DRS 050 0029
DRS 050 0029
DRS 050 0029
Véronique Champeil-Desplats
2002/1 - n°50
pages 29 à 42
ISSN 0769-3362
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Droit et Société 50-2002
Alf Ross : droit et logique (p. 29-41)
Véronique Champeil-Desplats *
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Résumé L’auteur
Maître de conférences à
La conception qu’Alf Ross a des rapports entre le droit et la logique est l’Université Paris-X Nanterre.
inséparable de ses présupposés ontologiques, épistémologiques et métho- Membre du Centre de théorie du
dologiques. À partir de la distinction entre les énoncés du droit formés de droit. Ses travaux de recherche
propositions prescriptives et les énoncés portant sur le droit formés de en théorie du droit et droit
constitutionnel portent notam-
propositions descriptives, il met en évidence que les premiers ne peuvent
ment sur l’argumentation et les
pas être traités de manière logique parce que n’établissant pas des faits, raisonnements juridiques.
alors que les seconds, décrivant ces faits, doivent nécessairement être Parmi ses publications :
soumis aux inférences de la logique formelle. Il est donc réservé sur la — « “Valeurs communes” et
possibilité d’une logique déontique. La logique formelle apparaît ainsi “cohésion sociale et territo-
dans l’œuvre d’Alf Ross comme un outil d’analyse scientifique portant sur riale” : vers la reconnaissance de
des énoncés qui ne lui obéissent en rien. nouvelles justifications pour les
services d’intérêt économique
général ? », Actualité juridique,
Logique déontique – Logique formelle – Norme – Science du droit.
droit administratif, 12, 1999 ;
— Les principes fondamentaux
reconnus par les lois de la
Summary République. Principes constitu-
tionnels et justification dans les
discours juridiques, Paris,
Alf Ross : Law and Logic Economica, 2001 ;
Ross’s idea of relations between law and logic cannot be separated from —« Pluralité des valeurs et
raisonnement juridique : les
his ontological, epistemological and methodological presuppositions.
conflits axio-téléologiques de
Distinguishing the statements of law including prescriptive propositions normes », Analisi e Diritto, 2002.
from the statements about law including descriptive propositions, he
shows that formal logic cannot be used to infer anything from the former
because such statements do not establish facts, while this logic is
necessary to deal with the latter, which describe facts. He criticised the
very idea of deontic logic. Formal logic appears in Ross’s work as a
scientific means of analysing propositions which do not follow such a
logic.
* Centre de Théorie du Droit,
Deontic logic – Formal logic – Legal science – Norm. Université Paris X-Nanterre,
Bâtiment F,
200 avenue de la République,
F-92001 Nanterre cedex.
<[email protected]>
29
V. Champeil-Desplats Comme tous les théoriciens du droit majeurs du milieu du XXe
Alf Ross : droit et logique siècle, Alf Ross s’est trouvé confronté à la question des rapports
entre le droit et la logique. Le droit obéit-il à la logique ? Les
raisonnements juridiques permettent-ils le passage de proposi-
tions vraies à d’autres propositions dont la vérité dépend elle-
même de la vérité des premières ?
Ross consacre des développements essentiels à cette question
qu’il traite à l’occasion de propos plus généraux portant, d’une
part, sur les propriétés des normes, du discours et des raisonne-
ments juridiques et, d’autre part, sur les critères de scientificité
des propositions méta-juridiques. Les rapports de la logique et du
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droit apparaissent ainsi liés chez Ross à sa conception de l’onto-
logie des normes juridiques, ainsi qu’à ses présupposés épistémo-
logiques et méthodologiques.
Pour cerner le statut de la logique dans l’œuvre de Ross, il
importe plus que jamais de recourir à la distinction fondamentale,
qu’en scientifique positiviste l’auteur fait sienne, entre le discours
prescriptif du droit, c’est-à-dire celui des praticiens (le législateur,
les juges, certains courants doctrinaux), et le discours descriptif
de la science du droit 1. Ross admet l’autonomie de ces deux types
de discours, à une nuance près qui sépare sa conception de la
finalité de la science de celle de Kelsen. Pour Ross, la science du
droit doit pouvoir prévoir les décisions juridictionnelles futures de
la même manière que les sciences de la nature prévoient que telles
causes produiront tels effets. Cette volonté de conférer à la
science du droit une capacité prédictive le conduit à ne pas couper
radicalement certains raisonnements scientifiques de ceux utilisés
par les juges.
