelle catastrophe. Ils font part d’un vécu d’angoisse,
d’insécurité où tout devient imprévisible. Ceci est source d’une plus grande fragilité et vulnérabi-
lité face à l’existence.
- Lorsque le compagnon ou la compagne s’est suicidée, certains conjoints en deuil parlent d’une
méfiance à aimer à nouveau, d’une peur à s’engager à nouveau dans un lien qui pourrait potentiel-
lement être source de souffrance, si le nouveau conjoint venait lui/elle aussi à se suicider. D’autres
parlent encore de la peur d’être abandonné à nouveau. Même si la plupart sont conscients de
l’irrationalité de ces peurs, elles font néanmoins obstacle à de nouveaux engagements et investis-
sements affectifs. Elles peuvent freiner le retour à une vie affective apaisée.
- Les parents en deuil après le suicide d’un des leurs enfants sont confrontés à un sévère remise en
question de l’éducation prodiguée à l’enfant disparu. Happés par la peur que tout recommence et
qu’un de leurs enfants restants passent lui aussi à l’acte, certains oscillent entre une « rigidifica-
tion » du cadre éducatif s’ils estiment avoir été laxistes auparavant ou, à l’inverse, un assouplisse-
ment de ce cadre s’ils sont convaincus avoir exercé une trop grande rigueur sur l’enfant disparu.
Dans certains cas, on observe même une démission plus ou moins radicale du rôle parental tant
les parents se sentent incompétents (voire même « dangereux ») dans l’exercice de leur rôle. Ces
changements sont évidemment déstabilisants pour le reste de la fratrie. Les parents peuvent éga-
lement développer des attitudes de surprotection (parfois étouffantes) à l’égard des autres enfants.
Ceci est également source de désorganisation au sein de la cellule familiale.

En conclusion…
Au regard de ce qui précède, on peut avoir une image très sombre du deuil après suicide. Il est vrai qu’il
s’agit là d’un deuil générateur d’une immense souffrance sur le long cours. Néanmoins, toutes les personnes
en deuil après suicide ne présentent pas heureusement l’ensemble des éléments du tableau clinique général
qui vient d’être exposé.
Quoi qu’il en soit, si un doute persistait dans les esprits sur la pertinence d’une aide spécifique au cours de ce
deuil si particulier, j’espère que les différents enjeux présentés ont éradiqué ce doute. Tous ces enjeux justi-
fient une réflexion de fond sur les modalités d’aide à apporter aux personnes endeuillées par suicide.

Mon expérience de l’accompagnement du deuil après suicide m’a montré combien l’approche plurielle donne
de bons résultats :
- Un suivi de deuil individuel avec un professionnel psy (ou un bénévole correctement formé) qui
connaît dans le détail les enjeux du deuil après suicide
- Un diagnostic et un traitement précoce des éventuelles complications post-traumatiques (PTSD)
- Un diagnostic et un traitement précoce d’une possible décompensation dépressive
- Le recours aux ressources associatives d’accompagnement du deuil (« Vivre son deuil », « Phare
Enfants Parents », « Jonathan Pierres Vivantes »… etc) : groupes de paroles, suivis individuels,
éducation des proches aux dimensions particulières de ce deuil, actions de sensibilisation autour
du suicide et de la prévention du suicide.
Le deuil apres suicide : paragdime de tous les deuils

PROFESSEUR MICHEL DEBOUT

On a l’habitude de chercher à comprendre ce que le deuil après le suicide d’un proche présente comme
caractères spécifiques par rapport aux deuils « communs » (ceux qui surviennent alors que la mort était
redoutée du fait de l’état de la personne).
Notre propos sera de montrer en quoi, au contraire, le deuil après suicide a des caractéristiques communes
avec tous les autres deuils et qu’il en exprime même leurs caractéristiques avec une acuité particulière. La
différence entre les deux réside donc dans l’intensité des réactions vécues et non dans leur nature ; en ce sens
il est légitime d’évoquer le paragdime de ces situations.
Les observations que nous allons développer nous viennent de notre position de médecin légiste ayant eu
à rencontrer un très grand nombre de familles endeuillées après le suicide d’un proche (et face à d’autres
situations de deuil). Nous proposons systématiquement ces entretiens aux familles qui répondent favorable-
ment dans la quasi totalité des cas. Il importe que ce soit le médecin légiste ayant réalisé l’examen du corps
ou son autopsie qui assure lui-même cette rencontre car il peut alors répondre aux multiples questions qui
taraudent les endeuillés, ce qui renvoient à des préoccupations plus fondamentales rencontrées dans toutes
les situations de deuil.

Première préoccupation : comment ça s’est passé ?


Contrairement à la mort commune qui permet la présence d’un témoin (famille ou personnel soignant) qui
peut expliquer dans quel état se trouvait la personne au moment dernier (paisible, agitée, douloureuse…), ce
témoin est absent en cas de suicide mais la question demeure … Cette question renvoie moins aux réactions
de la personne au moment où elle quitte la vie, qu’à ce qu’elle va trouver en la quittant, et cette question là se
pose pour chaque décès quelle qu’en soit la cause et personne ne possède encore la réponse !

Deuxième préoccupation : pourquoi a-t-il fait ça ?


Ce que l’on qualifie parfois « d’énigme du suicide ». La mort de l’autre a ceci d’étrange qu’elle ne nous en-
traîne pas nous même dans sa mort : lui est mort et nous sommes vivants. C’est la circonstance ultime qui
nous confronte violemment à son altérité. Ce qui est secret en cet instant c’est sa vie et non sa mort. Cette
énigme est en fait l’énigme que représente « l’autre » pour chacun de nous, suicidés ou morts d’une autre
cause. L’endeuillé doit garder en lui le souvenir d’un vivant et non d’un déjà mort ou d’un « en train de mou-
rir ». C’est là l’ampleur du travail de deuil.
Troisième préoccupation : la culpabilité vécue par les proches.
J’ai évoqué dans mon rapport du Conseil Economique et Social de 1993 une « lancinante culpabilité » qui
envahit la famille et les proches avec ces questions qui reviennent à chaque instant et envahissent le psy-
chisme de l’endeuillé : « pourquoi je n’ai rien vu venir et pourquoi je ne suis pas intervenu à temps ». S’il est
évident qu’en cas de suicide la culpabilité est toujours ressentie, cela ne signifie pas pour autant qu’elle est
spécifique à cette situation particulière de deuil. La culpabilité peut être considérée comme le « curseur » de
l’attachement ressenti pour l’autre : plus on l’aimait, plus on se sent coupable de ne pas lui avoir suffisam-
ment exprimé l’amour qu’on lui portait, lui avoir dit qu’il pouvait compter sur nous et quelques souvenirs
de situations difficiles reviennent à la surface… En quelque sorte c’est de ne pas être parti avec lui dont on se
sent coupable, là encore pour toute situation de deuil.
L’aide que l’on peut apporter à un endeuillé après suicide revient donc à lui permettre de comprendre que
ce deuil, malgré l’intensité des émotions et du questionnement vécu, peut être considéré, comme tout autre
deuil, et qu’il le confronte à notre humaine condition.
Dans ce soutien la confrontation au corps mort du suicidé est un moment clé dès lors que viendra ensuite la
rencontre avec le médecin légiste. Cette rencontre n’est pas à considérer comme un temps de psychothérapie,
c’est le temps pour les proches de réappropriation des derniers événements vécus par le suicidé grâce aux
observations du praticien qui devient ainsi le « dernier témoin » de la mort.
Je souhaite que cette audition publique retienne parmi ses préconisations, l’importance de l’intervention du
médecin légiste pour toute mort par suicide, examen de corps ou plus valablement autopsie médicojudiciai-
re. La rencontre du médecin légiste avec la famille doit être considérée comme le prolongement nécessaire et
obligatoire de l’acte médicojudiciaire. Elle peut aussi s’ouvrir sur la réalisation d’une autopsie psychologique
si celles-ci sont enfin réalisées en France. Par ailleurs les examens complémentaires (toxicologiques notam-
ment) devraient être réalisés systématiquement de façon à améliorer notre connaissance sur l’état des per-
sonnes au moment de leur geste final. Les services de Médecine Légale pourront ainsi participer à la création
d’un observatoire du suicide qui manque toujours dans notre pays.
Impact du suicide sur l’entourage
sous l’angle de l’épidémiologie sociale

Françoise Facy

Introduction
La question de l’entourage des suicidés pour l’épidémiologiste est abordée à partir des études menées en milieu
clinique sur des échantillons importants ou dans une perspective de santé publique, à plusieurs niveaux :
- qualification des sous-groupes de population concernés
- recherche de facteurs de risques associés
- é valuation des interventions sociales et institutionnelles en fonction des programmes de préven-
tion ou postvention.
Dans les études sociologiques consacrées au suicide au XXème siècle, les données sociodémographiques sont
le plus souvent individuelles : âge, sexe, études, résidence, CSP des suicidés. Les méthodologies développées
en épidémiologie sociale (Kawachi, Chaix, 2002, Abenhaïm 1999) (1, 7, 19) de façon récente permettent de
dégager quelques repères depuis les données sociales retenues par Baecheler (1975) (2), jusqu’aux facteurs
contextuels et institutionnels, retenus dans la commission Le Breton (2009) (16) pour préparer le prochain
plan national de prévention du suicide.
En même temps qu’évoluent les modes d’observation en épidémiologie, la loi de santé publique (2004) consa-
cre une évolution importante quant à l’attention portée aux comportements individuels et leurs conséquen-
ces sur la santé, avec le plan de lutte contre les violences et les conduites addictives : responsabilités indivi-
duelles et collectives sont analysées par rapport à la mortalité évitable (ou prématurée) (6).

1 – Nature et Ampleur des entourages concernés

Au niveau des indicateurs épidémiologiques classiques, il existe peu de données. Ainsi le registre des causes
médicales de décès retient les codes F43 2 (troubles de l’adaptation) et Z63 4 (décès d’un être cher). En 2007,
pour 520535 décès, un seul cas est indiqué en cause principale (F43 2) et 200 en cause associée (décès d’un
être cher). Aucune étude épidémiologique en France n’a été menée auprès des familles de suicidés ; leur nom-
bre est aux Etats Unis, de l’ordre de 1% de la population.

1.1 – Approches directes en population


Le sondage réalisé par l’UNPS avec la SOFRES en 2001 (12), permet d’estimer la part de la population
concernée par le geste suicidaire d’un proche.
Si le suicide demeure un événement rare, avec 2% des décès en France, les personnes directement touchées
sont nombreuses : 35% des Français ont eu à connaître la douloureuse expérience de la mort par suicide d’un
proche. Pour 18 %, c’est un membre de leur famille et pour 5%, il s’agit de leur famille directe (père, mère,
frère, sœur ou enfant), événement qui les a fortement marqués.
Pour caractériser les entourages et environnements, les statistiques disponibles de décès montrent l’in-
fluence des territoires, des zones d’emploi, des ruralités, des catégories socioprofessionnelles, des cultures et
traditions, des Zones de soins de Proximité (3, 6).

1.2 – Approches indirectes : Comorbidités et facteurs associés aux suicides


- Nature et complexité des risques
Différents auteurs cités dans l’expertise Inserm (14) analysent l’influence des antécédents familiaux de sui-
cide ou de maladie mentale. Les antécédents familiaux de suicide ou de TS accentuent le risque de suicide de
l’adolescent, il est multiplié par 5 en cas de décès de la mère et par 2 en cas de décès du père (Agerbo et ales).
McGuffin et ales (2001), dans une méta-analyse prenant en compte les éventuelles pathologies parentales
associées, considèrent que le suicide parental multiplie par deux le risque de suicide chez l’adolescent.
Les études d’agrégation familiale rapportent une prévalence de conduite suicidaire chez les apparentés de
premier degré de patients présentant des antécédents de comportement suicidaire qui est 4 à 6 fois plus éle-
vée que chez des sujets témoins (Brent et coll., 1996).
D’autres études isolent des antécédents familiaux de psychose ou de personnalité pathologique en particu-
lier d’alcoolisme (Bille-Brahé et ales, 1995) (5), des antécédents d’abus sexuels, une pathologie relationnelle
familiale (18).
Dans l’étude de M. Choquet sur les hospitalisations après tentative de suicide (9), les parents différente de
celle des jeunes de l’acte suicidaire.
Ils ne dénient pas les problèmes familiaux qui sont incriminés de façon identique par eux et par les jeunes (19 %).
Les études de corrélation écologique posent la question de la « circularité » des risques : difficultés familiales
à l’origine ou en conséquences des gestes suicidaires ?
Les facteurs associés au suicide sont :
- l a dépression
- l ’isolement
- l a précarité
- les violences
- les addictions.
Certaines études montrent une relation entre la variation de la consommation d’alcool dans la population
générale et la variation du taux de suicide (Lester et al 2000). La récente enquête Anadep permet d’évaluer
l’importance de la population concernée par un EDM (événement dépressif majeur), en fonction de l’âge, du
sexe, de la situation familiale ou professionnelle.
- Evaluation des conséquences du suicide dans l’entourage
Les travaux rapportés dans la Commission Le Breton (16) notent les conséquences pour les proches, défavo-
rables et sous-estimées. En particulier, les petits-enfants pourraient subir de façon très douloureuse le décès
par suicide de leurs grands-parents ; le suicide passé d’un grand-parent est susceptible de créer un modèle
pour un adolescent à risque suicidaire et de favorise un passage à l’acte.
À partir de l’expertise de l’Inserm (2008) (14), une revue de la littérature permet de constater l’évolution de l’atten-
tion portée au rôle de l’entourage dans la connaissance des suicides. Le recours aux autopsies psychologiques est
développé par les coroners, à partir d’entretiens avec les conjoints et les parents au premier degré. A ces derniers,
viennent s’ajouter les amis proches, le(s) médecin(s) généraliste(s), voire même quelquefois des tenanciers de bar ;
pour les adolescents, les parents, les frères et sœurs, les amis très proches et les enseignants sont sollicités.
En milieu collectif, quelques rares études analysent les effets des suicides qui surviennent dans les Trans-
ports Publics (exemple de la RATP) sur les agents, ou sur la route, à l’occasion « d’accidents mortels », sous-
estimés en France (11).
D’autres études recensées dans le cadre de la Commission Le Breton montrent les impacts du suicide sur les
milieux professionnels, les entreprises, publiques ou privées, PME et TPE.
Des enquêtes étiologiques relient l’apparition des suicides sur le lieu du travail à l’évolution des formes d’or-
ganisation du travail, des méthodes de gestion et management.
En 2006, le colloque de Médecine du Travail avait attiré l’attention sur les risques psychosociaux dans les
milieux de soins concernés : 1/5 des suicidés avaient été en contact avec un service psychiatrique dans le
mois précédant leur suicide et avec un service de médecine primaire dans près d’un cas sur deux (Luoma et
coll., 2002 cité dans l’expertise INSERM – 14).

2 – Approche de la morbidité

2.1 - Plaintes et besoins exprimés des entourages


À partir des associations, notamment celles regroupées à l’UNPS, des informations sont rassemblées et per-
mettent de cerner les difficultés rencontrées par l’entourage des personnes suicidées. L’étude Catalys faite en
2001 montre une typologie des services d’accueil et d’accompagnement en fonction des demandes perçues
à partir de la téléphonie sociale essentiellement. Pour les lieux de consultations, aucun recueil standardisé
n’existe par rapport à l’entourage strictement.
Quelques exemples illustrent la diversité des demandes de l’entourage :
-P
 our SOS Suicide, le public se caractérise par les problématiques de personnes suicidaires et de
personnes dont un proche s’est suicidé.
- L’association Loire Prévention Suicide organise des interventions auprès des parents et enseignants.
- Pour SOS Amitiés : les catégories suicidaires et suicidants représentent un pourcentage minime sur
le nombre d’appels mais cela correspond à plus d’une centaine d’appels par an pour chaque site.
-L
 ’association Vivre son Deuil accueille des personnes dont 12% sont endeuillées suite à un suicide :
des enfants, des femmes qui ont perdu leur conjoint. 71 % des appelants sont intéressés par une
suite avec l’association (appel, entretien ou participation à un groupe).
2.2- La téléphonie sociale
L’enquête réalisée par l’École des parents et des éducateurs d’Île-de-France auprès des appelants de Fil Santé
Jeunes, service téléphonique anonyme et gratuit destiné aux jeunes, montre l’importance de ce recours chez
des jeunes en difficultés : des filles dans 73% des cas. L’âge moyen pour les filles est de 18 ans et de 19 pour
les garçons ; 70 % d’entre eux ont déjà fait une tentative de suicide et 62 % répètent leur geste. Les facteurs
déclenchants évoqués par les appelants sont : un conflit familial grave (29 %), une rupture sentimentale
(27 %), un échec scolaire ou professionnel (23 %), une agression sexuelle (17 %), une situation de séparation
(14 %) ou le deuil d’un proche (11 %) (16).
D’autres moyens de communication, Blogs et sites offrent par contre de nouvelles possibilités de rencontres
et d’échanges. Selon une recherche menée aux États-Unis (citée par Le Breton) (16), les adolescents suicidai-
res qui utilisent l’Internet divulgueraient d’abord leurs intentions, alimenteraient leur réflexion à partir de
la réaction des Internautes et des informations disponibles sur le Net, pour ensuite prendre une décision.
Les pactes de suicide sont des échanges entre internautes qui mènent à la décision de se suicider à deux ou à
plusieurs (20).
Il existe des sites dont l’objet principal est le suicide avec des regroupements d’informations sur le suicide :
manières de se suicider, raisons qui motivent le suicide, revendication du droit au suicide, forums d’échanges.

3 – Ressources pour la postvention et évaluations

L’entourage peut être demandeur d’aide mais aussi co-acteur de prévention. L’Inpes a rassemblé les éléments
récents d’évaluations pour guider les stratégies à partir des expériences réalisées.
Sont à retenir plusieurs observations :
- l a rareté des études sur des groupes particuliers, tenant compte d’âges, de cultures spécifiques et
des cercles proches : l’arrière-plan familial et aussi les soignants.
- les recommandations de recherches portant sur la famille entière y compris les amis empathiques.
- les centres de crise spécialisés comme lieu d’évaluation des réseaux d’aide informels, famille comprise.
- les nouveaux modèles théoriques sur les transactions multiples entre la personne et son environ-
nement : modèles biopsychosocial, écologique et transactionnel.
- le concept de prévention
L’utilisation du terme prévention (primaire, secondaire et tertiaire) est délicat en suicidologie où la préven-
tion porte sur les décès, les tentatives de suicide et les idées suicidaires. Le terme prévention est retenu pour
la population générale ou des sous-populations à risque. Les programmes de promotion en santé mentale
sont différenciés. Le terme intervention est retenu après des dépistages de risques de conduites suicidaires et
comprend la postvention.
Les interventions menées auprès de la population générale (De Leo et al 1995) (10) ont montré des effets
positifs sur les taux de suicide chez des personnes âgées. Une intervention consistait à équiper des personnes
isolées d’un service téléphonique une option d’appel et une option de suivi.
Une autre intervention visait à l’information des personnes âgées sur la dépression, à son repérage et à sa
prise en charge médicale (MG & psychiatres). Des sessions collectives d’information étaient organisées avec
le concours des mairies et les personnes présentes étaient amenées à remplir une échelle diagnostique de dé-
pression. Les personnes dépressives étaient orientées vers une prise en charge médicale (MG & psychiatres).
L’évaluation montre une réduction de 60 % de suicides chez les femmes, mais aucun effet chez les hommes.
Pour les actions de sensibilisation à la prévention du suicide en milieu scolaire, l’INSPQ (Institut National de
Santé Publique du Québec) est chargé d’évaluer ces programmes. L’utilisation des pairs en termes d’écoute
active ou d’aide à la résolution des problèmes est analysée avec des effets indésirables. Des taux de suicide
plus élevés ont été observés dans des écoles où les aidants n’étaient pas supervisés par des adultes. De maniè-
re générale, les chercheurs se demandent si ces programmes n’ont pas à leur insu encouragé des suicides (15).
Les programmes de prévention du suicide sont disparates. La revue de la littérature écossaise synthétisée par
l’INPES (16) indique les lieux principaux d’où sont issues les analyses publiées : communauté, école, service
de consultation externe, interne, service d’urgence. Les populations sont sélectionnées, par rapport à des cri-
tères multiples : psychopathologiques ou sociaux. Dans les études, les indicateurs d’efficacité englobent une
symptomatologie élargie : suicide, tentative de suicide, pensées suicidaires, acte autodestructeur.
Aucune de ces études n’est française et les conclusions de l’INPES par type d’intervention sont résumées
ainsi :

Intervention Conclusion (PS, TS, S confondus)


Moyens létaux Efficace
Maintien du contact Efficace surtout s’il est proactif et « humain »
Lignes d’appel Efficace (réfléchir aux méthodes d’écoute et à la possibilité d’avoir
des appels « sortants »)
Formation des MG Si elle est répétée et généralisée
Programmes scolaires À manier avec précaution (risques d’effets négatifs)
Organisation de la prise en charge Si elle s’assure de la continuité de la prise en charge du patient
après sa sortie
Information du public Si elle est associée à une offre de prise en charge
Programme militaire Efficace (effet sans doute positif du groupe)
Il ressort des évaluations menées à l’étranger que seuls des programmes interministériels peuvent soutenir
des actions dans une coordination d’espace et de temps. L’exemple du Canada donne l’infrastructure de
santé publique comme base d’organisation pour une stratégie d’action face au suicide (2002).
4 – L’entourage représenté par : LES INSTITUTIONS

À partir des travaux menés dans la commission Le Breton, une approche en terme de santé publique concer-
ne directement les institutions, considérées comme des milieux de vie collective, en distinguant :
- c elles dont la mission est de protéger du suicide mais en premier lieu de souffrances des popula-
tions à haut risque (hôpital) ;
- c elles dont la mission est autre mais le risque de suicide est intégré (mission locale, prison,) ;
- c elles qui veulent protéger leurs professionnels (entreprises, armées) ;
- c ertaines institutions tentent de conduire ces politiques de façon concomitante (éducation natio-
nale, enseignement supérieur).

4.1 - La majorité des professionnels impliqués dans la prévention du suicide considèrent que la
problématique suicidaire relève du champ de la santé publique de par :
- l ’importance des situations de traumatismes et violences,
- l ’importance des entourages socio-familiaux concernés,
- la nature des conséquences sanitaires et sociales (décès, handicaps, dommages psychologiques),
- la multiplicité des causes médico-psycho-sociales et des facteurs de risques associés.
La santé Publique justifie des interventions au niveau :
-d
 es territoires,
-d
 es moyens utilisés pendaison, armes à feux, médicaments,
-d
 e la prise en charge pour la santé mentale,
-d
 e la protection de l’activité socioprofessionnelle. Les secteurs d’activité présentent des différences
importantes de taux de mortalité pour certaines causes en particulier les suicides. L’attention est
portée aux risques professionnels approfondies, sur un plan psychosocial,
-d
 e la vulnérabilité des personnes en fonction des facteurs démographiques, comme l’âge, le sexe,
l’état matrimonial.
Les statistiques sont disparates :
En 2002, 194 suicides sont connus en établissement psychiatrique et 122, dans les maisons de retraite. L’en-
quête de la DHOS réalisée en juillet 2003 sur les décès survenus en 2002 dans les établissements de psychia-
trie publics et privés relève 194 décès identifiés, avec 5 départements qui n’ont pas répondu et 29 qui n’ont
déclaré aucun suicide intra-établissement.
Le milieu carcéral est également exposé aux risques suicidaires, avec des enregistrements systématiques des
situations par établissement.
Depuis peu de temps, le milieu des entreprises est aussi analysé comme révélateur de difficultés psychosocia-
les, où les souffrances liées au stress et à l’anxiété peuvent entraîner des suicides (C. Dejours, 2006). L’enquê-
te Samotrace (Invs) montre que 16 % des salariés sont victimes de violence ou discrimination au cours des
12 derniers mois à partir d’un réseau de 300 médecins du travail. Les expositions les plus fréquentes sont les
milieux de : la finance, l’administration, la santé, l’action sociale.
Les transports publics se sont par ailleurs saisis, au nom de la sécurité, de la problématique de la prévention
du suicide, vis-à-vis des publics, mais aussi des agents. C’est l’exemple de la Ratp à Paris (UNPS, 2006) (11).

4.2 - Différents Programmes Inter-Ministériels


C’est entre la Santé et l’Education que des démarches coordonnées ont le plus avancé :
• Projet de contrat-cadre de partenariat en santé publique entre le ministère de l’Éducation natio-
nale et le ministère de la Santé avec les objectifs de :
«… repérer précocement les problèmes de santé et les facteurs de risque et assurer le
suivi des élèves »
«… construire des outils harmonisés d’aide au repérage des difficultés médico-psycho-sociales »
«… développer la formation des médecins de l’Education nationale au repérage précoce
des troubles du développement et des souffrances psychiques des élève… »
«… inciter les personnels de l’Education nationale à participer aux formations pluridisci-
plinaires sur le repérage de la crise suicidaire »
• La politique contractuelle avec les universités
L’Université accueille une population socialement moins homogène qu’autrefois, avec l’émergence de diffi-
cultés sociales financières, matérielles, psychologiques et de santé : un tiers des étudiants déclarent notam-
ment s’être sentis déprimés pendant plus de deux semaines au cours de l’année (enquête USEM 2007).
Le rôle des services universitaires de médecine préventive et de promotion de la santé (SUMPPS, décret du 7
octobre 2008) et des différents acteurs impliqués dans la prévention est très important pour cette tranche de
population de jeunes de 18 à 25 ans.
Dans le contrat quadriennal Etat /université, la santé étudiante fait partie intégrante du volet « vie étu-
diante ». Elle est présentée par certains établissements comme un axe fort de la politique de prévention et de
réussite des étudiants.
Dans les autres institutions, les observations enregistrées sur les phénomènes suicidaires en institutions,
au titre des activités sociales ou professionnelles, entraînent plus d’attention et de plaintes, individuelles ou
collectives, et impliquent les responsabilités civile et juridique.
Des commissions de travail sont simultanément mises en place, au ministère de la Santé, au ministère du
Travail, au ministère de la Justice. La question de l’interministérialité est à envisager pour des program-
mes coordonnés de prévention.

4.3 - Vers une agence régionale de santé


La construction des ARS est une période favorable à l’application de programmes de prévention qui mutua-
lisent sur un territoire les ressources existantes pour la préservation des liens sociaux et la prise en charge
médico-psychologique (Société Française de Santé Publique, 2008).
En ce qui concerne les établissements hospitaliers, le projet d’établissement actuel est une obligation, la for-
mation des personnels au repérage de la crise suicidaire pourrait y être intégrée.
Des éléments sont communs aux hôpitaux et établissements médico-sociaux pour analyser les besoins des popula-
tions, et pour le personnel, les CHSCT sont invités à intervenir, mais aucune information chiffrée n’est disponible.
En ce qui concerne les établissements psychiatriques, le suicide fait partie intégrante des préoccupations de
repérage et de suivi des patients, et pourtant l’indicateur «suicide» semble peu utilisé dans la mesure d’effi-
cience des pratiques cliniques.
L’exemple d’une Institution engagée dans le programme prioritaire en prévention du suicide, la Drass Rhô-
ne-Alpes, illustre certaines prises en compte et engagements :
a) en direction du public.
- politique de coordination du repérage des crises suicidaires confiée au Centre régional de
prévention des conduites suicidaires,
- réflexion autour de la problématique de la dépression et du suicide des personnes âgées
- mise en place de groupes de soutien aux endeuillés
b) en direction des personnels.
- dynamique impliquant notamment l’Éducation nationale, les conseils généraux et les
médecins libéraux ;
- introduction du thème souffrance mentale au travail dans le Plan régional de santé au
travail (PRST).
La coordination semble ainsi possible dans la nouvelle organisation de prise en charge de santé avec l’inté-
gration du secteur mutualiste dans certains partenariats.
Dès 1974, la Macif a été la première société d’assurances à indemniser, dans le cadre de son contact de pré-
voyance de base détenu par la grande majorité de ses sociétaires, les conséquences financières du suicide.
Cette disposition couvre aujourd’hui les sociétaires et leur famille soit près de 8 millions de personnes.
Cette mutuelle d’assurance met en œuvre une politique de prévention du suicide :
- e n direction du grand public en co-construisant des actions comme « un message pour la vie » ou
la diffusion du livret « Envie de la vie permettant de faciliter l’intervention d’un proche.
- à l’attention des 700 sociétaires qu’elle indemnise chaque année suite au suicide d’un membre de
la famille.

Conclusions

1. Observer et connaître
Les informations disponibles sur l’impact des gestes suicidaires sur l’entourage, montrent des connaissances
limitées. Les statistiques de suicide indiquent des améliorations enregistrées, mais une stagnation actuelle. Des
disparités de population (âge-sexe-activité professionnelle), des inégalités sociales et géographiques, des dispa-
rités d’accès aux soins et d’aide en santé mentale sont autant d’éléments qui interviennent en facteurs associés.
Améliorer le niveau de connaissance quantitative et qualitative relatif aux risques suicidaires est une re-
commandation minimale.
Les indicateurs de santé publique sont des éléments nécessaires (et non suffisants) avec les indicateurs de mortalité
ou morbidité, même si plusieurs études relativisent la portée des indicateurs généralement utilisés en santé (17).
Quelques recommandations sont établies pour aborder un ensemble de conduites (auto-agressives ou à risques
de violence ou dépendance), spécifiques à des groupes d’âge, et en cohérence avec les missions des institutions
ayant en charge des groupes de personnes, dans un fonctionnement social ordinaire (exemple des transports
publics) ou dans un contexte d’aide et de soins (établissements hospitaliers et structures médico-sociales).
La CIM reste la classification la plus usuelle, à compléter par le DSM et la CIF suivant les milieux de vie et les
objectifs des bases de données.
Installer un observatoire intersectoriel dédié au suivi des programmes de prévention permettrait un pro-
gramme de recherches pluridisciplinaires dans une perspective coordonnée :
-d
 ’amélioration des connaissances et de transfert entre professionnels des secteurs de santé, justice,
travail, éducation et les représentants, associatifs, de la population
-d
 es évaluations des actions de prévention et intervention en milieu collectif.

2. Articuler l’inter-ministérialité à partir de la santé publique


La promotion de la santé intègre aujourd’hui les notions de capital humain et environnement et élargit les
préoccupations de santé depuis la charte d’Ottawa.
Intégrer la thématique « prévention du suicide » dans la politique globale de l’institution est une recom-
mandation en cohérence avec les orientations de l’OMS :
- Favoriser l’émergence d’une sensibilisation et d’une mobilisation collectives au niveau des institutions,
éducatives, sociales ou sanitaires.
- I mpliquer les assurances et les mutuelles dans la prévention et la promotion de la santé

3. Au niveau régional, développer l’intersectorialité


L’articulation entre institutions sanitaires, médico-sociales, associatives…est proposée :
- a u niveau interne, entre professionnels et intervenants
- e n fonction des logiques pour les territoires de santé (régions…)
- a u niveau d’un territoire de santé : conventions entre institutions sur les thèmes d’information, de
formation et d’organisation de suivi
- a u sein des Agences Régionales de Santé, le suicide serait un axe obligatoire à aborder en termes de
santé publique (Article L 1432-1 projet de loi hôpitaux patients santé territoires) dans le cadre des
commissions de coordination des politiques associant services de l’état, collectivités territoriales
et organismes de Sécurité Sociale
- fi
 xer un objectif de réduction au sein du futur Plan Régional de Santé, à décliner dans le schéma
régional de prévention par territoire de santé (Article L1434-5)
L’attention générale portée à l’environnement et la protection de la santé offre un contexte favorable pour la
prévention du suicide et la postvention en direction des entourages, personnels comme collectifs.
Bibliographie

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17 - Mishara B. L., Toussignant M., Comprendre le suicide, Québec, Les Presses Universitaires de Montréal,
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19 - «Social Epidemiology» edited by Lisa F. Berkman & Ichiro Kawachi (ISBN 0-19-508331-8) aux éditions
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20 - Vaiva G., Ducrocq F., Meyer P., et al., effect of telephone contact on further suicide attemps in patients
discharged from an emergency department : randomised controlled study, BMU, n°332, 2006.
Le suicide n’est pas une fatalité

