École Pratique D'études Bibliques. Revue Biblique. 1892. Volume 20.

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REVUE BIBLIQUE

INTERNATIONALE
Typographie Firmin-Didot et C". — Paris.
NOUVELLE SERIE HUITIEME ANNEE TOME AIII

REVUE BIBLIQUE
INTERNATIONALE

PUBLIEE PAR

L'ECOLE PRATIQUE DÉTUDES BIBLIQUES

ETABLIE AU COUVENT DOMINICAIN SMNT-ÉTICNNE DE JÉRUSALEM

PARIS
LIBRAIRIE VICTOR LECOFFRE
J. GABALDA ET C^^

RUE BONAPARTE. 90
1911

OCT 1 7 1959
LES ODES DE SALOMON
TEXTE [suite et fin) (1).

XXI

'
J'ai levé les bras en haut, vers la grâce du Seigneur, car il a
rejeté mes chaînes loin de moi; mon protecteur m'a élevé vers sa
grâce et vers son salut.
'J'ai dépouillé l'obscurité et revêtu la lumière; ^ mes membres ont
été (réunis) à mon âme sans éprouver ni douleur, ni angoisse, ni
même soutfrance.
* Surtout la science du Seigneur m'a servi d'auxiliaire, ainsi que
sa communion incorruptible.
dans sa lumière, j'ai marché devant lui,'' et je
^J'ai été exalté
suis arrivé près lui, en le louant et en le glorifiant.' Mon cœur a
de
débordé; il a envahi ma bouche, il a jailli sur mes lèvres; l'exulta-
tion du Seigneur s'est accrue sur mon visage, ainsi que sa louange. —
Alléluia !

(1) Depuis la publication de la |»reinière partie de ma traduction (/?. B., octobre l'JlO).
j'ai eu connaissance des articles ou notes de Barnes [Journal of theological studies,
juillet 1910), F. Schulthess (S.). Gunkel (G.) et Gressmann [Zeitschrift fur die. neutes-
fcnuenUiche Wissenschoft, juillet 1910) et de la traduction de Ungnad et Staerk [Die
Oden Salomos : Bonn, 1910) (U.J. J'indiquerai plus tard quelles corrections m'a suggérées,
pour cette première partie, l'utilisation de ces travaux. Aucune d'elles n'égale en importance
la traduction proposée par M-' Batilfol de l'incompréhensilile passage (Ode ux, v. 8) :

« comme un homme » ; il faut comprendre : « elle enfanta un semblant d'homme par la vo-
lonté (de Dieu); elle enfanta en ostension ». lûv*a*.L répond aux mots grecs àvàSsi^i;,
:

àîiôSsi?!;, êvoeili;, OiioTjTiwat;, itSsiYtia. 11 pourrait bien avoir ici le sens d' « épiphanie ».

« La correction indiquée en note est dès lors inutile.

XXI. — V. 1. en haut (sU \)àoç) et non : vers le Très-Haut.


V. 2. Littéralement : « tandis qu'il n'est en eux ni douleur ». etc.. Le ms. omet, à tort,
la négation (RH.).
V. 4. la science du Seigneur. On pourrait aussi traduire la pensée ou le dessein du Sei- :

gneur, mais )Njju-.io traduit également sjvectk;. Le sens serait que le psalmiste. en véri-
table gnostique, a été préservé de la mort par sa gnose et son union mystique avec Dieu
(y.otvwvta àçQapTÔç).
v. 5. j'ai marché, ms. : J'ai agi. Mais Schulthess remarque avec raison que .jl». n'a pas
de sens absolu ; il corrige :
lvj^.
7. débordé, dans le sens de ps. xlv, v. 1. C'est le même mot. Sa louange, ou : sa gloire.
Il n'est pas aisé de décider entre ces deux sens.
6 REVUE BIBLIQUE.

XXII [Pistis Sophia, ch. 71)

1 C'est lui qui me fait descendre des hauteurs et me fait monter des
bas lieux; - c'est lui aussi qui rassemble ce qui est au milieu, et me le
lance. C'est lui qui a dispersé mes ennemis et mes adversaires; ^ c'est
^

lui qui m'a donné pouvoir sur les liens pour que je les délie; ^ c'est
lui qui a meurtri par mes mains le dragon aux sept tètes, et il m'a
fait fouler aux pieds ses racines, pour que je dctruise sa semence.

Tu étais à mes côtés et tu m'as protégé: partout ton nom m'en-


''

tourait (Comme un rempart; 'ta droite a dissous le venin du calom- ;

niateur; ta main a aplani la route pour tes fidèles.


^Tu les as choisis d'entre les tombeaux et tu les as séparés des
morts; tu as pris des ossements morts et tu les as enveloppés de
''

corps; 1" ils devinrent solides et tu leur as donné les énergies vitales.

XXII. — Cette ode offre d'assez graves difficultés. Le texte copte est très utile à con-
sulter. En général il présente de meilleures leçons, et surtout il fournit quel([ues mots de

1 original grec. On peut conseiller létude de cette ode aux critiques qui sont portés à
exagérer la valeur de la version svriaijue.
Des hauteurs: jajoute les points du jiluriel j>ar analogie avec les autres mots: la
V. 1.
syntaxe adoptée est celle du Copte.
V. 2. Très obscur. Le ms. porte et c'est lui qui rassemble les choses qui sont au mi- :

lieu, et il me les jette. Copte c'est lui qui a porté lu les choses qui se trouvaient au mi-
:

lieu, et qui ma instruit. Partant de cette version, R. H. corrige p>cîo en )»>o, correction
assez plausible. G. croit (jue le copte a fait un premier contresens en lisant xata-pît : dortbin
tràgt, au lieu de xa^a-pe'. . il ]iurifie; le mystérieux ^^î© du syriatpie = 7:pogi>.).et [lot que
le copte aurait mal traduit encore : il m'instruit. G. traduit lensemble : der das Mit-
tlere reinigt. wrft es mir zu : Celui qui puritie ce qui est au milieu, me le lance. « Ce
qui est au milieu )>, c'est le monde présent, selon la terminologie gnostique, et quant au
nettoyage du monde, ce serait le partage du bon et du mauvais. Tout cela est ingénieux,
mais purement problématique et . à dire vrai, assez peu plausible. Mieux vaut avouer
qu'on ne comprend pas.
V. 3. mes adversaires ; àvTiô-.y.ot (d'après le C".
V. 4. pouvoir : élovdîa ^d'après le C).
V. 5. meurtri : Le verbe syriaque .qi..rf> a plus fréquemment le sens de vaincre, détruire.
Mais le copte fournit le mot grec Tra-câffffciv, frapper. — Tu m'as fait fouler aux pieds, litt. :

tu m'as dressé sur sa semence : ar.io]i.'x (d'après le C).


\ . ij. Au lieu de ^l lire >,v>\ ; au lieu de ^\s> : ^;j (S. d'après le Copte).

V. 7. Litt. : son venin mauvais. Mais le copte porte : reiienuin eiiis qui dicit mahtm.
Qui dicit a disparu du texte syriaque, mais doit y être suppléé.
Les fidèles; litt. ceux qui croient en toi: mais le Copte donne
: -ittoi.
V. 8. Tu les as choisis. Copte : délivrés ;
glose. Il n'est question, on le voit, que de la
résurrection des justes. Tout ce passage est inspiré, parfois littéralement, du ch. 37
dEzéchiel.
V. 9. le monde qui t'appartient: litt. : Ton monde. Gr. : alwv (d'après le C).
V. 10. Litt. : ils devinrent non ébranlés, c'est-à-dire qu'ils acquirent de la stabilité dès
que l'enveloppe du corps les maintint.
.

LES ODES DE SALOMON. 7

'immortelle était ta route, mais tu as introduit ta personne dans


le monde qui tappartenait, pour qu'elle fût soundse à la corrup-
tion; afinque lunivers tVit anéanti, puis renouvelé. '- et que ton rocher
devienne une base pour l'univers; sur lui tu as édifié ton royaume, et
il est devenu le séjour des saints. Alléluia — I

XXIII

*
La joie est aux saints, et qui la revêtira, si ce nest eux seule-
ment? - La grâce est aux élus, et qui la prendra, si ce n'est ceux qui se
confient en elle dès le principe? ^L'amour est aux élus, et qui le

revêtira, si ce n'est ceux qui le possèdent dès le principe? 'Marchez


dans la science du Très-Haut, g-énéreusement, vers sa joie et la perfec-

tion de sa science
"'Et sa pensée fut comme une lettre, sa volonté descendit du Très-
Haut; elle fut envoyée comme une flèche d'un arc, tiré avec force.
''Beaucoup de mains se sont précipitées vers la lettre, pour la ravir.

la prendre et la lire; 'mais elle s'échappa de leurs doigts et ils

eurent peur d'elle, et du sceau qui était sur elle, •'*


parce qu'ils
n'avaient pas le pouvoir de briser son sceau, car la force qui tésidait
en ce sceau était plus puissante queux ;
•'
or ils coururent après la

Les énergies vitales, syr. : des secours pour la vie: x^as de sens. Corri^^er jLojV^i^ en
}iQj, i\>o = Èvîpvr.ia;; ce mot du texte original se trouve dans la version copte.
V. 11. Immortelle était ta route. Le grec portait sans doute £v à;.6ap7Îa f,v ooo; aov. La
suite est des plus obscures, aussi bien dans le copte que dans le syriaque. Avec Schulthess
je maintiens la ponctuation du copte et je traduis Trpôaw-ov (jov ^30,^3) par ta personne, :

et non par ton visage, comme le copte.


:

Pour la corruption (sans doute =î; sSôpav', c'est-à-dire pour la mort. D'immortel il est
:

devenu mortel.
Il y a. dans ce passage, une allusion évidente à la préexistence et a la Rédemption. On

remarquera que cette rédemidion a une valeur cosmologique. Il est impossible de ne pas
comparer la lin de l'ode xxii avec II Petr. 11-13; le parallélisme est presque parfait.
v. 12. .\u lieu de is-ooio, lire : 100,0.

XXIII. — Cette ode est d'une intelligence difficile, tant à cause de l'obscurité du symbo-
lisme, qu'à cause du style lui-même. Le traduction des vv. 10-15 est,de ce chef, assez
problématicjue. car le genre des mots h roue « et « lettre » étant le même en syriaque, il
est impossible du régime, et de décider auquel de ces
de discerner avec certitude le sujet
mots se rapportent les suffixes pronominaux.
La roue pourrait bien être un tourbillon de vent. Le rapprochement suggéré par Flem-
ming 'Ps. Lxx\Ti, 19) çtovrj tt,; p?ovr^; oou Iv Tpo-/âi est ingénieux. Une tempête accom-
:

pagnée d'orage [on sait que dans le langage biblique le tonnerre est la voix de Dieu) accom-
plirait bien les ravages indiqués dans notre texte : renverser tous les obstacles, combler
le lit des rivières, déraciner les arbres. Le signe apparaissant sur la roue, c'est-à-dire sur
le tourbillon, c'est le Seigneur lui-même, peut-être les bras étendus sur la croix (v. ode
ïLU, 2 et xxvn, 2 et aussi xxix, 7 et ixxix, 6j qui vient procéder au jugement messia-
iiique.
8 REVUE BIBLIQUE.

lettre, ceux qui l'avaient vue, pour savoir où elle demeurait et qui la

lirait et qui l'entendrait.


Or une roue la reçut, et elle vint sur elle, et avec elle la roue)
"'

était un signe de royauté et de direction ^- tout ce qui ébranlait ;

la roue, elle le fauchait et le coupait; elle lia en javelles une ^-^

multitude d'adversaires, puis elle combla des ileuves, et passa,


déracinant de nombreuses forêts, et traça une large route. ^^ La tète

descendit jusqu'aux pieds, parce que jusqu'au pied courut la roue,


et tout ce qui était signe était sur elle.
1^ La lettre était (une lettre) de commandement pour que soient
réunies en un seul endroit toutes les régions; apparut sur son
'''
et

sommet la tète qui fut dévoilée, le Fils véritable (issu) du Père Très-
Haut ;*" il hérita de l'univers et il le reçut, et le plan de beaucoup

fut réduit à néant. ^^'


Car tous les apostats se révoltèrent et s'enfui-

rent; et ils périrent ceux qui persécutaient et étaient irrités.


1" Or était une grande tablette, écrite par le doigt de
la lettre
Dieu entièrement -0 et le nom du Père était sur elle, avec celui du
;

Fils et de l'Esprit Saint, pour régner dans les siècles des siècles. —
Alléluia !

XXIV

^La colombe vola sur le Messie, car il était pour elle sa tète, et

elle chanta au-dessus de lui, et on entendit sa voix: -les habitants


craignirent et les sédentaires furent elfrayés. -^Les oiseaux perdirent
leurs ailes, et tous les reptiles moururent dans leurs cavernes. Les
abîmes s'ouvrirent et ils furent cachés; ils réclamaient le Seigneur
comme celles qui enfantent, '
mais il ne leur fut pas donné de nour-
riture, parce qu'il n'y avait rien pour eux.
^ Ils furent précipités dans les abîmes par le Seigneur, et ceux qui
existaient auparavant périrent par cette pensée, car ils furent anéantis ''

dès le principe, et l'achèvement de leur anéantissement, ce fut la

V. 15. les régions : mieux : tous les peuples, sans cloute ïbvr,.

y. 16. Lire )v^ au lieu de 1^.30.

V. 18. On attendrait : car tous les apostats qui s'étaient révoltés s'enfuirent.
XXIV. — V. 1. car il était pour elle sa tète; cet apparent co(i-à-ràne a une valeur mys-
tique.
T. 3 et 4. el ils furent cachés. C'est la traduction littérale de la leçon du ms. La cor-
rection suggérée par RU. : les ajjîmes qui sont cachés, est plausible, mais la construction
est bien défectueuse, comme l'a remarqué Scliulthess. Je préférerais peut-être : t ^ . m i/o :

les abîmes s'ouvrirent et ravages qu'on a décrits plus haut}, et ils ré-
considérèrent (les
clamèrent leur nourriture avec lardeur de femmes qui enfantent. La nourriture qu'ils ré-
clament en vain, c'est le Seigneur qui leur échappe par la résurrection je le crois du moins. ;
LES ODES DE SALOMON. 9

vie. ^D'entre eux fut détruit tout ce qui était défaillant, parce qu'il
n'était pas possible de donner une parole pour qu'ils subsistent, ^ et
le Seigneur a détruit les pensées de tous ceux auprès desquels n'était

pas la vérité.'' Or ils défaillirent de la sagesse, ceux qui s'exaltaient


dans leurs cœurs, et ils furent réprouvés, parce qu'il n'y avait pas
auprès d'eux la vérité,
"^Car le Seigneur a montré sa voie et a dilaté sa grâce, et ceux
qui l'ont connue (sa voie) connaissent sa sainteté. — Alléluia!

XXV
Ue me suis échappé de mes chaînes et j'ai fui vers toi, ô mon Dieu,
"'
car tu as été ma main droite, mon salut et mon aide ;
•"'
tu as con-
tenu ceux qui se dressaient contre moi '^
et ils ont disparu, car, ton
visage était avec moi et ta grâce me sauvait.
^Or j'étais méprisé et réprouvé aux yeux de beaucoup, et j'étais à
leurs yeux comme du plomb; '^mais il me vint d'auprès de toi de
la force et du secours. 'Tu m'as placé des candélabres à ma droite
et à ma gauclie, et pour qu'il n'y ait rien en moi qui soit sans

M. Gressmanii propose une autre conjecture : Au lieu de ^^c»j il lit ^^^^x^ et corrige le
reste du verset en ^ooiii-. ^o, y^i '= w; to-jç Hîo-jç]. Dans ce cas la correction o.m-^i/;
s'impose, et le sens serait : - les abîmes jusque-là cachés s'ouvrirent; ils engloutirent le

Seigneur comnie (s'ils engloutissaient) ceux qui leur appartiennent ». La restitution est
hardie, mais le sens ainsi obtenu est boiteux : il serait téméraire de l'adopter.

Enfin, au lieu de ^o^ on pourrait lire ^>Nn, et le sens serait beaucoup meilleur : « ils

crièrent vers le Seigneur comme celles qui enfantent ».

Les abîmes s'ouvrirent et ils (c'est-à-dire les méchants, probablement les mauvais
anges, dont il est question dans le reste de l'ode) furent engloutis;
Ils crièrent vers le Seigneur comme celles qui enfantent
Et il ne leur fut pas donné de nourriture,
Parce que c'était leur condamnation;
Ensuite ils lurent précipités dans les abîmes, par la submersion du Seigneur (c'est-à-

submergés jtar le Seigneur).


V. 5. Les versets suivants se rapportent sans doute à quelque théorie gnostique de la
chute des anges mauvais. « Défaillant » du v. 7 doit s'entendre dans le sens de |_l^o.> v*m--,
âypwv; comp. le v. '.).

Le sens général de l'ode est mystérieux. Nous ne sommes pas accoutumés à ce rappro-
chement entre la colombe. qui fait entendre sa voix au baptême du Christ et la descente
aux enfers. Les textes du Descen.siis ad iiiferos signalés par Harris semblent pourtant
concluants.
\.\V. — V. 2. Lire wu.j.jiQ_.j avec le copte. Au lieu de pLoîas» lire pusîaB Nj/o.
V. .3. tu as contenu : xwXCsiv (d'ai)rés le Copte).

V. 4. ils ont disparu; litt. : ils n'ont plus été vus : o^y^n >io (Schulthess d'après le Co[>te).

Grâce : '/àç)<.z, d'a[)rès le Copte).


v. 5. RH. rappelle avec raison : si; xCêôvAov sloyiaQ-/\iLtv aùxâi {Sap. Sal. ii. 16).

V. (j. D'après le copte on pourrait corriger pi;<ii.o en oj^s.© : « et elle me secourut ».

V. 7. k^v*5 d'après le copte (S.). — Au lieu de jio, lire p».


10 REVUE BIBLIQUE.

lumière. •'^J'ai été couvert du vêtement de ton Esprit, et tu as ôté de

moi les vêtements de peau. '^Or ta droite m"a élevé et a chassé loin
de moi la maladie. "^^'Je suis devenu robuste par ta vérité et saint par
ta justice, et tous ceux qui étaient contre moi ont fui loin de moi;
" [et je fus du Seigneur (j'appartins au Seigneur?) au nom du Sei-
gneurj i^et je fus justifié par sa suavité, et son repos (est) pour les

siècles des siècles. — Alléluia!


XXVI

1 Je fais jaillir (de une hymne pour le Seigneur, parce que


mes lèvres)
je suis à lui;- je profère son saint cantique, parce que mon cœur
est auprès de lui. Car sa cithare est dans mes mains, et les cantiques
'^

de son repos ne cesseront pas.


4 Je crie vers lui de tout mon cœur, je le loue et l'exalte de tous
mes membres, ''car de l'Orient jusqu'à l'Occident la louange est à
lui; '^'et du Sud au Nord lui appartient la glorification; 'et des som-
mets des hauteurs jusqu'à leur base est sa perfection.

'^Qui écrit les cantiques du Seigneur, ou qui les lit? '^ou qui peut
s'instruire du sakit, pour que son âme soit sauvée? '*^ou qui peut se
reposer sur le Très-Haut, en sorte qu'il parle par sa bouche?
'^Qui peut expliquer les miracles du Seigneur? ^-car celui qui les
expliquerait cesserait (d'exister), et deviendrait Celui qui est expli-
qué.
''Or il suffit de savoir et de se tenir en repos icar les chantres se

Y. 8. couvert : a-/.tnâ^v.'^ , fourni jmr le copie. — Les vèlenienls de peau : lire jjlx:»;

(corap. ode xxi).


V. 9. chassé; litt. : fait passer.

V. 10. dans ta ou ])ar ta vérité ^.îvjlj, avec le C. — Justice : oixatoaûvr,, fourni par le

C. Ont fui oii-»/ au lieu de Qi>-.;, d'après le C. (S.).

Le V. 11 est ne se trouve pas dans la version co]ile; il y a donc toute


dénué de sens; il

chance au texte primitif. En harmonie avec lui, les suffixes du v. 12


qu'il n'ai>partienne pas
ont été mis à la 3' personne; il serait nécessaire, si ou le regarde comme une interpola-
tion, de restituer d'après le co]ite les suffixes pronominaux de la 2" personne « et je fus :

justifié par ta suavité (le copte donne un dérivé de xpT'i<'TÔ;), et ton repos [est] pour les
.siècles des siècles ».
XXVI. — ^. 2. Plus exaclemenl : est dirigé vers lui.
V. 3. On peut traduire aussi : ne se tairont ]>as, et en lisant oi>..,i-» au lieu de ov-..oj :

les cantiques ne cesseront i>as, dans son repos. Ce rejtos est ici le « royaume ».

T. 4. de tous mes membres. Ungnad i>araphrase : « mit leib und seele ».

V. 7. base; litt. : limite.


V. 8. qui est capable de les écrire.
C'est-à-dire :

V. 11 et suiv. Harris cite des textes analogues de Lactance et de Clément d'Alexandrie.


La mystique de ce passage est très élevée. La fin du v. 13 « car les chantres, etc.. »
pourrait bien être une interpolation.
I

LES ODES DE SALOMON. 1 '

tiennent en repos .
l' comme le couis d'eau qui a une source abondante
et coule au bénéfice de ceux qui le cherchent. — Alléluia
XXVII

étendu mes mains et


ij'ai sanctifié le Seigneur,- car Textension
de mes mains est son signe, et mou extension est le bois qui est

dressé. — Alléluia!
XXVIII

Comme les ailes des colombes (sont sur leurs petits et le bec de
leurs petits vers leurs becs, -^
ainsi sont les ailes de lEsprit sur mon
cœur.- Mon cœur se réjouit et tressaille, comme un enfant qui tres-

saille dans le sein de sa mère.


^J"ai cru, c'est pourquoi j'ai trouvé le repos, car il est tidéle. celui
en qui j'ai cru. ''Il m'a béni de bénédictions, et ma tète est tournée
vers lui; le glaive ne me séparera pas de lui, non plus que l'épée;
parce que je m'étais préparé, avant que n'arrivât la perdition, et
que je m'étais placé sur ses ailes incorruptibles;" la vie immortelle
est sortie et m'a abreuvé; de son fait, son Esprit est en moi, et il ne
peut mourir parce qu'il est vivant.
^Ils s'étonnèrent ceux qui me virent, parce (]ue j'étais persécuté, et
ils croyaient que je serais anéanti, aussi leur paraissais-je comme
l'un de ceux qui sont perdus;'' mais mon oppression devint mou
salut. Or j'étais de leur mépris, car il n'y avait pas
devenu l'objet
en moi d'envie: parce que je faisais du bien à tous les hommes
^'^

j'ai été haï. '• Ils m'ont entouré comme des chiens enragés, ceux qui

dans leur inconscience marchent contre leur Seigneur, ^-parce que


leur intelligence est corrompue et leur esprit perverti.
^3 Pour moi, je retins l'eau de ma main droite, et je supportai son

XXVII. — V. 1. J ai sanctifié le Seigneur: mais on peut traduire aussi j ai consacre je les :

ai consacrées) pour le Seigneur, ou peut-être j'ai sacrifié au Seigneur. C'est même ce der-

nier sens que suggère le i>arallélisme de Iode 42, t. 1. Le texte me j-arait ici meilleur.

XXVIII. — T. 6. Au lieu de uNs., S. propose de lire ir^-il ou uco.


T. 7. Le texte n'est pas bien en ordre. Au lieu de >^finii RH. lit .«lont;, sans doute

avec raison, ^ooviio peut se rapporter à )jl. ;


plus probablement il y avait ensuite un ou
deux mots jierdus, peut-être quelque chose comme : et j'en [ai été rempli, et] l'Esprit etc..
Vivant; comparez : to rôjv TrvîCaa des manichéens, et sans doute des gnostiques an-
térieurs.
V. 10. j'ai été haï. "S. trouve l'expression insolite et préférerait t^^N^o/, j ai été rejeté;

la correction ne s'impose pas.


v. 12. perverti; c'est ainsi que je traduis .s\\^.f)n qui en dehors du contexte veut dire
surtout varié, divers.
V. 13. C'est plutôt l'amertume de l'eau que celle des adversaires. L'un ou lautre sens
est possible, car « eau v est pluriel en syriaque.
12 REVUE BIBLIQUE.

amertume grâce à ma douceur; ne péris pas, parce que je l'^je

n'étais pas leur frère, ma naissance n'était pas


puisque aussi lîien
comme la leur. Ils cherchèrent ma mort et ne réussirent pas, parce
^-^

que j'étais plus ancien que leur mémoire ^'' en vain ils se ruèrent ;

sur moi ceux qui me poursuivaient, c'est en vain qu'ils cherchèrent


;
^~'

à anéantir le souvenir de celui qui existait avant eux, '''parce que la


pensée du Très-Haut ne peut être prévenue, et son cœur est plus
grand que toute sagesse. Alléluia — !

XXIX
Le Seigneur est mon espoir, je ne serai pas confondu de son fait,
1

2car il m'a traité selon sa majesté; selon sa bonté ainsi m'a-t-il


pareillement gratifié; selon sa miséricorde il m'a exalté ;3 selon la
grandeur de sa beauté il m'a élevé.
^ Il m'a fait remonter des profondeurs du Schéol, et de la bouche de

la mort il m'a arraché. Il a humilié mes ennemis, et m'a justifié par


'

sa grâce. Car j'ai cru au Christ du Seigneur, et il m'est apparu que


*^

c'est lui le Seigneur. 'Il m'a montré son signe et m'a conduit dans sa
lumière et il m'a donné le sceptre de sa puissance '^pour que je sou-
;

mette les pensées des nations, pour humilier la vigueur des forts,
pour faire la guerre par sa parole, et remporter la victoire par sa
force. ^"Le Seigneur par sa parole a jeté à terre mon ennemi, et il
devint comme la paille qu'emporte le vent. '^ J'ai rendu gloire au
ïrès-IIaut parce qu'il a magnifié son serviteur, et le fils de sa servante.
— Alléluia!
XXX
^ Remplissez-vous des eaux de la source vivante du Seigneur, car
elle est ouverte pour vous. -Venez, vous tous les altérés, prenez la

V. 13. ne réussirent pas; la construction de Q.,>ojLf est insolite.

V. 16 et 17. Le texte est en mauvais état. En marge, nous trouvons ^.m^i qui corres-

pond d'ordinaire à Xxyy^àvEiv et a quelquefois le sens de ^aj, excussit, rejecit. Je le place


devant ..jî^ et je le lis ^.^a. ; on obtient ainsi une suite excellente. Le reste du verset
n'est pas meilleur. On en vain ceux ([ni me poursuivaient
attendrait (d'après le v. 15) :

cherchèrent à perdre celui dont avant eux. Cette dernière expression


la mémoire était
(comme celle du v. 15) ferait allusion à la jjréexistence le v. 14 n'est guère capable que ;

d'une interprétation docète. C'est un rappel de l'Ode xi\, v. 8 « elle enfanta un semblant :

d'homme. Il conlirme pleinement la traduction proposée par M-' Batiffol ; il en est peut-être
de même de l'ensendjle de l'ode, s'il s'agit de la passion du Christ que personnifie Salomon.
XXIX. — V. 1-3. « Majesté », « bonté », « miséricorde », « grandeur de beauté = [leYa-

),07rp£TC£ta », sont peut-être quatre bons éons qui procèdent du Seigneur.


V. 7. Ungnad corrige o)i.'en wii^; dans o,l; le point n'est pas le signe du féminin, mais le

signe (mal placé) qui dislingue le substantif du verbe. — v. 11. Le serviteur dont il est ici

(piestion est l'auteur lui-même. — Le sceptre de sa puissance (Ps. c\, 2).


LES ODES DE SALOMON. 13

boisson et reposez-vous auprès de la source du Seigneur, car elle est


belle et pure, et elle apaise l'ànie; ses eaux sont beaucoup plus
suaves que le miel :
'
et le rayon de miel des abeilles ne lui est pas
comparable, -^
parce qu'elle sort des lèvres du Seig^neur. et du cœur
du Seigneur elle tire son nom, 'et elle vient infinie et invisible; et
jusqu'à ce qu'elle fut mise à leur portée, ils ne lont pas connue.
Heureux ceux qui en ont bu et y ont apaisé leur soif I

XXXI

^Les abîmes se sont liquéfiés devant le Seigneur, et l'ombre a été


anéantie par son regard. -L'erreur a erré et a péri devant lui; la
sottise ne trouva pas de chemin et sévanouit devant la vérité du Sei-
gneur. '^11 ouvrit sa bouche et proclama grâce et joie: il proclama
une louange nouvelle à son nom : ^ il éleva sa voix vers le Très-Haut
et lui offrit les fils qui étaient en ses mains, 'et leur personne fut jus-
tiflée : car ainsi le lui avait accordé son Père saint. ''Sortez, vous qui
avez été persécutés, et recevez lajoie; héritez de vos Ames par la grâce,
et recevez la vie immorteUel
Ils me déclarèrent coupable quand je me tins debout, bien que je
ne fusse pas coupable, et ils partagèrent mes dépouilles, bien que je

ne fusse en rien leur débiteur. ^Pour moi, jai été patient, je me suis
tu et j'ai gardé le silence, comme si je n'étais pas ému par eux.
'Mais je me suis dressé, inébranlable comme un rocher solide, qui est
battu par les vagues et résiste. ^^ J'ai souffert leur méchanceté par
humilité pour sauver mon peuple, et l'acquérir en héritage, pour ne
'-^

pas annihiler les promesses faites aux patriarches, que j'avais promises
pour le salut de leur race. Alléluia — I

XXX. — V. 5. du cœur du Seigneur elle tire son nom. Telle est la traduction littérale.
Elle n'est guère satisfaisante. On pourrait ponctuer après oi.a\ : ^ elle sort des lè\res du
Seigneur et de son cœur, car le Seigneur est son noui ». Le sens n'est pas meilleur: ov^ol»

U'r^t jiourrait être une interpolation, en forme d'oraison jaculatoire, comme linutile ^-^.ioj

l-po; oiaotj) de l'ode xxv, 11. — t. 6. Litt. : « donnée au miliea », iv aioia.

XXXI. — V. 1. Au lieu de Jlq^^-^, lire )lq^^^ RH., F. G. S.^. — b'. .<>,Njot. serait,

d'après Gunkel, une forme passi\e a\ec le sufl". 3^ pers. fém. sing.
V. .3. son nom. C'est le nom du Très-Haut, nommé au vers et suivant: peut-être y a-t-il
eu interversion des deux lignes.
V. à. leur personne. Le texte j'orte : sa personne; mais la correction de Gunkel est
certaine.
V. 6. la joie. Peut-être faut-il lire )iov-, liberté, au lieu de |lo^.
V. 7. quand je me tins debout, c'est-à-dire quand je comparus en jugement.
REVLE BIBLIOL'E.

XXXII

^ Aux bienheureux la joie provient) de leurs cœurs, et la lumière


de Celui qui habite en eux, de la vérité qui procède - et les paroles,
d'elle-même. Or elle est affermie parla force sainte du Très-Haut, et
eUe sera inébranlable pour les siècles des siècles. Alléluia — î

XXXIII

La grâce a encore couru et elle a revêtu la perdition elle y est


^
;

descendue pour l'anéantir. ^U détruisit la destruction, de devant lui,


et il ruina tout son établissement. •'
Puis il se tint sur un sommet
élevé, émit sa voix dune extrémité de la terre à l'autre extrémité,
^et il attira vers lui tous ceux qui l'écoutèrent; et il ne parut pas
comme méchant.
^ Or une vierge parfaite se dressa, proclamant, et appelant, et
disant :
''
Enfants des hommes, convertissez-vous, et vous, leurs filles,
"
venez! Abandonnez les voies de cette perdition! Approchez-vous de
moi, et j'entrerai parmi vous et je vous ferai sortir de la perdition, '^et
je vous rendrai sages dans les voies de la vérité. Ne soyez pas détruits
et ne périssez pas! ^ écoutez-moi et soyez sauvés! car j'annonce parmi

vous la grâce de Dieu; par mes soins vous serez sauvés, et vous devien-
drez bienheureux!
l'J
Votre juge, revêtent ne seront pas maltrai-
c'est moi; ceux qui me
tés, mais ils posséderont le monde nouveau, l'immortel. " Mes élus
marchent en moi; et je ferai connaître mes voies à ceux qui me
cherchent, et je leur donnerai confiance en mon nom. Alléluia! —
XXXII. — V. 2. qui procède d'elle-même. RH. iiidii[iie le grec aOTosy/;;. La naliire di\iiie

est, d'après Lactance, aù-oçy/j;, àoiSaxTo;, ofxr.Twp. àarjséXixTo;.

XXXIII. — V. 1. re\ètu. Le texte porte lu^^ji, abandonné. Par analogie a\ec xxii, 11,

S. corrige très heureusement toLjsi..

V. 4. La fin n'est pas satisfaisante. Par analogie a\ec d'autres passages, je lirais : « et il

leur ai>|>arut comme le chef (la tète) » jjuj ^.i ^oi^ w)-.l/. On aura d'abord transcrit Iè.^

l>our 1^;, puis changé yooi:^. en [i. pour éviter tout ensemble un non-sens et un blas-
phème.
V. 6. Lire ^l, a\ec F., plutôt (jne ^l, \i\ez.

V. 10. Lire : (La- (i. (U.).

V. 11. On traduirait mieux : ô mes élus, marchez eu moi. car Qjîi.O) = ils ont marché.

Rien n'empêche d ailleurs de conjecturer ^oai^ow : marcheront; le texte est assez négligem-
ment coiiié en cet endroit, comme la déjà remarqué S.
LES ODES DE SALOMON. l!i

XXXIV

Ul n'y a pas de route pénible là où le cœur est simple, -ni de


blessure dans les pensées droites, ni dourasaii dans la profondeur
d'une pensée illuminée. ^Là où se trouve de tous côtés la vérité, rien

n'y est discordant. 'Pareil à ce qui est en bas est ce qui est en haut,
car tout est en haut: il n'y a rien en bas; si ce n'est une apparence
jDour ceux en qui ne réside pas la science. ^ La grâce a été révélée
pour notre salut. Croyez, et vivez, et soyez sauvés! — Alléluia.
XXXV
* La rosée du Seianeur ma ombrag-é paisiblement; "un nuage de
paix ii a dressé au-dessus de ma tête, qui m'a préservé en tout temps,
•^et devint pour moi le salut.

L'univers fut ébranlé et secoué: ^il en sortit de la fumée et une


odeur nauséabonde. Pour moi. dans le commande-
j'étais tranquille
ment du Seigneur, -'et il fut pour moi plus qu'une ombre et plus
qu'une fondation.
6 Comme un enfant lest par sa mère je fus porté par lui . et la rosée

du Seigneur m'allaita; 'puis je fus élevé grâce à son don et doté

XXXIV. — V. 4. vérité. Le texte porte : beauté, ijiii n'a guère de sens. Il sullit de
corriger y^^^six en |;;ji. — -,;s'^-â,
douteux, hésitant: mais ici idutôt : discordant, iî-Ja-
ÇUVOv.
V. 5. si ce n'est ce qui narait. C'est-a-dire : i>our le gnostique, il n'y a que du beau, du
vrai et du bien: mais celui qui ne possède pas la gnose j'ercoit dans le monde ^et parti-
culièrement dans l'humanité du Christ, dans sa Passion du mau\ais, de l'inférieur: pure
apparence qui ne trompe pas un esprit averti.
XXXV. — V. 1. La rosée. Il s'agit ici d'un nuage de rosée, comme le )irou\e le v. 2. —
Paisiblement; littéral. : en repos, -l; àvirxjTtv.
V. 3. Au lieu de |
'"j ^a- : lire |j.i5îa3o.

V. 4. yoovJ.io est incompréhensible si l'on ne songe 1)35 à un texte grec. Ta T.i-j-oi i-jt-.a^r,

xaî £(îa).£-j6r/ xai i;r,/6îv è* xjtwv. etc.. Ces deux derniers mots seraient au pluriel, jiarce
qu'ils se rapportent à tœ TrivTa, tandis que les verbes qui précèdent seraient au singulier
en vertu des lois grammaire; de la le traducteur syriaque aurait copié ser\ilement.
comme il arrive fréquemment.
Une odeur nauséabonde, ^.-jo au lieu de )-l^>o. brillante conjecture de Gunkel, au

lieu de : et le jugement. Mais elle n'est peut-être pas nécessaire. Il suflirait de lire |_i-»>

au lieu de |_l,;o : « la fumée du jugement '. (-.po; ooa,^!!^ ofl're un sens acceptable :

' dans le précepte du Seigneur-i-. Mais le mot est rare dans cette acception, et il détonne
ici. .Je corrigerais ©oo^t^va^ : iv '/ôyto toO y.-j'J.o-j, expression consacrée, et bien en situa-
tion.
v. h. Au lieu de « fondation ". Gunkel croit à un original grec xpijîtt;, mur protecteur,
c'est-à-dire mur épais qui procure de l'ombre; la métaphore se conçoit en Orient.
V. 7. je fus doté de sa consécration : àvTïÀagov zf,; TïXîtûcîw; aÙTo-j. Le sens ne me
16 REVUE BIBLIQUE.

de sa consécration; '^et j'étendis mes mains dans l'ascension de mon


âme; je me dirigeai vers le Très-Haut, et je fus sauvé auprès de lui.
— Alléluia !

XXXYI

^ Je me suis reposé sur l'Esprit du Seigneur, et il ma porté sur la


hauteur;- il ma
dressé sur mes pieds sur la hauteur du Seigneur,
devant sa perfection et sa majesté, tandis que je loue selon l'ordon-
nance de mes cantiques.
3 II m'a engendré devant le visage du Seigneur, et bien que je
fusse un homme, j'ai été appelé le brillant, le fils de Dieu. 'Cepen-
dant que je loue parmi ceux qui louent, et que je suis puissant parmi
les puissants.
^ Car selon la grandeur du Très-Haut, ainsi il m'a créé, et selon sa

nouveauté il m'a rénové, et il m"a oint de sa perfection, 'et je devins


l'un de ses proches.
Et ma bouche s'ouvrit comme un nuage de rosée; mon cœur ''

répandit comme un torrent de justice, ^ ma présence fut dans la


paix, et je fus affermi par l'esprit de sa Providence. Alléluia — 1

XXXVII

U'ai étendu mes mains vers le Seigneur, et vers le Très-Haut j'ai


élevé ma voix. ~ J'ai parlé par les lèvres de mon cœur, et il m'a
entendu, ma voix atteignant jusqu'à lui. ^ Sa parole est venue vers
moi, qui me donna les fruits de mes travaux, et me donna le repos
par la grâce du Seigneur. — Alléluia !

parait pas douteux. Il est consacré avant d'offrir le sacrifice : « J'étendis mes mains ».

On remarquera (jue ce sacrifice, qui est celui de la croix, coïncide, comme en d'autres
endroits des odes avec l'ascension-résurrection. Docétisme itrobable.
XXXVI. — V. 1. Tous les \erbes jusqu'à la dernière phrase du v. 5 exclusivement son!
au féminin. Le sujet est donc 1' « Esprit », féminin en syriatiue. — Gunkel ])ense «[ue u se
reposer » é(iuivaut au grec y.aOiîJedTat.
v. 2. Le syriaque porte : de ses cantiques. Sui\ant Gunkel le texte grec avait èv xaTa-
ffxeuîi Twv 'i'aîjjLtôv ([ue le traducteur aura faussement paraplirasé : ses psaumes, au lieu

de : mes psaumes. En tout cas, la correct io-n s'impose.


Dressé, comp. 6 lertrixô; (Apoc, v, 6).
v. 3. le brillant = çwteivo;, ôyvaToî ou tj/upoi (Ps. cm,
épitbète des éons; les puissants :

20; Hermas, Sim., Les puissants sont les mêmes «jue ceux (jui louent, el
ix, 4. s.) (G.).

sont tout proches du Seigneur (v. (i). Conception familière aux écrits plus réfcents de
r.\ncien Testament et aux a|)ocaly[)ses.
V. 6. l'un de ses ]iroches, ou l'un de ceux «pii sont présents de\ant lui.
V. 8. ma présence fut dans la paix, c'est-à-dire «juand je m'approciiai, je fus accueilli
:

pacifiquement.
Providence; littéralement : gouvernement, olxovo(j.{a.
LES ODES DE SALOMOX. il

XXXVllI

Ue suis monté sur la lumière de la vérité comme sur une voiture;


21a vérité m'a conduit et m'a porté, m'a fait passer i^. ^>récipices et

les crevasses, et m'a sauvé des rochers et des ravins; "elle me devint
un port de salut et me plaça sur les bras de la vie immortelle.
^Elle marcha à mes côtés pour me rassurer et ne me laissa pas
errer, parce qu'elle est la vérité; ^je n'encourus pas de péril, parce
qu'elle marchait à mes
aucunement, parce que jo
côtés. "^Je n'errai
lui obéissais, car l'erreur fuyait loin d'elle et ne lui résistait pas.

^Or la vérité marcha dans la voie droite, '^et tout ce que je ne con-
naissais pas, elle me le montra tous les poisons de l'erreur et les :

supplices des condamnés et l'horreur même de Ja mort. '^.l'ai vu le


corrupteur de la corruption, tandis que se parait la fiancée corrom-
pue et l'époux corrupteur et corrompu. '" Et j'ai demandé à la vérité :

« Qui sont ceux-ci? » et elle me dit : « C'est le séducteur et la séduc-


tion; ^1 ils ressemblent à l'amant et à sa fiancée. Ils induisent le monde
en erreur et lecorrompent 12 ils invitent beaucoup de gens au ban-
;

^^
quet et leur donnent à boire leur vin enivrant, en sorte qu'ils
vomissent leur sagesse et leur conscience; ils leur font perdre la rai-
son. *+ puis les abandonnent; or ceux-ci courent ici et là, enragés et
nuisibles, car ils n'ont pas de cœur, et ils n'en cherchent même pas. »
'5 J'étais averti, aussi ne tombé-je pas entre les mains du séducteur;

XXXVIII. — \. 1. G. ^oud^ait qu'on lise : « la ^oitu^e de la ^é^ité ». Inutile.

V. 2. Corr. v^-_3^(.

V. 3. port de salut, p^^oi., ou autrement : « instrument (moyen) de salut ».

V. 4. à mes cotés; littéralement : avec moi. De même au v. 5.

V. 6. oti.. Corr. : dji..

V. 8. La lin n'a guère de sens. Le ms. veut dire : « ceux qui croient (fue la douceur est de
la mort » (?). On corrige 11.0..^^; en iioi.*-., terreur, horreur; le sens est un peu meilleur,
mais la construction est impossible. RH. traduit ^^:axo par « announce »; mais il faudrait
le pa'èl : y;imv>. Au lieu de ^v^jj», je lirais ,^-, .m->, les condamnés, les damnés :

licLsoj .-o) |LQi..^;o ^;« m -^» v.<^o,; )v.^o. Quoi qu'il en soit, le ms. est ici en mauvais état.
V. 9. le corrupteur de la corruption. S'il n'y avait pas de suffixe, on serait tenté de
corriger : le corrupteur et la corruption. G. propose la correction i
in-.s^ , dont je ne
saisis pas l'utilité. — Au lieu de ( et l'époux », il vaudrait mieux lire « pour l'époux »,
i< en l'honneur de l'époux », pis^-x; faute de quoi ce sujet reste sans verbe.
v. 13. leur vin enivrant: littéralement ; le vin de leur ivresse. Toute cette description
du V. 7 au V. 15, rappelle singulièrement la peinture que faisaient les Manichéens de la
situation des « iils ou princes des ténèbres ». quand ils eurent remporté la victoire sur

les bons éons et le premier homme; ces éléments ont d'ailleurs été empruntés par eux à
des systèmes gnostiques antérieurs.
V. 14. ^vxLâ, heureuse correction de RH.
v. 17. G. propose d'entendre o,^; \>o, dans le sens de -1 Sy (Néhémie, m, 4, 7, 8;, à
UEVLE BIBLIQUE 1911. — N. S., T. VIII. 2
18 REVUE BIBLIQUE.

et je me réjouis pour mon âme, parce que la vérité était venue avec
moi;^'^ or je fus affermi, je vécus et je fus sauvé. ''Mes fondations
furent placées par la main du Seigneur; car c'est bien lui qui m'a
planté :
'^ c'est lui qui a placé la racine, l'a arrosée, afifermie et
bénie, et ses fruits existent pour l'éternité. *^ Il l'a enfoncée. Ta fait

monter et croître; et l'a remplie (de sève , et elle est devenue grande.
~" Au Seigneur seul revient la gloire de sa plantation et de sa culture,
de ses soins et de la bénédiction de ses lèvres, 2' de la belle planta-
tion de sa droite, de la beauté de sa plantation et de la notification
de sa pensée. — Alléluia !

XXXIX
Semblable à de puissants cours d'eau est la force du Seigneur;
^

^ ceux qui le méprisent condamnent leurpropre tête, embrouillent


et
leurs démarches et détruisent leurs passages, abîment leurs corps et
-^

perdent leurs âmes. ^Car ils (les torrents; sont plus rapides et plus agiles
que l'éclair; mais ceux qui les traversent par la foi ne sont pas
ébranlés; ceux qui y marchent sans tache ne seront pas troublés,
"*

parce qu'il y a au milieu d'eux un signal, c'est le Seigneur; "et le


signal sert de route à ceux qui traversent au nom du Seigneur.
'Revêtez donc le nom du Très-Haut et connaissez-le, et vous tra-
verserez sans péril, car les torrents vous seront soumis.
^Le Seigneur y a fait un pont par sa parole, il a marché et il les a

traversés à pied; '


ses traces sont fermes sur l'eau et elles ne sont pas
effacées, mais elles sont comme du bois qui est solidement fixé, ^"et d'ici
et de là s'élèvent les vagues; mais les traces de Notre-Seigneur Christ
sont fermes et elles ne sont pas effacées ni détruites;
i'
le chemin a

été fr lyé pour ceux qui passent après lui, pour ceux qui parfont le

chemm de sa o et adorent son nom. Alléluia — I

côté de. èr:-. yt'.oy.. H es peut-être plus simple de corriger eu o,^\^, par la main du Sei-
gneur, ce ([ui s'accorde mieux a\ec les \ersets suivants.

21. Au lieu de |Lfi...->t, lire |i. o ... >« >.;.

XXXIX. — V. 2. Mol à mot : " portent leur tête en arrière », « tordent leur démarche «

(tiUibent .

on traduirait aussi bien


V. 3. passages; leurs démarches: le sens de « gué » me parait :

exclu. Tous ces termes décrivent la position dun homme qui traverse une rivière au
courant impétueux. Un peu plus loin, il y a un signal pour indiquer le gué ce signal, :

c'est le Seigneur.
V. 8 et suiv. S. croit qu'il s'agit de la marche de J.-C. sur les eaux; c'est fort probable.

v. 9. solidement; c'est ainsi que je traduis lîjju; il serait possible que ce mot ait encore

un sens plus technique : il s'agit de planches assemblées et fixées qui forment une sorte

de pont.
v. 10. traces : litt. : talons.

v. 11. parfont; ou : qui adhèrent, c'est-à-dire qui prennent le chemin de sa foi.


LES ODES DE SALOMON. 19

XL

' Comme le miel découle du rayon des abeilles, ~ comme le lait


coule de la femme qui aime ses enfants, -^
ainsi également mon espoir
est en toi, ô mon Dieu.
'^
Comme la source fait jaillir ses eaux, ^ ainsi mon cœur fait jaillir la
louange du Seigneur et mes lèvres émettent pour lui une louange, et
ma langue des cantiques. *^Mon visage exulte dans sa joie et mon
esprit exulte dans son amour.
En lui mon âme rayonne, "eu lui la crainte devient confiante; en
lui le salut est assuré; ^son héritage est la vie immortelle, et ceux qui
la reçoivent sont sans corruption. — Alléluia !

XLI

I
Qu'ils louent le Seigneur, tous ses enfants, et qu'elle les rassem-
ble, la vérité de sa foi, ~ et que ses enfants se manifestent à lui; c'est
pourquoi nous chanterons dans son amour. ^ Nous \dvons dans le Sei-
gneur par sa grâce, et nous recevons la vie par son Christ.
^Un grand jour, en effet, a lui pour nous, et admirable est celui qui
nous a donné de sa majesté. Réunissons-nous donc ensemble au nom
''

du Seigneur; honorons-le dans sa bonté; illuminons notre visage de


sa lumière, et que nos cœurs méditent son amour nuit et jour.
''Exultons de l'exultation du Seigneur!
^ Qu'ils s'étonnent tous ceux qui me voient, parce que je suis dune

autre race. ^ Le Père de vérité s'est souvenu de moi, lui qui me


possédait dès le principe. ^" Car sa plénitude ma engendré, ainsi
que la pensée de son cœur.
II
Son Verbe est avec nous pour toute notre route ;
'- le Sauveur qui

XL. — V. 5. fait jaillir; litt. : vomit.


V. 8. son héritage. Le motpjio^ peut avoir ce sens; on peut d'ailleurs le conijjer en puo^.
\in>n
|i = ciàôoxoçou SiaôoxTj ; le suffixe se rapporte à la vie. En donnant à pHo- son sens
ordinaire : ce qui déborde, tô KzoKaaz-'jfi-i , sou flot, il faudrait donner à |
.x .s ^ v^ j^ g^^.^^ ^[^,

réservoir, bassin, et changer peut-être le suffixe en celui de la 3"= pers. masc. sing. <i Sou
flux est la vie iuiinortelle, et son réservoir est l'immortalité ». Ce sens est aussi plausible
que le premier.
XLI. — V. 1. Le second membre de phrase doit être corrigé. S. propose ^ops^ru ou o.oj,
qu'ils célèbrent ou magnifient la vérité de sa foi, mais le suffixe \ ne serait-il pas néces-
saire? Par analogie avec le v. 5, je préférerais lire ^; \sx.aua.

Le mot Parole, ici comme au v. 15, signifie évidemment Logos. Nous avons dans
T. 11.
cette ode, un beau dialogue spirituel entre les chrétiens et le Verbe Rédempteur.
20 REVUE BIBLIQUE.

sauve nos âmes, loin de leur nuire, ^^ Thomme qui s'est humilié et
a été exalté par sa justice, *^le Fils du Très-Haut est apparu dans la
perfection de son Père ;
^^ une lumière a lui du Verbe, qui était en
lui dès le Principe.
^^ Le véritable Messie est unique, et il a été désigné avant la créa-
tion du monde ^'pour sauver lésâmes à jamais- par la vérité de son
nom. Un cantique nouveau, de ceux qui l'aiment! — Alléluia!
XLII

1étendu mes mains et je me suis consacré au Seigneur; ~ l'exten-


J'ai

sion des mains en est le signe, l'extension du bois étendu où a été -•

pendu, sur la route, le Juste. ^ J'ai été sans utilité pour ceux qui ne
m'ont pas saisi, mais je suis auprès de ceux qui m'aiment. ^Ilssont
morts, tous mes persécuteurs, mais ils me prient, ceux qui croient en
moi, parce que je suis vivant.
•^Je suis ressuscité, et je suis avec eux et je parle par leur bouche;
"or ils ont méprisé ceux qui les persécutaient, '^
car j'ai jeté sur eux
le joug de mon amour. Comme le bras du fiancé sur sa fiancée,
''

^^ ainsi est mon joug sur ceux qui me connaissent, Comme la tente de '^

fiançailles qui est étendue chez le fiancé, ainsi est mon amour sur
ceux qui croient en moi.
12 Je n'ai pas été réprouvé, quand même j "ai semblé lètre; ^^ je nai
pas péri, bien qu'ils m'aient condamné. Le Schéol m'a vu et a
^^

été vaincu; '-'la mort m'a laissé retourner, et beaucoup avec moi.
'J'ai été pour elle fiel et vinaigre et je suis descendu avec elle,

autant qu'il y avait en lui (le Schéol) de profondeur. "^ Elle a détendu
les pieds et la tète, parce qu'elle n'a j)as pu supporter mon visage.

XLII. — V. 1. Le texte de cette ode intéressante est malheureusement corrompu. Au lieu

de Nj'^ol/, g. lit Na^l/ jiar analogie avec ode xxvii, v. 1. c^volI pourrait d'ailleurs signifier :

« j'ai sacrifié ».

V. 2. G. corrige : ia^.,^iiao )— îo/.... |j_>i : corrections excellentes.


ceux qui ne mont pas saisi. Ne serait-on pas en face d'une allégation docète.'
V. 4.
Ceux qui ont arrêté le Seigneur et l'ont crucifié ne l'ont pas saisi en réalité, ni crucifié;
ils se sont acharnés contre un corps-fantôme (voir les vv. 13-15). Je suis auprès de
ceux, etc c'est-à-dire : je leur suis utile.

V. 11. Lire pN- au lieu de pN-.


V. 15. vaincu; litt. : a été mis à mal; ÈxaxwOTi; c'est-à-dire : s'est trouvé trop faible pour
me retenir.

V. 17. avec elle (la mort) ; en lui (le Schéol), mais corriger le suffixe : ou (S.).

V. 18. C'est la mort qui est sujet. Elle maintenait rigides les pieds et la tète du cadavre
(ou des cadavres); elle a drt les détendre, pour qu'ils puissent revivre; le regard du Sau-
veur la met en fuite. — a-a*/; lire ,>.aji(S.).
LES ODES DE SALOMON. 21

19 tenu une assemblée de vivants parmi ses morts, et je leur ai


J'ai

parlé avec des lèvres vivantes, -"^en sorte que ma parole ne fût pas
vaine. 2' Ils ont couru vers moi ceux qui étaient morts; ils ont crié et
dit « Aie pitié de nous, Fils de Dieu, et agis avec nous selon ta
:

grâce; -fais-nous sortir des liens des ténèbres, et ouvre-nous la


porte, pour que par elle nous sortions vers toi. Car nous voyons --^

que notre mort ne s'est pas approchée de toi. -^Soyons sauvés, nous
aussi avec toi, parce que tu es notre Sauveur. »
''
Pour moi. j'entendis
leur voi.x:, et je traçai mon nom sur leur tête; c'est pourquoi ils sont -''

libres et m'appartiennent. — Alléluia!


T. 19. ses morts : morts qui appartiennent à la mort.
les
V. 20. Si sa parole eût été celle d'un mort, elle n'aurait eu aucune efficace: mais il était

ressuscité le premier, et d'ailleurs n'avait pas été réellement touché par la mort.
T. 22. Peut-être ;ooû., avec toi, serait-il mieux en situation que ^loi. (S.).

V. 23. notre mort qui nous a frappés, et nous domine. Ainsi le Seigneur ne
mort : la

serait pas réellement mort ? ]\'ouvelle paraphrase docéte de o mors, ero mors tua.
\. 25. je traçai mon nom. Le ms. porte i!o.iQjLj, peu lisiblement du reste. RH. conjec-

ture EoQjif. Le sens est : « je scellai leur tète de mon nom ».

J. Labourt.

INTRODUCTION ET COMMENTAIRE

Le texte des Odes de Salomon, que Ion vient de lire dans la tra-
duction française de M. Labourt, appelle une introduction et un com-
mentaire historiques, que Ion me permettra de présenter ensemble
dans les pages qui vont suivre.

I. — Tradition du texte.

J. Rendel Harris s'explique en termes un peu énigmatiques sur


M.
lemanuscrit syriaque où il a trouvé le texte des Odes de Salomon :
Cems.. dit-il, vient du voisinage duTigre. La provenance des mss. est
ainsi quelquefois entourée de discrétion, les gens qui les vendent
pouvant avoir des raisons de réclamer l'anonyme. M. Harris acquit
le dit ms. et le garda environ deux ans sur les rayons de sa biblio-

thèque avant de le publier, ce qui reporte l'arrivée du ms. en Angle-


terre aux entours de 190G.
Le ms. est lacuneux en tête et à la fin. il a donc perdu son titre et sa
signature. Il doit avoir, selon M. Harris, trois ou quatre cents ans de
date. C'est un ms. de papier, comptant 56 feuillets manquent trois :

feuillets à la première main, un feuillet à la sixième, chaque main étant


de dix feuillets. Le ms. est censé contenir les Psaumes de Salomon. les-
22 REVUE BIBLIQUE.

quels sont au nombre de dix-huit, comme on sait. Dans lems. de Harris


ils sont numérotés 43-60, et sont précédés de 42 psaumes autres que
les Psaumes de Salomon et constituant avec eux une collection indi-
vise. Ces 42 psaumes étaient inconnus jusqu'ici. M. Harris a pensé
tout de suite aux Odes de Salomon, qui, dans l'ancienne littérature
chrétienne, avoisinent les Psaianes de Salomon, et la suite a vite jus-
tifié cette identification.

Lactance écrit :

Apud Solomonem ita scriptum est : Infirmatus est utérus virginis et accepit filium,

et gracata est et facta est in multa miseratione mater virgo.

Ainsi s'exprime VEpitome des Divinae instilutiones (1). Le texte des


Institutiones donne la référence exacte :

Solomoii in ode nndevicesima ita dicit : Inpmatxis est utérus virginis et accepit
filium, et gravata est et facta est in multa miseratione mater virgo (2).

Cette citation d'un prétendu texte de Salomon, après avoir intrigué


les premiers éditeurs, avait arrêté M. Harnack en 1893. Cette dix-
neuvième ode de Salomon était pour lui un apocryphe chrétien, il
n'était pas allé plus loin alors (3). Aujourd'hui la source de Lactance
est tirée au clair, grâce aux "^ 6-7 de la xix" Ode de Salomon :

^ VEsprit étendit ses ailes sur le sein de la Vierge, et elle conçut et enfanta, et elle

devint Mère Vierge avec beaucoup de miséricorde ;"' elle devint grosse et enfanta
un fils sans douleur. .

M. Labourt a proposé une explication ingénieuse des bévues du texte


latin de Lactance; quoi qu'il en soit, l'emprunt n'est pas douteux,
et nous sommes en mesure, grâce à Lactance, d'identifier le recueil
nouveau avec les Odes de Salomon qu'il a connues. Comme Lactance
savait le grec, on peut supposer qu'il n'a pas commis les méprises
que nous constatons dans sa citation, mais qu'il a pris la dite citation
dans une traduction laline préexistante.
Nous avons un autre repère de l'existence des Odes de Salomon, à
ilne date antérieure à Lactance, dans la Pistis Sophia, qui, comme on
sait, ne s'est conservée qu'en copte (dans un ms. du Y-\V siècle), mais

était dans son original grec perdu une œuvre gnostique, vraisem-
blablement égyptienne, de la seconde moitié du m" siècle. Le person-
nage qui porte le nom de « Pistis Sophia » y exprime ses sentiments
ou ;j.srâvc'.a'. aux différents degrés de son ascension hors du chaos. Le

(1) Lactant. Epilome, 39 (éd. Brandt, 1890, p. 715).

(2) Lactant. Divin. Insl. IV, 12, 3 (|i. 310).


(3) Gesch. d. altchr. Lit., Ueberiieferung (Leipzig 1893), p. 851,
LES ODES DE SALOMON. 23

Seigneur raconte l'ascension de « Pistis Sophia et cite ses ;j.£T2vc'.a'. ou >>

hymnes, puis il en demande le sens à ceux qui Técoutent, les apô-


tres et les saintes femmes, et ceux-ci répondent en expliquant les pa-
roles de « Pistis Sophia » par un texte prophétique des psaumes (les
psaumes canoniques, s'entend]; mais parmi les psaumes ils citent cinq
« odes » qu'il attribuent à Salomon et dont la canonicité ne semble pas

avoir fait question pour l'auteur de la Pistis Sophia. MM. Ryle et James
avaient appelé lattention, en 1891, sur ces prétendues odes salomo-
niennes, estimant qu'elles n'avaient pas été composées par l'auteur de
la. Pistis Sophia, mais seulement citées par lui; ils publièrent une

soigneuse traduction des cinq odes ainsi conservées par la Pistis


Sophia, 1^1 1. M. Harnack, en 1891 étudiant aussi la Pistis Sophia, arri-
vait à la même conclusion que MM. Ryle et James, à savoir, que l'au-
teur de la Pistis Sophia avait trouvé les cinq odes toutes faites, qu'il
les avait au canon de l'Ancien Testament,
trouvées incorporées
qu'elles dataient au plus tard du milieu du second siècle, et qu elles
pouvaient même être plus anciennes '^2).
La façon dont les cinq odes sont citées dans la Pistis Sophia àoit être
remarquée. La première qui est citée est citée par Salomé « Tua vis (3) :

è^upoo-^TcU'Ev olim per Solomoneni dicens.., » Suit notre Ode\., 1-9. La

seconde par la Vierge Marie « Tnavis/uminis ï-pzzr-z'jzv^ dehis verhis


:

olim per Solomonem in eius décima nona ode et dixit... » Suit une ode
qui n'est pas notre Ode xix. La troisième par saint Pierre « Tua vis lii- :

minis àzpcçr.TSj-Ev oliïn per Solomonem ineius woxîç ... » Suit notre Ode
VI, 7-17. La quatrième par saintThomas « Tua visluminisï-zzzr-.t-jzvi :

olim, per Solomonem filium David in eius woaTç... » Suit notre Ode xxv,
1-11. La cinquième enfin par saint Mathieu « Tua vis luminis ït.ç,z- :

zrr.i-jzvi olim in i)y^^ Solomonis... » Suit notre Ode xxii. 1-12 (i). Les
psaumes canoniques ne sont pas introduits différemment « Tua vis :

luminis è-p^^r.Tsvjsv olim per David... » Suit le psaume xxix^ 1-3. Et


ainsi des autres citations.

(1) H. E. Ryle et M. R. James, Psalms of the Pharisees commonly called ihe Psalms

of Solomon (Cambridge 1891), p. 155-160. Ces cinq odes avaient élé publiées antérieurement
par Woide, par Munter, par Ideler, par Ublemann, par Scliwartze et Pelermann. Ryle-
James, p. 155. On les a eues depuis dans l'édition de la Pisds Sophia par C.Scbmidt, A'o;;;/.sc/2-
fjnostische Schriften, t. I (Leipzig 1905), p. 73,75, 85, 97, 101.
(2) A. Harnack, Ueberdasgnos/ische Buch Pistis Sophia Le\piigl89V. p. 45.Bardenhe\ver,
Geschichte der alth. Litt., t. I « Im ersten und zweilen Bûche
Freiburg 1902), p. 328 :

werden fiinf sdlomonische Oden citiert, welche in den Augen des Verfassers dieselbe Digni-
tat besitzen wie die davidischen Psalraen ».

(3; Le mot f/.s, plus exacteraeal vis /«?/ii'/i('.s 'Liclitkraft), désigne un attribut divin.. Dieu
révélant sa vérité à ses prophètes.
(4j Ryle et James, p. 156-159. Harnack, P5a?//(6uc//, p. 3-5.
24 REVUE BIBLIQUE.

La mention d'une ode xix qui nous manque a été pour M. Hari is un
trait de lumière. Il a conjecturé, en efifet, que les Odes de Salomon
étaient dans le recueil de l'auteur de la Pistis Sophia annexées aux
Psaumes de Salomon, lesquels sont au nombre de dix-huit l'ode xix :

était ainsi Fode i, qui justement fig-urait dans les pages qui manquent
en tête au ms. syriaque de Harris. M. Harnack souscrit pleinement à
la brillante conjecture de l'éditeur anglais (1).
Nous n'avons pas lieu d'insister davantage ici ce point est acquis, :

que l'auteur grec de la Pistis Sophia au m* siècle a remployé cinq de


nos Odes de Salomon, et que ces Odes faisaient partie de son Ancien
Testament.
La tradition du texte des Odes de Salomon a un troisième repère, ce-
lui que nous donnent les anciennes stichométries. La sticliométrie du
codea Alexandrinus (v® siècle mentionne les dix-huit psaumes de Sa-
lomon {Wa\\j.z\ ScÀc[j.tovTcç lY) ), mais ne dit rien des odes. Au con-
traire, la Synopsis sanctae Scripturae du pseudo-Athanase (vf siècle)
mentionne les deux recueils apocryphes ensemble et comme s'ils fai-
saient bloc: Wy.\\j.zl y.x'i (ooY) (pour wsaî) SsXctj.wvToç. La même indica-
tion, plus complète cependant, reparaît au commencement du
ix^ siècle dans la stichométrie de Nicéphore ^aA[;,oiy.aicooai 2!oao[j-wv- :

Toç axr/. ^p' soit 2100 stiques (2) pour les deux recueils ensemble (3).
M. Harris calcule que les dix-huit Psaumes de Salomonïoni 950 stiques i

restent 1150 stiques pour les Odes, « ce qui est suffisamment exact
pour vérifier que les odes nouvellement découvertes sont celles dont
parle Nicéphore (4).
En résumé, l'histoire littéraire des Odes de Saloinon, abstraction
faite du manuscrit syriaque (xvi° siècle) qui vient de nous en rendre
le texte, se réduit 1" au signalement qu'en donne, au ix* siècle, le pa-

triarche de Gonstantinople Nicéphore 2" à la mention qu'en fait le;

(1) Harris, p. 20. Har>'ack, p. 5.

(2) le a-ziypz, mesure de longueur employée par


Je n'apprends à aucun de nos lecteurs que
les copistes grecs pour la prose, équivaut à un vers hexamètre, soit à peu près, d'après le
calcul de C. Graux, à trente-six lettres.
(3) NiCEPHOR. Ojniscula hislorica [éd. deBoor, 1898), p. 132-135.

(4) Harris, p. 5. Harnack, p. 7.



Dans le Testamenlum D. N. Jesu Christi.éd. Rahmani
Mayence 1899), p. 55, on trouve une description de la psalmodie de Laudes on chantera des :

psaumes et quatre cantiques, l'un celui de Moïse, les autres de Salomon et des prophètes.
Le cantique de Moïse s'enlend du Cavlemus Domino A'ExoiL xv, 1-21 ou de Deut. xxxii,
1-43 ; les cantiques des prophètes, du cantique d'Habacuc, d'Anne, d'Ézéchias, disaïe, de Da-
niel, qui nous servent encoreà l'office de Laudes. Mais « les autres de Salomon»? Rahmani
(p. 208) y voyait le psaume lxxi : Deus iudichnn tuum régi do. Dans le Journal oftheo-
logical studies, octobre 1910, p. 30-31, M. J.-H. Bernard propose d'y voir nos Odes de Sa-
lomon.
LES ODES DE SALOMON. 2o

pseiido-Athanase. au \f siècle; 3" à une citation de Lactance. au


IV' i° à cinq citations de l'auteur grec de la Pistis Sophia, au
siècle ;

iTi^ La citation de Lactance présuppose une traduction latine.


siècle.
De ces quatre attestations on peut inférer, de plus, que les Odes de Sa-
lomon ont été, un moment donné, incorporées au canon de lAncien
Testament Nicéphore et le pseudo-Athanase les désignent comme
:

des àvTiAEviy.Eva:, des apocr^'phes; à supposer que Lactance ne les prit


pas pour canoniques, il les tenait pour authentiques au moins autant
que les Oracula sibyllina; l'auteur de la Pistis Sophia, en Egypte,
ne doutait pas plus de leur canonicité que de la canonicité des vrais
psaumes. Il est vrai que l'auteur de la Pistis Sop/iia n'appartenait
pas à la grande Église.
M. Harris croit retrouver une trace encore des Odes de Salomon dans
Clément d'Alexandrie. On lit. en efiFet, dans le Protreptique une citation,
que personne n'a identifiée, ainsi conçue Zj vzpsT 7.<.^7.z7. 7.y\ xj/.bç -/.al :

vabç ï\j.z'.. Car tu es une lyre, une flûte, et un temple, pour moi (1). Cette
citation est introduite par quatrelignes où Clément exprime le sujet qui
prononce cette sentence, et qui n'est autre que le Christ Cehii qui : (f

est né de David et qui est avant lui, le Verbe de Dieu », a dédaigné


les instruments inanimés, la lyre, la cithare, mais le monde et ce
microcosme qu'est l'homme en qui il accorde l'àme et le corps au
saint Esprit ) lui servent à chanter à Dieu, et il s'adresse à cet instru-
ment même qu'est l'homme, et il lui dit : Zj -{y.z û y.-.Oipa. . . Nous avons
là une un psaume
citation poétique, écrit M. Harris, prise sans doute à
primitif ou à un hymne, un hymne, on peut
et, si elle est prise à
croire que cet hymne est une de nos Odes de Salomon. Ne lisons-
nous pas ('xiv, 8) c Ouvre-moi la cithare de ton Esprit saint, pour
:

que je puisse te louer dans tous les modes ». et encore vi, 1-2 1 :

« Comme la main se promène sur la cithare et les cordes parlent, ainsi

parle en mes membres l'esprit du Seigneur » ? L'emprunt de Clément


d'Alexandrie pourrait avoir été fait à l'ode ii qui nous manque d..
Ces rapprochements ne sont pas négligeables, ils ne constituent ce-
pendant pas une preuve la brillante hvpothèse de M. Harris, dirons-
:

nous (3), énonce seulement une possibilité. M. Harris d'ailleurs ne la


prend pas autrement.
La rencontre qu'on a cru saisir entre Y Ode iv, 9 u Tu nous as :

donné ta communion, non pas que tu eusses besoin de nous, c'est nous
qui avions besoin de toi », et saint Irénée écrivant :

In quantum enim
(1 Clément. Protrept. l, 5, 2-3 édit. Staehlin, 1905, p. 61.

(2) Harris, p. 80-81.


(3) Autant Harxack, p. 8.
26 REVUE BIBLIQUE.

Deus nidlius indiget, in tantum homo indiget Dei communione », est


une rencontre dans un lieu commun (1). On ne saurait donc y voir néces-
sairement un emprunt d'Irénée aux Odes de Salomon. M. Harris, qui
signale la rencontre, n'en a pas exagéré la portée; M. Harnack ne s'y
arrête pas (2).
Les citations faites des Odes de Salomon par l'auteur grec de la
Pistis Sopliia nous ont fourni cette donnée, que les Odes étaient au
111° dans le canon de l'Ancien Testament que cet
siècle incorporées
auteur avait entre les mains il les cite en leur attribuant une dignité
:

égale à celle des psaumes canoniques. Les Odes doivent cette consi-
dération à ce qu'elles portent le nom de Salomon. Rien dans la tradi-
tion du texte ne donne lieu de penser qu'elles aient porté un autre
nom, ou qu'elles n'en aient porté aucun. De plus, la Pistis Sophia, en
donnant à la première de nos Odes le nombre 19, atteste que les
Odes formaient pour lors avec les Psaumes de Salomon un seul et
unique recueil sous le nom de Salomon. Comme le remarque M. Har-
nack, il est sûr que les Psawnes de Salomon out eu leur tradition
propre et séparée, mais il est sûr que les Odes^ elles, n'ont jamais été
disjointes des Psaumes de Salomon (3).
On inférera de ce fait, avec M. Harnack, que les Psaumes de Salo-
mon ont préexisté aux Odes^ et que les Odes ont été attachées aux
Psaumes à un moment donné. Les Psaumes de Salomon ayant été
composés à l'époque de Pompée (4), —
la guerre de Pompée contre
les Juifs est de 63, Pompée meurt en V8, les Odes ont dû être com- —
posées entre l'an 50 avant notre ère et l'an 150 de notre ère.

II — Sentiments divers des critiques.

M. Rendel Harris, qui le premier a eu à exprimer un avis, n'a pas


trop préjugé du verdict des autres critiques en énonçant qu'il parai-
trait évident que la majorité des Odes procède d'un seul et même
écrivain. « Elles sont, en effet, si souvent jetées dans le même moule,
tant pour les idées que pour les expressions, que nous sommes obligés
de reconnaître la parenté de ces compositions distinctes. De plus, la
réelle élévation des pensées y témoigne dune personnalité unique :

(1) Cf. lusTiN. Dialog. xxii, 1 (éd. Archambault, 1909, t. I, p. 96) : où ôià tô èvôetiç elvat...
11 (p. 102) : oÛTi w; ÈvÔetiç... xxili, 2 (p. 104) : (fnXdtvOptoTrov xal îtpoyvtoaTTîv xal àvevSeii... Etc.
(2) Iren. Hoer. IV, 25. Harris, p. 81. Harnack, p. 8.

(3) Harnack, p. 10.

(4) E. Kautzsch, Pseudepigraphen des A. T. (Tiibingen 1900), p. 128. J. Viteau, Les


psaumes de Salomon (Paris 1911), p. 38-45.
LES ODES DE SALO.MON. 27

même nous ne pouvons l'identifier, soyons sûrs que cet écrivain


si

était un on en imagine difficilement plusieurs de tels


rare esprit :

pour l'hypothèse de la multiplicité d'auteurs (1) ».


M. Harris étudie rapidement la doctrine des Odes^ les allusions qu'il
y discerne aux choses du temps, et il conclut « Nous avons montré :

qu'elles s'accordent pour le sentiment avec les pensées et les pratiques


des âges les plus primitifs de l'Église. Il ressort clairement de notre
investigation que l'écrivain, d'abord, n'est pas juif, et qu'il était
membre d'une communauté de chrétiens pour la plupart d'extraction
juive et de foi juive, et que le ton apologétique' qu'il prend envers les
gentils, en tant qu'ils font partie de l'Église chrétienne, ne se comprend
que des temps les plus primitifs et de communautés comme celles de
Palestine où le judaïsme était encore un témoin et un contrôle. » Le
recueil doit remonter au dernier quart du premier siècle, ou peu s'en
faut. « Nous avons dans ces Odes le langage de l'expérience chré-
tienne au plus haut niveau de la vie spirituelle (2) ».
M. Harnack croit que l'ensemble des Odes de Salomon constitue une
unité, sans que l'on puisse conclure qu'elles n'ont qu'un auteur.
Elles ne peuvent être que juives, ou chrétiennes, à moins qu'elles ne
soient juives et chrétiennes à la fois. Des cantiques dans lesquels le
nom de Jésus, sa croix, sa passion, sa parole, sa figure historique,
n'ont pas place où les idées de péché, de pénitence, de baptême, de
;

pardon, mots d'église, de fraternité, de communauté, manquent


et les
pareillement; mais où abondent les expressions de owç, icYa-;:*/), uovrj,
YVW71Ç, bM'j.-y:jz\z^ h.z^-j.zzh.\ des cantiques qui semblent n'exprimer que
l'expérience individuelle, et n'avoir d'aspirations que pour l'indivi-
duel ; ces cantiques n'appartiennent pas pour le moins au grand cou-
rant du développement chrétien. Ils n'appartiennent pas davantage
au judaïsme palestinien. On peut dire plus ils n'ont pas pu être :

composés dans le judaïsme d'Alexandrie et de la dispersion, car ils


sont étrangers à l'esprit grec. On ne peut les situer qu'entre la Sagesse
de Salomon et les discours johanniques, en leur reconnaissant une
couleur palestinienne plus marquée. Enfin on peut difficilement les
attribuer à une secte, quelque secte gnostique, car on n'y surprend
pas d'éléments hérétiques (3).

(1) Harris, p. 48.

(2) Harris, p. 87-88. Voyez dans le même sens J. Halssleiter, « Der judenchrislliche
Character der Oden Salomos », Theologisches Literctlurblatt, 1910, n" 12, que je ne con-
nais que par ta mention qu'en fait F. Spitta, Zeitschrift fiir die neuf. Wissenschaft, 1910,
p. 193 et 290.
(3) Harnack, p. 74-75.
28 REVUE BIBLIQUE.

Disons, poursuit M. Harnack. que nos Odes sont pour la plupart


juives. L'indifférence qu'elles affectent pour les réalités les pins histo-
riques, les plus publiques, les plus communes, tant du judaïsme que
du christianisme, se comprend mieux dans l'hypothèse juive, que dans
la chrétienne. Je ne connais pas de christianisme dans l'antiquité
chrétienne, qui, dans sonlansage, se cache, se dérobe, comme ce serait
le cas du christianisme des Odes, si elles étaient chrétiennes ;
qui parle
d'eau constamment, sans jamais penser au baptême, de lait et de miel
sans jamais penser à l'eucharistie. Au contraire, dans maints écrits
juifs, à dater de l'époque hasmonéenne, on surprend la séparation de
la piété d'avec la vie nationale et d'avec tout ce qui est culte extérieur.
Celte indifférence une expression historique du judaïsme. Que
est
l'auteur des Odes soit juif, on n'en peut douter à lire l'ode iv « Nul :

ne transférera ton lieu saint, o mon Dieu, nul ne le transférera... »


Autant l'ode vi, 7-11. Cependant parmi les Odes., trois sont certaine-
ment chréfiennes l'ode xix mentionne le Père, le Fils, l'Esprit saint,
:

la conception virginale l'Ode xxvii mentionne la crucifixion; autant


;

l'ode XLii, 1-3. On devra donc conclure que les Odes sont un recueil
juif, qui a été accru et interpolé par une main chrétienne (1).

Le cas des Odes de Salomon n'est pas en cela un cas isolé et extra-
ordinaire le fait est bien connu que les chrétiens ont dans l'intérêt
:

de leur foi retouché des écrits juifs, et le plus illustre exemple d'une
adaptation de ce genre est le cas du Testament des douze patriarches.
Or il est très remarquable, dans le cas du Testament des douze pa-
triarches, que les interpolations chrétiennes ont été délibérément
exécutées dans le style de la composition première (2). Et donc la cri-
tique doit consister à distinguer le texte juif des Odes de ses surcharges
chrétiennes, et. ce départ une fois fait, à caractériser la mentalité de
l'auteur juif et celle de l'auteur chrétien. C'est toute la thèse de
M. Harnack (3).
De l'étude du fond juif des Odes, on inférera que le temple de Jéru-
salem était debout encore quand elles furent composées, et comme

(1) Harnack, 75-76.

(2) Id. p. 77.

(3) Quatre groupes : —


1 Morceaux sûrement juifs, les Odes iv et vi;
'
—2" Morceaux in-

colores, les Odes I, V, xi-xvi. xviii. xx, xxi, xxvi, xxx, xxxii-xxxv, xxxvii, xxxviii, xl; —
3" Morceaux purement clirétiens, les Odes xixelxxvii; —
4° Morceaux problématiques,

les Odes m, vii-x, xvn, xxn-xxv, xxviii, xxix, xxxi, xxxti, xxxix. xli, xlii.
T. K. Cheyne, The Hibbert journal, octobre 1910, p. 210-211, souscrit à la théorie de
Harnack. Sans se prononcer sur le fond. W. E. Baunes critique ce niorcelage, dans The
journal of theological studies, XI (1910 p. 615-618.
.

Au contraire, M. Spitta le reprend à son compte et le précise, dans une étude Zum Vers-
(>
. . ,

LES ODES DE SALOMON. 29

elles sont très vraisemblablement postérieures aux Psaumes de Salo-


mon, on les datera de la période qui va de Tan 50 avant notre ère
à l'an 67 de notre ère. Elles doivent être palestiniennes d'origine, et,

ceci reste hypothétique, d'original hébreu, sinon araméen. L'auteur


n'était ni un pharisien, ni un essénien, ni un syncrétiste gnostique;
il n'appartenait pas au cercle qui attendait la « consolation d'Israël »,
ilne regardait pas vers le Messie, car le Seigneur l'avait sauvé déjà;
quant aux observances cultuelles, il n'en avait cure, il était une
façon de libéral. Le peuple de Dieu et son histoire ne l'intéressent
pas. Déterminer sa « dénomination » plus exactement est impos-
sible.
Le chrétien qui a retouché les Odes de Salomon était, par sa
christologie, dans la foi de la « grande Église » rien chez lui de spé-
:

cifiquement judéo-chrétien ou de gnostique. Sa christologie ne peut


remonter au delà de la fin du premier siècle. Elle est apparentée à la
christologie johannine, si bien que l'on peut se demander s'il n'a pas
connu le quatrième Évangile. « L'ode xli me fait croire la chose par-
faitement vraisemblable, j'hésite seulement à la tenir pour certaine. »
En tout cas, l'interpolateur est, en quelque façon un jumeau de « Jean » ,

« beaucoup moins puissant, beaucoup moins au clair, plus naïf, moins

taendnis der Oden Salomos «publiée par ]& Zeitschrift fur die neuf. Wissenschafi, 1910,
p. 193-203, 259-290.11 dresse un tableau comparatif (p. 289) des portions chrétiennes des
Odes selon Harnack et selon lui :

Harnack : Spitta :

m, 9. m, 2, 9,
VII. 4''-8, 14, 15, 18. VII, 2», 3, 5-9, 12, 14, 15, 18-24.
Yiii, 23-26.
IX, 2K IX 2".

X, (4-7j, 8. X, 4-8.
XVII, 10-15. XVII, 10", 11, 13", 14".
XIX, 1-10. XIX, 2-3", 6-10.
XXII, 5.
XXIII, 16, 19. XXIII, 15-17% 19.
XXIV, 1 XXIV, 1.

xxvu, I, 2.

XXVIII, 8-18
XXIX, 6, 7', (8?). XXIX, ô''-10".

XXXI. 3-11. XXXI, 3-11


xxxiii, 1, 2-4, 9-11.
XXXIV, 6.
xxxvi, 3. XXXVI, 3, 4".

XXXIX, 10. XXXIX, 8-11.


XLI, 1-7, 11, 12-17. XLI, 1-17.
XLii, 1-3, (4-16), 17-26. XLii, 1-26.
30 REVUE BIBLIQUE.

agressif aussi ». L'un aide à comprendre l'autre (1). L'interpolateur

doit être cherché en Palestine, il n"est pas judéo-chrétien, mais chré-


tien d'origine juive, comme l'auteur des prières eucharistiques de
la Didaché, comme l'interpolateur chrétien du Testament des douze
patriarches. Il n'a pas dû écrire avant la fin du premier siècle, ni
longtemps après (2).
M. Wellhausen, dans une longue recension de l'édition des Odes
par M. Harris, et en quelques mots sur l'édition donnée par M. Har-
nack, a eu l'occasion de s'expliquer sur le problème posé (3\ Il se
prononce sans hésitation sur l'original des Odes : elles ont été tra-
duites en syriaque, non pas de l'hébreu, mais du grec (i). La suppo-
sition qne Ode IV ferait allusion à la suppression du temple de Léon-
topolis en 73, ou à un projet (^inconnu d'ailleurs) de transférer le culte
juif après la ruine de Jérusalem dans quelque ville autre que Jérusa-
lem, lui parait insoutenable. Le sanctuaire auquel pense VOde iv est
la société prédestinée de tout temps des tîdèles en Dieu. Les Odes,è.
supposer qu'elles ne soient pas l'œuvre d'un seul et même composi-
teur, proviennent toutes d'un même milieu, d'une même « sphère ».
Elles imitent les psaumes canoniques, elles dépendent de l'Ancien
Testament, elles ont des points de contact avec le livre de la Sagesse]
leur dépendance envers le Nouveau Testament est douteuse. Pourtant,
elles ne sont point juives, mais chrétiennes. Rien de la Loi, seulement
le iou£' de l'amour expriment la joie d'une révélation nouvelle,
: elles

absolument La conception de Dieu et de la relation reli-


universelle.
o-ieuse du fidèle à Dieu est aussi peu juive que possible. A l'initiation
par la circoncision est substituée l'initiation par le saint Esprit. Le
Christ n'est pas attendu, il est là, et les biens qu'il assure sont autres

que ceux que les Juifs espéraient. Il nous est présenté ensemble
avec le Père et l'Esprit; il a pour noms le Seigneur, le Logos, le Fils, le

Bien- Aimé ; il a été crucifié, il est descendu aux enfers, il est ressuscité.

Mais jamais il n'est nommé Jésus. Pas un mot de la parousie. du juge-


ment du monde, de l'au-delà : le royaume de Dieu est actuel. Le
terme delà religion est l'union intérieure avec Dieu le Christ en est :

le modèle et le moyen: elle est réalisée par la révélation gracieuse


de
Dieu et par la foi du fidèle. Il n'est point parlé de rémission des

(0 R- H. Strach\k, « The newlv discovered Odes of Salomon, and their bearing on the
», dans The Expositorij Times d'Edimbourg, octobre 1910,
probleni of the fourth Gospel
développe cette iiK^nie vue.
p. 7-14,
Harnack, p. 104-106, 110-112.
(2)
gelehrte Ânzeigen, 1910. septembre, p. 629-641.
(3) GoeUingische

(4) Même sentiment chez un autre séraitisant, F. Schllthess, « Texlkritische Bemerkun-


die neuf. W. 1910, p. 249-258.
gen zu densyrischen Oden Salomos », Zeitschrift fiir
LES ODES DE SALOMON. 31

péchés, seulement d'affranchissement dererreur. de l'erreur cpii est


le mal, l'éclipsé de la lumière de la connaissance. La connaissance
est l'eau vive. La société des fidèles consiste dans 1" unité de l'Esprit,
sans liens extérieurs aucun sacrement, pas d'église. Ley'e qui parle,
:

et qui est aussi un nous, est l'âme sauvée parlant au nom de la collec-
tivité des fidèles, souvent aussi le Christ, car le fidèle a revêtu le
Christ, est incorporé au Christ. La pensée et la terminologie des Odes
sont apparentées au quatrième Évang-ile, et très vraisemblablement
dépendent de lui. Le gnosticisme n'apparaît pas ici aucun de ses :

traits caractéristiques, le dualisme (Dieu, pour nos Odes, est surtout


le créateur du monde), les obsessions théogoniques et cosmologiques,
la hiérarchie mythologique des intermédiaires entre Dieu et le monde,
la manie à'hypostasier tous les concepts. Les Odes témoignent d'un
travail de développement et d'élaboration de la pensée johanniue :

nous découvrons le milieu où cette pensée s'est fait jour, et, du coup,
le milieu où le quatrième Évangile s'est produit. M, Wellhausen ne —
se rend pas à la théorie de Haniack sur la composition des Odes. Quand,
dit-il, on éliminerait des Odes les morceaux qui sont évidemment

chrétiens, le reste ne serait pas juif pour autant le mysticisme de ce :

prétendu juif est le contraire du judaïsme, car ce mysticisme est d'es-


sence hellénistique ou païenne.
Très importante est l'étude de M. Gunkel (1). Après avoir d'abord
rendu hommage à la façon nette dont son « vénéré maître » M. Har-
nack a posé la question critique, —
les Odes sont ou juives, ou chré-
tiennes, ou interpolées, ou non, —
il pense que de longtemps la dis-

cussion portera sur ces alternatives, et il le regrette, parce que ce sera


risquer de négliger la richesse du contenu des Odes. M. Gunkel estime,
avec Wellhausen let Schulthess, que les Odes que nous avons en syria-
que sont traduites du grec, et qu'elles ont été écrites d'original en
grec. Elles alfectent cependant une forme imitée de la poésie hébraï-
que elles s'articulent en propositions brèves, nettement détachées,
:

mais qui toujours ou presque toujours vont deux à deux. M. Gunkel


regrette que soit Harris, soit Flemming (2), aient présenté le texte des
Odes k pleines lignes comme de la prose, et il pousse sa pointe plus
vivement encore contre les malheureux traducteurs, plus soucieux,
pense-t-il, delittéralité que d'intelligence. Le détail littéral doit être
subordonné au sens d'ensemble de chaque ode.

(1) H. Corel, « Die Oden Salomos », Zeitschrift fur die neut. W. 1910, p. 291-328.
(2) Le même regret est exprimé par R, H. Charles, dans la Review oftheologij and phU-
losopky d'Edimbourg, octobre 1910, p. 222-223, qui propose une reconstitution strophique
de voue v.
32 REVLE BIBLIQUE.

Voici l'ode iv : « Nul ne traiiisférera ton lieu saint, ô mon Dieu, nul
ne le transférera... », que M. Harnack présente comme une chose pu-
rement juive, parce que ce « lieu saint » ne saurait être que le temple
de Jérusalem, auquel nul autre temple ne sera substitué, tel, par
exemple, le temple de Léontopolis. Nullement, répond M. Gunkel, car
cette ode ne renferme rien qui ne puisse aussi bien être attribué à un
chrétien. On interprétera donc les ^' 1-i dans la perspective des ^ 5-
14 le Seigneur a donné son cœur à ses fidèles, ils portent son sceau
:

comme les archanges aussi le portent ce que le Seigneur a promis, :

le Seigneur ne le reprendra pas, « et tout était établi dès le principe »


devant le Seigneur. On voit alors que le « lieu saint » que nul ne trans-
férera n'est pas le temple de Jérusalem (1), mais le sanctuaire céleste,
le paradis, la vraie terre de promission, dont parlent d'autres odes
(xi, 14-21, par exemple) en termes plus clairs, mais analogues.
Fode vi « Un ruisseau est sorti, et
Voici : il est devenu untorrent grand

et large, il a inondé et brisé l'univers, et l a emporté vers le temple,


et les obstacles dî^essés par les hommes n ont pas pu l'arrêter... » (7-9).

M. Harnack entend que la connaissance de Dieu en se propageant


produit son effet, qui est que tous les hommes viennent au temple de
Jérusalem. Nullement, répond M. Gunkel, car cette ode décrit bien
plutôt le triomphe du christianisme, voire sur le judaïsme. L'auteur de
l'ode veut représenter les effets bienheureux de leau vive, et c'est ce
qu'il fait dans les y 10-10. Il a commencé par montrer combien le
torrent d'eau vive est irrésistible, cela dans les y 8-9 le torrent a :

inondé et brisé lunivers, et, pour M. Gunkel, il a emporté le temple (2).


Comment pourrait-on voir là la pensée d'un juif pieux?
Le prétendu judaïsme des Odes de Salomon est donc pour M. Gun-
kel une hypothèse à éliminer. Les Odes sont homogènes, elles sont chré-
tiennes, mais de quel christianisme? M. Gunkel examme quelques
odes qui lui paraissent décisives, les odes xxxvi, xlii, xvii, xxii, x,
xxsi, xxxviii, XXXV, et des observations qu'elles lui suggèrent il con-
clut provisoirement au moins. Retenons, dit-il, ce caractère frappant,

(1) GlîsRkl, p. 296. —


Le P. Lagrange, Revue biblique, 1910, p. 595, iodépendamment de
Gunkel, avait fait lui la même observation
avant « En supposant le passage (Od.
: iv,

1-4) juif, il détonne absolument sur tout le recueil. Est-il vraisemblable qu'un juif in-
diflerenl aux destinées d'Israël, à la Loi, aux sacrifices, ail soutenu une polémique si voilée
en faveur du temple de Jérusalem contre ceux de Léontopolis ou de Samarie i" »

M. Gunkel traduit ««d hat deii lempel mit forlgenommen, 7;apY;v£YX£ tôv vaév
(2) :

(p. 298). M. Flemming (p. 32) traduit o Er bat ailes... zum Tempel gebrachl ». M. Harris
:

traduit son syriaque « ... and it brougbt to the Temple ». M. Scbmidl (p. 85) traduit le
:

copie de la Pislis Sopliia « ... Und wandte sich gegen den Tempel «, et Ryle-James
:

xa vinèffTpeiJ^ev ÈTtl TÔv vaov. Nous nous en tiendrons, avec M. Labourt, au sens accepté par
Harris et Flemming.
LES ODES UE SALOMON. 33

que M. Zahn a relevé déjà l .et qui est lindétermination franche-


'

ment nuageuse de cette poésie. Une


» caractéristique, en effet, de ce
recueil d'odes est qu'on n'y rencontre aucun nom de personne, de
peuple, ou de lieu. Le nom de Jésus n'est pas prononcé une seule
fois, le nom de « Christ » est rare. Aucune parole de Jésus n'est citée

littéralement. Si des traits apparaissent çà et là. qui fassent allusion à


la passion et à la croix (^xxxi. 7 et suiv.; xlh, 1 et suiv. , ces traits
sont les plus généraux. « Tout cela montre expressément que la
communauté à laquelle l'auteur des Odes appartient, ne vit pas dans
le monde de l'histoire sainte, de l'Évangile..., mais dans un monde
d'idées spirituelles et d'entités supraterrestres ». Il a son langage à
lui, bizarre, obscur « Manifestement, il ne parle que pour des ini-
:

tiés ». M.Gunkel ne doute pas qu'il ait fait partie d'une « société se-
crète d'initiés, pour laquelle il parle, et de laquelle il peut compter
être compris )). \e dit-il pas lui-même « Gardez mon secret, ô vous
:

qui êtes gardés parlai > vni, 11 ? Par là s'explique que la science
joue chez lui un si grand rôle, et que la connaissance soit le salut, et
que, suivant une remarque de M. Ilarnack, le problème du mal et
du péché existe à peine pour lui 2 .

Allons aux conclusions de M. Gunkel. Si, dit-il, on se demande à


quel christianisme appartiennent les Odes, on ne pensera pas à celui
de la grande Église, mais plutôt à quelqu'un des nombreux
syncrétismes des premiers siècles. Les sources qui se font jour dans
nos Odes sont, avant tout, les sources chrétiennes, savoir l'in- c(

fluence de la personne de Jésus ». et, soit d'idées, soit décrits, du


christianisme primitif (aucune citation reconnaissable du Nouveau
Testament, mais des rencontres nombreuses, particulièrement avec
saint Jean): les sources juives, savoir l'Ancien Testament, en par-
ticulier les psaumes; enfin les sources grecques, » avec leur spécu-
lation mystique »; tout cela fondu sous l'influence de la pensée du
salut et d'une tendance à allégoriser et à spiritualiser. On conclura :

nos Odes sont d'origine gnostique. Quant à leur gnosticisme, il est


fortement teinté de judaïsme, pas le judaïsme officiel, car nos Odes
ne connaissent plus la Loi. ni le Temple, ni le culte lévitique, et la
mission aux païens est un fait accompli plus aucune trace de natio-
:

nalisme. Mais notre poète a l'esprit plein des psaumes bibliques, il

les emploie, il a l'illusion de les continuer. On peut penser à un gnos-

(1) T. Zaiix, dans la Xcue kirchliche Zeilschrift, 1010, p. 667 et suiv. (cité par Ginkel
p. 291.
(2) GlNKEL, p. 320-322.
REVUE BIBLIQUE 1911. — N. S., T. Vlir. 3
34 REVUE BIBLIQUE.

ticisme judéo-chrétien, on peut penser à l'Egypte.


S'il en était ainsi,

nos Odes seraient un inappréciable document historique, car elles


nous révéleraient, « non plus la doctrine, mais la religion de la
g-nose » (i).
On n'est sans doute pas au bout des hypothèses du moins celles ;

que nous venons de rapporter en délimitent le champ normal: on


peut croire, sans trop de chance d'erreur, que hors de ce champ il
n'y a place que pour des paradoxes (2).

III. — Le personnage de Salomon.

De Gun-
la revue d'opinions qui précède, retenons d'abord, avec M.
kel, ceci au jugement d'orientahstes du métier (Wellhausen, Schul-
:

thess), les Odes de Salomon que nous avons en syriaque sont traduites
du grec, et elles ont été écrites d'original en g-rec. Elles sont plei-
nes de « biblismes », elles ne trahissent pas de (( sémitismes », selon
la distinction de M. Wellhausen.
Retenons ceci encore l'impression littéraire de tous les critiques
:

est que les Odes de Salomon, quoi qu'on pense de l'hypothèse de l'in-
terpolation, ont dans l'ensemble une homogénéité d'inspiration et d'é-
criture, dont on peut inférer l'unité d'auteur.
Ces deux présuppositions considérées comme acquises, on s'étonne
que l'attention des critiques n'ait pas été retenue par le litre du recueil.
Les Psaumes de Salomon pourraient s'appeler aussi bien Psaumes
de David ou porter n'importe quel nom de psalmiste, car leur contenu
n'a pas de rapport avec leur titre il n'en est pas de même des Odes
:

de Salomon, et par là elles se dille rendent des Psaumes de Salotnon


autant quelles s'en différencient par leur langue originale les Psau-
tnes de Salomon ont été composés en hébreu) et par leur inspiration
(les Psaumes de Salomon sont une œuvre de pharisiens palestiniens,
et ont pu être écrits pour être chantés dans des synagogues) (3). Nos
Odes de Salomon, là où elles sont entrées dans le canon de l'Ancien
Testament, n'y sont entrées que pour ce motif qu'elles portaient le
nom de Salomon et étaient supposées exprimer des paroles de Salomon.

(1) GiNKEL, p. 323-328.


(2) Je tiens pour un paradoxe
l'essai de J. H. Bernard, The Odes of Solomon », dans
<-

The Journal of theological s^uf/i'es. octobre l'.llO, p. l-3(. qui s'applique à démontrer que
les Odes sont « une collection d'hymnes où abondent les allusions au baptême et compara-
bles à l'hymne de saint Ephrem sur Epiphanie ». Le mot de baptême n'est pas prononcé,
1

mais cela tient a la disciplina arconil Les Odes ne seraient pas antérieures au milieu du
second siècle.

(3) K.4.LTZSCU, Pseudepigraphen des A. T. p. 128.


LES ODES DE SALOMON. 3b

On avait dans la Bible grecque le livre des Proverbes de Salomon,\e livre


de Sagesse de Salomon, qui contenaient des discours du sage roi on
la :

crut avoir, par analogie, des Odes de Salomon, qui contenaient des
psaumes ou cantiques prêtés à Salomon (1).
M. Harnack et M. Gunkel mieux encore se sont attachés à décrire la
mentalité de l'auteur de nos Odes. M. Gunkel lui découvre la conscience
d'un inspiré et l'habitude d'exprimer à maintes reprises cette cons-
cience. Supposé que le poète ait débité ces élévations en présence de
la communauté dont il était membre, il apparaît comme celui qui
prie pour les autres, il dit « Nous », il dit « Vous ». L'impression la
plus nette qu'il donne de son rùle est dans l'ode xxix (8-11 où il 1,

parle de subjuguer les pensées des peuples et le pouvoir des hommes


«

puissants » où il parle de son ennemi que le Seigneur a anéanti et qui


;

« est devenu comme le chaume que le vent emporte », et encore : « J'ai

loué le Très-Haut, parce qu'il [m'ja exalté, [moi] son serviteur et le


fils de sa servante du Seigneur» xx, \). De toute façon,
». Il est « prêtre
il est une personnalité qui domine, conclut M. Gunkel, et M. Gunkel
nous renvoie au rôle des prêtres et des prophètes dans les religions
syncrétistes tel que le décrit M. Reitzenstein (2. Peut-être n'est-
,

il pas nécessaire d'aller obscurum per obs-


si loin, et d'expliquer ainsi
ciirius : tout s'entend si nous voulons bien imaginer que cette person-

nalité qui domine n'est autre que le personnage supposé du roi Salo-
mon, tel que le fait s'exprimer déjà l'auteur du livre de la Sagesse
(\ii-ix) : « Dieu des pères, Seigneur de miséricorde, qui as fait l'uni-

vers par ton logos, et dans ta sagesse as établi l'homme,... donne-moi


la sagesse cpii est assise près de tes trônes, et ne me rejette pas du
nombre de tes enfants, parce que je suis ton serviteur et le fils de
ta Servante » [Sap. ix, 1-5 .

Toutefois le Salomon qui parle dans nos Odes n'est pas tant le Sa-
lomon historique, le roi terrestre, celui qui parle dans la Sagesse, ou
dans ou encore dans le Cantique des cantiques et dans
les Proverbes,

VEcclésiaste , qu'un

Salomon inspiré qui est ici-bas au milieu des
saints, ses frères, mais qui en même temps est en haut, en Dieu,
glorifié et vivant, et qui en Dieu n'est plus seulement le roi, le saint,
mais fait figure du Christ. Le personnage est essentiellement allé-
gorique et typique.
Quelques citations feront mieux comprendre le personnage ainsi

(1) Se rappeler / Bois, iv, 32 (Sept. /// Rois, iv, 28; : Salomon prononça trois mille
proverbes ou maximes « et ses cantiques furent au nombre de cinq raille » (xat fiuav wôal
aÙToy 7Tcvray.'.(T/J).'.a'.).

(2) Gunkel, p. 325.


36 REVUE BIBLIQUE.

mis en scène par Fauteur de nos odes. Voici, par exemple, Y Ode i :

'
Le Seigneur est sur ma lête comme une couronne
et je ne serai pas sans lui.
2 Une vraie couronne a cté tressée pour moi,
et il a fait germer en moi tes rameaux.
3 Car il ne ressemble pas à une couronne desséchée qui ne germe pas.
Mais tu vis sur ma tête :

ses fruits sont pleins et parfaits, remplis de ton salut...

Je m'avoue incapable d'imaginer soit un juif, soit un chrétien, si

inspiré qu'on le suppose, disant des choses si glorieuses de son


humble personne! Je crois comprendre, au contraire, qu'un écrivain
mystique personnage de Salomon et
se représente sous ces traits le
lui prête ce langage. Il du Cantique des
n^a qu'à se rappeler le texte
cantiques (m, 11) « Sortez, filles de Jérusalem, et voyez le roi
:

Salomon avec la couronne dont sa mère l'a couronné le jour de ses


épousailles, le jour de la joie de son cœur. » Et aussi bien la des-
cription que la Sagesse (xvm, 2\) fait d'Aaron « Votre Majesté :

[la Majesté de Dieu, Dieu mêniei est sur le diadème de sa tète » (1).

Cette gloire du roi couronné, du prêtre roi, notre Ode la sublime


encore, car ce couronnement est à placer dans le ciel. Les justes, dit
la Sagesse (v, 16), » recevront de la main du Seigneur le magnifique
royaume et le splendide diadème Le Salomon couronné de notre
».

Ode symbolise le juste glorifié dans le royaume éternel.


VOde m suggère la même interprétation :

•'
Je n'aurais pas su aimer le Seigneur, si lui-même ne m'avait aimé.
'
Qui peut en effet comprendre l'amour, sice n'est celui qui aime?
^ J'aime l'aimé, et mon âme l'aime.
" Où est son repos, là aussi je suis...
'" Qui adhère à celui qui ne meurt pas sera lui aussi immortel.
*' Et celui qui se complaît en la vie sera vivant.

En guise de commentaire de ces versets, M. Harnack renvoie au


Cantique des ca7itiques, avec grand'raison, car l'auteur de VOde a
prêté à son personnage un langage qui rappelle celui que le Can-
tique prête à l'épouse. On pensera aussi bien à la Sagesse disant
dans les Proverbes (viii, 17) « J'aime ceux qui m'aiment, et ceux:

qui me cherchent avec empressement me trouvent ». Ou encore (vu,


35-36) : « Celui qui me trouve a trouvé la vie..., tous ceux qui me

(1) M. Harnack rapproche Isaie, xxviu, 5 : « Le Seigneur Sabaolh sera lacouronne d'es-
pérance, celle qui est tressée de gloire, pour ce qui restera du peuple. « Et encore Sagesse,
IV, 9 : « [La Sagesse] mettra sur ta télé une couronne de grâce, elle t'ornera d'un magni-
fique diadème. «
LES ODES DE SA[.OMO.N. 37

haïssent trouvent la mort -. Et dans la Sagesse viir, il) : « L'im-


mortalité est le fruit de l'union avec la Sagesse ->.

Je prends un troisième et dernier exemple, YOdr xi :

* Mon cœur a été coupé (i;,

et sa fleur est apparue,


et la grâce y a germé .

et il a porté des fruits pour le Seigneur.


- Car le Très-Haut m'a coupé par son Esprit saint :

il a découvert mes reins pour lui.


Et il m'a rempli de son amour,
^ et sa coupure est devenue pour moi le salut.

J'aicouru sur la route dans sa paix,


sur la route de la vérité
'-*

du principe jusqu'à la fin.

J'ai reçu sa science,


'
et je me suis tenu ferme sur ie roc de la vérité où il m'avait placé.
•5
Une eau parlante s'est approchée de mes lèvres, de la source du Seigneur,
libéralement.
Et j'ai bu, et j'ai été enivré de l'eau vivante qui ne meurt pas.
8 Et mon ivresse ue fut pas sans science,
mais j'abandonnai ma vanité,
et je me tournai vers le Très-Haut mon Dieu.
'•'
Je devins riche par son don ;

j'abandonnai la folie qui est répandue sur la terre;


je la dépouillai et la rejetai loin de moi.
^" Le Seigneur me renouvela par son vêtement,
et me posséda par sa lumière,
haut me donna un repos incorruptible.
et d'eu
" Je devins comme une terre qui germe
et qui fleurit et qui porte des fruits.
" Le Seigneur, comme le soleil sur la face de la terre, a illuminé mes yeux;
^'^
et mon visage a reçu la rosée.
et mon haleine s'est réjouie à la brise agréable du Seigneur.
^''
Il m'a transporté dans son Paradis où est la richesse de la suavité du
Seigneur.
'"'
J'adorai le Seigneur à cause de sa gloire et je dis :

Heureux, Seigneur, ceux qui sont plantés dans ta terre,


et ceux pour lesquels il y a une place dans ton paradis,
^•^
qui poussent dans la germination de tes arbres,
et qui émigrent des ténèbres à la lumière.
*'
Voici tous tes travailleurs excellents, qui accomplissent de bonnes œuvres
et se détournent de l'iniquité pour la suavité :

"^ ils ont rejeté loin d'eux l'amertume des arbres,


quand ils eurent été plantés dans la terre.

(1) Harnack. p. 40. sur les yl, 2, 3. note que « couper » peut s'entendre de la circonci-
sion, et qu'il s'agit de la circoncision spirituelle. Harris, p. 10-5. avait entrevu cette inter-
prétation.
38 REVUE BIBLIQUE.
'3 Et tout l'univers devint comme une relique de toi,
et un souvenir éternel de tes œuvres fldèles.
-^ Il est grand l'emplacement de ton paradis,
et il n'y a rien d'inutile, mais tout, est plein de fruits.
2' Gloire à toi, ô Dieu, délices du paradis pour toujours. Alléluia !

Cette ode est purement juive, dit M. Harnack. Disons plutôt que
dans cette ode le personnage qui parle Salomon symbole de la
est
conversion. Salomon a abandonné la « vanité », et ceci est une rémi-
niscence manifeste de YEcc/ésinste, et aussi peut-être de la Sagesse
(xiii, 1) : « Vains tous les hommes, qui sont dans l'ignorance de
Dieu ». Salomon est devenu riche par le don de Dieu. Viens à la
Sagesse de toute ton âme, dit Y Ecclésiastique, « suis ses traces,
cherche-la, et elle se fera connaître à toi..., à la fin tu trouveras son
repos... Tu t'en revêtiras comme d'une robe de gloire, et tu la met-
tras sur ta tête comme une couronne de joie » (1). Et ailleurs « Elle :

l'accueillera comme une épouse vierge, elle le nourrira du pain de


l'intelligence, elle lui donnera à boire l'eau de la sagesse » (2). Le cœur
de Salomon a été circoncis, de cette circoncision du cœur dont la
circoncision charnelle est seulement la figure (3). Il s'est enivré de
leau symbolique, puisque Dieu« enivre » les fils de l'homme au torrent
de ses délices, et qu'auprès de lui est « la source de la vie », « et
dans sa lumière nous voyons la lumière » (ï).

Ici encore, l'honmie qui est revenu de la vanité, Thomme dont


l'Esprit saint a circoncis le cœur, l'homme qui court sur la route de la
vérité, Ihomme qui se tient ferme sur le roc de la vérité, est le même
qui reçoit den haut un « repos incorruptible -^ qui devient « comme
une terre qui germe, fleurit et fructifie », le même q ji est transporté
dans le paradis céleste, « où est la richesse et la suavité du Sei-
gneur, yi. Harris veut que « ce charmant psaume soit ensemble per-
sonnel et expérimental» l'écrivain y décrirait «
: les visites de la
grâce divine, son établissement sur le roc de l'éternelle vé-
et
rité » (5). Ce psaume contient bien autre chose, puisque l'auteur y
décrit premièrement sa conversion, secondement la richesse du don

(1) Eccli. VI, 27, 28, 31.


(2) Eccli. XV, 2, 3. Leau symbolique d'Orfe xi, 6-7, appartient à une imagerie tout autre
que celle de Y Ecclésiastique. M. Harris rapproche Ignat. Rom. vu, 2 : ûStop oè ^wv xai
),aXoyv èv i^oi, IffwOs'v |xot li^iùr AsOpo i:pôi; tov TtaTÉpa : une eau vivante et parlante est
en moi, qui me dit intérieurement Viens au Père. :

Voyez Bau^vb. Epistul. ix, 1-3, qui professe la circoncision du cœur et


(3 cite les textes

des prophètes à l'appui. Autant Justin. Dialog. xvi, xvm-xix, xli.


(4) Ps. XXXV, 9-11. (Je cite et je citerai les psaumes avec la numérotation qu'ils portent
dans la Vulgate.)

(5j Hauris, p. 105.


LES ODES DE SALOMON. 39

de Dieu in via, troisièmement son entrée en possession de la suavité

du paradis. Qui ne voit (jue cette triple description ne peut appar-


tenir qu'à un personnage au-dessus de l'expérience commune, à un
personnage symbolique et fictif?
Expérience, symbole, ajoutons : ce personnage est une figure, une
figure du Christ. Remarquez comment Salomon a été revêtu du vête-
ment du Seigneur et possédé par sa lumière; comment il a reçu
d'en haut un « repos incorruptible », l'impassibilité; comment il a
été transporté dans le paradis céleste et comment ces traits font de ;

lui un être d'exception, un juste priAilégié entre tous, .le ne veux,


pour le moment, qu'indiquer cette vue. ayant à y revenir quand je
traiterai de la christologie des Odes.

IV. — Le prétendu judaïsme fondamental des « Odes ».

Le personnage de Salomon, avec sa complexité, fait donc l'unité


de nos odes. Avant d'aller plus loin, nous avons à écarter l'hypothèse
de M. Harnack et de M. Spitta. aux yeux de qui cette même com-
plexité aurait pour explication le l'ait que nos odes seraient une com-
position purement juive (quoi qu'il en soit de la couleur de son ju-
daïsme où les traits chrétiens seraient des surcharges introduites par
,

une main chrétienne. M. C.unkel a bien montré que les observations


prises par M. Harnack comme points de départ, ne se vérifient pas
à l'examen. Refaisons cet examen.
Premièrement, on met en avant YOdf iv, où l'on veut reconnaître
une allusion au temple de .lérusalem et à sa suprématie, son pri-
vilège, sur tout autre temple juif rival 1).

'
>'ul ne transférera ton lieu saint, ô mon Dieu ;

- nul ne le transférera et ne le placera dans un autre emplacement,


car il n'en a pas le pouvoir.
* Ton sanctuaire, tu l'avais désigné, avant de faire les autres emplacements.
'•
Le plus ancien lieu^ ne sera pas transformé par ceux qui sont plus jeunes
que lui.
^ Tu as donné ton cœur, ô Seigneur, à tes fidèles ;

tu ne seras pas oisif et tu ne seras pas sans fruits.


•^
Une heure de ta foi est plus précieuse que tous les jours et heures.
''
Qui revêtira ta grâce et se montrera ingrat?
*^
Car ton sceau est connu et tes créatures lui sont connues ;

tes armées le possèdent, et les archanges élus l'ont revêtu


'•*
Tu nous as donné ta communion.
>'on pas que tu eusses besoin de nous ;

c'est nous qui avions besoin de toi.

(1) HARUIS, p. .54. H4KXVCK, p. 29. Sl'ITTA, p. 199.


40 REVIE BIBLIQUE.
'•'
Àsperge-nous de ta rosée,

et ouvre tes sources opulentes qui nous font couler le lait et le miel.
11 Car il n'y a pas en toi de repentance. en sorte que tu te repentes de ce que
tu as promis.
'- La fin t'était révélée, et tout ce que tu as donné, tu l'as gracieusement
donné.
Ne les arrache pas et ne les reprends pas.
^* Car tout, en qualité de Dieu, t'était révélé, et était établi dès le principe
devant toi ;

et c'est toi. Seigneur, qui as tout créé.


Alléluia !

On nous dit : par des Juifs d'avoir


L'auteur a visé la tentative faite

des temples hors de Jérusalem, en Egypte, par exemple, le temple


de Léontopolis, fondé en 160 (environ avant notre ère, et qui ne fut
supprimé qu'en 73 de notre ère. En jugeant ainsi, répondrons-nous, —
on oubKe que jamais le temple de Léontopolis ne supplanta, même
pour les Juifs d'Egypte, le temple de Jérusalem les docteurs de la :

loi en Palestine ne le considérèrent jamais comme légitime, les Juifs


dÉgypte restèrent fidèles à envoyer leurs offrandes et leurs sacrifices

au temple de la cité sainte It. Transférer le temple historique, le


rebâtir ailleurs qu'au lieu choisi par Dieu, est une hypothèse qu'un
juif du premier siècle n'aurait pas faite, même après 70. D'autre
part, l'auteur des Odes est complètement détaché du culte lévitique,
nulle part il ne parle du temple comme d'un article de sa foi, ni
d'aucune façon le temple est pour lui inexistant.
:

Le « lieu saint » ici mentionné devra donc être compris, de même


que la circoncision d'Ode xi, 1-3, en un sens spirituel (2). Un apho-
risme rabbinique veut que « sept choses aient été créées avant le
monde la thora, la géhenne, le jardin d'Éden, le trône de gloire,
:

le sanctuaire, la pénitence, et le nom du xMessie » (3\ Notre ode


s'exprime dans un sentiment analogue : pour elle, le « lieu saint »,
le « sanctuaire », le « plus au monde,
ancien lieu », est préexistant

et, de plus, du monde par là, il est immuable, le


il subsiste hors :

ciel et la terre passeront, mais ce sanctuaire ne passera pas. Nul n"a


de pouvoir sur lui. L'épitre aux Hébreu/ (xiii, 27) parle de même a des

(1} E. ScHiEREi!. Ceschichte des jiidisclien VoU.es. t. III ^ (1898), p. 97-100. O. Schmitz,
Die Opferanschauung des spneleren Judenlums (Tùbingen 1910), p. 119-120. Weluhaisen,
art. cil. p. 64'>.

(2) Comparer le temple intérieur, habitacle du Seigneur en chaque juste. BAn:i\h. Epislul.
\i, 15.

(3) Harris, p. 91. filant le traité Bcreshilh liabhah. Le passage des Pirké Àbotli, vi, 10
(éd. Créuance, 1910, p. 32\ que cite Harris.ilnd. n'a pas de rapport avec l'idée de pré-
existence.
LES ODES DE SALOMON. 41

choses qui vont être ébranlées comme ayant eu leur accomplissement,


afin que subsistent celles qui ne doivent pas être ébranlées », et du
nombre est « le royaume inébranlable « '^x-ù.v.x 7.zx/.tj-zz,. Notre
ode ne précise pas, elle parle comme lépitre de Barnabe écrivant :

« Si quelqu'un veut parvenir au lieu assigné, qu'il s'applique aux

œuvres de la lumière l » .

M. Gunkel (2) fait valoir que les y 1-i de Y Ode doivent être com-
pris dans le sentiment des ^" 5-1 i qui suivent et avec lesquels ils
font bloc (3i. Le Seigneur a donné à ses fidèles li sa loi? non son
« cœur » (5). Une heure de « foi » est plus précieuse que toute la vie.
Le fidèle se revêt de la « grâce ». Que le Seigneur donne aux fidèles sa
u rosée >», et« le lait et le miel ». Confiance, Dieu ne reprend pas ce qu'il
adonné : tout était établi « dès le principe ». Le don de Dieu est sans
repentance(6).Etainsi s'éclaire la pensée des^^l-4, ajouterai-je : le lieu

saint n'est pas seulement le royaume préexistant et subsistant destiné


aux saints, il est l'arrhe que Dieu en donne à ses fidèles dès ce monde,
il est la « communion » des fidèle à Dieu personne au monde ne ra-
:

vira ce bien aux fidèles. Ce mysticisme n"a plus rien de Juif, le temple
historique n'a pas de place dans cette perspective 7i.
Secondement, après VOde iv, on met en ligne YOde vi, dont voici
le texte :

^ Comme la main se promène sur la cithare

et les cordes parlent.


- ainsi parle en mes membres l'esprit du Seigneur ;

et je parle par son amour.


^ Il anéantit tout ce qui est étranger et tout
Car il est le Seigneur,

comme il l'était en effet dès le commencement,
et lIb sera] jusqu'à la fin.

(1) Barnab. Epistul. XIX, 1 : oôbv oSî-jS'.v èttI tôv (by.'jii.ViO-/ tôtiov.

(2) Gu.NkEi., p. 296.

(3) Ceci contre Harnack


(p. 29 qui, après avoir reconnu le temple historique dans 1-4,
,

est contraintde dire que 5-14 n'ont aucune connexion avec les quatre versets précédents,
et suppose presque que nous avons la deux morceaux originairement indépendants.
(4) Le mot « lidèles » est aussi bien juif que chrétien. Harnack, p. 29. Le livre de la Sa-
cjesse (m, 9) en fait le synonyme d'élus : « Ses lidèles habiteront avec lui dans l'amour ».

(5) Le « cœur » de Dieu reparait dans 0(/. xvi, 20; xxvm, 18; xxx, 5. Le coeur » >< est en
Dieu l'intelligence, la science. C'est un biblisme. Voyez G. M. Hardy, art. « Heart », du
Dictionary of Christ and the Gospels, t. I (1906). p. 709-711.
(6)Rapprocher P5. cix, 4: « Le Seigneur a juré et il ne se repentira pas «.Cf. iJom. xi, 29.
(7) Retenons une observation de M.. Cheyne. Ode iv, 6, montre combien peu l'auteur est

attaché au temple historique. C'est, eu effet, une réminiscence de Ps. lxxxiii, « Mieux U :

vaut un jour dans tes parvis que mille ». Mais l'auteur substitue la foi aux parvis. The
Ribhert journal, octobre 1910, p. 210.
42 REVUE BIBLIQUE.

Rien ne s'opposera à lui,

et ricD ne se dressera contre lui.

" Le Seigneur a multiplié sa connaissance,


et il s'emploie avec zèle à ce que soient connues
les choses qui nous ont été données par sa grâce.
Il nous a donné la louange pour son nom,

" nos esprits louent son Esprit saint.


"
Car un ruisseau est sorti,
et il est devenu un torrent grand et large.
^ Il a inondé et brisé l'univers,

et Ta emporté vers le Temple,


^ et les obstacles des hommes n'ont pas pu l'arrêter,
ni les artifices de ceux qui endiguent Teau.
"' Car il est venu sur toute la surface de la terre
et a tout rempli.
Et ils ont bu, tous les assoiffés qui sont sur la terre;
'•
et la soif a été détruite et éteinte,
car c'est par le Très-Haut qu'est donnée la boisson.
'- Heureux donc les ministres de cette boisson,
ceux à qui a été confiée son eau;
ils ont calmé les lèvres desséchées,
et redressé la volonté paralysée ;

'* les âmes qui étaient prêtes à quitter "la vie], ils les ont arrachées à la mort ;

15 les membres tombés, ils les ont fortifiés et redressés;


ils ont donné la force à leur démarche.
et la lumière à leurs yeux,
1^ car tout homme les a connus dans le Seigneur
et ils vivent par les eaux vivantes pour l'éternité.
Alléluia !

M. Harnack (1) voit dans les y T et 11 de cette ode la preuve dé-


cisive que nous avons affaire à un écrivain juif la connaissance de:

Dieu, en se répandant, a pour fin d'amener Ihunianité au temple. Re-


prenons, au contraire, une à une les assertions de notre ode.
Supposons que Salomon est le personnage qui tient ce discours.
L'esprit du Seiiineur parle en lui, souvenir de la Sagesse (vu, 7) :

« invoqué et l'esprit de sagesse est venu en moi ». L'image de la


J'ai
cithare et de ses cordes est une image qui sera chère à saint Ignace
d'.\ntioche'-2t. Le Seig-neur anéantit j'aimerais mieu.v lire anéantira) :

tout ce qui est étranger (3 Déjà dans VOde m, 6-7, on lisait « Où est
-. :

son repos, là aussi je suis, et je ne serai pas un étranger ». Vn jour


viendra donc où tout ce qui est étranger sera conquis à Dieu, ou
anéanti. Rien ne s'opposera à Dieu, rien ne se dressera contre lui : la

(1) Harnack, p. 32. Spitta, p. 194-199.


(2) Ignat. Eph. IV. 1; Philad. i. 2.
(3) Rapprocher saint Paul. Epli. ii, 19 : oj/.éti li-io: /.xk.
LES ODES DE SALOMON. 43

connaissance du Seigneur se sera multipliée en une manière irrésis-


tible.
Tel un ruisseau qui sourd qui ,
grossit ,
qui devient un torrent, qui
inonde et brise l'univers. La Pistis Sophia (1), qui cite cette ode en
conservant en copte quelques mots du grec, met àzispc.xpour ruis- <-:

seau ». Inutile de chercher au mot b.-'z^y^vj. dans notre ode une signi-
fication gnostique, nous avons ici une comparaison physique. On lit
dans la Sagesse (vu, 25) que la sagesse pénètre tout à cause de sa
pureté, qu'elle est le souffle, Fhaleme (à-y.-ç) de la puissance de Dieu,
et le ruissellement limpide (à-ippc.a s'.X'.y.p'.vr.ç) de la gloire du Tout-

Puissant Ailleurs (£:cc//. xxxix, 18, 22)


» (2). Nulne peut arrêter le : (^

salut que Seigneur envoie... La bénédiction du Seigneur déborde


le
comme un fleuve {r,o-:yL\j.zç) et comme un déluge ixa-rz/.AJTv.ôç), elle
abreuve la terre aride » (3).
Ce fleuve débordé, ayant brisé l'univers, l'a empoiHé vers le tem-
ple. Ne disons pas qu'il a emporté le temple, puisque le seul temple
auquel pensait Y Ode iv, 1-i, est un temple que nul ne transférera,
le temple céleste. Disons que les eaux du torrent, après avoir brisé

l'univers, sont montées jusqu'au temple d'en haut, sinon ont soulevé
l'humanité jusqu'au temple d'en haut (i Ce qui importe, c'est que .

les eaux s'élèvent si haut qu'elles atteignent le ciel, hyperbole très


biblique (5). Aucune digue ne les a contenues : suite de l'image,
sans qu'il y ait à préciser, dans ces efforts des hommes, quelque allu-
sion à des adversaires historiques. La description de cette victoire du
fleuve est moins une histoire qu'une apocalypse. Je ne dirais donc

(1) SCHOTDT, p. 85.


Le mol àTtoppota ne se rencontre pas ailleurs dans les Septante, si j'en crois HAxr.H-
(2)
Redpath, Concordance, 140.
(3) Voyez aussi bien Eccli. xxiv, 28-29 (Vulg.) « Et moi j'ai coulé comme un petit canal
:

(oiwpyËJ dérivé d'un fleuve, comme une conduite d'eau qui arrose un jiaradis... Et voilà
que mon petit canal est devenu un fleuve, que mon fleuve est devenu une mer » (y.ai 6

7:oTa[xo'; p.ou ÈvévETo à; ôâ/aToav). Cf. Barnaiî. Epistul. i, 3 : « Je me réjouis d'autant plus
en l'espoir d'être sauvé, quand je vois en vous l'esprit qui s'est épanché sur vous de l'abon-
dance de la source du Seigneur {i7.y.z-/y\Lvio'j ành toO it),oyc<îou xïi; Tiriyrfi xupîo'j T:vîû|xa)-

ItSTL\. Dialog. lxix, 6 : («C'est une source d'eau vive {Tn;^r, -jôaTo; î;â)VTo;) que dans la terre

des gentils vide de la connaissance de Dieu le Christ a fait jaillir (àv£o),'ja£v) ». — Dans Ode
VI, 7, je ne vois pas une réminiscence d'Ézéchiel, xlvii. 1-12. Ce rapprochement indiqué par
RvLE- James, p. 160, est accepté par Gunrel, p. 297.
(4) ScHMiTz. p. 157, note chez Philon la distinction des deux temples, celui qui a été fait

de mains d'hommes, et l'autre, celui d'en haut, le vrai : tô (jlèv àvwTaTw :iat Ttpô; à),r,6£'.av

Upov ÔEoO,... T~o o£ /c'.pôxar.Tov. Philon. De spec. leg. i, 66 (éd. II, p. 222). Mais Maxgev, t.
Philon est d'un temps où le temple de Jérusalem est encore debout; puis, ce qu'il appelle
le temple d'en haut n'est que le monde, le cosmos, au sens stoïcien.
(5) Cf. Luc. X, 15 (Ëwî oypavoO {)'!;w6r,c7r,;, dépendant iïhale, xiv, 13, 15.
44 REVUE BIBLIQUE.

pas, avec M. Gunkel, que ces traits sont ceux sous lesquels, au second
siècle, on se représentait rétrospectivement l'histoire merveilleuse du
christianisme naissant. Je dirais que, dans sa foi, l'auteur de l'ode
prédisait que telle, enfin, serait la diffusion de la connaissance de
Dieu sur terre : elle joindrait la terre au ciel.

Heureux donc les ministres de cette eau vivante dont tous les
assoiffés de la terre ont bu
et ont été désaltérés. L'eau du torrent ne
sert pas à une ablution, elle sert de boisson on dira donc, avec :

M. Harnack, que l'auteur n'a pas le baptême en vue. L'eau est un


symbole de la foi, de la grâce, de la connaissance, symbolisme ana-
logue aux images johannines « Que celui qui a soif vienne, que,
:

celui qui le désire prenne de l'eau de la vie gratuitement {Apoc. xxii,


17)... Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive {loa. vu,
37)... Celui qui boira de l'eau que je lui donnerai, n'aura plus ja-
mais soif; au contraire, l'eau que je lui donnerai deviendra en lui
une source d'eau jaillissant jusqu'à la vie éternelle (1) ».
La Pistis Sophia, en citant cette ode, a sauvé le mot g-rec qui ré-
pond au terme « ministres », c'est le mot ciày.svct (2). Ne donnons
pas à ce mot le sens hiérarchique de diacres; oiâxovoç a ici sa si-
gnification étymologique, celle que lui donne encore saint Paul (3).
Mais nous avons ici un te.xte qui décrit allégoriquement la prédication
de la foi les ministres de cette eau vive peuvent être les apôtres, ils
:

peuvent être le Christ lui-même. Un pense à la parole évangélique :

« Les aveugles voient, les boiteux marchent, les morts ressuscitent »

[Luc. VII, 22), quand on lit dans notre ode que les ministres de cette
eau « » des hommes, ont « donne la
ont donné la lumière aux yeux
force à leur démarche », ont « redressé la volonté paralysée », ont
arraché à la mort des âmes prêtes à quitter la vie.
M. Harris (4) a dit très bien de l'auteurde cette Ode vi, qu'il estaussi
universaliste que saint Paul.11 s'exalte dans la pensée que tout l'univers

viendra à la connaissance du Seigneur, se désaltérera à son eau vive.


Toute distinction de race est supprimée. Sa fidélité au temple serait
un contresens, et l'on s'étonne que M. Harris ne l'ait pas vu. D'autre
part M. Gunkel (5), quand il parle de la victoire que l'ode célèbre du

(1) loa. IV. 13. 14 : TÔ {iSwp ô ôwctw aùtû ^evififfeTai èv aÙTw KYiyYi iioaToç â)),0[j.£vo'j eï; Çwr;v
alwviov. Cette eau qui jaillit dans la vie éternelle est à comparer au torrent qui monte jus-
qu'au temple d'en haut.
(2) ScHMiDT, p. 85 : « Selig ([/.axàpiot) sind die Diener (ôtâxovot) jenes Trankes ».
(3) // Cor. III, 6; Rom. xv, 8. C'est l'acception des Septante. Hatch-Rgdpath. 303. Philon
qualifie les anges de uTroSiây.ovoi.

(4) Harris, p. 96.


(.=>) Glnkei., p. 298.
LES ODES DE SALOMON. 4o

christianisme « même sur le judaïsme ». dépasse la portée des expres-


sions de l'ode. L'auteur n'est ni un « judéo-chrétien de type éclairé »,

comme un chrétien ennemi du temple, comme le


l'appelle Harris. ni
veut Gunkel il ne pense pas au temple juif, soit pour le bénir, soit
:

pour le maudire il ne pense qu'à l'eau vive qui désaltère les âmes,
:

et dont les ministres n'ont rien à voir avec le sacerdoce juif.


L'interprétation que je viens de proposer des Odes iv et vi. plus
adoucie que celle que propose M. Gunkel, mais au fond d'accord avec
elle, nous permet d'éliminer comme inconsistantes les deux données

de fait qui servaient à M. Harnack à affirmer que l'auteur premier


des odes étaitun Juif. Avant de montrer ce qu'il est vraiment, nous
avons à examiner si l'on surprend dans nos odes, comme le veut
M. Harnack. des traces évidentes d'interpolations chrétiennes. Lais-
sons de côté, provisoirement, les odes qu'on nous concède être tota-
lement chrétiennes, pour considérer celles qui ne le seraient que
partiellement.

"V. — Le prétendu interpolateur chrétien des Odes ».

1" On dénonce Y Ode m, qui par ailleurs exprime si bien le carac-


tère salomonien du personnage qui parle dans nos odes. J'adhère au
Seigneur, dit le personnage. j'aime l'aimé et mon âme l'aime », et
-<

celui « qui adhère à celui qui ne meurt pas sera lui aussi immortel ».
Ce langage est celui du Cantique des cantiques et de la Sagesse^ ai-je
dit, mais combien le symbolisme en est poussé loin, et combien net

et clair est ce symbolisme Nous voilà loin du judaïsme le plus hellé-


I

nisé.

Sans doute, nous dira-t-on, mais le y 9 n'en est pas moins une
surcharge.
'
J'aime l'aimé, et mon àrae l'aime.
" Où est son repos, là aussi je suis,
'
et je ne serai pas un étranger,
(car il n'y a pas de haine auprès du Seigneur Très-Haut et miséricordieux).
* Je suis mêlé, car l'amant a trouvé celui qu'il aime,
^ parce que je l'o.imt', lui, le Fils, je dei tendrai /ils.

'" Oui, qui adhère à celui qui ne meurt pas sera lui aussi immortel.
" Et celui qui se complaît en la vie sera vivant.

M, Harnack estime que le y 9 n'a pas de connexion avec son con-


texte immédiat. On pourrait dire aussi bien que le y 9 n'est plus à sa
place, et que, en vertu du parallélisme, il doit se rattacher au y T :

'
Et je ne serai pas un étranger,
''
Parce que je l'aime, [lui, le Fils,) je deviendrai fils,
46 REVUE BIBLIQUE.

Ajoutez que les mots « hd le Fils » n'ont pas de sens, étant donné que
l'aimé ici est Dieu, le Seigneur, le Très-Haut. On pourrait les suppri-
mer comme une glose inintelligente (1). On aurait alors un texte tout
à fait plausible :

"
Et je ne serai pas un étranger,
* Parce que je l'aime, je deviendrai fils.

y a rien là qui ne soit dans la cou-


Fils s'oppose à étranger [2). Il
leur de l'ensemble de Fode. y avait trace d'interpolation et de S'il

surcharge, tout au plus devrait-on la signaler dans le f T, qui forme


une parenthèse sans connexion avec son contexte, et qui rompt le
parallélisme, mais qui est de couleur plutôt juive que chrétienne. En
toute hypothèse, VOde m
pour le fond est chrétienne, et non interpolée
par un chrétien.
2° On dénonce VOde vu. En fait, cette Ode vu se partage en

trois développements. Les ^^ 1-2 posent le personnage qui parle :

impétuosité de la joie qui le porte à Dieu, le Seigneur est sa joie, le


Seigneur est sa route. Les ^' 3-18 décrivent la route. Les^^ 19-29 décri-
vent le chœur des saints en marche. Le personnage posé dans —
les 'f 1-2 est le même que décrivait ÏOde vi, 1-2 ou VOde m, 1-7, un
Salomon pneumatique (3i. La petite apocalypse des f 19-29 est pleine
de réminiscences des psaumes canoniques, note M. Harnack (4), et
rien n'est plus vrai. Cependant à ces réminiscences se mêlent des
traits nouveaux « l'heureux message » (îjayYiAtsv?) est j^orté « à
:

ceux qui ont des cantiques de la venue du Seigneur » [Marc, xi, 9-10?
Lîic. xiii, 35?), parce que « le Seigneur est proche » (5). Ces traits sont
chrétiens. —
Reste le morceau principal, ^" 3-18.
Le Seigneur s'est fait connaître au personnage qui parle il s'est :

(1) « Aber
Je suis heureux de voir que cette correction est proposée par Spitta, p. 270 :

fremdartig ist hier nur die den Sohn: (so auch Slaerk) ». Il
leicht auszulijsende Apposition

s'agit d'un travail de W. Staerk, « Kritische Benierkungen zu den Oden Salonios »,

paru dans la Zeitschrifl fiir wissenschafttlche Théologie, 1910, que je n'ai pas à ma dis-
position.
(2) Sap. V, 5 : le juste est mis au rang des fils de Dieu (xais^oyiaôri hi uloï; 6£oO). Id. ii,

18 : le juste est fils de Dieu (ô ôixaioç utbç ôeoù). Id. ii, 13 : le juste s'appelle enfant du Sei-
gneur (TiaiSa xupîou éauTÔv ôvo[jLâÇ£t). Le juste est fils ou enfant de Dieu. Cf. Ode xiv, 1 :

« Comme les yeux du fils vers son père, ainsi mes yeux, o seigneur, sont sans cesse vers
toi. »

(3) M. Spitta rapproche Ode vu, l et Cantic. ii, 3-0. Et pour l'image de la « route », la

(( belle route », loa. xiv, 6 : I^m il\i.i r, ôSé:... oùSeî; sp'/^^*'- ^P^^î '^^^ iiatepa sî (xy) St' £[xoù.

(4) Harnack, p. 35.

(5) Didaché, x, 6 : èXÔÉtw X*P'? ''^^ TiapîXôixw ô xôffjxo; outoç. waavvà tû 6£o) AauîS. e'i ti;

àytô; ÈffTiv, èp^éffÔo). eï ti; oùv. sffTt, (iïxavostTw. (xapàv à6â. i.\x-f\-i. Cf. Apoc. xx, 20.
.

LES ODES DE SALOMON. 47

fait connaître par la science, qui lui a t-té communiquée en une théo-
phanie qu'il décrit ainsi :

'''
Le Seigaeur s'est fait connaître lui-même à moi libéralement* dans sa simplicité,
''"
car sa bonté a rapetissé sa grandeur.
''
Il est devenu comme moi
pour que Je le reçoiie.
*"
Par l'aspect il a été réputé semblable à moi
pour que je le revête.
'
Et je n'ai pas été effrayé en le voijant,
car ma miséricorde.
il est

**
Il est devenu comme ma nature
pour que je le comprenne
et comme ma figure
pour que Je ne me détourne pas de lui.

Pour M. Harnack, les y i''-8 sont chrétiens, car ils décrivent bel
et bien l'incarnation. C'est très exact. J'insisterai plus loin sur le
docétisme christologique qui s'y exprime. Mais les y i^-8 ne sont pas
les seuls versets chrétiens de YOde vu, et comme une enclave chré-
tienne dans une composition juive.
Car, si y i''-8 décrivent l'incarnation, les y li-iS s'appliquent à
les
décrire cette même manifestation de Dieu. Us sont donc chrétiens aussi.

'* 11 lui a accordé d'apparaître à ceux qui sont à lui ( 1)...

Dieu a accordé, à qui? A la science, évidemment. Et par là le

y li se rattache pour le sens au y 9 :

^ Le père de la science est le verbe de la science (2).


^ Le père de la science est le verbe de la science.

'"Lui qui a créé la sagesse (3) est plus sage que ses créatures.
" Lui qui m'a créé, avant que je fusse, il savait ce que je ferais quand j'exis-
terais.
'- A cause de cela, il a eu pitié de moi dans sa grande miséricorde (4).
Et m'a accordé que je le prie
il

et que je reçoive de son sacrifice (-5',

(1) Comparez Ode vin, 15-16 : « Je ne détourne pas mon visage de ceux qui sont à moi. »
Rapprochez loa. i, 11 : e'.: Ta to'.x v^î"'» ''•='• o- '-^'O- ^'J'à' oO -apÉXaoov. Pour M. Harnack, le

y 14 et le y 15 sont chrétiens.
(2) Je crois entendre ainsi : Dieu enfante la science ou gnose en tant qu'il la parle. Cf.
Eccli. XXIV, 3 (et 17'' : « Je suis la mère... de la science »'.

(3) Eccli. XXIV, 9 : Ttpô toC alôivo; à~' àpyf,; E/.t'.sÉv iaî, xaî £w; a'.ôJvo; oO ur, Èy./î-w. Avant
le temps, au commencement, il me créa, dit la Sagesse, et jusqu'à la fin du temps je ne
cesserai pas.
(4; Sap. XV, 1 : « Mais toi, ù notre D'ieu. tu es bon. vrai, magnifique, et tu gouvernes
tout avec miséricorde » '/.aH/.î'îi ô'.oi/.wv Tà:îivTa). Cf. Rom. i\, 15-16.

(5) Les mots « que je le prie » n'ont guère de sens. On attendrait plutôt « que je le
connaisse w.De même, « sacrifice » est inattendu. J'aimerais mieux « pensée » ou « cœur ».
48 REVUE BIBLIQUE.
^^ parce qu'il est incorruptible,
la plénitude des mondes et leur père (l,\

Cette considération incidente étant épuisée, Y Ode reprend son dé-


veloppement sur la nianifestatioa de la connaissance de Dieu parmi
les hommes :

'* li lui a accordé d'apparaître à ceux qui sont à lui.


^* pour qu'ils connaissent celui qui les a faits,
et ne s'imaginent pas qu'ils proviennent d'eux-mêmes.
*^ Car il a dirigé ma route vers la science (2),
il l'a élargie, prolonge'e,
conduite à toute sa perfection.
'"
Il a posé sur elle les empreintes de sa lumière (3),
et j'ai marché du principe jusqu'au terme.
*' Car elle fut faite par lui (4.\

Et il s'est complu dans le Gis,

et à cause de son salut il exercera la toute-puissance.

Ces derniers mots une interpolation chrétienne, nous


y 18, sont
assure M. Harnackl Us sont chrétiens, oui, mais interpolés, non, répon-
drons-nous, puisque toute la trame de l'Ode est elle-même chrétienne.
Il s'agit là. en effet, de la science Dieu lui a accordé d'apparaître :

à ceux qui sont à lui. Elle est la route sur laquelle le prétendu
Salomon a marché, du principe jusqu'au terme. Dans VOde m. 9, il
disait « Parce que je l'aime, je deviendrai fils ». Ici il énonce que le
:

Seigneur s'est complu en celui qui est « le fils ». et que le Seigneur


mettra sa toute-puissance à le sauver. On ne peut, conclurons-nous,
morceler cette Ode vu pour en faire une œuvre juive interpolée par un
chrétien : elle est intégralement d'un chrétien i5).

Rapprochez Ode w. 1-3 « Je suis prêtre du Seigneur.... et je


: lui sacrifie le sacrifice de
sa pensée... Le sacrifice du Seigneur, c'est la justice, ainsi que la pureté du cu-ur et des
lèvres ».
(1) Je suis la ponctuallon de Fieinming et de Harris. M. Harnack, p. 34, traduit « die

Fulle der Welten » par tô 7t/r,pwu.a lûiv xôofjiwv. Le mot :r).r,çw[j.a a son sens premier de
plénitude, infini, comme chez saint Paul {Ephes. i, 23; m, 19: Col. i, 19; n, 9); toutefois
saint Paul ne parle que de la plénitude de Dieu. Harris a compris comme si le texte vou-
lait dire t6 •jz/r.pwiia -rwv alwvtov, la plénitude des siècles, des temps, et celle leçon est très
séduisante. Cf. Toh. \ni, 6 •j-lùa'x-i tov fiaaiXÉa twv aitôvwv. / Tira, i, 17
: xài ^laù.zl :

Twv aiwvwv ài6àpTw. Heb. i, 2 ÈK&iriçîv too; aîûva:. :

(2) Harkis « ils way ». Flemmi\g


: « seinen Weg ». Labolrt « sa roule ». Mais rap-
: :

prochez le y 2 « C'est ma belle route vers le Seigneur ». Je proposerais donc d'écrire


: :

« H a dirigé ma route ».

(3) Rapprochez Ode iv, S « Car ton sceau est connu », elc. Et encore Prov. iv, 18
: :

« Les routes des justes brillent comme la lumière <.


(4) Les mots « Car elle fui faite par lui » seraient beaucoup mieux à leur place entre le

y 16 elle y 17.
(5) M. Spilta considère comme chrétiens les y 2'', 3, 5, 6. 7, 8. '.». 12, li, 15, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24. Qu'esl-ce qu'une interpolation alors?
LES ODES DE SALOMON. 49

3*' On dénonce Y Ode viii. La conclusion {f 23-26) de l'ode parait

clirétienne, écrit M. Harnack, sans être très affirmatif.

'
Ouvrez, ouvrez vos cœurs à la joie du Seigneur,
- et qu'afflue votre amour du cœur à vos lèvres
'
pour produire des fruits pour le Seigaeur (une vie sainte',
et pour diminuer la sauvagerie à sa lumière.
* Levez-vous, redressez-vous,
vous qui autrefois avez été liurailiés!
' vous qui étiez dans le silence, parlez,

car votre bouche a été ouverte !

* vous qui étiez méprisés, exaltez-vous donc,


car votre justice a été exaltée.
"
Car la droite du Seigneur est avec vous,
et il est pour vous une aide.
**
Il vous a gratiQés de la paix,

avant même que ne se livrât votre combat.


' Écoutez la parole de vérité,
et recevez la science du Très-Haut.

^f* à vous dire.


Votre chair ne savait pas ce que j'avais
cœurs non pUis ce que j'avais à leur montrer.
et vos
<< Gardez mon secret, ô vous qui êtes gardés par lui!
'2 Gardez ma foi, vous qui êtes gardés par elle !

'^ Connaissez ma science, vous qui me connaissez dans la vérité !

'' Aimez-moi d'amour, vous qui aimez!


^' Car je ne détourne pas mon visage de ceux qui sont à moi,
**'
parce que je les connais.
Et avant qu'ils ne fussent je les ai connus.
J'ai mis mon sceau sur leur visage.
'"
C'est moi qui ai disposé leurs membres.
Je lésai gratifiés de mes mamelles
pour qu'ils boivent mou lait saiut et qu'ils en vivent.
'^ Je me complais en eux,
et je ne rougis pas d'eux,
'^ car ils sont mon œuvre à moi,
et la force de mes pensées.
^^ Qui donc se dressera contre mon œuvre
ou leur sera désobéissant ?
-' C'est moi qui ai voulu et créé la conscience et le cœur ;

ils sont à moi.


A ma droite j'ai placé les élus.
-^Et si ma justice n'est pas devant eux...
et ils ne seront pas privés de mon nom,
parce qu'il est avec eux.
*

23 Priez beaucoup et demeurez dans l'amour du Seigneur,


-* aimés dans le bien- aimé,
REVUE BIBLIOLE 1911. — X. S., T. VHI. 4
îiO REVUE BIBLIQUE.

préservés dans le vivant,


sauvés dans celui qui a été racheté,
26 et vous serez trouvés incorruptibles
dans tous les siècles au nom de votre Père.

Alléluia !

Cette ode se départage en trois morceaux : dans le premier, f 1-9,

lepseudo-Salomon parle en son nom; dans le second, ^' 10-22, le


Seigneur parle par sa bouche; dans le troisième, f 23-26, le pseudo-
Salomon reprend son discours direct.
Les ^ i-6 rappellent le passage de saint Paul « C'est pourquoi il :

est écrit : Éveille-toi, toi qui dors ; lève-toi d'entre les morts, et le
Christ t'illuminera » (Eph. v, li). Les commentateurs ont noté que ce
texte cité par saint Paul n'appartient pas à l'Ancien Testament, qu'on
ne le retrouve jusqu'ici dans aucun apocryphe, et que sans doute, à
en juger par à un hymne chrétien primitif (1).
le style, il doit être pris

Le ^ 1 rappelle le Gaudete si fréquent chez saint Paul (2j. L'amour


du Seigneur va donner ses fruits, la lumière diminuera la sauvagerie,
et cela fait penser à l'olivier sauvage de saint Paul {Rom. xi, 17). La
paix, entendue au sens spirituel, est le don de Dieu que Dieu octroie
par pure miséricorde et prévenance.
Et voici une description de ce don, 'f
10-22. Le Seigneur dit : Votre
chair ne savait pas, la chair était l'humaine ignorance, l'humaine
infirmité, au sens où l'entend saint Paul [I Cor. i, 29). Gardez mon
secret « Mon secret est à moi et aux fils de ma maison », fait dire à
:

Jésus un Agraphon conservé par Clément d'Alexandrie et les Homélies


pseudo-clémentines (3). Gardez ma foi rappelle le « fidem servavi »

de saint Paul (/ Tim. ivi. Connaissez ma science, vous qui me con-


naissez dans la vérité Nous savons que nous le connaissons, si
: «

nous gardons ses commandements celui qui dit le connaître et ne :

garde pas ses commandements, la vérité n'est point en lui » [I loa.


II, 34). Je me complais en eux, comme Dieu se complaît dans un fils,

et ce trait, que M. Ilarnack ne dénonce pas comme interpolé, en rap-


pelle un autre i^vii, 18) qu'il accusait de l'être. Je ne rougis pas d'eux,

(1) J. Weiss, Schi-iften des X. T., t. JI- (1908), p. 367. Le commentafeur (W. Lueken)
imagine un hymne destiné à être chanté pour le baptême.
(2) Phili. m, 1 ; IV, 4 ; / Thess. v, 16, etc.
(3) E. Prelschen, Antilegoniena (Giessen 1905), p. 27 : Muffxifiptov è[xôv t\i.o\ xaî toïç vilof;

TOÛ oiy.ou Ephes. m, 9 xoû jjiuffTïipioy -roO à7;oxexpu|j.|i.Evou aTcà twv avwvwv èv tû ôew.
(J.OÙ. Cf. :

Lactance a quelques lignes, où M. Harris signale une dépendance possible envers notre Ode
viu a ... Deo iubente ut quieti ac silentes arcanum eius in abdito atque intra nostram con-
:

scientiam teneamus... Abscondi enim tegique mysterium quam fidelissime oportet, maxime
a nobis, qui nomen fidei gerimus ». Lactant. Divin, inst. VII, 26, 8 (éd. Brandt, p. 667)-
LES ODES DE SALOMON. 51

expression qui se retrouve dans saint Luc (ix. 26 : « Si quelqu'un


rougit de moi et de mes paroles, le Fils de Thomme rougira de lui,
lorsqu'il viendra dans sa gloire... » A droite j'ai placé les élus, ex-
pression qui se retrouve dans saint Mathieu (xxv, 34) : « Alors le
roi dira à ceux qui sont à sa droite : Venez, les bénis de mon Père... »
Nous conclurons de ces rapprochements que la trame de cette descrip-
tion est jîleine de fils qui sont chrétiens, pour le moins autant que

les ^^ 23-26 : c'est toute ÏOde viii qui est chrétienne, encure que
d'un christianisme qu'il restera à définir.
i" Lexamen que nous venons de Odes m, vu. mu. où Ion faire des
dénonçait des interpolations chrétiennes évidentes, aura rais en lu-
mière, je l'espère, que ces trois O^es, d'abord, sont chrétiennes de
fond, et. en second lieu, qu'elles ne portent pas trace de surcharges
textuelles de seconde main. Ce que je dis des Odes m, ^^I, viii, je le
dirai des Odes xxxi, xli, xlii, dont M. Harnack Ij assimile le cas à
celui de rOf/e VII. En effet, s'agit-il de VOde xxxi, qui compte onze
versets, si les y 3-11 sont interpolés par une main chrétienne, comme
d'ailleurs les y 1-2 n'ont rien de spécifiquement juif, on ne peut
vraiment parler d'interpolation disons carrément, avec M. Gunkel. :

que cette Ode xxxi est toute chrétienne 2 N'hésitons pas à en dire .

autant des Odes xli et xlii. que M. Spitta lui-même (3) nous aban-
donne comme chrétiennes. Enlin ajoutons les Odes xix et xx^^I que
31. Harnack reconnaît comme l'œuvre de l'auteur chrétien. Ces con-

cessions faites, que va-t-il rester à cet interpolateur


du prétendu Grund-
sch/'iftjmî, et où allons-nous surprendre sa main.^ M. Harnack répond
que partout où dans nos Odes est prononcé, suit le vocable Christ,
soit le vocable " fils de Dieu », nous saisissons une interpolation (i i.

Ainsi, nous n'aurions plus afiaire qu'à des vocables christologiques


introduits dans des prières soi-disant juives ix, 2''; xvii, 1.5; xxiu, :

16, 19; XXIV, 1; xxix, 6 et T\ xxx^^,


3; xxxix, 10. Nous ne nous
attarderons pas à discuter ces applications de détail que M. Harnack
fait d'une théorie qu'il croit avoir prouvée déjà, et qui pour nous ne
l'est point : nous avons à poser ce qui
proprement notre thèse à est
nous, savoir la doctrine christologique de nos Odes en sénéral.

(1) Harnack, p. 83.


(2) Glnkel. p. 31i : x Auch dièse Ode [xx-xr ist also ganz einheitlich und nicht mit Har-
nack fiir eine Kompilation zu halten in .\utant Harkis, p. 129.-

(3) Spitta, p. 2fi8.

(4j Harnack, p. 79-82.


o2 REVUE BIBLIQUE.

VI. — La christologie des « Odes ».

1. — M. Gunkel voit dans VOde x un cantique de reconnaissance du


Christ (1). On dira plus exactement de Salomon, %ure du Christ.
:

C'est une ode christologique.


'
Le Seigneur a dirigé ma bouche par sa parole
et ouvert mon cœur par sa lumière.
Il a fait habiter en moi sa vie immortelle.
- etm'a donné de raconter le fruit de sa paix,
3 pour convertir les âmes de ceux qui veulent venir vers lui

et pour captiver d'une heureuse captivité 'qui conduit] à la liberté.

* Je suis devenu fort et robuste,


et j'ai fait captif le monde ;

5 cela est arrivé par moi pour la gloire du Très-Haut et de Dieu mou Père.
^ Ils ont été rassemblés eu un seul groupe, les peuples qui étaient dispersés.
"
et j'ai été sans souillure dans mon amour,
pendant qu'on me louait dans les hauteurs;
des empreintes de lumières ont été placées sur leur cœur;
^^
ont marché dans ma vie, et ont été sauvés;
ils

ils sont avec moi pour l'éternité.

Alléluia.

ne s'appliquent pas au Christ, on ne peut nier que


Si tous ces traits
plusieurs ne peuvent s'appliquer qu'à son œuvre. En lui, le Seigneur
a fait habiter sa vie immortelle et sa parole et sa lumière, pour
convertir les âmes qui veulent venir à Dieu : heureuse captivité qui
conduit à la liberté. Ainsi le Christ en saint Jean (viii, 31-32) dit :

« Si vous demeurez dans ma parole, vous connaîtrez la vérité, et la

vérité vous délivrera ». Je suis devenu fort et robuste, j'ai fait captif

le monde [2) Quand jaurai élevé de la terre, je tirerai tous [les


: «

hommes] à moi » [loa. xu, 3-2). Cette conquête du monde n'est pas
nécessairement rétrospective, car on peut l'entendre commeà venir (3).
Tous les hommes seront rassemblés en un groupe notons l'universa- :

lisme de notre auteur, qui rappelle celui de saint Paul et celui de


saint Jean. Des empreintes de lumière sont placées sur le cœur des
hommes, quelque chose comme un sceau (V Leshommes marchent dans .

(1) Gunkel, p. 311. Harxack, p. 39 : o In dieser schwierigen Ode scheint der Dichter der
Prophet) im Namen des Messias zu sprechea ». Harkis, p. 103. croit aussi que le Christ

parle par la bouche de son prophète. Toutefois M. Harris incline à penser que les pre-
ici

miers versets sont du prophète, la transition d'une personnalité à l'autre se faisant ex


abrupto.
{2'j Rapprochez Ilstin. JJialog. \xxi.\. i-5.

(3) Ceci contre Ginrel, p.


311-312.
(4' Rapprocliez la ),a{iiîpàv cspaYtSa de l'épitaphe d'Abercius et la ç;wT£ivr,v o-ypayîSa des

Acla Pliilipoi. lli. Batufol. art. «Abercius», p. 62. à\i Dictionn.de Théologie de\xc\yT.
LES ODES UE SALOMON. 53

ma vie, ils sont sauvés, ils sont avec moi pour l'éternité : « Tu as à
Sardes quelques-uns qui n'ont pas souillé leurs vêtements : ceux-là mar-
cheront avec moi en vêtements blancs, parce qu'ils en sont dignes »,

dit saint Jean (1).


2. — VOde
XVII, avoue M, Harnack (2), est aussi difficile que
VOde deux odes, en fait, appartiennent à la même inspiration
X. Les
christologique. Ici, comme dans VOde x, on ne voit pas distincte-
ment où la personnalité qui parle commence de figurer le Christ (3) :

les derniers f ne sont intelligibles que du Christ, les premiers se


rapportent au juste couronné, la transition de Fun à l'autre est dif-
ficile à saisir. Voici le texte de VOde xvii.

*
J'ai été couronné par mon Dieu,
il est ma couronne vivante.
- J'ai été justiûé par mon Seigneur;
mon salut est incorruptible.
' J'ai été délivré de la vanité, et je ne suis pas un condamné.
'*
Mes liens ont été tranchés par ses mains.
J'ai pris un visage et l'apparence d'un personnage nouveau;
j'y suis entré et j'ai été sauvé.
* La pensée de la vérité m'a conduit.
et je suis allé derrière elle et je n'ai pas erré.
•^
Tous ceux qui m'ont vu ont été étonnés,
et je leur suis apparu comme un étranger;
''
et celui qui me connaissait
et le Seigûeur m'a éduqué en toute sa perfection;
il m'a honoré, dans sa suavité,
et il a élevé ma conscience jusqu'à la hauteur de sa vérité.
s A partir de ce point il m'a donné la route de ses préceptes.
J'ai ouvert des portes qui étaient fermées
" et j'ai brisé les verrous
de fer
devenu rouge et s'est liquéfié devant moi)
(or le fer est ;

'" et plus rien ne m'est apparu fermé,

parce que j'étais la porte pour toutes choses.


" Je suis sorti vers tous mes prisonniers pour les délivrer,
pour n'abandonner personne qui fût lié et qui liât ;

^- j'ai donné libéralement ma science

et ma prière dans mon amour.


•'J'ai semé mes fruits dans les coeurs

(1) Apoc.m, 4. — Le y 7: «Jai été sans souillure dans mon amour, pendant qu'on me louait
dans les hauteurs », n'a guère de sens. Le contexte suggère Ils ont clé sans souillure
.•

dans mon amour. Comparer Ode xni, 3 « : Soyez sans tache en tout temps auprès de
lui ». On ne voit pas comment M. Harris pourrait défendre son interprétation : « In our
Ode Christ explains Ihat the réception of the Gentiles had not polluted Him ».

(2) Harnack, p. 46.


(3) Harris, p. 113.
54 REVUE BIBLIQUE.

et je les ai changés en moi ;

ils ont reçu ma bénédiction et ils vivent ;

** ils se sont rassemblés vers moi et ils sont sauvés,


parce qu'ils sont pour moi des membres et je suis leur tête.
Gloire à toi, ô notre tête, Seigneur Christ.
Alléluia !

Le Salomon qui parle a été couronné par Dieu, justifié par le Sei-
gneur, délivré de la vanité, de prisonnier il est devenu libre, ses
liens ont été tranchés par les mains du Seigneur ces expressions des :

^' 1-4* rappellent celles de VOde xi, lesquelles ne s'entendent que de

Salomon considéré comme type de l'âme sauvée. Je ne me risquerais


pas à dire, avec M. Gunkel, que, dans la christologie de notre auteur,
le Christ est sauvé avant d'être sauveur (1).
La suite, au contraire, décrit Fœuvre de Dieu se manifestant dans
le Christ. Le y 12 dit Jai donné libéralement ma science, et ceci rap-
:

pelle Ode VII, 3. J'ai semé mes fruits dans les cœurs l'image évan- :

gélique du Semeur qui sème la parole de Dieu. Ceux que j'ai conquis
ainsi ont reçu ma bénédiction Dieu seul bénit. Ils vivent, ils sont
:

sauvés, ils sont rassemblés en l'être qui parle, ils sont des membres
et il est leur tête et ceci évoque l'image paulinienne du corps du
:

(Christ dont les fidèles sont les membres et le Christ la tête (2). M. Har-

nack reconnaît que les y 11-li sont sûrement messianiques, et j'a-


joute d'un messianisme chrétien.
:

De ce même messianisme relèvent les ^' 8-li. Avec M. Harris. avec


M. Harnack aussi, et contre M. (iunkel, je crois que ces y ne parlent
pas de la descente du Christ aux enfers. Les hommes étaient prison-
niers (3), les portes ont été ouvertes, les chaînes brisées, plus rien
n'a été fermé : « J'étais la porte pour toutes choses ». Le Christ, en
saint Jean, est aussi la porte (4 i. La vérité a été libératrice : « La
vérité vous délivrera « [loa. vu, 32). C'est ainsi que le juste que
Salomon personnifie avait eu ses liens tranchés parles mains du Sei-
gneur.
On hésitera sur la signification des ^ 4''-8\ D'un côté, on compren-

(1) Glnkel, Pour M. G. le Christ a été dans la vanité quand il était homme-, sur
p. 307.
la croix, un condamné; puis il est délivre par Dieu, et couronné de la couronne de
il a été
vie. M. G. est obligé de dire que par « tous ceux qui m'ont vu », l'auteur désigne leséons.

(2) Rom. xu, 5; / Cor. xi, 3; xii, 27; Eph. iv, 20; v, 23. etc.

(3) Voyez Oile xvin, 7-8 « Tu accueilleras [les hommes] de partout, et tu garderas tous
:

ceux qui sont emprisonnés dans les iniquités. »


(4) loa. X, 7, 9. Cf. Ignat. Philad. ix, 1 le Christ est : le grand prêtre à qui est ouvert
le saint des saints, le seul à qui soient confiés les secrets de Dieu (rà xp-jutà toû 6eoù\ il

est lui-même la porte du Père (aOrôc wv 6ypa toû iraipô;) par laquelle entrent Abraham,
Isaac, Jacob, les prophètes, les apôtres et l'Église.
LES ODES DE SALOMON. 55

drait d'une christologie docète les expressions comme celles-ci : " J'ai

pris UE visage et l'apparence d'un personnage nouveau,... tous ceux


qui m'ont vu ont été étonnés, et je leur suis apparu comme un étran-
g-er... w D'autres traits sont réfractaires a une signification christolo-
g-ique normale.
3. —Avec Y Ode xix, la christologie de nos Odes- se livre à nous
en des expressions du relief le plus fort. Voici le tevte :

< Une coupe de lait m'a été apportée,


et je l'ai bue dans ladouceur de la suavité du Seigneur.
- Le Fils est cette coupe,
et celui qui a été trait, c'est le Père.
'
et celui qui Ta trait, c'est l'Esprit saint,

parce que ses mamelles étaient pleines,


et il voulait que sou lait fût répandu largement.
'
L'Esprit saint a ouvert son sein,
il mêlé le lait des deux mamelles du Père
a
etadonnéle mélange au monde, à sou insu.
'
Ceux qui '[e] reçoivent dans sa plénitude sont ceux qui sont à droite.
^ L'Esprit étendit ses ailes sur le sein de la Vierge.
et elle conçut et enfanta,

et elle devint mère-vierge, avec beaucoup de miséricorde.


'
Elle devint grosse et enfanta un fils sans douleur ;

* et afin qu'il n'arrivât rien d'inutile, elle ne demanda pas de sage-femme pour
l'assister;

comme un homme elle enfanta volontairement;


' elle [1*] enfanta en exemple,
elle [le"; posséda en grande puissance,
'0 et [rjaima en salut,
et [le] garda dans la suavité,
et [le] montra dans la grandeur.
Alléluia !

Deux parties dans cette ode, y l-ô et 6-10. La seconde partie est,
dans les^' 6-8', une sorte de récit, d'une rédaction qui n'a pas d'ana-
logue dans le reste du recueil, et qu'il semble difficile de prendre
pour une ode. Les y 8'-10 ont au contraire une allure plus rythmique
qu'aucune autre portion de nos Odes. Je ne serais pas éloigné de
croireque M. Harnack a raison de voir dans cette Ode xix quelque
chose de composite.
Mais la première partie y l-.j est hien, quoi qu'on dise, dans le
style du reste du recueil. L'étonnante image des mamelles de Dieu,
nous l'avons rencontrée déjà dans ÏOde viii, 17 u Je les ai, dit le :

Seigneur, gratifiés de mes mamelles pour qu'ils boivent mon lait


saint et qu'ils en vivent ». On devra inférer, avec M. Ilarris. que
56 REVUE BIBLIQUE.

première partie del'Oc^exixsoritdu même auteur (1).


rOflfe VIII et cette

Les mamelles été traites parle saint Esprit les mamelles


du Père ont :

étaient pleines, le lait demandait à être trait, l'Esprit a « ouvert son


sein » (le sein du Père), il a mêlé le lait des deux mamelles, et il a
donné le mélange au monde. Ces images nontde signification qu'au-
tant que le lait est la connaissance de Dieu le lait symbolise la :

même réalité que symbolisait, dans ïOde vi, 7-11, le torrent d'eau
vive qui a désaltéré les assoiffés de la terre. Raison de plus pour rat-
tacher XIX aux autres odes du recueil (2). L'Of/eiv, 10, disait à
l'Oflfe

Dieu Asperge-nous de ta rosée, et ouvre tes sources opulentes qui


:

fout couler le lait et le miel ». L'Of/exxv, 6 « J'étais porté comme :

un enfant l'est par sa mère et il me donna du lait, la rosée du Sei- :

gneur ».
Le lait des mamelles du Père n'est pas le Fils le Fils est seulement :

la coupe où le lait a été versé par le saint Esprit. Dans le Fils est
donné au monde le mélange divin (3). Le monde ne l'a pas connu,
mais ceux qui le reçoivent pleinement sont à la droite de Dieu « A :

ma droite j'ai placé les élus », disait déjà l'Ode viii, 21. Le Père, l'Es-
prit, le Fils : VOdexix énonce les trois vocables, sans nous éclairer
sur la Trinité. L'Esprit saint sert d'intermédiaire entre le Père et le
monde : il mamelles du Père et verse au monde le lait. Le
trait les
Fils est, pourrait-on croire, subordonné à l'Esprit il est la coupe :

grâce à laquelle les hommes reçoivent le lait, il leur distribue la


connaissance.
Les ^^ 1-5 pourraient se suffire, ils sont pourtant accompagnés des

f 6-8'', qui forment un récit de l'incarnation. L'Esprit a « étendu ses


ailes sur le sein de la Vierge » : quelque hésitation que les critiques
aient sur le texte original, il est clair que nous sommes ici dans le
prolongement de Luc. i, 35 rvcOixa âytiv : iTrc/.sjjcTai ï-\ gz, -auI ojv3:;j.'.;

û'\>ia-ou ÏTAGY.iXGv. Qzi. La Vierge a conçu et elle a mis au monde. Elle

(1) mamelles de Dieu a peut-être été suggérée par celle des


HARRi>i, p. 115. L'image des
mamelles de Jérusalem, dans Clément d'Alexandrie parle du sein ((la^ô;,
Isaïe (lxyi, 11-12).
mamelle) du Père, et ce sein est le verbe, et le verbe est le lait de cette mamelle heureux :

ceux ((u'allaite cette mamelle! Paedagog. i, 6, 43 (éd. Staehlin, p. 116). L'idée de —


M. Harris, que dans l'Ode xix les deux mamelles du Père sont une allégorie des deux
Testaments, est certainement un anachronisme.
(2) On ne souscrira donc pasau jugement de Haunack, p. i9,disant à propos des y 1-5 «Hier :

haben wir also ein von Anfang bis zum Ende chrislliche Ode, die unter die anderen einge-
itiengt ist. » L'Ode xix (y 1-5 au moins) lient aux autres odes par son symbolisme et sa
mjslique, loin d'y faire ligure exotique.
(3) M. Harris, p. 116 : It is conceivable Ihat the allusion in ilie Cup of Milk may
cover an early Milk-Eacharist ». Interprétation sans analogue; notre interprétation, au con-
traire, s'accorde avec / Pet. ii, 2-3.
LES ODES DE SALOMOX. o"

est devenue mère, la Vierge, « avec beaucoup de miséricorde » ce :

mot obscur est traduit with manij mercies par M. Harris, mit vielen
Gnaden par Flemming. Peut-être doit-on entendre La vierge pleine :

de grâce (-apOévs; y.syap'.Twy.Évr/j, dans le prolongement de Luc. i, 28.


