Audition Publique
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Dr Christophe Fauré, psychiatre libéral – consultant extérieur à la Maison Médicale Jeanne Garnier (soins pal-
liatifs) - auteur de « Vivre le deuil au jour le jour » Editions Albin Michel, « Vivre ensemble la maladie d’un
proche » Editions Albin Michel, « Après le suicide d’un proche » Editions Albin Michel – responsable éditorial
du site www.traverserledeuil.com (mise en ligne le 1er octobre 2009)
Le processus de deuil :
Le deuil (survenant après le décès d’un proche) désigne la souffrance psychique qu’engendre cette perte et le
processus évolutif prolongé dans le temps qui fait suite à la disparition. Le deuil peut se dérouler :
- soit de façon « normale » en suivant les étapes d’un processus désormais bien identifié,
- soit avec difficulté mais avec finalement une bonne résolution du deuil,
- soit être émaillé de complications tant psychiques que somatiques,
- soit enfin devenir pathologique.
On observe donc un temps cumulé allant de 1 an et demi à 3 ans (si on fait abstraction de la 4ème étape)
pour une perte significative. J’ai bien conscience que ces délais vont à l’encontre de ce qui est généralement
accepté comme la durée « normale » du deuil.
Deuil difficile, deuil compliqué, deuil pathologique
Même s’il n’existe pas à l’heure actuelle de consensus pour uniformiser la dénomination et la catégorisation
des différentes variantes de deuil, les études les décrivant sont nombreuses. Classiquement, les auteurs se ré-
fèrent aux notions de deuil compliqué et de deuil pathologique dont les publications sur le sujet visent entre
autres à en délimiter les contours et en préciser les critères d’identifications.
Le deuil « difficile »
Le deuil difficile est une catégorie à part qui reste dans l’axe du deuil normal. Dans le deuil difficile, c’est
le vécu des différentes étapes ou l’élaboration du travail de deuil qui est difficile, dans le sens où il est plus
douloureux et plus lent que dans un deuil normal. Néanmoins, en dépit de cela, on observe in fine un dérou-
lement satisfaisant du processus de deuil et une résolution harmonieuse. Ce type de deuil bénéficie grande-
ment d’un accompagnement professionnel ou associatif.
Différents paramètres ou facteurs de risque de deuil difficile sont à souligner :
- La personnalité de la personne en deuil (tempérament introverti, difficulté à nommer et à exprimer
les émotions, difficulté à solliciter les réseaux de soutien… etc. – Egalement, antécédents de ruptu-
res précoces, d’abandon… etc.)
- La nature et le type de liens entre la personne en deuil et le défunt : Le décès d’un parent peut fragi-
liser un enfant, le décès d’un enfant pour les parents sera très souvent traumatique. Le veuvage est
aussi un facteur de vulnérabilité notamment par l’addition du retentissement psychosocial (iso-
lement social, perte d’un patrimoine ou de revenus, etc.). Une relation conflictuelle ou complexe
peut également avoir une incidence sur le vécu du deuil.
- La cause du décès : exposent à un deuil difficile les morts brutales, violentes, traumatiques (le deuil
après suicide entre donc d’emblée dans la catégorie des deuils difficiles, sans préjuger des éventuel-
les complications qui pourraient en découler)
- La qualité de l’environnement social et relationnel : pauvreté des liens sociaux, isolement… etc.
- L’existence de deuils multiples (à partir de trois deuils significatifs dans l’année)
- La précarité socioprofessionnelle (ex : période de chômage)
- Le fait d’avoir à charge un proche très dépendant (ex : maladie d’Alzheimer) ou au moins deux
enfants en bas
Le deuil « compliqué »
Il n’existe pas de définition universellement reconnue du deuil compliqué. Selon Marie Frédérique Bacqué
(« Deuil et santé » Odile Jacob), « le deuil compliqué implique des symptômes qui dépassent ce qui est de
l’ordre de l’adaptation à une situation nouvelle ». Le deuil compliqué est l’impossibilité de recouvrer les per-
formances et le bien être connus avant la perte.
De nombreux travaux ont isolé le concept de deuil compliqué et ont montré qu’il se différentiait des troubles
psychiatriques tels que l’épisode dépressif majeur, le syndrome de stress aigu, le syndrome de stress post-
traumatique consécutifs au deuil (Prigerson 1996 [9], Horowitz 1997 [10], Melhem 2001 [11], Jacobs 2000
[12], Forstmeier 2007 [13], Stroebe 2007 [6]).
La notion de deuil compliqué recouvre une série de critères symptomatiques suffisamment sévères pour
perturber le fonctionnement professionnel, affectif, relationnel de la personne en deuil, au delà des délais
« normaux » des différentes étapes du processus de deuil. Associés à des pensées envahissantes avec des sou-
venirs, des émotions intenses et un désarroi profond lié à l’absence, on retrouve des symptômes de détresse
traumatique dont 7 sont, selon Prigerson et al. (1995), caractéristiques des deuils compliqués (persistance au
delà de 6 mois après la perte) :
1) Refus d’accepter le décès
2) Recherche active de la personne disparue
3) Langueur, désir ardent de l’autre
4) Préoccupations constantes au sujet de la personne disparue
5) Incapacité à croire vraiment à la disparition
6) Sentiment d’être toujours assommé, frappé de stupeur par le décès
7) Pleurs incoercibles
Dans ce cas, un accompagnement psychologique, voire psychiatrique, est le plus souvent indispensable.
Les complications en fonction du temps : deuils différés, deuils inhibés, deuils chroniques
Le deuil différé renvoie à un temps de latence « asymptomatique » entre le moment du décès et l’émergence
des réactions de deuil, comme un décalage entre la réalité perçue (la personne sait que son proche est décé-
dé) et l’expression émotionnelle : la personne en deuil fait comme si rien s’était survenu dans son existence.
Il y a persistance dans le temps du déni initial de la mort et cela correspond à un refus inconscient de recon-
naître la réalité.
L’absence de dépression réactionnelle et le refus de la réalité deviennent rapidement intenables pour la
personne en deuil et pour ses proches. Néanmoins, la dépression du deuil survient inévitablement mais à
retardement. Un événement extérieur mineur suffit parfois à enclencher le processus.
Le deuil inhibé correspond à une absence des symptômes normaux du deuil dans un premier temps. Les per-
turbations affectives s’effacent au profit de nombreux troubles somatiques. Ce type de deuil est fréquent chez
l’enfant et chez les personnes dont les capacités verbales et mentales sont faibles.
Le deuil chronique est le « deuil sans fin ». Il traduit une fixation morbide sur le souvenir du défunt, faisant
obstacle au réajustement nécessaire de la personne en deuil à une vie sans lui. Le deuil chronique se caracté-
rise par une dépression chronique. Très souvent, on retrouve, sous jacent au deuil chronique, une très forte
ambivalence « haine – amour » dans la relation antérieure à la personne disparue, le deuil chronique révé-
lant une sorte d’auto-punition inconsciente face à la haine éprouvée envers le défunt aujourd’hui idéalisé.
Néanmoins, il existe aussi des situations de deuil chronique qui font suite à des décès très traumatiques
(accident ou suicide par exemple). L’intrication avec un syndrome de stress post traumatique (PTSD) doit
systématiquement être recherchée dans ce cas car le PTSD peut être moteur dans l’installation du deuil
chronique.
Les complications somatiques du deuil
Les complications somatiques du deuil peuvent entrer dans la catégorie des deuils compliqués. Elles s’ins-
crivent dans la logique du stress biologique chronique qu’induit le processus de deuil. Ces complications
somatiques recouvrent :
- Une augmentation de la mortalité chez les personnes en deuil
- Une décompensation ou une aggravation d’une pathologie chronique préexistante au décès
- Une recrudescence des pathologies cardiovasculaires
- Une possible (mais controversée) recrudescence de pathologies cancéreuses, pathologies auto-im-
munes et maladies inflammatoires (type rectocolite hémorragique)
Le deuil pathologique
Plus rares que les complications du deuil abordées précédemment, le deuil pathologique correspond à une
situation de deuil qui se manifeste par un ou des troubles psychiatriques chez un individu parfois indemne
d’antécédents psychiatriques.
La dépression clinique et les troubles anxieux sont les plus fréquents. Les décompensations de trouble de la
personnalité ne sont pas rares non plus (par exemple, chez une personnalité de type obsessionnelle le tableau
de deuil est dominé par l’inhibition et le repli, avec des ruminations obsessives et des idées de culpabilité).
En fait, tous les tableaux de la sémiologie psychiatrique peuvent se manifester comme réaction au deuil (par
exemple : deuil à tonalité hystérique ou à tonalité obsessionnelle), ce qui rend la lecture diagnostique pas
toujours aisée tant les signes du deuil et les signes cliniques des comorbidités peuvent être intriqués.
Les décompensations dépressives
Le vécu dépressif « normal » du deuil peut se compliquer d’une authentique dépression clinique. On observe
l’installation d’une dépression chronique chez 10 à 15 % des personnes. À travers sa revue de la littérature,
Hensley trouve que 40 % des endeuillés ont les critères d’épisode dépressif majeur dans le mois du décès, 15
% sont encore déprimés à 1 an et 7 % le restent à 2 ans. De nombreuses publications mettent en évidence des
corrélations entre l’existence d’un deuil compliqué et la survenue d’un épisode dépressif. Le risque suicidaire
est alors important, dans un désir ambivalent de mettre fin à la souffrance du deuil et de retrouver dans la
mort la personne disparue.
Les troubles anxieux
Le deuil peut aussi favoriser la survenue de troubles anxieux comme l’anxiété généralisée, le trouble pani-
que, etc. Le deuil est alors un facteur précipitant lié à l’anxiété de séparation. Ces troubles sont à distingués
du syndrome de stress post traumatique qui constitue une entité clinique spécifique à part.
Les deuils psychiatriques
Plus rarement encore, on peut observer soit des deuils des décompensations psychotiques au cours du deuil :
idées délirantes, hallucinations (autres que celles d’entendre la voix ou de voir transitoirement l’image du
défunt – qui sont des manifestations fréquentes et « normales » dans les premiers temps du deuil), comporte-
ments maniaques (manie du deuil), deuil mélancolique avec risque majeur de passage à l’acte suicidaire… etc.
Effets et conséquences du suicide sur l’entourage :
modalités d’aide et de soutien
Le deuil après suicide a des particularités, mais pas de singularités, c’est à dire qu’il ne comporte pas d’élé-
ments qu’on ne retrouverait pas dans d’autres types de deuils (après d’autres types de décès). Cet article
souligne les particularités du deuil les plus fréquemment rencontrées dans l’exercice clinique.
A. La culpabilité
La culpabilité dans le deuil après suicide revêt une intensité considérable chez les proches. Elle renvoie
directement à la question de leur éventuelle responsabilité dans le passage à l’acte. On constate qu’il faut
« travailler » cette culpabilité avec les proches pendant des mois, voire des années, avant que finalement ils
parviennent (et avant qu’ils acceptent) de s’en départir.
Il serait intéressant d’explorer la dimension paradoxalement structurante de la culpabilité dans ce deuil : en
effet, on pressent parfois que le fait de se désigner soi même comme responsable du suicide est une sorte de
garde-fou psychique face à la dimension trop effrayante et déstructurante de l’absurdité d’un passage à l’acte
que rien ne peut expliquer. Face à l’angoisse de ce vide, le proche se positionnerait comme responsable pour
introduire un semblant de cohérence. Dans cette perspective, il serait donc important de respecter le chemi-
nement du proche en deuil dans les méandres de sa culpabilité.
2. La culpabilité renforce cette tendance au retrait social et à l’isolement qui est propre au vécu du deuil.
Le sentiment d’indignité issu de la culpabilité majore également le vécu de solitude. La personne en deuil par
suicide va en effet avoir tendance à s’auto-exclure des réseaux de soutien (amicaux, associatifs ou profes-
sionnels psy) sur la base d’un raisonnement du type : « Je ne suis pas digne d’être aidé – je ne le mérite pas
car moi même je n’ai pas su aider mon proche en souffrance »
3. La culpabilité favorise l’émergence de « punitions » que s’inflige plus ou moins consciemment la
personne en deuil pour expier ce qu’elle perçoit être sa « faute »
La culpabilité porte étymologiquement l’idée de « faute » et l’idée de « faute » implique donc l’idée de « puni-
tion » et d’« expiation ». Ainsi, il est très fréquent d’observer la mise en place d’interdits qui peuvent consi-
dérablement restreindre le champ de vie de la personne en deuil : elle s’interdit d’être heureuse, ne s’autorise
aucun plaisir, aucun succès, aucune gratification. Elle se condamne si elle se surprend à prendre du bon
temps (« Je n’ai pas le droit car mon fils/mon conjoint/mon parent… s’est tué »).
Une manière d’expier la faute du suicide peut se traduire par l’enfermement de la personne en deuil dans
un statut de victime où elle se structure au fil du temps dans un vécu très mortifère. L’accès au soin devient
alors très difficile.
Enfin, l’ultime « punition » qu’une personne en deuil après suicide peut s’infliger est la mort elle même : « je
mérite de mourir à mon tour ». Ce désir de mort n’est cependant pas univoque : on l’a déjà dit, il peut refléter
le désir de s’approcher au plus près du ressenti de la personne disparue ; mais il peut également être la consé-
quence d’une dépression clinique, complication du « vécu dépressif » réactionnel normal.
D. La colère :
Le suicide fait violence à la personne en deuil et celle-ci riposte souvent à cette violence par la colère. Les
cibles de cette colère sont multiples :
- La colère peut se focaliser sur autrui dans une recherche de boucs émissaires qui pourraient en-
dosser la responsabilité du geste suicidaire (et donc en affranchir le proche en deuil…).
- La colère est parfois dirigée contre soi. Dans ce cas, la frontière entre colère et culpabilité est très floues.
- La colère contre la personne disparue : c’est une spécificité de ce deuil après suicide. Comme le
souligne Michel Hanus dans son ouvrage « Le deuil après suicide », « la spécificité première de ce
deuil est d’avoir été provoqué par celui ou celle dont on est en deuil ». Celui qui tue et celui qui est
tué se confondent : que devient alors la haine de la personne en deuil contre le meurtrier qui est en
même temps la victime ?...
Pour contourner cette difficulté, cette colère est parfois niée ou refoulée, le risque étant de la
retourner contre soi avec l’apparition de complications somatiques qui en seraient l’expression
déguisée. Parfois elle est revendiquée avec force, même si elle est toujours empreinte d’une dou-
loureuse culpabilité. L’accompagnement du deuil doit faire une large place à l’identification et à
l’expression de cette colère.
D. Le soulagement et l’ambivalence
Il est parfois difficile pour les proches en deuil d’« avouer » leur soulagement après le décès de la personne
suicidée. Dans certaines situations un peu extrêmes de perturbations majeures du cours de la vie au quoti-
dien (alcoolisme sévère, comportements chaotiques de la personne suicidaires avec TS à répétition mettant
en danger l’équilibre familial, vécu traumatisant pour les proches face aux hospitalisations multiples en psy-
chiatrie, fugues… etc.), le suicide est perçu comme la fin d’un calvaire, tant pour la personne disparue que
pour les proches. Ce constat est néanmoins extrêmement difficile à admettre et il est pétri d’ambivalence.
L’accompagnement aide à mettre des mots sur cette ambivalence douloureuse.
En conclusion…
Au regard de ce qui précède, on peut avoir une image très sombre du deuil après suicide. Il est vrai qu’il
s’agit là d’un deuil générateur d’une immense souffrance sur le long cours. Néanmoins, toutes les personnes
en deuil après suicide ne présentent pas heureusement l’ensemble des éléments du tableau clinique général
qui vient d’être exposé.
Quoi qu’il en soit, si un doute persistait dans les esprits sur la pertinence d’une aide spécifique au cours de ce
deuil si particulier, j’espère que les différents enjeux présentés ont éradiqué ce doute. Tous ces enjeux justi-
fient une réflexion de fond sur les modalités d’aide à apporter aux personnes endeuillées par suicide.
Mon expérience de l’accompagnement du deuil après suicide m’a montré combien l’approche plurielle donne
de bons résultats :
- Un suivi de deuil individuel avec un professionnel psy (ou un bénévole correctement formé) qui
connaît dans le détail les enjeux du deuil après suicide
- Un diagnostic et un traitement précoce des éventuelles complications post-traumatiques (PTSD)
- Un diagnostic et un traitement précoce d’une possible décompensation dépressive
- Le recours aux ressources associatives d’accompagnement du deuil (« Vivre son deuil », « Phare
Enfants Parents », « Jonathan Pierres Vivantes »… etc) : groupes de paroles, suivis individuels,
éducation des proches aux dimensions particulières de ce deuil, actions de sensibilisation autour
du suicide et de la prévention du suicide.
Le deuil apres suicide : paragdime de tous les deuils
On a l’habitude de chercher à comprendre ce que le deuil après le suicide d’un proche présente comme
caractères spécifiques par rapport aux deuils « communs » (ceux qui surviennent alors que la mort était
redoutée du fait de l’état de la personne).
Notre propos sera de montrer en quoi, au contraire, le deuil après suicide a des caractéristiques communes
avec tous les autres deuils et qu’il en exprime même leurs caractéristiques avec une acuité particulière. La
différence entre les deux réside donc dans l’intensité des réactions vécues et non dans leur nature ; en ce sens
il est légitime d’évoquer le paragdime de ces situations.
Les observations que nous allons développer nous viennent de notre position de médecin légiste ayant eu
à rencontrer un très grand nombre de familles endeuillées après le suicide d’un proche (et face à d’autres
situations de deuil). Nous proposons systématiquement ces entretiens aux familles qui répondent favorable-
ment dans la quasi totalité des cas. Il importe que ce soit le médecin légiste ayant réalisé l’examen du corps
ou son autopsie qui assure lui-même cette rencontre car il peut alors répondre aux multiples questions qui
taraudent les endeuillés, ce qui renvoient à des préoccupations plus fondamentales rencontrées dans toutes
les situations de deuil.
Françoise Facy
Introduction
La question de l’entourage des suicidés pour l’épidémiologiste est abordée à partir des études menées en milieu
clinique sur des échantillons importants ou dans une perspective de santé publique, à plusieurs niveaux :
- qualification des sous-groupes de population concernés
- recherche de facteurs de risques associés
- é valuation des interventions sociales et institutionnelles en fonction des programmes de préven-
tion ou postvention.
Dans les études sociologiques consacrées au suicide au XXème siècle, les données sociodémographiques sont
le plus souvent individuelles : âge, sexe, études, résidence, CSP des suicidés. Les méthodologies développées
en épidémiologie sociale (Kawachi, Chaix, 2002, Abenhaïm 1999) (1, 7, 19) de façon récente permettent de
dégager quelques repères depuis les données sociales retenues par Baecheler (1975) (2), jusqu’aux facteurs
contextuels et institutionnels, retenus dans la commission Le Breton (2009) (16) pour préparer le prochain
plan national de prévention du suicide.
En même temps qu’évoluent les modes d’observation en épidémiologie, la loi de santé publique (2004) consa-
cre une évolution importante quant à l’attention portée aux comportements individuels et leurs conséquen-
ces sur la santé, avec le plan de lutte contre les violences et les conduites addictives : responsabilités indivi-
duelles et collectives sont analysées par rapport à la mortalité évitable (ou prématurée) (6).
Au niveau des indicateurs épidémiologiques classiques, il existe peu de données. Ainsi le registre des causes
médicales de décès retient les codes F43 2 (troubles de l’adaptation) et Z63 4 (décès d’un être cher). En 2007,
pour 520535 décès, un seul cas est indiqué en cause principale (F43 2) et 200 en cause associée (décès d’un
être cher). Aucune étude épidémiologique en France n’a été menée auprès des familles de suicidés ; leur nom-
bre est aux Etats Unis, de l’ordre de 1% de la population.
2 – Approche de la morbidité
L’entourage peut être demandeur d’aide mais aussi co-acteur de prévention. L’Inpes a rassemblé les éléments
récents d’évaluations pour guider les stratégies à partir des expériences réalisées.
Sont à retenir plusieurs observations :
- l a rareté des études sur des groupes particuliers, tenant compte d’âges, de cultures spécifiques et
des cercles proches : l’arrière-plan familial et aussi les soignants.
- les recommandations de recherches portant sur la famille entière y compris les amis empathiques.
- les centres de crise spécialisés comme lieu d’évaluation des réseaux d’aide informels, famille comprise.
- les nouveaux modèles théoriques sur les transactions multiples entre la personne et son environ-
nement : modèles biopsychosocial, écologique et transactionnel.
- le concept de prévention
L’utilisation du terme prévention (primaire, secondaire et tertiaire) est délicat en suicidologie où la préven-
tion porte sur les décès, les tentatives de suicide et les idées suicidaires. Le terme prévention est retenu pour
la population générale ou des sous-populations à risque. Les programmes de promotion en santé mentale
sont différenciés. Le terme intervention est retenu après des dépistages de risques de conduites suicidaires et
comprend la postvention.
Les interventions menées auprès de la population générale (De Leo et al 1995) (10) ont montré des effets
positifs sur les taux de suicide chez des personnes âgées. Une intervention consistait à équiper des personnes
isolées d’un service téléphonique une option d’appel et une option de suivi.
Une autre intervention visait à l’information des personnes âgées sur la dépression, à son repérage et à sa
prise en charge médicale (MG & psychiatres). Des sessions collectives d’information étaient organisées avec
le concours des mairies et les personnes présentes étaient amenées à remplir une échelle diagnostique de dé-
pression. Les personnes dépressives étaient orientées vers une prise en charge médicale (MG & psychiatres).
L’évaluation montre une réduction de 60 % de suicides chez les femmes, mais aucun effet chez les hommes.
Pour les actions de sensibilisation à la prévention du suicide en milieu scolaire, l’INSPQ (Institut National de
Santé Publique du Québec) est chargé d’évaluer ces programmes. L’utilisation des pairs en termes d’écoute
active ou d’aide à la résolution des problèmes est analysée avec des effets indésirables. Des taux de suicide
plus élevés ont été observés dans des écoles où les aidants n’étaient pas supervisés par des adultes. De maniè-
re générale, les chercheurs se demandent si ces programmes n’ont pas à leur insu encouragé des suicides (15).
Les programmes de prévention du suicide sont disparates. La revue de la littérature écossaise synthétisée par
l’INPES (16) indique les lieux principaux d’où sont issues les analyses publiées : communauté, école, service
de consultation externe, interne, service d’urgence. Les populations sont sélectionnées, par rapport à des cri-
tères multiples : psychopathologiques ou sociaux. Dans les études, les indicateurs d’efficacité englobent une
symptomatologie élargie : suicide, tentative de suicide, pensées suicidaires, acte autodestructeur.
Aucune de ces études n’est française et les conclusions de l’INPES par type d’intervention sont résumées
ainsi :
À partir des travaux menés dans la commission Le Breton, une approche en terme de santé publique concer-
ne directement les institutions, considérées comme des milieux de vie collective, en distinguant :
- c elles dont la mission est de protéger du suicide mais en premier lieu de souffrances des popula-
tions à haut risque (hôpital) ;
- c elles dont la mission est autre mais le risque de suicide est intégré (mission locale, prison,) ;
- c elles qui veulent protéger leurs professionnels (entreprises, armées) ;
- c ertaines institutions tentent de conduire ces politiques de façon concomitante (éducation natio-
nale, enseignement supérieur).
4.1 - La majorité des professionnels impliqués dans la prévention du suicide considèrent que la
problématique suicidaire relève du champ de la santé publique de par :
- l ’importance des situations de traumatismes et violences,
- l ’importance des entourages socio-familiaux concernés,
- la nature des conséquences sanitaires et sociales (décès, handicaps, dommages psychologiques),
- la multiplicité des causes médico-psycho-sociales et des facteurs de risques associés.
La santé Publique justifie des interventions au niveau :
-d
es territoires,
-d
es moyens utilisés pendaison, armes à feux, médicaments,
-d
e la prise en charge pour la santé mentale,
-d
e la protection de l’activité socioprofessionnelle. Les secteurs d’activité présentent des différences
importantes de taux de mortalité pour certaines causes en particulier les suicides. L’attention est
portée aux risques professionnels approfondies, sur un plan psychosocial,
-d
e la vulnérabilité des personnes en fonction des facteurs démographiques, comme l’âge, le sexe,
l’état matrimonial.
Les statistiques sont disparates :
En 2002, 194 suicides sont connus en établissement psychiatrique et 122, dans les maisons de retraite. L’en-
quête de la DHOS réalisée en juillet 2003 sur les décès survenus en 2002 dans les établissements de psychia-
trie publics et privés relève 194 décès identifiés, avec 5 départements qui n’ont pas répondu et 29 qui n’ont
déclaré aucun suicide intra-établissement.
Le milieu carcéral est également exposé aux risques suicidaires, avec des enregistrements systématiques des
situations par établissement.
Depuis peu de temps, le milieu des entreprises est aussi analysé comme révélateur de difficultés psychosocia-
les, où les souffrances liées au stress et à l’anxiété peuvent entraîner des suicides (C. Dejours, 2006). L’enquê-
te Samotrace (Invs) montre que 16 % des salariés sont victimes de violence ou discrimination au cours des
12 derniers mois à partir d’un réseau de 300 médecins du travail. Les expositions les plus fréquentes sont les
milieux de : la finance, l’administration, la santé, l’action sociale.
