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Avec tous tes frères étrangers 1st

Edition Jean Vigreux Dimitri Manessis


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DIMITRI MANESSIS & JEAN VIGREUX

AVEC
TOUS TES FRÈRES
ÉTRANGERS
De la MOE aux FTP-MOI

© Éditions Libertalia, 2024


Cet ouvrage a bénéficié de l’aide
de la Fondation Gabriel Péri.
Les indications d’images entre crochets renvoient au cahier
iconographique.
SOMMAIRE

Introduction
1. l’Internationale sera le genre humain » ?
De la MOE à la MOI
La création des groupes de langue dans la CGTU puis au PCF
« Lutter contre l’autonomisme »
Direction et cadres
La répression
Crise et xénophobie
La MOI dans la France du Front populaire
Le temps des illusions perdues ?
Dissolution manquée ou « serrage de vis » ?
Guerre d’Espagne et volontariat international
2. « Drapeau déployé et les armes chargées »
La Seconde Guerre mondiale et les FTP-MOI
Les FTP-MOI, « fer de lance » de la lutte armée
Une répression sans faille et ses effets induits
La traque des FTP-MOI de Paris et l’Affiche rouge
Les liens avec la direction clandestine du PCF
Les FTP-MOI dans la Libération
3. Et nous serons à tout jamais victorieux » ?
Le devenir de la MOI et des FTP-MOI
De 1944 à 1956 : la place de la MOI
Mémoire de la Résistance et des FTP-MOI
La Guerre froide et ses effets induits
Une mémoire territorialisée et une présence dans les « arts et lettres »
Des héros au cinéma, à la télévision ou dans la littérature
D’autres porteurs ou passeurs de mémoires
Conclusion
Iconographie citée dans le texte
Sources & bibliographie
Annexes
Repères chronologiques
Remerciements
INTRODUCTION

« Marchons au pas, marchons au pas


Camarades, vers notre front
Range-toi dans le front
De tous les ouvriers
Avec tous tes frères étrangers »
Bertolt Brecht/Hanns Eisler,
Chant du Front uni, 1934
(adaptation française).

MOE, MOI, FTP. Que signifient aujourd’hui ces sigles dans la


France des années 2020 ? Dans le meilleur des cas, une image, une
affiche, rouge. Les visages de « l’armée du crime ». Ces « terroristes
» devenus des héros. C’est sans doute à peu près tout. Pourtant, la
Main-d’œuvre immigrée (MOI), qui accole ses initiales à celles des
Francs-tireurs et partisans (FTP), a une histoire. Elle remonte aux
années 1920 et se poursuit après la Seconde Guerre mondiale. Cet
ouvrage en propose une première synthèse, établie à partir d’une
riche historiographie et d’un travail inédit sur les sources dorénavant
accessibles.
Il s’agit dans un premier temps de se pencher sur les origines
d’une structure nommée alors Main-d’œuvre étrangère (MOE). Il faut
pour cela plonger dans la « galaxie » communiste, cet ensemble
d’organisations gravitant autour du Parti communiste français (PCF),
membre de l’Internationale communiste (IC ou Komintern), et dans
le contexte de l’après-Première Guerre mondiale. Puis, la MOE
devenue MOI en 1932, est confrontée à la crise des années 1930,
avec entre autres le rejet des étrangers. Au moment du Front
populaire, période d’intense activité politique et sociale dominée par
la lutte antifasciste, la MOI a un rôle particulier, notamment lors de
la guerre d’Espagne. Vient ensuite le temps de la guerre et de
l’Occupation, avec le choc du Pacte germano-soviétique, puis la
reconstitution progressive des groupes armés de la MOI, rassemblés
en 1942 au sein des FTP-MOI. Leurs détachements de la région
parisienne, dénoncés, plus tard, par « l’Affiche rouge », constituent
avec d’autres groupes en province les fers de lance de la lutte armée
en 1943. Sont-ils pour autant les oubliés ou les sacrifiés de la
Résistance ou du PCF, comme cela fut parfois déclaré ? L’ouvrage
s’intéresse également aux enjeux mémoriels et au devenir de la MOI
après la guerre et jusqu’à nos jours avec la « panthéonisation » de
Missak et Mélinée Manouchian le 21 février 2024.
Apportons tout de suite une précision d’importance. Les
travailleurs dits « coloniaux » sont organisés à part, notamment au
sein de la « section coloniale » du comité central du PCF ou dans les
organisations dites « de masse », comme le Secours rouge
international (SRI) 1 . Leurs spécificités (le rapport à la métropole
impérialiste, leurs statuts juridiques, les aspirations à l’indépendance
nationale, etc.) ­justifient aux yeux des communistes cette
séparation. On évoque donc dans cet ouvrage une immigration,
organisée dans les « groupes de langue », essentiellement
européenne, à l’exception de quelques tentatives d’organiser les
travailleurs chinois 2 .
Enfin, si les immigrés sont des « frères » en humanité dans le
discours communiste de l’époque, il s’agit de ne pas oublier les «
sœurs ». Les femmes étrangères ont joué tout leur rôle dans ces
processus, et si leur (double) invisibilisation – dont les mécanismes
sont connus – ne surprend pas, nous essayons, modestement et
malgré les difficultés, de leur restituer une partie de la place qui leur
revient.
CHAPITRE 1

« L’INTERNATIONALE SERA LE
GENRE HUMAIN » ?
DE LA MOE À LA MOI

« C’est la lutte finale


Groupons-nous et demain
L’Internationale
Sera le genre humain »
Eugène Pottier,
L’Internationale, 1871

Le premier effroi au sortir de la Première Guerre mondiale reste le


choc démographique avec la perte d’une jeunesse fauchée sur les
champs de bataille : plus de 1 300 000 morts et disparus, des
hommes jeunes en âge d’avoir des enfants. Ce terrible bilan d’une
« guerre totale » a pour effet induit une chute de plus de 10 % de la
population active masculine : une véritable « saignée
démographique ». Un tel déclin est compensé par l’appel à la main-
d’œuvre immigrée. Elle provient de l’Empire français, mais aussi
d’Italie, de Belgique ou de Pologne et comble pour partie ce vide. La
France devient alors une des principales terres d’immigration 3 .
L’immigration « économique » est même recherchée par l’État, qui
fonde la Société générale d’immigration en 1924, afin de répondre
aux besoins de main-d’œuvre pour reconstruire le pays, aussi bien
dans le bâtiment, les houillères ou dans le monde agricole. Les
étrangers, « avec un effectif de 3 millions de personnes, réfugiés
politiques et surtout travailleurs, recensées en 1931 », contre 1,1 en
1910, forment 7 % de la population du pays 4 . Les premières
nationalités sont les Italiens (808 000), les Polonais (508 000), les
Espagnols (351 900) et les Belges (253 000). Ces chiffres varient
peu du début des années 1920 jusqu’à la vague d’expulsions/retours
du milieu des années 1930. Dans ce mouvement migratoire, il est
utile de rapprocher l’émigration du travail de l’émigration « politique
». De nombreux exilés quittent les foyers de persécution, avec
l’arrivée au pouvoir du fascisme en Italie et surtout de régimes
autoritaires en Europe centrale (Hongrie) ou du Sud (Espagne et
Portugal), ou encore des rescapés arméniens du génocide. D’autres
ont fui les effets des révolutions russes ou les persécutions
antisémites à l’est de l’Europe. À ce moment, la France incarne, pour
une partie de ces migrants, la démocratie et la liberté, s’inscrivant
dans l’héritage encore vivace des Lumières ou de la patrie de la
Révolution.
Dans la recomposition des gauches qui suit le premier conflit
mondial, les communistes vont avoir comme objectif de lutter contre
la xénophobie présente au sein même du mouvement ouvrier. Il
s’agit de refuser la vision d’une main-d’œuvre immigrée perçue
comme une concurrence aux autochtones, facilitant baisse des
salaires et des conditions de travail. Car en ces lendemains de
« Grande Guerre », pour une partie de la gauche, le drapeau ne
peut désormais être que rouge, le parti mondial, la révolution sans
frontières.

La création des groupes de langue dans la CGTU


puis au PCF

Au cours de l’année 1921, le mouvement syndical français se


divise, comme vient de le faire la Section française de
l’Internationale ouvrière (SFIO) au congrès de Tours, la majorité des
militants adhérant à la nouvelle Internationale créée par Lénine et la
minorité souhaitant garder la « vieille maison ». Aux côtés de la
Confédération générale du travail (CGT) « maintenue », proche de la
SFIO, se crée une CGTU ; « U » pour « unitaire 5 », proche de la
Section française de l’Internationale communiste (SFIC). Cette
nouvelle confédération s’affilie à l’Internationale syndicale rouge (ISR
ou Profintern) 6 , elle-même liée à l’Internationale communiste. Le
5 janvier 1923, la commission exécutive de la CGTU décide la
création d’un organisme spécial, en lien avec l’ISR, pour dresser des
statistiques sur l’immigration, voué à la question des travailleurs
immigrés en France. En novembre 1923, à Bourges, au second
congrès de la CGTU, est créé un bureau de la Main-d’œuvre
étrangère (MOE) 7 . Thomas Olszanski, mineur polonais naturalisé,
est alors en charge de la propagande en direction des immigrés. Il
effectue un travail inlassable, notamment à travers le bassin minier
du Nord et du Pas-de-Calais, se démenant de grèves en réunions,
lors de prises de parole publiques ou clandestines, afin de toucher
les populations immigrées, en particulier polonaises. Julien
Racamond, secrétaire confédéral, s’illustre également dans le
développement de la MOE. Il fait le voyage à Moscou, durant
l’été 1924, assistant au IIIe congrès de l’ISR. Lors de ce congrès, « il
intervint sur les problèmes de la main-d’œuvre étrangère et
coloniale, qui vont devenir pendant quatre ans sa fonction essentielle
au sein de la direction de la CGTU 8 ».
Même si la MOE est fondée en 1923, ce n’est qu’à partir des
années 1926/1928 qu’elle se développe véritablement et qu’elle
devient un enjeu important pour la confédération unitaire. Si l’on
peine à avoir le nombre d’adhérents unitaires, Maria Grazia Merrigi
évalue qu’autour de 1928, la CGTU compte environ 400
000 adhérents, dont 10 % d’étrangers. Elle précise cependant que
toutes les sources attestent que l’influence réelle est plus forte que
le nombre formel. Si l’internationalisme est régulièrement affiché,
notamment pour s’adresser aux travailleurs étrangers, la mise en
place du secteur MOE correspond aussi à une analyse se voulant
pragmatique. Un article des Cahiers du bolchevisme résume assez
bien cet aspect « réaliste » que la direction communiste veut mettre
en avant :

« Jusqu’à présent, beaucoup de camarades voyaient le problème de la MOE


sous l’angle sentimental. Pour eux c’était en tant qu’internationalistes qu’ils
devaient défendre les travailleurs étrangers. Mais la question ne se pose pas du
tout de cette façon et il est nécessaire que nous comprenions tous que pour
vaincre la bourgeoisie […], il est indispensable de réaliser l’union de tous les
travailleurs […]. Or, dans les usines où il y a 30, 40 % ou davantage de
travailleurs immigrés, on ne peut pas se désintéresser de la MOE 9 . »

Organiser les travailleurs étrangers est ainsi vital pour plusieurs


raisons : leur nombre très important dans certains secteurs de la
production ou dans des zones géographiques, la nécessité de ne pas
favoriser la concurrence entre étrangers et nationaux, concurrence
exacerbant d’inutiles tensions entre prolétaires dont l’objectif
commun est la lutte contre le capitalisme. Les mots d’ordre répétés
d’année en année sont les suivants : émigration libre, embauchage
direct et abolition des contrats, mêmes droits syndicaux, mêmes
conditions de salaires, de travail et d’assurance-chômage.
La propagande ne suffit pas à toucher la masse des travailleurs
immigrés. La CGTU met ainsi en place des services analogues à ceux
proposés par la CGT et les Bourses du travail : aide pour l’obtention
de papiers ou d’allocations, traduction, relation avec
10
l’administration . De plus, la solidarité internationale n’étant pas
réservée à la MOE, celle-ci est amenée à collaborer avec d’autres
structures de la « galaxie communiste ». Ainsi, dès 1923, le bureau
de la MOE de la CGTU collabore avec le Secours rouge international
afin de fournir un emploi aux émigrés politiques. Un appel est lancé
dans la presse communiste aux organisations ouvrières pour qu’elles
adressent « régulièrement la liste des emplois vacants qui
existeraient dans leurs régions 11 ». Organisation vouée à la lutte
contre la répression et à l’organisation de la solidarité, le SRI
travaille ainsi de très près avec la MOI sur la question des expulsions
des militants étrangers. La MOE de la CGTU appelle aussi la SFIC à
lutter aux côtés du Secours rouge contre l’expulsion des militants
politiques et syndicaux étrangers les plus combatifs, qui s’est
accélérée au cours des semaines précédentes 12 . Le SRI lui-même se
dote d’ailleurs officiellement à partir de 1927 de sous-sections en
langues étrangères 13 . Bien entendu, cette collaboration ne va pas
sans heurts ni polémiques sur le domaine de compétences des uns
et des autres.
CGTU, SRI, PCF : il y a en réalité, surtout jusqu’au Front populaire,
une interpénétration de ces organisations et, souvent, les mêmes
militants assurent des tâches et des responsabilités dans l’une ou
l’autre. Si la galaxie communiste n’est pas un bloc et si chacune de
ses composantes mérite d’être étudiée en soi, on ne peut les séparer
artificiellement. De surcroît, il faut saisir les mobilités des individus
entre les différentes organisations liées au monde communiste. S’il
existe des divergences voire d’importants conflits au sein du monde
communiste entre CGTU et PCF, ces deux structures participent d’un
même mouvement. L’analyse se centre ici sur les groupes de langue
du PCF, et l’histoire globale de ces groupes au sein du syndicalisme
unitaire reste à écrire.
Les groupes de langue sont officiellement installés dans le PCF au
congrès de Lyon, en ­janvier 1924. Dans la foulée, au mois d’août, le
parti clarifie ses statuts : sur « les rapports entre les camarades de
langue étrangère résidant en France et le Parti communiste
français 14 ». Il stipule que

« tous les communistes, sans distinction de nationalité, appartiennent au Parti


communiste français, s’ils résident en France, et doivent être obligatoirement
affiliés à une section ».

