Demo7 8 20-23 Version Finale
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Nadia NSAYI
INTERVIEW Politologue, curateur et auteur du livre
Dochter van de dekolonisatie.
Frantz FANON, Peau noire, masques blancs, Coll. Points Essais, Points, Paris, 2015
(réédition de 1952), 240 pages.
Le 30 juin dernier, le Congo fêtait ses 60 ans par exemple les dispositions relatives à l’acquisition
d’indépendance. Comment expliquer qu’on de terres limitant les intérêts étrangers. Récemment,
parle encore de décolonisation ? juste avant les élections, il y a eu un nouveau code
Le Congo a été une colonie pendant 75 ans. En1960, minier pour anticiper la demande croissante en co-
il y a eu une décolonisation formelle. Le Congo est balt. Là aussi la pression a été forte pour maintenir les
devenu un pays souverain. Mais déjà là, on ne pouvait intérêts de la communauté internationale. Il est donc
pas parler de décolonisation économique. Comme le toujours important de parler de décolonisation parce
dit le politologue Jean Omasombo, l’État indépendant qu’il faut une indépendance économique pour que le
a été assassiné. La Belgique et ses entreprises ont tout peuple congolais puisse aussi bénéficier de ses res-
fait pour que l’État et le gouvernement de Lumumba sources naturelles. Potentiellement, c’est un des pays
ne puissent pas avoir de force économique. Il suffit les plus riches du monde, mais la population est parmi
de se rappeler la sécession katangaise. Aujourd’hui, les plus pauvres. C’est un paradoxe scandaleux.
60 ans après, nous devons continuer à parler
de la décolonisation par rapport à la situation On assiste en fait à une forme
économique du Congo. Ce pays ne maîtrise de néocolonialisme ?
toujours pas ses ressources naturelles et reste Oui. La colonisation a introduit au Congo une logique
© Michel Wuyts
dépendant de la communauté internationale. de pillage qui est encore à l’œuvre aujourd’hui et qui
Les ressources naturelles notamment minières implique une alliance de la communauté internatio-
y sont exploitées, mais la valeur ajoutée ne s’y nale, des multinationales et d’une partie de l’élite
fait pas. La nouvelle loi agricole est un autre congolaise. Tout cela au détriment de la population.
exemple de cette dépendance à la communau- Nous sommes dans un système néocolonial qui a com-
té internationale. Il y a eu des pressions ter- mencé dès 1960 avec l’assassinat de Lumumba. En ce
ribles, de la Belgique y compris, pour changer point, on peut dire que l’État colonial a une influence
qui se ressent encore aujourd’hui sur l’État congolais.
EXPOSITION « 100 x Congo - L’influence de la Belgique n’a donc pas cessé en 1960.
Un siècle d’art congolais à Anvers » Elle garde une certaine mainmise sur la situation poli-
Il y a exactement cent ans, la collection congolaise de la tique, économique et même militaire du Congo.
ville d’Anvers a vu le jour en pleine période coloniale. 100
X Congo met à l’honneur cent pièces phares. Quelles histoires Quand on parle de décolonisation dans
s’y cachent ? Comment sont-elles arrivées ici ? Quelle était leur signi- le contexte belge, qu’est-ce que cela veut dire ?
fication pour les peuples congolais ? Et qu’en est-il de la présence Pour coloniser, la Belgique a dû mettre en place toute
africaine à Anvers ? Par cette exposition, le musée nous invite à me- une propagande qui a trouvé un terrain d’expression
ner une réflexion sur l’image des Africains et sur le passé, le présent dans les médias, dans l’enseignement. Beaucoup de
et l’avenir de la collection congolaise.
gens ont grandi dans un contexte où on racontait que
Informations pratiques : du 2/10/2020 au 29/03/2021 au MAS
les Noirs étaient sous-développés, qu’ils étaient des
(Museum aan de Stroom) à Anvers - https://www.mas.be/
primitifs qu’il fallait civiliser. L’appel à décoloniser
Démocratie n° 7/8 • Juillet-août 2020 • 21
un travail digne. Si la classe politique n’apporte pas belges et internationaux de créer cette dynamique.
de réponses, la situation pourrait empirer, se radica- Les Congolais·es doivent avoir leur propre vision
liser et au final, cela constituera un sérieux problème par rapport à l’agriculture, à la protection sociale,
pour la stabilité de la société. etc. Comme le disait Joseph Ki-Serbo : on ne déve-
loppe pas, on se développe. Cela impose aussi de
Mais à Bruxelles, l’activisme n’est pas neuf ? réfléchir sur la façon de faire financer ces activités...
