A - Kantagba - M - Sawadogo - Le Roman Magique Comme Legs de Kourouma - Kantagba - Sawadogo

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SBN978-
2-67792251-
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+ 25,
00€
STYLE ROMANESQUE AFRICAIN
ET LANGUE FRANÇAISE
50 ANS APRÈS LES SOLEILS DES
INDÉPENDANCES D’AHMADOU
KOUROUMA

1
En co-copyright
© HARMATTAN BURKINA, Nov. 2021
Av. Mahamar KADAFI
12 BP 226 Ouagadougou 12
Tél. : (00226) 25 37 54 36 / (00226) 76 59 79 86
[email protected]
www.harmattanburkina.com
Dépôt légal BNB: 4ème Trimestre 2021
ISBN : 978-2-67792251-9
EAN : 978267792251-9

2
Sous la direction de Sidiki TRAORÉ
et de Adamou KANTAGBA

STYLE ROMANESQUE AFRICAIN


ET LANGUE FRANÇAISE
50 ANS APRÈS LES SOLEILS DES
INDÉPENDANCES D’AHMADOU
KOUROUMA

3
COMITÉ SCIENTIFIQUE

- Joseph PARÉ, professeur titulaire, Université Joseph Ki-


Zerbo, Burkina Faso
- Idrissa Soïba TRAORÉ, professeur titulaire, Université
des Lettres et Sciences humaines de Bamako, Mali
- Yves DAKOUO, professeur titulaire, Université Joseph
Ki-Zerbo, Burkina Faso
- Vincent OUATTARA, professeur titulaire, Université
Norbert Zongo, Burkina Faso
- Amadou Saibou ADAMOU, professeur titulaire,
Université Abdou Moumouni, Niger
- Justin Toro OUORO, professeur titulaire, Université
Joseph Ki-Zerbo, Burkina Faso
- Honorine SARÉ, maître de conférences, Université
Joseph Ki-Zerbo, Burkina Faso
- Sidiki TRAORÉ, maître de conférences, Université
Joseph Ki-Zerbo, Burkina Faso
- Cyprien Bidy BODO, maître de conférences, Université
Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire
- Landry K. G. YAMÉOGO, maître de conférences,
Université Norbert Zongo, Burkina Faso
- Lamine OUÉDRAOGO, maître de conférences,
Université Norbert Zongo, Burkina Faso
- Souleymane GANOU, maître de conférences, Université
Joseph Ki-Zerbo, Burkina Faso.

4
COMITÉ DE LECTURE

- Pierre MALGOUBRI, professeur titulaire, Université


Joseph Ki-Zerbo, Burkina Faso
- Youssouf OUÉDRAOGO, professeur titulaire, Université
Joseph Ki-Zerbo, Burkina Faso
- Bernard KABORÉ, professeur titulaire, Université
Joseph Ki-Zerbo, Burkina Faso
- Yannick O. Afankoe Bédjo, maître de conférences,
Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire
- Évariste DAKOURÉ, maître de conférences, Université
Aube nouvelle, Burkina Faso
- Valentine SANOU, maître de conférences, Université
Joseph Ki-Zerbo, Burkina Faso
- Clément KOAMA, maître assistant, Université Nazi
Boni, Burkina Faso
- Alexis Boureima KOENOU, maître assistant, Université
Joseph Ki-Zerbo, Burkina Faso
- Virginie R. KABORÉ, maître assistant, Université
Joseph Ki-Zerbo, Burkina Faso
- Adamou KANTAGBA, maître assistant, Université Nazi
Boni, Burkina Faso

5
SOMMAIRE
Avant-propos : présentation générale du dossier…...……….8

1. Roman-oralité et renouvellement du discours


littéraire africain / Sidiki TRAORÉ…………………….13
2. Le roman magique comme legs de Kourouma
à la postérité / Adamou KANTAGBA ;
Michel SAWADOGO….……………………………….34
3. Violence de l’écriture post-Kourouma dans
la littérature négro-africaine : le cas de Sami Tchak
et de Ken Bugul / Noaga NOMBRÉ TIEMTORÉ….…..61
4. L’écriture de la provocation dans Mémoire d’une peau
de Williams Sassine / Pierre NDUWAYO ;
Mamadou Yaya SOW…….…………………………….82
5. Boubou HAMA ou du zarma-songhoy au français,
une pirouette entre deux langues / Adamou SIDDO….113
6. Nigérisation du discours romanesque : Exemples
de Dogo Mayaki et de Idé Oumarou / Mohamed
ALGAMISS…………………………………………...141
7. Portée stylistique des parémies dans Héritage
de Madeleine de Lallé / Landry K.G.G.YAMÉOGO…158

8. La pratique de l’allusion dans le roman burkinabè /


Boureima Alexis KOÉNOU ; Ratoguessiyaoba
Virginie KABORÉ BONKOUNGOU………………...179

6
9. Style et enchantement dans Moah le fils de la folle
de Clément Zongo / Torbilinda Élisabeth
THIOMBIANO………………………………………..207
10. Valeur morphotypique et stylistique de l’interrogation
directe dans Ciel dégagé sur Ouaga
de Hadiza Sanoussi / Clément KOAMA……………..227
11. Style analeptique et confrontation de la tradition
et de la modernité dans Union tabou
de Jean-Émile Ouédraogo / Bernadin KOUMA……..257

7
AVANT-PROPOS :
PRÉSENTATION GÉNÉRALE DU DOSSIER

Le présent ouvrage est le résultat d’un appel à contribution


visant à faire un état des lieux du style romanesque africain
francophone cinquante ans après le tournant décisif et la rupture
qu’a constitué Les Soleils des indépendances d’Ahmadou
Kourouma. Il s’agit, en l’occurrence, d’analyser les œuvres
parues depuis pour déterminer s’il y a perpétuation, avatar ou
dépassement de la langue d’Ahmadou Kourouma, avec un
accent particulier sur les nouvelles pratiques stylistiques et
scripturaires en les corrélant à des nouveaux enjeux sociétaux.
Onze contributions retenues au final paraissent intéressantes de
ce point de vue.

Il est bien connu que l’œuvre romanesque de Kourouma se


distingue par sa rupture au plan stylistique par une subtile
tropicalisation de la langue française. Plus généralement, les
particularismes du français d’Afrique investissant le roman et qui
ne sont pas l’apanage des œuvres de Kourouma ou dont l’Ivoirien
n’est pas le pionnier sont toujours d’actualité, comme s’emploie à
le montrer Adamou Siddo dans sa contribution « Boubou Hama
ou du zarma-songhoy au français : une pirouette entre deux
langues ». La réflexion met en lumière, dans la tradition
kouroumaenne, le style savant de Boubou Hama, une ingéniosité
en sourdine qui ne consiste pas, loin s’en faut, à parsemer le
discours romanesque d’expressions zarma ou songhoy. C’est
dans le même ordre de style que s’inscrivent les compatriotes de
Boubou Hama que sont Dogo Mayaki et Idé Oumarou dont les
œuvres sont analysées par Mohamed Algamiss sous le titre
« Nigérisation du discours romanesque : exemples de Civilisation
sauvage de Dogo Mayaki du représentant d’Idé Oumarou. » Il y
a, à en croire Algamiss, nuance tout de même chez Mayaki et

8
Oumarou chez qui les particularismes nigériens du français sont
pour l’essentiel au service de la satire politique et sociale.
Sidiki Traoré, lui, passe au crible une quinzaine de romans
fondamentalement marqués du sceau de l’oralité, caractéristique
essentielle des sociétés africaines surtout traditionnelles. Il
explique que ce style romanesque oralisé, qui transparaissait déjà
dans En attendant le vote des bêtes sauvages de Kourouma sous
forme de veillée festive de chasseurs, se renforce, se ramifie, tend
à devenir une règle dans laquelle s’incrustent la tradition orale et
ses avatars. D’un côté se trouvent les contes, épopées et légendes
romanesques, à l’instar de En compagnie des hommes (2017) de
Véronique Tadjo, L’Odyssée de Mongou (1993) de Pierre
Sammy Mackfoy, L’Épopée de Boukary Koutou (1997) de Roger
Bila Kaboré. De l’autre côté naissent, tout en se diversifiant, les
romans faisant la part belle à l’oral, celui-ci bousculant le code
écrit en rendant parfois évanescentes les notions de phrase, de
paragraphe structuré, comme c’est le cas de De l’autre côté du
regard (2003) de Ken Bugul, Verre Cassé (2005) d’Alain
Mabanckou, Kaveena (2006) de Boubacar Boris Diop.