La Vierge a enfanté sans douleur de son
: la naissance fils est donc
difierente de la naissance de toute chair. La Vierge n'a pas besoin de
sage-femme pour l'assister au moment de l'enfantement. M. Harnack
rapproche ces traits de quelques mots cités de VAsc€nsio?i d'haïe (xi,

li) dans les Actus Petricinn Simone (25) :

Et aller proplieta dicit honoriflcatum patrem : iVcçwc vocem illius audivimus neqiie
ohstetrix subit (1).

Le f S^ semble se rattacher, au point de vue du rythme, aux f 9-10,


et, si ce rattachement est fondé, on aurait la strophe que voici :

Comme un homme elle enfanta volontairement,


' elle l'enfanta en exemple,
elle le posséda en grande puissance,
^" elle l'aima en salut.
elle le garda en suavité.
elle le montra dans la grandeur.

On rapprochera cette strophe de six vers de la « strophe » bien


connue qu'on croit retrouver dans / Tim. m, 16 : le sujet est le Christ :

£'.fiav£pojÔr, £v cap/.î,

soixaitôOr, £v 7rv£iju.aTt,

iy.r^i^{)/bt\ £v sQvsffiv,

£7rt<7T£lj6vi £V X0CTU.CO,

àveXïiiX'iiOiri Iv Sô;-/) (2).

La strophe que l'on peut restituer dans notre Ode xix, avec les
^ 8''-10, est dessinée sur le même modèle, avec pour sujet non le Christ,
mais la Vierge.
J'avoue être profondément étonné qu'aucun critique, jusqu'à ce
jour, n'ait bronché devant le ^- S'' et le ^- 9. M. Harris et M. Flemming
Acta aposlolorum npocrypha (éd. Lipsils-Bonnet), I (Leipzig 1891), p. 72. Les mots
(1)

« « sont-ils unecorruption fie honorificans matrem?


honorilicalum patrem A la suite les —
Actus Pétri ajoutent « Alter prophela dicit
: Non de vulva mulieris natus, sed de caeleste
:

loco descendit». La source de cette seconde citation est encore inconnue. — Les Actus Pétri
cum Simone remonlentau ii" siècle. — L'idée de faire intervenir une sage-femme est une
imagination aulidocète qui apparaît à la (in du ii" siècle. Elle est attestée par Clément. Al.
Stromat. vu, 16 (éd. Staehlin, p. 66;. On la retrouve dans le Protévangile de Jacques,
xviii-xx (éd. Michel, p. 37-43).
(2) J. Weiss, Schriften des X. 7"., t. II, p. 407 « Wir haben : liier ein Stùck Liturgie
vor uns; es gliedert sich in drei symmetrische Satzpaare... »
58 REVUE BIBLIQUE.

traduisent tranquillement : « Elle îenfaiita, de sa volonté propre,


comme si elle était homme ». M. Labourt, serrant le texte syriaque
un
de plus près, a traduit « Comme un homme elle enfanta volontaire-
:

ment ». Et cette traduction met sur la voie du seul sens possible. Car
il est clair que, y puisse mettre, un homme
quelque volonté qu'il
n'enfante pasi La leçon syriaque est donc manifestement inepte.
L'énigme posée par cette ineptie se résout, semble-t-il, au mieux,
si l'on admet que la Vierge a enfanté un lils qui est « comme un

homme », un iils qui n'est homme qu'en apparence (1). Je restituerais


en grec wç avOpwTrsv i7£vvr,a£v (et non wç avôpw-oç).
: Le texte sy- —
riaque ajoute que la Vierge a enfanté volontairement, ou « de
sa volonté propre », et cela n'a pas de sens non plus il n'y a de :

jeu ici que pour la volonté de Dieu. Cela suggère que peut-être le
grec original portait à/. hi/.r,'^.x-oç, en sous-entendant ou en restituant
6£2j. Nous savons que, au second siècle, certains entendaient du Verbe

le y 13 du prologue de saint Jean, quils lisaient c; (pour c-') :•>/. è? :

a'.p.â-a)v ojoà à/, 6£Ar,;j.aT;c sapy/cç cjO£ kv. hùà,'^^-zç àvcpiç, xk'k kv, G£ou
-< f)thr,-^.oc-cz >> £Y£vvy;Oy; (^pour b;vr>rfir,axwi. Cette leçon, attestée par
TertulUen, par saint Irénée, par saint Justin, par le codex Veronensis
de l'ancienne Latine (2), a toutes les apparences d'une altération in-
troduite dans le texte original en vue d'en faire un argument sans
réplique contre l'erreur de ceux qui n'acceptaient pas la conception
virginale, les soi-disant Ebionites i3;.
Le sens que je viens de restituer au ^' S'' se trouve s'accorder
avec le sens du ^' 9 : u Elle l'enfanta en exemple, elle le posséda
en grande puissance L'enfantement virginal n'est pas un exemple
».

imitable, mais un simulacre (s;ji.ot(i);j,a) d'enfantement, et le mot


il est

o;j.î(o);j.a, OU encore le mot cxr,tj.a, peuvent se traduire « exemple ».

Quant à posséder « en grande puissance », c'est sans doute posséder,

(1) Cf. Adxmantils, Dialog. v, 9 (^édit. Bakhlïzen, 1901, p. 191} : « Eliam nos contitemur
quia per Mariam natus est, sed noii de Maria. Sicut enim aqua per tistulani transit, nihil
e\ ea accipiens, lia eliam verbum Dei jjcr Mariam transiliim fecit. sed non de Maria aliquid
sumsit ». Id. 4 (p. 179) : « lon-r^n: id est putative dicimus eum assumsisse corpus, sicut et
angeli qui visi sunt Abrahae... » Cf. Iue\. Haer. I, 23, 1 : « [Simon magus] docuit semet-
ipsum esse, qui inter ludaeos quidem quasi Filius apparuerit, iu Sau)aria autem quasi Pater
descendeiit, in reliquis vero gentibus quasi Spiritus sanclus adventaverit. >> Le grec (con-
servé par Théodoret) porte : w; uiov çavriva-., ... tb; Traxâpa 7.aTî).r,/.y9£va'., ... w; lîveOfia âyiov

intçoixr.iîa'. { P. G. t. VII, p. 671).

(2) T. Calmks, L'Ev. selon S. Jean (Paris 1904), p. 115-119.

(3) Tertllliax. J)e carne Chrisli, 24 El non ex sanguine neque ex cnrnis et viri
: «

voluntate sed ex Deo natus esi Hebioni [Deus] respondit ». Cf. Id. 19. Iren. Haer. III, —
16, 2: 19, 2; 21, 5. — Ilstin. Dialog. Lxiu, 2, avec la note de M. Archambault, p. 296-
298.
LES ODES DE SALOMON. 59

acquérir, grâce à la toute-puissance divine. Saint Justin écrira « Dieu :

a révélé à l'avance que sang du Christ ne viendrait pas d'une race


le

humaine, mais de la puissance de Dieu » (1).


On restituerait alors ainsi :

^'"
(oç avôpojTTOv £Y£vvrj(7£v lie OeX-^ixatoç,

^ £Y£vvr,(j£v £V ôaoio)fAaTt,

IxTr^ffaxo £v ouvaixEi,
^'^'
'?i'^d'r:ri(JS'^ £v awTyjpt'a,

lcpuXa;£v £v EÙ'^pocuvvi

£cpav£pcua£v Iv ui.£YaXeiOTr|Ti.

Nous aurions là, surtout dans les ^8''-9, une formule docète d'une
rare netteté. Que l'on veuille bien rapprocher les f 4-8 de ÏOde vu,
et juger s'ils s'accordent à mon hypothèse : « Sa bonté a rapetissé
sa grandeur, devenu comme moi pour que je le reçoive, par
il est
l'aspect il a été réputé semblable à moi pour que je le revête..., il
est devenu comme ma nature pour que je le comprenne, et comme
ma figure pour que je ne me détourne pas de lui ». Cette christologie
est celle des docètes.
{A suivre.)
Pierre Batiffol.

(1) lusTm. Dialog. liv, 2 (p. 240) : oOz. è? âvQpojTro-j av:i^[i.7.-o;, à>.).' i/. tv^; io-j ôeoO ô-jvâ-
ou EN EST LA OLESTION DU RECENSEMENT
DE QITRIMLS?

La question soulevée par deux versets de saint Luc ii, 1-2) a déjà
fait couler beaucoup d'encre; mais elle est toujours agitée, et il faut

bien que cette Revue tienne ses lecteurs au courant des fluctuations de
la critique. Mon intention nest pas de la reprendre en entier; je
suppose que les termes de la discussion sont connus.
M. Loisy prend les choses de très haut « La façon dont le recense-
:

ment est compris touche au comble de linvraiseniblance; car si tous


les habitants de l'empire avaient dû se transporter dans l'endroit qu'ha-
bitaient leurs ancêtres mille ans avant l'ère chrétienne, jamais on n'au-
rait vu 'pareille migration de peuples (1) ». « On se heurte de toutes
parts à des impossibilités. Luc parle d'un recensement universel de
l'empire exercé par l'autorité romaine, en Judée, censée province ro-
maine (2^ ». Luc est donc en contradiction non seulement avec saint
Matthieu qui fait naître Jésus sousHérode, non seulement avec l'histoire,
car il parait qu'Âueuste n'a jamais fait exéculer un recensement uni-
versel simultané de l'empire, Luc est encore en contradiction avec lui-
même, car le recensement auquel il fait allusion est en réalité celui de
Quirinius, qui eut lieu en 6 après J.-C. Ce recensement fut particulier à
la Judée par conséquent ne pouvait obUger Joseph à venir de Gali-
et

lée; d'ailleurs, d'après Luc lui-même, Jésus avait alors di\ ans. On voit
assez que loin de chercher à expliquer saint Luc, M. Loisy serait plutôt
porté à le tourner en ridicule. Disons, pour n'y plus revenir, que cet
exégète s'est fait une idée assez étrange, et même fausse, du monde
oriental. Saint Luc ne se serait pas inquiété de la difficulté qu'il y
aurait eu « pour la masse des Juifs à retrouver leur arbre généalogique,
le nom de l'ancêtre contemporain du fils d'Isaï, et la patrie de cet

(1) Les Évangiles synoptiques, 1. 344.


(2) Loc. laud., p. 3i4.
ou EN EST LA QUESTION DU RECENSEMENT DE QUIRINIUS ? 61

ancêtre oublié depuis des siècles (1) ». C'est de la caricature, et ce


n'est point de cela qu'il s'agit. Un Oriental, disons
l'on veut un si

Syrien, appartient à un clan qui porte un nom


générique, regardé
assez souvent comme celui de l'ancêtre. Personne n'est tenu de produire
son arbre généalogique pour prouver qu'il appartient k ce clan ce :

fait est de notoriété publique. Il y a à Jérusalem un certain nombre de

Maronites qui y passent leur existence. Aucun d'eux ne se regarde


comme étant de Jérusalem. Ils viennent de telle région du Liban, et
appartiennent à tel clan, comprenant deux ou trois mille personnes.
Si on leur demandait de se faire recenser à leur lieu d'origine, cela
ne soufl'rirait aucune difficulté.
Les autres arguments de M. Loisy n'ont rien qui lui soit particulier.
Tout à l'opposé, on peut citer M. Ranisay dans son ouvrage bien
connu Was Christ bàrn at Bethlehem? (2).
:

Le savant romaniste s'est demandé si les papyrus grecs d'Egypte ne


fournissaient aucune lumière sur la question. C'est un fait, constaté
par les papyrologues, qu'il existait en Egypte un recensement per-
sonnel, distinct du recensement contenant estimation des biens. Tous
les quatorze ans on proclamait le recensement. L'année suivante,
chaque maître de maison fournissait une déclaration, livrée au fonc-
tionnaire local. Elle comprenait son nom (et son âge), celui de sa
femme, de ses enfants et des autres personnes habitant la maison,
familiers ou esclaves. Ces déclarations, àTroYpaça-. y,y.-' zwSoL^t, sont dis-
tinctes, disions-nous, des déclarations de propriété contenant esti-
mation. Sous les empereurs, les à-sYpasaC se font sans Tt;xr,7iç. Elles
différaientdonc du cens romain où chacun évaluait sa fortune mais ;

on savait déjà par Mommsen que le cens romain et le recensement


des provinces sont deux institutions bien distinctes (3),
Tablant sur ces périodes de quatorze ans, M. Ramsay a pensé que,
puisqu'un recensement a eu lieu en l'an 7 après J.-C, celui qui a —
suivi la mort d'Archélaiis, —
un autre avait dû avoir lieu huit ans
avant J.-C, puis pour des raisons dont il serait long de faire la criti-
;

que, et même
l'exposé, il a ramené le recensement dont parle saint
Luc à l'an 6 ou 5 avant J.-C.
Ce système, traité assez dédaigneusement par M. Schûrer (4), ne
pouvait qu'être accueilli avec sympathie par les écrivains catholiques.
Cependant M. le chanoine Valbuena n'en fait aucun usage dans sa

(1) Loc. laud., p. 346.


(2) Londres, 1898; 3« éd. 1905.
(3) Cf. WiLCKEN, Ostraca, I, p. 469.

(4) Theolocjische Literahirz-eituncj, 1899, p. 679.


62 REVUE BIBLIQUE.

dissertation (1). Il a été discuté avec soin par MM. Grenfell et Hunt,
dont l'autorité en matière de papyrus est tout à fait au premier
rang- (2).
L'existence absolument certaine; on a de
du cycle de li ans est

nombreux exemples, de l'an 62 ap. J.-C. à l'an 202 (3). xMais de plus
on ne peut raisonnablement douter du recensement de l'an 20 ap.
J.-C. Même il y a de bonnes raisons de croire qu'il y eut un recense-
ment en Tan 10-9 av. J.-C. et un autre en 5 et 6 ap. J.-C, dans la '2V
et la 35" année d'Auguste.
Il y a plus il semble établi que le recensement de l'an 10-9 fut le
:

premier point de départ de la période de quatorze ans, car on a des


traces de déclarations antérieures, de l'an 20-19 et 19-18 avant J.-C,
qui par conséquent ne rentrent pas dans la période. Voici les termes
mêmes de la conclusion des deux maîtres en papyrologie « La con- :

clusion vers laquelle convergent les données des deux côtés, c'est que
le cycle de quatorze ans a été institué par Auguste. Il est probable qu'il

y eut des recensements généraux en Egypte en 10-9 av. J.-C. et en


5-6 après, et il y en eut vraisemblablement avant 10-9 av. J.-C, mais
l'année ou les années sont tout à fait douteuses... Les papyrus sont
donc tout à fait d'accord avec l'indication de saint Luc que ce fut « le
premier recensement (4) ». Mais si M. Ramsay veut argumenter de
l'usage égyptien, il doit en respecter les données, et on ne peut guère,
en tablant sur le recensement de l'an 10-9, descendre pour la Syrie
plus tard que l'an 8, et, comme dernière concession, plus tard que
l'an 7 av. J.-C. De plus, en Egypte, le recensement se faisait au lieu
où l'on habitait. Mais cela est en somme conforme au texte de saint
Luc « Chacun allait se faire inscrire dans sa propre ville. » Il reste à
:

savoir ce que les Syriens entendaient par leur propre ville. Il n'est pas
déraisonnable de supposer que l'organisation sociale étant différente,
le procédé de recensement fût différent (5).
D'ailleurs rien n'empêche de supposer que Joseph avait d'abord
habité Bethléem. Il s'agissait pour lui de faire constater sa présence à

(1) La arqueologia greco-latina iluslrando el Evangclio (p. 536-594).


(2) Oxyrlnjnchus papyri, II, p. 207 à 214.
(3) 61-62 est aussi le point de départ de Wilcren, op. laud., p. 469.
Loc. laud., p. 211.
(4)
On peut regarder comme assurée la traduction suivante d'un papyrus du British
(5)

Muséum (Kenyon, III, 124 ss.), de loi ap. J.-C. « Gabius Vibius Maximus, préfet d'Egypte,
:

[dit] Puisque le temps est venu du recensement maison par maison, il est nécessaire d'obliger
:

ceux qui, pour une cause quelconque, résident bors de leurs districts de retourner à leurs

propres domiciles afin qu'ils puissent se tenir à l'ordre régulier du recensement, et veiller
avec diligence à la culture de leurs lois. »
ou EN EST LA QLESTION DU RECENSEMENT DE nUlRINIUS? 63

son lieu d'origine, sauf à déclarer en mrme temps (\i\e son domicile
actuel était Nazareth.
L'analogie de l'Egypte n'est assurément pas à dédaigner, nous y —
reviendrons, — mais rien
de tout cela ne fait avancer la question de
Quirinius. Au contraire, si le recensement a eu lieu en l'an 8, nous
sommes assez loin de sa première légation qui n'a pu commencer
qu'après la mort d'Hérode, et même quelques mois après, au plus tôt
pendant l'été de l'an i av. J.-C.
On admet aujourd'hui assez généralement que P. Sulpicius Quirinius
a été deux fois gouverneur de Syrie, avec le titre officiel de legatiis
Aiigusti pro praetore Syi'iae. la Syrie étant une province impériale,
qu'Auguste faisait administrer directement par ses lésats.
La première légation ne peut pas. disions-nous, avoir eu lieu avant
l'été de l'an i av. J.-C. : elle ne peut s'être prolongée au delà de l'an 3
ap. J.-C, puisque L. Volusius Saturninus a été gouverneur en l'an i
ap. J.-C. Il est même plus vraisemblable que Quirinius n'avait plus le
titre officiel de gouverneur de Syrie en l'an 1 av. J.-C, au moment
où C César, petit-fils d'Auguste, fut envoyé en Orient.
La seconde légation de Quirinius commence en l'an G ap. J.-C
Rappelons, pour l'intelligence de ce qui va suivre, que cette se-
conde légation s'appuie uniquement sur l'autorité de Josèphe.
Personne jusquà ces derniers temps ne lavait mise en discussion.
C'est ce qu'a fait M. Zahn. et c'est à ce moment que la controverse a pris
un aspect nouveau. D'après ce savant (1). Quirinius n'a été qu'une fois
gouverneur de Syrie, et n'a fait le recensement qu'une fois, de l'au-
tomne de i av. J.-C à l'an 3 av. J.-C. Josèphe s'est donc trompé. Et
la preuve qu il s'est trompé, c'est qu'il répète deux fois les mêmes
faits, une fois après la mort d'Hérode. et une fois après le bannisse-

ment d'Archélaiis. C'est ainsi que le grand prêtre Joazar a été déposé
deux fois, par Archélaiis après la mort d'Hérode [Ant., XVII, xiii, 1),
et par Quirinius au temps du recensement de l'an G ap. J.-C Ant.,
XVIII, II. 1). Il y a eu deux soulèvements de Judas, l'un après la
mort d'Hérode [Ant., XVII, x, 5 et Bell., II, iv, 1). et l'autre à l'occa-
sion du recensement {Ant., XVIII. i, 1 et XX, v, 2, et Bell.^ III, xviii,
8; VII, VIII, 1\ Josèphe ayant confondu, c'est Luc qu'il faut suivre.
Encore est-il que Luc. d'après M. Zahn, a eu le tort de croire que
le recensement de Quirinius a précédé la mort d'Hérode. Son erreur,
moindre que celle de Josèphe. n'en serait pas moins fatale.

(1) Zahn, Die syriscke Stalthalterschaft und die Schatzunrj des Quirinius [Neue kivch-
liche ZeUschrifl, 1893. p. 633-654) et Einleitung in dos X. T., III, p. 395 s., 415 s.
64 REVUE BIBLIQUE.

conséquence que M. Spittaa voulu éviter. Dans un article


C'est cette
récent se garde bien de revendiquer pour saint Luc une pré-
(1), il
cision vraiment scientifique, mais il tient les faits pour historiques ;

seulement il les place après la mort d'Hérode. Luc a comme trois


débuts chronologiques : le temps d'Hérode (i, 5), les temps romains
qui suivent sa mort(ii, 1), une date précise : la quinzième année de
Tibère (m, 1), Jésus ayant alors environ trente ans (iir, 23), Les ar-

iiuments de Zahn sur le brouillamini de Josèphe sont pleinement


acceptés. Si Ton entend bien ce que prétend Luc, son histoire n'a
rien d'invraisemblable. Il ne faut pas se figurer toute la Judée con-

fluant vers Bethléem. Dans la maison où Joseph et Marie ont reçu


l'hospitalité, il y avait de la place ce qu'on ne trouva pas, c'était
;

un berceau; on dut se contenter d'une mangeoire d'animaux pour y


placer le nouveau-né. Il faut donc écarter l'imagination des auberges
remplies et de la migration des peuples. Luc, en plac uit le recen-
sement peu après la mort d'Hérode, est plus conforme à l'histoire que
Josèphe qui a imaginé son recensement de l'an 6 ap. J.-C. parce
qu'alors la Judée a été réduite en province romaine.
Il ne restait plus qu'un pas à faire dans cette voie soutenir que :

Josèphe lui-même témoigne, sans s'en douter, en faveur de Luc, en


récitant d'après des sources mal copiées les débuts de la légation de
Quirinins. Ce pas, M. ^yeber l'a franchi dans la même revue (-2), en
lisant « Quirinius «aulieu de « Sabinus ». L'erreur ne peut être impu-
table aux copistes de Josèphe, puisqu'il tient pour la légation de
l'an 6 ap. J.-C. Mais, dans la source araméenne qu'il suivait, Qiiirin

était devenu Sabin 3).


Nous ne suivrons pas M. Weber dans le dédale de ses explications.
Il parait croire que la Guerre a été écrite après les Antiquités, contre

le témoignage si formel de Josèphe lui-même {Ant., I, Proœm.), et

il affirme tranquillement que Quirinius et son recensement ne sont

pas nommés dans la Guerre (p. 316). Que fait-il de passages comme
Bell., llxviu 8 ou VII, vin, 1?
D'ailleurs M. Weber ne semble pas que Sabinus figure
se douter

depuis longtemps dans la discussion. Son attitude à l'égard de Varus


est étrange. M^' Aberle l'avait pris pour le procurateur de Quiri-
nius, déjà nommé gouverneur et qui tardait à prendre possession en

(1) Die chronologischen


Notizen und die Hymnen in Le. 1 et 2 [ZeUachrift fiir die
neulestamentliche Wissenschaft, 1906,p. 281-317).
(2) Der Census
des Quirinius nach Josephus (loc. laud., 1909, p. 307-319).
(3i Ce chingement ne serait point trop difficile en eslranghelo,
mais cette écriture n'exis-
tait pas encore. Un alphabet analogue à celui des Nabatéens serait fatal à cette hypothèse.
ou EN EST LA oLESTIOX DU RECENSEMENT DE QUIRINIUS? 6^

remplaçant Varus (1). Dans ce système, on pouvait faire commen-


cer le recensement de Qiiirinius au temps d'Hérode. Tandis que
M. Weber renonce, comme M. Spitta. à placer la naissance de Jésus
sous Hérode. Il serait né vers la Pentecôte de Tan i av. J.-C. Saint

Joseph avait dû emmener Marie précisément pour échapper aux trou-


bles causés en Galilée par le recensement.
Oserions-nous à notre tour proposer à MM. Spitta et Weber une
amélioration à leur système que nous n'entendons d'ailleurs pas adop-
ter? Ce serait de respecter le recensement de Fan 6 ap, J.-C. et la

seconde légation de Quirinius. Que Josèphe soit très mal informé sur
le règ-ne d'Archélaiis. cela saute aux yeux, puisqu'il n'en dit à peu
près rien. Mais cette réserve même autorise son affirmation quant à
Tannée où Quirinius fit le recensement, en Tan 6 ap. J.-C. au mo-
ment où Archélaùs fut envoyé en Gaule. Sur l'année du bannissement,
Josèphe coïncide avec Dion Cassius •2) il est donc bien informé quant
;

à la date. Le recensement ou plutôt l'établissement de limpùt d'après


un cadastre (à-c-('fi.r,7iç) est une opération tellement indiquée au mo-
ment de la réduction de la Judée en province romaine, qu'on ne peut
le nier sans de très fortes preuves. Or les confusions de Josèphe, si

elles sont établies, loin de prouver qu'il n'y eut quun recensement,
qui aurait eu lieu une dizaine d'années plus tôt, supposent plutôt
qu'il y eut deux recensements, et que ce qui se passa lors du premier
fut ensuite assigné au second par suite dune méprise.
Cette modification admise, absolument impossible de mettre
il est

saint Luc en désaccord avec Ihistoire. Personne ne prouvera jamais


qu'" en ce temps-là » de ii, 1 doit s'entendre dutempsqui a précédé la
mort dHérode, plutôt que de celui qui l'a suivi de quelques semaines
ou même de quelques mois. Après la mort d'Hérode on le dira —
plus loin —
il y eut un moment d'indécision dans la politique ro-
maine. Ce sont les Romains qui ont remis l'ordre en Judée. Archélaùs.
rétabli par grâce, ne pouvait s'opposer à un recensement : ce recen-
sement a pu être opéré par le nouveau légat, P. Sulpicius Quirinius,
qui devait plus tard ©empiéter son œuvre. Dans cette hypothèse, on
ne voit vraiment pas ce que les adversaires de saint Luc pourraient op-
poser de décisif ou même de sérieux : mais, il faut bien l'avouer, saint
Luc ne serait justifié qu'aux dépens de saint Matthieu. On sait combien
il est difficile de faire concorder les récits de l'enfance tels qu'ils sont
exposés dans le premier et dans le troisième évangile. Lue difficulté

[i] Theologiscke Quartalschrift. 1865.


(2) Livre LV, 27. 6, éd. Boissevain.
RF.VCE BtBLIOlF. 1911. — N. S.. T. VIII.
K6 REVUE BIBLIQUE.

(le plus n'est pas pour faire reculer des critiques comme M. Spitta
qui donneraient sans hésiter la préférence à Luc. C'est ce que nous ne
pouvons faire, et il ne nous reste plus qu à insister sur la solution qui
nous parait le plus en harmonie avec l'ensemble des faits réunis jus-
qu'à ce jour.
y a deux points à traiter séparément 1" le recensement sous le
Il :

règne d'Hérode; 2^ dans quelle relation est-il avec Quirinius?

j. Ij' fa'il du rccensrmenl ordonné par Auguste


etcommencé sous Hérodc.

Pouvons-nous soutenir qu'Auguste a fait exécuter nu recensement


universel et simultané de l'empire?
Si la question était posée dans ces termes, choisis avec soin par-
.M. Loisy, il faudrait peut-être répondre par la négative. Mais la
question se pose-t-elle vraiment ainsi? Puisqu'on reconnaît que Luc
parle en écrivain soucieux de la vérité, mais nullement technique,
on linterprétera d'une façon plus large. S'il est avéré qu'Auguste a
lente plusieurs recensements dans des provinces importantes, on a
dû lui attribuer le dessein de recenser son empire. Qu'il y ait eu un
seul décret, applicable et appliqué à tout l'empire romain, je n'ose-
rais l'affirmer; je dis seulement ((ue la phrase de Luc est suffisamment
exacte si l'intention de l'empereur a été suflisamment manifestée.
Or nous savons que, sans parler des trois recensements officiels
du peuple romain, Auguste a inauguré les recensements des pro-
vinces. Il commença par les (iaules (Ji, en l'an '11 av. .l.-C, et il est
assez probable qu'il lit de même en Espagne 2). Mais quoi qu'il en
soit de l'Espagne, des troubles provoqués par le recensement se pro-

duisirent en Gaule et ne s'apaisèrent que quand Drusus fît sa cam-


pagne de Germanie, en l'an 12 av. .l.-C. 3i.
Bien plus, Claude, dans son discours aux Gaulois, semble parler du
recensement —
après quinze années —
comme d'une chose à laquelle
les Gaulois de ce tenqjs n'étaient pas encore accoutumés [k)\ On voit

que les difficultés du sujet ne sont pas particulières à la Judée. Rn

il) Dio\. LUI, 22. xal aOTàiv xà; àTîoyp*?*^ è^oiriffaTo. Ln., Ep. CXXXIV
.">
: Cum ille :

coiivenUim Narbone ageiet, census a Uibus Galliis, quae Caesar pater viceral, actus.
xàvTEùffîv s; tî tt.v 'Ioy,pîav àsî/.sTo, xal -/aTs-
(2) Dion cite à la note précédente continue
:

oTïiffaTo xai £X£'vr,v (LUI, 22, T)).

3) Liv., Ep. CXXXVII tumultus, qui ob censuiii exorlus


:
in (iallia eiat, <oui|iositu.s.

Claude au contraire felifitera les Gaulois de leur calme.


i4) Dessad, Inscriplioni's Inlinae. n" 212, II, 36 : et f|uideiii cum ajd census nuvo tuni

oi>ere et inadsueto Gallis ad bellum advocalus esset.


(H" EN EST LA nlESTION 1)1 lîKCENSEMEN'l' DE OUIRIMIS? (17

l'ail l 'i aj>. .I.-C, l'année même de la mort d'Auguste, nriuveau recen-
s(Mnen1 en <.aule '
1).

A l'exemple certain des trois (xaules, douteux de iKspagne. il faut


désormais, d'après les papyrus interprétés par MM. Grenl'ell et Hunt,
ajouter l'Egypte. MM. Schiirer et Loisy ont répondu à M. Ramsay que
l'exemple de lÉgypte ne prouvait rien pour la Syrie. Si l'Egypte' —
était seule, peut-être, à cause de son caractère particulier. Mais on
se demande pourquoi Auguste n'aurait pas appliqué dès lors à la
Syrie ce qui lui avait paru opportun en Egypte et en Gaule ?

Josèphe semble bien appuyer cette conjecture quand il dit que


Quiriuius avait été envo\ é pourfaii'c le recensement de la Syrie (2).

D'ailleurs on peut le conclure presque avec évidence.


Les adversaires de Luc — je les nomme ainsi pour abréger —
admettent d'une seule voix que, aussitôt après le bannissement d'Ar-
chélaûs, la Judée étant incorporée à l'empire, Quirinius se présenta
pour faire le recensement et le cadastre -iir.z-i^hr^z'.z}.

N'est-ce pas dire clairement qu'on appliqua alors à la Judée ce qui


existait déjà en Syrie? Pourquoi une mesure spéciale à la Judée? On
l'assimile, voilà tout. Il est d'ailleurs prouvé par l'inscription de
Secundus [CIL., III, 6687i que Quirinius a
Q. Aemilius Pal. fait à un
moment (quelconque le recensement de la Syrie.
Les Gaules, l'Egypte, la Syrie soumises au recensement, on aurait
assurément le droit de dire (jue les mêmes raisons ont dû produire
ailleurs les mêmes eilets; mais je ne veux pas raisonner dans le vide.
Je demande si ce n'était pas assez pour qu'un écrivain soucieux
d'exactitude, cultivé, mais point jurisconsulte, ait conclu qu'Auguste
avait décrété de recenser le monde romain tout entier?
Pouvons-nous produire une indication plus précise? Je la trouve
dans un texte de Dion, souvent cité, entendu dans deux sens très diffé-
rents, et dont il est peut-être possible de déterminer quel est le
véritable.
On est en l'an 11 ou 10 av. J.-C. : « Pendant que cela se passait.
.\uguste fit le recensement, recensant tout ce dont il avait la disposi-
tion, comme un particulier quelconque, et il fit le triage du Sénat 3). »
Si ce texte on pourrait l'entendre d'une sorte d'inven-
était isolé,
laiie de la fortune personnelle de l'empereur. Mais on a une impres-

(i) Tac, .!/(/(.. I, 31 : Gcriiiaiiicum aiiendo Galliarurn cmsiiilum iiilciiUiiii ; cl. I. 33.

(2) Ant., XVU, 13, .5: âTrox'.jxriTÔu.îvô; ~t ~7. =v Ivoia •/.ai tov Ap7£)âou àTrooaxroiAsvù; oî/.ov.

Le ms. M lit à:ïOT'.[j.r,'7àu.cvo;, leçon qui paiail bien ineilleuic


(3) LIV, 35; 1 ; Iv w ô' ouv èxstva èyi'^ytTo, 6 A'jyoycT's; xTioyipct^ài; te ènoiy-TaTO, TîâvTa t»
ÛTîâv/ovTd: 0'. xaôdcTtsp T'.; IciwTr,; «Troypa'idcasvo;, y.ai Tr// [loy),v;v xoits) eSoto.
68 REVUE BIBLIQUE.

sion différente en le rapprochant du passage où Dion, décrivant les


pouvoirs impériaux, rapproche précisément le droit de faire le cens

de la lectio senati(s{\). Le parallélisme est exact. On sait aussi, par


le monument d'Âncyre, qu'Auguste a fait trois fois le recensement

du peuple romain, accompagné chaque fois de la leciio senatûs. Pour


le recensement de 28 av. J.-C. . Dion offre toujours la même connexion
entre les recensements officiels et les remaniements du sénat (2).

En présence de cette terminologie assez constante de Dion, on


est autorisé à regarder l'opération de l'an 11/10 comme une sorte
d'inventaire, non pas de la fortune privée de Fempereur, mais de ce

dont il avait la disposition, c'est-à-dire moins des pro-


à tout le

vinces impériales, et il est assurément remarquable que la date


coïncide exactement (11/10 av. J.-C.» avec la date à laquelle les
papyrus égyptiens ont conduit MM. Grenfell et Hunt. Il n'y a même
pas un écart bien sensible avec le recensement des Gaules aucjuel
Drusus en 12 av. J.-C.
prit part
Un recensement général parait d'ailleurs supposé dans l'état du
monde romain contenu dans le Breviarium dont Tacite indique ainsi
le contenu : Opes publicae continebantw : quantum civium socio-
rumque in arniis; quoi classes^ regna^ provinciae , tributa aut vecii-
galia, et nécessitâtes ac largitiones (3). Ce texte a été souvent cité,
avec d'autres sur lesquels il n'y a pas lieu de revenir.
On ne peut donc guère nier qu'Auguste ait fait le recensement des
provinces, du moins des provinces impériales, et ces mesures se
rattachaient naturellement à un plan, que Luc pouvait bien nommer
un décret (4).
Jusqu'à présent il n'a été question que des provinces. On ne peut
donc rien conclure pour la monarchie hérodienne. C'est le principal
argument de M. Schiirer un recensement à la romaine ne pouvait :

avoir lieu en Palestine au temps du roi Hérode, rex socius qui levait
les impôts lui-même, sauf à payer, ce qui n'est pas prouvé, un — —
tribut à Auguste.
L'argument serait démonstratif si nous avions affaire à des catégo-

(1) LUI. 17. 7 : y.al àTCoypacçà; roioùvTa'. (les empereurs) /.al tov; [aèv %'x-'£i.i-o-ja\ xai s;
T^v i7i7:à&a xal È; tô povXs'JTixov.
(2) LU, 42, 1 : •/.ai [jisTà Taùta T'.[iriTEÛ5a<; aOv tû 'Ay^tTiTra â)./.a t£ Tiva oitôpôaxTe v.aî Trv
Po'u).iriv èlrjaffE. Cf. LIIL 1, 3 : xai Ta; àTToypcxsa; i^zzù.zat, xai iv aCi-aï; T^çôxpito; Trj: •^too'j-

ffta; £7t£xXy;6r,.

(3) Annales, I, 11.

Dans mon enfance j ai entendu chanter à Autun une sorte de clianson historique; on
(4)
disait quand un décret de sa ioute-puissunce changea BUiracie en Augnstodunum.
:

C'est un procédé de simplification très naturel.


ou EN EST LA QUESTION DU RECENSEMENT DE QUIRINIUS? 69

lies juridiques nettement tranchées. Mais cV abord


il n'est pas ques-

lion, garde de faire cette confusion, d'un cens ro-


et M. Schiirer n'a
main, mais d'un recensement des personnes. Si l'expression a toute
sa valeur, et dans des circonstances normales, ce recensement a pour
but d'établir l'iiapùt personnel de la capitation. Mais on peut ici te-
nir compte de la situation de l'empire à ses débuts. Les institutions
naissaient. Le génie administratif de l'empereur citoyen préparait
tout pour des situations éventuelles rien n'était déterminé ni réglé;

par une tradition séculaire. On peut accorder qu'Hérode était un rex


socius, mais encore n'était-il pas de race royale; il avait été l'homme
lige d'Antoine, il ne tenait son pouvoir que du pardon d'Auguste.
Pendant les premières années de son règne, sa faveur fut très mar-
quée. Le moment vint où l'empereur écrivit à Hérode des choses
pénibles, se résumant en ceci que l'ayant jusqu'à ce moment traité
comme ami, il le traiterait désormais comme un sujet (1). Disgrâce
passagère, dit M. Schiïrer, et en eflét Hérode parvint à se justifier.
Ceci se passait vers l'an 8 av. J.-C, et avant ce efiet, on moment, en
ne peut guère supposer un recensement ordonné par Auguste dans les
domaines d'Hérode. .Mais bientôt les événements sinistres se précipi-
tent dans la maison du tyran vieilli. Il fait tuer ses fils Alexandre et
Aristobule, descendants des Asmonéens par leur mère, et la question
de la succession se pose. C'est à ce moment que se place l'incident
du serment refusé par ou 6 av. J.-C.
les Pharisiens, 7
J'ai déjà (2) appelé l'attention sur le jour nouveau que jette sur cet

épisode la découverte de la formule employée par les Paphlagoniens,


environ trois ans après. Elle coïncide, quant au thème, avec les ter-
mes de Josèphe (3). C'est un serment d'allégeance absolue. On croit
comprendre qu'xVuguste a pris ses précautions. De même que les
premiers Capétiens exigeaient des grands feudataires qu'ils prêtassent
serment <à leurs fils pour assurer la transmission paisible du pouvoir,
les Juifs jurent fidélité à César et aux intérêts du roi. César passait

le premier et demeurait le maitre de disposer absolument de la mo-

narchie à la mort d'Hérode. Archélaiis le savait si bien qu'il n'osa se


faire proclamer roi sans cette permission. Mais Auguste a dû se de-
mander s'il ne prendrait pas simplement le parti d'incorporer la

(1) AiU.,W\, 9, 3 : Ta TEÔtXXa /«Xeirû; /.at To^to xf^; ÈTtiffToXïi; tô y.£:pdt)atov, oxi Ttâ),at -/fi(i')(j.£vo;

7.ÙTW çi).w vùv ynr)Xii(i) /çr,(ïeTai.

(2) Le Messianisme..., p. 14 s.

(3) Ant., XVII, 2, 4 : Tta.yxôi jow tou 'louSaiV.où pEëotKJaavTOî 6i' ôpy.wv r, |xy)v EÙvoy,o£iv
Kaîffapi xaî toI; pacrtAEw; nç,6i.y\maiv. Cf. Dittenberger, Orientis fjraeci inscr. sel., n» 532 :

'Ofjiv'jw îùvoT^CTEiv Kaiaapi... Le texte latin de ces sortes de serments était déjà connu.
70 REVUE BIBLIQUE.

Palestine à la Syrie, et la mission de Sabinus, telle que Josèphe la


raconte, indique assez clairement cette éventualité. Dans cette situa-
tion il était tout naturel qu'on profitât de l'occasion du serment in-
dividuel, exigé de tous les Juifs, pour les recenser. On ne pouvait
même guère faire l'un sans l'autre. Et c'est bien ce qui eut lieu, d'a-
près Tertullien, précisément à cette date, c'est-à-dire sous le gouver-
nement de Sentius Saturninus, légat de Syrie au moment où Hérodc
fit mourir Alexandre et Aristobule 1). Il est très remarquable que Ter-

tullien ait tenu en apparence si peu de compte des termes de saint Luc.
S'il s'est écarté de lui, c'est qu'il avait une source : Sed et census con-
stat actos sub Aiigusto nunc in Jiidaea per Sentium Salurniniim apiid
quos genus- ejus inquirere potuissent {2\ Les apologistes de saint Luc
ont essayé de réduire l'antinomie en supposant que Sentius Satur-
ninus avait agi comme commissaire de Quirinius. Il est vrai que les
légats pouvaient charger leurs procurateurs de faire le recensement
d'une région déterminée, mais Sentius Saturninus, personnage con-
sulaire, probablement ex-proconsul d'Afrique (3;, ne pouvait jouer
le rôle d'un procurateur aux ordres de Quirinius. Il faut simplement

constater la divergence. Il est même permis de se prévaloir de l'attes-


tation de Tertullien, précisément parce qu'elle est indépendante et en
apparence contraire à Luc. C'est là un témoignage très grave de la
réalité d'unrecensement à cette époque. Saturninus ne quitta pas la
Syrie plus tard que les débuts de l'an 6 av. J.-C. (4). Le recensemenl
commença donc probablement dès l'an 7.
C'est là le point capital de la discussion. Comment s'est opéré ce
recensement, nous ne saurions le dire. L'insistance que met M. Schii-
rer à défendre les droits d'Hérode nuit un peu à un autre de ses
arguments un cens romain ne pouvait être l'occasion pour Joseph
:

d'un voyage à Bethléem, ni d'y amener Marie. Dans les circonstances


que nous avons dites, d'un recensement surtout personnel ayant avant
tout pour but le serment, et éventuellement l'impôt de la capitation,
on comprend très bien que les personnes aient été amenées plutôt à
leur lieu d'origine et d'influence qu'au lieu où étaient situés les biens.
Quant à la présence de Marie, je dirai avec M. Spitta qu'elle peut
s'expliquer de tant de façons que chacun peut les conjecturer à son
aise (5).

(1) Anl., XVI. 11. 3: XVIK 2. 1 ; BclL, 1. 27, 2.

(2) Adv. Marcionem, IV, 19.

f3) Prosopogrupltia.... III, p. 199 s. : lu consiilalu o cuilihet veleiiiin ronsiilurn gloriae

coinparandus » (Vell., 11.92).


(4) ScuiinER, I, 373 s., note 18.

(3) Il n'est pas nécessaire d'entendre avec le s\iiaque sinaïtii[ue » parce que tous deux
OL EN EST LA OUESTION DU RECENSEMEM ItK (M IHIMIS .'
:t

•1. Relation du recenseiupiit avec le personnage de Quiri/tias.

Kappeloji>. puiu 1 orientation générale, que tout le débat roule sur


une phrase de saint Luc (ii, 2 .

Quelques-uns traduisent u Ce fut le premier recensement, avant


:

i}ue Uuirinius fût gouverneur de Syrie ». Mais, plus communément,

n traduit « Ce fut le premier recensement. Quirinius étant gou-


:

verneur de Syrie ».

Nous devons nous placer dans les deux hypothèses.


Commençons par la seconde manière puisqu'elle est la plus répun-
due, quoique nos préférences soient pour la première.
En supposant donc que Luc ait écrit « Ce fut le premier recense- :

ment. Quirinius étant gouverneur de Syrie », MM. Ramsay. Spitta.


Weber, Zahn, comme une sorte d'extrême droite protestante, sou-
tiennent que Luc parle d'un premier recensement, vers l'an 750 de
Mome. qui fut vraiment exécuté pendant que Quirinius était gou-
verneur de Syrie ou du moins par ses soins.
Au contraire. MM. Schiirer, Holtzmann, Loisy et toute lagauche
protestante accusent simplement Luc d'avoir pris pour un recense-
ment généial le recensement de Quirinius en G ap. J.-C. et de lavoir
antidaté de dix ans.
D'autres enfin. MM. Bernard et .lean Weiss par exemple, pensent
que Luc, sachant bien que le recensement de Quirinius avait eu lieu
dix ans après la mort d'Hérode, a insinué que son recensement
général était antérieur à celui-là.
Depuis le R. P. Knabenbauer, les commentateurs catholiques pro-
[)osent comme probables deux solutions ou une comijinaison quel- :

conque analogue à celle de M. liamsay. qui donne au texte de Luc


une précision et une exactitude parfaites, ou une solution se ratta-
chant à l'exégèse de MM. \Veis>.
J'ai déjà noté que le plus grand nunibre des historiens et tles ro-

manistes admet la double légation de Quirinius.


La première a été déduite par Mommsen d'une phrase de Tacite. La
seconde est clairement affirmée par Josèphe. L'accord entre
les deux
est fourme par l'inscription de Tibur. dont on ne peut dire qu'elle
prouve la première légation absolument, mais dont l'apphcation la
plus naturelle est qu'elle donne deux légations de Syrie à un person-

ilaienl de lu famille de David »'. C est là une glo^e. Glose peul-elre aussi dans la leçou du
V. 3 ;chacun allait pour être recensé; rnèrne on quittait sa ville pour aller dans son lieu

propre pour y être recensé . Mais la traduction a le sens très juste en Syrie de la dis-
,

tinction entre la ville qu on habite, et son lieu, c'est-à-dire sa patrie.


72 REVUE BIBLIQUE.

nage qui paraît bien être Quirinius. De plus l'inscription s'accorde


aussi avec Strabon. Des textes qui se complètent pour ainsi dire sans
le vouloir constituent une preuve solide (1).

La première légation ne commença officiellement qu'après le terme


de celle de Varus, au plus tôt en été de l'an 4 av. J.-C. M. Ramsay, il
est vrai, a proposé de partager entre Varus et Quirinius le gouver-
nement de la Syrie, Varus étant chargé des affaires intérieures, et
Quirinius de la direction des armées (2). Mais cette distinction ne
repose sur aucune preuve solide.
Peut-on dire que Quirinius fut nommé légat de Syrie dès la mort
d'Hérode ou même avant (3;, sans cependant prendre aussitôt posses-
sion de sa charge, ou même qu'il n'est autre que le mystérieux
Sabinus de Josèphe, comme le prétend M. Weber ['*)'! Je ne le crois
pas, mais il n'est pas sans intérêt, pour la question même du recen-
sement, de revoir de près le rôle joué par Sabinus.
C'était après la mort d'Hérode. Archélaiis est à Césarée, au mo-
ment de partir pour Rome, afin d'implorer de César la dignité royale;
il a pris soin d'y appeler Varus dont l'appui peut être décisif. Subite-

ment on voit débarquer Sabinus. Il est procurateur de César en Syrie,


et il vient mettre sous séquestre les biens d'Hérode (5). Or il ne s'agit

(1)Tac., Ann.,\\l. 48 : inox t'xpugiialis per Ciliciain Iloinonadensiurn castellis insignia


triiimphi adeptus. Or la Cilicie dépendait alors des propreteurs de Syrie. Strabon dit aussi

(XII. 5. 3) qu'il dompta les Homonades de Cilicie qui avaient tué leur roi Aniyntas. Dès
lors comment ne pas attribuer à Quirinius l'inscription de Tibur qui débute probablement
par une allusion à un roi?

[rjegem, qua redacla in potiestatem imp. Cuesaris]


Augusti populique Romani senatufs dis immortalibus]
supplicationes binas ob res prosp[ere gestas, et]

ipsi ornamenta triumpb[a/i!a decrevit] ;

pro consul. Asiaui provinciam op[tinnit; legatuspr. pr.]


divi Augusti iterum Sjriam et Ph[oeiiicen optinuit.]

Mommsen {ap. Schlerer, I, 325) a restitué le début :

bellum gessit cumgente homonaden-


siiim quae interfecefat Amyntam.
Iterum ne peut signifier qu'il a été proconsul puis pro-préteur, car ce sont des données
trop différentes; c'est donc une allusion à la légation de l'an 6 ap. J.-C, venant après celle

qui avait procuré à Quirinius les honneurs du triomphe (cf. Dessai-, In.<;c...,n'' 'J18).

(2) Was Christ born at Bethléem? p. 238.


(3) Voir laréfutation du système d'Aberle dans DESJARoms, he recensement dr Quiri-
nius, dans la Revue des questions historiques, janv. 1867.

4) Loc. laud.^ supra.


(5) Ant., XVII, 9, 3 : iTtavTiisE' 5' ^v Kaiuapeta tôv 'Ap/éXaov Saoîvo; Kat'ffapoç ÏTïÎTpoTioç twv
VI S-jp-a 7tpaY|A(XTtov si; 'loyôatav, tbp(Aï]ixÉvo; èui çy),ax7i twv *Hptù5ou yyr^\i.â.^Z(û•^... Kac Oùâpw
laêïvo; x*P-WliHvo; o-jte tï; S^xpa;. ôdii Èv ToTi; 'louoaîot; ïjffav, TiapéJ.aêsv o-jie toO; 0rî(77.'jpoù;

t «.xîoyjii^vaTo. Mêmes faits dans Bell., IL 2, 2.Deplus Ant.. XVII, 9, 4 et 5 et Bell., II, 2,
ou EN EST r.A QUESTION DU RECENSE.MK.M DE nUlHIMUs .'

73

pas seulement de mettre en sûreté les sommes léguées par Hérode à


Auiruste et à Julie; Sabinus prétend mettre la main sur les places

fortes, en d'autres termes, administrer le pays comme liquidateur.


Par déférence pour Varus, il promet de ne rien faire avant la décision
d'Auguste, mais aussitôt qu'Archélaiis est parti pour Rome et Varus
pour Antioche. il se rend à Jérusalem, s'installe au palais royal et se
conduit en maitre. On s'attendait si bien à l'annexion, que les com-
mandants de place qui refusent de les lui rendre prétextent qu'ils les
gardent pour César.
Manifestement Sabinus est un partisan résolu de cette annexion.
Tandis que Varus soutient la candidature d'Archélaus. Sabinus appuie
les Juifs qui demandent l'incorpuration du royaume à la province de
Syrie, et qui, à tout le moins, préféraient Antipas à Archélaiis.
Avant de se décider, Auguste lit son rapport aussi bien que celui de
Varus. Il a donc été envoyé directement par Auguste, sans titre offi-

ciel, pour se rendre compte de la situation et pour en rendre compte.


Pour sa part il a cru le fruit mûr, il a même essayé de brusquer les
choses, et en cela il doit avoir outrepassé ses instructions.
rintempérance de Sabinus. ses excès de pouvoir et son ava-
C'est

rice que Josèphe rend responsables de l'insurrection qui éclata alors,


formidable, dans toute la monarchie hérodienne, et dont il faillit être
victime. Enfermé et assiégé dans le palais de Jérusalem avec la légion
que lui avait laissée Varus, il appela à son secours le gouverneur de
Syrie qui dut amener ses deux autres légions pour sauver la première.
Sabinus sut se dérober et prendre la mer sans se montrer à Varus son
libérateur.
En admettant que Josèphe ait charge injustement le procurateur
d'Auguste, on constate du moins que les faits tournèrent contre lui.

Après une longue hésitation, éclairé peut-être sur les inconvénients


de l'annexion par la révolte que Varus avait dû noyer dans le sang,
Auguste confirma le moralement impossible
testament d'Hérode. Il est

qu'il ait choisi ce moment pour remplacer Varus par Sabinus-Quiri-


nius; la thèse de M. Webern'a donc aucune vraisemblance.
Il n'en est pas moins vrai qu'à ce moment la Galilée se souleva
comme la Judée, et que la cause avouée du soulèvement fui la libé-
ration de la patrie (1).

4: Aat.,X\n. 10, 1-9 et Util.. H. 3. 1 . II. 5, 2. De ces textes M. Weber conclut à tort que
Sabinus était supérieur à Varus. Il était seulement indépemianl de lu! pour sa mission spé-
ciale.

ïXsuÔEpÎŒV TTiV TXaTS'.OV.


:4 REVUE BIBLIQUE.

mère des zélotes. de la secte fondée


N'est-ce pas précisément l'idée
par Judas branche des Pharisiens qui refusa d'ac-
le Galiléen, cette

cepter le joug" de rétranger? C'est ici que se pose la question de savoir


si le grand prêtre Joazar a bien été déposé deux fois et s'il y a deux

Judas de Galilée, ou si Josèphe n'aurait pas confondu les faits et ne les


aurait pas doublés parce qu'il les plaçait d'abord à leur vraie place,
lors du premier recensement, et ensuite lors du recensement-esti-
mation de l'an (i ap, J.-C, le seul dont il avait gardé la mémoire?
lozaros ou loazaros, fils de Boéthos IK avait été nommé grand '

prêtre par Hérode (2) vers l'an i av. J.-C, parce qu'il inspirait plus de
confiance au vieux despote que Matthias, impliqué dans les derniers
troubles. Il fut, d'après Josèphe, déposé par Archélaiis au début de
son règne, comme ayant trempé dans l'insurrection qui éclata contre
lui à la mort d'Hérode (3) Puis nous le retrouvons grand prêtre quand
.

Quirinius vient faire Tannexion. Il se prête à l'opération du recense-


ment qu'il facilite en prêchant aux Juifs l'obéissance 'n, après quoi il (

est déposé par Quirinius à cause de l'opposition que lui fait la popu-
lace (3).
Tout cela est possible à la rigueur, mais vraiment ce n'est guère
vraisemblable. Quirinius, homme politique de grande envergure,
aurait sacrifié lâchement un docile personnage qui s'était fait l'instru-
ment de la politique romaine. Et comment ce Joazar, si conciliant,
aurait-il été mêlé à la première sédition? Tout s'expliquerait beau-
coup mieux s'il n'y avait eu qu'une déposition, la première. Lorsqu'on
exigea le serment à César vers l'an 7 av. J.-C, plus de six mille Pha-
risiens le refusèrent. Depuis lors l'agitation ne fit que grandir. Joazar
est nommé par Hérode pour soutenir le parti de l'ordre. C'est à ce

moment qu'il faudrait placer ce que dit Josèphe, qu'il prêcha la sou-
mission. Il était donc compromis dans le parti romain, et opposé à Ar-
chélaiis qui s'empressa de le déposer quand Auguste l'eut mis en
possession du petit état que lui avait légué scm père. Il est donc vrai-
semblable que Josèphe a Confondu les deux circonstances, parce qu'il
ne pouvait placer (ju'après l'an 6 ap. J.-C ce qui avait rapport à un
recensement, n'ayant pas compris la vraie nature de l'opération com-

(1) ScHiiREK, Gescliichte..., II, J'O. ue distingue pas deux Jozaros. l'un IjIn deSiinoii, l'autre
fils de Boéthos comme Niese. Indexa, parce que si Simon n'était pas Boéthos. il était du
moins son fils.

(2) An!., XVII. 6. 4.

(3) Anl., XVIl. 13, 1.

{k) Ant, XVllI, 1, 1.

[b)Ant., XVTII, 2. l.
ol KN EST LA nLESTlUN Dl HtCENSEMEM HE nLlHlMLS.

mencée en 7 av. .).-(!., et que sa source. Nicolas de Damas, avait


laissée dans l'ombre.
Si cest bien sous Héntdf que Joazar a prèctn- la soumission, c'est
aussi dès lors que .ludas le (ialiléen a commencé à dogmatiser pour
aboutir à la révolte ouverte qui suivit la mort du tyran.
La table de Niese distingue deu.v Judas. Lan est lils dLzcchias;
il la révolte de Séphoris en Galilée, après laniort dHérode (1).
dirige
Varus assiège la ville, la prend, la saccage, réduit les habitants en
esclavage i2 Ces faits sont très clairs quoiqu'il ne soit pas dit que
.

.ludas ait péri dans le désastre. Il y a révolte et il y a répression.


Le second .ludas. qualifié expressément de Galiléen. est beaucoup
plus souvent nommé par Josèplie '3 . Il est originaire de (iamala
dans la (iaulanitis Djôlàn), et le père de la secte des zélotes. Il est

censé avoir entraîné les Juifs à la révolte à l'occasion du recense-


ment de Uuirinius. après l'an 6 ap. J.-C, mais ou dirait que ce sont
propos en l'air, car on ne touche jamais à rien de précis, ni comme
révolte, ni comme répression. Dans le seul cas où l'on croit apercevoir
une action efficace de ce Judas (4», il maltraite les nationaux, ([ui
semblent bien être ses compatriote^^. donc les Galiléens. Dau'^ ce
cas il n'a pu entrer en lutte à l'occasion de l'annexion de la Judée,
puisque la Galilée demeura alors sous le sceptre d'Hérode Antipas.
Mais à supposer que ces mauvais traitements se soient exercés en
Judée, il y a loin de là à une révolte ouverte. L'importance de Judas

serait ceUe d'un théoricien plutôt que d'un homme d'action.


Ici encore on peut se demander si Judas fils d'Ézéchias et Judas le
(ialiléen ne sont pas le même personnase et si Joseph e n'a pas con-
fondu.
11 faudrait dire, comme dans le cas de Joazar, que Josèphe ayant

entendu parler de recensement a mis les faits après l'an 6 ap. J.-C.,
mais, ayant déjà donné à la révolte de Judas son vrai caractère,
et ne pouvant s'appuyer sur aucun document pour le mettre en scène

après l'annexion, il se serait borné à des généralités très vagues (5).


Kncore est-il i[ue l'opposition de .Judas aurait fait échec en partie an

(1) .!«/., XVIL 10. 5; Btll.. 11, 4, 1.

(2) Ant.. XVIL 10, 9 ; Bell.. II, 5, 1.

'3) .-ln<., XVIII. 1. 1 : 'loOoa: oè Fa'j/xvi-r,; àv/;p£x tiô/îw; ôvojxa iâoat/a... WIll. 1.6: X.X.
5. 1.

i) Bell.. 11.8, 1 : '?.T^\ xùizù-j {Cuîtoniiis) z::, i'rr,ç, raXi/aîo; 'lo-ica; ôvoua zli i-O'yzftfS'.-j ï'tf,yz
Tov; iTî'.ytop'.O'j; y.axiÇwv, î'. sôpo-^ t£ 'Ptoiiaîoi; 'ùi'.y •jTToy.îvo'j'j'.v y.a; u.îTà TÔv 8çov olTOva-. 5vr,-

Toy; okjt.ôzcl;. Cf. Bell.. II". 17. 8; VII. 8, I.

(.5) Cest un point que M. ^Vebe^ a bien mis en lumii-iv.


76 REVUE BIBLIQUE.

recensement, ce qui est peu vraisemblable quand la Judée fut annexée


à l'empire et ce qui auraitdû amener une sévère répression.
permis de reconstruire l'histoire en tenant compte de ces
S'il était

conjectures, voici comment on pourrait concevoir les faits. Vers


Fan 8, Auguste ordonna aux Juifs de lui prêter serment en même
temps qu'à Hérode, et il fit procéder dans ce but à un recensement
personnel qu'on pourrait presque nommer un dénombrement. Les
opérations commencèrent sous Saturninus. Tout d'abord on obéit;
comment songer à autre chose sous Hérode ? Joseph vint à Bethléem
avec Marie en l'an 1 av. J.-C, ou en l'an 6 ou même en l'an 5, car
les opérations furent sans doute assez lentes (1) avec des délais pour
ceux qui n'étaient pas domiciliés à leur lieu d'origine. Cependant
plus de six mille Pharisiens refusèrent le serment \2i. C'est le point

de grave
départ d'une scission très dans la secte, car jusqu'alors les

Pharisiens s'étaient toujours montrés partisans de l'obéissance au


régime que la Providence imposait. Or c'est précisément cette scission
cpie Josèphe attribue à Judas le (ialiléen (3). Le grand prêtre Joazar
est nommé par Hérode pour prêcher la soumission. A la mort du
roi, pendant qu'Arcliélaiis intrigue k Rome, le parti romain demande

l'union à la Syrie, et Sabinus semble la mettre déjà à exécution.


Alors les troubles éclatent de toute part. Judas soulève la Galilée et

s'installe à Séphoris. Mais l'insurrection est réprimée par Varus.


Auguste maintient le statu (jno. étant tellement le maître qu'il fait
rendre un quart de l'impôt aux Samaritains qui s'étaient tenus tran-
quilles (4). Il va sans dire que le recensement, interrompu par la
révolte, a pu être repris sous la direction de Quirinius, en l'an o
av. J.-C. Uuand Auguste est mécontent d'Archélaiis, il l'envoie au
delà des Alpes. Il ne restait plus qu'à établir l'assiette de l'impôt
foncier, à quoi Quirinius. devenu de nouveau gouverneur de Syrie,
s'employa. Ce n'est qu'un événement local, sans portée pour l'en-
semble du peuple juif; aussi il semble bien qu'il n'y eut pas d'oppo-
sition très grave. On avait compris que la véritable main-mise des
Romains datait de la mort d'Hérbde.
Cette histoire n'est pas celle qu'on est accoutumé à lire dans Jo-
sèphe; c'est peut-être, dira-t-on, celle qui se lit entre ses lignes.
Cependant nous ne voudrions pas exagérer les vraisemblances qui
résultent des considérations qui précèdent. M. Ramsay n'a pas

(1)Qu'on se luppelle les termes de Claude cités plus haut !

(2)AnL, XVIl. 2.4.


(3).4h/.,XV11I, 1. (i.

(4) Ant., XYll, 11, i.


ou m EST LA QUESTION DU RECENSEMENT DE QUIRLNIUS? 77

prouvé que Quirinius était ii-ouverneur de Syrie avant l'an V avant


J.-C, ni qu'il a pu faire le recensement à titre de chef militaire;
M. Weber n'a pas prouvé que Sabinus soit Quirinius; M. Zahn n'a pas
prouvé que Josèphe se soit trompé et que le vrai recensement de
Quirinius fût de l'an 3 avant J.-C. le recensement de l'an 6 après
;

J.-C, comme nous l'avons dit dès le début, demeure inattaquable.


On peut reconnaître tout cela, mais ce n'est pas une raison pour
refuser de rendre à Luc la justice qui lui est due; or on lui doit bien
du moins les mêmes égards qu'à Josèphe.
Quelque jueement que l'on porte sur Josèphe, on conserve de ses
textes l'impression que le recensement de l'an 6 était demeuré dans
toutes les mémoires. Qu'il ait ou non absorbé le souvenir d'un autre
recensement, il était du moins très connu. On savait qu'il avait suivi
la chute d'Archélaûs et inauguré le régime de l'administration directe

•le la Judée par les Romains.

D'autre part. Luc rattache assez étroitement la naissance de Jésus


au règne d'Hérode (ii, 1); s'il ne dit pas expressément que Jésus est
né avant la mort du tyran, comme on l'a généralement admis (d'après
I, 5), toujours est-il que d'après lui Jésus n'a pu naître longteni[)s
après le Baptiste dont la conception a eu lieu au temps d'Hérode.
Or voici ce qu'on lui fait dire Ce recensement est le fameux pre-
:

mier recensement (de l'an 6 après J.-C. qui eut lieu pendant que ,

Quirinius était gouverneur de Syrie. C'est, dit-on, le sens propre et


le plus naturel. Oui, mais aux conditions suivantes, qui sont inaccep-

tables.

1) Il faut supposer que Luc n'a eu aucun soupçon du règne d'Ar-


rhélatis qui a duré dix ans, règne que saint Matthieu n'a pas ignoré
Mt.,ii, 22).

2) Il faut supposer que Luc, connaissant comme tout le monde le


recensement de Quirinius de l'an 6 après J.-C, n'en a pas connu du
tout la vraie nature, ou qu'il l'a délibérément transformé en un re-
censement universel.
M. Loisy comprend parfaitement ces conséquences, mais elles ne
le font pas reculer. Luc se sera trompé grossièrement et se sera
contredit quant à l'âge de Jésus, voilà tout.
3) Mais voici qui est plus grave au point de vue purement exégé-
tique. Ce qu'on nomme le sens propre et naturel de la phrase devient
un sens inexplicable, aussitôt qu'on la rapproche de son contexte.
Luc commence par dater d'une façon vague le recensement qu'il
attribue à l'autorité d'Auguste. Puis il conclut en le datant de Qui-
rinius, gouverneur de Svrie! Cela est absolument inadmissible. Le
7K REM K BIRLIQLt:.

texte latinde la Vulgate (lémentine n'est pas absurde haec descrip- :

finprima, fada est a praeside Syriae Ci/rino. On comprend à la


rigueur qu'après avoir nommé l'auteur principal, Luc nomme celui
qui a servi d'instrument en Judée. Mais on ne comprend pas qu'après
une donnée chronologique vague, un recensement de tout l'empire
soit daté du temps où Quirinius était gouverneur de la Syrie. On
verra mieux la difficulté en serrant le texte de plus près.
Je le lis avec s B D sans article avant àrsYpzsr, :

Avec l'article, xj-r, r, seulement -potrr,


x-z^-px^rj, l'attribut est« Ce :

recensement-ci premier ». Sans l'article, y-z';zy.z.r, devient


fut le

attribut, mais conjointement avec zcro-rr, « Ce fut un premier recen-:

sement ». De toute manière 1 accent porte sur -u'<)-r^.


Sur ce point la tradition des mss. est unanime, car si le ms. sinaï-
lique que suit Tischendorf lit ï';véi-z -pt'-nr,, c'est pour mettre -z^rc,
plus en relief, et de même l) en lisant i-vn-z y.~z\'py.zr, -zôt-r,.

Cela posé, on se demande ou à quels autres recen-


: à c[uel autre
semeuts Luc compare-t-il celui-là pour dire qu'il est le premier?
Veut-il dire que c'est io premier recensement universel, c'est-à-dire
du monde romain, comme tout le monde entend Y z':v.zj[j.é'/T, du
verset 1?
On dirait bien d'après le verset i que Luc regarde en effet ce recen-
sement général comme le premier, œuvre du premier empereur,
mais en ce moment il passe à une autre idée, et il serait parfaitement
ridicule de dire que le premier recensement du monde romain eut
lieu pendant la légation de Quirinius en Syrie.
Veut-il dire que ce fut le premier reconsement de la Judée? mais
il n'est point question ici de la Judée, ni de la Galilée, ni de tout
l'empire d'Hérode : il s'agit du monde romain. Luc aurait pu vouloir
dire ({ue recensement général, déjà pratiqué ailleurs, atteignait
le

alors la Judée pour la première fois, mais il ne l'a pas dit.


Ce qu'il a dit, c'est que ce recensement fut le premier, ou anté-
rieur, donc le premier de deux ou plusieurs recensements, et dans
un certain rapport avec Quirinius.
Jusqu'à ce point tous les défenseurs de Luc sont d'accord. Luc n'a
pas confondu le recensement général avec le recensement de l'an G
après J.-C, sans quoi sa réflexion serait absolument inutile. Ce
point est très solide, et il faut s'y tenir en toute hypothèse.
Mais cela acquis, la phrase peut encore s'entendre de deux ma-
nières. D'après l'opinion aujourd'hui la plus courante, Y;7£y.ov£jcvT2ç...
Kupr,vîcj est un génitif absolu. Les deux recensements, le premier et
(Il KN KST LA ni F.SIloN ht KKCK.NSKMF.NT Di: ollIUMlS? 7^

1 auire. ont eu lieu pendant (juo Quirinius ét;iit ffouverneur de Syrie,


(/est le sens adopté par les Weiss il). Holtzmann le rei:arde comme
possible ^2i, et de même Schiirer (3). Mais ces savants ne s'y arrêtent
même pas. Puisqu n y a eu qu'un recensement. Luc n"a pu parler
il

de deux; il ne faut pas lui imputer trop d erreurs: c est bien assez
qu'il ait cru par erreur à un recensement général l 'i- 1 Mais rien, di-
ront les partisans de ropinion ([ue nous présentons ici. ne nous auto-

rise à nous écarter du sens; une charité mal entendue envers


c'est

Iaic. et qui vieut trop tard, que de lui épargner cette erreur pré-
tendue.
Le parti que prend .M. Loisy est encore plus étrange. Dans son texte
courant : « Ce n'est pas sans quelque subtilité qu'on veut extraire du
texte l'idée de plusieurs recensements exécutés par
les ordres du

même en note
gouverneui' Huirinius u C'est l'interprétation ». et ;

rigoureusement grammaticale du passage; mais la construction parait


embarrassée, et la tradition du texte n'est pas très sûre ô ". Non."»
venons de voir que les variantes de la tradition portent sur la place
du mot r.pM-r,. non sur son existence, ni sur sa relation avec Uuirinius.
Nous avons préféré la leçon des mss. qui lui donnent le moins d'im-
[tortance, et qui l'éloignent davantage du génitif qui suit. L'argument
est donc le même avec toutes les variantes. Le terme de comparaison,
par rapport au premier recensement, est à expliquer par la seconde
partie de la phrase. Ce qui est une subtilité, ce n'est pas de prendre
les mots dans le sens rigoureusement grammatical, c'est de dire quf

Luc s'est placé au point de vue juif et palestinien, quand il sest placé
en termes exprès au point de vue mondial.
Voilà donc un premier sens auquel il n'y a rien à ««bjecter gram-
maticalement, qui n'est pas moins naturel que celui que supposent les
critiques, et qui parait conforme à l'intention de Luc d'après le con-
texte. C'est à cette interprétation que semble s'arrêter maintenant la
majorité des cinnmentateurs catholiques (jj. Elle suffit à justifier
pleinement Luc de la confusion qu'on lui reproche. Si Luc distingue
deuK recensements opérés par (Juirinius. il n'a donc pas antidaté de

1, B. Weiss. Cnniineutaire, 9' éd.: J. Wkiss. Die Schriflen des yi-uen Test.. 19ii7,
I'. i>4 : Luc, dans une phrase qui n'est pas parfaitement claire, semble distinguer un jue-
iiiier recensement d'un autre de lan 7.

(2) Commentaire, p. 310 : worauf der NVoillaut fiihit-n konnW-.


3) Geschichtc... I. 536.
( * On pourrait répondre qu'en comparant deux recensements, Luc n'afiirme pas par le

lait même qu'ils ont eu la même extension.


.5 Les Evangiles synoptiques. I, 346 et note 1.
(6 Schanz. Knabenbauer. Brassac, Valbuena. ('pulHmai)s elc.
80 REVUE BIBLIQUE.

dix ans le recensement de lan 6 après J.-C, il ne s'est pas contredit


grossièrement sur l'âge qu'il donne au Sauveur, etc. Et il est en etfet
très important de constater tout cela.
Cependant il gouverneur de Sy-
demeure que Quirinius n'était pas
rie quand fut commencé
recensement général dont parle Luc.
le

Les exégètes assez sages pour ne pas risquer une conciliation trop
exacte se contentent ici d'un à peu près. L'approximation est suffi-
sante pour un évangéliste qui a dit au temps d'Hérode » (i, 5), sans ((

spécifier davantage à propos d'un règne si long. Luc a choisi le nom

de Quirinius, parce qu'il était plus connu, ayant été légat deux fois,
et on ne peut pas prouver, en somme, que ce gouverneur n'a pas ter-
miné le premier recensement (1). Dans le silence de l'histoire, on
tranche le doute en faveur de Luc,
U serait sans doute trop hardi de nier la solide probabilité de ce
système. Au point de vue apologétique et scientifique, il ei^t irrépro-
chable; il défend la véracité de l'auteur sacré, et il ne la défend
qu'en interprétant correctement l'histoire.

Mais je suis persuadé, pour ma part, qu'on serait plus exact en sui-
vant la voie ouverte par des exégètes et des critiques d'une grande
valeur et qui tranche la question d'une façon beaucoup plus radicale.
Calmet Wallon (3) en France, Huschke, Wieseler, Ewald, Cas-
(2) et
pari en Allemagne (i), ont traduit notre verset « Ce recensement :

eut lieu avant que Quirinius ne fût gouverneur de Syrie ».


Et en effet on doit d'abord connaître que -pù-cç dans le sens com-
paratif pour zpoTspoç ou même pour r.pô n'a rien d'anormal. Voici ce
qu'en dit le Thpsaurns de Didot, qui n'est mû par aucune considé-
ration apologétique -pôWor non raro dicitur ubi zpbztpo: locum habe-
:

bat... hinc ut T.pô-z.po: cum genitivo construitur. Voici les exemples


cités : Elien, N. -4. , VIII, 12 : ci -pwxoi' [j,cu TauTa àvr/vîJsavrsç, Le
schol. d'Euripide, Hec, V54 : -pwtsv ^^vt^r^H^ny. -%ç, sâçvvjç; Phe?i.,k&S :

-pM-oç X^vîtv 'EtsoxXscuç. Le schol, d'Aristophane, Niib., 552 : •TupwToç

ô Mapty.xç ïoiliyhr, twv NîseXwv, c'est-à-dire « la pièce intitulée Ma-


ricas a été jouée avant les Nuées ». On a toujours cité dans ce sens
deux textes de saint Jean : r.pr<>-bq \).ou -^v (i, 30) et •::pwT:v ùi^-wv (xv, 18),
Cette tournure est même devenue si fréquente à une basse époque,

(1) Knabenbauer semble abriter Luc derrière une opinion populaire « Porro notandnin :

est facillime fieri pofuisse, ut illa descriptio apud popiilum nomen haberet ab eo su/i
t/uo illa absolula erat, procsertim quia idem postea allerum censum egit » {Cotn..

p, 111]; cf, Brassac, Manuel biblique, t. III, 13* éd.. p, 311,

(2) Commentaire.
(Z) De la croyance due à VEvangile, 2* éd., p. 527.

(4) Cités par Schiirer, Geachichte.... p. 535, Je n'ai pu consulter aucun de ces travaux.
ou EN EST LA QUESTION DU RECENSEMENT DE QUIRINIUS? «i

qu'on soupçonne aisément les copistes davoir altéré les textes dans

ce sens. C'est ainsi quHérodote (II, a peut-être écrit -z-jz <î>o>^x: -2

T.çh)-.:-j: zlrx'. éwjtôjv, du moins d'après de très bons manuscrits mais :

on préfère lire -zt-yj-izv^t ou -zz-izz-^z [Stein), Si on lit dans Denys


d'Halicarnasse Le comp. verb., c. 17) Kâv .Ssa/Eia -pcô-rr; -ihf twv : r,

;j.a-/.pwv, on propose de corriger r,zz-thr,. Et de même l'éd. Didot a

effacé \j.z\) dans le texte d'Élien et mis r.zz-i^zz dans le texte du schol.
d'Aristophane. Mais on peut se demander si ce n'est point là un excès
de zèle. Une tournure qni figure dans Homère il) et qui se retrouve
dans le grec byzantin a toute chance d'appartenir au génie même
de la langue. Les papyrus, il est vrai, n'ont apporté à ma connais-
sance qu'un cas nouveau, zz-j -pwTJç s-y.-.. cité par M. Moulton 2), mais
ils ont permis de constater une fois de plus combien le comparatif

était rare dans la Koiné, et M. Moulton pense qu'il n'v a plus de rai-

son de douter que -z'z-.zzzz a cédé la place : Luc lui-même ne l'em-


ploie jamais.
Aussi bien l'on possède, depuis une trentaine d'années, un exeoiple
fort important, qui n'a point encore, que je sache, été versé dans la
controverse. Il s'agit des règlements de la phratrie athénienne des
Démotionides (3 . Quelques explications sont indispensables. Ce texte.
trouvé à Décélie, se compose de plusieurs règlements successifs, dont
les premiers sont de 396 av. J.-C, et le dernier d'environ cinquante

ans après tou au plus. Les jeunes gens nés dans la phratrie ofi'raient,
le troisième jOur des Apaiuries. un sacrifice nommé koureion. Lu
an aprer? seulement on votait sur leur admission formelle à la
phratrie : ~.r^i zz C'.as'.y.xjiav zz /.:•-":•/ iva-. Sm'. Jzrizt,): ï~z'. f mi iv t":

•/ipEov hùc-r,'. (i), ce qui est traduit dans le Recueil des inscriptions
juridiques grecques [o) : « A l'avenir, le vote d'admission aura
lieu une année après l'offrande du koureion -. H parait que cette
prét^rtution —
sans parler des autres mentionnées dans le décret
ne fut pas suffisante, car le dernier règlement exige de plus y-z-zy- :

zzzby. Tw- -zL'j-b): ï-.v. •?; o)-. av


qu'on de- t"; y.îjpscv ii';v. G;, c'est-à-dire
vra inscrire les candidats auprès du phratriarque dans l'année îc

avant l'offrande du koureion ». Donc zpw-::; est pris ici pour r.z'z-.izzz.
Je sais bien que M. Dittenberger a refusé d'admettre ce fait pour une

(i; Iliade. XIII, Ô02XVIII, 92. -pwTo; pour -ioT;po;.


:

(2) Grammaire..., p. 79, d'après un papyrus de Levde ii- m' s. ap. J.-G.
(3) Dittenberger, Sylloge, 2' éd., 439.
(4) Ligne 26 ss.

(5) Par MM. Dareste, Haussoulier et Th. Reinach, deuxième série, p. 201.
(6) L. 117 ss.

REVUE BrBUQUE 1911. — K. S., T. VIII.


82 REVUE BIBLIQLE.

date aussi haute que 350 av. J.-C. Qu en résulte-t-il? il a dû inter-


préter la dernière phrase citée exactement dans le même sens que la
première, en dépit de l'opposition si clairement marquée dans le

décret entre -j^-iziù'. ï-v. et Trcw-rtoi ï-v.. H faut de plus supposer une
ellipse fort dure avant le r, comparatif, la première année « après »

que, et cela avec l'indicatif présent i-;;-,. Tandis que la locution to>

zpcTÉpw ETS'. r; est tout à fait normale (Hér., 111,47).


Le Recueil a cru devoir suivre iM. Dittenberger, et traduire : '( On
déclarera... une année après rolïrande du koureion » li, et il sup-
pose qu'on aura un an pour faire l'enquête (2). Mais, si l'inscription
et Fadmission devaient se faire un an après le koureion, on n'avait
pas même une journée pour s'informer. Le règlement n'exige pas
d'ailleurs deux ans entiers, mais seulement un peu plus d'un an.
Dans ^h^'pothèse du Recueil, il faudrait donc traduire « dans l'an- :

née qui suit l'offrande du koureion ». mais alors ttcwto) n'aurait plus
aucun sens, et le délai serait bien vague.
Osant à peine m'inscrire contre l'autorité de pareils maîtres, je
me suis rassuré en trouvant que le sens proposé était celui de
M. Meisterhans i3i et de M. von Schoeffer (i). Voilà donc un cas
très net où ttcwt;; doit se traduire « avant ».

M. Schûrer concède en efiet que l'interprétation proposée plus haut


est possible,mais seulement, dit-il, à la rigueur, parce que zswtiç
dans le sens comparatif suppose la comparaison entre deux idées
analogues, mais non lorsque les deux idées sont disparates comme
un recensement et une lés"ation. De plus il objecte que ce sens
ne donne rien de raisonnable. Pourquoi Luc nous apprend-il que
ce recensement a eu lieu avant que Quirinius fût gouverneur de
Syrie? Cette manière de dater par anticipation est-elle vraisem-
blable?
Ces deux objections sont parfaitement justes, et M. Schiirer a
raison de conclure que ce qu'on attend, c'est une phrase comme
celle-ci : xj-t, r, à-CYca^v; -pt.iTY; i';vn-z -r,z Kjpr,v{:j — up-ar ï;7£;j.cvzjcvt;ç

Y£v:y.£vr,ç, « ce l'ecensement fut antérieur à celui qui eut lieu pendant


que Quirinius était gouverneur de Syrie ».

(1) L. l, p. 207.
(2) « Le délai d'un an (et non de deux ans), prévu par le décret de Ménexenos.
P. 223 :

permettra aux phratères de se renseigner et de contrôler les indications portées sur laf-
fiche ».

(3) Grammatili cler altisclieii Inschriffeii. f. 163.


(4) Article Demotionidai. c. 201 dans Pauly-Wissowa.
ou l£X EST LA nLESTIO.N DL' RECENSEMENT DE nUIRIMUS? 83

C'était bien déjà la pensée de Huschke, et en effet, de cette façon,


tout est dans l'ordre. Luc parle d'un recensement qui eut lieu vers
la fin du règ-ne d'IIérode. Des personnes qui n'auraient connu que le
fameux recensement de l'an après J.-C. auraient pu se demander si
c'était le même. Luc aurait répondu en distinguant le recensement
général de celui qui eut lieu plus tard ;
ce contexte est aussi satisfai-
sant que possible. Mais la phrase est un peu lourde par laccutnula-
tion des génitifs.
La question grammaticale qui se pose est de savoir si le grec ne
peut pas procéder par ellipse? Et c'est, en effet le cas. La comparai-
son, pour le fond, est instituée entre deux données parallèles et de
même ordre, mais l'expression sous-entend parfois la seconde de ces
données. C'était déjà le fait de lexem pie cité par\Vieseler(SoPH..^/i/'.,
0.37-638, :

£|jLo\
Yàp o'j03"tç àn'w; ïsTxt (1 ) y^iJi-o?

Le sens est évidemment :<> Aucun mariage ne me paraîtra préférable


à celui que tu m'auras choisi par conséquent la comparaison est », et

bien entre deux mariages, mais le second terme de la comparaison


est remplacé par le nom d'une personne « préférable à toi me con- :

duisant (2) »,

Il faut en effet tenir compte ici d'un second idiotisme de la langue


grecque que MM. Riemann et Goelzer expriment ainsi (3) : « On peut
au terme surpassé substituer son complément ».
Exemples Thuc, IV, xcii, 4 £-'.7.',v$jv:T£cav sTs'pwv ty;v
: : zaps(7.-^jiv

(pour TYjç ÉTÉpojv zapo'.y.r,7£a)çj twv se îyz'j.z-i \ cf. Thic, I, lxxi, 3 ; Xéx. ,

Cyr., IV, III, 7 : û o" y;;;.;^ç irTT'.y.bv /.-.r^zy.vj.ihy. \j.'r, yj-ipz/ -roJTwv. Assuré-
ment nous ne dirions pas : « Je possède une maison meilleure que
toi » ; les Grecs n'auraient pas reculé devant cette expression, voilà
la différence (4).
Il semble que ces exemples donnent toute satisfaction aux instances
de M. Schûrer. Au lieu d'un idiotisme, il en faut supposer deux. Le
rôle du participe après la comparaison contenue virtuellement dans
T.pÛKTt est le même que dans la phrase des LXX souvent citée jsTspov :

à'fsXOivT:; 'Is'/ivicj è; "l£c:j7a/.r,;j. ' Jer. ,xxxvi, 2; hébr.xxix, 2), qu'il faut

(1) Ou à;iwaîTa'..

(2) C'est d'ailleurs une règle générale que le terme surpassé peut être un nom de per-
sonne, et l'autre terme un nom de chose (RIEM\^^' et Goelzek, t. II, 669j. ;".

(3) Grammaire comparée du grec et du latin, t. II, Syntaxe, 'i


669.
(4) Ne pas oublier les exemples souvent cités : 'Ava^TriO-î-ai paffiXsîa é-rlpa r,Trwv(Toy(Dan.,
2, 39); Tzlv.O'i -wv ypatjt[jLaTia)v (Mt.. 5; 20); [lîîîw to-j 'Itoivvo-j (Jo.. 5. 36).
84 REVUE BIBLIQUE.

nécessairement, d'après le contexte et Thébreu, traduire Après que :

Jéchonias fut sorti de Jérusalem. Il ny a vraiment rien à reprocher


à la traduction proposée de Luc, si ce n'est que Luc est d'ordinaire

plus clair. Mais nier qu'il ait pu s'exprimer d'une façon trop concise
pour être très claire, c'est vraiment prendre beaucoup do soin de sa ré-
putation littéraire, quand on sacrifies! aisément ses connaissances his-
toriques !

Weiss [i) objecte que Luc aurait dû écrire -pz t:u y;y£;j.cv£J£'.v ou zplv...

Assurément il eût pu le faire. Encore est-il que cette tournure aurait

eu le caractère d'une date anticipée, datant un événement mondial


d'un fait particulier.

Dira-t-on que cette exégèse est nouvelle, et inventée pour défendre


un écrivain sacré du soupçon d'erreur?
Mais est-ce le seul cas où la philologie moderne a reconnu le sens
véritable d'un auteur, et n'est-ce pas son objet de donner un sens

raisonnable aux auteurs sérieux?


On sait d'ailleurs que dans le cas analogue dexMc. ,xiv, 12, saint Chry-
sostome, Victor Euthymius ont inter-
d'Antioche, Théophylacte et

prété Trponr; r,-t).ipy: dans le sens de 7:pb -f,: -i^-j.ipx:, et il semble bien
que ce soit le cas même ici, pour Théophylacte '2), du moins d'après
un manuscrit.
Pour tout dire, si nous inclinons dans le sens d'une solution qui
ici

paraîtra ultra-conservatrice, c'estsimplement parce qu'elle nous


parait la plus probable, et il n'y a pas de raison de refuser à SEuntLuc
plutôt qu'à tout autre auteur ancien le bénéfice d'une explication
grammaticalement correcte, et très conforme au contexte prochain
et éloigné (Actes, v, 36), sous prétexte qu'elle le justifie d'une confusion
d'ailleurs indigne de l'écrivain sérieux qu'il est.
Jérusalem.
Fr. M.-J. Lagrange.

(1) Commentaire, 1. I.
(2) Cf. Wallon, p. 527. Le texte est cité par Reinold : to-jtétti TtpoTêoa r,ytiLO-iVJO^-o;.

r,YO\Jv TTpÔTspov r, TiVejjlôveuî '?,; ilupîa; Kupr,v'.o;.


(1)
1J-: PLUS AXCIEX MANUSCRIT BIBLIQUE DATÉ

NOTES SUR TROIS PALIMPSESTES SYRIAQUES DES PROPHETES.

On peut voir parmi les manuscrits exposés dans les g-aleries du


Musée Britannique un Pentateuque s\Tia(jue, Add. Ii.i25, présenté
au public comme le plus ancien manuscrit biblique daté ''2). Il a été
terminé en 775 de lère des Séleucides, soit 'i-63-i6i. de notre ère.
Or j'ai la le 10 octobre le colophon d'un manuscrit syriaque d'Isaïe,
antérieur de quatre ans à ce Pentateuque, et provenant comme lui du
célèjjre monastère de N.-D. des Syriens à Nitrie. Ce livre dont il reste
environ les deux tiers, en palimpseste, dans Add. li.512, a été copié
l'an 771 des Grecs, c'est-à-dire dans Tannée qui s'écoule d'octobre i59
à octobre V60 :3 .

A'oici le texte de la notice écrite par le scribe au ininium à la fin de


son travail (f. 113) :

^.oAo );^Ao p»p 'u^a^] (4^ Gloire au Père, au Fils et à l'Es-


prit]

v .anNN ^oi,>\ K'o^î de sainteté dans le siècle des siècles


jjto ^[tot/ x^io/ TAmen. Il a été terminé, ce livre-
ip^ox^ njjl^ Mo, ci , en l'année sept cent
)^o ^v^Ao septante et un
) / !o

(1) Le P. Scheil a communiqué a lAcadérnie des luscriptions et Belles-Lettres, dans sa


séance du 14 octobre, la découverte de ce manuscrit; qu'il veuille bien recevoir l'expres-
sion de ma reconnaissance!
'2} On lit à la page 110 du Guide fo the Manuscripts... exhibited in tlie departdment

of manuici-ipts... British Muséum, 1906 The présent ms. was vvritten in A. D. 464 and
:

is one of the eariiest estant copies of the Peshitto, ani the earliest MS. of the Bible in

any language of which the exact date is known. Cf. Catalogue of Sijriac mss... by
\\. Wrirjht, p. 3 sq.
3) M. Margolionth a vérifié ma lecture et constaté qu'elle était exacte.
'4; J'ai mis entre crochets les mots que je n'ai pu lire, mais pour lesquels il y a une
place suffisante.
(5) Le premier mot est peut-être )w^^, mais je n'ai pas eu le temps d'examiner le texte
assez soigneusement pour proposer cette lecture comme certaine.
86 REVUE BIBLIQUE.

Une dernière ligne, que je n'ai pu lire, doit contenir le nom de la


ville, la date du mois, une formule de doxologie ou le nom du
scribe; elle reste à déchiffrer.
D'après le catalogue de W. AYriglit
(1) il y aurait 58 feuillets d'Isaïe, ,

soit f. mais il convient de réduire ce nombre à 54, parce que


67 à 124 ;

70-71 et 89-90 sont de manuscrits différents. Le titre u^( se trouve fré-


quemment en haut des pages; Wright lavait remarqué et signalé dans
son catalogue, en même temps quil avait identifié un des folios les
plus lisibles. 69' =
Is. xvii, 2 sq. Voici la liste des pages où ce titre

existe encore 7V, 75, 75\ 83, 8i% 85\ 86\ 92\ 9k\ 96, 100\ 102.
:

103, 108% 113\ 118\ 122\124(2). Il est possible que d'autres fois en-
core le titre ait été écrit, et qu'il ait disparu au moment où les feuille?
furent rognées dans le nouveau manuscrit; c'est ainsi cpi'au f. 86' le
titre à moitié disparu avait échappé à l' œil attentif de Wright.

Le manuscrit d'Isaïe comprenait 10 cahiers de 8 folios ou quater-


nions; de tous il reste au moins une double feuille, et trois cahiers
consécutifs, 6, 7 et 8, sont complets (= h. xxxii, li-Liv, 12). Ces feuil-
lets, avec 70-71 et 89-90 dont j'ignore la provenance, ont servi à for-
mer dans le manuscrit actuel un quaternlon et cinq qiiinions : 67-74,
75-84, 85-94. 95-104, 105-114, 115-124. Les feuilles doubles ont été
utilisées telles quelles ; la paire 68-73 seule est composée de deux
feuillets simples, réunis par hasard. L'écriture est un caractère estran-
ghelo assez grand et bien courant; chaque page contient deux co-
lonnes de 23 à 26 lignes : le parchemin n'ayant pas été rayé horizon-
talement, il arrive (ju'une colonne ait plus de lignes que sa voisine.
Le manuscrit n'a pas été gratté, mais seulement lavé; il serait assez
sans l'épaisse couche de graisse déposée sur les coins par de
lisible,

nombreuses mains moites de sueur.


Voici l'analyse des cahiers, facile à établir, bien que je n'aie réussi
à découvrir aucune signature au bas des folios :

* '
121 * * 118 * *
(3)

Le coté extérieur de cette double feuille a particulièrement souiiért


dans le travail d'effacement : le recto du f. 118 devait commencer
avec Is. I, 10, car on lit à la ligne 8 |v»fc.c>v.. |.^;lo de i, 11; f. 118""

(1) Catalogue of sijriac nianuscripts in Uie British Muséum acquired since tlie year
1838 by W. Wright, London, 1870; n. cccxii, p. 250-251.
(21 CeUe liste diftère de celle de W. Wright par l'addition des ff. 7.-)^, 55^ 86% 92% 112'.

(3) A propos du schéma donné pour chaque cahier, il ne faut pas oublier que le syriaque
procède de droite à gauche, en conséquence lire : 118, 121.
LE PLUS ANCIEN MANUSCRIT BIBLIQUE DATÉ. 87

inc. 1, 20 Mv-^ v?îv-i-i-[o] (1); des. i, 30 >iaè-^ r-'j v°^!. — F. 121, inc.

III, 18 ^^^ oo, ^ioa^; des. V,3 r;,diJil;oM> -^n^.. Le verso est à peu près
complètement illisible. On remarquera, par la place quoccupe ce

double feuillet quaternion, que le premier folio et peut-être


dans le

le recto du second étaient vides haïe, i, 1 ne commençait vraisem-


:

blablement qu'au verso du deuxième feuillet.

II

^
109 119 * *
120 110
Is. VII, li-viii, 23; x, 15-xi, 15.

La première ligne de 110' reste un peu douteuse, je la lis : v°^ i»» IM ;

la dernière ligne de la seconde colonne est w^ii otcv^ vu, 22. Au recto,

inc. VII, 23 oo, i-iod^i )[oovJo]; des. viii, 7 Uy^ v^ov-^; je note à la ligne 16
[= VII, 25) )j>i. suivi de deux petits cercles, la fin de la ligne restant
vide. A la ligne suivante -i. est écrit au-dessus de la ligne prima manu.
Col. 2, 1. 15 ;oi/j (= VIII, i) est suivi d'un cercle et le v. 5 reprend à
la ligne suivante. Le ms. de l'Ambrosienne (2) a lui aussi une forte
ponctuation. A la dernière ligne noter l'inversion Pr^o ^oo^x^ tandis que
Ambr. a : ^oo^cio. Wr^- — F. 120', inc. viii," )P^s=° ''"^î ^^^' (^^^- ^'"^' ^'^

^oov= vQ:i^i.i!oo: f. 120, inc. viii,15vc.:s^o )u[>s«>]; des. viii,23p^! M»/ r^^• —
F. 119'', inc. X, 15 w.^na^ mo^.; des. x, 24 k'/ ©v^^- Le recto est presque
complètement illisible, mais son contenu est déterminé par les deux
pages voisines le début de 109' est certainement Is. x, 3i --a^o
:

^Qi^NjLj; f. 109 inc. xi, 9 (i^u. ^H-i»; des. xi, 15 v'j^>=^; ^^°^ x*^- Andjr. a
par erreur p^ au lieu de j-^i^.

III

* * 81 69 72 78 * *

Is. XIV, 26-xix, 13.

Le début du f. 78 est illisible, c'est seulement à la ligne 5 de la


première colonne qu'on peut assurer la lecture de j^^ Is. xiv, 27 des. ;

XV, 3 [^f^/J^^o; f. 78', inc. xv, 3 ^ j^oj^W; des. xvii, 1 ^ \^Hi-



F. 72', inc. xvi, 1 |p>e°; ^^i^: des. xvi, 8 ov^o^ [pîa:»^^];; Ambr. a la leçon
a:>o-.^. F. 72, inc. xvi, 8 i-^op'O oi^no i »; des. xvii, 2 ^oowo |i^ o'^v»\ o. — Le
f. 69' avait été identifié précédemment par Wright, en haut de la

(1) On donne toujours comme incipit ou desinit une ligne complète, sauf indication
contraire.

(2) Translatio syra Pescitto Veteris Testamenti ex codice Ambrosiano


sec. fere VI
photoUlliograpliice édita curante et adnolante Sac. Obi. Antonio Maria Ceriani prae-
feclo Collegii Doctorum Bibliolhecoe imbrosianae, Mediolani, 1876; cité avec l'abrévia-
tion Ambr.
88 REVUE BIBLIQUE.

page on a marqué au crayon xvii, 2. De fait, les premiers mots sont


i./.aû iNj3...ai dudil verset; des. xvii, 9 \-^^i\^ -v?- L.6 recto contient de
XVII, 9 ^^û ^ [.xiaNji/;! me. xviii, 3
à XVIII, 3 vO)-L )ïat )L/. — F. 81,
lîaaji y^i[Ambr. a Mo^*») la dernière ligne n'est pas lisible, mais
^ioo ;

le contenu de la page est précisé par le début du verso, Is. xix, 3


,^^ Uoss^o ^jio; des. xix, 13 ^p-j» u-^yoï.

IV
* * 80 T3
79 88 * 91
Is. XXI, li-xxr\', 7; xxvi, 8- xxviii, i.

Comme on l'a noté, le f. 73 est isolé : c'est une demi-feuille accou-


plée dans le nouveau manuscrit au f. 68 (1). Inc. )^;/; [iva^a^. p:^]. Après
la première ligne du verso Is. xxii, 5 uts^.*- io>s^ il manque le mot
|L>.j-». La fin de cette page est déterminée par le début du f. 80 ;
d'ailleurs
à lavant-dernière ligne on lit •^i, ce qui donne pour la dernière ligne
illisible Is. xxii, 14 [pi^i^- lovv^l. — F. 80% inc. xxii, 15 v-r^ p»/ u=^\

des. xxii, 24 \i<^n P)-^; f. 80, me. xxii, 24 \y^h p[^^ r^j ; des. xxiii, 7
^soLiL; o»-i>s^y. — F. 91, inc. xxiii, 7 ojiio iji-o;^; des. xxiii, 10 -^pi/o ivjld ...^loo;

f. 9r, inc. XXIII, 16 jc^j); [iii^-^ûj; des. xxiv, 7 Jjlsq.^ .^/o. — Les premières
lignes de 88^ sont illisibles, c'est seulement à la fin de la quatrième
qu'on reconnaît c^! de h. xxvi, 9; des. xxvi, 17 m-^cù-o ap^; f. 88,
inc. XXVI, 17 ovvs^-^ pi.v.ooo; la dernière ligne serait à lire h. xxvii, 3

[;aû3/o ^oio^^ua/]. — F. 79\ inc. XXVII, 3 p.:;.^ -oto^ ; des. xxvii, 11 [;o-p] V

^oKsi,^.: f. 79, inc. xxvii, 11 ov^a^^o o, .a^i.] ; des. xxviii, 4 [<»r-P>] "°« r^-

* 112
* 107 92 87 * *

h. XXIX, 7-xxxi, 7.

F. 112% inc. XXIX, 7 p.aib^ ^oovi,^; : des. xxix, 13 po-^j^. |i'>\o.-.o [Anibi\
a la leçon pu; au lieu de p^j-j^s); f. 112, inc. xxix, 14 |o) po, ^è-^; des.
XXIX, 21 -aiiioAo )is:i,^eo. — F. 87, inc. xxix, 21 .ji!."i>JioLl ov\ ,joa.ax> ; des.
XXX, 5 iN^^saoo )L^;xxx, 6 UHi Wy<^~^o pw; des. xxx, 14
f. 87% inc.
ti;v-^i; iv-^;. —
Lc f. 92 cst très peu lisible au recto, la première ;

lecture certaine est à la onzième ligne P-vi^ao de xxx, 15; la première


ligne du verso. /!>. xxx, 21, contient un mot qui ne se trouve pas dans
les autres textes de ce passage, malheureusement illisible vq.
[^«l ...] po.

La suite diffère un peu du texte de Ambi\ : ^«^0.41.0 )i ^ .co. \ po j-u.iouj>. p.

A l'avant-dernière ligne on lit m— de xxx, 28. — F. 107% inc. xxx, 28

(1; Le f. 68 appartient au cahier X. cf. infra.

I
LE PLUS ANCIEN MANUSCRIT BIBLIQUE DATÉ. 89

s^jjvai. ^cmiaj; des. XXXI, 1 v>^L\io (.iOLîï : f, 107, inc. xxxi, 1 "^^ ,ç-:^i.tooo;

des. XXXI, 7 "«^i;^!!-/ ..-i^ -:=oL.

VI

116 77 101 lO'i. 95 98 82 123


Is. XXXII, J4-XL, 22.

F. 123, inc. xxxii, li I'Ks^ U^î (V) k^o: des. xxxiii, 7 r^v^^-r^ v^^^l
f. me. XXXIII, 8o:i-è-^ ju^oîj; des. xxxiii, 19 "«>^;
123', îq-j p. |.iai:i- —
la première ligne du f. 82, Is. xxxiii, 19 oM-ti. ^v:.o .o«.iout, il convient

de relever une erreur -^o pour ^^o; des. xxxiv, i [i^rt] j^i ;n-> v°=^v^;
f. 82'', inc. xxxiv, 4 /-/o i^a^ ^^o ito»; des. xxxiv, 16, oi.^ i^ loi. i^.

F. 98"", inc. xxxiv, 16 o;^o pvio. [ov^toL^J à l'avant-dernièro ligne on lit ;

'^ (= Is. XXXV, 10); f. 98, inc. xxxv, 10 yQ.o;^o [^0=^]; des. ...

xxxvi, 9 [ivq^j -ofov^v] ^io j-;. — F. 95, inc. xxxvi, 9 ^^ /^ isiou/o ^v^o? ; la fin
de la page est complètement illisible; f. 95', inc. xxxvi, 18 i
y> snv [>]
.

op.;; jLj/; des. xxxvii, 5 [pivso] i.^^.)-.; -.o,op.^. — F. lOi, inc. xxxvii, 5 i-q^

vio/o w-^i; f. 104', inc. xxxvii, 16 ^c^ \>^i;jïl./;: des. xxxvii, 24 ^^^î]
cooo^ [^oœls/o. — F. 101^, inc. xxxvii, 24 u^^s^o -0,0)»/;; des. xxxvii, 33
in..-,_q\ \.a^ p [îoL/j] : f. loi, inc. xxxvii, 33 ^^t i^j^j p [o );©,]; le reste de
la page est presque complètement illisible. — F. 77, inc. xxxvi, 6
Ijibooj -0,0-^/ ^boo; des. XXXVIII, 18 [j^ i;oi. ^o^] p.; f. 77' , iiic. xxxviii, 18
lL<iio p3/; des. xxxix, 6 icooii^ )o) pn^.^. — F. 116, inc. xxxix, 6 ^««wisNjljo ^lj

"^1 des. XL, 9 Lr^^j"-] ^<= ^-^^=^'1 '


f. 116', inc. xl, 9 Ijooi..; pyoiai. o^iof ; des.
XL, 22 |1>^-,5^Q- ^^ ot^j [r^o]-

VII

85 84 86 124 115 93 75 94
Is. XL, 22-XLVI, 11.

F, 94'', inc. xl, 22 ov^ïq^^o t^;/.: des. xli, 2 i^ia^ wo,aiû^. La première
ligne du recto est à peu près illisible, ^1^ paraît probable à la fin
de la ligne; des. xli, 13 /'oj^ pi p/. — F. 75, inc. xli, 14 ok>^ol ^.c^.i p;

des. xli, 21 [po; ydi^uu.] a^v^. Le verso, qui commence par les mots i-rso
^aat^^jL a^vû, cst à pcu près illisible à partir du milieu de la première
colonne; col. 2. 1. 2, le dernier mot est
duv. 26. F. 93', inc. xlii, 4 \^i —
po ;^jj] p p-;; f. 93 inc. xlii, 13 •>wo,a.3o;i.i.^ (la ponctuation forte à la
,

fin du V. 13 comme dans-zlm/^/".); dans la seconde colonne on lit à la


ligne 15 p>ol^ du v. 22. — Au début du f. 115 (=: xlii, 24) noter Tin-
version pL^ji. \^);.m-.po )))^iN> ^aa.i.>A .:so,.. qjj>o aU KeU dc ^.|,cQ..po \^^ v ^"v . \

)))j^: des. xLiii, 6 [\^H{\ oixsaœ^: f. 115', inc. xliii, 7 ^^>^ w^^ ^3; des.
90 REVUE BIBLIQUE.

XLiii, 17 )-oa^ Mo-s )L.jao. — F. 12V. inc. xliii, 17 i-^^iVo id^^v^ w^i^c»,; f. 12i^,
inc. XLiv, 1 po; j-ooi N-c^K,^; : des. xliv, 10 ^oiov=-i poi "«^^oo. — Le f. 86 est très
peu lisible, le verso commence à h. xliv, 10 [i^ts^j ^^; ,^/; à la
ligne 21 le dernier mot est o^ao/ du v. 19. Au
premier mot recto, le
certain est '^);^ïi^/o du v. 21 à la ligne 9; à l'avant-dernière ligne de la
deuxième colonne, on lit ^-^i^niu. de xliv, 28. F. 84, — inc. xliv, 28
^loiouo <:>-r^: des. XLv, 8 ^!», ce mot semble suivi dans la ligne d'un
autre qu'on ne peut lire, d'autre part le commencement du verso est
certain, Is. xlv, 9 oii><iJis>i y=^ ^i^ ^o,: des. xlv, 17 p© v.ot-^o)i P- — F. 85',
inc. xlv, 17 y.aa\N ;,o^.^ vov^-i; des. xlvt, 1 [voowpu^i oooio o^j; à la ligne 22,
[= XLV, 25) j'ai remarqué l'inversion .^njuo ^.jm. Le recto est très peu
lisible, la première ligne de la 2'"
colonne est '^ c«i. .^-xiijlo (^ Is. xlvi, 7 .

VIII

76 67 105 96 103 114 74 83


Is. XLVI, 11-LIV, 12.

F. 83% inc. xlvi, 11 iw, l—'r^ v>= {Ambr. ui )vx> pp=: des. XLvii, 6
^aou.» ^ov-^o. ^i^^; f. 83, inc. xlvii, 6 -isjJLi.; i-^co ^^o: des. xlvii, 13 po^q^^o]
^^.oioo. — F. 74\ inc. xlvii, 13 Wj^vio -^^i:^ où il faut noter l'omission
de Wr^ après -^a:^; des. xlviii, 7 [^];^doo \>.^ioo to-^-/; f. "lï, inc. xlviii, 7

>=^ ^ y^^ ^ [po] : des. XLVIII, 17 i-La:^^ locsx ppo. — F. 114% inc. xlviii, 17
pa-^o )hyl p. ;A : des. XLIX, 5 )^^ oii. )ooi/;% f. 114, itlC. XLIX, 5 [pLSfo]

orLoi. ..^ nvA : dcs. XLIX, 10 ka:iiûi.o ^oj/ v^^. — F. 103% inc. xlix, 10 P^^o»

,^Qj/ |t^ ; des. XLIX, 21 If^-^s^ il^cu^o; f. 103, inc. xlix, 21 ^^ v^o, )L;o[\ioo] :

des. l, 1 vocujj){ ^ciDùov^w^. Les versets 23 et 24 sont séparés par une ligne
ainsi constituée : .«.«.«. tandis que dans YAmbrosianns il n'y a
d'autre ponctuation qu'un point. — F. 96\ inc. l, 1 s^ûloNjl/ ^q^c^o des. :

L, 11 oviOLiL^ ;-.mj : f. 96, inc. L, 11 wûvsnjo [ppo;^ la fin de la page n'est


;

pas lisible. — F. 105', inc. li, 7 il^^^;) wo.^ ^ai^^oo^ ; des. lt, 15 ypi^o:^ p

[iLau-i.]; f. 105, inc. li, 15 v>l o%iû-A %ai..^ po] ; des. lu, 1 v^-oij ^-p^u; ^•^^\x\.

F. 67% inc. lu, 1 i^-jL*ir Ua-=^ ..ul^o: des. lu. 11 "^-^-^o ppo. ^ojojj^t f. 67,
inc. lu, 11 M'OiJ'^^ï" [pîJ : la dernière ligne est illisible, sauf l'o/r// du
dernier mot in « .. ->i\ - — F. 76, inc. lui, 7 u^ ;--!o vjjjl;: des. liv, 3 P:>aaQ\o

v',^!-; f.76% inc. liv, 3 Mà^ai- iju -.^ho]'-, des. liv, 12 .^i-i.vLo ^osom^L..

IX

* 100 97 122 117 102 99 *

Is. lvi, 2-lxii, 8.

F. 99, inc. lvi, 2 p. wo,a.p/ icuo; f, 99% /y^c. lvi, 12 ;-/ 1oo>jo i;^; des.
LE PLUS ANCIEN \L\Nl'SCPiIT BlBLIOl E DATÉ. 91

LVii. 10 -^<--y^l Po ]-i^ i — F. 102% inc. lvii, 10 i^^.a-^ ju;.: des. lvii, 18
oUi.^ jio <m\ )i-qj: f. 102, inc. lvii, 19 )i-<iaaj. ji^oo^o iv^; des. lviii. 6
)j.--^-> |v>lo (Ijxj;. — F. 117, //^C. lviii, 6 vwVjo )1.o;-A : f/e^. LVIII, IV, V»/;' ou-ooi.;

f. 11T\ inc. LviH, 1+ oiLoL;^ /^ofo; des. lix, 9 jioi^-.jo ]pu. ^po";. — F. 122,

inc. lix, 9 lîou:^. v^ r?ii'- y; des. lix, 19 hp» ["^-è-io o,u^p] : f. 122\ inc. lix, 19
iJou ;-/ ija^ : fZ-^s. Lx, 6 --a^ ^oiixi îj^j. — Le début du f. 97' est illisible;

des. LX, 15 ^jcio:^. fr^i ^^r. à la ligne 21, [j^^ du v. 15 est écrit par
abréviation j[^; f. 97, inc. lx. 15 v-^ii-o v'J'r^ Ro^-o; des. lxi, 3 ^a^ >i^;

lîv^o^i.,. — F. 100, inc. LXI. 3 it^^^œ uoî -a^-" : des. lxi, 11 vo^^^ 75^^
Mà^û^: f. i00\ inc. lxii, 1 v v=^<mj "^^l (f^y. lxii. 8 .l-v^qj ^.>jls ^o]njlj.

X
'
111 * 106 113 ' 108 68
Is. Lxiii, 16-LXv, 25: lxvi, 18-2*.

Le f. 68 est une demi-feuille isolée comme f. 73 : le recto commence


à Lxiii, 16 y 7=o-;j( V"-'-' ^^^^- L^'^iv. 7 .>]a^^ t^;= i-m>: au recto la
première colonne a 2i lignes, la seconde 26, c'est-à-dire 3 de plus
que la moyenne. La première lig'ne du verso est très endommagée
parce qu'on a gratté à cet endroit l'écriture supérieure ; des. lxv, 7
w-ojLio/ ^oj^û-. — F. 108. i?ic. lxv, 7 ^:^à\ vpowp^; la ligne suivante ne
contient que le mot ^oav^oi^ suivi dune série de points alternativement
rouges et noirs, la troisième ligne ne contient que des points: VA//ilj/'o-

siames indique aussi qu'un chapitre commence au v. 8. A la ligne 8 de


la deuxième colonne, les derniers mots du v. 12 u( m>j ne se voit pas
après P: sont également suivis de ces points et la ligne suivante parait
complètement vide; à la lisne 10 on lit "^>-^^ qui commence le v. 13;
des. LXV, 16 /^^tooj u-^i ce dernier mot est répété par dittographie au
;

commencement du verso |ovi.k> /v^too. ; des. lxv, 25 v<ia|-=j po ov2>o-a. —


F. 113, inc. LXVI, 18 n^^- pio p^ic; la ligne 5 delà deuxième colonne
contient les derniers mots du v. 22 et un remplissage de traits ;

««(( ^aoioio ^aii.;).- à la ligne 1+ est la fin d'Isaïe .««««. 0.0. -,1x10 \oi.: la
'
ligne 15 ne contient que des points; à la ligne 16 on lit :
'
'0 P^^
u^/; la ligne 17 est une ligne de points, puis commence le coloplion
donné plus haut. Au verso, malgré le titre p^jl; qui est écrit dans la
marge supérieure, on trouve la vision des ossements, Ez. xxxvii, 1

(y^i ^^ too,o à XXXVII, 9 ,^ov^ -030 p.oï. Ce morceau se continue


au f. 106 inc. Ez. xxxvii, 9 ^oo-^o iu^: à la septième ligne de la
deuxième colonne, on lit encore )p>o po/ p; .^o d'Ez. xxxvii, li le mot ;

)Lopo se devine au début de la ligne suivante qui devait contenir eu-

suite une rubrique maintenant effacée; 1. 9 vide. A la lii;ne 10 com-


92 ElEVUE BIBLIQUE.

mence un autre morceau qui n'est probablement pas scripturaire et


que je n'ai pas identifié. Au verso, il y a jusqu'à 36 lignes d'écriture
peut-être de la même main que le manuscrit, en tout cas de même
époque. Ce texte continue jusqu'au bas de la première colonne du
f. 111; la deuxième colonne du recto et tout le Aerso n'ont pas
d'écriture sous-jacente.

A cette analyse du manuscrit j'ajouterai la collation de trois pages


que j^ai comparées à VA//(drosiani(s.
F. 69'', Is. XVII, 2-9 : v. 3 ^^^^o pour m-^n-i ;
— -uo. i;^/ _^( où
A?nbi\ est fautif répétant u^-r^ au lieu de \-^^r, — 5 ovi.wo pour op.;»o; —
8 (?) \i.^co po pour '<^3i.tso po ;
— ^.^.^.o pour ^^o.

F. 82, /5. XXXIII, 19-xxxiv, i : v. 19 ^^o.o. erreur pour .sjs>:^o : — après


le V. 19 quatre points sur une ligne horizontale alors quAmbr. n'a
pas de ponctuation spéciale 20 vV^e-î ;
— ^
— i"^^ ^^"'- lieu de i;-; :

21 iN-ï/o pour le^oVo. et omission de pvWî-
F. 68', Is. Lxiv, 7-Lxv, 7 : v. 7, 8 v^;: — un petit intervalle entre
les vv. 8 et 9; — 10 vt^-^^io pour v,'^*:^^'-»; — le dernier mot du v. 11
ol^ est seul dans une ligne, et la ligne suivante est plus écartée que
les autres; — lxv, 3 t^^j-œ/; — 4 omet l'add. d'Ambr. uoo-yxj )vjl:>û.\ i^jlj^o^

ppoiw vPK^^pr |j-^


)-io--û o^iaéooi.o; >-i.fco écrit deux fois. —6
La collation de ces trois pages est assurément bien peu pour juger
de l'intérêt d'un manuscrit; la part des erreurs une fois faite, il ne
reste presque plus de variantes, mais il ne faut pas oublier que les
manuscrits de la Pesitto sont généralement très semblables les uns
aux autres, le travail de dépouillement fait par Diettricli pour le
livre d'Isaïe le montre amplement. Et si l'on ajoute que les variantes
notées ici sont étrangères à Vapparatus de Diettrich, on en conclura
que la collation du palimpseste Add. li.512 s'impose aux futurs
éditeurs de la Pesitto d'Isaïe; ils trouveront dans les identifications
de pages que nous publions un guide que nous aurions voulu faire
meilleur.

Deux autres palimpsestes syriaques des prophètes avaient retenu


mon attention avant Add. li.512. L'un d'entre eux contient une
douzaine de folios d'un livre d'Isaïe écrit au vi*^ siècle. L'écriture
inférieure d'Add. I'i..6i6, ff. 183-19i 'D, est un gros estranghelo très
lisible; les pages ont deux colonnes de 16 lignes. Les douze feuillets

(1) Cf. "W. "^ri^ht, Catalogue..., n. dccccxxxix, p. 1087.


LE PLUS ANCIE.X >L\NL'SCRIT RIBLIQLE DATE. 93

appartenaient aux cahiers ;3. 5, et 8 d'un manuscrit qui comprenait


au moins une quinzaine de qiiinions
Les cahiers I et II manquent.

m
' *
* " 18V ' 191 ' * *

F. 191% inc. Is. VIII, 12 i;^:^ po, i^i. -^i,; des. viii, 17 >^q^i:>^ n^, ^^c

p2XD|o; il n'y a aucune trace d'un début de chapitre au v. 16, où


Ambr. fait commencer son chap. x. F. 191, inc. viii, 17 w^ ui i<m -^i
des. VIII, 21 Uj-io K^p ^aaj. — F. 18i% inc. ix, 12 p pt^.^ p^ai.©; des.
IX, 16 ^o«o jLQ...^ iii,.iOLio: f, 18 + , inc. ix, 16 oik^oî^-^o, y v<>^; des. ix, 20
^^ i^io h y^N
i^ . Ce feuillet avait été identifié par W. Wright qui a
inscrit au crayon : « Isaiah. ix, 13, li. »
Le cahier IV manque.

V
*
183 188 ' * ' ^ 187 192 *

F. 192% inc. XIV, 32 pu^ ^oîus^au o»^; des. xv, i voonju loj.^ \^f-o\
f. 192, inc. XV, i ^0, ] m .. y, poi^^^o^ .^0,^^; des. xv, 8 '^S'-^oo ^Q\nti v^v^... —
F. 187, inc. xv, 8 p-q^is^ irs^^,^ i;;-,,; des. xvi, 2 -^loj» \jloo .du^; f. 187% ?/zf.

XVI, 2 11.-, -<v>n-> ^oow jNn. Tt ; dss. XVI, 5 ^oiv^ciioo p-; . invvio. — F. 188, inc
XVIII, 6 i;-^ ]y^\ ^o^ijNjuo: des. xix, 1 '^ -^>-o; p^o fo,: f. 188\ me. xix, 1

\^i^o ic^.::^::^ iJLb.; des. xix. i Pp*î? i^i.^ l-',r«=^- — F. 183% /;ic. xix, i
P^^^jL^ pi^i^o pju>; des. XIX, 8 R^j^ ,-^^.0 jjouj; f. 183, i/ic. xix, 8 -is( "^
ooivaL/ pLio; la dernière ligne est illisible, l'avant-dernière commence
par ptci.— ppo de xix, 12.

VI

* ' 185 * ' * ' 190 ' '

F. 190% inc. XXI, 2 6yts^]i ^ov^o© ^^\ des. xxi, 7 ^^-^ ^'M ^=<"? iv-»;

f. 190, znc. XXI, 7 .i^>>o .|vj>a_ -i-o;.; fi?e.9. xxi, 11 .^aai^-cu, n>^j^<»;; —
F. 185% inc. xxiii, 1 -x^u ^^\ kw; des. xxiii, 6 rv^^; ïi=xx^ 0^:^-/; f. 185,
inc. XXIII, 7 iis^i^uLi. ^oi^ ^01 );oi; ^/(?6\ xxiii, 11 ^«u» ,^13 "-^ ^is.

Le cahier VII manque.

VIII

* 189 186 193


* * 19i ' * *

F. 193, inc. xxix, 13 ^^^ dii oqma o cJvio<iai3; des. xxix, 16 1^; p-4
94 REVLE BIBLIQUE.

v>
-. . . ..: f. lOS"^, inc. XXIX, 16 -r^i p^. ^p^/; des. xxix, 20 i^q-; ^j '^^^^.

— F. 186, 2 ne. XXIX, 20 o^/o \.\ xc^


T,..j v:«>^o; des. xxix, 23 "^Iv^;. ic^^iJo :

au-dessus de la première ligne du verso y a deux groupes de il

quatre points en losange, qui servent peut-être à indiquer le milieu


du cahier, inc. xxix, 23 (lï^o ^«i^-wo vf^-^i^: des. xxx, 3 v'j^; '''^^j )»n^o-
— F. 189, inc. xxx, 4 oo,. \>^5o )t^..a^N\; des. xxx, 7 ilo^;^ )-'>^o; f. 189\
inc. xxx, 7 "^^^-^ v'e^ ii-a^^-^s^»; f/'"^. XXX. 10 voi^sœ/o \i^^. —-F. 19i, inc.
xxx, 10 vOjLsof/o [Mo/ ^] des. xxx, li -oiov^t^ -oisjl>û ij.; : f. 194% inc.
XXX, li )»aJ ov^ -vmv^N ^s^ clcS XXX, 17 ^o ^; \l^. ; .

Lesff. 191 (= VIII, 12-21) et 18i i= ix. 12-20) collationnés com-


plètement n'ont fourni aucune variante au texte de V Ambrosianus.

Le ms. Add. li.(>28 1 contient 8 feuillets palimpsestes d'un texte


d'Ézéchiel écrit à raison de 22 lignes à la page. Les feuillets sont en
trop petit nombre pour qu on puisse proposer avec certitude une
restitution des cahiers; voici la description des folios identifiés, paire
par paire :

F. i, inc. VII. 4 yo^'^i (to w.:!..^^ ...j^ ^o-l: f. 4\ inc. vu, 12 p ^po.o
\,.^v:» ov^ ipi: la dernière ligne commence par soous>i \^ Ez.. vu, 18 ,

mais les deux mots suivants sont illisibles. — F. 5 inc. x, 2 ,^ iJûj?

^Mo uo-p njl^; des. x. 8 Uo^o. >=>oï3i.] ^..^^o: f. 7)\ inc. x, 8 n-^l m^j-^. \^i'.

^oovxsl^; deux dernières lignes commencent par les lettres /o. début
les
du mot )c^v-/o qui se trouve trois fois au v, 14.
Le recto du f. 2 a été gratté, on ne peut y lire que ,w^i]a-H[;J de
Éz. XVI. 43 vers le milieu de la page, et quelques lettres de-ci de-
là: le verso commence à xvi, 45 it^t^ v»^!:*!
[^c^^^j^o^ ^oowvui,^: à la dernière
ou avant-dernière ligne, le premier mot est .^aioai^ de xvi, 51. —
Je n'ai pu réussir à identifier le f. 7 qui se rattache au f. 2, verso et

recto sont illisibles.


Le f. 1 contient la tin du chap. xx et les premiers versets du
ch. XXI, exactement de xx, 43 ou 44 à xxi, 4; le verso commence à
XXI, 4 P/î ;-cD-3 ^^ oijo)-.jo: des. xxi, 10 ^.^soil p ^oio ,o,tcs-. ^j après xxi,
:
5,

il y a quatre points en losange, comme dans VAmbrosiajuis. Au —


f. 8, on ne peut lire certainement que la deuxième ligne xxi, 32
(Vulg. XXI, 27) iJLJr^ ,ç.; Col o,^.; des. xxi, 37 (Vulg. xxi, 32) Ub. ^^^è^ pî"-
[P/]. Le verso est assez peu lisible ; à la première ligne xxi, 37 (Vulg.
XXI, 32) -:^ioo,o jisii^ \^-^' on ne voit pas les deux premiers mots, ni

aucune trace de ponctuation devant le mot ioo,o qui commence le chap.

(1) Cf. W. Wright, Calalo(jiie..., n. dccclxxvi, p. 1022.


LE TLUS ANCIEN MANUSCRIT BIBLIQUE DATE. 95

xxii: à la dix-septième liune, on voit wii. 5 i^^^w, vV^P= -^^ v" «:'" ' --^•

mais les cinq lignes suivantes sont illisibles.


Le groupe f. 3 et 6 est le mieux conservé : f. 3. inc. xxiii, 2ô
.^T^j vo^^r" v^-"^ ^^^"^î ^^^•^- XXIII, 32 L^*=^-!]
|i-oï^! ^;^•. f. 3 . lue. XXIII, 32
i.^.^îo I-O..V1V ^njil: des. XXIII. iO i-^a^^ ^^ ...iji ^lo ^is^^ a^ j-ïLj.. — F. 6, inc.

XXIV, 18 P l-i-ai. -^ V^/o IjXLSL/; ; dcS. XXIV, 25 ycot-^ia*» )LOj-; iJjaj. : f. 6', îllC.

XXIV, 25 ^-jDo-o voav^^JL-^; l'^'o- clcS. XXV, 5 v'ai-'i^o U^: vN ^a^eo.. I


-'
i

En collationnant la page 3' := Éz. xxin, 32-iO avec Y Ambrosia-


/lus jai relevé les variantes suivantes : v. 33 pooi.o au lieu de m/ oo);o:

— - 35 iLo-^. Wr^ pour \i-o-^y= iP»: — -^lo pour ^r- — quatre points en
losange après le v. 35, tandis qu"-4///6;'. a seulement un point. Au
f. G = Éz. XXIV, 19-25 . V. 19 poi écrit deux fois; — 21 u^o pour-
M^x»: —
om. iNs,'-
-

Gomme nous l'avons remarquer à propos d'Add. li.512. ce


fait

butin de variantes est bien maigre et il n'y a pas lieu de s'en éton-
ner. Qu'on nous pardonne d'avoir exposé si longuement le résultat
de nos travaux au British Muséum, puissent-ils être de quelque uti-
lité à ceux qui entreprendront l'édition critique de la Pesitt<> de l'An-
cien Testament!
Rome, le 4 novembre J91n.

Eusrène Tisseram.
3IÉLANGES

VERISIMILIA CIRCA PERICOPEN DE MULIERE ADULTERA


(loan. VII, 53-viii, 11)

Huius pagellae evangelicae fata sui generis fuisse, coriimque initia


hiicusque densis obvolvi tenebris, nemo ig-norat, Quae autem inde
ab Erasmo varii varia tentaverunt ad originem eius indagandam,
longum est enarrare, neque ad scopum queni hoc loco intendimus
necessarium. Sufficit nobis, illas in médium proferre hypothèses vel
coniecturas. quae prae ceteris rationem dare nobis videntur omnium
factorum historicorum hue spectantium. Quorum praecipua sane sunt
quae sequuntur :

1° Fontes critici antiquissimi plerique pericopen ignorant.


2° In aliis multis inde a seculo quarto occurrifc : plerumque post
loan. VII, 52, raro ut appendix post quartum evangelium, rarius in
evangelio Lucae, post xxi, 38, semel tantum post loan. vu, 36.
3° Videtur omnino aut ipse textus, aut saltem historia eadem, seculo
secundo occurrisse apud Papiam et in evangelio Hebraeorum.
i° Rei narratae — ut quaestionis ambiguae mala fide Domino lesu
propositae — apud Synoplicos (Matth. xxii et parall. i analoga legun-
tur, non vero apud loannem.
5° Ipse quoque narrandi modus seu stylus sub vario respectu synop-
ticus potius quam ioanneus dici débet nominatim parallelismus ver-
;

balis inter Luc. xxi, 37 et loan. viii, 1 s. negari iiequit, et usus parti-
cularum zi et cjv a ioanneo longe distat.
6" Tandem ex defmitione tridentina pericope canonica seu inspirata
est, quia tamen inde ioannea esse comprobetur.

I. lam vero statim ut fons primitivus valde probabilis occurrit evan-


gelium aramaicum sancti Matthaei. Quidquid enim de evangelio
Hebraeorum alii coniecerunt, nobis dubiuni non est, quin illud longe
maiori ex parte cum Matthaeo aramaico unum et idem fuerit. Sanctus
^ddelicet Hieronymus, qui Hebraeorum evangelium non tantum legit
sed exscripsit et graece ac latine vertit, id « Matthaei authenticum »
et « hebraicum evangelium secundum Matthaeum » vocare non dubi-
MÉLANGES. 97

tavit : et quanquam in scriptis suis posterioribus has locutiones. prop-


ter additamenta variae originis non omnino accuratas. recte videtur
évitasse (l, cas nuuqaam tamen retracta vit. Xeque ipse neque alius
ex ils qui librum legerunt quidquam ex primi evangelii nostri materia
notasse cognoscitur. quod ab evang-elio Hebraeorum aberat. Unde
verisimillimum videtur. auctorem huius operis banc quoque histo-
riani ex Matthaeo aramaico desumpsisse. Salteni nulla alia hypotbe-
sis tantum probabilitatis prae se fert,

IL Quod si ioeus quaeritur ubi Matthaeus, in hypothesi praemissa.


factum retulisse eensendus sit, iam a priori ad c. xxii deducimur. ubi
très eiusdem generis quaestiones, Domino a variis insidiatoribus pro-
positas, collegit. Atque certe illud concinne referre non potuit post
XXII, 46 « Xeque ausus fuit quisquam e\ illa die Eum amplius inter-
:

rogare » (2).

Ibi quoque Lucam pericopen banc legisse, oninino probabile est.


Quae enim Luc. xxi, 37 s, leguntur tum quoad materiam tum quoad
formam ab ea videntur pendere.
Refert Cbristum ultimis vitae suae diebus in templo docuisse, noctes
vero transegisse '< in monte qui vocatur Oliveti ». Quod si intellegi-
tur de « Bethania ad montem Olivarum » (^Mr. xi, li, pro uno et
altero die bauriri potuit ex Mattb. xxii, 17 s. et Mr. xi. 11 s., 19 s..

27. At num ex bis solis assertionis lucanae magis universalis suf-


ficiens ratio dari poterit? Certe longe planius intellegitur, si suppo-
natur Lucas Matthaei capite xxii legisse id quod nunc loan. viii, 1 s.

legitur — de tertia quadam nocte, in monte Olivarum transacta.


Praeclare dein confirmatur baec h^^otbesis, quamprimum hune
Lucae textum paullo penitius inspicimus. Talis enim est ut maxima
probabilitate adhuc dignosci possit, unde auctori sacro pleraque
verba in mentem venerint. Sufficit inter se conferre quae .sequuntur :

Luc. XIX, i7. Ka- V' c'.cxry.wv


-z v.y.h r,[J.ézx'/ àv -w Icpû* cl oè

ùzy.izv.: Y.x: z': -^'Ztj.'j.ol-z'.: ïlr,-:c-j'f

y.j~Z'/ x-z'/.izy.'. /.y), z': ~zC)-.z'. t:j '/,y.zj,

i8. y.x'. :>/ sjc'.77.:v t; -':


t.Z'.t^ziôz'^/' Luc. XXI, 37. 'Hv zï -'x: ''r/J.i-

z J.J.ZZ ';zcz y-y.z 'ù.v/.zi'}.i-z ajTCJ paç àv tw Upw s '.ci Ty.wv , txç z\
^y.cjs'.v. vjy.Taç èr îCy^cy. svcç r, jai-^etc s:

1 Cf. L. Schade : Hieronvmus und das hebriiische MatthausorigiDal (Biblische Zeit-


schrift, VI, 1908, p. 346-363).
2 Eadern ratione satis constat, pericopen non fuisse scriptam a Luca post x\. 40, ideo-

quî nec post xxi, 38, ubi in ijuattuor codicibus Ferrar legitur, nec post \xi. 3G, ubi F.
Blass eain edidit.
RF.TLE BIBf.IOlE 1911, — N. à.. T. TIII. 7
98 REVUE BIBLIQUE.

Matth. XXI, 17. Kai y.jJTaAi-wv Tospoç tj •/,aA5ij;acV0v sAaiwv. 38.


aj-C'j; èçYjAÔev l;to --^ç TriAswç s'.ç K^:' ''^a? ô Xabç wpôpiÇsv Tpbç
B-/;6aviav, -/.a- -^j Aicô-/; Èy.îT. aù-bv èv tw Upw à-/.0'j£tv a-j-rcy.

loan. VIII, 1. 'Ir,c7cjç os è-ipsûO-/;

£iç Tb 5psç Twv èXaiwv . 2. OpGps'j

es TrâXtv TapsYÉvsTS sic tb i îpiv,


y.ai -Trac è Aab ç r^px^"- '^ pb ; ajTOV ,

y.a', y.aQ(ja? èc'3a7y.sv aJTCÛç.

Obvia prorsus est similitudo realis et verbalis tiim inter Luc.


XIX, 'i-la et XXI, 31a, tum inter xix, i8 et xxi, 38. Quis dubitet quin
auctor, hune posteriorem locum conscribens, priorem aut ante ocu-
los aut saltem in memoria habuerit?
At vero idem dicendum videtur de Luc. xxi, 31b collato Matth.
XXI, 17. Sicut ex facto apud Matth. relato, collatis aliis similibus,
collegere auctor poterat, Christum hac ultima sua commoratione
hierosolymitana ita facere consuevisse, sic ex Matthaei textu utrumque
verbum ï^ipyt^dx'. et 0L-j'/JZz7f)xi mutuatus videtur eo verisimilius —
quod haec posterior vox rarissimi usus est et saltem in Novo Testa-
mento alibi non legitur. Atque similiter particulam s-ç, quae non
obstante verbo interiecto r,'j'/JZi-z a participio ki_z.pyb\).v/o: pendere
videtur, exeodem Matthaei textu fluxisse, probabile est.

lam vero his admissis — quae prudenter negari vix poterunt —


eodem vel etiam maiore iure asserendum est, simili prorsus modo
Lucam a loan. viii, 1 s. pendere. Pro Bethsaida, quam et Matth. et

Mr. nominant, Lucas introducit montem qui vocatur Oliveti. Pro c

Aabc... a7:a;, quod XIX, 4-8 scripserat, nunc cum loanne dicit za; b

Xai;. Tandem quod sequitur aTra; AiYi[j.£v:v wp6ptucv r.ptq a-j-'ov tam :

in memoriam revocat -\ r^pyt-z r.pzz aJTiv apud loannem, quam etiam


illud ïpOpcj, a quo idem apud loannem versiculus iucipit.
Quae quum ita sint, dubitari vix poterit, quin Lucas, quum caput

suum XXI exararet, loan. viii, 1 s. simul cum Matth. xxii, 17 ex ali-
quo fonte suo — et confidenter addere licet : e fonte graeco — re-
centi memoria tenuerit. Et pronum est conicere, Evangelistam textum
nunc ioanneum legisse apud Matthaeum, capite xxii, cuius capitis
materiam reliquam magna ex parte pauUo ante (Luc. xx) suo modo
enarraverat.

III. Num longius procedere nobis licet et pericopae nostrae in Mat-


thaei capite xxii locum determinatum assignare? Licebit utique qua-
tenus probari poterit, Tatianum seculo secundo eam et apud loan-
MÉLANGES. 99

neni legisse, ubi nimc les-i solet, et apud Matthaeum. cap. xxii inter
versiculos iO et il. Atqui hoc niiUateniis quideni certum, at satis

tamen verisimile videtur.


Difficillimum sane est. ordinem pericoparum evangelicaram in
opère syriaco Diatessaron Tatiani accurate determinare. Ltilissimara
tamen huic rei post Th. Zahn operam navavitp, l. Hontheim (1)
— e cuius elucubratione doctissima data praecipua quae rem no-
stram spectant facile hauriuntui-.
Ôperis videlicet syriaci iam non existentis dispositio quantum fiei-i

potest collegenda est ex variis recensionibus, nisi i-ectius dicam imi-


tationibus. posterions aetatis, graeca. latina. arabica 'G, L, Ai, fré-
quenter iam inter se diversis.
Quaeritur autem an Tatianus pericopen de muliere adultéra in
Diatessaron suum admiserit, — et si affirmandum est, quo eani loco
posuerit.
Ut textus nunc iacent G et L eam praebent postridie insressus Christi
triumphalis in Urbem. ita ut loan. viii. i non verbis tantuni sed ipsa
re supponant parallelum esse Matth. xxi, 17. In A vero pericope
deest. Id quod censet Hontheim esse primitivum, insertionem vero
in G et L secundariam. Hoc posterius sane admittendum videtur :

ex quo tamen non invicte concluditur prius illud. Fuisse scilicet tem
pus quo Diatessaron syriacum liac pagella caruerit. nonnegamus. Sed
quum in antiquis versionibus syriacis evangelii quarti " separati »

non legeretur. fere aeque pro])abile est. eam. etsi a Tatiano admis-
sam i a scriba posteriore omissam fuisse, et deinceps a viro graeco,
,

qui in codicibus suis eam legebat, alio loco insertam.


Atque alla occurrit ratio quae raagnopere suadet. ita faetum esse.
Omnes enim variae recensiones quae supersunt in mirum hoc faetum
conspirant, ab ipso quoque Hontheim admissum : quod Tatianus
iis. quae apud loannem proxime praecedunt vu, 31-52^ locum tribuit
inter Matth. xxir. iO et il : i. e. inter interrogationes captiosas inimi-

(1 Die Abfolge der evangelischen Perikopen im Diatessaron Taliaas Theologische Quar-


lalschrift, XC, Tûbiogen. 1908, p. 204-254. 339-376;.
2, Parum omnino movemur argurnento a priori ab Hontbeira allato : quod Tatianus
pericopen 7. 53-8, 11 ob rationem dogmaticara omittere debuerit. tanquarn « rigorisme v

suo contrariarn Bas ist bei einem Rigoristen wie Tatian, der sogar den legitimen
: «

Gebrauch der Ehe als Unzucht verwarf. selbstrerstâadlich » (p. 239). In hac se. hypothesi
inulto rnagis omittere debebat Luc. 7. 3G-50, ubi peccatrici " remittuntur peccata multa »
dum loan. 8, 11 de remissione non fit .sermo Hanc tamen narrationem, testibus G. L, A
.

t't latente Hontheim p. 220. 340i retinuit. — Num alius cognoscitur locus erangelicus
quem Tatianus ob " rigorismum « suum omiserit? Gerte nihil aliud huiusmodi apud
H on theim occurrit.
100 REVUE BIBLIQUE.

corura et verba Christi ad Pharisaeos de Filio et Domino David. Haec


tamen interrogatio victrix, a Domino lesu facta, seriem quaestionura
quae ab inimicis proponuntur, felici concinnitate concludit. Linde
Ipsi
apud Synopticos omnes intimo nexu cum quaestionibus praeceden-
tibus cohaerere videtur maxime vero apud Matthaeiim, cuius
:

ordinem Tatianus in tota libri sui dispositione potissimum sequitur (1).


Hic enim evangelista non nisi post ea Christi verba integram narratio-
nem concludit verbis pauUo ante allatis « Neque ausus fuit quisquam :

ex illa die Eum amplius interrogare ». Notât sane Hontheim tenuem


parallelismum inter « Filium David », de quo Ghristus loquitur apud
Synopticos, et Ghristum « ex semine David », de quo sermo fit Joan.
vu, 4-2. Sed hic certe non explicat cur pericope ioannea (vu, 31-52)
non post integrum caput xxii Matthaei sed ante interrogationem a
Christo factam locum obtinuerit.
Num igitur dicendus est Tatianus conatibus frustratis capiendi Ghri-
stum in sermone adiungere voluisse conatum similiter frustratum
iniciendi manus (Joan. vu, 32, i5 s.)? Et hoc admitti sane poterit.
Illi

3Iulto facilius tamen tota haec insertio concipitur, si supponatur auctor


syrus ab initio liis addidisse pericopen de muliere adultéra, quam
apud loannem cum vu, 52 coniunctam legebat. apud Matthaeum autem
aramaicum vel in evangelio Hebraeorum inter Matth. xxii, 40 et 41.
In bac bypothesi quoad hanc pericopen simpliciter sequutus est
ordinem Sancti Matthaei, quem sequi solet; ea autem quae apud loan.
praecedunt, utpote pridie facta (cf. loan. viii, 1 s.) praemittere debuit.
Sic quoque (l. c. ) Tatianus notasset transitum inter feriam tertiam et

quartam, quem Hontheim frustra quaerit. Immerito enim (p. 254)


eum indicari putat vorbis Luc. xix, 47 s., quae in L et A post Matth.
XXII, 15-40 et parall., et ante loan. vu, 31 inserta sunt. Haec videlicet
ad fuiem aut initium diei exprimendum parum apta sunt; videntur
autem potius hoc loco posita quia paucis verbis idem referre vide-
bantur quod loan. vu, 31-52 frustrata, puta, consilia et conamina
:

hierarcharum contra Dominum.

IV. lam e collatione Luc. xxi, 37 s. coUegimus textum pericopes


nostrae graecum Evangelistae notum fuisse, ideoque ipsi interpreti

graeco primi evangelii tribuendum videri. Quae opinio confirma-


tionem non spernendam accipit ex consideratione particularum ,
quae
in textu nostro coniungendis sententiis inserviunt. Quanquam enim
textus qui dicitur Receptus sat longe distat ab eo qui in codice D legi-
tur, in hoc tamen consentiunt. quod sententiae longe frequentius per

(1) Cf. Hontheim, p. 222-234.


MKLVM.es. I"1

zi quam per /.y.', et vix aut ne vix quideni semel per :>/ connectun-
tiir. In D videlicet decies nullum cjv, in Rec. primum
$£, septies y.xi,

illiid iindecies, alterum sexies, tertium semel occurrit. Quantum haec

a stylo ioanneo recédant, nemo ignorât. Si qiiis textum quarti evan-


g-elii tischendorfianum inde a pericope nostra légère pergit usque ad
1

viir, 35, non nisi ter U inveniet, ;3v vero decies. Si contra confert quae

L. NVohleb de usu harum particulanim in primo evangelio docuit 1 .

videbit in partibus Matthaei historicis legi li 252"\ /.xi 208'"'. :>/ bis
tantum; in sermone autem montano Matth. v-vii primum illud 31""\
alternm aeqne ac tertium IS'"'.
Unde saltem ex hac parte omnino verisimile est. pagellam nostram
esse eiusdem interpretis graeci.

Cur mox pericope haec, fortasse iam ab ipso interprète, ex


V.
Matthaeo eiecta fuerit, nullo documento historico constat. Coniecturae
autem eaedem proponi possunt, quae inde a sancti Augustini aetatc
proferri consuevenmt ab iis qui pagellam ex quarto evangelio passim
excidisse censebant. Reducuntiir autem ad timorem pravae interpre-
modis ansam dare poterat
tationis, cui textus variis sive quod metue- —
bant, « peccandi impunitatem dari mulieribus ». ut Augustinus
loquitur '2), sive quod ipsius Christi honori obfuturum putabant.
quod cum tali muliere egisset et tam indulgenter egisset 3 Certe .

teste Nicone seculo x" Armeni lectionem huiusmodi plerisque nocivani


esse dicebant i).

Quis tandem pagellam hanc traditionis synopticae in quarto nobis


evangelio féliciter conservaverit, quaestio est. amplissimum locum
praebens novis coniecturis. Estne ipse loannis, auctor quarti evangelii
.'

An alius Christi discipulus aut ipsius saltem loannis ? An ignotus .">

ille qui circa aunum iO archetypum codicis D ex antiquis evangelio-


1

rumsynopticorum fontibus passim supplevisse censetur (6)? An ex Pa-


pia hieropolitano. seriore interpolatione, in evangelium irrepsit 7 ? (

Nulla fortasse ex his hypothesibus certa ratione aut probari aut excludi
poterit. Si tamen interpola torera recte et sapienter egisse suppona-

(1) Die Satzbeiordnung im Erzahlungsstil des Matthaas. Eine syntaktische Statislik


(Appendix II ad J. H. Heer : Die Stammbâurne Jesu nach Matthaas und Lukas'. Biblische
Stiidien. XV. 1910. p. 214-222.
'2) De Migne. P. Z., XL, 474).
coni. adult., II. 6

(3) Cf. A. Loisy, Le quatr. Evang.. p. 540.


(4) Apud J. E. Belser Einl. in das N. T. 1901', p. 363 s.
:

f5) Cf. J. E. Belser Das Evangelium des H. Johannes, Freiburg


: i. B., 1905, p. 273 s.

(6) Cf. A. Resch Agrapha-, Leipzig, 1906, p. 339, 351.


:

(7) Cf. Th. Zahn Das Evangelium des Johannes, Leipzig,


: 1908, p. 712-718. — Paullo
102 REVUE BIBLIQUE.

mus — id quod in huiusmodi diibio ut verisimilius siipponendum


videtur — hoc determinato loco, postridie « diei magni » scenopegiae.
interseri narratio vix potuit nisi a teste ocularifacti, qui certa memoria
tenebat, eo die factum rêvera contigisse. Et hoc posito prae ceteris
ipse loannes menti occurrere débet oui prae ceteris quoque ius erat
:

libre suo materiam alienam inserendi. sive ab initie quum librum


conscriberet, sive postea, opère iam evulgato. Latissima autem diiïusio
textus evangelici pericope nostra carentis magnopere suadet, eam non
ab initio fuisse additam.
Haec omnia sane non ut certa sed ut verisimiliaproponi, iam titulo
supersci'ipto ediximus. Et rem nobis féliciter successisse putabimus. si

forte viam aperire licuerit,qua studia ulteriora ad pleniorem proble-


matis huius critici solutionem deducere queant.
Mosaetraiecto, die 7 aug. 1910.
I. P. VA> K A STEREO S. I.

II

LE PAYS DE JOB

La question du pays de Job a été très controversée. Peut-être ne


sera-t-il pas sans intérêt d'examiner si les plus récentes découvertes
dans le domaine de lépigraphie ne permettent pas de situer assez
exactement la terre de Ous.
Il faut soigneusement faire le départ entre les données bibliques

et les traditions postérieures. Le mot \VJ figure, dans TÂucien Testa-


ment, tantôt comme nom de personnage, tantôt comme nom de pays.
D'après Gen., x, 23, 'Ous est le premier-né des tils d'Aram. A côté de
lui sont mentionnés '?in, ir:. *kr*2. Ce sont trois désignations géogra-

phiques. Houl correspond au pays de IJoulia, connu dans les inscrip-


tions assyriennes et se localisant dans la Mésopotamie du Nord, non
loin des montagnes du Tour-'Abdin (1). Ce massif du Tour-'Abdin

audacius viidoctissimus (p. 714} exverbis Eusebii (U.E.. 111, xxxix, 16, concludit. Papiara
historiam mulieris adulterae non ex libre sed ex mera traditione orali hausisse. Conceden-
dum sane videtur, Eusebium ignorasse ex quo fonte Papias hauserit, ideoque Papiam hune
fonteiD suum non clare indicasse. At vero hanc explicitam fontis inenlionera eo quoque
Papias omittere potuit, quod leclori eum supponeret notum esse. Atque hoc inerito tain
de Synopticis quam de quarto evangelio supponere poterat.
^1) Deutzscii, Wo lag das Parad'es, p. 2.J9 ; Stueck, Zeitschr. fur Assyriologie
XllI, p. 86.
MKLANGES. 103

est le Mâstiv zpo: de Stral)on correspond au Mas de


et de Ptolémée. Il

la Bible, au Kasiari des textes cunéiformes. Le Ous de Gen., x, 23 est

donc à situer dans la Mésopotamie septentrionale. Mais, d'après Josè-


phe (1), le fils d'Aram, O'jj-r^: (Olis;;), avait été le fondateur de Damas
et de la Trachonitide. Kien détonnant alors si le paraphraste arabe,
cité par Bochart (2), identifie yvj de Gen., x, 23 avec Al-Ghau[ah ou
al-Ghùtah, nom de la magnifique plaine qui entoure Damas d'une
ceinture de jardins. Bochart voudrait même trouver dans ^^-^ un
succédané de yi>, ce qui est réfuté par RosenmûUer (3). En tout cas,
Bochart n'identifie pas le yiy de Gen., x, 23 avec yii? patrie de
Job. Mais la tradition byzantine et arabe fut moins circonspecte. Le
fondateur de la Trachonitide étant O'Wr^z d'après Josèphe, on était

porté à chercher dans cette région un pays de Ous. Or. une antique
interprétation, qui figure déjà dans un passage d'Aristée cité par Eu-
sèbe (ij, identifiait Job avec Jobab, roi des Édomites d'après Gen.,
XXXVI, 33 ss. L'appendice des Septante à la traduction de Job re-
prend cette identification et offre la série des rois d'Édom d'après le

passage de la Genèse. Selon cet appendice, qui est calqué sur


Gen., xxxvi, 31 ss. la capitale du royaume iduméen
, était Asvvâca,

correspondant à n2n:"7 de l'hébreu. Dans l'Onomasticon (5), à côté des

Aavaca, Dewiaba [Jérôme), qui se trouvent au pays de Moab, il existe


une ville de Axvaca (gén., Aavâôwvj dans le Hauran. C'est le village

actuel (Y edh-Dhuneibeh, entre Cheikh-Miskln et Ezra . M. Clermont-


Ganneau a montré excellemment comment autour de ce point se sont
cristallisées les légendes arabes concernant le personnage de Job fG).
Pour les géographes arabes, c'est à Naœd, au nord-ouest de Cheikli-
Mis/dn, que se localise la ville de Job, tandis que la maison du saint
homme, le Deir-Ayùb, est situé non loin de Nawâ (7). Nous sommes
toujours en Trachonitide, mais il ne faut pas oublier que la tradition
arabe concernant Nawi'i déplace une tradition précédente dont nous
avons un écho dans l'Onomasticon (8). Eusèbe mentionne, sans s'y
arrêter, cette opinion de quelques auteurs qui placent la maison de
Job à Ky.py.v.[}., c'est-à-dire 'AjTapôjO Ky.py.-J.[j., aujourd'hui Teli-As-
tara au sud de Naœd. Donc, la tradition déviait déjà de Axvxca en

(1) Ant. Jud., I, VI, 4; éd. Niese, I, 145.

(2) Phaleg et Canaan, éd. 1707, col. 80.

(3) Dans .«es Scholia sur Job.


(4) Prœp. ev., ix, 25.
(h) Éd. Klostermann, p. 76 s.

(6) liée, (l'arch. orientale, V, p. Il ss.

(7) Guy le Strange, Palestine under the moslenis, p. 515 s.

(8) Éd. Klostermann, p. 112.


104 REVLE BIBLIQUE.

Trachonitide à Kapvas-y., au temps d'Eusèbe. Et c'est bien ce quon


constate dans l'itinéraire d'Éthérie [peregrinatio Sylviae).On y lit (1) :

Carneas autem dicitur nunc civitas Joh, quae ante dicta est Dennaba
in terra Ausitidi, in finibus Idiuneae et Arabiae. La tradition du Hau-
ran est donc le résultat d'une série de confusions. Tout d'abord,
identification de Job avec Jobab. Localisation de la Aswaia édomite à
AavaSà du Hauran, aujourd'hui edh-Dhuneibeh, sur la foi de .îosèphe
qui considère0"J7r,; y'^"/ comme fondateur de la Trachonitide. Passage
'

de Aavaca [Dennaba) à Kapva3(;j. [Carneas), finalement à Naicd.


Un second personnage du nom de li? est mentionné dans Gen., "y

XXII, 21 comme l'aîné des enfants de Nahôr, et il a pour frère 7'.2.


Dans Jer., xxv. 23, un pays de 7*2 figure à côté de '(]' et de N'^'r'. On
connaît la ville de Teima dont le nom a persévéré jusqu'à nos jours,
dans l'Arabie nord-occidentale. Au sud-ouest de cette ville se trouve
el-'Ela qui —
comme on l'a reconnu tout récemment correspond —
au site de Dedan 2i. Xaturelleraent c'est dans ces parages qu'il fau-
dra localiser le pays de Bouz dont parle Jérémie. Dans les prismes A
et C d'Asaraddon, le roi d'Assyrie après sa campagne en Arabie — —
entreprend la conquête du pays de Ba-a-zu (3). C'est « un sol de sel

et un endroit de soif ». Nous sommes dans la région du Djôf où le sel

est presque à fleur de terre et où, par le fait même, toutes les eaux
des puits sont saumâtres. Or, ce pays de Bàz est situé à vingt dou-
bles-heures d'une autre région que le récit assyrien appelle Ha-
zu-u. Il y a longtemps que M. Delitzsch [k) a reconnu dans Hazou le
nom de i7- qui. d'après Gen., xxii, 21 s., est aussi un fils de Nahôr.

Dans Je;-., xxv, 20 et 23. on voit que le pays de yvj" se trouve dans
l'Arabie de même que le pays de ~12. Le yrj- de Gen., xxii. 21 men-
"'" de Jer., xxv, 20. Ce
tionné avec "i"" et 7?2. est le même que le
pays doit se trouver à proximité du pays de Bouz, lequel est eu con-
nexion avec Dedan el-'Ela et Teima. Il correspond au pays de Bàz
>

qui. dans Asaraddon, est donné en relation avec Uazou i""'. L'armée

assyrienne arrive dans la région de Bàz (Bouz) après avoir conquis


Adumu qui n'est autre que la ville à'Aduuimat, aujourd'hui el-Djôf
à l'entrée du Nefoud 5i. Par conséquent, pays de Bouz est à loca-
le

liser entre el-Djôf et le territoire de Teima ou d'el-'Ela. L'un des amis

(1; Ed. Geyer, p. ô6.

[:>} Jal'Ssen et Swicnac, flfi., 1910, p. 525 ss.

(3 Prismes A et C, col. III.

(4) U'o larj (las Parodies, p. 3ù7.

(.5) RB., 1910, p. 516 s.


.MELANGES. IOj

de .lob est Élihou de Boiiz 1^. Le pays de Ous, patrie de Job, est donc
le même que
le Ous de Geii., xxii, 21 et Jer., x.vv, 20. Il doit se
localiser aunord du pays de Bouz, de façon à être exposé à la fois
aux incursions des Sabéens Job, i, 15), qui ne sont pas ceux du
grand royaume méridional de l'Arabie, mais de la ville de Sebà, non
loin deDedan (2), et à celles des Chaldéens qui viennent de l'est (3i.
Ainsi nous sommes amenés au nord-ouest de l'Arabie quelque part
au sud de Ma'ati. Par cela même nous nous rapprochons de la fron-
tière iduméenne et c'est ce qui nous permettra de reconnaître notre
terre de yi" dans le pays même nom que la Bible signale en Edom.
du
Dans Gen., xxxvi, 28, le personnage de y^:* est rangé parmi les
descendants de ^r-TC. ce qui veut dire qu'il faut chercher un pays de

Y^V dans la région qui va du sud de à 'Aqabah sur la mer Morte


la mer Rouge. On a le Y*>
yiN 2i"N~r2 dans
parallélisme eritre
et

Tliren., iv, 21. Ces indications concordent avec les précédentes, car,
sinous avons fixé la limite méridionale du pays de """, nous n'avons
pas déterminé jusqu'où il s'étendait vers le nord. Or, la limite entre
Édom et l'Arabie a toujours été indécise, si bien qu'une même ré-
gion, située sur leurs confins, pouvait être considérée comme appar-
tenant tantôt à l'une tantôt à l'autre des deux grandes divisions. C'est
ce qui est arrivé pour la terre de TJus. Nous avons vu comment le

texte d'Éthérie, tout en situant la ville de Job à Canieas dans le

Hauran, reconnaissait que cette ville se trouvait in terra Ausitidi,


in finibus Idumess et Arabiae. Le passage d'Aristée cité par Eusèbe (4)
plaçait aussi l'Ausitide (dat. X'jzi-'.z'. comme dans les Septante) sur les
confins de l'Idumce et de l'Arabie. Même indication dans l'appendice
des Septante au livre de Job : ïi y.sv Yr, •/.aTc.y.wv
-f^
Aj7(t'.o', ï-': -zl;

ôp'.z'.; -.%: llzj\j.7.iy.: vS'. Apxi'.y.:. C'est en Arabie que Ptolémée (5) si-

tue les Xl^i-y.'. (6), dont le nom rappelle celui d'Ésaii chez les Arabes,
'ij! OU isù (yi")- Au temps de saint Jean Chrysostome il) on montrait
le fumier de Job en Arabie, et, à l'époque d'Iso'dâdh (vers 850), il

(1) Job, xxxu, 2.

(2) Cf. Gen., X, 7 et xxv, 3; RB., 1910, p. 530.


'3) Ce sont ceux que, sous le nom de '"02. la Bible range parmi les descendants de

Nahor à coté de VVJ, ""2 et i^n. H s'agit des bandes araméennes connues sous le nom
de Kaldu [RB., 1910, p. 384 ss.j. On sait que .!>'
et « devant une dentale deviennent l en
assyrien. Le mot kaldu vient de /.a.sdu, kasdii ^~T!^Z).
( i) Prxp. ev., ix, 25.

(à) Geogr., Y, xix, 2.

'6' Bochart propose de lire Aùaitai (cf. AOtriu:) au lieu de A-ai-ai.


(7; Sur JoO, H, 8.
106 REVUE BIBLIQUE.

existait encore une terre de 'Dus en Arabie (1). La localisation de ce


pays dans TArabie du nord-ouest sur les limites d'Édom permet de
reconnaître dans les D"ip~i:2 de Job, i, 3 les mêmes Orientaux qui,
dans J//(/.^ M, 3; vu, 1*2, s'unissent aux Madianites et aux Amalécites
pour inquiéter le sud de la Palestine.
Naturellement c'est dans cette même région que nous sommes
portés à localiser les pays des amis de Job. Déjà nous avons vu que
Bouz, pays d'Élîhou, était situé entre Dedan [el-'Eta] et el-Djôf.
Nous avons vu aussi que les Sabéens qui font la razzia en terre de
'Ou^ correspondent à Nrr de Gen., xxv, 2 et habitent non loin de
Dedan. Or, précisément, Bildad, l'un des amisde Job (ii, 11), est du
pays de Soulj et, 2, on voit que Souh est oncle de
dans Gen., xxv,
Sebà et ne faudra donc pas chercher le pays de Souh
de Dedan. Il

dans le Suhu, pays signalé dans les inscriptions assyriennes entre le


Balih et le Habour, affluents de gauche de l'Euphrate. M. Delitzsch
qui avait proposé cette identification la corrige lui-même (2), en
reconnaissant que, si Suhu correspondait à nvi*, la forme babylo-
nienne devrait être Suhu, tandis qu'on trouve Suhu en babylonien
comme en assyrien. C'est donc encore dans l'Arabie nord-occidentale
que nous situons le pays de Souh. Le texte grec de Gen., xxv, 2
porte que Souh est oncle non seulement de Sebà et de Dedan, mais
aussi de Têman (]"2''n). C'est donc toujours dans les mêmes parages

que nous chercherons la patrie d'un autre ami de Job, Éliphaz de


Tèman. Le nom d'Éliphaz figure parmi les Édomites dans Gen.,
XXXVI, 11, 15. D'après les passages des prophètes où se rencontre le
nom de Tèman [Jer., xlix, T; Ezech., xw, 13; .46r/.,8,9; A?n.., i,
12 ss.),on voit que cette localité est l'une des principales d'Edom.
La réputation de sagesse dont jouissent Édomites [Abd., 8 ,9),
les

spécialement ceux de Tèman [Je7\, xlix, 7; Baruch, m, 22 s.), n'est


pas étrangère au choix d'Éliphaz comme premier interlocuteur de
Job. Il nous faut donc franchir la frontière édomito-arabe pour cher-
cher la ville de Tèman. Au temps d'Eusèbe existe une ville de 0ai{;.av
à quinze milles (S. Jérôme cinq milles) de Pétra (3). La localisa-
tion d'Eusèbe iv -f,
Yiiy'Kl-:ly.f^ favoriserait l'identification de Têman
avec Tawàneh (dans el-Djibâl, Gébalène) proposée par iM. iMusil (i),

si la distance entre Tawàneh et Pétra n'était pas triple de celle don-

(1) Commentaire d'Iso'dàdh sur Jolj, i, 1.


(2) Dans son commentaire de Job.
(3) Onomastic, éd. Kloslermann, p. 96; éd. Lagarde, p. 26i.

(4) Arabia Petreca, II, Edom, i, p. 158.


MELA.NGE.s. 107

née par Eusèbe entre Tèman et Pétra (1). En réalité, Tawâneh corres-
pond à Thornia de la taljle de Peutinger et à 0:âva de Ptolémée,
nullement à Tèman (2). La distance entre Pétra et Odroh pourrait
porter à voir dans cette dernière le site de 0:z'.y.âv. d'autant plus qu'il
y avait un :-.z7.-:h)-.':/.z't à 03:'.;j.av, d'après Eusèbe. et qu'on retrouve des
vestig-es de camp romain à Odroh (3). Mais l'ancien nom d'Odroh nous
est connu par le décret de Bersabée. où la ville figure sous la forme
'Acc:wv *i) comme on avait 'A$p:j dans Ptolémée, V, 16. Le souvenir
de Tèman se retrouve dans Pline Xat. hist., VI, xxxii, li) qui jux-
tapose les Thimaneos aux; Xabatéens. On voit que les Nabatéens
avaient laissé une partie du territoire aux anciennes tribus. Or. dans
Gen., XXXVI, 3i, l'Édonnte Z"w"~ est de la terre des Tèmanites.
M. Clermont-Ganneau retrouve ce nom de zrn dans el-Hesma, nom
de l'immense plateau qui s'étend de Tebouk au sud jusqu'au delà de
la route qui va de Ma an à Aqabah (5 . Telle est la région dans la-
quelle il nous faut situer Tèman, mais
le plus possible vers le nord,

dans la partie qui empiète sur le territoire d'Édoni. La capitale se


localiserait à une quinzaine de milles de Pétra, d'après les renseigne-
ments dEusèbe. et rien ne s'oppose à ce que cette capitale ait occupé
le site actuel de Sobak, le Montréal des croisés (6). Naturellement la
""ïz édomite qui, dans Am., i, 1*2 ss. eXJer., xlix, 7, 13, est mise en
relation avecTèman, ne peut être que Bmeirah à deux heures et

demie au sud d'et-Tafileh i~ .

Jérusalem, ce il novembre 1910.


P. Dhorme, 0. p.

III

QUESTIONS DE CRITIQUE LITTÉRAIRE


ET D EXÉGÈSE TOUCHANT LES CHAPITRES XL SS. DTSAIE
[Suite) (8)

§ 11

Le P. Condamin demeure toujours convaincu que le chapitre xlviii


(1) BrQxnow et DoMASZEwsRi, Die Provincia Arabia, I, p. 89.

(2) Ibid.
(3) ViNCE>T, RB., 1898, p. 447.

(4) Clermom-Ganneai RB., , l'J06, p. 417 sS.

(5] RB., 1906, p. 467, n. 3.

(6) Lacrange, RB., 1897. p. 216 s.

(7; Ibid., p. 211 et 217.


(8) Cf. RB., 1910 pp. 557 ss.
108 HEVIK BIBLIQUE.

forme un poème de transition entre les quatre poèmes qui seraient


compris aux chapitres xl-xlvii (relatifs à l'œuvre de Cyrus), et les
quatre poèmes des chapitres xlix ss. (relatifs à l'œuvre du Serviteur
de Jahvé) ; d'après \mles choses anciennes mentionnées aux vv. 3-8 du
chapitre xLviii, ne pourraient être autres que celles précisément dont
ila été question aux chapitres xl-xlvii, savoir la mission et l'œuvre
de Cyrus; les choses nouvelles mises en opposition aux premières,
ne pourraient être que celles dont il sera question aux chapitres xlix
ss., savoir la mission et l'œuvre du Serviteur de Jahvé.
J'ai soutenu au contraire que cette interprétation des choses ancien-
nes et nouvelles doit être rejetée; que le chapitre xlviii appartient
purement et simplement à la première partie que ce chapitre n'a donc
;

en aucune façon le caractère d'un poème de transition. Et je crois


que mes arguments sont sortis intacts de la critique du P. Condamin.

Rappelons d'abord l'arg-ument général emprunté à l'ensemble des


rapports qui relient le chapitre xlvih aux chapitres xl-xlvii. Loin
d'affaiblir cet argument, le P. Condamin Fa indirectement confirmé
comme on le verra aussitôt sous le 3°.

V Un trait caractéristique par lequel les chapitres xl ss. se distin-


guent des chapitres xlixss., c'est que dans les premiers le peuple de
Jahvé, là où il est apostrophé à la ^'^'^ personiie du singulier, s'appelle

Israël-Jacob (xl, 27 ss. xli, 8 ss., \\ ss.


