Mandé La Figure Des Etrangers en Ci

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LES FIGURES DE L’ÉTRANGER D’AFRIQUE DE L’OUEST EN CÔTE
D’IVOIRE

Issiaka Mandé

Centre d'Information et d'Etudes sur les Migrations Internationales | « Migrations


Société »

2012/6 N° 144 | pages 41 à 48


ISSN 0995-7367
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2012-6-page-41.htm
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Les migrations ouest-africaines en Côte d’Ivoire

Coordonné par Issiaka Mandé


DOSSIER
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Les figures de l’étranger d’Afrique de l’Ouest en Côte d’Ivoire 43
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LES FIGURES DE L’ÉTRANGER
D’AFRIQUE DE L’OUEST EN CÔTE
D’IVOIRE

Issiaka MANDÉ *

L’actualité en Afrique vient nous rappeler tous les jours les dérives
et les atteintes aux droits de la personne dans de nombreux États. Ici ce
sont des gens qui manifestent pour obtenir leurs documents adminis-
tratifs ; ailleurs ce sont des personnalités politiques de premier plan qu’on
disqualifie du jeu électoral pour cause de “nationalité douteuse”. Autant
dire que l’appartenance à la nation est devenue à géométrie variable
et de ce fait se trouve être au cœur de nombreux conflits sur le continent
(Côte d’Ivoire, République démocratique du Congo, Soudan, Zimbabwe,
Ouganda...).
Il y a couramment une volonté des dirigeants en place de se faire
un capital politique par l’exclusion d’une partie de la population. Aussi
est-on loin de partager cette réflexion d’Ernest Gellner selon laquelle,
premièrement, « deux hommes sont de même nation si et seulement s’ils
partagent la même culture quand la culture à son tour signifie un système
d’idées, de signes, d’associations et de modes de comportements et de
communication ; [et deuxièmement] deux hommes sont de la même nation
si et seulement s’ils se reconnaissent comme appartenant à la même nation.
En d’autres termes, ce sont les hommes qui font les nations ; les nations
sont des artefacts produits par les convictions, la solidarité et la loyauté des
hommes »1.
Aussi les conditions d’entrée et de séjour dans les différents pays
d’Afrique de l’Ouest, dont la Côte d’Ivoire, se sont-elles dégradées. En
effet, les cristallisations identitaires donnent de plus en plus naissance
à la « tyrannie du national », pour reprendre le titre de l’ouvrage de
Gérard Noiriel2. Et le postulat selon lequel l’identité ne peut être qu’une
* Historien, professeur au département de Science politique, Université de Québec à Montréal
(UQAM), Canada.
1. GELLNER, Ernest, Nations et nationalismes, Paris : Éd. Payot, 1989, 208 p. (cf. p. 19), 1re édition
Nations and nationalism, Oxford : Basil Blackwell Publishing, 1983.
2. Cf. NOIRIEL, Gérard, La tyrannie du national : le droit d’asile en Europe, 1793-1993, Paris :
Éd. Calmann-Lévy, 1991, 355 p.

Migrations Société
44 Dossier : Les migrations ouest-africaines en Côte d’Ivoire
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appartenance unique la transforme et, dans la plupart des pays, la
rend meurtrière selon les bons mots d’Amin Maalouf3.
Le présent dossier revisite les figures de l’étranger ouest-africain
en Côte d’Ivoire avec une emphase sur les deux principales commu-
nautés nationales qui y vivent : les Burkinabés et les Maliens4. Il passe
en revue le sentiment d’“assiégés” monté en épingle par les hommes
politiques depuis les années 1990, lesquels, en effet, n’ont pas hésité
à adopter des accents lepénistes avec la dénonciation virulente de la
“mainmise des immigrés” sur des pans entiers de l’économie. Le Conseil
économique et social qui, d’ailleurs, se commettra avec une telle logique,
n’hésite pas à parler de « seuil du tolérable dépassé » en matière
d’immigration en Côte d’Ivoire dans un célèbre rapport de 19985.
Les auteurs du présent dossier posent un regard de scientifiques
et font chorus avec Moriba Touré quand il attaque le rapport en ces
termes : « Nos conseillers savants ont usé d’une litote en minimisant l’ampleur
du phénomène d’immigration en Côte d’ivoire et d’une hyperbole en com-
mentant leurs propres chiffres »6. En effet, la dynamique de la population
immigrée est plus complexe car, « en 1960, selon les chiffres du ministre
ivoirien de l’information, Coffi Gadeau, sur un total estimé de 169 800
travailleurs en Côte d’Ivoire, 71 500 sont d’origine ivoirienne, les autres se
répartissant comme suit : Voltaïques : 75 000 ; Maliens : 7000 ; Guinéens :
5000 ; Nigériens : 2000 ; Ghanéens : 500 ; Nigérians : 500 »7.
Les visions restrictives ne prennent pas non plus en compte l’inversion
des flux migratoires en Afrique de l’Ouest avec le retour des Sahéliens
dans leur pays d’origine, comme l’ont montré les enquêtes du Réseau
Migrations et urbanisation en Afrique de l’Ouest (REMUAO)8. Elles restent
focalisées sur une interprétation des migrations d’après le schéma
classique fondé sur les facteurs d’attraction ou de rejet (push and pull
factors) et sur une vision étriquée de la nation ivoirienne dans laquelle