Les transports publics se sont par ailleurs saisis, au nom de la sécurité, de la problématique de la prévention
du suicide, vis-à-vis des publics, mais aussi des agents. C’est l’exemple de la Ratp à Paris (UNPS, 2006) (11).
Conclusions
1. Observer et connaître
Les informations disponibles sur l’impact des gestes suicidaires sur l’entourage, montrent des connaissances
limitées. Les statistiques de suicide indiquent des améliorations enregistrées, mais une stagnation actuelle. Des
disparités de population (âge-sexe-activité professionnelle), des inégalités sociales et géographiques, des dispa-
rités d’accès aux soins et d’aide en santé mentale sont autant d’éléments qui interviennent en facteurs associés.
Améliorer le niveau de connaissance quantitative et qualitative relatif aux risques suicidaires est une re-
commandation minimale.
Les indicateurs de santé publique sont des éléments nécessaires (et non suffisants) avec les indicateurs de mortalité
ou morbidité, même si plusieurs études relativisent la portée des indicateurs généralement utilisés en santé (17).
Quelques recommandations sont établies pour aborder un ensemble de conduites (auto-agressives ou à risques
de violence ou dépendance), spécifiques à des groupes d’âge, et en cohérence avec les missions des institutions
ayant en charge des groupes de personnes, dans un fonctionnement social ordinaire (exemple des transports
publics) ou dans un contexte d’aide et de soins (établissements hospitaliers et structures médico-sociales).
La CIM reste la classification la plus usuelle, à compléter par le DSM et la CIF suivant les milieux de vie et les
objectifs des bases de données.
Installer un observatoire intersectoriel dédié au suivi des programmes de prévention permettrait un pro-
gramme de recherches pluridisciplinaires dans une perspective coordonnée :
-d
’amélioration des connaissances et de transfert entre professionnels des secteurs de santé, justice,
travail, éducation et les représentants, associatifs, de la population
-d
es évaluations des actions de prévention et intervention en milieu collectif.
1 - Abenhaïm, L. (1999). Nouveaux enjeux de santé publique : en revenir au paradigme du risque. Revue fran-
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5 - Bille-Brahe U, Schmidtke A. Conduites suicidaires des adolescents : la situation en Europe. In : Adoles-
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logie sociale : une revue de la littérature. Rev. Epidemiol. Santé Publique, 50, 489-499
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11 - Facy F., Debout M., Acteurs et chercheurs en suicidologie, Paris, EDK, 2006.
12 - Fahri R., Le suicide : Opinions et réalités, L’Harmattan, 2002.
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15 - Julien M., Laverdure J., Avis scientifique sur la prévention du suicide chez les jeunes, Institut National de
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19 - «Social Epidemiology» edited by Lisa F. Berkman & Ichiro Kawachi (ISBN 0-19-508331-8) aux éditions
Oxford university press.
20 - Vaiva G., Ducrocq F., Meyer P., et al., effect of telephone contact on further suicide attemps in patients
discharged from an emergency department : randomised controlled study, BMU, n°332, 2006.
Le suicide n’est pas une fatalité
On a beau la savoir naturelle et inévitable, on ne se fait pas à la mort. A la sienne à la rigueur, mais pas à
celle de l’autre. Elle est toujours vécue comme un arrachement douloureux qui fait aussi disparaître une par-
tie de soi. Si savant qu’on soit, si préparé qu’on puisse être à l’événement, la mort reste un scandale. A fortiori
lorsqu’il s’agit d’un suicide.
Le deuil après suicide n’est pas un deuil comme les autres. Les psychiatres parlent à son propos de deuil
aggravé tant sont difficiles à refermer les blessures qu’il inflige à l’entourage. Génératrice de culpabilité,
l’onde de choc se propage bien au-delà du premier cercle. Chaque suicide suscite des interrogations qui res-
teront sans réponse, il produit de l’angoisse, des dépressions, voire des mesures d’autopunition qui peuvent
aller jusqu’au suicide.
On se reproche longtemps de n’avoir pas compris assez tôt la gravité de la souffrance, l’étendue du dé-
sespoir. On s’en veut de n’avoir pas été là pour empêcher l’acte. On voudrait remonter l’horloge à l’envers,
revenir à l’avant, au moment où tout n’était pas encore joué. Si j’avais mieux compris le récit qu’il m’avait
fait de son entrevue avec son professeur de médecine qui l’avait, « compte tenu de sa maladie mentale »,
brutalement découragé de poursuivre ses études de médecine : « si ça vous reprend, et ça vous reprendra, au
moment où vous soignez un malade, vous doublez la dose, et hop !, vous tuez le patient ! », j’aurais pu, j’aurais
dû alerter le psychiatre qui le suivait. Je ne l’aurais pas quitté d’une semelle et serais resté près de lui à l’hôpi-
tal, lorsqu’on lui administrait des antidépresseurs par perfusion. J’aurais vérifié que le vasistas de la chambre
était fermé. Il était si haut qu’il ne présentait pas de danger apparent puisque dans ce service hospitalier de
psychiatrie pour adolescents, toutes les précautions étaient prises pour éviter suicides et défénestration. Mais
on était le 2 juillet et dehors, il faisait chaud et les chambres avaient besoin d’air. Mais mon frère Antoine
était grand, 1m, 87. L’énergie qu’il a dû déployer pour, d’un seul mouvement, arracher la perfusion, se hisser
à la hauteur de l’étroit vasistas situé à plus de 2m 50 de hauteur, et basculer dans le vide pendant le court
instant où l’infirmière s’était absentée demeure une énigme pour l’ensemble du personnel présent dans le
service. « Raptus anxieux », tel fut le diagnostic laconique porté par le psychiatre et transmis à la famille.
Depuis, il n’est pas de jour où je n’évoque ce moment où tout a basculé, persuadé qu’il était réversible.
Et je m’en veux toujours, quarante ans après, de n’avoir pas discerné à sa vraie dimension l’imminence du
danger.
Mon père a d’emblée mesuré combien la mort de son fils allait le hanter pour le restant de ses jours :
« Pour moi, c’est la perpète ! » nous a-t-il dit le soir, empruntant à son registre professionnel – il était avocat -
la peine la plus dure qu’il cherchait à éviter à tout prix et en connaissance de cause à ses clients. La condam-
nation à la prison à perpétuité
Lorsqu’on succombe à une maladie, la chaîne de causalité qui conduit à la mort comme terme inéluctable
d’un processus biologique peut être compréhensible. On vous l’explique en termes scientifiques : tumeur,
invasion de métastases, caillots, hémorragie cérébrale, asphyxie. C’est triste, tragique, mais on n’y peut rien.
On peut se révolter contre la cruauté du destin, déplorer l’impuissance des médecins, souffrir mille morts de
la séparation, vous n’y êtes pour rien. La logique de développement du mal est régie par des principes inter-
nes qui relèvent de la physico-chimie, de la dynamique des fluides ou de la mécanique. La mort est naturelle.
De tout autre nature est celle, violente, qui résulte de l’accident, de l’homicide ou du suicide. Regroupées
comme des causes de décès à part par les statisticiens, ces morts ne se réduisent pas à du physico-chimique.
Il y a bel et bien intervention de l’autre, et l’autre c’est vous, c’est moi. Entre l’homicide et le suicide, dit-on,
la seule différence tient à la destination de la violence : contre l’autre ou contre soi. On peut aussi dire qu’un
suicide est un assassinat par délégation, la personne suicidée jouant seulement le rôle du tueur, poussé par
un commanditaire, tant la responsabilité et la culpabilité affectent fortement et longtemps les proches,
comme s’ils avaient eux-mêmes contribué à donner la mort à l’autre. On ne comprend pas pourquoi à un
moment donné, la mort lui a semblé préférable à la vie. Non pas la vie en général, conçue comme une abs-
traction, mais celle qu’on vivait ensemble, la nôtre, partagée depuis l’enfance, avec nos parents, nos frères,
nos sœurs, tes amis. Nos souvenirs communs, nos plaisanteries, notre enfance, au singulier, même si neuf
ans nous séparaient. Pourquoi la vie qu’on lui avait faite lui a-t-elle parue si haïssable ? Qu’est-ce qu’on t’a fait
pour que tu nous quittes aussi brutalement, laissant pour la vie toutes nos questions sans réponse ?
Bien sûr, pour l’avoir suivi de près pendant la dernière année, j’ai vite compris que les troubles qui l’af-
fectaient lui rendaient la vie impossible : bouffées délirantes, perte de sommeil, épuisement, sentiment
d’être devenu un étranger pour lui-même et d’être habité par un autre logé à la fois à l’intérieur et à côté de
lui-même : schizophrénie ont parfois dit les psys. Huit jours avant, j’avais publiquement souhaité sa mort
tant j’avais du mal à supporter sa maladie. Son étrangeté, ses délires, sa souffrance, les tremblements qui
l’agitaient, sans doute provoqués par les neuroleptiques qu’il absorbait à haute dose. Ma mère nous a dit le
lendemain de sa mort que pour la première fois depuis des mois, elle avait réussi à dormir la nuit d’après. Un
gros poids de moins sur la poitrine. Il ne souffre plus. Je comprends donc très bien qu’à un moment donné il
ait préféré en finir avec la vie qui lui était devenue insupportable, au sens littéral du mot. Va pour la causalité
immédiate ! Mais pourquoi donc a-t-il à vingt ans, en Mai 1968, « perdu la boule » ? Pourquoi ce jeune frère
plein de vie, d’amis, de compétences, de projets et d’avenir, a-t-il brutalement commencé à « débloquer » ?
Et les questions qui me taraudent encore quarante ans après portent en grande partie sur la part de res-
ponsabilité qui est la mienne dans l’événement en tant qu’élément d’une même configuration familiale. Ai-je
été pour lui un aîné écrasant ? Ai-je tout fait pour éviter l’événement ? Mon propre développement a-t-il
porté ombrage au sien ? J’étais l’aîné, il était mon petit frère : j’avais neuf ans quand il est né. Je représentais
beaucoup pour lui. Je me souviens très bien de sa naissance, un mois de février froid et lumineux. Il avait
beaucoup neigé cette année là.
Nous sommes nés dans une famille parisienne, bourgeoise, catholique, conservatrice et traditionnelle qui
nous a assuré tout au long de notre enfance un niveau de vie matériel plus que confortable, même pendant
la seconde guerre mondiale, et nous a toujours entourés d’une affection profonde. Nos parents s’aimaient, ils
aimaient leurs enfants. Ils nous ont inculqué par l’exemple une morale catholique et bourgeoise fortement
structurée : sens du travail et des responsabilités, respect du prochain, humilité (ne jamais se mettre en
avant), certaines formes d’ascétisme et de sacrifice, le tout dans une relative bonne humeur. Enfance de rêve,
mais univers du non dit dès lors qu’il s’agissait de religion, de politique, de sexualité ou de lutte des classes.
Très vite passionné par la philosophie et la littérature, et plus largement par la vie intellectuelle, je me suis
révolté assez tôt contre ma famille, le Figaro, l’église et tout ce qui allait avec. J’en avais beaucoup à l’époque
contre mon père en particulier qui incarnait toutes ces valeurs tout en offrant une figure paternelle forte
dans son inflexibilité et l’impossibilité d’établir un dialogue de plain pied avec ses enfants. Muet, fermé, il
était devenu pour moi à ce moment la figure hostile du commandeur. J’ai quitté le domicile familial dès que
je l’ai pu, affiché des convictions politiques et sociales très hostiles au milieu où j’étais né, commencé en 1962
à vivre, hors mariage, avec une jeune fille d’immigrés russes non majeure avec laquelle je vis toujours. Bref,
la révolte, la rupture avec la famille, des engagements politiques pendant la guerre d’Algérie, du Viet Nam et
une participation active aux événements de 68 aux côtés de mes collègues et de mes étudiants. J’ai sûrement
contribué par ma révolte à ébranler l’équilibre harmonieux de l’ordre familial, à déstabiliser l’environne-
ment affectif de mes frères et sœurs. Quelle part ont joué ce désordre dans la maladie de mon frère, les alter-
cations violentes avec mes parents, les jugements à l’emporte-pièce portés de part et d’autres ? J’étais l’aîné
et j’ai sûrement pompé beaucoup d’air dans le bocal familial.
Sa maladie a surgi brutalement en Mai 68 sous la forme de bouffées délirantes qui ont bouleversé mes
parents qui n’avaient jamais vu rien de tel. Rien ne laissait prévoir l’apparition dans notre famille du spec-
tre de la maladie mentale. Aucun antécédent n’a été répertorié dans aucune branche ascendante aussi loin
qu’on pouvait remonter. Antoine était étudiant de deuxième année en médecine. Un étudiant sans histoire
qui avait franchi avec facilité l’étape la plus difficile de ce cursus, l’examen de fin de première année. Il était
passionné par ses études et le métier de médecin auquel il se préparait avec beaucoup d’énergie. Mes parents
lui avaient offert un stéthoscope qu’il se mettait volontiers autour du cou pour apprendre ses polycopiés. Il
était drôle, adepte d’un humour ravageur. Il jouait beaucoup et très bien au tennis. Il avait un grand nombre
d’amis, filles et garçons. Il constituait avec plusieurs de ses condisciples une petite bande : ils travaillaient
ensemble, passaient des vacances de ski dans le même chalet. Bref, il menait la vie heureuse et studieuse d’un
étudiant en médecine bien intégré.
Fort distant des questions sociales et politiques, il a été littéralement happé par le mouvement de 68,
fréquentant les ag jusque tard dans la nuit. Il éprouve une grande admiration pour le Pr Cabrol qui, dans le
domaine de la médecine, avait commencé par ruer dans les brancards. Le soir de la nuit du 10 mai, nous le
rencontrons, Olga et moi, avec ses copains place Edmond Rostand. Il passera, comme nous d’ailleurs, la nuit
allant de barricades en barricades.
Et puis, il perd le sommeil et commence à tenir des propos incohérents pour ceux qui les entendaient. Les
parents s’en occupent. A cette époque, les relations étaient mauvaises entre eux et moi. J’étais beaucoup à
Lille où j’enseignais et à Paris je participais beaucoup au mouvement, réunions et manifs. Nous ne connais-
sions pas de psychiatres et encore moins les milieux et les différents courants de la psychiatrie. Seul recours
médical disponible pour mes parents, le Pr D., ancien pédiatre de famille, devenu psychiatre et grand man-
darin. Il exerçait en libéral dans un très bel appartement du 16ème arrondissement. Sitôt consulté, il prend
des mesures de sûreté. Enfermement autoritaire d’Antoine dans une clinique aux hauts murs des environs de
Paris. Visites interdites, aucun contact pendant un mois. Cure de sommeil disait-on à l’époque : isolement
total, halopéridol à haute dose. Il nous racontera plus tard les effets redoutables de ces médicaments. Un
jour, il supplie l’infirmière d’arrêter ces injections et s’oppose à la piqûre : « arrêtez ces médicaments, je vous
en supplie, ils me bouzillent », « Ah ! Tu veux qu’on les arrête, lui répond l’infirmière, alors on les arrête ». Et
elle en s’en va en l’enfermant à nouveau. Supplice de cette privation brutale.
Il sort au bout d’un mois, épuisé mais tenant des propos raisonnables. On le rend à sa famille. Tout est
fini, tout va bien, aucun suivi. Il ne s’est rien passé. Il ne délire plus. On est en juillet. Vacances. Il reprend
la fac en Septembre et tout le premier semestre est apparemment normal. Fin janvier, début février, il est à
nouveau mal. Les phases de délire réapparaissent. Mes rapports avec mes parents sont meilleurs. Antoine
m’aime bien et nous convainquons les parents d’essayer de trouver tous les deux des médecins et des traite-
ments moins dévastateurs que les premiers. Mes parents sont d’accord car eux aussi gardent un très mau-
vais souvenir de la façon dont le Pr D. a géré la question. Antoine était d’accord pour se soigner. Il était par
moments à côté de sa maladie et souhaitait comme moi trouver un psy en lequel il aurait confiance. Il était
lucide.
Nous ne connaissions à l’époque aucun psychiatre, aucun psychanalyste. Les cliniques et les hôpitaux
psychiatriques étaient pleins à craquer des suites de 68. Louis Althusser à qui j’en parle me communique
une liste de « bons psy », sauf le sien, René Diatkine dont j’ai fait la connaissance plus tard et qui aurait peut
être pu modifier la situation. « Pas d’interférences, disait-il, surtout, tu verras mon petit vieux, dans ce genre
d’affaire, il faut éviter toute interférence ». Je n’y connaissais rien.
Je téléphone aux médecins de sa liste. Tous débordés, impossible d’obtenir un rv avant plusieurs mois.
L’un d’eux accepte de nous recevoir. Lui aussi habite le 16 ème arrondissement. Il est devenu depuis une
grande autorité dans le domaine. Appartement bourgeois. Beau play boy blond, habillé avec soin et très assu-
ré de lui-même. Il me demande avec gentillesse et fermeté de rester dans le salon d’attente pendant qu’il fait
entrer Antoine dans son bureau. Il ressort au bout de cinq minutes de son cabinet, le visage défait.
« Mais il est en plein délire votre frère »
« C’est bien pour ça que nous sommes venus vous voir »
Il me demande alors l’historique. Je lui déroule l’histoire et mentionne le nom du Pr D. en précisant que
nous ne voulons plus avoir affaire à lui. Je sens qu’il bute à ce moment. Il rompt brutalement l’entretien et
nous dit en nous reconduisant à la porte « Désolé, je ne peux rien pour votre frère, il est déjà pris en charge
par le Pr D. ». Et nous revoilà tous les deux dans la rue à rechercher une nouvelle adresse. Il délirait par mo-
ments. Mais le délire d’un proche n’a rien de vraiment irrationnel. Lors de nos promenades, il comptait tous
les chiens et en dénombrait 24 au bout d’une heure : « tu trouves ça normal ? 24 chiens en une heure ! Je suis
sûr qu’ils nous espionnent, ils sont bourrés de micros et de radio-émetteurs. » De fait, 24 en une heure, c’est
beaucoup, non ?
Les phases de délire étaient plus fréquentes. Il était de plus en plus difficile à gérer. Les derniers mois
avaient été sportifs. Il avait « disparu » à plusieurs reprises. Deux jours après sa première disparition, je
reçois un coup de téléphone du commissaire de police de la gare de Lyon me demandant, de la part de mon
frère, de me présenter à son commissariat. Ils l’avaient retrouvé assis sur le marchepied extérieur d’un train
à grande vitesse de l’époque , le Mistral, reliant Paris à Marseille. Il avait traversé toute la France, sans
billet, de cette façon. Je le trouve en pleine discussion avec le commissaire, plutôt bon enfant, cherchant à
le persuader qu’il fallait absolument réconcilier Marx et Jésus Christ. Le commissaire était bon enfant :il a
vite compris que le voyageur n’était pas dans son état normal et s’est contenté de formuler un délit de gri-
vèlerie qui s’est éteint dès règlement de la facture du billet de train et d’un repas au wagon restaurant. Sans
suite. Une autre nuit où il couchait chez nous, je constate vers minuit qu’il n’est plus dans son lit mais que
tous les vêtements qu’il portait se trouvent ainsi que ses chaussures impeccablement rangés sur une chaise.
Paris était alors secoué de syndromes post 68 et les nuits étaient souvent chaudes d’affrontements violents
entre CRS et manifestants. Cette nuit était particulièrement agitée. J’alerte mes parents, ses copains les plus
proches. Aucune nouvelle d’Antoine. A 07 heures du matin, téléphone de ma mère. Antoine dormait dans
sa chambre. Il avait traversé tout Paris, pieds nus, vêtu d’un seul pantalon de pyjama et avait réussi à passer
sans encombre au travers des batailles rangées que se livraient manifestants et policiers, dont les échos des
grenades lacrymogènes nous parvenaient par la fenêtre.
On finit au bout d’un mois et demi environ par trouver le bon hôpital et le bon psychiatre, le Dr Flavi-
gny, chef du service de psychiatrie des adolescents à l’Hôpital de la Cité universitaire, boulevard Jourdan. Il
y reste un mois avec possibilités de visites et de sorties. Je vais le voir souvent, nous sortons ensemble nous
promener dans le parc Montsouris. Il va mieux tout en m’avouant un jour qu’il dispose maintenant des
moyens de donner le change, de faire croire aux autres qu’il va bien et qu’il a recouvré un état normal, mais
qu’en fait ce n’est pas complètement vrai. Il y a toujours chez lui un autre personnage qui l’habite et qui n’est
pas lui. Il voit le monde autrement que nous.
Mais le mieux l’emportait et il finit par sortir. Le moral est meilleur et il envisage sérieusement de repren-
dre ses études de médecine. Il reprend contact avec ses copains. Il sort en « boums ». On est en juin : il a in-
terrompu ses études en février et voudrait savoir s’il doit repasser tous ses examens à la session de septembre
ou si les contrôles qu’il a passés au cours du premier semestre lui seront validés. Il prend alors rendez-vous
avec le jeune médecin qui dirigeait ses travaux pratiques. Et c’est la catastrophe. Il ressort du bureau hagard,
complètement disloqué. En quelques phrases, l’enseignant l’a privé d’avenir en faisant de lui un malade mental
à vie. « Si ça vous reprend, et ça vous reprendra, au moment où vous soignez un malade, vous doublez la dose,
et hop !, vous tuez le patient ! Hors de question de continuer la médecine. »
Antoine entre alors dans une phase dépressive que nous avons mis du temps à identifier. Il ne délirait plus
mais semblait accablé, n’avait plus de goût à rien. Mes parents et moi cherchons à reprendre contact avec
l’hôpital : tout était plein à nouveau, impossible d’obtenir un rendez-vous. Antoine était de plus en plus mal.
Quinze jours se passent très difficiles où son état empire et puis enfin une consultation et une prescription :
venir trois fois par semaine à l’hôpital pour une perfusion d’antidépresseurs. Mais il était trop tard. C’est au
cours de l’une d’entre elles qu’intervient le « raptus anxieux ».
Pourquoi ?
La nature humaine ayant horreur du vide, chacun s’est efforcé de le combler à sa manière. Schizophrénie,
ont dit les psys, vaste continent de la maladie mentale qui nous est demeuré aussi inconnu et incompréhensi-
ble après qu’avant. Et les bons psys n’ont rien fait pour dissiper le mystère.
De la façon dont Antoine avait mis un terme à sa vie, on parlait peu dans le cadre familial. Le sujet n’était
pas tabou, on avait le droit de l’évoquer devant mes parents, mais très vite, la conversation tournait court
et se muait en minute de silence. On n’avait rien à en dire. Le contact avec ses amis était rompu : ordre de la
faculté. Il s’agissait d’un drame effroyable que personne n’avait pu éviter, qui restait incompréhensible. Mon
père se murait dans le silence, les yeux perdus dans le vague. Il n’aimait pas qu’on en parle, ni même qu’on
évoque trop l’événement devant lui. « Un drame effroyable ». Ma mère était plus loquace : elle évoquait son
fils et imaginait ce qu’il serait devenu. Pour elle, il avait encore un futur. Chaque année, elle nous disait :
« Antoine aurait cette année 25 ans, 30 ans…. » Très croyante, elle priait souvent pour lui. Au moment où
j’écris je réalise soudain que ce jeune homme qui avait vingt ans quand je l’ai vu pour la dernière fois aurait
aujourd’hui 60 ans.
Face à l’épreuve, mes parents ont adopté une stratégie de défense qui consistait à éloigner le spectre de
la maladie mentale, déconnecter l’événement de ceux de 1968 et trouver à tout prix une cause organique
tout en reportant la responsabilité sur d’autres. En Bretagne, deux ans avant 1968, pendant les vacances de
Pâques, Antoine avait eu les oreillons. D’après mes parents, le médecin breton consulté avait mis du temps à
poser le bon diagnostic. Les oreillons s’étaient compliqués quelques semaines plus tard d’une orchite, in-
flammation des testicules. L’inflammation s’était développée et avait provoqué un mois plus tard une mé-
ningite. De retour à Paris, la méningite s’était développée sous contrôle médical et les choses étaient rentrées
dans l’ordre. Incident de santé vite oublié et apparemment sans conséquences. On n’en parla plus. Et puis, à
mesure que le temps passait, mes parents se sont progressivement forgé une explication. A l’origine de tout,
la séquence bretonne oreillons-orchite-méningite qui avait dégénéré à cause de l’incompétence du médecin
local. La méningite avait « dérangé » son cerveau et provoqué des troubles organiques à l’origine de sa « ma-
ladie »….. Jamais, il n’était question dans leur vocabulaire de folie, de maladie mentale, de schizophrénie.
Sa maladie n’avait pas de nom, ses symptômes non plus : on ne parlait pas de bouffées délirantes et encore
moins de délire, mais c’était bien une maladie Le rapport avec Mai 68 n’était pas évoqué non plus. Une
maladie étrange dont on ne connaissait pas tout mais dont ils étaient sûrs de l’origine : la séquence bretonne
oreillons-orchite-méningite « folie ». Et l’incompétence du médecin concarnois qui n’avait pas fait le bon
diagnostic : les oreillons.