Cela correspond également à une mise en conformité avec le


e
IV congrès de l’Internationale communiste de 1923. Décision avait
été prise de dissoudre les Fédérations communistes de langue
étrangère dans les pays d’immigration, leurs membres devant
s’inscrire dans les sections locales de l’Internationale. La vie militante
se réalise sur un « pied d’absolue égalité avec leurs camarades de
France ». Les militants étrangers sont appelés à constituer des
groupes de travail, appelés aussi « groupes de langue », afin
« d’intensifier la propagande, l’agitation et le recrutement parmi les
travailleurs de leur langue ». Disposant de leurs propres instances
dirigeantes et journaux, leur activité est placée sous le contrôle du
Bureau politique du Parti communiste. Mais la mise en place réelle
de ces groupes ne semble pas à la hauteur des attentes. « Faire
vraiment du léninisme » en constituant le Front unique des exploités,
français comme étrangers, voilà ce que réclame un militant dans
L’Humanité à la veille du IVe congrès, un an après celui de Lyon,
« première tentative qui resta sans succès 15 ». Quelques jours plus
tard, une commission de la main-d’œuvre étrangère est formée à
l’occasion du IVe congrès de la SFIC, à Clichy, en janvier 1925.
Dirigée par Gabriel Péri, elle réunit plusieurs cadres communistes
français (René Fromage, Maurice Thorez, Henri Barbé pour les
Jeunesses communistes [JC]) ainsi que des délégués des groupes
italiens, polonais, hongrois, espagnols, roumains, russes et des
colonies 16 . Elle est complétée par des membres du comité central,
très lié au syndicalisme unitaire, Marcel Kirsch, Émile Perreaudeau,
Jean-Louis Berrar et Jean Dupuis, qui en sont les animateurs 17 . Ils
sont chargés de l’organisation politique des ouvriers étrangers au
sein du parti, de la liaison avec les organisations syndicales, de la
liaison des groupes étrangers avec le comité central pour la
coordination du travail, de la création et de la diffusion de la presse
étrangère parmi les ouvriers. La résolution sur la MOE adoptée par le
congrès 18 encourage l’organisation des travailleurs étrangers sur les
plans politique et syndical. Elle affirme le rôle du PCF de combattre
la division du prolétariat qui ne profiterait qu’au capitalisme. Les
membres de la MOE sont tenus de fréquenter, en plus de leur
groupe de langue, une cellule du PCF (d’usine ou de rue), à l’instar
de l’ensemble de ses adhérents.

« Partout où il y a des communistes, ils doivent former une cellule sans


distinction de nationalités. Les organisations des nationalités ne doivent être
conservées que dans un but de propagande 19 . »

C’est aux militants français qu’il revient d’accomplir les « tâches


illégales pour les travailleurs étrangers, telles que la distribution des
tracts ou des journaux (affichage, etc.) ». On note déjà la nécessité
de « couvrir » et protéger des militants sur lesquels les menaces de
répression pèsent tout particulièrement. Comme le rappelle Astrig
Atamian :
« Directeur de la Sûreté générale de 1924 à 1927 avant d’être un redoutable
préfet de police de Paris, Jean Chiappe, haut fonctionnaire connu pour son
anticommunisme, avait créé fin 1924 un service chargé de centraliser tous les
renseignements concernant l’­activité politique des immigrés et une Brigade de
surveillance qu’il place sous la direction d’un commissaire. Ainsi, la menace
d’une arrestation suivie d’une expulsion plane sur les membres des groupes de
langue du PCF dès l’année de leur constitution 20 . »

Au comité central du 25 mars, un rapport de la commission de la


MOE souligne l’absence de liaison entre les groupes de langue
étrangère et le PCF. En juin, Guy Jerram, dans son rapport sur les
causes de l’immigration, établit un compte rendu sur le nombre et
les tendances politiques de chaque communauté. Il propose des
revendications syndicales et politiques pour les étrangers. Il est
rappelé qu’il faut lutter contre les organisations adverses : fascistes
italiens, nationalistes polonais, anarchistes espagnols 21 . Un mois
plus tard, au comité central du 29 juillet, les thèses pour la
composition du bureau d’organisation et de la commission d’agit-
prop, ainsi que sur la campagne de recrutement et la Main-d’œuvre
étrangère sont adoptées 22 . Ces trois sessions du comité central
soulignent l’importance prise par la MOE au sein du jeune parti en
voie de bolchévisation.
Un an plus tard, en juin 1926, au Ve Congrès du Parti communiste
français à Lille, la commission de la MOE devient section centrale du
travail parmi les étrangers, placée sous le contrôle du comité central.
Dans sa « Thèse sur l’immigration », publiée dans Les Cahiers du
bolchevisme le 1er mai 1926, le comité central du Parti communiste
précisait son analyse et ses mots d’ordre. Les appellations pour
désigner les organismes regroupant les étrangers peuvent varier :
groupe de travail, comité intersyndical de langue, MOE, section
ethnique. Reste que « la base de travail de tout camarade immigré
membre du Parti, comme tous les autres membres, est sa cellule »
et que ces groupes spécifiques « doivent devenir […] en réalité les
organismes d’une cellule, d’un sous-rayon, d’un rayon ». Groupés de
fait dans des organismes à part, à tout le moins supplémentaires à
ceux existant déjà, les étrangers sont cependant invités à ne pas se
séparer de leurs camarades français. Un équilibre qui reste difficile à
trouver tout au long de l’existence des groupes de langue.
L’appellation de « groupes de langue » n’est pas le fruit du hasard,
ou une appellation par défaut. Du point de vue des instances
dirigeantes du monde communiste, aussi bien nationales
qu’internationales, il s’agit de ne pas souligner l’appartenance
nationale des adhérents. Les militants sont ceux du parti mondial de
la révolution, d’un combat sans frontières où la lutte de classe se
mène dans le pays où l’on se trouve. La formulation « groupes de
langue » permet alors d’insister sur une dimension pratique, l’idiome
parlé, non sur la nationalité ou le groupe national. Ainsi les
travailleurs juifs, pour beaucoup polonais, sont regroupés dans un
groupe « juif », en réalité yiddishophone. L’on constate d’ailleurs que
ce type de posture, écartant le fait national, ne pouvait être ­‐
pleinement appliqué auprès de ladite « main-d’œuvre coloniale 23 ».
Pour nombre de ses militants, ayant au cœur la lutte pour
l’indépendance des colonies, un discours de négation de la
dimension nationale du combat ne pouvait être entendu. Ils peuvent
alors se tourner vers d’autres structures du monde communiste, et
notamment la Ligue contre l’impérialisme.
Les groupes de langue, là où ils sont implantés, effectuent un
travail de propagande, de traduction des directives et positions du
PCF, tentent de mener de front lutte syndicale, politique, associative
et d’éviter les foudres de la répression. Ils fournissent également au
PCF et au syndicat unitaire de précieuses statistiques sur les entrées
et sorties du territoire des immigrés, le pourcentage d’étrangers
dans telle industrie ou telle branche de l’activité économique,
permettant au jeune PCF de répondre aux enquêtes multiples
demandées par le Centre (Moscou) et de se faire une idée précise et
chiffrée de la composition du monde ouvrier. Ils sont aussi aidés par
les correspondants ouvriers, comme aux usines Renault, où une
petite vingtaine de militants ne cessent de dénoncer les bas salaires
ou l’obligation des heures supplémentaires, mais surtout le rôle des
contremaîtres et autres « chefaillons » assimilés à des larbins de
Renault ou du capital. Ils tentent dans cette usine de radicaliser les
autres ouvriers, mais ne parviennent guère qu’à mener deux
grèves : l’une en mai 1926, où s’illustrent d’ailleurs des ouvriers
chinois, l’autre en janvier 1932 contre la baisse des salaires 24 . Les
groupes de langue s’affrontent – ou du moins se placent en
concurrence – avec d’autres organisations « nationales » qui tentent
elles aussi d’influencer les travailleurs immigrés. Concurrence au sein
des gauches (les anarchistes espagnols sont souvent mentionnés
comme un frein au développement de la propagande communiste
dans ce groupe) ou conflits parfois très violents contre des
adversaires (dachnak arméniens ou fascistes italiens). Les
nationalités ou groupes ethniques ou linguistiques organisés en leur
sein sont les Italiens, les Espagnols, les Polonais, les Juifs
(yiddishophones), les Hongrois, les Bulgares, les Tchécoslovaques,
les Roumains, les Russes et les Arméniens, les Ukrainiens, les
Albanais, les Grecs, les Yougoslaves et les Portugais. Bien entendu,
l’importance de chaque groupe diffère. Certains n’ont qu’une
existence toute théorique et, bien que le nombre varie selon les
années, on ne peut compter véritablement que 10 sous-sections de
langue ayant une activité réelle. Certains groupes (comme les
Portugais) en sont à leurs balbutiements en 1936, tandis que
d’autres, issus d’immigrations plus anciennes, sont déjà structurés
dès les années 1920 et pourvus d’une riche expérience. Si nous ne
pouvons ici tous les aborder – un seul ouvrage n’y suffirait pas –,
relevons que le plus important d’entre eux fut le groupe italien.
Le recensement de 1931 indique la présence de 808 000 Italiens.
On peut y ajouter les clandestins et les non-recensés, leur nombre
réel étant plus près du million, c’est-à-dire un tiers des étrangers en
France. C’est essentiellement dans l’émigration politique que les
groupes de langue italiens vont recruter leurs membres. Éric Vial
estime qu’un émigré italien sur dix est peu ou prou politisé 25 , quel
que soit son bord politique. Précisons qu’il n’existe pas de statut
particulier pour les réfugiés antifascistes italiens. Aux yeux des
gouvernements, ils sont des immigrés comme les autres. Comme le
souligne Bruno Groppo 26 , une première phase spontanée
d’émigration communiste eut lieu entre 1921 et 1923. L’exil est alors
considéré comme une solution provisoire. Il s’agit d’ouvriers jeunes,
célibataires, très mobiles, des « nomades politiques ». Si les statuts
du PCI de 1921 demandaient de militer dans les structures du Parti
établies à l’étranger, ils sont modifiés en 1922 et concordent avec les
règles de l’Internationale. Désormais, il faut adhérer au parti du pays
d’accueil. Si le groupe italien est numériquement le plus nombreux,
l’un des rares sinon le seul dont on peut compter les membres en
milliers au mitan des années 1920, il est aussi celui d’importantes
difficultés. Nombre de militants italiens ne souhaitaient pas leur
intégration au PCF via la MOE et s’estimaient avant tout membres du
PCI. Les intérêts des deux partis divergeaient (nous y revenons plus
bas). La vie du groupe de langue italien est parsemée de crises,
disputes, conflits, incompatibilités tactiques, en interne ou à l’égard
de la direction française 27 . Malgré ces difficultés, relevons deux
éléments. D’abord, la présence des antifascistes italiens agit sur la
perception du fascisme que peut avoir l’opinion française et permet
d’expliquer ce qu’est le fascisme au quotidien. De plus,

« l’émigration communiste italienne représentait, parfois dans certaines régions


[…], la véritable base prolétarienne du PCF. Et on peut même dire que l’activité
des militants communistes italiens permit, dans une certaine mesure, au Parti
français de s’implanter dans la classe ouvrière 28 ».

Ensuite, et cela est valable pour tous les groupes d’exilés, la


structure communiste française, aussi imparfaite soit-elle, fournissait
un cadre organisationnel inestimable pour les exilés italiens. Qu’ils
refusent l’intégration au PCF ou à la société française, qu’ils
souhaitent repartir au plus tôt mener la lutte contre le fascisme sur
le sol italien, la France put néanmoins être, grâce notamment à
l’activité de la MOE, une véritable base de repli pour préparer la lutte
finale ultérieure qui constitue l’horizon politique de ces militants.
Avec le groupe italien, le groupe juif (ou plutôt yiddishophone) est
l’un des plus dynamiques 29 . Rapidement, l’influence communiste
dans l’immigration juive dépasse celle des socialistes et des
bundistes 30 . Symbole de ces succès, au sein de la Kultur-Lige,
organisme culturel fondé en 1922, les communistes deviennent
majoritaires à partir de 1925. La Kultur-Lige devient un important
lieu de rencontre et de sociabilité de l’émigration juive en France.
L’importance des structures culturelles, associatives, sportives (par
exemple le YASK 31 ) est centrale. Cette émigration étant
relativement peu syndiquée du fait du type d’emploi qu’elle occupe
(petit artisanat, travail à domicile), c’est par ce type de canaux que
passent aussi les idées politiques. La MOE, tout comme le PCF, ne
néglige nullement ces espaces. Signe de sa force, le groupe se dote
en ­janvier 1934 d’un quotidien : la Naïe Presse 32 (Presse nouvelle),
cas unique d’une presse communiste juive dans toute l’Europe, qui
tire à 10 000 exemplaires 33 . Réalisé dans des conditions précaires,
sans que l’argent nécessaire à une telle entreprise ne soit fourni par
les instances du PCF ou de la CGTU, le journal est codirigé par Léo
Weiss et Louis Gronowski.
En mars 1932, les effectifs de la MOE sont les suivants 34 :

Immigration Membres PC CGTU


Italienne 1 800 1 500
Polonaise 500 2 500
Espagnole 130 2 500
Juive (yiddishophone) 230 1 000
Arménienne 102 300
Hongroise 172 1 000
Yougoslave 53 400
Ukrainienne 110 800
Divers 101
TOTAL 3 198

Il faut sans doute lire 15 000 pour les membres italiens de la


CGTU, portant le total des étrangers dans cette organisation à 23
500, chiffre semblable à celui donné dans le rapport. Le décalage est
patent entre adhérents politiques et syndicaux. Même dans ces pires
étiages, la CGTU a maintenu une présence et une force réelles au
sein d’une partie du prolétariat de France, quand bien même la
structure partisane s’effondrait. Parmi ces 3 198 militants des
groupes de langue, 1 000 sont présents en région parisienne, 200
dans le Nord. On retrouve la prééminence des zones d’industrie,
places fortes de l’influence communiste aussi bien chez les étrangers
qu’au sein des autochtones. Il s’agit probablement des chiffres les
plus bas enregistrés par les groupes de langue. S’il est très difficile
d’avancer des chiffres globaux, prenons l’exemple du groupe
italien 35 , le plus important, comme vu plus haut.