; xliii, 1 ss., 22 ss.;;

XLiv, 1 ss., 21 ss. ...), jamais Sion- Jérusalem; à partir du chapi-


tre xlix au contraire, il est, dans les mêmes conditions, représenté
par Sion-Jérusalem (xlix, 15 ss., 22 ss., li, 12, 17 ss., 21 ss. lu, ;

1,2, 7 s. Liv, 1, ss. lx, 1 ss. lxii, 2ss., 6) jamais par Israël-Jacob.
; ; ; ;

Or au chapitre xlviii c'est à Israël-Jacob (v. 1) que le discours con-


tinue à s'adresser (vv. k ss., 12) comme aux chapitres xl-xlvii.
2° Un deuxième trait caractéristique par lequel la première partie

du recueil se distingue de la seconde, c'est que dans la première le


qualificatif serviteur de Jahvé est appliqué, en un sens collectif, au peu-
ple (xli, 8 s.; xm, 19; xliv, 1, 21; xlv, h), tandis que dans la se-
conde le titre de Serviteur de Jahvé est réservé à la figure individuelle
du Sauveur (xlii, 1 ss., à transposer dans la seconde partie; xlix,
1 ss. etc.). Oràlafin du chapitre xlviii c'est encore Jacob qui s'appelle

serviteur de Jahvé (v. 20 1, comme dans toute la première partie. Il


est vrai que Condamin transpose ce v. 20 à la suite de lu, 10, mais
c'est là une opération arbitraire (voir RB. 1909, p. 509 et plus loin,
MELANGES. 109

siib B, 3"), qu'il n'essaie pas de justifier dans sa réponse, pas plus
qu'il ne relève Ja remarque rappelée sous le 1".
3" Un troisième trait caractéristique des chap. xl ss., c'est l'opposi-
tion qui s'y trouve exprimée souvent enti'e c choses anciennes » et
« choses nouvelles » ou « à venir » et dont il n'est jamais question aux
chapitres xlix ss. Ce n'est pas seulement au chapitre xlviii, 3-8 (1 ),

mais dans toute la section formée par les chapitres xl-xlviii, que nous
avons un contraste marqué et reconnu de tous entre « choses anciennes »
prédites autrefois ou que les faux dieux n'ont pu prédire, et « choses
nouvelles » ou « à venir », prédites aujourd'hui ou que les faux dieux
ne peuvent prédire. Voyez xli, 2-2-23; xlii, 8-9; xliii, 9,18-19; xlv,
11 ss.; XLvi, 9 s.; xlviii, 3-8. Gondamin admet que les passages cités
des chapitres XL ss., sauf celui de xliii 18-19, se rapportent au sujet qui
nous occupe, en conséquence détabiir que son interpré-
et il s'efforce
tation des « » et des « choses nouvelles » au cha-
choses anciennes
pitre xlviii s'applique aussi à ces mêmes termes dans les chapitres
précédents. Faisons abstraction de cela pour le moment. Maisle P. Gon-
damin ne s'est-il pas aperçu qu'en admettant en principe (et comment
pourrait-on le contester?] que p. ex. dans xli, 22-23 et xliii, 9, les

{\ I
Le P. Condamiii {KB., 1910, p. 201) s'exprime ainsi : « Nous avons dans xlviii, 3-8 un
contraste marqué et reconnu de tous, entre 'les choses premières' ou 'précédentes'
(n*IJ"iù\\*in)... et 'des choses nouvelles' (rilU?~ni..- » Cette paraphrase : « choses premières
ou précédentes », tend déjà, par insinuation, à restreindre dans le passage xlviii, 3-8, l'ap-
plication du terme n*I^^N"l aux chapitres xl-xlvii. Dans son article de la RB., 1908, le
P. Condaminallait plus loin le chapitre xlviii, disait-il, « proclame que les prédictions
:

anciennes se réalisent, sont réalisées, celles dont il est question dans les quatre poèmes
précédents et qui pourraient s'intituler La mission et l'œuvre de Ci/rus. Il annonce les
:

prédictions nouvelles, magnifiques, évidemment celles qui sont l'objet des quatre poèmes
suivants, concernant l'fpuvre du Serviteur de Jahvé... » (/. c, p. 173). Cet exposé était
absolument inexact et préjugeait ce qui est en question le prophète ne dit pas que « les :

prédictions anciennes se réalisent, sont réalisées »! mais que « les choses anciennes »
avaient été prédites depuis longtemps; il « n'annonce » pas des « prédictions nouvelles » !

mais dit qu'aujourd'hui seulement il annonce des « choses nouvelles ». Il est fâcheux que
le P. Condainin éprouve tant de peine à exclure résolument de ses prémisses les éléments

de ses conclusions. Dans son dernier article (/JB., 1910, l. c), après avoir parlé du contraste
marqué, au chapitre xlviii, entre les choses « premières » (ou « précédentes »), et les
« choses nouvelles », il ajoute « sans rien préjuger de la date de ces prédictions, mais uni-
:

quement pour exprimer le contraste, appelons les premières 'prédictions anciennes', les
secondes 'prédictions nouvelles' ». Non. Le prophète ne parle pas de « prédictions » mais
de « choses » prédites. Tenons-nous-en au contraste nettement marqué par le prophète et
très aisé à comprendre, entre « choses anciennes » et « choses nouvelles ». Je sais bien que
matériellement les termes : choses anciennes prédites, pourraient se rendre çà et là par :

prédictions anciennes. Mais nous aurons malheureusement que la l'occasion de constater


confusion des termes prête encore toujours à la confusion des idées et du raisonnement.
Évitons les équivoques qui ne peuvent qu'embrouiller l'exégèse et la comparaison avec les
endroits parallèles.
110 REVLE BIBLIQUE.

a choses » à venir » ou les « choses anciennes » réponclent à la même


notion qu'au chapitre xlviii, il consomme lui-même « la ruine de la

symétrie et du parallélisme harmonieux» qu'il avait cru découvrir dans


les 4 H- 1 -f- 4 poèmes? Comment l'opposition entre « choses anciennes »
et « choses nouvelles » au chapitre xlviii peut-elle servir à prouver
que le chapitre xlviii est un poème de fransi/ion, si l'on est obligé de
reconnaître que cette même opposition entre les mêmes « choses
anciennes « et « choses nouvelles > se rencontre dans les premiers dis-
cours des chapitres xl ss.?

Les « choses nouvelles > ou « à venir » dont il est souvent question


aux chapitres xl ss. à'Isdie consistent avant tout et essentiellement
dans la mission de salut dont Ci/rusest investi à regard, d'Israël, c'est-
à-dire dans le châtiment de Babylone, le retour de l'exil et la restau-
ration de Jérusalem à réaliser par Cyrus ; les « choses anciennes » sont
en général les faits qui appartiennent au passé, éventuellement à un
passé déjà très lointain. Nous passerons brièvement en revue, à la
lumière de la critique du P. Gondamin, les passages énumérés tout à
l'heure (A, 3*"), en réservant le chapitre xlviii pour un examen spécial.
1" Un passage très clair et dont le P. Gondamin ne dit rien dans sa
réponse, est celui du chapitre xlv, 11 s. : Ainsi parle Jahvé, — le saint

d'Israël et celui qui le forme : — « Oserez-vous m'interroger sur /'«-

venir nvrx"), — me commander l'œuvre de mes mains? » Quelle est


l'œuvre des mains de Jahvé ici visée? « Gette œuvre, c'est la vocation
de Cyriis, cfr. v. 13 » nvnx", qui sont en
1 . Les « choses à venir »,

parallèle avec « l'œuvre de mes mainsdonc à la », se rattachent


mission de Gyrus, comme en effet le contexte l'exige au v. 13'' :

u G'est lui qui rebâtira ma ville et renverra mes exilés ». Or « les —


choses à venir » sont mises en opposition avec c les choses anciennes »
(xLi. 22-23 I, et cette opposition résulte d'ailleurs de la nature des
termes. Les « choses anciennes » ne comprennent donc pas la mission

de Gyrus à l'égard d'Israël.


2° Ai-je eu tort de dire sur xli. 22-23 : Parmi ces « choses à venir»
fn^nx"), opposées aux « choses anciennes », et que les faux dieux
sont incapables de prédire, se trouve la mission de Gyrus (v. 25)? Le
P. Gondamin trouve qne « c'est catégorique, mais que l'affirmation
risque de paraître gratuite » RB., 1910. p. 207). Mais Gondamin hii-

{1; Commentaire de ConJamin. p. 275.


MÉLANGES. Hl

même Le passé (n^i^TNin) comment l'ont-ils piô-


traduit xli, 22 : «

dit?... » et il reconnaît que dans xlv, 11 les « choses à venir » se rat-

tachent à la mission de Cyrus. Mon affirmation devrait donc lui pa-


raître bien fondée.
Au chapitre xl, 1-11, Jahvért/rt«7 annoncer à S ion la bonne nouvelle
de son salut prochain ; ^ms aux vv. 12-31, il a longuement insisté sur
sa toute-puissante majesté, devant laquelle les idoles sont un pur
néant et qui est une garantie de sa fidélité à ses promesses (vv. 27-28 i.

Ce même thème se poursuit dans nous intéresse et dont


le chapitre qui
les éléments, comme Condamin le reconnaît, sont à lire dans l'ordre

suivant kli, 1-5 (1); 21-29; 8-20... Jahvé entre en discussion avec
:

les nations païennes et les faux dieux il commence par proclamer :

que c'est lui qui a suscité Cyrus (xli, 1-5); il provoque les faux dieux
à produire des preuves ou des signes quelconques de leur puissance :

22 (( annoncent ce qui arrive?Yi\~:"]'pp. "iu*x)! Comment ont-ils


qu'ils
prédit le passé (m:u?Niri), que nous puissions examiner [leurs préten-
tions] qu'ils nous fassent connaître les choses futures (n"N2n) que
!

nous en connaissions l'issue 23 Annoncez les chosesàvenir (... nvnxn),


!

afin que nous sachions que vous êtes des dieux!... » Là-dessus Jahvé
constate (2i) le néant des idoles qui ne savent rien prédire et aussi-
tôt il reprend sa proclamation pour exalter sa propre puissance 25 :

« Je l'ai suscité du Nord, il arrive I... 26 Qui jadis l'a prédit et nous l'a

fait connaître à l'avance?... Personne ne l'a dit!... 27 Le premier à


Sio/i (2) et à Jérusalcnt j'envoie un messager » (3). Il est supposé

dans les défis adressés aux idoles que Jahvé lui-même a prédit ou se
dispose à prédire des « choses à venir », sinon ses interpellations
n'auraient pas de sens. Quelles sont les « choses à venir » prédites
par Jahvé? Ce sont celles qui forment la teneur du message adressé à
Sion au début de tout ce discours i^xl, 1 ss.j, message rappelé xli, 27 :

c'est la promesse du salut prochain, du retour de l'exil, de la restaura-

tion de Jérusalem à procurer par Cyrus, ici comme xlv, 11, 13 qui
forme la substance des « choses à venir » prédites par Jahvé, en regard
desquelles Jahvé constate triomphalement l'impuissance des idoles à
rien prédire aujourd'hui, comme elles n'ont rien prédit dans le passé.
3° Passons à xlh. 8-9. Après avoir constaté xli, 21-29, que les faux
dieux sont impuissants et qu'il est, lui, le premier et le seul à prédire

la suite des événements en envoyant à Sion son message de salut.

(1; XLI, 6-7. à lire après xl, 19.

(2) Ici le texte est ininteliigiblp.


(3) px irric.
412 REVUE BIBLIQUE.

Jahvé poursuit en confirmant par les assurances les pins formelles les
promesses de délivrance qu'il vient d'adresser à son peuple : Israël
n'a rien à craindre, ses adversaires seront anéantis, Jahvé le sauvera !

(-VL1, 8-20). C'est ici que vient xlii. 8-9 (1) qui forme la conclusion du
discours xl, 1 ss.

C'est moi Jahvé,


c'est moQ nom ;

Je ne donnerai ma gloire à nul autre.


ni aux idoles l'honneur qui m'est dû!
Les choses anciennes sont arrivées.
et j'en annonce de nouvelles:
Avant qu'elles germent
je vous les fais savoir !

(1) xui, 1-7 est le passage relatif au Serviteur de Jaiivé. qu'à l'exemple de Condamin

nous avons transposé dans la seconde partie du recueil (voir plus haut g I, A, 1°). Notons
à ce propos que c'est la présence de ce morceau immédiatement avant nos vv. 8-9 où il est
question des choses anciennes et des choses nouvelles, qui a été pour une bonne part la

cause de la diflicuité qu'ont éprouvée tant de commentateurs à définir d'une manière cer-
taine et précise la notion de ces choses « anciennes » et « nouvelles » ; il semblait en effet

qu'en cet endroit, à supposer lauthenticité des vv. 1-7, les « choses nouvelles » devaient
comprendre l'œuvre du Serviteur-Sauveur! La transposition opérée par le P. Condamin a
eu pour effet d éclaircir ce problème, bien qu'il refuse lui-même de reconnaître ce résultat
très appréciable de son idée. —
Le P. C. transpose les vv. 8-9 ensemble avec les vv. 1-7
dans la seconde partie (à la suite de xlix, 7). où la référence aux idoles et la mention des
choses anciennes et nouvelles manquent absolument de points d'attache. Contre notre
conclusion que les vv. 8-9 doivent être maintenus à leur place comme conclusion du dis-
cours ïL-XLi, il fait valoir \RB., 1909, p. 215) 1° que « le second poème (xlii. 10 ss.) étant
:

soudé au premier par xlii, 8-9 comme strophe alternante, on ne comprend plus comment
le prophète présente Jahvé comme s'avancant pour prendre la parole en disant « Long- :

temps j'ai gardé le silence » (xlii, 13, 14), puisque Jahvé vient au contraire de parler long-
temps dans le passage précédent (xli, 21-29, 8-20) ». Mais a) comment donc le P. Condamin
comprend-il ce silence de Jahvé? du silence que Jahvé avait gardé
Croit-il qu'il s'agirait

depuis le discours précédent? Ceci franchement nous étonne. Le contexte ne laisse pas
l'ombre d'un doute que le silence de Jahvé ne soit à entendre de l'attitude gardée par lui
pendant le temps de l'oppression de son peuple par les Babyloniens, et même peut-être
aussi par les Assyriens. Voir les commentaires, b) Condamin lui-même, en plus d'un cas.
admet la strophe alternante à la tin d'un poème, c) Si la supposition que xlii, 8-9 est une
strophe alternante était incompatible avec son maintien en cet endroit comme conclusion
du discours qui précède, je n'hésiterais pas, naturellement, à sacrifier la « strophe alter-
nante ». Condamin objecte 2° que les vv. 8-9, comme conclusion du discours qui précède,
sont séparés du passage sur les idoles par le long développement de xli, 8-20. Mais pour
apprécier le rapport de nos deux versets avec « le passage sur les idoles », il ne suffit pas
de compter le nombre des versets qui les séparent de la mention des idoles dans le con-
texte précédent! Le long développement de xi.i, 8-20 s'inspire d'un bout' à l'autre lui-même
du passage sur les idoles; c'est après avoir constaté l'impuissance des idoles, et pour le

motif de cette impuissance, que Jahvé, dans le long développement, rassure Israël en lui
disant qu'il n'a donc rien à craindre, que ses adversaires seront anéantis. Il n'y a pas de
solution de continuité dans la suite des idées depuis le passage sur les idoles jusqu'à xlii,
8-9.
.MKI,.\\<;KS. ll:i

Pour qui considère sans parti pris la suite des idées depuis le
chapitre xl. 1 jusquici. il n'est pas possible de douter que les
'( choses anciennes » ne soient à comprendre ici au même sens que
\Li. 22. oii Jah^é demandait comment les taux dieux a\aient jamais
prédit le pdssf' r'iw's-" : que •• les choses oou\ elles » n'c"" ne
soient la délivrance de la captivité et la restauration de Jérusalem,
annoncées XL, 1 ss., et à propos desquelles Jahvé défiait les faux dieux
de prédire à leur tour les « choses à venir ». Voir plus loin siib ô\
i" Au chapitre xliii, 0. après avoir annoncé le retour des eiilés
vv. Ô-8 Jahvé demande en parlant des dieux des païens
, « Qui :

parmi eux annonce ces choses, et en appelle aur choses anciennes » —


r'i'w'N'" ? c'est-à-dire en appelle aux événements ayant l'éalisé,
:

dans le passé, les prophéties dont ils auraient été lobjet? < Qu'ils
produisent leurs témoins pour qu ils soient justifiés I... •>
: les faux
dieux ne sauraient exiger la foi dans les prédictions quils feraient
entendre parce qu'ils ne peuvent produire des témoins touchant des
prédictions autrefois accomplies comp^ xli. 22). Mais « vous êtes
mes témoins! » poursuit Jahvé (vv. 10 ss. ; on doit donc le croire à
présent. X"est-il pas évident que xliu, 9 le retour des exilés est mi>
en opposition aux choses anciennes (1 ?

5" « Quant à \liii. 18-19 », dit le P. Cniidniniu. " Kriniu nioutre très

bien contre Sellin que ce passaee n'a pas de rapport au sujet qui
nous occupe » RB., 1910, p. 207 Vraiment? Le sujet qui m'oc- .

cupe, c'est la recherche de la portée qu'il con%'ient d'attribuer

aux termes " choses anciennes » et « choses nouvelles » dans les


chapitres xl ss. d'Isaïe. Or dans xliii. 18-19 •< choses anciennes »

et '
chose nouvelle » sont nettement mises en opposition. J'estime donc
que ce passa,i;e se rapporte au sujet qui m'occupe. Les « choses an-
liennes y représentent les événements de l'histoire
n ...t'ICn^
ancienne, notamment le passage de la mer Rouge et la débâcle de
l'armée éggjjfienne (\y. Ifi-I7i. La « chose nouvelle » (r.r-n • c'est

1 Condamin répond : r< le du vers iadique un autre sens plus plau>ible


parallélisiiif :

yui en appelle aux « prédictions anciennes faites sur ce sujet/ nJIais Condamin abuse I

de la traduction équivoque « prédictions anciennes» pour r^^'w'X^. Cette traduction n'est


p:>rtnise qu'à la condition qu'il soit entendu qu'il s'agit de « prédictions relatives auj'
choses anciennes » ; car il est trop évident que les n^w'N"' n^ sont pas a la rigueur les
prédictions elles-mêmes, mais les choses prédites! Sinon comment le prophète pour-
rait-il, p. ex. xû, 22etxLvni, 3, parler de \a prédiction des p^i'^rx"! ? Dira-t-on qu'il parle
de la prédiction des prédictions anciennes y II est regrettable qu'on doive descendre à de
pareilles remarques. Condamin lui-même traduit à l'occasion r*;U'N1 par : le pusse.
i' L'interprétation de Condamin est contraire au (-(intexle comme il résulte de l'expose
que nous en donnons.
REVtE BIBLIiiLE 1911. — X. S.. T. Vlll. S
H4 1ÎE\UE BIBLIQIE.

que Jahvé établira une voie dans le dêserl (pour le retour des exilés
vv. 18 ss.). Notons que ravèuement de cette chose nouvelle est ex-
primé par le même verl)e, la même fieiire (... rî*2ïn nr" c'est main- :

tenant qxxeUe germe...], que celui des « choses nouvelles » xlh, !>

avant que/les germent, je vous les fais savoir i; v. plus haut 3". Ce
détail confirme à la fois, pour autant quil en serait besoin, Tinter-
prétation donnée à xlu. et le rapport de \uu, 18-19 au sujet qui
nous occupe.
(3" Il reste klvi, 9-10, un passage qui. au sens du P. Condamin, ne
prouverait ni dans un sens ni dans l'autre (7. c.) (l). En réalité ce
passage serait à hii seul décisif. Les « chose.^ anciennes depuis l'ori-

gine » iw^'T2 n'i'iTS'i) y sont mises en regard de l'œuvre de déli-


vrance à accomplir par Cyrus, comme dune chose nouvelle, non
encore réalisée (vv. 11 ss.^i; qu Israël se rappelle « les choses an-
ciennes depuis l'origine y trouvera la preuve que Jahvé seul est
» ! il

Dieu et qu'il annonce, dès avant l'événement, avec la plus entière


sûreté, ce qui doit arriver ,(vv. 9-10). C'est lui qui a appelé de l'O-
rient l'oiseau de proie (= Cyrus), et ce qu'il a décrété d'accomplir
par Cyrus, il l'exécutera infailliblement v. 11; comp. 1-2-1.3 et xlv,
11 ss. (plus haut l^'i.

Nous laissons au lecteur le soin de conclure.

1.4 siiivre.) A. Vax Hooxacker.

RECTIFICATION

Dans la précédente livraison de la Revue liiblique (p. ,565) j'ai cité


à tort h, v, 3, comme renfermant un stique d'un seul mot d'après la
version du P. Condamin. 1/anuotation sur ce passage, qui m'avait
échappé, fait remarquer en effet que « dans le texte, il faut couper
le premier stique après -rz >.

Le lecteur qui garderait quelque scrupule touchant les deux vers


monostiques se suivant immédiatement {Is. xlvi, 6" et 7') (2), se tirera
d'affaire, comme cela se pratique en pareil cas, en rétablissant dans
le premier le complément •'^
après le v. •-;:d"i (comp. Is. xliv, 15. 17,

19), et en lisant dans second imx ixin au lieu de ^"îx'ç'» (comp.


le fs.

xLi, 16 XLiii, 22...). De la sorte il obtiendra deux distiques.


;

A. V. H.

(t) Pour \Liv. 8. voir RB.. 1909, p. 512 s. Je n'insiste pas ici sur ce texte, non que j aie

moins de confiance clans sa râleur, mais parce que je désire borner cet examen aux passages
taisant explicitement mention des « choses anciennes » et « nouvelles » ou « à venir ».
(2) Voir RB., 1. c
CHROMQUE

INSCRIPTIONS l»K SYRIR.

Les quelques textes; publias ici ont été recueillis au cours d'un
voyage de vacances comme ils proviennent de contrées assez battues
;

par les épigraphistes, on s'est assuré avec tout le soin possible qu'ils
étaient inédits.

1. hdiït'i^. — Texte safaïtique gravé au marteau sur uu bloc de basalte de 0'".40

de long sur O^.SO de large, épais de 0'",20. La hauteur des lettres varie entre
0"\oî et 0"'.0:î. Ce bloc trouvé dans le Ledja est à présent au musée des Pères
Lazaristes de Damas. — (lopie.

Par Jlhdm, fils de A amam, fils de Illvhit, fils de Alnamnd, fils

de 'Ers, fils de Baba, fils de 'A7'od.

Ainsi qu'on s en rend compte à première vue, cette insciiptiou se


range parmi les nombreux graffites safaïtiques qui jonchent certaines
parties de l'ancienne Trachonitide et qu'on attribue aux auxiliaires
arabes, chargés par le gouvernement romain de garder la frontière
de l'Empire, entre le ii*" et le iv'' siècle de notre ère (1 ;. L'écriture
est en boustrophédon tandis que la première ligne va de droite
:

à gauche; la seconde va de gauche à droite: il y a une lettre de


transition qui chevauche sur les deux lignes.

'0 cf. DusâALD et Maclkc. ]'()ya(if nrclii'oloyique an saju el du us le Djebel ed-


Dntz. \)\>. 17 ss.
1 16 REVUE BIBLIQUE.

Le premier nom (aliecté ici du lamed anctoris) se retrouve dans


plusieurs textes safaïtiques déjà connus. ^ï\\. Dussaud et Macler (1)

le transcrivent par lUuhn et ' se demandent si cnSv ne serait pas une


forme quadrilittère tirée de D^^" par intercalation d'un ht''. De son
côté, M. Littmann (2) le transcrit par Allàhum et l'explique par la '

traduction. « il les a exaltés ». ce qui est très bien dans le génie


sémitique.
Le deuxième nom (czys' pourrait être considéré comme une forme
géminée de sys déjà connu i3). Quant au troisième, il n'est que la
répétition du premier.
Le quatrième nom i^~^:'^5<) nous est inconnu par ailleurs. La teneur
de la seconde lettre demeurant douteuse, peut-être devrait-on dé-
composer le mot en "î'2;::"'N', ou bien en tz'^'^x.
Le cinquième nom [d^'J) rappelle Farabe ^^f'-. le fiancé ». A la <'

risueur. le sixième nom pourrait se lire N2"' qui se rencontre dans


un graffite lihyanite des environs de Médâïn Saleh (V). Cependant,
l'auteur de notre inscription semble avoir pris à tâche de bien dis
tinguer le 2 du "•Le i'eî< est muni des deux crochets qui manquent
au bet/i:ei c'est pourquoi nous lisons aussi le dernier mot il" plu-
tôt que ii'j. 'Arod signifie l'onagre.

2. Alep. — Inscription grecque gravée sur un sarcoptiage de pierre blanche polie


qui se trouve dans une des salles de la citadelle d'Alep. Ordinairement fermée
à clef, cette salle sert de dépôt pour les engins de guerre démodés, tels que
flèches et biscaïens. Les bords du sarcophage sont moulurés et une sorte de ro-
sace coupe l'inscription en deux parties. — Copie.

^ TOYEYAÀB^ .^^^^nPECBSFYAorHToY

HOYN/^OY V^r^y AAE\cpoY

f)i/ Irt's pieui Miindus, pri'tre et frère béni.

documents nous ont déjà fait connaître l'hellénisation du


Plusieurs
nom Mundus. entre autres l'œuvre de Procojte de Césarée.
latin
r.\nthologie Palatine et une inscription du temple de Baal Mar-

(\) Mission (Ions les régions désertiques de la Syrie Moyenne, p. 135 (rf. Inder.
p. 230).

(2) Semific Inscriptions, p. 128 (4' partie de l'expédition américaine en Syrie, 1899.
1900).
(S) DussACD el Macler. Voyage.... p. t2u.
4i PP. Javssen et Swir.wc, Mission urcliéologique en .Arabie, p. 268.
f-HKONlnlK. 117

cod 1\ Un 2'énéral de Instinien a rendu ce nom lo-'t célèbre, Le


sarcophage en question apparte-
nait probablement à l'église dont
on montre les restes dans une salle
basse de la même citadelle. Mun-
dus est un nom de plus à joindre
3 la liste encore très pauvre des
membres du rlorcé de l'antique
Beroé.

3. Andoche. —
Ddusune maison parti-
culièredu quartier ;:rec, stèle funé-
raire en lïiarhre blanc avec relief et

inscription. — La hauteur totale de


la stèle est de 0™.34. sa largeur de
0™,19. son épaisseur de 0",03. Le
personnaiie de 0"^.17.î
lettres ont 0".i)i'.
de haut . les

e TTT X l

BAPAX T
iX'.ZZ.

Bon courage, Barachous ,


per- QTA1CA0A
sonne n'est initiiortel
N AT C
Il serait prendre
diflicile de
lîapa/ij pour autre chose que pour
un vocatif de hy-zxyzjz. une des nombreuses
dérivations hellénisticpies de la racine sémitique
"'Z. Le personnage représenté sur la stèle est
D À H m'
probablement un prêtre païen. A ses côtés se
'î>ÀÀDYIi
dresse un autel, surmonté de quatre bétyles -2 .

ou de quatre offrandes.
mie: a
4. Sêleucie de Piéne. —
Fragment d'inscription grecque
fort bien gravée sur marbre sombre. Le morceau — <j'AÀDY!D
est intéressant, à cause dei, ligatures de certaines let-
tres. fait partie de la collection du P. Apollinaire,
Il

capucin de la mission de Khoderbes. IMWÂYÂ


•) r/;;j. cr... Ce texte est par tro[» frap.-

'K/.acj'Iafv... mentaire pour que nous


Tojv Oew v... puissions en tenter la res- ! KmKkQ
'l>\<xzjizj... titution. C'est un décret ho-
l; Cf. Rvi-E, Woricbuck. >. \.: WvuDi.Ni.TOX, liisiiiplioiis gri'ctfues l't laUtifs de In
Syrie, n" 18.57.

'2 Pour, des représenlatioiiî analogues, ou cousulleia Dlssvijd, \otes de ntytltolo'jie


sijrieane, IX. p. 173.
lis. REVLfc: BIBLIQLE.

v;v vxjapiycv... noritique en l'honneur d'une Flavia, peut-être


•/;v -/wpî... une parente des divins empereurs Vespasien
•/.ai <i>Aa2j[i;v... noms se lisent au début du
et Tite dont les

beau canal de dérivation du port de Séleucie. A la cinquième ligne,


on serait tenté de retrouver le navarque Germanos dont le nom se
trouve aussi gravé dans le tunnel de dérivation (1 Malgré son peu .

d'importance, notre fragment était à recueillir comme une nouvelle


relique de Séleucie, du port où Paul et Barnabe s'embarquèrent
pour évangéliser l'île de Chypre.

ô. Séleucie lie Pièrie. — Deux empreintes de briques appartenant à la collection

du R. P. Apollinaire à Khoderbeg.

Sur l'une on lit 'Ep;j.sY£7Sjr ; l'autre


porte C. PeJlio Zinaragdii^s) avec cette
particularité du Z initial mis pour un S.
La fabrication des tuiles est encore floris-
sante aux environs de Séleucie où l'argile
est de bonne qualité. Antioche et les vil-
lages de la région ont des maisons re-
couvertes de tuiles, ce qui donne à ces
agglomérations une physionomie particu-
lière.
Nous terminons cette série épigraphique
par une inscription relevée à Gaza au cours du voyage effectué en
octobre dernier par l'École biblique.

6. Gaza. — Inscription grecque sur fragment de calcaire blanc mesurant i)°\Z-\

sur 0"',30, épais de 0"',0,5. La hauteur des lettres varie entre 0™,025 et On',0-4.
Ce morceau provient des ruines d'el-'Audjeh. situé à quatorze heures au sud de
Gaza. Il se trouve maintenant au presbytère latin, chez Doni Gatt qui a bien
voulu nnus permettre d'en prendre un estampage et une copie.

'E'7£À(£(76yî) 6 ,y.ay,xc'.;ç Ixaîtcç 'A6pajJi({c'j) i-[fôjv Xr/ èv ;j.r,vl

ITsp'.^TÎO'j) v/T vt[z<:/r.<.hmz) i' i'.zut •jtt'T .

Feu Jaletos, fils d'Abramios, a trépassé à lâye de trente-huit ans,

1) Waddingtox, op. l., 2715. On pourra lire à ce propos Peudkizgt, Les Flottes ro-
maines en Syrie. Revue archéologique, 1898, A., pp. 41 ss. Pekdkizet et Fossey ont pu-
blié un décret honorifique et deux épitaphes de marins romains de même provenance que
notre fragment dans Biilletlii de correspoiidance hellrniifuc, 1897, pp. 75 ss. Voir aussi
deux décrets honorifiques du même endroit dans BCH., 1902, pp. 168 s., relevés par
V'. Chapot a qui Ion doit aussi une savante monograpliie sur Séleucie de Piérie. parue
dans le Bulletin des Anliquaires. .Mémoires, 1906, pp. 149 ss. Nous avons copié aussi a
Khoderbeg l'épilaphe du marin Miséaate Bassus. communiquée par le R. P. Jvi.vrert au
Bulletin des Anliquaires. 190.J, pp. 172 ss.
CHRUMnib:. Hf>

If v'inrjt-sirièrne du mois de Perifios, dirième indicfion, en formée

Pour arriver à une concordance satisfaisante entre les données


chronolo.iiiques.il faut adopfer l'èie de Hosra qui débute en mars
JOC. de notre rre. I/année V8G de ce comput tombe de mars ô91 à

mars 592 après Jésus-Christ. Or, de septembre 591 à septembre 59-2,


on se trouve dans la dixième indiction. Le 26 Peritios sera le 10 fé-
vrier 592, suivant le calendrier gréco-arabe, ou le 21 février de la
même année, suivant le calendrier de Gaza.

Jérusalem, octobre 19Hi.

PKTITES DÉCOUVERTES .\r OL'ARTIER DU CÉNACLE .i .JÉRUSALE.Vl.

La construction récente d'un couvent et d'iine église en marge du


cimetière grec orthodoxe, ainsi que la mise en valeur d'une propriété
attenante ont occasionné la découverte de quelques débris archéolo-
giques qu'il sera bon d'ajouter à ceux que le Sion chrétien s'est laissé
120 REVLt: BIBI.IQLE.

arracher jusqu'ici (fie. 1). Ces débris, nous avons pu les étudier et

les relever à loisir, grâce de l'administrateur de toute


à l'amabilité

cette installation, l'archimandrite Gérasimos que nous tenons à remer-


cier ici.

1. Mosaïques. — La nouvelle église bâtie eu sous-sol recèle trois frag-


ments d'un pavement en
mosaïque lequel
. si ,

Bab NebiiliAoutt l'on en juge par la dis-


tance qui les sépare,
pouvait atteindre 25 mè-
tres de longueur ftig. 2).

Le morceau A, situé dans


le diaconicon, présente
un dessin et une inscrip-
tion aussi énigmatiques
Tun que l'autre. De
prime abord on serait.

tenté d'y voir, avec le^»

moines de l'endroit, une


tête ailée de séraphin,
traitée à la manière by-
zantine. Il faut observer
cependant que les By-
zantins représentent or-
dinairement les puissan-
ces célestes, quand ils

ne veulent pas les don-


Diasramme de localisation.
ner en pied, soit par un
buste aux deux ailes déployées, soit par une tête environnée des six
ailes de la vision d'Isaïe. Ici, nous n'avons que deux ailes abaissées.
Aussi serait-il permis de penser quelque représentation mal réussie
;"i

ou endommagée d'un oiseau vu de face, d'un aigle peut-être. Alors


zhzç devrait être regardé comme le reste d'une inscription fautive xeO;.:

pour xz-ôq. Mais tout cela est bien risqué et si plein d'incertitude que
je laisse la chose à de plus habiles.
Le deuxième fragment, A , c|ui se trouve à gauche du presbyteriuu).
est autrement clair que leune perdrix devant une plante.
précédent :

L'inscription, dont la lecture lapins vraisemblable est \~tpi'.W,y.tz pour


r.épciv.t:, ferait supposer que de l'autre côté de la plante se tenait

affrontée une autre perdrix, d'après un thème d'ornementation très


courant. Dans le presbyterium aussi, mais à droite, se voit le frag-
.fllWiM.UF.. 121

is

€»iC 1

H
122 REVUE BIBLIQUE.

ment A" qui représente les trois baies de la façade d'un monument.
Tous ces dessins sont obtenus par trois couleurs seulement, le noir, le
rouge, le jaune, sur fond blanchâtre. La façon sobre dont les sujets
sont traités, la parcimonie des teintes, le niveau relativement bas de
ce pavement nous amèneraient à dater cette mosaïque de l'époque
romaine, soit avant la guerre de Titus en 70, soit au temps de la fon-

dation d'Aelia. En ce cas, il faut renoncer au séraphin.


2. Angle de muraille (B sur le diagramme de localisation). — A
l'extrémité méridionale de la propriété grecque, l'angle d'une an-
cienne construction vient d'être mis à découvert. L'un des côtés me-
sure i mètres et l'autre atteint 8 mètres (voir fig. 3), pour ne parler
que de ce qui est visible, car la fouille pourrait être poussée plus
avant. Bien que situé à proximité de l'escarpe qui portail au sud l'en-
ceinte de la ville ancienne, ce blocage n'est pas à prendre pour un mor-
ceau du rempart échappé aux démolitions des Romains. Il est fait de
matériaux trop hétérogènes et un peu trop négligé pour
son appareil est
appartenir à un mur de on ne saurait nier que d'an-
ville. Toutefois,
ciens matériaux provenant de la muraille renversée soient entrés dans
cette construction. La mosaïque blanche qui se trouve au sommet de

I B

ce biocase lui donne .sa véritable siunilication. Il ii v a donc là (fu'une

substruction destinée à fournir une assiette suffisamment solide à une


CHKONIQUE. 122

maison particulière, probablement une installation de l'époque d'Aelia


fju'il faut mettre en relation avec deux vasques taillées dans le roc

dont le fond n'est distant de notre angle de mur que de 1"',30. Ces
vasques, connues depuis des années déjà, ont leur ouverture dans le
cimetière protestant, mais eu réalité, elles s'enfoncent totalement sous
le mur grecs dans la direction du blocage en question
et le terrain

(voir G du diagramme). Des rigoles creusées dans le rocher y ame-


naient de l'eau captée dans le
grand aqueduc qui contour-
nait la montagne. Une autre
mosaïque, V, d'un dessin très
élégant, se trouve à peu de dis-
tance de là, à demi engagée
sous le mur de clôture du jar-
din des Grecs ; elle faisait vrai-

semblablement partie de la

même installation que nous


avons de bonnes raisons de
croire balnéaire.
3. U/i ermitage. — Dans le

dit jardin,une série de citer-


nes aménagées en habitation
ont été également déblayées
(voir G du diagramme; le plan
et la coupe dressés par le R
Fig. 3.
P. Savignac, fig. h). Un esca-
lier, qui n'est pas sans avoir subi des retouches récentes, nous
amène dans une excavation à ciel ouvert. Dans la paroi orientale,
une abside a été grossièrement pratiquée dans le roc et revêtue d'un
crépissage rudinientaire agrémenté de tessons appliqués au petit bon-
heur. Le sol de l'abside est légèrement plus élevé que le sol des citer-
nes. Contre la paroi même de la conque absidiale se dresse un autel
qui consiste en un tambour de colonne et une dalle placée sur sa
tranche (fig. 5). La table de pierre qui devait être posée sur cette base
improvisée manque actuellement. Sur le fond de l'abside, une croix
peinte en rouge sombre est encore aux trois quarts visible. Un peu au-
dessous, un morceau de marbre gris marqué d'une croix est incrusté
dans le crépissage et quelques lettres écrites en noir semblent survivre
de quelques pieux graffites presque etîacés. Les Grecs disent avoir lu
la signature d'un certain nâjv.s'.Xc; au moment de la découverte. On
discerne, en effet, encore quelques éléments de ce nom. Si de ce petit
124 REVUE BIBLIQUE.

oratoire on se diriiie vers roccident, on arrive d'abord dans une ci-


terne munie d'une bouche: elle a été éventrée pour donner lieu à
un passage de 5 mètres qui aboutit à une troisième citerne. Enfin, au-
dessus de ce passage, se trouve une petite retraite creusée dans le
roc. Tout cet ensemble intéressant est à regarder comme un de ces
multiples ermitages qui aux iv'" et v' siècles s'étaient établis autour de
la « mère de toutes les églises ». Une telle adaptation n'a rien qui
puisse surprendre puisque les tombeaux, les colonnes, le creux des
arbres ont été aussi utilisés comme cellules par les anciens anacho-
rètes (1).
4. Autres vestiges. — Mentionnons d'abord une mosaïque blanche en
partie détruite, au nord du petit ermitage (D). En E, nous avons as-
sisté M la découverte
^ dune citerne enduite
.^.^^^ avec l)eaucoup de soin,
"^ £ se composant d un ré-
rrT- ,,-..
-
^
.-- .
^ servoir principal et de
" '

^Wt^ ^W deux annexes (fig. 61.


. \

^^r^j^y/f.sii^.jtW '

M
Une croix en relief Can-
j (^
^ tonnée du chifi're de .lé-
sus-Christ et de A et Q a
'
'^'

été marquée par le crépisseur sur la paroi orientale. Lusage de placer


une croix dans les citernes parait avoir été assez répandu dans le
monde byzantin. Qu'il nous suffise de signaler la citerne située devant
la basilique de Saint-Étienne, une autre chez les Dames de Sion à

Jérusalem et la grande citerne de Màdabà. Dans cette dernière, la


croix est cantonnée de IC XC NIKA.
iNous profitons de l'occasion pour signaler aussi la découverte d'une
mosaïque fH^i sur le chemin qui aboutit aux écuries qui sont à l'occi-
dent du Cénacle. Malheureusement, le fanatisme bien connu des
gardiens du Néby Daoud s'est aussitôt exercé sur ce précieux reste
archéologique. Le R. P. Maurice, des Bénédictins de la Dormition, n'a
pu en sauver qu'un très minime fragment dont nous donnons ici la
reproduction 'fig. *2, H). Cette mosaïque représentait un dessin géo-
métrique traité avec art et au moyen de nuances très variées. Le

;li Sur les insUllations monastiques au Sion chrétien on consultera la lettre d'Euclier a
Faustus, datée de 440 : cuius {montis Sion) in vertire planitiem monachorum celluLi
nhtinuerunt ecclesiam circumdan/es, r/iue illU: ferlur ab aposfolis funda/a (Geyek,
Hin. Hieros., p. 126). Cf. Jean Mosch, Pré'^pirlt., 131. (P. G., lwxvii, 3). Le Cotnoiemora-
toriiim de Casis Dei (an. 808) mentionne encore, /« saucta Sion, inter presOyteros </
clericos XVII, excepth Deo sacratls cl inclHsis 11.
CHRO.MOLK. 12H

simple fragment conservé offre à lui seul du hiaur, de locrc paie, de


1 ocre foncé, un noir intense et brillant, entin du vert olivo. Il y avait
aussi, parait-il, morceau détruit, des cercles pu cubes rouges.
dans le

La situation de cette mosaïque indique suffisamment qu elle formait


le pavement d une annexe de la srrande éslise l)yzantinc du Cénacle.

En prenant la terre du même chemin au profit d'un jardin en for-


mation, on a mis tout récemment à jour un nuir en pierres de taille
superposées sans mortier J Nayant pu l'examiner uous-mémi- .

avant que la tranchée fût comblée, nous nous abstiendrons de tout


commentaire au sujet de cette dernière découverte.

Jérusalem, le 8 novembre 1910.


Fr. F. -M. Abel.

LES FOriLLES AMERICAINES A SAMARIE.

Aux mains d'un explorateur qualitié comme lest M. le D' G. A. Reis-


pouvaient que
ner. les fouilles dans la vieille capitale Israélite ne
se développer avec une admirable énersie. une méthode et une pré-
cision scientifiques plus dignes d'éloges encore. Une courtoisie » bar-
mante et infiniment libérale rend toute visite à ce chantier aussi
agréable que féconde : aussi nest-ce point une formule de banale
convenance, mais l'expression également sincère et cordiale d une
vive gratitude que je voudrais faire agréer ici au personnel aimable
et distingué de la mission américaine.
Le public, avide naturellement d'informations positives dont il

pressent l'importance, déplore le laconisme des commuiiication> qui


lui ont été faites à ce jour : une courte note sur la campagne de
1908 et une seconde sur les travaux de 1909 l , celle-ci à vrai dire
un peu plus développée, mais plus difficile à lire à défaut des plans
auxquels la description renvoie. Qu'on veuille bien cependant faire
crédit quelque temps encore à l'L'niversité de Harvard ; si elle met
à répreuve la curiosité impatiente en se montrant parcimonieuse à
documenter comptes rendus provisoires, elle comblera tous les
les
souhaits par sa munificence dans la documentation du mémoire
final. Parmi les quatre à cinq mille clichés photographiques déjà

préparés à cette date, il faudra nécessairement faire un choix mais :

ce choix sera fait avec une prodie'alité suffisante pour n'omettre rien

1, T/iP Harvard Expédition [o sinnano : Ercacnlujns o/ 1909, par AI. le D- G. A.


hEi>\EP. 16 pp. in-8" et 8 similigrav. de photographies. Extrait de The Harrurd theoloy.
;

tieview. lïl. avril 1910. Sur la canipasnp précédente, cf. RB.. 1909, pp. 43.^ ss. et la not.:-
de 1910, p. 113.
126 RKVrt: BlBI.lyUE.

de ce qui peut concourir à éclairer l'histoire de Samarie. Quant aux


innombrables dessins de M. l'architecte C. S. Fisher, aux plans sur-
tout, — joie des yeux par leur limpidité, leur relief, leur correction
artistique, ^-
donneront toute satisfaction et tout repos à l'étude
ils

la me trompe, et si les graveurs d'Amérique


plus exigeante. Si je ne
ne trahissent point ce qu'ils auront mission de fixer, on sentira dans
ces plans, même en Tabsence de contrôle direct, la probité d'obser-
vation, le souci constant d'exactitude, la solidité du moindre détail
enregistré qu'on ne peut louer assez quand on est admis à les étudier
quelques moments sous la tente où ils sont exécutés, à deux pas,
jiresque au milieu des tranchées.
Le résultat des cin(( mois de travaux —
31 mai-i novembre 1909 —
que résume le rapport annoncé plus haut excitera certainement
l'attention. M. Reisner y rend compte de sa méthode et des motifs
qui la conditionnaient il présente ensuite un schéma complet de
;

l'évolution archéologique de Samarie depuis sa fondation vers la fin


du x*" siècle ou l'aurore du ix*" siècle av. notre ère. Ce schéma com-
prend cinq périodes. En ordre chronologique rétrograde on dis-
tingue 1" la couche de surface, avec ses débris assez insignifîjints
:

bouleversés depuis des siècles par la culture 2° une période mar-


;

quée par un développement considérable des édifices et un progrès


sensible dans les connaissances architecturales des nuances d'exécu-
;

tion, des remplois de matériaux et l'alliage variable de bibelots ar-


chéologiques autorisent même une subdivision très nette de ce
groupe en trois phases d'inégale durée et de splendeur très diverse ;

3° un stage où la décadence de l'architecture privée s'allie néan-

moins avec des procédés nouveaux de fortification et des éléments


manifestes d'élégance et de confort ï" une période, évidemment
;

très prolongée, où l'on vécut petitement sur la royale colline, dans


des maisons sans la moindre prétention, avec un mobilier dépourvu
de tout luxe; un rempart massif, épais de i"',30, mais exécuté par
des constructeurs peu au fait des ressources que leur offrait la pierre
de Palestine, est l'unique monument notable en cet état delà ville ;

5° enfin la période initiale où des architectes ont pris possession de

ce tertre, en ont aplani la crête, escarpé les flancs déjà par nature
assez abrupts, et entaillé savamment la surface rocheuse pour y as-
seoir à jamais, ils le pensaient du moins, d'opulents édifices et d'or-
gueilleuses fortifications; là aussi des transformations incontestables
attestent deux, sinon trois phases dans une durée de plusieurs siècles
probablement.
En face de cette classification schématique des ruines, M. le
CHRONIQUE". 127

D' Reisner devait mettre spontanément le tableau de l'évolution his-


torique fourni par une ample documentation littéraire. Or, depuis ses
origines jusqu'à nos jours, l'histoire de Samarie se répartit de façon
très normale, elle aussi, en cinq périodes : 1° Israélite, à dater de la
fondation jusqu'à la conquête et à la ruine par Sarg-ou (env. 900-721) ;

2' babylonienne, ou de quelque nom qu'on la désigne pour signi-


lier la renaissance de la ville et sa vie très etfacée depuis l'installa-
tion des colons assyriens jusqu'à l'arrivée d'Alexandre (720-331);
V grecque, entre la prise de possession par une colonie syro-macé-
donienne, et la fia des conflits de l'époque macchabéenne (330-60);
'i-" romaine, inaugurée par la conquête de Pompée et la restauration
de (îabinius, atteignant sous Hérode l'apogée de sa splendeur et
prolongeant sou déclin assez tard dans les siècles chrétiens, après
une dernière reprise de vie sous Septime -Sévère ;
5" byzantine et

arabe.
La tâche consistait dans harmonie à établir entre les deux schémas.
l

La lecture du compte rendu peut déjà convaincre du succès avec le-


quel cette tâche a été réalisée. De la plume deM. Reisnerdes phrases
courtes, nettes, pressées, jaillissent et étalent sous le regard émerveillé
le tableau raccourci de cette évolution où l'archéologie et l'histoire
marchent de pair et se font mutuellement resplendir. On dirait
comme autant d'étiquettes sur un convoi immense de matériaux; les
étiquettes sont forcément à recevoir sur la foi de leur auteur, mais
leur fiuteur est le savant bien titré que chacun sait et l'heure est
proche où l'amas de documents qu elles couvrent sera répandu sur le
marché. Comme de juste, puisque nous sommes en terre palesti-
nienne, pas à Babylone ou à Suse, pas non plus en quelque brillante
cité pharaonique, les documents sont relativement humbles, très
liumbles même pour mais il est grand, git
la plupart. Leur intérêt,
surtout, presque exclusivement, dans la lumière qu'ils apportent à
l'histoire biblique. >'ul historien, on peut l'imaginer, ne saurait de-
meurer indiflférent à ce fait qu'un explorateur compétent vient de lire
dans des tranchées de fouilles sillonnant le coteau de Samarie une
évolution de la ville parfaitement parallèle à l'évolution que lui-même
constatait en compulsant ses textes. Il y a plus, car les observations
pénétrantes et positives de l'archéologue le mettent en mesure de

renseigner l'historien sur telle phase déterminée que les textes lais-
saient dans l'ombre, ou sur quelque événement connu en gros par
une laconique assertion de vieilles annales : la découverte des stèles
votives militaires de l'époque de Septime-Sévère, la découverte de la
statue d'Auguste sur les marches du grand temple, la découverte du
128 REVLiE BIBLIQUE.

misérable rempart du temps de Gabinius. et combien d'autres, le


démontrent à satiété.
Gomment on peut, avec des pans de mui-s, des styles de maçon-
nerie, des profils Ao moulures, des débris céramiques, des mon-
naies, des fragments de stuc et maint autre détail aussi ténu, fonder
une classification démonstrative, il n'est toujours pas facile de le bien
faire entendre à qui n'a jamais mis le pied dans une fouille. C'était
pourtant le cas à Samarie jusqu'aux dernières semaines delà campa-

gne de 1909. Tout au plus les stèles votives groupées autour de


l'autel, un fragment de dédicace monumentale dans les ruines du
forum à l'extrémité opposée de la colline et d'innombrables estam-
pilles rhodiennes avaient-elles apporté à cotte classification le con-
cours plus communément apprécié de l information épigraphique. En
dépit de cette pénurie épigraphique, la classification archéologique
raisonnée de M. le D' Reisner comportait une précision et une rigueur
telles que les sites fouillés jusqu'ici en Palestine n'en ont offert que do
bien rares équivalents, .le ne puis oublier la vivacité d'impression

quelque peu stupéfaite produite parles explications du très obligeant


explorateur sur un groupe d'amis, hôtes de l'École, qui s'étaient joints
comme moi au P. Lagrange pour visiter les fouilles, vers le milieu
d'octobre 1909. Il ne leur avait sans doute pas été malaisé de saisir au
premier coup d'oeil comment le grand temple hérodien pouvait être
discerné de quelques masures séleucides attachées comme une lèpre à
ses flancs. Sans beaucoup plus d'hésitation ils avaient paru admettre
qu'un débris de structure romaine fût reconnaissable à un niveau
beaucoup plus bas que des vestiges Israélites tardifs traversés systé-
matiquement pour atteindre le roc. L'émoi ne devint très nettement
perceptible que devant des ruines imposantes mais complexes, répar-
ties aux périodes babylonienne et Israélite. Le moyen de spécifier

avec cette précision ce qui avait été bAti au déclin du vin" siècle par
des immigrants étrangers et ce qu'aurait bâti le fondateur même de
Samarie?M. Reisner ne redoute point les questions et ses réponses,
toujours lucides comme la parole d'un savant exposant les principes
d'une méthode familière depuis tant d'années, s'accompagnaient
d'une leçon de faits Voici un pavement séleucide sur lequel ont été
:

recueillies desmonnaies du iv" au if siècle av. J.-C., parmi de petits


autels domestiques à emblèmes grecs et des vases hellénistiques
usuels; le pan de mur couvert par ce pavement et que ses assises en
retrait les unes sur les autres, composées de menus blocs équarris
placés à la file sur leur petit côté, distinguent si fortement de la nu.

raille massive en appareil habilement lié découverte plus bas encore.


CHRONIQUE. 129

ce pan de mur est donc d'une époque intercalée entre les temps sé-
leucides et les origines de la ville. Ce mur étrange avec ses parements
sans liaison, avec ses rangées monotones de petites pierres travaillées
pour se ressembler toutes et ne fournir qu'une résistance mé liocre,'
trahit des constructeurs habitués à la brique et sans aucune expérience
pratique de la pierre merveilleusement élégante, ouvrable et solide
que les architectes antérieurs extrayaienten quelque sorte à pied
d'œuvre. De ne seraient-ils point nouveau-venus à
tels constructeurs
Samarie et venus de régions où la brique était d'un usage plus ou
moins exclusif ? L'information historique s'offrirait d'elle-même à ce
point; l'archéologie se suffira pourtant. Le beau fragment de mu-
raille inférieure assise dans une tranchée de roc n'est qu'une minime
partie de muraille identique, déjà connue sur plusieurs autres points
de la fouille. Ces tronçons raccordés indiquent un édifice aux propor-
l'aménagement intérieur n'est révélé que par-
tions très vastes et dont
tiellement encore. Les matériaux employés dans cette construction
fort soignée présentent assez fréquemment des sigles en hébreu ar-
chaïque usités comme marques d'appareillage. Par leur volume, leur
mode d'agencement, la nature de la taille, la ciselure de leur face ex-
térieure, ces pierres sont sœurs de celles qu'employèrent des cons-
tructeurs Israélites à Megiddo par exemple. Laissons néanmoins les
analogies du dehors. Dans l'épaisse couche de décombres qui chausse
le pied de cette muraille, remarquons à foison les tessons de céramique
Israélite et l'absence radicale de tout alliage de poterie hellénistique
ou plus tardive encore.
La dissection du squelette archéologique prolongée ainsi quelques
heures, en manipulant des débris et en s'arrêtant devant les objets
en place, avait donné à nos compagnons de visite les plus rebelles
à toute suggestion incomprise la sensation intime que l'archéologie
vraie n'était pas une divination, pas une loterie d'étiquettes impres-
sionnantes que l'explorateur s'est composées à sa guise pour jongler
avec, devant un public crédule et prompt aux ébahissements.
Dans ces faits palpables l'histoire s'encadrait d'ailleurs comme en
son moule naturel. Nul vestige d'une ville antérieure à l'époque
israélite la Bible raconte comment, vers la fin du x^ siècle, le
:

monarque israélite Omri s'avisa d'acquérir, pour un morceau de pain,


cette montagne où il rêvait de camper une nouvelle capitale. Les
nuances techniques perceptibles dans les vestiges architecturaux de
ce temps s'adaptent d'elles-mêmes aux situations tout autres sous
Omri par exemple, —
alors qu'il faut tout créer et qu'on se hâte, —
sous Achab, —
dans les loisirs et l'opulence d'un règne prolongé où
REVUE BIBLIQUE 1911. — N. S., T. VIII. 9
130 REVUE BIBLIQUE.

lunique sollicitude est de jouir, d'agrandir et de faire plus beau pour


les caprices et l'ambition dune Jézabel, — sous la lignée terne et
éphémère des successeurs de Jéhu impuissants à se prémunir contre
les coups de main des rois de Damas et mûrs pour l'anéantissement
dès que se lèvera Sargon.
A peine est-il besoin d'observer que ce classement ne prétendait
alors à aucune rigidité de raisonnement métaphysique ou mathéma-
tique. En parlant d'époque babylonienne, de palais israélite primitif
et remanié par Achab ou des rois ultérieurs, M. Reisner visait seule-
ment des périodes générales, en attendant l'heureuse fortune de
quelque documentation plus déterminée. Même en ce sens relative-
ment large, puisque chaque période couvrait deux siècles et demi à
trois siècles d'évolution, le classement présentait déjà le plus haut
intérêt. Plus que tout le reste, à ce moment, la construction vraiment
remarquable du « palais » israélite avait été pour nous une joyeuse
surprise. On caressait enfin du regard une ample surface de muraille
en style royal israélite à peu près certain; on mesurait ses assises et
ses blocs ; on scrutait à satiété les détails d'appareillage et d'orne-
mentation au moyen de ce fameux cadre ciselé qui constitue l'ap-
pareil à refends: on voyait l'appareillage ornementé, en hautes et
régulières assises, cesser partout à un niveau donné au-dessus du
roc pour faire place à une ou plusieurs assises lisses, d'inégale hauteur
mais d'exécution très soignée aussi et comme enchâssées dans Fé-
piderme rocheux de la colline. Et cette pénétration de la muraille
dans le rocher n'est nullement ce que l'on pourrait croire, c'est-à-
dire l'assujétissement d'une assise au fond dune entaille régulière où
les pierres s'emboîtent et sont retenues par leurs deux faces opposées.
Le roc est dressé d'abord en escarpe extérieure haute de 50 cen-
timètres en moyenne. La crête de cette escarpe, au lieu d'un nivel-
lement continu, présente une succession d'échancrures de longueur
et de profondeur variables, souvent isolées l'une de l'autre par de
minces cloisons de roche ferme qu'on ne s'est pas imposé de sup-
primer, trouvant leur résistance aussi satisfaisante qu'eût pu l'être

celled'un bloc rapporté. Les blocs insérés dans ces coupures ont
naturellement des hauteurs différentes afin de racheter l'inégalité de
niveaux; en général d'ailleurs cette fondation comprend deux assises
et l'assise supérieure seulement a été traitée comme assise de régula-
tion pour asseoir la muraille appareillée à refends. Toutes ces par-
ticularités, banales en elles-mêmes, offrent l'intérêt de caractériser
désormais un style de maçonnerie du même coup elles font la
;

lumière la plus inespérée sur des lambeaux de construction célèbres


CHRONIQUE. 131

à Jérusalem parles fantaisies controversistcs dont ils sont le thème


depuis trois quarts de siècle.
Voilà beaucoup insister, pensera-t-on, sur de bien minimes détails.
Je m'en serais abstenu sans la pensée de faire saisir nettement une
bonne fois la solidité de la méthode archéologique digne de ce nom.
Dans les derniers jours de la campagne de 1909, parmi les débris
classés à cette obscure période <( babylonienne », la plus difficile à
bien mettre en évidence, M. Reisner découvrait un fragment de ta-
blette cunéiforme en cette langue néo-babylonienne courante à l'é-
poque où Samarie cessait d'être une capitale israélite. Le compte
rendu provisoire ne dit rien de plus de cette tablette et je n'en dirai
moi aussi rien de plus, sinon que ce petit document épigraphique
vient fort à propos rassurer les esprits défiants, prompts à s'alarmer
sur la témérité de déterminations archéologiques auxquelles il ne
leur a jamais plu de s'initier pratiquement (1).
Malgré toute la suavité alléchante d'une indiscrétion, je m'abs-
tiendrai d'indiquer ici les précisions brillantes et parfaitement impré-
vues que la campagne de 1910 vient d'ajouter aux déductions logiques
de 1909. Bientôt on ne parlera plus par hypothèse prudemment
réservée de «. palais » israélite et de phases vaguement discernées;
on dira : le palais d'Omri, la restauration du temps d'Achab, et d'au-
tres formules nettes à plaisir. Ajoutons que ces précisions merveil-
leuses ne découlent d'aucun texte monumental. Cette fois les tessons,
les humbles tessons tant honnis seront vraiment à l'honneur
dans
le prochain compte rendu provisoire. Souhaitons que l'Université de
Harvard ne le fasse pas attendre trop longtemps; car je ne pense
pas trahir la discrétion en mentionnant que iMxM. Reisner et Fisher
l'avaient déjà transmis avant de quitter, pour quelques mois d'hi-
ver (2), la royale colline.

JérusalcQi, 23 novembre 1910.


H. Vlxcent, 0. P.

(1) Cf. RB., 1906, p. 49 s.; 1908, p. 122, n. 1.

(2) De décembremai les savants explorateurs se reposent des fouilles palestiniennes par
à
des fouilles en Éfiypte. Depuis plusieurs campagnes ils travaillent à Gizeli et sont en train
de ressusciter, sous forme de monuments admirables, la mémoire des vieux pharaons dont
le sphinx gigantesque et inquiétant garde les tombes et que des historiens sans miséricorde

assimilaient volontiers à l'infortuné Pharamond.


RECENSIONS

I. — L'Évangile de Marc et ses rapports avec ceux de Mathieu et de Luc, essai


d'une introduction critique à l'étude du second évangile, par Maurice Goguel,
docteur en théologie, licencié es lettres, diplômé de l'école des Hautes Études (sec-
tion des sciences religieuses), chargé de cours à la faculté libre de théologie protes-
tante de Paris; in-8° de ik-320 pp.; Paris, Leroux, 1909.
IL — Jésus according to S. Mark, bv J. M. Thompson, fellow and dean of
divinity, S. Mary IMagdalen Collège, Oxford, examining chaplain to the bishop of
Gloucester; in-8'^ de 287 pp.; Londres, Methuen (1909).
L — M. Maurice Goguel est un des maîtres les plus distingués de la faculté libre

de théologie protestante de Paris. Le titre de son livre (1), quoiqu'un peu long, n'ex-
plique pas aussi bien qu'une phrase de la préface, le double but de l'auteur : déter-
miner la priorité entre les trois synoptiques, et s. Marc étant reconnu pour le pre-
mier, découvrir à quelles sources il a puisé. C'est, dit M. Goguel, « un problème pure-

ment littéraire » qu'il estime, à rencontre de M. Loisy, qu'on peut étudier isolément.
A vrai dire l'auteur n'a point été tout à fait fidèle à son propos. Etant convaincu
qu'aucun événement surnaturel ne peut être historique, il tire de ce principe à priori
cette conséquence littéraire que les événements » mythiques » ne dérivent pas des
témoins de la vie de Jésus (2 . D'autre part, il conclut de certaines ressemblances de
style que tel événement n'est point historique [3).
Cependant, à tout prendre, l'enquête de M. Goguel est, en effet, « purement litté-
raire ». Et même faut-il entendre ce mot dans un sens très restreint. Aucun examen
n'est tenté du style de Marc, de ce qui le caractérise et le différencie des autres synop-
tiques; la question de ses tournures araméennes n'est pas même abordée (4), non plus
que ses relations avec le grec hellénistique du temps. Apparemment l'auteur a cru
qu'il suffirait de diviser Marc en péricopes et de comparer ces péricopes avec celles

de s. Matthieu et de s. Luc pour trancher non seulement la question de savoir qui


avait servi de source aux deux autres, mais encore celle beaucoup plus délicate des
sources de Marc et de l'unité du second évangile.
A aborder le problème sous cet angle spécial, et avec les réserves de droit sur le

(1) Publié dans la Bibliothèque de l'c'cole des Hautes Études, section des sciences
religieuses.
La publication a été retardée, et M. Goguel tient à noter que ses conclusions étaient formulées
avant la publication des t^vangiles synoptiques de M. Loisy. Aucun, lecteur attentif n'aurait été,
en effet, tenté de regarder M. Goguel comme innuencé de très près par M. Loisy quoique ces
deux savants aient plusieurs théories communes.
(2) La iransliyuiation a « un caractère mythique très accentué qui empêche absolument de la
faire dériver directement des souvenirs de Pierre » (p. 179).
(3) P. :25~ « Des raisons très sérieuses s'opposent à ce que nous attribuions au récit de Marc un
:

caractère historique. C'est d'abord l'analogie qu'il y a entre l'envoi des disciples avant l'entrée à
Jérusalem et l'envol des disciples pour la préparation de la Pâque ». Raison très sérieuse pour un
écrivain comme Marc dont les formules sont si peu variées '.

(4) A la p. 308 il n'est question que des mots araméens de Marc, avec un renvoi à Zahn, tandis
que la question des tournures, autrement imporlantc. a surtout été discutée par Wellhausen.
RECENSIONS. -133

caractère surnaturel des faits, on doit rendre hommage à la clairvoyance et au tact


critique de l'auteur, surtout lorsqu'il établit que le plus ordinairement Matthieu et Luc
se sont inspirés de Mare. Ce point est depuis assez longtemps admis par la critique, et

M. Goguel le traite aussi habilement qu'un autre.


Mais les sources de Marc? Une introduction historique soignée et érudite a permis
à l'auteur de constater l'existence « d'une tradition que l'on peut considérer comme

solide, et d'après laquelle le second évangile aurait été écrit à Rome, sous l'influence
de Pierre par Jean Marc qui avait été le compagnon de l'apôtre » p. 21 . La critique
interne paraît à M. Goguel justilier cette tradition. Du moins attribue-t-il aux sou-
venirs de Pierre un certain nombre d'éléments du récit. Il s'arrête cependant aussi-
tôt qu'il n'y a pas de raisons positives de rattacher un fait à cette source. La tradi-
tion une fois admise comme solide, ne serait-on pas autorisé à faire dériver de
Pierre tout ce qui n'est pas inconciliable avec cette origine? C'est bien ain^i que l'au-
teur procède dans certains cas ; aussi, sur ce premier point, il n'y aurait à discuter que
sur le plus ou le moins. C'est certainement aussi le fait d'une critique judicieuse de
renvoyer dans certains autres cas à la tradition sans plus, c'est-à-dire à des sources
inconnues, peut-être orales, peut-être écrites. Dans l'ensemble cependant, il me parait
que M. Goguel, sans tomber dans l'excès qui fait de Marc le plus infime des ravau-
deurs, admet trop aisément des sources écrites.
Cela est tout à fait sensible quand il s'agit des Logia ou du recueil des discours.
La question est bien connue. Luc et Matthieu sont parfois d'accord entre eux pour
traiter d'une façon indépendante de Marc le même sujet, ordinairement desaphorismes
du Sauveur. On en conclut qu'ils suivaient alors une autre source, qu'on la nomme
Logia ou autrement. Aussitôt ces faits constatés, M. Goguel conclut encore que Marc
dépend des Logia. On a peine à croire qu'il se soit contenté d'un pareil raisonne-

ment (1;, car. enfin, au point indiqué, nous ne sommes qu'à pied d'oeuvre. Deux solu-
tions peuvent être présentées. Ou bien, en effet, que ni Marc a suivi les Logia, sans
Luc ni Matthieu s'en soient doutés, ou bien il représente une tradition parallèle aux
Logia. L'examen le plus attentif ne serait pas de trop pour trancher la question. Cet
examen, M. Goguel s'est dispensé de le faire.
Après cela on est étonné de son assurance. Quand il s'agit de comparer Marc et
Matthieu, les textes sont là. on peut discuter avec des chances sérieuses, et encore —
faut-il toujours tenir compte de cette inconnue qui est l'intention des auteurs, —
mais quand il s'agit des Logia dont le texte ne nous est pas parvenu directement !

Dans ces conditions, comment peut-on écrire U manque le récit de la guérison


: '<

d'un démoniaque que Marc a certainement trouvé dans sa source. S'il l'a omis, c'est
parce qu'il a établi —
à tort sans aucun doute —
une relation entre l'accusation de
folie portée contre Jésus par sa famille, et la dispute avec les Pharisiens ^> 'p. 91..

De semblables raisonnements n'étonnent pas chez ceux qui ne voient dans Marc
qu'un centon de documents mal adaptés, ils détonnent chez un auteur qui admet
linfluence sur Marc d'un témoin oculaire.
Et, pour le dire en passant, cette « folie j que les parents de Jésus lui auraient

(1 cependant tout ce qu'on peut tirer de plusieurs passages. P. 9S,Mt.et Le. sont plus près
C'est
du texte que Me. Donc la source de Me. est le recueil des discours. P. 103 • La plupart
primitif :

des éléments du teste de Mathieu ont, en effet, des parallèles daus d'autres passages de Marc où
ils semblent avoir leur place originale •. Suit la liste de ces passages. Puis aussitôt la couclusion:
. Il est rendu par là évident que la •2^' péricope est composée par le rédacteur avec des éléments

empruntés à la source des Logia ». Même raisonnement p. 1"" même raisonnement ou même ab- ;

sence de raisonnement, p. 19-2.


134 REVUE BIBLIQUE.

reprochée dépasse de beaucoup la force du terme (1). Plus d'une fois. M. Goguet
passe un lourd trait à l'encre sur les fins contours de la rhétorique orientale. C'est
ainsi que d'après Marc les paraboles « seraient des artifices employés par Jésus pour
dissimuler sa pensée à la foule » (p. 101), et qu'il y aurait deux éléments contradic-
toires dans l'interprétation que Jésus donne au rôle d'Elie (2). Avec plus de sympathie
pour les textes, M. Goguel aurait vu dans la réponse du Sauveur une conciliation

ingénieuse avec moins de raideur scolastique, il n'aurait pas déterminé, non sans un
;

peu de pédantisme, ce qui convient ou ne convient pas dans les paroles que Marc
attribue à Jésus (3).
Outre la question des sources de Marc, il y a celle des états par où aurait passé
le texte M. Goguel est peu partisan du proto-Marc. Il
avant de nous parvenir.
refuse très sagement d'imaginer un premier Marc dépourvu de 6, 45 à 8, 26, sous
prétexte que Luc n'a rien connu de cette péricope. Il admet cependant des remanie-
ments assez sérieux dont il voit surtout la trace dans le grand discours apocalyp-
tique (Me. 13). Le point de départ est une excellente observation « Ou imagine :

difficilement un auteur disant successivement dans le même passage qu'un événement


se passera certainement dans un délai relativement court (la vie d'une génération
humaine), et qu'il ignore complètement quand il se produira » (p. 242). Cela est incon-
testable, et il faut conclure que l'auteur ou plutôt la personne qui parle (Me. 13, 30-
32) ne fait pas allusion au même événement. M. Goguel préfère imaginer qu'on a pu
écrire la phrase célèbre « Au sujet du jour et de l'heure, personne ne sait rien, ni
:

les anges dans le ciel, ni le Fils, mais le Père seul » pour expliquer la non-réalisation
des prophéties. Etrange apologétique, car l'évangéliste -^ c'est de lui qu'il s'agit —
n'avait qu'à retrancher la prophétie elle-même. Même système critique lorsque
M. Goguel distingue avec toute raison dans s. Marc la ruine de Jérusalem et le der-
nier avènement du Christ. Seulement il attribue cette distinctiou au dernier rédac-
teur, entre 75 et 85, et il n'hésite pas à regarder le texte de Marc sur ce point comme
postérieur à celui de Luc. Cela est si évidemment contraire à tous les principes ordi-
naires de critique que M. Goguel doit supposer que le dernier rédacteur « a remplacé
l'allusion précise de la source à un siège, par un terme emprunté à Daniel, et néces-
sairement plus vague » (p. 246). C'est l'accuser d'une coquinerie fort subtile; ajouter
qu'il a peut-être agi inconsciemment, c'est un non-sens. La critique qui en viendrait
à soupçonuer chez les auteurs de semblables états psychologiques ferait sagement de
les abandonner à leurs incohérences.
Sur le paulinisme de Marc, je ne suis pas sûr d'avoir compris la pensée de l'auteur.
11 affirme très nettement que « Marc n'est en tout cas pas dominé par une préoccu-
pation dogmatique » (p. 305). C'est une des meilleures paroles de toute cette étude.
Je ne sais pas comment la concilier avec la conclusion : « En résuuié, si le deuxième
Évangile est effectivement un évangile paulinien, il faut dire qu'il n'est pas un exposé
théorique, mais une adaptation pratique du paulinisme « (p. 307). Mais qui pouvait
songer à un exposé théorique du paulinisme en racontant la vie de Jésus?

(1) 'E?i(TTr,. 3,-21.


{•2]Cette réponse comprend, en effet, deux éléments contradictoires. Il résulte de l'un que

le principe pose par les Scriltes est faux puisqu'il contredit l'idée de la nécessité des soulTrances
du Messie. H résulte de l'autre, seulement, que le ministère d'Elle est déjà passé • (p. 181). Il
s'agit de Me. 9. 1-2-13. Il y a bien contradiction entre la pensée de Jésus et celle des scribes,
mais pas même l'apparence d'une contradiction i^ntre les deux éléments de la réponse de Jésus.
En quoi le ministère d'Élie. réalise dans la personne de Jean-Baptiste, victime de son devoir,
est-il en contradiction avec le riMe d'Élie tel que Jésus l'oppose à la théorie des scribes?
(3) « De plus, la parole de Jésus convient mal ici, car elle parait s'adresser à un homme qui
veut agir et non à un homme qui demande à Jésus d'agir • {p. 18-2 s.^ Tout cela parce que Jésus
demande au père de l'épileptique une foi plus ferme (Me. 9, 22 s.) :
RliCE^SIOiNS. 135

Ces remarques générales nous dispenseront d'entrer dans le détail. Notons seulennent
qu'il est faux de dire que « l'onction des cadavres n'est pas un usage juif « (p. 255).
Et pour le dire une fois de plus, quelle réserve ne s'impose pas quand il s'agit de dé-
clarer tel ou tel fait légendaire et non historique parce qu'il s'écarte de vraisemblances
dout nous sommes peu sûrs (1)si !

II. — Le moyen âge,


parmi tant d'autres personniGcations symboliques, avait créé
Faux-Semblant. Ce personnage oublié ne serait-il pas rentré en scène avec l'exégèse
deRitschlPOn est vraiment embarrassé pour caractériser autrement des livres
comme celui de 1\1. Thompson, Jésus according to S. Mark. Lisez l'Introduction, vous
êtes tout d'abord bien impressionné par le crédit que l'auteur accorde au second
évangile. Fort éloigné des outrarices de la critique radicale, il estime que s. Marc
était l'interprète de s. Pierre et qu'il a écrit ce que l'apôtre se rappelait de la vie et
de la mort de son Maître « de toute façon, on est en droit de considérer ce docu-
:

ment comme une valeur historique unique il représente probablement dans l'en-
:

semble un récit authentique d'un état très primitif de la tradition chrétienne sur la vie
et le caractère de Jésus » (p. 14). Et en eflfet l'auteur tablera sur Marc pour se faire

une idée de ce qu'était Jésus et de ce qu'il pensait être. Qu'est-il donc?« Une seule per-
sonne qui, comme un tout, vit une vie humaine et, comme un tout, peut être adorée
comme divine » (p. 278). Avec un peu de bonne volonté, on serait disposé à voir dans
ces termes un rajeunissement de la formule de Chalcedoine, en insistant même sur
l'unité de personne. M. Thompson conclut encore « Je me contente de dire de la :

personne totale de Jésus : « Voilà ce que j'entends par homme », et encore, « voilà

ce que j'entends par Dieu » (p. 279).


Il est donc Dieu et homme, et cela résulte de la lecture de s. Marc? Il sufOt de
s'entendre. C'est l'humanité elle-même de Jésus qui est divine. Plus il est véritable-

ment homme, et plus il est véritablement Dieu. Et en eflfet tout le livre est consacré
à prouver que Jésus est un pur homme. A qui donc sont destinées les formules qui
se rapprochent de celles de l'Église.^ Qui trompe-t-on? Personne, puisque M. Thomp-
son prend soin d'expliquer sa pensée assez clairement (2). C'est donc un jeu ? mais

la vie thème quand on estfellow and dean of Divinity?


de Jésus doit-elle en être le
On que M. Thompson maintient l'adoration du
dira que c'est précisément à ce titre
Christ, et que les Anglais ne se sont jamais piqués ou du moins n'ont jamais eu la
réputation d'être des logiciens très serrés. Le paradoxe n'en est pas moins un peu
fort de regarder Jésus comme Dieu précisément parce qu'il est homme, et si les An-
glais manquent un peu de métaphysique, la droiture de leur caractère se fatigue à
la longue de ces subterfuges. M. Thompson qui sait nous dire (p. 228) quels miracles
de rÉvaugile ne sont pas dignes de Jésus, estime-t-il qu'il est digne de ses disciples
de lui rendre un culte de latrie sans croire à sa divinité?
Je me suis exprimé avec une certaine vivacité, parce que, nous autres latins, ne
comprenons rien à ces mystères, ou, pour le dire avec moins de modestie, parce
qu'il nous semble apercevoir plus aisément la contradiction entre les propositions qu'on

flj C'est ainsi que le récit de la mort du Baptiste est relégué au rang des légendes pour des

raisons très frivoles. On lit encore à propos de la Transfiguration « Dans ce morceau nous trou- :

vons Jésus entouré" seulement de ses trois intimes, ce qui prouve que le récit a été lait ii une
épociue ou la conception des douze apôtres ne do ninait pas encore » (p. 1"!)). Voila des catégories
littéraires ei historiques construites bien légèrement. Et elles deviennent des règles inilexibles.
-2 Au surplus voici tout ce texte étrange « Ttiis, tlien, is the first conclusion towards wicti I
:

am led bylhe évidence of the second gospel —


that Jésus is a single person, who as a whole lives
human life, and as a whole can be worsliipped as divine. There is no possible or désirable divi-
sion iietween what is humau in liim and what is divine. The human in him is divine. When he
is mosl truly man, then lie is most truly God (p. 277 s.;. >
136 REVUE BIBLIQUE.

forge aujourd'hui, qu'entre le dogme de il ne nous en


l'Eglise et la raison. Par ailleurs
coûte pas que M. Thompson
de reconnaître que Jésus est parfaitement liomme et

a esquissé d'une façon parfois très heureuse son genre d'esprit et sa manière d'ensei-
gner. Nous dirons même quil est un homme phis parfait, car l'auteur, qui le trouve
adorable connne homme, n'a pas hésité à lui imputer des imperfections qui touchent
au péché! C'est très gratuitement aussi qu'il lui attribue de croire à la réincarnation
d'Elie (p. 101), et monnaie appartenait en propre à celui dont elle représentait
que la

l'image (p. 119\ .Mais je lui sais bon gré d'avoir écrit que, pour des Anglais, le Jésus
de Renan était Français d'une façon intolérable (1;. J'ai déjà dit pourquoi je ne
consentirais pas à écrire que la théologie de M. Thompson est anglaise, car je la crois
intolérable pour des Anglais.
Jérusalem.
Fr. M.-J. Lagraivge.

Neutestamentliche Zeitgeschichte oder Judentum und Heidentum zur


Zeit Christi und der Apostel. von Dr. Joseph Feltex, Professor der Théolo-
gie zu Bonn; deux volumes in-8' de vnr-620 et de iv-580 pp.; Ratisbonne (Re-
gensburg), Manz, 1910.

Illi robur et aes triplex. C'est de M. Felteu que je veux parler, qui a eu le courage
d'entreprendre une histoire de l'époque du Nouveau Testament, ou du judaïsme et
du paganiï>me au temps du Christ et des Apôtres.
J'ai dit courage, peut-être même audace n'eût pas été de trop, mais on ne saurait
sans injustice prononcer le mot de témérité, tant il est évident que M. Felten s'est
préparé à cette grande œuvre par des études attentives et prolongées. Je lui en veux

cependant d'avoir dit qu'il n'existe pas de grand ouvrage qui embrasse toute la ma-
tière yVoncort). N'a-t-il donc jamais été hanté par la crainte de se rencontrer avec
Schùrer sans l'égaler?
Peut-être entend-il que sou plan est plus vaste, puisqu'il comprend le paganisme;
mais aussi combien ses développements du thème juif, le principal, sont plus res-
treints, et quiconque a pratiqué Schiirer n'a-t-il pas éprouvé souvent quelles lumiè-

resil tirait de la connaissance approfondie des sources classiques et de l'organisation

de ce monde païen dont la pression s'exerçait sur le monde juil? Quoi qu'il en soit,
M. Felten eût été tout à fait dans le vrai en ajoutant a parmi nous », c'est-à-dire
qu'il n'existe en efifet aucun ouvrage catholique de grande envergure sur la matière,
et il faut le féliciter d'une tentative qui est incontestablement une heureuse réussite.
Un simple coup d'oeil sur la table des matières révèle l'étendue de Ihorizon.
L'histoire juive commence en 63 avant S.-C, au moment de la prise de Jérusalem
par Pompée; le théâtre des faits est indiqué par uue description du pays. Les der-
niers des Asmonéens cèdent la place à Hérode la domination romaine, inierrouipue
;

à demi par le règne d'Agrippa P'", par la révolution de l'an 66, et par la révolte de
Bar-Kokebas, est définitivement assise sous Adrien (p. 19-285).
Une deuxième section décrit la vie intérieure du peuple juif, constitution poli-
tique, Sanhédrin, Sacerdoce, administration du Temple, les Docteurs de la Loi, les
synagogues, les partis : Pharisiens, Sadducéeus, Esséniens; la vie de famille et les
fonctions sociales, le sabbat, les fêtes, les usages religieux, le prosélytisme, l'acti-
vité littéraire nous conduisent aussi jusqu'au temps d'Hadrien (p. 286-620).
Le second volume achève dans une première section ce qui regarde le judaïsme,

(1) p. n : Reuans Jésus seems to Englishmea intolerably Frencli.


RECEiNSIONS. ^37

c'est-à-dire les vues théologiques des Juifs sur le canon des Écritures, Dieu, le Logos,
l'Esprit saint, les Anges, l'homme, le Messie, les fins dernières (p. 3-233). C'est seu-
lement alors que M. Felten aborde le paganisme, d'abord par sa situation politique

en insistant sur l'organisation des provinces orientales, puis par son état social et
moral, y compris les opinions philosophiques et religieuses des sages et du peuple
(p. 234-580).
On comprend que nous ne puissions discuter ni même passer en revue les opinions
de l'auteur. Ce qu'il faut dire, c'est qu'il a soigneusement consulté les sources, et
qu'il les a étudiées jusque dans les moindres détails. La bibliographie considérable
indiquée dans les notes prouve qu'il a lu beaucoup, mais aussi qu'il s'est tou-
jours formé son jugement lui-même. La composition est parfaitement nette; peut-
être M. Felten ne sera-t-il pas très flatté si l'on y reconnaît quelque chose de fran-
çais? Le texte ne comporte presque pas de discussion, en tout cas aucune polémique.
C'est dans les notes que l'on peut se rendre compte des préparations au moyen des-
quelles la conviction est acquise, de sorte que, si le texte courant paraît parfois trop
succinct, on trouve dans les notes beaucoup de détails utiles.
Naturellement déductions dépend beaucoup de la valeur des sour
la solidité des

ces, et,quand il s'agit de sources aussi anonymes et aussi dépourvues d'état civi
que certains documents juifs, c'est sur l'époque de ces documents que la controverse
doit surtout s'exercer. Je signalerai ici quelques points sur lesquels je ne puis me
rendre à l'autorité de M. Felten. Il place le livre des Paraboles d'Hénoch au temps
d'Alexandre Jannée et ne veut pas entendre parler d'interpolations chrétiennes. J'ai

pourtant cité entre ce livre et le N. T. des rapports si frappants qu'ils auraient dû


au moins être discutés (1). Si ces passages sont juifs, il faut dire avec MM. Harnack
et Charles qu'il a existé dans le judaïsme beaucoup d'éléments que nous tenons jus-
qu'à preuve du contraire pour chrétiens.
Tandis remonter si haut le livre des Paraboles, M. Felten fait descendre
qu'il fait

jusqu'après mort d'Hérode le livre des Jubilés et le Testament des douze patriar-
la

ches. M. Charles a cependant montré clairement et M. Schiirer s'étsit rétracté —


dans ce sens —
que les allusions à la gloire de Lévi dans le livre des Jubilés suppo-
sent les temps Asmonéens. M. Felten entend ces passages du gouvernement sacer-
dotal après Hérode. Hélas! les grands prêtres, choisis et mis de côté au gré du pou-
voir civil, ne répondaient guère à ces images grandioses. Tout au contraire l'auteur
me parait avoir exagéré beaucoup l'antiquité des Targums. Nulle part, si j'ai bien
lu, il ne se prononce sur l'époque de leur rédaction, mais il semble la croire anté-

rieure au lyf siècle (2). Or un juge aussi compétent que M. Dalman n'admet pas que
leTargiun d'Onqelos prophètes aient été rédigés par écrit avant le v^ siè-
ni celui des
cle. Des lors de s'appuyer sur leur texte pour ce qui regarde les espé-
il est difficile
rances messianiques des Juifs au temps de Jésus. M. Felteu estime qu'un personnage
nommé Onqelos (Akulas) a bien existé au i^"" siècle n'est-ce pas accorder trop de ;

crédit aux renseignements talmudiques qui ont probablement voulu parler d'une ver-
sion à la mmiere d'Aquila?
L'interprétation symbolique de l'Assomption de Moïse me paraît bien indulgente,
à juger d'après l'état chimérique et plus fanatisé que
d'esprit de l'auteur, plus
M. Felten ne le représente. En revanche je suis heureux que M. Felten admette
l'antériorité de IV Esdras par rapport à l'Apocalypse de Baruch, et qu'il rejette l'exis-
tence d'un Messie lévitique dans le Testament des XII patriarches.
(1) Le Messianisme..., p. 90, note.
[•2) CI. p. 552.
138 REVUE BIBLinUE.
Mais il faut le féliciter surtout d'avoir mené à bonne fin une entreprise aussi ha-
sardeuse, qui pourra naturellement être complétée et améliorée avec le temps.
L'érudition aussi étendue que précise de l'auteur suppose une puissancede travail con-
sidérable, qui ne se tiendra pas pour satisfaite de ce premier et très beau résultat.

Jérusalem.
Fr. M.-J. Lagbange.

A critical and exegetical Commentary on Genesis, by John Skixner.


D. D., Hon. M. A. (Cantab.), Principal and Professor of Old Testament Language
and Literaîure, Westminster Collège, Cambridge; in-8" de lxvii-5.51 pp. Edin- :

burgh, Clark, 1910.

Ou
connaît le plan du Commentaire critique international édité par la maison
ClarlvdEdimbourg. L'explication se poursuit à deux étages par un commentaire
sommaire et par des notes de critique textuelle et de philologie. De temps en temps
le commentaire est interrompu et complété par des développements plus ou moins
étendus, surtout sur la portée historique et religieuse des récits. C'est ce qu'on trouve
particulièrement, avec une disposition très lucide, une concision et une précision très
remarquables dans la Genèse de M. John Skioner. Au moment oîi ce savant était
chargé de l'exégèse de ce livre, paraissait The book of Genesis du Rév. Driver (1904);
mais la collection dont il fait partie n'admet pas le traitement technique des ques-
tions de philologie et de critique textuelle. On peut donc dire que l'Angleterre ne
possédait pas de commentaire critique complet du premier livre de la Bible. Celui
que lui donne aujourd'hui M. Skinner est assurément fort remarquable, et le recen-

seur ne peut que souscrire au jugement très favorable déjà porté par le R. P. Con-
damin (1). La philologie sémitique, l'archéologie orientale, l'histoire, sont maniées
avec aisance et sûreté. On est étonné de trouver sous un si petit volume 2) tant

d'informations variées. 11 semble bien que rien d'important parmi les découvertes
modernes n'a été négligé, sauf peut-être ce que l'auteur aurait pu trouver dans des
ouvrages français, comme le Canaan du P. Vincent. Mais s'il affecte de ne mettre

dans sa liste bibliographique qu'un seul ouvrage français. Les Origines de l'histoire
de Fr. Lenormant, dont il a tiré peu de choses, il met ses lecteurs au courant de ce
qui s'est dit en Allemagne. Il reconnaît d'ailleurs de très bonne grâce qu'il doit beau-
coup à Gunkel dont il a recueilli l'admiration commuuicative pour les anciens récits
— aussi beaux dans leur genre que les et la manière
paraboles de Nolre-Seigoeur, —
de les interpréter, moins pour leur valeur historique que pour leur portée religieuse.
. Aussi le déclare-t-il tout uniment c Uu des plus étranges préjugés théologiques est
:

celui qui identiCe la vérité révélée avec l'exactitude en matière de faits, soit dans
l'ordre scientifique, soit dans l'ordre historique. La légende est après tout une sorte
de poésie, et il est difficile de voir pourquoi une révélation qui s'est servie librement
de tant d'autres façons de poésie — fable, allégorie, parabole — aurait dédaigné celte
forme de poésie qui est la plus influente de toutes dans la vie d'un peuple primitif
(p. v)... C'est, en exégèse, un véritable suicide, de supposer que la valeur permanente
du livre consiste dans le résidu des faits historiques qui est sous-jacent à la forme
poétique et Imaginative des récits » (p. viii). On reconnu les idées de Gunkel
a
(cf. RB., 1901, p. 616 ss.i. C'est au même savant que M. Skinner emprunte sa dis-
tinction des légendes ou mythes en explicatifs, qui cherchent la cause, en ethnogra-

(1)Revue pratique d'apologétique. \" sept. 1910.


(2) k la condition d'avoir de bons yeux, car les longs développements en très petit texte
sont bien fatigants pour la vue.
RECENSIONS. 139

phiques, qui parlent des clans comme de personnes distinctes, en cultuels, qui
remontent aux origines des sanctuaires, en et i/mo logiques enfin, sans parler de la poé-
sie qui embellit, qui idéalise et qui crée. Légendes ou mythes, disions-nous. L'au-

teur les distingue eu ceci, que la légende suppose un fond historique, mais l'utilité

de la distinction n'apparaît guère dans la pratique, soit parce que le mythe peut
envahir la légende, soit parce que les Hébreux, trop peu doués d'imagination pour
inventer des mythes, ont mis en œuvre ceux de leurs voisins. Toutefois M. Skinner
tient à déclarer qu'il ne reste dans la Genèse que de faibles traces des mythes, éla-
borés comme ils lont été par le sentiment religieux beaucoup plus pur du peuple
au sein duquel s'est produite la Révélation.
D'après ce qui précède, on ne s'attend pas à trouver M. Skinner très ferme sur le

caractère historique des patriarches. Il n'ignore pas que plusieurs assyriologues érai-
nents, très indépendants de toute confession religieuse, reconnaissent dans ces gran-
des figures des personnalités qui ont vécu. Et la raison qu'ils en donnent, c'est que
le cadre où les narrateurs les ont placés est bien celui du deuxième millénaire avant
Jésus-Christ, milieu historique et informations positives qu'on n'eût pu inventer au
temps des rois de Juda et d'Israël, sans tomber dans de grossiers anachronismes.
Mais M, Skinner croit pouvoir répondre que précisément ce fond du tableau histo-
rique fait défaut à la légende des patriarches, et que les monarques orientaux nom-
més au chapitre xiv ont pu être insérés dans la tradition, à une date relativement
tardive, par un Juif bien informé sur les annales de Babylone. Fidèle à son système,
il attribue plus d'importance religieuse à l'Abraham de la tradition orale qu'au
nommé Abraham, hébreu dont le chapitre xiv raconte les exploits. Soit, la voca- —
tion du père des Croyants, la promesse des bénédictions futures, l'alliance inaugurée
avec le père d'Isaac, sa foi, son obéissance, parlent plus à notre foi et à notre coeur
que la délivrance de Loth. — mais enfin, si Abraham n'a pas existé! Le savant exé-
gète sent bien que le fruit religit^ux de toute cette histoire serait bien compromis, et

considérant : qu'une personnalité de cette envergure a dû s'imprimer d'une manière


exceptionnelle dans la mémoire du peuple dont elle inaugure la conscience religieuse,
considérant de plus que l'idée morale et spirituelle de Dieu doit être venue dans le
monde par une révélation divine accordée à une personne que rien ne nous empêche
de dire avoir été Abraham, il conclut : « Quand nous lisons ces récits, nous pouvons
bien avoir confiance dans l'instinct qui nous dit qu'ici nous sommes en présence d'une
action déci^ive du Dieu vivant dans l'histoire, et d'une action dont la signKicatiou
essentielle n'a jamais été perdue dans la tradition Israélite » CP- xxvii). Le dernier
mot appartient donc au sentiment subjectif : pour constituer une histoire, c'est peu,
c'est trop peu, et le recenseur, pour sa part, n'hésiterait pas à affirmer plus ferme-
ment l'existence des patriarches, au seul point de vue de la critique historique.
La critique littéraire de M. Skinner ne se soude pas moins fidèlement à celle de
M.Guidiel. C'est lamême théorie sur l'origine des légendes, nées parmi des cercles de
conteurs, d'abord comme le temps
des récits isolés, puis réunies en cycles épiques, dès
de Samuel, pour êtr( forme d'histoire du monde aboutissant à celle
ensuite mises en
des Hébreux, dans les deux ouvrages du Jahviste et de l'Élohiste. Avec cette façon
de concevoir la croissance des œuvres littéraires, les personnalités littéraires s'atté-
nuent et même disparaissent. Créées par des groupes d'aèdes bédouins, les légendes
sont rédigées par des écoles. Aussi l'auteur ne prétend-il pas et à bon droit — —
mettre J et E dans une opposition trop crue, et si J lui paraît au total plus ancien,
il ne refuse pas de reconnaître dans E des formes plus primitives de la tradition-
Quant au Code Sacerdotal (P), « aucune opération critique n'est plus aisée ou plus
140 REVUE BIBLIQUE.

certaine que la séparation de cet ouvrage, même jusqu'à de très petits fragments
du contexte où ils sont enchâssés » (lvii). On voit que M. Skinner s'en tient au sys-
tème que Wellhausen a fait prévaloir en Allemagne. Ni les attaques des conserva-
teurs, ni celles d'un radicalisme outrancier ne lui semblent avoir ébranlé la redoute
de la critique grafienne J est issu de Juda, et E d'Israël, entre 930 et 750; le Deu-
:
-\
téronome apparaît en 621; le Code sacerdotal est promulgué par Esdras, et tout le
Pentateuque vers 432 avant Jésus-Christ, sauf quelques additions postérieures. En
tout cela rien de bien original. C'est assurément faire preuve d'un très bon esprit
que de préférer des solutions solides à des conjectures originales. Il nous semble
cependant que tout le système gagnerait à éire revu de plus près et à être modifié
dans le sens de la tradition.
Donnons encore, à titre d'information, comme tout ce qui précède, quelques
échantillons de l'exégèse de M. Skinner. La connaissance du bien et du mal, au Pa-
radis terrestre, c'est la connaissance de la vie et du monde qui distingue l'homme
fait de l'enfant. Le péché d'Adam fut un empiétement sur les droits de Dieu; les

conséquences positives et négatives en ont été transmises à ses descendants; mais


il n'est pas clair s'ils ont hérité aussi de la tendance à pécher. L'endroit du sacrifice
d'Abraham est incertain; peut-être même n'était-il pas en Terre Sainte, de sorte que
la conjecture de M. Cheyne qui lit Miisri « n'est pas dépourvue de plausibilité » ! Le
célèbre passage de la prophétie de Jacob (Gen. xlix, 10'') est entendu de la royauté
de David: c'est une prophétie après coup.
Ici M. Skinner dépasse Gunkel qui s'en tient au sens messianique; mais ce n'est
pas le moment de discuter.
A tout prendre, le commentaire de M. Skinner me paraît être, à l'heure actuelle,
le meilleur représentant de l'exégèse qu'on peut appeler libérale, et je ne connais pas,
même en Allemagne, d'ouvrage qui puisse lui être égalé. S'il marque moins que tel
autre une orientation nouvelle dans l'exégèse, il reflète mieux qu'aucun autre un état
de la science que tous ont intérêt à connaître, fût-ce pour en contester la solidité.
Jérusalem.
Fr. M.-J. Lagkange.
'Icxopta i^ç 'ExuXyjotaç 'lepoooXûiJi.u>v O-b àp/tii.. XpyToazôiJ.ou A. ïlajiaSonoûXou ,

in-8° XS, - 812; Jérusalem et Alexandrie; de la typographie d'Alexandrie, 1910.


Cette histoire de l'Église de Jérusalem est l'œuvre d'un Grec qui a tenu à cultiver
lui-même une partie de ce vaste domaine de l'histoire byzantine envahi depuis long-
temps par les savants occidentaux. Sa documentation est abondante les textes hié- :

rosolymitains publiés par P. Kerameus, l'ouvrage de Miednikow sur la Palestine


depuis la conquête arabe jusqu'aux Croisades, la question des Lieux saints de Verdy
du Vernois, VOriens Chrislianus de Lequien, les Patriarches de Jérusalem de Do-
sithée (1707), sans compter les récits des pèlerins, ont été les principales sources de
cette histoire qui laisse bien en arrière la Ilierosoli/mias de Palama (1862). Tous ces
matériaux sont fondus dans un creuset unique, un attachement passionne à l'église

de Jérusalem, veux dire à la communauté hellène du Saint-Sépulcre et à son chef


je
naturel, le patriarche orthodoxe. L'œuvre de l'archimandrite Chrysostome Papado-
poulos est surtout intéressante comne manifestation authentique de l'état d'esprit
du clergé patriarcal de Jérusalem en face des questions brûlantes du jour : reven-
dications des orthodoxes arabes, situation de l'église hiérosolymitaine par rapport
aux autres églises, Lieux saints, etc. Pour qui sait lire entre les lignes, l'ouvrage appa-
raîtra clairement comme un plaidoyer pro doino, un plaidoyer écrit avec d'autant
plus de chaleur que l'auteur est un martyr de la cause qu'il défend. On sait que sa
RECENSIONS. 141

vive opposition aux concessions projetées en faveur des fidèles orthodoxes parlant
arabe (les arabophones) lui a valu un exil qui dure encore.
Certes, nous ne contesterons jamais la grandeur de Téglise de Jérusalem et nous
comprenons très bien ralTectioii profonde de l'auteur pour cet antique foyer de
lumière et de sainteté, pour cette vénérable Sion jadis si brillante et depuis long-
temps si éprouvée. L'historien, cependant, doit se garder de tout ce qui peut gêner
son intuition et entraver son jugement. Faire de Jacques, frère du Seigneur, le di-
recteur de toute la vie de l'Église aux temps apostoliques est une prétention qui
manque de justesse. Tout le monde sait que s'il avait eu en mains la direction de
l'évangile, l'Église aurait eu du mal à se débarrasser du joug de la Loi et que c'a été
grâce à l'émancipation de Pierre et de Paul vis-à-vis de la communauté de Jérusalem
que l'Église a pu devenir véritablement catholique, c'est-à-dire universelle. Je ne
sais pas où l'auteur a vu que Jules Africain était originaire de Jérusalem (p. 61).
Suidas le fait naître en Libye, c'est tout ce qu'on possède là-dessus. Par contre le
voyage de Méliton en Palestine pour s'informer du canon biblique eût dû être noté
comme une preuve de l'autorité qu'on reconnaissait à Jérusalem dans le dépôt de
certaines traditions. Le témoignage peu honorable que Grégoire de Nysse a laissé sur
la vie morale de la ville sainte (1), vers 380, rabaisse nécessairement l'idéal que

voudrait à tout prix faire briller l'archimandrite P. Aussi est-il mis sur le compte
d'un moment de mauvaise humeur (p. Il6j. Cependant, les querelles raonophysites
et origénistes, certaines paroles d'Antiochos Stratégios et de Sophrone, sans parler
de rixes plus récentes, montrent suffisamment que la violence s'est maintenue comme
une tradition à Jérusalem.
Le grand homme, assurément, est celui qui a réussi à obtenir la dignité patriarcale,
le théophore Juvénal qui s'est toujours parfaitement conduit. S'il y a eu des troubles
à Éphèse, en 431, la faute en esta Candidien, le représentant de l'empereur (p. 161).
Le comte voulait qu'on attendit le patriarche d'Antioche et les évêques orientaux
pour se mettre en séance. Voilà le désordre. Car de quel poids étaient Antioche et
toute la Syrie à côté de la grande Jérusalem? Voir encore à la page 167 la sincérité
de Juvénal vengée des attaques de l'histoire (2).
Supérieure en dignité et en vertu, l'église hiérosolymitaine a été et doit demeurer
grecque. Tel est le Des l'époque de la diffusion du christia-
second point de la thèse.

nisme en Palestine, ainsi que l'auteur le fait remarquer avec soin, dans les villes et <.<.

dans les centres principaux, en deçà et au delà du Jourdain on parlait exclusivement


le grec; ici et là, dans la campagne, l'araméen » (p. 80). On se rendra compte de ce

que cette alfirmation a d'exagéré, si l'on veut bien se reporter à mon étude sur la Vie de
saint Porphyre dans les Conp't^ences de Saint-Étiennc, pp. 275-283. Après la conquête
arabe, l'archimandrite Chrysostome suit avec inquiétude les diverses phases de l'a-

rabisation forcée du peuple de Jérusalem, car pour lui tout ce monde-là descend des
vieux Grecs implantés en Palestine par Alexandre. Sous le calife al-Mansour (754-775),
l'enseignement du grec est prohibé; les chrétiens se voient obligés de traduire en
arabe les livres ecclésiastiques (p. 300). Sous Hakera, en 1012, les villes et les bourgs
sont arabisés de langue et de religion par le fer et par le feu (p. 360). A l'époque du
royaume franc, dans les fonctions communes des Grecs et des Latins, on lisait l'é-

(Ij PC, 46, 101-2 : ' Il nesl pas un genre d'immoralité qui ne s'y commette : la méchanceté, les
adultères, les vols. l'idoLitrie, le poison, les basses jalousies, les meurtres, le malenOn s'y trouve
ancré de telle sorte que nulle part on n'est plus porté à assa.«siner que dans ces régions, on les
gens de même race se ruent dans le sang comme des bétes fauves pour un gain insignIGant ».
(2) Voir DiiCHESNF.. Hist. ancienne de l'Église, IH. chap. x-xn, où les choses sont mises au point.
j42 REVUE BIBLIQUE.

vangile d'abord en latin, puis en grec , cela prouve que les arabophones compre-
naient le grec qui était pour eux l'unique langue liturgique (p. 388). Les revendica-
tions actuelles d'une liturgie en langue vulgaire ne sont aucunement fondées. Que les

pétitionnaires songent qu'ils descendent des anciens Hellènes «qui sous Alexandre et
les Diadoques ont fondé les brillantes villes helléniques de la Cis- et de la Transjor-
dane »; qu'ils lisent les pages 452 et ss., ils reconnaîtront leur erreur. Bref, toute
cette question de la langue liturgique, agitée dans l'église orthodoxe, est traitée à la

lumière des conclusions de P. Carolidès qui fait descendre les arabes chrétiens, mel-
chites et autres, de Grecs qui ont oublié leur langue et soutient que le Christ, bien
que sachant l'araméen, préférait le grec dans sa conversation (1).
Si le troupeau des fidèles doit sa lointaine origine à l'Hellade, a fortiori les pas-
teurs. Les quinze évêques venus du judaïsme ont résidé à Pella; aucun d'eux ne s'est
assis sur le trône de Jérusalem, la communauté n'étant revenue de l'exil qu'après la
fondation d'Aelia (p. 50). Et cette communauté, débarrassée de tout élément juif,
n'était plus que d'Hellènes, ayant à sa tête un Hellène, Marcos. C'est
composée alors
ainsi que la du siège épiscopal de la ville sainte, qui aurait pu, quoique
sémitisation
momentanée, créer un précédent, est écartée par une simple chiquenaude. Malheureu-
sement, il reste plus d'un texte résistant au choc, entre autres Eusèbe, Hist. eccL, IV, 5 ;

Dém. évang.. HL 5; Théophanie, IV, 24: et puis la persécution de Bar-Kokeba


suppose le retour de la communauté judéo-chrétienne à Jérusalem avant la guerre
d'Adrien. Si. par hasard, vous aviez la naïveté de mettre en avant l'origine arabe du
patriarche Elle (494-518) (2), vous vous attireriez cette réponse : « Élie I, originaire
d'Arabie, où florissaieut des villes helléniques et le christianisme ». Dans la Nea S/o/i,

1910, p. 453. nous lisons : « Élie était d'Egypte; il fonda, le premier, la vénérable
communauté hagiotaphite j). Pour M. Papadopoulos, cette date est trop basse; à son
avis, la confrérie du saint Sépulcre a été fondée avec les sanctuaires, en 326. Son ori-

gine est la légion des siwadœi et des monazontes (pp. 96 s.). L'auteur ne peut nier
qu'au xv^ siècle des arabophones parvinrent au trône de Jérusalem, des laqoub,
des Ibrahim : oui, mais, les pauvres ils étaient réduits à gagner leur vie par le tra-
!

vail des mains et sous leur régime les monastères et les églises croulaient, les pèlerins
se faisaient rares, les sanctuaires étaient envahis par les étrangers (pp. 446 ss). Qui
plus est, ces prélats avaient des relations avec les occidentaux : l'un d'eux reçut des se-
cours du duc de Bourgogne, Philippe le Bon, pour la restauration des Lieux saints.
La troisième note, en effet, de l'église de Jérusalem, est d'être anti-latine, soit
pour des raisons de doctrine, soit, surtout, à cause du partage des sanctuaires. De-
puis le paragraphe intitulé ay.oç Owtio; za'i f, £/./.Xr,aîa 'IccoïoXûawv, nous savons
pleinement à qui nous avons affaire. Toutes les tentatives de rapprochement entre
l'Orient et l'Occident chrétiens, mises sur le tapis dans le cours des siècles, sont vio-
lemment stigmatisées. Quant aux aménités de langage, il serait facile den faire un
abondant florilège. A propos de l'interdit jeté sur le saint Sépulcre, lors du voyage
de Frédéric II : « la fanfaronnade papique alla jusqu'à l'excommunication du saint
tombeau » (p. 416). Une autre réflexion que tout homme intelligent voudrait ne pas
avoir faite : Le patriarche Sophrone IV assista au synode qui repoussa « le calen-
drier grégorien par lequel l'égUse latine cherchait à circonvenir les orthodoxes »

(1) Cf. Revue d'hist. eccl., 1910. p. G60. L'antisémitisme des Hellènes est à ce point que les étu-
diants en théologie d'Athènes ont présenté au recteur de l'université un mémoire contre l'ensei-
gnement de l'hébreu ils demandent la suppression delà cliaire d'hébreu comme sans utilité et
:

l'institution d'une chaire d'exégèse d'après le texte des Septante (IUlmieri, ibid.),
(2) Cf. Confér. de Saint-É tienne, pp. 288 ss. Saint Élie, par le R. P. Génier.
RECENSIONS. 143

('p. 4S2i. Libre à eux d'adopter même Tannée lunaire. l'inconvénient ne sera pas
pour nous. Les Croisades, en particulier, out le don de remuer la bile de l'auteur. Le
sujet, comme le lecteur sera à même d'en juger, ne mérite pas de documentation;
il sulûra de donner libre cours à la haine. La guerre sainte est une lèpre (p. 418);
les Croisés en partant laissaient derrière eux des ruines p. 422). C'est tout le ré-
sultat de l'expédition. Je ne relèverai pas les réûexions de l'archimandrite sur les
constructions des Croisés qui. à ses yeux, se réduisent à rien; elles dénotent une ab-
sence complète des notions d'art les plus élémentdires. Le cri de joie poussé à la
mort de Nicolas de Hanapes, mort qu'il voudrait rendre ignominieuse, écœurera
certainement celui qui sait dans quelles circonstances tragiques l'héroïque patriarche
finit sa noble carrière (p. 417,. Quoi que l'auteur en ait dit, les Grecs du moyen âge

savaient estimer le gouvernement latin qui leur faisait oublier toutes les tracasseries et

les atrocités des dernierscalifes. Du seul tableau des cérémonies du saint Sépulcreet de
la prospérité des monastères grecs au xii<= siècle trace, pp. 389 et suivantes, il ressort
avec quel tact et quelle tolérance s'exerçait l'autorité franque. L'auteur se refuse à
le reconnaître, mais il n'a pu détruire les documents. La même remarque s'impose à
propos de longue querelle des Lieux saints qui remplit à peu près la moitié de sou
la
livre. Les acteurs qu'il met en scène sont, en réalité, bien moins méchants qu'il ne

les représente. Les pèlerins occidentaux sont accueillis avec empressement dans les

monastères grecs, au xv- siècle: le P. Nau a une longue conversation avec l'higou-
mène de Saint-Sabas. Jusqu'au xix.' siècle, le clergé orthodoxe a respecté les tom-
beaux glorieux de Godefroy de Bouillon et de Baudouin et les restes de l'église de
Sainte-Marie la Petite.
La lente et inévitable pénétration de l'Orient par l'Occident, conséquence néces-
saire de la vitalité des peuples que celui-ci renferme, qui ne est une loi d'histoire

peut irriter qu'un esprit aux vues bornées. Les Croisades furent un épisode de cette
pénétration: elles ne réussirent pas, parce qu'elles se heurtèrent à des forces supé-
rieures et bien organisées. Si elles avaient eu une issue heureuse durable, la Pdles-
tine ne serait pas la terre pelée et désolée, sans industrie, sans voie de communica-
tion que On
y verrait fleurir la vie économique et sociale des nations
l'on connaît.
cultivées et aussi ce succédané de l'esprit chevaleresque qui s'appelle la courtoisie.
Toutefois la pénétration occidentale ne s'est point arrêtée à la prise de Saint-Jean
d'Acre. Elle s'est poursuivie sous d'autres formes, celles des traités par lesquels le
modus Vivendi des indigènes et des étrangers était réglé. De là, les démarches des
ambassadeurs de France à Constantinople. au xvi*^ siècle et aux siècles suivants,
des de la Vigne, de Brèves, de Césy, de Nointel, etc.. que l'historien parcourt pas à
pas, et à qui les latins doivent de pouvoir vaquer à leur aise aux exercices de dévo-
tion dans les Lieux saints. Je ne suivrai pas l'auteur dans ce dédale diplomatique, ni
dans les manœuvres attribuées à chaque confession, où l'on voit se succéder les gros
mots de faux, d'accaparement, de mensonge, de vol. de vénalité, etc. C'est aux inté-
ressés, qui doivent être outillés pour cela, à y répondre (t .

Pour nous, notre tâche sera de relever encore quelques erreurs historiques aper-
çues çàetlà. —
P.J3. L'un des chrétiens martyrisés à Ascalon s'appelle -z-yxoz et non

Outre les Latins, les Arméaiens, les Copies, les Géorgiens, les Abyssins, tous on* leur paquet.
(1
Ily a des pages qui sont un vrai jeu de massacre. Après les Francis.ains, les Jésuites sont mis
à mal. En 1583, trois Jésuites « fléaux, du public mouraient de la peste • (p. 49.ï\ C'est uu pré-
ambule au récit de la tentative des Pères de la Compagnie de supplanter les Pères Franciscains
dans la garde des sanctuaires. L'auteur cite à ce propos une phrase italienne sans qu'on voie
clairement d'où il l'a tirée.
144 REVUE BIBLIQUE.

rfpooo;. La première lecture appuyée par tous les rass. du De Martyribus Palœstinss
est confirmée par une inscription trouvée à Bersabée [RB., 1906, p. 86). — P. 91.
L'église des Apôtres ou du Cénacle a été construite après la mort de Constantin et
non du vivant et grâce au concours de sainte Hélène.
P. 91. Comment se fait-il quuu historien quia lu Éthérie place l'Éléona au pied du
mont des Oliviers Et pourquoi situer près du chêne de Mambré les tombeaux des
î*

patriarches? — P. 130. L'édition de la Vie de saint Porphyre publiée par la société


de Bonn ne donne pas le codex de Jérusalem, mdhleBaroccianus. P. 149. Lazare —
du Concile de Lydda était évêque d'Aix-en-Provence et non d'Aix-la-Chapelle. —
P. 163. Où l'auteur a-t-il vu que Juvénal a bâti une église dans le Cédron sur le lieu
de la lapidation de saint Etienne? Affirmation aussi gratuite que celle de la note af-

férente : l'archimandrite Euthymios a récemment acheté cet emplacement. Nous de-


mandons le relevé des ruines et quelques restes autres que l'inscription de Bersabée
[RB., 1907,
p. 607\ —
P. •225. Sainte-Marie Nouvelle de Justinien « près du lieu
du vieux temple de Saloraon » -apà tov to-ov-oO àp/atou vxou tou IIoXo!j.ôivTo; », à com-
parer avec p "275 « Alors (sous 'Abd-el-Malik) fut édifiée pour la première fois ou
:

fut remise à neuf la coupole supérieure de la Sakhra, au-dessus du rocher du Ha-


ram-esch-Scherif. qui est l'ancien temple élevé par Justinien à la Théotokos ou le

saint des saints » o-zo atvcô -aXa'.b; îo-j3T.viâvs!oçXab;Tf;6îOT6/.ojîq -à "Âi'ia xôjv 'Aylio'K
A travers cette topographie embrouillée et contradictoire on arrive à découvrir la
pensée de l'auteur. La 7iéa de Justinien est soit à el-Aksa, soit à la mosquée d'Omar
L'une et l'autre de ces deux localisations sont insoutenables. Si les Byzantins ont
pratiqué l'archéologie de cette manière, quelle confiance pourrons nous avoir dans
leurs localisations? Lauteur n'a donc pas le droit de s'ebaudir des sanctuaires des
Croisés, institués xx-rà oavTXîtav. — P. 396. Les Croisés n'ont presque rien fait au
saint Sépulcre: c'est à peine si, en 1130. ils ont réuni les divers sanctuaires sous un
même toit. En 1Russe Daniel n'indique aucun changement. Or, ouvrons le
106, le

récit de l'higoumène au chap. x La sainte grotte est « surmontée d'une belle tou-
:

relle [reposant] sur des piliers et se terminant par une coupole, recouverte d'écaillés
en argent doré et qui porte sur son sommet la figure du Christ en argent, d'une
taille au-dessus de l'ordinaire; cela a été fait par les Fbancs ». P. 406. —
Sainte-Anne et Sainte-Madeleine sont des églises grecques. Voir de Vogué, Les églises
de Terre Sainte, chap. 4 et 7. —
P. 472. Depuis 1450 jusqu'au début du xvi* siècle
le monastère de Saint-Sabas est demeuré désert. Je renvoie l'auteur à Fabri qui, bien

que çavaT'.xbç Aai^vo? (Nea Sion, 1910, p. 147) (1), a visité Saint-Sahas en 1484. Dans
son Eififfatoriuru, H, 152, il signale habitacula monachorum, adhuc ibi degentium.
numéro sex, et 141 et ingressi monasterium a Cologeris monachis graecis reveren-
:

tialiter suscepti fuimus. —


P. 549. Une source omise par lauteur sur le voyage de
l'ambassadeur de Nointel, 1674, est le voyage du P. Nau qui faisait partie de la suite.
Peut-être cette lecture aurait inspiré à l'archimandrite des sentiments moins violents i2).
Ainsi, l'historien de l'église de Jérusalem s'est peu soucié de racheter le parti pris,
qui gâte son ouvrage, par le soin d'être exact sur les points de fait.

F.-M. Abel.

(Il Uoe amabilité en l'honneur du centenaire du Saint-Sépulcre.


(2) Une phrase du Voyage nouveau, p. 212, eût pourtant bien fait plaisir à l'auteur : « Car si les
Grecs ne font 5 présent aucune prière en arabe dans cette église (S. -Sépulcre), ils en faisaient
bien moins alors (au temps d'Omar).

BULLETIN

Questions générales. —
Le Compendium d'iatroductioa biblique du R. P. Cor-
nely jouit d'une réputation méritée. Cinq éditions étant épuisées à la mort du véné-

rable auteur, le R. P. Martin Hagen, auteur du Lexicon biblicum, a été chargé d'éditer
la sixième (1). Il a indiqué les points principaux sur lesquels s'est portée son activité.
Signalons deux changements heureux dans le sens de la critique. Le R. P. Hagen ne

voit aucune raison de conserver l'opinion du R. P. Cornely que l'auteur de la Sagesse


s'est servi d'ouvrages de Salomon aujourd'hui perdus. Comme cette opinion figure
encore dans commentaire posthume de la Sagesse (2), on aurait été bien étonné de
le

trouver ces deux manières de voir si opposées s'autoriser du même nom, si le R. P.


Hagen n'avait eu la charité de nous prévenir. De plus, les origines du Nouveau Tes-
tament de l'Église syrienne, surtout en ce qui concerne les évangiles, sont indiquées,
quoique avec réserve, dans l'ordre admis par tous les critiques: Cureton et Sinaïtique
avant la Pechittâ, où l'auteur incline à voir avec M. Rurkitt l'œuvre probable de Rab-
bula, évêque d'Édesse, et qui daterait par conséquent du v<^ siècle (p. 101). On est
cependant un peu étonné qu'ayant mis au point les indications bibliographiques, il
n'ait pas signalé les éditions si importantes des évangiles séparés de M. Rurkitt, et

des évangiles d'après la Pechittâ de M. Gwilliam.


Sans doute pourrait-on encore signaler d'autres heureuses innovations, dont il fau-
drait féliciter le R. P. Hagen; mais nous avons le devoir de noter, même dans les
paragraphes ou moins nouveaux, d'étranges méprises. Où se trou-
qu'il déclare plus

vent les sept cents inscriptions minéennes à partir du xx^ siècle avant J.-C,
qu'Euting aurait relevées entre Pétra et Médine (p. 199)? Le Pv. P. Hagen a indiqué
assez correctement la division des sources de la Genèse d'après les critiques, mais
lorsque 209) il prétend attaquer les différences de style que ces critiques ont
(p.
signalées, ne connaît plus que le jahviste et un seul élohiste, auquel il attribue les
il

caractéristiques du code sacerdotal. Tout en est brouillé, et je ne sache pas non plus
qu'un seul critique ait attribué au jahviste Gen. 48,4 et Num. 32, 5. Parler d'autres
points serait engager une série de controverses qui ne sauraient trouver place ici.
Disons encore à l'éloge du R. P. Hagen qu'il a laissé de côté la distinction du car-
dinal Franzelin entre le formel et le matériel de l'Écriture à propos de l'Inspiration.
11 s'est évidemment préoccupé de faire sa part à l'écrivain sacré, même en ce qui
regarde les pensées, et il a distingué assez soigneusement la révélation et l'inspiration.
Ce qui suit mérite assurément d'être noté
« ubi vero de rébus agebatur, quas scriptor
:

aut ex praecedente quadam


revelatione vel ex propria experientia cognitas habuit aut
propria industria et inquisitione cognoscere potuit, sufflciebat, ut Deus illas suprana-

(1) Hisloricae et crilicae Introduction is ia U. T. Libres sacros Compendium S. Tlieolo'^iae audi-


toribus accommodatum, auctore Rudolplio Coi'.xely S. I. Editionem sextam recognovit at com-
plevit Marlinus Hagen, S. I., in-8" de sv-"l-2 pp. Paris, Letliielleux, 1909.
(2) Voir plus bas.

REVUE BIBLIQUE 1911. — N. S., T. VUI. 10


146 REVUE BIBLIQUE.

turali operatione menti raeraoriaeque scriptoris veliit sciibendas obiiceret (cela est
encore du système Franzelin, mais l'auteur ajoute, et c'est nous qui soulignons) aut
eumni illas quaerendas inveniendasque gratia sua impelleret adiuvaretque » (p. 669).
Cette dernière incise, qui contient encore dans la pensée de l'auteur une notion sufC-
sante de l'inspiration, répond assez bien à ce qu'on a soutenu dans la Revue sur ce

sujet depuis 1896, on le constate avec plaisir. Ce point admis, le R. P. Hagen écrit
comme rédigerait un thomiste « Porro a Deo, ut alicuius libri auctor iure vocetur,
:

motionem humanae voluntatis ad eum scribendum debere procedere, scriptorem vero


divina et efficaci illa motione non magis libertate sua privari, quam homo quicumque
sub influxu gratiae agens libertate privatur, vix opus est monere » (p. 670), et cela
est encore très bien mais alors on ne comprend pas pourquoi il revient en d'autres
;

termes à la distinction des éléments formels et des éléments matériels, ni pourquoi


il semble restreindre la liberté de l'écrivain inspiré, si ce n'est dans les détails de la

composition « Summo enim eum iure Deus auctor librorum sacrorum vocari potest,
:

etiamsi sacro scriptori in vocibus pbrasibusque eligendis... certam libertatem (une


certaine liberté) concesserit. Suis tamen limitibus hanc libertatem circumscribi evi-
dens est... » (p. 670). Assurément tout cela n'est pas très cohérent, mais c'est beau-
coup d'être sur la bonne voie.

S. G. Mp"" Messmer, archevêque de Milwaukee, a donné au public américain catho-


lique une esquisse de ce qu'on doit savoir sur la Bible (1). L'ouvrage suit d'assez près
la Bibelkunde de Briill. Il comprend l'introduction générale et spéciale, la géographie
biblique et l'archéologie. D'après le Révérendissime auteur, « l'inspiration ne dé-
pouille pas l'écrivain sacré de son style, ni de sa langue, ni de son individualité men-
tale. Elle le conduit simplement à s'exprimer de façon que ce qu'il écrit rende le sens
entendu par Dieu. De sorte qu'elle permet aux écrivains sacrés de s'exprimer sur des
sujets de science naturelle et profane selon la connaissance et les vues populaires de
leur temps. De tels énoncés, par conséquent, doivent être lus et compris dans le sens
où ils ont été écrits » (p. 9 s.). Comme évêque l'auteur est douloureusement préoc-
cupé du grand problème pratique qui se pose aux catholiques. D'une part « la con-
troverse biblique n'est point un aliment sain pour les fldeles en général », d'autre
part il faut que le clergé soit à même de répondre aux objections telles qu'elles sont
posées. En écrivant son livre, Ms'" Messmer donne satisfaction à ceux qui désirent sa-
voir de la Bible ce qu'un fidèle instruit et cultivé doit en savoir. Pour une connais-
sance plus approfondie il renvoie aux ouvrages de MM. Breen (!), Gigot, Heuser,
Barry, etc.

Nouveau Testament. —
Il appartenait à Mrs. Lewis de donner l'édition défi-

nitivedu manuscrit syriaque du Sinai qui contient la plus ancienne version syrienne
des évangiles distincts (2). Il eût même été beaucoup plus juste de nommer ce ms.
« Lewis » que de désigner son confrère par le nom de Cureton. C'est le ms. de Cureton

que M. Burkitt a édité dans son admirable édition; sauf pour les endroits où Cureton
manque, —
et c'est en particulier le cas de tout le second évangile, M. Burkitt a —
(1) Outlines of Bible Knowledge, edited by Ihe most Kev. S. G. .Messmf.u, D. D., D. C. L., aichbishop
of Milwaukee, with 70 illustrations and four maps, in-8° de xi-298 pp. Fri jourg en-Brisgau, Herder,
dOlO.
(i) The old syriac Gospels or evangelion da-mepharreshê; being the test of tlie Sinai or Syro-
Antiochene palimpsest, including the latest additions and emendations, with the variants of the
curetonian text, corroboralions from many others mss., and a list of quotations from ancient
aulhors, edited by Agnes Smith Lewis,... with four facsimiles, in-'»" de lxxviii-334 pp. London.
Williams and Norgate, MCMX.
BULLETIN. 147

mis Cureton dans le texte, les variantes du ras. du Sinaï étant rejetées dans les notes.

Très naturellement, Mrs. Lewis a renversé cet ordre. Elle avait d'ailleurs un autre
motif de publier le ms. syrsin., c'est qu'un sixième voyage au Sinaï en I90fj lui a
permis de vérifier certaines leçons douteuses, si bien qu'elle estime offrir environ
trois cents corrections de l'œuvre de M. Burkitt. Mrs. Lewis opine toujours que
l'ancienne version syriaque est antérieure au Diatessaron de Tatien. De plus elle a
fait la preuve que le ras. trouvé au Sinaï n'en est pas originaire, mais qu'il vient de
la région d'Antioche, lieu d'oriizine probable de la version elle-même. Par un scru-
pule qui n'est pas sans quelque coquetterie. Mrs. Lewis reproduit fidèlement la dis-

position du ms. par pages et par lignes, pour faciliter la besogne à ceux qui seront
tentés de reviser son travail. Au bas des pages du texte syriaque, des notes indiquent
soit les variantes du Cod. Cureton, soit les similia in aliis codicibus. La traduction a
déjà été publiée par Mrs. Lewis : la nouvelle publication donne en appendice les
modifications exigées par les nouvelles lectures. D'autres appendices plus considérables
contiennent : 1 la liste des addenda et corrigenda par rapport à l'édition de M. Bur-
kitt; '2' la liste des citations des Pères syriens qui se rapprochent plus de l'ancienne
traduction que de la Pechittd :
5'' la liste des omissions du texte, qui constituent,
d'après l'éditrice, une preuve de son caractère primitif. Ajoutez à cela des notes où
certains passages remarquables sont discutés,une bibliographie très complète du
sujet et une introduction,
vous comprendrez quel labeur énorme suppose un ou-
et

vrage dont rimpression n'a pas duré moins de six ans. Le manuscrit du Sinaï doit
beaucoup à Mrs. Lewis; mais elle lui devra de vivre dans le souvenir reconnaissant
de ceux qui sauront se servir de cet incomparable trésor.

Un
prêtre de la Mission a eu l'heureuse idée de doter les étudiants d'un texte gréco-
latindu Nouveau Testament. Déjà ont paru les Évangiles et les Actes des Apôtres (1).
Le texte latin était tout indiqué ce ne peut être que celui de la Vulgate Clémentine.
:

Encore est-il que l'auteur cite en notes quelques passages très peu nombreux, per-
pauca, comme n'ayant pas été écrits par s. Jérôme. Quant au texte grec, on s'est

décidé à suivre le Codex Vaticanus, naturellement nettoyé de ses erreurs évidentes.


C'est une conception qui peut se soutenir rien de plus utile que de connaître tel :

quel le texted'un Codex de cette valeur. Mais dans l'exécution il arrive ordinairement
qu'on perd courage, et qu'on n'ose préférer toujours le même manuscrit. Alors puis-
qu'on rentre dans l'éclectisme, il ne faudrait sacrifier le VatkanuH en cas de conflit
qu'a des autorités supérieures. L'auteur a tranché la question plus simplement. Il a
une si haute idée de la Vulgate qu'il lui immole son Codex favori : quotiescumqne ece-
nit utcodex B cum Vulgata per modiim discrepantiae aut omisslonis non congruerit,
alium quidem codicem latinae versioni magis similem aggregavirmis (p. vu). C'est là
un principe fâcheux auquel heureusement l'auteur n'est pas demeuré toujours fidèle.
Dans s. Marc, par exemple, il a eu le courage de renoncer a la piquante leçon r^-oçn:
'6.20) pour complaire à la Vulgate, mais il a conservé -jyar, (7. 3), pavT'.-ojvTa; (7, 4),
3-'.6aXa)v (14, 72), excellentes leçons qu'il eût fallu remplacer par -j/cva, Sa—iawvTai,
r.p^aTo, si le texte grec avait été conformé à la Vulgate selon la rigueur des prin-
cipes (2). Même inconséquence quand l'auteur adopte (8, 26) une leçon mixte qui ne
répond pas à la Vulgate, ou quand l'omission n'est pas au même endroit (9, 37 o-:
Q-jy. r,/.oXoj9£'. r,'j.'.'i n'est pas représenté dans la Va., et le grec oraeto; oj/. a/.oÀojÔEir-.a-.v

fl; Sancta lesu Christi evangelia et Actus apostolorurn, Grâece et latine, in-18 de viii-3H (double).
Paris, Gabalda, 1910.
(2, De même M'. 8, 28 twv ra5apr,vuv est maintenu en dépit de Geyasenorum.
148 REVUE BIBLIQUE.

qui y figure), ou quand le texte de B est conservé quoiqu'il soit omis dans la Vgf. (1,
34 ypioTov £tvai, 11,1 Brfi'^oi-(r^) Il est d'ailleurs juste de dire que les leçons de B qui
.

ne sont pas conservées sont indiquées en note, et qu'on indique aussi la provenance
des pièces dont il est gratiflé d). A tout prendre, ce que nous critiquons ici, c'est

moins la pratique de l'auteur que la façon trop absolue dont il a énoncé sa méthode.
La Nous n'avions rien jusqu'à présent, parmi les
correction du texte est soignée.
ouvrages catholiques, qui bon et aussi bon marché (2). L'auteur et
fût à la fois aussi

l'éditeur ont dû faire des sacriQces pour rendre service aux séminaristes. Nous ne
pouvons donc que souhaiter le prompt achèvement de tout le Nouveau Testament.

M. Vogels a entendu démontrer que le Codex cantabrigiensis ou Codex Bezae des


évangiles (D) a été fortement influencé par une harmonie des évangiles, soit le Dia-
tessaron de Tatien (3). Dans ce but il montre d'abord que le texte a très fiuement
éliminé, par de menus changements, les divergences entre les évangélistes. Mais ce
fait prouve seulement les tendances harmonistiques de l'ancêtre du Codex. Ce qui est
plus significatif, c'est que les passages de transition ont été harmonisés. Or, remarque
M. Vogels, la mémoire retient facilement les paroles prononcées, même les termes
des récits; ce qui s'y accroche le moins, ce sont les petites phrases rédactionnelles
qui ne frappent pas l'imagination. Si donc le ms. D les a assimilées dans Mt., dans
Me, dans Le, ce que son copiste était induit en erreur par sa mémoire,
n'est pas
c'est qu'il suivait un ouvrage écrit, à tendances harmonisantes, ou plutôt une harmo-

nie. Même conclusion lorsque D attribue, par exemple, à Mt. et à Me. un texte fort
semblable, et qui paraît influencé par Le. Il ne restait plus à M. Vogels qu'à dresser
la liste des leçons harmonisantes du Codex Bezae. On se demandera sans doute quel
estson point de comparaison, c'est-à-dire le texte reconnu comme pur de leçons
harmonisantes? Pour être plus sûr de ne point en augmenter le nombre dans D,
M. Vogels ne rejette du texte censé pur que les variantes rejetées à la fois par Ti-
schendorf, Westcott-Hort et B. Weiss. Il est donc en droit de regarder le total de

1278 leçons harmonisantes dans D comme un minimum, puisqu'il a pu arriver à l'un


des trois critiques d'en laisser pénétrer quelqu'une dans son texte. On voit que
M. Vogels est parvenu par ses recherches particulières au même résultat que M. vou
Soden. C'est le Diatessaron de Tatieu qui a causé le trouble des anciennes versions
latines, du Codex Bezae, et, à un degré moindre, de l'ancienne version syriaque.
Chemin faisant, l'auteur se rallie à l'origine grecque du Diatessaron et même à l'exis-
tence d'un Diatessaron latin. Sa démonstration eût été plus solide s'il avait tenté
de rapprocher ses résultats de ce que nous savons du Diatessaron par l'édition arabe
du cardinal Ciasca. Pour le cas de Me. 1, 7, le rapprochement est tout à fait sugges-

tif; il n'en est pas de même


de Me. 6, 47 dont le texte a été presque substitué dans
D au texte original dans Mt. 14, 24, tandis que le Diatessaron arabe a suivi Mt. 14,
24; et on pourrait faire la même remarque sur beaucoup d'autres cas. On voudrait
aussi pénétrer plus clairement dans l'état d'esprit du vieux copiste. Il savait bien que
le Diatessaron était composé des quatre évangiles, et son intention était d'écrire les

quatre évangiles séparément. Un diatessaron, éliminant par la force des choses de


nombreux éléments, ne pouvait suffire à faire une pleine harmonie entre les évangiles

(1) Pas toujours cependant; par exemple Me. i, IG, a[j.jtê),r|CTpov est ajouté à B sans avertisse-
ment.
(2) Le N. T. tout entier, io-lS de 1100 à 1200 pages, broclié, pris net 1 fr. 80 (pour paraître en
avriM9H).
(3; Die Hannonistik im Evangelientext des Codex Cantabrigiensis, Ein Beitrag zur neutesta-
mentlichen Textkritik, von Dr. Theol. Heinricli Joseph Vogels, Religions und Oberlehrer, in-8" de
iv-119 pp. Leipzig, Hinrichs, 1910.
BULLETIN. 149

séparés. Xe pourrait-on pas supposer que le copiste ou le recenseur a été beau- — —


coup plus qu'un simple metteur en œuvre d'une harmonie existante, et qu'il a entendu
créer l'harmonie sans sacrifier la distinction? Ce serait une tentative moins brutale
que celle de Tatien, une harmonie plus subtile, ménageant beaucoup plus le texte des
évangélistes, et se proposant seulement de les unifier davantage. Cette hypothèse
expliquerait des cas comme celui que nous venons de citer, où .Me. sert de base à D
contrairement au Diatessaron arabe. L'esprit de Tatien, plus que son œuvre elle-
même, un esprit très mitigé, serait à l'origine des harmonisations qui ont mis dans
un tel désaccord les manuscrits des évangiles. La principale objection opposée à
M. von Soden, c'est que Tatien n'a pu avoir tant d'influence en Occident. Et cette
objection paraît insurmontable, si l'on entend que les harmonisations de D et de l'an-

cienne latine remontent à l'original même de Tatieu, d'autant que l'ancienne syrienne
en beaucoup moins entachée. Tatien ayant plus d'influence en Occident qu'en
est
S\Tie, c'estune hypothèse assez étrange. Et il faut aussi tenir compte des manières
si divergentes d'harmoniser que l'on rencontre dans les textes occidentaux et s\Tia-

ques. Tout s'expliquerait mieux si on avait procédé dans plusieurs centres à un tra-
vail guidé par la même idée.

En annonçant, dans cette Rn'xe. VÉglhe naissante et le catholicisme de M?'' Batiffol.


nous exprimions le regret [RB., 1909, p. 128) que cet ouvrage, exécuté de main d'ou-
vrier, n'ait pas son point de départ dans l'Évangile. C'est fait aujourd'hui par la pu-
blication d^Orpheus et rÉvangile, dont le titre, emprunté aux circonstances, ne rend
pas très bien le caractère positif. M'"" Gibier, évêque de Versailles, voyant certains
catholiques émus des attaques de M. Salomon Reinach, a prié M?" Batiffol de leur

parler des origines chrétiennes. Les conférences ont porté sur Flavius Josephe, les
Rabbins et les Romains, le Canon catholique. Saint Paul, les Actes des Apôtres, les
Évangiles, l'authenticité des discours de Jésus, l'historicité des récits évangeliques. 11

n'est guère question de VOrpheus dans le texte qu'à la dernière conférence.


Tous nos lecteurs auront lu ces pages, et ce n'est plus le moment de leur dire ce
qu'ils savent si bien, comment M^^" Batiffol a le don d'unir les clairvoyances du cri-
tique le plus avisé au sens de la tradition et du dogme. C'est aujourd'hui un théolo-
gien de trempe du R. P. Gardeil qui voit
la dans Orphevs et FErangile « le modèle
d'un travail ex propriis, aussi discret que convaincant. >'on seulement il réfute sans
effort des élucubrations comme celles de MM. Guignebert et Salomon Reinach, mais
il est, pour l'Introduction à la théologie elle-même, un document des plus utiles, par

des détails précis dont il enrichit certaines données qui la concernent, inspiration et
canonicité des Livres saints, développement des doctrines, etc. (1^ ». Et tout cela est
exposé avec la belle clarté française, ce qui ne gâte rien. « Chez M?'' Batiffol,

dit M. Michel Salomon (2.. le sens artiste est une autre façon d'estampille.
Qu'on lise, dans Orpheus et l'Évangile, les pages sur la couleur locale des discours de
Jésus, celles encore sur la parabole du semeur. Ajoutons que M='" Batiffol est un
écrivain sobre et délicat, d'une précision serrée et, à l'occasion, d'une justesse ai-

guisée ». Mais encore une fois, ce n'est pas aux lecteurs de la Revue qu'il faut ap-
prendre la place imcomparable occupée par notre collaborateur dans la défense de
l'Église et dans le développement des bonnes études ecclésiastiques.

M. Brassac a achevé la mise au point du Manuel biblique (Nouveau Testament) de


M. Bacuez, ou plutôt il a achevé d'en faire une œuvre nouvelle, caril reconnaît main-

(1) Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques, 1910. p. 810. noie 2.

(2) Journal des Débats, .30 août l'JiO.


150 REVUE BIBLIQUE.
tenant qu'il n'avait retouché que très légèrement ce qui regardait les Épîtres catholi-
ques et l'Apocalypse. Voici donc déjà une seconde édition du quatrième volume
du
Manuel, sensiblement augmentée puisqu'elle compte 785 pages au lieu de 730. Il
faut le dire encore une fois (1), les remaniements de M.Brassac constituent des amé-
liorations très notables. Tel qu'il est maintenant, le Manuel est appelé à rendre les
plus réels services. La solution de maint problème exégétique, des rapprochements
historiques et archéologiques y sont mêlés à la discussion des questions littéraires
d'introduction. Rien de tout cela n'est poussé très à fond, mais suffisamment, semble-
t-il, pour que l'étudiant y trouve à la fois une base de connaissances solides et des
indications pour les points réservés à l'érudition. M. Brassac est au courant de la
critique, et il ne refuse pas de lui faire accueil, à la condition qu'elle fasse ses preuves,
ce qui est de bonne guerre, surtout dans un ouvrage classique. 11 n'hésite pas à écrire
que « Daniel avait réalisé parfaitement le genre apocalyptique » (p. 737). L'explica-
tion de l'Apocalypse est tout à fait supérieure à celle de l'édition précédente. Dans
certains cas, on dirait que l'auteur ne se sépare que pour la forme de l'interprétation
historico-eschatologique. Dans l'édition de 1909, la femme du chap. 12 était l'Église;
maintenant c'est la société juive, devenue la société chrétienne. A propos de la tête

blessée de la bête (13, 3) une allusion à la légende


« il est dilficile de ne pas voir ici

du AV/'o redivivus ». Sans doute M. Brassac n'en conclut pas que s. Jean afûrme le
retour prochain de Néron en chair et en os ce Néron revenu serait un symbole pour :

viser Domitien. Mais c'est bien ainsi que l'ont entendu plusieius « rationalistes », et
de marque. Cette ingénieuse interprétation lui fournit la clef d'un passage très difficile
(17, 7-11). Il l'adopte, mais voici un étrange scrupule. « Cette explication qui cadre
assez bien avec les faits, donne lieucependant à une grave difficulté. Ainsi expliqué,
ce passage paraît ne pas être une prophétie, mais une histoire écrite sous lorme
d'apocalypse » (p. 778). Mais l'œuvre de s. Jean n'est-elle pas l'apocalypse par excel-
lence? Et cela empêche-t-il qu'elle soit en même temps une prophétie de la fin des temps ?

Arrivé à page 778, M. Brassac aurait donc dû retrancher purement et simplement


la

la règle d'interprétation de la page 7-14 « L'Apocalypse est une prophétie inspirée


:

comme»celles d'Isaïe et de Zacharie... On ne peut donc y chercher le tableau des


événements passés ou présents, excepté dans les chapitres ii et m... » Et celte allu-
sion à Isaïe et à Zacharie n'aurait-elle pas
du montrer jusqu'à l'évidence qu'un pro-
phète hébreu peut s'occuper du présent autant et plus que de l'avenir ?
Les petites retouches de la première partie sont généralement heureuses. On se
demande cependant où l'auteur a vu que s. Paul emploie la salutation /afpetv (p. 173),
puisque c'est précisément par son yâpi; /.ai e^pi^vr^ qu'il se distingue de la formule
stéréotypée (2).

Sous le titre des Sept ('toiles de l'Apocalypse (3), M. Lampakis publie un voyage
archéologique aux sept églises, précédé d'un pèlerinage à Patmos. A chacune de ces
stations l'auteur consacre une notice historique, puis un aperçu sur les ruines et les
monuments, enfin une information sur l'état actuel des églises auxquelles saint Jean
a écrit. Le tout est accompagné de nombreuses photographies et dessins. Les moin
dres débris archéologiques sont religieusement notés. Avec cela, on trouve pêle-mêle
des représentations de tableaux modernes et d'anciennes icônes, les portraits de l'au-

(1) Cf. RB., 1908, p. 297. et 1909, p. 28o.


(2) P. 738. le nombre... est innombrable w donne à penser,
:

(3) 01 éuxà àoTEpe; t>5; àuoxaWij^ewç, ûub T. Aa|x7Tâxiri, 8°, viii-475 pp., -255 gravures; Athènes,
Tzabella, 1909.
BULLETLN, Ibl

teur el des siens, en chambre, en voiture sur la route de Pergame. en chemin de fer
au départ de Thyatire. Ou ne peut vraiment douter que l'auteur ait fait la visite des
sept églises. Il y a aussi la photographie des trois anges qui régissent actuellement
les sept églises, car, ainsi que le fait remarquer M. Lampakis. les paroles de l'Apoca-
Ivpse se sont réalisées : les églises louées, Smyme et Philadelphie, fleurissent encore;
celles qui furent un peu morigénées, Pergame et Thyatire. existent, mais décimes de
leur ancienne splendeur, tandis que Éphèse, Sardes et Laodicée. objet des plus for-
tes menaces, ont sombré. L'auteur a utilise les anciens voyages et les études archéo-
logiques parues sur question; cependant on sera étonné de ne pas voir mentionnés
la

le « Vovage aux sept éj^lises » de M?"^ Le Camus, ni « The lettersto the seven chur-
ches » du professeur Ramsay.

Ancien Testament. — Il y a encore des concordistes, et même disposés à dire


leurs vérités à ceux qui écarquillent les yeux sans voir l'accord de la cosmof/onie mo-
saïque avec les plus récentes théories de l'énergétique : « Autrefois, dit M. le D*^ Ar-
naudet on trouvait, on croyait du moins trouver, des vérités ordonnées de science
Cl),

et partant un enseignement scientifique dans Moïse Cap. 1): mais aujourd'hui?



Aujourd'hui, une timidité capable de toutes les concessions, sinon de tous les aban-
dons, est devenue l'attitude presque universelle ». Essayons donc du concordisme.
L'auteur ne nous méthode.» Si j'ai osé avancer dans les
fait point un secret de sa

ténèbres, c'est qu'une Trinité de puissances m'ont encouragé successivement l'Exé- :

gèse, la Philosophie. l'Énergétique » (p. 136i. Commençons par l'Exégèse « La Ge- :

nèse nous enseigne la Dualité de la Matière, l'Œuf mondial primitif, la Lumière-


:

Force unique, et enfin la Vie de la Matière » (p. 132^ — Mais ne vous semble-t-il
pas que nous sommes dispensés maintenant, nous du moins les biblistes, de savoir
ce que disent la Philosophie et l'Energétique?

Du moins M. Arnaudet nous a dit en termes formels ce qu'enseigne la Genèse.


On est plus embarrassé avec M. Ancel i2 . Tantôt il paraît un concordiste décidé?
tantôt il excuse Moïse de certaines défaillances (3) parce qu'il suivait les opinions du
temps. M. Vigouroux a eu surtout en vue le concordisme (4) : « Il est à désirer

que l'excellent travail de M. Ancel soit publié. L'opinion la plus répandue aujour-
d'hui parmi les exégètes et les théologiens ne semble pas très favorable aux expli-
cations des deux premiers chapitres de la Genèse, faites dans un sens scientiGque,
mais l'exposé du savant auteur est très propre à montrer comment le récit mosaïque
de la création se trouve foncièrement d'accord avec les découvertes les mieux établies
de la science moderne ». M. Ancel, lui, parle un peu ditTéremment : « Le fait est que
l'illusion d'une voûte céleste solide, et le manque de notions des gaz, ont pesé sur
les réflexions de Moïse et ont dérouté les traducteurs de la Genèse » 'p. 56). Il

n'admet pas les jours périodes « Six jours de suite, le soir... Dieu visita Moïse sous
:

sa tente, au désert, lui donna des visions de l'évolution de la matière... et le sep-


tième jour, l'œuvre étant achevée, Dieu ne vint plus et se reposa » ip. 19 « Moïse .

rapporte et commente, ce que Dieu lui a dit et ce qu'il a vu, comme il l'a compris
et saisi. Ainsi il reste persuadé que l'évolution de la matière s'est faite en six jours,

1 Genèse science. La Matière vivante, son Travail dans ITnivers, in-8'^ de 139 pp. Paris.
et
Bloud, 1910. —
Page 10.
2) Connaissances élémentaires et Genèsede la matière. Ad majorem Dei gloriam, ad majorem
ecclesiae espansionem, in-l6 de'l pp. En dépôt à la Croix de Meurthe-et-Moselle », Nancy, 1910. «

3; P. 34, S Lv les défaillances du récit mosaïque.


:

i En tête de la brochure.
152 REMJE BIBLIQUE.

puisqu'il l'a vu ainsi » (p. 20). Voilà, dira-t-on, une étrange manière de mettre en
relief la véracité de l'Écriture. Quant à la partie scientifique, le recenseur se recon-
naît absolument incompétent, et il a été souvent embarrassé d'expliquer la chute des
eaux supérieures au déluge. Or c'est très simple « Qu'un astre errant soit passé près
:

de la lune, lui ait volé son atmosphère et son eau et ait déversé sur la terre tout
ou- partie de l'eau, il n'y a rien d'impossible » (p. 59). Cette charmante espièglerie
d'une comète n'est-elle pas digne du Songe d'une nuit d'été?

Les questions relatives au livre d'haïe sont loin d'être résolues les lecteurs de la ;

Revue ne peuvent l'ignorer. M. Glazebrook le sait aussi, mais il s'est fait une convic-
tion et il lui a paru opportun d'exposer au grand public sa synthèse ^'1). Le public ne
peut pénétrer dans le maquis des discussions, et il ne s'en soucie pas ; il a droit ce-
pendant à être éclairé sur le livre d'Isaïe à tout le moins comme sur toute grande
œuvre littéraire. Pour lui épargner un travail au-dessus de ses forces,
et pour laisser

cependant le lui-même son action sur les esprits, M. Glaze-


divin prophète exercer
brook évite aussi bien l'allure homilétique que les débats entre savants. Ces débats
sont censés assoupis, du moins en ce qui concerne quatre parties d'Isaïe, ou plutôt,
d'après l'auteur, quatre Isaïe. C'est pour ne pas encombrer l'exposition de notions
trop disparates qu'il consent à ne pas descendre plus bas que le siècle, regardant V
comme sans importance les morceaux qu'il faudrait échelonner jusqu'au ii^ siècle
av. J.-C. Il reste donc, d'après les données communes delà critique, quatre Isaïe :

1) celui de Jérusalem, l'Isaïe authentique, de 740 à 700 ( 1-39 en grande partie), dont

les prophéties sont reproduites dans un ordre fort singulier; 2) l'anonyme qui écri-

vait peu avant la chute de Babylone (538), auteur des chapitres 13, 14 et 21 3) ce- ;

lui qu'on nomme le Deutéro-Isaïe, vers 540, auteur de presque tous les chapitres 40-
55; 450 (55-66). Rien en effet dans cette partition n'est
4) le Trito-Isaïe, vers
nouveau dans la critique, et, fidèle à son thème, M. Glazebrook n'a pas pris soin de
discuter les objections qu'on a opposées à cette manière de voir. Puisque l'analyse
critique et philologique est en dehors de sa perspective, nous n'avons pas à l'y réin-
tégrer. ne reste donc qu'à indiquer les éléments nouveaux qu'il a mis en œuvre. Le
Il

principal est sans doute d'attribuer un caractère dramatique à la seconde partie


d'Isaïe. L'auteur ne se dissimule pas que le mot de drame serait beaucoup trop fort.
Il faut, pour qu'on soit autorisé à l'employer sous son sens le plus restreint, se repor-

ter aux débuts de la tragédie quand le chœur évoluait en présence d'un seul person-
nage. Ce personnage unique, c'est Jéhovah qui s'adresse tantôt aux nations pour leur
prouver le néant des idoles, tantôt à Israël pour lui annoncer la chute de Babylone,

et pour opposer à sa misère présente le brillant tableau de sa gloire future. Le pro-


phète, qui représente le chœur, interrompt le monologue dramatique de Jéhovah
par de brefs cantiques. M. Glazebrook obtient de la sorte trois actes i^41, 1-44, '23 ;

44, 24 - 48, 21; 49. 7 - 55, 13) après un prologue (40, 1-31). Au cours de ces
trois actes se rencontrent les quatre célèbres morceaux du Serviteur de lahvé. En
dépit de son propos pacifique, l'auteur ne pouvait plus éviter d'argumenter un peu,
puisque, sur ce point du moins, les critiques dont il suit les oracles ne sont vraiment
pas d'accord. Les débats sont cependant réduits au strict nécessaire. L'opinion per-
sonnelle du savant critique est que les quatre fragments forment un tout, un poème
écrit par le même auteur, mais après le poème principal. Un argument bien anglais,

(1) Studies in the Bool; of Isaiah, by the Rev. M. G, Glazebrook, D. D.^ Canon of Ely and War-
burton Lecturer, formerly Head îlaster otClifton collège, in-8" de xix-349 pp. Oxford, Clarendon
Hress, 1910.
BULLETIN. i:;3

et qui n'est peut-être pas sans force contre ceux qui veulent, bon gré, mal gré, faire
rentrer les quatre morceaux dans l'organisme premier du contexte, c'est que, avec
les arguments de Marti et autres, on pourrait tout aussi bien faire passer pour partie
intégrante du Paradhe Lost des morceaux découpés dans un livre du Pu radiée He-
fjnined. Il y a donc deux poèmes, mais un seul auteur qui aurait repris son premier
thème, car le Serviteur serait encore une personnification d'Israël, dans la même
forme dramatique, qui cette fois mettrait en scène Jéhovah. le serviteuret les dations.
Ici encore nous ne prétendons pas discuter. Pour se convaincre que le Serviteur est
une individualité, il sufiit de relire les textes. Ceux auxquels cette clarté ne suffit
pas ne se rendront à aucun argument. Et cependant quelle impossibilité morale que
ce discours des nations pour lesquelles IsratJl a expié... sanss'en douter assurément,
et bien malgré lui!
Réserves faites sur la thèse critique, il faut reconnaître que M. Glazebrook a dé-
veloppé ses vues d'uue façon fort séduisante. C'est encore une manière de commen-
ter que d'exposer à grands traits la situation politique et religieuse, les passions du
temps, l'àme du voyant, réformateur des vices et prophète d'un avenir meilleur, dont
nous sommes les témoins. Le texte qui vient ensuite pénètre l'âme avec toute sa
force, et l'anglais est bien l'idiome qui convient le mieux pour traduire cette parole
nerveuse et vibrante.

La traduction n'est point la version anglaise officielle elle est l'œuvre de l'auteur :

qui offre un texte éclectique, modifié par des conjectures, sans qu'il prenne même le
soin d'indiquer quand il s'écarte du texte reçu. Il ne signale pas davantage par le
moindre index bibliographique les ouvrages des maîtres auxquels il reconnaît devoir le
plus. Le public anglais protestant fera sans doute bon accueil à ce travail de vulgari-
sation, mais de vulgarisation bien informée et qui présente sous une forme attra vante
le plus beau des livres prophétiques de l'A. T.

La maison Marietti a publié sans nom d'auteur nu psautier latin commenté d'après
Bellarmin Les explications sont pieuses, et l'ouvrage pourra être de quelque
(1 .

utilité aux ecclésiastiques. On se demande cependant s'il n'eût pas été plus à propos

de le publier dans une langue vulgaire. L'auteur n'a pas reculé devant la pluralité
des sens littéraux. A propos du ps. 2, 7, on lit : (t très hujus loci exposiliones, omnes
intentte a Spiritu sanctow.Il a très bien vu que le psaume 78 vise les temps Maccha-
béens, et que le psalmiste représente le peuple témoin de ce désastre : « Alloquitur
Propheta Deum, et in persona populi, qui futurus erat tempore MachabcOorum.
conqueritur de vastatione templi et civitatis ». Gela décèle du moins un sens exégé-
tique très juste.

Les psaumes dont il nous reste à parler n'ont que le nom de commun avec les
psaumes de David. Ils sont l'œuvre d'un musulman qui a prétendu doter ses core-
ligionnaires d'un psautier et qui, pour accréditer sa fraude, a transcrit presque tout
le premier psaume de David et le premier verset du second en tête de ses deux pre-

mières sourates, car ce nom convient mieux à ses élucubrations que celui de
psaumes. Ces morceaux, au nombre de 154 dans le manuscrit de la bibliothèque
Laurentienne, sont antérieurs à l'an 1202 après J.-C, d'aprèsla date du plus ancien
manuscrit. C'est presque tout ce que l'on sait de leur origine. Ordinairement c'est
Allah qui prend la parole, s'adressant à David, ou au peuple d'Israël, ou à l'hu-
manité, et, comme il fallait s'y attendre, il exhorte fort à respecter les femmes des

(1) Psalterium Davidis cum brevi et succincta paraplirasi es Bellarmini commentario de-
prompla, petit in-8' de T.'îi pp. Turin, Marietti.
154 REVUE BIBLIQUE.

croyants. Ces renseignements sont tirés d'une petite brochure de M. Krarup (1), qui
a publié dix-neuf de ces psaumes en arabe et dans une traduction allemande. Le
texte a été soigueusement étudié, d'après les manuscrits, avec l'indication de quel-
ques corrections vraisemblables et des renvois au Coran que le pseudo-psalmiste
possédait parfaitement.

Autres peuples. — Voici, bien loin de


la Palestine, une découverte qui rappelle

celle des pierres ou massehoth de Gézer. Nous sommes en Italie et dans la


levées
station néolithique de Monteverde, près Terlizzi (Province de Bari) (2). AIM. A. Mosso
et F. Samarelli ont observé comme nous l'avions fait Gézer (3) une pierre quadran-
îi

gulaire enfoncée dans le sol (Qg. 1) et qui avait l'apparence du sommet d'une stèle.

Fig. 1. — D'après Xotizie degli scavi..., p. 118.

C'était en effet une pierre levée, haute de 0,8.'i, rectangulaire (environ 0,30 sur 0,25),
sans rainures ni cupules, encastrée dans un pavé. Ce pavé lui-même iflg.2)était entouré
d'un mur en pierres sèches, dont il est resté quelques pierres, de façon à constituer
une enceinte d'environ trois mètres sur quatre. Dans l'angle occidental du sanc-
tuaire, un socle de terre cuite, épais de 0,12.5 et d'un diamètre de 0,24, a été regardé
par les explorateurs comme l'autel de ce sanctuaire. Sur le pavé ils ont encore
trouvé des fragments de calcaire qui ont paru des armes taillées et quelques frag-
ments de céramique. L'importance exceptionnelle de cette découverte tient à son
antiquité. C'est la première fois que l'époque néoUthique révèle aussi clairement
l'existence du culte des pierres. Comme le rappellent MM. Mosso et Samarelli, les

(1) Answahl pseitdo-davidischer Psalmen, arabisch und deutsch, herausgegeben von Ove Clir.
Krarip, in-S" de 30 et 29 (arabe) pages. Copenhague, Gad, 1909.
(2) AUi délia R. Accademia dei Lincei, 1910, Noti/.ie degli Scavi di Antichità, Vol. Vil, Fasc. 3,
p. 116 ss- Il sacrario betilico nella slazione neolilica di Monteverde, presso Terlizzi in provincia
di Bari. M. Mosso a bien voulu nous autoriser à reproduire les deux illustrations qui figurent ici
(3) Cf. Vincent, Canaan..., p. 108,
BULLETIN. loD

Grecs savaient très bien que leurs ancêtres avaient adoré des pierres brutes. Mais

Fig. 2. — D'après Xotizie derjli scaii..., 110, p. UT.

ils ne leur donnaient pas le nom de bétyles. Pourquoi ne pas s'en tenir à la dénomi-
nation la plus simple et qui ne préjuge rien?

]Xous avons enfin un excellent ouvrage d'ensemble sur l'âge du bronze. C'est le
second volume (première partie) du Manuel d'archéologie préhistorique celtique et
gallo-romaine de M. J. Déchelette (1 ). Il y est tenu compte largement des influences
orientales. L'auteur a réduit à sa valeur l'influence phénicienne qui ne s'exerçait
point encore quand déjà les Égéens — ou quel que soit le nom qu'on leur donne —
avaient été à tout le moins les inspirateurs des arts en Occident. Le chapitre sur la

religion est le développement de celte idée La religion des hommes de l'âge du


:

bronze « mêlée à coup sûr de nombreuses pratiques de magie et de sorcellerie, con-


sistait surtout dans l'adoration des forces de la nature. Imbus des croyances ani-
mistes si répandues chez les primitifs et saisis de respect et de crainte devant les
phénomènes du monde extérieur, ils terre, au soleil, aux
prêtaient au ciel, à la
orages, aux sources, aux lacs, aux aux arbres une personnalité divine »
forêts,

(p. 410). Mais il semble bien que de tous ces cultes celui du soleil était de beaucoup
le plus répandu et le plus actif.

Le 15 juillet 1910, M. Gauckler rendait compte à l'Académie des Inscriptions de


ses dernières fouilles au .lanicule, fouilles très entravées et qui ont été réduites à des
sondages. Cependant il a pu déterminer plus exactement le plan du temple syrien

(1) In-S" de xviii-51-2 pp. avec des appendices de Imo pp. Pari?. Picard, 1910.
lo6 REVUE BIBLIQUE.
du i«i" siècle, tcménos à ciel ouvert autour d'un petit sanctuaire, et accompagné d'un
vivier où, comme à Hiérapolis, on nourrissait des poissons sacrés. De plus eu plus,
M. Gauckler se convainc que, lors de la restauration païenne, de nombreux sacri-
ficespermirent d'ensevelir sous les murs et sous la statue du dieu syrien des victimes
humaines. Cette recrudescence de sauvagerie est bien dans le ton de la réaction
païenne de Julien l'Apostat, telle que l'avaient caractérisée les Pères, entre
autres s. On avait rejeté leur témoignage comme tendancieux;
Grégoire dcNazianze.
M. Gauckler conQrmation indirecte. Le distingué savant a exposé
leur fournit une
ensuite une théorie nouvelle et fort curieuse sur certaines statues antiques dont la
boîte crânienne a été sectionnée.Il se trouve que ces statues, dont les affinités nt
ordinairement syriennes, sont parfois dorées au visage et aux mains. De fort belles
statues hellénistiques, complètement nues, passaient ainsi au culte syrien; en même
temps elles étaient habillées. La dorure leur donnait l'aspect de divinités solaires; la
section du crâne aurait eu pour but de faire pénétrer le nnmen dans la statue au
moyen d'une opération rituelle à déterminer, et que M. Gauckler compare à l'onction
des rois de Juda. L'analogie ne peut être évidemment que très lointaine, car l'onction
était naturellement tout extérieure.

Il y a lieu de modifier la lecture de l'inscription de Délos, citée dans la 'Revue (1910,

p. 156). M. Gabriel Leroux a reconnu (1) qu'il n'y avait pas /.ai entre Astarté et
Aphrodite. A côté du Zeus il n'y avait donc qu'une seule divinité féminine, l'ancienne
Astarté de Palestine, assimilée et non^jointe à Aphrodite Ouranie.

Langues. — Les sémitisants qui ne sont plus doute


très jeunes se rappellent sans
la petite révolution opérée dans la Prolegomena zu
Lexicographie hébraïque par les
einem hcbrdisch-aramaische Wôrtei'buch (1886) du Prof. Fried. Delitzsch. Le nouveau
dictionnaire hébreu annoncé n'a jamais vu le jour, et il ne semble pas que M. Delitzsch
soit disposé à tenir ce qu'il avait presque promis. Aussi son action a-t-elle été plutôt
négative, et cependant peut-être trop radicale. Après ses critiques acerbes de cer-
taines dérivations vraiment étranges qui faisaient évoluer de l'arabe des nomades les
sens les plus divers, après qu'il eut dénoncé les abus de l'étymologie, on vit dispa-
du Lexique classique de Gesenius, tant de fois remanié, presque toute tentative de
raître
marquer l'évolution des noms communs et d'indiquer les éléments des noms propres.
La réaction était sans doute exagérée, d'autant que ce fut surtout à partir de ce
moment que commença une véritable fureur de faire servir les noms propres aux
théories les plus hasardées sur le développement des
Les spéculations théori-
religions.
ques allaient leur train, et l'étudiant, le professeur même, ne trouvaient dans leur
fidèle guide ou compagnon d'étude aucun secours et aucun appui. On peut se demander
si ce n'est pas pour remédier à cet état de choses que M. Kœnig a entrepris un Nou-

veau Dictionnaire héhr en-allemand (2) quand on le voit, dans sa préface, annoncer
qu'il se propose avant tout de rechercher l'évolution du sens des appellalifs et l'éty-
mologie des noms propres.
C'était, par là même, s'obliger à jeter un regard sur les autres langues sémitiques.
M. Kœnig a renoncé à citer ces langues dans leurs écritures propres. Déjà, on ne le

fait plus pour l'assyrien; le procédé de transcription est étendu à l'arabe, à l'éthio-
pien, à l'araméen.

(1)Exploration archéologique de Délos, fasc. II, p. o8.


(2)Hebràisches und aramàisches Wôrtcrbuch zum Allen Testament mit Einsclialtung und
Analyse aller erkennbaren Fonnen, Deutung der Eigennamensowie der niassorelisclien Rand-
bemerkungen und einein deutsch-liebriiisclieii Wortregister, von Dr. phil. u. theol. Eduard Kônig,
grand in-8'> de x-605 pp. Leipzig, Dieteiicli, 1910.
BULLETIN. 157

Mais on savait d'avance que M. Kœnig ne serait pas disposé à mettre de côté ce
que peut fournir la tradition hébraïque aussi a-t-il donné la clef des notes massoré-
;

tiques. Plus secourable encore aux étudiants, il a mis toutes les formes difliciles —
un millier —
à leur place alphabétique. Le dictionnaire hébreu ne comprend que les
mots de l'A. T. il est suivi d'un vocabulaire des textes araméens bibliques, com-
;

prenant en outre bon nombre des mots fournis par les inscriptions d'Assouân.
Tel est le programme de M. Kœnig et on peut afurmer qu'il l'a rempli d'une
façon très satisfaisante. Pour tout ce qui regarde la langue elle-même, surtout telle
qu'elle a été comprise par la tradition de ses docteurs, on ne trouvera nulle part des
informations plus sûres. Les nombreux renvois aux ouvrages grammaticaux de l'au-

teur complètent la synthèse philologique. Au point de vue qu'on pourrait nommer


massorétique, on ne peut rien souhaiter de plus. Dans la recherche du déve-
oppement du sens, l'auteur s'est gardé soigneusement des écueils signalés par De-
litzsch. Cependant quelques rapprochements laissent rêveur par exemple pour l'hébreu ;

'j^dB on cite l'arabe phasaqa, exivit e cortice, praescriptum dei rellquit. etc. Il fau-

drait indiquer une idée intermédiaire. On ne voit pas bien non plus comment "ils si-

gnifie «bourreau », de la racine 1^12 « creuser », et ne peut signifier « Carien »,


même si la terminaison i devait le signifier. N'est-ce pas abandonner la tradition du
texte dans un cas où elle mettait sur la bonne voie?
De même, pour les étymologies, l'auteur s'en tient ordinairement aux plus solides.
Celle de Jérusalem lui parait être ^ni « fondé » et 2"'^ « stable », pour dire une
ville imprenable ; l'analogie de '^NlT' conduirait plutôt à faire de Chàléra un nom
divin. Aux fantaisies totémistiques sur le nom d'Achab, îM. Kœnig répond par l'idée
que le « père du père » désigne l'enfant, remplaçant pour son père un frère mort en
bas âge.
Dans l'ordre de la critique historique l'auteur est demeuré fidèle à ses principes
conservateurs (Ij. Mais ses indications bibliographiques sont très étendues, et il sera
loisible à chacun de lui emprunter des indications qui permettront de le combattre.
La partie la plus faible est probablement la géographie. On dirait que Fauteur n'a

pas même pris un parti ferme. On trouve, çà et là, mais rarement, des identifica-
tions avec lesnoms arabes modernes, Bit dagân, rîha, qadis etc., mais aucune indica-
tion pour des noms comme Zif, Béthel, Shomerôn (Samarie), etc., etc. Mettre à côté
de Pounon « une station de campement », ce n'est point assez quand l'auteur n'est pas
:

tellement avare de renvois pour des cas moins intéressants.


Somme il faut reconnaître que M. Kœnig a su comprendre dans
toute, un espace
très restreintune quantité vraiment prodigieuse de renseignements du meilleur aloi.
Sans oser prédire que son dictionnaire remplacera celui de Gesenius, incessamment
mis à jour, on peut affirmer qu'il mérite de lui tenir compagnie sur la table de tra-
vail de tous les biblistes, étudiants et professeurs.

Dans M. l'abbé J.-B. Chabot, Les Langues et les


l'opuscule que vient de publier
littératures araméennes proposé de donner en quelques pages
(2^, l'auteur s'est
'<aux personnes qui ne sont pas familiarisées avec l'orientalisme une idée juste
et précise de l'étendue du domaine des études araméennes et de l'intérêt historique
et philosophique qui s'y rattache ». Il a atteint sou but et les étudiants bibliques,
en particulier, lui sauront gré d'avoir groupé dans ce petit volume tout un en-

Ci) Cerlaines indications de religions comparées n'y seraient pas contraires, par exemple l'em-
ploi du pluriel au sens du singulier pour la divinité chez les Assyriens et les Phéniciens, etc.
(2) Paris, Geuthner, 1910, in-8° pp, vm-43l.
158 REVUE BIBLIQUE.

semble de renseignements qu'ils étaient obligés d'aller glaner dans de nombreux


ouvrages spéciaux peu à leur portée. Désormais les débutants en sémitisme pour-
ront se rendre compte très rapidement de ce que c'est que l'araméen et avoir une
idée générale des nombreux dialectes de cette langue et des principaux monu-
ments écrits dans chacun de ses dialectes. Quelques personnes regretteront seule-
ment que M. C. n'ait pas cheri-hé à caractériser davantage tous ces dialectes; mais
ceci l'eût entraîné sans doute beaucoup trop loin en dehors du plan qu'il s'était
tracé. Du reste son travail n'est pas une simple nomenclature; il renferme un
grand nombre d'aperçus historiques et de précieuses remarques faites en passant.
Quelques notes choisies accompagnent chaque paragraphe, signalant au lecteur les
principaux ouvrages qui ont traité la question et dans lesquels il pourra trouver les
éléments d'une bibliographie complète.

