Canons de légende, Picardie 1918
Par Alain Begyn
3/5
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À propos de ce livre électronique
D'autres Max furent installés par la suite dont celui de Chuignes en 1918 . Et puis il y eut aussi, bien sûr, le canon qui tirait sur Paris (Pariser kanone); et, pour les Parisiens, un canon capable de tirer à une telle distance ne pouvait être qu'une Bertha, même une Grosse Bertha! que les caricaturistes représentèrent sous l'aspect d'une femme nécessairement grosse et moche puisqu'elle était boche.
La plupart des Français ignorèrent toujours que ces canons puissants étaient des canons de marine adaptés à une utilisation terrestre. Comment imaginer des canons de marine à cent kilomètres ou plus des côtes, au milieu de terres à blé et à betterave ? On continua de les appeler Bertha et un siècle plus tard le nom demeure toujours vivace. Même les Australiens se mirent à nommer ainsi les gros canons qu'ils avaient capturés, distinguant cependant Big Bertha et Little Bertha.
La lecture de cet ouvrage ne fera certainement pas disparaître le nom impropre de Bertha, trop bien ancré dans la mémoire collective, au profit de Lange Max ou de Pariser kanone mais - c'est le souhait de l'auteur - apportera un peu de lumière sur l'histoire de ces canons extraordinaires et fabuleux qui furent véritablement des canons de légende.
Alain Begyn
Alain Begyn, professeur d'histoire et officier de réserve honoraire, natif de Picardie dans le Santerre, région particulièrement concernée par l'histoire de cet ouvrage.
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Avis sur Canons de légende, Picardie 1918
1 notation1 avis
- Évaluation : 3 sur 5 étoiles3/5Excusez-moi, mais l'empereur d'Autriche était François-Joseph et non Guillaume II. Et les Skoda sont fabriquées dans ce qui est aujourd'hui la République tchèque et se trouvent au Musée militaire en Roumanie, c'est pourquoi je me suis permis de vous corriger ! Santé! Page 5/264
Aperçu du livre
Canons de légende, Picardie 1918 - Alain Begyn
A la mémoire de ceux de nos soldats et de leurs alliés
qui ont sauvé la ville d’Amiens.
Plaque en laiton apposée sur le berceau soutenant le canon de 28 cm capturé à Harbonnières.
SOMMAIRE
Des canons de légende
La Bertha... la vraie
L'histoire des Lange Max
LE PARISER KANONE 21/35 cm
28 cm SK/L40 BRUNO
Le canon d'Amiens
LANGE MAX 38 cm SK/L45
Charles Bean rend visite au canon de Chuignes
Le sort du canon de Chuignes
Chuignes, une bataille oubliée ?
ANNEXES & CARTES
L'empire Krupp
La dynastie Krupp
Sir John Monash
Harbonnières
Trophées et reliques
Cartes
Principales sources
DES CANONS DE LEGENDE ?
Depuis un siècle, beaucoup de choses ont été dites ou écrites sur ces engins de mort sortis des usines Krupp à Essen, dispersés ça et là sur le sol de notre Picardie et destinés à détruire Amiens, Compiègne, Albert... et même Paris. Et ces choses sont généralement fausses ! Il est surprenant que, si longtemps après, la vérité n'ait pas été rétablie et que même des personnes passionnées par l'histoire de ces canons allemands - et par conséquent mieux informées que la plupart de leurs concitoyens - continuent à faire des confusions inconcevables.
On peut supposer que nos aïeux aient été sidérés en voyant - pour ceux qui se trouvaient dans les pays occupés - apparaître ces montres d'acier d'une taille et d'une masse prodigieuses. Leur étonnement devait être d'autant plus grand que, si par hasard, ils avaient aperçu des pièces d'artillerie, il s'agissait probablement de nos excellents mais bien modestes 75
. Notre haut commandement n'ayant comme credo, dans les années précédant le conflit, que l'offensive, rien que l'offensive, à quoi bon fabriquer des pièces d'artillerie lourde ? Si bien que bien peu de Français, même parmi les combattants, ignoraient qu'il pût exister des canons d'un calibre dépassant 200 mm.
Les premiers de ces canons, à vrai dire des obusiers, sont déjà fin prêts quand le conflit commence : ce sont les redoutables Skoda de 305 mm fabriqués par les Autrichiens et dont est dotée l'armée du kaiser Guillaume II. Mais ce sont surtout ces 420, bien allemands ceux-là, trapus, colossaux et effrayants qui montrent le savoir-faire des aciéries d'Essen ; c'est certainement la raison pour laquelle les servants de ces pièces les ont familièrement baptisées Bertha¹ (c'est elle qui est à la tête de l'empire Krupp).