S’intéressant surtout au roman burkinabè à travers « La pratique


de l’allusion dans le roman burkinabè », Alexis Koénou et
Virginie Kaboré y relèvent le procédé de l’allusion alors même
que celle-ci est loin d’être le trait stylistique majeur de cette
littérature. Ils indiquent que ce trait, même s’il semble marginal,
est corollaire de l’intertextualité du roman africain francophone
au carrefour de deux cultures dès sa naissance. Dans la foulée,
la parémiologie et les distorsions temporelles telles que les
analepses qui occupent une place de choix chez Kourouma
continuent leur bonhomme de chemin dans le roman africain
francophone. Landry Yaméogo met en lumière la portée de la
parémiologie dans Héritage de Madeleine de Lallé. Ce trait
stylistique est déjà très prégnant dans les romans de Kourouma
parfois jusque dans l’intitulation des chapitres (exemple : Où a-

9
t-on vu le molosse changer sa déhontée façon de s’asseoir).
C’est d’ailleurs l’une des choses les mieux partagées des œuvres
littéraires africaines, romanesques certes, mais aussi théâtrales,
voire poétiques. Sous ce rapport, Héritage de Madeleine de
Lallé rend donc à César ce qui est à César tout en se
particularisant par la portée des parémies, leur force illocutoire.

Bernadin Kouma fait un travail de scalp en s’intéressant à ce que


d’aucuns pourraient considérer comme un détail dans le
landerneau stylistique des Soleils des indépendances, à savoir les
analepses. Il est bien connu que le roman de Kourouma en use à
bon escient pour traduire une obsession, le déni de Fama encore
et toujours cristallisé sur un passé glorieux d’une époque depuis
longtemps révolu. Ou encore pour exprimer le traumatisme
quasi-névrotique de la scène de l’excision de Salimata. Mais
Bernadin Kouma indique que si Union tabou du Burkinabè Jean-
Émile Ouédraogo prend les allures d’un style analeptique, il s’en
différencie du fait que la distorsion temporelle est un procédé
d’exhumation, de dépoussiérage du passé, des traditions et de
certains interdits en vue de les confronter à la modernité à la fois
dans leurs forces et leurs faiblesses.

Pierre Nduwayo et Mamadou Yaya Sow expliquent dans


« L’écriture de la provocation dans Mémoire d’une peau de
Williams Sassine » comment, de Kourouma à nos jours, le
discours romanesque africain francophone s’est radicalisé en
faisant dans le style de la provocation, notamment dans des œuvres
comme celles du Guinéen Williams Sassine, à savoir Le Zéhéros
n’est pas n’importe qui (1985) et surtout Mémoire d’une peau
(1998). Une audace scripturaire, une innovation que l’on retrouve
aussi d’une certaine manière chez Sami Tchak et chez Ken Bugul
et dont Noaga Nombré met en exergue les tenants et aboutissants
dans « Violence de l’écriture post Kourouma dans la littérature
négro-africaine : le cas de Sami Tchak et de Ken Bugul ».

10
Mais à lire la contribution de Kantagba et Sawadogo, c’est la toile
de fond magique de la culture africaine qui caractérise d’une
autre manière les romans de l’Ivoirien. Ils inscrivent, sur le plan
structural de la composition, Les Soleils des indépendances dans
les récits magiques des maléfices, Allah n’est pas obligé dans les
récits magiques de la transgression d’un interdit et En attendant le
vote des bêtes sauvages dans ceux du pacte diabolique. Pour ces
contributeurs, le roman magique est par conséquent un autre legs
d’Ahmadou Kourouma à la postérité, un volet essentiel, mais
souvent passé sous silence. « L’Etonnante et dialectique
déchéance du camarade Kali Tchikati », L’Arbre fétiche,
Réincarnation, Le Mal de peau, Le Parachutage, La Femme de
diable, Le Sang des jumeaux, Le Secret du sorcier noir,
L’Echange d’une vie contre la fortune, et bien d’autres œuvres
s’inscrivent dans cet héritage.

Il n’en demeure pas moins qu’aux antipodes de la rupture


stylistique des Soleils des indépendances existent des
écritures que l’on pourrait qualifier de classiques ou
normatives au regard du conformisme, de la conformité à la
norme classique du français de l’usage qu’ils font de la
langue dans leurs œuvres. Tel est le cas de Moah le fils de la
folle de Clément Zongo qu’analyse Torbilinla Élisabeth
Thiombiano. La chercheuse, dans le cas d’espèce, parle de
style d’enchantement animé par l’afro-optimisme sous-jacent
à une telle œuvre qui laisse penser que la confrontation, les
tensions, mieux les malentendus entre ex-colonies et ex-
colonisateur n’ont plus lieu d’être. L’interrogation, la phrase
interrogative, qui peut à première vue passer pour banale ou
normale dans une œuvre romanesque, se révèle à la lecture de
Ciel dégagé sur Ouaga de Hadiza Sanoussi une
caractéristique stylistique dans cette œuvre au regard de la
multiplicité de ses types et surtout de sa forte occurrence. À

11
en croire Clément Koama dans le regard qu’il y porte, « Les
fonctions de l’interrogation directe dans Ciel dégagé sur
Ouaga de Hadiza Sanoussi : regards morphotypique et
stylistique », l’interrogation traduit à la fois le caractère
interactionnel entre les personnages, une forme de maïeutique
et une satire en mode fragmentaire, toutes choses rendues
vraisemblables par les sociétés africaines contemporaines qui
évoluent et se questionnent constamment sur leurs choix.

Sidiki TRAORÉ
Adamou KANTAGBA

12
2
-----
Le roman magique comme legs de Kourouma
à la postérité
Adamou KANTAGBA ([email protected])
Université Nazi BONI, Bobo-Dioulasso, Burkina Faso
Michel SAWADOGO ([email protected])
Université Norbert ZONGO, Koudougou, Burkina Faso

Résumé
Le roman magique, dit le théoricien de la critique magique, Issou
Go, n’est pas dénué d’actions susceptibles de créer des émotions
chez le lecteur. Sa principale originalité est sa littérarité en ce sens
que créer du beau est l’une des préoccupations du récit magique.
Dès lors, nous comprenons, de façon générale le succès de cette
typologie de récits de fiction et, de façon particulière, le succès de
Ahmadou Kourouma dont l’œuvre en est la « marque de
fabrique ». En effet, toutes ses œuvres (magiques) ont reçu de
grands prix littéraires.

L’objectif de cette étude est de montrer, à l’aune de la poétique


magique, comment Kourouma, s’inspirant de l’importante toile
de fond magique de la culture africaine, a su construire des
œuvres qui se distinguent par leur particularité. Au fait, qu’est-ce
qu’un roman magique ? Quelle est la typologie de récits dits
magiques ? Telles sont les différentes interrogations auxquelles
nous apporterons des réponses.