3. Cf. MAALOUF, Amin, Les identités meurtrières, Paris : Éd. Grasset, 1998, 216 p.
4. Dans le présent dossier, Chikouna Cissé se focalise dans sa contribution sur les Soninkés du
Mali dans une perspective de longue durée (p. 147), alors que Yao Silvère Konan s’intéresse aux
Burkinabés sur la période récente (p. 121).
5. CONSEIL ÉCONOMIQUE ET SOCIAL, Rapport “Immigration en Côte d’Ivoire : le seuil du tolé-
rable est largement dépassé”, Le Jour [Abidjan] du 8-4-1999.
6. TOURÉ, Moriba, “Immigration en Côte d’Ivoire : la notion de ‘seuil du tolérable’ relève de la
xénophobie” (extraits), Politique Africaine, n° 78, juillet 2000, pp. 75-93.
7. Marchés Tropicaux et Méditerranéens, 16 juin 1961, p. 1626.
8. Le REMUAO a regroupé huit pays (Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Mauritanie, Niger,
Nigeria et Sénégal) qui ont mené simultanément et selon la même méthodologie (excepté au
Nigeria) des enquêtes nationales en 1993.

Vol. 24, n° 144 novembre – décembre 2012


Les figures de l’étranger d’Afrique de l’Ouest en Côte d’Ivoire 45
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les étrangers auraient des droits limités dans le temps et révisables en
fonction de la conjoncture politico-économique. Et ce, alors même que
les interrelations entre les communautés “allochtone” et “allogène” en
Côte d’Ivoire sont complexes et qu’elles sont le fruit de l’histoire de la
sous-région ouest-africaine.
Conscient de l’apport des étrangers à l’édification de la Côte d’Ivoire
et du contexte géopolitique favorable, le chef de l’État ivoirien, Félix
Houphouët-Boigny, bien que nationaliste et opposant aux projets fédé-
ralistes en Afrique, avait proposé en 1965 une convention relative à
la double nationalité pour les ressortissants du Conseil de l’Entente9.
Même si sa proposition n’a pas été accueillie avec enthousiasme
— d’autant qu’elle ne remettait pas en cause le code de la natio-
nalité ivoirienne — les étrangers se sont vu octroyer de nombreux
droits politiques. Félix Houphouët-Boigny reconnaissait implicitement
que si l’État, comme partout ailleurs en Afrique, paraissait artificiel, la
nation devait, elle, résulter d’un pacte des peuples vivant sur le même
territoire et se référant à des mythes et symboles d’appartenance
communs.
C’est ce contrat social que toutes les communautés, sous la pression
des hommes politiques et du contexte socioéconomique, n’acceptent
plus, plusieurs décennies après l’indépendance du pays. En effet, les
sentiments nationaux, les représentations mentales de l’État-nation dé-
fendus par les élites sociales et politiques dirigeantes n’ont cessé de
brouiller le discours, au point de remettre en cause des concepts tels que
“citoyenneté”, “diasporas”, “migrant” et surtout “étranger”... Le position-
nement par rapport à l’autochtonie a fait naître des groupes inter-
médiaires (“allochtones”, “Ivoiriens de circonstance”, “Ivoiriens à deux
vitesses”...) et les débats ont toujours esquivé la durée de présence
pouvant conférer des droits pour ne se focaliser que sur les prétentions
des droits des communautés (et non des individus) et les avantages
qu’induit le statut d’autochtone.
Peu à peu l’État est donc sorti de son rôle de protecteur des biens
et des personnes vivant sur son territoire pour se muer en garant des
intérêts d’une partie de la population, dérivant ainsi vers une xénophobie
d’État. La promotion des différentes échelles d’appartenance à la com-
munauté nationale va d’ailleurs à l’encontre de la doctrine économique
libérale promue à travers la résolution selon laquelle « la terre appar-

9. Organisation régionale créée en 1959 regroupant le Dahomey (actuel Bénin), la Haute-Volta


(actuel Burkina Faso), la Côte d’Ivoire et le Niger. Le Togo y a adhéré en 1966.