Cette Bertha a dû produire une si forte impression sur ceux qui l'ont vue (de vrai ou en photo) que son nom a été donné, par la suite, à tous les très gros canons sortis des fonderies Krupp ; Bertha
est devenu, en quelque sorte, un nom générique, un peu comme le nom de frigidaire
a été donné dans les années 1950 à tous les appareils créant du froid.
Alors, lorsqu'au printemps de 1918, des obus venus d'on ne sait où commencent à pleuvoir sur Amiens on attribue ces méfaits à une Bertha
cachée dans un bois du côté de Chuignes dans la Somme ; et dans le même temps c'est Paris qui est la cible d'une autre Bertha
bien camouflée à plus de cent kilomètres de la capitale. Pour les Amienois, les Compiégnois, les Parisiens, ces projectiles ne peuvent être tirés que par une Bertha
.
Et voilà pourquoi, depuis un siècle, on voit des Bertha
partout. Voici quelques exemples, parmi tant d'autres, de ces confusions :
Sur une carte postale représentant le canon de Chuignes et postée en juin 1939, l'expéditeur écrit au verso : Ci-contre tu vois la grosse Bertha qui était destinée à tirer sur Paris. Elle a été capturée par les Canadiens en août 1918 après avoir finalement tiré seulement deux fois sur Amiens.
En septembre 2008, sur le blog de l'Union Locale des Anciens Combattants de B..., on pouvait lire ce passage relatif au canon qui avait tiré sur Paris :...l'on avait baptisé le
monstre la Grosse Bertha, par assimilation avec le gros canon de 420 qui, au début de la guerre, avait tiré sur Dunkerque de 38 km de distance...
La palme revient sans doute au très sérieux Figaro
qui, le 23 mai 2012, publiait un article intitulé Quand la grosse Bertha terrorisait Paris
en l'illustrant d'une photo de la Bertha de 1914 !
Ces super canons en ont bien fait couler de l'encre et de la salive depuis près d'un siècle et la commémoration du Centenaire ne fait que raviver le sentiment de crainte qu'ils inspiraient.
C'est l'histoire de ces canons, celui de Chuignes et celui qui martyrisait Paris que vous découvrirez dans les pages de cet ouvrage. Vous y trouverez aussi le récit des aventures peu ordinaires d'un autre canon, une histoire plutôt rocambolesque dont les premiers épisodes se déroulent dans le Santerre en août 1918.
Trois canons donc, différents en de nombreux points : par leur aspect, leur calibre, leur emploi et leur destin. De l'un, celui qui tirait sur Paris et surnommé la Grosse Bertha on n'a strictement rien retrouvé ; de l'autre, appelé la Bertha de Chuignes, on n'a retrouvé que le cadavre
; quant au troisième, que les Australiens ont capturé vivant
et baptisé Little Bertha ou Baby Bertha, il continue de parader dans sa superbe tenue de camouflage, loin, loin d'ici, à Canberra en Australie.
Pourtant ces trois canons ont quand même des points communs : ils ont été commandés par la Marine impériale pour être installés sur des cuirassés, ils sont sortis des aciéries de Krupp à Essen et, surtout, aucun des trois n'est une Bertha!
Pariser kanone, la Grosse Bertha des Parisiens.
Bruno, 28 cm SKL/40, Little Bertha des Australiens
Lange Max SKL/45, la Bertha de Chuignes.
CARACTERISTIQUES DES CANONS LOURDS ALLEMANDS
fabriqués chez KRUPP à Essen
Ce tableau permet de comparer les differentes pièces entre elles. Ainsi on constate que l'obus du Pariser Kanone est près de huit fois moins lourd que celui de la Bertha, va cinq fois plus vite à la sortie du tube et retombe douze fois plus loin . . . .
¹ Des photos de Bertha Krupp prises à cette époque montrent une jeune femme (elle avait à peine trente ans) dont les proportions n'ont rien à voir avec l'objet qui porte son nom. Il peut paraître surprenant qu 'Outre-Rhin on ait donné un prénom féminin à un engin de mort mais souvenons-nous que la baïonnette française répondait au charmant prénom de Rosalie.
LA BERTHA.... LA VRAIE
C'est bien le plus ancien des super canons dont il sera question dans cet ouvrage. Déjà, avant la fin du siècle (le XIXe), les aciéries d'Essen avaient commencé la fabrication de matériels lourds de forte puissance destinés à l'artillerie de siège ; mais, en 1908, après l'adoption du plan Schlieffen, le Haut état-major chargea Krupp d'élaborer une pièce d'artillerie capable de percer 3mde béton et de briser les tourelles en acier au nickel des fortifications françaises.