Palestine. — Certaines thèses, qu'on croyait bien mortes, renaissent périodique-


ment. Ainsi une Galilée au mont des Oliviers pour concilier plus
celle qui a créé
aisément, à ce qu'on croit, la promesse de Jésus d'apparaître à ses disciples en Gali-
lée (Mt. 26, 32; Me. 14, 28) et les apparitions à Jérusalem. M. A. Resch entre de
nouveau en scène (1), et prétend que déjà l'Ancien Testament connaissait cette Ga-
lilée près de Jérusalem ,'Jos. 18, 17; Ez. 47, 8). Le te.xte d'Ézéchiel, traduit par
M. Resch « la Galilée de l'Est 2) 1
», indique simplement la région de l'est, et puisque le

ruisseau d'Ézéchiel, sorti du Temple, s'y dirige, ne peut être question du mont
il

des Oliviers. Quant au TV. T., le mot de Galilée y étant toujours pris dans le sens
de la Galilée du nord, les évangélistes auraient posé une véritable énigme en chan-
geant sans avertir le sens du mot; M. Resch ne vient pas à bout de cet argument
en objectant que dans Mt. 26, 32 et Me. 14. 28 c'est Jésus qui parle, puisque c'est
bien l'évangéliste qui reprend la parole dans Mt. 28, 16. Eusèbe, ni saint Jérôme, M
ni Hésychius, ni saint Sophrone n'ont eu le moindre soupçon de cette Galilée hié-
rosolymitaine. M. Resch ne trouve d'appui que dans un texte de Tertullien qu'il
sollicite un peu trop dans son sens (3). et dans les différentes recensions des Acta

Pilati. Or on sait ce que vaut la topographie de ces apocryphes. Mais tous les rai-
sonnements n'empêcheront pas la nouvelle tradition de se maintenir et de trouver
des défenseurs.
La propriété des Grecs orthodoxes qui porte maintenant le nom de Galilée, au
nord du mont des Oliviers, a même pris beaucoup plus d'importance durant ces
dernières années, pour la consolation des pèlerins qui veulent voir tous les lieux
saints sans trop s'éloigner de Jérusalem. Encore cette « Galilée », étant au sommet
du mont des Oliviers, est bien située comme lieu de l'Ascension et répond aux
données des Acta Pilati.
La tradition a créé, mais créé avec logique. M. Resch, gêné par le texte d'Ézé-
chiel, — son principal appui, — est obligé (voir sa carte) de faire commencer sa
Galilée aux vallées orientales qui descendent du mont des Oliviers, et cependant
de supposer que cette montagne en fait partie. De la sorte il ne peut même pas
dire que le rendez-vous est plus précis que celui qui aurait fait allusion à la Galilée
du nord, visant tout naturellement les bords du lac de Tibériade. Aussi bien quand

(1) Das Galilua bei Jérusalem, eine biblisclie Studie. ein Beitrag zur Palastinakunde von Kir-
chenrat D. Alfred Rf.sch, iii-8° de 33 pp. Leipzig, Hinrichs, 1910.
(2) Avec les LXX el; Tr;v Ta/iXa-av tt.v Trpb; àva-oXà;, mais on soupçonnait si peu une Ga-
:

lilée près de Jérusalem que la marge du Codex Q l'entend au sens propliétique de la Galilée du
nord.
(3) ln-1-2, XCV1II.-432, pp. Leipzig. R. Baedeker, 1910.
BULLETIN. 159

les évangélistes veulent partir du mont des Oliviers, ils savent le désigner par son
nom.

La y édition allemande du Guide Baedeker {Palmtina und Syrien) (1) se recom-


mande par d'importantes additions. La plus notable est sans contredit une descrip-
tion fort détaillée de de Chypre due à M. Lichtenberger, accompagnée d'une
l'île

carte complète de des plans de Famagouste et de Nicosie. Ainsi, ce pays,


l'île et

dont les destinées furent si intimement liées à celles de la côte syrienne et qui,
pourtant, a été si peu visité jusqu'ici, au point qu' «il n'y a pas encore de drogman »,

devient par là même plus attrayant et plus accessible. Comme autres nouveautés du
Guide, nous devons encore signaler un pian du bourg entier de Ba'albek et ses envi-
rons immédiats, dressé d'après M. Puchstein, et celui de la mosquée des Ommiades
à Damas, d'après M. Saladio. Le plan de Pétra s'est enrichi de nouvelles indications
puisées dans le croquis de M. Dalman (cf. BB., 1909, p. 4.56). Celui de Haifâ
est mis au point. Le panorama de Jérusalem ainsi que les plans de Tripoli et d'Alep
sont ceux de l'édition française de 1906. Tout ceci marque le soin que M. Benzinger
apporte à tenir le voyageur au courant non seulement des résultats de l'activité
scientiûque, mais aussi du développement économique et social de cette portion
de l'Orient à laquelle s'intéresse le monde entier. Seulement il se trouve certaines
concessions regrettables à une topographie peu soucieuse des documents bibliques et
des données de l'archéologie les plus positives, concessions qui sont un réel recul
scientiGque. Nous ne pensons pas qu'en maintenant la forteresse de David sur la
colline orientale de Jérusalem, l'auteiu* eût compromis en quelque chose son succès
de librairie. Puisqu'il admet l'identification de Oamra-ed-Daradj avec Gihon et l'at-
tribution du canal de Siloé à Ezéchias, il est tenu à cette conséquence nécessaire que
la forteresse de David et Sion étaient situées sur la croupe inférieure de l'Ophel. Les

deux cités de David du plan, ornées chacune d'un point d'interrogation, ne sont point
une solution satisfaisante. L'origine thermale de l'église d'Amwas continuera à faire
sourire. Non, les véritables bains de Nicopolis ne sont pas dans ce vénérable mo-
nument ; ils se trouvent au nord-ouest du village, dans un jardin où l'on peut voir
encore les sommes aux reproches,
voûtes en briques del'hypocauste. Puisque nous en
nous ferons remarquer que le plan d'Antioche est incomplet il y manque à l'est la ;

grande construction qu'on appelle les Thermes et qui semble une naumachie, puis les
restes bien conservés de la barrière de l'hippodrome. Le plan de Séleucie de Piérie
du capitaine Allen doit maintenant céder le pas à celui que M. Chapot a publié dans le
Bulletin des Anticjuaires, Mémoires, 1906, pi. L
Nous avons constaté nous-mêmes combien ce dernier relevé était supérieur en
précision au premier. Un détail pour finir : il y a des années déjà que le docteur La
Bonnardière n'est plus médecin à Jérusalem ; il compte même plus d'un successeur.

Ces lacunes, inévitables dans un ouvrage où fourmillent les renseignements de


toutes sortes, n'empêchent pas ce guide d'être très recommandable aux voyageurs.
D'ailleurs, la recommandation est superflue.

PEFund Quart. Stat., oct. 1910. — A. W. Crawley-Boevey. Un examen très


superficiel des vues de sir Ch. Wilson sur le Calvaire et le saint Sépulcre. L'auteur
est fonctionnaire aux Indes; sa plaidoirie manque d'informations et surtout de

(1) Apolog., c. 21 Cum discipulis autem quibusdamapud Galilaeam. .ludaeae regionem, ad qua-
:

draginta dies egit docens eos quae docerent. Deliinc ordinatis eis ad officium praedicandiper
orbem circurafusa nube in coelum est receptiis... Il est clair que la Judée doit se prendre ici
dans un sens large, et dehinc ne prouve pas que l'Ascension ait eu lieu dans cet endroit.
i60 REVUE BIBLIQUE.

tenue. La modération de AVilsonest prise à partie Quoi! il n'y aurait dans la loca-
:

lisationdu saint Sépulcre qu'une question purement archéologique? Non, non, « il


n'échappe à personne que des questions de dogme romain et de doctrine sont étroi-
tement liées avec le sujet tout entier ». La défiance superbe de Wilson à l'endroit
des modernes spéculations est une belle leçon pour ceux qui seraient portés « à
regarder les anciennes traditions catholiques comme quelque chose de sacrosaint, ne
relevant pas des lois ordinaires de l'évidence et du sens commun ». En tout cas, ce
qui n'a rien à voir avec le sens commun, c'est plutôt d'être allé camper le Temple
de Salomon sur lecoccyx d'un monstrueux squelette dont la tête est au Bézétha et
les pieds dans le bain-piscine de Siloé. En parlant de « l'imposture transparente des
sites traditionnels », de se douter que ses injures retombent
M. Crasvley n'a pas l'air

avant tout sur donc ouvertement à ses amis les Grecs que
l'église orientale. Qu'il dise

Constantin, Macaire, Eusèbe ne sont rien moins que de mauvais plaisants! Mais notre
orateur, qui sait ménager ses petits effets, a trouvé le secret de l'endurcissement des
catholiques en matière de traditions topographiques « Plus un site sera démontré
:

incroyable et absurde, plus leurs partisans traditionnels y tiendront, suivant la


maxime bien connue de Tertullien, Credo quia absunium. » Les gens sensés diront
de quel côté se trouve l'absurdité. —
Ph. Baldensperger, L' immuable Orient. —
W. G. Masterman, La Galilée de Josèphe. Les position.'> de Gabara, Jotapata et

Tarichée : La première localité est identiflée avec Arrâbet-el-Battauf; la seconde


avec Jefat. Cette localisation n'ayant jamais souffert de difficultés, c'est à la descrip-
tion de ce lieu peu fréquenté que M. s'arrête. Description du Kh. el-Kérak qui ré-
pond au site de Tarichée. t— C. Hauser, Notes sur la géographie jmlestinienne. —
Masterman, Observations sur la mer Morte : Par suite des pluies du printemps der-
nier, le niveau est monté, en mars 1910, à 2 pieds 9 pouces plus haut qu'en automne
1908. — Une photographie et un croquis assez faibles du sarcophage anthropoïde de
Gaza.

École biblique et archéologique de Jérusalem. — Conférences palesti-


niennes et orientales, le mercredi à trois heures et demie du soir, 1910-1911. —
30 Novembre : A la recherche des sites bibUques, par le R. P. Lagraxge, des Frères
Prêcheurs. — 7 Décembre Les Aryens avant Cyrus, par R. P. Dhorme, des Frères
: le
"

Prêcheurs. — H Décembre Cyrus Grand, par


: R. P. Dhorme, des Frères Prê-
le le

cheurs. — 21 Décembre La prise de Jérusalem par


: Arabes (638), par R. P. les le

Abel, des Frères Prêcheurs. — 4 Janvier Bonaparte en Syrie (1799;, par le R. P.


:

GÉMER, des Frères Prêcheurs. — 11 Janvier : Les origines et le développement de


l'architecture nabatéenne, par le R. P. Savignac, des Frères Prêcheurs (avec pro-
jections). —
18 Janvier : La sculpture franque en Palestine, par le R. P. Germer-
Durand, des Augustins de TAssomption (avec projections). 23 Janvier : Au bord —
du lac de Tibériade (suite), par dom Zéphyrin Biever, missionnaire du patriarcat
latin. —
i " Février : Le vicomte Eugène-Melchior de Vogiié et l'Orient, par le R. P.

Créchet, des Frères Prêcheurs.

Le Gérant : J. Gabalda.

Typographie Fiiniiu-Didot et G". — Paris.


LES ODES DE SALOMON

VI. — La christologie des « Odes » suite).

i. —M. Gunkel caractérise ÏOde xxii en disant quelle est


(comme Y Ode xvii déjà à sa manière/ un chaut de triomphe, plus
précisément un chant d'action de STâces du Christ à Dieu, qui a été
son aide, et qui a accompli par lui l'œuvre du salut (1). Je dirais :

elle est un chant d'action de grâces où Salomon, qui est supposé


parler, est figure du Christ.

* C'est lui qui me fait descendre des hauteurs et monter des bas lieux :

- lui aussi qui rassemble ce qui est au milieu, et me le lance.


3 C'est lui qui a dispersé mes ennemis et mes adversaires \

* lui qui m'a donné pouvoir sur les liens pour que je les délie;

lui qui a meurtri par mes mains le dragon aux sept têtes,

et m'a fait fouler aux pieds ses racines, pour que je détruise sa semence.

" ïu étais à mes côtés et tu m'as protégé;


partout ton nom m'entourait ;

'
ta droite a dissous le venin du calomniateur;
ta main a aplmi la route pour tes Qdèles.
8 Tu les as choisis d'entre les tombeaux
et tu les as séparés des morts;
-
tu as pris des ossements morts
et tu les as enveloppés de corps ;

^" ils devinrent solides et tu leur as donné les énergies vitales.


Immortelle était ta route.
*' Tu as introduit X^persomu? dans le monde qui t'appartient.
Pour qu'elle fût soumise à la corruptiou,
afin que l'univers fiit anéanti, puis renouvelé,
<2 et que ton rocher devienne une base de l'univers.

Sur lui tu as édiûé ton royaume


et il est devenu le séjour des saints.

Dans les y l-ô. le Christ rapporte sur le ton du récit ce que le

Seisrneur a voulu pour lui. Dans les y 6-12. le Christ rend grâces à
Dieu de ce qu'il a accompli.

(1) GiSRF.L, p. 30°. Contre H.\rnack, p. 52.

REVUE BIBLIQUE 1911. >'. 5.. — T. Vlli. H


462 REVUE BIBLIQUE.

Le Christ préexistait dans les hauteurs (1), où Dieu est et avec


Dieu les êtres préexistants au monde périssable. Dieu le fait des-
cendre des hauteurs et le « fait monter des bas lieux ». Ces bas
lieux peuvent être la terre, au sens de saint Paul « Que signifie // :

est monté, sinon qu'il était descendu dans les bas lieux de la terre »
{Eph. IV, 9-10)'? Mais ces bas lieux peuvent être aussi les enfers,
où le Christ descendra pour prêcher aux justes voyez Ode xlii, 15-26. :

A ce compte, « ce qui est au milieu » serait la terre. Cependant, com-


ment Dieu peut-il « lancer » au Christ « ce qui est au milieu ))?Le
très énisraatique y 2 devrait-il s'entendre de TEsprit, qui est donné
au Christ (2^ ?

Dieu a dispersé les ennemis du Christ, les ennemis humains et sur-


humains, comme dit M. Gunkel, et par surhumains nous entendrons
les esprits mauvais dominateurs de ce monde des ténèbres (3). Dieu
a donné au Christ le pouvoir de délier allnsion aux hommes :

captifs de l'iniquité (i), peut-être à la prédication du Christ aux


enfers. Dieu a par les mains du Christ frappé le dragon aux sept
têtes inutile de chercher à identifier ce dragon avec quelque roi
:

historique, il personnifie ici simplement la puissance du mal et du


péché (5).

(1] On dira en grec : h it^r^.oXç, [Ps. xciii, 4; Heb. i, 3) ou èv \;iLt<7Toti; [Luc. ii, 14;
Mat. XXI, 9, etc.), ou èv toïç ÈTtoupavtot; {Eph. i, 3, 20; il, 6, etc.).

(2) Les mots et me le lance rappellent Ps. cm, 30 « Emittes {ila.T.oa-:tlv.z) spirituin :

tuum et creabuntur ». Que l'Esprit soit entre ciel et terre, c'est iteut-étre une allusion à
Gen. I, 2. —
M. Gunkel (p. 309) voudrait que le « milieu « fût un terme gnostique mais :

le « milieu » qui joue un rôle dans la Pislis Sophia, par exemple, suppose le dualisme
"nostique, lequel est absent de nos odes. Le
« milieu » dans nos odes exprimerait l'idée

que la un espace physique, dans lequel se meut l'Esprit.


terre esi séparée du ciel par
Cette localisation de l'Esprit se retrouve ailleurs. "W. Bousset, Hauplprobleme der Gnosis
(Gôltingen, 190"), p. 120. Saint Augustin fait dire par Faustusle manichéen « Spiritus sancti, :

qui est maiestas tertia, aeris hune omnem anibitum sedein fatemur et diversorium ». Contra
Faustum, XX, 2 (éd. Zvcua. p. 536). Saint Hippolyte prête au gnostique Basilide une
théorie d'après laquelle les êtres se partagent entre deux plans, le cosmos d'une part,
et les êtres {)nepxô(j|j.ta : entre les deux, l'esprit intermériiaire, l'esprit qui est saint et en
qui réside « la bonne odeur de la fdiation » (xô jj-eTaË-j toO x6(T[jlou xal twv ûtiepxoctijlîwv

IxeOôp'.ov TtvEùaa). Pinlosoplioiim. VIT. 23. Boisskt, p. 127. Mais, ceci est décisif, l'idée de
l'esprit intermédiaire est chez Philon déjà : Dieu a étendu sa puissance jusqu'à l'univers
qui est sous lui, par le moyen de l'esprit intermédiaire : Tsivavio; toù ôeoù t/jv à?' eayxoù

ôiiva^nv oià ToO [AÉaoy TtveOjAaTtoç a-/Pi toO vTzoY.ti[i.é\o\>. Leg. Alleg. i, 37. Bousset, p. 123.

(3) Eph. VI, 12. Rapprochez Ignat. Eph. xiii, 2 : nâ; TToÀEfAo; xaTapyctTai ÈTioupavtwv xal

èutYSÎMV.
(4) Ignat. Eph. xvii, 1 : toû àç'/pyzoz toù aîwvo; toutou, (j-o aty_jxa).wTÎ(îr) ûpiài; ex toO

itooxcifiévou i^rjv. Philad. vni, 1 : hkite'jw xr,


x*?'"^' 'Iriaoù XptcToO. 3; )0(i£i à?' ujiwv Ttàvxa

Se'ffjiov.

(5) Comme dans Acia Thomae. 32 (éd. Bonnet, j). 148-149). — Sur la racine, vo.xz

Acta loannis, 98 (éd. Bonnet, p. 200) laxavà; xa'i r^ xaxwxtxri pîÇa.


:
LES ODES DE SALOMOX. 163

Le Christ se tourne vers Dieu et lui dit : Tu me protégeais, partout


ton nom m'entourait. Ta droite a annihilé le poison du diable, le
calomniateur (c:izz\t: Le venin du diable est la mort, tandis que
.

Dieu est vie. La main du Seigneur a frayé la route pour ses fidèles :

nous avons déjà rencontré cette route Ode vu. 2, 16-18 la science ,

parfaite qui conduit à Dieu.


Les y 8-10 n'ont pas trait à la résurrection
de la chair des justes,
croirais-je à lencontre de M. Harnack limage des ossements qui se :

raniment, prise à la vision dEzéchiel, est appliquée ici à la vivifica-


tion des fidèles, et cette vivification n'est pas annoncée pour la lin des
temps, elle est un fait accompli : les fidèles sont les véritables vi-
vants. Saint Paul a dit dans cette acception : << Offrez-vous vous-
mêmes à Dieu comme étant vivants, de morts que vous étiez » (Rom.w,
13i.
Ta route, la connaissance que tu as donnée à tes fidèles, était chose
immortelle, impérissable, au-dessus du monde. Tu as introduit « ton
visage » dans le monde dont tu es le maître. Le texte est ici très —
obscur. On entrevoit cependant une opposition entre la route et le
vhage, qu'on ne peut donc identifier la ponctuation adoptée par :

M. Labourt (qui est aussi celle de Ryle et James; a grand'chance


d'être la bonne. Mais je n'oserais pas traduire : «: Tu as introduit ta
personne », expression trop poussée, et d'ailleurs difficile à entendre si
on l'entend de Dieu: comment Dieu aurait-il à introduire sa personne
dans le monde
qui lui appartient? Disons que Dieu introduit son
« ^-isage » [dein Antlitz, comme traduisent Harnack et Gunkeli, et
voyons dans « visage » l'équivalent, non de -c;7oj-:v. mais de -j-zz-r,.

Le Christ a été introduit dans monde comme la « figure » ou le


le

« visage » de Dieu : il est devenu à un moment donné le 'S'isage vi-


sible de Dieu (1 . Nous rentrons par cette terminologie dans le docé-
tisme.
Les mots qui suivent appellent une correction un peu éners-ique
pour avoir un sens. « Afin que l'univers fût anéanti « est inintelligible,
puisque l'univers n'est pas anéanti par la venue historique du Christ,

1, 11 est intéressant de rapprocher un passage du psaume des Naasséniens, cité par Phi-
losoplioumena, V, lO : le Christ s exprime ainsi :

To-jTou (jLî y.ipiv TTÉu.'iov. r.i.-tç>,

ffîpavîoa; ê/tov xaTaêr.ffoua'..


altiva; ôÀO'j; ôiooev/tco,

(AuoTT.pia wâvTa û;avoi;w,


(lopsàt; ôè Ôîôiv iT.\r,v.\u>.
xai 17. y.£xsu;jL;jL£va tt;; àyjxç ooov
•jvwaiv xaÀéca; T:apaôw»7ti).
164 REVUE BIBLIQUE.

mais délivré : or le mot Xjîiv à les deux sens, il peut se traduire


redimere, liherare, et aussi bien diniere, evertere. Le traducteur sy-
riaque aura vu une image eschatologique, là où il n'y avait qu'une
idée sotériologique (1). Je proposerais donc de traduire ainsi :

" Immortelle était ta route.

Et ton visage tu l'as introduit datïs ton univers pour le délivrer,


pour délivrer l'univers et le renouveler
*2 et pour que ton rocher devienne le fondement de tout.

Sur lui tu «s édifié ton royaume,


et il est devenu la demeure des saints.

Le Christ libérateur renouvelle l'univers ; il est le rocher, la pierre


angulaire, sur laquelle Dieu édifie son royaume, demeure des justes.
5. — Je ne me flatte pas de donner de VOde xxiii une interprétation
qui en résolve toutes les obscurités. Les premiers ^' sont clairs : pré-
destination des élus : à eux la joie, la grâce, l'amour. La science
du Très-Haut est la route où ils s'avancent vers la science parfaite.
Ces '^^ 1-i rappellent quelques traits de VOde xxii, et aussi de VOde vu
et de VOde viii. Voici au contraire qui est nouveau et énigmatique :

•''
Et sa pensée fut comme une lettre,

du Très Haut
sa volonté descendit :

elle fut envoyée comme une flèche d'un arc tiré avec force.
^Beaucoup de mains se sont précipitées vers la lettre,

pour la ravir, la prendre et la lire ;

'
mais elle s'échappa de leurs doigts et ils eurent peur d'elle,

et du sceau qui était sur elle,


^ parce qu'ils n'avaient pas le pouvoir de briser son sceau,
car la force qui résidait en ce sceau était plus puissante qu'eux.
''
Or ils coururent après la lettre, ceux qui l'avaient vue,
pour savoir où elle demeurait et qui la lirait et qui l'entendrait.
*<^
Or une roue la reçut, et elle vint sur elle,
" et avec elle (la roue) était un signe de royauté et de direction.
<^tout ce qui ébranlait la roue, elle le fauchait et le coupait;
*3 elle lia en javelles une multitude d'adversaires.
Puis elle combla des fleuves,
et passa déracinant de nombreuses forêts,
et traça une large route.
^' La tête descendit jusqu'aux pieds, parce que jusqu'au pied courut la roue,
et tout ce qui était signe était sur elle.
'^ La lettre était le commandement pour que soient réunies en un seul en-
droit toutes les régions;

(1) Dans // Pet. ni, 10-12, il s'agit du second avènement du Christ; pas possible de-

clairer par ce texte de la Secundo Pétri le passage de notre ode. Mais je note que, là
même, pour exprimer la ruine du monde, la Secunda Pétri se sert du mot Xysiv ffToi-/£îa :

û£ xa"jffoûu.£va '),'jbii<7i~a.i,... ttxvtwv ),yo[i£viov,... oùpavoi 7tvpoij[x.svoi ),u6Y;(70VTai.


LES ODES DE SALOMON. 165

"' et apparut sur son sommet la tête, qui fut dévoilée, le Fils véritable du
Père Très-Haut ;

* il hérita de l'univers et il le reçut,

et le plan de beaucoup fut réduit à néant.


'8 Car tous les apostats se révoltèrent et s'enfuirent;

et ils périrent ceux qui persécutaient et étaient irrités.


'9 Or la lettre était une grande tablette, écrite par le doigt de Dieu entière-
ment;
-" et le nom du Père était sur elle, avec celui du Fils et de l'Esprit saint, pour
régner dans les siècles des siècles.

Ce morceau {f 5-20) n'est pas, semble-t-il, de la même facture que


nos Odes en général le parallélisme des membres de phrase y est
:

bien moins sensible. Quant au fond, on y a affaire moins à une ode


qu'à une sorte d'apocalypse. Enfin cette apocalypse a son imagerie à
elle, en propre, et à part de celle des Odes. Mais on ne peut pour

autant décider de la diversité d'origine de cette ode et des autres.


La pensée ou volonté) de Dieu est communiquée aux hommes,
envoyée comme une flèche d'un arc tiré avec force, elle descend
du Très-Haut. Ceci rappelle « la parole toute-puissante » de Dieu,
s'élaneant du haut du ciel, de son trône royal, comme un guerrier
impitoyable », au livre de la Sagesse (1). La pensée de Dieu, en-
voyée comme une flèche, est une lettre, et je crois que cette lettre
est le Christ ( 2)

Beaucoup de mains, de mains hostiles apparemment, se précipi-


tent pour la saisir, la déchiffrer : mais elle leur échappe et les ter-
rifie. Car sur la lettre est un sceau, et la force qui réside en ce sceau
est plus forte que les ennemis qui veulent la saisir. M. Spitta (3)
rapproche cette image (la lettre scellée) du rouleau que le prophète
Ezéchiel (Ez. ii, 9) reçoit avec ordre de le manger, ou encore du rou-
leau volant que voit le prophète Zacharie et qui contient écrite la
malédiction du pays [Zach. v, 1-3) : à vrai dire, ces symboles ne
sont pas de même famille que la lettre qui tombe du ciel, et qui

(1) Sap. XVIII, 15. Cf. loa. XVI, 28 : £?^).6ov ex toC TraTpb; xai è)r,),y6a et; tov x6(T|jiov.

(2) Dans l'hymne de l'âme, qui s'est conservée dans les^c/c J^omoe, l'àme (le fils du roi)
qui pérégrine sur terre reçoit une lettre de son père le roi, qui lui rappelle sa destinée, et
lui dit : « Ton nom est livre de vie m, £ic).r,8r; oi -côovoiAà c7ou|3'.o>tov Cwf;;. Acta Thomae, 110
(éd. Bonnet, 1903, p. 222). — Le leste syriaque, pour expliquer comment la lettre parvient
au tils du roi, donne ceci : « Volavit (epistula) instar aquilae reginae avium, volavit et
consedit prope me et tota fada est serino ». Harris, p. 121, nous suggère ces rapirochements.
— On
peut rappeler aussi que chez les hérétiques nommés Elkésaïtes on croyait que la
révélation sur laquelle se fondait la doctrine elkésaïte était un livre tombé du ciel : y.ac
P'gXovTivà çépouffiv, ïiv )ivov(Tf/ à; oOpavo-3 zîîT-toy.Évai. L'information est prise à Origène par
EusEB. H. E. VI, 38.
(3) Spitta, p. 277.
166 REVUE BIBLIQUE.

est un message. — Sur la lettre est un sceau, le sceau de Dieu, le sceau


qui ne peut être brisé par qui n'en a pas le pouvoir : on aura tout
de suite pensé à l'Apocalypse johannine [Apoc. v, 1-5), où il est parlé
du lion de Juda comme du seul qui puisse ouvrir le livre et ses sept

sceaux. Dans notre ode, le sceau est le symbole de la puissance du


Très-Haut de qui vient la lettre (1). En ce sceau résideune puissance
dont les hommes
ne sont pas les maîtres. Aussi ont-ils beau se pré-
cipiter sur la lettre, elle s'échappe de leurs doigts, insaisissable.
Cependant des hommes ont couru après la lettre, « pour savoir
où demeurait » (on voit à ce trait que cette lettre n'est pas une
elle
lettre,mais un vivant), pour la lire, pour l'entendre. Ces hommes
sont évidemment les disciples du Christ. Or la lettre est un ordre, —
qui prescrit que toutes les régions de la terre soient rassemblées :

la lettre est un message à l'univers. Ne dirait-on pas un écho de la pa-


role : « Allez, enseignez toutes les nations... » [Mai. xxviii, 19V?
Quoi qu'il en soit de la valeur de ce rapprochement, la prédication
du Christ est universaliste, alors même qu'elle échouerait à convertir
tous les hommes.
Ici se place,un développement dune profonde obscurité
f 10-14, :

après que M. Harnack a écrit « Cette description est pour moi to- :

talement inintelligible » on hésite à proposer un sens quelconque,


,

et je n'en propose un que fort timidement. La lettre a été reçue par

une roue, la lettre est venue sur la roue, et la roue était avec la
lettre un signe de royauté et d'autorité {Regieriing, traduit Flemming).
Nous avons vu que un vivant, le Christ la roue n'est
la lettre est :

pas un tourbillon de vent du psaume lxxvi, 19 « La voix


(au sens :

de ton tonnerre [retentit] dans le tourbillon » àv -poyj^)^ car cette image ,

serait incohérente ici. Mais le mot -poyzz, qui signifie proprement


roue, signifie aussi chevalet de supplice : il peut donc désigner la
croix. La lettre a été attachée à la croix : saint Paul a écrit que le

décret de notre condamnation a été cloué à la croix par Jésus Christ


[Col. II, 14). Or la croix devient un signe de royauté (2) : « Quand j'au-
rai été élevé de la terre, j'attirerai tous les hommes à moi », dit le

Sauveur dans saint Jean. « Ce qu'il disait pour marquer de quelle


mort il devait mourir », ajoute l'évangéliste (xii, 32).

La croix devient alors une arme apocalyptique tout ce qui :

l'ébranlé, elle le fauche, comme pourrait faire une roue; tout ce

(1) Quon se rappelle dans le psaume des Naasséniens cité plus haut le y (jçpaYtôa; s/tov
-xaTaoy)TO!i,ai : « Je descendrai ayant [sur moi] des sceaux ».

(2) Justin. Apol. lv, 2 : ÔTisp [le supplice de la croix", w; TtpocïTtev ô itpoçr.T»]?, t'o asyKTTov
<jû|i.êoXov Tïjç îa-/iJo; xal âp"/'»',? aOroC \)Ti6.ç>-/ti.
LES ODES DE SALOMO.N. 147

qu'elle a fauché, elle le lie en javelles, et ce sont des adversaires


quelle extermine ''1;. Elle va ouvrant une large route, comblant les
fleuves, déracinant les forêts. La roue descend jusqu'aux pieds >., «<

jusqu'aux enfers.
La tête, — <' la tête » désigne le Christ comme nous le verrons
tout à l'heure, nouvel indice que la lettre symbolise le Christ,, — donc
<( la tête descendit jusqu'aux pieds » : le Christ est descendu aux en-
fers, parce que couru la roue. « Et ce qui était
« jusqu'au pied » a

signe était sur la roue » le Christ est descendu aux enfers avec :

la croix, porté sur la croix. On rapprochera dans Y Évangile de Pierre

la description de la résurrection le corps du Christ est porté au :

par deux anges, la croix les suivant, et une voix vient du ciel et
ciel

demande « As-tu prêché à ceux qui dorment? » Et la croix répond


: :

'( Oui )) (2i.

Les y 16-18 de notre ode nous ramènent à des symboles plus


clairs. La lettre venue du ciel est un ordre pour que toutes les ré-
gions de l'univers soient réunies. Alors est manifesté le Fils véri-
table du Père Très-Haut '3 . Il hérite de l'univers... L'auteur de cette
petite apocalypse mettant tout sur le même pian, on peut imaginer
que ce triomphe du Christ est à venir le Fils héritera : (Ps. ii, 8)
des nations; les complots de beaucoup seront anéantis Ps ii. 1 .

les « apostats » et les « persécuteurs » périront ['*}. C'est le jour du


Seigneur tel que les apocalypses ont coutume de le présenter (5i.

(1 1 Spitta. p. 277, rapproche Proverb. xx, 26 : « Un roi sage dissipe les méchants et fera

passer sur eux la roue » ^kTZ'.ëa.'/i\ aCto?; -po^ôv).


Evaag. Pet. 39-42. Pkeuschen, Antilegomena. p. 19. Sur l'importance exception-
2

nelledonnée à la croix dans la littérature chrétienne ancienne, voyez H. ton Schubert, Die
Composition des Pseudopetr. Ev. (Berlin 1893). p. 103-105. et Hennecke, Handbuch zu
den N. Apokryphen (190'»j, p. 85.
T.
(3^ 16 « Et apparut sur son sotnmet
Le i" la télé qui fut dévoilée » ne peut se compren-
dre d'une lettre le sommet d'une lettre! : Je restituerais : Kal wçiOri Èiràvu r, /.tza't.r,,

xai à7i£y.a),-j36r, ô ylo: 6 àÀvjôtvo; 'oû îia-po; toO v-iiiffTou. Le mot x£3a/.r) désignerait le Christ
(? Eph. TV, 15). Rapprocher Acta loannis, 98 (éd. Bo.t>ET, p. 200) :
-ô-/ y.Op-.ov trA-JU) toO

ffta'jpoô Édjpwv rryr.y.'x arj £-^ov-a, à).Xà ti-^a smvtiv itôvov /.''/..

'A'; Que ces « soient une allusion à la persécution d'An-


apostats » et ces « persécuteurs »

tiochus Epiphane (Spitta, complètement en dehors de la perspective


p. 278), cela paraît
de nos Odes, pour qui le passé juif est inexistant. On pourrait voir dans ces « apostats »
et ces « persécuteurs» les démons. Rapprochez le « calomniateur)) d'Ode xxii, 7. Et encore
Ode XXIX, 10 « Le Seigneur par sa parole a jeté à terre rnon ennemi, et il est devenu comme
:

la paille qu'emporte le vent h.

(b) L'Ode xxm, ainsi entendue, donne peut-être quelque sens à cette terrible Ode xxxv,

que M. Harnack, p. 56, est prés de déclarer en gros et en détail totalement incompréhen-
sible. L'Ode XXIV et l'Ode xxiii dont on supprimerait les y 19-20^ auraient-elles formé primiti-

vement une seule et même ode? Quoi qu'il en puisse être, les y 5-7 de l'Ode xxiv déve-
loppent le y 18 de VOde xxm ils décrivent, en effet, comment périssent les « apostats »,
:
168 REVUE BIBLIQUE.

Un dernier trait pour décrire la lettre : elle est une tablette écrite
par le doigt de Dieu entièrement, comme était la table de la Loi
donnée à Moïse. Sur la lettre était écrit le nom du Père, avec celui
du Fils et de FEsprit saint. L'idée d'écrire un nom sur un objet revient
à mettre le sceau de propriété sur cet objet : « L'agneau était debout
sur la montagne de Sion et avec lui cent quarante-quatre mille [fi-

dèles] qui avaient son nom et le nom du Père écrits sur leurs fronts »

[Apoc. XIV, 1). Toutefois, si on comprend que les fidèles portent sur
leur front le nom du Père et du Fils, on ne comprend pas que le Fils

porte autre chose que le nom du Père. J'inclinerais à penser que le


^ 20 ne devait mentionner que le Père, la mention du Fils et de l'Es-

prit ayant été sans doute apposée là accidentellement par un copiste


qui aura pris Je ^ 20 pour une doxologie, et à qui il a échappé que

la « lettre » n'était pas une lettre, mais un symbole du Christ.


6. — VOde xxviFi est encore une ode christologique.

* J'ai cru, c'est pourquoi j'ai trouvé le repos;


car il est Adèle, celui en qui j'ai cru.
^ Il m'a béni de bénédictions, et ma tète est vers lui;
le glaive ne me séparera pas de lui, non plus que l'épée,
'•
parce que je m'étais préparé, avant que n'arrivât la perdition,

et que je m'étais placé sur ses ailes incorruptibles.


'
La vie immortelle est sortie et m'a abreuvé:
de son fait, son Esprit est en moi,
et il ne peut mourir parce qu'il est vivant.
* Ils s'étonnèrent ceux qui me virent, parce que j'étais persécuté,

et ils croyaient que je serais anéanti.


aussi leur paraissais-je comme l'un de ceux qui sont perdus;
^ mais mon oppression devint mon salut.
Or j'étais devenu l'objet de leur mépris.
Et il n'y avait pas en moi d'envie ;

^" parce que je faisais du bien à tous les hommes, j'ai été haï.
*^ Ils m'ont entouré comme des chiens enragés,
ceux qui dans leur inconscience marchent contre le Seigneur,
*^ parce que leur intelligence est corrompue et leur esprit perverti.

ceux qui « furent anéantis dans le principe », les démons sans doute : « il n'était pas possible
de donner une parole pour Ces derniers mots expliquent les f 3-4 « ... ils
qu'ils suhsistent ». :

réclamaient le Seigneur,... il n'y avait rien pour eux ». Les j 2-3 décrivent l'angoisse de la
nature au moment où se lève le jour du Seigneur les oiseaux du ciel ne volent plus, les:

reptiles meurent dans leurs trous. Les y 8-9 visent la réprobation finale des hommes qui
n'ont pas accédé à la vérité. Mais tout cela reste fort obscur. Le y 1 est une énigme. Je —
ne crois pas qu'il renferme une allusion au baptême du Christ. La colombe est sans doute
symbole de l'Esprit l'Esprit vole sur le Messie, il est « la ttHe
: du Messie, il chante au- )>

dessus de lui, il parle, on entend sa voix. Mais quel rapport cela a-t-il avec la description
du jour du Seigneur?
LES ODES DE SALOMON. 169

'^
Pour moi, je relins l'eau de ma main droite,

et je supportai son amertume liràce à ma douceur.


'• Je ne péris pas, parce que je n'étais pas leur frère,
puisque aussi bien ma naissance n'était pas comme la leur.
15 Ils cherchèrent ma mort et ne réussirent pas,
parce que j'étais plus ancien que leur mémoire.
<6 En vain ils se ruèrent sur moi,
''
ceux qui me poursuivaient,
en vain ils cherchèrent à anéantir le souvenir de celui qui existait avant eux.
'^
La pensée du Très-Haut ne peut être prévenue,
et son cœur est plus grand que toute sagesse.

iMême indécision que dans VOde x et VOde xvii, pas de transition


entre le moment où Salomon, qui figure d'abord Tàme justifiée, en
vient à figurer le Christ. D'abord, en effet, c'est le juste sauvé qui
parle. Les ailes de l'Esprit sont sur son cœur, il a cru et il a trouvé
le repos, cette àvazaj?'.; qui est le terme de la route (1). Rien ne le

pourra séparer du Seigneur. Ce psaume exquis, écrit M. Harris, a en


lui la musique du Quis separabit de saint Paul [Rom. viii, 35-39). Le
fidèle est au Seigneur, l'esprit du Seigneur est en lui, la vie immor-
telle l'abreuve. Nous trouverons dans l'O^/e xxx une expression plus
remarquable encore d'un sentiment pareil, la certitude du salut et
l'action de grâces à Dieu pour la « source vivante » où il désaltère les
justes.
Voici apparaître la figure du Christ. Peut-être, écrit M. Harris, l'au-
teur de l'ode s"exprime-t-il dans les ^ 8-18 comme s'il était le Christ
en personne (2). L'hypothèse de M. Harris paraîtra la bonne, en
tenant com-pte de l'indécision calculée à laquelle l'auteur de l'ode a
tenu. Les persécuteurs du Christ ont cru qu'il serait anéanti; le Christ
leur paraissait comme perdu, il était méprisé, il était haï. Ses ennemis
l'assaillaient comme des chiens (rappel de Ps. xxi, 17). « Pour moi
je retins l'eau de ma main droite », j'ai bu dans le creux de ma main
droite l'eau qui se présentait, et elle était amère, « mais j'ai supporté
son amertume grâce à ma douceur », grâce à la v^rtu qui était en
moi 3).

'* Je ne péris pas, parce que je n'étais pas leur frère,


puisque ma naissance n'était pas comme la leur.

(1) Harris, p. 125, à propos de Ode xxvi, 13, rappelle Clément. Alex. Paedag. I, 6 (éd.
Staehlin, p. 107) : T£),etwoi; ôà i-K'x^^tXici.:, f, àviTrscjcjt;, ûcte r] jièv yvôiffi; iv xàj storiofiaxi, xô
os Ttepa; TYJ; Yva)(7Sa); r, àvdtTiauffi;.

(2) Harris, p. 127 : « In some respects the Psalm appears to be Messianic in a Christian
sensé ».

(3) M. Spitta, p. 283. suppose que l'ainertuine désigne la mort, et il rapproche Testament.
Abrah. 16 (éd. James, p. 97). la mort apparaissant à Abraham et lui disant « Je suis le ca- :

lice amer de la inorl » (èvù) sîal -à u'.vtpov to-j ôavàTO'j noTYipiovj. L'amertume est le qua-
170 REVUE BIBLIQUE.

Expression très remarquable qui rappelle Ode xix, G-10, où nous


signalions une expression docète : la naissance du Christ n'est pas
comme celle des autres hommes.
^^ Ils cherchèrent ma mort et Ils ne réussirent pas,
parce que j'étais plus ancien que leur mémoire.
^6 En vain ils se ruèrent sur moi ceux qui me poursuivaient,
en vain ils cherchèrent à anéantir le souvenir qui existait avant eux.

M. Harnack ne veut pas que nous pensions au Christ pour Tin-


telligence du y 15. M. Spitta qui voit dans les y 8-18 une interpola-
tion chétienne, a du moins reconnu la signification christologique de
ce morceau (Ij. Il faut aller plus avant, et dire que les y 15-16 sont
une description docète de la passion (2) on ne réussit pas à mettre le :

Christ à mort, il échappe aux ennemis qui veulent le faire mourir,


parce qu'il est « plus ancien que leur mémoire ». Ainsi dans le qua-
trième Évangile le Sauveur dit aux Juifs « En vérité, en vérité, :

avant qu'Abraham fût, je suis » {loa. viii, 58). Sur quoi les Juifs
prennent des pierres pour le lapider, mais Jésus se dérobe à leurs
coups. Nous n'avons pas, dans les y 15-16, une affirmation de la pré-
destinationdu juste qui parle, l'hypothèse est de M. Harnack; nous
avons une affirmation de la préexistence du Chinst, et de son impassi-
bilité dans sa passion.
7. — L'Ode XXIX ne présente que quelques indications sur le Christ.

Salomon. figure de l'âme qui est à Dieu, espère dans le Seigneur:


il ne sera pas confondu [Ps. xxx, i; lxx, 1). Le Seigneur l'a exalté
(Ps. cxvir, 16). Le Seigneur l'a fait remonter des profondeurs de l'en-
fer et de la gueule de la mort {Ps. xv, 10; xxix, i; lxxxv, 13),
l'enfer et la mort pouvant s'entendre d'un homme qui est dans l'igno-
rance de Dieu « Par l'efTet de la miséricorde de notre Dieu, grâce à
:

laquelle nous a Nisités d'en haut le soleil levant, pour éclairer ceux
qui sont assis dans les ténèbres et l'ombre de la mort {Ps. cvi, 10 et
14), pour diriger nos pas dans la voie de la paix » iLuc. i, 78-79 .

Dieu a humilié ses ennemis, expression toute biblique {Ps. xliii, 8;

liflcatif répété de la mort : Ibid. 17 (p. 99). Cf. Eccli. xu, 1 : « mort, combien amer
(utxoôv) est ton souvenir! » Par contraste, la « douceur » serait la vie. — Comparez Actu
loannis, 9 (éd. Bonnet, p. 156) : ... ir:vto -b tîott.cicv 3 a-jyy-j-A.x'/z'.^ xtà.
(1) Harnack, p. 6i. Spitta, p. 283.
(2) Ita E. Krebs. Der Logos als Heiland Freiburg 1010}. p. 64 : » An den Christus der
Kirche kanu birr allerdinss nicht gedacht werden. wobl aber an den doketischen Christus,
wieer Z. B. in Jobannesakten c. 101... Legen wir die ganze Ode einem doketischen Christus
oder auch dem Christus (natiirlich nicht dem Jésus) der Ophiten in den Mund, so ist sie ver-
standlich, viel verstandlicher als im Munde eines jùdischen Mystikers ».
LES ODtS DE SALOMON. iTt

cviii, 28; cxviii, 78, etc.), sans qu'il y ait à chercher ici des ennemis^
autres que ceux du salut et de la vérité.

^
Car f ai cru au Christ du Seigneur, et il m'est apparu que c'est lui It Seigneur.
Il m'a montré son signe, et m'a conduit dans sa lumière...
'•

Ces deux f sont manifestement chrétiens, écrit M. Harnack (1 ), qui


identifie le " signe » avec la croix. Si Ton veut bien rapprocher Ode
xxiii, li, on se convaincra que le « signe » est plutôt sur la croix,
c'est donc le Christ lui-même. Le Christ est un signe, une manifesta-
tion, une théophanie. « Il m'est apparu que c'est lui le Seigneur ».
Le Salomon mystique qui parle a reçu de Dieu le sceptre de sa <'

puissance » nous entendrons qu'il a reçu la parole de Dieu (se rap-


:

peler Ps. Lxvii, 12 pour soumettre les pensées {Ps. cxlv, 4) des
,

nations, et cela suppose une prédication universaliste sans que pour ,

autant il faille avec M. Spitta 1^2 reconnaître ici une description de


l'apostolat de saint Paul! Le Seigneur, par sa parole, a jeté à terre
mon ennemi [Ps. lxxi, 4), doublet du ^'5, et le vaincu le démon)
n'est plus qu'une paille que le vent emporte [Ps. i, i .

8. — L'Of/exxxi est messianique et l'œuvre d'une main chrétienne,


écrit M. Harris. De son côté, M. Harnack reconnaît dans les y 7-11
une section « très vraisemblablement chrétienne ». et dans les y 3-5
un texte « manifestement chrétien ». Tant il y a que M. Spitta estime
que les ^^ 1-2 constituent à eux seuls l'ode primitive, tout le reste
étant de seconde main. Mais, pas plus que M. Harnack, il ne doute
que les y 3-6 (et autant les y 7 et suiv.) ne doivent s'entendre du
Christ. M. Gunkel relève avec plus de raison la parfaite unité de cette
ode (3).

'
Les abîmes se sont liquéfiés devant ie Seigneur,
et l'ombre a été anéantie par son rej^ard..
- L'erreur a erré et a péri devant lui;

la sottise ne trouva pas de chemin


et s'évanouit devant la vérité du Seigneur.
^ Il ouvrit sa bouche et proclama grâce et joie ;

il proclama une louange nouvelle à son nom ;

^ il éleva sa voix vers le Très-Haut

et lui offrit les fils qui étaient en ses mains,


^ et leur personne fut justifiée,

ainsi le lui avait accordé sou Père saint.


6 Sortez, vous qui avez été persécutés, et recevez la joie;
héritez de vos âmes par la grâce, et recevez la vie immortelle!

(1) Harnack. p. 62.

(2) Spitta, p. 284.


(3) Harris, p. 129; Harnack, p. 63-64: Spitta, p. 285; Glnkel, p. 313.
172 REVUE BIBLIQUE.
"'
Ils me déclarèrent coupable quand je me tins debout, bien que je ne fusse
pas coupable,
et ils partagèrent mes dépouilles, bien que je ne fusse en rien leur débi-
teur.
8 Pour moi, j'ai été patient, je me suis tu
et j'ai gardé le silence, comme si je n'étais pas ému par eux.
' Mais je me suis dressé inébranlable
comme un rocher solide, qui est battu par les vagues et résiste.
"^ J'ai souffert leur méchanceté par humilité
^' pour sauver mon peuple, et l'acquérir en héritage,
pour ne pas annihiler les promesses faites aux patriarches,
que j'avais promises pour le salut de leur race.

Les "^ 1-2 sont un prélude : labime et l'ombre symbolisent les


puissances mauvaises (1), qui vont être vaincues par Dieu : l'erreur
va s'évanouir devant la vérité du Très-Haut.
Avec le ^^ 3 commence une description de la mission du Christ. Il
a ouvert la bouche, il a proclamé grâce et joie, la louange nouvelle
au nom de Dieu [Ps. l, 17). Il a élevé la voix vers le Très-Haut pour
lui oflPrir les fils qui étaient entre ses mains on dirait un écho du :

quatrième Evangile « Je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux


:

que vous m'avez donnés, parce qu'ils sont à vous... » [loa. xvii, 9 et
suiv). Cette brève description de la mission du Christ se termine par
une sorte d'appel lyrique aux élus sortez, vous qui avez été persé- :

cutés, et recevez la joie et la vie immortelle (à rapprocher de


IV Esdr. II, 35-37).
Dans prend la parole, comme nous l'avons mi
les ^' 7-11, le Christ

faire dansl'Of/e x et dans Y Ode xvii, par exemple, et toujours sans


transition. Ses ennemis l'ont déclaré coupable, bien qu'il ne fût pas
coupable, allusion, moins au jugement du Christ, qu'A sa crucifixion:
j'imagine, en effet, que les mots « quand je me tins debout » s'enten-
dent de la mise en croix. Notre ode n'écrit pas un mot qui laisse
supposer que le Christ a soullert : au lieu de dire crucifié, eUe dit
debout. Les ennemis « partagent les vêtements du Christ » rappel :

de Ma7X. xv, 24, et parallèles. Les mots « J'ai été patient, je me suis
tu » sont un rappel d'Isaïe [Is. xlh, 14). Très remarquable est le ^ 8'' :

Et j'ai gardé le silence comme si je n étais pas ému par eux.

Ce ^semble supposer que le Christ en croix ne parle pas, ce qui est f

conforme au récit de l'évangile apocryphe de Pierre (sauf le cri


dernier : « Ma force, ma force, tu m'as abandonné »). Mais la rencontre

(1) Glnkel, p. 313.


LES ODES DE SALOMON. i73

avec l'évang-ile de Pierre est plus saisissante, car cet évang-ile sex-
prime ainsi :

aÙTOç 03 îz:(ji~0i l'iiç ur^ov/a. 7:ôvov ïywv.


Mais il se toisait comme s'il n'avait aucune émotion (i).

Les commentateurs de Tévangile de Pierre ont signalé avec grande


raison dans ce trait un trait de docétisme : il faut reconnaître le même
docétisme dans notre ode. Le y 9 exprime une impassibilité de même
(jualité :

Hais Je me suis dresse inébranlable


comme un rocher solide, qui est battu par les vagues et résiste (2).

« suis dressé » nous donne le même sens que, plus haut.


Je me je '<

me debout » le Christ s'est tenu droit sur la croix pas trace de


tins : :

clous pour l'y fixer. L^e Christ se soumet à la méchanceté de ses bour-
reaux, par humilité, pour sauver son peuple, l'acquérir en héritage.
Aucune allusion au sang rédempteur.
9. —
L'Ode XLii. qui est de première importance pour la christo-
logie, s'ouvre par une allusion à la croix, qui se trouve littéralement
dans Y Ode xxvii :

XLii : XXVII :

'
J'ai étendu mes mains et me suis cou- '
J'ai étendu mes mains et sanctilie le Sei-

sacré au Seianeur : sneur;


* l'extension des mains en est le signe, - l'extension de mes mains est son signe.
3 l'extension du bois où a été pendu sur et mon extension est le bois qui est
la route le Juste. dressé.

Dans les deux Odes le personnage qui étend les mains pour —
prier — est le Salomon mystique auteur des odes, le même qui dit

dans l'Ode xxxvii :

* J'ai étendu mes mains vers le Seigneur,


et vers le Très-Haut j ai élevé ma voix.
- fai parlé par les lèvres de mon cœur,
et il m'a entendu, ma voix atteignant jusqu'à lui.
^ Sa parole est venue vers moi, qui me donna les fruits de mes travaux,
et me donna le repos par la grâce du Seigneur.

Étendre les mains est donc synonyme d'invoquer. « Sanctifier le

(1) Euangel. Pétri, 10 (Preuschen, p. 17. Schubert, p. 24-25. Hennecke, p. 81. Robi.n-
soN et James, Tlie Gospel according ta Peter (London 1892'. p. 19. Semeria. « L'évangile
de Pierre », Revue biblique, 1894. p. 536-539.
(2) Harkis, p. 129, rapproche une pensée de Marc-Aurèle. rencontre purement fortuite

dans une comparaison, sans quil faille comme GL>kEL, p. 314, parier ici dintluence de la
philosophie grecque.
174 REVUE BIBLIQUE.

Seigneur » revient à le louer, le glorifier. « Je me suis consacré au


Seigneur » implique que la prière, la louange, le cantique, sont la
mission du Salomon mystique qui parle. Il dit dans le même sens,
Ode XL :

'*
Comme la source fait jaillir ses eaux,
^ mon cœur fait jaillir la louange du
ainsi Seigneur,
mes lèvres émettent poitr lui une louange, et ma langue des cantiques.
* Mon visage exulte dans sa joie
et mon esprit exulte dans son amour.

Dans VOde xxvii et dans l'Ode xlii, étendre les mains est un geste
qui évoque la pensée de la croix, l'extension des bras de la croix où
a été crucifié le Juste (1).

Reprenons l'examen de VOde xlii. Les ^' 1-3 sont un prélude, dans
lequel l'auteur du psaume exprime qu'il va prier, qu'il lève les
mains pour prier. Puis, aussitôt, c'est le Christ qui parle (2), sans
transition, procédé familier à nos odes.

* J'ai été sans utilité pour ceux qui ne m'ont pas saisi,

mais je suis auprès de ceux qui m'aiment.


* Us sont morts, tous mes persécuteurs,
mais ils me prient, ceux qui croient en moi.
Je suis vivant,
f'je suis ressuscité,
et je suis avec eux.
et je parle par leur bouche.
"
Or ils ont méprisé ceux qui les persécutaient,
* car j'ai jeté sur eux le joug de mon amour.
9 Comme le bras du fiancé sur la fiancée,
"' ainsi est mon joug sur ceux qui me connaissent.
•'
Comme la tente de fiançailles qui est étendue chez le fiancé,

ainsi est mon amour sur ceux qui croient en moi.

Rappel de la passion, le Christ a été insaisissable à ses bourreaux.


Aucune mention de la mort en croix. « Je suis vivant, je suis ressus-
cité » (3), je suis avec ceux qui croient en moi, j'ai jeté sur eux le

(1) M. Harkis, p. 126, signale le même symbolisme dans le texte gnostique publié par
C. ScHMiDT, Kopt. gnost. Schriften, t. I, p. 33fi, description du Père : « Les cheveux de
sa tête sont le nombre des mondes (y.6(7[xot) cachés, ... et l'extension de ses mains est la
révélation de la croix». — Ce symbolisme des mains étendues (le geste des orantes) appar-
tient à la plus ancienne littérature chrétienne. Cf. Bnrnab. epistul. xii, 2, et la note de
FiNk, p. 75.

(2) GiNkEL, p. 303.

(3) On attendrait : J'ai été mort, je suis ressuscité (cf. Rom. xiv, 9; // Cor. v, 15). Mais
l'ode se lait sur la mort du Christ.
LES ODES DE SALOMON. 175

joug de mon amour 1 . — Dans YOde v on a la contrepartie de ces


déclarations, d'abord description du Christ insaisissable.

* Les persécuteurs viendront et ils ne me verront jjos.


5 Un nuage tombera sur leurs yeux,
d'obscuriti-
et il n'y aura pas pour eux de lumière pour voir.
en sorte qu'ih ne me saisiront pas.

Et aussitôt prophétie de malheur contre ces aveuglés : « Que leur


pensée devienne une tumeur, et que ce qu'ils ont machiné se tourne
contre leurs têtes... » Ces imprécations contre les bourreaux du Christ
sont d'autant plus à souligner quelles supposent chez 1 auteur des
Odes des sentiments très hostiles aux Juifs. Revenons à YOde xlii. — •

Le Christ y insiste sur son impassibilité il a semblé être réprouvé, :

un trait qui rappelle la prophétie disaïe citée par second Évangile


le

{.Marc. XV, 28; : il n'a pas péri, bien qu'il ait été condamné, nouvelle
négation de la mort du Christ. Puis, récit de la descente au Schéol :

•' Le Schéol m'a vu et a été vaiDCii:


*^ la mort m'a laissé retourner, et beaucoup avec moi.
*"
J'ai été pour elle Gel et vinaigre,

et je suis descendu avec elle, autant qu'il y avait en lui de profondeur.


'* Elle a détendu les pieds et la tète,
parce qu'elle n'a pas pu supporter mon visage.

Le Schéol et la mort, personnifiés, sont un seul et même être, que


le Christ a vaincu : rappel d'Osée xiii, lij : « Je serai ta mort, ô mort;
je serai ta destruction, ô enfer », repris par saint Paul [I Cor. xv, 55).
Le Schéol a laissé le Christ sortir de ses profondeurs, et beaucoup

avec lui à sa suite. Amère est la mort : le Christ a été pour elle plus
amer encore, il lui a été fiel et vinaigre. Il est descendu dans sa
profondeur « avec elle » : on peut se demander si le pronom elle

ne désignerait pas la croix, puisque la mort et le Schéol ne sont qu'un :

« Jusqu'au pied courut la roue », c'est-à-dire la croix, lisions-nous


dans Ode xxiii. li. Le y 18, « Elle la croLx?i a détendu les pieds et
la tête >), terriblement obscur, rappelle peut-être Ode La xxm, li : <(

tête descendit jusqu'aux pieds ». Détendu » serait un non-sens du «

syriaque, et l'on comprendrait mieux la croix a rapproche' la tète :

le Christ des pieds les enfers, les justes prisonniers du Schéol).

Ij Spitta, p. 264, marque


que ces expressions ne s'appliquent qu'au Christ, et
très bien
il rapproche Ode x, 8; ïli, 3 et 12. —
Pour l'iraage du « joug » et du fiancé, on a Mat.
XI, 29 et 30: Mat. ix, 15; Marc, n, 19; Luc. v. 34. Aucune dépendance littérale. Dans l'ode,

fiancé, fiancée, tente de fiançailles, sont des images sans aucune des significations « sacra-
mentelles « que le gnosticisme y mettra. Bocsset. Hauptprobleme, p. 315. Ce sont des
images purement morales, Gu>kel, p. 304.
176 REMJE BIBLIQUE.

La mort a été vaincue parce qu'elle n"a pu supporter le visage du


Christ.

^' J'ai tenu une assemblée de vivants parmi ses morts,


et je leur ai parlé avec des lèvres vivantes,
-"en sorte que ma parole ne fût pas vaine.
-' Ils ont couru vers moi ceux qui étaient morts ;

ils ont crié et dit :

« Aie pitié de nous, Fils de Dieu, et agis avec nous selon ta grâce :

--
fais-nous sortir des lieus des ténèbres et ouvre-nous la porte,
pour que par elle nous sortions vers toi.

-3Car nous voyons que notre mort ne s'est pas approchée de toi.

-^Soyons sauvés, nous aussi avec toi,


parce que tu es notre Sauveur. »

-^Pour moi, j'entendis leur voi.\, et je traçai mon nom sur leur tête;
-•^
c'est pourquoi ils sont libres et m'appartiennent.

Ceci est une description delà prédication du Christ aux justes em-
prisonnés dans le Schéol. « .\ie pitié de nous, Fils de Dieu », rappelle
Luc. xvu, 12, les lépreux demandant à Jésus de les guérir. Les morts
proclament que le Christ nest pas mort « Notre mort ne s'est pas :

approchée de toi ». Le Christ trace son nom sur leur tête, comme le
nom du Père est écrit sur le Fils [Ode xxiii, 20) ils sont délivrés, ils :

appartiennent au Christ.

VII. — Du docétisme de cette christologie.

Lorsque, tout à Iheure, nous étudierons la sotériologie des Odes.,


nous aurons à recueiUir encore quelques données christologiques ca-
pables de compléter le relevé qui précède. Au point où nous voici
arrivés, nous en avons assez pour esquisser la christologie de notre
écrivain. Dieu, le Seigneur, est le Très-Haut. De Dieu vient le Fils,
comme le lait est trait des mamelles : celui qui a été trait est le Père,
et celui qui a trait est l'Esprit saint. L'Esprit a donné au monde le lait

du Père, et le Fils est la coupe de ce lait. Le Fils est encore comme


une lettre du Très-Haut la lettre est envoyée comme part une flèche
:

d'un arc tiré avec force. La conception virginale est l'œuvre du saint
Esprit, qui a étendu ses ailes sur le sein de la Vierge qui conçut et
enfanta. Mais, dans cet enfantemçnt « sans douleur », elle a enfanté un
fils qui est « comme un homme », elle l'a enfanté « par la volonté »

du Père, elle Fa enfanté « en similitude ». Le Christ est « par l'aspect


réputé semblable » à tout homme, et il est devenu comme notre na-
ture et comme notre figure. Il est dans le monde le « visage » visible de
Dieu. Il est insaisissable et impassible : il échappe aux mains des enne-
LES ODES DE SALOMON. 177

mis qui veulent le saisir. Je ne péris pas, dit le Christ, parce que je
notais pas leur frère, ma naissance n'étant pas comme la leur : ils

cherchèrent ma mort
ne réussirent pas. L'Esprit est dans le Christ,
et
lEsprit ne peut mourir. La crois donc a reçu le Christ, la croix signe
de royauté sur la croix il est, non pas cloué, mais debout, il garde
:

le silence, il est inébranlable et sans émotion. Vivant, il descend aux


enfers et prêche aux morts qu'il conquiert à la vie immortelle.
Préexistence, conception virginale, docétisme, descente aux enfers,
ces éléments caractérisent la christologie des Odes de Salomon.
Un seul de ces éléments intéresse notre enquête, le docétisme, qui
seul peut aider à reconnaître le et le milieu où les Odes de moment
Solomon ont vu le jour. Ainsi, nous avons déjà noté des rencontres
frappantes entre le docétisme de V Evangile de Pierre et celui de nos
odes. Or V Évangile de Pierre n'est pas un produit de la grande Église :

un évêque comme aux environs de Tan


celui d'Antioche, Sérapion
200). l'ignore totalement quand on lui en dénonce l'existence et
l'usage -dans l'église de Rhossos (1). V Évangile de Pierre vient
pourtant de Syrie, et il ne remonte pas plus haut, pense-t-on, que
le milieu du second siècle (2).
il y a ceci de commun que
Entre Y Évangile de Pierre et nos odes,
le docétisme y est indépendant de toute spéculation gnostique, en
désignant par spéculation gnostique avant tout les généalogies d'in-
termédiaires supposés placés entre le Père et soit le monde, soit l'hu-

manité. —
Nos odes ne sont pas marcionites, bien que des traits
semblent avoir une couleur marcionite si. pour Marcion, on doit re- :

fuser toute substance corporelle au Christ, si l'incarnation est une


théophanie analogue à celles qui apparurent à Abraham et à Loth, si
donc le Christ davantage
n'a pas souffert, n'est pas mort, il n'est pas
né, il n'est surtout pas né 3 Tandis que dans les Odes de Salomon
.

le Christ est né, sa conception virginale est affirmée tout autant. —


Nos odes ne sont pas valentiniennes, car pour Valentin, et abstraction
faite ici encore de toute présupposition cosmologique, dans la chris-

tologie il y a dualisme d'une part le Christ, fils du démiurge naissant


:

per virginem, non ex virgine, procédant de la Vierge u transmeatorio


potiusquam generatorio more > (et cette naissance pourrait présenter

(1) EcsEB. H. E. VI, XII. 6,

i2j Henxecke, p. 79.


(3) Tertlll. Adv. Marcion. m, 8 : « Non erat quod videbatur. et quod eratmentiebalur
caro nec caro, homo net homo ». Id. U -. « ... ex fide quidem Cbristurn circumtulisse cai-
nem nullius tamen nativitatis, utpote de elementis eam inutuatum... Plane nativitatis men-
dacium recusasti ».
REVUE BIBLIQUE 1911. N. à., T. MU. — 12
178 REVUE BIBLIQUE.

quelque analogie avec celle que décrivent nos odes) mais, d'autre ;

part, le Sauveur se superpose (au moment du baptême) à ce Christ


ainsi né et fait homme. Le Sauveur est impassible, insaissisable, invul-
nérable; quand ses ennemis s'emparent du Christ-homme, le Sau-
veur se sépare du Christ, et, dans la passion, il ne reste plus que le
Christ de chair pour soufï'rir (1). Pas trace de ce dualisme dans les
Odes [2). — Abstraction faite encore de toute présupposition cosmolo-
gique, Basilide se rapprocherait davantage du type christologique
qui se retrouve chez Marcion, du moins à en juger sur ce qu'en rap-
porte Irénée. Le Fils est apparu homme sur terre ; il n"a pas souffert
sur la croix, c'est Simon le Cyrénéen qui a été crucifié sous l'appa-
rence du Christ, pendant que le Christ assistait à la crucifixion sous
l'apparence de Simon. Le Christ était une vh'tus incorporalis, il était
le vcjç du Père, il prenait l'apparence qu'il voulait, il était insaisis-

sable. Si quelqu'un dit qu'il a été crucifié, celui-là n'est pas délivré
de la puissance mauvaise qui a fait les corps; si quelqu'un nie qu'il
ait été crucifié, celui-là connaît l'économie voulue par le Père (3). —
De ces confrontations on conclura, comme M. Wellhausen, comme
M. Gunkel, qne l'auteur des Odes de Salomon est étranger au gnos-

(1)Tertull. Ado. Valent. 27 « ... delalur ia virginem... per ipsani. non ex ipsa, non
:

matrem eani, sed viam passus. Super hune itaque Christum devolasse tune in baptismatis
saeramento Soterem per efligiem columbae... El Soler quidam permansit in Christo impas-
sibilis, inlaesibilis, inapprehensibilis.Penique eum ad appiehensiones venitur, discessit ab
illo in cognitione Pilati... ». Iken. Haer. I, vu, 2
Patitur vero aninialis et carneus Cliristus :

« ... Dicunt emisisse eum et Christum filiiim suum, sed et aninialem... Esse autem hune,

qui per Mariam transieril, quemadmodum aqua per tubum transit, et in hune in baptis-
iiiate descendisse illuni, qui esset de pleromate e\ omnibus. Salvatorem ia figura columbae...

Etliune quidem impassibilem persévérasse, non enim possibile erat pati eum. eum esset in-
compreliensibilis [àxçiTrjXo;] et invisibilis et propter hoe ablatum esse eum traheretur ad
:

Pilatum, ilium qui depositus erat in eum spiritum Christi... »

(2) Ne pas oublier que les Odes ne prononcent


nulle part le nom de Jésus, mais mention-
nent seulement le Christ.

(.3)
« [Primogenitum] appararuisse eumin terrahominem, etvirtutes
Iren. Haer.l, xxiv, 4:
perfeeisse. Quapropter neque passum eum. sed Simonem quamdarn Cyrenaeum angariatum
portasse crucem élus proeo; et hune seeundum ignorantiara et errorem crucifixum, trans-
figuratum ab eo, uti putaretur ipse esse lesus; et ipsum autem lesum Simonis aecepisse
fonnam, et stantem irrisisse eos. Quoniam enim virtus incorporalis erat. et Nus innati Pa-
tris, transfiguratum quemadmodum vellet, et sic ascendisse ad eum qui miserat eum, deri-

dentem eos, eum teneri non posset, et invisibilis esset omnibus... El nonwjportet eonfiteri
eum qui sit crucifixus, sed eum qui in hominis forma venerit, et putatus sit crucifixus...

adhuc hic servus eft,


Si quis igitur, ait, conlitetur crucifixum, et sub potestate eorum qui
corpora fecerunt; qui autem negaverit, liberatus est quidem ab iis, cognoscit aulem disposi-
lionem innati Patris ». Cette notice sur Basilide se retrouve dans \e. Syntagma d'Hippoljte
tel qu'il est résumé par le pseudo Terlullien en appendice au De praescriptionibus, 46 : il

ny est pas question de la naissance du Christ, non plus que dans Epiph.\>. Haer. xxiv, 3,

qui dépend aussi des Syntagma d'HippoIyte.


LES ODES DE SALOMON. 179

ticisme de Valentin. de Basilide. et plus encore à celui de Marcion.


Son docétisme relève d'un milieu plus mystique, lélractaire à la my-
tholos'ie cosmologique qui est prépondérante dans ie snosticisme.
En soi, le docétisme est antérieur au gnosticisnie. et il n'a pas été

une doctrine propre au gnosticisme. Un texte très curieux d'Origène (1)


témoigne que le récit évangélique de la transfiguration avait suggéré
que le corps du Christ était un corps transfigurable le Christ avait pu :

se montrer sous des aspects divers selon <pi il voulait et selon que
ceux à qui il se montrait étaient plus ou moins dignes, conception
bizarre qui servait à rattacher la vie ressuscitée du Christ à sa vie
naturelle, et celle-ci à sa préexistence. Cette soi-disant tradition dont
parle Origène comme non incroyable
d'une assertion est acceptée « >,

sans protestation par Clément d'Alexandrie (2 De ce docétisme étranger .

à toute spéculation gnostique, nous avons des expressions d'un ex-


trême relief Acta loannis ces Acta remontent à la seconde
dans les

moitié du second siècle expressions « mythologisantes » apparentées


,

aux fables de Basilide sur la passion, expressions trahissant une indé-


pendance entière envers le récit des Évangiles 3 Le docétisme des .

Odes de Salomon n'a pas cette indépendance qu'ont les Acta loannis :
il est plus radical que celui de la tradition tolérée par Origène.

acceptée par Clément: on peut se risquer à dire que, moins poussé


au mythe, il doit être daté d'une période plus ancienne que les Acta
loannis.
Le docétisme des Odes de Salomon serait-il congénère de celui que
saint Ignace combat avec tant d'insistance i ? Les hérétiques d'Ignace
sont subtils et séduisants Ils s'entremêlent Jésus Christ pour être
: '

crus, ils font comme s'ils ofiFraient un poison mortel dans une coupe
de vin et de miel, et l'étourdi boit la mort avec plaisir dans ce breuvage
perfide » Trall. vi, 2 , Donc ils sont chrétiens, ces hérétiques, mais
ils se trahissent en ce qu'ils « ne parlent pas de .Jésus Christ descen-

(1) ORir.EN. InMat. comment, ser. 100 « Venit ergo traditio talis ad nos de eo, quo-
:

niain non solurn duae formae in eo l'uerunt, una quideui secundum quam omnes eum vide-
bant, altéra autem secundurn quam transûguratus est corarn discipulis suis ininonte. quando
et resplenduit faciès eius tanquam sol. sed etiam unicuique apparebat secundum quod fûe-
rat dignus. Et cum fuisset ipse. quasi non ipse omnibus videbatur... Et non mibi videtur
incredibilis esse traditio iiaec, sive corporaliter propter ipsum lesum, ut alio et alio modo
videretur hominibus. sive propter ipsam Yerbi naturam, quod non similiter cunctis apparet .-.
(2 Clemem. Al. Adumbrat. in I loa. i^ 1 (éd. Staehli.v. t. TII, p. 210 : « Fertur ergo in
traditionibus. quoniarn lohannes ipsum corpus quod erat extrinsecus tangens, manum suam
in profunda misisse et ei duritiara carnis nulle modo reluctatam esse, sed locum manui prae-

buisse disclpuliù. Tixeront, Hisl. des dogm., 1. 1, p. 271, pour les autres textes de Clément.
(3) 4c<a /oa/uus, 89-104 'éd. Bonset, p. 194-202).
(4) Sur le docétisme primitif, Holtzmanx, T. Théologie X (1897). t. II, p. 385.
180 REVUE BIBLIQUE.

daut de David et de Marie (toj â/. Map(aç), qui a été enfanté vrai-
fils

ment qui a mangé et bu, qui a souffert vraiment


(àAY;6(T;ç h(vrrrfir,),

sous Ponce Pilate, qui a été crucifié vraiment, et est mort..., qui est
ressuscité vraiment des morts... » (ix, 1-2). Mais, « s'il n'a soulTert
qu'en apparence {-h ccv.sTv), comme disent certains athées, des incré-
dules, qui ne sont eux-mêmes qu'une apparence, à quoi bon suis-je
enchaîné et désiré-je être livré aux bêtes? C'est pour rien que je
meurs » (x). — Vous, dit Ignace aux Smyrniotes, vous ne doutez pas
que le Christ soit « vraiment descendant de David selon la chair,...
vraiment enfanté d'une Vierge (s/. •rzapGsvcj), baptisé par Jean,... vrai-
ment percé de clous pour nous dans sa chair au temps de Ponce
Pilate et dutétrarque Hérode » (Smyrn. i, l-^^i. Le Christ a vraiment
souffert, et « il n'a pas souffert en apparence (ts ocy.sîv) comme des in-
crédules le disent, qui ne sont eux qu'une apparence, et à qui il ar-
rivera d'être, conformément à ce qu'ils enseignent, sans corps et
démons » (ii). Même après sa résurrection, Jésus Christ a eu un corps
(m). J'ai à vous mettre en garde contre les « bêtes anthropomorphes »

que sont ces hérétiques, fuyez leur rencontre, priez pour leur con-
version, si difficile soit-elle (iv. 1), Si les actions du Christ ont été
une apparence, à quoi bon souffrirais-je? « Car c'est pour souffrir avec
lui que je souffre tout, lui-même m'en donnant la force, lui qui s'est
fait homme parfaitement » (iv, 2). Ignace dénonce aux fidèles de

Smyrne ces « ignorants qui renient avocats de la mort


i) Jésus Christ, <(

plutôt que de que rien n'a convaincus, ni les prophéties, ni


la vie », et
l'Évangile, ni « les souffrances endurées par chacun de nous », car ils
nient que le Sauveur soit chair (jjap/.csipcv), en quoi ils sont eux des
enterreurs (vôxpcçôpcç) « Les noms de ces hommes sont des noms
:

d'incrédules, il ne me plait pas de les écrire » (v, 1-3).


Saint Ignace révèle un autre aspect du docétisme qu'il combat, à
savoir ses attaches avec le judaïsme. On croit, en effet, qu'Ignace n'a
pas eu affaire à deux mouvements, l'un docète, l'autre judaïsant, mais
à un seul mouvement qui était ensemble docète et judaïsant. Les hé-
rétiques d'Ignace vivent v.y-y. '.ojsaïŒiJ-iv {Magn. viii, 1), c'est-à-dire
comme si la grâce n'avait pas été apportée par Jésus Christ, et alors
que nous devons vivre v.y-y. Xp'.7-:iv. « Quelle absurdité, écrit-il, d'avoir
sur les lèvres Jésus-Christ et de judaïser! » x, 3). Et aux Philadel-
phiens « Si quelqu'un vous interprète (vous enseigne) le judaïsme, ne
:

l'écoutez pas. Mieux vaut entendre le christianisme enseigné par un


circoncis (1), que le judaïsme par un incirconcis. S'ils ne vous parlent

(1) Ce texte est difficile, parce qu'elliptique : il vaut mieux s'en tenir au christianisme ensei-
LES ODES DE SALO.MON. 181

ni l'un ni l'autre de Jésus Christ, ils ne sont à mes yeux que des stèles
funéraires; et des tombeaux, sur lesquels ne sont inscrits que des
noms d'hommes » [Philad. vi, 1).

ne s'agit pas d'un judaïsme de pratique, qui consisterait à observer


Il

le sabbat ou la circoncision, mais d'un judaïsme de foi, qui est prêché

par un incirconcis.

VIII. — La sotériologie des « Odes ».

Nous abordons un second aspect de nos odes, qui est la conception


qu'elles ont du salut. Nous y avons touché déjà par plus d'une
citation, qu'il convient de rappeler. Ainsi Ode m :

'»Qui adhère à celui qui m: meurt pas- fiera luiauKsi immortel.


" Et celui qui se compUot en la vie sera vivant.

Ainsi encore l'Ode xi. Le personnage qui parle a eu son cœur cir-
concis : le Très-Haut a circoncis son cœur par l'Esprit saint (1). Le Très-
Haut a mis son amour dans le cœur circoncis ; en même temps que
l'amour, sa science.
<'
Vue eau parlante s'est approchée de yncs lèvres, de la source du Seigneur,
libéralement.
'
Et j'ai bu, et j'ai été enivré de Veau vivante qui ne meurt pas.

Un don par Dieu à ses fidèles « Je devins riche par son


est fait :

don. » Ce don est vêtement, lumière, repos incorruptible, rusée,


brise agréable. Dans VOde iv, le don se précise Dieu a donné à ses :

fidèles son " cœur », le cœur étant la connaissance, la science :

5 Tu as donné ton cœur, 6 Seigneur, à tes fidèles...


® Une heure de ta foi est plus précieuse que tous les jours et heures.
'•
Qui revêtira la griice et se montrera inçjrat?
^ Tu novLs as donné ta communion ...
*'•
Aspjcrge-nous de ta rosée,
et ouvre tes sources opulentes qui fout couler le lait et le miel.

Il ne faut demander à nos odes la variété ni des images, ni des


pensées : on peut inférer l'identité du concept de cœur, de foi,
de grâce, de communion, de rosée, de source, de lait et de miel :

tous ces termes expriment le don de Dieu. — Nous l'avons retrouvé


dans VOde vi : le Seigneur a multiplié sa connaissance, et il

s'emploie avec zèle à ce que soient connues les choses qui nous ont

fine par un circoncis les apùtres?). Mais à la phrase suivante le circoncis n'est plus supposé
être un apùtre, mais un hérétique.
(1) Cf. Col. II. 11 : « En lui le Christ) vous avez été circoncis d'une circoncision non
faite de main d'homme, de la circoncision du Christ... »
182 REVUE BIBLIQUE.

été données par sa grâce. Et, à nouveau, identité de la connaissance


et de l'eau vive dont le torrent inonde la terre :

'" Et ils ont bu tous les assoiffés qvi ('talent sur terre.
1' Et la soif a été détruite et éteinte,
car c'est par le Très-Haut qu'est donnée la boisson.
12 Heureux donc les ministres de cette boisson !

Les âmes qui étaient mourantes ont été ranimées, vivifiées, redres-
sées : la boisson « a donné la lumière à leurs yeux » (nouvelle
preuve de l'équivalence des symboles). Un ruisseau a jailli, qui est
devenu un large fleuve et a inondé l'univers. Les hommes « vivent
par les eaux vivantes pour Téternité ». L'Ode vu nous a montré que
cette eau parlante et vivante, qui est la lumière du monde, c'est le
Très -Haut se manifestant en une théophanie visible aux hommes sur
terre. En effet, le Seigneur

3 s'est fait connaître a moi libéralement * dans sa simplicité,


car sa bonté' a rapetissé .sa grandeur.
^ Il est devenu comme moi pour que je le reçoive:
^ par l'aspect il a été réputé semblable à moi pour que je le revête...

Revêtir le Christ est une expression chère à saint Paul [Gai. m, 27 ;

Ro?)i. XIII, lii, qui désigne par là le baptême mais notre ode ne
:

pousse pas à ce point la précision. Dieu se présente, pour que l'homme


le reçoive ou le revête par la science, (c Car il a élargi ma route
•''

vers la science, il l'a élargie et prolongée, conduite à toute sa per-


Le salut est dans la connaissance. Cela ressort mieux encore
fection ».
de ÏOde « Écoutez la parole de vérité et recevez la science du
viii :
•'

Très-Haut ». Le Très-Haut parle, en effet, il se révèle à ses fils, et il


leur dit :

1" Votre chair ne savait pas ce que j'ava'is à vous dire,


cœurs non plus ce que j'avais à leur montrer.
et vos
" Gardez mon secret, ô voiis qui êtes gardés par lui!
'-
Gardez ma foi, vous qui êtes gardés par elle!
*^ Connaissez ma science, vous qui me eomiaissezdans la vérité!
'* Aimez-moi d'amour, vous qui aimez!
'••
Car je ne détourne pas mon insage de ccu.r qui sont à moi...
*'
Je les ai gratifiés de mes mamelles
pour qu'ils boivent mon lait .saint et qu'ils en vii'ent.

Le Très-Haut connaît ses élus avant qu'ils ne naissent, ils sont à


lui par prédestination, il a mis son sceau de propriété sur leur visage.
Maintenant il les gratifie de ses mamelles (les mamelles du Père), il
leur donne son lait saint pour qu'ils en vivent. Ce lait est le secret, la
foi, la science, la vérité, l'amour. L'ode se termine par ces mots :
LES ODES DE SALOMON. 183

-•' Priez- beaucoup et demeurez dans l'amour du Seigneur,


-'•
aimes dans le hieu-aimé,
pj'ései'vés dans le vii'aut,

sauvés dans celui qui a été racheté,


-•^
et vous serez trouvés incorruptibles
dans tous les siècles au )iom de votre Père.

Le bien-aimé est le Seigneur, le Très-Haut ; le \ivant pareillement


rapprochez Ode m, La symétrie demande que le troi-
3. 5, 10, 11).
sième prédicat puisse s'appliquer au Très-Haut encore, et c'est pour-
quoi « celui qui a été racheté » nest pas la leçon qu'on attendrait,
mais mieux « celui qui rachète », au sens de Ps. lxxvii, 35 « Le :

Dieu Très-Haut est leur rédempteur ». Il me parait difficile d'appli-


([uer au Fils le ^' 24.
Dans VOde x, le Christ parle et décrit son œuvre. Le Christ a an-
noncé aux hommes la paix du Très-Haut il s'est montré pour con- :

vertir les âmes de ceux qui veulent venir à Dieu, pour faire le
monde captif de cette bénie captivité. Les peuples dispersés sont ras-
semblés en un :

"
Des empreintes de lumières ont été placées sur leurs cœurs.
8 Ils ont marché dans ma vie, et ont éfr sauvés;
ils sont avec moi pour l'èterniti'.

Remarquez bien qu'il ne s'agitpas de péché à elfacer, mais de


âmes à la vérité,
convertir des etde leur communiquer une vie qu'elles
n'avaient pas. Le Christ dit de même, dans FOf/e xvn. en identifiant
son œuvre à celle de Dieu :

'- J'ai donné libéralement ma science et ma prière dans mon amour.


'3 J'ai semé des fruits dans les cœurs et je les ai changés en moi.
Us ont 7\'çu ma bénédiction, et ils rivent.
1' Ils se sont rassemblés vers moi. et ils sont sauvés,
parce qu'ils sont pour moi des membres, et que je suis leur tête.

Les hommes en qui le Christ-Dieu a mis sa science et dans les cœurs


de qui il a semé ses ne sont pas seulement bénis, vivants d'une
fruits,
vie nouvelle, ils sont changés en lui, ils sont ses membres, des mem-
bres dont il est la tête. Us lui crient Gloire à loi, ô notre tète, Sei-
: <

gneur Christ! » Mais ici encore il n'est pas parlé de péché une :

science, une vie, une bénédiction, un amour, et l'homme est uni, in-
corporé au Christ-Dieu.
Dansl'Of/e xix, le Christ est « une coupe de lait ». Les mamelles
du Père ont été traites par l'Esprit, et ce lait est donné au monde ceux :

qui le reçoivent dans sa plénitude » sont sauvés. Comparez VOde


«(

xxviii : le Christ abreuve les hommes de sa vie, il la leur participe par


184 REVUE BIBLIQUE.

la foi, et cette participation est pour eux le « repos », l'immortalité,


le salut.

D'autres Odes, que nous n avons pas encore « examinées, expri-


ment des sentiments pareils, décrivent l'action de grâces de l'âme jus-
tifiée. Voyez rOfl^i? v, où Salomon parle au nom des « saints », mais

des saints qui sont encore au milieu des épreuves de ce monde.


'
Je te rends grâces, Seigneur, parce que je faime...
3 J'ai reçu gracieusement ta grâce, J'en vivrai...
^ Parce que le Seigneur est mon Sauveur, je ne crains pas.

Dans VOde ix le même personnage, au lieu de s'adresser au Très-


Haut en forme de prière, s'adresse aux « saints », toujours en les
supposant vivant sur terre :

'
Soyez riches en Dieu le Père, et recevez la pensée du Très-Haut.
Fortifiez-vous, et soyez sauvés par sa grâce.
^'
car je vous annonce la paix à vous, ses saints.
'
Tous ceux qui entendent ne succomberont pas dans le combat,
et ceux qui connaissent ne périront pas,
et ceux qui reçoivent ne seront pas confondus.
* C'est une couronne éternelle que la vérité :

heureux ceux qui la posent sur leurs têtes ;

^ elle est une pierre précieuse.

Des combats étaient [engagés] pour cette couronne,


"' mais la justice l'a prise et vous l'a donnée.

Les sauvés sont « ceux qui entendent ». « ceux qui connaissent »,


« ceux qui reçoivent » la vérité qui est la paix, la couronne, la pierre
précieuse. L'incorruptibilité est leur fin. La vérité qu'ils reçoivent est
ledon du Très-Haut, u la pensée sainte qu'il a pensée à propos de son
Christ ». Pour cette couronne il va combat entendez la lutte du :

méchant et des saints. Ceux qui vainquent sont inscrits dans le


livre dévie.
Dans rOf/e XIII, le Très-Haut est un « miroir » le juste ouvre les :

yeux sur ce miroir, il se regarde en Dieu, il essuie la crasse de son


visage, il aime la sainteté, il s'en revêt, et il est sans tache en tout
temps auprès de Dieu. La justice est donc, pouvons-nous dire, une in-
tuition, une connaissance. —
VOde xv abonde dans le même sens de :

plus, l'auteur y exprime qu'il n'a pas toujours participé à cette con-
naissance, et que ses yeux se sont ouverts :

'
Comme le soleil est la joie de ceux qui recherchent son jour,
ainsi ma joie est le Seigneur, car il est mon soleil :

ses rayons m' ont ressuscité.


et sa lumière a dissipé toutes ténèbres devant mon visage.
3 Grâce à lui j'ai acquis des yeux, et j'ai vu son jour saint ;
LES ODES DE SALO.MOX. 18o

'
j'ai eu des oreilles, et j"ai entendu sa vérité;
' j'ai eu la réflexion de la science, et je me suis réjoui.
Par son moyen, ^ j'ai abandonné la route de Terreui-:
je suis allé vers lui. et j'en ai reçu généreusement le salut.


Selon son don il m'a donné,
et selon sa munificence il m'a traité.
''
J"ai revêtu l'incorruptibilité grâce à son nom.
'
et j'ai abondonné la corruption par sa grâce.
• La mortalité a disparu de devant mun visage.
le Schéol a été anéanti par sa parole l .

'•^
Une vie immortelle est montée dans la terre du Seigneur ;

" elle a été révélée à ses croyants,

et elle a été départie sans réserve à tous ceux qui se confient en lui.

Le Très-Haut est mon soleil: ses rayons m'ont ressuscité d'un état
de ténèbres, d'ignorance, d'infirmité comparable à la mort. J'ai

eu la science; j'ai reçu le salut, l'incorruptibilité : plus de mort,


le Schéol est anéanti : une vie immortelle monte dans la terre de pro-
mission, elle est '< révélée à ses croyants et départie à ceux qui se
confient en lui y. Ainsi « j'ai revêtu l'incorruptibilité ». — Autant dans
l'Ode XVIII :


O Seigneur, à cause des indigents ne me retire pas ta parole ;

'
à cause de leurs œuvres ne me refuse pas ta perfection.
'"'

Que la lumière ne soit pas vaincue par les ténèbres,

et que la vérité ne fuie pas devant le mensonge !


Victorieusement ta droite accomplira notre salut:
tu accueilleras des hommes, de partout,
^ et tu garderas tous ceux qui sont emprisonnés dans les iniquités.
•'
Tu es mon Dieu; le mensonge et la mort ne sont pas dans ta bouche.
'" mais la perfection est ta volonté.

Tu ne connais pas la vanité, " parce qu'elle ne te connaît pas non plus.
'- Tu ne connais pas l'erreur. '•'
parce qu'elle ne te connaît pas.
'' L'ignorance est apparue comme une cécité et comme l'écume de la mer.
*^ Ils avaient pensé à son sujet, la nulle, qu'elle était grande.
'' Ils vinrent eux aussi à lui ressembler et furent réduits au néant.
Mais ils comprirent, ceux qui comprenaient:
ils réfléchirent, '• et ils ne furent pas souillés dans leurs pensées.
parce qu'ils étaient dans la pensée du Très-Haut...

Salomon personnifiant le juste possède la lumière, la vérité: il

juge l'ignorance comme une cécité, un emprisonnement, une mort.


La lumière ne sera pas vaincue par les ténèbres " Victorieusement :

la droite accomplira notre salut )>. Tous les hommes seront accueillis
par le Très-Haut dans la vérité. Ceux qui comprenaient ont com-
pris : ils sont entrés dans la pensée du Très-Haut, et ils ont dit la vé-

(1; J'écris « sa parole r. qui est le sens réclamé par le contexte. H-4r.NACK, p. i'j.
18C REVUE BIBLIQUE.

rite à ceux qui étaient dans Terreur. — Dans Y Ode xxi, Salomon
parle encore au nom du juste, il raconte comment il a passé de la

cécité à la lumière :

^ J'ai levé les bras en haut, vers la grâce du Seigneur,


car il a rejeté mes chaînes loin de moi ;

mon protecteur m'a élevé vers sa grâce et vers son salut.


- J'ai dépouillé l'obscurité et revêtu la lumière:
"^
mes membres ont été (réunis) à mou âme sans éprouver ni douleur, ni an-
goisse, ni même souffrance.
'
Surtout la science du Seigneur m'a servi d'auxiliaire,
ainsi que sa communion incorruptible.
^ J'ai été exalté dans sa lumière, j'ai marché devant lui,
^'
et je suis arrivé près de lui. en le louant et en le gloriûan t.

"
Mon cœur a débordé:
il a envahi ma bouche, il a jailli sur mes lèvres;
l'exultation du Seigneur s'est accrue sur mon visage, ainsi que sa louange.

Cette Ode n'a rien de chrétien, écrit .M. Harnack 1. De quel ju-
daïsme donc relève-t-elle? demanderai-je. Le juste qui raconte là son
e.xpérience religieuse, est un homme qui n'attend rien de la justice
selon la loi la loi est pour lui inexistante, il ne la connaît pas. Au
:

contraire, il connaît k la science du Seigneur » il est exalté dans sa : <

lumière ». Il a désiré la grâce du Seigneur •>, et par le Seigneur il


"^

a été « élevé vers sa grâce et vers son salut ». Notez l'expression si-
gniticative « J'ai dépouillé l'obscurité et revêtu la lumière ». De
:

mort qu'il était, il a été ressuscité ses membres ont été sans douleur :

réunis à son àme. expression un peu poussée, mais qui s'entend,


s'imagine, dune résurrection spirituelle, le passage de l'obscurité à la
kmiière "2). Son cœur déborde maintenant de joie.
L'Ode xxxvi exprime la même allégresse mystique du juste élevé à
Dieu :

' Je me suis reposé sur l'Esprit du Seigneur,


et il ma porté sur la hauteur ;

- il m'a dressé sur mes pieds sur la hauteur du Seigneur, devant sa perfection
et sa majesté,
tandis que je loue selon l'ordonnance de mes cantiques.
^ Il m'a engendré devant le visage du Seigneur,
et bien que je fusse un homme, j'ai été appelé le brillant, le fils de Dieu.

(1 Harnack. p. 52.
(2) Commedans VOde xxix « II m'a t'ait remonter des profondeurs du Schéol, et de la
:

gueule de la mort il m'a arraché >•. On a donc dans les Odes une double conception du
Schéol, lune au propre, l'autre au figuré, et amphibologie entre les deux. Cf. // Tim. ii,
17-18 : « ... Hyménée et Philéte se sont éloignés de la vérité, en disant que la résurrection
a déjà eu lieu ». Toutefois les erreurs dénoncées dans les Pastorales ne coïncident pas avec
celles des Odes de Salomon.
LES ODES DE SALOMON. 187


Cependant que je loue parmi ceux qui louent,
et que je suis puissant parmi les puissants.

Car selon la grandeur du Très-Haut, ainsi il m'a créé,
et selon sa nouveauté il m'a rénové,
et il m'a oint de sa perfection,
'•
et je devins l'un de ses proches.
Et ma bouche s'ouvrit comme un nuage de rosée;
mon cœur répandit comme un torrent de justice.
^ ma présence fut dans la pai.v.
et je fus aflfermi par l'Esprit de sa providence.

Cette exaltation du juste est si sublime qu'on serait tenté, avec


iM. Gunkel (1), de la prendre pour une description de l'ascension du
Christ ressuscité. L'interprétation très séduisante de M. Gunkel me
parait cependant se heurter à plusieurs difficultés : le personnage
qui parle parmi ceu.x qui louent le Très-Haut, et
est introduit
c'est trop peu pour Le Salomon mystique qui a ici la parole le Christ.

est un juste que possède l'Esprit du Très-Haut; il est debout sur la


hauteur de Dieu i2 devant sa perfection et sa majesté; il la loue ,

parmi ceux qui le louent. Il est appelé fils de Dieu », un nom que <(

nous avons vu donné au juste dans l'Ode m :

"
Et je ne serai ixis un étranger...
^ Parce que je raime..., je deviendrai fils.

PareiUement ici, le juste devient « l'un des proches » de Dieu (3\


Il m'a engendré devant le visage du Seigneur » le mot engendré ne :

se comprend pas (ï), on attendrait produit ou présenté, au sens de


T.pzzipzv/. L'Esprit l'a donc présenté devant la face de Dieu (5 Bien qu'il .

soit un homme, il est désormais appelé le « brillant » {zm-iv/z:). et ce


mot s'explique par Ode xxxi, 2 : « J'ai dépouillé l'obscurité et revêtu
la lumière » (6 . Il est « puissant parmi les puissants », sans doute

(1) Gunkel, p. 300.


(2) Debout : « [L'Esprit] m'a dressé sur mes pieds sur la hauteur du Seigneur «. Le juste
n'est pas assis. Etre debout est une attitude de subordination. Tels les anges dans Apoc.
VII, lî ; Tiii, 3.

(3) Les proches de Dieu, les êtres qui sont près de lui, les anges. Cf. Mat. \vni, 10.
Spitta, p. 287. L. Hackspill, « L angélologie juive à lépoque néo-testamentaire ». Revue
biblique. 1902, p. 542-543.
(4) Harkis traduit « The Spirit brought me forth befove tlie face of the Lord ». Flem-
:

MiN(; X Er (^^der Geist' bat mich erzeugt vor dem Angesicht des Herrn ». Glnkel
: « Er (der :

Geist) hat mich geboren vor dem Antlitz des Herrn La traduction de Gunkel et de M. La- -
.

bourt spécifient bien plus que celle de Harris et de Flemming, et bien plus que le contexte
ne suggère car à ce moment de son o ascension
: le personnage qui parle n"a plus à être )>

engendré !

(5) Cf. .Ua(. IV, 1 : à.'rr,yjir, ilz xov ipr,(xov û-à toO Tîvs-Jp.aTo;. Rapprochez Evongel. Uebr. le
Christ porte par l'Esprit sur le Thabor. Preuschen. Antilecjomena , p. 5.
6] HACkSi'iLL, p. 532 : le corps des anges est brillant comme du chrysolithe.
188 REVUE BIBLIQUE.

les anges, qui sont (Ps. en, 20) qualifiés de ouvaxot Ig^ôi (1). On ne

peut pas dire avec M. Gunkel qu'il soit devenu « un des anges les
plus élevés ». Il a été créé par l'Esprit « selon la grandeur du Très-
Haut », ce qui s'entend d'une nouvelle création (dans le sens de Gai.
VI, 15 : rénové selon sa nouveauté » (au sens de
y.aivy; y-iiiç), il a été «

I Pet. I, 23 àvavsYîWYjyivci), il a été « oint de sa perfection ». Sa


:

présence, tout son être, est dans la paix et dans la joie. Cette ode peut
donc s'interpréter au mieux du bonheur des saints dans le ciel (2).

Comment la connaissance procède-t-elle soit du Très-Haut, soit


du Christ? — Elle procède, d'abord, directement du Très-Haut par
sa « parole ». Quelques odes nous éclairent sur la nature de cette
première manifestation de Dieu.
Ainsi VOde xii elle a pour prélude
[f 1-3) quelques paroles du
:

soi-disant Salomon sur sa propre inspiration, qui est la science qu'il


a reçue du Très -Haut :

' Il m'a rempli des paroles de vérité, pour que je puisse l'exprimer :

- comme un courant d'eau la vérité coule de ma bouche,


et mes lèvres montrent ses fruits ;

" il a lait abonder en moi sa science.

A la suite, un développement sur la « parole ».

Car la bouche du Seigneur est le verbe véritable, et la porte de sa lumière.


* Et le Très-Haut l'a donné à ses Mondes,
interprètes de sa beauté,
narrateurs de sa gloire,
hérauts de sa majesté,
notificateurs de son plan,
éVangélistes de sa pensée,
et ceux qui gardent pures ses œuvres.
''
La subtilité du verbe est au-dessus de toute expression,
et comme son expression, ainsi est sa subtilité et sa promptitude.
•^
Et sans fin est sa marche ;

il ne tombe jamais, mais il se tient ferme ;

il ne connaît ni sa descente ni sa route.


"
Telle est son oeuvre, telle est aussi sa fin.
Car il est la lumière et le rayonnement de la pensée.
'^
En lui les mondes se parlent l'un à l'autre,
et ils ont existé par le verbe ceux qui étaient silencieux ;

(1) Spitta, p. 287. Hackspill, p. 541.


(2)Je ne crois donc pas que l'onction soit celle par laquelle Jésus serait fait Christ, comme
le veut M. Gunkel (p. 301), ni que l'ode soit christologique, moins encore qu'elle représente le
Christ sous les traits d'un homme qui, à la façon d'Osiris, d'Attis, d'Adonis serait mort
homme et ressuscité dieu. Cette mythologie n'a rien à voir avec notre ode.
LES ODES DE SALOMOX. 189

' de lui vinrent l'amour et l'harmonie.


et ils dirent l'un à Tautre ce qu'ils avaient
et ils furent pénétrés par le verbe;
'' ils connurent celui qui les avait faits,

c'est ils furent en harmonie.


pourquoi
Car bouche du Très-Haut leur a parlé
la

et son explication courut par le moyen du verbe .

*' La résidence du verbe est l'homme.


et sa <'érité est amour.
Heureu.x ceux qui par ce moyen ont compris l'univers
et connaissent le Seigneur dans sa vérité.

Le y 3. - la bouche du Seigneur est le verbe véritable , rappelle


le logion de Mathieu, iv, i : " Lhomme ne vivra pas seulement de
pain, mais de toute parole yr,j.y.-'. qui sort de la bouche de Dieu »

z'.y. z-i-yy-zz hzz-j). Le •


verbe • pas /.:•;:;. mais
n"est 'zf,[j.y.. ou. si l'on
veut, a;-;:; synonyme de i?;y.a. M. Harnack peut donc écrire: On n'a
pas à songer au Logos hellénique » (1).
ici

Le Très-Haut adonné sa parole à ses mondes > nous avons ren- :

contré déjà Ode vu. 13 une mention de la souveraineté de Dieu sur


" les mondes . Ici mondes » est analogue à « cieux ». au sens du
«'

Ps. xviii, 2 mondes » racontent la gloire de Dieu, procla-


: les «
ment annoncent sa pensée. La parole de Dieu, subtile,
sa majesté,
rapide, libre, va sans tin à travers l'univers Elle est la lumière -2 .

et le rayonnement de la pensée de Dieu. La parole du verbe de Dieu


est considérée comme la cause instrumentale de l'ordre du monde.

cette parole étant la parole créatrice 3 .

Au ^'^ 8, on de voir « les mondes


est surpris se parler l'un à )>

l'autre, on attendrait plutôt que ce fussent les hommes il s'agirait :

là de Torigine du langage. Harnack croit que. dans le y 8", ils dé-


signe les hommes les y 10-11 ont sûrement pour sujet les hommes.
:

En vertu de tout ce contexte, j'entendrais 8' des hommes, non des


mondes grâce au langage t{ui est la parole donnée par Dieu aux
:

hommes), les hommes se parlent les uns aux autres ils étaient avant :

cela silencieux. La bouche du Très-Haut leur a parlé, et l'homme


est devenu la résidence du langage ou verbe.

Cette interprétation de Y Ode xii élimine de la perspective théolo-

1 Hak>\ck, p. 42.
2 Au y 6, les mots : « 11 ne connaît ni sa descente ni sa roule veulent parler de la
route de la La parole ne descend pas. au sens de déchoir, et c'est le sens
descente i
Harris».
suggéré par la première partie du verset.
'3) Sur la parole ainsi conçue, dans les livres sapientiaux surtout, voyez W. Bolsset.

Die religion des Judentums (Berlin 1903), p. 341; J. Lebreton, Les origines des dogme
de la Trinité (Paris 1910), p. 119-120; E. Krebs, Der Logos als Heiland.
190 REVUE BIBLIQUE.

gique des Odes la conception hellénique du Logos, et aussi bien la


concex^tion johanniqu* on n'y relève pas davantage trace de gnos-
;

ticisme (1). L'auteur de Y Ode xti parle de « la parole » (en Dieu)


comme en parle le livre de la Sagesse (ix, 1) et celui de VEcclésias-
tiqiie XLii, 15 XLiii, 26
I
Il y ajoute seulement ceci, que « la parole »
; .

réside dans l'homme qui Ta reçue de Dieu, et que par la parole s'est
manifestée la connaissance du Seigneur.
Ainsi fixée la signification de VOde xii, on a la clé de VOdc xvi. Le
soi-disant Salomon y exprime que sa mission est de louer le Très-
Haut (2), puis il ajoute :

^ J'ouvrirai ma bouche, et son esprit racontera par moi


'
la gloire du Seigneur et sa beauté,

l'œuvre de ses mains et le travail de ses doigts,


8 pour la multiplication de sa miséricorde et l'affermissement de son verbe.
'J
Car le verbe du Seigneur scrute ce qui est invisible (3),

et ce [qui est visible] manifeste son dessein.


'0 L'oeil, en effet, voit ses œuvres, et l'oreille entend sa pensée.
'1 C'est lui qui a dilaté la terre et fait résider l'eau dans la mer;
'-
il a étendu les cieux et flxé les étoiles ;

il a ordonné la création et l'a exécutée.


'^ Puis il s'est reposé de ses œuvres.
' '•

Les créatures courent suivant leur course et font leur œuvre -,

^^ elles ne connaissent pas l'arrêt ni l'oisiveté.

Les armées obéissent à sa parole...


*'*
Il n'y a rien en dehors du Seigneur ;

car il était avant que rien ne fût,

et les mondes ont existé par sa parole et le dessein de son cœur...

Nous avons ici une élévation sur l'œuvre de « la parole » (4), l'ins-
trument grâce auquel Dieu a exécuté et ordonné la création Le :

quatrième livre d'Esdras (vi, 38-55) a un développement analogue à


ces ^^ 11-13 sur l'œuvre des six jours. Notre ode insiste sur ce que
tout a été fait par « la parole » : les mondes doivent leur existence à
« la parole >>, et l'ordre de l'univers manifeste le dessein de « la

parole ». Pas plus que dans VOde xii, « la parole » n'est ici le verbe,
le Logos :nous restons dans la conception sapientielle de « la pa-
role ')
(5).

(1) H.^RRis, p. 106. Ceci contre Harnack qui voudrait que les «mondes » fussent les éons.
Harris, p. 111, a cru retrouver dansles y 1-5 un souvenir d'Eplclète. Hahnack, p. 45,
(2)
ne croit pas ce rapprochement fondé.
(3) La « parole du Seigneur
» scrute l'invisible. Comparez/ Cor. n, 10-13.

(4) Comparez la notion du memra dans


les largums. Lebreton, p. 145-148-. Krebs,

p. 58-59. L. HacivSpill,« La parole », Revue biblique, 1902. p. 58-73.

M. Harris observe que l'auteur de Y Ode xvi, après avoir dit que Dieu s'est reposé la
(5)
création finie, ne dit pas un mot du sabbat, et représente que les créatures font leur
LES ODES DE SALOMON. 191

Voilà déterminée la première manifestation de Dieu, celle qui a


pour moyen « la parole ». La seconde est le Christ.

L'Ode XLi est un cantique des saints, ils vivent dans le Seigneur par
sa STâce, ils ont reçu la vie par son Christ. Exultons d'allégresse dans
le Seigneur y 1-T .

' Qu'ils Imient le Seigneur, tous ses enfants,


et qu'elle les rassemble, la vérité de sa foi,
- et que ses enfants se manifestent à lui !

C'estpourquoi nous chanterons dans son amour.


^ Nous vivons dans le Seigneur par sa grâce,
et nous recevons la vie par son Christ.

Un grand jour, en effet, a lui pour nous.
et admirable est celui qui nous a donné sa majesté.
''
Réunissons-nous au nom du Seigneur,
honorons-le dans sa bonté:
illuminons notre visage de sa lumière.
et que nos cœurs méditent son amour nuit et jour.

Exultons de l'exultation du Seigneur 1

« Qu'ils s'étonnent tous ceux qui me voient, parce que je suis d'une autre race.
^ Le Père de vérité s'est souvenu de moi. lui qui me possédait dès le principe.
'" Car sa plénitude m'a engendré, ainsi que la pensée de son cœur.
" Son verbe est avec nous pour toute notre ruute;
'- Le Sauveur qui sauve nos âmes, loin de leur
nuire,
'^ l'homme qui s'est humilié et a été exalté par sa justice,
''
du Très-Haut est apparu dans la perfection de son Père.
le Fils
•^ Une lumière a lui du verbe, qui était en lui dès le Principe.
'•^
Le véritable Messie est unique, et il a été désisoé avant la création du
monde,
'"
pour sauver les âmes à jamais par la vérité de son nom...

Le prélude y 1-T) achevé, le Christ parle. Il se présente comme


un sujet détonnement pour ceux qui le voient, parce qu'il est dune
autre race queux. Et ceci rappelle Ode xvii, 6 a Tous ceux qui :

mont vu ont été étonnés, et je leur suis apparu comme un étranger ».


Ou encore Ode xxviii, 1+ « Je ne péris pas, parce que je n'étais pas
:

leur frère, puisque ma naissance n'était pas comme la leur ». Le Père


de vérité le « possédait dès le principe », peut-être comme la sagesse
personnifiée de Prov. viu. 22 ; il est donc préexistant au monde. Il

a été engendré de la plénitude 'ïv. -:j -'/:r,zhyj.x-.zz, restituerions-nous


de Dieu, et de la pensée de son cœur.

oeuvre sans arrêt ni oisiveté, les étoiles (les aimées ,


le soleil ^1}... Faut-il voir là l'indice
que l'auteur de l'ode tieut la loi du sabbat pour inexistante? Cf. Iistix. Dialotj. xxm. 3
(éd. Akchambailt, t. I, p. 104^. Harbis, p. 111; Harnack, p. 46.
192 REVUE BIBLIQUE.

Le chant des saints reprend Son verbe (la « parole de Dieu » :

au sens que nous avons déterminé plus haut) est avec nous pour
toute notre route. Et cette parole nous est apportée par le Christ. Le
Christ est « le sauveur qui sauve nos âmes ». Il est « l'homme qui
s'est humilié et a été exalté ». Il est « le tîls du Très-Haut ». Il est
« apparu dans la perfection de son Père ». A nos yeux a lui une lu-
mière du verbe qui était en lui (dans le Père; dès le principe ». Le <(

Christ est unique, il était « connu » de Dieu dès avant la création


du monde, il sauve les âmes « par la vérité de son nom ».
Nous touchons au point décisif de notre enquête ce Messie uni- :

que, préexistant dans la pensée de Dieu, eugendré de la plénitude


de Dieu, est apparu homme, humilié, puis exalté. L'Of/e xxxtii s'ex-
plique avec plus de détails :

'
La grâce a encore couru, et elle a revêtu la perdition-,

elle y est descendue pour l'anéantir.


- Il détruisit la destruction de devant lui, et il ruina tout son établissement.
•'
Puis il se tint sur un sommet élevé.
émit sa voix d'une extrémité de la terre à l'autre extrémité.

etil attira vers lui tous ceux qui l'écoutèrent,

et il ne parut pas comme méchant.


^ Or une vierge parfaite se dressa, proclamant, et appelant, et disant :

•'
Entants des hommes, convertissez-vous et vous, leurs filles, venez ! !

Abandonnez les voies de cette perdition !

Approchez-vous de moi, et j'entrerai parmi vous,


et je vous ferai sortir de la perdition,
''
et je vous rendrai sages dans les voies de la vérité.

ÎSe soyez pas détruits et ne périssez pas!


'•'
Écoutez-moi et soyez sauvés!
Car j'annonce parmi vous la grâce de Dieu :

par mes soins vous serez sauvés, et vous deviendrez bienheureux !

'" Votre juge, c'est moi;


ceux qui me revêtent ne seront pas maltraités,
mais ils posséderont le monde nouveau, l'immortel.
' '
Mes élus marchent en moi ;

et je ferai connaître mes voies à ceux qui me cherchent,


et je leur donnerai confiance en mon nom.
La signification de cette Ode xxxiii n'est pas douteuse, elle est mes-
sianique, dit M. Harris ; et «>n est surpris que M. Harnack n'y trouve
rien de chrétien, dit M. Spitta i .

La « grâce » a couru : la grâce est ce qui vient de Dieu, la science,

la vérité, la foi. On la retrouve dans YOde xxxiv :

^ La grâce a été rcvélée pour notre salut.

Croyez, et vivez, et soyez sauvés.

(1) Harkis, p. 130. Spitta. p. 287.


LES ODES DE SALOMOX. 193

La « grâce a couru >, elle est en quelque manière sortie de Dieu,


elle a revêtu la perdition, j'imagine qu'elle a revêtu l'humanité, et
ceci encore est un trait de docétisme. que l'on pourra rapprocher
d'une expression curieuse do Y Ode xxxiv :

'
Pareil <i ce qui est en bas est ce qui est en liout,
car tout est en haut.
Il nij a rien en bas, si ce n^est une apparence,
pour ceux Cil qui ne réside pas la science.

Ce qui est en haut est en bas, mais tout est en haut, car en ])as il

n'y a qu'une apparence 1 ;. Quoi qu'il en soit de ce rapprochement, la


grâce est descendue pour détruire la perdition, l'erreur, la destruc-
tion, la mort le mot péché n*est pas prononcé. Le sujet étant le
:

même qui revêt et qui détruit, c'est le même encore qui se tient sur
un sommet élevé : il se tient, il est debout, tel que nous avons vu le
Christ sur la croix dans YOde xxxi. T. Il élève sa voix, qui retentit
sur toute la terre 2).

Au une vierge parfaite » prend la parole on ne peut penser


^^ 5, « :

à la vierge Marie, ni au saint Esprit. Peut-être y a-t-il ici un souvenir


de la sagesse personnifiée du livre des Proverbes, je croirais volon-
tiers à cette dépendance littéraire 3 Cependant la vierge parfaite .

est plutôt ici la personnification grâce » du y 1, et elle est de la «


donc une ligure du Christ en personne. Les y 5 et suivants sont le mes-
sage du Christ aux hommes. Le Christ prêche la conversion on doit :

venir à lui, s'approcher de lui, et il libère de la perdition par la vé-


rité qu'il annonce
Écoutez-moi et : « soyez sauvés, car j'annonce
parmi vous » Que les hommes abandonnent les voies
la grâce de Dieu ,

de la perdition, qu'ils deviennent « sages dans les voies de la vérité » :

le contraste des deux voies, comme dans la Didachè i, 1), comme dans !

les Proverbes xii. 2G. 28 Approchez-vous de moi et « j'entrerai .

'
\) Le y 5 de YOde
xxxi\ n'est pas une spéculation mystique ne reconnaissant d'être qu'au
comme le veut M. Harnack, p. 66. Pas
divin, au bien, et déniant l'être au terrestre, au mal.
davantage une réminiscence du mythe platonicien de la caverne! Xi de la maxime prêtée
au Christ par les Acta Philippi. 34 : 'Eàv ar; -o'.t-^tt.tî Otitiv -zk -/.i-tù eî; Ta âvw x-:).. Prec-
scHEN. Antilegomena, p. 28\ Cf. Martijrium Pétri, 9 (éd. Bonnet, p. 94 : sàv u.t; T.o:r,Tf,zz....

'L â/w w: Ta y.i-w v.-/ Ce y ô doit, je crois, se comprendre d"apres


. Ode xxii. 1 : « Jl
me fait descendre des hauteurs, et me fait monter des bas lieux )>. On pourrait reconstituer
ainsi le y 5 : ôiiotov tw y.iTw t6 avw. r.'x-t''x Oi âvw. oOoàv xaTOJ v. jjlt; ojxoiojjxa ou bien oo'y.r.T;:

L'image n'est pas la même que dans Ode xxvi. 4-6. où


(2) elle s'entend du juste qui
chante la gloritication du Très-Haut.
(o) Voyez notamment Vrov. vm, 2, ^. 9 -i-na... opOà t-jT: sOpi^xo-Ti vviôdivV 17 oî àixà
"r.ToùvTî; ïûpr.TO'jT'.v). 20 (èv oôoï; o'.xatotr-jvr.ç TTîO'.-aTÛ;, 34, 36. — M. Krebs. p. 65, croitque
la vierge parfaite est l'Église. Contre cette identification il y a que nulle part ailleurs l'É-
glise napparait dans les Ode$ de Salomon.
REVUE BIBLIQUE 1911. — N. S., T. VIII. 13
194 REVUE BIBLIQUE.

parmi vous » de même, dans le quatrième Évangile « Si quelqu'un


: :

m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera, et nous ^dendrons


à lui, et nous ferons chez lui notre demeure » [loa. xiv, 23). La mort
rédemptrice n'apparaît nullement dans cette perspective le Christ ;

apporte un message, on l'accepte par la foi, on est sauvé. L'eschato-


logie se résout en une ascension dans l'immortalité heureuse. « Votre
juge c'est moi », en ce sens que ceux qui revêtent le Christ ne seront
pas maltraités icf. Rom. viii, 33 . Le Christ fait connaître ses voies à
ceux qui le cherchent : le message du Christ sauve comme fait la

sagesse.
L'0(/e xxxviii décrit la vérité sous le symbole d'un char qui porte
le juste :

1 Je suis monté sur la lumière de la vérité comme sur une voiture (1).
- La vérité m'a conduit et m'a porté,
m'a fait passer les précipices et les crevasses,
et m'a sauvé des rochers et des ravins.
3 Elle me devint un port de salut.
et me plaça sur les bras de la vie immortelle.

L'Ode XXXIX décrit la difficulté de la route, à cause des torrents


qu'il faut franchir ;

'
Les torrents sont plus rapides et plus agiles que l'éclair.

Ceux qui les traversent par la foi ne sont pas ébranlés.


' Ceux qui y marchent sans tache ne seront pas troublés,
parce qu'il y a au milieu d'eux un signal, c'est le Seigneur.
^ Et le signal sert de route à ceux qui traversent au nom du Seigneur.
'
Revêtez donc le nom du Très-Haut et connaissez-le,
et vous traverserez sans péril, car les torrents vous seront soumis.

Les torrents symbolisent les puissances du mal (2), ils sont plus
rapides que l'éclair : ainsi dans le troisième évangile (L21C. x, 18).
Satan tombe du ciel comme un
éclaii'. Ceux qui marchent sans
tache {Ps. cxviii, 1), les saints,ne seront pas troublés. Ce signal ((
>

qid les guide (3) est à rapprocher du « signe » de ÏOde xxix :

* Tal cru au Christ du Seigneur


et il m'est apparu que c'est lui le Seiffneur.
'
Il m'a montré son signe,
et m'a conduit dans sa lumière.

(1) On pourrait rapprocher le vers 12 si obscur de rinscription d'Abercius. La voiture» >(

nest pas, croirai-je, un rappel du char d'Élie, et il ne s'agit pas ici de l'ascension de
l'âme au ciel, mais de son cheminement sur la voie du Seigneur.
2) Au y 7 « Les torrents vous seront soumis », comparez J.uc. x, 17 : « Les démons
nous sont soumis ». Id. 20 « Les esprits vous sont soumis ».
:

(3) Cf. Isai, V. 26 : ToiyasG-jv àpEï TÔaffr.aov, iv toï; iOvso-'.v xt).. L'image est reprise par
Ignat. Smyrn. i, 2.
LES ODES DE SAI.OMON. 19o

Comparez encore d'Ode xxiii. li. Le


le « sisne
signe » n'est
)> <<

pas la croL\, mais en qui le Très-Haut se manifeste. Ce


le Christ,
« signal, c'est le Seigneur », mais ce signal est cependant distinct du

Seigneur il est visible, il est la vérité. « il sert de route , il est la


:

voie, il est un pont qui conduit à Dieu.

' Le Seigneur a fait un pont par sa parole,


Il a marché et il les a traversés à pied ;

'-'
ses traces sont fermes sur l'eau et elles ne sont pas effacées,
mais elle sont comme du bois qui est solidement fixé,
'" et d'ici et delà s'élèvent les values:
mais les traces de >"otre-Seigneur Christ sont fermes et elles ne sunt pas
effacées ni détruites;
" lechemin a été frayé pour ceux qui passent après lui.
pour ceux qui parfont le chemin de sa foi et adorent son nom.

Le « une image que nous n'avons pas encore rencontrée.


pont » est

Le Très-Haut a un pont, ce pont est sa « parole » nous avons


fait :

vu plus haut ce que signifie la « parole y. li a marché on penserait :

à première vue que le Seigneur, le Très-Haut, a marché, mais cela


ne se vérifie nulle part dans nos odes, tandis que dans Y Ode xxxiii.
1, « la grâce a couru ». Et de même xxxii, 2 le pronom // appa-
raît sans préparation pour désigner le Christ. La « grâce » ou la
« parole prédicats interchangeables avec le nom du
» sont des
Christ, supposons-le pour l'intelligence de ces obscurités. Le contexte
d'ailleurs confirme que celui qui a marché est vraiment le Christ. Il
a marché sur les eaux peut-être rappel du miracle évangélique i
: .

Les traces du Christ ne sont pas effacées (2), eUes sont fermes comme
du bois. Le chemin a été frayé pour ceux qui passent après lui :

qu'on se rappelle Ode xxiii, 13 la roue « combla des fleuves, et :

passa déracinant de nombreuses forêts, et traça une large route ».

Essayons de synthétiser les observations qui précèdent


Du Très-Haut procède« sa parole » dès la création des mondes :

« sa parole donnée aux hommes avec la raison, elle leur est


- est
mieux encore donnée dans le Christ.
Le don de Dieu revêt des prédicats qui le décrivent, le définissent,
autant que le lyrisme diffus de nos odes le permet ce don est :

la science du Seigneur, sa lumière, sa pensée, son amour, sa con-


naissance, son secret, sa grâce, son cœur, sa communion, sa com-

fljMarc. \i, 45-52; Mat. xiv, 25-33; loa. vi, 14-21. '

(2'Harxack, p. 70, croit que dans Notre-Seigneur Christ », le mot Christ est interpolé,
^(

et qu'il s'agit déjà dans le y 9 du Très-Haut. On a vu pourquoi nous ne le croyons pas.


Si quelque chose était ici interpolé, ce pourraient être les mots Notre-Seigneur ». (
196 REVUE BIBLIQUE.

munion incorruptible, sa vie, sa foi, sa prière, son lait, le lait de


ses mamelles, boisson, lait et miel, eau vivante, eau parlante, rosée.
Le fruit de cette science est qualifié de bénédiction, de paix, de
repos, d'immortalité, de salut. En dehors d'elle il n'y a que vanité,

mensonge, corruption, erreur, ignorance, cécité, iniquité, ténèbres,

chaînes, mort. Par la connaissance qu'il acquiert, l'homme devient en-


fant de Dieu: il passe de la cécité à la lumière, de la mort à la vie.
Harnack n'a pas tort, en un sens, de distinguer dans cette
M.
mvstique une part juive et une part chrétienne mais ces deux parts :

sont associées par Fauteur lui-même. Il est un syncrétiste à sa ma-


nière. Il ne retient du judaïsme et on dirait (|u'il ne connaît que la
théologie sapientielle et la piété des psaumes. La loi et ses pré-
ceptes lui sont aussi étrangers que le privilège des enfants d'A-
braham. Il est universaliste et n'a pas idée du messianisme. Son
judaïsme, dépouillé de toute observance légale circoncision, sabbat,
sacrifice, temple de toute tradition nationale, est une pure sagesse,
,

un mysticisme qui cherche l'union à Dieu dans la contemplation et


la communion de Dieu. En même temps, ce mystique connaît le
Christ, il le conçoit comme une théophanie dans laquelle Dieu
achève de révéler sa science aux hommes. Le message du Christ
est pour les morts du Schéol en même temps que pour les hommes
de la terre. Il faut s'approcher du Christ et qu'il vienne en nous sa :

doctrine sera pour ses fidèles la voie, la vérité, la vie, le pont, le

signal, le char. Ce christianisme est dépouillé de toute idée de


rédemption par la mort du Christ, pareillement de toute eschato-
logie. Ce christianisme ne semble impliquer ni baptême, ni eucha-
ristie, ni observances il est aussi dépouillé que l'était le judaïsme
:

de notre auteur, et cet égal dépouillement est un indice de l'identité


des deux esprits que M. Harnack a voulu séparer. Les Odes de Sa-
lomon, pourrions-nous inférer de tout ce qui précède, sont le produit
d'une piété grecque, qui n'est juive que littérairement par l'emploi
qu'elle fait de la littérature sapientielle et des psaumes, et qui, en
marge de la grande Église, partant d'une conception docète de
l'existence historique du Christ, conçoit la foi chrétienne comme une
sagesse ou science qui sauve par elle-même ceux qui la reçoivent.
On voit le lien qui rattache cette sotériologie sapientielle à la
christologie docète : l'une appelle l'autre et réciproquement. On
s'explique dès lors la force avec laquelle saint Ignace insiste sur la
passion, sur la croix, sur le sang « C'est au fruit de sa croix, à sa
:

sainte et divine passion que nous devons la vie », écrit-il en parlant


du Christ [Smyrn. i, 2). Et encore « Il a souffert tout pour nous,
:
LES ODES DE SALOMOX. 197

pour que nous soyons sauvés, et il a souffert véiitablement » (ii, 1).


Ignace en parlant ainsi vise expressément les ducètes, nous l'avons
vu il atteint aussi la sotériologie que nous signalons. Les anges eux-
:

mêmes n'échapperont pas au jugement « s'ils ne croient au sang du


Christ » (vi, Ij. Ignace précise davantage encore, et parlant de ces
docètes 1) « Ils s'abstiennent de l'eucharistie et de la prière,
{^1l, :

parce ne veulent pas reconnaître dans l'eucharistie la chair


qu'ils
de Jésus Christ notre sauveur, cette chair qui a souffert pour nos
péchés, et que le Père, dans sa bonté, a ressuscitée. C'est ainsi que
ceux qui nient le don de Dieu {h-ùd';t'/-:i: -f, zMcty. -zj Hit\)) meurent
dans leurs recherches (
7jv cuvt s; 7.-th-ir,z-/,z-j-':i). Nous avons noté
)> :•/;-:

combien étrangère à nos odes est la notion du péché et de la ré-


demption du péché par la passion du Christ, et telle est l'erreur que
dénonce Ignace. « Fuyez ces rameaux parasites, qui portent un
fruit empoisonné, dont meurt quiconque en goûte. Ils ne sont pas une
plantation du Père, S'ils l'étaient, ils seraient des rameaux de la
croix, et leur fruit serait incorruptible. Par sa croix et sa passion, le
Christ vous appelle, vous qui êtes ses membres. La tète ne peut pas
exister à part des membres » Trall. xi, 1-2 . Ces dernières lignes
sont d'autant plus remarquables que. en réprouvant une doctrine
qui est précisément la même qui s'exprime dans les Odes, l'imagerie
'
rameaux, fruit, mort, fruit incorruptible) est celle des Odes. Sans
vouloir trop conclure de ces rapprochements ri . on ne peut pas ne
pas y reconnaître une rencontre entre la doctrine professée par
les Odes et l'erreur sotériologique dénoncée par Ignace.

Pierre Batiffol.

(i; Cf. Magnes, ix. 1 : « Ce mystère (la mort du Christ), nié par certains, o t'./e; àovovv-
Ta;, est la source de notre foi », etc. Trall., is, 2 et x.
LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYRIE
(Suite)

Deux seulement d'entre les Sargonides devaient encore jouer un


rùle dans l'histoire de l'ancien Orient Asaraddon et Asourbanipal.
:

Il est vrai que ce rôle fut immense


que ces deux rois portèrent la
et
suprématie d'Asour et sa civilisation à une hauteur qu'elles n'avaient
jamais connue. Sous leur règne, l'Assyrie finit par triompher dans le
duel avec l'Egypte que Sargon et Sennachérib n'avaient pu qu'en-
tamer. Les capitales de l'empire se couvrirent de monuments somp-
tueux, temples ou palais, que les rois vassaux devaient embellir. Sous
Asourbanipal surtout, les lettres et les arts prirent un essortel que rien
ne pouvait faire présager la décadence prochaine. Que devinrent les
pays bibliques durant cet apogée de la puissance et de la culture
assyriennes ? C'est ce que nous allons chercher à préciser.
Nous avons vu dans quelles tristes circonstances Asaraddon s'était
assis sur le trône de son père Sennachérib. La révolte de l'un des
fils du monarque, et le parricide qui l'avait scellée, autant de fautes qui

avaient concentré le droit d'ainesse sur la tête d'Asaraddon. C'est


pourquoi ce cadet pouvait dire au dieu Mardouk (1 « Tu m'as choisi i :

parmi l'ensemble de mes frères aines » Son véritable nom était !

Asur-aha-iddina « Asour a donné un frère », les Hébreux transcri-


virent "î^nTDX, mais la tradition grecque, attestée par Bérose et les
Septante, conserva mieux la vocalisation en lisant 'AaspSâv. Selon
Bérose (2), Asaraddon avait déjà régné à Babylonedu vivant de Sen-
nachérib. Mais comme l'historien place cette intronisation avant la
campagne de Sennachérib en Cilicie, son renseignement est erroné :

il y a eu confusion entre Asaraddon et Asour-nadin-souma, le fils aine

de Sennachérib, qui avait été fait roi de Babylone à la suite de la cam-


pagne de l'an 700 av. J.-C. (3). Mais cet Asour-nadin-s'ouma ne régna que

(t) Inscript, de la pierre noire, Jl, 22 s.

(2) C. MiJLLEK, J'ragm.ltist. grxc, II, p. 504.


(3) RB., 1910, p. 513.
LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYRIE. 199

jusqu'en 69i av. J,-C. d D'autre part, nous savons qu'Asaraddon


.

était jSIs d'une Babylonienne. Nikou'a 2 qui eut les prérogatives d'une .

reine mère durant le règne de son fils ['S Dès le début de sa royauté, .

lenouveau roi montra un zèle extraordinaire pour relèvement de


le

Babylone rasée par snn père 'V. On pourrait se demander alors si, en
fait.Sennachérib n'avait pas accordé à son tils lautorité sur cette ville.
» serait-ce pas à quïl changea le nom d'Asaraddon en
cette occasion
celui à'Asur-etU-ilnni-mukhi-apla Asour, seigneur des dieux, éta- <<

blissant un On comprend alors comment Arad-Bèlit, frustré


fils » 5 ?

dans sa prérogative d'ainé, profite du moment où le père vient instal-


ler Asaraddon dans temple de Bèl-Mardouk pour exécuter son
le
attentat et s'efforcer ensuite de soulever l'Assyrie 6 Son plan était de .

devancer son frère à Ninive. d'annoncer la mort du roi et de prendre


possession du trône. La tactique d'Asaraddon sera de brûler les étapes
et de s'assurer la fidélité des sujets de son père. Dans l'inscription dite
du prisme brisé 7), il raconte comment il n'eut pas le temps d'attendre
un jour ou deux, de passer ses troupes en revue, de faire ses provi-
sions de route comment il brava la neige et la froidure du mois de
;

Sabat (janvier- février' pour se rendre à Ninive. Les révoltés veulent


lui barrer la route quelque part au sud de Mnive (8 Mais « la crainte .

des grands dieux, mes seigneurs, les renversa. Quand ils virent l'élan
dematerriblebataille. ils de vinrent hors d'eux-mêmes 9\ l>tar. la dame

(1) D'après le canon de Ptoléiuée. la liste des rois babyloniens, la Chronique Babylo-
nienne.
\'l) Elle est nommée dans K>'ldtzo>'. Assijr. Gebeie an <len Sonnengatt. n" 101, et dans
JoHNS, Ass. deeds and documents, n- 645. rev. 2 Xa-ki-'-a].
3, C'est ce qui ressort des lettres à elle adressées par les Babyloniens iAVincklei;. Altor.
Forschunrjen, II, p. 187 ss. .

(4; Dans l'inscript. de la pierre noire, Asaraddon déclare nettement qu il a elé choisi par
Mardouk pour relever les monuments de Babylone. Les inscriptions concernant les travaux
du roi à Babylone ont été étudiées par Meissaer et Rosi, Beitr. zur Assijriologie, III. p.
218 ss.
i5) Imposition du nom à'Asur-etil-Hàni-mukin-opla à Asaraddon par Sennachérib, dans
III R., 16, 3 : cf. WixcKLER, Altor. Forschungen, II, p. 55 ss.

(6j Sur ces événements, /?/>., 1910. p. 520. Asour-nadin-.-ouma avait été déporté en Élarn
(694 av. J.-C] et les inscriptions sont muettes a son sujet a partir de ce moment. Le prince
héritier était Arad-Bélit (identifié avec ~"'*2"*~N. cf. BB.. 1910. p. 520 ,
et non Asaraddon :

JoHNs, deeds and documents, p. xiv.


Âs.sijr.

(7] Le teste dans /// R., 15-16. Pour la partie qui nous occupe, Deutzsch, Ass. Lese-

stuclie, 4^ éd., p. 70. Traductions dans KèiHnschr. Bibliotheh, II, p. 141 ss. {Wisckler};
Gressmann, .Altor. Texte und Bilder, I. p. 122 .U.ngnad .

8 Le teste porte dans le pays de Hanigalbat ». Le pays de Hanigalbat ou Haligalbat


<

comprenait la Mésopotamie du Nord et pouvait s'identifier avec le royaume du Mitanni qui,


au temps d'El-.^.marna, englobait la ville de Ninive cf. RB., 1909. p. 53 s.).
(9j Lire e-mu-u ma h- hti-tas « ils devinrent semblables au devin ^<, pour signifier ^ ils
200 REVUE BIBLIQUE.

du combat et de la mêlée, elle qui aime mon sacerdoce, se tint à mon


côté et brisa leur arc. Elle rompit leur ligne de bataille serrée et, dans
leur assemblée, ils dirent : c'est notre roi ! » (1). Ainsi Asaraddon n'eut
qu'à se montrer pour triompher de la révolte. Il héritait de l'im-
mense empire que lui léguait Sennachérib. Le mouvement créé par son
frère aine avait duré depuis le 20 Tebet (décembre-janvier) jusqu'au
2 Adar (février-mars) (2), c'est-à-dire quarante-deux jours. Ce fut le
18 Adar de cette même année 680 que le nouveau roi fut intronisé
solennellement (3). Il devait régner environ douze ans (680-669 av.
J.-C).
La première préoccupation d'Asaraddon fut de s'attacher fortement
les Assyriens. Il avait réussi, grâce à sa mère, à se concilier Babylone
et nous avons vu que son intention bien arrêtée était de faire ressus-
citer de ses ruines l'antique métropole de la Chaldée. Mais, à Ninive,
un parti dont les chefs se recrutaient parmi les principaux officiers du
palais [k] pouvait profiter des bonnes dispositions du roi en faveur de Ba-
bylone pour exciter l'orgueil des Assyriens et piquer leur jalousie.
Si Asaraddon échouait dans l'une ou l'autre de ses entreprises guer-
rières, l'insurrection le guettait à son retour dans sa capitale. Par
contre, le succès de ses armes contribuerait à fortifier son prestige et
à consolider sa suprématie.
L'occasion lui en fut donnée l'année même de son avènement. De-
puis la réduction de Mérodach-baladan II, l'intrépide chef des bandes
araméennes qui infestaient le rivage septentrional du golfe Persique(5),
depuis surtout les terribles représailles exercées contre Babylone (6),
la Chaldée jouissait d'un calme relatif. La présence à Babylone d'Asar-
addon et de son père Sennachérib avait tenu en respect les pillards
du sud. A peine Sennachérib massacré et Asaraddon en route pour
Ninive, le feu qui couvait sous la cendre se ranime tout à coup. Un fils
de Mérodach-baladan II, Nabû-zêru-kênu-lisir ou, par abréviation,
Zêru-kênu-lîsir (7), confiant dans l'appui de l'Élam, soulève « le pays
de la mer » et vient mettre le siège devant la ville d'Our iMugeyir)

furent hors d'eux-mêmes », et compareT mahhûias ileml qui se dit de Tiamat au moment

de son combat avec Mardouk (dans notre Choix de textes...^ p. 50 s.).


(1) Inscription du prisme brisé, fin de la col. I.

(2) Chronique Babylonienne, III, 36 s.

(3) Ibid., 38.


(4) Nous verrons plus loin que le monarque dut [user de représailles envers ces agitateurs.
(5) RB., 1910, p. 514 s.
(6) Ibid., p. 518.
(7) Lecture du nom complet dans prismes A et C, II, 32 (lire liênu au milieu de napisti
(le Winckler); le nom abrégé dans la Chronique Babylonienne, III, 39.
LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYRIE. 201

soumise aux Assyriens 1 . Le roi d'Assyrie laisse aux gouverneurs


lies Ailles voisines d"Our le soin de réduire lasTresseur. Le fils do
Mérodach-baladan II Houmban-haldas 11
se réfugie en Élam où le roi

(681-675 av. J.-C. le met à mort. Son frère. Nàïd-Mardouk, n"a


rien de plus pressé que de faire sa soumission à Asaraddon qui lui
laisse le trône du pays de la mer. L"Assyrie n'eut pas de vassal plus
fidèle que ce roitelet du golfe Persique (2). A la suite de cette expé-
dition, Asaraddon fit rentrer dans leur ville les divinités de Dér 3 .

La Chronique Bahy Ionienne est malheureusement mutilée pour les


événements de la deuxième année. Il y eut encore à cette époque une
révolution de palais, car deux personnages dont lun est un gii-en-na,
c'est-à-dire une sorte de srand-'S'izir. sont amenés à Ninive pour y
subir le dernier supplice. Rien n'autorise à placer alors l'invasion des
Gimmériens (4). Le moment n'était pas venu de faire face aux ennemis
de l'Est. La lointaine Phénicie était le siège d'une agitation qui pou-
vait menacer de dégénérer en une formidable insurrection de tous les
pays de l'Ouest contre l'Assyrie. Xous avons étudié plus haut ('5) com-
ment, à l'époque de Sennachérib, les émissaires de l'És'ypte et de
l'Ethiopie avaient réussi à liguer toute la Phénicie et la Philistie
contre le roi d'A;>our. Le roi de Sidon, Louli Éloulaios . défait par les
Assyriens (TOl-700 av. J.-C. . s'était réfugié à Chypre et y avait
trouvé la mort. Ithohaal. choisi par le vainqueur, s'était assis sur le
trône des Sidoniens et avait reçu l'hégémonie sur la Phénicie à l'ex-
clusion de Tyr 6 .

Son successeur, Abdi-Milkutti une politique différente de


(7), suivit
celle d'ithobaal, laquelle consistait à payer un tribut annuel au roi
Il chronique BabijloHienae, III; 39 ss. Prisme brisé, II, i s». Priiines A et C, IL 32 ss.
; ;

' " ^-
-—•
'!)Prisme brisé, II, 25 s." '

3) Lire Uir le nom écrit idéographiquement Dûr-ilu « mur de Dieu ou plus exactement

mur d'Anou} ». Outre les texte.* cités ilans Beitr. zur Assyriologie. III. p. 282 et Deutzsch.
Die Bab. Chronik, p. 32, n. 1. cf. les lectures Di-ri. Di-e-ri (HrvKE. .1 nev: boundary stone.
p. 2l6j. On a déjà la lecture Di-i-ir à l'époque ùe Hammourabi Thlreai-Da>"gi>', Lettres et
Contrats..., n' 1. face. 1. 20'.

(4^ L'hypothèse de Hommel. Winckler, Rost, Maspero. suivant lesquels linvasion des Cim-
rnériens devrait se placer en l'an 679-678. repose uniquement sur la restitution 'Gi-mir]-ri
proposée par \Sinciiler pour le début de la ligne 2 dans la col. IV de
Chronique Babylo- la

nienne Maspero, Histoire ancienne.... III. p. 350, n. 2 Mais il faut observer que le signe
.

/•(
lui-même est douteux et que ce qui reste du signe précédent eïciut la lecture mir,
comme on peut le Toir d'après la dernière collation de Delitzsch Die Bali. Chronik. p. 14)*
5) RB., 1910, p. 505 ss.

(6) Ibid., p. 507.


'1 Ce nom. bien phénicien, doit s'interpréter par n*2~"2 il" > Serviteur de la Reine u

Nous considérons n",3'^*2 comme un pluriel de majesté (usité en Phénicie pour les noms de
divinité,, dérivé de MilkaL « la Reine », c'est-à-dire c la Reine des Cieux « Jer.. 7, 18: 47.
17-19). la déesse Istar-Astarté.
202 REVUE BIBLIQUE.

d'Asoiir : « Abdi-Milkoutti, roi de Sidon, qui ne craignait pas ma


suzeraineté, qui n'écoutait pas la parole de ma lèvre, qui s'était fié à
la grande mer et avait rejeté mon joug... » (1). Plus qu'en la Méditer-
ranée c'était sans doute dans l'Egypte que le roi des Phéniciens avait
A Sabataka, le vaincu d'Elteqeh (2), avait succédé
placé sa confiance.
un autre Éthiopien, Taharqou, dont l'humeur guerrière fut célèbre
même dans la tradition grecque (3). Durant le règne de Sennachérib,
Taharqou avait tenu en échec la puissance assyrienne et avait été
secondé par le fléau qui avait décimé l'armée de son adversaire (4).
C'est lui, sans aucun doute, qui inspirait tant de présomption à la flotte
phénicienne (5). Un écho des dissensions intestines dont souffrait
l'empire d'Asaraddon avait passé l'Euphrate et ranimé des espé-
rances dans les cœurs des Sidoniens. C'est pourquoi, en l'an 677
av. J.-C, la révolte ouverte fut proclamée sur tout le territoire de la
Phénicie et une expédition contre Sidon devint inévitable.
Une seule ligne dans la Chronique Babylonienne : « La ville' de
Sidon est prise, son butin est emporté. Dans cette première campa- )>

gne, en effet, on se contenta de détruire la ville de Sidon « .l'arra- :

chai sa muraille et son assise, je les jetai dans la mer, je détruisis l'en-
droit où elle était située (6). )>

Le texte des inscriptions officielles continue par le récit du châti-


ment infligé au roi (7). Mais la Chronique Babylonienne, beaucoup
plus précise, met un intervalle entre la prise de Sidon et la mort
d'Abdi-Milkoutti. Ce ne fut qu'au mois de Tesrit (septembre-octobre)
de la cinquième année (676 av. J.-C.) qu'eut lieu cette exécution (8).
Que s'était-il passé ? En comparant les différents récits, on voit clai-
rement que le roi de Sidon, Abdi-Milkoutti, ayant réussi à échapper
aux troupes d'Assyrie, s'était ligué avec un certain Sandouarri, roi de
Koundi et de Sizou (9i, villes de Cilicie (10) « Ils jurèrent ensemble :

le serment des grands dieux et se fièrent à leurs forces; mais moi je

(1) Prisme brisé, II, :>7 ss.


(2) RB., l'JlO, pp. 504 et 501).
3) D'après Strabon (XV, 1,6), Taharqou (Tsâpxwv) serait parvenu jusqu'aux colonnes d'Her-
cule.

(4) RB., UMO. p. 517.


(5) Dans uneprière'au dieu-soleil, où sont énumérés les ennemis d Asaraddon, les Sidoniens
ligurent immédiatement avant les Égyptiens (amêlu) Si-du-un-a-a (amêhi) Mu-us-ro-a-a
:

;Km;dtzo.\, Assyr. Cebetean den Sonnengntl,n'' 109, face. 11).


(6) Inscription des Prismes A et C, I, 1L> s.

(7) Ibid., I, 15 ss.


(8) Chronique Babylonienne, IV, 6 s.
(9) Prismes A et C, I, 36 ss. Chronique Babylonienne, IV, 6 ss.
;

(10) Koundi correspond à Kuïvoa, ancienne ville située près de Tarse (Winckler, Allor. l'or-
LES PAYS BIULinUES ET LASSYRIE. 203

me fiai à Asour, mon


La fin de l'aventure est donnée,
seigneur (1). »

dans la Chronique Babylonienne, avec une concision tragique Au : <(

mois de Tesrlt (septembre-octobre 676 la tête du roi de Sidon est tran- )

chée et apportée au pays d'Asour. Au mois d'Addar février-mars 675)


la tête du roi des villes de Koundi et de Sizou est tranchée et apportée au
pays d'Asouri 2.» Le prisme brisé (II, 27 ss.jne contient que le début de
la campagne contre Abdi-Milkoutti. D'après les Prismes A et C (1, 15 ss.),

on voit que d'abord l'armée assyrienne marche contre Sidon. C'est,

selon nous, la seconde campagne en Phénicie. Cette fois la répression


sera sans merci : « Son roi, Abdi-Milkoutti, qui devant mes armes
s'était enfui au milieu de la mer, je le péchai hors de la mer comme
un poisson et je lui tête. » On pille ensuite la ville de Sidon
coupai la
(I, 20 ss.), et l'inscription énumère complaisamment toutes les ri-
chesses d'or, d'argent, de pierres précieuses, de peaux et de dents
d'éléphants, de bois précieux, de vêtements (les fameuses tuniques
teintes de pourpre 1) qu'on ramène à Ninive. C'est ensuite la dépor-
tation enmasse des Sidoniens avec leurs bœufs, leur petit bétail, sans
oublier les ânes de Palestine. Non content de ruiner de fond en
comble la capitale des Phéniciens, Asa*i^addon veut transplanter ail-
leurs le centre de leur civilisation, en posant les assises d'une ville
nouvelle « Je réunis tous les rois du pays de Hattou (3 et du rivage
: ;

de la mer dans un autre lieu je fis élever une ville que j'appelai du
:

nom de Kar-Amr-aha-iddina (^Forteresse d'Asaraddon) (4). » Fidèle


à la politique de ses pères, Asaraddon va déporter en cette nouvelle
ville les populations qu'il a soumises précédemment, en particulier

les Kaldou du golfe Persique (5, dont nous avons vu la répression


durant la première année du règne. Toujours d'après le système de
la conquête assyrienne, c'est un officier du roi qui prend le poste de
pacha dans le district ainsi renouvelé au point de vue du centre admi-
nistratif, de la race et du gouvernement.
La question étant définitivement réglée avec la Phénicie, l'armée as-

syrienne remonte, sans doute par la Cœlésyrie et la vallée de l'Oronte (6 )

sclningen, II, p. 118); Sizou a été rapproché par Sachau de Sis en Cilicie (cf. AYincklek,
À'.ir.-, p. 88, n. Cette dernière ville porte encore actuellement le nom de Sis. Les anciens
ij.

noms étaient r, liseta, -c'o SiV.ov y.â<7Tpov, Si/sya (Kiei'Ert. Form.r orbis antiqui, VU, p. l'J, B).
(1) Prismes A et C, I, 43 s.

(2) Chronique Bahyîonienne,l\, 6 ss.


Le pays de Hattou, cest-à-dire tout le territoire englobé par la Phénicie et la Philistie
(3J
(cf.RB., 1910, p. 506).
(4j Prismes A et C. I, 28 ss.

(5) Ce sont les gens « de la Mer où se lève le soleil » dont il est parlé à la 1. 33.

(6) C est à rebours l'itinéraire d"Asour-nasir-apla que nous avons suivi dans RB.. l'.'iO,

p. 59 s.
204 REVUE BIBLIQUE.

jusqu'aux « Portes Syriennes » qui servent de passage entre la Syrie


et la Cilicie. En vain, Sandouarri espère-t-il que les montagnes inac-
cessibles qui bordent son pays formeront une infranchissable bar-
rière devant l'armée assyrienne. Le long de la côte qui borde le golfe
d'Alexandrette, là où seront installées plus tard les voies stratégiques
des Romains, les soldats entrent dans la Cilicie méridionale. Le
révolté vient manifester quelque part dans la montagne. Asaraddon
qui avait péché Abdi-Milkoutti dans la Méditerranée va ouvrir la
chasse à l'homme contre Sandouarri « Je le capturai de la mon- :

tagne comme un oiseau et je lui tranchai la tête (1). » David reve-

nant, la tête de Goliath à la main, au son des harpes et des tambourins,

n'est pas plus fier qu' Asaraddon rentrant à Ninivc : « Afin de faire
voir aux gens la force de mon seigneur Asour, je suspendis au cou de
leurs grands les têtes de Sandouarri et d' Abdi-Milkoutti, et je circulai
dans boulevard de Ninive avec des chanteurs et des instruments de
le
musique (2). « Nous avons vu comment la Chronique Babylonienne
avait pris soin d'insérer cet événement parmi les memorabilia du
règne.
A peine rentré dans ses Étctts, Asaraddon eut à faire face à de nou-
veaux périls dans la Babylonie du sud. Les Kaldou n'avaient pas tous
été déportés en Phénicie. Un bon nombre s'étaient réfugiés en Élani
et avaient fini par gagner à leur cause le roi Houmban-haldas II qui
s'était montré sympathique à Asaraddon au début de son règne. L'ar-

mée élamite réussit à pénétrer dans Sippar {Abou-Habbà) si bien que ,

le dieu du soleil, Samas, reste prisonnier dans son temple Ë-Babbar(3).

Le massacre est organisé et les Assyriens se trouvaient en mauvaise


posture quand le roi d'Élam meurt inopinément [k). Le frère de
Houmban-haldas, Ourtakou, monte sur le trône et s'abstient de con-
tinuer les hostilités. Asaraddon peut alors châtier les Kaldou. Dans la
première campagne, les fauteurs avaient eu à leur tète le fils de
Mérodach-baladan II et avaient dû, par conséquent, se recruter de
préférence dans le clan de Bit-Iakin (5). Cette fois-ci, la tribu de
Bit-Dakouri (6), qui confinait aux territoires de Babylone (7), avait

(1) Prismes A et C, I, 46 s.

(2) Ibid., I, 1. 48 ss. L'idéogramme [isu] ZAG-V-SAL de la I. 53 désigne un inslrumenl


de musique comme on le voit d'après les passages cités dans Meissner, Selt. assyr. Idéo-
gramme, n"' 4670 et 10898.
(3) Chrouiqve Babylonien ne, IV, 9 s.
(4) « Le roi d'Élam, Houmban-haldas. sans avoir été malade, mourut dans son palais >>

{ibid., IV, 11).

(5) Cf. RB.. 1910, p. 384.

(6) Ibid.

(7) Streck, Klio, VI, p. 2t3 s.


LES PAYS BIBLIQUES ET LASSVHIE. âOo

réussi, grâce à Ténersie de son roi Samas-ibni et grâce à l'appui de


lÉlam, à s'emparer dune certaine étendue de territoires qui apparte-
naient à des gens de Babylone et de Borsippa Bi?'s Nimroud) (1).

Asaraddon fît rendre g-orge à l'agresseur et restitua les terrains à


leurs propriétaires respectifs. Samas-ibni fut fait prisonnier et rem-
placé, sur le trùne de Bit-Dakouri, par Nabou-sallim, fils de Balasou.
Xous plaçons ces événements a cette époque, d'après un renseigne-
ment fourni par la Chronique Bab)j Ionienne IV, 14 s.). On y voit, en
efifet, comment, l'année même de la mort du roi d'Élam, sont amenés

en Assyrie un grand-vizir du nom de Nadin-souraa et un certain Kou-


dourrou qui est qualifié de mdr Dakuri « enfant de Dakouri '>. D'a-
près le sens de l'expression mclr Humri « habitant de Bit-Houmri (2 », 1

nous n'hésitons pas à reconnaître dans Koudourrou l'un des chefs


du Bit-Dakouri et cette interprétation nous fournit un jalon précieux
dans la chronologie, si difficile à préciser, du règne d'Asaraddon.
Cette même année avait eu lieu une première expédition en
Egypte (3). Il semble bien que les opérations ne furent pas poussées
très vigoureusement. On n'alla pas au delà du torrent d'Ésypte
nahal Mus/'i cest-à-dire du i.rddi el-Aris i Peut-être le roi n'eut-
, .

il pas le temps de mener à bien son entreprise, car une terrible coa-

lition le rappelait dans son territoire (5}. Depuis longtemps des


hordes aryennes, les Mèdes et les Scythes '^6). menaçaient les fron-
tières orientale et septentrionale de l'empire. D'abord séparées et
ennemies, ces tribus avaient fmi par s'unir pour une action commune.
Les prières d'Asaraddon au dieu-soleil. Samas. sont remplies de ques-
tions anxieuses concernant ces envahisseurs 7). Les Scythes y figu-
rent sous leur double nom. .\skouzai (Scythes nomades et Gimirrai

(1) Les événements dans les prismes A et C. Il, 'il ss., et dans le prisme brise, 111. 19 ss.

(2) RB., 1910, p. 18G.

(3) Chronique Babylonienne, IV, 10.


(4) Prismes A et C, I, 55 s.
(5) Nous avons vu pourquoi nous ne pouvions placer celte invasion au début du règne.

La Chronique Babyloidenne n'en dit pas un mot. Mais les prismes d'Asaraddon ayant été
rédigés avant l'an 673. d'après la date du prisme B (prisme brisé), et d'autre part les prismes
A et C faisant mention de la victoire contre les Cimrnériens après la première campagne en
Egypte, nous plaçons entre la première et la seconde campagne en Egypte v675-674, la lutte
contre les Scythes et les Ciliciens (prismes A et C, H, 6-31 prisme brisé. III, 1-18). tandis-.

que l'expédition en Médie doit se localiser chronologiquement après la seconde campagne


(674-6731. C'est l'expédition en Médie qui clôt la liste des exploits antérieurs à lan 673.
(6) L'origine aryenne des Mèdes et des Scythes n'est plus sujette à contestation comme
on le verra par les faits que j'ai groupés dans t Les .\r\ens avant Cynis *> Conférences de
Saint-Étienne. 1910-l9ll;.
(7) K>"UDTzo>', Assjjr. Gebete an den Sonnengott. passim.
206 REVUE BIBLIQUE.

(Gimmérieiis, Scythes sédentaires) (1); les Mèdes sous leur nom de


Madai (''"'?)• L'une de ces tribus, celle des Askouza, était mise à part
des autres, et son roi, Partatoua (ITpoTsÔjYjç d'Hérodote, I. 103), avait
proposé une alliance à Asaraddon, en lui demandant en mariage
Tune des femmes du harem royal (2). Par contre, les Cimmériens
qui se frayaient un passage vers l'Asie iMineure (où nous les retrou-
verons au temps ligués avec les Mèdes
d'Asourbanipal) s'étaient
contre l'Assyrie (3). Asaraddon ne
aux alliés le loisir d'unirlaissa pas
leurs troupes. Il fondit directement contre Teouspâ (ii, le chef des
Cimmériens. et le poursuivit dans la direction de l'Asie Mineure. 11
profita de cette expédition pour réduire de nouveau les gens de
Cilicie (Hi-Iak-ki) et du pays de Dou'a non loin du Tabal (5i, puis il
revint par le pays du Parnaki (entre l'Euphrate et le Balilj) dont il
châtia la population insoumise (6). D'autres Aryens, les Mannai, ins-
tallés au sud du lac de Van. avaient réussi à débaucher l'un des Scy-
thes-Askouzai (7). Asaraddon les mit à la raison et, tranquille de ce
côté, put reprendre ses projets contre l'Egypte.
Ce n'était pas une ambition démesurée qui poussait ainsi les troupes
d'Asour vers les rives du iNil. Sennachérib avait affermi la suzeraineté
de Ninive sur toute la Syrie et la Palestine. Nous avons vu conmient
l'Egypte avait secondé les habitants d'Akkaron (8) dans leur révolte
et il suffit de jeter un coup d'œil sur les prophéties du temps pour

voir combien le pays de Juda était sollicité par le roi d'Ethiopie et


ses vassaux d'Egypte (9). Le roi actuel, Taharqou, n'avait-il pas
arrêté le père d'Asaraddon dans sa démonstration à la lisière du

(1) du nom Askuzai, écrit aussi Jsknzai, que les Grecs tirèrent le nom de Ix-jOa-.
C'est :

cf. WmcRLEK,Altor. Forschungen, I, p. 488, n. J; Hommel, Grundriss.... p. 212. Les


Gimirrai, dont le nom signifiait « Scythes » chez les Perses, sont les Cimmi-riens. Dans la

Bible, '^SkuN (qui correspond à Askuza) est descendant de "lï^ïi (qui correspond à Gi-
mirra) (len., 10.
: 2 s.

(2) KsuDTzoN, op. If'ud., n" 29. Sur l'identité entre Partatoua et IlpoToôJr,;. roi des Scy-

thes, cf. WocKLER, Altor. Forschungen, I, p. 488. On remarquera que, dans Hérodote (1.

103 comparé avec I, 15), le fils de IIpoToOOr,;, à savoir Mao-jo;, est en lutte contre les
s.,

Mèdes et les Cimmériens.


(3) Comme on le voit surtout dans Knldtzon, op. laud., n 2. "

(4) Même nom que TeiTTir,;, le second des Achéménides. Comme nous l'avons dit, les Scy-
thes étaient des Aryens aussi bien que les Mèdes et les Perses.
(5) Prismes A et C, II, 6 ss. Prisme brisé, III, 1 ss. Sur le pays de Tabal, RB., l'JlO,
;

p. 514.

(6) Prismes A et C, II, 22 ss. ; Prisme brisé, III, 13 ss.

(7) Prismes A et C, II, 27 ss. ; Prisme brisé, III, 16 ss.


(8) RB., 1910, p. 505 s.
(9) Cf. l'ambassade aux Élhiopiens dans Is., 18.
LES PAYS HIRLIQUES ET l.'ASSVRIE. 207

delta (1 i? Lorsque la ville de Sidon avait refusé le tribut en l'an-


née 677 avant Jésus-Christ, nous n'avons pas hésité à reconnaître la
main de Taharqou en cette affaire. Ainsi l'ÉsTypte ne pouvait se rési-
gner à voir la suprématie de sa rivale s'étendre sans interruption de
l'Euphrate jusqu'au « torrent d'Egypte ». Larmée éthiopienne ren-
trait dans ses frontières sitôt que les aigles d'Asour parcouraient la

Phénicie, la Syrie ou la Palestine, mais sitôt que ces aigles s'effaçaient


à l'horizon, les intrigues reprenaient de plus belle et l'Egypte déver-
sait un contingent de guerriers qui devaient aider les vassaux d'Asar-
addon, dans leur effort pour l'indépendance. Aussi le roi d'Assyrie
ne pouvait-il espérer de tranquillité qu'après avoir infligé au Pha-
raon une humiliation définitive. C'est pourquoi l'intrépide Asaraddon,
rappelé par* l'invasion scytho-médique avant rachèvement de sa pre-
mière campagne, ne laissa pas s'écouler l'année 674-673 sans re-
prendre le chemin du Nil.
Fut-il plus heureux dans cette seconde campagne? Le Jaconisme
de la Chronique Babi/lonienne (laquelle sera très explicite pour l'ex-
pédition de l'an 671', la titulature d'Asaraddon dans les inscriptions
des prismes (qui datent de 673) où n'entre pas la mention de sa
souveraineté sur l'Egypte, l'énumération des vassaux dans le prisme
brisé (V, 12 ss.) parmi lesquels ne figure aucun souverain du Delta

ou de l'Ethiopie, tous ces faits nous forcent de conclure que la péné-


tration de l'Egypte ne fut pas possible à cette époque. En revanche,
grâce aux indications fournies par les Prismes '2), nous voyons que.
pour se rendre en Egypte, Asaraddon sui\'it la route ouverte par son
père à travers le désert arabe (3). C'était l'occasion de réduire ces
pillards toujours indomptés qui rôdaient constamment sur la fron-
tière méridionale de l'empire. Sennachérib avait conquis Adoummat
^^î21T), la ville arabe de Doiimat el-Djendel , l'actuelle eJ-Djôf à l'en-

trée du grand Nefoud [k). Les dieux de la cité avaient été emportés
en Assyrie (5). règne d'Asaraddon, le roi d'Arabie {A-ri-bi}, qui
Sous le
n'est autre que ce Hazaël (Ha-za-ilu vaincu par Sennachérib (6), )

(1) un., 1910, p. .517 s.

(2) Dans Prismes A et C. la campagne en Arabie se trouve intercalée entre les expé-
les
ditions au pays de Kaldou et celles sur la frontière d'Élam et en Médie. Dans le Prisme
brisé, elle fait suite à l'expédition de Médie. En combinant ces données avec celles de la
Chronique Babylonienne, il nous semble plus vraisemblable de placer cette campagne en
même temps que l'expédition d'Egypte de 673, surtout si l'on tient compte de la suite des
événements dans la campagne de Sennachérib en 690 {RB.. 1910, p. 516 s.).
(3) RB., 1910.p. 510 s.

(4) Ibid.
i5) D'après les Prismes A et C d .\saraddon, II, 55 ss.
(6) RB.. 1910, p. 516.
208 REVUE BIBLIQUE.

vient comme demande qu'on lui


suppliant dans la ville de Ninive et
rende ses dieux Pénates. Le monarque d'Asour y consent, non tou-
tefois sans avoir fait graver sur les statues les hauts faits du dieu
national d'Assyrie et son propre nom (1). Ce qu'il y a d'extrêmement
intéressant, c'est le passage qui suit « Je plaçai pour régner sur eux :

dame Taboua. élevée dans mon palais, et je la fis retourner dans son
pays avec ses dieux (2) ». Ainsi Asaraddon se conforme aux coutumes
des Arabes. Fréquemment nous avons constaté que ces tribus avaient
une reine à leur tête (3) et — à l'époque de Sennachérib — Hazaol
passait après la reine (i). Taboua a été élevée dans le harem du roi
d'Asour, c'est à elle qu'Asaraddon accorde les honneurs du matriar-
cat Hazaël l'épousera et sera ainsi le second en dignité, comme par
:

le passé. En échange de la condescendance avec laquelle il a accueilli


la demande de Hazaël, Asaraddon augmente le tribut annuel des
Arabes. Naturellement ce supplément consistera en chameaux « Au :

tribut précédent, imposé par mon père, j'ajoutai soixante-cinq cha-


meaux et je le lui imposai (5) ». A la mort de Hazaël, c'est encore le

roi d'Assyrie qui intervient et qui fait partager à Jalon, fils du défunt,
l'autorité de Taboua (6). On augmente le tribut, dans lequel, à côté
des chameaux, figurent les célèbres aromates de l'Arabie.
Asaraddon avait donc des guides très sûrs pour le conduire jusqu'à
la villed'Adoummat. Grâce à eux, il pourrait continuer sa marche à
travers le désert. C'est cette marche qui est décrite dans les prismes
A et G' (III, 25 ss.) et B (IV, 10 ss.). On passe d'abord par le pays de
Bdzu qui n'est autre que Bouz de la Bible [Gen., xxii, 21), contrée
d'Arabie comme Dedan et Têma [Jer., xxv, 23), patrie d'Élihou l'un
des amis de Job ^7). La description du pays (8) est intéressante à
cause de sa ressemblance avec Is., xxx, 6 ss. « Le pays de Bàzou :

territoire dont le site est éloigné, zone de contrée desséchée, sol de


sel (9), endroit de soif, cent quarante doubles-heures (10) sol de

(1) Prismes A et C, III, 3 ss.

(2) Prismes A etC, III, 13 ss.

(3) RB., 1910, p. 196, n. 5.

(4) Ibi(l.,l>. 516 s.


(5) Prismes A et C, III, 16 ss.

(6) IbUI., 19 ss.

(7) RB., 1911, p. 104 s.

Nous suivrons la description des Prismes A et C. III, 25 s.; Prisme brisé, IV, 10 ss.
(8)

(9) Sur cette particularité des régions du sud-ouest du Djôf, cf. RB., 1911, p. 104 s.
(10) A l'époque des Sargonides, la double-heure comme mesure de distance équivalait à
un peu plus de six kilomètres (cf. Fr. Thl'reau-Dancin, Journal asiatique, lOOii, p. 99,
n. 1).
LES PAYS BTRLTOIES ET L'ASSYRIE. 209

désert, d'épines et de pierres bouche-de-gazelle T. vingt doubles-


heures sol de serpents et de scorpions qui, comme la sauterelle,
remplissaient la campagne, vingt doubles-heures le pays de Ha-
zoa (2), montagne de pierres SAG-GIL-MUT 3;, je laissai derrière

moi et je mavançai. Là où. de toute antiquité, nul roi mon prédé-


cesseur n'était allé, sur Tordre de mon Seigneur Asour, je m'y ren-
dis en triomphateur. .le tuai huit rois de cette région, j'empor-
tai au pays d"A^our leurs dieux, leurs biens, leur trésor et leurs
gens. » Le prisme brisé IV, 19. donne les noms de ces huit roite-
lets (4) parmi lesquels se trouvent encore deux reines. L'un des rois,
celui de l;i ville de ladi', avait réussi à s'échapper 5 . Il s'appelait
Laialè }^} . Quand le vainqueur fut de retour à Mnive. le fugitif

vint se jeter à ses pieds, comme avait fait Hazaël, et obtint miséri-
corde. On dieux après les avoir marqués de l'estam-
lui rendit ses
pille attestant letriomphe du dieu d'Asour. Asaraddon le plaça à la
tête du pays de Bàzou et lui imposa un tribut .6 .

L'Egypte était restée indemne. Cette fois encore, l'armée avait dû


précipiter son retour. La frontière orientale menaçait de céder sous
la poussée des Mèdes et des Élamites. Contre ces derniers Asaraddon
s'assura l'appui des Gamboulou. Araméens qui vivaient le long du
golfe Persique et s'étaient unis jadis aux Kaldou pour lutter contre
Sargon T.. Leur souverain. Bêl-iqisa, avait de lui-même otfert le
tribut à l'Assyrie. Comme le dit Asaraddon, sa forteresse. Sapl-Bêl,
fut comme une porte verrouillée contre l'Élam 8 . Tranquille au
sud. l'infatigable champion de la grandeur assyrienne franchit la
frontière médique et nn^ne son armée jusqu'au pied du Demavend 9 .

Les principaux chefs des cantons mèdes, à savoir Sitirparna et


Éparna (10), s'avouèrent vaincus et apportèrent leur tribut. Ceux de
l'extrême front'ière, qui habitaient les villes de Partakka et Partoukka

• Il On ne sait à quoi correspond, dans la réalité, la pierre désignée sous ce no!ii pilto-
resque.
2 C'est le pays de i7n signalé avec y!i2 dans Gen., 22, 21 s.: cf. BB., i9ll, j). 104 s.

<:i; Idéogramme d"une pierre non encore identifiée.


(i'j Ce sont bien des noms arabes Akbnru ( »-0 Kisu :
'
. ~-i . Mansaku ;^.iA~J.- ,

etc. Glaser cherche à identifier les noms de pays avec des villes du Yémen (S/dzze..., II,

p. 26.3 SS.;.
•V Prismes X et C, 111, 4o ss.