Mots-clés : esthétique, magie, poétique, roman, Burkina Faso

34
Abstract
Magic novel, according to the theoretician of magic criticism,
Issou Go, is not devoid of actions capable to create emotions
in the reader. Its main originality is its literarity, in the sense
that creating beauty is one of the concerns of magic narrative.
Therefore, we understand the success in general, of this type
of fictional narrative, and particularly, the success of
Ahmadou Kourouma whose work is the « trademark ».
Indeed, all his (magic) works received great literary rewards.

The objective of this study is to show, in the light of magic


poetics, how Kourouma, inspired by the important magic
background of African culture, was able to build works which are
distinguished by their particularity. By the way, what is a magic
novel? What is the typology of the so called magic narratives?
These are the different interrogations we are going to answer.

Key words: aesthetic, magic, poetics, novel, Burkina Faso

Introduction
Ahmadou Kourouma a introduit des innovations majeures dans la
littérature francophone. Une des dimensions de cette innovation
est qu’en traduisant le malinké en français, en cassant le français
pour trouver et restituer le rythme africain, Kourouma fait
montre, pour aller dans le sens de J. Chevrier (1981, p. 71) de
maîtrise de l’outil linguistique, d’une inventivité et d’une écriture
s’enrichissant d’une densité nouvelle. Une autre dimension de
son apport qui n’est pas toujours suffisamment mise en exergue
par la critique, et qui intéresse notre propos, est que l’écrivain
ivoirien enracine son écriture dans une culture dont la forte et
perceptible prégnance de la magie marque, de façon notoire, le
fonctionnement de la production.

35
Sous ce rapport, nous sommes sur la même longueur d’onde que
son compatriote A. Koné lorsqu’il montre que la révolution de
Kourouma ne se limite pas seulement à la langue :

[…] l’itinéraire d’écrivain d’Ahmadou Kourouma est


révolutionnaire dans la mesure où il est l’un des rares
écrivains africains à avoir tenté de représenter
l’imaginaire africain comme les Africains le représentent
dans leurs textes […] D’abord, ce sont les croyances
traditionnelles [magiques] qui fondent le récit principal
dans la plupart des romans. Ce sont ces croyances
traditionnelles qui fondent le récit et le conduisent, le
rendent logique même si quelquefois le narrateur fait
comprendre qu’une autre logique est possible. (A. Koné,
2013, pp. 322-330).

Cette forte omniprésence de la pensée magique africaine dans la


prose de Kourouma, que relève à juste titre Koné, confère
effectivement à celle-ci une originalité particulière. Et les récits
magiques jouissant, généralement, d’une bonne réception,
l’essentiel des œuvres de Kourouma, qui relèvent de cette
typologie, ont été couronnées par de prestigieux prix littéraires.
Monnè, outrages et défis : prix des Nouveaux Droits de l’homme,
prix CIRTEF, Grand Prix de l’Afrique noire /En attendant le vote
des bêtes sauvages : prix Tropiques, Grand Prix de la Société des
gens de lettres, prix du Livre Inter/ Allah n’est pas obligé, prix
Renaudot, prix Goncourt des lycéens, prix Amerigo-Vespucci/
Les Soleils des indépendances : Prix de la revue québécoise
Etudes françaises, prix Maillé-Latour-Landry de l’Académie
française.

En partant de la poétique magique, l’enjeu est de montrer, à


partir de trois de ses textes majeurs (Les Soleils des
indépendances, Allah n’est pas obligé et En attendant le vote
des bêtes sauvages), que le diseur de vérité de Togobala

36
laisse, effectivement, à la postérité une typologie romanesque
appelée romans magiques. Mais avant d’établir la magicité
desdits romans, une clarification conceptuelle sied.

1. Clarification conceptuelle
Développée dans Poétique et esthétique magiques, publiée en
2014, la théorie du professeur Go constitue, sur le plan
épistémologique, un apport majeur à la critique littéraire. Cela dans
le sens où elle permet une nouvelle herméneutique des récits,
partiellement ou totalement, irrigués par la magie. C’est le cas, en
l’occurrence, chez Kourouma. La poétique de Go se fonde sur
l’axiome, maintenant bien connu, qui veut que l’importante toile de
fond magique de la culture africaine ait engendré une influence sur
ses récits. Une influence qui dépasse la simple dimension
thématique desdits textes pour marquer leur fonctionnement, lequel
repose sur des structures spécifiques communes.

Cette typologie de récits dont l’intrigue se noue, évolue et se


dénoue autour d’un crime magique, et qu’on retrouve chez
l’écrivain, objet de notre propos, est qualifiée de magiques, de la
même manière qu’on a pu parler de récits policier, fantastique, etc.

Dans le contexte de la poétique magique, il est à distinguer


trois catégories de magie. Il s’agit, entre autres, de la magie
des maléfices, de la magie de la transgression d’un interdit et
celle du pacte diabolique. Chacun des trois romans de
Kourouma correspond à une de ces catégories magiques d’où
la nécessité de les définir avant de montrer en quoi et
comment les textes de Kourouma peuvent y être rangés.

1.1. La magie des maléfices


Selon le Robert, le maléfice viendrait du latin maléfacium et
signifierait opération magique visant à nuire à quelqu’un,
dans sa personne ou dans ses biens. Pour I. Go (2014, p. 27),

37
le maléfice est synonyme du sortilège ou du mauvais sort. Il
renvoie aux procédés magiques utilisés par certains hommes
pour nuire à leurs semblables. Les maléfices sont
généralement mortels. Sous cet angle, la magie des maléfices
fait partie intégrante de la vie de l’Africain. C’est bien, ce que
note A. Kantagba, dans « La Sorcellerie comme forme de
résistance dans la littérature africaine », lorsqu’il écrit :

Dans les sociétés africaines d’hier et même d’aujourd’hui


beaucoup de maux, à tort ou à raison, trouvent de fait leur
explication, leur justification dans les sortilèges. En effet,
un enfant qui naît et qui est appelé à grandir, à fonder une
famille meurt-il subitement fauché dans la fleur de l’âge ;
un homme en bonne santé tombe-t-il malade du jour au
lendemain ; une femme appelée à donner la vie n’arrive-t-
elle pas à procréer, etc. on lorgne systématiquement du
côté des sorciers et de leurs maléfices. (2018, p. 267).

S. T. Lankoandé (2006, p. 72) ne dit pas autre chose, lorsqu’il


affirme : « En milieu africain, les gens essaient souvent de
rattacher la maladie [tout malheur] à une cause occulte, un
envoûtement ou ensorcellement par une personne adverse. »

Autant les raisons justifiant la pratique des maléfices, de façon


spécifique, sont multiples et multiformes, autant les modes
opératoires utilisés dans la pratique des maléfices sont divers.
En effet, les maléfices peuvent être jetés par contact physique, à
distance ou par substitution. Dans l’imaginaire populaire
africain et burkinabè, on a coutume de dire que pour
envoûter1une personne, le simple contact physique peut suffire.

1
Pour M. Hebga, « envoûter quelqu’un c’est le subjuguer par un procédé
mystique. Habituellement l’envoûtement ressortit à la magie noire ou
nocive. On peut alors le définir : opération par laquelle on porte sur un
substitut de la personne visée (effigie, ongles, cheveux, linge, etc.) des

38
Une matière anti-vitale peut être glissée dans la paume de la
main ou à la racine d’un ongle du doigt et tremper discrètement
dans un verre de boisson. Ce procédé d’empoisonnement est
généralement utilisé au cours de manifestations festives où il y a
moins de vigilance. Un autre maléfice utilisé dans les grands
rassemblements (funérailles, fêtes, jeux de warba) est le Pébré.2
Il en existe deux types : le péb’toulé dont le poison a un effet
rapide et le péb-masré ou poison lent. Ce type de poison agit
lentement et lorsqu’il se manifeste, il est trop tard pour trouver
le contrepoison opérant.

