I212-Agricultureetbiodiversit Partie 2 XH JFS

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Bandes enherbées (au centre) et jachères fleuries (à droite) sont des dispositifs clés en agroécologie - Cliché © Maitre Christophe

/ INRAE

Agriculture et biodiversité,
une alliance indispensable
Par Xavier Houard et Jean-François Silvain

Depuis la parution de la première partie de cet article1, la France et l’Europe ont connu d’importantes manifes-
tations d’agriculteurs, confrontés à des conditions d’exercice de plus en plus contraignantes de leurs métiers. En
réponse à une crise avant tout sociale et économique, le gouvernement a une fois de plus fait le choix d’un recul
sur la question environnementale. Pourtant, nous le soutenons à nouveau ici, il ne peut y avoir d’agriculture
sans biodiversité.

L ’agriculture et l’élevage n’existe-


raient pas et ne permettraient
pas de nourrir en 2024 des milliards
notamment à l’épopée étonnante
de la conquête de la planète, pro-
bablement plus récente qu’on ne
la protection et de la restauration
de la biodiversité ne peut que gé-
nérer « réglementations multiples,
d’humains sans la biodiversité vé- le pensait, par la poule, qui désor- normes absurdes, procédures infan-
gétale, animale, fongique et micro- mais représente 35 % de la viande tilisantes et contraintes inutiles »
bienne. Il faut penser ici à l’antique consommée dans le monde… à l’encontre du monde agricole et
culture des céréales, à l’histoire si qu’il est donc nécessaire de revoir
complexe du maïs, à la domesti- Aujourd’hui, les difficultés écono- la déclinaison des politiques de bio-
cation des animaux d’élevage et miques et sociales du secteur agri- diversité envers ce secteur d’activité
cole en France et en Europe ren- essentiel, en diminuant cette pres-
1 Biodiversité : l’agriculture en questions, Insectes n°211,
forcent chez certaines personnes le sion administrative et en allégeant
2023(4), pp. 19-22. sentiment que la lutte en faveur de la réglementation. Ce serait faire ici

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Agir pour le renforcement
des aires protégées

Du côté de la protection des espaces natu-


rels, renforcer le réseau des aires naturelles
protégées (SNAP) conformément aux enga-
gement internationaux (augmentation à 30%
du territoire national terrestre notamment
en métropole dont 10% de protection forte)
; revoir la taxation des espaces naturels, les
plus taxés de tous les biens en France, alors
que sont ceux qui rapportent le moins ; sou-
tenir et promouvoir les initiatives de suivi
scientifique et les communautés naturalistes
bénévoles et professionnels qui les réalisent,
les animent et les valorisent.

Inventaire et surveillance des Odonates en zone Natura 2000 au cours d’une formation Opie loca-
lisée dans une tourbière du Doubs - Cliché Xavier Houard-Opie

peu de cas de la réalité de l’érosion


mondiale de la biodiversité, un phé- d’une agriculture dont les impacts dépendante établit les limites d’une
nomène qui contribue à accentuer sur la biodiversité seront plus faibles telle affirmation qui ne relève que
le réchauffement climatique, et du tout en garantissant des rendements d’une logique préventive2. En s’ap-
rôle des activités humaines dans ce économiquement viables. puyant sur un réseau de 946 fermes
processus, y compris l’incidence de Quelles sont donc, dans une pers- agricoles, cette étude démontre
certaines orientations et pratiques pective nationale et européenne, les qu’une réduction de l’usage des pes-
agricoles sur le devenir de nom- pistes d’une évolution de l’agricul- ticides de 42 % (37 % des herbicides,
breuses espèces d’oiseaux ou d’in- ture favorable à la biodiversité sur 47 % des fongicides et 60 % des
sectes, pour ne citer que ces deux lesquelles s’accordent les scienti- insecticides) n’avait aucun impact
taxons. Ce serait faire peu de cas fiques ? On peut en lister plusieurs négatif sur la productivité et la ren-
aussi de la prise de conscience de la qui s’inscrivent dans une tendance tabilité pour 60 % des exploitations
société et par là de beaucoup d’agri- générale à la diminution de l’inten- évaluées. L’interdiction ou le strict
culteurs qui, soucieux de ces grands sification agricole. encadrement des usages des pesti-
enjeux planétaires et de la qualité de cides de synthèse est donc possible.
terroirs, se sont engagés avec cou- Pesticides et intrants chimiques Cela devra notamment passer par le
rage dans l’application de mesures renforcement des procédures d’au-
agro-environnementales. Enfin, ce Les tenants d’une agriculture torisations de mise sur le marché
serait faire peu de cas des avancées conventionnelle défendent l’idée pour les produits phytosanitaires
de la recherche-action en matière qu’il est impossible de se passer des et vétérinaires, en les testant sur un
de nouvelles orientations des pra- pesticides pour nourrir l’Humanité. plus large ensemble d’espèces. Les
tiques et techniques en direction Une récente étude scientifique in- autres intrants d’origine chimique,
comme les engrais, devraient éga-
lement être limités et encadrés tout
comme à l’autre bout de la chaîne,
la gestion des effluents d’élevage.
Agir sur les pesticides de synthèse
ne doit pas empêcher d’être vigilant
quant à l’usage d’autres types de
pesticides, y compris ceux utilisés
en culture biologique, et de respec-
ter l’arrêté de protection des in-
sectes pollinisateurs lors de l’usage
de ces produits.

