E Dito Onfray N 3
E Dito Onfray N 3
E Dito Onfray N 3
«Les États-Unis n’ont pas débarqué pour rien en Normandie le 6 juin 1944: ils nous
ont offert leur "culture"», lance Michel Onfray dans l'éditorial de Front Populaire n°3
consacré au génie français. Avant d'ajouter: «Une contre-culture française est possible,
elle est affaire de volonté.»
Les terroristes islamistes qui haïssent la France ne font jamais que reprendre le discours
d’intellectuels qui, eux aussi, et depuis des décennies, détestent notre pays et ne perdent pas
une occasion de répandre ce mépris.
Il en va de même, toute raison gardée, avec les décolonialistes, les racialistes, les
déconstructionnistes, les néo-féministes qui répètent comme des perroquets ce que le
gauchisme culturel enseigne depuis mai 68 : la France est nulle et non avenue, elle n’aurait
produit que le Code noir, le fascisme, le pétainisme, Vichy, le colonialisme. Comme si elle
n’avait pas, aussi, engendré la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en 1789,
l’abolition de l’esclavage en 1848 avec Schœlcher, la Résistance et la France libre en 1940
avec de Gaulle, la décolonisation dans les années soixante avec le même, ainsi que
l’abolition de la peine de mort en 1981 avec François Mitterrand…
Emmanuel Macron contribue à ce moulin d’eau sale lorsqu’en 2017, il ne voit aucune
malice à proclamer : « Il n’y a pas de culture française » avant d’ajouter qu’il existe en
revanche « une culture en France » ! Ce qui est la thèse d’un Patrick Boucheron, professeur
au Collège de France (sic), bien sûr, et des siens qui, dans son Histoire mondiale de la
France (2017), réécrit l’histoire de France pour en effacer les grands moments afin de
donner aux petits la force et la puissance, sinon la dignité des grands ! Si nous ne sommes
grands que dans le petit, l’infime, la quantité négligeable, alors nous sommes vraiment des
Lilliputiens. Voilà son projet.
Dans les huit cents pages de ce pamphlet, de Gaulle ne mérite aucune entrée en propre.
En revanche, dans cette même partie du XXe siècle, il existe une entrée Staline, via la
réception de sa mort par les camarades communistes ! Chacun comprendra que, depuis
Lascaux (c’est le début de son Histoire de France), autrement dit en dix-neuf mille ans, la
mort d’un dictateur marxiste-léniniste vue par des militants du PCF, voilà un grand moment
de l’histoire du pays ! On ne s’étonnera pas qu’à propos de ce parti il n’y ait pas d’entrée «
Pacte germano-soviétique » — ce qui aurait pourtant pu expliquer au lecteur pourquoi Hitler
a pu envahir la France en 1940 avec la bénédiction de l’URSS, donc du PCF.¹
Dans cette histoire révisionniste (je ne dirai pas négationniste, le mot est préempté), «
1940 » n’est pas, en France, la date de « la débâcle », de « l’occupation » ou bien encore du
« 18 juin », mais celle de la découverte fortuite par deux enfants de la grotte de Lascaux
présentée « dans une France effondrée par la défaite, comme le signe d’une apparition
presque mystique ». La grotte se trouve vitement « déterritorialisée » ! Autrement dit, les
peintures de Lascaux ne sont plus en France, non, elles sont partout ailleurs dans le monde,
sauf en France… C’est dire combien et comment on cogite fort au Collège dit de France !
Il semble qu’en France, Hitler ne soit pas mort, que Pétain vive encore, que Vichy fasse
toujours la loi et que Staline règne sur le Kremlin ! Que faudra-t-il pour qu’on tue vraiment
le cadavre d’Hitler et que cette charogne cesse d’empuantir l’histoire de France ? Que doit-
on faire pour vivre enfin dans un monde qui nous soit vraiment contemporain ?
Dans notre climat de presque guerre civile, il n’est qu’à regarder les références faites aux
années noires, aux années-les-plus-sombres-de-notre-histoire, à la montée des périls, au
nombre incalculable des recours à la réduction ad hitlerum, aux rapprochements avec Vichy,
Pétain, aux perpétuelles accusations infondées d’antisémitisme, à l’usage hors de propos du
terme fasciste, pour comprendre qu’Hitler fait toujours la loi en France !
Deux ou trois preuves : entre les deux tours des dernières élections présidentielles qui
opposaient Macron, sachant qu’il avait gagné, à Marine Le Pen, n’ignorant pas qu’elle avait
perdu, le vainqueur désigné le soir du premier tour n’en faisait pas moins deux
déplacements qu’il voulait symboliques avant le vote final pour inviter à bien voter : l’un à
Oradour-sur-Glane, l’autre au Mémorial de la Shoah ! Qu’on songe également à l’élément
de langage d’un Edwy Plenel, repris il y a peu par Erdogan, qui fait des musulmans de 2020
les juifs des années trente ! Ou bien encore d’Esther Benbassa, sénatrice écologiste, qui ne
trouve pas honteux de défiler avec des enfants musulmans portant une étoile de David
comme s’ils étaient en attente d’une rafle pour Auschwitz, ce qui suppose que notre État
aurait le projet de les gazer avant de faire disparaître leurs corps dans un four crématoire.