(6j Ibid.
7} BB.. 1910, pp. 190 et 385.
S; Prismes A et C, 111,53 ss., et IV, 3 ss.
(9) Ibid., IV, 8 ss. Sur cette campagne, Rost, Untersuch. zur oUor. Geschichte, p. 87 ss
Streck, Zeitschr. fur Assyriologie, XV, p. 362 ss.

ilOj Remarquer les noms aryens en puma =: — sio'/r,;, — ^iç^'^r,:,

REVUE BIBLIQIE 1911. — N. S.. T. VIII. 14


210 REVUE BIBLIQUE.

{Ily.pr-.ay,-çfci d'Hérodote, I , 101), furent aussi rangés parmi les vas-


saux.
Ainsi depuis la Méditerranée jusqu'à la Médie, depuis le fin fond de
TArabie jusqu'au golfe Persique, l'Assyrie était maîtresse. En vain la
Mésopotamie du Nord, spécialement le pays de Soupria au pied du
Karadja-dagh, avait essayé de se soustraire au joug (1). Ses habi-
tants avaient été emmenés en captivité et ses dépouilles avaient en-
richi la ville d'ÉrechWarka) en Babylonie. Seule l'Egypte échappait
(

à la lourde main du vainqueur. Lorsque les armées arrivaient « au


torrent d'Egypte », elles étaient épuisées par leur marche à travers
les déserts et par les privations de toutes sortes. Sennachérib avait
dû céder aux de l'entreprise. L'énergique Asaraddon, dont
diflîcultés
le règne si court fut une perpétuelle campagne, ne devait pas se
laisser décourager. Pour le moment (673 av. J.-C), il profite de l'im-
pression faite sur ses vassaux par sa tournée dans l'ouest et le sud
pour mettre leur bonne volonté à contribution. Dans le but de re-
construire le palais de Ninive, qui ne suffisait plus à contenir les
trésors amassés dans les expéditions guerrières, Asaraddon impose
la corvée à ses captifs. Les uns moulent les briques, les autres taillent
la pierre dans la montagne. Mais pour les bois précieux, en parti-
culier le cèdre et le cyprès, pour les pierres précieuses, comme le
marbre, le porphyre, l'agate, c'est aux contrées de l'ouest, à celles
que les inscriptions officielles groupent sous le nom de « pays de
Hatti » qu'il faut s'adresser (2). C'est une occasion pour Asaraddon
d'énumérer ses vassaux qui habitent au delà de l'Euphrate, en Syrie,
en Palestine, dans l'ile de Chypre. Cette énumération ne manque pas
d intérêt, car elle est rédigée avec l'acribie géographique ordinaire
aux scribes assyriens (3). C'est d'abord le roi de Tyr (pays de Sur-ri),
au nom bien phénicien tji (écrit Ba-'a-lu), lequel reparaîtra au
temps d'Asourbanipal, Immédiatement après lui, le roi de Juda (ville
de ïa-u-di), Manassé, dont le nom (écrit Mi-na-si-e) figurera aussi

forme Mi-in-si-e) parmi les tributaires d'Asourbanipal. L'é-


(sous la
numération continue par les pays du sud et de l'est (i). Le roi
d'Édom (ville à' U-dii-me \ est Qa-m-gab-ri hr3~'5y'ip) dans le nom

(1) chronique Babylonienne ,\\\ 19 ss. Sur le pays de Soupria, Hillerbeck et Delitzsch,
dans Beitr. zur Assijriologic, VI, 1, p. 46. La population de ce pays était hittite d'après le
nom d'un roi qui finit en Te-sub (dieu national des Hittites; Delitzsch, Die babylonische
:

Chronik, p. 35.
(2) Prismes A et C, V, U ss.

(3) Prisme brisé, V, 12 ss.

(4) Comparer les listes similaires de Téglalh-phalasar 111 (BB., 1910, p. 198), de Sargon
{ibid., p. 383), de Sennachérib {ibid., p. 508).
LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYRIE. 211

duquel figure le dieu édomite Qôs, exactement comme dans celui de


Qa-us-7na-la~ka ^~^~~'^*"^p) au temps de Téglath-phalasar III Nous
(1).
le retrouverons également à l'époque d'Asourbanipal ainsi que le
roi de Moab (ville de Ma-'a-ba), dont le nom Mu-sur-i indique l'ori-
gine égyptienne (2). La liste passe ensuite à la côte de Philistie
qu'elle va remonter du sud au nord. Le roi de Gaza (ville de Ha-zi-ti)
est toujours Sil-Bêl [S] « Ombre de Baal », connu au temps de Sen-
nachérib et qui reparaîtra sous Asourbanipal. A Ascalon (ville d'/:>-
qa-lu-nd] règne Me-ti-in-ti (r;r:2i qui est peut-être le roi d'Asdoud
du temps de Sennachérib (4) et qui, en tout cas, sera encore le vassal
de l'Assyrie à l'époque d'Asourbanipal. Après Gaza et Ascalon, Ak-
karon (ville àWm-qar-ru-na qui est gouvernée par un certain 1-ka-
j

u-su dont le nom peut être comparé à celui du satrape des Philistins
u,*"i3N (G Avysu;;). C'est ici que devait se placer la ville d'Asdoud qui
n'est inscrite, par suite d'un oubli, qu'à la fin de la première énumé-
pour roi Ahu-mil-ku
ration. Elle s'appelle la \ï\[e à' As-dii-di et a
("Sninxy que mentionnera encore Asourbanipal. Sous Sennachérib
nous avions, pour la Phénicie, un groupe de quatre villes Samsi- :

mourouna, Sidon, Arwad, Byblos 5). Mais Asaraddon a ruiné l'une


de ces métropoles, Sidon, qu'il a remplacée par une ville neuve, Kar-
Asour-aha-iddina « Forteresse d'Asaraddon », comme nous l'avons vu
plus haut. C'est pourquoi Sidon ne figure plus parmi les tributaires,
tandis que nous avons le roi de Byblos (ville de Gii-ub-li), Mil-ki-a-
sa-pa (=]DN-'iS^), puis le roi d' Arwad (ville à'A-ni-a-di), Ma-ta-an-
ba-'-al (')'jz-\T\'2) I
6 . et celui de Saïiisi-muru/ia, A-bi-ba-al ri-jz'^iii].

De ces trois rois, Milkî-asap et Ai)î-ba'al reparaîtront


au temps d'A-
sourbanipal. Enfin les Ammonites, qui d'après les listes de Téglath-
phalasar m
et de Sennachérib auraient dû figurer avant Moab, ont

été ajoutés après coup (de même que la ville d'Asdoud). Comme pour
Juda, Édom, Moab. c'est le déterminatif de « \ille » (au lieu de celui
de « pays ») qui précède Bit-am-ma-na ("i-îa^-niz;. Le roi est le même
qu'au temps de Sennachérib, Bu-du-ilu '^n—r:: (7 .

On voit par cette énumération que le domaine des Assyriens est

(1) RB., 1910, p. 198.


(2} Le nom est un gentilice. Musuri « du pays de Musur (Egypte) )>.

(3) Le nom est écrit phonétiquement. Noire lecture Is-mi-en dans Ul',.. 1910. p. 5I0 doit
être rectifiée.

(4J RB., 1910, p. 510. Cf. le roi dAscalon, Mi-tl-in-ti, au temps de Téglath-phalasar III

{ibifl., p. 198).

(5) Ihid., p. 507 s..

(6) Cf le nom de ^VS^rTZ à l'époque de Téglath-phalasar III [RB., 19I0, p. 198).


(7) RB., 1910, p. .508.
212 REVUE BIBLIQUE.

toujours le même en Phénicie, en Palestine, en Syrie. L'Egypte a


reculé devant les démonstrations successives de Téglath-phalasar III,

Sargon, Sennachérib, Asaraddon. L'Ile de Chypre elle-même était


devenue la vassale de l'Assyrie depuis Sargon il). L'essai des habi-
tants de sunir aux Tyriens contre Sennachérib avait abouti au plus
lamentable échec (2. Asaraddon s'arrête complaisamnient à ces
noms de de roitelets chypriotes si étranges pour des oreilles
villes et

sémitiques d'abord E-ki-is-tu-ra CAy.ÉffTwp), roi d'E-di-'-al


3). C'est
('IsiMcv, aujourd'hui Dali), Pi-la-a-gu-ra (<ï>iAaYpi;ç), roi de Ki-it-ni-si
(X'jTpcç, aujourd'hui KytrsRa]^ Ki-i-su (Kîjiç), roi de Si-il-lu-u-a
(= Sillume, 'Z-jMyj.iz^ dans la baie de Famagousta), hlu-u-an-da-ar
('E-éavcpo; -pour Etevafich'os), roi dePa-ap-pa (Ilâç;;, sur l'empla-
cement de Neapaphos), E-ri-e-su ("Epeicç), roi de Si-il-lu (IliXct.
près de l'actuelle Karavostasi), Da-ma-su (Aâ[j.ajcç), roi de Ku-ri-i
(Kouptov, près de l'actuelle Episcopi), Ad-me-zn {h) (var. Ad-me-su,
'Ao[j.r,Tcç), Ta-me-su (Tâ;j.ac7cç. TaiJ.assiç, aujourd'hui Perd),
roi de
Da-?nu-ii-si roi de Qa}'-ti-ha-da-as-ti[T)'c:~u~îyilp, Carthage,
{^x[j.j::c:),

Kition), U-na-sa-gu-su {O^n^zx/.-jzzz), roi de Li-di-ir {\izpy.'.. au nord


d'Idalion), /?2^-.s7^-.vz< Bjjscç), roi de Nu-ri-e (une Nwpa quelconque).
Tels sont « les dix rois du pays de Chypre [la-at-na-na) au milieu de la
mer. En tout vingt-deux rois du pays de Hattou, du rivage de lamer, du
milieu de la mer. Je leur envoyai un message etje leur fis traîner jusqu'à
Ninive, difficilement et péniblement, de grandes poutres, etc. (5) ».

^Vinsi le tributimposé par le potentat d'Assyrie n'était pas une chose


fictive. Partout où avait passé l'armée victorieuse, des maîtres de

corvée restaient sur place pour surveiller les travaux de déboisement


ou le forage des montagnes et prélever les matériaux de choix qui
devaient embellir les temples du dieu national des Assyriens.
Cette même année devait être marquée d'un deuil pour le roi.
Le 5 du mois d'Adar (février-mars 672), sa mère, la babylonienne
Nikou'a, dont nous avons signalé le grand rôle au début du règne,
passait de vie à trépas d. Pour la remplacer, Asaraddon ne trouva
rien de mieux que d'associer à sa royauté son fils Asourbanipal (7),

(1) RB., 1910, p. 387 S.

(2) Ibid.. 1910, p, :)05 s.

(3) Pour les identifications, cf. surtout Delitzsch. Wo Uig dns Paradies, p. 292 s. et
HoMMEL, Gesc/i. des dit. Morgenlandes, p. 156 s.
(i) Lire ainsi au lieu de A-me-zu (Wincklkr), Gi/-?He--ît (Delitzsch, Hommel) : Cf. Meissner
et RosT, dans Bvitr. zur Assyriolocjic, 111. p. 196. en note.

(5) Prisme brisé, V, 25 ss., complété parles Prismes A et C, V, 11 ss.

(6) Chronique Babylonienne, IV, 22.


{~) ^'IîiCKl.K^^, Al tor. Forschungen, l, p. 415; Delitzscu, Die babylonische Chronili,
p. 40.
LES PAYS BIR[.ini"E> ET I.'ASSVRIE. 213

auquel il donnait ainsi la préséance sur son aioé Samas-souma-


oukin. Il voulait par là assurer la tranquillité dans le royaume et

avoir plus de loisir pour préparer l'expédition d'Egypte qui lui


tenait tant à cœur.
Encore à cette époque fut conclu entre Asaraddon et le roi de
Tyr. Ba'al, un traité qui devait assurer la pacification de toute la
Phénicie 1 . Ba'al s'engageait à transporter dun port à l'autre le

butin faitAssyriens dans leurs précédentes campasnes. En


par les

cas de félonie,on appelle sur ses vaisseaux tous les châtiments du


ciel. Le passage le plus intéressant est celui qui invoque les dieux

d'au delà du fleuve 'ébir-ndri », c'est-à-dire d'au delà de lEuphrate.


On y mentionne successivement Ba-al-sa-me-me 'Z'"Z'::~^':z Ba-al- ,

ma-la-gi-e •3""2~"'"2 Ba-al-m-pii-mi yZ'À'^'j- Mi-il-qar-ti


, ,
(2)
'
mp'^'T . la-su-mu-nu (""Z w\x;, finalement la déesse As-tar-tu 3 {
t."'?'C';] .

Ce sont tous des dieux phéniciens dont les noms voisinaient avec
ceux des dieux assyriens dans les conventions entre les deux peuples.
Malgré les malédictions qui devaient le frapper, Ba'al n'hésita pas
à rompre le traité i i et à s'allier avec Taharqou Tar-qu-u . le roi

d'Ethiopie [Ku-u-si, w*: . C'en était assez pour fournir à Asaraddon


le prétexte d'une nouvelle campagne 5 . On partit au début de
l'année '6 . en plein mois de Nisan mars-avril 671 av. .J.-C. .

Malgré la crue du Tigre et de l'Euphrate on franchit les deux tleuves


et à travers « des montagnes difficiles » on marche droit vers la

Phénicie, où il s'agit de punir Ba'al : « Dans le cours de ma campagne


contre Ba- a-lu, roi du pays de Tyr Siir-ri, qui s'était fié sur Tar-
qu-u. roi d'Ethiopie joug de mon
Ku-ii-si , son ami, avait secoué le

seigneur Asour et avait répondu des insolences, j'élevai solidement


contre lui des travaux de siège et je lui fermai les ^ivres et l'eau
qui sont la vie de leur àme (7). » On laisse un détachement pour

(t; Sur ce traité WiNCKLER, AUor. Forschungen, II. p. 10 ss.: Peisck. Mitt. (1er vor-
ileras. Gesellschoft III, 1898, p. 238 s. = 12 s.).

(2) Lire ainsi au lieu de Mi-il-gi-su de Winckler. d après Johns. cité dans Mitt. (1er
vorderas. GeseUschaft. III. 1898. p. 239 = 13 .

(3) D'après Bezold cité dans KM."', p. 357. n. 5.

(4) Dans de la troisième expédition d'Égvpte, reconstitué dans XSlxckler. Keil-


le récit

insclirifl. Textbuch. 3« éd.. p. ô2 s., on voit clairement il. 12 ss.) que Bo-'a-lu de
Sur-ri a placé sa confiance en Tnr-qu-u. roi du pays de Ku-u-si.
(5 Celte campagne est mentionnée durant la dixième année d Asaraddon dans la Chro-
Babylonienne IV, 23 ss.'.
nifjue
6Le récit reconstitué par XS'inckler loc. laud. et la Chronique Babylonienne don-
nent lun et l'autre indication du mois.1

'') WcNCKLER, Keilinschrift. Tejclbuch, 3^ éd.. p. 53, 1. 12 ss. C'est ce récit que nous
suivons pour les débats de la campagne.
214 REVUE BIBLIQUE.

prolonger leNous avons vu précédemment comment les


blocus.
Arabes s'étaient soumis à Asaraddon et pouvaient Faider dans sa
lutte contre lÉgypte. La suite du récit montrera les rois du ]ia.ys de
l'Arabie A-ri-bi) amenant leurs chevaux au service de l'armée assy-
rienne. La démonstration contre Tyr n'était qu'une parenthèse et,
fidèle à sa tactique précédente comme à celle de son père, Asar-
addon se rend d'abord au pays de Musur qui, dans ce passage,
ne signifie pas l'Egypte, mais le Mitsra?! des inscriptions minéennes
dans le voisinage de Ma an On comprend alors comment Asar-
(1).

addon peut dire : « Je levai le campement du pays de Mumr et je


pris la route directe du pays de Meluhha. » Le pays de Meluhha est
la péninsule sinaïtique avec toute la région comprise entre la Médi-
terranée et la ' Araba au sud de la mer Morte ;-2 . On arrive alors
à la >dlle de Rapihi (aujourd'hui l^ellRifah au sud de Gaza) déjà
célèbre au temps de Sargon par la victoire des Assyriens sur le roi
de Gaza (3 . Le texte dit formellement (1. ITj que cette ville se
trouve située à côté du torrent d'Egypte \nahal Mumr' « endroit qui
n'a pas de fleuve i) ». Aussi est-on obligé de boire de l'eau de
citerne. C'est monarque envoie chercher à travers
de là que le

l'Arabie les chameaux qui doivent accompagner les troupes pour la


traversée du désert entre Rapihi et l'Egypte. Nouvelle description
de ce désert des Arabes qui était resté fabuleux depuis la campagne
précédente. On l'a peuplé d'animaux fantastiques : serpents ailés [h]

et serpents à Malheureusement le récit est ensuite mutilé


deux têtes.

et il nous faut revenir aux textes officiels pour connaître l'issue de


l'expédition. La Chronique Babylonienne est moins laconique que
d'ordinaire : « Au mois de Tammouz guin-juillet 671 ,
le troisième,

le seizième, le dix-huitième jour, trois fois a lieu le massacre au


pays (l'Ésypte Mi-sir Le vingt-deuxième jour, Memphis \Me-ini-pi)
.

Son roi s'était sauvé. Les enfants de sonfrèresont


sa ville royale est prise.
faits prisonniers. Sonbutinest emporté, ses gens sont pillés; on enleva
son trésor 6 i. » Nous pouvons compléter ces renseignements parle récit
dont Asaraddon avait couvert les rochers du Nahr el-Kelb dans le

(1)Sur ce iMusran, LMc.KxycE. RB., idO'l. p. 264.


(2) C'est ainsi qu'on peut comprendre la marche d'Asaraddon. Le point de départ (du
pays de Musur) est une ville d'I/^^w eu Sa-me-n[a]. Il nous est impossible d'y voir Apheq
dans lepays de Siméon. comme le voudrait "Winckler.
(3) RB., 1910. p. 378.
(4) La remarque est piquante, étant donnée la désignation de nahal Musur
D'IÏ'Z""'";). C'est bien le propre des torrents de Palestine de n avoir pas d'eau.
(5) Hérodote, II, 75 ; III, 109.

(6) Chronique Babylonienne, IV, 24 ss.


LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSTOIE. 213

Libaiii et la stèle de Sendjirli (1). Suivons le texte de Sendjirli mieux


conservé (verso, 1. 37Quant àTaharqou [Tar-qu-u roi d'Egypte
ss. i
: u ,

[Mu-mr) et d'Ethiopie (Ku-u-si), maudit de leur divinité auguste,


depuis la ville à'h-hup-ri 2i jusqu'à la ville de Mempliis {Me-im-pi)
sa ville royale, marche de f[uinze jours, chaque jour sans interrup-
tion, je lui tuai beaucoup de guerriers et lui-même, cinq fois, par
la flèche, le javelot, d'une inguérissable blessure je le frappai. Puis
sa ville royale, Memphis, en un demi-jour, par la mine, le bélier,
la nabalkattu, je lassiégeai, la pris, la dévastai, la détruisis, je l'in-
cendiai par le feu. Son épouse royale, ses dames du palais, U-èa-na-
hu-ru ( Waé-n-Hr « louange à Horus ») son propre fils, le reste de ses
fils, ses filles, ses biens, sou trésor, ses chevaux, ses bœufs, son petit
bétail sans nombre, j'emportai au pays d'Asour. J'arrachai du pays
d'Egypte la racine d'Ethiopie, et je n'y en laissai pas un pour se
soumettre. >>

La répression avait donc été impitoyable; mais Taharqou échap-


pait et nous le reverrons en scène au temps d'Asourbanipal. Pour le
moment. Asaraddon s'occupe de coloniser ce nouvel empire et d'en
faire une dépendance de Ninive. Son principe est de morceler l'au-
torité, d'en donner une parcelle aux rois des divers nomes et de
garder en sa main le commandement suprême « Sur tout le pays :

d'Egypte Mii-sur ,
j'installai en masse des rois, des gouverneurs, des
lieutenants, des hauts dignitaires, des fonctionnaires, des scribes.
J'établis pour toujours des sacrifices permanents à Asour et aux dieux
grands, mes Seigneurs. Je lui imposai un tribut et une redevance à
ma » On voit avec quel
seigneurie, pour chacjue année, sans cesser.
soin Asaraddon veut organiser sa conquête. Il se rend compte de
l'importance du coup qu'il vient de porter. Seule l'Egypte avait pu
borner l'extension prodigieuse de l'empire nini\ite. La distance entre
les deux pays, la domination séculaire des Pharaons, autant de rai-

sons qui auraient dû fermer aux monarques d'Asour l'entrée du delta.


Mais les armées régulières des Assyriens ainsi que leurs machines de
guerre, leur système de colonisation qui avait peu à peu transformé
la Syrie, la Palestine, le nord de l'Arabie, en autant de relais sur la

(1) L"inscription du Nahr el-Kelb est ea mauvais état, mais celle de Sendjirli (sur cette
ville, RB., 1910, p. 183 s.) est bien conservée. D'abord publiée par Schrader (dans Li-
SCHAN, Ausgrobungen in Sendschirti. I). cette dernière vient d'être rééditée par Ungnad
(dans Vordcrasiatische Schriflflenlunâler du Musée de Berlin, I, n" 78). Sur les re-
présentations qui accompagnent ces inscriptions, Mvspeko, Ilisfoire (nicienne..., III,
p, 374 s.

(2) Cette ville ligure comme dernier mot de l'itinéraire mutilé reconstitué par Winciiler
(cf. sup.). Elle se trouvait sur la limite orientale de l'Egypte.
216 REVUE BIBLIQUE.

route d'Egypte, l'insatiable avidité et l'ambition toujours grandis-


sante des Sarg'onides, tout avait préparé la catastrophe finale. Les
prophètes d'Israël avaient compris depuis longtemps qu'il était dan-
gereux de s'appuyer sur le « roseau brisé » des bords du Nil. Au
temps de Sargon, Isaïe avait couru déchaussé et nu à travers Jéru-
salem « Et lahvé dit De même que mon serviteur Isaïe est allé nu et
: :

déchaussé trois ans, signe et présage contre l'Egypte et l'Ethiopie;


ainsi le roi d'Assyrie emmènera les captifs de l'Egypte et les exilés
de l'Ethiopie; jeunes et vieux, nus et déchaussés, et les reins décou-
verts. Et ceux qui comptaient sur l'Ethiopie, et qui étaient fiers de
l'Egypte seront consternés et confus. Les habitants de ces côtes diront
ce jour-là : Les voilà donc ceux sur ([ui nous comptions, vers qui
nous voulions fuir, chercher refuge et protection contre le roi d'As-
syrie 1 Et nous, comment échapper (1)?)) L'Assyrie atteignait l'apogée
de sa grandeur militaire comme elle atteindrait, sous Asourbanipal,
l'apogée de sa culture intellectuelle et artistique.

Dans de sa première campagne en Egypte, Asourbanipal


le récit
énumère « les rois, gouverneurs, préfets » que son père Asaraddon
avait installés en Egypte. D'après leurs noms, c'étaient des Égyp-
tiens. Pouf un pays pénétré de traditions administratives comme
l'était la terre des Pharaons, il eût été de mauvaise politique d'im-

poser des généraux assyriens comme gouverneurs. Aussi, après avoir


réduit Taharqou, Asourbanipal se contente-t-il de replacer dans
leurs nomes respectifs les Égyptiens, vassaux d'Asour, qui avaient
fui devant le roi d'Ethiopie.
Les armées d'Asaraddon rentrèrent en Mésopotamie par la Phé-
nicie, la Haute-Syrie et FEuphrate, comme on peut le conjecturer
d'après les inscriptions laissées par le vainqueur sur le rocher du
Nahr el-Kelb dans le Liban et sur la stèle de Sendjirli (l'antique
Sam' al entre Antioche et Mar'as). Jamais le protocole n'avait été si
« le grand roi, le puissant
complet. Désormais Asaraddon s'intitulera
du monde, roi du pays d'Asour, lieutenant de Babylone. roi
roi, roi

de àoumer ^Babylonie du sudj et d'Akkad (Babylonie du Nord),


roi du pays de Kardounias (Chaldée), de tous ces pays, roi des
rois d'Egypte [Mu-sur)^ de Patros (écrit Pa-tu-ri-si. ciins bibli-

que) (2) et d'Ethiopie [Ku-ii-si) » (3).

(1) 20, 2 ss. (Irad. Condainin).


/.s-.,

('i)L'égypUen était p-to-rvsi « terre du sud ».


(3) Ce protocole se trouve dans les inscriptions qui sont postérieures à l'année 671. Par
exemple dans la stèle de Sendjirli, dans l'une des inscriptions de Tarbis (Serif'-khan), Ui.
48, n" '>; sur les briques du palais de Kalhou (Xintrud) : Bcilr. zur Assijriologie, III,

p. 206 s., etc..


LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSTOIE. 217

Mais pendant ({ue le roi chevauchait en vainqueur à travers


rÉgypte, la Palestine, la Phénicie, la Syrie, des intrigues se nouaient
en Assyrie, dans son propre palais. Il faut croire que les grands
avaient vu d'un mauvais œil l'infraction au droit d'aînesse qu'Asar-
addon s'était permise en faveur dAsourbanipal. Lorsque Sennachérib
avait choisi Asaradtlon, de préférence à ses enfants premiers-nés,
pour l'appeler à la succession au trône, la révolte avait éclaté à Ba-
bylone et le roi lui-même en avait été victime. Il est probable que
Samas-souma-oukin, le futur roi de Babylone, entretenait les mé-
contentements et n'attendait qu'une occasion de supplanter le fils fa-
vori. A peine de retour chez lui, Asaraddon recourut au moyen
ordinaire des cours orientales pour étouffer les rébellions La : <(

onzième année (670 av. J.-C.) le roi tua par les armes beaucoup de
ses grands en Assyrie (1). » Afin cependant de donner une certaine
satisfaction à son fils déshérité, il confia à Samas-souma-oukin la
vice-royauté de Babylone. Nous avons vu comment Sennachérib avait,
lui aussi, placé son fils aine sur le trône de la ville sainte (2). Fidèle

à sa pieuse coutume de consulter son dieu Samas, Asaraddon ne


manqua pas de demander si cette intronisation agréerait au dieu de
Babylone, Mardouk, et nous possédons le texte de cette consulta-
tion (3) Il existe aussi une lettre d'un dignitaire assyrien au roi (4)
.

où, à propos de la séparation de l'empire en deux tronçons, l'un pour


Asourbanipal. l'autre pour Samas-souma-oukin. le correspondant
déclare « Ce qu'on n'avait pas fait dans le ciel, le roi, mon maître,
:

l'a fait sur terre et nous l'a montré. » Le monarque avait-il un pres-

sentiment de sa mort prochaine? Il avait, en tout cas, deviné la su-


périorité intellectuelle de son fils Asourbanipal. C'est pour lui qu'il
faisait bâtir le palais de Tarbis [Shérif-khan). Il lui enseignait « toute
la science de l'écriture », sans oublier l'éducation pratique qui con-
sistait « à tirer de l'arc, à monter à cheval ou sur un char, à tenir
ne devait pas jouir du repos auquel l'acces-
les rênes » (5). Mais le roi
sion de ses fils semblait lui donner droit. L'Egypte s'agitait encore
et une intervention devenait urgente. Le monarque se mit lui-même
à la tête de ses troupes. Durant la marche, il fut atteint d'une ma-

(1) Chronique Babylonienne, IV, 29.

(2) RB., 1910, p. 513.


(3) Knidtzon, Assyr. Gehete an dea Sonnengott, n" 149.
(4) RxuPEH, Assyrifin and bahylonian Lettcrs, n" 87o cf. Meissneiî, Milth.
; (1er vonler-
as. Gesellschaft, L\, 1904, p. 182 (= 2) ss.

(5) Ces renseignements si intéressants (qu'il faut comparer avec ceux de la Cyropédie)
sont donnés par Asourbanipal lui-même (Cyl. de Rassam. I, 31 ss.).
218 REVUE BIBLIQUE.

ladie qui l'emportait dans la tombe le 10 du mois de Marhes\Yan


(octobre-novembre) de l'an 669 av. J.-C. (1). Et la Chronique Babij-
lonietuie {comme par ces mots « Asaraddon
les l:":2"~ ""i^") conclut :

avait régné douze ans sur l'Assyrie, ses deux fils montèrent sur le
trône, vSamas-souma-oukîn à Babylone. Asourbanipal en Assyrie (2) ».
C'était à Asourbanipal qu'il reviendrait de poursuivre la campagne
d'Egypte et de consolider la conquête faite par son père. Asaraddon
qui, par son énergie, avait réussi à s'asseoir sur le trône paternel,
à repousser l'invasion des Aryens, à fortifier sur les pays phé-
niciens ou syriens la suprématie d'Asour. à pénétrer en Egypte
jusqu'à Memphis. Asaraddon était frappé avant d'avoir pu achever
son œuvre. L'étendue du territoire soumis à Asour ne permettait pas
au pouvoir suprême de tenir dans sa main tous les fils de l'adminis-
tration. Toujours sur l'un ou l'autre point une révolte pouvait éclater.
L'Assyrien avait trop embrassé pour bien étreindre.

{A suivre.)
P. Dhorme, 0. p.

(1) La date de la mort est donnée dans la Clironique Babylonicune, IV, 30 ss.

(2) Ibid., IV. 32 ss.


L'ÉGLISE DE L'ÉLÉONA
... in Eleoaa, id est ecclesia quae
est in monte Oliveli, pulchra salis.

Éthkrie, Pèlerinage..., § -..'5.

Aussi bien dirait-on en notre langue « l'église du mont des


Oliviers ». Tel était en effet, dans le parler chrétien de .Jérusalem au
IV'' siècle, le sens du terme Eléona, dont la saveur exotique plaisait à
l'aimable pèlerine Éthérie. Et tant lui plaisait ce grec expressif qu'elle
l'adopta en son latin, quitte à l'expliquer inlassablement, — inEIeona
id est in monte Oliveti, — ou à l'ajouter en doublet : ascenditur nions
OHveti, id est, in Eleona. — Pour les fidèles du iv'' siècle toutefois l'ex-
pression avait une portée déterminée et limpide que n'aurait plus
pour nous son simple équivalent français. L' « Éléona », c'était le
mont des Oliviers dans son auréole évangélique effa(;ant tous les
souvenirs antérieurs et abstrayant de toute valeur chorographique.
Plus strictement encore, c'était l'église par excellence. Téglise unique
de la sainte montagne, le sanctuaire créé par la piété d'Hélène et la
munificence de Constantin pour consacrer le lieu de quelques su-
blimes enseignements de .Jésus et la mémoire de sa glorieuse Ascen-
sion à deux pas de là sur le plus fin sommet de la montagne. Dans
le cours des siècles, après que la vigoureuse expansion chrétienne

eut couvert de religieux édifices toute cette partie du mont des


Oliviers, 1' « Éléona » parait s'être spécifiée en nom propre à l'instar
de Sion » ou de
c( Gethsémani », en attendant que des bouleverse-
((

ments plus profonds lui aient d'abord substitué d'autres vocables,


puis en aient anéanti la splendeur. Le titre de ces notes a été ins-
piré par le souvenir ému de ces lointaines origines et la joie de re-
nouer, par delà tant de siècles de désolation, de tradition timide et
d'oublis partiels, les réalités reconquises à la tradition puissante et
sobre de l'église hiérosolymitaine au iv'' siècle. Volontiers je ferais
mienne l'iavitation de l'archidiacre qu'Éthérie entendait jadis, au
soir du jeudi saint, dans l'église du Saint-Sépulcre Onines in ecclesia :

quae est in Eleona conveniamus , non sans ajouter aussi avec lui :
220 REVUE BIBLIQUE.

quoniam tnaximiis lahor nobis instat hodie. Non plus le labeur de la


veille sacrée et de la pieuse panégyrie, mais le labeur pieux encore,
si plus délicat et moins consolé, de reconnaître, malgré la brutalité
du temps, lacendre vénérable et les épaves de choses chères.
A vrai dire il n'y a plus de tâche elle a été réalisée toute par les
:

dévoués et savants gardiens de l'emplacement traditionnel du sanc-


tuaire constantinien. La Revue ne se rendrait certainement pas agréa-
ble à la modestie discrète des Pères Blancs si elle disait, même en
raccourci, le tact, la prudence et la persévérance qu'ils ont apportés du
premier au dernier instant et jusque dans le plus humble détail de
fouilles que la présence d'édifices neufs très malencontreux rendait
compliquées et dispendieuses. Je dois cependant à nos lecteurs un
témoignage aussi agréable que facile à fournir veuillent les PP. Fé-
;

derlin et Cré ne pas me tenir rigueur de signaler ici leur sentiment


juste des exigences scientifiques, en matière d'archéologie chrétienne
comme en toute autre, et la droiture qui a régi toutes leurs recherches.
Mois après mois ils ont étendu le réseau de fouilles, sans souci de leurs
propres opinions antérieures sur la situation du sanctuaire, sans hâte
de mettre d'accord des constatations disparates, dans l'unique dessein
de constater d'abord avec une lidélité scrupuleuse et de livrer tel
quel à la libre observation de tout venant le détail mis au jour. Pas
le moindre pan de maçonnerie quelconque n"a été touché, dùt-on
s'imposer un lourd efï'ort j)our étudier, en le respectant, des alentours
que sa suppression eût rendus intelligibles au premier coup d'(eil. Il
n'est pas jusqu'aux fragments eux-mêmes qui n'aient été laissés en
général aussi près que possible du site de découverte. Grâce à cette
méthode il n'a pas seulement été loisible au premier curieux venu
qui a voulu s'en donner la peine, de dresser un relevé sûr et complet
de toutes les trouvailles à ce jour encore, et avec peu de fatigue, il
:

demeure fort simple à qui le désirerait de contrôler un à un, de ses


yeux et de ses mains, tout le détail des plans.
Car les plans présentés aujourd'hui ont tenu à s'inspirer du même
esprit que les fouilles. Commencés avec elles, ils en ont suivi l'évo-
lution durant sept mois, s'augmentant d'un détail, puis d'un autre à
chaque visite au chantier. De cette progressive élaboration et du
principe même d'enregistrement brut de tout ce qui a été déterré et
comme on l'a déterré, il est résulté un certain enchevêtrement du
plan général qu'il eût été assez élémentaire de dessiner avec une
limpidité saisissante, au prix de très minimes et insignifiants sacri-
fices de choses A'ues et en saccordant ou là de compléter un tracé
ici

parfaitement évident. Voudra-t-on bien faire crédit de l'inélégance


L'ÉGLISE DE L'ÉLÉONA. 221

en considération de la sincérité? Les plans de détail sont d'ailleurs


plus clairs et peuvent s'authentiquer de quelques photographies. Des
graphiques spéciaux concrétisent enfin l'interprétation d'ensemble de
tous les vestiges en place et ne seront pas confondus avec les relevés
directs.
Rien de plus naturel en somme, de plus simple aussi, qu'une telle
méthode quand ii s'agit de fouilles et de relevés archéologiques. Je
me serais donc épargné la banalité de l'exposer s'il ne s'agissait d'un
sanctuaire de premier ordre et trop longtemps abandonné dans sa
dévastation. Mais à notre époque certaines feuilles puldiques s'émeu-
vent volontiers et bruyamment sur la crise des Lieux Saints ; de plus
et surtout on nous a désagréablement accoutumés à de soi-disant
restaurations sur des ruines dont jamais n'a existé la moindre trace,
ou sur des plans dûment arrangés et qui échappent désormais à tout
contrôle, quand ce n'est pas la ruine elle-même qui est demeurée
inaccessible. Il n'était donc peut-être pas superflu de préciser la
marche suivie dans la recherche de l'Éléona. d'indiquer la facilité
permanente du contrôle loyal et de le provoquer même encore.
Inutile d'ajouter que l'autorité des Pères Blancs n'est engagée
absolument en rien par la publication provisoire qu'ils ont si aima-
Idement autorisée dans la Revue. C'est à eux qu'appartiendra, le mo-
ment venu, la publication plus complète ou le commentaire plus dé-
taillé de leur féconde exploration. Si l'ensemble en est ici correcte-

ment rendu, c'est à eux qu'en revient tout le mérite, car les travaux
étaient décisifs et la ruine s'exprimait elle-même, .le reconnaîtrais toute-
fois par trop malle liljéralisme parfait et l'exquise courtoisie qui m'ont

fait les mains libres en ce chantier si je laissais croire qu'on soit en


droit de faire porter au T. R. P. Féderlin ou au R. P. Cré la respon-
sabilité la plus minime de telle interprétation qui serait jugée ca-
duque, ou de quelque matérielle et inconsciente bévue qu'on ferait
voir dans les plans. Quant à cette documentation graphique, elle doit
ce qu'elle a pu réaliser d'exactitude à l'assistance persévérante et
éclairée de mes confrères les PP. Abel et Lambert, professeurs à
l'École. Ainsi qu'à l'ordinaire, je suis redevable des photographies
au P. Savignac. Avec ces éléments je voudrais essayer d'abord d'ex-
poser en gros les résultats généraux de la fouille à ce jour, d'établir
ensuite que les ruines si habilement reconquises par les savants ex-
plorateurs sont celles d'un monument chrétien de grand style com-
prenant une basilique, un atrium, des propylées, d'importantes
annexes. Une dernière tâche serait de détailler la preuve que ce mo-
nument chrétien est le sanctuaire constantinien authentique dit de
222 REVUE BIBLIQUE.

l'Éléona : ferme y suppléera


la tradition la plus vivante et la plus
fort à propos, pour le moment du moins. Nul en effet, on peut l'es-

pérer, ne voudra récuser qu'il ne s'agisse bien de l'église de sainte


Hélène « en mémoire de l'Ascension », quand on lui aura fait cons-
tater en ce lieu une basilique splendide, érigée sur une grotte vénérée
longtemps encore après que la basilique impériale eut été anéantie.

I. LES RUINES.

Leur dévastation est vraiment lamentable. Un visiteur distrait


serait même exposé à ne voir là aucun monument du tout. Ce quil
en reste n'est guère que le tracé géométrique précis, et suggestif
à la condition seulement d'être étudié avec une patiente attention,
mais qui semble d'abord se dérober par son développement même,
par sa complication et par l'enchevêtrement de constructions posté-
rieures sous lesquelles il était scellé comme un squelette sous les
dalles de son sépulcre. Les rares lambeaux de son architecture et
de sa décoration sont néanmoins dune nature telle et d'une harmo-
nie si parfaite qu'ils autorisent une reconstitution générale assez
complète pour rendre tellement quellement la physionomie primor-
diale de l'édifice tels ces ossements lugubres, effrités déjà presque
:

à demi, que le paléontologue rassemble dans la fouille d'une caverne


et qui restituent, sous sa main avisée, quelque grand fauve des âges
préhistoriques ou un type racial de la première humanité.
L'empreinte du monument se dilate sur une aire de 1.500 mètres
carrés en chiffre rond, décompte fait de toutes les annexes. Mais jetons
d'abord un coup d'œil sur le site lui-même (voy. pi. i et ii).

Quand on débouche sur la plate-forme du mont des Oliviers par


l'audacieux raidillon amorcé au nord du jardin de Gethsémani, après
avoir longé le Dominus flevit et le couvent des Dames Bénédictines,
on se trouve à un nœud de chemins. Le plus large fuit en droite
ligne à l'orient, franchit le col, traverse une partie du village de Tour
et redescend surBéthanie; un simple sentier coupe en écharpe des
terrains vagues pour courir directement par nord-est au mamelon
que couronne la mosquée de l'Ascension la dernière voie tourne
;

au sud, s'étrangle pour se faufder entre les nouvelles clôtures et


descendre à un plan inférieur où elle peut se dilater pour conduire
plus commodément vers la pointe méridionale de la montagne avec
embranchement sur Gethsémani par le tombeau dit des Prophètes
et les nécropoles juives modernes. En quelques pas sur ce chemin
L'ÉGLISE DE L'ÉLEOXA. 223

on est à la petite plate-forme sur laquelle ouvrent à l'ouest le couvent


des Bénédictines, à l'est l'enclos du Credo et le Carmel du Pater. L'en-

clos du Credo, où Ion accède par une étroite rampe, A, est une
esplanade légèrement relevée vers Torient. Dès l'entrée on passe
sur la voûte d'une petite chapelle restaurée naguère par M'"" la
princesse de La Tour d'Auvergne et connue depuis des siècles comme
le sanctuaire duCredo ». Au delà une cour presque plane, où
«

végétaient péniblement quelques arbustes emprisonnés j^ar des guir-


landes de romarins. En bordure sur cette cour, au nord, de petits
murs supportant des levées de terre où sont piqués d'autres arbustes
et quelques affleurements rocheuxdans lesquels s'enfoncent de
vieilles au sud, l'habitation du gardien et
cavernes funéraires;
diverses masures dont la seule à signaler couvre une grande mosaïque
C. A la hauteur de cette masure, à 38 mètres de l'entrée A, un mur
de soutènement barre la cour et une volée de marches conduit à
une esplanade surélevée de l™,iO c'est l'assiette du cloître neuf du
:

Pater avec son élégant pavillon projeté en avant mais pas tout à
fait au milieu de la terrasse. A force de soins et de terres rapportées

on était parvenu à étendre sur la partie méridionale de cette terrasse


l'ombre douce de quelques oliviers et de jolis amandiers, tandis que
tout le nord présentait d'assez hautes et irrégulières saillies rocheuses
limitant le passage qui introduit à l'entrée usuelle du Pater et au cou-
vent du Carmel. Le cloître est un charmant édifice de style ogival bien
réussi par l'architecte que
s'était choisi M°"" de La Tour d'Auvergne, Il

que l'exploration préalable du sol ait été accomplie par


est regrettable
des ouvriers moins conscients de leur métier ou moins soucieux de
leur devoir que l'architecte du sien. Le préau de ce cloitre était
l'emplacement traditionnel du Pater; aussi la princesse l'avait-elle
voulu inaccessible à tous les pas profanes. Pèlerins et touristes le

contemplaient à leur aise par les arcades des galeries au plus et tout
à de rares intervalles une main pieuse pouvait-elle apporter aux fleurs
et aux arbustes qui égayaient ce coin déterre des soins attendris.

Et des hommes rudes fouleraient imprudemment ce parterre, frois-


seraient à coups de pioche des plantes suaves et délicates I... Ce
sacrifice inespéré a néanmoins été généreusement accepté et mérite
toute gratitude. Il est récompensé du reste, puisque les chercheurs
ont montré le lieu plus saint encore qu'on ne le supposait avant leur
intelligente intervention. A l'extrémité orientale du cloitre s'attache
l'église du Carmel, tandis qu'au milieu de la galerie méridionale,
face à la grande entrée, s'ouvre l'édicule qui renferme le cénotaphe
de M'"- de La Tour d'Auvergne, entre le sanctuaire que sa pieuse
224 REVUE BIBLIQUE.

munificence avait voulu restaurer et le couvent des Dames Carmélites


à qui elle le confia pour qu'il fût entouré à jamais de j^rières et
d'honneurs.
Au nord de mètres au maximum, l'édicule actuel de
cet enclos, à 70
l'Ascension couronne Textrême pointe de la montagne, sorte de dôme
étroit qu'il a fallu élargir par des substructions le jour où l'on
a voulu y faire tenir un monument de quelque importance. Au sud,
et déjà un peu plus en contre-bas, le vignoble dit karm el-Kawârek,
aujourd'hui propriété des Pères Blancs, n'est séparé du terrain de
l'Éléona que par une mince clôture. En résumé
deux terrasses pres-
:

que naturellement planes étagées de l'ouest à Test sur une longueur


d'environ 80 mètres, de manière à occuper la croupe entière de la
montagne immédiatement sous le mamelon culminant et si bien en
face de Jérusalem, qu'avant l'interposition récente du couvent des
Bénédictines, on pouvait, du Credo, détailler la Ville sainte etle Haram
en particulier avec la même aisance que sur un plan en relief.
Tel est le site et voici l'empreinte que le monument y a laissée :

un immense réseau de tranchées dans le roc disposées avec symétrie


pour constituer un gigantesque damier de 70 mètres sur 2*2, avec des
cases de proportions diverses. La plupart de ces tranchées sont encore
remplies d'une maçonnerie uniforme en volumineux quartiers de silex
bruts ainsi qu'ils s'ott'rent à foison tout le long de la crête du mont
des Oliviers, et liés par un mortier gras et copieux. La solidité de ce
conglomérat massif est encore de nature à désespérer souvent un
bras vigoureux armé des meilleurs outils c'est ainsi manifestement
;

que ces matériaux ont échappé en général à la dilapidation qui fai-


sait disparaître presque tout le reste au profit des constructions nou-
velles des alentours. Même sur les points où ce blocage a pu cepen-
dant être ébréché de vieille date, sa trace était encore écrite avec
netteté sur le fond et sur les parois delà tranchée par des adhérences
du lit de mortier où on l'avait couché et tassé jadis. S'il eût été loi-
sible aux explorateurs de mettre à nu d'un bout à l'autre le réseau
complet, ce tracé s'offrirait clairement au regard le moins exercé.
Mais sans parler des frais considérables qu'eût fait peser sur leur
générosité toute privée le déplacement d'un tel volume de décom-
bres, les Pères Blancs devaient compter d'abord avec la difficulté
matérielle de loger ces déblais, en second lieu avec la difficulté beau-
coup plus délicate de ne compromettre d'aucune sorte les divers
édifices modernes campés un peu au hasard sur l'aire du monument,
avec la nécessité enfin de laisser libre une circulation constante sur
ce sol français dont ils sont les gardiens officiels. Pour faire l'évidence
L'ÉGLISE I»E LEI.EONA. 22o

que le problème ardu a été résolu à souhait, pour rendre compte


aussi de ce qui pourrait être pris pour anomalies dans le plan d'en-
semble, il sera bon d'exposer succinctement l'occasion des fouilles
et la suite des découvertes.
Un des jeunes et un jour pour son
studieux missionnaires, examinant
propre compte le terrain du Credo, s'imposait bravement l'étude des
caveaux funéraires disséminés au pourtour. Quelque récente opéra-
tion d'horticulture ayant fait constater, à l'ansle sud-est de la cour,
l'ouverture d'un tombeau. P, lattentif observateur en affronta les
toiles d'araiçrnées et les chauves-souris. C'était un caveau comme tel

autre à l'extrémité septentrionale de la cour, à cette particularité près


qu'ici la paroi rocheuse et curviligne de l'arcade sud. coupée presque
au plafond, avait été remplacée par une paroi verticale, faite de plu-
sieurs assises d'énormes quartiers de silex à peine équarris. Plutôt que
de se perdre en hypothèses sur la raison d'être de ce blocage, qui ne
se laissait ni ébranler ni même entamer, on estima meilleur de sacritier
pro\dsoirement une petite plate-bande du jardinet pour un sondage
par l'extérieur. Pratiqué à 1 mètre au sud de l'ouverture du tombeau,
le sondage atteignit promptement un lit de blocs de silex, en même

temps qu'il mettait au jour la lèvre septentrionale de la tranchée


dans le roc. L'existence depuis longtemps connue d'un développe-
ment de la mosaïque C hors de la chambrette interdisait d'élargir
beaucoup le sondage au sud; on se contenta d'observer avec précau-
tion que le massif de maçonnerie en silex paraissait limité à 2 mètres
environ de la bouche du caveau, soit à peu près exactement à 1"\00 de
la paroi rocheuse dont le dressage avait fait accidentellement éventrer
le tombeau. A l'est et à ToTiest il était manifeste au contraire que cette

paroi et le lit horizontal de silex étaient prolongés avec régularité. La


fouille fut poussée vers l'orient. A 2 mètres à peine la paroi de roc se
coudait à angle droit au nord, tandis que le lit de maçonnerie se pro-
longeait à l'est. Eq le suivant 1"',()0 plus loin- on retrouva la paroi de
roc dans le prolongement précis de la section ab et sur un nouvel
angle droit dont la branche sud-nord, de, était visiblement parallèle
à bc. Entre ces parallèles apparaissaient au surplus les mêmes fonda-
tions massives. Sur cette piste les fouilleurs s'orientent vers le nord,
abandonnant provisoirement leur première direction à la hauteur de
la chambre en mosaïque D, alors insoupçonnée et devant laquelle
semblait disparaître la maçonnerie de silex. A 7 mètres du retour
d'angle par la tranchée de roc V'. la présence d'un arbuste utile à
sauver et la nécessité de ne pas couper l'accès à l'escalier du Pater
limitent la fouille, qu'on attaque un peu plus au nord après avoir
REVUE UiBLIQUE 1911. — X. S.. T. VIII. 15
226 REVUE BIBLIQUE.

repéré l'axe de V"". Quelques heures de travail font retrouver une tran-

chée identique, section V, cette fois avec plusieurs beaux blocs d'ap-
pareil à peine ébranlés de leur lit de pose sur la fondation puissante
en silex. Bientôt on est en possession des angles avec une assise ap-
pareillée, ensuite de la grande tranchée perpendiculaire est-ouest,
parallèle au tronçon déblayé au début de la fouille. On la suit en re-
venant à guider avec une sécurité absolue par les
l'ouest, se laissant
fondations désormais familières et par la double paroi de roc. Devant
l'édicule qui couvre l'abside souterraine du Credo, force est bien de
s'arrêter ; mais voici tout à point un angle intact de splendide ma-

Kig. 1. — Angle nord-ouesl de l'atiium primitif.

çonnerie appareillée sur la fondation de silex pour révéler la


(fig. 1)

tranchée Son dégagement total demeurant interdit sous peine de


III.

compromettre la voûte du Credo, il fallut se contenter de longer sa


paroi orientale. Interruption dans l'axe central de la cour, repérage
de la tranchée au sud, mise au jour de la section 111% et, au point
voulu pour constituer le quadrilatère parfait, découverte d'un retour
d'angle dans l'axe précis de la première grande tranchée ouest-est :

tout cela sans doute plus vite raconté que fait, mais aussi beaucoup
plus facile à suivre sur le plan qu'à travers cet inévitable brouilla-
mini des indications aussi peu littéraires que possible, par des points
L'ÉGLISE DE L'ELÉONA. 227

cardinaux, des mesures chiffrées et des expressions trop spéciales de


chantier de fouilles.
En cet état des constatations, qui était à peu près celui de la mi-juin
1910, il douteux qu'on ne fût en possession d'un édifice
n'était plus
monumental, disons mieux, de ses pauvres vestiges. Quelle ruine en
effet Nulle part deux assises appareillées l'une sur l'autre les blocs
! ;

d'appareil se comptaient sans grand effort, pas une pièce d'architec-


ture intacte ni même vraiment notable et de la décoration, que les
débris suggéraient très riche, rien que des miettes. Et cependant il

était clairqu'un monument posé sur de telles fondations et développé


sur une surface d'au moins 500 mètres carrés n'était déjà point dénué
d'importance. Et ne sufhsait-il pas de raccorder à ces éléments nou-
veaux ceux depuis longtemps connus, la crypte du Credo, quelques
arasements de vieille maçonnerie dans le chemin devant l'entrée A,
enfin les mosaïques B, C, F réparties sur le circuit du grand quadrila-
tère, pour rêver sans invraisemblance de basilique et d'Éléona? Mais
les explorateurs étaient trop bien persuadés que la spéculation hypo-
thétique a quelques droits uniquement là où se termine toute possi-
bilité de recherche pratique. La vraie, la lourde tâche commençait :

délimiter le pourtour complet du monument par-dessous les cons-


tructions neuves et jusque dans le chemin public et essayer ensuite
de reconnaître quelque chose de l'agencement intérieur. Si lap-
plication de la méthode était compliquée de mille manières, elle était
du moins nettement indiquée suivre dans toutes les directions où
:

elles avaient été vues les amorces de fondations dans la roche vive;

quand la couche de décombres deviendrait trop haute, opérer en tun-


nels quand on serait bloqué par un mur neuf, repérer soig-neuse-
;

ment l'axe de la tranchée et tenter de la ressaisir au delà de l'obstacle ;

quand lalignement serait perdu, multiplier les sondages. On n'at-


tend point en ce lieu le récit d'un labeur qui s'est poursuivi jusqu'en
janvier de cette année.
Voyons donc les éléments acquis, à commencer par la tranchée
longitudinale sud, YY\ la plus entièrement déblayée, celle aussi qui
a fourni une des meilleures clés pour l'interprétation d'ensemble par
la conservation suffisamment nette de ses deux extrémités.
Elle débute en manière d'ante, Y, dégagée au nord et au sud et
visiblement sans aucun prolongement à l'ouest c'est prouvé : 1° par :

la nature fruste du rocher qui s'incline au delà sous le chemin,


2^^ par l'absence de tout vestige de fondation, 3" par la
présence d'un
bloc d'appareil, i, demeuré en place sur le retour d'angle de la fon-
dation. Ce n'est pas le bloc d'angle lui-même, f, dont on voyait ce-
•208 REVUE BIBLIQUE.

pendant de pose grâce aux bourrelets de mortier plus fm que


le lit

mais un second l)loc placé en front extérieur de


celui des fondations,
l'ante avec sa face occidentale finement taillée de même main que les
parements d'assises en place sur d'autres points. Ce bloc est pris au-
jourd'hui sous un contrefort intérieur de la muraille de clôture et
cette muraille intangible interdit de s'assurer si la suite de l'ante est
conservée ou détruite; sur quelques indices ténus je la crois détruite.
En avant de cette méchante clôture, l'ancien mm
reparait et, par for-
une
tune, avec assise appareillée, m, engagée en partie sous l'angle
moderne du Credo. Si mesquin que soit ce débris, on l'estimera pré-

cieux en divers sens. Il autorise d'abord la première mesure exacte


d'épaisseur de l'ancien mur à la base et cette mesure l'",i2 re- — —
trouvée à quelques millimètres près sur un tout autre point, à l'angle
de la muraille III et de la grande tranchée A'.Y devient un élément aussi
,

solide qu'utile dans l'analyse du plan. Il fournit en second lieu une base
ferme pour déterminer non plus seulement l'orientation générale d'axe
dans une tranchée de largeur variable, mais lorientement strict d'une
paroi de l'ancien édifice. Il fixe enfin la relation de ce qui est appelé
la « crypte du Credo « avec le monument primitif, au moins par
l'extrémité méridionale de cette « crypte », puisque le mur qui la
limite au sud et dans lequel sont pratiqués en partie les escaliers
modernes prolonge tout bonnement l'ancien mur. Cette constatation,
qui éclatait au regard dès le premier report du vieux fragment de
mur d'ante sur le plan préalable du terrain, ne parut d'abord qu'une
coïncidence de hasard. Elle n'en fut pas moins soumise sur place à
un contrôle minutieux. Afin d éliminer le plus possible les chances
d'erreur dans un raccord d'orientement à opérer sur de courtes sec-
tions dans la crypte d'une part et dans la tranchée d'autre part, on
devait essayer un développement des axes pour de plus longues visées.
La face interne, /^-n^, du mur de la crypte une fois repérée sur le sol
extérieur, son orientement a été tracé d'ouest en est sur une longueur
de 8 mètres, jusqu'à n~, où il était barré par l'habitation du gardien.
Le parement extérieur de lante mesuré à son tour sur la même
étendue, ^n'-m^, a produit une parallèle absolue à la précédente ligne
d'orientement. L intervalle n--?n'' entre ces parallèles mesuré sur le
mur de la maison qui avait limité les visées a rendu 1"\V25, c'est-à-
dire pratiquement l'épaisseur de l'ancien mur. Or, quelques jours
plus tard, en relevant le passage G, qui conduit à la mosaïque F,
sous les amorces de construction remaniée nous retrouvions en place,
0, la même assise de régulation que dans la face méridionale de
Tante et sur sa ligne précise. En mesurant alors, de ce point fixe, une
L'ÉGLISE DE L'ÉLÉONA. 229

largeur exacte de 1"', V-,nous avons corrisé les cinq millimètres d'er-
reur probable dans le placement théorique par les opérations anté-
rieures. L'insignifiancemême de cet écart n'est-elle pas la meilleure
démonstration que premier relevé, tout à fait ingénu, serrait de
le

bien près la réalité? Que le mur ait été conservé ou détruit entre
7n^-o, il est donc désormais établi qu'il coïncide avec le mur-limite
7î-n^ de la crypte actuelle.
de s'attarder à décrire les vestiges d'une citerne exigu<*, />,
Inutile
collée par la suite au flanc méridional de l'ante, ou de petites cavités
dans le rocher, q, suffisamment exprimées par le plan. Il ne serait pas
moins banal de prophétiser la découverte de la tranchée dans le
roc avec ses débris de massive fondation dans la section m-'-m\ lais-
sée jusqu'ici intacte à l'orient de l'habitation du gardien. Un détail
va montrer le développement le plus authentique de la muraille
primitive jusqu'à 62°", .50 à l'orient de l'ante, par la tranchée dans le
roc YY' . On observe à la hauteur de l'angle sud-ouest du Pater une
mosaïque, E, déblayée sur une assez spacieuse surface. La fouille
s'est arrêtée au sud pour ne pas endommager inutilement la voûte de
la minuscule citerne construite à basse époque à travers la ruine et

Fig. 2. — Raccord entre la mosaïque et le mur appareillé.

qui pénètre un peu plus bas que la mosaïque. Un diagramme (fig. 2)


met sous les yeux l'agencement d'abord un peu singulier de ce pave-
ment avec la tranchée rocheuse et un bloc d'appareil d, à peine
déplacé, s'il était déplacé, moment où la
de sa pose primordiale au
fouille l'a fait apparaître. L'étroite relation entre cette
mosaïque et la
grande muraille dont on enfonçait avec tant de soin le pied dans le
roc est rendue évidente par ce fait que l'architecte dessinateur du
pavement en réglait le tracé à la fois sur une connaissance parfaite
des fondations en pleine roche et sur une exigence harmonique entre
230 REVUE BIBLIQUE.

ce pavement et la ligne du grand mur. Il a eu soin en effet de ne


commencer l'ornementation réelle que sur la lèvre rocheuse de la
tranchée, satisfait d'un simple mosaïquage nu assez grossier, c, entre
la torsade décorative a et le parement intérieur b du mur. Ce qui est
arrivé montre au vif la clairvoyance technique du vieil artiste et sa
conscience professionnelle. Juste sous la dernière ligne a' du cadre
s'est produit un affaissement de 15 millimètres en moyenne, presque

régulier d'un bout à l'autre de la section connue de cette mosaïque;


la ligne d'encadrement courant sur l'arête même de la tranchée dans
le roc n'a fléchi nulle part et montre seulement quelques dislocations
qu'expliquent trop bien les volumineuses pierres effondrées sur la
mosaïque. Au contraire, la bande blanche, établie en porte-à-faux sur
un blocage, e, de moellons presque sans mortier, a cédé sous une
pression quelconque. L'insertion de ce blocage négligé entre la puis-
sante fondation / en quartiers de silex cimentés par un mortier de
niveau de la mosaïque
fer et le — sur une hauteur sensiblement uni-
forme de 0'",75 et une largeur maximum actuelle de 0^,15, entre la
paroi rocheuse et le bloc d —
ne pouvait manquer de créer une ap-
parente anomalie. Deux manières si disparates de faire des fondations
pouvaient-elles relever du môme constructeur? Ce point d'interro-
gation, qui résultait de ma seule inadvertance après l'insertion de la
mosaïque dans le plan général, a subsisté pour moi pendant de lon-
gues semaines. Un jour l'occasion d'établir un niveau est devenue
celle de contrôler l'orientement d'axe de la tranchée YY'. L'encadre-
ment rectiligne de la mosaïque se trouvant assez développé pour
devenir la base d'un tracé qui offrait l'avantage d'une précision supé-
rieure à celle que peut fournir le bord rocheux trop souvent
échancré de la tranchée, l'opération fut pratiquée sur cette nouvelle
base. Alors seulement apparut le fait très significatif que le cadre
ornemental de la mosaïque E posé sur l'arête rocheuse se trouvait
dans un axe parallèle à la section de muraille décrite tout à l'heure
avec 'i-i ou 45 centimètres de déplacement au nord, soit la largeur
maximum connue du mosaïquage blanc en bordure affaissée. La
mosaïque était donc bien ordonnée au mur; l'inégale solidité de son
assiette dans la partie nue était donc un fait prévu, auquel on ne
s'était cependant pas imposé de remédier; enfin le mur qui limitait

au sud la mosaïque E était donc une même unité architecturale sur


les 62 mètres connus jusqu'à l'aute occidentale. Il n'était plus
malaisé de saisir le procédé de structure adopté par le judicieux archi-
tecte. Peu confiant dans la roche molle de surface, il la fait entamer

par une large tranchée qu'on approfondit jusqu'à la rencontre de


L'ÉGLISE DE L'ÉLEONA. -231

couches saines. La tranchée elle-même n'est pas mmutieusement ali-


g-néemalgré son assez parfaite correction, surtout au hord septentrio-
nal; c'est qu'on se réserve de prendre dans cet ample fossé Texacte
largeur utile, au niveau voulu. Au fond de cette coupure est couché
un béton cyclopéen, d'épaisseur variable suivant la profondeur
diverse du fossé rocheux, sans s'imposer au surplus d'en niveler avec
rigueur le sommet. Sur ce fondement est établie ensuite la muraille
appareillée ({ui prend désormais une largeur invariable de l™,i2 et
débute par une assise de régulation qui oscille entre 0'^,iO et 0'",50
de hauteur. Cette épaisseur n'a rien d'exagéré pour un soubassement
d'édifice important; elle était probablement réduite d'ailleurs quel-
que peu à la S'' ou à la i'' assise. Quoiqu'il en soit, la muraille appa-
reillée laissait un petit vide entre son parement intérieur hV et le
bord de la tranchée d'où elle surgissait. Le moment venu de créer
son pavement, l'architecte obligé de combler cette étroite cavité,
mais n'ayant absolument aucun poids à lui imposer, ni aucun point
d'appui à prendre là-dessus, s'est contenté d'un remplissage tel quel
et ce remplissage a fléchi.
La tranchée semble se perdre en )' dans une sorte daufractuosité
naturelle incomplètement déblayée. La fouille a toutefois établi
qu'il n'y avaitaucun prolongement de l'entaille artificielle à l'est
ni au sud, mais bien un retour d'angle sur le nord. Et pour qu'il ne
subsiste aucune hésitation sur la nature de ce coude, une heureuse
providence a conservé là un splendide pan de mur, Vr\ identique
d'aspect et d'exécution à l'ante )' et posé sur des fondations toutes
semblables. Ce mur tombait perpendiculairement sur la grande
muraille dont on vient de voir le tracé; le point }' qui marque l'an-
gle d'intersection est par conséquent langle sud-est du monument
primitif puisque au delà disparaissent toutes traces de travail à la
surface très fruste du rocher caverneux. L'analyse de cette tranchée
nous a retenus longtemps parce qu'elle a été dès l'abord, malgré la
ruine presque totale du mur proprement dit. l'élément d'ensemble le
plus complet, parce qu'elle est nettement définie dans toute son
étendue, parce quelle demeure une ligne essentielle dans le monu-
ment, parce qu'il importait enfin que le lecteur saisisse sans obscurité
sur quoi repose la conviction engendrée par ces observations, qu'une
basilique et ses dépendances ont existé là. Nous avons négligé, pour
les retrouver plus tard, toutes les annexes développées au sud de

cette ligne YY et quelques minuties dont l'explication s'offrira d'elle-


même à qui les remarquera sur le plan.
La seconde ligne en importance, X.V, est strictement parallèle à
232 REVUE BIBLIQUE.

J'} 'avec un écartement axial de -21 mètres. Lédicule qui protège l'ab-
side du Credo interdisait de suivre la ligne des anciennes fondations à
l'occident de .Y sur la section X-X", échancrée en sous-sol par l'absi-
diole elle-même. Un sondage au point X* eût peut-être rendu quel-
ques vestiges d'une ante analogue à }'; la difficulté de le pratiquer
sans interrompre, ne fût-ce que pour peu d'heures, la circulation
publique dans cet étranglement du chemin est sans doute la cause
qu'il a été jusqu'ici différé. Ajoutons que les chances sont minimes
de retrouver des traces claires de Tante originelle en ce point où la
roche, beaucoup plus élevée qu'en T, n'est qu'à une faible profondeur
sous le niveau actuel du chemin, exposant par conséquent à mille
causes de ruine une construction spécialement fragile comme l'est

toujours une ante. 11 n'y a pas non plus beaucoup d'espoir qu'on
ressaisisse un jour ou l'autre l'attache du mur II sur la ligne X*-X.
Si elle avait échappé aux maçons qui ont remanié la « crypte » en
diverses périodes antiques, elle aura probablement disparu dans
l'érection du dernier édicule.
La crypte n'a pas l'air, sur ce côté, de s'adapter à l'alignement du
mur supérieur comme à l'extrémité méridionale ; ce qui sera dit plus
loin montrera que sa relation avec ce mur doit cependant avoir été
plus ou moins la même.
A partir de X la tranchée a été mise au jour sans interruption sur
une longueur voisine de 40 mètres. La fondation en silex est continue
sur 25 mètres, entre les lignes transversales III et Y, et avec de no-
tables restes de l'assise de régulation. A une époque indéterminée,
mais postérieure à la ruine du grand mur, le bassin rond et le dé- M
potoir A'^ inséré dans une conduite d'eau avant son débouché dans une
citerne ont été appuyés sur le vieux mur. En pénétrant dans la ter-
rasse du Pater la tranchée a coupé d'anciens tombeaux c'est du :

moins le fait évident pour 7', dont elle n'a laissé subsister qu'une fosse
éventrée longitudinalement par le milieu. La conservation de J', qui
se développe en caverne spacieuse sous laire même de l'édifice, por-
tait demander s'il ne s'agirait pas plutôt d'une sépulture ulté-
à se
rieure aménagée pour quelque personne de considératio'n. A scruter
de très près la situation du caveau, la relation de son entrée avec la
muraille, on se persuade plutôt qu'il est réellement antérieur, mais
qu'on donné le soin de le conserver précisément peut-être en vue
s'est
de nouveau pour une sépulture qu'on ne pouvait prati-
l'utiliser à

quer dans l'intérieur même de l'édifice et que l'on désirait pourtant


installer autant que possible à son ombre. Une préoccupation de cette
nature explique bien l'anomalie d'une entrée qui affleure juste le
i;église de i;eléona. 233

pied de la muraille et la précaution prise de consolider par un pilier


en maçonnerie le platbnd de la caverne précaution un peu insuffi-
:

sante au surplus, car ce plafond disloqué par une pression supérieure


à sa résistance a entraîné de notables craquelures dans le pavement
de fine mosaïque lilanche établi au-dessus, si même il n'a pas été la
cause de préjudices beaucoup plus néfastes à la conservation du mo-
nument supérieur. La troisième brèche. T-, est-elle aussi un vieux
tombeau? elle n'a Quelques débris d'un stuc
pas encore été explorée.
peint observés sous les décombres aux ansles de l'échancrure ne sug-
gèrent pas nécessairement une petite annexe à l'édilice étudié.
L'extrémité orientale de la tranchée A'.Y' échappait à un dégage-
ment total par l'impossibilité de gêner l'accès du Pater ou d'en bou-
leverser les galeries. Alignements pris, un sondage fut tenté dans le
préau, en un point calculé pour répondre symétriquement à l'ang-le
méridional }'. Le tracé déterminé tel qu'on en voit l'indication poin-
tillée sur le plan permettait d'espérer, dans l'hypothèse d'un monu-
ment symétrique, la constatation du bord méridional de la tranchée.
A la profondeur escomptée, juste à l'aplomb du mur neuf intérieur de
la galerie nord, apparurent quelques vestiges de la fondation de silex
devenue familière, mais posée ici sur une surface de roche plane sans
aucun indice de tranchée. Bientôt on avait dégagé la petite section VI
de vieux mur un peu remanié, mais dans la situation précise qui en fai-
sait un répondant, parfaitement inattendu alors, du beau tronçon intact
VI\ La fouille, développée à l'est en suivant le sol de roc aplani, \V,
et encombré de débris architecturaux, ne tarda pas à conduire sur la
ligne VII-VII', dont l'extrémité nord pénètre sous la salerie du cloître.
Le plus sommaire examen du plan montre qu'au lieu de se terminer
à l'angle d'incidence du mur VI. à la même hauteur que la ligne W ,

la ligne A'A doit se développer de façon à recouper perpendiculaire-

ment VII, reculant ainsi de i™,70 l'ang-le nord-est du monument.


Nous aurons à tenter plus loin de découvrir la raison d'être de cette
particularité. Ce développement du mur septentrional vers l'est et la
constatation de la gigantesque tranchée VII-VII- n'avaient pas l'unique
avantage d'élargir l'aire du monument, c'est-à-dire d'augmenter la

tâche délicate de l'exploration ; il en résultait de plus sa limitation


orientale certaine par ce barrage rocheux haut de l"", 80 en moyenne
et au delà duquel la crête du rocher demeurait absolument fruste
dans toute la largeur du préau. L'état présent des fouilles ne laisse in-
déterminé que le raccord précis de la tranchée-limite VII-VIL avec la
ligne méridionale Yy\ c'est-à-dire l'angle sud-est extrême de l'édi-
fice. L'interruption de la ligne sud constatée en } exclut l'hypothèse
234 REVUE BIBLIQUE.

dun recoupement à angle droit qui se serait normalement produit en


}'" tombeau de M"'" de La Tour d'Auvergne et le jardin des
entre le
Carmélites. S'il eût été praticable, un sondage dans la galerie du
Pater eût résolu probablement assez vite le problème par la décou-
verte de quelque angle de la grande tranchée vers le point VH''.
Tranchée n'est pas d'ailleurs ici, à tout le moins n'est plus le terme
tout à fait exact, puisque, sur la longueur connue, cette entaille
énorme parait n'avoir qu'une paroi de roc : celle de l'orient. A l'ouest
au contraire, bien loin qu'on ait une limitation rocheuse, petite ou
grande, on découvre à peu près tout le long la roche en contre-bas,
du reste artificiellement aplanie et dominée par un alignement cor-
rect des fondations en silex particulièrement massives en cet endroit.
Dans la section méridionale, où ces fondations, curieusement haussées
sur un socle de roche de O^.TS, ont cependant l'air débuter contre
une petite abside en maçonnerie, l'anomalie frappe moins; elle éclate
au nord, où la haute fondation totalement dégagée, à 0™,40 au-dessus
de ir, produit une impression étrange tel un arbre qui au lieu
:

d'être planté serait tout bonnement appuyé contre un remblai et ba-


lancerait au vent la moitié de ses racines. Il faut le temps de décou-
vrir, vers le milieu de cette ligne, un vestige heureux de la paroi ori-
ginelle pour avoir la clef de l'énigme. Si la tranchée Vll-Vir n'a
presque plus de paroi rocheuse a l'ouest, c'est qu'elle longeait de ce
côté une caverne aujourd'hui eti'ondrée, dont l'intérieui* était sensi-
blement en contre-bas. Les graphiques d'ensemble, plan et coupe,
permettraient au lecteur attentif d'aboutir de lui-même à une convic-
tion raisonnée de ce fait. Si capitale est pourtant l'existence de cette
caverne pour l'intelligence de la ruine entière, qu'il fallait lui donner
toute l'évidence possible, même sans la vue directe de ses vestiges,
au moyen de relevés détaillés. Avant de les présenter et de les décrire,
on passera en revue les autres éléments intérieurs du plan général.
Entre les deux immenses parallèles AW
et J"}', plusieurs lignes

transversales d'importance variable vont nous rendre, du premier au


dernier, les caractères observés maintenant à satiété vestiges de:

construction en grand appareil sur des fondations en volumineux quar-


tiers de silex enchâssées dans un fossé plus ou moins profond dans le
roc suivant l'importance organique de la ligne ou sa situation sur le
relief de la montagne. La ligne 1-1% découverte au milieu du chemin
moderne, est assez bas déjà sur la déclivité naturelle occidentale.
D'autre part elle n'a visiblement jamais eu qu'un rôle fort secondaire
dans l'édifice aussi n'a-t-elle pour appui qu'un ourlet de roche haut
:

de 0™,35 en moyenne, juste de quoi loger une assise usuelle de silex


L'ÉGLISE DE LÉLÉONA. 235

qu'elle a protégée à notre profit contre le pillage rapace et les destruc-


tions accidentelles. Le bout méridional seul a été arraché, mais la
trace en demeurait bien attestée par le lit de mortier en quelque sorte
incrusté au fond de la tranchée et sa limitation était manifestée par
lencoche d, dans un massif de rocher H, qui, aujourd'hui encore
après le remblai, émerge immédiatement au sud, affleurant le sol
actuel de sa crête tout à fait fruste. Au nord la ligne cesse en blocs
amincis clans une entaille rocheuse diminuée. Le bord un peu irrégu-
lier de cette fondation susgérerait quelque arrachement dont il m'a
été impossible de saisir le plus léger indice ni contre les blocs eux-
mêmes, ni à du roc entre I et la tombe a coupée au milieu
la surface
parla tranchée de fouille et au l)ord de lacjuelle vient mourir l'entaille
dans le roc I-L'. Posée encore sur cette tombe a du reste été trouvée
une dalle portant le nom quelque peu ::auchement gravé d'un défunt
inconnu. La physionomie seule de cette laconique épitaphe trahit une
épocjue difficilement antérieure au v^-vi- siècle, sinon plus basse en-
core. Ce simple mot devient pour autant
une indication utile. Si le mur fondé
dans la tranchée I-P était postérieur à
l'humble sépulture et s'était développé
au-dessus, comment la fondation ne
Teùt-elle pas défoncée, puisque la dalle
inscrite, à peine maintenue par une
petite feuillure, faisait saillie sur la
surface rocheuse qu'on aplanissait pour
mur? Ce mur
le
tombe
au
: mais
v''-vi' s.,

taller cette
plus tard
est

alors,

tombe en une
donc antérieur à la
quand on venait.
si l'on veut,
telle situation
ins-
mmm
Fig. 3. — L'épitaphe du sépulcre a.
par rapport au mur, on avait donc un
intérêt spécial à rechercher ce voisinage immédiat et d'autre part on
avait libre accès à ce point, car si l'on eût ébréché le vieux mur pour
creuser la jeune sépulture, quelque vestige du mur fût demeuré per-
ceptible ici comme partout ailleurs où les fondations ont été arra-
chées. D'où il suit qu'apparemment
la ligne I-L' n'a jamais été plus
longue que ne l'a recouvrée. Elle est d'ailleurs un peu trop
la fouille
reculée à l'ouest pour se raccorder théoriquement aux lignes per-
pendiculaires A'\Y et }"}' et lante )' sûre contre-indiquait déjà l'hy-
pothèse d'un tel raccord. Pour comprendre néanmoins qu'il s'agisse
bien d'un élément architectonique de notre édifice, il suffît de noter
sa nature, son orientement, sa relation avec les autres lignes, surtout
236 REVUE BIBLIQUE.

sa position sur la ligne d'axe principal du monument. Les deux au-


tres tombes b et c découvertes en explorant ce mur n'avaient ni épi-
taphe ni mobilier, mais sont de même caractère, sans doute aussi de
même date que a.
De la ligne bord occidental seul a pu être fouillé, avec
II-IP le
l'interruption exigée pour le passage au centre de toutes les lignes,
de II à V inclusivement. Quelques blocs appareillés sont encore en
place à l'extrémité septentrionale, et l'un d'eux, J, présente l'amorce
dune mal en situation sur la tranche
cavité trop fruste et d'ailleurs
horizontale du mur pour
songer à un seuil de porte et qui serait
faire
beaucoup mieux adapté à l'encastrement de quelque lourde masse.
Dans la section méridionale, 11% la fondation recoupe quelques
vieilles entailles superficielles, dues sans doute à des essais
e, f\ g,
abandonnés d'exploitation en carrière. Dans le déblaiement de ces
entailles et tout au pied de la fondation, a été ramassé un joli bronze
de Constantin. Le bassin h, réduction de auquel il est identique,N
empiète sur le mur et n'a donc été construit qu'après sa ruine; il
clarifiait les eaux pluviales avant qu'elles se déversent dans la ci-

terne k. A peu près en face de ce dépotoir, on peut remarquer dans


le mur de clôture moderne plusieurs des beaux blocs d'appareil de
l'ancien édifice. En attribuant au mur II-II" l'épaisseur de l™,i-2
comme ailleurs, ferait coïncider son parement intérieur ou orien-
on
tal avec le bord occidental de la crypte actuelle du Credo. Et qu'il
n'y ait point là une toute gratuite hypothèse, on en trouvera la sug-
gestion dans ce fait que la ligne III-IIT encadre de même, et tout au
plus avec un écart de 25 à 30 centimètres, l'autre paroi longitudinale
de la « crypte ». Or l'épaisseur de III n'est plus du tout conjecturale;

on la peut mesurer avec une satisfaisante précision au point d'attache


du mur III sur le grand mur nord l'angle intérieur est intact,
:

comme la photographie en fait foi, et la paroi occidentale de III aj


pu être dégagée assez pour la mensuration au moyen d'une]
brèche prudente dans la masure moderne (1). La façon dont la tra-
ditionnelle crypte se trouve encadrée sur trois côtés déjà par des'
murs du monument primitif aidera plus loin à discuter sa vraie
nature.
La tranchée IV-IV*, quoique fort profonde en roche vive, surtout
dans la section méridionale lY" où elle atteint jusqu'à 2"", 20, n'a j)as
l'importance des autres lignes. Sa largeur ne dépasse pas l'",40 et
se réduit même à 1"',30 aux deux bouts. Au point d'attache de IV

(l) ?•/• du plan; cf. fig. 1 a.


L'ÉGLISE DE L'ELEONA. 237

sur le mur septentrional, on peut voir apparemment en place une


muraille en gros blocs mais peu élégamment appareillés, et large
tout au plus de 0'",92 sur une fondation plus négligée que partout
ailleurs. Le fossé rocheux s'élargit un peu et se creuse davantage au

sud de la petite tranchée VIII-VIIP, Au fond de ce trou, 0. apparais-


saient, au moment de la fouille, des vestiges disloqués de Tancienne
fondation de >ilex et au bord gisait un bloc déplacé, mais que sa
masse trop lourde a sauvé du pillage sans qu'on ait eu la facilité de
le dépecer au fond de l'étroite tranchée. Quelque chose d'analogue

est à observer en 0- dans la section IV*. Deux sondages forés en des


points symétriquement correspondants à l'ouest, dans une relation
calculée avec la hgne III-III* pour correspondre à celle de 0-0- avec
la ligne Y- Y*, ont livré des vestiges tout semblables. 0^ surtout garde
encore une ])onne partie de sa puissante fondation en silex et si elle

a été arrachée de 0', on y constate nettement sa trace sur la roche


aplanie et échancrée dans le sens et les proportions voulus. Ces son-
dages développés par la suite bien au delà du premier tracé, seul
dessiné sur le plan, ont conlirmé la suggestion de simples fondements
quadrangulaires de piliers en montrant qu'aucune construction ne
s'y est jamais attachée.
Les tranchées numérotées YIII-YIIP et IX-IX% parce qu'en dépit de
leur relation immédiate avec IV elles ont été découvertes tardive-
ment, sont, comme elle, de très secondaire importance 1"^,20 et :

l'^.SO de largeur moyenne seulement, nulle trace des fondations de


silex dans le profond sillon rocheux. On s'est contenté d'en recon-
naître la position exactement parallèle, d'une part avec les parois
d'une citerne énorme, L, creusée au centre de la cour, et d'autre
part avec les murs longitudinaux XX' et }'}', non sans une insigni-
fiante asymétrie de placement qui repousse de 0'°,35 à O'^.iO au nord
tout le groupe, citerne et tranchées latérales. Cette citerne, qui
mesure 11'", 75 X 8'". 45 en surface, pénètre à 5", 70 sous la surface
du roc à la croisée centrale de ses axes et pouvait coutenii' par con-
séquent le volume minimum imposant de 566 mètres cubes d'eau.
Sur tous les points où les parois ont déjà été dégagées pour établii'
le tracé, elles ont montré un enduit de chaux huileuse et jaunâtre et

de brique pilée mêlée à du sable fin le tout d'une imperméabilité


:

absolue et d'une résistance remarquable. Le jour où ce réservoir


pourrait être entièrement \'idé. ses déblais livreraient probablement
d'importants lambeaux de décoration, des éléments d'architecture et
des pièces de mobilier. Rien que dans le forage central déjà pratiqué
à travers les 6". 50 de décombres actuels, on a ramené au jour des
238 REVUE BIBLIQUE.

pierres d'appareil, de nombreux fragments de marbre moulurés ou


lisses, et dans l'épaisse couche de tessons qui couvrait le fond, divers
petits vases en terre cuite ont été recueillis presque intacts. La stra-
tification même de ces décombres n'est pas dénuée d'intérêt, telle
que l'a révélée la fouille centrale. A partir de la surface contem-
poraine il y a d'abord une demi-douzaine d'inégales assises de gra-
vats et de terre remblayée. L'épaisseur de ces débris stériles est de
3°',50. Au-dessous une couche de 0°'.85 à 0™,90 de débris incendiés :

cendre, terre noircie, éclats de pierres calcinées; l'",50 ensuite de


débris empilés pêle-mêle, fragments d'architecture, pierres d'appa-
reil, morceaux de une assise de O'^.iô où d'innombrables
dalles; enlin
casseaux de vaisselle sont noyés dans une vase blanchâtre, bien
connue dans les citernes abandonnées sur le mont des Oliviers.
Avec la ligne V-V% signalée en racontant la découverte, nous
retrouvons la plus considérable des tranchées intérieures; elle ne le
cède en importance qu'à la ligne VII, mais l'aspect primitif en est
plus intégralement conservé. En face du plan comme devant la tran-
chée en nature, le regard est tout de suite attiré par deux tranchées
beaucoup plus petites, perpendiculaires et orientées à l'est. Celle du
nord, B, déblayée jusqu'à l'escalier neuf qu'on devait respecter, s'en-
gage dessous. Le prolongement R' a été facile à retrouver juste en
arrière de la volée de marches et ce sondage a valu, en même temps
que la découverte duu chapiteau splendide et presque intact (1), la
constatation d'un détail qui trouvera plus loin sa portée : l'existence
d'une petite loge dans le roc élargissant la tranchée de 1 mètre
environ sur 0'".80 sur le bord méridional. Dans cette loge, au fond ?-',

de laquelle se pouvaient saisir des indices de l'ancienne fondation


usuelle, avait été posé le chapiteau bien d'aplomb et dissimulé par
un remplissage soigné de terre et de menus débris. Une tombe
construite en dalles frustes passait d'un bord à l'autre de la cavité
prenant appui sur le chapiteau, comme pour le sauver de la des-
truction et enfouir à jamais cette glorieuse épave du monument
évanoui. On ignore encore où se termine la petite tranchée, et si

d'autres loges latérales y sont conservées. Tangle intérieur de rac- A


cord sur V, la roche friable de la paroi naturelle a été profondément
échancrée on lui a substitué en guise décoineon un énorme quar-
:

tier de roche dure, r^, calé avec le plus grand soin et prenant l'ali-
gnement exact des deux tranchées. Contre la saillie que fait ce bloc,
au sud, s'appuyait une tombe maçonnée, ?', développée de biais au-

(1) PI. VI, 1 : cf. dans la pi. v, 21 a l'élévation .^éoméli'ale de l'autre face, 21 b le plan,
21 c la coupe au sommet de la corbeille
LÉGI.ISE DE L'ÉLÉONA. 239

dessus des fondations de la ligne V. Une fermeture plus soignée en


avaitmieux protégé le squelette: le crâne en particulier, à demi
enfoncé sous une dalle creusée en manière de petite conque, s'est
disloqué seulement après un instant d'exposition à l'air. Pas la plus
minime pièce de mobilier funéraire dans la cendre de ce tombeau, ni
un nom sur ses dalles. Tout aussi vides et tout aussi muets sont tous
les autres,découverts à ce même niveau et plus ou moins tassés les
uns contre les autres en tous les points fouillés sur la terrasse du
Pater (1). Un seul fait exception, pas à ce dénùment absolu, mais à
cet universel mutisme, pour
livrer une épitaphe (fig. i)dont
riiumilité même et linélégance
sont le principal intérêt. Il sem-
])le avoir été à peine écorné par HKHKEITA
un mur de belle figure sur
.S'

plan, mais pitoyable dans l'as-


le
PIDYMD W
semblage de pierres disparates ÂZDNTDr
et de boue qu'offre la réalité.

Cette œuvre de goujat semble


tenir en l'air et ne se raccorde
L'épitaphe de la tombe S>
actuellement plus à rien. Peut- (environ l 10=).

être cependant lui doit-on rat-


tacher le blocage, un peu moins mauvais et certainement moderne
aussi, qui barre aujourd'hui en écharpe la tranchée rocheuse Q, de
tous points symétrique à BK La symétrie est poussée jusqu'au détail
.

de consolidation de l'angle intérieur q, correspondant à /'^ ici pour- ;

tant la roche, soumise à l'épreuve, s'est trouvée assez résistante; l'é-


videment commencé a donc été interrompu et l'entaille bouchée avec
les matériaux des fondations courantes. La correspondance ne laisse-
rait absolument plus rien à désirer si l'on pouvait quelque jour dé-
couvrir sur cette ligne une loge latérale de roc à la hauteur de r'
sur la ligne opposée.
Dans le mur UV découvert devant la façade du Pater le seul bloc
d'angle septentrional a donne l'impression d'être en place sur une
fondation qui serait primitive. Les blocs b et c, à l'angle opposé, lui
sont, à vrai dire, tout à fait comparables ils ont cependant bien ;

l'air d'être en équihbre moins ferme sur un fondement d'autre nature

quoique de même hauteur. L'espace entre a et b est comblé par une


assise beaucoup plus basse, de plus petit calibre, dont le premier bloc,

(1) Le plan n'enregistre que ceux dont j ai pu suivre la fouille.


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? ''.ifi

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A -Ji

^
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mu-
>.^
X ><
L'ÉGLISE DE L'ÉLÉONA. 241

orné d'un bossage qui passerait le mieux pour arabe ou médiéval,


est inséré sans liaison contre la face parfaitement dressée de a. L'en-
semble ne pas d'être encore quelque peu obscur; l'exploration,
laisse
accomplie en deux étroits sondages reliés par un tunnel pour ne
compromettre ni la circulation ni le bâtiment voisin. n"a pu révéler
assez à fond ce lambeau d'édifice. Les prudents directeurs des tra-
vaux ont toutefois pris soin qu'on ait la facilité d'acquérir à son sujet
les notions essentielles mesures, physionomie générale et placement.
:

La précaution s'imposait en effet d'autant plus que, pour la première


fois dans la fouille, se révélait un mur d'aspect relativement monu-
mental et ancien situé clans une orientation divergente avec l'orien-
tation uniforme et symétrique de toutes les autres lignes.
Les sections VI et VI" ramènent au contraire à l'alignement et aux
détails de construction usuels. Il n'y a pas ici de ligne transversale
continue, mais deux retours d'angle des grandes parallèles longitu-
dinales. Tandis que le pied de VI n'est pas chaussé de roc sur la paroi
orientale, et n'a pas un développement bien déterminé, VPse pré-
sente en superbe mur appareillé enchâssé dans une puissante tranchée
de roc avec un angle sûr, y, qui fixe avec précision l'étendue de la
face extérieure.Au centre de ces deux sections et limité à l'orient par
un groupe complexe de ruines. F, que
la ligne VII-VII' déjà décrite,
nous appellerons dès maintenant « la crypte ».
Il en reste sous nos yeux (fig. 5 ss., pi. m, viii. 4, ix et x) une :

absidiole. g^ de 3 mètres à peine d'ouverture; des parois de murs, h-f


et h'-f\ percées d'ouvertures et développées non sans irrégularité
pour s'adapter à des fragments de parois
rocheuses ou s'insé- ,

rer sous des lambeaux de plafond une large entrée à montants


;

taillés dans le roc, ad (cf. pi. vin, ii; un escalier h (pi. x, 1), dont les

marches soignées s'engagent encore en des murs / et y de la meilleure


construction enfin quelques mètres d'un passage sous roche k^
;

prolongé par une très pauvre maçonnerie 'fig. 7) (;t débouchant, par
quatre petits degrés rapportés, sur l'esplanade quadrangulaire ^y
enserrée à l'angle nord-est par les lignes A'A', VI et VII du monument
supérieur. Mieux que toute description, photographies, plan et coupes
à large échelle traduisant les nuances de ce rapiéçage, où s'amal-
gament les éléments les plus disparates : des pierres à stries médié-
vales dans les montants de porte extérieure
du tunnel pi. x, 2); un
claveau d'arc x, remployé dans un jambage de la porte ^/, sans souci
de la fausse arête et de l'instabilité qu'il y introduit (fig. 6); quel-
ques blocs arrachés à l'appareil ancien très caractérisé des grands
murs extérieurs (v. g. /, m, n, pi. iii), un fragment de dalle creusée
REVUE BIBLIQUE 1911. — \. S., T. VIII. 16
242 REVUE BIBLIQUE.

en bassin avec canal d'écoulement (o, iig. 8), sans parler de plus
menus débris. Tout cela disparaissait sous un épais revêtement en
sluc peint dont les morceaux ont été ramassés par corbeilles. Ce
lourd badigeon ne se confond point avec un stuc antérieur très fin et

'^0k3i

jiirrace a.ctuecie

7iiv_ a.p:?raxirndil de J-'ahside. nrimihve%C^f(S^_^'- - '\

'^i.l''-l-Y:d'-!-.'JA^2-i

TU-ve^u au l'oc

3l : d l'IG;
cLîns U crypte ù.clue'de

-0,3S.

SOc:
iéd
l-ig. 0. — La crypte. Coupe transversale sur la ligne x:c du i)laii

de coloris élégant suggéré ici par quelques déJjris et qui sera retrouvé
en place ailleurs. Et ce stuc lui-même n'était peut-être qu'une déco-
ration de seconde main succédant à quelque revêtement primitif en
marbres précieux qui aurait été dilapidé. Du moins est-ce un pla-
UÉGLISE DE LÉLÉONA. 243

cai:ede cette nature que suggère à première vue le réseau dru et


capricieux de crampons de marbre calés par des morceaux de bronze
qu'on observe sur toutes les surfaces de maçonnerie ancienne ou sur
les ^^eux blocs remployés et jusque sur les parois du r.tc. Telle est

^l.'i*?L"X'--

ÏJ^Ây i'- r.':!^iM:


^^""^z^•»j."^-'"»^i'>-.- V ' : j'.-^~- ' ^-jT "'--'"-.'3.
r '--- '>i i -^ --C'
surr<ice du jâram

niveau 3J2proximdpI de _i abside oUn^ld. ^£i-^'^-^~_ _i^J~se_

% -i

.r^n

mètres
Fig. 7. — La crypte. Coupe transversale sur la ligne nn du plan Dg. -J.

cependant la densité du réseau de chevilles, telle aussi sa répartition


sur des surfaces concaves et convexes ou des anfractuosités rocheuses
qu'en fin de compte les trous de scellement et leurs tasseaux de mar-
bre pourraient bien avoir été destinés à faciliter l'adhérence et à
garantir la stabilité du stuc peint 1 .

(1) Ainsi qu'on l'a pratiqué, par exemple., à l'époque romaine dans le Qo.fr Fira'oun à
244 REVUE BIBLIQUE.

Outre les débris de ce remarquable de


stuc . une quantité
fragments de marbre moulurés dalles et montants de cancels
,

lambeaux de fines sculptures tessons de vases en pierres rares


,

et d'humbles lampes en terre cuite, sans parler de quelques pièces

Fig. X. — La crypte, fclévalion géométrale de la paroi sud eu sa moitié occidentale.

plus importantes comme les numéros 11-li, 32, 39 de la planche v,


représente le butin accessoire de ce déblaiement assez délicat. Parmi
diverses miettes d'inscriptions, il faut signaler un morceau de dalle
en marbre brisé sur tous les côtés, conservant cependant juste assez

Pélra. 11 même procédé de scellement par des tasseaux de


pourrait n'être pas fortuit que ce
marbre avec des chevilles métalliques se retrouve dans les parties le plus sûrement
fixés
'anciennes du Saint-Sépulcre et de la basilique de Bethléem.
L'ÉGLISE DE LÉLÉONA.

de lettres pour qu'on y reconnaisse le texte latin du Paler en onciales


majestueuses qui s'enlèvent bien sur la blan-
cheur discrète du marbre (fig-. 9) la petite dalle
;

était une élésante devancière des larges car-


reaux émaillés qui exposent aujourd'hui sur ce
même site la même divine prière en toutes les
langues civilisées.

On déplorera la désinvolture des maçons du


cloître c|ui ont maladroitement empâté d'un
simulacre de fondations toute la partie méri-
dionale de la crypte, masquant des parois de
murailles et emplissant des couloirs de roche Fig. 9. — Fragment ilu

Pater en onciales la-


dont il leur eût été si facile alors de préciser '3 ST.\
tines I

la nature. Peut-être le est-il moindre en


dégât
réalité qu'il n'y parait à première vue. Telle a été la négligence de
ces ouvriers et leur évidente préoccupation du moindre effort qu on ,

peut espérer retrouver, sous l'emplâtre dont ils les ont offusquées,
des parois de maçonnerie ou de roche qu'ils ne se sont pas imposé
de détruire. Ainsi déjà ont été recouvrés tous les éléments anciens
bien nets visibles dans les figures 8 et pi. vin. +. Le jour où l'on
aurait la faculté de sonder le pied même du mur intérieur du préau
et d'explorer la galerie méridionale du cloître, ne retrouverait-on pas
d'utiles compléments d'information sur la crypte primitive et la ca-
verne qui en a été l'origine?
De la décoration du monument il ne reste en place que divers mor-
ceaux de pavements en mosaïque. Une très fine mosaïque blanche
parait s'être développée tout le long du grand mur septentrional
depuis la lisne VI presque jusqu'à V; un peu avant d'atteindre ce
dernier mur, la mosaïque blanche cesse aujourd'hui devant un lam-
beau de splendide mosaïque historiée, B ivoy. pi. iv dont le niveau,

est plus élevé. Inutile de rappeler qu'il existe une autre mosaïC[ue
historiée, d'un style plus simple et non moins classique, E pi. i etiv,,
dans la zone méridionale de l'édifice. Les rares mais excellents élé-
ments qui permettent de ressaisir une bonne partie des superstruc-
tures trouveront mieux leur place dans l'interprétation ultérieure.
Un simple coup d'œil sur les annexes achèvera cet examen des
ruines. Deux sont tout à fait juxtaposées vers le milieu du monument,
à la hauteur du mur V; tellement juxtaposées que l'une a tout l'air
d'avoir quelque peu enjambé sur l'autre comme si elle lui eût été
substituée. D, qui occupe le niveau le plus bas, est une chambre de 5™ X
4™, 60, ornée d'un pavement en mosaïque divisé en deux zones le des- :
246 REVLE BIBIJOLE.

sin ne donne qu'une faible idée de la composition à la fois riche et sobre


et de l'exécution exquise de la plus décorative i pi. iv, D ; l'autre n'offre
que des lisrnes de croix noires disposées sur le fond blanc de manière
à encadrer un petit bassinmaçonné, aux parois rasées presque à fleur
de sol, mais surélevées jadis d'une assise à tout le moins, puisqu'un
bloc déplacé de cette assise gisait encore en travers du bassin au mo-
ment de la fouille. L'intérieur mesure 1"' 0™,72 et le fond, bienX
cimenté, est incliné vers l'angle sud-ouest, où s'amorce un conduit
qui pénètre sous la mosaïque. La paroi orientale de la chambre a
totalement disparu ne laissant que des traces de stuc blanc à la base
taillée dans le rocher. Le mur méridional, tout entier en maçonnerie
sans escarpe rocheuse, est conservé sur l'étendue complète, sous la
muraille de clôture de karm el-Kawdrek, avec une hauteur moyenne
de 1 mètre. L'épaisseur n'a pu en être encore déterminée; on a seu-
lement reconnu dans l'angle sud-est une porte .r i^pl. i), dont le seuil bas
est précédé d'une marche descendant à un plan inférieur avec des
vestiges dune plus grossière mosaïque. Dans les montants de cette
porte d'où le crépissage est tombé se révèle une maçonnerie assez
pauvre qui contraste avec les élégantes peintures de la paroi infé-
rieure. Même ruine à peu de hauteur dans la paroi occidentale, même
décoration aussi, reproduisant dans le même ordre une série de pan-
neaux peints à la détrempe. Une conséquence très imprévue de cette
symétrie a été de fixer sur la longueur exacte de la paroi malgré
reffritement de l'extrémité nord et de prouver que cette paroi venait
s'attacher au mur maître )')' en un point m"^ qui se place avec une
heureuse exactitude sur la ligne grand mur tel que sa
extérieure de ce
section occidentale a mm^
permis ci-dessus de le calculer. Ce raccord
suffirait à lever le dernier doute s'il en pouvait exister sur la relation

entre la chambre latérale au bassin et le grand édifice. Grâce au


diligent concours du P. Abel, a été possible, au lendemain de la dé-
couverte, un relevé minutieux de ces peintures pi. viii, 1), fata-
lement condamnées et déjà méconnaissables après quelques se-
maines d'exposition à l'air, en dépit des précautions les plus avisées
dont elles ont été l'objet de la part des Pères Blancs. L'aquarelle
seule, qui n'a pu être reproduite, traduirait convenablement cette
décoration un peu austère malgré la fraîcheur de presque toutes
les teintes où dominent les jaunes clairs et un rose gai (1). La
hauteur de la plinthe blanc-crème est à peu près celle de l'é-

(1; Le dessin quelque peu banal de ces panneaux, —


le premier en particulier avec son
losange cantonné de disques dans les écoinçons, —
se retrouve par exemple sur une paroi
peinte dans l'église de labbé Jérémie à Saqqara (Qcibell, Excav. at Saqqara, 1901». pi. xii).
L'ÉGLISE DE L'ÉLÉOXA. 247

videment dans la roche très friable. Au-dessus la paroi semble


n'avoir 6té qu'un hourdis suffisant pour soutenir le stuc peint dont
on voulait revêtir l'intérieur et sans autre rôle architectonique.
Ces moellons mêmes ont été arrachés et cest prodige en vérité
que le stucage ait pu se maintenir en simple cloison haute encore de
30 à 50 centimètres contrebutée maintenant par des gravats. Toute la
chambre était remblayée par des éclats de stuc peint et surtout par
de magnifiques fragments de mosaïque ornementale. Une « patience »
entreprise avec ces innombrables morceaux rendrait-elle une partie
du dessin? l'examen très superficiel de quelques pièces a fait recon-
naître au moins une bordure à grands ramages évoquant aussitôt la
belle pièce découverte naguère en place dans une situation malheu-
reusement inconnue aujourd'hui et reconstituée dans le pavillon du
musée (pi. viii, 3). A l'alliage de débris très divers, colonnette en —
porphyre, fragments de marbres rares souvent ornés de sculptures,
tessons de poterie byzantine, bribes de verre irisé, moulures antiques
et médiévales, —
on reconnaît que la chambre n'a été que tardive-
ment remblayée. Or le plus singulier est que la ruine de la paroi mé-

ridionale paraît d'abord due aux constructeurs de la chambre contiguë


dont le pavement en mosaïque superbe a échappé seul à toute des-
truction. Plus funeste il est vrai que le temps et le vandalisme lui a
été l'incurie des maçons charg"és naguère de le protéger sous un abri
muré qu'ils ont sottement planté par le milieu du pavement. L'angle
nord-ouest en a été découvert par les Pères Blancs, il y a une douzaine
d'années environ ; il plan d'après nos croquis d'a-
est inscrit sur le

lors, la fouille récente s'étant interdit de le remettre inutilement à

découvert. Ce pavement affleure néanmoins la tranchée YV et, si


l'on n'est pas victime d'une illusion résultant de la constatation trop
limitée, il une mince couche de morceaux écrasés de
serait nivelé sur
stuc peint dont la composition et les couleurs sont identiques à ce que
fournit le stucage de la chambre D. Sous la mosaïque C, mais au
niveau du pavement /) et à peu près strictement dans le même axe
que le canal du bassin, un second petit canal pénètre avec un déve-
loppement jusqu'ici inconnu.
La dernière annexe, F, n'a plus d'autre cohésion apparente avec
l'édifice principal que le passage G, manifestement de seconde main

puisqu'il s'embranche sur une assise du grand mur ruiné. Au con-


traire l'extrémité méridionale du passage, les restes de construction
appareillée 7'-s autour de la pièce et son pavement en mosaïque pré-
sentent d'assez étroites analogies avec les éléments connus de l'édifice
voisin pour qu'on soit enclin à leur attribuer la même origine et la
2i8 REVUE BIBLIQUE.

même date. La mosaïque semble ruinée à l'extrémité occidentale, u;


du moins n*a-t-on pu encore en ressaisir le hord, ni préciser sa rela-
tion possible avec quelque entrée ancienne du Credo plus normale
que l'entrée actuelle. La visite de cette annexe nous ramène à Tangie
sud- ouest extrême du monument, point de départ de ce long- et cer-
tainement quelque jîG'^i fastidieux examen des ruines. Pour en com-
pléter la notion indispensable il ne resterait ({u'à indiquer les grou-

pements géométriques, les rapports de proportions, les orientements


et, plus que tout, les niveaux détaillés. La lecture attentive des plans

fournira aux techniciens tous les chiffres utiles pour sauver de cette
description par trop spéciale. La coupe longitudinale en particulier,
pi. 11. olîjet du soin le plus persévérant, s'est efforcée de traduire ce

placement sur le sol avec clarté pour l'œil le moins exercé l ). C'est '

donc sur elle que va se fonder tout d'abord l'interprétation qui nous
incombe maintenant.

II. — LE MONUMENT.

Les ruines, dont l'unité et la cohérence parfaites éclatent désor-


mais à travers leurs remaniements, se répartissent à trois niveaux,
auxquels correspondent des 'masses d'inégale importance. A com-
mencer par l'ouest, c'est d'abord une longueur de 11^.75 2) sur la
déclivité initiale de la montagne, où se placent les lignes I-II(, celle-ci
limitant à peu près la crête de la plate-forme. Cette première plate-
forme s'encadie entre les murs III-V et inclut dans son développement
de 2i"',90 tout le groupe des lignes secondaires IV. VIII et IX, les
traces de piliers symétriques 0-0'^ et la citerne L. Décompte fait des
tranchées-limites V et VII. la seconde plate-forme mesure -29'", 50 et
renferme les plus importantes ruines, les mosaïques en place, la
crypte et son absidiole au fond de la caverne antique. Le simple rap-
prochement de ces chill'res — 11'", 75 2i"\90 29'", 50 — en fait res-

(1) J'implore miséricorde pour l'architecture ilu cloître neuf dessinée à vue et seulement
pour mieux préciser la situation des vestiges antiques.
(2) On remarquera sans doute que celte même longueur ^
multiple probable déterminé
d'une unité métrologique ancienne —
se retrouve dans la citerne centrale. Et à propos de
ceschittres. on me permettra de signaler que toutes les cotes inscrites sur les plans ne sont
pas des mesures brutes prises sur le premier point venu et variables d'un ou plusieurs cen-
timètres sur un point contigu. Ce sont les moyennes les plus approchées calculables au
moyen d'alignements à la règle sur des surfaces aussi développées que possible. Les hommes
du bâtiment ou de simple métier archéologique savent à merveille que foule mesure chifl'rée
est. en fin de compte, une mesure inexacte: il faut cependant des chiflVes dans les relevés
archéologiques et avant de décréter de nullité ceux qu'un contrôle sommaire nuancerait çà
et là d'un ou plusieurs centimètres dans une des tranchées de roc, on fera prudemment de
réitérer les précautions prises tout le long de ce peu attrayant labeur.
LÉGLISE DE LÉLÉONA. 249

sortir la proportion évidemment intentionnelle; et comment ne pas


observer que réchelle de leur gradation culmine vers lesplanade
supérieure? Un architecte en présence de ce tracé en aurait vite déter-
miné l'analyse par les seules relations mathématiques et les lois fon-
damentales de son art qui lui feraient retrouver là un monument
religieux grandiose et complet, sans qu'il doive requérir l'aide d'au-
cun souvenir traditionnel. Abandonnons cependant ces rapports de
chiffres et cette dissection géométrique aux professionnels, pour invo-
quer tout de suite le fait du monument religieux qu'atteste avec évi-
dence l'absidiole conservée. Il saute aux yeux que ce mesquin hémi-

cycle est sans liaison intrinsèque directe avec le vaste édifice dont
nous connaissons les murs extérieurs. De quelque manière que celui-ci

doive être conçu, on se refusera sans doute à y chercher cadre le

piiissant d'une absidiole qui atteint à peine 3 mètres d'ouverture-


Voit-on en effet une église de 30 mètres de long sur 18"'. GO de large à
l'intérieur, ceinte de murs qui ont i"\V2 d'épaisseur à la base et

2 mètres dans le mur de chevet pour encadrer cette miniature dabside?


A qui ne serait pas frappé dune aussi choquante disproportion, il
suffira de rappeler niveau de cette abside et les nuances de struc-
le

ture qui la distinguent à la fois du pauvre maçonnage des parois con-


tigués et presque tout autant des grands murs supérieurs. Si l'absi-
diole eût été construite pour ces grands murs, ou réciproquement, il
y aurait entre eux et elle un raccord organique indispensable qui
n'existe pas, qui n"a jamais pu exister les ruines sont là pour en
:

faire foi. tandis qu'elles attestent non moins clairement une harmonie
d'un bien autre intérêt entre le grand édifice et l'absidiole : celle-ci

est tracée sur l'axe centralde celui-là. dans une orientation rigoureu-
sement identique et dans un plan horizontal qui fait inéluctablement
de celle-ci un sous-sol, disons tout de suite la « crypte » de celui-là.
Si le terme était admis d'emblée, nous serions au bout de toute re-
cherche; mieux vaut néanmoins détailler la justification du mot en
faisant toucher du doigt aux plus défiants la réalité de ce qu"il
exprime.
Dès qu'on examine — au moins sur la phot., pi. ix — la construc-
tion soignée de l'absidiole, en dépit des mutilations ultérieures et du
délabrement actuel, on se persuade qu'elle est trop frêle pour com-
porter la moindre fonction architectonique. Dans une église quelcon-
que, la base d'une abside fait toujours corps avec le mur de chevet;
on vertu d'exigences statiques faciles à soupçonner sans être grand
clerc dans les mathématiques et la mécanique de l'architecture, ab-
side et chevet sont des éléments maîtres, dont la structure requiert
230 REVLE BIBLIQUE.

une particulière Or ici, point de mur de chevet lié à Fabsi-


solidité.
diole ; pied semble d'abord contrebuté par une escarpe de roc
et si le

ensuite par la fondation de l'énorme muraille VII-VII% il est facile à


constater qu'il en demeure absolument indépendant. Pour qui veut
bien chercher à comprendre réquililire étrange de cette construction,
avec ses assises très correctes, empilées prudemment sur une épais-
seur uniforme et très minime, il est clair que cet équilibre n'a été
réalisable qu'à la condition de traiter ces assises appareillées comme
de simples appliques contre une surface rocheuse trop vénérée pour
qu'on ose y engager la maçonnerie et qu'on voulait cependant orner
avec une sévère élégance. Devant cet assemblage d'une fragilité
accentuée encore par le contraste d'un contexte archéologique où
tout est rocher, quartiers de silex, murailles massives, on a l'impres-
sion de quelqu'une de ces architectures en petits carrés de carton
peint qu'érige et renverse à son caprice une menotte d'enfant ; on se
prend à redouter de voir dégringoler toute la pile d'assises si quelque
pas trop violent venait seulement ébranler le sol à sa base. Par for-
tune ce sol est ferme : c'est la roche, même un peu fruste, qu'on
de trop niveler et qu'on avait protégée par un dallage
s'était interdit

de marbre dont il reste ici ou là un débris en place. Et d'ailleurs la


pile d'assises elle-même est beaucoup plus stable qu'elle n'en a l'air,
épaulée ainsi qu'elle lest encore en son point le plus naturellement
faible par un considérable fragment de la paroi rocheuse contre
laquelle on l'inséra jadis. Entre le rocher très sommairement dressé
et l'élégante construction plaquée devant lui fig. T et pi. ix, la rela-(

tion originelle se traduit d'elle-même ceci décorait cela en retour


: ;

le rocher assurait toute sécurité à la construction élégante et frêle.


Rien qu'à se laisser guider par des restes encore imposants, on ne
saurait douter qu'un plafond rocheux ne se soit développé sur toute
l'étendue déjà connue de la crypte. Pour attester son passage d'un
bord à l'autre de la chapelle qui représente le remaniement le plus
tardif les indices surabondent; indiquons exclusivement le plus ex-
pressif, celui aussi que la photographie exprime de façon à per-
mettre un contrôle positif sans l'examen direct de la ruine : les cas-
sures qui laissent voir, en b et ô' pi. vni, 4; cf. pi. m et fig. 8). deux
sections correspondantes de la caverne primitive dans son extrémité
occidentale de chaque côté de l'ancienne entrée. L'absidiole apparaît
aussitôt comme une
simple conque de revêtement, blottie dans i'an-
fractuosité plus ou moins naturelle de la caverne et destinée à enca-
drer un autel, au plus profond de cette caverne.
Tout le détail connu dans la partie septentrionale de la caverne
L'ÉGLISE DE L'ELÉONA. 231

prend maintenant un sens. La levée de décombres supportée par un


parement {Rg. 5, :::;', cf. fig. 8 de blocs remployés et sans liaison est
;

une toute dernière limitation de la crypte, qui acheva l'obturation de


la porte occidentale, réduisit encore la chapelle ne lui laissant d'autre
accès que la petite porte construite à l'oritice du vieux tunnel rocheux
k. Cette superfétation criarde une fois éliminée, on demeure en pré-

sence d'autres éléments parasites non moins faciles à dissocier d'avec


Fabsidiole, malgré la physionomie superficielle uniforme, et d'avec
certains débris de maçonnerie l'escalier
: et les murs i-J. Plan et
//

coupes étalent à satiété les preuves les plus palpables de cette dis-
sociation. Les murailles b-e et 6 -e sont de pitoyables hourdis insérés
sous un plafond rocheux qu'on voulait sauver de l'effondrement et
dissimulés du mieux qu'on avait pu sous un plâtras orné de pein-
tures. Telle était toujours l'évidente vénération inspirée par la caverne
ruineuse qu'on sacrifiait toute commodité, toute élégance et toute
symétrie à l'unique préoccupation d'en conserver la plus large super-
possible et d'y laisser paraître de la disposition première tout ce
ficie

qu'une nécessité trop rigide n'obligeait pas à masquer. On sera recon-


naissant à ces pauvres et à ces humbles de leur industrie quoique un
peu gauche et de leur piété conservatrice : elles permettent d'at-
teindre aujourd'hui, sous leurs vestiges et grâce à leur protection,
l'état primordial assez complet, du moins en toute la moitié septen-
trionale de la caverne. Examinée maintenant en cette seule partie
septentrionale limitée par l'axe central de l'absidiole, cette caverne
offrait un développement longitudinal un peu supérieur à 7 mètres

et un développement en profondeur transversale de i mètres au mi-

nimum, largeur qu'on peut actuellement mesurer entre la ligne d'axe


et le fond de l'anfractuosité b. Au centre de la caverne, à l'orient,

avait été érigée l'abside en belles pierres, face à une, — peut-être


double, — entrée évadée de la paroi de roc à l'extrémité opposée. Un
escalier mettait la chapelle souterraine en communication latérale
avec l'édifice supérieur et pour border cet escalier on même temps
que pourvoir le plafond d'une consolidation très opportune avaient
été érigés les deux excellents murs / ety. Un passage sous roche con-
duisait dans quelque caverne annexeou plutôt, ce qui a pris désor-
:

mais par le fait du prolongement en maçonnerie un aspect de tunnel,


/i. était apparemment à l'origine une de ces anfractuosités profondes

ouvertes par la nature au pourtour des srandes cavernes. Abstrayons


même de cette extension certaine vers le nord négligeons systémati- ;

quement toute extension de la caverne générale au sud de la paroi


b'-e' et mettons les chiffres à leur cote la plus basse : il reste une ca-
232 REVUE BIBLIQUE.

verne de 7 X 4'", 50 qui serait, certes, plus que suffisante pour deve-
nir la crypte d'un très monumental édifice. Et la caverne eut jadis
manifestement une largeur beaucoup plus considérable cela se déduit ;

d'une considération technicpie élémentaire le placement de labsi-


:

diole sur une ligne axiale qui exige un certain développeaient pro-
portionnel de la caverne au nord et au sud de cette ligne. Laissons au
surplus à quelque heureuse fouille ultérieure de faire sur ce point
une évidence qui serait infiniment plus saisissante que tous Jes raison-
nements et contentons-nous d'avoir en quelque sorte sous les yeux une
caverne pJus spacieuse déjà qu'il ne serait requis pour autoriser la
comparaison avec la plus auguste des cavernes celle de la Nativité:

de jV.-S. à Bethléem 1). !

Ce long détour, qui autorise désormais à parler ici de caverne trans-


formée en crypte dans un monument religieux, nous ramène à ce
monument lui-même et à sa relation avec la crypte. Sans tâtonner
davantage dans une détermination qui s'impose au point où nous
sommes parvenus dans notre enquête, parlons d'église supérieure si
les éléments que nous en possédons peuvent s'y adapter. L'expression
est encore choisie à dessein pour accuser avec insistance qu'avant

patiemment mise à l'épreuve


d'être proposée cette interprétation a été
de tous Combien facile est devenue cette épreuve, je
les faits acquis.
n'ai plus d'autre excuse pour le décrire que la bonne volonté d'épar-
gner au lecteur le temps de repasser à lui seul tous les plans pour
en coordonner le détail. Le placement connu de l'absidiole de la
crypte suffirait à suggérer celui d'une abside dans l'édifice supé-
rieur. Cette abside rend compte de l'énorme épaisseur du mur VII et
du soin apporté à sa fondation.y a mieux du reste que cette déduc-
Il

tion pour éclairer sur les proportions générales de cette abside sa ;

profondeur est fournie avec une satisfaisante approximation par lin-


tervalle mesuré entre la liene extérieure de chevet, VII-VII* et les
deux retours d'angle Vl-VP raccordant ce chevet aux grands mure
latéraux. D'autre part, les dimensions déterminées de ces retours d'an-
gle mettent sur la piste des lignes axiales sur lesquelles se dres-
saient les colonnades intérieures.
Le plus superficiel examen des relations réciproques et symétriques
entre l'angle extérieur très sûr,ij, de la section VL, et la tranchée Q

loin de là vers l'ouest, ainsi qu'entre la tranchée correspondante


RR au nord et la façade ww' du passage qui conduit à la crypte,.

(Ij Théoriquement réduite au minimum absolu qu'on vient de dire, la caverne du mont
des Oliviers ofiVirait une superficie de 31 mètres carrés; celle de Bethléem en mesure 46 au
maximum.
L'KiiLlSE DE L'ELÉONA. 2o3

pour soupçonner de suite le rôle des petits fossés dans le roc avec
leur débris de solides fondations et peut-être une série d'enfoncements
latérauxcomme /•'
déjà mis au jour : les coupures dans le roc sont le

fondement dune plinthe courante élarsie aux intervalles voulus pour


asseoir les socles des colonnes. Plus clairement que ces explications
le diagramme dans un plan plus large, fig. ô, étale au
inséré
regard ces raccords spontanés. Du même coup on observe (jue Tesca-
Her h de la crypte et ses murs anciens viennent buter précisément à la
hauteur de cette ligne théorique de la colonnade supérieure fig. 6),
tandis que les degrés rachètent à peu près exactement la différence
de niveau entre le soi de la crypte et la mosaïque blanche cjui pave
l'antique nef septentrionale. Du même coup aussi on ressaisit des pro-
même édifice et parfaitement con-
portions vérifiées ailleurs dans le
formes aux traditions classiques de la grande architecture chré-
tienne i^'.ôO de largeur axiale pour les deux bas-cùtés. 9°^, 60 pour la
:

grande nef (1 Moyennant le retrait convenable à chaque angle pour


.

dégager l'abside et les piles qui supportaient les retombées de lare


triomphal, l'abside elle-même est nécessairement réduite à une ouver-
ture moindre 8 mètres au maximum, chiffre adopté dans la restau-
:

ration hypothéticpie cf. fig. 5 ;


, en raison de la figure parfaite qu'il

donne en s'harmonisant avec la profondeur presque mathématique-


ment sûre de cette abside. Et par une coïncidence digne dètre rele-
vée, le tracé résultant de ce calcul fort simple aboutit, avec un insi-
gnifiant écart, aux proportions et à la forme d'une abside basilicale
byzantine authentique : celle de Saint -Etienne. Un détail dénué de
toute conséc[uence demeure seul indéterminé en cette partie du
monument : la forme extérieure précise de l'abside, encore qu'ici
même l'indétermination soit bien restreinte. Quoi qu'il en soit en
effet du développement méridional exact du mur VII% ce mur ne
recoupait point à angle droit le mur longitudinal sud puisque celui-ci
s'interrompt en ) '.
et se replie par un angle indiscutable. A vrai dire
on pourrait imaginer a ///-/o/'/ un raccorda angle droit après le nouvel
angle, entre y et un point y : le tracé à pans coupés suggéré dans le
diagramme évite un inutile amas de maçonnerie et réalise une figure
qui peut s'autoriser de fréquents et très bons exemples archaïques. Si,
au nord, le mur de chevet a l'air de se prolonger bien au delà de
l'abside et jusqu'à la rencontre de la paroi septentrionale, .Y c'est que .

de ce côté le monument supérieur avait à couvrir un développement


de la grotte souterraine. En ce cas le front oriental du monument

(1) Soit à peu près slrictemen^ la même nef qu'à Bethléem.


254 REVUE BIBLIQUE.

n'eût pas offert au coup d'œil une symétrie al^solue ; mais à qui est-il

nécessaire de rappeler que les anciens architectes n'avaient pas sur ce


point les principes rigides auxquels nous ont accoutumés les archi-
tectes de nos jours? et sans entreprendre à ce sujet une recherche
assez vaine, je crois qu'on trouverait à cette disposition même de tout
à fait bons répondants (1).
11 n'est pas jusqu'à l'agencement des communications entre l'é-
glise supérieure et la crypte dans le rocher qui ne soit révélé par
l'état présent de la ruine, grâce à la situation des portes de la crypte.
Le rejet total de la porte occidentale aà au nord de la ligne d'axe ZZ'
tendrait à suggérer un second passage analogue , au sud de cette
ligne dans la partie encore inexplorée de la caverne couverte par
l'angle du cloître. L'étendue précise et la forme du passage à l'occi-
dent de aa , ne sont que d'un intérêt accessoire ; des indices d'orien-
tements m'inclineraient assez à l'hypothèse d'un raccord entre cette
ouverture et le bloc a estimé en place sur sa base originelle dans le
mur de seconde période UU\ devant le pavillon occidental du Pater.
Avec l'escalier latéral, on opère un raccord à peu près évident (fig, B).

Les quatre marches totalement déblayées produisent une hauteur de


0™,96; additionnée au chiffre de nivellement de la crypte, cette
hauteur n'est que de O'^j^S inférieure au niveau de la mosaïque
blanche dans la nef septentrionale; une cinquième marche dès —
maintenant constatée sous les décombres qu'on ne pourrait suppri-
mer davantage pour le moment sans compromettre le précieux reste
du plafond de roc — amène certainement bien près de cette mo-
saïque. Abstenons-nous de toute hypothèse d'escalier symétrique dans
la nef le niveau de cette nef et la divergence du
méridionale ; mais
pavement en mosaïque ornementale semblent créer une difficulté que
le lecteur aura depuis longtemps aperçue. Avant d'essayer de la

résoudre, il faut attirer l'attention sur la série des chiffres de nivel-

lement qui impliquent une relation entre la mosaïque E nef —


méridionale, la mosaïque B — —
nef septentrionale à son extrémité
ouest —
et le grand bloc V\ toujours mystérieux, vers le centre de

la grande nef dans le prolongement précis du jambage a dans l'ou-


verture de la caverne. L'écart entre des chiffres de niveaux pris ainsi
sur l'une des plus longues diagonales de l'édifice peut tenir à trop
de causes et demeure trop faible — 2", 31 à 2", 35 — pour n'être pas
négligé, et le chiffre rond 2°", 30 sera estimé la plus suffisante ap-

(1) V. g. l'église syrienne des Archanges à e/--l//f/er/n (Butler, Ancient Architect. in Sijriti,

II, B, fig. 51, p. 58), pour citer un seul de ceux qui me reviennent provisoirement à l'es-

prit.
L'ÉGLISE DE L'ELÉONA. 2oo

proximation pour un niveau général de la grande église. Mais alors la


mosaïque blanche établie à r",98 seulement ? Il va de soi quon ni-
maginera pas une variation de plan entre les nefs, ni surtout dans le
même bas-côté nord. Après discussion tacite de mainte hypothèse,
voici probablement la plus logique solution. La décoration intérieure
d'un monument n'est presque jamais achevée quand ce monument
est mis en exercice. Le gros-œuvre de la basilique aussitôt terminé,

on y aura inauguré le culte. Un pavement provisoire en mosaïque


nue, très fine d'ailleurs, permettait d'attendre le loisir et les res-

sources nécessités par une mosaïque plus décorative. Le moment


venu de l'exécuter, on éleva quelque peu le niveau primitif, laissant
subsister plus ou moins de la mosaïque première. Quant aux nuances
de la nouvelle ornementation telle que la présentent les fragments
B et E (pi. iv), personne, à coup sûr, n'en voudra faire argument
contre l'unité de l'église ainsi décorée, car de trop nombreux exem-
ples ont depuis longtemps attesté des variations beaucoup plus sail-
lantes et moins symétriques dans le mosaïqnage historié d'un même
édifice, religieux ou autre. Le schéma inséré en pointillé dans la coupe
transversale sur l'escalier de la crypte tig. G- présente, en même
temps que les repères exacts de tous les niveaux, une restauration
simpliste qui fera saisir d'un coup d'oeil la solution la plus élémen-
taire du raccordement et aussi de l'ouverture impliquée dans la
paroi nord de la caverne. Le niveau actuel du roc au-dessus du pla-
fond conservé fournit un niveau minimum pour l'abside supérieure.
La limitation de cette église à 30 mètres par la puissante ligne
V-V ne trouble pas l'harmonie usuelle de proportions et le rapport
de 18'°, 60 à 30 mètres est des plus acceptables. Trente mètres de lon-
gueur intérieure sont déjà un respectable chiffre pour une basilique,

surtout précédée d'avancées monumentales qui en doiiljlent le déve-


loppement. L'exceptionnelle puissance du mur V-V est juste ce que
nécessite une façade, autre élément qui requiert une spéciale stabilité
en tout édifice. Le dispositif si soigneux de consolidation aux points

r^ en arrière de cette façade, n'a plus besoin de justilication


et q,
depuis qu'on a vu les colonnades intérieures s'attacher précisément en
ces points à la façade. Le vaste quadrilatère développé entre cette
façade et la ligne III devient un atrium aussi évident qu'on le puisse
souhaiter, avec portiques couverts sur le pourtour et immense citerne
au centre, ainsi que le voulait un usage fréquemment attesté dans les
atriums des vieilles basiliques. On hésitera peut-être ici sur le place-
ment des colonnades qu'on serait tenté de réduire à une très faible
largeur pour les fonder dans les tranchées VIII et IX. Tout compte
2o6 REVUE BIBLIQUE.

fait, le plus vraisemblable est de les situer, en dépit du réservoif


couvert, dans l'axe des colonnades de l'église c"est-à-dire dans lali-
gnement requis dailleurs par les traces des piliers angulaires: le rôle

plus banal des petites tranchées VIII et IX dut être dassujétir avec
toute la solidité désirable l'épaulement de multiples arceaux jetés
dun bord à l'autre du réservoir pour supporter le dallage de ferme-
ture au niveau général des portiques et assurer la circulation dans la
cour intérieure.
Devant ce grandiose atrium commençait la brusque déclivité de la
montagne. Pour se ménager l'espace d'un péristyle digne de tout
son édifice, digne aussi de l'incomparable panorama, la Ville —
Sainte étalée toute, presque à portée de la main. l'architecte n'hé- —
sita pas à enjamber sur l'escarpement du rocher. Il prolongea les
grands murs longitudinaux et les termina en solides et majestueuses
an tes aux points qu'on sait.
Entre ces murs, à i"'.10 de la façade de l'atrium. lemurlI-II" réalisa
le socle inébranlable nécessaire aux colonnes, sans doute puissantes et
somptueuses, du péristyle. L'architecte eût pu se contenter ensuite d'un
remblai vulgaire pour niveler l'intervalle entre les lignes II et III;
en homme consciencieux et avisé, il semble avoir préféré un procédé
plus soigneux. Une masse inégale de remblai accumulée sur cette
pente du rocher, quoique maintenue par les murs qui l'encadraient,
demeurait exposée à des tassements irréguliers ou à des dislocations
à la moindre secousse. Le dallage du péristyle eût nécessairement
souffert de ces dislocations, sans parler du danger que créait ce poids
énorme de remblai portant contre la base de la colonnade. On parait
à tous ces inconvénients au moyen de pilastres appliqués contre les
murs II et III et supportant une série d'arceaux très rapprochés,
sur lesquels on faisait courir un dallage. Une note manuscrite de M. le
capitaine Guillemot, en date du 2i janvier 1891, fournit à ce sujet
Dans les fouilles
la plus positive et la plus précieuse indication (1).
sommaires qu'il avait opérées au Credo, M. Guillemot atteste avoir
reconnu en place plusieurs de ces pilastres chargés encore de quel-
ques vestiges des arceaux et d'un dallage recouvert par une <>

ciment ation très forte une mosaïque en gros cubes blancs ». Il


et

en concluait que le souterrain actuel était donc bien la « crypte »


d'un ancien édifice; les faits nouveaux exigent qu'on y voie seule-
ment une caAité de profondeur très irrégulière entre deux murs et
nivelée par le procédé qu'on vient de dire. Ajoutons tout de suite

(1) Je remercie vivement le R. P. Cré d'avoir bien voulu me la communiquer.


LÉGLISE DE L'ELÉONA. 257

qu'après la ruine de la basilique la conservation fortuite et au moins


partielle de ce sous-sol construit servit de base ferme à l'évolution
traditionnelle. Par le fait du malheur des temps, ce sanctuaire im-
promptu devint une citerne et, une fois les pilastres de maçonnerie
habillés d'une épaisse et uniforme enveloppe de ciment, la piété
naïve des pèlerins et le zèle Imaginatif de leurs ciceroni avaient
trop beau jeu pour ne pas découvrir dans ces pseudo-saillies ro-
cheuses l'image symbolique des douze Apôtres pour s'arrêter en si

belle voie, ou s'attarder à expliquer comment il n'en existe cjue


il et 1/2. Cette moitié d'apôtre symbolique intervient à l'extrémité
nord, parce que le relèvement du roc est tel qu'il n'y avait pas eu
besoin de mettre, à partir de là jusqu'au mur nord, arceau ni pilas-
tre aux jours lointains du premier édifice. Et cette fois, c'est l'expli-

cation totale de rénigmatic|ue « crypte », de sa vraie nature et de


ses vicissitudes essentielles. Si les dates chiffrées de son évolution
nous échappent encore, peut-être seront-elles retrouvées un jour. Et
il n'importe guère après tout qu'elles le soient ou non. Cette humble

construction a réalisé mieux encore que sa destinée première après :

avoir, à travers tant de siècles, servi d'appui positif à une tradition


en fm de compte pas si mal informée, elle nous rend un élément
utile pour la connaissance complète du monument originel.
En avant du péristyle, sous peine d'imposer une entrée en casse-
cou, il fallait un perron et quelques marches pour racheter l'inéga-
lité de pente et voici à point nommé le tronçon de ligne I-P. Je
:

n'ai pas su résister à la curiosité de résumer toute cette adaptation en


un croquis de plan, restauré en tenant compte exact de toute res-
tauration sans appui positif actuel dans la ruine. Ce croquis (fig. 10\
dont le raccourci accentue l'impression d'ensemble du monument,
en dira plus long que tous les mots. Si c'était le lieu de lui chercher
des équivalents, on lui constituerait sans grand effort une famille.
Un seul exemple, mais il est topique, suffira parmi ceux qui s'offrent
à la mémoire : cette église de Qannawat dans le Ilauràn, relevée
naguère par M. de Vogué 1) qui la décrit une « grande basilique :

du quatrième siècle, construite suivant la tradition romaine avec


des p7'opylées ou portique extérieur, un atrium... ou cour entourée
d'une colonnade intérieure, puis la basilique proprement dite, dis-
posée comme celles de Sainte-Agnès et de Saint-Laurent, à Kome ».
Le même croquis restauré avait risqué tout d'abord une timide
coupe longitudinale réduite à la même échelle exiguë, pour faire

(1) Sijrie centrale : Archilecture.... I. pi. l'J, i et p. 59. L'échelle des plans se trouvant la
même, rend la comparaison encore plus facile et plus saisissante.
REVLE EIBLinUE 1911. — N. S., T. VIII. 17
2o8 REVUE BIBLIQUE.

embrasser d'un coup d'œil la relation des niveaux. Étape par étape,
cette coupe du sol s'est augmentée d'un détail d'élévation, puis
d'un autre, à mesure que l'analyse patiente des fragments aboutissait
à une donnée sûre. Au moment de clore cette enquête provisoire, le
progrès du diagramme était devenu tel, que son achèvement en
quelques coups de crayon m'a paru plus simple et plus expressif,
que de longues explications pour montrer au lecteur la physionomie
d'ensemble du monument impliqué par les ruines. Aussi bien n'est-ii

nécessaire de rappeler à personne qu'un monument n'est pas un jeu


de hasard et que des pièces archéologiques ne sont pas fatalement
des devinettes que l'imagination fantaisiste des observateurs pourra
résoudre en des sens contradictoires, au risque de tomber par hasard
seulement sur la vraie solution. Il est mille fois plus simple, à coup
sûr, de geindre sur la pauvreté d'une fouille en l'observant avec
commodité du sommet des tranchées à des heures douces, que de
s'obstiner à en interroger le plus menu détail au mépris des rations
de poussière à absorber, des éciaboussures à subir sous la vive
flambée d'un soleil de canicule et sans compter les jours que ce
labeur dévore. Mais les plus petites traces, les plus pitoyables lam-
beaux ont quelque chose à dire à qui veut bien les écouter. A l'in-
tention des gens du métier, la planche v réunit quelques-uns des
morceaux triés un peu au hasard dans un nombre à peu près double
de croquis cotés, rapportés au jour le jour de l'Éléona. Les plus
importantes pièces, celles qui fondent une restauration précise de
l'ordredes colonnades intérieures (v, 15), méritent une spéciale men-

tion, en môme
temps que leur rapprochement justifié indiquera le
procédé d'analyse. La fouille sur la terrasse du Pater livra un jour
un éclat de calcaire rouge mouluré sur lequel se pouvait mesurer
seulement le profil d'un tore avec l'amorce d'un listel et d'un cavet.
le tout guère plus grand que la main, assez grand toutefois pour

trahir une base. Comparé à la base mutilée découverte bien des


années auparavant en ce même lieu et demeurée à travers la terrasse,
le fragment se trouvait présenter un protil identique aux éléments

correspondants en cette base. Celle-ci, mesurée avec précaution, se


complétait avec une facile exactitude (1), exigeant une colonne de
0'",6i5 de diamètre au lit de pose. Bien des semaines après fut recueilli
le fragment IG (pi. vi, tandis qu'on dégageait sur un autre point du

chantier le gros fragment 10 tronçon de colonne dont la plus petite


:

extrémité mesurait 0"\592. Ce chiffre était assez voisin déjà du dia-

(1) PI. ^^I. 3. Un petit dé, attachée la base, est trop ébréché pour que l;i mesure exacte
en ait été possible. Il a été négligé dans les graphiques de la pi. v, 1 a, b, c.
260 REVUE BIBLIQUE.

mètre inférieur attendu, 0°',6i5, pour imposer le rapprochement avec


la base 1. La proportion d'un fût de colonne se calcule, on le sait,,
sur son diamètre inférieur; chacun se rappelle aussi qu'à la meilleure
époque chrétienne, tout imprégnée des lois de l'architecture antique,
le rapport le plus correct était de 1 à 6 et pouvait atteindre de 1 à
7; la moyenne de 1 à 6 1/2 est des plus fréquentes. Dans le cas,
l'application du principe a été faite avec un rapport de 1 à 6 1/i et
voici pourquoi. La juxtaposition du tambour 10 à la restauration du
fût, dans v, 15, montre la position qu'il a nécessairement occupée
dans la quelques autres cotes inscrites sur ce fût mon-
colonne, et

trent le galbe que sa hauteur entraînait. Depuis de belles années,


quelques ^deux du village de Tour aimaient à spécifier avec préci-
sion, dans un des cimetières juifs voisins, un lot de chapiteaux (1),
bases, tambours de colonnes, pierres d'appareil, socles de cancels,
vendu comme matériaux pour l'ornement des tombes et enlevé du
terrain du Credo comme une dépouille aussi lucrative que super-
flue pour les propriétaires d'alors. Il manquait pourtant quelque
indice archéologique à l'appui de la courte et très affirmative tradi-
tion. Dès le premier essai de contrôle, cette lacune fut comblée.
Plusieurs tronçons de colonnes dans la série en question rendirent
précisément la mesure 0™,59 adaptée au fragment découvert dans la
fouille un autre donna le diamètre 0",6i et une tête de tambour, où
;

manquait à peine l'astragale, présenta la mesure 0"',573. En restaurant


là-dessus le plus simple astragale, on réalisait juste l'assise 0'".595 exi-
gée par deux exemplaires d'un même chapiteau iv, 3 et vu, 1), pres-
que intacts et renversés sur des tombes pour recevoir des épitaphes! Le
croquis depuis longtemps oublié de la corne 16. si pitoyable que soit
ce débris, venait fournir la restauration des cornes brisées dans les
deux chapiteaux du cimetière. Enfin, à côté de la base 1, sur le ter-
rain des fouilles, un fragment d'architrave d'excellent profil atten-
dait de retrouver sa place. Comparée à la hauteur du chapiteau,
0'",745, sa hauteur, 0°,535, produisait de bien près la plus satisfai-
sante proportion pour une architrave. Le fragment mis à l'essai
comme tel compléta au mieux la restauration totale de l'ordre des
colonnades présenté par la figure v, 15 (2) et inséré dans le schéma
d'élévation (fig. 9). Quatre autres pièces actuellement dans
le cime-

tière ont été recueilliesdans la planche v i, 5, 9 et 40, parce


:

qu'elles présentaient dans un état de conservation pratiquement

(1) Le P. Gré a publié naguère un de ces chapiteaux. {La Crypte du Credo, p. 62).
(2)La bande supérieure, quoique très ébréchée —
cf. la phot. pi. vu, 2 —
est cependant
d'une détermination assez facile.
L'EGLISE DE LEI.EONA. 201

complète la réplique de membres d'architecture calculés d'après des


lambeaux sortis de la fouille; iO en particulier, avec ses rainures
caractéristiques, appelait spontanément la restauration des anciens
cancels v. 38. et l'observation des mesures fera vite saisir comment
les pièces variées, montants et dalles, venaient d'elles-mêmes s'y
encastrer. Une discussion plus approfondie et surtout le relevé plus
complet de tous ces débris nous entraînerait loin et doit ressortir
aux spécialistes. Ce qui en est présenté est suffisant toutefois pour
autoriser une appréciation générale et caractériser le style du monu-
ment. Les splendides pièces de mosaïque ornementale, trop fines
sans doute pour un pavement ou d'une décoration plus usitée dans
les mosaïques murales v. £-. pi. iv Aetviii. 3 suggèrent dans les parois
.

hautes de la nef centrale une architecture et une ornementation


analogues à celles de la basilique de Bethléem par exemple. Eniin
le toit et ses charpentes ont laissé leur trace en de nombreux frag-

ments de tuiles parfois estampillées et dans la couche de débris


incendiés observée en maint endroit de la ruine, mais surtout dans le
remblai de la grande citerne de l'atrium.
Au flanc méridional de l'édifice les annexes F, C. D avaient une
destination qui n'est pas aussi claire , malgré leur intime relation
avec le monument religieux désormais certain. A se laisser guider
par des analogies innombrables, on ne peut attendre ici que des cha-
pelles secondaires, des chambres pour le mobilier cultuel et l'habi-
tation des desservants, des tombeaux enfin. F en particulier, quelque
peu détaché à l'angle sud-ouest de l'atrium, pourrait n'être qu'un
pavillon de garde. On serait même tenté d'y voir une avancée laté-
rale couverte, où l'on serait venu du péristyle pour jouir plus à l'aise
du panorama de .Jérusalem, sans la considération de son niveau un
peu en contre-bas (cf. pi. ii et du passage qui semble lavoir mise en
CDmmunication avec l'atrium. Encore faut-il rappeler que le carac-
tère des ruines en cet endroit, si comparable qu'il soit à ce qui est le
plus sûrement de la première époque, pourrait à la rigueur dater d'un
peu plus tard. La similitude impressionnante d'abord entre les mo-
saïques F e[ E — celle-ci à l'intérieur de la basilique— s'atténue
très vite à l'observation des inégalités d'exécution que le dessin
pi. IV s'est etforcé de traduire. Les nuances de composition ne sont

même pas négligeables et cette combinaison décorative est d un style


si commun après tout ([u'elle s'est perpétuée à des époques très

basses. Une chapelle funéraire ou quelque salle reliant à l'atrium un


monastère développé au sud. dans le vignoble d'el-Kawdrek, sont en
somme les plus vraisemblables possibilités.
262 REVUE BIBLIQUE.

C et D constituent un groupe évident qu'on entreprendrait en vain


de dissocier. Situation, dispositif, ornementation en D surtout exclu-
ront sans doute nombre d'hypothèses que je n'ai ni le loisir ni même
l'intention de discuter. Informés comme nous le sommes à ce jour
par la fouille, une seule interprétation rend compte de tout un :

baptistère. Le fait serait d'assez grosse conséquence archéologique


pour qu'on veuille bien faire à l'hypothèse l'honneur de l'estimer
aussi réfléchie que possible. Spontanée ainsi qu'elle pouvait l'être
dès qu'apparut ce sing-ulier bassin au milieu d'un pavement de mo-
saïque somptueuse où la croix joue un rôle intentionnel que je ne
lui connais en aucune autre mosaïque palestinienne, 1 hypothèse a
été tacitement repoussée comme une suggestion périlleuse dans l'in-
terprétation générale des ruines si l'on avait une fois la hantise d'un
baptistère chrétien dans cet ensemble de ruines. C'est précisément
pour échapper à cette hantise que je me suis imposé dans les relevés
et jusque dans la description faite plus haut d'accentuer tout ce qui
pouvait sembler de nature à supprimer la relation des deux pièces
et le caractère spécifiquement religieux de Z>. Tout m'y a ramené
et, sauf erreur, l'hypothèse est du moins assez fondée pour mériter

les honneurs d'une considération loyale ou d'une discussion positive


qui la montrerait en opposition avec les faits. Il faudrait l'espace
dune monographie spéciale qui détaillerait à fond cette partie du
monument et accumulerait pour cha{[ue détail des analogies aussi
Que tout s'harmonise bien dans l'a-
précises que faciles à multiplier.
gencement et la décoration, les faits sont là pour le dire. J'ai cepen-
dant hâte d'ajouter que je n'ai pour le quart d'heure aucun exemple
authentique de baptistère évident qui reproduirait trait pour trait
ce qu'on observe ici. Je n'ignore pas non plus les aphorismes en
crédit sur le rite baptismal, —
d'abord par immersion et plus tard
seulement pai- d'autres modes, —
sur la forme proportionnée des
baptistères primitifs, sur leur situation par rapport à des églises
nécessairement immenses en vertu d'une loi d'unité qui aurait lié
en chaque localité le baptistère à la seule église principale. Déjà
toute cette classification s'est modifiée dans les manuels consciencieux
et les encyclopédies informées. A la lumière des faits que l'explora-
tion scientifique accumule incessamment, il est depuis des années
hors de doute que deux baptistères et plus encore se peuvent ren-
contrer dans une localité même assez peu importante, qu'on les
trouve parfois en relation avec des églises très petites, tout au plus
des chapelles (1), ou avec des églises monastiques dans des villes qui
(1) Ce sont presque les propres termes par lesquels M. H. C. Butler délinit la situation
LÉGLISE DE LÉLÉONA. 2G3

en possédaient sans doute par ailleurs (1 . A des époques même


aussi reculées enfin que le iv' ou le v* siècle on trouve, attachés en
toutes les situations autour d'une église, des baptistères souvent
beaucoup plus petits que celui du mont des Oliviers, avec un bassin
de forme variée —
cuve polysonale indépendante de l'édifice ou
construite pour faire corps avec lui. cavité ronde ou en simple demi-
cercle, ici très vaste et relativement profonde, là si étroite et si di-
minuée qu'un adulte a quelque peine à s'y tenir debout et n'y aurait
de l'eau que jusqu'aux genoux tout au plus 2j. Et si. des monu-
ments en nature, on passe aux représentations figurées, l'art chrétien
le plus archaïque, le plus expressif aussi témoisne tout entier dans
le même que
sens. Qu'il suffise de se reporter par exemple, plus haut
la date de sculptures et de mosaïques fameuses, aux peintures des
catacombes. On en croira, je le souhaite, un juge non moindre que
M-' Wilpert (3), quand il affirmera la simultanéité du baptême par
infusion » ou simple
I'-
aspersion » et du baptême par immersion
dès le milieu du second siècle. Si les images les plus irrécusables
mettent sous nos yeux la cérémonie d'un baptême où le ministre
répand avec un petit vase l'eau sacramentelle sur la tête dun caté-
chumène debout dans un bassin où l'eau ne lui pouvait monter plus
haut que les chevilles i). nous ne serons pkis dans l'obligation de

et la fréquence des baptistères, dans l'Introduction qu'il consacre à l'architecture chrétienne


de la Syrie centrale septentrionale l'uhlic. of an Americ. Arch. Exp. to Syria : Archi-
.•

tecture.... p. 22; 1904. exemples sont légion dans le beau volume pour justilier cette
Et les
généralisation initiale. .Ils se sont multipliés encore dans lintervalle ainsi qu"on le pourra
constater en tournant les pages des plus récentes publications de M. Butler (Princeton
Uiiirersity Arch. Exp., Div. II, Ancient Architecture in Syria, déjà six fascicules parus
depuis 1907 Exemple pris au hasard dans ce dernier ouvrage. Divis. II, Sect. B. p. 177 ss.
1. :

deux baptistères à Ddr Qitn, une des « villes en miniatures » dans un massif montagneux
de la Syrie du Nord, en relation avec des églises d'inégale importance dont la i>rincipale et
la plus ancienne, lîg. 18C, a beaucoup d'analogies avec celle du mont des Oliviers, en plan,

proportions et décor, par exemple le chapiteau à feuilles d'eau. Même multiplication est
attestée, je suppose, dans la petite cité Lycaonienne récemment explorée par Miss Bell et
Sir W. Ramsav, The thousand and one Churches, p. 72, 133 ss. deux baptistères y sont :

certains et peut-être plus.


(i; Le plus important exemple qui rne revienne à la mémoire est celui que décrit
M. -\. Ballu au monastère de Timgad [Bull, archcol. dît Comité des trav. histor., 1909,
pp. 102 ss.).
(2) Les seuls ouvrages gi-nérauxde M. deVogiié et de M. Butler offriront a qui la désirera
une ample documentation, facile à multiplier le jour oii ries preuves détaillées seraient
requises.
(3) Le Pitfure délie Catacomhe romane, I, p. 238: cf. les planches xxvn. 3: xxxix, 2;
Lvn ccxxvm. 2; ccxl, 1.
et Lviii;

(4) Une importante série de ces représentations antiques est groupée par M. C. F. Rogees,
Baptism and Christian Archaeology, Oxford, 1903, malheureusement avec de bien pau-
vres dessins.
264 REVUE BIBLIQUE.

requérir sans faute une profondeur voragineuse aux: cuves baptis-


males. Et puisque nous en sommes venus aux représentations pic-
turales antiques du baptême, telle peinture de la vieille basilique

de Sainte-Pudentienne, à Rome (1 n'ofFr irait-elle pas la plus heureuse


,

suggestion de ce que purent être les fonts baptismaux du mont des


Oliviers? un bassin rond posé sur un sol qui parait ornementé ; dans
lebassin deux catéchumènes cachés à peine à mi-corps et aspergés
par le ministre: devant le bassin l'indication d'une cavité rectangu-
lairedans le sol. A cette cavité répondrait notre bassin en maçon-
nerie avec son canal d'écoulement dans une piscine sacrée '2). La
cuve baptismale aurait été appuyée là-dessus plutôt que placée à
côté comme le peintre archaïque de la Pudentienne l'a représenté
peut-être par simple inexpérience de perspective. Sans pousser cette
discussion plus avant, l'interprétation en baptistère est livrée à l'étude
plus compétente des maîtres. On ne perdra du reste pas de ^^.le que
cettehypothèse accessoire ne saurait iniirmer, si elle devait être
reconnue incorrecte, l'interprétation beaucoup plus positive des
ruines principales.
Pour enquête devrait maintenant
être logique jusqu'au bout, notre
s'attacher à déduiredu monument lui-même sa date au moins ap-
proximative sans recourir à aucune identification historique préa-
lable. Il faudrait examiner les vicissitudes attestées par la ruine, en
classer les débris aux périodes qu'ils requièrent, mettre en évidence
leurs caractéristiques, accentuer l'harmonie du plan, le goût et la

sobriété de l'ornementation, la cohérence des proportions qui ont


régi toute la structure : autant de détails, et d'autres encore, dont la
mise en valeur exigerait de longs développements, tandis qu une
non moins sûre nous mènera
voie beaucoup plus rapide et désormais
droit au but.
Après l'antre sacré du Sépulcre de Notre-Seigneur. sainte Hélène,
rapporte Eusèbe. « fit choix dans la même contrée de deux autres
sites consacrés par de saintes cavernes qu'elle orna elles aussi de

somptueux édifices ». Dans l'une, elle voulait honorer « la première

(1) Souvent reproduite. On la trouvera par exemple dans le bon article de dom H. Le-
CLERCQ, Baptistère, dans le Dict. d'arch. chrcl., fasc. xiii, col. 395, fig. 1317.

(2) Voir dans du baptistère monastique de Timgad 'Ballu, op. t., p. 104) certain
le cas
« petit bassin hémisphérique» en relation avec les « deux cuves hexagonales ». Comparer

aussi le cas identique du baptistère d'Amwàs [RB., 1903, p. 586 ss.^, exemple qui a lavan-
tage d'être palestinien et d'offrir en outre une sacristie très probable en avant de la cha-
pelle baptismale, dans une situation qui répondrait bien à ce que présente le groupe C-D
de nos ruines; groupement similaire se retrouverait sans grande recherche en maintes
autres ruines chrétiennes.
Planche 1.

et AÏ-' di'

CjOA/nve-l-

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Conpe loneiliiiliiialc d'ouest en est sur la liR


Planche III.

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_a.pproxim<iihf d e L ahside. duns L_ église primiiRve _

La crvfiic. Coupe longitudinale d'où. -


l'axe gciii^ral ZZ' du i f le plan plus dciaillc de la crjine,
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maaasus&usBBiisi
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^S^»SJS^S3:HS»^^^»ra-Â^^»-SS&S^
Planchk VI.
Planchk VI.

1. Chapiteau antique; ot. V, -21 o. b, <. — -2. Chapiteau de pilastre <l'épo(iue romane /. ;cr. V, 2-2 « et 6.
;j. Fragment de chapiteau antique. — Fragment de colonnette en;-iagée;
'». cl. V, G.
Plant.mk VII.

I. — Cliapiieau anluiue tic l'tli-ona, aciuellement dans le cimetière voisin.

2.— Fragment d'architrave antique ; cf. pi. V,:2 ((./_/ et l.'«. 3. — Base anti(|ue; cf. pi. V, i a. h, c et i'>.
Planche YIII.

*»^

1.— Débris de stuc peint sur une paroi du b:

3. — Fragment de mosaïque actuellement encastré dans le pavillon du musée.


x/"
-2-— Montant de cancel; cf. pl.V, 37,
a, b,c et 38.

Phot.Savîgnac.

4. — Extrémité occidentale de la crypte, vue de l'absidiole.


Planche IX.

Phot. Savignac.

La crypte vue d'ouest, au cours du déblaiemeDt.


Planche X.

i. — L'escalier priniitil' de la crypte, vu île la ijalerie méridionale du Pater.

2. — L'entrée ultérieure de la crypte, vue de la galerie septentrionale

(Les numéros se réfèrent à la planclie V.)


L'EGLISE DE L'ELEONA. 265

théophanie du Sauveur » ou sa naissance dans la chair; « dans


l'autre elle vénérait le souvenir de son élévation aux cieux accomplie
sur la cime de la montagne un peu plus avant, avec plus de
». Et
clarté encore : mère de l'empereur exalta aussi
Après Bethléem « la
la mémoire de l'ascension aux cieux du Sauveur de l'univers, par
d'opulents édifices érigés sur le mont des Oliviers. Haut vers le
point culminant de la montagne, elle fît surgir une église et ses dé-
pendances. Or la que dans cette même
tradition véridique atteste
caverne Sauveur de toutes choses avait initié ses disciples aux
le
ineffables mystères » [i). Sanctuaire en mémoire de l'Ascension et
église sur la caverne de l'enseignement de Jésus au mont des Oliviers
sont donc Lien une seule et même basihque. dont l'origine hélé-
nienne serait vainement contestée. Je me reprocherais d'atténuer
par le moindre essai de commentaire l'adaptation éclatante et spon-
tanée entre le texte d'Eusèbe et nos ruines de basilique avec son
système complet de dépendances et une caverne magnifique comme
point de départ et centre architectural. Le Saint-Sépulcre et Beth-
léem étaient depuis toujours la joie et la consolation des fidèles; seul
le monument constantinien du mont des Oliviers manquait à la
vénérable trilogie le voilà. Il est bien le frère des deux autres,
:

digne d'eux jusque dans sa désolation par sa grandeur et son aus-


tère beauté, empreinte sûre de leur commune origine. Le reconnaitra-
t-on dès l'abord, sous les outrages qu'il a subis et débarrassé à peine
de son lourd suaire de décombres? Mais quand on l'aura reconnu, on
saura gré comme nous aux mains aussi savantes que pieuses des
Pères Blancs, qui ont enfin écarté les plis du linceul et fait réappa-
raître les splendides restes de cette Éléona qui, au déclin du iv*" siècle,
enthousiasmait la discrète et spirituelle Éthérie.

Jérusalem, le 2 février 1911.

H. Vincent, O. P.

(1) EusÈnc, Vie de Constantin, III, 41 et 43; PG., XX, col. 1101 et 1104. Malgré l'ea-
chevêtrenient du texte, — dailleurs mal conservé daas second passage (cf. l'éd. de Heikel,
le
dans la Patrnlogie de Berlin, Ensel)., I, p. 96', — il ne s'agit bien que d'une église. Valois
en faisait déjà la remarque dans sa très judicieuse annotation. Cette unité ressort claire-
ment du style familier à Eusèbe et surtout de la comparaison avec le Panecjyrique de
Const. (ch. IX; PG.. XX, c. 1369 et 1372). La même fondation de sainte Hélène est attri-
buée à l'empereur presque dans les mêmes termes. 11 ne subsiste néannioins plus ombre
d'amphibologie sur l'unité du monument érigé sur la sainte caverne en mémoire et tout
proche du lieu de l'Ascension.
MÉLANGES
I

FRAM ENTI DI AQUILA DI SIMMAGO:^

Il chiaruio C. Wessely ha di récente pubblicato corne Un nouveau


fragment de la version grecque du Vieux Testament par Aquila (1
questi tre piccoli frammenti. che egii ha bene riconosciuto essere dei
Sahni lxvih 13-1 V. 30-33 e lxxx 11-lV.
i" jy.aOr,

2" .... ^j'biùci'. 'i.t îy.çi'ojvto -.z cvo]

;j.a t;j HTrii Ge:j z: mIt^z •/.-x: j.z 5


YaA'Jvco ajTC c-. tzz[j.z\z\'r,ziMZ v.x:

apîffc', Toj mn" ;a.aÀACv r, ^zu: -x'jzzz


[âijyrjXojv y.spac--:-^; <.z\t-iù]z[x'/ ~-(ù'/zi\

3° [(2-2 lettres perdues W-o; ar/j'

t:-::j zXaTjvcv t: cTcy.a 10 lettres perdues)]


TC ;jy j--ç/.z'jzf/ zt z 'irxzz -.r^z ;[o)v/;ç ;j.:'j] 10
'.jpar//, ;jy. £-î'jOr, ;j.:'- xzr^/.-j. zyi 3:[j

[tcuç r, y.xzz'.x sajTcov ::zj

[-cvTa-. (13 lettres perdues) ;j.]c'j r/z-cful

rs 15
Sonoessi tratti da due pezzi di nianoscritto membranaceo in scrit-
tura seniionciale del sec. m iv, provenienti dal Faium ed ora nella
collezione dell' arciduca Rainer. Il fr. primo e secondo stanno nella
stessa pag-ina, ch" era scritta in due colonne ; il terzo è in altra
facciata, di cui pare rimasta sia una sola colonna : al rovescio d'
entrambi i pezzi nulla tu scritto, corne in parecchi papiri. Le linee
d' ogni colonna contenevano da 2i. lin. ôi a 31 o 32 lettere (hn. 10),
per lo più perô 29, quante ne suole supporre il Wessely ne' supple-
menti o nell' indicare con punli le lettere perdute. Il nome inella-
bile non è in lettere quadrate. corne Iho trascritto per comodità,
(1} Mélanges offerts à M. Emile Châtelain... par ses elèces et ses amis. 15 avril
1910 Champion, 1910;, 224-229.
(Paris,
MÉLANGES. 267

ma in antico carattere ebraico, quale il Wessely trova nelle monele


del tempo délia rivolta nazionale Ira il G6 e il 70 ed il 132 e il 13ô
di Cr. (p. 227 . Non sarebbe tuttavia costante la scrittura a tiiudi-
care dalla stampa, forse con errori (1), del Wess., percbè il seconde
tetragramma è affalto diverso dal terzo, e questo varia alquauto dal

primo, specialmeute nel supplemento. Una tavola fotogTalica oh corne


sareblje stataopportuna e certo non negata dall' editoi'e, che tante,
1

anche meno importanti. ne ha concesse ai collaboratori del volume.

« Nous revendiquons ce nouveau texte pour le juif Aquila ». dice il

Wessely a p. 227 « car son caractère de traduction grecque du Vieux


;

Testament héjjreu est tout à fait analogue à celui des autres frag-
ments d'Aquila tout y est de même le même mot à mot de la tra-
; :

duction, les mêmes analogies, les mêmes différences au point de vue


de rapport avec les Septante, les mêmes singularités de style. C'est
spécialement la manière d'écrire le nom sacré de Dieu en langue
hébraïque même parmi le texte grec, en lettres hébraïques parmi les
grecques. »

Parrebbe quindi sicura, indiscutibile 1' attribuzione dei frammen-


tini ad Aquila, e pure non è vera aifatto Simmaco, non Aquila, ne è :

Fautore, se badiamo aile testimonianze positive degli antichi coni-


mentatori Eusebio e Teodoreto e aile scelte lezioni esaplari messe in
margine a certi manoscritti dei LXX, ad es., délia Siro-Esaplare.
Perché nei frammenti mancano affatto le lezioni di A({uila, mentre vi
sono tali e quali, quelle attribuite in proprio a Simmaco.
Infatti nel Salm. lxviii 13. a testimonianza di Eusel)io e délia Siro-
Esaplare [2], Aquila aveva -'.-/z-nur/ e non t.v/tz-i:, e nel v. 31, a
testimonianza dello stesso Eusebio, presentava, secondo il siio solito.

h t-r/y.z'.i-.<.x. e non S'." £;:;j.;/w7y;-£ojc, versione che si scosta troppo


dal 2 per crederla di Aquila. — Parimenti nel Salm. lxxx, 12
Aquila, secondo il cod. Vat. gr. 752, tradusse ;>/. v;0£"/.r,-£v iv ?i èy,;':

('''7 nzNi-N^), e non già ;>/. ï-ti-hr^ v.:', ; e nel verso seg., secondo Teodo-
reto, varii codici cit. dal Field e in parte il Vat. gr. 752, rese /.ai

tz%-iz-.z<'.U'j. ajTbv iv zv.z/j.z-t-,'. v.'j.zz'.y.z y.j~.zj -zzijzz'^~y.'. Èv (jzSt.zj\).y.z':i

ajTwv; versioni affatto diverse da quella del fr. del Wessely.


Al contrario, Eusebio, sostenuto dalla Siro-Esaplare, cita corne di

(1) Ad
es., per ben oUo volte ni"* vi è slampalo T^*'^^*^. cio che il Wess. non puù avère scritto.
;

Le autorità e le citazloni sono già tutte raccolte dal Field, e sorprende corne il Wess.
(2)
non r abbia avuto sotto mano o non abbia pensato a ricorrere ad esso.
268 REVUE BIBLIQUE.

Simmaco tanto oirjYsîvTi '^.t /.a6r,;j.£vc', iv -ùkr. v.xl è'-i/aAXiv -xt cl

r.viz-i-i:; \).i%-jz'}.y. Ps. LXVIII, 13,, quanto -/.al -m -/.jcuo v.xaa^v


à^izi'.
i^ i3sjç Tajpcr. z'.yr,\M'^, y.tpxzzTiÇ (v. 32). Similmente riferisce
a Simmaco ; >/ j-yjy.cj^s Bè : '/.y.z: ;j.:j t?,; ç;(i)v?;ç -j.ij, -/.a!. Issar,/.
:>/. £-£{767, ;j.:'., e gli riferisce cou Teodoreto is^y.x cjv x-j-z'jq

-f, xpt7V.zix '?,: y.xzz'.y.z :zJtwv. cceje'.v -raTç '^jZ'j/.yXz aJTwv, COnfer-
mato dalla Siro-Esaplare che dà a Simmaco :>/. i-si^Or, y.:-., sembra,
ed £V r?i Tr, àp£77.£â.
Xè c' è da sospettare suU" esattezza dell" attribuzione, tanto se
badiamo in générale alla disarticolazione, sensibile durezza e
pedantesco letteralismo délia prima série di citazioni e alla relativa
scioltezza délia seconda, quanto se osserviamo in particolare certe
versioni esclusive o predilette dei due traduttori. come "^zj'i.tj\j.-x
ed (Simm.
t-jyy.z'.--\-x tizj.z'iJz-j.-'.z^ per Aquila, e yziz/.v.y. ;j.3tX/wV
7^ {y2 di comparazione ; Aq. i-b. r.ypy.) (1), zztûtvi lAq. zcpEjE^Gat).

t')zr, (Aq. y.z\j.y^ per Simmaco. ed il passo vicino di Jer. xiii, 10, che
Aquila tradusse in :. r.z zt-j^iv-.zz èv zv.z'/.i'z-.r,-'. v.ypzix; aÙTwv
e Simmaco, secondo la Siro-Esaplare bene ritradotta dal Field, in
c'. :;£j:vT£r èv t?, yptT/.iiy. -%: /.y.pV.y.z aJTwv, Basta COnsultare la COn-
cordanza del Redpath aile citate parole e ad ïzy.-z"i'ij.v:i (non usato
mai da Simm, per notare i susti diversissimi dei due, quali sem- i

brano quasi fupuire l'uno cio che X altro ama, e viceversa.


A Simmaco dunque e non ad Aquila sono da restituire i tre
piccoli frammenti e per la testimonianza esplicita degli antichi che
li citarono e per l'indole stessa ed il tenore del testo, checchè parve al

Wessely meno vcrsato nelle reliquie esaplari di quello che lo sia


negli studii papiroîosici e tilologici. Questo e 1' altro fatto, che i
tre frammenti erano conosciuti già quasi totalmente e guadagniamo
solo qualche lettera, e non molto sicura, di piii, non diminuiscono
punto il valore e la gioia délia scoperta, anzi l'accrescono, perché
conoscevamo bensi preziosissime reliquie di due manoscritti mem-
branacei (2) con la sola versione di Aquila, ma nessun manoscritto
délia versione sola di Simmaco era giunto a noi. Ora sembra che
nel secolo m
iv si copiù ancora a parte nel Faium la bella versione

(1) Cfr Eccl. IX. 17. Cf. C. Taylou Hebreiv-Creek Cairo Genizali Pallmpsests from Ihe

Taylor-Schechter Collection (Cambridge 1900) 32. 34.


(2) Divers! certamente sono non solo i copisti, ma i manoscritti, perché quello dei Re è

a due colonne ed ha nel 1. 3' per colonna 24 linee e 23 nel 1. 4", raentre le pagine dei Salmi
non sono divise in colonne e contengono da 29 a 30 righe. Anche le dimension! dello
spazio sciitlo mi sembrano molto différent!, a giudicare dalle fotografie. Quindi si capisce
come il Buukitt ib. 53 parti di botli Mss senza accennare ad altra diversité che délie mani.
A chi teneva sott' occhio gli original! non poteva nemmeno venire un dubbio.
MÉLANGES. 269

di lui almeno del Salterio, e ne abbiamo un pezzettino per trasmis-


sione diretta, che fa da prova — sia pure in piccolissimo punto —
délia tradizione esaplare e délie testimonianze e citazioni di questa
tradizione. Ne temerario è piii sperare che i frammenti di Vienna
siano seguiti da altri. Dio voglia presto e molto più considère voJi.

Una come speriamo, che la versione dei fram-


volta dimoslrato.
menti del Faium è di Simmaco, è provato che il nome inetfabile era
mantenuto e scritto in lettere ebraiche più antiche non soltanto in
manoscritti di Aquila, secondo che congetturo il Burkitt (1 e suppose
per accertato il Wessely. ma in codici eziandio di
c" è da Simmaco; e
sospettare che lo raantenesse pur Teodozione. molto più legato ail'
Ebraico e ad Aquila di Simmaco.
Iq realtà fînora il tetragramma arcaico era slato osservato soltanto
nelle reliquie Cairine di Aquila. mentre la tradizione esaplare cono-
sciuta non lo presentava se non in lettere quadrate più o meno formate
(palinsesti Gairino e Ambrosiano o nella comunissima deformazione
di esse -'.-'. (2) tanto che si sarebbero dette orisinarie nelle Esaple
:

e, « molto probabilmente secondo l' uso di Teodozione e di Sim-


maco » (3), adottatevi da Origene, che pur sapeva e parla del tetra-
gramma arcaico. mantenuto nei più accurati esemplari » fâv -zl:
x/.ziziz-.izz'.z -or/ y.'/-::';zy.zi.>-/ . Ma. anclie tralasciandu (juesto particolare
molto dubbio, perché diflicilmonte Origene avrà preferito in ciô gli
altri esemplari a quelli che stimava più accurati. la scoperta mede-

sima dei fogli Cairini d'Aquila doveva trattenerci in sospeso, se non


insinuarci a dirittura il contrario, che cioè nelle Esaple o, meglio,

liingo la tradizione esaplare (i) si sarebbe ringiovanita la figura de-


tetragramma, come in Aquila, cosi forse negii altri interpreti giudail
zanti, \issuti nello stesso secolo di Aquila 5 . Ora la prova è venuta
anche per Simmaco : in copie non esaplari délia traduzione di lui
tuttora verso il secolo iv si continuava a riprodurre alla meglio il

tetragramma arcaico, non meno che nelle copie non esaplari délia
1) Fragments of the Books ofKimjs accordinrj to tlie translat'toa of Aquila (Cam-
bridge 1897) 15.
(2] Cf. Taylop. o. c. 26: L. Tralbe yomina sacra in Quellen und Vatersuchungen zur
lateinischen Philologie des MUtelaUers. II 1907} 27 segg.
(3; Burkitt /. c. Ivi riferisce i passi di Origene e di S. Girolatno.
(4) Dico « meglio », nia non ne ho prova alcuna. !•
^ ^ ctie si vede otto o nove volte nel
célèbre codice Barberiniano dei Profeti da f. 97' al 117, è probabilmente una deformazione
délie solite lettere quadrate e non délie arcaiche del tetragramma.

(5) Lo osservo già il Traube o. c. 29.


270 REVUE BIBLIQUE.

versione di Aquila verso il.vi secolo (1). Non c' è ragione di limitare
ad Aquila le generali parole di Origene (e di (iirolanio) conven- :

gono a Simmaco, e perché non eziandio ad esemplari ebraici (2)?


