Tartuffe Potrait
Tartuffe Potrait
Tartuffe Potrait
Dorine esquisse rapidement un portrait physique de Tartuffe : Gros et gras, le teint frais et la bouche vermeille (v. 234). En juxtaposant cette indication et le premier vers que le personnage prononce en entrant en scne : Laurent, serrez ma haire avec ma discipline (v. 853), l'on met en vidence la contradiction essentielle de son caractre. Cette opposition fondamentale entre les instincts profonds de Tartuffe et son attitude apparente tait sans doute ncessaire; il faut bien qu'il se trahisse de quelque faon pour que le spectateur sache qu'il a devant lui un hypocrite. Molire a su, avec une gniale habilet, se soumettre la ncessit du grossissement dramatique, tout en maintenant son personnage sa vrit humaine. En effet, la sensualit de Tartuffe se rvle aussi bien dans son attitude l'gard d'Elmire, au dbut de la scne III de l'acte III, que dans sa gourmandise. Est-il conscient aprs coup des erreurs de tactique auxquelles l'entrane ainsi son temprament? Peuttre; mais cet ambitieux rus et tenace n'abandonne pas la partie : il se sait intelligent, se croit plus fort que tout le monde, et la facilit avec laquelle il manuvre Orgon n'a fait qu'accrotre son assurance. Celui-ci est l'ternelle dupe de ses simagres. Mais lorsque Tartuffe exprime Elmire en termes mystiques un amour tout humain (acte III, scne III), lorsqu'il recourt la casuistique (acte IV, scne V) pour venir bout des derniers scrupules d'Elmire, on peut se demander s'il se contente de jouer, non sans dilettantisme, son rle de sducteur tout en conservant son masque de dvot; on a l'impression que, pouss par un dsir irrsistible vers Elmire, il reste rellement prisonnier du langage et de l'attitude auxquels il a soumis son personnage; son masque lui est-il devenu si familier qu'il finit lui-mme par en tre dupe? Une telle interprtation dpasse peut-tre l'intention de Molire; du moins prouve-t-elle la richesse et la complexit d'un caractre auquel chaque poque trouve son actualit. Escroc de profession, habile exploiter la pit de ses dupes pour se mnager une existence confortable, Tartuffe dpasse aussi par sa signification la ralit sociale que lui avait donne Molire; on peut y voir un rat qui prend sa revanche sur une socit o il n'a pas su se faire une place. Il est plus gnralement le modle de tous ceux qui dissimulent, sous des allures moralisatrices, la gloutonnerie cynique de leurs apptits. Orgon a un passe que Molire esquisse: il fut un homme sage; il montra du courage . S'il conserva la cassette d'Argas, c'est quil estimait probablement les devoirs de l'amiti comme suprieurs ceux de l'obissance aux lois. Or le personnage est devenu tout autre depuis quil a rencontr Tartuffe. Il est absolument fanatis: il ne peut se contrler lorsque Tartuffe est en jeu. Il est capable des pires
cruauts: envers Mariane, pour honorer Tartuffe, envers Damis pour le venger. Clante, Dorine, quiconque ose critiquer le dvot personnage le met dans des colres aveugles. Elmire a bien de la peine triompher de son incrdulit parce qu'ici encore Tartuffe est mis en cause. Cette sorte de folie caractre obsessionnel donne l'impulsion tous ses excs: enttement born, sottise nave, assurance imperturbable pour nier les vidences les plus claires. Sans doute portait-il le germe de toutes ces outrances dans son caractre, mais son obsession de la dvotion, fixe par Tartuffe, a mis au jour ces mouvements d'un temprament impulsif et leur a donn libre cours. A l'acte V, enfin dsabus, incapable d'agir, il se sent dpass par ce qui arrive. Drisoire et parfois odieux, Orgon prend place parmi les pres de comdie, dont la