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Ephemerides Carmeliticae 22 (1971/1) 115-127

C R E A T IO N , PECH E O R IG IN E L

L it t é r a t u r e r é c e n t e

La doctrine du péché originel est à l’ordre du jour. Tout en n ’é­


tant pas exhaustif, le bulletin présent en pourra déjà donner une
idée et indiquer quelques-unes des orientations qui se font jour.
C'est du moins ce que nous espérons. La recherche de la vérité et
le souci d’une présentation pastorale correcte sont les caractères
fondamentaux de ces ouvrages catholiques. C’est en nous m ettant
dans la même perspective, et aussi dans la charité, que nous osons
faire avec franchise nos réserves et proposer quelques complé­
ments, en vue d’une synthèse que nous cherchons tous. Nous com­
mencerons par un ouvrage qui s’étend sur un champ plus vaste,
pour nous arrêter ensuite aux auteurs qui se sont penchés sur le
seul péché originel et ses implications.

* * *

M. Flick — Z. A l s z e g h y , Fondamenti di una antropologia teologica,


Libreria Editrice Fiorentina, 1969. 442 p. 22,50 cm. L. 5.800 (Nuo-
va Collana di Teologia Cattolica 10).

Ce livre qui contient la m atière de deux traités classiques, l'un,


le De Deo Créante et Elevante, l’autre, le De Gratia, n ’est pas un ré­
sumé, mais une sorte de vade-mecum qui veut guider les étudiants
pour un approfondissem ent personnel. Aussi suppose-t-il un manuel
plus complet et les auteurs renvoient-ils fréquem m ent aux deux gros
ouvrages, qu’ils ont publiés antérieurem ent dans la même collec­
tion, ce qui pose un problèm e économique pour les pauvres. Nous
limitons ici nos rem arques à la prem ière partie, qui correspond à
peu près au prem ier traité m entionné plus haut. Ce qui change par
rapport à l’ouvrage précédent, Il Creatore, c’est surtout la perspec­
tive, qui est m aintenant décidément anthropologique. Effort louable,
encouragé d'ailleurs p ar le dernier Concile. Encore faut-il faire at­
tention à ce que cette perspective soit assez large pour comprendre
toutes les données de la révélation. Disons que les auteurs y ont
assez bien réussi, excepté pour l’angélologie. Ils l’avouent d’ailleurs
116 AMATUS DE SUTTER

expressément et renvoient pour la doctrine à leur livre précédent.


Mais dans la nouvelle synthèse, disent-ils, ils n ’ont pas trouvé de
place pour les anges. Franchem ent, nous ne le comprenons pas. En
effet, si ceux-ci font partie de l’univers créé et si, comme nous le
savons clairem ent p ar la révélation, ils ont, entre autres pour tâche
celle d’aider les hommes, appelés à vivre éternellem ent en leur com-
pagnie, on ne voit pas comment les anges ne peuvent pas rentrer
dans une synthèse anthropologique. Les éliminer de cette perspec­
tive, c’est restreindre l’horizon réel, c'est appauvrir le milieu dans
lequel vit l ’homme concret. E t tan t pis pour l ’évolutionnisme, s’il
n ’arrive pas ju sq u ’aux anges! Le silence actuel autour des anges et
des démons pourrait finir p ar prendre la signification d’une néga­
tion pure et simple. Ce n ’est pas le cas pour nos auteurs; aussi
espérons-nous qu'il trouveront le tem ps de revoir leur synthèse dans
le sens indiqué; au point de vue spéculatif, ils pourront s’inspirer
des indications intéressantes de leur confrère K. Rahner.
Parmi les thèm es qui ont été développés avec plus d’am pleur et
d'originalité, signalons celui de l’homme comme image de Dieu, tant
sous son aspect individuel que sous son aspect social. Ils ont fait
aussi un effort intéressant pour expliquer la création imm édiate de
l’âme humaine. Il faut rem arquer qu’au sens strict du m ot la créa­
tion ne s’applique qu’à la production « ex nihilo » d'une substance
complète. Or, l’âme hum aine n'étant pas une substance ainsi compri­
se, sa création devra donc être entendue d'une m anière analogique.
D’autre part, l’acte générateur des parents étant ordonné à la per­
sonne, ne pourrait-on pas adm ettre de ceux-là qu’ils sont les causes
instrum entales de la « création » de l ’âme? C'est une piste de re­
cherche à explorer davantage. On pourrait, pour cela, réfléchir sur les
raisons qu’a saint Thomas de refuser à la créature la possibilité
d’être cause instrum entale dans la création et les com parer avec sa
position qui reconnaît la causalité instrum entale des sacrem ents par
rapport à la grâce, qui est, elle aussi, tout à fait nouvelle et sans
pourtant être « créée ».
Quant à affirmer que le commencement de l’univers n ’appartient
pas à la foi, nous n ’en sommes pas d'accord. Nous l’adm ettons sans
peine, la pensée juive est arrivée progressivement à connaître la vé­
rité de la création en réfléchissant sur le gouvernement divin. Mais
si l’on dit que toute la vérité reste sauve en m aintenant seulement
la dépendance totale de la créature vis-à-vis de Dieu, on introduit
sans preuve une vérité philosophique dans une m entalité juive, qui
distingue nettem ent création et gouvernement. De plus, puisque la
création fait partie de l'histoire du salut( il nous semble aller contre
l’intention des auteurs sacrés de nier que cette histoire ait eu un
CRÉATION, PÉCHÉ ORIGINEL 117