Professeur Christian BAUDELOT

On a beau la savoir naturelle et inévitable, on ne se fait pas à la mort. A la sienne à la rigueur, mais pas à
celle de l’autre. Elle est toujours vécue comme un arrachement douloureux qui fait aussi disparaître une par-
tie de soi. Si savant qu’on soit, si préparé qu’on puisse être à l’événement, la mort reste un scandale. A fortiori
lorsqu’il s’agit d’un suicide.
Le deuil après suicide n’est pas un deuil comme les autres. Les psychiatres parlent à son propos de deuil
aggravé tant sont difficiles à refermer les blessures qu’il inflige à l’entourage. Génératrice de culpabilité,
l’onde de choc se propage bien au-delà du premier cercle. Chaque suicide suscite des interrogations qui res-
teront sans réponse, il produit de l’angoisse, des dépressions, voire des mesures d’autopunition qui peuvent
aller jusqu’au suicide.
On se reproche longtemps de n’avoir pas compris assez tôt la gravité de la souffrance, l’étendue du dé-
sespoir. On s’en veut de n’avoir pas été là pour empêcher l’acte. On voudrait remonter l’horloge à l’envers,
revenir à l’avant, au moment où tout n’était pas encore joué. Si j’avais mieux compris le récit qu’il m’avait
fait de son entrevue avec son professeur de médecine qui l’avait, « compte tenu de sa maladie mentale »,
brutalement découragé de poursuivre ses études de médecine : « si ça vous reprend, et ça vous reprendra, au
moment où vous soignez un malade, vous doublez la dose, et hop !, vous tuez le patient ! », j’aurais pu, j’aurais
dû alerter le psychiatre qui le suivait. Je ne l’aurais pas quitté d’une semelle et serais resté près de lui à l’hôpi-
tal, lorsqu’on lui administrait des antidépresseurs par perfusion. J’aurais vérifié que le vasistas de la chambre
était fermé. Il était si haut qu’il ne présentait pas de danger apparent puisque dans ce service hospitalier de
psychiatrie pour adolescents, toutes les précautions étaient prises pour éviter suicides et défénestration. Mais
on était le 2 juillet et dehors, il faisait chaud et les chambres avaient besoin d’air. Mais mon frère Antoine
était grand, 1m, 87. L’énergie qu’il a dû déployer pour, d’un seul mouvement, arracher la perfusion, se hisser
à la hauteur de l’étroit vasistas situé à plus de 2m 50 de hauteur, et basculer dans le vide pendant le court
instant où l’infirmière s’était absentée demeure une énigme pour l’ensemble du personnel présent dans le
service. « Raptus anxieux », tel fut le diagnostic laconique porté par le psychiatre et transmis à la famille.
Depuis, il n’est pas de jour où je n’évoque ce moment où tout a basculé, persuadé qu’il était réversible.
Et je m’en veux toujours, quarante ans après, de n’avoir pas discerné à sa vraie dimension l’imminence du
danger.
Mon père a d’emblée mesuré combien la mort de son fils allait le hanter pour le restant de ses jours :
« Pour moi, c’est la perpète ! » nous a-t-il dit le soir, empruntant à son registre professionnel – il était avocat -
la peine la plus dure qu’il cherchait à éviter à tout prix et en connaissance de cause à ses clients. La condam-
nation à la prison à perpétuité
Lorsqu’on succombe à une maladie, la chaîne de causalité qui conduit à la mort comme terme inéluctable
d’un processus biologique peut être compréhensible. On vous l’explique en termes scientifiques : tumeur,
invasion de métastases, caillots, hémorragie cérébrale, asphyxie. C’est triste, tragique, mais on n’y peut rien.
On peut se révolter contre la cruauté du destin, déplorer l’impuissance des médecins, souffrir mille morts de
la séparation, vous n’y êtes pour rien. La logique de développement du mal est régie par des principes inter-
nes qui relèvent de la physico-chimie, de la dynamique des fluides ou de la mécanique. La mort est naturelle.
De tout autre nature est celle, violente, qui résulte de l’accident, de l’homicide ou du suicide. Regroupées
comme des causes de décès à part par les statisticiens, ces morts ne se réduisent pas à du physico-chimique.
Il y a bel et bien intervention de l’autre, et l’autre c’est vous, c’est moi. Entre l’homicide et le suicide, dit-on,
la seule différence tient à la destination de la violence : contre l’autre ou contre soi. On peut aussi dire qu’un
suicide est un assassinat par délégation, la personne suicidée jouant seulement le rôle du tueur, poussé par
un commanditaire, tant la responsabilité et la culpabilité affectent fortement et longtemps les proches,
comme s’ils avaient eux-mêmes contribué à donner la mort à l’autre. On ne comprend pas pourquoi à un
moment donné, la mort lui a semblé préférable à la vie. Non pas la vie en général, conçue comme une abs-
traction, mais celle qu’on vivait ensemble, la nôtre, partagée depuis l’enfance, avec nos parents, nos frères,
nos sœurs, tes amis. Nos souvenirs communs, nos plaisanteries, notre enfance, au singulier, même si neuf
ans nous séparaient. Pourquoi la vie qu’on lui avait faite lui a-t-elle parue si haïssable ? Qu’est-ce qu’on t’a fait
pour que tu nous quittes aussi brutalement, laissant pour la vie toutes nos questions sans réponse ?
Bien sûr, pour l’avoir suivi de près pendant la dernière année, j’ai vite compris que les troubles qui l’af-
fectaient lui rendaient la vie impossible : bouffées délirantes, perte de sommeil, épuisement, sentiment
d’être devenu un étranger pour lui-même et d’être habité par un autre logé à la fois à l’intérieur et à côté de
lui-même : schizophrénie ont parfois dit les psys. Huit jours avant, j’avais publiquement souhaité sa mort
tant j’avais du mal à supporter sa maladie. Son étrangeté, ses délires, sa souffrance, les tremblements qui
l’agitaient, sans doute provoqués par les neuroleptiques qu’il absorbait à haute dose. Ma mère nous a dit le
lendemain de sa mort que pour la première fois depuis des mois, elle avait réussi à dormir la nuit d’après. Un
gros poids de moins sur la poitrine. Il ne souffre plus. Je comprends donc très bien qu’à un moment donné il
ait préféré en finir avec la vie qui lui était devenue insupportable, au sens littéral du mot. Va pour la causalité
immédiate ! Mais pourquoi donc a-t-il à vingt ans, en Mai 1968, « perdu la boule » ? Pourquoi ce jeune frère
plein de vie, d’amis, de compétences, de projets et d’avenir, a-t-il brutalement commencé à « débloquer » ?
Et les questions qui me taraudent encore quarante ans après portent en grande partie sur la part de res-
ponsabilité qui est la mienne dans l’événement en tant qu’élément d’une même configuration familiale. Ai-je
été pour lui un aîné écrasant ? Ai-je tout fait pour éviter l’événement ? Mon propre développement a-t-il
porté ombrage au sien ? J’étais l’aîné, il était mon petit frère : j’avais neuf ans quand il est né. Je représentais
beaucoup pour lui. Je me souviens très bien de sa naissance, un mois de février froid et lumineux. Il avait
beaucoup neigé cette année là.
Nous sommes nés dans une famille parisienne, bourgeoise, catholique, conservatrice et traditionnelle qui
nous a assuré tout au long de notre enfance un niveau de vie matériel plus que confortable, même pendant
la seconde guerre mondiale, et nous a toujours entourés d’une affection profonde. Nos parents s’aimaient, ils
aimaient leurs enfants. Ils nous ont inculqué par l’exemple une morale catholique et bourgeoise fortement
structurée : sens du travail et des responsabilités, respect du prochain, humilité (ne jamais se mettre en
avant), certaines formes d’ascétisme et de sacrifice, le tout dans une relative bonne humeur. Enfance de rêve,
mais univers du non dit dès lors qu’il s’agissait de religion, de politique, de sexualité ou de lutte des classes.
Très vite passionné par la philosophie et la littérature, et plus largement par la vie intellectuelle, je me suis
révolté assez tôt contre ma famille, le Figaro, l’église et tout ce qui allait avec. J’en avais beaucoup à l’époque
contre mon père en particulier qui incarnait toutes ces valeurs tout en offrant une figure paternelle forte
dans son inflexibilité et l’impossibilité d’établir un dialogue de plain pied avec ses enfants. Muet, fermé, il
était devenu pour moi à ce moment la figure hostile du commandeur. J’ai quitté le domicile familial dès que
je l’ai pu, affiché des convictions politiques et sociales très hostiles au milieu où j’étais né, commencé en 1962
à vivre, hors mariage, avec une jeune fille d’immigrés russes non majeure avec laquelle je vis toujours. Bref,
la révolte, la rupture avec la famille, des engagements politiques pendant la guerre d’Algérie, du Viet Nam et
une participation active aux événements de 68 aux côtés de mes collègues et de mes étudiants. J’ai sûrement
contribué par ma révolte à ébranler l’équilibre harmonieux de l’ordre familial, à déstabiliser l’environne-
ment affectif de mes frères et sœurs. Quelle part ont joué ce désordre dans la maladie de mon frère, les alter-
cations violentes avec mes parents, les jugements à l’emporte-pièce portés de part et d’autres ? J’étais l’aîné
et j’ai sûrement pompé beaucoup d’air dans le bocal familial.
Sa maladie a surgi brutalement en Mai 68 sous la forme de bouffées délirantes qui ont bouleversé mes
parents qui n’avaient jamais vu rien de tel. Rien ne laissait prévoir l’apparition dans notre famille du spec-
tre de la maladie mentale. Aucun antécédent n’a été répertorié dans aucune branche ascendante aussi loin
qu’on pouvait remonter. Antoine était étudiant de deuxième année en médecine. Un étudiant sans histoire
qui avait franchi avec facilité l’étape la plus difficile de ce cursus, l’examen de fin de première année. Il était
passionné par ses études et le métier de médecin auquel il se préparait avec beaucoup d’énergie. Mes parents
lui avaient offert un stéthoscope qu’il se mettait volontiers autour du cou pour apprendre ses polycopiés. Il
était drôle, adepte d’un humour ravageur. Il jouait beaucoup et très bien au tennis. Il avait un grand nombre
d’amis, filles et garçons. Il constituait avec plusieurs de ses condisciples une petite bande : ils travaillaient
ensemble, passaient des vacances de ski dans le même chalet. Bref, il menait la vie heureuse et studieuse d’un
étudiant en médecine bien intégré.
Fort distant des questions sociales et politiques, il a été littéralement happé par le mouvement de 68,
fréquentant les ag jusque tard dans la nuit. Il éprouve une grande admiration pour le Pr Cabrol qui, dans le
domaine de la médecine, avait commencé par ruer dans les brancards. Le soir de la nuit du 10 mai, nous le
rencontrons, Olga et moi, avec ses copains place Edmond Rostand. Il passera, comme nous d’ailleurs, la nuit
allant de barricades en barricades.
Et puis, il perd le sommeil et commence à tenir des propos incohérents pour ceux qui les entendaient. Les
parents s’en occupent. A cette époque, les relations étaient mauvaises entre eux et moi. J’étais beaucoup à
Lille où j’enseignais et à Paris je participais beaucoup au mouvement, réunions et manifs. Nous ne connais-
sions pas de psychiatres et encore moins les milieux et les différents courants de la psychiatrie. Seul recours
médical disponible pour mes parents, le Pr D., ancien pédiatre de famille, devenu psychiatre et grand man-
darin. Il exerçait en libéral dans un très bel appartement du 16ème arrondissement. Sitôt consulté, il prend
des mesures de sûreté. Enfermement autoritaire d’Antoine dans une clinique aux hauts murs des environs de
Paris. Visites interdites, aucun contact pendant un mois. Cure de sommeil disait-on à l’époque : isolement
total, halopéridol à haute dose. Il nous racontera plus tard les effets redoutables de ces médicaments. Un
jour, il supplie l’infirmière d’arrêter ces injections et s’oppose à la piqûre : « arrêtez ces médicaments, je vous
en supplie, ils me bouzillent », « Ah ! Tu veux qu’on les arrête, lui répond l’infirmière, alors on les arrête ». Et
elle en s’en va en l’enfermant à nouveau. Supplice de cette privation brutale.
Il sort au bout d’un mois, épuisé mais tenant des propos raisonnables. On le rend à sa famille. Tout est
fini, tout va bien, aucun suivi. Il ne s’est rien passé. Il ne délire plus. On est en juillet. Vacances. Il reprend
la fac en Septembre et tout le premier semestre est apparemment normal. Fin janvier, début février, il est à
nouveau mal. Les phases de délire réapparaissent. Mes rapports avec mes parents sont meilleurs. Antoine
m’aime bien et nous convainquons les parents d’essayer de trouver tous les deux des médecins et des traite-
ments moins dévastateurs que les premiers. Mes parents sont d’accord car eux aussi gardent un très mau-
vais souvenir de la façon dont le Pr D. a géré la question. Antoine était d’accord pour se soigner. Il était par
moments à côté de sa maladie et souhaitait comme moi trouver un psy en lequel il aurait confiance. Il était
lucide.
Nous ne connaissions à l’époque aucun psychiatre, aucun psychanalyste. Les cliniques et les hôpitaux
psychiatriques étaient pleins à craquer des suites de 68. Louis Althusser à qui j’en parle me communique
une liste de « bons psy », sauf le sien, René Diatkine dont j’ai fait la connaissance plus tard et qui aurait peut
être pu modifier la situation. « Pas d’interférences, disait-il, surtout, tu verras mon petit vieux, dans ce genre
d’affaire, il faut éviter toute interférence ». Je n’y connaissais rien.
Je téléphone aux médecins de sa liste. Tous débordés, impossible d’obtenir un rv avant plusieurs mois.
L’un d’eux accepte de nous recevoir. Lui aussi habite le 16 ème arrondissement. Il est devenu depuis une
grande autorité dans le domaine. Appartement bourgeois. Beau play boy blond, habillé avec soin et très assu-
ré de lui-même. Il me demande avec gentillesse et fermeté de rester dans le salon d’attente pendant qu’il fait
entrer Antoine dans son bureau. Il ressort au bout de cinq minutes de son cabinet, le visage défait.
« Mais il est en plein délire votre frère »
« C’est bien pour ça que nous sommes venus vous voir »
Il me demande alors l’historique. Je lui déroule l’histoire et mentionne le nom du Pr D. en précisant que
nous ne voulons plus avoir affaire à lui. Je sens qu’il bute à ce moment. Il rompt brutalement l’entretien et
nous dit en nous reconduisant à la porte « Désolé, je ne peux rien pour votre frère, il est déjà pris en charge
par le Pr D. ». Et nous revoilà tous les deux dans la rue à rechercher une nouvelle adresse. Il délirait par mo-
ments. Mais le délire d’un proche n’a rien de vraiment irrationnel. Lors de nos promenades, il comptait tous
les chiens et en dénombrait 24 au bout d’une heure : « tu trouves ça normal ? 24 chiens en une heure ! Je suis
sûr qu’ils nous espionnent, ils sont bourrés de micros et de radio-émetteurs. » De fait, 24 en une heure, c’est
beaucoup, non ?
Les phases de délire étaient plus fréquentes. Il était de plus en plus difficile à gérer. Les derniers mois
avaient été sportifs. Il avait « disparu » à plusieurs reprises. Deux jours après sa première disparition, je
reçois un coup de téléphone du commissaire de police de la gare de Lyon me demandant, de la part de mon
frère, de me présenter à son commissariat. Ils l’avaient retrouvé assis sur le marchepied extérieur d’un train
à grande vitesse de l’époque , le Mistral, reliant Paris à Marseille. Il avait traversé toute la France, sans
billet, de cette façon. Je le trouve en pleine discussion avec le commissaire, plutôt bon enfant, cherchant à
le persuader qu’il fallait absolument réconcilier Marx et Jésus Christ. Le commissaire était bon enfant :il a
vite compris que le voyageur n’était pas dans son état normal et s’est contenté de formuler un délit de gri-
vèlerie qui s’est éteint dès règlement de la facture du billet de train et d’un repas au wagon restaurant. Sans
suite. Une autre nuit où il couchait chez nous, je constate vers minuit qu’il n’est plus dans son lit mais que
tous les vêtements qu’il portait se trouvent ainsi que ses chaussures impeccablement rangés sur une chaise.
Paris était alors secoué de syndromes post 68 et les nuits étaient souvent chaudes d’affrontements violents
entre CRS et manifestants. Cette nuit était particulièrement agitée. J’alerte mes parents, ses copains les plus
proches. Aucune nouvelle d’Antoine. A 07 heures du matin, téléphone de ma mère. Antoine dormait dans
sa chambre. Il avait traversé tout Paris, pieds nus, vêtu d’un seul pantalon de pyjama et avait réussi à passer
sans encombre au travers des batailles rangées que se livraient manifestants et policiers, dont les échos des
grenades lacrymogènes nous parvenaient par la fenêtre.
On finit au bout d’un mois et demi environ par trouver le bon hôpital et le bon psychiatre, le Dr Flavi-
gny, chef du service de psychiatrie des adolescents à l’Hôpital de la Cité universitaire, boulevard Jourdan. Il
y reste un mois avec possibilités de visites et de sorties. Je vais le voir souvent, nous sortons ensemble nous
promener dans le parc Montsouris. Il va mieux tout en m’avouant un jour qu’il dispose maintenant des
moyens de donner le change, de faire croire aux autres qu’il va bien et qu’il a recouvré un état normal, mais
qu’en fait ce n’est pas complètement vrai. Il y a toujours chez lui un autre personnage qui l’habite et qui n’est
pas lui. Il voit le monde autrement que nous.
Mais le mieux l’emportait et il finit par sortir. Le moral est meilleur et il envisage sérieusement de repren-
dre ses études de médecine. Il reprend contact avec ses copains. Il sort en « boums ». On est en juin : il a in-
terrompu ses études en février et voudrait savoir s’il doit repasser tous ses examens à la session de septembre
ou si les contrôles qu’il a passés au cours du premier semestre lui seront validés. Il prend alors rendez-vous
avec le jeune médecin qui dirigeait ses travaux pratiques. Et c’est la catastrophe. Il ressort du bureau hagard,
complètement disloqué. En quelques phrases, l’enseignant l’a privé d’avenir en faisant de lui un malade mental
à vie. « Si ça vous reprend, et ça vous reprendra, au moment où vous soignez un malade, vous doublez la dose,
et hop !, vous tuez le patient ! Hors de question de continuer la médecine. »
Antoine entre alors dans une phase dépressive que nous avons mis du temps à identifier. Il ne délirait plus
mais semblait accablé, n’avait plus de goût à rien. Mes parents et moi cherchons à reprendre contact avec
l’hôpital : tout était plein à nouveau, impossible d’obtenir un rendez-vous. Antoine était de plus en plus mal.
Quinze jours se passent très difficiles où son état empire et puis enfin une consultation et une prescription :
venir trois fois par semaine à l’hôpital pour une perfusion d’antidépresseurs. Mais il était trop tard. C’est au
cours de l’une d’entre elles qu’intervient le « raptus anxieux ».
Pourquoi ?
La nature humaine ayant horreur du vide, chacun s’est efforcé de le combler à sa manière. Schizophrénie,
ont dit les psys, vaste continent de la maladie mentale qui nous est demeuré aussi inconnu et incompréhensi-
ble après qu’avant. Et les bons psys n’ont rien fait pour dissiper le mystère.
De la façon dont Antoine avait mis un terme à sa vie, on parlait peu dans le cadre familial. Le sujet n’était
pas tabou, on avait le droit de l’évoquer devant mes parents, mais très vite, la conversation tournait court
et se muait en minute de silence. On n’avait rien à en dire. Le contact avec ses amis était rompu : ordre de la
faculté. Il s’agissait d’un drame effroyable que personne n’avait pu éviter, qui restait incompréhensible. Mon
père se murait dans le silence, les yeux perdus dans le vague. Il n’aimait pas qu’on en parle, ni même qu’on
évoque trop l’événement devant lui. « Un drame effroyable ». Ma mère était plus loquace : elle évoquait son
fils et imaginait ce qu’il serait devenu. Pour elle, il avait encore un futur. Chaque année, elle nous disait :
« Antoine aurait cette année 25 ans, 30 ans…. » Très croyante, elle priait souvent pour lui. Au moment où
j’écris je réalise soudain que ce jeune homme qui avait vingt ans quand je l’ai vu pour la dernière fois aurait
aujourd’hui 60 ans.
Face à l’épreuve, mes parents ont adopté une stratégie de défense qui consistait à éloigner le spectre de
la maladie mentale, déconnecter l’événement de ceux de 1968 et trouver à tout prix une cause organique
tout en reportant la responsabilité sur d’autres. En Bretagne, deux ans avant 1968, pendant les vacances de
Pâques, Antoine avait eu les oreillons. D’après mes parents, le médecin breton consulté avait mis du temps à
poser le bon diagnostic. Les oreillons s’étaient compliqués quelques semaines plus tard d’une orchite, in-
flammation des testicules. L’inflammation s’était développée et avait provoqué un mois plus tard une mé-
ningite. De retour à Paris, la méningite s’était développée sous contrôle médical et les choses étaient rentrées
dans l’ordre. Incident de santé vite oublié et apparemment sans conséquences. On n’en parla plus. Et puis, à
mesure que le temps passait, mes parents se sont progressivement forgé une explication. A l’origine de tout,
la séquence bretonne oreillons-orchite-méningite qui avait dégénéré à cause de l’incompétence du médecin
local. La méningite avait « dérangé » son cerveau et provoqué des troubles organiques à l’origine de sa « ma-
ladie »….. Jamais, il n’était question dans leur vocabulaire de folie, de maladie mentale, de schizophrénie.
Sa maladie n’avait pas de nom, ses symptômes non plus : on ne parlait pas de bouffées délirantes et encore
moins de délire, mais c’était bien une maladie Le rapport avec Mai 68 n’était pas évoqué non plus. Une
maladie étrange dont on ne connaissait pas tout mais dont ils étaient sûrs de l’origine : la séquence bretonne
oreillons-orchite-méningite « folie ». Et l’incompétence du médecin concarnois qui n’avait pas fait le bon
diagnostic : les oreillons.
Antoine est mort. Mais je reste persuadé, quarante ans après, que sa mort était évitable. Nombreux fu-
rent, en 68 et après, les jeunes qui ont comme lui « décompensé ». Certains ont fini comme mon frère mais
d’autres ont pu être rattrapés à temps. Ils vivent encore et vont très bien. Ils ont un métier, une famille, des
enfants et même aujourd’hui des petits enfants. Il s’approchent de la retraite. Si dès ses premières bouffées
délirantes, Antoine avait pu être pris en charge par une équipe de psychiatres comme celle qui l’a soignée un
an après à la cité universitaire ; si on lui avait évité l’enfermement et l’isolement chimique brutal dans une
clinique privée; s’il avait, après son premier séjour hospitalier, continué à être suivi et soigné par des profes-
sionnels compétents ; si, à l’époque, nous avions connu les psychiatres dont nous avons fait la connaissance
bien des années après ; si, lors de la deuxième atteinte de l’hiver 69, il avait pu être hospitalisé plus tôt à la
cité universitaire ; si l’enseignant de médecine qu’il est allé trouver avait été moins brutal et moins idiot ; si
l’hôpital avait pu le reprendre en charge le lendemain de son entrevue avec cet imbécile ; si l’infirmière ne
s’était pas absentée, si le vasistas avait été fermé, …., il serait peut-être avec nous aujourd’hui.
Il y a beaucoup d’illusions dans la cascade de ces « si », il y a en particulier l’ignorance du pronostic
attaché sur le long terme à l’évolution de sa maladie. Les médecins eux-mêmes à l’époque n’en savaient rien.
J’opte pour l’hypothèse d’un épisode de décompensation et refuse celle d’une maladie chronique. Mais il est
possible que la solution qu’il a prise lui a permis d’échapper à la galère de la vie d’un malade mental chroni-
que alternant les périodes d’internement et de cures médicamenteuses à la maison.
Je mesure aussi combien cette approche d’un suicide individuel peut à première vue s’éloigner de la
vision que se fait du même phénomène un sociologue classique. Considéré dans ses dimensions collectives,
le suicide n’a rien d’un phénomène réversible et évitable. D’un point de vue statistique, tout se passe comme
si chaque société devait payer au suicide son tribut annuel, comme Egée, roi d’Athènes, devait fournir au
Minotaure tous les neuf ans, son contingent de jeunes gens à sacrifier. Les sociologues ne parlent pas de fata-
lité mais sont capables d’identifier les forces sociales implacables qui conduisent chaque année dans chacun
des pays une part donnée de la population à mettre fin à ses jours. Le caractère inévitable et irréversible du
suicide semble une constante de la sociologie durkheimienne du suicide, très fier de monter à cette occasion
que le monde social aussi était soumis à des régularités. Il y aurait donc une contradiction entre l’approche
personnelle qu’on peut se faire du suicide à partir d’une expérience personnelle impliquant des proches et la
conception que se fait la sociologie du phénomène.
Rien n’est moins sûr. Les comparaisons internationales montrent que le suicide n’a rien d’une fatalité et
que certains pays ont réussi à le faire baisser de façon sensible dans des circonstances données : la politique
menée par Gorbatchev en diminuant drastiquement la production et la consommation d’alcool s’est traduite
par une diminution spectaculaire de toutes les morts violentes en Russie : homicides, accidents, et… suicide.
En remettant la vodka à l’honneur son successeur, Boris Elstine a fait remonter les taux. Depuis 1987 en
France, la courbe du suicide qui avait beaucoup monté depuis les premiers chocs pétroliers des années
70, surtout chez les jeunes, s’est nettement infléchi vers le bas : les médecins généralistes ont été autorisés
à prescrire des anti-dépresseurs. Dans les pays européens, le type de société urbaine mis en place après la
deuxième guerre mondiale été beaucoup moins suicidogène que le développement sauvage du capitalisme au
siècle précédent. L’Allemagne et le Japon ont réussi à éviter la montée du suicide des jeunes dans le dernier
quart du vingtième siècle, contrairement à tous les autres pays de niveau économique comparable. Le soin
qu’ils prennent à accueillir les jeunes sur le marché du travail et à leur faire une place dans la société permet
d’expliquer la différence. Que l’on se place à l’échelle individuelle ou collective, le suicide n’est pas une fata-
lité. On peut, on doit l’éviter en donnant à tous de bonnes raisons de vivre.

Christian Baudelot
L’impact du suicide sur l’entourage
Quelles conséquences sur la vie sociale et professionnelle

Axel Geeraerts, Sociologue, Directeur du Centre de Prévention du Suicide –Bruxelles – Belgique

Vivre c’est perdre


Tout au long de notre évolution, la vie nous apprend à perdre. Cela commence dès l’enfance, avec la séparation
de la mère, et cela va se poursuivre au fil d’une existence jalonnée de pertes plus ou moins importantes: perte
de ses rêves et de ses illusions, perte d’un amour ou d’une amitié, perte d’un animal, d’un emploi, de la santé…
Le deuil qui suit chacune de ces pertes nous permet d’aller de l’avant, de progresser dans notre processus de
maturation personnelle. Il nous oblige à solliciter nos représentations intérieures et nos souvenirs de satis-
faction pour anticiper et supporter la réalité frustrante de l’absence, du manque.
Inconsciemment, ces pertes et renoncements successifs nous préparent à assumer la perte majeure que
constitue la mort d’un proche. Car si les pertes font partie intégrante de notre condition humaine, il en est
de plus cruelles que d’autres et la perte d’un être cher se révèle indubitablement une des épreuves les plus
difficiles de l’existence.
Le décès d’un proche provoque une rupture radicale; il balaie tous nos repères et le deuil qui lui fait suite
s’avère un long chemin fait de tristesse profonde, de questionnement(s) et de douleur. C’est en nous référant aux
expériences passées, aux apprentissages nés des pertes antérieures que nous pourrons traverser la tourmente
et mener à bien notre éprouvant travail de deuil. Un travail qui nous est propre, car chaque deuil est unique,
dépendant de notre histoire personnelle, de notre relation au défunt, mais aussi des circonstances du décès.

Le deuil après suicide


Plus que tout autre, le deuil après suicide s’avère une épreuve particulièrement difficile à traverser.
A la douleur de la perte se conjuguent en effet l’oppression de sentiments extrêmes et le harcèlement de
questions sans réponses. A la tristesse engendrée par la perte s’ajoutent en effet l’incompréhension, la honte,
la culpabilité… générées par le geste suicidaire. Ces différents sentiments se relaient pour déchirer le cœur
tandis que les «Pourquoi ?», «Qu’aurais-je dû faire ?» et autres «Comment ai-je pu ne rien voir ?» torturent
l’esprit.
C’est le propre du deuil consécutif à un suicide: à peine le choc de la nouvelle est-il encaissé que la culpabilité
surgit avec ses «Qu’ai-je fait?» - ou «Que n’ai-je pas fait?» -, «J’aurais dû…», «Je voyais son malaise et je n’ai
rien fait…», «Je m’en veux…» lancinants. Et quasi simultanément, les «Pourquoi?» affluent…
On regrette de n’avoir pas reçu un mot d’adieu… mais ceux qui ont eu cette «chance» cherchent tout autant
une explication…
Les interrogations torturent sans trêve l’esprit, les réponses d’un jour étant rejetées le lendemain. Culpabilité,
honte, révolte, tristesse, peur, désespoir, sensation d’incompréhension deviennent ainsi des compagnons trop
fidèles et d’autant plus accaparants que personne n’est là pour nous aider à les remettre à leur juste place.
Isolement – repli sur soi
Lors d’un décès, la famille, les proches, sont habituellement soutenus par la parenté et les amis soucieux de
leur apporter aide et réconfort. Les conversations gravitent autour du disparu, de ses derniers instants et des
bons ou moins bons souvenirs qu’il laisse derrière lui.
Lorsque la personne disparue a volontairement arrêté sa vie et qu’elle s’est « suicidée », les réactions de l’en-
tourage sont bien différentes. Le malaise et la gêne règnent; ne sachant trop comment réagir, quoi dire, quoi
faire, l’entourage évite le contact, nous abandonnant à notre douleur et à nos interrogations.
Avec le suicide, viennent les tabous et leur cortège de honte, de rejet, de déni, et de culpabilité. La parenté se
fait discrète, les amis et les proches se tiennent à distance. Leurs attitudes expriment le malaise, la gêne et
parfois la réprobation.
Très souvent encore, la famille se retrouve isolée. C’est loin d’elle que les murmures au sujet de la tragédie
se propagent. Blessée, peinée, seule, ressentant parfois, souvent l’opprobre voilé de l’entourage, la famille
entame un pénible processus de deuil...
Pour les hommes et les femmes confrontés à ce drame, il apparaît trop souvent difficile voire impossible de
parler, communiquer, partager ce qu’ils vivent et ce qu’ils ressentent. La gêne de s’exposer, la crainte d’être
incompris, la peur d’être jugé les enferment dans un silence et un isolement compromettant leur indispensable
travail de deuil.
Le suicide reste aujourd’hui encore un tabou particulièrement puissant. Difficile, en effet, pour une société
d’accepter qu’un de ses membres la quitte en lui signifiant qu’il ne s’y sent pas bien… Cette réalité entre né-
gation et rejet perturbe le processus de deuil à mener après un suicide, le rendant particulièrement complexe
et difficile.
Tabou encore bien vivace, le suicide effraie et éloigne en effet un entourage mal à l’aise, ne sachant trop que
dire ni que faire face à une situation qui outrage ses repères.

Impact sur l’entourage


Si le suicide est avant tout un acte de violence contre soi-même, c’est aussi un acte de violence extrême contre
l’autre; ne fût-ce que parce qu’il utilise la mort comme argument décisif. De ce fait, le suicide nous confronte
abruptement à la mort; à celle de l’autre mais aussi à la nôtre. Il nous rappelle que la mort existe, que vouloir
mourir existe. Il met ainsi en question les valeurs de la vie.
Si pour la personne suicidaire, utiliser cet argument témoigne de sa détresse, il témoigne également de son
désir de nous toucher au plus profond de nous-mêmes et de nos certitudes. Son acte ne violente pas qu’elle-
même, mais aussi sa famille, ses amis, ses collègues, son entourage tout entier.
Une des premières conséquences du suicide sur l’entourage est donc qu’il génère chez l’autre un risque élevé
de traumatisme du fait de cette violence subie de manière brutale.
Pour les personnes ayant assisté au suicide le risque est d’autant plus élevé qu’ils ont été confrontés a des
images traumatiques de la scène.
Ce choc entraine un temps de sidération, d’anéantissement. Toute personne brutalement confrontée à une
réalité qui le dépasse à besoin de temps l’assimiler. Dans cet état, l’individu est soit incapable de faire face à
ses obligations sociales ou professionnelles soit agira en automate.
Pour d’autres, la tension sera telle que la seule réponse possible sera le déni. Partiel, lorsque la première réac-
tion sera celle du refus de reconnaître que le décès de l’être aimé est un suicide. Total, lorsque qu’il y aura
absence de réaction et surinvestissement des tâches quotidiennes et/ou professionnelles.
Après le choc, le déni, survient la culpabilité. Celle-ci se traduit par: «qu’ai-je fait?» ou «que n’ai-je pas fait?»,
«j’aurais pu...». Elle cache aussi la colère éprouvée à l’égard du suicidé. «Pourquoi nous a-t-il fait cela?»
Celui qui est mort prévoit parfois ces sentiments. On peut souvent lire dans les lettres d’adieu des phrases
comme: «Ne m’en veuillez pas», «pardonnez-moi, je sais que je vais vous faire de la peine»...
Malgré les souhaits de l’auteur d’un tel adieu, ces écrits ne suffisent pas à consoler ou à réconcilier les en-
deuillés chez qui la solidarité familiale peut exploser en raison de leurs sentiments de culpabilité et de colère
qu’ils transfèrent sur les vivants.
Cette colère prend différentes formes: le conjoint en voudra à sa partenaire décédée de l’avoir abandonné et
de l’avoir laissé seul comme parent; les enfants en voudront à une personne, à qui ils attribuent la quasi tou-
te-puissance, de ne pas avoir été capable de se retenir de mourir ou de ne pas avoir retenu celui qui est parti.
La colère peut aussi être dirigée vers l’extérieur: médecin, employeur, collègue... L’incompréhension du geste fait
naître une série de «pourquoi» qui restent sans réponse. Moins il y aura de réponse, plus forte sera la frustration et
plus la colère grandira. Et que faire de cette colère? Comment oser et à qui l’exprimer à l’égard du disparu?
Après la culpabilité, la colère, la peur pourra surgir. En effet le geste du suicidé ébranle la sécurité intérieure:
la confiance en soi diminue, on peut avoir peur de se suicider soi-même un jour, que le conjoint ou un des
enfants ne pose l’acte fatal... Peur de ne pas pouvoir survivre au décès et de souhaiter rejoindre le disparu.

Modification des relations sociales


Comme nous le voyons, le deuil après suicide modifie les relations que nous avons avec les autres, dans l’im-
médiat mais aussi sur le long terme.
Dans les jours qui suivent le décès, les capacités professionnelles et ou scolaire sont perturbées. Ainsi, 30 %
des personnes ayant perdu un porche par suicide disent consacrer moins de temps aux loisirs qu’elles pra-
tiquaient auparavant. Plus de 60 % de ces personnes ont désinvestis la sphère travail et témoignent de leur
perte d’intérêt pour le travail ou l’école. De plus, un proche sur trois a vécu des difficultés sur son lieu au
travail ou a rencontrés des problèmes scolaires
En moyenne, deux proches sur cinq disent rencontrés des problèmes de santé allant des troubles du sommeil
aux problèmes de poids et/ou d’appétit en passant par toutes sortes de plaintes psychosomatiques.
Un proche sur trois dit avoir rencontré des problèmes familiaux au sein de la famille ou avec la belle-famille.: Un
proche sur quatre a eu des problèmes administratifs (procédures à suivre pour les impôts, demande de pension de
veuf(ve), allocations familiales, …). Un sur cinq a été confronté à des problèmes juridiques : et enfin Un proche sur
cinq dit avoir eu des problèmes financiers (comptes bloqués, perte de revenus, frais de succession, etc.).
Mais au-delà de ces manifestations qui surviennent dès les premières heures et qui perdurent durant plusieurs
semaines, le suicide modifie en profondeur notre relation au monde. Car le suicide, est avant tout un problème
humain, un acte extrême dont la violence et le désespoir dérangent, interpellent, questionnent. La mise en cause
est radicale et d’autant plus brutale qu’elle fracasse une de nos valeurs essentielles : le caractère sacré de la vie
Les deuils consécutifs à un suicide sont particulièrement déchirants. Ils ne pourront être vécus que lente-
ment et progressivement en raison de tout ce que nous venons de décrire.
Les endeuillés par suicide le subissent comme une attaque de leur propre vie.
Le professionnel d’aide en tant que proche
Pour les professionnels, le suicide est également une confrontation, tant au niveau personnel que profes-
sionnel. Il peut être envahi par le chaos de sentiments auxquels les proches sont confrontés. Un suicide reste
ancré dans la mémoire et peut avoir une influence profonde et prolongée sur le comportement professionnel.
Il est important d’être conscient qu’un professionnel peut également avoir besoin de post-intervention. En
fonction de la durée et de l’intensité de la relation entre le professionnel et le patient décédé, les réactions
émotionnelles de beaucoup de professionnels sont similaires à ceux de la famille et des amis : tristesse, co-
lère, peur, remords, et parfois même soulagement si le suicide était précédé d’un long calvaire.
Outre ces réactions de deuil, la compétence professionnelle est également remise en question. Un suicide
donne souvent le sentiment d’échec professionnel. Chaque proche -et surtout le professionnel- semble devoir
se battre avec la question « Le suicide aurait-il pu être évité ? », et « dans quelle mesure on est personnellement
responsable du fait que le suicide s’est quand-même produit ».
Parler du suicide avec son propre entourage et avec d’autres professionnels, semble indispensable pour accé-
lérer la gestion du trauma. De cette manière, le professionnel peut également éviter en partie que le passé ait
une influence négative sur ses actions médicales lors de nouvelles demandes d’aide similaires.

Conclusion
Lorsqu’on évoque le suicide, on pense instinctivement à la souffrance de celui ou de celle qui s’est donné la
mort. On occulte malheureusement souvent une autre souffrance, celle des proches confrontés à ce deuil
qui conjugue inexplicable et inacceptable. L’un s’en est allé, sa vie est terminée. Les autres restent là et leur
existence devient tragédie.
Les proches après un suicide constituent un groupe important et sont pourtant souvent oubliés. Selon des
estimations prudentes, il y a par suicide en moyenne six proches qui restent et dont la vie a changé pour
toujours. Chaque année ce groupe de proches augmente sensiblement. Le tabou sur le suicide se transforme
en stigmatisation pour les proches. Eux-mêmes n’ont souvent pas l’énergie pour chercher de l’aide ou du
soutien et l’entourage ne sait souvent pas comment réagir.
Par conséquent, durant leur deuil beaucoup de proches sont livrés à eux-mêmes ou à un cercle très réduit.
La postvention est le nom général pour les activités, les soins et l’aide qui se font avec ou pour les proches
avec le but de les soutenir ou de les accompagner dans la recherche d’un nouvel équilibre et d’un sens dans
leur vie. Les proches constituent un groupe à risque suicidaire spécifique. La postvention est dès lors une
forme de prévention pour la décennie suivante et pour les générations postérieures.
Lorsqu’un suicide survient, le généraliste est souvent un des premiers présents sur le lieu de l’événement. Le gé-
néraliste a un rôle clé dans les contacts avec les proches directs. Il est souvent la personne la mieux placée pour
accueillir les proches qu’en général il connaît bien. Il peut les informer de certaines formalités. Il est conseillé au
généraliste de faire des pas actifs envers eux durant cette période. Le fait de faire une visite à domicile peu après
le suicide peut signifier un soutien important. Des études démontrent que la plupart des proches apprécient très
fort la visite du généraliste après un suicide. Cependant, le généraliste doit être préparé à ce que les proches, à
cause de leurs sentiments de colère et de la tendance à chercher un coupable, puissent réagir de façon agressive.
En outre, le généraliste peut également recommander aux proches un groupe de discussion ou un soutien
spécifique dans l’accompagnement du deuil après suicide..
Offrir du soutien signifie surtout donner aux proches l’opportunité de parler du suicide, de la stupéfaction,
la culpabilité, la honte, le soulagement et l’isolement par rapport à l’entourage. Il devrait être possible de
parler également des préjugés par rapport au suicide.
Les proches peuvent être stimulés à chercher eux-mêmes le contact avec les autres et à demander du soutien,
car l’entourage a souvent tendance à adopter une attitude réservée.
Nous avons à les aider tout au long de ce processus en leur donnant l’occasion d’exprimer ce qu’ils ressentent
au fur et à mesure qu’ils le vivent.

Bibliographie

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Question 2. Modèle de compréhension sur les suites du suicide

Une compréhension psychopathologique mérite-t-elle


d’etre proposée ? Selon quels modeles ?

Dr Xavier Pommereau, Psychiatre des hôpitaux, responsable du Pôle aquitain de l’adolescent,


centre Abadie, CHU de Bordeaux

Vingt cinq ans d’expérience en suicidologie m’amènent tout d’abord à relever que la définition du suicide
passe encore aujourd’hui pour être simple et évidente (« se tuer soi »), alors qu’il faudrait impérativement la
compléter par cette suite : « … pour exister davantage mort que vivant, en impressionnant à jamais la mémoi-
re des survivants. » [1] Avec d’autres auteurs [2, 3], nous partageons en effet l’idée qu’une personne devient
potentiellement suicidaire lorsque – quelle qu’en soit la cause – son identité est mal définie, fragilisée, me-
nacée, brisée ou attaquée. Et c’est parce que le candidat au suicide éprouve l’intolérable sentiment de « non-
exister », qu’il risque de mettre à exécution un acte dont l’intentionnalité est à triple détente : deux objectifs
sont conscients – faire cesser pour toujours la souffrance jugée insupportable, reprendre définitivement la
main (au sens propre) sur les événements en agissant pour ne plus les subir ; le troisième objectif est incons-
cient et représente un appel désespéré à la reconnaissance, fut-ce à titre posthume, pour exister autrement
– en l’occurrence aux dépens de ceux qui restent en occupant leur mémoire nourrie par la culpabilité. C’est
dire si le « meurtre de soi-même » interpelle l’autre et ne peut donc être sommairement défini comme un acte
de suprême liberté ne regardant que soi. Les dénégations insistantes qui parsèment les lettres d’adieu (« Vous
serez mieux sans moi », « Vous m’oublierez vite », etc.) sont autant de mécanismes de défense que le sujet met
en place pour éviter d’assumer cet adressage, mais habituellement d’autres « détails » qui, eux, s’adressent
directement aux proches (lieu du suicide, moyen employé appartenant à l’entourage, scénarisation macabre
de la découverte du corps, etc.) viennent dire cruellement, à l’insu du sujet, que son suicide est bien destiné à
marquer les esprits, même si lui n’en a pas pleinement conscience. C’est ainsi qu’il faut comprendre le carac-
tère proprement « spectaculaire » du passage à l’acte, sa fréquente théâtralisation, la violence crue exprimée
à travers l’exposition de son cadavre. Il ne s’agit pas seulement de se tuer mais d’impressionner pour tou-
jours ceux qui restent – comme on le dirait de plaques photographiques. Quant à la culpabilité ressentie par
ces derniers, sa prégnance et sa durabilité sont à la mesure de l’effet que le suicidé a cherché à produire sur
eux – le plus souvent sans l’avoir sciemment calculé. Voilà une autre réalité dont on parle peu : celui qui met
fin à ses jours est un terroriste qui s’ignore, s’incarnant comme le tout-puissant persécuteur de ceux qui lui
survivent. Eux se sentent en tout cas plus ou moins concernés ou impliqués en fonction des circonstances du
drame, des liens et de l’histoire qui les rattachent au sujet.
Dans ces conditions, on admettra que le principe même du deuil se trouve sévèrement compromis.
Pour les endeuillés, comment désinvestir graduellement l’image interne ou mentale du suicidé et accepter
la permanence de son absence, alors que son acte est précisément destiné à imposer sa présence dans leur
tête ? Le corps mort du suicidé, plus ou moins supplicié, reste en travers du chemin des vivants, témoignant
de leur impuissance (voire engageant leur responsabilité dans cette issue fatale), tandis que devenu un pur
esprit, celui-ci hante la mémoire des siens. C’est l’affrontement de ces deux mouvements contraires – l’un
qui prétend se soustraire à la vie, l’autre qui aspire à une « autre vie » à titre posthume à leurs dépens – qui
explique selon nous les complications du processus de deuil post-suicide [4]. En d’autres termes, l’abandon et
la perte que le suicidé inflige à ses proches s’accompagne de l’obligation de le faire vivre dans leurs souvenirs
et leur souffrance. « Je lui en veux de nous avoir laissé », dit Estelle, 26 ans, une de mes patientes dont le père
gendarme s’est suicidé d’une balle dans la tête avec son arme de service vingt ans auparavant. Le drame s’est
produit dans la chambre parentale, pendant que la mère d’Estelle était sortie faire des courses avec ses deux
enfants. La jeune femme ajoute : « Ma mère habite encore la maison, mais elle dort dans une autre pièce. La
chambre est devenue tabou. Moi, on ne m’a rien montré, j’étais trop petite, mais il paraît que c’était horrible,
il y avait de la cervelle partout… J’éprouve de la rancune, mon père n’a laissé ni lettre ni explication, et ma
pauvre mère reste désemparée vingt ans après… D’une certaine façon, on arrête de vivre en même temps que la
personne décédée, on se sent aussi coupable de lui survivre… On ne peut pas faire le deuil. » Estelle a déjà fait
deux tentatives de suicide et je la suis en thérapie depuis cinq ans ; son frère Pascal, 24 ans, est toxicomane et
refuse tout suivi.
Comme le rappelle l’Analyse de la littérature réalisée par Catherine Lavielle et Michel Hanus pour pré-
parer l’Audition publique, « il apparaît que les individus exposés au suicide d’un proche mettent en place des
mécanismes de défense (axe psychodynamique) ainsi que des stratégies de coping (axe cognitivo comporte-
mental) particuliers qui distinguent leur travail de deuil quantitativement et qualitativement de celui mis en
place pour des décès autres que par suicide. » Je ne reviendrai pas ici sur l’exposé détaillé de ces complications
qui passe en revue, en l’occurrence : l’intensité et la durabilité du deuil traumatique par rapport au deuil
dit « normal », le déni de la mort ou de sa cause réelle, le déni des conséquences sur la vie privée et sociale,
les conduites de fuite en avant dans l’activité ou les conduites de retrait, les tendances à idéaliser le défunt
et ce que cela implique en termes de dépréciation de soi-même, la dépression et ses conséquences morbides,
l’influence aggravante de la proximité relationnelle (pouvant aller jusqu’au « pacte traumatique » visant à
s’allier au défunt). Ces éléments sont connus et tous les auteurs s’accordent sur l’importance des sentiments
de honte et de culpabilité qui envahissent les endeuillés post-suicide, sentiments risquant souvent d’être
délétères (voire « suicidogènes ») chez les personnes les plus fragiles et les plus démunis.
L’interprétation de ces éléments dans leur dimension exclusivement consciente conduit aux hypothèses
cognitivo-comportementales dont les principes font l’essentiel des publications dites scientifiques [5]. D’ins-
piration nord-américaine, elles mènent à des applications très utiles auprès des endeuillés en termes d’aide,
de soutien et de renforcement de l’estime de soi, mais leur justification théorico-clinique s’appuie abusive-
ment sur des « niveaux de preuve » que je juge inapproprié compte tenu de la nature mal circonscrite et plu-
rifactorielle du trouble étudié : la double intentionnalité (consciente et inconsciente) fait en effet du suicide
une conduite à déterminants complexes, non un simple comportement, encore moins une réaction à la perte
ou à la frustration. Le lien suicide-dépression et les études que cette maladie suscite dans le champ neuro-
biologique, d’une part, et la mise en évidence de l’importance des facteurs familiaux tant dans la genèse du
suicide que dans ses suites, d’autre part, conduisent naturellement à des hypothèses organogénétiques [6] à
ce jour non validées comme mécanismes expliquant à eux seuls la possible répétition suicidaire transgéné-
rationnelle. En revanche, elles peuvent faciliter le repérage et le traitement précoces de la maladie dépres-
sive chez les proches, ainsi que la prise en compte adaptée de ces facteurs familiaux à travers les approches
systémiques qui offrent des modalités thérapeutiques elles aussi très utiles à l’entourage des endeuillés.
Centrées sur le sujet lui-même, son supposé « désir de mort » et ses pulsions d’origine infantile, les approches
psychanalytiques traditionnelles proposent essentiellement aux endeuillés post-suicide un travail d’élabo-
ration personnelle autour du lien et de la perte, à partir du principe Freudien [7] selon lequel le suicide est
une forme d’autopunition, un désir de mort dirigé contre autrui qui se retourne contre soi, associant dans
cet acte la triade « désir de mourir, désir d’être tué, désir de tuer. » Pour pertinente intellectuellement que soit
cette vision du suicide, celle-ci me semble trop focalisée sur la notion contestée de pulsion de mort et, par
voie de conséquence, se prête mal à un travail psychique consistant à « faire avec » le suicidé, ses aspirations
secrètes et les effets de sa revendication existentielle posthume. La question du meurtre reste en suspens,
laissant le champ libre à la culpabilité et à ses conséquences symptomatiques parfois très invalidantes. Le
suicide à l’adolescence conduit certains auteurs [2, 8, 9] à souligner l’importance des liens aliénant le sujet à
ses objets d’attachement, dynamique d’emprise se révélant d’autant plus traumatique et suicidogène à la pu-
berté que le sujet a été victime dans la réalité de violences sexuelles subies ou que le fonctionnement familial
se caractérise par d’intolérables effets de rapproché et d’intrusion. L’effroyable paradoxalité du suicide est
alors de détruire le corps sexué pubère pour échapper aux menaces incestueuses réelles ou figurées, et de s’y
précipiter sans le savoir « corps et âme » en projetant d’« occuper » la mémoire de ceux qui restent. On com-
prend que cette double motion donnant au crime la figure de l’inceste puisse compliquer encore davantage le
deuil de ces derniers, même si cette dynamique explosive échappe à leur conscience.
De telles considérations, douloureuses à concevoir et à exprimer, expliquent la tentation que les proches
du suicidé ont de chercher et de trouver ailleurs que chez eux un ou des responsables au drame. Le problème
est que les facteurs de risque réputés suicidogènes interpellent à la fois la place et l’identité du sujet parmi les
siens, mais aussi sa place et sa reconnaissance en société, liant de manière complexe ces causes « intérieures »
et « extérieures. » En dehors de la famille, sont surtout accusés de pouvoir acculer une personne au désespoir
le harcèlement moral, le stress au travail, l’homophobie ambiante, la pédophilie ou encore les conditions
d’incarcération dans les prisons. Mais même à travers les simplifications auxquelles la presse a d’ordinaire
recours pour mettre en avant ces causes environnementales, on comprend entre les lignes que le suicide re-
lève d’au moins deux composantes essentielles : une fragilité identitaire préexistante (due le plus souvent à la
maladie ou aux violences de l’histoire personnelle ou familiale) ; des conditions de vie actuelles infligeant au
sujet une maltraitance identitaire qui met en tension et aggrave ses blessures intérieures. L’injustice, l’irrespect,
le rejet, la soumission, l’intrusion, la réduction de l’estime de soi, figurent parmi les violences subies les plus
courantes pouvant précipiter le drame. La présentation journalistique suivante1 en est une illustration : « Une
épidémie de suicide frappe les prisons françaises. On en dénombre 109 depuis janvier 2009. Une augmentation
de 30 % par rapport à 2008. Ce sont essentiellement des prévenus condamnés à de petites peines qui passent
à l’acte. L’arrestation de F., un agent hospitalier de 51 ans, le [telle date], et sa mort volontaire, seul dans sa
cellule six jours après, ont choqué la France. Condamné à sept mois ferme pour conduite en état d’ivresse en
scooter, ce quinquagénaire divorcé et dépressif n’avait pu joindre ses trois enfants depuis son arrestation. Au
plus mal et sans soutien psychologique, F. a décidé de mettre fin à ses jours en se pendant. Face à ces drames
carcéraux, Michèle Alliot-Marie, la garde des Sceaux, a pris dès septembre toute une série de mesures concrè-
tes : draps indéchirables, matelas ininflammables, pyjamas en papier. Le ministre voudrait également respon-
sabiliser les détenus afin qu’ils préviennent les gardiens dès qu’ils ont un doute sur la santé mentale d’un autre
prisonnier. »
Que faut-il conclure de tout cela ? Que les endeuillés par suicide doivent eux aussi être respectés et reconnus.
Il faut les aider, les soutenir, les accompagner pour qu’ils parviennent à « faire avec » la revendication existen-
tielle que leur inflige le défunt. Après ce que je viens de rappeler des ressorts intimes de l’acte suicidaire, il est
impensable de dire aux proches « Oubliez le mort ! », et inutile de vouloir les convaincre « que ce suicide ne les
concerne pas », qu’il suffira que tel ou tel « coupable » soit démasqué pour qu’ils (re)trouvent la paix. C’est au
contraire à un véritable travail d’élaboration de ce deuil compliqué qu’il faut les inviter, en gardant en tête que
plus ils garderont le défunt vivant dans leur mémoire, moins ils auront besoin de lutter contre sa « présence »
posthume.
Références

[1] Pommereau X, L’adolescent suicidaire, 1996, 3e éd., Paris, Dunod, 2005.


[2] Ladame F, Ottino J & Pawlak C (sous la dir.), Adolescence et suicide, Paris, Masson, 1995.
[3] Jeammet Ph, Birot E, Etude psychopathologique des tentatives de suicide chez l’adolescent et le jeune
adulte, Paris, PUF, 1994.
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chologie Médicale, Tome VII, N° 76, 2004 : 55-57.
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cognitive therapy, New York, Guilford Press, 1996 : 1-25.
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psychiatrie, Paris, Masson, 2007 : 485-488.
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limard, 1968.
[8] Laufer M & Laufer E (1984), Adolescence et rupture du développement. Une perspective psychanalytique,
Paris, PUF, 1989.
[9] Pommereau X, Ado à fleur de peau, Paris, Albin Michel, 2006.
Effets et conséquences du suicide sur l’entourage :
modalités d’aide et de soutien

Docteur Louis JEHEL

QUESTION : le deuil, le stress post-traumatique, la dépression, le suicide, à la suite du


suicide d’un proche.