Antoine est mort. Mais je reste persuadé, quarante ans après, que sa mort était évitable. Nombreux fu-
rent, en 68 et après, les jeunes qui ont comme lui « décompensé ». Certains ont fini comme mon frère mais
d’autres ont pu être rattrapés à temps. Ils vivent encore et vont très bien. Ils ont un métier, une famille, des
enfants et même aujourd’hui des petits enfants. Il s’approchent de la retraite. Si dès ses premières bouffées
délirantes, Antoine avait pu être pris en charge par une équipe de psychiatres comme celle qui l’a soignée un
an après à la cité universitaire ; si on lui avait évité l’enfermement et l’isolement chimique brutal dans une
clinique privée; s’il avait, après son premier séjour hospitalier, continué à être suivi et soigné par des profes-
sionnels compétents ; si, à l’époque, nous avions connu les psychiatres dont nous avons fait la connaissance
bien des années après ; si, lors de la deuxième atteinte de l’hiver 69, il avait pu être hospitalisé plus tôt à la
cité universitaire ; si l’enseignant de médecine qu’il est allé trouver avait été moins brutal et moins idiot ; si
l’hôpital avait pu le reprendre en charge le lendemain de son entrevue avec cet imbécile ; si l’infirmière ne
s’était pas absentée, si le vasistas avait été fermé, …., il serait peut-être avec nous aujourd’hui.
Il y a beaucoup d’illusions dans la cascade de ces « si », il y a en particulier l’ignorance du pronostic
attaché sur le long terme à l’évolution de sa maladie. Les médecins eux-mêmes à l’époque n’en savaient rien.
J’opte pour l’hypothèse d’un épisode de décompensation et refuse celle d’une maladie chronique. Mais il est
possible que la solution qu’il a prise lui a permis d’échapper à la galère de la vie d’un malade mental chroni-
que alternant les périodes d’internement et de cures médicamenteuses à la maison.
Je mesure aussi combien cette approche d’un suicide individuel peut à première vue s’éloigner de la
vision que se fait du même phénomène un sociologue classique. Considéré dans ses dimensions collectives,
le suicide n’a rien d’un phénomène réversible et évitable. D’un point de vue statistique, tout se passe comme
si chaque société devait payer au suicide son tribut annuel, comme Egée, roi d’Athènes, devait fournir au
Minotaure tous les neuf ans, son contingent de jeunes gens à sacrifier. Les sociologues ne parlent pas de fata-
lité mais sont capables d’identifier les forces sociales implacables qui conduisent chaque année dans chacun
des pays une part donnée de la population à mettre fin à ses jours. Le caractère inévitable et irréversible du
suicide semble une constante de la sociologie durkheimienne du suicide, très fier de monter à cette occasion
que le monde social aussi était soumis à des régularités. Il y aurait donc une contradiction entre l’approche
personnelle qu’on peut se faire du suicide à partir d’une expérience personnelle impliquant des proches et la
conception que se fait la sociologie du phénomène.
Rien n’est moins sûr. Les comparaisons internationales montrent que le suicide n’a rien d’une fatalité et
que certains pays ont réussi à le faire baisser de façon sensible dans des circonstances données : la politique
menée par Gorbatchev en diminuant drastiquement la production et la consommation d’alcool s’est traduite
par une diminution spectaculaire de toutes les morts violentes en Russie : homicides, accidents, et… suicide.
En remettant la vodka à l’honneur son successeur, Boris Elstine a fait remonter les taux. Depuis 1987 en
France, la courbe du suicide qui avait beaucoup monté depuis les premiers chocs pétroliers des années
70, surtout chez les jeunes, s’est nettement infléchi vers le bas : les médecins généralistes ont été autorisés
à prescrire des anti-dépresseurs. Dans les pays européens, le type de société urbaine mis en place après la
deuxième guerre mondiale été beaucoup moins suicidogène que le développement sauvage du capitalisme au
siècle précédent. L’Allemagne et le Japon ont réussi à éviter la montée du suicide des jeunes dans le dernier
quart du vingtième siècle, contrairement à tous les autres pays de niveau économique comparable. Le soin
qu’ils prennent à accueillir les jeunes sur le marché du travail et à leur faire une place dans la société permet
d’expliquer la différence. Que l’on se place à l’échelle individuelle ou collective, le suicide n’est pas une fata-
lité. On peut, on doit l’éviter en donnant à tous de bonnes raisons de vivre.
Christian Baudelot
L’impact du suicide sur l’entourage
Quelles conséquences sur la vie sociale et professionnelle
Conclusion
Lorsqu’on évoque le suicide, on pense instinctivement à la souffrance de celui ou de celle qui s’est donné la
mort. On occulte malheureusement souvent une autre souffrance, celle des proches confrontés à ce deuil
qui conjugue inexplicable et inacceptable. L’un s’en est allé, sa vie est terminée. Les autres restent là et leur
existence devient tragédie.
Les proches après un suicide constituent un groupe important et sont pourtant souvent oubliés. Selon des
estimations prudentes, il y a par suicide en moyenne six proches qui restent et dont la vie a changé pour
toujours. Chaque année ce groupe de proches augmente sensiblement. Le tabou sur le suicide se transforme
en stigmatisation pour les proches. Eux-mêmes n’ont souvent pas l’énergie pour chercher de l’aide ou du
soutien et l’entourage ne sait souvent pas comment réagir.
Par conséquent, durant leur deuil beaucoup de proches sont livrés à eux-mêmes ou à un cercle très réduit.
La postvention est le nom général pour les activités, les soins et l’aide qui se font avec ou pour les proches
avec le but de les soutenir ou de les accompagner dans la recherche d’un nouvel équilibre et d’un sens dans
leur vie. Les proches constituent un groupe à risque suicidaire spécifique. La postvention est dès lors une
forme de prévention pour la décennie suivante et pour les générations postérieures.
Lorsqu’un suicide survient, le généraliste est souvent un des premiers présents sur le lieu de l’événement. Le gé-
néraliste a un rôle clé dans les contacts avec les proches directs. Il est souvent la personne la mieux placée pour
accueillir les proches qu’en général il connaît bien. Il peut les informer de certaines formalités. Il est conseillé au
généraliste de faire des pas actifs envers eux durant cette période. Le fait de faire une visite à domicile peu après
le suicide peut signifier un soutien important. Des études démontrent que la plupart des proches apprécient très
fort la visite du généraliste après un suicide. Cependant, le généraliste doit être préparé à ce que les proches, à
cause de leurs sentiments de colère et de la tendance à chercher un coupable, puissent réagir de façon agressive.
En outre, le généraliste peut également recommander aux proches un groupe de discussion ou un soutien
spécifique dans l’accompagnement du deuil après suicide..
Offrir du soutien signifie surtout donner aux proches l’opportunité de parler du suicide, de la stupéfaction,
la culpabilité, la honte, le soulagement et l’isolement par rapport à l’entourage. Il devrait être possible de
parler également des préjugés par rapport au suicide.
Les proches peuvent être stimulés à chercher eux-mêmes le contact avec les autres et à demander du soutien,
car l’entourage a souvent tendance à adopter une attitude réservée.
Nous avons à les aider tout au long de ce processus en leur donnant l’occasion d’exprimer ce qu’ils ressentent
au fur et à mesure qu’ils le vivent.
Bibliographie
Vingt cinq ans d’expérience en suicidologie m’amènent tout d’abord à relever que la définition du suicide
passe encore aujourd’hui pour être simple et évidente (« se tuer soi »), alors qu’il faudrait impérativement la
compléter par cette suite : « … pour exister davantage mort que vivant, en impressionnant à jamais la mémoi-
re des survivants. » [1] Avec d’autres auteurs [2, 3], nous partageons en effet l’idée qu’une personne devient
potentiellement suicidaire lorsque – quelle qu’en soit la cause – son identité est mal définie, fragilisée, me-
nacée, brisée ou attaquée. Et c’est parce que le candidat au suicide éprouve l’intolérable sentiment de « non-
exister », qu’il risque de mettre à exécution un acte dont l’intentionnalité est à triple détente : deux objectifs
sont conscients – faire cesser pour toujours la souffrance jugée insupportable, reprendre définitivement la
main (au sens propre) sur les événements en agissant pour ne plus les subir ; le troisième objectif est incons-
cient et représente un appel désespéré à la reconnaissance, fut-ce à titre posthume, pour exister autrement
– en l’occurrence aux dépens de ceux qui restent en occupant leur mémoire nourrie par la culpabilité. C’est
dire si le « meurtre de soi-même » interpelle l’autre et ne peut donc être sommairement défini comme un acte
de suprême liberté ne regardant que soi. Les dénégations insistantes qui parsèment les lettres d’adieu (« Vous
serez mieux sans moi », « Vous m’oublierez vite », etc.) sont autant de mécanismes de défense que le sujet met
en place pour éviter d’assumer cet adressage, mais habituellement d’autres « détails » qui, eux, s’adressent
directement aux proches (lieu du suicide, moyen employé appartenant à l’entourage, scénarisation macabre
de la découverte du corps, etc.) viennent dire cruellement, à l’insu du sujet, que son suicide est bien destiné à
marquer les esprits, même si lui n’en a pas pleinement conscience. C’est ainsi qu’il faut comprendre le carac-
tère proprement « spectaculaire » du passage à l’acte, sa fréquente théâtralisation, la violence crue exprimée
à travers l’exposition de son cadavre. Il ne s’agit pas seulement de se tuer mais d’impressionner pour tou-
jours ceux qui restent – comme on le dirait de plaques photographiques. Quant à la culpabilité ressentie par
ces derniers, sa prégnance et sa durabilité sont à la mesure de l’effet que le suicidé a cherché à produire sur
eux – le plus souvent sans l’avoir sciemment calculé. Voilà une autre réalité dont on parle peu : celui qui met
fin à ses jours est un terroriste qui s’ignore, s’incarnant comme le tout-puissant persécuteur de ceux qui lui
survivent. Eux se sentent en tout cas plus ou moins concernés ou impliqués en fonction des circonstances du
drame, des liens et de l’histoire qui les rattachent au sujet.
Dans ces conditions, on admettra que le principe même du deuil se trouve sévèrement compromis.
Pour les endeuillés, comment désinvestir graduellement l’image interne ou mentale du suicidé et accepter
la permanence de son absence, alors que son acte est précisément destiné à imposer sa présence dans leur
tête ? Le corps mort du suicidé, plus ou moins supplicié, reste en travers du chemin des vivants, témoignant
de leur impuissance (voire engageant leur responsabilité dans cette issue fatale), tandis que devenu un pur
esprit, celui-ci hante la mémoire des siens. C’est l’affrontement de ces deux mouvements contraires – l’un
qui prétend se soustraire à la vie, l’autre qui aspire à une « autre vie » à titre posthume à leurs dépens – qui
explique selon nous les complications du processus de deuil post-suicide [4]. En d’autres termes, l’abandon et
la perte que le suicidé inflige à ses proches s’accompagne de l’obligation de le faire vivre dans leurs souvenirs
et leur souffrance. « Je lui en veux de nous avoir laissé », dit Estelle, 26 ans, une de mes patientes dont le père
gendarme s’est suicidé d’une balle dans la tête avec son arme de service vingt ans auparavant. Le drame s’est
produit dans la chambre parentale, pendant que la mère d’Estelle était sortie faire des courses avec ses deux
enfants. La jeune femme ajoute : « Ma mère habite encore la maison, mais elle dort dans une autre pièce. La
chambre est devenue tabou. Moi, on ne m’a rien montré, j’étais trop petite, mais il paraît que c’était horrible,
il y avait de la cervelle partout… J’éprouve de la rancune, mon père n’a laissé ni lettre ni explication, et ma
pauvre mère reste désemparée vingt ans après… D’une certaine façon, on arrête de vivre en même temps que la
personne décédée, on se sent aussi coupable de lui survivre… On ne peut pas faire le deuil. » Estelle a déjà fait
deux tentatives de suicide et je la suis en thérapie depuis cinq ans ; son frère Pascal, 24 ans, est toxicomane et
refuse tout suivi.
Comme le rappelle l’Analyse de la littérature réalisée par Catherine Lavielle et Michel Hanus pour pré-
parer l’Audition publique, « il apparaît que les individus exposés au suicide d’un proche mettent en place des
mécanismes de défense (axe psychodynamique) ainsi que des stratégies de coping (axe cognitivo comporte-
mental) particuliers qui distinguent leur travail de deuil quantitativement et qualitativement de celui mis en
place pour des décès autres que par suicide. » Je ne reviendrai pas ici sur l’exposé détaillé de ces complications
qui passe en revue, en l’occurrence : l’intensité et la durabilité du deuil traumatique par rapport au deuil
dit « normal », le déni de la mort ou de sa cause réelle, le déni des conséquences sur la vie privée et sociale,
les conduites de fuite en avant dans l’activité ou les conduites de retrait, les tendances à idéaliser le défunt
et ce que cela implique en termes de dépréciation de soi-même, la dépression et ses conséquences morbides,
l’influence aggravante de la proximité relationnelle (pouvant aller jusqu’au « pacte traumatique » visant à
s’allier au défunt). Ces éléments sont connus et tous les auteurs s’accordent sur l’importance des sentiments
de honte et de culpabilité qui envahissent les endeuillés post-suicide, sentiments risquant souvent d’être
délétères (voire « suicidogènes ») chez les personnes les plus fragiles et les plus démunis.
L’interprétation de ces éléments dans leur dimension exclusivement consciente conduit aux hypothèses
cognitivo-comportementales dont les principes font l’essentiel des publications dites scientifiques [5]. D’ins-
piration nord-américaine, elles mènent à des applications très utiles auprès des endeuillés en termes d’aide,
de soutien et de renforcement de l’estime de soi, mais leur justification théorico-clinique s’appuie abusive-
ment sur des « niveaux de preuve » que je juge inapproprié compte tenu de la nature mal circonscrite et plu-
rifactorielle du trouble étudié : la double intentionnalité (consciente et inconsciente) fait en effet du suicide
une conduite à déterminants complexes, non un simple comportement, encore moins une réaction à la perte
ou à la frustration. Le lien suicide-dépression et les études que cette maladie suscite dans le champ neuro-
biologique, d’une part, et la mise en évidence de l’importance des facteurs familiaux tant dans la genèse du
suicide que dans ses suites, d’autre part, conduisent naturellement à des hypothèses organogénétiques [6] à
ce jour non validées comme mécanismes expliquant à eux seuls la possible répétition suicidaire transgéné-
rationnelle. En revanche, elles peuvent faciliter le repérage et le traitement précoces de la maladie dépres-
sive chez les proches, ainsi que la prise en compte adaptée de ces facteurs familiaux à travers les approches
systémiques qui offrent des modalités thérapeutiques elles aussi très utiles à l’entourage des endeuillés.
Centrées sur le sujet lui-même, son supposé « désir de mort » et ses pulsions d’origine infantile, les approches
psychanalytiques traditionnelles proposent essentiellement aux endeuillés post-suicide un travail d’élabo-
ration personnelle autour du lien et de la perte, à partir du principe Freudien [7] selon lequel le suicide est
une forme d’autopunition, un désir de mort dirigé contre autrui qui se retourne contre soi, associant dans
cet acte la triade « désir de mourir, désir d’être tué, désir de tuer. » Pour pertinente intellectuellement que soit
cette vision du suicide, celle-ci me semble trop focalisée sur la notion contestée de pulsion de mort et, par
voie de conséquence, se prête mal à un travail psychique consistant à « faire avec » le suicidé, ses aspirations
secrètes et les effets de sa revendication existentielle posthume. La question du meurtre reste en suspens,
laissant le champ libre à la culpabilité et à ses conséquences symptomatiques parfois très invalidantes. Le
suicide à l’adolescence conduit certains auteurs [2, 8, 9] à souligner l’importance des liens aliénant le sujet à
ses objets d’attachement, dynamique d’emprise se révélant d’autant plus traumatique et suicidogène à la pu-
berté que le sujet a été victime dans la réalité de violences sexuelles subies ou que le fonctionnement familial
se caractérise par d’intolérables effets de rapproché et d’intrusion. L’effroyable paradoxalité du suicide est
alors de détruire le corps sexué pubère pour échapper aux menaces incestueuses réelles ou figurées, et de s’y
précipiter sans le savoir « corps et âme » en projetant d’« occuper » la mémoire de ceux qui restent. On com-
prend que cette double motion donnant au crime la figure de l’inceste puisse compliquer encore davantage le
deuil de ces derniers, même si cette dynamique explosive échappe à leur conscience.
De telles considérations, douloureuses à concevoir et à exprimer, expliquent la tentation que les proches
du suicidé ont de chercher et de trouver ailleurs que chez eux un ou des responsables au drame. Le problème
est que les facteurs de risque réputés suicidogènes interpellent à la fois la place et l’identité du sujet parmi les
siens, mais aussi sa place et sa reconnaissance en société, liant de manière complexe ces causes « intérieures »
et « extérieures. » En dehors de la famille, sont surtout accusés de pouvoir acculer une personne au désespoir
le harcèlement moral, le stress au travail, l’homophobie ambiante, la pédophilie ou encore les conditions
d’incarcération dans les prisons. Mais même à travers les simplifications auxquelles la presse a d’ordinaire
recours pour mettre en avant ces causes environnementales, on comprend entre les lignes que le suicide re-
lève d’au moins deux composantes essentielles : une fragilité identitaire préexistante (due le plus souvent à la
maladie ou aux violences de l’histoire personnelle ou familiale) ; des conditions de vie actuelles infligeant au
sujet une maltraitance identitaire qui met en tension et aggrave ses blessures intérieures. L’injustice, l’irrespect,
le rejet, la soumission, l’intrusion, la réduction de l’estime de soi, figurent parmi les violences subies les plus
courantes pouvant précipiter le drame. La présentation journalistique suivante1 en est une illustration : « Une
épidémie de suicide frappe les prisons françaises. On en dénombre 109 depuis janvier 2009. Une augmentation
de 30 % par rapport à 2008. Ce sont essentiellement des prévenus condamnés à de petites peines qui passent
à l’acte. L’arrestation de F., un agent hospitalier de 51 ans, le [telle date], et sa mort volontaire, seul dans sa
cellule six jours après, ont choqué la France. Condamné à sept mois ferme pour conduite en état d’ivresse en
scooter, ce quinquagénaire divorcé et dépressif n’avait pu joindre ses trois enfants depuis son arrestation. Au
plus mal et sans soutien psychologique, F. a décidé de mettre fin à ses jours en se pendant. Face à ces drames
carcéraux, Michèle Alliot-Marie, la garde des Sceaux, a pris dès septembre toute une série de mesures concrè-
tes : draps indéchirables, matelas ininflammables, pyjamas en papier. Le ministre voudrait également respon-
sabiliser les détenus afin qu’ils préviennent les gardiens dès qu’ils ont un doute sur la santé mentale d’un autre
prisonnier. »
Que faut-il conclure de tout cela ? Que les endeuillés par suicide doivent eux aussi être respectés et reconnus.
Il faut les aider, les soutenir, les accompagner pour qu’ils parviennent à « faire avec » la revendication existen-
tielle que leur inflige le défunt. Après ce que je viens de rappeler des ressorts intimes de l’acte suicidaire, il est
impensable de dire aux proches « Oubliez le mort ! », et inutile de vouloir les convaincre « que ce suicide ne les
concerne pas », qu’il suffira que tel ou tel « coupable » soit démasqué pour qu’ils (re)trouvent la paix. C’est au
contraire à un véritable travail d’élaboration de ce deuil compliqué qu’il faut les inviter, en gardant en tête que
plus ils garderont le défunt vivant dans leur mémoire, moins ils auront besoin de lutter contre sa « présence »
posthume.
Références
1/ Le deuil après suicide en tant que deuil traumatique comporte-t-il toujours un syndrome
de stress post-traumatique PTSD?
Le deuil après suicide ne comporte pas toujours un syndrome de stress post-traumatique, mais cela peut
survenir. Les études d’épidémiologie des troubles de stress post-traumatique après un suicide sont trop rares
pour quantifier ces risques avec précision. Néanmoins il est possible d’identifier le risque de survenue d’un
état de stress post-traumatique en s’appuyant sur les définitions d’un deuil traumatique puis des facteurs de
risque connus de développer un trouble de stress post-traumatique après un événement traumatogène avec
les données rapportées par la littérature scientifique.
La notion de deuil traumatique est équivalente pour les auteurs anglo-saxons à celle de deuil compliqué.
Elle a été initialement utilisée par Prigerson et al qui se justifient en 2006 dans une publication au décours
d’un état des lieux de la recherche sur le deuil (Zhang 2006). Ils expliquent avoir au départ préféré ce terme
pour souligner la dimension de traumatisme et de détresse dans la réaction de ces deuils tout en craignant
le risque de confusion entre ce type de deuil et le syndrome de stress post-traumatique qui constitue une
possible comorbidité au deuil. Rappelons que pour avoir un effet potentiellement traumatique, l’événement
doit représenter une menace pour l’intégrité de la personne, dépassant ses possibilités de réaction, survenant
de manière soudaine et non anticipée, et s’accompagnant d’un sentiment de terreur, de détresse, d’effroi, de
solitude, d’abandon. La gamme des événements traumatogènes est donc large : Violence physique, Violence
sexuelle, Catastrophe naturelle, Guerre, Découverte inopinée de cadavre, Exposition à des scènes de violen-
ce, et plus généralement dans un sens étendu, tous les cas où une personne ne peut plus s’empêcher de penser
à une situation qui l’a débordée émotionnellement.
Parmi les syndromes post-traumatiques, le plus spécifique est constitué par l’état de stress post-traumatiques
(ESPT), et celui-ci est très souvent comorbide à un épisode dépressif ou à des conduites addictives.
Les critères diagnostiques de l’état de stress post-traumatique (ESPT) dans le dsm iv-tr (f43.1) sont :
Critère F : La perturbation entraîne une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonc-
tionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants.
Lorsque des personnes sont confrontées à un événement violent, comme cela peut-être le cas devant un sui-
cide, elles présentent des réactions de stress d’intensité variable ou d’effroi, pouvant nécessiter une intervention
urgente ou au minimum une évaluation. Celle-ci est essentielle pour repérer les personnes pouvant développer
des troubles invalidants. Il est en effet établi que des conséquences sévères et invalidantes peuvent survenir et
persister plusieurs années. On observe que 5 à 20 % des personnes vont présenter ces troubles psychiatriques
post-traumatiques. Les professionnels de santé qui les observent doivent rechercher ceux pour lesquels le risque
d’une évolution grave est le plus élevé. Il est nécessaire de privilégier les prises en charge de ces patients. Nous
allons ici présenter les indicateurs les mieux établis des risques d’une évolution pathologique. C’est selon ces
critères que sera posée une stratégie de soins. Cette étape d’identification de facteurs de risque concerne les ca-
ractéristiques de la réaction péritraumatique de l’individu confronté au suicidé ou à l’annonce du suicide, mais
aussi les caractéristiques de l’événement. Dans cette démarche, il est tenu compte de l’état de santé antérieur de
la personne et des interventions d’aide précoce qui ont été apportées. Parmi les caractéristiques de la réaction
initiale, plusieurs études de recherche clinique suggèrent l’importance de la mesure de la fréquence cardiaque
comme reflet de la réactivité émotionnelle du sujet. Des fréquences cardiaques supérieures à 92 par minutes
seraient prédictives de la survenue d’un état de stress post-traumatique. L’association de ce marqueur para-cli-
nique simple et de symptômes psychiques notamment tels que la détresse émotionnelle péritraumatique (Jehel
et al 2006) et la dissociation péritraumatique (Birmes et al 2006) constitue la base du meilleur modèle prédictif
actuel de l’état de stress post-traumatique. Les mécanismes de dissociation sont souvent rapportés après un
deuil traumatique notamment lors de suicide sous le terme de déni. Selon Neuringer, (1977), les endeuillés
après suicide mettent en place un éventail de mécanismes de défense, primaires (refoulement) et secondaires,
comme le déni. Celui-ci peut porter sur divers niveaux : de la mort de la personne, des circonstances de sa
mort, le sujet tente de se préserver en croyant à un homicide maquillé ou un accident, supprimant ainsi l’insup-
portable caractère intentionnel et auto-infligé de la mort.
Cependant certaines études montrent un taux d’acceptation significativement plus élevé chez les endeuillés
lorsque le décès se produit par suicide, que lorsqu’il survient par accident. L’hétérogénéité des caractéristi-
ques des groupes d’endeuillés après suicide a souvent été un argument mis en avant, notamment par Bailey,
ou McIntosh (Sveen 2008, McIntosh 1988, McIntosh 1996) pour expliquer le manque de spécificité des réac-
tions de deuil qui intuitivement étaient attendues. D’autres auteurs, comme Cleiren, ou Grad & Zavasnik
(Sveen 2008) ont observé que, pour une part, le suicide du défunt n’était pas une surprise, car celui-ci pré-
sentait un long parcours de troubles psychiatriques éventuellement associés à des antécédents de tentatives
de suicide, ce qui rendait ce geste et son aboutissement final très probables pour sa familles et ses proches.
Certains de ces endeuillés éprouvent même parfois un soulagement, sentiment lié à des années de souffran-
ces vécues au quotidien au côté du disparu qui était atteint de sévères troubles psychiatriques.
