Apories Et Origines de La Théorie Spinoziste de L'idée Adéquate

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Philosophique

1 | 1998
Spinoza

Apories et origines de la théorie


spinoziste de l’idée adéquate
J -L M
p. 207-239
https://doi.org/10.4000/philosophique.278

Résumé
La raison pour laquelle il y a inadéquation de notre connaissance à la nature des corps extérieurs,
mais aussi à celle de notre corps propre ainsi qu'à celle notre esprit, et donc à la nature de notre
ego, c'est que nous sommes des êtres finis. Pour Descartes comme pour Spinoza la finitude de
notre entendement rend impossible l'adéquation de la connaissance. À la connaissance adéquate,
Descartes substitue la connaissance complète : certaine, mais non-absolue, vérifiée, mais
seulement provisoire. La mise au jour de cette première origine cartésienne de la théorie
spinoziste de l'idée adéquate conduit l'auteur à l'hypothèse suivante : cette théorie accomplirait
au sein de la métaphysique rationnelle développée dans l'Éthique la doctrine de la révélation et
de la grâce présente dans la pensée théologique chrétienne. Dès lors il met en évidence la
correspondance entre la vision béatifique suarézienne et la connaissance adéquate spinozienne,
la première anticipant historiquement la seconde, à cette différence près que pour Thomas
d'Aquin comme pour Suarez, « c'est la vision béatifique qui commande la connaissance », alors
que c'est l'inverse pour Spinoza. Pour l'auteur, c'est le refus de toute création qui a conduit
Spinoza à retrouver le modèle théologique de la vision béatifique comme moyen d'accès à la
connaissance adéquates des choses et de Dieu.

Entrées d’index
Mots-clés : connaissance adéquate, Suarez Francisco, Descartes, théologie chrétienne,
béatitude

Notes de l’auteur
Cette étude a bénéficié de maintes remarques de J.M. Beyssade. Qu’il trouve ici l’expression de
ma gratitude.
Une première version de ce texte a été publiée sous le titre « Aporias and the Origins of Spinoza’s
Theory on adequate idea », par Y. Yovel (éd.), Spinoza by 2000. The Jerusalem Conferences,
vol. II, Spinoza on knowledge and the Human Mind, Leiden, 1994.

Texte intégral
I. La construction de l’inadéquation
1 Au plus intime, à l’articulation entre le corps et l’esprit, gît l’inadéquation : c’est dans
son corps que chaque mode pensant éprouve l’inadéquation de son idée des modes à
ces mêmes modes étendus, qu’il nomme pourtant son corps : « Mens humana partium
corpus humanum componentium adaequatam cognitionem non involvit » (Ethica II,
§ 24). En effet les affections de mon corps par des corps, en nombre indéfini, renvoient
toutes, selon les lois de la communication des mouvements, à d’autres modes,
extérieurs à ce corps. Certes, en Dieu, l’idée de mon corps implique, dans une seule
déduction infinie, l’idée de tout autre mode de l’étendue agissant sur mon corps ; ainsi
une alia et prior idée d’une chose singulière précède-t-elle, en Dieu, l’idée de moi-
même, c’est-à-dire de mon corps. Si donc Dieu peut avoir l’idée (évidemment adéquate)
de mon corps, c’est parce que, loin d’en avoir l’idée que j’en ai, il en a l’idée que je n’en
ai pas ; la connaissance des parties qui composent mon corps (et des modes qui
l’affectent) ne se trouve en Dieu que « quatenus plurimis rerum ideis affectus est, et
non quatenus Corporis humani tantum habet ideam » (II, § 24, dem.). Dieu a l’idée de
mon corps, parce qu’il n’a pas seulement cette idée, donc parce qu’il n’a pas l’idée de
mon âme ; puisque moi, n’étant que mon âme, je n’ai l’idée que de mon corps (II, §§ 13,
19, 21 et 23), je n’ai donc pas la connaissance adéquate de mon propre corps. Le
paradoxe foncier s’énonce ainsi : puisque l’esprit n’est et n’a que l’idée de son corps, il
n’en a pas l’idée adéquate ; Dieu, dont l’entendement infini pense une infinité d’autres
corps et ne se réduit donc pas à l’idée de mon corps, a seul l’idée adéquate de ce corps,
pourtant mien. Mon esprit ne connaît pas adéquatement son corps propre, précisément
parce qu’il n’a que cette idée.
2 Déclinons ce paradoxe. « Idea cujuscunque affectionis Corporis humani
adaequatam corporis externi cognitionem non involvit » (II, § 25). Certes, l’idée d’un
effet subi par le corps propre n’englobe pas la connaissance adéquate de la cause de cet
effet, puisqu’elle représente un corps extérieur à ce corps propre ; car si l’idée de
l’affection subie par le corps A englobe l’idée du corps B l’affectant, ce corps B reste
externe, autre, « prior natura » (§ 25, dem.), donc inconnu à l’idée du corps A (mon
esprit). Dieu ne connaît le corps affectant B que par « alterius rei idea » – par l’idée
d’un autre corps que le corps A, le mien ; or « Mens humana nullum corpus externum
ut actu existens percipit, nisi per ideas affectionum sui Corporis » (§ 26) ; donc mon
esprit ne peut accéder à l’idée d’un autre corps, même et surtout affectant le mien,
sinon par l’idée du mien et de ses affections, c’est-à-dire indirectement, donc
incorrectement. Ici se déploie à plein la conséquence du principe posé auparavant, que
« … ideas quas corporum externorum habemus, magis nostri corpori constitutionem
quam corporum externorum naturam indicant » (§ 16, cor. 2) ; lorsque Paul éprouve
l’idée de Pierre, il connaît plus la constitution de son propre corps que la nature de
Pierre (17, sc.). Même si je connais l’autre et échappe ainsi à un strict solipsisme, les
conditions de ma connaissance affectent tant son objet, qu’en lui je me reconnais plus
moi-même que je n’y connais l’autre : par conséquent, il s’accomplit de fait un quasi-
solipsisme, qui résulte d’ailleurs de la doctrine générale de la perception par
imagination : connaître par les sens, c’est pâtir plus que l’on ne connaît 1 : « Quatenus
Mens humana corpus externum imaginatur, eatenus ejus cognitionem non habet »
(§ 26, cor.). Il conviendrait, en une autre occasion, de méditer le choix ici fait par
Spinoza de ne jamais envisager la mens que in se sola considerata (§ 28, sc.), c’est-à-
dire de contredire de face la définition que toute la tradition avait reprise d’Aristote :
l’esprit humain a en propre d’« être en quelque manière tous les étants ἡ ψνχὴ τὰ
ὄντα πώς ᾿εστι πάντα ; Descartes lui-même s’en était souvenu, lorsqu’il inaugurait les
Regulae en affirmant que « scientiae omnes nihil aliud sint quam humana sapientia,
quae semper una et eadem manet quantumvis differentibus subjectis applicata » 2. Au
contraire de la connaissance intentionnelle, qui est toujours conscience de quelque
chose, c’est-à-dire d’autre chose que d’elle-même, la mens spinoziste n’est conscience
de rien d’autre que d’elle-même. Mais c’est encore trop dire, puisqu’elle n’a conscience
d’elle-même que par l’idée de son corps, ou plutôt des affections de son corps : « Mens
se ipsam non cognoscit, nisi quatenus corporis affectionum ideas percipit » (§ 23) ; or
elle ne les connaît pas adéquatement, car « Ideae affectionum Corporis humani,
quatenus ad humanam Mentem tantum referuntur, non sunt clarae et distinctae, sed
confusae » (§ 28) ; elle n’a donc la connaissance adéquate ni de son corps, ni d’elle-
même : « … Mentem humanam […] nec sui ipsius, nec sui Corporis, nec corporum
externorum adaequatam, sed confusam tantum et mutilatam habere cognitionam »
(§ 29, cor.). La connaissance par idée inadéquate, stigmatisée d’abord à propos de la
connaissance (imaginative) des corps extérieurs, reflue sans frein sur tout le champ
épistémique, jusqu’à envahir la connaissance du corps propre mais surtout jusqu’à
disqualifier l’indubitable par excellence : la connaissance censément rationnelle de soi
par soi, l’« ego sum, ego existo » cartésien.
3 Il faut donc revenir à Descartes, pour déterminer s’il affrontait, lui aussi,
l’inadéquation de l’idée.

