Premier Amour

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PREMIER AMOUR

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OUVRAGES DE SAMUEL BECKETT

Romans et nouvelles
Bande et sarabande
Murphy
Watt (“double”, no 48)
Premier amour
Mercier et Camier (“double”, no 38)
Molloy (“double”, no 7)
Malone meurt (“double”, no 30)
L’Innommable (“double”, no 31)
Nouvelles (L’expulsé, Le calmant, La fin) et Textes pour rien
L’Image
Comment c’est
Têtes-mortes (D’un ouvrage abandonné, Assez, Imagination morte
imaginez, Bing, Sans)
Le Dépeupleur
Pour finir encore et autres foirades (Immobile, Foirades I-IV, Au
loin un oiseau, Se voir, Un soir, La falaise, Plafond, Ni l’un ni
l’autre)
Compagnie
Mal vu mal dit
Cap au pire
Soubresauts
Poèmes
Les Os d’Écho
Poèmes, suivi de Mirlitonnades
Essais
Proust
Le Monde et le pantalon, suivi de Peintres de l’empêchement
Trois dialogues
Théâtre, télévision et radio
Eleutheria
En attendant Godot
Fin de partie
Tous ceux qui tombent
La Dernière bande, suivi de Cendres
Oh les beaux jours, suivi de Pas moi
Comédie et actes divers (Va-et-vient, Cascando, Paroles et musique,
Dis Joe, Acte sans paroles I, Acte sans paroles II, Film, Souffle)
Pas, suivi de Quatre esquisses (Fragment de théâtre I, Fragment de
théâtre II, Pochade radiophonique, Esquisse radiophonique)
Catastrophe et autres dramaticules (Cette fois, Solo, Berceuse,
Impromptu d’Ohio, Quoi où)
Quad et autres pièces pour la télévision (Trio du Fantôme, ... que
nuages..., Nacht und Träume), suivi de L’épuisé par Gilles
Deleuze

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SAMUEL BECKETT

PREMIER AMOUR

LES ÉDITIONS DE MINUIT

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r 1970 by LES ÉDITIONS DE MINUIT


www.leseditionsdeminuit.fr

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J’associe, à tort ou à raison, mon


mariage avec la mort de mon père, dans
le temps. Qu’il existe d’autres liens, sur
d’autres plans, entre ces deux affaires,
c’est possible. Il m’est déjà difficile de
dire ce que je crois savoir.
Je suis allé, il n’y a pas très long-
temps, sur la tombe de mon père, cela
je le sais, et j’ai relevé la date de son
décès, de son décès seulement, car celle
de sa naissance m’était indifférente, ce
jour-là. Je suis parti le matin et je suis
rentré le soir, ayant cassé la croûte au
cimetière. Mais quelques jours plus
tard, désirant savoir à quel âge il était
mort, j’ai dû retourner sur sa tombe,
pour relever la date de sa naissance. Ces
deux dates limites, je les ai notées sur
un morceau de papier, que je garde
par-devers moi. C’est ainsi que je suis

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en mesure d’affirmer que je devais


avoir à peu près vingt-cinq ans lors de
mon mariage. Car la date de ma nais-
sance à moi, je dis bien, de ma nais-
sance à moi, je ne l’ai jamais oubliée, je
n’ai jamais été obligé de la prendre par
écrit, elle reste gravée dans ma mé-
moire, le millésime tout au moins, en
chiffres que la vie aura du mal à effacer.
Le jour aussi, quand je fais un effort je
le retrouve, et je le célèbre souvent, à
ma façon, je ne dirai pas chaque fois
qu’il revient, non, car il revient trop
souvent, mais souvent.
Personnellement je n’ai rien contre
les cimetières, je m’y promène assez
volontiers, plus volontiers qu’ailleurs,
je crois, quand je suis obligé de sortir.
L’odeur des cadavres, que je perçois
nettement sous celle de l’herbe et de
l’humus, ne m’est pas désagréable. Un
peu trop sucrée peut-être, un peu entê-
tante, mais combien préférable à celle
des vivants, des aisselles, des pieds, des
culs, des prépuces cireux et des ovules
désappointés. Et quand les restes de

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mon père y collaborent, aussi modes-


tement que ce soit, il s’en faut de peu
que je n’aie la larme à l’œil. Ils ont beau
se laver, les vivants, beau se parfumer,
ils puent. Oui, comme lieu de prome-
nade, quand on est obligé de sortir,
laissez-moi les cimetières et allez vous
promener, vous, dans les jardins pu-
blics, ou à la campagne. Mon sand-
wich, ma banane, je les mange avec
plus d’appétit assis sur une tombe, et
si l’envie de pisser me prend, et elle me
prend souvent, j’ai le choix. Ou j’erre,
les mains derrière le dos, parmi les
pierres, les droites, les plates, les pen-
chées, et je butine les inscriptions. Elles
ne m’ont jamais déçu, les inscriptions,
il y en a toujours trois ou quatre d’une
telle drôlerie que je dois m’agripper à
la croix, ou à la stèle, ou à l’ange, pour
ne pas tomber. La mienne, je l’ai com-
posée il y a longtemps et j’en suis tou-
jours content, assez content. Mes au-
tres écrits, ils n’ont pas le temps de
sécher qu’ils me dégoûtent déjà, mais
mon épitaphe me plaît toujours. Elle