Si les maléfices peuvent opérer par contact physique, il y a les


maléfices à distance qui sont d’ailleurs les plus fréquents. Ce sont
généralement des projectiles magiques lancés à distance. Dans le
sens de M. Hebga (1998), la conception africaine de l’action à
distance n’exclut pas toute médiation physique comme les
projectiles qu’ils soient visibles ou non, les serpents, les
carnassiers, etc. Ces intermédiaires sont manipulés par la volonté
humaine qui peut être exprimée par un geste, un objet ou une
formule magique. Pour agir à distance, le jeteur de sort cherche,
entre tant d’autres actions de nuisance, à accéder à certains
éléments appartenant à sa victime comme ses vêtements, ses
cheveux, ses poils, sa photo, etc. Parfois, le nom peut servir de
substitut et être utilisé pour atteindre la victime.

La magie des maléfices se subdivise elle-même en trois sous-


catégories magiques à savoir : la magie du destin, la magie de

coups censés l’atteindre elle-même. Quelquefois les envoûteurs


lanceraient des sortes de missiles magiques » (1998, p. 226).
2
Dans son essai, Les secrets des sorciers noirs, V. Ouattara soutient que le
pébré est employé par les Mossi pour se nuire. Il poursuit en affirmant
que les danseurs de warba ont adopté cette pratique maléfique pour punir
les ennemis ou les rivaux ou les jeunes filles fières qui refusent leurs
faveurs aux garçons. p.173.

39
l’ordalie et la magie de l’empoisonnement. Qu’en est-il de la
deuxième catégorie de magie ?

1.2. La magie de la transgression d’un interdit


Dans les sociétés traditionnelles, l’épanouissement de l’individu va
de pair avec son équilibre environnemental, social et culturel. La
transgression de cet équilibre entraine des préjudices aux
conséquences souvent désastreuses. Conscientes de cette réalité,
ces sociétés ont élaboré des règles sous la forme d’interdits pour
encadrer et orienter aussi bien les rapports sociaux que les relations
entre l’homme et son environnement. À ce titre, F. Damiba (2016)
inventorie une multitude d’interdits. Il y a ce qu’il appelle les
interdits « non-convenance » qui se caractérisent par leur valeur
didactique. Ils visent à faire connaître les grandes règles du savoir-
vivre en société et à promulguer des conseils de prudence.

La violation de ces interdits entraine un malheur de nature


variable. Il y a les interdits-fautes-graves dont la transgression
conduit à la mort. Parlant des « interdits »3 au Lyòló, B. Bayili
(2016, p. 334) soutient :

Les interdits […] constituent une charte […] en vue


de la prospérité de tous les membres de la
communauté. De cette charte, l’interdit le plus sacré

3
- Be dabi k ε ïn zhìlì yé : « tu n'abîmeras » pas la femme d'un membre du clan
en faisant le mal avec elle. Si tu « couches » avec une femme du clan, tu
l'obliges à partir sous peine de mort (pour elle et/ou pour toi) et tu te livres ainsi
aux cílá (ancêtres). Le kwáá n'est plus ta mère, ne te soutient plus, ne te contient
plus, ne te défend plus. Les « gens des ténèbres » te prennent et te « mangent ».
Si tu vas au combat, une flèche t'atteint en pleine poitrine et tu restes sur le
champ de bataille ou encore une « paille » (serpent) te « déchire » (te mord),
une souche te transperce et voilà la mort.
- Ne cherche jamais de querelle avec quelqu'un de ton kwáá (ou avec un
étranger) en brousse, dans un champ (kèè ou gwàrá) ou au bord d'un
marigot. Ce serait provoquer la colère des cílá et du Sh ε kú. Ta vie
s'écourterait. »

40
est le fait de verser du sang humain (meurtre au sein
de la communauté) sur le sol.
La magie de la transgression d’un interdit, à l’instar de celle des
maléfices, se décompose également en trois sous-catégories
magiques : la magie de la protection de l’environnement, celle
de la protection sociale et celle de la sauvegarde des valeurs
culturelles. La troisième et dernière catégorie de magie, dans le
cadre de la poétique de Go, est celle du pacte diabolique.

1.3. La magie du pacte diabolique


L’éducation aux valeurs morales est un trait qui distingue l’homme
de l’animal. Par valeur, il faut entendre, selon A. S. Mungala
(1978), tout fait social ou de culture qui est conforme à la raison, à
la nature de l’homme et qui répond positivement aux besoins
fondamentaux de la majorité des membres d’une communauté
humaine. Cette éducation place l’homme sur le chemin du bien.
Cependant, mû par la recherche effrénée des biens matériels et par
l’ascension sociale fulgurante, l’homme éteint, parfois, en lui la
voix de la raison, et se livre aux actes les plus sordides pour
s’enrichir ou pour conquérir le pouvoir, ici et maintenant.

Dans la magie du pacte diabolique, justement, la fin justifie


les moyens. Même s’il faut s’attacher les services du diable et
sacrifier des vies humaines, pourvu qu’on réussisse. La magie
du pacte diabolique est surtout observée dans les domaines de
la politique et du commerce. En faisant allusion au rapport
intéressé que les hommes ont face à l’argent et aux biens
matériels, A. Kantagba (2017, p. 242) affirme :

La course effrénée pour la recherche des biens


matériels, l’appât du gain facile a pris le dessus sur les
valeurs morales. […]. Plus que jamais, c’est la
monnaie qui régente désormais les rapports sociaux et
ce qu’on est se mesure, désormais, à ce qu’on a. Alors
des détournements de deniers publics à la corruption

41
en passant par les sacrifices humains, etc. tous les
moyens sont bons pour s’enrichir et « compter » ainsi
dans la société. « La fin justifie les moyens », tel
semble être le nouveau crédo en Afrique.

Les récits du pacte diabolique, tout en combattant le crime,


combattent l’immoralité qui en est le terreau. C’est justement
dans cette perspective que tous les pactisants diaboliques
connaissent toujours une triste fin. Le pacte diabolique ne reste
jamais impuni.

Sur le plan thématique, tels sont entre autres les différents types
de magie (maléfices, transgression d’un interdit, pacte diabolique)
que dégage la poétique magique. Et les romans de Kourouma,
ainsi que nous le verrons, rentrent dans ces catégories magiques.
Mais sont-ils pour autant, sur le plan structural, des romans
magiques ? L’interrogation vaut son pesant d’or car, dans le
contexte de la poétique de Go, il faut, a priori, distinguer la magie
dans un récit et un récit magique. Si dans le premier cas, il est
forcément question de pratiques magiques, tout récit dont la
thématique, même principale, est la magie n’est pas forcément et
systématiquement un récit magique.

Pour ce faire, cette nouvelle approche structurale va déterminer


certaines caractéristiques qui confèrent à un récit (roman,
nouvelle, conte, etc.) sa magicité. Il s’agit fondamentalement
des quatre critères, exposés dans Poétique et esthétique
magiques, à savoir : l’intrigue magique, la triade magique, le
crime et le secret magiques. Mais en redéfinissant autrement une
des caractéristiques, notamment l’intrigue magique comme étant
une intrigue nouée à partir d’un crime magique, l’on fait passer les
critères de la magicité des récits de quatre à trois. Sur le plan de la
structure, les romans de Kourouma présentent-ils les traits
caractéristiques des récits magiques ?

42
2. Magicité des romans de Kourouma
À la lumière de ce qui précède, nous évaluerons la magicité des
trois romans qui appartiennent chacun à une catégorie donnée de
magie : Les Soleils des indépendances pour la magie des
maléfices, Allah n’est pas obligé pour la magie de la
transgression et En attendant le Vote des bêtes sauvages pour la
magie du pacte diabolique. Cette évaluation se fera à l’aune des
différents critères dégagés ci-dessus : l’intrigue magique, la triade
magique et le secret magique. Qu’est-ce que l’intrigue magique ?