Il Burkitt bene notô i' importanza che la scoperta dei due codici di

Aquila aveva per la storia délia scrittura fra i Giudei, e non occorre
aggiunger parola aile parole incomparabilmente più attendibili di
lui, nemmeno per osservare quanto prudentemente egli concludeva

« non dover noi precipitosamente supporre che ï antico carattere

sparisse per sempre al tempo di Aquila, poichè la scoperta inclinava


piuttosto ad abbassare la data, fino a oui stette in uso Fantico alfabeto
ebraico » (3j. lo posso e voglio solo rilevare la minuzia, che pur nel
Salmo Lxvni, 31 sta il tetragramma seguito da Os:j, corne se Simmaco
avesse letto a^'^"!î< m.T' cr in vece dell' odierna lezione senza va-
rianti Ti'^N 2r.
Data la corrente lezione dell' Ebraico, che pare universalmente
attestata ed accolta ed è secondo V uso del nome divino prédominante
nei Salmi xli-lxxxii (i), non sorprende trovare qui in Simmaco 1
Oî5^. giacchè sogliono tutti gli interpreti rendere cosi \"iSx, per es.

nel palinsesto Ambrosiano ai S»almi xxxv, 2; xlv, 2.5, 6. S".!! ecc.


e Aquila in Gen. i, 1-5 (5); III Reg. xxi, 10 e IV Reg. xxiii, 16. 17
Burkitt; Ps. xci, 2 Taylor ecc. Ma il tetragramma arcaico è mai
verisimile che sia stato interpolato, e bene a posto davanti Oscj, da

(1) Questa è 1' età niinima dei due palinscsti Cairini.

(2) Invero, S. Girolamo al principio del Prolofjus Caleatus parla esplicitamente di qui-
bnsdam fjraccis l'oluminilnis coH' antica figura del tetragramma, ma Origene in Ps. 2,2
(P. Gr. XII, 1104) non dice né greci ne ebraici i codici più accurati, ai quali accenna-, ne si

raccoglie quali fossero, dall' 'Eêpaîoi; yapa/.Tvjpffi xei-rat to &vo|Jia. quasi fosse ridicolo nolare
queslo a proposito di mss. ebraici, perché l' inciso è messo soltanto di passaggio e per risalto

di cio che segue : 'Eêpaïxoî; oï oO xoï; vjv à),).à xotç àp^aiotâToi:. Ivi stesso Origene. al v. 1

(col. 1100), ricorda due manoscritti ebraici del Salterio da se veduli, non furono certo
e

quelli i soli che vide del V. T. ebreo. Del resto, se Aquila e Simmaco maniennero nel
nome divino arcaiche, lo avranno fatto perche ciù trovarono nei loro manoscritti,
le lettere

che nessuno, per quanto io sappia, imagina scritli per iutero nell' alfabeto antico. E, allora.
è temerario credere che anche i più zelanti giudei abbiano continualo ancora, per qualche
tempo almeno, a fare altrettanto nelle proprie copie del teste sacro, e che Origene, di poco
posteriore ai nostri Iraduttori, ne abbia vedute più d'una e stimatele anche per questo più
accurale? La congettura mi pare non improbabile né indifférente. Anche il Traube, pur —
accettando la spiegazione délie parole di Origene proposla dal Burkitt, accenno che potrebhe
esser più giusto il supporre « dass in einem Zweig der hebriiischen Ùberlieferung das
Tetragramm mit alter Schrift inmitten der jùngeren Quadrata gegeben wurde und dass
Aquila das ihm daher gelaufige alte Wortbild in seine ÎJbersetzung ùbernahm ». O. c. 28.
(3) Fragments ecc. 16.
E vedi la mia nota précédente.
(4) Cf. le introduzioni del B.ethgen- p. xxx sg., Briggs I p. xix sgg., e di altri recenti

ai proprii commentarii dei Salmi.


(5) Grenfell = Hlnt The Amherst Papyri, I '1900) 31; Wessely nella Patrologia
Orientalis del Graflin, IV (1908), 138.
MÉLANGES. 271

un copista qualimqiie? salvo a .supporlo un bravo giudeo con


z'.'T's •"• nelle orecchie ed avvezzo alla vecchia figura del nome
inetfabile, almeno durante la trascrizione di Simmaco. Per cin incli-

nerei a ritenerlo orii;iuale in Simmaco e trovato da lui nel suo codice

ebraico o almeno ben presto asgiunto a Simmaco senza sostenere


che sia una buona lezione.
Devesi tuttavia rieordare che nella stampa del Wessely (come ab-
biamo notato in principio' il tetragramma qui è affatto diverso per
fiaura da quello di due linee dopo. Se la differenza è davvero nel
manoscritto. sarebbe mai. anzicliè F effetto dell" imperizia nella scrit-
tura arcaica. un indizio di asgiunta aliéna? ovvero starebbe per altra
diversa parola, ad es. per z*"""n stesso. stranamente riprodotto in
lettere antiche colla versione accanto? Fatto questo che sarebbe assai
importante, ma parmi addirittura inverosimile, tanto poco oso
sperarlo.
Ecco una questione, nata forse da un cattivo facsimile, che si ri-

solverà probabilmente in nuUa. riguardando Foriginale manoscritto.


Oh perché non se ne diede una buona fototipia"?

E la fotografia avrebbe giovato in un altra nécessita, ossia nella


riprova o critica di qualche supplemento del \Vessely. Perché evi-
dentemente, nel compire le lacune, subito dopo i residui più o
meno sicuri di lettere e le misure dei vuoti, deesi osservare il gusto e
le consuetudini dello scrittore; e quando sii scrittori sono di lin-

gua e di stile cosi diversi corne Aquila e Simmaco. non puo non
essere grande la differenza dei supplément! e délie congetture seconde
che si supponga autore F uno piuttosto che Faltro.
Veramente. nel Wessely una simile preoccupazione non mi pare
sia stata grande nondimeno credo di potere sospettare senza teme-
:

rità e irriverenza. che egli forse avrebbe messo dei semplici punti, o
altre lettere con punti al di sotto. in vece di certune che ha supplite,

>e per avventura avesse credato di altro traduttore i frammenti. Per


es., nel Salm. lxviii, 31 mi pare improbabile quelF è;xç;or/w (t": :v:y.a..)
per rp-!-N, non avendo mai. per quanto io sappia, né Simmaco né
Aquila tradotto S-~ con ï-j.zM-nv^ voce rarissima né del tutto sicura,
che ha senso alquanto diverso. E siccomeé data per certa la seconda
lettera soltanto y., penserei. anziché ad x'.vétw, a Juivvirw, precisa-
mente corne é nel palinsesto Cairino délie Esaple al Salm. xxii, 23.
2i, nell" Ambros. al Salm. xxxiv. 18; e come era per ben due volte
272 REVL'E BIBLIQUE.

nel Salm. cxii. 1 seconde Eusebio, ecc. (1); se pure qui lo spazio
non domandi Jy.vcXcYr.Tti) (2 .

Dubbio mi è parimenti r.-.wyz: per ^"'"J nel v. 33, solendo Sini-


maco usare r.zxzzo ::sajç per taie aggettivo (palins. Ambros. Ps. xvii,
28, Aq. r.in-.x (3), e cfr Num. xii, 3; Job xxiv, i: Ps. lxxv, 10:
Is. XXIX, 19, e -^xz-r,: in Prov. xv, 33; xviii, 12; xxii, i mentre ,

ama -vrr,z per '"-n-


Sicura è invece, sull" autorità di Eusebio e di Teodoreto. e con-
viene allô spazio la correzione da fare nel siipplemento del Salm.
LXXX, 13 àf^/.a cjv a jtcùc
: ~f^ xotz/.i'.'j. - r,z v.xzzix: ajTwv : 1 $, che il

Wessely credette di vedere al j)rincipio di ajTwv, sarà il ^ semicirco-


lare o lunato in fine di v.xzziy::. Altrettanto dicasi dell' bzzù'iv/ -y.'.:

fi:jAat; aJTwv . Un iseJe-.v. e proprio ail" intiûito per ^2"'"'


si sarebbe
dovuto, in buon metodo, rifiutare affatto per Aqaila.

Tanto basti da parte raia. Ucli. Wessely avrà doppia riconoscenza dai

critici sacri, se. dopo avère donato loro cosi piccole ma cosi impor-
tanti reliquie di un antichissimo manoscritto di Sinimaco, si com-
piacerà di chiarire sull" originale i poclii dubbi, ne' quali ci lascia la
stampa, e che mi spiace di dover soUevare.

Roma.
M^' Giovanni Mercati.

(1) Cf. TwLOR 0. c. 30. 31. 3>.

(2) Cf. TvYLOR, 31. Infatti. computando punti e i supplemenli messi dal Wessely e le
i

lettere superstiti hanno appena 23 leltere in tulta la linea, eioè sei ineno del solito. Ciù è
si

possiblle, supponcndo certe lettere molto volurninose. ma. d' ordinario, é Iroppo poco.
(3t Cf. T.wLon, 33. — Nell' uso dei fr. esaplari ho preferito quelli pervenutici per tiadi-
zione diretta o distintainenle citati da Origene e da Eusebio. agli allri di origine poco chiara.
con due o Ire sigie unité davanti, de' quali è sempre dubbio se 1' esalto tenore sia di questo
di quello interprète, e se 1'
accordo si estenda ai piii minuti particolari (conie articoli.

tempi ecc.)o stia solo nel senso e nelle frasi ail' ingrosso. Perù la scella non è spesso con-
cessa a causa délia rarità di quel casi felici.

P. S. — Già corretle e rimandate le prime bozze, abbiamo ricevuto ai primi di febbraio


Bévue bénédictine del gennaio 1911, con l'articolo di D. P. Capelle, Fragments du psau-
Isi

tier d'AquHa? (pp. 64-68 dove si dimostra Simmaco autore dei noslri frammentini. Lo-
,

ricordo. non polendo farne altro.


MELANGES.

II

RAB'EL II ET MALIKOU III

Au printemps de 1899, MM. Dussaucl et Macler rapportaient de


Imtàn, dans le gebel ed-Diniz, une inscription nabatéenne ainsi
conrue (1) :

« Cette stèle est celle qu'a dédiée Miin'at


fils de Gadioii à Douchara
« et à A'ara, dieu de notre maître, {dieu) qui est à Bo^ra, en l'année
« ':23 du roi Rab'el, roi de Nabatène qui a fait vivre et a libéré son

« peuple. »

M. Dussaud fut amené tout naturellement à rapprocher cette nou-


velle inscription de celle du Corpus, II, n" 218, provenant de Ilégrà,
qui mentionne une stèle consacrée « à A 'ara qui est à Bosra, dieu de
Rab'el ». Manifestement, dans les deux cas, de la même divi- il s'agit
nité. Mais dès lors, onbien porté à croire que le personnage dont
est

A ara est le dieu protecteur est aussi le même dans les deux monu-
ments. Ce personnage est appelé Rab'el dans l'inscription de Hégrà:
dans celle de Imtàn il est désigné par le qualificatif de « notre maî-
tre titre donné d'ordinaire au roi régnant, lequel était alors Rab'el II.
» ,

M. Dussaud conclut donc sans hésiter que le Rab'el de l'inscription


du Corpus li est autre que Rab'el II.
Cette conclusion, fort séduisante, entraînerait une conséquence
historique, l'introduction dans la liste des rois de Nabatène d'un der-
nier roi du nom de Malikou, successeur de Rab'el II. L'inscription de
Hégrà esten effet datée « du mois de nisân, l'an I de Malikou »; or
ce Malikou est sûrement postérieur au Rab'el dont Douchara est le
dieu.

(1) R. Dussaud et F. Mvcllii. Voyage archéologique au Safà..., p. 167 ss. — M. Dus-


saud déclare l'inscription dans un « excellent état », ce qui parait exclure toute possibilité
d'erreur Je lecture. N'était cette remarque, nous nous demanderions, en voyant le fac-
similé, si le signe lu 1 à la fin de la ligne 5, ne serait pas simplement une fioriture de Valef
final, un peu développée, mais analogue à celle de maints alef fleuris qui figurent dans les ins-
criptions de Médà'in-Sàleh {CIS., II. n" 193. pi. XXVI; n" 206, pi. XXXII. etc.; Jausse\ et
Savigxac, Mission arch. en Arabie, pi. VlII, n» 5; pi. XI, n"
en était ainsi, 1, etc.). S'il
Douchara et A'arane se présenteraient plus comme deux divinités distinctes, mais comme un
seul et même dieu, ainsi qu'ils figurent sur une stèle trouvée à Bosra [RB., 19(i5, p. 593) et
dans une autre dédicace gréco-nabatéenne, provenant de Umm el-Gimàl, dont le texte grec
du moins porte AOYCAPEIAAPPA- — Voir dans le Florileginm dédié à M. de Vogiié,
p. 300, 383 s.

REVUE BIBLinUE l'Jll. — N. S., T. VIII, 18


274 REVUE BIBLIQUE.

Le qu'on ne connaissait point de monument daté de Rab'el 11,


fait

postérieur à l'an 26 de son règne, soit lan 96 de notre ère, favorisait


encore cette hypothèse; car entre 96 et 106, époque de la transforma-
tion de la Nabatène en province romaine, il y avait un espace libre
suffisant pour loger le nouveau roi.

Les arguments de M. Dussaud ont paru très sérieux à M, Clermont-


Ganneau. Il a noté seulement la possibilité de voir dans la dévotion de
Rab'el II pour le dieu A ara, « un héritage de ses ancêtres, notam-
ment de ceux qui avaient porté le même nom que lui ». Dans ce cas
ilne serait plus nécessaire d'identifier les deux Rabel de l'inscription
de Imtàn et de celle de Hégrà, et on pourrait toujours considérer le
Malikou, du règne duquel ce dernier texte est daté, comme identique
à Malikou II, successeur de Arétas IV et père de Rabel II (1}.
Schûrer a objecté que la stèle de Imtàn pourrait bien avoir été
dédiée par un simple esclave, Mun'at, au dieu de « son maître » et
que dès lors il ne serait nullement question ici du dieu de Rab'el. En
second lieu, le Rabel de l'inscription de I.Iégrà serait un individu
quelconque et non point le roi Rab'el II (2). M. Dussaud a répondu à
cesdeux objections (3) et les épigraphistes lui donneront assez volon-
tiers raison; car ils sont généralement d'accord pour affirmer que,
dans l'épigraphie nabatéenne, l'expression « notre maître » (x:s">g)
est un terme consacré pour désigner le souverain actuellement ré-
gnant (i D'autre part, il n'est guère possible de douter que « A'ara,
>.

dieu de notre maître, (dieu) qui est à Rosra », ne soit le même que
((A'ara qui est à Ro^;ra, dieu de Rab'el », et que par conséquent
« notre maître premier texte, ne corresponde à Rab'el dans
», dans le

le est fondamental, l'hypothèse de M. Dussaud


second. Sur ce point qui
nous parait beaucoup plus vraisemblable que toutes les suppositions
qu'on a pu faire en sens contraire et pour arriver à la détruire il fau-
drait pouvoir fournir des arguments plus positifs. Mais il faut avouer
que, sur un autre point, cette hypothèse vient de subir un rude coup.
Nous avons dit plus haut que ce qui favorisait beaucoup l'introduc-
tion d un nouveau souverain dans la liste des rois de Nabatène était

Clermom-G.vnneal, Rec. d'arch. orient., IV. p. 178.


(1)
E. ScHÙRER, Geschkhte des Jitd. Volkes, I, p. 742.
(2)

(3) R. DussAtD elF. Macler.


Mission..., p. 72.

(4) LinzBARSKi, Ei>heiiteris, I, p.


331. —
M. Clermont-Ganneau, Recueil, VI, p. 324, s'est
appuyé la-dnssus pour dater la grande inscriptioa nabatéenne de Pétra de l'époque où il y
avait encore des rois nabatéens. Son opinion a été favorablement accueillie, Dalman, Pefrn,
p. 47 C. Plchstein, Die nabatàischen Grabfassaden. p. 25 s., dans le Jahrbuch des Kaiser.
;

Leutsch. Archiio. Instit., 1910.


MÉLANGES. 27 n

l'espace de dix ans laissé libre, entre la dernière année connue de


Rab'el (2G = 96 de .I.-C. j et la transformation du royaume de Naba-
tène en province romaine (106). Or voici que cet espace libre vient
d'être supprimé par un simple
graffite, daté de Tan 35 ou
^ 1 \j ")

^/ H
J
"l \
h\J
)L
[j^
\^
36 de Rab'el. J

Nous avons copié ce graffite


J^j ^J ^^-^^/^ J^J
^"""'^
1), au printemps de 1909.
(fig-. '

j j. j . -, .
1
Fig. 1. — GrafGte nabatéende Seqeiq
i ed-Dib.
-
près du gadir de ."^eqeiq ed- -«
-

Dib, sur la route de Médâïn-Sâleh à Teimâ (1), à trente-cinq kilomè-


tres environ au nord-est de la première de ces deux localités.
Voici la teneur de ce petit texte, assez insignifiant par lui-même,
s'il ne nous fournissait une date fort intéressante.

Il": 12 niiz CTC; Salut! Bagral fils de Nadirou,


Sî<mS 36 T\ZX:i en Van 36 de Jîab'el.

Le nom de Bagrat était bien connu en nabatéen; celui de Nadirou


est nouveau. On trouve l'équivalent -«7: dans les inscriptions safaïti-
ques (2). La racine arabe ,--J « vouer » et le syriaque l'v « vœu »
fournissent un sens excellent pour l'analyse de ce mot (3). On remar-
fjuera le point placé sur le reL très vraisemblablement à dessein, pour
le distinguer du " qui précède.
Les trois premiers chiffres de la date sont très nets et d'une forme
assez courante pour ne prêter à aucune confusion. Il y a clairement
20 + 10 + 5, soit 3.5. On peut se demander seulement si la petite
barre greffée sur la queue du 5 représente réellement un chiffre ou
bien un petit trait accidentel, et par conséquent, s'il faut lire 35 ou
36. le signe en question nous parait trop clair
Malgré son exiguïté,
pour qu'on n'en tienne pas compte nous croyons qu'il faut v voir le
;

chiffre 1 et s'arrêter de préférence à la lecture 36.


Le Rabel mentionné ici ne peut pas être Rabel I, connu par la
dédicace de sa statue à Pétra, et qui ne fit que passer sur le trône, vers

(Ij Lors de noire seconde Mission en Arabie, confiée i)ar la Société Française des Fouilles
archéologiques. Nous espérons pouvoir publier, durant le cours de l'année, les résultats
de cette expédition et de celle de 1910. En attendant nous transmettons ici tous nos
j
remerciements à Société et et à son Président, M. Babelon, qui veulent bien nous per-
la

mettre de communiquer aux lecteurs de la Revue quelques-unes de nos découvertes.


(2) R. DtssADD et F. Macler, Mission... n° 219. — De VociiÉ, Sjjrie centrale. Inscrip-
tions, n" 228, pi. 30.

(3) Voir aussi le nom propre Yaolt, I, p. 723 et les noms de tribu
-''f^^ yr.--^i

,
«^a^l yj y}JJi. pjj Ju, Ib\ DoREiD. 190 13. 302 19.
276 REVL'E BIBLIQUE.

87 av. J.-C. Personne ne songera non plus à y voir un souverain de


même nom, inconnu jusqu'à ce jour, qu'on placerait aux débuts de
la liste des rois de Nabatène. L'hypothèse serait par trop invraisem-
blable et la forme des lettres du graffîte s'oppose à une pareille anti-
quité. C'est donc de Rab'el II qu'il s'agit. L'inscription de Demer,
CIS., II, avènement au trône en l'an 382 de l'ère
n" 161, fixe son
des Séleucides, 71 de notre ère (1) celle-ci nous donne nécessaire-
;

ment la dernière année de son règne, puisque au printemps de l'an


106 Trajan faisait de la Nabatène une province romaine. Dès lors
aussi, il y a bien des chances pour que Rab'el II soit le dernier roi
nabatéen.
Néanmoins il ne faudrait peut-être pas trop se hâter de conclure,
car nous sommes encore fort mal renseignés sur les derniers jours du
royaume de Nabatène. Nous ignorons complètement les circonstances
qui purent donner lieu à son anéantissement et la manière dont il
fut absorbé par l'Empire romain. On admet assez communément qu'à
lamort de Rab'el II, Rome ne lui reconnut point de successeur et s'an-
nexa purement et simplement, sans coup férir, les états de ce
monarque auxquels elle donna « la forme de province (2i ». Mais cette
annexion ne se fit peut-être pas sans quelques protestations de la part
des Nabatéens. En tout cas, la limite orientale de la nouvelle pro-
vince d'Arabie ne dépassa guère l'oasis de Ma an et il y avait loin de
là encore jusqu'à Hégrà. Rien d'impossible donc à ce qu'un parti
nationaliste se soit retiré dans cette contrée, hors d'atteinte de la
puissance romaine, et ait essayé de conserver une ombre de l'ancien
royaume en donnant à Rab'el II un successeur, Malikou, dont la stèle
de Hégrâ nous aurait conservé le souvenir et le nom. Cette stèle, on
se le rappelle, est de l'anI de Malikou, Il suffirait donc en somme,

pour que celui-ci eût été proclamé roi de n'importe


justifier la date,
quelle façon et si éphémère qu'eût été sa royauté (3 1.

Pure hypothèse sans doute, mais qui n'est pas dépourvue d'une
certaine vraisemblance. Nous la présentons pour ce qu'elle vaut sans
lui attribuer plus d'importance quelle n'en mérite; car il est pos-

(1) Si on s'arrête à la lecture 36 pour la date du graffile, celui-ci sera tout à fait des
derniers jours du règne de Rab'el, puisque c'est au printemps de l'an 106 que fut fondée la
province d'Arabie.
(2) RB., 1897, p. 289, 295 etc.
(3) Il serait maintenant difficile, et même moralement impossible, de supposer que l'ins-
cription d'Umm er-Resâs, datée de l'an 2 de Malikou, se rapporte au règne de Malikou III,'

ainsi qu'avait cru pouvoir le suggérer autrefois M. Dussaud (R. Dussald et F. Macler,
Voyage..., p. 173).
MELANGES. 277

sible qu'une nouvelle découverte épigraphique vienne bientôt la rui-


ner etachève de faire rentrer dans l'omijre le prétendu Malikou Ili,
comme il est possible aussi qu'elle donne définitivement à ce souverain
droit de cité dans la liste des rois de Nabatène.

PP. .Jaussex et Savignac.

m
DEUX EX-VOTO BABYLONIENS
Henry Marcopoli (Alep) a bien voulu m'envoyer l'empreinte en
1.

cire très bel ex-voto kassite qui figure dans sa collection.


d'un La
pierre, qui mesure i centimètres en longueur, 17 millimètres en lar-
geur et 12 millimètres en épaisseur, porte sur le bord la représen-
tation du personnage qui dédie l'objet. C'est bien un Kassite au bonnet
pointu. Il est daus la posture de l'adoration. J'ai copié, d'après l'em-
preinte, l'inscription votive tig. I . dont voici la transcription et la

BORP

FACE [> I> t^ D> >9

BOKD \

KEVEHS

traduction a-na iilu) Si'f-ga-mu-na l-li ba-ni-sû^Kur-in-da-ar


'^~

:
^

'' mâr Na-zi-ilu Marduk ' a-na balàti-^û hu-nd ^'ni-si-e a'-ab-éi'f
278 RE\'UE BIBLIQUE.

"'
ù ur-ta-m ^su-itl-hi-mi is-ni-iiq : Au dieu Sougamouna, son dieu ((

créateur, Kour-Indar, fils de Nazi-Mardouk, pour la joie de sa vie,

réloignement de son ennemi et raccomplissement de son décret,


a voué. »

Le dieu Sougamouna est le coryphée du panthéon kassite-baby-


lonien.On remarquera bien qu'il est écrit avec la syllabe ga et

non qa (comme en babylonien ou eu assyrien). C'est cette forme,


Si(-ga-mu-na, qui figure dans le vocabulaire kassite. Le nom de
Kur-Indar ofTre le plus grand intérêt. Nous n'hésitons pas à recon-
naître dans Indar, le dieu aryen Indra qui est invoqué, sous la forme
In-dar et In-da-ra, dans les textes de Boghaz-keuï {\). On sait que
des divinités indo-européennes figurent dans le panthéon kassite :

tels Sianas ou Si(n'a:< (= sanscrit ^«r/ya « le soleil ))),Bunas (:= Bopix: .

Borée). Le père de Kour-Indar, Nazi-Mardouk, porte un nom bien


kassite, comme en fait foi l'élément Nazi (cf. Nazi-Marouttas, etc.).
Chez M. André Marcopoli Alep) j'ai pu copier, au mois d'août
2. i

1910, l'inscription d'un ex-voto de Nabuchodonosor IL Elle est gravée


très artistiquement, à la fine pointe, sur le pourtour du cercle noir d'une
agate taillée horizontalement dé façon à ce que les parties noire et
blanche forment deux cercles concentriques, simulant vaguement un
œil, la partie noire constituant la prunelle. Le diamètre de la pierre
est d'environ 37 millimètres. Voici l'inscription (fig. II) : aiia (ihi)
Marduk Nabiwn-kudiirru-imir sar Bdbili mdr [ilu) Na-
bêli-hi {ilu)
biwn-apla-umr ana balâti-ki iqU : a Au dieu Mardouk, son seigneur,
Nabuchodonosor, roi de Babylone, fils de Nabopolassar, a offert pour
sa vie. » Le musée de la

JL^ L 1 1 1 ij __j _ n .,.-4


milaire.Un autre, mainte-
^^ JtTBÎ >•>>• 'y ^^^^.9 nant au musée de Berlin, a

^\^
^^ '
<^1
^
-^ *
**^
I>iî$=34-#ii
^^^ ''*'*''^ ^ l'époque gréco-
romaine comme camée et
on y a représenté une tête

H casquée (2). L'inscription


qui la borde est, d'ailleurs,
plus courte que la nôtre (il
manque les mots « fils de Nabopolassar >/). Il nous parait tout à fait

invraisemblable — d'après l'aspect de la pierre que nous avons eue

(1) Cf. WiNCKLER, Milt. der deutsch. Orient-Gesellschofl, n" 35, p. 51 et HB., 1908,
p. 314.

(2) A. Jeremias, Dus aile Testament Im Lichte des Alten Orients, V éd., p. 532.

fig. 178.
MÉLANGES. 279

entre les mains — que ces ex-voto aient servi à figurer les yeux
dans une statue de Mardouk, comme on la admis quelquefois (1 .

Fr. P. DuoRME.

IV
QUESTIONS DE CRITIQUE LITTÉRAIRE
ET D'EXÉGÈSE TOUCHANT LES CHAPITRES XL SS. D'ISAIE

Suite)

D'après le P. Condamin. le lecteur s'en souvient, les « choses an-


ciennes » {oîc « prrci'de/ites »), au chapitre xlviii. 3-8, seraient
l'œuvre de Cyrus qui a été célébrée dans poèmes des chapitres les
XLXLvii les « choses nouvelles » seraient la mission et l'œuvre du
;

Serviteur de Jahvé qui seront chantées dans les poèmes xlix ss. Et
de cette « exégèse si logique », le P. Condamin concluait que le cha-
pitre XLVIII est un poème de transition. Je soutiens au contraire qu'au
chapitre XLvni. exactement comme aux chapitres xl ss.. les " choses
nouvelles » sont, non pas précisément celles dont il sera question à
partir du chapitre xlix en opposition avec la teneur des chapitres xl
ss., mais simplement la délivrance des captifs et la restauration d'Is-
raël à amener par le triomphe de Cyrus les u choses anciennes » sont
;

les faits du passé. Le chapitre xlviii renferme le discours de clôture


de la première partie, dans lequel le prophète explique pourquoi
Jahvé a attendu jusqu'à ce jour d'annoncer les *> choses nouvelles
dont il a été question précédemment et réitère les divines assurances
du prochain salut.
Lisons le chapitre xlviii. Xous en donnerons, sous forme de notes
auxquelles il est renvoyé dans le texte, un commentaire en rapport
avec la théorie du P. Condamin.
Le discours commence par une parole de reproche à l'adresse d'Is-
raël (v. 1), et Jahvé y rappelle les motifs de dé-
à plusieurs reprises
tiance et de mécontentement que lui a donnés la conduite du peuple
rebelle (vv. i, 5, T, 8, 18 s. A cette infidélité il oppose les procéder^
.

fpi'il a suivis et qu'il suit encore à l'és-ard du peuple :

(1) A. Jereotas. loc. cil., n. 1.


280 REVUE BIBLIQUE.

3 « Les choses anciennes (r":'j:N^~', je les prédis jadis (1); je [les


annonçai, elles ma bouche
sortirent de et je les lis connaître; sou-

dain je les accomplis et elles arrivèrent (2); 4 car je sais que tu es


dur et que ton cou est une barre de fer et ton front d'airain. 5 Je les
prédis jadis, avant l'événement je te les fis connaître, de peur que tu

ne dises : mon mes images taillées et fondues les


idole les a faites et
ont ordonnées. 6 ... C'est dès maintenant que je te fis connaître des
choses nouvelles (m'^inn) (3); [choses] réservées et que tu ne connais-

(1) Le p. Condamin traduit très bien : le passé, je l'ai prédit jadis: le sens de •rxîZ

n'est pas ici d'avance, comme le contexte immédiat pourrait sembler le faire croire et
comme Skinner le comprend. 11 y a, en effet, anlilhèse entre 7x^2 au v. 3 et nnyc au
T. 6 : entre les prédictions dont les choses anciennes furent l'objet jadis, et celles concer-
nant les choses nouvelles maintenant.
(2) J'ai noté à ce propos que les prédictions touchant les choses anciennes « sont expli-
citement marquées ici comme déjà accomplies », tandis que la conquête de Babylone ne
moment, être considérée comme un fait appartenant au passé. Le P. Con-
pouvait, en ce
damin demande pourquoi la conquête de Babylone ne pouvait, en ce moment, être consi-
dérée comme accomplie? {RB., 1910, p. 206). Parce quelle est considérée comme devant
encore s'accomplir (voir plus loin vv. 14-13). « ... Dans l'opinion des critiques (qui font
vivre l'auteur d'Is. xl ss. à l'époque de la captivité), rien n'empêche, dit le P. Condamin.
de supposer un intervalle de temps entre la composition des quatre pi-emiers poèmes et
celle du poème de transition et des quatre derniers » [HB., 1910, p. 207). Il est donc en-

tendu que dans les quatre premiers poèmes, la conquête de Babylone n'est pas encore
censée accomplie. Mais il n'est pas admissible, ni dans l'opinion traditionnelle, ni dans
celle des critiques, que le prophète au chapitre xlvui, eût continué à parler de « choses
anciennes » et de « choses nouvelles », comme
aux chapitres xl-xlvii, en don-
il l'avait fait

nant à ces termes une portée ou une extension différentes. Voir plus haut 3 IL A, S**. Le —
lecteur voudra d'ailleurs se rappeler que quand je parle de la « conquête de Babylone » par
Cyrus comme terme opposé aux « choses anciennes «, je vise par là non seulement le simple
lait de la prise deBab\Ione, mais en même temps la délivrance d'Israël et le saint à pro-

curer par Cyru.v; j'avais suffisamment indiqué cela en exposant l'état de la question (IW.,
1909, p. 510). Or, jusque dans les poèmes suivants (xux ss.), le prophète continue à envi-
sager constamment la fin de la captivité, le retour de l'exil et la restauration comme encore
futurs; mais ces bienfaits, d'après le point de vue des chapitres xm\ ss., seront l'élément
préliminaire de l'œuvre du Serviteur de Jahvé. C'étaient ces mêmes hienfaïls, procurés par
l'entremise de Cyrus et inaugurés par la conquête de Babylone, qui étaient, dans les cha-
pitres XL-XLVU, les « choses nouvelles »; au chap. xlviii, où Cyrus occupe encore l'horizon
du prophète (vv. H-15), ces événements ne sont pas encore supposés accomplis; ici, pas plus
que là, ils ne sont donc compris parmi les « choses anciennes « appartenant au passé. =
(3) Je te fis connaître ninî/Gw'ri au parfait, comme au v. 5) des choses nouvelles

dès maintenant ^= seulement dès maintenant, pas autrefois, pas plus tôt, comme le pro-
phète l'ajoute aussitôt avec insistance et comme le contexte l'exige.
a) D'après Condamin, il faudrait voir ici l'annonce de prédictions nouvelles qui seroni
du chapitre xux Autrefois je t'ai prédit les choses anciennes; dorénavant je
faites à partir :

te fais entendre des c/ioses nouvelles. Ce présent serait à comprendre au sens du futur.

J'ai remarqué que celte interprétation contredit ouvertement le sens du texte « Le pro- :

phète s'exprime au parfait, "j'ir"72w*n je t'ai fait entendre des choses nouvelles... On
peut certes traduire au présent : Je te fuis entendre..., mais à la condition de donner à

ce présent une portée telle qu'il s'applique à la prédication du prophète considérée dans
toute son étendue, y compris notamment ses discours précédents dont celui du cha-
MÉLANGES. 281

pilre xLviii ne sera que la continuation ou


Il ne s'agit en aucun cas de pré-
la répétition.

dictions qui seront proclamées pour aux chapitres xlix ss., à l'exclusion
la |)reniière fois

des chapitres xl-xlvii » [RB., 1909, p. 510J. Que répond le P. Condarnin? ... Le parfait <(

peut s'employer fort bien pour une action future, si cette action est fermement résolue.
Pareil usage est même fréquent... » (RB., 1910, p. 205). Sans doute, et pas n'était besoin
de citer Driver et Kaulzsch pour le prouver. Il fallait prouver que le parfait peut s'em-
jdoyer pour une action future, quand il s'agit de signifier l'action future comme telle
en opposition avec l'action passée. Condarnin cite à l'appui de sa version Skinner. Reuss,
Driver qui traduisent au présent; mais ces auteurs n'attribuent pas à ce présent la valeur
du futur et tout est là! Il s'agit, d'après eux, de l'action présente.' X'ai-je pas moi-même
faitexpressément remarquer qu'on pourrait traduire au présent : Je te fais connaître:''
Mais n'abusons pas d'une équivoque. .\u reste, quand, après avoir dit au v. 5 « Je les :

prédis (les choses anciennes) jadis (7NC), avant l'événement je te les fis connaître

(""nyCkT") », le prophète poursuit par le même verbe également au parfait :


";irv>2''w~
nn^C D"w*~n, l'antithèse ne porte pas sur les notions à exprimer par le temps du verbe,
mais uniquement sur celles exprimées par les particules circonstancielles 7X^2. "ryc :

" Je te lis connaître les choses anciennes depuis longtemps, — je te fis connaître les
choses nouvelles seulement dès ce jour! » Le commentaire de Dillmann porte « Je Vai :

fait entendre des choses Le parfait est correct, parce qu'il exprime une ré-
nouvelles :

férence à ce qui a déjà été exposé dans le livre ». C'est catégorique et c'est juste.
'0 nn"Q, dans notre passage, ne signifie pas simplement dorénavant ; la particule ex-

prime, non pas par voie de pure affirmation, mais par voie de restriction, une antithèse
avec 7XQ aux vv. 3, 5; cette antithèse est marquée avec emphase aux vv. 7-8 : « .-l présent,
pas jadis... » Le sens est C'est seulement aujourd'hui que je te fis connaître des choses
:

nouvelles. Le contexte réclame ce commentaire. C'est maintenant pas jadis, que Jahvé a ,

lait connaître les choses nouvelles. « de peur que tu ne dises : voici, je les savais.'...

Car je sais que tu es rebelle!... « Si le peuple avait été instruit plus tôt des choses nou-
velles, il aurait oublié qu'il était redevable de cette connaissance à Jahvé et ne lui aurait
jias rendu la gloire qui lui revient de son œuvre. Tout le passage 3-8 expose les procédés

que Jahvé s'est vu obligé de suivre à l'égard du peuple rebelle, pour sauvegarder son hon-
neur. Jadis il lui a annoncé « les choses anciennes » d'avance, de peur que le peuple n'en
rapportât le mérite à ses idoles; et ce n'est que maintenant qu'il lui a annoncé les choses <

nouvelles », il a attendu pour cela que les événements fussent à la veille de se produire,
pour la même raison. Le prophète a évidemment en vue des événements qui, au point de
vue du peuple captif, sont imminents. Entre la i)rédiction, conçue au point de vue indi-
qué, et l'événement, il ne pourra pas s'écouler un temps assez long l'our que le peuple
puisse encore se méprendre sur l'origine de la connaissance qu'il en a reçue ou trouver
l'occasion de dédaigner les rappels qui lui seraient adressés. Or, ces événements immi-
nents, quels pourraient-ils être, sinon la délivrance de la captivité et la restauration an-
noncées comme
choses nouvelles et imminentes déjà aux chapitres xi.-xlvii (comp. xliii,
18-19...)'?Le P. Condarnin répond {RB., 1910, p. 207) que « toute cette explication pré-
suppose comme acquis le sens donné au chapitre xlviii par M. Van Hoonacker •. Pardon;
elle ne le présuppose pas, elle l'expose en serrant rigoureusement le texte. Le P. Condarnin

ajoute « La réponse est facile


: ... la pensée développée au chapitre xlviii avec l'exégèse
:

de M. Van Hoonacker. ne s'accommode guère de l'interprétation du P. Condamin, sûre-


ment ... » Sans doute, c'est suivant mon exégèse que je comprends le texte, pas suivant
celle d'autrui; mais il ne suffit pas, j'espère, de constater qu'elle est la mienne pour prou-
ver qu'elle est fausse ou pour établir qu'elle m'est propre à moi seul.
(•) Des observations qui précèdent, il résulte que le prophète aux vv. 6-8 ne veut pas dire

que jusqu'au moment précis où il compose le discours du chapitre xlviii, en opposition


avec le temps où il composa les discours des chapitres xl-xlvii, on n'a jamais rien entendu
des choses nouvelles qu'il annonce. 11 veut dire (ju'avant lui, avant qu'il n'apportât à
Israël le message de délivrance dont il est chargé et dont il est en train de s'acquitter de-
282 REVUE BIBLIQUE.

sais pas; 7 à présent elles furent créées d), pas jadis; et avant ce
jour tu n'en as rien entendu, de peur que tu ne dises : voici, je les
savais! 8 Tu n'en as rien entendu, tu n'en as rien su, ce n'est point
depuis jadis que ton oreille fut ouverte, car je sais que tu es rebelle
et quoii t'appela prévaricateur dès le sein. 9 A cause de mon nom
j'arrête ma colère, et pour mon honneur je me contiens à ton égard
pour ne point t'exterminer... 11 C'est à cause de moi, à cause de
moi que je le fais ... et je ne donnerai ma gloire à nul autre! (2i.
12 Écoute-moi, .lacob,... moi je suis le premier et je suis aussi le
dernier; 13 c'est ma main qui a fondé la terre et ma droite qui a

déployé les cieux; je les appelle et en même temps ils se présen-


tent! 14 Assemblez-vous tous et écoutez! Qui parmi eux annonça
ces choses? Celui que Jahvé aime accomplira sa volonté sur Babel
et sur la race des Chaldéens! (3). 15 C'est moi. c'est moi qui l'ai

puis le chapitre xl. ou n'avait point entendu annoncer ces choses.Il veut inculquer en par-

pourquoi Jahvé, qui a déjà souvent parlé autrefois pour annoncer d'avance les évé-
ticulier
nements qui devaient se produire, a attendu jusque maintenant d'envoyer à Israël, en
termes précis, le message de la prochaine délivrance.
(1) Créées, appelées à l'existence par la parole divine. Je traduis le parfait 1X12- par le

passé : furent créées; non pas que par lui-même ce parfait ne pût se traduire elles
elles :

sont créées, de manière à signifier l'état de création mais parce que le passé, signifiant l'acte
;

de création, me semble mieux en harmonie avec le contexte et avec l'exigence des circons-
tances historiques. La « création » en vue n'est pas envisagée du coté de l'effet, car les choses
nouvelles n'existent pas encore; elle est envisagée du côté de l'acte créateur; et celui-ci est
déjà censé posé,comme il est impliqué dans la proposition négative elliptique pas jadis. :

Les vv. 9, 11 indiquent clairement que Taccomplissement des « choses nouvelles an-
(2)
noncées aujourd'hui » (6-8) marquera l'apaisement de la colère de Jahvé contre son peuple
(comp. Is. XL, 2, etc.). La colère divine s'était manifestée par la dispersion de la nation.
Les « choses nouvelles » Jahvé n'exter-
consisteront essentiellement dans la restauration :

minera pas Israël !

\o) Dans le passage 12-15... Jahvé annonce le triomphe de Cyrus sur Babel. Cette procla-

mation est un développement des vv. 9 ss. où Jahvé vient de dire que c'est pour l'honneur
de son nom qu'il accomplira les « choses nouvelles ». Aux vv. 17 ss., c'est toujours la pen-
sée de la prochaine restauration d'Israël dont s'inspire le discours : si Israël avait été fi-

dèle, jamais l'épreuve de l'exil ne l'aurait atteint. Enfin, au v. 20. le discours se termine
l>ar un appel triomphal à quitter Babel, dont la ruine est imminente et certaine. — Le
P. Condamin avait traduit le v. 14 avec la ponctuation comme suit :

Assemblez-vous tous et entendez!


Qui, parmi eux, a prédit ces clioses ("iNTlN) :

Celui que Jahvé aime accomplira sa volonté


Sur Bab>lone 'et la race* des Chaldéens?
J'ai fait remarquer que le double point après le second stique devait être remplacé
par un point d'interrogation et le point d'interrogation après le quatrième, par un point
d'exclamation. Le v. 14'' n'a pas, en effet, le caractère d'une remémoiation d'une pro-
phétie ancienne, c'est une prédiction catégorique. Le P. Condamin répond {HB., 191u,
1> que le pronom ."i^j^ peut se rapporter à ce qui suit aussi bien qu'à ce qui précède,
206)
et qu'en supposant le contraire, mon interprétation « ressemble un peu à une pétition de
principe ». Mais!... où ai-je dit ou supposé que n^XTN se rapporte à ce qui précède? Les
MÉLANGES. 283

dit! Je Fai appelé, je lai amené et il réasira dans sa voie! 1)... »

L'explication du chapitre xlviu, que je viens de remettre sous les


yeux du lecteur, a-t-elle le grave inconvénient d'être « en contradic-
tion explicite avec au moins deux passages, où le prophète déclare
solennellement que la mission de Gyrus est prédite depuis long-
temps, à savoir xu. 26 et xlv. 21 », passages que j'aurais, « fort
adroitement du reste, expédiés dans une petite note de trois lignes » ?
(7?^., 1910, p. 201 s. .

Voici cette petite note : «. En termes généraux, y ai-je dit, lassu-


rance du salut prochain était impliquée dans les anciennes pro-
messes. C'est ainsi qu'il faudrait comprendre xlv, 21. si ~p^ y figu-
rait dans son sens ordinaire, et non pour signifier simplement d'a- :

vance, comme c'est le cas pour rN''2 xli. 26 » RB.. 1909, p. 51 1>
Donnons à cette note de trois lignes un peu de développement.
1** XLI, 26 porte d'après la traduction de Condaniin :

Qui jadis (u\\"'*2 Ta prédit et nous l'a fait connaître


à l'avance pour qu'on dise : C'est juste I

Personne ne l'a dit, personne n'a parlé ;

personne n'a entendu vos paroles.

a) Supposons que w s'^'2 signifie ici Jadis. Que seosuit-il'? Il s'ensuit


que Jahvé constate cjue les dieux des paie as n'ont jamais, à aucune
épociue connue du passé, annoncé V apparition de Cyrus et que par
conséquent la gloire de l'avoir suscité, le mérite de prédire son œuvre
de salut lui appartiennent à lui seul vv. 25, 27). La question
( : (lui ...

ralsous pour lesquelles la ponctuation et l'inlerprétation du P. Condaniin ne sont jamais


venues à la pensée d'aucun exégète, ce sont que j'ai indiquée dans mon article
:
1" celle

[RB., 1909, p. ôlO, note 3j, savoir qu'il aurait dû paraître absurde de supposer que les faux
dieux eussent eu à prédire que celui que Jahvé aime, accomplira sa volonté! Et puisque
:

cette première raison n'a pas suffi au P. Condaniin, 2° cette autre raison que le prophète
aurait dû se servir du pronom pxT au singulier, et pas de n^X au pluriel pour exprimer
la notion qu'on lui prête. Le pronom ."T'N vise, non pas ce qui est énoncé dans, la parole
du V. l^*", mais les faits auxquels cette parole se rapporte. 3' Le contexte exposé plus haut :

ce que les Israélites sont solennelieniHnt invités à écouter, c'est l'oracle du v. li*" avec le
développement qui suit. La question incidente au v. 14^-; a pour objet de rappeler en pas-
sant que Jahvé est seul à prédire d'avance le triomphe de Cyrus comp. xu, 22-23, 27;
voir plus haut f.
II, B, 2°).

(1) n*"'^]»!"!* à la troisième personne du parfait consécutif: le succès final de Cyrus est
encore futur; litf. : il fera 7-éi(ssir sa voie. Le grec x^l cOûôto-ra. n'est qu'une traduction
libre exprimant le même sens et n'autorise pas une modification du texte. La. distinction
entre la vocation de Cyrus et l'achèvement de son œuvre est marquée en termes tout aussi
explicites, par exenjple xlvi, 11-13; voir plus haut S H, B, 6°.
.284 REVUE BIBLIQUE.

l'a prédit? D"a pas le sens Qui de vous ou de moi? et la réponse at-
:

tendue n'est pas C'est moi.' Gomme le texte le porte expressément,


:

la réponse attendue est Personne! La question signifiait donc


: Qui :

parmi les dieux des païens?... (1). Notons en outre qu'il ne s'agit pas
dans cette question du salut d'Israël à procurer par Cyrus, mais de
l'apparition de Cyrus sur la scène de l'histoire. Or d'après mon inter-
prétation des chapitres xl-xlviii, c'est la mission de Ci/rus à l'égard
r
d'Israël qui forme la substance des « choses nouvelles » prédites au-
jourd'hui.
b) Delitzsch sur xli, 26 remarque « trxrz... in relativem Sinne ))",
:

1
c'est-à-dire : « in der Anfangszeit der hiermit zu einem Zielpunkt
gelangten Geschichte » (p. 430); Gheyne : « Fro?}i the beginning, i.

e., with référence to the period culminating in the career of Gy-


rus ». Duhm explique plus nettement : « Kein Gott hat Gyrus Siège
von Anfaug an, vor seinem Auftreten, vorhergesagt » Marti de ;

même « Wer hat voq den Gôttern von Anfang an, schon im Voraiis,
:

, Gyrus' Siège verkiindet? » etc. Skinner ne fait aucune observation et


c'était en effet superflu. Littéralement le texte devrait se traduire :

« Qui l'a annoncé trN'"^G, que nous en eussions connaissance , — et

d'avance, que nous disions : c'est juste! » Non seulement le parallé-

lisme entre les deux stiques, mais le lien logique entre les deux élé-

ments du premier montrent que l'idée exprimée ici équivaut à dire


que personne parmi les dieux des païens n'a annoncé Cyrus dès ce
moment, où il n'avait pas encore paru; c'est-à-dire d'avance. Il — :

ne s'agit pas ici de la notion que la formule exprime par elle-même;


à cet égard le doute n'est pas possible; mais de la manière dont cette
notion est déterminée, de l'application qui en est faite dans notre
passage.
2" « Mais le second passage est encore plus fort » (Gondamin, 1. c,
p. 202). Voici le second passage (xlv, 21) d'après la traduction du
P. Gondamin :

Parlez, exposez, oui, consultez ensemble!


Qui jadis iDTp'C) a publié cela?
Qui autrefois "îN'C) en a parlé?

a) Il est question en effet dans les strophes précédentes du salut


d'Israël à procurer par Cyrus. A supposer qu'il faille entendre ici

0"ip)2 au sens ab initio, olim, longe antea, von Allers, in der Vorzeit,

(1) Comp. Dillmann, in h. l. Aus der Anlwort ... versteht sich, dass "1Q nicht ineint
: :

wer anders als ich? sondern wer unter euch, Gôtlern? ... Dass die Siège des Cyvûs
:

lange zuvor von Jahve geueissagt worden seien, ... sleht hier nicht.
MELANGES. 28o

in der Urzeit, etc. Condamiu, 1. c. p. 203 , il faudra de toute néces-


sité expliquer le passage par la considération exposée dans ma petite
note de trois lignes, à savoir qu"« en terme^^ généraux Vassurance du
salut prochain était impliquée dans les anciennes promesses » (1;.
Car il est tout à fait invraisemblable que le prophète ait voulu en
appeler à d'antiques oracles où l'œuvre de Cyrus aurait été annoncée
en termes explicites, comme l'auteur de nos chapitres xl-xlvih le fait

en exposant (c les choses nouvelles ». La contradiction 'explicite ou im-


plicite) avec mon explication du chapitre xlviii se trouve ainsi écartée.
b Mais est-il nécessaire de comprendre -~~.^ au sens de ab initio,
olim, in der Urzeit, etc.? Dans la petite note précitée, j'ai réservé
l'hypothèse où l'on préférerait entendre l'expression comme signifiant :

d'avance. Condamin lui-même traduit 2~pT par d'avance, Is. xlvi,


10, le seul endroit de cette section du livre à'Isa'ie où l'expression se
présente en dehors de celui qui nous occupe. Il se plaint seulement

de n'avoir trouvé aucun exégète qui explique z~":*2 de cette manière.


XLv, 21. En connaît -il beaucoup qui l'expliquent de cette manière xlvi.
10? Knabenbauer, Hitzis, Reuss. Delitzscli. Dillmann. Driver (2),
Cheyne, Duhm etc. s'accordent à trouver à z"":': la même valeur xlv,
21 et XLVI, 10. Et il est à noter que dans xlvi. 10 z~p'2 fait parallèle
à r"wN"'*2 commencement, ce qui ne semblerait pas de na-
depuis le

ture à recommander d'une manière spéciale pour ce passage l'in-


terprétation admise par Condamin. Si malgré cela Z"":*! peut signifier
d'avance dans xlvi. 10. pourquoi pas dans xlv. 21?
Le P. Condamin se rend parfaitement compte que la vague signi-
tication de certaine>> particules hébraïques
déterminer bien sou- est à
vent suivant le contexte, z-":^ peu importe pourquoi,
lui semble,
devoir être traduit par jadis dans xlv. 21 mais il préfère le sens de :

d'avance pour xlvi, 10. Quoi d'étonnant que "n*2 'litt, ex tune qui :
.,

^gniûe Jadis en antithèse avec maintenant au chapitre xlviii, pùt'si-


gnifier aussi cravance dans xlv, 21, où pareille antithèse fait défaut?
— Skinner remarque judicieusement sur xlv, 21 The phrase from :

that lime ("x^z should l)e rendered either beforehand or long ago.
Mais en aucun des deux cas se rappeler l'observation précédente.
sub a) il ne saurait être question de contradiction avec notre explica-
tion du chapitre xlviii.
A. VAX HOOXACKER.
Louvain. 11 mai 1910.

1 Coijip. les commentaires de Marti. Duhm, elc.


(2) Isaiak, his lifp and times. p. 188, la note 4 qui se rapporte à la fois à xlv. 21 et
ILTI. 10.
CHRONIQUE

INSCRIPTIONS DE JERICHO ET DE SCYTHO POLIS.

1. — Le tombeau de l'higoumène Cyriaque à Jéricho.

A l'angle nord-ouest du jardin de l'hospice russe à Jéricho, on a


récemment élevé une chapelle au-dessus de vestiges archéologiques
assez peu connus jusqu'à ce jour. Ces vestiges auraient été décou-
verts il V a quelques années déjà, mais ils ne sont devenus aborda-
bles que depuis l'érection du petit sanctuaire destiné à la fois à leur
rendre leur première et à les protéger soigneusement. Ayant
utilité

appris l'existence de ces restes grâce à l'obligeance du R, P. Féderlin,


supérieur des Pères Blancs à Jérusalem, nous avons pu les examiner
au cours d'un petit séjour fait à Jéricho en février dernier. La pièce
qui oUre le plus d'intérêt est un pavement de mosaïques de 2'", 97 de
long sur 2"", 77 de large, bordé par une torsade ocre et rouge courant
sur un fond gris-bleu. Cet encadrement a 0™,10 de largeur; il est in-
terrompu dans l'angle nord-est par une cuvette en mosaïijues dont
nous connaissons deux autres exemples, l'un dans le pavement en
mosaïques blanches situé sur le blocage de la propriété grecque des
environs du Cénacle [RB., 1911, p. 121, fig. 3), l'autre dans une mo-
saïque qui se trouvait sur l'emplacement occupé maintenant par
l'École biblique de Saint-É tienne.
La mosaïque de Jéricho se di\'ise en deux parties distinctes; la

plus grande présente une ornementation composée d'entrelacs rouge


et noir disposés en forme de médaillons dont le centre est occupé
par une croix ileurie. Elle a subi jadis quelques retouches, La
seconde partie plus restreinte contient une inscription en cubes gris-
bleu sur fond blanc, mesurant 0",82 sur 2°'.35. Comme elle n'a pas
été publiée, à notre connaissance du moins, nous en donnons ici une
copie et une transcription :

7 0T,y.r( ;j.a7.x,C'.ioj-:i-:cj Kjptajy.cj TTCE-ci^uTÉpcy) |


',y.a;i •/;Yci>[;.Évc'ji tcD (y.al]
CHRONIQUE. 287

TstopYtlou (*/.al) $(jL)C'r;cay.É,vo)


-f, àYuoTx! ty;) |
Xsa £y.Ar,7La t-^c| ivscEcj ©scr:-
7.c-j| àv l£5c;!7cX'j;j.C'.;. 'Ei-:jASj7-/;r£v ;j.-/;vi: sîy.îvccicu '.a , '.v;('.y.-:'.wvc; ;| is ,
.Sx^'.-

Tombeau du Bienheureux Cyriaque, prêtre et higoumhie, fonda-


teur du pieux oratoire du saint et illustre martyr Georges, bienfai-
teur de la très sainte église Neuve de la glaneuse Mère de Dieu à
Jérusalem. Il est mort le ii décembre de l' indiction quinzième, du
règne de notre maitre Flavius Jusiinus la deuxième année.
Plusieurs particularités orthographiques et quelques incorrections
sont à remarquer dans ce texte. Aussi tlevra-t-on restituer 1. 5, zjz-.t-

z'j.\j.vtz-j, — 1. 12, z^ùzr^zy.\}.vtz•Jf — 1. 13, ï-Ayj.r^ziji, — 1. 17, zv/.i'j.zziz-j^ —


1. 18, ,ja7'.A£ia^, — 1. 21, -z\/ ilvj-.i^z-j'

Le Cyriaque dont il est «juestion dans cette inscription ne peut être


le fameux anachorète de ce nom qui mourut en 556 dans la grotte
de saint Chariton où l'on vénérait encore ses reliques au wf siè-
cle (1). Jean Mosch a connu un autre Cyriaque qu'il qualifie de
prêtre de la Jaure de Calamon. située à une heure environ au sud-
est de .Jéricho (2). C'est ce personnage qui narra à l'hagiographe une
vision qu'il avait eue de laThéotokos celle-ci avait refusé de péné- :

trer dans sa cellule à cause de deux discours de Nestorius qui s"v


trouvaient à Tinsu du solitaire. Averti, Cyriaque se hâta de se défaire
des œuvres de l'ennemi de la Vierge, : -f,z \tz-z-:rr,z r^\jXù-) -.%z_ à'/iar
H£:T;y.;j... Ce même moine convertit à la foi catholique
£-/6?c; (3).

un frère nestorien du nom de Théophane (l). Le Cyriaque de Mosch


est donc présenté comme un vrai dévot de la Théotokos; il paraît
donc vraisemblable de l'identifier avec le bienfaiteur de Sainte-Marie
laNeuve de notre inscription. Celui-ci est mort le 1 1 décembre 566 :

or à cette époque Jean Mosch séjournait au monastère de saint Théo-


dose, aujourd'hui Deir Dôsi 5 .

Commencée par le patriarche Élie


(i9i-513 l'église de Sainte-Marie ,

la Neuve fut achevée sous Justinien. Après douze ans de travaux

(1) Acta SS., tome VIII, sept., pp. 148-158. Revue de V Orient chrét., 1904. pp. 348, 356.
Croisière autorir de la mer Morte, p. 155.
(2) nap£oà/o;j.ïv îtotï tw àêoà Kypta/.'-ô r.^zaô'j-i^M r?,; ).a-jpa; lo-^ Ka/aaùvo;.
Cap. XLVI :

Ces oûo ÀÔYoy; NeffTopio'j étaient ea appendice à un ouvrage d'Hésychius, prêtre de


(3)

Jérusaleno, mort vers 438. On remarquera à ce propos le contre-sens de la traduction latine


insérée dans Migne, P. G., 87, 2902. lil^rum... acceperam mutuo a heato Isijchio au lieu de
librum... beati Isijchii.
(4) Cap. xxv^.
Voir V.uLuÉ, Échos d'Orient, V, p. 108. L'hypothèse croule
(5^ si Mosch n"a connu
Cyriaque que lors de son second séjour en Palestine, après (300.
288 REVUE BIBLIQUE.

considérables, elle fut inaugurée en décembre 5'i.3. Elle était enca-

.^.......«.^««^...«...«•.••-«i^ ^li'ée par deux hospices, l'un


^ux pèlerins, l'autre
i^^^^''^^
•#^l""lli!A, \/ \ t\* •
••3"
r^/^ K /tk v\
«^ 5*| |\|^
l aux malades pauvres (1).
afTecté

j .-r* A "p^^ V k Y P î A « L'ensemble de cet établisse-



ment était desservi par des
• i^ I-»'

I n I Tt r te C »> 3*1 iiîoines dont le monastère por-

i
l,S'. V Msw»»«vf|
€ W vl
#•••'r H -** • *
!'" 'f "''""
Les dons que",r
''"'
'.'"«''r'
1 hig-oumene Cy-

}T0Y5*C Y N C TH I
"^^^"^ ^^* ^^
Sainte-Marle la

\^mfm f^ % Neuve peuvent avoir suivi aussi


bien que précédé l'achèvement
JJ^VX 8*C«*CV8^ ruf t^es constructions. Entre le per-
5 1 sonnet de la Nea et les moines
• • 1 S} ^* Yi^%r' î^ Y» ^^ Jéricho régnaient de bonnes

\r
JN^'r
IC kî A
•*« *-!•*/ VI rî^iP 1
^\^*i\\ivAk
^, j
^'^^^^^'^^'^^ ('^)-

pice de Jérusalem devaient né-


L'hôpital et l'hos-

I
••*• \^'
PÔ^* ^^**
LaJP"**'
* cessairement être en rapports
m !.. m* A s constants avec ceux de Jéricho.
L'oratoire de saint Georges
étaitprobablement la chapelle
lN(A)THArSU;TÂ?1 où Cyriaque fut enseveli et qui
la

S «.. A ^«^ „-**à ..^.^8 Société russe de Palestine (3)

(1) Bibliographie dans Vailiié, Bépcr-


toire alpltub. des monastères de Pales-
tine, ROC, 1!)00, p|>. 27 s.

Mosch (chap. lxvii) parle d'un Cy-


[r?A$VTHC£WM-IWl| (2)
riaque disciple de Tliéodose l'Hésychasle.
On racontait de ce dernier qu'Abramios,
iASK€NgP!OVf!^lfiA$l
8 ^ al» ^
higoumène de tt); ây(a; Hsotôxou Mapîa;
a,
il %
P A i" X A ***PV^ A G é*
,• !
0/A>» l/\:ir\V,
5 \ T^iî^îa^ lui avait acheté une lunicelle pour
î Wi^ji^l» I
riiiver (cbap. i.xviii). Conslanlin (chap.vi
rjoujJLEvoi; xfic, àyia? Mapta; irjz ôsoTÔxou
irrOTOYl-lMu.;W4>.W5 T^; yioLz racontait un fait merveilleux
survenu lors de la sépulture d'un frère
mort à l'hôpital de Jéricho, èv tw voffoxo-
iïevCTiMoV^JfciVcl jicîw tri; 'kpt/M. Au cbaji. ci, il est ques-

i TûBS^- i
tion
que dans
du xenodocliium de Jéricho
la Vie de saint Sabas de Cy-
ainsi"

I riile de Scythopolis, Cotelier, IIF, p. 253,


I
L«^MM«i..«M..^.«.Mi..Mi»«.Mi».l tlans Procope, De Aediftciis, v, 9, Çevtov
£v 'hptx'^, réparé par Jusiinin.

(3) 11 dans le Commemoratorium de. Casis Dei, un in Sancto Georgio men-


y a bien
tionné en compagnie de Sancta Maria Nova; mais la vogue de saint Georges était si
grande que Jéricho pouvait posséder aussi bien que Jérusalem unsanctuaire en son honneur.
CHRONIQUE. 289

Peut-être se trouvait- elle dans les dépendances de l'hospice fondé


par saint Sabas. En ce cas, l'hospice russe actuel où les pèlerins font
une halte en se rendant de Jérusalem au Jourdain s'élèverait sur
l'emplacement du xenodochium byzantin.
Pour la date, on pourrait croire à première vue que -.z"^ est un
chiffre d'année, 372 d'une ère quelconque. Mais à cause de laconstruc-
tion avec et de l'abréviation qui suit 3, on est contraint de
''^v.iù.v.y.z,

lire Tcj $EJTÉp:j. La parfaite concordance des deux données chrono-


logiques appuie cette lecture. En effet, la seconde année de Justin II
va de novembre 560 à novembre 567. Or du 1" septembre 566 au
1" septembre 567, on est dans la 15'' indiction. Le 11 décembre de
la seconde année de Justin II, de la 15^ indiction, est donc le 11 dé-
cembre 566 (1 .

Les autres vestiges visibles dans le petit oratoire sont un autre frag-
ment de mosaïquage où se voient des guirlandes entrecroisées, puis
une tête de gargouille, des pierres de taille portant des traces de
peintures et d'inscriptions d'époque relativement récente, enfin des
fragments de sculptures de même époque que la mosaïque. Une épi-
taphe juive en hébrea carré, ornée d'une représentation sommaire
du chandelier à sept branches, est venue échouer on ne sait comment
parmi toutes ces ruines chrétiennes.

2. — InsciHption de Beisâii.

Un autre texte épigraphique ayant trait à l'histoire de la Pales-


tine byzantine est l'inscriptiongrecque qui se trouve engagée dans le
pavé de l'étage supérieur du serai de Beisàn. Cette inscription in-
complète est ainsi libellée (2) :

+ eKTHCAOeeiCHC 'Ex tîjç aoOeîffri; [oo^psa; xal]

0IAC4)IAOTIMIACK OW'-aÇ 'iiXottai'a,' x(al [xatà t-;iv] (3)

AITHCIN{t)AAPCeNIOY aur.^iv <I>X(aouîou) 'Apceviou

TOYGNAOKTOneP •^oîi £v3o;(oTaTOu) To[v] 7rep[i6oXôvJ

TOYTIXANeNeGOGH «ù -^Wî/.lo"?) àvsvEciQ-/]

eNX-[--|-" (t)A" ANACTACIOY ev ypôvoiç a>X(aouîou) 'Ava^Taciou

MAPXeMNAr.
(IJ Le p. Féderlin {La Terre Sainte, 1903, p. 310) a trouvé dans les ruines de Guilgal

une belle pièce d'or à l'efligie de Justin II. Si l'on avait encore quelque doute sur notre
manière de lire la date, il devrait s'évanouir à la lecture des papyrus de Strasbourg (Prei-
sigke), n''*46, 47, 48, où le mois de Pharnenoth (mars) de la 1^'= année de Justin II pa^iÀîia; :

ToO fitio-i-zo-j r,u.ci)v ocffnôto'j <I»X. 'lo-jaTÎvou £-o-j; TrpwTov, tombe dans la 14- indiction, tt,; T:a-
pO'jor); lô' '.vfô'.XT'.wvo:).

(2) Elle mesure 0'",61 de hauteur sur 0™, 67 de large. La hauteur des lettres est deO^jOe.
(3) Cf. Cyrille de Scythopolis, Sabx Vita, 73 : KaTx rr.v toj Osiou r.ç.z>7o-i-zov Tptir,v

aïrr,(jiv...

REVUE BIBLIOUE 1911. — N. S., T. VIII. 19


290 REVUE BIBLIQUE.

D'une libéralité accordée et par une divine munificence et à la

prière de l'illustre Flavius Arsenius l'enceinte a été restaurée dans les

années de Flavius Anastasiiis.


Les murs de Scythopolis auraient donc été réparés sous lempe-
reur Anastase (491-518 >. à l'instigation d'un certain Arsenius. La Vie
de saint Sabas par Cyrille de Scythopolis et l'histoire arcane de
Procope de Césarée nous font connaître un Arsenius, qui sous Jus-
tinien (527-56.5) arrivaau rang d'illustre et à la dignité de sénateur.
Son frère et son père Silvanus, forts de son appui, profitèrent de leur
bonne fortune pour opprimer les chrétiens de Scythopolis (1). Comme
ils étaient Samaritains, leur fortune sombra lorsque Justinien prit à
cœur de délivrer la Palestine de leurs exactions. Il est possible que la
faveur dont jouit cette famille et en particulier Arsenius à Constan-
tinople ait eu son point de départ sous l'empereur Anastase.
La dernière ligne de rinscription qui reste assez obscure contient
peut-être la date précise.
Les monnaies do cuivre d'Anastase sont encore très nombreuses à
Beisàn. L'année dernière, on nous en a présenté un grand nombre.
Dans la salle haute du même serai se trouvent plusieurs bustes
funéraires dont l'un porte cette inscription AVCA VI OV CePAnEA,
d'-Jusa fils de Serapea 2).

UX MOT SUR LES OSTRACA DE SAMARIE.

Une communication obligeante de M. le professeur Lyon nous met


à même de donner quelques renseignements sur une partie des trou-
vailles faites à Samarie au cours de la campagne de fouilles dirigée
par M. Reisner en 1910. Établie sur des constatations archéologiques,
l'attribution à Omri et à Achab du palais dont les vestiges ont été re-
trouvés au-dessous du temple hérodien est pleinement confirmée par
la découverte d'un vase d'albâtre portant le nom du troisième succes-
seur de Sesonq (le Sisaq biblique"), Osorkon II, contemporain d'Achab.
C'est au même niveau (jue ce vase qu'ont été recueillis les tessons

(r Sahae Tito : 'ApaÉv.o; oiti;.-. lo"^ DIo'jtto'ou àEiwaa l/wv. Son père Silvanus fut un
jour saisi par les habitants de Scythopolis et brûlé vif. Hisl. arcan., xwii, 5 : r,v géti; 'Apaév.o;
lIa),atffTÏvo; yévo;... à; povXrj; àEiioaa r,X6£... 6 pir/Toi Tza-rip -e y.al àôcÀsôç :?) toOtou ôyvâjxsi
6appoCvT£; Siaycyôvaffi |i.£v iv Sxy9o7;6).£i xx),. Arsenius feignait d'être chrétien, mais au fond,
était toutdévoué aux Samaritains.
(2) A propos
de l'inscription de Séleucie puliliée dans RB., 1911. pp. 117 s., on complé-
tera ainsi les deux mots tronqués de la 6" ligne ÈxaTÔvraixQv /wpTYi;... le. centurion de la
cohorte Jc. d'après la transcription analogue du papyrus de Berlin H, 423 (ii* s.), elç
Xit)p-r,v 7:pîu.av.
CHRONIQUE. 291

auxquels il a été fait allusion dans la précédente clironique 1'. En ar-


chéologie, le tesson peut avoir deux valeurs une valeur propre comme
:

représentant un stase de l'évolution de Tarfc céramique et une valeur


documentaire suivant qu'il est marqué d'une estampille ou que, sup-
pléant du papyrus, des tablettes de cire ou d'arcile. du cuir, du parche-
min, etc., il a servi de matière à l'écriture. Il en est du tesson comme du
monument dont les matériaux peuvent être étudiés au point do vue
de leur origine, de leur préparation et de leur agencement ou bien au
point de vue des signes laissés sur eux par le tâcheron et des inscrip-
tions qu'on y a gravées. Nous n'avons pas ici à traiter de la valeur
propre du tesson, c'est-à-dire de son grain, de sa cuisson, de sa teinte,
de la forme du pot dont il est parfois un indice révélateur M. Reis- :

ner se réserve de le faire avec sa compétence si connue, dans le compte


rendu général et officiel des excavations samaritaines. La valeur épi-
graphique du tesson est la seule dont nous puissions nous occuper en
ce moment et encore d'une façon assez sommaire, étant donné le peu
d'étendue de la publication faite à ce sujet [2].
Les fragments de poterie avec écriture, communément désignés
sous le nom devenus assez
à'ostraca, sont nombreux en ces
dernières
années pour former une branche spéciale de la paléographie orientale
et de la documentation historique. L'usage d'écrire sur des tessons ne

s'est point borné à l'Egypte qui tient, néanmoins, le premier rang

parmi les sources de l'ostracologie avec ses monceaux de tessons cou-


verts d'écriture araméenne, démotique, copte ou grecque. Ce procédé
a été connu du monde hellénique de Grèce et d'Asie Mineure, au
moins dès le vi" siècle avant notre ère, puisque Cléisthène l'appliqua
au fameux vote de bannissement qui prit de ce fait le nom d'ostra-
cisme (3). Ainsi Yostracon grec est entré de bonne heure dans le ser-
vice public. En Egypte, les textes sur ostraca relatifs aux se^^ices ad-
ministratifs sont de beaucoup les plus nombreux. Ils consistent surtout
en « quittances d'impôts, en argent et en nature, données par le ban-
quier ou caissier général -zoi-i'J-r,z) ou par le sitologue (administra-
teurs des greniers publics, hr,zy:jzzî soit au percepteur de limpùt
,

(fermier ou agent de l'État;, soit au contribuable » i). On trouve ce-

(l'i H. Vincent, Les Fouilles américaines à Samarie, RB.. 1911. p. 131.


(2) Hebrew Ostraca from Samaria.
Janvier 1911.
(3) WiLCKEN, Griechische Ostraha ans Aegypten und Xubien. 1. 1; Joccuet. Oslra-
kisinos et Ostrahon dans le Dictionnaire des Antiquités de Daremberg et Saglio. On
peut voir dans ce dernier article des fac-similés de tessons trouvés à Athènes, portant le
nom de personnages voués à l'ostracisme.
(4) JOLGUET, /. l.
292 REVUE BIBLIQUE.

pendant des ostraca portant des reçus entre particuliers, des billets,
des comptes, des contrats privés.
Les ostraca de Samarie, au nombre de 75, sont écrits en caractères
phéniciens très voisins de ceux de l'inscription de Siloé pour ne
pas dire identiques aussi n'y a-t-il aucune témérité à les faire re-
:

monter à l'époque d'Achab. Les lettres sont écrites à l'encre noire


à l'aide d'un calame et leur forme cursive contraste avec la raideur
des caractères gravés au ciseau des inscriptions phéniciennes. Comme
dans les autres textes palestiniens archaïques, les mots sont séparés
l'un de l'autre par des points ou des traits. Dans son article destiné
au grand public. M. Lyon donne simplement la traduction d'une
douzaine de ces textes sur lesquels nous ne pouvons beaucoup
insister, n'ayant en mains ni fac-similé, ni transcription en hébreu
carré (1).

(ô) Dans la dixième année. A Semaryô. De Tell. Une jarre d'huile fine.

Tel est le premier ostracon publié par M. Lyon. D'après ce savant,


inspiré par M. Reisner.il faudrait prendre celte formule et les autres,

analogues à celle-ci, pour une étiquette adaptée à une jarre, indi-


quant le contenu, l'origine du contenu et le possesseur dont le nom
est vraisemblablement précédé du lamed d'attribution. Cette éti-
quette permettait soit au marchand, soit au gardien des dépôts en
nature, de reconnaître la provenance et le producteur de la mar-
chandise. La date indique probablement l'année du règne d'Achab dans
laquelle l'huile et le vin enfermés dans les jarres ont été faits. Se-
maryô est identique à Sema?\i/ah T"".-''- . nom d'un fils de Roboam
(II Chron. xi, 19 . Une localité du nom de Ti/L située à deux heures
et demie environ au sud de Sébastieh, rappelle le Tell de notre ins-
cription. Un et-Tell qu'on signale à l'occident de Sébastieh et moins
éloigné que le village précédent serait mieux en situation. Tell était
renommé pour ses vignobles comme pour son huile, ainsi qu'il
ressort des n°^ 6, 13, 51.

(12) Dans la dixième année. De Ynsat. Une jarre d'huile fine. A Ahino'am.
Nous pouvons identifier avec assez de vraisemblance Vasat (qu'il
faudrait lire peut-être Vasit avec le village actuel de Yasid, à huit
kilomètres au nord-est de Sébastieh, un peu au-dessus de Tallouzah.
Ahino'am[\l Sam. ii, i est aussi un nom biblique.
(33; Dans la onzième année. De Sarar. A Yeda'yô, Maranyô, Gadv^ô].

(1) La numérotation est celle qu'a adoptée le professeur Reisner dans le rapport qu'il pré-
pare sur le sujet.

(
CHRONIQUE. 293

Comme nom de lieu, Sarar (1) a un bon répondant dans Deir Se-
rour, ruine située à sept kilomètres à l'ouest de Sébastleh. Yeda'yô
est l'équivalent du Yeda'yah ri"':;""!' biblique (I Chron. ix, 10). Ma-
ranyô a une bonne saveur araméenne. Gadyô peut être comparé à
Gaddiel de Num. xrii, 10.
(42; Dans la neuvième année. De Saphtan. A Ba'alzaraar. Une jarre devin vieux.

Saphtan (si ce n'est pas un nom de personne) nous fait penser au


village actuel de Soufeh, à quelque distance à l'ouest de Deir Serour.
In nom comme Ba'alzamar, où Ba al entre comme nom divin, se
trouve fort bien en place à Samarie. sous le règne d'Achab. De ce
thème, les ostraca nous ont encore révélé les noms de Ba alàzakar,
de Ba'alme'oni, de Abiba'al, de Meribaal. Les noms propres formés
à l'aide de l'hypocoristique yô, abréviation de Yalnveh, ne sont pas
moins nombreux comme on a pu s'en rendre compte par les textes
Yôyada , Vôyanh, ViVaé, ^Égelyô. Ce
précédents. Citons en outre
dernier nom pourrait s'interpréter par « Yahweh est un jeune taureau^»,
ce qui rappellerait le fameux culte israélite du veau d'or de Bétliel
(I Reg. XII. 29 ; II Chron. xiii. 8 : Osée, viii, 5, etc.). Il est plus naturel,
cependant, de traduire par veau de Yahweh » dans le sens de rejeton,
"

fils de Yahweh, comme en babylonien Bùr-Sin signifiait « fils de Sin »

bien que Bùr ou Pur ait eu le sens déjeune taureau (2 .

Quant aux autres noms géographiques, Qamh (vraisemblablement


Qoumli) se localiserait assez bien au village de Qotisei?i, situé à deux
heures à peine au midi de Sébastîeh, ou mieux encore au Khirbet
Qoii^ein, qui est au pied du tell de l'antique Samarie à l'occident.
Hasioreth, ou mieux Haseroth, et Saq'&ord encore à trouver. Azd pour-
rait s'identifier avec le village de Zawôta, à égale distance entre Sé-

bastîeh et Naplouse. Enfin signalons le trilittère SKM qui représente


Sichem très probablement.
Ces quelques aperçus suffiront à donner une idée de l'importance
des ostraca hébreux de Samarie en attendant la publication complète
de ces documents.
Jérusalem.
F.-M. Abel.

(1) Ou plutôt Sarour.


Rapprochez aussi la restitulion originale
(2) de n"'U.*N~n~';" « fille d'Aserath » du
P. Dhorme, Les Livres de Samuel, pp. 290 ss.
RECENSIONS

Alfred Loisv. — Jésus et la tradition évangélique, m-12 de 287 pp. Paris,


>"ourry, 1910.

Le nouveau petit livre de M. Loisy ne cherche pas ses lecteurs parmi les croyants,
surtout parmi les croyants catholiques, dont « on ne se propose pas dinquiéter la

foi » (p. 7). On nous dit aussi que « si cet écrit n'a rien d'une publication populaire,
il est tel qu'on l'a souhaité » (p. ']. Et cependant on a eu en vue « un assez grand
nombre de lecteurs » (p. 7). Laissons de côté les intentions, dont Dieu seul est juge,
mais rapprochez ces deux termes. Tous les travaux antérieurs de l'auteur, hérissés
de discussions fort subtiles, honorablement grossis de renseignements bibliographi-
ques, et en somme assez coûteux, sont condensés en quelques pages qui présentent en
raccourci l'idée que se fait l'auteur de Jésus et des origines de l'Eglise et des évan-
giles. Si cela n'est point une publication populaire . c'est sans doute que Je populaire
trouvera, et avec raison, que c'est encore trop compliqué, et qu'il ne s'intéresse pas
à ces sortes de travaux.
En supprimant les discussions et les analyses techniques, l'auteur s'exposait à s'en-

tendre dire qu'il affirmait sans preuves. 11 semble avoir voulu répondre d'avance en
établissant que sa méthode est légitime. C'est tout l'intérêt du nouveau volume pour
ceux qui connaissent les précédents. Or je pense que M. Loisy n'a rien écrit qui per-
mette mieux, à des personnes habituées à la critique, de se rendre compte de l'ar-

bitraire avec lequel il manie et les textes et la méthode elle-même.


L'auteur résume d'abord les résultats généralement admis par la critique au sujet
de l'origine des synoptiques. Le premier évangile est celui de saint Marc, qui a servi
de source à saint Matthieu et à saint Luc ces deux derniers ont en outre au moins
;

une autre source qui leur est commune. Je reconnais que ces conclusions sont celles
de la plupart des critiques non catholiques. Pour ma part je n'ai rien à objecter à
cette hypothèse; depuis longtemps j'ai dit que je la regarde comme très probable.
Au regard de l'apologétique chrétienne, il suit de là que saint Marc passe au premier
rang, occupé jusqu'alors par saint Matthieu.
donc de saint Marc surtout que s'occupe M. Loisy. Il estime pour son compte
C'est
que Marc a mis à profit le recueil de discours, tout en reconnaissant que cette opi-

nion n'a pas prévalu. Sur ce point encore il n'y a pas à insister en ce moment.
Mais voici le point capital. L'étude critique de Marc a permis d'y reconnaître
quatre couches. La distinction des documents A, B, C, D est fondée sur les particu-
larités du langage, les incohérences de la composition, l'évidence, plus ou moins
nette, des superpositions. Que représentent ces documents? Le document A est « une
simple notice concernant Jésus de Nazareth, qui, après avoir recruté quelques adhé-
rents dans son pays de Gahlée, en prêchant l'avènement prochain du règne de Dieu,
a été crucifié à Jérusalem, par jugement de Ponce-Pilate comme prétendant à la ,

royauté sur les Juifs. Soit B une série de compléments intercalés dans la notice pré-
RECENSIONS. 293

cédente, et comprenant des récits de miracles, ou bien des prédictions de Jésus rela-
tives aux simples faits de la notice. Soit C une autre série de compléments destinés
à étoffer la biographie du Christ en donnant une idée de son enseignement. Soit D le

point de vue général de la compilation, tel qu'il résulte d'additions et retouches qui
semblent imputables au dernier rédacteur » p. 31 1. Mais tout cela n'est que de la
critique littéraire, et tout cela en soi n'aurait pas une grande portée, outre qu'on
pourrait toujours chicaner sur les résultats de cette critique. Il faut trouver dans les

faits la contre-épreuve, et du même


coup les différents documents ne sont plus des
cas littéraires curieux; « une pensée vivante, foi d'un groupe reli-
ils expriment
gieux, partie intégrante d'un organisme social ou d'une activité tendant à la forma-
tion d'un tel organisme p. 30 >> .

Je confesse que pour moi conGance dans l'exercice légitime de la critique. S'il
j'ai

était établi que la critique littéraire distingue dans le second évangile quatre docu-

ments; si cliacun d'eux avait une physionomie distincte: si de plus, et c'est la pré-
tention deM. Lolsy, on pouvait désigner dans le christianisme naissant des groupe-
ments qui aient eu des physionomies correspondantes, je n'hésiterais pas à dire que
le problème littéraire et le problème historique sont résolus autant que de pareilles

questions peuvent être tranchées.


Mais il est encore un élément dont il faut tenir compte, c'est celui du temps ou de
la succession des idées. Manifestement, d'après la manière dont M. Loisy écrit l'his-
toire de Jésus et de la tradition chrétienne, il faut supposer trois stades. Après l'é-

branlement causé parla mort de Jésus, la foi des disciples s'est ressaisie, et ils ont cru
qu'il était le Messie, vivant auprès de Dieu: premier stade. C'est sans doute dans cet
esprit qu'où aura écrit le récit A. Ensuite ils ont fortifié cette foi par des récits de

miracles et de prophéties, document B. Enfin ils ont admis qu'il était Dieu, ce qui
répond à la situation du document D, quoique M. Loisy ne définisse pas clairement
ici son caractère.
A-t-on le M. Loisy. s'il est prouvé que
droit d'écrire ainsi l'histoire? Oui, répond
le second évangile compose de documents qui correspondent à ces états d'esprit
se
successifs, et si la tradition chrétienne, en dehors des évangiles, nous permet de
constater indépendamment ces états d'esprit.
Essayons donc cette intéressante contre-épreuve de la distinction des sources de
Marc.
Ce qu'il importe surtout de connaître, c'est « le point de départ du christianisme »
(p. 33). Il faut trouver dans la vie chrétienne quelque chose qui réponde à la
notice A. Il faut ensuite trouver la tendance à recourir aux miracles, et. seulement
après, la glorification de Jésus comme Dieu. Or on le croira à peine, c'est à saint Paul
que M. Loisy a recours pour résoudre ce problème. « Bornons-nous au témoignage

le plus sûr et le moins discutable, dans ses Épitres incontestées ou qui


celui de Paul
semblent incontestables... Nous sommes aux environs de l'an .50. quelque vingt ans
après la mort de Jésus » p. 33 Et voici que la concordance est parfaite entre saint
.

Paul et le document A. « Le témoignace de Paul nous a montre comme fait initial


du christianisme l'apparition de Jésus, fait juif, histoire de médiocre relief, si ce n'est
par la mort honteuse de celui qui en fut le héros. C'est justement ce que signifiait

notre notice A » (p. 39. Il est ioutile, n'est-ce pas, de s'indigner de cette désinvol-
ture. Il suffit de rappeler que l'epître aux Romains a été écrite vers .50, ou peu après.
Qu'on la relise pour voir si la vie de Jésus, fils de David selon la chair, mais Fils
de Dieu selon l'esprit de sainteté, est un fait juif, un trait d'histoire locale, de mé-
diocre relief. En voulant mettre les points sur les i. pour faire concorder ses do-
296 REVUE BIBLIQUE.

ciiments avec la vie chrétienne, ^I. Loisy a perdu le bénéfice du vague de ses pré-
cédentes argumentations. Il faut en effet établir l'accord . et en prenant saint Paul
pour point d'attache, mais saint Paul tel qu'il est. Puisque les principales sentences

de Jésus n'ont été écrites, d'après M. Loisy, que vingt-cinq ou trente ans après la
mort de Jésus, et que la première esquisse de sa vie « a pareillement existé de très
bonne heure » (p. 277), donc après l'épître aux Romains, il faut simplement conclure
que jamais ce rééit, soit le document A, n'a pu être écrit par un chrétien, s'il ne
contenait ce que Paul regarde comme l'évangile commun de tous les chrétiens, la
I
foi en l'origine divine de Jésus.
Mais comment Loisy a-t-il pu croire un instant que Paul regardait l'apparition de
Jésus comme « une histoire de médiocre relief » ? Ce sont des choses qu'il faut citer.
« Qu'avait donc réalisé Jésus avant sa mort? Presque rien, évidemment. De cette

œuvre personnelle Paul ne veut point parler, mais il dit qu'il n'en veut rien savoir -,

comme il n'en peut rien ignorer, c'est qu'elle lui semblait insignifiante. Et Paul le

laisse clairement entendre. Selon lui, Dieu choisit ce qui est insensé pour confondre
la raison des prétendus sages, et ce qui est faible pour confondre ce qui se croit
fort. Jésus donc n'avait rien dit d'extraordinaire ni rien fait d'éclatant. Il avait été
crucifié : tel était, selon son grand apôtre, le seul fait notable de sa carrière...
Quelle idée commune relie ensemble Jésus. Pierre et Jacques, et ce prédicateur in- I
trépide qui déclare ne pas plus se soucier de ce qu'a été Jésus en vie que de ce qu'ont
pu être aussi en ce temps-là, auprès de lui, et ce Pierre, et ce Jacques, et aussi Jean,
qui étaient « quelque chose » dans la communauté de Jérusalem quand Paul, après

une quinzaine d'années de prédication, s'en vint les voir, pour s'assurer « qu'il ne
courait pas pour rien »? Ici p. 3.5 on cite en note Gai, 2.2. 6. Il est inutile de rappeler
,

au candide lecteur. ~
et combien candide on le suppose que l'épître aux Galates ne !

contient aucune comparaison entre Jésus, d'un côté, Pierre, Jacques et Jean de l'autre.
M. Loisy joint sans doute par la pensée à ce texte un autre texte qu'il n'a pas besoin
d'indiquer, puisque sa publicatioa n'est pas populaire : « Aussi, désormais nous ne
connaissons plus personne selon la chair; et si nous avons connu le Christ selon la
chair, à présent nous ne le connaissons plus de cette manière » (II Cor. 5, Kî;. Il
aurait pu ajouter que d'après s. Paul de Jésus non seulement
Phil. 2, 6), l'existence
n'avait rien eu d'extraordinaire et d'éclatant; ce fut une humiliation, une existence
d'esclave, mais de celui qui était égal à Dieu. Et si Paul parle de ce qui est dans le
monde sans considération et sans puissance, il ajoute aussitôt « Or c'est par lui que :

vous êtes dans le Christ-Jésus, lequel, de par Dieu, a été fait pour nous sagesse, et
justice, et sanctification et rédemption »... I Cor. 1, 30 Tout cela fait juif, histoire .

de médiocre relief... Plus que médiocre pour le Fils de Dieu, en effet. Mais si l'au-
teur du document A écrivait dans cet esprit, où est donc l'état primitif du christia-
nisme qui ne regardait Jésus que comme un pur homme, devenu iMessie après sa
mort? Et s'il le regardait comme un pur homme, lui écrivant après s. Paul, de quel
droit le regarde-ton comme témoin du premier état religieux du christianisme? Et
enfin, et surtout, où est la concordance annoncée entre la succession des documents
et la successiondes idées d'après s. Paul?
ne serait pas loyal de taire un argument sur lequel M. Loisy paraît compter
Il

beaucoup pour prouver à quel point l'action de Jésus a été insignifiante. Cet argu-
ment pourrait même faire impression, car il ne repose pas comme le précédent sur
une aussi hardie combinaison des textes. C'est un fait notoire que Jésus n'avait pas
tranché explicitement la question de savoir si la foi en Jésus dispenserait de la Loi
juive. « Dans ce contlit, ce qui est très significatif pour nous, c'est que l'autorité de
RECENSIONS. 297

Jésus ne peut être alléguée par aucune des parties contendantes. Le fondateur pré-
sumé du christianisme ne compte pas dans ce débat où se joue l'avenir de sa re-
ligion... Voilà déjà un fait capital pour rmtellisence des Évangiles » p. 34).

Sans doute, cela est capital. Et en efl'et Jésus n"a pas donné la solution explicite;
on ne pouvait citer de lui aucune parole sur cet objet précis. Mais la tradition sur ce
point a-t-elle changé? elle qui transforme, qui superpose, qui précise, qui amplifie.
(]ui magnilie. comment est-elle demeurée muette? Que vient faire ceci quand il s'agit
de prouver que la tradition évangélique se compose de plusieurs couches.' N'est-ce
pas plutôt l'occasion d'admirer son extraordinaire stabilité? Ce qu'elle a dit. c'est
que Jésus avait conféré toute autorité à Pierre et a ses apôtres, et c'est bien eux en
effet qui se croient investis du pouvoir de résoudre cette question. Et ils l'ont ré-
solue précisément dans les lignes d'une pensée de Jésus que M. Loisy regarde comme
authentique : « Il suit de là que le droit au royaume en tant que droit il y a. ne se
fonde pas sur la qualité d'Israélite et ne la suppose pas nécessairement... L'admission
des Gentils ne comporte donc aucune difficulté de principe. Ceux qui se trouveraient
dans les dispositions moralfs que Dieu demande pourraient avoir part au royaume,
tandis que les Juifs qui n'ont pas ces dispositions invoqueront inutilement le titre de
leur origine» etc. ;p. 134 . Mais n'est-ce pas précisément là le point de départ de
l'épitre aux Romains? Jésus compte ici doublement, et pour sa pensée et parce que ,

c'est la dignité incommensurable de sa personne qui a permis à Paul et à Pierre —


aussi (1^ — de comprendre que les chrétiens n'étaient pas assujettis à l'observance de
la Loi.
Jusqu'à présent, on a pu le remarquer. Paul n'a guère servi de pierre de touche
pour apprécier du christianisme que d'une façon négative. Il
les états successifs
n'attachait pas grande importance à la carrière humaine de Jésus, c'est l'état d'es-
prit de la source A. En tenant compte des textes, il faudrait dire plutôt que Paul a

attaché une importance capitale à l'apparition sur la terre du Fils de Dieu, et que
s'il n'a pas parlé des détails de sa vie, c'est qu'aucune de ses épîtres n'a eu pour but
de la raconter à des disciples qu'il savait déjà convaincus. Mais il est du moins une
action de Jésus à laquelle Paul apporte un témoignage positif : c'est l'institution de
la Cène ^K Vous concluriez que la tradition évangélique qui la rapporte est con-
temporaine de la première épître aux Corinthiens? Erreur, car aussitôt largumen-
tation tourne c'est à Paul que cette relation qui se présente comme historique est
:

empruntée, et elle fait partie des dernières couches de la rédaction. Quand Paul ne
dit rien, il confirme-, quand il parle, cela ne prouve rien, car c'est lui qui a inventé.

Toujours est-il que, aux environs de l'an 50, grâce à Paul ou sans lui. on était aussi
avancé en christologie que tout l'évangile de s. Marc. La méthode est excellente,
il n'y a qu'à constater son résultat. Non seulement s. Paul n'autorise pas la distinc-

tion des documents A et D: il prouve que dès l'an ôO on était en D. « C'était donc,
dirions-nous pour emprunter les termes de M. Loisy. ce que croyait, ce que savait
la première génération chrétienne » (p. 39;.
11 n'est pas moins impossible d'établir la distinction entre les documents A et B et

(i; Gai. 2, «. 1-2. 14.


li) I beaucoup à ce que s. Paul ait connu ce fait par révélation,
Cor. 11. 23 ss. M. Loisy tient
une révélation étant une garantie nulle Il ;Paul) prétend, et pour cause, savoir du Christ lui-
: <

même, non de la tradition des témoins, etc. » page 216 Ce et pour cause insinue même . > «

que Paul a feint une révélation pour combler la lacune. On sait que l'interprétation de
à~o Toô y.'jpîo'j est fort controversée, même parmi les critiques non catholiques. Ceux mêmes
qui soutiennent que Paul dit tenir cela du Seigneur n'excluent pas pour cela l'intermédiaire de
la tradition, qui est caractérisée par le détail précis des faits.
208 REVUE BIBLIQUE.

leur concordance avec des états distincts de la pensée chrétienne. D'après le passage
que nous avons A est une histoire sans miracles, B un complément
cité, on dirait que
qui ajoute des miracles. Mais M. Loisy admet que Jésus a fait des miracles, c'est-à-
dire des exorcismes guérissant des troubles nerveux ou cérébraux qui ont passé pour
des cures merveilleuses d). Si cela est, pourquoi A ne les aurait-il pas rapportées?
Des miracles sont encore l'explication la plus simple , on peut dire l'explication
nécessaire, de la foi des disciples en Jésus comme Messie.
Il faudra donc que B soit seulement une amplification des premiers miracles. Rien
de plus plausible, et de fait Luc et Matthieu ont ajouté des miracles à ceux de Marc.
Mais où est la contre-épreuve de la distinction de A et de B dans saint Paul qui ne
dit pas un mot des miracles ni des exorcismes de Jésus? Quant au documente,
M. Loisy ne parait pas le regarder comme plus ancien que le document A. Et en effet
il ne marque aucun progrès dans la foi l'un contient des sentences, l'autre des ré-
;

cits.

Je le demande de nouveau : la critique littéraire de Marc est-elle confirmée par la


réalité des faits et cette enquête sur l'état des esprits? Peut-on s'appuyer sur cette
analyse et sur sa contre-épreuve pour écrire l'évolution des idées? Peut-on prouver
qu'il y a eu évolution, quand le terme en est atteint dans les épitres de saint Paul ?

Il faudrait maintenant revenir au point de départ, et demander à l'auteur de prou-


ver la distinction des documents A, B,C,D, par l'analyse littéraire. Il nous renverrait
à ses évangiles synoptiques. On
donc seulement d'éviter ce mot équivoque
le prie :

« les particularités du langage » (p. 30). Quelques-uns comprendront qu'il s'agit de

la langue, et s'imagineront que M. Loisy a fait sur Marc un travail analogue à celui
qui a été fait sur le Pentateuque ; or je ne sache pas qu'il ait rien écrit là-dessus.
Mais peut-être que par langage il L'argument tiré des différences
entend le style.

du style n'est certainement pas sans valeur. Mais doit être permis d'affirmer avec
il

d'excellents critiques qu'il ne s'applique pas à Marc, dont l'unité littéraire est aussi
certaine que celle de I^uc. Puisqu'on n'est pas même d'accord sur l'usage par Marc
du recueil des discours, comment pourrait-on discerner quatre couches dans sa ré-
daction, si l'on ne prend précisément pour critérium l'évolution qu'on prétend appuyer
sur les sources?
J'ai m'a paru le plus neuf dans le nouvel ouvrage de M. Loisy.
insisté sur ce qui
Jamais il crûment des documents évangéliques « Est-on sûr que
n'avait parlé aussi :

le premier recueil de discours soit de l'apôtre Matthieu, et que le premier canevas

des récits vienne de l'apôtre Pierre par son disciple Marc? En aucune façon. Peut-on
se fier à des inconnus dont on ignore s'ils étaient bien renseignés et s'ils méritent
confiance? » (p. 22). Sentant bien au sujet des
qu'il ébranlait ainsi toute certitude
origines chrétiennes, il s'est efforcé de rendre aux documents quelque crédit en les
considérant comme les organes d'une société vivante. L'idée était bonne, mais il n'a
pu trouver dans les faits l'appui d'un système d'évolution rationaliste. Les documents
tels qu'ils sont valent ce qu'ils valent ; on ne saurait les remplacer par d'autres. Mieux
vaudrait confesser simplement qu'on écrit d'après un schéma rigoureusement tracé
par la raison : au début, une histoire plausible, parce que dépourvue de tout élément

(t; p. 61 ; « Jésus enseignait et il (aisait des miracles >. 1'. a-l : « Il agissait avec une elficacité
particulière sur la catégorie île malades que l'on regardait comme spécialement possédés du dé-
mon, les malheureux atteints daffeclions nerveuses et de troubles cérébraux, de dérangements
d'esprit ». D'après ce critère, le possédé de Gérasa appartiendra àla plus ancienne rédaction, le
paralytique, le lépreux, l'homme à la main desséchée, la belle-mère de saint Pierre seront ren-
voyés à la seconde couche. Mais quand nous l'era-t-on grâce de l'explication des affections ner-
veuses ? j
RECENSIONS. 299

surnaturel: puis la pénétration d'un surnaturel grandissant qui aboutit ùTapothéose.


C'est le schèrae de la raison, ce n'est pas celui de l'histoire, car il y a des apothéoses
qui ont marché plus vite, sauf à s'eflfacer plus tôt.

Ainsi construite, pour satisfaisante qu'elle soit à la raison raisonnante et rapetis-


sante, cette histoire demeure assez chétive.
Pour Jésus, c'est assez simple. On ne le donne pas encore pour un illuminé,

mais il ne serait rien de plus, incapable, à l'inverse des grands hommes, de profiter
des leçons des choses, qui « arrive tout formé pour sou rôle quand il commence à

prêcher » ip. 80;. et qui, incapable de secouer son idée fixe, vient se buter contre
l'obstacle. Du
moins sa mort le préserva de l'échec qui l'attendait, car elle permit à
ses disciples de lui donner le trône que sa propre foi lui avait promis » p. 40\
«

Pour ces disciples, c'est un peu plus compliqué. Tantôt la mort de leur Maître n'est
qu'un accideut. ^rave sans doute et troublant, mais réparable p. 114 et qui ne les i
,

a pas empêchés d'affirmer avec force le Christ vivant, tantôt la mort inattendue,

ignominieuse, terrifiante du prédicateur avait dérangé l'équilibre de la foi », et cette

foi ne retrouva son assiette que dans la croyance à la résurrection du crucifié p. 194''.

Il y a là un point faible, et il ne suffit pas de dire que l'œuvre évangélique devint


bientôt, la force des choses », l'édification de lÉglise chrétienne ;p. 193). Mais
c par
tout cela est connu depuis longtemps, depuis huit ans presque jour pour joiu'. puis-
que ^Évangile et l'Église a paru un oeu avant le début de 1903. Les formules sont
devenues plus nettes, elles disent tout haut bien des choses qu'on se faisait scrupule
de soupçonner, mais c'est bien le même fonds.
Le ton est toujours très digne, et même austère. Cela nous change des mystifications
du plaisantin supérieur que fut Pv.enan. Renan atl'ectait d'affirmer le moins possible;
il s'excusait d'avoir abouti, à force de recherches, à quelque chose d'à peu près cer-

tain, tant il redoutait de passer pour a béotien », comme il disait. Ayant l'habi-
tude de concilier les contradictoires, il avait conscience qu'avec sa méthode on ne
pouvait pas être bien sûr de son fait. Sou scepticisme sur son œuvre devient une
marque de bon goût, et on lui en sait presque bon gré. M. Loisy. lui, paraît bien
persuadé d'avoir reconstitué le fait évangélique dans sa « forme native . On est

déconcerté de cette assurance, et plus d'un lecteur est aussi ébahi de sa confiance
dans cette œuvre d'édification, que de l'entrain avec lequel il démolit la vieille his-

toire. Évidemment il est siucère et il est convaincu, et quand il nous dit que son
livre est « un livre honnête » p. 47 , il faut l'en croire. Attendons-nous à entendre
dire — mais n'est-ce pas déjà monnaie courante? — qu'on ne peut écrire de livres

honnêtes que lorsqu'on a rompu avec l'Eglise. Tout de même l'Eiani/IJe et l'Eglise

était aussi un honnête livre, et cependant les mêmes idées, qui ne s'adressent plus
aux catholiques, servaient alors à l'ÉgUîe de rempart contre M. Harnack. M. Loisy
se faisait donc à tout le moins une étrange illusion. Son illusion n'est pas moindre
aujourd'hui d'accorder tant de crédit à des combinaisons précaires pour représenter
l'évangile dans sa forme native. On préférera s'en rapporter aux Evangiles que l'É-

glise a reçus; ce sont aussi d'honnêtes livres.

Jérusalem.
Fr. M.-J. Lagranc.i:.
BULLETIN

Textes. — L'ouvrage de M. John Gwynn sur des restes d'anciennes versions


syriaques de la Bible (1) se compose de deux parties bien distinctes. Première partie :

Tsouveau Testament, les quatre petites épîtres catholiques dans la version philoxé-
nienne originale, du vi'^ siècle, et l'histoire de la femme surprise en adultère (Jo.
7. 53-8, 12). Les quatre petites épîtres catholiques, 2^ et 3« de s. Jean. 2^ de
s. Pierre et s. Jude, ne figuraient pas dans la version pechittâ, qui était devenue la

version normale de l'église syrienne. Au temps de Philoxène de Maboug(Hiérapolis).


le célèbre adversaire du concile de Chalcédoine. c'est-à-dire en 508 de notre ère, une
nouvelle version du >'. T. fut composée, sans doute sous l'influence et par les soins
de cet évêque. On la nomme philoxéuienne. Elle comprenait ces quatre épîtres. Elle
a péri, sauf ces quatre épîtres, car ou prit l'habitude de les incorporer à \d. pechittâ,
pour obtenir un ensemble semblable à celui des Grecs. En 614 la version philoxé-
uienne fut revisée à Alexandrie par Thomas de Harkel, qui de-
existait encore, et
I
évêque de Maboug. Les versions syriennes du N. T. avaient suivi la
vint, lui aussi,
même marche que les versions grecques de l'hébreu de l'A. T. Tandis que la version
ancienne, dite des Septante, était encore assez libre, ou du moins se préoccupait de
ménager de la langue grecque, Aquila avait sacrifié le grec au parti
les propriétés

pris de rendre lesmoindres particularités du texte original. C'est aussi ce que fit Tho-
mas de Harkel, dont la version est un calque qui serait incomparable comme ins-
trument de critique textuelle s'il était phis ancien, tant il reproduit avec fidélité le
texte grec que Thomas avait sous les yeux. La version philoxénienne devait natu-
rellement tenir le milieu entre la pechittâ et la harcléenne, ou comme on dit de
préférence en français, l'héracléenne. Ces faits sont aujourd'hui bien connus de
tous. M. Gwynn devait les rappeler pour préciser la nature de son travail. Il établit,

plus solidement qu'on ne Tavait encore fait, que la traduction des quatre petites
épîtres catholiques publiée pour la première fois en Occident par Pococke en 1630 est
bien la traduction philoxénienne, avant la revision de Thomas de Harkel. Pour
cela, M. Gwynn prouve d'abord que le texte supposé philoxénien et celui de Thomas
appartiennent bien à une seule version. C'est le point le plus important et le plus

délicat, car il est facile de constater que le texte harcléen a précisément le caractère
d'une revision plus rigoureusement conforme au grec. Ce qui augmente la difficulté,

(1) Reinnants of tlie latcr syriac versions of Ihe Bible in t>M' |)arts. l'art I New Testament, the
;

four minor catholic epistles in llie original Pliiloxenian Version, cl the Sixtli Century and the
history ol" the woman taken in ailultery (St-.Iohn 7, o:i-8. 1-2. Part II 0I<1 Testament, extracts
:

(hitherto inediteti) Irom the Syro-Hexaplar Version, of tlie Seventh Century. after Uie Greek of the
L\X. Genesis I.eviticus 1 et :i Clironicles Nehemiah, Kdited. ^^ith Introductions. Notes, and
: : :

Reconstructed (ireek Text by John Gnvvnn, D. D. (Dnbl.). Hon. D. G. L. Oxon.) Regius professor of
Divinity in Ihe University of Dublin, in-S" de i.xxii-161, et xxni-78 pp. Published for the text and
translation Society by Williams and Norgate, Londres et Oxford, l!K)'J.
BULLETIN. 301

c'estque Thomas a eu recours à d'autres manuscrits grecs aussi ne peut-on que ;

rendre hommage au tact philologique très sûr et à la méthode très exacte qui mar-
quent toute cette discussion. L'auteur, se proposant d'éditer les quatre petites
épîtres, adû réunir le plus grand nombre possible de manuscrits et les classer. Dans ce
classement il a dû aussi examiner la théorie étrange du défunt prof. Merx, pré-
férant les mss. les plus récents, pour cette raison qu'ils sont appuyés par une
version arabe conservée dans un ms. attribué au ix.*^ siècle. Le paradoxe de Merx
est réfuté avec une précision parfaite. Il est donc assuré que M. Gwynn, s'appujaut
sur des mss. plus anciens et meilleurs que ceux qu'on avait employés jusqu'à pré-
sent, a donné des quatre petites épitres catholiques une édition très supérieure à ce
que l'on possédait. Cette édition est à la fois plus semblable que les précédentes et
au consensus des principaux mss. grecs et à la version harcléenne elle-même.
La version philoxénienne, mieux connue, rend donc à son tour témoignage aux
grands onciaux (1). L'édition des textes syriaques est accompagnée de notes indi-
quant les variantes, et suivie de notes rapprochant le texte philoxénien du grec et
des autres textes syriaques, de plus d'une retraduction en grec, indiquant, autant
que faire se peut, le texte que le traducteur avait sous les yeux. De sorte qu'on peut
dire que nous ne possédons aucune partie de la Bible syriaque éditée avec plus de
soin, et d'une façon plus utile aux biblistes, même à ceux qui ne savent pas le
syriaque.
La péricope de l'adultère est reproduite sous deux formes différentes, l'une re-
montant à un abbé Paul, du vu" siècle (2), l'autre d'après le texte fort divergent,
conservé par la Chronique de Zacharie de Mitylène.
La deuxième partie de l'ouvrage de M. Gwynn est consacrée à des fragments
inédits de la version syriaque syro-hexaplaire de l'A. T. exécutée par Paul de Telia
au début du vu" siècle. L'auteur rappelle quelles parties sont déjà éditées, quelles
autres manquent encore, à savoir une grande partie de la Genèse, le Lévitique, le

Deutéronome, 1 et II des Rois (c'est-à-dire I et II de Samuel), I et II des Paralipo-


mènes, Esdras et Néhémie, Judith, I et II des Macchabées. M. Gwynn a pu décou-
vrir Gen. 26, 2G-3t, Lév. 26, 42-46 et des fragments plus considérables de I et
II Parai, et de Néhémie. Ces derniers fragments appartenaient à une Catena qui
regardait Néhémie comme le second Esdras. Pour cette Catena le I«'' Esdras était
du Canon, tandis qu'elle ignorait l'Esdras
l'Esdras (dit III) qui ne fait pas partie
hébreu canonique. M. Gwynn conjecture que cette opinion remontait à Origène.
Sa méthode est la même pour l'édition des textes, syriaque et grec reconstitué, avec
des notes.

La Revue a signalé (1908, 4.50 s.) l'heureuse acquisition par M. Charles L. Freer
de quatre manuscrits bibliques fort importants. M. Henry A. Sanders, de l'Univer-
sité de Michigan, a été chargé de les publier. L'ouvrage qui vient de paraître (3)
est consacré au premier manuscrit, comprenant le Deutéronome (sauf 5,16-6,18) et
Josué (sauf 3, 3-4, 10). On n'est toujours pas fixé sur son origine. Mais, d'après
M. Sanders, les quatre mss. acquis à Gizeh (le 19 déc. 1906) ne s'étaient pas beau-

(1) Surpassages étudiés, la philoxénienne coïncide avec N 05 fois, avec A 60 lois, avec B 53
Ii:>

fois, etc.,dans des cas où les principaux onciaux ne sont pas d'accord entre eux.
(2) yu'il soit Paul de Telia ou son contemporain l'aul qui (en 6-24 en Chypre) traduisit s. Gré-
goire de Nazianze en syriaque.
(3) ïhe old Testament mauuscriptsin tlie Freer collection. Part I The Washington manuscript :

of Deuleronomy and Joshua, by Henry A. Sandeiss, University of Michigan^ in-4» de 104 pp. New-
York, the Macmillan Company, 1910.
302 REVUE BIBLIQUE.

coup éloignés de leur lieu d'origine. Ce serait le monastère des vignerons, près de la
troisième pyramide, qui possédait une église de Timothée. Les quatre mss., achetés
dans quelques monastères grecs, avaient été réunis et n'ont plus été séparés jusqu'à
leur récente découverte. Le Codex contenant le Deutéronome et Josué est destiné
par M. Freer à la Smlthsoninn Institution de Washington, D. G.; il portera donc le

nom de Codex ^yashingfonensis et sera désigné dans la collection des Septante de


Cambridge par la lettre 6.
M. Sanders décrit avec soin ce ms., écrit sur parchemin de chevreau et de brebis,
contenant 14 cahiers qui ne font que 102 feuilles ou 204 pages parce que quelques-
uns sont écourtés, d'où les lacunes notées au début. Il manque au commencement
36 cahiers ou 576 pages qui contenaient les quatre premiers livres du Pentateuque.
L'écriture, très belle, est disposée sur deux colonnes. D'après les derniers résultats
de la paléographie, M. Sanders l'attribue au début du y siècle. Le ms. a été soigné,
ce qui n'exclut pas un certain nombre d'omissions de scribe, surtout à la Gn des
lignes. On reconnaît plusieurs mains, mais en fait la première main a écrit tout le

codex: la seconde du correcteur, qui d'ailleurs ne manquait pas d'audace,


est celle
puisqu'il a remplacé de son cru un passage laissé en blanc par le copiste, probable-
ment parce qu'il était illisible dans le manuscrit qu'on copiait. De certains indices,
M. Sanders conclut que cet archétype était écrit sur papyrus, ou plutôt qu'il y en
avait deux, un pour le Deutéronome et un pour Josué. Le Ccnlj-x W portait en outre
la trace de divisions pour leçons ecclésiastiques. Au point de vue de son texte, ce ms.
est fort important ; il se classerait en troisième ligne ou seconde ligue, après B, mais
peut-être avant A. D'ailleurs le texte n'est pas tout à fait de même qualité dans le
Deutéronome et dans Josué. Les leçons regardées comme hexaplaires seraient res-
pectivement au nombre de 37 et de 39 -, mais l'éditeur les réduit en notant qu'une
variante qui manquait au texte d'Origène pouvait très bien exister dans quelque
autre manuscrit. Quant aux pures variantes hexaplaires du Dt., elles viendraient de
gloses notées en marge sur le papyrus archétype. Le texte de contient beaucoup
de leçons qui ne sont ni dans B, ni dans A, ni dans F il est exempt de leçons :

syriennes ou de rapprochements artificiels avec le X. T. Dans Josué, le texte se


rapproche davantage de A. surtout dans les noms propres. Sur ce point, B demeure
isolé, et M. Sanders suggère que ses leçons particulières pourraient bien lui venir des
erreurs d'un cursif antérieur.
Après ces prolégomènes, M. Sanders donne une collation du Codex Washingto-
comparé à l'édition de Swete. C'est assez pour qu'on se rende compte du
iif'iisis

texte du ms. D'ailleurs, en même temps que ce travail doit paraître une édition en
fac-similé.

La Bible de Crampon avait été réduite en un seul volume si commode, qu'on ne


s'explique l'idée de publier une Bible abrég/'e (1) que pour pouvoir la mettre entre
toutes les mains. C'est ce qu'a réalisé avec beaucoup de tact la maison Desclée. On
cite l'éditeur puisque les auteurs du choix et des notes sont demeurés anonymes.
Par une innovation quisera goûtée, les passages empruntés aux prophètes sont placés
dans les sections historiques (jui les encadrent le mieux. C'est ainsi que les derniers
chapitres d'isaie 40-66) se trouvent placés après Ezéchiel, non pas pour « aller à
rencontre des récents décrets de la Commission Biblique touchant leur authenticité »

(1) Bible abrégée, à l'usage des gens du monde et des maisons d'éducation secondaire, Extraits
de la traduction de l'abhé A. Ci;ampun, in-8° de 71-2-[-2l"] pages. Desclée, Paris, Rome, Tournai,
BULLETLN. 303

(p. i\, note), mais parce qu"il sera « plus facile de comprendre ces prophéties en
leur donnant le cadre même des événements qu'elles prédisent p. 434. A ce
.>

compte, il eût fallu placer Daniel plus loin, et non avant, puisque la prophétie 9.
1--27 se rapporte, comme le dit très bien lannotateur, au temps d'Antiochus Kpiphane.
Si la traduction est celle de Crampon et de ses successeurs, les notes sont parfois plus
récentes: on eu trouve qui citent le Canaan du P. Vincent p. S2, lô2i. L'ensemble
est très satisfaisant (1), et permettra à tout le monde de lire les plus beaux passages de
la Bible. On peut acquérir séparément l'Ancien et le Nouveau Testament, ce dernier
étant naturellement plus complet. Les évangiles synoptiques sont distribués de
façon à constituer une Vie de Jésus.

Voici un petit volume d'une allure très modeste, puisque, vendu eu gros, il ne coûte
que 30 centimes. Et ce n'est rien moins que les Evangiles et les Actes ((es Aj)ô-
tres Encore n'est-ce pas un simple tirage de propagande. Quelques prêtres
(2\
ont eu l'heureuse idée de former en France une filiale de la Société de saint Jérôme,
approuvée par Sa Sainteté. Ils ont traduit du grec en français les textes qu'on vient de
dire, d'après l'édition de Nestlé, tout en revenant à la Vulgate dans les cas où la
discordance est trop sensible: mais alors on avertit en note 3 Aux notes traduites .

en français de l'édition italienne, les éditeurs en ont joint quelques autres, marquées
d'un astérisque. La traduction est vive et alerte, d'un français assez coulant, plutôt
que très littérale, beaucoup moins littérale que Crampon, pour prendre un point de
comparaison.

Nouveau Testament. — Les catholiques français ont soupiré ardemment après


la fondation des Universités catholiques ils ont fait de généreux sacrifices pour les
:

doter; on peut dire qu'ils en recueillent des maintenant le fruit, surtout pour ce qui
concerne la défense de notre Foi. Où trouverait-oii, de préférence, des maîtres assez
connus par une érudition de bon aloi pour parler avec autorité dans les questions
soulevées? où trouverait-on, en dehors d'elles, des chaires entourées de l'auditoire
intelligent qui ne saurait se contenter des développements toujours un peu vagues
donnés daus les églises ? Entre la prédication et le cours technique, il v a place
pour des discussions très serrées, sans étalage de textes en langues anciennes. C'est
bien ce qu'on a compris, surtout, semble-t-il, à Paris, à Toulouse et à Lyon, où les
conférences bibliques ont eu un vif succès.Ne serait-il pas à propos de les produire
en dehors des grands centres, dans une chaire spéciale, dressée par l'Évéque,
aussi,
comme M='' Gibier l'a fait avec un si heureux succès, répandu partout avec Orp/tem
et l'Évanf/ile de M'^-'"' Batiffol ? Quoi qu'il en soit, venons aux excellents livres qui
nous parviennent de Paris et de Lyon.
M. Mangeuot a donné au trimestre d'été de lUlO des conférences apologétiques
sur les évangiles synoptiques. Elles ont été éditées avec deux appendices, articles
extraits de la Revue du Clergé français 4). Les conférences sont au nombre de neuf;
elles portent sur la tradition évangélique, la rédaction et la valeur historique des
synoptiques, la conception virginale de Jésus, son ministère public, ses miracles, la
forme de son enseignement, son témoignage sur sa mission et sa personne, son procès
et sa mort, et enfln sa résurrection. L'intention apologétique s'exerce par la réfuta-

p. 81. A rayer la note qui fait de Moloch le dieu des Moabites.


II)
Lyon, place Bellecour, 6, 1910.
(2)
Du moins en principe; ce n'est pas le cas Me. 6, 20.
(3)
{Wj In-S" de 471 pp. Paris, Letouzey et Ané, 1911. Les appendices sont : Le pautinisjne de Marc,
Un soi-disant antécédent juif de l'eucharistie.
304 REVUE BIBLIQUE.

tion des opinions de M. Loisy, qui est constamment résumé et souvent cité. Son
influence est donc toujours regardée en France comme redoutable. A ce qu'on assure,
un bon nombre d'esprits, d'abord séduits par ses déductions ingénieuses, commen-
cent à s'étonner de l'intrépidité de ses affirmations. M. Mangenot, esprit calme et
pondéré, excelle à signaler ces intempérances de subjectivisme. Il sait d'ailleurs faire
la partde la critique. On aime à l'entendre dire « Rien du côté de la plus sévère :

orthodoxie n'interdit de reconnaître que lÉvangile de saint Marc est le plus ancien
des Synoptiques et a servi de source aux deux autres tels que nous les possédons »
(p. 47 . Sur la méthode : « 11 y a donc lieu de distinguer, dans les Synoptiques, ce
qui appartient à la tradition primitive et ce qui est secondaire dans la tradition évan-
gélique; il est juste de faire, dans leurs récits et même dans les discours qu'ils rap-
portent de Jésus, le départ de ce qui est réel ou interprétatif, de ce qui a été réelle-
ment dit par le divin Maître ou de ce qui est un développement ultérieur de la tra-
dition ou l'œuvre des évangélistes dans la rédaction des faits et des paroles qu'ils
tenaient de la tradition » (p. 69i. On eût aimé voir M. Mangenot faire l'application
de ce critère aux récits de l'enfaDce. Mais il s'est contenté de réfuter les objections
littéraires contre le dogme de la conception virginale. Quant aux récits si différents,
selon s. Matthieu et selon s. Luc. il se contente de dire : « Afin de pouvoir nier leur
historicité, les critiques les déclarent inconciliables. J'estime qu'ils le sont en effet,

si on envisage tous les détails ;


mais, eu réalité, l'accord existe pour le fond » \p. 140).

M. Mangenot n'a pu se résoudre à suivre .M. Belser qui fixe à une année le minis-
tère public de Jésus.Il est en effet bien chimérique de tenter la réduction des don-

nées de Jean à une année. Son explication du but des paraboles est dirigée à la
s.

fois contre M. Loisy et contre le Révérendissime Père Fonck. Elle coïDcide à peu

près avec celle qui a été proposée dans cette Reçue [l) cependant M. Mangenot -,

admet que Jésus, qui avait d'abord parlé en termes clairs, inaugura à un certain
moment un nouveau genre de prédication. Ce sont les paraboles relatives au royaume
de Dieu qui ne sont pas claires, les autres pouvaient être comprises de tous. « Jésus
n'a donc pas distribué un double enseignement, exotérique et ésotérique, mais un
seul, public et le même pour tous, compris des uns, incompris des autres, selon les
dispositions bonnes ou mauvaises, qu'ils apportaient à l'entendre » (p. 245). C'est,
nous semble-t-il, méconnaître la pensée si nette de s. Marc sur l'enseignement spécial
donné aux disciples.
Les Facultés catholiques de Lyon ont suivi l'exemple donné par Toulouse et par
Paris. En 1909, MM. Bourchany, Périer et Tixeront ont discouru du Modernisme, de
la Trinité, de la Divinité de Jésus-Christ. En 1910, MM. Jacquier et Bourchany ont
abordé de plus près les questions bibliques en traitant de la Résurrection de Jésus-
Christ et des miracles éxanrjrliques [2). La défense des récits de la Résurrection par
M. Jacquier se tient dans les mêmes lignes que celle de M. Mangenot à Paris et de
M^''' Ladeuze à Louvain. Et cela devant un auditoire étendu, avec la bienveillante

sympathie des autorités ecclésiastiques. Ce fait est à citer aux personnes qui ne veu-
lent pas voir les progrès... de l'exégèse qui croit au progrès. M. Jacquier donne
comme un résultat assez assuré pour être proposé à tout le monde, que les évan-
gélistes ont suivi des sources, et que les deux principales sources de s. Luc et de
s. Matthieu, c'est s. Marc et le recueil de discours (p. lO;. Il dit aussi que la finale

de s. Marc « n'est pas la suite naturelle de ce qui précède » (p. 54). Il ajoute, il est

vrai, que cet appendice « a dû être ajouté par l'auteur lui-même », sans s'expliquer

(1) 1910, \t. 5-33.


(2) Ia-12 de xxi-31-2 pp. Paris, Lecoffre, 1911.
BULLETIN. 30o

sur les motifs que pouvait avoir s. Mjrc de ne pas donner à son texte sa suite natu-
relle. On ne voit donc pas pourquoi AI. Jacquier lui-même " a dû » proposer cette

énigme à ses auditeurs.


L'étude des sources avait pour but d'expliquer comment les évangélistes présen-
taient des récits si différents de la Résurrection : « On comprend qu'un fait, accom-

pagné de circonstances nombreuses, raconté par divers témoins indépendants les


uns des autres, soit relaté avec des détails divergents, tout en étant le même dans
Je fond M p. 26,. Sans entrer dans des détails trop techniques, mais sans rien omettre
d'essentiel, M. Jacquier établit correctement le caractère historique des faits et pour-
suit ses adversaires en montrant l'incohérence des hypothèses successives destinées à
remplacer l'interprétation traditionnelle.
Les conférences de M. Bourchany ont trait aux miracles, à leur réalité historique,
au caractère surnaturel des faits, à leur valeur démonstrative dans l'ordre reli::ieux
et à la Sainteté de Jésus.

La Synopsis de MM. Camerlynck et Coppieters 1 1 est déjà rééditée. La préface de


la première édition n'a pas été touchée 2;. ni le corps de la Synopse, du moins pas
sensiblement, mais l'introduction a été remaniée (3^ On lit entre les lignes que les
auteurs ont eu à se défendre contre certaines attaques. Cependant ils n'ont pas cru
devoir modifier leurs positions. Peut-être les présentent-ils avec plus de déférence pour
Jeurs antagonistes. —
quoique non pas avec plus de modestie, car ii n'v avait rien
de provoquant dans leur première attitude. Assurément la question synoptique est
trop difficile et trop discutée pour qu'un critique de sens rassis prétende en dévoiler
tous les secrets. MM. Camerlynck et Coppieters le sentent très profondément; il

leur a sans doute paru que le meilleur moyen d'exiger la même réserve de la part de
leurs adversaires était de témoigner dans la discussion des scrupules qui n'excluent
pas la fermeté dans la couclusion. Ils opinent toujours que le secoad évangile a servi
de source à notre saint Matthieu grec, et disent assez clairement que la finale de
Marc (16, 9-2o;. canonique et inspirée, cela va sans dire, n'est pas du même auteur
que l'évangile. Ils estiment plus probable que le ministère public de Jésus a duré
plus de trois ans. Sur le jour de la mort du Christ, 14 ou 15 nisan, ils ne se prononcent
pas.

La question des rapports de Philon avec saint Jean est assurément une question
ouverte. Mais il y a la manière. faudrait d'abord bien lixer les grandes thèses de
Il

Philon. puis les comparer à la théologie johannine. M. Jean d'Alraa 4) procède plu-
tôt par rapprochements verbaux, ce qui est naturellement plus impressionnant pour
le public, mais moins décisif pour les critiques. Il regarde comme acquis que le
Logos de Philon profondément imbu de théologie égyptienne. Cela est tout à fait
est
contestable. Par contre il ne se préoccupe pas de ce que Philon a pu emprunter
à la
Bible, même dans sa conception du Logos, et le fait de cet emprunt est cependant
certain. Par un artifice littéraire très inotîeosif. Philon met dans la bouche des per-
sonnages bibliques l'explication allégorique de leurs actes. M. Jean d'Alma imasine
que c'est de la sorte que saint Jean a créé ses scènes. Il y a pourtant cette diCférence,

que Philon se donne pour un philosophe exégète qui allégorise, et saint Jean pour

RB., ICW», p.308 s.


(1) Cf.
•2 Xu poiat
<iue M. Bruneau, prêtre de S.-Sulpice, est toujours S. J. malgré que cette erreur
de été signalée RB.. l. l.
lait ait
.3 P. X à Lxxiv. avec l'imprimatur de rordinaire de Bruges, 21 juin 1910.
'Al Philon d'Alexandrie et le quatrième évangile, par Jean dWlma, avec une prelaoe de
P. Sai.mïvfs. in- 1-2 de 117 pp. Paris, Nourry. 1010.

r.EVUE BICLInUE l'.'ll. — N. S.. T. VIH. 20

li
306 REVUE BIBLIQUE.

un témoin. Le puits est profond, dit la Samaritaine, ^"'admirez-vous pas le symbo-


lisme? Mais comment se fait-il que le puits de Jacob soit en elTet d'une profondeur
tout à fait exceptionnelle en Palestine?

Il parait qu'il est nécessaire en Allemagne de prouver que Jésus a existé. C'est que
la Sozialdemokratie s'intéresse plus aux questions religieuses théoriques que nos
socialistes français, et qu'elle a la prétention de s'attaquer à l'histoire. M. ï'ranz
Mefïert a donc écrit : l'existence historique du Christ (1), en insistant sur l'indépendance
des évangiles par rapport au Bouddhisme. Sauf Napoléon !) cité en bonne part, les
noms français ne figurent ici que comme avocats du diable Yves Guyot. Loisy (2), :

Burnouf, Hochart. Jacolliot, Renan, Voltaire. Il va sans dire que les travaux de
M. de la Vallée Poussin et son bel article de la ReiU'' Bibliqve 3) n'entrent pas dans
l'horizon de l'auteur. Peut-être estime-t-il que les Allemands croiront plus volontiers
au Christ, si ces diables de Français n'en font rien, en dépit de ]N'apoléon, « le grand
Corse » ? Pour nous, nous sommes heureux que la question ait été aussi bien traitée,
et nous saluons avec sympathie la nouvelle série de brochures apologétiques (4).

La du jeune Ménélaus, études sur la Pentecôte et le jour de Pâques (5)...


vision
voilà un moins étrange que l'ouvrage lui-même. Le titre suggérerait
titre étrange,

quelque roman pieux; en réalité on traite surtout des apparitions du Christ ressus-
cité. C'est évidemment une tentative de les rendre croyables en les atténuant au —
point de les éliminer, —
aux personnes qui expliquent tout par le subliminal et la
subconscience. De cette façon les cinq cents frères qui ont vu le Seigneur d'après
s. Paul ont été l'objet de l'action de l'Esprit du Christ, individuellement et peu à

peu, et ils ne se sont groupés que pour la Pentecôte. Tout cela est tellement spécial,
avec des inductions si subtiles d'après les apocryphes, que pour discuter la thèse il

faudrait d'abord reproduire le livre presque eu entier. Et le jeune Ménélaus? Il

figure dans un apocryphe arabe {Mythological Acts ofthe Apostles, de Mrs. Lewis,
p. 157) s. Jean l'a tué pour le punir d'un crime, et l'a ressuscité, et dans l'intervalle
:

il a eu une vision.

Le R. P. M. -M. Sicard,des Frères Prêcheurs, s'est montré fidèle aux traditions de


l'Ordre en consacrant trois volumes à sainte Marie-Madeleine i6K Dans le premier, il

soutient le bien-fondé de la tradition de Provence et fait l'historique des reliques


de la crypte de Saint-Maximiu. Dans le second, il présente la vie de sainte Marie-
Madeleine telle que nous l'ont laissée la Sainte Écriture, les Pères et les écrivains

de l'Église, la liturgie et les légendes. Le troisième raconte l'histoire du culte qui


a entouré la crypte de Saint-Maximin et la Sainte-Baume. On lira avec intérêt cet
ouvrage consciencieux et pieux, animé de la plus vive dévotion pour la sainte amie
de Jésus. L'ouvrage est honoré d'une lettre du Révérendissime Père Maître général
des Frères Prêcheurs.

Nous pensions trouver dans VHistoirc politique et relir/ieuse de l'Arménie, par Fr.

(1) Die geschichtliche Existenz Cliristi.MmDr. tlieol. Franz MEFFF.r.i, ia-8" de 191 pp. M. Glad-
bacii, 1910.
(-2) Rangé parmi les protestants à la p. "8.
(3) Le boudhismc et Irs Evanç/iles ranoniques. 1906, p. 333 ss.
(4) lu autre caliier est consacré à l'esclavage et l'ancienne Église, Sklavenlos v.nd aile
Kirche. von Dr. .Ailfons Stf.inman.n.
(S\ The vision of the young maii Menelaits, studies ofPentecost and Easter, by the author of
t Resurrectio Christi », petit in-8" de xxv-2to pp. London, Kegan Paol, Trench, Triil)ner, 1910.
(6) Sainte Marie-Madeleine, La tradition et la Critique, in-!6 de 3-20 pp.; Sa vie, 318 pp.; Son
culte, 3W pp. Paris, Savaète, 1910.
BULLETIN. 307

ïournebizei 1). quelques détails intéressants sur les versions arméniennes de la Bible.

Tout ce point tient en une page 'p. 63.5 >~ous ne pouvons donc que signaler cet
.

ouvrage vraiment magistral que l'auteur promet de perfectionner encore, car il


avoue, avec une entière candeur, qu'il a accordé encore trop de crédit à Moïse de
Ivhorène. Mais il n'est pas sans intérêt de connaître cette légende, et on ne trouvera
nulle part, du moins en français, ni peut-être en aucune langue, une histoire aussi
complète d'un peuple qui a joué un si grand r«jle en Orient. D'ailleurs l'auteur lui-
même a tenu à reviser son œuvre en ajoutant un appendice important sur
très
l'histoire critique de l'Arménie ancienne, d'après les récentes découvertes et les
historiens non arméniens.

On oublie pour un instant que les Origines de la théologie moderne n'entrent guère
dans le cadre de cette Rerue pour dire toutbien qu'on pense du premier volume
le

que nous donne M. l'abbé Auguste Humbert, traitant de \dL Renaissance de rantiquilc
chrétienne (1400-1.521) '2). Encore est-il que la position prise par Érasme, admirateur
de s. Jérôme, et la réaction anti-intellectuelle, anti-historique de Luther, qui pré-
tendit s'appuyer sur s. Augustin, ne laissent pas de fournir de précieuses lumières
sur la question biblique. M. aux anecdotes, ni même
Humbert ne s'arrête pas
et —
peut-être y a-t-il là une lacune —
aux études psychologiques, mais il sait tracer les
courants doctrinaux, et en s'appuyant sur les sources. Il eût rendu service aux pro-
fanes en disant oii en sont les éditions des grands réformateurs. Le livre appartient
à la « Bibliothèque théologique », mais il touche de si près à l'histoire qu'un peu de
bibliographie ne serait pas de trop. Après cet essai, on peut attendre beaucoup de
M. Humbert; c'est un historien de race dont les débuts ont fait honneur à la Revue
des sciences •philosophiques et théologiques.

Ancien Testament. — Les Bihlische Studien comprennent aussi des commen-


taires. M. Lippl s'est attaqué au prophète Sophonie (3\ L'introduction est consacrée
surtout soit à mettre Sophonie dans son cadre historique, soit à examiner la valeur
relative du texte massorétique et des versions grecque, araméenne, syriaque et vul-
gate latine.M. Lippl place vers 630 l'invasion des Scythes. Elle était passée quand
Sophonie annonça le grand jour du jugement de lahvé, et si les Scythes lui ont fourni

les éléments de la description du peuple vengeur, ce peuple demeurait caché dans les

mystères du Nord. M. Lippl pense comme M. van Hoonacker « que le prophète ne se


rendait lui-même pas compte distinctement d'où viendrait la catastrophe ». Il est
probable qu'il écrivait après la restauration religieuse de Josias, et c'est parce qu'il
n'était pas encore connu dès lors comme prophète, que le roi ne le consulta pas
dans cette circonstance (621). C'est l'échec de la pieuse tentative de Josias, parmi un
peuple que les ravages des Scythes auraient déjà dû amener à résipiscence, qui 6t
comprendre à Sophonie qu'il n'y avait plus d'espérance, qu'Israël était définitivement
condamné à passer par le jugement destructeur. Cependant M. Lippl admet l'au-
thenticité des paroles consolantes i3, 14-20), parce qu'elles s'adressent à un nouvel
Israël. En matière de critique littéraire, l'auteur est donc conservateur, sans se refuser
le droit de suspecter quelques petits endroits comme des gloses. Il esquisse un

il) Depuis les origines des Arméniens jusqu'à la mort de leur dernier roi il'an 1393), grand in-S"

de 872 pp. Paris, Picard. —


Sans date; la moitié du livre a paru, à d'assez longs intervalles, dans
la Revue de l'Orient chrétien.
(2) de 358 pp. Paris, Lecoffre, iiill.
In-i-2
(3) Das
Buc/i des Proplielen Sophonias, erkUirt von D"' Joseph Lh-pl. Subregens am biscliollichen
Klerikalseminar zu Passau [Biblische Studien, XV, 3;, in-><' de xvi-140 pp. Herder, Freiburg im
Breisgau, l'jio.
308 REVUE BIBLIQUE.

schème métrique, mais avec beaucoup de modération. Le commentaire tient compte


des travaux antérieurs.

Le R. P. Cornely. fondateur du Cursus Scripturx sacrœ. est mort le 3 mars


1908, dans sa soixante-dix-huitième année, laissant en manuscrit un commentaire
du Livre delà Sagesse. C'est cet ouvrage que publie aujourd'liui le R. P. Zorell (1),
sans y rien changer, ou très peu de chose, sauf qu'il a éliminé quelques longueurs
et retranché çà et là le nom de Salomon. Il paraît en elfet que plus le P. Cornely
avançait dans son travail, plus il attribuait avec conflance à Salomon la seconde
partie du livre (2). Ce serait la seule marque du tribut que l'illustre exégète aurait
payé à son grand âge, car ce commentaire est tout à fait digne de ceux qu'il avait
précédemment donnés au public. Mais a-t-il vraiment pensé que Salomon ait rédigé
une œuvre si évidemment écrite en grec.^ Sa pensée parait avoir été que l'auteur de
la Sagesse s'est servi d'ouvrages de Salomon aujourd'hui perdus, et c'est ce que le
Pv. P. Zorell a laissé subsister à la p. 2. En quoi le P. Cornely était parfaitement
logique. Quiconque attribue les Proverbes à Salomon doit reconnaître dans la Sa-
gesse des concepts salomoniens. Il y aurait une autre manière d'être logique, ce
serait d'établir avec le P. Cornely qu'on peut reconnaître sans s'attaquer au dogme
ni à la tradition catholique que la Sagesse n'est pas de Salomon, quoiqu'elle soit

mise en grande partie sur ses lèvres (3) et d'appliquer le même critérium aux Pro-
verbes. Quant à prétendre avec le P. Coruely que l'auteur de la Sagesse a mis eu
œuvre des ouvrages perdus de Salomou, c'est une de ces échappatoires qui ne satis-

font ni le parti pris de s'en tenir à l'apparence littérale, ni le sentiment critique un


peu au courant du développement des idées 4}. Entre le temps de Salomon et la fin
du m'" siècle avant notre ère —
date probablement trop haute. Israël avait fait —
des progrès sensibles, grâce aux Prophètes et à l'Esprit de la révélation, et il est au
moins douteux que des ouvrages composés par Salomon aient aidé beaucoup à
prendre position en face de l'hellénisme un auteur qui se montre si versé dans les
choses grecques.
Du reste le P. Cornely avait pris franchement son parti d'expliquer un livre grec,

et la supériorité de son œuvre tient précisément à ce qu'il n'a pas hésité à expliquer
le texte grec. Il s'exprime assez durement sur le compte du traducteur latin (5), et si

le latin sert de base au commentaire, c'est en compagnie du texte grec, expliqué


avec beaucoup de soin, et qui a constamment la préférence. Ce serait une faute im-
pardonnable de notre part de négliger la Vulgate, mais si les textes originaux peu-
vent contribuer à faire mieux connaître le sens des Livres Saints, nous sommes non
seulement autorisés mais tenus à les étudier de très près. Mener les deux explica-
tions de front, c'est seulement compliquer son travail, et s'exposer parfois à manquer
de clarté. Si le P. Cornely a triomphé de cette difficulté, c'est qu'il s'attache partout
à rectifier la traduction latine par une nouvelle traduction plus conforme à l'original.

(1) Commentai' iu s in librum Sapienliae auctore Rudolpho Cornei.y, S. I., opus postumum
edidit Franciscus Zor.ELi., S. I., in-8" de iv-Oii pp. Paris, I-ethielleux, 1940.
(i) Zorell. p. m :quum auctor... quo tnagis aulem opus procedebat, eo sœpius ac coiiDdentius
alteram libri parleni illi régi nomioatim attribueret ».
• litulus autem SapieiUia Salomoiiis » (qui non est idem ac • liber Salonionis de Sa-
(3) P. 2 : •

pientia ») apte operi pnBlixusesl quod in sapientissimi régis sapientia explananda et inculcanda
totum versatur •. —
Avec cet argument on pourrait distinguer • La loi de Moïse » et « le livre de
Moïse sur laLoi », ce qui serait sans doute contraire à la pensée du R. 1'. Cornely.
(4) 11 ne peut être question en pareil cas d'un simple changement dans la l'orme, p. -j » Auctor :

ergo, uti temporum condilio ferebat, doctrinam traditam ita in novam l'orman redegit, ut vêtus
ex ea luceat. »
(o) «Imperito indisertoque... ita ut nonnuilis in locis obscurior impeditiorque sit alque vix
intelligi (jucat nisi primigcnio textu in auxilium vocato », p. .'il.
BULLETIN. 309

Oa sait assez que l'illustre maitre était un helléniste bien informé, et l'on regrettera
seulement qu'il n'ait point relevé dans les papyrus des expressions propres à mettre
dans tout son jour une langue écrite en Egypte. Assurément le commentaire est
abondant, et le R. P. Zorell qui l'a abrégé semble le juger encore trop long. Cepen-
dant on ne saurait le taxer de verbiage. Un livre biblique de cette importance devait
être étudié de très près, et. comme il est très difGcile, on ne se plaindra pas que
Il va sans dire aussi que cette interpré-
l'interprétation soit poursuivie dans les détails.
non sans de certaines inconséquences. Par
tation est très strictement Jitteraliste,
exemple l'auteur admet que la femme de Lot n'a pas été changée en statue de sel.
C'est son cadavre qui a été recouvert de sel, et les flots de la mer, accumulant le sel,
ont fini par former une statue. Et cependant il n'ose décider si la statue dont parlait
l'auteur de la Sagesse est la même que celle qui fut formée au temps de Lot: il ne
serait pas prudent de se prononcer là-dessus (1\ Mais n'est-il pas plus probable que
les intempéries ont défait en plusieurs siècles ce qu'elles avaient fait d'abord? De
même le P. Cornely admet que la ruine de la Pentapole a été causée par des érup-
tions volcaniques, ce qui ne répond pas littéralement au texte de la Genèse (2). Mais
il tient à maintenir le sens propre du livre de la Sagesse (10, 7) : à cette époque, la
terre « fumait », comme fume une fournaise; on n'a pas le droit de voir dans cette
fumée la vapeur constatée par les modernes. Depuis ce temps la terre s'est refroidie,
voilà tout.
Encore un exemple. Le texte dit (16, 21) que la manne « se transmuait en ce
que chacun désirait ><. Les littéralistes les plus déterminés ont imaginé, dit Calmet.
« qu'il se faisait à tout moment dans la manne un changement réel de sa substance,
en celle que l'on désirait ». Le R. P. Cornelv ne va pas jusque-là, mais il admet
que la manne prenait en effet le goût que chacun désirait, puis il restreint très

arbitrairement ce privilège aux seuls justes, alors que les fils (de Dieu) sont ici pour
le peuple d'Israël. Autant vaudrait faire passer le texte au laminoir du bon Calmet :

la manne « était tout ce qu'on pouvait désirer, elle leur tenait lieu de tout, elle
était équivalente à toutes les plus excellentes nourritures ».

Assurément plus d'un lecteur fera difficulté de suivre le R. P. Cornely dans ce


dédale. Mais plutôt que d'insister sur des imperfections inhérentes à la méthode, il
convient de rendre hommages aux éminents services de ce philologue consciencieux
et sûr, de ce théologien sage et timoré, de ce travailleur infatigable, dont le der-
nier ouvrage atteste, même après sa mort, l'érudition et le zèle pour la Parole de

Dieu.

Personne ne sera tenté de reprocher de trop longs développements au R. P. Kna-


benbauer dans son commentaire des Proverbes (3j. On dirait que l'espace lui a été
parcimonieusement ménagé. Mais alors pourquoi reproduire entièrement le texte de
la Vulgate par péricopes, ce que l'auteur ne faisait pas dans ses précédents com-
mentaires sur l'A. T. en hébreu? Une autre innovation n'est guère plus heureuse,
c'est que cette fois les mots traduits de l'hébreu ne sont plus en italiques, comme si on
avait craint de les mettre sur le même rang que la Vulgate, de sorte qu'il faut beau-

(1) p. 38C . utrum illa ipsa sit, qu.t Loli tempore exorta est, neque
: prudeater affirniari potest
neque prudenter negari ». Et cependant Calmet disait déjà « L'Auteur s'exprime suivant la tra- :

dition de son temps, ou l'on montrait encore le monument de la femme de Lot changée en statue
de sel. »

(2) Geo. 19, 24 : le soufre et


viennent d'auprès de lahvé, du ciel.
le feu
(3^ Commentarius in Proverbia, auclorc
loseplio Kxabexdauer, S. I., cum appendice de arte
rliythmica Hebraeorum, auctore Francisco Zokell. S. I., in-8° de 270 pp. Paris, Letliielleux, i'JlO.
310 REVUE BIBLIQUE.
1
coup d'attention pour savoir où finit le texte et où commence le commentaire (1\
Comment ajouter encore des restitutions de l'iiébreu, soit d'après les LXX, «oit
d'après des conjectures? En tout cas il ne reste plus de place pour les explications
de longue haleine, comme celles qu'on aurait souhaitées sur la personnification de
la Sagesse, etc.
Phis courte encore est l'Introduction. Elle contient une page et demie sur l'auteur
des Proverbes. Le R. P. Knabenbauer note que le livre n'attribue explicitement ii

Salomon que 10, 1-22, 16 et aux témoins du roi Ezéchias 25, 1 29, 27.
Mais il est assez évident qu'il n'a pas voulu discuter la question des auteurs ni de
l'époque où l'ouvrage a été composé sous sa forme actuelle. Il s'amuse sans doutej
'

en s'objectant que luxueux Salomon n'aurait pas conseillé de se contenter de


le

lait de chèvres (Prov. 27, 27), et en répondant que les rois ne sont pas obligés de

s'en tenir aux menus qu'ils écrivent pour les bergers. N'y avait-il rien à dire sur les
points beaucoup plus graves et plus significatifs qui touchent à la doctrine et à la
pensée ?

Mais puisque le R. P. Knabenbauer s'est abstenu — quelle que soit la raison de


cette abstention — de toucher aux problèmes les plus intéressants que soulève le
Livre des Proverbes, il ne nous reste qu'à le juger sur ce qu'il a donné au public.
Il est inutile de dire à qui a pratiqué ses admirables commentaires sur les évan-
giles, que son travail est excellent. Les explications sont correctes, succinctes, avec
d'assez fréquents renvois à Cornélius a Lapide. La critique textuelle est pratiquée
assez sévèrement, et un certain nombre de stiques sont mis en suspicion. Cepen-
dant le R. P. Knabenbauer a laissé au R. P. Zorell le soin d'esquisser une théorie
métrique. Que le rythme des Hébreux ait reposé sur les syllabes accentuées, c'est
sur quoi tous les raétriciens sont d'accord; comment faut-il compter les syllabes non
toniques, c'est sur quoi chacun propose son système. Celui du R P. Zorell est ca-
ractérisé parce qu'il admet, quoique assez rarement, l'apocope, l'élision et la pro-
nonciation de deux voyelles en une seule syllabe [senezesls] entre deux mots.

Peuples voisins. — Le trente-troisième fascicule des « Annales du Musée Gui-


met » est consacré au catalogue des cdindres orientaux qui figurent, soit comme
originaux, soit au moins en moulages, sous les vitrines de l'infatigable collection-
neur 2'. M. L. Delaporte a pris le soin non seulement de grouper ces cylindres eu
séries, mais encore de donner l'interprétation la plus vraisemblable des scènes qu'ils
représentent. Un premier classement répartit les objets en catégories d'après leur
provenance ou leur époque. Les plus nombreux sont, de beaucoup, ceux qui ont été
recueillis en Chaldée ou en Assyrie. Ils s'échelonnent sur quatre périodes suméro- :

akkadienne, kassite, assyrienne, néo-babylonienne. Les autres cylindres ou intailles


proviennent de la Perse, de la Susiane, de l'Egypte, de l'Asie Mineure. Dans un
avant-propos, très succinct mais bien documenté, l'éditeur cherche à montrer la
prédilection de la glyptique pour telle ou telle scène aux diverses époques. C'est
ainsi que durant l'époque archaïque de Soumer et d'Akkad (vers 3000-2500 avant

(1) Je tombe sur cet exemple Prov. 24, 19. Hoc vero loco versio vulg. non est satis apta; ne
:

conlendas cum pessimis, ne excandescas de sceleratis diebr.) nec aemuleris impios, ne zelo
invidiae contra impios movearis (cela est encore la traduction du texte hébreu); temporalis
([uippe prospérités brevis est et vana, g!'.o;iiVjw non habent futurorura spem //lait"; sensum bene
déclarât vulg., quia non erit futuruni bonus exitus) malo (cela est encore la traduction de l'hé-
breu); non potesl sibi promittere l)ona pro tempore future es certa retributionis norma; nam
lucerna impiorum extinriuetur ; cf. 13, 9: félicitas evanescet (cela est du commentaire), etc.
v2) Jinnales du Musée Guhnet. t. XXXIII. Catalogue du Musée Guimet, Cylindres orientaux,
par L. Delvporte. In-4<> de xi -j-140 pp. et 10 pi. Paris, Leroux, 1909.
BULLETIN. :3H

notre ère"» les êtres fantastiques, animaux dressés, taureaux à face humaine, aiiiles
léontocépliales, etc., sont très fréquemment représentés. Déjà Gilgamès et Eabani,
les héros de la fameuse geste babylonienne en douze chants, possèdent leurs attributs
caractéristiques, ce qui suppose que les légendes concernant ces personnages se
racontaient à la veillée des cette haute époque (1). Ce sont eux encore qui fournis-
sent la plupart des représentations aux graveurs de l'empire d'Agadé (vers 2700-
2200 . dont l'art était alors à son apogée. Éabani est toujours le personnage hybride,
au corps d'homme, mais à la croupe et aux jambes de taureau. 11 forme le lien

entre le sauvage qui court à travers le désert en compagnie des animaux et le cita-

din dont le type est Gilgamès. Celui-ci. tantôt nu pour bien faire ressortir ses mem-
bres musclés et son buste d'athlète, tantôt étroitement serré par une ceinture, lutte
contre le monstre Éabani et tous deux finalement deviennent les inséparables com-
pagnons itels Héraclès et Iphiclès, qui vont purger la terre des monstres qui l'in-

festent. Aussi les voit-on se mesurer avec les taureaux les plus vigoureux, même
avec le taureau céleste (le Minotaure) que la déesse Istar a lancé contre eux pour

se venger des affronts que lui a infligés le grossier Éabani. Souvent encore ce sont
les lions que nos deux champions mettent à mal, en les saisissant par les pattes ou

par la queue. Les cylindres étaient le commentaire vivant du récit épique, où les
détails de ces exploits merveilleux avaient été notés avec une abondance digne d'Ho-
mère. On s'ingénie aussi à fixer les traits de la divinité, qu'il s'agisse du dieu aux
ailes de flamme (Sama.s. le dieu-soleil), du dieu-serpent, du dieu au vase jaillissant
(qui abreuve les hommes des eaux de la vie).Enfin, les hommes ou les femmes, en
posture d'aduration devant la divinité ou en train d'offrir la victime du sacrifice. Les
plus humbles sont vêtus d'une « pièce d'étoffe, presque toujours à franges, enrou-
lée en forme de jupon court >> : les aristocrates portent le chàle à rayures verticales
ou à franges, parfois même le kaimakès. Au temps de la première dynastie babylo-
nienne (à partir du vingt-deuxième siècle avant notre ère), des personnages nou-
veaux apparaissent, principalement un dieu barbu porteur d'une masse d'armes et
qui pourrait bien être le dieu Adad i2 ainsi qu'une femme nue parfois plus petite .

que les autres flgurants; dont le rôle est celui d'intercéder pour le possesseur du
cylindre. En Assyrie, on a l'habitude de représenter un arbre sacré autour duquel
se groupent les personnages divins ou humains. L'homme prie la divinité, lui offre
sa modeste obole, chevreau ou agneau. La chasse et la guerre sont aussi fort goûtées
des graveurs assyriens. La piété des rois de la dynastie néo-babylonienne (62.5-.539)
donne une place prépondérante au sacerdoce. De lik la présence fréquente du prêtre
sur les cylindres et les cachets plats de cette période.
La façon dont M. Delaporte a rendu compte des scènes figurées, la réserve presque
timide avec laquelle il hasarde une nouvelle hypothèse, le soin qu'il a eu d'invento-
rier, pour les mettre en parallèle, les cylindres des autres collections, tout cela dénote
un grand souci d'exactitude et de clarté. Peut-être pourrait-il maintenant donner un
travail d'ensemble sur la ulyptique chaldéenne. babylonienne et assyrienne. Ce serait
le moyen de remplacer des publications déjà vieillies et de ïour niv procul ab Urbe stu-
dentibus une raine de matériaux très précieux pour la reconstitution de la vie et des
idées religieuses dans les antiques civilisations mésopotamiennes.

Puisque nous sommes dans le domaine des cylindres orientaux, n'oublions pas de

1) Il ne faut pas oublier que le récit du déluge babylonien est contenu tout entier dans cette
vieille épopée cf. notre Choix de textes.. ., p. iOO ss.
:

(2 La première dynastie de Babylone a laquelle appartient Hanimourabi) est d'origine amor-


rhéenne, c'est-à-dire ouest-sécnitique.
312 REVUE BIBLIQUE.

M. William Hayes Ward,


signaler la luxueuse publication que vient de faire paraître
sous les auspices de M. Morgan (1;. L'ouvrage a été priiately prinled
J. Pierpont
et tiré seuletnent à 250 exemplaires. M. Pierpont Morgan n"a pas voulu que la re-

production des trésors qui Ggurent dans ses collections d'art oriental devînt un arti-
cle de commerce et il a préféré se comporter avec la plus grande libéralité à l'égard
des assvriologues. Le catalogue, très soigneusement dressé par M. "Ward, contient
323 numéros. A côté des cylindres babyloniens et assyriens,
il en est de provenance

chypriote, syro-hittite et perse. On trouve même


deux cylindres sabéens dont la
rareté n'v en a que six connus jusqu'ici) décuple la valeur. L'un n° 269) repré-
,'il

sente trois personnages à longue barbe, se faisant face deux à gauche et un à droite)
de chaque côté de l'inscription qui consiste simplement dans le nom du possesseur.
En plus, une étoile et un poiiinard. Le second cylindre est de facture toute babylo-
nienne et a dû être utilisé simplement par le Sabéen qui y grava son nom. Le dieu
Adad, debout sur son taureau, reçoit les adorations d'un personnage également
debout. La scène est encadrée par deux génies ailés, à tête d'aigle. Dans le ciel, le
croissant de la lune, l'étoile d'Istar, les sept ronds qui représentent ou les Pléiades
ou les dieux Igigi. Les sceaux babyloniens portent de préférence une divinité, sou-
vent assise sur son trône, tandis que les Assyriens ne négligent pas l'arbre sacré que
M. \Yard appelle « arbre de vie ». La collection de M. Pierpont Morgan est surtout
riche en cylindres syro-hittites. A côté des représentations purement hittites on re-
connaît fréquemment l'influence de l'art égyptien, babylonien ou assyrien. L'éditeur
se contente généralement de décrire les scènes et ne hasarde une interprétation que
lorsque le sujet est suflisamment clair par lui-même. Tout le monde rendra hommage
à la compétence de M. N\ ard en glyptique orientale.

M. Virolleaud poursuit sans relâche sa publication de l'encyclopédie astrologique


des Eabvloniens. _\ous recevons simultanément les fascicules 9 et 10. dont l'un
comprend le texte 2) et l'autre la transcription 3 des morceaux qui n'ont pu pa-
raître dans les séries précédentes : Sin (fasc. î et .5 . Samas fasc. 2 et 6\ Istar fasc.
3 et 7), Adad (fasc. 4 et 8). L'auteur promet encore un nouveau supplément qui con-
tiendra la On des textes et de leur transcription, après quoi viendront la traduction
et le glossaire. On ne peut qu"admirer l'exactitude et la clarté de la calligraphie de
M. Virolleaud. Un simple coup d'œilsur la transcription est un garant de la bonne
intelligence du texte. Tous les phénomènes astraux ou atmosphériques, éclipses de

lime et de soleil, arcs-en-ciel, nuées dans l'air, position des planètes sur tel ou tel
point de l'écliptique, sont des indications dont l'astrologue doit tenir compte. S'il y
a une éclipse de soleil, le premier jour de Marheswan 'octobre-novembre., le roi-

sera tué par ses Ois; si elle a lieu le treize du même mois (jour néfaste!, c'est le

roi d'Akkad Babylonie' qui est voué à la mort; mais, le vingt et un. c'est au roi
d'Amourrou ;cûutrées de l'ouest) d'être victime. Par contre, si l'éclipsé a lieu le
trentième jour du même mois, « le roi prolongera sa vie, mais sa troupe est ren-
versée par les armes ». Parfois la nature du phénomène iulluence la déduction as-
trologique si, par exemple, au mois de >'isan (mars-avril), la planète Vénus « est
:

barbue d'une barbe les gens du pays mettront au monde des mâles. On est dé-
,

(1) Cylinders and olher ancient oriental seuls in Ihe library of J. Pierpont Morgan cataloguée!
by William Hâves Wap.d. Grand ia-4" (de luxe de 1-29 pp. -f ^9 pi. New-Vnrk, privately priuted,
190!».
^-2' L'astrologie chaldéenne, etc. Fasc. 0. Supplément, texte. In-l^de 09 pi. Paris, c.euthner. 1910.
^3) L'astrologie chaldcenne, elc. Fasc. 10. Supplément, transcription, in-l" deti:5 pp. Paris, Geutli-
ner. r.HO.
BULLETIN. 313

concerté quand on voit la multitude de petits faits que les astrologues clialdéens
avaient consignés dans leurs mémoires. iVous avons donné déjà un échantillon de
ces observations à propos justement de la (1). La
publication de IM. Virolleaud
manière dont l'auteur a poursuivi son travail atteste éminemment son souci de la
précision et la richesse de ses informations dans le domaine de la littérature as-
trologique. Aussi nous refusons-nous à reconnaître M. Virolleaud dans l'auteur d'un
petit fiictum intitulé La légende du Chrixt que la librairie Geuthnei' a lancé sur le

marché. C'est une méchante plaquette dont nous ne voulons pas parler, car nous
n'aurions à en dire que du mal, au point de vue strictement scientifique.

Le R. P. Kugler. S. J.. est l'un de ceux qui, avec M. Virolleaud, s'occupent le


plus des textes assyriens et néo-babyloniens relatifs à l'astrologie. Nous avons dit
tout le bien que nous pensions de son Sternkundi' und Sienulien^l in Babel 2), et si

nous ne rendons pas compte de son second volume, c'est que la première partie seule
en est éditée. Mais les astres n'ont pas fait tourner la tête du P. Kugler et il est de-
venu, en Allemagne, champion du bon sens contre les déplorables excès du pan-
le

babylonisme astral. Dans plusieurs numéros de VAnUtropos il a montré l'inanité des


systèmes en vogue et l'un de ses articles était un véritable chant de triomphe « Sur
les ruines du panbabylonisrae (3) ». Il avait pris qu'on nous passe l'expression —
puisque nous vivons en Turquie il avait —
pris comme « tète de Turc » le pasteur
A. Jeremias, l'un des tenants les plus acharnés des thèses aventureuses de M. Winck-
1er. Un véritable duel s'est engagé entre les deux adversaires et le nouvel ouvrage

du P. IvLigler, Im Bannkreis Babcls, est l'une des phases de cette intéressante polé-
mique (4). Le point en litige est l'antiquité de la science astronomique chez les Chal-
déens, Kugler tenant pour l'origine récente ivers 700 av. notre ère), Winckler et Je-
remias pour une époque bien plus reculée. Nous croyons que Kugler est dans le vrai,
en distinguant soigneusement astrologie et astronomie, celle-là datant des origines et
se réduisant à une observation pratique des phénomènes astraux au point de vue de
la divination, méthodiquement ces phénomènes et procédant par
l'autre classant
voie scientiûque. La plus grande partie de l'ouvrage est consacrée à une critique
serrée de ce que M. Winckler appelait sa « formule » {Formel). Celle-ci avait été
exposée, avec une légère emphase, par son auteur et — tout en se défendant de
vouloir jeter le ridicule sur sou adversaire — le P. Kugler éprouve un malin plaisir
à souligner le ton solennel avec lequel la soi-disant découverte avait été communi-
quée au monde savant. La formule
Hunmehijild WeUbild, Ma-
est la suivante : =
krokosiitos =
Mikrokosmos, ce qui veut dire, en langue profane, que les choses et
les événements de la terre sont interprétés par les anciens comme « l'image, la re-
production » de ce (jui se passe ou de ce qui s'est passé dans le ciel. On devine la
voie ouverte à la fantaisie par cet axiome. Les récits qui nous relatent les faits his-

toriques les plus palpables sont des constructions d'origine astrale, et comment dis-
tinguerons-nous l'objectif du subjectif dans ces récits? L'histoire biblique est la pre-
mière victime de ce genre d'interprétation. Pour ne pas insister outre mesure, nous
nous contenterons de renvoyer aux spécimens que nous avons détachés précédem-
ment des divers écrits panbabylonistes (.5). Le P. Kugler détruit, par le menu, les
bases sur lesquelles M. Winckler a voulu édifier sa thèse. Maintes digressions repo-

(1) RB., 1909. p. 3-24 s.


(2) RB., ntOl», |i. 3-23.
Au/' den Trihninera des PanbabylonisiHUS, dans Anthropos, 1909, p. 477-499.
(3)
(4) Im Bannhrcis
Babels, Panbabylonistische Konslruktionen und Religiotisgeschichtliclie Tal-
sachen von F. X. Kigler, S. .1. Grand in-8" de xx +
1(36 pp. et 4 pi. Miinster i. W., Asclieiidorff, 1910.
(o) RB., lilOS, p. 617 s.; 1908, p. 1-28 ss.; 1907, p. 132 s., etc.
314 REVUE BIBLIQUE.

seront le lecteur que fatigue un peu la discussion par trop unilatérale. Pour montrer
par un exemple frappant les absurdités où peut conduire le panbabylonisme à ou-
trance, l'auteur consacre vingt pages de son livre à un pastiche de l'ouvrage de
M. Jensen, D/'s Gllr/ainesch-Epos. Utilisant les procédés par lesquels Jensen a ra-
mené à Tepopée babylonienne tous les faits et tous les personnages de TAncien et du
?souveau Testament, le P. Kugler établit,que le roi Louis IX
par mode de plaisanterie,
est « un héros un Gilgamès français ». C'est la démonstration par l'absurde
solaire et
des nombreux illogisnies contenus dans la thèse de Jensen. On trouvera le procédé
un peu lourd. Mais peut-être n'est-il pas inutile, au delà du Rhin, d'insister longue-
ment sur des écarts d'imagination dont se laissent griser des esprits peu familiarisés
avec les exigences d'une impitoyable logique. Avec le P. Kugler, nous dirons en
finissant : Sapienti sat!

Comme pour fixer un nouveau jalon sur le chemin parcouru par le panbabylo-
nisme, M. Wilhelm Erbt interprète se/on /'/ formule l'évangile de S. Marc il". Xous
pouvons laisser sa brochure sous la rubrique « Peuples voisins ». car on n'y trouvera
guère que de l'astrologie chaldéenne à propos de l'évangile. Je me trompe. A la
page 62, vous verrez « le Zodiaque dans Marc » et une figure astronomi({ue où, en
effet, apparaissent toutes les constellations du zodiaque vous prouvera par a -^ b
que les faits évangéliques se ramènent à ces constellations. Laissons à l'auteur son
style sibyllin : Pleine-lune. — Mort. — Soupir. — Baptême de l'esprit. — Croix. —
iNinib, Soleil, Solstice d'été. Voulez-vous savoir à quoi correspondent les apôtres?
c Philippe, mois de Sabat, Aquarius, Adad. — Barthélémy,
mois d'Adar, Pisces, les
sept dieux, etc.. etc.. ». Évidemment nous avons là un phénomène de déséquilibre
qu'il importe d'enrayer. Ces aberrations du système astral illustreraient la fable de
La Fontaine « L'astrologue qui se laisse tomber dans un puits ». En tout cas, à la
vue de ces élucubrations sur l'évangile, on redit de bon cœur la prière de Jésus :

Conftteor tibi, patcr... quia abscondisti hoec a sapientibus et prudent ibus el revelasli
ea parvulis.

On beaucoup des lettres assyriennes et babyloniennes à l'université


doit s'occuper
de Leipzig, nous en jugeons par les Leipziger Semitistiche Studien. Déjà nous|
si

avons analysé l'ouvrage deBehrens sur les lettres de l'époque des Sargonides dont l(
sujet est religieux ou cultuel (2). On annonce comme devant paraître dans la mêmel
collection une étude de M. Ylvisaker sur la grammaire assyro-babylonienne d'aprèsj
le style de cette correspondance. Voici maintenant une monographie, due à M. Erns^
Klauber, sur les fonctionnaires en Assyrie toujours d'après ces lettres i3). Le traité
se divise en deux parties, l'une sur le roi, la cour, la condition générale des fonc-
tionnaires, l'autre sur les divers degrés de la hiérarchie. On trouvera dans le premier
chapitre une étude sur les lettres elles-mêmes (4) et la façon d'en déduire des ren-
seignements concernant le rôle que jouait dans l'adininistration tel employé dont
nous ne connaissions que le nom. Déjà M. Godbey avait catalogué ces noms de fonc-
tionnaires qui apparaissent dans la correspondance de l'époque des Sargonides (ô),

(1) Das Markusevangclium dans les Mitleilungcn der vorderas. Gesellschafl, 1911, 1. Nous
prierons la vorderasiatische Gesellsc/iaft de nous donner des études sérieuses sur l'antiquité
orientale et non pas des fantaisies de mauvais aloi, telles que celle que nous avons sous les yeux.
(•i) RB.. i;)07, p. 4(i3.

(3) Assyrisches Bcamtentv.m nach Briefen ai'.s der Sargonidenzeit von Dr. Pliil. Er.ssT Klacder.
ln-8 de M —
1:28 pp. Leipzig. Hinriclis, 1!>10. Dans les Leipziger se-ûiitisliclie Studien, V, 3.

(4) Ces lettres sont publiées dans H.uiPEB, Assgrian and babylonian letters etc.; cf. RB., 1910,
p. 313 s.
(5) Americ. Journ. of semitic languages, XXl, p. 05 ss.
BULLETIN. 315

M. Klauber se contente de rectifier ou de compléter cette liste (pp. 7-10). Grâce aux
missives royales on peut se rendre compte du cérémonial usité à la cour d'Assyrie
dans les grandes circonstances. >'ous pouvons même assister à une audience. Celui
ou celle qui avait obtenu l'insigne faveur de « voir le visage du roi >' ( souvenons-nous
d'Estlier devant Assuérus), devait commencer par se prosterner et baiser la terre ; les
lettres d'El-Amarna nous ont déjà renseignés sur cette exigence du protocole que les
Égyptiens avaient en commun avec les Babyloniens et les Assyriens (1). Parfois les
lettres nous décrivent les grands banquets que les monarques de .Ninive donnaient à
leurs vassaux ou à leurs amis ce sont les festins d'Assuérus et de Balthasar. D'autres
:

occasions, sacrifices, deuils, intronisation du Kronprinz, sont aussi marquées par


toute une série de rites traditionnels. Quand le roi meurt, le gouverneur conduit son
épouse bors du palais, on offre un sacrifice, les grands revêtent un costume spécial,
se passent des anneaux aux doigts, se réunissent en conseil, pendant que les chan-
teurs et cbanteuses font retentir les airs de leurs lamentations. L'armée elle-même
prend part au deuil durant trois jours. A côté du roi, la reine-mère et l'épouse
choisie jouissent d'une grande considération à la cour. Outre sa femme légitime, le
monarque entretient un grand nombre de concubines qui sont pour la plupart filles

de princes vassaux.
Les principales fonctions sont exercées par des sortes de majordomes qu'on appelle
« », ou parfois « grands du palais ». Il y aurait lieu de
ceux qui président au palais
les rapprocher des « maires [majores] du palais » sous les Mérovingiens. M. Klauber
étudie en détail les formalités qui accompagnaient l'investiture d'un emploi quelcon-
que dans l'administration royale. Le serment de fidélité est prêté par l'élu et dans
le texte de ce serment figure la phrase suivante « Communiquez-nous tout ce que :

vous voyez et entendez » Des récompenses sont accordées aux bons serviteurs, des
!

châtiments sont réservés aux infidèles. L'une des punitions ordinaires est la confis-
cation. L'emprisonnement, la mutilation (on arrache la langue du menteur), la mort
punissent les crimes plus graves. Nous ne pouvons entrer dans le détail des fonctions
qui sont étudiées par M. Klauber dans sa seconde partie. Signalons le iurlànu
« commandant en chef v, qui correspond au turf an de la Bible, le rab-.saqr « général »,
qui est le rah-saqé delà Bible, h'nharali'ku, dont le nom se retrouve à l'époque d'Ar-
taxerxès I et de Darius II, n'a rien à faire avec ~"12X de Gru.^ 41, 4.3, tandis que le

salsu « le troisième » de ceux qui étaient sur le char de guerre pourrait bien être la w*''"'"»!*
)

sur la main duquel s'appuie le roi dans // B.eg.^ 7. A noter que le nom de titre écrit
m-ud-safj et qu'on a souvent comparé avec le vab-sag (=: saqù) doit être lu proba-
« eunuque » (r'iT
blement iu-M^-jvi comme l'a reconnu tout dernièrement Jensen (2).
).