A cette date, Von Moltke, chef de cet état-major, avait repris à son compte - en le modifiant toutefois - le plan de son prédécesseur. Ce plan, il est peut-être bon de le rappeler, consistait à envahir d'une manière foudroyante la France en traversant la Belgique. L'armée d'invasion évitait ainsi de se casser les dents sur les fortifications qui protégeaient notre pays au nord-est. Mais, en traversant la Belgique, elle rencontrerait aussi des places fortes ; et si jamais les Belges ne se montraient pas coopératifs, il faudrait bien passer en force. Il valait donc mieux, pour le cas, disposer d'une artillerie de siège performante.
Pour réaliser un canon aussi redoutable, Krupp a recruté un ingénieur remarquable chargé de la conception : Fritz Rausenberger ; celui-ci s'est entouré d'une équipe de physiciens et de mathématiciens au sein de laquelle le capitaine Becker devrait résoudre les problèmes balistiques (poids optimal de l'obus, charges de poudre, etc...).
A la veille de la guerre, l'engin est prêt : il est lourd (170 tonnes), monstrueux, difficile à déplacer ; il ne peut circuler que sur une voie ferrée normale alors que beaucoup d'autres pièces peuvent être acheminées jusqu'à leur emplacement de tir sur des voies de 60 cm ; une dizaine de wagons sont nécessaires au transport de la pièce ainsi qu'un pont roulant pour le montage. Bref, sa mise en service est loin d'être facile ; ajoutons à cela le prix exorbitant de la pièce ainsi que celui des munitions. Le Gamma M12, tel est son nom, ne sera construit qu'à un tout petit nombre d'exemplaires. Rausenberger devra revoir sa copie et concevoir un engin beaucoup plus mobile et bien moins coûteux ; ce sera le M42. Ce sera une version allégée
du précédent: 70 tonnes dont treize pour le tube seul ; son transport pourra s'effectuer sur quatre voitures tirées par des tracteurs ; il pourra même être autonome et se déplacer sur ses propres roues pour de courts trajets. Sa perte de poids entraînera une diminution des performances : sa portée sera ramenée à 9 300 m contre 14 000 pour l'autre version. Il pourra tirer des obus de 800 kg à raison d'une dizaine de coups par heure. Deux exemplaires seront terminés en août 1914 et seront utilisés pour anéantir les forts de Liège. Dix autres seront en assemblage ; au total, c'est donc douze pièces qui seront construites.
Puisque le but de ce modeste ouvrage est de rétablir la vérité et d'appeler un chat un chat, il convient de préciser que la Bertha ne mérite pas d'être appelée canon : c'est un obusier (dans certains pays on emploie le mot howitzer). Quelle est donc la différence entre les deux ? Cette différence tient au rapport entre la longueur du tube de l'arme et son calibre ; si ce rapport est inférieur à 20, on a affaire à un obusier². Plus loin, il sera question d'autres grosses pièces comme celle qui fut installée à Coucy-le-Château dans l'Aisne dont l'appellation est 38 cm SK L/45, ce qui veut dire que la longueur du tube de ce canon était 45 fois 38 cm. Elémentaire!
Pour en revenir à la Bertha, son tube ne mesure que 5m de long pour un calibre de 42cm (rapport environ 12). Nous l'avons vu, la Bertha a une portée inférieure à dix kilomètres ; son obus a une vitesse initiale (vitesse du projectile à la sortie du tube) de l'ordre de 350 m/sec, équivalant à la vitesse du son. Ces chiffres, en eux-mêmes, ne sont peut-être pas d'un grand intérêt mais ils nous permettront de faire, tout à l'heure, la comparaison avec le canon qui a tiré sur Paris en 1918 et, là, nous verrons bien qu'il ne s'agit pas du tout du même engin.
Ces Bertha ont essentiellement servi à détruire les places fortes de Liège, Namur, Anvers et Ypres en Belgique ; quelques-unes ont été utilisées contre les Russes ; en France, elles ont bombardé Verdun et Maubeuge, la seule véritable place forte se trouvant sur l'axe de marche de l'aile droite allemande. Il est possible que le général Von Bülowait songé à en faire venir à La Fère, dans l'Aisne, mais la place n'ayant offert aucune résistance, il n'en eut pas besoin. On doit donc pouvoir dire, avec une grande certitude, que jamais une Bertha, une vraie, n'a été vue en Picardie.
LA BERTHA,
obusier d’un calibre de 42 cm
Bertha KRUPP (1886 – 1957)
En 1914, Bertha a 28 ans. C'est une jeune femme élégante qui n'évoque nullement une grosse pièce d'artillerie. D'autres canons seront baptisés Bruno, Max (le long), Théodore, Karl... par les Allemands.
Fritz RAUSENBERGER
Ingénieur allemand au service de l'entreprise KRUPP. C'est lui qui a conçu la Bertha puis le Pariser Kanone (le canon de Paris).
2 L'obusier est uniquement employé pour le tir courbe (tir par-dessus un obstacle, tir à contrepente...) contrairement