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Sandrine Lemaire
La fracture coloniale
La société française au prisme de l'héritage colonial
2006
Présentation
Près d’un demi-siècle après la fin de son empire, la France demeure hantée par son passé
colonial. Pourquoi une telle situation, alors que les autres sociétés postcoloniales en Occident
travaillent à assumer leur histoire outre-mer ? Pour répondre à cette question Pascal Blanchard,
Nicolas Bancel et Sandrine Lemaire ont décidé d’ausculter les prolongements contemporains de
ce passé à travers les différentes expressions de la fracture coloniale qui traverse aujourd’hui la
société française.
Ils ont réuni, dans cette perspective, les contributions originales de spécialistes de diverses
disciplines, qui interrogent les mille manières dont les héritages coloniaux font aujourd’hui sentir
leurs effets : relations intercommunautaires, ghettoïsation des banlieues, difficultés et blocages
de l’intégration, manipulation des mémoires, conception de l’histoire nationale, politique
étrangère, action humanitaire, place des DOM-TOM dans l’imaginaire national ou débats sur la
laïcité et l’islam de France…
Les auteurs montrent que la situation contemporaine n’est pas une reproduction à l’identique du
« temps des colonies » : elle est faite de métissages et de croisements entre des pratiques issues
de la colonisation et des enjeux contemporains. Pour la première fois, un ouvrage accessible
traite de la société française comme société postcoloniale et ouvre des pistes de réflexion neuves.
Les auteurs
Sous la direction de Pascal Blanchard, Nicolas Bance et Sandrine Lemaire
Avec les contributions de : Olivier Barlet, Ahmed Boubeker, Anna Bozzo, Rony Brauman, Sarah
Froning Deleporte, Thomas Deltombe, François Gèze, Nacira Guénif-Souilamas, Arnauld Le
Brusq, Didier Lapeyronnie, Olivier Le Cour Grandmaison, Philippe Liotard, Achille Mbembe,
Mathieu Rigouste, Patrick Simon, Benjamin Stora, Françoise Vergès, Michel Wieviorka.
La presse
« À la fracture sociale qui brise la République risque désormais de s’ajouter une fracture
coloniale. C’est la thèse d’un livre-événement que nos responsables politiques seraient bien
inspirés d’ouvrir. »
LES INROCKUPTIBLES
Collection
La Découverte/ Poche Essais n° 232
Cet ouvrage a été précédemment publié en 2005 aux Éditions La Découverte dans la collection
« Cahiers libres ».
Copyright
© Éditions La Découverte, Paris, 2005, 2006.
ISBN numérique : 9782707161314
ISBN papier : 9782707149398
Ce livre numérique a été converti initialement au format XML et ePub le 11/11/2013 par
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En hommage à
YVES BÉNOT ET PHILIPPE DEWITTE
deux grands historiens qui auraient trouvé leur place
dans cet ouvrage, et qui nous ont quittés en 2005.
Introduction
La fracture coloniale : une crise française
Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et
Sandrine Lemaire
« Au commencement est le mépris. »
« Je n'ai pas le droit, moi homme de couleur, de souhaiter la cristallisation chez les
Blancs d'une culpabilité envers le passé de ma race. Je n'ai pas le droit, moi homme de
couleur, de me préoccuper des moyens qui me permettraient de piétiner la fierté de
l'ancien maître. Je n'ai ni le droit ni le devoir d'exiger réparation pour mes ancêtres
domestiqués […]. Je ne suis pas esclave de l'esclavage qui déshumanisa mes pères. »
Frantz FANON, Peau noire, masques blancs, 1952.
« Les événements à venir vont déterminer le sort de mon pays, et plus que cela. »
Raymond ARON, discours sur la guerre d'Algérie à Harvard, 12 juin 1958.
Les débats sur le passé colonial de la France ne cessent depuis quelques années d'envahir
l'espace public et 2005 a été une année de basculement, faisant passer ce débat du « temps de
l'invisibilité » à celui du « grand déballage ». Ce surgissement provient de lieux et de groupes
divers : d'associations rassemblant des acteurs liés à l'histoire coloniale (rapatriés, harkis,
descendants d'anciens colonisés, anciens combattants de la guerre d'Algérie…) ; de l'État à
travers l'édification de « lieux de mémoire » ou le vote de textes de loi organisant la « mémoire
officielle » ; de l'univers intellectuel et universitaire avec la publication de nombreux ouvrages et
essais1 ; ou encore des médias, qui rendent compte régulièrement de questions contemporaines
liées, directement ou indirectement, à la période coloniale2.
cette apparition sur le devant de la scène de la « question coloniale » et de son inévitable
corollaire, la question postcoloniale - via les débats liés à l'immigration ou concernant le « pré
carré africain » de la France3 -, n'est pas un accident, un hasard, mais bien le symptôme d'un
« retour du refoulé » : la longue occultation de ce pan de l'histoire nationale explique le caractère
désordonné et compulsif de son dévoilement, qui se déploie aujourd'hui dans la confrontation de
mémoires concurrentes, chacune tentant d'imposer sa « part de vérité4 ». Mais ce ressac va bien
au-delà de la concurrence des mémoires : l'histoire coloniale et les mémoires qui socialement la
construisent touchent la France dans sa propre identité collective, remettant en question les
manières dont est représentée notre histoire nationale5 ; mais aussi, en partie, la mythologie de la
supposée spécificité du « génie français », composé de valeurs révolutionnaires et de mission
universelle, de droiture républicaine et de tolérance indifférenciée à l'Autre, de « mission
civilisatrice » et de peur de la différence. Le sentiment est partagé, aujourd'hui, que la question
coloniale fait vaciller cet édifice6, dont les potentialités émancipatrices réelles sont contredites
par les situations coloniales et certaines situations postcoloniales.
Inéluctablement, cinquante ans après le début de la guerre d'Algérie et la « perte » de
l'Indochine française, une page se tourne, et le bouillonnement actuel autour des questions
coloniales et postcoloniales est symptomatique de la recherche désordonnée de solutions pour
affronter certaines formes de la crise que traverse la France7 . car il est aujourd'hui devenu
difficile d'ignorer la « postcolonialité », tant elle porte des tensions extraordinairement fortes :
l'extension, dans les quartiers, de la comparaison entre les situations de relégation (sociale,
économique, culturelle, éducative, religieuse…) et la situation coloniale ; la législation sur la
bonne manière de construire et de transmettre le « bilan globalement positif » de la colonisation ;
les revendications mémorielles des « enfants de la colonisation » dans un contexte de « reprise en
main » de l'histoire coloniale ; la montée du « sentiment d'insécurité » face aux immigrations
postcoloniales et l'incompréhension des élites républicaines devant les identités « hors normes »
qualifiées de « communautaristes » ; les dénonciations médiatiques d'un « racisme antiblanc » au
moment même où nous assistons à une crispation du modèle d'« intégration à la française » et où
l'on dénonce, sur le ton de l'ironie, une « équipe black-black-black » ; les phobies anti-islam
exprimées lors du débat sur le voile8 ; le rejet de la France en Afrique francophone et les
politiques de la francophonie9… Autant de signes qui font de la fracture coloniale une réalité
multiforme impossible à ignorer.
Dans un tel contexte, on assiste en France, depuis le début des années 2000 et notamment au
cours de l'année 2005, à l'émergence d'une véritable « politique de la mémoire28 », qui se déploie
selon deux axes : l'édification d'espaces dédiés à la mémoire coloniale ; et des déclarations
officielles et des textes de loi qui tendent à produire une vision normative de l'histoire coloniale.
Les lieux, tout d'abord. Des musées et mémoriaux vont être consacrés à cette histoire : un
Musée d'histoire de la France en Algérie (1830-1962) est prévu à Montpellier, sous la conduite
des historiens Daniel Lefeuvre et Jacques Frémaux et sous la tutelle de Georges Frêche dont les
déclarations polémiques liées à ce passé ont poussé le Parti socialiste à prendre des mesures
disciplinaires à son rencontre en mai 2006 ; un autre doit être dédié en 2006 à la guerre d'Algérie
et aux « événements » de la décolonisation au Maroc et en Tunisie (à Montredon-Labessonié,
dans le Tarn), projet auquel participe l'universitaire Jean-Charles Jauffret ; un troisième projet
était en élaboration en 2005 et devrait être dédié aux « rapatriés » et à leurs « mémoires » (dans
le Nord, en périphérie de Lille) ; enfin, un « Mémorial national de la France d'Outre-Mer » à
Marseille — qui devrait être inauguré début 2007 — va proposer un parcours autour de l'œuvre
coloniale de la France en Afrique du Nord et dans les autres espaces impériaux, sous la direction
de Jean-Jacques Jordi et Jean-Pierre Rioux.
Ces quatre lieux semblent répondre à une volonté de « valoriser » la présence coloniale
française, particulièrement en Afrique du Nord, et plus encore en Algérie. Il est difficile de
déterminer quelles sont les ambitions respectives comme les lignes directrices de ces projets
(énoncées de façon assez succinctes en novembre 2005 à Marseille au cours d'un colloque
programmatique) ; tout au plus peut-on appréhender la démarche des concepteurs, les
programmes annoncés, les liens tissés entre les projets et les principes généraux. De cette
analyse, il apparaît que l'édification de ces nouveaux « lieux de mémoire » cherche à répondre à
des demandes localisées des associations de « rapatriés d'Algérie », dans un but d'« apaisement »
et de « reconnaissance de l'œuvre » des Français d'Afrique du Nord, probablement pas dépourvu
d'arrière-pensées électorales.
Autre projet bien engagé, la cité nationale de l'histoire de l'immigration (CNHI) doit s'installer
en 2006 à Paris, Porte Dorée, en lieu et place de l'ancien « Musée des colonies ». ce qui rend a
priori impossible la création d'un lieu de mémoire sur la colonisation dans cet espace
emblématique, l'un des derniers grands bâtiments coloniaux en France29. Mais il serait simpliste
de réduire cette politique patrimoniale à une simple opération politique (au même titre que les
monuments en hommage à l'OAS édifiés par les nostalgiques de l'« Algérie française » à Toulon,
à Perpignan et dans plusieurs villes du sud-est de la France). ces projets mémoriaux semblent au
contraire s'inscrire dans une vision d'ensemble de la direction que devraient prendre désormais,
aux yeux des représentants de l'État, les recherches universitaires et, surtout, la lecture et
l'enseignement de l'histoire coloniale dans les années à venir.
En effet, le second axe de cette « politique de la mémoire » concerne l'officialisation, par la
rédaction de la loi du 23 février 2005 — fait sans équivalent en Europe depuis les indépendances
-, d'un « jugement de valeur » sur l'entreprise coloniale. Cette loi exprime la position officielle de
la France face à son passé colonial, en stipulant dans son article premier : « La nation exprime sa
reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l'œuvre accomplie par la France
dans les anciens départements français d'Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine, ainsi que
dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française. » Cet article — abrogé
onze mois plus tard à la demande du président de la République30 - révèle clairement l'hommage
rendu aux groupes de pression qui ont pesé en faveur de la promulgation de la loi, puisque c'est
leur « œuvre » et, à travers elle, l'« œuvre » de la France coloniale qui sont glorifiées.
En réduisant la période coloniale à un « bon temps », en oubliant la complexité de la
colonisation, mais aussi ses inégalités structurelles, ses violences et ses crimes31 , on ne fait pas
simplement œuvre de reconnaissance de l'action des colons, on propose, ni plus ni moins, une
vision fausse de l'histoire et, osons le dire, un révisionnisme colonial. Cette loi a été critiquée en
France — par des enseignants, des chercheurs et une partie des médias, mais bien peu d'élus —
et violemment attaquée en Algérie, notamment par un texte du FLN publié le 7 juin 2005,
accusant la France de « glorifier l'acte colonial », et dans une interview de Bachir Boumaza,
ancien ministre et ex-président du Sénat algérien32.
Mais le plus inquiétant est que cette loi émet également des directives extrêmement claires sur
la manière dont doit être enseignée l'histoire coloniale. Le texte stipule en effet que « les
programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-
mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l'histoire et aux sacrifices des combattants de
l'armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit ». Cette volonté
de l'État de voir établi un discours colonial « positif » et « normalisé » fait suite à ce que l'on
pourrait qualifier de réaction conservatrice face à la période coloniale, que l'on voit croître
depuis le milieu des années 1990. Ainsi, le 11 novembre 1996, le président de la République
Jacques Chirac, à l'occasion de l'inauguration d'un monument « à la mémoire des victimes civiles
et militaires tombées en Afrique du Nord », insistait sur « l'importance et la richesse de l'œuvre
que la France a accomplie là-bas et dont elle est fière ».
Ce n'est donc pas une loi isolée et sans attaches, mais bien la partie visible d'un mouvement
plus vaste et plus profond, qui va bien au-delà de la petite minorité vieillissante des nostalgiques
antigaullistes de l'« Algérie française ».
Dans ces discours, lieux de mémoire et mesures législatives, on peut en effet déceler un autre
argumentaire, centré sur la défense de la « France éternelle ». On retrouve ici les tenants d'une
République « en guerre » contre tout ce qui leur apparaît comme une menace de délitement.
Ainsi, aux attaques contre cette loi très contestée, le député UMP du Nord Christian Vanneste a
opposé, dans différentes interviews, qu'« il n'a jamais été question de peser sur la recherche de la
vérité. Mais les livres d'histoire sont toujours une synthèse, une interprétation subjective de faits
établis. Et là, le législateur peut tout à fait intervenir pour demander à ce que l'orientation des
manuels soit conforme aux valeurs de la République33 ». Preuve que cette approche est partagée
au-delà des clivages partisans — avant le retournement spectaculaire des socialistes français fin
2005 -, le député PS de l'Hérault, Kléber Mesquida, l'a soutenue également dans une interview au
journal Le Monde, affirmant « en conscience » ne pas penser que « le législateur ait été guidé par
un esprit colonialiste34 ». Mais alors, de quel « esprit » s'agit-il ? En quoi les valeurs de la
République seraient-elles conformes à l'« œuvre coloniale » ? Cela signifierait-il que la
République coloniale n'est pas une « utopie », mais bien une « réalité » ?
Dans la même veine, usant du sophisme, le publiciste Alain-Gérard Slama a défendu cette loi
en l'opposant à celle de mai 2001 portant reconnaissance de l'esclavage comme crime contre
l'humanité. Et d'affirmer dans Le Figaro : « Quel que soit le jugement que l'on porte sur l'ère
coloniale, l'histoire de l'implantation d'un million de Français de l'autre côté de la Méditerranée
fut une de nos grandes épopées35. » En d'autres termes, puisque la traite négrière et l'esclavage
sont déclarés crimes contre l'humanité, pourquoi n'aurait-on pas le droit, après tout, de considérer
la colonisation comme une période éminemment positive, une « épopée républicaine » ? une
compensation ou un juste équilibre, en quelque sorte.
Dans cette posture, l'État n'est donc pas seul : il est au diapason d'une « tendance lourde »
promue par une cohorte — en vérité limitée, mais surmédiatisée — de « croisés des temps
modernes », aussi disparates que combatifs, aussi médiatiques que peu nuancés, aussi militants
que prompts à se dire « humanistes »… Une nébuleuse qui semble unie par la peur d'un monde
qu'ils ne comprennent plus et qui a trouvé dans les émeutes d'octobre-novembre 2005 un champ
de bataille fertile à leur combat.
On y retrouve quelques ultrarépublicains engagés dans l'anticolonialisme historique, au
premier rang desquels le directeur du Nouvel Observateur, Jean Daniel, dont on peut suivre
l'étonnante évolution de ses positions sur cette question dans ses éditoriaux hebdomadaires36 . Ou
encore le philosophe Alain Finkielkraut, qui a signé en mars 2005 une pétition contre le
« racisme anti-Blancs » et qui, dans un débat contradictoire publié deux mois plus tard par Le
Point, n'a eu de cesse de souligner le fait que, à ses yeux, revenir sur le passé colonial de la
France, ce serait entretenir un « climat de guerre civile »37, démonstration qui va trouver son
apogée dans sa longue diatribe pour le journal israélien Haaretz fin 2005.
Dans un registre plus attendu, on retrouve des vieux grognards de l'Empire colonial38, mais
aussi les tenants d'une certaine idée de la France issus de la gauche nationaliste, comme Jean-
Pierre Chevènement. Ce dernier a fait un parcours étonnant, de l'anticolonialisme actif au
moment de la guerre d'Algérie à l'invention revendiquée du concept de « sauvageons » quand il
était ministre de l'Intérieur. Le 25 octobre 2001, il listait dans Le Nouvel Observateur - sous le
titre « Cessons d'avoir honte » - les nombreuses actions remarquables de la colonisation
française : « On ne peut juger la période coloniale en ne retenant que son dénouement violent
mais en oubliant l'actif et, en premier lieu, l'école, apportant aux peuples colonisés, avec les
armes de la République, les armes intellectuelles de leur libération. » Donnant alors corps, par
ses lignes, à une pensée rarement aussi explicite à gauche depuis Guy Mollet.
Cette pensée est aussi relayée par des universitaires spécialistes de la question coloniale39 ou
des chercheurs de l'« antijudéophobie », mais aussi — plus étrangement — par une vieille garde
anticolonialiste qui se recycle dans une pensée postmarxiste où le « social » doit rester l'axe
dominant de toute analyse concernant notre société postcoloniale. Enfin, par une sorte de
porosité intellectuelle, dans le même spectre de pensée on compte des anti-islamiques
systémiques, des anarcho-intellectuels « anti-racailles » ou anti-communautarisme très
médiatiques et quelques inclassables œuvrant dans les médias, le monde associatif ou la vie
politique.
Certes, ces « nouveaux républicains » et « anciens réactionnaires » ne constituent en aucune
façon un mouvement structuré. Dans cette nébuleuse hétéroclite de ceux qui ont en commun,
pour des raisons très diverses, de rester plus ou moins aveugles aux violences du fait colonial et
au poids de ses héritages au sein de la société française contemporaine, s'affirment même de très
fortes oppositions et des engagements parfaitement contradictoires. Mais tous, à leur manière,
contribuent à renforcer la fracture coloniale et, de ce fait, à aggraver les tensions sociales —
alimentées par le racisme et les discriminations — qu'ils prétendent vouloir pacifier.
Ce qui fédère cette « posture » composite, c'est bien la « peur », l'incompréhension et… une
« certaine idée de la France ». La peur de l'envahissement de la République, de cette exotisation
que l'on ne comprend pas, de ces « indigènes » qui revendiquent alors qu'« on leur a tout
donné », de ceux que l'on a combattus là-bas et qui reviennent ici. Cette peur, il est important de
le souligner, n'est pas à proprement parler une nouveauté. Elle s'inscrit dans la lignée de l'une des
composantes fortes de la tradition républicaine française (à laquelle celle-ci ne saurait
évidemment être réduite) : c'est le républicain Ferry qui rencontre Chaudordy, ce leader politique
monarchiste qui croyait en la grandeur coloniale de la France ; c'est Clemenceau qui, comme
Maurras, va être convaincu à l'issue de la Grande Guerre — après de nombreuses années de
doutes et de critiques — par cet Empire qui se lève en armes pour sauver la République ; ce sont
Mandel et Blum qui tentent de réformer l'Empire aux côtés de Sarraut et Daladier ; ce sont
Mollet, Mitterrand et Debré qui assument une fin d'Empire sanglante.
« L'épopée coloniale, précise dans ce livre Michel Wieviorka, lorsqu'elle a été associée à la
République, et pas seulement à la nation, a été pensée comme une mission civilisatrice — la
"marche de la civilisation contre la barbarie", a même pu dire Victor Hugo40. » Beaucoup y ont
cru. Le postmarxisme et le post-tiers-mondisme ont permis un retour aux nostalgies du « bon
temps » des colonies, dessinant une régression généralisée qui n'affecte certes pas la seule
mémoire coloniale.
La nostalgie coloniale fait ainsi écho à la nostalgie d'une « grandeur de la France », dans
laquelle l'école — et, éventuellement, l'armée - « intégrait », dans laquelle les hiérarchies étaient
respectées et où l'on savait punir récalcitrants, délinquants et… « indigènes ». Ce « front
républicain et national » a aujourd'hui ses plumes littéraires, ses polémistes, ses humanistes, ses
provocateurs, ses héroïnes… Au-delà de leurs différences, ils n'ont de cesse de démontrer qu'« il
faut agir », pour certains contre le désordre dans nos banlieues, pour d'autres afin de retrouver
notre place en Afrique. À leurs yeux, la fracture coloniale semble bien faire toujours sens : elle
correspond à une « certaine France » qui s'éloigne, achevée par une défaite outre-mer peu
compréhensible, trahison en quelque sorte d'une « mission civilisatrice » qui aurait été, tout bien
pesé, désintéressée. Une sorte de refus de l'histoire et des transformations qui, inexorablement,
érodent et font muer le modèle national. Le militant du MRAP Pierre Tévanian qualifie ce
mouvement d'« idéologie nationale républicaine41 ». Vision trop réductrice : de façon plus
complexe, il s'agit plutôt d'un ensemble paradoxal regroupant les héritiers d'une France, de
gauche comme de droite, qui n'a pas assimilé entièrement la décolonisation.
Cette situation de blocage semble avoir décidé d'autres acteurs à entrer en jeu, lesquels ont
radicalisé un contre-discours. C'est le cas, par exemple, de plusieurs associations voulant
notamment représenter les minorités « noires » antillaises ou africaines pour la plupart issues de
l'ex-Empire42 . Mais aussi des initiateurs de l'appel « Nous sommes les indigènes de la
République » - se réclamant directement de cette histoire coloniale -, lancé en janvier 2005 à
l'initiative de militants se définissant comme « issus des colonies, anciennes ou actuelles, et de
l'immigration postcoloniale43 ». Les signataires de ce texte voulaient attirer l'attention sur la
persistance de discriminations qui seraient, selon eux, d'origine coloniale.
On peut bien sûr estimer que cet appel est trop systématique — et il l'est -, dans la mesure où il
affirme que la situation actuelle serait une simple reproduction de la situation coloniale (« La
France reste un État colonial ! ») ; et où il entérine l'« indigénisme » - ce qu'Edward Saïd
considérait comme une acceptation de facto des « conséquences de l'impérialisme ». Une telle
téléonomie est évidemment réductrice. Toutefois, ce texte a l'immense mérite de rappeler que la
France est bien une société postcoloniale, encore traversée par les ressacs, prolongements et
processus coloniaux et postcoloniaux, héritages évidemment sujets à transformations et
métissages…
La raison centrale pour laquelle est si mal perçue toute revendication mémorielle, dès lors
qu'elle émerge d'acteurs qui se définissent comme « descendants de colonisés », tient
probablement au soupçon de « communautarisme », anathème majeur faisant planer le spectre de
la dissolution de la communauté nationale selon le « modèle communautariste anglo-saxon »,
réputé « catastrophique ». Ces réactions sont un autre symptôme de la fracture coloniale, comme
l'est la violence verbale — pour ne pas dire l'hystérie — des débats qui, depuis 1989 (l'« affaire
de Creil »), agitent périodiquement la société française autour de la « question du voile »,
endiablant la polémique autour de fausses oppositions du type « communautaristes » musulmans
contre « républicains » laïcs.
De ce champ de bataille mémoriel, se dégage un constat essentiel, à savoir la symétrie des
débats entre les défenseurs d'une « positivité » de la colonisation et ceux qui, au contraire,
souhaitent que soient reconnus l'oppression, l'exploitation et les crimes coloniaux. C'est là,
incontestablement, une fracture des mémoires, travaillée par des minorités qui rejouent souvent
le face-à-face des décolonisations. Il est donc plus que temps d'ouvrir des perspectives
historiques authentiquement postcoloniales, qui pourraient permettre de saisir les transformations
à l'œuvre et de dépasser le manichéisme de ces positions.
Dans cette optique, répétons-le, il est essentiel de renoncer à chercher une « cohérence
systémique » dans les effets contemporains de la fracture coloniale : elle affecte des champs très
divers, qui ne sont pas nécessairement liés. Ce qui fait son « unité », c'est l'origine historique
commune des processus. Et c'est d'abord la crise économique structurelle traversée par la France
depuis les années 1970 qui a puissamment contribué à exacerber les effets de cette fracture
coloniale.
Ces effets, à l'évidence, affectent surtout certaines catégories sociales : comme l'explique dans
ce livre le sociologue Didier Lapeyronnie, la banlieue est ainsi devenue un « théâtre colonial » -
et non une reproduction à l'identique de la situation coloniale -, où la domination subie « enferme
dans des catégories générales et des images dont il est quasiment impossible pour l'individu de
s'extraire. Ces mécanismes néocoloniaux ne sont peut-être jamais aussi présents que dans les
relations entretenues par les représentants institutionnels avec les habitants des quartiers
sensibles44 ». Les termes employés pour désigner les « quartiers » et leurs populations tendent bel
et bien à s'ethniciser sur un modèle colonial, comme l'a montré le vocabulaire employé à
l'automne 2005 à l'encontre des émeutes urbaines.
Les médias sont les principaux vecteurs de cette transmission des stéréotypes et images
accumulés pendant la période coloniale sur l'espace urbain contemporain45 . Tous ces énoncés,
disparates, forment ce que Michel Foucault aurait nommé une « unité discursive » : la production
sur un même modèle d'énonciation de discours qui finissent par prendre un sens général. C'est le
cas, de toute évidence, en ce qui concerne les espaces périurbains — envisagés comme des
« points noirs », des « cancers », des « zones à reconquérir », voire à « nettoyer » -, où
l'accumulation de reportages centrés sur des faits divers, l'insécurité, la violence, le sexisme, la
misère, entretient le sentiment d'une coupure radicale entre ces espaces et la France elle-même46.
La fracture coloniale se retrouve aussi dans la crise de l'identité nationale et la difficulté à
intégrer l'épisode colonial dans nos représentations collectives, renvoyant en cela à la difficulté
de penser la question de la différence47. Cette difficulté place la France dans une position de déni
très singulière dans l'espace des ex-métropoles coloniales ; mais c'est aussi une réalité vécue et
ressentie par des populations issues des espaces ex-coloniaux, dans les ségrégations subies très
concrètement et qui sont souvent reliées — à tort ou à raison — à leurs origines « coloniales ».
La question de la diversité et de l'altérité posée par les situations postcoloniales est également
manifeste dans les blocages de la République. Aujourd'hui, plus de sept millions de personnes,
immigrés postcoloniaux ou Français d'« origine immigrée » - dénomination qui en dit long sur la
transmission d'un statut spécifique d'« éternels étrangers » pour les descendants d'immigrés
extra-européens -, vivent concrètement les métissages postcoloniaux, mais aussi des situations de
relégation, de discriminations quotidiennes (à l'embauche, à l'emploi), dont nous peinons à nous
expliquer l'ampleur, comme l'indiquent notamment Ahmed Boubeker, Nacira Guénif-Souilamas
ou Didier Lapeyronnie dans cet ouvrage48.
En effet, montrent-ils, la fracture coloniale est née de la persistance et de l'application de
schémas coloniaux à certaines catégories de population (catégories réelles ou construites),
principalement celles issues de l'ex-Empire. L'étude que nous avons réalisée à Toulouse en 2003
confirme à cet égard remarquablement les tendances observées lors de l'enquête menée par Alain
Girard et Jean Stoetzel en 1949, qui montrait que 63 % des personnes sondées se disaient hostiles
aux « étrangers », avec une perception plus ou moins favorable selon les étrangers considérés49.
Ce sondage révélait déjà qu'une majorité de la population considérait que les « étrangers nord-
africains » avaient davantage de difficulté à s'adapter à la vie française (pour 60 % des sondés,
leur adaptation était qualifiée de « difficile », voire « impossible ») que les Belges, Italiens,
Polonais, Portugais ou Espagnols, pour lesquels la « communauté de mœurs » ou de genre de vie
les faisait apparaître comme plus sympathiques (plus de 60 % des sondés qualifiaient de
« facile » leur adaptation). Depuis, la distance physique et culturelle par rapport aux canons
hexagonaux n'a fait que se confirmer, au vu des résultats de l'enquête menée à Toulouse, qui
montre à quel point les personnes ayant des ascendants issus de l'immigration coloniale souffrent
davantage des préjugés de la société d'accueil que celles dont les ascendants sont européens.
L'incapacité du politique face aux mutations de la société française est dès lors saisissante. Il
est en effet manifeste que, dès la fin des années 1970, une partie des populations immigrées,
notamment maghrébines, a choisi de demeurer en France. Leur concentration géographique,
souvent proche de la ghettoïsation, était alors porteuse de cristallisations identitaires potentielles,
pour les Français « de souche » comme pour les populations immigrées. Devant cette situation,
le discours intégrationniste s'est rigidifié, alors qu'une minorité de la droite dénonçait la « fin de
la nation française » (dans sa perspective d'« unité biologique » et « religieuse ») et une
« colonisation de la revanche ».
En 2001, la sociologue Nacira Guénif-Souilamas résumait très bien la situation : « Nous ne
prenons pas conscience qu'aujourd'hui les racines des discriminations dénoncées et condamnées
remontent à l'époque où l'on prônait trop l'égalité d'accès aux droits et aux devoirs de la
République sans jamais en offrir les moyens politiques et institutionnels50. » Pourtant, précise
Didier Lapeyronnie dans ce livre, « les "banlieues" ne sont pas un territoire conquis et occupé par
l'armée et les colons ne sont pas venus s'installer pour "exploiter" les ressources et la population
en la maintenant dans une situation de subordination et de dépendance justifiée par le racisme.
Mais il n'empêche. Le vécu de la discrimination et de la ségrégation, et peut-être plus encore le
sentiment d'être défini par un déficit permanent de "civilisation" dans les discours du pouvoir,
d'être soumis à des injonctions d'intégration au moment même où la société vous prive des
moyens de la construire, évoquent directement la "colonie" et donc, pour nombre d'habitants
issus de l'immigration, un "passé qui ne passe pas" ».
C'est à cette compréhension que nous avons voulu contribuer avec ce livre, en faisant appel à
des chercheurs appréhendant la question coloniale et ses héritages selon des approches aussi
diverses que fécondes. Historiens, sociologues, politologues, démographes, éditeurs, écrivains et
praticiens croisent ici leurs analyses sur les héritages coloniaux de la société française, éclairant
le concept de fracture coloniale. L'objectif de ces approches multiples n'est pas de mettre en
œuvre une interprétation unique de ce concept — ce que certaines critiques ont voulu voir -, mais
bien d'en mesurer les diverses dimensions et de mettre en lumière les points de convergence,
mais aussi les contradictions, dans les différents champs explorés.
Deux grandes parties structurent ces contributions et précèdent l'analyse de l'enquête menée à
Toulouse. La première partie, « Histoire coloniale et enjeux de mémoire », dresse un panorama
des origines et prolongements contemporains du passé colonial : origines historiques à travers
l'indépendance d'Haïti, la guerre d'Algérie ou les discours républicains sous la IIIe République ;
débats qui traversent la société française autour de l'islam ou des Dom-Tom ; enjeux de mémoire
dans la sphère législative, dans l'enseignement, au sein de l'université ou dans l'univers des
musées. La seconde partie, « République, "intégration" et postcolonialisme », s'attache aux effets
de cette histoire coloniale sur la société française : notamment dans les pratiques
d'intégration/immigration et les discours qui les soutiennent ; dans la politique étrangère et
l'humanitaire, dans les « politiques de la mémoire » ou dans le sport ; enfin, dans la question
coloniale et postcoloniale, comme analyseur des représentations et de la construction du national.
À travers la diversité des approches proposées, ce livre souhaite dépasser les tabous, historiques,
historiographiques et politiques, qui contribuent à nous empêcher de comprendre la
postcolonialité.
I
Un drame périphérique
La France postcoloniale
Du révisionnisme officiel
Ce n'est donc pas là qu'il faut chercher le point de départ de la « fracture » qui caractérise
aujourd'hui les rapports de la France avec son passé colonial mal assumé, mais dans la rupture
autrement plus radicale qu'imposa à la métropole la proclamation de l'indépendance de la
République d'Haïti, le 1er janvier 1804, sur les ruines de la puissante colonie française de Saint-
Domingue — la « perle des Antilles », selon la formule consacrée par les voyageurs et les
administrateurs de la fin du XVIIIe siècle. Face à une France à l'apogée de sa gloire et de sa
puissance, au moment où le Premier Consul s'apprêtait à se faire empereur des Français et à
écraser l'Europe de sa force militaire pour lui imposer la « loi des Français », la proclamation
d'une « République de nègres » sur une terre française depuis Louis XIV était un affront inouï ;
d'autant plus que Saint-Domingue avait été le fleuron de la « colonisation moderne », c'est-à-dire
de la plantation sucrière esclavagiste massivement exportatrice pour l'Europe entière. Le choc fut
vivement ressenti par les contemporains, du moins ceux qui comprirent que la rupture coloniale
était définitive et que jamais cette terre ne redeviendrait française, malgré les innombrables
proclamations contraires, jusqu'à celle des puissances européennes réunies à Vienne en 1814 qui
reconnurent unanimement le « droit de la France » à recouvrer sa colonie rebelle depuis 1804.
Deux siècles après la rupture irréversible entre Haïti et son ancienne métropole, la fracture
n'est toujours pas ressoudée et la mémoire française peine à faire une place, dans son vaste
patrimoine postcolonial, à Haïti, pourtant aujourd'hui le deuxième pays francophone du monde
après la France elle-même, mais devant le Québec et la Belgique. De multiples signes
manifestent cet « oubli » du passé de colonie française de l'actuelle République haïtienne : bon
nombre de Français d'aujourd'hui ne confondent-ils pas Haïti avec la lointaine Tahiti ? Un simple
sondage autour de soi permet de vérifier la fréquence de la confusion, qui est loin d'être l'apanage
des « ignorants »… Une émission de radio de grande écoute, au début de l'année du bicentenaire
de l'indépendance haïtienne, ne posait-elle pas naïvement la question : « Mais pourquoi parle-t-
on français en Haïti ? »
Et, plus étonnante encore, voire plus inquiétante, la déclaration en mars 2000 du président de
la République française, en réponse à cette question d'un journaliste de la République
dominicaine : « Que pense faire la France, la France pays riche qui a eu [ici] une de ses
colonies ? Que feront d'autres pays pour participer véritablement au développement de Haïti ? »
Jacques Chirac affirma tout simplement et, semble-t-il, sans déclencher les sarcasmes ou les
commentaires désobligeants de la presse française, métropolitaine ou antillaise : « Haïti n'a pas
été, à proprement parler, une colonie française, mais nous avons effectivement depuis longtemps
des relations amicales avec Haïti, dans la mesure où notamment nous partageons l'usage de la
même langue. Et la France a eu une coopération et a toujours une coopération importante avec
Haïti et elle continuera à l'avoir1. »
Ainsi l'oubli d'Haïti, première indépendance noire, est solidement ancré dans l'inconscient
national, jusqu'au plus haut niveau de l'État où, en une réponse lapidaire probablement non
préparée, le président de la République lui-même — dont on ne peut douter de la connaissance
des faits — a spontanément formulé le credo français le plus commun : Haïti n'a pas été une
colonie française ; et personne sur l'instant n'a relevé l'énormité du propos. Un tel « trou de
mémoire » est assurément révélateur d'un malaise profond et ancien. La perte d'une colonie — le
Canada par exemple — au profit d'une autre grande puissance européenne pouvait être admise,
car elle ne remettait pas en cause le principe colonial lui-même ; de la même façon,
l'indépendance des États-Unis, au profit des seuls colons blancs, entrait dans une catégorie que la
pensée des Lumières avait su prévoir de longue date. En revanche, la perte de Saint-Domingue
par une défaite face à une insurrection d'esclaves transformée en guerre de libération était
inacceptable, car elle transgressait un dogme jusqu'alors unanimement admis, celui de la
supériorité des Blancs sur les autres peuples. Un État dirigé par des descendants d'Africains était
par essence hors de l'ordre politique et relevait de la barbarie. Le mécanisme de l'oubli entra
aussitôt en œuvre et fit très rapidement sortir la naissance d'Haïti de l'histoire coloniale française.
Les modalités et les étapes de cette « évacuation » peuvent être sommairement reconstituées.
La première étape de cet oubli organisé se mit en place dès le tout début du XIXe siècle, avant
même l'acte d'indépendance du 1er janvier 1804 : le corps expéditionnaire commandé par
Emmanuel Leclerc, propre beau-frère de Napoléon Bonaparte, fut vaincu à la fois par les troupes
noires et mulâtres de Toussaint Louverture, puis de ses successeurs Pétion, Christophe et
Dessalines, et par les ravages occasionnés par les « fièvres » tropicales sur des soldats européens
peu acclimatés. À Paris, le pouvoir consulaire, alors tout occupé à construire méthodiquement
l'image d'un Bonaparte invaincu et pacificateur de l'Europe ralliée aux idéaux de la Révolution,
ne pouvait laisser se répandre une information aussi désastreuse : les presque 50 000 soldats —
victorieux depuis 1792 à travers l'Europe — envoyés à Saint-Domingue, pour y rétablir la
souveraineté française bafouée par un général noir qui avait osé promulguer une Constitution en
sa faveur, ne pouvaient être vaincus par des nègres à peine sortis de l'esclavage. Il était encore
moins pensable que la mort du propre beau-frère du « héros des Pyramides » et du « sauveur de
la République » fût colportée par la presse l'année même du triomphe de Bonaparte tant à
l'extérieur qu'à l'intérieur.
Ainsi, la cérémonie des funérailles de Leclerc, ramené en France via Toulon, fut-elle
exemplaire de la volonté d'éviter tout retentissement national à la mort du commandant en chef
de la plus grande expédition française jamais envoyée outre-mer jusqu'alors et qui tournait au
désastre militaire et politique. Le cortège, qui devait rejoindre le château familial de Villers-
Cotterêts, évita soigneusement Paris, et la cérémonie et le convoi funèbres furent organisés dans
la plus grande discrétion ; la presse ne s'en fit pas l'écho et surtout les références à Saint-
Domingue furent minimisées, ou occultées, pour faire du général mort une victime de sa seule
bravoure2.
Aujourd'hui, quel manuel d'histoire générale de la période napoléonienne évoque-t-il la
bataille de Vertières (18 novembre 1803), la première grande défaite des troupes
napoléoniennes ? Les manifestations commémoratives les plus récentes n'ont pas dérogé à cette
pratique du silence, comme l'a confirmé la grande exposition du Musée de la Marine à Paris, de
mars à août 2004, Napoléon et la mer. Un rêve d'Empire, qui ne consacra pas une ligne, ni une
image, à la guerre de Saint-Domingue et à la naissance d'Haïti, l'année même de leur
bicentenaire3.
Mais l'occultation ne se limita pas à l'indépendance de la colonie : elle frappa aussi ceux qui
jouèrent un rôle moteur dans la mise en marche de la dynamique révolutionnaire de Saint-
Domingue, qu'ils aient ou non souhaité la rupture politique avec la France. Le cas exemplaire de
cette occultation est celui de Léger Félicité Sonthonax, l'un des grands oubliés de l'histoire alors
qu'il proclama le premier l'abolition de l'esclavage dans une colonie moderne, le 29 août 1793,
puis joua un rôle décisif dans la restructuration de la société postesclavagiste. Les dictionnaires,
qui sont le vecteur le plus efficace de la transmission de la mémoire historique et demeurent des
références pour les générations successives, en témoignent. L'oubli de Sonthonax, dont le nom
est indissociable de celui de Saint-Domingue en Révolution, est en quelque sorte inscrit en creux
dans les grands dictionnaires en usage en France aux XIXe et XXe siècles. Leur étude, réalisée par
Roland Desné4, est éloquente de l'effacement de la mémoire des événements de Saint-Domingue
des années 1793-1803 : sur les trente-huit dictionnaires dépouillés, plus de la moitié (vingt titres
entre 1825 et 1990) ignorent totalement jusqu'à son nom, que ce soit sous forme d'article ou de
simple référence dans un index. Plus explicite encore est la chronologie des occurrences : plus on
se rapproche de la seconde moitié du XXe siècle, moins Sonthonax est présent dans les
dictionnaires et, in fine, aucune mention ne figure dans l'Encyclopædia Universalis, pas plus que
dans le Grand Robert des noms propres, en quatre volumes.
Plus étonnant encore est sa quasi-absence, et plus généralement celle d'Haïti, dans la plupart
des dictionnaires historiques consacrés à la Révolution française parus à l'occasion du
bicentenaire : le Dictionnaire critique de la Révolution française de François Furet et Mona
Ozouf ignore son existence, ce qui surprend peu puisque les colonies elles-mêmes y sont
occultées ; et il en est de même dans celui (pourtant très largement biographique) dirigé par Jean
Tulard et dans celui de Claude Manceron. Dans sa gigantesque biographie historique, Roger
Caratini lui consacre une notice, mais totalement dépourvue de référence à l'acte abolitionniste,
précurseur de la rupture coloniale : « Agent révolutionnaire ; né à Cyonnax le 14 mars 1763,
mort dans cette même ville le 28 juillet 1813. Fils d'un négociant aisé, Sonthonax fut chargé avec
Polverel et Ailhaud de prendre les mesures nécessaires pour rétablir l'ordre dans la colonie de
Saint-Domingue en juin 1792. » Il est difficile de donner moins d'éléments de compréhension au
lecteur non informé ! Avec de telles notices, il est aisé de comprendre comment la trace de la
« fracture » haïtienne a été enfouie profondément dans la mémoire historique. Seul le
Dictionnaire historique de la Révolution française5 lui consacre une notice informative.
Si l'on considère maintenant la postérité de l'autre grand acteur de l'abolition de l'esclavage et
de la naissance d'Haïti, Toussaint Louverture, le constat va dans le même sens, avec un degré
d'occultation moindre. En effet, si le héros noir de la guerre d'indépendance est une figure plus
ou moins connue du grand public aujourd'hui, force est de constater que cette connaissance est
floue et surtout a connu de longues périodes d'occultation : le début du XIXe siècle a vu se
multiplier les biographies, souvent fantaisistes ou romancées, de Toussaint (Lamartine et
Schœlcher, entre autres, lui ont consacré des ouvrages), puis un long silence l'a relégué dans une
zone obscure de notre histoire (alors qu'il était érigé en héros national en Haïti) jusqu'à sa
redécouverte, mais par des auteurs noirs engagés dans ce qui devenait le « tiers-mondisme » et la
« négritude »6. C'était le retour du « précurseur » d'Haïti sur le devant de la scène éditoriale,
lequel ne s'est toutefois pas traduit, loin s'en faut, par l'entrée de cette histoire dans les manuels
scolaires. Si la figure de Toussaint Louverture est parfois évoquée, le plus souvent par un
portrait, elle est rarement liée à une étude de l'histoire de la Révolution de Saint-Domingue et
moins encore à la proclamation de l'indépendance de la colonie.
Au-delà, ce sont en fait presque toutes les « grandes histoires » de la Révolution française, y
compris les plus récentes, qui ignorent la Révolution de Saint-Domingue, où n'y font allusion que
par ses incidences sur le cours de la « grande histoire » de l'affrontement révolutionnaire : la
flambée des prix des produits coloniaux en 1792, la guerre navale au moment de la formation de
la seconde coalition, la défaite de l'Espagne en l'an III et l'avantageux traité de Bâle… Que le
lecteur se reporte au chapitre d'Yves Bénot, dans son ouvrage devenu classique7 , intitulé fort
judicieusement « Dans le miroir truqué des historiens », et il verra combien les plus grands noms
de l'historiographie révolutionnaire, Jean Jaurès et Georges Lefebvre exceptés, ont ignoré la
révolution antiesclavagiste de Saint-Domingue et par voie de conséquence son issue haïtienne.
Or, et cela est capital pour comprendre les mécanismes de l'oubli, des générations de professeurs
d'histoire du secondaire — et d'auteurs de manuels scolaires — ont été formées par la lecture de
ces maîtres prestigieux. Comment auraient-ils pu transmettre à leurs propres élèves une histoire
qui ne leur avait jamais été enseignée ? Le plus inquiétant est de constater que rien ne semble
avoir changé depuis, si l'on se fie aux publications récentes : deux Révolution française ont été
publiées en 2004, par des auteurs supposés bien informés, sans que la moindre trace des
« événements coloniaux » ait été instillée dans le récit et les analyses8.
En 1826, après la reconnaissance de son indépendance par la France, Haïti fut le seul État
indépendant à être exclu du Congrès de Panama, qui réunissait pour la première fois les
« nouveaux pays libres d'Amérique ». Les conditions de la reconnaissance diplomatique de
l'indépendance de l'ancienne colonie française contribuèrent grandement à cette non-intégration
d'Haïti dans le concert des nations. En effet, après de multiples tentatives de retour, directes ou
indirectes, la France s'orienta à partir de 1823-1824 vers l'abandon de tout espoir de reprise de
l'île, acceptant enfin les propositions de « rachat » des biens des colons qui avaient été faites par
Pétion dès 1813.
Telle fut bien la doctrine qui présida à la promulgation par Charles X, le 17 avril 1825, de la
fameuse ordonnance reconnaissant la souveraineté haïtienne : les deux premiers articles
imposaient des conditions commerciales inégalitaires et surtout le paiement d'une indemnité de
cent cinquante millions de francs or au titre de la perte des propriétés particulières des colons
français, alors que le troisième et dernier article reconnaissait en termes des plus équivoques
l'indépendance : « Nous concédons, à ces conditions, par la présente, aux habitants actuels de la
partie française de Saint-Domingue, l'indépendance pleine et entière de leur gouvernement. » La
rédaction de l'ordonnance royale n'évoquait pas une seule fois l'existence d'un État nommé Haïti,
et conservait la fiction que la « partie française de Saint-Domingue » existait encore… C'était à
la fois admettre la souveraineté des habitants sur cette terre et nier l'existence d'Haïti en tant
qu'État nouveau.
Par la suite, un long contentieux opposa la France à Haïti pour le paiement effectif de
l'indemnité, revue à la baisse en 1838 mais cette fois sans lier son paiement à la reconnaissance
politique de la République d'Haïti. Ce contentieux pesa très lourdement dans les relations franco-
haïtiennes au cours du XIXe siècle et ne contribua pas à faire d'Haïti un « État comme les autres »
aux yeux de la France alors en pleine phase d'expansion coloniale. Cette République, unique aux
Amériques par sa nature, était un mauvais exemple pour les peuples en voie de colonisation, en
Afrique surtout. À ce titre, elle fut systématiquement marginalisée, y compris par la puissance
régionale émergente, puisque les États-Unis, bien qu'issus également d'une révolte contre leur
métropole, ne reconnurent son existence qu'en 1864. Ainsi la France ne fut pas la seule puissance
à reculer le plus possible pour admettre l'existence d'un État fondé par des descendants
d'esclaves, mais l'ex-maîtresse des lieux eut plus de difficultés que d'autres à l'intégrer
pleinement à son histoire. Deux siècles plus tard, le processus d'intégration de ce passé
douloureux est loin d'être achevé.
Si Haïti est sorti de la mémoire coloniale française avec une rapidité étonnante, la trace des
modalités de cette sortie se lit encore dans les archives de la gestion de la société postcoloniale et
plus encore dans l'enracinement d'une pratique qui fera école : les colons rentrés en France après
l'indépendance (ou dès la Révolution des esclaves pour beaucoup) ont inauguré, à leur profit, un
double système de ce que l'on pourrait appeler des « réparations ».
Ce fut d'abord, dès les premiers retours de Saint-Domingue, en l'an III de la République
(1795), la mise en place d'une législation pour leur apporter des secours. Elle fut par la suite sans
cesse affinée et précisée, après 1803-1804, mais encore après 1825, puis sous la Monarchie de
Juillet, le Second Empire et encore les toutes premières années de la IIIe République. De 1795 à
1873, les régimes successifs de la France postrévolutionnaire ont ainsi versé des secours aux
colons de Saint-Domingue, puis à leurs ayants droit, fils, petits-fils voire arrière-petits-fils.
Puis, après la ratification par les autorités haïtiennes de l'ordonnance de Charles X du 17 avril
1825, ce fut la mise en place de la procédure d'indemnisation proprement dite : de 1826 à 1832,
le ministère français des Finances, anticipant le paiement des sommes dues par Haïti en
application de l'ordonnance reconnaissant son indépendance, versa aux colons la valeur estimée
de leurs propriétés perdues irréversiblement. Le calcul de la valeur de ces biens se fit sur la base,
non d'une supposée valeur de l'« époque française » qui ne correspondait plus à aucune réalité en
1825, mais sur celle du montant des exportations d'Haïti en 1823, année choisie comme
référence : la valeur de ces exportations se montait alors à 30 millions de francs or (contre 150
millions en 1789) ; en estimant le bénéfice à 50 % de ce chiffre, on arrivait à 15 millions de
profit par an pour les anciennes propriétés des colons, devenues haïtiennes. Ainsi, la valeur du
capital de ces propriétés fut-elle estimée à dix années de profit, soit 150 millions. Ce fut la
somme exigée d'Haïti, payable en cinq annuités de 30 millions chacune.
En réalité, Haïti fut incapable de respecter ce calendrier. Après un premier paiement de 30
millions (empruntés principalement auprès des banques françaises), il y eut interruption des
paiements jusqu'au traité de 1838, qui réduisit la dette à 90 millions, dont les 30 déjà payés, et
étala les paiements sur trente ans. Ce nouveau calendrier ne fut pas davantage respecté et la
dernière annuité fut soldée en 1883 seulement. Ainsi Haïti a-t-elle payé intégralement sa « dette
de l'indépendance » envers son ancienne métropole, mais au prix de la mise en place d'une
double dépendance : financière, d'une part, puisque la dette fut en partie payée par d'autres
emprunts ; commerciale, d'autre part, puisque l'exportation du café vers la France fut le seul
moyen de se procurer des devises pour payer une dette libellée en francs or9.
La perte de Saint-Domingue a ainsi permis la mise en place de la première législation
postcoloniale destinée à secourir puis à indemniser les « rapatriés », pour utiliser un terme qui
reviendra sur le devant de la scène à l'occasion d'autres indépendances coloniales, un siècle et
demi plus tard : ce mécanisme servira de matrice pour les autres décolonisations tragiques que la
France a connues au XXe siècle — c'est sur ce modèle que sera notamment élaboré le processus
d'indemnisation des « rapatriés d'Algérie », après 1962. Car si la mémoire de Saint-Domingue a
été oubliée, celle des modes d'indemnisation a vite été retrouvée…
Qu'en est-il aujourd'hui de cette blessure coloniale profonde causée par le traumatisme
haïtien ? La France, qui a commémoré en 1998 le cent cinquantième anniversaire de la seconde
abolition de l'esclavage dans ses colonies (sans pour autant se souvenir de la première, celle de
1794…), a-t-elle réintégré Haïti dans sa mémoire ? Si l'on s'en tient aux signes extérieurs que
sont les « lieux de mémoire » visibles par tous dans le paysage urbain le plus quotidien, force est
de constater que le vide reste la règle : nous sommes face à ce que l'on pourrait appeler le silence
des lieux de mémoire.