Année Membres
1923 3 500
1924 5 000
1925 6 000
1926 4 000
1927 2 500
1928 2 200

« Notre Parti s’est surtout renforcé de l’immigration politique qui


se produisit en 1926 et 1927 36 » note le PCF. Un renforcement très
relatif, qui dissimule mal une véritable chute des effectifs, liée aux
soubresauts de la bolchevisation et du début du « classe contre
classe ». Une chute à mettre en perspective avec la tendance
générale qui existait au sein des partis communistes de l’époque. De
plus, Loris Castellani note « qu’en 1927 déjà, près d’un Italien sur
deux parmi les adhérents au PCF ne participait pas à l’activité des
groupes de langue 37 ». La MOE n’est en effet pas le lieu
systématique de l’activité des militants étrangers.
« Lutter contre l’autonomisme »

Tout au long de l’histoire de la MOE puis de la MOI, la direction


communiste française ne cesse de vouloir lutter contre ce qu’elle
nomme « l’autonomie » des communistes étrangers. De rapports en
directives, de courriers en circulaires, la direction du PCF rappelle
que seul un travail de propagande incombe aux groupes de langue,
qu’en aucun cas un pouvoir décisionnel ou de discussion de la ligne
ne leur appartient.

« Les groupes de langue sont chargés d’appliquer dans leur immigration la


politique du parti, en même temps qu’ils informent les comités du parti sur la
situation particulière et les courants de l’immigration et font des propositions.
Mais là se borne le rôle de ces organismes techniques 38 . »

« Autonomisme », « séparatisme », voire « nationalisme » ou «


patriotisme », les mots varient pour désigner un même risque :
l’indépendance des groupes de langue vis-à-vis des organismes
réguliers du parti. Elle constitue un danger à éviter à tout prix. « Il
faut réaliser de véritables sous-sections de langues du comité
central, et non des partis frères », rappelait Thorez en 1930 39 .
Reconnaissant que cet autonomisme est une « tendance
naturelle 40 » chez nombre de militants immigrés, les consignes
plaident pour une union toujours plus forte, incitant les communistes
français à ne pas laisser la charge du travail dans l’immigration aux
seuls immigrés. Un rapport de 1927 résume ainsi la situation :

« La direction et le contrôle des différentes sous-sections reste notre tâche la


plus importante et difficile. Dans toutes les sous-sections, il y a des camarades
très capables et très dévoués, mais ces mêmes camarades, justement du fait de
leurs capacités et aussi du fait qu’ils viennent de pays où sévissent la réaction
et le fascisme, conservent une espèce de “patriotisme” de parti tout à fait
nuisible et dangereux. Ils pensent que d’un côté le parti français (il leur est
difficile de dire “notre parti”) ne peut pas comprendre les problèmes de leur
émigration et que des camarades de la section centrale de la MOE n’ont et ne
peuvent pas avoir la capacité de diriger des camarades qualifiés comme ils le
sont. Il arrive que de la part de certaines sous-sections, nous assistons à une
certaine “résistance passive” qui nous empêche dans certains cas de les diriger
et de les contrôler complètement. Cette situation doit être traitée avec
beaucoup de tact et de savoir-faire pour ne pas empirer 41 . »

Le témoignage de Giulio Ceretti revient sur ces difficultés


rencontrées par la MOE italienne. Un témoignage d’autant plus
précieux que Ceretti fut à la charnière entre la direction communiste
française et l’émigration politique italienne. Lorsque Ceretti, sous le
pseudonyme d’Allard, prend la tête des groupes communistes de
langue italienne en 1931, il les décrit comme n’étant « qu’une
composante du Parti communiste italien 42 ». Les militants se ­‐
désintéressent de la situation française, ne parlant que de la lutte
contre le fascisme italien. Ces décalages amènent à la situation où

« la vie politique et sociale dans laquelle un million d’immigrés étaient plongés


était ignorée de ces groupes qui n’avaient plus aucun contact avec les
masses ».

Et de prendre en contre-exemple le cas des Polonais de la MOI,


beaucoup plus actifs sur le plan syndical et n’abordant presque
jamais les questions du PC polonais. Ceretti évoque aussi la « bêtise
» du PCF qui « délègue » la lutte antifasciste aux cadres immigrés
(et donc s’en désintéresse). Une analyse d’ailleurs consignée dans
nombre de rapports, où l’on déplore que, par désintérêt du parti
français lui-même, « un certain courant d’autonomie politique sur le
terrain même de l’immigration s’est développé 43 ». Un constant
effort de réorganisation est promu par la section centrale de la MOE.
« Il fallait sortir de son petit monde et renouer avec les masses » :
pour Ceretti, l’entre-soi des Italiens ne les coupait pas seulement de
leurs camarades français, mais plus largement de la société,
immigrée ou autochtone. Ce qui n’est pas sans créer des tensions :

« Des camarades qui voyaient l’émigration italienne comme le domaine réservé


du PCI n’avaient pas confiance dans cette nouvelle politique et je devais
connaître la médisance, la calomnie et de multiples mesquineries. »
Une sous-section présente un cas particulier, doublement
problématique dans cette confrontation contrôle/autonomie : celle
des Arméniens 44 . En effet, le groupe de travail arménien est à la
fois en collaboration et en concurrence avec le HOK, le Comité d’aide
à l’Arménie, contrôlé par les autorités soviétiques. Un ancien
responsable du groupe de langue arménienne résume ainsi son
analyse :

« Depuis le tout début de l’existence de la sous-section arménienne en France,


nous souffrons d’une direction double. Nous avons, d’un côté, le secrétariat du
travail parmi les immigrés et, de l’autre, le parti arménien. Cela empêche le PCF
de contrôler le déroulement du travail. […] Au final, nous voulons savoir qui du
parti arménien ou du PCF doit diriger le travail parmi l’immigration arménienne
en France 45 . »

République soviétique depuis le début des années 1920, l’Arménie


est un cas à part parmi les pays d’origine des sous-sections de la
MOE. En somme, les questions qui se posèrent pour les
ressortissants des pays de l’Est après la guerre se posent pour les
Arméniens durant l’entre-deux-guerres. Faut-il rester en France et
participer au combat de classe au côté des ouvriers français ou partir
construire le socialisme dans son pays d’origine ? Ces interrogations,
tensions, divisions, multiplient les difficultés au sein du groupe de
langue arménienne, qui figure parmi les plus critiqués dans les
rapports internes communistes.
L’articulation n’est donc pas toujours aisée entre l’attachement à la
situation politique du pays d’origine et la lutte quotidienne dans le
pays d’accueil. De nombreux facteurs entrent alors en jeu, la date
d’arrivée en France et la durée du séjour (de fait ou imaginée)
n’étant pas les moindres. Zoé Grumberg résume très justement ces
enjeux, du point de vue de la direction communiste française :

« Le PCF n’a pas cherché à valoriser les particularismes ethniques en tant que
tels. Il a, en revanche, pris conscience de l’impossibilité d’intégrer trop
rapidement et brutalement les minorités et les immigrés non francophones dans
les cellules françaises. Les sous-sections par langues […] permettent aux
immigrés de maintenir le lien avec leur culture d’origine – même si ces sous-
sections ne doivent pas être le lieu d’une exaltation particulariste – tout en
s’intégrant progressivement à la France. Elles jouent surtout un rôle
stratégique : essayer d’attirer au communisme des immigrés qui ne parlent pas
français et ne peuvent pas s’intégrer aux cellules francophones 46 . »

Telle est en effet la perception de la direction du PCF. Mais un


militant étranger peut avoir son propre agenda, ses propres
capacités de projection, et ne pas entrer forcément dans le « moule
» d’intégration que lui propose la structure partisane française. À
cela il faut ajouter les directions des partis étrangers en exil en
France, de plus en plus nombreuses dans la seconde partie des
années 1930, avec l’installation de régimes autoritaires et fascistes
qui pourchassent les militants du mouvement ouvrier. Si le PCF
cherche à intégrer en son sein leurs « ressortissants », ces directions
exilées ne souhaitent pas perdre « leurs » militants. Tiraillés entre
des stratégies différentes, des injonctions contradictoires, des
attaches contrariées et des sollicitations multiples, les étrangers
communistes peuvent se retrouver confrontés à des choix difficiles.

Direction et cadres

Il est difficile de reconstituer l’organigramme de la MOE. Cela est


particulièrement vrai pour les militants étrangers, dont les noms
n’apparaissent pas dans les organigrammes officiels, par mesure de
sécurité. Quelques noms peuvent être repérés et soulignés.
De 1925 à 1927, l’un des principaux animateurs de la MOE est une
animatrice. Henriette Carlier, de son vrai nom Eva Neumann, est une
militante ­communiste allemande 47 . Intégrée à l’appareil de
l’Internationale, elle est envoyée en France à partir de 1923. Elle
prend la tête du secrétariat de la MOE au début de l’année 1927 48 ,
entourée de Jean Dupuis, Touzet, Marthe Potosniak, Julien
Racamond et les représentants des sous-sections italienne, polonaise
et espagnole. Son activité doit s’interrompre car elle se rend à
Moscou en novembre de la même année pour suivre les cours de
l’École léniniste internationale. À son retour, elle se met au service
de la section coloniale du comité central. Un autre militant
incontournable est Raymond Neveu, dit « Leduc » : il devint
permanent à la section centrale de la MOE le 1er août 1929, désigné
par la direction centrale du parti 49 . Compagnon de Neumann à
partir de 1930, il est l’« organisateur de toutes les bonnes et
mauvaises aventures dans la MOE », selon Ceretti 50 . On retrouve
trace dans les archives du PC de courriers où il se plaint d’être fort
seul dans son rôle d’animateur de la section centrale de la MOE 51 .
Du côté de la CGTU, si l’on a déjà cité Julien Racamond, un nom
revient systématiquement : celui de Maurin. On sait très peu de
choses sur ce militant, qui utilise très probablement un pseudonyme,
visible dès 1931 et qui disparaît en 1938. Certaines hypothèses le
présentent comme espagnol 52 .
Le parcours de Giulio Ceretti, déjà aperçu plus haut, montre qu’un
militant peut être à la fois pleinement intégré dans l’organisation
française, dans la MOI, et dans les structures exilées. Militant
communiste rompu à la répression, il est envoyé en France par le
PCI en 1927, en pleine campagne en faveur de Sacco et Vanzetti 53 .
Il fuit la pression policière en s’installant dans la région lyonnaise.
Revenu à Paris, il prend, fin mars 1931, la direction des groupes
communistes de langue italienne. Lorsqu’en 1932 il intègre le comité
central du PCF, la MOE lui fournit des papiers au nom de
Lucien Flavien, un camarade français parti vivre au Canada.

« Mais savez-vous ce que représente à Paris pour un réfugié cette simple


chose : avoir des papiers en règle ? Le travail, la nourriture, l’amour, la vie :
tout 54 ! »

Proche de Maurice Thorez, il reste très lié au PCI et à son


secrétaire Togliatti.
Les cadres étrangers de la MOE se recrutent principalement dans
l’immigration politique. Des hommes – peu de femmes comme c’est
la norme dans toutes les organisations politiques à l’époque – qui
sont donc déjà communistes avant leur arrivée en France, souvent
pourvus d’une riche expérience militante. Très peu sont issus d’une
immigration purement économique, du moins jusqu’à la période du
Front populaire. Cette coupure d’avec le monde de l’immigration
économique, Giulio Ceretti s’en rappelle :

« Nos renseignements sur la vie et le travail des immigrés “non politiques”


étaient faibles. Notre vie se passait quelque peu en vase clos entre notre
domicile et le bureau clandestin qui n’était, et pour cause, jamais visité par un
seul ouvrier 55 . »

De plus, un constant turn-over caractérise l’encadrement de la


MOE. En 1934, un rapport interne souligne :

« Aucune stabilité des cadres n’existe dans les immigrations, une continuelle
fluctuation a lieu en raison de la répression. Il leur est impossible d’aller dans
d’autres pays : Belgique, Luxembourg, Suisse, où existent des conditions plus
rigoureuses qu’en France. Sauf pour les camarades allemands dont le SRI peut,
dans de nombreux cas, obtenir la légalisation. Ils ont tous des situations
identiques, et nos camarades, victimes d’expulsion, mènent une vie
d’aventures, se déclassent et se perdent politiquement 56 . »

Pour encourager la stabilité des cadres étrangers et en particulier


protéger les militantes de la répression, le parti encourage la
pratique des « mariages blancs 57 ». Difficile à quantifier, ce
phénomène revient pourtant régulièrement dans les questionnaires
biographiques de militants. Eva Neumann est ainsi devenue
Henriette Carlier par un mariage blanc avec le communiste Aimé
Carlier.
Le processus de « vérification » des cadres, essentiel dans la vie
des partis communistes 58 , s’avère plus compliqué dans le cas des
militants étrangers. Contrôler les militants, notamment en
demandant leurs « bios », c’est-à-dire les réponses données à un
long questionnaire biographique, est chose ardue. Le processus de «
légitimation », comme il est parfois nommé, se heurte à des
obstacles. Notamment parce que les liaisons sont mauvaises entre
« partis frères 59 ». Le PCF parvient cependant, en redoublant
d’efforts, à normaliser la situation et à procéder, péniblement et
lentement, au processus de vérification tout au long de l’entre-deux-
guerres. Une sous-section échappe longtemps à la vérification du
PCF : l’italienne. Ses cadres sont en effet contrôlés ­directement par
le PCI. Cette situation s’explique notamment par le fait que le PCI a
sa propre direction, dite « extérieure », exilée sur le territoire
français. Les rapports étroits entre les deux directions semblent
cependant compenser les difficultés et l’échange d’informations être
la norme.