II. Les conditions de la connaissance


adéquate : Spinoza en accord avec
Descartes
4 L’interrogation sur la possibilité d’une connaissance adéquate de soi et du corps
surgit d’abord, en effet, chez Descartes. Plus exactement à l’occasion d’une objection
adressée à Descartes par Arnauld – comme toujours fort pertinent : comment l’ego, qui
se découvre exister en tant que res cogitans, peut-il, dès la Meditatio II, prétendre se
distinguer réellement de la res extensa et exister sans recourir à elle 3 ? Car « quod de
corpore dubitem, vel corpus esse negem, non efficitur nullum esse corpus » (AT VII,
198, 20-23). Certes, Descartes établit les modalités d’équivalence entre la distinction de
raison et la distinction réelle en s’appuyant, le doute hyperbolique une fois levé, sur la
correspondance entre l’ego « capax percipiendi » et Dieu est « capax efficiendi » (71,
13-20) 4. Mais précisément il ne l’établit qu’après avoir levé le doute hyperbolique, et ne
pouvait ainsi s’en targuer dès la Meditatio II. Et, même dans la Meditatio VI, pour
affirmer absolument que « certum est me a corpore meo revera esse distinctum, et
absque illo posse existere » (78, 19-20), il aurait fallu d’abord élaborer une théorie
explicite des distinctions, qui manque.
5 Or, c’est précisément là où Descartes a esquissé cette théorie, qu’il a laissé paraître
une grave aporie. En effet – remarque subtilement Arnauld – dans la réponse à Caterus
qui s’inquiétait déjà de la distinction réelle entre res cogitans et res extensa, Descartes
avait opposé la distinction formelle (et aussi la distinction modale), qui se fait « per
abstractionem intellectus rem inadaequate concipientis » et ne peut dégager que des
entia incompleta 5, à la distinction réelle, qui aboutit à des termes compris complete,
bref à une res completa (120, 28 = 121, 7 ; 120, 10). Mais, demande Arnauld, puisque la
connaissance complète équivaut à la connaissance adéquate 6, cette complétude
n’exige-t-elle pas une cognitio adaequata rei (200, 6) et n’exclut-elle pas toute
inadaequatam tantum <sui> conceptionem (200, 21) ? Or jamais Descartes n’a produit
cette connaissance adéquate de soi, requise pourtant par sa propre définition de la
distinction réelle ; de ce que l’ego puisse constater son existence à part de la
connaissance du corps, il s’ensuit bien aliqua <sui> notitia, mais telle que « … notitiam
illam esse completam et adaequatam (…) mihi nondum plane perspicuum est » (201,
19 et 20-23). Et de fait, plusieurs arguments sérieux surgissent contre la possibilité
d’une telle adéquation 7. Ainsi Arnauld anticipe-t-il, du moins approximativement, sur
l’argumentation que Spinoza opposera à Descartes : la res cogitans n’a pas de
connaissance adéquate de soi, parce qu’elle n’en a pas de sa distinction réelle d’avec son
corps ; cette distinction fait à son tour défaut parce que manque l’idée adéquate de son
corps propre.
6 Comment peut répondre Descartes ? Va-t-il revendiquer, en réfutant l’objection
d’Arnauld, une connaissance adéquate de soi et de son corps ? L’analyse de cette
réponse offre un double intérêt : définir la doctrine de Descartes, mais surtout dégager
l’horizon dans lequel va se déployer la thèse de Spinoza sur le même point. Par
anticipation, résumons la thèse cartésienne : la connaissance vraie n’exige pas
l’adéquation, mais consiste en la complétude ; la res cogitans de la Meditatio II n’a pas
manqué l’adéquation, justement parce qu’elle ne la visait pas ; elle ne la visait pas, parce
qu’elle n’en avait nul besoin pour se connaître en vérité ; bien plus, la connaissance
vraie recherche la finitude d’une non-adéquation réglée et formalisée, qui n’équivaut en
rien à l’inadéquation.
7 Plus précisément, Descartes argumente ainsi : la question n’est pas de savoir si la
conséquence vaut de la connaissance claire et distincte à la réalité (revera) – car elle
vaut indiscutablement en régime d’évidence garantie par Dieu, mais de déterminer à
quelles conditions la connaissance elle-même est vraie 8. Or, dans le cas de la res
cogitans, il suffit (sufficit) 9 qu’elle subsiste seule, pour être une substance réellement
distincte, puisque subsister définit la substance 10. Cette suffisance la définit comme
une res completa 11 ; il n’est donc pas requis, pour atteindre une substance comme une
chose complète, de parvenir à l’adéquation de la connaissance : « Neque enim existimo
adaequatam rei cognitionem hîc requiri » 12. Afin de comprendre comment la
connaissance adéquate pourrait n’être pas requise, marquons d’abord l’écart entre la
complétude et l’adéquation. Pour qu’une connaissance soit adéquate, il faut d’abord,
selon Descartes, que « … in ea con ineri omnes omnino proprietates quae sunt in re
cognita » (220, 8-10) ; s’il ne s’agissait pas d’« égaler » (adaequare) par la
connaissance la réalité de la chose, sans nul doute l’esprit humain parviendrait-il à la
connaissance adéquate : « Ad hoc enim ut habeat <sc – l’esprit humain> adaequatam
alicujus rei cognitionem, requiritur tantum ut vis cognoscendi quae in ipso est
adaequet istam rem ; quod facile fieri potest » (220, 14-17). Mais la « facilité » à
« égaler la chose » ne définit pas entièrement l’adéquation ; celle-ci exige, en sus, la
conscience réflexive de cette première adéquation : pour savoir adéquatement, il faut
encore, une fois la réalité de la chose égalée par la science, connaître adéquatement
cette adéquation. Or seul Dieu parvient à une telle adéquation de second degré : « …
solus est Deus, qui novit se habere cognitiones rerum omnium adaequatas » (220, 10-
11). L’entendement créé, s’il peut « facilement » égaler une ou plusieurs choses 13, ne
peut pourtant jamais le savoir réflexivement, parce qu’il faudrait, pour y parvenir,
savoir que « Deum nihil amplius potuisse in illa re, quam id quod cognoscit, (…) ut sua
vi cognoscendi adaequet infinitam Dei postestatem, quod fieri plane repugnat » (220,
17-21). En un mot, la connaissance adéquate exige non seulement d’égaler l’essence de
la chose, mais surtout d’égaler la puissance divine qui l’institue ; or, comme entre
l’« immensa potentia » divine et l’esprit humain intervient la distance de l’infini au
fini 14, il faut conclure que « … solus est Deus qui novit se habere cognitiones rerum
omnium adaequatas » (220, 10-11), et que « intellectus autem creatus (…) numquam
tamen potest scire se habere <sc. cognitiones adaequatas rerum>, nisi peculiariter
ipsi Deus revelet » (220, 12-14) 15. D’où une claire alternative : d’une part, l’esprit
humain reste borné à sa puissance de connaître propre et ne parvient pas à la
connaissance vraiment adéquate ; d’autre part, la connaissance adéquate n’est possible
qu’en Dieu ou par assimilation au point de vue divin.
8 Cette alternative cartésienne se retrouve approximativement dans la détermination,
par Ethica II, des conditions de la connaissance adéquate. Ainsi Spinoza distingue-t-il
bien, d’une part, la connaissance humaine (finie) qui reste par définition inadéquate :
« Dico expresse, quod Mens nec sui ipsius, nec sui Corporis, nec corporum externorum
adaequatam, sed confusam tantum cognitionem habeat, quoties ex communi Naturae
ordine res percipit » (§ 29, sc.) ; sans doute l’ordre commun de la Nature spinoziste,
fait de rencontres fortuites, ne correspond-il pas exactement à l’ordre cartésien des
pensées, fait de séries méthodiques ; ces deux ordres se rejoignent pourtant sur le point
essentiel : il s’agit toujours et seulement de l’esprit fini et de sa connaissance. Spinoza y
oppose d’autre part « omnes ideae, quatenus ad Deum referuntur, verae sunt » (§ 32) ;
c’est-à-dire qu’ici aussi la connaissance adéquate revient à Dieu seul, en quelque sens
que l’on entende Dieu. Ainsi Spinoza reprend-il pour l’essentiel l’alternative construite
par Descartes et aboutit-il à la même conclusion : entre la finitude de l’entendement
humain et l’adéquation de la connaissance, il faut choisir.
III. La connaissance finie ou la
connaissance adéquate : Spinoza et
Descartes en désaccord
9 Spinoza et Descartes s’accordent sur les termes de la question ; ils peuvent donc
d’autant mieux s’opposer sur la solution qu’ils lui apportent.
10 Descartes, constatant l’impossibilité de fait d’une connaissance adéquate pour
l’« intellectus creatus » (220, 12), en conclut qu’elle n’est pas requise (« … non
requiritur… », 220, 26). Il lui substitue donc, en conformité avec la finitude ainsi
admise, la connaissance seulement complète, qui se réduit à avoir la « cognitionem,
quam nos ipsi per abstractionem intellectus non redderemus inadaequatam » (221, 4-
5). Car si nous ne pouvons jamais , en régime de finitude, nous assurer de l’adéquation
de notre connaissance d’une chose (par connaissance adéquate de la puissance créatrice
de Dieu concernant cette même chose), si donc la connaissance plane adaequata (221,
6) reste impossible, il demeure licite de viser une connaissance « … eousque
adaequatam, ut a nobis per abstractionem intellectus, inadaequatam non reddi
percipiamus » (221, 9-10). En effet, si la vérification de l’adéquation outrepasse notre
compréhension finie, la non-inadéquation peut s’y valider ; il suffit que, lorsque nous
développons les implications d’une notion, nous n’aboutissions pas à des contradictions
ou des imprécisions – qui constituent autant d’indices que le concept reste inadéquat à
ce qu’il s’agit de concevoir.
11 Dans une lettre à Gibieuf de 1642, Descartes expliquera nettement sa doctrine.
« Pour savoir si mon idée n’est point rendue non complète ou inadaquata, par quelque
abstraction de mon esprit, j’examine seulement si je ne l’ai point tirée (…) de quelque
autre idée plus ample ou plus complète que j’ai en moi » 16. Deux cas se présentent ici.
(1) Ou bien l’abstraction sépare une idée d’une autre, dont, en réalité, elle ne peut se
séparer ; ainsi considérer l’idée de figure à part de celle de substance ou d’étendue
relève de l’abstraction, parce qu’en réalité la nature simple de figure présuppose les
natures simples de l’étendue et de la substantialité (ou existence) ; alors l’idée de figure
se révèlera, dans l’usage théorique, inadéquate puisqu’incapable de rendre compte des
attributs qu’elle implique pourtant ; sa séparation n’était qu’abstraction ; elle sera
provisoire ou bien fausse par incomplétude. (2) Ou bien une idée peut se séparer d’une
autre et, dans cette distinction même, rendre compte de toutes ses implications ; ainsi
« … l’idée d’une substance étendue et figurée est complète, à cause que je puis la
concevoir toute seule, et nier d’elles toutes les autres choses dont j’ai les idées » ; de
même aussi « … l’idée que j’ai d’une substance qui pense, est complète en cette
façon » 17. L’idée s’avère complète, non par une adéquation de principe fondée en Dieu,
mais à l’usage et sous le contrôle permanent des procédures de falsification, qui, dans le
meilleur des cas, assurent qu’elle n’est pas encore inadéquate. Admettant la finitude de
l’entendement humain, renonçant à l’adéquation réservée à un entendement infini,
Descartes dispense la rationalité finie de l’exigence de se faire adéquate à la puissance
de Dieu ou bien à l’entendement infini ; la finitude, en sa reconnaissance bornée, peut
donc se déployer sans référence à la science absolue, mais par auto-vérification et auto-
validation. Descartes atteint ou du moins esquisse, avec le paradigme de la notion
complète, la détermination très moderne de la vérité scientifique : certaine, bien que
non-absolue, vérifiée parce que provisoire.
12 Spinoza, constatant lui aussi l’impossibilité de fait d’une connaissance adéquate pour
un « esprit humain » fini, en infère au contraire que l’entendement fini doit, par des
procédures encore à conquérir, se rendre adéquat à l’entendement infini, afin de
parvenir, en lui, à une connaissance adéquate des choses. Cette démarche repose sur un
postulat ininterrogé : la connaissance ne saurait être que fausse ou bien adéquate ; à
aucun moment Spinoza ne semble soupçonner la fécondité théorique de la position
médiane génialement introduite par Descartes. Surtout la thèse choisie par Spinoza
exige, au contraire de celle de Descartes, un grand arroi conceptuel ; il s’agit en effet
d’établir non pas une, mais deux adéquations. La première, entre les idées et leurs
idéats en implique une seconde, entre l’« esprit humain » et Dieu. La § 32 – « Omnes
ideae, quatenus ad Deum referuntur, verae sunt » – fonde déjà la vérité des idées sur
leur report en Dieu ; mais ce report suppose nécessairement un accès de l’esprit fini à
Dieu, c’est-à-dire sa connaissance adéquate ; d’où l’extraordinaire audace de la § 47 :
« Mens humana adaequatam habet cognitionem aeternae et infinitae essentiae Dei ».
Bref, pour assurer l’adéquation épistémologique, Spinoza doit atteindre, par la parfaite
univocité, à une adéquation théologique.