Tout texte à effet de fiction a, en principe, une intrigue. La


particularité de l’intrigue magique qu’on doit retrouver dans tout
récit magique est qu’elle est nouée autour d’un crime magique. Il
faut entendre par ce néologisme nominal, propre à la poétique
magique, non seulement tout crime commis par le biais d’une
action magique, c’est-à-dire par les sortilèges et autres maléfices
des sorciers (pébré, bollé, dâcre, kon, fa, etc.) mais aussi toute
forme de violation d’un interdit dans les sociétés traditionnelles.
Les sacrifices humains, à des fins d’ascension sociale fulgurante,
relèvent également de ce registre-là. L’intrigue magique, dans les
œuvres en question, se noue alors toujours autour d’un de ces
types de crime, évolue autour de lui et se dénoue par une solution
magique. L’intrigue magique, ayant été brièvement définie, que
dire de la triade magique qui est également un élément constitutif
indispensable des récits magiques ?

Tout récit trace en quelque sorte un itinéraire qui conduit les


personnages de l’histoire ainsi que le lecteur d’un point de
départ A à un point d’arrivée B. Quel que soit l’itinéraire
emprunté, l’histoire peut se résumer dans toute œuvre littéraire
selon un schéma quinaire. En se fondant sur ce schéma, le récit
se définit comme le passage d'un état (1) à un autre (5) par la
transformation (étapes 2, 3 et 4). Un récit commence par une
situation stable qu'une force quelconque vient perturber. Il en

43
résulte un état de déséquilibre. Par l'action d'une force dirigée en
sens inverse, l'équilibre est rétabli. Le second équilibre est bien
semblable au premier, mais les deux ne sont jamais identiques.

Il résulte de cette définition la triade suivante : la dégradation,


l’action de réparation et la solution. C’est la structure
triadique que l’on retrouve dans tous les récits. Les récits
magiques présentent tous cette structure parce qu’avant d’être
magiques, ils sont d’abord des récits. Le théoricien part alors
de la triade (dégradation, action de réparation et solution) qui
découle des différentes phases de la structure quinaire pour
en faire une triade magique en l’imbibant, cela s’entend, de
magie. Dans le cadre d’un récit magique, chaque étape de la
structure triadique, ainsi dégagée, est alors marquée du sceau
de la magie : magie de la dégradation (Md), magie de l’action
de la réparation (Ma) et magie de la solution (Ms).

C’est la triade magique inhérente à la structure de tout récit


magique. Si dans le roman policier, on fait appel au policier,
au détective pour élucider le crime, démasquer le coupable et
le sanctionner, dans le récit magique, seuls les acteurs de la
magie ont compétence pour démêler l’énigme. Un détective
n’y serait d’aucune utilité. Le dernier élément constitutif du
récit magique est le secret magique.

La poétique de Go postule que derrière toute pratique magique, il y


a, généralement, un secret ou dessous de la magie. C’est ce secret
magique qu’aucun magicien, qui se respecte, ne divulguera qu’il
faut pourtant appréhender pour décoder, saisir la substance même
de cette typologie de récits. P. La Greugne (1985, p. 42) explique
que cette loi du secret part du postulat qui veut que la connaissance
donne la puissance et que partager cette puissance, c’est la perdre
en tout ou en partie. « C’est d’ailleurs, écrit-il, une règle qui ne
souffre aucune dérogation en sorcellerie. » Dans Introduction à

44
une poétique du Fa, M. Kakpo (2009, p. 117) informe également :
« […] c’est un parjure pour un Initié de révéler les secrets que le
privilège de l’initiation lui a permis d’avoir. »

Tels sont brièvement définis, et pour aller vite, les critères de


la poétique magique à l’aune desquels seront évalués la
magicité des récits que Kourouma lègue à la postérité.

2.1. Les Soleils des indépendances, roman magique des


maléfices ?
Les Soleils des indépendances s’ouvre par le rappel du passé
glorieux de Fama. Mais très vite, cette situation reluisante
sera perturbée par une série de difficultés qu’il vit. Fama
Doumbouya, dernier descendant légitime des princes du
Horodougou, est ruiné à la suite de l'indépendance de son
pays. Il est devenu la risée de tout le monde et est même
désigné par le terme de « charognard » alors que le symbole
des Doumbouya était la panthère :

Lui, Fama, affirme le narrateur, né dans l’or, le


manger, l’honneur et les femmes ! Éduqué pour
préférer l’or à l’or, pour choisir le manger parmi
d’autres, et coucher sa favorite parmi cent épouses !
qu’était-il devenu ? Un charognard […] (Kourouma,
1970, p. 12).

Cependant, l’intrigue du roman ne se noue pas avec cette


déchéance de Fama. Elle se noue véritablement avec la
révélation de sa stérilité et même de son épouse Salimata
accusée, elle aussi de stérilité. Cette intrigue est d’autant plus
magique qu’elle est liée, dans l’eschatologie du clan, à la fin
de la dynastie des Doumbouya. Le propos de Koné, ci-
dessous est édifiant à ce sujet :

45
Les vies de Fama et de Salimata sont déterminées par les
transgressions initiales commises par les ancêtres ou leurs
parents directs. La vie de Fama Doumbouya suit le destin
de Togobala et est déterminée avant sa naissance même.
Pour comprendre les échecs de Fama, il faut comprendre
l’origine de la fondation de Togobala, l’origine du pouvoir
politique des Doumbouya et les exigences attachées à ce
pouvoir (A. Koné, 2013, p. 330).

Après la découverte de cette maladie mystérieuse (Md), comme il


est coutume dans les récits magiques, une course aux devins et
guérisseurs est entreprise pour remédier au mal. Malheureusement,
les recommandations des différents magiciens restent inefficaces.
Face à cet échec Fama se dirige vers son pays natal. Go en donne la
véritable motivation :

Fama se tourne alors vers le Horodougou, son pays


natal. Les funérailles du cousin Lassina ne constituent
qu’un prétexte. La véritable motivation pour Fama de
se rendre à Togobala, son village natal, après vingt
ans d’absence, est d’y aller soigner sa stérilité. C’est
d’ailleurs sur la route de Togobala que l’équivoque de
la stérilité est levée. Salimata n’est pas malade, c’est
bel et bien Fama qui est stérile. (Go, 2014, p. 72).

Une fois à Togobala, l’espoir renaît pour Fama après la


rencontre du célèbre féticheur Balla qui lui promet une
nombreuse progéniture pour pérenniser la dynastie des
Doumbouya. L’abondante progéniture promise à Fama par le
féticheur, à condition de prendre pour deuxième épouse
Mariam, n’arrivera jamais. La magie blanche, la magie de
l’action de la réparation (Ma), se révèle donc inefficace car la
guérison tant attendue demeure une utopie. Comble de
malheur, Fama qui se tourne vers la politique est injustement
accusé et jeté en prison.

46
Après un long séjour dans les geôles, il décide, après sa
libération, de retourner dans son village qu’il n’atteindra jamais
vivant. Mortellement blessé par un caïman sacré, il succombe à
ses blessures. La solution magique ou magie de la solution (Ms),
en dépit des multiples tentatives, n’a pas eu lieu. Visiblement
Fama a été victime d’un maléfice. Comment ? Par qui ? Le secret
magique tout comme l’auteur du crime magique ne seront jamais
élucidés dans ce roman. C’est ce qui amène justement à classer
Les Soleils des indépendances dans la catégorie de la magie des
maléfices, et dans la sous-catégorie du destin.