La répression

Xénophobie, anticommunisme et chasse aux syndiqués se


conjuguent pour rendre la vie impossible aux militants immigrés. La
participation à tout type d’activité militante, politique ou syndicale,
ou tout simplement la vente du journal de l’émigration communiste
étaient des motifs suffisants pour être arrêté puis reconduit à la
frontière. La police envahit parfois les réunions de cellules et de
sections syndicales, afin d’y procéder à l’arrestation des étrangers.
Lors des grèves, il n’est pas rare que la police menace d’expulsion
les étrangers se refusant à être des jaunes 60 . « Aussi n’y avait-il pas
de grèves qui ne fut suivie d’expulsions de militants étrangers 61 . »
Que ce soit du fait de la répression patronale ou étatique, les
groupes de langue voient régulièrement leurs ­structures se
décomposer du fait de la ­disparition de leurs cadres. Ainsi Achod
Jamgotchian, nommé cinq mois auparavant à la tête du groupe de
langue arménienne récemment créé, est expulsé de France le
13 février 1925. « Il laisse le groupe, à peine formé, dans un état
chaotique 62 . » En 1925-1926, le bureau central de la MOE est
décapité. Il faut ainsi en permanence reconstituer les réseaux
patiemment construits.

« Le retour de Raymond Poincaré au gouvernement avec Albert Sarraut 63


comme ministre de l’Intérieur officialise par circulaire l’interdiction faite aux
étrangers résidant en France d’exercer une quelconque activité politique,
circulaire d’ailleurs réaffirmée en 1934 et 1938 64 . »

En 1928 encore, Les Cahiers du bolchevisme doivent reconnaître


que « dans une certaine mesure », l’ensemble des structures MOE,
tant syndicales que politiques, a été démantelé par la répression 65 .
Comme le rappelle Ralph Schor à propos des années 1930,

« bien qu’au final la politisation des étrangers demeurât modeste, les autorités
françaises prirent toutes les précautions possibles pour contrôler cette
population dont les agissements imprévisibles recelaient un danger 66 ».

Les groupes de langue polonaise comptent environ 600 membres


en 1932, surtout parmi les mineurs du Nord et du Pas-de-Calais. Ce
sont au moins 400 d’entre eux qui sont expulsés en trois ans 67 . Le
choc est immense, surtout dans la compétition avec d’autres
structures de l’immigration polonaise en France, catholiques ou
nationalistes, qui elles conservent leurs forces. Thomas Olszanski,
combattant dans l’armée française, naturalisé en 1922, infatigable
propagandiste de la MOE puis de la MOI, est déchu de sa nationalité
française en 1932. Malgré une importante campagne de soutien,
appuyée par d’éminentes figures intellectuelles et artistiques,
Olszanski, après avoir été traqué par la police, est arrêté puis
expulsé en octobre 1934. Il se réfugie en Union soviétique 68 . On
pourrait multiplier les exemples, parfois étonnants de ténacité, à
l’instar du parcours de Moishe Salzman, membre de la sous-section
juive, trois fois arrêté et expulsé du territoire français, trois fois
revenu et reprenant le chemin du militantisme 69 . La presse
communiste étrangère est également la cible des autorités. Les
archives de surveillance sont limpides quant à l’attention très forte
apportée à ces publications. Les Italiens sont particulièrement visés,
avec un journal qui, de janvier 1931 à mai 1934, change de nom au
gré des interdictions : Vie prolétarienne devient Vita proletaria, puis
Nostra bandiera, enfin Bandiera rossa. Même placés sous le
patronage de militants français – en l’occurrence Gabriel Péri –, ces
titres sont continuellement interdits. Rappelons aussi la surveillance
menée par certains services étrangers. La police politique de
Mussolini, notamment, suit de près les ressortissants italiens en
France.
Cette répression favorise un sentiment d’entre-soi chez les
émigrés politiques, notamment les cadres, qui se méfient de
l’extérieur et peinent à percer au sein de la grande masse des
travailleurs immigrés. Chez ces derniers, la crainte de la répression
n’engage évidemment pas à l’intérêt vers les luttes et la
propagande :

« Peut-on être surpris de l’indifférence que manifestent les immigrés


économiques aux questions politiques quand on sait que le simple fait de se
faire repérer dans une réunion antifasciste et même syndicale peut avoir les
conséquences les plus graves pour eux ? Tous les immigrés tiennent par-dessus
tout à garder leur légalité en France ; plus : ils veulent également rester légaux
par rapport au pays d’origine 70 . »

Bien entendu, il faut aussi envisager cette répression à l’aune des


visées communistes de l’époque. Si elle comporte des éléments
dangereux pour la survie même des organisations, elle a comme
corollaire de démontrer que le PC remplit son rôle d’organisation
révolutionnaire. Prête à prendre les coups de l’adversaire,
l’organisation voit dans la répression une « école » où se forment les
militants les plus endurcis, les plus résolus. L’épreuve du
licenciement ou de la prison constitue ainsi une série de « tests »
prouvant la valeur du militant, français comme étranger ; la menace
de l’expulsion en plus pour ce dernier. Ainsi, lorsque la MOE est
mobilisée dans la campagne anticolonialiste que lance le PCF contre
la guerre du Rif, elle doit inciter ses membres à participer à la
« grande grève générale contre la guerre », de vingt-quatre heures,
le 12 octobre 1925. Le groupe de langue arménienne s’estime
satisfait des résultats, relevant avec fierté qu’une centaine d’ouvriers
arméniens ont été licenciés pour avoir débrayé ce jour-là :

« Pour donner une idée de l’efficacité de notre propagande en faveur de la


grève générale de 24 h, rappelons simplement ce fait qu’une centaine d’ouvriers
arméniens ont été congédiés par leurs patrons pour avoir chômé 71 . »
Crise et xénophobie

Avec la crise de 1929 qui touche la France à partir de 1931-1932,


un fort élan de xénophobie est véhiculé par les ligues
d’extrême droite, mais aussi par le « centre ». En parallèle, la
situation matérielle de bon nombre d’immigrés se dégrade : difficulté
à trouver du travail, absence quasi totale de secours ou d’allocations
chômage, multiples tracasseries administratives, déplacements loin
du lieu d’habitation. Le 20 décembre 1931, l’Assemblée nationale
vote à l’unanimité (moins les abstentions socialistes et communistes)
une loi relative à la « protection de la main-d’œuvre nationale ».
Cette loi, promulguée le 10 août de l’année suivante, vise à limiter
l’immigration et l’emploi des étrangers en France. Adoptée dans le
contexte de la crise économique, elle fixe un quota de 10 % de
travailleurs étrangers dans les entreprises privées (quota qui faisait
partie de la proposition de loi originelle déposée par les
socialistes 72 ). Ce quota est de 5 % lorsqu’il s’agit d’entreprises
publiques. Les droits des étrangers sont également restreints. Les
refoulements, les expulsions, la surveillance et la répression
s’accentuent alors à l’égard des immigrés (réguliers ou non) 73 .
Ainsi, la ­sous-section italienne de la MOE en fait particulièrement les
frais, déplorant en 1933 une forte baisse de ses effectifs à cause de
la crise et des mesures gouvernementales 74 . Chez les Polonais, « il
y a une fluctuation continuelle des membres et des cadres, en raison
de la répression, des refoulements économiques 75 ».
Sur une brochure éditée en 1933 [IMAGE 1], la figure d’un ouvrier
se retrouve prise au piège par de multiples engrenages. Ces derniers
dénoncent aussi bien les mesures gouvernementales et patronales
que syndicales (celles de la CGT). Sous forme d’un dialogue fictif
entre un membre de la CGT (Charles) et d’un militant de la CGTU
(Pierre), cette brochure vise à expliciter les différences de traitement
des travailleurs étrangers entre « confédérés » et « unitaires ».
Prenant des exemples aussi bien à Paris qu’en province, français
comme étrangers, Pierre s’attache à répondre aux arguments des
défenseurs de mesures plus fermes à l’égard des immigrés.
Résumant ainsi les positions des uns et des autres, notamment face
à la récente loi du 10 août 1932, le militant unitaire déclare :

« Pendant que tes chefs et la bourgeoisie essaient de faire croire aux


travailleurs français qu’il y a possibilité de résoudre le chômage en chassant les
immigrés, ils orientent ainsi leur mécontentement dans une lutte contre les
travailleurs immigrés, au lieu de s’unir avec ces derniers pour faire supporter le
poids de la crise au patronat et à la bourgeoisie, seuls responsables. »

Et il est vrai que le discours de la CGT jusqu’en 1934 est celui d’un
refus de la « concurrence » des travailleurs étrangers, quand bien
même elle organiserait des étrangers en son sein. Côté SFIO,

« les socialistes participent au relatif consensus, imprégné de convictions


nationalistes, sur la crise économique : “pour freiner le chômage et protéger les
travailleurs français, il faut limiter le nombre de travailleurs étrangers” 76 ».

Ces leçons ne valent pas que pour l’extérieur du parti ou du


syndicat unitaire. Il est systématiquement rappelé par la CGTU ou le
PCF, à travers directives, rapports et résolutions, la nécessité de
combattre xénophobie et chauvinisme dans leurs propres rangs.
Ainsi, dans la conclusion d’un rapport d’avril 1932, il était précisé
que la lutte contre la xénophobie devait aussi se mener à l’intérieur
du mouvement communiste 77 . Deux ans auparavant, Benoît
Frachon, dirigeant de la CGTU et membre du bureau politique du PC,
évoquait un syndicat de la CGTU qui « écrit que les travailleurs
étrangers devraient s’en aller pour laisser le travail aux français 78 »,
et Julien Racamond de citer un syndicat unitaire de l’hôtellerie où
« on a acclamé le travail pour les Français 79 ». Deux ans plus tard,
le même Frachon se montrait très critique sur l’action des
communistes vis-à-vis des immigrés. Dans un article des Cahiers du
bolchevisme 80 , il déplore la « passivité » de la presse du parti et
que « dans le parti se répandent des opinions fausses sur notre
politique dans la question de la main-d’œuvre immigrée ». Il prône
une « éducation internationaliste systématique des masses » pour
faire face au « poison » de la xénophobie.
Le député du centre républicain de la Seine, Louis Fourès, déclare
en mars 1933 :

« Il y a en France 331 000 chômeurs. En rapprochant ce chiffre des 1 200 000


salariés étrangers, il est facile de se rendre compte que si les ouvriers étrangers
quittaient la France, la question du chômage serait pour nous résolue
(applaudissements à droite) 81 ».

Arthur Ramette, député communiste du Nord, prend la parole en


novembre 1934 à la Chambre pour dénoncer le « programme
absurde » et les « solutions inhumaines » de ceux qui réclament le
renvoi des travailleurs étrangers 82 . Des trains spéciaux sont alors
affrétés par les Houillères du Nord pour la Pologne entre 1934 et
1935 83 ; d’autres travailleurs sont expulsés de Lorraine. Au total, ce
sont entre 130 000 et 140 000 Polonais qui sont « rapatriés » entre
1931 et 1936 84 ; Patrick Weil évoque 20 000 rapatriements pour
l’année 1935 85 ; et au recensement de 1936, on dénombre 700 000
étrangers de moins qu’en 1931.
C’est dans ce contexte de crise économique et de montée en
flèche de la xénophobie qu’est décidé un changement de nom pour
la MOE. La Main-d’œuvre étrangère est remplacée par « immigrée »
(MOI), ce dernier terme sonnant plus « objectif » et moins connoté
négativement dans la France xénophobe des années 1930. Malgré
les difficultés, PC comme CGTU participent de « l’influence
communiste dans un monde du travail plurinational 86 ». Ces années
de mise en place des groupes de langue sont aussi celles d’une
intense répression, aussi bien patronale qu’étatique. Il faut attendre
la période nouvelle créée par la dynamique de Front populaire pour
que se relâche durant un bref moment cette répression.