Même en considérant cette nuance, Ross est loin de réduire ou
d’assimiler le discours scientifique au discours doctrinal qu’il
considère imparfaitement scientifique et, encore moins, à celui de
son discours-objet : le droit. Le premier type de discours étant
formé de propositions descriptives et les deux derniers de propo-
sitions prescriptives, ils ne partagent pas les mêmes propriétés
logiques. Autrement dit : tandis que le discours prescriptif du
droit ne peut faire l’objet des inférences de la logique formelle
classique – il est détaché de la logique – (I), le discours descriptif
de la science du droit est alimenté par elle (II). La logique apparaît
1. Voir Alf ROSS, On Law and
Justice, London, Stevens, 1958,
dans l’œuvre de Ross comme un outil d’analyse portant sur des
p. 11 ; Alf ROSS, Directives and propositions qui n’obéissent elles-mêmes pas à cette même
Norms, London, Routledge & logique.
Kegan Paul, 1968, p. 1-8.
2. Selon la terminologie
consacrée, proposée par Carlos I. Le discours juridique détaché de la logique
ALCHOURRÓN et Eugenio BULYGIN,
« The Expressive Conception of Le refus de reconnaître que le discours juridique obéit à la
Norms », in Risto HILPINEN (ed.),
New Studies in Deontic Logic, logique formelle classique tient au fait essentiel que Ross adopte
Dordrecht, Boston, Reidel, 1981. une conception dite « expressive » 2 des normes juridiques. Il
30
s’oppose ainsi à la majorité des théoriciens du droit de l’entre- Droit et Société 50-2002
deux guerres qui partagent une conception idéale ou hylétique des
normes 3, soit parce qu’ils les considèrent comme des proposi-
tions linguistiques indicatives ou descriptives d’un univers norma-
tif accessible à la connaissance (position jusnaturaliste tradition-
nelle), soit parce qu’ils se les représentent comme des entités
conceptuelles particulières du monde du Sollen (position de Hans
Kelsen dans la première édition de la Théorie pure du droit en
1934 4).
Pour Ross au contraire, les normes juridiques sont des
« directives », c’est-à-dire des propositions linguistiques prescrip-
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tives qui signifient des commandements énoncés par des êtres
humains spécialement investis de ce pouvoir dans le but de diriger
la conduite d’autres êtres humains. Le droit n’est donc pas le
produit d’un acte de connaissance qui peut être empiriquement
vérifié ou falsifié, mais il constitue un ensemble de faits sociaux
spécifiques issus d’un acte de la volonté humaine. Or ces actes de
caractère prescriptif ne sont ni vrais ni faux ; ils sont insuscep-
tibles de faire l’objet d’inférences logiques. Tout au plus, soit ils
sont énoncés et ils existent, soit ils ne sont pas énoncés et ils
n’existent pas 5.
Très vite toutefois, cette exclusion du discours juridique de
l’empire des inférences logiques, qui caractérise ce que certains
appellent le « néopositivisme » 6, place Ross face à un dilemme
(I.1). Il en propose une issue qui, paradoxalement, jette les
premières pierres d’une pseudo-logique (I.2).
31
V. Champeil-Desplats Pour sortir de ce dilemme né de la distorsion entre des
Alf Ross : droit et logique observations empiriques et son adhésion à certaines conclusions
théoriques, Ross propose une alternative : soit on montre que la
définition classique de la logique est trop étroite car elle ne rend
pas compte de toutes les formes d’inférence possibles entre des
propositions ; soit on montre que les inférences observées entre
propositions prescriptives ne sont « logiques qu’en apparence »,
autrement dit, qu’elles sont pseudo-logiques 9.
L’attitude de A. Ross vis-à-vis de l’alternative présentée semble
claire dans son article de 1941, mais plus nuancée dans son
ouvrage ultérieur publié en 1968, Directives and Norms 10. En effet,
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dans un premier temps, Ross dénonce et démontre avec fermeté le
caractère pseudo-logique des inférences entre propositions pres-
criptives (infra, I.2). Toutefois, dans son ouvrage de 1968, Ross
entreprend d’explorer, certes de façon critique, les voies ouvertes
par la première branche de l’alternative, c’est-à-dire celles de
l’édification d’une logique des normes qui, après la publication en
1953 de l’ouvrage fondateur de Von Wright Deontic Logic, est
dénommée logique déontique.
Une telle édification avait, sous une forme différente, été
engagée quelque temps auparavant par Kelsen. Dans la première
édition de la Théorie pure du droit 11, animé par la volonté de
fonder une science juridique autonome par rapport aux autres
sciences sociales – une science normative –, Kelsen est conduit à
présenter les normes juridiques comme des significations d’actes.