1/ Le deuil après suicide en tant que deuil traumatique comporte-t-il toujours un syndrome
de stress post-traumatique PTSD?
Le deuil après suicide ne comporte pas toujours un syndrome de stress post-traumatique, mais cela peut
survenir. Les études d’épidémiologie des troubles de stress post-traumatique après un suicide sont trop rares
pour quantifier ces risques avec précision. Néanmoins il est possible d’identifier le risque de survenue d’un
état de stress post-traumatique en s’appuyant sur les définitions d’un deuil traumatique puis des facteurs de
risque connus de développer un trouble de stress post-traumatique après un événement traumatogène avec
les données rapportées par la littérature scientifique.
La notion de deuil traumatique est équivalente pour les auteurs anglo-saxons à celle de deuil compliqué.
Elle a été initialement utilisée par Prigerson et al qui se justifient en 2006 dans une publication au décours
d’un état des lieux de la recherche sur le deuil (Zhang 2006). Ils expliquent avoir au départ préféré ce terme
pour souligner la dimension de traumatisme et de détresse dans la réaction de ces deuils tout en craignant
le risque de confusion entre ce type de deuil et le syndrome de stress post-traumatique qui constitue une
possible comorbidité au deuil. Rappelons que pour avoir un effet potentiellement traumatique, l’événement
doit représenter une menace pour l’intégrité de la personne, dépassant ses possibilités de réaction, survenant
de manière soudaine et non anticipée, et s’accompagnant d’un sentiment de terreur, de détresse, d’effroi, de
solitude, d’abandon. La gamme des événements traumatogènes est donc large : Violence physique, Violence
sexuelle, Catastrophe naturelle, Guerre, Découverte inopinée de cadavre, Exposition à des scènes de violen-
ce, et plus généralement dans un sens étendu, tous les cas où une personne ne peut plus s’empêcher de penser
à une situation qui l’a débordée émotionnellement.
Parmi les syndromes post-traumatiques, le plus spécifique est constitué par l’état de stress post-traumatiques
(ESPT), et celui-ci est très souvent comorbide à un épisode dépressif ou à des conduites addictives.
Les critères diagnostiques de l’état de stress post-traumatique (ESPT) dans le dsm iv-tr (f43.1) sont :

Le critère A : La confrontation à l’événement traumatique.


Le sujet a été exposé à un événement traumatique dans lequel les deux éléments suivants étaient présents :
(1) Le sujet a vécu, a été témoin, ou a été confronté à un événement ou à des événements durant lesquels
des individus ont pu mourir ou être très gravement blessés ou bien ont été menacés de mort ou de
grave blessure ou bien durant lesquels son intégrité physique ou celle d’autrui a pu être menacée .
(2) L
 a réaction du sujet à l’événement s’est traduite par une peur intense, un sentiment d’impuis-
sance ou d’horreur.
Note : Chez les enfants, un comportement désorganisé ou agité peut se substituer à ces manifestations.

Le critère B : Symptômes d’intrusion


L’événement traumatique est constamment revécu, de l’une (ou de plusieurs) des façons suivantes :
(1) Souvenirs répétitifs et envahissants de l’événement provoquant un sentiment de détresse et com-
prenant des images, des pensées ou des perceptions .
Note : Chez les jeunes enfants peut survenir un jeu répétitif exprimant des thèmes ou des aspects du traumatisme.
(2) Rêves répétitifs de l’événement provoquant un sentiment de détresse :
Note : Chez les enfants, il peut y avoir des rêves effrayants sans contenu reconnaissable.
(3) Impression ou agissements soudains « comme si » l’événement traumatique allait se reproduire
(incluant le sentiment de revivre l’événement, des illusions, des hallucinations, et des épisodes
dissociatifs (flash-back), y compris ceux qui surviennent au réveil ou au cours d’une intoxication) .
Note : Chez les jeunes enfants, des reconstitutions spécifiques du traumatisme peuvent survenir.
(4) S entiment intense de détresse psychique lors de l’exposition à des indices internes ou externes
évoquant ou ressemblant à un aspect de l’événement traumatique en cause ;
(5) Réactivité physiologique lors de l’exposition à des indices internes ou externes pouvant évoquer
ou ressembler à un aspect de l’événement traumatique en cause ;

Critère C : Symptômes d’évitement & d’émoussement


Evitement persistant des stimulus associés au traumatisme et émoussement de la réactivité générale (ne préexis-
tant pas au traumatisme) comme en témoigne la présence d’au moins trois des manifestations suivantes :
(1) Efforts pour éviter les pensées, les sentiments ou les conversations associés au traumatisme ;
(2) Efforts pour éviter les activités, les endroits ou les gens qui éveillent des souvenirs du traumatisme ;
(3) Incapacité de se rappeler un aspect important du traumatisme ;
(4) R
 éduction nette de l’intérêt pour des activités importantes ou bien réduction de la participation
à ces mêmes activités ;
(5) Sentiment de détachement d’autrui ou bien de devenir étranger par rapport aux autres ;
(6) Restriction des affects (par exemple incapacité à éprouver des sentiments tendres) ;
(7) Sentiment d’avenir « bouché » (par exemple penser ne pas pouvoir faire carrière, se marier, avoir
des enfants, ou avoir un cours normal de la vie).
Critère D : Symptômes d’hyperéveil
Présence de symptômes persistants traduisant une activation neurovégétative (ne préexistant pas au traumatisme)
comme en témoignent deux des manifestations suivantes :
(1) Difficulté d’endormissement ou sommeil interrompu ;
(2) Irritabilité ou accès de colère ;
(3) Difficulté de concentration ;
(4) Hypervigilance ;
(5) Réaction de sursaut exagérée.

Critère E : Les perturbations des critères B, C et D durent plus d’un mois.

Critère F : La perturbation entraîne une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonc-
tionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants.

Il reste à spécifier si le stress est:


Aigu : Si la durée des symptômes est de moins de trois mois,
Chronique : Si la durée des symptômes est de trois mois ou plus.
Avec survenue différée : Si le début des symptômes survient au moins six mois après le facteur de stress. »

Lorsque des personnes sont confrontées à un événement violent, comme cela peut-être le cas devant un sui-
cide, elles présentent des réactions de stress d’intensité variable ou d’effroi, pouvant nécessiter une intervention
urgente ou au minimum une évaluation. Celle-ci est essentielle pour repérer les personnes pouvant développer
des troubles invalidants. Il est en effet établi que des conséquences sévères et invalidantes peuvent survenir et
persister plusieurs années. On observe que 5 à 20 % des personnes vont présenter ces troubles psychiatriques
post-traumatiques. Les professionnels de santé qui les observent doivent rechercher ceux pour lesquels le risque
d’une évolution grave est le plus élevé. Il est nécessaire de privilégier les prises en charge de ces patients. Nous
allons ici présenter les indicateurs les mieux établis des risques d’une évolution pathologique. C’est selon ces
critères que sera posée une stratégie de soins. Cette étape d’identification de facteurs de risque concerne les ca-
ractéristiques de la réaction péritraumatique de l’individu confronté au suicidé ou à l’annonce du suicide, mais
aussi les caractéristiques de l’événement. Dans cette démarche, il est tenu compte de l’état de santé antérieur de
la personne et des interventions d’aide précoce qui ont été apportées. Parmi les caractéristiques de la réaction
initiale, plusieurs études de recherche clinique suggèrent l’importance de la mesure de la fréquence cardiaque
comme reflet de la réactivité émotionnelle du sujet. Des fréquences cardiaques supérieures à 92 par minutes
seraient prédictives de la survenue d’un état de stress post-traumatique. L’association de ce marqueur para-cli-
nique simple et de symptômes psychiques notamment tels que la détresse émotionnelle péritraumatique (Jehel
et al 2006) et la dissociation péritraumatique (Birmes et al 2006) constitue la base du meilleur modèle prédictif
actuel de l’état de stress post-traumatique. Les mécanismes de dissociation sont souvent rapportés après un
deuil traumatique notamment lors de suicide sous le terme de déni. Selon Neuringer, (1977), les endeuillés
après suicide mettent en place un éventail de mécanismes de défense, primaires (refoulement) et secondaires,
comme le déni. Celui-ci peut porter sur divers niveaux : de la mort de la personne, des circonstances de sa
mort, le sujet tente de se préserver en croyant à un homicide maquillé ou un accident, supprimant ainsi l’insup-
portable caractère intentionnel et auto-infligé de la mort.

Cependant certaines études montrent un taux d’acceptation significativement plus élevé chez les endeuillés
lorsque le décès se produit par suicide, que lorsqu’il survient par accident. L’hétérogénéité des caractéristi-
ques des groupes d’endeuillés après suicide a souvent été un argument mis en avant, notamment par Bailey,
ou McIntosh (Sveen 2008, McIntosh 1988, McIntosh 1996) pour expliquer le manque de spécificité des réac-
tions de deuil qui intuitivement étaient attendues. D’autres auteurs, comme Cleiren, ou Grad & Zavasnik
(Sveen 2008) ont observé que, pour une part, le suicide du défunt n’était pas une surprise, car celui-ci pré-
sentait un long parcours de troubles psychiatriques éventuellement associés à des antécédents de tentatives
de suicide, ce qui rendait ce geste et son aboutissement final très probables pour sa familles et ses proches.
Certains de ces endeuillés éprouvent même parfois un soulagement, sentiment lié à des années de souffran-
ces vécues au quotidien au côté du disparu qui était atteint de sévères troubles psychiatriques.
L’intensité du deuil à la suite d’un décès lorsque celui-ci n’est pas une surprise peut être réduit (Barret TW,
Scott TB. Development of the Grief Experience Questionnaire. Suicide Life Threat Behav, 1989, vol. 19, n° 2,
p. 201-215) par rapport à un groupe de sujets dont le deuil peut être consécutif à un décès par accident, donc
inattendu. Cela peut infléchir les mesures de l’impact du décès chez le groupe d’endeuillés après suicide
versus celui par accident et globalement générer une sous-estimation du retentissement du deuil chez les en-
deuillés par suicide comparé à celui des endeuillés par accident et expliquer en partie les résultats des études
portant sur ces groupes d’endeuillés et le peu de différence entre eux. (Sveen 2008).

En 2003 Kaltman et Bonanno ont montré dans le cadre du deuil une corrélation entre la survenue ou non
d’un état de stress post-traumatique (ESPT) selon les conditions du décès, à savoir que sa survenue était
plutôt corrélée avec l’existence d’un décès violent, et pas du tout avec la notion de soudaineté du décès. Selon
Callahan, J (2002) un facteur de risque élevé de complication du processus du deuil est en effet de trouver
soi-même le corps du suicidé, de le voir inanimé et sans vie, ce qui constitue un véritable choc, faisant effrac-
tion dans le psychisme.
Le caractère inattendu et non anticipé de la mort par suicide constitue également un facteur de risque trau-
matique, bien que ce caractère se retrouve également dans d’autres formes de décès non naturels comme par
suite d’accident ou de mort subite (Sheskin et Wallace, 1976).
Le fait de ne pas anticiper l’événement renforce son caractère traumatogène, ce qui est corroboré par Barrett
et Scott (1990).

Un autre facteur qui influe sur le déroulement du deuil après suicide et son éventuelle complication, est
le degré de proximité relationnelle (Mitchell et al., 2004). Plus la relation entretenue avec le suicidant est
proche, plus le deuil risque d’être compliqué voire de devenir traumatique. C’est pour cela que les auteurs
suggèrent de toujours prendre en considération la nature et la qualité des rapports ayant lié endeuillé et
suicidant.
Saarinen et al., (2002) ont examiné l’état psychique d’individus endeuillés par suicide à long terme, en s’inté-
ressant aux caractéristiques de ces sujets dix ans après le décès, afin de mesurer l’impact durable de l’événe-
ment sur leur santé mentale et leur vie sociale.
Les auteurs constatent davantage de désordres psychiatriques, en particulier chez les veuves et veufs (com-
parativement aux membres consanguins de la famille). Chez les sujets examinés, il semble exister moins de
liens sociaux de qualité ; moins d’amis proche ou de confidents.
Vandecasteel et al. évoquent la survenue d’une sorte de pacte traumatique scellé par le suicidant et le
conjoint survivant. Ces auteurs soulignent le caractère particulièrement pénible de la perte du conjoint par
suicide, le sujet devant d’une part se confronter à la perte réelle de son partenaire, et de l’autre coté, accepter
la mort de son couple. Le fait d’avoir pu anticiper le suicide peut faire émerger dans l’après-coup des senti-
ments ambivalents, engendrant une forte culpabilité.
Le pacte traumatique se manifeste principalement lorsque le sujet dénie les signes annonciateurs du suicide
afin de mettre à distance cette culpabilité, et ce pacte devient pacte traumatique. D’après Hanus (2004,a),
ce qui distingue le deuil « normal » et le deuil dit «traumatique » ne réside pas dans la nature des réactions,
mais dans la durée et l’intensité des manifestations, surtout de colère, de rejet, de honte et de culpabilité. Ces
sentiments sont amplifiés par le caractère auto-infligé d’une mort dont le suicidant est l’acteur, qui par là se
soustrait volontairement à son entourage.

Hanus (2004, b) évoque la honte qui marque le vécu psychique des endeuillés après suicide, conduisant à
une diminution de l’estime de soi déjà affaiblie. Cette honte existe sur un plan interne, pour soi, à travers
des auto-reproches et des ruminations ; mais également sur le plan externe, par rapport à l’autre et la société.
Honte personnelle et sociale engendre une augmentation des sentiments de culpabilité, ce qui peut entraîner
des conduites autopunitives pouvant conduire le sujet jusqu’à s’exécuter lui-même en se suicidant.

2/ Y a-t-il des liens entre ce stress traumatique et l’importance de la dépression?


L’évaluation des conséquences d’un événement traumatogène comme la confrontation à un suicide doit aussi
rechercher les pathologies les plus fréquemment associées à un trouble post-traumatique. Ces pathologies
peuvent même dominer la symptomatologie et parmi ces pathologies, en tout premier lieu la dépression.
Dès 1991, Breslau affirmait que la comorbidité se situait entre dépression et ÉSPT, atteignant 36,6 % pour les
personnes exposées à un événement traumatogène. L’importance de cette comorbidité a été confirmée par
Kessler et al. (1995). Après la dépression, le comportement de dépendance est le trouble comorbide le plus
fréquemment associé à l’ÉSPT dans la population générale (Kessler et al.)
Dans leur étude de 2006, de Groot et al. ont comparé deux groupes d’endeuillés, l’un après suicide, et l’autre,
après mort naturelle, et ont observé chez les premiers des scores de dépression significativement plus élevés
que dans les sujets du second groupe.
Selon Melhem et al. (2004), chez l’adolescent, l’exposition au suicide d’un pair engendre des réactions de
deuil traumatique, et ce indépendamment de l’existence préalable de troubles dépressifs ou psychiatriques.
Les sujets dépressifs un mois après le suicide l’étaient toujours à six mois, à douze, dix-huit, vingt-quatre et
trente six mois après. Cette étude méthodologiquement très consciencieuse est pourtant à considérer avec
précaution car elle s’appuie sur des données obtenues auprès d’une population d’adolescents de Pittsburgh
aux États-Unis.
Selon les périodes de la vie, les réactions empruntent aussi des voies d’expression différentes, avec une prépon-
dérance de réactions comportementales chez les enfants et adolescents, (Pfeffer et al), en particulier risque de
rencontrer des difficultés accrues d’ajustement social, alors que les adultes utilisent davantage la voie psychique,
même si ce n’est pas exclusivement. Ainsi, selon la période de vie et le stade de développement cognitif,
affectif et physiologique, les réactions après exposition au suicide se manifestent très diversement. Selon Brent
et al. (1993a), les adolescents endeuillés par le suicide d’un frère ou d’une s?ur risquent davantage de développer
un nouvel épisode dépressif que les sujets contrôles non exposés au suicide. L’éventail de la symptomatologie
dépressive est accru chez les sujets exposés, avec, à 58%, des troubles du sommeil, également 58% de perte
d’élan. A 48¨%, ces sujets manifestent une anhédonie, 36% éprouvent une culpabilité développée. 55% des su-
jets ont des difficultés de concentration, 20% évoquent des idéations suicidaires. Cette étude met également en
lumière l’existence d’une corrélation positive entre l’apparition d’un tel épisode dépressif majeur, et des anté-
cédents de troubles psychiatriques. Brent (1993b) souligne également l’intensité des manifestations dépressives
chez l’adolescent endeuillé par le suicide d’un pair, d’un ami.

Par identification avec le suicidé, le sujet peut être amené à nourrir des idéations suicidaires, voire à adopter
des comportements suicidaires. Hanus cite différents travaux qui confirment l’existence de ces manifesta-
tions de honte et de culpabilité intense : les études de Barrett et Scott (1990), de Clark et Goldney (1995), Ko-
vasky (1989), Reed et Greenwald (1991) et Seguin et al. (1995) corroborent ces constatations. Barrett et Scott
(1990) comparent quatre catégories de veuves/veufs endeuillés (par accident, par mort naturelle anticipée,
par mort naturelle non anticipée, et par suicide), et constatent, chez les endeuillées après suicide, une très
forte présence de symptômes somatiques, mais également d’un large éventail de manifestations dépressives
chez les endeuillés après suicide : leur réactions sont dominées par des sentiments de désespoir, de colère, de
culpabilité, de honte. Les conduites auto-agressives et autodestructrices sont également importantes.
Peu d’informations spécifiques sur les proches d’une personne suicidée sont disponibles pour confirmer direc-
tement que la présence d’un stress post-traumatique après un suicide est liée à une symptomatologie dépressive
plus sévère. Cependant étant donné l’importance des liens rapportés dans la littérature entre état de stress
post-traumatique et dépression, comme cité en introduction, il est le plus probable de retrouver une plus forte
morbidité dépressive auprès des personnes les plus choquées de la confrontation à un suicide avec des facteurs
prédictifs proches de ceux présentés concernant l’apparition d’un état de stress post-traumatique.

3/ Le suicide augmente-t-il la fréquence des comportements suicidaires dans l’entourage ?


La perte d’un être cher expose au risque accru de développer une pathologie psychiatrique, d’éventuelles
addictions, des troubles du comportement autodestructeurs, voire des conduites suicidaires ou des comor-
bidités somatiques, les deuils compliqués amplifiant ce risque (Prigerson 1997, Latham 2004, Szanto 2006,
Stroebe 2007). L’éventuelle survenue de ces retentissements a été explorée et comparée chez des groupes
d’endeuillés en fonction de la cause du décès dont le suicide.
Le risque suicidaire est apparu élevé chez les personnes traversant un deuil et ce risque persiste durant les
cinq années qui suivent le décès (Szanto 2006). De nombreux travaux montrent que cette corrélation est
encore plus forte lorsque le deuil est compliqué (Prigerson 1997, Latham 2004, Szanto 2006, De Groot 2006).
De Groot et al, précédemment cités (De Groot 2006), mettent en évidence chez le groupe d’endeuillés après
suicide une élévation significative du risque suicidaire allant de l’idéation suicidaire à la survenue de tentati-
ves de suicide.
Mitchell et al en 2005 montrent, chez une population ayant perdu un proche par suicide dans le mois qui
précède l’investigation, que la présence d’idées suicidaires est corrélée avec l’association d’une symptomato-
logie dépressive et de signes de deuil compliqué. Ils constatent que l’idéation reste très élevée lorsque le deuil
est compliqué et ce indépendamment des éléments dépressifs.
Au delà de l’influence du deuil après suicide sur le risque suicidaire chez l’endeuillé, il existe un certain
nombre de facteurs de risque familiaux à la fois génétiques et environnementaux qui peuvent jouer un rôle
important (Jordan 2001, Brent 2008). L’existence de troubles psychiatriques, comme des troubles dépressifs
et bipolaires, au sein d’une famille est un facteur prédisposant aux comportements suicidaires (Jordan 2001,
Mann 2005, Tsuchiya 2005, Brent 2008). Selon Brent & Melhem les comportements suicidaires seraient en
partie transmis via la transmission de composantes d’agressivité et d’impulsivité. Un certain nombre de
marqueurs biologiques ont été incriminés, d’une part au niveau neuroendocrinien des perturbations de l’axe
hypothalamo-hypophyso-cortico-surrénalien impliqué dans la réaction au stress, et d’autre part au niveau
des neurotransmetteurs comme la réduction du système cérébral sérotoninergique incriminé dans l’accrois-
sement du risque suicidaire (Brent 2008). Ces dysfonctionnements biologiques peuvent résulter de la trans-
mission de mutation génétique de récepteurs de la sérotonine mais ils s’observent aussi chez des enfants qui
ont été exposé à la maltraitance voire à des violences. L’intrication entre l’action de facteurs environnemen-
taux et génétiques rend la lecture de la détermination des facteurs de risques suicidaires très complexe.
Roy (1983) soutient l’hypothèse d’une transmission génétique de conduites d’ordre suicidaire, ainsi que de
comorbidités psychiatriques, de tendances comportementales et de traits psychopathologiques. Pour cet
auteur, l’existence de constellations psychopathologiques particulières dans la famille exposerait à un ris-
que accru de réactions suicidaires chez l’endeuillé par suicide. Lorsqu’existent des antécédents de désordres
affectifs, l’endeuillé par suicide présenterait d’autant plus de risque de réagir en adoptant des comportements
suicidaires qu’en l’absence de tels antécédents dans sa famille. Cette étude met également en évidence une
corrélation entre l’âge auquel un enfant perd un parent par suicide et la probabilité de commettre soi-même
un suicide à l’âge adulte : plus la perte survient quand l’enfant est jeune (moins de onze ans), plus le risque
est augmenté. Ces auteurs mettent en lumière trois facteurs qui vont influer, positivement et négativement,
sur le déroulement du deuil et les capacités de résolution et d’ajustement du sujet : les stratégies de coping
qu’il met en place pour faire face au stress, la possibilité du sujet de prendre appui sur un réseau de soutien
social, le nombre de pertes et d’événements stressants accumulés durant la période d’ajustement.
LES MECANISMES D’ADAPTATION, DE DEFENSE,
DE REFOULEMENT, LES SEQUELLES PSYCHO-
PATHOLOGIQUES LORS DU DEUIL APRES SUICIDE

M Walter  Brest

Traiter, dans le cadre des modèles de compréhension sur les suites d’un suicide, des mécanismes d’adaptation,
de défense, de refoulement et des séquelles psychopathologiques, implique, dans un premier temps, des pré-
cisions terminologiques et épistémologiques. Il sera ensuite nécessaire de définir le caractère traumatique de
ce deuil particulier qu’est le deuil après suicide, avant de détailler les mécanismes de défense mobilisés et les
conséquences d’un tel deuil en terme de réactions psychologiques et de troubles psychiatriques. Une revue des
facteurs de risque et de protection terminera cet article.

PRÉCISIONS TERMINOLOGIQUES ET EPISTEMOLOGIQUES


L’expression « mécanismes de défense » répond à une logique psychodynamique et désigne différents types d’opé-
rations psychiques qui ont pour fin la réduction des tensions psychiques internes (Jeammet, 1996). Généralement
inconscients, ils sont habituellement utiles pour protéger la cohésion de l’appareil psychique ; ils peuvent toutefois
devenir pathogènes et entraver alors le fonctionnement mental. Le refoulement est un des mécanismes de défense
essentiel, notamment parce qu’il est constitutif de l’inconscient. Il se définit comme l’opération par laquelle le sujet
cherche à repousser ou à maintenir dans l’inconscient des représentations liées à une pulsion.
Les « stratégies d’ajustement » ou les « mécanismes d’adaptation », encore nommés « coping », répondent
à une logique cognitivo-comportementale. Ils désignent « l’ensemble des effets cognitifs et comportemen-
taux destinés à maîtriser, réduire ou tolérer les exigences internes ou externes qui menacent ou dépassent les
ressources d’un individu » (Jeammet, 1996).
Les réactions à un deuil après suicide peuvent se distinguer en :
- mobilisation de certains mécanismes de défense comme le clivage et le déni,
- réactions psychologiques comme la culpabilité, la honte, l’agressivité et la pulsion épistémophilique
- e t troubles psychiatriques comme la dépression, le suicide et le psychotraumatisme (cette dernière
partie ayant été traitée par le Docteur Jehel, nous n’y reviendrons pas).

LE DEUIL APRÈS SUICIDE EST UN DEUIL TRAUMATIQUE MOBILISANT LA


PULSION EPISTEMOPHILIQUE
Si tous les deuils survenant après une mort qui n’est pas naturelle sont traumatiques (Hanus, 2005), le deuil
après suicide l’est particulièrement et à plusieurs titres :
C’est d’abord le traumatisme lié à l’intensité du choc émotionnel initial, voire de la sidération et de l’effroi en rap-
port avec la brutalité et la soudaineté de la perte, souvent violente, partiellement ou totalement incompréhensible.
Offrir un premier contenant à l’angoisse est une première étape importante tant il est probablement illusoire dans
ces situations d’effraction psychique d’attendre l’énonciation d’une demande construite de la part du sujet.
C’est également le traumatisme de la blessure narcissique (Fidelle, 2004) parfois aggravée par les circons-
tances de l’annonce de la mort, par l’enquête de police vécue comme accusatrice, ou encore par des paroles
maladroites, marquant la fin de l’illusion d’immortalité et du mythe personnel d’invulnérabilité.
C’est enfin le traumatisme de la perte objectale, tout en ayant bien à l’esprit, à la suite de Nasio (1996), que la
douleur du deuil n’est finalement pas tant douleur de séparation que douleur de liaison : « ce qui fait mal, ce n’est
pas tant de se séparer, mais de s’attacher plus fort que jamais à l’objet perdu ». L’expression de cette souffrance n’est
bien entendu pas à entraver ou même à neutraliser par une « surmédicamentation » de la souffrance qui pourrait
alors donner lieu à un clivage durable et à un sentiment d’usurpation chez l’endeuillé (Bacqué, 2006).
Le deuil après suicide mobilise la pulsion épistémophilique en contraignant souvent l’endeuillé à se livrer
à une recherche effrénée et compulsive de sens. Il élabore alors un véritable « roman personnel du suicide »
(Huon, 2005), théorie profane qui peut se heurter à des obstacles quand l’endeuillé constate, via internet par
exemple, l’abondance des théories explicatives disponibles. Pourtant, la progression du deuil sera en partie
déterminée par la capacité de l’endeuillé à reconnaître et à accepter la part d’insondable et de mystère inhé-
rente à tout suicide. Ainsi, sa recherche « pulsionnelle » de sens s’apaisera lorsqu’il attribuera à cette mort, à
défaut de la comprendre, le signe tangible d’une souffrance insupportable (Huon, 2005).

LES MÉCANISMES DE DÉFENSE


Les mécanismes de défense (référence psychodynamique) ou les stratégies d’ajustement (référence cogniti-
vo-comportementale) mis en place lors d’un deuil après suicide se distinguent quantitativement et quali-
tativement du deuil « normal ». Hanus (2005) souligne pourtant qu’il y a davantage de ressemblances que
de différences avec le deuil « habituel ». Quantitativement, l’intensité est supérieure et le décours temporel
prolongé (Hanus, 2001). Qualitativement, le travail d’intériorisation psychique de la perte peut être entravé
essentiellement par le déni et par le clivage.
Le déni, processus défensif peut-être un peu moins tenace que le clivage, porte davantage sur les
circonstances de la mort que sur sa réalité, l’endeuillé croyant plus à un accident ou à un meurtre qu’à un
suicide. Il peut également concerner la période présuicidaire et l’existence d’éventuels signes d’alerte. Ainsi,
lors du suicide du partenaire dans le couple, Vandecasteele (2005) a décrit sous le terme de « pacte dénéga-
tif » la mise en place de procédés défensifs tels que le déni de la valeur signifiante des signes annonciateurs
du suicide ; ce déni a pour fonction de sauvegarder les fondements du couple mais le pacte dénégatif peut
devenir un pacte traumatique dans l’après-coup du suicide par retour de la culpabilité liée à l’ambivalence
des sentiments éprouvés envers le suicidé. Enfin, l’impact sur la vie de l’endeuillé et ses conséquences socia-
les peuvent aussi être déniées.
Le clivage, s’il persiste durablement, peut également compliquer le deuil. Il se traduit cliniquement
soit par l’absence d’affects liés à la scène, soit par l’absence prolongée d’images mentales, soit encore par
l’omniprésence d’images traumatiques (visuelles pour l’endeuillé qui a trouvé le corps, auditives pour celui
à qui le récit en a été fait) qui viennent court-circuiter tout travail associatif, soit enfin par la coexistence
d’images à la fois valorisées et méprisées du défunt. Il paraît alors important, dans ces circonstances, de
solliciter le sujet pour qu’il réévoque l’évènement à travers les premières images mentales liées à l’annonce
de la mort ou à la découverte du corps du défunt. Ce travail de liaison entre l’affect douloureux et la repré-
sentation de l’image, visant à rendre possible l’intériorisation de la perte, nécessite un cadre solide qui puisse
accueillir la violence des affects et des angoisses (Huon, 2005).
LES CONSÉQUENCES PSYCHOLOGIQUES ET PSYCHIATRIQUES
La plupart des auteurs s’accordent sur le fait que le deuil après un suicide se signale par d’intenses réactions
psychologiques comme l’inflation des sentiments de culpabilité, de honte, et la survenue d’affects agressifs.
La culpabilité est à la fois consciente et inconsciente ; elle peut parfois représenter une force dyna-
mique et restructurante pour le sujet (Huon, 2005).
La culpabilité consciente se traduit essentiellement par des autoreproches et s’origine dans un
vécu d’impuissance face à la perte. Elle dépend du degré de proximité relationnelle (Mitchell, 2004), comme
le suicide d’un enfant, d’un conjoint ou d’un parent pendant l’enfance (Hanus, 2004), et est d’autant plus
marquée qu’un conflit personnel existait entre le décédé et le survivant (Herzog et Resnik, 1969). Elle diffère
toutefois selon les conditions du décès. Lorsque le geste fatal a été précédé de signes de crise suicidaire ou de
tentatives de suicide, un processus de pré-deuil a pu se mettre en place, même si ce processus est parfois lui-
même entravé par le déni (Vandecasteele, 2005). En cas de raptus suicidaire, la culpabilité est majorée par la
prise de conscience par l’endeuillé que sa connaissance de l’être aimé n’était que partielle. Enfin, la comor-
bidité psychiatrique joue également un rôle puisque les enfants de patients alcoolo-dépendants décédés par
suicide se sentent moins coupables (Tall, 2008).
La culpabilité inconsciente est directement liée à l’ambivalence des liens avec le suicidé associant
amour acharné pour l’image de l’aimé disparu, colère et haine. Cette ambivalence des liens est difficile à
mobiliser car elle attaque l’image idéalisée de l’autre, mais sa prise de conscience, qui ne pourra être que très
progressive, évite l’installation d’une idéalisation prolongée à l’autre disparu, laquelle pourrait faire le lit
d’un passage à l’acte ou d’une décompensation mélancolique.
La honte semble être une « expression centrale et particulière du deuil après suicide » (Seguin,
1995). Il s’agit d’un sentiment à la fois narcissique lié à l’attaque de l’estime de soi (d’avoir laissé faire, d’avoir
été passif, …) et relationnel car apparaissant sous le regard des autres (Hanus, 2004). Barrett et Scott (1990)
trouvent ce sentiment de honte plus intense chez les endeuillés par suicide que dans les autres groupes étu-
diés (accident, mort naturelle attendue, mort naturelle non anticipée). Enfin, la honte participe à l’isolement
social des endeuillés par suicide et explique pourquoi ils se plaignent parfois d’un manque de soutien alors
que ce soutien existe et est offert (Seguin, 1995).
L’agressivité (ou la colère) découle des sentiments d’abandon et d’impuissance narcissique face à la
mort (Hanus, 2004). Elle est bidirectionnelle (Huon, 2005), infligée d’une part par l’acte à ceux qui restent et
éprouvée, longtemps secrètement, par les endeuillés vis-à-vis du suicidé. C’est le destin de ces affects agres-
sifs qui finalement guidera le travail de deuil (Walter, 2004). En effet, ils peuvent être purement et simple-
ment réprimés empêchant alors toute prise de conscience ; ils peuvent être projetés vers l’entourage qui rem-
plit alors la fonction de bouc émissaire, ou dernière modalité, retournés contre soi. La violence ainsi infligée
à l’endeuillé se décharge et se fixe sur son Moi au risque de produire sa dissolution. Le deuil après suicide est
donc un deuil à risque suicidaire que le geste survienne par ce retournement autopunitif de l’agressivité, par
imitation (« c’est une solution possible à mes difficultés ») ou par identification. Nous ne développerons pas
cette complication psychiatrique du deuil post-suicide qui, comme d’autres (dépression, anxiété, psychotrau-
matisme) ont été détaillées par le Docteur L Jehel.
LES FACTEURS DE RISQUE ET DE PROTECTION
Les facteurs de risque peuvent se subdiviser en trois catégorises distinctes : les facteurs de risque extérieurs
au sujet (entourage socio-familial), propres au sujet et propres au passage à l’acte :
L’entourage familial et socio-professionnel peut réagir par le rejet, aggravant encore les sentiments de culpa-
bilité et de honte et menant à l’isolement et au retrait social de l’endeuillé. Il faut toutefois souligner avec
M Seguin (1995) que, du fait d’un sentiment exacerbé de honte, les endeuillés après suicide ne perçoivent
parfois pas les soutiens socio-familiaux existants. Si la stigmatisation sociétale a été repérée historiquement
depuis Saint Augustin (Hanus, 2004), des études récentes (Mc Niel, 1988 ; Seguin, 1995 ; Begley et Quayle,
2007 ; Sveen, 2007) la confirment. Là encore, cette stigmatisation sociale vient redoubler la culpabilité per-
sonnelle. Les mécanismes de stigmatisation peuvent entraîner une souillure de l’identité personnelle et de
l’identité sociale (Castelli-Dransart, 2003) et même, à l’extrème, une déliance sociale (Bolle de Bal, 1996),
c’est-à-dire une rupture des liens sociaux les plus fondamentaux.
Certaines personnes présenteraient plus de risque de développer des complications : antécédents familiaux de
suicide, de conduites suicidaires (Brent, 1996), de pathologies psychiatriques (Brent, 1996), en particulier d’al-
coolo-dépendance (Tall, 2008), antécédents personnels de tentatives et d’idéations suicidaires (Shafii, 1985).
Enfin, plusieurs auteurs ont souligné le caractère aggravant de la découverte du corps du suicidé, véritable
rencontre avec le réel de la mort effractant l’appareil psychique (Callahan, 2002) ; il est plus à noter que le
sentiment de rejet et/ou de stigmatisation est dans ce cas encore plus vivement ressenti (Van Dongen, 1990).
Le fait de ne pas anticiper l’évènement renforce son impact traumatogène (Barrett, 1990).

Certains facteurs peuvent jouer un rôle protecteur pour le sujet endeuillé. Il s’agit par exemple du soutien
de l’entourage (Callahan, 2000), qui fait parfois office de « tiers tampon » (Castelli-Dransart, 2003) filtrant
et s’occupant des besognes matérielles et créant ainsi une zone de répit et de récupération, de l’anticipation
du décès (Sheskin et Wallace, 1976) et du sentiment d’utilité sociale (Barrett, 1990). Pour Castelli-Dransart
(2003), le suicide d’un proche est un événement majeur, extra-ordinaire, dans la vie d’un individu et, à ce
titre, il peut être considéré comme un événement déclencheur de repositionnements identitaires. Un travail
visant à rendre ordinaire l’extraordinaire peut être fourni par l’entourage et les proches, ou par un événe-
ment extérieur. Ainsi, les funérailles sont l’un de ces moments où se produit la normalisation de cette mort
particulière par l’application de rites et de procédures ordinaires, autorisant un travail de reconstruction
identitaire tant au niveau individuel qu’au niveau social.

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Les bases de traitement qu’induisent ces modeles ?

Dr Michel Botbol

Remarques préalables
La question du traitement du deuil après suicide est paradoxale puisqu’il s’agit d’une situation qui ne
peut être considéré comme une pathologie en soi. Plusieurs auteurs insistent sur ce point qu’ils considè-
rent comme crucial pour éviter de culpabiliser ou stigmatiser les endeuillés après suicide. Cette situation
ne constitue pas une entité nosographique dans les classifications en usage. Il en résulte que c’est seule-
ment exceptionnellement qu’elle apparait directement comme une entrée dans les recherches inscrites
dans un modèle biomédicale.
On constate par contre un grand nombre de travaux portant sur les interventions psychosociales ou
psycho éducatives. Dans certains cas ces interventions s’apparentent beaucoup à des actions thérapeuti-
ques ; si bien que l’on pourrait considérer que la faveur que connaissent ces approches dans la littérature
serait un artéfact lié au paradoxe déjà évoqué.

1) Doit on prescrire des antidépresseurs aux endeuillés après suicide ?


a.Arguments empiriques : Pour les raisons évoquées en préambule (le statut non pathologique
du deuil en général, et du deuil après suicide en particulier), cette question ne parait pas avoir été abordée
sous cette forme par les études empiriques. Ceci est confirmé par la revue de la bibliographie réalisée en
vue de cette audition publique qui relève qu’aucune étude pharmacologique n’explore les différences selon
les causes du décès, ou les effets sur le deuil « normal ».
1. Les travaux pharmacologiques existants, en nombre d’ailleurs limité, n’abordent donc que le traitement
des complications du deuil : dépression et deuil compliqué. Leur méthodologie repose sur la définition de
ces entités et leurs différenciations (entre elle et avec le deuil normal) telles qu’elles sont proposées par les
descriptions du DSMIV pour l’Episode Dépressif Majeur, ou par des échelles spécifiques (le TRIG – Fas-
chingbauer J R 1981  ; l’ICG- Zisook et al 2001) pour le Deuil Compliqué (qui n’est pas une catégorie re-
tenue dans le DSM IV). La pertinence de ces études est donc étroitement dépendante de la validité de ces
différenciations (qui conduisent à donner une valeur moindre aux critères susceptibles d’être communs
entre dépression et deuil). Elle dépend donc de la capacité de ces classifications et instruments à délimiter
des catégories naturelles et cliniquement significatives.
Avec ces limites, plusieurs études ouvertes (Jacobs et al 1987 ; Pasternack et al 1991 ; Zisook et al 2001 ;
Hensley et al 2009) et seulement deux études en double aveugles (comparant plusieurs traitements –
Oakley et al 2002 ; ou contre placebo – Reynolds et al 1999) ont été réalisées ; elles aboutissent à des résul-
tats convergents :
Elles confirment que les traitements antidépresseurs ont des effets positifs sur les symptômes dépressifs
des personnes endeuillées comme ils l’ont sur les épisodes dépressifs majeurs en général. L’étude la plus
récente (Hensley et al 2009) montre même que cet effet sur l’EDM n’est pas significativement modifié par
l’association à un Syndrome Post Traumatique (présent dans 60% des cas inclus dans l’étude), à un Deuil
Compliqué (retrouvé chez 48% des sujets inclus) , ou chez ceux confrontés à un deuil brutal (défini com-
me une maladie ayant duré moins de 4 jours et concernant 72% des cas).
Celles de ces études qui l’examinent retrouvent également un effet positif sur le Deuil Compliqué, les
auteurs considérant que la baisse spécifique des scores aux échelles de Deuil Compliqué en témoigne.
Mais cet effet apparait généralement moindre surtout dans les études réalisées à distance importante (plus
de deux ans –Shear et al 2005 ) de la perte alors qu’ils sont plus nets dans les études réalisés sur des deuils
plus récent ( au cours de la première année suivant la perte- Henley et al 2009). Par ailleurs, les méthodo-
logies adoptées ne permettent pas de faire vraiment la part de ce qui revient à l’amélioration de la compo-
sante dépressive du tableau clinique présenté.. Ces résultats sont confirmés par le premier essai randomisé
contrôlé sur le traitement du Deuil Compliqué Shear et al (2005) notamment
Tous les antidépresseurs étudiés (Nortriptyline, Paroxetine, Escitalopram ) ont démontré une efficacité
comparable sur ces deux composantes (Dépression et Deuil Compliqué) ce qui conduit les différents
auteurs à recommander l’usage des inhibiteurs spécifique de la recapture de la sérotonine en raison de
leur meilleurs tolérance et de leur moindre risque. Quelques données semblent montrer que l’efficacité des
antidépresseurs sur le Deuil Compliqué est amélioré si la durée du traitement est supérieure a 8 semai-
nes et si le traitement est mis en place dans la première année qui suit la perte plutôt qu’après ; mais c’est
données sont limitées et les comparaisons systématiques inexistantes rendant difficiles la validation et
l’interprétation de ces résultats.
On peut donc conclure de ces études qu’il existe quelques arguments empiriques en faveur de la pres-
cription d’antidépresseurs dans le deuil lorsqu’il existe une dépression consécutive au deuil ou un deuil
compliqué. Bien que le deuil après suicide ne soit pas explicitement abordé, ces résultats ne font pas
apparaitre de raisons d’exclure les personnes dans cette situation des indications d’un traitement antidé-
presseurs, dès lors que leur deuil s’accompagne de manifestations pathologiques sous forme de dépression
ou de deuil compliqué. Les données épidémiologiques indiquant de façon convergente que les deuils après
suicide sont particulièrement exposés à ces manifestations pathologiques, on peut donc en déduire que ce
type de deuil serait, plus que d’autres, susceptible de bénéficier de ce type de traitement dans cette indica-
tion.
Ces conclusions se fondent sur des études limitées en nombre et de méthodologie discutable conduisant à
des preuves de niveau faible notamment en ce qui concerne les deuils compliqués :

b) Arguments théoriques : Des débats théoriques, en référence aux conceptions psychodynami-


ques, opposent ceux qui considèrent que les antidépresseurs sont contrindiqués dans le deuil car ils s’op-
poseraient à l’élaboration psychique de la perte et ceux qui estiment au contraire que de tels traitements
peuvent constituer des appoints utiles dans ce travail de deuil.
La première position est fréquemment évoquée dans les échanges entre pairs mais n’a pas fait l’objet
d’écrits théoriques argumentés dans les dernières années. Schématiquement les tenant de cette position
considèrent qu’en réduisant les conflits mobilisés par la perte, les antidépresseurs sont susceptibles de
« geler » le travail psychique en entretenant le déni et le clivage affectif tout en donnant à l’endeuillé l’il-
lusion qu’il peut faire l’économie d’un travail de deuil. En favorisant la passivation du sujet et l’extériorité
de ses ressources, ils pourraient fixer une organisation traumatique et favoriser le recours à l’agir
A l’inverse d’autres estiment qu’en réduisant la sidération psychique liée à la dépression et aux manifesta-
tions anxieuses du traumatisme, et à la douleur psychique, le traitement antidépresseur peut favoriser la
reprise de l’élaboration psychique du deuil. Cette conception rejoint les travaux qui en référence à la diffé-
renciation entre douleur et souffrance (Ricoeur 1992) considèrent que la douleur « colmate… sans pitié toute
possibilité » de suspend de l’action dans la représentation (Jeanneau 2004). Dans la souffrance on constate-
rait le mouvement inverse, celui induit par une recherche de sens. Du point de vue des mécanismes psy-
chiques la souffrance serait donc l’inverse de la douleur (physique ou psychique). Pour le clinicien, ce qui
importe alors c’est de prendre en compte ce qui oppose douleur psychique et souffrance dans une dialectique
entre mise en corps et représentation. Dans son abord thérapeutique de la dépression il ne pourra plus alors
se limiter au traitement médicamenteux de la douleur psychique mais devra accorder une attention égale à
l’élaboration psychique de la souffrance qui peut prendre la place de la douleur lorsque celle-ci a été apaisée.
(Botbol 2005).