L’intensité du deuil à la suite d’un décès lorsque celui-ci n’est pas une surprise peut être réduit (Barret TW,
Scott TB. Development of the Grief Experience Questionnaire. Suicide Life Threat Behav, 1989, vol. 19, n° 2,
p. 201-215) par rapport à un groupe de sujets dont le deuil peut être consécutif à un décès par accident, donc
inattendu. Cela peut infléchir les mesures de l’impact du décès chez le groupe d’endeuillés après suicide
versus celui par accident et globalement générer une sous-estimation du retentissement du deuil chez les en-
deuillés par suicide comparé à celui des endeuillés par accident et expliquer en partie les résultats des études
portant sur ces groupes d’endeuillés et le peu de différence entre eux. (Sveen 2008).
En 2003 Kaltman et Bonanno ont montré dans le cadre du deuil une corrélation entre la survenue ou non
d’un état de stress post-traumatique (ESPT) selon les conditions du décès, à savoir que sa survenue était
plutôt corrélée avec l’existence d’un décès violent, et pas du tout avec la notion de soudaineté du décès. Selon
Callahan, J (2002) un facteur de risque élevé de complication du processus du deuil est en effet de trouver
soi-même le corps du suicidé, de le voir inanimé et sans vie, ce qui constitue un véritable choc, faisant effrac-
tion dans le psychisme.
Le caractère inattendu et non anticipé de la mort par suicide constitue également un facteur de risque trau-
matique, bien que ce caractère se retrouve également dans d’autres formes de décès non naturels comme par
suite d’accident ou de mort subite (Sheskin et Wallace, 1976).
Le fait de ne pas anticiper l’événement renforce son caractère traumatogène, ce qui est corroboré par Barrett
et Scott (1990).
Un autre facteur qui influe sur le déroulement du deuil après suicide et son éventuelle complication, est
le degré de proximité relationnelle (Mitchell et al., 2004). Plus la relation entretenue avec le suicidant est
proche, plus le deuil risque d’être compliqué voire de devenir traumatique. C’est pour cela que les auteurs
suggèrent de toujours prendre en considération la nature et la qualité des rapports ayant lié endeuillé et
suicidant.
Saarinen et al., (2002) ont examiné l’état psychique d’individus endeuillés par suicide à long terme, en s’inté-
ressant aux caractéristiques de ces sujets dix ans après le décès, afin de mesurer l’impact durable de l’événe-
ment sur leur santé mentale et leur vie sociale.
Les auteurs constatent davantage de désordres psychiatriques, en particulier chez les veuves et veufs (com-
parativement aux membres consanguins de la famille). Chez les sujets examinés, il semble exister moins de
liens sociaux de qualité ; moins d’amis proche ou de confidents.
Vandecasteel et al. évoquent la survenue d’une sorte de pacte traumatique scellé par le suicidant et le
conjoint survivant. Ces auteurs soulignent le caractère particulièrement pénible de la perte du conjoint par
suicide, le sujet devant d’une part se confronter à la perte réelle de son partenaire, et de l’autre coté, accepter
la mort de son couple. Le fait d’avoir pu anticiper le suicide peut faire émerger dans l’après-coup des senti-
ments ambivalents, engendrant une forte culpabilité.
Le pacte traumatique se manifeste principalement lorsque le sujet dénie les signes annonciateurs du suicide
afin de mettre à distance cette culpabilité, et ce pacte devient pacte traumatique. D’après Hanus (2004,a),
ce qui distingue le deuil « normal » et le deuil dit «traumatique » ne réside pas dans la nature des réactions,
mais dans la durée et l’intensité des manifestations, surtout de colère, de rejet, de honte et de culpabilité. Ces
sentiments sont amplifiés par le caractère auto-infligé d’une mort dont le suicidant est l’acteur, qui par là se
soustrait volontairement à son entourage.
Hanus (2004, b) évoque la honte qui marque le vécu psychique des endeuillés après suicide, conduisant à
une diminution de l’estime de soi déjà affaiblie. Cette honte existe sur un plan interne, pour soi, à travers
des auto-reproches et des ruminations ; mais également sur le plan externe, par rapport à l’autre et la société.
Honte personnelle et sociale engendre une augmentation des sentiments de culpabilité, ce qui peut entraîner
des conduites autopunitives pouvant conduire le sujet jusqu’à s’exécuter lui-même en se suicidant.
Par identification avec le suicidé, le sujet peut être amené à nourrir des idéations suicidaires, voire à adopter
des comportements suicidaires. Hanus cite différents travaux qui confirment l’existence de ces manifesta-
tions de honte et de culpabilité intense : les études de Barrett et Scott (1990), de Clark et Goldney (1995), Ko-
vasky (1989), Reed et Greenwald (1991) et Seguin et al. (1995) corroborent ces constatations. Barrett et Scott
(1990) comparent quatre catégories de veuves/veufs endeuillés (par accident, par mort naturelle anticipée,
par mort naturelle non anticipée, et par suicide), et constatent, chez les endeuillées après suicide, une très
forte présence de symptômes somatiques, mais également d’un large éventail de manifestations dépressives
chez les endeuillés après suicide : leur réactions sont dominées par des sentiments de désespoir, de colère, de
culpabilité, de honte. Les conduites auto-agressives et autodestructrices sont également importantes.
Peu d’informations spécifiques sur les proches d’une personne suicidée sont disponibles pour confirmer direc-
tement que la présence d’un stress post-traumatique après un suicide est liée à une symptomatologie dépressive
plus sévère. Cependant étant donné l’importance des liens rapportés dans la littérature entre état de stress
post-traumatique et dépression, comme cité en introduction, il est le plus probable de retrouver une plus forte
morbidité dépressive auprès des personnes les plus choquées de la confrontation à un suicide avec des facteurs
prédictifs proches de ceux présentés concernant l’apparition d’un état de stress post-traumatique.
M Walter Brest
Traiter, dans le cadre des modèles de compréhension sur les suites d’un suicide, des mécanismes d’adaptation,
de défense, de refoulement et des séquelles psychopathologiques, implique, dans un premier temps, des pré-
cisions terminologiques et épistémologiques. Il sera ensuite nécessaire de définir le caractère traumatique de
ce deuil particulier qu’est le deuil après suicide, avant de détailler les mécanismes de défense mobilisés et les
conséquences d’un tel deuil en terme de réactions psychologiques et de troubles psychiatriques. Une revue des
facteurs de risque et de protection terminera cet article.
Certains facteurs peuvent jouer un rôle protecteur pour le sujet endeuillé. Il s’agit par exemple du soutien
de l’entourage (Callahan, 2000), qui fait parfois office de « tiers tampon » (Castelli-Dransart, 2003) filtrant
et s’occupant des besognes matérielles et créant ainsi une zone de répit et de récupération, de l’anticipation
du décès (Sheskin et Wallace, 1976) et du sentiment d’utilité sociale (Barrett, 1990). Pour Castelli-Dransart
(2003), le suicide d’un proche est un événement majeur, extra-ordinaire, dans la vie d’un individu et, à ce
titre, il peut être considéré comme un événement déclencheur de repositionnements identitaires. Un travail
visant à rendre ordinaire l’extraordinaire peut être fourni par l’entourage et les proches, ou par un événe-
ment extérieur. Ainsi, les funérailles sont l’un de ces moments où se produit la normalisation de cette mort
particulière par l’application de rites et de procédures ordinaires, autorisant un travail de reconstruction
identitaire tant au niveau individuel qu’au niveau social.
BIBLIOGRAPHIE
Dr Michel Botbol
Remarques préalables
La question du traitement du deuil après suicide est paradoxale puisqu’il s’agit d’une situation qui ne
peut être considéré comme une pathologie en soi. Plusieurs auteurs insistent sur ce point qu’ils considè-
rent comme crucial pour éviter de culpabiliser ou stigmatiser les endeuillés après suicide. Cette situation
ne constitue pas une entité nosographique dans les classifications en usage. Il en résulte que c’est seule-
ment exceptionnellement qu’elle apparait directement comme une entrée dans les recherches inscrites
dans un modèle biomédicale.
On constate par contre un grand nombre de travaux portant sur les interventions psychosociales ou
psycho éducatives. Dans certains cas ces interventions s’apparentent beaucoup à des actions thérapeuti-
ques ; si bien que l’on pourrait considérer que la faveur que connaissent ces approches dans la littérature
serait un artéfact lié au paradoxe déjà évoqué.
2)Une psychothérapie est elle nécessaire ou un soutien compétent est il suffisant ? Alors
quel soutien ? Quelle psychothérapie ? La cure psychanalytique est elle indiquée ?
Cette thématique pose des questions de délimitation entre psychanalyse et psychothérapie d’une part et
entre psychothérapie et soutien compétent d’autre part. Les traitements psychanalytiques ne se limitent
pas en effet à la cure type et les psychothérapies psychanalytiques peuvent prendre des formes très varia-
bles en raison même des conceptions psychanalytiques des mécanismes en jeu chez les sujets concernés.
Il y a donc un continuum entre ces différentes formes de traitement. Par ailleurs il existe une incertitude
analogue dans la délimitation entre psychothérapie de soutien et les soutiens compétents. Dans le do-
maine du soutien aux endeuillés par suicide, le flou est encore accru par le débat que nous évoquions en
préambule donnant le sentiment que la qualification de l’action relève d’avantage de position de principe
(ne pas médicaliser le deuil après suicide) que d’une caractéristique intrinsèque du processus. Pour sortir
de cette difficulté nous avons choisi de regrouper dans un même chapitre cure psychanalytique et psycho-
thérapie analytique ; nous avons également choisi de distinguer les autres psychothérapies des interven-
tions de soutien en fonction de leur contexte plutôt qu’en fonction de leur contenu ou de la formation des
personnes qui les mènent.
a) La cure psychanalytique est elle indiquée ?
La revue de la littérature réalisée pour cette audition aborde cette question (D Goodwin) en reprenant
les arguments avancés par un groupe d’auteurs qui préconisent la mise en place d’un travail d’orienta-
tion systémique avec les familles de suicidants (Obadia et al 2004). En conclusion de ce travail ceux-ci
indiquent que « la psychanalyse semble ici inopérante, impuissante » puisque « le sujet mort ne peut
plus déterminer dans l’après coup la signification inconsciente de son geste » ; selon ces auteurs, il en
résulte que la psychanalyse ne peut rien faire pour permettre de dépasser « le court-circuitage du pro-
cessus de deuil qui serait en partie lié au fait que la mort rende impossible la verbalisation de ces trou-
bles par le défunt » ce qui « risque d’engendrer un retour de la violence de l’acte ». D Goodwin conclue
comme ces auteurs qu’une lecture psychodynamique et psychanalytique peut certes être employée, mais
la cure psychanalytique en tant que méthode de prise en charge thérapeutique semble moins indiquée ».
C’est ce point de vue qu’elle reprend dans la conclusion de son travail.
De son côté M Hanus (2008) indique: « Ajoutons qu’un deuil récent , y compris après suicide, est une contrin-
dication absolue à la mise en route d’une psychanalyse dont l’indication pourra éventuellement être discutée
secondairement chez certaines personnes, des années plus tard, lorsqu’elles auront dépassé le vécu de la période
traumatique et suffisamment avancé dans leur travail de deuil pour pouvoir se confronter a leurs difficultés
personnelles antérieures à la mort de leur proche » . Mais il ne précise pas sur quels arguments théoriques ou
psychopathologiques il fonde ce point de vue.
Ces opinions contrastent partiellement avec le nombre de cas de deuil qui sont rapportés dans des articles psy-
chanalytiques rendant compte de traitement psychanalytiques sous forme de cures types ou de psychothérapies
psychanalytiques et venant appuyer des argumentations théoriques ou pratiques relatives à d’autres questions
que celles posée par le traitement des endeuillés. Cette éventualité est également fréquente dans les observa-
tions rapportées lors de séminaires psychanalytiques ou dans la pratique des analystes. Il est vrai que dans la
plupart de ces situations il s’agit de traitements analytiques à distance de la perte, dont certaines consécutives
à un suicide. Il existe cependant certaines observations ou la perte d’un proche, parfois par suicide, survient
durant le déroulement d’un traitement psychanalytique. Mais les éléments manquent dans la littérature pour
apprécier les effets de la cure type dans ces situations.
Elles s’opposent plus directement avec l’opinion d’autres analystes comme G Bayle (1994) qui, dans un
article qu’il consacre a la métapsychologie et au devenir des deuils pathologique indique, une fois encore
sans se référer directement a la situation de deuil après suicide : « Si l’impact traumatique est tel que des
répétitions mortifères apparaissent précocement (silence maintenu sur la situation, activités compulsi-
ves de dérivation) il peut être utile en urgence1 , d’inciter psychothérapeutiquement à des récits narratifs
circonstanciés. » Il ajoute cependant : « On est ici à l’inverse de l’attitude analytique qui voudrait qu’on
laisse le champ à la libre association du patient et à l’attention flottante du thérapeute. Tout au contraire, il
faut conduire à des récits, voire dans certains cas à des reconstitutions psychodramatiques, comme le font
certains groupes psychiatriques et psychanalytiques d’urgence dans les pays ravagés par la guerre ou par
les catastrophes naturelles ».
L’auteur rejoint là la position de nombreux autres psychanalystes concernant le traitement des situations
traumatiques. Par exemple R Debray qui dans un article au titre évocateur rapporte la cure psychanalyti-
que d’une patiente « psychosomatique » dont le fonctionnement psychique parait sidéré par la répétition
de deuil traumatique. Elle y montre bien les deux temps bien différenciés de cette cure : le temps de la
reconstruction psychanalytique de la réalité affective de cette patiente en procédant à une véritable réa-
nimation psychique des capacités représentationnelles du préconscient de cette patiente, au travers de
l’usage que l’analyste fait de ses propres capacités empathiques. C’est ce dont rend compte aussi la notion
d’empathie métaphorisante proposée par S Lebovici (2002).
Ces travaux convergent donc vers l’idée qu’un traitement psychanalytique peut être indiqué dans les
situations de deuil en général et de deuil traumatique en particulier, si les aménagements nécessaires sont
apportés afin que le travail analytique traditionnel d’analyse des conflits de désir et de levé des refoule-
ments et clivages fonctionnels soit précédé d’un temps suffisamment long durant lequel il s’agira pour le
psychanalyste d’engager ses capacités empathiques et métaphorisante pour appuyer un travail préalable de
construction et de mise en affect pour et avec le patient. Ce préalable est nécessaire tant dans les abords
analytiques entamés dans les suites rapprochés des situations associent deuil et traumatisme que dans les
situations où le traitement analytique est engagé, à distance de la perte, devant le constat de la fixation
d’une organisation traumatique.
Pour les raisons déjà évoquées, il n’existe ici aussi que peu de données empiriques pour orienter dans ce
débat. Notons cependant une étude qui démontrent l’efficacité d’une psychothérapie psychodynamique
brève chez des endeuillés motivés disposant d’une « bonne organisation psychique » Horowitz (1990) et
une étude controlée qui montre l’efficacité un peu supérieure de ce même abord thérapeutique sur celle
d’un groupe d’entraide. Mais les biais sont nombreux et la conclusion prudente (Marmar C et al 1988)
On peut donc conclure qu’il existe un relatif consensus pour considérer qu’un traitement psychanalytique
des endeuillés peut être indiqué à bonne distance de la perte si le sujet est suffisamment motivé pour un
tel traitement. Les indications sont beaucoup plus discutées en ce qui concerne les période plus proches de
la perte. Elles peuvent se justifier si la fixation traumatique interdit le travail de deuil , mais la technique
de traitement psychanalytique doit être alors adaptée pour permettre la reprise de ce travail grâce aux
constructions permises par un travail analytique s’appuyant sur les capacités empathiques et métaphori-
sante du psychanalyste qui doit activement s’engager pour assurer cette suppléance psychique temporaire.
b) Une psychothérapie est elle nécessaire? Quelle psychothérapie ?
Plusieurs études ( Provini 2000, Dyregrov 2002) ont montré que les personnes endeuillées après suicide
expriment le besoin d’un suivi professionnel au long cours. Mais elles montrent également (Saarinen
1999) que seule la moitié de ceux qui expriment le besoin de service psychiatrique font effectivement la
démarche d’aller le demander. Comme l’indique la revue de bibliographie réalisée par C Colliot-Thelene
(2009), différents travaux insiste sur la nécessité d’aller au devant de cette demande qui ne s’exprime et
de proposer l’intervention de professionnels sensibilisés ou formés au deuil a la suite d’un suicide (voir
notamment De Groot 2006)
Les travaux évaluent les différentes formes de thérapies proposées pour répondre à ce besoin :
3) Conclusion :
Les réponses aux questions posées ne peut donc être que nuancées, dans la mesure où toutes les formes
d’intervention proposées (de la psychanalyse aux interventions de soutien fondées sur la mobilisation du
lien social) souffrent d’une insuffisance de preuves empiriques de niveau suffisant. Il semble clair que la
psychothérapie n’est pas toujours nécessaire même si les données sont insuffisantes pour déterminer les
cas dans lesquels elle devrait être favorisée chez les endeuillés par suicide. Les soutiens compétents parais-
sent bénéfiques, mais les données manquent pour considérer qu’ils sont toujours suffisants ou régulière-
ment plus indiqués que les thérapies (quasi absence d’études les comparant). La psychanalyse a également
sa place à distance de la perte pour ceux qui réunissent les conditions personnelles pour bénéficier d’une
cure ou d’une psychothérapie analytique. Dans certains cas, elle peut être indiquée, plus prêt du deuil
traumatique, si sa technique est aménagée pour suffisamment respecter les défenses mobilisées par le
deuil par suicide. Ces incertitudes ne doivent pas cacher l’accord général qui se fait sur la nécessité de sou-
tenir les endeuillés par suicide en se montrant plus pro actifs que dans d’autres situations de deuil ; mais
les éléments manquent pour indiquer les formes à donner à ce soutien et plus encore pour déterminer les
formes qu’il ne doit pas prendre, au point qu’elles devraient être refusées à une personne qui en ferait la
demande spécifique.
Les choses sont plus claires en ce qui concerne les traitements antidépresseurs qui sont indiqués devant
un épisode dépressif majeur consécutif au deuil après suicide au même titre qu’il l’est dans les autres
épisodes dépressifs analogues. Il semble même que cette indication puisse être étendue aux deuils compli-
qués même en l’absence de dépression associés.
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Question 3 : Les évolutions de la Postvention
L’ultime Prévention ?
Professeur Jean-Pierre SOUBRIER
La suicidologie souffre peut-être d’un manque de consensus dans les définitions, à commencer par celle du
suicide. (7)
Le terme de « postvention » a tout d’abord été proposé dans les années 60 comme une étape à la prévention
du suicide. Ceci afin de s’écarter des trois étapes connues de prévention en santé publique : primaire, secon-
daire et tertiaire. C’est ainsi que la prévention du suicide fut catégorisée par : prévention du suicide avant
l’acte, intervention en cas de crise, et postvention prévention de la récidive suicidaire.
S’adressant ainsi aux survivants rescapés de leurs tentatives de suicide.
Ceci me rappela la remarque de mon maître Henri Gallot de l’Infirmerie psychiatrique :
« Après une tentative de suicide rien est fini, tout commence…. ».
Remarque que j’ai eu à compléter au cours de ma carrière en suicidologie, où tout au moins devrait commencer.
En fait, pour le terme de postvention il existe une définition officielle proposée par l’autorité de santé des
États-Unis : « Stratégie ou mise en place dès la survenue d’une crise ou de tout événement traumatique. » (9)
Edwin Shneidman, vers les années 1969-1970, de son bureau du Centre d’études sur le suicide et sa préven-
tion, de l’Institut d’hygiène mentale de Washington, nous proposa le terme de postvention du suicide pour le
soutien de l’entourage des suicidés.
En 1973 dans un chapitre intitulé « Postvention and survivors victims » on peut lire la remarque historique : « La
postvention peut être envisagée comme la prévention pour la prochaine décade ou pour la prochaine génération ». (5)
A la même époque, Norman Farberow, le co-fondateur du Centre de prévention du suicide de Los Angeles étant
sur place, mettait progressivement un groupe de soutien pour l’entourage des suicidés. Il mentionna comme nous
mêmes que le terme de « suicide survivors » pouvait aussi bien s’appliquer aux survivants d’une tentative de suicide
ainsi qu’à ceux morts par suicide. Mais finalement le terme de postvention du suicide ne s’appliquera uniquement
qu’au soutien et à l’approche de ce que nous appelons aujourd’hui « ceux qui restent ». (6)
Il faut cependant rappeler pour bien comprendre cette évolution que la postvention du suicide est une consé-
quence directe de la pratique de l’Autopsie Psychologique. (6)
Il est fondamental de rappeler- une fois pour toute - sa définition (6).
Il s’agit d’une « investigation ou étude des circonstances qui ont conduit à la mort d’une personne », dont le
suicide pourrait être une possibilité.
Cette pratique a été inaugurée à la fin des années 50 par les Trois Mousquetaires du centre de Prévention du
Suicide : Norman Farberow, Robert Litman et Edwin Shneidman, dont le quatrième était Theodore Curphey,
médecin légiste avec autorité judiciaire du Comté de Los Angeles, Californie.
Cette pratique est très répandue aux États-Unis. Récemment il apparut nécessaire à l’Association Améri-
caine de Suicidologie de constituer un groupe de travail intitulé « Forensic suicidology », c’est-à-dire suicido-
logie médico-légale, dont je suis membre, afin de déterminer les capacités et la qualification réglementaire
pour ces pratiques. Ceci fut présenté à la dernière réunion de San Francisco en avril 2009.
Dans une interview de 2008 publiée par Newslink, Bulletin de l’Association américaine : Norman Farberow
expliqua très bien l’évolution de la postvention. Il signale les difficultés rencontrées dans les premiers temps. Tout
d’abord concernant le titre du programme « Survivors suicide ou Suicide survivors » pouvant s’appliquer aux ten-
tatives de suicide comme je l’ai évoqué dans supra. Le titre final retenu fut donc « Survivors after suicides ». Dans
une première période du début 70, l’offre de soutien de l’entourage ne donnait pas de résultats satisfaisants. Il fut
interrompu pendant quelques années. (2)
L’explication fut je cite « Nous avions offert une thérapie comme si l’entourage n’était fait que de patients ce
qu’ils n’acceptèrent pas ». Vers 1971, le programme fut repris après la réflexion suivante : « Il s’agissait de
personnes souffrant d’un stress émotionnel majeur dans la perte d’un être cher, ne nécessitant aucun jugement,
mais de partager les sentiments avec d’autres d’une même souffrance ». (Adélaïde, Australie)
Il faut donc également rendre hommage à Norman Farberow, praticien de la postvention du suicide. C’est
pourquoi, alors que Président de l’Association Internationale pour la Prévention du Suicide (IASP), j’ai dé-
cidé, proposé et remis pour la première fois en 1997, le prix Norman Farberow récompensant les travaux en
postvention du suicide.
C’est d’ailleurs à cette époque qu’avec l’IASP, nous avons sollicité une rencontre avec l’Organisation
Mondiale de la Santé. Nous avons progressivement travaillé sur le Programme SUPRE, contenant la pu-
blication de monographies, indications pour la prévention du suicide s’adressant à différentes catégories
professionnelles et pour la première fois une brochure intitulée en français « Indications pour la mise en
place d’un groupe de soutien à ceux qui restent ». (4 a)
Cet intitulé étant la reprise du thème de la 27ème Réunion du Groupement d’étude et de prévention du suicide
(GEPS) en 1995. (6)
Actuellement il existe de nombreux programmes de soutien spécifiques et de nombreux travaux sur le
thème. Ils sont en majorité, mais non exclusivement, tous anglophones. Il ne faut pas oublier l’Europe avec
les pays nordiques, la Belgique et la France, et le Québec.
Aux États-Unis, l’accent est mis sur la perte d’un être cher et la lutte contre le stigma du suicide et de sa
prévention : il est possible qu’il soit insuffisant d’insister sur la perte d’un être aimé, ceci pouvant paraître
incomplet, comme nous pouvons le constater dans une pratique clinique et thérapeutique. (10)
Peut-être aussi que la souffrance de l’entourage, risque de suicide inclus, n’est pas assez mentionné. En cela,
la réunion d’aujourd’hui apparaît encore plus importante.
Quoiqu’il en soit, ainsi que l’écrit David Jobes et collaborateurs : « Nous sommes témoins de l’extraordinaire
évolution de la postvention contemporaine du suicide » (3)
En avril 2009, à la réunion de San Francisco mentionnée, eut lieu une table ronde internationale et anglo-
phone (USA, Canada, Australie, Irlande) réunissant des représentants d’associations de soutien. Leur pré-
sentation m’a paru un peu trop optimiste avec un discours un peu ludique. Aucun des panélistes n’a répondu
à la question de l’existence ou de la fréquence ou non, de tentative de suicide ou de mort par suicide surve-
nant dans l’entourage.
La littérature actuelle évoque peu cette question. Le drame semble exister, mais il y est peut-être méconnu. Par-
fois, ce sont les médias qu nous en informent. Je peux citer le suicide de Mme Quillot, survivante de la tentative
de suicide à deux dans laquelle son mari est décédé. Elle aurait déclaré : « Je ne savais pas avoir autant d’amour
autour de moi » ; elle se suicidera deux ans plus tard. On peut également citer les suicides de l’actrices Jean
Seberg, puis à distance de son ex-époux l’écrivain Romain Gary. Mais ceci paraît plus complexe.
Et puis, il faut l’admettre, nous manquons le plus souvent d’informations précises.
