Le Combat spirituel (Brignon)/105
SI nous sommes persuadés de l’estime que nous devons faire de notre ame, comme un temple destiné à la demeure de Dieu, prenons garde que nulle chose du monde ne l’occupe ; espérons au Seigneur, & attendons sa venuë en elle avec confiance. Il y entrera, s’il la trouve seule & détachée, seule, sans autre pensée que celle de le recevoir ; seule, sans autre desir que celui de la présence ; seule, sans autre amour que le sien ; seule enfin, sans autre volonté que son bon plaisir.
Ne faisons rien d’extraordinaire de nous-mêmes, pour mériter de loger chez nous celui que tous les Etres créés ne sçauroient comprendre.
Suivons pas à pas celui qui nous guide ; n’entreprenons sans notre Directeur, ni travail, ni peine de notre choix pour l’offrir à Dieu.
C’est assez que nous tenions notre intérieur toujours prêt, & disposé à souffrir pour son amour tout ce qui lui plaira, & en la maniére qu’il lui plaira.
Celui qui fait ce qu’il desire, feroit mieux de se reposer, & laisser sa divine Majesté faire en lui ce qu’elle voudra.
Notre volonté ne doit jamais entretenir aucun engagement, mais être toujours toute libre & détachée.
Et puisqu’il ne faut jamais faire ce qu’on desire, soyons persuadés qu’il ne faut rien desirer ; ou si nous desirons quelque chose, que ce soit de cette maniére, que le succès contraire nous puisse laisser l’esprit aussi en repos, que si nous n’avions rien desiré.
Nos desirs sont chaînes, y être attaché, c’est être esclave ; mais n’en avoir point, ou n’en être point lié, c’est être libre.
Dieu demande notre ame ainsi seule, nue & détachée pour y opérer ses merveilles, & la glorifier presque dès cette vie. O sainte solitude ! ô bienheureux désert ! ô hermitage glorieux où l’Ame peut avoir si aisément la jouissance de son Dieu ; n’écoutons pas seulement, mais demandons des aîles de Colombes pour y voler & y prendre un saint repos ; ne nous arrêtons point dans le chemin ; ne nous amusons point à saluer personne, laissons les morts ensevelir les morts, nous allons à la Terre des vivans, nous ne sommes point du partage de la mort.