Les renseignements fournis par M. Klauber dans sa très intéressante dissertation


seront utilement complétés — en ce qui concerne les divers grades de l'armée — par
les études de M. W. Manitius dans la Zeitschrift far Assyriologle (XXIV, p. 97 ss.,

etc.).

Pour mener à bien son travail. M. Klauber a été contraint de traduire nombre de
lettres de l'époque des Sargonides. Il a voulu faire d'une pierre deux coups, eu pu-
bliant dans Der Alte Orient (XII, 2) une petite brochure de vulgarisation sur la situa-
tion de l'état et de la société en Assyrie et en Babylonie d'après la correspondance
royale ou privée (3). L'auteur utilise des lettres de l'époque hammourabienne et du
temps d'El-Amarna. Il y a même une illustration (lettre de Hammourabi à Sin-

(1) RU.. 1909. p. 58.


(2) Zeitschr. fur Assyriolotjie, XXIV, p. 109. n. 1.
(3) Keilschriftbriefe, laal und GeseUscho.ft in der bah. ass. Briefliteratur.
316 REVUE BIBLIQUE.

idiunaml et — comme la brochure est destinée au grand public — on ne s'apercevra


pas que le texte a été reproduit la tête en bas.

La riche collection de textes babyloniens que possède le musée du Louvre va être


désormais à la disposition de tous les savants grâce à l'activhé de M. Fr. Thureau-
Dangin, conservateur adjoint au département des antiquités orientales. Un superbe
volume ouvre la série (1). Il comprend 242 numéros, répartis enCXVI planches. Les
textes sont reproduits en similigravure et les copies ont été faites avec la minutieuse
précision dont l'éditeur ne s'est jamais départi. Ce sont des lettres et des contrats de
la première dynastie babylonienne. Les lettres (au nombre de cinquante-quatre) sont
expédiées par des rois iHammourabi, Samsou-ilouna, Ammi-ditana, Samsou-ditana
ou par des particuliers (spécialement par un certain Adad-rabi). Elles constituent un
précieux supplément à M. King (2 Dans le volume
celles qu'avait éditées autrefois .

dédié à i\L Hilprecht à l'occasion de son cinquantenaire. M. Thureau-Dangin a lui-


même traduit quatre de ces lettres 3 . L'une d'entre elles est tout particulièrement
intéressante, parce qu'elle illustre la coutume
chaque mois aux morts l'of- d'offrir

frande funéraire, coutume dont nous avons constaté la persistance sous Xabonide le
dernier des rois deBabylone 4\ Elle est adressée par Ammi-ditana, le troisième suc-
cesseur de Hammourabi. En voici la traduction d'après M. Thureau-Dangin « A :

Soumma-iloum Gis d'Iddin-Mardouk dis (ceci) ainsi parle; Ammi-ditana le lait et : :

le beurre pour les offrandes funéraires du mois d'Ab font défaut. Aussitôt que tu

verras (recevras) cette mienne lettre, que ton intendant prenne 30 vaches et 60 qa (ô
de beurre, qu'à Babylone il vienne. Et alors, jusqu'à ce que les offrandes funéraires 6, ^

soient achevées, qu'il apporte du lait. Qu'il ne tarde pas, qu'il arrive promptement. »
Les contrats proviennent de Teilo, l'ancienne Lagas fouilles du commandant Gros),
d'Abou Ilabbah (Sippar;, de Babylone, de Dèlem (Dilbat). del-Oi\^imir (.Ki^, et de i
Sit-tab. A côté de ces textes de provenance suméro-akkadienne. deux contrats (n' * 237
et 238 sont d'origine mésopotamienne (ville de Tirqa, non loin de Deir ez-Zor sur le

haut Euphrate), et quatre autres ii\^ 239-242; appartiennent au groupe de tablettes


dites cappadociennes. L'une de ces dernières (n 242) est un acte de répudiation
M. Thureau-Dangin Ta interprétée dans le Florilcf/ium dédié au marquis de \ ogiif.

L'un des contrats de Tirqa (n° 238 a été également étudié par l'auteur dans le

Journal Asiatique, 1909, p. 150. Un témoin porte le nom de larih-Adad. L'élément


divin, Adad, est rendu par son idéogramme I M. On sait que, dans les lettres d'El-

Amarna, cet idéogramme a parfois la valeur Ba'al. » pourrait-on pas lire Iari/>-

Ba'al et reconnaître ainsi le nom même de Ieroub-Ba''al porté par Gédéon? Non
content de cataloguer les textes et d'en faire connaître la date exacte, M. Thureau-
Dangin a dressé la liste des personnages, des pays, peuples, localités, rivières, canaux,
ediûces, enfin des noms divins qui figurent sur les tablettes. Les noms de personnes
offrent le plus haut intérêt pour la comparaison avec l'ancienne onomastique bi-
blique. A remarquer l'explication ildn deux dieux, les Gémeaux » pour le double
« les

signe divin AN-AX, les différents noms Inuana^Irnanu, Inuinni. Irnini. etc.i,
d'Istar
l'interprétation du nom du >'oé babylonien, J'to-napistim, par « Uta (le soleil) est

(1) Lrllres et contrats de l'époque de la première dynastie babijlonienne, par Fr. Tirt.eau-
Dangin. In-4 de 68 pp.
"
+
CXVl pi. Paris, Geuthner, 1910.
(2) The letters and inscriptions o/' HaminKrabi.
(3) Hilprcclit annirersary volume, p. l."i<j ss.
(4) RB., litOS, p. 135.
Mesure de capacité.
(3)
(0) Le mot eraployé est kispu. Il y avait chaque mois un ùm kispi • jour de l'offrande funé-
raire » cf. notre ouvrage La religion assyro-baO y Ionienne, p. 40).
BULLETIN. 317

ma vie ». et bien d'autres faits nouveaux qui commentent rénumération des divinités.
Ou ne peut que souhaiter la continuation de la belle série inaugurée par M. Thureau-
Dangin. L'édition ne pouvait être confiée à de meilleures mains.

Les deux premiers cahiers du huitième volume des Beitrâge zar Assyriologie con-
tiennent une dissertation de M. Hans Bauer sur c les temps dans le verbe sémi-
tique » une autre de M. F. Steinmetzer sur le koudourrou de Melisipak 2,. une
(1 .

troisième de M. E. Ebelinj: sur le verbe dans les lettres d'El-Amarna i3,. De cette
dernière nous ne pouvons dire qu'une chose, c'est que, faite indépendamment du tra-
vail de M. Bùhl dont noHsavous parlé déjà '4;. elle a été conduite avec un admirable

souci de nomettre aucun exemple intéressant. L'auteur reconstitue l'un après l'autre
tous les thèmes verbaux et accumule ensuite les cas relevés dans les lettres. Source
d'iulormation de premier ordre pour tous ceux qui s'occupent des origines et de l'évo-
lution de la langue hébraïque. Naturellement, c'est la collation de Knudtzon (ô) qui
fournit les matériaux. Les trois dernières pages sont consacrées à corriger certains
passages de la traduction proposée par Knudtzon. La thèse de Bauer sur le verbe sé-
mitique est remplie de théories plutôt que de faits. Elle peut se résumer ainsi L'im- :

parfait précède le parfait, abstraction faite de toute considération de temps la forme


:

qataJii a la valeur d'un participe présent ou passé, tandis que qatila et qatula déri-
vent plutôt des adjectifs. L'auteur passe ensuite en revue les modifications que subis-
sent le parfait et limparfait dans les diverses langues sémitiques.
Le travail de M. Steinmetzer n'est pas de première main, puisque le P. Scheil avait
publié l'interprétation du koudourruu de Melièipak. dans les Mf'molres de la Délé-
gation en Perse t. II. l''00 . On y trouvera des vues intéressantes surtout en ce qui
concerne les symboles et emblèmes des dieux sur les pierres-limites.

Fr. P. Dhorme.

Palestine. — Le voyage Sinaï. Pétra, Kérak inscrit au programme de TÉcole


biblique cette année n'a pu avoir lieu par suite des événements qui ont agité cet
hiver la Transjordane et l'Arabie du nord. C'est donc une heureuse compensation à
ce contre-temps qui nous est offerte dans l'élégant volume du comte Jean de Ker-
gorlay. intitulé « Sites dt'I'iisS'^^s '/'Orient fi ». On constatera d'abord jusqu'à quel
point le dernier soulèvement arabe a confirmé les vues perspicaces de l'auteur sur
l'humeur turbulente des nomades et l'insécurité des régions ou ils errent. Au désert,
en effet, les gens partagent la vie de la nature, ils en imitent toutes les variations.
On retrouve dans leur vie. les matinées froides et engourdissantes, le silence de nuit
enveloppant comme un suaire ». mais aussi les brûlants midi oii « toute cette nature
morte à jamais, sous l'effet de la chaleur, s'anime: elle tremble, ondule, se rapproche.
5'éloigne; elle redevient vivante « p. xvi . Aussi, le désert n'est-il pas susceptible
de progrès; incompatible avec l'idée d'une marche constante en avant, il est fait pour
le perpétuel va-et-vient , l'éternel balancement. Vous eussiez cru peut-être qu'après
tous les voyages effectués jusqu'à présent vers Pétra et la mer Rouge, la route de
l'Arabie Pétrée était désormais ouverte aux explorateurs européens. Suivant nos con-

(l) Die Tempora im Semitischen (fasc. i).


(i) Eine Schenkungsurkvnde des Kônigs Meliéicliu (fasc. 2, pp. 1-38,. Nons croyons qu'il Tant
lire Meliïipak valeur pat au lieu de hv. pour le dernier signe syllabique) d'après HCising et
Schnabel Slill. der rorderas. GeseUschaft. 1!»08. p. 9).
(3; Das Verbum der el-Amarna Briefe fasc. 2, pp. 39-79).
(4) RB.. 1910, p. 47-2.
(ii; RB., 1!»08, p. 500.
(6) En sous-titre : Du Sinai à Jérusalem, in-16. xx-18*. Paris, Hachette. 1911.
318 REVUE BIBLIQUE.

cepts, il devrait en être ainsi; en réalité, c'est comme si rien n'avait été fait, tout est

à recommencer. La mer .Morte elle-même n'est pas à l'abri de tout danger. Depuis
notre croisière de 1908-1909, le bateau na plus fait que de rares traversées, une fois
seulement avec des voyageurs, et cela, avant la révolte des Arabes. L'inaction l'a dé-
térioré au point qu'on naurait pu du soulèvement, au
s'en servir dans la répression
cas où Ton aurait eu l'idée qu'il était susceptible de rendre des services. Lors de la
révolte, les oies et autres volatiles de Àbd en-Xéby. à la Lisàn, ont été dévorés par
les factieux, un groupe d'Américains en voyage a été rançonné vers Zoueirah. Il est

aisé de comprendre, en ces circonstances, de quel prix deviennent les descriptions et


les photographiessi bien réussies des sites délaissés maintenant inaccessibles. Qui
donc en ces derniers temps n'a entendu parler de Kérak. de la région de Pétra et des
Bédouins? Eh bien, tout cela a été parfaitement décrit par M. de Kergorlay. La for-
teresse de Henaud de Chàtillon. dont le souvenir émeut le voyageur, vient encore
d'ajouter une page à son histoire c'est à ses murailles géantes qu'une partie de la
:

garnison turque a dû son salut en décembre passé. On sera donc heureux d'en con-
naître l'histoire et d'en posséderde belles reproductions. Les autres sites délaissés '.

que l'auteur passe en revue ne sont pas d'un moindre intérêt que les châteaux de la
Transjordane, que Pétra et Kérak ce sont les plus anciennes mines du monde civi-
:

lisé, les mines de cuivre et de turquoise de la péninsule sinaïtique, puis l'oasis de

Feiran, et le mont Sinaï qui reprennent sous la plume de l'auteur ces teintes merveil-
leuses que nous avons admirées ensemble.

yachr. DPV.. 1910, n" 5.


Mittheil. unit D'' R. Hartmann — Quelques pages sur :

Néby Mousa où sont présentées des hypothèses déjà rebattues sur l'origine du sanc- '.

tuaire. L'auteur omet les principaux témoignages occidentaux. Voir sur le sujet, Abel,
Une croisière autour de la mer Morte, pp. 173-184, où la notice de M. Spoer, ZDPV.,
1909, pp. 209 ss., n'a pu être citée dans la bibliographie, à cause des lenteurs de
l'administration à nous faire parvenir ce fascicule. —
M. Wurst donne un bref rap-
port sur la température de septembre 1909 à août 1910. 1910, n" 6. M. Holscher —
tirede son carnet trois inscriptions t/rerques recueillies, dit-il. au cours d'un voyage
de 1903. L'éditeur en a ajourné la publication jusqu'ici, dans l'espoir qu'elles seraient
publiées d'après des copies plus correctes que les siennes. Personne ne s'étant décidé,
M. Holscher marche. Les hésitations aussi bien que la publication étaient inutiles.
La V^ de ses inscriptions (de Dera'ai a été publiée par Schumacher en 1889, Across
the Jordan, p. 131 ; la 2- la Revue archéo-
de Sidon") se trouve fort bien transcrite dans
lor/ique, 1898. B, p. 110. éditée par le P. Lamraéns
donné lieu ensuite à une
; elle a

savante étude de M. Perdrizet sur le roXÎTEuaa Kxjviwv (et non Txjvt'wv) dans la même
revue, 1899, B, pp. 42 ss. A propos de stèles analogues, M. Macridy en a donné de
nouveau la teneur dans /JB., 1904, p. -549. Quand une inscription a été pubhée trois
fois avec soin, commentée et discutée, on s'abstient d'ordinaire d'en présenter ensuite

une simple copie et encore défectueuse. En tout cas, si l'on est palestinologue. on ne
publie rien sur Dera'a sans consulter Schumacher au préalable, rien sur Sidon sans
revoir les travaux de Macridy. Quant au fragment de Safed, qui termine la série, il
est absolument inutilisable. On y observera sur le champ de la pierre où les lettres
grecques ont disparu, uue marque de tâcheron médiéval. P. Linzen un tableau — :

d'observations météorologiques à ïabgha dans l'été de 1910.

Bas heilige Land, 1911. — Le P. Fr. Dunkel traduit de l'arabe un article de Don
Khalil Martha sur les tombeaux de David et de Salomoit d'après les auteurs arabes.
BULLETIN. 319

M. Kandier décrit scientifiquement le '/.ulu'f, sorte de thym regardé par quelques-uns


comme Vhi/sope.

Zeitschrift DPV., 1910, 4. — II. Hartmann, La route suivie en Palestine pur le

Pèlerin de Bordeaux. —H.


Quelques observations accompagnant la publication
Fisher :

d'une carte détaillée du pays situé sur les confins de l'Egypte et de la Syrie nord de :

la Péninsule sinaitique, 'Araba, Nê[/eb, frontière tracée entre la Turquie et le terri-

toire l'fji/ptien. Deux notes sur la compréhension du ternie Ere: Israël., dues à S. Klein
et à S. Krauss. — L. KÔhler : Remarques succinctes touchant de récentes publi-
cations.

Comme contribution à la il faut signaler la publication d'un


question d'Éthérie
texte critique de la lettre de Valeriusaux moiues du Vierzo dans les Analecla Bol-
hindiana, XXIX, fasc. 4. C'est la découverte dumanuscritdeToiède de 902, que Dom
Férotin avait cherché en vain, qui a amené le P. Zacharle Garcia, S. J., à prendre
sur lui cette besogne utile. Désormais, les comparaisons entre la missive de Valerius
et la Perenvinatio, les discussions philologiques pourront se faire en toute sûreté.
Dans son introduction, l'éditeur étudie le nom et la patrie de la pèlerine. C'est la le-

çon Aetheria qui se présente à lui avec les garanties les plus sérieuses. Quant au
pays d'origine, la Galice a ses préférences et à bon droit, semble-t-il. Le P. Garcia
répond avec beaucoup d'à- propos aux raisons que M. Meister avait mises en avant
pour prouver l'origine provençale d'Éthérie. La comparaison de l'Euphrate avec le
Rhône n'est point du tout péreraptoire. La pèlerine pouvait avoir donné une descrip-
tion du Rhône dans la partie de sa relation aujourd'hui perdue « et alors la compa-
raison était intelligible et naturelle. Même sans cela, il n'était pas difficile pour ces
sœurs, dont l'érudition est louée par notre pèlerine, de connaître un fleuve, dont
constamment dans la littérature latine
l'impétuosité était proverbiale. Il est appelé
pneceps, velox, ferox, fpirges Uhodani ». Nous ajouterons, comme exemple encore
plus topique, cette métaphore de s. Jérôme qui suppose la réputation du Rhône ré-
pandue dans tout le monde romain « Ililarius Latime i^loqueiitid' liliodauus » il).
:

D'autre part, la façon de désigner la patrie d'Éthérie dans la lettre a bien des chances
de s'appliquer à la Galice de préférence à toute autre région. Le début de Valerius :

« Itaque dum olim almifica fidei catholicœ crepundia lucifluaque sacrse religionis im-
mensa clarilas huius occidux plarjœ sera processione tandem refulsisset extremitas,
eadem beatissima sanctiutonialis Aetheria... immensum totius orbis arripuit iter »

comparé à cette autre phrase de la fin de sa lettre : « Quœ extrême occidui maris
uceani litore exorla orient i facta est cof/nita » amène naturellement à identifier le
pays de la pèlerine et celui de Valerius le Galicien. La Galice est encore extremitas
occiduw plarjx dans la vie de s. Fructueux: Gallœcia sita ia extremitate oceani maris
occidua dans la chronique de l'évéque galicien Idace. Le P. Garcia montre ensuite
que les hispanismes ont résisté à la critique de M. Meister, tandis que les locutions
prises pour des gallicismes ont souvent passé les Pyrénées.
Pour la date, l'éditeur, tout en restant circonspect, trouve que l'époque assignée par
M. Meister à la Peregrinatio, le vi'^ siècle, semble solidement établie. Pour nous la
phrase citée tout à l'heure du début de la lettre de Valerius s'oppose à cette date. En
effet Éthérie quitte les plages de l'extrême Occident quaud le christianisme vient à

peine de se répandre dans la contrée, quand la foi catholique y est encore au ber-
ceau. Ces expressions ne se comprennent guère que s'il s'agit du iv^ siècle, car en 400,

(1) Comm. ad Galatas, P. L., Vil, 3jo.


320 REVUE BIBLIQUE.

au concile de Tolède, on trouve déjà des évéques de Galice, d'après Idace (I~. De
plus, en 41Ô, l'évêque de Braga, Palclionius, est en relation avec un de ses prêtres,
Avitus. qui réside à Jérusalem et veut lui envoyer des reliques de saint Etienne (2 i,
et en 456, il y a des monastères de vierges, inquiétés par les Suèves. Donc, toute
cette floraison du christianisme en Galice au v<> siècle présuppose une évaDgélisation
durant les années du siècle précédent.

Mittheilungen... des DPYereins, 1909, n»-^ 3 et 4. — Guthe, J^oticc nvcrologique

sur le professeur E. Kautzsch. — Blanckenhorn : Observations sur la quantité de pluie


tombée durant l'hiver 1909-1910, faites à Sarona, llaila, Bethléem, 'Ain ïabgha. —
Baumann, ez-Zercfc, description d'un bosquet de cyprès et de genévriers des en-
virons de Bseira.

NeaSion, 1910, juill.-août. —


Numéro exceptionnel dans le genre des Clirislmas-
ninnhers ou des Fefitschriften, en l'honneur du centenaire de la restauration du saint
Sépulcre en 1810. C'est une histoire du sanctuaire depuis les origines jusqu'à nos
jours, distribuée par périodes et traitée par différents auteurs dont les plus connus
sont ïhemelis et G. Archatzikalds. La liturgie ancienne et moderne qui est propre à
ce grand sanctuaire, les divisions des lieux saints entre les diverses confessions, l'au-
thenticité du Golgotha et du saint Sépulcre font l'objet de chapitres particuliers. L'in-
cendie de 1808 est mis sur le compte des Arméniens d'après un document grec de
l'époque.

Zeitschrifi DP\'.,19ll, 1. — Les plantes de Af/t-sï/y^t' ; nomenclature de la flore pa-

lestinienne suivant les noms scientiliques accompagnés assez souvent des dénomina-
tions arabes par Dinsmore et Dalman. — Le jrrétoire de Pllate identifié avec le pa-
laisd'Hérode le Grand par Eckardt. L'auteur paraît ignorer l'étude très sérieuse de
van Vebber {Theolor/ische Qunrtahchrift, 1900, Hett II; RB., 1905, p. 650) qui aboutit
à la même conclusion que la sienne. —
Hoischer Gath et Azeka représentée aujour- :

d'hui par Tell es-SaOeh et par i'ell Zakariah. — Reuter : Note sur l'antique cime-
tière de Beit-Râs.

(1) Et (lia Gallieciic cpiscopi. I'. L., LI, 87G.


(2) P. L., XLr, 805.

Le Gérant : J. Gabalda.

Typographie Firmin-Didot et C'«. — Pari?.


LE LIVRE DES JUBILÉS
BUT ET PROCÉDÉS DE L'AUTEUR. — SES DOCTRINES

Le Livre des Jubilés est un des apocryphes de rAncien Testament


que nous a conservés la Bible éthiopienne. Son auteur est un prêtre
pharisien, qui La composé vers la fin du ii' siècle avant notre ère. Il
a fait l'objet de travaux nombreu.v; et considérables en Angleterre et
en Allemagne. Mais en France il n'a même pas encore été traduit.
Cette lacune ne tardera pas, nous Uespérons, à être comblée. En atten-
dant, nous voudrions, par une étude sommaire du but, des procédés et
de la doctrine de l'auteur, donner aux lecteurs de la Revue biblique
une idée de l'intérêt qu'il présente pour l'histoire de l'exégèse juive et
plus encore pour l'intelligence de la mentalité du milieu dans lequel
Notre-Seigneur Jésus-Christ et ses apôtres ont exercé leur action.

I. BUT ET PROCÉDÉS DE l'aUTEUR.

L"auteur du Livre des Jubilés nous a indiqué lui-même, soit dans


la courte introduction qui précède son œuvre, soit dans le chapitre i^%
lebut qu'il s'est proposé. lia voulu écrire une histoire du monde, basée
chronologiquement sur le groupement des années par 7 ou semaines
d'années et des semaines d'années par 7 ou jubilés. « Ceci, écrit-il dès
le début, est le récit de la division des jours de la loi et du témoignage,
des événements des années, selon leurs semaines, selon leurs jubilés,
dans toutes les années du monde » (11. Cette histoire est celle même
que Dieu a montrée à Moïse sur le mont Sinaï, lorsqu'il lui a fait
voir" l'histoire passée et future delà division de tous les jours de la loi
et du témoignage » (2 .

En fait, si on excepte le récit de la création, il n'a écrit que l'his-


toire d'Israël, parce (ju'Israël est pour lui le centre du monde. Il ne

(1) Prologue.
(2) 1, 4.
REVUE BIBLIQUE 1911. — >'. S., T. VIII. 21
322 REVUE BIBLIQUE.

parle des autres nations ou des « nations » qu'incidemment, dans la


mesure où l'intéressent leurs relations avec son peuple. Pour Israël
lui-même, il ne conduit son histoire que jusqu'à l'exode. On ne peut
donner le nom d'histoire aux allusions qu'il fait çà et là aux choses et
aux hommes des temps postérieurs, de son temps en particulier.
Mais ce but n'est qu'un but immédiat. Le but final, que l'auteur ne
perd jamais de vue. la pensée qui inspire et anime toute son œuvre,
c'est l'exaltation de la loi. du sacerdoce lévitique et d'Israël : de la loi

et du sacerdoce, parla mise en relief de la divinité et de l'antiquité de


leur orisine, et des autres motifs qui doivent porter Israël à observer
l'une et à honorer l'autre; — d'Israël, par sa glorification et celle de
ses Patriarches, surtout au regard des Gentils. Il impose et célèbre le

présent par le passé.


donc pour lui que le prétexte ou plutôt le cadre de
L'histoire n'est
cette double apologie, qui fait tour à tour l'objet de ses préoccu-
pations, selon qu'il ne considère que la vie intérieure d'Israël, ou se-
lon qu'il le compare aux nations.
Dans le premier cas, à la vue de toutes les défections qui se pro-
duisent, du peu d'estime qu'on fait autour de lui de la loi, de ses
prescriptions, de ses rites, il représente aux Israélites par l'histoire de
leurs grands ancêtres, les Patriarches, et sous les couleurs les plus
vives qu'il peut imaginer, la gravité de leur erreur, la permanence
des obligations morales et rituelles inscrites dans la loi de Moïse,
la nécessité de les observer pour rester à la hauteur de leur mis-
sion.Il écrit pour leur correction et leur conversion
,1 pour le> ,

ramener à l'observation du pacte et du commandement de Dieu,


des fêtes de son alliance, de ses sabbats, de toutes ses choses sacrées
qu'il a sanctitiées pour lui-même au milieu d'eux, pour leur incul-
quer le respect et l'amour du tabernacle et du sanctuaire que ce
même Dieu s'est élevés dans leur pays afin d'y placer son nom à de-
meure (2), pour les détourner des idoles sculptées, des sacrifices
aux démons 3i, de toutes les erreurs de leur cœur sur la nouvelle
lune, le sabbat, les jubilés et le précepte (i), en un mot de toutes les
mœurs et pratiques des Gentils (5). Il veut leur faire chercher Dieu « de

tout leur cœur, de toute leur âme et de toute leur force » (6), pour
qu'ils deviennent une plante de droiture, un objet de bénédiction et

non de malédiction, « la tète et non la queue » (7), les enfants du Dieu


vivant (8), son vrai peuple « dans la fidélité et dans la justice » (9),

;1) 1, 6. — (2j 1, 10, 1 i et 24. — (3) 1, 11. — 'A) 1, 11 et 14. — (5) 15, -34: 12. 16-18,
— (6) 1, 15 et 23.— (7) 1, 16. — (8) 1, 25 ; cf. 19, 29. — 9; 1, 17.
LE LIVRE DES JUBILÉS. 32:i

celui que Dieu n'abandonnera pas (1). et au milieu duquel il habi-


tera et établira son royaume pour les siècles des siècles {2).
Mais lorsque l'auteur jette les yeux sur les nations, il oublie les dé-
faillances des siens pour ne se souvenir que de leur vocation sublime
de peuple de Dieu, de la place éminente qui leur est faite par le Très-
Haut au milieu et au-dessus de tous les peuples, et il n'a plus que des
accents de triomphe et de confiance pour célébrer la grandeur d'Israël
et sa supériorité sur les nations (3), ou pour prédire sa prochaine et
éternelle suprématie sur tous les Gentils (4).
Les Jubilés sont donc V apologie de la loi et d'Israël par l'histoire du
peuple de Dieu depuis la création jusqu'à l'exode.
donne la clef des procédés de l'auteur employer
Cette définition :

tous lesmoyens qui lui paraissent bons pour donner de l'autorité à sa


parole et lui permettent de mieux inculquer le respect de la loi,
d'ajouter à la sioire d'Israël ou d'en atténuer les ombres.
En application de ce principe, il commence par présenter son
œuvre comme dictée par Dieu, puis il l'exécute en traitant les récits
bibliques qui en forment le fond avec toute la liberté que requiert la
réalisation de son but.
Tout d'abord, son livre a été dicté par Dieu à Moïse par l'intermé-
diaire d'unange ou même composé par cet ange. Le Seigneur avait
déjà montré à Moïse, pendant les iO jours et les 40 nuits qu'il passa
sur le mont Sinaï, « l'histoire passée et future de la division de
tous les jours de la loi et du témoignage )> (5 . Il lui ordonne main-
tenant de les écrire : « Et toi, écris toutes ces choses que je te fais
connaître sur cette montagne, les premières et les dernières, ce qui
arrivera dans toute la division des jours, dans la loi et dans le témoi-
gnage, et dans les semaines des jubilés jusqu'à l'éternité » (6). Et

sans doute de peur que Moïse n'écrive pas exactement ce qu'il a vu,
ou plutôt pour bien assurer les lecteurs que les Jubilés reproduisent
la parole divine, Dieu continue en s'adressant à un ange de la face :

« Écrispour Moïse (l'histoire) depuis le commencement de la création


mon sanctuaire au milieu deux pour
jusqu'au temps où sera construit
les siècles L'ange se met en devoir de le faire (8);
des siècles» (7).
au cours de sa narration il ne cesse de rappeler à Moïse l'origine
céleste de son enseignement (9), et il la termine en déclarant que
Dieu lui avait donné ces tablettes dans ses mains afin qu'il écrivit pour

(1) 1, 18. — (2) 1, 23-28. — (3) 7, 11, 12; 8, 12, 18-21, 30; 11, 24; 13, 28; 15, 26,
27,30-34, etc. etc. — (4) 15, 31-32 ; 19, 18 22, ; 11, 12, 14 ; 23, 29-30, etc. etc. —
(5) 1, 4.
— (6) 1, 26. — (7) 1. 27. — (8) 1, 29. — (9) 3, 10, 31 ; 4, 5-6, 32: 5, 13-14; 6, 17, etc.
324 REVUE BIBLIQUE.

le législateurhébreu les lois des temps f'I). Les Jubilés sont donc
partie l'œuvre de l'ange et partie celle de Moïse, écrivant sous sa
dictée, comme l'envoyé céleste le presse de temps en temps de le faire,
par exemple quand il termine le récit de Finceste de Ruben : « Et toi

aussi, Moïse, écris-'le) pour Israël, et qu'ils le retiennent et qu'ils agis-

sent selon cette parole » (2). L'auteur ne s'inquiète pas d'ailleurs de


savoir quelle est la contribution de chacun des deux écrivains.
Singer et, à sa suite, Charles ont donné à une partie de ces pas-
sages une interprétation assez différente. D'après ces auteurs (3), les
paroles de Dieu à Moïse Et toi écris » visent les Jubilés, qui seraient
((

le « livre de la seconde loi » Celles de Dieu à l'ange de la face « Écri s


.

pour Moïse » (i) ou de l'ange de la face à Moïse « J'ai écrit pour


toi » (5) ont trait au Pentateuque, la première loi.
La distinction est très nette. Malheureusement, elle n'est pas venue
à l'esprit de celui cjni a composé les Jubilés. Il est vrai qu'au cha-
pitre VI. 22, l'ange de la face rappelle à Moïse à propos de la fête des
semaines qu'il a pour lui le livre de la première loi, c'est-à-dire
écrit
le Pentateuque Car jai écrit dans le livre de la première loi, dans
: «

celui que j'ai écrit pour toi ». Il en est de même dans xxx, 12, où il
cite une « parole de la loi » qu'il a écrite pour lui. Mais il ne s'ensuit

pas que dans les autres passages où l'ange dit « J'ai écrit pour toi »,

ilfasse allusion au même livre, au Pentateuque. Dans aucun d'eux il

ne qualifie son écrit de livre de la première loi », comme il vient de


le faire dans De plus, l'étude attentive du texte de ces pas-
vi, 22.
sages prouve qu'ils se rapportent aux Jubilés.
Dans 1, 27, que je citais tout à l'heure, Dieu recommande, en effet,
à lange d'écrire exactement les mêmes choses que doit écrire Moïse
d'après i, 26; il abrège seulement sa recommandation et en résume
l'objet en deux mots depuis le commencement de la création jus-
:

qu'à ce que mon sanctuaire ait été bâti pour léternité Or, Singer et .

Charles admettent bien eux-mêmes que la recommandation faite à


Moïse vise les Jubilés.
On peut remarquer encore que dans le verset i, 26, les paroles « Et
toi, écris », que tous s'accordent à rapporter aux Jubilés^ sont rem-

placées dans les manuscrits A et D par la variante « Et je veux écrire


pour toi ».
Les paroles de l'ange dans xxx, 21, « J'ai écrit pour toi toutes ces

(1) 50, 13. - (2) 33. 18.

(3) Singer, Das Buch der Jubilâen, 1898, p. 15; Cliarles, The Book ofjubilees, 1902,

p. 7 et 8, note sur 1, 26 et 27.


(4) 1. 27. — (5) 30. 12, 21, et 50, 6.
LE LIVRE DES JLRir.ÉS. 325

choses », servent de conclusion au récit de lacté de Lévi contre les


Sichémites. L'auteur a présenté cet acte sous les couleurs les plus
favorables à Lévi. en contradiction formelle avec la Genèse. Les mots
« toutes ces choses » ne peuvent donc s'appliquer qu'aux Jiibilh. Ces
« choses ne se trouvent pas « toutes » dans la Genèse, notre auteur
le sait mieux que personne. Le sens qu'il a en vue est d'autant plus
clair qu'il se garde bien d'ajouter ici comme il vient de le faire quel-
ques versets plus haut, xxx. 12 : J'ai écrit toutes ces choses dans le
livre de la loi.

Le verset pas moins explicite « Voici, dit l'ange, que j'ai


l, G n'est :

écrit pour toi le précepte des sabbats et toute la législation de ses


prescriptions ». Les sabbats forment précisément le sujet de ce cha-
pitre et un des principaux objets du /./ive ^e? Jubilés tout entier, mais,
comme nous le verrons, entendus avec une rigueur et élevés à une
importance prof>res à notre apocryphe et que la loi de Moïse ne con-
naissait pas.
Enfin, Singer tout au moins n'a pas pris garde que les dernières
paroles du livre sont celles mêmes dont il argue en faveur de sa thèse.
L'ange conclut par ces mots " Comme il est écrit sur les tablettes
:

qu'il ma données dans mes mains, pour que j'écrive pour toi les lois
(lu temps et le temps selon la division de ses jours » il). Placés à la fin

du livre et précisant comme ils le font l'objet de l'écrit de l'ange, « les


lois du temps et le temps selon la division de ses jours », ils s'appli-

quent d'une façon trop évidente aux Jubilés pour qu'il soit besoin
d'insister. Personne ne songerait à affirmer que le Pentateuque a pour
objet la loi du temps et le temps selon la division de ses jours.
Charles, lui, a entrevu les objections que soulève son interprétation:
il <( » à la fin de sa note sur i. 2T. qu'elle n'est pas sans diffi-
confesse
culté et « ne parait pas adéquate )>.
Les Jubilés sont donc un véritable apocryphe, un écrit soi-disant
inspiré d'en haut à un des grands hommes d'Israël. Cette fiction lit-
téraire était alors très en vogue dans les milieux pharisiens et natio-
nalistes (2). Elle fournissait im excellent moyen de consacrer les doc-
propagande leur tenait à cœur. Quelques auteurs avaient
trines dont la
déjà composé des Livres de Xoê et à'Hcnoch. Celui-ci imagina ce
qu on a pu appeler une Apocalypse de Moïse.
Les productions similaires de ses devanciers lui étaient d'ailleurs
bien connues. Il les tenait en haute estime, et pour cause. Ce n'est pas
seulement à son livre qu'il attribue l'inspiration divine. Il la départit

(1) 50, 13.— (2] VoirPrançois Martin, Le Livre d'Hënoch. 1906, p. cv-cvi.
32G REVUE BIBLIQUE.

encore libéralement aux livres des ancêtres, c'est-à-dire aux livres


d'Hénoch, de Noé et de Jacob. Hénoch a vu dans une vision de son
sommeil ce qui a été et ce qui sera, « comment pour les
cela se passera
enfants des hommes, dans leurs générations jusqu'au jour du juge-
ment » (1). Il a vu et compris tout. Lui aussi a composé ses œuvres
sous la dictée des anges « Il fut avec les anges de Dieu six jubilés
:

d'années, et montrèrent tout ce qui est sur la terre et dans les


ils lui

cieux, et il écrivit tout » (2). C'est également à l'école des anges que
Noé a puisé ses connaissances, et il a tout écrit dans un livre, comme
les anges le lui avaient appris (3). Quant à Jacob, c'est dans les tablettes
du ciel elles-mêmes, tablettes qu'un ange lui a apportées dans une
vision, qu'il a lu et appris tout ce qui devait arriver à lui et à ses fds
dans tous les siècles (i). Lange lui a fait comprendre ce qui était
écrit et le lui a rappelé à son réveil, et il a écrit à son tour tout ce
qu'il avait vu et lu (5).
Notre auteur atteint ainsi un double but. il a fait à son apo- Comme
cryphe, il donne à ceux d'Hénoch, de Noé
de Jacob (6) l'autorité et
que confère l'inspiration divine. Et il contribue par là à répandre et
à accréditer les idées qui lui sont chères, puisque ces apocryphes reflè-
tent les mêmes tendances (7) et procèdent sans doute delà même école
ou du même cercle de Pharisiens et de simples prêtres. Avant de
mourir, Jacob a donné à son fils Lévi, le véritable héritier de Sem,
d'Hénoch, de Noé et d'Abraham, « tous les écrits et les écrits de ses
pères pour qu'il les gardât et les renouvelât (par des copies) pour ses
enfants jusqu'à ce jour » (8).
D'autre part, il grandit encore le crédit de son propre livre, basé
en partie, il le dit parfois expressément, sur ces apocryphes. Telle ou
telle de ses prescriptions, sur le sacrifice par exemple, n'est pas seu-

lement dictée à Moïse par l'ange de la face l'ange la donne comme ;

déjà inscrite sur les « livres des pères » d'Abraham 9). A plusieurs
reprises aussi, le même ange laisse entendre assez clairement que sa
révélation à Moïse est l'écho de l'enseignement d'Hénoch sur le calen-
drier (10) ou du (( témoignage » que ce patriarche a écrit et déposé
« sur la terre pour tous les enfants des hommes et pour leurs généra-

(1) 4, 19. ^
(2) 4, 21; cf. 10, 17. (3) 10, 13. —(4) 32, 21. —
(5J 32. 22 et 26. —
(6) Sur apocryphes d'Hénoch et de Koé, voir François Martin, Le Livre d'Hénoch,
les

p. LXïviii-cv. U ne nous est pas parvenu d'apocryphe de l'Ancien Testament portant le nom
de Jacob.
(7) Cf. FraiQçoisMaLTlia, Le Livre dÈcnoc/i, p. xi et p. xcix.

(8) 45, 16. — (9) 21, 10. — (10^ 4, 17.


LE I.IVUE DES JUBILES. 327

tioii;. » 11. La doctrine des Jubi'.HS se trou\^ p\r là doableoieQt


révélée.
Une armé du pmilège de l'inspiration, lauteur a cru i]u il
fois

pourrait en user impunément aux yeux de ses contemporains pour


remanier le texte biblique, et il a traité ce texte, quand les besoins
de sa thèse l'exigeaient, avec une liberté aussi déconcertante que
suggestive.
Rarement, il le suit pas à pas ou le cite littéralement. Souvent, il

résume, supprime, ajoute, modifie ou interprète. Parfois même il le

contredit.
Les passages où il s'astreint à reproduire à peu près exactement le texte

sacré ne sont pas très nomJjreux. Voici les principaux : m, 6, les paroles
d'Adam après la création d'Eve Genèse, ii,23 = :
— m. 17-19, l'entre-
tien d'Eve et du serpent Genèse, m. 2-5: m. = —
-ii-^ô, les malédic-
tions divines contre nos premiers parents coupables ^= Genèse, m, 17,
19 :
— IV, 7, les paroles d'Adam après la naissance de Seth Genèse, =
IV. 25: — IV. 28. les paroles de Lamech après la naissance de Xoé
= Genèse, v, 29 :
— v. i et 8, les menaces de Dieu avant le déluge
=z Genèse, vi, 7 et 3 :
— vi. 5-9, l'alliance de Dieu avec Noé après le
déluge = Genèse, — ix, 1-7 : vu. 10-12. la malédiction de Noé
contre Gham
ses bénédictions sur Sem
et sur Japhet = Genèse, et i\,
25-27; — X, 22, paroles de Dieu avant
les confusion de Babel = la
Genèse. 6-7: — \i. 22-2i 19-21, bénédictions divines
xii. et xiii, les
accordées à Abraham = Genèse, su, 1-3 li-H; — 28-29, et xiii. xiii,

lesconventions du roi de Sodomeet d'Abraham = Genèse, xiv. 21-2i;


— XIV, 1-18 et XV, 2-2i, l'entretien et l'alliance de Dieu avec Abraham
= Genèse, xv, 1-21 et x\ii, 1-27; morceau de quelque
c'est peut-être le
étendue où les Jubilés ont le plus respecté le texte bibUcjne. parce que
les promesses di\'ines qui y sont reproduites sont la source de toute la
grandeur d'Israël, et aussi parce que Dieu y édicté la loi fondamentale
de la circoncision; — xvii, i-13, les paroles de Sara, de Dieu et de
lange à propos d'Agar. dont l'expulsion est rapportée tout au long =
Genèse, xxi, 10-21 ;
— xviii, 1-17, le sacrifice d'isaac et les promesses
di\'ines dont il est l'occasion = Genèse, xxii, 1-19; — xxiv, 9-12,
l'ordre donné par Dieu à Isaac de rester à Gérare Genèse, xxvi, =
2-6 ;
— XXIV, li-2i, le récit du départ d'isaac de Gérare et de sa \ision à
Bersabée = Genèse, xxvi, 12-25; — xx\ii, 9-11, la bénédiction par
Isaac de .Jacob partant pour laMésopotamie = Genèse, xwni. 1-i ;

^Ij cf. 4, 15; 5. l-lo
4, 19 : 7. 21-22, 27; 8, 3 10, 1-14 Sur les méfaits des veilleurs
; ;

et les démons. Pour les passages du Livre d'Hénoch auxquels ils correspondent, voir Fran-
çois Martin, Le Livre d'Hénoch. ]>. cviu-cix.
328 RliVUE BIBLIQUE.

XXVII, 22-27, les paroles de Dieu et de Jacob dans la vision de Béthel


= Genèse, xxvm, 13-22 — xxxii, 17, ; le changement du nom de Jacob
en celui d'Israël = Genèse, xxxv, 10. Enfin, Fauteur cite formelle-
ment dans xxs, 12 les paroles des fils de Jacob aux gens de Sichem
= Genèse, xxxiv, li, en remplaçant le mot « sœur « par le mot
;( fille ».

Comme on le voit, la plupart de ces textes contiennent ou les béné-


dictions et les promesses de Dieu aux Patriarches, ou l'histoire d'Abra-
ham, d'Isa ac et de Jacob. Ils sont la source de toute la grandeur
d'Israël. L'auteur aurait pu difficilement en exagérer encore les ter-
mes. Il avait un intérêt évident à les reproduire avec exactitude.
Il ne s'est pas tenu pourtant d'y introduire çà et là quelques modi-

fications, d'abréger, de compléter ou de préciser les paroles divines


elles-mêmes, ordinairement bien entendu pour renforcer sa thèse (T.
Dans la malédiction divine que Dieu prononce contre Adam, m, 25,
il supprime C'est par un travail pénible que tu en tireras ta nour-
: ((

riture tous les jours de ta vie )\ Genèse, m, 17, et « tu mangeras les

plantes des champs », Genèse, m, 18.


Au début du du déluge, v,
récit 4 et 8, il intervertit Genèse, vi, 7 et 3,
et abrège les
il menaces divines.
Il ajoute aux paroles de Dieu contre les constructeurs de Babel, x,

22 =Genèse, xi, 6-7 « Us se disperseront en villes et en peuples, et il


:

n'y aura plus un dessein unique chez eux jusqu'au jour du jugement».
Lorsque Dieu commande à Abraham de quitter son pays, il lui fait
en terminant, xii, 22-24 =
Genèse, xii, 1-3, la promesse d'être son
Dieu, promesse que ne contient pas la Genèse à cet endroit: « Et je
serai ton Dieu à toi et à ton fils et aux fils de ton fils et à toute ta race.
Ne crains pas dès maintenant jusqu'à toutes les générations de la
:

terre, c'estmoi ton Dieu ».


Dans l'alliance de Dieu avec Abraham, xiv. 7 Genèse, xv, 7, au =
lieu de reproduire la promesse divine de donner à Abraham u le pays
pour le posséder il fait dire à Dieu
->, « pour te donner le pays des :

Cananéens en possession éternelle » Puis il lui fait conclure encore . :

« Je te serai ton Dieu à toi et à ta race après toi ».


Il n'est pas question dans la Genèse, du puits d'eau auprès
xxii, 4,
duquel Abraham fait demeurer ses serviteurs quand il va immoler
Isaac, xMii, 4.
L'introduction du prince du Mastèmà comme accusateur d'Abraham

(1) Je ne parle pas ici des divergences avec la Bible qui peuvent s'expliquer par les leçons
particulières du texte hébreu suivi par l'auteur des Jubilés.
LE LIVRE DES JUBILES. 329

amène l'addition suivante, xviii, 10, aux paroles de Dieu à Abraham


dans Genèse, xxii, 16-18 « Et j'ai fait savoir à tous que tu as été
:

fidèle en tout ce que je t'ai dit va en pais ». :

En racontant qu'Isaac éleva un autel à Bersabée. xxiv, 23, notre


auteur remplace les mots de la Genèse, xxvi, 25, " Il éleva un autel »

par : « Et il édifia là de nouveau Tautel que son père Abraham avait


édifié d'abord «

Ces modifications et quelques autres sur lesquelles il est inutile

dinsister sont relativement peu importantes. Il en est tout autrement


de celles qui portent sur des parties du texte biblique qui ne cadraient
pas avec les vues de notre auteur. Le récit de la création et celui de
l'histoire de Jacob et de ses fils sont caractéristiques de sa manière.
Ils suffiraient pour nous la faire connaître.
Les paroles de Genèse, i, 1, « Au commencement Dieu créa le ciel

et la terre » lui paraissaient sans doute peu conciliables avec les


versets 6 et 7 dit que Dieu créa le second jour l'étendue qu'il
où il est

appela « remplace les mots « au commencement » par « au


ciel ». Il

premier jour », et il fait créer à Dieu, le premier jour le ciel, la :

terre, les eaux, les abîmes et les esprits, en plus de la lumière et des
ténèbres, la seule œuvre du premier jour d'après Genèse, i, 3-5. Sur-
tout, il s'étend sur la création de tous les esprits cjn'il énumère
avec complaisance, ii, 2, et dont il indique le rôle soit vis-à-vis
de Dieu, 3, ii, l'homme, m, 1.
soit vis-à-vis de
Au second jour, II, i, il place la création du firmament. Mais pour
é\iter encore la confusion ou la contradiction avec l'œuvre du pre-
mier jour, il ne lui donne pas le nom de « ciel », comme Genèse, i, 8.
Il complète l'œuvre du troisième jour, ii, 7, par la création des

mers, des fleuves, des sources, des étangs, de la rosée et du jardin


d'Éden, qui sera plus tard le joyau du lot de Sem i .

La création des astres a bien lieu le quatrième jour, ii, 8-10. Mais
le soleil seul, et non pas tous les luminaires, comme dans Genèse, i,
li, est un « signe pour les jours et les semaines et les mois et les
fêtes et les années et les semaines d'années et les jubilés et tous les
temps des années ». C'est lui qui donne la vig-ueur aux plantes et aux
animaux.
Il décrit ensuite rapidement l'œuvre du cinquième jour et celle du

sixième, et il constate en terminant, ii. 15, que la création comprit


22 espèces.
Jusque-là, il a abrégé le récit de la Genèse, il a supprimé en par-

ti) 8, 16-18.
330 REVUE BIBLIQUE.

ticulier tous les discours de Dieu. Il semble qu'il a voulu se réserver


pour Genèse, ii, 2-3, qui lui fournit matière à de longs développements
sur le sabbat, une des institutions de la loi qu'il a le plus à cœur de
restaurer. Nous reviendrons plus loin sur les révélations qu'il imagine
à ce sujet.
L'histoire de Jacob présentait quelques difficultés au point de vue
de l'auteur. Ce patriarche était pour lui le plus glorieux des ancêtres
de la nation juive après Abraham, plus grand, semble-t-il, qu'Isaac,
qui gardait au fond quelque préférence pour Ésaû. Cependant, les
ennemis d'Israël ouïes Israélites sceptiques pouvaient élever des objec-
tions contre sa droiture ou contre celle de sa mère et de ses fils, au
nom même de tel ou tel récit de la Genèse. Pour écarter ou prévenir
ces objections notre auteur a recours à un moyen radical il supprime :

quelques passages de ces récits, modifie la teneur des autres et


ajoute des explications complémentaires.
Dès sa naissance (1), Jacob apparaît, non pas seulement comme un
« homme paisible » (2), mais comme un homme « parfait et droit »,

tandis qu'Ésaii est un homme « dur, rustique et poilu » Le premier aime .

à s'instruire, il apprend l'écriture. Le second ne connaît que la chasse et


la guerre. Les étrangers eux-mêmes préféreront Jacob à Ésaii, parce
qu'il est plus généreux et plus compatissant (3).
Leur grand-père Abraham a remarqué le contraste des caractères
des deux frères, et, à l'encontre d'Isaac, il préfère Jacob (4). Il sait

d'ailleurs que Jacob est son véritable héritier. Pour prévenir les suites

possibles des préférences d'Isaac pour Ésaû (5), il recommande à


Rébecca de veiller plus particulièrement sur Jacob qui doit être « en
bénédiction parmi les enfants des hommes », un sujet de gloire pour
toute la race deSem (6), la tige du peuple qui « se dressera au-dessus
de tous les peuples » (7), l'héritier des bénédictions de Dieusur la race
d'Abraham (8). répand sur Jacob, « sur celui dans lequel il se
Puis, il

réjouit de tout son cœur


et de toute sa tendresse » (9), ses bénédictions

les plus tendres et les plus magnifiques que le Seigneur Dieu soit un
:

père pour lui, et que Jacob soit son fils premier-né (10). Que Dieu fixe
son choix sur lui et sur sa race, pour qu'ils soient le peuple de son
héritage (11). Que le Seigneur lui donne une race de justice, et qu'il
sanctifie de ses enfants au milieu de la terre entière. Que les peuples le
servent et que toutes les nations se prosternent devant sa descen-
dance (12). C'est Jacob qui édifiera la maison et qui élèvera le nom

(1) 19, 13-14. —(2) Genèse, 25, 27. — (3) 37, 1.^. — (4) 19, 15-16. — (5) 19, l'J.

(6) 19, 17. —(7) 19, 18. —
(8) 19, 23-25. — (9) 22, 28. — (10) 19, 29. — (11) 22, 10. —
(12) 22, 11.
LE LIVRE DES JLBH.ÉS. 331

d'Abraham devant Dieu. Sa race et son nom subsisteront jusqu'à


l'éternité 1;. Que Dieu daigne renouveler son alliance et sa clémence
f

avec avec sa postérité dans toutes les g-énérations de la terre (2).


lui et

Du coup, se trouve justifié le stratagème de Rébecca pour faire


échoir à son fils préféré la bénédiction d'Isaac. Comment lui repro-
cherait-on d'avoir tout mis en œuvre pour suivre les recommandations
du grand Abraham ! Pourtant, ces précautions ne suffisent pas à Fau-
teur. rapporte encore tout naturellement la vente de son droit
Il

d'aînesse par Ésaii, et, comme pour disculper Jacob d'une exigence
excessive, il transpose Genèse, xxvi, 1 , avant Genèse, xxv, 29, de sorte
que c'est où la disette commençait à sévir sur la terre,
à l'époque
qu'Ésaii trouve Jacob occupé à confectionner un plat de lentilles (3i.
Toujoure pour préparer le stratagème de Rébecca. il place également
Genèse, xxviii, 1, avant le récit de Genèse, xxvn. 1 et suivants, et il
met sur les lèvres de la mère les paroles que la Rible attribue à Isaac.
Rébecca appelle Jacob 4) et le supplie de ne pas prendre une femme
!

parmi les filles de Canaan, comme l'a fait Ésaû, dont les deux femmes
ont rempli son âme d'amertume. Elle l'engage à aller chercher une
femme dans la famille de son père à elle. C'est une nouvelle occasion
pour Jacob de faire éclater sa supériorité morale sur Ésaii. Il déclare à
sa mère qu'il est resté ^'ie^ge jusqu'à ce jour, et il lui jure de faire sa
volonté. Malgré les instances d'Ésaii pour lui faire épouser une des
sœurs de ses femmes, il ne l'imitera pas. Alors Rébecca, inspirée par
l'esprit de justice qu'elle a demandé, bénit Jacob, fils pur et race ((

sainte », comme l'a béni Abraham, avec les efï'usions les plus tendres,
les souhaits les plus étendus : que Dieu lui accorde autant d'enfants
qu'ily a de mois, qu'il multiplie ses descendants, qu'il leur donne la
Palestine, la terre agréable, qu'il fasse de leur race une race bénie et
sainte, que chez elle soit édifié le sanctuaire du Seigneur pour tous
les siècles (5).
Finalement, Jacob se trouve désigné de tous les côtés, par ses qua-
lités personnelles, par sa piété filiale, par les fautes d'Ésaii, par l'ac-
quisition du droit d'aînesse en temps de famine, par les bénédictions
inspirées d'en haut à Abraham et à Rébecca, par son aversion pour
les filles de Canaan, pour recevoir les bénédictions d'Isaac, les seules

qui lui manquent.


Dans le récit du stratagème, Fauteur des Jubilés suit assez fidèle-
ment en apparence les données bibliques, mais au fond il y introduit
quelques modifications importantes, destinées à disculper ou à gran-

(1) 22, 24. — (2) 22, 30. — (3) 24, 2-3. — (4) 25, 1-JO. — (5) 25, 11-23.
332 REVUE BIBLIQUE.

dir Jacob. A sa mère qui l'engage à aller prendre deux chevreaux pour
Isaac,Jacob répond pour attester son amour filial « Je n'épargnerai :

rien de tout ce que mange mon père et qui lui est agréable » (1). Isaac
ne commence pas par lui demander : « Qui es-tu? » et Jacob ne lai
dit pas : « JesuisÉsaû, ton premier-né » (2), ce quipourraitle faire ac-
cuser de mensonge, mais simplement : « Je suis ton fils » (3). Si Isaac ne
le reconnaît pas, parce que ses mains étaient velues comme celles d'É-
sati, « c'est une disposition du
pour détourner son esprit »(V). Cette
ciel
fois cependant, il mon fils Ésaû? » Mais Jacob se
interroge : (( Es-tu
contente de répondre « Je suis ton fils » (5), au lieu de « C'est moi »,
: :

de Genèse, xxvii, 2i. Dans sa bénédiction, Isaac ajoute aux paroles


de la Genèse, xxvii, -27-29 « Et que toutes les bénédictions dont le
:

Seigneur m'a béni et dont il a béni mon père Abraham, soient (ac-
cordées) à toi et à ta race jusqu'à l'éternité (6). Il appuie également >•>

dans sa réponse au malheureux Ésaû celui qui t'a supplanté « sera :

béni ainsi que toute sa race pour l'éternité » (7). Enfin, ce qui est plus
grave, il altère la fin de la bénédiction qu'il lui accorde, au point d'en
faire une imprécation. Dans la Genèse, xxvii, iO, il termine ainsi :

« Mais il arrivera que, en secouant son joug, tu le briseras de dessus


ton cou » (8). Notre auteur lui fait dire : « Et voici, si tu refuses et si tu
secoues son joug de ton cou, alors tu commettras un péché complet
(digne) de mort, et ta race sera extirpée de sous le ciel » (9).

Pour fuir la colère d'Ésaû, Jacob consent, sur les conseils de Rébecca,
||
à se rendre en Mésopotamie, mais à la condition expresse qu'Isaac
l'yenverra. Il ne veut pas partir de son chef, il ne veut pas laisser
soupçonner son respect de l'autorité paternelle et s'exposer à en-
courir la malédiction de son père s'il l'abandonne, sans le consulter,
dans sa vieillesse et ses infirmités 10).
A son départ, la douleur de Kébecca donne à Isaac l'occasion de
prédire le bonheur et la grandeur future de leur fils chéri, comme
aussi de célébrer sa perfection et sa droiture (11).
Jacob se rend donc en Mésopotamie. Les détails de la Genèse, xxix,
1-14, sur sa rencontre avec Rachel et son arrivée chez Laban, parais-
sent peu utiles à l'auteur des Jubilés. résume en un verset (12), Il les j

pour s'étendre plus longuement sur double mariage de Jacob et le


en tirer des conclusions sur l'obligation de marier l'aînée avant la
cadette (13). Il atténue la scène entre Jacob et Rachel (14) et ne dit rien

(1) 26, 7. —(2) Genèse, 27, 19. — (3) 26. 1.1. — 26, 18. (4) — (5) 26, 19. —(6) 26, 2i.
— (7) 26, 28. — (8) Traduction de Crampon. — 26, 34.(9) — (10) 27, 1-7. —
(11) 27.
13-18. — (12) 28. 1. — (13) 28. 2-10. — '14) Genèse, 30. 1-2.
LE LIVRE DES JUBILÉS. 333

de la « colère » de Jacob 1), il condense aussi en quelques lignes (2)


les conventions de Jacob et de Laban sur les agneaux (3). Comme il

fallait s'y attendre, il omet absolument dans cet épisode tout ce qui a
trait à la ruse imaginée par Jacob pour se faire un bon troupeau (4) ;

il passe également sous silence l'histoire des mandragores (5), et ce


qui parait plus singulier de prime abord, la rencontre de Jacob avec
les anges (6) et sa lutte avec Dieu (7). Il rapporte en un inot, « La-
ban parla à Jacob » (8), et sans faire allusion aux Teraphim (9i,

leur longue discussion de Genèse, xxxr, 25-'i-V; —en deux ver-


sets (10), le traité d'alliance entre le beau-père gendre (11),
et le —
en un seul (12) les deux chapitres xxxii et xxxiii de la Genèse sur la
rencontre d'Ésaii et de Jacob, sans la plus petite allusion à l'humilia-
tion de Jacob devant Ésaii.
Dans ses résumés si brefs, il trouve d'ailleurs le temps de glisser çà
et là quelques compléments. Avant de quitter la maison de Laban (13 )

Jacob bénit « le Dieu de son père Isaac et le Dieu de son grand-père


Abraham (li)^ Lorsqu'il se sépare définitivement de Laban, celui-ci ne
« part » pas pour retourner dans sa maison (15). Jacob le « renvoie »

en Mésopotamie (16). Le narrateur insère à propos de Galaad et du


traité qui y fut conclu entre Laban et Jacob (17), un couplet contre
les Rephaïm, sans doute pour marquer sa haine contre ces Gentils

ou plutôt contre leurs successeurs, les Amorrhéens, et pour faire re-


vivre dans l'esprit du lecteur leur défaite par les Macchabées (18).
En même temps il insiste une fois de plus sur la piété filiale du
patriarche. Tandis qu'Ésaii s'est emparé des troupeaux de son père
et l'a abandonné seul au puits du serment pour aller s'établir au mont

Séir, Jacob, lui, une fois de retour, reste non loin d' Isaac et de Rébecca
et les honore (19) il leur envoie même régulièrement, quatre fois
;

par an, de tous ses biens et de tout ce qui leur est nécessaire. Aussi le
bénissent-ils de tout leur cœur et de toute leur àme (20), et avant de
mourir, Isaac n'hésite pas à lui donner, en qualité d'ailleurs de pre-
mier-né, la plus grande part de ses biens (21).
Le récit de l'enlèvement de Dina et de la vengeance qu'en tirèrent
Siméon et Lévi (22) est peut-être, de toutes les parties du Livre des Ju-

(1) 28, 16. — (2) 28, 25-27. — (4) Genèse, 30, 37-42, et 31, 4-13.
(3) Genèse, 30. 25-36. —
(5) Genèse, 30, U-16. — (6; Genèse, 32, 24-32.
Genèse, 32, 1. —
(8) 29, 6.(7) —
(9) Cependant 31, 2 contient une allusion aux idoles dérobées par Rachel.

(10) 29, 7 et 8. —
(11) Genèse, 31, 45-54. (12) 29, 13. —
(13) Genèse, 31, 21. — —
(14) 29, 4, —
(15) Genèse, 31, 55. (16) 29. 12. —
(17) Genèse, 31, 47. —
(18) 29, 11; V. Chai'les, The hook of Jubilees translated, 1902. p. 176. note sur ce
verset.
(19) 35, 12. — :20) 29 15-20. — (21) 36, 12-13. — (22) Genèse, 34.
334 REVUE BIBLIQUE.

biles, le plus révélateur de la hardiesse, pour ne pas dire plus, de la


méthode d'exégèse de l'auteur. Il fallait à la fois laver Siméon et
surtout Lé\â, l'ancêtre du sacerdoce juif, du double crime de duplicité
et de vengeance, et eliacer la malédiction portée contre eux par
.lacob [i) sans blâmer le grand patriarche.
Notre auteur n'a pas hésité, ne s'est pas attardé à plaider les cir-
constances atténuantes. Il a transformé l'acte des fils de Jacob en un
des actes les plus glorieux de l'histoire d'Israël, et en a fait la source
des hautes destinées de Lévi. Puis, il a fait bénir Lévi par son grand-
père, sans laisser soupçonner que. d'après la Genèse, son père Jacob
l'avait maudit. Bien entendu, chemin faisant, il n'a rien omis de tout
ce qui pouvait aggraver le crime des Sichémites et justifier ses héros.

Dina n'a pas péché par curiosité, elle n'est pas sortie « pour voir les
fillesdu pays » (2). « On l'enlève » (3), sans mention de circonstance.
La faute de son ravisseur est d'autant plus abominable que Dina est
('une petite fille, une enfant de douze ans », ce que la Genèse ne nous
avait pas appris. C'est donc à très bon droit que les fils de Jacob ont
vengé leur sœur. S'ils ont péché, c'est pour avoir parlé avec malice aux
Sichémites, pour avoir agi artificieusement à leur égard (i). C'est le
seul blâme que leur infligent tout incidemment les Jtibilés. Ils n'ont
garde de rappeler que la fraude consista à amener ces Gentils à se
laisser circoncire pour qu'on put les massacrer tout à l'aise (5). Il leur
aurait été d'autant plus difficile d'excuser les fils de Jacob du meurtre
de gens circoncis, qu'ils tirent plus loin de l'incirconcision des Siché-
mites la raison d'être de l'action des enfants d'Israël (6). La mise à

mort des Sichémites que l'exécution d'un décret du ciel « On


n'est :

doit exterminer par le glaive tous les hommes de Sichem parce qu'ils
ont commis une infamie dans Israël. Et le Seigneur les a livrés dans
la main des enfants de Jacob pour qu'ils les exterminent par le
glaive » (7). Siméon et Lévi n'ont fait qu'exécuter les premiers la loi
di^àne qui iuterdit de donner une fille d'Israël à un Gentil le père :

ou le frère qui livre ainsi sa fille ou sa sœur doit être lapidé, la femme
doit être brûlée et le Gentil doit périr aussi (8). Cette loi est toujours en
vigueur (9). Elle est formulée dansles paroles mêmes que la Genèse (10)
met sur les lèvres des fils de Jacob lorsqu'ils veulent tromper les Si-
chémites, et dont les Jubiles leur font un titre de gloire « Nous ne :

donnerons pas notre fille (11) à un homme qui a un prépuce, car ce


serait un opprobre pour nous » (12 Il est également interdit à tout
.

(1) Genèse, 34, 30 et49, 5-7. — [V Genèse, 34, 1. —(3)30, L>. — (4; 30, 3. — (5) Genèse,
34, 13-17 et 25. — (6)30, 12. — ;7) 30, 5-6. — (8) 30, Ml. — ,9) 30, 10. — (10) Genèse,
34, li. — (11) Dans la Genèse : « notre sœur ». — (12) 30, 12.
LE LIVRE DES JUBILES. 33"i

homme d'Israël de prendre une femme chez les Gentils. S'il le fait ou
le laisse faire, il s'attirera toutes sortes de malédictions (1). Aucune
offrande, aucun sacrifice ne pourra expier cette faute (2). Voilà pour-
quoi l'ange ordonne à Moïse de témoigner à Israël : « Vois comment il

advint aux Sichémites et à leurs enfants, comment ils furent livrés à


la main des deux fils de Jacob, et comment) ils les mirent à mort dans
les tourments, et (comment) cela leur fut imputé à justice et leur fut
inscrit en justice » (3).
Si Lévi a été mvesti du sacerdoce, s'il a été désigné pour servir tous
lesjours, devant le Seigneur, comme les anges, c'est parce qu il « a été
plein de zèle pour faire justice et jugement et vengeance de tous ceux
qui s'élevaieut contre Israël » (i). Non seulement cet acte est inscrit
en justification et en bénédiction pour ses auteurs, sur les tablettes du
ciel (5), comme le nom d'Abraham (6), comme toute Thistoire d'Is-
raël (7), mais le jour où les fils de Jacob égorgèrent Sichem, un livre
spécial monta pour eux dans le ciel, racontant qu'ils avaient exercé
la justice, le droit et la vengeance sur les pécheurs (8). Les anges
eu.v-mêmess'en souviennent, et on racontera jusqu'à mille générations
la gloire de Lévi, inscrit « comme ami et juste <> sur les tablettes du
ciel 9 .

Après lemassacre, .Jacob, qui craint les habitants du pays, « s'entre-


tient ))de l'événement avec ses fils (lOj. C'est ainsi que l'auteur traduit
Genèse, xxxiv, Vous avez troublé ma vie, en me rendant
30 : . «

odieux aux habitants de ce pays ». Les alarmes du patriarche sont

d'ailleurs vaines. Les villes des environs de Sichem sont frappées de


terreur par Dieu, et elles ne songent pas à poursuivre ses fils i^ll). Il se
rend en paix d'abord à Béthel (12), puis auprès de ses vieux parents
avec Lévi et Juda. Rébecca bénit la première ses deux petits-fils 13).
Ensuite, Isaac. animé de « l'esprit de prophétie » di), prend Lévi de
la main droite et Juda de la main gauche, et. dans un des plus beaux

morceaux des Jubilés^ il les bénit à son tour et leur prédit les plus
glorieuses destinées, à Lévi surtout, comme prêtre du Seigneur dans
Israël (15).

30, 14-15.
(I) —
2; 30, 16. (3j 30, 17. —
(4 30, 18. —
(.5) 30, ly. —fj) 19, 9. — —
(7) 32, 21. —
(8) 30, 23. (9) 30, 20.—
(10) 30, 25. Charles traduit « reprocha » à ses fils, mais en corrigeant le texte pour l'har-
moniser avec la Genèse. L'éthiopien et le latin des Jubilés, loculus -est ad tUos, sont
formels, et tout à fait daccord avec l'esprit qui anime la narration.
(II) 30, 26. —
(12) 31, 1-3, et Genèse, 35. 1-7. —
(13, 31, 7.— ;i4) 31, 12.
(15) 31, 13-17. Celte exaltation de l'exploit de Lévi à Sichem est absolument contraire aux
Tues rabbiniques sur ce passage de la Genèse. Cf. B. Béer, Das Buch der Jubilaenund sein
VerhûU.niss zu den Midraschim, 1856, p. 50.
336 REVUE BIBLIQLE.

Jacob est rempli de joie à la pensée que cette bénédiction est inscrite
sur les tablettes du ciel et qu'il y a une espérance éternelle pour lui
et pour ses fils devant le Dieu de toute chose 1). Peu après, éclairé
encore par un songe de Lé^'i 2), il l'instituera prêtre du Seigneur et

formulera en sa faveur la loi de la dime 3"!. Enfin, avant de mourir,


il manifestera une dernière fois ses préférences en léguant à Lévi '^4)

les livres qu'il tenait d'un ange (5) et ceux de ses pères.
Il est remarquable néanmoins que si notre auteur a fait répandre
les bénédictions d'Isaac sur Lévi, il n'a pas osé le faire bénir expressé-
ment par Jacob. La contradiction avec Genèse, xlix, 7, lui a paru trop
forte. Seulement, au moment d'expirer, Israël « bénit ses enfants » (6 .

sans autre détail.


Les autres événements de la vie de Jacob n'exigeaient pas de pareils
tours de force. Pour rester dans son rôle, l'auteur des Jubilés a.cherchr
à atténuer les fautes de Ruben et de Juda y"), à exalter Juda (8 .

à dilater lespromesses divines (9), à célébrer la fidélité de Jacob à


raccomplissement des vœux (10) et au culte exact du vrai Dieu (11). à
mettre en relief le courage et la droiture de Jacob dans ses guerres
contre Ésaù et contre les Amorrhéens. L" « homme paisible » de la Ge-
nèse ,12 devient dans les Jubilés un valeureuxguerrier, qui peut soute-
1

nir la comparaison avec les héros de l'épopée macchabéenne. Il met


à mort plusieurs des rois Amorrhéens qui étaient venus piller ses
troupeaux, et il impose son joug aux survivants ^13 Lorsque Ésaû, ses .

fils et ses alliés viennent l'assiéger dans Hébron avec une nombreuse

armée li), il perce de sa propre main son frère parjure et un de ses


principaux alliés, l'Araméen Adoran(15 Dans tous ces cas, l'auteur a.

pu atteindre son but, surtout en complétant la Bible et sans faire au

texte sacré des entorses trop violentes (16).


Nous retrouvons son exégèse radicale dans l'interprétation de toute

31, 32.
(IJ —
•2; 32, 1.— ;3 32. 3-15. [4 45. 16. — (5 32. 21-26. —
(6) 45, 14. — —
(7) 33, 16-17 et 41. 23-25, 27. —
(8^ 32. 18-20 et 41. 28.

(9) 32, 17-19. Dieu promet à Israël la domination sur « toute la terre »,
au lieu que dans
Genèse, 35, 10-12. il nest question que de la domination sur la Palestine.
(10) 31, 26. —
[W') 36, 20. —
(12) Gem-se, 25. 27.
(13^ 34, 1-9. Cf- Genèse. 48, 22, qui fournit, à la vérité, une base historique à ces ampli-
fications.
(14) 37 et 38. — (15) 38, 2 et 3.
(16' Comme modifications peu importantes,
on peut citer celles relatives à Débora et à Ra-
chel. Débora, nourrice de Rébecca, estvenue avec celle-ci en visitechez Jacob, 31, 30; voilà
comment il se fait qu'elle est morte et qu'elle a été ensevelie loin de la demeure de ses
maîtres, 32. 30; cf. Genèse, 35. S. Racbel suivit Jacob qui accompagnait Rébecca rentrant
chez Isaac. lorsiiu'en arrivant à Éphrata. elle fut prise des douleurs de l'enfantement et
mourut. 32. 31-3 i: Genèse, 35. 16-20.
LK LiVI'.E DES JL BILES- 337

une catégorie de passages qui paraissent lavoir gêné particulièrement.


Ce sont ceux dans lesquels la Genèse ou l'Exode attribuent à Dieu des
actions qui lui paraissent peu dignes de la majesté ou de la sainteté
divines, ou aux hommes un pouvoir au-dessus de leur force. Il rem-
place Dieu ou les hommes par les anges ou même par les démons,
selon le cas (1 D'après Genèse, xv, 13, « lahveh dit à Abram Sache
). :

bien que tes descendants seront étrangers dans un pays qui ne sera
pas à eux », etc. Les Jubilés écrivent « Il fut dit à Abraham Sache » "2
; :

etc.. et étant données les idées de l'auteur, il faut sous-entendre

probablement 11 fut dit par un ange.


: Dans l'apparition de Mambré, —
ce n'est plus comme dans Genèse, xviii, 1 k lahveh lui apparut au :

chêne de Mambré... Il leva les yeux et il aperçut trois hommes ».


Mais : « Nous les anges apparûmes à Abraham auprès du chêne de
i

Mambré et nous nous entretînmes avec lui » 3). Parla même se trouve
supprimée la difficulté de concilier le début du verset de la Genèse
avec la tin. —
Si Dieu met Abraham à l'épreuve, en lui demandant

d'immoler son fils (i il n'agit pas de lui-même, il agit à l'instigation


:,

da prince du Mastêmà ou Satan. Celui-ci propose cette épreuve


parce qu'il a entendu dans le ciel des voix d'anges proclamer quW-
braham était fidèle au Seigneur en tout et dans toutes les afflic-
tions 5 i
. —
Selon l'Exode, lors du retour de Moïse en Egypte, " lahveh
vint à sa rencontre dans un lieu où Moïse passait la nuit et voulut le
faire mourir » (6). Les Jubilés attribuent le fait au prince du Mastêmà :

il avait appris que Moïse allait châtier les Egyptiens, il voulait les sau-

ver de sa main (7). Ce fut un ange, et non pas l'intervention de Sé-


phora 8 qui préserva Moïse.
'

,

Les magiciens n'opèrent de prodiges
devant Pharaon (9j que parce que le prince du Mastêmà leur prête
son appui 10 et que les anges leur permettent de faire le mal. Mais
,

ils ne peuvent pas porter remède aux plaies d'Egypte (11). parce que

les anges ne leur en ont pas donné le pouvoir 12 Au dire des Jubi- . —
lés (13), ce sont les démons qui ont tué les premiers-nés des Égyptiens :

d'après l'Exode, c'est lahveh lui-même qui les a frappés (li). — Dans
le récit bibUque, lorsque les Israélites se mettent en marche pour
quitter l'Egypte, lahveh dit à Moïse « Dis aux enfants d'Israël de se :

mettre en marche. Toi, lève ton bâton, étends la main sur la mer, et

(1) 11 a pu s'autoriser de l'exemple de l'auteur Je I Paralipomènes, 21. l, qui rnodilie II Sa-


muel, 24, 1, en substituant Satan à Dieu comme ayant excité David à faire le dénombrement.
Cf. Charles, The Book of Jûbilees... translaled. iW2, p. 250 Mangenot, article Paralipo- :

mènes dans Vigoureux, Dictionnaire de la Bible, fascicule XXX. 1908, col. 2t37.
(2) 14, 13. (3) 16. 1. — —
(4) Genèse, 22, 1-2. —
17, t5-18 et 18, 12.
(5) (6) Exode, —
4, 24. — 48, 2-4.
(7) (8) — Exode. 4, 2.V2.i. —
(9j Exode. 7, 11, 22; 8, 7. (lO; 48, 9. —
— (11) Exode, 9, tl. 12) — 48, 10. -- (13) 49, 2-4. —
(li) Exode, 11,5: 12, 29, 30.
REVIE CIRLIOIE 1911. — N. S., T. VIII. 22
338 . REVUE BIBLIQUE.

divise-la, afin que les enfants d'Isra«U passent


sec. Et moi, au milieu à
je vais endurcir le cœur des Égyptiens pour
y entrent après qu'ils
eux » (1). Dans les Jubilés^ c'est bien Dieu qui a permis que les Égyp-
tiens fassent précipités au milieu de la mer; mais c'est Mastêmà qui
leur a x crié » de poursuivre Moïse avec toutes leurs forces et toutes
leurs troupes r2 C'est lui qui, après avoir eu d'abord, semble-t-il,
.

l'intention de les aider (3), a ensuite « endurci leur cœur et les a •

fortifiés, puis les a frappés et précipités dans la mer pour exécuter les

desseins de Dieu i).

Le souci d'apologie se décèle dans l'histoire d'Adam, de Noé,


d'Abraham, d'Isaac, de Joseph et de Moïse, comme dans celle de Jacob.
Mais il s'y traduit par des suppressions et abrègements ou par des
additions tantôt dans l'esprit de la Bible, tantôt tout à fait en dehors
d'elle, plutôt que par des altérations proprement dites.
Les événements de l'histoire biblique dont le récit est le plus abréeV
sont l'expulsion de l'Éden ;5), la vie de Caïn (6), le déluge où n'est
:

pas indiqué l'envoi du corbeau, peut-être parce que c est un oiseau


impur (7) l'apparition des anges à Abraham et leur prédiction à
,

Sara 8), l'histoire de Sodome. de Lot et de ses tilles i9), en par- —


ticulier le repas des anges, la prière d'Abraham pour les gens de So-
dome, ces païens criminels, et le châtiment de la femme de Lot ne sont
même pas mentionnés, —
les relations d'Abraham avec les enfants de
Heth (10), le mariage d'Isaac signalé d'un mot à peine (11), enfin e(
surtout la vie de Joseph (12) et l'histoire de Moïse et de l'exode (13 .

Un certain nombre de ces abrègements, comme ceux du récit d( -


songes des prisonniers et de Pharaon ou des dix plaies d'Egypte, s'ex-
pliquent par le désir d'alléger la narration, il fallait garder de la
place, sans exagérer les dimensions de l'œuvre, pour les additions que
l'auteur voulait insérer, pour les légendes qu'il se proposait d'ajou-
ter à l'histoire biblique.
D'autres sont dictés par le souci d'écarter tout ce qui pourrait ter-
nir la gloire des Patriarches ou de ménager l'orgueil d'Israël. Plu-
sieurs omissions sont très significatives à cet égard, par exemple celle

(1) Exode, 14, 15-17. — 48, 12-14. —


(2) 48, (3) 16. — (4) 48, 17. —(5) 3, 23-26 =
Genèse, 3, 8-24. — (6)4, 1-6 = Genèse, 4, 3-15.
(7) 5, 19-32 = Genèse, 6. 7 et 8. Cf. Charles, The Booh of Jubilees... iranslated,
1902, p. XLviii.
(8) 16, 1-4 =
Genèse, 18, 1-15. 9; 13, —
17 et 16, 5-9 === Genèse, 18 et 19. —
(lOj 19, 4-6 =
Genèse, 23, 3-20. (11) 19, 10 —
Genèse, 24. =
(12)34, 10-17; 39; 40; 42; 43; 44, 1-10:45, 1-12:46, 1-9 := Genèse, 37; 39; 40;
41 42 53 44 45 46. 1-7 et 28-34 47 48 50.
; ; ; ; ; ; : :

(13) 46, 12-16; 47; 48; 49 Exode, 1 a 14. =


LE LIVHE 1>ES JUBILÉS. 339

tlu d'Abraham chez Âbimélech et de l'épisode de Sara 1). Il


séjour
est dit seulement qu'à son départ d'Hébron, Abraham « séjourna entre
Cadès et Sur, dans les montagnes de Gérare » 2). Il en est de même
de l'épisode analogue de Rébecca à Gérare 3 Ici. Tomission est si .

intentionnelle que dans les paroles d'Abimélech au sujet d'Isaac, les


Jubilt^s ont remplacé les mots ou sa femme ' par et ce qui est à •'

lui » :

Genèse, xxvi. 11 Jubilés, xxiv, 13


« Celui qui touchera cet homme < Que tout homme qui le touchera
ott sa fmmne sera mis à mort. » lui et ce qui est à lui meure de
mort. »

Quant au séjour de Sara à la cour de Pharaon V . les.Juàiiés le rap-


portent très brièvement 5 et sans dire mot de l'erreur de Pharaon. La
raison de ce silence est évidente; il disculpe radicalement la loyauté
dAbraham d Isaac. et

La vente de Joseph par ses frères était également peu honorable


pour les ancêtres des 12 tribus. Les Jubilés suppriment tout détail et
condensent en rpielques mots (6: la longue narration de la Genèse 7 .

Ils taisent même les faits qui Tont provoquée les préférences de :

Jacob pour Joseph, les songes de Joseph et ses accusations contre


ses frères (8 L'auteur craint apparemment de rabaisser Lévi et Juda
.

quïl a tant exaltés 9; et de les mettre au-dessous de Joseph. L'in- —


tendant ne reproche pas aux frères de Joseph d'avoir volé la coupe
dans laquelle boit son maître et dont il « se sert pour deNdner » (10).
Il les accuse seulement d'avoir volé la coupe a dans laquelle boit son
maître » (11). —A
leur proposition de livrer le coupable et de secons-
tituer prisonniers, il ne répond pas « Eh bien, qu'il en soit selon vos :

paroles » 12 Pour notre Pharisien ce serait un mensonge, puisque


.

l'intendant n'accepte pas cette proposition dans toute sa rigueur. Il


s'écrie au contraire Non pas ainsi » (13). : Comme l'intendant,
<( —
Joseph lui-même évite d'employer le mot « deviner pour ne pas >'

prêter à l'accusation de lécanomancie « Ne savez-vous pas que cha- :

cun se délecte avec sa coupe comme moi avec cette coupe » (li). Dans
la Genèse, il disait « Ne saviez-vous pas qu'un homme tel que moi
:

saurait bien deviner » (15). —


Le discours de Juda Joseph (16/ est très ;j

(1) Genèse, 20, 2-18. — 2) 16, 10. — ,3; Genèse, 26, 7-10. —
(4) Genèse, 12, 14-20. —
(5)13, 13-15. — (6) 34, 11-12.— 7) Genèse, 37, 12-32. —
(S, Genèse, 37, 2-11. —(9) 30

et 31, 4-22 ; voir plus baut, p. 335 s.— (10) Genèse, 44, — 5. ( 1 1} 43, 2. — (12) Genèse. 44.
10. — 13} 43, 6. — 14) 43, 10. — (15) Genèse, 44, 15. — (16) Genèse. 44, 18-34.
340 REVUE BIBLIQUE.

Jjref (t). 11 n'a garde de dire que Benjamin « avait un frère qui est
mort » (2) ; pour éviter tout ce qui pourrait paraître une atteinte à la
vérité,il dit: « L'un partit etfutperdu, et iln'apas été retrouvé » (3).

Quand Joseph se découvre à ses frères, lui non plus il ne fait aucune
allusion aux pénibles circonstances qui lont amené en Egypte {k .

Au lieu de s'écrier : « Ne vous affligez pas, et ne soyez pas fâchés


contre vous-mêmes de ce que vous m'avez vendu » (5), il se contente
de dire « Ne pleurez pas sur moi; mais hàtez-vous d'amener mon
:

père » (6), etc. —


C'est en son propre nom et non pas au nom de Pha-
raon (7) que Joseph engage son père et ses frères à venir s'établir en
Egypte (8). Il leur donne lui-même la permission d'habiter dans la
terre de Gessen, la plus belle région du pays 9). Il ne demande au-
cune autorisation au Pharaon, il ne lui présente même aucun membre
de sa famille, à l'encontre de ce qui se passe dans la Genèse (10 .

Tous ces détails auraient été humiliants pour Israël.


Dans la vie de Moïse, l'auteur signale d'un mot ^11) son séjour en
Madian (12'. 11 passe sous silence son mariage avec Séphora, sans
doute parce qu'il ne s'accordait guère avec les prescriptions contre
les mariages entre Israélites et Gentils, prescriptions qui sont rappe-
lées avec tant d'insistance dans les Jubilés (13). Ce qui est plus éton-
nant, il omet même dans cet épisode la vision de l'Horeb [ik).

Les additions lui sont inspirées par des motifs analogues ou par le
désir d'exposer des vues personnelles auxquelles il attache une grande
importance. Quelque étrangères qu'elles soient à la Genèse ou à
l'Exode, elles sont absolument fondues dans la narration et présentées
sur le même pied que les faits empruntés aux Livres Saints. Nous en
avons déjà vu quelques-unes à propos de la création et de l'histoire de
Jacob (15). Il y en a d'autres.
D'abord, tidèle à son programme d'écrire une histoire divisée en
jubilés, il donne des dates partout, même là où la Bible ne fournit ni
indication ni base. Les événements sont datés d'une façon très pré-
cise,par jubilé, semaine d'années, année, parfois même mois et jour,
à partir de la création du monde jusqu'à l'exode. Par exemple pour
Abraham, l'éditication d'un autel à Béthel eut lieu la T' année, la
1" semaine (du iO" jubilé), à la nouvelle lune du P' mois (16); la
descente en Egypte, la 3' année de la même semaine de ce 40' ju-

(1) 43, —
(2) Genèse, 44. 20.
11-13. (3) 43, 11. — —
ii) 43, 16-20. (5) Genèse,—
45^ 5. _43, 16.
(6) —
(7) Genèse. 45. 17-20. —
(8) 43, 18 et 44. 9. — (9) 45. 6. —
(10) Genèse, 46, 31-47. 12.— (11 48, 1.— (12) Exode, 2, 15-4. 23.— (13) 20, 4; 22, 20;
25, 1, 5; 30, 7-17. (14) Exode, 3.— —
(15) Voir plu? haut, p. 329 à 33G. (16) 13. 8.—
LE LIVRE DES JUBILES. 341

bile 1; le retour à Bétliel, le il' jubilé, la 3' année de la F se-


maine 2); le sevrage disaae la V^ année de la 5'^ (erreur pour 4") ,

semaine du il' jubilé (3 le sacrifice d'Isaac, la 7" semaine, la 1" an-


:

née, le 1" mois du ïi jubilé (i), etc., etc.


Il donne aussi les noms des femmes des personnages bibliques,

avant et après le déluge jusqu'à Moïse, avec une abondance d'infor-


mations que la llaggada juive, pourtant si riche en ces matières, ne
connaît pas (5;. Malaléel a épousé sa cousine germaine, Dina, fille de
Barakiel 6 son fils Jared a pris aussi pour femme une cousine,
;

Baraka, fille de Hàsouyàl (7), etc., etc.


L'auteur témoigne encore d'un grand souci de précision géogra-
phique. Il connaît les limites exactes des lots qui ont échu respective-
ment aux fils de Noé, quand ils se sont partagé la terre (8); il sait
même la délimitation des parts que Sem et Japhet ont attribuées à
chacun de leurs eufants 9). A ce point de vue, il a voulu visiblement
:

compléter le ch. y de la Genèse. La célèbre table des peuples ne


contient guère que des renseignements ethniques. Les Jubilés négli-
gent eu partie ces renseignements pour insister sur le côté géogra-
phique, sur la répartition des peuples à la surface de la terre.

Un grand nombre d'additions portent sur l'origine et la force obli-


gatoire des observances légales. Nous les retrouverons ailleurs.
D'autres sont tout à la gloire des patriarches et d'Israël (10). Si Noé
s'enivre, c'est parce qu'il avait bu du vin de quatre ans qu'il avait gardé
pour célébrer une fête '^11 Sem bâtit une ville auprès de Noé et de-
1.

meure avec lui. En cela, il fait montre de plus de piété filiale que
Cham et que Japhet, qui ont bâti des villes plus loin de leur père 1-2).
Abraham comprend et fuit dès son enfance l'erreur de tout le
genre humain, qui court après les idoles. Bien qu'il n'ait que qua-
torze ans, il se sépare aussitôt de son père pour ne pas participer au
culte des idoles, et il se met à prier le Créateur 13 Il cherche même ! .

à détourner de l'idolâtrie son père et ses frères (li) et va jusqu'à brû-


ler letemple des faux dieux (15). C'est pourquoi, le Seigneur le bénit
et lerend célèbre, en lui donnant le pouvoir de chasser les corbeaux
quidévoraient les semences IG Son habileté lui fait inventer un se- .

{!) 13, 11. —


(2; 13, 16. (3) 17. 1. —
(4j 17, 1.^. —
(5) Béer, Das Buch der Jubiluen und sein VerhCiUniss zu dea Midraschim, 1856,
p. 5.5. — (6) 4, 15. — [1) 4, 16.— i8 8. 12-30. — (9) 9. 2-15.
;10) La question des observances légales et Texaltation d'Israi-l comme peuple seront trai-
tées toutau long dans l'introduction que je me propose de placer en tète de la traduction
du Livre des Jubilés.
(11) 7, 1-12.— (12) 7, 13-17. — ;i3) 11, 16-17. — li 12, 1-8. — (15) 12, 12-14. -
(16) 11, 18-22.
342 REVUE BIBLIQUE.

moir qui permet d'enfouir la semence sans que les corbeaux la


voient (1). Une nuit où il observe les astres pour pronostiquer les
saisons de Tannée, une parole intérieure lui révèle que les signes des
astres, la pluie et toutes choses sont dans la niaia de Dieu (2). Peu
après, le Seigneur lui apprend à parler hébreu, et il se livre sous la
conduite d'un ange à l'étude « des écrits de ses pères » pendant les
six mois d'hiver (3i. Lors de la défaite de Chodorlahomor et de ses

alliés, le roi de Sodome ne va pas seulement à la rencontre d'Abra-


ham, comme dans la Genèse V) il se prosterne devant lui (5;. A
i
;

rinstar de Dieu, les anges eux-mêmes contractent alliance avec le pa-


triarche (6), comme ils l'avaient fait avec Noé. Après le sacrifice
d'Isaac, Abraham retourne à Hébron (T et par là se trouve expliqué ,

que Sara y soit morte (8). Il supporte avec une patience admirable la
douleur que lui cause la mort de Sara 9), et il meurt dans les bras
de Jacob, en se faisant fermer les yeux par lui (10).
La tentation de Joseph est narrée avec des circonstances qui l'aggra-
vent et font ressortir la sainteté du fils de Jacob. La femme de Putiphar
le sollicite une année entière (11). Elle ne se contente pas de saisir son
vêtement il2), elle l'étreint et le retient de force dans la maison pour
l'entraîner au mal 13). Joseph a une telle horreur du péché, un tel
désir de fuir la tentation qu'il brise la barre de la porte (14). L'auteur,
qui a si fort abrégé l'épisode des songes, trouve qu'il ne. suffit pas de
laisser louer Joseph par les faits comme la Genèse 15 Il insiste sur .

l'intégrité et la sagesse de son adudnistration il ne recevait pas de :

présent corrupteur et jugeait avec équité tous les peuples de la terre,


etc. (16). Pour expliquer le revirement des Égyptiens après la mort de

Joseph, il imagine de perfides conseils de l'ennemi héréditaire, un roi


de Canaan [l'î ).
Moïse reste exposé sur le Nil pendant T jours. Sa mère vient l'allaiter
pendant la nuit (18). L'auteur note que le futur législateur des Juifs a
appris la science de l'écriture à l'école de son propre père Amram (lOy,
non pas à la cour d'Egypte, pour bien marquer qu'Israël ne doit rien
à la sagesse païenne. Enfin, s'il passe rapidement sur les plaies d'E-
gypte (20;, c'est pour s'étendre dans la suite du chapitre sur le rôle
des démons et des anges (21), sur les causes et sur la grandeur du
châtiment des Égj-p tiens, dont un million périssent dans les flots (22). j

,1) 11. 23-24. — (2) 12, 16-21. —(3) 12. 25-27. — (4) Genèse. 14, 17. —
(5) 13, 28.
— (6) 14, 20.— (7) 19. 1. — (8) Genèse. 23, 2. — lO^ 19, ::. — (10)23, 1-8.— (II) 39, /

— (13) 39, — — ;15)


'

8. —(12) Genèse, 39, r>. 9. 39. (14; '.i-lO. Genèse, 41. 47-49, 53-
57. —
(16) 40, 8.— (1?; 46. 12. — (18) 47. — (19;
4. 47, — (20)
9. 48, 4-10. — (21) 48,
2-3, 9-12, 15-17 et 49, 2-'i. — (22) 48, 14-19.
LE LIVRE DES JUBILÉS. :{i3

Telle est la méthode de ce précurseur de


la Halaka et de laHaggada.
Son œuvre deux genres de composition, du traité juridique
tient des
et de la narration liomilético-historique. On a dit que c'était un com-
mentaire de Ja Genèse. Charles par exemple écrit que les Jubilés sont
« explicitement et évidemment un commentaire de la Genèse » (1).

Schiirer les appelle aussi « un commentaire hag-g-adique » (2),


en atténuant d'ailleurs aussitôt la portée du mot.
Ce jug-ement n'est pas tout à fait exact. A la vérité, l'auteur ne fait

œuvre fie commentateur, au sens moderne du mot, que dans un petit


nombre de passages, tels que iv, 30; xix, 11 et xui, 25. Il explique ;

dans en se basant sur Genèse, ii, 17, pourquoi Adam est mort
IV, 30,

à 930 ans, ou avant d'avoir mille ans, c'est-à-dire « un jour com- •>>

plet; —
dans XIX, 11, qu'Abraham a épousé Cétura, parce qu'.\gar
était morte avant Sara; —
dans xlii, 25, que Joseph a fait mettre sa
coupe dans le sac de Benjamin pour savoir si ses frères étaient unis.
Dans leur ensemble, les Jubilés sont une œuvre d'un caractère per-
sonnel, La Bible en est la source principale évidemment, mais enfin
rien de plus. L'auteur emprunte également à des sources légen-
daires, aux traditions ou aux idées théologiques de son temps ou de
son école, voire même, semble-t-il, à des vues strictement person-
11 fond tous ces emprunts avec les données bibliques en une
nelles.
œuvre relativement homogène et assez bien ordonnée, dont tous les
éléments apparaissent au même plan. Par conséquent, il est fort im-
prudent, toutes qu'une des versions, latine ou éthiopienne,
les fois
ne fournit pas d'appui, de vouloir corriger son texte pour l'harmo-
niser avec la Bible, comme Charles le fait trop volontiers. C'est s'ex-
poser à aller à l'encontre de la volonté formelle de l'auteur, et donc
à fausser sa pensée et à en dénaturer l'expression. Nous avons vu à
quel degré il pratiquait le respect du texte sacré que supposent ces
corrections de Charles.
Enfin, il paraît vraiment excessif de vouloir se servir des Jubilés
comme le fait Littmann(3^, pour confirmer, même indirectement, la
théorie des sources du Pentateuque. Pour faire toucher du doigt la
fragilité de ces déductions, il suffit de rappeler quelques laits.

L'histoire de Dina et des Sichémites, Genèse, xxxiv, 1, 2 a, 4, 6, 8-10,


13-18, 20-24, 2T-29 ,
que les critiques placent dans le « Code sacer-

(1) Charles, The elhiopic version o/' the Ilebrew Book of'Jubilees, 1895, p. xvii.
(2) Schûrer, Geschichte des jvdischen \'olkes im Zciialter Jesu Christi, 4" édition,
1909, p. 372. »

(3j LiUmann, Zeitschrift der Deutschen morgenl. Cesellschafl, 1899. p. 370, et dans
Kautzsch, Die Apokryphen and Pseudepigrap lien des Alten Testaments, i. IL 1900, p. 37.
344 REVLE BIBLIQUE.

dotal » (1), est le le plus gêné notre auteur et qu'il a le


chapitre qui a
plus altéré. Il a même à peu près omis 20-2i. Il a également sup-
primé la présentation de Jacob à Pharaon, Genèse, xlvii, 7 qui ,

ferait partie du même Code (2). En revanche, il fait des emprunts par-
ticulièrement importants à ce qu'on appelle le document jéhoviste :

l'histoire de Juda et de Thamar, qui est rapportée si au long, « est


entièrement Jéhoviste », dit M. Mangenot (3). Charles constate même (4)
que les conceptions des Jubilés, en ce qui touche la construction d'un
autel par Noé (5), l'offrande d'un sacrifice par Abraham (6), l'érection
d'une colonne sacrée à Béthel par Jacob (7 sont en contradiction avec
i,

le « Code sacerdotal ».

En fait, l'auleurdn Livre des Jubilés n'a pas fréquenté les critiques.
Il n'a même pas une connaissance inconsciente des « sources » avant
la lettre. Il a puisé partout où l'intérêt de sa thèse le commandait,
et il se trouve que tout prêtre qu'il est, il a puisé et aussi taillé et

tranché dans tous les « documents » de la Genèse (8).

[A suivre.)
Krançois Martin.

(1) Mangenol, L'authenticité mosaïque du Pentatcuque, 1907, p. 133-135.

(2) Mangenot, ibidem, p. 134. I


(3) Ibidem, p. 78.
(4) Charles, The Book of Jubilees... Iranslated, 1902, p. xlvii, note i.

(5) 6, l.~(6) 14,8-11.— (7) 31, 3.


(8) Les lecteurs que cette question intéresserait, i)ourroiit comparer les chapitres de la
Genèse qui entrent d'après les critiques dans la composition de chaque document (voir Man-
genot, ibidem, p. 50, 70, 133) avec ceux qui ont été utilisés par les Jubilés. Ils trouveront
la liste de ces derniers dans la traduction que je prépare de cet apocryphe, soit à la suite
du sommaire de chaque chapitre, soit dans les tables qui doivent clore le volume.
Carte des pays bibliques.
LES PAYS BIBLKiUES ET L'ASSYRIE

Asaraddon avait cru bien faire eu partaseant en deux tronçons


rimmense empire que les conquêtes successives de lAssyrie avaient
réuni sous une seule main. C'était une chimère. Le royaume de Baby-
lonie était trop restreint pour subsister seul à côté de Ninive. Les ter-
ritoires n'étaientpas séparés par une limite fixe, et le nouveau roi de
Babylone, Samas-souma-oukin, ne résisterait pas longtemps à la ten-
tation d'empiéter sur le domaine de son frère AsourbanipaL Babylone
uétait-elle pas la cité sainte de l'antique Chaldée? Asourbanipal le
reconnaissait lui-même, puisqu'il permettait, dès le début de son règne,
de réinstaller dans cette d'Akkad que, vingt et un
ville les divinités
ans auparavant, l'aïeul Sennachérib avait emmenées à Asour (1). Sans
doute, durant le règne d'xVsourbanipal (668-025 av. J.-C. ), la supré-
matie resterait aux Assyriens, mais, sous ses successeurs immédiats,
l'action combinée des Babyloniens et des Mèdes porterait le coup fatal
à la dynastie de Ninive. La Chroni(jue Babylonienne cesse son récit
après l'accession de Samas-souma-oukin. Elle mentionne simplement
une campagne contre Kirbitou dans la région de la ville de Dêr (2). Ce
fut le seul fait d'armes qu'on jugea digne d'attribuer à Samas-souma-
oukin. Dans ses annales officielles, Asourbanipal s'attribua cette con-
quête et en retarda même la date afin de l'encadrer dans la série de
ses expéditions (3i.
Une œuvre plus pressante s'ofi'rait à son activité. Son père était
mort durant sa marche contre l'Egypte. Celle-ci se félicitait de ce que

(1) Chronique Babylonienne. IV, 34 ss. ha destruction de Babylone par Sennachérib,


RB., 1910, p. 518. L'inscription de Nabonide à Constantinople (col. I) signale cette destruc-
tion et l'intervalle de vingt-et-un ans (689-668) entre ce fait et la rentrée des divinités à
Babylone (Conférences de Saint-Étienne, 1910-1911, p. 9.5, n. 2).
(2) Sur cette ville, RB., 1911, p. 201, n. 3. Elle se trouvait située probablement à Zirzir-
tepe à l'embouchure de la vallée à'Aft âb dans le Louristan (Billekbeck, Suleimania, pp. 69
et 97).
(3) Dans K. 2675, [KB., II. p. 174, n. 2). Asourbanipal dit qu'il fit déporter les
rev., 6-12
prisonniers en Egypte. Après sa campagne en Egypte, il procéda à cette déportation, ce
qui lui permit de se considérer comme le conquérant de Kirbitou.
346 RtVLE BIBLIQUE.

le destin était venu à son aide en ne permettant pas an monarque


belliqueux de mettre une dernière fois le pied dans le Delta. Mais
Asourbanipal se devait lai-même de poursuivre la conquête com-
à
mencée par son père. Il se promit donc de ne pas laisser impunie
la révolte des Égyptiens. Il connaissait le chef des révoltés, le fameux
Taharqou [Tar-qu-u] cpi'il décore du titre de « roi d'Egypte [Mu-^ur)
et d'Ethiopie Kii-u-si, Kous) » (1). Il savait que cet indomptable
champion de Fautonomie égyptienne avait mis à mal ^ les rois et les
gouverneurs > qui avaient été intronisés par Asaraddon. Grâce à un
coup de main des plus hardis, Taharqou avait reconquis son ancienne
capitale, la ville de Memphis [Me-im-pi). Pour ne pas laisser à l'in-
surrection le temps de se répandre partout et pour secourir le plus
tôt possible ceux d'entre les gouverneurs qui étaient restés iidèles, le
roi d'Assyrie enjoint au général en chef (le tourtan) de prendre la tête
de l'armée qu'avait conduite son père (2). En même temps, un ordre
du roi sommait les pays tributaires de mettre leurs vaisseaux, leurs
hommes, leurs vivres à la disposition des soldats du grand roi. Ces
tributaires sont classés sous la rubrique suivante :
' les vingt-deux
roisde la côte de la mer, du milieu de la mer (les ilesi, de la terre
ferme » (3). C'est bien le nombre stéréotypé que nous avait légué
Asaraddon [h). Une inscription les énumère (5). Ce sont ceux que nous
connaissons déjà, à Tyr, enJuda. euÉdom, en Moab, à Gaza, à Ascaion^
à Akkaron, à Byblos, à Samsi-mourouna, à Asdoud et en Chypre (6\

Le roi dArwad n'est plus Matan-Ba'al. mais lakin-lou; celui des


Ammonites n'est plus Boudou-ilou. mais Ammî-nadbi 2-:~V2y) (T).

Ainsi l'armée ninivite drainait, sur son passage, toutes les forces
disponibles des régions vassales. Le ravitaillement s'effectuait sur
place, si bien qu'une énorme masse d'hommes bien équipés et appro-
On la franchit avant
visionnés se pressait à la frontière égyptienne.
l'arrivéedu nouveau monarque. La ville de Karbanit. située dans
la région orientale ou centrale du Delta (81, fut le premier point

sur lequel se portèrent les envahisseurs. Les soldats de Taharqou

(1) Combiner pour le récit de la première campagne le cyl. de Rassam. 1. 52 ss. avec
Rm. 3 [KB., II, p. :>38 ss.; et K. 'l&l'i-K. 228 {ibid., p. 236 ss.>.

(2) D'après K. 2675 et K. 228 [KB., II, p. 236 S.).

(3) Cyl. de Rassam. I. 68 ss.

U) RB., 1911, p. 212.


(5) Rm. 3 : KB., II. p. 238 ss.

(6) RB., 1911, p. 210 SS.

(7) On voit que les scribes, tout en s inspirant des listes précédentes au i>oint de vu»
géographique, savaient y introduire les modiûcations nécessaires au point de vue historique.
(8) Maspero, Histoire ancienne..., III, p. 381. n.
'».
LES PAYS DIRLIQIES ET L'ASSYRIE. 347

vinrent se mesurer avec eux. >^ Grâce à la protection d'Asour et de


Sin, lesgrands dieux, mes seigneurs, qui marchent à mon côté, ils

les soldats assyriens le battirent dans un combat de plaine, et pas-


sèrent par les armes ses troupes régulières (1 » Naturellement A>our- .

banipal se donna, dans son récit définitif, comme le héros de cette


grande journée -l). Mais, d'après la relation que nous suivons et qui
est de beaucoup la plus objective, les opérations se continuèrent avant

la venue du roi. C'est un messager qui apporte la nouvelle. Asourba-


nipal comprend que c'est le moment de frapper le coup décisif. Il
convoque à une ligue générale non plus seulement " les généraux,
gouverneurs, rois d'au delà du fleuve (Euphrate » mais encore ceux
d'Egypte yMu-sur et d'Ethiopie Kii-u-si qui sont restés fidèles.
Taharqou, épouvanté par le désastre de Karbanit, abandonne sa ville
do Memphis « Il sorlit de Memphis {Mi-im-pi), sa \àlle royale, sa
:

forteresse, et, pour sauver sa vie, il monta sur un bateau, quitta son
camp, s'enfuit tout seul et entra dans Thèbes Xi-'u=i n: (3). » Après i

une marche dun mois et dix jours, la formidable armée assyrienne


arrive sous les murs de Thèbes. Ici encore, Asourbanipal se donne
comme ayant personnellement porté le dernier coup : « Je pris cette
ville, j'y fis entrer mes troupes et les y installai ('4'
. » C'est toujours la
même tendance à réserver au monarque Thonneur des plus beaux fait>

d'armes (5).

Le premier soin dAsourbanipal fut de réorganiser l'administration


égyptienne et de réinstaller sur leurs trônes respectifs « les rois, gou-
verneurs, lieutenants que mon père avait mis en charge en Egypte ».
La liste des noms de villes et de leurs roitelets ne laisse pas que d'être
intéressante (6). Elle nous apprend comment les Sémites transcri-
vaient les noms égyptiens. Elle nous montre, en même temps, le souci
historique des annalistes du royaume assyrien. Les villes sont au
nombre de vingt et une. L'énumération commence par Memphis
[Mc-im-pi] et Sais Sa-a-a pour s'achever par Thèbes [Ni-'u). Parmi
les principales cités mentionnées, signalons Tanis du Delta, que la

(1) KB., IL p. 238-239.


(2) CyL de Rassam, L 75 ss.
(3) Dans K. 267.ï et K. 228. recto. 20 ss. (A7>'.. IL p. 238 s. .

(4) CyL de Rassam, 1, 89.


(5) Comparer le message de Joab à David « J'ai : lutté contre Rabbath, j'ai inème pris la

TÎUe d'eau. Réunis donc maiulenant le reste de l'armée, viens camper contre la ville et

prends-la, pour que ce ne soit pas moi qui prenne la ville et pour qu'on ne l'appelle pas

par mon nom >>


{// Sam., \u, 27 s., dans noire tomiii.\
(6) Sur ces listes, Delitz.sch, Wo lag das Parodies, p. 314 ss. ; Steindoeff, Beitr. zur
Assyriolo^e, I, p. 345 ss. et 594 ss.
348 REVUE BIBLIQUE.

Bible appelle ]':'^ et que les Annales dWsourbanipal écrivent .S^-'^-^^^/ (1) ;

Ua-at-hi-ri-bi, Athribis des Grecs; Hi-ni-in-si, c:n d'Is., xxx, 4,

Anysis des Grecs iHeracleopolis magna)\ Sab-nu-u-ti, Sébennys;


Pi-in-di-di, Mendès; Bii-U-ru, Bousiris; Si-ia-a-u-tu, Siout {Lyco-
polis).Le plus célèbre des rois mentionnés est Néchao [Ni-Jm-u,
Xi-ik'hi-u), souverain de Memphis et de Sais. Son petit-fils portera le
môme nom et la Bible nous l'a transmis sous la forme Nechô (2). Un
autre nom, celui de Sesonq (pw''xr), que nous avons rencontré au temps
de Roboam (3), reparait, écrit Su-si-in-qii, comme nom du roi de
Bousiris {Bii-H-rii). Nous avons dit déjà que ces divers vassaux étaient
des Égyptiens (V ). Il en est un, cependant, qui porte un nom assyrien,
c'est le roi de Tanis [Si-'i-nu ), Sarrii-lu-da-ri « le Roi est éternel » [h).
Après avoir, de nouveau, consolidé le pouvoir de ses fidèles et remis
en parfait état les forteresses qui commandaient le Delta, Asourbani-
pal, qui était venu au-devant de son armée, reprit triomphalement le
chemin de Ninive " Avec des dépouilles considérables et un butin pe-
:

sant, je revins sans encombre à Ninive. » Mais une nouvelle insurrec-


tion allait prouver combien il était difficile à TAssyrien de maintenir
sous sa sujétion un empire aussi vaste et, en même temps, aussi lointain
que l'était l'empire des Pharaons. Parmi les rois qui avaient fui devant
Taharqou et qui avaient été réintégrés dans leurs capitales par Asour-
banipal, il s'en trouva trois qui « transgressèrent les serments par
Asour et les grands dieux » (6). L'un d'entre eux était précisément
l'Assyrien Sarrou-lou-dari. Les deux autres étaient Néchao et un cer-
tain Pa-aq-ni-ru, roi de Pi-sap-tu [Pr-spd dans le Delta oriental) . Ils

se dirent l'un à l'autre : « Taharqou [Tar-qu-ii) a été chassé de


l'Egypte [Mu-sur), nous comment pouvons-nous demeurer (7)? »
et
Ils écrivirent à Taharqou qui s'était retranché en Ethiopie, et lui pro-

posèrent d'entrer dans une ligue dont le but serait de partager


l'Egypte en nomes indépendants, sans vassalité vis-à-vis de l'étran-
ger. Mais les dépèches furent interceptées et, de nouveau, les généraux
d'Asour qui faisaientla police en Egypte, mirentle pays à feu et àsang.

[i) En égyptien .S''h<, aujourd'hui ^dn.


(2) // Reg., x\in, 29 ss., etc.

(3) RB., 1910, p. 61.


(4) RB., 1911, p. 216.
^5) Le nom de Bu-kur-ui-iii-ib que les scribes ontécrit en linlerpiélant comme nom baby-
lonien « premier-né de Ninib » est à lire BeUr. zurAssyriologie,
Bok-en-mn f {STEiyDOin i^,

1, p. 353). Quant à Sarru-lu-dari. c'est peut-être le roi d'Ascalon du temps de Senna-

chérib {RB., 1910. p. 508), qui aurait été intronisé en Egypte par Asaraddon.
(6) Dans K. 2675 et K. 228, recto, 33 ss. {A7>"., II, pp. 102-103, note).

(7) Cyl. de Rassani, 1, 121 ss.


LtS PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYRIE. 349

Les victimes des représailles furent principalement les \'illes de


Mendès [Pi-iii-di-dij. de Tanis {Si-'i-na). Les rois re-
Sais l'Sa-a-a), de
belles furent amenés à Ninive; mais Asourbanipal usa de clémence
envers Néchao : « Je le revêtis d'an vêtement bariolé et lui mis la
chaîne dor, caractéristique de sa royauté. Je passai à ses doigts des
anneaux d'or. Un poignard de fer pour la ceinture, dont la poignée
était dor, j'écrivis mon nom dessus et le lui donnai. Je lui fis cadeau

de chars, chevaux, mulets, pour les voyages de sa seigneurie 1). »


On lui rend, en outre, la suprématie sur Sais, tandis que son fils,
appelé Nabù-sèzib-anni « ô Nébo, sauve-moi » par complaisance pour
le vainqueur (2 devint roi d'Athribis Ha-at-ha-ri-ba). Cette der-
,

nière ville prit un nom nouveau, purement assyrien Li-mir-pa-te- :

si-Asur que brille le vice-roi d'Asourl » La mort de Taharqou sur-


<(

venue l'an 666 av. J.-C. semlilait devoir assurer la paLx en Egypte (8i.
Les armées assyriennes, qui étaient venues renforcer les rois vassaux,
purent reprendre le chemin de Mnive.
Ce ne fut qu'une accalmie. La graine des Pharaons n'était pas épui-
sée parla disparition de Taharqou. De Sabacon 'Jîa-ba-ku-u le fon- .

dateur de la dynastie éthiopienne Tanout-Amon, ,i , il restait un fils.

que les textes assyriens appellent Tan-da-ma-ni-e (5 Dès que celui- 1.

ci apprit là mort de son oncle, Taharqou, il ceignit le diadème et,

prompt comme l'éclair, s'empara deThèbes Xi-'u) et d'Héliopolis U- i

nu, "jiN) (6j. Il marche ensuite directement sur Mempliis Me-i/n-pi< où


s'étaient concentrées les forces assyriennes restées dans le pays. Pré-
venu par un message, Asourbanipal lance de nouveau ses troupes sur
l'Egypte et l'Ethiopie. Lui-même aurait mené la campagne, si Ton en
croyait son inscription officielle T Mais, ici encore, le « moi» est une .

façon de parler :8 Les généraux marchèrent sans le monarque et, de


.

nouveau, le Delta fut saccagé. Tanout-Amon s'enfuit de devant Mem-


phis et se replia sur Thèbes. Poursuivi par les ennemis, il se retrancha

dans la ville de Ki-ip-ki-pi , probablement en Xubie i9i. Le pillage de


Thèbes fut organisé. A remarquer parmi les dépouilles, deux obélis-

(1) Ibiil.. II. 10 s.s.

(2) Asourbanipal avait un culte spécial pour Nabou Xéboj, le dieu de l'écriture.
(3) La date de cette mort d'après Ma^I'Eko, Histoire aiicienni-..., III. p. 396.
(4) RB., 1010, p.50î.
(5) C'est bien ainsi qu'il faut lire le nom d'abord transcrit Ur-da-ma-ni-e cf. Stcindoi; k i

Beitr. zur Assyriolorjie, I, p. 356 s. j.

(6) Cyl. de Rassam, II, 22 ss.


(7) Ibid.Al, 28 ss.

(8) Comme on le voit par K. 2675. rect.,72ss. [KB., II, p. l'S. n. V.

(9) Steindorff, Beitr. zur Assyriologie^l.p. 611.


3;i0 REVUE BIBLIQUE.

ques du poids de 2.500 talents, « qui se dressaient à la porte du


temple ». On les lit transporter en Assyrie. La dévastation de Thèbes
devait être considérée comme le t^"pe des représailles contre une ville.
L'écho en parvint au pays deJuda et, plus tard, le prophète Nahoum
quand il interpellera Ninive en ces termes '1
fera une allusion à ce fait :

<'Vaux-tu mieux: que >'ô-Amon Thèbes assise sur les lleuves,


,

entourée par les eaux, elle dont la nappe liqidde était le rempart et
qui avait les eaux pour muraille ? L'Ethiopie était sa force, ainsi que
l'Égvpte; c'était sans fin! Pont et les Libyens étaient ses auxiliaires.
Pourtant elle s'en alla, elle, en exil, captive: pourtant ses enfants
furent écrasés aux carrefours de toutes les rues; sur ses nobles on
grands furent chargés de chaînes. »
jeta le sort et tous ses
Que devenaient, durant ce temps, les pays bibliques proprement
dits? Ils gravitaient dans l'orbite du vainqueur, et nous avons vu avec
quelle jactance Asourbanipal. comme son père Asaraddon, se complai-
sait à compter un à un les vassaux qui s'échelonnaient dans la Syrie,
la Phénicie, la Palestine, laPhilistie et la Transjordane, Cependant, la
Phénicie était toujours disposée à prêter l'oreille aux excitations qui
lui venaient d'Egypte. Les marins de la côte apportaient les nouvelles

du Delta, et l'obstination des Égyptiens à revendiquer leur indépen-


dance laissait une lueur d'espoir aux habitants de Tyr et de Sidon.
Sous Asaraddon, Sidon était entrée en lutte ouverte avec l'Assyrie. Les
représailles avaient été si terribles que le nom même de la ville ten-
dait à disparaître de l'histoire (2). Tyr avait fait des platitudes devant
le vainqueur et, lors de la première campagne en Egypte, Asourbani-
pal n'avait eu qu'à se féliciter de l'attitude de cette cité. Quand on
apprit que Taharqou d'abord, et après lui Tanout-Amon, ne consen-
taient pas à porter le joug, on eut une confiance prématurée dans la
vitalité de la puissance séculaire des Pharaons. Il est probable que
Tvr refusa les renforts (jue réclamait l'armée assyrienne, car Asourba-
nipal ne donna pas à sa marche contre la Phénicie d'autre prétexte
que le suivant « Ba'al, roi de Tyr [Sur-ri^, lui qui habite dans la
:

mer, n'avait pas gardé mon ordre royal et n'avait pas écouté la parole
de ma lèvre (3). » Les troupes (jui revenaient d'Egypte, aidées parles
vaisseaux des villes fidèles, firent le blocus de l'Ile : « Je captai ses
roules sur mer et sur terre. » Ba al cria grâce. Pour sceller sa sounùs-

(^1) Xah., m, 8-tO Irad. van Hoonacken. Schiader, Maspero, van Hoonacker s'accordent
à reconnaître dans le passage du prophète un souvenir très clair de la dévastation par les
troupes d'.\souibanipal.
(2) RB., 1911. p. 211.
(3) Cyl. de Rassam, II, i9 ss.
LES PAYS BIBLIQUES ET LWSSYRIE. liDl

sion, donna Tune de ses filles et plusieurs de ses nièces, qui aug-
il

mentèrent le harem du roi dAsour. Son propre fils, lahi-milki

(~|Sa"''n'j, qui n'avait Jamais franchi la mer », fut envoyé à Ninive


<*

comme otage. Asourbanipal se montra généreux et rendit le fils à


son père. Leroid Arwad, Iakîn-lou (1), qui n'avaitpas non plus la cons-
cience tranquille, vint à Xinive « baiser les pieds » du vainqueur et
enrichit de l'une de ses filles le harem royal. Il consentit à payer un
tribut annuel qui, naturellement, se composait « d'or, de pourpre vio-
lette, de pourpre rouge, de poissons, d'oiseaux 1
2) ». Durant le retour
de l'expédition, le roi de Tabal (3), Moukallou, se joint à l'armée et
vient lui aussi « baiser les pieds » d' Asourbanipal à Ninive. Gomme
ses collègues de Tyr
d'Arwad, il olïre l'une de ses filles. Son tribut
et
consistera principalement en « grands chevaux », car son pays, comme
la Cilicie qui en est limitrophe (4), doit produire des étalons de race.
Même démarche de la part du roi de Cilicie iHi-lah-ka-a-a\ San-
dasarmé. Celui-ci se souvenait du triste sort de son prédécesseur Sau-
douarri (5) et il avait hâte de donner des gages de sa soumission. Peu
de temps après, le roi d'Arwad, Iakîn-lou, vint à mourir (6). Ses dix
fils se rendirent en caravane à Xinive pour saplatir devant le grand

roi. Leurs noms, bien phéniciens, méritent d'être signalés comme nou-

velle preuve du soin avec lequel les archivistes du palais transmettent


les noms propres A-zi-ba--al 'b"i~''7Vj, A-bi-ba-'-al (Sy2-"'2N, (7,
:

A-du-m-ba-'-al ^'^vz—riTN) (S] Sa-pa-di-ba-al 'V2--::£*ù"), Bu-di-ba-al


,

("^'ji''-) (9), Ba--al-ia-su-bu ^lU/'i-Syz), Ba-' -al-ha-nii-nu [r;ir\~'''jz .

Ba-'-al-ma-lu-ku -r2~''>2 . A-bi-mil-ki ^-T2~•z^< , A-hi-?nil-ki


{'(^'Q'^'Hii j
(10). Asourbanipal intronisa l'ainé, Azi-Baal, comme suc-
cesseur d'Iakin-lo Quant aux autres, il les traita magnifiquement
.

et fit pour eux ce qu'il avait fait pour l'Égyptien Néchao « Je les :

revêtis d'un habit aux couleurs variées, je passai à leurs doigts des an-
neaux d'or et leur permis de se tenir debout en ma présence 11 » ( 1.

(1) Une variante é<Tit le nom Ik-ki-lu-u assimilation).


(2) Compléter cyL de Hassam, H, 63 ss. par K. :?675, rev., 22 ss.

;3) RB., 1910. p. 514.


i4) liB., 1910, p. 65, n. 2.

(5 RB., 1911, p. 204. Ri'nurquer l'élément .S«/u7 (le dieu des Ciliciens, Sandon, Sandes
dans chacun de ces noms.
(6) Interpréter l'expression e-me-dn mâ(i-h( iCyl. de Rassam, H, 8i; d'après RB., 1910.
p. 506, n. 2.
•') Contparer Â-bi-ba-al {RB., 1911, p. 211 .

(8) Comparer A-du-nu-ba'-li, roi de Sian au temps de Salrnanasar II RB., 1910. p. 65 .

(9) Comparer Bu-du-ilu,iov des Ammonites au temps de Sennachérib {RB., 1910, p. 508 .

(10) Cf. .\hu-milku, RB., 1911, p. 211.


*
(11) Cyl. de Rassam, II, 93 s.
352 REVLE BIBLIQUE.

A la suite de ces triomphes qui couronnaient les efforts des Sargonides,


la renommée des Assyriens se répandit dans toute l'Asie occidentale.
Pour la première fois, la Lydie, « territoire au delà de la mer, endroit
éloigné dont les rois, mes pères, n'avaient pas entendu prononcer le
nom ». vient faire acte de vassalité devant Asourbanipal(l). Les scribes
transcrivent de leur mieux le nom de ce pays mystérieux, Lu-îid-di.
Son roi était le fameux Gygés, fondateur de la dynastie des Mermna-
des (2). 11 dans quelles circonstances, au dire de la rela-
faut entendre
Gygès fut invité à se présenter au roi de xNinive « A lui,
tion officielle, :

Gygès [Gu-gii, Gu-ng-gu), le dieu Asour qui m'a procréé révéla mon
nom en songe Prends les pieds d'Asourbanipal roi d'Asour » Docile
: !

à cette inspiration, le Lydien envoie son ambassade et fait conter au


monarque la révélation dont il a été Tobjet. Ce ne fut pas une petite
affaire. L'envoyé ne pouvait s'exprimer dans aucun des idiomes de ((

Test et de l'ouest que le dieu Asour a mis en mon pouvoir (3) ». On


trouva finalement un drogman qui expliqua les dires de Tambassadeur,
Gygès sentait besoin d'assurer à sa dynastie naissante l'appui du roi
le
d'Assyrie. Les Cimmériens [Gi-m'n^-ra-a-a) harcelaient les troupes ly-
diennes et franchissaient les frontières. Si nous en croyons Asourba-
nipal, le seul fait d'avoir accompli cette démarche obtint à Gygès la
protection des dieux de la guerre, Asour et Istar. Les Cimmériens furent
vaincus et deux de leurs principaux chefs furent jetés dans les fers et
amenés à Ninive. Nous verrons plus loin comment Gygès trahit ses
serments. Pour le moment (vers 665 av. J.-C. des relations s'établis- ),

sent entre Sardes et Ninive : la sphère d'influence de l'empire assy-


rien atteint son maximum.
Tranquille du côté de l'Occident, Asourbanipal eut ;i lutter contre
les peuplades éparpillées au sud des lacs de Van et dOurmiah. On
les appelait les Mannai et nous savons qu'ils avaient eu maille à
partir avec Asaraddon (4). D'après un rapport astronomique (5 il ,

semble que, vers l'an 660 av. J.-C, ces xMannai s'étaient ligués avec
les Cimmériens pour une action commune. Gygès avait eu raison des
Cimmériens. L'armée d'Asourbanipal fit une tournée triomphale chez
les Mannai (6). Leur roi, Ahsêri, fut tué par ses propres sujets. Le

(1) Combiner les données du cyl. de Rassani, H. 1)5 ss. avec cvl. E, l-t2 [KB., II, p. 173.

n. 20).

(2) Hérodote, I, 7 ss.

(3) KB., II, p. 173, n. 20.


(4) RB., 1911, p. 206. Sur ces Mannai, cf. Les Aryens cirant Cijrvs {Conférences de
Saini-Étienne, 1910-1911, p. 85 ss.)-
(5) Thompson, Tlie reports..., n" 22 (cf. p. xxwi).
(6) Cylindre de Rassam, II, 126 Ss.
LES PAYS BIBLIQUES ET LASSV.'Ui:. 333

premier soin de sou et successeur, Oualli, fut de se soumettre au


fils

monarque assyrien. envoya d'abord comme caution son iils Érisinni


Il

et comme concubine royale Fune de ses filles. Son tribut annuel fut
augmenté de trente chevaux.
Cependant les Mèdes s'agitaient sur la frontière orientale. Les craintes
d'Asaraddon n'étaient que trop fondées lorsqu'il questionnait anxieu-
sement son dieu soleil concernant ces envahisseurs (1). Un chef iranien,
Biriz-hadri, avait groupé en une seule masse les cantons jusque-là
séparés (-2). Les Assyriens eurent à réduire soixante-quinze forte-
resses (3). Le pacha de Loubdi, sur
assyro-médique, eut la la limite
tête tranchée. On apporta ce trophée à Ninive comme jadis la tête
d'Abdi-Milkoutti et celle de Sandouarri (4).
A le temps de souffler qu'un messager
peine Asourbanipal avait-il eu
arrivait de Babylone où régnait Samas-souma-oukin, le frère du roi
d'Asour. L'armée babylonienne n'était pas comparable à celle de
Ninive et, en ce moment, elle venait d'essuyer un lamentable échec.
Les Élamites, sur lesquels dominait Ourtakou, l'ancien ami d'Asar-
addon (5i, avaient fait soudain irruption en Chaldée, et « comme des
sauterelles » couvraient tout le pays (6). C'était une véritable félonie,
car, raconte Asourbanipal « lorsqu'il y avait eu une disette et une la-
mine en Élam, je lui avais envoyé (à Ourtakou) du blé, qui fait vivre
les gens, et je l'avais aidé. Ses gens qui avaient fui devant la disette
et s'étaient installés au pays d'Asour, jusqu'à ce qu'il tombât de la
pluie dans son pays (7), ces gens-là qui vivaient dans mon pays je les
lui avais fait reconduire '). Sans tarder, les soldats de Ninive se mettent

en campagne, Ourtakou est vaincu et meurt d'une mort prématurée.


C'est durant cette expédition en Élam que nous voyons reparaître
les tribus araméennes des Gamboulou qui s'étaient montrées fidèles à
Asaraddon (8). Leur voisinage avec les Élamites les avait entraînés
dans le parti d'Ourtakou. Au lieu d'être « une porte verrouillée contre
l'Élam (9) », leur forteresse de Sapi-Bêl avait servi de passage à
l'armée ennemie. Le roi, Bêl-iqîsa, l'ancien vassal d'Asaraddon 10), f

avait rêvé de secouer le joug de l'Assyrie et de partager la Babylonie

(1) /.'«.. mil. p. 206.

(2) Confcrences de Sainl-Élicniie, 1910-1011, p. 9.3.


(.3) La campagne dans le cylindre B, III, 102 ss. [K8., If, [i, 79, ii. IG].

(•'i) JRB., 1911, p. 204.


(.5) RB., 191), p. 204.

(6) Dans le cylindre B, IV, 15 ss. (KB., U, p. 244 ss.J.

(7) Comparer la descente des Hébreux en Ésypte par suite d'une famine.
(8) RB., 1911, p. 209. Sur les Gamboulou, MB., 1910, pp. 190 et 385.
(9) RB., 1911, p. 209.
(10) Ibid.
REVLE P.IBLIQLE 1911. ?'. S., T. Vl». O3
3:,4 REVUE BIBLIQUE.

avec Ourtakou !
1 ,. 11 périt de la morsure d'un sanalier. D'autres cliA-

timeots que pieux roi d'Asour considère comme autant de ven-


le

,i;eances divines atteignirent les complices d'Ourtakou et de Bêl-iqîsa.

Nous n'en Unirions pas de raconter les démêlés d'Asourbanipal avec


les Élamites après la mort d'Ourtakou survenue en 6G1 av. J.-C. ;2).
Un usurpateur, que les textes assyriens appellent Téoumman, mais

dont le vrai nom est Tep-Houmban (3), s'était assis sur le trône d'Élam.
Sa première démarche fut d'écrire à Ninive j)0ur réclamer les fils
d'Ourtakou et ceux de Houmban-baldas H i qui s'étaient réfugiés .

en Assyrie. Asourbanipal refusa de violer les lois de l'hospitalité et


une nouvelle guerre éclata. L'armée assyrienne prit l'offensive, entra
en Élam et vint assiéger Toulliz, au sud de Suse 5 Téoumman fui .

battu. On lui trancha la tète qui fut apportée à Ninive et viat aug-
menter la collection de crânes commencée par Asaraddon et continuée
par son fils. Les inscriptions oflicielles s'étendent longuement sur les

péripéties de cette bataille [d). On illustra par des reliefs les épisodes

les plus caractéristiques et des légendes explicatives accompagnèrent


les scènes sculptées (T. La décapitation de Téoumman et de son fils

formait le sujet principal.


Asourbanipal instaUa sur le trône le fils d'OurtaîvOu, HoumbanigasII,
et — sans doute pour diviser les forces élamites nomma un autre fils —
d'Ourtakou, Tammaritou, roi d'une partie du territoire. Le fils de Bêl-
iqisa, Danounou, qui avait pactisé avec Téoumman fut traqué dans
Sapî-Bêl. Il fut pris et amené à Ninive où on l'immola « comme un

asneau s tandis que les autres chefs des Gamboulou étaient amenés
à Arbèles où on leur arracha la langue avant de les écorcher vifs (8 .

La ville de Sapi-Bêl fut rasée de fond en comble et inondée. On voit


(jue toute la civilisation assyrienne, dont le point culminaut fut at-

teint sous Asourbanipal, laissait subsister intacts les instincts de


meurtre et de dévastation que la race avait toujours écoutés complai-
samment 9 .

Cette fois encore le danger qui montait du sud avait été écarté.
Mais le fou couvait toujours sous la cendre et ce fut le propre frère

(1) La révolte de Bèl-iqisa et les agissements des Gamboulou dans le (vlindreB, IV. ôOss.
(2) ScHEiL, Ti'i les clamites-anzaniles, U, p. xxi.
(3) Ibtcl.
(4) RB.. 1011. p. 201. C'était le frère et le prédécesseur d'Ourtakou.
(5) Masi'Ero, Histoire (utcienne..., III. p. i06. n. 2.

(6) Surtout le cylindre B. IV, 84 ss.


(7) Masi'f.uo, op. laud.. III, p. -iOS ss.

(8) Cylindre B, VI. 74 ss.

(9) Lire le jugement sévère, trop sévère même, de .M. de Morgan sur les Assyriens {Les
prem. civilisations, p. 340 s.).
LES PAYS BIHLIOLES ET LASSVRIE. 35';

d'Asoiirbanipal. à savoir Samas-souma-oukin, roi de Babylone, qui le


ranima. Vers l'an 652 avant .I.-C. [i), Samas-souma-oukin. qui de-

puis longtemps travaillait sourdement à miner l'autorité de son


frère, entra brusquement en scène. Les relations officielles insis-
tent avec complaisance sur la noirceur de cette trahison. On y lit
tout ce que le roi d'Assyrie avait fait pour son frère au moment de
l'intronisation et comment il lui avait concédé gracieusement des i<

villes, des champs, des jardins et les gens qui y habitaient >-, sans

oublier « les soldats, les chevaux, les chars de guerre » (2). Nous
savons aussi que les Assyriens avaient marché contre TÉlam pour
défendre les frontières de Babylone. Mais Babel, rori;ueilleuse
cité, ne pouvait se résoudre à accepter la tutelle de Niuive. Les villes

saintes que la tradition avait toujours regardées comme les métro-


poles de toute la Chaldée, ne se résignaient pas à rester dans l'om-
bre et le silence. Sous Asaraddon, Babylone avait relevé la tête,
ce qui avait inquiété les Ninivites (3j. Le monarque avait eu le pres-
sentiment que Babylone ne voudrait plus demeurer au second rang
et il lui avait donné un roi. Mais Samas-souma-oukîn avait vécu

jusqu'ici dans l'efFacemcnt. Toute la gloire militaire s'était con-


centrée sur la personne de son frère, le Ninivite. L'ambition grisa
le roi de Babylone. il résolut de s'opposer aux progrès incessants de

l'empire assyrien. 11 ne le pouvait qu'avec des forces considérables,


(-'est pourquoi il noua des intrigues et se ^dt bientôt à la tète d une

formidable coalition (ii. Elle comprenait d'abord « les gens d'Âk-


kad. de Kaldou, d'Aramou et du pays de la Mer ». Les Akkadiens
étaient les Babyloniens proprement dits (5y. Les Kaldou et les Ara-
mou nous sont connus de longue date et nous avons suivi leurs agis-
sements sous Sargon (6). Sennachérib 7 et Asaraddon (8). Le pays
de la Mer comprenait tout le rivage septentrional du golfe Per-
sique (9).donc la Chaldée tout entière qui prêtait la main
C'était
à Samas-souma-oukin. Que pouvait-elle contre les Assyriens?
Mais la coalition lit tache d'huile et gagna les pays voisins. Le roi

(1) D'après Tiele, cite dans Maspep.o, Histoire ancienne..., II!. p- ^l"; n. 3.

(2) Cyl. de Rassain, III, 70 ss. Le récit de l'intronisation dan> III /•'.. 16, n' 5 (KB.. II,

p. 258 ss.).

(3) RB., 1911, p. 200.


[i] Cylindre de Rassam, III, 97 ss.

(5) Conférences de Saint- Etienne, 1909-1910, p. 32 ss.

(6) EB., 1910, p. 384 s.

(7) Ibid., p. 513 s.


(8) RB., 1911, p. 200 s.

(9) Ibid., p. 200.


:îog revue biblique.

d'Élam, Houiiibanigas II, trahit son bienfaiteur Asourbanipal ; les pays


de l'Est, classés sous le nom de Goutioum ceux de l'Ouest qu'on
(1), et

appelle Âmourrou (2), jusqu'au pays de Mélouhlja i3) et jusqu'en


Arabie, tous s'insurgent contre l'Assyrie.
Asourbanipal eut une minute d'angoisse. Mais un incubant lui ré-
véla un songe envoyé par Sin, dieu de la lune « Sur la surface de :

la lune était écrit Ceux qui contre


: Asourbanipal, roi d'Asour, ont

médité le mal, ont commis une chose hostile, je leur enverrai une
affreuse mort. Par le poignard de fer rapide, par un abîme de feu,
par la famine, par la peste, j'anéantirai leur vie (4). » Ce signal
divin fut écouté et l'armée se mit en campagne. On marcha directe-
ment sur la Babylonie. Les cités de Sippar [Abou-Habbah), de Baby-
lone, de Borsippa {Birs Nimroud), de Koutha {Tell-Ibrahim) tom-
bèrent aux mains des Assyriens. La peste et la famine achevèrent
de jeter la désolation dans le camp de Samas-souma-oukin (5). En
Élam, une guerre intestine éclata. Houmbanigas II fut détrôné par
Tammaritou et mourut dans une mêlée. Au lieu de s'appuyer sur

l'Assyrie, le nouveau roi crut pouvoir aider le roi de Babylone. Mais


déjà un autre usurpateur, Indabigas, chassait devant lui Tammaritou
et ses « quatre-vingt-cinq dignitaires » qui vinrent se réfugier au-
près d'Asourbanipal. Celui-ci poursuivait la lutte contre son frère
ennemi. Enfermé dans Babylone. Samas-souma-oukin, mit le feu au
palais et périt dans les flammes (6). Ce suicide fut attribué à un
vertige envoyé par la divinité. Par une bizarre substitution, les his-
toriens postérieurs transportèrent à la ruine de Ninive les détails de
la ruine de Babylone. Ce ne fut plus Samas-souma-oukin mais Sar-
danapale (Asourbanipal^ qui fut censé s'être donné la mort en se je-
tant dans le palais en flammes (7).
La répression fut inexorable " Ceux qui craignirent la mort et
:

pour qui la vie parut précieuse en sorte qu'ils ne se jetèrent pas dans
le feu avec leur maître, Samas-souma-oukin, ceux qui devant les
coups du poignard, devant la disette, le feu brûlant, purent s'enfuir
et trouver un refuge, le filet des grands dieux, mes seigneurs, auquel
on n'échappe pas, les renversa; aucun n'échappa, nul rebelle ne

(1) Conférences de Saint- Llienne, lOOO-l'JlO, p. 41 s.

(2) Ihid.
(3) RB., 1911, p. 214.

(4) CUindre de Uassam, III, 121 ss.


(5) Ces événements et ceux d'Elam dans le cjl. de Rassam, III, 128 ss.

(6) Cyl. de Rassam, IV, 50 ss.

(7) Dlodore de Sicile, II, 24-28.


LES PAYS BIBLIQUES ET L"ASSYBIE. 357

sortit de mes mains ilj. » On coupa la langue à ceux qui avaient


})roféré des blasphèmes contre le dieu Asour. Finalement. Asour-
banipal se souvint de l'attentat commis jadis contre Scnnachéril),
dans le temple de Mardouk à Babylone, Il fit massacrer, entre les
taureaux ailés qui cardaient la porte du sanctuaire, un certain nom-
bre de Babyloniens comme oflrande funéraire aux Mânes de son
grand-père Le courroux du ciel ainsi apaisé, le vainqueur iit
(2i.

grâce à ceux qui restaient dans Babylone. Koutha et Sippar. Les


Kaldou et les Aramou, ainsi que les révoltés du pays de la Mer,
subirent le conire-coup des représailles. Les g"ouverneurs imposés
par Asourbanipal furent chargés de maintenir Tordre dans le

pays (3), On était en l'an Ci8 av. J.-G.


LÉlam restait seule devant le conquérant. Ce fut contre elle que
les troupes royales furent lancées durant les années suivantes. Les
péripéties de ce corps-à-corps sont racontées longuement dans les
Annales d'Asourbanipal (i). C'est d'abord une campagne contre
Oummanaldasi qui avait supplanté Indabigas. Le roi d'Assyrie voulait
rétablir Tammaritou sur le trône élamite. Avant même qu'il arrivât
devant Suse, il apprenait qu'un compétiteur d'Oummanaldasi avait
surgi dans la personne d'Oumbahaboua. Favorisée par ces dissen-
sions intestines, la marche de l'armée d'invasion s'effectua sans en-
combre. On put entrer dans Suse où Tammaritou fut solennellement
intronisé. Quelque temps après, Oummanaldasi revint à la charge.
Cette fois, Asourbanipal résolut d'en finir avec l'Élam. Le seul moyen
était de raser la capitale où se reformait sans cesse le parti des ré-
voltés. Vers l'an OVO av. J.-C, Suse fut mise à feu et à sang. Tous
les trophées que les Elamites avaient rapportés de leurs victoires
contre les Babyloniens furent saisis par Asourbanipal. Ou ne se con-
tenta pas d'emmener captifs les défenseurs de la cité. Dieux et dées-
ses, avec leurs richesses et leur personnel sacré, trente-deux statues
des anciens rois, même les taureaux sacrés qui gardaient les tem-
ples, tout cela fut charrié à Ninive pour couronner le triomphe
d'Asourbanipal. Atin de pousser jusqu'au bout la vengeance contre
une race détestée, on viola les sépultures des rois et on en fit sortir
les cadavres de façon à les priver du repos éternel : « .l'emmenai
leurs ossements du pays d'Asour, j'empêchai leurs Mânes de se re-
poser, je les privai del'ofï'rande funéraire et de lalibation d'eau 5 .
»

(1) CyL de Rassam, IV. 56 s».

(2) RB., 1910, p. 5iy.


(3) Cyl. de Rassam, IV, 97 ss.

(4) IbicL, IV, 110 ss. CyL B, VII, 72 ss. CyL C. 88 ss. Cf. iWi.. II. \k 26G ss.

(5) Cyl. de Rassam, VI, 74 ss.


358 REVUE BIBLIQUE.

Asourbaiiipal prendre de la poussière des principales villes éla-


lit

mites, comme s'il eût voulu arracher même le sol ennemi. « En


un mois je subjuguai l'Elani en totalité. Je privai ses campagnes
de la voix des hommes, du piétinement des bœufs et des brebis,
de la clameur de jubilation. Comme en un désert j'y fis s'accrou-
pir les onagres, les gazelles, les fauves, tant qu'il y en a (1). » Mê-
lant le sentiment religieux à l'instinct dévastateur, le roi vain-
queur se vante ensuite d'avoir pu ramener, après un exil de 1635
années, la déesse Nanâ jadis enlevée de la ville d'Érech par lÉlamite
Koutir-Nahhounte (2).
C'en était donc fini de FÉlam
pendant que les armées
(3). Mais,
guerroyaient ainsi dans que la révolte écla-
le sud, il était inévitable
tât sur d'autres points de l'empire. L'Egypte était indomptable. A
Néchao, comblé de grâces par Asourbanipal, avait succédé son fils
Psammétique que les textes assyriens appellent Tn-m-me-il-hi ou Pi-
sa-me-il-ki (i). Non seulement ce monarque résolut de secouer la
tutelle assyrienne, mais il rêva de former une ligue dans laquelle
entreraient les forces do l'Asie Mineure, représentées par le Lydien
Gygès. Celui-ci écouta les suggestions de Psammétique et ses troupes
débarquèrent en Egypte. Les documents sont muets sur la suite de
l'aventure pour Psammétique. Au témoignage d'Hérodote (II, 157), les
Égyptiens auraient bloqué Asdoud "A':a>T;;) durant vingt-neuf ans. i

Ce détail prouve que, si les Égyptiens purent recouvrer l'indépen-


dance, leur offensive ne fut guère dangereuse. Dans le passage des
Annales qui signale la révolte de Psammétique, Asourbanipal oublie
les Égyptiens pour signaler seulement le ch.Uiment infligé par le Ciel

à Gygès. Le roi d'Asour s'était écrié « Que devant son ennemi gise :

son cadavre et qu'on emporte ses os » Une invasion de Cimmériens !

fut chargée d'exécuter cette imprécation « Devant son ennemi, son :

cadavre fut étendu et on emporta ses os (5). » Le fils de Gygès com-


prit qu'on ne s'attaquait pas impunément au favori du dieu Asour et
de la déesse Istar. Il lui envoya la missive suivante " Tu es un roi :

que la divinité reconnaît. Tu as maudit mon père et sur lui s'est posé
le malheur. Moi, ton humble serviteur, bénis-moi et je traînerai ton
joug. ))

Le moment était venu de châtier les Arabes qui s'étaient abouchés

(1) Cyl. de Rassani; VI, "J9 ss. Comparer la description de la ruine de Baylone dans /s.,xiii,
20 ss.

(2) Cf. RB., 1908,


p. 209 et notre ouvrage La religion assyro-babylonienne, p. liO s.

(3) Cf. ScHEiL, Textes élamites-anzanites, II, p. xxii.


(4) Cyl. de Rassam, 11,114.
(5) Cyl.de Rassani, II, 115 ss.
LES PAYS BIBLInlES ET LASSVRIE. 350

avec Samas-souma-oukin. Leur roi était V-a-a-te-' . fils de Bir-Dad-


ila A). Il s'était Jissocié à l'Élam et à la Babyluiiie : il avait même
envoyé une troupe sous la conduite (X A-hi-ia-te-' et à^ A-a-mu, fils
de Te-e-ri fvar. Te- -ri. pour arracher Samas-souma-oukin au dé-
sastre final. Aussitôt après la réduction de Babylone avait eu lieu
une chasse aux Arabes 2i à travers les pays dKdom T'-du-me)^
d'Iabroud Tn-ab-ru-du au nord de Damas 3), d'Ammon Bit-Am~
ma-ni\, de Moab Mii-'-a-ba . de Sobà Su-bi-tl . Pris de peur, le roi
U-a-a-te-' s'était réfusié chez les Xabatéens 'Sa-ba-n-a-te souver-
nés par A^«-«</-ww i--;).

Un second U-a-a-te-\ cousin du précédent, fils «le l'ancien roi Ha-


zaël (Vi, s'arroge la suprématie sur les Arabes. Il est battu et mis en
cage '5 . Alors surgit un roi de Cédar Qi-id-rr du nom d' Am-mu-la-

di. Les soldats d'Asourbanipal réussissent à le capter et l'amènent à


Ninivc, avec A-di-ia-a '< reine d'Arabie >> et femme dT-a- «-/<?-" » *i .

Sur Tordre des grands dieux, mes seigneurs, je lui mis (à Ammou-
ladi une chaîne de chien et je lui fis garder la cage (7). » On se lanra
ensuite à la poursuite ài^V-o-a-te-', fils de Bir-Dadda. Asourbanipal ne
pouvait lui pardonner d'avoir trahi ses serments, car c'était le roi
d'Assyrie lui-même qui l'avait intronisé en lieu et place du fils de
Hazaëi auquel revenait la couronne. Le roi des Nabatéens, Nadnou.
devança les sommations d'Asourbanipal et vint en personne se dé-
clarer vassal de Ninive (8). Mais le fils de Bir-Dadda s'était échappé
et les Nabatéens ne le livrèrent pas. La soumission de Nadnou était

une mesure dilatoire. Ln mouvement se préparait en Arabie et on


avait voulu laisser à la révolte le temps de s'organiser. Celui qui prit
la tète du mouvement fut Abiiaté. l'un des lils de Tèri qui avaient

marché au secours de Babylone. Il fit un pacte avec le roi des Naba-


téens et tous deux résolurent de prendre l'offensive. Sans hésiter,
l'armée assyrienne passa le Tigre et l'Euphrate, et marcha droit sur
le désert de l'Arabie, « lieu de soif et de faim, où ne vde aucun oi-

1) Ne pas le confondre avec U-a-a-te- lils de Hazai-l dont nouj parlerons bientôt. La
variante da-ad-da rend certaine la lecture de l'idéogramme d'Adad.
(2) Cvl. de Rassarn. VII, 107 ss.

(3) La ville a conservé le même nom. En même temps que labroiid, A-ourbanipal signale
Ua-u-ri-i-na 'probablement Han-drin non loin de labroudj : cf. Delitzsch, Wo log das
Paradies, p. 297.
(4) RB., 191 L p. 208.

(5) Cyl. de Rassarn. VIII, 11 ss.

,6) Sur le rôle de la reine chez les Arabes, RB.. 1911. p. 20S. Le titre de ( reine d'.\r*-
bie » est attribué à Adiyà par K. 2802, n. 1 KB.. H, p. 218, n, 1 '.

(7) Cyl. de Rassarn, VIIL 27 ss.

(8) lbid.,\lU,ôQ ss.


3G0 REVUE BIBLIQUE.

seau du où ne paissent ni les onagres ni les gazelles (1) ». Les re-


ciel,

belles devant larmée et espéraient que les privations


se retiraient
de toute sorte auraient raison de la ténacité assyrienne. Mais l'armée
rencontre une oasis, Laribda Mes troupes puisèrent de leau pour
: ((

boire et poursuivirent leur route sur un sol de soif, dans un endroit


de faim (2). » On arrive jusqu'au Nedjd, du côté d'el-Wasm (3), C'est
là qu'on rencontre les tribus révoltées les I-sa-am-me-\ les A-tar- :

sa-ma-a-a-'in (î'ia*iy—in!;), les Nabatéens(A^a-6«-«-«-/«). A la suite d'un


premier échec, débandent et les Assyriens s'emparent
les tribus se
« des gens, des ânes, des chameaux et du petit bétail » (4). On orga-

nise ]a poursuite. « Les nomades Atar-samàïn et les Cédaréniens [Qid-


ra-a-a) du roi d'Arabie, Ouaté, fils de Bir-Dadda », sont de nouveau
traqués. « Ses dieux, sa mère, sa sœur, son épouse, sa famille, tous
les gens de Cédar [Qid-ri], les ânes, les chameaux, le petit bétail,
tout ce que, grâce à la protection d'Asour et d'Istar, mes seigneurs,
mes mains avaient conquis, je leur lis prendre la route de Damas
ipi-mas-qà) (5). » Tout n'est pas fini. On repart de Damas et, à mar-
elles forcées, durant toute une nuit, on gagne la ville de Houlhou-
liti, aujourd'hui Hulhula (ou Halhaleh) sur le flanc oriental de la
Ledjâ La poursuite continue jusqu'au Houkkourina « montagne
(6).

escarpée probablement dans le Hauran (7). Un chef des rebelles, à


»,
savoir le fils de Téri, Abiiaté, tombe entre les mains d'Asourbanipal,.
qui l'envoie en Assyrie (8). Pour réduire les fugitifs, l'armée obstrue
les sources et les citernes de la région. C'est une immense razzia dans'
laquelle on fait un butin énorme. La prise la plus remarquable futl
celle des chameaux qu'on voulut introduire en Assyrie « Je partageai :

les chameaux comme du petit bétail, je les distribuai aux gens d'A-
sour. Dans mon pays, les chameaux se vendaient pour un sicle et

(1) Cyl. deHassam. VIII. 87 ss. Comparer RD.. l'JU. p. 208 s.

(2) Cyl. Rassam, VIII, 101 ss.


(le

(3) D'après les identifications de Glaser (.SAj;:p der Gesch. xind Geogr. Arobie)ts,U,
p. 276 ss.).

(4) Cyl. de Rassain, VIII, 114.


(5) Ibid., IX, 3 ss.
(6) Delitzsch, Wo lag das Parodies, p. 299.
(7) Glaser voudrait transporter ces montagnes dans le Hedjaz par suite de l'identification

de quelques-unes des y adjacentes avec des localitesdu territoire de Médine {S/iiz-ze...,


villes
II, p. 3GI s.). Mais ces identifications sont sujettes à caution et ne permettent pas de suivre
la marclie d'Asourbanipal.
(8) D'api es le récit (Cyl. de Rassam, I.\. 19 ss.;. il semble que les deux fils de Tèri, à

savoir Abiiaté et son frère Aamou, tombent alors entre les mains des Assyriens. Mais, en
suivant la relation, on s'aperçoit que le second fils, Aamou, n'est fait prisonnier qu'après la
démonstration contre la Pbénicie (Ousou et Acre) dont nous parlerons plus loin : cf. cyl. de
Rassam, X, 1 ss.
LES PAYS Bini.InUES ET l.A»VKIE. 361

demi ou pour un demi-sicle d'argent, à la porte ou se tient le marché.


Le constructeur pour la bâtisse, le porteur deau pour les cruches,
le jardinier pour ses plantes, achetèrent de> chameaux et des es-
claves il . »

Ouaté était encore indemne. Mais la peste se mit dans >on armée et,

avec la peste, la famine, si bien que " pour leur faim ils mangèrent leurs
enfants » (2). C'était le châtiment dont les dieux vengeaient la félonie,

c'était l'exécution « de toutes les malédictions écrites dans leurs ser-


ments (3) ». La mortalité devint effroyable tant chez les hommes qui'
parmi les bestianx. Les sens de l'Arabie s'interrogèrent lim l'autre
• :

Pourquoi le pays d'Arabie [A-ru-bu a-t-il éprouvé ce mauvais traite-



ment? Parce que nous n'avons pas gardé les grands serments du dieu
Asour >'ous avons péché contre la bonté d"A.sourbanipal. le roi chéri du
I

cœur dn dieu Enlilfi). » Et le roi décrit en détail l'action des dieux s'a-
charnant, chacun suivant sa spécialité, à la destruction de l'Arabie. Fi-
nalement les soldats d'Ouaté en eurent assez de résister au vainqueur et
de supporter les mille et une privations que la guerre leur occasion-
nait. Ils trahirent leur chef. Celui-ci fut capturé, et A>ourbanipal le
fit amener à Niuive 5; : « Sur l'ordre d'Asour
et de Bèlit. avec- le cou-

teau tranchant que tient ma


main, je perrai sa mâchoire. Dans son
menton je lis passer une corde 6 je lui mis une chaîne de chien et je
,

lui fis garder la cage, à la grand'porte de l'Est qui se trouve dans


Ninive, et qu'on appelle l'entrée de la foule des peuples 7 » .

Le retour de l'armée s'effectua le long de la côte. Chaque fois qu'une

grande puissance, vassale de l'Assyrie, que ce fût l'Élam, l'Egypte ou


l'Arabie, levait l'étendard de la révolte, les Phéniciens entrevoyaient
un avenir nouveau et. par prudence, s'abstenaient d'adresser à Xinive
le trD)ut annuel. C'était le cas de la ville d'Ou>ou i'-su-u «. qui est
située sur le bord de Mer ». Nous avons vu figurer cette ville dans
la
l'itinéraire de Sennachérib (8 Elle occupait l'emplacement de Pala?-
.

,1 Cyl. de Rassarn, IX. 46 s>-


(2; Ibtd., IX, 59.
(3j Ibid.. IX, Gl.
(4; IbUL, IX, 68 ss.

Dans toute cette campagne, .\sourbanipal se rnet en scène et


5) parle à la [irerniere per-
sonne. Grâce à un passage du cylindre B. VII, 87 ss.,on voit qu'il se contenta d envoyer «on
armée nT/î., II, p. 214, n. 4 .

(6) Le sens Ae sirritu « corde ». comme dans le Poème de la création. IV. 117) cf. ;

Jense?!, KB., "VI. 1, p. 341 et Thcp.eau-Dam.in, Restit. mntér. de la Stèle des Vautours,
p. 45, n. 6.

(7) Cyl. de Rassarn, IX, lOi ss.


(8; RB., 1910. p. 506 s.
362 REVUE BIBLIQUE.

tyros, aujourd'hui Rdsel-'A'in, au sud de ïyr (lu Les dieux et les


habitants furent déportés en Assyrie (2). Après Ousou, Sennachérib

nommait la ville d'Acre. Celle-ci aussi doit subir dos représailles


de la part d'Asourbanipal « Les gens de la ville d'Acre [Ak-kn-u),
:

insoumis, je les frappai. Je suspendis leurs cadavres à des perches, je


les plaçai toutautour de la ville. Ceux qui restaient, je les emmenai au
pays d'Asour, je les enrôlai dans larmée et je les ajoutai aux troupes
nombreuses que m'a accordées le dieu Asour (3). » Les autres villes,
Tyr en particulier, n'avaient plus bronché. Les troupes victorieuses
revinrent dans le Hauran où
le dernier chef de la révolte arabe,
Aamou, second de Têri, se démenait encore. « Aamou, fils de
fils

Tèri, lequel s'était tenu du côté de son frère Abiiaté et avait lutté
contre mes troupes, je le pris vivant au milieu du combat. DansNinive.
ville de ma seigneurie, j'arrachai sa peau 'k. » (

Ainsi était consacré le triomphe de l'Assyrie sur le monde oriental.


Pour frapper l'imagination de sespropres sujets, Asourbanipal se paya
le luxe d'une manifestation inédite. Il se fit traîner par les rois vain-

cus depuis son palais jusqu'à la porte du temple (5), inaugurant déjà
les triomphes solennels des Romains. Puis, il se mit en prières et
exalta les divinités nationales qui lui avaient accordé de réduire tous
les ennemis d'Asour.
Et cependant lÉgypte était restée insoumise. Sans doute, son his-
toire, durant le règne de Psammétique, est des plus obscures (6).
Mais un fait certain, c'est que ce roi travailla jusqu'à sa mort (survenue
vers l'an Gll av. J.-C.) à reconstituer sur de nouvelles bases l'empire
des Pharaons. Son fils, Néchao 11, se verra déjà assez fort pour venir
se me-;urer avec l'un des successeurs d'Asourbanipal (7). Pour le mo-
ment, les Égyptiens se contentent d'avoir entre les mains Tune des
portes de la Palestine, la cité d'Asdoud dont le long siège était resté
légendaire Le royaume de Juda, grâce à sa vassalité vis-à-vis de
(8).
Nous avons pu constater
l'Assyrie, se trouvait relativement tranquille.
que Maoassé (690-G38 av. J.-C.) avait successivement contenté les exi-
gences d'Asaraddon et d'Asourbanipal. Mais des dissensions intestines
avaient éclaté dans Jérusalem et, pareil aux monarques d'Assyrie,

(1) C'est Uzu d'El-Aiiiarna IRB., 1908, p. 511 s.).

(2) Cyl. de Rassam, IX, 115 ss.

(3) Cyl. de Rassam, IX. 152 ss.


(4) IbicL, X, 1 ss.

(5) Cyl. Rassam, X, 29 ss.


de,

(6) Maspero, Histoire ancienne..., III, p. 488 ss.

(7) II Reg., xxiii, 29 ss.

(8) Hérodote, II, 157 : cf. sup.


LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYRIE. 363

Manassé avait essayé de noyer dans le sang toute velléité de résis-

tance (li. Son Amon,qiiine réenaquedeux ans (038-637 fut moins


fils, ,

favorisé dans sa lutte contre les comploteurs. On l'assassina dans son


propre palais. Mais, pas plus que les assassins deSennachérib n'avaient
pu empêcher le fils de succéder au père, les assassins d'Amon ne pu-
rent étouffer la voix du peuple qui acclama Josias. fils d'Amon (2;.
C'est durant le règne de Josias (637-607 av. .I.-C. que devaient se
produire les deux grands événements qui bouleversèrent l'histoire
orientale, la mort d'Asourhanipal et la chute de Ninive.
Nous ne savons presque rien des dernières années cVAsourbanipal
Ses Annales s'arrêtent sur le récit de la reconstruction du palais de
-Ninive, que son grand-père, Sennachérib, avait bâti pour son habita-

tion. Elles nous apprennent, cependant, que l'Arménie, elle aussi, spé-
cialement rOurartou (•^z-'IN s'était soumise en la personne de son roi
;,

Sardouri, le troisième du nom 3V Renouçant a ses projets contre


l'Egypte, Asourbanipal jouissait dans sa capitale de toute la gloire et
de toutes les richesses cpie les Sargonides avaient accumulées. Ce con-
({uérant farouche, dont nous avons relaté quelques-unes des cruautés,
avait le goût des lettres et des arts. Asaraddon avait poussé au point
extrême l'organisation militaire et l'extension territoriale de l'empire
ninivite. Asourbanipal, qui ordinairementlaissait aux généraux le soin
de mener les troupes ^V), se consacra à développer la culture intellec-
tuelle et artistique de ses sujets. Non seulement il ornait son palais
des reliefs les plus vivants et les plus expressifs (5), mais il avait ima-
giné de collectionner à Ninive les documents les plus importants de
la littérature religieuse, magique, historique, juridique de la Chaldée
et de l'Assyrie (6). Un souverain dont les goûts étaient déjà si affinés et

qui, en outre, s'était trouvé en relations avec la Lydie, la Phénicie et


l'Egypte, devait forcément être connu des Grecs et, suivant les lois du
mirage oriental, être travesti par la légende. Celle-ci avait flatté le
personnage de Sam mouramat (Sémiramis), femmedeSamsi-AdadIV(7).
Elle fut terrible pour Asourbanipal qui, sous le nom de Sardanapale,

(1) II Reg., XXI, 16. Comparer les cruautés d' Asaraddon. MB., 1910. pp. 201 et 217.
(2) II Reg., XV, 23 s.

(3) Cyl. de Rassam, X, 40 ss.


(4) Quoi qu'en disent les annales ofticielles.
(5) Ces monuments sont aujourd hui au British Muséum. Nombreuses reproductions
dans Misi'ERo, Histoire ancienne. ..,Ul, p. 401 et p. 406 ss. Les scènes de chasse sont re-
marquables de vie et de réalisme voir, en particulier, le lion et la lionne blessés (Perrot
;

et Chipiez, Histoire de l'Art, II. fig. 269-270).


(6; fameuse trouvaille de Koyoundjikquicomprend plusde vingt mille tablettes ou
C'est la
fragments de tablettes aujourd'hui au British Muséum.
(7) RB., 1910, p. 180.
364 REVUE BIBLIQUE.

devint le type du roi voluptueux et efféminé. Nous n'avons pas à indi-


quer ici les causes de ce jugement sévère
et mênie injuste. x\sourba-

nipal, le dernier des grands rois d'Asour, fut identitlé avec le contem-
porain de la chute de Ninive et, comme on attribuait cette catastrophe
à la mollesse du monarque, ce fut Asourbanipal qui hérita de cette
triste réputation. En outre, la fin tragique de Samas-souma-oukin au

moment de la ruine de Babylone fut transportée à l'époque de la ruine


de Ninive, et ce fut encore Asourbanipal qui en devint le héros (1). Dans
le trophée que Sennachérib avait élevé à la suite de sa campagne
contre Tarse (2), on reconnut la statue de Sardanapale. Comme on ne
prête qu'aux riches, on lui fît dire, dans une soi-disant inscription qui
accompagnait un personnage faisant claquer ses doigts « Sardanapale, :

enfant d'Anacyndarax, a construit en un jour Anchiale et Tarse. Mange,


bois, amuse-toi le reste ne vaut même pas ceci (3 ), »
:

Asourbanipal moiïrut l'an 625 av. J.-C. Il laissa deux fils, Asour-et-
il-ilàni-oukîn (abrégé en Asour-etil-ilàni) et Sin-sarra-iskoun (4). Le
premier régna un peu plus de quatre ans (5) et ne fit rien de re-
marquable. Le second vit s'écrouler sous lui l'antique empire de
Ninive et de Ghaldée. Nous avons traité ailleurs la question de la
chute de Ninive i6) et nous ne pouvons que répéter ici les conclu-
sions auxquelles nous sommes arrivé. La prise de la ville eut lieu
l'an 607 av. J.-C, sous le règnede Sin-sarra-iskoun. Elle fut accomplie
par un roi mède, à la tête d'une coalition composée des Mèdes et des
Scythes. La tradition se partage concernant le nom de ce roi mède :

Cyaxare, Arbace ou Astyage? Toutes les vraisemblances sont pour


Gyaxare, père d'Astyage. C'est bien lui qui porta le coup fatal à la
dynastie des Sargonides. Moins de vingt ans après la mort d'Asour-
banipal, alors que l'Assyrie était arrivée à son apogée de puissance
et de civilisation, un Aryen venu de lest supplante à jamais les
Sémites dans la domination du monde oriental. Sans doute, à Baby-
lone, surgit une dynastie nouvelle, qui sera encore une dynastie de
Sémites. Nabopolassar, qui a aidé les Mèdes. dans leur coup de main
contre Ninive, reçoit l'hégémonie de la Chaldée, et nous verrons
comment son fils Nabuchodonosor II (604-562 av. .I.-C.) pourra de

(1) Cf. Slip.

(2) RB., 1910, p. 23G.


(3) Arrien et Strabon {ibid., p. 236 s^.
(4) Le premier fils dans A7>., Il, p. 268, n. 1. Sin-sarra-iskoun, fils d'Asourbanipal :

ScHEiL, Zeilschr. fiir Assijrii>l(igie,\l, p. 47 ss.


(5) On a des contrais datés de la quatrième année de son règne (Winckler, KB., II, p. 2G8,
n. 1).

(6) Dans Les Aryens avant t'yi-us (Conférences de Saint-Étienne, 1910-1911, p. 94 ss.).
LES PAYS BIBLIQUES ET L"ASSVRIE. 365

nouveau exercer son action sur les pays bibliques. Action bien pas-
sagère puisqu'un Aryen, le Perse Cyrus. finira par s'emparer de Ba-
bylone (539 av. J.-C. .

de l'Assyrie s'arrête donc, eu réalité, avec Asourbanipal,


L'histoire
puisque ses fils ne furent que des fantômes de roi et que la catas-
trophe définitive devait suivre de si près la mort du grand monarque.
Grâce aux documents cunéiformes, nous avons pu assister à Tinces-
sante extension de cet empire. Pas à pas, nous avons sui%'i l'absorption
de tout le monde sémitique, égyptien, élamite par la puissance
d'Asour. Cette œuvre colossaleque les siècles semblaient devoir con-
sacrer, tombait d'un seul coup par suite de son exasération même.
Grisés par les succès de leurs devanciers et par les résultats de leurs
propres campagnes, les Sargonides n'avaient pu limitera temps leurs
ambitions. Sargon avait dû s'arrêter aux portes de i'Égvpte. Senna-
chérib avait pénétré en Arabie et avait parcouru en vainqueur toute la
Palestine et la Syrie. Asaraddon avait franchi« le torrent d'Égvpte »

et avait mis le pays à feu et à sang. Nous venons devoir comment,


durant le règne d' Asourbanipal, un mouvement général d'insur-
rection se faisait sentir dans tous les pays que l'Assyrie avait sub-
juiiés. L'heure était venue où les envahisseurs arrivés de l'est pou-
vaient profiter de cette tension des rapports entre le cœur et les
extrémités du royaume, pour s'installer sur le trône de Ninive et
imposer au monde des destinées nouvelles. Les pays bibliques, après
avoir été, de longs siècles durant, sous la suprématie de l'Egypte,
puis sous celle de l'Assyrie, une
fois encore changer de
allaient
maître. Ainsi le voulait la situation même
de ces pays, toujours sur
le passage des grandes puissances rivales. Leur autonomie était
essentiellement éphémère et n'aurait pu être sauvegardée que par
une coalition qui malheureusement contrariait trop les instincts par-
ticularistes de chaque petit royaume. La lutte fratricide entre Israël et
Juda n'avait-elle pas été le vivant symbole de cette incompatibilité
entre ces j)euples de même race et de même sang? La première
victime avait été Samarie. Jérusalem aura bientôt un sort non moins
sinistre et il faudra que Cyrus, cédant à la mystérieuse action de la
Providence, intervienne d'une façon inattendue pour rendre à la
nation juive un reste d'énergie et de vitalité.