En rappel, le Petit Robert définit le destin comme une puissance


qui, selon certaines croyances, fixerait de façon irrévocable le
cours des évènements de la vie. Il y a un lien étroit entre magie et
destin. D’ailleurs, la pensée magique africaine s’appuie aussi sur
la foi en un destin. Pour X. Garnier (1998), le destin est ce qui se
dit de ce qui est arrivé. Il n’est rien d’autre que ce qui arrive en
tant qu’il est prédit ou accompli. Cernant l’état des choses dans
son avant et son après, il est ce qui extrait un sens à ce qui arrive.

Souvent inscrit dans des signes déchiffrables par les devins


compétents qui cherchent à le dévier ou à le détourner, il finit
toujours par être le plus fort et à entretenir le mystère. Le
mystère étant justement entier, on se résigne en faisant
endosser la responsabilité à Dieu : « Ce n’est de la faute à
personne », « C’est Dieu qui l’a voulu ainsi ou c’est son
destin. » « Nul, dit l’adage, n’échappe à son destin. »
Autrement dit, il n’est jamais mis en échec :

Il [le destin] existe dans un temps qui ne connaît pas


le présent. Il est toujours soit avant (en tant que prédit)
soit après (en tant qu’accompli), et quelle que soit
l’issue du combat (physique ou magique), l’avant et
l’après s’identifieront, la prédiction se rabattra sur le
fait accompli. (X. Garnier, 1998, p. 51).

47
Dans son livre, Chinua Achebe et la tragédie de l’histoire, T.
Mélone, analysant le destin circulaire, trouve en l’homme une
double identité. La première identité est ce que l’homme est
en réalité et la deuxième, le besoin d’exercer une certaine
puissance sur le monde. Le critique fait un constat : l’homme,
dans son affirmation de soi ou la réalisation de ses rêves, fait
un premier mouvement ascensionnel. Mais très vite, un
deuxième mouvement descensionnel le ramène au point de
départ. Il en est conscient mais il assiste impuissant à la
menace, c’est-à-dire à son destin.

Dans les récits magiques du destin, c’est le cas avec l’histoire de


Fama, les personnages sont soumis aux décisions des forces
surnaturelles qui les dominent et leur imposent un dessein contraire à
celui qu’ils désirent. On a beau multiplier les efforts pour détecter les
raisons de leurs maux afin d’y trouver un remède, ceux-ci restent
vains. Dans Les Soleils… de Kourouma, si nous avons la magie de la
dégradation (Md) à travers la stérilité mystérieuse/magique de Fama,
la magie de l’action réparatrice (Ma) avec les différents recours à des
rituels magiques, la magie de la solution (Ms) n’aura pas lieu du fait
de l’inefficacité des différents remèdes proposés. La structure
triadique magique schématisant le destin de Fama sera descendante et
représentée de la façon suivante :

Passé glorieux de Fama

Stérilité de Fama

Mort dégradante et dans la stérilité de Fama

Si Les Soleils…, ainsi que nous l’avons vu, obéit aux critères des
récits magiques, avec une intrigue magique, une triade et un
secret magiques, est un bel et bien roman magique des maléfices
48
de la sous-catégorie du destin, du fait justement de la non-
élucidation du secret magique, qu’en est-il de Allah n’est
pas obligé ?

2.2. Allah n’est pas obligé, roman magique de la transgression


d’un interdit ?
Dans Allah n’est pas obligé, l’intrigue magique se noue autour
d’un crime magique, en l’occurrence, la transgression d’un
interdit relatif aux plus faibles comme la pauvre handicapée
qu’est Ma alias Bafitini. En effet, diminuée par un ulcère, Ma est
sujette à des commérages qui font d’elle une sorcière. C’est parce
qu’elle mange les gens dans la plaie de son ulcère que celle-ci ne
guérit pas, disent les mauvaises langues. Birahima, son fils, croit
ce qu’on dit et prend ses distances de la pauvre femme. Or, les
traditions, plusieurs fois séculaires, recommandent que l’enfant
voue considération et révérence à la personne âgée ou
handicapée, de surcroît à la mère. C’est d’ailleurs ce respect de la
mère qui vaut la mise en garde du narrateur à Tiécoura dans En
attendant le vote des bêtes sauvages :

Ah ! Tiécoura […] il faut respecter sa mère. Notre


tradition en Afrique veut que le respect de la mère
dépasse celui du père. Ce que l’enfant obtient
physiquement, il le doit à son père ; à sa mère il doit ce
qu’il acquiert moralement. […]. La tradition nègre pose
que toutes les peines que la mère accepte de supporter
dans le mariage se transforment en force vitale, en
valeur, en réussite pour son fils. Le fils d’un homme
riche n’est pas forcément riche. Le fils d’homme
exceptionnel dans le savoir peut être un imbécile. Alors
que l’enfant devient toujours ce qu’est sa mère, possède
toujours ce qui appartient à sa mère. (A. Kourouma,
1998, p. 39).

49
Profondément marquée par le comportement de son fils, elle
se fâcha contre lui, et le maudit. Cette malédiction maternelle
s’actualise, dans le récit, par l’emprisonnement de son bras
dans la main de sa dépouille :

Quand maman commença à pourrir, pourrir au dernier


degré, elle m’a convoqué et a serré trop fort mon bras
gauche avec sa main droite. […] le matin, les doigts de
maman étaient tellement serrés sur mon bras qu’il a fallu
Balla, grand-mère et une autre femme pour m’arracher à
ma mère […] Et moi, j’ai été avec elle un mauvais et vilain
garçon. J’ai blessé maman, elle est morte avec la blessure
au cœur. Donc je suis maudit, je traîne la malédiction
partout où je vais. (A. Kourouma, 2000, p. 30).

Après la mort de sa mère, Birahima avait pour mission d’aller


à la recherche de tante Mahan au Libéria. Encouragé par sa
grand-mère, il était heureux à l’idée de partir comme il nous
le rapporte en ces termes :

Grand-mère, pour m’encourager, me convaincre de


quitter mon beau-père Balla, m’a dit que là-bas, au
Libéria, chez ma tante, je mangerais tous les jours du
riz avec viande et sauce graine. Moi j’ai été content de
partir et j’ai chanté parce que j’avais envie de bien
manger du riz avec sauce graine. Walahé ! (A.
Kourouma, op. cit., p. 33).

Seulement, la malédiction qui noue l’intrigue accompagne


Birahima tout au long de l’évolution du récit, et le condamne à
l’échec dans tout ce qu’il entreprend. Le narrateur-personnage,
Birahima, en a conscience :

C’est vrai, suis pas chic et mignon, suis maudit parce


que j’ai fait du mal à ma mère. Chez les nègres noirs
africains indigènes, quand tu as fâché ta maman et si

50
elle est morte avec cette colère dans son cœur elle te
maudit, tu as la malédiction. Et rien ne marche chez
toi et avec toi. (A. Kourouma, op. cit., p. 10).

C’est pourquoi, une fois au Libéria, au lieu de la tante et des repas


savoureux dont il rêvait, Birahima, accompagné de son
compagnon Yacouba, sera enrôlé, à la faveur de la guerre civile,
comme enfant-soldat. Ses multiples efforts pour retrouver sa tante
resteront vains jusqu’à la découverte de la tombe de cette dernière.
Comble de malheur, Birahima devient par la force des choses une
machine à tuer. Il ne peut que s’en prendre à lui-même pour tout ce
qui lui arrive parce que, dans le contexte de la poétique de Go,
lorsqu’on commet un crime magique (c’est le cas de Birahima
avec son irrévérence envers sa mère) la situation enviée et enviable
du transgresseur se dégrade du jour au lendemain.