IV. La conquête et l’aporie de


l’adéquation
13 L’établissement de la possibilité de l’adéquation comporte deux étapes : celle d’abord
de l’adéquation proprement épistémologique, concernant toutes les idées de l’esprit
humain fini ; celle ensuite de l’adéquation théologique, permettant une connaissance
univoque de l’essence de Dieu. Il faut examiner si Spinoza parvient à les conquérir.
14 « Omnes ideae, quatenus ad Deum referuntur, verae sunt » (§ 32). La
démonstration explicite établit qu’en Dieu les idées correspondent à leurs idéats
respectifs (en vertu du « parallélisme » énoncé à la § 7) et que cette correspondance en
établit la vérité (suivant la définition de la vérité fixée par l’axiome 6 de Ethica I). Outre
qu’elle préfère curieusement la définition extrinsèque de la vérité à sa définition
intrinsèque que Spinoza s’était pourtant efforcé de privilégier 18, cette démonstration
passe sous silence la difficulté essentielle : il ne s’agit pas de prouver que les « ideae,
quae in Deo sunt » sont vraies, donc aussi adéquates, puisque nul n’en doute
raisonnablement ; car la question porte sur un tout autre point : peut-on tenir les idées
« in Deo » pour identiques aux idées « in nobis » 19 ? Ou encore : si la vérité résulte de
la référence à Dieu des idées, est-il seulement possible de référer les idées d’une mens
humana, bref nos idées d’entendement fini, à Dieu ? Inversement, si « … nullae
<ideae> adaequatae nec confusae sunt, nisi quatenus ad singularem alicujus mentem
referuntur » (§ 36, dém.), est-il seulement pensable qu’une référence nouvelle à Dieu
vienne simplement relever la référence à l’esprit humain ? Les mêmes idées peuvent-
elles d’ailleurs ainsi changer de référence, sans changer de nature ? En tout cas,
l’indétermination de la formule « in Mente » (§§ 39 et 49) ne suffit ni à expliquer ni à
justifier la référence de l’esprit fini à l’entendement infini 20. Afin de lever cette
ambiguïté, on peut recourir à l’argument qui appuie la § 34 : pour démonter que l’idée
adéquate « in nobis » est aussi vraie (ce qui ne réclame d’ailleurs aucune
démonstration), Spinoza précise ce que signifierait la donation « in nobis » d’une idée
adéquate : cela équivaudrait à ce qu’une idée adéquate et parfaite soit donnée « in Deo,
quatenus nostrae Mentis essentiam constituit ». Mais justement, Dieu, limité à
constituer l’essence de notre seul esprit, peut-il avoir la moindre idée adéquate,
puisque, limité à lui-même, cet esprit n’en atteint aucune (voir § 1) ? Il suffit de se
reporter au corollaire de la § 11 pour répondre négativement : dire que la Mens humana
perçoive tel ou tel objet revient à dire que Dieu « non quatenus est infinitus, sed
quatenus per naturam humanae Mentis explicatur », a telle ou telle idée ; par
conséquent, Dieu limité à la finitude de la Mens humana, ne peut concevoir
adéquatement la moindre idée, puisque celle-ci en implique précisément plusieurs
autres ; mais si Dieu, pour convevoir adéquatement une idée, s’entend comme infini,
alors la Mens humana, réduite à elle-même ne pourra à nouveau l’entendre
qu’inadéquatement : « … cum dicimus Deum hanc vel illam ideam habere, non tantum
quatenus naturam humanae Mentis constituit, sed quatenus simul cum Mente
humana alterius rei etiam habet ideam, tum dicimus Mentem humanam rem ex parte,
sive inadaequate percipere » (§ 11, cor.). Ainsi se creuse un écart entre Dieu en tant que
constituant la Mens humana et Dieu en tant qu’infini, qui se borne à reproduire, sous
un autre nom, l’écart entre l’entendement fini et l’entendement divin, qu’avait reconnu
Descartes 21. En quoi le déplacement de l’abîme du fini à l’infini en Dieu même plutôt
qu’entre l’entendement humain et l’entendement infini permet-il de le franchir ?
Spinoza, en juxtaposant deux acceptions (quatenus) de Dieu, n’explique pas plus que
l’idée passe de l’une à l’autre, qu’il ne justifiait que l’idée, adéquate in Deo, le soit aussi
in nobis, ni que la référence de nos idées à Dieu soit simplement possible, c’est-à-dire
pensable. Bref, l’impossibilité de l’adéquation demeure chez Spinoza comme chez
Descartes. Une seule différence les oppose : Descartes reconnaît l’impossibilité que
Spinoza se borne à masquer. Nous concluons que l’adéquation épistémologique,
affirmée et revendiquée, reste en fait inaccessible à la Mens humana.
15 Qu’en est-il de l’adéquation théologique ? « Mens humana adaequatam habet
cognitionem aeternae et infinitae essentiae Dei » (§ 47). La stupéfiante audace de cet
énoncé mérite qu’on examine soigneusement sa démonstration. Celle-ci compte trois
moments, que grèvent au moins autant de faiblesses logiques. (1) « Mens humana ideas
habet (per § 22) ex quibus (per § 23)… » : certes, l’esprit humain a bien des idées
donnant quelque accès à d’autres choses ; cependant d’après ces mêmes §§ 22-23, ces
idées ne sont en fait que des affections du corps percevant confusément les idées
d’autres modes extérieurs, renvoyant moins à eux que d’abord au corps percevant ; elles
renferment donc la Mens humana sur elle-même, plus qu’elles ne l’ouvrent à une
connaissance objective ; à moins de les rectifier d’emblée, elles ne pourront permettre
aucun progrès. (2) « … ex quibus (per § 23) se suumque Corpus (per § 19) et (per cor.1
§ 16 et per § 17) corpora externa, ut actu existentia, percipit » : l’argument témoigne
d’une duplicité étonnante, quoique sans doute involontaire ; car la § 19 invoquée ici
même indique définitivement que toutes ces idées – même et surtout l’idée de soi –
dépendent des idées des affections (§ 19), c’est-à-dire (selon les §§ 24, 25, 26 et cor., 27
et 29) sont inadéquates ; donc à partir d’elles aucun passage à la moindre connaissance
adéquate n’est possible, sauf si, au lieu de s’appuyer sur elles, Spinoza commençait par
les rendre adéquates. Sans doute, peut-on admettre la possibilité que les idées même
inadéquates revèlent comme un noyau, encore implicite, d’adéquation, qu’une manière
d’analyse cartésienne pourrait dégager ; mais précisément, jamais ici Spinoza
n’entreprend soit de rectifier, soit d’analyser les idées inadéquates en des idées
adéquates ; il faut donc conclure que tout l’argument subséquent manque de tout
soubassement ferme. (3) « … adeoque (per §§ 45-46) cognitionem aeternae et infinitae
essentiae Dei habet adaequatam » : il s’agit, dans les §§ 45-46, de la nécessaire
implication de <l’idée> d’un mode dans <l’idée> de la substance, comme le prouvent
les références faites aux §§ 15-16 de Ethica I ; Spinoza rappelle donc ainsi que « res
singulares non possunt sine Deo concipi » (§ 15), c’est-à-dire que tout s’ensuit de la
nécessité de la nature divine – du moins tout ce que peut concevoir un entendement
infini, « … hoc est omnia, quae sub intellectum infinitum cadere possunt » (§ 16). Mais
précisément ici, en Ethica II, § 47, il ne s’agit plus de démontrer qu’un entendement
infini conçoit tout adéquatement (ce que tout lecteur bien disposé admettra volontiers),
mais bien qu’un esprit humain fini puisse concevoir adéquatement l’idée de l’essence
infinie de Dieu ; or ces deux questions restent totalement différentes ; pourtant Spinoza
démontre avec soin ce qui va de soi (que l’entendement infini conçoit adéquatement
tout ce qui procède de l’essence divine), et ne dit pas un mot du véritable enjeu (que la
Mens humana puisse elle aussi d’abord concevoir adéquatement ce que conçoit
l’entendement infini, ensuite concevoir adéquatement l’essence infinie de Dieu).
Pourquoi Spinoza commet-il le quasi-sophisme de confondre ces deux questions ? Sans
nul doute parce qu’il ne dispose d’aucune démonstration spécifique du point
litigieux 22. Nous concluons donc que l’adéquation théologique, pourtant expressément
revendiquée, reste inaccessible.