commencement. La condamnation donnée p ar l’encyclique Humani


Generis, conserve donc toute sa valeur. C’est apporter là d’ailleurs un
argum ent bien faible que de constater qu’un point est actuellement
contesté pour en conclure qu’il n ’est pas de foi. A ce compte-là on
pourrait rayer aujourd’hui presque tous les articles du symbole.
La nature du péché originel est approfondie selon ses différents
aspects: ontique, causal, moral. Cette analyse évite beaucoup d’er­
reurs et de malentendus; nous ne pouvons qu’en louer les auteurs.
La définition donnée par m anière de conclusion serait encore plus
parfaite, si elle faisait aussi m ention explicite de l’aspect ontique.
Ne pourrait-on pas la com pléter en insérant ces quelques mots:
« l’incapacità di am are Dio sopra tu tte le cose, radicata nella man-
canza di comunione vitale con Lui »?
D’autres points seraient encore à signaler, par ex. ceux qui re­
gardent le monogénisme, problèm e auquel on donne actuellement
trop d’importance, selon les auteurs et nous pouvons en être d’ac­
cord. Ce que nous avons dit suffit, croyons-nous, pour dém ontrer
tout l’intérêt que présente cet ouvrage.

Charles B aumgartner, Le péché originel, Paris, D esclée et Cie, 1969.


172 p. 22 cm. (Collection: Le Mystère chrétien).

Dans les limites que lui imposait la nature de cette collection,


l’A. s’est efforcé de nous donner une synthèse en tenant compte des
publications récentes sur le sujet. Dans une prem ière partie, il com­
mence par brosser un grand tableau, un abrégé dit-il, de toute la
doctrine. Ce sont, croyons-nous, les pages les plus personnelles du
livre et les prédicateurs pourront en tire r grand profit. Viennent
ensuite des approfondissem ents, pour la partie scripturaire surtout,
comme pour les interventions du Magistère. La question débattue
du monogénisme n ’a pas été évitée, comme c’était d’ailleurs normal.
Après un essai d’explication du péché originel, fondée sur la solida­
rité de tous les hommes, l’A. arrive à la conclusion dans laquelle il
tâche de déterm iner ce qu’est au fond le péché originel et ce qui
appartient à la substance de la foi pour toutes les demandes qu’on
fait à ce propos. Telle est la division claire et bien ordonnée de cet
ouvrage, qui sera accueilli, nous n ’en doutons pas, comme le manuel
qu’on attendait depuis longtemps. C’est précisém ent en vue de son
usage et de sa grande diffusion que nous proposons ici quelques
réflexions, qui pourront être utiles pour en perfectionner la rédac­
tion.
Le livre a été term iné à la fin de 1968; voilà déjà passées près-
118 AMATUS DE SUTTER