C’est dans ce même ordre d’idées que j’ai été comparé à Marcel Déat, fasciste notoire
ayant porté l’uniforme nazi sur le front russe, pour avoir annoncé que Stéphane Simon et
moi-même travaillions à une revue souverainiste que personne n’avait encore lue
puisqu’elle était en cours de fabrication ! De même que me présenter, depuis plus d’une
dizaine d’années, comme un antisémite fait partie de l’arsenal d’insultes censé fonctionner
comme une bombe atomique pour détruire un adversaire qu’on ne sait contrer autrement
que par le mépris.
Mais l’abus de cette rhétorique n’abuse déjà plus personne sauf quelques demeurés
emblématiques de la fachosphère de gauche… C’est déjà ça.
Il fut dit en effet que ce passé ne passe pas. Mais pour quelles étranges raisons ce passé
est-il resté notre présent et semble se présenter comme notre futur ? Parce qu’il fonctionne
actuellement comme le moteur le plus puissant de la haine de soi française. Il en est la
preuve. Du moins : il en serait la preuve…
Car, entre 1946 et 1969, avec une interruption entre 1946 et 1958, la geste gaullienne a
fait de ce passé un passé. Qui a donc voulu que ce passé fût un avenir ? Ceux qui avaient
intérêt à abolir le gaullisme qui fut souverainisme et grandeur, amour de la patrie et
célébration de l’Histoire, éthique de la volonté et vertu de l’excellence, goût du sublime et
tension vers les cimes. Ceux-là même, donc, qui ont le plus grand profit à abolir la nation, le
pays, la France et qui aspirent à réaliser une Europe fédérale postnationale destinée à
préparer le gouvernement planétaire du capitalisme enfin réalisé.
C’est le vieux projet saint-simonien du gouvernement des ingénieurs et des techniciens,
des banquiers et des élites, des chefs d’entreprise et de leurs intellectuels complices contre
les peuples, un vieux projet repris en main par les acteurs des GAFAM qui souhaitent au
plus vite abolir la civilisation judéo-chrétienne afin de réaliser la leur, une « civilisation »
transhumaniste à laquelle ils travaillent avec ardeur et force milliards engrangés grâce à
l’impôt indirect versé chaque seconde par des millions de consommateurs de ces GAFAM.
De ce projet européen, Jean Monnet nous disait dans ses Mémoires que l’Europe
postnationale en était un moment dans un mouvement visant le gouvernement planétaire : «
Les nations souveraines du passé ne sont plus le cadre où peuvent se résoudre les problèmes
du présent. Et la Communauté elle-même n’est qu’une étape vers les formes d’organisation
du monde de demain » — voici la dernière phrase des Mémoires de Jean Monnet, un livre
qui a été rédigé par des « nègres » comme on ne dit plus, payés par les États-Unis.²
Cette haine de soi d’une France saignée par la Première Guerre mondiale qui a perdu 1,3
million d’hommes, dont l’élite qui n’eut pas l’occasion de développer sa puissance³, donc
d’assurer la puissance de la France, procède du nihilisme de cette première boucherie qui a
généré, entre les deux guerres, la fascination d’un certain nombre de « pacifistes », dont
nombre de socialistes, pour Hitler et, chez d’autres, d’un semblable tropisme pour Staline.
L’Allemagne d’Hitler et la Russie soviétique de Staline ont fasciné nombre d’intellectuels
français qui cherchaient à se vendre, et qui, pour certains, se sont effectivement vendus soit
à Berlin soit à Moscou, sinon à Vichy⁴, avant, la Libération aidant, de se vendre encore,
mais cette fois-ci aux États-Unis… Se vendre semble une manie dans ce milieu !
On pouvait choisir la France depuis le 18 juin 1940, c’est-à-dire ni Moscou ni Berlin, ni
le Goulag ni Auschwitz, mais qui fut de ce combat cette année-là ? Ils n’ont pas été
nombreux les intellectuels ayant rejoint le général de Gaulle à Londres ; ils n’ont pas été
nombreux non plus à le soutenir ensuite quand il fut au pouvoir et que l’URSS avait le
projet d’étendre son Goulag le plus possible sur la planète ! Il est vrai qu’après-guerre, le
PCF pesait un quart de l’électorat français et, avec la bénédiction du général de Gaulle, qu’il
dominait le monde de la culture — autrement dit : qu’il permettait de faire carrière dans les
lettres, l’édition, la recherche, l’université, le journalisme ! En mai 68, il n’y eut plus
personne ; en 1969, c’était fini — hormis André Malraux ou Romain Gary, fidèles parmi les
fidèles.