V. Un premier motif du recours à


l’adéquation
16 Spinoza suppose la connaissance adéquate acquise, plus qu’il ne la démontre – la
hardiesse, pour ne pas dire l’insolence d’un tel jugement ne nous échappe pas, bien que
la lecture des textes nous l’impose. Reste à correctement apprécier ce paradoxe,
puisqu’il ne saurait s’agir, en tout état de cause, de stigmatiser, avec une hâtive et
brouillonne outrecuidance, je ne sais quelle erreur ou inconsistance de Spinoza. Les
grands penseurs restent grands jusque dans leurs incohérences et leurs violences. Il
faut donc reformuler la question et demander, non plus si la connaissance adéquate se
trouve démontrée (puisqu’elle ne l’est sans doute jamais) 23, mais pourquoi Spinoza la
revendique, malgré ce défaut de fondement théorique. Bref, pour quel motif Spinoza
postule-t-il la connaissance adéquate de toutes choses et de l’essence infinie de Dieu par
la Mens humana finie, alors qu’il ne parvient pas à la démontrer rationnellement ?
17 Prenons comme fil directeur un fait avéré : dès avant Ethica II, Spinoza avait
développé une doctrine de l’idée adéquate. Elle apparaît en effet dès le De Intellectus
Emendatione, §§ 69-76. Une thèse fondamentale l’introduit : formellement considérée,
la connaissance vraie diffère de la connaissance fausse « non tantum per
denominationem extrinsecam, sed maxime per intrinsecam » (§ 69) ; ainsi, lorsqu’un
artisan conçoit selon l’ordre (correct) une fabrication, quand bien même cette
fabrication n’aurait-elle pas encore été fabriquée jusqu’à exister, elle n’en reste pas
moins déjà (en essence) une « cogitatio vera » ; au contraire, l’énoncé d’une essence
douée d’existence (par exemple « Pierre existe »), pour rester vrai simplement en tant
que pensé, doit impliquer formellement cette existence hors de la pensée. Par
conséquent, la vérité consiste en aliquid reale dans l’idée (§ 70). Ethica II fera en partie
écho à cette thèse en définissant la vérité comme norma sui et falsi (§ 43) 24. La
connaissance consiste dès lors à déduire d’une idée vraie – qui devient ainsi la norme
de la vérité et de son déploiement – ce qu’elle comprend déjà en elle objective, selon la
double acception de comprendre : ce qu’elle englobe par représentation, mais aussi ce
qu’elle fait comprendre à titre de principe et de cause, elle-même sans doute (§ 71).
18 La vérité « sine relatione » (§ 71) se déploie en deux exemples. (1) Le § 71 suppose
d’abord « un intellectus, un entendement quelconque », puis l’entendement divin
d’avant la création du monde (« … sicut aliqui Dei intellectum concipunt ») ; s’il conçoit
un nouvel étant quelconque (ens aliquod novem), qui n’existe pas encore hors de sa
pensée, et s’il déduit (deducere) correctement de cette pensée d’autres pensées, la vérité
de l’ensemble ne reposera sur aucun objet externe existant, mais sur la seule puissance
de l’entendement. (2) En un deuxième temps, le § 72 généralise ce résultat, qui vaut
non seulement de l’entendement divin, mais aussi pour nous, pourvu que « ideam
aliquam veram ob oculos ponamus », indépendante de tout objet de la nature ; ainsi,
même sans aucune sphère ainsi engendrée dans la nature, nous pouvons en engendrer
le concept et l’idée vraie à partir de sa cause et de son idée vraie : un demi-cercle en
rotation autour de « centre » (en fait de son axe) ; au contraire, l’idée d’un demi-cercle
prise « nuda » conduirait à une « affirmatio falsa », si ne lui était jointe celles du
mouvement et de la sphère 25. La déduction ne reste correcte que dans la mesure où les
idées vraies s’impliquent réciproquement ; la fausseté consiste seulement en ce que
« aliquid de aliqua re affirmetur, quod in ipsius, quem formavimus, conceptu non
continetur » : une déduction ne doit affirmer qu’une chose que ce que son idée
comprend déjà. Ces deux exemples d’idée adéquate par ses caractères intrinsèques
appellent un rapprochement : les traits de l’idée intrinsèquement adéquate, que
développe ici Spinoza, reproduisent fidèlement ceux de l’idée vraie selon Descartes. (1)
La thèse que « simplices cogitationes non posse non esse veras » (§ 72) répond à une
thèse constante des Regulae ad Directionem Ingenii concernant les natures simples :
« … naturas illas simplices esse omnes per se notas, et nunquam ullam falsitatem
continere » 26. (2). L’exemple de la sphère engendrée par son demi-cercle répond assez
bien aux exemples d’objets connus par intuitus : « Ita uniusquisquo anima potest
intueri (…) triangulum terminari tribus lineis tantum, globum unica superficie, et
similia » 27. (3) Spinoza détermine la fausseté d’une déduction par un critère lui aussi
intrinsèque : aboutir à des idées tronquées et mutilées : idées sans causes, propriétés
sans raison ; l’erreur résulte alors d’une conception « nimis abstracte », qui sépare des
objets par abstraction au lieu de les enchaîner (§ 75) ; ainsi naissent les universaux
abstraits (§ 76). Or Descartes utilise le même critère : « … pour savoir si mon idée n’est
point rendue non complète, ou inadequata par quelque abstraction de mon esprit,
j’examine seulement si je ne l’ai point tirée, non de quelque chose hors de moi qui soit
plus complète, mais de quelque idée plus ample ou plus complète que j’ai en moi, et ce
per abstractionem intellectus, c’est-à-dire en détournant ma pensée d’une partie de ce
qui est compris en cette idée plus ample, pour l’appliquer d’autant mieux et me rendre
d’autant plus attentif à l’autre partie » ; est ainsi inadéquate par abstraction l’idée d’une
« figure sans penser à la substance ni à l’extension dont elle est figure », tandis que
« l’idée d’une substance étendue et figurée est complète, à cause que je puis la concevoir
toute seule » ; ainsi encore « il implique contradiction » de prétendre penser une
montagne sans vallée et des atomes, c’est-à-dire « des parties de matière qui aient de
l’extension et toutefois qui soient indivisibles » 28.
19 Dès lors, si le De Intellectus Emendatione traite de l’idée adéquate en termes
strictement cartésiens, comment expliquer le désaccord final avec Descartes dans
l’Ethica ? Où donc situer la rupture, entre le De Intellectus Emendatione et Descartes
ou entre le De Intellectus Emendationeet l’Ethica ? Nous suggérons que les deux
ruptures ont successivement lieu. Certes, en un premier temps, le De Intellectus
Emendatione retrouve le corollaire cartésien de l’idée vraie, à savoir la finitude de
l’esprit humain : les deux exemples mettent ainsi en parallèle la déduction d’une idée
vraie par l’entendement divin (§ 71) et sa déduction par nos, les entendements finis
(§ 72) ; mais immédiatementune différence les oppose : il faut fixer « qua potentia
mens nostra eas <sc. ideas> formare possit », donc reconnaître que cette puissance
« se non extendere in infinitum » ; ce defectus nostrae perceptionis rend inévitable qu’à
un moment ou un autre notre déduction s’enlise en des idées abstraitement tronquées.
Notre pensée ne parvient pas, en sa finitude, à produire adéquatement toutes les idées ;
car l’inadéquation résulte de la finitude et indique négativement un autre étant
pensant : « … certum est ideas inadaequatas ex eo tantum in nobis oriri, quod pars
sumus alicujus entis cogitantis, cujus quaedam cogitationes ex toto, quaedam ex parte
tantum nostram mentem constituunt » (§ 73). Cette reconnaissance pourrait
s’entendre ainsi que la pense Descartes, comme l’aveu « … de la nature intellectuelle en
général, l’idée de laquelle étant considérée sans limitation, est celle qui nous présente
Dieu, et limitée, celle d’un Ange ou d’une âme humaine » 29. Mais, loin d’admettre cette
limitation reçue de Descartes, le De Intellectus Emendatione entreprend aussitôt de la
subvertir. Déjà le § 49 avait précisé que, s’il faut bien commencer l’enquête « ad
normam datae cujuscunque verae ideae », la méthode parfaite exige d’avoir une idea
Entis perfectissimi, donc de parvenir aussi « vite que possible, quanto occius » à la
connaissance de cet étant, et non d’un étant quelconque. La même urgence scande, de
plus en plus instamment à mesure de son développement, tout le traité ; il faut
commencer par les premiers éléments, donc « … a fonte et origine Naturae, quam
primum fiori posse » (§ 75) ; pour ordonner nos perceptions et les unifier (par
déduction d’idées adéquates) « … requiritur ut, quam primum fieri potest et ratio
postulat, inquiramus an detur quoddam Ens et simul quale, quod sit omnium rerum
causa, ut ejus essentia objectiva sit etiam causa omnium nostrarum idearum » (§ 99).
La rupture avec Descartes intervient donc clairement : si notre entendement fini
aboutit nécessairement à des idées rendues inadéquates par abstraction (constat
cartésien), il ne faut pas admettre cette limite, mais la transgresser en remontant à
l’idée vraie de Dieu, telle qu’à partir d’elle une déduction toujours adéquate de toutes
les idées devienne possible. En effet dès le De Intellectus Emendatione, Spinoza postule
que la connaissance adéquate de la nature, pour atteindre l’apodicticité qu’il exige,
implique la connaissance adéquate de Dieu : « … nihil nos de Natura posse intelligere,
quin simul cognitionem primae causae, sive Dei, ampliorem reddamus » (§ 92). La
césure du fini et de l’infini, qui jouait comme une détermination transcendentale pour
Descartes, n’apparaît plus à Spinoza que comme un obstacle épistémologique, donc
surmontable.
20 Ici intervient la seconde rupture, cette fois entre le De Intellectus Emendatione et
l’Ethica. Leur terrain commun tient au fait que, selon l’un, « … pars sumus alicujus
entis cogitentis, cujus quaedm cogitationes ex toto, quaedam ex parte tantum nostram
mentem constituunt » (§ 73), et que, selon l’autre, « … Mentem humanam partem esse
infiniti intellectus Dei ; ac proinde (…) cum dicimus Deum hanc vel illam habere
ideam, non tantum quatenus naturam humanae Mentis constituit, sed quatenus simul
cum humana Mente alterius rei etiam habet ideam, tum dicimus Mentem humanam
rem ex parte, sive inadaequate percipere » (II, § 11, cor.). Mais le De Intellectus
Emendatione ne surmonte pas cet écart, parce qu’il ne parvient jamais, en déduisant ad
normam datae cujuscunque verae ideae, à l’idée vraie de l’étant suprêmement parfait ;
aussi reste-t-il inachevé 30. L’Ethica au contraire prétend atteindre la connaissance
adéquate de l’essence infinie de Dieu (II, § 47), donc la connaissance adéquate de toutes
les idées en les référant à Dieu (II, § 32) ; en effet, dès les définitions initiales, se
trouvent données les idées vraies de la causa sui et de Dieu. Il ne s’agit donc plus de
remonter d’une idée vraie quelconque à l’idée vraie de l’étant suprêmement parfait (a
posteriori), mais de déduire de la seule idée vraie infinie et parfaite toutes ses
propriétés, à savoir de la substance infinie tous les modes (a priori). Nous n’avons pas à
envisager ici les procédures ou les absences de procédures qui permettent une telle
transition ; il importe simplement de mesurer si l’adéquation garde, d’un ouvrage à
l’autre, les mêmes caractéristiques. A l’évidence, tel n’est pas le cas, sur plusieurs
points. (1) L’idée vraie se définissait par une adéquation strictement intrinsèque (§ 69),
donc absolument « sine relatione ad alias » (§ 71), « nullo alio signo » (§ 35) ; certes
l’Ethica maintient cette autarcie du vrai : « Per ideam adaequatam intelligo ideam,
quae, quatenus sine relatione ad objectum consideratur, omnes verae ideae
proprietates sive denominationes intrinsecas habet » (II, def. 4) 31 ; mais elle fait
précéder cette définition autarcique par la définition extrinsèque traditionnelle : « Idea
vera debet cum suo ideato convenire » (I, ax. 6) et c’est précisément à elle qu’elle
recourt pour établir enfin la possibilité d’une référence de toutes nos idées à Dieu :
« Omnes enim ideae, quae in Deo sunt, cum suis ideatis omnino conveniunt (per cor.
§ 7), adeoque (per ax. 6 I) omnes sunt verae » (II, § 32, dem.). Comment ne pas
s’étonner que, au moment solennel et précis où, pour la première fois, devrait céder
l’aporie qui avait arrêté le De Intellectus Emendatione, la définition de la vérité utilisée
ne soit précisément pas celle qu’il avait privilégiée, à l’exclusion de toute autre ?
Comment ne pas prendre en considération la conjonction de ces deux innovations – nos
idées deviennent celles même de Dieu, mais la vérité, d’intrinsèque, devient
extrinsèque ? Bref, comment ne pas soupçonner que la perte de l’adéquation autarcique
est le prix à payer pour atteindre l’univocité épistémologique ? (2) Le De Intellectus
Emendatione concluait à partir de la définition intrinsèque de l’idée vraie que « … in
ideis dari aliquid reale, per quod verae a falsis distinguuntur » (§ 70) ; comment dès
lors admettre que l’Ethica puisse déclarer, juste après avoir acquis l’univocité
épistémologique, que « Nihil positivum est in ideis, popter quod falsae dicuntur »
(§ 34) ; certes, on ne saurait contester que la fausseté ne constitue pas une réalité
positive : il s’agit en fait là d’une banalité reprise par toute la tradition et à laquelle
Spinoza n’ajoute rien ; pourtant, du point de vue même de l’idée adéquate en stricte
acception, la fausseté se repère bel et bien à l’<ali>quid positivum : elle se marque
positivement par l’apparition d’idées mutilées et abstraites, dont les contradictions ou
patentes insuffisantes indiquent la fausseté ; il s’agit donc de l’inverse de l’aliquid reale,
tel qu’il définit l’idée adéquate. Sans préjuger d’autres arguments, nous concluons que
l’Ethica n’accomplit le dessein du De Intellectus Emendatione qu’en abandonnant et
même inversant sa méthode.
21 Et ceci pour un motif évident : cette méthode, particulièrement celle de l’idée
adéquate et intrinsèquement vraie, devait trop à la thématique cartésienne, c’est-à-dire
à la position transcendantale de l’abîme entre le fini et l’infini, tel que l’Ethica n’a
d’autre but que de le combler. Car ce qu’elle prétend accomplir rationnellement, c’est
toujours exactement ce que Descartes estimait rester inaccessible « … nisi peculiariter
(…) Deus revelet », « … nisi a Deo reveletur », bref sans « quelque extraordinaire
assistance du ciel, et (…) être plus qu’homme » 32. A la lumière de ce rapprochement
cartésien, surgit ainsi une étrange hypothèse : la doctrine spinoziste de l’idée adéquate
n’ambitionnerait-elle pas d’accomplir, au strict « niveau de la raison », ce que le recours
à la grâce et à des révélations privées aurait permis en régime théologique ?