que trois années, ce qui est beaucoup aujourd’hui, pour ce sujet en


particulier. Ainsi, par exemple, le bulletin de A.M-. Dubarle dans la
Rev. des Sc. phil et théol 53 [1969] 81-113 propose-t-il quelques nuan­
ces à l’exégèse bien connue de S. Lyonnet et note-t-il que P. Schoo-
nenberg lui-même n ’attache plus une grande im portance à la partie
de sa théorie tenant que le péché du monde a été consommé par
le rejet du Christ dans la crucifixion. Quant à la substance de cette
théorie, que l’A. admet, il devra répondre à la critique de fond et
sans appel, croyons-nous, que lui a adressée A. Vanneste dans son
livre: Het dogma van de erfzonde, Tielt, 1969 (cfr. Ephem. Carmel.
21 [1970] 433-434 avec les réserves données en Nouv. Rev. théol. 92
[1970] 774), Nous ajouterions, de notre côté, que P. Schoonenberg
a beaucoup de difficulté, comme il le reconnaît lui-même, à justifier
la nécessité du baptêm e d’un enfant, né dans un milieu parfaitem ent
chrétien. D’autre part, il ne semble pas avoir regardé en face un
autre problème, parallèle au précédent: que faut-il penser de l’effica­
cité d'un baptêm e adm inistré à un enfant qui reste dans un milieu
anti-religieux? L’objection est grave et détruit la base, sur laquelle
est construite toute la théorie. Elle identifie indûm ent; comme le
note aussi A. Vanneste, péché originel et concupiscence. Aussi long­
temps qu’on ne tient pas compte de cette distinction fondam entale qui
est un donné de foi, on s’expose à toutes sortes d’équivoques. Nous
v retournerons à propos du livre de K. H. Weger. Ch. Baum gartner
le dit très bien p. 163 (cfr. p. 23) : « Chacun d’entre nous commen­
ce son existence sans la grâce, séparé de Dieu et par suite incapable
d’aim er le prochain, de surm onter ses propres conflits intérieurs ».
S’il avait souligné les paroles « p ar suite » et s’il s’en était inspiré
davantage, nous ne doutons pas que l'A. se serait séparé, par la
logique de la pensée, de la position de Schoonenberg et qu’il aurait
été plus à l’aise dans le dogme catholique.
Quant à la concupiscence et à la m ortalité, l’A. aurait pu tirer
plus de profit des exposés de R. Troisfontaines et de K. Rahner en
insistant davantage sur l'aspect religieux de ces réalités. Cela lui au­
rait aussi perm is de poser en term es plus clairs le problème de l’état
paradisiaque, qu’il a liquidé un peu trop hâtivement. Car, il faut
bien le répéter, le yahviste était convaincu que, tel qu’il le connais­
sait. le monde ne pouvait pas avoir son origine en Dieu. Tous se­
ront d’accord sur ce point. Mais alors la question surgit inévitable­
ment: comment le monde a-t-il été créé et comment le monde actuel
a-t-il commencé? Rien à faire: c’est la même demande que celle du
yahviste et la réponse devra rester substantiellem ent la même.
Ou'on fasse appel à l’aspect prophétique, à l’étiologie, etc., autant
qu’on le voudra, on rencontrera inévitablement le même problème
CRÉATION, PÉCHÉ ORIGINEL 119

que celui du yahviste. Saint Paul a illuminé toute la question par


la doctrine de la Rédemption. Nous disons bien « illuminé », et non
pas « supprim é ». Or, il nous semble que c’est bien à sa suppression
que nombre d’auteurs tendent aujourd’hui, sans peut-être s’en ren­
dre compte. N'est-ce pas dans cette direction que vont les dernières
phrases par lesquelles l’A. conclut son livre, p. 165 (c’est nous qui
soulignons): « Comme on l’a dit justem ent, la doctrine catholique
du péché originel n ’est pas autre chose qu’une tentative pour définir
le statut théologique de l’homme en dehors du Christ. C’est donc un
point de vue abstrait sur l’homme concret dont l’histoire n ’est pas
seulement une histoire de perdition, mais une histoire de salut ».
Dans ce qui suit, il passe au-dessus de ce « seulement » : « La subs­
tance de la foi revient essentiellement à croire au mystère de la ré­
demption universelle du Christ. Tous les hommes sans exception
ont besoin de Jésus Sauveur ». L’impression fâcheuse est corrigée
par ce qui suit : « En d’autres term es, p ar sa propre faute, l’hum a­
nité se trouve dans une situation de disgrâce générale; tous les hom ­
mes viennent au monde dans une situation pécheresse telle que, en
dehors de la grâce, ils vont à leur perdition éternelle à travers les
péchés personnels qu’ils com m ettent inévitablement et librem ent ».
On se demande à la fin: point de vue abstrait, oui ou non? Nous
répondrions avec saint Paul et le dogme: deux situations réelles,
celle du péché et celle de la Rédemption, et combien concrètes, qui
s’appellent m utuellem ent et nécessairement.
En regardant le péché originel comme une situation, on n’ar­
rive jamais, quoiqu’on fasse, à le com prendre en sa profondeur qui
est pleinement ontologique. L’A. écrit, p. 18, avec beaucoup de per­
tinence: « La tentative de rem placer les m ots traditionnels par d’au­
tres, plus intelligibles aux hommes d’aujourd’hui, de soi légitime,
n’est pas sans risques sérieux, car on s’expose, en laissant tom ber
une expression consacrée par une tradition, fût-elle seulement par­
tielle, comme c’est le cas, de laisser tom ber aussi quelque chose qui
fait partie de la substance même de la foi ». Ce qui est vrai pour un
mot, celui de péché, cela l’est davantage encore pour son interpré­
tation. Nous ne voulons pas dire qu’on doit se laisser dom iner par la
peur de se trom per et se condamner ainsi à l’immobilisme, mais
qu’on doit être extrêm em ent prudent et, surtout, qu’on doit écouter
d'abord toutes les critiques avant de lancer dans le grand public une
théorie nouvelle. Le livre que nous présentons est destiné aux étu­
diants en théologie, et c’est surtout pour cette raison que nous pro­
posons les corrections que nous croyons nécessaires.
120 AMATUS DE SUTTER