La triade magique transparaît aussi, dans Allah n’est pas


obligé, à travers la détérioration progressive, inexpliquée et
inexplicable, de la situation du héros-narrateur (Md) après
son crime magique (transgression de l’interdit qui veut que
les enfants ne soient point l’artisan du malheur de leurs
parents, en l’occurrence la mère).

Comme dans le roman précédent, il s’agit d’une séquence à


phase unique et descendante car la malédiction maternelle
étant presque irréversible, il n’y a pratiquement pas de magie
d’action de la réparation (Ma) pour aboutir à une solution
magique (Ms). Nulle part, dans la diégèse, on ne voit, en
effet, l’enfant maudit solliciter les acteurs de la magie afin de
déterminer les sacrifices expiatoires (Ma) en vue d’aboutir à
la magie de la solution (Ms). La structure triadique magique
descendante qui peut se schématiser, de la façon ci-après,
traduit toute la tragédie de la situation de Birahima.

51
Comportement irrespectueux de Birahima envers sa mère

Malédiction maternelle

Échecs répétés

Des trois différentes magies que distingue la poétique magique,


évoquées plus haut, cette œuvre de Kourouma se range donc dans
la catégorie de la magie de la transgression d’un interdit, et plus
précisément dans la sous-catégorie de la magie de la protection
sociale. L’interdit, on le voit, porte, en effet, sur les plus faibles de
sa société, à savoir ici, la mère. Quel est le dessous de la magie,
autrement dit, le secret magique dans Allah n’est pas obligé ?

Les interdits dans les sociétés traditionnelles africaines


cachent, bien des fois, des préoccupations humaines. Les
malheurs qui s’abattent sur Birahima avec ses échecs répétés
dans tout ce qu’il entreprend (en Sierra Leone, au Libéria,
etc.) après sa violation de l’interdit séculaire qui recommande
voire commande aux enfants d’honorer leurs parents ont une
portée didactique : on ne peut pas faire le malheur de sa mère
et aspirer au bonheur4!

4
B. Bayili (1998, p. 337) fournit et précise les conséquences qu’entraîne
la transgression de certains interdits : « Tu honoreras ton père et ta mère
qui t'ont donné la vie. Jamais tu ne lèveras la main sur eux pour les
frapper ou pour les menacer. Tu ne coucheras pas avec la femme de ton
père (coépouse de ta mère), ce serait là une abomination. Le père et la
mère sont tes « dieux ». Ils savent de quelle puissance tutélaire tu es sorti
en te donnant le jour. Si tu n'honores pas ton père et ta mère et
transgresses les nyá, n'shìshì n'ne n'vùré n'myee nezhin wen (tu enlèves
toi-même ta main du plat), tu ne vivras pas de longs jours. Si tu fais de la
peine à ton père et à ta mère au point de leur faire verser des larmes

52
On peut donc en déduire, en ce qui concerne la magie de la
protection sociale, que l’Afrique traditionnelle n’était pas
ignorante de la promotion des droits humains. Consciente de la
vulnérabilité et de la faiblesse de certaines catégories de la société
(personnes âgées, femmes, handicapés, etc.), elle a érigé des
lois/interdits pour faciliter leur intégration au sein de la
communauté afin de combattre l’injustice sociale. L’interdit, dans
cette typologie de récit magique comme Allah n’est pas obligé,
vise à protéger, in fine, la frange la plus vulnérable de la société.
En attendant le vote des bêtes sauvages résistera-t-il à la grille
d’évaluation des récits magiques à l’instar des deux précédents
romans de Kourouma ?

2.3. En attendant le vote des bêtes sauvages, roman


magique du pacte diabolique ?
Le roman s’ouvre dans le jardin de Koyaga avec le début de la
première veillée, dans un contexte de récitation du donsomana,
impliquant le récitant ou « Sora », le répondant ou « cordoua »,
avec pour principal destinataire Koyaga, et pour spectateurs les
sept plus prestigieux maîtres. L’intrigue magique se noue avec le
crime du pacte diabolique signé par le président-dictateur avec sa
mère, une sorcière possédant une météorique magique, et son
marabout au coran magique. Si dans le cas de la magie de la
transgression et des maléfices, le crime magique entraine
invariablement et automatiquement la dégradation de la situation
du personnage, à travers la magie de la dégradation (Md), dont la
solution magique (Ms) passe inévitablement par la magie de
l’action de la réparation (Ma) ; dans la magie du pacte diabolique,
le crime magique, comme c’est le cas, dans En attendant le vote

yínàná (lit. Yeux /eaux), leurs larmes te livrent aux hommes des ténèbres,
shish ε n shìná (les sorciers). »

53
des bêtes sauvages, consacre l’ascension sociale fulgurante du
pactisant diabolique, à savoir Koyaga.

Son initiation aux secrets de la chasse, et surtout à la pratique


de l’émasculation rituelle, corollaire du pacte diabolique,
devient pour lui, dans le champ politique, un moyen magique
de conquête et de conservation du pouvoir. Maclédio livre les
dessous de l’émasculation des animaux :

- Pour annihiler et éteindre tous ses puissants nyamas


de monstre, Koyaga trancha sa queue et l’enfonça
dans sa bouche.
- En plantant la fin de la bête (sa queue) dans son
commencement (sa gueule), tous les nyamas étaient
condamnés à rester, à continuer à tourner en circuit fermé
dans les restes de la bête. (A. Kourouma, 1998, p. 71).

Une fois, l’efficacité rituelle de l’émasculation des animaux


éprouvée en brousse, Koyaga la transpose, dans le champ
politique, au niveau de la cité, en agissant de même sur ses
adversaires politiques. Après être venu à bout de ces derniers,
qu’ils soient pris morts ou vifs, il les émasculait, et leur
enfonçait pénis et bourses dans la gorge, les tuant ainsi deux
fois. C’est exactement ce qu’il fit quand il prit le pouvoir en
évinçant le Président Fricassa Santos :

Le Président [Fricassa Santos] saigne, chancelle et


s’assied dans le sable. Koyaga fait signe aux soldats. Ils
comprennent et reviennent, récupèrent leurs armes et les
déchargent sur le malheureux Président. Le grand initié
Fricassa Santos s’écroule et râle. Un soldat l’achève
d’une rafale. Deux autres se penchèrent sur le corps. Ils
déboutonnent le Président, l’émasculent, enfoncent le
sexe ensanglanté entre les dents. C’est l’émasculation
rituelle. Toute vie humaine porte une force immanente.
Une force immanente qui venge le mort en s’attaquant à

54
son tueur. Le tueur peut neutraliser la force immanente
en émasculant la victime. (A. Kourouma, op. cit., pp.
100-101).

L’assimilation de la chasse à la politique n’est pas un fait du


hasard. Pour M. Borgomano (2000), la fusion réussie entre
chasse et politique permet de faire vaciller les frontières entre
humanité et bestialité, ce qui implique un jugement implicite.
Elle permet aussi de mettre en scène de façon saisissante une
métaphore extrêmement répandue dans les études sur
l’Afrique contemporaine.

La fulgurante ascension de Koyaga dans la politique, à y voir de


près, n’est pas seulement liée aux « crimes rituels » ou pactes
diaboliques. S’il y a un secret magique, et il y en a, dans son
ascension sociale vertigineuse, il faut l’appréhender du côté de la
préparation psychologique que constitue le pacte diabolique
destiné à le débarrasser des « carcans » de la morale sociale. Une
fois le test psychologique validé avec le crime magique du pacte
diabolique, généralement un sacrifice humain (émasculation
rituelle, avec Koyaga), plus rien n’arrête alors le pactisant
diabolique dans sa course effrénée pour le pouvoir et/ou l’avoir.
En tous les cas, ce ne seront plus les considérations morales.
C’est dire donc qu’au-delà des aspects magiques mis en exergue,
la percée spectaculaire de Koyaga s’explique d’un point de vue
rationnel :

Koyaga a détourné les deniers publics, les biens du


peuple du Golfe pour bâtir une fortune immense. Il a
bien appris la leçon chez les autres chefs d’États
dictateurs : ne jamais faire de différence entre les
biens de l’État et sa fortune personnelle. Le secret de
la magie chez tous ces personnages est de tourner dos
à la moralité et tous les moyens deviennent ainsi bons
pour amasser des fortunes illégalement. L’immoralité

55
est la réalité cachée derrière les rituels magiques
scabreux qui n’ont qu’une seule fonction préparatoire
sur le plan psychologique. (I. Go, op. cit., p. 265).