En effet, nous constatons que Paris, ce réceptacle de la mémoire nationale, a généreusement
donné des noms de rues et de places aux territoires qui ont formé le premier Empire colonial
français. Ainsi, la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, anciennes colonies devenues
départements d'outre-mer, ont des rues à leur nom dans la capitale ; les Antilles et la Réunion ont
des places ; le Canada, colonie prise par l'Angleterre, a sa rue, de même que la Louisiane, colonie
vendue aux États-Unis en 1803… Mais aucun lieu de Paris ne rappelle le souvenir d'Haïti, pas
même sous son nom colonial de Saint-Domingue, et pas davantage à travers les acteurs de sa
révolution, puisque les noms de Sonthonax ou de Toussaint Louverture n'ont jamais été gravés
sur des plaques de rue ou sur des édifices publics parisiens. Il faut aller jusqu'à Pontarlier pour
trouver un lycée portant le nom de Toussaint Louverture, au pied du rocher où est accroché le
fort de Joux, lieu d'incarcération et de mort du chef de la rébellion de Saint-Domingue… La
fracture coloniale qui efface jusqu'à la trace des faits joue ici pleinement son rôle : on ne grave
pas dans la pierre des édifices de la capitale des noms qui rappellent la rupture de 1804 où des
Noirs ont pris leur indépendance contre Napoléon lui-même.
Pourtant, un frémissement peut être observé à la faveur de la lente remontée à la surface de
l'actualité des épisodes oubliés de la colonisation, y compris de la première, esclavagiste par
essence. La mobilisation importante des communautés d'Outre-Mer pour la reconnaissance du
crime contre l'humanité que furent la traite négrière et l'esclavage a conduit à l'adoption d'une loi
en ce sens, votée le 10 mai 2001 par la représentation nationale unanime10 . Cette loi a contribué
à la prise de conscience, certes encore limitée, des réalités tragiques de cette première
colonisation oubliée et dont Haïti constitue le symbole achevé. Dans ce contexte nouveau pour la
France, une certaine réouverture des portes de la mémoire coloniale semble s'apercevoir, à l'aube
du bicentenaire de 1804 : un comité, présidé par Régis Debray, a été chargé par les plus hautes
autorités de la République de dresser le bilan des relations franco-haïtiennes et de faire des
propositions pour une nouvelle coopération entre l'ancienne métropole et la « première
République noire »11.
Mais personne n'oserait affirmer que la seule nomination d'un « Comité de réflexion et de
propositions sur les relations franco-haïtiennes » effacera toute trace de cette profonde cassure
qui a fait sombrer Haïti dans un oubli quasi total pour la grande majorité des Français
d'aujourd'hui alors que toutes les causes profondes de cette amnésie collective demeurent. Si un
jour Haïti réintègre la mémoire française, ce sera au prix d'un long travail où la recherche savante
et la diffusion de son histoire dans les manuels et les programmes scolaires auront été organisées
à grande échelle, dans une vaste relecture nationale de l'histoire coloniale et de ses séquelles. En
l'attente de ce travail de longue durée, s'agissant d'Haïti, le constat reste sévère : la fracture
coloniale qui caractérise la mémoire française depuis la fin des processus d'indépendance des
années 1960 a pris naissance avec la réaction de Paris face à la rupture unilatérale de 1804. Et
elle demeure ouverte depuis maintenant deux siècles.
3
Quand une mémoire (de guerre) peut en
cacher une autre (coloniale)
Benjamin Stora
Un drame périphérique
Cinquante ans après le début de la guerre d'Algérie, les groupes portant la mémoire de ce
conflit dans la société française sont maintenant assez bien connus. Tous ses acteurs, trois
millions environ en 1962 — essentiellement des soldats (1,2 million), pieds-noirs (1 million),
immigrés (400 000), harkis (100 000) -, ont eu des enfants qui sont maintenant devenus adultes3.
Dans la société des années 1990-2000, ce sont ces derniers qui ont tenté, de différentes manières,
de se réapproprier cette mémoire, pour savoir ce qui s'est réellement joué dans ce conflit. De nos
jours, sur soixante millions d'habitants que compte la France, six à sept millions de personnes
sont donc directement concernées par la guerre d'Algérie. Ce chiffre peut paraître considérable,
mais il est trompeur.
Pourquoi, en effet, subsiste-t-il la sensation diffuse que le reste de la société française ne se
sent pas « touché » par cette histoire coloniale ? Est-ce que les groupes précités ne sont pas,
précisément, isolés dans la société française ? Et non seulement isolés dans la société, mais isolés
entre eux ? Dans le fond, ce refoulement de la guerre d'Algérie, si souvent évoqué, n'a-t-il pas été
possible justement parce que le cœur de la société française n'a jamais véritablement intégré la
question coloniale ? En fait, pourquoi la guerre d'Algérie apparaît-elle toujours comme
extérieure, périphérique, dans l'histoire générale de la France contemporaine ?
Il est possible d'invoquer l'oubli de cette guerre pour comprendre ce rejet en périphérie. Les
lois d'amnistie votées à propos de la guerre d'Algérie ont empêché que soient jugés certains actes
commis. Ces lois de 1962, 1964, 1974 et 1982, toujours en vigueur, ont construit une sorte de
chaîne fabriquant de l'amnésie. L'État cache ses « secrets ». Mais le plus troublant est de voir
comment la société n'a pas voulu regarder, assumer cette guerre. Pour la masse des Français,
l'Algérie a longtemps été un territoire lointain, les populations qui la composaient étaient, en fait,
peu connues. C'est pourquoi, quelques années auparavant, il avait été nécessaire d'organiser une
Exposition coloniale internationale, en 1931, pour leur faire découvrir « leurs » colonies…
Puis, les Français ont découvert l'Algérie essentiellement pendant la guerre elle-même, lorsque
le contingent d'appelés y a été envoyé après le vote des « pouvoirs spéciaux » de mars 1956.
Auparavant, l'Algérie, même si elle était considérée comme française, n'était pas au centre des
préoccupations de la société. Cette histoire du Sud n'était pas vraiment intégrée à l'histoire
intérieure française. La France se considérait comme le centre d'une histoire profondément
européenne, occidentale, absolument pas comme partie prenante d'une histoire venant de
l'Afrique ou du monde arabe.
Là se trouve, en partie, le refoulement dans la société, ou plutôt la dénégation de la guerre
d'Algérie : dans la méconnaissance de l'histoire coloniale. Si l'on observe la production
cinématographique, il existe très peu de films français qui ont traité, non pas de la guerre
d'Algérie, mais de l'histoire coloniale. Or, il faut saisir une histoire dans ses origines, sa genèse,
dans sa généalogie. La guerre d'Algérie ne peut se comprendre que si on la « prend » en amont,
c'est-à-dire un siècle et demi d'histoire auparavant. Sinon, elle reste incompréhensible dans sa
dureté, sa cruauté, ses engrenages. Et le cinéma français n'a pas envisagé de construire des récits
historiques d'une grande ampleur sur l'avant, sur l'histoire coloniale. Dans ce sens, la guerre
d'Algérie peut être considérée comme une histoire en dehors de la France.
Il est donc possible de mesurer la périphérie de l'histoire coloniale par un regard sur les images
de cinéma. Des films montrent effectivement les luttes contre un système colonial agonisant,
avec l'indépendance de l'inde en 1947 ou la guerre d'Indochine, avec le désastre militaire français
à Diên Biên Phu en 1954, et la guerre d'Algérie bien sûr. Et les luttes contre une longue présence
coloniale, les résistances à une guerre (le Viêt-nam) construisent un continent singulier, parfois
négligé par l'absence de liens établis entre ces deux aspects.
Mais le « grand spectacle » à propos d'histoires coloniales est du côté… anglais, et américain.
Se voulant à l'écart des films exotiques, « orientalistes », qui entraînent le spectateur dans un
monde mystérieux à la beauté immédiate, le cinéma anglo-saxon qui dénonce le système colonial
prend même, quelquefois, un côté spectaculaire. Ainsi, dans Les Cinquante-cinq jours de Pékin
de Nicholas Ray, avec Charlton Heston, Ava Gardner et David Niven, il est question des Boxers,
qui, le 20 juin 1900, avec la bénédiction de l'impératrice, attaquèrent les étrangers de Pékin pour
les chasser de la Chine. Réalisé en 1982, le Gandhi de Richard Attenborough, avec Ben Kingsley
et Candice Bergen, retrace la vie et le combat de l'un des leaders spirituels les plus importants de
l'histoire contemporaine, pour l'indépendance de l'Inde. Cette fresque historique fut couverte
d'oscars4.
Mais l'aventure coloniale, dans ses injustices et son fonctionnement inégalitaire, n'a pas
vraiment hanté le cinéma occidental, français en particulier. Les guerres de décolonisation
apparaissent comme une série de séquences elliptiques et désaccordées, ne livrant que rarement
la généalogie des injustices permettant de situer les explosions de violence des « indigènes ». Et
l'engloutissement brutal de cet univers colonial bien particulier rend alors incompréhensible le
drame colonial5.
Et à propos de l'agonie de l'histoire coloniale, le cinéma français a surtout construit un
imaginaire entre nostalgie sacrée de l'Empire englouti et honte inavouée des exactions commises.
Mais, c'est surtout l'absence qui frappe : l'absence de l'avant-guerre (le temps colonial), l'absence
dans l'après-coup des guerres de décolonisation, et l'absence de la figure du colonisé6. Le monde
colonial, en un sens, n'a jamais vraiment été figuré. L'absence d'images participe de la
déréalisation de pays qui s'évaporent, devenant presque abstraits.
La figure du colonisé est absente, et ce manque fabrique des personnages sans territoires qui
cherchent des issues. Absence d'ancrages, de repères, seulement des rivages friables, des
rencontres fugitives, des pertes. Scénarios dont le cheminement consiste à retrouver la réalité
fantasmatique d'un univers à la fois perdu et en gestation, mais jamais réel. Dans le cas algérien,
après l'indépendance de 1962, les Algériens ont été obligés de fabriquer du cinéma, en suppléant
à l'amnésie du cinéma français sur la guerre et à une amnésie générale sur l'histoire coloniale. Ils
avaient une tâche énorme sur les épaules : fabriquer un imaginaire de l'Algérie en guerre, et
suppléer à tout le cinéma, amnésique avant et pendant la guerre7.
Car les films de fiction français sur la guerre, pendant la guerre, sont peu nombreux. Le film
de Claude Autan-Lara, Tu ne tueras point, interdit, a été tourné en 1958, quatre ans après le
début de la guerre. Jean-Luc Godard tourne Le Petit Soldat en 1959. Muriel d'Alain Resnais est
tourné en 1961. Le cinéma français manifeste un évident retard par rapport au développement
historique de cette guerre, tel qu'il s'accomplit en temps réel. Il s'agit bien sûr d'un phénomène
d'autocensure, conséquence de la puissante censure étatique, qui avait par exemple interdit en
1955 le film de Paul Carpita, Le Rendez-vous des quais, sur la guerre d'Indochine.
Il faut dire aussi que la mise en scène du « théâtre colonial » est un défi redoutable. L'histoire
coloniale française peut en effet se lire tout à la fois comme une histoire de ségrégation, de
racisme, et une histoire française… républicaine. Les deux histoires cohabitaient, se
chevauchaient sans cesse. Comment peut-on restituer cet univers « sudiste », où existaient à la
fois de la ségrégation et du contact ? Le cinéaste doit relever ce défi pour mettre en scène cette
histoire du passage et de la séparation. Dans l'histoire d'un « Sud » d'aujourd'hui, André Téchiné,
dans Loin (2001), a réussi à le faire pour le Maroc contemporain, en éclairant le double processus
de séparation et de circulation. D'un désir inavoué, d'une division des territoires. D'invisibilité
communautaire et, en même temps, de cloisonnement par groupes communautaires. Entre les
Juifs et les musulmans marocains, les Français. Les Roseaux sauvages, toujours d'André Téchiné
en 1994, est aussi un film bouleversant qui montre l'histoire de l'attachement et de… la
séparation entre l'Algérie et la France, avec une image (longtemps dissimulée) : l'enterrement
d'un jeune soldat du contingent. La comparaison avec les films de Raoul Walsh ou de John Ford,
en ce qui concerne le racisme et la ségrégation, et l'univers paternaliste du mélange, pourrait être
porteuse. Les cinémas français et américain gagneraient à être comparés aussi à propos du
« Sud », et pas uniquement à propos de la guerre du Viêt-nam.
Ces questions ont été évacuées dans les années 1960, juste après l'indépendance algérienne.
Aujourd'hui, les anciens colonisés et les Français doivent montrer de l'intérêt à comprendre ce
qui s'est passé dans cette histoire de passions, d'amour et de haines. La montée du Front national
en France, le « problème des banlieues » obligent à se poser ces questions du contact, du refus de
l'autre, qui restent des questions décisives. Le retard se paie là et le défi du « sudisme » dans le
cinéma français n'a pas été relevé, peut-être par peur de la mélancolie, de la « nostalgéria ». Mais
il est temps aujourd'hui de comprendre comment fonctionnait la société réelle, en restituant ce
qu'était le système colonial dans sa quotidienneté, en évitant les discours simplificateurs. La
jeune génération de cinéastes nés après la guerre pourra-t-elle relever ce défi ? Visiblement, les
créateurs qui sont dévorés de l'intérieur par cette histoire ne peuvent que difficilement en parler.
La construction de l'amont n'avait pas eu lieu non plus, tout commençait en 1954. Il n'y avait
pas de récit historique antérieur. Quel est le grand film français qui raconte la conquête de
l'Algérie entre 1830 et 1847 ? Pourtant, cette conquête avait généré une guerre de dix-sept ans,
épouvantable. La prise de Constantine en 1837, par exemple, fut dantesque, bien montrée dans le
livre terrible de François Maspero8. Il a reconstitué la vie du maréchal Achille Le Roy de Saint-
Arnaud, un officier français de la conquête, à partir des lettres qu'il avait envoyées à sa famille,
qui témoignent à quel point la guerre de conquête fut terriblement cruelle.
Ce qui rend le monde colonial incompréhensible, en un sens, c'est l'effacement du
commencement des haines et des guerres. Dans cette absence généralisée, le cinéma des pays
anciennement colonisés doit tout faire à la fois : légitimer une nation, construire une identité et se
situer dans l'histoire du cinéma9. Se voulant en rupture avec le cinéma colonial pour qui
l'« indigène » apparaissait comme un être muet, évoluant dans des décors et des situations
« exotiques », il témoigne d'une volonté d'existence de l'État-nation. Les nouvelles images du
cinéma français peuvent-elles comprendre, et accepter, ce désir d'affirmation d'une identité
nouvelle, restituer le mouvement complexe d'un univers colonial en voie d'extinction ?
Un déclic générationnel est possible par rapport à cette mémoire. Si l'on se réfère à mai 1968
— qui était, dans une lecture assez répandue, le règlement de comptes d'une génération avec la
génération du « père » collaborationniste, vichyste -, il peut y avoir une demande de règlement
de comptes de la nouvelle génération sur ce qui s'est passé il y a cinquante ans en France à
propos de la guerre d'Algérie. Mais une difficulté supplémentaire a surgi.
Dans les années post-1968, la dimension de mise en accusation de l'État était très forte, elle
apparaît plus faible aujourd'hui11. À l'époque, la politique se faisait, pour les jeunes générations
politiquement engagées, par des mises en accusation radicales de l'État. De nos jours, des
logiques de postures victimaires l'emportent dans la société sur les recherches de responsabilités
étatiques ou… personnelles. À propos de la guerre d'Algérie, les pieds-noirs s'estiment victimes
du général de Gaulle, les soldats se considèrent comme ayant été entraînés dans un engrenage
cruel, les officiers croient en la trahison des politiques, les Algériens se voient en victimes des
Français, les harkis vivent leur situation comme une trahison des autorités françaises… Une sorte
de cloisonnement, de communautarisation du souvenir par une position victimaire, s'est installée
dans une compétition du statut de la meilleure victime. À partir de là, les différents groupes de
mémoire, déjà à la périphérie de la société, ne demandent pas à l'État ou aux responsables
politiques de rendre des comptes, mais le demandent à l'autre communauté. La concurrence
intercommunautaire des mémoires s'installe, aggravée par d'autres conflits comme l'interminable
guerre israélo-palestinienne. La responsabilité revient à l'autre.
Il n'y a pas ainsi d'examen de la conduite de l'État, et c'est toujours l'autre communauté, l'autre
mémoire qui est responsable. Or, il y a bien eu des logiques étatiques d'abandon à la périphérie
de la société de tous ces groupes. Dans cet abandon périphérique, les religieux se sont
engouffrés, ont capté la génération des « trentenaires », les premiers touchés, à qui l'on n'a jamais
appris l'histoire coloniale. Ils vivent cela comme un déni, une injustice. À leur tour, ils ont touché
la génération des 15-20 ans… Le communautarisme est venu occuper un vide. Dans les années
1980-1990, l'enseignement a laissé « filer » cette histoire de la guerre d'Algérie, et du récit
colonial au sens large. Le réveil de mémoire sur la guerre d'Algérie12 dans l'enseignement
s'effectue actuellement, mais avec beaucoup de retard. Il a fallu attendre les années 1990 pour
voir apparaître les premiers cours d'histoire de la colonisation à l'université.
Il est possible de poser cette mise en périphérie de l'histoire coloniale avec un autre récit :
celui de l'immigration, longtemps séparée de l'histoire intérieure française. Aujourd'hui encore,
lorsque la société se pose la question des immigrés maghrébins en France, elle le fait toujours
dans le registre de l'extrême nouveauté, comme s'« ils » avaient de tout temps été étrangers à
l'histoire nationale. Pour une raison : l'histoire des Maghrébins appartient à l'histoire trop
méconnue de la colonisation, qui est pourtant partie intégrante de l'histoire de la France.
4
L'Outre-Mer, une survivance de l'utopie
coloniale républicaine ?
Françoise Vergès
L'Outre-Mer aujourd'hui, ce sont des territoires répartis dans des aires culturelles très
diverses : les Caraïbes et l'Amérique (Martinique, Guadeloupe, Guyane, Saint-Pierre-et-
Miquelon), le Pacifique (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Wallis et Futuna), l'océan
Indien (Mayotte, La Réunion et les îles Éparses) et l'Antarctique. Ces territoires n'ont pas tous le
même statut1, ni la même histoire, ni la même économie, ni le même peuplement, ni les mêmes
cultures. Ils partagent tous cependant un passé colonial et un présent qui en garde des traces
(économies fragiles, faible industrie, fort taux de chômage, fortes inégalités).
Que connaît-on en France de l'histoire de ces « outre-mers » ? De leurs cultures ? De leurs
luttes ? Quelles images, quelles représentations, quels événements sont rattachés à ces espaces ?
On a pu y faire son service militaire, y avoir enseigné, avoir de la famille qui y travaille, y avoir
été en vacances… Mais quels stéréotypes, quels clichés ont accompagné ces voyages ? Ces
terres, « françaises » dans la loi, restent en dehors du récit national, des grands débats, et même
très souvent de l'information. Ainsi, les statistiques nationales sur quelque sujet que ce soit
(éducation, chômage, urbanisation, santé, racisme, salaires…) n'incluent jamais les outre-mers.
L'appellation « outre-mer » n'aide d'ailleurs pas à donner sens à ces espaces. Historiquement, elle
a tout simplement remplacé le terme « colonial » dans le discours administratif et ce glissement
sans bruit a perpétué l'impression d'un anachronisme sur lequel ni l'opinion française ni la
recherche ne considèrent qu'il est essentiel de s'appesantir.
Il y a donc des outre-mers, mais dont l'image est vague, brouillée : quand, comment et
pourquoi ces terres ont-elles été rattachées à la République française ? Pourquoi sont-elles
toujours françaises ? Parmi ces espaces oubliés, ceux issus de la première colonisation —
Guadeloupe, Guyane, Martinique et La Réunion — constituent un cas particulier : reliques de
l'Empire prérévolutionnaire (ils sont colonisés au XVIIe siècle) et prérépublicain (donc antérieures
à l'Empire colonial constitué à partir de 1830 et qui s'agrandit sous la IIIe République), ces
territoires ont connu l'esclavagisme, le système de plantation, l'« engagisme »2, le travail forcé et
le colonialisme. La fin du statut colonial en 1946 et la transformation en départements d'outre-
mer n'ont pas signifié pour ces sociétés l'accès à l'égalité qu'elles réclamaient. Elles ont
progressivement presque disparu de la conscience française, où elles n'occupent plus aujourd'hui
que l'espace de l'exotisme, de la « douceur » et de la « gaieté » créoles, associé à une série
d'images clichés — doudous, palmiers, volcans, vahinés, plages, bons musiciens, Chamoiseau,
Kassav… -, mais très rarement à celles de sociétés dont l'histoire est complexe et qui furent
plurireligieuses et pluriculturelles dès leur naissance. L'État, lui, a oscillé entre paternalisme, cet
avatar du racisme, indifférence, négligence et répression.
Cette situation rend difficile leur définition : ce ne sont plus des colonies, mais ce ne sont pas
des territoires indépendants et ils restent soumis à des politiques d'exception à la fois positives et
négatives (lois spéciales ou exception dans la loi pour tenir compte des retards structurels). Cette
question de terminologie n'est pas sans conséquences : n'entrant pas dans des catégories
clairement identifiables, ces espaces sont rejetés à la marge, leurs populations renvoyées à des
clichés (assistés, Rmistes, communautaristes). Un terme peut cependant être suggéré : celui de
« postcolonialité ».
La postcolonie ne qualifie pas strictement un régime d'indépendance nationale, mais une
situation où perdurent des effets du régime colonial, tout en connaissant de nouvelles expériences
engendrées par le déclin des productions locales (sucre, banane, ananas), l'entrée dans l'espace
européen (difficulté de rivaliser avec les économies du continent : éloignement de la métropole,
coût de la main-d'œuvre), la mondialisation (compétition avec les pays émergents),
l'augmentation du nombre de diplômés, l'émergence de revendications de réparation historique
(mémoire de l'esclavage, du colonialisme) et d'affirmation de différence culturelle. Ce sont des
postcolonies.
Partir de cette insignifiance, de cette ambivalence, pour la creuser, en épuiser le sens, nous
renseignera sur les raisons d'une minoration. Interroger à partir de leur place marginale toute une
série d'affirmations et de présupposés semble pertinent. En marge de l'histoire coloniale, absents
de l'histoire nationale, absents de la problématique postcoloniale (car cette dernière est
strictement associée, à tort, avec les pays qui se sont libérés de la tutelle coloniale), les outre-
mers demeurent un espace exclu de l'histoire tout en faisant partie de l'espace républicain. Il
existe d'autres raisons à cette invisibilité : point de récits héroïques, point de possibilité pour les
Français de s'identifier à une posture de résistance morale et politique (comme pour l'Algérie).
L'indépendance politique de l'ancien territoire colonisé permet un retour sur le fait colonial, car
deux regards s'affrontent, se croisent : celui de l'ex-colonisé et celui de l'ex-colonisateur. Mais
devant cette situation singulière de postcolonialité, le chercheur est perplexe.
Penser la présence/absence des outre-mers, c'est penser deux espaces à la fois : le territoire
outre-mer et le territoire métropolitain. L'un et l'autre appartiennent aujourd'hui au même corps
politique (la République). La constitution du territoire outre-mer précède cependant l'avènement
de la République. Non seulement celle-ci en hérite à la Révolution, mais elle les revendique
comme « partie intégrante » de la France. Cette continuité entre le rêve des Bourbon et celui de
la République donne à ces espaces une dimension singulière : vue des colonies, la « métropole »
apparaît comme la « France éternelle » plutôt que comme la République ; et, vu de la métropole,
l'Outre-Mer apparaît comme le rêve d'une colonisation réussie, une utopie coloniale, sans
massacres de natifs, sans génocide.
Cette mémoire ambiguë (absence et présence) est particulièrement intéressante à analyser pour
étudier les manifestations de fracture coloniale, de mémoire niée et d'histoire marginalisée. Il
faut penser la multiterritorialisation de la relation (métropole/colonie) et sa configuration dans le
temps prérévolutionnaire, esclavagiste, colonial puis postcolonial. Le point de départ d'une
relecture de ces histoires croisées, c'est l'absence de l'esclavage dans le récit national, malgré sa
présence dans les mémoires locales. L'absence est un symptôme de la difficulté d'intégrer
l'histoire coloniale notamment dans ses manifestations les plus anciennes, la traite négrière et
l'esclavage. On connaît les difficultés d'intégrer la figure du colonisé, mais celle de l'esclave reste
la grande absente4.
On voit que si l'histoire coloniale comme épopée fondatrice a été très tôt intégrée aux savoirs
scolaires16, elle est restée en marge sur le plan universitaire. Quant à la société française
envisagée comme société postcoloniale, c'est tout simplement un sujet qui, encore actuellement,
est pratiquement impensable dans le milieu des historiens professionnels.
Depuis l'origine, l'espace institutionnel de l'histoire coloniale est donc resté réduit, sa
légitimité faible, et ce jusqu'à aujourd'hui17. La dynamique institutionnelle va donc contre la
reconnaissance de l'histoire coloniale et postcoloniale dans l'institution universitaire. Or, on sait
les pesanteurs de l'institution et la difficulté à faire émerger et reconnaître un nouveau champ
historique. Contrairement aux États-unis, où la discipline historique est constamment saisie de
nouveaux objets traitant de problèmes sociaux immédiats liés à des processus historiques
(histoire des minorités, du racisme, du genre, etc.), l'université française semble avoir une
extraordinaire capacité de temporisation, de prudence, de conservatisme. Or, l'histoire coloniale
et postcoloniale telle qu'elle se présente aujourd'hui est perçue comme recelant de fortes
capacités de déstabilisation de l'unité nationale et du corps social — alors que c'est à notre avis sa
faiblesse même qui est porteuse de ce péril, mais c'est un autre débat…
À l'inertie structurelle de l'institution qui, comme on vient de le voir, a des origines anciennes,
s'ajoutent donc des réticences nées du consensus associé à la genèse de la discipline historique
elle-même : construire de la mémoire, préserver la nation. Il ne s'agit pas là d'un procès
d'intention : trop de signes font sens en cette direction. C'est pourquoi il n'est pas impertinent
d'émettre l'hypothèse que, au-delà de l'organisation de l'institution historienne elle-même, se
manifeste une certaine fermeture au renouvellement des problématiques, voire à la simple
possibilité d'envisager la France comme une société marquée par la colonisation et la période
postcoloniale. Les questions historiques soulevées par une telle perspective — comme en
témoignent quelques-unes des contributions réunies dans ce livre — peuvent être ressenties
comme une « mise en danger » de l'histoire contemporaine telle qu'elle est écrite, mise en danger
qui renvoie à des sujets délicats tels que les aléas de la politique coloniale républicaine, les
discours universels et les politiques concrètes de puissance et d'oppression coloniales et
postcoloniales, les politiques migratoires, les discriminations et le racisme.
À ce consensus et ces réticences, il faut ajouter que l'histoire coloniale puis l'histoire des aires
culturelles ont légué une situation qui est, en propre, celle de l'ancienne puissance coloniale. En
1997, Didier Gondola soulignait dans un article quelque peu amer18 que les historiens français de
l'Afrique conservaient ainsi une position de dominants, adossée à une posture d'extériorité et une
certaine condescendance pour les travaux des Africains19. Le propos est provocateur, mais il n'est
pas absurde de penser que c'est peut-être aussi cela que nous lègue l'histoire de l'institution
historienne : la réitération d'une situation inégalitaire, confortable en tant qu'elle autorise
l'historien français à objectiver la position d'historiens ex-colonisés par rapport à leur trajectoire
dans la postcolonie ; et éventuellement à relativiser ainsi la qualité scientifique de leurs travaux
en regard de leur engagement (politique ou autre), tout en s'interdisant de saisir la sienne propre
dans une société française contemporaine profondément imprégnée par les réminiscences du
colonial. Les réticences manifestées par certains historiens sur l'opportunité de développer
l'histoire postcoloniale en métropole font peut-être partie, également, de ces réminiscences.
Mais ce sont là, on peut l'espérer, un débat et des positions d'arrière-garde. Ce qui est
particulièrement significatif, c'est que le renouvellement de l'historiographie des périodes
coloniale et postcoloniale — envisagée dans le cadre de la société française — fasse aujourd'hui
signe dans des milieux extrêmement divers. C'est le cas des sociologues réunis dans ce livre,
comme Didier Lapeyronnie, Ahmed Boubeker ou Nacira Guénif-Souilamas, mais aussi des
travaux récents et novateurs du politologue Patrick Weil, de l'historienne Emmanuelle Saada ou
de politistes comme Claire Andrieu. Tous, dans l'analyse de la contemporanéité, brisent le carcan
chronologique d'une histoire coloniale qui, en France, s'achèverait en 1962. Tous démontrent des
lignes de continuités métissées, des articulations entre périodes coloniale et postcoloniale,
articulations non univoques, non téléonomiques, qui s'agencent avec les facteurs de notre
modernité.
Mais ce signe, issu de milieux scientifiques divers, montre aussi la carence de l'institution
historienne sur ces questions, surtout en comparaison de nombreux laboratoires universitaires
dans le monde anglo-saxon. De véritables structures de recherches travaillant sur l'histoire
coloniale et postcoloniale en France sont désormais impérieusement nécessaires, ce qui engage à
réfléchir à frais nouveau à l'organisation des études historiques. C'est une nécessité scientifique
immédiate, et il faudra dépasser des définitions désormais révolues, en choisissant plus
hardiment l'étude du phénomène colonial comme un objet légitime en soi, permettant de
favoriser les comparaisons entre les différentes zones de colonisation, entre la colonisation
française et les autres colonisations européennes. Mais, aussi, en s'aventurant dans la
compréhension de la colonisation comme processus dialectique ayant produit des effets en
métropole (sur la culture, les représentations, les catégories d'entendement, l'histoire des
sciences, l'élaboration juridique, les formes de gouvernance, les institutions, etc.).
Dès lors, l'histoire postcoloniale s'imposera naturellement, car la borne symbolique de la fin de
l'Empire (1962) n'a évidemment que fort peu de sens sur les processus de longue durée que nous
venons d'envisager. Mais dynamiser la recherche sur ces questions est aussi une nécessité sociale
et politique immédiate. Les textes réunis dans cet ouvrage montrent sans conteste le champ
immense qui s'ouvre à l'historien travaillant sur les articulations colonie/postcolonie. Et indiquent
que de nombreux processus contemporains, brûlants, ne peuvent se comprendre sans la
profondeur de champ historique offert par cette perspective.
7
Colonisation et immigration : des « points
aveugles » de l'histoire à l'école ?
Sandrine Lemaire
À écouter les élèves, à suivre les médias ou les résultats de l'enquête réalisée à Toulouse, il
semblerait que l'enseignement en France de l'histoire coloniale et de l'immigration souffre d'un
net déficit. De toute évidence, l'enquête que nous avons conduite montre une méconnaissance —
ou une connaissance très vague — du fait colonial ou migratoire, alors même qu'un réel besoin
est clairement exprimé de mieux les connaître, afin de mieux comprendre les événements
contemporains.
Pourtant, si l'histoire de l'immigration est effectivement absente des enseignements transmis
jusqu'au secondaire, celles de la colonisation et des décolonisations sont traitées dans les
programmes scolaires et les manuels d'histoire, qui ont beaucoup évolué sur ce point depuis les
années 1980. Alors, comment expliquer ce sentiment et les frustrations révélées par les réponses
à notre enquête ? Ces frustrations sont largement exprimées par ailleurs par une frange de la
population « issue de l'immigration » ou ayant des ascendants immigrés, de mille façons :
injonctions à la reconnaissance officielle d'événements historiques, ouvrages et témoignages1 ,
multiplication des prises de position autour de l'appel pour les Assises de l'anticolonialisme
postcolonial des « indigènes de la République » lancé en janvier 20052 …
Or c'est effectivement ce sentiment d'absence d'un traitement précis de la colonisation et de
l'immigration qui entraîne parfois, chez ceux qui le ressentent, une radicalisation de leurs
discours : ils se tournent alors vers une histoire reconstruite à partir des carences de
l'enseignement, nourrissant la « fracture ressentie » et l'exclusion réciproque. Cette « fracture du
savoir » constitue une sorte de point aveugle, que reflète notamment la loi promulguée le 23
février 2005 portant « reconnaissance de l'œuvre de la France outre-mer ». Une fracture qui ne
peut qu'être accentuée par l'article 4 de cette loi, stipulant que « les programmes scolaires
reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en
Afrique du Nord3 ».
L'école, comme dernière institution traditionnelle de socialisation, mais aussi comme moyen
essentiel de transmission, est au cœur des enjeux de mémoire. Quel est donc son rôle dans
l'entretien d'un sentiment de fracture et quels moyens pourraient être mis en œuvre pour lutter
contre des discriminations et des revendications qui se manifestent bien malgré elle ? Sans
chercher à proposer des solutions définitives pour réduire cette fracture, il semble néanmoins
qu'un meilleur enseignement de ces pans d'histoire nationale pourrait contribuer à apaiser les
tensions de certaines cohabitations « intercommunautaires ».
« Il est bon de discerner les sociétés primitives des sociétés occidentales », précisait en
mars 2004 un doctorant lors d'un exposé à l'École des hautes études en sciences sociales. Par
ailleurs, « la République de l'égalité est un mythe. […] Il faut en finir avec les institutions qui
ramènent les populations issues de la colonisation à un statut de sous-humanité », indiquait au
même moment une pétition citoyenne2. Dans une République française dévouée à l'égalité, il est
difficile de poser la question des différences entre les Français. Pourtant, les propos précités
laissent deviner une fracture ontologique entre deux types d'humanité dans la France
contemporaine.
D'un côté, cette fracture est entretenue par le mythe persistant d'un « nous », les Français « de
souche », dont les ancêtres seraient les Gaulois3 . D'un autre, elle est critiquée par ceux qui
éprouvent tous les jours la diversité de cette souche prétendue. Est-il concevable que la
transformation de trois nouveaux musées nationaux puisse amener la République à se confronter
à la différence mythique entre un « nous » et un « eux » qui semble peser sur la solidarité
nationale, en France comme ailleurs4 ? Il nous semble nécessaire d'évaluer les enjeux d'un tel
débat.
Notre analyse est basée sur les témoignages des bâtisseurs de trois de ces nouvelles
institutions : le Musée du Quai Branly (MQB), la Cité nationale de l'histoire de l'immigration
(CNHI) et le Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (MCEM)5 . Les
témoignages ont été récoltés lors d'une centaine d'entretiens réalisés entre 2002 et 2005 avec des
personnes engagées dans une mission de reclassement du patrimoine français, auparavant dit
ethnographique, mission qui coïncide avec l'émergence d'un débat plus général concernant la
place de la diversité culturelle dans la République française6 . Divers courants de ce débat
pointent du doigt un silence concernant le passé colonial de la nation, passé auquel ce secteur du
patrimoine est inévitablement lié. Le MQB rassemble les collections venant du Musée national
des arts d'Afrique et d'Océanie (MAAO), anciennement Musée des colonies puis de la France
d'Outre-Mer, et les collections extra-européennes venant du Musée de l'Homme (MDH), qui
proviennent pour un grand nombre d'entre elles de l'ancien Empire colonial7.
Certains informateurs soutiennent que l'État est en train de « détourner » l'histoire coloniale
pour en faire un « art universel », une « identité euroméditerranéenne » et une « histoire de
l'immigration ». Pourtant, ces trois projets muséographiques n'élaborent pas de tels concepts au
détriment d'une catégorie de patrimoine proprement coloniale. Les forces qui soutiennent ces
projets ne sont pas identiques d'un musée à l'autre. Dans le cas du MQB, le projet relève plutôt
d'un « truc Louis XIV », à savoir une volonté présidentielle de développer de grands travaux qui
sont à la fois démonstration de pouvoir, outil d'instruction civique et reflet d'une personnalité
politique. Le projet du MCEM, quant à lui, relève de la volonté de professionnels dévoués depuis
dix ans à l'idée du « musée de société », lieu de réflexion collective sur la dichotomie entre
cultures dominantes et cultures minoritaires. Enfin, celui du CNHI, bien qu'il soit dirigé par un
élu au Parlement européen, est aussi l'aboutissement du travail collectif des milieux associatifs et
universitaires depuis une vingtaine d'années.
Certes, l'État se méfie d'un lieu de mémoire patrimoniale qui comprendrait le mot « colonial »
dans son titre (informateur n° 38, haut fonctionnaire). Néanmoins, si aucun des trois projets
n'envisage d'effacer l'histoire coloniale française de façon explicite, seul le MCEM interroge
ouvertement le rôle des « systèmes coloniaux » européens, dont celui de la France, dans le
développement des « formes culturelles de l'Europe d'aujourd'hui8 ». Bien que l'histoire coloniale
soit fortement et nécessairement impliquée dans les trois projets, leur influence en faveur d'une
« prise de conscience » nationale de l'histoire coloniale en est encore au stade des balbutiements.
Pour résumer la situation9 , le MQB doit ouvrir en 2006 avec les collections extra-européennes
venant du MDH et toutes les collections du MAAO, fermé depuis 200310 . Les anciens locaux du
MAAO accueilleront la Cité nationale de l'histoire de l'immigration en 2006-200711 . Le MDH se
redéfinit12 , transférant ses collections européennes au Musée national des arts et traditions
populaires (MNATP), qui se transformera en MCEM à Marseille en 201013. Ces mouvements
sont aussi complexes qu'énormes et la majorité des informateurs avouent que leurs institutions
traversent des « crises d'identité profondes ». Souvent, les informateurs soulignent l'opposition
entre le rôle du fonctionnaire muséal et les attentes du grand public. Depuis la création de musées
publics après la Révolution, l'État forme des fonctionnaires capables de gérer le patrimoine
national pour le compte du public, lesquels se sentent dès lors investis d'une « mission ». Cette
opposition entre fonctionnaires d'État (détenteurs du savoir) et le public de masse (récepteur de
ce savoir) dissimule celle qui persiste entre un « nous », les Français de souche, et un « eux », les
autres. Dans le discours, on glisse facilement d'une dualité fondée sur le savoir à une dualité qui
serait fondée sur l'ethnicité.
Selon l'informateur n° 14, un conservateur, « les catégories n'ont plus aucun sens, mais on doit
continuer à faire avec ». Un fonctionnaire (informateur n° 20, Direction des musées de France du
ministère de la Culture) ajoute : « C'est difficile de construire en France, mais c'est encore plus
dur de déconstruire. » Il y a un consensus sur l'impuissance de l'individu devant
l'« hippopotame » de l'administration muséale, que l'on croit capable d'exercer un pouvoir égal à
celui des autres institutions disciplinaires (asiles, hôpitaux, prisons…) décrites par Michel
Foucault14 . Pourtant, les musées, en tant qu'« institutions d'art et de science », sont censés être un
moyen de transformer la société15. Ainsi ces trois projets muséaux seraient une opportunité pour
créer un débat de fond sur la relation entre le passé colonial et la diversité nationale actuelle. Ce
débat est déjà en cours dans d'autres secteurs muséaux, notamment au MOM de Marseille, un
musée historiquement et administrativement distinct du trio MQB-MCEM-CNHI qui semble
s'adresser essentiellement au public lié aux « rapatriés ».
La création muséale est un travail de longue haleine. Au travail d'inventaire, d'archivage et de
muséographie, s'ajoute le développement d'un « projet scientifique et culturel », sorte de charte
de service public prévue pour chaque musée national selon une loi récente16 . En somme, l'État
aura consacré quinze ans de travail et plus de 500 millions d'euros à la création de trois nouveaux
musées considérés comme des « outils pour la nation ». Sur le terrain, individus, objets et idées
se réunissent autour de ce concept pris comme une évidence. Désiré par l'Ancien Régime, établi
par la Révolution et consolidé à partir de 1870 par la IIIe République, le « musée-outil » est un
concept ancien et bien ancré17 dans lequel l'opposition entre le fonctionnaire et la masse s'inscrit
parfaitement. Il nous faut pénétrer provisoirement le concret du fonctionnement institutionnel du
musée pour saisir les difficultés actuelles concernant la légitimation de l'histoire coloniale.
Dès la Révolution, le Louvre des beaux-arts développait une campagne de « régénération »
nationale, par opposition aux collections scientifiques, réservées à la formation d'experts et
cadres18. Aujourd'hui, on est toujours soucieux de cette division des tâches entre l'art destiné à la
pédagogie nationale et la science destinée aux cadres : « L'anthropologie ne m'intéressait pas.
L'art, c'est vraiment la voie d'entrée dans les cultures » (informateur n° 41, conservateur). Ou
bien : « Il faut montrer ces objets comme des choses faites par des artistes… Personne n'a la clef
de leur signification » (informateur n° 28, chercheur). L'art est un outil destiné à élever les
masses, alors que l'anthropologie se consacre aux questions plus obscures. D'autres oppositions
dérivent de cette première dichotomie : entre la diffusion et la production du savoir, entre le
divertissement marchand et le service public, entre le professionnalisme et l'irresponsabilité.
Au quotidien, par exemple, deux camps de « chercheurs » et « conservateurs » s'opposent avec
passion. Les premiers sont des fonctionnaires attachés au ministère de l'Enseignement supérieur
et de la Recherche, qui travaillent sur des aspects divers du contenu scientifique des musées
(collecte, documentation, exposition, publication). Les seconds sont des fonctionnaires recrutés
par le ministère de la Culture et chargés de l'intégrité physique et de la diffusion publique des
collections. Un motif fréquent de désaccord entre les uns et les autres porte sur leurs
compétences respectives : « L'École du patrimoine (sic) ne devrait pas exister », affirme un
chercheur (informateur n° 33). « Le concours du Patrimoine est la seule mesure de légitimité
qu'il nous reste ! » soutient un conservateur (informateur n° 86). Puis, des oppositions
apparaissent au sein même des deux corps : « La médiation ? Je ne suis pas là pour ça, je fais de
la recherche », déclare le même conservateur. « Pour moi, le service public, c'est quelque chose
de fondamental », clame un autre (informateur n° 14). Si chaque individu soutient le principe du
musée-outil, les relations quotidiennes sont difficiles et les conceptions du service public
diffèrent.
Souvent, les problèmes humains sont invoqués comme cause principale d'un manque de
communication et de travail d'équipe au sein du musée-outil. Les rivalités sont fréquentes, et
seuls les bruits de couloir couvrent le silence qui règne parfois entre les ennemis. Dans une
ambiance qui oscille entre la tension et l'isolement, les professionnels ont tendance à se
recroqueviller sur eux-mêmes et à développer des représentations stéréotypées des « autres » : les
chercheurs seraient « obsédés par un savoir trop particulier », donc ils négligeraient l'idée de
service public ; alors que les conservateurs seraient obsédés par les objets auxquels ils s'attachent
« parfois trop personnellement », négligeant ainsi le service public. De tels clichés
contradictoires produisent des « mesquineries » qui finissent par poser de vrais problèmes
logistiques et cela a un impact sur la mise en œuvre de ces lieux mêmes.
Malgré de tels problèmes personnels, les acteurs muséaux arrivent à converger autour d'une
« passion pour l'Afrique » ou d'un « devoir » de diffuser une histoire mal connue de la France. Ils
se heurtent aussitôt à l'« hippopotame », le musée-outil fait par les experts pour la masse. C'est
en évoquant les difficultés liées à la diffusion de leur savoir que les informateurs commencent
souvent à décliner les différences entre objets, idées et personnes, en parallèle avec une « crise »
à l'échelle nationale. Soudain l'opposition « nous-eux » surgit : « Le MQB devrait former les
gens […] pour faire du terrain dans les villages, où il y a encore des rites, […] et promouvoir
l'apprentissage de la différence dans un pays où il y a un type qui s'appelle Le Pen », affirme un
chercheur (informateur n° 40). On devine ici l'opposition expert/masse qui recouvre une
opposition citadin-civilisé/villageois-primitif. Ou bien : « La fascination pour l'autre est une
condition de l'Occident. […] L'anthropologie y introduit trop de confusions. Dans l'histoire de
l'art, la hiérarchie est plus claire », affirme l'informateur n° 45, un conservateur. Ici une
opposition entre disciplines savantes justifie habilement une « hiérarchie » entre ces deux
catégories déjà bien contestées, l'« Occident » et les « Autres »19.
Bien que puissantes, ces oppositions ne sont pas déterminantes. « Ça chauffe » sous la surface
des rivalités et des silences entre collègues, surtout quand il est question de la différence.
Certains suggèrent que l'unité républicaine — qui voit toute altérité comme radicale et
menaçante — empêche le droit à la ressemblance entre Français d'origines diverses. Les
« autres » - la masse, les immigrés, les Français d'Outre-Mer — sont mis chacun dans leur
musée, leurs différences bien au chaud dans la matrice républicaine. Ces constatations font naître
des propositions intéressantes. Pourquoi ne pas rattacher le MNATP au Musée d'Orsay, compte
tenu d'un tronc commun de collections relatives à la civilisation française du XIXe siècle ? Mettre
les « arts premiers » à Beaubourg ou au Palais de Tokyo avec le « reste » de l'art moderne et
contemporain ? Un chercheur (informateur n° 36) admet que la création d'un musée comme le
MQB pose des questions de fond : « A-t-on le droit de faire des musées d'ethnologie ? » un autre
(informateur n° 41) est d'accord, mais se demande ce qu'il est possible de faire contre un « projet
royal ». En revanche, un dernier (informateur n° 50) affirme que l'État est tellement fragmenté
qu'il « n'existe pas ».
On le constate, les fractures entre détenteur du savoir et masse réceptrice, art et anthropologie,
Occident et autre sont issues de représentations stéréotypées de professionnels muséaux trop
isolés sur le terrain, puis exacerbées par des « problèmes institutionnels qui se cristallisent en
conflits de personnes ». Rien n'est perdu : de telles luttes sont inhérentes à la création muséale et
peuvent pousser le MQB, le MCEM et la CNHI à l'innovation. Par le seul poids de leur existence
sociale, ces trois musées contribuent déjà à l'élaboration d'une conception différente de la
différence dans la République française. Sans doute, le fait même qu'ils soient là, avec d'autres
nouveaux musées, rendra encore plus évidente l'absence, en France, d'une véritable prise de
conscience officielle de l'histoire coloniale.
9
La République, la colonisation. Et après…
Michel Wieviorka
La France a été une puissance coloniale bien avant d'être une République, et elle l'est restée
dans les périodes qui séparent les unes des autres les cinq Républiques qu'elle s'est données. Ce
n'est qu'à partir de la Ire République (1792-1804) que l'on peut associer les deux termes,
République et colonisation, et cette association est ensuite discontinue, puisque la IIe République
n'est proclamée que le 25 février 1848, qu'elle laisse la place au Second Empire en 1852, que la
IIIe République, qui a soutenu avec passion le mouvement d'expansion coloniale, n'est instaurée
qu'en 1870. Lui succède l'État français de Pétain en 1940, auquel la IVe République met fin en
1944, pour durer jusqu'en 1958, année où est installée la Ve République.
Pourtant, l'association des deux catégories constitue un trait important de l'histoire de France,
au point qu'on a pu parler de « République coloniale » pour définir le lien paradoxal entre l'idée
républicaine et l'aventure coloniale, ce « rêve » qui « a nourri des générations d'administrateurs
coloniaux, a séduit des colonisés et fait rêver cinq générations de Français1 ». L'épopée coloniale,
lorsqu'elle a été associée à la République, et pas seulement à la nation, a été pensée comme une
mission civilisatrice, la marche de la civilisation contre la barbarie, a même pu dire Victor Hugo.
Il est vrai que la Ire République a aboli l'esclavage — mais le décret d'abolition, en 1794, n'a pas
été appliqué de la même façon dans toutes les colonies. Que la IIe République a fait de l'Algérie
un ensemble de départements — mais où colons et musulmans bénéficiaient d'un traitement
séparé entériné par le droit. Que partout des efforts non négligeables ont été faits pour assurer
l'accès d'une partie des peuples colonisés à l'éducation, mais alors avec pour prétention une
assimilation culturelle irréaliste, ignorante des différences identitaires que par ailleurs la
colonisation traitait comme autant d'inégalités, sur un mode raciste.
Car si la République coloniale s'est voulue émancipatrice et modernisatrice, si elle a prétendu
faire œuvre universelle, ouvrant des écoles, construisant des hôpitaux et des infrastructures, elle
ne s'est jamais privée de souligner l'inégalité des races, supérieures ou inférieures. Les uns, tel
Jules Ferry, pensant qu'un long travail d'éducation rapprocherait progressivement, par le bas,
mais sans abolir toute différence, les « races inférieures » et la « race blanche » ; les autres, tel
Paul Bert, visant plutôt à aboutir, à long terme, à une stricte égalité. La République a pratiqué ou
toléré constamment la violence des « Blancs », et a pu se comporter elle-même de manière
sanglante, et parfois particulièrement meurtrière, à l'égard des colonisés. Les valeurs
républicaines — liberté, égalité, fraternité — n'ont été appliquées que tardivement et
partiellement aux peuples colonisés, dans l'ensemble privés d'accès à la citoyenneté et exclus
d'une République qui n'était qu'en théorie « une et indivisible ». Le traitement des colonies par la
République a été bien peu républicain, y compris là où elle considérait que les colonies, c'est la
France — en Algérie, les Juifs sont entrés dans la République avec le décret Crémieux (1870),
mais les musulmans, de loin majoritaires, en ont été tenus à l'écart.
La décolonisation a elle aussi été l'œuvre de la République. Une œuvre incomplète, puisque
subsistent aujourd'hui des « confettis » de l'Empire colonial, avec des tensions et des violences
dans lesquelles se mesure à la fois l'opposition entre des pulsions de souveraineté ou
d'indépendance (on pense notamment à la Nouvelle-Calédonie) et l'attachement aux valeurs
républicaines, ainsi qu'aux avantages qui y sont associés. Les habitants des Antilles françaises ou
de la Réunion comparent fréquemment leur situation avec celle des Antilles ex-britanniques ou
de l'Île Maurice et se disent généralement qu'il vaut mieux être dans la France républicaine qu'en
dehors, pour être inclus dans son économie ou accéder à son État-providence et à ses services
publics. Et le modèle qui peut rendre compte de ces « confettis » n'est plus, dans l'ensemble,
celui de la République coloniale, avec ses colons et ses colonisés : les habitants des Antilles ou
ceux de la Réunion relèvent d'une histoire plus complexe, où l'esclavage, la misère,
l'exploitation, le racisme affectent non pas tant des peuples colonisés que des groupes nés d'une
histoire terrible (esclavage, traite négrière, migrations forcées) mais qui n'ont pas nécessairement
été colonisés à proprement parler.
La France postcoloniale
Pourtant, aujourd'hui, des voix de plus en plus nombreuses se font entendre pour critiquer la
France postcoloniale, sous deux angles complémentaires : dans sa politique internationale,
notamment africaine — le « pré carré » de la France dit-on parfois, aspect laissé ici de côté2 -, et,
en interne, en référence à la façon dont la France d'aujourd'hui traite ses immigrés et leurs
enfants, qui sont en partie au moins le fruit de l'histoire coloniale.