Migrations Société
46 Dossier : Les migrations ouest-africaines en Côte d’Ivoire
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tient à celui qui la met en valeur ». Ce qui est moins connu et qui deman-
derait des recherches approfondies ce sont les migrations des étrangers
à l’intérieur de la Côte d’Ivoire, notamment leurs cheminements migra-
toires jusqu’à leur installation dans les régions pionnières du sud-ouest.
En effet, caressant le rêve de devenir propriétaires beaucoup d’urbains
et de métayers, dans l’incapacité d’accéder à la propriété terrienne
dans l’est du pays, migrent vers le sud-ouest pour acquérir des propriétés
grâce au système du “tutorat” sans pour autant renoncer à leurs attaches.
Mieux, ils font intervenir leur fratrie, créent des maillages sociaux extrê-
mement complexes et se jouent des territoires.
Les mutations socioéconomiques en cours et les rapports des migrants
à leur communauté d’origine induisent des mobilités qui forgent des
identités en réseau. Concernant les cas malien, burkinabé et ivoirien,
des recherches récentes démontrent la constitution de communautés trans-
nationales depuis la fin des années 1990, même si ce mouvement semble
avoir été amorcé depuis la période coloniale, où l’on parle de “dias-
pora”. Mahamadou Zongo, à l’instar d’autres auteurs, renforce cette idée
de communauté transnationale en matière de foncier en Côte d’Ivoire et
au Burkina Faso10. Il observe un éclatement des familles sur au moins trois
espaces de vie. La complexité de ces mobilités crée dans leurs modes
d’organisation des rapports tout aussi complexes entre sédentarité
et mobilité.
Ce rapport des migrants à l’espace est le défi qui se pose à tous
les États-nations ouest-africains sous l’angle de leur prérogative en
matière de régulation des territoires issus des découpages des an-
ciennes puissances coloniales et confirmés par le principe de l’intan-
gibilité des frontières (utis possedetis juris). En procédant par assignation
identitaire des individus grâce à l’usage du pouvoir régalien qui lui est
reconnu d’octroyer sa nationalité ou de la refuser, l’État-nation ivoirien a
par exemple remis à l’ordre du jour les débats entre Français et
Allemands sur la nationalité au XIXe siècle. Avec la course à plus de
restriction, on redécouvre le concept d’“ivoirité” — élaboré dans les
années 1970 pour valoriser la culture ivoirienne et surtout les artistes
nationaux qui s’estimaient marginalisés par le pouvoir politique —
pour en faire une construction dont l’objectif est la manipulation de
l’électorat.

10. Cf. ZONGO, Mahamadou, “La diaspora burkinabè en Côte d’Ivoire : trajectoire historique, re-
composition des dynamiques migratoires et rapport avec le pays d’origine”, Revue Africaine
de Sociologie, vol. 7, n° 2, 2003, pp. 58-92.

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Ce que les auteurs du présent dossier se sont évertués à montrer dans
leurs contributions, c’est que pour beaucoup d’hommes politiques ivoiriens
les droits des migrants devraient s’ajuster aux projets économiques
du pays d’accueil. C’est là oublier que même l’État n’est pas à l’abri
de pressions venant des autres agents économiques ou de lobbies aux
intérêts concurrents.
Le dossier nous renvoie comme un boomerang cette « pensée du
jour du président Félix Houphouët-Boigny » sans cesse reprise sur les
ondes ivoiriennes : « La Côte d’Ivoire ne peut pas demeurer une oasis
de paix, de stabilité, de prospérité au milieu d’un désert d’instabilité, de
pauvreté et de misère ». L’évolution du pays est marquée par la figure
tutélaire de ce “père de la nation”, mais surtout par l’économie libé-
rale qu’il a insufflé à son pays. Toujours est-il que la Côte d’Ivoire a
longtemps été citée en exemple pour son modèle de stabilité politique
et son “miracle économique”. Ce libéralisme économique fait suite à la
volonté coloniale de créer un pôle de développement dans ses territoires
de l’Afrique-Occidentale française et faisant donc la part belle aux
étrangers tant pour l’appel aux capitaux qu’à la main-d’œuvre.

Migrations Société
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