S. G. M. T r o o ster , Heil en onheil. Proeve van een theologische an­


thropologie, Kasterlee, De Vroente, 1970, 21 cm. 207 p.

L’A. admet qu’il y a dans l'homme une inclination profonde et


universelle à refuser à la parole créatrice de Dieu la réponse qu’il
devrait lui donner (p. 116). D'où la questionj qui se présente dès le
début du livre: quelle pourrait être l’origine de cette inclination
mauvaise? Dieu étant absolum ent exclu, il ne reste que l’homme.
Alors la demande se précise: comment cela est-il arrivé? L’A. ne
veut pas voir dans Genèse 2-3 ce qu’il appelle « de l’historism e » (p.
95). Il est convaincu que là n ’est pas l'intention de l’auteur sacré lui-
même. Cette conviction a pour base, nous semble-t-il, le postulat
qu’une saine conscience morale n ’est pas possible dans un homme
peu évolué au point de vue culturel (p. 37, 92, etc.). Disons seule­
ment que cela est un postulat, rien de plus et que nous le reje­
tons. En droit, c’est bien évident, le savoir de type ontologico-moral
se développe sur une toute autre ligne que le savoir de type positif
engendrant sciences et techniques; en fait un « sauvage » peut avoir
le sens moral et un technicien des plus raffinés peut en être totale­
m ent dépourvu. Il ne faut pas confondre les ordres de valeurs. L’ef­
fort de l’A. pour enlever\fowf caractère historique à Gen. 2-3 est forte­
m ent influencé par son postulat. Il tâche de réduire ces chapitres
à un simple prophétiej une « protologie ». A ce propos deux rem ar­
ques s’imposent. D’abord, est-ce une bonne méthode de vouloir in­
terpréter l’écrit yahviste, écrit très ancien, à l’aide d’écrits plus ré­
cents? L’intention de son auteur n ’est-elle pas, de toute évidence,
d’écrire les origines historiques du mal? De quel droit veut-on nier
qu’il ait eu cette intention essentielle? Bien entendu, pour écrire
son récit, il a fait un choix dans les images courantes de son épo­
que et celles-ci n'ont pas une valeur historique. Mais, c’est notre
seconde rem arque, l’inspiration divine, que les auteurs catholiques
adm ettent, ne l’aurait-elle pas aidé dans la réflexion sur la situation
malheureuse présente, pour en découvrir la vraie cause historique?
Nous voudrions ajouter encore une troisième rem arque. On reste
étonné devant la conclusion qu’étant une prophétie Gen. 2-3 ne peut
nas être historique. Cet argum ent suppose qu'un récit ne peut pas
être tout à la fois historique et prophétique. Donc, même si l’on
adm ettait que ce soit là une protologie, on n ’aurait pas encore le
droit, pour cette seule raison, de nier son caractère historique.
Nous concédons volontiers qu’il y a un lien très étroit entre la pro­
tologie et l’eschatologie, mais il nous semble absolum ent contraire
à l’intention du yahviste de lui faire dire ce que Dieu a eu seule­
m ent l’intention de faire ou ce que l’homme devrait être « en prin­
CRÉATION, PÉCHÉ ORIGINEL 121

cipe » et non pas ce qu’il était et ce qu’il a fait réellem ent au com­
mencement de l’histoire. Sous cet aspect nous ne pouvons pas ad­
m ettre qu’Adam est a-temporel (p. 85). Nous restons bien conscient
des nombreux problèmes que posent les origines de l’homme et le
péché originel. Mais nous ne pouvons pas suivre l’A. sur la voie où
il s’est engagé pour le résoudre. D’autres y ont mieux réussi, nous
semble-t-il, quoiqu'on soit encore très éloigné d’un commun accord.