Il y a là un point particulièrement important, qui touche à la politique contemporaine mais
aussi à la conception que nous nous faisons du travail des historiens. De plus en plus, en effet,
l'histoire cesse d'être un grand récit national, une ode à la France traitée alors, à la limite, comme
une personne ; elle accorde de plus en plus d'importance aux victimes, aux perdants, dont le point
de vue était dans le passé généralement oublié ou minimisé. Cette évolution n'est pas le seul fait
des historiens : elle doit beaucoup à l'irruption dans l'espace public, depuis les années 1960, de la
figure de la victime, ainsi qu'à la mobilisation de divers groupes qui demandent que leur
expérience historique soit prise en considération ; et au fait que les usages sociaux de l'histoire,
elle-même stimulée par diverses mémoires, viennent participer au débat public. Non sans
difficultés, la France se penche sur son passé colonial, mais aussi s'interroge sur la façon dont il
surdétermine les grands problèmes contemporains, comme l'intégration républicaine et le
multiculturalisme.
La France constitue, avec le Royaume-Uni, un cas singulier, puisqu'une grande part de son
immigration récente provient de ses anciennes colonies, et notamment d'Afrique du Nord. Dès
lors, il est normal de considérer que le passé colonial non seulement a influencé le passé
républicain ou en a fait partie, mais aussi influe sur le présent.
Il faut ici distinguer deux périodes historiques dans le passé récent. La première, qui
correspond à ce que Jean Fourastié avait appelé les Trente Glorieuses, est celle où l'économie
française — et pas spécialement la République — appelle une main-d'œuvre venue du Maghreb
pour assurer en France des tâches le plus souvent non qualifiées. Les anciens colonisés, alors
même que leur pays n'est pas encore nécessairement décolonisé (le dernier en date au Maghreb,
l'Algérie, l'est avec les accords d'Évian de 1962), deviennent des travailleurs immigrés,
célibataires, ou en tout cas vivant seuls, mâles, intégrés socialement par le travail, mais non
concernés par une intégration républicaine. Ils rentreront au pays dès que possible, pensent-ils.
Or, au milieu des années 1970, un double phénomène dont personne ne sait qu'il deviendra
structurel se met en place : la fin de l'ère industrielle classique, dominée par le taylorisme et le
recours massif aux « ouvriers spécialisés », et l'entrée dans une période de chômage et de
précarisation du salariat. Dès lors, la transformation de cette immigration devient spectaculaire ;
de travail, elle devient de peuplement, d'autant que le regroupement familial est adopté au même
moment, et pèse lourd sur le choix des intéressés qui préfèrent pour la plupart rester en France
plutôt que de retourner dans leur société d'origine. Les « travailleurs immigrés » d'hier sont
appelés à devenir, eux et en tout cas leurs enfants, des citoyens français. Mais la République tient
mal ses promesses.
La seconde période, moins bien connue, est faite de processus plus diversifiés et souvent
opaques, car illégaux ou clandestins. Malgré le chômage, des immigrés continuent à venir en
France depuis les anciennes colonies, mais selon d'autres schémas. Ils seront parfois sans-
papiers, SDF (sans-domicile fixe), chômeurs, se contenteront de petits boulots, de travail au noir,
et ce qu'ils attendent de la République est plus élémentaire : le droit de rester en France.
Deux types de débats agitent aujourd'hui la France dans ce qu'elle a d'ancienne puissance
coloniale. Le premier est celui que suscite la présence d'une importante population issue de
l'immigration maghrébine des années 1950 aux années 1970 ; le second, plus diffus, pose de
grandes questions sans être associé aussi spécifiquement à l'histoire de la colonisation et de la
décolonisation françaises au Maghreb.
Onze novembre 1996 : une déclaration solennelle qui engageait déjà le pays tout entier, en
raison des fonctions de son auteur alors chef de l'État, lequel a prononcé ces fortes paroles à
l'occasion de l'inauguration d'un monument à la mémoire des victimes civiles et militaires
tombées en Afrique du Nord. 23 février 2005 : vote de la loi relative à la « reconnaissance de la
nation » et à la « contribution nationale en faveur des Français rapatriés ». Entre ces deux dates,
il y avait eu la proposition de loi du 5 mars 2003 déposée par de nombreux députés. Parmi eux,
se trouvait Philippe Douste-Blazy, devenu ensuite ministre de la Santé.
Les attendus de cette loi, comme le texte lui-même, étaient brefs. Ils étaient ainsi rédigés :
« L'histoire de la présence française en Algérie se déroule entre deux conflits : la conquête
coloniale de 1840 à 1847, et la guerre d'indépendance qui s'est terminée par les accords d'Évian
en 1962. Pendant cette période, la République a cependant apporté sur la terre d'Algérie son
savoir-faire scientifique, technique et administratif, sa culture et sa langue, et beaucoup
d'hommes et de femmes, souvent de condition modeste, […] ont fondé des familles sur ce qui
était alors un département français. C'est en grande partie grâce à leur courage et leur goût
d'entreprendre que le pays s'est développé. C'est pourquoi […] il nous paraît souhaitable et juste
que la représentation nationale reconnaisse l'œuvre de la plupart de ces hommes et de ces
femmes. » Suivait l'article unique de cette proposition de loi : « L'œuvre positive de l'ensemble
de nos concitoyens qui ont vécu en Algérie pendant la période de la présence française est
publiquement reconnue1. »
Pour des raisons d'opportunité politique, sans doute, et parce que son seul et trop visible objet
était de réhabiliter le passé colonial de la France, ce texte ne fut pas voté. Il n'est cependant pas
resté sans effet et ceux qui furent à son initiative ont été entendus puisque l'esprit de ce dernier,
et sa lettre parfois, sont désormais au cœur des dispositions adoptées par l'Assemblée nationale le
23 février 2005 sans que les députés de l'opposition ne s'en émeuvent particulièrement. S'ils se
sont prononcés contre le projet, la lecture des débats révèle ceci de surprenant, pour le moins,
que leurs désaccords n'ont pas tellement porté sur les passages les plus contestables de cette loi,
mais sur les modalités concrètes des réparations et des indemnisations décidées en faveur des
harkis et des rapatriés. Surenchérissant sur le volet financier, les parlementaires de gauche qui
ont pris la parole n'ont cessé de critiquer des mesures insuffisantes à leurs yeux, ce pourquoi ils
ont décidé d'« émettre un vote défavorable2 ».
Relativement à l'« œuvre » réputée « positive » de la France en Afrique du Nord et dans les
autres territoires de l'Empire, à la nécessité d'inscrire cette version officielle de l'histoire dans les
manuels scolaires et les programmes universitaires, on s'attendait à de vives critiques destinées à
combattre avec fermeté cette scandaleuse prétention à imposer, à tous les niveaux de l'Éducation
nationale, une interprétation ouvertement partisane de ce passé contraire aux libertés les plus
élémentaires, celles de l'enseignement et de la recherche ; or on découvre peu ou pas de
contestation véritable sur le fond. Stupéfiante compromission que motivent sans doute
d'inavouables préoccupations électoralistes et la volonté de ne rien faire et de ne rien dire qui
puisse froisser les harkis et les rapatriés d'Algérie dont tous les élus, de droite comme de gauche,
se disputent les suffrages.
Plus singulier encore, le député François Liberti, au nom du groupe communiste et
républicain, a déposé un amendement pour que les manifestants, réunis à l'appel du
commandement de l'OAS le 26 mars 1962 afin de protester contre la très récente conclusion des
accords d'Évian, puis tombés sous les balles de l'armée française rue d'Isly à Alger, soient
reconnus comme « morts pour la France ». Des héros donc, auxquels la nation toute entière
devrait rendre hommage en réhabilitant leurs engagements passés en faveur de l'Algérie
française. Cet amendement, également défendu par Kléber Mesquida pour le groupe socialiste3 ,
fut aussi soutenu par le parlementaire Rudy Salles, le très actif porte-parole de l'UDF en cette
occasion, qui les remercia publiquement pour cette initiative. Au terme des débats, son collègue
de la majorité, Michel Diefenbacher, saluait la « tonalité », la sérénité et la dignité des
discussions, toutes témoignant d'un incontestable progrès selon lui. Ce certificat de bonne
conduite délivré à l'opposition en dit long sur la teneur des interventions de ses représentants4.
« Dis-moi qui te félicite, je te dirai quelle politique tu mènes… »
Du révisionnisme officiel
De la déclaration présidentielle de 1996 — elle prouve que l'exemple vient de loin et de haut
— au vote de la loi sur les harkis et les rapatriés d'Algérie en février 2005, un même projet
politique, cohérent et obstinément défendu par l'actuelle majorité, s'affirme : réhabiliter le passé
colonial de la France et imposer, dans le même mouvement, une version officielle et
mythologique de l'histoire de la conquête impériale et de la colonisation. En témoigne aussi le
« Mémorial d'Outre-Mer », en partie financé par l'État, qui doit être édifié à Marseille en 2006.
Sa fonction : présenter « de manière permanente la réalité de la présence et de l'action des
Français hors de métropole », comme l'a déclaré à l'Assemblée nationale Hamlaoui Mékachéra,
ministre délégué aux Anciens Combattants5. C'est ainsi que la manipulation historique conduit à
la manipulation mémorielle, l'une soutenant l'autre. Quant aux responsables de cette initiative, ils
prennent le risque grave de nourrir le ressentiment et l'indignation des victimes de la colonisation
et de leurs descendants, dont le passé d'exploitation et d'oppression est absolument nié. Aux torts
innombrables hier subis par les « indigènes », la majorité ajoute aujourd'hui l'outrage et la
violence symbolique résultant de cette dénégation même.
De plus, au regard des principes qui doivent, théoriquement, régir une société démocratique où
l'État ne saurait être le garant d'une interprétation particulière du passé, il s'agit de soumettre
l'enseignement, à tous les niveaux, et les enseignants par conséquent, à cette lecture officielle.
Nombreux furent en effet les orateurs qui ont insisté sur la nécessité d'inscrire cette dernière
« dans les programmes scolaires », afin que la « communauté nationale tout entière rende » à
l'« aventure » coloniale sa « dimension historique ». À la différence de l'opposition, dont la
pusillanimité et les compromissions sont, sur ces questions, confondantes, les promoteurs de
cette offensive révisionniste et autoritaire — elle nous ramène aux pratiques de la IIIe République,
lorsque celle-ci exigeait des instituteurs qu'ils vantent inlassablement les mérites de la
colonisation — savent qu'ils ont remporté une bataille politique importante : « Jamais le
législateur n'avait pris position aussi clairement sur le sens à donner à l'histoire de la colonisation
française, sur le rôle positif joué par la France outre-mer, sur la volonté de la nation de regarder
ces pages d'histoire sans se cacher la vérité. Jamais tel engagement solennel n'avait été pris de
transmettre la connaissance exacte de ces événements » ; et l'auteur de ces propos, le député
Michel Diefenbacher, d'ajouter sur le mode du constat : « Chacun s'accorde aujourd'hui à
reconnaître que la présence française outre-mer a été […] une étape majeure dans la
modernisation sociale, économique et intellectuelle de ces pays6. »
Le bon temps des colonies ?
Le monde académique, comme il est dit parfois, est également travaillé par des auteurs qui
brossent depuis longtemps déjà un tableau plutôt favorable de la colonisation. « Quel que soit le
jugement que l'on porte sur l'ère coloniale, écrit Alain-Gérard Slama, l'histoire de l'implantation
d'un million de Français de l'autre côté de la Méditerranée fut une de nos grandes épopées7 », où
se seraient donc écrites des pages particulièrement brillantes de l'histoire de France. Bel exemple
de résistances toujours vivaces qui voient la connaissance de la dernière guerre d'Algérie se
conjoindre, encore et toujours, à la défense obstinée d'une mythologie nationale qui fait de cette
colonisation en particulier un événement remarquable.
En d'autres termes, si l'on comprend bien, l'issue fut certes tragique, mais les origines et le
dessein furent radieux. Mieux, la réalisation de ce projet, consistant à faire de l'ancienne Régence
d'Alger une colonie de peuplement destinée à accueillir des métropolitains attirés par
l'« aventure » coloniale, ou injustement rattachés à l'Allemagne pour ce qui est des Alsaciens et
des Lorrains après 1871, doit être mise au crédit de la France. À l'heure du bilan, au moment où
l'histoire-science, dit-on, se serait enfin substituée aux récits idéologiques et passionnés qui
auraient longtemps interdit d'aborder avec lucidité cette période, il conviendrait de ne pas oublier
que la fin dramatique du conflit algérien ne saurait occulter des moments plus glorieux. Ainsi, la
connaissance des crimes commis par les militaires français au cours de ces années ne doit en
aucun cas jeter le discrédit sur une entreprise qui était, en son principe, bonne et légitime. On
cède donc sur le terme de la présence française en Algérie pour mieux défendre et réhabiliter ce
qui le précède.
Enfin, la prise en compte des effets positifs de l'expansion de la France dans le monde en
général, et outre-Méditerranée en particulier, ne devrait pas conduire à verser dans
l'autoflagellation propre aux esprits chagrins, partisans et partiaux, car la conquête d'un vaste
Empire a, comme chacun devrait le savoir, « revivifié les vieilles civilisations agonisantes et jeté
les fondements d'une œuvre de développement technique et de promotion humaine qui ne se
serait pas produite sans elle ». Ainsi s'exprimait en 1972 l'historien Raoul Girardet, qui livrait, en
quelques mots clairs et précis, le fond de sa pensée et le sens de son ouvrage consacré à l'idée
coloniale en France, non sans avoir déclaré au préalable que l'« œuvre » coloniale de ce pays
« présente des aspects multiples et souvent contradictoires », qui « peuvent être considérés
comme une atteinte au respect et à la dignité de l'Autre8 ». Classique construction rhétorique
conforme aux exigences implicites de ce qui passe pour être l'expression d'une neutralité
académique et politique indispensable au sérieux de l'énoncé. Sérieux de l'énoncé qui exige, ici,
de pondérer les outrages infligés et les bienfaits dispensés, car qui ne sait faire la part des choses
ne mérite pas d'être entendu.
Ainsi se présentent, apparemment du moins, les propos de Girardet sur lesquels il faut
s'arrêter. En effet, les termes et les formules employés condensent de multiples représentations et
procédés. La locution « peuvent être » signifie que rien n'est véritablement établi et qu'il convient
donc de faire preuve de prudence. De là cette formule hypothétique. Elle laisse entendre que ce
qui est avancé ici est grevé par des incertitudes telles qu'elles interdisent de se prononcer
véritablement, et cette attitude, loin de porter atteinte au crédit de l'historien, le renforce au
contraire puisqu'elle est tenue pour une preuve supplémentaire de rigueur. Ce premier temps du
raisonnement permet de mieux faire passer le second où, on l'aura remarqué, les mots et le temps
utilisés font entendre un discours affirmatif cette fois, qui en impose d'autant plus que celui qui le
tient vient de faire montre de « retenue ».
C'est ainsi que le plus subjectif — le plus idéologique aussi — passe alors pour le plus
objectif. Et qu'une affirmation péremptoire qu'aucune démonstration ne vient étayer se mue en un
tranquille constat, qui oblitère les multiples préjugés dont il est en fait l'expression — civilisation
vivante et dynamique contre « vieille civilisation agonisante », « développement technique »,
richesse matérielle et progrès contre misère et stagnation, sans oublier l'ineffable « promotion
humaine » qui en a bien sûr résulté et dont les bienfaits sont réputés avoir profité à l'ensemble
des colonisés. Ou comment l'accumulation de stéréotypes et d'arguments éculés se transforme en
une parole autorisée qui s'autorise d'une école renommée — l'Institut d'études politiques de Paris,
où l'auteur a enseigné -, d'une institution réputée prestigieuse — l'Académie des sciences
d'Outre-Mer, dont il fut membre — et d'un ouvrage enfin dont Girardet a pris soin de préciser,
pour mieux en souligner la prétendue nouveauté, qu'il est situé « très au-delà des polémiques et
des affrontements qui, durant un siècle, n'ont cessé d'entourer le sujet9 ».
Par cette posture de la rupture et de la hauteur épistémologiques, l'historien, qui se crédite lui-
même d'une neutralité inconnue jusque-là en affirmant qu'il a posé le « premier jalon » d'une
« historiographie » nouvelle, inaugurerait une ère marquée enfin par le triomphe de l'histoire-
science sur des récits partisans, d'où qu'ils viennent. Que pèsent les « dures réalités de la
conquête », selon la formule délicatement euphémisée employée par l'auteur, qui use d'une
terminologie ancienne prisée de tous ceux qui, avant lui, n'entendaient pas s'attarder sur les
conséquences dramatiques pour les populations locales des guerres successives conduites en
Algérie notamment ? Peu de choses et le lecteur qui arpente l'histoire coloniale, l'œil serein et
l'esprit éclairé par de bons livres, découvrira que le pays des droits de l'homme et de la
Révolution n'a pas démérité : fidèle à sa mission, il a su promouvoir le progrès et la dignité
humaine en ces contrées lointaines et tenues pour arriérées.
Extraordinaire capacité de certains écrits à recycler sans fin, par son intégration à la geste
réputée grandiose d'une France forte, conquérante et généreuse, un passé fait de crimes de
guerres, de spoliations, de massacres et de déportations. Non moins singulière puissance de cette
histoire édifiante qui, quelles que soient les connaissances nouvelles dont nous disposons sur la
construction de l'Empire, continue imperturbablement à louer les bienfaits des colonies et à
entretenir, avec une nostalgie parfois non dissimulée, le culte viril de l'« aventure » coloniale :
« Pour tous, […] elle a signifié une plus grande intensité de vie, des horizons plus larges et plus
amples, une plus libre affirmation de la personnalité. […] Dans une société assez étroitement
repliée sur elle-même, difficilement ouverte sur l'extérieur, elle a maintenu la vision d'un certain
dépassement, la persistance d'un certain rêve d'aventure et d'audace10… » Ressassement et
monotonie du discours colonial…
11
La colonisation française : une histoire
inaudible
Entretien avec Marc Ferro*
Cette histoire coloniale serait donc « inaudible », cinquante ans après la défaite de
Diên Biên Phu et le début de la guerre d'Algérie ?
Tous les peuples dont l'action a touché à la légitimité de leur comportement — au regard de
normes morales, éthiques, culturelles — ont des difficultés avec l'écriture de leur histoire. Les
Allemands ont mis vingt ans à produire des livres sérieux sur le nazisme. C'est maintenant que
les Polonais se rendent compte qu'ils ont été aussi antisémites que les Allemands durant la
Seconde Guerre mondiale. Les Russes entretiennent également un rapport difficile à leur
histoire : en 1994, il y a eu quasiment une émeute à la sortie du film de Nikita Mikhalkov, Soleil
trompeur, parce qu'il montrait que les Russes avaient été complices des crimes du stalinisme. Les
sociétés n'aiment pas se flageller…
En France, ce refoulement de l'histoire est comparable en ce qui concerne la colonisation. On
peut le comprendre en rappelant à quel point les enjeux des décolonisations étaient d'abord
intérieurs. Par exemple, dans le cas de la crise algérienne, dans les années 1950, les
anticolonialistes ont protesté contre la torture, contre le comportement de l'armée et du personnel
politique, contre la mobilisation des appelés amenés à combattre un peuple luttant pour sa liberté,
contre notre système institutionnel. Mais bien peu se sont demandé, à ce moment-là : « Que
veulent les Algériens ? » Les mouvements de contestation, en métropole, ne prenaient que
rarement en compte les points de vue et revendications des autochtones.
Les Français, c'est un fait, connaissaient fort mal les partis politiques algériens. Il n'y a pas eu
d'intériorisation des problèmes des colonisés. De plus, les mouvements anticoloniaux en
métropole n'ont pas voulu voir les crimes commis par les victimes. On considérait en effet alors
les Algériens comme des « victimes » et — en quelque sorte — le terrorisme et les crimes du
mouvement de libération étaient légitimés par le fait qu'ils étaient perpétrés par ces victimes. Les
opposants ont beaucoup plus insisté sur la répression française en Algérie, sur la répression du
terrorisme que sur le terrorisme lui-même. Ces questions resurgissent aujourd'hui, alors
qu'auparavant elles étaient taboues. Or le terrorisme s'attaquait à des institutions, mais aussi tuait
des personnes innocentes, au hasard, ou renvoyait à l'application d'une politique assumée de
terreur du mouvement de libération algérien contre les populations civiles, elles-mêmes
algériennes. Et il est clair que nous n'avons pas voulu voir cela.
Par ailleurs, il est faux de faire de l'armée française la seule responsable de la violence durant
le conflit : le système colonial, comme une bonne partie des Européens d'Algérie en amont, ont
été autant responsables du déchaînement de la violence. Tous ces aveuglements ont contribué à
la forme qu'a prise l'écriture de l'histoire de cette période, mais aussi aux spécificités de la
mémoire collective.
L'histoire coloniale, comme l'histoire des crimes coloniaux, ne constituerait donc pas
un tabou en France, comme on le pense généralement. Ce qui semble poser problème, ce
serait plutôt l'absence de socialisation de cette mémoire, en particulier à l'école ?
La place de l'histoire coloniale dans l'enseignement est conçue de façon aberrante, parce
qu'elle décompose toujours l'histoire coloniale en deux périodes : « Conquête et colonisation » et,
ensuite, « Mouvements d'indépendance ». On ne cherche pas à montrer les continuités. Par
ailleurs, on veut « déraciner » l'idée que la colonisation ait pu être critiquée dès l'origine.
C'est en prenant à nouveau l'exemple de l'Algérie que l'on peut comprendre cette situation. Les
révoltes autochtones contre la colonisation y furent une donnée permanente. Or, en « découpant
l'histoire en rondelles », selon l'expression de Braudel, on empêche de comprendre la
colonisation dans sa totalité. Aujourd'hui, on voit la colonisation à travers le seul prisme de la
« torture en Algérie ». On occulte les autres faits traumatiques : rien sur les massacres de
Madagascar ou sur les tueries coloniales en Afrique noire. C'est, de plus, une perspective
simpliste qui ne rend pas compte de la complexité de la colonisation. La vision est donc tronquée
et fausse.
On peut faire le parallèle avec les manuels scolaires japonais, où pratiquement tout est faux,
car ces ouvrages reposent sur un système de légitimation de la tradition impériale. Encore
aujourd'hui, il est très difficile au Japon de réviser cette histoire, car toutes les élites ont baigné
dans ces visions apologétiques. C'est un peu la même chose en France en ce qui concerne la
colonisation, ce qui rend difficile l'approche de l'histoire coloniale dans sa complexité, même si
l'anticolonialisme constitue l'une des familles de pensée les plus anciennes dans ce pays.
Tous ces faits [les exactions coloniales] étaient connus, publics. Mais, s'il était
avéré que les dénoncer avait pour but de mettre en cause l'« œuvre de la France »,
leur existence était niée : le gouvernement peut avoir tort, mais mon pays à
toujours raison… Intériorisée, cette conviction demeure ; elle se nourrit autant de
l'autocensure des citoyens que de la censure des autorités, encore aujourd'hui : par
exemple, aucun des films ou émissions de télévision qui « dénoncent » des abus
commis aux colonies ne figurent parmi les cent productions en tête du box-office
ou de l'indice d'écoute6.
Aujourd'hui, on parle beaucoup plus de l'histoire coloniale. Cela est devenu un sujet central.
Des événements considérables ont influencé cette réévaluation du passé, et particulièrement la
chute du communisme, qui a entraîné une réévaluation du rôle de l'État-nation et donc, par
ricochet, de ce qu'est une « politique impérialiste ». En effet, l'idéologie de l'État-nation, qui était
encore dominante dans les années 1950-1970, a laissé place depuis à l'idéologie des droits de
l'homme.
Or, il faut comprendre que, durant la période coloniale, on n'a pas étouffé les traits de la
colonisation qui paraissent aujourd'hui scandaleux. Il y a quelques décennies — en gros, depuis
la période coloniale jusqu'à la fin des années 1960 —, l'histoire coloniale était largement
enseignée dans les manuels scolaires. Et ils disaient, certes sous une forme euphémisée, la
vérité : les enfumades de la conquête de l'Algérie, les incendies de villages par Bugeaud. Mais
ces violences atroces ne posaient pas de problème, elles étaient légitimées par la fonction de la
colonisation, qui apparaissait comme émancipatrice. Le consensus colonial était alors quasiment
total : dans l'idéologie dominante de l'État-nation, l'acte colonial était pleinement légitime. Il faut
bien se remettre dans le contexte de cette idéologie : nous sommes aujourd'hui dans une autre
conjoncture, où l'idéologie des droits de l'homme a supplanté l'idéologie de l'État-nation, ce qui
donne un relief tout à fait nouveau à des crimes coloniaux qui étaient jusqu'alors parfaitement
tolérés et « tolérables » en fonction des « fins » de la colonisation.
On peut aussi, dans la même dynamique, souligner l'absence de l'histoire de l'immigration.
Elle permettrait pourtant de comprendre la profondeur historique de la xénophobie, attestée
depuis au moins le XVIe siècle, alors que l'intégration existe aussi depuis fort longtemps.
Aujourd'hui, devant le recul de l'État, les communautés se reforment, en fonction souvent des
racines : la province, la région, mais aussi, pour les immigrés, la nationalité ou l'origine. En
définitive, tout cela semble déconnecté des attendus de l'enseignement de l'histoire.
Le problème est-il uniquement celui du grand public, comme vous l'avez expliqué, ou
les blocages sont-ils aussi à l'œuvre ailleurs ?
Pour ce qui concerne les recherches universitaires, on peut prendre appui sur la réception du
Livre noir du colonialisme. Celui-ci a été plutôt bien reçu par le public, et plutôt mal par le
milieu scientifique. Les historiens de la colonisation se sont dit, en gros : « Qu'est-ce que Marc
Ferro vient faire sur ce territoire ? » Cela a provoqué des réticences et des réactions d'hostilité,
d'autant plus que j'ai comparé colonialisme et totalitarisme, et que j'ai présenté le colonialisme
comme une des formes cachées du totalitarisme, idée que ces historiens n'avaient pas eue. En
fait, ils sont trop spécialisés : ils se spécialisent sur un champ, un objet, un pays et ils n'en sortent
pas de toute leur vie. C'est en travaillant sur des thèmes et terrains différents que l'on progresse.
Par exemple, pour Le Livre noir du colonialisme, ce qui m'a alerté, c'est la comparaison entre
les structures de deux films : Le Juif Süss et La Charge de la brigade légère. Dans Le Juif Süss,
soit le Juif reste au ghetto et demeure méprisable, soit il s'intègre et alors il devient dangereux.
Dans le second film, c'est le même principe : soit l'Indien reste en dehors de la société coloniale
et il est méprisable, soit il s'assimile et il devient un danger. Je me suis dit : « Tiens, il y a des
ressemblances entre l'esprit nazi et l'esprit colonialiste. » C'est ce premier exemple qui m'a incité
à comparer nazisme et colonialisme. Cette perspective, qui sortait l'histoire coloniale de son
ghetto, a provoqué des jalousies.
Enfin, il est absurde de séparer les études coloniales des études postcoloniales : à la fois dans
les pays qui ont été colonisés et dans les anciennes puissances colonisatrices, il faut étudier les
sociétés contemporaines en tenant compte des héritages coloniaux, il n'y a aucun doute là-dessus.
En France, la tradition républicaine fait de notre pays celui qui incarne la révolution,
la liberté, l'égalité, la fraternité, les droits de l'homme, la civilisation dans le cadre de
l'expansion coloniale. La tradition a considéré que puisque la France incarnait la
République et ses vertus, le monde tournait les yeux vers elle, qui non seulement avait
une très grande histoire mais en plus avait révolutionné le monde. Les différents pays
d'Europe devaient ainsi regarder la France avec envie et le régime républicain
constituait pour les Français une sorte de modèle dont avaient nécessairement à
s'inspirer les autres peuples. Ceux qui n'étaient pas Français ne pouvaient que souhaiter
le devenir et c'est pour cela qu'aux colonisés, par exemple en Algérie, on distribuait la
nationalité française seulement au compte-gouttes, comme une récompense suprême.
Autrement dit, la tradition républicaine entretenait cette idée que, au fond, les colonisés
ne rêvaient que d'une chose : devenir Français à part entière. Sans doute était-ce le cas
pour un certain nombre, mais pas pour tous8.
II
Le miroir de la « francophonie »
Altruisme et modernisation
Avancés et attardés
Propreté et rédemption
Pouvoir et valeurs
L'invention de l'indigène
Le grand malentendu
17. L'ennemi intérieur : la construction médiatique de la figure de
l'« Arabe ». Thomas Deltombe et Mathieu Rigouste
Un espace de contre-regard…
Cosmologie coloniale
Tourner la page ?
L'échec de l'intégration ?
Les auteurs
12
La République et l'impensé de la « race »
Achille Mbembe
L'histoire des rapports entre la République et la langue française offre des similarités avec les
nationalismes panafricains. Ici, la langue a toujours été pensée en relation à une sorte de
géographie imaginaire qui faisait de notre pays le « centre du monde ». Au cœur de cette
géographie mythique, la langue française était supposée véhiculer, par nature et par essence, des
valeurs universelles (les Lumières, la raison et les droits de l'homme, une certaine sensibilité
esthétique). Telle était sa tâche, mais aussi son pouvoir : celui de représenter la pensée qui, se
mettant à distance d'elle-même, se réfléchit et se pense elle-même. Dans cet éclat lumineux,
devait se manifester une certaine démarche de l'esprit lui-même — celle qui, dans un mouvement
ininterrompu, devait conduire à l'apparition de l'« homme » et au triomphe de la ratio
européenne et universelle20. Cette mission et les valeurs qui la sous-tendaient, la République
devait en constituer l'éclatante manifestation. Les noces de la République et de la langue sont
telles que l'on pourrait dire : la langue n'a pas seulement créé la République (l'État), la langue
s'est elle-même créée au travers de la République. Dans un acte de transsubstantiation, la
République s'est déléguée elle-même dans un substitut, la langue française, qui la représente et la
prolonge. Du coup, parler ou écrire le français dans sa pureté, ce n'est pas seulement dire sa
nationalité. C'est pratiquer, de facto, une langue universelle. C'est percer l'énigme du monde,
discourir sur le genre humain tout court.
Pendant longtemps, cette langue a été l'enveloppe de cette idéologie dont elle a, à la fois,
manifesté et masqué les aspects les plus chauvinistes. Le triomphe de l'anglais comme langue
dominante du monde contemporain a dépouillé l'idéologie de son enveloppe et a conduit à l'idée
que la langue française, en fin de compte, pourrait n'être qu'un idiome national parmi plusieurs
autres. La France n'étant plus guère le « centre imaginaire du monde », sa langue ne serait
porteuse que de valeurs locales21 . Une autre conséquence de cette posture est le scepticisme —
aussi bien dans le monde postcolonial qu'en Occident —, sinon le doute radical, à l'égard de tout
idéal universaliste abstrait. Les luttes anticoloniales ont radicalisé ce soupçon sur le plan
pratique. Sur le plan théorique, la critique postcoloniale et la critique de la race (deux
phénomènes intellectuels que l'on continue de confondre à tort avec le tiers-mondisme) ont, bien
plus que le marxisme, accentué le défaut de crédibilité de cette idéologie. Or, la réflexion
française fonctionne comme si la critique postcoloniale de l'universalisme (pour ne parler que
d'elle) n'avait jamais eu lieu22 . Elle continue de se déployer dans l'ignorance quasi complète de
ce que la critique de la race a pu apporter aux débats sur la relation entre l'ordre de la différence
et l'ordre démocratique en général23. La France semble prisonnière d'un dilemme dont elle a du
mal à sortir.
En poussant parfois jusqu'à la caricature les normes d'un universalisme souvent abstrait, nous
avons oublié de nous interroger sur cette contradiction que signifie, d'un point de vue
philosophique, un universalisme porté par une culture et une langue particulières. La critique
postcoloniale et celle de la race auraient pourtant été, sur ce plan, d'un utile recours. Se pourrait-
il que, dans son abstraction, une telle posture universaliste ne représente, après tout, qu'une
illusion ? Quels ont pu être, historiquement, les effets de cette illusion sur ceux qui l'ont subie ?
En quoi une reconnaissance de tous les « lieux de mémoire » de la nation — y compris en ses
marges et en ses friches, les lieux coloniaux d'hier et ceux de l'immigration d'aujourd'hui —
représente-t-elle la condition sine qua non de sortie du provincialisme, notamment à l'âge de la
globalisation ?
Il est significatif à cet égard que, traitant d'exemples contemporains, le philosophe Vincent
Descombes parle de l'opposition entre républicanisme et différentialisme comme de l'une de ces
dichotomies dangereuses « qui nous rendent la vie impossible24 ». En réalité, il existe de ce point
de vue une nette continuité entre la tradition coloniale et la politique contemporaine, ainsi que
l'atteste par exemple la question de l'immigration et de l'insertion des immigrés dans la société25.
Comme à l'époque coloniale, le modèle de l'intégration dans la République est celui de
l'assimilation, c'est-à-dire, entre autres, l'adhésion de tous à une règle d'indifférenciation qui
entraîne le refus d'octroyer un « statut spécial » à des groupes sur la seule base de leur
appartenance à des communautés distinctes.
L'idée, ici, est que la revendication d'un droit à la différence — différence dont nous venons de
préciser qu'elle est précisément facilitée par la globalisation en cours et, devons-nous ajouter,
qu'elle s'accommode fort bien du cosmopolitisme — contredit le principe républicain d'égalité
universelle, et donc la définition même du citoyen. Or, au nom de la « diversité culturelle », la
France n'hésite pas à recourir à la thématique de la « différence » dans le but de sauvegarder ce
qu'elle appelle l'« exception culturelle » — dont l'un des piliers est la langue française. Dans le
contexte de la globalisation, ce paradoxe entre « universalisme » et « exception » tend à grossir
les aspects les plus galliques de la culture française et finit par lui octroyer, aux yeux du reste du
monde, les traits d'une culture somme toute provinciale.
L'ex-Empire français et la dissuasion nucléaire : ces deux réalités, l'une formellement déchue
de longue date, l'autre toujours actuelle (bien que désormais d'une efficacité politique
déclinante), sont au cœur de la politique étrangère de la France depuis près d'un demi-siècle.
Dans l'esprit des dirigeants de la Ve République, de gauche comme de droite, elles ont été les
deux pôles structurels de la « grandeur de la France ».
À partir du début des années 19601, la doctrine française de dissuasion, dite « du faible au
fort », a pris le relais de l'Empire colonial — officiellement disparu avec l'indépendance
algérienne de juillet 1962 et les indépendances africaines octroyées deux ans auparavant — pour
justifier, aux yeux du reste du monde et des dirigeants français eux-mêmes, le statut de « grande
puissance » de la France, symbolisé par son siège permanent au Conseil de sécurité des Nations
unies. Depuis lors, dans le discours international officiel des représentants de l'État français, la
capacité nucléaire (ou économique) a totalement effacé le souvenir de l'Empire.
L'historien Benjamin Stora a bien daté l'origine de cette occultation, qui s'est alors appuyée sur
de puissants outils symboliques comme les lois d'amnistie relatives à la guerre d'Algérie et,
surtout, sur le déplacement du centre de gravité de l'histoire officielle : « Dans l'apogée du temps
gaullien des années 1960, démarre un grand mouvement muséographique, fortement lié à une
politique de commémoration ambitieuse : celle des cinquantième et vingtième anniversaires de la
Première et de la Seconde Guerre mondiale. Quarante-trois musées militaires sont créés dans la
décennie 1960-1970. […] La Résistance dans la Seconde Guerre mondiale apparaît ainsi comme
l'un des moments fondateurs de la vie politique contemporaine française2. » La célébration d'une
histoire franco-française, revisitée au service de la réconciliation franco-allemande, va servir à
enfouir le souvenir tout frais des atroces « années algériennes » de la guerre d'indépendance
menée dans la plus ancienne colonie française. Et aussi — bien peu en sont conscients à l'époque
—, toute la mémoire de la colonisation, en Algérie et ailleurs.
Mais, pour sincère qu'il soit dans la geste gaullienne, ce déplacement-effacement mémoriel,
conjugué à l'affirmation « moderne » de la puissance nucléaire, sera bien insuffisant pour
dépasser l'empreinte d'un siècle et demi de colonialisme français triomphant, indissociable de
l'histoire de la République. Faute d'en reconnaître ses pages noires, la France officielle de la Ve
République va perpétuer son héritage, en « métropole » comme sur la scène internationale.
La colonisation au service de la « grandeur de la France »
Ce n'est que tardivement, au cours du XIXe siècle, que la République forgera progressivement
son discours de justification de l'entreprise coloniale par l'affirmation d'une « mission
civilisatrice »3 . Parmi maints discours, on peut en trouver une expression achevée dans ces
propos du ministre des Colonies Georges Leygues, qui déclarait en 1906 : « Coloniser, […] c'est
accroître le capital national et le capital universel en allumant sur tous les points du globe de
nouveaux foyers d'activité, d'espérance et de force ; c'est accomplir l'œuvre de solidarité la plus
haute, car la colonisation qui n'aurait pas pour but et pour résultat d'élever en dignité, en moralité
et en bien-être les peuples qu'elle pénètre, serait une œuvre grossière, brutale, indigne d'une
grande nation4. »
Mais en vérité (comme en atteste incidemment la pique visant le Royaume-Uni qui clôt cette
citation), le principal moteur de la colonisation est bien pour la France, dès la conquête de
l'Algérie en 1830, son souci de s'affirmer comme une grande puissance mondiale, ainsi que le
rappelle fort justement François Maspero : « Dans le débat qui oppose pendant les dix premières
années de la Conquête les partisans et les adversaires de la présence française en Algérie, le seul
argument de poids, celui qui emporte la décision, est l'argument de la politique internationale.
Thiers le claironne. Guizot s'y rallie. Tocqueville, qui fait partie de la commission d'enquête
parlementaire sur la question, en fait une question de principe : "Je ne crois pas que la France
puisse songer à abandonner l'Algérie. L'abandon qu'elle en ferait serait aux yeux du monde
l'annonce certaine de sa décadence." C'est avant tout l'ordre européen instauré par le traité de
Vienne qu'il s'agit de contrecarrer.
« Trente ans plus tard, la deuxième étape de la colonisation, qui voit la IIIe République souder
ses possessions éparses en un seul Empire, se fait à partir des mêmes motivations. De nouveau
intervient le besoin de faire pièce au nouvel ordre européen instauré par la défaite de 1870. Il faut
laver la honte de Sedan, pallier la perte, ressentie viscéralement, de l'Alsace-Lorraine. C'est la
conquête de l'Indochine, la pénétration de l'Afrique, l'entrée en Tunisie et au Maroc5. »
La justification par la « mission civilisatrice » deviendra alors d'autant plus nécessaire pour
occulter les atrocités qui sont au fondement de la constitution de l'Empire, à commencer par la
dimension génocidaire de la « première guerre d'Algérie »6 . Car, comme le relèvera Albert
Londres en 1929, évoquant les pratiques et l'idéologie raciales prévalant Outre-Mer, « on dirait
que la vie coloniale a pour première nécessité celle de se dérouler en cachette, en tout cas hors
des regards du pays protecteur7 ».
Cette même obsession de la « grandeur de la France », conjuguée à une volonté identique
d'occultation des moyens utilisés pour la perpétuer dans les colonies, on la retrouvera, exacerbée,
dans les dernières et terribles années de l'Empire français. Dans son fameux discours du 30
janvier 1944 ouvrant la « Conférence africaine française » de Brazzaville, le général De Gaulle
réaffirme sans détour, avec les mêmes accents que Georges Leygues quarante ans plus tôt,
l'objectif que « chacun de nos territoires [s'intègre] dans la communauté française avec leur
personnalité, leurs intérêts, leurs aspirations, leur avenir », « parce que, dans l'extrémité où une
défaite provisoire l'avait refoulée, c'est dans ses terres d'Outre-Mer, dont toutes les populations,
dans toutes les parties du monde, […] [que la France] a trouvé son recours et la base de départ
pour sa libération et qu'il y a désormais, de ce fait, entre la métropole et l'Empire, un lien
définitif ».
Pour formaliser ce « lien définitif », la IVe République intègre l'« Union française » dans sa
Constitution, adoptée le 27 octobre 1946. Et pour le préserver, elle investit fortement dans le
financement des infrastructures des colonies, principalement en Afrique noire. Surtout, son
armée n'hésitera pas à faire couler le sang de dizaines de milliers d'« indigènes » rétifs par des
« massacres coloniaux » qui seront alors, eux aussi, largement occultés : à Sétif et Guelma en
mai-juin 19458 , à Madagascar en 1947, à Haiphong en 1946, à Casablanca en 1947, en Côte-
d'Ivoire en 1949-19509. Il faudra l'humiliante défaite — après sept ans de guerre — des troupes
françaises face aux Viêt-namiens à Diên Biên Phu (mai 1954), puis l'engrenage de la
« pacification » en Algérie à partir de novembre 1954, pour que tombe la IVe République, en mai
1958 — après plus de quarante mois d'une « guerre sans nom ».
C'est ainsi que, dans les années 1960, De Gaulle constitue en « domaine réservé » de la
présidence de la République la gestion des ex-colonies africaines (les relations avec les anciens
mandats de Syrie et du Liban relèvent d'une approche similaire, mais avec leurs réseaux propres,
leurs alliances et contre-alliances, ainsi qu'une relation moins « néocoloniale », du fait de liens
coloniaux tissés sur une période plus courte). Jacques Foccart sera l'ordonnateur de l'ombre de
cette « politique africaine » aux multiples fonctions, dont la moindre n'est pas d'assurer la posture
de la France sur la scène internationale, dans le contexte de la Guerre froide : d'un côté, elle
garantit, face aux visées soviétiques, le maintien de cette région dans le « camp occidental » ; et,
de l'autre, elle dispose ainsi d'une clientèle d'obligés qui lui permet de peser à l'ONU et dans les
autres instances internationales.
Le pré carré africain — puisque la France a été remplacée par la puissance américaine dans le
Sud-Est asiatique — est aussi un utile champ de manœuvres pour l'armée française et, par le
contrôle du Gabon et du Congo-Brazzaville, une ressource importante pour l'approvisionnement
en pétrole de l'Hexagone. C'est aussi cette motivation qui poussera Paris à s'engager activement,
en 1967, dans la terrible guerre du Biafra, qui fera plus d'un million de morts. L'entreprise
pétrolière publique Elf-Erap et le SDECE (le service de contre-espionnage du pouvoir gaulliste)
sont alors au cœur du « système Foccart », un système complexe et opaque qui servira aussi bien
à nourrir le développement de grands groupes industriels et financiers français qu'à alimenter les
caisses électorales du parti gaulliste16.
Sous la présidence de Georges Pompidou (1969-1974), puis sous celle de Valéry Giscard
d'Estaing (1974-1981), ce système connaîtra une extension remarquable : il consacrera les
potentats africains mis en place par Paris comme acteurs occultes, mais à part entière, de la vie
politique française. Ceux-ci parviendront en effet, grâce aux « rétrocommissions » sur les grands
contrats d'investissement distribuées aux partis politiques de la métropole (de droite comme de
gauche), à « tenir » une part significative de la classe politique parisienne. De 1981 à 1995,
François Mitterrand s'accommodera parfaitement de ce « cœur pourri » de la Ve République :
ancien ministre de la IVe République à la veille des indépendances, il en connaissait de première
main les fondations et, pour lui, la « grandeur de la France » restait indissociable de son héritage
colonial. On n'en donnera ici, brièvement, que deux exemples.
Après la mort du colonel Houari Boumediene, en décembre 1978, l'Algérie, fer de lance des
pays non alignés depuis son indépendance, va revenir progressivement dans le giron français :
une poignée d'officiers supérieurs (dont plusieurs étaient d'anciens « déserteurs de l'armée
française ») va conquérir progressivement le pouvoir, en forgeant avec les responsables
politiques français (principalement du PS et du RPR) une étrange alliance, à la fois affairiste et
mafieuse, qui sera qualifiée de « Françalgérie »17. Grâce à la quasi-symbiose entre la DST
française et la Sécurité militaire algérienne (les services secrets de l'armée, au cœur du pouvoir
depuis l'indépendance), grâce également aux commissions prélevées sur les échanges
commerciaux entre les deux pays pour alimenter les caisses électorales des partis français, les
généraux algériens vont eux aussi devenir des acteurs occultes de la politique étrangère française,
mettant à la disposition de Paris leurs puissants réseaux dans le monde arabe et dans les
institutions internationales. D'où le soutien de la France à la « sale guerre » conduite à partir de
1992 par ces généraux « éradicateurs » contre leur peuple (qui fera près de 200 000 morts),
même quand ils en viendront à manipuler des groupes islamistes pour perpétrer à Paris, en 1995,
plusieurs attentats meurtriers.
Le second exemple, encore plus choquant, concerne le rôle de la France dans le génocide
rwandais de 1994, qui a fait près d'un million de victimes : on le sait aujourd'hui, dès 1990 des
unités de l'armée française étaient pleinement engagées dans le soutien au gouvernement de
Juvénal Habyarimana, qui a préparé froidement l'élimination des Tutsis18 . Les avertissements
des experts n'ont pas manqué, mais François Mitterrand et ses conseillers de la « cellule
africaine » de l'Élysée y sont restés sourds, y compris quand le génocide battait son plein,
convaincus qu'ils étaient de rejouer l'affrontement franco-anglais de… septembre 1898 à
Fachoda19. Ils jugeaient décisif de soutenir un régime en butte à la menace du FPR, un groupe
armé appuyé par l'Ouganda, donc, à leurs yeux, par les Anglo-Saxons…
Ces deux exemples extrêmes — bien d'autres, moins tragiques, pourraient être cités —
montrent à quel point la politique étrangère française est toujours aujourd'hui imprégnée des
représentations et des alliances forgées avec les « élites » locales tout au long de la période
coloniale. Les enjeux de la Guerre froide ont disparu, la Françafrique a dérivé vers la
« mafiafrique »20 , mais l'un des facteurs essentiels de la « puissance » de la France reste le
monopole qui lui est reconnu par les autres États de l'Union européenne et du G8 dans la
« gestion » de ses ex-colonies du Maghreb et de l'Afrique subsaharienne21.
Le rôle inévitable de la raison d'État dans la politique étrangère n'est évidemment pas une
spécificité de la France. Mais elle y prend des formes singulières, qui renvoient directement à la
brutalité de la colonisation et de ses suites. Ainsi, la propension française à entretenir, en dehors
de l'espace démocratique européen, des liens privilégiés avec les « régimes forts » et les
dictatures apparaît-elle comme un prolongement direct du vieux paternalisme françafricain —
qui a vu, depuis plus de trois décennies, les dirigeants français multiplier les protestations
d'amitié pour les dictateurs du « domaine réservé »22.
Et, plus largement, c'est cette tradition d'un domaine réservé de la présidence, forgée dans les
décennies postcoloniales et intimement liée aux réminiscences monarchiques de la Ve
République, qui explique la faiblesse structurelle du Quai d'Orsay. Ainsi, le ministère des
Affaires étrangères — de même d'ailleurs que la DGSE au ministère de la Défense — ne manque
pas d'expertises avisées sur la plupart des « théâtres » étrangers où les intérêts français peuvent
être en cause (comme celles des spécialistes du Centre d'analyses et de prévision, créé en 1973 et
défini par le ministère lui-même comme un « think tank interne »). Mais presque à chaque fois
que la France doit s'engager sur un dossier de politique internationale important, ces expertises
sont royalement ignorées et c'est l'Élysée qui impose sa décision, moins fondée en général sur
une véritable vision des intérêts de la nation que sur la prise en compte d'intérêts contingents,
voire personnels23, liés à de puissants réseaux parallèles. Un héritage direct, et bien vivant, de
l'époque où le « lobby colonial » était au cœur de la politique étrangère de la France.
Dans le « monde américain » de l'après-11 septembre, où, face aux menaces terroristes, la
détention de l'arme nucléaire n'est plus un facteur majeur de la puissance géopolitique, on peut
donc craindre que les vieux démons coloniaux de la diplomatie française, combinés aux intérêts
économiques, restent ses seules boussoles — ou le dernier mythe d'une puissance nostalgique qui
renvoie à la « Plus grande France ». C'est pourquoi il importe que les citoyens français,
traditionnellement tenus à l'écart de la politique étrangère conduite en leur nom, obtiennent que
soient enfin reconnues, par un travail historique sans concession et dans un cadre européen à
repenser24, les « pages noires » d'une histoire coloniale qui continue à miner les valeurs
essentielles de notre République.
14
Indigènes et indigents : de la « mission
civilisatrice » coloniale à l'action humanitaire
Rony Brauman
« Apporter la science aux peuples qui l'ignorent, leur donner routes, canaux, chemins de
fer, autos, télégraphe, téléphone, organiser chez eux des services d'hygiène, leur faire connaître
enfin les droits de l'homme, c'est une tâche de fraternité […]. Le pays qui a proclamé les droits
de l'homme, qui a contribué brillamment à l'avancement des sciences, qui a fait l'enseignement
laïque, le pays qui, devant les nations, est le grand champion de la liberté, a […] la mission de
répandre, partout où il le peut, les idées qui ont fait sa propre grandeur […]. Il faut nous
considérer comme investis du mandat d'instruire, d'élever, d'émanciper, d'enrichir et de secourir
les peuples qui ont besoin de notre collaboration1. »
Ces mots, écrits en 1931 par le radical Albert Bayet lors du congrès de la Ligue des droits de
l'homme consacré à la colonisation, devraient être examinés avec attention par les acteurs
contemporains de l'aide internationale. Si la formulation est désuète, ils seraient en effet bien en
peine d'en désavouer le contenu, tant ce programme de modernisation sociale et politique reste
actuel. D'ailleurs, en France, le même congrès de la Ligue des droits de l'homme condamnait la
« conception impérialiste de la colonisation », ne justifiant celle-ci qu'à la condition qu'elle se
donne les buts « humanitaires » résumés par Albert Bayet.
Altruisme et modernisation
Pour ce courant humaniste de la colonisation, celle-ci, telle une « charge d'aînesse », était
source de bienfaisance et d'élévation des mœurs, une obligation de conscience qui se déduisait de
l'évidente supériorité de la société colonisatrice sur les peuplades concernées. Trois siècles
auparavant, à l'époque de la conquête de l'Amérique, ce n'est pas au nom de la modernisation,
mais de la christianisation, que le pouvoir conquérant s'exprimait, mais il ne manquait pas
« d'insister sur les bienfaits apportés par les Espagnols aux contrées sauvages, et on trouve
fréquemment ces énumérations : les Espagnols ont supprimé des pratiques barbares telles que les
sacrifices humains, le cannibalisme, la polygamie, l'homosexualité, et ils ont apporté le
christianisme, le costume européen, des animaux domestiques, des outils2 ». Bartolomé de Las
Casas, prêtre dominicain défenseur des indiens qui a décrit dans le détail le désastre de la
conquête, condamnait l'esclavage et les traitements cruels tout en défendant la colonisation,
laquelle devait être l'œuvre non des soldats mais des religieux.
Qu'il n'y ait pas de contradiction, dans les esprits de ce temps, entre aspirations humanitaires et
projet colonial, cela se voit également dans l'invention de l'action humanitaire moderne avec la
fondation de la Croix-Rouge. L'époque de l'impérialisme colonial s'est en effet ouverte en France
à la fin des années 1850, au moment où allait être adoptée la première convention de Genève
(1864), dont la France de Napoléon III fut la première signataire et le soutien le plus ferme (il
s'en fallut de peu que la convention ne soit signée à Paris). Le « droit de conquête » n'y était pas
mis en question, pas plus d'ailleurs que le droit de faire la guerre, puisqu'il s'agissait de fixer des
limites à celle-ci, non de la supprimer.