C’est pourquoi, il faut une fois de plus insister sur l’importance de l’Autopsie Psychologique.
Avant de conclure, il conviendrait de faire savoir que la postvention du suicide ne saurait être limitée au
soutien de l’entourage proche.
Il s’agit d’une mesure d’urgence de prévention à tous niveaux, pour toutes tentatives de suicide et de morts
par suicide, nécessitant une réflexion sur l’événement et une action. Ceci peut et doit concerner toutes les
institutions, les médias, les pouvoirs publics, quelques soient les lieux de la scène. En cela la discussion pour-
rait alors se porter sur les phénomènes de contagiosité et d’imitation du suicide.
A titre d’exemple je citerai la postvention en milieu scolaire qui bénéficie de programmes dont les modèles
suédois et américains semblent les meilleurs.
Nous avons à l’OMS publié également une monographie sur cette question. (4b)
2-FARBEROW N. Recollections of the History of the Survivors mouvement. American Association of suicidology.
Summer 2008. pp 5-6
3-JOBES D. et collaborateurs. In the wake of suicide survivorship and postvention suicidology. In Comprehen-
sive textbook of suicidology. MARIS R., BERMAN A., SILVERMAN M. ( Chap. 22 ). Ed. Guilford Press.
2002. pp 536-560
5-SCHNEIDMAN Ed. Deaths of man. Ed. Quadrangle New-York Time Book Co. 1973. pp 33-34-31
8- SOUBRIER JP. Quelles sont les circonstances de la crise suicidaire, y compris le suicide en collectivité.
Conférence de consensus. Fédération française de psychiatrie. Ed. John Libbey . Eurotext. 2001.
9- Us Dept of Health and Human services. National startegy for suicide prevention : Goals and objectives for
action. Rockville. 2001.
asserman D. et Wasserman C. Oxford textbook on Suicidology and suicide prevention. A Global pers-
10- W
pective. Oxford University Press. 2009
Part 11. Survivors of suicide loss. Chap. 82 – 83 –84. pp 603-618
Effets et conséquences du suicide sur l’entourage :
modalités d’aide et de soutien
Docteur Didier CREMNITER
Nous examinerons les conséquences sur l’entourage du passage à l’acte suicidaire à partir de l’expérience
de terrain des Cellules d’Urgence Médico-Psychologique. (CUMP). Ceci permet tout d’abord de distinguer
deux situations essentielles lors des interventions après suicide.
Pour résumer, nous ne pouvons, encore davantage qu’auparavant, faire l’économie d’une clinique affinée,
édifiée sur des conceptions psychopathologiques permettant de saisir les éléments cliniques d’une prédis-
position au passage à l’acte suicidaire tels que l’on peut les repérer dans les états de défaillance psychique
qui ont pour nom : fragilité symbolique, état limite, pré psychose, psychose ordinaire (4). Car l’expérience
montre que cette clinique repérée par certains de nos maîtres, qui était auparavant marquée du sceau de la
rareté, devient aujourd’hui beaucoup plus actuelle, à mesure que les conditions de vie c’est-à-dire d’appau-
vrissement du symbolique, dévoilent cette pathologie auparavant peu fréquente, tout simplement parce que
colmatée par le confort, les normes d’humanité qui caractérisaient nos sociétés avant ces dérives actuelles.
Références
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La crise suicidaire.
3. Lacan J. Le transfert, le Séminaire livre VIII ed Seuil, Paris 1991.
4. Psychoses ordinaire. La converntion d’Antibes. Agalma Le Seuil 2005
Dans les établissements d’enseignement, les nombreux
protocoles sont-ils dans l’ensemble concordants?
Ont-ils déja été utilisés sur le terrain? Et évalués
apres coup?
Docteur Anne ALLEMANDOU
J’interviens dans ce colloque en tant que Médecin de secteur de l’Education Nationale ce qui implique que je
suis fonctionnaire du Ministère de l’Education Nationale chargée d’appliquer les missions que l’Etat me don-
ne au sein de 7 établissements secondaires de l’Académie de Paris. Je dois préciser que les secteurs d’activité
couvrent aussi les écoles élémentaires et les Grande Section de Maternelle dans la majorité des départements.
Les questions auxquelles il m’était demandé de répondre dans ce colloque concernent : « l’Etat des lieux sur
les interventions de soutien proposées dans les établissements d’enseignement, les nombreux protocoles sont-ils
dans l’ensemble concordants? Ont-ils déjà été utilisés sur le terrain? Et évalués après coup? »
Je crois utile de vous rappeler, dans un premier temps, ce qu’est le cadre scolaire qui constitue notre quoti-
dien, je vous présenterai ensuite le bilan de l’enquête menée sur les protocoles.
Cadre scolaire :
En tant qu’institution, l’Education nationale est régie par des textes officiels : elle doit s’y conformer. Pour le
sujet qui nous intéresse, les textes donnant obligation d’intervenir dans les établissements scolaires ont été
rédigés successivement dans l’objectif de création de centres ressources en cas d’intervention, et ce, par une
convention signée avec les INAVEM ( Institut national d’aide aux victimes et de médiation). Cette disposi-
tion figure dans une circulaire concernant la « Lutte contre les violences scolaires ». S’y adjoint la définition
de nos missions, nous, Médecins de l’Education Nationale qui devons, je cite encore : « Mettre en place des
dispositifs adaptés en cas d’événement grave survenant dans la communauté scolaire ». Des conventions
signées au niveau départemental avec les cellules d’urgence médico-psychologique dépendant des services
départementaux d’urgence en scellent les protocoles.
Il est donc à constater que les interventions en cas de suicide de jeune ou d’adulte, à l’intérieur dans ou hors
de l’établissement scolaire sont incluses dans la gestion plus générale d’évènements graves ou traumatisants
survenant à l’Ecole.
Il me semble utile de vous préciser les particularités de l’environnement scolaire : le public est composé de
jeunes et d’adultes, toutes les classes sociales, tous les niveaux scolaires d’adultes y sont représentés de l’agent
de service au professeur agrégé. L’âge des élèves va de 2 à 20 ans avec, par conséquent, une grande disparité
de développement physique et psychique. Le travail d’apprentissage des jeunes les amène à se mettre en si-
tuation de prise de risque auprès d’adultes non choisis. L’école est pour eux un lieu de socialisation extrême :
entre élèves, avec des adultes, dans des relations de groupe ou individuelles mais toujours dans un contexte
très codifié ou hiérarchisé. C’est le principe de « L’Ecole républicaine » qui, certes, est censé développer
l’égalité sur le mode du brassage mais, à ce louable objectif, il y a un corollaire : celui d’une expérience très
diffuse de la contrainte plus ou bien acceptée selon les situations.
Il ne faut pas omettre la notion « d’obligation scolaire » qui concerne tous les jeunes jusqu’à 16 ans quelque
soit le parcours d’orientation : celui de la réussite comme celui de l’échec. La place des parents est moins
permanente que celle des enseignants mais leur rôle auprès des élèves et des adultes participe au climat de
l’établissement.
“ Le cadre institutionnel scolaire assigne à chacun une place, un rôle et des fonctions définies spécifiquement.
L’espace scolaire participe à un sentiment d’appartenance renforcé par un langage commun, des valeurs et des
règles propres qui constituent une “base interne de sécurité individuelle”.” (H Romano)
L’enquête :
Il y a une Inspection académique par département donc 95 en métropole. J’ai interrogé par mail et par télé-
phone 32 Médecins conseillers techniques des Inspecteurs d’Académie sur l’existence de protocoles définis
ou non, en choisissant un département par région.
J’ai obtenu 28 réponses, 18 départements avaient des protocoles écrits, 16 confrères me les ont transmis.
Dans 10 inspections académiques les interventions se font sans cadre rédigé.
Personnes mobilisées :
Dans tous les cas, l’équipe de terrain intervient. Elle se compose comme suit:
-D
ans le premier degré (enseignement élémentaire et pré-élémentaire) : le directeur d’école avec
l’appui de l’IEN, l’infirmière scolaire, le médecin scolaire, le psychologue scolaire.
- Dans le second degré (collège et lycée) : le chef d’établissement, le CPE (conseiller principal d’éduca-
tion), l’infirmière scolaire, le médecin scolaire, l’assistant social scolaire, le conseiller d’orientation psychologue.
Le responsable d’établissement (directeur d’école ou chef d’établissement) doit référer régulièrement à sa
hiérarchie de l’évolution de la situation et des actions mises en place dont il est chargé de la coordination.
Dans certaines inspections académiques, une ou plusieurs équipes ressources sont constituées, elles vont
agir en soutien des équipes de terrain. Dans celle de Paris, pour le secondaire, par exemple, elles sont 4 et se
composent d’un chef d’établissement, d’une infirmière scolaire, d’un médecin scolaire, d’une assistante so-
ciale scolaire, d’un conseiller d’orientation psychologue, d’un CPE. Ces équipes non impliquées directement
par l’évènement ont plus de distance avec le ressenti et permettent de protéger les équipes intervenantes du
terrain dont l’implication dans l’évènement est plus importante et donc fragilisante.
Selon la gravité et l’impact de l’évènement il peut être fait appel à la cellule d’urgence médico-psychologique
du Samu qui interviendra elle aussi en soutien, quand elle n’intervient pas directement à la demande du
service médical du Samu.
Lorsqu’une cellule de crise se met en place elle doit désigner un coordonnateur qui sera l’interlocuteur préfé-
rentiel auprès du responsable d’établissement et transmettra les bilans intermédiaires et finaux d’action.
Le protocole :
16 inspections académiques ont rédigé un protocole. Pour une, le protocole est inclus dans celui de la gestion
de la violence à l’école. Pour les autres, le protocole est construit pour répondre à un événement grave et/ou
traumatisant sans spécification du fait que ce soit un suicide.
Pour 6 de ces 16 inspections académiques, des fiches descriptives sont proposées sous forme de « marche à suivre »
et de document modèle à utiliser pour l’établissement, l’annonce de l’évènement, le contact avec les familles.
7 inspections académiques sur 16 utilisent un groupe ressource académique constitué des conseillers techniques
de l’IA.
Pour 4 un groupe ressource spécifique a été créé.
L’action suivante consistera à fixer le cadre avec les adultes, soit une réunion des adultes de la communauté
scolaire autour du chef d’établissement avec le soutien des membres de la cellule de crise : avant toute infor-
mation des élèves, pour présenter la cellule de crise et la mettre à disposition des adultes comme des élèves,
pour échanger à partir d’éléments concrets apportés par tous sur l’événement ainsi que sur l’environnement
scolaire, pour que les adultes aient toutes les données factuelles pour pouvoir aborder le sujet en classe, pour
répondre à leurs questions.
Le chef d’établissement repère les personnels les plus en difficulté et leur propose l’aide de la cellule de crise,
veille à informer les personnels absents,en fonction de la gravité des événements, fait reporter les évaluations
scolaires, les notations prévues.
Des rencontres des adultes et des membres de la cellule de crise sont proposées à la demande à des moments
parfois informels (paroles libres à la récréation par exemple)
Il s’agit de permettre aux adultes de garder leur place et leur fonction avant d’intervenir auprès des élèves.
La reprise des cours avec leur contenu aménagé est proposée rapidement, elle aidera chacun (enseignants et
élèves) à reprendre sa place et à dévier la pensée de l’évènement traumatisant. Si un élève souhaite se rendre
auprès de la cellule il doit être accompagné.
Interventions auprès des élèves : annonce de l’évènement, repérage des élèves extériorisant le plus de diffi-
culté, information sur la cellule d’écoute.
Un point quotidien est prévu avec le responsable d’établissement pour analyser les réactions de la journée et
définir la suite à donner. Ce protocole est maintenu le plus souvent jusqu’aux obsèques du défunt en plus ou
moins grande ampleur.
Selon le désir de la famille, l’établissement scolaire sera présent ou non à la cérémonie. La date et le lieu se-
ront transmis aux élèves et aux adultes. Deux options sont proposées selon les établissements : soit les élèves
s’y rendent individuellement sous la responsabilité de leurs parents, soit ils y sont accompagnés par l’établis-
sement. A aucun moment, il n’y a de contrainte d’y assister. Les membres de la Cellule sont présents ce jour
là pour le retour dans l’école.
Une réunion de bilan sera organisée avec l’équipe de direction élargie et le contenu sera transmis aux autorités.
L’arrêt de l’application du protocole correspond à ce moment-là mais un contact est maintenu entre le coor-
donnateur et le responsable d’établissement pour un bilan possible et une éventuelle reprise à moyen terme.
La proposition d’une rencontre avec les adultes de l’établissement dans le mois qui suit est souvent offerte
mais pas toujours acceptée par crainte de relancer la sensibilisation du personnel et des élèves. Elle permet-
trait cependant de repérer et soutenir les personnes restant en difficulté face à cet évènement.
Evaluation:
Dans aucune des inspections académiques interrogées il n’y a eu d’évaluation formelle de l’utilisation des
protocoles.
Conclusion :
Donc, les interventions de soutien sur l’entourage proposées dans les établissements d’enseignement en cas de
suicide s’inscrivent dans le cadre plus général d’intervention en cas d’évènement grave et/ou traumatisant.
Quand un protocole d’intervention est formalisé, il est appliqué. Son existence oblige au moins à une sen-
sibilisation au mieux à une formation des personnels concernés. Elle participe aussi à la “postvention” telle
qu’elle est définie dans l’analyse de la documentation qui nous a été fournie.
En cas d’absence de protocole, la sensibilisation/formation n’est pas obligatoirement assurée, la gestion du
retentissement des évènements est alors empirique mais elle existe, et peut mettre à mal les professionnels de
terrain qui interviennent en les laissant face à une difficulté affectant une communauté avec laquelle ils ont
des liens de proximité professionnelle.
Cette étude me permet de conclure, malgré l’absence d’évaluation formelle, à la nécessité d’une générali-
sation d’un protocole d’intervention en établissement d’enseignement en cas de suicide même s’il recouvre
un cadre plus général d’évènement grave et/ou traumatisant. Il s’agit d’un précieux outil qui permet de
professionnaliser nos interventions qui, certes, peuvent nécessiter des adaptations selon le terrain, mais qui,
de toute évidence est la condition d’une « réparation » plus rapide et efficace pour tout l’environnement, la
condition également de la reprise de l’activité scolaire fondée sur un essentiel principe de continuité.
Schéma 1
Directeur d'Ecole
Chef
d'Etablisement
IEN
INSPECTEUR
D'ACADEMIE
Cellule de crise
Schéma 2
Rencontre avec le chef d’établissement :
- quel événement (contrôler)?
- quel ressenti de l’impact possible sur la communauté éducative?
- comment intervenir?
Textes officiels :
Arrêté du 28 mai 1997 portant création d’un comité national de l’urgence médico-psychologique en cas de
catastrophe NOR: TASP9721924A
Arrêté du 17 mars 2006 portant création d’un Comité national de l’urgence médico-psychologique en cas de
catastrophe NOR : SANC0621980A
circulaire n° 97-175 du 26 août 1997 relative à la mise en place des centres ressources
circulaire n° 99-034 du 9 mars 1999 relative à la convention nationale signée dans 14 départements avec
l’Institut national d’aide aux victimes et de médiation (INAVEM))
circulaire N°2001-044 du 22-3-2001: Lutte contre les violences scolaires
Bulletin Officiel du ministère de l’Education Nationale et du ministère de la Recherche :Spécial N°1 du 25
janvier 2001, Politique de santé en faveur des élèves
Circulaire n° 2001-012 du 12-1-2001 : Orientations générales pour la politique de santé en faveur des élèves
Circulaire n° 2001-013 du 12-1-2001 : Missions des médecins de l’Education nationale
Bibliographie :
Revue enfance Majuscule n°92. Janvier-février 2007 : “L’institution scolaire face à la gestion d’évènements
traumatiques”; Hélène Romano.
Dis, c’est comment quand on est mort? : Accompagner l’enfant sur le chemin du chagrin : Hélène Romano
avec la collaboration de Thierry Baubet, préface de Marie-Rose Moro; Edition “La pensée sauvage”, collec-
tion TRAUMA ;9 avril 2009
Analyse de la littérature :
Etat des lieux sur les interventions de soutien proposées et les meilleures pratiques de soutien à proposer en
milieu scolaire, en milieu de soins et en milieu de travail : Marie-Anne Roger
Suicides en milieu carcéral: modalités d’aide et de soutien
Philippe PEYRON
Conclusion :
Les différentes prises en charge concernant les acteurs de la communauté pénitentiaire se sont considérable-
ment améliorées ces dernières années, certainement parce que le phénomène du suicide en milieu pénitenti-
aire a connu une très forte médiatisation qui ne reflète d’ailleurs aucunement la complexité de compréhen-
sion de ce milieu.
L’axe très fort de prévention dans ce domaine, engagé depuis longtemps par l’administration pénitentiaire
n’y est pas non plus étranger. Reste à y intégrer des acteurs supplémentaires afin de consolider un lien fort
avec l’extérieur : c’est ce qui se dessine à l’heure actuelle.
Effets et conséquences du suicide sur l’entourage( Question n° 3)
Si nous acceptons que le deuil après suicide n’est pas un deuil très différent des autres, au regard des intéres-
santes notes bibliographiques de mesdames Roger et Colliot-Thélène , il est toutefois exacerbé et son éclai-
rage particulier varie en fonction :
- de la violence et de la soudaineté
- de la violence et de la soudaineté de l’acte
- des personnalités des personnes endeuillées
- des contextes familiaux et sociaux
l’éclairage est d’autant plus singulier que la personne disparue s’est auto-détruite.
Comment repartir, se reconstruire, se réapproprier une vie après le drame ?
les groupes de soutien proposés dans les différentes associations peuvent aider, accompagner et offrir des
pistes de réflexion.
1. Point sur les associations de bénévoles proposant des groupes de soutien aux endeuillés
après suicide :
Ce champ d’intervention est évolutif et je ne serai donc pas exhaustive.
Structures associatives accompagnant le seul deuil après suicide :
Association Christophe à Marseille ( 2001) : prévention du suicide chez les jeunes et aide aux familles en-
deuillées après suicide ; entretiens individuels ou en petits groupes ; groupes de parole mensuels ouverts pour
les familles endeuillées ou en difficulté( suivis d’une marche le lendemain).
Association Au Coeur des Flots ( 2002), dans le Maine et Loire : prévention du suicide chez les jeunes et ac-
compagnement des familles endeuillées après suicide ; formation à l’écoute par la DRASS de Nantes ; groupe
de parole mensuel ( 3ème jeudi de chaque mois à la Maison des Associations de Beaufort en Vallée).
Phare Enfants Parents (1991) : prévention du suicide chez les jeunes et accompagnement des familles en-
deuillées après suicide ; écoute téléphonique, entretiens individuels ou en famille, groupes de parole mensuels
ouverts pour les familles endeuillées d’un enfant par suicide( étude M-A Roger , 4.2).
D’autres structures associatives accueillent des endeuillés , quel que soit le type de décès et proposent par
ailleurs un soutien spécifique aux endeuillés après suicide.
Association Jonathan Pierres Vivantes (1978) : soutien aux parents endeuillés d’un enfant, quel que soit le
type de deuil et week-ends spécifiques pour les familles endeuillées après suicide.
Vivre son deuil (1995) ( Ile- de -France/ Nord- Pas de Calais/Franche -Comté) : soutien aux personnes en
deuil , tout type de décès ; entretiens individuels et en famille et groupes de soutien fermés.
Certaines structures accueillent les endeuillés par suicide dans le cadre d’un accompagnement tout type de deuil.
Apprivoiser l’Absence ( 2006) : deuil des parents, quel que soit le type de décès. groupes d’entraide fermés ,
chacun pouvant s’exprimer en confiance et dans un cadre défini autour de thèmes de réflexion.
Association Pierre Clément à Strasbourg (1989) : accompagnement de la fin de vie et aide aux endeuillés ;
écoute téléphonique, entretiens individuels et en famille ; groupes d’entraide ouverts.
Association Relais Jeunes et Familles 78 ( 2005) : soutien aux jeunes en mal-être et à leurs familles ; groupe
de parole parents, ouvert, tout type de deuil, animé par un bénévole ( formation Vivre Son Deuil) et un psychologue-
clinicien bénévole.
Ces associations sont recensées dans la liste établie par Vivre son deuil (actualisée été 2009) , dans le livret
« Vous êtes en deuil après en suicide » réalisé par l’UNPS , dans plusieurs ouvrages tels ceux de Annick ER-
NOULT, Christophe FAURE et Michel HANUS, et dans le répertoire de la Fondation de France.
Leurs groupes de soutien sont animés par des bénévoles accompagnés de professionnels et sont suivis de
supervisions ;la formation des bénévoles est assurée par chaque association, avec, en cas de besoin, interven-
tion d’un organisme extérieur.
Il existe peu d’évaluations des pratiques des groupes de soutien comme souligné dans leurs études bibliogra-
phiques par Marie-Anne Roger et Céline Colliot-Thélène.
Une étude chiffrée faite par Vivre son deuil est à paraître( 2009).
Certaines structures qui ne sont pas des associations de bénévoles proposent aussi des groupes de soutien
aux endeuillés après suicide : le centre François-Xavier Bagnoud Paris; Recherche et Rencontre Nantes ; Cen-
tre Jean Bergeret Lyon ;Centre SOS Suicide Phénix Nice ; Centre de Prévention du suicide ( CPS) Bruxelles et
Namur ;
Centre de prévention du suicide de Genève .
Conclusion.
Chaque association de bénévoles apporte sa sensibilité et son expérience propre dans la pratique de soutien
proposé aux endeuillés après suicide : cette offre riche et multiple est précieuse pour les endeuillés.
Toutefois l’un des éléments essentiels de ce soutien est de favoriser la réinvestissement du lien social : ce lien
permet aux endeuillés de retrouver peu à peu , librement, leur place dans l’environnement familial, social et
professionnel, sans crainte d’affronter le regard des autres. Un engagement social, dans un deuxième temps,
au sein de l’association ou dans d’autres sphères peut aider à dépasser le sentiment d’échec et à se sentir utile
avec des ressources personnelles réactivées : « savoir que tu es utile à quelqu’un d’autre est le meilleur médi-
cament du monde »(Colliot-Thélène 2.2 .1. ; témoignage d’un participant à un groupe d’auto-assistance)..
Documents ANJPV utilisés :
- Note de Bruno Viallet ( 2007 et 2009) / Nicole Maltère ( 2009)/ CR Week-End pour la Vie Avril 2009.
Document PHARE Enfants Parents : Note de Joanna de Lagarde ( octobre 2009)
L’impact du suicide sur l’entourage :
Maja Perret-Catipovic
Dans le temps imparti je me centrerai essentiellement sur le travail du Centre d’Etude et de Prévention du Suicide
(CEPS) à Genève qui n’est de loin pas représentatif de l’ensemble des interventions de soutien proposées en Suisse.
Il s’agit plutôt d’un projet phare qui suscite toujours un grand intérêt mais n’a pas encore été répliqué.
Conformément au mandat, le fonctionnement du CEPS sera comparé à celui du programme « L’autre Temps » tel
que décrit dans la documentation de ce programme Bruxellois. (http://www.preventionsuicide.be/view/fr/activi-
tesCPS/Deuil.html)
Le CEPS est né à Genève en 1996 parallèlement à la création d’une structure d’accueil hospitalier pour adolescents
suicidants qui prenait modèle sur le centre Abadie de Bordeaux. Il est le fruit d’un partenariat entre les Hôpitaux
Universitaires de Genève et la fondation Children Action. Les réflexions suivantes ont précédé sa création :
Après un colloque en 1994 qui avait pour thème : Le suicide des adolescents : au-delà de l’épidémiologie, quelles pers-
pectives thérapeutiques ? (Ladame et al, 1996) nous étions convaincus que la communauté scientifique détenait les
moyens thérapeutiques pour venir en aide aux adolescents suicidants (traitement pharmacologique ; différents types
de traitements individuels et de groupe ; traitements hospitaliers à temps plein et temps partiel etc). Toutefois, une
question centrale demeurait non posée: celle de la participation des adolescents à ces soins efficients.
Quelles que soient les études sur la suicidalité des adolescents, où qu’elles aient été menées, une différence
consternante saute aux yeux. La comparaison entre les études en population générale et celles en milieu cli-
nique met en évidence que seuls 10% des adolescents suicidants sont connus des services de soins (Gasquet
et al, 1999; Gould et al, 2004). C’est à ces 10% que les soins seront proposés et, selon l’approche, seuls 10, ou
au mieux 20% de ces 10% accepteront les soins au-delà de ceux prodigués dans l’urgence.
Dès lors, nous avons considéré qu’une unité hospitalière qui visait à mieux soigner les adolescents suicidants
preneurs de soins ne devait pas laisser dans l’ombre les 90% d’adolescents qui souffrent tellement qu’ils ne peuvent
accéder aux soins.
Nous avons créé le CEPS en ayant pour objectif de minimiser le risque suicidaire des adolescents suicidants qui
refusent les soins.
Notre centre se limite à une population définie : les adolescents et jeunes adultes et à une problématique
spécifique : le suicide
En comparaison, le programme l’Autre temps du CPS de Bruxelles s’adresse aux plus de 18 ans et la problématique
spécifique est le deuil après suicide. C’est l’un des programmes du Centre de Prévention du Suicide qui décline ses
activités de façon plus large.