VI. Un second motif du recours à


l’adéquation
22 Lorsque Spinoza lie les deux possibilités de connaître adéquatement l’essence de
Dieu et les idées des choses singulières, il reprend, sur un mode négatif, deux questions
que, par exemple, Suarez reliait par une commune dénégation : « Nam, si termini
intelligantur, est per se evidens, non posse nos in hac vita cognoscere quidditative illas
substantias <separatas> (…). Est autem evidens non posse nos Deum in hac vita
quidditative cognoscere ». Ces deux interdictions – celle de la connaissance adéquate
(quidditative, essentielle) de Dieu et celle des idées de l’essence des choses – ne se
juxtaposent pas seulement ; plus rigoureusement elles s’imbriquent l’une dans l’autre :
« … non possunt illa divina exemplaria in se conscici, nisi Deus in se ipso videtur » 33.
Pour atteindre la connaissance des idées originaires de l’essence des choses
particulières (rendre adéquates nos idées des modes, dirait Ethica II), il faudrait
connaître Dieu même, c’est-à-dire soit que Dieu se révèle lui-même (comme le dira
encore Descartes, faisant écho à Suarez), soit que l’on connaisse l’idée adéquate de Dieu
(selon la formule d’Ethica II). Les deux questions restent unies par une commune
dénégation pour Suarez (et Descartes) ou par une égale réponse positive pour Spinoza.
Il reste à examiner comment Suarez posait ces deux questions et comment il justifiait
ses deux dénégations ; ainsi pourra se mesurer plus précisément la portée de l’inversion
spinoziste.
23 En fait, Suarez ne s’oppose pas frontalement à Spinoza. Les connaissances qu’il
refuse, en effet, « en cette vie (in hac vita) » aux hommes, il les accorde pourtant aux
beati, aux bienheureux. A deux réserves près, qu’il faudra préciser, Suarez retrouve
dans la vision béatifique les caractères que Spinoza accorde, dès l’instant présent, à la
connaissance adéquate. La vision béatifique anticipe chronologiquement et
doxographiquement sur la connaissance adéquate – telle est du moins la thèse que nous
voudrions ici esquisser.
24 Les Beati connaissent l’essence et la substance divines, qu’ignorent les hommes
encore in via, et préfigurent ainsi l’ambition spinoziste. Suarez énonce sans équivoque
que l’« objectum proximum et immediatum visionis beatae esse Deum ipsum per
essentiam et substantiam suam absque ulla creatura seu imagine creata » 34. Cette
connaissance de Dieu résulte d’ailleurs directement de la connaissance enfin adéquate
in patria de l’objet déjà reconnu in via à notre esprit, le concept d’étant infini :
« … Deum absolute loquendo, contineri sub objecto adaequato intellectus, quod est
ens, in quantum ens » ; Dieu, étant infini, apparaît comme l’« adaequata ratio objecti
intellectus nostri », jusqu’alors restée confuse et indéterminée 35. Cette connaissance
adéquate est aussi bien intuitiva 36. Une restriction vient pourtant atténuer
l’anticipation sur Ethica II et confirmer l’opposition entre Spinoza et Descartes : pour
Suarez, même dans la vision béatifique, la connaissance intuitive et adéquate de
l’essence divine n’atteint pas à la compréhension : « … visio beatifica non est
comprehensio Dei, nimirum, quia de ratione comprehensionis est, ita videre totum
quod est in se formaliter et intrinsece » ; ou encore « … visio creata hoc non habet,
neque habere potest <à savoir : connaître totaliter>, ideo comprehensio non est » 37. En
ce sens, malgré l’adéquation de la connaissance, il ne s’agit pourtant jamais d’une
adéquation à l’infinité même de Dieu : « … impossibile est ut comprehendat
<intellectus creatus> rem intelligibilem simpliciter infinitam, ut est Deus. Patet
consequentia, quia comprehensio requirit adaequationem quandam inter capacitatem
intelligentis, intellectionem et intelligibile, quam adaequationem impossibile est
invenire inter finitum et infinitum » 38. Il faut donc distinguer soigneusement entre
deux adéquations : Dieu, comme étant, est donc bien saisi sous et l’objet adéquat du
concept d’ens, sans que Dieu, comme infini, ne tombe sous une égalité quelconque avec
l’entendement fini. En ce sens, même la vision béatifique de Suarez ne promet pas in
patria ce que prétend assurer la connaissance adéquate de Spinoza dès le second genre
et même à un entendement fini : « Intellectus, actu finitus aut actu infinitus nihil,
praeter Dei attributa ejusque affectiones, comprehendit » (I, § 30 = II, § 4, dem.). Le
point de départ suarézien situe donc clairement l’entreprise spinoziste, mais en
souligne d’autant l’exceptionnelle audace.
25 Ce point de départ peut donc se décrire par recours à Suarez. Mais, il s’agit en fait là
de thèses communes, aussi bien illustrées par Thomas d’Aquin pour qui « … simpliciter
concedendum est, quod beati Dei essentiam videant » 39. Mais ils ne le peuvent qu’en
conséquence du désir naturel de Dieu. L’ambiguïté du concept objectif d’ens
n’intervient en effet pas encore et laisse le champ à l’initiative gratuite de Dieu : « …
oportet, si Dei essentia videatur, quod per ipsammet essentiam divinam intellectus
ipsam videat, ut sic in tali visione divina essentia sit et quod videtur et quo videtur » ;
la vision resterait impossible « … nisi Deo hoc faciente », « … nisi per actionem
divinam » 40. Par suite, il convient que « ipsa divina essentia copulatur intellectui
<humani> ut forma intelligibilis » – qu’elle se fasse immédiatement forme informant
activement l’entendement patient 41. D’où son intervention extraordinaire comme lux
gloriae provoquant un lumen gloriae 42. La disproportion entre la forme intelligible,
exceptionnelle en ce cas, et l’entendement, toujours fini, interdit, précisément parce
que la vision a suprêmement lieu, qu’elle puisse atteindre à la compréhension et à
l’adéquation : « Vitrus finita non potest adaequare in sua operatione objectum
infinitum. Substantia autem divina est quoddam infinitum per comparationem ad
omnem intellectum creatum, cum omnis intellectus creatus sub certa specie
terminetur. Impossibile est ergo quod visio alicujus intellectus creatus creati adaequet
in videndo divinam substantiam ; scilicet itaperfecte ipsam videndo, sicut visibilis est.
Nullus igitur intellectus creatus ipsam comprehendit » 43. C’est donc au moins jusqu’à
Thomas d’Aquin qu’il faut remonter, ne serait-ce que pour esquisser la portée de
l’affirmation spinoziste d’une connaissance adéquate de l’essence divine. Son originalité
ne consiste pas dans la prétention à parvenir à une telle connaissance – puisque,
jusqu’à Descartes, tous les penseurs chrétiens l’admettent ; elle consiste dans sa
revendication dès avant la vision béatifique, par les moyens de la simple rationalité,
désormais en charge du salut éternel. Dans cet horizon, l’interrogation sur la possibilité
ou l’impossibilité d’un tel succès devient d’autant plus légitime et prend une acuité
d’autant plus grande que l’ambition – désormais explicite – de naturaliser la
divinisation se révèle absolue. Car, pour Spinoza, ce n’est plus la connaissance qui, par
vision de grâce, résulte de la divinisation, mais, désormais, la connaissance adéquate
qui doit, seule et par ses seuls moyens, assurer la divinisation. L’éventuelle impasse de
Ethica II, § 47 deviendrait, dans ce contexte, un échec irrémissible.
26 Nous pouvons désormais reprendre, cette fois à partir de Thomas d’Aquin, la
deuxième question ouverte par la vision béatifique : que voient les beati en voyant
l’essence divine ? Bien qu’ils ne puissent comprendre toutes les conséquences du
principe créateur qui se donne ainsi à voir, ils n’en connaissent pas moins aussi dans
l’essence connue du créateur les essences (espèces) des choses créées : « Intellectus
igitur qui per lumen divinum elevatur ad videndam Dei substantiam, multo magis
oedem lumino perficitur ad omnia alia intelligenda quae sunt in rerum natura » ; ou
encore : « … intellectus creatus divinam substantiam videns, in ipsa Dei substantia
omnes species rerum intelligat » 44. Voir l’essence de Dieu par l’action directe de
l’essence de Dieu sur l’entendement fini permet à celui-ci non seulement de voir Dieu
(certes inadéquatement) comme Dieu lui-même se voit et se connaît, mais aussi de voir,
en son essence, les choses créées comme il les voit avant même de la créer. Sans encore
qualifier ces deux connaissances de la note d’adéquation, Suarez en reproduit la stricte
liaison thomiste. « Per visionem Dei possunt videri creaturae in Deo tanquam in causa
et medio cognito per quod et in quo alia simplici intuitu et sine discursu videntur » ; ou
aussi : « Asserimus enim posse creaturas videri in Verbo, visa essentia Dei, propter
connexionem quamdam, quae est inter creaturas ut possibiles, et Deum ut
omnipotentem, quae, licet non consistat in relatione, consistit in continentia
eminentiali unius in alio, et naturali dependentia creaturae, a Deo » ; et encore :
« … probabile esse, visa divina essential, necessarium esse videre quidquid est
possibile, vel credibile saltem sub hoc communissimo conceptu creabilis seu
possibilis » 45. L’apport de Suarez à la doctrine thomiste, dont il maintient le cadre (la
liaison entre la vision de l’essence divine et celle de l’essence des choses créées), tient à
l’introduction du possible : même dans la vision béatifique, c’est sous la catégorie
métaphysique originaire de la possibilité, que les beati voient dans le Verbe les
créatures. Si l’on songe que Spinoza définit lui aussi l’ens comme ce qui peut exister et
qu’il transpose d’une certaine manière dans l’attribut de la pensée le Verbe en
l’« intellectus absolute infinitus », on ne peut que porter une attention à la surprenante
coïncidence entre sa définition du mode infini médiat dans l’attribut de l’étendue –
« … facies totius Universi… – et la définition par Suarez de ce que voient les beati dans
le Verbe : « … omnes beatos visuros in Verbo totam universi machinam,
compositionem et ordinem » 46.
27 Spinoza retrouverait-il la thématique de la vision béatifique ? Du moins, son effort,
obstiné, mais fragile, dans Ethica II peut-il se lire dans cet horizon. La connaissance
adéquate de l’essence éternelle et infinie de Dieu (II, § 47) répèterait, en la transposant,
la connaissance du second genre (sans attendre même le troisième), l’intuition de
l’essence divine dans la vision béatifique. La connaissance adéquate des idées des
modes finis (II, § 32-34) répèterait, en la transposant, la vision des essences des
créatures dans celle de l’essence du créateur. L’ordre des deux connaissances adéquates
s’inverserait, pour une raison fondamentale : alors que pour Thomas d’Aquin (et à un
moindre titre pour Suarez) c’est la vision béatifique qui commande la connaissance,
pour Spinoza, c’est inversement la connaissance qui commande la béatitude. Enfin, la
radicalisation de ces deux connaissances théologiques en des sciences résolument
adéquates résulterait, elle aussi, d’une raison de fond : le rejet de la transcendance
divine lève l’hypothèque d’une incommensurabilité de l’infini au fini. Dès lors, rien ne
s’oppose à un rapprochement, qui, loin de minimiser l’originalité puissante de Spinoza,
ouvre l’horizon sur lequel elle se détache et peut se mesurer plus exactement. Avec la
doctrine des idées adéquates, Ethica II tenterait de rejoindre, dans les limites de la
simple métaphysique, la position extrême du savoir humain qu’avait atteinte la
théologie chrétienne, et qu’avait renoncé à reconquérir la métaphysique de Descartes,
toujours consciente à sa finitude théologique.