P. Peccato originale e Redenzione secondo la Bibbia. La


D a c q u in o ,
nostra misteriosa solidarietà con il primo e il secondo Adamo,
Torino-Leumann, Elle Di Ci, 1970. 293 p. 21 cm.

Le livre de P. Dacquino se fait rem arquer par les qualités du


professeur: ordre progressif de l’exposé, clarté des divisions et des
subdivisions, fam iliarité extraordinaire avec les textes. Sa grande
valeur nous semble résider en ceci: nous immerger complètement
dans la m entalité hébraïque et nous faire comprendre de l’inté­
rieur le péché originel et la rédem ption, — deux composantes qui
s’éclairent m utuellement et doivent être saisies en une même pers­
pective. L’A. a personnellement développé et complété les résultats
des travaux précédents, celui du P. De Fraine notam ment, pour m et­
tre en pleine lumière la « personnalité corporative » et pour en tirer
toutes les conséquences. Il s’agit d’une catégorie qui n ’exclut pas de
soi l’individualité, tout au contraire; l’idée d’une personnalité qui
ne serait que collective est étrangère à la Bible. La personnalité cor­
porative inclut toujours la solidarité de toute une famille, de toute
une tribu, voire même d’une nation entière, avec ce qu’im seul de
ses membres fait, soit dans le bien, soit dans le mal. Par suite, la
solidarité dans la peine suppose la solidarité dans la faute. C’est
une m entalité qu’on rencontre souvent tant dans les écrits inspirés
que dans les apocryphes et dont les hébreux étaient profondém ent
pénétrés. L’on voit déjà ce que cela peut im pliquer pour la doctrine
du péché originel et de la rédem ption. Limitons-nous ici au péché
originel. Ce qui lui est propre, c’est qu’Adam est le chef responsable
non pas seulement d’un peuple, mais de tout le genre humain. Cette
solidarité universelle dans la peine et dans la faute dépasse la caté­
gorie habituelle de la personnalité corporative. Celle-ci s’en rappro­
che quand même de très près et cette conception disposait les juifs
à accepter l’idée de culpabilité universelle dans le péché d’un seul
homme. Les conceptions étant toutefois bien distinctes, l’A. doit
faire appel à une union unique entre une seule personne, Adam, et
tous les hommes; union unique encore en ce sens qu’elle n ’a été le
122 AMATUS DE SUTTER

fait que d’une seule action: une transgression coupable de la loi di­
vine. Notons encore que, d’après l’A., la signification de personna­
lité corporative est plus profonde que celle de solidarité, puisqu’elle
est réalisée sur le plan de l’être, tandis que la solidarité dans la
peine et dans la faute est l'une de ses conséquences et se situe sur
le plan de l’agir. On com prend alors pourquoi il ne suit pas S. Lyon-
net dans l'interprétation de Rom. 5, 12 et retourne tranquillem ent à
l’interprétation, dite latine, qui traduit la dernière partie du fameux
verset dans un sens causal: parce que tous ont péché, c.-à-d. parce
que tous ont été impliqués dans le péché commis par le prem ier
homme.
Ce prem ier homme était-il le prem ier, biologiquement parlant?
D’après ses prémisses l’A. ne voit logiquement pas d’inconvénient
à ce que toute une série d’êtres hum ains aient précédé Adam, ou
aue d’autres aient existé en même tem ps que lui. Lui, il était le
chef, non pas nécessairement biologique, mais theologique de toute
l’humanité, par une libre disposition de Dieu, dans le même sens que
le sera le Christ. C’est selon la même vue que l’A. affirme que le
péché originel ne se transm et pas nécessairement par génération
physique, mais par le seul fait de devenir m em bre de l’hum anité
pécheresse, de quelque façon que soit réalisée cette aggrégation.
Qu’Adam soit un individu et non pas un groupe est tout à fait
dans l’ordre des idées de l’Écriture et l’A. ne voit pas de raison
pour s’en écarter. L’opposition paulinienne entre Adam et le Christ
semble même rendre nécessaire cette conception. En outre, l’histo­
ricité de ce personnage ne peut pas faire de doute et Gen. 2-3 sem­
ble bien contenir une pointe anti-mythique. L’A. conclut la pre­
mière partie de son livre en répétant qu’on doit conserver à tout
prix l’idée exacte de culpabilité universelle par la faute personnelle
et historique d’Adam, sans quoi l’idée de rédem ption par le Christ,
second Adam, perd son sens.
Après ce résum é incomplet mais fidèle, croyons-nous, qu’il
nous soit permis m aintenant de poser quelques questions. Il est
affirmé à bon droit que la solidarité dans la peine suppose la soli­
darité dans la faute, mais, observe l’A., la « faute » ou le « péché »
peut avoir plusieurs sens: celui de transgression involontaire, celui
d’im pureté légale ou cultuelle, et enfin celui de transgression vo­
lontaire et morale (p. 24). Or, il nous semble que dans l’usage des
textes l’A. aurait pu préciser plus soigneusement ces différentes si­
gnifications, soit quand il parle de faute, soit quand il parle de cul­
pabilité. Son exposé y aurait beaucoup gagné en clarté et aurait
davantage entraîné la conviction. — Parlant des origines humaines
l’A, semble nier l’existence des dons prétem aturels. Avant d'exa­
CRÉATION, PÉCHÉ ORIGINEL 123