NB : prévention universelle, selective et indiquée selon le modèle opérationnel de prévention en santé mentale
Burns J.M. and Patton, G(2000) Preventive interventions for youth suicide : a risk factor-based approach. Aust N Z J Psychiatry
Notre but est d’éviter des passages à l’acte suicidaires en améliorant par tous les moyens la possibilité de recourir à
l’aide lorsque celle-ci est nécessaire.
Qu’en est-il suite à l’exposition à un suicide qui a abouti à la mort ? Quel soutien offrir et surtout, compte tenu de
notre spécificité, comment le rendre accessible et acceptable pour les adolescents ?
Nous pensons que les activités de « postvention » doivent se décliner dans les trois zones de prévention.
1) Prévention Universelle :
Elle consiste à informer le grand public sur la problématique du suicide et à former les intervenants. Tous les ca-
naux de diffusion sont utilisés, en particulier les Médias.
Un des objectifs visés est la déstigmatisation des suicidants. Quel intérêt cela peut-il avoir pour les d’adolescents ?
La recherche récente met en évidence que, en comparaison avec des adolescents dont un des parents est décédé
d’une autre cause le point commun aux enfants et adolescents dont un des parents est décédé par suicide concerne
surtout les réactions sociétales et la stigmatisation du suicide.
Selon plusieurs études qui font encore débat (revues par Kuramoto et al, 2009), les deux groupes ne différeraient
pas sur la plupart des variables psycho-sociales étudiées. Ils ne seraient pas plus suicidaires, plus déprimés, ne déve-
lopperaient pas plus de PTSD etc. Quelques particularités caractériseraient néanmoins le groupe « parent suicidé ».
Les enfants dont l’un des parents est décédé par suicide souffrent bien plus du sentiment de honte et de culpabilité,
éprouvent bien plus de colère et ont une tendance à blâmer : soi-même, autrui ou encore la société. Ces deux derniers
points pourraient éclairer une autre découverte surprenante ; ces adolescents dont un des parents s’est suicidé déve-
lopperaient plus de conduites délictueuses, (comme autant de manifestations de colère et d’accusation ???).
Toutefois, ces rares travaux qui ont étudié de façon spécifique l’impact du suicide de l’un des parents sur l’enfant
se sont heurtés à des difficultés méthodologiques de taille. Ainsi par exemple, la portée des études est limitée par
le fait que l’évaluation concernant le fonctionnement psychique de l’adolescent a souvent été faite au cours d’entre-
tiens avec le parent survivant (ou son substitut). Or, il est apparu que dans bon nombre de situation il n’était pas
même sûr que les enfants/adolescents savaient de quoi est décédé le parent suicidé.
Le poids du tabou et de la stigmatisation du suicide rend incontestablement difficile toute revendication, fût elle
d’aide, de la part des enfants/adolescents qui ont survécu au suicide d’un de leurs parents. La honte et la culpabilité
déploient leurs effets délétères d’autant plus lorsque leur expression est réprimée.
Nos actions de prévention « universelle » s’adressent à la population générale par le biais des médias mais aussi
par l’intermédiaire des intervenants habituels auprès d’adolescents (auxquels nous proposons des sensibilisations
et formations) comme le sont les enseignants, les éducateurs, les ecclésiastiques, mais aussi les amis et voisins, les
médecins etc…
Le but en est de permettre une meilleure reconnaissance de la problématique suicidaire afin de lui garantir un
meilleur accueil dans la société en général. Nous pensons qu’un accueil moins stigmatisant peut favoriser les de-
mandes d’aide voire l’acceptation de l’aide lorsque celle-ci est nécessaire.
Dans cette optique, le CEPS est partenaire de l’ « alliance contre la dépression » (http://www.eaad.net/fra/network-
partners-1.php) que le Canton de Genève a placé parmi ses priorités de santé publique pour les années à venir.
En comparaison, le programme l’Autre temps ne gère pas la prévention universelle. Elle est en revanche assumée par
le Centre de Prévention du Suicide de Bruxelles dont un des volets est constitué par le programme l’Autre temps.
2) Prévention indiquée.
La prévention indiquée vise à contenir le risque de passages à l’acte suicidaires et de suicides en identifiant et
ciblant de façon spécifique les groupes à risque.
Est-ce que les adolescents dont un des parents s’est suicidé constituent un groupe à risque ? Il peut paraître cho-
quant de poser la question tant la réponse nous semble évidente.
Mais la recherche récente (Kuramoto et al, 2009) nous oblige à nuancer la manière d’aborder tant la question
que la réponse.
Par le biais de nos partenaires (intervenants en milieu scolaire ; médecins généralistes, pédiatres, légistes ; pompes
funèbres ; police ; églises ; associations ; etc) nous sommes sollicités pour intervenir dans ces groupes.
Nous y assumons essentiellement des interventions de type « ventilation ». Nous veillons particulièrement à placer
en priorité les interventions auprès du groupe d’adultes afin de leur permettre de rétablir leur cadre (de la famille,
de l’institution, de groupe de loisir).
Même dans le cas de groupes qui ont établi leurs stratégies d’intervention de crise (certaines écoles ont par exem-
ple des directives claires) les règles qui régissent les groupes et institutions ont inévitablement été mises à mal
par le drame du suicide qui invalide temporairement le cadre établi. Les enseignants, par exemple, n’osent plus
noter les travaux de leurs élèves ; les parents prennent les enfants adolescents dans leur lit pour tenter d’éponger
les angoisses nocturnes ; n’osent plus leur poser d’interdits…. Le rétablissement du cadre, si essentiel, est souvent
difficile du fait des culpabilités et blâmes tues, exprimées, et parfois jetées à la figure de l’autre.
Dans ce contexte, nos interventions ont toujours une part de « ventilation » et une part de « psycho-éducation » ;
leur durée est variable en fonction des demandes.
Nous veillons particulièrement à ne pas intervenir auprès d’adolescents en l’absence de leurs référents habituels.
Ce choix est discutable, mais ce que nous ont enseigné les postventions menées en milieu scolaire (Hazell P ;
Lewin T., 1993), c’est que les pièges délétères sont nombreux, notamment le risque de désorganiser encore plus le
cadre habituel et disqualifier les adultes significatifs.
Comme toute autre prévention sélective, ce type d’interventions permet le dépistage des individus qui présentent
un risque suicidaire immédiat, et/ou qui montrent une fragilité psychique particulière et nécessiteraient une « pré-
vention indiquée », c’est-à-dire un traitement.
Celui- ci peut être bref et immédiat, ou alors différé dans le temps.
En comparaison, le programme l’Autre Temps n’assure pas d’intervention de ventilation et/ou de psychoéducation
auprès des groupes d’appartenance des jeunes touchés par un suicide. Ces activités sont assumées par d’autres volets
du CPS de Bruxelles.
3) Prévention indiquée
Par prévention indiquée Burns et Patton (2000) entendent toutes les actions thérapeutiques qu’elles visent à soi-
gner un problème déclaré, à en prévenir la récidive ou encore à en soigner les conséquences.
Dans le cas d’adolescents qui ont été exposés au suicide d’un proche, il est toujours possible que le deuil traumatique
décompense la santé psychique. Dans ce cas – et presque exclusivement dans ce cas, une évaluation individuelle de la
situation s’impose. L’approche individuelle – psychodynamique pour ce qui nous concerne - déploiera son cadre et
ses spécificités, avec toutefois une sensibilité particulière à la question du suicide et au risque suicidaire.
Dans notre centre, ce travail porte essentiellement sur l’aménagement des conditions qui rendent le travail thé-
rapeutique possible ou non. Notre orientation psychodynamique nous permet de travailler sur les résistances au
traitement et au changement, ainsi que sur les écueils narcissiques et les identifications mélancoliques.
Dans ce cadre nous avons développé les consultations de « guidance parentale », des consultations face à face ou à
distance avec les personnes de l’entourage des adolescents, ainsi que des consultations « à distance » avec l’adoles-
cent lui-même, que ce soit par téléphone ou internet.
Nous utilisons ces moyens également pour identifier, constituer ou réactiver un réseau d’aide et de soutien autour
d’un adolescent à risque suicidaire. Nous nous positionnons alors en deuxième ligne, en restant à disposition et
encadrant si nécessaire les interventions des personnes professionnelles ou non avec qui l’adolescent a déjà un lien
de confiance.
Lorsqu’un traitement individuel devient possible, l’adolescent est référé aux services et thérapeutes compétents,
dans le service public ou en pratique libérale, selon ce que l’évaluation indique comme optimal.
Le CEPS fait partie de l’Unité de Crise pour Adolescents qui offre un programme de soins hospitaliers spécifiques
pour adolescents en crise et à risque suicidaire, ainsi que depuis peu un programme de soins ambulatoires inten-
sifs pour cette même population.
Tout comme le CPS de Bruxelles, le CEPS fait partie d’un réseau d’acteurs de santé mentale local, national et inter-
national.
En conclusion, le CEPS est un sous-ensemble du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent des Hôpitaux
Universitaires de Genève. Il développe des stratégies pour prévenir le suicide des jeunes par des actions de préven-
tion universelle – séléctive et indiquée.
L’aide aux « survivants » d’un suicide n’est qu’un des volets de ses actions. Elle se décline dans les niveaux de pré-
vention avec un interêt marqué porté aux résistances aux soins.
De son côté, le programme l’Autre Temps est un sous-ensemble du Centre de Prévention du Suicide de Bruxel-
les. Il est prévu pour des adultes au-delà de 18 ans et gère un groupe de parole spécifique pour les endeuillés par
suicide.
Tout comme le Centre de Prévention du Suicide de Bruxelles, après un suicide nous intervenons au niveau col-
lectif et au niveau individuel et/ou familial. Le travail sur la déstigmatisation du suicide est une trame de fond de
l’ensemble de nos actions.
Bibliographie
Gasquet I, Ledoux S, Chavance M, Choquet M, (1999) Consultation of mental health professionnals by French ado-
lescents with probable psychiatric problem, Acta Psychiatr Scand 99:126-134
GOULD, M, ; VELTING, D.; KLEINMAN, M; LUCAS, C.; THOMAS, JOHN G; CHUNG, M. Teenagers’ Attitu-
des About Coping Strategies and Help-Seeking Behavior for Suicidality. Journal of the American Academy of Child
& Adolescent Psychiatry: September 2004 - Volume 43 - Issue 9 - pp 1124-1133
Hazell P, Lewin T (1933) An evaluation of postvention following adolescent suicide. Suicide and Life Threatening
Behaviour, 23, 343-358.
Kuramoto J; Brent D., Wilcox H. (2009) The impact of Parental suicide on child and adolescent offspring, Suicide
and life threatening behaviour 39 (2).
Perret-Catipovic M. (1999) Suicide prevention in adolescents and young adults : the Geneva University Hospital’s
Program, Crisis 1/20, p36-40.
Perret-Catipovic Maja (2004) Le suicide des jeunes Comprendre, accompagner, prévenir, St Augustin, St Maurice.
Les pratiques de soutien a proposer :
Lecons du passé et perspectives d’avenir
La perte d’un être cher constitue un événement critique dans la vie de la grande majorité des humains. Cette présenta-
tion tente de faire le point brièvement sur les théories du deuil en général et présente la spécificité des processus du deuil
suite au décès d’une personne par suicide. On abordera par la suite l’état des recherches sur les interventions et services
de soutien offerts aux personnes endeuillées et plus spécifiquement aux personnes endeuillées par suicide. On regardera
enfin les lacunes dans l’état des connaissances actuelles et plusieurs programmes prometteurs pour l’avenir.
Bibliographie
Préambule
Selon les situations, les conditions de vie et les types de liens existant entre la victime et ceux qui l’ont fré-
quentée (proches ou professionnels), le suicide est susceptible d’engendrer des réactions diverses auprès de
ceux-ci : stress aigu, syndrome de stress post-traumatique, deuil Ces réactions (type et intensité) sont étroi-
tement reliées au contexte professionnel et de vie de la personne touchée par le suicide (survivant) et à ses
antécédents (ruptures de vie, troubles de santé mentale). Une prise en charge qui se veut pertinente se doit de
proposer des modalités et des mesures de soutien diversifiées (Winter, Brockmann & Hegerl, 2005), tenant
compte des différents types et intensités de réactions (ayant chacun leurs spécificités) et des diverses tem-
poralités de l’après-suicide (heures, jours, mois après l’événement). La mobilisation et le concours d’acteurs
aux statuts et contributions variés (Obadia & al., 2004 ; Hawton & Simkin, 2003), et néanmoins complémen-
taires ou subsidiaires (Hall & Epp, 2001), semblent fondamentaux pour la mise en place d’une postvention
efficace (Castelli Dransart & Séguin, 2008).
Les pratiques de soutien à proposer dans les suites immédiates : Associations de soutien
Les associations de soutien ont été les précurseurs et les pionniers en matière de postvention dans de nom-
breux pays. Les quelques études évaluatives existantes portant sur les prestations offertes ont mis en évi-
dence un haut degré de satisfaction des participants aux activités des associations de soutien (Feigelman &
Feigelman, 2008 ; Séguin, Vinet-Bonin & Sénécal, 2004 ; Hopmeyer & Werk, 1994). Ces dernières jouissent
en général d’une bonne réputation et sont appréciées par les survivants d’un suicide qui leur font confiance
et les préfèrent parfois à l’aide professionnelle (Feigelman & Feigelman, 2008). Les évaluations de leur ac-
tion sur la santé physique et mentale des participants sont rares (cf étude de Pfeffer, Jiang, Kakuma, Hwang
& Metsch, 2002 sur des groupes de soutien pour enfants qui montrent une diminution de l’anxiété) et les
résultats doivent encore être consolidés, en raison de difficultés méthodologiques mais également d’une
conjugaison parfois difficile entre logique d’entraide et logique de recherche (Petty, 2000). En l’absence de
données consolidées, il semble judicieux de se référer aux éléments pour lesquels il existe un certain consen-
sus au sein de la communauté scientifique et des praticiens pour répondre à la question posée par le comité
de pilotage.
Plusieurs études ont mis en évidence les difficultés rencontrées par les survivants dans leurs relations socia-
les. Le plus souvent, soit parce qu’ils se replient sur eux-mêmes, soit parce qu’ils sont l’objet de craintes ou
préjudices, les survivants sont assez isolés et reçoivent moins d’aide qu’ils ne le souhaiteraient (Feigelman
& Feigelman, 2008 ; Dyregrov, 2002; Moore & Freeman, 1995; Saarinen, Hintikka, Lehtonen, Lönnqvist &
Viinamäki, 2002). La honte et la stigmatisation sont très fréquentes (Sveen & Walbi, 2008). Parfois ils obtien-
nent de l’aide au mauvais moment (Lindqist, Johansson & Karlsson, 2008). Afin de contrecarrer ces tendan-
ces (isolement, stigmatisation), il semblerait opportun d’offrir des interventions à « bas seuil » dès les jours
qui suivent le suicide. Certaines d’entre-elles pourraient être menées à bien par les associations de soutien,
en particulier pour ce qui concerne l’information, la psycho-éducation et l’offre de réseaux de soutien soli-
daires, non professionnels. Certaines études en effet reportent des attitudes critiques des participants vis-à-
vis des professionnels (Lindyist & al., 2008 ; Feigelman & Feigelman, 2008). Une préférence serait également
donnée à l’aide apportée par d’autres survivants (Feigelman & Feigelman, 2008 ; Wagner & Calhoun, 1991).
Les survivants affirmeraient également le besoin d’avoir des possibilités d’exprimer verbalement leur ressenti
(Winter & al., 2005). En raison de leur « proximité expérientielle » avec les survivants (Billow, 1987), les
associations de soutien pourraient assumer un rôle d’interface et si nécessaire de médiation, une aide « ins-
trumentale » (Marris, 1968) ou du moins initiale, dans les suites immédiates du suicide entre les survivants
et les professionnels et ce à des moments charnières, comme par exemple lors de l’annonce de la nouvelle.
Outre la présence des professionnels (responsables d’annoncer le suicide), celle d’une personne ayant vécu
ou familière avec cette expérience pourrait conforter et rassurer les survivants, ainsi qu’amorcer un contact
et un dialogue, surtout dans les moments initiaux lorsqu’ils sont en état de choc et font l’expérience d’un
état de stress aigu. Pour ce faire, il est néanmoins nécessaire que le survivant ait le choix d’entrer ou pas en
contact avec le représentant de l’association de soutien. Dans la plupart des pays, le décès par suicide engen-
dre des démarches d’investigation ou de vérification aussi bien judiciaires qu’administratives. La présence
ou le contact avec une personne familière avec un tel événement et en mesure d’expliquer ou de fournir des
indications concrètes au survivant concernant ces démarches pourrait représenter un point d’appui valable.
Dit autrement, la présence d’un membre d’une association de soutien pourrait être perçue et fonctionner
comme un « tiers-relais » (Castelli Dransart, 2003) rassurant et être, par la même occasion, une source im-
portante d’informations utiles en matière de ressources à mobiliser dans la communauté ou de démarches à
envisager ou envisageables, aussi bien au niveau pratique qu’en termes de processus de reconstruction de soi.
Une action concertée avec les professionnels présents (policiers, ambulanciers, officiers) ou ceux susceptibles
d’intervenir par la suite (professionnels de la santé mentale) serait indispensable, tout comme une formation
aux bases de la relation d’aide serait nécessaire pour les membres des associations de soutien susceptibles de
participer à ces actions « bas seuil ». Les seules familiarité ou expérience de survivant ne sont pas suffisantes
pour assumer la fonction d’interface et de relais. Des expériences satisfaisantes en matière d’intervention
conjointe professionnel-bénévole ont été menées dans d’autres pays (Myers & Fine, 2007), notamment aux
Etats-Unis et en Australie.
Les associations de soutien pourraient également contribuer à des actions « bas seuil » dans les mois qui sui-
vent le suicide, en assurant par exemple quelques contacts avec les survivants, afin de maintenir un lien et, le
cas échéant, les diriger vers des ressources laïques ou professionnelles. La possibilité d’orienter les survivants
selon leur situation et leurs besoins éviterait de pathologiser des réactions ou des difficultés émotionnelles
pouvant être considérées comme ordinaires ou en dessous du seuil clinique et de mobiliser les ressources
professionnelles, en général limitées, pour les personnes présentant des troubles de santé mentale (Christen-
sen & Jacobsen, 1994). Des dispositifs conjuguant offres privées (associations) et publiques seraient suscepti-
bles de couvrir de manière plus satisfaisante les besoins variés des survivants, à l’image de ce qui se fait dans
le Département des Deux-Sèvres (Fouet, 2008) ou aux Etats-Unis et en Australie. Dans ce cas, un travail de
concertation voire de collaboration entre les différents acteurs et les diverses offres au sein du dispositif est
indispensable pour assurer la qualité des prestations offertes et leur articulation pertinente.
Seule une minorité de survivants recherche effectivement de l’aide dans un premier temps (Dyregrov, 2002)
alors que les survivants disent ressentir le besoin d’un soutien (De Groot, De Keijser & Neeleman, 2006).
Ceci pourrait plaider pour la mise en place de mesures de soutien pro-actives. Des expériences intéressantes
ont été menées et évaluées dans quelques pays comme l’Australie et les Etats-Unis. Cerel et Campbell (2008)
ont dirigé une étude comparative entre deux types de programme menés par le même organisme aux Etats-
Unis : un programme de postvention passive (programme traditionnel où les survivants doivent eux-mêmes
solliciter l’aide et rechercher les informations utiles) et un programme de postvention active (des bénévoles
- survivants formés - interviennent dès la notification du suicide et fournissent des indications utiles). Les
premiers résultats indiquent que les survivants ayant profité du programme de postvention active se présen-
tent plus tôt pour obtenir un traitement, sont plus motivés à participer à un groupe de soutien et disent en
profiter davantage. Toutefois, les résultats n’ont pas montré de différences significatives en termes de troubles
de sommeil, de la concentration ou de l’appétit.
Feigelman et Feigelman (2008) ont évalué une expérience de groupe par internet. Cette piste pourrait être
prometteuse dans la mesure où les résultats montrent que le partage et l’accompagnement par internet
permettent de rejoindre des personnes qui d’habitude ne participent que de manière limitée aux groupes de
soutien ou qui ne sont pas suivies par des professionnels : les personnes vivant seules, divorcées ou séparées,
au revenu et au niveau de formation plutôt modestes. Les personnes affiliées au groupe sur internet expé-
rimentaient également plus de stigmatisation que les membres de groupes classiques de soutien. De plus,
internet offre une grande flexibilité temporelle et peut être une interface intéressante également entre les
séances des groupes classiques de soutien.
Les associations de soutien disposant d’un savoir de première main sur le sujet, il serait utile de les consulter
voire de les mettre à contribution lors de la conceptualisation et de la mise en œuvre de dispositifs profes-
sionnels de formation ou d’action concernant l’intervention après-suicide, en particulier pour ce qui concer-
ne les attitudes aidantes ou non lors de l’annonce de la nouvelle ou de la conduite des démarches adminis-
trativo-judiciaires. Au fil des années, il a été reconnu que les survivants ne sont pas seulement des individus
ou des groupes nécessitant un soutien mais pouvant également représenter une ressource pour leurs pairs et
pour les pouvoirs publics (Andriessen, Beautrais, Grad, Brockmann & Simkin, 2007).
En résumé
En raison de leur proximité expérientielle, des compétences développées au fil des années et du capital
confiance dont elles jouissent auprès des survivants, les associations de soutien pourraient être engagées
dans des actions de soutien à « bas seuil » (solidarité humaine, partage d’informations et d’expériences inhé-
rentes à la vie concrète et sociale, fonction de relais et d’interface avec l’entourage ou les professionnels) dans
les suites immédiates du suicide et dans les semaines suivantes, notamment en assurant une présence lors de
l’annonce de la nouvelle et des contacts ponctuels lors des premiers mois. Pour ce faire, une formation adé-
quate des adhérents et une collaboration voire une définition des attributions et des compétences respectives
avec les services publics et les professionnels s’avèrent indispensables.
Les pratiques de soutien à proposer dans les suites immédiates : Soutien des personnels impliqués / Que
proposer pour soutenir les intervenants ?
Le suicide d’un patient/client peut être considéré comme un risque professionnel pour des intervenants
oeuvrant dans les domaines de la santé et du social, surtout lorsqu’ils travaillent en santé mentale avec des
populations présentant des facteurs de risque de suicide. Selon les études, entre la moitié et les quatre cinquiè-
mes des psychiatres ainsi qu’un quart à un tiers des psychologues et des travailleurs sociaux seront confrontés
au suicide d’un patient/client durant leur carrière professionnelle (Jacobson, Ting, Sanders & Harrington, 2004;
Henry, Séguin & Drouin, 2003). Neuf médecins généralistes sur dix de l’étude de Halligan et Corcoran (2001)
ont vécu le suicide d’un patient/client. Valente (1994) estime à un tiers les infirmiers qui seront confrontés à un
tel événement durant leur carrière. Par ailleurs, la plupart des études montrent que 30 à 50% des personnes qui
se sont suicidées ont eu des contacts avec les professionnels de l’action socio-sanitaire le mois qui précède leur
décès (Grunberg & al., 1994 ; Michel, 1997 ; Ping & Merete, 2005). En dépit de cet état de fait, seule une mino-
rité (un quart) de professionnels a été formée à l’éventualité du suicide d’un patient (Dewar, Eagles, Klein, Grey
& Alexander, 2000 ; Feldman & Freedenthal, 2006). Les données concernant l’existence et surtout l’application
de dispositifs ou de protocoles de postvention au sein de l’institution sont rares.
Les premières études sur l’impact et les conséquences du suicide d’un patient/client sur les professionnels da-
tent des années 1980. La grande majorité a été menée en contexte anglo-saxon et auprès de psychiatres et de
psychologues. Ces études font état de plusieurs impacts et conséquences sur les professionnels à la suite d’un
suicide : au niveau individuel, des pratiques professionnelles et au sein des institutions employeuses.
Au niveau personnel, la plupart des professionnels vivront, à la suite d’un suicide d’un patient/client, des états de
stress aigu. Une partie des professionnels est susceptible de développer des symptômes de stress post-traumatique
(Sakinofsky, 2007), surtout si elle a été confrontée à la scène du suicide. Une minorité de professionnels, ceux qui
avaient établi une relation particulièrement proche avec la victime, vivront un processus de deuil. Dans la littérature,
les auteurs mélangent souvent ces réactions, il est dès lors très difficile de pouvoir comparer les résultats d’études
qui utilisent non seulement des outils de mesure différents mais qui s’appuient également sur des construits théori-
ques aux contenus variables. Toutefois, les auteurs s’entendent pour dire qu’à la suite d’un suicide, les professionnels
éprouvent généralement des émotions tels que le choc/incrédulité, la culpabilité, la tristesse, l’impuissance, la colère,
la honte et l’anxiété (Castelli Dransart, Kaufmann Didisheim, Gulfi & Gutjahr, 2007 ; Henry & al., 2003 ; Hendin,
Lipschitz, Maltsberger, Haas & Wynecoop, 2000 ; Reeves, 2003 ; Ruskin, Sakinofsky, Bagby, Dickens & Sousa, 2004).