Gustave Moynier, le premier président de la Croix-Rouge, considérait cette institution comme
« inspirée par la morale évangélique » et, comme la plupart de ses contemporains, voyait dans les
peuples colonisés le contretype des nations civilisées : « La compassion, écrivait-il, est inconnue
de telles tribus sauvages, qui pratiquent le cannibalisme […]. Leur langue même, dit-on, n'a pas
de mots pour en rendre la pensée, tant celle-ci leur est étrangère. […] Les peuples sauvages […]
font [la guerre] à outrance et cèdent sans arrière-pensées à leurs instincts brutaux, tandis que les
nations civilisées, cherchant à l'humaniser, confessent par là même que tout ce qui s'y passe n'est
pas licite3 . » Et dans L'Afrique explorée et civilisée, la revue mensuelle qu'il publiait, il ajoutait :
« La race blanche doit dédommager la race noire […] et la faire bénéficier des moyens dont
dispose la civilisation moderne pour améliorer son sort de manière conforme aux vœux de la
providence4. »
Aucune ONG de solidarité ou de défense des droits de l'homme ne signerait aujourd'hui de
telles déclarations. Le paternalisme raciste et vertueux qui les dicte appartient à un temps révolu
et c'est au contraire parmi les contempteurs du colonialisme que se recrutent majoritairement les
membres des organisations d'entraide internationale. Mais à voir les pratiques de ceux qui se
perçoivent comme des agents de développement, l'esprit de la « mission civilisatrice » a survécu
à la disparition de l'impérialisme colonial. On reprendra de Jean-Pierre Olivier de Sardan les
deux catégories étroitement mêlées formant le socle de légitimation d'une grande partie de l'aide
internationale, qu'il a décrites comme le « paradigme altruiste » et le « paradigme
modernisateur »5. Toujours à l'œuvre, quoique dans des proportions variables selon les uns et les
autres et en fonction des données locales du marché de l'aide, ils organisent les discours et les
pratiques de nombre d'acteurs, qu'ils appartiennent à la Banque mondiale, aux Nations unies ou
aux ONG.
Précisons à ce stade qu'il ne s'agit nullement de faire comparaître ces acteurs (parmi lesquels
se compte l'auteur de ces lignes) devant un improbable tribunal de l'Histoire, mais d'examiner les
discours et pratiques de l'aide internationale sous l'angle de leur proximité avec les
représentations coloniales.
Avancés et attardés
Ainsi, par son intitulé même, l'aide au développement réinstitue-t-elle, sous les auspices de la
solidarité, les catégories hiérarchiques héritées de ce passé. Comment pourrait-il en être
autrement, dès lors qu'est entérinée — serait-ce pour les plus louables raisons — une opposition
du type « développé/sous-développé », déclinable par ailleurs dans de multiples variantes plus ou
moins euphémisées ? Les critères économiques qui définissent les « PMA » (pays les moins
avancés, dans le jargon onusien), comme les critères anthropologiques qui donnent à voir des
« peuples attardés », appartiennent les uns et les autres au vocabulaire du dominant. On y
retrouve l'opposition archétypale entre société « traditionnelle » et société « moderne »
recouvrant les dichotomies communauté/individu, routine/innovation, solidarité/concurrence,
relations clientélistes/relations bureaucratiques chères à la pensée coloniale6.
Des milliers de programmes d'aide, notamment en matière de techniques agricoles et de
campagnes sanitaires, se fondent depuis des décennies sur la participation et la mobilisation
d'introuvables « communautés » villageoises. Au Cambodge par exemple, pays de cocagne des
ONG depuis la fin de la Guerre froide, aucun projet ne trouve de financement auprès des
bailleurs de fonds si le syntagme « participation communautaire » n'y figure pas en bonne place
et en quantité. Cet imaginaire exotique d'une société homogène, régie par la mise en commun et
le partage, ne suscite chez les personnes concernées au mieux qu'indifférence polie, au pire un
franc rejet, comme le rapporte une étude sur l'aide réalisée dans ce pays : « Que comprennent ces
villageois quand des personnes extérieures arrivent et commencent à parler de développement
communautaire ? Probablement ces étrangers commencent par expliquer […] : "Nous voulons
que vous coopériez. Nous voulons que vous travailliez ensemble." À ces seuls mots, les gens
sont écœurés et ouvrent de grands yeux : "Voulez-vous revenir à quelque chose qui ressemblerait
à l'époque de Pol Pot ?"7 »
Chimère omniprésente, aussi bien dans les recommandations des experts de l'ONU que dans le
discours des volontaires des ONG, le schéma « communauté » a une relation de parenté avec les
représentations coloniales. Marqueur de l'opposition entre « eux » et « nous », entre les attardés
et les avancés, il institue en effet des groupes indigènes de pauvres, définis par des carences et
des risques spécifiques coïncidant précisément avec les objectifs des programmes d'aide.
Construite par et pour ceux-ci, la « communauté » parle par définition le langage des « besoins »,
ces manques qui la mettent en danger et que les représentants des organismes d'aide vont
combler, la sauvant de ses propres faiblesses.
Les programmes dits de santé fournissent un champ d'application privilégié à cette
envahissante sollicitude. Les organismes spécialisés de l'ONU, en particulier l'Unicef et l'OMS,
et derrière eux nombre d'ONG se sont donné pour objectif de répandre la croyance profondément
ancrée dans le monde occidental selon laquelle la plupart des pathologies rencontrées dans le
tiers monde sont la conséquence d'un manque de propreté. Ainsi l'épidémiologie anglo-saxonne,
aujourd'hui largement dominante, distingue les water-based diseases (maladies dues à l'eau) et
les water-washed diseases (maladies soignées par l'eau). L'eau qui lave et purifie, l'eau qui
souille et contamine, voilà ce qui forme l'essentiel de leur credo, plus proche d'un catéchisme de
la modernité que d'une vérité vérifiable. Il suffit, pour se convaincre de la dimension
essentiellement liturgique de cette annonce, de se rappeler les prévisions d'épidémies
foudroyantes formulées par des experts lors de chaque catastrophe naturelle, alors même qu'il
n'en existe aucun exemple8.
Propreté et rédemption
Pouvoir et valeurs
L'aide et la coopération internationales ne sont certes pas captives de cette division entre
pasteurs et brebis et leur rôle ne se borne pas à la dissémination d'une bonne parole. Au-delà de
leurs opérations de secours, les ONG et l'ONU contribuent à produire de nouvelles régulations
dans l'espace politique mondial et jouent désormais un rôle dans le débat public. Elles expriment
ainsi un mouvement de fond que l'on peut comprendre comme un enrichissement de la
démocratie dans un sens participatif, alors que ses formes traditionnelles électives semblent
s'essouffler — au moins dans les pays où elle est anciennement installée.
Cette nouvelle légitimité, et la popularité qui la soutient, ne sont cependant pas sans
conséquences. Elles furent à de nombreuses reprises, par exemple, utilisées par l'administration
américaine pour présenter sous un jour plus favorable ses offensives consécutives aux attentats
du 11 septembre : « J'entends réellement m'assurer, disait Colin Powell en octobre 2001, que
nous avons les meilleures relations avec les ONG, qui sont un tel multiplicateur de forces pour
nous, une part si importante de notre équipe de combat. […] Car [nous] sommes tous engagés
vers le même but singulier, aider l'humanité, aider chaque homme et chaque femme dans le
monde qui est dans le besoin, qui a faim, […] donner à tous la possibilité de rêver à un avenir qui
sera plus radieux12. »
Pour opportuniste qu'elle soit, cette profession de foi est sans doute sincère, les ONG n'étant ni
les propriétaires ni les dépositaires exclusives des valeurs qu'elles promeuvent. Mais c'est
précisément là que réside le problème. On ne compte plus les coalitions travaillant à la mise en
œuvre ou au renforcement de droits conçus comme autant de valeurs : droit à la santé, à
l'éducation, au développement, droits de l'enfant, droit des femmes. Selon les termes de Hugo
Slim, directeur d'études à l'Institute for Humanitarian Dialogue, ces valeurs traduisent ainsi « leur
vision d'une société moralement juste » et elles doivent logiquement conduire au soutien de la
coalition militaire qui les incarne13. On ne saurait mieux dire. Entre l'intrusion dans des foyers
familiaux au nom de la santé et l'ingérence armée au nom des valeurs supérieures de l'humanité,
il y a certes une différence majeure, mais on peut y reconnaître aussi une unité de principe : l'une
et l'autre se rejoignent en une position d'avant-garde œuvrant à l'émancipation d'autres peuples
prisonniers de traditions ou de systèmes politiques archaïques, comme l'atteste le soutien apporté
à l'invasion de l'Irak par les tenants français d'un « droit d'ingérence humanitaire ».
Depuis le déclenchement de la « guerre globale contre la terreur », la division entre les
« civilisés » et les autres connaît un regain de vigueur. Cette division est d'abord une description,
imposée par un gouvernement et qui ne devrait donc valoir que pour lui. Mais il se trouve que
c'est celle du pouvoir dominant, qui a fait de la rhétorique des valeurs son discours de croisade,
et c'est pourquoi il est impossible de l'ignorer. Nous sommes, avec les peuples qui furent inclus
dans les Empires coloniaux, les héritiers d'une histoire dans laquelle le discours de la « mission
civilisatrice » a joué un rôle essentiel. Pour des raisons tout autant politiques et pratiques que
morales, nous devrions travailler à nous en affranchir.
15
La France, entre deux immigrations
Pascal Blanchard
Dans les années 1920-1930, Albert Sarraut, pilier du parti colonial, avait lancé le slogan
fédérateur de ces années d'entre-deux-guerres : « Le communisme, voilà l'ennemi. » Le credo
avait tenu deux décennies, bloquant toutes réformes outre-mer, faisant de chaque « nationaliste
indigène » un kominternien potentiel et voyant derrière chaque revendication aux colonies la
« main de Moscou ». Il ne pouvait en être autrement : la France était « généreuse », elle savait se
faire « aimer » et la République libérait les peuples placés sous sa tutelle, elle ne les opprimait
pas… Ces années d'entre-deux-guerres sont aussi celles où va se jouer la « politique
d'immigration à la française ». L'ouvrage pionnier de Patrick Weil, La France et ses étrangers7, a
parfaitement montré qu'au moment de l'apogée du système colonial se créent en métropole les
mécanismes d'une « politique d'immigration française » : « Cette politique s'est progressivement
constituée à partir de la fin des années 1930, d'abord, autour de choix décisifs, finalement arrêtés
à la Libération. » Il montre qu'à partir de 1924, puis 1926, les premières mesures spécifiques aux
travailleurs coloniaux se mettent en place pour un contrôle de ces flux migratoires. Puis, viendra
le temps des quotas et des mesures restrictives jusqu'à la loi du 10 août 1932 et, deux ans plus
tard, la série de décrets du gouvernement Flandin fin 1934. Trois ans plus tard, avec Philippe
Serre, sous-secrétaire d'État chargé des services de l'immigration et des étrangers, avec à ses
côtés le spécialiste des « flux migratoires » qu'est Georges Mauco, la politique gouvernementale
se fixe précisément.
En effet, auteur d'une thèse et d'un ouvrage sur les étrangers en France au début des années
1930, l'influence de ce dernier est prépondérante. Elle ne va cesser de croître au cours de ces
années. Sa thèse est claire : organiser les flux migratoires selon la nécessité des entreprises, gérer
ce potentiel en fonction des besoins, sélectionner les profils d'immigré (notamment par rapport à
leur aptitude et leur « ethnie »). Ses postulats sont explicites : « Parmi la diversité des races
étrangères en France, il est des éléments dont l'assimilation n'est pas possible et, au surplus, très
souvent physiquement et moralement indésirable. » En vertu du « poids d'habitudes séculaires
qui contredisent l'orientation profonde de notre civilisation », il faut stigmatiser un certain
nombre d'« indésirables » et limiter leur recrutement, même si le patronat réclame « ses bras »
dont le coût de revient est sans équivalent.
Ces « indésirables », en premier lieu les « coloniaux » — les populations placées sous
l'autorité de la France outre-mer —, les Levantins et les Asiatiques, vont dès lors occuper une
place spécifique dans la politique d'immigration des gouvernements successifs. Cela n'empêche
pas plus d'un demi-million de « travailleurs temporaires » de venir en métropole entre 1920 et
1937. Mais la politique est de limiter leur présence sur le territoire national à des « présences
courtes » et d'éviter une installation définitive. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le
général De Gaulle nommera Georges Mauco secrétaire général du Haut Comité de la population
et de la famille, fonction qu'il va occuper jusqu'en… 1970. Certes, il n'impose que partiellement
ses thèses, car le contexte des Trente Glorieuses — qui accentue le besoin de main-d'œuvre
« rentable » — et celui de la fin de l'Empire exercent une pression économico-politique réelle.
Mais il a initié une procédure spécifique, une pratique « ségrégationniste » et, surtout, il a fixé en
métropole les règles qui régissaient le séparatisme colonial présent dans l'Empire. Cette politique
active, participant à la mise en ordre d'une stratégie duale entre immigré souhaité et immigré
indésirable, se double d'un édifice juridique qui « classe » en deux catégories distinctes les
populations migrantes en métropole.
Un édifice dont les fondations sont anciennes. Dans plusieurs de ses travaux, Emmanuelle
Saada a étudié les méandres complexes au cours de la période coloniale du statut des
« indigènes », qu'elle a parfaitement analysé : « Les indigènes des colonies sont des nationaux,
privés des droits du citoyen et soumis à un régime disciplinaire spécifique et extrêmement
répressif8. » Elle montre précisément que la nationalité, dans l'espace colonial puis dans le cadre
national via les migrations issues des outre-mers, était « dénaturée » pour les « indigènes », car
elle leur imposait les mêmes devoirs qu'aux citoyens sans leur octroyer les mêmes droits. En
somme, entre le statut du citoyen plein et entier (avec une citoyenneté sans le droit politique pour
les femmes) et celui de l'immigré européen avec ses règles, lois et codes, existait un troisième
statut, celui du « sujet colonial ». Ce statut valable aux colonies accompagnera l'« immigré
colonial » en France, sur l'autre rive.
L'invention de l'indigène
Dans cette longue histoire du « non-droit », l'une des étapes fondatrices est, en Algérie, la
décision juridique du 24 février 1862 accordant le statut de « ressortissant français » aux
Algériens, tout en précisant que celui-ci était distinct du statut des « Français de France » et en
inventant une catégorie spécifique : les « sujets français ». Le sénatus-consulte de juillet 1865
affinera cette césure en légiférant sur le « statut personnel » — renforçant l'individualisation de
celui-ci pour les musulmans — ; et le décret Crémieux de 1870 accordant la citoyenneté aux
Juifs d'Algérie appliquera à l'inverse un principe général pour un type de population particulier.
Dès lors, le droit allait constamment renforcer ce particularisme « indigène », notamment avec
le Code de l'indigénat mis en place dès 1874 et inscrit dans la loi à partir de 1881. Par la suite, la
loi de 1889, portant sur la nationalité, aurait pu changer la donne, mais le décret de 1897 élimine
de facto sa portée dans les colonies et précise même que rien n'est modifié à la « condition des
indigènes dans les colonies françaises ». Y compris, et c'est là toute l'ambiguïté, en ce qui
concerne la métropole, pour les enfants des « indigènes ». Définitivement, le statut de l'étranger
non colonial ne peut plus être confondu avec celui de l'indigène9 . Cela va très loin, précise
Emmanuelle Saada, puisque le débat se poursuivra jusqu'en 1935, en Indochine, pour savoir si
les « ressortissants chinois » devaient être des « étrangers » ou des « indigènes »10 . En 1925, le
Conseil supérieur des colonies, dans un rapport interne, va clarifier une nouvelle fois le débat :
« On se rend compte qu'un Français, né en France, de parents français, dont les ancêtres sont
toujours demeurés sur le sol qu'ont cultivé leurs pères, n'est pas de même nature que le sujet qui
est né et fixé dans un pays nouvellement annexé, bien que ce pays fasse partie intégrante du
territoire national. Il en diffère par l'origine ethnique, l'hérédité, les coutumes, la mentalité, le
caractère et le degré de civilisation. L'un est sujet de la collectivité dominante, conquérante,
l'autre sujet d'une collectivité dominée, conquise. Le premier est membre du peuple tuteur, le
second membre du peuple placé en tutelle11. » Et de conclure cet exposé par un cadrage précis :
« On peut dire qu'aucune des races qui habitent nos colonies ne nous est apparentée et par suite
assimilable en masse ; toutes appartiennent à des collectivités présentant des caractères ethniques
irréductibles aux nôtres. »
Se fixe alors durablement, au cours de l'entre-deux-guerres, au moment où arrivent les vagues
de migrants issues des colonies, une législation ségrégationniste qui impose comme modèle
anthropologique la prédominance du milieu, de l'hérédité et de la « race » sur les potentialités
éducatives, en totale opposition aux principes énoncés d'assimilation à l'égard des immigrés qui
s'installent en France : « L'indigène a infiniment plus de mal à s'assimiler à notre culture que les
Européens, nos voisins, que des siècles d'éducation gréco-latine et chrétienne ont beaucoup
rapprochés de nous12. » Certes, il y aura quelques naturalisations aux colonies et en métropole,
mais leur nombre est infime. C'est l'exception. Pour l'Algérie par exemple, malgré la
participation des troupes « indigènes » à la Première Guerre mondiale, on dénombre moins de
2 500 accessions à la qualité de « citoyen » en soixante-douze ans (de 1865 à 1937)… Et l'échec
du projet Blum-Viollette en 1937-1938 montre les limites d'un tel mouvement. Cette
« monstruosité juridique », comme le souligne Dominique Schnapper, qui fabriquait du national
sans citoyenneté, constitue les soubassements juridiques de la situation « marginalisée » des
migrants « indigènes » en métropole.
À cette situation fondée par le droit, se superpose celle de la posture coloniale de ces années
d'apogée, le regard stéréotypé sur l'« autre » et, surtout, les effets secondaires de la culture
coloniale. Autant de paramètres fixant un particularisme au sein des flux migratoires qui arrivent
à cette époque. Ces spécificités vont s'affirmer sous Vichy par des lois spécifiques à destination
des indigènes. Au lendemain du conflit, le statut individuel va évoluer ; mais, dans le contexte
des guerres coloniales, il va aussi renforcer la mise à l'écart des populations immigrées venues
des colonies. Leur statut est complexe, puisque l'on pense que ces populations ne vont pas rester,
qu'elles ne sont que de passage. Avec les indépendances, le « droit d'exception » n'a plus de
raison d'être : les « indigènes » deviennent soit des étrangers à part entière, soit des citoyens.
Certes, la tutelle des nouveaux États indépendants peut être forte, des accords bilatéraux
s'intercalant dans ces relations entre la nation et ses résidents, mais globalement on sort des
pratiques coloniales « légales », pour entrer dans une nouvelle dimension de ségrégation très
différente, moins « institutionnelle ». Elle concerne l'habitat, l'accessibilité à la citoyenneté, les
expulsions, les permis de travail, le code de la nationalité, les sans-papiers… Des pratiques qui
ne sont certes pas généralisées, mais qui prolongent le « particularisme » précédant les
indépendances. D'une certaine manière, on peut observer que l'on n'a pas décolonisé les pratiques
administratives ou sociales, que la crise économique des années 1970 a renforcé une situation de
marginalisation et que le regroupement familial — qui intervient alors — n'a pas été
suffisamment anticipé. Le tout s'intégrant progressivement dans un contexte politique de
stigmatisation bien connu (montée du Front national dans les années 1980) et une problématique
religieuse au cœur des enjeux de la laïcité.
Comme on le voit, une origine historique (la colonisation), un cadre juridique (un statut
spécifique), une culture coloniale qui imprègne la société d'accueil et un contexte spécifique
depuis deux générations de crispations identitaires, religieuses et urbaines ont fabriqué
graduellement une double dimension de l'immigration en France.
En 1994, Emmanuel Todd, dans son Destin des immigrés13 , posait assez justement les termes
de l'équation « à la française » que nous tentons aujourd'hui de dénouer : « L'universalisme
français nie l'importance de la couleur de la peau et avait su imposer durant la première moitié du
XXe siècle l'image, agréable à certains mais effrayante pour d'autres, d'une France indifférente aux
questions raciales. […] Dans l'Hexagone, les principes égalitaires de la Révolution triomphent
facilement en l'absence de problème concret. » Mais le mouvement migratoire, précisait-il, venu
des ex-colonies à partir des années 1970, a modifié la situation en métropole et cette « présence
donne à la problématique de l'homme universel un caractère nouveau et concret ». La
République va-t-elle transcender cette situation, la dépasser ou « la ségrégation au pays de
l'homme universel serait[-t-elle] interprétée comme démontrant le caractère indépassable » des
origines « raciales » ? Pourtant, il note en conclusion que les élites ont été incapables de définir
une « doctrine claire de l'assimilation », précisant que « le mot intégration continue de régner,
vide de sens puisque assimilationnistes et ségrégationnistes peuvent également s'en réclamer14 ».
Une décennie plus tard, les antagonismes sont toujours plus vifs. Dans son livre consacré à la
discrimination positive15, l'industriel Yazid Sabeg, membre actif de la Fondation Montaigne et de
divers réseaux situés à droite, a d'ailleurs surpris — dans son propre camp comme à gauche — en
dressant un portrait lucide de la « mythologie » de l'intégration à la française des populations ex-
coloniales. Ainsi, il s'interroge : « Sommes-nous cette République authentiquement universelle,
ou sommes-nous cette République qui a trahi son projet ? » Dans ce pays, précise-t-il, les enfants
de l'immigration « exigent une réponse, ils attendent de savoir si oui ou non le pays qui a
accueilli leurs parents, leurs grands-parents, les considère comme les siens ».
Il est très clair dans ses postulats : « La République se met elle-même en porte à faux vis-à-vis
de ses enfants16 : elle demande aux citoyens de la respecter, d'en être fiers, quand elle-même
refuse de regarder la réalité en face et cherche à masquer, par un rafistolage rapide, les paradoxes
du mythe républicain. Il suffit pour s'en convaincre de relever la minutie avec laquelle le pays
s'est enfoncé dans le révisionnisme institutionnel afin d'évacuer de sa mémoire les faits les plus
dérangeants. » Et de conclure : « La France reste engoncée dans la matrice coloniale17, et
reproduit inlassablement les mêmes erreurs que par le passé. » Il faut casser les mécanismes
anciens — « les musulmans ne sont pas des indigènes à éduquer » —, repenser l'enseignement
— « que l'école revienne sur la colonisation » —, restructurer notre regard et nos pratiques —
« faute d'avoir réalisé ce travail de mémoire sur l'imaginaire colonial et ses mécanismes, les
institutions, les médias, le langage courant reprennent à leur compte certains systèmes mentaux
hérités de l'Empire colonial… » — et arrêter de produire de nouveau des archétypes — « nous
[les] reproduisons aujourd'hui encore, certes de façon moins explicite, mais plus pernicieuse et
plus durable ». Et seulement alors, les mesures « techniques » de discrimination positive seront
efficaces…
Le constat est clair, ce sont des « immigrés à part », des « citoyens de seconde zone », sur eux
pèse une « certaine malédiction » qui induit une « relégation systématique, réelle et symbolique,
aux marges de la société ». Cette situation, aujourd'hui visible, d'une destinée « particulière » de
l'immigration des enfants de la colonisation, parallèlement au destin plus « classique » des
immigrations intra-européennes, « plonge ses racines dans l'histoire18 ». Rien de neuf dans ces
lignes. Lorsque le sociologue Abdelmalek Sayad l'écrivait en 1991 dans L'Immigration ou les
paradoxes de l'altérité, certains avaient du mal à l'entendre, à accepter son analyse qui faisait,
déjà, exploser le mythe rassurant du « creuset unique français ». L'historien Gérard Noiriel a
réévalué, récemment, ses prises de distance de l'époque avec Abdelmalek Sayad : « C'est à cette
vision que je me suis opposé, et j'ai peut-être, ce faisant, tordu un peu trop le bâton dans l'autre
sens19 . » Quelques lignes plus loin, dans le même entretien avec Dominique Vidal, il précise :
« Je ne nie bien sûr pas que les immigrations récentes puissent présenter des spécificités liées à la
colonisation, mais il faut d'abord mettre en évidence le point commun entre toutes les
immigrations pour comprendre le sens même de ces spécificités20. »
Il y a donc bien une difficulté — ou une crainte — à reconnaître l'existence de « deux
immigrations », distinctes. L'une d'origine coloniale, venue également des proches périphéries de
l'Empire à des moments précis de notre histoire nationale, comme avec les 140 000 Chinois qui
débarquent lors de la Grande Guerre avec un statut proche des « travailleurs coloniaux
indochinois » ; comme l'arrivée des Arméniens à Marseille à partir de 1923, perçus comme des
« envahisseurs orientaux » porteurs de tous les stigmates des Syro-Libanais alors sous mandat
français ; comme celle des Turcs dans l'Est de la France, dont la perception s'inscrit dans
l'imaginaire français concernant les « Arabes » ; comme celle des Antillais dans les années 1960-
1970, dont on sait aujourd'hui qu'elle se fond dans nombre des stigmates qui accompagnent les
projections iconiques et les archétypes sur les Africains… Et l'autre, d'origine occidentale, qui
depuis deux siècles se structure par vagues (Allemands, Belges, Suisses, Russes, Italiens,
Polonais, Espagnols, Portugais, pieds-noirs…), qui a connu des moments de violences et de
rejets, mais qui s'est progressivement fondue dans l'« identité nationale », sans un retour
permanent aux origines et à la situation des aînés.
À l'échelle du siècle, cette fracture entre deux immigrations distinctes est devenue une
évidence pour nombre de chercheurs français et étrangers. Ne pas pouvoir penser les processus
migratoires en ces termes, c'est rendre inopérants tous les travaux qui étudieront les liens entre
système colonial et processus d'intégration, et donc la déconstruction des impensés. Les flux
migratoires venus des colonies — qui commencent, rappelons-le, au début du XXe siècle — sont
d'une autre nature que ceux venus d'Europe : leurs statuts individuels sont différents, des
organismes de surveillance leur étaient destinés en exclusivité, les images sur les colonisés
traversaient avec eux les mers… L'héritage que portent aujourd'hui les enfants français de
l'immigration « coloniale » n'est donc pas le même que celui des enfants de l'immigration
européenne. Les personnes issues de sociétés qui ont connu l'esclavage, la domination, la
colonisation, un droit spécifique, ne viennent pas s'inscrire, comme immaculées, dans le statut
d'immigré.
16
Le « creuset français », ou la légende noire de
l'intégration
Ahmed Boubeker
Le grand malentendu
On reproche aux « immigrés » de ne pas jouer le jeu de la République en investissant l'espace
public avec un cheval de Troie culturel. Mais les immigrés répondent qu'ils n'ont pas d'autre
ambition que de se libérer de l'immigration : à défaut de disparaître dans le creuset français
comme individus, leur seule possibilité de choix reste celle de la reconnaissance collective.
Car c'est précisément parce que les communautés immigrées n'existent pas vraiment que les
héritiers de l'immigration sont hachés menu comme chair à pâté du libéralisme, soumis à toutes
les expérimentations de l'horreur économique. C'est précisément parce qu'ils n'ont pas de rente de
situation comme les groupes constitués, pas de bas de laine, pas de ressources accumulées
génération après génération, pas de parents bien placés, pas de carnet d'adresses, pas d'espace
d'expression, pas d'institution solide leur permettant de mobiliser les efforts et les énergies pour
ne plus être des sans-voix dont la voix est toujours confisquée par un antiracisme chagrin ou des
démagogues patentés. C'est aussi parce qu'ils sont socialement exposés et vulnérables, parce
qu'ils sont bringuebalés d'ici de-là par les aléas de l'actualité, soumis à l'arbitraire administratif et
aux désordres économiques. C'est pour toutes ces raisons liées à la précarité qu'ils ne peuvent pas
réclamer individuellement un droit d'accès pour trouver leur place, qu'ils doivent d'abord en
passer par une expression collective. À défaut d'organisations fortes et de réseaux d'influence,
l'immigration squatte l'espace public à la porte de la démocratie. Et cette visibilité sociale, entre
l'invisibilité originelle et la reconnaissance publique, suscite aussi la polémique de l'intégration.
À la différence des beurs, les derniers héritiers de l'immigration ne se font guère d'illusions sur
le modèle d'intégration à la française. L'émiettement des institutions qui fixaient jadis les normes
sociales laisse place à un monde polyvalent où les individus, Français ou immigrés, ont un rôle
actif dans l'élaboration des nouvelles règles de la vie collective : c'est en participant aux
transformations de la société française qu'ils assurent leur part d'intégration sociale. Pour cela, il
s'agit bien sûr de mobiliser des ressources et, pour les héritiers de l'immigration, celles-ci sont
d'abord identitaires et culturelles. L'enjeu essentiel devient alors de conjuguer au présent une
mémoire plurielle de l'immigration et de poser des questions essentielles en dehors des jeux de
simulacre avec le regard de la société française : que signifie concrètement être un héritier de
l'immigration, un Arabe, un Berbère, un Black ou un « musulman de France » ?
Un travail sur la mémoire de l'immigration apparaît ainsi comme un préalable nécessaire, tant
l'injonction d'assimilation s'est de fait traduite par son exclusion des lieux de mémoire de
l'Hexagone. Derrière nos grands principes d'intégration figés dans le ciel des idées, transparaît le
vivier social des « mondes de l'ethnicité7 », où l'existence individuelle et collective des immigrés
et de leurs héritiers se construit jour après jour, à travers des rencontres, des conflits ou des
compromis pour concilier des appartenances multiples. Ainsi peut-on dérouler le fil d'une
communauté d'expérience qui reste référée à une condition d'infra-humanité née du colonialisme.
Considérés comme des sous-êtres, les « négros », « bicots » et autres « moukères » n'étaient-ils
pas des hommes et des femmes invisibles dont les souffrances et les passions n'étaient pas dignes
de compassion ? Et ce déni d'humanité ne produit-il pas encore aujourd'hui l'aveuglement public
sur la postérité des damnés de la terre ?
La fiction républicaine n'enchante plus : le modèle culturel normé lié à une cohésion entre
l'exception française et des valeurs politiques universelles ne fait plus la fortune de l'universel
abstrait. Un déclin annoncé : celui de l'État-nation devenu étranger à lui-même, du fait de son
échec à conserver vivante l'actualité de ses valeurs fondatrices, infidèle à sa propre parole,
incapable de tenir sa promesse d'intégration à tout citoyen renonçant au particularisme dans
l'espace public. Crise de la conscience universaliste républicaine, dont l'exigence d'uniformité est
devenue mythique dans un monde pluriel où la fragmentation sociale et culturelle s'impose
comme un destin. Une crise exprimée aussi par la crispation sur une nostalgie de grandeur, avec
l'évocation grandiloquente ou incantatoire des valeurs laïques et républicaines dans le ciel des
idées.
C'est pourtant la sacro-sainte communauté des citoyens qui apparaît aujourd'hui divisée. Les
nouvelles frontières de la société postindustrielle sont intérieures : frontières entre les rentiers de
l'État de droit et la triste cohorte des sans — sans-domicile fixe, sans-papiers, sans-droit ni titre
d'existence —, ou entre quartiers chics et banlieues chocs. Qui croit encore en la société comme
lieu de référence des conduites, comme unité du politique, du social et du culturel, ou comme
système d'intégration et d'interdépendance ? Dans ce contexte de profondes mutations, si
l'immigration participe vraiment de l'innovation sociale et culturelle, c'est même sa capacité à
échapper au moule de l'intégration républicaine qui est en jeu.
Sortir du regard de l'autre, envisager des modes d'existence individuels et collectifs et œuvrer à
la reconnaissance d'une communauté d'expériences dans une société plurielle, tel serait l'enjeu !
L'enjeu d'un autre récit de la modernité qui, au plus loin de la légende dorée du creuset français,
pourrait éclairer sous un jour nouveau les significations qui fondent par le bas la cohésion non
plus étatique, mais culturelle, de nos réalités sociales.
17
L'ennemi intérieur : la construction
médiatique de la figure de l'« Arabe »
Thomas Deltombe et Mathieu Rigouste
L'analyse des journaux télévisés et de la presse écrite français est essentielle pour
comprendre les représentations dominantes de l'« Arabe » et de sa présence en France
aujourd'hui : le flou général qui préside à cette désignation y repose sur une série d'amalgames et
d'ambivalences autour des catégories symboliques de l'« immigré » et de l'« étranger », du
« musulman » et de l'« islamiste », du « jeune de banlieue » ou du « terroriste ». Pour
comprendre la fonction et le fonctionnement de ce brouillard sémantique, il faut s'intéresser à la
manière dont il s'est construit (et reformulé au contact d'autres discours), depuis les années 1980.
Nous avons examiné pour cela un ensemble considérable d'articles et de programmes télévisés
traitant de ces thèmes, des années 1970 jusqu'en 2004 : en croisant et comparant les images et les
catégories de langage mobilisées, on voit apparaître des variables et des constantes1. On peut
alors retracer les étapes de l'affirmation progressive des oppositions manichéennes véhiculées par
les discours médiatiques associés aux images de l'« Arabe ». Ces fractures opposant vrais et faux
Français, bons et mauvais immigrés, islam modéré ou radical, assimilable ou inassimilable,
menaçant ou non, se sont incarnées dans la mise en scène médiatique de personnages
stéréotypés, devenus récurrents depuis plus de vingt ans.
En démontant les rouages de cette mise en scène, de cette tension constante entre images et
discours qui irrigue la production d'altérité, on peut tenter de penser l'impensé, de dire le non-dit,
d'extraire l'enfoui. Et de montrer comment les images de l'Autre produites au sein de la société
française se sont recomposées au contact d'un discours sécuritaire qui a progressivement investi
la masse des discours sur la souveraineté et le politique.
Les figures de Kelkal ou de Zidane ne sont pas contradictoires, elles sont les deux faces de
cette binarité qui caractérise les imaginaires de confrontation. Elles formalisent la réduction du
discours médiatique au discours sécuritaire sur les deux points que l'on a évoqués : elles
construisent une naturalité de l'« Arabe », à laquelle elles renvoient les caractères de son
« inassimilabilité » — sauf exceptions louables —, caractères qu'elles désignent comme porteurs
d'une menace advenue ou à venir.
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si cette binarité extrême s'impose au moment où la gauche de
gouvernement achève sa reconversion sécuritaire sur l'immigration, les quartiers, l'islam et
rejoint la droite et l'extrême droite dans une approche devenue hégémonique8. En évacuant le
rôle des facteurs économiques, sociaux ou politiques, les figures de l'« Arabe qui a réussi »
permettent de concevoir les discriminés comme les premiers responsables de la discrimination.
On transforme ceux que l'on percevait comme des victimes non seulement en coupables, mais
aussi en responsables. C'est le raisonnement qui est au centre de cette reconversion, découlant
d'une logique punitive.
Les attentats du 11 septembre 2001 et l'élection présidentielle d'avril 2002 vont encore durcir
cette cristallisation. Les attentats revendiqués par Ben Laden ont fait passer une étape
supplémentaire dans la mondialisation de certaines figures de l'ennemi (musulman, islamiste,
terroriste, Arabe…), que la première guerre du Golfe avait déjà permis d'associer aux images de
l'« Arabe de France ». Le résultat du premier tour de la présidentielle a imposé l'idée qu'une
fracture nationale ouverte divise désormais l'identité française en deux camps.
La nouvelle affaire du voile en 2003-2004, soutenue par une focalisation médiatique intense, a
pu ainsi s'appuyer sur deux idées majeures : l'essor prétendument indiscutable des métastases
d'un islamisme international dans les banlieues ; et la nécessité, si l'on veut éviter l'affrontement,
de séparer désormais par une frontière légale les « métis » des « vrais républicains français » —
comme au temps des colonies. Déjà présente depuis la première affaire de 1989, cette double
conviction s'impose dans les représentations médiatiques. Elle présente la logique juridique (et
éventuellement pénale) comme la seule solution, et débouche en février 2004 sur une loi visant à
exclure des établissements d'enseignement public les figures métaphoriques de la menace que
sont devenues les jeunes filles porteuses du voile islamique.
Dans la continuité de la loi, est nommé un « préfet musulman », Aïssa Dermouche. Monnayée
comme « discrimination positive » en regard d'une loi dont on n'a pas réussi à cacher le caractère,
ostensible, de discrimination négative, cette nomination prend le visage médiatique d'une figure
positive de l'« Arabe », opposée aux figures négatives des « voilées intégristes ». La binarité
symbolique de Kelkal et Zidane est ainsi déplacée sur le terrain du droit, retrouvant
(inconsciemment ?) l'un des dispositifs essentiels de la domination coloniale française en
Algérie : la promotion des « bons musulmans » à des postes de responsabilité administrative,
pour mieux « tenir » la « masse indigène », toujours menaçante. Ce mimétisme des pratiques
d'État ne laisse pas de surprendre, quand on pense à la différence des situations — comme si les
représentants de la République d'aujourd'hui, confrontés à la minorité des « Français issus de
l'immigration », se vivaient à l'égal des colons français d'hier en Algérie, confrontés à la majorité
des « musulmans » dominés.
Quoi qu'il en soit, incarnation de l'État et de son « modèle d'intégration », la figure du « préfet
musulman » est bien la réponse implicite à la « menace islamique » : à l'image médiatique de la
Marianne voilée, multipliée à l'envi depuis les années 1980 pour symboliser le risque de
soumission de la République à un islam dissolvant, répond celle de « Dermouche modèle
d'intégration », symbolisant un islam soumis à la République. La promotion du préfet semble
conclure un cycle visant à associer à l'image de l'« Arabe » un message politique essentiellement
sécuritaire et prospectif : mettre en place aujourd'hui, sur le corps de l'Autre, le remède à la
menace que l'on se figure pour demain, sur son propre corps.
L'examen des représentations médiatiques de l'« Arabe » en France depuis les années 1980
met ainsi en évidence deux dynamiques à l'œuvre dans les discours dominants : la première,
directement liée à la nouvelle conjoncture internationale, est la recomposition des images de
l'ennemi dans un référentiel mondialisé, où l'islam radical est perçu comme la menace majeure ;
et la seconde, renvoyant clairement à l'imaginaire colonial, réduit la question du rapport à
l'Autre, dans la « France métropolitaine », à la gestion de cette « menace » avec les outils et les
représentations hérités de l'ex-Empire. Ces deux dynamiques médiatiques mobilisent plusieurs
techniques discursives — amalgames, dénégation, homogénéisation, utilisation de figures
« positives », autocritique du discours… —, articulant discours sécuritaire et discours identitaire.
Un procédé aujourd'hui parfaitement assis, dont les effets discriminants contribuent à
l'élargissement d'une fracture matérielle et symbolique qui ressemble beaucoup à la « fracture
coloniale ».
18
La réduction à son corps de l'indigène de la
République
Nacira Guénif-Souilamas
La dépossession d'aujourd'hui achève ce qui n'a été qu'ébauché hier, elle s'est perfectionnée,
elle pèse sur les corps de Français sous réserve, elle en use et en abuse au gré des errements
identitaires d'une société parfois égarée dans les méandres de sa propre histoire. Toute
l'entreprise actuelle de « civilisation des mœurs » — pour reprendre les termes de Norbert Elias
— des immigrants postcoloniaux et de leurs descendants ne repose plus sur la mise au travail,
telle qu'elle s'est opérée massivement durant la période industrielle, mais sur le travail des corps,
de leur visibilité, de leurs aspérités, afin de les rendre lisses et en quelque sorte invisibles dans le
corps social. Là où jadis le contact était proscrit et fortement contrôlé, il est maintenant prescrit,
nécessaire, tout en étant, comme alors, redouté et donc surveillé.
Dans un parallélisme parfait, les mots qui s'appliquaient alors aux indigènes désignent les
immigrants successifs et plus particulièrement les « presque Français » venus des anciennes
colonies. Les civiliser consiste donc à les amener à se dissoudre dans la société à laquelle ils
doivent appartenir ; la simple invocation du processus fonctionne comme un constant rappel à
l'ordre de leur nature profondément incivilisée et incivilisable. Il leur faudrait donc lutter contre
eux-mêmes pour pouvoir accéder à la qualité de citoyen, toujours promise et toujours différée
par un sursaut de leur nature profonde. Comme hier l'indigène, l'immigrant — et son descendant
—, surtout s'il est musulman, est aujourd'hui prisonnier de sa nature et condamné à des efforts
dignes de Sisyphe pour s'en défaire. La chronique de cet échec annoncé repose sur la fonction
idéale qu'occupe la figure de l'indigène, étranger absolu et pourtant domestiqué, porteur d'une
altérité de l'intérieur qui ne peut être ni expulsée, ni dissoute. Ainsi, si les indigènes continuent
d'avoir un visage et un corps dans la France postcoloniale, c'est parce que leur est faite une place
analogue à celle des pauvres et des « sans » de toutes sortes, des réprouvés et des inadaptés, si
nécessaire à l'ordre des choses.
Cette altérité de l'intérieur ne repose plus seulement sur la position dominée et vouée à le
demeurer qu'occupaient les pères travailleurs immigrés et les mères assignées à l'entretien et la
reproduction du foyer. Elle permet aux dominants de s'absoudre de toute responsabilité dans les
discriminations subies pour obtenir un travail auxquelles se heurtent les jeunes Français
d'ascendance coloniale, en faisant glisser le regard du côté de la conformité comportementale et
plus spécifiquement sexuelle et sentimentale exigée d'eux, qu'ils tarderaient à manifester.
Tout comme les mœurs des indigènes étaient considérées comme sauvages, dédouanant l'ordre
colonial de sa responsabilité dans le maintien d'un ordre patriarcal, celles des immigrants naguère
et de leurs descendants aujourd'hui sont tenues en suspicion en ce qu'elles traduiraient des
résurgences d'un ordre révolu et réprouvé. Hier comme aujourd'hui, l'ordre social français
inégalitaire, accommodant à l'égard des discriminations, s'exempte de toute responsabilité
politique et symbolique dans les rapports de domination, exclusivement attribués aux
survivances d'une tradition présentée comme intangible, importée par des immigrants tenus pour
réfractaires à toute modification de leur univers mental et culturel.
Et quand on reconnaît les raisons structurelles qui empêchent les hommes d'occuper et de
garder un emploi, il est toujours possible de les stigmatiser pour leur incapacité à contrôler leur
nature incivilisée : elle les porterait à une sexualité érigée en figure repoussoir depuis que
l'actualité judiciaire a mis en exergue plusieurs affaires de viols en réunion. Leur déviance ne
résiderait plus dans un penchant confirmé pour la délinquance comme destin social, mais dans
leur inaptitude à intérioriser, dans leur corps, les règles de bienséance et de civilité qui régiraient
depuis toujours le commerce entre hommes et femmes, expression de l'exception française. Et
cette inaptitude qui les conduit à s'en prendre à leurs femmes — l'exception étant érigée en règle
générale — serait l'illustration parfaite de l'inscription dans une lignée indigène, entendue
comme barbare, qui ne s'est pas éteinte avec la décolonisation et l'émigration. La nature
reprendrait ses droits à travers eux et la résistance de ces hommes perdus à toute sentimentalité
ferait des femmes de leur origine leurs victimes naturelles. La surreprésentation des hommes
« d'origine maghrébine » dans les statistiques pénitentiaires, et plus spécifiquement dans celles
des crimes à caractère sexuel, en apporterait, s'il était besoin, la preuve irréfutable.
L'homme serait ainsi perdu par son sexe et l'obéissance qu'il lui voue, perdu parce qu'il ne sait
pas, ou ne veut pas, le contrôler, le policer, et donc se façonner selon la norme contemporaine. Il
est condamné à être toujours en retard d'un processus de civilisation : encore enferré dans la
valorisation du virilisme qui fut si structurante pour les hommes de la modernité industrielle et
de l'ère coloniale, il ne peut s'adonner aux jeux complexes et codifiés de la circulation identitaire
entre le masculin et le féminin. Son application à surjouer le virilisme et à imposer une figuration
aux femmes qui le côtoient, dénote qu'il n'a pas compris quel risque il y avait à occuper le pôle
symbolique négatif dans une société en quête de nouvelles normes à partager. Lorsqu'il tente de
réduire la distance qui l'en sépare, il tombe sous le coup d'une interdiction de séjour, de nouveau
assigné au territoire qui lui revient, celui de la réserve indigène et de la sauvagerie qui la régit.
Quant à la femme gagée, elle l'est par ceux dont elle partage l'ascendance coloniale comme par
ceux qui prétendent la sauver d'appartenances forcément imposées et de leurs signes visibles.
Comme les mères furent gagées dans un système les condamnant à être les vecteurs du patriarcat
qui les opprimait, les filles sont gagées par les protagonistes de la dramaturgie civilisatrice.
Tenant le rôle du coupable, certains de leurs hommes entretiennent des rôles sexués réducteurs et
oppressifs, se faisant les vecteurs dociles d'identités essentialisées. Dans le rôle du sauveur, une
théorie d'entrepreneurs de morale, intellectuels et relais d'opinions soucieux de leur légitimité et
de leur pouvoir, les exhorte à rompre avec un monde décrit comme irrémédiablement enlisé dans
l'oppression. La femme est aussi gagée lorsqu'on lui enjoint d'en passer par sa nature féminine
pour en être libérée, dans un étrange mouvement d'oscillation entre dénonciation du patriarcat et
renvoi à celui-ci, lorsqu'il lui faut assumer la tâche exorbitante d'éduquer ses hommes pour qu'ils
ne soient plus des oppresseurs-nés.
Mais loin d'être la survivance massive d'un archaïsme insoluble dans la République, cette
scénographie trahit les effets puissants de normes distillant les formes contemporaines de
l'indigénisation. L'homme perdu pour la civilisation et pour lui-même, tout comme la femme
gagée par ses hommes et une société trop bien intentionnée, sont des figures bien françaises, des
produits du terroir, des Français vernaculaires. Ils sont bien d'ici, bien de chez nous, après que
leurs ancêtres eurent été de là-bas et priés d'y rester. Ils figurent l'intérieur et l'extérieur d'une
même altérité tenue à distance et faisant pourtant déjà partie intégrante d'une France
postcoloniale qui s'assume comme telle.
La figure idéal-typique du Français d'ascendance coloniale vaut pour tous les immigrants et
candidats à la citoyenneté. Elle est au cœur de l'entreprise de constante évaluation et réévaluation
de sa place, et de l'attribution de celle-ci par les nouveaux « seigneurs » d'une République en mal
de démocratie. Comme le fut son ascendant, l'immigré algérien modélisé par Abdelmalek
Sayad6, ce Français d'un genre particulier est exemplaire en ce qu'il doit passer toutes les
épreuves conditionnant l'accès à la pleine citoyenneté, épreuves qui seront moindres ou de
moindre intensité pour les autres candidats selon qu'ils seront déliés de l'histoire coloniale,
épargnés par le statut subalterne de l'« immigré », affranchis du stigmate de l'appartenance à
l'islam et présentant tous les signes de l'émancipation féminine… et masculine.
Le parallélisme entre le traitement colonial des colonisés et le traitement discriminatoire des
Français d'ascendance coloniale renvoie à la même matrice essentialiste et normative : elle
consiste à ne reconnaître que le semblable et à rejeter la responsabilité des dommages et dénis
subis sur ceux qui en sont les victimes, parce qu'ils sont marqués du stigmate d'une différence
indélébile.
19
La banlieue comme théâtre colonial, ou la
fracture coloniale dans les quartiers
Didier Lapeyronnie
« Moi y en avoir des sous. Vous vouloir des sous ? Toi donner des sous à moi ? Ou
toi pas vouloir donner des sous à moi ? Excusez-moi, je rentre de La Réunion ! »
Marc-Philippe DAUBRESSE, ministre de la République, ministre délégué au Logement et à la Ville, lors d'un
colloque à l'Assemblée nationale, 27 janvier 2005.
Depuis une vingtaine d'années maintenant, la vie sociale dans les quartiers sensibles a été
marquée par un fort repli, la recherche d'un « entre-soi » protecteur et la mise en place d'un
« ordre social » spécifique marqué par une forte segmentation entre les groupes, l'absence de
communication entre les sexes, l'ethnicisation des identités et le poids croissant de la religion. En
France aujourd'hui, nous assistons à la formation de « ghettos », de quartiers occupés par des
populations reléguées dont les relations avec la société ont tendance à se réduire et qui se replient
au fur et à mesure que l'intégration leur est refusée.
Ces évolutions ne relèvent pas d'un simple échec du « modèle républicain » ou de la
« décomposition d'un monde ouvrier » victime de l'évolution économique et de politiques
libérales. Si les dimensions économiques sont à l'évidence essentielles et se mesurent dans les
statistiques du chômage ou du niveau de vie, elles ne suffisent pas à rendre compte de l'ampleur
d'un phénomène dans lequel les questions « culturelles », « ethniques » ou « raciales » sont
centrales. Plus que comme des pauvres ou des exclus, les habitants des quartiers se vivent
comme des « colonisés » au sens que Frantz Fanon, Albert Memmi ou Vidiadhar Surajprasad
Naipaul ont donné à ce terme : définis par le regard et les catégories extérieurs et dominants, ils
finissent par intérioriser ce regard et ces catégories et par se trouver « déréalisés » par la façon
dont ils sont traités. Il en résulte un déficit profond d'image, déficit obsédant et présent dans
toutes les conversations, une incapacité d'accéder au réel qui donne le sentiment de ne pouvoir
vivre sa vie ou de la regarder s'enfuir sans pouvoir la saisir, une impression de trahison du
langage et un rapport « truqué » à son propre corps. La fracture sociale est ainsi alimentée par
une « fracture coloniale » qui lui donne son sens et l'institue comme un ordre normatif, comme si
l'immigration s'était inscrite dans la continuité du rapport colonial au-delà des indépendances.
Certes, les « banlieues » ne sont pas un territoire conquis et occupé par l'armée, et les colons
ne sont pas venus s'installer pour « exploiter » les ressources et la population en la maintenant
dans une situation de subordination et de dépendance justifiée par le racisme. Mais il n'empêche.
Le vécu de la discrimination et de la ségrégation, et peut-être plus encore le sentiment d'être
défini par un déficit permanent de « civilisation » dans les discours du pouvoir, d'être soumis à
des injonctions d'intégration au moment même où la société vous prive des moyens de la
construire, évoquent directement la « colonie » et donc, pour nombre d'habitants issus de
l'immigration, un « passé qui ne passe pas ». En France aujourd'hui, les individus des « quartiers
sensibles » sont réduits au silence sur le plan politique, maintenus dans une très forte dépendance
économique et dominés socialement et culturellement par un véritable « système »
d'institutionnalisation du racisme et de rapports coloniaux1.