Ces significations ont une forme d’existence propre, indépendante
de celle des actes auxquels elles se rapportent : la validité. En
raison de cette qualité particulière, les normes obéissent à une
logique spécifique que Kelsen prétend avoir découverte. Il s’agit
d’une « logique générale » qui permet de faire dériver la validité
d’une norme de la validité d’une norme supérieure, « de la même
manière que la vérité d’une assertion peut être dérivée de la vérité
9. Alf ROSS, « Imperatives and d’une autre » 12. Ross ne peut accepter ces conclusions non seule-
Logic », op. cit., § 6.
ment parce qu’il ne partage pas la conception hylétique des
10. Op. cit.
11. Op. cit.
normes adoptée par Kelsen dans la première période de son
12. Michel TROPER, Pour une œuvre, mais également parce qu’il nie la pertinence théorique du
théorie juridique de l'État, Paris, concept de validité proposé par le maître autrichien pour caracté-
PUF, 1994, chapitre III : « Les riser le mode d’existence spécifique des normes juridiques 13.
théories volontaristes du droit :
ontologie et théorie de la science Si Ross se détourne, à supposer qu’il y ait adhéré, de la
du droit ». Comme le rappelle logique des normes proposée par Kelsen, il accorde davantage de
Michel Troper, l'appréciation de considération aux recherches menées sur la logique déontique. Il
Kelsen sur les rapports entre les
normes juridiques et la logique reconnaît leur pertinence pour appréhender les propriétés spéci-
évolue ensuite en raison de son fiques des propositions d’invitation, de recommandation, d’ordre
changement de conception de la
science du droit (infra, II.2).
ou d’avertissement.
13. Voir, sur ce point, la L’essentiel des développements consacrés à la logique déontique
contribution de Michel Troper (qu’il préférerait dénommer la logique des « directives ») se trouve
dans ce dossier.
32
dans le chapitre VI de Directives and Norms, certains d’entre eux Droit et Société 50-2002
reprenant les analyses esquissées dans l’article Imperatives and
Logic. Ross met en relief les principales propriétés distinctives de
la logique des propositions prescriptives par rapport à la logique
des propositions indicatives, ainsi que certaines issues para-
doxales auxquelles conduit l’application des inférences de la
logique classique aux propositions prescriptives. Prenons trois
exemples 14 :
1) Ross démontre tout d’abord que, contrairement au discours
indicatif, le discours prescriptif admet une double négation 15.
Tandis que les propositions indicatives n’admettent qu’une forme
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de négation (une proposition p est ou n’est pas : ou je suis à la
maison, ou je n’y suis pas), les propositions prescriptives connais-
sent une négation interne et une négation externe : affirmer que A
n’a pas l’obligation de rester à la maison (i.e. il peut y rester) est
différent de dire que A a l’obligation de ne pas rester à la maison,
c’est-à-dire a l’obligation de sortir. Ou encore, la norme « tu ne
dois pas faire x » peut avoir deux significations : elle peut signifier
un devoir de ne pas faire x, ou une habilitation à faire tout autre
chose que x.
2) Le deuxième exemple est connu sous le nom de « paradoxe
de Ross ». L’auteur observe que les disjonctions opèrent différem-
ment dans le discours indicatif et dans le discours prescriptif.
La logique du discours indicatif admet l’inférence « p implique
que p ou q (représentée p → p ∨ q) » : s’il est vrai que la lettre a été
postée, il est vrai qu’elle a été postée ou qu’elle a été brûlée. Cette
inférence peut être admise en raison du caractère inclusif de la
disjonction « ou (représentée ∨) ».
La formule « p ∨ q » signifie que p est vrai ou que q est vrai,
ou qu’ils sont vrais ensemble. Mais ils ne peuvent pas être faux 14. On ne peut reproduire ici le
ensemble. Autrement dit, il est suffisant que p soit vrai ou que q détail des démonstrations
accessibles dans Alf ROSS,
soit vrai pour que la formule « p ∨ q » soit vraie. La formule Directives and Norms, op. cit.,
« p ∨ q » est en revanche fausse si p et q sont faux tous les deux. p. 143-168 ; ou dans ID.,
« Imperatives and Logic », op. cit.
Ross observe, et là surgit le paradoxe, que ces propriétés de la
15. Alf ROSS, Directives and
disjonction ne valent pas pour les propositions du discours pres- Norms, op. cit., p. 143-158.
criptif 16 : (O)p → (O)p ∨ (O)q (si p est obligatoire, alors p est 16. « O » étant un opérateur
obligatoire ou q est obligatoire) est un non-sens. L’obligation de déontique signifiant « l’obligation
de ».
poster une lettre n’implique pas l’obligation de la poster ou
17. Alf ROSS, « Imperatives and
l’obligation de la brûler, car l’obligation de poster une lettre n’est Logic », op. cit., § 12 ; Alf ROSS,
pas satisfaite si on l’a brûlée 17. Directives and Norms, op. cit.,
3) Enfin, Ross montre qu’en logique déontique les implications p. 158-164 ; Voir également
Riccardo GUASTINI, « Problemi
externes et internes ne sont pas équivalentes. Être obligé de faire q d'analisi del linguaggio
quand on fait p (O(p → q)) n’est pas équivalent à être obligé de normativo », in Alf ROSS, Critica
faire q quand on est obligé de faire p (O(p) → O(q)) : être obligé de del diritto e analisi del linguaggio,
Bologna, Il Molino, 1982, p. 52-
tenir sa promesse quand on en a fait une n’est pas équivalent à 54.