La MOI dans la France du Front populaire


Entre 1934 et 1936, le Parti communiste français connaît de
profonds bouleversements. Sortant de la stratégie « classe contre
classe », il opère progressivement un tournant antifasciste. Ce
changement stratégique, accompagné par l’Internationale
communiste, devient la ligne officielle des PC à travers le monde à
compter d’août 1935 et du VIIe congrès du Komintern. Le PCF en est
alors la pointe avancée, l’exemple à suivre. C’est le laboratoire de la
nouvelle ligne antifasciste. L’heure est à la construction de fronts, les
plus larges possible, pour faire barrage au fascisme. Dès lors, les
ennemis d’hier, « bourgeois » (les radicaux) ou « socio-fascistes »
(les socialistes), deviennent les alliés d’aujourd’hui. L’unité ouvrière,
l’union de la nation française, l’alliance avec les classes moyennes, la
place centrale accordée au combat antifasciste deviennent les
éléments récurrents du discours et de la stratégie communistes.
Moment politique, social et culturel, le Front populaire s’inscrit dans
« l’ère des masses », selon la formule d’Eric Hobsbawm, où les
mobilisations populaires jouent un rôle déterminant 87 . Pour les
communistes, moteurs de cette dynamique, c’est l’heure de la
nationalisation, de l’insertion dans un certain modèle politique
républicain et de la ­transformation du parti en organisation de
masse. Que représentent ce moment et ces dynamiques vis-à-vis du
travail de la MOI ?
C’est une MOI affaiblie par la répression, le turn-over de ses
cadres, la chute des effectifs, qui aborde la période. Le 3 juillet
1934, en plein tournant antifasciste, le secrétariat politique du PCF
adopte « la proposition de placer Allard à la direction politique de la
MOI 88 ». Giulio Ceretti devient ainsi le principal dirigeant des
immigrés communistes en France, en liaison étroite avec la direction
française 89 . Celui-ci était à la fois conscient des difficultés des
groupes de langue et ne masquait pas son mécontentement devant
l’activité de la direction du PCF envers les étrangers :

« J’avais donc plus d’une raison de me plaindre à Maurice Thorez de la surdité


du parti qui se contentait de quelques discours de Cachin et Ramette, lesquels
au palais Bourbon prenaient la défense des immigrés. 90 »
En septembre de la même année, 13 sous-sections centrales sont
revendiquées par l’organisation : italienne, polonaise, espagnole,
arménienne, hongroise, ukrainienne, yougoslave, tchécoslovaque,
roumaine, russe, juive, bulgare, grecque et albanaise 91 .
Moment quasi iconique attaché au Front populaire dans les
mémoires collectives, le printemps 1936 voit se succéder victoire
électorale et grèves avec occupations 92 . Les premières grèves
débutent dans le prolongement de la réunification syndicale de la
CGT en mars 1936 et d’un 1er Mai dont la mobilisation fut la plus
importante depuis 1920. Elles ont lieu les 11 et 13 mai, chez Breguet
(au Havre) et chez Latécoère (Toulouse) avec occupation des usines
et victoire à la clé. La région parisienne est touchée le 14 par une
mobilisation là aussi victorieuse. Lors de la réunion du comité central
du 25 mai, les communistes, s’appuyant sur ces mouvements,
soulèvent l’urgence d’appliquer les réformes promises 93 . Symbole à
la fois de l’appui du peuple de gauche au (futur) gouvernement,
mais aussi de ses exigences, la veille, la traditionnelle « montée au
Mur » rassemble plus de 500 000 personnes au Père-Lachaise. Les
groupes de la MOI défilent avec leurs symboles. Les Polonais se font
particulièrement remarquer par deux immenses portraits des
généraux Jarosław Dąbrowski et Walery Wroblewski, à la fois héros
nationaux de la lutte pour l’indépendance et combattants de la
Commune de 1871 94 . Du 25 mai au 1er juin, les grèves s’étendent,
les occupations des lieux de travail se multiplient. Le 7 juin, la
rencontre tripartite entre le nouveau gouvernement, le patronat et la
CGT réunifiée depuis janvier débouche sur la signature des
« accords de Matignon ». Le nouveau gouvernement s’engage à
déposer les projets de lois portant sur les quarante heures, les
congés payés et les conventions collectives. Il est prévu dans ces
dernières l’élection de délégués ouvriers dans tous les
établissements de plus de dix salariés. Cette loi ne prévoyant aucune
restriction liée à la nationalité, les travailleurs immigrés peuvent
désormais voter pour leurs représentants 95 . La signature de ces
accords ne signifie pas l’arrêt du mouvement, la période du 8 au 12
juin voit un pic dans les grèves. Deux millions de travailleurs sont
mobilisés, plus de 12 000 entreprises touchées. Dès le 12 juin, la
grève s’étend même en territoire colonial, en Algérie et au Maroc.
C’est lors de cette séquence, le 11, que Thorez déclare :

« Il faut savoir terminer une grève dès que satisfaction a été obtenue. Il faut
même savoir consentir au compromis […] 96 . »

Si le mouvement est salué, encouragé, et même organisé par les


militants communistes, l’heure n’est pas à la révolution, mais à la
consolidation de l’alliance antifasciste. Le travail reprend
progressivement. « Souvent les immigrés ont été à l’avant-garde des
luttes » durant les grèves du printemps 1936, se félicite un rapport
de la MOI 97 .
Surtout, ces étrangers participent à la « ruée syndicale » du
printemps 1936. En 1938, la CGT écrivait ainsi :

« L’adhésion des travailleurs étrangers aux syndicats confédérés a pris dès lors
un caractère massif. D’à peine 50 000 avant 1936, le nombre des syndiqués a
rapidement atteint et dépassé le chiffre de 350 000 à 400 000. Les services de
la main-d’œuvre étrangère de la CGT se sont donc trouvés depuis 1936 en
présence d’une masse importante de syndiqués de langues différentes qu’il a
fallu instruire, éduquer au point de vue syndical, encadrer et défendre 98 . »

La part prise par l’immigration italienne est la plus spectaculaire :

« Ils [les Italiens] fournissent en effet la moitié des syndiqués étrangers : on


parle de 25 000 Italiens en 1934 à la CGT, 125 000 en juin 1936, 200 000 en
1937 99 . »

Si les chiffres avancés sont à prendre avec précaution, l’ordre de


grandeur comparé au 887 732 Italiens officiellement recensés en
France en 1936 reste impressionnant.
Morgan Poggioli repère également cette situation nouvelle à
travers les publications en langue étrangère :
« À partir de 1937, le développement des publications confédérales en langues
étrangères (arménien, bulgare, espagnol, italien, yiddish ou polonais) prouve
l’accroissement de la représentation de ces travailleurs dans les rangs de la
CGT. Prawo Ludu est le journal confédéral des syndiqués polonais, très
nombreux dans la corporation minière et en particulier dans le Nord. Son tirage
oscille entre 7 000 et 8 000 exemplaires, ce qui constitue un chiffre tout à fait
remarquable et marque une véritable implantation du journal sur des bases
sociales spécifiques. Il existe également le journal l’Operaio italiano, périodique
syndical des ouvriers italiens, ou le mensuel La Parole ouvrière, édité par le
Groupement des travailleurs russes confédérés 100 . »

De plus, les ex-unitaires peuvent se féliciter que « ce sont nos


camarades qui représentent l’écrasante majorité des syndiqués
immigrés 101 », permettant d’observer sur le thème de l’immigration
ce qui est constaté ailleurs : la dynamique unitaire et celle des
grèves profitent globalement aux anciens unitaires davantage qu’aux
anciens confédérés.
Du côté du PCF, entre 1934 et 1939, les effectifs ont décuplé. De
moins de 30 000 en 1933, le parti compte trois ans plus tard près de
250 000 membres et atteint un pic fin 1937 avec près de 300
000 adhérents 102 . Concernant la MOI, les sources communistes
pour le milieu de l’année 1936 évaluent à environ 6 835 les
adhérents des 15 groupes de langue revendiqués 103 .

Immigration Membres
Italienne 3 002
Polonaise 1 900
Espagnole 594
Juive (yiddishophone) 495
Arménienne 257
Roumaine 80
Bulgare 40
Hongroise 106
Tchécoslovaque 165
Grecque 16
Albanaise 8
Yougoslave 47
Portugaise 7
Ukrainienne 100
Russe 18

Les chiffres ont plus que doublé par rapport à 1932. Mais une
lecture attentive de ces mêmes sources révèle que les groupes grec,
albanais, yougoslave, portugais, ukrainien et russe n’ont qu’une
existence théorique. Neuf sous-sections de la MOI ont une véritable
activité.
En revanche, il ne faudrait pas se contenter des chiffres pour
évaluer l’influence réelle des communistes au sein des immigrations.
Il faut en effet leur ajouter les ressortissants de ces immigrations,
adhérents au PCF mais non organisés dans les groupes de langue
proprement dits. Ainsi, en 1934, sur 600 militants communistes juifs
parisiens, seulement 250 étaient inscrits dans les groupes de langue.
Un groupe retient l’attention par sa composition genrée. En effet,
le groupe roumain est composé pour un tiers de femmes. Si cette
part ne représente que peu de militantes, ramenée aux 80 membres
du groupe, elle est en proportion exceptionnelle au regard des
effectifs communistes globaux 104 . Nous ne connaissons que peu de
chose sur ces militantes, « dont plusieurs [sont] des étudiantes en
détresse 105 ». Cette dernière caractéristique renvoie peut-être au
fait que de nombreux immigrés étudiants se « prolétarisent » au
cours ou à l’issue de leurs études, afin de payer logement et
nourriture.
Cette hausse des effectifs pose – comme pour l’ensemble du parti
– un certain nombre de problèmes d’intégration, de formation et
d’encadrement des nouveaux militants.
Il faut cependant relever une exception parmi les groupes
composant la MOI : celle des Arméniens. Comme l’a souligné Astrig
Atamian, il n’y a pas « d’effet Front populaire » sur les effectifs 106 .
Et pour cause. Après une vague d’exclusions frappant le groupe de
langue arménienne en 1934 et 1935, un important départ
d’Arméniens communistes vers l’Arménie soviétique est organisé le
9 mai 1936. Environ 1 800 militants quittent ainsi le sol français.
Quelque temps plus tard, fin 1937, le HOK est dissous par les
autorités soviétiques. Les militants restés en France l’apprennent par
voie de presse. Pour maintenir une organisation « de masse » en
plus du groupe de langue, le HOK est alors remplacé par une
nouvelle structure : l’Union populaire franco-arménienne. Missak
Manouchian, adhérent du PCF depuis 1934, responsable en 1935 du
journal du HOK Zangou, en prend la tête et multiplie les activités à
travers tout le pays pour construire la nouvelle organisation.
Cette atmosphère politique intense est ressentie par les militants
étrangers. Zysla Wajser, jeune Juive arrivée de Pologne, se souvient,
bien des années plus tard, du décalage entre son pénible quotidien
et son activité militante :

« Dans la journée, nous nous sentions des parias de la société. Mais le soir
nous nous retrouvions aux réunions du comité antifasciste du quartier que nous
habitions, dans le 20e arrondissement. Là, nous débattions sur un pied d’égalité
avec nos camarades et amis français des problèmes qui agitaient le pays 107 . »

C’est au moment des « jours exaltants » de la réalisation du Front


populaire que Zysla et son compagnon estiment que « la France est
devenue notre vraie Patrie 108 ».
Boris Holban, militant communiste roumain, écrit :

« Si nous ne militons qu’à l’intérieur du groupe roumain, nous n’en participons


pas moins à la vie du PCF. Nous sommes présents dans les manifestations de
rues, dans les grands meetings au Vél’ d’Hiv. Nous avons aussi notre stand à la
fête annuelle de L’Humanité. […] Toutes les manifestations légales
m’impressionnent énormément, moi qui ai vécu jusque-là dans la clandestinité
ou la prison. Scander des mots d’ordre […] sans être matraqué par la police,
quelle merveille 109 ! »
Les « activités exaltées » de cette période semblent compenser les
privations matérielles. La découverte du militantisme au grand jour,
couplée à l’aide fiévreuse aux volontaires des Brigades
internationales et à l’enthousiasme partagé dans le mouvement
ouvrier français, laisse des traces importantes chez ce type de
militants rompus aux affres de la répression. Éric Vial a souligné
également l’expérience fondamentale qu’a été le Front populaire
français pour des cadres communistes italiens exilés, notamment
l’apprentissage de la vie légale 110 .
Malgré tout, certains réflexes persistent parmi les formes du
militantisme en milieu immigré. La nouvelle ligne peut ainsi créer des
décalages. Citons un exemple, celui du cas grenoblois. Lors d’une
conférence de secrétaires régionaux du PCF, le secrétaire régional
Paul Billat relève la particularité du PCF local. Sur les 600 membres à
Grenoble et ses environs,

« il y a une majorité de travailleurs immigrés, ce qui a pour répercussion le


désaxement de l’activité du Parti. Ce qui ne facilite pas souvent non plus la
venue dans nos rangs, parce que vous le savez bien, lorsque notre Parti a une
telle composition sociale, la plupart de ces organisations ont davantage
tendance au travail clandestin qu’au travail de masse, et à cela il faut prendre
garde 111 ».

Les us et coutumes de l’illégalité ne sont certes pas les plus


adaptés lorsqu’il s’agit de construire une organisation de masse,
souhaitant offrir un visage respectable aux yeux du plus grand
nombre.
Cette participation au grand jour aux luttes de la part d’une
population déjà en proie au racisme et à la recherche de bouc
émissaire contribue également à décupler la haine des droites contre
les étrangers. La fable d’agents provocateurs, à la solde de Moscou
ou du « complot juif », dans les désordres agitant la France, est
régulièrement développée par la presse d’extrême droite. Même si
l’action du gouvernement de Front populaire s’avère très timide en
faveur des droits des étrangers, il est accusé de naturaliser à tour de
bras par calcul électoraliste. Il s’agissait déjà de remplacer la « vraie
France » par des hordes étrangères et révolutionnaires 112 .