Comme des « colonisés », les habitants des « quartiers sensibles » ont d'abord le sentiment de
ne pas avoir d'existence politique, de ne pas être considérés comme des citoyens ou d'être des
citoyens de seconde zone. N'étant pas des acteurs ou des citoyens, ils sont soumis à des discours
« moraux » permanents de la part d'institutions diverses qui les appellent en même temps à « se
prendre en charge » et à ne pas être « passifs », comme pour souligner leur « incapacité ».
En témoignent certains des propos recueillis lors de l'enquête que je mène depuis 2002 dans
des quartiers sensibles à Paris et à Angoulême2 : « Ils passent leur temps à nous faire la morale.
Je me demande s'ils ne nous prennent pas pour des débiles » ; « On se croirait à l'école. Non
mais, on n'est pas des enfants quand même ! » ; « Ils ont dit qu'on était des assistés ! Qu'on ne
savait pas se prendre en charge ! Qu'on était comme des enfants ! » En l'absence d'intervention
politique, la situation vécue n'est plus vue que sous l'angle de la norme, de la capacité ou de
l'incapacité de ceux qui la vivent d'être conformes à la norme : les « réseaux de parentalité » mis
en place par les travailleurs sociaux ont remplacé les « comités de quartier » et les associations
revendicatives. Dans les services sociaux, omniprésents, les habitants sont désignés, et finissent
par se désigner eux-mêmes, à l'aide de « catégories familiales » : les « pères », les « mamans »,
les « jeunes »… Catégories de la reproduction, elles signent leur « invalidité » sociale et
politique.
L'idée même de « changer la société » s'efface. Prisonniers d'une situation sociale, du racisme
et de la discrimination, enfermés par une image négative obsédante, les habitants n'ont d'autre
issue que le départ individuel. Si beaucoup affirment être attachés à leur quartier, il n'empêche :
ils affirment aussi, avec autant de force, vouloir le quitter, seule façon de participer à la société
« normale », la société dominante. S'en aller est perçu comme une condition nécessaire à
l'intégration sociale. Tant que l'individu reste dans le quartier, il estime être prisonnier de l'image,
mis dans le même sac que « tous les cas sociaux qu'il y a ici ». « C'est bien simple, ici, il n'y a
que des cas sociaux, des fous, des ratés. Comment voulez-vous qu'on s'en sorte ? »
Le lieu de résidence identifie la population à des « cas sociaux », mais aussi à des « Arabes » :
« Je suis Arabe », dit un jeune habitant d'une cité parisienne. « Eh bien oui, je suis Arabe parce
que j'habite avec les Arabes. » D'autres jeunes issus de l'immigration disent la même chose à un
de leurs camarades « blancs » qui ne parvient pas à trouver du travail : « C'est parce que t'es
comme nous. À force d'habiter avec nous, t'as fini par nous ressembler ! » En même temps,
beaucoup pensent que tout espoir de quitter le quartier est illusoire. Se révolter ou même
chercher à changer son « destin social » est une perte de temps. Dès lors, l'expérience vécue
apparaît comme dépourvue de signification et bloquée. La conscience forte du destin social
négatif est redoublée par la conscience de l'incapacité à le changer collectivement et même
individuellement. Comme les colonisés décrits par Frantz Fanon, les individus sont ainsi déchirés
entre leur désir impossible de s'éloigner de l'« enfer » et le sentiment que le « paradis » est
protégé par de « terribles molosses »3.
La domination subie enferme dans des catégories générales et des images dont il est quasiment
impossible pour l'individu de s'extraire. Ces mécanismes néocoloniaux ne sont peut-être jamais
aussi présents que dans les relations entretenues par les représentants institutionnels avec les
habitants des quartiers sensibles. Très souvent, quand un dialogue s'instaure, le « dominant »
hésite : à qui parle-t-il ? À un individu particulier qu'il peut tutoyer, ou à un représentant d'un
groupe social qu'il vouvoie ? Doit-il globaliser ou doit-il individualiser son interlocuteur ? « Mais
à qui vous parlez ? Vous me vouvoyez et maintenant vous me tutoyez ? Vous parlez à qui ? À
l'Arabe, à tous les autres, ou à moi ? » demande un jeune habitant d'un quartier parisien au
responsable politique qui l'interpelle. Devant l'individu se tient son image ou le stéréotype
construit par la société dominante et extérieure et qu'il porte sur lui.
Le thème de la « qualification » et de l'image est obsessionnel dans la population des habitants
des quartiers populaires et notamment pour les anciens immigrés coloniaux. En tant que groupe
social minoritaire, la qualification est imposée et très largement vécue comme une contrainte
externe. Être « arabo-musulman » signifie être très largement défini par le vocabulaire dominant
et connoté négativement. Il est très difficile de contester ou de changer cette définition. Le
racisme vécu pèse ici de tout son poids. L'apparence commande la catégorie. Plus encore, cette
identité est maintenant celle du « méchant » : « Les gens, on voit bien qu'ils ne nous aiment pas.
Quand on marche dans la rue, on voit bien qu'ils se méfient. » Cette expérience quotidienne est
validée sur le plan politique : « Il n'y a qu'à regarder les infos. Ils ont tout mélangé, les Arabes,
les intégristes, les musulmans et tout, tout, tout ! Maintenant, les musulmans, c'est tous des
intégristes… Le Français de base qui regarde les infos, pour lui, un Arabe, c'est un terroriste. »
« on parle que des trucs qui fâchent quand on parle des Arabes, pour nous diaboliser, pour nous
montrer du doigt. »
L'individu et le groupe sont ainsi assignés à une identité négative à laquelle ils ne peuvent
échapper. Dans un groupe de jeunes adultes lancés dans une discussion sur cette expérience, l'un
d'eux montre son bras et tire sur sa peau comme s'il voulait l'arracher. Il s'adresse au sociologue
présent : « Vous comprenez, Monsieur, ça je ne pourrai jamais l'enlever ! » « Je ne peux pas
l'enlever », insiste-t-il devant le silence provoqué par son geste. Mais « être arabo-musulman »
est aussi être interdit de l'être. La revendication de l'identité ou de la communauté n'est pas
légitime. L'affichage de l'appartenance dans l'espace public suscite réprobation. L'interdiction du
voile islamique dans les écoles a été très largement vécue comme le signe du rejet des
« musulmans » et plus largement des « Arabes », comme une manifestation de la volonté
évidente de l'État et de la société français d'empêcher toute manifestation identitaire des
musulmans. L'individu se trouve assigné à une identité négative, identité construite et définie par
le regard extérieur, mais identité qu'il ne peut affirmer ou revendiquer positivement. « On nous
qualifie d'Arabes et on nous reproche de nous qualifier nous-mêmes en tant que tels. » Son
identité est construite contre lui par la société à laquelle il appartient, elle lui est à la fois imposée
et interdite. Se revendiquer « arabo-musulman » est en quelque sorte revendiquer sa propre
condamnation, sa propre humiliation.
Cette difficulté apparaît fortement dans les commentaires suscités par les attentats du 11
septembre 2001. La raison en est probablement l'ambivalence des sentiments ressentis par de
nombreux « jeunes arabomusulmans ». D'un côté, l'attentat est source d'une sorte de « fierté »
non avouée et souvent un peu honteuse : il est considéré comme la revanche des « musulmans »,
de manière générale contre les Américains, mais aussi, de façon plus indirecte peut-être, contre la
société française, contre une société qui exclut et humilie. « C'est quand même des Arabes qui
ont fait ça ! » En même temps, le 11 septembre est aussi vécu négativement. Il a renforcé le
stigmate : « Depuis le 11 septembre, on nous regarde encore plus. » On reproche alors aux
terroristes d'agir contre les « Arabes » et d'en faire des victimes indirectes de leur folie. Devant
l'événement, les jeunes rencontrés sont pris dans une double attitude : hostiles aux attentats et à
l'islamisme radical quand ils parlent avec ceux « qui sont de leur côté », ils se montrent parfois
« favorables » à ces mêmes attentats ou, du moins, compréhensifs face à une société dont la
condamnation du terrorisme les atteint directement.
L'ampleur de l'événement et sa résonance internationale ont exacerbé une tension largement
vécue quotidiennement dans l'espace politique français. Face à leurs interlocuteurs, ils doivent
toujours lever le soupçon qui pèse sur eux. Ils doivent se prononcer de façon récurrente sur
l'image négative d'eux-mêmes, image construite par d'autres et dans laquelle ils ne se
reconnaissent pas, mais à laquelle ils se heurtent à tous les instants et qu'on leur demande de
condamner en permanence. « Dites-nous que vous n'êtes pas ce que l'on pense que vous êtes, ce
que l'on sait mais que l'on ne peut croire complètement ! » Pour échapper à l'injonction, les
jeunes « issus de l'immigration » finissent souvent par revendiquer cette image face à leur
interlocuteur tout en continuant à se sentir étrangers à une telle définition d'eux-mêmes. Ils en
font un défi. Ils deviennent l'« Arabe » qu'ils ne sont pas, jouant un personnage de théâtre, pour
continuer à être l'Arabe qu'ils sont. Comme quand il s'agit du voile islamique ou de Saddam
Hussein, ils sont pour parce qu'ils sont contre et contre parce qu'ils sont pour.
Tout est alors interprété comme une manière de refouler les « Arabomusulmans », une
manière de les humilier en les enfermant dans la contradiction : « Quel battage médiatique autour
du 11 septembre ! C'était de l'endoctrinement. Pourquoi on ne l'a pas fait pour l'Irak ? On fait de
l'audience sur notre dos et c'est tout. On parle du voile pendant des mois. Au Rwanda, les
massacres ont fait un million de morts, on n'en parle pas plus que du 11 septembre. » La minute
de silence demandée à la mémoire des victimes américaines apparaît à certains comme une façon
d'entériner cette condamnation « large » et à sens unique : « On n'a jamais demandé de faire une
minute de silence pour les morts en Algérie ou pour les 500 000 gamins qui sont morts en dix
ans en Irak ! » Plus encore, après les attentats de Madrid, d'autres se refusent catégoriquement à
observer une minute de silence : « J'ai pas voulu faire cette minute de silence. On m'a menacé de
me virer du lycée. Alors je l'ai faite finalement. Mais je ne voulais pas la faire. Ceux qui ont fait
les attentats, c'est quand même des Marocains comme moi. »
Cette « déréalisation » domine les relations entre les travailleurs sociaux et les jeunes garçons :
le jeune fait semblant de vouloir s'en sortir et affiche sa bonne volonté face à un travailleur social
qui fait semblant de pouvoir lui offrir un boulot ou une intégration. Chacun fait semblant de
croire l'autre dans une relation qui reste asymétrique. La banlieue ressemble ainsi à la colonie :
les rapports humains y sont faux. Les individus y vivent clivés entre leurs émotions et leurs
expressions, comme s'ils ne parvenaient jamais à être présents à eux-mêmes, à ce qu'ils font ou à
ce qu'ils disent, « truqués » par le rapport colonial qui s'interpose entre soi et soi. La combinaison
de la brutalité de la domination et de l'ampleur de l'assistance et de la dépendance déréalise
l'existence et l'enferme dans un univers intermédiaire, sans avenir et sur lequel l'individu n'a pas
de prise. Il n'en sort le plus souvent que par les « paradis artificiels » et le rêve, celui de vivre
dans une autre société, ou encore par les fantasmes, notamment des fantasmes de domination
sexuelle8.
La domination vécue évide la vie de l'intérieur, n'en laisse plus subsister que l'apparence. Tout
se concentre sur la forme, la peau, comme si l'individu était statufié et privé d'intériorité. Il n'est
jamais que ce que le regard du dominant fait de lui. On le voit, mais plus on le voit et moins on le
voit, plus il est visible et plus il est invisible, plus il occupe le champ de vision des « autres »,
moins il a de réalité personnelle. Il est une forme creuse. Et rien dans cette forme ne lui
appartient : ni son apparence — elle lui est attribuée, mais il n'a pas le droit de la revendiquer —,
ni son langage — ce sont les autres qui donnent le sens des mots. Ces jeunes et une bonne partie
des habitants construisent alors une sorte de contre-monde, de société parallèle mais sans
consistance, dépendante et marginale, dans laquelle ils vivent sans y vivre, qu'ils veulent habiter
sans le vouloir et désirent quitter sans le pouvoir, le ghetto, un lieu vide. Fausse société, ou plutôt
substitut de société composé d'individus « faussés », elle s'apparente à un théâtre, avec ses rites,
son vocabulaire et sa scène, théâtre dans lequel ils se donnent en spectacle plus qu'ils n'existent et
dans lequel ils ont le sentiment de « perdre leur vie » hors de toute réalité.
Edward Saïd a souligné combien le passé n'avait de sens que par le présent. S'il peut être
mobilisé, c'est à partir de l'expérience d'un présent qui en perpétue les caractéristiques et
l'héritage, peut-être sous d'autres formes9. Bien au-delà des discours, la dimension coloniale
inscrite dans la République est aujourd'hui au cœur de l'expérience des habitants des quartiers
issus de l'immigration. Et c'est à partir de cette expérience que l'urgence de la réincorporation des
mémoires et de l'histoire se fait sentir : elle est la seule façon de lui donner sens et de permettre à
ceux que l'universalisme républicain a niés, et continue de nier, d'accéder à la reconnaissance et
de pouvoir enfin construire leur intégration.
20
Le retour permanent de l'Afrique « au cœur
des ténèbres »
Olivier Barlet
De toutes parts, les médias mais aussi des événements culturels pavés de bonnes intentions
colportent une image passéiste et globalisante de l'Afrique, privilégiant les expressions
essentialistes au détriment des questionnements contemporains. Ingénuité, irréflexion, naïveté, le
« genre africain » n'était défini que pour qu'on lui dise comment se comporter. D'exotisation en
carte-postalisation, mais aussi dans l'appréhension des drames qui secouent l'Afrique aussi bien
que dans la perception des soubresauts des immigrés en France, c'est bien un refus de savoir
auquel nous devons nous confronter, et donc un savoir à restaurer.
Il faut sans hermétisme dépasser la superficialité, explorer la complexité pour souligner
l'arrogance des préjugés. Par ailleurs, il est nécessaire de dépasser l'enfermement dans une
différence folklorisée pour affirmer l'universalité et la pertinence des cultures africaines. Enfin, il
faut sans cesse prendre les représentations imaginaires issues du passé colonial comme sujet pour
tenter de les déconstruire. Et pour cela inscrire le présent dans le legs de l'Histoire.
Un espace de contre-regard…
Ce retour vers le futur doit guider nos pas et c'est lui qui a fait naître la revue Africultures.
Ensuite, l'actualité n'a jamais cessé de nous dicter nos sujets. Non que nous soyons des
passionnés de la commémoration, mais parce que les médias, dans le droit fil de l'imaginaire de
la nation, s'obstinent à ramener, comme dans les récits de découverte du XIXe siècle, l'Afrique au
cœur des ténèbres.
Le premier numéro de la revue Africultures fut publié en octobre 1997. Ce n'était pas nos
premières armes en tant que groupe, puisque nous avions travaillé ensemble pendant cinq ans à
La Lettre des musiques et des arts africains, mensuel un peu fanzine et très bénévole dirigé par
Fayçal Chehat, qui essayait de remplir un vide en termes de documentation sur les expressions
culturelles africaines. En effet, en dehors de la Revue noire, qui tentait de faire entrer les
plasticiens africains dans le circuit fermé de l'art contemporain et qui disparut lorsque s'évanouit
la perfusion ministérielle qui assurait sa survie, aucune revue n'arrivait à se pérenniser, comme si
un discours construit sur les expressions culturelles d'origine africaine n'intéresserait à jamais
qu'un petit monde d'initiés.
En octobre 1997 donc, lorsque nous décidons de poursuivre l'aventure de La Lettre, en en
conservant l'indépendance financière mais de façon plus professionnelle et en élargissant le
comité de rédaction pour regrouper des spécialistes émergeant de chaque discipline artistique,
l'enjeu nous semblait être de poursuivre l'œuvre de connaissance amorcée précédemment, mais
aussi d'y adjoindre une fonction de reconnaissance. Face aux préjugés amoncelés dans notre
société et aux ratés de l'intégration, il nous fallait parler non seulement des, mais aussi sur les
représentations de l'Afrique, c'est-à-dire intégrer une analyse critique qui ne soit pas jugement
ecclésial ou policier, mais un approfondissement dénué de l'habituelle complaisance du discours
de coopération.
Le premier dossier de la revue fut donc une sorte de manifeste intitulé « La critique en
questions ». Il s'agissait d'une première clarification : en quoi le regard sur l'Autre ne peut-il être
séparé du regard sur soi ? Et cela était valable pour toute l'équipe, qui comportait — et comporte
encore huit ans plus tard — toute la palette de peaux du noir au blanc. Il ne pouvait bien sûr
s'agir de se figer dans une identité momifiée à défendre contre les méchants. Le peigne surmonté
d'un œil, choisi comme logo pour Africultures, privilégie certes l'ancrage dans les racines mais
met aussi en avant l'importance du regard : ce symbole adrinka ghanéen signifie l'attention
féminine, la tendresse et la patience. Nous savions qu'il nous faudrait du temps, du travail et de
fécondes remises en cause pour préciser une ligne éditoriale qui nous rende aptes à saisir dans
toute sa mobilité et sa diversité quelle place se définissent aujourd'hui les créateurs d'origine
africaine et quel est leur apport au monde.
Tous les téléspectateurs connaissent aujourd'hui la présence significative des sportifs issus
des pays de l'ex-Empire français dans les équipes qui « évoluent » en France. Mais bien peu sont
sans doute conscients du fait que le spectacle sportif est imprégné d'une culture postcoloniale.
C'est ce que nous voulons discuter ici, en interrogeant les résultats de l'étude Mémoire coloniale,
mémoire de l'immigration, mémoire urbaine1 au regard de la question du sport et de l'impact de
la mémoire coloniale sur les constructions identitaires, repérables entre autres dans le monde
sportif.
Pour le discours médiatique et politique, la présence de ces sportifs venus d'ailleurs
soulignerait le rythme des intégrations migratoires successives. Mais, on va le voir, il met aussi
en évidence la manière dont se perpétuent et se déplacent les discriminations. Car, dans les
imaginaires qui le traversent, le sport véhicule et entretient des fictions de l'Autre dont bon
nombre proviennent de l'époque coloniale2 . Ce qui peut être perçu comme une « revanche des
dominés3 » se matérialise par l'accession de quelques sujets d'élite au plus haut niveau de
pratique, accession magnifiée et rapportée aux valeurs supposées du sport (qui effacerait les
inégalités sociales), de la République française (et de son potentiel d'intégration), du travail et de
l'effort. Ce rapport est pourtant loin d'être évident, si l'on interroge les faits mis en avant pour
justifier l'idée que le sport fonctionnerait comme tremplin social4.
Aux États-Unis, ce « grand mirage » est ainsi cruellement démenti par les chiffres, puisque
seulement « 1,6 % des Noirs engagés dans les compétitions universitaires de base-ball, de basket
et de football [ont] une chance de passer professionnels — et la carrière moyenne du petit
nombre qui y parvient s'étend sur moins de quatre années5 ». Le sociologue Loïc Wacquant a
également montré comment, dans ce pays, la réussite — en boxe — est conditionnée à un degré
de socialisation élevé ; elle sourit aux membres des franges dominantes du ghetto noir, les autres
quittant rapidement le gymnase, incapables d'en supporter la discipline extrême6 . De même,
dans la France coloniale, « au regard de son potentiel humain, l'AOF7 [a fourni] bien peu
d'athlètes d'élite8 ». Aujourd'hui encore, la réussite sportive demeure exceptionnelle pour les
personnes issues des ex-colonies et se cantonne aux sports délaissés par les fractions dominantes
de la société : elle s'observe majoritairement en football, en athlétisme (plus spécifiquement en
fond et demi-fond pour les athlètes issus d'Afrique du Nord), ou en boxe.
Tout cela conduit à nuancer l'idée reçue selon laquelle le sport serait un « bon moyen »
d'intégration pour les jeunes issus de l'immigration et à éclairer l'un des résultats de l'enquête,
selon lequel « les espaces d'intégration des populations immigrées souvent considérés comme
prioritaires pour les pouvoirs publics, notamment le sport ou l'école, ne sont pas — ou plus —
perçus comme des facilitateurs relationnels et d'intégration ». Il y a bien un décalage entre un
discours institutionnel, médiatique et politique, et le sentiment de celles et ceux qui sont censés
bénéficier des effets intégrateurs des institutions : les significations convenues du sport sont
malmenées aussi bien par la perception des populations interrogées que par les données
sociologiques disponibles.
« Charte pour la diversité » (signée par quarante entreprises en octobre 2004), promotion
de la « diversité » dans la fonction publique1 et dans les médias : les appels et recommandations à
introduire de la différence visible dans les organigrammes et les représentations collectives se
sont multipliés en 2004. Cet engouement récent pour la « diversité » peut trouver de nombreuses
explications, mais la principale tient sans doute dans la capacité de ce concept — vite transformé
en slogan — à inscrire en douceur la France parmi les sociétés multiculturelles. En douceur, dans
la mesure où la diversité peut se décliner selon de nombreuses composantes (genre, origines
ethniques et raciales, âge, religion, préférences sexuelles…) sans avoir à les nommer
précisément, et où elle constitue un horizon plutôt consensuel.
Qui songerait aujourd'hui à défendre une France uniforme ? Pourtant, derrière le vocable
relativement lénifiant de la diversité se profilent une remise en question de la norme unitaire qui
soutient le traditionnel « modèle français d'intégration » et une critique de la conception
républicaine de l'universalisme. Des révisions qui ne figurent sans doute pas sur l'agenda des
principaux diffuseurs du concept, à commencer par les entreprises signataires de la « Charte pour
la diversité » ou l'ancien ministre de l'intérieur, Jean-Pierre Chevènement, lorsqu'il avançait que
la police devait refléter la « diversité de la population française » et admettre dans ses rangs un
plus grand nombre de « jeunes nés de l'immigration2 ». Que penser dès lors du slogan de la
« diversité » : multiculturalisme masqué, action anti-discrimination light ou concession
minimaliste pour renforcer l'édifice républicain ?
En 2003, pour mener une étude sur l'état de l'opinion en France concernant les indices et la
réalité de la « fracture coloniale », nous avons choisi une ville et sa périphérie — Toulouse — a
priori « neutres » par rapport aux questions qui occupent le cœur de cet ouvrage : dans la ville
rose, l'histoire coloniale n'a été ni omniprésente (à la différence de villes comme Bordeaux ou
Marseille), ni absente (présence de troupes coloniales pendant les deux guerres mondiales et des
rapatriés). De plus, après la Seconde Guerre mondiale, les origines des migrants qui s'y sont
établis ont été relativement équilibrées entre migrations intra-européennes et extra-européennes.
La ville est ainsi riche du croisement des différentes histoires de l'immigration dans le siècle et la
répartition de la population entre Français, étrangers et Français d'origine étrangère est proche
des données nationales1.
L'étude a été initialement scindée en deux parties distinctes : la première est une enquête par
questionnaire, réalisée en ville (centre-ville et arrondissements périphériques) et en périphérie de
Toulouse (villages, quartiers, zones rurales…) auprès de plus de quatre cents personnes réparties
selon la méthode des quotas ; la seconde partie s'est appuyée sur soixante-huit entretiens
individuels, ces « personnes ressources » ayant été sélectionnées par la constitution de « profils
types » sur la base des résultats de l'enquête par questionnaire2 . Pour faciliter la compréhension
des résultats de l'étude, nous avons choisi, dans cette brève synthèse, à la fois de regrouper ces
deux niveaux d'enquête et de la limiter aux grandes lignes qui nous ont paru les plus
significatives — mais qui ne révèlent pas toute la complexité de l'ensemble du travail mené à
l'origine3.
L'objet de cette étude était non seulement de revenir sur les mémoires du passé colonial de la
France, mais aussi de chercher à comprendre les enjeux contemporains légués par la
colonisation : à savoir principalement les représentations collectives qui semblent structurer
l'appréhension des populations ex-colonisées (comme des ex-espaces coloniaux tels l'Afrique
noire, l'ex-Indochine ou le Maghreb), mais aussi les représentations des acteurs issus de
l'immigration coloniale et postcoloniale. Enfin, nous avons tenté d'interroger les rapports
intercommunautaires contemporains en les éclairant par la période coloniale, fondatrice des
rapports entre les Français et les populations ex-coloniales.
À l'aune des principaux résultats de l'étude, l'hypothèse émise au début de ce travail — la
faible connaissance de l'histoire coloniale et de l'histoire de l'immigration — est confirmée, en ce
qui concerne Toulouse et sa périphérie, pour pratiquement toutes les catégories d'enquêtés :
dates, personnalités, lieux et événements ne « résonnent » pas au sein des populations
rencontrées, sauf pour ce qui concerne l'Algérie. La colonisation, quels que soient les angles sous
lesquels on l'aborde, est identifiée d'abord et surtout par le prisme de l'Algérie (pays, guerre,
population, histoire et, à un moindre niveau, religion). Par exemple, le plus grand nombre de
réponses pour les « colonies » citées concerne l'Algérie, et la date la mieux connue est celle de
l'indépendance algérienne, en 1962 (et encore de façon très relative, puisqu'il faut ouvrir le
spectre à plus ou moins cinq ans pour obtenir une réponse majoritairement positive). Rien de
surprenant donc à retrouver, dans les premiers mois de 2005, l'Algérie au centre du débat sur la
mémoire coloniale en France (notamment avec les critiques, venues d'historiens français mais
aussi du FLN algérien, de la loi française de février 2005 insistant sur le « rôle positif » de la
colonisation).
De même, pour ce qui a trait à l'immigration, à son histoire et aux représentations qui lui sont
liées, c'est l'« image du Maghrébin » qui domine, ainsi que l'histoire des flux migratoires venus
d'Afrique du Nord (Algérie, Maroc, Tunisie). Dans toutes les parties de l'enquête, on retrouve
une confusion presque systématique entre histoire coloniale, histoire de l'immigration et guerre
d'Algérie. A contrario, les dates des autres conflits (Indochine) et des indépendances (Indochine,
Afrique noire) ou l'histoire des flux migratoires venus de l'ex-Indochine, d'Afrique noire ou des
Antilles sont peu identifiées, sauf par les enquêtés ayant un ascendant direct issu de ces espaces
ou par les personnes ayant un niveau d'étude d'au moins « bac + 4 ».
L'omniprésence des références à l'Algérie marque une particularité de la mémoire de la
colonisation et, par extension, des mémoires liées à l'immigration postcoloniale : le fait
historique colonial est identifié à l'un de ses épisodes les plus tragiques (parmi un spectre de
réponses évoquant une trentaine d'événements coloniaux4), la guerre d'indépendance algérienne,
et, de façon plus spécifique, à la torture. Cette focalisation sur l'Algérie pose un double
problème : le premier concerne la difficulté à percevoir toute la complexité et les ambivalences
de la colonisation, sa compréhension étant réduite à celle d'un de ses moments les plus violents ;
le second renvoie à la cristallisation manifeste d'un ressentiment éprouvé par les descendants
d'immigrés originaires du Maghreb, d'Afrique noire, de l'ex-Indochine ou des actuels Dom-Tom
face à une histoire perçue comme globalement occultée.
La colonisation, dont l'héritage est bien loin de participer à la constitution d'une histoire
commune — avec ses événements souvent douloureux et sa complexité —, est vue par les
enquêtés « issus de l'immigration » comme la métaphore d'une oppression subie aujourd'hui : le
sentiment d'être un « enfant d'indigène » — ou un « enfant de la colonisation » — structure une
représentation de soi assez similaire à celle observée dans les Dom-Tom chez les « descendants
d'esclaves ». Pour la majorité des « Français de souche », en revanche, le drame algérien est
perçu comme une preuve que les ex-« indigènes » issus du Maghreb et leurs descendants seraient
non intégrables en France, en vertu de leur origine, non pas « ethnique », mais « historique »
(sauf chez les plus de soixante ans, qui pensent l'inverse), comme le confirment les réponses aux
questions posées sur l'intégration des « immigrés » en fonction de leurs origines.
Ainsi, la conjugaison de discriminations « raciales » toujours bien présentes et de la
méconnaissance des réalités concrètes de la colonisation, dans toutes ses dimensions et pour
toutes les franges de la population française (y compris les « Français de souche »), explique que
l'histoire coloniale est aujourd'hui globalement perçue très négativement et identifiée à la
violence, à l'oppression, à la torture, à un système de classification selon la « race », désignant la
République comme ayant « trahi ses valeurs ». La « mémoire coloniale » est devenue une
ressource négative, qui nourrit les cristallisations identitaires au sein des populations immigrées
ou issues de l'immigration coloniale et postcoloniale, qui se sentent rejetées par la société
d'accueil5.
Et pourtant, quels que soient les profils des enquêtés, émerge un fort intérêt personnel pour
l'histoire coloniale7 et, dans une moindre mesure, pour l'histoire de l'immigration. C'est l'un des
enseignements majeurs de cette étude : une forte demande sociale existe pour comprendre cette
période, afin d'éclairer certains problèmes contemporains et pour combler un vide mémoriel
perçu par une forte majorité comme une amputation très importante de l'histoire nationale. Mais
ce n'est pas forcément l'histoire de l'immigration et de la colonisation telle que les institutions ou
les spécialistes l'entendent, qui fait l'objet de cette demande sociale.
Il suffit en effet d'apprécier l'attitude des personnes ressources interrogées, face à la « mallette
pédagogique » de documents très divers sur l'histoire coloniale et postcoloniale (livres, revues,
films, etc.) qui leur avait été remise avant les entretiens. On constate un rejet des films sur
l'immigration et la faible utilisation des revues spécialisées sur ces questions (le contenu et la
qualité de ces supports sont jugés « médiocres » ou trop « spécialisés »). Nombre de personnes
ressources s'interrogent sur les raisons pour lesquelles cette production n'est pas aussi attrayante
que celle concernant d'autres sujets historiques classiques (Grande Guerre, Seconde Guerre
mondiale, histoire de l'art…). En effet, beaucoup de supports proposés ont été jugés
négativement ou n'ont pas été utilisés alors que, parmi ceux qui ont été consultés, les livres
illustrés émergent, ce qui est assez normal (force des images), mais aussi les approches plus
originales, comme les romans et certains ouvrages historiques synthétiques.
La mémoire coloniale occupe donc aujourd'hui un champ spécifique du débat public. Notre
enquête montre d'ailleurs que, pour neuf enquêtés sur dix, l'histoire coloniale doit
impérativement être abordée, car son analyse peut permettre de comprendre des phénomènes
contemporains. Devant ce désir manifeste exprimé par les interviewés, on peut légitimement
s'interroger sur le retard des institutions en la matière.
Plus largement, on observe une remise en cause des principes mêmes du modèle d'intégration
par nombre des personnes ressources consultées. Conjugué au sentiment d'une « mémoire
impossible », cet affaissement de la croyance en une « réussite républicaine » par l'intégration est
un signe fort qui interroge la solidité de l'un des piliers du « vivre ensemble » de la société
française.
Épilogue
De « notre » mémoire à « leur » histoire : les
métamorphoses du Palais des colonies1
Arnauld Le Brusq
La mémoire demeure toujours cette vieille dame mère des muses qui aime à se nicher dans
les murs des vieux palais. Elle se manifeste essentiellement en images, qu'elle se plaît à faire
voyager à travers le temps, remontant parfois à la surface du présent pour devenir visibles, puis
disparaissant dans l'oubli et revenant visiter les vivants. Ainsi de suite. Si le projet de l'histoire
est maîtrise, la venue de la mémoire est surprise.
Monter depuis la station de métro parisienne de la Porte Dorée vers le Palais des colonies, ex-
Musée permanent des colonies, ex-Musée de la France d'Outre-Mer, ex-Musée des arts africains
et océaniens, ex… et bientôt Cité nationale de l'histoire de l'immigration, c'est aller au-devant
d'une traversée de la mémoire coloniale en son épicentre. Disons le mot : son sanctuaire. N'est-
elle pas anachronique, la haute et incroyable figure guerrière en bronze doré appelée La France
colonisatrice — dite parfois La France civilisatrice — qui se dresse au-dessus de la cascade vers
le bois de Vincennes ? Si vous vous retournez avant d'accéder au palais, vous apercevez, mutilé
par un attentat en 1983, mais reconstitué contre l'oubli, le monument au commandant Marchand.
Que raconte-t-il aux générations qui passent ? L'affront de Fachoda en 1898, Lord Kitchener, les
sources du Nil2, etc. Qui s'en souvient ? Le bloc de ciment et le bas-relief de bronze, oui.
De face, le bâtiment vous apparaît dans toute sa beauté minérale, granitée, monumentale,
distillant l'incomparable sensation physique donnée par l'architecture du « retour à l'ordre » des
années 1930, dans l'usage encore pionnier du béton armé, précédé de palmiers
vraisemblablement choisis d'une espèce naine afin de renforcer sa monumentalité. Bâtiment
aujourd'hui négligé, d'allure étriquée malgré les bassins à l'image des océans qui baignaient les
quatre parties de l'Empire, fané, le gravier mal égalisé, les deux mâts des trois couleurs piquetés
de rouille, les macarons marqués RF ternis, une bâtisse fatiguée, comme déplacée, jaillie d'un
temps révolu et venue d'un espace aujourd'hui bel et bien mort.
Et pourtant. Avant d'entrer, admirez le tableau minéral qui déploie sur toute l'étendue de la
façade ses visions en bas relief, ordonnées de part et d'autre de la figure de géante maternelle qui
s'élève au-dessus de la porte d'entrée, la France, la République accompagnée de la Paix et de la
Liberté, mais aussi de Pomone et de Cérès échappées du fonds antique : à gauche voici l'Afrique,
toujours « primitive », à droite l'Asie, toujours « raffinée », un tableau minéral où se
reconnaissent les villes portuaires aux noms sculptés Le Havre, Bordeaux, Marseille la porte de
l'Orient, des hommes et des femmes au travail, des navires en route, des fragments d'inventaires
de matières premières, plomb, cuivre, arachide, caoutchouc, dans une nature exubérante où se
distinguent un troupeau d'éléphants au galop, les graciles antilopes, les zébus placides, les
crocodiles, les poissons, un tigre enserré par un python, des oiseaux, des listes de noms de
pays… Soyez féconds, avait-Il dit, multipliez, emplissez la terre… Soyez la crainte et l'effroi de
tous les animaux de la terre et de tous les oiseaux du ciel, comme de tout ce dont la terre
fourmille et de tous les poissons de la mer : ils sont livrés entre vos mains… Tout ce qui se meut
et possède la vie vous servira de nourriture, Je vous donne tout cela au même titre que la verdure
des plantes… Pour vous, soyez féconds, multipliez, pullulez sur la terre et la dominez… Alors
c'est ce qu'ils firent.
Passée la porte d'entrée, dans l'assurance que procure la symétrie, à votre gauche vos pas vous
portent vers le « Salon du ministre », car le serviteur de l'État en charge des colonies avait ici son
pied-à-terre à la manière des antiques palais de la royauté pourvus d'une « aile des Ministres ».
Au mur circulaire se déroule la fresque sur le thème de L'apport de l'Afrique à la France, où se
découvrent le Prophète et l'archange Gabriel, mais aussi Apollon et sa lyre charmant les plantes,
les animaux et les villageois africains, accompagnée d'une immense muse noire — une Clio
africaine, qui sait ? — sur fond de Pégase et des cités de Djenné et de Tombouctou.
À votre droite, vos pas vous portent vers le « Salon Lyautey », sur le thème de L'apport de
l'Asie à la France, où se reconnaissent Bouddha, Confucius et Krishna. Salon où se tenaient il
n'y a pas si longtemps — et maintenant rangés dans quelles réserves de la République ? — le
fauteuil et le portrait du commissaire général de l'Exposition coloniale internationale de 1931, le
maréchal Louis Hubert Gonzalve Lyautey (1854-1934). Un fauteuil en tapisserie de couleurs
vives, frappé du sigle RF et du coq gaulois protégeant ses colonies, l'éléphant et le chameau. Un
portrait en grand uniforme, drapé d'une djellaba, du maréchal dont la carrière se déroula tout
entière sous l'œil des photographes de la propagande journalistique et militaire, jusqu'en lisière
du Sahara aux côtés du père de Foucauld. Le maréchal avait été sorti in extremis de sa retraite
familiale de Thorey (Meurthe-et-Moselle) pour mettre en application sa devise The soul's joy lies
in doing (la joie de l'âme est dans l'action) et organiser l'événement pour lequel fut construit ce
palais cette année-là, comme vous pouvez le lire au-dessus de la porte du vestibule sur la dentelle
de ferronnerie : « Le 6 mai 1931, cet édifice a été inauguré par Gaston Doumergue, président de
la République/ Paul Reynaud étant ministre des Colonies/le maréchal Lyautey commissaire
général/de l'Exposition coloniale internationale. »
Cosmologie coloniale
1931. L'Exposition coloniale internationale. Mise en scène du double mouvement, du va-et-
vient entre la métropole et ses colonies, l'œuvre réalisée par la France dans son Empire en
symétrie de l'apport des colonies à la métropole, la vaste construction en images visible à la Porte
Dorée exalte toujours ce grand flux et reflux en une figuration des mouvements planétaires que
les vivants d'alors écoutaient comme la respiration naturelle du monde : la France pile au centre,
renfermée dans le sanctuaire de cette salle des fêtes, la fresque dite L'apport de la France à
l'Outre-Mer ou parfois La France et les cinq continents en pendant des compositions des deux
salons, L'apport de l'Afrique à l'Occident et L'apport de l'Orient à l'Occident.
Visions spirituelles reprises pour ainsi dire en grand et incarnées dans le travail, la production
et le commerce sur le relief en pierre taillée de la façade, toutes scènes où s'immisce le souvenir
des parties du monde faisant hommage de leurs richesses telles qu'elles figuraient aux murs de
l'escalier des Ambassadeurs, au château de Versailles. Telles que vous pouvez les voir encore au
couronnement de la Cour de marbre, les animaux des quatre parties rapportés et enfermés dans la
ménagerie, au centre de l'univers, à Versailles, les plantes des quatre parties rapportées et
acclimatées au jardin du roi — au centre de cette partie que les Anciens avaient appelée Europe,
du nom de la déesse à la peau blanche et veloutée, enlevée de son rivage par le taureau blanc aux
cornes en croissant de lune, emmenée par-delà la mer tandis que ses frères partis à sa recherche
fondaient, là où leur pied se posait, des colonies.
Dès 1935, quatre ans après la fermeture des portes de l'Exposition coloniale internationale, le
musée rebaptisé Musée de la France d'Outre-Mer est confié à l'écrivain et critique d'art natif de la
Réunion Ary Leblond, lauréat du prix Goncourt 1909 pour son roman au titre adverbial à la
manière de Joris-Karl Huysmans et national à la manière de Maurice Barrès : En France. Les
collections déroulaient le phylactère d'une histoire qui s'ouvrait sur la galerie des ancêtres. Un
défilé de figures réincarnées qui sait les unes dans les autres depuis Godefroy de Bouillon (1058-
1100), chef de la première croisade et souverain du royaume de Jérusalem, jusqu'au maréchal
Lyautey, qui avait fini par décéder dans sa solitude de Thorey en Meurthe-et-Moselle. Défilé
permanent et alors inachevé où les figures venaient s'ajouter les unes aux autres — dernière en
date, celle du général Leclerc de Haute-cloque, après reprise en main de l'Indochine, comme on
disait.
Tourner la page ?
Puis vint le temps du reflux, de la Corrèze avant le Zambèze, où le film colonial se rembobina
avec une barbare symétrie, les assauts sanglants des débuts — Algérie 1830, Pékin 1860,
Dahomey 1892 — changés en retraits affolés et non moins sanglants — Sétif 1945, Haiphong
1946, Madagascar 1947 —, toutes dates mentionnées à titre d'échantillons. Alors s'effacèrent au
musée de la Porte Dorée les couchers de soleil orientalistes réapparus seulement bien plus tard à
la gare d'Orsay, oubliés les poèmes de José Maria de Heredia et des poètes dits « des îles »,
relégués aux réserves et jusqu'à ce jour réapparues nulle part les peintures de l'école
indochinoise, démonté le suave « Salon Paul et Virginie », rendues à leurs propriétaires les
bonbonnières aux dessins d'oiseaux chamarrés, remisés les meubles de Pondichéry où s'était
étendue l'extravagante compagne de Joseph François Dupleix, la bégum Jeanne, repliés aussi les
graphiques, les statistiques qui prouvaient combien tout cela, l'aventure, l'Empire, avait été au
total et tout compte fait une bonne affaire.
Au tournant des années 1960, sous l'impulsion de l'ex-jeune homme désenchanté qui rêva
d'incarner l'histoire, André Malraux, alors devenu ministre à grosses lunettes qu'il balançait au
bout du bras tel un oiseau mort et promoteur de la religion de l'art au panthéon de laquelle il
acheva d'annexer les statues, les masques, les poids de mesure, les reliquaires et les cimiers de
chefs venus dans les bagages des explorateurs, des administrateurs et des tirailleurs aux casques
en moelle d'aloès, le palais se mua en Musée des arts africains et océaniens.
Tandis que l'Empire s'effritait, qu'il s'effondrait sur lui-même, que la carte tachée de rose se
craquelait, qu'éclataient les bombes de l'OAS, qu'un million de pieds-noirs choisissaient entre le
cercueil et une ultime traversée de la Méditerranée, et que dans le froid d'une station thermale au
nom d'eau minérale les dirigeants du FLN mal à l'aise dans leurs pardessus trop grands mettaient
fin à l'aventure, tandis que les statuettes, les masques et les cimiers de chefs se déployaient aux
murs et sous les vitrines, dans le plus profond du ventre du Musée permanent des colonies ne
demeurait plus de cette permanence que l'aquarium. De sorte que — ironie du sort comme on dit
— la fluidité biologique, animale, les taches colorées, bleues, jaunes, rouges des poissons
tropicaux se montrent plus efficaces contre les assauts du temps que la mise en scène des œuvres
de civilisation. Est-ce parce qu'en arrière-pensée de la conquête coloniale se nichait la quête d'un
jardin au goût de paradis que le musée reçut un aquarium, ou bien par cette association entre
artificialia et naturalia qui prévalait déjà dans les cabinets de merveilles médiévaux, dissociation
en vertu de laquelle tout musée cache toujours un zoo ?
Comme si l'altière figure de la France qui se dresse à l'étage au-dessus, pile au centre, entre
terre et ciel parmi les caravelles aux voiles immaculées trouvait ici, dans les entrailles moites du
sanctuaire, sa nourriture sacrée à la mode de ces déesses qu'il faut amadouer par des offrandes
consommables, tels ces six crocodiles au fond de leur fosse, dont rochers et végétaux figurent un
improbable paysage africain. De même qu'à l'étage au-dessus l'altière figure de la France rayonne
sur les quatre parties du monde dans un paysage de jungle peint, par une inversion infernale, à
cet étage inférieur tout autour de la fosse aux crocodiles, s'alignent aux vitrines phosphorescentes
des poissons et autres créatures marines venues d'Océanie, d'Amérique, d'Asie et d'Afrique. Les
quatre continents.
La roue tourne. Une histoire prend fin. Une autre commence. Déjà il n'y a plus d'ici ni
d'ailleurs. La boule bleue devenue une seule et même banlieue sans fin. Les caravelles aux voiles
immaculées ont depuis longtemps fait naufrage ou sont rentrées au port et les vivants, sur la
croûte de la boule bleue, errent à la périphérie de peu ou prou la même mégalopole, les yeux
fixés devant les peu ou prou identiques récits imagés en feuilletons véhiculés par satellites. Le
phylactère saturé. Et pourtant. Les statuettes aux yeux démesurés sertis de coquillages, aux
bouches ouvertes et chargées de graisse, aux visages tordus hérissés de plumes, s'en sont allées
vers le Musée des arts et civilisations du quai Branly, lui-même organisé selon les quatre parties,
l'Afrique, l'Asie, l'Océanie et l'Amérique dédoublée en nord et sud, autour du centre vide, la
vieille Europe à la peau veloutée, dans l'attente d'un partage enfin équitable des ancêtres sur la
surface de la boule bleue.
Voici que s'avance la Cité nationale de l'histoire de l'immigration. « Leur histoire est notre
histoire », affirme le slogan programmatique du lieu de mémoire dans sa nouvelle
métamorphose. Flux et reflux. Qui c'est, « eux » ? Qui c'est, « nous » ? Qui donc est sujet de
l'histoire ? Et de la mémoire ? Car si vous jugez qu'un homme est un homme, alors tous les
ancêtres se rassemblent, tous les fantômes figés dans l'orgie du passé à toucher du regard à
travers les vitrines d'un musée enfin délié du « eux » et du « nous ». Un musée vide, qui sait ?
Dans cette attente, la cité à naître en 2006 recouvrira de ses expositions d'écrans vidéo et de
toiles imprimées les fresques d'un temps où la planète vivait le temps colonial au présent. C'était
juste avant. Avant nous. Aucun bâtisseur d'Empire hier, aucun responsable politique aujourd'hui
n'auraient imaginé laisser le Palais des colonies simplement offert à la visite des générations dans
sa grandeur architecturale, décorative et mémorielle, laissée au temps qui passe à l'image de cette
locomotive de grande allure que le poète André Breton souhaitait voir livrée durant des années
au délire de la forêt vierge en un monument à la gloire et au désastre.
Le Palais des colonies. Un monument à la gloire et au désastre. L'histoire qui se racontera à la
Cité nationale de l'histoire de l'immigration aura sans doute l'illusion de maîtriser les temps
anciens et sera pleine d'idées sur le temps présent. Sur « leur » histoire et « notre » histoire. Puis
un jour, les surprises de la mémoire rejailliront ici ou là, car la mémoire est une vieille dame qui
demande de temps à autre à ses filles d'envoyer ses images aux vivants : pile au centre, altière, la
France se dressait alors sur la terre…
Annexe 1
Méthodologie de l'étude « Mémoire coloniale,
mémoire de l'immigration, mémoire
urbaine » menée à Toulouse en 2003
Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et
Sandrine Lemaire
Ce résultat confirme ceux relatifs à la première question de l'enquête par questionnaire (panel
de quatre cents personnes) sur la capacité à citer au moins une colonie française. Le taux très
élevé de réponses positives (94 %) est la première surprise de cette enquête, même s'il s'explique
par la présence dans l'actualité de certains pays (comme l'Algérie) ou la réalité contemporaine
des Dom-Tom. Ce taux, en outre, n'est que faiblement imputable aux origines familiales : 88,6 %
des Français dont les parents et les grands-parents sont nés en France métropolitaine sont
capables de citer une ex-colonie française, contre 97 % des interviewés ayant au moins un parent
ou grand-parent né dans une ancienne colonie française.
Les réponses à cette question sont essentielles sur un autre point. En effet, d'une part, l'Algérie
est citée dans presque la moitié des cas (48,9 %) et, d'autre part, les anciennes colonies qui
constituent aujourd'hui les Dom-Tom (Guyane, Martinique, Guadeloupe, Réunion, Nouvelle-
Calédonie, Polynésie française…) sont citées, si on les cumule, par 15,8 % des interviewés —
même la Corse est citée, mais par seulement 0,8 % des enquêtés, malgré son poids médiatique et
la revendication ancienne des « nationalistes corses » pour associer son statut à celui d'une
« colonie » de la France ; cela n'est, à l'évidence, guère perçu ainsi par l'opinion toulousaine.
La présence massive de l'Algérie est compréhensible : une proportion non négligeable
d'interviewés ont un parent ou grand-parent originaire d'Algérie (un sur cinq en moyenne) et la
guerre d'indépendance algérienne est largement abordée par les manuels scolaires dans le cadre
du chapitre sur les décolonisations, mais aussi dans l'étude des IVe et Ve Républiques. Même si
son approche y est rapide, cette guerre apparaît en général comme l'exemple le plus « négatif »
de l'histoire de France (avec Vichy) au XXe siècle, dans la mesure où elle est présentée comme le
symbole d'une indépendance arrachée par un « conflit sanglant », touchant directement la société
française. Par ailleurs, depuis les années 1990, de nombreuses réminiscences de ce moment
tragique de l'histoire coloniale resurgissent régulièrement dans l'actualité, comme l'attestent les
nombreux articles de presse, revues, magazines et documentaires qui lui sont consacrés.
Les aspects les plus traumatiques de la guerre d'Algérie (la torture, l'action de l'OAS, le 17
octobre 1961, le sort des harkis, l'exode des pieds-noirs…), régulièrement rappelés par les
médias, sont mis en avant par les personnes ressources, renforçant la perception négative du fait
colonial. L'absence d'une réelle politique visant à promouvoir la connaissance de l'histoire
coloniale dans sa complexité débouche ainsi, paradoxalement, sur la dramatisation radicale de la
colonisation comme fait historique. La mémoire du conflit est toujours particulièrement sensible
chez les enquêtés (scolaires et adultes) dont l'un des deux parents est originaire d'Algérie,
puisque plus des trois quarts d'entre eux indiquent ce pays comme premier choix dans les
colonies évoquées.
Au-delà de cette prépondérance, on remarque également que, pour une part significative
d'enquêtés, les Dom-Tom sont toujours identifiés spontanément comme des « colonies » (ce
qu'ils furent effectivement avant la départementalisation de 1946). En suivant de récents travaux
montrant que les populations des Dom-Tom n'ont jamais été intégrées comme pleinement
« françaises » dans l'imaginaire national, ce résultat ouvre une piste intéressante sur la perception
contemporaine des « vieilles colonies » de la France et la place spécifique de ces populations
dans l'imaginaire national (comme si seuls ces territoires — et non celles et ceux qui en sont
issus — seraient pleinement « français »). Cette remarque est à rapprocher des citations
concernant les colonies d'Afrique noire (14 %) et d'Indochine (4,3 %) : ces deux régions,
éléments fondamentaux de l'Empire avant les années 1950, sont citées moins souvent que les
Dom-Tom, confirmant le statut spécifique de ces derniers.
Les entretiens individuels comme l'enquête démontrent par ailleurs très clairement que la
quasi-totalité des dates de l'histoire coloniale ne sont pas connues par une très large majorité des
personnes ressources. Seule la date de la guerre d'Algérie peut être mentionnée avec une relative
exactitude par une faible majorité d'enquêtés. Cela renforce le constat du flou qui entoure
l'histoire coloniale, reflet, on y reviendra, de la défaillance des programmes scolaires.
À travers les réponses à la question portant sur la possibilité de situer « quatre dates
marquantes » de l'histoire coloniale (ou postcoloniale avec le cas des événements d'Ouvéa), se
dessine une photographie assez précise des connaissances1. Force est de constater qu'une très
large majorité d'enquêtés ignorent ces dates pourtant fondamentales, hormis celle de la fin de la
guerre d'Algérie, que 51,8 % des interviewés peuvent citer (à plus ou moins cinq ans près), ce
chiffre tombant cependant à 31 % en sélectionnant les réponses exactes à plus ou moins un an.
Dans cette approche, il était important de questionner la place de la transmission
intrafamiliale : on note ainsi une différence très sensible entre les personnes ayant leurs
ascendants en France métropolitaine et ceux dont l'un des parents ou grands-parents est né dans
une ancienne colonie française dans les réponses apportées à la connaissance de la « date de la
conquête de l'Algérie » (11,9 % contre 27,1 %).