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illustre un point de grammaire. Il y


a malheureusement peu de chances
qu’elle s’élève jamais au-dessus du
crâne qui la conçut, à moins que l’État
ne s’en charge. Mais pour pouvoir
m’exhumer il faudra d’abord me trou-
ver, et j’ai bien peur que l’État n’ait
autant de mal à me trouver mort que
vivant. C’est pour cela que je me dé-
pêche de la consigner à cette place,
avant qu’il ne soit trop tard :
Ci-gît qui y échappa tant
Qu’il n’en échappe que maintenant
Il y a une syllabe de trop dans le
second et dernier vers, mais cela n’a
pas d’importance, à mon avis. On me
pardonnera plus que cela, quand je ne
serai plus. Puis avec un peu de chance
on tombe sur un véritable enterre-
ment, avec des vivants en deuil et quel-
quefois une veuve qui veut se jeter
dans la fosse, et presque toujours cette
jolie histoire de poussière, quoique
j’aie remarqué qu’il n’y a rien de moins
poussiéreux que ces trous-là, c’est

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presque toujours de la terre bien


grasse, et le défunt non plus n’a encore
rien de spécialement pulvérulent, à
moins d’être mort carbonisé. C’est joli
quand même, cette petite comédie
avec la poussière. Mais le cimetière de
mon père, je n’y tenais pas spéciale-
ment. Il était trop loin, en pleine cam-
brousse, au flanc d’une colline, et trop
petit aussi, beaucoup trop petit. Il était
d’ailleurs pour ainsi dire plein, encore
quelques veuves et ce serait complet.
Je préférais de beaucoup Ohlsdorf,
surtout le côté Linne, en terre prus-
sienne, avec ses quatre cents hectares
de cadavres bien tassés, quoique je n’y
connusse personne, sinon le dompteur
Hagenbeck, de réputation. Il y a un
lion gravé sur son monument, je crois.
La mort devait avoir le visage d’un
lion, pour Hagenbeck. Des autocars
vont et viennent, bondés de veufs, de
veuves et d’orphelins. Des bosquets,
des grottes, des pièces d’eau avec des
cygnes, débitent la consolation aux af-
fligés. C’était au mois de décembre, je

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n’ai jamais eu si froid, la soupe à l’an-


guille ne passait pas, j’avais peur de
mourir, je me suis arrêté pour vomir,
je les enviais.
Mais, pour passer maintenant à un
sujet moins triste, à la mort de mon
père je dus quitter la maison. C’était
lui qui me voulait à la maison. C’était
un homme étrange. Un jour il dit, Lais-
sez-le, il ne gêne personne. Il ne savait
pas que j’écoutais. Cette pensée il de-
vait l’exprimer souvent, mais les autres
fois je n’étais pas là. On n’a jamais
voulu me montrer son testament, on
m’a dit seulement qu’il m’avait laissé
tant d’argent. Je croyais alors, et je le
crois encore aujourd’hui, qu’il avait de-
mandé, dans son testament, qu’on me
laisse la chambre que j’occupais de son
vivant, et qu’on m’y apporte à manger,
comme par le passé. C’était peut-être
même la condition dont il faisait dé-
pendre tout le reste. Car il devait aimer
me sentir à la maison, sinon il ne se
serait pas opposé à ce qu’on me mette
dehors. Peut-être avait-il seulement

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CET OUVRAGE A ÉTÉ ACHEVÉ D’IMPRIMER LE


VINGT-NEUF SEPTEMBRE DEUX MILLE DIX DANS LES
ATELIERS DE NORMANDIE ROTO IMPRESSION S.A.S.
À LONRAI (61250) (FRANCE)
o
N D’ÉDITEUR : 4955
o
N D’IMPRIMEUR : 103114

Dépôt légal : octobre 2010

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Cette édition électronique du livre


Premier amour de Samuel Beckett
a été réalisée le 20 septembre 2012
par les Éditions de Minuit
à partir de l’édition papier du même ouvrage
(ISBN : 9782707301413).

© 2012 by LES ÉDITIONS DE MINUIT


pour la présente édition électronique.
www.leseditionsdeminuit.fr
ISBN : 9782707325594

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