Ne pas aimer qui aimait la France, c’était alors aimer les ennemis de la France.⁵
*
Après-guerre, l’Amérique a souhaité obtenir ses retours sur investissement : il n’était pas
question pour elle de laisser son D-Day sans revenus sonnants et trébuchants. Money is
money ! Pour ce faire, le plan Marshall, officiellement nommé Programme de rétablissement
européen, industrialisa la France avec pour objectif son américanisation. Ce à quoi aspirait
le projet AMGOT⁶, administrer la France comme une colonie américaine, un projet
fermement refusé par de Gaulle, ce plan Marshall l’obtint par d’autres moyens.
Cette industrialisation à marche forcée du pays a détruit la France rurale et agricole,
provinciale et traditionnelle, au profit de la bétonisation des corps, des cœurs et des âmes.
Elle a aussi fonctionné comme un autodafé de la vieille culture que les États-Unis ont
remplacée par la leur — du moins ce qui en tient lieu.
Quels ont été les instruments de cette bétonisation existentielle qui eut lieu dans
l’immédiat après-guerre⁷ ? La télévision qui produit un réel de substitution au réel banal
dans lequel chacun vit une vie mutilée, le cinéma qui remplace les vérités de l’histoire par
les légendes idéologiques de fictions épiques, la littérature devenue prolongement du
journalisme, le jazz, le rock et la pop remplaçant la musique dite classique, la chanson de
variété en rupture avec la chanson poème, Disneyland comme Mont-Saint-Michel
américain, le règne de la propagande théorisée par Edward Bernays⁸, le neveu de Sigmund
Freud, en lieu et place du débat consubstantiel à la rationalité classique.
Il y eut des résistances françaises à cet effacement progressif de la culture française : le
cinéma de Jacques Tati, poétique et critique, burlesque et politique au plus haut degré —
qu’on se rappelle Jour de fête (1946) dont le facteur se trouve contaminé par le modernisme
américain après qu’il a vu aux actualités, sous le chapiteau d’un cirque ambulant, un
reportage sur les postes aux États-Unis qui distribuaient les lettres et paquets par
hélicoptère, mais aussi la critique du règne des loisirs, Les Vacances de monsieur Hulot
(1953), celle de la tyrannie de la voiture, Trafic (1971), celle des gadgets de la modernité,
Mon Oncle (1958), celle de l’inhumanité de l’architecture et de l’urbanisme contemporains
dans Playtime (1967) ; les chansons de Brassens, Brel, Ferré ou Ferrat — qu’on songe à La
Montagne (1965) qui fit plus que nombre de sociologues pour raconter le passage de la
France rurale à celle du Formica et du ciné, du HLM et du poulet aux hormones ; Jacques
Ellul et Bernard Charbonneau, deux monuments injustement méconnus de la philosophie
qui, entre autres pépites intellectuelles, ont dévoilé les ravages de la technique, les dégâts de
la propagande, les dommages causés à la nature, la toxicité de la nourriture industrielle, la
destruction des paysages, l’avènement du nihilisme, la folie de la société de consommation,
la destruction des campagnes ; les livres de Joseph Delteil, notamment La Deltheillerie
(1968) un authentique chef-d’œuvre parmi les nombreux autres que comporte son œuvre
complète ; les fictions documentaires de Georges Rouquier : Farrebique (1946) puis
Biquefarre (1983) qui, du noir et blanc poétique aux couleurs tristes et fades de la
postmodernité, racontent ce passage d’un monde à l’autre.
Désormais, le cinéma fabrique la vérité, suivi en cela par la bouillie déversée sur les
écrans ; les chansons, quand elles ne sont pas anglo-saxonnes, sont la plupart du temps des
susurrements épuisés, ceci n’excluant pas cela ; le premier rappeur venu passe pour un
nouveau Rimbaud ; la philosophie est une affaire de normaliens qui enfilent des propos de
bistrot en citant Spinoza, sans oublier de passer à la caisse pour empocher les copieux
honoraires de conférences destinées aux notaires ou aux pharmaciens ; les livres sont des
produits culturels formatés pour le marché, et beaucoup d’entre eux ne sont d’ailleurs même
pas écrits par ceux qui les signent — je connais le nom de quelques imposteurs notoires
dans le monde des idées et celui de leurs nègres ; les fictions documentaires ont laissé place
aux films idéologiques qui assurent la propagande du politiquement correct.
Les États-Unis n’ont pas débarqué pour rien en Normandie le 6 juin 1944. Ils nous ont
offert leur « culture » ; une contre-culture française est possible, elle est affaire de volonté.
Notes