Sur la question concernant la date de la fin de la guerre d'Indochine, les origines des
interviewés ne révèlent pas de profonds clivages, ce qui semble indiquer que, sur ces questions
de connaissances générales (où, pour notre panel, la transmission familiale ne joue pratiquement
pas, étant donné la faiblesse — 2,6 % — du nombre d'enquêtés d'origine asiatique), c'est la
position socioprofessionnelle, et donc le niveau de diplôme, qui est déterminant. Comme pour la
question précédente, les plus jeunes sont les moins instruits de cette histoire : 16,7 % des 18-25
ans sont capables de répondre, contre 28,9 % des plus de 55 ans (et 30,9 % des 45-55 ans) ;
faible pourcentage, surtout lorsqu'on considère qu'au moment où l'enquête était réalisée se
préparait la commémoration du cinquantième anniversaire de Diên Biên Phu.
Enfin, pour la question qui a reçu le plus de réponses positives — « Pouvez-vous citer la date
de la fin de la guerre d'Algérie ? » —, on note toujours un impact, certes limité mais sensible, de
l'origine sur les réponses : alors que, dans l'ensemble, 51,8 % des enquêtés peuvent répondre à
cette question (à plus ou moins cinq ans), ce taux est de 62,4 % pour les interviewés ayant un
parent ou grand-parent né dans une ex-colonie française, contre 49,7 % pour ceux dont les
ascendants sont nés en France métropolitaine. L'impact du lien familial, sur cette question
comme sur de nombreuses autres, est donc une donnée récurrente, mais la faiblesse de l'écart
(12,8 points) est un indice du rôle relativement marginal de la transmission intrafamiliale des
savoirs.
Au cours des entretiens individuels, nous avons pu approfondir certaines approches. À la
question « L'histoire coloniale est-elle un sujet qui vous intéresse ? », plus des deux tiers des
questionnés répondent positivement. Par ailleurs, tous (sauf un) connaissent au moins une
colonie française. De même, l'histoire coloniale rencontre un écho important au sein de notre
panel, dans des proportions identiques à l'enquête par questionnaire, chez les scolaires comme
chez les non-scolaires. Et ces entretiens confirment également le déficit de connaissance et la
demande sociale vis-à-vis de l'enseignement de l'histoire coloniale et postcoloniale.
La mémoire est toujours particulièrement sensible chez les enquêtés (scolaires et adultes) dont
l'un des deux parents est originaire d'Algérie. Fait plus surprenant, ceux dont l'un des deux
parents est né dans un autre pays du Maghreb ex-français donnent l'Algérie comme premier
choix dans des proportions sensiblement équivalentes (trois sur quatre), comme si une
identification à la situation coloniale de l'Algérie se produisait pour ces interviewés. Ce résultat
demanderait à être précisé par d'autres enquêtes, mais il pourrait éclairer le parallèle de plus en
plus souvent établi entre une situation coloniale violente, fondamentalement inégalitaire, et la
situation actuelle des Français « issus de l'immigration maghrébine », fréquemment perçue, ainsi
que le montre notre enquête, comme stigmatisante et discriminante, produisant une inégalité
fondée sur des faits de culture, là où le système colonial construisait l'inégalité sur un plan
juridico-politique.
La correspondance déjà observée entre le pays natal des parents et les réponses des enquêtés
sur les zones coloniales citées se retrouve dans la réponse à la question « Lorsque vous citez des
colonies de l'Empire français, à quelle zone de cet ex-Empire pensez-vous ? » : le Maghreb est de
loin le plus cité. Mais pour les « Français d'origine », c'est également le Maghreb qui occupe, et
de loin, la première place, ce qui rejoint le constat sur la place prédominante de la guerre
d'Algérie dans les imaginaires collectifs. De même, pour une forte majorité (sept sur dix), les
Dom-Tom sont toujours dans le champ colonial.
À travers cette double approche géographique et historique, on touche très concrètement les
limites des connaissances de l'histoire coloniale. Celle-ci est un peu perçue comme un
« continent englouti » : hormis l'Algérie coloniale, elle disparaît des mémoires. Un autre fait
marquant des réponses à la question sur le choix d'événements coloniaux est la place des guerres
coloniales, références majoritaires pour ceux qui peuvent apporter une réponse. La colonisation,
le colonialisme, l'histoire coloniale se résument ainsi aux conflits coloniaux, essentiellement
d'Algérie et, plus marginalement, d'Indochine.
Les entretiens individuels confirment donc que le souvenir de la guerre d'Algérie donne une
coloration particulière à la mémoire de la colonisation : celle d'une période d'abord marquée par
des affrontements sanglants. Dans les mentalités collectives, l'équation colonisation = conflit
militaire = crimes d'État (torture, crimes de guerre, opposition à la liberté des peuples…) réduit
la perception de la colonisation à un « crime ». Cette configuration mémorielle est confirmée par
les réponses apportées à la question « Pouvez-vous citer au moins une personnalité de l'histoire
coloniale ? ». Près des trois quarts en sont capables, mais la majorité mentionne le général De
Gaulle, les autres réponses se rapportant à une multitude d'autres figures2.
Pour affiner l'approche de la connaissance des événements, nous avons posé la question
suivante : « Avez-vous entendu parler de l'Exposition coloniale ? » Un peu moins de la moitié
des enquêtés répondent positivement, résultat significatif si on le compare aux réponses aux
autres questions (hormis celle sur la fin de la guerre d'Algérie). Certes, la question ne nécessitait
pas d'identifier une date (opération toujours plus délicate) et évoquait simplement la possibilité
d'avoir « entendu parler » de l'événement, ce qui autorisait un certain flou. Reste que si, comme
pour les autres réponses, la précision chronologique fait probablement défaut, l'exposition
coloniale de 1931 est connue d'une frange non négligeable d'enquêtés. Plus surprenant, s'agissant
d'un événement beaucoup plus récent, la date de l'affaire d'Ouvéa en Nouvelle-Calédonie3 n'est
connue (à cinq ans près) que par un quart des interviewés — alors même que ce drame a été suivi
d'un référendum et qu'il a marqué la campagne présidentielle de 1988 (65 % de notre panel
étaient alors en âge de voter).
Il est clair que l'institution scolaire joue un rôle primordial dans la médiocre transmission des
savoirs sur l'histoire coloniale : moins de la moitié des interviewés se souvenaient d'avoir suivi
un enseignement sur ces questions. Or, jusqu'aux indépendances, les programmes scolaires
abordaient obligatoirement et très largement l'histoire de la colonisation. La tranche d'âge des
plus de 55 ans, concernée par cet enseignement, ne s'en souvient pourtant qu'à 35 %. L'apologie
de la colonisation, qui occupait alors les manuels, n'a-t-elle pas constitué un trait suffisamment
marquant ou bien, comme pour tout phénomène enseigné à l'école, s'est-elle simplement
estompée avec le temps ? Le « creux » très marqué caractérisant la génération des 45-55 ans —
dont seulement 23,6 % se souviennent d'avoir étudié le phénomène colonial à l'école, contre plus
de 76 % qui l'ont oublié — s'explique en tout cas par la quasi-disparition de l'enseignement de
cette histoire à partir du milieu des années 1960, jusqu'à la fin des années 1970. L'inversion de la
tendance chez les jeunes de 18-25 ans, dont 62 % se souviennent d'avoir abordé ces phénomènes
à l'école, témoigne à l'évidence de la réapparition de cet enseignement (au demeurant assez
limité) depuis le milieu des années 1980, dans le secondaire tout au moins.
Globalement, la déficience de mémoire s'explique largement par la faiblesse de l'enseignement
sur la colonisation, qui reste marginal dans les cursus scolaires. Cette partie est aujourd'hui
étudiée au lycée dans des chapitres généraux sur « L'Europe et le monde dominé : échanges,
colonisations et confrontations » ainsi que « Le tiers monde : indépendances, contestation de
l'ordre mondial, diversification ». Les enseignants doivent aborder à la fois « l'émancipation des
peuples dominés, les difficultés économiques et sociales auxquelles les États nouvellement
indépendants sont confrontés et leurs tentatives d'organisation pour obtenir un poids accru dans
les relations internationales », selon les documents de « mise en œuvre » des programmes mis à
leur disposition. De ce fait, l'approche des manuels scolaires est souvent parcellaire,
essentiellement consacrée à l'action de la France dans les colonies (reprenant parfois quelques
slogans de la « mission civilisatrice ») ; et, pour ce qui concerne les décolonisations européennes,
elles sont traitées thématiquement avec une seule étude de cas, consacrée à… la guerre d'Algérie.
Selon vous, quelle place l'histoire coloniale a-t-elle dans les programmes scolaires
(entretiens individuels) :
7/10 trop faible ou inexistante,
3/10 à sa place ou trop grande.
Même si la place du phénomène colonial s'est accrue dans les manuels scolaires depuis le
début des années 1990, celui-ci n'y est jamais envisagé du point de vue de ses répercussions
culturelles et politiques en métropole et encore moins dans ses conséquences sur l'histoire de
l'immigration. Plusieurs personnes ressources émettent de vives critiques à ce sujet. Or, c'est bien
de ce double point de vue — les conséquences dans les colonies et la formation d'une culture
coloniale en métropole — qu'il est nécessaire d'envisager l'histoire coloniale si l'on souhaite que
les élèves comprennent cette page essentielle de l'histoire. De fait, un sentiment demeure, celui
d'avoir reçu un enseignement superficiel sur ces questions.
Une autre question cherchait à mesurer la sensibilité collective quant à la question coloniale,
mais aussi à apprécier globalement la résonance sociale du thème colonial : « Au cours des trois
derniers mois, avez-vous lu, vu ou entendu quelque chose sur l'histoire coloniale (livre, article de
presse, film, exposition…) ? » Les réponses sont partagées, puisque 48,2 % des enquêtés
répondent positivement4, contre 51,8 % négativement. Ce taux constitue une surprise : en effet,
les trois mois précédant l'enquête (de juillet à septembre 2003) n'ont pas donné lieu à une
exposition particulière du thème colonial dans les médias français — fort peu d'émissions
radiophoniques, et encore moins télévisuelles, ont alors été diffusées sur ce thème.
Une situation qu'il faut d'ailleurs comparer à la période qui va suivre, qui voit une relative
surmédiatisation de ces questions : commémoration du cinquantième anniversaire de la défaite
de Diên Biên Phu au premier semestre 2004, commémoration du cinquantième anniversaire du
début de la guerre d'Algérie au dernier trimestre 2004, nombreux films TV et cinéma sur ce
passé au premier semestre 2005 — avec notamment sur TF1 Ils ont tué de Gaulle, sur Canal +
Nuit noire (sur le 17 octobre 1961), au cinéma Man to Man (à partir du thème des zoos humains)
—, débat national autour de la loi de février 2005 sur la « colonisation positive »,
commémoration des massacres du 8 mai 1945 dans le Constantinois au second trimestre 2005…
Autant de faits et événements qui auraient sans aucun doute eu un impact sur les réponses
obtenues.
La question suivante — « L'histoire coloniale est un sujet qui vous intéresse : 1) pas du tout, 2)
un peu, 3) beaucoup » — constitue un autre angle d'approche intéressant. Alors que le thème est
globalement peu présent dans les souvenirs scolaires des acteurs, un total de 84,1 % d'enquêtés
déclarent s'y intéresser « un peu » ou « beaucoup ». Ce chiffre est très significatif et montre
qu'une forte demande sociale existe pour comprendre l'histoire coloniale et ses prolongements
contemporains. Même si une partie de notre panel a pu chercher à répondre à l'attente du
sondeur, le résultat ne laisse aucune ambiguïté sur l'intérêt des enquêtés. Celui-ci est
particulièrement fort chez les interviewés ayant au moins un ascendant né dans l'ex-Empire
colonial (90,8 % contre 75,3 % pour les enquêtés ayant leurs ascendants nés en France
métropolitaine). De toute évidence, le point de vue dominant depuis une trentaine d'années selon
lequel il n'existerait pas de demande sociale sur ces questions, essentiellement justifié par la peur
de voir se rouvrir une « fracture nationale » (comme pour Vichy), n'a pas — ou plus — de réalité
sociale.
De façon très nette, l'appréciation de la colonisation est tranchée, aussi bien dans les entretiens
individuels que dans l'enquête par questionnaire : celle-ci est globalement très négative, pour
pratiquement les trois quarts de notre panel. Ces résultats constituent une donnée majeure, et
infirment notre hypothèse de départ, puisque nous pensions que la persistance des « mythes
coloniaux » devait logiquement déboucher sur une appréciation sinon positive, tout au moins
« neutre » de l'histoire coloniale. Il n'en est rien, et l'on peut inférer que, là encore, joue
massivement le souvenir le mieux conservé de l'histoire coloniale, à savoir la guerre d'Algérie.
Le silence qui a suivi l'indépendance de l'Algérie en 1962 a certainement favorisé cette
représentation. Il s'est en effet produit alors une fracture de l'oubli : les excolonies, de nouveau
considérées comme des contrées exotiques sans lien avec l'ex-puissance tutélaire, ont disparu de
l'horizon des représentations politiques et médiatiques. Sans doute parce que le double discours
de la métropole était inassumable : faire croire que « là-bas » était comme « ici », ou en passe de
le devenir — leitmotiv de la propagande coloniale —, devenait soudain absurde,
incompréhensible devant la volonté enfin palpable des colonisés de se séparer de la métropole.
La propagande avait montré une image de l'utopie coloniale républicaine, faite de conflits de
classes inexistants et de coopération de tous à un même idéal de progrès (économique, social,
culturel ou « civilisationnel ») : une métaphore de l'harmonie sociale, d'une communauté ayant
résolu ses divergences, ses inquiétudes identitaires et les angoisses liées aux transformations
sociales et techniques. La perte de ce repère colonial comme métaphore d'une société désirable
pour la métropole elle-même a certainement contribué à la nécessité de l'oubli après les
indépendances. Plus de quarante ans après, le retour du souvenir de la colonisation et de la guerre
d'Algérie qui se manifeste dans les réponses des enquêtés n'en est que plus marquant.
Cela nous renvoie à la situation actuelle, dans laquelle l'histoire coloniale est encore largement
inaudible. La difficulté à la faire surgir tient probablement, d'abord, au fait que le simple travail
du temps, ce « travail de deuil » qui s'opère sur une ou deux générations, n'est pas achevé, mais
le processus est en marche. Le cas du régime de Vichy est à cet égard emblématique : il a fallu
attendre près de trente ans avant que la mémoire de cette période commence à être partiellement
démystifiée et socialisée, depuis la parution du livre de l'historien américain Robert Paxton en
19735 jusqu'à l'interview de François Mitterrand sur son passé vichyssois, à une heure de grande
écoute, en 1993. Le temps doit aussi opérer son travail sur la mémoire de la colonisation et du
colonialisme. Mais une forte pression « nostalgique » semble émerger depuis le début des années
2000, maintenant la « lutte des mémoires », qui semble trouver un premier point d'apogée au
cours de l'année 2005.
À l'évidence, l'appréciation des relations entre Français et immigrés manifeste des crispations
identitaires en formation. En effet, 60 % des personnes interrogées en entretiens individuels
estiment ces relations « mauvaises » ou « violentes », deux qualificatifs forts qui indiquent
l'ampleur de la crise affectant les représentations des relations intercommunautaires. Là encore,
l'âge joue significativement, puisque près des trois quarts des moins de 25 ans qualifient ainsi ces
relations. Résultat un peu surprenant, dans la mesure où on aurait spontanément tendance à
penser que les personnes les plus âgées sont davantage sensibles à la crainte de l'immigration (ce
que semble indiquer le vote Front national, par exemple). Les résultats de notre enquête
montrent, en tout cas au niveau local, qu'il n'en est rien. Et le fait que les franges les plus jeunes
de la population ressentent le plus négativement les relations intercommunautaires est
évidemment le signe d'une évolution inquiétante.
Confirmant les résultats de l'enquête par questionnaire, pour une large majorité des personnes
ressources, l'intégration des populations de l'ex-Empire pose un problème spécifique. Plus de 70
% des interviewés s'inscrivent ainsi en faux contre l'affirmation : « La société intègre plus
facilement les personnes issues de l'ex-Empire (Algérie, Sénégal, Viêt-nam…) que celles venues
d'autres parties du monde. » Mais on note de fortes disparités lorsque l'on se penche sur la
répartition par âge, puisque les plus âgés sont une faible majorité à approuver ce point de vue
(peut-être parce que, comme on l'a vu, les plus de 55 ans sont sensibles à l'argument selon lequel
la colonisation a rapproché les peuples — et donc les Français « de souche » des immigrés de
l'ex-Empire). La perception des relations intercommunautaires varie également en fonction des
lieux d'habitation et, là aussi, les résultats de l'étude sont inquiétants : dans les quartiers où les
enquêtés sont confrontés à la plus grande diversité communautaire, l'appréciation négative des
rapports entre communautés s'accentue, ce qui laisse penser que l'état des relations sociales dans
ces quartiers est singulièrement dégradé et s'ethnicise de plus en plus nettement.
Cela a un impact direct sur la perception des « pratiques d'intégration ». De fait, les immigrés
venus d'Europe sont crédités d'une intégration « facile », alors que, pour ceux venant de l'ex-
Empire, celle-ci est davantage associée aux termes « difficile », voire « impossible ». On relève
aussi, dans les entretiens individuels, le sentiment diffus de l'existence d'une fracture
socioculturelle, à même de se muer en polarisation ethnique, issue de l'histoire coloniale,
rarement affirmée dans les discours mais omniprésente dans les relations sociales urbaines. Il ne
fait guère de doute que la « spectacularisation » médiatique, depuis le début des années 1990, du
débat sur l'insécurité et les banlieues — sans parler des vacillements sémantiques du mot
« jeune », parfois implicitement synonyme d'immigré ou de « sauvageon » — est un symptôme
de cette polarisation que l'on peut qualifier de fracture coloniale. L'appel des « indigènes de la
République », rendu public en janvier 1995, témoigne à cet égard de la prise de conscience de
cette situation par une frange des « enfants de la colonisation », qui ont le sentiment que la
République et ses élites sont incapables de se situer en rupture avec ce passé.
L'appréciation très tranchée des « mauvaises » relations entre Français et immigrés qui ressort
de l'enquête par questionnaire est l'un des enseignements majeurs de notre étude. Ce constat n'est
pas vraiment une surprise, mais il écorne sérieusement l'image républicaine d'une « intégration »
en cours, plus de quarante ans après les indépendances. Pour une forte majorité de notre panel,
l'intégration est considérée comme un échec en ce qui concerne les populations venues de l'ex-
Empire colonial. Ce qui est critiqué, c'est la non-application à un type de population — les
« enfants de la colonisation » — d'un principe réputé « fondateur » de la République française.
Le fait que les 18-25 ans apprécient très négativement l'état de ces relations dénote une
détérioration des rapports intercommunautaires et une représentation, très tôt ancrée, de cette
situation comme un problème majeur. Cela est confirmé par les écarts en fonction des CSP :
alors que les retraités ne sont « que » 33,4 % à affirmer que ces relations sont « mauvaises » ou
« violentes », 62,3 % des lycéens et pas moins de 80 % des artisans, commerçants et chefs
d'entreprises expriment cette opinion. Ce diagnostic commun aux jeunes et aux professionnels
est a priori étonnant, mais finalement assez logique dans la mesure où il exprime, des deux côtés
du miroir, la perception de la même réalité : d'un côté, le désarroi d'une jeunesse désabusée face
aux discriminations et, de l'autre, les réminiscences xénophobes de longue date identifiées dans
certaines catégories sociales, considérant comme « naturelles » les mauvaises relations entre
immigrés et Français.
Les personnes « immigrées » (ou leurs enfants) venues d'Europe et celles venues de
l'ex-Empire colonial (ou Dom-Tom) sont aujourd'hui perçues de façon similaire dans
la société française :
17 % oui, 83 % non.
Les questions suivantes avaient pour objet de mieux cerner la perception de l'intégration et de
savoir si l'histoire coloniale pouvait ou non, selon les enquêtés, expliquer des « événements ou
phénomènes d'aujourd'hui ». Les résultats sont également très nets, puisqu'à l'affirmation « Les
personnes venues d'Europe et celles venues de l'ex-Empire colonial sont aujourd'hui perçues de
façon similaire dans la société française » 83 % des interviewés ont répondu par la négative.
Cette réponse tranchée varie assez peu selon les origines des interviewés, leur âge (même si
seulement 69,8 % des plus de 55 ans l'expriment) ou leur répartition par sexe ou par CSP.
On le voit, ces réponses regroupent les personnes qui jugent cette situation injuste et
discriminante et celles pensant que ce sont les immigrés issus de l'ex-Empire eux-mêmes qui sont
« responsables » de cette situation. Elle fait donc sens pour toutes les catégories de notre panel.
La « fracture coloniale » est une réalité, fruit d'une configuration « ethnico-historique »
spécifique qui se manifeste tant au niveau sociologique que culturel.
Si on différenciait les immigrés en fonction des ex-colonies d'origine, il est probable que les
résultats ne seraient pas identiques entre les ressortissants, par exemple, du Sénégal — à savoir le
pré carré français —, ceux des Antilles, de La Réunion ou des Tom et ceux de l'Algérie — pays
pour lequel les relations sont, en raison de l'histoire, classées a priori comme plus
« compliquées »… Quoi qu'il en soit, les réponses légèrement moins négatives des interviewés
issus de l'immigration postcoloniale à cette question sur la similarité entre la perception d'eux-
mêmes et celle des immigrés européens peut aussi s'expliquer par une « volonté d'intégration »,
alors que manifestement la provenance d'une ex-colonie n'est pas perçue comme un
« avantage »7.
Une partie des enquêtés pensent que les difficultés identitaires des jeunes issus de
l'immigration de l'ex-Empire tiennent essentiellement à la culture de leurs parents, et notamment
à la culture arabo-musulmane pour les jeunes issus de l'immigration maghrébine. Exemples
choisis : « Il demeure toujours un sentiment de supériorité française par rapport à ces immigrés.
La différence de religion, plutôt fréquente, éloigne encore plus » ; « C'est la religion qui est en
cause » ; « La société française voit que les Polonais et les Italiens appartiennent à la même
culture européenne, alors que les autres appartiennent à une autre culture ».
Il résulte, de cette perception dépréciative des « différences culturelles », une disqualification
collective, des Maghrébins notamment, et plus particulièrement des Algériens, mais aussi des
populations originaires d'Afrique noire (et plus marginalement des Antillais et des populations
issues du Sud-Est asiatique). Ces frontières sont surtout symboliques, mais elles contribuent à
produire des communautés spécifiques reposant sur des perceptions. Le statut d'immigré tend
ainsi à se transmettre d'une génération à l'autre (« enfants issus de l'immigration », « deuxième et
troisième générations »…), sans tenir compte de la nationalité, ce que confirment largement les
entretiens individuels. Ces inégalités de perception de l'Autre immigré ou issu de l'immigration
se retrouvent à propos des relations que la France entretient avec ses ex-colonies : les réponses à
l'idée que « les relations entre la France et ses ex-colonies demeurent inégalitaires » sont
majoritairement positives (plus de 80 %), quelle que soit la catégorie d'enquêtés (point de vue
probablement nourri aussi bien de multiples exemples tirés de l'actualité que de l'enseignement
scolaire, reçu par tous, consacré à l'étude des inégalités sur le plan mondial, et notamment celles
entre les anciennes métropoles et leurs anciennes colonies).
De même, les dissimilitudes entre les représentations dominantes des migrants d'origines
différentes sont constatées par les enquêtés, sans que, vraisemblablement, ils aient pleinement
conscience que ces représentations créent de la discrimination. Dans le prolongement des
réponses de l'enquête par questionnaire, les entretiens individuels montrent ainsi qu'une très forte
majorité distingue les immigrés en fonction de leurs « origines géographiques » et confirment
qu'une « ascendance liée à l'ex-Empire colonial » constitue un « marqueur » social négatif : plus
de quatre sur dix des personnes ressources estiment que « les immigrés venus de l'ex-Empire »
sont « beaucoup moins bien » perçus que les immigrés européens et un peu moins de la moitié
pense qu'ils sont « plutôt moins bien » perçus. L'origine des questionnés entraîne quelques
différences : fort logiquement, ceux qui ont un parent ou un grand-parent né dans une ex-colonie
ou dans les Dom-Tom considèrent, pour un peu moins de la moitié, qu'ils sont « beaucoup moins
bien » perçus et neuf sur vingt « plutôt moins bien », soit beaucoup plus que la moyenne.
Il est important de souligner que cette perception très négative des représentations des
« différences culturelles » est significativement atténuée après consultation par nos enquêtés des
supports de la mallette pédagogique, même si ceux-ci n'ont été que partiellement exploités : ils
ne sont plus que sept sur dix, lors des entretiens « après », à porter ce jugement négatif. Cette
baisse (de l'ordre de vingt points) indique qu'il est possible, à une plus grande échelle, d'« agir »
efficacement sur les représentations collectives.
Pour la majorité des personnes ressources interrogées lors des entretiens individuels, les
représentations discriminantes des populations immigrées et les discriminations qu'elles
subissent au quotidien ont donc un fondement colonial. Et elles sont également demandeuses
d'une socialisation de la mémoire de l'histoire coloniale et postcoloniale, via l'école notamment,
comme le montrent les réponses à la question « Quelles décisions devraient être prises
concernant la place de l'histoire coloniale à l'école ? » : elles réclament davantage de visibilité et
une refonte des contenus, ainsi qu'une formation différente des enseignants.
Selon la même logique, les enquêtés sont majoritairement d'accord pour dire que « les
relations entre Français et immigrés issus de l'ex-Empire sont marquées par les conflits de la
décolonisation » pour 70 % d'entre eux — à égalité entre « tout à fait d'accord » et « plutôt
d'accord » avec cette assertion. Ni l'espace urbain ni le niveau d'études ne modifient de manière
significative cette tendance. En revanche, seules les générations ayant moins de 55 ans estiment
majoritairement que les conflits liés à la perte de l'Empire ont marqué la société française dans sa
vision de l'Autre issu des ex-colonies. Là encore, ce schéma mémoriel est à rapprocher d'un
enseignement actuel des décolonisations plus objectif et à la fixation autour de la guerre
d'Algérie, symbole de la perte de l'Empire et cristallisant toutes les dénonciations du fait colonial.
À l'inverse, on l'a vu, les plus de 55 ans restent sensibles à l'argumentaire selon lequel la
colonisation aurait « rapproché les Français » des immigrés de l'ex-Empire.
À la question « Les personnes immigrées venues de l'ex-Empire sont-elles perçues aujourd'hui
dans la société française de la même manière que celles venues de Pologne, d'Italie, d'Espagne
ou du Portugal ? », nous avions demandé aux personnes ressources, lors des entretiens
individuels, de préciser leur réponse. Sur la cinquantaine de scolaires, une forte proportion (près
des trois quarts) a donné un avis argumenté. Les réactions sont riches d'enseignement et font
ressortir des appréciations assez vives sur la perception des immigrés en France. Deux types de
réponses reviennent fréquemment, le choc du score du Front national le 21 avril 2002 et le poids
de la « peur » de l'Autre : « Comme vous avez pu le constater le 21 avril lors des élections, Je
Pen a failli devenir président de la République. Lors de son discours, il a dit une phrase qui m'a
beaucoup surpris : "La France aux Français" » ; « Pour ne citer que le parti de Jean-Marie Le Pen
qui possède une politique raciste envers ces gens » ; ces points de vue se doublent d'approches
plus générales comme : « Il y a beaucoup de racisme en France et un système assez
ségrégationniste. »
Plusieurs autres réponses apparaissent : la perception d'un racisme ciblant les ex-colonisés ou
la couleur de peau est un marqueur évident8 ; l'incapacité des ex-colonisés à s'intégrer et leur
exclusion de fait ; l'attitude des médias à leur égard ; la migration récente (qui induit un
processus, en cours, d'intégration) ; une délinquance plus forte… Le passé colonial reste une
donnée omniprésente dans les réponses, comme le soulignent les assertions suivantes : « Ce sont
des personnes comme les autres, seulement il y a eu quelques différences dans le passé » ; « Je
pense que cette idée vient de l'époque coloniale où l'on méprisait tout étranger ou plutôt toute
personne ayant une couleur de peau différente des "normes" qu'on essaie de nous inculquer ».
Ce qui domine dans la majorité des réponses, c'est donc avant tout le sentiment d'un racisme
latent en France, accentué politiquement par l'audience du FN et le résultat des élections de 2002,
et une rancœur spécifique héritée de l'histoire coloniale. Les jugements émis à propos de
l'« affaire du Stade de France » en octobre 2001 sont révélateurs de ce profond sentiment de
malaise.
Chez les scolaires interrogés, la conscience de la peur de l'immigration postcoloniale
(particulièrement maghrébine) se conjugue à celle d'une difficulté propre aux immigrés
originaires de l'ex-Empire à s'intégrer, et au sentiment de leur « délinquance spécifique »,
plusieurs fois évoquée. Seuls deux enquêtés précisent qu'il n'y a pas de différence entre la
perception des immigrés de différentes origines en France. Un seul signale que la France est
« accueillante » pour toutes les populations. Aucune référence à la religion — ou à l'islam —
n'est mise en avant, à la différence des adultes.
On le constate, cette représentation de l'Autre « immigré » supplante désormais l'image du
travailleur immigré des années 1970 et s'impose comme référence, implicite ou explicite, dans le
débat sur l'immigration et l'intégration. Les immigrés venus des ex-colonies et leurs descendants
sont d'abord perçus par leurs « différences raciales » à travers la réapparition des stéréotypes
d'hier, renforcée par la banalisation d'un discours xénophobe. Différents des Français, ils
diffèrent aussi des autres populations d'origine étrangère, mieux perçues que les immigrés issus
de l'ex-Empire : la « différence culturelle » est mieux acceptée pour les personnes venues
d'Europe ou d'ailleurs (hors ex-Empire français), alors que le distinguo racial affecte surtout les
Maghrébins et les Noirs, durablement assignés à une position inférieure. Cette caractéristique est
loin d'être spécifiquement française : on la retrouve dans la plupart des ex-métropoles coloniales
(Angleterre, Espagne, Italie, Pays-Bas, Portugal…), mais aussi, mutatis mutandis, dans le
système de domination impériale des États-Unis. Il n'en reste pas moins que, par rapport à ces
pays, la France est clairement en retard dans l'entreprise de reconnaissance publique des « pages
noires » de son histoire coloniale ou tout simplement d'une « neutralité historique » sur ce passé,
ce qui est de plus en plus perçu comme un « déni de mémoire ».
Notre panel de personnes ressources est très conscient de ce déni de mémoire, expliqué
sobrement par Dominique Schnapper : « La méconnaissance systématique de l'immigration et
des mécanismes d'intégration a été […] l'un des moyens permettant d'entretenir l'unité
nationale » en préservant les valeurs de l'universalisme républicain9 . Pour une partie
significative du panel, le « modèle français d'intégration » n'a pas fonctionné et il semble
aujourd'hui — en réaction à une utopie qui apparaît inatteignable — provoquer des crispations
identitaires et communautaires. Huit personnes sur dix, lors des entretiens individuels, affirment
qu'elles sont « tout à fait d'accord » et « plutôt d'accord » avec le fait que « l'histoire coloniale
explique en partie le racisme actuel envers les populations venues de l'ex-Empire », identifiant
l'une des causes de ce qui est ressenti comme un échec de l'intégration des immigrés ex-colonisés
et de leurs descendants10.
Ainsi, la majorité des enquêtés identifient l'héritage colonial au sein de la société française,
tout au moins sur certains des aspects qui leur ont été proposés. Cette conscience des liens entre
histoire coloniale et immigration conduit à approuver, et même à réclamer, des initiatives portant
sur la transmission de cette mémoire, tout en soulignant que sa connaissance est un facteur
majeur pouvant faciliter l'intégration, davantage que des champs plus spectaculaires comme le
sport ou la musique : plus de 80 % estiment que « si l'histoire coloniale était mieux connue, les
relations intercommunautaires seraient meilleures ». Il y a sur ce point une différence
d'appréciation notable entre l'opinion et les élites.
Une perception ambivalente des ex-espaces coloniaux
Une série de questions lors des entretiens individuels se proposait, à la différence de l'enquête
par questionnaire, d'explorer la perception des espaces ex-coloniaux. Elles visaient à préciser les
réponses à deux grandes interrogations de notre étude : les représentations de nature
« coloniale » persistent-elles dans l'imaginaire collectif ? Et, si oui, quel rôle jouent-elles dans la
perception des populations issues des espaces anciennement colonisés et comment ces dernières
réagissent-elles à ces représentations11 ?
En premier lieu, l'Afrique noire est perçue comme un lieu d'instabilité politique,
d'autoritarisme et de sous-développement endémique12. Les appréciations se font moins
nettement négatives lorsqu'il s'agit d'apprécier la « richesse culturelle » et la tolérance religieuse.
S'agissant des traits jugés les plus négatifs, la perception des enquêtés est toutefois en décalage,
sur certains points essentiels, avec la réalité concrète du sous-continent. Pour ne prendre qu'un
seul exemple, la timide émergence depuis les années 1990 — à la différence du Maghreb — de
régimes plus démocratiques en Afrique de l'Ouest francophone (au Mali et au Sénégal) paraît
complètement ignorée de la plupart des interviewés.
Il faut tirer les leçons de ce décalage. La première est que l'évocation médiatique ou politique
de l'Afrique noire francophone est presque toujours centrée sur les événements traumatiques qui
affectent la zone et sur des interventions humanitaires marquées par les réminiscences
coloniales13 . Nombre de reportages télévisés montrent que le discours médiatique sur l'Afrique
noire reste structuré par une série d'idéaux-types : elle serait « par nature » le lieu du retour à la
sauvagerie et à l'irrationnel, de la pulsion autoritaire du politique, de la fatalité du sous-
développement. Le thème du « cœur des ténèbres » semble donc toujours opérant14 et se
répercute dans la perception actuelle des pays d'Afrique subsaharienne et des populations qui en
sont issues.
La seconde leçon est la similitude étonnante des réponses enregistrées dans cette enquête,
quelle que soit la population sondée, avec les stéréotypes coloniaux sur l'Afrique noire forgés à la
fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Ces stéréotypes ne sont pas reproduits exactement à
l'identique, mais les ressemblances entre ceux d'hier et ceux d'aujourd'hui sont frappantes. Et l'on
peut en reconstituer la filiation, de la fin du XIXe siècle jusqu'à aujourd'hui : loin d'être
aventureux, ce rapprochement met en évidence un « retour » des représentations coloniales,
rendu possible par l'absence des outils de transmission qui permettraient de socialiser l'histoire de
ces perceptions.
L'échec de l'intégration ?
Une grande partie des problèmes de l'intégration s'explique par les conséquences de
l'histoire coloniale et ses prolongements (entretiens individuels) :
8/10 tout à fait d'accord et plutôt d'accord, 2/10 pas d'accord.
Quels sont les adjectifs décrivant le mieux les relations actuelles entre « Français »
(sur trois générations nés en France) et « immigrés » (et leurs descendants) ?
(entretiens individuels) :
6/10 mauvaises, 3/10 normales, 1/10 autres.
Huit personnes sur dix, lors des entretiens individuels, sont en accord avec l'idée qu'« une
grande partie des problèmes d'intégration s'explique par les conséquences de l'histoire coloniale
et ses prolongements ». Et, confirmant les résultats de l'enquête par questionnaire, deux tiers des
interviewés considèrent les relations entre Français et immigrés comme « mauvaises » ou
« violentes » et un tiers les envisagent comme étant « normales » ou « bonnes ». Pour mieux
comprendre ces réponses, nous avons cherché ensuite à déterminer les facteurs qui, pour les
enquêtés, facilitaient le mieux l'« intégration » (en répétant les mêmes questions avant et après
que les personnes de notre panel eurent pu accéder aux ressources de la mallette pédagogique et
aux rencontres publiques).
Quels sont les facteurs qui peuvent améliorer les relations entre Français et immigrés
(entretiens individuels) :
Dans une proportion de 8,5/10, les personnes interrogées approuvent l'idée que « le travail est
un des principaux facteurs d'amélioration des relations entre Français et immigrés venus de l'ex-
Empire, car le chômage accroît les tensions ». De même, 7/10 estiment que « le logement est un
facteur d'amélioration des relations entre Français et immigrés, puisque l'absence de mixité crée
des problèmes ». De plus, que ce soit avant ou après la consultation des ressources de la mallette
pédagogique, les résultats sont absolument identiques sur le point suivant : pour plus de huit
enquêtés sur dix, « la connaissance de l'histoire de l'autre est un des principaux facteurs
d'amélioration des relations entre Français et immigrés venus de l'ex-Empire, car l'ignorance crée
du rejet ».
À l'inverse, comme on l'a déjà évoqué, le sport et la musique ne sont pas perçus comme
facilitant le processus d'intégration. Ainsi, à l'affirmation « le sport est un des principaux facteurs
d'amélioration des relations entre Français et immigrés venus de l'ex-Empire, à l'image de
l'équipe de France de football », seulement 43 % des enquêtés répondaient positivement avant (et
37 % après) consultation des ressources de la mallette. Le sport ne semble donc pas permettre,
selon eux, une amélioration des relations entre Français et immigrés, ni les sportifs être institués
en « modèle d'intégration »17 . Plus surprenant, une forte minorité des enquêtés répondent
négativement à la considération : « Le mariage est un des principaux facteurs d'amélioration des
relations entre Français et immigrés venus de l'ex-Empire, car la vie ensemble favorise
l'intégration. » Est-ce à dire que les différences culturelles, pour ne pas dire « raciales », seraient
irréductibles dans l'esprit d'une majorité d'enquêtés ? Il est impossible de répondre à cette
question, mais elle vaut d'être posée, sachant que l'idée est confirmée par un sondage déjà ancien
portant entre autres sur la question du mariage mixte : dans un sondage d'avril 1985, les enquêtés
rejetaient moins le fait de devoir « voter pour un député d'origine arabe » ou d'« avoir un patron
d'origine arabe » (31 % contre) que celui d'« avoir un gendre ou une belle-fille d'origine arabe »
(45 % contre)18.
Retenons en tout cas que les réactions de rejet ou de solidarité se révèlent principalement
autour d'enjeux économiques et sociologiques, comme l'emploi et le logement.
Pour prétendre à l'efficacité, toute politique publique concernant les immigrés — et les
Français ayant des ascendants étrangers — ne peut faire l'économie de ces représentations. Dans
cette perspective, il est essentiel de s'interroger aussi sur les stratégies urbaines relatives aux
quartiers stigmatisés par les préjugés qui affectent certaines catégories de migrants ou leurs
descendants. Nous avons donc posé plusieurs questions portant sur l'image des « banlieues ».
Notre panel est majoritairement d'accord (7/10) pour estimer que « dans les banlieues, la
violence est plus grande qu'ailleurs », confirmant ainsi l'image très largement médiatisée qui en
est donnée depuis plusieurs années : la stigmatisation des populations discriminées se concentre
de fait sur certains quartiers, cristallisant toutes les peurs de débordements, de développement de
zones de « non-droit » où les représentants de la République, policiers, pompiers ou médecins, ne
pourraient plus se rendre sans crainte. Des peurs largement véhiculées, depuis le début des
années 1990, par les médias dominants et par une large partie de la classe politique, ralliée à la
logique sécuritaire de « traitement » des banlieues « difficiles ».
Dans ce contexte, il est important de souligner que seule une minorité (3/10) des personnes
ressources approuvent l'idée que « les banlieues sont des foyers d'intégrisme islamique », alors
même que cet argument est presque systématiquement invoqué par le discours dominant dans
l'explication de la « violence des banlieues » : pour la majorité de notre panel, implicitement ou
explicitement, les causes sociales (comme les discriminations raciales dans l'accès au logement
et au travail) jouent à l'évidence un rôle bien plus important.
Quoi qu'il en soit, cette image négative de la banlieue est devenue une constante des
imaginaires collectifs. Par ailleurs, même si les résultats sont plus nuancés, la moitié de notre
panel ne croit pas que « dans les banlieues les habitants sont plus solidaires ». Cette idée est
pourtant mise en exergue depuis de nombreuses années pour affirmer que, derrière des univers
urbains en crise, existerait une solidarité de fait.
L'histoire coloniale est un sujet compliqué qu'il vaut mieux oublier (entretiens
individuels) :
1/10 tout à fait d'accord ou plutôt d'accord, 9/10 pas d'accord.
Les dix principaux supports consultés dans la mallette pédagogique (par ordre décroissant)
(entretiens individuels) :
Sur les soixante-huit personnes ressources de notre panel, 43 % n'ont consulté qu'un ou deux
éléments de la mallette pédagogique, 22 % de trois à cinq et 18 % (principalement cadres ou
assimilés, artisans ou commerçants, enseignants, techniciens et retraités) de six à huit. Ce dernier
résultat est significatif, sachant que les personnes ressources n'ont eu qu'une vingtaine de jours
pour utiliser la mallette, consulter les supports écrits, voir les films, assister aux projections-
débats et aux conférences ou visiter l'exposition Images et Colonies. 53 % des personnes
ressources ont donc vu ou lu en moyenne quatre supports de la mallette. Ce pourcentage élevé
correspond à la consultation de plus d'un document par semaine, ce qui marque l'intérêt d'une
majorité pour la question coloniale ou l'histoire de l'immigration.
La proportion d'enquêtés n'ayant utilisé aucun support est assez faible, sauf chez les scolaires :
un quart des élèves disent n'avoir trouvé intéressant aucun des éléments de la mallette ou des
actions du programme, alors qu'ils ne sont qu'un cinquième chez les adultes. Ces chiffres
montrent que, si une minorité des enquêtés est restée indifférente aux sollicitations proposées,
une autre (10 % à 15 %) aurait aimé aller plus avant dans la découverte, mais mettait en cause la
diversité ou le nombre insuffisant des supports mis à leur disposition (la mallette pédagogique
était pourtant assez complète, avec notamment plus de cinquante livres ou numéros de revues).
Enfin, la moitié des personnes ressources n'ont pas voulu distinguer un type de document
comme plus « intéressant » que les autres dans l'éventail de ressources proposées. Dans l'autre
moitié, près de trois personnes sur cinq ont privilégié le livre, ce qui bouscule les représentations
communes faisant du film l'outil de transmission de connaissances le plus plébiscité. Les
commentaires sur les livres sont à cet égard significatifs : « Ils donnent une autre vision de
l'histoire coloniale » ; « C'est le plus facile à exploiter sans contrainte d'horaire » ; « Aide à un
approfondissement plus concret de mes connaissances » ; « Ils permettent de mieux comprendre
certaines attitudes des populations » ; « Ils montrent la complexité des termes indigène,
émigré… » ; « Il est intéressant de pouvoir y revenir ou de les comparer à d'autres ». Ces
commentaires soulignent la maniabilité et la possibilité d'approfondissement du livre, qui
favorisent la compréhension de cette histoire.
Parmi les livres qui ont reçu un accueil très favorable, voire enthousiaste, on trouve
notamment De l'indigène à l'immigré29 (consulté par un peu plus de la moitié), sans doute parce
qu'il s'agit d'un ouvrage de vulgarisation largement illustré et au format de poche, proposant une
information rythmée par l'iconographie et organisée en chapitres brefs et thématisés, qui
favorisent une lecture rapide (c'est aussi celui qui, par son titre, fait le lien entre les deux univers
historiques appréhendés par l'enquête, à savoir la colonisation et l'immigration). L'ouvrage Le
Paris arabe30 , un « beau livre » assorti d'une abondante iconographie présentant lui aussi un
contenu soutenu mais rythmé par les images, a été utilisé par six sur dix des personnes ressources
(premier rang). Même si certains reconnaissent ne l'avoir que « feuilleté pour les images », la
lecture de ce livre par un grand nombre de personnes est significative : sans doute la thématique
interpellait-elle la partie non négligeable de notre panel ayant des origines maghrébines. Plus de
la moitié des personnes ressources ont également consulté les livres Culture coloniale, Histoire
de la guerre d'Algérie ou Zoos humains31 — des ouvrages d'histoire, il faut le souligner, tout à
fait classiques. Quant aux romans, ils ont intéressé quatre enquêtés sur dix.
La proportion est la même pour le visionnage d'au moins un des films contenus dans la
mallette (à noter que plusieurs critiques ont été émises quant à la qualité des films sur
l'immigration). Le niveau d'études n'influe pas de manière significative sur cette proportion (seul
le lieu d'habitation semble être un facteur de différenciation, mais cette tendance devrait être
confirmée sur un panel plus large).
Un peu plus de quatre personnes ressources sur dix ont spontanément regardé (à partir de la
liste des programmes que nous leur avions fournie) une émission de télévision ou écouté une
émission de radio sur la colonisation ou l'immigration au cours des trois semaines du
programme. Ce chiffre relativement élevé s'explique probablement par le poids dominant des
médias audiovisuels dans les pratiques culturelles actuelles, mais aussi par l'intérêt des personnes
ressources pour des sujets, assimilés aux thèmes coloniaux, plus contemporains que ceux que
nous envisagions initialement32.
Viennent ensuite la projection suivie d'un débat à la cinémathèque et la conférence-débat De
l'indigène à l'immigré33 : ces deux manifestations ont rassemblé chacune moins de 8 % des
membres du panel. Si le pourcentage de participants est faible — en partie en raison des
contraintes de ce type de manifestation (horaire et date fixes) —, les commentaires révèlent un
très fort intérêt pour l'échange public. Plus de 15 %, en revanche, ont visité l'exposition Images et
Colonies et, selon les témoignages, l'ont particulièrement appréciée — le même nombre ont fait
la démarche volontaire d'acheter au moins un des ouvrages conseillés dans notre liste
bibliographique.
Les supports ou actions qui ont relativement le moins intéressé sont les revues spécialisées et
les trois dossiers (colonisation, immigration, sujets annexes et périphériques) constitués de
copies d'articles (une vingtaine d'articles par dossier, soit plus de quatre-vingts pages en
moyenne34). Un peu plus d'un quart des interviewés ont lu le dossier sur l'immigration et un sur
cinq celui sur la colonisation, les deux thèmes intéressant donc de manière presque identique.
En conclusion, on constate, chez les adultes comme chez les lycéens, une connaissance
minimale du fait colonial, mais une volonté de mieux connaître cette « page de notre histoire
récente ». Par ailleurs, certaines ressources de la mallette pédagogique ont été nettement
privilégiées, comme les livres illustrés, mais aussi des livres historiques plus classiques, ce qui
n'était pas attendu. Enfin, on ne peut que souligner à quel point les connaissances accumulées
durant le programme ont permis aux enquêtés d'élargir leur appréhension des périodes coloniale
et postcoloniale.
Les auteurs
Nicolas Bancel, historien, professeur à l'Université de Strasbourg-II, a codirigé de nombreux
ouvrages, dont La République coloniale. Essai sur une utopie (Albin Michel, 2003), De
l'Indochine à l'Algérie. La jeunesse en mouvement des deux côtés du miroir colonial, 2003 et
Zoos humains. Au temps des exhibitions humaines (La Découverte, 2004).
Pascal Blanchard, historien, chercheur associé au CNRS (GDR 2322, Anthropologie des
représentations du corps), a codirigé notamment la trilogie Le Paris Noir (Hazan, 2001), Le
Paris Arabe (La Découverte, 2003), Le Paris Asie (La Découverte, 2005) et La République
coloniale. Essai sur une utopie (Albin Michel, 2003).
Rony Brauman, médecin (président de MSF jusqu'en 1994), est actuellement co-animateur
du Centre de réflexion de Médecins sans frontières et professeur associé à l'IEP de Paris. Il est
notamment l'auteur de Les Médias et l'Humanitaire (avec René Backmann, Éditions du CFPJ,
1996) et Humanitaire, le dilemme (entretien avec Philippe Petit, Textuel, 2002).
Thomas Deltombe, journaliste indépendant, est l'auteur d'un mémoire de DEA à l'IEP de
Paris sur les représentations de l'islam en France dans les journaux télévisés de 20 heures de
1975 à 1995 et de L'Islam imaginaire (La Découverte, 2005).
Marcel Dorigny, historien, enseigne à l'Université de Paris-VIII. Il a codirigé et publié 1802.
Rétablissement de l'esclavage dans les colonies françaises (Maisonneuve et Larose, 2003) et
Révoltes et révolutions en Europe et aux Amériques, 1773-1802 (Belin, 2004).
Marc Ferro, historien, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales et
codirecteur des Annales, est notamment l'auteur de Histoires des colonisations. Des conquêtes
aux indépendances (Seuil, 2001) et a codirigé Le Livre noir du colonialisme (Robert Laffont,
2004) et Les Individus face aux crises du XXe siècle : l'Histoire anonyme (Odile Jacob, 2005).
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Introduction – Note 2
On en voudra pour indice la floraison de numéros spéciaux de
revues et d'émissions de télévision sur la question. Par exemple,
le dossier « Le trou de mémoire » proposé par la revue de la
LDH Hommes & Libertés au cours de l'été 2005 ; le dossier
« Repenser le passé colonial » proposé par la FSU dans sa revue
Nouveaux Regards (n° 30, juillet-septembre 2005), le dossier du
Nouvel Observateur, « La vérité sur la colonisation », du 8 au
14 décembre 2005 ; le dossier spécial, en septembre 2005, de la
revue Histoire & Patrimoine sous le titre « France coloniale,
deux siècles d'histoire » ; le dossier de la revue Hérodote sur
« La question postcoloniale » pour ses trente ans en 2006 ; le
« numéro spécial » au mois d'octobre 2005 de la revue
L'Histoire, sous le titre « La colonisation en procès » ; le dossier
hors série du Monde 2, en mai 2006, sous le titre « Colonies, un
débat français » ; sans oublier l'ensemble des revues de sciences
humaines qui, comme Le Débat avec Olivier Pétré-Grenouilleau
ou Cités avec le dossier dirigé par Silyane Larcher, se sont
emparées du sujet depuis janvier 2005.
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Introduction – Note 3
François-Xavier VERSCHAVE, La Françafrique. Le plus long
scandale de la République, Stock, Paris, 1998 ; Stephen SMITH
et Antoine GLASER, Comment la France a perdu l'Afrique,
Calmann-Lévy, Paris, 2005.
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Introduction – Note 4
Voir Jean-Michel CHAUMONT, La Concurrence des victimes,
La Découverte, Paris, 1997.
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Introduction – Note 5
Jean-Pierre RIOUX, La France perd la mémoire, Perrin, Paris,
2006.
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Introduction – Note 6
Voir, en premier lieu, Pierre-André TAGUIEFF, La République
enlisée, Éditions des Syrtes, Paris, 2005, et, dans le même
mouvement, Alain-Gérard SLAMA, Le Siècle de Monsieur
Pétain, Perrin, Paris, 2005 ; Max GALLO, Fier d'être français,
Fayard, Paris, 2006, et Paul-François PAOLI, Nous ne sommes
pas coupables, La Table ronde, Paris, 2006.
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Introduction – Note 7
Voir Benjamin STORA, Le Transfert d'une mémoire. De
l'« Algérie française » au racisme antiarabe, La Découverte,
Paris, 1999.