C’est vrai. Mais ce qui est nouveau, c’est sa présence Ce que les organisations belges peuvent faire par
de plus en plus prégnante en Flandre où les nouvelles contre, c’est renforcer la société civile congolaise.
générations qui y ont grandi sont bilingues et se sentent Parce que c’est cette société civile qui va pouvoir re-
belges. Il·elles se disent même Flamand·es. C’est vendiquer et changer son propre système et représen-
une nouvelle dynamique. On voit que l’activisme à ter la population. Les petits projets dans les villages, je
Bruxelles est beaucoup plus avancé qu’en Flandre, avec ne crois pas à leur durabilité. Les paysan·nes forment
de grosses structures telles que Mémoire collective. un groupe qui a un avantage démographique fort,
Mais dans les grosses villes flamandes, cet activisme mais il n’est pas structuré. C’est la même chose pour
se développe et les alliances avec d’autres groupes ex- les femmes, les jeunes. S’il y avait un soutien structu-
térieurs se créent via notamment les réseaux sociaux. rel pour renforcer leurs mouvements, on pourrait créer
La manifestation à Bruxelles début juin était le résultat ce nouveau rapport de force dont le Congo a besoin.
d’une alliance maghrébine, africaine, subsaharienne, Lucha par exemple, je ne comprends pas qu’il ne
flamande, bruxelloise, etc. Cette jeune génération ne se soit pas encore un mouvement de masse, quand on
laisse pas limiter par des différences linguistiques. sait que 65 % de la population congolaise a moins
de 25 ans. Si Lucha pouvait être présent dans les 26
Et au Congo ? provinces, former une jeunesse critique, les choses
Au Congo, il existe depuis 2012 un mouvement ci- pourraient changer. Ce serait intéressant serait
toyen : Lucha. Il se préoccupe principalement de d’avoir des échanges d’expériences entre les organi-
thématiques socio-économiques (accès à l’eau, élec- sations de jeunes belges et congolais. La Belgique a
LA LUCHA
« La Lucha » est un mouvement citoyen congolais non-partisan & non-violent qui a été
lancé le 1er mai 2012 à Goma, en République démocratique du Congo. « 60 ans après,
les jeunes veulent voir un Congo unis et prospère, où on sera fier d’être appelé congolaise
et congolais, où il sera bon vivre pour tous et non pas pour un nombre facile à compter; les
jeunes veulent voir un Congo débout et un congolais soucieux de l’avenir car le Congo nous
appartient, notre présent et avenir peut être radieux si nous le voulons. »
www.luchacongo.org/
tricité, etc.) et de citoyenneté (élections, sécurité, etc.). vécu plusieurs processus d’émancipation qui pour-
Lucha ne se prononce pas vraiment sur la colonisation, raient inspirer les jeunes au Congo. L’émancipation
car la situation au Congo est focalisée sur d’autres ur- ouvrière par exemple. Comme celle-ci a été menée ?
gences. En fait, le débat sur la décolonisation n’est Comment les gens se sont-ils organisés pour obte-
pas très présent au Congo sauf peut-être dans certains nir plus de droits, etc. ? C’est intéressant de partager
milieux (culturels, artistiques, activistes...). De plus, cela avec les partenaires congolais. Le souci, c’est
ces débats ont déjà eu lieu. Sous l’ère Mobutu dans que la coopération au développement s’enferme
les années 70, il y a eu un processus de décolonisa- dans des critères et indicateurs tuant la créativité.
tion culturelle : les statues ont été retirées de l’espace Nous sommes dans un contexte sociétal où cha-
public et mises dans les musées, les noms de rue, de cun et chacune doit questionner sa position dans
villes ont également été africanisés, les noms chré- la société. Cela vaut aussi pour les structures. In-
tiens retirés. Et puis, les gens ne sont tout simplement terroger l’Histoire pour construire à l’avenir des
pas au courant. Les médias n’en parlent pas. rapports plus équitables. La colonisation a eu un
impact, des conséquences par rapport à l’inégalité
Quel sens donnez-vous à la coopération dans le monde. Ces inégalités sont là et nous devons
au développement dans cette vision ? changer notre façon de penser, de voir les choses
Je crois à la solidarité internationale, mais à une so- et d’agir. C’est la seule façon d’essayer de créer un
lidarité qui va dans les deux sens. Je suis convain- monde un peu plus juste. #
cue que le Congo aussi peut apporter à la Belgique. Propos recueillis par Stéphanie BAUDOT
Je pense également qu’on ne peut soutenir une dy-
https://www.mas.be/fr/page/pr%C3%A9vu-100-x-congo
namique que si elle existe. Ce n’est pas aux acteurs
Démocratie n° 7/8 • Juillet-août 2020 • 23
CULTURE ET DÉTENTE
BRUXELLES - EXPOSITION
« VOS TOILETTES PROPRES, NOS PROPRES PAPIERS ! ».
Venez découvrir cette exposition de photographies sur la Ligue des travailleuses domestiques.
Cette ligue regroupe des femmes sans-papiers vivant dans notre pays dans l’isolement, la
peur et des conditions de vie précaires. Aujourd’hui, elles sortent de l’anonymat pour révéler
au grand public leur situation et pour revendiquer, entre autres, une régularisation par leur
travail. L’exposition est visible jusqu’au 30 août à l’intérieur de l’église du Béguinage (place du
Béguignage) au centre de Bruxelles. Un projet initié par la CSC, le Mouvement Ouvrier Chrétien
(MOC) de Bruxelles et le projet House of Compassion porté par des chrétiens de la paroisse.
Exposition gratuite. Heures d’ouverture : mardi au dimanche ( 11h à 17h).