La fortune colossale amassée par Koyaga ainsi que le club


des chefs d’États dictateurs auquel il appartenait et surtout le
redoutable régiment de sécurité mis en place sont, plus que
les crimes rituels, le véritable secret magique de son long
règne. En attendant le vote des bêtes sauvages est donc, in
fine, un roman magique du pacte diabolique qui relève de la
sous-catégorie de la politique. Justement, avec une intrigue
magique nouée autour d’un crime magique à savoir le pacte
diabolique de Koyaga, un secret magique qui explique
l’esprit du pacte diabolique qui s’avère être une préparation
psychologique destinée à blinder psychologiquement le
candidat à l’ascension sociale fulgurante, et enfin la triade
magique avec trois magies (3 M) : Md, Ma, Ms.

La séquence est, dans un premier temps, ascendante suite au coup


d’état de Koyaga avec émasculation rituelle du président Fricassa
Santos qui le propulse à la tête de la République du Golfe (Ma).
La chute de Koyaga longtemps attendue, même si elle n’est pas
actualisée dans la diégèse de En attendant le vote des bêtes
sauvages, finira par arriver (Md) sans aucune possibilité de
solution magique (Ms). C’est une règle qui ne souffre d’aucune
exception, dans le contexte de la poétique magique et des récits
magiques du pacte diabolique qui, disions-nous plus haut, combat
l’immoralité en châtiant conséquemment les pactisants
diaboliques qui ont tourné le dos à la morale dans leur quête
d’ascension sociale. En effet, une réussite, à l’instar de celle de
Koyaga, basée sur le crime, la ruse, ne peut perdurer. Comme dit
l’adage, la tromperie, si elle a fait dîner, ne fera pas souper, le
succès de Koyaga ne durera pas ad vitam aeternam. On se
rappelle les crimes et les châtiments de pactisants diaboliques
célèbres de la littérature africaine comme Wangrin (L’Étrange
56
Destin de Wangrin/Amadou Hampaté Bâ), Gouama (Le
Parachutage/Norbert Zongo), Anato Idriss (Merci l’artiste / Isaïe
Biton Koulibaly), etc.

La triade magique se présente ainsi qu’il suit avec la séquence


descendante non encore actualisée en pointillés :

Apogée du règne de Koyaga

Accession sanglante de Koyaga


au pouvoir

Crimes rituels Chute future du dictateur

Assassinat de Santos
Emasculation rituelle

Conclusion
Au terme de notre analyse, nous pouvons, comme nous
l’avions postulé dès le départ, affirmer qu’en plus de
l’innovation linguistique, Kourouma laisse, effectivement, à
la postérité, avec Les Soleils des indépendances, Allah n’est
pas obligé et En attendant le vote des bêtes sauvages, un type
particulier de roman que la poétique magique appelle roman
magique. Cette autre innovation dans le roman kouroumien,
et dont la poétique de Go permet de rendre compte, réside sur
le plan structural. Ces textes se caractérisent par une intrigue

57
magique nouée par le biais d’un crime magique autour duquel
évolue et se dénoue l’intrigue, une triade magique (Md, Ma et
Ms) ainsi qu’un secret magique qui permet de saisir la
signifiance des pratiques magiques.

Cette particularité confère aux productions littéraires africaines, et


surtout aux œuvres de l’écrivain ivoirien, une originalité qui
contribue, sans doute, à bâtir leur réputation auprès des lecteurs et
de la critique. Justement, les récits magiques reposent sur une
esthétique particulière que le théoricien de la poétique appelle
esthétique magique qui en fait des récits à succès.5 C’est au
regard, sans doute, de cette forte charge esthétique liée aux récits
magiques qui amène A. Ntonfo (1999) à dire que l’écriture des
Africains devrait accepter sans partage les croyances populaires,
les pratiques populaires, les pratiques magico-religieuses et le
réalisme africain.

Ces chefs-d’œuvre de la littérature magique de Kourouma,


avec le succès que l’on sait, ont inspiré et continuent
d’inspirer des prosateurs, de part et d’autre du continent,
réalisant ainsi le vœu de Ntonfo. Le Béninois Jean Pliya
(L’Arbre fétiche) les Burkinabè Brahima Kéré (Le Sang des
jumeaux), Hermann Valy (Grossesse désirée) et Bali Nébié
(Le Secret du sorcier noir), le Congolais Emmanuel Dongala
(« L’Étonnante et dialectique déchéance du camarade Kali
Tchikati »), le Gabonais NGADI, J. Noël (Réincarnation), le
Nigérien Idé Adamou (Misères et grandeurs ordinaires),
pour ne citer que ces épigones, sont de ce registre-là.

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Cette réflexion est la première d’une série que nous consacrons à ce
monstre sacré de la littérature africaine. Après avoir établi, ici, la magicité
de ces romans, nous envisageons établir, par la suite, leur esthétique
spécifique en tant que récits magiques, et qui en font des œuvres à succès
comme peuvent en témoigner les différents dont ils sont auréolés.

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Bibliographie
Corpus
KOUROUMA, Ahmadou (1970). Les Soleils des
indépendances, Éditions du Seuil, Paris.
KOUROUMA, Ahmadou (2000), Allah n’est pas obligé,
Éditions du Seuil, Paris.
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bêtes sauvages, Éditions du Seuil, Paris.

Œuvres de critiques littéraires


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bêtes ? Lecture de En attendant le vote des bêtes sauvages,
Harmattan, Paris.
GARNIER, Xavier (1999). La Magie dans le roman africain,
Presses universitaires de France, Paris.
GO, Issou (2014). Poétique et esthétique magiques,
Harmattan Burkina, Ouagadougou.
MÉLONE, Thomas (1973). Chinua Achebe et la Tragédie de
l’Histoire, Présence Africaine, Paris.
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Publibook, Paris.
Ouvrages de culture générale
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Faso, Harmattan, Paris.
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moosé, Saint-Augustin Afrique, Lomé.
HEBGA, Meinrad (1998). La Rationalité d’un discours
africain sur les phénomènes paranormaux, Harmattan, Paris.
LANKOANDÉ, Salif Titamba (2006). La Superstition et les
croyances en Afrique au sud du Sahara, Presses africaines,
Ouagadougou.
Articles et thèses
CHEVRIER, Jacques (1981). « Une Écriture nouvelle »,
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doctorat unique), Lettres Modernes, Université Joseph KI-
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KANTAGBA, Adamou (2018). « La Sorcellerie comme
forme de résistance dans la littérature africaine », Wiiré,
Revue de Langues, Lettres, Arts, Sciences humaines et
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Presses universitaires de Ouagadougou, pp.265-286.
KONE, Amadou (2013). « Ahmadou Kourouma, la révolution
africaine et ses limites », Actes du colloque Ahmadou
Kourouma, un écrivain total : Approches interculturelles de
l’œuvre d’Ahmadou Kourouma, Textes réunis par DIANDUE
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NTONFO, André (1999). «Écriture romanesque, appropriation
linguistique et identité dans la Caraïbe francophone : le cas de la
Martinique », Francophonie et identités culturelles, Karthala,
Paris, pp. 59-74.

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