Le temps des illusions perdues ?

La MOI réorganise ses efforts. À partir de 1935, dans un contexte


marqué par l’arrivée de réfugiés allemands, par la politique unitaire
de Front populaire, par le durcissement très net de la politique à
l’égard des étrangers depuis la fin de l’année 1934, et s’appuyant sur
le journal Fraternité (que gère Ceretti, dirigeant central de la MOI),
une campagne est lancée autour de la bataille pour un statut
juridique des étrangers. Le centre de liaison des travailleurs
immigrés travaille ainsi avec le centre de liaison des comités pour le
statut juridique des immigrés, réunissant ainsi étrangers et
Français 113 . Fraternité se développe rapidement, passant de 16 à
24 pages et proposant des éditions en langues étrangères : en
italien, polonais, espagnol, tchèque, yiddish et yougoslave 114 .
La rédaction d’un projet de loi est confiée à l’avocat communiste
Marcel Willard (qui fut l’un des défenseurs du Bulgare Dimitrov
accusé par les nazis d’avoir incendié le Reichstag) et au député du
Rhône Georges Lévy. Leur texte prévoit

« l’obligation d’accueillir tous les réfugiés qui fuient les dictatures et les
persécutions, l’instauration de cartes de séjour valables cinq ans (et non plus un
ou trois ans) et renouvelables automatiquement, la possibilité pour tout
étranger de changer de profession sans en demander l’autorisation et
l’application du principe d’égalité en matière de législation sociale 115 ».

Comme le rappelle Ceretti, ce projet est crucial et plus qu’un


symbole pour le mouvement ouvrier, il

« fut déposé sur les bureaux de la Chambre par Cachin, premier signataire, au
nom d’un certain nombre de ses collègues. Pour la première fois les partis
politiques furent bien obligés de s’occuper du problème de la MOE d’une façon
rationnelle. Le PCF posa la question d’une manière retentissante au cours d’une
réunion du groupe au palais Bourbon 116 ».

Ceretti lui-même, par l’intermédiaire de Magdeleine Paz 117 , tente


de convaincre le ­Tout-Paris politique de la justesse du combat. Il
évoque ainsi le projet de statut juridique auprès de Léon Blum,
Vincent Auriol, Marx Dormoy ou encore Édouard Herriot ; un projet
« qui n’avait pas l’air de les intéresser beaucoup 118 ». Au sein de la
majorité parlementaire du Rassemblement populaire, c’est
essentiellement le PCF qui s’implique dans les projets de loi visant à
améliorer les conditions de vie des immigrés et à les doter d’un
statut juridique mais

« il est toutefois rapidement abandonné : le PCF craint en effet de se couper de


sa base ouvrière […]. La SFIO, qui soutenait le projet, se désolidarise elle aussi
d’un projet qu’elle juge trop aventuriste 119 ».

Jacques Kergoat donne la version suivante :

« Les députés communistes reprennent, dès le 9 juillet [1936], les propositions


qu’avait faites Marius Moutet, alors dans l’opposition, d’un “statut juridique des
immigrés” 120 . »

Le texte se perdit ensuite dans les navettes Chambre/Sénat…


Cette bataille du statut juridique, si elle ne débouche pas sur les
résultats souhaités, est cependant populaire et semble très bien
reçue dans les milieux de l’immigration. Elle est analysée par la
direction de la MOI, en 1936, comme « un véritable Front populaire
des immigrations 121 ».
Frédéric Monier résume ainsi les enjeux de la période :

« Après une période sombre pour les migrants en 1934-1935, l’arrivée au


pouvoir du Front populaire et la formation du premier gouvernement Blum en
juin 1936 ouvrent une phase de réformes. Ces dernières améliorent
sensiblement la situation des réfugiés ; elles sont néanmoins limitées et surtout
de courte durée 122 . »
En effet, l’attitude et les discours à l’égard des étrangers, surtout
des victimes du fascisme, sont sensiblement différents sous le
gouvernement Blum. Mais la politique gouvernementale, et celle des
administrations, ne modifia presque rien en profondeur.
C’est surtout pour les réfugiés politiques, allemands pour
l’essentiel, que les choses s’améliorent, avec des facilités d’obtention
de papiers. Cela dit, ces mesures libérales prises à l’été 1936 au
bénéfice de certains réfugiés politiques non seulement n’ont pas créé
de statut identique, mais elles ont été prises dans l’espoir « vain et
triste 123 » de décourager d’autres arrivées et de prévenir d’autres
exodes. Comme le souligne avec justesse Frédéric Monier :

« Le nouveau ministre du Travail, Jean-Baptiste Lebas, ne modifie pas, sur le


fond, les normes sur la main-d’œuvre immigrée mises au point par Ludovic-
Oscar Frossard dans le gouvernement précédent. […] Une circulaire du ministre
de l’Intérieur, Roger Salengro, exhorte les préfets, le 14 août 1936, à faire
preuve d’une grande fermeté à l’égard des nouveaux arrivants qui seraient en
situation irrégulière. En réalité, il est fort difficile pour eux d’obtenir un visa en
bonne et due forme, et les délais d’entrée en vigueur du texte signé à Genève
sont étendus jusqu’en janvier 1937. […] La loi du 10 août 1932 n’est pas
abrogée, et les normes antérieures à juin 1936 restent valables. Enfin, les
réfugiés qui tentent d’arriver après août-septembre 1936 se heurtent à de
nombreux obstacles et à de fortes réticences. La politique du gouvernement
Blum vise surtout à stabiliser la situation, en facilitant l’insertion des réfugiés
déjà présents, et en décourageant l’arrivée de nouveaux réfugiés 124 . »

Un autre exemple de changement d’attitude par le gouvernement


de Front populaire est l’abolition de la loi du 6 février 1935.

« Si les étrangers pouvaient encore voyager en France, pour changer de


domicile d’un département à l’autre, il leur fallait l’“assentiment” du
Préfet 125 . »

Ceci fut cependant la seule mesure législative importante dans ce


domaine, et l’autorisation préfectorale fut rétablie aussitôt la droite
revenue au pouvoir au printemps 1938.
Ces timidités, compromis ou compromissions peuvent susciter la
colère dans les rangs mêmes des communistes et de la MOI. Un
exemple de ces critiques est donné dans un rapport interne de
juin 1936 :

« On n’hésitait pas à accuser le parti de sacrifier les immigrés pour ne pas


indisposer les masses petites-bourgeoises et certains chefs réformistes 126 . »

Le même rapport reconnaît une double nécessité pour le PC


d’alors : ne pas se couper des travailleurs immigrés, mais aussi ne
pas mettre les revendications de la MOI « au premier plan » afin
« de ne pas faire obstacle au rapprochement du prolétariat avec les
couches moyennes », où « un grand courant en faveur du renvoi des
immigrés s’était fait jour 127 ».

Dissolution manquée ou « serrage de vis » ?

Selon certains travaux, une décision de dissoudre la MOI est prise


en mars 1937 lors d’une Conférence nationale des cadres de la MOI.
Le 6 juin 1937, cette décision est évoquée dans Naïe Presse par
Louis Gronowski, qui écrit que toutes les organisations spéciales
d’étrangers sont dissoutes. Or, on constate dans les faits que la
propagande auprès des étrangers se poursuit, les réunions de
groupes de langue également.
Pour certains 128 , il s’agit d’une dissolution des sous-sections de
langue, pour d’autres 129 il n’y eut pas réellement de dissolution,
mais une réaffirmation du principe de voir tout militant immigré
participer aux activités des structures de base du PCF, la cellule de
quartier. Astrig Atamian, s’appuyant sur Le Sang de l’étranger, écrit
ainsi :

« À partir de mars 1937, la direction du PCF entreprend de “serrer la vis” aux


sous-sections de la MOI qu’il jugeait s’être trop émancipées dans l’atmosphère
du Front populaire. Leur autonomie n’est plus tolérée 130 . »
Renée Poznanski, faisant le point sur les différentes versions de
cette « mystérieuse dissolution 131 », peine à distinguer ce qui
concernerait la seule sous-section juive de l’ensemble des groupes
de langue. Dans un rapport interne, la direction de la MOI admettait
dès juin 1936 que « les sections MOI ne correspondent plus aux
besoins actuels 132 ». Cependant, aucune autre source interne au
PCF (par exemple les décisions du secrétariat ou du Bureau
politique) ne vient confirmer l’idée d’une dissolution. Les mémoires
de Ceretti sont muettes à ce sujet. Jacques Kergoat évoque lui aussi
une « dissolution » des groupes de langue « dans le courant de
l’année » 1937, mais « qui n’a pas eu sur leur activité des
conséquences majeures 133 ». Or une telle décision, dans le
contexte du PCF des années 1930, aurait eu des conséquences «
majeures » et rapides. À l’automne 1938, Louis Gronowski lui-même
entre à la commission centrale de la MOI. Ce que Renée Poznanski
met en évidence, c’est que cette dissolution jamais réalisée
intervient au moment où les tentatives d’un Front populaire dans
l’immigration juive s’avèrent infructueuses, malgré la mise en place
d’une nouvelle organisation de masse, le Farband, agissant comme
rival de la Fédération des sociétés juives de France (Federatzie).
Qu’en est-il ? Voici une hypothèse. La direction communiste
française prône un « Front populaire de l’immigration ». Ce
processus n’est-il pas finalement une acceptation que les
« organisations de masse » fonctionnent mieux que les groupes de
langue ? Une situation regrettée avant le Front populaire 134 mais
désormais acceptable voire souhaitable et devant être développée ?
Renée Poznanski rappelle qu’un « Front populaire » juif se
concentrant sur la lutte contre l’antisémitisme était promu, afin de
faciliter la coopération entre communistes, bundistes et sionistes de
gauche. Les Italiens sont investis dans l’Union populaire
italienne 135 . C’est à notre avis dans ce contexte qu’il faut lire le
« serrage de vis » de 1937. Zoé Grumberg précise ainsi 136 que

« Zaagsma 137 s’appuie sur l’ouvrage de Maurice Rajsfus qui cite lui-même le
travail non publié d’un militant juif communiste, Simon Cukier, dit Alfred Grant,
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Fig. 174.—Development of wings in Caloptenus spretus: the upper row
gives a lateral view of the thoracic segments, and the lower row a
dorsal view of these segments; 1, second instar; 2, third instar; 3,
fourth instar; 4, fifth instar. (After Riley.) t, tegmen; w, wing.

Fig. 175.—Caloptenus spretus. North America. A, Newly hatched,


much magnified; B, adult, natural size. (After Riley.)

Riley and Packard have given an account[221] of some parts of the


post-embryonic development of the Rocky Mountain Locust, which
enables us to form a satisfactory conception of the stages of
development of the wings. Fig. 175, A, represents the first instar, the
young locust, just emerged from the egg and colourless. Fig. 174
shows some of the subsequent stages of development of the wings,
the upper line of figures giving a profile view of the thoracic
segments, and the lower line showing their dorsal aspects; 1 shows
the condition of the parts in the second instar, the chief difference
from the first instar being the development of colour; in the third
instar there is an evident slight development of the future alar
organs, exhibited chiefly in the outgrowth and lobing of the free
posterior angles of the meso- and metanota, as shown in Fig. 174, 2.
After the third moult there is a great difference; the instar then
disclosed—the fourth—has undergone a considerable change in the
position of the meso- and metathoraces, which are thrust forward
under the pronotum; this has become more enlarged and hood-like
(Fig. 174, 3); at the same time the wing-rudiments have become free
and detached, the metathoracic pair being the larger, and
overlapping the other pair. The fifth instar (Fig. 174, 4) differs but
little from the fourth, except in the larger size of the pronotum and
wing-rudiments. The sixth—shown in Fig. 175, B—is the perfect
Insect, with the alar organs free and large, the prothorax much
changed in form, the colour different. From the above it will be seen
that the chief changes occurred at the third and fifth ecdyses, after
each of which a considerable difference in the form of the Insect was
revealed. In the first three instars the sexes can scarcely be
distinguished, in the fourth they are quite distinct, and in the fifth
coupling is possible, though usually it does not occur till the final
stage is attained.

The discovery that Orthoptera change their colours in the course of


their development, and even after they have become adult, is
important, not only from a physiological point of view, but because it
throws some light on the questions as to the number of species and
the geographical distribution of the migratory locusts, as to which
there has existed a great confusion.

The Acridiidae are considered to be exclusively vegetable feeders,


each individual consuming a very large quantity of food. The mode in
which the female deposits her eggs has been described by Riley,
[222] and is now widely known, his figures having been frequently
reproduced. The female has no elongate ovipositor, but possesses
instead some hard gonapophyses suitable for digging purposes; with
these she excavates a hole in the ground, and then deposits the
eggs, together with a quantity of fluid, in the hole. She prefers hard
and compact soil to that which is loose, and when the operation is
completed but little trace is left of it. The fluid deposited with the eggs
hardens and forms a protection to them, corresponding to the more
definite capsules of the cursorial Orthoptera.

The details of the process of oviposition and of the escape of the


young from their imprisonment are of much interest. According to
Künckel d'Herculais[223] the young Stauronotus maroccanus
escapes from the capsule by putting into action an ampulla formed
by the membrane between the head and the thorax; this ampulla is
supposed to be dilated by fluid from the body cavity, and is
maintained in the swollen condition by the Insect accumulating air in
the crop beneath it. In order to dislodge the lid of the capsule, six or
seven of the young ones inside combine their efforts to push it off by
means of their ampullae. The ampulla subsequently serves as a sort
of reservoir, by the aid of which the Insect can diminish other parts of
the body, and after emergence from the capsule, penetrate cracks in
the earth so as to reach the surface. Immediately after doing this the
young Stauronotus moults, the skin it casts being called by Künckel
an amnios. The cervical ampulla reappears at subsequent moults,
and enables the Insect to burst its skin and emerge from it.