m iner le bien-fondé de cette négation il faudrait savoir de quelles


origines il s’agit: origines biologiques ou théologiques? On voudrait
aussi savoir plus clairem ent ce que signifie la possession « virtuelle »
des dons (p. 115). E t est-ce seulement la vision monogéniste qui a
fait décrire ces dons ou est-ce l’intuition profonde que l’hum anité
n ’est pas sortie de ses origines — biologiques —- avec toute la misère
que nous connaissons? -— La solidarité avec le prem ier et le second
Adam est de nouveau touchée à la fin de la deuxième partie (p. 252-
262), mais c’est pour résoudre d’une façon par trop sommaire cer­
tains problèmes compliqués. La nécessité du baptêm e est affirmée
d’une façon absolue pour tous ceux qui sont ici sur la terre; même
s’ils vivent loyalement selon leur conscience, les infidèles ne sont
jam ais les fils de Dieu p ar la grâce, aussi longtemps qu’ils ne sont
pas baptisés. Par contre, dans leur m ort, mais alors seulement, ils
seront même récompensés pour leurs bonnes oeuvres, accomplies ici
sans la grâce mais selon une bonté naturelle. Ce sont là des affir­
mations assez aberrantes, étrangères à la doctrine de l’Église catho­
lique. Pour les enfants m orts sans baptêm e l’A. reprend à son comp­
te la position bien connue d’E. Boudes. Rem arquons seulement
qu’en faisant appel à la volonté salvifique universelle de Dieu, compte
tenu du secret de la prédestination, on recourt à un mystère plus
profond encore que celui qu’on veut résoudre.
Malgré ce que nous croyons être des défauts, ce livre a les grands
m érites que nous avons précédem m ent indiqués et sera consulté avec
beaucoup de fruit.

Théologie der Erbsünde. Mit einem Exkurs Erb-


K arl -H e i n z W eger ,
sünde und Monogenismus, von Karl Rahner, Freiburg, Herder,
1970. 230 p. 21 cm. (Quaestiones disputatae 44).

Avant de commencer son exposé personnel, l’A. se demande


quel est le noyau qu’on doit absolum ent conserver dans la doctrine
traditionnelle du péché originel. Selon lui, ce noyau comporte né­
cessairement quatre éléments: le péché originel est causé par la
faute de l’homme et il n ’est donc pas une donnée de la condition
humaine comme telle; il est en outre intérieur à l'homme et il le
détermine avant tout acte libre personnel; il est ensuite une vraie
faute de l’homme vis-à-vis de Dieu en tant qu’il est la privation de
la grâce divine que l’homme devrait avoir selon la volonté salvifique
de Dieu; enfin, le péché originel est universel : il affecte absolum ent
tous les hommes, exceptés le Christ et la Vierge Marie. Armé de
cette conception, l’A. détruit à droite et à gauche pas mal d’hypo­
124 AMATUS DE SUTTER