Le suicide d’un patient peut être perçu comme un échec (Goode, 2001 ; Knüsel, Castelli Dransart & D’Alessandri,
2000) par soi-même et également par l’entourage de la victime ou par les collègues. L’estime de soi peut être mise à
l’épreuve. Les réactions de stress se manifestent sous la forme de pensées ou d’images intrusives, de comportements
d’évitement, de signes de stress physique (par exemple, altération du rythme du sommeil, palpitations, hyper vigi-
lance) (Castelli Dransart & al., 2007 ; Valente, 1994). Les réactions évoquées dans les témoignages et lors d’études
scientifiques varient en intensité, s’estompent le plus souvent avec le temps et sont en général influencées par le degré
et le type d’implication du professionnel dans la relation avec le patient (prédicteur). L’intensité des réactions éprou-
vées est encore influencée, selon les études, par le genre, l’âge et l’expérience ou encore la formation du professionnel,
sans que ces variables ne fassent l’unanimité (Castelli Dransart & al., 2007). L’intensité et la gravité de l’impact sont
controversées : certaines études faisant état d’impacts modérés à élevés pour une partie importante des participants
(Courtenay & Stephens, 2001 : questions semi-ouvertes, estimation de l’intensité de l’impact par les chercheurs sur
la base des réponses ; Dewar & al., 2000 ; Hendin, Haas, Maltsberger, Szanto & Rabinowicz, 2004 : entretiens, esti-
mation des chercheurs sur la base des réponses), d’autres relevant des impacts plus modestes pour la majorité des
participants au niveau personnel (Henry, Séguin & Drouin, 2003, 2004 ; Pieters, Gucht, Joos & Heyn, 2003 ; Castelli
Dransart & al., 2007, Ruskin & al., 2004 ; McAdams & Foster, 2000). Les études les plus rigoureuses du point de vue
méthodologique (car disposant des effectifs les plus nombreux, utilisant des échelles de mesure et ayant mené des
analyses statistiques plus poussées) tendent à montrer des impacts personnels plus contenus ou modérés pour la ma-
jorité des participants. Seule une minorité de professionnels atteignent un niveau d’intensité de réaction de stress plus
élevé, mais en dessous du seuil clinique (Henry & al., 2003 ; Castelli Dransart & al., 2007). Les études semblent donc
montrer qu’au niveau de l’impact personnel, les professionnels expérimentent surtout des réactions de stress aigu qui
restent néanmoins, pour la plupart des cas, en dessous généralement du seuil clinique. Dans leur étude Henry et al.
(2004) arrivent à la conclusion que les manifestations de deuil à la suite du suicide d’un patient/client sont limitées
(score faible sur le Grief experience questionnaire).
La sphère professionnelle est également touchée par le suicide d’un patient/client (Alexander, Klein, Gray,
Dewar & Eagles, 2000 ; Chemtob, Hamada, Bauer, Kinney & Torigoe, 1988a, 1988b; Dewar & al., 2000 ;
Hendin & al., 2000 ; Horn, 1995). La perte par suicide d’un patient/client peut s’avérer difficile à affronter
pour l’intervenant dans la mesure où cette perte est, en général, en contradiction manifeste avec le projet de
prise en charge (Pommereau, Delorme, Bonnemaison & Bouthier, 1994 ; Vedrinne, Sorel & Weber, 2000).
Le suicide peut donc être vécu comme une atteinte préjudiciable à l’image et à l’identité professionnelle; il
peut également influer sur la qualité de l’intervention future. Certains professionnels douteront même de
leurs actes et du type de suivi ou soutien qu’ils ont offert à la personne décédée (Fidelle, Colas-Benayoun &
Seyeux-Bertin, 2004). Cela peut aller jusqu’à remettre en question leurs compétences relationnelles et pro-
fessionnelles (Hendin & al., 2004, Collins, 2003). Des craintes d’être jugés par les collègues, l’institution et
l’entourage de la personne suicidée ne sont pas rares.
Les pratiques professionnelles sont souvent infléchies à la suite d’un suicide (Alexander & al., 2000) : des pra-
tiques d’accompagnement plus prudentes, comme par exemple l’augmentation des hospitalisations préven-
tives ou l’adoption d’une approche plus structurée (PiIlkinton & Etkin, 2003 ; Castelli Dransart & al., 2007),
sont adoptées ; une anxiété amplifiée à travailler avec des personnes suicidaires (Castelli Dransart & al.,
2007), une conscience accrue du risque suicidaire (Chemtob & al., 1988a ; Castelli Dransart & al., 2007) et
une consultation plus fréquente des collègues (Mc Adams & Foster, 2000 ; Grad, Zavasnik & Groleger, 1997 ;
Castelli Dransart & al., 2007) sont également parmi les conséquences les plus habituelles. Une plus grande
attention aux implications légales (McAdams & Foster, 2000) est également évoquée.
Le suicide d’un patient/client a souvent des conséquences également sur l’institution, susceptible d’être mise
en cause par les autres patients, par l’entourage de la personne décédée et parfois même par les profession-
nels y œuvrant. Des tensions au sein des équipes peuvent surgir, résultat de non-dits, d’un climat de crainte,
voire de blâme ou rivalité (Courtenay & Stephens, 2001 ; Joyce & Wallbridge, 2003). Alors même qu’ils sont
également touchés par l’événement, les professionnels doivent faire face aux réactions et aux interpellations
des autres patients, de la hiérarchie, voire de la famille de la personne décédée (Courtenay & Stephens, 2001 ;
Vogel, Wolfersdorf & Wurst, 2001). Dans le pire des cas, ils font l’objet d’enquêtes, voire de plaintes pénales.
Les conflits au sein des équipes, la rotation du personnel ainsi que le fait de ne pas tirer parti des conséquen-
ces des expériences au sein de l’organisation figurent parmi les conséquences les plus courantes au niveau
institutionnel.. Ceci peut affecter la capacité des professionnels à travailler ensemble et avec les autres pa-
tients/clients (Courtenay & Stephens, 2001 ; Michel, 1997) ainsi que biaiser le travail avec les patients/clients
suicidaires. Très peu de données consolidées existent sur les conséquences au niveau institutionnel.
De même, dans la littérature, seules quelques données existent sur les sources et les types de soutien auxquels
les professionnels ont eu accès et/ou ont pu mobiliser lors du suicide d’un patient/client. Le soutien a été peu
étudié en tant que variable. Le plus souvent, il apparaît dans les recommandations conclusives des études.
Toutefois, deux études, (Henry & al., 2004 ; Castelli Dransart & al., 2007) qui font état d’un impact émotionnel
contenu, relèvent que les professionnels affirment avoir reçu, pour la plupart, suffisamment de soutien.
Les évaluations des mesures de soutien ou d’accompagnement ainsi que des effets de la mise en place de dis-
positifs de postvention ou de l’utilisation de protocoles d’intervention dans les milieux professionnels sont
pratiquement inexistantes.
La formulation des recommandations inhérentes aux pratiques de soutien à l’intention des professionnels ne
peut donc pas s’appuyer sur des résultats et données consolidés. Dès lors, elle s’appuiera sur les prédicteurs qui
sont ressortis le plus souvent des études menées et sur les recommandations faisant l’objet d’un large consensus
au sein de la communauté scientifique et clinique en matière de postvention. Celle-ci vise à réduire, à court et à
long terme, les effets négatifs d’une mort par suicide par le soutien et l’accompagnement des personnes tou-
chées à différents titres par cet événement. Elle englobe « les politiques, les ressources, la formation du person-
nel, l’évaluation et le suivi » (Gravel, 1999). En outre, la postvention contribue à la prévention du suicide, en
contenant les effets d’imitation et les conséquences perturbatrices du suicide à long terme.
Les pratiques de soutien à proposer dans les suites immédiates à l’intention des personnels impliqués seront
prioritairement celles de nature à permettre la gestion de cet événement au niveau institutionnel (gestion
d’un événement critique) ainsi que les pratiques susceptibles de contenir le stress aigu et de prévenir le déve-
loppement du stress post-traumatique pour ce qui concerne le niveau individuel.
Au niveau institutionnel, une régulation de l’événement et de ses conséquences est nécessaire. L’institution doit
pouvoir garder son rôle structurant, aussi bien vis-à-vis des professionnels que des autres patients ou de la famille
de la victime. Ceci permettrait l’apprentissage et l’intégration constructive de cet événement au niveau institu-
tionnel et des pratiques professionnelles. Il est dès lors nécessaire que des directives précises existent et soient
appliquées en matière de communication et de mobilisation de ressources disponibles. Un tel dispositif devra
également préciser les finalités et les logiques d’intervention (par exemple, prévenir les effets d’imitation), les
responsabilités et les champs de compétences des différents acteurs dans le temps (qui est responsable de l’analyse
de la situation et de l’éventuelle activation de mesures), les types de démarches et d’interventions envisageables ou
prévues, les ressources mobilisables (humaines et logistiques), les groupes de personnes concernées (en tant que
pourvoyeuses de soutien ou bénéficiaires de soutien aussi bien au sein de l’institution qu’à l’externe), les procédu-
res formelles et administratives à mettre en œuvre (procédures qualité, annonce de l’incident critique aux auto-
rités et aux assurances), les modalités de gestion de l’information (par qui, à l’intention de qui, quand, comment,
par quelle voie) au sein de l’institution et à l’externe, avec les autorités, les professionnels, les autres patients, la
familles de la personnes suicidée, les médias (Castelli Dransart, 2009). Le dispositif représente pour l’institution
un système de gestion et un cadre structurant susceptible d’orienter la réflexion et l’action et de contenir les réac-
tions émotionnelles ou de stress des personnels et des patients/clients et les éventuels effets d’imitation. Il doit être
mobilisé et utilisé à bon escient et de manière flexible et être adapté aux caractéristiques de la situation. Chaque
situation demande en effet une analyse préalable des circonstances et une évaluation ponctuelle des conséquen-
ces du suicide, et cela avant que des démarches ne soient entreprises ou que des mesures ne soient prises (Séguin
& Roy, 2005). Les mesures ne seront pas les mêmes si le suicide a eu lieu ou non au sein de l’institution ou si elles
sont mises en œuvre dans les suites immédiates du suicide ou les jours, voire les semaines suivants. Pour ce qui est
des suites immédiates, la sécurisation du lieu du suicide (en cas de suicide au sein de l’institution), l’information
claire et pertinente ainsi qu’une première intervention « bas seuil » (communication institutionnelle) à l’intention
des équipes soignantes impliquées, de la famille et des autres patients sont les priorités. Une attitude positive et
soutenante de la part des instances de management envers les professionnels permet une analyse de la situation et
la mise en place de mesures pertinentes plus rapidement.
Au niveau des mesures de soutien pour les individus et les équipes professionnelles, les offres de soutien devraient
être différenciées et modulables en fonction de l’impact du suicide et des réactions constatées, des contextes
institutionnels, ou des caractéristiques propres aux catégories de professionnels touchés (Alexander & al., 2000 ;
Collins, 2003 ; Grad & al., 1997). La littérature fait état de plusieurs types d’offre de soutien : le partage d’expérien-
ce avec des collègues, les discussions d’équipes autour du décès, l’analyse de cas, la supervision ou l’intervision,
l’échange avec des pairs survivants, l’autopsie psychologique et le débriefing sont généralement considérés comme
aidants et pertinents par les participants (Alexander & al., 2000 ; Biermann, 2003 ; Campbell & Fahy, 2002, Cas-
telli Dransart & al., 2007 ; Sudak, 2007, Chemtob & al., 1988a), pour autant que ces démarches soient entreprises
dans un esprit constructif et non pas dans un climat de blâme (Alexander & al., 2000) ou de désignation de boucs
émissaires. Ces démarches permettent la ventilation émotionnelle et le recadrage cognitif, moyennant un cadre
clair et structurant, et sont donc susceptibles de réduire les états de stress. A moyen terme, elles favoriseraient
la qualité des soins et de la prise en charge (VanLith, 1996) puisqu’elles encouragent la réflexivité sur les prati-
ques professionnelles et sur l’organisation des soins ou de la prise en charge. Il est important toutefois de garder
à l’esprit que la majorité des professionnels, bien que bouleversés par le suicide d’un patient/client, ne présente
que des symptômes de stress aigu en dessous du seuil clinique, semble pouvoir faire face et s’adapter de manière
constructive à cet événement (Henry & al., 2004 ; Castelli Dransart & al., 2007) et ne nécessite donc pas d’un sou-
tien conséquent ou thérapeutique. L’opportunité d’offrir des séances de débriefing selon une forme classique ou
modifiée aux professionnels et aux autres patients/clients sera évaluée en fonction de la situation concrète (suicide
au sein ou non de l’institution, scène suicidaire publique), de la temporalité de l’offre, des personnels touchés et de
leur implication dans la scène du suicide ou dans la prise en charge de la personne suicidée, ainsi que de la nature
et de l’intensité des réactions. Des auteurs (Bisson in Wright, Borrill, Teers & Cassidy, 2006) en effet conseillent la
prudence, un débriefing en « arrosoir » pouvant augmenter les sentiments de stress et d’angoisse des personnes
qui ont été moyennement ou peu affectées par le suicide.
Une attention accrue sera donnée aux sous-groupes de professionnels susceptibles de présenter des réactions
plus intenses : à savoir ceux ayant entretenu une relation étroite avec la personne décédée, les professionnels
les plus jeunes ou les moins expérimentés ainsi que ceux ayant été confrontés pour la première fois à un dé-
cès par suicide. Les personnes ayant été présentes sur la scène du suicide devraient également être soutenues
de manière particulière. Des résultats montrent en effet que l’intensité de l’impact du suicide est liée aussi
bien à l’intensité qu’à la variété du soutien obtenu (Castelli Dransart & al., 2007).
Une gestion constructive de la communication aussi bien au sein de l’équipe qu’entre l’équipe et la famille
ou les autres patients/clients semble indispensable dès les premières heures suivant le suicide et est de nature
à réduire le sentiment d’insécurité, d’angoisse et de colère. Les contacts et la communication ouverte avec
l’entourage de la personne décédée peuvent également se révéler aidants (Howard 2000), tout comme le fait
d’assister aux funérailles (Kaye & Soreff, 1991). Les familles survivantes se sentent souvent désemparées et
ont besoin d’explications claires sur le déroulement du suicide. Aussi, il serait souhaitable de contacter dès
que possible la famille de la personne suicidée et d’aborder ouvertement le décès par suicide (Kaye & Soreff,
1991). La rencontre avec la famille est susceptible également de favoriser l’élaboration de l’événement par les
professionnels (Terra, 2003).
A moyen et long terme, il est important également de former les professionnels oeuvrant en santé mentale
ou dans le social au risque de suicide (Chemtob & al., 1989; Hawton & Simkin, 2003 ; Castelli Dransart & al.,
2007), risque inhérent à leur travail auprès de populations souffrant de troubles psychiatriques ou en situation
de rupture sociale. En particulier, la formation de base des professionnels devrait pouvoir les sensibiliser et les
outiller à l’éventualité d’un suicide, ce qui est encore trop rarement le cas à présent (Henry & al., 2003, Dewar
& al., 2000, Ellis & Dickey, 1998). L’expérience montre que cet événement, bien que bouleversant et éprouvant
pour les équipes soignantes, peut également représenter une opportunité d’évolution et d’apprentissage (Goo-
de, 2001). Des professionnels outillés et conscients des risques, vigilants face aux comportements suicidaires et
à leurs conséquences sont le meilleur gage d’une prévention et d’une postvention efficaces.
En résumé
Le suicide d’un patient /client est susceptible de provoquer des conséquences à différents niveaux (institu-
tionnel, personnel et au niveau des pratiques professionnelles). Les réactions peuvent être variées (stress
aigu, stress post-traumatique, dysfonctionnement ou situation de crise au niveau institutionnel, etc). Afin de
permettre l’apprentissage et l’intégration constructive de cet événement à moyen et à long terme, il est néces-
saire de prévoir une régulation institutionnelle et d’offrir aux professionnels des mesures de soutien tenant
compte des différents types de réaction et de leur intensité, de la temporalité de l’offre et des différents grou-
pes à risque. Dans les suites immédiates, priorité sera donnée à la gestion de l’information et de la commu-
nication, à l’identification et au soutien lors de manifestations de stress aigu ainsi qu’à la mise à disposition
d’espaces de ventilation émotionnelle et de recadrage cognitif.
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Université du Québec en Outaouais Groupe McGill
d’étude sur le suicide
Audition Publique sur le thème «Effets et conséquences du suicide sur l’entourage : modalité
d’aide et de soutien»
Questions du comité de Pilotage : Le deuil, même difficile, n’étant pas une maladie doit-on après un suicide consul-
ter un médecin ou un psy? Dans les associations spécialisées quels sont les endeuillés après suicide susceptibles de
tirer profit d’un groupe de soutien? Quelles sont les meilleures règles de fonctionnement de ces groupes? Vers quels
spécialistes orienter en cas de difficultés?
Décès
En l’absence d’une évaluation diagnostique précise, la question de l’intervention «la mieux adaptée et la plus effi-
cace» ne peut pas être répondu. Il existe un large consensus dans la littérature scientifique quant au retentissement
d’un deuil après suicide : choc, culpabilité, tristesse, difficultés sociales, isolement, souffrances, etc. Cependant, la
présence des ces réactions n’entraîneront pas automatiquement le développement de troubles de santé mentale.
Ainsi, les actions proposées doivent répondre aux besoins spécifiques des individus, tenant compte du fait que
les personnes endeuillées ne constituent pas un groupe homogène nécessitant la même intervention, au même
moment. Certaines personnes, entre autre celles qui ont des antécédents de maladies mentales (la dépression, des
troubles anxieux, des troubles de toxicomanies, etc.) connues avant le décès (Bonanno & Wortman, 2004), seront
plus à risque de développer un deuil complexe (deGroot, Keijser & Neeleman, 2006). Alors, il ne s’agit donc pas de
proposer une aide à tous, mais d’identifier quels sont les sous-groupes de personnes endeuillées qui auront besoin
d’une aide, de la spécifier et de déterminer à quel moment de leur deuil cette aide sera requise.
LES INDIVIDUS
Lorsqu’un événement tragique comme un décès survient, l’ampleur des réactions au deuil sera différente en fonc-
tion du niveau de proximité, du niveau d’attachement à l’autre, du niveau de vulnérabilité personnelle auxquels la
personne endeuillée aura été exposée au cours de sa vie. Comme l’illustre le graphique suivant, le retentissement
du décès peut varier en fonction de différences prédispositions, selon leur niveau de fragilité. Les individus qui
sont les plus à risque peuvent être ceux ayant des troubles mentaux, suivi de ceux qui ont des vulnérabilités per-
sonnelles et enfin, ceux ayant des difficultés d’isolement ou d’ajustements.
De fait, il y a 15% des personnes endeuillées qui auront un trouble affectif majeur une année après la perte
d’un proche (Hensley et al, 2009). Le processus de fragilisation n’est donc pas exclusivement relié à la nature
du décès, mais également tributaire de diverses conditions, dont celles déjà présentes avant le décès (ex. :
problèmes de santé mentale, nature et intensité de la relation avec la personne décédée, type d’attachement à
la personne décédée, etc.). D’autres conditions sont quant à elles, associées aux circonstances du deuil (ex. :
âge de la personne endeuillée, anticipation ou non du décès, etc.). Et finalement, il y a les conditions qui
apparaissent après le décès (ex. : présence de relations conflictuelles avec des membres de la famille ou de
l’entourage, difficultés de santé physique ou de santé mentale, mode de «coping», etc.). Le repérage de fac-
teurs de risque ou des réactions complexes, identifiées de manière précoce, permettrait donc de proposer des
interventions de deuil à certains sous-groupes spécifiques.
LES ACTIONS
En se basant sur la position théorique qui suggère la présence de sous-groupes différents chez les personnes en
deuil après suicide, la variabilité du degré de vulnérabilité devrait signifier des types d’interventions différentes,
en fonction de la sévérité de la symptomatologie. Cela dit, une évaluation rigoureuse devrait permettre de distin-
guer les réactions de deuil douloureuses, intenses et qui demeurent dans les sphères de la normalité, de celles qui
se complexifient par le développement de troubles de santé mentale. Les personnes ayant des difficultés de deuil
complexes s’identifient clairement par la présence de troubles aigus ou chroniques de santé mentale et auront
besoin d’encadrement de la part d’équipes spécialisées en santé mentale. Par conte, celles ayant des réactions de
deuil «plus contenues» pourront souhaiter recevoir du soutien lors de cette période difficile de leur vie. Ainsi,
certaines personnes pourraient avoir du mal à gérer certaines réactions de deuil, qui seraient qualitativement dif-
ficiles et le besoin d’avoir du soutien lors de certaines périodes du deuil. Pour ces raisons, il semble important de
pouvoir assurer la présence et l’accès à un minimum de soutien, décliner sous différentes formes.
Différentes interventions peuvent être classifiées de la manière suivante :
1) Les interventions qui s’adresseront aux personnes qui vivront des deuils sans difficultés cliniques, et
qui pourront, dans certains cas, avoir besoin d’interventions qui mobilisent le soutien social. On parle
généralement ici de parrainage, de groupes d’entraide et de groupe de soutien, s’adressant en premier
lieu, aux personnes qui se sentent seules et isolées à travers l’expérience du deuil.
2) Les interventions qui s’adresseront aux personnes ayant des deuils plus difficiles, pourront bénéficier
d’interventions de psychothérapies plus classiques, individuelles ou familiales et qui s’adressent généra-
lement aux personnes dont le deuil provoque l’émergence de deuil qualitativement difficile, de conflits
personnels, etc. Les interventions de psychothérapies peuvent également s’adresser à quiconque souhaite
réaliser une démarche personnelle.
3) Les interventions qui s’adresseront aux personnes qui vivent des deuils pathologiques auront besoin
d’interventions dispensées par les équipes spécialisées en santé mentale. Ces équipes ciblent générale-
ment des personnes ayant des troubles actuels et passés de santé mentale et qui ont un deuil complexe
généralement associé à la présence de troubles comorbides. Une combinaison de plusieurs interventions
effectuées dans un cadre simultanée ou séquentielle peut s’avérer efficace pour certaines personnes.
I. Parrainage, groupe d’entraide et groupe de soutien
Depuis plusieurs années, des interventions fondées sur la mobilisation du soutien social ou sur la
création de nouveaux réseaux de soutien informels se sont développées pour venir en aide aux person-
nes endeuillées par suicide. Conçues à l’origine à l’intention de l’entourage immédiat des personnes
suicidées, les activités de soutien à la suite d’un suicide occupent une place de plus en plus importante
et se présentent sous plusieurs formes. Sans vouloir faire une description exhaustive de chacune de ces
approches, il faut mentionner qu’elles ont en commun la mobilisation du soutien social lors de moment
difficiles, souvent lors de moment de vie ou les personnes en deuil souffrent de stigmatisation sociale,
d’isolement et de solitude. Cette forme de soutien existe depuis plus de cinquante ans dans des situa-
tions de veuvage et a pris son envol dans des groupes associatifs, presque partout au monde. Les actions
de ces associations s’articulent en général autour de plusieurs axes : la diffusion d’information et de
publication, l’offre de lieux d’échanges entre individus, un encadrement de type psychoéducation pour
les personnes en deuil, la formation auprès du grand public ou des intervenants professionnels, le tra-
vail de réseau entre différents organismes associatifs, le travail de sensibilisation et de défense d’intérêt,
etc. (Séguin & Castelli- Dransart, 2006). Les interventions de parrainage se basent spécifiquement sur
un jumelage d’individus récemment endeuillés avec d’autres individus ayant eux-mêmes vécu et tra-
versé un deuil et qui offre un soutien encadrée à la personne en deuil (Silverman, 1967). Cette forme de
soutien peut être très utile dans un contexte éloigné des grands centres, où il est plus difficile d’offrir la
tenue régulière de groupe.
Dans le cas des groupes d’entraide, le principe moteur de l’intervention de soutien est le même, à savoir qu’une
personne ayant vécu ou vivant une difficulté est souvent mieux placée pour aider les autres affrontant la même
situation. On parle aussi de groupe d’aide mutuelle ou de groupe de pairs. L’application de ce principe s’effectue
en misant davantage sur la force du groupe que sur la rencontre entre individus. En effet, les groupes d’entraide
réunissent plusieurs personnes affectées par un deuil. Ces groupes revêtent des formes et des structures variées,
quoique leurs objectifs soient identiques. Les facteurs communs aux groupes d’entraide sont donc la mutualité,
le partage collectif et l’affinité (Guay 1984; Hanus, 2004). Les rencontres sont structurées et contrôlées par les
membres eux-mêmes. Le soutien que les gens y trouvent est issu de trois sources principales, dont l’une d’elles
est la mise en présence d’autres endeuillés, qui viendra confirmer à la personne affligée qu’elle n’est pas seule à
vivre la perte d’une personne significative dans sa vie. D’autre part, elle trouve un lieu permissif et ouvert à l’ex-
pression de toutes les réactions de deuil. Finalement, les endeuillés y trouvent des informations et de la docu-
mentation sur des sujets qui les intéressent. Quelques groupes d’entraide rejoignent périodiquement l’ensemble
de leurs membres par l’intermédiaire d’un bulletin de liaison. Certains groupes d’entraide bénéficient aussi, de
façon régulière ou occasionnelle, de professionnels qui rendent disponible leur expertise en matière de deuil.