faiblesse de caractre est aussi dangereuse pour leur entourage que le pire des vices. Elmire et Clante A ces deux personnages, Molire a oppos Elmire et Clante. Frre et sur, ils ont bien des points communs. Tout d'abord, un mme quilibre gnral. Leur sagesse discrte les porte condamner la pruderie sauvage (v. 1330-1336) et la dvotion tapageuse (v. 323-345). Leur premier soin est de vivre innocemment, comme le dit Clante. Leur bont se marque dans la constance avec laquelle Elmire prend la dfense de Damis et de Mariane et dans les sages dcisions que propose Clante point nomm. L'un et l'autre sont probablement plus ports faire le bien qu' juger les actions d'autrui. Elmire, en outre, apprcie le calme d'un foyer dont Tartuffe menace l'harmonie. C'est, d'autre part, une femme du monde accomplie: pleine de tact et d'adresse, sre d'elle-mme et confiante dans son innocence, elle peut se permettre une preuve aussi prilleuse que le second entretien avec Tartuffe. Elle sait aussi user d'une douce fermet avec Orgon (acte IV, scne III) et Damis (acte III, scne IV). Damis et Mariane sont bien les enfants d'Orgon. Damis, franc mais encore bien naf, se laisse guider par la rvolte gnreuse que suscite en lui la prsence de Tartuffe. Il est emport comme son pre, souvent maladroit et batailleur. A Mariane, le qualificatif de doucette (v. 22) ne convient qu'en apparence. Si elle est soumise, elle n'est pas exempte, elle non plus, d'enttement. Elle se met en colre contre Valre (acte II, scne IV). Cependant, il y a en elle une sensibilit et un charme que le peu d'importance de son rle ne doit pas faire ngliger. Son dsespoir est touchant, mme si nous dsirions lui voir plus de fermet. Valre est un jeune homme amoureux qui s'harmonise bien avec Mariane. Il se montre gnreux et dsintress, profondment attach dj la famille d'Orgon (acte V, scne VI).
Mme Pernelle, c'est une vieille dame, insupportable, ttue, rageuse, de bonne bourgeoisie franaise. Elle a vu Henri IV, le grand Cardinal, les Frondes, Franois de Sales. On ne lui en conte point. Elle a savour le supplice de Ravaillac; elle est dure moudre crivait Robert Kemp. Elle a gard l'austrit rigide d'un pass qu'elle vnre; mais elle en conserve aussi un langage la fois pittoresque et trs vert. Enfin peut-tre se sent-elle un peu dpasse, sinon rabaisse par l'aisance, le caractre mondain d'Elmire et de Clante, dont le milieu social est nettement suprieur au sien et celui de son fils. Dorine est une servante pleine de bon sens et dvoue ses matres; elle aide activement les jeunes amoureux en dtresse. Ce rle prend toutefois ici un relief particulier. Non seulement Molire a, comme ailleurs, actualis ce personnage de la domestique au franc-parler, ce qui peut paratre naturel dans un milieu bourgeois o les serviteurs font un peu partie de la famille, mais il a confi Dorine une tche bien dlicate: lutter contre un adversaire particulirement subtil. Or la finesse de Dorine (v. 84, 836-837) a dcouvert le point faible de Tartuffe; c'est elle qui sera l'animatrice du complot contre l'escroc (voir l'importance de son rle l'acte II). D'autre part, son bon sens paysan trouve, en face d'Orgon (v. 552) aussi bien que de Tartuffe (v. 863-868), la rplique qui cloue son interlocuteur. M. Loyal est un personnage inquitant; fuyant, passant de la flatterie doucereuse la menace cynique, il parat prendre exercer ses fonctions d'huissier une dlectation perverse. Sa prsence rvle (comme le laissait dj supposer l'existence de Laurent, garon de Tartuffe) qu'il existe, dans tous les rangs de la socit, un rseau de Tartuffes, toujours prts se soutenir mutuellement contre les honntes gens.