être obligé de faire une promesse et donc être obligé de la tenir18. 18. Alf ROSS, Directives and
Norms, op. cit., p. 164-168.
33
V. Champeil-Desplats Bien que Ross admette dans Directives and Norms ces apports
Alf Ross : droit et logique de la logique déontique, il ne souscrit toutefois pas à toutes ses
inférences, qu’il tient depuis son article de 1941 pour des leurres
qui se sont imposés dans le langage ordinaire grâce à leur carac-
tère persuasif. Il demeure en outre réservé sur les présupposés
ontologiques adoptés par les principaux artisans d’une telle
logique, sur sa capacité à appréhender les propriétés du discours
juridique et sur ses relations avec la logique des propositions
indicatives.
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Les limites des inférences entre propositions prescriptives ont
été soulevées par Ross dès son article de 1941 Imperatives and
Logic, et ont été pour partie reprises dans Directives and Norms.
Ross attaque directement l’idée selon laquelle la validité, qualité
spécifique des propositions prescriptives, serait équivalente à la
vérité, qualité des propositions indicatives. Il distingue trois
conceptions de la notion de validité qui déterminent trois concep-
tions de la logique déontique : la logique de la validité objective, la
logique de la satisfaction, la logique de la validité subjective. Selon
Ross, aucune des trois ne procure aux inférences de la logique
déontique les mêmes propriétés et garanties que la logique
formelle : elles rendent la logique déontique impossible, inutile, ou
la réduisent à une pseudo-logique.
1) En premier lieu, la logique de la validité objective des
normes se présente comme un analogue de la logique de la vérité
des propositions indicatives. Il suffit de remplacer les valeurs
logiques classiques « vrai » ou « faux » par « valide » ou « inva-
lide ». Ross écarte cette première conception de la logique de la
validité en ce qu’elle repose sur le présupposé métaphysique que
les obligations, les interdictions ou les permissions contenues
dans les propositions prescriptives existent vraiment, qu’elles
peuvent être connues ou vérifiées comme sont susceptibles de
l’être les propositions indicatives. Rejetant toute possibilité de
connaître les valeurs 19, Ross considère qu’il est impossible de
savoir si une proposition prescriptive est objectivement valide ou
non.
2) La validité peut alors, à l’opposé, être comprise de façon
19. Rappr. des manifestes non empirique, c’est-à-dire comme la satisfaction de l’impératif énoncé.
cognitivistes de Alf ROSS : Kritik
der sogenannten praktischen Un impératif est satisfait lorsqu’un énoncé indicatif correspondant
Erkenntnis, Copenhagen, Leipzig, confirme que l’impératif a été exécuté. L’énoncé impératif « ferme
Levin & Munksgaard, 1933 ; « On la porte » est satisfait si l’énoncé indicatif « la porte est fermée »
the Logical Nature of Proposition
of Value », Theoria, XI, 1945, est vrai ; inversement, l’énoncé indicatif « la porte est fermée » est
p. 172-210 (trad. française par vrai si l’impératif est satisfait. Pour Ross, une telle conception de
E. Millard et E. Matzner, in la validité permet certainement la construction d’une logique
Alf ROSS, Introduction à
l’empirisme juridique, op. cit.). spécifique de la satisfaction des impératifs. Toutefois, l’auteur
34
estime qu’une telle logique se rapporte en réalité davantage aux Droit et Société 50-2002
énoncés indicatifs qui décrivent la satisfaction des impératifs,
qu’elle ne construit des inférences entre les énoncés impératifs
eux-mêmes. Elle n’apporte donc que très peu sur ce que recherche
la logique des normes, à savoir les propriétés des relations entre
propositions valides.
3) À mi-chemin entre la conception objective et la conception
empiriste, la validité peut être conçue dans un sens subjectif. Elle
renvoie alors au fait que le législateur, ou le juge, énonce effective-
ment une norme, ou qu’un destinataire, « un sujet », accepte
effectivement la norme. La validité devient alors une qualité empi-
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riquement observable : « il est vrai ou faux que X (par exemple, un
juge) a énoncé la norme “il est interdit que…” », « il est vrai ou
faux que S (par exemple, un sujet) accepte la norme “il est interdit
que…” ».