2)Une psychothérapie est elle nécessaire ou un soutien compétent est il suffisant ? Alors
quel soutien ? Quelle psychothérapie ? La cure psychanalytique est elle indiquée ?
Cette thématique pose des questions de délimitation entre psychanalyse et psychothérapie d’une part et
entre psychothérapie et soutien compétent d’autre part. Les traitements psychanalytiques ne se limitent
pas en effet à la cure type et les psychothérapies psychanalytiques peuvent prendre des formes très varia-
bles en raison même des conceptions psychanalytiques des mécanismes en jeu chez les sujets concernés.
Il y a donc un continuum entre ces différentes formes de traitement. Par ailleurs il existe une incertitude
analogue dans la délimitation entre psychothérapie de soutien et les soutiens compétents. Dans le do-
maine du soutien aux endeuillés par suicide, le flou est encore accru par le débat que nous évoquions en
préambule donnant le sentiment que la qualification de l’action relève d’avantage de position de principe
(ne pas médicaliser le deuil après suicide) que d’une caractéristique intrinsèque du processus. Pour sortir
de cette difficulté nous avons choisi de regrouper dans un même chapitre cure psychanalytique et psycho-
thérapie analytique ; nous avons également choisi de distinguer les autres psychothérapies des interven-
tions de soutien en fonction de leur contexte plutôt qu’en fonction de leur contenu ou de la formation des
personnes qui les mènent.
a) La cure psychanalytique est elle indiquée ?
La revue de la littérature réalisée pour cette audition aborde cette question (D Goodwin) en reprenant
les arguments avancés par un groupe d’auteurs qui préconisent la mise en place d’un travail d’orienta-
tion systémique avec les familles de suicidants (Obadia et al 2004). En conclusion de ce travail ceux-ci
indiquent que « la psychanalyse semble ici inopérante, impuissante » puisque « le sujet mort ne peut
plus déterminer dans l’après coup la signification inconsciente de son geste » ; selon ces auteurs, il en
résulte que la psychanalyse ne peut rien faire pour permettre de dépasser « le court-circuitage du pro-
cessus de deuil qui serait en partie lié au fait que la mort rende impossible la verbalisation de ces trou-
bles par le défunt » ce qui « risque d’engendrer un retour de la violence de l’acte ». D Goodwin conclue
comme ces auteurs qu’une lecture psychodynamique et psychanalytique peut certes être employée, mais
la cure psychanalytique en tant que méthode de prise en charge thérapeutique semble moins indiquée ».
C’est ce point de vue qu’elle reprend dans la conclusion de son travail.
De son côté M Hanus (2008) indique: « Ajoutons qu’un deuil récent , y compris après suicide, est une contrin-
dication absolue à la mise en route d’une psychanalyse dont l’indication pourra éventuellement être discutée
secondairement chez certaines personnes, des années plus tard, lorsqu’elles auront dépassé le vécu de la période
traumatique et suffisamment avancé dans leur travail de deuil pour pouvoir se confronter a leurs difficultés
personnelles antérieures à la mort de leur proche » . Mais il ne précise pas sur quels arguments théoriques ou
psychopathologiques il fonde ce point de vue.
Ces opinions contrastent partiellement avec le nombre de cas de deuil qui sont rapportés dans des articles psy-
chanalytiques rendant compte de traitement psychanalytiques sous forme de cures types ou de psychothérapies
psychanalytiques et venant appuyer des argumentations théoriques ou pratiques relatives à d’autres questions
que celles posée par le traitement des endeuillés. Cette éventualité est également fréquente dans les observa-
tions rapportées lors de séminaires psychanalytiques ou dans la pratique des analystes. Il est vrai que dans la
plupart de ces situations il s’agit de traitements analytiques à distance de la perte, dont certaines consécutives
à un suicide. Il existe cependant certaines observations ou la perte d’un proche, parfois par suicide, survient
durant le déroulement d’un traitement psychanalytique. Mais les éléments manquent dans la littérature pour
apprécier les effets de la cure type dans ces situations.
Elles s’opposent plus directement avec l’opinion d’autres analystes comme G Bayle (1994) qui, dans un
article qu’il consacre a la métapsychologie et au devenir des deuils pathologique indique, une fois encore
sans se référer directement a la situation de deuil après suicide : « Si l’impact traumatique est tel que des
répétitions mortifères apparaissent précocement (silence maintenu sur la situation, activités compulsi-
ves de dérivation) il peut être utile en urgence1 , d’inciter psychothérapeutiquement à des récits narratifs
circonstanciés. » Il ajoute cependant : « On est ici à l’inverse de l’attitude analytique qui voudrait qu’on
laisse le champ à la libre association du patient et à l’attention flottante du thérapeute. Tout au contraire, il
faut conduire à des récits, voire dans certains cas à des reconstitutions psychodramatiques, comme le font
certains groupes psychiatriques et psychanalytiques d’urgence dans les pays ravagés par la guerre ou par
les catastrophes naturelles ».
L’auteur rejoint là la position de nombreux autres psychanalystes concernant le traitement des situations
traumatiques. Par exemple R Debray qui dans un article au titre évocateur rapporte la cure psychanalyti-
que d’une patiente « psychosomatique » dont le fonctionnement psychique parait sidéré par la répétition
de deuil traumatique. Elle y montre bien les deux temps bien différenciés de cette cure : le temps de la
reconstruction psychanalytique de la réalité affective de cette patiente en procédant à une véritable réa-
nimation psychique des capacités représentationnelles du préconscient de cette patiente, au travers de
l’usage que l’analyste fait de ses propres capacités empathiques. C’est ce dont rend compte aussi la notion
d’empathie métaphorisante proposée par S Lebovici (2002).
Ces travaux convergent donc vers l’idée qu’un traitement psychanalytique peut être indiqué dans les
situations de deuil en général et de deuil traumatique en particulier, si les aménagements nécessaires sont
apportés afin que le travail analytique traditionnel d’analyse des conflits de désir et de levé des refoule-
ments et clivages fonctionnels soit précédé d’un temps suffisamment long durant lequel il s’agira pour le
psychanalyste d’engager ses capacités empathiques et métaphorisante pour appuyer un travail préalable de
construction et de mise en affect pour et avec le patient. Ce préalable est nécessaire tant dans les abords
analytiques entamés dans les suites rapprochés des situations associent deuil et traumatisme que dans les
situations où le traitement analytique est engagé, à distance de la perte, devant le constat de la fixation
d’une organisation traumatique.
Pour les raisons déjà évoquées, il n’existe ici aussi que peu de données empiriques pour orienter dans ce
débat. Notons cependant une étude qui démontrent l’efficacité d’une psychothérapie psychodynamique
brève chez des endeuillés motivés disposant d’une « bonne organisation psychique » Horowitz (1990) et
une étude controlée qui montre l’efficacité un peu supérieure de ce même abord thérapeutique sur celle
d’un groupe d’entraide. Mais les biais sont nombreux et la conclusion prudente (Marmar C et al 1988)
On peut donc conclure qu’il existe un relatif consensus pour considérer qu’un traitement psychanalytique
des endeuillés peut être indiqué à bonne distance de la perte si le sujet est suffisamment motivé pour un
tel traitement. Les indications sont beaucoup plus discutées en ce qui concerne les période plus proches de
la perte. Elles peuvent se justifier si la fixation traumatique interdit le travail de deuil , mais la technique
de traitement psychanalytique doit être alors adaptée pour permettre la reprise de ce travail grâce aux
constructions permises par un travail analytique s’appuyant sur les capacités empathiques et métaphori-
sante du psychanalyste qui doit activement s’engager pour assurer cette suppléance psychique temporaire.
b) Une psychothérapie est elle nécessaire? Quelle psychothérapie ?
Plusieurs études ( Provini 2000, Dyregrov 2002) ont montré que les personnes endeuillées après suicide
expriment le besoin d’un suivi professionnel au long cours. Mais elles montrent également (Saarinen
1999) que seule la moitié de ceux qui expriment le besoin de service psychiatrique font effectivement la
démarche d’aller le demander. Comme l’indique la revue de bibliographie réalisée par C Colliot-Thelene
(2009), différents travaux insiste sur la nécessité d’aller au devant de cette demande qui ne s’exprime et
de proposer l’intervention de professionnels sensibilisés ou formés au deuil a la suite d’un suicide (voir
notamment De Groot 2006)
Les travaux évaluent les différentes formes de thérapies proposées pour répondre à ce besoin :

Les thérapies individuelles :


Augendbraum et al (1972) ont décrit le processus d’une psychothérapie de soutien engagés à la suite du
suicide d’un proche survenu soit durant la thérapie soit quelques mois avant qu’elle ne s’engage. Gantz (
1992) a décrit un modèle d’intervention cognitive protocolisée comportant 18 séances sur une année .Kle-
ber et Bram (1987) ont développé une thérapie comportementale de désensibilisation auprès de personnes
endeuillées développant des réactions phobiques

Les thérapies familiales :


Peu d’articles les évoquent spécifiquement dans le deuil après suicide, mais on sait leur fréquente indica-
tion dans le traitement des réactions traumatiques. Obadia (2004) suggèrent la mise en place d’un travail
d’orientation systémique dans lequel il donne une importance toute particulière aux entretiens avec la fra-
trie du suicidé. Il suggère également d’associer à ce travail aussi bien les professionnels de la santé mentale
que les associations de bénévoles. Brent 1993 propose également une approche familiale dans la constella-
tion familiales des adolescents suicidants .

Les thérapies de groupe :


C’est dans ce domaine que la limite est la plus floue avec les groupes d’entraide proposés par les associa-
tions de soutien. La revue de la littérature évoque le groupe de traitement pour endeuillés mis en place
par le centre de prévention du suicide de Memphis, et rapporte les travaux de Battle (1984) qui en rendent
compte. L’effet cathartique est recherché ainsi que les identifications croisées. Les professionnels inter-
venants et leader du groupe doivent rester le plus discret possible pour laisser ce développer ces deux
aspects. Par rapport à un groupe contrôle les résultats du groupe thérapeutiques sont dans l’ensemble
peu probants. L’auteur conclue que l’expérience suggère qu’il est improductif de conduire un groupe de
manière non directive en centrant la réflexion seulement sur les sentiments. Mais une large majorité des
membres du groupe thérapeutique avaient une vision optimiste de l’effet du traitement.
C’est également le cas pour les travaux de Dunne (1987) qui plaident pour des interventions psycho
éducatives accordant une part importante à une dimension informationnelle dans la thérapie. A partir
de leur travail sur l’évaluation des interventions en direction des endeuillés, Castelli Dransart et Seguin
(2008) concluent que les psychothérapies ne doivent pas être systématiques mais envisagées au cas par
cas. Elles sont surtout indiquées dans les cas où le processus de deuil est compliqué notamment du fait
des circonstances de la perte et de l’évaluation qui est faite du risque de développement d’un syndrome
de stress post-traumatique. Ces thérapies peuvent prendre différentes formes (individuelles, groupales ou
familiales) et se référer à différentes techniques (interpersonnelles ou cognitivo-comportementales). Les
unes et les autres peuvent être selon elles efficaces, même si la méthode scientifique est encore incapable
de le démontrer, dans la mesure où elles s’adressent à des groupes distincts : « Les personnes ayant moins
d’habilités et de capacités relationnelles bénéficieront plus de traitement centrés sur le soutien immédiat,
la résolution de conflits et la résolution des problèmes actuels. Par contre, les personnes ayant eu des re-
lations plus complexes ou ambivalentes avec la personne décédée pourront bénéficier de thérapie centrées
sur la remise en question de la relation ».

c) Un soutien compétent est il suffisant? Quel soutien ?


Pour rendre compte de la grande diversité (Heilig 1985 ) des actions qui se sont développées autour du
soutien des endeuillés (notamment après suicide), Castelli Dransart et al (2008) proposent un classement
qui différencie les interventions fondées sur la mobilisation du lien social de celles qui relèvent de la théra-
pie définie sur les mêmes bases que celles que nous avons adoptées
Seules les premières rentreraient dans la définition du soutien « non thérapeutique » même si cette diffé-
renciation est bien entendu plus heuristique que naturelle. Pour Castelli Dransart et al (2008) ces inter-
ventions fondées sur la mobilisation du lien social peuvent prendre les formes suivantes :
Le parrainage qui met en relation deux personnes ayant vécu le même événement :.
Les Groupes d’entraide : qui s’inscrivent dans une dynamique analogue mais en groupe. Relè-
vent de cette catégorie les groupes d’autoassistances ou d’entraide, qui insistent sur la dimension
autonome réciproque et non professionnelle de l’aide, afin d’éviter ce que les membres de ces
groupes seraient susceptibles de percevoir comme une culpabilisation ou une stigmatisation de la
part de professionnels n’ayant pas la même expérience traumatique qu’eux (Maxim et al 1985).
Groupe de soutien : Seguin et al les définit comme des groupe d’assistance et d’entraide qui s’ap-
puient sur l’intervention de professionnel dans une logique qui reste compassionnelle et ne relève
pas des institutions de soin. Ces groupes peuvent être ouverts ou fermés, plus ou moins structurés
Ces différentes formes d’intervention fondées sur le lien social ont en commun :
de s’inscrire dans une logique compassionnelle d’aide et d’assistance en écart des dispositifs ins-
titutionnels de santé et des professionnels avec lesquels ils entretiennent des rapports ambivalents
même lorsqu’ils font appel à leur expertise.
d’être assez rarement ou assez pauvrement évaluées, pour ces raisons ou du fait de la difficulté mé-
thodologique pour aborder de façon suffisamment fine l’évaluation de programmes complexes, très
contextualisés et peu modélisés
de donner lieu à des appréciations positives de leurs promoteurs et participants, au-delà des effets
constatés empiriquement quand ils sont évalués.
On ne peut donc que confirmer les conclusion de Castelli Dransart et al ( 2008) qui estiment que, dans l’état
actuel des données, il faut considérer qu’il existe un effet, modeste, similaire d’un groupe a l’autre . Ce constat
est il attribuable aux insuffisances méthodologiques des études et aux résistances des terrains ou démontre-t-il
que ce qui est ici le plus déterminant c’est l’effet de groupe lui-même ( et non son contenu) qui serait susceptible
d’apporter un soutien efficace aux personnes endeuillées en favorisant la mise en forme de leur expérience de
deuil traumatique et leur confrontation à leurs affects . Ce point de vue pourrait trouver appui dans le constat,
que, plus que le contenu de l’intervention, c’est sa durée (au delà de quatre mois) et la qualité du lien établi
avec l’animateur qui constituent les variable les plus déterminante de l’efficacité du soutien. Si bien qu’il parait
raisonnable de faire notre la conclusion de l’étude de McDaid et al (2008) à partir de l’évaluation de 8 pro-
grammes de soutien : Bien qu’il soit évident qu’il y a quelques bénéfices aux interventions de soutien auprès des
personnes endeuillées après suicide, ce bénéfice n’est pas prouvé scientifiquement.

3) Conclusion :
Les réponses aux questions posées ne peut donc être que nuancées, dans la mesure où toutes les formes
d’intervention proposées (de la psychanalyse aux interventions de soutien fondées sur la mobilisation du
lien social) souffrent d’une insuffisance de preuves empiriques de niveau suffisant. Il semble clair que la
psychothérapie n’est pas toujours nécessaire même si les données sont insuffisantes pour déterminer les
cas dans lesquels elle devrait être favorisée chez les endeuillés par suicide. Les soutiens compétents parais-
sent bénéfiques, mais les données manquent pour considérer qu’ils sont toujours suffisants ou régulière-
ment plus indiqués que les thérapies (quasi absence d’études les comparant). La psychanalyse a également
sa place à distance de la perte pour ceux qui réunissent les conditions personnelles pour bénéficier d’une
cure ou d’une psychothérapie analytique. Dans certains cas, elle peut être indiquée, plus prêt du deuil
traumatique, si sa technique est aménagée pour suffisamment respecter les défenses mobilisées par le
deuil par suicide. Ces incertitudes ne doivent pas cacher l’accord général qui se fait sur la nécessité de sou-
tenir les endeuillés par suicide en se montrant plus pro actifs que dans d’autres situations de deuil ; mais
les éléments manquent pour indiquer les formes à donner à ce soutien et plus encore pour déterminer les
formes qu’il ne doit pas prendre, au point qu’elles devraient être refusées à une personne qui en ferait la
demande spécifique.
Les choses sont plus claires en ce qui concerne les traitements antidépresseurs qui sont indiqués devant
un épisode dépressif majeur consécutif au deuil après suicide au même titre qu’il l’est dans les autres
épisodes dépressifs analogues. Il semble même que cette indication puisse être étendue aux deuils compli-
qués même en l’absence de dépression associés.

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Question 3 : Les évolutions de la Postvention

L’ultime Prévention ?
Professeur Jean-Pierre SOUBRIER

En hommage à Edwin SHNEIDMAN (1917-2009).

La suicidologie souffre peut-être d’un manque de consensus dans les définitions, à commencer par celle du
suicide. (7)

Le terme de « postvention » a tout d’abord été proposé dans les années 60 comme une étape à la prévention
du suicide. Ceci afin de s’écarter des trois étapes connues de prévention en santé publique : primaire, secon-
daire et tertiaire. C’est ainsi que la prévention du suicide fut catégorisée par : prévention du suicide avant
l’acte, intervention en cas de crise, et postvention prévention de la récidive suicidaire.
S’adressant ainsi aux survivants rescapés de leurs tentatives de suicide.
Ceci me rappela la remarque de mon maître Henri Gallot de l’Infirmerie psychiatrique :
« Après une tentative de suicide rien est fini, tout commence…. ».
Remarque que j’ai eu à compléter au cours de ma carrière en suicidologie, où tout au moins devrait commencer.
En fait, pour le terme de postvention il existe une définition officielle proposée par l’autorité de santé des
États-Unis : « Stratégie ou mise en place dès la survenue d’une crise ou de tout événement traumatique. » (9)
Edwin Shneidman, vers les années 1969-1970, de son bureau du Centre d’études sur le suicide et sa préven-
tion, de l’Institut d’hygiène mentale de Washington, nous proposa le terme de postvention du suicide pour le
soutien de l’entourage des suicidés.
En 1973 dans un chapitre intitulé « Postvention and survivors victims » on peut lire la remarque historique : « La
postvention peut être envisagée comme la prévention pour la prochaine décade ou pour la prochaine génération ». (5)
A la même époque, Norman Farberow, le co-fondateur du Centre de prévention du suicide de Los Angeles étant
sur place, mettait progressivement un groupe de soutien pour l’entourage des suicidés. Il mentionna comme nous
mêmes que le terme de « suicide survivors » pouvait aussi bien s’appliquer aux survivants d’une tentative de suicide
ainsi qu’à ceux morts par suicide. Mais finalement le terme de postvention du suicide ne s’appliquera uniquement
qu’au soutien et à l’approche de ce que nous appelons aujourd’hui « ceux qui restent ». (6)
Il faut cependant rappeler pour bien comprendre cette évolution que la postvention du suicide est une consé-
quence directe de la pratique de l’Autopsie Psychologique. (6)
Il est fondamental de rappeler- une fois pour toute - sa définition (6).
Il s’agit d’une « investigation ou étude des circonstances qui ont conduit à la mort d’une personne », dont le
suicide pourrait être une possibilité.
Cette pratique a été inaugurée à la fin des années 50 par les Trois Mousquetaires du centre de Prévention du
Suicide : Norman Farberow, Robert Litman et Edwin Shneidman, dont le quatrième était Theodore Curphey,
médecin légiste avec autorité judiciaire du Comté de Los Angeles, Californie.
Cette pratique est très répandue aux États-Unis. Récemment il apparut nécessaire à l’Association Améri-
caine de Suicidologie de constituer un groupe de travail intitulé « Forensic suicidology », c’est-à-dire suicido-
logie médico-légale, dont je suis membre, afin de déterminer les capacités et la qualification réglementaire
pour ces pratiques. Ceci fut présenté à la dernière réunion de San Francisco en avril 2009.
Dans une interview de 2008 publiée par Newslink, Bulletin de l’Association américaine : Norman Farberow
expliqua très bien l’évolution de la postvention. Il signale les difficultés rencontrées dans les premiers temps. Tout
d’abord concernant le titre du programme « Survivors suicide ou Suicide survivors » pouvant s’appliquer aux ten-
tatives de suicide comme je l’ai évoqué dans supra. Le titre final retenu fut donc « Survivors after suicides ». Dans
une première période du début 70, l’offre de soutien de l’entourage ne donnait pas de résultats satisfaisants. Il fut
interrompu pendant quelques années. (2)
L’explication fut je cite « Nous avions offert une thérapie comme si l’entourage n’était fait que de patients ce
qu’ils n’acceptèrent pas ». Vers 1971, le programme fut repris après la réflexion suivante : « Il s’agissait de
personnes souffrant d’un stress émotionnel majeur dans la perte d’un être cher, ne nécessitant aucun jugement,
mais de partager les sentiments avec d’autres d’une même souffrance ». (Adélaïde, Australie)
Il faut donc également rendre hommage à Norman Farberow, praticien de la postvention du suicide. C’est
pourquoi, alors que Président de l’Association Internationale pour la Prévention du Suicide (IASP), j’ai dé-
cidé, proposé et remis pour la première fois en 1997, le prix Norman Farberow récompensant les travaux en
postvention du suicide.
C’est d’ailleurs à cette époque qu’avec l’IASP, nous avons sollicité une rencontre avec l’Organisation
Mondiale de la Santé. Nous avons progressivement travaillé sur le Programme SUPRE, contenant la pu-
blication de monographies, indications pour la prévention du suicide s’adressant à différentes catégories
professionnelles et pour la première fois une brochure intitulée en français « Indications pour la mise en
place d’un groupe de soutien à ceux qui restent ». (4 a)
Cet intitulé étant la reprise du thème de la 27ème Réunion du Groupement d’étude et de prévention du suicide
(GEPS) en 1995. (6)
Actuellement il existe de nombreux programmes de soutien spécifiques et de nombreux travaux sur le
thème. Ils sont en majorité, mais non exclusivement, tous anglophones. Il ne faut pas oublier l’Europe avec
les pays nordiques, la Belgique et la France, et le Québec.
Aux États-Unis, l’accent est mis sur la perte d’un être cher et la lutte contre le stigma du suicide et de sa
prévention : il est possible qu’il soit insuffisant d’insister sur la perte d’un être aimé, ceci pouvant paraître
incomplet, comme nous pouvons le constater dans une pratique clinique et thérapeutique. (10)
Peut-être aussi que la souffrance de l’entourage, risque de suicide inclus, n’est pas assez mentionné. En cela,
la réunion d’aujourd’hui apparaît encore plus importante.
Quoiqu’il en soit, ainsi que l’écrit David Jobes et collaborateurs : « Nous sommes témoins de l’extraordinaire
évolution de la postvention contemporaine du suicide » (3)
En avril 2009, à la réunion de San Francisco mentionnée, eut lieu une table ronde internationale et anglo-
phone (USA, Canada, Australie, Irlande) réunissant des représentants d’associations de soutien. Leur pré-
sentation m’a paru un peu trop optimiste avec un discours un peu ludique. Aucun des panélistes n’a répondu
à la question de l’existence ou de la fréquence ou non, de tentative de suicide ou de mort par suicide surve-
nant dans l’entourage.

La littérature actuelle évoque peu cette question. Le drame semble exister, mais il y est peut-être méconnu. Par-
fois, ce sont les médias qu nous en informent. Je peux citer le suicide de Mme Quillot, survivante de la tentative
de suicide à deux dans laquelle son mari est décédé. Elle aurait déclaré : « Je ne savais pas avoir autant d’amour
autour de moi » ; elle se suicidera deux ans plus tard. On peut également citer les suicides de l’actrices Jean
Seberg, puis à distance de son ex-époux l’écrivain Romain Gary. Mais ceci paraît plus complexe.
Et puis, il faut l’admettre, nous manquons le plus souvent d’informations précises.
C’est pourquoi, il faut une fois de plus insister sur l’importance de l’Autopsie Psychologique.

Avant de conclure, il conviendrait de faire savoir que la postvention du suicide ne saurait être limitée au
soutien de l’entourage proche.
Il s’agit d’une mesure d’urgence de prévention à tous niveaux, pour toutes tentatives de suicide et de morts
par suicide, nécessitant une réflexion sur l’événement et une action. Ceci peut et doit concerner toutes les
institutions, les médias, les pouvoirs publics, quelques soient les lieux de la scène. En cela la discussion pour-
rait alors se porter sur les phénomènes de contagiosité et d’imitation du suicide.
A titre d’exemple je citerai la postvention en milieu scolaire qui bénéficie de programmes dont les modèles
suédois et américains semblent les meilleurs.
Nous avons à l’OMS publié également une monographie sur cette question. (4b)

En 2000, lors de ma communication de la conférence de consensus j’avais signalé la réaction collective et


positive, donc préventive, qui avait suivi le suicide du jeune chanteur Kurt Cobain.(8)
La centralisation dans un observatoire spécifique de toutes informations concernant des suicides survenant
dans une collectivité ou ailleurs devrait être envisagée ; et à considérer comme une postvention publique.
La société doit également savoir…
En conclusion, un grand chemin a été parcouru et nous avons beaucoup appris des pionniers de la postven-
tion, Norman Farberow et Edwin Shneidman.
Edwin Shneidman est décédé fin de cette année et j’ai souhaité lui rendre hommage ; je citerai une autre
remarque de 1973 : « La mort par suicide n’est pas seulement une fin. C’est un début pour celui qui reste. »
Voilà pourquoi j’ai intitulé cette communication :
Postvention du suicide, l’ultime prévention ?
Bibliographie :

1-HANUS Michel . Le deuil après suicide. Édition Maloine, 2004

2-FARBEROW N. Recollections of the History of the Survivors mouvement. American Association of suicidology.
Summer 2008. pp 5-6

3-JOBES D. et collaborateurs. In the wake of suicide survivorship and postvention suicidology. In Comprehen-
sive textbook of suicidology. MARIS R., BERMAN A., SILVERMAN M. ( Chap. 22 ). Ed. Guilford Press.
2002. pp 536-560

4-Organisation Mondiale de la Santé


a-Deuil et suicide : indications pour la mise en place d’un groupe de soutien. Réf.
WHO.MNH.MBD06. 2000.
b-Prévention du suicide : indications pour le personnel scolaire. Réf. WHO.MNH.
MBD03. 2000.

5-SCHNEIDMAN Ed. Deaths of man. Ed. Quadrangle New-York Time Book Co. 1973. pp 33-34-31

6- S OUBRIER JP. Réflexions Postventionnelles et autopsie psychologique du suicide, in 27ème Réunion du


Groupement d’étude et de prévention du suicide – St Etienne. Après les suicide, ceux qui restent.- Journées
thématiques de Psychiatrie. N° 4. Starsup Toulouse. 1995. pp.407-409

7- SOUBRIER JP. Définition du suicide. Signification de prévention. Annales médico-psychologiques. N°8.


Vol.157. 1999. pp 526 –529

8- SOUBRIER JP. Quelles sont les circonstances de la crise suicidaire, y compris le suicide en collectivité.
Conférence de consensus. Fédération française de psychiatrie. Ed. John Libbey . Eurotext. 2001.

9- Us Dept of Health and Human services. National startegy for suicide prevention : Goals and objectives for
action. Rockville. 2001.

 asserman D. et Wasserman C. Oxford textbook on Suicidology and suicide prevention. A Global pers-
10- W
pective. Oxford University Press. 2009
Part 11. Survivors of suicide loss. Chap. 82 – 83 –84. pp 603-618
Effets et conséquences du suicide sur l’entourage :
modalités d’aide et de soutien
Docteur Didier CREMNITER

Nous examinerons les conséquences sur l’entourage du passage à l’acte suicidaire à partir de l’expérience
de terrain des Cellules d’Urgence Médico-Psychologique. (CUMP). Ceci permet tout d’abord de distinguer
deux situations essentielles lors des interventions après suicide.

Trauma psychique et implication subjective


Première situation : il s’agit de traiter le psychotraumatisme qui résulte de l’ex-
position fortuite à un passage à l’acte suicidaire. Ces personnes sont impliquées à leur insu en raison d’une
rencontre avec l’horreur que représente cette confrontation brutale au réel de la mort (1). Au moment de la
survenue de cet événement, il n’y a aucun lien préexistant entre le témoin du passage à l’acte et la victime.
Cette mauvaise rencontre va être à l’origine de symptômes typiques de psychotraumatisme, stress immédiat
plus ou moins dépassé, suivi d’un éventuel syndrome psychotraumatique. Mais à partir du moment où une
prise en charge précoce peut s’instaurer dès l’événement, la plupart des personnes exposées pourront bé-
néficier de l’écoute et du suivi qui visent à tout mettre en œuvre pour les protéger du déclenchement d’une
pathologie psychotraumatique. Elles n’échapperont pas au trauma, c’est–à-dire à l’expérience unique de
rencontre avec le réel, mais les symptômes, la souffrance vont être nettement atténués par rapport à ce qu’il
en serait en l’absence d’une prise en charge précoce.
Deuxième situation : le passage à l’acte suicidaire survient au sein d’une commu-
nauté, d’un groupe où la victime était connue, c’est-à-dire inscrite dans un lien relationnel préalable. A titre
d’exemple, nous mentionnerons les deux situations extrêmes que l’on peut rencontrer concernant la nature
de ce lien. Celui-ci peut être objet soit d’une forte proximité relationnelle et d’un investissement majeur, soit
à l’inverse caractéristique d’une conflictualité voire d’une opposition majeure et dévastatrice. Tous les degrés
intermédiaires sont possibles et caractériseront les phénomènes subjectifs exprimés par l’ensemble de ces
proches au décours du passage à l’acte suicidaire. Nous citerons l’exemple des membres d’une famille. Ceux-
ci doivent faire face à la perte brutale d’un proche : père, mari, épouse, fils. Nous pouvons également citer le
monde du travail. Dans ce cas, on pleure la perte d’un collègue. Les manifestations de souffrance que l’on
observe alors sont la conséquence du passage à l’acte dans le contexte de cette intersubjectivité traduisant le
lien antérieur particulièrement investi à l’égard de la victime.
Comme exemple d’une conflictualité ou d’un rejet maximal, nous pouvons évoquer des situations de tension
extrême, soit au sein d’une famille, soit dans le monde du travail. Le passage à l’acte prend une signification
particulièrement forte dans un tel contexte. On peut citer sur le plan familial des situations caractérisées
par un conflit de culture entre deux générations. Dans le monde professionnel, le harcèlement s’apparente à
une forme d’instrumentalisation des personnes. Dans les deux cas, il s’agit d’un sujet en rupture. Au lieu de
bénéficier d’une communauté relationnelle qui maintient un lien et une cohésion sociales, c’est une relation
de destruction faite de violence et de menaces qui s’installe. Mais en fin de compte, même s’il y a eu de telles
marques de rejet lors du déclenchement du passage à l’acte, les réactions de l’environnement restent caracté-
risées par l’expression de la perte et de l’attachement antérieur.
A l’inverse de ces suicides marqués par une empreinte et une signification si lourde de sens, il arrive dans
d’autres cas, que le passage à l’acte touche la communauté de façon particulièrement fortuite et tout à fait
inattendue. Les réactions de l’entourage sont alors le reflet de ce vide, de cette absence d’explication. Le pas-
sage à l’acte se traduit par un non-sens (2) et c’est cette problématique qui, dans un premier temps va carac-
tériser le vécu du groupe, ses interrogations sous la forme d’une recherche du sens.
Ce qui est alors essentiel dans le contexte de l’intervention précoce mise en place par la CUMP, c’est de
permettre de clarifier et de démêler les diverses composantes du vécu qui se construit chez les uns et chez
les autres. Eclairer leur questionnement en réaction au passage à l’acte, préciser la nature du lien et la place
qu’ils occupaient pour la victime paraissent deux des objectifs essentiels dans les suites immédiates de
l’événement. Savoir extraire une problématique entre ces deux extrêmes que sont le « trop de sens » ou le
« non sens » entourant le passage à l’acte, constitue l’un des exemples de cet exercice essentiel qui caractérise
l’intervention psychothérapique précoce.
Dans certaines circonstances, les deux mécanismes psychopathologiques décrits vont intervenir :
1) le suicide touche une personne préalablement connue et investie au sein d’un groupe, d’une
communauté.
2) le passage à l’acte se produit au contact de ces personnes avec les conséquences traumatiques pré-
cédemment décrites. Il faudra prendre en compte d’une part les manifestations symptomatiques
liées au trauma pour ceux qui ont été touchés par l’impact et d’autre part les réactions psychopa-
thologiques liées à la perte brutale d’un proche.

La mise en place du débriefing psychologique et l’action sur l’entourage proche de la victime.


L’exemple particulier des jeunes
Nous évoquerons dans un premier temps les suicides et conduites suicidaires de jeunes, voire d’enfants à partir de
notre expérience des interventions en milieu scolaire. Dans cette phase des premiers jours qui suivent le passage à
l’acte, le partage que nous avons évoqué entre survenue du suicide soit sur les lieux, soit à distance, le plus sou-
vent au domicile, est essentiel. Les notions précédemment rappelées se vérifient : nécessité d’une prise en charge
immédiate des manifestations d’ordre traumatique qui résultent de la confrontation directe au passage à l’acte et
traitement des manifestations subjectives associées à cette perte. On l’observe de façon constante dans les établis-
sements scolaires où un tel drame est survenu en présence des autres : les impliqués directs requièrent une prise en
charge immédiate afin d’atténuer les manifestations parfois très envahissantes du stress aigu avec son cortège de
manifestations évoquant des phénomènes dissociatifs. Ils doivent ensuite bénéficier d’une écoute plus approfondie
par rapport au trauma vécu. C’est ce que peuvent apporter les groupes de débriefing psychologique ou les prises en
charge individuelles sous forme de psychothérapies précoces, débriefings individuels.
Une particularité essentielle est qu’elles doivent être menées sur place à proximité du lieu sur lequel s’est produit
le passage à l’acte suicidaire. Cette règle se vérifie : lorsque le phénomène psychopathologique se déclenche en
rapport avec la survenue d’un événement extérieur à la réalité psychique du sujet, ce lieu est alors investi en tant
qu’espace psychique d’appartenance au sujet. La référence à cette dimension spatiale incluse dans l’espace psychi-
que se vérifie du fait que toutes les offres de prise en charge précoces de ces traumatisés, dans un lieu qui ne soit
pas à proximité de l’événement, comme par exemple à l’hôpital, sont refusées par ce patient. Ce lieu ne représente
rien pour lui et ne peut être investi comme lieu de soin. Les phénomènes transférentiels immédiats qui sont les
ressorts indispensables et fondamentaux sur lesquels construire ces premières approches s’appuient sur la notion
de savoir supposé (3). Pour être crédible, et réceptif à l’écoute de la souffrance, le thérapeute devra s’appuyer sur la
référence à cet espace matériel devenu le support des signifiants fondamentaux qui représentent le sujet.
Venons en maintenant à l’action thérapeutique qu’il convient de mettre sur pied pour les autres phénomè-
nes psychopathologiques, à savoir les phénomènes subjectifs liés à la connaissance, aux liens antérieurs qui
soutenaient la relation à la victime.
Dans ce cas, un travail précoce doit être également mis sur pied. Il est fondamental pour enrayer une forme
de prise en masse, de solidification de certains signifiants, ceux qui représentaient ce lien à la victime dans
la conjoncture du passage à l’acte. Ce travail thérapeutique vise à briser ce blocage et à déconstruire toutes
les productions imaginaires autour du noyau figé de la pulsion de mort. Il doit permettre de restaurer une
fluidité, une circulation dans le jeu des signifiants, de manière à atténuer cette référence mortifère, celle qui
est apparue à l’œuvre dans le passage à l’acte.
Même si les proches ont été, à ce moment, pris au piège de ce triomphe momentané du réel, l’élaboration qui
est à construire au décours de ce suicide, doit s’orienter vers une dialectique autre que celle de la pulsion de
mort. Elle vise à reléguer ce réel, un momentau premier plan, à sa place habituelle, c’est-à-dire recouverte
par le symbolique. Celui-ci permet la reprise des lois de la parole et du langage et permet aux fantasmes, à
l’imaginaire de retrouver son espace.
Pour schématiser certaines orientations, nous pourrons résumer et extraire certains points qui sont les sui-
vants : dans les situations caractérisées par un suicide alimenté par un trop de sens, il s’agit de permettre à
l’entourage une mise en perspective de ces signifiants qui occupent le devant de la scène au point de ne plus
rien apercevoir de ce qu’il en était de ce sujet. Restaurer celui-ci à partir d’une remise à plat des conjonctu-
res qui ont entouré le passage à l’acte représente un travail psychique et thérapeutique indispensable. Il a sa
place aussi bien au sein d’une famille que dans une entreprise tout comme au sein d’une communauté spé-
cifique quelle qu’elle soit. L’important est de rassembler l’ensemble des acteurs qui se sont trouvés interpellés
par cette issue fatale. Il faut alors parvenir à démêler les coordonnées de cette histoire qui s’est écrite pour le
sujet afin qu’elle se retrouve non plus figée dans le processus pulsionnel, mais au contraire à nouveau vivan-
te, problématisée dans le récit, l’histoire qui devient une parmi d’autres. Chacune se construit pour chacun
des sujets, des protagonistes qui ont été interpellés par la victime. Chacun va alors se réapproprier ce lien à la
victime dans une dynamique, non plus mortifère mais de parole, d’échange réhumanisé.

Remarques conclusives . L’adolescent symptôme d’une nouvelle clinique


On serait tenté de proposer les mêmes principes lorsque ce qui entoure le passage à l’acte suicidaire est mar-
qué du sceau du non sens, de la béance. L’inattendu et la surprise qui entourent le passage à l’acte soulèvent
d’ailleurs la question cruciale de la prédiction de l’acte suicidaire et donc sa possible prévention. Ici, le recours
à une clinique particulièrement affinée et précise s’impose. C’est elle que nous allons mettre au jour au terme
d’une analyse systématique de la psychopathologie du suicidant. Nous serions tentés de choisir l’exemple des
adolescents. La clinique que nous observons chez eux est décalée dans le temps : elle ne cesse de rajeunir. La
mélancolie, la paranoïa que l’on décrivait classiquement chez l’adulte envahit bel et bien le jeune, l’adolescent
et maintenant l’enfant, sous des formes que nous avons du mal à nous représenter. Tout simplement parce que
ces jeunes, eux, ne cessent de vieillir prématurément pour précisément s’approprier les formes de destruction
psychique qui caractérisaient jusque là la symptomatologie observée chez leurs aînés. C’est le prix à payer pour
répondre aux formes de violence aujourd’hui déployées dans nos sociétés. Celles-ci résultent d’une exclusion
progressive de toute humanité dans ce qui régit les rapports interhumains. La place des objets procurés par le
progrès scientifique facilite sans doute ces penchants funestes. Il existe une facilitation de ces mécanismes qui
se comprend de la façon suivante : l’accélération, le décuplement des moyens, ceux qui donnent accès aux objets
de satisfaction et qui sont alloués aux êtres parlants permettent aujourd’hui des performances par rapport à
ce qu’il en était il y a encore peu. La tentation est alors forte, à tous les niveaux de notre organisation sociale,
de négliger le lien de parole et de laisser le champ libre à ces mécanismes de destruction. Le monde qui illustre
cette orientation néfaste ne croit plus qu’à cette volonté non refreinée de céder avec davantage de facilité aux
formes jusque là limitées de jouissance.
Car la réalité du passage à l’acte suicidaire démontre que dans cet univers, il n’y a plus d’espace pour ceux
qui, auparavant bénéficiaient de ce support du symbolique, c’est-à-dire d’un tissu de lien social suffisamment
consistant pour les préserver de cette dérive mortifère. Aujourd’hui, cette protection des plus exposés, des
plus menacés devient trop précaire. Bien au contraire, la recherche du profit, du bien–être, de l’accès à des
formes inespérées de satisfaction devient prioritaire.

Pour résumer, nous ne pouvons, encore davantage qu’auparavant, faire l’économie d’une clinique affinée,
édifiée sur des conceptions psychopathologiques permettant de saisir les éléments cliniques d’une prédis-
position au passage à l’acte suicidaire tels que l’on peut les repérer dans les états de défaillance psychique
qui ont pour nom : fragilité symbolique, état limite, pré psychose, psychose ordinaire (4). Car l’expérience
montre que cette clinique repérée par certains de nos maîtres, qui était auparavant marquée du sceau de la
rareté, devient aujourd’hui beaucoup plus actuelle, à mesure que les conditions de vie c’est-à-dire d’appau-
vrissement du symbolique, dévoilent cette pathologie auparavant peu fréquente, tout simplement parce que
colmatée par le confort, les normes d’humanité qui caractérisaient nos sociétés avant ces dérives actuelles.

Références

1.- Lebigot F La névrose traumatique, la mort réelle et la faute originelle .. Ann Med Psychol 1997 ; 155, 8 : 522-6
2. Cremniter D. Sens et non-sens de l’acte suicidaire. 38èmes Journées du GEPS, Dijon 21-23 septembre 2006,
La crise suicidaire.
3. Lacan J. Le transfert, le Séminaire livre VIII ed Seuil, Paris 1991.
4. Psychoses ordinaire. La converntion d’Antibes. Agalma Le Seuil 2005
Dans les établissements d’enseignement, les nombreux
protocoles sont-ils dans l’ensemble concordants?
Ont-ils déja été utilisés sur le terrain? Et évalués
apres coup?
Docteur Anne ALLEMANDOU

J’interviens dans ce colloque en tant que Médecin de secteur de l’Education Nationale ce qui implique que je
suis fonctionnaire du Ministère de l’Education Nationale chargée d’appliquer les missions que l’Etat me don-
ne au sein de 7 établissements secondaires de l’Académie de Paris. Je dois préciser que les secteurs d’activité
couvrent aussi les écoles élémentaires et les Grande Section de Maternelle dans la majorité des départements.
Les questions auxquelles il m’était demandé de répondre dans ce colloque concernent : « l’Etat des lieux sur
les interventions de soutien proposées dans les établissements d’enseignement, les nombreux protocoles sont-ils
dans l’ensemble concordants? Ont-ils déjà été utilisés sur le terrain? Et évalués après coup? »
Je crois utile de vous rappeler, dans un premier temps, ce qu’est le cadre scolaire qui constitue notre quoti-
dien, je vous présenterai ensuite le bilan de l’enquête menée sur les protocoles.

Cadre scolaire :
En tant qu’institution, l’Education nationale est régie par des textes officiels : elle doit s’y conformer. Pour le
sujet qui nous intéresse, les textes donnant obligation d’intervenir dans les établissements scolaires ont été
rédigés successivement dans l’objectif de création de centres ressources en cas d’intervention, et ce, par une
convention signée avec les INAVEM ( Institut national d’aide aux victimes et de médiation). Cette disposi-
tion figure dans une circulaire concernant la « Lutte contre les violences scolaires ». S’y adjoint la définition
de nos missions, nous, Médecins de l’Education Nationale qui devons, je cite encore : « Mettre en place des
dispositifs adaptés en cas d’événement grave survenant dans la communauté scolaire ». Des conventions
signées au niveau départemental avec les cellules d’urgence médico-psychologique dépendant des services
départementaux d’urgence en scellent les protocoles.
Il est donc à constater que les interventions en cas de suicide de jeune ou d’adulte, à l’intérieur dans ou hors
de l’établissement scolaire sont incluses dans la gestion plus générale d’évènements graves ou traumatisants
survenant à l’Ecole.

