3.poésie Courtoise La Chanson de L'alouette
3.poésie Courtoise La Chanson de L'alouette
3.poésie Courtoise La Chanson de L'alouette
1
1 Quand je vois l'alouette mouvoir
De joie ses ailes dans un rayon (de soleil),
Si bien qu'elle s'oublie et se laisse choir1
A cause de la douceur qui l'envahit
5 Las, j'ai si grande envie de ceux
Que je vois joyeux,
Je m'émerveille que sur le champ
Mon cœur ne fonde en moi de désir.
1
Elle se laisse tomber
2
Se regarder, se contempler.
3
Narcisse, rebelle à l'amour, fut puni par le dieu Éros : il tomba amoureux de sa propre image, aperçue dans une fontaine, et
mourut de langueur auprès de la fontaine, incapable de se détacher de son inaccessible reflet. Le mythe de Narcisse est l'un des
plus importants pour l'imaginaire médiéval.
2
Autant j'avais l'habitude de les défendre,
Autant je les attaquerai :
Quand je vois qu'aucune ne m'en tient gré
30 Auprès de celle qui me détruit et me tue,
4
Avoir peu de confiance en; être, se mettre en garde contre.
5
De manière caractéristique, la courtoisie se trouve alliée dans cette pièce à l'intense et très répandue misogynie médiévale.
3
C'est ici que je me sépare d'amour et que j'y renonce :
Elle6 m'a voulu mort et mort je lui réponds,
Et je m'en vais, puisqu'elle ne me retient,
55 Malheureux que je suis, exilé, je ne sais où.
1. Dégagez l'enchaînement des différentes strophes, et les changements de ton de l'une à l'autre.
2. Étudiez la structure de la chanson ; dégagez en particulier les reprises de termes et les parallélismes dans
chaque strophe.
3. En quoi la tornada constitue-t-elle une rupture par rapport à ce qui précède ?
4. Quel est l'effet produit par l'image qui ouvre la chanson ? En quoi est-elle particulièrement appropriée ?
5. Quels sont les éléments de la « fin'amor » qui apparaissent dans cette pièce ?
6. Comment le mythe de Narcisse vient-il enrichir la chanson courtoise ?
7. Comment le respect de la dame qui domine la courtoisie est-il associé à un très vieux fonds misogyne ?
8. Quelle équivalence fondamentale est établie au cours de la pièce ?
ANALYSE DU TEXTE
6
Amour est féminin en ancien provençal comme en ancien français.
7
« Tristan » peut être ici le senhal de la dame, ou le pseudonyme par lequel Bernard désigne son «jongleur », c'est-à-dire celui
qui est chargé de chanter les productions du troubadour devant sa dame.
4
L'enchaînement des strophes et la structure de la chanson
Cette longue cansô de Bernard de Ventadour est en fait l'un des poèmes les plus connus de la
lyrique occitane, renommée bien méritée à cause de sa beauté. La longueur même du texte permet à
toutes les nuances de sentiments de la poésie courtoise de s'y manifester, de strophe en strophe, sans
jamais de rupture, en une sorte de chatoiement (nuance) infiniment travaillé des images et des figures.
La première strophe, qui s'ouvre comme il se doit par une image, a une tonalité joyeuse, comme
l'alouette qu'elle décrit, en dépit de la mélancolie du « je » lyrique. Cette mélancolie s'explique dans la
strophe suivante, où le poète révèle sa situation misérable d'amant non aimé, dont la dévotion8 ne sera
jamais payée de retour.
8
L’adoration, la vénération.
9
Se regarder, se contempler.
10
Narcisse, rebelle à l'amour, fut puni par le dieu Éros : il tomba amoureux de sa propre image, aperçue dans une fontaine, et
mourut de langueur auprès de la fontaine, incapable de se détacher de son inaccessible reflet. Le mythe de Narcisse est l'un des
plus importants pour l'imaginaire médiéval.
5
Narcisse est le symbole de l'amour de soi. En plus d'être un personnage mythique, la narcisse est également
une fleur.
Dans la mythologie grecque
Selon le mythe grec, le devin Tirésias avait prédit à Liriopé (la mère de Narcisse) que son fils vivra très vieux,
à condition qu'il ne se regarde jamais. Mais le jeune Narcisse, désespéré de ne pas pouvoir saisir sa propre
image, finit par contempler son reflet sur l'eau d’une fontaine. Il tomba alors éperdument amoureux de son
image et ne cessa de la contempler. Ainsi, il finit par mourir au bord de la fontaine.
Cette réflexion amère aboutit au cri désolé qui ouvre la sixième strophe: «Merci est perdue! », et
jamais le poète n'aura ce qu'il désire.
La septième strophe constitue une rupture avec ce qui précède: le ton se durcit, et le poète
annonce qu'il renonce à l'amour et à la poésie (qui ne font qu'un du point de vue des troubadours),
puisque sa dame ne désire qu'une chose, sa mort.
Dans de telles conditions, la tornada, c'est-à-dire la demi-strophe qui clôt le poème et contient en
général l'adresse au destinataire, ou au messager chargé de transmettre le poème, ne peut que reprendre
sur un autre ton cette énième résolution, et constitue un adieu au monde en la personne du jongleur,
l'affirmation que cette chanson est le testament lyrique d'un «je» désormais condamné au silence
Tristan15, vous n'aurez plus rien de moi,
11
Souhaits de malheur contre qqn
12
Avoir peu de confiance en; être, se mettre en garde contre.
13
De manière caractéristique, la courtoisie se trouve alliée dans cette pièce à l'intense et très répandue misogynie médiévale.
14
Amour est féminin en ancien provençal comme en ancien français.
15
« Tristan » peut être ici le senhal de la dame, ou le pseudonyme par lequel Bernard désigne son «jongleur », c'est-à-dire celui
6
Car je m'en vais, malheureux, je ne sais où :
Je renonce à chanter, je renie le chant,
Et je me cache loin d'amour et de joie.
Cette progression de strophe en strophe est appuyée et confortée par tout un système de reprises
et d'échos à l'intérieur des strophes elles-mêmes.
Le mythe de Narcisse.
Il n'a pas a priori de rapport immédiat avec l'idéologie courtoise. Tout au plus peut-on l'utiliser comme un
avertissement, ou un exempledémontrant la force de l'amour. Mais comme on le verra à propos du
Roman de la Rose, le thème de la fontaine de Narcisse devient un des topoï 16 de la courtoisie, parce qu'il
pose le problème du regard. Selon Andreas Capellanus, l'amour naît de la contemplation de la beauté, à
tel point que les aveugles ne sauraient aimer vraiment. Narcisse, rebelle à l'amour, a trouvé la mort dans la
fontaine où il a contemplé son reflet et s'est épris d'une ombre.
Chaque amant courtois est appelé à reproduire d'une manière détournée le parcours initiatique de
Narcisse, et à se perdre dans le miroir que constituent les yeux de la dame, qui loin de refléter leur image
les dépouillant de tout le monde pour ne plus leur laisser que le désir vain d'un regard réciproque,
inaccessible.
16
Une figure, une image.
8
retour du refoulé, c'est-à-dire en l'occurence de la crainte et du mépris éprouvés par la société médiévale
masculine à l'égard des femmes. La femme est invariablement injuste et capricieuse, et elle ne sait pas
distinguer le bien du mal — pire, elle choisit délibérément le mal; la preuve, c'est qu'elle ne sait pas
reconnaître la valeur du poète en lui accordant son amour !