Ainsi conçue, la validité perd le mystère que lui confère la
conception objective, mais elle perd surtout dans le même temps
son caractère déontique et les propriétés essentielles des infé-
rences de la logique classique. Autrement dit, la conception
subjective de la validité rend la logique déontique inutile et la
condamne à n’être qu’une pseudo-logique. En effet, d’un côté, les
propositions « X énonce telle obligation » ou « S accepte telle
obligation » ne sont pas des normes, mais des propositions
descriptives. Il n’y a nul besoin de logique déontique pour
construire des inférences à partir de ces énoncés. D’un autre côté,
contrairement à ce que l’on pourrait hâtivement croire, les
propriétés des inférences de la logique formelle ne se retrouvent
pas en logique déontique. Par exemple, si la logique formelle
n’admet pas la contradiction – une chose est ou n’est pas –, la
logique déontique, elle, n’y fait pas obstacle. Une personne peut
ordonner une chose et son contraire. L’énonciation de deux
propositions contradictoires est factuellement possible. Elle
traduit seulement l’incohérence psychologique ou l’irrationalité du
locuteur. D’ailleurs, les systèmes juridiques offrent maints cas de
coexistence de propositions contradictoires qui, en vue de
remédier à cet état, sont accompagnées de principes de résolution
des conflits de normes (lex posterior, lex specialis…) 20.
Les limites d’une assimilation des propriétés des logiques
déontique et formelle apparaissent davantage encore en ce qui
concerne les rapports d’implication. Ainsi, contrairement aux
implications de la logique formelle qui permettent de transférer la
vérité d’une proposition à une autre, les syllogismes employés
pour transférer la validité d’une proposition prescriptive générale
à une proposition prescriptive particulière aboutissent à des
conclusions non nécessaires. Le passage d’une prémisse majeure
générale à la conclusion particulière n’est donc pas à proprement 20. Alf ROSS, Directives and
parler une inférence qui permet de transférer la propriété logique Norms, op. cit., p. 169.
35
V. Champeil-Desplats (ici la validité) de la première proposition à la dernière. Ainsi, la
Alf Ross : droit et logique proposition énoncée ou acceptée par X que « l’on doit porter
toutes les valises à la gare » n’implique pas logiquement que X
énonce ou accepte que cette valise-là doive être portée à la gare.
L’acceptation de cette conclusion n’est possible que par l’accepta-
tion implicite, mais nécessaire, d’une tierce proposition : « est une
norme valide la proposition qui résulte de la subsomption d’une
prémisse mineure (un fait ou une appréciation : ceci est une valise)
sous une prémisse majeure (la norme générale que toutes les
valises doivent être traitées de telle façon) ». Or, il n’est pas
logiquement nécessaire qu’une personne qui ordonne ou accepte
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une règle générale ordonne ou accepte l’application particulière de
cette norme 21. Il résulte de cette analyse, pour le système juri-
dique, que la validité d’une norme individuelle ne tient pas à ce
qu’elle découle d’une norme générale. Elle dépend d’une tierce
norme qui en reconnaît spécifiquement la validité ou qui répute
valide les normes particulières énoncées par certains individus 22.
La validité de la conclusion ne découle pas directement de la
validité de la prémisse majeure ; elle en découle seulement indirec-
tement ou médiatement par l’existence d’une tierce proposition de
reconnaissance ou d’habilitation. Ross rend ici possible une
conclusion théorique nouvelle : la norme individuelle n’a pas
besoin d’être déduite d’une norme générale pour être valide. Elle
est valide par le simple fait d’être énoncée par une personne
habilitée. Or, une telle personne peut prononcer une norme valide
sans recourir au syllogisme. Procéder à une inférence n’est donc
pas nécessaire pour que la norme particulière soit valide.
La logique de la validité, quelle que soit la façon dont on la
conçoit, ne repose in fine pour Ross que sur un état psychologique
d’acceptation de certaines évidences. Les possibilités d’inférences
entre propositions impératives sont ainsi fondées sur l’illusion
que les inférences entre propositions impératives sont de la même
nature que celles, communes et connues, des inférences de la
logique classique. Mais ce sentiment n’est que le fruit d’une illu-
sion qui ne résiste pas à un examen approfondi.