2 Les scientifiques parlent de « logique assurantielle »,


selon laquelle des traitements phytosanitaires sont réa-
lisés systématiquement pour se prévenir d’un risque po-
tentiel d’attaque de ravageurs, sans évaluation préalable
Épandage de pesticides - Cliché Kurt Bouda - Pixabay de l’importance des populations de ces ravageurs.

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Circuit court : produits locaux et de saison sur un marché en France Collection de variétés anciennes de pommes de terres originaires
Cliché Barbara Rosner - Pixabay d’Amérique du sud - Cliché © Nicolas Bertrand / INRAE

Réorganisation structurelle • Ne pas négliger le potentiel des et maladies des plantes cultivées
de l’agriculture techniques nouvelles d’améliora- et le maintien des populations des
tion végétale (notamment la sélec- insectes pollinisateurs et auxiliaires
Ces recommandations seront d’au- tion au sein des variétés anciennes) (prédateurs naturels des ravageurs
tant plus aisées à mettre en œuvre en veillant à les encadrer avec soin. des cultures).
qu’elles s’appuieront sur une réorga-
nisation structurelle de l’agriculture • Dépasser les clivages entre diffé- Réformer la Politique
permettant de mieux les intégrer. rents types d’agriculture durables, agricole commune (PAC)
En voici quelques grands axes qui en favorisant le partage des pra-
sont autant de solutions concrètes tiques les plus susceptibles d’être Un certain nombre de mesures obli-
fondés sur la nature : bénéfiques à la biodiversité. gatoires ou incitatives déjà mises
en place peuvent être renforcées et
• Mieux adapter les modes de culture • Préserver et valoriser les in- complétées au bénéfice mutuel des
aux potentiels agronomiques des ré- frastructures agroécologiques agriculteurs et de la biodiversité :
gions et des paysages, ainsi qu’aux (IAE) que sont les mares, les ruis-
réalités économiques en adoptant si seaux, les fossés, les haies, les bos- • Mieux rémunérer et généraliser les
besoin des stratégies mixtes promou- quets, les lisières, les arbres isolés Paiements pour services environne-
vant, selon les situations, des produc- et les bandes enherbées, avec no- mentaux (PSE) et les contrats liés
tions intensives à certains endroits, au tamment pour effet de favoriser la aux Mesures agro-environnemen-
bénéfice de la préservation de zones lutte intégrée contre les ravageurs tales et climatiques (MAEC) ;
d’habitats naturels (land sparing) et
du développement de structures de
production moins intensives ailleurs
(land sharing) en lien avec le localisme
et les circuits courts.

• Recréer de l’hétérogénéité paysagère


au niveau des exploitations agricoles
en augmentant les couverts semi-na-
turels (herbages) et en diversifiant les
types de cultures et les cheptels (po-
lyculture-élevage) tout en réduisant
la taille des exploitations ainsi que la
taille moyenne des parcelles.

• Privilégier les techniques agricul-


turales préservant la biodiversité
des sols et leur fertilité, comme le
non-labour, les jachères, l’enher-
bement des rangs et inter-rang, la
réduction des engrais azotés, etc. Vaches limousines en bocage breton. - Cliché © Brigitte Cauvin / INRAE