Les groupes de soutien sont parfois confondus aux groupes d’entraide. Il faut souligner que les groupes de
soutien diffèrent des groupes d’entraide en vertu de l’implication plus grande des professionnels et du soutien
apporté aux cas individuels. Les objectifs des groupes de soutien penchent davantage du côté de la résolution
de problèmes et de la relation d’aide, tout en reconnaissant le caractère bénéfique de l’entraide. Les groupes de
soutien offrent des rencontres structurées où les endeuillés entreprennent une démarche facilitant la résolution
du deuil. Ces groupes font appel à des techniques misant à la fois sur la démarche individuelle et la démarche
de groupe. Chaque rencontre est guidée par un professionnel, dont le rôle consiste à coordonner la rencontre et
à faciliter les interactions entre les participants. Malgré certaines différences de structures, ce type de soutien se
base essentiellement sur la mobilisation du soutien social, sur l’échange et l’entraide que peuvent s’apporter les
individus d’un même groupe qui ont vécus le même événement difficile.
Certains groupes offrent des rencontres fermées, c’est-à-dire qu’elles réunissent toujours les mêmes participants
qui se revoient de semaines en semaines, alors que d’autres groupes optent pour des rencontres ouvertes dans
lesquelles les participants se présentent régulièrement ou non, selon leurs besoins. La durée du soutien offert
est également variable. Certains groupes offrent un nombre limité de rencontres, alors que d’autres groupes ne
limitent pas le nombre de rencontres auxquelles un endeuillé peut participer. Dans la composition des groupes, il
existe aussi des divergences quant à la nature de relation que l’endeuillé entretenait avec la personne décédée. Cer-
tains groupes préfèrent conserver une homogénéité de participants et le contraire amène certaines organisations à
préconiser l’hétérogénéité des participants, parce que celle-ci favorise un dialogue plus ouvert entre les endeuillés.
Malgré qu’il y ait des groupes différents pour adultes et jeunes, les objectifs demeurent assez similaires. À notre
connaissance, un seul groupe de jeunes endeuillés a été évalué et les résultats démontrent des effets positifs,
mais sans que les auteurs concluent à une efficacité du traitement (Daigle et Labelle, 2004). Les groupes de
jeunes ou d’adolescents doivent être conduits avec prudence et les animateurs doivent tenir compte du stade de
développement dans lequel les jeunes se situent et des défis inhérents à ce stade de développement. Ainsi, l’ado-
lescence n’est pas la période la plus favorable à un dévoilement personnel trop intense devant un groupe, tout
comme les plus jeunes pourront avoir du mal à soutenir l’expression de chagrin de leurs pairs. Plus d’études
devraient évaluer le deuil et l’efficacité des interventions de deuil des jeunes et des adolescents.
Au cours des dernières années, une autre forme de soutien mutuel émerge : les groupes de soutien sur In-
ternet. Pour plusieurs personnes, cette forme de soutien s’avère intéressant, compte tenu d’une accessibilité
24/7. Dans une étude comparative, Feigelman et coll. (2008) observent que les personnes endeuillées partici-
pant à un groupe d’entraide sur Internet se sentent, en général, plus stigmatisées et ont un niveau de dépres-
sion plus élevé que les personnes qui participent à des groupe sur un mode face à face.
L’efficacité du soutien et de l’entraide se traduit généralement par une évaluation de la satisfaction des par-
ticipants. La plupart des participants disent en retirer plus qu’ils n’ont l’impression de donner, en dépit du
principe de réciprocité dans l’aide. La majorité des aidés se sont sentis soutenus, reconnus et stimulés. Peu
d’études ont réalisé une évaluation systématique de l’impact de ces groupes, cependant nous devons consta-
ter les limites méthodologiques importantes à ce type d’évaluations.
De façon générale et ce, malgré certaines différences de structures, les résultats font ressortir les trois points qui
suivent: 1) Des effets positifs sans atteindre un seuil significatif. 2) Des bienfaits plutôt qualitatifs que quantitatifs.
3) Des résultats similaires d’un groupe à l’autre, quel que soit le type de groupes ou la durée. (Hopmeyer & Werk,
1994, Lund & Caserta 1992, Liberman & Borman 1986, Knight et al. 1980; Séguin, 2006; Daigle et Labelle, 2004).
Compte tenu de ces maigres conclusions, les professionnels qui dirigent ces types de programmes devront s’appuyer
sur des principes cliniques pour guider les choix qu’ils feront. Par exemple, quant à la durée des programmes d’en-
traide, qui varient d’intervention très brève à des groupes permettant une implication sur plusieurs années. Sachant
que l’adaptation au deuil se réalise généralement par un travail progressif, durant lequel la personne endeuillée
apprend à vivre sans la présence de l’être aimé, la question de la durée du soutien doit être au centre des décisions
cliniques. Étant donné l’investissement de temps et d’énergie que demande le maintien des programmes de deuil, il
n’est peut être pas justifié, compte tenu des données observées dans certaines études (Daigle et Labelle, 2004; Séguin
et al. 2005), de maintenir des programmes très long. Cependant, les programmes courts et intenses ne sont peut être
pas efficaces pour soutenir le travail de deuil, qui s’étends sur une période beaucoup plus longue que quelques mois.
Il semble qu’il peut y avoir un espace pour chacune de ces approches : groupe vs individuel; entraide vs soutien
professionnel ; durée fixe vs durée flexible, si l’on tient compte d’une adéquation entre les besoins de la personne en-
deuillée et de la compétence et la formation des animateurs. Il est important de reconnaître les limites de cette forme
d’intervention et de ne pas tenter de répondre à tous les besoins par la mise en place de l’entraide et du soutien social.
II. Les approches de psychothérapies individuelles/ familiales et de groupe
Dans certains cas, le deuil après un suicide peut se révéler difficile, particulièrement pour les personnes présentant
déjà certaines vulnérabilités avant le deuil (Castelli, 2004; McIntosh, 1992; Séguin, Lesage& Kiely 1995). Le décès
après suicide pourra également, dans certaines circonstances où l’endeuillé aura été exposé à une scène trauma-
tique, engendrer le développement d’un trouble de stress post traumatique. Cependant, il faut noter qu’un deuil
après suicide n’entraîne pas automatiquement un trouble de stress post-traumatique, car tous n’auront pas été
exposés et témoin de la scène du suicide. Tout comme le fait d’avoir été témoin de la scène de suicide, n’amène pas
automatiquement une complexification dans le processus de détachement du proche décédé. Cependant, l’ex-
position aux événements traumatiques peut générer des réactions de TSPT (Trouble de stress post traumatique),
susceptibles d’interférer avec le début du processus de deuil et ainsi, provoquer plus de détresse (Mitchell, 2004).
Dans ce cas de figure, l’objectif thérapeutique devra considérer la superposition des difficultés, soit celle du trau-
matisme et celle du détachement de la personne aimée. Ainsi, la présence de problèmes concomitants lors de deuil
traumatique, oblige le thérapeute à tenir compte du fait que les réactions de stress post-traumatique doivent être
traitées en tant qu’entité différente de celle associée au deuil (Boelen, 2004).
Les études démontrent que les personnes ayant des difficultés psychologiques (Hawton et al., 2003) ou un cumul
de facteurs de vulnérabilités personnelles (Murphy et al. 2003) pourront avoir plus de difficultés dans l’adaptation
au deuil. Pour ces personnes, des interventions de psychothérapies peuvent s’avérer une bonne indication. Des
psychothérapies individuelles, familiales ou de groupe peuvent être proposées et il restera à déterminer quel type
d’intervention sera la mieux adapté pour chaque personne. À la suite d’une revue systématique de la littérature,
qui évalue l’efficacité des interventions post suicide, McDaid et collaborateurs (2008) identifient trois études, dont
le traitement a démontré un effet supérieur, lorsque comparé à un groupe contrôle sans traitement. Il s’agit ici
d’une approche d’intervention cognitive-comportementale de type familiale, un groupe de psychothérapie pour
enfants d’une durée de 10 semaines et d’un groupe de psychothérapie pour adulte d’une durée de 8 semaines.
Quant au cadre théorique, plus spécifiquement dans le cas de deuil compliqué, deux grands courants d’interven-
tions émergent. D’une part, il y a des interventions centrées sur des dimensions interpersonnelles et dynamiques,
basées sur l’exploration de la relation et l’interprétation des conflits (ex. : relationally focused treatment) et d’autre
part, des interventions centrées sur des dimensions cognitivo-behaviorales, comme les approches basées sur la
résolution de problème (Ogrodniczuk et al, 2002; Piper et al. 2002). Les résultats d’études récentes démontrent
que ces deux types d’approches peuvent être efficaces, dans la mesure où elles s’adressent à des groupes distincts.
Les personnes ayant moins d’habiletés et de capacités relationnelles bénéficieront plus de traitements centrés sur
le soutien immédiat, la résolution des conflits et la résolution des problèmes actuels. Par contre, les personnes
ayant eu des relations plus complexes ou ambivalentes avec la personne décédée pourront bénéficier de thérapies
centrées sur la remise en question de la relation (Mancini & Bonanno, 2006; Shear et al, 2001). Mitchell (2004)
rapporte par contre un effet modeste d’une intervention de type debriefing auprès de personnes endeuillées par
suicide. Constantino (2004) a évalué la différence entre deux types de traitements de groupe auprès de personnes
endeuillées par suicide, assignées aléatoirement à une intervention sur l’exploration des émotions, comparati-
vement à une intervention centré sur le soutien social. Les résultats indiquent une réduction des symptômes de
détresse et de dépression pour les deux groupes. Murphy (2003) rapporte des résultats similaires auprès de parents
ayant perdu un enfant par suicide. Les résultats démontrent peu de différences entre les parents inclus dans le
groupe de traitement (thérapie de deuil) et ceux du groupe contrôle (soutien).
Lors d’évaluations, pratiquement toutes les études rapportent un niveau élevé de satisfaction chez les personnes
endeuillées ayant eu recours à un traitement professionnel ou à un soutien associatif (Knight et al, 1992; Hope-
meyer et al, 1994; Séguin et al, 2004). Selon McDaid (2008), malgré les effets positifs démontrés par les interven-
tions post deuil, les résultats sont peu robustes. Généralement, les études d’efficacité de traitement indiquent des
effets modestes chez les personnes qui ont des réactions de deuil en deçà du seuil de pathologie et des résultats
plus positifs pour les interventions qui s’adressent aux personnes ayant des réactions de deuil pathologiques.
Les conclusions des études actuelles suggèrent que les personnes les plus à risque de vivre un deuil compliqué
seront celles qui bénéficieront le plus d’interventions de deuil (Farberow, 1992; Murphy, 2003) et pour lesquelles
les progrès en terme de symptomatologie seront également le plus significatifs. Certaines conclusions dissonan-
tes émergent quant aux thérapies de deuil, qui dans certains cas, pourra contribuer à la fragilisation de certains
individus (Bonnano, 2007). Shear (2001), évaluant un traitement de thérapie interpersonnelle avec des personnes
endeuillées, conclut que le traitement n’est pas nécessairement supérieur à l’évitement, particulièrement pour les
personnes ayant un deuil complexe et traumatique. De fait, certaines études récentes suggèrent que l’évitement du
travail de deuil serait, pour certains sous-groupes d’endeuillés, une meilleure stratégie que la confrontation active
des sentiments douloureux et conflictuels du deuil (Fraley &Bonnano, 2004, Shear, 2001).
III. Interventions dispensées par les équipes spécialisées en santé mentale
Le deuil pathologique se distingue du deuil compliqué par la présence de troubles mentaux, souvent de
troubles comorbides. Certains individus endeuillés par suicide peuvent développer des problèmes psychia-
triques, tels qu’une dépression ou un trouble anxieux (Bailley, Kral & Dunham, 1999; Clark, 2001; Jordan &
McMenamy, 2004; Mitchell, Kim, Prigerson & Mortimer-Stephens, 2004), entraînant des complications au
niveau personnel, social, familial, professionnel, etc. Les études de notre groupe de recherche permettent de
constater que les personnes ayant des antécédents de troubles mentaux, ou les individus ayant des troubles
de santé mentale au moment du décès sont plus à risque de développer un deuil pathologique (Thériault &
Séguin, 2009). Si bien que, le deuil d’un proche peut contribuer à l’émergence de troubles mentaux chez des
personnes déjà vulnérables ou à la résurgence de troubles antérieurs chez d’autres. Pour des individus déjà
vulnérables, la présence de dimensions traumatiques accompagnant le décès, pourrait amener ces indivi-
dus à vivre le deuil comme une période de difficulté majeure. Dans de telles circonstances, il est clair que le
tableau clinique est complexe et que le deuil devient une des difficultés, parmi les difficultés à traiter. Si les
études indiquent peu d’efficacité de traitement chez les personnes qui ont des réactions de deuil en deçà du
seuil de pathologie, les résultats sont plus probants et l’intervention nettement plus indiquée pour les per-
sonnes ayant des réactions de deuil pathologiques (Murphy et al, 2003). Les interventions associées à la prise
en charge médicale ou psychiatriques, incluant les interventions de pharmacothérapies associées à des inter-
ventions de psychothérapie et des interventions de suivis intensifs, ont démontré une efficacité de traitement
auprès des personnes ayant des troubles mentaux. Dans le cas de la prise en charge médicale ou psychiatri-
que, les équipes spécialisées interviendront sur l’ensemble des difficultés de santé mentale avec les approches
connues en psychiatrie, après avoir réalisée une évaluation diagnostique précise.
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Effets et conséquences du suicide sur l’entourage :
Modalités d’aides et de soutien.
Introduction :
En amont ou en aval de cette intention de renforcement et ou construction de pratiques sociales d’aide et
de soutien pour cette « population cible » que seraient les « proches des suicidés, il y a un discours à préci-
ser. Les religions avaient la charité pour compenser les condamnations rigoureuses de l’acte commis par le
proche disparu, les syndicats et partis politiques n’en disent rien sauf quand certains suicides éclairent des
dysfonctionnement et portent des revendications. Avant même de se demander qui doit le faire et comment
s’y prendre sur quels principes et intentions s’appuyer ?
Dans la lettre aux experts 11 septembre 2009 il leur est demandé leurs réflexions et propositions des bénéfi-
ces en termes de Santé Publique, et notamment dans la prévention des états graves et prolongés de souffran-
ce psychique ainsi que dans la prévention des états dépressifs et des suicides.
Donc, même difficile à conceptualiser et à mesurer, il y a à faire un état « technique » avec un état des choses
épidémiologiques.
Cependant, et c’est surtout la réflexion que je propose dans ce rapport, pouvons nous avancer sans faire
aussi, et sans doute moins convenu, un « état des choses existentielles » formulables ou pas dans l’espace
médico-social et de santé publique autorisé à proposer, à mettre en oeuvre des protocoles, des prestations
mais qui n’a pas à se prononcer sur le sens des choses et des comportements autrement que du point de vue
des risques, des facteurs de risques et des programmes de réduction et ou de traitement. Comme si tout cela
était acquis par ailleurs, porté et exprimé par des voix référentes explicites.
Appartient-il à ceux qui formulent des propositions d’aide et de soutien à la grande population des en-
deuillés actuels et ou potentiels d’assumer un discours d’encouragement existentiel à ce titre ? Notons ici
qu’en France le pouvoir d’état, dont les professionnels du médico-social portent délégation pour partie, ne
prête aucun serment sur la bible comme c’est la cas par exemple aux USA, dont la bibliographie de l’audition
nous donne des exemples de programmes de soutien aux « survivors ».
Quels discours tenir et croyances proposer sur « la mort sans au delà des sciences naturelles » ? Cul de sac
des signifiants de la vie et sans la croyance de rendez vous dans l’au delà où les proches « savent » qu’ils
retrouveront ensuite ceux qu’ils ont perdu et sans la croyance que, même dans la sanction de sa vie sur terre,
tout le monde après la mort aurait droit à une vie éternelle.
La capacité d’aide et de soutien aux autres dans le malheur aurait-elle existé auparavant et se serait-elle
éteinte ? Avait t-elle auparavant la force de fonctionner sans aide institutionnelle publique ce qui ne serait
plus le cas aujourd’hui où l’on douterait de la capacité des personnes privées vis-à-vis d’elles mêmes et donc
vis-à-vis des autres. Par ailleurs, pourquoi ne pas penser que tant pour l’endeuillé le plus proches que pour la
collectivité aussi, à défaut d’apporter une réponse comparable à celle que certains trouvent et ou pressentent
dans les réponses religieuses voire humanitaires, la solidarité, au moins , donne un sens à la vie par le rap-
port aux autres et donc à soi même et donc aussi s’inscrire dans la prévention du suicide.
Quelques propositions d’énoncés stratégiques pour les campagnes et les programmes d’action :
Honorer les proches familiaux.
Le statut accordé à celui qui est mort porte non seulement son souvenir et sa réputation mais il est aussi un des
constituants de ce qui définit eu définira ses descendants, ascendants et ses proches.
Comment honorer ? Une proposition par exemple pour les familles de détenus. Qu’un représentant de l’administra-
tion se déplace jusqu’à eux. Que l’on donne des indemnités de déplacements et d’hébergement à ceux des proches qui
viennent de loin vers la prison ou la morgue, que l’on aide pour l’enterrement.
Envoyer une lettre de solidarité officielle à la famille, soit de l’administration même si c’est difficile dans le contexte
d’accusation de négligences, de provocations institutionnelles qui seraient responsables du suicide, malgré le risque
d’accusation d’hypocrisie. Ou, que ce geste officiel vienne de la part du maire de la commune, de la part du ministre
de la famille, l’objectif serait de dire quelque chose qui une prendra une place de solidarité et de reconnaissance de la
souffrance des proches et de leur dignité dans l’histoire familiale.
Paroles et écoutes par subsidiarité ? Le soutien aux proches des suicidés est un cas particulier de la question générale
des difficultés de l’échange de paroles des capacités à écouter. Par défaut ou par commodité, les pratiques sociales
occidentales d’aujourd’hui délèguent à des professionnels fabriqués et embauchés à cet effet la charge d’entendre et
de réguler les effets des paroles qui portent ou induiraient trop de doute, de peur, de douleur. A eux donc de recevoir
des gens les paroles de douleur et qui feraient mal, les paroles des désespoirs et des désirs, celles de la misère et des
précarités mais aussi celles qui dévoilent que l’on risquerait de blesser, tuer soi même ou les autres.
Pouvoir « écouter » sans « prendre en charge » Cf le rapport « Ville, santé mentale, précarité et exclusion » Une
souffrance qu’on ne peut plus cacher. Div-DIRMI 1995. A Lazarus, H Strohl. Ce rapport faisait apparaître en partie
pourquoi les professionnels sont si parcimonieux par rapport à l’écoute. Ils ont été conditionnés et sont évalués sur
leurs capacités à prendre en charge, à assumer et résoudre les problèmes qu’on leur amène. Un problème qu’ils lais-
sent s’exprimer se transmute en une demande qu’ils sont dans l’obligation de chercher à satisfaire. D’où souvent leur
position comme celle des services « il de questions ou de demandes ou de rmarques acceptables que si les réponses
et les moyens de répondre existent. » Si on ne les a pas, dès lors qu’on a laissé l’attente et ou la demande s’exprimer,
l’impuissance non seulement atteint la confiance en soi, mais fait risquer la plainte pour faute professionnelle. On se
refuse donc prudemment à laisser parler, à entendre. La plainte, le récit, la relation seulement de personne à personne
n’ont plus de place. On se situe alors dans l’engineerie de la protection sociale toujours insuffisante et excluante pour
protéger le professionnel de charge émotionnelle et relationnelle trop lourde et sans filet protecteur et de mise à
distance. C’est pourquoi, même et surtout aux professionnels médico-sociaux il faut rappeler d’une part que lorsque
qu’ils peuvent parler et être écoutés il semble que cela fait vraiment du bien aux gens. Affirmer aussi que l’ « écoute »
doit être une position de disponibilité, et d’accueil sans l’obligation de « répondre » et qui doit supporter de ne pas
avoir le pouvoir « prendre en charge ». Cependant, en acceptant le poids de ce qu’ils laissent venir jusqu’à eux, les
écoutants peuvent être eux mêmes écrasés et doivent aussi se faire étayer et aider.
En conclusion, affiner les questions pour mieux définir des objectifs et des stratégies :
A supposer qu’on veuille vraiment soutenir les proches il faudra évidemment avoir précisé qui le veut, pour atteindre
quels objectifs concernant quelles populations et pour quels résultats quantitatifs et qualitatifs.
Certains objectifs semblent évidents : Tenter de répondre aux besoins de soutien « humain » auprès des proches -
Tenter d’atténuer au mieux l’immédiat de l’événement - Prévenir les « deuils pathologiques » - Prévenir des effets de
suicides en chaîne chez les proches –
D’autres objectifs cependant, moins exprimés dans les travaux préparatoires me semblent incontournables dans
la grande chaîne des signifiants et des déterminants du suicide. Pour les atténuer, les travailler, au moins dans un
premier temps, il faudrait repérer les déterminants sociaux de certain des actes suicidaires, les interprétations collec-
tives des signifiants de l’acte suicidaire souvent perçu comme un « manifeste suicidaire ». il me semble aussi qu’il faut
mieux cerner ce qu’est la fonction sociale du fait suicidaire aujourd’hui.
« Le plus souvent, lorsqu’un jeune a tenté de disparaître ou s’est suicidé, une chape de silence s’abat sur la famille, les
amis, l’école... Surtout, il faut oser dire que toute tentative de suicide, tout suicide, en même temps qu’il exprime un
mal-être personnel, montre la fragilité du lien social et pointe les failles de nos sociétés trop individualistes. » (…)
Beaucoup des expériences rapportées de « soutien et prévention » sont essentiellement dirigées vers les proches et
concernent quasi exclusivement les personnes demandeuses d’aide. Cela laisse de coté les champs d’intervention de
soutien collectifs, par exemple en entreprise, ou par rapport à un groupe élargi (le PS après le suicide de Bérégovoy)
ou la population des détenus d’un établissement voire les détenus de tout un pays dès lors que des suicides sont mé-
diatisés et objets de protestations publiques et révèlent la condition particulièrement dangereuses et ou sans recours
de telle ou telle catégorie de personnes.
Si il est vrai que « les français sont les européens qui font le moins confiance à l’avenir, qui se plaignent le plus, etc, il
faut proposer des pistes de recherches pour corréler les représentations et les vécus collectivement négatifs que cela
révèle quant aux déterminants des suicides. Il faut aussi le corréler à la manière dont la société gère les deuils indivi-
duels et collectifs et peut ou non proposer son soutien.
Au delà de l’incrimination de facteurs comme les difficultés économiques relatives et ou les conditions de travail qui
ne peuvent à eux seuls expliquer cet état d’esprit déprimé et parfois suicidaire, il me semble qu’il faudrait proposer de
mettre en chantier un grand débat public sur le fait que ce ne sont pas seulement les autres qui vous agissent et que
chacun peut quelque chose de fort pour lui-même et notamment quand s’établissent des échanges « donnant/don-
nant » avec les autres.
Le thème à développer serait alors celui de la facilitation des liens sociaux et de la prise de consience que la reconnais-
sance des autres et par les autres est une avancée et qu’elle peut aider à se construire ou reconstruire individuellement
et collectivement.
Améliorer la « résilience collective ». Cet énoncé improbable pourrait être un axe dynamique tant comme piste de
recherches qu’affirmation d’intention des responsables politiques et des faiseurs d’opinion ?
Cela me conduit enfin à conseiller beaucoup de vigilance dans la démarche de professionnalisation médico-sociale
de la prévention du suicide et par extension de ses conséquences sur les proches des suicidés.
Inclure en général l’acte suicidaire dans les champ des pathologies, le présenter comme relevant de la maladie le
déshabille largement des responsabilités personnelles qui en feraient l’aboutissement d’un jugement valide et donc
encore plus redoutable qui doit être une question posée et traitée par la société toute entière. Médicaliser les suicides
au cas par cas sans interpellation et débats publics est une manière d’enfouir un symptôme qui menacerait alors de
ressurgir encore plus ravageurs. Pensons par exemple à des tueries par fusillade par un solitaire qui se dresse avant de
se donner la mort, à des suicides collectifs ;
Imputer le suicide à une altération de la santé, quels qu’en soient les déterminants (souvent pathologiques aussi), pro-
tège la société de l’attaque critique des « valeurs existentielles » qui résultent des partages des croyances qui fondent
son lien, croyances issues des livres de la loi des religions, livres de la loi des sociétés laïques, livres de la science. La
médicalisation des déterminants du suicide, et de ses effets, au risque de leur enfouissement, participerait alors de la
protection de la paix sociale, encore plus demandée en périodes de crises des identités collectives et individuelles.
A la question : Faut-il faire du soutien aux proches des suicidés un cas particulier du soutien aux personnes en
détresse après de grands malheurs qu’elles subissent ou ont subit ? Il me semble qu’au niveau des principes il n’y a
pas à le refuser sans en faire une catégorie trop particulière. Ceci étant les questions de la définition des objectifs à
atteindre, du choix des acteurs à qui les confier, feront de l’existence de ce soutien des fonctions sociales différentes.
Je propose, autant que faire se peut, sans négliger d’organiser et faciliter l’apport majeur des professionnels et institu-
tions médico-sociales que l’esprit et les réalisations de cette fonction soit portés par la plus grande diversité possible
des acteurs de la société d’aujourd’hui.
Antoine Lazarus