Si l’on ajoute à cette critique du syllogisme les observations
que Ross livre à la fin de son article de 1941, et certains dévelop-
pements de On Law and Justice 23, on comprend tout ce que
21. Alf ROSS, « Imperatives and doivent à l’auteur les théories contemporaines (dites « réalistes »)
Logic », op. cit., § 12-13. Voir de l’interprétation. En effet, Ross relève que la prémisse mineure
Riccardo GUASTINI, « Problemi
d'analisi del linguaggio des syllogismes pratiques (x est un contrat, y est un bois ou
normativo », op. cit., p. 51. encore z une valise) n’est pas un énoncé susceptible d’être vrai ou
22. Voir Michel TROPER, Pour une faux, mais une appréciation ou « une décision prise sur le
théorie juridique de l'État, op. cit.
fondement de l’usage commun de la langue en relation avec une
23. Alf ROSS, On Law and Justice,
op. cit. série de considérations pratiques téléologiques » 24. Elle permet
24. Alf ROSS, « Imperatives and donc à celui qui se prête au syllogisme, et tout particulièrement le
Logic », op. cit., § 14.
36
juge, d’introduire au sein de l’apparente rigueur du syllogisme des Droit et Société 50-2002
éléments considérables et aléatoires d’appréciation. On peut alors
s’interroger sur les raisons qui conduisent les juges à continuer de
présenter leurs raisonnements sous les figures contraignantes de
la logique. Dans On Law and Justice 25, la réponse de Ross est sur
ce point sans ambages et n’est pas dénuée aujourd’hui de tout
succès : le recours aux figures logiques n’est qu’une forme de
justification a posteriori, un moyen de rendre acceptables les
décisions motivées « en réalité » par d’autres raisons que la seule
norme générale présentée comme prémisse majeure du raisonne-
ment.
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II. La science du droit alimentée par la logique
Le défaut de propriété logique du discours juridique ne
condamne pas toute utilisation de la logique. Celle-ci garde une
pertinence pour le discours de la science du droit. Elle est pour
Ross un des principaux outils méthodologiques d’analyse critique
du langage juridique (II.2). Toutefois, son usage est assez peu
théorisé par Ross ; il se comprend comme une conséquence
méthodologique de considérations épistémologiques, c’est-à-dire
une conséquence de la conception qu’a Ross de la science du droit
elle-même. Pour lui, la science du droit est une science empirique
qui opère sur le modèle des sciences de la nature. Elle produit des
propositions descriptives empiriquement vérifiables ou falsifiables
et donc susceptibles de faire l’objet d’inférences logiques (II.1).
37
V. Champeil-Desplats elle propose aux praticiens des cadres d’analyse et des modèles de
Alf Ross : droit et logique raisonnement.
Cette perspective a conduit Norberto Bobbio à opposer les
conceptions rossienne et kelsénienne de la science du droit : la
première serait explicative-prescriptive tandis que la seconde
resterait normative-descriptive 26. On peut objecter à cette oppo-
sition qu’une proposition de solution (sententia ferenda) n’est pas
équivalente à une prescription. Il nous semble que Bobbio a ici
cédé à des excès de modélisation. Dans sa volonté de présenter
des modèles de sciences du droit s’opposant logiquement (le
modèle normatif-descriptif de Kelsen versus le modèle explicatif-
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prescriptif de Ross), il a surestimé les nuances faites au caractère,
en réalité, globalement descriptif de la science du droit chez Ross.
Une fois n’est pas coutume, Bobbio ne paraît pas suffisamment
distinguer deux postures du juriste scientifique chez Ross : l’une
fondée sur la théorie, l’autre entièrement tournée vers la pratique
et que Ross considère comme faussement scientifique, en raison
de défauts épistémologiques. Pourtant Ross reconnaît que cette
activité pratique constitue une des dimensions du travail réel du
juriste. Il reste que, pour Ross (et Bobbio le reconnaît), la vraie
science du droit ne doit pas chercher à influencer le contenu des
décisions. Si influence il y a, elle n’est pas la visée directe du
scientifique ; elle résulte d’une attitude de réception volontaire de
la part des juges, et concerne moins le contenu des décisions que
l’emploi de certaines méthodes 27. Surtout elle est la conséquence
du statut particulier des sciences sociales par rapport à leur objet.