thèses récentes. Après quoi il se pose la question: comment faut-il


proposer cette doctrine de foi aux hommes d’aujourd’hui? Problème
capital, on le voit bien et qui nous invite à examiner attentivem ent
la nouvelle explication. Seulement, on reste un peu déçu parce
qu’elle n ’est pas aussi nouvelle qu’on pouvait l’attendre. Elle re­
prend à son compte à peu près le tout de l’explication de P. Schoo-
nenberg et semble se contenter d’y ajouter une base anthropolo­
gique plus développée. La critique de la doctrine « scolastique »
devrait être aussi beaucoup plus nuancée. L'A. a-t-il pris un contact
direct avec cette doctrine, avec la grande diversité d’opinions du
Moyen Age sur la justice originelle, le péché originel et ses rapports
avec la concupiscence? S’est-il rendu compte du contenu « dynami­
que » que comporte souvent le m ot « nature » chez ces théologiens?
Il aurait dû examiner en outre si la m entalité « grecque », des Pè­
res d'abord, des scolastiques ensuite, ne s’insère pas, quoique peut-
être im parfaitement, dans la m entalité hébraïque, celle de la person­
nalité corporative. Il est curieux que cette idée de personnalité cor­
porative, que P. Dacquino a utilisée à fond, soit à peu près complè­
tem ent absente du livre de K. H. Weger. S’il avait conduit son tra ­
vail de façon plus indépendante, l’A. serait peut-être arrivé à d’au­
tres conclusions et, sans écarter complètement la doctrine tradi­
tionnelle, il lui aurait apporté de précieux compléments.
Donnons d’abord un bref aperçu d’ensemble avant de poser des
questions qui nous semblent essentielles. Pour le prem ier élément
— le péché est causé par l’homme — l’A. reprend la théorie de
Schoonenberg sur le péché du monde. Si la condition pécheresse
n ’est pas causée p ar une faute unique mais par une série de péchés,
il est logique de conclure que le péché originel n ’est pas resté in­
changé au cours des siècles. Même après avoir laissé tom ber l’af­
firmation que le péché du monde a atteint son point culm inant dans
la crucifixion du Christ, le fond de la pensée reste inchangé lorsqu’on
retient que le péché originel diffère d’intensité selon le milieu dans
lequel l'homme se trouve. On le voit bien; c’est la distinction entre
le péché originel et la concupiscence qui est rem ise en question.
Nous y reviendrons. Deuxième élément du péché originel: il est
intérieur à l’homme et il précède tout acte personnel. Comment le
comprendre? L’homme ne devient pleinement homme que dans ses
relations avec les autres. Or, élément constitutif de sa nature, sa
liberté est limitée du fait même qu’elle est insérée dans une société
humaine déterminée. Antérieure à tout choix personnel, cette limi­
tation fait, elle aussi, partie de sa nature. Il faut, en effet, regarder
l’homme, non pas tan t selon sa nature « abstraite », mais selon qu’il
a le péché originel, c’est-à-dire, qu’il est limité d’avance dans sa li­
CRÉATION, PÉCHÉ ORIGINEL 125

berté et même déterminé pour le mal plutôt que pour le bien.


Nous voilà de nouveau devant l’identification du péché et de la con­
cupiscence. Voyons aussi le troisième élém ent: comment parler de
péché? Pour le comprendre, il faut se référer à la volonté salvifique
de Dieu qui veut offrir sa grâce à tous les hommes; c’est là ce que
l'A. appelle l'existential, p artout présent. Mais la m anifestation de
l’existential dépend de la collaboration hum aine: du catégorial. Eh
bien, par un acte personnel, l’homme s’oppose à cette m anifestation
et c'est pourquoi l'absence de la grâce divine est une faute, un
péché. Par les péchés personnels la perversion a pénétré partout
et elle dispose les hommes à refuser l’offre de Dieu à leur tour, par
une faute personnelle. Ainsi donc; le quatrièm e élément, l’universa­
lité, s’explique-t-il sans difficulté. Pour être complet, il faut ajouter
qu à l’existential, l’offre de la grâce, correspond aussi un catégoral:
la grâce a été acceptée p ar Jésus-Christ et elle continue à être of­
ferte par la foi de l’Église, des croyants et même en dehors de l’É­
glise. Mais le catégorial dom inant reste bien celui du pèche.
Nous voudrions proposer m aintenant quelques-unes des diffi­
cultés rencontrées dans cette théorie. Regardons d’abord le cas de
l'adulte baptisé: selon l'A., s’il commet de nouveau un péché, celui-
ci retourne sous la dom ination du péché du monde, pis encore, il
l'introduit dans l’Église elle-même. Passons sur le term e « l’Église
des pécheurs » et rem arquons seulement que la position de l’A. con­
duit à restreindre singulièrement l’im portance de l’Église, sacre­
ment du salut. Mais il y a d’autres difficultés. On a pris résolum ent
le péché personnel pour point de départ du système et ce n ’est pas
cela que nous voulons contester. Mais on doit quand même résoudre
clairem ent deux problèmes; quelle relation y a-t-il entre le péché
originel et la concupiscence et quel est l’effet du baptêm e des en­
fants? Pour le prem ier problèm e l’A. insiste sur le fait que le con­
cile de Trente n ’a défini leur distinction que pour les baptisés. 11
reste que cette définition demande une explication adéquate. Nous
trouvons que l'A. est là trop bref et assez obscur; par le baptêm e
le croyant se tourne entièrem ent vers la révélation complète de la
grâce en Jésus-Christ, il la rencontre sans mélange de péché et se
détache du catégorial du péché originel (p. 158-159). E t sans plus
il parle ensuite du justifié. Or, il faudrait au moins tenir compte de
la possibilité d’être justifié sans le baptêm e et même sans une foi
explicite en Jésus-Christ. Cela rendrait la réponse moins facile, mais
plus proche de la réalité. En faisant en outre appel à l’incertitude
de l'état de grâce et en insistant sur la menace continuelle du péché
du monde, l’A. donne l’im pression que ce n ’est qu’à contre-coeur
qu’il admet la distinction entre péché et concupiscence, tandis que
126 AMATUS DE SUTTER