VII. Pensée spinozisme et vision


béatifique
28 Ce rapprochement ne saurait prétendre, dans l’état actuel de l’analyse, qu’à la dignité
d’un jugement réfléchissant et non pas d’un jugement déterminant. Peut-on cependant
le renforcer par des arguments de fait, qui établiraient, ne fût-ce que partiellement, un
rapport entre Spinoza et la problématique théologique de la vision béatifique ?
29 Les liens et influence directs entre Spinoza d’une part, et Thomas d’Aquin ou Suarez
de l’autre, n’ont pas été définitivement prouvés. Les similitudes ou allusions déjà
relevées, bien qu’assez nombreuses, ne prouvent encore aucune lecture véritable 47. Au
dossier indécis de cette question, nous nous bornerons à verser une pièce nouvelle. Les
thèses de Suarez furent violemment discutées et donc soigneusement présentées du
vivant de Spinoza par un auteur protestant, J. Revius, qui publia un Suarez repurgatus.
Sive Syllabus Disputationum Mtaphysicarum Franscisci Surez societatis Jesu theologi
cum Notis Iacobi Revii ss. theolog. D., paru à Leyde en 1643 48. Spinoza avait eu au
moins une bonne raison de le remarquer : J. Revius, dans son Statera Philosophiae
Cartesianae, devait quelques années plus tard attaquer A. Heereboord, dont nous
savons qu’il connaissait bien les Meletemata Philosophica 49. Or, un des passages de
Suarez ainsi « purifiés » concerne précisément la vision béatifique ; sans spéculer sur la
vraisemblance d’une lecture spinoziste de cette dispute, il nous semble éclairant d’en
présenter les arguments principaux.
30 Suarez soutenait que les beati, voyant Dieu, en forment aussi un verbe mental :
« Vere enim conspiciunt Deum prout in se est, et ita formant in se conceptum
formalem, quo sibi repraesentant Deum prout est in se ; et ille conceptus est verbum et
non alius. (…) Addo praeterea, beatum videndo Deum et creaturam in Deo, etiam
videre ideam quam Deus habet de creaturis, et ideo ipsummet conceptum formalem
Dei posse quodammodo subire rationem ideae… » 50. Sous les apparences scolastiques
se décide un immense enjeu théorique : la vision béatifique relève-t-elle toujours de la
représentation, prise en son acception métaphysique ? Les beati voient-ils l’essence
divine par elle-même (comme le soutenait Thomas d’Aquin), ou par un concept formel
distinct, donc par un instrument propre à l’entendement fini ? L’entendement fini
dispose-t-il aussi, comme il serait alors logique, du même concept formel dont Dieu
userait pour connaître les créatures ? Bref, voit-il les créatures par les mêmes concepts
que Dieu, au point que ces concepts puissent lui devenir, éventuellement, des
exemplaria pour ses propres actions et opérations finies ? L’audace et l’imprudence de
Suarez semblent assez patentes, pour que Revius se sente justifié à y stigmatiser
« multa monstra ».
31 Recensons donc ces trois monstres. (1) Si la vision a lieu par un concept formel
(humain) et non pas directement par l’essence divine, alors ce concept sera fini, face à
un infini ; la représentation n’aura donc pas lieu : « … nam conceptus ille finitus est
tam quoad esse reale quam intellectuale, itaque Deum ut in se est et consequenter ut
infinitus est, repraesentare nulla modo potest ». Descartes retrouva déjà cette
difficulté, qu’il n’esquiva qu’en admettant que l’infini reste incommensurable
(incompréhensible) à l’idée finie qu’en prend un esprit fini ; il n’est pas certain que
Spinoza ait évité pareille aporie de l’infini. (2) Si les beati, en voyant Dieu, voient
« etiam (…) ideam quam Deus habet de creaturis », il s’ensuit qu’ils sont
« omniscients » ; car, s’ils connaissent l’essence divine et, par son idée même, l’essence
des choses, il ne reste plus rien à Dieu pour surpasser la science qu’ont déjà les beati :
« … nihil Deo reliquit <Suarez> quo ipsum hac in parte exuperet ». Il est clair que
Spinoza tentera consciemment d’aboutir à un semblable résultat : la science reste
univoque, qu’elle se déploie à partir des modes finis ou d’un mode infini (Ethica I, § 16
et 30 ; II, § 32-34 et 43). (3). Enfin, si les beati disposent dans la vision béatifique d’un
véritable concept formel, ils peuvent se l’approprier et l’utiliser comme exemplaire pour
leurs actions éventuelles ; à supposer qu’ils reçoivent une puissance pratique
correspondant, rien ne s’oppose à ce que leur « omniscience » ne se redouble : « … hînc
sequitur beatos omnipotens esse posse ». Mais Spinoza ne vise-t-il pas lui aussi cette
puissance en assurer l’activité de l’esprit à l’égard de toutes ses idées par leur
connaissance adéquate en Dieu (Ethica V, § 3-15) ? Lorsque Revius conclut en
dénonçant chez Suarez une « anthropolatrie par laquelle les bienheureux s’égalent à
Dieu » 51, ne critique-t-il pas aussi par avance l’identité spinoziste d’une conscience
également « … sui et Dei et rerum » (Ethica V, § 42, sc.) ? Mais nous n’avons pas même
à décider de ces questions, pour constater que les termes mêmes de la polémique que
Revius conduit contre Suarez recouvrent pour une large part le lexique et les concepts
de l’Ethica, qu’il n’est donc pas absurde de lire à partir du débat sur la vision béatifique.
32 Reste une dernière question : pourquoi Spinoza se serait-il risqué à intervenir dans
un débat théologique, que toute son entreprise ne vise, en un sens, qu’à rendre inutile et
inepte ? D’abord, sans doute, pour critiquer les thèses communes sur la vision
béatifique et, prolongeant l’évolution de Suarez, les transposer dans les limites de la
stricte métaphysique. Ensuite et surtout parce que Spinoza avait d’emblée présupposé
que l’esprit humain doit disposer, en cette vie, d’une idée, donc d’une connaissance de
Dieu. Les Cogitata Metaphysica, I, § 2 avaient posé un dilemme contraignant :
« Quaeri adhuc potest, quomodo nos, nondum intellecta natura Dei, rerum essentias
intelligimus ; cum illae, ut modo diximus, a sola Dei natura pendeant » ; la réponse,
encore fort peu spinoziste, envisage deux hypothèses ; (1) soit « … res jam creatae
sunt », comme il est le cas, et nous pouvons donc en connaître les essences a
posteriori ; (2) soit, elles ne le sont pas ; et alors « … prorsus concederem, id
impossibile fore <de les connaître> nisi post naturae Dei adaequatam cognitionem » :
si l’on ignore (ou si l’on récuse) la création, aucune connaissance (adéquate) des choses
finies n’est plus possible, sauf à en avoir l’idée a priori. Sitôt rejetée l’hypothèse de la
création, Spinoza se contraindra donc lui-même à présupposer la connaissance
adéquate de l’idée de Dieu. De fait, les affirmations ne manqueront pas : « Habemus
enim ideam Dei », « Maar de mensch een Idea van God heeft » ; et tout le De
Intellectus Emendatione sera scandé par la dépendance de la connaissance adéquate
des choses envers la connaissance adéquate de Dieu 52. Nous suggérons donc une
hypothèse : en s’interdisant, par le refus de toute création, l’accès a posteriori aux idées
tant des choses particulières que de Dieu, Spinoza se contraignait à une connaissance a
priori des unes et de l’autre ; il devait donc retrouver, qu’il le veuille ou non, le modèle
théologique de la vision béatifique, qui permet seul d’envisager le rapport nécessaire
entre ces deux connaissances a priori.
33 Peut-être d’ailleurs doit-on attribuer à la puissante fascination de ce modèle que
Spinoza ait pu poursuivre imperturbablement le cours des démonstrations de Ethica II,
malgré les apories patentes qui semblaient devoir l’empêcher.
Notes
1 Le principe que Dieu « simul cum Mente humana alterius rei etiam habet ideam » (II, § 11,
cor.) reproduit et confirme la thèse que toute affection dépend à la fois de l’affectant (et surtout)
de l’affecté – « Omnes modi, quibus corpus aliquod ab alio afficitur corpore, ex natura corporis
affecti et simul ex natura corporis afficientis sequuntur » (Ax. 1 après II, § 13). Si, comme la
connaissance de tout effet, celle de l’esprit enveloppe la connaissance de sa <sa de ses> cause<s>,
cet enveloppement reste essentiellement confus, en sorte de renvoyer l’affecté d’abord à lui-
même esprit ; pour Spinoza et contre Descartes, la plupart du temps, la perception équivaut à la
passion ; d’où son inadéquation, puisque la même et unique représentation porte sur plura (II,
§ 13 sc.) simul (§ 16 et dem. ; Def. 7 ; § 18, dem. ; § 29, sc.).
2 Aristote, De l’âme, III, 8, 431 b21 ; Descartes, Regulae ad directionem ingenii I, in Œuvres, éd.
Adam-Tannery, Paris, 1966 2 sq., AT X 360, lg. 7-10. De même Thomas d’Aquin : « … anima
hominis fit omnia quodammodo secundum sensum, et intellectum » (Summa Theologiae Ia,
q. 81, a. 1, c.), qui précise « … quod Aristoteles non posuit, animam esse actu compositam ex
omnibus, sicut antiqui Naturales : sed dixit quodammodo animam esse omnia, in quantum est
in potentia ad omnia » (q. 84, a. 2, ad 2m, en écho à De l’âme, III, 4, 429 b30). E. Curley insiste
justement sur la limitation de l’âme par sa concentration sur le corps : « It is hard to see how ani
philosopher could give a greater priority to knowledege of the body than Spinoza has » (Behind
the Geometrical Method. A Reading of Spinoza’s Ethics, Princeton, 1988, p. 77).
3 Le problème est provoqué par une séquence de la Meditatio II : « Manet positio : nihilominus
tamen ego aliquid sum. Fortassis vero contingit, ut haec ipsa, quae suppono nihil esse, quia
mihi nondum sunt cognita, tamen in rei veritate non differant ab eo me quem novi ? Nescio, de
hac re non disputo : de iis tntum quae mihi nota sunt, judicium ferre possum. Novi me existere ;
quaero quis sim ego ille quem novi. Certissimum est hujus sic praecise sumpti notitiam non
pendere ab iis quae existere nondum novi ; non igitur ab iis ullis, quae imaginatione effingo »
(AT VII, 27, 23 - 28, a, cité par Arnauld in AT VII, 198, 22 sq.). Le Discours de la Méthode se
prête à la même objection : « … de cela même que je pensais à douter de la vérité des autres
choses, il suivait très évidemment et très certainement que j’étais ; au lieu que si j’eusse
seulement cessé de penser, encore que tout le reste de ce que j’eusse jamais imaginé eût été vrai,
je n’aurais aucune raison de croire que j’eusse été : je connu de là que j’étais une substance dont
toute l’essence ou la nature n’est que de penser et qui, pour être, n’a besoin d’aucun lien ni ne
dépend d’aucune chose matérielle » (AT VI, 32, 28 – 33, 7). Arnauld récuse, fort justement
semble-t-il, le trop facile recours à l’opposition entre ce qui vaut « in ordine ad ipsam
veritatem » et ce qui vaut « in ordine ad meam perceptionem » (AT VII, 8, 6-8), puisqu’il s’agit
précisément de savoir si la distinction par connaissance équivaut à la distinction en vérité ; aussi
bien Descartes n’invoque-t-il pas ce texte.
4 Le principe général de cette équivalence (AT VII, 171, 13-20) continue la « regulas generalis »
posée par la Moditatio III – « … illus omne esse verum quod valde clare et distincte percipio »
(AT VII, 35, 14-15, voir 15, 3-4 et 65, 6-7 ; D.M., AT VI, 33, 20-22 ; A Morus, 5.II.1649, AT V, 272,
21-25) – et en prépare l’application spéciale à la distinction réelle de l’âme et du corps (AT VII,
88, 2-20). Voir aussi les remarques de l’Entretien avec Burman, § 32, AT V, 163, éd. J.-M.
Beyssade, Paris, 1981, p. 86-87.
5 Voir A l’abbé de Launay ( ?), VIII.1641 : « Car en tout ce qui n’est séparé que par abstraction de
l’esprit, on y remarque nécessairement de la conjonction et de l’union lorsqu’on les considère l’un
avec l’autre » (AT III, 421, 4-7) ; A Gibieuf, 19.I.1642, AT III, 474, 9 – 478, 12 ; A X, 1645 ou 1646,
qui, pour expliquer la distinction modale, oppose la distinction « rationis (nempe ratiocinatae) »
à la distinction « rationis ratiocinantis, hoc est, quae non habeat fundamentum in robus » (AT
IV, 349, 26-28).