Le scientifique « de la nature » n’exerce aucune sorte d’influence
sur son objet : prédire, compte tenu de certaines observations
théorisées dans des lois scientifiques, qu’une éclipse de lune ou de
soleil doit survenir ne retarde, n’accélère, ni n’empêche la sur-
venance de celle-ci. À l’inverse, la prédiction plus ou moins bien
fondée que les prix vont augmenter ou que tel juge décidera dans
tel sens peut exercer une influence directe ou indirecte sur les
comportements des justiciables, des avocats, du législateur ou des
juges eux-mêmes. Autrement dit, si Ross distingue logiquement
deux niveaux de discours (celui des scientifiques et celui du
langage-objet), il observe dans la vie sociale une absence d’étan-
26. Norberto BOBBIO, « Être et
devoir-être dans la science du
chéité quant au contenu des discours 28.
droit », in ID., Essais de théorie du Cette prise en considération, étrangère à Kelsen, de l’influence
droit, trad. française de M. Guéret du travail de la science juridique sur le praticien est directement
et C. Agostini, préface de
R. Guastini, Paris, LGDJ, 1998,
liée au fait que la science du droit proposée par Ross ne se borne
p. 188. pas à l’analyse du produit de la décision (« the norm in law »),
27. Alf ROSS, On Law and Justice, c’est-à-dire de la norme proprement dite. Elle élargit l’objet
op. cit., p. 46 et 110. « droit » au « law in action ». Outre les décisions des constituants,
28. Ibid., p. 48-49. Sur ces
questions, voir aussi la
du législateur, de l’administration ou des juges, la science du droit
contribution de Carlos Miguel a pour objet de décrire les croyances philosophiques, écono-
Herrera dans ce dossier. miques, morales ou idéologiques qui sous-tendent la production
38
des décisions juridiques. Désireux ainsi d’appréhender la « réalité » Droit et Société 50-2002
du droit, Ross réintègre parmi les sciences sociales la science du
droit qui, au sens large, comprend la sociologie et l’histoire du
droit, et qui, au sens étroit, participe d’une analyse critique (y
compris socio-psychologique) du langage effectivement employé
par des acteurs sociaux (juges, législateur, etc.) 29.
La rupture avec le normativisme de Kelsen est ici brutale.
Comme on le sait, Kelsen s’attache à forger un objet « droit » dont
rend spécifiquement compte la science pure du droit, c’est-à-dire
une science dégagée des méthodes et de l’objet des autres
sciences sociales, en particulier de l’influente sociologie naissante.
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Cette entreprise conduit Kelsen à proposer une science dite
normative au sens où l’objet de cette science n’est pas un
ensemble de faits ou des propositions sur ce qui est, mais des
propositions sur ce qui doit être, c’est-à-dire des normes. Les
propositions de la science du droit sont alors des propositions
particulières. Parce qu’elles portent sur des normes, elles ne sont
ni véritablement des normes, ni totalement des propositions 29. Ibid., p. 19-20. Sur ce point,
indicatives comme le sont les propositions des autres sciences Alf ROSS se rapproche des
réalistes américains. Il semble
sociales. Elles forment un hybride syntaxico-logique, un centaure toutefois qu’il refuse l’entière
pour reprendre le bon mot de Bobbio 30. Elles sont des propo- dilution, opérée par les réalistes
sitions descriptives car elles portent sur d’autres propositions américains, de la science du droit
parmi les disciplines socio-
mais, ces dernières étant des normes, elles épousent leur structure logique et surtout psycho-
déontique. Autrement dit, les propositions de la science du droit logique. L’objet droit garde une
ne sont pas indicatives (telle chose « est » ou « n’est pas »), elles spécificité (la difficulté est de
déterminer clairement laquelle)
sont déontiques (telle chose « doit être » ou « ne doit pas par rapport aux autres faits
être ») 31 : elles expriment un « Sollen descriptif ». psychologiques (On Law and
Justice, op. cit., p. 64-74). Pour
L’ambiguïté du statut logique de ce type de propositions est une lecture un peu différente de
patente. Dans la première partie de son œuvre, Kelsen admet que cette question, voir la
les propositions de la science du droit, comme celles du droit contribution d’Évelyne Serverin
dans ce dossier.
(supra), obéissent à une logique, mais ce n’est pas la logique classi-
30. Norberto BOBBIO, « Être et
que : c’est une logique normative spéciale. Dans la deuxième devoir-être dans la science du
édition de la Théorie pure 32, il lève l’ambiguïté (pour tomber droit », op. cit., p. 198.
aussitôt dans une autre) du statut logique des propositions de la 31. Voir sur ce point Riccardo
GUASTINI, « Problèmes
science du droit en s’appuyant sur leur dimension descriptive. Les épistémologiques du
propositions de la science du droit peuvent être vraies ou fausses normativisme en tant que théorie
car elles décrivent des normes. À cette occasion, Kelsen expose sa de la science juridique », Revue
de métaphysique et de morale, 4,
thèse de l’application indirecte de la logique aux normes juri- 1997, p. 553-555.
diques : en raison de leur caractère prescriptif, les propositions 32. Hans KELSEN, Théorie pure du
juridiques n’obéissent pas directement à la logique ; elles y droit, trad. française de la 2e éd.
obéissent seulement indirectement par l’intermédiaire des inféren- allemande par Ch. Eisenmann,
Paris, Dalloz, 1962, p. 102.
ces qui peuvent être opérées entre les propositions de la science 33. Kelsen abandonnera par la
du droit qui les décrivent 33. suite cette position pour
Ce rappel du statut logique des propositions de la science du défendre des positions
empiristes proches de celle de
droit dans l’œuvre de Kelsen met en relief la grande simplicité du Ross. Voir Michel TROPER, Pour
statut logique des propositions de la science du droit pour Ross. une théorie juridique de l'État, op.
cit.
