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Le Combat spirituel (Brignon)/33

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Traduction par Jean Brignon.
(p. 176-181).


CHAPITRE XXXIII.
De quelques avis importans pour ceux qui veulent mortifier leurs passions, & acquérir les vertus qui leur manquent.

QUoique jusques ici je vous aye dit beaucoup de choses touchant la maniere dont vous devez essayer de vaincre vos passions, & d’acquérir les vertus, il m’en reste encore beaucoup d’autres non moins importantes à vous dire.

1. Si vous voulez devenir solidement vertueux & parfaitement maître de vous-même, ne partagez pas tellement durant la semaine les exercices de vertu, que vous en attachiez les uns à un jour, les autres à l’autre, & que vous soyez ainsi dans un perpétuel changement. L’ordre que vous y devez observer est, que d’abord vous tachiez à détruire la passion qui vous a toujours le plus troublé, & qui vous tourmente encore présentement davantage ; & qu’en même-tems vous trayailliez de toutes vos forces à acquérir dans un éminent degré la vertu contraire à cette passion prédominante. Car possédant une vertu aussi essentielle que celle-là, vous obtiendrez facilement toutes les autres, sans qu’il soit besoin que vous en fassiez un grand nombre d’Actes. En effet, les vertus sont tellement liées les unes avec les autres, qu’il suffit d’en posséder parfaitement une pour les avoir toutes.

2. Ne déterminez jamais le tems qu’il faut pour acquérir une vertu, ne dites point : j’y employerai tant de jours, tant de semaines, tant d’années ; mais comme un nouveau soldat, qui n’a point encore vû l’ennemi, combattez toujours ; & par une glorieuse victoire, tachez de vous ouvrir un chemin à la perfection. Ne soyez pas un moment sans faire quelques progrès dans la voye de Dieu ; parce que celui qui s’arrête, au lieu de se délasser & de prendre halaine, recule & devient plus lâche qu’il n’étoit auparavant. Quand je vous dis que vous avanciez toujours sans vous arrêter, ce que je demande de vous, c’est que vous ne croyiez pas être déja parvenu au comble de la perfection Chrétienne ; que vous ne laissiez passer aucune occasion de faire de nouveaux Actes de vertu ; que vous ayez en horreur jusqu’aux plus légeres fautes.

Pour cela, il est nécessaire que vous vous acquitiez avec une exactitude & une ferveur extrême de ce qui est de votre devoir, & que dans les occasions qui se présentent, vous pratiquiez excellemment toutes les vertus. Aimez donc, & embrassez de tout votre cœur ces occasions de vous rendre saint & parfait, principalement lorsqu’elles sont accompagnées de quelque difficulté ; parce que l’effort qu’il fait faire pour surmonter la difficulté, sert à former un peu de tems & à affermir dans l’ame les habitudes vertueuses. Aimez aussi ceux qui vous le procurent. Fuyez seulement tant que vous pourrez, tout ce qui peut donner lieu aux tentations de la chair.

3. Usez de modération & de prudence à l’égard de certaines vertus qui peuvent ruịner la santé du corps ; en le maltraitant excessivement par des disciplines, des cilices, des jeûnes, des veilles, des méditations trop longues, & par d’autres sortes de pénitences indiscretes. Car dans la pratique de ces vertus extérieures, on doit avancer peu à peu, & monter comme par degrés. Mais pour celles qui sont purement intérieures, qui consistent à aimer Dieu, à haïr le monde, à se mépriser soi-même, à détester ses pechés, à être doux & patient, à aimer ses ennemis, il n’y a point de mesures à garder, on n’a pas besoin de précaution ; & il faut toujours en faire les Actes de la maniere la plus excellente qui soit possible.

4. Le but de tous vos desseins & de tous vos soins, doit être de vaincre la passion que vous avez entrepris de combattre ; & vous devez regarder cette victoire, comme la chose du monde la plus avantageuse pour vous, & la plus agréable à Dieu. Soit que vous mangiez, ou que vous jeûniez ; que vous veilliez, ou que vous dormiez ; que vous soyez dans le travail, ou dans le repos, à la maison ou hors la maison ; que vous vaquiez à la vie contemplative ou active, n’aïez pour fin que de surmonter cette principale passion, & d’acquérir la vertu contraire.

5. Haïssez généralement toutes les commodités & tous les plaisirs du corps, & vous ne serez combattu que foiblement par les vices qui tirent toutes leurs forces des attraits de la volupté. Mais si dans le même tems que vous rejettez un plaisir sensuel, vous en recherchez un autre ; si vous ne faites la guerre qu’à un seul vice, quoique les playes que vous receviez des autres soient moins dangereuses, le combat sera toujours rude, & la victoire incertaine. Ayez donc toujours devant les yeux ces paroles de l’Ecriture. Celui qui aime sa vie, la perdra ; celui au contraire qui hait sa vie en ce monde, la conservera pour la vie éternelle[1]. Nous ne sommes point esclaves de la chair, pour vivre selon la chair. Si donc vous vivez selon la chair vous mourrez : mais si vous mortifiez la chair par l’esprit, vous vivrez[2].

Le dernier avis que j’ai à vous donner, est qu’il seroit bon, & peut-être nécessaire, qu’avant toutes choses vous fissiez une Confession générale, avec toutes les dispositions requises, pour vous assûrer davantage d’une parfaite réconciliation avec Dieu, qui est la source des graces, l’Auteur des victoires, le distributeur des couronnes,

  1. Jean, 12, 15.
  2. Rom. 8. 12.