The process is apparently different in Caloptenus spretus, which,


according to Riley, ruptures the egg-shell and works its way out by
the action of the spines at the apex of the tibiae. This latter Insect
when it emerges moults a pellicle, which Riley considers to be part of
the embryonic membranes.

Riley states that a female of Caloptenus spretus makes several egg-


masses. Its period of ovipositing extends over about 62 days, the
number of egg-masses being four and the total number of eggs
deposited about 100. The French naturalists have recently observed
a similar fact in Algeria, and have ascertained that one of the
migratory locusts—Schistocerca peregrina—may make a deposit of
eggs at more than one of the places it may alight on during its
migration.
It has been ascertained that the eggs of Acridiidae are very nutritious
and afford sustenance to a number of Insects, some of which indeed
appear to find in them their sole means of subsistence. Beetles of
the family Cantharidae frequent the localities where the eggs are laid
and deposit their eggs in the egg-masses of the Orthoptera, which
may thus be entirely devoured. Two-winged flies of the family
Bombyliidae also avail themselves of these eggs for food, and a mite
is said to be very destructive to them in North America. Besides
being thus destroyed in enormous quantities by Insects, they are
eaten by various birds and by some mammals.

Most of the Insects called locusts in popular language are members


of the family Acridiidae, of which there are in different parts of the
world very many species, probably 2000 being already known. To
only a few of these can the term Locust be correctly applied. A locust
is a species of grasshopper that occasionally increases greatly in
number, and that moves about in swarms to seek fresh food. There
are many Orthoptera that occasionally greatly increase in numbers,
and that then extend their usual area more or less; and some
Acridiidae multiply locally to a great extent—very often for one or two
seasons only,—and are then called locusts. The true migratory
locusts are species that have gregarious habits strongly developed,
and that move over considerable distances in swarms. Of these
there are but few species, although we hear of their swarms in many
parts of the world.

The migratory locusts do much more damage than the endemic


species. In countries that are liable to their visitations they have a
great influence on the prosperity of the inhabitants, for they appear
suddenly on a spot in huge swarms, which, in the space of a few
hours, clear off all the vegetable food that can be eaten, leaving no
green thing for beast or man. It is difficult for those who have not
witnessed a serious invasion to realise the magnitude of the event.
Large swarms consist of an almost incalculable number of
individuals. A writer in Nature[224] states that a flight of locusts that
passed over the Red Sea in November 1889 was 2000 square miles
in extent, and he estimated its weight at 42,850 millions of tons, each
locust weighing 1⁄16 of an ounce. A second similar, perhaps even
larger, flight was seen passing in the same direction the next day.
That such an estimate may be no exaggeration is rendered probable
by other testimony. From official accounts of locusts in Cyprus we
find that in 1881,[225] up to the end of October, 1,600,000,000 egg-
cases had been that season collected and destroyed, each case
containing a considerable number of eggs. By the end of the season
the weight of the eggs collected and made away with amounted to
over 1300 tons, and, notwithstanding this, no less than
5,076,000,000 egg-cases were, it is believed, deposited in the island
in 1883.

When we realise the enormous number of individuals of which a


large swarm of locusts may consist we can see that famine is only a
too probable sequence, and that pestilence may follow—as it often
has done—from the decomposition of the bodies of the dead Insects.
This latter result is said to have occurred on some occasions from
locusts flying in a mass into the sea, and their dead bodies being
afterwards washed ashore.

Locust swarms do not visit the districts that are subject to their
invasions every year, but, as a rule, only after intervals of a
considerable number of years. It has been satisfactorily ascertained
that in both Algeria and North America large swarms occur usually
only at considerable intervals. In North America Riley thought[226]
the average period was about eleven years. In Algeria the first
invasion that occurred after the occupation of the country by the
French was in 1845, the second in 1864, the third in 1866, since
which 1874 and 1891 have been years of invasion. These breaks
seem at first strange, for it would be supposed that as locusts have
great powers of increase, when once they were established in any
spot in large numbers, there would be a constant production of
superfluous individuals which would have to migrate as regularly as
is the case with swarms of bees. The irregularity seems to depend
on three facts: viz. that the increase of locusts is kept in check by
parasitic Insects; that the eggs may remain more than one year in
the ground and yet hatch out when a favourable season occurs; and
that the migratory instinct is only effective when great numbers of
superfluous individuals are produced.

It is not known that the parasites have any power of remaining in


abeyance as the locust eggs may do; and the bird destroyers of the
locusts may greatly diminish in numbers during a year when the
Insects are not numerous; so that a disproportion of numbers
between the locusts and their destroyers may arise, and for a time
the locusts may increase rapidly, while the parasites are much
inferior to them in numbers. If there should come a year when very
few of the locusts hatch, then the next year there will be very few
parasites, and if there should then be a large hatching of locusts
from eggs that have remained in abeyance, the parasites will not be
present in sufficient quantity to keep the destructive Insects in check;
consequently the next year the increase in number of the locusts
may be so great as to give rise to a swarm.

It is well established that locusts of the migratory species exist in


countries without giving rise to swarms, or causing any serious
injuries; thus Pachytylus cinerascens—perhaps the most important
of the migratory locusts—is always present in various localities in
Belgium, and does not give rise to swarms. When migration of
locusts does occur it is attended by remarkable manifestations of
instinct. Although several generations may elapse without a
migration, it is believed that the locusts when they migrate do so in
the direction taken by predecessors. Their movements are to a large
extent dependent on the wind, and it is said that they make trial
flights to ascertain its direction. When on the wing probably very little
muscular effort is necessary. Their bodies contain elastic air sacs in
communication with the tracheae, and at the time of flight it may be
presumed that the body is comparatively empty, food being wanting,
and the internal organs of reproduction, which occupy a large space
when in activity, yet undeveloped, hence the sacs have full room for
expansion, as explained on p. 283. Thus the Insects exert but little
effort in their aerial movements, and are, it is believed, chiefly borne
by the wind. Should this become unfavourable it is said that they
alight and wait for a change.

The most obscure point in the natural history of the migratory locusts
appears to be their disappearance from a spot they have invaded. A
swarm will alight on a locality, deposit there a number of eggs, and
then move on. But after a lapse of a season or two there will be few
or none of the species present in the spot invaded. This appears to
be partly due to the young locusts dying for want of food after
hatching; but in other cases they again migrate after growth to the
land of their ancestors. The latter fact is most remarkable, but it has
been ascertained by the U.S. Entomological Commission that these
return swarms do occur.

Fig. 176.—Portions of body of Caloptenus spretus to show some of the


air-sacs. (Modified from Packard.) A, Dorsal aspect of anterior
parts; B, lateral aspect of posterior parts of body; a, enlargements
of tracheae in head; b, pair of large sacs in thorax; c, sacs on the
tracheal trunks of abdomen; s, spiracles.

In South Africa it would appear that the movements of the migratory


locusts are frequently made before the Insects have acquired their
wings. Mrs. Barber, in an account of "Locusts and Locust-Birds in
South Africa,"[227] has illustrated many points in the Natural History
of these Insects. The South African species manifests the gregarious
and migratory disposition when the individuals are quite young, so
that they travel in flocks on foot, and are called by the Dutch
"Voetgangers." After hatching, the various families of young
amalgamate, so that enormous numbers come together. Having
denuded the neighbourhood of all its food-supplies, they move off in
search of fresh crops and pastures new. They take advantage of
roads, and sometimes a good many miles will be traversed in a day;
they proceed by means of short leaps, rapidly repeated. When the
"Voetgangers" are thus returning northwards towards the lands in the
interior from which their progenitors departed, no obstacles can stay
their course. Forests or rivers may intervene, diverting them for a
while from their line of march, but they succeed ultimately in
continuing their journey to the interior.

The manner in which these wingless locusts occasionally cross


broad rivers is interesting, as it has some bearing on the difficult
question of the possibility of winged locusts crossing seas of
considerable width. Mrs. Barber refers to an instance that took place
on the Vaal River in the spring of the year 1871, shortly after the
discovery of the Diamond-fields. The country was at that time
swarming with young locusts; every blade of grass was cleared off
by them. One day a vast swarm of the "Voetgangers" made their
appearance on the banks of the Vaal River; they appeared to be in
search of a spot for crossing, which they could not find, the river
being somewhat swollen. For several days the locusts travelled up
the stream; in the course of doing this they paused for some time at
an abrupt bend in the river where a number of rocks were cropping
out, as if in doubt whether to attempt a passage at this place. They,
however, passed on, as if with the hope of finding a better ford; in
this apparently they were disappointed, for three days afterwards
they returned to the same bend of the river, and there plunged in
vast multitudes into the stream, where, assisted by a favourable
current and the sedges and water-plants which grew upon the
projecting rocks, they managed to effect a crossing, though great
numbers were drowned and carried away by the flooded river. Mrs.
Barber adds that "Voetgangers" have been known to attempt the
passage of the Orange River when it was several hundred yards in
breadth, pouring their vast swarms into the flooded stream
regardless of the consequences, until they became heaped upon
each other in large bodies. As the living mass in the water
accumulated, some portions of it were swept away by the strong
current from the bank to which they were clinging, and as the living
locusts tightly grasped each other and held together, they became
floating islands, the individuals continually hopping and creeping
over each other as they drifted away. Whether any of the locust-
islands succeeded in reaching the opposite bank is unknown;
probably some of them were drifted on land again. They are by no
means rapid swimmers; they do not perish easily in the water when
in masses, their habit of continually changing places and hopping
and creeping round and round upon each other being very
advantageous as a means of preservation. It is a common practice
for the young locusts to form a bridge over a moderately broad
stream by plunging indiscriminately into it and holding on to each
other, grappling like drowning men at sticks or straws, or, in fact,
anything that comes within their reach, and that will assist in floating
them; meanwhile those from behind are eagerly pushing forward
over the bodies of those that are already in the stream and hurrying
on to the front, until at length by this process they reach the opposite
bank of the river; thus a floating mass of living locusts is stretched
across the stream, forming a bridge over which the whole swarm
passes. In this manner few, comparatively speaking, are drowned,
because the same individuals do not remain in the water during the
whole of the time occupied by the swarm in crossing, the Insects
continually changing places with each other; those that are beneath
are endeavouring to reach the surface by climbing over others, whilst
those above them are, in their turn, being forced below. Locusts are
exceedingly tenacious of life, remaining under water for a
considerable time without injury. An apparently drowned locust will
revive beneath the warm rays of the sun, if by chance it reaches the
bank or is cast on shore. Mrs. Barber relates an interesting case
where the instinct of the "Voetgangers" was at fault, they plunging
into a river from a steep sandy bank, only to find another similar
sandy precipice on the other side. On this they could gain no footing,
and all perished in the stream, where they putrefied, and caused the
death of the fish, which floated likewise on the surface; so powerful
were the effluvia produced that no one was able to approach the
river.
Locusts are able to travel considerable distances, though how far is
quite uncertain. Accounts vary as to their moving by night. It has,
however, been recently proved that they do travel at night, but it is
not ascertained how long they can remain in the air without
descending. The ocean is undoubtedly a source of destruction to
many swarms; nevertheless, they traverse seas of considerable
width. They have been known to reach the Balearic Islands, and
Scudder gives[228] a well-authenticated case of the occurrence of a
swarm at sea. On the 2nd of November 1865 a ship on the voyage
from Bordeaux to Boston, when 1200 miles from the nearest land,
was invaded by a swarm of locusts, the air and the sails of the ship
being filled with them for two days. The species proved to be
Acridium (Schistocerca) peregrinum. This is an extraordinary case,
for locusts do not fly with rapidity, being, indeed, as we have
remarked, chiefly carried by the wind. Possibly some species may
occasionally rest on the water at night, proceeding somewhat after
the fashion of the "Voetgangers" when passing over rivers as
described by Mrs. Barber. In Sir Hans Sloane's history of Jamaica an
account of an occurrence of this kind is given on the authority of
Colonel Needham, who states that in 1649 locusts devastated the
island of Tenerife, that they were seen to come from Africa when the
wind was blowing thence, that they flew as far as they could, then
alighted on the water, one on the other, till they made a heap as big
as the greatest ship, and that the next day, being refreshed by the
sun, they took flight again and landed in clouds at Tenerife. De
Saussure says[229] that the great oceans are, as a rule, impassable
barriers, and that not a species of the tribe Oedipodides has passed
from the Old World to the New. It is, however, possible that Acridium
peregrinum, of the tribe Acridiides, may have originally been an
inhabitant of America, and have passed from thence to the Old
World.
Fig. 177.—European migratory locust, Pachytylus cinerascens ♀.