6 Lorsque Arnauld lit, sous la plume de Descartes, res/mens completa (ainsi AT VII, 121, 10 cité
en 200, 16), il comprend adequata et commente par adaequata rei cognitio (200, 6),
« … mentem complete et adaequata (201, 20-21), ens complete et adaequate conceptum (203,
24). Arnauld assimile complétude et adéquation, que Descartes distingue au contraire
radicalement. La confusion redouble du fait que Clerselier traduit adaequata (idea) par idée
entière et parfaite, où disparaît toute trace de l’égalité intrinsèque entre l’idée et son idéat.
7 Arguments tirés de l’analogie entre la relation corps/esprit d’une part, et, de l’autre, la relation
triangle/propriétés du triangle (AT VII, 201, 24 – 203, 26).
8 Arnauld renvoie Descartes au programme qu’il s’est lui-même fixé, sans l’avoir peut-être
réalisé : « In sequentibus autem ostendam quo pacto, ex eo quod nihil aliud ad essentiam meam
pertinere cognoscam, sequatur nihil etim revera ad illam pertinere » (Praefatio, AT VII, 8, 12-
15, cité par Arnauld en 199, 10-12).
9 Sufficit, AT VII, 219, 21. – Dans les Regulae, il suffit parfois (sufficit) d’un dénombrement non
exhaustif, au contraire d’une enumeratio completa (AT X, 390, 6-24). Comme ici (au contraire
des Responsiones) completa équivaut à adequata, comme aussi l’un des exemples retenus est
précisément que « … animam rationalem non esse corpoream » (390, 14-15), nous pouvons
trouver dès 1627 une esquisse de la situation de 1641 (contre J.-P. Weber, qui pense que
« suffisant signifie complet », La constitution du texte des Regulae, Paris, 1964, p. 55, voir notre
mise au point dans René Descartes. Règles utiles et claires pour la direction de l’esprit dans la
recherche de la vérité. Traduction selon le lexique cartésien et annotation, La Haye, 1977, p. 187).
10 « . substantiae, hoc est res per se subsistentes », AT VII, 222, 18. Voir « … vera substantia,
sive res per se subsistens », A Regius, I.1642, AT III, 502, 11.
11 Il ne s’agit pas d’une argutie verbale, que les IVe Responsiones auraient improvisée pour
échapper à l’objection d’Arnauld ; en effet, dès les Ie Responsiones, les entia incompleta (AT VII,
120, 18), que dégage la distinction formelle, s’opposent à une res completa (la res cogitans, 121,
10) et à la compréhension complete (121, 28 ; 121, 6). Arnauld, qui cite ces textes (200, 12 – 201,
18), ne voit pas qu’ils échappent par avance à son objection et les commente à contre-sens (voir
n. 6).
12 AT VII, 221, 6-7, et aussi 22-23 : « … non requiritur ut nostra de iis cognitio sit adaequata ».
Voir l’excellent commentaire de J. Clauberg, Metaphysica de ente […] Ontosophia, § 189, Opera
omnia philosophica, Amsterdam, 1691, rééd. Mildesheim, 1968, t. 1, p. 314 sq.
13 Pourtant, l’inadéquation n’affecte pas seulement la connaissance humaine de Dieu (AT VII,
113, 9-17 ; 140, 2-5 ; 189, 17-21) mais, précise un commentaire plus tardif de ce même texte (220,
20), n’importe quel objet, même minime : « … e.g. sumamus triangulum, rem, ut videtur,
simplicissimam, et quam facillime adaequare posse videremur, sed nihilominus illum
adaequare non possumus. (…) ipse enim auctor <sc. Descartes> nullius rei adaequatam
cognitionem sibi tribuit, sed nihilominus certus est se in multis, si non in omnibus, rebus eam
habere cognitionem, et ea fundamina, ex quibus adaequata cognitio deduci posset, et forsan
deducta est » (Entretien avec Burman, AT V, 152 = éd. J.-M. Beyssade, § 8, p. 34-37). Cette
surprenante réserve confirme pourtant simplement d’autres déclarations d’ouvrages canoniques :
« … conceptu adaequato, qualem nemo habet, non modo de infinito, sed nec forte etiam de ulla
alia re quantumvis parva » (AT VII, 365, 3-5) ; même la connaissance d’un triangle reste, au
sens de l’exhaustivité, impossible (Regula XII, AT XW, 422, 18-23 ; Ve Responsiones, AT VII,
370, 11-20 et 15-26) ; et donc, à plus forte raison, « … je ne nie pas pour cela qu’il ne puisse y
avoir dans l’âme ou dans le corps plusieurs propriétés dont je n’aie aucunes idées » (A. Gibieuf,
19.I.1642, AT III, 478, 6-8).
14 En effet, non seulement la puissance divine est infinie à titre de détermination de Dieu
(immensa potentia, 111, 4 ; 119, 13 ; 188, 23 ; 237, 8-9, etc.), mais il faudrait même dire qu’elle en
exhibe par excellence l’incompréhensibilité : car la « puissance incompréhensible » (AT I, 146, 4
et 150, 22), qui apparaît ad extra en 1630 pour créer les vérités éternelles, réapparaît ad intra en
1641 pour assurer la causa sui, à titre d’immensa et incomprehensibilis potentia (AT VII, 110, 26-
27).
15 Le doute hyperbolique interdisait la certitude que « res juxta veritatem sint tales quales ipsas
percipimus, (…) quamdiu authorem meae originis ignorare me supponam » (AT VII, 226, 26) ;
la levée de ce doute permet donc bien l’équivalence entre la vérité des choses et ma perception ;
mais cette équivalence n’implique pourtant pas l’adéquation entre ma perception, d’une part, et
la totalité des propriétés des choses, donc la puissance créatrice de Dieu, de l’autre.
16 A. Gibieuf, 19.I.1642, AT III, 474, 200-0475, 1.
17 A. Gibieuf, 19.I.1642, AT III, 475, 19-22 ; puis 475, 23-24. Voir A. de Launay, 22.VII.1641, AT
III, 420, 25 – 421, 15. Sur cette base, Descartes peut réfuter les arguments opposés par Arnauld,
qui tendaient à confondre la relation corps/esprit avec la relation triangle/propriétés du triangle
(AT VII, 223, 25 - 225, 25, voir supra, n. 7).
18 Ethica II, § 32 utilise, dans sa démonstration I, ax. 6 : « idea vera debet cum suo ideato
convenire » et non pas II, def. 4 : « Per ideam adaequatam intelligo ideam, quae, quatenus in se
sine relatione ab objectum consideratur, omnes ideae proprietates sive denominationes
intrinsecas habet » (voir infra n. 31).
19 La locution « in Deo » de § 32 renvoie utilement au « Quicquid est, in Deo est, et nihil sine Deo
esse neque concipi potest » de I, § 15, d’ailleurs cité par II, § 36, dem., pour fonder le « in Deo
adaequata » (II, § 38, dem.). La locution « in nobis » renvoie à Dieu, mais seulement « quatenus
nostrae Mentis essentiam constituit » (II, § 34, dem.). Comment établir leur équivalence ?
Souvent Spinoza la définit ; ainsi en II, § 43, dem. : « Idea vera in nobis est illa, quae in Deo,
quatenus per naturam Mentis humanae explicatur, est adaequata » ; reste alors à démontrer
qu’une telle idée – adéquate en nous, c’est-à-dire en Dieu expliqué par notre âme seulement – est
bien donnée ; Spinoza répond en l’affirmant : « Ponamus itaque, dari in Deo, quatenus per
naturam Mentis humanae explicatur, ideam adaequatam A ». Mais la poser ne suffit pas à la
prouver.
20 Commentant II, § 34, M. Gueroult pense pouvoir la comprendre ainsi : « La démonstration
consiste à identifier (…) l’idée adéquate donnée en nous à l’idée adéquate donnée en Dieu. Les
deux idées n’en faisant qu’une et toute idée en Dieu étant vraie (§ 32), l’idée adéquate en nous est
de fait vraie » (Spinoza, t. 2, L’âme, Paris, 1974, p. 307). Cette élégante glose nous semble fragile
parce que (a) il ne se trouve pas ici deux idées adéquates, mais bien une seule, celle qui, référée à
Dieu, se trouve en Dieu et nullement en nous ; (b) il s’agit donc pas d’identifier deux idées déjà
adéquates, mais d’identifier l’idée inadéquate et nôtre avec l’idée adéquate et divine. Bref la
séquence « Cum dicimus dari in nobis ideam adaequatam… » ne saurait absolument pas
signifier « Datur in nobis idea adaequata », sauf par pétition de principe.
21 Nul doute que Ethica II n’affirme à plusieurs reprises ailleurs l’adéquation de l’idée que Dieu
a, en tant que constituant simplement mon esprit (ainsi § 34 dem., § 38 dem., § 40 dem., § 43
dem.). Mais toute la question reste de savoir comment reste possible l’adéquation d’une idée
limitée à un mode ou un ensemble fini de modes. En effet (a) si « nullae <ideae> inadequatae
nec confusae sunt, nisi quatenus ad singularem alicujus Mentem referuntur » (§ 36), alors
toutes les idées rapportées à un seul esprit fini ou (ce qui revient au même) à Dieu, en tant que
constituant cet esprit particulier, sont inadéquates ; (b) d’autant plus que mon esprit ne peut se
concevoir que « simul » d’autres idées et qu’ainsi Dieu, en tant que constituant mon esprit, doit
concevoir « simul » d’autres idées à partir de mon seul esprit, donc « înadéquate » (§ 11 cor.. M.
Gueroult lui-même distingue, à propos de ce dernier texte, « … Dieu (…) en tant qu’il est infini et
en tant seulement qu’il est fini » ; mais alors comment admettre encore que ce Dieu « … tenu
pour non-infini, c’est-à-dire pour fini » (op. cit., p. 122 et 125) puisse avoir ou produire une idée
adéquate – sinon, comme la mens, qu’il constitue et qui l’explique, c’est-à-dire par référence à
Dieu infini ? Mais dès lors, le masque des métonymies ainsi levé, Spinoza affronte la difficulté
cartésienne de l’infini incommensurable au fini : la résout-il vraiment ?
22 F. Alquié estime que Ethica II, § 46 a, particulièrement, de quoi nous surprendre et conclut
que la connaissance de Dieu (même du troisième genre !) reste « un programme et un vœu » et
que « ce programme n’est pas réalisé, ce vœu n’est pas satisfait » (Le rationalisme de Spinoza,
Paris, 1981, p. 232 sq. et p. 236). De son côté, M. Gueroult reconnaît dans la § 47 une
« affirmation hardie » (op. cit., p. 430) ; pourtant il préfère résoudre une difficulté en fait
marginale au texte (comment justifier la transition entre être une idée qui enveloppe la
connaissance adéquate de Dieu et avoir la connaissance adéquate de Dieu) (op. cit., p. 427),
plutôt que d’affronter la véritable aporie : comment le fait que la connaissance d’une chose
quelconque implique, à titre d’objet connu, la connaissance adéquate de Dieu (II, § 46) permet-il
de droit qu’une idée (celle de la mens humana) ait, à titre de sujet connaissant, la connaissance
adéquate de l’essence divine (II, § 47) ? Au contraire J. Bennett pointe clairement la difficulté :
« … he says <Spinoza> that all men can have knowledge of God, because all men do, this being
based on 2p47 (…) This is on a par with arguing that because all men eat, it is possible for them
all to eat well » (A Study of Spinoza’s ‘Ethics’, Cambridge (Ma.), 1984, p. 306 ; voir p. 368).
23 Sans doute seulement, puisqu’il faudrait s’interroger sur le secours théorique que la doctrine
des notions communes (esquissées en II, § 40, sc. I et II) pourrait apporter à la démonstration
des deux univocités (comme nous l’a suggéré aimablement A. Matheron). Deux faits en limitent
cependant, avant toute enquête, la portée : (a) la § 32 précède l’apparition des notions communes
et ne peut donc pas, en bonne logique, s’en autoriser ; (b) la § 47 ne les mentionne pas dans sa
rigueur soutenir qu’elle les utilise indirectement, par le biais d’une allusion faite dans la
démonstration de la § 46.
24 Voir Ethica II, § 43, sc. : « Sane sicut lux seipsam et tenebras manifestat, sic veritas norma
sui et falsi est », mais déjà aussi Cogitata Metaphysica I, § 6 : « Si quis quaerat quid sit veritas
praeter veram ideam, quaere etiam quid sit albedo praeter corpus album ». Mais il est permis
de songer simplement à Descartes : « Il <H. de Cherbury> ce que c’est que la vérité ; et pour moi,
je n’en ai jamais douté, me semblant que c’est une notion si transcendentalement claire, qu’il est
impossible de l’ignorer : en effet il y a bien des moyens pour examiner une balance avant que de
s’en servir, mais on n’en aurait point pour apprendre ce que c’est que la vérité, si on ne la
connaissait de nature. Car quelle raison aurions-nous de consentir à ce qui nous l’apprendrait, si
nous ne savions qu’il fût vrai, c’est-à-dire, si nous ne connaissions la vérité ? » (A Mersenne,
16.X.1639, AT II, 596, 25 – 597, 9).