Il me semble utile de vous préciser les particularités de l’environnement scolaire : le public est composé de
jeunes et d’adultes, toutes les classes sociales, tous les niveaux scolaires d’adultes y sont représentés de l’agent
de service au professeur agrégé. L’âge des élèves va de 2 à 20 ans avec, par conséquent, une grande disparité
de développement physique et psychique. Le travail d’apprentissage des jeunes les amène à se mettre en si-
tuation de prise de risque auprès d’adultes non choisis. L’école est pour eux un lieu de socialisation extrême :
entre élèves, avec des adultes, dans des relations de groupe ou individuelles mais toujours dans un contexte
très codifié ou hiérarchisé. C’est le principe de « L’Ecole républicaine » qui, certes, est censé développer
l’égalité sur le mode du brassage mais, à ce louable objectif, il y a un corollaire : celui d’une expérience très
diffuse de la contrainte plus ou bien acceptée selon les situations.
Il ne faut pas omettre la notion « d’obligation scolaire » qui concerne tous les jeunes jusqu’à 16 ans quelque
soit le parcours d’orientation : celui de la réussite comme celui de l’échec. La place des parents est moins
permanente que celle des enseignants mais leur rôle auprès des élèves et des adultes participe au climat de
l’établissement.
“ Le cadre institutionnel scolaire assigne à chacun une place, un rôle et des fonctions définies spécifiquement.
L’espace scolaire participe à un sentiment d’appartenance renforcé par un langage commun, des valeurs et des
règles propres qui constituent une “base interne de sécurité individuelle”.” (H Romano)

Etude des protocoles :

L’enquête :
Il y a une Inspection académique par département donc 95 en métropole. J’ai interrogé par mail et par télé-
phone 32 Médecins conseillers techniques des Inspecteurs d’Académie sur l’existence de protocoles définis
ou non, en choisissant un département par région.
J’ai obtenu 28 réponses, 18 départements avaient des protocoles écrits, 16 confrères me les ont transmis.
Dans 10 inspections académiques les interventions se font sans cadre rédigé.

Définition d’une situation de crise :


La trame recueillie se retrouve dans la définition donnée par Hélène Romano : « Nous entendons par crise
un temps de rupture soudain et violent marqué par une situation aiguë, débordant les capacités de régula-
tion habituelle de l’institution et ayant des conséquences importantes plus ou moins durable sur l’institution
comme sur les personnes impliquées dans cet événement. » La situation de suicide participe à cette défini-
tion et va donc déclencher la mise en oeuvre d’actions particulières.

La mise en oeuvre : schéma 1


Les évènements intervenant en milieu scolaire sont immédiatement transmis aux autorités académiques.
Dans la majorité des cas, l’Inspecteur d’Académie en informe ses services médico-sociaux conseillers tech-
niques et ce sont eux qui évaluent la situation auprès du Directeur d’école (avec le soutien de l’IEN (Inspec-
teur de l’Education Nationale),dans le premier degré) ou directement auprès du chef d’établissement pour le
second degré.
La décision d’intervention est guidée par l’évaluation de la situation réelle mais aussi par le ressenti et l’im-
pact de « l’évènement » - quel qu’il soit- sur la collectivité scolaire (adultes et élèves).

Personnes mobilisées :
Dans tous les cas, l’équipe de terrain intervient. Elle se compose comme suit:
-D
 ans le premier degré (enseignement élémentaire et pré-élémentaire) : le directeur d’école avec
l’appui de l’IEN, l’infirmière scolaire, le médecin scolaire, le psychologue scolaire.
- Dans le second degré (collège et lycée) : le chef d’établissement, le CPE (conseiller principal d’éduca-
tion), l’infirmière scolaire, le médecin scolaire, l’assistant social scolaire, le conseiller d’orientation psychologue.
Le responsable d’établissement (directeur d’école ou chef d’établissement) doit référer régulièrement à sa
hiérarchie de l’évolution de la situation et des actions mises en place dont il est chargé de la coordination.
Dans certaines inspections académiques, une ou plusieurs équipes ressources sont constituées, elles vont
agir en soutien des équipes de terrain. Dans celle de Paris, pour le secondaire, par exemple, elles sont 4 et se
composent d’un chef d’établissement, d’une infirmière scolaire, d’un médecin scolaire, d’une assistante so-
ciale scolaire, d’un conseiller d’orientation psychologue, d’un CPE. Ces équipes non impliquées directement
par l’évènement ont plus de distance avec le ressenti et permettent de protéger les équipes intervenantes du
terrain dont l’implication dans l’évènement est plus importante et donc fragilisante.
Selon la gravité et l’impact de l’évènement il peut être fait appel à la cellule d’urgence médico-psychologique
du Samu qui interviendra elle aussi en soutien, quand elle n’intervient pas directement à la demande du
service médical du Samu.
Lorsqu’une cellule de crise se met en place elle doit désigner un coordonnateur qui sera l’interlocuteur préfé-
rentiel auprès du responsable d’établissement et transmettra les bilans intermédiaires et finaux d’action.

Le protocole :
16 inspections académiques ont rédigé un protocole. Pour une, le protocole est inclus dans celui de la gestion
de la violence à l’école. Pour les autres, le protocole est construit pour répondre à un événement grave et/ou
traumatisant sans spécification du fait que ce soit un suicide.
Pour 6 de ces 16 inspections académiques, des fiches descriptives sont proposées sous forme de « marche à suivre »
et de document modèle à utiliser pour l’établissement, l’annonce de l’évènement, le contact avec les familles.
7 inspections académiques sur 16 utilisent un groupe ressource académique constitué des conseillers techniques
de l’IA.
Pour 4 un groupe ressource spécifique a été créé.

Contenu du protocole : schéma 2


Les protocoles écrits sont tous ou presque construits sur lemême schéma. L’objectif des interventions est
de permettre à l’institution scolaire de retrouver une fonctionnalité minimale en limitant les facteurs de
déliaison (conflits, mauvaise communication, rumeur) et de réaliser des activités d’accompagnement de la
communauté scolaire pour réduire les effets négatifs d’un événement traumatisant. Il s’agit de verbaliser
l’évènement en termes de vécu. Si une intervention psychothérapeutique devait avoir lieu, elle se ferait à
l’extérieur de l’institution et par les professionnels compétents (CMP, CMPP...).
On retrouve dans le schéma les différents niveaux d’intervention dans la hiérarchie et dans le temps, en
priorité soutenir les adultes pour qu’ils puissent en second temps assurer leur place d’adulte contenant et
sécurisant pour les élèves.
Tout d’abord, au cours d’un entretien avec le responsable de l’établissement. Un double objectif permet d’ar-
ticuler l’entretien : l’écoute attentive et l’évaluation de la situation :circonstances de l’événement ,sources des
informations(police, justice, hôpital…), cursus scolaire de la (des) victime(s), groupe d’amis, relations avec
des adultes de la communauté... La première prise de contact avec le responsable d’établissement par des
personnels de l’Institution aidera à renforcer le sentiment d’appartenance à la même “maison” et évitera le
sentiment d’isolement. Elle aura pour but l’écoute et l’aide à l’évaluation puis une aide à l’organisation.
Suit une rencontre avec l’équipe élargie de direction (responsables d’établissement, intendant, CPE) asso-
ciée à l’équipe médico-socio-psychologique de terrain, elle permettra d’organiser matériellement la mise en
oeuvre de l’intervention et d’en arrêter clairement le cadre:
- Définir les informations à transmettre aux adultes, que sait-on, que transmet-on, aux élèves et aux familles
(parfois un message est rédigé pour assurer ce qui sera transmis)
- Qui fera l’annonce en classe (le plus souvent une personne de l’équipe de direction avec l’enseignant ou une
personne de l’équipe MSP de terrain)? Auprès de quelles classes? Sous quelle forme permet-on aux élèves
qui le souhaitent de se manifester vis- à- vis de la victime (livre d’or, dessin, écrits) quel adulte de l’établis-
sement en aura la garde?
- Quelles sont les personnes de la cellule qui accueilleront les adultes, les élèves, individuellement ou en petit
groupe, dans quels lieux, sur quelles tranches horaires, pour en informer les adultes puis les élèves. (Identi-
fication des lieux par affichage), (mise en place d’un planning de présence)
- Qui prend en charge les élèves qui refusent de retourner en cours ? Dans quel lieu? Quel cadrage pour
ceux-ci ?
- Prévenir les familles, lesquelles, comment, quel contenu du message? (Proposer une réunion ou non, assurer
une permanence téléphonique). La famille et les proches du défunt sont pris en charge par des services exté-
rieurs mais le responsable de l’établissement fera le lien avec la famille pour l’assurer de sa sympathie, et lui
demandera quelle information elle souhaite que l’on transmette (cause du décès, circonstances, obsèques).
Les familles des élèves déjà identifiés comme “à risques” (pathologie ou difficulté préexistantes) par l’équipe
MSP de terrain pourront être jointes individuellement.
La communication avec les médias, si elle a lieu, se fera sous le contrôle des services académiques.

L’action suivante consistera à fixer le cadre avec les adultes, soit une réunion des adultes de la communauté
scolaire autour du chef d’établissement avec le soutien des membres de la cellule de crise : avant toute infor-
mation des élèves, pour présenter la cellule de crise et la mettre à disposition des adultes comme des élèves,
pour échanger à partir d’éléments concrets apportés par tous sur l’événement ainsi que sur l’environnement
scolaire, pour que les adultes aient toutes les données factuelles pour pouvoir aborder le sujet en classe, pour
répondre à leurs questions.
Le chef d’établissement repère les personnels les plus en difficulté et leur propose l’aide de la cellule de crise,
veille à informer les personnels absents,en fonction de la gravité des événements, fait reporter les évaluations
scolaires, les notations prévues.
Des rencontres des adultes et des membres de la cellule de crise sont proposées à la demande à des moments
parfois informels (paroles libres à la récréation par exemple)
Il s’agit de permettre aux adultes de garder leur place et leur fonction avant d’intervenir auprès des élèves.
La reprise des cours avec leur contenu aménagé est proposée rapidement, elle aidera chacun (enseignants et
élèves) à reprendre sa place et à dévier la pensée de l’évènement traumatisant. Si un élève souhaite se rendre
auprès de la cellule il doit être accompagné.
Interventions auprès des élèves : annonce de l’évènement, repérage des élèves extériorisant le plus de diffi-
culté, information sur la cellule d’écoute.

Un point quotidien est prévu avec le responsable d’établissement pour analyser les réactions de la journée et
définir la suite à donner. Ce protocole est maintenu le plus souvent jusqu’aux obsèques du défunt en plus ou
moins grande ampleur.
Selon le désir de la famille, l’établissement scolaire sera présent ou non à la cérémonie. La date et le lieu se-
ront transmis aux élèves et aux adultes. Deux options sont proposées selon les établissements : soit les élèves
s’y rendent individuellement sous la responsabilité de leurs parents, soit ils y sont accompagnés par l’établis-
sement. A aucun moment, il n’y a de contrainte d’y assister. Les membres de la Cellule sont présents ce jour
là pour le retour dans l’école.
Une réunion de bilan sera organisée avec l’équipe de direction élargie et le contenu sera transmis aux autorités.
L’arrêt de l’application du protocole correspond à ce moment-là mais un contact est maintenu entre le coor-
donnateur et le responsable d’établissement pour un bilan possible et une éventuelle reprise à moyen terme.
La proposition d’une rencontre avec les adultes de l’établissement dans le mois qui suit est souvent offerte
mais pas toujours acceptée par crainte de relancer la sensibilisation du personnel et des élèves. Elle permet-
trait cependant de repérer et soutenir les personnes restant en difficulté face à cet évènement.

Application des protocoles :


Lorsqu’il est rédigé (16 inspections académiques sur 32) le protocole est appliqué. En cas d’absence de pro-
tocole écrit, une intervention a lieu sans cadrage précis et décidée au cas par cas. L’existence d’un protocole
écrit oblige une sensibilisation du personnel, au mieux une formation spécifique. Elle n’est pas systématique
dans les inspectons académiques interrogées qui ne l’ont pas rédigé.

Evaluation:
Dans aucune des inspections académiques interrogées il n’y a eu d’évaluation formelle de l’utilisation des
protocoles.

Conclusion :
Donc, les interventions de soutien sur l’entourage proposées dans les établissements d’enseignement en cas de
suicide s’inscrivent dans le cadre plus général d’intervention en cas d’évènement grave et/ou traumatisant.
Quand un protocole d’intervention est formalisé, il est appliqué. Son existence oblige au moins à une sen-
sibilisation au mieux à une formation des personnels concernés. Elle participe aussi à la “postvention” telle
qu’elle est définie dans l’analyse de la documentation qui nous a été fournie.
En cas d’absence de protocole, la sensibilisation/formation n’est pas obligatoirement assurée, la gestion du
retentissement des évènements est alors empirique mais elle existe, et peut mettre à mal les professionnels de
terrain qui interviennent en les laissant face à une difficulté affectant une communauté avec laquelle ils ont
des liens de proximité professionnelle.
Cette étude me permet de conclure, malgré l’absence d’évaluation formelle, à la nécessité d’une générali-
sation d’un protocole d’intervention en établissement d’enseignement en cas de suicide même s’il recouvre
un cadre plus général d’évènement grave et/ou traumatisant. Il s’agit d’un précieux outil qui permet de
professionnaliser nos interventions qui, certes, peuvent nécessiter des adaptations selon le terrain, mais qui,
de toute évidence est la condition d’une « réparation » plus rapide et efficace pour tout l’environnement, la
condition également de la reprise de l’activité scolaire fondée sur un essentiel principe de continuité.

Schéma 1

Evènement grave et/ou traumatisant

Directeur d'Ecole

Chef
d'Etablisement

IEN

INSPECTEUR
D'ACADEMIE

Equipe de terrain Equipe de terrain


élémentaire secondaire

Cellule de crise
Schéma 2
Rencontre avec le chef d’établissement :
- quel événement (contrôler)?
- quel ressenti de l’impact possible sur la communauté éducative?
- comment intervenir?

Réunion équipe de direction élargie associée à l’équipe de terrain :


- organiser la mise en œuvre
- arrêter le cadre de l’intervention
- communication avec les familles
- accompagnement des élèves pour reprendre une activité normale

Rencontre avec les adultes de la communauté éducative :


- quel événement : définition du message à transmettre
- quel ressenti?
- quelles questions ou quelles réponses possibles?
- organisation de la cellule d’écoute

Rencontre avec les élèves :


- annonce aux élèves
- cellule d’écoute à disposition
- repérage des fragiles
Annexe

Textes officiels :
Arrêté du 28 mai 1997 portant création d’un comité national de l’urgence médico-psychologique en cas de
catastrophe NOR: TASP9721924A
Arrêté du 17 mars 2006 portant création d’un Comité national de l’urgence médico-psychologique en cas de
catastrophe NOR : SANC0621980A
circulaire n° 97-175 du 26 août 1997 relative à la mise en place des centres ressources
circulaire n° 99-034 du 9 mars 1999 relative à la convention nationale signée dans 14 départements avec
l’Institut national d’aide aux victimes et de médiation (INAVEM))
circulaire N°2001-044 du 22-3-2001: Lutte contre les violences scolaires
Bulletin Officiel du ministère de l’Education Nationale et du ministère de la Recherche :Spécial N°1 du 25
janvier 2001, Politique de santé en faveur des élèves
Circulaire n° 2001-012 du 12-1-2001 : Orientations générales pour la politique de santé en faveur des élèves
Circulaire n° 2001-013 du 12-1-2001 : Missions des médecins de l’Education nationale

Bibliographie :
Revue enfance Majuscule n°92. Janvier-février 2007 : “L’institution scolaire face à la gestion d’évènements
traumatiques”; Hélène Romano.
Dis, c’est comment quand on est mort? : Accompagner l’enfant sur le chemin du chagrin : Hélène Romano
avec la collaboration de Thierry Baubet, préface de Marie-Rose Moro; Edition “La pensée sauvage”, collec-
tion TRAUMA ;9 avril 2009

Analyse de la littérature :
Etat des lieux sur les interventions de soutien proposées et les meilleures pratiques de soutien à proposer en
milieu scolaire, en milieu de soins et en milieu de travail : Marie-Anne Roger
Suicides en milieu carcéral: modalités d’aide et de soutien

Philippe PEYRON

Le contexte du suicide en milieu carcéral :


L’administration pénitentiaire est confrontée depuis longtemps au phénomène suicidaire en établissement pé-
nitentiaire. Mais si on ne dénombrait, jusqu’en 1984, pas plus de 60 suicides par an, à compter de 1993, ce sont
au moins 100 suicides par an qui se sont produits en milieu carcéral, sans que la population pénale ne connais-
se proportionnellement la même inflation.
Des réflexions, recommandations, préconisations et instructions ont vu le jour à compter des années 1990 et
il est intéressant de noter en particulier, dans le domaine précis qui concerne les modalités d’aide et de soutien
à l’entourage concerné, la note du 29 mai 1998,la circulaire interministérielle du 26 avril 2002 et enfin, plus
récemment les rapports « TERRA » et la commission « ALBRAND ».
Le milieu pénitentiaire est par définition un milieu d’exclusion hébergeant deux populations différentes : les
personnes détenues et les personnels avec une appartenance multi-catégorielle (personnels pénitentiaires, mé-
dicaux, enseignants, secteurs associatifs, etc….).
Un suicide qui se produit en milieu carcéral impacte donc, à un degré plus ou moins élevé l’ensemble de ces
communautés.
En premier lieu, il m’apparaît nécessaire de décrire le processus d’information et de prise en charge de la fa-
mille lors d’un suicide : cette tâche incombe au Chef d’Etablissement concerné qui doit prévenir « immédiate-
ment » la famille aux termes de l’article D427 du code de procédure.
Dans les faits, les Chefs d’Etablissements portent une attention particulière à la transmission de cette informa-
tion particulièrement douloureuse , notamment par une connaissance rapide de l’environnement familial en
consultant, entre autres les différents permis de visite de l’intéressé et, suivant l’heure, en se faisant communi-
quer des éléments d’information par le service d’insertion et de probation.
Pour avoir été confronté à de très (trop) nombreuses reprises au suicide en établissement, il m’est souvent
arrivé, lors de la survenance d’un tel acte en pleine nuit, d’attendre le tout début de la matinée pour prévenir
la famille, notamment devant des parents âgés ou des membres de la famille dont on connaissait une certaine
vulnérabilité.
Mais pour mettre en place cette procédure, il est indispensable de l’adapter à chaque cas d’espèce ; De même, il
n’est pas inutile de s’entourer de personnes ressources (médecin, conseiller d’insertion et de probation, etc..) dès
la transmission de cette information.
La prise en charge de la famille nécessite la mise en place d’un certain nombre de précautions :
Tout d’abord il convient de faire adhérer la famille à l’obtention très rapide d’un entretien avec le Chef d’éta-
blissement au besoin lors d’une seconde communication téléphonique car l’impact induit par une telle annonce
génère bien évidemment un traumatisme important, laissant le plus souvent sans voix, sans réaction ou alors,
au contraire une virulence immédiate dans les propos « vous l’avez tué ! » « vous l’avez laissé mourir » du en
grande partie parce que ce que l’on peut entendre d’un établissement de soins, on ne peut pas l’entendre de la
prison, milieu suspect par définition et lieu de fantasmes.
L’entretien avec la famille conditionne bien évidemment le degré d’acceptation du deuil qui évoluera sur les
phases suivantes.
Lors de cet entretien, il est recommandé au chef d’établissement de s’entourer de personnes susceptibles
d’apporter une aide à l’apaisement de la famille et de soutien audit Chef d’établissement.
Il ne s’agit pas forcément d’une aide institutionnelle mais plutôt liée à l’élaboration d’un lien avec la famille
de nature à engager une discussion valorisant le défunt et pouvant reprendre les étapes de sa vie en déten-
tion. Ainsi il est possible de s’entourer d’un aumônier ayant particulièrement bien connu la personne dé-
tenue, un visiteur de prison qui le suivait régulièrement, un médecin ou un psychiatre si la personne était
incarcérée dans un secteur spécialisée (type SMPR), etc….
Le fait que la personne choisie pour cette aide ne soit pas un personnel pénitentiaire est d’une importance
fondamentale ; en effet, elle ne représente pas l’institution avec sa vision réductrice de « l’uniforme ».
Lors de l’entretien, même si la réglementation préconise la remise des effets vestimentaires, des bijoux et
valeurs du défunt, il est nécessaire de prendre un certain nombre de précautions allant jusqu’à la nature de
l’emballage choisi pour emballer les vêtements (j’ai déjà constaté des remises où les vêtements étaient remis
dans un sac « poubelle ») : l’impact sur la famille peut être là aussi important, notamment sur la crédibilité
de l’institution et le respect de la personne.
Enfin, concernant les familles, depuis la circulaire interministérielle de avril 2002, il est proposé à la famille
de visualiser la cellule où le détenu était hébergé, pour entamer un travail de deuil car on sait quelles sont les
complications judiciaires pour approcher le corps, en général dirigé vers l’institut médico-légal.
Récemment, lors d’un suicide survenu à la Maison Centrale de Saint-Maur, le Chef d’Etablissement a non
seulement présenté la cellule à la famille du défunt mais, lors d’un parcours interne, lui a présenté les dif-
férents lieux de vie où était présent l’intéressé (notamment le lieu de formation professionnel où était très
investi cette personne) afin que la famille puisse « reconstituer » l’activité humaine du disparu.
Il s’agit là d’une initiative très intéressante qui a également permis à certains de ses co-détenus de travailler
cette disparition : en effet, la visite de la famille a représenté aux yeux de tous une affection que celle-ci portait
au disparu en la rendant visible et structurante. Cela est d’autant plus important dans un milieu où les liens
familiaux sont souvent difficiles et où l’on assiste fréquemment à des déstructurations de la cellule familiale.
Le contact proposé également entre les familles et le médecin de l’établissement permet d’indiquer à ces
dernières les coordonnées de réseaux d’aide et d’assistance (souvent associatifs) pour effectuer ce travail de
deuil. Dans la pratique, on observe que ces réseaux sont encore trop souvent méconnus des professionnels de
santé et des personnels pénitentiaires.

Concernant les co-détenus :


Il nous faut distinguer les détenus proches de l’intéressé (co-détenus de cellule, d’activité, de travail, etc…)
de l’ensemble de la population pénale de l’établissement.
Pour les co-détenus proches, un travail important de communication est mis en place à l’heure actuelle,
notamment à la suite des recommandations préconisées par le rapport «ALBRAND »
C’est ainsi que le Chef d’établissement a obligation de recevoir en entretien (ou les) co-détenus du suicidé.
Cet entretien doit se faire le plus rapidement possible et, en règle générale, ces personnes font également l’ob-
jet d’un entretien avec un acteur médical ou un psychologue. Compte tenu de l’environnement « contraint »
du milieu carcéral et de la nature de l’établissement concerné (Maison d’Arrêt, Maison Centrale ou Centre
de Détention) cette opération peut se faire plus ou moins rapidement mais des mesures impératives (telles
que le changement de cellule par exemple) doivent être quasi immédiates.
L’heure de la survenance du suicide est également un facteur déterminant sur les actions de postvention à
mener : en effet, on sait que la plupart des suicides réalisés en milieu pénitentiaires surviennent en service de
nuit, c’est-à-dire dans un créneau de 19h00 à 7h00, ce qui complexifie la nature des actions à mettre en place.
Les équipes de direction des établissements font en sorte d’informer rapidement l’ensemble de la population
pénale, dans un souci de transparence et d’apaisement. Ce travail n’est pas forcément facilité par les nombreux
mouvements occasionnés par la venue des autorités concernés (magistrats, OPJ, légiste puis services funèbres).
L’univers carcéral et plus particulièrement l’établissement pénitentiaire est une véritable « caisse de résonan-
ce ». à cet égard, à la suite de la survenance d’un cas de suicide, il est impératif de procéder à une vigilance de
tous les instants, notamment par rapport à des profils de personnes fragilisées.
L’analyse actuelle des choses nous fait penser qu’il est indispensable de mettre en place des groupes de paro-
les vis-à-vis des détenus si l’établissement pénitentiaire à connu au moins deux suicides en moins de 6 mois.
Il s’agit là de contrer l’ effet « WERTHER », bien connu des spécialistes.
Cette évolution est récente, même si, dans les faits, ce type de disposition pouvait déjà exister, notamment
sous l’impulsion des services d’insertion et de probation, des services médicaux ou des personnels de déten-
tion eux-mêmes. Toute la problématique réside dans le fait de savoir comment l’organiser, à quelle échéance
et avec quel appui technique.
Le partage d’informations à la suite d’un suicide et les modalités de prise en charge à mettre en œuvre sem-
blent aujourd’hui facilitées par la présence au sein de chaque établissement pénitentiaire d’une commission
de prévention des suicides (intégrée dans une Commission Pluridisciplinaire Unique) à laquelle participent
les acteurs pénitentiaires (y compris le Service d’insertion et de probation), les acteurs médicaux et des re-
présentants d’associations qui interviennent en milieu carcéral.
Il ne serait d’ailleurs pas inutile (rien ne l’empêche) d’avoir au sein de cette commission un représentant
d’une association spécialisée dans le domaine d’aide et de soutien aux endeuillés par un suicide.

Concernant les personnels :


Le traumatisme vécu par les personnels lors de la découverte et de l’intervention des premiers soins se fonde es-
sentiellement sur un sentiments de culpabilité : En effet, même si les interventions sont immédiates dès le déclen-
chement de l’alerte (les établissements opérent la nuit par un système de rondes avec un contrôle visuel des déte-
nus les plus fragiles à l’œilleton), l’action en elle-même est difficile à gérer et surtout, en cas de décès, les personnels
concernés (qui sont en général des personnels connaissant, au moins sommairement, ne peuvent pas s’empêcher
de penser à la question suivante « je l’ai rencontré aujourd’hui et je n’ai rien vu, je n’ai rien détecté ».
La pression opérée par les médias est également de nature à renforcer ce sentiment de culpabilité, que l’on ne re-
trouve pas, par exemple, avec la même intensité parmi le personnel soignant (peut être plus de distance ?).
J’ai en mémoire ma venue, tard le soir, après un suicide survenu dans une Maison d’Arrêt de la Circonscription
Pénitentiaire Centre-Est-Dijon. J’ai trouvé une équipe de nuit effondrée, en présence du Chef d’Etablissement qui
essayait de leur prodiguer quelque réconfort. Ce sentiment de culpabilité s’est exprimé de façon très forte et il a
fallu mettre en place très rapidement un véritable débriefing « d’évacuation » pour procurer un apaisement et faire
évoluer les choses.
Le poids des responsabilités, quelles soient judiciaires ou administratives, ne joue pas non plus la carte de
l’apaisement et du soutien : alors qu’il est nécessaire de protéger les personnels à ce moment précis, les OPJ,
en règle générale commencent immédiatement leurs auditions. Si l’on peut comprendre le côté « médico-
légal » d’un tel acte, il paraît évident qu’il ne joue pas dans un sens d’aide et de protection des personnes,
renforçant, de plus ce sentiment de responsabilité qu’il faut pourtant rapidement évacuer.
Aujourd’hui, la prise en charge des personnels concernés par un tel acte se traduit de plusieurs façons :
Une prise en charge collective dans les deux heures qui suivent la découverte du décès : il s’agit pour le Chef
d’Etablissement de réunir tous les acteurs qui sont intervenus dans le drame afin de permettre à chacun de
parler, d’évacuer et de se dégager de ce sentiment de « culpabilité ».
C’est un moment où l’émotion s’exprime mais qui est nécessaire pour retrouver une certaine stabilité. Cet
exercice est,là encore, souvent rendu difficile par le contexte, l’heure de la survenance de l’acte et la disponi-
bilité des intervenants mais il est indispensable.
Un deuxième débriefing, plus technique et organisé en général par un psychologue est, depuis peu, mis en
place dans les établissements concernés. Il a lieu dans le mois qui suit le suicide et porte plus sur l’analyse
de la personnalité, son environnement et permet aux personnes présentes d’analyser avec plus de recul et de
lucidité la survenance du drame.
C’est un espace d’explications, de meilleure compréhension, de respect là aussi nécessaire au cheminement
des idées et des sentiments. C’est également la possibilité d’émettre un certain nombre d’idées allant dans le
sens d’une meilleure prévention en établissement pénitentiaire.
Récemment, un tel débriefing a eu lieu dans une Maison Centrale, animée par une psychologue
Une prise en charge individuelle est également proposée aux agents concernés par l’événement : elle se
traduit par un entretien (si l’agent le souhaite, bien entendu) avec un (ou une) psychologue des personnels,
basé(e) en général au siège de la Direction Interrégionale des services pénitentiaires. Ce spécialiste se dépla-
ce, en fonction du besoin sur l’établissement concerné, mais rencontre l’agent dans un lieu souvent autre que
l’établissement (quelquefois au domicile même de l’agent)

Conclusion :
Les différentes prises en charge concernant les acteurs de la communauté pénitentiaire se sont considérable-
ment améliorées ces dernières années, certainement parce que le phénomène du suicide en milieu pénitenti-
aire a connu une très forte médiatisation qui ne reflète d’ailleurs aucunement la complexité de compréhen-
sion de ce milieu.
L’axe très fort de prévention dans ce domaine, engagé depuis longtemps par l’administration pénitentiaire
n’y est pas non plus étranger. Reste à y intégrer des acteurs supplémentaires afin de consolider un lien fort
avec l’extérieur : c’est ce qui se dessine à l’heure actuelle.
Effets et conséquences du suicide sur l’entourage( Question n° 3)

Etat des lieux sur les interventions de soutien dans


les associations de bénévoles.

Catherine BONIFAS, Association Nationale Jonathan Pierres Vivantes

Si nous acceptons que le deuil après suicide n’est pas un deuil très différent des autres, au regard des intéres-
santes notes bibliographiques de mesdames Roger et Colliot-Thélène , il est toutefois exacerbé et son éclai-
rage particulier varie en fonction :
- de la violence et de la soudaineté
- de la violence et de la soudaineté de l’acte
- des personnalités des personnes endeuillées
- des contextes familiaux et sociaux
l’éclairage est d’autant plus singulier que la personne disparue s’est auto-détruite.
Comment repartir, se reconstruire, se réapproprier une vie après le drame ?
les groupes de soutien proposés dans les différentes associations peuvent aider, accompagner et offrir des
pistes de réflexion.

1. Point sur les associations de bénévoles proposant des groupes de soutien aux endeuillés
après suicide :
Ce champ d’intervention est évolutif et je ne serai donc pas exhaustive.
Structures associatives accompagnant le seul deuil après suicide :
Association Christophe à Marseille ( 2001) : prévention du suicide chez les jeunes et aide aux familles en-
deuillées après suicide ; entretiens individuels ou en petits groupes ; groupes de parole mensuels ouverts pour
les familles endeuillées ou en difficulté( suivis d’une marche le lendemain).
Association Au Coeur des Flots ( 2002), dans le Maine et Loire : prévention du suicide chez les jeunes et ac-
compagnement des familles endeuillées après suicide ; formation à l’écoute par la DRASS de Nantes ; groupe
de parole mensuel ( 3ème jeudi de chaque mois à la Maison des Associations de Beaufort en Vallée).
Phare Enfants Parents (1991) : prévention du suicide chez les jeunes et accompagnement des familles en-
deuillées après suicide ; écoute téléphonique, entretiens individuels ou en famille, groupes de parole mensuels
ouverts pour les familles endeuillées d’un enfant par suicide( étude M-A Roger , 4.2).
D’autres structures associatives accueillent des endeuillés , quel que soit le type de décès et proposent par
ailleurs un soutien spécifique aux endeuillés après suicide.
Association Jonathan Pierres Vivantes (1978) : soutien aux parents endeuillés d’un enfant, quel que soit le
type de deuil et week-ends spécifiques pour les familles endeuillées après suicide.
Vivre son deuil (1995) ( Ile- de -France/ Nord- Pas de Calais/Franche -Comté) : soutien aux personnes en
deuil , tout type de décès ; entretiens individuels et en famille et groupes de soutien fermés.
Certaines structures accueillent les endeuillés par suicide dans le cadre d’un accompagnement tout type de deuil.
Apprivoiser l’Absence ( 2006) : deuil des parents, quel que soit le type de décès. groupes d’entraide fermés ,
chacun pouvant s’exprimer en confiance et dans un cadre défini autour de thèmes de réflexion.
Association Pierre Clément à Strasbourg (1989) : accompagnement de la fin de vie et aide aux endeuillés ;
écoute téléphonique, entretiens individuels et en famille ; groupes d’entraide ouverts.
Association Relais Jeunes et Familles 78 ( 2005) : soutien aux jeunes en mal-être et à leurs familles ; groupe
de parole parents, ouvert, tout type de deuil, animé par un bénévole ( formation Vivre Son Deuil) et un psychologue-
clinicien bénévole.
Ces associations sont recensées dans la liste établie par Vivre son deuil (actualisée été 2009) , dans le livret
« Vous êtes en deuil après en suicide » réalisé par l’UNPS , dans plusieurs ouvrages tels ceux de Annick ER-
NOULT, Christophe FAURE et Michel HANUS, et dans le répertoire de la Fondation de France.
Leurs groupes de soutien sont animés par des bénévoles accompagnés de professionnels et sont suivis de
supervisions ;la formation des bénévoles est assurée par chaque association, avec, en cas de besoin, interven-
tion d’un organisme extérieur.
Il existe peu d’évaluations des pratiques des groupes de soutien comme souligné dans leurs études bibliogra-
phiques par Marie-Anne Roger et Céline Colliot-Thélène.
Une étude chiffrée faite par Vivre son deuil est à paraître( 2009).
Certaines structures qui ne sont pas des associations de bénévoles proposent aussi des groupes de soutien
aux endeuillés après suicide : le centre François-Xavier Bagnoud Paris; Recherche et Rencontre Nantes ; Cen-
tre Jean Bergeret Lyon ;Centre SOS Suicide Phénix Nice ; Centre de Prévention du suicide ( CPS) Bruxelles et
Namur ;
Centre de prévention du suicide de Genève .

2. Organisation de l’accompagnement et du soutien à l’entourage par suicide.


Dans un premier temps, je mettrai l’accent sur les spécificités ou points forts de certaines associations.
Puis, en tant que responsable avec Nicole Maltère de la postvention suicide à Jonathan Pierres Vivantes, je
développerai les modalités de soutien offertes par JPV aux endeuillés après suicide, modalités peu éloignées
de celles adoptées plus généralement dans l’ensemble des associations de soutien aux endeuillés.
a. Association PHARE Enfants Parents.
Phare Enfants parents depuis 1993 propose un groupe de parole aux parents d’enfant suicidé, groupe ouvert
inspiré des groupes de partage élaborés par le canadien Jean Monbourquette.
C’est une offre précieuse faite aux parents endeuillés par suicide ( dont j’ai bénéficié) en besoin urgent de
communiquer sans délai, que celle de ces réunions proposées chaque mois avec possibilité de s’inscrire à tout
moment, que le deuil soit récent ou ancien. Ouverture, liberté, absence de contraintes ( 10 à 15 personnes).
Partant du constat que la sensibilité masculine est différente de celle des femmes et également pour facili-
ter leur parole, surtout s’agissant d’un couple, il a été décidé , en 2005 de réserver un groupe spécifique aux
hommes (même jour, même lieu), ceux-ci étant moins nombreux et moins assidus.
L’animation est assurée en binôme bénévole endeuillé. / psychologue( enquête d’évaluation lancée en 2008 ).
Les entretiens individuels sont proposés à tout moment.
Une ligne d’écoute nationale 0 810 810 98 ,depuis 2005, permet aux endeuillés par suicide de partagerano-
nymement , sans retenue et sans crainte de jugement leur douleur et leur questionnements ( entretiens assez
longs / environ 1 heure ).
Une enquête sur le suicide des jeunes (causes et conséquences) menée depuis 1995 , à partir d’un question-
naire remis aux adhérents ayant perdu un enfant par suicide. ( synthèse : note PHARE 30 / 10 /09), a mis en
évidence un certain nombre de constantes chez les jeunes suicidés.
Un séminaire annuel d’une journée est proposé autour de la problématique du suicide avec des intervenants
de qualité, rassemblant quelques 80 personnes dans une ambiance chaleureuse et conviviale.
Enfin l’association PHARE organise des interventions de postvention en milieu scolaire, à la demande
des chefs d’établissement , lorsqu’il y a eu TS ou suicide d’un élève.. Selon un schéma défini à l’avance, deux
intervenants dont un psychologue font passer des messages essentiels pour démystifier l’acte suicidaire et la
notion de souffrance psychique ( réponses aux questions / dialogues / supports pédagogiques : questionnaire
d’évaluation).
b. Association Vivre Son Deuil Ile de France.
Cet espace associatif accueille tout type de deuil sur le mode de la présence chaleureuse, de l’écoute et du
soutien offert par d’autres ; il a développé, à partir de cette expérience, une approche spécifique du deuil
après suicide.
A l’issue d’une écoute téléphonique, les personnes peuvent être reçues en entretien individuel.
Vivre Son Deuil organise une offre très structurée de groupes de soutien à l’attention des endeuillés après suicide.
Deux types de groupes de groupes de soutien :
- pour adultes : ce sont des groupes fermés se déroulant sur 10 séances , rythme : toutes les 3 semaines..
Depuis 2 ans , deux nouvelles formules à savoir , groupe d’échanges sur un jour complet ( samedi),
renouvelé 3 mois plus tard, et groupe se réunissant toutes les 2 semaines le soir sur 6 séances.
A noter que tout participant a le n° de tél portable de l’un des animateurs en cas de besoin. Enfin, il peut
bénéficier d’entretiens à la demande après la fin du cycle de réunions.
- pour enfants : d
 es groupes/ateliers sont proposés depuis 2009 à l’attention des seuls enfants endeuillés
après suicide : il s’agit d’une offre innovante, conséquence logique d’une longue pratique
des groupes pour enfants endeuillés, pour tenter de répondre aux besoins spécifiques des
enfants endeuillés après suicide. les ateliers sont constitués par tranche d’âge ( 4-6 ans / 7-9
ans) et se déroulent un samedi toutes les 3 semaines avec interruption en vacances scolaires.
Vivre Son Deuil a mis au point, avec la Société de Thanatologie, une formation spécifique « travail de deuil
», pointue, structurée et réactualisée de manière permanente. Deux week-ends complets de formation géné-
rale sur le deuil peuvent être complétés par des formations spécifiques. A noter que 2 formations sur le deuil
sont nécessaires pour recevoir des endeuillés après suicide.
Enfin, la possibilité pour les personnes concernées d’échanger des courriers mail sur le site http://deuilapres-
suicide.fr favorise la communication spontanée et informelle.
Depuis 2001, la Fédération Européenne Vivre Son Deuil développe le soutien aux personnes en deuil tant
en France qu’en Belgique et en Suisse. Les associations régionales évoluent sur le terrain dans ce cadre avec
leurs spécificités propres.
C. Association Nationale Jonathan Pierres Vivantes.
Là encore, l’association JPV tente de répondre aux particularités des endeuillés par suicide que sont : la
stigmatisation ( auto exclusion, exclusion par les autres), le sentiment de honte, la baisse de soutien affectif
de l’entourage, les difficultés d’adaptation sociale (perte de confiance en soi et érosion de la capacité de faire
confiance aux autres).
Historique et expérience : une réponse pragmatique et singulière aux besoins exprimés par les familles venues
vers JPV ( parent / t frères et soeurs adultes).
-F
 ondation : 28 août 1978 par L. et J. de Saint Quentin(leur fils décédé accidentellement à 20 ans affectionnait
particulièrement la musique du film « Jonathan Livingstone Le Goëland »).
- Objectif : accueil et écoute, par des parents bénévoles ayant perdu un enfant ,de tous parents endeuillés d’
un ou plusieurs enfants, quel que soit l’âge et la circonstance du décès.
- J PV, association déclarée Loi 1901, agréée par l’UNAF et par le Ministère de la Santé ,Sports et Vie asso-
ciative ;membre de l’UNPS , est présente actuellement dans plus de 55 départements ( 30 associations et
correspondants départementaux).
-F ormation des parents-écoutants bénévoles : elle est assurée par l’Institut Français de Psychosynthèse
( école italienne fondée par R.Assagloli qui s’intéressa aux idées de Freud et Jung) en deux modules :
introduction et découverte de l’écoute d’une part, et approfondissement de l’écoute et gestion d’un groupe
de soutien d’autre part.
Cette école considère la personne dans sa globalité et appuie sa formation sur l’estime de soi et sur la volonté/
énergie de vouloir s’en sortir.
la Chronique Sociale de Lyon assure la formation des futurs responsables d’antennes pour une meilleure
appréhension de la responsabilité incombant aux dirigeants administratifs.
-L
 a postvention, prévention de la prochaine génération( Edwin Schneidman- 1981), concerne actuellement,
à JPV, les parents touchés par le suicide d’un enfant et les parents ayant perdu un enfant unique. Il est
aussi envisagé de développer un soutien pour les parents ayant perdu un enfant par assassinat ou par toute
autre cause faisant l’objet d’une demande.
Néanmoins, la première postvention spécifique initiée à JPV le fut pour le suicide, et ce dès 1985, en Cor-
rèze. Ces accueils ciblés se sont peu à peu organisés en sessions de réflexion sur le suicide qui sont devenues
les actuels « Week-ends pour la vie ».
méthode : tout exprimer dans le respect des convictions de chacun : aucun sujet tabou.
- Ce sont des parents-écoutants endeuillés d’un enfant qui reçoivent et écoutent d’autres parents endeuillés
d’un enfant, très tôt après le départ de l’enfant ou plus tard, selon les besoins exprimés.
JPV fait appel aux professionnels et c’est cette alliance entre parents-écoutants et professionnels qui permet
de donner un soutien efficace .
Nous n’avons aucune évaluation scientifique mais nos intuitions et nos résultats tendent à montrer l’efficacité
de la méthode parents-écoutants/parents accueillis : à ce jour aucun deuxième suicide ne s’est produit dans
les familles fréquentant régulièrement JPV ;les témoignages sont nombreux de parents qui retrouvent des
raisons de vivre, se tournent vers l’avenir et, pour certains, s’engagent socialement. Nous assistons , dans l’as-
sociation, à de vraies renaissances personnelles : certains signes extérieurs ne trompent pas comme la reprise
d’une présentation extérieure soignée, la sortie du silence et le développement des échanges avec l’entourage
et les amis.
-accueils individuels.
Le nouvel endeuillé par le suicide d’un enfant aura connu l’association par un ami, un voisin, un service
social, la presse ou internet.
Accueil en binôme de préférence : par deux personnes ayant perdu un enfant dans des circonstances différentes.
Le nouveau parent se trouvera d’emblée face à des personnes qui ont cheminé dans leur deuil.
Il sera accueilli par des parents qui se « se tiennent debout ».Il se sentira en confiance en présence de ceux et
celles qui sont passés « par là ».
L’écoutant qui a perdu son enfant par suicide sera un témoin, preuve que l’on peut devenir responsable as-
sociatif même quand on a perdu son enfant par suicide. le sentiment de honte , de perte d’estime de soi que
le nouvel endeuillé peut éprouver s’en trouvera diminué. Le deuxième écoutant ayant perdu son enfant par
accident ou maladie montrera à la personne accueillie qu’il n’y a pas de hiérarchie dans les différentes causes
de décès d’un enfant.
Ce qui réunit les personnes à JPV, c’est la souffrance provoquée par la mort de l’enfant et la recherche de tout
chemin pour dépasser cette souffrance et se réinvestir dans la vie.
-espaces de rencontres : permanences et groupes de soutien/conférences/journées d’amitié

Permanences et groupes de soutien.


