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Lumpenprolétariat

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Le lumpenprolétariat (de l'allemand Lumpenproletariat, « prolétariat en haillons »), ou, parfois, « sous-prolétariat », est, dans le marxisme, la partie du prolétariat constituée des « éléments déclassés, voyous, mendiants, voleurs, indicateurs de police[1],[2],[3]etc. »

Conceptions marxistes

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Dans la pensée marxiste, les membres du lumpenprolétariat n'ont aucune conscience de classe, ne veulent pas en avoir, et sont incapables de mener une lutte politique organisée ; leur instabilité morale, leur paresse, leur manque d'éducation, leur penchant pour l'aventure, leur violence potentielle permettent à la bourgeoisie d'utiliser certains de ses représentants comme briseurs de grève, membres des bandes de pogrom[4]etc.

Engels insiste sur leur cupidité et leur violence, en évoquant le lumpenprolétariat napolitain, appelé lazzaroni, en l'illustrant par son opposition aux autres prolétaires lors de la répression de la révolution de 1848 à Naples[5] :

« Cette action du sous-prolétariat napolitain a décidé de la défaite de la révolution. Des gardes suisses, des soldats napolitains et des lazzaroni (voyous des rues napolitaines) se sont rués tous ensemble sur les défenseurs des barricades.»[6]

Au chapitre V de son livre Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte (Der achtzehnte Brumaire des Louis Napoleon), paru en 1852, Karl Marx écrit, à propos de la Société du Dix-Décembre, que Louis-Napoléon avait formée (sous la façade d'une « société de bienfaisance ») une force d'intervention qui lui était dévouée « avec des roués ruinés n'ayant ni ressources ni origine connues… […] les rebuts et laissés pour compte de toutes les classes sociales, vagabonds, soldats renvoyés de l'armée, échappés des casernes et des bagnes, escrocs, voleurs à la roulotte, saltimbanques, escamoteurs et pickpockets, joueurs, maquereaux, patrons de bordels, portefaix, écrivassiers, joueurs d'orgue de barbarie, chiffonniers, soulographes sordides, rémouleurs, rétameurs, mendiants, en un mot toute cette masse errante, fluctuante et allant de ci-de là que les Français appellent « la bohème »[7]. »[8]

Dans le Manifeste du parti communiste, paru en 1848, Marx écrit dans la partie I qui s'intitule Bourgeois et Prolétaires « Quant au lumpenprolétariat, ce produit passif de la pourriture des couches inférieures de la vieille société, il peut se trouver, çà et là, entraîné dans le mouvement par une révolution prolétarienne ; cependant, ses conditions de vie le disposeront plutôt à se vendre à la réaction[9]. »

Léon Trotski a développé ce point de vue, voyant le lumpenprolétariat comme particulièrement vulnérable à la pensée réactionnaire. Dans son essai Comment vaincre le fascisme ? (série d'articles sur le fascisme), il décrit la prise du pouvoir de Benito Mussolini :

« Grâce à la propagande fasciste, le capitalisme a mis en mouvement les masses de la petite bourgeoisie affolée et les bandes d’un lumpenprolétariat déclassé et démoralisé - tous ces êtres humains, innombrables, que le capitalisme financier avait lui-même portés au désespoir et la frénésie ».

Anarchisme : XIXe siècle

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Le militant anarchiste et influent théoricien du XIXe siècle Mikhaïl Bakounine avait une vue presque opposée à celle de Marx sur le potentiel révolutionnaire du lumpenprolétariat (tout en le distinguant du prolétariat).

Bakounine, selon Nicholas Thoburn, considère « l'intégration des travailleurs dans le capitalisme comme destructrice pour les forces révolutionnaires . » Pour Bakounine, l'archétype révolutionnaire se trouve dans le milieu paysan (qui est présenté comme ayant de longue date une tradition insurrectionnelle, ainsi qu'un archétype communiste dans sa forme sociale actuelle : la commune paysanne), mais aussi parmi les jeunes chômeurs instruits, les marginaux de toutes les classes, brigands, voleurs, les masses pauvres et ceux en marge de la société qui ont échappé, ont été exclus ou n’ont pas encore été englobés dans la discipline de travail industriel émergent… » Bref, tous ceux que Marx a cherché à inclure dans la catégorie du lumpenprolétariat.

Opinions de la fin du XXe siècle

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Les membres de cette classe de personnes sans emploi formel ont parfois pris les devants en lançant un défi progressiste (révolutionnaire) à la société. C'est le cas, par exemple, d'Abahlali baseMjondolo dans la région de KwaZulu en Afrique du Sud. Les Young Lords, autrefois gang de rue latino, croyaient que le changement révolutionnaire ne deviendrait une réalité que par une coalition entre les travailleurs et le lumpenproletariat. À la fin des années 1960, Huey P. Newton et le parti des Black Panthers croyaient que le lumpenprolétariat pourrait avoir un rôle progressiste-révolutionnaire. Newton a fait valoir que le système économique et social de son époque était fondamentalement différent de celui sur lequel Marx a fondé son analyse. « Comme les gens qui appartiennent au petit cercle du pouvoir continuent à construire leur technocratie, de plus en plus de prolétaires vont devenir « inemployables » ; ils deviendront lumpen, jusqu'à ce qu'ils deviennent la classe populaire, la classe révolutionnaire ». C’était cette classe que le Black Panther Party a cherché à organiser, disait-il. Certains, qui ont une interprétation erronée des écrits de Newton, disent qu'il a seulement cherché à organiser les chômeurs temporaires, plutôt que le vrai lumpen. Toutefois, une lecture attentive de ses écrits révèle des références répétées aux chômeurs ainsi qu’aux « inemployables » comme étant ceux ayant un potentiel révolutionnaire.