The species of Acridiidae that have been ascertained to be migratory


are not numerous.[230] The most abundant and widely distributed of
them is Pachytylus cinerascens (Fig. 177), which has invaded a
large part of the Eastern hemisphere, extending from the Atlantic
Ocean to China. It exists in numerous spots in the Oriental region
and the Asiatic Archipelago, and even in New Zealand. It is the
commoner of the locusts of Europe. Its congener, P. migratorius, is
much less widely distributed, its migrations being, according to de
Saussure, limited to Turkestan and Eastern Europe. A third species,
P. migratorioides, inhabits Eastern Africa, and a variety of it is the
"Yolala" or locust of Madagascar. Mr. Distant has informed the writer
that this migratory locust is found in South Africa. P. (Oedaleus)
marmoratus has almost as wide a distribution in the Eastern
hemisphere as P. cinerascens, except that it is more exclusively
tropical; it is thus excluded from New Zealand. P. (Oedaleus)
nigrofasciatus has a more northern distribution than its congener, but
has extended to Africa and the Asiatic Archipelago. This Insect is so
variable that the distinctions of its races from other species of the
same genus are not yet clear. All the above-mentioned locusts
belong to the tribe Oedipodides. Acridium peregrinum, now more
frequently called Schistocerca peregrina, belongs to the tribe
Acridiides. It is a large locust (Fig. 84), and has a wide distribution. It
is the chief species in North Africa, and is probably the locust of the
plagues of Egypt mentioned in the book of Exodus. It is also,
according to Cotes,[231] the chief locust of North-West India. In this
latter country Pachytylus cinerascens and some other species also
occur. With the exception of S. peregrina, the species of the genus
Schistocerca are confined to the New World. In North America
locusts are more usually called grasshoppers. Several species of the
genus Caloptenus are injurious in that country, but the chief
migratory species is C. spretus (Fig. 175). This genus belongs to
Acridiides. A large locust, Schistocerca americana, is also migratory
to a small extent in the United States. In South America other
species of Schistocerca are migratory; it is not known how many
there may be, and it is possible that one or more may prove to be the
S. peregrina of the Old World. A Chilian species, according to Mr. E.
C. Reed,[232] exhibits distinctions of colour similar to those that have
been observed in S. peregrina in Algeria.

Fig. 178.—Cephalocoema lineata, female, × ⅔. S. America. (After


Brunner.)

In Britain we are now exempt from the ravages of locusts, though


swarms are said to have visited England in 1693 and 1748.
Individuals of the migratory species are, however, still occasionally
met with in England and the south of Scotland. P. cinerascens has
been recorded from Kerry in Ireland, but erroneously, the Insect
found being Mecostethus grossus (Fig. 173). According to Miss
Ormerod,[233] large locusts are imported to this country in fodder in
considerable numbers, but are usually dead; living individuals are,
however, sometimes found among the others. In 1869 living
specimens of Schistocerca peregrina were found in various parts of
the country, having, in all probability, arrived here by crossing the
German Ocean. Pachytylus cinerascens has also, it is believed,
occurred here, the specimens that have been recorded at different
times under the name of P. migratorius being more probably the
former species.
Although the majority of the very large number of species included in
Acridiidae are recognised with ease from their family likeness as
belonging to the group, yet there are others that present an unusual
aspect. This is specially the case with the members of the small
tribes Tettigides, Proscopides, and Pneumorides, and with some of
the apterous forms of the Oedipodides. The tribe Proscopides (Fig.
178, Cephalocoema lineata, female) includes some of the most
curious of the Acridiidae. Breitenbach gives[234] a brief account of
the habits of certain species which he met with near Porto Alegre in
South America. On a stony hill there was some grass which, by
several months' exposure to the sun's rays, had become withered
and brown. Apparently no live thing was to seen on this hillock
except the ubiquitous ants, but after a while he noticed some
"lightning-like" movements, which he found were due to specimens
of Proscopia. The Insects exactly resemble the withered vegetation
amongst which they sit, and when alarmed seek safety with a
lengthy and most rapid leap. When attention was thus directed to
them he found the Insects were really abundant, and was often able
to secure fifty specimens on a single afternoon. These Insects bear a
great general resemblance to the Phasmides, but there is no
evidence at present to show that the two kinds of Insects live in
company, as is the case with so many of the Insects that resemble
one another in appearance. Although the linear form and the
elongation of the body are common to the stick-Insects and the
Proscopides, yet this structure is due to the growth of different parts
in the two families. In the Phasmidae the prothorax is small, the
mesothorax elongate, while in the Proscopides the reverse is the
case. The elongation of the head is very curious in these Insects; the
mouth is not thus brought any nearer to the front, but is placed on
the under side of the head, quite close to the thorax. The tribe
Tryxalides contains Insects (Fig. 165) that approach the Proscopides
in the form of the head and other characters. In most cases the
sexes of the Proscopides differ from one another so strongly that it is
difficult to recognise them as being of the same species. Usually
both sexes are entirely apterous, but the Chilian genus Astroma
exhibits a remarkable exception and an almost unique condition of
the alar organs, the mesonotum being in each sex entirely destitute
of such appendages, while the female has on the metanotum
rudiments of wings which are absent in the male.

Fig. 179.—Tettix bipunctatus. Britain. A, The Insect magnified; B, part


of the middle of the body; a, prolongation of pronotum; b, tegmen;
c, wing.

The tribe Tettigides is a very extensive group of small Acridiidae, in


which the pronotum extends backwards as a hood and covers the
body, the tegmina and wings being more or less modified. In our
British species (Fig. 179) this condition does not greatly modify the
appearance of the Insect, but in many exotic species (Fig. 180) the
hood assumes remarkable developments, so that the Insects have
no longer the appearance of Orthoptera. It would be impossible,
without the aid of many figures, to give an idea of the variety of forms
assumed by this prothoracic expansion. It is a repetition of what
occurs in the Order Hemiptera, where the prothoracic hoods of the
Membracides exhibit a similar, though even more extraordinary,
series of monstrous forms. So great is the general similarity of the
two groups that when the genus Xerophyllum (Fig. 180, A) was for
the first time described, it was treated by the describer as being a
bug instead of a grasshopper. This genus includes several species
from Africa. The curious Cladonotus (Fig. 180, B) is a native of
Ceylon, where it is said to live in sandy meadows, after the fashion
of our indigenous species of Tettix (Fig. 179). Very little is known as
to the habits of these curious Tettigides, but it has been ascertained
that some of the genus Scelimena are amphibious, and do not
hesitate to enter the water and swim about there; indeed it is said
that they prefer plants growing under water as food. This habit has
been observed both in Ceylon and the Himalayas. The species are
said to have the hind legs provided with dilated foliaceous
appendages useful for swimming.
Fig. 180.—Tettigides: A, Xerophyllum simile Fairm.; B, Cladonotus
humbertianus. (After Bolivar.)

Fig. 181.—A, Mastax (Erianthus) guttatus, male. Sumatra. (After


Westwood.) B, profile; C, front of head.

The tribe Mastacides includes thirty or forty species of Acridiidae


with short antennae and vertical head (Fig. 181, Mastax guttatus);
they are apparently all rare and little known, but are widely
distributed in the tropics of the Old and New Worlds. Nothing
whatever seems to be known of their habits or of their development.

The tribe Pneumorides includes a still smaller number of species of


very aberrant and remarkable grasshoppers, of large size, with short
antennae, and with the pronotum prolonged and hood-like; they are
peculiar to South Africa. Although amongst the most remarkable of
Insects, we are not able to give any information as to their habits. It
would appear from the form of their legs that they have but little
power of hopping. The species of which we figure the female (Fig.
182) is very remarkable from the difference in colour of the sexes.
The female is so extravagantly coloured that she has been said to
look as if "got up" for a fancy-dress ball. She is of a gay green, with
pearly white marks, each of which is surrounded by an edging of
magenta; the white marks are very numerous, especially on the
parts of the body not shown in our figure; the face has magenta
patches and a large number of tiny pearly-white tubercles, each of
which, when placed on a green part, is surrounded by a little ring of
mauve colour. Though the female is certainly one of the most
remarkably coloured of Insects, her consort is of a modest, almost
unadorned green colour, and is considerably different in form. He is,
however, provided with a musical apparatus, which it is possible may
be a means of pleasing his gorgeous but dumb spouse. It consists of
a series of ridges placed on each side of the inflated abdomen,
which, as we have previously (p. 200) remarked, has every
appearance of being inflated with the result of improving its
resonance.

Fig. 182.—Pneumora scutellaris, female. South Africa.

The Pyrgomorphides[235] is a small tribe of about 120 described


species, two of which are found in the south of Europe (Fig. 183,
Pyrgomorpha grylloides). The tribe includes a number of large and
curious Insects, among them the species of Phymateus and Petasia,
with peculiar excrescences on the pronotum and vivid colours on
some parts of the body or its appendages, which are apparently
common Insects in South Africa.

The tribe Tryxalides includes a great many species of grasshoppers.


In them the front of the head joins the upper part at an acute angle
(Figs. 165 and 173). This tribe and the Acridiides are the most
numerous in species of the family. To the latter belong most of the
migratory locusts of the New World (Fig. 175, Caloptenus spretus). A
Spanish species of this tribe, Euprepocnemis plorans, though
provided with well-developed wings, possesses the remarkable habit
of seeking shelter by jumping into the water and attaching itself
below the surface to the stems of plants.

Fig. 183.—Pyrgomorpha grylloides. South Europe. (After Fischer.)

Fig. 184.—Xiphocera (Hoplolopha) asina. S. Africa. (After de


Saussure.)

The tribe Pamphagides[236] includes some 200 species, found


chiefly in Africa and the arid regions near the Mediterranean Sea.
They are mostly apterous forms, and this circumstance has,
according to de Saussure, exercised a marked influence on the
geographical distribution of the species. Although the tribe consists
chiefly of apterous forms, several species possess well-developed
wings; sometimes this is the case of the male but not of the female.
Some of the species are highly modified for a desert life, and exhibit
a great variation in the colour of the individuals in conformity with the
tint of the soil they inhabit. Xiphocera asina (Fig. 184) is thought by
Péringuey to be the prey of the extraordinary South African tiger-
beetles of the genus Manticora.

We have already mentioned the tribe Oedipodides[237] as including


most of the species of migratory locusts of the Old World. Some
striking cases of variation in colour occur amongst the winged
Oedipodides. In certain species the hind wings may be either blue or
rosaceous in colour; it is thought that the latter is the tint natural in
the species, and that it is due to the mixture of a red pigment with the
pale blue colour of the wing; hence the blue-coloured wings are
analogous to cases of albinism. But the most remarkable fact is that
this colour difference is correlative with locality. Brunner von
Wattenwyl says[238] that the blue variety of Oe. variabilis occurs only
in a few localities in Europe—he mentions Vienna and Sarepta,—
and that where it occurs not a single red example can be met with.
Similar phenomena occur in other species in both Europe and North
America, and L. Bruner has suggested[239] that the phenomena in
the latter country are correlative with climatic conditions.

The group Eremobiens, a subdivision of Oedipodides, includes some


of the most interesting forms of Acridiidae. Its members have several
modes of stridulation. Cuculligera flexuosa and other of the winged
forms, according to Pantel,[240] produce sounds by the friction of the
middle tibia against the wing, both of these parts being specially
modified for the purpose in the male sex. The most peculiar
members of the Eremobiens are some very large Insects, modified
to an extraordinary extent for a sedentary life in deserts and arid
places. Trimen says[241] that a South African species, Trachypetra
bufo, which lives amongst stones, is so coloured that he had much
difficulty in detecting it, and that he noticed in certain spots, often
only a few square yards in extent, where the stones lying on the
ground were darker, lighter, or more mottled than usual, that the
individuals of the grasshopper were of a similar colour to the stones.
Fig. 185.—Methone anderssoni, female. S. Africa. a, Front of head; b,
posterior leg; c, d, front and hind feet. (c and d magnified, the
others natural size.)

The Insect referred to by Trimen is, we believe, the Batrachotettix


whiti of de Saussure. In this species the alar organs are completely
absent, and the pronotum forms a sort of hood that protects the base
of the hind body. Some of the desert Eremobiens vary so much that
the differences found among individuals of the same species are
said by Brunner and de Saussure to be so great as to affect even the
generic characters, and give rise to the idea of an "uncompleted
species-formation."

Fig. 186.—Portions of middle of the body and hind leg of Methone


anderssoni ♂ : a, femur; b, an inferior fold; c, rattling-plate; d,
striated surface; e, the adjoining sculpture; f, grooved portion of
tegmen. The part e is really, like d, a portion of the second
abdominal segment, not of the third, as might be supposed from
the figure.

Methone anderssoni, an inhabitant of the Karoo Desert of South


Africa, is one of the largest of the Acridiidae. A female of this species
is represented of the natural size in Fig. 185. This Insect is
remarkable on account of the complex organs for producing sound,
and for the great modification of the posterior legs (Fig. 185, b),
which do not possess locomotive functions, but serve as a portion of
the sound-producing apparatus, and as organs for protecting the
sides of the body. This Insect is said to be very efficient in making a
noise. The sexes differ considerably in their sound-producing
organs, a portion of which are present in the female as well as in the
male (Fig. 186). Connected with the first abdominal segment, but
extending backwards on the second, there is a peculiar swelling
bearing two or three strongly raised chitinous folds (Fig. 186, c).
When the leg is rotated these folds are struck by some peg-like
projections situate on the inner face of the base of the femur, and a
considerable noise is thus produced. The pegs cannot be seen in
our figure. This apparatus is equally well developed in female and
male. On the second abdominal segment, immediately behind the
creaking folds we have described, there is a prominent area, densely
and finely striated (Fig. 186, d): this is rubbed by some fine asperities
on the inner part of the femur near its base. Sound is produced by
this friction on the striated surface, the sculpture of which is abruptly
contrasted with that of the contiguous parts: these structures seem
to be somewhat better developed in the male than they are in the
female, and to be phonetic, at any rate in the former sex. The male
has the rudimentary tegmina (Fig. 186, f) much longer than they are
in the female (Fig. 185), and their prolonged part is deeply grooved,
so as to give rise to strong ridges, over which plays the edge of the
denticulate and serrate femur. There is nothing to correspond to this
in the female, and friction over the surface of this part of the male
produces a different and louder sound. There can be little doubt that
this is a phonetic structure peculiar to the male. It approximates in
situation to the sound-producing apparatus of the males of the
Stenobothri and other Acridiidae. Methone anderssoni has large

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