Après la première rencontre, le parent endeuillé est invité à rejoindre la permanence où il pourra retrouver
d’autres parents endeuillés ; Il sortira ainsi de son isolement . Le nouvel endeuillé pourra écouter, parler
dansune atmosphère d’indulgence. Le responsable rappellera que l’on peut s’exprimer dans le respect des
convictions de chacun.
Aucun sujet n’est tabou à partir du moment où l’on respecte cette règle.
Avoir des témoins à sa souffrance est important pour l’endeuillé par suicide qui a tendance à cacher sa douleur.
Entendre d’autres parents parler de leur culpabilité pourra étonner le parent qui a perdu son enfant par suicide.
En effet, cette culpabilité sera évoquée aussi chez des parents ayant perdu un enfant par accident ou maladie.
Entendre cette culpabilité s’exprimer contribuera à la faire diminuer. Certains parents évoqueront parfois les
thérapeutes qu’ils vont consulter. Cela permettra à l’endeuillé par suicide de démystifier l’idée qu’il peut se
faire des professionnels de la santé. Il pourra même se décider à aller aussi en consulter.
La réciprocité, le partage collectif et les affinités vécues dans un climat de confiance contribueront à lutter
contre la stigmatisation de l’endeuillé par suicide.
Des groupes de soutien réguliers et ouverts , le plus souvent mensuels, sont proposés aux parents, quel que
soit le mode de décès de l’enfant . Ces groupes peuvent être, pendant un temps, un pont d’ancrage stable et
rassurant d’écoute , d’amitié et de certitude peu à peu retrouvée pour tenter d’apprivoiser .. et de dépasser la
violence inouïe du deuil de l’enfant.

Conférences et Journées d’amitié.


Des personnes d’une certaine notoriété ayant vécu un deuil ou spécialistes du sujet sont invités par l’équipe
JPV à donner des conférences : écrivains, professionnels de la santé. Psychiatres et psychologues sont nos
partenaires.
Les conférences permettent aux endeuillés de mieux comprendre le déroulement d’un deuil et tous problèmes
que l’on peut rencontrer après la mort d’un enfant : difficultés dans le couple, inquiétude face à la souffrance et
aux réactions des frères et soeurs, absence d’appui pour ceux qui ont perdu un enfant unique…
Les endeuillés seront rassurés en entendant les réponses des spécialistes. Le témoignage d’un écrivain parlant
du suicide de son enfant pourra contribuer à diminuer le sentiment de honte chez l’endeuillé par suicide.
Les sorties conviviales, la participation à des ateliers créatifs, à la vie locale associative, aux Journées Natio-
nales et Régionales de L’UNPS , seront autant de moments permettant de réduire le sentiment de solitude,
voire même de victime.
l’accent est mis sur la reconstitution des réserves personnelles : c’est la personne qui fait ses choix et qui décide de ses
futures orientations, le groupe n’étant là que pour aider. Les parents qui ont perdu un enfant sont appelés assez vite, dans
le cadre d’un travail en « fenêtre ouverte » sur les autres, à reconstruire un nouvel équilibre ( se libérer du sentiment
d’échec, retrouver l’estime de soi , pouvoir redonner sa confiance aux autres, réactiver des relations sociales..).
- « Week-ends pour la vie » ou sessions spécifiques pour les endeuillés par le suicide d’un enfant.
Concernant la perte d’enfant par suicide, JPV , avec l’aide de professionnels , a mis au point un module d’ac-
cueil/week-end qui s’articule de la manière suivante :
- veillée d’accueil et de présentation le vendredi soir.
- Le premier jour : on parle de l’enfant ( avec intervention d’un psychiatre).
le tour de table du matin permet à chaque parent de parler du suicide de son enfant , en fonction de ses
capacités émotionnelles. En découvrant des réactions similaires chez les autres, on ne se sent pas seul à vivre
cette situation tragique. Les échanges d’information permettent de relativiser la stigmatisation infligée par la
société ou les endeuillés eux-mêmes : premiers pas sur le chemin de la reprise de confiance en soi.
Le professionnel, par sa présence, montre au parent endeuillé par suicide que des spécialistes s’intéressent à lui.
Il fait le point sur l’actuelle connaissance médicale de la crise suicidaire, n’élude aucune des questions émer-
geant du travail en ateliers : les informations spécialisées seront ainsi des éléments de réponse pour le parent
endeuillé dans sa quête de sens( nécessité d’ appréhender la crise qui a conduit à ce geste à propos duquel on ne
peut pas dire » il/elle est mort heureux » seulement, au mieux apaisé, décidé, résolu et en grande souffrance).
Enfin, le parent endeuillé s’accordera plus d’indulgence lorsqu’il constatera que même des professionnels
peuvent passer à côté de signes avant-coureurs ; il apprendra ainsi à se pardonner..
- Le second jour : on parle de soi ( avec intervention d’un psychologue).
L’intervention du professionnel, le dialogue avec lui et les échanges en petits groupes permettent de répondre
à de multiples questions : comment inscrire le suicide dans l’histoire de la famille, comment en parler au
sein du couple, avec les enfants, les proches…comment se réorganiser, faire le chemin de la culpabilité vers la
responsabilité, comment se reconstruire, vivre avec ceux qui restent.
C’est aussi le temps pour apprivoiser l’idée du retour à une vie différente en passant de « l’enfant absent qui
en disparaissant va aussi me tuer » à « l’enfant absent devenu invisible mais présent qui peut m’aider à vi-
vre », en respectant la part du mystère dans le départ de nos enfants et « ce qui les a emportés ».
Précisons que ces journées ne sont pas des conférences mais un accueil favorisant des échanges entre parents
endeuillés en petits groupes. C’est pourquoi la participation est limitée à 25 personnes + l’équipe d’animation.
( information donnée dans la presse régionale ou nationale, dans les antennes, sur le site internet).
C’est donc un mélange d’empathie et de conseils professionnels qui a prouvé son efficacité.
S’il est demandé aux parents de respecter la part d’énigme du suicide, c’est afin qu’ils se libèrent de l’emprise
du pourquoi et de la culpabilité ( cela les conduit à chercher des réponses qu’ils n’obtiendront jamais ou à se
tromper lourdement), chaque être humain ayant son jardin secret.
3. Initiatives à développer.
a. le soutien aux frères et soeurs ( JPV) et aux jeunes ( ados et adultes) plus généralement.
- « L’aide aux enfants en deuil passe toujours par l’aide à la famille restante elle-même endeuillée ».
« Si les parents sont eux-mêmes soutenus, ils seront capables par la suite de procurer à leur enfant un climat
émotionnel propice à l’expression et à la résolution du deuil » ( Colliot-Thélène Chp 2 .3.1. et 4.1.A).
- Le groupe Frères et Soeurs (JPV) fera paraître prochainement un ouvrage de 90 témoignages dont 30 liés à la
perte d’un frère ou d’une soeur par suicide. L’ expérience d’accompagnement des jeunes au-delà de 16 ans
fonctionne aussi sur le mode de la prise en charge mutuelle de frères et soeurs endeuillés dans leur fratrie par de
jeunes adultes tous endeuillés d’un frère ou d’une soeur. A noter la difficulté pour ces jeunes de réinvestir aussi la
vie, ainsi certaines jeunes femmes ont peur d’avoir des enfants , craignant sans doute une sorte de transmission.
- Le groupe de parole pour enfants d’Isabelle HANUS à Vivre Son deuil est une expérience à suivre avec
beaucoup d’intérêt.
- Concernant les ados et jeunes adultes , les bénévoles de l’association Pierre Clément formés par Vivre Son
Deuil, accueilleront dès le printemps 2010 des jeunes endeuillés ( tout deuil) avec un accompagnement
selon deux axes : plutôt groupe pour les enfants ( toutes les 3 semaines) et plutôt accueils individuels pour
les ados/ adultes. Ces bénévoles, forts de leur accompagnement de la fin de vie, seront ainsi tuteurs sur un
temps de la vie après la mort dans un lieu/ressource à la portée des jeunes endeuillés.
- L’association Christophe ne reçoit pas directement de jeunes endeuillés mais, située dans le Pavillon SOLARIS «
ouvert » de l’hôpital psychiatrique Ste Marguerite de Marseille, elle peut se trouver dans une certaine proximité.
Les jeunes souvent pudiques, secrets, ayant un besoin d’absolue liberté empruntent souvent des chemins
détournés pour trouver leurs propres repères.
b. la question du suivi approprié après les séminaires spécifiques : certains parents, à JPV, peinent à sortir de
la révolte, ne vont pas très bien et peuvent avoir besoin d’une autre forme de soutien et de l’appui des profes-
sionnels pour éviter d’entrer dans un deuil pathologique.
La reprise de confiance dans la vie ( confiance en soi et dans les autres, comme souligné dans la bibliographie)
n’est pas toujours linéaire. On peut observer alternativement des périodes de confiance, de stabilité et l’appari-
tion de crises dues à un événement, anniversaire, visite d’un lieu, relecture d’archives concernant l’enfant.
Le découragement n’est jamais loin , essayons de le tenir à distance ; retenons l’image si juste de Laure Adler dans
« A ce soir » : la douleur est comme un chien en laisse .. qui se rappelle à nous en tirant brusquement sur sa laisse.

Conclusion.
Chaque association de bénévoles apporte sa sensibilité et son expérience propre dans la pratique de soutien
proposé aux endeuillés après suicide : cette offre riche et multiple est précieuse pour les endeuillés.
Toutefois l’un des éléments essentiels de ce soutien est de favoriser la réinvestissement du lien social : ce lien
permet aux endeuillés de retrouver peu à peu , librement, leur place dans l’environnement familial, social et
professionnel, sans crainte d’affronter le regard des autres. Un engagement social, dans un deuxième temps,
au sein de l’association ou dans d’autres sphères peut aider à dépasser le sentiment d’échec et à se sentir utile
avec des ressources personnelles réactivées : « savoir que tu es utile à quelqu’un d’autre est le meilleur médi-
cament du monde »(Colliot-Thélène 2.2 .1. ; témoignage d’un participant à un groupe d’auto-assistance)..
Documents ANJPV utilisés :
- Note de Bruno Viallet ( 2007 et 2009) / Nicole Maltère ( 2009)/ CR Week-End pour la Vie Avril 2009.
Document PHARE Enfants Parents : Note de Joanna de Lagarde ( octobre 2009)
L’impact du suicide sur l’entourage :

Maja Perret-Catipovic

Etat des lieux sur les interventions de soutien proposées en Suisse ;


L’expérience du centre de prévention du suicide de Genève comparée au programme « L’autre Temps » du CPS de
Bruxelles.

Dans le temps imparti je me centrerai essentiellement sur le travail du Centre d’Etude et de Prévention du Suicide
(CEPS) à Genève qui n’est de loin pas représentatif de l’ensemble des interventions de soutien proposées en Suisse.
Il s’agit plutôt d’un projet phare qui suscite toujours un grand intérêt mais n’a pas encore été répliqué.
Conformément au mandat, le fonctionnement du CEPS sera comparé à celui du programme « L’autre Temps » tel
que décrit dans la documentation de ce programme Bruxellois. (http://www.preventionsuicide.be/view/fr/activi-
tesCPS/Deuil.html)

Le CEPS est né à Genève en 1996 parallèlement à la création d’une structure d’accueil hospitalier pour adolescents
suicidants qui prenait modèle sur le centre Abadie de Bordeaux. Il est le fruit d’un partenariat entre les Hôpitaux
Universitaires de Genève et la fondation Children Action. Les réflexions suivantes ont précédé sa création :
Après un colloque en 1994 qui avait pour thème : Le suicide des adolescents : au-delà de l’épidémiologie, quelles pers-
pectives thérapeutiques ? (Ladame et al, 1996) nous étions convaincus que la communauté scientifique détenait les
moyens thérapeutiques pour venir en aide aux adolescents suicidants (traitement pharmacologique ; différents types
de traitements individuels et de groupe ; traitements hospitaliers à temps plein et temps partiel etc). Toutefois, une
question centrale demeurait non posée: celle de la participation des adolescents à ces soins efficients.

Quelles que soient les études sur la suicidalité des adolescents, où qu’elles aient été menées, une différence
consternante saute aux yeux. La comparaison entre les études en population générale et celles en milieu cli-
nique met en évidence que seuls 10% des adolescents suicidants sont connus des services de soins (Gasquet
et al, 1999; Gould et al, 2004). C’est à ces 10% que les soins seront proposés et, selon l’approche, seuls 10, ou
au mieux 20% de ces 10% accepteront les soins au-delà de ceux prodigués dans l’urgence.
Dès lors, nous avons considéré qu’une unité hospitalière qui visait à mieux soigner les adolescents suicidants
preneurs de soins ne devait pas laisser dans l’ombre les 90% d’adolescents qui souffrent tellement qu’ils ne peuvent
accéder aux soins.
Nous avons créé le CEPS en ayant pour objectif de minimiser le risque suicidaire des adolescents suicidants qui
refusent les soins.
Notre centre se limite à une population définie : les adolescents et jeunes adultes et à une problématique
spécifique : le suicide
En comparaison, le programme l’Autre temps du CPS de Bruxelles s’adresse aux plus de 18 ans et la problématique
spécifique est le deuil après suicide. C’est l’un des programmes du Centre de Prévention du Suicide qui décline ses
activités de façon plus large.

Nous avons décliné notre activité de prévention en trois volets :


Prévention 1) universelle ; 2) sélective ; et 3) indiquée – selon la proposition du modèle opérationnel en santé men-
tale proposé par Burns et Patton (2000).

Prévention du suicide des jeunes

Prévention universelle : Prévention séléctive: Prévention indiqué:


(info sur le suicide) (risque élevé de suicide) (risque avéré de suicide)

Accès au grand public Accès au grand public Accès aus patients

-Médias - Formation des intervenants évaluation


- Enseignement - Dépistage (par exemple Traitement
- Conférences publique l'écoles - Guidance parentale
- Déstigmatisation - Adolescents adoptés - Consultation thérapeutique
- Adolescents en rupture - Psychodrame
scolaire - Correspondance CIAO
- Internautes et risque (CIAO)

NB : prévention universelle, selective et indiquée selon le modèle opérationnel de prévention en santé mentale
Burns J.M. and Patton, G(2000) Preventive interventions for youth suicide : a risk factor-based approach. Aust N Z J Psychiatry

Notre but est d’éviter des passages à l’acte suicidaires en améliorant par tous les moyens la possibilité de recourir à
l’aide lorsque celle-ci est nécessaire.
Qu’en est-il suite à l’exposition à un suicide qui a abouti à la mort ? Quel soutien offrir et surtout, compte tenu de
notre spécificité, comment le rendre accessible et acceptable pour les adolescents ?
Nous pensons que les activités de « postvention » doivent se décliner dans les trois zones de prévention.

1) Prévention Universelle :
Elle consiste à informer le grand public sur la problématique du suicide et à former les intervenants. Tous les ca-
naux de diffusion sont utilisés, en particulier les Médias.
Un des objectifs visés est la déstigmatisation des suicidants. Quel intérêt cela peut-il avoir pour les d’adolescents ?
La recherche récente met en évidence que, en comparaison avec des adolescents dont un des parents est décédé
d’une autre cause le point commun aux enfants et adolescents dont un des parents est décédé par suicide concerne
surtout les réactions sociétales et la stigmatisation du suicide.
Selon plusieurs études qui font encore débat (revues par Kuramoto et al, 2009), les deux groupes ne différeraient
pas sur la plupart des variables psycho-sociales étudiées. Ils ne seraient pas plus suicidaires, plus déprimés, ne déve-
lopperaient pas plus de PTSD etc. Quelques particularités caractériseraient néanmoins le groupe « parent suicidé ».
Les enfants dont l’un des parents est décédé par suicide souffrent bien plus du sentiment de honte et de culpabilité,
éprouvent bien plus de colère et ont une tendance à blâmer : soi-même, autrui ou encore la société. Ces deux derniers
points pourraient éclairer une autre découverte surprenante ; ces adolescents dont un des parents s’est suicidé déve-
lopperaient plus de conduites délictueuses, (comme autant de manifestations de colère et d’accusation ???).
Toutefois, ces rares travaux qui ont étudié de façon spécifique l’impact du suicide de l’un des parents sur l’enfant
se sont heurtés à des difficultés méthodologiques de taille. Ainsi par exemple, la portée des études est limitée par
le fait que l’évaluation concernant le fonctionnement psychique de l’adolescent a souvent été faite au cours d’entre-
tiens avec le parent survivant (ou son substitut). Or, il est apparu que dans bon nombre de situation il n’était pas
même sûr que les enfants/adolescents savaient de quoi est décédé le parent suicidé.

Le poids du tabou et de la stigmatisation du suicide rend incontestablement difficile toute revendication, fût elle
d’aide, de la part des enfants/adolescents qui ont survécu au suicide d’un de leurs parents. La honte et la culpabilité
déploient leurs effets délétères d’autant plus lorsque leur expression est réprimée.
Nos actions de prévention « universelle » s’adressent à la population générale par le biais des médias mais aussi
par l’intermédiaire des intervenants habituels auprès d’adolescents (auxquels nous proposons des sensibilisations
et formations) comme le sont les enseignants, les éducateurs, les ecclésiastiques, mais aussi les amis et voisins, les
médecins etc…
Le but en est de permettre une meilleure reconnaissance de la problématique suicidaire afin de lui garantir un
meilleur accueil dans la société en général. Nous pensons qu’un accueil moins stigmatisant peut favoriser les de-
mandes d’aide voire l’acceptation de l’aide lorsque celle-ci est nécessaire.
Dans cette optique, le CEPS est partenaire de l’ « alliance contre la dépression » (http://www.eaad.net/fra/network-
partners-1.php) que le Canton de Genève a placé parmi ses priorités de santé publique pour les années à venir.
En comparaison, le programme l’Autre temps ne gère pas la prévention universelle. Elle est en revanche assumée par
le Centre de Prévention du Suicide de Bruxelles dont un des volets est constitué par le programme l’Autre temps.

2) Prévention indiquée.
La prévention indiquée vise à contenir le risque de passages à l’acte suicidaires et de suicides en identifiant et
ciblant de façon spécifique les groupes à risque.
Est-ce que les adolescents dont un des parents s’est suicidé constituent un groupe à risque ? Il peut paraître cho-
quant de poser la question tant la réponse nous semble évidente.
Mais la recherche récente (Kuramoto et al, 2009) nous oblige à nuancer la manière d’aborder tant la question
que la réponse.

Adolescents endeuillés par suicide


Le groupe d’adolescents qui ont perdu un des parents par suicide s’avère très hétérogène. L’impact des
circonstances qui entourent le suicide priment sur celui de la cause particulière du décès. Peu de points
communs semblent regrouper les adolescents dont le parent suicidé vivait séparé de ses enfants et les ado-
lescent qui ont retrouvé eux-mêmes le corps du parent décédé au domicile familial. La qualité des interac-
tions après le décès est bien entendu importante dans la capacité de l’adolescent de gérer ce traumatisme,
mais cette qualité de l’environnement était sans doute déjà présente avant le décès et permettait une éla-
boration psychique de la conflictualité, préparant en quelque sorte l’adolescent à faire face aux surcroits
d’excitation ou de frustration, le protégeant de réactions « pathologiques ».
Comme pour d’autres populations, le deuil de l’adolescent suite à un suicide dépendra surtout des qualités des
interactions avant et après le décès ainsi que des circonstances associées aux conditions du décès.
Ces adolescents ne représentent pas un groupe suffisamment homogène, à notre avis, pour pouvoir se trouver un
dénominateur commun dans l’élaboration de leur deuil. Par essence à la recherche de leur identité, les adolescents
témoignent répétitivement à quel point il leur est problématique de se sentir définis par l’action d’un autre, en
l’occurrence par le suicide d’un parent. S’ils recherchent à cet âge des étayages groupaux, c’est pour se construire
une identité autre que « enfant de… »
Nous avons bien sûr été associés à plusieurs tentatives à Genève pour créer des groupes de parole pour adolescents
endeuillés par suicide (à l’initiative de la Croix Rouge, de Caritas ou d’autres associations) mais ces groupes n’ont
jamais vu le jour faute de participants, mais peut-être aussi faute de gestion adéquate de l’offre.
Nous avons renoncé à un groupe de parole pour adolescents dont un des parents s’est suicidé.
En comparaison, le programme l’Autre Temps gère un groupe de parole pour endeuillés par suicide, que nous assimi-
lons à la prévention indiquée. L’âge minimum pour y participer est 18 ans.

Le groupe face au suicide


Le suicide d’un adolescent interpelle ses groupes d’appartenance (famille, école, sport, loisirs…) et exige un temps
de réflexion pour intégrer ce décès traumatique dans la réorganisation inévitable des groupes et structures. Il en
est de même lorsqu’un adulte membre du groupe d’appartenance se tue (un parent, un professeur, un entraineur,
un prêtre etc…)

Par le biais de nos partenaires (intervenants en milieu scolaire ; médecins généralistes, pédiatres, légistes ; pompes
funèbres ; police ; églises ; associations ; etc) nous sommes sollicités pour intervenir dans ces groupes.
Nous y assumons essentiellement des interventions de type « ventilation ». Nous veillons particulièrement à placer
en priorité les interventions auprès du groupe d’adultes afin de leur permettre de rétablir leur cadre (de la famille,
de l’institution, de groupe de loisir).
Même dans le cas de groupes qui ont établi leurs stratégies d’intervention de crise (certaines écoles ont par exem-
ple des directives claires) les règles qui régissent les groupes et institutions ont inévitablement été mises à mal
par le drame du suicide qui invalide temporairement le cadre établi. Les enseignants, par exemple, n’osent plus
noter les travaux de leurs élèves ; les parents prennent les enfants adolescents dans leur lit pour tenter d’éponger
les angoisses nocturnes ; n’osent plus leur poser d’interdits…. Le rétablissement du cadre, si essentiel, est souvent
difficile du fait des culpabilités et blâmes tues, exprimées, et parfois jetées à la figure de l’autre.
Dans ce contexte, nos interventions ont toujours une part de « ventilation » et une part de « psycho-éducation » ;
leur durée est variable en fonction des demandes.
Nous veillons particulièrement à ne pas intervenir auprès d’adolescents en l’absence de leurs référents habituels.
Ce choix est discutable, mais ce que nous ont enseigné les postventions menées en milieu scolaire (Hazell P ;
Lewin T., 1993), c’est que les pièges délétères sont nombreux, notamment le risque de désorganiser encore plus le
cadre habituel et disqualifier les adultes significatifs.
Comme toute autre prévention sélective, ce type d’interventions permet le dépistage des individus qui présentent
un risque suicidaire immédiat, et/ou qui montrent une fragilité psychique particulière et nécessiteraient une « pré-
vention indiquée », c’est-à-dire un traitement.
Celui- ci peut être bref et immédiat, ou alors différé dans le temps.
En comparaison, le programme l’Autre Temps n’assure pas d’intervention de ventilation et/ou de psychoéducation
auprès des groupes d’appartenance des jeunes touchés par un suicide. Ces activités sont assumées par d’autres volets
du CPS de Bruxelles.

3) Prévention indiquée
Par prévention indiquée Burns et Patton (2000) entendent toutes les actions thérapeutiques qu’elles visent à soi-
gner un problème déclaré, à en prévenir la récidive ou encore à en soigner les conséquences.
Dans le cas d’adolescents qui ont été exposés au suicide d’un proche, il est toujours possible que le deuil traumatique
décompense la santé psychique. Dans ce cas – et presque exclusivement dans ce cas, une évaluation individuelle de la
situation s’impose. L’approche individuelle – psychodynamique pour ce qui nous concerne - déploiera son cadre et
ses spécificités, avec toutefois une sensibilité particulière à la question du suicide et au risque suicidaire.
Dans notre centre, ce travail porte essentiellement sur l’aménagement des conditions qui rendent le travail thé-
rapeutique possible ou non. Notre orientation psychodynamique nous permet de travailler sur les résistances au
traitement et au changement, ainsi que sur les écueils narcissiques et les identifications mélancoliques.
Dans ce cadre nous avons développé les consultations de « guidance parentale », des consultations face à face ou à
distance avec les personnes de l’entourage des adolescents, ainsi que des consultations « à distance » avec l’adoles-
cent lui-même, que ce soit par téléphone ou internet.
Nous utilisons ces moyens également pour identifier, constituer ou réactiver un réseau d’aide et de soutien autour
d’un adolescent à risque suicidaire. Nous nous positionnons alors en deuxième ligne, en restant à disposition et
encadrant si nécessaire les interventions des personnes professionnelles ou non avec qui l’adolescent a déjà un lien
de confiance.

Lorsqu’un traitement individuel devient possible, l’adolescent est référé aux services et thérapeutes compétents,
dans le service public ou en pratique libérale, selon ce que l’évaluation indique comme optimal.
Le CEPS fait partie de l’Unité de Crise pour Adolescents qui offre un programme de soins hospitaliers spécifiques
pour adolescents en crise et à risque suicidaire, ainsi que depuis peu un programme de soins ambulatoires inten-
sifs pour cette même population.
Tout comme le CPS de Bruxelles, le CEPS fait partie d’un réseau d’acteurs de santé mentale local, national et inter-
national.

En conclusion, le CEPS est un sous-ensemble du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent des Hôpitaux
Universitaires de Genève. Il développe des stratégies pour prévenir le suicide des jeunes par des actions de préven-
tion universelle – séléctive et indiquée.
L’aide aux « survivants » d’un suicide n’est qu’un des volets de ses actions. Elle se décline dans les niveaux de pré-
vention avec un interêt marqué porté aux résistances aux soins.
De son côté, le programme l’Autre Temps est un sous-ensemble du Centre de Prévention du Suicide de Bruxel-
les. Il est prévu pour des adultes au-delà de 18 ans et gère un groupe de parole spécifique pour les endeuillés par
suicide.

Tout comme le Centre de Prévention du Suicide de Bruxelles, après un suicide nous intervenons au niveau col-
lectif et au niveau individuel et/ou familial. Le travail sur la déstigmatisation du suicide est une trame de fond de
l’ensemble de nos actions.

Bibliographie

Gasquet I, Ledoux S, Chavance M, Choquet M, (1999) Consultation of mental health professionnals by French ado-
lescents with probable psychiatric problem, Acta Psychiatr Scand 99:126-134

GOULD, M, ; VELTING, D.; KLEINMAN, M; LUCAS, C.; THOMAS, JOHN G; CHUNG, M. Teenagers’ Attitu-
des About Coping Strategies and Help-Seeking Behavior for Suicidality. Journal of the American Academy of Child
& Adolescent Psychiatry: September 2004 - Volume 43 - Issue 9 - pp 1124-1133

Hazell P, Lewin T (1933) An evaluation of postvention following adolescent suicide. Suicide and Life Threatening
Behaviour, 23, 343-358.

Kuramoto J; Brent D., Wilcox H. (2009) The impact of Parental suicide on child and adolescent offspring, Suicide
and life threatening behaviour 39 (2).

Ladame F, Ottino J, Pawlak C eds (1996) Adolescence et suicide ? Paris: Masson.

Perret-Catipovic M. (1999) Suicide prevention in adolescents and young adults : the Geneva University Hospital’s
Program, Crisis 1/20, p36-40.

Perret-Catipovic Maja (2004) Le suicide des jeunes Comprendre, accompagner, prévenir, St Augustin, St Maurice.
Les pratiques de soutien a proposer :
Lecons du passé et perspectives d’avenir

Professeur Brian MISHARA

La perte d’un être cher constitue un événement critique dans la vie de la grande majorité des humains. Cette présenta-
tion tente de faire le point brièvement sur les théories du deuil en général et présente la spécificité des processus du deuil
suite au décès d’une personne par suicide. On abordera par la suite l’état des recherches sur les interventions et services
de soutien offerts aux personnes endeuillées et plus spécifiquement aux personnes endeuillées par suicide. On regardera
enfin les lacunes dans l’état des connaissances actuelles et plusieurs programmes prometteurs pour l’avenir.

Les théories du deuil


Dans un monde idéal, les modalités d’aide et de soutien aux personnes endeuillées par suicide doivent reposer
sur une théorie du deuil par suicide appuyée par des recherches empiriques. Il serait donc d’abord utile de com-
prendre les théories du deuil en général avant de s’attarder à la spécificité du deuil par suicide.
L’ensemble des chercheurs sur le deuil s’entendent sur le fait que, malgré les différences individuelles et cultu-
relles dans nos réactions à la perte d’un être cher, il existe un état émotif de deuil qui dure habituellement entre
plusieurs semaines et quelques mois. Les premières recherches sur les processus du deuil ont tenté d’identifier
des stades ou des étapes, en commençant généralement par une étape de déni ou de choc avant que les émo-
tions intenses du deuil ne commencent à se faire sentir (Parkes, 1971; Parkes, 1972; Parkes, 2001; Bonanno,
2001; Bonanno & Kaltman, 2001). En général, les symptômes intenses, les aspirations, les préoccupations issues
des pensées et images intrusives et une grande variété de symptômes somatiques et émotions de dysphorie,
semblent se vivre dans un cheminement normal qui a une durée « normale » d’au moins un an (13 mois dans
certaines études qui ajoutent un mois pour tenir compte des réactions à l’anniversaire du décès). En effet, pour
la plupart des êtres humains, malgré l’intensité des réactions de deuil dans la première année suivant le décès,
les symptômes et réactions intenses diminuent significativement sans interventions professionnelles ou autre
aide spécifique. Seulement entre 10 % et 20 % des personnes endeuillées continuent à vivre des symptômes qui
sont une indication d’un « deuil compliqué » (Kristjanson, Lobb, Aoun & Monterosso, 2006).
L’autre théorie toujours citée est l’approche freudienne qui postule l’existence d’un travail de deuil (grief work)
pendant la période de deuil dans lequel la personne a besoin de briser les liens avec l’être aimé et de créer une
identité à part. Aujourd’hui, il existe deux modèles de deuil plus usités : le modèle de deux processus (dual pro-
cess model)(Kastenbaum et al., 2003) identifie deux processus subséquents : un premier processus centré sur la
perte, qui est semblable au travail de deuil freudien et un processus centré sur la restauration qui met l’accent
sur les sources de stress liées au processus de deuil et au besoin de s’engager dans de nouvelles activités, de créer
de nouveaux rôles d’identité et de relation (Gariano, 2007).
La deuxième approche contemporaine considère le processus du deuil comme étant avant tout individuel, dans
lequel les êtres humains ne suivent pas un cheminement comparable à celui décrit par des étapes, mais dans
lequel il y a trois composantes essentielles: 1) le contexte de la perte qui inclut le type de décès et le milieu cultu-
rel; 2) le sens subjectif associé à la perte y inclus le sens existentiel pour la personne et le sens par rapport à ses
comportements dans la vie quotidienne; 3) les mécanismes d’adaptation (le « coping ») que l’individu utilisent
pour faire face à la perte (Kastenbaum et al,., 2003; Mitchell et al., 2004 : Gariano, 2007).
Est-ce que le deuil par suicide est différent?
En général, il existe plus de ressemblances entre les réactions suite à un deuil par suicide que de différences entre
le processus de deuil suite à d’autres événements. Les recherches indiquent que selon les réponses aux tests psy-
chologiques, les personnes endeuillées par suicide présentent plus souvent des réactions de deuil « compliqué » ou
« pathologique » (Campbell, 2002; Cvinar, 2005; Jordan & McMeany, 2004 : Jordan, 2001 : Mitchell et al., 2006 :
Sakinofsky, 2007; Scocco, 2006). Le deuil compliqué est habituellement caractérisé par des symptômes de pensées
intrusives dans lesquelles l’individu est préoccupé par ses pensées à l’égard de la personne décédée, par des excès
de sentiment de solitude, d’amertume, et de colère en relation avec la mort qui durent plus de 6 mois, mais qui,
selon certaines recherches, peuvent aller jusqu’à 13 mois. Il est important de constater que ces réactions dans les
premiers 6 mois ou la première année, malgré leur intensité, sont souvent considérées comme « normales ». Selon
les recherches, il y a deux composantes d’un deuil compliqué: a) la détresse de séparation (separation distress) et b)
la détresse traumatique (traumatic distress). La dépression liée à la séparation est caractérisée par le désir pour la
personne décédée, par la solitude et une préoccupation des pensées envers la personne décédée. Les symptômes de
détresse traumatique sont caractérisés par des sentiments de manque de compréhension, méfiance, colère, choc,
détachement des relations avec autrui et parfois des symptômes physiques semblables aux symptômes de la per-
sonne décédée (Kristjanson et al., 2006). Il y avait des propositions d’inclure le deuil traumatique dans la révision
du DSM-5, mais à ce jour, je ne crois pas que ces propositions aient été acceptées.
À part l’augmentation du risque de vivre un deuil traumatique, plusieurs recherches ont essayé de voir s’il y avait
des symptômes ou sentiments différents qui sont spécifiques au deuil par suicide. En général (il y a de nombreuses
recherches et il est difficile de les résumer en quelques phrases), les recherches ont trouvé que lorsque le décès est
un suicide, les personnes endeuillées vivent plus d’expériences et des expériences plus intenses de stigmatisation,
de honte, d’autocritique et une recherche pour comprendre les raisons du suicide de l’être cher (Sakinofsky, 2007).
Il y a quelques indications selon lesquelles les personnes endeuillées par suicide présentent un risque plus élevé de
comportement suicidaire que les personnes qui ont subi une perte par d’autres causes (Campbell. 2002; Jordan,
2001). Plusieurs recherches indiquent qu’une des préoccupations intenses est un désir et une recherche d’une ex-
plication au suicide du défunt et un sentiment que la mort est incompréhensible (Black, 2005; Dyregrov & Dyre-
grov, 2005; Sakinofsky 2007). Dans une étude de Currier et al. (2006), le manque d’habileté à comprendre la mort
se révélait un des meilleurs indicateurs du développement d’un deuil compliqué.
Dyregrov (2006) a effectué une recherche auprès des membres du réseau de soutien de 100 personnes en-
deuillées par suicide et a trouvé que, même si la grande majorité (41 %) avaient éprouvé des difficultés à sup-
porter la personne et plus de la moitié (53 %) pensaient avoir fait la mauvaise chose dans leurs tentatives de
soutien de l’endeuillé, 99 % des membres de l’entourage ont dit que de jouer le rôle de soutien s’avérait positif
et 95 % d’entre eux ont vécu de la croissance personnelle à cause de ces expériences.

Les interventions pour améliorer l’adaptation au deuil en général


Deux recensions récentes par Schut et Stroebe (2005) et Currier, Niemeyer & Berman (2008) ont fait le point
sur les recherches empiriques pour l’utilité des différentes interventions auprès des personnes endeuillées en gé-
néral. Les recensions montrent qu’il y a, en général, de petits bénéfices à la fin des interventions, mais qu’à long
terme les personnes qui participent aux interventions psychothérapeutiques ou de soutien ne vont pas mieux
que les personnes des groupes témoin. Cela ne veut pas dire que les symptômes continuent. Les recherches in-
diquent que les groupes témoin s’améliorent « spontanément », ce qui peut indiquer que soit il y a un processus
habituel de diminution des symptômes du deuil avec le temps, soit que les personnes qui ne participent pas à
un groupe de soutien ou de thérapie trouvent d’autres manières de diminuer leurs symptômes de deuil.
Cependant, tel que mentionné dans la recension des écrits effectuée pour ces auditions publiques, l’interven-
tion auprès des personnes qui vivent des deuils compliqués semble plus efficace.
Les interventions pour améliorer l’adaptation au deuil des personnes endeuillées par suicide
À la question : Quelles sont les interventions les plus efficaces avec les personnes endeuillées par suicide?, la
réponse simple est : nous n’avons pas suffisamment de recherches pour pouvoir tirer des conclusions défi-
nitives. Nous savons que quelques interventions semblent très efficaces, mais souvent, elles résultent d’une
combinaison d’approches et il est donc impossible d’identifier les caractéristiques essentielles du traitement.
Ces composantes incluent l’éducation sur la nature des processus du deuil et du deuil par suicide, l’encoura-
gement à l’expression des sentiments, la thérapie cognitive ou comportementale, le traitement sur l’établis-
sement de nouveaux objectifs dans la vie et l’apprentissage de nouveaux mécanismes d’adaptation (« coping
skills ») pour faire face à la nouvelle vie sans la personne décédée.

Défis et perspectives d’avenir


À ce jour, nous ne disposons d’aucune preuve à l’effet de la prévention des troubles liés aux réactions de
deuil. Nous savons que le soutien social joue un rôle important pour les personnes endeuillées en général
ainsi que pour les personnes endeuillées par suicide. Cependant, une recherche intéressante effectuée au
Canada, indique que le type et le niveau de soutien peuvent varier selon l’étape ou le moment du chemine-
ment d’une personne endeuillée. L’étude a trouvé que dans les premiers mois suivant le décès, les personnes
disposant d’un réseau de soutien social intense et des relations intimes avec un petit nombre de membres de
leur famille présentaient moins de symptômes sévères de deuil que des personnes qui n’étaient pas entourées
de façon intense par leur famille. Cependant, deux ans plus tard, lorsque le travail de deuil constituait l’éta-
blissement d’une vie et d’une identité sans la présence de la personne décédée, les personnes ayant un réseau
de soutien familial intense s’en sortaient moins bien que les personnes qui, à cette étape, avaient établi un
réseau plus élargi d’amis, dans différents milieux, y inclus des personnes qui ne connaissaient pas l’individu
au moment du décès de l’être cher ou même auparavant.
Compte tenu de l’importance des mécanismes d’adaptation pour la détermination des réactions de deuil et
de deuil pathologique, il serait intéressant de développer des programmes préventifs centrés sur le dévelop-
pement des mécanismes d’adaptation ainsi que sur des interventions plus spécifiques portant sur l’enseigne-
ment des façons de diminuer les réactions émotionnelles négatives dans l’expérience du deuil vécu.
Presque toutes les interventions auprès des endeuillés par suicide à ce jour portaient uniquement sur la
personne endeuillée et très peu d’intervention auprès des membres de leur entourage. Compte tenu du rôle
important de l’entourage, selon les recherches, un des grands défis à venir est le développement de program-
mes impliquant l’entourage dans les interventions, ou alors des interventions spécifiquement centrées sur les
membres de l’entourage de la personne endeuillée.
À cause du grand nombre de personnes endeuillées par suicide, les sentiments de honte et de culpabilité qui
souvent accompagnent le deuil par suicide de même que l’impossibilité d’avoir des groupes de soutien ou
autre sources d’aide, quelques personnes ont expérimenté les groupes de soutien pour endeuillés par suicide,
par le biais d’internet (Feigelman et al., 2008; Wagner, Knaevelsrud & Maercker, 2006). Feigelman et al., ont
comparé 104 parents ayant vécu la perte d’un enfant par suicide qui ont participé à un groupe de soutien sur
internet, aux parents comparables qui ont participé à des groupes de soutien en face-à-face. À l’origine, les
auteurs pensaient que le groupe de soutien par internet serait utilisé plutôt par des individus isolés dans des
milieux ruraux, mais ils ont constaté le même niveau d’utilisation des deux types de service dans les milieux
urbains, de banlieue, de petites villes et des milieux ruraux.
En général, les personnes ayant utilisé les services d’internet étaient celles qui avaient vécu le plus d’expériences
de stigmatisation suite à un perte par suicide, expériences vécues de la part des membres de leur famille.
30 % des personnes ayant utilisé le soutien par internet pensaient que c’était le seul type d’aide possible à cause
de sa disponibilité 24 heures par jour, 7 jours par semaine. Plus de 50 % des participants au soutien par internet
ont passé plus de 6 heures par semaine en moyenne en ligne. Les participants ont perçu de nombreux bénéfices
dans leur participation et le taux de satisfaction était nettement supérieur au groupe de soutien en face à face.
J’espère que dans les recommandations qui découleront de cette audition publique, les services par le biais d’in-
ternet seront fortement recommandés.

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Les pratiques de soutien a
proposer dans les suites immédiates :
associations de soutien, soutien des personnels impliqués.
Professeur Angela CASTELLI

Questions du comité de pilotage :


Les pratiques de soutien à proposer dans les suites immédiates :
• Associations de soutien
• Soutien des personnels impliqués
• Que proposer pour soutenir les intervenants ?

Préambule
Selon les situations, les conditions de vie et les types de liens existant entre la victime et ceux qui l’ont fré-
quentée (proches ou professionnels), le suicide est susceptible d’engendrer des réactions diverses auprès de
ceux-ci : stress aigu, syndrome de stress post-traumatique, deuil Ces réactions (type et intensité) sont étroi-
tement reliées au contexte professionnel et de vie de la personne touchée par le suicide (survivant) et à ses
antécédents (ruptures de vie, troubles de santé mentale). Une prise en charge qui se veut pertinente se doit de
proposer des modalités et des mesures de soutien diversifiées (Winter, Brockmann & Hegerl, 2005), tenant
compte des différents types et intensités de réactions (ayant chacun leurs spécificités) et des diverses tem-
poralités de l’après-suicide (heures, jours, mois après l’événement). La mobilisation et le concours d’acteurs
aux statuts et contributions variés (Obadia & al., 2004 ; Hawton & Simkin, 2003), et néanmoins complémen-
taires ou subsidiaires (Hall & Epp, 2001), semblent fondamentaux pour la mise en place d’une postvention
efficace (Castelli Dransart & Séguin, 2008).