sa théorie le pousse logiquement à leur identification pure et simple.


Cela apparaît encore plus évident pour le baptêm e des enfants.
C’est un cas limite, répète l’A., et il ne faut pas construire toute une
doctrine sur un cas limite. N’empêche que ce cas limite est un test
de prem ière valeur. Ici aussi l'A. reprend la théorie de P. Schoo-
nenberg qui a été critiquée à bon droit. Par le baptême, affirme-t-il,
l’enfant est inséré dans l’Église qui lui offre la foi; mais c’est seule­
m ent quand il aura fait lui-même un acte de foi, qu'il aura la grâce
d’une manière complète. Plusieurs rem arques s’imposent à ce sujet.
On laisse dans l’ombre la distinction entre le caractère et la grâce
sanctifiante et c’est donner lieu à des équivoques regrettables que
de nommer le caractère une grâce. E t pourquoi attendre la foi per­
sonnelle pour que la grâce sanctifiante soit donnée? On glisse là
dangeureusement sur la pente protestante qui fait dépendre toute
grâce de la libre acceptation de la part du sujet. De plus, l’A. ne
considère que deux hypothèses : celle de l’enfant non baptisé et celle
de l’enfant baptisé et inséré dans un milieu chrétien. Il y a m alheureu­
sement une troisième hypothèse à faire: celle de l’enfant baptisé,
mais abandonné dans un milieu incroyant. Il nous semble que selon
la logique de son système, l’A. devrait dire que pour un tel enfant
rien n ’a changé, qu’il reste dans son péché originel comme aupa­
ravant. Est-ce parce qu'il veut éviter cette conclusion, qui ruinerait
par la base toute sa théorie, que l’A. évite inconsciemment d’envi­
sager cette troisième éventualité? Tout son système repose, en effet,
sur le lien sociologique de l’homme concret; or, ce lien reste absolu­
m ent le même dans un enfant baptisé abandonné. On doit donc con­
clure que le péché originel est quelque chose de différent, de plus
profond que ce qu’on nous a proposé. On m et très bien en lumière
la grande responsabilité sociale que nous avons; ce que l’A. dit pour­
rait aussi ê tre utile pour expliquer que le salut individuel — y com­
pris celui des enfants — dépend aussi dans une m esure plus ou
moins directe, de la bonne volonté des autres. Mais le système reste
en défaut quand il doit répondre à la question précise de la nature
et de l'origine prem ière du péché originel.
Nous pouvons être bref pour le long exposé de K. Rahner, le
renversement de sa position étant connu de tous. Notons seulement
qu’à l’encontre d’autres auteurs il semble s’opposer au polyphylé-
tisme et exiger une unité plus grande dans Vhumanitas generans elle-
même et une continuité plus stricte entre Vhumanitas generans et
Vhumanitas generata. Quant aux dons préternaturels nous pouvons
être globalement d'accord avec lui pourvu qu’on comprenne le don
d’intégrité comme un don réellement donné et non seulement pro­
mis, don initial toutefois, tout comme celui de la grâce, que l’hom­
CRÉATION, PÉCHÉ ORIGINEL 127

me prim itif aurait pu développer harm onieusement sans connaître


les angoisses et les déchirem ents que nous ressentons aujourd'hui.

* * *

Arrivé au term e de l'analyse de ces différentes tentatives con­


cernant le problème théologique du péché originel, nous pensons
que celle présentée par Z. Alszeghy est la mieux ordonnée: elle con­
serve le noyau traditionnel et elle l’enrichit des considérations que
nous offre l’anthropologie moderne.

A m a tu s D e S u tte r , ocd.

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