Frantz Fanon a également fait valoir dans Les Damnés de la Terre (1961) que les mouvements révolutionnaires dans les pays colonisés ne pouvaient pas exclure le lumpenprolétariat, car il pouvait constituer un potentiel contre-révolutionnaire tout autant qu’un potentiel révolutionnaire. Il a décrit le lumpenprolétariat comme « l'une des forces la plus spontanée et la plus radicalement révolutionnaire d'un peuple colonisé. » Toujours selon lui, il représente une classe ignorante et désespérée, particulièrement susceptible d'être récupérée par les forces contre-révolutionnaires, par conséquent, l'éducation des masses dépossédées devrait être au cœur de la stratégie révolutionnaire[10].

Le Parti communiste d'Inde (marxiste-léniniste) a inclus en son sein au début des années 1970 la participation d' « éléments criminels » de Calcutta. Le Parti a vu ce segment de la population de Calcutta comme potentiellement capable de violence révolutionnaire. Les membres de cette couche sociale seraient alors (dans l’idéal) capables de se « réformer » et devenir des révolutionnaires classiques, laissant derrière eux leurs « activités antisociales ».

Sociologie et théorie sociale

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La définition de Marx a influencé les sociologues contemporains qui sont concernés par de nombreux éléments marginalisés de la société caractérisés par Marx sous cette appellation. Les marxistes — et même certains sociologues non-marxistes — utilisent désormais ce terme pour désigner ceux qu'ils considèrent comme les « victimes » de la société moderne, qui existent en dehors du système du travail salarié, comme des mendiants, ou des gens qui gagnent leur vie par des moyens illégaux ou marginaux : les prostituées et les proxénètes, les escrocs, les trafiquants de drogue, les contrebandiers et les bookmakers, mais dépendent de l'économie formelle pour leur survie au jour le jour.

En théorie sociale moderne, le mot « sous-classe » est parfois utilisé comme équivalent au lumpenprolétariat de Marx.

En russe, espagnol, portugais, turc, persan, grec, japonais, polonais, hongrois, bulgare, estonien, lumpen (abréviation de lumpenproletariat) est parfois employé pour désigner les plus basses classes sociales.

Ernest Hemingway l'utilise dans son roman Îles à la dérive (chapitre En Mer, fin du paragraphe 20) : en 1942, mortellement blessé dans une embuscade que lui ont tendue les Allemands, le héros Tom Hudson pense que lui et ses hommes, eux, « ne sont pas le lumpenproletariat ».

  1. Jean-Claude Bourdin, « Marx et le lumpenprolétariat », Actuel Marx, vol. 54, no 2,‎ , p. 39–55 (ISSN 0994-4524, lire en ligne, consulté le )
  2. (en-US) « Numérilab », sur Numérilab (consulté le )
  3. (en) Harring, Sidney L., Policing a Class Society : The Experience of American Cities, 1865-1915, New Brunswick, New Jersey, Rutgers University Press, (ISBN 978-1608468546), p. 226
  4. Note de la rédaction de maxists.org définissant le Lumpenprolétariat dans le Manifeste du parti communiste
  5. Bourdin Jean-Claude, Marx et le lumpenprolétariat, Revue : "Actuel Marx" (no 54), (DOI https://doi.org/10.3917/amx.054.0039, lire en ligne), p. 39-55
  6. Marx Karl, Révolution et contre-révolution en Europe, Œuvres, IV, Politique I, Paris, Gallimard, « Pléiade », , p. 80-82
  7. « Auswurf, Abfall, Abhub aller Klassen… […] Vagabunden, entlassene Soldaten, entlassene Zuchthaussträflinge, entlaufene Galeerensklaven, Gauner, Gaukler, Tagediebe, Taschendiebe, Taschenspieler, Spieler, Zuhälter, Bordellhalter, Lastträger, Literaten, Orgeldreher, Lumpensammler, Scherenschleifer, Kesselflicker, Bettler, kurz, die ganze unbestimmte, aufgelöste, hin- und hergeworfene Masse, die die Franzosen ‚ »la bohème« nennen ».
  8. Marx Karl, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, Paris, GF Flammarion, (ISBN 9782081204959), p. 129
  9. K. Marx, « Manifeste du parti communiste », (consulté le ), p. 14
  10. Fanon, Frantz 1925-1961., Cherki Alice et Harbi Mohammed, Les Damnés de la Terre (ISBN 9782707142818, OCLC 51096309, lire en ligne)

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Bibliographie

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Articles connexes

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Liens externes

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