Les pratiques de soutien à proposer dans les suites immédiates : Associations de soutien
Les associations de soutien ont été les précurseurs et les pionniers en matière de postvention dans de nom-
breux pays. Les quelques études évaluatives existantes portant sur les prestations offertes ont mis en évi-
dence un haut degré de satisfaction des participants aux activités des associations de soutien (Feigelman &
Feigelman, 2008 ; Séguin, Vinet-Bonin & Sénécal, 2004 ; Hopmeyer & Werk, 1994). Ces dernières jouissent
en général d’une bonne réputation et sont appréciées par les survivants d’un suicide qui leur font confiance
et les préfèrent parfois à l’aide professionnelle (Feigelman & Feigelman, 2008). Les évaluations de leur ac-
tion sur la santé physique et mentale des participants sont rares (cf étude de Pfeffer, Jiang, Kakuma, Hwang
& Metsch, 2002 sur des groupes de soutien pour enfants qui montrent une diminution de l’anxiété) et les
résultats doivent encore être consolidés, en raison de difficultés méthodologiques mais également d’une
conjugaison parfois difficile entre logique d’entraide et logique de recherche (Petty, 2000). En l’absence de
données consolidées, il semble judicieux de se référer aux éléments pour lesquels il existe un certain consen-
sus au sein de la communauté scientifique et des praticiens pour répondre à la question posée par le comité
de pilotage.
Plusieurs études ont mis en évidence les difficultés rencontrées par les survivants dans leurs relations socia-
les. Le plus souvent, soit parce qu’ils se replient sur eux-mêmes, soit parce qu’ils sont l’objet de craintes ou
préjudices, les survivants sont assez isolés et reçoivent moins d’aide qu’ils ne le souhaiteraient (Feigelman
& Feigelman, 2008 ; Dyregrov, 2002; Moore & Freeman, 1995; Saarinen, Hintikka, Lehtonen, Lönnqvist &
Viinamäki, 2002). La honte et la stigmatisation sont très fréquentes (Sveen & Walbi, 2008). Parfois ils obtien-
nent de l’aide au mauvais moment (Lindqist, Johansson & Karlsson, 2008). Afin de contrecarrer ces tendan-
ces (isolement, stigmatisation), il semblerait opportun d’offrir des interventions à « bas seuil » dès les jours
qui suivent le suicide. Certaines d’entre-elles pourraient être menées à bien par les associations de soutien,
en particulier pour ce qui concerne l’information, la psycho-éducation et l’offre de réseaux de soutien soli-
daires, non professionnels. Certaines études en effet reportent des attitudes critiques des participants vis-à-
vis des professionnels (Lindyist & al., 2008 ; Feigelman & Feigelman, 2008). Une préférence serait également
donnée à l’aide apportée par d’autres survivants (Feigelman & Feigelman, 2008 ; Wagner & Calhoun, 1991).
Les survivants affirmeraient également le besoin d’avoir des possibilités d’exprimer verbalement leur ressenti
(Winter & al., 2005). En raison de leur « proximité expérientielle » avec les survivants (Billow, 1987), les
associations de soutien pourraient assumer un rôle d’interface et si nécessaire de médiation, une aide « ins-
trumentale » (Marris, 1968) ou du moins initiale, dans les suites immédiates du suicide entre les survivants
et les professionnels et ce à des moments charnières, comme par exemple lors de l’annonce de la nouvelle.
Outre la présence des professionnels (responsables d’annoncer le suicide), celle d’une personne ayant vécu
ou familière avec cette expérience pourrait conforter et rassurer les survivants, ainsi qu’amorcer un contact
et un dialogue, surtout dans les moments initiaux lorsqu’ils sont en état de choc et font l’expérience d’un
état de stress aigu. Pour ce faire, il est néanmoins nécessaire que le survivant ait le choix d’entrer ou pas en
contact avec le représentant de l’association de soutien. Dans la plupart des pays, le décès par suicide engen-
dre des démarches d’investigation ou de vérification aussi bien judiciaires qu’administratives. La présence
ou le contact avec une personne familière avec un tel événement et en mesure d’expliquer ou de fournir des
indications concrètes au survivant concernant ces démarches pourrait représenter un point d’appui valable.
Dit autrement, la présence d’un membre d’une association de soutien pourrait être perçue et fonctionner
comme un « tiers-relais » (Castelli Dransart, 2003) rassurant et être, par la même occasion, une source im-
portante d’informations utiles en matière de ressources à mobiliser dans la communauté ou de démarches à
envisager ou envisageables, aussi bien au niveau pratique qu’en termes de processus de reconstruction de soi.
Une action concertée avec les professionnels présents (policiers, ambulanciers, officiers) ou ceux susceptibles
d’intervenir par la suite (professionnels de la santé mentale) serait indispensable, tout comme une formation
aux bases de la relation d’aide serait nécessaire pour les membres des associations de soutien susceptibles de
participer à ces actions « bas seuil ». Les seules familiarité ou expérience de survivant ne sont pas suffisantes
pour assumer la fonction d’interface et de relais. Des expériences satisfaisantes en matière d’intervention
conjointe professionnel-bénévole ont été menées dans d’autres pays (Myers & Fine, 2007), notamment aux
Etats-Unis et en Australie.
Les associations de soutien pourraient également contribuer à des actions « bas seuil » dans les mois qui sui-
vent le suicide, en assurant par exemple quelques contacts avec les survivants, afin de maintenir un lien et, le
cas échéant, les diriger vers des ressources laïques ou professionnelles. La possibilité d’orienter les survivants
selon leur situation et leurs besoins éviterait de pathologiser des réactions ou des difficultés émotionnelles
pouvant être considérées comme ordinaires ou en dessous du seuil clinique et de mobiliser les ressources
professionnelles, en général limitées, pour les personnes présentant des troubles de santé mentale (Christen-
sen & Jacobsen, 1994). Des dispositifs conjuguant offres privées (associations) et publiques seraient suscepti-
bles de couvrir de manière plus satisfaisante les besoins variés des survivants, à l’image de ce qui se fait dans
le Département des Deux-Sèvres (Fouet, 2008) ou aux Etats-Unis et en Australie. Dans ce cas, un travail de
concertation voire de collaboration entre les différents acteurs et les diverses offres au sein du dispositif est
indispensable pour assurer la qualité des prestations offertes et leur articulation pertinente.
Seule une minorité de survivants recherche effectivement de l’aide dans un premier temps (Dyregrov, 2002)
alors que les survivants disent ressentir le besoin d’un soutien (De Groot, De Keijser & Neeleman, 2006).
Ceci pourrait plaider pour la mise en place de mesures de soutien pro-actives. Des expériences intéressantes
ont été menées et évaluées dans quelques pays comme l’Australie et les Etats-Unis. Cerel et Campbell (2008)
ont dirigé une étude comparative entre deux types de programme menés par le même organisme aux Etats-
Unis : un programme de postvention passive (programme traditionnel où les survivants doivent eux-mêmes
solliciter l’aide et rechercher les informations utiles) et un programme de postvention active (des bénévoles
- survivants formés - interviennent dès la notification du suicide et fournissent des indications utiles). Les
premiers résultats indiquent que les survivants ayant profité du programme de postvention active se présen-
tent plus tôt pour obtenir un traitement, sont plus motivés à participer à un groupe de soutien et disent en
profiter davantage. Toutefois, les résultats n’ont pas montré de différences significatives en termes de troubles
de sommeil, de la concentration ou de l’appétit.
Feigelman et Feigelman (2008) ont évalué une expérience de groupe par internet. Cette piste pourrait être
prometteuse dans la mesure où les résultats montrent que le partage et l’accompagnement par internet
permettent de rejoindre des personnes qui d’habitude ne participent que de manière limitée aux groupes de
soutien ou qui ne sont pas suivies par des professionnels : les personnes vivant seules, divorcées ou séparées,
au revenu et au niveau de formation plutôt modestes. Les personnes affiliées au groupe sur internet expé-
rimentaient également plus de stigmatisation que les membres de groupes classiques de soutien. De plus,
internet offre une grande flexibilité temporelle et peut être une interface intéressante également entre les
séances des groupes classiques de soutien.
Les associations de soutien disposant d’un savoir de première main sur le sujet, il serait utile de les consulter
voire de les mettre à contribution lors de la conceptualisation et de la mise en œuvre de dispositifs profes-
sionnels de formation ou d’action concernant l’intervention après-suicide, en particulier pour ce qui concer-
ne les attitudes aidantes ou non lors de l’annonce de la nouvelle ou de la conduite des démarches adminis-
trativo-judiciaires. Au fil des années, il a été reconnu que les survivants ne sont pas seulement des individus
ou des groupes nécessitant un soutien mais pouvant également représenter une ressource pour leurs pairs et
pour les pouvoirs publics (Andriessen, Beautrais, Grad, Brockmann & Simkin, 2007).
En résumé
En raison de leur proximité expérientielle, des compétences développées au fil des années et du capital
confiance dont elles jouissent auprès des survivants, les associations de soutien pourraient être engagées
dans des actions de soutien à « bas seuil » (solidarité humaine, partage d’informations et d’expériences inhé-
rentes à la vie concrète et sociale, fonction de relais et d’interface avec l’entourage ou les professionnels) dans
les suites immédiates du suicide et dans les semaines suivantes, notamment en assurant une présence lors de
l’annonce de la nouvelle et des contacts ponctuels lors des premiers mois. Pour ce faire, une formation adé-
quate des adhérents et une collaboration voire une définition des attributions et des compétences respectives
avec les services publics et les professionnels s’avèrent indispensables.

Les pratiques de soutien à proposer dans les suites immédiates : Soutien des personnels impliqués / Que
proposer pour soutenir les intervenants ?
Le suicide d’un patient/client peut être considéré comme un risque professionnel pour des intervenants
oeuvrant dans les domaines de la santé et du social, surtout lorsqu’ils travaillent en santé mentale avec des
populations présentant des facteurs de risque de suicide. Selon les études, entre la moitié et les quatre cinquiè-
mes des psychiatres ainsi qu’un quart à un tiers des psychologues et des travailleurs sociaux seront confrontés
au suicide d’un patient/client durant leur carrière professionnelle (Jacobson, Ting, Sanders & Harrington, 2004;
Henry, Séguin & Drouin, 2003). Neuf médecins généralistes sur dix de l’étude de Halligan et Corcoran (2001)
ont vécu le suicide d’un patient/client. Valente (1994) estime à un tiers les infirmiers qui seront confrontés à un
tel événement durant leur carrière. Par ailleurs, la plupart des études montrent que 30 à 50% des personnes qui
se sont suicidées ont eu des contacts avec les professionnels de l’action socio-sanitaire le mois qui précède leur
décès (Grunberg & al., 1994 ; Michel, 1997 ; Ping & Merete, 2005). En dépit de cet état de fait, seule une mino-
rité (un quart) de professionnels a été formée à l’éventualité du suicide d’un patient (Dewar, Eagles, Klein, Grey
& Alexander, 2000 ; Feldman & Freedenthal, 2006). Les données concernant l’existence et surtout l’application
de dispositifs ou de protocoles de postvention au sein de l’institution sont rares.
Les premières études sur l’impact et les conséquences du suicide d’un patient/client sur les professionnels da-
tent des années 1980. La grande majorité a été menée en contexte anglo-saxon et auprès de psychiatres et de
psychologues. Ces études font état de plusieurs impacts et conséquences sur les professionnels à la suite d’un
suicide : au niveau individuel, des pratiques professionnelles et au sein des institutions employeuses.
Au niveau personnel, la plupart des professionnels vivront, à la suite d’un suicide d’un patient/client, des états de
stress aigu. Une partie des professionnels est susceptible de développer des symptômes de stress post-traumatique
(Sakinofsky, 2007), surtout si elle a été confrontée à la scène du suicide. Une minorité de professionnels, ceux qui
avaient établi une relation particulièrement proche avec la victime, vivront un processus de deuil. Dans la littérature,
les auteurs mélangent souvent ces réactions, il est dès lors très difficile de pouvoir comparer les résultats d’études
qui utilisent non seulement des outils de mesure différents mais qui s’appuient également sur des construits théori-
ques aux contenus variables. Toutefois, les auteurs s’entendent pour dire qu’à la suite d’un suicide, les professionnels
éprouvent généralement des émotions tels que le choc/incrédulité, la culpabilité, la tristesse, l’impuissance, la colère,
la honte et l’anxiété (Castelli Dransart, Kaufmann Didisheim, Gulfi & Gutjahr, 2007 ; Henry & al., 2003 ; Hendin,
Lipschitz, Maltsberger, Haas & Wynecoop, 2000 ; Reeves, 2003 ; Ruskin, Sakinofsky, Bagby, Dickens & Sousa, 2004).
Le suicide d’un patient peut être perçu comme un échec (Goode, 2001 ; Knüsel, Castelli Dransart & D’Alessandri,
2000) par soi-même et également par l’entourage de la victime ou par les collègues. L’estime de soi peut être mise à
l’épreuve. Les réactions de stress se manifestent sous la forme de pensées ou d’images intrusives, de comportements
d’évitement, de signes de stress physique (par exemple, altération du rythme du sommeil, palpitations, hyper vigi-
lance) (Castelli Dransart & al., 2007 ; Valente, 1994). Les réactions évoquées dans les témoignages et lors d’études
scientifiques varient en intensité, s’estompent le plus souvent avec le temps et sont en général influencées par le degré
et le type d’implication du professionnel dans la relation avec le patient (prédicteur). L’intensité des réactions éprou-
vées est encore influencée, selon les études, par le genre, l’âge et l’expérience ou encore la formation du professionnel,
sans que ces variables ne fassent l’unanimité (Castelli Dransart & al., 2007). L’intensité et la gravité de l’impact sont
controversées : certaines études faisant état d’impacts modérés à élevés pour une partie importante des participants
(Courtenay & Stephens, 2001 : questions semi-ouvertes, estimation de l’intensité de l’impact par les chercheurs sur
la base des réponses ; Dewar & al., 2000 ; Hendin, Haas, Maltsberger, Szanto & Rabinowicz, 2004 : entretiens, esti-
mation des chercheurs sur la base des réponses), d’autres relevant des impacts plus modestes pour la majorité des
participants au niveau personnel (Henry, Séguin & Drouin, 2003, 2004 ; Pieters, Gucht, Joos & Heyn, 2003 ; Castelli
Dransart & al., 2007, Ruskin & al., 2004 ; McAdams & Foster, 2000). Les études les plus rigoureuses du point de vue
méthodologique (car disposant des effectifs les plus nombreux, utilisant des échelles de mesure et ayant mené des
analyses statistiques plus poussées) tendent à montrer des impacts personnels plus contenus ou modérés pour la ma-
jorité des participants. Seule une minorité de professionnels atteignent un niveau d’intensité de réaction de stress plus
élevé, mais en dessous du seuil clinique (Henry & al., 2003 ; Castelli Dransart & al., 2007). Les études semblent donc
montrer qu’au niveau de l’impact personnel, les professionnels expérimentent surtout des réactions de stress aigu qui
restent néanmoins, pour la plupart des cas, en dessous généralement du seuil clinique. Dans leur étude Henry et al.
(2004) arrivent à la conclusion que les manifestations de deuil à la suite du suicide d’un patient/client sont limitées
(score faible sur le Grief experience questionnaire).
La sphère professionnelle est également touchée par le suicide d’un patient/client (Alexander, Klein, Gray,
Dewar & Eagles, 2000 ; Chemtob, Hamada, Bauer, Kinney & Torigoe, 1988a, 1988b; Dewar & al., 2000 ;
Hendin & al., 2000 ; Horn, 1995). La perte par suicide d’un patient/client peut s’avérer difficile à affronter
pour l’intervenant dans la mesure où cette perte est, en général, en contradiction manifeste avec le projet de
prise en charge (Pommereau, Delorme, Bonnemaison & Bouthier, 1994 ; Vedrinne, Sorel & Weber, 2000).
Le suicide peut donc être vécu comme une atteinte préjudiciable à l’image et à l’identité professionnelle; il
peut également influer sur la qualité de l’intervention future. Certains professionnels douteront même de
leurs actes et du type de suivi ou soutien qu’ils ont offert à la personne décédée (Fidelle, Colas-Benayoun &
Seyeux-Bertin, 2004). Cela peut aller jusqu’à remettre en question leurs compétences relationnelles et pro-
fessionnelles (Hendin & al., 2004, Collins, 2003). Des craintes d’être jugés par les collègues, l’institution et
l’entourage de la personne suicidée ne sont pas rares.
Les pratiques professionnelles sont souvent infléchies à la suite d’un suicide (Alexander & al., 2000) : des pra-
tiques d’accompagnement plus prudentes, comme par exemple l’augmentation des hospitalisations préven-
tives ou l’adoption d’une approche plus structurée (PiIlkinton & Etkin, 2003 ; Castelli Dransart & al., 2007),
sont adoptées ; une anxiété amplifiée à travailler avec des personnes suicidaires (Castelli Dransart & al.,
2007), une conscience accrue du risque suicidaire (Chemtob & al., 1988a ; Castelli Dransart & al., 2007) et
une consultation plus fréquente des collègues (Mc Adams & Foster, 2000 ; Grad, Zavasnik & Groleger, 1997 ;
Castelli Dransart & al., 2007) sont également parmi les conséquences les plus habituelles. Une plus grande
attention aux implications légales (McAdams & Foster, 2000) est également évoquée.
Le suicide d’un patient/client a souvent des conséquences également sur l’institution, susceptible d’être mise
en cause par les autres patients, par l’entourage de la personne décédée et parfois même par les profession-
nels y œuvrant. Des tensions au sein des équipes peuvent surgir, résultat de non-dits, d’un climat de crainte,
voire de blâme ou rivalité (Courtenay & Stephens, 2001 ; Joyce & Wallbridge, 2003). Alors même qu’ils sont
également touchés par l’événement, les professionnels doivent faire face aux réactions et aux interpellations
des autres patients, de la hiérarchie, voire de la famille de la personne décédée (Courtenay & Stephens, 2001 ;
Vogel, Wolfersdorf & Wurst, 2001). Dans le pire des cas, ils font l’objet d’enquêtes, voire de plaintes pénales.
Les conflits au sein des équipes, la rotation du personnel ainsi que le fait de ne pas tirer parti des conséquen-
ces des expériences au sein de l’organisation figurent parmi les conséquences les plus courantes au niveau
institutionnel.. Ceci peut affecter la capacité des professionnels à travailler ensemble et avec les autres pa-
tients/clients (Courtenay & Stephens, 2001 ; Michel, 1997) ainsi que biaiser le travail avec les patients/clients
suicidaires. Très peu de données consolidées existent sur les conséquences au niveau institutionnel.
De même, dans la littérature, seules quelques données existent sur les sources et les types de soutien auxquels
les professionnels ont eu accès et/ou ont pu mobiliser lors du suicide d’un patient/client. Le soutien a été peu
étudié en tant que variable. Le plus souvent, il apparaît dans les recommandations conclusives des études.
Toutefois, deux études, (Henry & al., 2004 ; Castelli Dransart & al., 2007) qui font état d’un impact émotionnel
contenu, relèvent que les professionnels affirment avoir reçu, pour la plupart, suffisamment de soutien.
Les évaluations des mesures de soutien ou d’accompagnement ainsi que des effets de la mise en place de dis-
positifs de postvention ou de l’utilisation de protocoles d’intervention dans les milieux professionnels sont
pratiquement inexistantes.
La formulation des recommandations inhérentes aux pratiques de soutien à l’intention des professionnels ne
peut donc pas s’appuyer sur des résultats et données consolidés. Dès lors, elle s’appuiera sur les prédicteurs qui
sont ressortis le plus souvent des études menées et sur les recommandations faisant l’objet d’un large consensus
au sein de la communauté scientifique et clinique en matière de postvention. Celle-ci vise à réduire, à court et à
long terme, les effets négatifs d’une mort par suicide par le soutien et l’accompagnement des personnes tou-
chées à différents titres par cet événement. Elle englobe « les politiques, les ressources, la formation du person-
nel, l’évaluation et le suivi » (Gravel, 1999). En outre, la postvention contribue à la prévention du suicide, en
contenant les effets d’imitation et les conséquences perturbatrices du suicide à long terme.
Les pratiques de soutien à proposer dans les suites immédiates à l’intention des personnels impliqués seront
prioritairement celles de nature à permettre la gestion de cet événement au niveau institutionnel (gestion
d’un événement critique) ainsi que les pratiques susceptibles de contenir le stress aigu et de prévenir le déve-
loppement du stress post-traumatique pour ce qui concerne le niveau individuel.
Au niveau institutionnel, une régulation de l’événement et de ses conséquences est nécessaire. L’institution doit
pouvoir garder son rôle structurant, aussi bien vis-à-vis des professionnels que des autres patients ou de la famille
de la victime. Ceci permettrait l’apprentissage et l’intégration constructive de cet événement au niveau institu-
tionnel et des pratiques professionnelles. Il est dès lors nécessaire que des directives précises existent et soient
appliquées en matière de communication et de mobilisation de ressources disponibles. Un tel dispositif devra
également préciser les finalités et les logiques d’intervention (par exemple, prévenir les effets d’imitation), les
responsabilités et les champs de compétences des différents acteurs dans le temps (qui est responsable de l’analyse
de la situation et de l’éventuelle activation de mesures), les types de démarches et d’interventions envisageables ou
prévues, les ressources mobilisables (humaines et logistiques), les groupes de personnes concernées (en tant que
pourvoyeuses de soutien ou bénéficiaires de soutien aussi bien au sein de l’institution qu’à l’externe), les procédu-
res formelles et administratives à mettre en œuvre (procédures qualité, annonce de l’incident critique aux auto-
rités et aux assurances), les modalités de gestion de l’information (par qui, à l’intention de qui, quand, comment,
par quelle voie) au sein de l’institution et à l’externe, avec les autorités, les professionnels, les autres patients, la
familles de la personnes suicidée, les médias (Castelli Dransart, 2009). Le dispositif représente pour l’institution
un système de gestion et un cadre structurant susceptible d’orienter la réflexion et l’action et de contenir les réac-
tions émotionnelles ou de stress des personnels et des patients/clients et les éventuels effets d’imitation. Il doit être
mobilisé et utilisé à bon escient et de manière flexible et être adapté aux caractéristiques de la situation. Chaque
situation demande en effet une analyse préalable des circonstances et une évaluation ponctuelle des conséquen-
ces du suicide, et cela avant que des démarches ne soient entreprises ou que des mesures ne soient prises (Séguin
& Roy, 2005). Les mesures ne seront pas les mêmes si le suicide a eu lieu ou non au sein de l’institution ou si elles
sont mises en œuvre dans les suites immédiates du suicide ou les jours, voire les semaines suivants. Pour ce qui est
des suites immédiates, la sécurisation du lieu du suicide (en cas de suicide au sein de l’institution), l’information
claire et pertinente ainsi qu’une première intervention « bas seuil » (communication institutionnelle) à l’intention
des équipes soignantes impliquées, de la famille et des autres patients sont les priorités. Une attitude positive et
soutenante de la part des instances de management envers les professionnels permet une analyse de la situation et
la mise en place de mesures pertinentes plus rapidement.
Au niveau des mesures de soutien pour les individus et les équipes professionnelles, les offres de soutien devraient
être différenciées et modulables en fonction de l’impact du suicide et des réactions constatées, des contextes
institutionnels, ou des caractéristiques propres aux catégories de professionnels touchés (Alexander & al., 2000 ;
Collins, 2003 ; Grad & al., 1997). La littérature fait état de plusieurs types d’offre de soutien : le partage d’expérien-
ce avec des collègues, les discussions d’équipes autour du décès, l’analyse de cas, la supervision ou l’intervision,
l’échange avec des pairs survivants, l’autopsie psychologique et le débriefing sont généralement considérés comme
aidants et pertinents par les participants (Alexander & al., 2000 ; Biermann, 2003 ; Campbell & Fahy, 2002, Cas-
telli Dransart & al., 2007 ; Sudak, 2007, Chemtob & al., 1988a), pour autant que ces démarches soient entreprises
dans un esprit constructif et non pas dans un climat de blâme (Alexander & al., 2000) ou de désignation de boucs
émissaires. Ces démarches permettent la ventilation émotionnelle et le recadrage cognitif, moyennant un cadre
clair et structurant, et sont donc susceptibles de réduire les états de stress. A moyen terme, elles favoriseraient
la qualité des soins et de la prise en charge (VanLith, 1996) puisqu’elles encouragent la réflexivité sur les prati-
ques professionnelles et sur l’organisation des soins ou de la prise en charge. Il est important toutefois de garder
à l’esprit que la majorité des professionnels, bien que bouleversés par le suicide d’un patient/client, ne présente
que des symptômes de stress aigu en dessous du seuil clinique, semble pouvoir faire face et s’adapter de manière
constructive à cet événement (Henry & al., 2004 ; Castelli Dransart & al., 2007) et ne nécessite donc pas d’un sou-
tien conséquent ou thérapeutique. L’opportunité d’offrir des séances de débriefing selon une forme classique ou
modifiée aux professionnels et aux autres patients/clients sera évaluée en fonction de la situation concrète (suicide
au sein ou non de l’institution, scène suicidaire publique), de la temporalité de l’offre, des personnels touchés et de
leur implication dans la scène du suicide ou dans la prise en charge de la personne suicidée, ainsi que de la nature
et de l’intensité des réactions. Des auteurs (Bisson in Wright, Borrill, Teers & Cassidy, 2006) en effet conseillent la
prudence, un débriefing en « arrosoir » pouvant augmenter les sentiments de stress et d’angoisse des personnes
qui ont été moyennement ou peu affectées par le suicide.
Une attention accrue sera donnée aux sous-groupes de professionnels susceptibles de présenter des réactions
plus intenses : à savoir ceux ayant entretenu une relation étroite avec la personne décédée, les professionnels
les plus jeunes ou les moins expérimentés ainsi que ceux ayant été confrontés pour la première fois à un dé-
cès par suicide. Les personnes ayant été présentes sur la scène du suicide devraient également être soutenues
de manière particulière. Des résultats montrent en effet que l’intensité de l’impact du suicide est liée aussi
bien à l’intensité qu’à la variété du soutien obtenu (Castelli Dransart & al., 2007).
Une gestion constructive de la communication aussi bien au sein de l’équipe qu’entre l’équipe et la famille
ou les autres patients/clients semble indispensable dès les premières heures suivant le suicide et est de nature
à réduire le sentiment d’insécurité, d’angoisse et de colère. Les contacts et la communication ouverte avec
l’entourage de la personne décédée peuvent également se révéler aidants (Howard 2000), tout comme le fait
d’assister aux funérailles (Kaye & Soreff, 1991). Les familles survivantes se sentent souvent désemparées et
ont besoin d’explications claires sur le déroulement du suicide. Aussi, il serait souhaitable de contacter dès
que possible la famille de la personne suicidée et d’aborder ouvertement le décès par suicide (Kaye & Soreff,
1991). La rencontre avec la famille est susceptible également de favoriser l’élaboration de l’événement par les
professionnels (Terra, 2003).
A moyen et long terme, il est important également de former les professionnels oeuvrant en santé mentale
ou dans le social au risque de suicide (Chemtob & al., 1989; Hawton & Simkin, 2003 ; Castelli Dransart & al.,
2007), risque inhérent à leur travail auprès de populations souffrant de troubles psychiatriques ou en situation
de rupture sociale. En particulier, la formation de base des professionnels devrait pouvoir les sensibiliser et les
outiller à l’éventualité d’un suicide, ce qui est encore trop rarement le cas à présent (Henry & al., 2003, Dewar
& al., 2000, Ellis & Dickey, 1998). L’expérience montre que cet événement, bien que bouleversant et éprouvant
pour les équipes soignantes, peut également représenter une opportunité d’évolution et d’apprentissage (Goo-
de, 2001). Des professionnels outillés et conscients des risques, vigilants face aux comportements suicidaires et
à leurs conséquences sont le meilleur gage d’une prévention et d’une postvention efficaces.
En résumé
Le suicide d’un patient /client est susceptible de provoquer des conséquences à différents niveaux (institu-
tionnel, personnel et au niveau des pratiques professionnelles). Les réactions peuvent être variées (stress
aigu, stress post-traumatique, dysfonctionnement ou situation de crise au niveau institutionnel, etc). Afin de
permettre l’apprentissage et l’intégration constructive de cet événement à moyen et à long terme, il est néces-
saire de prévoir une régulation institutionnelle et d’offrir aux professionnels des mesures de soutien tenant
compte des différents types de réaction et de leur intensité, de la temporalité de l’offre et des différents grou-
pes à risque. Dans les suites immédiates, priorité sera donnée à la gestion de l’information et de la commu-
nication, à l’identification et au soutien lors de manifestations de stress aigu ainsi qu’à la mise à disposition
d’espaces de ventilation émotionnelle et de recadrage cognitif.
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Université du Québec en Outaouais Groupe McGill
d’étude sur le suicide

Professeure Monique SEGUIN

Audition Publique organisée par la Fédération Française de Psychiatrie

Audition Publique sur le thème «Effets et conséquences du suicide sur l’entourage : modalité
d’aide et de soutien»
Questions du comité de Pilotage : Le deuil, même difficile, n’étant pas une maladie doit-on après un suicide consul-
ter un médecin ou un psy? Dans les associations spécialisées quels sont les endeuillés après suicide susceptibles de
tirer profit d’un groupe de soutien? Quelles sont les meilleures règles de fonctionnement de ces groupes? Vers quels
spécialistes orienter en cas de difficultés?

Ceux ayant des


difficultés
d'ajustements

Ceux ayant des


vulnérabilités
personnelles

Ceux ayant des


troubles
mentaux

Décès

En l’absence d’une évaluation diagnostique précise, la question de l’intervention «la mieux adaptée et la plus effi-
cace» ne peut pas être répondu. Il existe un large consensus dans la littérature scientifique quant au retentissement
d’un deuil après suicide : choc, culpabilité, tristesse, difficultés sociales, isolement, souffrances, etc. Cependant, la
présence des ces réactions n’entraîneront pas automatiquement le développement de troubles de santé mentale.
Ainsi, les actions proposées doivent répondre aux besoins spécifiques des individus, tenant compte du fait que
les personnes endeuillées ne constituent pas un groupe homogène nécessitant la même intervention, au même
moment. Certaines personnes, entre autre celles qui ont des antécédents de maladies mentales (la dépression, des
troubles anxieux, des troubles de toxicomanies, etc.) connues avant le décès (Bonanno & Wortman, 2004), seront
plus à risque de développer un deuil complexe (deGroot, Keijser & Neeleman, 2006). Alors, il ne s’agit donc pas de
proposer une aide à tous, mais d’identifier quels sont les sous-groupes de personnes endeuillées qui auront besoin
d’une aide, de la spécifier et de déterminer à quel moment de leur deuil cette aide sera requise.
LES INDIVIDUS
Lorsqu’un événement tragique comme un décès survient, l’ampleur des réactions au deuil sera différente en fonc-
tion du niveau de proximité, du niveau d’attachement à l’autre, du niveau de vulnérabilité personnelle auxquels la
personne endeuillée aura été exposée au cours de sa vie. Comme l’illustre le graphique suivant, le retentissement
du décès peut varier en fonction de différences prédispositions, selon leur niveau de fragilité. Les individus qui
sont les plus à risque peuvent être ceux ayant des troubles mentaux, suivi de ceux qui ont des vulnérabilités per-
sonnelles et enfin, ceux ayant des difficultés d’isolement ou d’ajustements.
De fait, il y a 15% des personnes endeuillées qui auront un trouble affectif majeur une année après la perte
d’un proche (Hensley et al, 2009). Le processus de fragilisation n’est donc pas exclusivement relié à la nature
du décès, mais également tributaire de diverses conditions, dont celles déjà présentes avant le décès (ex. :
problèmes de santé mentale, nature et intensité de la relation avec la personne décédée, type d’attachement à
la personne décédée, etc.). D’autres conditions sont quant à elles, associées aux circonstances du deuil (ex. :
âge de la personne endeuillée, anticipation ou non du décès, etc.). Et finalement, il y a les conditions qui
apparaissent après le décès (ex. : présence de relations conflictuelles avec des membres de la famille ou de
l’entourage, difficultés de santé physique ou de santé mentale, mode de «coping», etc.). Le repérage de fac-
teurs de risque ou des réactions complexes, identifiées de manière précoce, permettrait donc de proposer des
interventions de deuil à certains sous-groupes spécifiques.

LES ACTIONS
En se basant sur la position théorique qui suggère la présence de sous-groupes différents chez les personnes en
deuil après suicide, la variabilité du degré de vulnérabilité devrait signifier des types d’interventions différentes,
en fonction de la sévérité de la symptomatologie. Cela dit, une évaluation rigoureuse devrait permettre de distin-
guer les réactions de deuil douloureuses, intenses et qui demeurent dans les sphères de la normalité, de celles qui
se complexifient par le développement de troubles de santé mentale. Les personnes ayant des difficultés de deuil
complexes s’identifient clairement par la présence de troubles aigus ou chroniques de santé mentale et auront
besoin d’encadrement de la part d’équipes spécialisées en santé mentale. Par conte, celles ayant des réactions de
deuil «plus contenues» pourront souhaiter recevoir du soutien lors de cette période difficile de leur vie. Ainsi,
certaines personnes pourraient avoir du mal à gérer certaines réactions de deuil, qui seraient qualitativement dif-
ficiles et le besoin d’avoir du soutien lors de certaines périodes du deuil. Pour ces raisons, il semble important de
pouvoir assurer la présence et l’accès à un minimum de soutien, décliner sous différentes formes.
Différentes interventions peuvent être classifiées de la manière suivante :
1) Les interventions qui s’adresseront aux personnes qui vivront des deuils sans difficultés cliniques, et
qui pourront, dans certains cas, avoir besoin d’interventions qui mobilisent le soutien social. On parle
généralement ici de parrainage, de groupes d’entraide et de groupe de soutien, s’adressant en premier
lieu, aux personnes qui se sentent seules et isolées à travers l’expérience du deuil.
2) Les interventions qui s’adresseront aux personnes ayant des deuils plus difficiles, pourront bénéficier
d’interventions de psychothérapies plus classiques, individuelles ou familiales et qui s’adressent généra-
lement aux personnes dont le deuil provoque l’émergence de deuil qualitativement difficile, de conflits
personnels, etc. Les interventions de psychothérapies peuvent également s’adresser à quiconque souhaite
réaliser une démarche personnelle.
3) Les interventions qui s’adresseront aux personnes qui vivent des deuils pathologiques auront besoin
d’interventions dispensées par les équipes spécialisées en santé mentale. Ces équipes ciblent générale-
ment des personnes ayant des troubles actuels et passés de santé mentale et qui ont un deuil complexe
généralement associé à la présence de troubles comorbides. Une combinaison de plusieurs interventions
effectuées dans un cadre simultanée ou séquentielle peut s’avérer efficace pour certaines personnes.
I. Parrainage, groupe d’entraide et groupe de soutien
Depuis plusieurs années, des interventions fondées sur la mobilisation du soutien social ou sur la
création de nouveaux réseaux de soutien informels se sont développées pour venir en aide aux person-
nes endeuillées par suicide. Conçues à l’origine à l’intention de l’entourage immédiat des personnes
suicidées, les activités de soutien à la suite d’un suicide occupent une place de plus en plus importante
et se présentent sous plusieurs formes. Sans vouloir faire une description exhaustive de chacune de ces
approches, il faut mentionner qu’elles ont en commun la mobilisation du soutien social lors de moment
difficiles, souvent lors de moment de vie ou les personnes en deuil souffrent de stigmatisation sociale,
d’isolement et de solitude. Cette forme de soutien existe depuis plus de cinquante ans dans des situa-
tions de veuvage et a pris son envol dans des groupes associatifs, presque partout au monde. Les actions
de ces associations s’articulent en général autour de plusieurs axes : la diffusion d’information et de
publication, l’offre de lieux d’échanges entre individus, un encadrement de type psychoéducation pour
les personnes en deuil, la formation auprès du grand public ou des intervenants professionnels, le tra-
vail de réseau entre différents organismes associatifs, le travail de sensibilisation et de défense d’intérêt,
etc. (Séguin & Castelli- Dransart, 2006). Les interventions de parrainage se basent spécifiquement sur
un jumelage d’individus récemment endeuillés avec d’autres individus ayant eux-mêmes vécu et tra-
versé un deuil et qui offre un soutien encadrée à la personne en deuil (Silverman, 1967). Cette forme de
soutien peut être très utile dans un contexte éloigné des grands centres, où il est plus difficile d’offrir la
tenue régulière de groupe.

Dans le cas des groupes d’entraide, le principe moteur de l’intervention de soutien est le même, à savoir qu’une
personne ayant vécu ou vivant une difficulté est souvent mieux placée pour aider les autres affrontant la même
situation. On parle aussi de groupe d’aide mutuelle ou de groupe de pairs. L’application de ce principe s’effectue
en misant davantage sur la force du groupe que sur la rencontre entre individus. En effet, les groupes d’entraide
réunissent plusieurs personnes affectées par un deuil. Ces groupes revêtent des formes et des structures variées,
quoique leurs objectifs soient identiques. Les facteurs communs aux groupes d’entraide sont donc la mutualité,
le partage collectif et l’affinité (Guay 1984; Hanus, 2004). Les rencontres sont structurées et contrôlées par les
membres eux-mêmes. Le soutien que les gens y trouvent est issu de trois sources principales, dont l’une d’elles
est la mise en présence d’autres endeuillés, qui viendra confirmer à la personne affligée qu’elle n’est pas seule à
vivre la perte d’une personne significative dans sa vie. D’autre part, elle trouve un lieu permissif et ouvert à l’ex-
pression de toutes les réactions de deuil. Finalement, les endeuillés y trouvent des informations et de la docu-
mentation sur des sujets qui les intéressent. Quelques groupes d’entraide rejoignent périodiquement l’ensemble
de leurs membres par l’intermédiaire d’un bulletin de liaison. Certains groupes d’entraide bénéficient aussi, de
façon régulière ou occasionnelle, de professionnels qui rendent disponible leur expertise en matière de deuil.

Les groupes de soutien sont parfois confondus aux groupes d’entraide. Il faut souligner que les groupes de
soutien diffèrent des groupes d’entraide en vertu de l’implication plus grande des professionnels et du soutien
apporté aux cas individuels. Les objectifs des groupes de soutien penchent davantage du côté de la résolution
de problèmes et de la relation d’aide, tout en reconnaissant le caractère bénéfique de l’entraide. Les groupes de
soutien offrent des rencontres structurées où les endeuillés entreprennent une démarche facilitant la résolution
du deuil. Ces groupes font appel à des techniques misant à la fois sur la démarche individuelle et la démarche
de groupe. Chaque rencontre est guidée par un professionnel, dont le rôle consiste à coordonner la rencontre et
à faciliter les interactions entre les participants. Malgré certaines différences de structures, ce type de soutien se
base essentiellement sur la mobilisation du soutien social, sur l’échange et l’entraide que peuvent s’apporter les
individus d’un même groupe qui ont vécus le même événement difficile.
Certains groupes offrent des rencontres fermées, c’est-à-dire qu’elles réunissent toujours les mêmes participants
qui se revoient de semaines en semaines, alors que d’autres groupes optent pour des rencontres ouvertes dans
lesquelles les participants se présentent régulièrement ou non, selon leurs besoins. La durée du soutien offert
est également variable. Certains groupes offrent un nombre limité de rencontres, alors que d’autres groupes ne
limitent pas le nombre de rencontres auxquelles un endeuillé peut participer. Dans la composition des groupes, il
existe aussi des divergences quant à la nature de relation que l’endeuillé entretenait avec la personne décédée. Cer-
tains groupes préfèrent conserver une homogénéité de participants et le contraire amène certaines organisations à
préconiser l’hétérogénéité des participants, parce que celle-ci favorise un dialogue plus ouvert entre les endeuillés.
Malgré qu’il y ait des groupes différents pour adultes et jeunes, les objectifs demeurent assez similaires. À notre
connaissance, un seul groupe de jeunes endeuillés a été évalué et les résultats démontrent des effets positifs,
mais sans que les auteurs concluent à une efficacité du traitement (Daigle et Labelle, 2004). Les groupes de
jeunes ou d’adolescents doivent être conduits avec prudence et les animateurs doivent tenir compte du stade de
développement dans lequel les jeunes se situent et des défis inhérents à ce stade de développement. Ainsi, l’ado-
lescence n’est pas la période la plus favorable à un dévoilement personnel trop intense devant un groupe, tout
comme les plus jeunes pourront avoir du mal à soutenir l’expression de chagrin de leurs pairs. Plus d’études
devraient évaluer le deuil et l’efficacité des interventions de deuil des jeunes et des adolescents.
Au cours des dernières années, une autre forme de soutien mutuel émerge : les groupes de soutien sur In-
ternet. Pour plusieurs personnes, cette forme de soutien s’avère intéressant, compte tenu d’une accessibilité
24/7. Dans une étude comparative, Feigelman et coll. (2008) observent que les personnes endeuillées partici-
pant à un groupe d’entraide sur Internet se sentent, en général, plus stigmatisées et ont un niveau de dépres-
sion plus élevé que les personnes qui participent à des groupe sur un mode face à face.
L’efficacité du soutien et de l’entraide se traduit généralement par une évaluation de la satisfaction des par-
ticipants. La plupart des participants disent en retirer plus qu’ils n’ont l’impression de donner, en dépit du
principe de réciprocité dans l’aide. La majorité des aidés se sont sentis soutenus, reconnus et stimulés. Peu
d’études ont réalisé une évaluation systématique de l’impact de ces groupes, cependant nous devons consta-
ter les limites méthodologiques importantes à ce type d’évaluations.
De façon générale et ce, malgré certaines différences de structures, les résultats font ressortir les trois points qui
suivent: 1) Des effets positifs sans atteindre un seuil significatif. 2) Des bienfaits plutôt qualitatifs que quantitatifs.
3) Des résultats similaires d’un groupe à l’autre, quel que soit le type de groupes ou la durée. (Hopmeyer & Werk,
1994, Lund & Caserta 1992, Liberman & Borman 1986, Knight et al. 1980; Séguin, 2006; Daigle et Labelle, 2004).
Compte tenu de ces maigres conclusions, les professionnels qui dirigent ces types de programmes devront s’appuyer
sur des principes cliniques pour guider les choix qu’ils feront. Par exemple, quant à la durée des programmes d’en-
traide, qui varient d’intervention très brève à des groupes permettant une implication sur plusieurs années. Sachant
que l’adaptation au deuil se réalise généralement par un travail progressif, durant lequel la personne endeuillée
apprend à vivre sans la présence de l’être aimé, la question de la durée du soutien doit être au centre des décisions
cliniques. Étant donné l’investissement de temps et d’énergie que demande le maintien des programmes de deuil, il
n’est peut être pas justifié, compte tenu des données observées dans certaines études (Daigle et Labelle, 2004; Séguin
et al. 2005), de maintenir des programmes très long. Cependant, les programmes courts et intenses ne sont peut être
pas efficaces pour soutenir le travail de deuil, qui s’étends sur une période beaucoup plus longue que quelques mois.