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Introduction – Note 8
Voir Saïd BOUAMAMA, L'Affaire du foulard islamique. La
production d'un racisme respectable, Geai Bleu éditions,
Roubaix, 2004.
— Retour au texte —
Introduction – Note 9
Voir Antoine RAYBAUD, « Deuil sans travail, travail sans
deuil : la France a-t-elle une mémoire coloniale ? »,
Postcolonialisme. Décentrement, déplacement, dissémination,
Dédale, n° 5/6, avril 1997. L'auteur y qualifie la francophonie
de « simulacre d'hégémonie de la puissance française », « le lieu
de tous les malentendus et de tous les contentieux entre la
France et ses anciennes colonies, dont elle n'a pas pu ou voulu
se débarrasser ».
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Introduction – Note 10
Voir infra, chapitre 12.
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Introduction – Note 11
Voir Herman LEBOVICS, Bringing the Empire Back Home,
Duke University Press, Londres, 2003.
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Introduction – Note 12
Voir Gwénaëlle CALVES, « Les politiques françaises de
discrimination positive : trois spécificités », Pouvoirs, n° 111,
2004 ; et Yazid et Yacine SABEG, Discrimination positive.
Pourquoi la France ne peut y échapper, Calmann-Lévy, Paris,
2004.
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Introduction – Note 13
Voir infra, chapitre 23, une synthèse des résultats de cette
enquête (et une présentation plus détaillée en annexe, p. 263).
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Introduction – Note 14
Voir Achille MBEMBE, De la postcolonie. Essai sur
l'imagination politique dans l'Afrique contemporaine, Karthala,
Paris, 2000.
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Introduction – Note 15
C'est notamment, à différents degrés d'analyses, ce qu'affirment
Max GALLO, Paul-François PAOLI, Claude LIAUZU ou
Daniel LEFEUVRE, dans un prochain livre, Pour en finir avec
la repentance coloniale, Flammarion, Paris, 2006.
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Introduction – Note 16
Herman LEBOVICS, La Vraie France : les enjeux de l'identité
culturelle, 1900-1945, Belin, Paris, 1995 ; Edward W. SAÏD,
Culture et Impérialisme, Fayard/Le Monde diplomatique, Paris,
2000.
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Introduction – Note 17
Moore BART GILBERT, Postcolonial Theory. Contexts,
Practices, Politics, Verso, Londres/ New York, 1997.
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Introduction – Note 18
En France, dès 1997, un numéro de la revue Dédale dirigé par
Abdelwahab Meddeb (Postcolonialisme. Décentrement,
déplacement, dissémination, n° 5/6, avril 1997) avait ouvert le
débat, avec des contributions de Sami Naïr, Emmanuel Terray,
Salman Rushdie, Tzvetan Todorov, Mahmoud Hussein,
Édouard Glissant, Jean-Hubert Martin… La même année, on
peut aussi signaler la très bonne synthèse, alors passée
inaperçue en France, d'Alec G. HARGREAVES et Mark
MCKINNEY, Postcolonial Cultures in France, Routledge,
Londres/New York, 1997.
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Introduction – Note 19
Pascal BLANCHARD et Sandrine LEMAIRE (dir.), Culture
coloniale (1871-1931), Autrement, Paris, 2003 ; Pascal
BLANCHARD et Sandrine LEMAIRE (dir.), Culture impériale
(1931-1961), Autrement, Paris, 2004 ; et Pascal BLANCHARD
et Nicolas BANCEL (dir.), Culture postcoloniale (1961-2006),
Autrement, Paris, 2006.
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Introduction – Note 20
De même, on pourra s'interroger sur la périodisation choisie
(colonial/postcolonial), puisque des phénomènes
« postcoloniaux » s'enracinent généalogiquement dans une
durée plus longue que la période coloniale moderne, comme
c'est le cas, par exemple, de l'histoire des représentations de
l'Autre. On se reportera, par exemple, aux difficultés de situer
chronologiquement le phénomène des zoos humains, qui
semblent s'être déployés avant la grande poussée impériale. Cf.
Nicolas BANCEL, Pascal BLANCHARD, Gilles BOËTSCH,
Éric DEROO et Sandrine LEMAIRE (dir.), Zoos Humains. Au
temps des exhibitions humaines, La Découverte, Paris, 2005.
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Introduction – Note 21
Avant la rentrée 2004-2005, l'OFSTED (qui a en charge les
manuels scolaires, les programmes et directives pour le monde
scolaire en Grande-Bretagne) a considéré que le temps imparti à
la « question impériale », déjà conséquent, devait être
augmenté. C'est là un exemple, parmi beaucoup d'autres, de la
situation spécifique de la France face à son passé colonial.
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Introduction – Note 22
Enzo TRAVERSO, Le Passé, mode d'emploi. Histoire,
mémoire, politique, La Fabrique Éditions, Paris, 2005, et Claire
ANDRIEU et Danièle TARTAKOWSKY (dir.), Politique du
passé, Publications de l'université de Provence, Aix-en-
Provence, 2006.
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Introduction – Note 23
Perry ANDERSON, La Pensée tiède. Un regard critique sur la
culture française (suivi de « La pensée réchauffée », réponse de
Pierre Nora), Seuil, Paris, 2005.
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Introduction – Note 24
Voir Yves BÉNOT, Massacres coloniaux. 1944-1950 : la IVe
République et la mise au pas des colonies françaises, La
Découverte, Paris, 1994.
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Introduction – Note 25
Il faut cependant reconnaître à Pierre Nora le grand mérite
d'avoir très sensiblement évolué sur cette question au cours des
débats des années 2005-2006, en reconnaissant que l'histoire
coloniale et de l'esclavage avait été minorée et en analysant
lucidement les rapports entre écriture de l'histoire et
construction du « récit national ». Voir son interview dans Le
Monde 2 de mars 2006.
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Introduction – Note 26
A contrario, on peut citer Fernand Braudel qui, dans L'Identité
de la France (Flammarion, Paris, 1986), évoquait la question
contemporaine de l'immigration en France comme une « sorte
de problème colonial ».
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Introduction – Note 27
Jacques BERQUE, Le Maghreb entre deux guerres, Seuil, Paris,
1978 (rééd.).
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Introduction – Note 28
Nicolas BANCEL et Pascal BLANCHARD, « Les pièges de la
mémoire coloniale », Les Cahiers français, La Documentation
française, n° 303, juillet-août 2001, pp. 75-82.
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Introduction – Note 29
Germain VIATTE, Le Palais des colonies. Histoire du musée
des arts d'Afrique et d'Océanie, Réunion des Musées nationaux,
Paris, 2002. Voir aussi la contribution d'Arnauld Le Brusq dans
cet ouvrage, p. 255.
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Introduction – Note 30
Jacques Chirac a annoncé le 2 décembre 2005 qu'il confiait au
président de l'Assemblée nationale Jean-Louis Debré une
mission parlementaire « pour évaluer l'action du Parlement dans
le domaine de la mémoire et de l'histoire ».
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Introduction – Note 31
Voir Olivier LE COUR GRANDMAISON, Coloniser,
exterminer. Sur la guerre et l'État colonial, op. cit.
— Retour au texte —
Introduction – Note 32
Le Monde, 11 juin 2005.
— Retour au texte —
Introduction – Note 33
Voir Le Monde, 10 juin 2005.
— Retour au texte —
Introduction – Note 34
Le Monde, 10 juin 2005.
— Retour au texte —
Introduction – Note 35
Le Figaro, 18 août 2005.
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Introduction – Note 36
Voir aussi sa tribune contre l'appel des « indigènes de la
République » (« L'anticolonialisme comme alibi », Le Monde,
26 mars 2005), en réponse à notre propre tribune : Nicolas
BANCEL et Pascal BLANCHARD, « Comment en finir avec la
fracture coloniale », Le Monde, 17 mars 2005.
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Introduction – Note 37
Débat entre François GÈZE et Alain FINKIELKRAUT, « La
France est-elle un État colonial ? », Le Point, 12 mai 2005.
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Introduction – Note 38
Parmi eux, Bernard Lugan, universitaire lyonnais
ultranationaliste, proche du FN et qui défraye la chronique sur
son campus par ses outrances ; l'ancien partisan de l'Algérie
française et « historien populaire » Pierre Montagnon ; Arthur
Comte, nostalgique d'une France définitivement perdue depuis
qu'il n'est plus à la tête de l'ORTF.
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Introduction – Note 39
Que l'on a retrouvée dans un colloque, organisé le 23 avril 2005
au Sénat, sur la nécessité d'une « histoire coloniale revisitée ».
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Introduction – Note 40
Voir infra, chapitre 9.
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Introduction – Note 41
Pierre TÉVANIAN, Le Racisme républicain. Réflexions sur le
modèle français de discrimination, L'Esprit frappeur, Paris,
2002.
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Introduction – Note 42
On peut notamment citer Africagora et le Comité Marche du 23
mai 1998, présidé par Serge Romana, et en 2005 la création du
CRAN dans un mouvement plus vaste d'émergence d'une
« question noire » en France (cf. Géraldine Faes et Stephen
SMITH, Noir et Français !, Panama, Paris, 2006).
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Introduction – Note 43
À lire in extenso sur le site <www.toutesegaux.net> ; voir aussi
Le Monde, 22 février 2005.
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Introduction – Note 44
Voir infra, chapitre 19. Voir aussi : Éric MAURIN, Le Ghetto
français. Enquête sur le séparatisme social, Seuil, Paris, 2005 ;
Hervé VIEILLARD-BARON, Les Banlieues françaises ou le
ghetto impossible, L'Aube, La Tour d'Aigues, 1994.
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Introduction – Note 45
Voir infra,chapitre 17.
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Introduction – Note 46
Jacqueline COSTA-LACOUX, « L'ethnicisation du lien social
dans les banlieues françaises », Revue européenne des
migrations internationales, n° 2, 2001. Voir aussi Jean-Luc
RICHARD, Partir ou rester ? Destinées des jeunes issus de
l'immigration, PUF, Paris, 2004 ; et Lucienne BUI TRONG, Les
Racines de la violence, Louis Audibert, Paris, 2003.
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Introduction – Note 47
Jean-François BAYART, L'Illusion identitaire, Fayard, Paris,
1996 ; Éric DUPIN, L'Hystérie identitaire, Le Cherche-Midi,
Paris, 2004.
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Introduction – Note 48
Voir infra, chapitres 16, 18 et 19. Et aussi : François DUBET et
Didier LAPEYRONNIE, Les Quartiers d'exil, Seuil, Paris,
1992.
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Introduction – Note 49
Alain GIRARD et Jean STOETZEL, Français et immigrés,
PUF, Paris, 1953.
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Introduction – Note 50
Nacira GUÉNIF-SOUILAMAS, « L'intégration, une idée
épuisée », Libération, 12 juillet 2001.
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Introduction – Note 51
Dès 1992, Daniel Rivet constatait avec justesse, dans un article
fondateur, que « le phénomène colonial souffre de rester sous-
analysé et gommé dans le territoire de l'historien » (« Le fait
colonial et nous. Histoire d'un éloignement », Vingtième Siècle,
janvier 1992).
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Introduction – Note 52
Voir Benedict ANDERSON, L'Imaginaire national, La
Découverte, Paris, 1996.
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Introduction – Note 53
Voir infra, chapitre 1.
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Introduction – Note 54
Yves BÉNOT, Massacres coloniaux, op. cit.
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Introduction – Note 55
Yazid SABEG et Yacine SABEG, Discrimination positive.
Pourquoi la France ne peut y échapper, op. cit.
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Introduction – Note 56
Patrick WEIL, La République et sa diversité. Immigration,
intégration, discrimination, La République des idées/Seuil,
Paris, 2005.
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Introduction – Note 57
Véronique de RUDDER, Christian POIRET et François
VOURC'H, L'Inégalité raciste. L'universalité républicaine à
l'épreuve, PUF, Paris, 2000.
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Introduction – Note 58
Suzanne CITRON, Le Mythe national. L'histoire de France en
questions, Éditions ouvrières/ EDI, Paris, 1987.
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Introduction – Note 59
Gérard NOIRIEL, Le Creuset français. Histoire de
l'immigration XIXe-XXe siècle, Seuil, Paris, 1998 ; Paul ORIOL,
Les Immigrés : métèques ou citoyens ?, Syros, Paris, 1985 ;
Emmanuel Todd, Le Destin des immigrés, Seuil, Paris, 1994.
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Introduction – Note 60
Patrick WEIL, « Racisme et discrimination dans la politique
française de l'immigration : 1938-1945/1974-1995 », Vingtième
Siècle, juillet-septembre 1995, pp. 77-102.
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Introduction – Note 61
Dans cette acception, le mot « intégration » est en effet
prononcé officiellement pour la première fois en 1955, par le
ministre de la Justice François Mitterrand, dans le contexte de
l'Empire finissant.
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Introduction – Note 62
Pierre JOXE, À propos de la France. Itinéraires 1 (entretiens
avec Michel Sarrazin), Flammarion, Paris, 1998. Christian Paul
(député PS), dans un colloque tenu en mai 2005 sur l'esclavage,
se place dans la même perspective : « Vivent en France des
populations qui se ressentent exclues, et dont le passé est
marqué par la persécution. Il faut promouvoir l'égalité et la
vérité, en même temps. »
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1 – Note 1
Nicolas BANCEL et Pascal BLANCHARD, « La fondation du
républicanisme colonial. Retour sur une généalogie politique »,
dossier de la revue Mouvements (sous la direction de Patrick
SIMON et Sylvia ZAPPI), La Politique républicaine de
l'identité, n° 38, mars-avril 2005.
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1 – Note 2
Le statut d'indigène est antérieur à la IIIe République, puisqu'il
entre officiellement dans le droit français en février 1862 au
sujet de l'Algérie, jugeant les populations locales comme
différentes des « Français de France ». Donc des « nationaux »
sans « citoyenneté », en d'autres termes des « sujets français ».
Mais par les réformes de 1865, ceux-ci pouvaient accéder à la
citoyenneté française, ce qui fut généralisé pour les Juifs en
1870 par le décret Crémieux. Autant de situations juridiques que
la IIIe République va modifier jusqu'à en effacer tout souvenir,
avec les réformes ségrégationnistes de 1889.
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1 – Note 3
On l'oublie souvent, mais, outre le rétablissement de l'esclavage
aboli par la Révolution, Napoléon Bonaparte a interdit les
mariages interethniques (et leur inscription sur les registres
d'état civil) et surtout l'entrée sur le sol « métropolitain » aux
« gens de couleur ». Dès ce moment, s'inaugure en France la
formation de deux perceptions de l'immigration.
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1 – Note 4
Emmanuelle SAADA, « Une nationalité par degré », in Patrick
WEIL et Stéphane DUFOIX (dir.), L'Esclavage, la colonisation
et après…, op. cit.
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1 – Note 5
Suzanne CITRON, Le Mythe national. L'histoire de France en
questions, op. cit. ; Raoul GIRARDET, Mythes et mythologies
politiques, Seuil, Paris, 1986.
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1 – Note 6
En effet, les cadres de l'armée, à l'image de la droite
conservatrice à laquelle les officiers issus de l'aristocratie
appartiennent presque tous, sont avant tout obsédés par la perte
de l'Alsace-Lorraine et la « revanche » contre l'Allemagne.
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1 – Note 7
Claude NICOLET, L'Idée républicaine en France (1789-1924),
Gallimard, Paris, 1994 (1982).
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1 – Note 8
Voir Le Journal des débats, 22-25 décembre 1885 ; et
également Gilles MANCERON, Marianne et les colonies. Une
introduction à l'histoire coloniale de la France, op. cit.
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1 – Note 9
Nicolas BANCEL, Pascal BLANCHARD, Gilles BOËTSCH,
Éric DEROO, Sandrine LEMAIRE, Zoos humains. Au temps
des exhibitions humaines (XIXe-XXe siècles), La Découverte, Paris,
2002 (et La Découverte/Poche, Paris, 2004). Sur l'histoire de
l'anthropologie physique, voir : Claude BLANCKAERT, Les
Politiques de l'anthropologie. Discours et pratiques en France
(1860-1940), L'Harmattan, Paris, 2003, qui éclaire très bien
l'enracinement scientifique du schème racial ; voir aussi
l'excellent article de Laurent MUCCHIELLI, « Sociologie
versus anthropologie raciale. L'engagement décisif des
durkheimiens dans le contexte "fin de siècle" (1854-1914) »,
Gradhiva, n° 21, 1997, p. 77-94.
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1 – Note 10
Jean JAURÈS, Conférence tenue à l'Alliance française, 1884.
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1 – Note 11
Nicolas BANCEL, Pascal BLANCHARD et Françoise
VERGÈS, La République coloniale. Essai sur une utopie, op.
cit.
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1 – Note 12
Voir sur ce point l'étonnante synthèse de Dominique COLAS,
Race et racisme, de Platon à Derrida. Anthologie critique, Plon,
Paris, 2004.
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1 – Note 13
En 1918, alors que des dizaines de milliers de coloniaux sont au
front, Marius Moutet déclare au Parlement : « Si l'on veut faire
œuvre pratique, il faut décidément renoncer à l'unité mystique
des êtres humains qui pourraient indifféremment recevoir les
mêmes lois… »
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1 – Note 14
Christophe CHARLE, Les Élites de la République, 1880-1900,
Fayard, Paris, 1987 ; et Christophe PROCHASSON, Les Années
électriques, 1880-1910, La Découverte, Paris, 1991.
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1 – Note 15
Serge BERSTEIN et Odile RUDELLE (dir.), Le Modèle
républicain, PUF, Paris, 1992.
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2 – Note 1
Conférence de presse conjointe de Jacques Chirac, président de
la République, et de Percival J. Patterson, Premier ministre de la
Jamaïque et président du Cariforum, Pointe-à-Pitre
(Guadeloupe), 10 mars 2000.
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2 – Note 2
Pour un récit détaillé et argumenté de cette cérémonie funèbre,
voir Bernard GAINOT et Mayeul MACÉ, « Fin de campagne à
Saint-Domingue, novembre 1802-novembre 1803 », in Marcel
DORIGNY (dir.), Haïti, première République noire, Société
française d'histoire d'Outre-Mer, Paris, 2004.
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2 – Note 3
Voir, notamment, le catalogue de l'exposition Napoléon et la
mer. Un rêve d'Empire, Musée national de la Marine, Paris,
2004. L'occultation de la défaite de Saint-Domingue est totale :
la légende du grand portrait de l'amiral Decrès, ministre de la
Marine de 1801 à 1815, ne mentionne aucunement son rôle dans
la décision de rétablir l'esclavage à Saint-Domingue pas plus
que dans l'expédition Leclerc.
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2 – Note 4
Roland DESNÉ, « Sonthonax vu par les dictionnaires », in
Marcel DORIGNY (dir.), Léger Félicité Sonthonax. La
première abolition de l'esclavage, la Révolution française et la
Révolution de Saint-Domingue, Société française d'histoire
d'Outre-Mer, Paris, 1997 (réédition augmentée en 2005).
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2 – Note 5
Paru à titre posthume sous le nom d'auteur d'Albert Soboul,
PUF, Paris, 1989 (2005).
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2 – Note 6
Signalons la biographie rédigée par Cyril L. R. James, dès avant
la Seconde Guerre mondiale, traduite en français en 1949 (Les
Jacobins noirs. Toussaint Louverture et la Révolution de Saint-
Domingue, Gallimard, Paris, 1949), puis l'essai d'Aimé Césaire,
en 1960 (Toussaint Louverture, Club français du livre, Paris,
1960) ; et, plus récemment, les biographies successives de
Pierre Pluchon, il est vrai fort peu positives pour le héros.
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2 – Note 7
Yves BÉNOT, La Révolution française et la fin des colonies, La
Découverte, Paris, 1987 (2003).
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2 – Note 8
Jean-Paul BERTAUD, La Révolution française, Perrin, Paris,
2004 ; et Jean-Clément MARTIN, La Révolution française : une
histoire sociopolitique, Belin, Paris, 2004.
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2 – Note 9
Voir, pour un résumé simple de la procédure du calcul de la
« dette de 1825 » : François BLANCPAIN, « L'ordonnance de
1825 et la question de la l'indemnité », in Yves BÉNOT et
Marcel DORIGNY (dir.), 1802, rétablissement de l'esclavage
dans les colonies françaises. Aux origines d'Haïti, Maisonneuve
et Larose, Paris, 2003, p. 211-222.
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2 – Note 10
Voir la contribution de Françoise Vergès dans cet ouvrage, p.
67.
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2 – Note 11
Voir le rapport de ce comité : Régis DEBRAY (dir.), Haïti et la
France. Rapporta Dominique de Villepin, ministre des Affaires
étrangères, La Table ronde, Paris, 2004.
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3 – Note 1
Benjamin STORA, La Gangrène et l'Oubli. La mémoire de la
guerre d'Algérie, La Découverte, Paris, 1991 (réédition, La
Découverte/Poche, Paris, 1998).
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3 – Note 2
Voir, par exemple : Jean MEYER, Jean TARRADE, Annie
REY-GOLDZEIGUER et Jacques THOBIE, Histoire de la
France coloniale, des origines à 1914, tome I, Armand Colin,
Paris, 1990 ; Charles-Robert AGERON, Jacques THOBIE,
Gilbert MEYNIER et Catherine COQUERY-VIDROVITCH,
Histoire de la France coloniale, de 1914 à 1990, tome II,
Armand Colin, Paris, 1990 ; Charles-Robert AGERON et Marc
MICHEL (dir.), L'Ère des décolonisations, Karthala, Paris,
1995 ; et Marc FERRO (dir.), Le Livre noir du colonialisme.
XVIe siècle-XXIe siècle, de l'extermination à la repentance, op. cit.
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3 – Note 3
À ces grands groupes, il faudrait ajouter les « pieds-rouges »,
c'est-à-dire ceux qui ont cru en la bataille d'indépendance de
l'Algérie et sont retournés dans ce pays après 1962. Tous ces
groupes ont un point commun : leur lien physique, charnel, avec
l'Algérie. Tous ont vécu ou sont nés en Algérie, tous ont un lien
physique avec les paysages d'Algérie. On peut également y
ajouter ceux qui n'ont pas de lien physique direct avec l'Algérie,
mais dont la vie est marquée par l'histoire de ce pays : ceux qui
se sont engagés dans le combat pour l'indépendance de l'Algérie
ou pour l'Algérie française, les porteurs de valise, ou les
partisans de l'Algérie française en « métropole ».
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3 – Note 4
Face à ces grosses « machines » de production, on trouvera les
films de l'Indien Satyajit Ray. Dans Charulata, réalisé en 1964,
avec Madhabi Mukherjee et Sailen Mukleyee, l'histoire est celle
d'un riche intellectuel qui a créé, en 1879, au Bengale, un
journal afin de lutter contre la domination anglaise. La Maison
et le monde, avec Swatileka Chaterjee et Victor Banerjee,
évoque la rencontre, en 1908, au Bengale, d'un noble cultivé
élevé à l'occidentale, qui reçoit dans sa demeure un vieil ami
devenu militant nationaliste. Les films de Satyajit Ray disent
l'harmonie menacée d'un monde inégalitaire, qui se trouve dans
l'impossibilité de se transformer par lui-même. Il faudra
l'intervention d'acteurs extérieurs, qui claquent la porte de leur
« communauté » factice (de soldat ou de religion), pour
bousculer l'ordre installé et assumer l'audace d'une vie nouvelle.
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3 – Note 5
Même si, parfois, des hors-champ sonores, des voix off tentent,
dans des documentaires comme ceux qui évoquent la guerre
d'Algérie diffusés à la télévision (Les Années algériennes de
Benjamin Stora et Bernard Favre en 1991, ou L'Ennemi intime
de Patrick Rotman en 2002), de nous signaler des contextes
précis.
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3 – Note 6
Sur l'absence de l'Autre dans le cinéma colonial, voir :
Adelkader BENALI, Le Cinéma colonial, Le Cerf, Paris, 1999 ;
Nicolas BANCEL, Pascal BLANCHARD et Francis
DELABARRE, Images d'Empire, 1930-1960. Trente ans de
photographies officielles sur l'Afrique française, La
Martinière/La Documentation française, Paris, 1996.
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3 – Note 7
Sur ce sujet, voir : Abderrezak HELLAL, Image d'une
révolution : la révolution algérienne dans les textes français
durant la période du conflit, OPU, Alger, 1988 ; Images et
visages du cinéma algérien, Catalogue Oncic, Alger, 1984.
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3 – Note 8
François MASPERO, L'Honneur de Saint-Arnaud, Plon, Paris,
1993 (édition de poche : Seuil, coll. « Points », Paris, 1995).
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3 – Note 9
Pour une comparaison avec le cinéma arabe, voir : Yves
THORAVAL, Les Écrans du Croissant fertile, Séguier, Paris,
2003.
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3 – Note 10
Sur cet aspect, voir : Patrick WEIL et Stéphane DUFOIX (dir.),
L'Esclavage, la colonisation et après…, op. cit.
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3 – Note 11
Sur ce problème de l'engagement idéologique dans les années
de l'après-68, nous renvoyons à notre ouvrage, La Dernière
Génération d'octobre, Stock, Paris, 2003.
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3 – Note 12
Mohammed HARBI et Benjamin STORA (dir.), La Guerre
d'Algérie. 1956-2004, la fin de l'amnésie, Robert Laffont, Paris,
2004.
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4 – Note 1
Départements d'Outre-Mer (DOM) et régions d'Outre-Mer
(ROM) : Martinique, Guadeloupe, Guyane, La Réunion ;
collectivités d'Outre-Mer (COM) : Nouvelle-Calédonie,
Polynésie française, Wallis et Futuna et Saint-Pierre-et-
Miquelon ; Terres australes et antarctiques françaises (TAAF).
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4 – Note 2
Après l'abolition de l'esclavage en 1848, les colons, tant à La
Réunion que dans les Antilles françaises, remplacèrent les
esclaves en « important » des travailleurs « engagés » (Indiens,
Chinois, Malais, Malgaches, Mozambicains…), soumis à des
conditions de vie et de travail proches de celles de l'esclavage.
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4 – Note 3
Myriam COTTAS, « Le silence de la nation », Outre-Mers,
tome 90, n° 338-339, 2003, p. 21-45.
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4 – Note 4
Voir le rapport rendu au Premier ministre en avril 2005 par le
Comité pour la mémoire de l'esclavage : Mémoires de la traite
négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions, <www.comite-
memoire-esclavage.fr>.
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4 – Note 5
Bureau pour le développement des migrations intéressant les
départements d'Outre-Mer : service créé par l'État, chargé
d'organiser le départ des Antillais, Guyanais et Réunionnais vers
la France métropolitaine.
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4 – Note 6
Claude-Valentin MARIE, « Les populations des DOM-TOM en
France », Hommes et Migrations, n° 1090, mars 1986.
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4 – Note 7
Myriam COTTAS, « Le silence de la nation », loc. cit., p. 22.
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4 – Note 8
Françoise VERGÈS, Abolir l'esclavage : une utopie coloniale.
Les ambiguïtés d'une politique humanitaire, Albin Michel,
Paris, 1999.
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4 – Note 9
Faut-il rappeler que, jusqu'à la fin des années 1980, les taux des
aides sociales ou du salaire minimum ont été inférieurs dans les
DOM à ce qu'ils étaient en France métropolitaine. En revanche,
les salaires des fonctionnaires y étaient plus élevés qu'en France
métropolitaine. La notion d'égalité est donc variable : c'est un
principe abstrait et aménagé selon les espaces.
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5 – Note 1
Depuis 2002, la Commission fonctionne sous la tutelle de la
Ligue des droits de l'homme et du mensuel Le Monde
diplomatique.
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5 – Note 2
Voir le rapport Laïcité et Islam en France. Rapport d'étape
d'une commission de travail de la Ligue de l'enseignement,
novembre 1998, p. 12.
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5 – Note 3
COMMISSION ISLAM ET LAÏCITÉ, 1905-2005 : les enjeux
de la laïcité, L'Harmattan, Paris, 2005.
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5 – Note 4
Comme on l'a vu lors des débats parlementaires précédant
l'adoption de la loi de 2004 sur le port de signes religieux à
l'école, dont l'approbation avait été facilitée par les
recommandations de la commission Stasi.
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5 – Note 5
Voir la contribution de Thomas Deltombe et Mathieu Rigouste
dans cet ouvrage, p. 191.
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5 – Note 6
Rapport Laïcité et Islam en France, op. cit., p. 13.
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5 – Note 7
Entretien à France-Soir, 25 mars 2005.
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5 – Note 8
Les « bureaux arabes », installés dans les bleds les plus reculés
et confiés à des officiers qui représentaient l'autorité française
en tout domaine, fonctionnaient comme de véritables centres
d'écoute des humeurs de la population, dans un but de sécurité
plutôt que de gestion pragmatique de ses problèmes.
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5 – Note 9
Parmi les nombreux exemples que l'on pourrait citer, il suffit de
mentionner le Code de l'indigénat, ensemble de textes
juridiques, décrets et articles de lois visant les « infractions
spéciales aux indigènes » : établi en 1874, enrichi et institué en
loi en 1881, modifié en 1890 puis en 1914, il s'est appliqué
jusqu'à la Seconde Guerre mondiale (voir Jean-Claude VATIN,
L'Algérie politique, histoire et société, Presses de la FNSP,
Paris, 1983 (1974), p. 133).
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6 – Note
Cet article est une version remaniée de ma contribution à la
première édition de cet ouvrage.
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6 – Note 1
Voir l'analyse très lucide sur cette question de Catherine
COQUERY-VIDROVITCH, « Réflexions comparées sur
l'historiographie africaniste de langue française et anglaise »,
Politique africaine, n° 3, 1998.
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6 – Note 2
On lira sur cette question Gérard NOIRIEL, Qu'est-ce que
l'histoire contemporaine ?, Hachette, Paris, 2001 ; François
DOSSE donne également des indications intéressantes dans
L'Histoire en miettes, La Découverte, Paris, 1994.
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6 – Note 3
Sophie DULUCQ et Colette ZYTNICKI (dir.), Décoloniser
l'histoire ? De l'« histoire coloniale » aux histoires nationales
en Amérique latine et en Afrique (XIXe-XXe siècle), Publication de
la Société française d'histoire d'Outre-Mer, Paris, 2003.
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6 – Note 4
Raoul GIRARDET, L'Idée coloniale en France, Gallimard,
Paris, 1969.
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6 – Note 5
Dans une intervention au Collège de France en 1976, Foucault
suggère que la colonisation doit aussi être envisagée du point de
vue de ses effets « en retour » sur la métropole (voir Michel
FOUCAULT, Dits et Écrits, tome 1, Gallimard, Paris, 1999).
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6 – Note 6
Pour en rester aux historiens, et outre les travaux des trois
coordinateurs de cet ouvrage et les travaux pionniers sur les
mouvements anticolonialistes de Claude Liauzu ou Philippe
Dewitte, signalons les récentes contributions de Sylvie
THÉNAULT, Une drôle de justice. Les magistrats dans la
guerre d'Algérie, La Découverte, Paris, 2001, ou de Raphaëlle
BRANCHE, La Torture et l'Armée pendant la guerre d'Algérie,
Gallimard, Paris, 2001, qui analysent l'histoire, dans le contexte
de la guerre d'Algérie, des institutions judiciaire et militaire. Les
répercussions, sur ces institutions en France, de pratiques
coloniales sont envisagées et appellent des recherches à
poursuivre. Benjamin STORA s'est également intéressé à la
question de la mémoire de la guerre d'Algérie, avec son ouvrage
Le Transfert d'une mémoire. De l'« Algérie française » au
racisme antiarabe, op. cit. Signalons aussi le travail
d'Emmanuelle SAADA (La « question des métis » dans les
colonies françaises : socio-histoire d'une catégorie juridique
(Indochine et autres territoires de l'Empire français, années
1890-années 1950), thèse de doctorat, EHESS, Paris, 2003), qui
envisage les croisements entre droit colonial et droit en
métropole à travers le cas des « métis ». Enfin, le travail récent
et novateur de Patrick WEIL et Stéphane DUFOIX (dir.),
L'Esclavage, la colonisation et après…, op. cit., consacré à une
analyse comparative entre les pratiques coloniales et
postcoloniales en France et aux États-Unis, s'inscrit dans ce
renouvellement.
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6 – Note 7
Gilles DE GANTES, « De l'histoire coloniale à l'étude des aires
culturelles : la disparition d'une spécialité du champ
universitaire français », Outre-Mers, revue d'histoire, Société
française d'histoire d'Outre-Mer, Paris, 2003 ; Colette
ZYTNICKI, « "La maison, les écuries". L'émergence de
l'histoire coloniale en France (des années 1880 aux années
1930) », in Sophie DULUEQ et Colette ZYTNICKI (dir.),
Décoloniser l'histoire ?, op. cit.
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6 – Note 8
Colette Zytnicki signale ainsi deux ouvrages de ce type : La
France coloniale. Histoire, géographie, commerce, sous la
direction du professeur à la Sorbonne Alfred Rambaud (1886) ;
et Les colonies françaises. Un siècle d'expansion coloniale, sous
la direction des professeurs Marcel Dubois et Auguste Terrier
(1901).
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6 – Note 9
Gilles DE GANTES, « De l'histoire coloniale à l'étude des aires
culturelles », loc. cit.
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6 – Note 10
Ce qui ne signifie pas, évidemment, que ces travaux soient sans
valeur : souvent sérieux sur le plan méthodologique, ils
accumulent des foules de renseignements positifs, souvent utiles
pour l'historien d'aujourd'hui. Mais, on l'aura compris, ce qui
nous intéresse ici est de comprendre les difficultés actuelles,
peut-être en partie issues de cette période fondatrice, à faire de
l'histoire coloniale et postcoloniale.
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6 – Note 11
Voir, par exemple, Gilles DE GANTES, « De l'histoire
coloniale à l'étude des aires culturelles », loc. cit., et l'analyse de
Marie-Albane DE SUREMAIN sur les revues scientifiques,
« L'histoire coloniale dans le Bulletin du Comité d'études
historiques et scientifique de l'AOF-IFAN, 1916-1960 », in
Sophie DULUCQ et Colette ZYTNICKI (dir.), Décoloniser
l'histoire ?, op. cit.
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6 – Note 12
Marie-Albane DE SUREMAIN, ibid.
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6 – Note 13
Gilles de Gantes note également que Charles-André Julien,
anticolonialiste notoire et qui s'intéresse d'abord aux sociétés
autochtones, favorise cette réorientation (Gilles DE GANTES,
« De l'histoire coloniale à l'étude des aires culturelles », loc.
cit.).
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6 – Note 14
Daniel RIVET, « Le fait colonial et nous. Histoire d'un
éloignement », Vingtième siècle, janvier-mars 1992.
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6 – Note 15
Henk WESSELING, « Overseas History », in Peter BURKE,
New Perspectives on Historical Writing, Polity Press, Londres,
1991.
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6 – Note 16
Voir la contribution de Sandrine Lemaire dans cet ouvrage, p.
93 ; et Suzanne CITRON, Le Mythe national. L'histoire de
France en question, op. cit. On notera qu'Ernest Lavisse,
parangon d'une histoire nationale mythifiée, sera l'un des rares
historiens professionnels à soutenir la création d'une chaire
d'histoire coloniale à la fin du XIXe siècle.
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6 – Note 17
Dans les hiérarchies académiques implicites, travailler sur
l'histoire de la colonisation est peu valorisant, beaucoup moins,
par exemple, que de faire de l'histoire sociale ou politique de la
France contemporaine.
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6 – Note 18
Didier GONDOLA, « La crise de la formation en histoire
africaine en France vue par les étudiants africains », Politique
africaine, n° 64, 1997 ; voir les réponses critiques de Jean-
Pierre CHRÉTIEN, « Une crise de l'histoire de l'Afrique en
langue française ? » et de Michel CAHEN, « Africains et
africanistes. À propos de l'article de Didier Gondola », Politique
africaine, n° 68, 1997.
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6 – Note 19
Remarque également formulée par Catherine COQUERY-
VIDROVITCH, « Réflexions comparées sur l'historiographie
africaniste de langue française et anglaise », loc. cit.
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7 – Note 1
Ainsi, début 2005, un étudiant de première année à Sciences Po
décrivait bien ce sentiment : « À quoi se réduit l'histoire des
Noirs, dans les programmes d'histoire ? À quatre cents ans
d'oppression. Comme si les Noirs n'avaient rien apporté à
l'humanité […]. Comme l'enfant d'Alsace ou d'Auvergne, qui se
reconnaît dans ce que dit le prof, je voudrais, moi aussi, ma
petite part de reconnaissance. Et le récit de quatre cents ans
d'humiliations ne me la donne pas » (cité par Olivier PASCAL-
MOUSSELARD, Télérama, 16 février 2005, dans sa critique du
livre de Carole DIAMANT, École, terrain miné, Liana Lévi,
Paris, 2005).
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7 – Note 2
« Nous sommes les indigènes de la République ! Appel pour les
Assises de l'anticolonialisme postcolonial »,
<http://toutesegaux.free.fr>, 11 janvier 2005 (voir Philippe
BERNARD, « Des "enfants de colonisés" revendiquent leur
histoire », Le Monde, 21 février 2005).
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7 – Note 3
Sur le contexte de l'adoption de cette loi, et sur le caractère
choquant de la volonté d'instituer une histoire officielle et
simpliste, voir la contribution dans cet ouvrage d'Olivier Le
Cour Grandmaison, p. 121. Et également Thierry LE BARS et
Claude LIAUZU, « Et l'histoire de la présence française outre-
mer ? », L'Humanité, 10 mars 2005. Interpellant les députés, ces
historiens montrent bien l'incongruité d'un tel article : « En
adoptant cette disposition, vous avez pris parti sur le sens à
donner à la colonisation dans l'enseignement. Sur le fond, votre
position est extrêmement contestable. Qu'il y ait eu des aspects
positifs dans le phénomène colonial est indéniable. […] Mais
comment peut-on dire de manière générale que le rôle joué par
notre pays outre-mer a été positif quand on connaît les aspects
les plus révoltants ? »
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7 – Note 4
Comme le montrent les résultats de notre enquête à Toulouse
(voir infra, chapitre 23, la synthèse de ces résultats ; et aussi les
annexes 1 et 2).
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7 – Note 5
Dans les filières scientifiques en terminale, le programme est
différent : il traite le thème « Colonisation et indépendance »,
subdivisé entre « La colonisation européenne et le système
colonial » et « La décolonisation et ses conséquences », à
l'échelle européenne également.
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7 – Note 6
Philippe BERNARD, « Des "enfants de colonisés" revendiquent
leur histoire », loc. cit.
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7 – Note 7
Christine GARIN, « Un regard critique sur la société
française », Le Monde, 30 janvier 2002.
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7 – Note 8
Jean-Louis SAUX, « Les Français d'Outre-Mer se plaignent de
discriminations en métropole », Le Monde, 11 décembre 2004.
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7 – Note 9
Sur ce point, voir la contribution dans cet ouvrage de Sarah
Froning Deleporte, p. 105.
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8 – Note 1
Ce titre s'inspire d'une célèbre affiche, créée par Éric Castel en
1941, avec pour slogan : « Trois couleurs, un drapeau, un
Empire ».
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8 – Note 2
« Nous sommes les indigènes de la République ! Appel pour les
Assises de l'anticolonialisme postcolonial »,
<http://toutesegaux.free.fr>, 11 janvier 2005.
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8 – Note 3
Michael DIETLER, « Our ancestors the Gaulois », American
Anthropologist, n° 96, 1994, p. 584-605 ; Isabelle OESTER,
« Nos ancêtres n'étaient pas des Gaulois », mallette pédagogique
pour enseignants, service culturel du Musée Albert-Kahn, 2004.
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8 – Note 4
Manuel CASTELLS, The Power of Identity, Blackwell,
Londres, 1997, p. 52.
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8 – Note 5
Puisqu'elle est concentrée sur les musées ethnographiques de
caractère national, cette étude n'a pu intégrer d'autres cas
comme le Musée des confluences à Lyon, ou le cas spécifique,
hors du champ habituel du monde muséal, du Mémorial national
de l'Outre-Mer (MOM) en préparation à Marseille.
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8 – Note 6
Les propos des « informateurs » resteront anonymes et toujours
entre guillemets, identifiés par un chiffre et un titre
administratif. Nous les remercions pour leur collaboration —
ainsi que la Wenner-Gren Foundation, l'Université de Chicago,
l'EHESS et le ministère des Affaires étrangères pour leur
soutien financier, qui a permis de mener à bien ce travail.
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8 – Note 7
Voir, par exemple, Benoît DE L'ESTOILE, « Le Musée des arts
premiers face à l'histoire », in Francisco BETHENCOURT
(dir.), Les Arts premiers, Centre culturel Calouste Gulbenkian/
Jean Touzot, Paris, 2003, p. 41 et 61.
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8 – Note 8
Michel COLARDELLE (dir.), Réinventer un musée. Le Musée
des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée à Marseille,
RMN, Paris, 2002, p. 23.
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8 – Note 9
Pour une histoire plus détaillée, voir le dernier chapitre intitulé
« The dance of the museums » du livre d'Herman LEBOVTCS,
Bringing the Empire Back Home, Duke University Press,
Londres, 2003.
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8 – Note 10
Voir Nélia DIAS, « Esquisse ethnographique d'un projet : le
Musée du Quai Branly », French Politics, Culture and Society,
n° 19 (2), 2001 ; Élise DUBUC, « Le futur antérieur du Musée
de l'Homme », Gradhiva, n° 24, 1998. Sur le MAAO, voir
Dominique TAFFIN (dir.), Du Musée colonial au Musée des
cultures du monde, Maisonneuve et Larose/MAAO, Paris, 2000.
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8 – Note 11
Voir Philippe DEWITTE (dir.), « Vers un lieu de mémoire de
l'immigration », Hommes et Migrations, n° 1247, janvier-février
2004. Voir aussi, dans le présent ouvrage, la contribution
d'Arnaud Le Brusq, p. 255.
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8 – Note 12
Jean-Pierre MOHEN (dir.), Le Nouveau Musée de l'Homme,
Odile Jacob/Muséum national d'histoire naturelle, Paris, 2004.
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8 – Note 13
Michel COLARDELLE (dir.), Réinventer un musée, op. cit.
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8 – Note 14
Voir Tony BENNETT, « The exhibitionary complex », in David
BOSWELL et Jessica EVANS (dir.), Representing the Nation :
a Reader, Routledge, Londres, 1999, p. 339.
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8 – Note 15
Gilles DELEUZE et Félix GUATTARI, L'Anti-Œdipe.
Capitalisme et schizophrénie, Minuit, Paris, 1972 ; David
HARVEY, Spaces of Hope, University of California Press,
Berkeley, 2000, p. 243.
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8 – Note 16
Loi du 4 janvier 2002 relative aux Musées de France, articles 2
et 6.
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8 – Note 17
À ce sujet, les informateurs sont d'accord avec Dominique
POULOT, Musée, nation, patrimoine, Gallimard, Paris, 1997.
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8 – Note 18
Gérard MONNIER, L'Art et ses institutions en France,
Gallimard, Paris, 1995, p. 37 ; et Jean COPANS et Jean JAMIN,
Aux origines de l'anthropologie française, Jean-Michel Place,
Paris, 1994, p. 9.
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8 – Note 19
Voir Bruno LATOUR, Nous n'avons jamais été modernes, La
Découverte, Paris, 1991 ; Michel-Rolph TROUILLOT,
Silencing the Past. Power and the Production of History,
Beacon Press, Boston, 1995, p. 75.
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9 – Note 1
Nicolas BANCEL, Pascal BLANCHARD et Françoise
VERGÈS, La République coloniale, op. cit., p. 12.
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9 – Note 2
Voir la contribution de François Gèze dans cet ouvrage, p. 155.
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9 – Note 3
Nicolas BANCEL, Pascal BLANCHARD, Gilles BOËTSCH,
Éric DEROO et Sandrine LEMATRE (dir.), Zoos humains, op.
cit.
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9 – Note 4
Jean-Michel CHAUMONT, La Concurrence des victimes, op.
cit.
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10 – Note 1
Proposition de loi n° 667 présentée par Jean Leonetti et
soutenue par plusieurs dizaines de députés de la droite
parlementaire. Sur cette initiative, voir notre article « Le
négationnisme colonial », Le Monde, 2 février 2005, p. 15.
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10 – Note 2
Déclaration du député communiste François Liberti, qui
précisait : « On est donc loin d'un souci de consensus, car celui-
ci aurait voulu que nous nous accordions à améliorer le texte.
L'essentiel reste à faire » (Assemblée nationale, séance du 10
février 2005, comptes rendus analytiques, p. 23,
<www.assembleenationale.fr/12/cra/2004-2005/146.asp>).
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10 – Note 3
Kléber Mesquida affirmait ainsi : « Nous avons souhaité, avec
nos collègues de l'UDF, que la dignité de "mort pour la France"
soit reconnue aux victimes du 26 mars et à d'autres victimes
civiles », ibid., p. 22. Mesquida est un élu socialiste important et
ses nombreuses responsabilités en témoignent : il est maire de
Saint-Pons-de-Thomières, conseiller général, premier vice-
président du conseil général et président du groupe majoritaire
socialiste à l'assemblée départementale.
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10 – Note 4
Rudy Salles a lui aussi salué l'émergence d'un « consensus
national » qui est « en bonne voie » si l'on en « juge par la
qualité du ton et des débats qui se sont déroulés à l'Assemblée
nationale » (« Point de vue », <www.rudy-
salles.com/actualites/2005.02.10>, p. 1).
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10 – Note 5
Assemblée nationale, séance du 10 février 2005, comptes
rendus analytiques, p. 2. Ce projet est inscrit dans la loi relative
aux harkis et aux rapatriés.
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10 – Note 6
Assemblée nationale, séance du 10 février 2005, op. cit., p. 22.
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10 – Note 7
Alain-Gérard SLAMA, « La guerre d'Algérie en littérature ou la
comédie des masques », in Jean-Pierre RIOUX (dir.), La Guerre
d'Algérie et les Français, Fayard, Paris, 1990, p. 585. Plus
récemment, dans La Guerre d'Algérie. Histoire d'une déchirure
(Gallimard, Paris, 1996, p. 16 et 17), ouvrage destiné au grand
public, Alain-Gérard SLAMA écrivait, après avoir brièvement
évoqué l'enfumade de Pélissier et les années 1840 : « La
générosité et le rêve ne furent pas, pour autant, absents d'une
aventure où les Bugeaud, Canrobert, Bazaine, Saint-Arnaud,
Randon, Changarnier […] se sont découvert des vocations
d'administrateurs et de bâtisseurs. » Gloire à eux donc, ils ont
bien mérité de la patrie reconnaissante !
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10 – Note 8
Propos tenus par Raoul GIRARDET au journal L'Aurore le 25
avril 1972 et reproduits en annexe dans la réédition de son
ouvrage L'Idée coloniale en France, Hachette, coll. « Pluriel »,
Paris, 1995, p. 498 (cet ouvrage a reçu le Grand Prix Goubert de
l'Académie française).
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10 – Note 9
Raoul GIRARDET, L'Idée coloniale en France, ibid., p. 9.
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10 – Note 10
Ibid., p. 412. De son côté, Guy PERVILLÉ écrit, lui aussi sur le
mode de l'évidence, que la France a accompli une « œuvre
considérable » en Algérie, « dont les vestiges matériels encore
visibles continuent de susciter l'admiration » (Pour une histoire
de la guerre d'Algérie, Picard, Paris, 2002, p. 317). Ou
comment l'argument d'autorité se substitue à l'autorité de
l'argument, puisque nulle démonstration ne vient soutenir cette
affirmation péremptoire.
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11 – Note
Cet entretien a été réalisé à l'EHESS par Nicolas Bancel et
Sandrine Lemaire, le 8 avril 2005.
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11 – Note 1
Marc FERRO, L'Histoire des colonisations, Seuil, Paris, 1994
(réédition 2001).
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11 – Note 2
Marc FERRO, Les Tabous de l'Histoire, Nil éditions, Paris,
2002.
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11 – Note 3
Marc FERRO (dir.), Le Livre noir du colonialisme. XVIe siècle-
XXIe siècle, de l'extermination à la repentance, op. cit.
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11 – Note 4
Marc FERRO, « La République a trahi ses valeurs », Les
collections de L'Histoire, n° 11, avril 2001.
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11 – Note 5
Marc FERRO, Les Tabous de l'Histoire, op. cit.
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11 – Note 6
Marc FERRO (dir.), Le Livre noir du colonialisme, op. cit.
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11 – Note 7
Marc FERRO, « Le filtre de la fiction », La Revue. Forum des
images, 2005 (à l'occasion du cycle « Colonies » conçu avec la
collaboration de l'ACHAC et en partenariat avec Le Monde).
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11 – Note 8
Marc FERRO, Les Tabous de l'Histoire, op. cit.
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12 – Note 1
Marie-Louise MALLET (dir.), La Démocratie à venir. Autour
de Jacques Derrida, Galilée, Paris, 2004.
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12 – Note 2
Voir sur ce point les développements qui ont inspiré cette
contribution : Achille MBEMBE, De la postcolonie, Karthala,
Paris, 2005 (seconde édition).
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12 – Note 3
Jacques HASSOUN, L'Obscur Objet de la haine, Aubier, Paris,
1997, p. 14.
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12 – Note 4
Olivier LE COUR GRANDMAISON, Coloniser, exterminer.
Sur la guerre et l'État colonial, op. cit.
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12 – Note 5
Voir notamment : AGIR ICI et SURVIE, L'Afrique à Biarritz.
Mise en examen de la politique française, Karthala, Paris,
1995 ; François-Xavier VERSCHAVE, La Françafrique. Le
plus long scandale de la République, op. cit. ; John CHIPMAN,
French Power in Africa, Blackwell, Oxford, 1989. À l'appui de
cette thèse, l'on cite, pêle-mêle, la présence de bases militaires
françaises, la tradition d'interventions directes dans les affaires
de ces États, l'émasculation de leur souveraineté monétaire à
travers des mécanismes tels que la zone franc, l'aide à la
coopération, le maillage et la clientélisation de leurs élites à
travers une panoplie d'institutions culturelles et politiques,
l'activisme des services secrets et divers réseaux occultes, la
participation directe à des politiques de la violence, voire à des
dynamiques de nature génocidaire…
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12 – Note 6
Joe MILLER, Way of Death, University of Wisconsin Press,
Madison, 1988.
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12 – Note 7
François CONSTANTIN, « La privatisation de la politique
étrangère à partir de la scène africaine », Pouvoirs, n° 88, 1999 ;
Jean-François MÉDARD, « La patrimonialisation des relations
franco-africaines : échanges politiques, économiques et
sociaux », ECPR Joint Sessions, CEAN, Jeyden-Bordeaux,
1993.
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12 – Note 8
Jacqueline DAMON et John IGUÉ (dir.), L'Afrique de l'Ouest
dans la compétition mondiale. Quels atouts possibles ?,
Karthala, Paris, 2003.
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12 – Note 9
Achille MBEMBE, « Essai sur le politique en tant que forme de
la dépense », Cahiers d'études africaines, tome XLIV, n° 1-2,
2004.
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12 – Note 10
Achille MBEMBE, « Du gouvernement privé indirect »,
Politique africaine, n° 73, 1999. Voir aussi : Béatrice HIBOU
(dir.), La Privatisation des États, Karthala, Paris, 2000.