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Les insectes « porte-étendards » pour la mation des Plans nationaux d’ac- cédente PAC et ce bien avant leur
sauvegarde de la biodiversité tions (PNA) en faveur des espèces sortie de l’Union européenne, vise
en danger. Elle travaille sur la prise au travers des payements pour ser-
Le Damier de la Succise est papillon de en compte les espèces patrimo- vices environnementaux (PSE), à
jour d’intérêt communautaire, une es-
niales (espèces dites « parapluies » faire des agriculteurs des acteurs de
pèce « étendard » et « parapluie » pro-
tégée, menacée et visée par un PNA ou « étendards »). Dans la mise en la protection de l’environnement, du
dont la présence au sein des prairies œuvre du Plan gouvernemental en bien-être animal et de la réduction
nécessite et justifie la mise en place de faveur des pollinisateurs, la sensi- des émissions de carbone. Celle-ci
Mesures agroenvironnementales (MAE) bilisation et la formation intervient pourrait être inspirante sous réserve
spécifiques. De nombreux exploitants
dans le partage des bonnes pratiques d’une analyse critique de sa déclinai-
agricoles s’engagent volontairement dans
des contrats soutenus par des fonds eu- au sein des filières et des cycles de son effective sur le plan opérationnel.
ropéens leur permettant de réduire l’utili- production en favorisant les micro-
sation des engrais azotés, adapter les pé- habitats (IAE), en développant les Pour finir, il convient bien sûr d’in-
riodes de fauche et/ou réduire la pression approches dites des « auxiliaires » et clure à ces pistes un volet de réduc-
de pâturage pour concourir directement
des « services rendus par la nature » tion des impacts environnementaux
à la préservation de la biodiversité et à la
durabilité de leur exploitation. dans les processus de « ré-ensauva- internationaux de l’agriculture et de
Ci-dessous : cliché Xavier Houard-Opie
gement » des exploitations agricoles. l’agro-industrie française, en parti-
culier en matière de déforestation,
Un super-ministère ? associés aux importations et à cer-
tains types d’exportations non prio-
Les liens entre agriculture, biodiver- ritaires. On pense ici notamment à
sité et environnement, climat, mais la stratégie nationale en faveur du
aussi santé étant évidents, on pour- développement des protéines végé-
rait aussi imaginer la création d’un tales et animales qui vise à réduire la
super-ministère3 regroupant, comme dépendance de la France aux im-
au Royaume-Uni, l’environnement portations venant de pays tiers qui
et l’agriculture et, idéalement, aussi ne respectent pas les mêmes normes
la santé, tant humaine qu’animale environnementales et les accords
• Proposer un système de compen- ou végétale (concept « One Health »). internationaux en matière de lutte
sation écologique des exploitations L’objectif étant de mieux coordonner contre le changement climatique.
agricoles intensives par la contrac- les stratégies destinées à faire face
tualisation d’Obligations réelles aux enjeux actuels en matière de bio-
environnementales (ORE) qui gé- diversité, de climat, d’alimentation Les auteurs
nèreraient un régime fiscal avanta- et de santé et d’éviter différences de Jean-François Silvain est vice-président et admi-
geux (TVA réduite) ; regards, luttes d’influences et éven- nistrateur de l’Opie. Passionné d’entomologie, il
tuellement oppositions et antago- est spécialiste des questions de préservation de la
biodiversité.
• Mieux conditionner la PAC et nismes réglementaires entre admi- Xavier Houard est salarié de l’Opie, membre du
les cahiers des charges des Appel- nistrations. La stratégie britannique, comité de direction. Gestionnaire d’équipe, il or-
lations d’origine protégées (AOP) à qui est par ailleurs a été conçue pro- ganise et développe les projets du pôle « études et
conservation ».
des engagements et résultats envi- gressivement en rupture de la pré- Tous deux sont membres du Conseil national de
ronnementaux ; protection de la nature (CNPN) et représentent
3 Department for Environment, Food and Rural Affairs l’Opie au sein du Comité national de la biodiver-
(DEFRA) sité (CNB).
• Défiscaliser et valoriser les dé-
bouchés des filières de l’Agricultu- Mini-glossaire
re biologique (AB) et renforcer les * Paiements pour services environnementaux (PSE)
cahiers des charges et les contrôles « Mis en place par le Ministère de la transition écologique et les Agences de l’eau, ce
dispositif d'aides rémunère les services environnementaux rendus par les agriculteurs
du label. et incite à la performance environnementale des systèmes d’exploitation agricole. » (site
gouv.fr).
Sensibilisation et formation * Mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC)
Souscrites pour une durée de cinq ans, elles permettent aux agriculteurs de bénéficier
d’une aide financière, en contrepartie de pratiques agricoles vertueuses pour l’environ-
La sensibilisation du monde agri- nement.
cole est un enjeu majeur des po- * Concept de « One Health »
litiques de préservation de la Les organismes vivants et les écosystèmes sont interconnectés et la santé des uns dé-
pend de celle des autres. « One Health » ou « une seule santé » en français, tient compte
biodiversité. Celle-ci intervient de ces liens complexes dans une approche globale des enjeux sanitaires. Celle-ci inclue
notamment auprès des Chambres la santé des animaux, des végétaux et des êtres humains, ainsi que les perturbations de
d’agricultures dans le cadre de l’ani- l’environnement générées par l’activité humaine (site Anses.fr).

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