Il semble qu’il peut y avoir un espace pour chacune de ces approches : groupe vs individuel; entraide vs soutien
professionnel ; durée fixe vs durée flexible, si l’on tient compte d’une adéquation entre les besoins de la personne en-
deuillée et de la compétence et la formation des animateurs. Il est important de reconnaître les limites de cette forme
d’intervention et de ne pas tenter de répondre à tous les besoins par la mise en place de l’entraide et du soutien social.
II. Les approches de psychothérapies individuelles/ familiales et de groupe
Dans certains cas, le deuil après un suicide peut se révéler difficile, particulièrement pour les personnes présentant
déjà certaines vulnérabilités avant le deuil (Castelli, 2004; McIntosh, 1992; Séguin, Lesage& Kiely 1995). Le décès
après suicide pourra également, dans certaines circonstances où l’endeuillé aura été exposé à une scène trauma-
tique, engendrer le développement d’un trouble de stress post traumatique. Cependant, il faut noter qu’un deuil
après suicide n’entraîne pas automatiquement un trouble de stress post-traumatique, car tous n’auront pas été
exposés et témoin de la scène du suicide. Tout comme le fait d’avoir été témoin de la scène de suicide, n’amène pas
automatiquement une complexification dans le processus de détachement du proche décédé. Cependant, l’ex-
position aux événements traumatiques peut générer des réactions de TSPT (Trouble de stress post traumatique),
susceptibles d’interférer avec le début du processus de deuil et ainsi, provoquer plus de détresse (Mitchell, 2004).
Dans ce cas de figure, l’objectif thérapeutique devra considérer la superposition des difficultés, soit celle du trau-
matisme et celle du détachement de la personne aimée. Ainsi, la présence de problèmes concomitants lors de deuil
traumatique, oblige le thérapeute à tenir compte du fait que les réactions de stress post-traumatique doivent être
traitées en tant qu’entité différente de celle associée au deuil (Boelen, 2004).
Les études démontrent que les personnes ayant des difficultés psychologiques (Hawton et al., 2003) ou un cumul
de facteurs de vulnérabilités personnelles (Murphy et al. 2003) pourront avoir plus de difficultés dans l’adaptation
au deuil. Pour ces personnes, des interventions de psychothérapies peuvent s’avérer une bonne indication. Des
psychothérapies individuelles, familiales ou de groupe peuvent être proposées et il restera à déterminer quel type
d’intervention sera la mieux adapté pour chaque personne. À la suite d’une revue systématique de la littérature,
qui évalue l’efficacité des interventions post suicide, McDaid et collaborateurs (2008) identifient trois études, dont
le traitement a démontré un effet supérieur, lorsque comparé à un groupe contrôle sans traitement. Il s’agit ici
d’une approche d’intervention cognitive-comportementale de type familiale, un groupe de psychothérapie pour
enfants d’une durée de 10 semaines et d’un groupe de psychothérapie pour adulte d’une durée de 8 semaines.
Quant au cadre théorique, plus spécifiquement dans le cas de deuil compliqué, deux grands courants d’interven-
tions émergent. D’une part, il y a des interventions centrées sur des dimensions interpersonnelles et dynamiques,
basées sur l’exploration de la relation et l’interprétation des conflits (ex. : relationally focused treatment) et d’autre
part, des interventions centrées sur des dimensions cognitivo-behaviorales, comme les approches basées sur la
résolution de problème (Ogrodniczuk et al, 2002; Piper et al. 2002). Les résultats d’études récentes démontrent
que ces deux types d’approches peuvent être efficaces, dans la mesure où elles s’adressent à des groupes distincts.
Les personnes ayant moins d’habiletés et de capacités relationnelles bénéficieront plus de traitements centrés sur
le soutien immédiat, la résolution des conflits et la résolution des problèmes actuels. Par contre, les personnes
ayant eu des relations plus complexes ou ambivalentes avec la personne décédée pourront bénéficier de thérapies
centrées sur la remise en question de la relation (Mancini & Bonanno, 2006; Shear et al, 2001). Mitchell (2004)
rapporte par contre un effet modeste d’une intervention de type debriefing auprès de personnes endeuillées par
suicide. Constantino (2004) a évalué la différence entre deux types de traitements de groupe auprès de personnes
endeuillées par suicide, assignées aléatoirement à une intervention sur l’exploration des émotions, comparati-
vement à une intervention centré sur le soutien social. Les résultats indiquent une réduction des symptômes de
détresse et de dépression pour les deux groupes. Murphy (2003) rapporte des résultats similaires auprès de parents
ayant perdu un enfant par suicide. Les résultats démontrent peu de différences entre les parents inclus dans le
groupe de traitement (thérapie de deuil) et ceux du groupe contrôle (soutien).
Lors d’évaluations, pratiquement toutes les études rapportent un niveau élevé de satisfaction chez les personnes
endeuillées ayant eu recours à un traitement professionnel ou à un soutien associatif (Knight et al, 1992; Hope-
meyer et al, 1994; Séguin et al, 2004). Selon McDaid (2008), malgré les effets positifs démontrés par les interven-
tions post deuil, les résultats sont peu robustes. Généralement, les études d’efficacité de traitement indiquent des
effets modestes chez les personnes qui ont des réactions de deuil en deçà du seuil de pathologie et des résultats
plus positifs pour les interventions qui s’adressent aux personnes ayant des réactions de deuil pathologiques.
Les conclusions des études actuelles suggèrent que les personnes les plus à risque de vivre un deuil compliqué
seront celles qui bénéficieront le plus d’interventions de deuil (Farberow, 1992; Murphy, 2003) et pour lesquelles
les progrès en terme de symptomatologie seront également le plus significatifs. Certaines conclusions dissonan-
tes émergent quant aux thérapies de deuil, qui dans certains cas, pourra contribuer à la fragilisation de certains
individus (Bonnano, 2007). Shear (2001), évaluant un traitement de thérapie interpersonnelle avec des personnes
endeuillées, conclut que le traitement n’est pas nécessairement supérieur à l’évitement, particulièrement pour les
personnes ayant un deuil complexe et traumatique. De fait, certaines études récentes suggèrent que l’évitement du
travail de deuil serait, pour certains sous-groupes d’endeuillés, une meilleure stratégie que la confrontation active
des sentiments douloureux et conflictuels du deuil (Fraley &Bonnano, 2004, Shear, 2001).
III. Interventions dispensées par les équipes spécialisées en santé mentale
Le deuil pathologique se distingue du deuil compliqué par la présence de troubles mentaux, souvent de
troubles comorbides. Certains individus endeuillés par suicide peuvent développer des problèmes psychia-
triques, tels qu’une dépression ou un trouble anxieux (Bailley, Kral & Dunham, 1999; Clark, 2001; Jordan &
McMenamy, 2004; Mitchell, Kim, Prigerson & Mortimer-Stephens, 2004), entraînant des complications au
niveau personnel, social, familial, professionnel, etc. Les études de notre groupe de recherche permettent de
constater que les personnes ayant des antécédents de troubles mentaux, ou les individus ayant des troubles
de santé mentale au moment du décès sont plus à risque de développer un deuil pathologique (Thériault &
Séguin, 2009). Si bien que, le deuil d’un proche peut contribuer à l’émergence de troubles mentaux chez des
personnes déjà vulnérables ou à la résurgence de troubles antérieurs chez d’autres. Pour des individus déjà
vulnérables, la présence de dimensions traumatiques accompagnant le décès, pourrait amener ces indivi-
dus à vivre le deuil comme une période de difficulté majeure. Dans de telles circonstances, il est clair que le
tableau clinique est complexe et que le deuil devient une des difficultés, parmi les difficultés à traiter. Si les
études indiquent peu d’efficacité de traitement chez les personnes qui ont des réactions de deuil en deçà du
seuil de pathologie, les résultats sont plus probants et l’intervention nettement plus indiquée pour les per-
sonnes ayant des réactions de deuil pathologiques (Murphy et al, 2003). Les interventions associées à la prise
en charge médicale ou psychiatriques, incluant les interventions de pharmacothérapies associées à des inter-
ventions de psychothérapie et des interventions de suivis intensifs, ont démontré une efficacité de traitement
auprès des personnes ayant des troubles mentaux. Dans le cas de la prise en charge médicale ou psychiatri-
que, les équipes spécialisées interviendront sur l’ensemble des difficultés de santé mentale avec les approches
connues en psychiatrie, après avoir réalisée une évaluation diagnostique précise.

IV. Conclusions et recommandations


Les interventions suggérées sont déclinées en fonction d’un niveau d’intervention plus léger à plus soutenus.
Ces interventions ont été élaborées pour répondre à des besoins spécifiques et possiblement à des individus
distincts. Cependant, certaines personnes pourront bénéficier d’interventions issues de deux niveaux simul-
tanément, comme une intervention de psychothérapie individuelles conjuguée à la participation à un groupe
de soutien, ce qui donnera lieu à des interventions qui seront proposées de manière séquentielle à d’autres
personnes, allant d’interventions plus soutenues à des interventions plus légères, en fonction d’une améliora-
tion de leur état.
De manière générale, les résultats actuels suggèrent que les personnes endeuillées peuvent toutes, à diffé-
rents degrés, bénéficier d’intervention de deuil, sans que ce ne soit une condition essentielle à l’adaptation
positive lors du deuil. Plusieurs personnes endeuillées pourront, avec le soutien de leurs proches, s’adapter
adéquatement à ce deuil difficile. D’autres pourront choisir des interventions qui mobilisent le soutien social,
l’échange et l’entraide pour faire face à ce deuil. Cependant il semble que les personnes vivant un deuil plus
complexe bénéficieront davantage de thérapies de deuil. Les personnes ayant des conflits relationnels non ré-
solus pourront bénéficier de thérapies centrées sur la relation d’objet, alors que les approches de type cogniti-
vo-behaviorales semblent être efficaces pour les individus qui ont moins d’habiletés relationnelles. Enfin, les
personnes ayant vécu des pertes traumatiques et les personnes ayant des deuils pathologiques pourront avoir
une augmentation de la symptomatologie et de la détresse psychologique lors du traitement de deuil (Regehr,
2001) Ces personnes devront être prises en charge par des équipes spécialisées.
Indépendamment du type d’interventions proposées, certaines variables semblent démontrer plus d’effica-
cité ou plus d’impacts positifs que d’autres, dont la présence de thérapeutes bien formés (vs des thérapeutes
non professionnels), l’utilisation de thérapie individuelle (vs la thérapie de groupe), un suivi plus régulier
et soutenu (vs des interventions brève). Nous sommes forcés de constater qu’au delà de la satisfaction assez
générale de personnes à l’égard d’une démarche thérapeutique, l’efficacité de ces interventions est loin d’être
démontrée (Hawton, 2009).
En conclusion, nous recommandons que des efforts soient consentis, afin d’évaluer l’efficacité des différentes
interventions, tout en tenant compte de leurs efficacités auprès de différents sous-groupes et à travers le temps.

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Effets et conséquences du suicide sur l’entourage :
Modalités d’aides et de soutien.

Professeur Antoine LAZARUS

Introduction :
En amont ou en aval de cette intention de renforcement et ou construction de pratiques sociales d’aide et
de soutien pour cette « population cible » que seraient les « proches des suicidés, il y a un discours à préci-
ser. Les religions avaient la charité pour compenser les condamnations rigoureuses de l’acte commis par le
proche disparu, les syndicats et partis politiques n’en disent rien sauf quand certains suicides éclairent des
dysfonctionnement et portent des revendications. Avant même de se demander qui doit le faire et comment
s’y prendre sur quels principes et intentions s’appuyer ?
Dans la lettre aux experts 11 septembre 2009 il leur est demandé leurs réflexions et propositions des bénéfi-
ces en termes de Santé Publique, et notamment dans la prévention des états graves et prolongés de souffran-
ce psychique ainsi que dans la prévention des états dépressifs et des suicides.
Donc, même difficile à conceptualiser et à mesurer, il y a à faire un état « technique » avec un état des choses
épidémiologiques.
Cependant, et c’est surtout la réflexion que je propose dans ce rapport, pouvons nous avancer sans faire
aussi, et sans doute moins convenu, un « état des choses existentielles » formulables ou pas dans l’espace
médico-social et de santé publique autorisé à proposer, à mettre en oeuvre des protocoles, des prestations
mais qui n’a pas à se prononcer sur le sens des choses et des comportements autrement que du point de vue
des risques, des facteurs de risques et des programmes de réduction et ou de traitement. Comme si tout cela
était acquis par ailleurs, porté et exprimé par des voix référentes explicites.
Appartient-il à ceux qui formulent des propositions d’aide et de soutien à la grande population des en-
deuillés actuels et ou potentiels d’assumer un discours d’encouragement existentiel à ce titre ? Notons ici
qu’en France le pouvoir d’état, dont les professionnels du médico-social portent délégation pour partie, ne
prête aucun serment sur la bible comme c’est la cas par exemple aux USA, dont la bibliographie de l’audition
nous donne des exemples de programmes de soutien aux « survivors ».
Quels discours tenir et croyances proposer sur « la mort sans au delà des sciences naturelles » ? Cul de sac
des signifiants de la vie et sans la croyance de rendez vous dans l’au delà où les proches « savent » qu’ils
retrouveront ensuite ceux qu’ils ont perdu et sans la croyance que, même dans la sanction de sa vie sur terre,
tout le monde après la mort aurait droit à une vie éternelle.

Des questions préalables, à proposer comme objets de recherche


Soutenir les proches des suicidés ? Pourquoi, ne pas l’avoir explicitement fait jusqu’à maintenant autrement
que dans les réponses individuelles aux demandes éventuelles de soins sans en faire un objectif des politi-
ques publiques ? Tant que l’analyse de la non réponse historique à ces « besoins » n’aura pas été suffisante
et largement débattue, il n’y a pas de raison de penser que les facteurs de mise à l’écart, de repli, de déni et
d’agressivité n’auront plus court.
C’est donc sur un consensus concernant les facteurs de résistance, qu’après les avoir cernés et nommés, il
sera possible d’envisager et de monter des stratégies de contournement des résistance et d’entrer dans des
représentations et pratiques nouvelles qu’il conviendra de tester à court et moyen terme pour vérifier leur
non iatrogénie éventuelle.
Au niveaux politiques et ou éthiques, pour respecter la nécessaire séparation des institutions publiques et
la vie privée, y aurait-il des raisons pour choisir de ne pas formaliser des aides et soutiens explicites aux
proches des suicidés ? Le débat a besoin d’une sorte de bilan prospectif des effets positifs et ou négatifs à
escompter compte tenu de ce qu’est déjà l’état actuel d’organisation du système social et de l’offre de prises
en charges médico-sociales.
Pourquoi le faire aujourd’hui et dans les temps qui viennent ? Il me semble qu’il y aurait alors à construire
un argumentaire explicite faisant le tour des questions et des réponses, sociologiques, anthropologiques,
philosophiques, civiques, politiques, de santé publique et institutionnelles qui sont à l’œuvre aujourd’hui et
qui dépasseraient le simple élan compassionnel difficile et ou l’obligation d’assistance à personne en danger.
Au delà de l’intention humaine et préventive, lisible au premier degré du projet de soutien aux proches, il me
semble qu’une analyse à faire des déterminants moins lisibles des intentions sous jacentes aiderait pour l’avenir
à lui donner une assise plus solide et moins sujette aux suspicions d’hypocrisie ou d’évitement d’une mobilisa-
tion plus difficile à faire sur les causes et les responsabilités que pour l’octroi de quelques prestations.
Il me semble qu’on ne doit pas ignorer qu’une geste altruiste vis-à-vis des proches peut avoir pour objectif
de masquer l’agressivité et les condamnations, blâmes, responsabilités qu’on leur imputerait, si l’on ne se
retenait pas. Cela s’entend tellement à propos de proches de malades mentaux, notamment enfants, que l’on
ferait plutôt basculer du coté des facteurs de risque dont il faudrait protéger le patient plutôt que comme des
partenaires co-souffrants et de plus co-soignants. Je propose ici quelques pistes de recherches sur des atten-
tes et motivations sous jacentes au désir d’aider les proches :
Transformer en bien le mal que les suicidés nous ont fait.
Instaurer comme un rituel compensateur de bonté auprès des survivants.
Déculpabiliser les survivants
Se convaincre ensemble que celui qui s’est tué a eu tort de ne rien espérer de la société.
Se rassurer sur la valeur de la vie par notre bonté auprès de ceux laissés pour compte par le départ
de ceux qui n’y croyaient plus.
Démontrer par la solidarité que la société, est bonne ce qui donne sens à la vie.
Aider la dynamique ancestrale des hommes à survivre, malgré les accidents plus ou moins massifs
qu’ils organisent eux même parfois contre la vie des autres hommes.
Alléger la culpabilité du passage à l’acte par la conviction les proches seront ensuite aidés (cf Les
cambrioleurs qui se racontent que les volés sont assurés, qu’ils auront réparation grâce à quoi ils
pourraient presque croire qu’ils ne commettent pas de vilenie)

La capacité d’aide et de soutien aux autres dans le malheur aurait-elle existé auparavant et se serait-elle
éteinte ? Avait t-elle auparavant la force de fonctionner sans aide institutionnelle publique ce qui ne serait
plus le cas aujourd’hui où l’on douterait de la capacité des personnes privées vis-à-vis d’elles mêmes et donc
vis-à-vis des autres. Par ailleurs, pourquoi ne pas penser que tant pour l’endeuillé le plus proches que pour la
collectivité aussi, à défaut d’apporter une réponse comparable à celle que certains trouvent et ou pressentent
dans les réponses religieuses voire humanitaires, la solidarité, au moins , donne un sens à la vie par le rap-
port aux autres et donc à soi même et donc aussi s’inscrire dans la prévention du suicide.

En fonction des objectifs a atteindre ?


Qui doit soutenir et aider les proches hors du champ charitable et de la confidence privée ?
On trouve des associations bénévoles, laïques ou religieuses dans leur inspiration, des « bienfaisants », qui
agissent par esprit de solidarité, pour la beauté du lien social. Enfin, présents sans visibilité institutionnelle,
les proches les plus solides aidant les autres.
Actuellement cela semble être renvoyé au champ de la psychiatrie, voire de la santé mentale. Il conviendrait
donc que en tant que tels, les représentants de ces disciplines et les responsables de la définition des missions
qui lui sont confiées, fassent un bilan de ce qu’ils peuvent, eux, apporter. Si les objectifs qu’il y a à assigner
dépassent le cadre de leurs possibilités de conception et d’action, c’est alors que l’on pourra avoir une straté-
gie de collaboration et de délégation de missions à d’autres partenaires.
Une mission explicite supplémentaire pour le système de soins médicaux ?
Les professions médicales sont déjà saisies par les demandes des personnes qui s’adressent à elles dans le ca-
dre des prises en charge maladie. Est-ce aux professionnels des soins de partager le fardeau de la culpabilité
et d’apporter la justification et le soutien pour rester vivant après la mort des autres ?
Quoi qu’il en soit, même si ces professionnels apparaissent plus comme acteurs par défaut que par choix
raisonné, il conviendra alors de les rendre capables, en général de mieux aborder les questions sur la dé-
pressions, les idées « noires ». Cela n’ira pas sans les rendre aussi capables de laisser venir et d’entendre non
seulement les pensées sur la proximité de la mort des patients très malades et leurs proches mais les confi-
dences sur les pratiques sexuelles dicibles et plus secrètes. Ces capacités d’écoute ont un rôle certain dans la
« postvention » du suicide.
Si malgré les affirmations, les formations à l’écoute, à la relation on continue à observer les attitudes d’évi-
tement et d’incapacités d’un grand nombre de soignants à l’oser et ou à le supporter il faudrait donc former
des personnels et services « spécialisés » personnels par défaut des compétences ordinaires.
Attention alors à ce que « le client » n’ait pas à se définir préalablement dans une catégorie nosographique
qui donnant le droit d’accès à la prise en charge. Patient souffrant de… victime de … malade de … incapa-
ble de ! Des marquages de ce type peuvent parfois servir de support, d’appui, de protection et de base à une
reconnaissance dont les effets seront globalement positifs pour les consultants et pour l’image que les autres
leur renverront d’eux même. A l’inverse, on peut imaginer que ces « cases souffrantes » à habiter viennent
les conforter dans un statut douloureux socialement appuyé et dans lequel à terme ils se construiront une
identité alternative fixée dans le manque et l’incapacité à s’assumer seuls.
Quel ou quels financeurs pour les actions de soutien des proches ?
L’assurance maladie dans le cadre de son devoir d’assistance aux personnes malades et ou fragilisées? C’est
donc au titre d’un trouble de santé, d’une morbidité actuelle ou potentielle que se définirait le soutien aux
proches, s’interprèterait et prendrait sa visibilité sociale. C’est terriblement réducteur, mais peut être aussi
considéré comme une stratégie d’interpellation de la société civile, de ses compétences avec d’autres types de
financement ou d’apport en nature des divers moyens nécessaires dont le temps des accompagnants.
Cependant, il me semble qu’il ne faut pas sous estimer que la fonction sociale de l’argent de l’assurance
maladie est à prendre en charge des malades. Donc, sauf à vouloir les soutenir par le statut de malades faut-il
ainsi risquer de les mettre à distance d’une solidarité par leur entourage , par des projets associatifs à but
non lucratif aux quels cela pourrait laisser croire qu’ils ne sont pas compétents ? Malgré la grande commodi-
té d’accès que cela représente, il me semble qu’il y a des réserve à formuler sur le financement par l’assurance
maladie de la prise en charge des proches en deuil d’un suicidé ou même d’autres types de décédés quand ils
ne sont pas « malades » ?
Avec l’expérience des recherches financement pour les grandes causes, on peut penser campagnes de re-
cherches des fonds auprès d’une plus grande diversités d’acteurs sociaux, des appels aux fonds grand public
pourraient être un des supports de prise de conscience et de diffusion de ce type de solidarité.
Pour nommer, reconnaître, induire et soutenir une « compétence sociale » portée par de multiples
personnes et groupes de la société civile en France dans les années à venir, sur quels dispositifs disci-
plinaires et institutionnels s’appuyer ?
Les savoirs faire de la santé publique en épidémiologie pour la définition et les dépistages des facteurs de
risques déjà identifiés et testés et d’autres que l’on ne connaîtrait pas encore sont utiles. Par la « santé pu-
blique » les questions d’aide et de soutiens seraient renvoyées vers une sphère plus publique, plus politique,
alors qu’aujourd’hui, plus orientés vers la clinique du sujet, l’évidence des besoins et la nécessité éthique
ressentie restent cantonnés dans les lieux de la santé mentale. En faire une question publique renvoie à des
questions plus générales d’opinion, de jugements collectifs, de solidarité que les praticiens de la santé men-
tale n’ont qu’en partie mandat et capacités à interpeller et à traiter.
Cette remarque pour insister au contraire sur leur rôle complètement nécessaire pour poser certaines indi-
cations, superviser les aidants des personnes les plus fragiles, rappeler les limites, la bonne distance et mettre
en garde contre les trop grandes intrusions, aider à apprécier l’évolution des situations pendant le temps et la
période qu’il faut.
C’est pour soutenir cette hypothèse que mes première remarques sur la nécessité d’une meilleure connais-
sance des ressorts de déni, de rejet et ou d’intérêt et des critères de compétences à mobiliser paraissent être
les pré requis pour le choix des stratégies, des objectifs à assigner et des moyens à mettre en oeuvre.
Un des cas de figure de l’hypothèse « compétences sociales » est actuellement, en 2009, illustré par les essais
d’initiatives managériales auxquelles nous assistons dans le champ de la gestion des « ressources humaines »
à l’intérieur de grandes entreprises ou administrations troublées par les « suicides interpellateurs » de per-
sonnels ou d’usagers.
Remarque : Que le pilotage et l’exercice principal de cela mission « aide et soutien.. » soient confiés ou non
aux professions de soins dont de la psychiatrie et de la psychologie et à l’administration de la santé, il faudra
dans tous les cas faire avancer les recherches et expérimentation sur deux axes principaux : D’une par pour la
définition et le recrutement des personnes concernées ayant besoins de soutien et particulièrement celles non
connues, incapables de demander aide et, d’autre part tester des méthodes, des techniques de communication
et de travail duel ou en groupe qui pourraient se standardiser en partie pour être ensuite relayées et diffusées
par des personnes spécialement formées et supervisées.
Sur quels choix de valeurs appuyer les soutiens aux proches ?
Démonter une tradition ancienne de jugements négatifs et de mise à l’écart.
Un problème de mort qui n’est pas un meurtre au pénal mais… Le suicide n’est pas interdit encore que.., lorsque l’on
demande aux gens en France, a-t-on le droit de se suicider, il leur faut un temps de latence avant de se rendre compte
que l’on peut dire oui tant la question du suicide ne semble, intuitivement, pas connectée avec quelque chose qui
relèverait des dispositions légales.
Le moyen âge catholique excommunie le suicidé qui n’a pas droit à sépulture chrétienne, chasse la famille de la ville
après lui avoir confisqué ses biens. Avant même d’envisager la position des grandes religions vis-à-vis du suicide,
que ce soit dans la vulgate intégrée des traditions ou même dans les déclarations actuelles des responsables religieux,
l’énoncé, à propos de la tentative de suicide, du code pénal anglais jusqu’aux années récentes étonne toujours. En
effet, à l’encontre de la personne dont la tentative de suicide était déclarée, on ouvrait une procédure criminelle pour :
« Coups et blessures sur un sujet de Sa Majesté susceptibles d’entraîner la mort ».
Qu’en disent les grandes religions en France ? ( i )
Sous la plume de Simon Benamran, la position traditionnelle du judaïsme envers le suicide nomme deux principes
: interdiction de se suicider et interdiction d’accorder les rites mortuaires au suicidé. Cette mesure d’une sévérité
exceptionnelle contraste avec le respect et la vénération qui caractérisent la relation des textes au cadavre humain. Ce-
pendant il note : il est enseigné dans le Traité de Semahot (11/1) : « Tout ce qui constitue une marque d’honneur envers
la famille endeuillée on l’accomplit, tout ce qui rend honneur au défunt on s’en abstient. » Notons aussi que : tant qu’il
existe une possibilité d’expliquer le décès comme résultant d’un coup de folie, d’une inconscience soudaine, le suicidé
est réhabilité.
Le Père Claude Michel, rappelle que «Pendant longtemps l’église catholique a refusé les obsèques religieuses ou per-
sonnes suicidées. C’était encore le cas dans le Code de droit canonique de 1917. Il en était de même pour les divorcés
remariés, les excommuniés, les hérétiques et les francs-maçons. Mais dans le nouveau code de droit canonique de 1983-
il n’en est plus question. … le développement de la psychiatrie a pu modifier le jugement téméraire qui était porté sur les
suicidés. … … Le suicide est un échec de la société….La question qui demeure est de savoir ce qui peut donner le goût
de vivre, ce qui peut donner de la valeur du sens à la vie, pour que l’élan vital l’emporte sur l’ennui, le pessimisme et la
morosité.»
Le pasteur Jean-François Breyne remarque que « le suicide ne se trouve nul part explicitement interdit dans la Bible ».
Cette affirmation vient en rupture des lectures juives et catholiques mais qui dit textes fondateurs dits aussi diversités
possibles quant à leur interprétation…. Sur l’ensevelissement du suicidé : s’il est vrai que le protestantisme n’a jamais
refusé de funérailles pour un suicidé, c’est parce que les funérailles sont destinées à accompagner la famille et les proches
du défunt, et non ce dernier lui-même.»
Sous la plume du professeur Mustapha Chérif, Suicide et islam on peut lire : «... Face à la complexité de l’esprit, à la
difficulté d’existence et à la dureté du vivre, notamment face à nos propres pulsions, illusions et contradictions, tout
ensemble, qui peuvent faire rage entre nous de manière traumatisante, déstabilisante et mortifère, il est demandé par
l’islam de ne pas renoncer au bonheur, ni de s’isoler ni de se replier, et fin des fins de ne pas se laisser mourir.»
La visée du Message, sans en rien occulter des difficultés, bien au contraire l’éclaire, appelle à honorer la vie. Le sui-
cide est explicitement prohibé et défini comme un meurtre…Il faut savoir…. Que la tradition musulmane considère
qu’un déséquilibré mental lourd qui met fin à ses jours est irresponsable et partant garde, malgré tout, la qualité de
musulman et la possibilité du salut.
La condamnation des proches aiderait-elle la société à éluder le poids de sa responsabilité ? Ces dires religieux sont
et restent vraisemblablement à notre insu la grille de lecture des valeurs et des pratiques sociales. Le discours exclusi-
vement laïque et alternatif sur le droit au suicide reste minoritaire.
Si dans la bouche de l’un des religieux cités et qui représente ce que bien des gens pensent encore quelque soit leur
religion, « le suicide est explicitement défini comme un meurtre » on pourrait donc penser que autour du meurtrier il
peut y avoir des complices au sens quasiment pénal du terme. Ce qui ne serait pas pour rien dans l’archaïque position
vis à vis des proches.
La mise à mort du meurtrier d’une autre personne tue le meurtrier. Mais comment tuer le meurtrier de sa propre
personne ? La mort d’un meurtrier éteint l’action pénale à son encontre donc son procès. Cela n’éteint pas la respon-
sabilité et l’action pénale vis à vis d’éventuels complices.
Or, si, comme on l’affirme, le procès et la condamnation du délinquant et ou du criminel « permettent aux les
victimes de faire leur deuil », pourquoi la condamnation des complices en cas de soustraction du criminel principal
n’aurait-elle pas la même fonction de facilitation du deuil que la société doit même dans le cas du suicide où un meur-
trier a agit sur sa propre personne ?
Car la société au nom de laquelle on instruit les procès pénal a un deuil à faire. La deuil de ce qui lui est enlevé par
la mise à mal, la déchirure criminelle et douloureuse que lui inflige le suicidé en la stigmatisant par son acte qui lui
signifie qu’elle ne vaut pas la peine que l’on y vive, pour soi ou pour elle.
Condamner les proches du suicidé comme complices serait donc pour la société s’aider à « faire son deuil ». Position
quasiment thérapeutique comme on voudrait le faire croire aujourd’hui mais surtout, évidemment, depuis si long-
temps, une manière de se dédouaner de la culpabilité collective et de se protéger de la lumière sinistre apportée sur la
vie par celui qui la remet en cause.
Mais la micro société que sont les proches du suicidé est encore plus dans l’horreur et la douleur que les cercles élargis
et la société. C’est à elle en premier qu’il est manifesté qu’elle ne vaut pas la peine que l’on y vive ni pour soi, ni pour
elle. Sur qui peut-elle se décharger ? Contre qui peut elle se retourner ? Contre elle même, contre ses membres et ses
membres eux aussi contre eux mêmes.
Est-ce pour cela que les soignants et professionnels de santé que nous sommes se saisiraient de la mission d’y ré-
pondre? D’où ce qui nous est présenté aujourd’hui comme devoir, rarement demandes mais en tous cas besoins de
soutien, de déculpabilisation, de renarcissisation, de prévention, d’accompagnement.
Proposition : Un des axes sur lequel fonder une stratégie de soutien aux proches est la clarification et la lutte contre
le mouvement d’exclusion et de mise à l’écart des proches comme mauvais objets représentants la transgression et le
mal que le suicidé a produit.

Construire un discours sur le rapport aux proches des suicidés


Il ne pourra évidemment pas se faire sans un débat concomitant sur la liberté, la responsabilité qui n’est pas de même
nature que le discours ambivalent sur la prévention du suicide qui en médicalise généralement les déterminant pour
en éviter la dimension de défi philosophique et d’autorité du choix.
La diversité des initiatives et des réalisations doivent et devront être mieux inscrites dans la culture d’un discours
public à construire et à rendre explicite et intégré dans les représentations collectives et actualisées du « vivre ensem-
ble ». Rappelons aussi que ce que pensent, ce que veulent faire les professionnels (quand ça marche) n’est jamais autre
chose que la manifestation de l’état de la société par rapport à une question.
Dans quelle catégorie disciplinaire insérer les objectifs de soutien aux proches ? Instruction civique, instruction
morale, Psychologie, psychiatrie ou plus globalement, éducation pour la santé, droit des patients, droit aux soins.
La question de la propriété de soi, de l’appartenance au groupe, des devoirs ou non de survie par rapport aux autres
et des autres par rapport à soi pourraient être au programme scolaire sous des formes à trouver. Cela relèverait-il de
l’instruction civique ? De l’éducation pour la santé, non enseignée en tant que telle dans les programmes scolaires. ii
Que depuis l’enfance, contes, histoires courtes, on apprenne à écouter et commenter devant d’autres les problèmes
et douleurs qui peuvent toucher les vies des gens. Peut être, ou pas, avec des suicides mais avec au moins la mise en
scène des gens en deuil après différents types de mort : on enterre ou on incinère, et on prononce des paroles, on
se soutient mutuellement. Par la suite, on continue à en parler ou à aller auprès des proches de celui ou celle qui est
mort. On se désole de l’image de la personne qui pleure seule dans son coin et qui ne verra plus personne. …et ils
eurent beaucoup d’enfants et ils vécurent très heureux … n’est pas toujours aussi simple.
L’éducation pour la santé, capable de s’adresser à tous les âges de la vie pourrait être une piste intéressante. A ma
connaissance, si il y a de timides formations des éducateurs pour la santé à la prévention du suicide, il n’a pas encore
été demandé aux comités régionaux ou départementaux d’éducation pour la santé, dont je suis un des responsables,
de monter des formations aux soutien des proches de l’entourage des suicidés, ou même des personnes relevant d’une
TS et de leurs proches, iii comme il en existe pour les « aidants » des personnes souffrant d’Alzheimer. iv
Propositions : Lancer un appel d’offres à des écrivains, conteurs, auteurs de courts métrages notamment en direc-
tion des publics enfantins pour constituer un fond documentaire et d’outils pédagogiques à la disposition élargie des
professionnels et du public.
Par ailleurs saisir l’INPESv pour qu’il lance un appel d’offres de recherches en éducation/promotion de la santé sur le
thème « Solidarité avec les endeuillés » et simultanément sur « résilience/formation » dont l’objectif serait de mieux
préparer à affronter et résister aux épreuves des vies par notamment l’importance qu’il y a à oser demander du sou-
tien, mais aussi à oser en proposer.

Quelques propositions d’énoncés stratégiques pour les campagnes et les programmes d’action :
Honorer les proches familiaux.
Le statut accordé à celui qui est mort porte non seulement son souvenir et sa réputation mais il est aussi un des
constituants de ce qui définit eu définira ses descendants, ascendants et ses proches.
Comment honorer ? Une proposition par exemple pour les familles de détenus. Qu’un représentant de l’administra-
tion se déplace jusqu’à eux. Que l’on donne des indemnités de déplacements et d’hébergement à ceux des proches qui
viennent de loin vers la prison ou la morgue, que l’on aide pour l’enterrement.
Envoyer une lettre de solidarité officielle à la famille, soit de l’administration même si c’est difficile dans le contexte
d’accusation de négligences, de provocations institutionnelles qui seraient responsables du suicide, malgré le risque
d’accusation d’hypocrisie. Ou, que ce geste officiel vienne de la part du maire de la commune, de la part du ministre
de la famille, l’objectif serait de dire quelque chose qui une prendra une place de solidarité et de reconnaissance de la
souffrance des proches et de leur dignité dans l’histoire familiale.

Honorer les « proches solidaires ».


Là aussi, faire un geste officiel et personnalisé d’une instance crédible pour les proches, famille, codétenus, peut être
soignants, etc. pour leur signifier que l’on sait ce qui est arrivé et éventuellement pour les remercier quand ils ont aidé
à la vie de la personne qui n’allait pas bien avant son acte ou quand ils ont fait les premier geste de secours et d’appel.
C’est dans cet esprit que l’on peut faciliter l’éventuel désir de rencontrer des proches, voire de participer aux obsèques
dans certains cas de forte implication et notamment quand le proche était un codétenu. Evidemment cela pourrait
s’envisager aussi pour des patients malades qui étaient autour du disparu hospitalisé, ailleurs les collègues de travail
mais aussi les surveillants, les élèves de la classe, etc.
Soutenir devant la loi.
Un soutien juridique aux proches familiaux ? Le soutien des proches devant une éventuelle responsabilité pénale
autour du thème de la non assistance à « l’existence d’un péril, imminent, constant et nécessitant une action im-
médiate». Ce qui peut être entendu sticto sensu au sens pénal mais aussi participer des ruminations accusatrices
et alourdir la peur des conséquences. vi Il ne faut pas oublier ici la notion pénale d’incitation au suicide. vii D’où la
nécessité d’un soutien, non seulement de « debriefing », mais aussi de soutien juridique aux professionnels impliqués
souvent déstabilisés eux viii mêmes quand ils se voient notamment reprocher une non assistance à personne en péril
?
Offrir des réparations, comment ?
Des paroles de solidarité collectives explicites de souvenir des suicidés par exemple au moment des vœux du
président de la République qui salue les malades, les handicapés, ceux qui sont heureux mais aussi ceux qui
sont dans le malheur.
Dans les lieux d’évocations de la mémoire des disparus, nommer aussi les suicidés.
Par des allocations.Par exemple laisser aux parents quelques années d’allocation familiales après suicide
d’un enfant. Sorte de cadeau d’au-delà
Que dans certains cas des enfants deviennent « pupilles de la nation » ?
Revoir ce qu’il en est des règles des assurances vies. ? La preuve du suicide vient perturber voire annuler les
contrats d’assurances.
Inventer des risques nouveaux à assurer comme il existe les assurances décès, créer des assurances « risque
suicide d’un proche » pour compenser en fonction des situations des manques financiers pour ascendants,
descendants, conjoints, des manques affectifs (pretium doloris), des manques et blessures narcissiques, etc.
Quelles paroles pour le débat public ?
Nous connaissons depuis longtemps l’incertitude inquiète sur l’impact dissuasif ou incitatif des paroles et débats
publics sur les tentatives et les morts par suicide. De la même manière, affirmer, rendre publique une position de la
société vis à vis des survivants aux TS et des proches des morts suicidés ne peut être sans effets de protections et ou
facilitations dans la probabilité du passage à l’acte des suicidants potentiels.
Parce que la position professionnelle, éthique et déontologique doit faire abstraction des croyances personnelles de
jugement moraux, faire abstraction des messages religieux de condamnation et ou de grâce après la vie, le suicide
n’est guère qu’un des cas particuliers des « morbidités et mortalités évitables ». Du point de vue des économiste, il
n’est guère qu’une perte personnelle et collective de « capital de santé » entraînant éventuellement des effets collaté-
raux sur les proches.
Or évidemment et intuitivement, si il s’agit aussi de cela, il d’agit aussi d’autre chose qui en fait à la fois son image sin-
gulière et son importance. La parole publique à apporter ne peut pas se contenter d’énoncés épidémiologiques froids,
il y a donc à trouver une tonalité empathique et un ton juste. Encore qu’en fonction de la compréhension ou non de la
cause, la force des questions posées et de l’imputation aux facteurs de risque et à la responsabilité de l’entourage et de
la société ne sont pas les mêmes selon qu’il s’agit de :
Suicides réactionnels (les plus clairement explicables et imputables à des situations et ou à des tiers), ce sont : Ruptures
et ou disputes amoureuses – Divorce - Licenciement, faillites - Honte, culpabilité, incarcération – Agressivité - Even-
tuellement politiques, immolation par le feu, kamikaze - Suicides d’honneur
Suicides maladie - Maladie psychiatrique - Suicides altruistes - Maladie incurable
Les suicides « essentiels », si je peux proposer ce néologisme médical, sont les plus troublants.

Paroles et écoutes par subsidiarité ? Le soutien aux proches des suicidés est un cas particulier de la question générale
des difficultés de l’échange de paroles des capacités à écouter. Par défaut ou par commodité, les pratiques sociales
occidentales d’aujourd’hui délèguent à des professionnels fabriqués et embauchés à cet effet la charge d’entendre et
de réguler les effets des paroles qui portent ou induiraient trop de doute, de peur, de douleur. A eux donc de recevoir
des gens les paroles de douleur et qui feraient mal, les paroles des désespoirs et des désirs, celles de la misère et des
précarités mais aussi celles qui dévoilent que l’on risquerait de blesser, tuer soi même ou les autres.
Pouvoir « écouter » sans « prendre en charge » Cf le rapport « Ville, santé mentale, précarité et exclusion » Une
souffrance qu’on ne peut plus cacher. Div-DIRMI 1995. A Lazarus, H Strohl. Ce rapport faisait apparaître en partie
pourquoi les professionnels sont si parcimonieux par rapport à l’écoute. Ils ont été conditionnés et sont évalués sur
leurs capacités à prendre en charge, à assumer et résoudre les problèmes qu’on leur amène. Un problème qu’ils lais-
sent s’exprimer se transmute en une demande qu’ils sont dans l’obligation de chercher à satisfaire. D’où souvent leur
position comme celle des services « il de questions ou de demandes ou de rmarques acceptables que si les réponses
et les moyens de répondre existent. » Si on ne les a pas, dès lors qu’on a laissé l’attente et ou la demande s’exprimer,
l’impuissance non seulement atteint la confiance en soi, mais fait risquer la plainte pour faute professionnelle. On se
refuse donc prudemment à laisser parler, à entendre. La plainte, le récit, la relation seulement de personne à personne
n’ont plus de place. On se situe alors dans l’engineerie de la protection sociale toujours insuffisante et excluante pour
protéger le professionnel de charge émotionnelle et relationnelle trop lourde et sans filet protecteur et de mise à
distance. C’est pourquoi, même et surtout aux professionnels médico-sociaux il faut rappeler d’une part que lorsque
qu’ils peuvent parler et être écoutés il semble que cela fait vraiment du bien aux gens. Affirmer aussi que l’ « écoute »
doit être une position de disponibilité, et d’accueil sans l’obligation de « répondre » et qui doit supporter de ne pas
avoir le pouvoir « prendre en charge ». Cependant, en acceptant le poids de ce qu’ils laissent venir jusqu’à eux, les
écoutants peuvent être eux mêmes écrasés et doivent aussi se faire étayer et aider.

En conclusion, affiner les questions pour mieux définir des objectifs et des stratégies :
A supposer qu’on veuille vraiment soutenir les proches il faudra évidemment avoir précisé qui le veut, pour atteindre
quels objectifs concernant quelles populations et pour quels résultats quantitatifs et qualitatifs.
Certains objectifs semblent évidents : Tenter de répondre aux besoins de soutien « humain » auprès des proches -
Tenter d’atténuer au mieux l’immédiat de l’événement - Prévenir les « deuils pathologiques » - Prévenir des effets de
suicides en chaîne chez les proches –
D’autres objectifs cependant, moins exprimés dans les travaux préparatoires me semblent incontournables dans
la grande chaîne des signifiants et des déterminants du suicide. Pour les atténuer, les travailler, au moins dans un
premier temps, il faudrait repérer les déterminants sociaux de certain des actes suicidaires, les interprétations collec-
tives des signifiants de l’acte suicidaire souvent perçu comme un « manifeste suicidaire ». il me semble aussi qu’il faut
mieux cerner ce qu’est la fonction sociale du fait suicidaire aujourd’hui.
« Le plus souvent, lorsqu’un jeune a tenté de disparaître ou s’est suicidé, une chape de silence s’abat sur la famille, les
amis, l’école... Surtout, il faut oser dire que toute tentative de suicide, tout suicide, en même temps qu’il exprime un
mal-être personnel, montre la fragilité du lien social et pointe les failles de nos sociétés trop individualistes. » (…)
Beaucoup des expériences rapportées de « soutien et prévention » sont essentiellement dirigées vers les proches et
concernent quasi exclusivement les personnes demandeuses d’aide. Cela laisse de coté les champs d’intervention de
soutien collectifs, par exemple en entreprise, ou par rapport à un groupe élargi (le PS après le suicide de Bérégovoy)
ou la population des détenus d’un établissement voire les détenus de tout un pays dès lors que des suicides sont mé-
diatisés et objets de protestations publiques et révèlent la condition particulièrement dangereuses et ou sans recours
de telle ou telle catégorie de personnes.
Si il est vrai que « les français sont les européens qui font le moins confiance à l’avenir, qui se plaignent le plus, etc, il
faut proposer des pistes de recherches pour corréler les représentations et les vécus collectivement négatifs que cela
révèle quant aux déterminants des suicides. Il faut aussi le corréler à la manière dont la société gère les deuils indivi-
duels et collectifs et peut ou non proposer son soutien.
Au delà de l’incrimination de facteurs comme les difficultés économiques relatives et ou les conditions de travail qui
ne peuvent à eux seuls expliquer cet état d’esprit déprimé et parfois suicidaire, il me semble qu’il faudrait proposer de
mettre en chantier un grand débat public sur le fait que ce ne sont pas seulement les autres qui vous agissent et que
chacun peut quelque chose de fort pour lui-même et notamment quand s’établissent des échanges « donnant/don-
nant » avec les autres.
Le thème à développer serait alors celui de la facilitation des liens sociaux et de la prise de consience que la reconnais-
sance des autres et par les autres est une avancée et qu’elle peut aider à se construire ou reconstruire individuellement
et collectivement.
Améliorer la « résilience collective ». Cet énoncé improbable pourrait être un axe dynamique tant comme piste de
recherches qu’affirmation d’intention des responsables politiques et des faiseurs d’opinion ?
Cela me conduit enfin à conseiller beaucoup de vigilance dans la démarche de professionnalisation médico-sociale
de la prévention du suicide et par extension de ses conséquences sur les proches des suicidés.
Inclure en général l’acte suicidaire dans les champ des pathologies, le présenter comme relevant de la maladie le
déshabille largement des responsabilités personnelles qui en feraient l’aboutissement d’un jugement valide et donc
encore plus redoutable qui doit être une question posée et traitée par la société toute entière. Médicaliser les suicides
au cas par cas sans interpellation et débats publics est une manière d’enfouir un symptôme qui menacerait alors de
ressurgir encore plus ravageurs. Pensons par exemple à des tueries par fusillade par un solitaire qui se dresse avant de
se donner la mort, à des suicides collectifs ;
Imputer le suicide à une altération de la santé, quels qu’en soient les déterminants (souvent pathologiques aussi), pro-
tège la société de l’attaque critique des « valeurs existentielles » qui résultent des partages des croyances qui fondent
son lien, croyances issues des livres de la loi des religions, livres de la loi des sociétés laïques, livres de la science. La
médicalisation des déterminants du suicide, et de ses effets, au risque de leur enfouissement, participerait alors de la
protection de la paix sociale, encore plus demandée en périodes de crises des identités collectives et individuelles.
A la question : Faut-il faire du soutien aux proches des suicidés un cas particulier du soutien aux personnes en
détresse après de grands malheurs qu’elles subissent ou ont subit ? Il me semble qu’au niveau des principes il n’y a
pas à le refuser sans en faire une catégorie trop particulière. Ceci étant les questions de la définition des objectifs à
atteindre, du choix des acteurs à qui les confier, feront de l’existence de ce soutien des fonctions sociales différentes.
Je propose, autant que faire se peut, sans négliger d’organiser et faciliter l’apport majeur des professionnels et institu-
tions médico-sociales que l’esprit et les réalisations de cette fonction soit portés par la plus grande diversité possible
des acteurs de la société d’aujourd’hui.
Antoine Lazarus

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