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12 – Note 11
Voir le dossier « Power list : les vrais patrons de l'Afrique »,
Ecofinance, n° 45, juillet 2004.
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12 – Note 12
Daniela KROSLAK, « France's policy towards Africa.
Continuity or change ? », in Ian TAYLOR et Paul WILLIAMS
(dir.), Africa in International Politics. External Involvement in
the Continent, Routledge, New York, 2004.
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12 – Note 13
Jéopold Sédar SENGHOR, Liberté V. Le dialogue des cultures,
Seuil, Paris, 1993.
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12 – Note 14
Didier GONDOLA, « La crise de la formation en histoire
africaine en France vue par les étudiants africains », art. cit. ; et
les réponses de Jean-Pierre CHRÉTIEN, « Une crise de
l'histoire de l'Afrique en langue française ? », et de Michel
CAHEN, « Africains et africanistes. À propos de l'article de
Didier Gondola », art. cit.
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12 – Note 15
Voir Pierre ROSANVALLON, Le Peuple introuvable. Histoire
de la représentation démocratique en France, Gallimard, Paris,
1998.
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12 – Note 16
À l'exemple de la Ford Foundation (qui dispose de sièges
régionaux à Lagos, Nairobi et Johannesburg), de la Rockefeller
Foundation (siège à Nairobi), de la Mellon Foundation (siège à
Johannesburg) et de la McArthur Foundation (siège au Nigéria).
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12 – Note 17
Éliane DE LA TOUR, « Les ghettomen. Les gangs de rue à
Abidjan et San Pedro », Actes de la recherche en sciences
sociales, n° 129, 1999.
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12 – Note 18
« Côte-d'Ivoire en guerre : dynamiques du dedans et du
dehors », numéro spécial, Politique africaine, n° 89, 2003.
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12 – Note 19
Lire, par exemple, « La "grandeur" de la France à l'aune d'un
consulat : témoignage », et « La France et les migrants
africains », Politique africaine, n° 67, 1997.
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12 – Note 20
Michel FOUCAULT, Les Mots et les Choses. Une archéologie
des sciences humaines, Gallimard, Paris, 1966.
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12 – Note 21
Jean-Luc GIRIBONE, « Les Français face au français », Esprit,
n° 262, mars-avril 2000, p. 246-250.
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12 – Note 22
Voir la timide tentative d'Olivier MONGIN, « Création et
culture à l'âge postcolonial », Esprit, n° 316-332, mars-avril
2002.
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12 – Note 23
Paul GTLROY, Postcolonial Melancholia, Columbia
University Press, New York, 2004.
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12 – Note 24
« Vers une anthropologie comparative des démocraties
modernes. Entretien avec Vincent Descombes (II) », Esprit, n
° 263, mai 2000.
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12 – Note 25
Nicolas BANCEL, Pascal BLANCHARD et Françoise
VERGÈS, La République coloniale, op. cit.
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12 – Note 26
Voir notamment : Edward W. SAÏD, Culture et Impérialisme,
op. cit. ; Arjun APPADURAI, Après le colonialisme. Les
conséquences culturelles de la globalisation, Payot, Paris,
2001 ; Paul GILROY, L'Atlantique noir, Kargo, Paris, 2003 ;
Judith BUTLER, La Vie psychique du pouvoir. Théories de
l'assujettissement, Léo Scheer, Paris, 2002 ; Mamadou DIOUF,
Histoire indienne en débat. Colonialisme, nationalisme et
sociétés postscolaires, Karthala, Paris, 1999. Lire également le
numéro spécial « Intellectuels en diaspora et théories
nomades », Revue française d'anthropologie, n° 156, 2000.
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12 – Note 27
Voir notamment : Paul GILROY, Against Race. Imagining
Political Culture beyond the Color Line, Harvard University
Press, Cambridge, 2000 ; Iris YOUNG, Justice and the Politics
of Difference, Princeton University Press, Princeton, 1990, et
Inclusion and Democracy, Oxford University Press, Oxford,
2000 ; Seyla BENHABIB (dir.), Democracy and Difference,
Princeton University Press, Princeton, 1996, et The Claims of
Culture. Equality and Diversity in the Global Era, Princeton
University Press, Princeton, 2002 ; Nancy FRASER, Justice
Interruptus. Critical Reflections on the « Postsocialist »
Condition, Routledge, New York, 1997 ; Charles TAYLOR,
Multiculturalism, Princeton University Press, Princeton, 1994 ;
Axel HONNETH, The Struggle for Recognition. The Moral
Grammar of Social Conflicts, MIT Press, Cambridge, 1996.
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12 – Note 28
Édouard GLISSANT, Poétique de la relation, Gallimard, Paris,
1990, et Tout-Monde, Gallimard, Paris, 1994 ; voir aussi :
Dipesh CHAKRABARTY, Habitations of Modernity. Essays in
the Wake of Subaltern Studies, University of Chicago Press,
Chicago, 2002.
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12 – Note 29
Jacques HASSOUN, L'Obscur Objet de la haine, op. cit.
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12 – Note 30
Pierre ROSANVALLON, Le Peuple introuvable, op. cit., p. 13.
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12 – Note 31
Françoise VERGÈS, Abolir l'esclavage : une utopie coloniale,
Albin Michel, Paris, 2001 ; Nicolas BANCEL, Pascal
BLANCHARD et Françoise VERGÈS, La République
coloniale, op. cit. ; et Olivier MONGIN, « Création et culture à
l'âge postcolonial », op. cit.
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12 – Note 32
Nicolas BANCEL et Pascal BLANCHARD, « L'héritage
colonial : un trou de mémoire », Hommes & Migrations, n
° 1228, 2000.
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12 – Note 33
Nicolas BANCEL et Pascal BLANCHARD, « Les pièges de la
mémoire coloniale », Cahiers français, n° 303, 2003.
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12 – Note 34
Fernand BRAUDEL, L'Identité de la France, Arthaud-
Flammarion, Paris, 1986. Pour une critique, voir : Jean
BAUBÉROT, « Une société multiculturelle : jusqu'où ? »,
Cahiers français, n° 316, 2003.
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12 – Note 35
Jacques HASSOUN, L'Obscur Objet de la haine, op. cit.
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12 – Note 36
« Vers une anthropologie comparative des démocraties
modernes. Entretien avec Vincent Descombes (II) », Esprit, n
° 263, 2000.
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13 – Note 1
Ja première bombe A française a été testée le 13 février 1960,
dans le désert du Tanezrouf en Algérie ; la première bombe H
l'a été le 24 août 1968, au dessus de l'atoll de Fangataufa, dans
le Pacifique.
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13 – Note 2
Benjamin STORA, La Gangrène et l'Oubli, op. cit., p. 221.
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13 – Note 3
Voir, par exemple, Gilles MANCERON, Marianne et les
colonies, op. cit. ; et, dans le présent ouvrage, la contribution de
Nicolas BANCEL et Pascal BLANCHARD, « Les origines
républicaines de la fracture coloniale », p. 33.
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13 – Note 4
Cité par François MASPERO, in préface à Yves BÉNOT,
Massacres coloniaux. 1944-1950 : la IVe République et la mise
au pas des colonies françaises, op. cit., p. IV.
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13 – Note 5
Ibid., p. VIII.
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13 – Note 6
« On n'a jamais comptabilisé les pertes de la population
algérienne, mais on estime que celle-ci est passée, entre 1830 et
1856, de trois millions d'habitants à deux millions trois cent
mille » (ibid., p. VIII). Bien peu de travaux d'historiens ont été
consacrés à la « sauvagerie » de la conquête de l'Algérie. Sur ce
point, on peut consulter le livre pionnier de François
MASPERO, L'Honneur de Saint-Arnaud, Plon, Paris, 1993
(édition de poche : Seuil, coll. « Points », Paris, 1995) ; et le
récent travail, remarquable, d'Olivier LE COUR
GRANDMAISON, Coloniser, Exterminer, op. cit.
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13 – Note 7
Albert LONDRES, Terre d'ébène, Albin Michel, Paris, 1929
(cité par Gilles MANCERON, Marianne et les colonies, op. cit.,
p. 190).
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13 – Note 8
Annie REY-GOLDZEIGUER, Aux origines de la guerre
d'Algérie. 1940-1945, de Mers-el-Kébir aux massacres du
Nord-Constantinois, La Découverte, Paris, 2002.
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13 – Note 9
Voir Yves BÉNOT, Massacres coloniaux, op. cit.
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13 – Note 10
Nicolas BANCEL, « La voie étroite : la sélection des dirigeants
africains lors de la transition vers la décolonisation »,
Mouvements, n° 21-22, mai-août 2002, p. 28-40.
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13 – Note 11
Néologisme forgé par Félix Houphouët-Boigny, inamovible
dirigeant de la Côte-d'Ivoire de 1960 jusqu'à sa mort en 1993 et
pilier fondateur de cette « Françafrique », qui n'émergera sous
un jour critique dans l'opinion française qu'à la fin des années
1990, principalement grâce au travail obstiné de l'animateur de
l'association Survie, François-Xavier Verschave (voir François-
Xavier VERSCHAVE, La Françafrique. Le plus long scandale
de la République, op. cit. ; Noir silence. Qui arrêtera la
Françafrique ?, Les Arènes, Paris, 2000).
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13 – Note 12
Jean-Pierre DOZON, Frères et sujets. La France et l'Afrique en
perspective, Flammarion, Paris, 2003. Voir également la
passionnante table ronde entre Nicolas BANCEL et Jean-Pierre
DOZON, « De la colonisation à la décolonisation : les modes de
constitution de la Françafrique », Mouvements, n° 21-22, mai-
août 2002, p. 15-27.
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13 – Note 13
Jean-Pierre DOZON, loc. cit., p. 26.
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13 – Note 14
Voir la contribution d'Achille Mbembe dans cet ouvrage, p. 139.
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13 – Note 15
Lounis AGGOUN et Jean-Baptiste RIVOIRE, Françalgérie,
crimes et mensonges d'États. Histoire secrète, de la guerre
d'indépendance à la « troisième guerre » d'Algérie, La
Découverte, Paris, 2004, p. 44-46 et 68-69.
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13 – Note 16
Voir François-Xavier VERSCHAVE, Noir silence, op. cit.
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13 – Note 17
François GÈZE, « Françalgérie : sang, intox et corruption »,
Mouvements, n° 21-22, mai-août 2002 ; et Lounis AGGOUN et
Jean-Baptiste RIVOIRE, Françalgérie, crimes et mensonges
d'États, op. cit.
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13 – Note 18
Voir notamment : Patrick DE SAINT-EXUPÉRY,
L'Inavouable. La France au Rwanda, Les Arènes, Paris, 2004 ;
Laure CORET et François-Xavier VERSCHAVE (dir.),
L'horreur qui nous prend au visage. L'État français et le
génocide au Rwanda, Karthala, Paris, 2005.
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13 – Note 19
Fachoda (aujourd'hui Kodok) fut le lieu de l'affrontement, sur
les bords du Nil soudanais, de deux colonnes militaires, l'une
française (commandée par le capitaine Jean-Baptiste
Marchand), l'autre britannique (commandée par le général
Herbert Kitchener), dont l'enjeu était la domination du Soudan :
face à la fermeté de Londres, dont Paris recherchait alors
l'alliance contre l'Allemagne, la France avait dû reculer, échec
qui restera gravé dans la mémoire de la diplomatie française
(voir Henri WESSELING, Le Partage de l'Afrique, 1880-1914,
Denoël, Paris, 1996).
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13 – Note 20
Voir le dossier de la revue Mouvements, De la Françafrique à
la mafiafrique, n° 21-22, mai-août 2002.
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13 – Note 21
S'agissant du Maghreb, voir Sihem BENSEDRINE et Omar
MESTIRI, L'Europe et ses despotes. Quand le soutien au
« modèle tunisien » dans le monde arabe fait le jeu du
terrorisme islamiste, La Découverte, Paris, 2004.
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13 – Note 22
Pour ne citer que les dernières en date, en février 2005 :
« Gnassingbé Eyadema, un ami personnel » (Jacques Chirac) ;
« Le président Chirac et le président Ben Ali ont la même vision
du monde » (Jean-Pierre Raffarin).
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13 – Note 23
On peut évoquer ainsi les liens d'amitié étroits entre Jacques
Chirac et l'ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri,
assassiné à Beyrouth le 14 février 2005.
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13 – Note 24
Voir Étienne BALIBAR, L'Europe, l'Amérique, la guerre.
Réflexions sur la médiation européenne, La Découverte, Paris,
2003.
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14 – Note 1
Cité par Charles-Robert AGERON, France coloniale ou parti
colonial, PUF, Paris, 1978, p. 70.
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14 – Note 2
Tzvetan TODOROV, La Conquête de l'Amérique. La question
de l'autre, Seuil, Paris, 1982, p. 181.
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14 – Note 3
Cité par Alain DESTEXHE, L'Humanitaire impossible ou deux
siècles d'ambiguïté, Armand Colin, Paris, 1993, p. 34.
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14 – Note 4
Ibid.
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14 – Note 5
Jean-Pierre OLIVIER DE SARDAN, Anthropologie et
développement. Essai en socio-anthropologie du changement
social, Karthala, Paris, 1997, p. 58.
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14 – Note 6
Ibid., p. 33.
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14 – Note 7
Soisick CROCHET, « Cet obscur objet du désir », in Rony
BRAUMAN (dir.), Utopies sanitaires, Je Pommier/Médecins
sans frontières, Paris, 2002, p. 62.
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14 – Note 8
Voir Claude DE VILLEDE GOYET, « Stop propagating
disasters myths », The Lancet, vol. 356, août 2000,
<http://pdm.medicine.wisc.edu/degoyet.htm>.
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14 – Note 9
Georges VIGARELLO, Le Propre et le Sale. L'hygiène du
corps depuis le Moyen Âge, Seuil, Paris, 1987, p. 207.
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14 – Note 10
Soisick CROCHET, « Cet obscur objet du désir », loc. cit.
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14 – Note 11
Mary DOUGLAS, cité in Soisick CROCHET, ibid.
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14 – Note 12
Conférence du secrétaire d'État à Washington, 26 octobre 2001.
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14 – Note 13
Libération, 26 décembre 2004.
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15 – Note 1
Dans le même dossier, François Baroin, porte-parole de l'UMP,
parti alors majoritaire, rappelle quels sont, à ses yeux, les
fondements de ce débat : « La France est un État laïc qui
s'oppose aux communautarismes. »
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15 – Note 2
Dominique VIDAL et Karim BOURTEL, Le Mal-être arabe.
Enfants de la colonisation, op. cit.
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15 – Note 3
Claude LIAUZU, « Les enjeux de mémoire », Libération, 23
février 2005. Dans cet article, Claude Liauzu dénonçait surtout
la proposition de loi (votée le 23 février 2005) visant à rendre
hommage au « rôle positif de la présence française outre-mer,
notamment en Afrique du Nord » (voir la contribution dans cet
ouvrage d'olivier Le Cour Grandmaison, p. 121).
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15 – Note 4
Voir Philippe BERNARD, « Les "enfants de colonisés"
revendiquent leur histoire », Le Monde, 22 février 2005.
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15 – Note 5
Fadela AMARA, « Moi, fille d'immigré, pour l'égalité et la
laïcité », Libération, mars 2005. Le point de vue de la dirigeante
du mouvement « Ni putes, ni soumises » est mis en exergue, en
rouge, au centre de l'article : « Le travail de mémoire doit se
faire, mais cela ne doit pas participer à la construction
identitaire. » Et d'en appeler à son père, « vieux militant du
FLN », qui lui donne un conseil : « En quoi ça te regarde la
colonisation ? » Elle conclut, suite aux conseils paternels : « Le
programme de l'Algérie française, ce n'était pas l'extermination
totale d'une population […]. Nous n'allons sûrement pas
gaspiller nos énergies à détruire des chaînes imaginaires. […]
Nous avons trop à faire… »
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15 – Note 6
Je 28 mars 2005, dans Le Monde, Jean Daniel montait ainsi au
créneau : revisiter cette histoire, ce serait « creuser le fossé qui
sépare les Français d'origines différentes » ; dire qu'il y a eu des
histoires de l'immigration différentes en fonction du contexte
historique de ces migrations, ce serait « ignorer à ce point-là
l'histoire », refuser de voir la réalité en face, manipuler le passé.
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15 – Note 7
Patrick WEIL, La France et ses étrangers, Gallimard, coll.
« Folio », Paris, 2004 (1991). De même que son étude
« Racisme et discrimination dans la politique française de
l'immigration : 1938-1945/1974-1995 », Vingtième Siècle,
juillet-septembre 1995, p. 74-99 ; ainsi que, sous sa direction
avec Stéphane DUFOIX, L'Esclavage, la colonisation et
après…, op. cit.
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15 – Note 8
Emmanuelle SAADA, « Une nationalité par degré », in Patrick
WEIL et Stéphane DUFOIX (dir.), L'Esclavage, la colonisation
et après…, op. cit.
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15 – Note 9
La cour d'appel de l'Indochine, par un arrêté du 27 octobre
1910, tranchera cette question de façon claire, en statuant que
l'indigène se trouve en situation « intermédiaire entre les
citoyens français et les étrangers ».
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15 – Note 10
On assiste même à des retours en arrière. En 1916, on débat
pour savoir si le statut de citoyen à part entière des habitants des
comptoirs des indes et des quatre communes du Sénégal, décidé
en 1848 à une époque « où l'assimilation régnait », ne devait pas
être revu pour être mis en conformité avec le reste du domaine
colonial.
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15 – Note 11
Rapport sur la condition légale des sujets français dans les
colonies et les prérogatives qui résultent de la qualité de sujet,
par le directeur honoraire au ministère des Colonies, Georges
Tesseron (cité par Emmanuelle Saada, « Une nationalité par
degré », loc. cit.).
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15 – Note 12
Conférence au Conseil supérieur des colonies du professeur
Bernard Lavergne, juin 1928.
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15 – Note 13
Emmanuel TODD, Le Destin des immigrés, op. cit.
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15 – Note 14
Emmanuel Todd recommandait d'affirmer clairement une
politique pour qu'enfin les « immigrés de toutes origines »
puissent être « soulagés et heureux d'apprendre que la France
veut faire de leurs enfants des Français à part entière ».
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15 – Note 15
Yazid SABEG et Yacine SABEG, Discrimination positive.
Pourquoi la France ne peut y échapper, op. cit.
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15 – Note 16
Philippe Dewitte a précisé le contexte : « Il est temps que la
République se donne les moyens — avec tous les garde-fous
permettant de respecter les libertés publiques — de connaître
qui est discriminé, mais aussi de comprendre pourquoi il l'est,
afin de mieux combattre un fléau qui, sinon, aura raison de la
cohésion de la nation » (Philippe DEWITTE (dir.), Immigration
et intégration : l'état des savoirs, La Découverte, Paris, 1999).
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15 – Note 17
Certains acteurs se placent toujours dans l'idée d'une France
« généreuse », « institutrice du monde » et fière de sa « mission
civilisatrice du monde ». Ces propos sont ceux de trois cadres
au ministère de la Coopération et acteurs dynamiques de la
francophonie, dans un ouvrage réédité récemment : Serge
ARNAUD, Michel GUILLOU et Albert SALON, Les Défis de
la francophonie, Alpharès, Paris, 2005. Un item revient en
permanence dans leur livre, comme spécifique à la « geste » de
la France, sans aucun doute le credo républicain encore en
mouvement dans l'idée de la francophonie : l'« aspect positif de
l'assimilation ». Dans le prolongement de cette « œuvre », « la
francophonie peut rendre un autre monde possible » et c'est dans
cette globalité que s'insère, aussi, le débat actuel sur la place des
« enfants de la colonisation » dans la nation.
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15 – Note 18
Nicolas BANCEL, Pascal BLANCHARD et Françoise
VERGÈS, La République coloniale. Essai sur une utopie, op.
cit.
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15 – Note 19
In Dominique VIDAL et Karim BOURTEL, Le Mal-être arabe,
op. cit.
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15 – Note 20
Gérard Noiriel, dans son ouvrage Gens d'ici, venus d'ailleurs
(Éditions du Chêne, Paris, 2004), se place dans cette perspective
et souligne, par les mêmes précautions préalables, la difficulté
d'appréhender l'immigration dans toutes ses dimensions. Il
précise dans l'introduction : « Il n'est pas rare aujourd'hui
d'opposer la "bonne" immigration, celle d'hier ou d'avant-hier,
composée d'Européens catholiques qui auraient "réussi" leur
intégration, et celle d'aujourd'hui, africaine et musulmane, qui
"poserait problème" parce que les nouveaux immigrants ne
pourraient pas, ou même ne voudraient pas, s'intégrer. Le
présent livre se porte en faux contre un tel usage de l'histoire. »
Et d'expliciter son propos : « Au-delà de tout ce qui les sépare,
les immigrants qui se sont installés en France depuis le XIXe
siècle ont traversé les mêmes épreuves, ont vécu les mêmes
expériences décisives. »
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16 – Note 1
Gérard NOIRIEL, Le Creuset français. Histoire de
l'immigration XIXe-XXe siècle, op. cit.
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16 – Note 2
Dominique SCHNAPPER, La Communauté des citoyens,
Gallimard, Paris, 1994.
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16 – Note 3
Ahmed BOUBEKER, Familles de l'intégration, Stock, Paris,
1999.
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16 – Note 4
Abdelmalek SAYAD, « Identités : nomination/catégorisation »,
Document de l'INJEP hors-série 4, ministère de la Jeunesse et
des Sports, janvier 1997.
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16 – Note 5
François EWALD, L'État-providence, Grasset, Paris, 1985.
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16 – Note 6
Charles TAYLOR, Multiculturalisme. Différence et démocratie,
Aubier, Paris, 1994.
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16 – Note 7
Ahmed BOUBEKER, Les Mondes de l'ethnicité, Balland, Paris,
2003.
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17 – Note 1
Thomas Deltombe a travaillé sur la construction de l'« islam »
dans les journaux télévisés de 1970 à 1995, et Mathieu Rigouste
sur les représentations de l'« immigration maghrébine » dans la
presse écrite de 1995 à 2004. Voir Thomas DELTOMBE,
Quelle représentation médiatique sans représentants ?
Naissance et explosion de l'islam de France au journal télévisé
de 20 heures, 1975-1995, IEP Paris, 2003 (et aussi : L'Islam
imaginaire. Les musulmans de France à la télévision, 1975-
2005, La Découverte, Paris, 2005) ; Mathieu RIGOUSTE, Les
Cadres médiatiques, sociaux et mythologiques de l'imaginaire
colonial. La représentation de l'« immigration maghrébine »
dans la presse française de 1995 à 2002, Paris-X-Nanterre,
2003.
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17 – Note 2
Le Nouvel Observateur, 23 novembre 1989.
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17 – Note 3
Le Syndrome Saddam. La France, ses musulmans et l'Irak, « La
Marche du siècle », FR3, 30 janvier 1991.
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17 – Note 4
Près de quinze ans plus tard, la distinction opérée par le
président de la République Jacques Chirac, lors de son
allocution télévisée du 14 juillet 2004, entre les « Français » et
les « Juifs ou musulmans ou autres » illustre bien cette binarité.
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17 – Note 5
Journal télévisé de 20 heures, 9 octobre 1995.
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17 – Note 6
Voir la contribution de Philippe Liotard dans cet ouvrage, p.
227.
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17 – Note 7
Henri HAGET, « Nous l'avons tant aimé », L'Express, 16 août
2004.
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17 – Note 8
La consécration de cette reconversion est généralement
symbolisée par le colloque du gouvernement socialiste intitulé
« Des villes sûres pour des citoyens libres », à Villepinte, les 24
et 25 octobre 1997.
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18 – Note 1
« Nous sommes les indigènes de la République ! Appel pour les
Assises de l'anticolonialisme postcolonial »,
<http://toutesegaux.free.fr>, 11 janvier 2005.
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18 – Note 2
Abdelmalek SAYAD, La Double Absence. Des illusions de
l'émigré aux souffrances de l'immigré, Seuil, Paris, 1999.
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18 – Note 3
Emmanuelle SAADA, La « question des métis » dans les
colonies françaises : socio-histoire d'une catégorie juridique
(Indochine et autres territoires de l'Empire français, années
1890-années 1950), op. cit.
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18 – Note 4
Voir Christelle TARAUD, La Prostitution coloniale, Payot,
Paris, 2003.
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18 – Note 5
Voir Laurent MUCCHIELLI, Le Scandale des « tournantes »,
La Découverte, Paris, 2005.
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18 – Note 6
Abdelmalek SAYAD, La Double Absence, op. cit.
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19 – Note 1
Voir Stokely CARMICHAEL et Charles V. HAMILTON, Le
Black Power, Payot, Paris, 1968.
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19 – Note 2
Enquête conduite (de 2002 à 2005) par entretiens auprès de
jeunes et de leurs familles dans des cités d'habitat social du nord
de Paris et de la ville d'Angoulême.
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19 – Note 3
Frantz FANON, Les Damnés de la terre, Maspero, Paris, 1961.
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19 – Note 4
Voir le reportage de Philippe BERNARD, Le Monde, 6 juillet
2004.
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19 – Note 5
Frantz FANON, Peau noire, masques blancs, Seuil, Paris, 1952.
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19 – Note 6
Albert MEMMI, Portrait du colonisé, Gallimard, Paris, 1957.
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19 – Note 7
Patrick BOULTE, Individus en friche, Desclée de Brouwer,
Paris, 1995.
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19 – Note 8
Frantz FANON, Peau noire, masques blancs, op. cit. ; et Albert
MEMMI, L'Homme dominé, Payot, Paris, 1968.
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19 – Note 9
Edward SAÏD, Culture et Impérialisme, op. cit.
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20 – Note 1
« L'esclavage aboli ? », Africultures, n° 6, L'Harmattan, Paris,
mars 1998 (et <www.africultures.com>) ; voir aussi notre article
paru dans Libération le 23 avril 1998.
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20 – Note 2
Nicolas BANCEL, « Les médias français face au Rwanda, de
l'intervention française de 1990 au génocide », Africultures, n
° 30, dossier Rwanda 2000 : mémoires d'avenir, L'Harmattan,
Paris, septembre 2000.
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20 – Note 3
Titre du livre célèbre de Joseph Conrad, publié en 1902, où il
reprend les élans romantiques de Stanley et Speke (Joseph
CONRAD, Au cœur des ténèbres, Gallimard, coll. « Folio »,
Paris, 1994).
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20 – Note 4
Momar Désiré KANE, Marginalité et errance dans la
littérature et le cinéma africains francophones : les carrefours
mobiles, L'Harmattan, coll. « Images plurielles », Paris, 2004.
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20 – Note 5
Voir le dossier L'Africanité en questions, Africultures, n° 41,
octobre 2001 ; ainsi que le dossier Afrique tout-monde :
l'Afrique et la globalisation culturelle, Africultures, n° 54,
janvier-mars 2003.
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20 – Note 6
Cité par Olivier BARLET, « Du cinéma métis au cinéma
nomade : défense du cinéma », Africultures, n° 62, dossier
Métissages : un alibi culturel ?, L'Harmattan, Paris, mars 2005.
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21 – Note 1
Voir infra, chapitre 23, la synthèse de ces résultats (et aussi les
annexes 1 et 2).
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21 – Note 2
Pour un panorama de la manière dont se construisent ces
fictions, voir Quasimodo, dossier Fictions de l'étranger, n° 6,
2000.
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21 – Note 3
Daniel DENIS, « La revanche des dominés », Quasimodo,
dossier Nationalismes sportifs, n° 3-4, 1997, p. 47-60.
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21 – Note 4
Comme l'ont fait par exemple Nicolas BANCEL et Pascal
BLANCHARD, « L'intégration par le sport ? Quelques
réflexions autour d'une utopie », Migrance, n° 22, 2003 ; Marc
CLÉMENT, « De la difficulté d'être prophète en son pays pour
le jeune animateur », Agora, n° 21, 2000 ; Michel FODIMBI,
« Le sport, outil d'intégration ou de normalisation sociale ? »,
Migrations société, n° 71, 2000 ; Lionel ARNAUD, Politiques
sportives et minorités ethniques, L'Harmattan, Paris, 1999.
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21 – Note 5
Allen GUTMANN, « Amères victoires. Les sportifs noirs et le
rêve américain de mobilité sociale », Terrain, n° 25, 1995, p.
29.
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21 – Note 6
Malgré quelques exceptions notoires, comme celle de Mike
Tyson (voir Loïc WACQUANT, Corps et âme, Agone,
Marseille, 2000).
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21 – Note 7
L'AOF, Afrique occidentale française, fédérait huit territoires de
l'Ouest de l'Afrique : la Mauritanie, le Sénégal, le Soudan
français (Mali), la Guinée, la Côte-d'Ivoire, le Niger, la Haute-
Volta (Burkina-Faso) et le Dahomey (Bénin).
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21 – Note 8
Bernadette DEVILLE-DANTHU, « Noirs et Blancs sur les
terrains de sport : un rendez-vous manqué », in Pierre
ARNAUD et Alfred WAHL (dir.), Sports et relations
internationales, Centre de recherche histoire et civilisation de
l'Université de Metz, Metz, 1994, p. 193.
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21 – Note 9
Le roman de Franck PAVLOFF, Foulée noire (Baleine, Paris,
1995), prend cette réalité comme trame.
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21 – Note 10
Philippe LIOTARD, « Des zoos humains aux stades : le
spectacle des corps », in Nicolas BANCEL, Pascal
BLANCHARD, Gilles BOËTSCH, Éric DEROO, Sandrine
LEMAIRE (dir.), Zoos humains, op. cit., p. 410-416.
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21 – Note 11
Howard ZINN, Une histoire populaire des États-Unis de 1492 à
nos jours, Agone, Marseille, 2002.
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21 – Note 12
Pour une analyse de ces discours, voir : ESMERALDA,
« United colors of "France qui gagne" », Quasimodo, n° 6,
dossier Fictions de l'étranger, 2000, p. 131-158.
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21 – Note 13
Cet exemple est développé par Évelyne COMBEAU-MARI,
Sport et décolonisation. La Réunion de 1946 à la fin des années
1960, L'Harmattan, Paris, 1998, p. 352-353.
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21 – Note 14
Jacques DUMONT, Sport et assimilation à la Guadeloupe. Les
enjeux du corps performant de la colonie au département
(1914-1965), L'Harmattan, Paris, 2002, p. 390.
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21 – Note 15
L'AEF, Afrique équatoriale française, fédérait le Gabon, le
Moyen-Congo (République du Congo), l'Oubangui-Chari
(République centrafricaine) et le Tchad.
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21 – Note 16
Voir sur ce point le roman de Didier DAENINCKX, Cannibale
(Verdier, Jagrasse, 1998) ; Philippe LIOTARD, « Le sport au
secours des imaginaires nationaux », Quasimodo, dossier
Nationalismes sportifs, op. cit., p. 9-31.
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21 – Note 17
Voir ESMERALDA, « United colors of "France qui gagne" »,
loc. cit., notamment p. 140-145.
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21 – Note 18
Les femmes sont très peu nombreuses a être ainsi distinguées
pour leur mérite sportif.
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21 – Note 19
Philippe LIOTARD, « Les uns contre les autres », Le Courrier
de l'Unesco, avril 1999, p. 28-30.
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21 – Note 20
Nicolas BANCEL, Pascal BLANCHARD, « De l'indigène à
l'immigré, le retour du colonial », Hommes et migrations, n
° 1207, 1997, p. 100-113.
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21 – Note 21
Voir Noria BOUBHOBZA, « Enjeux d'appropriation entre
masculin et féminin autour d'une pratique sportive », IIe Congrès
de sociologie du sport de langue française, Orsay, le 26 octobre
2004.
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21 – Note 22
Voir Jacques DUMONT (Sport et assimilation à la
Guadeloupe, op. cit.), qui montre comment ce modèle s'est
imposé aux pratiques physiques traditionnelles.
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21 – Note 23
Voir Brigitte LARGUÈZE, Frédéric GOLDBRONN et José
REYNES, « Nouveau lumpenprolétariat et jeunes casseurs », Le
Monde, 1er avril 2005 ; Luc BRONNER, « Manifestations des
lycéens : le spectre des violences anti-"Blancs" », Le Monde, 16
mars 2005.
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21 – Note 24
Adam KUPER, « Le cricket, le nationalisme et le
cambrioleur », Terrain, n° 25, 1995, p. 97-99.
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22 – Note 1
Dominique VERSENI, Rapport sur la diversité dans la fonction
publique, ministère de la Fonction publique et de la Réforme de
l'État/La Documentation française, décembre 2004.
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22 – Note 2
Voir Patrick SIMON, « Les jeunes issus de l'immigration se
cachent pour vieillir. Représentations sociales et catégories de
l'action publique », VEI Enjeux, n° 121, juin 2000, p. 23-38.
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22 – Note 3
Voir Suzanne CITRON, Le Mythe national, op. cit.
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22 – Note 4
Gérard NOIRIEL, Le Creuset français. Histoire de
l'immigration XIXe-XXe siècle, op. cit.
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22 – Note 5
Patrick SIMON, « L'immigration et l'intégration dans les
sciences sociales en France depuis 1945 », in Philippe
DEWITTE (dir.), Immigration et intégration. État des savoirs,
La Découverte, Paris, 1999, p. 82-95.
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22 – Note 6
Abdelmalek SAYAD, L'Immigration ou les paradoxes de
l'altérité, Éditions universitaires/De Boeck, Paris/Bruxelles,
1991.
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22 – Note 7
Albert BASTENIER et Felice DASSETTO, Immigration et
espace public. La controverse de l'intégration, CIEMI-
L'Harmattan, Paris, 1993.
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22 – Note 8
Amnésie aujourd'hui fortement remise en cause par la
résurgence d'une revendication mémorielle, comme en
témoignent les mobilisations autour du 17 octobre 1961, le
développement d'une importante historiographie sur la
colonisation, la mise en place d'un Comité pour la mémoire de
l'esclavage (en janvier 2004), ou l'appel dit des « indigènes de la
République » (en janvier 2005).
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22 – Note 9
C'est le constat établi notamment par Vincent GEISSER,
« Ethnicité républicaine versus République ethnique ? »,
Mouvements, n° 38, mars 2005, p. 19-25.
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22 – Note 10
Pierre-André TAGUIEFF, « Immigrés, métis, Juifs : les raisons
de l'inassimilabilité. Opinions et doctrines du Dr Martial », in
Mélanges en l'honneur de Rita Thalmann, Peter Jang, Francfort-
sur-le-Main, 1994, p. 177-221.
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22 – Note 11
Philippe POUTIGNAT et Jocelyne STREIFF-FENART,
Théories de l'ethnicité, PUF, Paris, 1995.
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22 – Note 12
Voir en particulier les travaux de Nacira GUÉNIF-
SOUILAMAS, notamment Des « beurettes » aux descendantes
d'immigrants nord-africains, op. cit.
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23 – Note 1
Selon le recensement de l'INSEE de 1999, la population totale
de la région Midi-Pyrénées était de 2 552 125 personnes, contre
2 430 663 en 1990, soit une augmentation de quelque 120 000
personnes, que n'explique pas le seul accroissement naturel : le
facteur migratoire est donc un élément essentiel à prendre en
compte. Pourtant, on ne comptait en 1999 que 99 894
« étrangers », soit 3,9 % de la population régionale (contre 5,6
% au niveau national) ; mais si on y ajoute les 120 237 Français
par acquisition, la population « d'origine étrangère » représentait
8,6 % de la population régionale.
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23 – Note 2
Voir en annexe 1 la description de la démarche méthodologique
mise en œuvre. Ce projet a été initié et coordonné par l'Achac
(sous la conduite de Nicolas Bancel, Pascal Blanchard,
Emmanuelle Collignon et Sandrine Lemaire), en partenariat
avec différentes institutions nationales (Délégation
interministérielle à la ville et ministère de la Culture) et acteurs
locaux : FASILD Midi-Pyrénées (sous la direction de Kamel
Benamra et la conduite de Frédéric Callens), rectorat Midi-
Pyrénées, lycée Marcellin-Berthelot (Toulouse), réseau
associatif Tactikollectif (sous la direction de Salah Amokrame)
et l'association Quartier 31. Enfin, l'enquête par questionnaire a
été menée par l'agence Celsius.
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23 – Note 3
Voir en annexe 2 une présentation plus détaillée des principaux
résultats de l'étude. Les lecteurs qui souhaitent de plus amples
éléments d'information peuvent consulter l'intégralité des
résultats statistiques en s'adressant au centre de documentation
de la Délégation interministérielle à la ville (194, avenue du
Président-Wilson, 93217 Saint-Denis-La-Plaine).
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23 – Note 4
La liste des dix premiers événements de l'histoire coloniale cités
spontanément par les personnes ressources est éclairante. Dans
l'ordre : la guerre d'Algérie, très loin devant les autres ; puis
trois événements se situant dans le même univers historique (les
indépendances au sens large), à savoir la guerre d'Indochine, les
accords d'Évian et la décolonisation (sans précision de champ
géographique ou historique) ; viennent ensuite la conquête de
l'Afrique et celle de l'Algérie (prise d'Alger en 1830) ; puis,
toujours par ordre décroissant de fréquence des réponses, les
indépendances de l'Indochine, de l'Algérie, de l'Inde et du
Maroc.
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23 – Note 5
À titre d'exemple, certains enquêtés ont fait référence au décret
Crémieux de 1870 (qui ne concernait que l'Algérie et octroyait
la citoyenneté française à la population juive) pour mettre en
exergue la différence de situation en France des « Juifs » et des
« Arabes »… Ce niveau de connaissance d'un épisode lointain
de l'Algérie coloniale est étonnant, et s'explique sans doute par à
une conférence-débat sur la question — fortement « orientée »
— qui avait eu lieu à Toulouse peu de temps avant notre
enquête.
— Retour au texte —
23 – Note 6
Voir en annexe 1 le descriptif des différentes catégories
retenues dans l'étude.
— Retour au texte —
23 – Note 7
Certaines personnes ressources ont insisté, lors des entretiens
individuels, pour associer « histoire coloniale » et « histoire de
l'esclavage » dans l'expression de leur intérêt pour ce passé.
— Retour au texte —
Épilogue – Note 1
Ce texte actualise une publication donnée à l'occasion de la
fermeture du Musée des arts africains et océaniens (MAAO)
dans la revue L'Infini, n° 82, printemps 2003.
— Retour au texte —
Épilogue – Note 2
Voir la contribution de François Gèze dans cet ouvrage, note 19,
p. 155.
— Retour au texte —
Annexe 1 – Note 1
Dans le cadre du programme, initié en 2001, « Mémoires,
production de sens et récits de/et dans la ville ».
— Retour au texte —
Annexe 1 – Note 2
Distinction nécessaire pour apprécier les éventuels effets de la
concentration des populations immigrées ou issues de
l'immigration dans les quartiers périphériques.
— Retour au texte —
Annexe 1 – Note 3
Ce chiffre important est assez proche de la réalité toulousaine
actuelle, fortement marquée par plusieurs vagues migratoires.
— Retour au texte —
Annexe 1 – Note 4
Dont le partenariat établi avec l'Éducation nationale, grâce au
rectorat de l'Académie de Toulouse et à sa chargée de mission
des Affaires culturelles, qui a permis l'enquête au lycée
Marcellin-Berthelot.
— Retour au texte —
Annexe 1 – Note 5
Cette mallette apportait toute l'information nécessaire, sous
diverses formes :
— Retour au texte —
Annexe 1 – Note 6
Nous renvoyons à ce sujet à l'enquête complète, disponible sur
le site <www.culturesenville.culture.fr>.
— Retour au texte —
Annexe 1 – Note 7
Si l'on prend en compte le lieu de naissance des grands-parents,
cette proportion est encore plus importante, variant entre 32,3 %
et 36,8 %. Viennent ensuite les ascendants marocains et
tunisiens, puis espagnols, qui correspondent aux principales
arrivées de migrants à Toulouse.
— Retour au texte —
Annexe 2 – Note 1
Pour rendre exploitables les résultats, nous avions choisi de
laisser une marge d'erreur de plus ou moins cinq ans pour les
événements du XXe siècle et de plus ou moins vingt ans pour la
conquête de l'Algérie en 1830 (soit entre 1810 et 1850), tout en
notant les réponses exactes et en classant les réponses en
fonction de leur degré d'exactitude (à un, deux ou trois ans
près).
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Annexe 2 – Note 2
Dans l'ordre : François Mitterrand, le général Leclerc, Abd-el-
Kader, Pierre Mendès France, Houari Boumediene, Léopold
Sédar Senghor, Jules Ferry, Habib Bourguiba dominent ; mais
aussi Francisco de Goya, Christophe Colomb, le maréchal
Bugeaud, Eugène Delacroix, Victor Schœlcher, Franco, Nelson
Mandela, Gandhi, François Ier, le maréchal Lyautey, Félix
Houphouët-Boigny, le général Jouhaud, Mehdi Ben Barka,
l'amiral Thierry d'Argenlieu, Hô Chi Minh, Albert Camus,
Mohamed V, Ahmed Ben Bella, Sékou Touré, Pierre Savorgnan
de Brazza, Jean-Paul Sartre, le général Giraud, Maurice Audin,
Hocine Aït-Ahmed, Larbi Ben Mhidi, le général Bigeard… et
même Georges Pompidou, Enrico Macias, Henri Salvador,
Charlemagne et Ali la Pointe…
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Annexe 2 – Note 3
Le 5 mai 1988, des militaires français ont investi la grotte où
des gendarmes étaient retenus en otages par des militants
indépendantistes du FLNKS, dont dix-neuf furent tués, ainsi que
deux gendarmes.
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Annexe 2 – Note 4
Pour les interviewés ayant au moins un ascendant issu de l'un
des ex-territoires de l'Empire, ce taux est de 53,4 %, contre 44,2
% pour les enquêtés ayant des ascendants originaires de la
France métropolitaine.
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Annexe 2 – Note 5
Robert PAXTON, La France de Vichy, Seuil, Paris, 1973.
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Annexe 2 – Note 6
Voir par exemple Nicolas BANCEL, Pascal BLANCHARD,
Francis DELABARRE, Images d'Empire, La Documentation
française/La Martinière, Paris, 1997 ; Pascal BLANCHARD et
Sandrine LEMAIRE, Culture coloniale. 1871-1931, op. cit. et
Culture impériale. 1931-1961, Autrement, op. cit.
— Retour au texte —
Annexe 2 – Note 7
Seuls les cadres et les enseignants sont plus nuancés, avec
respectivement 66,7 % et 63,6 % d'opinions négatives, ce qui
induit, une fois encore, que le niveau d'éducation interfère sur
les représentations. Le chiffre de 87,5 % relevé chez les
personnes sans profession ou au foyer corrobore très largement
ce constat : lorsque l'information n'est véhiculée que par les
médias, un plus faible niveau d'éducation est nettement corrélé
aux représentations les plus négatives.
— Retour au texte —
Annexe 2 – Note 8
Dans ce registre, on peut citer les affirmations suivantes :
« Chacun ressent de la peur de l'autre, que ce soit les immigrés
que ce soit la société française » ; « Un fond de racisme envers
les Noirs et les Maghrébins persiste encore chez beaucoup de
monde, même s'ils ne le reconnaissent pas ».
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Annexe 2 – Note 9
Dominique SCHNAPPER, La France de l'intégration,
Gallimard, Paris, 1991, p. 13.
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Annexe 2 – Note 10
94,4 % des enquêtés, lors de l'enquête par questionnaire, avaient
également établi un lien direct entre histoire coloniale et les
événements ou phénomènes contemporains.
— Retour au texte —
Annexe 2 – Note 11
À chacune des propositions qui leur étaient faites, les personnes
ressources pouvaient choisir une note, sur une échelle de 0 à 10,
la note 0 représentant l'appréciation la plus négative et 10
l'appréciation la plus positive.
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Annexe 2 – Note 12
La première proposition était : « En ce qui concerne l'Afrique
noire francophone (dont Madagascar), pouvez-vous noter la
situation actuelle en ce qui concerne la "paix civile et la
stabilité" (de 0 à 10) ? » La grande majorité des personnes
ressources jugent la situation très peu satisfaisante, appréciation
que l'on retrouve également (pour les trois quarts des
interviewés) lorsqu'il s'agit de juger la croissance économique.
Plus de huit enquêtés sur dix jugent de même négativement le
niveau de vie des populations, et plus des deux tiers celui de
l'alphabétisation et de l'éducation. Dans le registre des libertés et
de la démocratie, l'appréciation est tout aussi négative, puisque
les trois quarts des interviewés affirment que la situation est très
peu satisfaisante.
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Annexe 2 – Note 13
Voir la contribution de Rony Brauman dans cet ouvrage, p. 165.
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Annexe 2 – Note 14
Voir la contribution d'Olivier Barlet dans cet ouvrage, p. 219.
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Annexe 2 – Note 15
Sihem BENSEDRINE et Omar MESTIRI, L'Europe etses
despotes, op. cit.
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Annexe 2 – Note 16
À la question « Par rapport à la paix civile et la stabilité des
pays de l'ancienne Indochine (Viêt-nam, Laos, Cambodge),
trouvez-vous la situation… », les personnes ressources
répondent pour plus de la moitié qu'elle est « moyennement
satisfaisante », plus de quatre sur dix la jugeant « très peu
satisfaisante ». Sur la « croissance économique », on trouve à
parité parfaite des réponses jugeant la situation « moyennement
satisfaisante » et « très peu satisfaisante », ces réponses étant
accentuées négativement lorsqu'il s'agit pour les enquêtés
d'apprécier le niveau de vie, puisque près des deux tiers
estiment cette situation « très peu satisfaisante », le dernier tiers
la jugeant « moyennement satisfaisante ».
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Annexe 2 – Note 17
Voir la contribution de Philippe Liotard dans cet ouvrage, p.
227.
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Annexe 2 – Note 18
Sondage Le Point-IFOP, avril 1985.
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Annexe 2 – Note 19
L'analyse par catégorie socioprofessionnelle (CSP) des réponses
à cette question confirme par ailleurs les constats dressés de
longue date en la matière : les interviewés au niveau d'études
élevé et dans une situation sociale privilégiée sont moins
affectés par le rejet des immigrés postcoloniaux ; à l'inverse, les
personnes les plus fragilisées et dans des situations précaires
sont davantage sensibles aux thèses qui désignent les immigrés
comme profitant illégitimement des ressources de l'État. Reste
que notre panel ne reflète pas l'opinion nationale, caractérisée
par un niveau d'adhésion relativement élevé aux idées du Front
national. Ainsi, selon un sondage publié dans Le Monde du 10
décembre 2003, alors que 22 % des Français se déclaraient
« tout à fait » ou « assez d'accord » avec les positions du Front
national, ils étaient 59 % à se dire tout à fait d'accord (27 %) ou
plutôt d'accord (32 %) avec l'assertion « il y a trop d'immigrés
en France » (ce qui montre à quel point les thèses du Front
national et les discriminations sont prégnantes au sein de la
société, éclairant les résultats de nos entretiens individuels).
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Annexe 2 – Note 20
Voir la contribution de Françoise Vergès dans cet ouvrage, p.
67.
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Annexe 2 – Note 21
Cependant, en 2003, pour la première fois dans la presse
quotidienne nationale, paraissent des articles sur les violences et
crimes de la mafia chinoise parisienne.
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Annexe 2 – Note 22
Voir la contribution de Pascal Blanchard dans cet ouvrage, p.
13.
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Annexe 2 – Note 23
Voir la contribution de François Gèze dans cet ouvrage, p. 155.
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Annexe 2 – Note 24
Voir notamment : François-Xavier VERSCHAVE, La
Françafrique. Le plus long scandale de la République, op. cit.
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Annexe 2 – Note 25
La même série de questions est posée, ensuite, mais dans une
optique beaucoup plus localisée : « Voyez-vous dans l'actualité
toulousaine un prolongement de l'histoire coloniale ? » Le
changement de focale induit une plus grande imprécision encore
sur ces liens, puisque seul un gros tiers des enquêtés estiment
qu'il est possible de repérer dans l'actualité locale des liens entre
histoire coloniale et histoire contemporaine.
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Annexe 2 – Note 26
Voir notamment le rapport de la Cour des comptes sur le bilan
« négatif » de l'action politique de la France en matière
d'intégration (Rapport au président de la République. L'accueil
des immigrants et l'intégration des populations issues de
l'immigration, novembre 2004, <www.ccomptes.fr>).
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Annexe 2 – Note 27
Voir Gérard NOIRIEL, Le Creuset français, op. cit. ; et Ralph
SCHOR, Histoire de l'immigration du XIXe siècle à nos jours,
Armand Colin, Paris, 2001.
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Annexe 2 – Note 28
C'est ce qu'exprime, notamment, seize mois après l'étude
réalisée à Toulouse, l'« Appel pour les assises de
l'anticolonialisme postcolonial/Nous sommes les indigènes de la
République ! », diffusé mi-janvier 2005 par Internet.
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Annexe 2 – Note 29
Nicolas BANCEL et Pascal BLANCHARD, De l'indigène à
l'immigré, op. cit.
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Annexe 2 – Note 30
Pascal BLANCHARD, Éric DEROO, Driss EL YAZAMI,
Pierre FOURNIÉ et Gilles MANCERON, Le Paris arabe, La
Découverte, Paris, 2003.
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Annexe 2 – Note 31
Pascal BLANCHARD et Sandrine LEMAIRE, Culture
coloniale. La France conquise par son Empire 1871-1931, op.
cit. ; Benjamin STORA, Histoire de la guerre d'Algérie (1954-
1962), La Découverte, coll. « Repères », Paris, 2001 ; Nicolas
BANCEL, Pascal BLANCHARD, Gilles BOËTSCH, Éric
DEROO, Sandrine LEMAIRE (dir.), Zoos humains, op. cit.
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Annexe 2 – Note 32
En effet, la sélection d'émissions télévisées que nous avions
proposée ne présentait pas d'éclairage particulier sur ce thème
durant la période de l'enquête ; seuls les événements d'actualité,
liés à la guerre en Irak ou au conflit israélo-palestinien,
pouvaient éventuellement être assimilés à cette thématique.
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Annexe 2 – Note 33
Laquelle était organisée le premier jour du programme, dans
une salle en périphérie urbaine (Le Mirail), un soir de semaine à
19 h 30.
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Annexe 2 – Note 34
Seulement 7,4 % des enquêtés ont utilisé Africultures, revue
relativement spécialisée et globalement perçue comme surtout
destinée aux immigrés africains (il s'agit d'un des taux les plus
faibles). En revanche, 20,6 % ont lu Hommes et Migrations,
revue pourtant assez « pointue », mais portant sur des thèmes
d'actualité liés à l'immigration et donc susceptibles d'intéresser
un grand nombre de personnes en dépit de sa densité. L'aspect
très dense des articles et revues que nous avions proposés est
sans doute à l'origine de ce jugement très négatif, le côté
rébarbatif l'emportant dès lors sur l'intérêt du contenu (cela
serait à nuancer pour la presse quotidienne) — la manière de
présenter le support (numéros entiers de revues ou simples
photocopies d'articles) n'ayant pas d'incidence sur l'intérêt
manifesté.
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