39
V. Champeil-Desplats La reconnaissance de ce statut s’impose chez lui avec beaucoup
Alf Ross : droit et logique moins de détours. Selon Ross, la science du droit a pour tâche de
décrire le droit en vigueur qui est un ensemble de faits empiri-
quement observables. Ces propositions sont formulées sur le
mode indicatif ; comme les propositions des sciences de la nature
ou des sciences sociales, elles peuvent et doivent faire l’objet
d’une procédure de vérification : elles sont donc vraies ou fausses.
Tout au moins, elles sont empiriquement vérifiables ou falsifia-
bles. Susceptibles d’être vraies ou fausses, les propositions de la
science du droit peuvent donc faire l’objet d’inférences logi-
ques 34. La rupture entre le statut logique des propositions
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scientifiques et celui des propositions qui en sont l’objet s’établit
donc d’emblée. Ross partage globalement cette conception empi-
riste de la science du droit avec les autres réalistes et néo-
positivistes scandinaves de sa proche génération, Axel Hägerström
ou Karl Olivecrona notamment, même s’il est le seul à défendre
clairement le critère de la vérification, et s’il est davantage marqué
qu’eux par le positivisme logique 35.
40
que très peu de développements spécifiques aux places respec- Droit et Société 50-2002
tives et à l’agencement des différents outils méthodologiques que
peut emprunter sa science du droit. Certes, dans sa volonté de se
démarquer de Kelsen, il soutient que l’étude des propositions
normatives du droit exige une méthode profondément différente
de celle proposée par la conception normativiste du droit. Mais,
comme le remarque Riccardo Guastini, « il n’y a aucune suggestion
chez Ross sur les méthodes qui peuvent être employées pour
connaître de l’idéologie normative des juges. Parfois Ross semble
penser à des investigations psychologiques, à l’introspection » 38.
Même si la logique ne s’impose pas comme un moyen exclusif
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d’approche du droit, la conception qu’a Ross de la science le
conduit davantage à recourir à l’outil « logique » utilisé par les
écoles analytiques du langage qu’aux méthodes psychanalytiques
de son époque.
À défaut de plus amples développements méthodologiques
consacrés par Ross, le meilleur moyen de se convaincre de la place
capitale qu’occupe la logique parmi les moyens d’analyse auxquels
recourt sa science du droit est sans doute d’observer la façon dont
l’auteur procède et raisonne lorsqu’il se comporte en scientifique.
Sans qu’il soit nécessaire de s’engager dans une lecture minu-
tieuse, il apparaît clairement qu’il mêle analyse du langage et
appel à la logique pour dissoudre certains écueils doctrinaux (par
exemple, sur la notion de délégation 39), pour montrer certains
paradoxes (par exemple, l’autoréférence des clauses de révision de
la constitution 40) ou certaines aberrations 41 et propriétés 42 logi-
ques des énoncés juridiques. La perspective critique de l’étude du
discours juridique qu’ouvre le recours à la logique mêlé aux
apports des écoles analytiques du langage fera tout particulière- 38. Riccardo GUASTINI, « Alf Ross :
ment fortune avec l’art de « distinguere » pratiqué par l’école une théorie du droit et de la
science juridique », op. cit.,
analytique italienne (Norberto Bobbio, Riccardo Guastini) ou par p. 264.
Michel Troper en France. 39. Alf ROSS, « La délégation de
pouvoir », trad. française par
P. Brunet, Droits, 25, 1997, p. 99-
119 (nouvelle trad. par P. Brunet
et E. Millard, in Alf ROSS,
Introduction à l’empirisme
juridique, op. cit.).
40. Alf ROSS, « On Self-Reference
and a Puzzle in Constitutional
Law », Mind, LXXVIII, 309, 1969
(trad. française E. Millard et
E. Matzner in Alf ROSS,
Introduction à l’empirisme
juridique, op. cit.).
41. Alf ROSS, « Tû-Tû », trad.
française et présentation par
E. Millard et E. Matzner, Enquête,
7, 1998, p. 263-279.
42. Alf ROSS, « Imperatives and
Logic », op. cit., § 12.
41