25 Autres exemples en De Intellectus Emendatione, § 74 (corps subtil, idée intrinsèquement
fausse), § 95 (mauvaise définition du cercle), §§ 104-105, et en Lettre 55 (déduire les propriétés
du cercle de son idée). La déduction vraie qui vérifie intrinsèquement une idée se poursuit « …
nulla interrupta concatenatione rerum » (De Intellectus Emendatione, § 80), selon une formule
qui renvoie aux Regulae ad Directionem Ingenii : « … plurimae res (…) a veris cognitisque
principiis deducantur per continuum et nullibi inerruptum cogitationis motum singula
perspicue intuentis » (III, AT X, 369, 22-26), « … continuo et nullibi interrupto cogitationis
motu… » (VII, 387, 11-12), « … continuo et nulibi interrupto cogitationis motu… » (XI, 407, 4),
« … nullibi interrupto ordine… » (XVII, 460, 10). Voir sur ce point les Règles utiles et claires…,
op. cit., p. 221-223.
26 Regula XII, AT X, 420, 14-15 ; voir l’explication en 420, 16-421, 2 ainsi que 423, 1-30 et 432,
17-18. Suivant H.A. Wolfson, (Yhe Philosophy of Spinoza, Cambridge (Mas.), 1934, t. 2, p. 112
sq.), M. Gueroult rapproche très judicieusement De Intellectus Emendatione, § 62 sq., de la
Regula XII : « Ces notions sont d’origine cartésienne et font consister la connaissance vraie dans
l’analyse qui permet la découverte des natures simples, connues intuitivement de façon claire et
distincte : elles disparaîtront de l’Ethique » (Op. cit., p. 601, voir pp… 602 et 605). On pourrait
discuter la réserve finale, car, en fait, l’Ethica maintient l’usage antérieur pour au moins deux
raisons : (a) elle-même ne consiste entière qu’en une seule déduction des implications d’une seule
idée vraie ; (b) la vérification intrinsèque de l’idée vraie constitue la définition générique de l’idée
a déquate. Spinoza porte à son acmé ce que Descartes n’avait que partiellement entrevu et tenté.
En faveur de ce rapprochement, voir J.D. Sanchez Estop, « Spinoza, lecteur des Regulae. Notes
sur le cartésianisme du jeune Spinoza », Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques 71,
1987, pp. 55-66. Il faut rappeler que J.H. Glazemaker, traducteur en néerlandais de Spinoza (voir
J. Kingma/A.K. Offenberg, Bibliography of Spinosa’s Works up to 1800, Amsterdam University
Library, 1977), fut aussi le traducteur des Regulae, dont la version R. Des Cartes Regulen van de
bestieringe des verstants parut à Amsterdam en 1684, dant le t. III de Alle de Werken van de
Heer Renatus Des Cartes et dont la publication avait commencé dès 1656 (voir L. Thijssen-
Schoute, « Le cartésianisme aux Pays-Bas », in Descartes et le cartésianisme hollandais,
Paris/Amsterdam, 1950, p. 191 sq. et G. Crapulli, René Descartes, Regulae ad Directionem
Ingenii, texte critique avec la version hollandaise du XVIIe siècle, La Haye, 1966, pp. XIV-XVI) ;
certains de ces volumes se trouvaient dans la bibliothèque de Spinoza (voir J. Freudenthal, Die
Lebensgeschichte Spinoza’s, Leipzig, 1899, pp. 160-164 et K.O. Meinsma, Spinoza en zijn kring,
La Haye, 1896, Spinoza et son cercle, traduction par S. Roosenburg et annotation par H.
Méchoulan, J.-P. Osier et alii, Paris, 1983, p. 404).
27 Regula III, AT X, 368, 21-24. Par comparaison avec l’exemple de Descartes, celui de Spinoza
ne paraît pas tout à fait judicieux : l’idée d’un demi-cercle n’implique-t-elle pas, en effet, une plus
grande complexité que celle d’un cercle, dont elle suppose la division ? Descartes précisait
nettement que toute limitation de l’étendue produisait une idée plus complexe que celle
d’étendue (Regula XII, 418, 19 – 419, 5).
28 A. Gibieuf, 19.I.1642, AT III, respectivement 474, 20 – 475, 5 ; puis 475, 5-7 et 19-21 ; 476, 14
et 477, 4 ( = 478, 5).
29 A. Silhon ( ?), III.1637, AT I, 353, 22-26.
30 Nous nous permettons de renvoyer à notre hypothèse, dans « Le fondement de la cogitatio
selon le De Intellectus Emendatione. Essai d’une lecture des §§ 104-105, Les Études
Philosophiques, 1972/3.
31 D’autres apparitions de la définition intrinsèque de la vérité dans II, § 21, sc. (« … sine
relatione ad objectum… »), § 34 (« … in nobis… »), § 43, sc. 2. Voir H.A. Wolfson, op. cit., p. 99
sq.
32 Respectivement, IVe Rsponsiones, AT VII, 220, 13 et 221, 8 puis Discours de la Méthode, AT
VI, 8, 16-17.
33 Disputationes Metaphysicae, XXXV, s. 2, n. 2, in Suarez, Opera omnia, éd. D.M. André, Paris,
Vivès, 1856, t. 26, p. 436 ; puis I, s. 5, n. 41, t. 25, p. 49.
34 De Deo trino et uno, II, c. VII, n. 2, t. 1, p. 64. Il faut nettement souligner qu’ici, au contraire
de chez Thomas d’Aquin, ce n’est pas le désir naturel de voir Dieu qui soutient la thèse, mais
l’accomplissement du concept objectif d’ens (voir c. VII, n. 10, p. 66 et c. VIII, n. 4, p. 70).
35 De Deo trino et uno, II, c. VII, n. 20, p. 69. La prééminence du concept d’ens permet d’aller
jusqu’à la thèse extrême de penser l’éventualité d’une connaissance quidditative de l’essence
divine sans illumination de grâce : « … mihi probabilius est, lumen gloriae non esse necessarium
de potentia absoluta ad videndum Deum » (c. XVII, n. 5, p. 111).
36 De Deo trino et uno II, c. XVIII, n. 4, p. 114.
37 De Deo trino et uno II, c. XXIX, n. 8, puis n. 13, p. 176 et 177.
38 De Deo trino et uno II, c. V, n. 8, p. 61. Voir : « … licet videns essentiam Dei, videat ipsam esse
infinite cognoscibilem, tamen simul videt a se non infinite videri, et ita suam visionem non
habere modum adaequatum objecto et ideo non comprehendere illud » (XXXIX, n. 14, p. 178).
Sur l’impossibilité de comprehendere Dieu chez Descartes, voir, entre autres récents dossiers,
notre étude Sur la théologie blanche de Descartes, Paris, p. U.F., 1981, 19811, 19912, p. 398 sq.
39 Summa Theologiae, Ia, q. 12, a. 1.
40 Contra Gentes, III, respectivement c. 51 et 52. Il faut trouver ici l’origine des restrictions
cartésiennes : « … nisi peculiariter ipsi <intellectus creatus> Deus revelet » (AT VII, 220, 14),
« … il est besoin d’avoir quelque extraordinaire assistance du ciel, et d’être plus qu’homme »
(D.M., AT VI, 8, 16-17), « … nisi quatenus modo extraordinario et supernaturali a Deo
impellebantur » (Epistula ad G. Voetium, AT VIII-2, 124, 13-14). Descartes mentionne d’ailleurs
explicitement la vision béatifique, à partir de laquelle il interprète l’une de ses rares mentions de
la connaissance intuitive (en français du moins) : « … la qualité de la connaissance de Dieu en la
béatitude, la distinguant de celle que nous en avons maintenant, en ce qu’elle sera intuitive. (…)
La connaissance intuitive est une illustration de l’esprit, par laquelle il voit en la lumière de Dieu
les choses qui lui plaît lui découvrir par une impression directe de la clarté divine sur notre
entendement, qui en cela n’est point considéré comme agent, mais seulement comme recevant les
rayons de la divinité » (A Newcastle < ?>, mars-avril 1648, AT V, 136, 16-18 et 23-29). On ne
saurait parler en plus stricte conformité avec Thomas d’Aquin. Voir aussi l’étude récente de L.
Renault, « Philosophie cartésienne et l’hypothèse de la pure nature », Les Études Philosophiques,
1996/2.
41 Contra Gentes, III, c. 52.
42 Contra Gentes, III, c. 53 et 58. Voir « lumen divinae gloriae », in Summa Theologiae, Ia,
q. 12, a. 1 et Compendium theologiae, c. 105 ; « fulgor divinae essentiae » in De Veritate, q. 8, a.
1 ; « … ipsa essentia non videbitur, sed quidam fulgor, quasi radius ipsius », in Summa
Thaologiae, Supplementum, q. 92, a. 1.
43 Contra Gentes, III, c. 55. Voir De Veritate, q. 8, a. 2 ; et Summa Theologiae, Ia, q. 12, a. 8.
L’article 7 de cette même question donne comme exemple de compréhension l’égalité de la
somme des angles d’un triangle à deux droits : il sera souvent repris par Descartes,
paradoxalement pour démontrer l’existence de Dieu à partir de son essence (AT VII, 66, 7-10).
44 Contra Gentes III, c. 59. Voir Summa Theologiae, Ia, q. 12, a. 8 (connaissance non
compréhensive des conséquences d’un principe et cause) ; a. 9 : « … cognoscere eas, prout earum
similitudines praeexistunt in Deo, est videre eas in Deo » ; De Veritate, q. 8, a. 4 : « Possibile
tamen est ut aliquis intellectus creatus essentiam Dei videns, omnia cognoscat quae Deus scit
scientia visionis, ut de anima Christi ab omnibus tenetur » (ici, le Christ assure non seulement le
salut des ignorants, mais aussi des savants) ; Summa Theologiae, Supplementum, q. 92, a. 1,
ad. 2 : « … visio autem illa, qua Deum per essentiam videbimus, est eadem cum visione, qua
Deus se videt », donc nous voyons ses effets comme il les voit. Sur cette doctrine en général, voir
W.J. Hoye, Actualitas Omnium Actuum. Man’s Beatific Vision of God as apprehended by
Thomas Aquinas, Meisenhein a/ G., 1975 et surtout le travail monumental de C. Trottman, La
vision béatifique des disputes scolastiques à sa définition par Benoît XII, Bibliothèque de l’École
française de Rome, Paris, 1995.
45 De Deo uno et trino, II, respectivement c. XXV, n. 20, puis c. XXVI, n. 10 et 14, t. 1, p. 151, 161
et 163.
46 Respectivement Cogitata Metaphysica I, 1. « Incipiamus igitur ab Ente, per quod intelligo id
omne, quod, cum clare et distincte percipitur, necessario existere, vel ad minimum posse
existere, reperimus » (nous soulignons) –, puis Epistula LXIV – « Denique exempla quae petis,
primi generis, sunt in cogitatione, intellectus absolute infinitus, in extensione autem motus et
quies ; secundi autem, facies totius Universi, quae quamvis infinitis modis variet, manet tamen
semper eadem » – et, enfin De Deo uno et trino II, c. XXVIII, n. 8, t. 1, p. 171. Notons qu’ici
Suarez cite et commente Summa Theologiae, Ia, q. 12, a. 8, ad 4m : « … species et genera rerum
et rationes earum ».
47 On songe d’abord au Jorte Verhandling, I, 1 et aux commentaires de F. Mignini en sa
remarquable édition et traduction, Breve Trattato, Japadre Editore, Padova, 1986, index
nominum ; à Ethica I, § 29 sc., citant le Commentaire thomiste des Noms divins de Denys, et aux
remarques plus hasardeuses de H. Wolfson, The Philosophy of Spinoza, op. cit., t. 1, p. 16 et 368.
48 Notre attention a été attirée sur cet ouvrage rare (B.N.R. 2703) par l’érudition de notre
collègue et ami t. Verbeek, dans sa traduction annotée de René Descartes/Martin Schoock. La
querelle d’Utrecht, Paris, Les impressions nouvelles, 1988, p. 471.
49 Parus l’un et l’autre à Leyde, respectivement en 1650 ( ?) et en 1654. Sur Heereboord, voir H.
de Djin, « drian Heereboord en hat Nederlands Cartesianisme », Algemen Tijdschrift voor
Wisjbegeerde, 75, 1983.
50 Disputationes Metaphysicae, XXV, s. 1, n. 43, op. cit., t. 25, p. 910, cité par J. Revius, op. cit.,
p. 480.
51 « … •anyrvpolatreæiaß qua beati Deo adaequantur », loc. cit., p. 480. Pour éviter ces
« monstres », Revius soutient, par un excès contraire, que même les beati n’obtiennent pas une
species de l’essence divine (op. cit., p. 516 et 562).
52 Respectivement Principia Philosophiae Cartesianae I, VI, dem., et Korte Verhandeling I, 1,
éd. F. Mignini, op. cit., p. 5. Voir De Intellectus Emendatione, § 49, § 92 (note « … nihil nos de
Natura posse intelligere, quin simul cognitionem priamae causae, sivi Dei, ampliorem
reddamus »), § 99, etc.

Pour citer cet article


Référence papier
Jean-Luc Marion, « Apories et origines de la théorie spinoziste de l’idée
adéquate », Philosophique, 1 | 1998, 207-239.

Référence électronique
Jean-Luc Marion, « Apories et origines de la théorie spinoziste de l’idée
adéquate », Philosophique [En ligne], 1 | 1998, mis en ligne le 06 avril 2012, consulté le 26
janvier 2021. URL : http://journals.openedition.org/philosophique/278 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/philosophique.278

Auteur
Jean-Luc Marion

Droits d’auteur
© Presses universitaires de Franche-Comté

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