P. DUORME.
CHRONOLOGIE DES ŒUVRES DE JOSÈPHE

Josèphe était né pour devenir un rabbin ; les circonstances en firent


un rhéteur. Et telle fut la destinée sing-uli^re de sa vie, qu'au lieu
d'arriver, dans les milieux juifs, à la renommée qu'il ambitionnait,
que sa haute naissance préparait et que semblaient lui promettre
de précoces succès, il ne s'attira guère que la haine et le mépris de
la plupart des siens, tandis que les Romains, d'abord ses ennemis,

le comblèrent finalement de biens et d'honneurs. Ce descendant de

famille sacerdotale illustre, ce rejeton de souche royale hasmonéenne,


ce prodige des écoles de Jérusalem, ce disciple austère de l'ascète
Bannos dans les sauvages profondeurs du désert de .luda, ce pha-
risien zélé et militant au début de la crise où allait sombrer sa pa-
trie devait finir ses jours dans la douceur d'une retraite dorée, après

être devenu citoyen de Rome et le client choyé d'une dynastie d'em-


pereurs dont la gloire était fondée sur l'anéantissement de la Ju-
dée (1). Oublié pendant de longs siècles, ou maudit de ses compa-
triotes et coreligionnaires, il entrait de plain-pied et en quelque sorte
de son vivant dans l'immortalité, — son rêve, sans doute. — grâce à
la féconde activité de son esprit et à la nature de son labeur. Dans la

Rome aristocratique et lettrée des Flaviens il ne rencontra pas seule-


ment des patrons puissants et magnifiques; il trouva aussi des amis
et la célébrité, moins, probablement, sous la forme d'une statue dont
il fut honoré, ainsi qu'il parait avoir été dès ce temps-là inévitable
de l'être, que par la faveur dont jouissaieut ses écrits (-2 .

Cette faveur allait bieatùt sepropager dans les cercles chrétiens;


le rhéteur juif ne s'ofTrait-il pas en effet comme un arsenal précieux

dans les controverses contre sa propre race ? où trouver une démons-

(1) Ces renseignements biographiques seront trouvés avec facilité dans la ] ie de Josèplie
écrite par lui-même, '(.'f. 1-7, 75 s.

(2) EtsiniE, BE., 111, 9, 2, éd. Schwartz. p. 222 : ['lûiar^-oç' Ttaçà 'Ptofiaiou; -iixo'jz-/ àvf,o

£7tiôoçô~axoç, w; a'Jîbv [XÈv àvaôÉse'. àv&fiâvîoç èrzi tf,z 'Pw[J.a;«ov Ti[ir,6r,va'. îTO/.sto;, loii; oï

ffTTo-JoacOÉvia; aJTÙ y.ôyoy; p-.o/.ioôv.r,; àciw^^vat. De viris illustribas, 13 Migke,


El S. JiiuoME, ;

PL., XXIIl, 62',t : Ob inrjcnii glortam, statuam qvo<jue mcrnit Romac.


CHRONOLOGIE DES OEUVRES DE lOSÉPHE. 367

trationplus piquante et apparemment duu plus heureux à-propos pour


faire resplendir l évidence des prophéties contre le peuple juif, contre
Jérusalem Temple, ;ime de la nation et centre nécessaire
et contre le

de l'ancien culte que sa ruine anéantissait (1)"? Après les vicissitudes

dune fortune qui a été mainte fois esquissée de main d'artiste, Josè-
phe est redevenu, j>our les historiens contemporains, ta source fon-
damentale, indispensable, sans laquelle nous ignorerions presque
tout du milieu et du temps quil nous importe néanmoins à un si
haut degré de connaître, puisque c'est le temps où parut Xotre-Sei-
gneur, le milieu où fut prêché l'Évangile et où germa l'Église. Sans
revenir sur le détail d'une vie qui est dans toutes les mémoires, ni
aborder en ce moment la délicate critique de Josèplie historien ou
écrivain en général, il ne sera pas hors de propos d'examiner en quel
ordre et à quelles périodes de sa vie furent écrits les ouvrages que
nous possédons de lui. Ainsi que le faisait observer un jour Pline
le Jeune [2) à un lecteur passionné pour les œuvres de son oncle, même

ce classement « n'est pas indifierent aux hommes d'étude » ils savent ;

en effet combien les époques de la vie marquent de transformations


dans le développement de la pensée, combien aussi peuvent influer >ur
les jugements et la simple expression des idées les conditions tout
extérieuresparmi lesc[uelles un livre a été composé. Décompte fait
do divers ouvrages faussement attribués à Josèphe '3\ d'autres plus

1 1 Bien avant S. Jérôme les apologistes cnrétiens aimaient à invoquer l'autorité de Jo-
sèphe; c'est lui pourtant qui a le mieux indiqué, pour
justifier de sa propre admiration, les
motifs de cette sympathie manif'esdssime confifetur, propter magniludinem
: [Josephii.'i]
signorum, Chri&tum a Pharisaeis interfectum, et Joannem Baptistam vere propketam
fuisse e( propter interfectionem Jacobi apostoli dirutara Hierosolymam (De vir., l. /.;
cf. .i(/i-. Jovin., 1,39, MiGNE, PL., XXIII, 2»i5 et maint autre passage]. Naturellement le sens

de Josèphe n'était pas toujours celui qu'y découvrait saint Jérôme on en a excellemment :

pour preuve ce fameux témoignage relatif à Jésus; cf. Lagra-^ge, Le Messianisme, p. 19,
et RB.. 1898, p. 1.5(.iss.; Schurek, Geschichled. Jiul. Tolkes..., IK 544 ss. et Bere>'dts, Die
Zeugnisse vom Christentum ira slovischen « De bello Judaico a des Joseplius dans Texte
und Vnters. de Gebhardt-Harnack
N. F., XIV, i, 1906, p. 38 ss. S. Jérôme ne s'en embar-
:

ne conteste guère aujourd'hui le caractère inconsciemment tendancieux


rassait point et l'on
de sa chaude louange de l'historien juif (voir Gruetzmacher, Hieronymus: einc biogruplii-
sche Shidie, II, Ui06. p. 131 \
(2;Ep. 5 du liv. III ... Fungar indicis parlibus at'/ue etiam quo sint (les livres de son
:

oncle) ordine scripti nolum tibl. faciam ; est enim liaec quoqxie studiosis non injucundo
cogniiio.
(3) S. Jérôme (De vir., 13] lui lait honneur du livre in quo et Mfichabaeorum [iligne :

Macchahaeorum, éd. critique de Richardson, Texte u. Int., XIV. i, 1896, p. 16] suni
digesta martyrin, IV 1. des Macchabées. Photius [Biblioth., cod. 48; Migîte, PG., CIIl.
84,>met de plus sous son nom un traité TiEpl to-j KavTÔç, sans méconnaître la vraisemblance
d'une attribution pseudépigraphe pour un ouvrage d'inspiration chrétienne. Exposé de la
discussion dans Schurer. op. /., p. 90 s.
3(38 REVUE BIBLIQUE.

nombreux auxquels il fait lui-même incidemment allusion (1) et


qui demeurent perdus pour nous, si tant est qu'ils aient jamais —
été autre chose que des projets caressés. il en reste quatre abso- —
lument authentiques, dont nous retiendrons seulement les rubriques
depuis longtemps familières, quoi qu'il en soit de leur exactitude et
de leur origine 1° la G ue ire juive, ^"les Antiquités judaïques, 3° V Au-
:

tobiographie, 4" Contre Apion. Nul n'ignore la teneur générale de cha-


cun la Guerre décrit en sept livres les causes de la grande insurrec-
:

tion contre Rome en 06 et les péripéties dramatiques de la lutte


qui aboutit, en 70, au siège et à la ruine de Jérusalem; les Anti- m
quités, en vingt livres, sont une sorte d'histoire sainte depuis les
origines du monde jusqu'au jour où éclata la terrible et fatale guerre ;

la Bioqraphie, en un seul livre, raconte, il est vrai, la généalogie de


l'historien et quelques traits de sa carrière; mais ce qu'elle vise sur-
tout à retracer est le rôle personnel joué au début de l'insurrection
durant un commandement militaire d'un peu plus dune année en
Galilée; Contre Apion enfin deux livres est une apologie de — —
l'antiquité et des privilèges de la race juive, vengés des ardentes
détractions dont le grammairien alexandrin Apion paraît s'être fait
le principal écho.
Pour les Antiquités seulement Josèphe a pris soin de mentionner
la date explicite, qu'on pourrait appeler de publication, ou mieux
de clôture, car il ne semble pas douteux que chaque livre ait pu
être communiqué, au fur et à mesure de l'achèvement, à un cercle
de lecteurs amis (2). Les trois autres ouvrages ne peuvent être datés
c]ue par déduction et avec une approximation d'ailleurs inégale. L'opi-
nion courante fixe la rédaction de la Guerre vers l'année 79 avec une
marge d'environ quatre ans; la date ferme des Antiquités oscille tout
au plus, on le verra, sur un intervalle de quelques mois à la lin de 93
ou au début de 9i; la Vie est assez ordinairement reportée jusque

(1) Par exemple Antiquités, XX. 12, 1, ^ 268, cette indication des —
sera fournie, à l'oc- jiii

casion, pour rendre la recherche plus facile à ceux qui ont sous la main une des éditions de

Niese ; dans l'éd. Dindorf ce ch. 12 est numéroté 11, 'î. — C'est apparemment ce même projet
d'un ouvrage sur le caractère rationnel de la Loi qui est rappelé dans Antiq., I, prolog., 4,
g 25; 10, 5, j! 192; lit, 6, 6, ji li3; 8. 10. >! 223: IV. 8. 4. g 1!)8. Quant aux expressions
fréquentes « comme nous l'avons déjà montré ailleurs )>, ou « ainsi qu'on l'a indique déjà

ailleurs »,ou bien elles se rapportent à quelque passage antérieur de ses onivres, ou le —
plus souvent —
elles ne sont qu'une vulgaire distraction de copiste transcrivant inaciiinale-
ment sa source. Un tel procédé donne à rellécliir sur la composition historiiiue chez Josè-
phe. On sait du reste qu'il n'a point le monopole de celte reproduction inintelligente des
sources.
(2) On en a une preuve certaine, pour les livres de la Guerre, dans une lettre du roi
Agrippa II à Josèphe {Vie, 65, § 365) : r,5'.(7Ta ôi^>,8ov ty-jV p-jêXov... iii^m ôé (xoi xai •:«: XotTra;.
CHRONOLOGIE DES ŒUVRES DE JOSÉPHE. .{69

vers 100, même un peu après; aucune date n'est indiquée pour
Contre Apion, estimé seulement dernier ouvrage de Josèphe qui
le

aurait encore vécu dans le « premier decenniiim du second siècle »! 1).


A ce classement, qui se recommande d'une autorité non moindre
que celle de iM. le prof. Schûrer, s'en opposent d'autres dont Jes nuances
les plus graves — il faudrait presque dire les plus inquiétantes —
consistent à transposer Contre Apion et Vie '2\ et à reculer la Guerre
jusque sous le règne de Domitien 3 Un tel déplacement ne laisserait .

pas sans doute que d'avoir des conséquences défavorables pour la va-
leur du livre estimé entre tous parmi les œuvres de Josèphe. Essavons
donc de grouper et de discuter à nouveau les éléments du problème.
Rappelons d'abord l'unique donnée acquise la date des Anti- :

quités. Au moment de
clore ce laborieux ouvrage, l'historien, qui en
est très fier et qui se persuade avoir été le seul homme capable de
note qu'il s'interrompt dans la treizième année du règne de
l'écrire,

Domitien, qui est la cinquante-sixième année depuis sa propre nais-


sance (i''. De là un synchronisme facile la treizième année de règne :

avait commencé pour Domitien le 13 septembre 93; la cinquante-


sixième année de Josèphe doit avoir commencé dans l'intervalle du
13 septembre 93 au 16 mars 9i 5;. C'est donc tout au plus dans
ces SLx mois au maximum que peut varier la date des Antiquités et
l'on a chance de ne pas être loin de la vérité en adoptant comme
moyen terme à peu près le déclin de 93 (6).
La plus grosse difficulté roule sur la Guerre, qui ne contient aucun
indice chronologique direct. On a estimé la pouvoir résoudre assez
clairement par quelques informations glanées en d'autres ouvras es.
Josèphe raconte en effet 7) qu'il l'a présentée d'abord à Vespasien
et à Titus avant de la livrer au public. Et afin qu'on n'imagine pas

(Il ScHÛKER, Geschichte..., 1% p. 77. Cette opinion, qui date de 1901, parait nuancer l'a-
vis que l'éminent historien exprimait dans son article Josephiis de la Rcalénculdopodie fiir
prot. Theol. •', IX, 377 et 379. daté de la même année.
(2) Ainsi que l'a pratiqué, par exemple. M. Maurice Croiset, His(. de la litlcr. (jrecque,
V, 442 ss.

(3j Hypothèse adoptée entre autres par M. Dessau, Prosopographin iinpej'H romani. Il,
69, n° 189,

(4) Antiq., XX, 12, 1, % 267 : ... t-?;; vjv ivscTWfjr,; Yjaipa;, r,-;: èstiv Tpicxa'.oïy.aTo'j u.kv
ÈToy; tt;; Aoaîxiavo'j Kaicapoç àf///?, s[>-o\ 6' àTtô '{E^iazia^ TiVJX-/\y.oa-îo^ Tc -/.ai ey.-co-j.

(5) On saitpar la lie, 1,^5, que Josèphe était né -w Ttpw-rw [i~t'-] '/;; Taiou Kat^aco;
r,Y£[iovîa;. Cette première année de règne de Caligula fut inaugurée le 16 mars 37. En com-
binant cette indication avecle synchronisme indiqué pour la 56® année de l'historien, Tille-
mont [Hist.des empereurs, I, éd. de Venise, 1732, p. 579 et 644; avait déterminé déjà ces
dates extrêmes de sa naissance.
(6) .4.vec M. GoYAU, La Chronol. de l'emp. rom., 1891, p. 170.
(7) Contre Apion, I, 9.

REVUE BIBLIQUE 1911. — X. S., T. VllI. Oi


370 REVUE BIBLIQUE.

une présentation sommaire, ou celle d'une ébauche préalable, ou

encore celle des premiers livres long-temps avant rachèvement total,


il prend soin d'affirmer que tout était fort complet, qu'il s'était même

assuré pour le erec un concours qualifié li. C'est bien l'ouvrage in- ,

tégral qu'il prétend couvrir de la sanction impériale si autorisée puis-

que Titus et Vespasien sont les deux héros de premier plan dans tous les
événements racontés. Ailleurs on retrouve encore sous la plume de
Josèphe cette mention du contrôle des anciens généralissimes de
l'armée romaine de Judée. Cette fois pourtant il y a déjà une nuance :

les deux empereurs ont sanctionné le livre, mais Titus en prend seul
la responsabilité et inscrit de sa main son visa élogieux et l'ordre de
publication du récit qui doit faire foi officiellement 2). Il y a, bien
sur, une précision moiadre dans l'apostrophe de Josèphe à Juste de
Tibériade. son rival littéraire«... Pourquoi n'avoir pas produit ton :

histoire du vivant des empereurs Vespasien et Titus... ou tandis que


^^[vait encore le roi Agrippa?... En l'écrivant vingt ans plus tôt. tu
aurais pu avoir des témoins oculaires pour garants de ton exactitude ;

mais mamtenant que d'une part ceux-ci ne sont plus parmi nous,
et que d'ailleurs tu ne t'attends plus à être confondu tu t'enhardis » (3) ,

Ces vingt ans » sont sans contredit un des chififres ronds tout à fait
*^

chers à l'écrivain et qui se logent à souhait dans une phrase d'un


souffle un peu demeure impossible d'évaluer à plus de
oratoire; il

cinq ou six ans près à quelle date le polémiste entend se reporter; carj
évidemment l'antithèse suggérée est que son récit à lui de cette
même guerre a été publié à l'époque ainsi déterminée par un trop!
vague à peu près (4).
A fond sur ce contrôle pereonnel de Vespasien, dont Josèphel
faire
est si fier, on a tout de suite un terme précis que l'achèvement de la]
Guerre ne saurait dépasser Vespasien mourut le 23 juillet 79. Il faut! :

par ailleurs supposer, depuis la fin des événements racontés, un laps]

(1) L. l.. I. 9. ^ 50 s. : -xTr,; aoi tr;; -pavuLaTcia; i\> -asaffy.suTJ Yîy£<jr.(AÉvr.;, /prjçâjieveJq

xifj'. Ttpô; Tr,v 'E/).r,vtÔa çjojvrjv ffvvîpYOî; jrpwToy; -rzwzuyj To*J; aÙTOxpaTopa: toO îioXéjiowl
Yîvoii.îvo'j? Oùîff-aT'.avôv xat Tirov r^liuinx Àaôïïv (lâpT-jpa;. Ilpwîoi; yàp oî'ôwxa Ta |5l'.oÀ:a (ceuil
de la Guerre)...

(2) Vie. 65, g .361 ss. : '0 [ièv vàp a-iroxpâTwp T:to; èx [xo/wv aùrûv (les livres de Josèphe)!
lêo-Arfir, TTjV Yvôifîiv toï; àvôpwiîoi; ^TtapaSoùvai -rwv Tipileuv, ùa-t yapà;a; tî; la-jtoO yf.çil làl
pi6).îa 5r,[ioff'.à)(ïat jtpofflTaÇev Çî 363i.

(3) Ibid., 'i 359 S. : ôià tÎ J^wvtwv OÙEffTCacjtavo'j xai T;to-j twv ayroxpaTÔpwv... xal paaiXéwd
'AYP'-~'Ta Ttsptôvco; iti... tt)-/ tdropîav oùx êsEpe; sic (XÉaov ; y»? î'-xofft ÈTtôv î'-xî; ^tyç9.\i.\i.érT(t
•tpô

xat Tcao' î'.SÔTwv £ij.=X/.£; rfi; axpiêcîaç Tr.v [xap-upîav ànosipsffôaf vûv S' ôi' îxeïvoi (iàv oùxét^
s'.ffiv (Xî6' YiULw/, £).£Yx9^i"'3t'. S' oO vosxîÇei;, TîOâppr.xa;.

(4) Il n'y a donc pas lieu de mettre autant de confiance là-dessus, que parait lavoir fait

M. Dessau, Prosop., II, 164, n 89.


CHRONOLOGIE DES ÛELVRES DE JOSEPHE. 371

do temps quelque peu considérable, sinon comment se représenter


que beaucoup d'histoires —
dont l'écrivain se plaint avec véhémence (1)
— aient eu le temps de se' produire et que lui-même ait pu composer
d'abord en sa langue maternelle un premier récit
et faire paraître
de ces événements au profit de lecteurs sémitiques et le remanier
ensuite pour le faire lire en grec aux empereurs et à la haute so-
ciété romaine (2)? Une donnée plus positive ressort du livre lui-
même. Il y est narré, presque vers la fin, que certaines dépouilles
précieuses du temple de Jérusalem, les vases d'or, forent déposés par
Vespasien dans le temple de la Paix, dont il venait de presser mer-
veilleusement la construction (3). Ce détail suppose le dernier livre
de la Guerre écrit après 75, puisque le temple en question fut dédié
(( la sixième année de Vespasien » (i). C'est donc entre les derniers
mois de 75 et le 23 juillet 79 f5) que dut être publié l'ouvrage, pres-
que encore sous le coup des poignantes impressions de la guerre elle -
même et dans toute la vivacité des souvenirs. Quand Josèphe se re-
mettait à l'œuvre et écrivait le prologue des Antiquités, il pouvait
faire allusion à la Guerre comme à un travail antérieur, auquel il
lui suffisait aussi de renvoyer le lecteur dès que la trame de son
récit dans les Antiquités l'avait ramené à la date où éclata l'insur-

rection de Judée (6).


Jusqu'ici rien que de fort simple et de suffisamment clair. Pourquoi
faut-il que tout ce bel ordre soit remis en question par un mot
malencontreux? Au moment de clore les Antiquités, Josèphe nous
fait tout à coup savoir qu'il vient de commencer la rédaction de

cette Guerre que nous estimions depuis quinze à vingt ans en circu-
lation. 11 faut lire de près « Ici s'arrêtera pour moi ce qui a trait à :

VHistoire ancienne [Antiquités], à la suite de laquelle j'ai entrepris


d'écrire la Guerre (7) ». Prise ainsi qu'elle se présente aujourd'hui
avec fermeté dans les meilleures éditions, cette phrase d'aspect banal

(1) Cf. Antiq., I, proL, 1, i 4; C. Ap., I, 8, §46; 10, ^55 S.; Vie, 65, § 336.

(2) Guerre, prol., t, g 3 : TTpoy6£iJ.r,v àyà) toï; xatà tyjv 'Pwu.a;wv ^lyeuovtav 'E)).âo'. y/Mnar,
[xîTaoa),à)V â toï; âvw [BapSipoi; xf, TiaTptw (TuvTâEaîàvsTrejX»!'* 'ï^pôtepov àçriYïi(7a'70a(...

(3) Guerre, VII, 5, 7, '0_ 158 et 161 : Oùecîva'jiavo; Èyvw téulsvo; Elprivrj; y.axaffXîuào-ai- tayù
8è... £T£te),£Î(i)to... 'AvÉ8r,X£ Sa âvTaOôa xal xà è/. toô lîpoO twv 'IjySaîwv ypucyâ /.aTa(77.c'jà(7|Aata

(T£(J.vuv6(i.£vo; eu' aOxoï;.


(4) Dion Cass.. LXVI, 15, 1, éd. Boissevain, III, p. 149 i-\ 8ï xoO OùîaTxaT'.avoO : Sy.xov
xai èîtl xoO Tixou xsxapxov àpyôvxwv xô xy^ç Elprivr,; xéii-EVo? xa6icpw9r|.
(5) Sans qu'on voie un motif d'affirmer, avec M. H. Peter. Historicor. rom. reliquiae, II,

1906, p. cxxxxiv brevi post a. 75. Pourquoi pas brevi ante a. 79?
:

(6) Aniiq., I, jjroL, 2. i? 6 : 'H5-/; (J.àv ou-/ xal Trpôxspov o'.zvorfir,y, ôxs xôv 7rô).£(Aov «juvÉypasov
xxX.
ô" ivxaOÔà xà xai xôv ypisîtv
(7) Tla'jGôxai (lo'. xy;; àp/a'.OAoyîa; jxï6' r,v tlÔasjjiov Y)p|à(jLY;v

Antiq., X.X, 12, 1, g 259).


372 REVUE BIBLIQUE.

est la plus flagrante contradiction non seulement de la phrasé du


prologue, mais mieux encore des dernières lignes écrites avant cette
clausule. On est dans la douzième année de Néron [60]; le narrateur
vient de rappeler le rôle néfaste du procurateur Gessius Florus en
Judée, le bouc émissaire sur qui est entassé tout l'odieux de l'insur-
rection ;
que si Ton désire être informé de ce qui s'ensuivit, on en a
toute facilité, conclut Josèphe, par « les livres que j'ai écrits sur la
Guerre juive (i) ».

Je ne vois pas que les critiques aient tenté une discussion de cette
difficulté. Si négligent que se trahisse mainte fois Josèphe à s'accorder

avec lui-même, Fantilogie était cependant trop forte en cet endroit


pour échappé s'il s'agissait du même ouvrage sur la Guerre.
lui avoir
Si l'état diplomatique du texte autorisait la moindre hésitation au
sujet de la lecture, on se hâterait de sacrifier le \j.é)' y-v perturba-
teur, ou d'agencer la phrase de manière à renverser l'ordre des deux
livres dont elle groupe la mention. Plutôt que de procéder ici par
conjecture hasardeuse, il sera plus prudent sans doute de respecter
l'expression ardue. On résoudrait alors la difficulté en comprenant
l'ouvrage entrepris à la suite des Antiquités comme un nouveau récit
de la Guerre, le troisième, —
au sens suggéré non sans clarté dans —
le tout à fait dernier paragraphe des Antiquités. Josèphe s'y pro-
met, avec la faveur divine, de reprendre encore une fois t.oCkvj — —
l'histoire de la guerre et de prolonger l'histoire de sa race depuis
cette guerre jusqu'au jour même où il écrit (2). Nous avons naturelle-
ment quelque difficulté à concevoir par quel biais nouveau Thisto-
rien juif entendait recommencer cette narration de la Guerre; de
nombreux passages parallèles dans ses divers écrits suffisent toute-
fois à prouver combien peu l'embarrassait le récit des mômes faits

sous des perspectives différentes. Le projet en tout cas demeure très


nettement attesté; il permet d'accorder Josèphe avec lui-même en
supposant qu'après 93-94 il aurait en effet mis la main à ce travail
demeuré inachevé, que du moins nous ne possédons plus et qui n'a
laissé absolument aucune trace dans la. tradition (3). 11 ne subsiste

(1) Antiq., XX, 11. 1, j? 257 s. : 'ApX"^,v à/aêsv ô TtôXeijLo; oîUTÉpw u.£v stst tv); £7riTpon?,î

4>)vWpoy, 6wÔ£xâTto os xf,c >'épwvo; àp^r,;. 'A),X'... àxpiêw; -yvâSva'. îràpeoTcv toT; pou).o(i.évot; ivTU-

•/£Ïv Taîç ûk' i\i.o\) TTEpt ToO 'Iciuoaïxoû 7io)i[ioy pîgXoiç Y-Ypap-fJiévat;.
(2) 'Eîtl toOtoi; 8e y.aTaTra-Jffw ttiv àpxot'.oXoYtav... y.dv to ôeïov ÈTrirpÉTtr) xatà 7rEp!.5po[ir-,v

•jTTOyLVÔTW TtiÀiv TOÙ T£ iïo).£[j.ov XKi Twv TUjJ.êEorjXOTwv 7,11.17 (xÉ/pt if^z vûv ÈvEiTtaxT'/i; r;ii£pa:

{Ant., XX, 12, 1. ji 267). On a en quelque manière l'impression d'une seconde clausule ré-
dactionnelle : cf. la noie 7 de la page précédente.

(3) L'heureux souci que la postérité marqua de bonne heure pour l'héritage littéraire de
Josèphe semble devoir rassurer contre l'appréhension de quelque perte considérable.
CHRONOLOGIE DES OEUVRES DE JOSÈPHE. 373

dès lors aucune raison plausilîle de récuser la date plus solidement


fondée de 75-79 pour faire descendre la rédaction de la Guerre plus
bas que 9i. M. Dessau par exemple, parmi ceux qui optent pour cette
date tardive, a fait valoir un argument moral d'une certaine portée
malgré sa délicatesse. Relevant quelques allusions flatteuses à l'a-
dresse de Domitien, il en conclut que l'édition grecque de la Guerre
a donc été écrite sous le règne de cet empereur (1). L'observation
est fine, mais la conclusion exagérée. On concevrait sans effort que
l'historiographe intéressé ait cru devoir faire flamber quelques grains
d'encens à l'honneur du fils de Vespasien sans attendre que la mort
prématurée de son père et de son frère l'ait porté au pinacle; et
malgré le détour, n'était-ce pas encore une voie excellente pour faire
sa cour à Vespasien? Mais en réalité il n'y a presque pas de cour
faite du tout et l'encens n'est brûlé que d'une main assez chiche.
Qu'on observe au contraire le rhéteur à l'oeuvre quand il lui est
opportun de devenir courtisan de Domitien alors au pouvoir. L'exem-
ple topique en est fourni par la Vie et cette même note psycholo-
gique, prise sur le vif dans le caractère de .losèphe écrivain, va nous
servir maintenant à déterminer la date de cet autre livre.
Aussi bien, n'est-ce plus la sèche mention d'un fait où Domitien
joue un rôle passif, ni même l'inévitable et conventionnelle louange
d'une sage conduite administrative, mais une énergique flagornerie
à l'adresse du nouveau César que présente la Vie. L'historien se
dilate à décrire la munificence de Vespasien à son égard. Titus après
Vespasien n'a pas fait moins en sa faveur, et voici venir Domitien
après Titus qui renchérit encore sur tous ces honneurs (2). Il n'est
pas jusqu'à l'impératrice Domitia qui ne rivalise avec l'empereur
pour combler Josèphe de bons offices. A la vérité, la Vie n'affirme
nulle part que Domitien vive encore au moment où elle s'écrit; l'in-
duction tirée de cette complaisante du reste très vague emphase — —
à célébrer les bontés de Domitien, tirée aussi du silence absolu sur
n'importe quel empereur après lui, avait déjà paru très solide à Til-
lemont (3). On ne voit pas le « souple et prudent Josèphe » — comme
l'a si bien défini le dédain caustique de Renan (4) — louer à pleine
(V)Prosop., II. 69. n' 189. M. Dessau cite Guerre, IV, 11, i, où ne figure à peu près que le
nom de Domitien. et VIT. 4, 2, g 85 s., qui est en effet un éloge un peu emphatique des
valeureuses prouesses du jeune prince.
(2) Vie, 76, g 429 : A'.aoî^âfx.svo; oè Tûov AoijLETiavô; xal 7;;iOcr,û?r,(7îv Ta; cî; âixè Tiiiâ;;.

(3) Hist. des emper., I, modernes tels que M. Dessau


647. Elle a paru solide aussi à des
{Prosop., II, )63 s., apparemment aussi M. Xiese qui écrit {Jos. opéra, préf. du
n° 89) et
t. Y, p. V, n. 2) certum est vilain scriptam esse imperante Domitiano.
:

2*= éd. 8", Calmaan-Lévy.


(4) Les évangiles, p. 131, 1877.
374 REVUE BIBLIQUE.

bouche un Domitien qui aurait succombé dès lors aux rancunes de sa


femme, au mépris du sénat, à la haine de l'aristocratie et dans l'en-
tière indifférence du peuple, sans avoir même une parole banale,
sinon une de ces flatteries énormes qui lui coûtaient si peu d'ordi-
naire (1), pour le nouvel empereur.
A supposer même que le rhéteur juif avait été si platement adu-
lateur de Domitien, sans avoir pu soupçonner quoi que ce soit des
sévérités excessives et tout à fait publiques de son patron pour les
« mœurs juives » ;2) et dans l'exaction fiscale (3) dont les Juifs
étaient l'objet, il ne pouvait plus, sans déroger à ses propres ten-
dances, omettre de célébrer, s'il eût écrit sous Nerva, les dispositions

impériales bienveillantes qui amélioraient la condition de sa race (4)


si elles n'ajoutaient rien à sa propre fortune. Simple vraisemblance,
il est vrai, mais en harmonie tellement intime avec tout ce que nous
saisissons du caractère de Josèphe qu'à moins de heurter quelque
donnée plus positive elle autorise à fixer la rédaction de l'ouvrage
avant la mort de Domitien. Des termes employés dans la conclusion
il résulte d'autre part qu'il a été écrit après les Antiquités, auxquelles
on a même pu le lier parfois comme un livre complémentaire (5).
La publication de la Vie s'encadrerait donc entre les premiers mois
de l'année 94- et la fin d'août 96.
Pour dater l'ouvrage dit Contre Apion toute donnée positive semble

(1) Et que la critique à tendance juive lui a reprochées avec une dureté qui confine
parfois à l'injustice. Précisément à propos de la complaisante énumération des faveurs im-
périales qui vient d'être rappelée on a écrit « Nulle part l'égoïsme et la bassesse de l'histo-
:

rien [Josèphe] n'éclatent mieux que dans l'insistance qu'il met à énumérer les bontés des
Flavius à son égard » (Hild, Les Juifs à Rome devant ropinion et dans In littérature;
Rev. des ét.juiv., XI, 1885, p. 172, n. 5).
(2) Dion Cass.. LXVII, 14, 2; contre les sectateurs des Tt.w 'lo-jôatwv rfii) on sévissait par
la spoliation des biens, l'exil ou la mort.

(3) Suétone, Domit., 12, 2, éd. Ihm 1907, p. 344 s. : Prueter ceteros (les empereurs
depuis Vespasien) Jiidaicusfiscus acerbissime aclus est; et Suétone fournit un exemple de
cette âpreté : un vieillard noiwgénaire soumis en public à un examen qui devait prouver
si oui ou non il était juif.

Dion Cass., LXVIII, 1, 2 (Nerva) 'loyoaVxoO pîoy y.aTaiTiàffôal xiva; GuvEywpnTE. Quant
(4) :

à l'amélioration au sujet de l'impôt du didrachme, sa plus éclatante attestation est fournie


par une monnaie impériale de Nerva « dont le revers présente l'image d'un palmier, avec la
légende Fisci judaici calumnia sublata (suppression des délations du fisc judaïque) ».
:

Th. Reinach, Les monnaies juiv., p. 52; cf. Ecruel, Doctrina numorum veterum, VI.
404 s. GoLDscHMiD. Impôts et droits de douane en Judée soîts les Romains; Rev. ét.juiv.,
;

XXXIV, 1897, p. 196 s., 202 SS.


(5) Vie, 76, dernières lignes : TawTa [ièv -rà ueTrpayjiEva \loi oià Ttavxô; xoO ^îou èaziv... ioî
8' àïcoôeStoxwç, xpârtaTs àvôpwv 'EitaçpôôiTE, tvjv nâ.aa.v TrjÇ àp-/aio).oYÎaç àvaypaçrjv ètiI toO
itapôvToç ÈviavjOa /a-aTtaûti) t6v Wyov. M. Schiirer (Gesch., I, 87 S.) établit bien qu'on a fait

fausse route en essayant de rattacher si étroitement la Me aux Antiquités, malgré ce mot


final.
CHRONOLOCIE DES ŒLVRES DE JOSÉPIIE. 375

se dérober, au point qu'on ne sait même s'il ne fut pas écrit peut-être
avant Rien de plus ne le coordonne à quoi que ce soit de la
la Vie.
que l'allusion à la Guerre et aux Aniiquités (1)
carrière de l'écrivain
comme à deux ouvrages antérieurs et la dédicace à un certain Épa-
phrodite, identique sans contredit à celui qui avait reçu l'iiommage
des Antiquités et qui reçoit aussi la dédicace de la Vie. La détermi-
nation historique de ce personnage n'est pas un vulgaire passe-temps
d'érudit. Dans la mesure où elle serait possible, il en découlerait
un heureux appoint de lumière pour le problème chronologique
examiné en ce moment. Puisque cet Épaphrodite fut pour Josèphe
un ami très cher, voyons d'abord si l'historien n'aurait pas trouvé
l'occasion de nous apprendre quelque chose de moins imprécis à son
sujet.
Dans le prologue des Antiquités Épaphrodite est « un homme
amoureux de toute espèce de science, qui trouve cependant ses prin-
cipales délices dans la connaissance des faits, ayant été mêlé lui-
même à de grandes affaires et à d'extrêmes vicissitudes de fortune
sans cesser de montrer une énergie admirable et un invincible amour
de la vertu ». Josèphe n'a pu lui refuser de tenter cette merveilleuse
entreprise d'écrire l'histoire de son peuple, car Épaphrodite « s'em-
ploie sans trêve à stimuler sur le chemin de la gloire tous ceux qui
sont de taille à faire œuvre utile ou belle (2) ». Cette rhétorique
apprêtée laisse du moins entrevoir un esprit ouvert et curieux, désin-
téressé aussi et en situation deprovoquer, d'encourager, de presser
de grandes entreprises littéraires et historiques.
La Vie se ferme, on Ta vu, sur une adresse à Épaphrodite, le ce

meilleur des hommes (3). Même expression encore au seuil de Contre


Apioîi, où la traduction de M. L. Blum « très puissant Épaphrodite (4) »
parait décidément fausser la nuance de ce v.px-'.z-z hzzorf 'ET.yz^pioi-z.
Au début du second livre il n'y a plus que l'expression d'une très

(1) Voir C. Ap., I, 1. "JS. : II, 40.

(2) Anliq., prol., 2, ^ 8 s. : 'Euaspôoico; àvrjp âiraffav [aèv toÉav T:atôïîa; -/jYaïtriXoj:, ôiaçs-
povTMç Ô£ -/«îpwv ijAUîipsai; :tpaY[iâxo)v, àrs ori tisfâXo'.; u.èv a'>r6; w.ùi,G%- •yzpàytj.arTt xai TÛ-/at;
ïtoXuTpÔTTOi;, i'i aitaT'. oï Ôa-ju-acr/jv çûrîîw; £7tt5ctÇd[.i.svo; I aj^ùv y.ai Tcçoaipcc-v àpexv;; àa£-a>t(vr,-
Tov. ToÛTw Sri TCE'.Oôaîvo; u; %\t\ toï; y_p;î?7:aov r\ y.a^ôv xt TipaTTSiv o-JvatjLîvot; '7-j,u.5t)oxa),oûvT'.
xat èjiaijTov alT/uvôiAevo; xtà.
(3) Traluction quelque peu libre de xpài-^-î àvopoiv : k iiomme très distingué ». ou mainte
autre nuance analogue.
(i) Dans les Œuvr. compl. de FI. Josèphe trad. en français sous la direction de
M. Théodore Reinach : tome VII, fasc. 1, p. 1. Cette publication inaugurée en 1900 et dont

lesvolumes devaient se succéder c à des intervalles rapprochés » (tome I, p. vni) nest pas
«ncore à m"itié réalisée: elle rendrait pourtant d'utiles services.
370 RENTE BIBLIQUE.

haute estime personnelle d) et finalement l'ouvrage est dédié à Épa-


phrodite « qai aime par-dessus tout la vérité » et qui a voulu être

renseigné correctement sur la race juive (2).


Il qu'on ne cherchera pas au hasard un répondant pour
va de soi
ce personnage dans la longue série d'homonymes que présentent les
répertoires historiques ou épigraphiques. Le choix est limité par la
date approximative où l'on se meut et par la condition d'ensemble
qu'impliquent, chez son ami, les informations laconiques de Josèphe
Deux Épaphrodite demeurent seuls en cause.
Le premier est un ancien esclave bithynien a£&?anchi de Néron (3).
Il aurait d'abord fait partie de sa garde du corps (i), lui servit plus

tard de secrétaire et l'assista au moment de se tuer (5i. Par une


fortune sing-ulière qui fait songer au sarcasme de Pline (6) sur l'em-
pire tyrannique des affranchis, ce même personnage était redevenu
secrétaire impérial sous Domitien. Quand le soupçonneux monarque
ilaira les premiers complots ourdis contre sa personne, il voulut
faire un exemple pour sa domesticité en châtiant l'audacieux qui
avait osé porter la main sur un empereur. Il exila donc Épaphrodite,
puis le fit exécuter (7) vers la fin de 95 [S^ ou au commencement
de 90.
Le second est un grammairien de grand renom jadis dans les écoles
et qui nous est surtout connu par une notice moins sèche qu'à l'or-
dinaire dans le Lexique de Suidas (9). Originaire de Chéronée, il fut
du grammairien Alexandrin Archias (10). Acheté par le préfet]
disciple
d'Egypte Modestus 11 il fut le pédagogue de son fils. Suidas ne fait]
,

(1) C. Ap.. II. 1, j5 1 : TtjjiîwTaTÉ [lo: 'Eîiaçpôo-.Tc.

(2) II, 41, g 296 : loi Si, 'Er.a;p65'.Tc, fii/iffra Tr,v àXi^ÔEtav àvoczwv-'. v.a). o'.ol aï toï: ôacio)?!
Po'j).r,aou.£vo'.; Tîîol toù yÉvov; Tr.u-fov E-.ôÉva'. toîto -/.ai 'b t:ç>ô «ùtoO rrypi^Ow j3iéX:ov.

(3j Etiexne de Byzance, s. v B'.6ûvtov et les notes de Th. de Pinedo dans l'éd. de Leip-
zig 1825, t. IV, 282; cf. Tacite, Annal, XV, 55.

(4) SiiDAS, Lexicon. v 'Er:/.rr,-o:. renseignement conlest»' sans qu on voie bien pour-
quoi par Dess.w, Prosop.. Il, 36. n" 51.

(5; ScÉTONE, Xer., 49, 4 Diox Cass., LXIll, 29, 2 ^Xiphilin].


;

(6) Paneg. Traj., 88 pleriqur principes... civium domini. libertorum... servi.


:

(7) Dion Cass., LXVII, 14. 4: Scéto\e, Dom.. 14. 4.

(8) GoYAU, Chronol., p. 171»

(9) Sub v 'E-aapôôiTo;, avec d'intéressantes annotations de Bernhardy.

(10) Cf. Cony, Archias, dans Pally-Wissowa, Real-EncijcI., II, 464, no 21. Il ne parait
avoir été question de ce grammairien ni dans X'Hist. de la littér. grecque de MM. Croiset,
ni dans la Gesch. der Griech. Litter. in der Alcxandrinerzeif de M. Susemihl, à moins
qu'ils n'aient eu en vue ce même personnage sous le nom d'Archibios, Croiset. V. 351; —
SiSEMniL. I. 369. —
suivant une conjecture ancienne de Bernhardy sur le passage de Suidas.
11) Le nom de ce préfet a passé de Suidas dans Dessau (Prosop., II, 384, n" 474j et de
là dans les listes de Sf.ymoir de Ricci, The Proefvcis of Egypi ; Proceedings Soc. Bibl.
Arc/i.. XXII, 1900, p. 377. n 23 et XXIV, 1902, p. 59, n" 23. Je n'ai su en trouver aucune
CHRONOLOGIE DES OEUVRES DE JOSEPIIE 377

pas mention explicite de son affranchissement ; il est néanmoins dif-

ticile de le supposer encore de condition servile quand ou le voit

mêlé, dans Rome, à la société la plus lettrée et surtout acquérir


« deux maisons ». Au physique ce bon g-éant faisait un peu mentir
l'étymologie usuelle de son nom
« haute et (1); c'était une masse
sombre à manière d'un éléphant, i).i-(ixq... y.sXaç w; sAssav-rcoor,; ».
la
Passionné pour les livres, qu'il savait choisir avec tact, « il en avait
acquis 30.000. Après avoir vécu « à Rome jusque sous Nerva » (2),
il mourut âgé de soixante-quinze ans. On a signalé une statue en
marbre découverte à Rome, représentant un personnage barbu, assis,
un rouleau à la main et portant l'inscription M. Mettius Epaphro-
ditus grammaticiis graecus; il est difficile de ne la point attribuer
au rhéteur en question (3).
Quand on s'est prononcé en faveur du célèbre affranchi de Néron
pour en faire le patron littéraire de Josèphe, il semble qu'on ait eu
principalement en vue l'équation apparente entre sa haute fortune
avec les péripéties variées qu'elle traversa et le mot de Josèphe
\i.t^[xkz\c, ;xèv ajTbç c;x',Xr,7:zr T,^y.-[').y.z\ y.yX -'j'/y.iz -ZK-j-pz-ci^. C est du
moins ce que déclare sans détours M. Th. Reinach (4) « Le langage :

de Josèphe... prouve que c'était (Épaphrodite) un personnage haut


placé et qui avait subi des vicissitudes politiques ». Il abandonne en
conséquence son opinion antérieure (5) et se prononce pour l'identi-
fication d'Épaphrodite avec l'ancien esclave bithynien, non sans
avoir dûment envisagé toutes les suites qui en découlent pour la
chronologie des œuvres de Josèphe, puisque tous les ouvrages connus
devront être antérieurs au déclin de 95, époque de la disgrâce du
fameux secrétaire impérial. Même opinion par exemple chez M. Des-
sau 6;, chez M. Niese (7), chez M. Stein (S) et d'autres assez nom-
breux, quoique moins autorisés apparemment.
Et pourtant il est impossible de saisir dans la phrase ampoulée
de Josèphe quoi que ce soit qui puisse impliquer le haut rang, moins
encore les « vicissitudes politiques » alléguées. Reste l'expression

nouvelle attestation dans les récents documents épigraphiques accessibles, ni surtout dans
les recueils d'ostraca et de papyrus qui nous ont pourtant rendu tant d'autres noms de
fonctionnaires romains en Egypte.
(1) Steph.. Thésaurus : \'eHUsfus, et Suidas lui-même è-îyapt;. :

(2) Suidas, /. l. Twar; oiiTroïI/sv... (ii/pt Xipêa.


: âv

(3) Cf. CoHN, Epaphroditos, u." 5, dans Paclv-Wissowa, V, col. 2711 s.

(4) Note sur la trad. de C. Ap., p. 1, n. 3.


(5) Note sur la trad. des Antiq., I. p. 3.
(6) Prosopographia, II, 36, n 51. "

(7) Josephi op., I, p. T et V, p. m.


(8) Epaphroditos, a" 5. dans Pai i.v-Wissow\, V, 2711.
378 REVLE BIBLIQUE.

7.pàT'.7T£ àvccô)v d'où Ton a prétendu tirer le sens de « très puissant »


Épaplirodite. Dans cette perspective au moins traduire
il fallait « le

plus puissant des hommes )> et si l'on a reculé devant une telle
tournure, n'était-ce pas déjà l'indice qu'on nuançait incorrectement
le texte en y accentuant le concept étymologique de puissance? Il y
a largement assez de transformations dans la fortune du rhéteur grec
pour motiver les termes qu'emploie son panégyriste. D'abord esclave
et marchandise à vendre, précepteur ensuite d'un fils de grande
famille, puis auteur goûté, —
les nombreuses citations d'écrivains
ultérieurs et la statue à Rome en font foi, — finalement richissime
propriétaire et bibliophile dans la capitale de l'empire : voilà tout
ce qu'il faut d'épisodes disparates et une situation assez en vue pour
correspondre aux indications de Josèphe. Afin d'ailleurs qu'on ne
se hâte point ainsi de eourii* droit à de grands événements politi-
ques lorsque l'historien juif écrit •^z-;xk:i:... -pâvi^acrt. on notera
:

que c'est pour lui-même, dans le même contexte, une « grande


aHaire » que d'entreprendre l'histoire de sa race.
Tandis que l'on ne se représente pas très spontanément l'aÔ'ranchi
bithynien, très engagé dans les intrigues de palais, s'éprenant de
sciences et d'histoire, s'éprenant plus encore du judaïsme et de Jo-
sèphe au point de le contraindre en quelque sorte à écrire, rien ne
parait plus facile à concevoir de la part du grammairien dilettante
au sens que ces mots comportaient à la fin du i" siècle à Rome. On
n'ira pas jusqu'à imaginer en lui un des auxiliaires utilisés par l'his-
torien pour retoucher le grec de la Guerre: mais il est tout à fait
simple de mettre sur le chemin l'un de l'autre, à travers Rome, l'his-
torien juif si bien en cour et le rhéteur grec si amateur de livres. On
saisit sans peine la curiosité bienveillante du Grec et ses instances

sympathiques d'homme du métier pour mettre en branle l'écrivain


juif hellénisé. Ainsi parait en avoir jugé aussi M. Croiset (1), par
exemple. Quant à M. Schtirer 2), il écarte l'affranchi de Néron à cause
de la date trop précoce de sa mort et n'admet le grammairien grec
que sous vécu jusqu'au début de l'administration
la réserve « qu'il ait
de Trajan ». Cette condition s'accorderait en toute rigueur avec la
donnée très explicite de Suidas faisant mourir Épaphrodite sous
Nerva, puisque Trajan fut associé au pouvoir du vivant de Nerva. On
voit néanmoins par la suite que M. Schtirer vise la troisième année
de Trajan; or ceci ne cadrerait certainement plus avec Suidas et il

faudrait songer à un troisième Épaphrodite. On n'a pas reculé devant

(1) Hist. de In lift, gr., V, 351, n. 1.

(2) Geschichte, L 80, n. 8.


CHROiNOLOGIE DES ŒUVRES DE JOSÈPHE. 379

la gratuité d'une pareille hypothèse, en créant un Épaphrodite, pro-


bablement « aii'ranchi de Trajan [\) », qui eût été aussi Fami et le
protecteur de Josèphe après son homonyme le rhéteur de Chéronée.
On laissera cette supposition au compte de ses auteurs. Tout bien
pesé, en attendant que d'autres faits plus positifs viennent suggérer
une opinion on estimerait donc volontiers que l'Épaphro-
différente,
dite à qui Josèphe dédia trois de ses ouvrages fut le grammairien bi-
bliophile grec mort à Rome sous Nerva, donc avant le 25 jan\der 98.
Par où l'on est ramené dans le même horizon qu'avaient impliqué
déjà d'autres indices Vie écrite sous Domitien, Contre Apion peut-
:

être aussi, mais facilement reculé jusqu'au règne de xXerva dont il


n'y avait aucun lieu de faire mention en cet écrit.
A rencontre de cette répartition chronologique M. Schiirer (2j a
cru devoir adopter, et beaucoup de savants comme lui, une date pos-
térieure à 100-101 pour la rédaction de la Vie, ce qui recule pro-
portionnellement Contre Apion. Le pivot de ce système est un syn-
chronisme déduit dun texte de Josèphe lui-même et d'un autre
emprunté à Photiiis. Dans un passage de la Vie cité ci-dessus, Josèphe
reproche à Juste de Tibériade d'avoir attendu, pour publier son his-
toire de la guerre, que le roi Agrippa fut mort, et Photius parait
avoir su qu'Agrippa II serait mort « la troisième année de Trajan »,
par conséquent avant le 27 octobre 100, si la première année de Tra-
jan est comptée de son association au pouvoir sous Nerva le 27 oct,
97), ou après le 25 janvier 101 si Photius comptait les années de
Trajan depuis la mort de Nerva (3).
M. Schiirer estime ce témoignage de Photius bien informé et tout
à fait irrécusable. En dépit des négligences grammaticales (4) dans
la phrase essentielle, il écarte, apparemment à bon droit (5), la ten-
tative de M. Graetz qui proposait d'appliquer non plus à Agrippa
mais à Juste l'incise teXsutS lï î-.zi -rp-tw Tpa-av^j (6). 11 a encore unepo-

(1) Pape-Benseler, Wôrterb. der griech. Eigennamen, V 'ETtaspoSt-roc.

(2) Op. L, p. 88.

(3) Voici le texte de Pliotius [Biblioth.. cod. 33; Migne, PG., ClII, 65) : 'AvE-yvâioer,

'loucTou Tiêîpiétoç xpov'.y.ôv, o"j v) ïTriypatr, « 'Ioucto'j Tiêîpiiwc ' ioyôatwv [iaai>iwv tûv iv toïç
(jT£'(ji(iao'tv — tables généalogiques — »... "Ap-/îTa'. oà xfjç lo-Topîai; àTtô MwOasw; -xaxaXrjYsi 8è so);

tikeM-zfiZ 'AypÎTtTîa toO éê5d|J.ou [jlèv tcôv àîro tyj; otxta; 'Hpwôou, uafâTov oï èv toî; 'louoaîwv
pafft),eù(7tv, ôç i:ap£>.aêe (jlèv ty;v àpxr,v in\ K)auô;ou, r,\)^rfir\ oè Itzi NÉpwvo; -/.ai Iti [Jià/Àov -jûÔ
OOsa-Ttactavoù, Tî)£"jTà oï ëxsi toîtco Tpaîavoù, o-j xal r, '.«j-opia xaT£/r,îcV.

(4) TeXeutS au présent, après des verbes à l'aoriste, malgré la coordination TîapÉ).ao£ (jlév...

>1Ù&q8ïi ôé... T£),£yTâ 6É, etc.

(5) Op. L, p. 63 et 88.

(6)Sans doute ce verbe au présent paraît d'abord répondre assez à àp/_£T5:'., qui a inani-
festement pour sujet 'loùaToc, mais on supprime la corrélation ëw; t£),£ut^; '^YpInTra... :
380 REVUE BIBLIQUE.

sition très solide quand il élimine (1) les objections soulevées contre
le dire de Photius par diverses subtilités déduites d'expressions défa-
vorables à Agrippa dans les Antiquités et que Josèphe n'eût, dit-on,
pas écrites du vivant du roi, ou de l'extension qu'il donne à son
royaume (2), ou enfin de la connexion littéraire et clironologique
entre les Antiquités et la Vie : tout cela est en effet plus que précaire.
Précaire probablement aussi l'hypothèse de M. Stein par exemple (3)
que le § 65 de la Vie où Josèphe polémise contre Juste de Tibériade
serait une insertion après coup dans le livre depuis longtemps achevé.
On a déjà vu que l'argument de M. Dessau tiré de l'expression « vingt
ans » ne peut pas prouver grand'chose. L'identification tentée plus haut
d'Épaphrodite est cependant de nature à faire hésiter devant l'affir-
mation tardive de Photius. La date qui en découle se trouve d'autre
part en parfaite conformité avec la donnée générale de la Chronique
d'Eusèbe qui arrête apparemment l'œuvre de Juste et fixerait donc
aussi la mort d'Agrippa II dans la première année de Nerva (4). Dans
la Chronique du Syncelle une laconique mention de Juste de Tibé-
riade (5) est intercalée entre Nerva et Trajan. On ne voit pas le moyen
d'y chercher, avec M. Schùrer (6i, une confirmation de Photius disant
expressément la troisième année de Trajan. La Chronique d'Eusèbe
doit avoir utilisé Juste par Jules Africain; on supposait la même
chose de la Chronique du Syncelle (7), au début du ix" siècle, et
quoique M. Krumbacher (8) indique comme sources immédiates de
Georges le Syncelle les chroniqueurs alexandrins Pauodore et An-
nianos, il se pourrait bien qu'en fin de compte la source première
fût encore Jules Africain.

TîÀ£yTç Se..., nécessaire pour que la dale soit délinie. On prêterait de plus à Photius une
assertion peu intelligible, car si Juste était mort la 3* année de Trajan, il est donc difficile
qu'il en ait cependant achevé l'histoire.

(1) Op. L, p. 599, n. 47.


(2) Pour ne pas laisser se perpétuer à ce sujet une méprise épigraphique, il n'est pas inutile
de rappeler ici que l'inscription doù l'on avait cru pouvoir inférer l'extension du royaume
d'Agrippa II jusqu'aux extrémités orientales de l'Ammonitide (Clerwont-Gaivneaij, Archaeol.
Res., I, p. 500 s.; cf. ScHiiBER, op. l., p. 588, n. 7) n'a rien à faire avec Agrippa II. Espé-
rons que la publication faite par le P. Abel (RB., 1908, p. 567 s. et pi., n" 1) d'un bon es-
tampage de ce petit texte l'éliminera de cette question en fixant sa teneur; cf. RB., 1909,
p. 492, n. 2.

(3) Dans Pally-Wissowa, i?é'«7-JE'/(C., V, 2711.


(4) Éd. ScHOEXE, II, 162, d'après l'arménien : Nervas a. I et mens. III : Jostus Tibc-
riensis Judaeorum scriptor cognoscebatur. Cf. l'éd. arm. du P. Aucher (Venise, 1818), II,

279 et S. Jérôme (dans Schoene, /. /.).

(5) 'loÙCTToç Tiêspie-j; 'lojoaîo; Tuyypapsù; i^vcopi^îTO). Cité d'après M. SchQrer.


(6) Op. l, p. 88, n. 20.
(7) M. Schiirer (op. L, p. 61) l'admet sans difficulté.
(8j Geschichte der byz-ant. Litter.-, p. 340.

-^
CHRONOLOGIE DES OEL'VKES DE JuSÉPHE. .ixi

A supposer Eusèbe et le Syncelle dans une situation également fa-


vorable, pourquoi les opposer lun à l'autre au lieu de les entendre
l'un et l'autre dans ce même sens général que lactivité de Juste, sa
(( Chronique » à tout le moins, cessait sous le règne de Xerva? Comme
déjà Trajan était associé à lempire, il ne serait plus trop invraisem-
blable de supposer dans la note hâtive de Photius quelque brouilla-
mini comme on en avait l'impression dès le temps de Tillemont 1),
sans essayer du reste de substituer quelque conjecture aux mauvais
essais tentés alors. Les concordances chronologicjues indiquées d'a-
près les éléments intrinsèques de l'ouvrage de Josèphe ne suffiraient-
elles point à contrebalancer le dire de Photius au ix' siècle sur un
ouvrage de Juste de Tibériade qui pouvait ne lui être point parvenu
tout à fait indemne de retouches? Elles sont en tout cas plus positives
que les déductions littéraires par lesquelles M. Schlatter 2) a essayé
de motiver sa déhancc radicale vis-à-'sis de Photius. Il s'est même
enlizé péniblement dans une discussion des dates fournies par la nu-
mismatique d'Agrippa II, non sans avouer en fin de compte qu'elles
pouvaient conclure contre lui, ce qui ne parait pourtant pas.
A la condition en effet de demander aux dates monétaires unique-
ment ce quelles peuvent fournir, leur indication demeure précieuse
et n'appuie pas non plus expressément, la donnée de Photius au sujet

d'Agrippa. En principe la difficulté d'évaluation reste grande par le


fait des diverses ères employées 3 mais pratiquement on savait ;

depuis Eckhel i que les dates étaient couramment libellées d'après


'

une ère inaugurée sous Néron en 61. Des monnaies impériales


d'Agrippa, datées de sa vingt-cinquième et de sa vingt-sLxième année,
le sont en même temps du xir consulat de Domitien (5), qui tombe

en 86. Cette année consulaire romaine 86 comprend donc partielle-


ment les années 2.5-26 d'Agrippa et l'époque initiale de son ère dans
ces monnaies est en 60-61 de Jésus-Christ. Les pièces datées des an-
nées 3i et 3."3, chiffres les plus élevés connus à ce jour, conduiraient
par conséquent le règne d'Agrippa en 9i-95. Cette date extrême,
95, admise sans hésitation par Schiirer 6 Dessau (7\ apparemment ,

(1 Eist. des emper., I, 647 s.

(2; Der Chronograph aus dem zehnten JahreAntonins, dans les Texte und Intersuch
de Gebhardt-Harnack, XII, i, 1894, pp. 42 ss.
'3; Voy. Th. Rei>ach, Les mon. juiv.. p. 38; Schùrer, op. L, pp. 585 ss., en particulier

597, n. 43, pour les incorrections et les erreurs glissées dans ces légendes nuroismatiques.
(4; Doc(r. num. vet.. 111,493.

(h) EcRHEL, op. L, p. 495: De Sailcv. Xtimismadqtie de (a Terre Sainte, p. 315 s.

(6) Op. L, p. 88, n. 20; 599.

(7) Prosopographia, il, 163 s., n^ 89.


382 REVUE BIBLIQUE.

aussi par Clermont-Ganneau (1), sans parler des numismates les plus
distingués, ne sera plus contestée. Mais jusqu'à ce que des monnaies
de date ultérieure aient été trouvées, de quel droit invoquer la nu-
mismatique à Tappui du renseignement de Photius et ne peut-on pas
tout aussi bien la lui opposer? Au cours de 95, Agrippa II, roi depuis
50 dans la petite principauté de Chalcis, comptait déjà 45 ans de
règne, donc une vie déjà relativement longue puisque Claude —
dans Tentourage de qui il vivait à Rome —
avait voulu lui conférer
la royauté dès l'an 44, à la mort d' Agrippa P" (2). Il n'y aurait par
conséquent aucune invraisemblance à admettre la mort d' Agrippa II
à partir de la fin de 95 et avant l'assassinat de Domitien le 18 sep-
tembre 96. La date où Josèphe achevait à peu près d'écrire la Vie se
trouverait par le fait délimitée assez strictement entre les derniers
mois de 95 et le milieu de 96.
Ainsi se concevrait dès lors l'évolution de l'œuvre littéraire de
Josèphe. Mêlé par la force des choses aux événements qui semblaient
devoir anéantir le judaïsme et les Juifs, il éprouve le désir de se re-
dire à lui-même et de redire surtout pour l'édification des autres à
quel point ce drame a été poignant. D'autant que d'autres n'ont pas
craint de risquer ce tableau sans s'interdire même, pense-t-il, de le
défigurer. Il est donc urgent, dans sa conviction, de redresser toutes
ces déformations inconscientes ou criminellement tendancieuses;
c'est une œuvre de justice, une œuvre aussi de très opportune grati-
tude à l'endroit des grands vainqueurs, et comment ne pas voir que
c'est encore une amvre de piété nationale — sanctus amor patriae —
que de sauver, pour la postérité, l'honneur et l'héroïsme de la patrie
qui meurt? Et la Guerre fut écrite; elle jaillit plutôt, du choc de ces
sentiments qui réagissaient avec avantage les uns sur les autres, la
certitudedu contrôle direct et qu'on pouvait escompter franche-
ment antipathique dans les partis rivaux imposant quelque mesure
au langage, le souci de ne point froisser en haut lieu refrénant la pas-
sion, tandis que la conscience des choses vues, le souvenir cuisant
des angoisses vécues, l'image — précise encore mais grandie déjà
par un premier recul dans le temps et dans l'espace de toutes les —
grandeurs évanouies donnaient au récit chaleur, coloris et vie.
Ce livre achevé dans la forme grecque vers 77 ou 78 à peu

(Ij Vn édit du roi Arjrippu H ; Rec. d'arch. or., VII, 1905. p. 75.
(2) Antiquités, XIX, 9, 2. M. de Saulcy (Num.de la T. S., p. 316) fait mourir Agrippa 11

à l'âge de soixante-douze ans, en l'an 99 de J.-C. » et (p. 335) : « âgé de soixante-dix ans...
en l'an 100 de J.-C. »! La première donnée dérive probablement fi'Eckhel (III, i93); mais
quel en est le fondement ?
CHRONOLOGIE DES ŒUVRES DE JOSEPHE. 383

près, rhistorien ne se sentait qu'au milieu de sa tâche. On devait dire


aux Romains ce qu'était ce petit peuple qui avait osé tenir tête aux
plus valeureuses troupes et aux meilleurs généraux de l'empire. Jo-
sèphe entreprit aussitôt les Antiquités. Le labeur était immense, l'en-
traînement moindre et il y fallut, semble-t-il, toute la sympathie
persuasive d'Épaphrodite pour triompher des dégoûts momentanés
et de la lassitude passasère. En une quinzaine d'années Fouvrage
était achevé — fin de 93 — . Mais en publiant cette présentation his-
torique nationale dans un milieu étranger, il fallait valider le témoi-
gnage et légaliser littérairement l'historien. On était loin des événe-
ments de Judée et l'illustre protégé des Vespasien et des Titus
pouvait être quelque peu oublié dans la génération nouvelle. Il était
utile de remettre avec précision sous les yeux l'homme de race illustre,
de culture raffinée, de rôle actif et important, qui avait dit naguère
les péripéties du grand duel et qui offrait maintenant l'histoire com-
plète de son peuple. La Vie parut probablement vers la fin de 95. Il
n'y avait plus qu'à fermer le cycle historique par le récit de quelques
années contemporaines et l'historien y songeait, mais les détractions
dont son « Histoire ancienne > avait été l'objet lui inspirèrent un ou-
vrage plus urgent : sorte de recueil de pièces justificatives touchant
l'antiquité de sa race et surcroît d'éclaircissement sur ses institu-
tions, animée des attaques produites contre lui-
enfin réfutation
même. Contre Apion, très rondement écrit, aurait paru en 97 ou 98.
A ce moment mourait le bon génie littéraire de l'historien, le rhéteur
grec Épaphrodite. Lue Rome nouvelle s'agitait autour de la dynastie
qui prolongeait vaille que vaille la lignée des Flaviens ses patrons,
.losèphe ne se sentait plus aussi bien en cour; le déclin commençait.
Il cessa d'écrire: du moins ne possédons-nous plus rien dune
hypothétique activité postérieure au règne de Xerva et nous ignorons
la date de sa mort.

Jérusalem. 6 avril 1910.


H. VlXCHNT. 0. \\

1
MÉLANGES

NOTES SLR LA RECENSION LUGIANIQUE


D'ÉZÉCHIEL

Des trois recensions du texte grec d'Ézéchiel reçues dans l'Eglise 1


d'Orient, celle de Lucien est la plus facile à reconnaître; et cela,
pour deux raisons, explic|ue C. H. Cornill dans sa magistrale intro-
duction au livre de ce prophète (1) en partie, parce que ses caracté-
:

ristiques ont été excellemment déterminées par F. Field, et en partie,


parce que les œuvres de saint Jean Chrysostome et de Théodoret cons-
tituent un instrument de contrôle de premier ordre.
Dans l'apparat critique de l'édition des Septante exécutée par
Holmes-Parsons, il est facile de constater, malgré l'enchevêtrement
des notes, l'existence d'un groupe assez compact de six manuscrits :

''2''2, "23, 36, 48, 51, ''231. Field ;2i n"a pas hésité à y reconnaître des té-
moins de la recension lucianique, car leur texte ressemble à celui
que citent saint Jean Chrysostome et Théodoret, et ils contiennent
les leçons signalées, à la marge du manuscrit syro-hexaplaire de
Milan, par la lettre lomad, initiale du nom de Lucien. Un scholion
anonyme sur le nom divin hm"!, relevé par Ceriani dans un manuscrit
des homélies cathédrales de Sévère d'Antioche traduites par Jacques

(1) C. H. Cornill, Dus Bucli des Propheten Ezechiel, Leipzig, 1886, p. 65 : « Am leich-

testen zu erkennen ist Lucian, Iheils wegen der von Field Orig. Hex. I Prol. pg. Z,A'V.V/,Y
f.vortfelllich charakterisierten Eigenthiimhkeit selner Recension, theils weil uns hier in
Chrysostomus und Théodoret ein besonders umfangreiches Material zur Contrôle vorliegt. »
(2) F. Field, Origenis Hexaplorum quae supersunt..., tomus I, Oxonii, mdccclxxv,
p. LXXXVIIl.
MELAMiES. 385

d Édesse 1 . a donné à Field un troisième critère qui conlirme admi-


rablement son verdict : l'expression -.xli \-.';t'. xîwva', v.jç.'.zz est caracté-
ristique de Lucien.
Cornill ^T a rigoureusement appliqué les princi^je^ établis parTémi-
nent éditeur des Hf^ laplorio/i quae supersunt ... : la liste des manus-
crits lucianiques d'Ézéchiel, telle qu'il la fixée, comprend un oncial,
le Vrnetiis \= "23 de Holines-Parsons et cinq minuscules 'J'2 36 4S
.>/ 231. Un feuillet palimpseste, édité par Tischendi»rf (Z' . contient,
lui aussi, un texte lucianique; Cornill l'a reconnu malgré rexig-uïté
du frag-ment.
M. 0. Procksch iS) n'a pas modifié ces résultats, il se contente d'é-
mettre des doutes sur le droit du Venetus à prendre ])lace dans le
groupe des manuscrits lucianiques ses relations avec les cinq minus-
:

cules cités viendraient surtout de ce que Lucien d'Antioche et la tra-


dition d'où procède V auraient emprunté aux mêmes sources. Il est
indéniable, d'ailleurs, que les retouches lucianiques sont nombreuses
dans ]' et qu'elles y ont profondément modifié la teneur du texte pri-
mitif, M. Procksch le concède, mais il ne pense pas que. même pour
Ézéchiel, le Venetus soit tout uniment un manuscrit lucianique.
Grande a été notre surprise de ne trouver mentionnés, dans la disser-
tation de cet auteur, ni /' ni les feuillets palimpsestes du Vat. st/r.
,

/6'X^ publiés par Cozza-Luzi, et dont Ceriani avait, dès 18!M>, détermine

Tappartenance au groupe antiochien (i).

C'est justement le TV//, sf/r. 162 qui nous fournit l'occasion d'écrire
sur la lucianique d'Ézéchiel. Ce précieux manuscrit d'une chronique
syriaque anonyme, citée trop longtemps sous le nom du patriarche
jacobite Denys de Tell Mahré, contient 123 feuillets palimpsestes,

1) Br. Mus., Add. 12, 15'.», toi. 302. Voir sur ce manuscrit et le début du sctiolion
W. Wright, Catalo(jue of syriac manuscripts in t/ie British Muséum acquired si/ice
ihc year 1S3S, London, 1871, p. 5:34-.546. en particulier p. 545.
(2) C. H. CoRSiLL, op. laud., p. 65 sq.
'3) O. Procksch, Studien zur Geschichte der Septuarjintu, die Prop/ieten, Leipzig,

1910. Choix de variantes lucianiques pour Ézéchiel, p. 41-43; appréciation du Ve/ietus,


p. 59-61; étude du groupe lucianique, p. 76-87. Voir aussi quelques mots sur l'niivre de

Lucien, p. 125 sq. et la conclusion, p. 127-134.


(4; Celle omission est d'autant moins explicable que M. Procksch cite op. laud., p. 45" la
dissertation de Ceriani sur le Marchalianus, disserlalion où est discutée avec détails la
nature du Vat. sijr. 162. Cf. .\. Ceriam, De codice MarchaUano... commentatio, Romee,
1890, p. 94-96 et p. 101 sq. Les feuillets communiqués à Ceriani ont été publiés par Cozza-
Luzi dans Novae Patrum Bibliothecae ab Ang. Card. Maio collectae, tomus X, Romae.
1905, pars 3% p. 3-20.
REVUE BIBLinUE 1911. — >. S., T. VIII. 2.J
386 REVUE BIBLIQUE.

ayant tous appartenu à l'Ancien Testament grec. Au volume de la Bi-


bliothèque Vaticane,il convient de réunir six feuillets du Musée Bri-

tannique, dont deux ont été lus et publiés par Tischendorf et sont
connus sous les sigiesZ' et Z*^. Ceriani, avec une simple copie de quel-
ques feuillets du ]'at. st/r. i6''2, avait deviné que les fragments de
Londres et ceux de Rome sont à rapprocher; leurs écritures, infé-
rieure et supérieure, sont identiques.
En éditant (1 ) le texte grec des 129 feuillets palimpsestes qui se
trouvent réunis dans la chronique du Pseudo-Denys, nous avons pro-
posé le nom de Codex Zuqninensis resci'iptus ]'eteris Testamenti, par
allusion au lieu où le manuscrit actuel fut écrit, le monastère de
Zouqnin. près de Diàrbekr (*2). Le grec appartient à six écritures dif-
férentes, les six groupes de feuillets sont désignés par lessigies Z' àZ^'.
Une partie notable du Cof/ex Zuqninensis se rapporte à Ezéchiel;
c'est d'abord Z' avec cinquante-deux feuillets en onciale penchée des
vii"-vm^ siècles, puis Z" avec cinq feuillets seulement d'Ézéchiel, mais
plus ancien queZ\ ayant une petite onciale qui remonte au vi° siècle.

L'examen de ces manuscrits, leur comparaison avec Théodoret, le


Veuetiisei les cinq minuscules i?!2 36 4S 51 !23i (dont nous désigne-
rons l'accord par la lettre a) nous invitent à quelques réflexions sur
la valeur respective des divers témoins de la recension lucianique.

V Les cinq manuscrits du groupe « ne sont pas cinq témoins


indépendants du texte d'Antioche ; ils dérivent tous d'un même
exemplaire, autre que l'original de Lucien, ayant déjà son contingent
d'erreurs et d'omissions.
Voici quelques exemples de leçons injustifiées où l'unanimité de
plusieurs manuscrits ne s'explique guère sans une origine commune.
Au chap. xxxvi, 38, le texte des Septante, conforme à l'hébreu, con-
tient la phrase : cjtw? z7zv-y.'. y.'. -z\z'.: y.<. ;pr,[j.c'. t'ut^^v.z r.zzzy-w»
avOpo)-ojv (TM n-ix "îNa). Lucien, qui en j)rend à son aise avec les par-
ticules, a séparé les deux derniers mots au moyen de la conjonction
/.3tt qui est attestée par tous les témoins lucianiques VZ (3) a Thdt,
ssiuî 36. Mais au lieu du mot avOprozojv, les quatre minuscules f[ui ont

(1) Codex Zuqninensis rescriplus Veteris Testamenti, dans les studi e Testi de la

Bibliothèque Vaticane, n" 23; Rome, 1911, pp. lxxxvii-279 et 6 planches.


(2! Cf. F. îs'aij dans plusieurs articles du Bulletin critique et de la Revue de l'Orient

chrétien, à commencer par Bulletin critique, 1896, p. 321-327. Cf. aussi R. Duval, Za
Littérature syriaque, 2" éd., Paris, 1907, p. 196.
(3) Z sans aucun indice est Z" dans le cours de tout cet article ; là où il y a lieu, les

sigles Z' et Z"' sont employés.


MELANGES. 3ST

/.z'-, c'est-à-dire "J'^ 48 51 ''231 , ont une erreur manifeste a:vo)v. qui
s'exjilique certainement par une mauvaise lecture «le l'abréviation
2VWV = avOpoj-ojv . Le mot -zz^y-M'i a déclanché limagination d'un
copiste distrait, favorisé par le mot /.%'. que Lucien avait ajouté, il
et.

nous a donné un troupeau complet de brebis et d'agneaux. r.zz'zy-M'i


/.%: acvwv. Cet exemple prouverait à tout le moins que quatre des cinq

minuscules envisagés dépendent d'un ancêtre d'où ne dérivent ni T'ni


Z, etque Théodoret n'avait pas sous les yeux il ressort aussi de l'exa- ;

men de ce passage que 36 dérive de l'exemplaire incriminé, mais


son copiste, plus soigneux, a voulu vérifier cette leçon sur une bible
qu'il avait entre les mains, il a reproduit la leçon vulgaire avf»;w-ojv
au lieu décrire v.x'. apvor/ avec ^^ 48 51 231 ou y.a-. avOsoj-ojv. texte

lucianique de LZ Jlidt.

Les omissions accidentelles par homoioteleuton prouvent absolument


que les minuscules du groupe a, 36 inclus, dérivent d'un ancêtre
permis de supposer que cinq copistes auraient omis les
fautif. Est-il

mêmes passages, si leur modèle avait été complet? Voici quatre


exemples, cboisis dans cinq chapitres seulement xlu, 8 a omet z-: -z :

\):ry.zz Tcov EÇîcpoiv tojv ,Vaez;j71ijv s'.r -.r;) xSi.r^-i Tr,v srtoTECxv 7:r,-/a)v r.t'n'C-

/.z'i-.y.: l'omission est causée par l'homoioteleuton -£vr/;/.:vTa. le texte

omis a été ajoutî à la marge dans 36 par une main récente: —


XLiii, 20 «omet v.y.'. iT.'. -y.z -.z—yzy: Ywviar t:j ùrxz-r^z'.zj. à cause de
l'homoioteleuton 36 a cette clausule. mais
Hj':vj."r,z:z\) et 'j,yz-,r,z'.zj:

nous avons déjà dit que ce manuscrit est une copie travaillée, le texte
lucianique y étant retouché, en maint endroit, d'après le texte
vulgaire; —
xlv, 11 a omet /:'./•.; /.a', -z ce/.x—v t:j ';z\j.zz qui se trouve
dans VZ, mais manque, il est vrai, dans quelques autres manuscrits;
— xLvii, 9. un homoioteleuton a fait omettre -xv iz z y:i t-î.'/,hr, z
T,z-oc\j.z: £•/.£'. 'lr,zz-:y'..

une dernière singularité du groupe a me paraît explicable


Enfin,
uniquement par leur dépendance commune d'un manuscrit défec-
tueux, c'est leur désaccord à xxiii, -lï. Le texte que je regarde comme
véritablement lucianique, celui de V Z Thdt est ainsi conçu ;

7.r.o ^oppy. [J.iH ZT.'/.br/ v.y.: yz-j.y-.hr/ v.y.: -.zz'/wi /.y. r.'/.r,hzj: i.y.uyt /.y.'. hiûZXY.x:

Y.x'. X7~izx: -iz'.v.iizy./.y.:y: r.tz:hr,zz'/-.y'. zr.: zi -/.y. '^y'i.ZjZ':/... Dans le


-/.y.'.

groupe a, c'est l'anarchie 231 concorde exactement avec Z Thdt, 51


:

omet y.a'. 7:/.r,0;j; /.aïov et contient un bourdon y.yj.zjz:/ au lieu de :

^a/wjj'.v (1). Dans les deux manuscrits 22 et 48, la place d'honneur est

(1) Cette erreur suffit à démontrer que jI dépend, au moins i)our ce passage, J'ua ma-
nuscrit en minuscule des x'-xi« siècles ; si toutefois la note de Holmes-Parsons exprime
bien ce qui se trouve dans le manuscrit.
388 REVUE BIBLIQUE.

occupée par la leçon commune des Septanle : ... a^o ^oppa ocp[j.x-x

/.a', xpcyot [Xct' cyXcu Aawv 6jp£0i y.ai -sX-rai /.ai |3aAou(7i... La leçon
lucianique a été ajoutée dans la marge, de première main dans 48,
à une date que j'ignore pour '2'2. Enfin ,>^ a une leçon combinée,
c'est-à-dire qu'il a bloqué dans le corps du texte les deux for-

mules dans son modèle, suivant un procédé qui a intro-


qu'il trouvait
duit dans la Bible bon nombre de gloses marg-inales ... y.~o ^oppx :

;j,î6' ozXwv y.ai xp\J.x~u)y y.y.i -poybn y.ai T:\rfiz'jz Xaiov y.ai 0o)pay.aç y.ai a77i',-

oa; y.ai 'izzpvf.taoÎKy.vx:; -tpi^r^zz^nx'. z~\ 7£ y.y.', ;3aAC'J7i 9'JÀa///;v ap[j.aTa y.z'.

Tpo*/oi [j-sO 07AOU Aawv ôupsoi y.at irEATai y.xi |5aXo'j!ji. . . Si singulier que
paraisse l'enchevêtrement des leçons dans le groupe a, il me parait
assez facile à expliquer, une fois admise dans son modèle l'omission
des mots a.T.o ^oppx à -r.ip'Ar^zzy-x'. ita 7£ : cette omission n'est pas fortuite, m
car le mot e-i s£ se trouve au début de la phrase, et dans Fancètre du
groupe a, il précédait immédiatement y-z '^zppy.^ c'est dire que, ici

encore, nous avons affaire à un iiomoioteleuton. D'ailleurs l'accord m


des cinq manuscrits entre eux au début et à la fin du ver-
est parfait

set, leur désaccord correspond rigoureusement au passage visé (entre


£-ia£ 1° et cTTi ff£ 2°); au début, tandis que V Z Thdt portent y.ai y;^cu-

ctv £'::t c7£ zav-£ç, a contient une leçon assez répandue : r.av-zz r,;:jc7iv

s-jrt G£. A la fin du verset, l'accord est le ms. B de même : a V et le

Théodoret portent, après ^xXcjs-.v, ^j\y./:r,w zr.'. gz y.jy.Xw, tandis que Z,


l'édition et le ms. A de Théodoret ont une leçon qui ne se trouve
ailleurs que dans le ms. i06 et la Complutends tr.'. g- ojXxv.-q^ y.u/.Xw.

i" Les manuscrits du groupe a ont un texte hétérogène; dans une


section longue de plusieurs chapitres, ils n'appartiennent pas rigou-j

reusement à la recension lucianique.


L'hétérogénéité des manuscrits t^^ 06 iS 51 ^Si, peu apparente 1

dans l'apparat critique de Holmes-Parsons, s'y révèle pourtant par'


la disparition, entre xxn, 10 et xxxii, 32. du mot aowvau Pendant dLx
chapitres, l'expression habituelle de ces cinq manuscrits, qui est aussi
celle de VZ Xt-;v. as(.)vat y.jpisç, disparait pour faire place
Thdt, -yot
à l'ancienne formule, non hexaplaire, -xo= A£Y£i y.upio?. Ce n'est pas,
d'ailleurs, l'unique changement les formes classiques du verbe,
:

qu'on dit préférées par les atticistes d'Antioche, et qui, en tout cas,
sont de beaucoup les plus fréquentes jusqu'au chap. xxii, font place
tout à coup aux usages de la v.zvn,. Voici quelques exemples qu'il
serait facile de multiplier : r^ïôicsav, £Xa[j.6avo(7av (xxii, 9, 12) au lieu
de '/jaSiov, sXasJLÔavov ; r)X6oaav (xxili, 17); £ça-offT£XXocav (xxiil, 40, dans
SS, 5i, '2S1)\ l'impératif £'.t:ov au lieu de £.::£ (xxii, 1k \ xxiv, 23);
MÉLANGES. 38'»

i"jyy>au lieu de £y/££ xxiv, ;îj. D'autres exemples sont plus discuta-
bles,mais pourtant vaudraient d'être étudiés, tels zctiv (xxiv, 3),
auquel la lucianique préfère -.'ivi-.-.z 7£',sOr,7;v-:a'. avec un sujet neutre :

(XXVI, 16) au lieu du singulier de T'Z Tlidl, zvrJyr^z-.-y.'., qui est plus
conforme à la syntaxe classique.
Ces leçons du groupe a, qui cadrent mal avec ce que nous savons
des corrections de Lucien, ont tout d'abord contre elles de ne pas
ressembler au style de la première partie d'Ézéchiel. mais surtout,
elles sont condamnées par la continuité du style lucianique dans VZ
Thdt. Tandis que dans les vingt premiers chapitres, a se trouve rare-
ment seul contre VZ et Thdt à la fois, il se trouve tout à coup très
divergent de ces trois autorités, et le plus souvent, il n'en diverge
que pour donner soit les leçons tout à fait communes, soit des va-
riantes qui se trouvent ailleurs, particulièrement dans G'i et ///.
Voici la liste des principales variantes pour le passage xxii. 9-31, qui
est tout à fait au début de la section hétérogène, puisque au v. 3, a
contient encore la formule tacî As^e', astova-. y.jpccç (1).

Les pour lesquels Z V Thdt sont presque complètement


détails
isolés paraîtront peu importants, mais ce sont justement des détails
de ce genre qui caractérisent l'œuvre de Lucien, transpositions, ad-
ditions empruntées aux Hexaples, changements do prépositions,
articles ajoutés ou retranchés. D'ailleurs l'isolement presque com-
plet de ces trois témoins, tandis que a se trouve presque toujours
avec la grande majorité des manuscrits, est un suffrage en faveur
de leur caractère lucianique.
9 ai[;.a] £-t cz: at;xa v.on, LXX,' — v.y.<. v:izz\y.\ oni. /.a-. Z.VA ; — 18
v.xT7!,T£Sa) -/.a'. 3-'.r/;pa) Q 63 88 147 \ o-'.o-^so> v.x'. y.xzz'.-.i^M LXX ,' — £v

IJLcTo) y.ay.'.vcj xpY'jpo) (5/*^°")] îv ;j.£7oj apY'jpioJ LA'A'/ — T/x[J.z[J.r([J.VJZ'. tiz:

(V: :i.£;j.iY.) 4'2 51 '239 306] avay.£y.ivV£v'c.: LXX 'dans a, 51 a la


iz-'.

leçon lucianique, et 22 t'.zi avec le participe au singulier); 19, 20 —


£v \j.zz{]i\ SIC ij.£!j;v LXXj — 20 [^.sAiccç y.3.1 y.aTT'.TSps; Q 88 147] y.xazi-i-

poq y.x'. 'j.zK'.oz: LXX,' — £',ç -z 7(ovîuO-/;va'.] t:j ya)V£yOr,v3:i LA A'/ — ty;

42 88] om. rr, LXX;


zz';r, —
£v -m Ojy.o) [j.zj (addition hexaplaire) .4 Q

26 42 62 88 147] om. LA'A'; —


25 -xz yr.zxz xj-r,: £v£r>.Y;6jvav V 51 : (

cZAr^Qjvav) £v [xsaw ajT-/;ç 51 \ y.ai x'. yr^zx'. zzj £-"AY;0jv0r,7av £V [/.zzm ccj
LXX; — 26 tcv vo[xsv A 26 42] om. tsv LXX; — y.xbxpz'j /.xi ay.x^xz-

TC'J 42] xy,x^xpizj y.a-. y.xHxzzj 86 147 233 239 (... t;j y.xHxpz'j LXX);

(1) La leçon de V Z Thdt est la première; elle est suivie de la liste des autorités qui
s'accordent avec elle. La leçon de a vient après le crochet. LXX indique la leçon la plus
fréquente, ou tout au moins une leçon très fréquente.
300 REVUE BIBLIQUE.

— 27 t:j y.rSKt<zy.\ 'hr/3.z i^add. hexapl.) G''}, et sub aster. Q 88] om.
LXX; — 28 avaiTJTo) Q'"^' ^Z sub aster.)' om. LXX Thdt; — 30 -j^z

Q6S 333 306]o?rr,iLXX.


Deux fois seulement dans toute cette fin de chapitre, VZ Thdt îîe
trouvent du même côté que la généralité des manuscrits, a, presque
isolé, ayant des chances déposséder la leçon lucianique : 11 tyjv

;jvai7.a L.YXj p. sic 49 90,' — 15 v/ 'ociq yiôpxi: LXX] sic Ta; 2Mpocç Q
()'2 88 106 i 47 t^l?^. Enfin une fois, les autorités sont partagées à peu
j)rès également, et la leçon de VZ Thdt paraît la meilleure : 31 tcv
Oi>[jLcv] om. -zv.

Ces variantes ajoutées aux particularités grammaticales qui n'ont


pas été répétées ici, et à l'omission de astovai, donnent, à ce qu'il
semble, une preuve très certaine de l'hétérogénéité du texte
contenu dans a; l'existence d'un morceau disparate entre xxii, 19 et
XXXIII, 32 ou quelques versets en plus est hors de doute.

Il resterait à déterminer la nature du texte dans a, là où il cesse


d'être lucianique: comme le groupe i^t^ 36 48 51 '231 est aussi
compact que dans les premiers et derniers chapitres d'Ezéchiel.
ici

il que cette pièce d'un autre style se trouvait déjà dans


est clair
l'ancêtre du groupe. Le passage examiné nous porterait à dire que
c'est un texte vulgaire, plutôt non hexaplaire, avec quelques retou-
ches lucianiques, mais c'est une pure impression, il faudrait pour des
conclusions certaines une tout autre information. Il nous suffira
d'avoir établi dans cette note que les cinq manuscrits lucianiques
d'Ezéchiel ne doivent compter que pour une unité en face de
V Z^'Z" et Théodoret, et d'autre part, qu'ils ont plusieurs chapitres
étrangers, en gros, à la recension de Lucien.

Rome, le 27 mai 1911.

Eugène Tisseraxt.
MÉLANGES. 391

II

PASTEUR D'HERMAS
Li:

ET LES LIVRES HERMÉTIQUES

Parmi tant de questions intéressantes soulevées par M. R. Reitzenstein


dans son ouvrage Poimandres. Studien zur griechisch-aegyptischen
:

und fiùilichristlichen Literatur (Leipzig-, 190i), l'une des plus curieuses


pour l'historien de l'ancienne littérature chrétienne est relative au
Pasteur d'Hermas. S'il fallait en croire Reitzenstein. le Pasteur d'Her-
mas aurait subi très profondément les influences de la littérature her-
métique, et l'on ne pourrait trouver l'explication complète de cet
ouvrage qu'en le rapprochant des légendes hellénistiques du Poi-
mandres. Les notes qui suivent, sans avoir la prétention d'apporter
des faits nouveaux, s'attacheront surtout à la discussion des problèmes
de méthode: et c'est ainsi qu'elles présenteront peut-être cjuelque uti-
lité.

Le point de départ de Targumentation de Reitzenstein est le paral-


lélisme qu'il croit reconnaître entre la cinquième vision d'Hermas et le
début du Poimandres De part et d'autre, la mise en scène est la
(1).

même Hermas fait sa prière dans sa demeure, et il est sur son lit,
:

lorsque lui apparaît un homme d'aspect glorieux, en costume de pas-


teur, vêtu d'une peau de chèvre blanche, portant une besace sur ses
épaules et tenant à la main un bâton. Quant au voyant helléniste, il
est plongé dans la pensée de ce qui est son esprit est élevé aux ré- ;

gions supérieures, tandis que ses sens sont liés comme ceux d'un
homme endormi; et c'est alors qu'il croit voir un homme d'une extra-
ordinaire grandeur, qui L'appelle par son nom et lui demande ce qu'il
veut entendre et voir 2i. De part et d'autre encore, c'est le même

(1) Op. cit.,]). 11 ss. Cf. R. Reitzi:\steix, Hellenisliche Wuiif]ererzahlungen.Lt:ii>z\g.


1906, p. 126.
(2) Hermas, Vis. 5. 1 (éd. Flnk, Paires apost. -, 1. 1, p. 46G) : TrooTî-j^aaivo-j (xw îv tw oiy.ut

xai xaOtcavTo; £?; tyjv vt/.îvr.v, tl<7r,lbf/ irr,o ti; ivooço; t?) 6-bzi... y.oli r^mi'i.'j'X-ô u.î -/.àvù àvTr,(7~a-
(7â(i.r,v aïkôv. Poimandres. 1 (éd. Reitzenstein, p. .328) : èwota; |aoî hôte vevoixév/î; izzol twv
ôvTtov. xat u.îTîtop'.(76£;i7r,; tio'J t?]; oiavoîaç <j3Ô5pa, •/.a7a'7)^c6£'.<7wvTî twv cwitaT'.xwv \lo\) ctlnhir
•Tîwv, xa6â;i£p 0'. èv "jTtvw Pîoap-/;[jiivo'.... £oo:â-:'.va -jnEOfAîvÉôr, [aétow àTîîptopîcTw lUY/âvovTat y.a-
"kiîv (jLO'j TÔ ôvoy.a, v.al XÉYovTa u.o'." tî ^vj'/v. ruwjnrv. xal ^-.ifjO.nhi.'.;
392 REVLE BIBLIQUE.

étonnemeiit, et c'est la même question adressée à l'être mystérieux


qui se manifeste. « Je pensai, dit Hermas, qu'il venait pour me tenter,
et je lui dis:Qui es-tu? car je connais celui à qui j'ai été confié. Il
me dit Ne me reconnais-tu pas? Non, répondis-je. Je suis, dit-il, le
: —
pasteur à qui tu as été confié ». « Qui es-tu, demande de la môme ma-
nière le visionnaire hermétique? Je suis, répond l'esprit, le Poiman-
dres, l'Esprit de la Puissance (6 -:f;ç xjbv^-.ix; vcîiç) ;
je sais ce que ta
veux, et je suis partout avec toi (1) ». De part et d'autre enfin, c'est la

même transformation, le même changement subit d'apparence. Brus-


quement, comme il du Pasteur se modifie, et
parlait encore, l'aspect
Hermas reconnaît en lui celui à qui il a été confié; brusquement aussi,
avant d'avoir achevé son discoui^s, la figure du Poimandres se méta-
morphose, et l'extatique contemple une vision immense où tout est
devenu lumière agréable et joyeuse ('21.
Le parallélisme, continue Reitzenstein, prouve à l'évidence la rela-
tion étroite des doux ouvrages, et l'influence de l'un sur l'autre; plus
précisément encore, il permet d'affirmer la dépendance du Pasteur à
l'égard du Poimandres. Car ce qui dans l'auteur helléniste était un
procédé naturel d'une croyance religieuse, à savoir la
et l'expression
métamorphose soudaine du Poimandres, n'est plus chez l'écrivain
chrétien qu'une « mascarade absurde » (3) on comprend sans peine :

que le voir, qui est la lumière, reprenne sa forme cosmique; tandis


que rien n'est plus obscur et plus incohérent que le rôle joué dans la
vision d'Hermas par le Pasteur, dont on ne peut dire au juste s'il est le
messager de la révélation ou le protecteur spécial d Hermas, l'ange
de la pénitence ou le gardien de l'Église. Nous sommes ici en pré-
sence d'un type étranger, qui essaie de s'implanter dans l'Apocalyp-
tique chrétienne, mais qui n'est pas encore parvenu à se dépouiller
de ses caractères païens, pour s'adapter à sa destination nouvelle. Les
détails de la vision confirment cette manière de voir le symbolisme :

du Pasteur a une origine hellénistique, sinon égyptienne le dieu :

Anoubis apparaît souvent dans les formules magiques démotiques


sous la figure du bon et du beau pasteur (i); et Philon donne aussi

(1) Hermas, loc. cit., 2 -.li-^v. (lov à-îTxdt/r.v Otio toO <ï£[xvoTi~o'j aYY-'-o^ tva [lïTa crou olxr,(7a)

Taç Xoiità; f,|X£pac tïj; Çwr,; soy . £ o o?a èyà) oxi TtâpsffTiv èxiteipâ^wv (jle, y.al Xéyw aÙTôi* ffù yap tîç si :

èycô Y^tp? ?^i!J'''-> Yivw<7/(0, co 7:apeô66r,v. >,éY£' [J^oi- oOy. ÈTrty'.vwcr/îi; tie; oo. çvi[i.î. èyw, çofftv, £Î|ii

6 uoi|Ar)v w TtapEÔôOr,;. Poimandres, loc. cil.: (frjjxl iyôi- cO vjp xî; el; èyw [aév, çrid'.v, eîjii 6

T0i(iàv5pT):, 6 Tr,; aùôîvtîa; voûr oiôa ô (îo'ij).ct y.cd <70v£i[xi aot Tzay'za.yov.

(.2) Hermas, loc. cit., 4 éxi Xa'/.oOvTo; aCiToO r;XXota)6r, r, tôsa aÙTOv xai ètïeyvwv aÙTOv. Poi-
:

mandres, loc cil. : toOto dnàjv r-iÀ/.ayr, tr, iôéa xac eOôéoj; Tzi-nix [loi Yivot/To por.^.
'3) R. Reitzenstein, Poimandres, |>. 13.

(4) Cf. R. Reitzenstein, Hellenistische Wundererzuhlungen, p. 126. note 1 C. Wes- ;


MELANGES. 39:}

ce nom à Dieu considéré comme révélateur 1 . C est de lEg-ypte que


sort le Poimandres, le Pasteur des hommes, dont le Pasteur qui appa-
raît à Hermas n'est qu'une réplique mal venue. Il n'est pas jusqu'au
bâton porté par le Pasteur qui ne soit un indice de sa première patrie ;

ny reconnait-on pas la baguette magique des devins et des dieux,


dont on retrouve les traces dans la plus ancienne littérature grec-
que 2 ?

Telle est. dans ses grandes lignes, l'argumentation de Heitzenstein;


et il faut reconnaître qu'elle est habilement menée. Mais il est facile
de voir qu'elle est trop unilatérale et néglige tout un aspect de la
question. Admettons que l'on trouve, dans l'Egypte hellénistique, le
symbole du Pasteur pour représenter la divinité. On peut d'abord se
demander si vraiment ce même symbole qui apparaît dans
c'est
les livres hermétiques, et si le terme Poimandres a bien le sens de
Pasteur des hommes. On s'attendrait plutôt à une forme telle que
-:iy.âvss:rouz:',y.âv$r,c.qu'àlaformeétrange7::',;j.âv$:Y;r;etron comprend
que Granger pu songer à dériver ce mot ducopte Pemenetre; ille
(3, ait

traduit dès lors par témoin et cette dernière signification est beaucoup
;

plus satisfaisante, il faut l'avouer, que celle de Pasteur on ne voit pas :

trop ce que \dent faire un pasteur dans la cosmologie des livres her-
métiques, tandis qu'un révélateur, un témoin des vérités mystérieuses
sur Dieu et sur le monde y est tout à lait à sa place. La thèse de
Granger, cependant, qui suppose un original copte non seulement au
Poimandres, mais encore à la Pistis Sophia et au lii-re de Jeu, parait
inacceptable à des coptisants tels que C. Schmidt ii, et nous ne sau-
rions non plus nous prononcer à son sujet. Mais quand il s'agirait
dans le Poimandres d'un pasteur des hommes, il resterait toujours
à montrer que le symbolisme dHermas, disons même tout le
symbolisme chrétien du Pasteur, ne peut avoir qu'une origine
hermétique. Or, il n'est pas dans r.\ncien et dans le Nouveau Tes-
taments de figure plus habituelle que celle qui consiste à représen-
ter Dieu sous les traits du bon pasteur, et à parler du peuple d'Is-
raël comme du troupeau choisi de Jahveh. Qu'il suffise de rappeler,
par exemple, le psaume xxii : Domimis régit me {r.zvi.xvn: [j.t), et nihil
inihi deerit ; in loco pascuae ibi me collocauit : et surtout le chapitre

SELï, Griechische Zauberpnpijn, ap. Denkscltr. der A'. A. Akademie der Wissenscft.
in Wien, 1888, p. 104, L 2373 ss.

(1) Philon, De Agricultura, 50 s.; cf. R. Reitzkvsteix, /'oimajK/res, p. 31.


(2) Cf. Odyssée, 10. 238. 319; 16, 172; Hlrodote, 4. 07.
(3) Gra.nger, The Pœmander, ap. Journal of tlitolojical Studies. t. V 1904), p. 400.
(4) C. Schmidt, Koptisch-gnostische Sclirip.en (GCS), t. I, p. \in.
394 REVUE BIBLIQUE.

XXXIV d'Ézéchiel, où les mauvais pasteurs sont blâmés et renvoyés, et où i


Jahveh, le bon pasteur, comme dans Is. XL, 11 etJerem. xxxi (xxxviii),
10,pait lui-même ses brebis d'Israël 1). Dans le Nouveau Testament, le (

Christ emploie lamême allégorie on la rencontre non seulement dans


:

le quatrième Évang-ile (2i, mais aussi dans les Synoptiques (3), dans
la première épitre de saint Pierre (4), et dans l'épitre aux Hébreux (5).
Ailleurs, elle est appliquée aux chefs des communautés (6); et la
I
piété chrétienne ne cessa jamais de rester fidèle à cet usage (7;. Point
n'est donc besoin de sortir du milieu originel dans lequel prit nais-
sance et se développa le christianisme, pour expliquer Teaiploi par
Hermas d'un symbole déjà traditionnel « Quand, dans la cinquième :

vision. Fange d'Hermas lui apparaît sous la forme d'un pasteur, ce


n'est pas là une absurde mascarade, mais une manière juive, néotes-
tamentaire et chrétienne d'exprimer cette idée que cet ange est le
protecteur et le guide spécial d'Hermas ou de la communauté romaine.
Dans la sixième similitude, paraissent aussi d'autres anges sous
forme de pasteurs, et particulièrement l'ange du châtiment qui est
représenté avec le même accoutrement que le Pasteur dans notre vi-
sion (8i. » Plus tard, dans les Actes de sainte Perpétue, la martyre
verra encore le Christ comme un pasteur « Etascendi, et uidi spatium :

liorti immensum, et in medio hortisedentem hominem canum. inha-

bitu pastoris,grandem, oues mulgentem. Et circumstantes candidati


milia multa Faudra-t-il, pour rendre compte de ce trait, et de
» (9).

plusieurs autres par lesquels ces Actes se rapprochent du Pasteur


d'Hermas, dire queux aussi reflètent des influences hermétiques, dont
l'origine sera expliquée parle voisinage de laCyrénaïque (10)?
Pas plus que pour le personnage du Pasteur, il n'est besoin de

(1) Cf. encore II Par. ±8. l&;Zac/i. 11,7; Eccli. 18, 13. Ailleurs, les pasteurs sontles
chefs humains d'Israi-l Jerem. 3. 15: 23. 1 Zach. 13.7 Ezech. 34. Dans le livre d'Hc-
: ; :

noch, 89. 59 ss., les 70 pasteurs sont des anges; cf. V. Martin, Le Livre d'Hénoch,p. 217,
note.
(2) Joan. 10, 11 ss.

(3) Cf. Ma(th.9. 37 = Me. 6, 34: Matih. 25. 32: 26,31.


(4) I Petr. 2, 2."); 5, 4, le Christ est appelé àpx-.-oiar.v ; cf. A. Deissmann, Licht vont Os-
len -p, p. 6(5 ss.

(5) Hebr. 13, 20.


Eph. 4. 11; I Petr., 5, 2; I Cor. 9, 7; cf. ./o. 21. 15.
(6)

(7) Martyr. Polyc. 19, 2 Ignace, P/iilad. 2, 1. Il n est pas nécessaire de rappeler ici le>
;

nombreuses peintures des Catacombes qui représentent le bon Pasteur.


(8) E. Krebs, Der Logos als Heiland {»{ ersten Jahrhundert. Ein Religions- und Dog-

mengeschichlUcher BeHrag zur Erlusungstehre,TTe'iharg, 1910, p. 139.


(9) Act. Perpet., 4.

(10) Cyrène, qui était une colonie arcadienne, a été un centre florissant des cultes herméti-
ques. Cf. Pseudo-Apllke, Asclepius, 27.
MÉLANGES. 39"

chercher un original hellénique pour le bâton qu'il porte à la main.


Déjà dans l'Ancien Testament, la houlette faisait en quelque sorte
partie de l'habit pastoral : dans le psaume xxu que nous citions
tout à l'heure, c'est le bâton de Jahveh qui console Israël : r, oxizz:
-yj y.x: r, '^^y.-/r.\z'<.-j. t;j xj-.x\ ;j.£ -apEy.â/.îTav (1 . David lui aussi porte le
bâton et la besace 2). Le même bâton était, ! au temps du Christ, qui
en interdit l'usage à ses disciples, le compagnon ordinaire du voya-
geur 3). Et si l'on veut à toute force voir dans le bâton du pasleur
une baguette magique, ne pourrait-on pas en trouver la première
idée dans la verge avec laquelle Moïse opérait ses miracles et rappeler
les textes de l'Exode {\ au lieu d'évoquer des antécédents emprun-
,

tés à l'hellénisme alexandrin?


Il maintenant facile de montrer contre Reitzenstein que ce
serait
n'est peut-être pas dans le Pasteur d'Hermas, mais bien dans le Poi-
mandres que l'apparition du pasteur est la plus incohérente et la
plus difficile à expliquer. Chez Hermas, le pasteur est une person-
nalité réelle; il est le même être qui s'est déjà à deux reprises mani-
festé, sous la forme d'un jeune l'ange gardien homme 5i. comme
d'Hermas celui-ci ne peut le reconnaître, dans sa nouvelle vision,
:

à cause de son vêtement étrange; de là, la transformation, la méta-


morphose du pasteur, qui reprend son aspect premier. Dans le Poi-
mandres au contraire, nous sommes en pleine spéculation métaphy-
sique, ou plutôt encore en pleine fantaisie mystique le Poimandres- :

vcjç s'évanouit tout à coup dans la lumière qui est identique à lui,
et cependant il se différencie de nouveau, on ne sait comment, de
cette lumière, et il recommence à parler au voyant comme aupa-
ravant. Ces remarques ont été faites déjà par M. Dibelius '6), et plus
récemment elles ont été reprises par E. Krebs 7) trop exactement
pour que nous puissions encore y insister ici. Il y a lieu au contraire
de noter le caractère incomplet et arbitraire des rapprochements
faits par Reitzenstein, Qu'il y ait entre la vision d'Hermas et ceUe

du myste hermétique de curieuses ressemblances, nous ne songerons


pas à le nier; mais ces ressemblances permettent-elles d'affirmer la
dépendance du livre chrétien vis-à-vis de l'ouvrage hellénique, ou

{i)Psahn. 11, i.
(2) I Req. 17, 40, 43.
{i) Matih. 10, 10 = Le. 9. .3.

(4) EjocL 4. 2; 7, 9, 20; 8. 16; 14, 16; 17. 5,9; Xurn. 20, S.
(.5) Heruas, lis. 2, 4, 1; Vis. 3. 10, 7.
(d) Zeitsclirift fiir Kirclhengeschichte, 1905, p. 175 s,

(7^E. Krebs, op. cit.. p. 140 s.


396 REVUE BIBLIQUE.

même simplement dépendance du symbolisme d'Hermas vis-à-vis


la
du symbolisme de Poimandres? Voilà la question. Le livre d'Hermas
est une apocalypse, et il est l'œuvre d'un chrétien. Or, un chrétien,
si peu instruit qu'on le suppose, n'est pas sans avoir quelque connais-

sance de l'Ancien et du Nouveau Testaments; et il s'est développé


dans les milieux juifs et judéo-chrétiens toute une littérature apoca-
lyptique de grande importance. N'est-il pas naturel de chercher
d'abord dans la Bible et dans les Apocalypses apocryphes les sources
possibles de la pensée d'Hermas, au lieu de vouloir à toute force les
découvrir dans des écrits païens? C'est ce que Reitzenstein n'a pas
fait pour lui la pensée juive et la pensée chrétienne n'existent pas,
:

oCi du moins ne présentent aucun caractère original. « A l'objection

facile à prévoir, écrit-il, que dans le Pasteur d'Hermas on peut sentir


des influences juives, celui-là n'attribuera aucune valeur pour qui
l'hellénisme et le judaïsme de ce temps ne présentent plus d'opposi-
tion irréductible. Naturellement il y a aussi des arétalogues juifs.

Philon les décrit dans un passage célèbre {De uita contempL, 3) (1). »
Et c'est tout. Plus récemment le même auteur exécute avec la
même désinvolture la pensée chrétienne : « Il soutient en particulier
cette thèse que saint Paul connaissait les productions littéraires des
religions hellénistes à mystères, et que tout en les combattant il leur
a fait de nombreux emprunts. La vie et la pensée religieuse de saint
Paul se mouvaient dans une atmosphère analogue à celle des mys-
tères (2). » Tout à l'heure cependant, nous avons montré que la tra-
dition juive était de longue date familiarisée avec le symbolisme du
pasteur, et nous avons reconnu que dans le livre d'Hénoch les pas-
teurs représentaient précisément des anges. Il n'est pas jusqu'à la
transformation du pasteur qui n'ait son pendant dans l'apocalyptique
juive. « Cum loquerer haec in corde meo, lisons-nous au quatrième
livre d'Esdras, respexi oculis meis, et uidi mulierem in dextera parte,
et ecce haec lugebat et plorabat cum uoce magna, et animo dolebat
ualde, et uestimenta eius discissa, et cinis super caput eius (3). »

Mais tout d'un coup, la vision change : « Et factum est, cum loque-
bar ad eam, faciès eius fulgebat subito et species,coruscus fiebat uisus

(1) R. Reitzenstein, Hellenisiischc Wundererziihlungen, p. 152. Voici le passage du De


Xdla contempl. : 'Ati\LÏw ouv à).y)(JTOv ëyouct trjv toù ôeoO (j.vr|(ir|V, (b; xai Si' ôvetpàxMv (xtiSev ete-

pov Y) Ta xâÙJ.r, twv Ôsîwv àpExôJv xat ô'jvaiiïwv cpctvraffioOffOai- tto/àoî oùv xal ÈK).a),où(ïiv èv {iTrvot;
6v£i&07to).oû(JLEvoi Ti Tr,; Upa; çO.Offoçîa; àoiôi[ia côv^xaTa (M. H, 475, I. 22 ss.).
(2) Revue des Sciences pliilusophiques el lliéoloyiquesA. V (1911), p. 188. Cf. R. Reit-
ZENSTEiiV, Die hcllenislisc/ien Myslerienretigionen. Hue Grnndgedanken und Wirkun-
gen, Leipzig, 1910, |). lGO-207.
(3) l\ Esdr. 9, 38 ;éd. B. Violf.t, p. 278; Vis. IV, 3, 1-2).
MÉLANGES. 39"

eius, ut essem pauens ualdc ad eam et cogitarem quid esset hoc. Et


ecce subito emisit sonitum uocis magnum timoré plénum, ut com-
moueretur terra a mulieris sono et uidi. Et ecce amplius raulier :

non (omparebat mihi, sed ciuitas aedificabatiir. et locus demônstra-


batur de l'undamentis magnis 1 > Je se sais si je mabuse mais cette . ;

disparition de la femme dans le quatrième livre d'Esdras me rappel-


lerait davantage le Poimandres qui s'évanouit dans la lumière, que
le Pasteur qui prend l'aspect d'un ange. Pense-t-on à attribuer une

source hellénistique au quatrième livre d'Esdras?


De la même manière, c'est encore de l'Apocalypse d'Esdras qu'on
peut rapprocher l'introduction de la vision d'Hermas. Celui-ci est sur
son lit, tout comme Esdras au début de la première vision : " Anno
tricesimo riiinae ciuitatis, eramin Babylone, et conturbatus sum super
cubiculo meo recumbens. et cogitationes meae ascendebant super
cor meum... Et uentilatus est spiritus meus ualde, et coepi loqui ad
Altissimum uerba timorata 2). » Enfin, la question d'Hermas au Pas-
teur, qui est son ange gardien, mais qu'il ne reconnaît pas, est aussi
celle que posent tous les ^-isionnaires juifs à l'interprète chargé de les
accompagner " Je vis un ange glorieux, raconte par exemple Isaïe,. ..
:

et je vis lorsqu'il me prit par la main, et je lui dis Qui es-tu.' et :

quel est ton nom? Et où me fais-tu monter 3 ?

Nous nous dispenserons évidemment de tirer une conclusion arbi-


traire de ces rapprochements que Ton pourrait multiplier, pour af-
firmer par exemple que le Pasteur d'Hermas n'a que des soucis juifs.
Peut-être cependant est-on endroit de penser que la cinquième vision
d'Hermas se rapproche davantage des visions des apocalypses que
de la vision rapportée au début du Poimandres et dès lors est-ce se ;

prononcer dune manière imprudente que de faire dépendre le Pasteur


du Poimandres, et de fixer la date de celui-ci par le fait de cette
dépendance. Il reste possible qu'Hermas ait une source païenne,

IV Esdr. 10. 25-27 éd. B. Viûlf.t, p. 298-300; Vis. IV. 7. I-i


(1) .

IWEsdr. 8, 1. Déjà JxciiMxyy, Der H irte des Hermas (183.5), avait signalé de nombreux
(2)
points de contact entre Hermas et l'Apocalypse d Esdras. Cf. par exemple. ]is. 1, 3, Set
IV Esdr. 6, 17: —
Vis. 2. 4, 1 v.xi o-.à -ol-j-t,-/ l'Église) ô xoTao; xa-ïi^Ti^^r) et IV Esdr. 6,
:

55 : quia propter nos (les Juifs) creasti saeculurn; id., 6, 59; 7. 11 ; — Vis. 2, i, 3 : ypi-iï-.:
oSv ôOo P'.oÀapic'.a. et IV Esdr. 12, 37-38 : Scribe ergo omnia ista in libro quae uidisti...; —
Vis. 3, 1, 2 iCf. Vis. 2. 2, 1 : •rr,>;-fi<j'x:. xio/Àixi; -/.ai oîr.ffîi; toO y.upîo-j et IV Esdr. 6, 31 : .-«i

ergo iterum rogaueris et iterurn ieiunaueris seplem diebiiS, ilerurn tibi renunliabo maiora
— Vis. 4, 3, 5 . i/oso; vàp iyi'/izo et IV Edr. 10, 26 Et ecce subito emisit .sonitum uocis
:

magnum timoré plénum ;


— \ is. 3, 1. 4 : àypov et IV Esdr. 9,
âYevou.r,v o-jv. âoî);po', îi; tov
26 : Et profectus sum sicut dixit milii in cainpum... Cf. B. Violet, Die Ezra-Apohatypse,
I (GCS.), Leipzig. 1910, p. xlix.
(3) ASC. Is. 7. 2.
398 REVUE BIBLIQUE.
^

disons même une source


hermétique; l'argumentation de Reitzenstein
n'a pas établi que Poimandres. et par consé-
cette source est notre
quent elle ne saurait prouver que celui-ci est, dans ses parties les
plus abeiennes. antérieur au milieu du second siècle.

La preuve même de l'emploi par Hermas de sources païennes dé-


pend de l'examen du Pasteur. Selon Zielinski, le
d'autres passages
nom propre d'Hermas ne serait qu'an pseudonyme, imputable aux in-
fluences hermétiques (1). Cela est possible mais indémontrable ce :

nom était très courant dans l'antiquité parmi les salutations qui ter- ;

minent l'Épitre aux Romains, une d'elles a pour destinataire un certain


Hermas (2) et lorsque le fragment de Muratori nous apprend
;

qu'Hermas était le frère de lévêque Pie, et qu'il a composé le Pasteur,


((tout récemment, de notre temps, dans la ville de Rome (3 », il semble 1

bien nous fournir des indications sur le nom réel de l'écrivain. Une
question beaucoup plus sérieuse se pose à propos de l'allusion faite
par Hermas à l'Arcadie. « Après la fin du livre qui va de la cinquième
vision à la huitième similitude, l'auteur chrétien ajoute un complé-
ment aux visions, la neuvième similitude. L'x';';ihzz \j.t-yMZ'.y.: le -:•?;;

conduit en Arcadie, sur une montagne, afin de lui montrer une


nouvelle vision. La conduite sur une montagne est la forme usuelle
dans la littérature apocalyptique chrétienne (cf. Petr. Apoc, Evang.
Euae, Ass. Mariae) (4); mais le choix précis de l'Arcadie est plus que
singulier, puisque l'auteur est à Rome et a toutes ses autres visions
à Rome ou à Gumes. Seulement le début du vin' (al. xiv^ chapitre du
Poimandres nous apprend que de teUes mises en scène se trouvaient
aussi dans la littérature hermétique. Il y avait, dans un Ysv-./.br acy:;,

un entretien, à la descente d'unemontagne; on ne peut pourtant


pas dire qu'il était précédé d'une vision, mais on ne saurait s'étonner
qu'Hermès apparaisse aussi dans sa patrie d'Arcadie... Et c'est juste-

ment d'Arcadie que, d'après la tradition grecque (Cicéron, De nat.


deor., III, 56), était venu l'Hermès égyptien (5). La mention de »

l'Arcadie dans le Pasteur d'Hermas est certainement un problème elle :

est attestée de manière indiscutable par tous les témoins du texte


aussi bien que par le contexte immédiat et l'hypothèse de Zahn qui a ;

(1) Zielinski, Hermès iind die Hermelik ; Archiv fur ReUyionswissenschaff, t. VUI.
p. 323 ss.

(2) Hotn. 16, 14.


(3) Lignes 73 ss.

{^) Ap. Pétri, 4 éd. Preuschën. Anlilegomena-, p, 84, I. 14); Evang. Eu., fr. a (éd.

Pkeuschen, if/., p. 82, 1. 34j.


(5) R. Reitzenstein, Poimandres, p. 33.
MELANGES. 399

proposé de remplacer les mots £•.; Tr,v


'
\z/.xV.x> par v.z rr.v "As-.y.'zv (1),

n"a rencontré aucun succès. L'explication proposée par Reitzenstein


fournit au contraire une solution très élégante du problème. L'ori-
gine arcadienne des cultes hermétiques ne fait pas l'ombre d'un
doute, et l'on admettrait assez volontiers une réminiscence de cette
première patrie chez un auteur influencé du reste par les mythes
d'Hermès. De cette explication, il faut cependant reconnaître les dif-

ticultés et le caractère hypothétique. Nous ne trouvons pas dans le


Poimandres actuel d'allusion à l'Arcadie et rien ne nous autorise à dii'e
que la forme primitive de l'ouvcage contenait cette allusion. Tout
au plus, était-il question dans les •;v,':/.z\ /.:-;;', dune montagne, à la
descente de laquelle le voyant s'était entretenu avec son dieu (2 . Et
cette montagne, Reitzenstein est obligé de l'avouer, était un lieu
commun de l'apocalyptique chrétienne, il aurait pu ajouter encore
de l'apocalyptique gnostique 3 . Même en se plaçant dans les con-
ditions les plus favorables, on ne saurait conclure, comme prétend le
faire Reitzenstein. à l'antériorité des ';z^r:/.z\ a:-;:-, relativement à
Hermas et à la de l'ouvra^ie chrétien. On de-
dépendance littéraire
vrait se contenter d'admettre une influence générale de l'hermétisme
sur la pensée et sur le vocabulaire ^i;, et il faudrait se résigner à
l'ignorance de la date, exacte ou approximative, de composition des
textes hermétiques. Ajoutons d'ailleurs que l'Arcadie d'Hermas a peut-
être une origine moins mystérieuse : s'il faut en croire B. Violet, le
dernier éditeur de l'Apocalypse d'Esdras, elle serait simplement à
rapprtjcher du champ d'Ardath dans lequel le voyant juif a une de

ses visions 5., et par conséquent nous n'y trouverions qu'une preuve

(1] Tu. Zahn. Ber Hirte des Hermas, p. 2tl ss.

(2) Poimandres, xin xiv^ ; éd. Reitzenstein, p. 339 : È5A0J li «joj './.éToj -.-Evoyiivoy è::'; t?,;toO

ôpo-j; xaTaêâ'îîoj; \lz-7. tô aï Èaoo ôia/îxOr.vai... Dans une lettre du 11 mars 1911, le R. P. L\-
GaA.NOE aie fait remarquer que l'Arcadie était la patrie des bergers Arcades arabo . N'est-ce
pas parce que le personnage principal d'Hermas est un berger qu'on y ramené le souvenir
de l'Arcadie?
(3) Dans la Pistis Sophia, Jésus apparaît à ses disciples sur le mont des Oliviers, c. 2

(éd. C. ScHMiDT, KopUsch-(jno>tische Schriften, I [GCS], p. 3, 1. 9).

(4; CcMONT, Les religions orientales dans le paganisme romain- Taris, 1909i,
Cf. F.
p. 341, note 41 « Son action 'de l'hermétisme^ a été. je pense, purement littéraire en Occi-
:

dent. On ne trouve pas de trace, que je sache, au moins dans le monde latin, d'une secte
hermétique avec un clergé et un culte. Les Heliognostae ou Deinvictiaci qui prétendirent
en Gaule assimiler le Mercure indigène au rhot égyptien, sont des gnostiques chrétiens...
L'hermétisme qui sert d'étiquette à des doctrines d'origine très diverse, a été inlluencé, je
pense, par la dévotion générale plus qu'il ne l'a suscitée. 11 est le résultat d'un long effort
pour concilier les traditions égyptiennes d abord avec l'astrologie chaldéenne, puis avec la
philosophie grecque et il se transforme en mèine temps que cette philosophie ».
(5) B. Violet, Die Ezra-Ai>okalyj>se. I GCS), l. c et p. 27CH1V Esdr., Vis. IV 1. 1).
400 REVUE BIBLIQUE.

nouvelle de linlluence des formes juives sur la première apocalyp-


tique chrétienne.
La première vision d'Hermas présente encore un parallélisme
curieux avec certains textes hellénistiques. Comme on le sait, Hermas
a dans cette vision la révélation de TÉglise qui lui apparaît sous la
l'orme d'une vieille femme magnifiquement vêtue et tenant un livre
à la main. Elle s'assied sur une chaire brillante Vis. 1, 2, 2) ;
puis,
lorsqu'elle a terminé ses exhortations et s'est relevée , arrivent
quatre jeunes gens qui enlèvent la chaire et s'en vont vers l'Orient
fVis. 1, 4, 1). Or, dans un texte hermétique édité par Wessely(l', le

magicien voit, avant la révélation, quatre hommes couronnés qui


apportent le ôpsvcç ôsoj, en même temps que l'on dispose un ej;j.iaTr-

La ressemblance entre ces quatre serviteurs qui jouent dans les


pf,;v.

deux cas un rôle analogue est-elle l'effet du hasard, ou bien re-


trouve-t-on encore l'influence des représentations helléniques (2)?
ici

Un autre rapprochement est fourni par V Ascension de Crates, un texte


traduit du grec en arabe et édité par Berthelot (3V Crates voit Hermès
Trismégiste < un vieillard le plus beau des hommes, assis dans une
chaire (y.aôscpa) ; il était revêtu de vêtements blancs et tenait à la
main une planche de la chaire sur laquelle était placé un livre Ip) ».

Ces rapprochements sont intéressants et ils font sans doute honneur


à l'ingéniosité et à la science de celui qui les a découverts. Peut-on
cependant en tirer quelque conclusion relative à l'origine de la pre-
mière vision d'Hermas? Cela semble difficile. Les documents dont
il s'agit sont mal datés, probablement assez tardifs et nous ne pou- ;

vons guère affirmer avec certitude qu'ils n'ont pas eux-mêmes subi
des influences chrétiennes. D'ailleurs, la représentation du trône
et des serviteurs est-elle si rare et se rencontre-t-elle si exclusive-
ment dans hermétique? Malgré tout, je ne puis m'em-
la tradition

pêcher d'ajouter que ce parallélisme me frappe plus que les précé-


dents, sans pouvoir en donner de raison valable.
Un dernier rapprochement offre encore un très grand intérêt au
point de vue des doctrines morales. Dans la troisième vision, Hermas
voit autour de la tour sept femmes elles sont, lui est-il expliqué,
:

filles La première d'entre elles, celle qui a les mains


l'une de l'autre.
puissantes, s'appelle la Foi (zî-tiç); ... la seconde, celle qui porte une
ceinture et agit virilement, s'appelle la Continence {ï-r/,z3.-v.y) ; elle

(1) C. Wessely, Denhschrlftender K. K. Ikademie..., 1888, p. 68 ss.

(2) R. Reitzensticin, Poimandres, p. 280, note 3.

(3) M. Berthelot, La chimie au Moyen Age, III, p. i4.

(4) Cf. R. Reitzenstein, Poimandres, p. 3iM.


MELANGES. 401

est fille de la Foi; ... les autres sont filles l'une de l'autre : elles
s'appellent la Simplicité (àxXô-vjç), la Science (è7:ia-i^[jLYj), l'Innocence
(à-/.ay.{a), la Chasteté (7£;/vèrr;ç). la Charité (Jc-^xT.r,) ... La Continence
naît de la Foi; la Simplicité de la Continence; l'Innocence de la Sim-
plicité, la Chasteté de l'Innocence; ia Science de la Chasteté; la Cha-
rité de la Science (Vis. 3, 8, 3 ss.). Mais ailleurs, dans la neuvième
similitude, la liste des vertus est différente ; celles-ci sont au nombre
de douze, et d'elles toutes il est dit : yZ-y.'. vàp a- TrapOévc. ojvi;xsiç çhl
cîj u'.cu 9, 13, 2) (1). De ces douze vierges, la pre-
Tcj OecD (Sim.
mière est la Foi (zt^tu) la seconde, la Continence (lyv-p^'^i^c) la
; ;

troisième, la Puissance (ouvaij.i;) ; la quatrième, la Longanimité ([jiay.ps-

6u[jia); les autres sont la Simplicité (âicÀÔToc), l'Innocence (àxay.ta), la


Pureté (àyveta), la Joie {'•.Ay.pb-r,;), la Vérité (àXv^Osia), l'Intelligence
(c7Jv£!7iç), la Concorde (cy.ovcîa), la Charité (x';iT.T,). Elles s'opposent
à douze femmes ayant des vêtements noirs et symbolisant les vices :

l'Incrédulité (à^TKjTta), l'Intempérance (à/.pasîa), la Désobéissance (xr.si-

Osia), la Volupté (à-rra-r-rj, la Tristesse Méchanceté (zovTjpia),


(Xû—/]). la
l'Impudence {xuéXyeioi.), la Colère (i;j-/3X''a), la Tromperie (tj^siioc;), la
Sottise (àçpoffûvrj), la Médisance (y.a-raXaXix), la Haine ([j-ï^oç) (Sim. 9.
15, 2-3). Ces essais de classification des vertus ne sont pas chose
inouïe dans l'antiquité païenne ou chrétienne. Dans le petit ouvrage
pythagoricien, connu sous le nom de Tableau de Cébès, les vertus
sont représentées comme des femmes : ï-\^-r^[xr,, àvcpeCa. ci/.ïioc7Jvy;, xa-
Aoy.àY^tO'Ia, cwçccûv/^, sÙTaHia, àXî'jGspu, à^y-pâ-rcva, TrpxsTYjg sont des
sœurs (2), dont £joat[ji.ovia est la mère (3). Quant aux vices, les prin-
cipaux sont àxpaffi'a, àîWTia, à-'kr^'sxicc, '/.oXa7.t\.x [h-), auxquels s'ajoutent
ii[JMp<.(x, XÙTz-fi, ôSjvy;, ocjp;;.iç, i:0'jtj.{a (5), et enfin çù.xpyjpiy. y,y). •/; A;izr,

h:xQOL KX'da (6). La seconde épître de saint Pierre présente égale-


ment un Pa0[;iç des vertus : « Ajoutez à votre foi [rJ.'i-^^ la vertu
àpsrr;); à la vertu, la gnose (yvojji;); à la gnose, la continence (lY/,pi-
Tîta) ; à la continence, la patience (6zo;xovr,); à la patience, la piété
(eùaéôeia); à la piété, l'amour fraternel (©ùassXçia) ; à l'amour frater-
nel, la charité (àvâTCY;) (7). » Mais le parallélisme le plus frappant

(1) Cf. J. Lebreton, Lea orùjines du dogme de la Trinité, Paris, 1910, p. 439 s.

(2) Tah. Cebet. 20, 3; éd. Praechter, 1893, p. 18.


(3) Tab. Cebet. 21, l.

(4) Tab. Cebet. 9, 1.


(5) Tab. Ctbe'. 10, 2-3.

(6) Tab. Cebet. 23, 2. Ces indications sont empruntées à F. X. Flnk, Patres Apostolici -,
t. I, p. 606, in h. l. Cf. A. et M. Croiset, Histoire de la littérature grecque, t. V,
p. 416, noie 2 : « 11 me semble qu'on sent aussi son influence (du Tableau de Cébèsj dans les
visions d'Hermas ».

(7) II Pelr. 1, 5-7. On peut utilement rapprocher le procédé de style employé dans ce pas-
REVUE BIBLIQUE 1911. — N. S., T. VIII. 2C>
402 REVUE BIBLIQUE.

avec la liste d'Hermas est peut-être fourni par le Poimandres : il

s'agit, il est vrai, d'un fragment assez tardif, d'après Reitzenstein


lui-même; l'origine hellénistique de cette classification n'est pourtant
pas douteuse, et si l'on ne peut parler de dépendance littéraire,
l'influence doctrinale de l'esprit grec demeure admissible. Douze
démons mauvais châtient l'âme : T',;j-wp'!ar, àYvc'a, \jr.r,, iv.po^-yiy., £ziO'j[j.''a,

xcv/.ix, 7:A£Cvs;{a, àTZT-r;, çOivcç, csXoç, bp-rr,, -pz-i-.eix, y.ay.ta ; et dix puis-

sances (ojvâ[;.£iç), qui la purifient, leur sont opposées : vvwjtç OssD,

Yvcotji; -/apaç, £Y/.?aTîia, 'Asup-tpix^ 0'//.at;jjv/;, y.^ivojvia, àAr,6£!.a, àyaOèv, wwr,,

çwç. Celles-ci sur l'invitation d'Hermès chantent un hymne a- 3uvâ- :

[jLstç al èv e]j.o\ \j\).veizz. to iv /.a': -b •::3cv (1)... On aura remarqué que la

YvwcT'.ç Osoj prend ici la place de la tJ-g-iç chrétienne, et qu'à ï'Chxpoxr,ç

d'Hermas est substituée la yvwt-.ç y,^pi:- Reitzenstein ajoute que « la


mention faite de la \ù-r, dans le catalogue des fautes, péché que
l'on a regardé comme spécifiquement chrétien, montre seulement
qu'ici encore le christianisme a suivi la mystique hellénistique (2) ».
Quelle que soit la valeur de cette remarque (3), il reste curieux de
voir Hermas, aussi bien que le Poimandres, donner aux vertus le
nom de ouvâsj.eiç, et de constater la très grande analogie des deux
listes. On se sent en présence d'un enseignement traditionnel, qui,

loin d'être exclusif aux docteurs chrétiens, fait au contraire partie


du patrimoine moral reçu dans les milieux païens. Nous ne saurions
ici insister sur ce point, qui mériterait une étude spéciale (4).

Quelles seront maintenant les conclusions de ce travail? La pre-


mière de toutes, semble-t-il, c'est que la thèse de Reitzenstein tou-
chant la dépendance littéraire du Pasteur d'Hermas vis-à-vis des
parties les plus anciennes du Poimandres est fondée sur des argu-

sage de la II" Pétri, de plusieurs textes des livres hermétiques. Cf. par exemple Poimandres,
5, 11 (éd. Parthey, p. 48); 11, 4 [id. p. 87); 12, 13-14 iid. p. 107).
(1) Poimandres, 13 (14), 7-10; éd. Reitzenstein, p. 342, 1. 8 ss.

(2) R. Reitzenstein, Poimandres, p. 232.


(3) On a vu que dans le Tableau de Cébès, 10, la ).Û7rri figure aussi au nombre des fautes.

(4) Plusieurs listes de péchés se trouvent déjà dans le ^'ouveau Testament : Me. 7, 21-28
(cf. J.-M. LAGR4NGE, Evungile selon saint Marc, in h. 1.); Rom. 1, 29 s.; I Cor. 6, 9 s.

Cf. A. Deissmvnn, IJchl vom


Osten '-"s, p. 238 ss., et la bibliographie qui y est indiquée. Une
inscription du premier siècle avant J.-C, en l'honneur d'Herostratos, fils de Dorkalion, pré-
sente en particulier un parallélisme frappant avec le début de la secundo Pétri (ap. Deiss-
MANN, loc. cit.). D'après Anz, cité par P. Wexdland, Die heltenistisch-rômischc KuUurin
ihren Beziehungen zu Judentum und Christ intum, p. 170, les Barbelognostiques plaçaient
à côté du Proarchon les concepts hypostasiés de aOôàoîia, xa/.ta, ^r,),o;, çôôvo;, Èptvjç, ètiiôu-
(AÎa. C'est le même procédé, qui. dans Hermas et dans Poimandres, fait considérer les pé-
chés comme, des ôuvâfjiî-.;.
MÉLANGES. 403

ments insuffisants. Les rapprochements établis entre la cinquième


vision d'Hermas et le début de Poimandres sont loin d'être con-
cluants. Il nest pas un seul des éléments de la vision d'Hermas qui
ne trouve son explication dans les procédés et dans les formules de
l'Ancien et du Nouveau Testaments et l'ensemble même de la vision
;

se rapproche davantage des apocalypses juives que de TœuNTe


païenne. Alors même qu'il y aurait eu emprunt de quelques idées,
de quelques expressions, on ne saurait affirmer lantériorité du
Poimandres par rapport au Pasteur. Hermas date certainement du
second siècle; rien n'est plus incertain que la date de composition
des écrits hermétiques et précisément les rapprochements les plus
intéressants nous ont paru ceux qui ont rapport aux chapitres recon-
nus comme les plus récents du Poimandres. Sans doute Pieitzen-
stein s'efforce de montrer l'ancienneté de la diffusion des ouvrages
hermétiques « Combien, dit-il. la littérature hermétique s'était lar-
.

gement répandue en Occident, déjà avant la fin du premier siècle


de notre ère, c'est ce que nous apprend un écrivain aussi irréligieux
que Martial dans une épigramme, que l'on pourrait s'attendre à
rencontrer dans toute histoire de l'Église et des dogmes. A la fin du
poème on célèbre ainsi le gladiateur Hermès :

Hermès belligera superbus hasta,


Hermès aequoreo minax tridente,
Hermès casside ? ianguida timendus.
Hermès gloria Martis uniuersi.
Hermès omnia solus et ter imus (v, 24).

Tout le poème n'a pas de signification, si Martial lui-même et le plus


grand nombre de ses lecteurs n'ont pas entendu parler d'un ensei-
gnement, selon lequel Dieu est à la fois l'un et le tout. Et c'est juste-
ment la donnée fondamentale de la mystique hermétique ,1 » Mais à .

vrai dire, cette argumentation ne prouve rien pour le texte actuel du


Poimandres. Qu'à l'époque de Martial on ait connu à Rome un ensei-
gnement hermétique, voire même des Kvres hermétiques, soiti nous
ne saurions aller plus loin et la conclusion de Lietzmann nous parait
:

assez sage, bien que formulée d'une manière trop affirmative « Il :

est sûr que le commencement du Poimandres et la cinquième vision

d'Hermas sont indépendants l'un de l'autre, et reposent sur une


source commune, antérieure par conséquent au milieu du second
siècle II est pareiHement clair que c'était un écrit apocalyptique, mais

(1 R. Reitzensteln, Hellenisitsche Wundererzûhlungen, p. 12G s.


404 REVUE BIBLIQUE.

non que ce doive être précisément une ancienne rédaction du Poi-


mandres (1). »
D'ailleurs, la question littéraire n'a qu'une importance secondaire.
Ce que Reitzenstein veut démontrer, c'est l'influence des idées hellé-

nistiques sur le christianisme primitif; et la méthode tout entière à


employer dans l'étude des origines chrétiennes est ici en jeu. Cette
méthode, d'après Reitzenstein, ne saurait être que la méthode compa-
rative; et nous le lui accorderons bien volontiers les savants travaux :

de M. Lebreton sur les origines du Dogme de la Trinité, pour ne citer


que ceux-là, nous ont montré tous les résultats que l'on pouvait ob-
tenir par l'emploi d'un tel procédé. Encore y a-t-il manière de l'uti-
liser; et le premier danger que l'on coure, c'est de vouloir expliquer
le christianisme par toutes sortes d'influences composites, sans tenir
assez compte du milieu originel où il a pris naissance, et de la tradi-
tion religieuse qu'il a toujours prétendu continuer. Chacun cherchera
dans ce qu'il connaît le mieux les iranisants trouveront en Perse
:

tous les éléments du christianisme les hellénistes, dans la pensée


;

grecque; les assyriologues, dans les mythes d'Assyrie et de Babylonie ;

les égyptologues, comme Reitzenstein, en Egypte. On oubliera ce qui


est peut-être le plus important, c'est que la religion de Jésus est née
chez les Juifs et a d'abord été propagée par des Juifs. Nous avons
remarqué à propos du Pasteur d'Hermas, que Reitzenstein ne donne
aucune place aux influences possibles de l'Ancien Testament. Sans
doute, nous connaissons mal « le culte composite de ces communautés
juives ou judéo-païennes, adorateurs d'Hypsistos, Sabbatistes, Saba-
ziastes et autres, où la foi nouvelle s'est implantée dès l'âge aposto-
lique. Avant le début de notre ère, la loi mosaïque s'y était déjà
pliée aux usages sacrés des gentils, et le monothéisme y avait fait

des concessions à l'idolâtrie. Bien des croyances de l'ancien Orient^


comme par exemple les idées du dualisme perse sur le monde infernal,
sont parvenues en Europe par une double voie, d'abord par le judaïsme
plus ou moins orthodoxe des communautés de la Diaspora, où l'évan-
gile fut immédiatement accueilli, puis par les mystères païens, im-
portés de Syrie ou d'Asie Mineure (2) ». Mais à côté de ce syncrélisme
juif, subsistaitencore un judaïsme orthodoxe et traditionnel, celui
qui composait les apocalypses et élaborait les écrits rabbiniqnes celui ;

qui nourrissait sa piété de la lecture des prophètes et du chant des


Psaumes; celui auquel appartenait Paul « circoncis le huitième jour,

(1) H. .LiETZMANN , Theologische Lileraturzeilung, 1005, p. 202; cité par E. Krebs,


op. laud., p. 142, noie 1.

(2) F. Ci'MONT, Les religions orientales dans le paganisme romain -, p. xx s.


MEI.ANGES. 40r.

(le la race d'Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu fils d'Hébreux,


pharisien selon la loi Sans doute encore, à Alexandrie. Philon
1: ».

s'efforçait de concilier, en une synthèse philosophique, les enseigne-


ments de Moïse et ceux de Platon avec les doctrines du mysticisme
alexandrin. « C'est dans le milieu alexandrin, sous des influences
multiples et obscures, que accomplie cette fusion entre philoso-
s'est

phie et révélation d'où est sorti le philonisme. Là s'est créée la théolo-


gie des intermédiaires... Philon n'a pas pris comme point de départ
la philosophie grecque, mais cette théologie alexandrine qui devait
produire les systèmes gnostiques et la littérature hermétique. C'est là.

et non chez les prophètes juifs, qu'il a pris l'idée de la parole di\'ine
et de la révélation (2). » Mais en même temps, ce même Philon res-
tait si altaché aux croyances traditionnelles de sa race, qu'il com-
mentait, dans la plupart de ses ouvrages, les livres sacrés d'Israël, et
qu'il metlait au service de ses coreligionnaires son talent d'écrivain,
qu'il supportait même pour eux dans un âge avancé les fatigues et les
dangers d'un voyage à Rome 3 Même lorsqu'il subissait l'influence
.

des^ doctrines hellénistes, égyptiennes, orientales, le judaïsme gardait


quelque chose de son originalité, la croyance au Dieu unique, le res-
pect pour la loi et les pratiques des anciens et il n'est pas permis de ;

supposer qu'il empruntait toujours, sans jamais donner quelque chose


de lui, sans jamais faire sentir son action au dehors. C est donc, avant
tout, sur le judaïsme, sur ses doctrines, sur ses livres saints, sur ses
apocalypses et ses psaumes, que doit se porter l'attention de l'historien
des origines chrétiennes. Suivant une formule qui nous paraît très heu-
reuse, il étudiera '< le milieu hellénrque mais encore et surtout « la
».

préparation juive + ». Pieitzenstein ne connaît guère que le milieu


hellénique, et dans ce milieu que la mystique alexandrine il est permis :

de craindre qu'un crand nombre de ses conclusions ne se ressentent


de létroitesse voulue ou acceptée de ce point de vue.
Un autre reproche est à faire à la méthode de Reitzenstein, et il

s'appliquerait d'ailleurs à d'autres encore. Nous avons remarqué tout


à l'heure l'insuffisance des arguments présentés pour établir l'anté-
riorité du Poimandres sur le Pasteur d'Hermas. En réalité, les livres
hermétic[ues sont des compositions d'origine et de date très incer-

(1) Phil. 3, 5.
(2) E. Br.ÉBiER, Les idées philosophiques ef religieuses de Philon d'Alexandrie,
p. 316 s.

.
(3) Cf E. Bréhier, Philon, Commentaire allégorique des sai7iies lois, Paris, 1909,
p. IV.

(4) Ce sont là les litres doanés par M. Leereton à la première et à la seconde parties de
son livre sur les Origines du dogme de la Trinité. Paris, 1910.
406 REVUE BIBLIQUE. J
taines et il parait difficile d'arriver à des conclusions précises. Com-
ment veut-on. avec de tels documents, établir des relations de dépen-
dance et de filiation? Il se peut, dans certains cas, que les ouvrages
hellénistes, auxquels on ou contemporains
se réfère, soient antérieurs
des livres chrétiens; peut aussi qu'ils leur soient postérieurs,
il se
et c'est le cas le plus fréquent chez Reitzenstein autant dans son ,

étude sur le Poimandres que dans son livre plus récent sur les
religions hellénistes à mystères (1), où il veut montrer par exemple,
à Faide du Corpus henneticum, que saint Paul avait subi l'intluencc
de ces religions. Le même fait se produit encore chez Schermann i2 ,

qui s'efforce de trouver dans la prière finale de la prima Clemenlis


un type construit sur le modèle des prières païennes d'action de
grâce, mais qui n'apporte à sa démonstration que des papyrus
magiques du quatrième siècle. Sans aucun doute, il n'est pas invrai-
semblable que des traditions très anciennes se soient maintenues et
transmises intactes pendant des siècles; que l'on retrouve dans des
documents d'origine récente des expressions, des formules, des pen-
sées de beaucoup antérieures à la composition de ces documents.
Mais qui ne voit combien la critique est difficile à faire, et quel
soin minutieux demandedes différents éléments! Involon-
le triage

tairement, on se laisse influencer par la thèse que l'on se propo^e

de démontrer, et si l'on veut établir par exemple que les textes


chrétiens ne sont que des décalques d'originaux helléniques, on tend
à rajeunir ceux-ci et à en affirmer la complète indépendance vis-à-vis

de la pensée chrétienne. Cependant la pensée juive et la pensée


chrétienne n'ont-elles jamais agi- elles aussi sur la pensée païenne?
Les papyrus magiques publiés par xM. Wessely. et datant vraisem-
blablement du début du quatrième siècle, nous montrent le nom de
•lésus employé d'une manière courante dans les incantations (3), et

même associé au nom d'Anoubis i). Le gnosticisme tout entier pré-


sente un curieux mélange d'éléments hellénistiques et d'éléments
chrétiens, à tel point qu'il est difficile parfois de dire si l'on se trouve
en présence d'une doctrine chrétienne ou dune doctrine païenne;
et il semble bien que la littérature gnostique du deuxième et du
troisième siècles n'ait pas été sans affinité, peut-être sans influence

(1) R. Reitzexstein, Die hellenisiischen Mysterienreligionen, Leipzig, 1910.


(2j Th. ScHERMVNN, Griechiscke Zaul/erpapi/ri, nnd dos Gemeinde- und Dankgebcl
im ersten Klemensbrief; TU., XXXIV, 2 b, Leipzig, 1909.
(3) C. Wessely, Les plus anciens monuments du
cliristianisme écrils sur papyrus
(Patrologia orienlalls, IV, 2), p. 90 (1. 1233 du papyrus magique de Paris), p. 90 (id., ligne
3020).
(4) C. Wessely, op. cit., p. 97 (lisne 17 du papyrus V de Leyde, 6'= colonne).
MELANGES. 407

vis-à-\'is de la littérature hermétique 1). On comprend que nous ne


puissions développer ce point de vue ; mais s'il est exact , il doit
amener à des conclusions tout à fait différentes de celles de Reitzen-
stein. Lui aussi le christianisme a bien son originalité et sa valeur
propres; et il est injuste de le considérer exclusivement comme la
résultante des éléments extérieurs, comme la synthèse des croyances
grecques et des mystères orientaux; lui aussi, il a exercé son influence
sur le monde dans lequel il se répandait, et il n'est pas besoin
dattendre jusqu'à la réaction de Julien pour voir le paganisme
•'ssayer de s'adapter tant bien que mal à ses formes nouvelles. Si
la part des influences réciproques, du donné
et du reçu, est difficile

à faire, du moins peut-on demander que la recherche en soit menée


avec une exactitude scrupuleuse, et qu'on veuille bien ne pas tirer
des documents ce qu'ils ne peuvent pas nous donner. Un texte du
troisième ou du quatrième siècle n'est ordinairement pas capable
d'expliquer un texte du second ou du premier siècle; à priori, on
serait plutôt tenté de conclure au rapport inverse. Si l'on veut ne
rien affirmer au delà de ses preuves, la première question qui se
pose est celle de la chronologie, et sans doute elle sera résolue beau-
coup plutôt par la critique externe des témoignages, que par la
critique interne, toujours subjective et sujette à caution. C'est pour
cette règle si simple que Reitzenstein s'est parfois
avoir oublié
trompé comme nous croyons lavoir montré à propos du Pasteur
d'Hermas.
Il serait facile de poursuivre ces remarques générales. Notre but
n'est pas de donner un traité de méthodologie. Xous nous proposions
seulement d'éclairer par la discussion d'un exemple particulièrement
intéressant quelques points relatifs à l'emploi de la méthode com-
parative dans l'étude des origines chrétiennes. Plus que jamais, ces
procédés sont devenus nécessaires : puissions-nous avoir réussi à
montrer quelques-unes des diftîcultés qu'ils présentent et des pré-
cautions à prendre pour s'en rendre maître.

Besançon, 27 février i'.'ll.

Gustave Rabdv.

(1^, Cf. E. Kkebs, op. cit.. p. 146 ss.


408 REVUE BIBLIQUE.

III

EXPLORATION DE LA VALLÉE DU JOURDAIN

m. DU ZERQA (JABBOO) A FAHIL (pELLa).

A tout prendre, nous avons de bonnes raisons de nous croire dans


la plaine de Soukkoth (li au moment où nous
passons en vue du
Tell Ahsas, « la colline des Huttes », et au pied de Deù' 'Alla, la
Soukkoth de la tradition juive. Bientôt, par une éciiancrure de la
barrière occidentale du Ghôr, apparaît estompée dans le lointain
l'énorme bosse du Thabor, évoquant tout de suite dans notre esprit ce
trait de l'histoire des Juges. Gédéon ne venait-il pas de carder les
gens de Soukkoth avec les chardons et les épines du désert quand il
demanda aux deux cheikhs madianites capturés par lui, Zébah et
Salmana « Qui donc étaient les hommes que vous avez tués au Tha-
:

bor? » Il se trouva que les victimes étaient les propres frères de


Gédéon; de par les exigences de la loi du sang, les deux chefs de
Madian furent immolés (2). Le territoire de Soukkoth porte maintenant
parmi les Bédouins le nom de et-Tawàl. Après avoir laissé à l'ouest
le tell Zerar, nous faisons au village de Mizdr une halte d'un quart

d'heure. Le motif de cet arrêt n'était certes pas l'intérêt que pouvait!
offrir cette mesquine localité la visite de quelques mauvaises cabanes]
:

adossées à la montagne et d'un bosquet de grenadiers et de figuiers]


n'aurait guère nécessité plus de trois minutes. Mais l'orge, l'orge, le]
ressort des caravanes, faisait défaut, et dans cette région dépeuplée,
seules les masures de Mizàr recelaient la précieuse céréale. Encore]
fallait-il trouver quelqu'un pour ouvrir le dépôt et pour vendre, toutes]
choses qui, en Orient, ne se font pas à la seconde. Nous étions en train]
de considérer un petit aqueduc A arches quand des interpellations!
montagne vinrent nous tirer de notre recueil-]
parties des flancs de la
lement archéologique. Nous aperçûmes alors trois cavaliers bédouinsi
qui descendaient vers nous. Leurs intentions, au fond, n'avaient rien]
d'hostile. Il s'agissait, tout bonnement, de payer un droit de passage.
Une de non-recevoir fut opposée à la réclamation. On fit entendre]
fin

à ces braves gens que le procédé était un peu vieux jeu et que le]

(1) La ni^D pC" du Psaume 108, 8.

(2) Juges, 8, 16 ss. Lagra>ge, Le livre des Juges, p. 147.


I^LAXClli; 1.

thot, du Dr Ehrlich.

I. — l.e Tombeau d'Abou 'Obevdali

2. — Ouâdv Jal)îs.
IM.A.M.IIK II.

Pliot. ou p. JauBsi'n.

I. Tell 'Ammatn.

. ..vit. (lu f. «juua&ea.

DuAclv el 'Aral).
MÉLANGES. 409

Crotjuis de l'itinéraire.
HO RENTE BIBLIQUE.

temps des rois d'Ammon avait fui. Finalement, ils se contentèrent de


trois pilules d'aloès destinées à l'usage tout personnel du cheikh de la
tribu des Masalha.
Mizâr désigne un sanctuaire musulman. Le hameau a emprunté ce
nom à la bâtisse blanche qui. située à vingt niuiutes de là au nord,
sur un renflement de la plaine, attire les regards de plusieurs lieues à
la ronde. Elle s'appelle, en effet, Mizdr Aboii 'Obeydah (pi. I, 1). La
coupole de cette construction écrasée abrite la sépulture d'Abou
Obeydah ben el-Djarrah, lieutenant du calife Omar. Vainqueur à la
célèbre bataille du \armouk (636), conquérant de la vallée de
rOronte et d'Alep, il prit part à la campagne qui fit entrer la Pales-
tine sous le joug arabe (1). Comme d'autres émirs, il fut emporté, en
639, par la peste d"Amwàs dont les ravages sont demeurés légendai-
res.Le mizàr s'élève vraisemblablement sur le lieu même où le fléau
le en 1225, mentionne cet ouély sur le territoire
terrassa. laqoùt i2 ,

de 'Ammatà, ce qui est exact. D'autres auteurs arabes connaissent ce


célèbre tombeau de l'Ourdounn (district du Jourdain) (3), qui prit
une importance particulière entre les sanctuaires musulmans, après
les travaux que le sultan Beibars y fit exécuter en 127T. En effet, une
inscription arabe i y déclare que la qoubbeh a été élevée sur la
sépulture [darilj) du fils de Djarrah sur l'ordre de Beibars et que le-
dit prince a assigné à l'entretien de ce tombeau les revenus de cer-
taines terres du district de Homs, voisines de Qala'at el-Hosn. Une
restauration ou des agrandissements mentionnés dans une seconde
inscription datée de 687 de l'hégire (1288 de notre ère) vinrent ache-
ver l'œuvre de Beibars et lui donner la physionomie un peu lourde
que le mizàr ofire aujourd'hui. D'autres villes telles que Damas et
Tibériade revendiquent l'honneur de posséder la dépouille d'Abou
Obeidah [o] ce sont là des prétentions locales sans fondement.
;

Aussi devra-t-on s'étonner que l'Encyclopédie de l'Islam et le dernier


Baedeker de Palestine n'aient eu que Damas à donner comme lieu de
la sépulture du fils de Djarrah.

Autour du mizàr de Ammatà sont venues se grouper quelques


rares boutiques, cahutes de terre battue, tentes en lambeaux, où les
passants et les pèlerins trouvent à se procurer des objets de première

(1) Caetani, Annali delV Islam, 15= an. de l'hégire, 31-40; 16^ an., 319 ss.

(2) Le Str.ange, Palestine under the Moslems, p. 393.


(3) Clermom-Gvnneao, Recueil d'archéot. orient., I, p. 349.
(4) ReleTée par Schumacher et publiée par van Bercheni dans Milthcil. DPV., 1903.
pp. 45 ss.
(5) De même. Beisàn. Extrails d'Aly el-Herewy dans Arcliives de l'Orient latin. J.

p. 593.
MÉLANGES. 411

nécessité. Le bazar, au demeurant, est peu fourni, les besoins du


nomade étant fort restreints. La vénération qu'on a pour louély est
surtout marquée par le cimetière arabe qui s'étend à son ombre. Une
tombe de cheikh y sollicite notre attention. Des pierres moulurées
provenant probablement des ruines de 'Ammatâ sont entrées dans sa
construction elles y encadrent une de ces épitaphes parlantes qu'af-
:

fectionnent les Bédouins (1 Ces hiéroglyphes modernes consistent


.

dans la représentation des insignes de la véritable hospitalité :

poêle à griller les grains de café, mortier et pilon à broyer, petite


cueiller à prendre la divine poudre, cafetière au long bec, tasses et
plateau. C'est une façon originale de dire un éloge qu'on pourrait
banalement formuler ainsi Au cheikh hospitalier, la tribu recon-
:

naissante.
De l'ouély, nos chevaux nous emportent en un quart d'heure jus-
qu'au campement qui se dresse sur une plate-forme caillouteuse
dominant de quelques mètres la dépression embroussaillée où les eaux
abondantes de Vouàdy Badjib se fraient un passage. Une saignée
pratiquée un peu en amont amène par un canal une quantité d'eau
suffisante pour l'irrigation des champs situés dans la plaine d'e/-
Boueib. L'étendue semée de grosses pierres où se trouvent nos tentes
a été remuée récemment par des chercheurs clandestins d'antiquités,
dont le quartier général est Beisân. C'est é^idemment une ancienne
nécropole dépendante de la petite ville de Ammata dont il reste '

quelques vestiges de l'autre côté de la rivière. Cette localité eut quel-


ques malheurs à soufïï'ir au i" siècle avant notre ère. Quand il eut,
à Scythopolis, fait alliance avec Cléopàtre,- veuve de Ptolémée Phys-
con, contre l'envahisseur Ptolémée Lathyre, Alexandre Jannée s'em-
para de Gadara et d'Amathous, le plus considérable des abris fortifiés

bâtis sur le Jourdain ; 2). Le succès fut de courte durée, car Théodore,
fils de Zenon le tyran de Philadelphie Amman), dont Amathous
était le repaire, infligeaau vainqueur des pertes sérieuses au moment
où celui-ci se retirait vers la Judée (vers 96 av. J.-C.'. Le condot-
tiere juif se vengea quelque temps après en" livrant la ville aux
instincts pillards et sanguinaires de ses mercenaires pisidiens et cili-
ciens (3). C'est non loin de là, à Ragaba, aujourd'hui Radjib sur le

{\) Des tombes pareilles se volent aussi à >'iinrin où nous sommes passés le 31 janvier ;

à Beil-Saliour el-'Atika dans le Cédron, a 20 minutes de Slloé, il y a toute une série de


sépultures de ce genre, fort intéressante.
(2) Anliq. Jud., XIII, 13, 3 : Alpîï oï y.al A!i.a6ov;vTa. fiÉy-aTov ip'Jtxa twv "jnèp -ov 'lopoâvrv
xaTa>-/.Tî[j.£Vwv.

(3; lOid., XIIL 13. 5.


^12 REVUE BIBLIQUE.

torrent demême nom, dans la direction de Djérasch, que devait mou-


rir Alexandre Jannée, en 76 avant Jésus-Christ (1). Lorsque Gabinius
établit quelques centres de gouvernement oligarchique dans la
vallée du Jourdain, en Judée. et en Galilée, Amathous fut choisie
pour être le siège d'un petit sénat ou sanhédrin (2). A l'époque
byzantine elle est signalée comme un bourg de la Basse-Pérée située
à 21 milles au midi de Pella (3).

Les Talmudistes l'ont connue sous


le nom de Amatho auquel l'arabe
Amtà et Amraatà offre un bon
répondant, et l'ont identifiée avec
la Saphôn que le livre de Josué
place dans le Ghôr en compagnie
^^
de Soukkoth [k). L'identification
"î est satisfaisante. En tout cas, on ne

voit pas pourquoi Thomsen a mis


en doute l'identité de Arnatho et
de 'Ammatâ pour proposer l'iden-
tification avec Haraatha de Pella du
Talmud de Jérusalem (5). La pho-
nétique et la distance s'opposent à
cette hypothèse. D'ailleurs, nous
trouverons bientôt aux abords de
Tabaqât Faliil un el-Hammeh qui
remplit parfaitement toutes les
exigences du texte talmudique.
Bref, nous aboutissons à la distinction très nette de 'Amatho- 'Am-
matâ d'avec Hamatha-Hammeh (de Pella).
Sous la domination arabe, 'Ammatâ sut conserver quelque impor-
tance ; son territoire fertile et facilement irrigable se prêtait à la
culture des céréales et de l'indigo. Aujourd'hui, elle est réduite à

(1) Aiit. Jud. XIII, 15, 5 : àîtsÔavEv èv tûî; rcpaovjvrijv opot;, iroXiop.xwv 'Payaêà, çpo-jptov
Tuepav Toû 'lopoàvou. Cf. Scihekkr, GDJV. ', I, p. 284.
(2) Ibld., XIV, 5, 4.
(3) OnotitnslU'on (Lai^anle, |). '239) : li^txan xal vvv 'A[j.|i.«6oO; v.ô)\j:r, èv t?, FlEpata Tf,

xaTwTÉpx riiXXwv ôicTTiocra (7r,[Xcioi; -/.al et; \6zo^j.

(4) Josue, 13, 27. ïalmud de Jérusalem, Schcùi'iUi, 9, 2 : iDCy 712Â*. Les auteurs
arabes ont 'Amlà ^^. Aujourd'hui les Bédouins accentuent la première syllabe et lonl
sentirdeuv m. En 1154 de notre ère, Idrisi écrit que Jéricho, 'Amtâ et Beisân sont Us plus
bellesvilles de la vallée du Ghôr. Nous avons vu que laqoùt y place le tombeau d'Abou
'Obeydah. Cf. Le Stkange, op. /.,pp. 31, 393.
(5) Loca Sancla, p. 20. Schebi'ilh, 6, 1 : SilST NP^Zn.
MÉLOiGES. 413

deux ou trois tells sur les flaucs desquels les pierres des anciennes
constructions gisent parsemées: de rares tentes de nomades sur le
bord du Radjib roprésontent la population de l'endroit. L'un de ces
tells que nous avons visité avant la tombée de la nuit est situé dans

une boucle de la rivière qui, sur trois côtés, lui sert de fossé natu-
rel 'pi. II, ij. Au sommet, les arasements d'une forteresse à peu près
rectang-ulaire de 60 pas de long- sur iO de large sont encore très
visibles ainsi que la chaussée en plan incliné qui y donnait accès
(fisr. 1). C'est tout ce qui demeure du praesùlium 'k'cjy.a saccagé par
Alexandre Jannée; le milieu est occupé par des tombes sarrasines.
Sur la pente sud-ouest, deux fondations de murailles et un chapi-
teau rongé par la dent des siècles.
Le 2 février au matin, notre caravane franchit louàdv Radjib et
pénètre sur des terres que des paysans arabes travaillent pour le
compte des Bédouins Bclaouné. Un des nomades de notre escorte a
refusé d'aller plus avant. Les espaces inconnus qui s'ouvraient au
nord l'ont effrayé. Comme il appartient aux Abou Nsêr. tribu qui
gyrovague aux environs de Jéricho, il a pensé qu'il était suffisam-
ment éloigné de ses pénates de toile pour que la route de son re-
tour olirit des difficultés non chimériques. Le 11 février nous retrou-
vons Salem (ainsi se nommait le guide en question auprès de 'Aïn
Douk, encore tout ému du mauvais pas dont la Providence ^ient de
le tirer. Voici en deux mots le récit de ses tribulations. A peine

nous a-t-il quittés qu'il serre entre son cuir de la plante des pieds
et celui de sa babouche les medjidiés qu'il a touchés comme émolu-

ment, liant le tout avec un lambeau de son abaïe à la façon d'un


bandage sommaire. Il passe sans encombre le .lourdain sur le bac du
Damieh et s'engage dans les dunes de la rive occidentale. Soudain,
au milieu du lal)yrinthe marneux du Zôr. il se trouve face à face
avec deux individus armés qui l'arrêtent. Ce sont deux Qa'abné dont
le clan situé dans la région de Fasàïl est en guerre avec les Abou

Nsêr. Le malheureux Salem, pressé de questions, proteste par Allah


et son prophète qu'il n'est pas des Abou Nsêr. qu'il est un pauvre
berger venant de l'est. Rien n'y fait. Son accent, parait-il, trahit son
origine. Les deux agresseurs vont Tégorger quand, attirés par les
cris de deux cavaliers arabes arrivent à toute bride. Sa-
la "sdctime,

lem clame prend comme protecteurs. D'après les us et cou-


qu'il les
tumes du désert, ceux-ci doivent dès lors arracher l'opprimé aux grif-
fes de ses ennemis il;. Ainsi firent les généreux cavaliers. Salem

^1; Jaissen. Coutumes des Arabes, p. 208.


414 REVUE BIBLIQUE.

reçut sous leur tente une hospitalité qui lui remit les esprits en place
et finitpar regagner son campement, avec son argent dans la se-
melle. Les deux Qa'abné qui l'avaient fouillé soigneusement n'.avaient
pas réussi à mettre le nez sur la cachette.
Les gués du Jourdain et les chemins qui y mènent ont été depuis
longtemps le théâtre de faits autrement graves que ce morceau de
chronique locale. Cependant, la manière varie peu. Salem se défen-
dant d'appartenir aux Abou Nsèr et reconnu comme tel à son lan-
gage rappelle ])eaucoup l'épisode du Sihboletli qui se déroula préci-
sément aux passages de la région de 'Ammatâ, puisque ce fut après
s'être concentrés à Saphôn que les Éphraïmites prirent la fuite une
fois vaincus par Galaad (1). D'une tournure moins orientale est le récit
de Guillaume de Tyr, relatif à la défaite des Turcs venus pour re-
prendre Jérusalem en 1154. Le gros de l'armée franque se trouvait
à Naplouse. Suppléant au nombre par la valeur, la petite garnison
de Jérusalem culbuta furieusement les infidèles sur le mont des Oli-
viers et les harcela tout le long de la route de Jéricho en leur fai-
sant beaucoup de mal. Cependant les soldats de Naplouse, avertis de
cette irruption des ennemis et de leur retraite, venaient occuper les
gués du Jourdain et ajouter l'extermination (2). à la déroute
Pendant que Salem était aux prises avec les difficultés de la vie no-
made, nous poursuivions notre chemin vers le nord, guidés par un
nègre venu de Mizàr. Un quart d'heure après le départ, nous passâ-
mes à proximité d'une quantité de rocs arrondis, pressés comme un
troupeau. C'est ce qu'on appelle dans le pays les brebis d! Abou Obei-
dah. Le troupeau pétrifié nous occupait encore quand nous franchî-
mes la ravine nommée Abou Halâ « le père de la solitude ». La route
longeant alors le pied des montagnes est ferme et pierreuse; des
grottes s'ouvrent dans la paroi rocheuse et la campagne qui s'étend
vers le Jourdain est cultivée. Le k/iirbet Fakaris (3), qui se trouve
à un quart d'heure au delà des brebis en pierre, présente un en-

semble plus animé que le pays environnant. Nous y vimes quelques


maisonnettes et des troupeaux de vaches et de veaux. Le centre de la

(1) Jug. 12, 1-7. Cf. LA(.RANGE,y/>. /., pp. 207 ss. Vers le conduent de l'ouàdy Radjil), se

trouve le gué Turinnûnyeh. Directement à l'ouest de Deir 'Alla sont les gués Abou Si-
dreh et Oumm Sidrch, signalés dans la carte de Schumacher.
(2) Qui vvro apud Neapolim convcnerant,... unanimiter egi-edientes, ad Jor-
XVil, 20 :

danis flucnta fiostibus occurrentes certatim convolant, ut vada occupent, et impediant


transite volentes L'h'\slor\en ajoute que les fuyards évitaient un péril pour tomber dans un
.

autre, de sorte que le bnichus mangeait ce qu'avait laissé la sauterelle.


(3) Nous avons entendu plusieurs
fois Fitèaris, ce qui autorise notre orthographe. Ce-

pendant Schumacher a relevé la prononciation Fat/aris.


MELANGES. 41 o

ruine est occupé par uq tombeau de santon .cheikh Krehn) autour


duquel gisent des pierres de taille, des chapiteaux et des colonnes.
De là nous aperçûmes du côté du fleuve le beau tell Sa'idyeh. A
sept minutes au nord, coulent les eaux blanchâtres de Vouddy Adj-
lot'm qui porte dans sa partie inférieure le nom à'ouâdy Kafrendji.
A sa sortie de la montagne, on peut voir un aqueduc à arches ainsi
que le tell el-llamrd et une ruine nommée Ekleile. Cet amas de cons-
tructions éboulées, maintenant recouvertes en grande partie par la
terre, montre quelle activité la rivière de 'Adjloùn entretenait jadis
dans ce coin de la dépression jordanienne. De nos jours, la culture
y est représentée par des champs de sorgho ou dourah. Mais les ar-
bres épineux essaient de regagner du terrain, enhardis par la né-
gligence des cultivateurs. Nous y retrouvons en efïet le zaqoum
i',.y, dont la feuille est plus petite et plus pointue, et les épines
plus droites que celles du seder. Il produit une espèce de grosse olive
dont riiuile est utilisée par les indigènes contre les rhumatismes. Ce
renseignement que nous tenons de notre nègre concorde avec la no-
tice consacrée à cet arbuste par les anciens naturalistes arabes (1).

Compagnon inséparable du zaqoum, le seder .j~ nous offre sa pe-


tite baie jaune-rouge qui a la forme dune pomme en miniature et

que les Aral)es connaissent sous le nom de doum .»3-^) (2). Nous re-
marquons aussi une solanée appelée djinnen par les indigènes : son
de la grosseur d'une orange fournit une poudre qui sert à
fruit faire
cailler le lait. Notre guide nous encore savoir, en nous montrant
fait

àe% jyommiers de Sodome '.J:^;, que la bourre produite par ces ar-
bres est employée actuellement dans le Ghôr à faire des coussins. Les
Arabes du moyen cige en usaient de même 3). L'un d'eux a tracé de
cette plante cette peinture assez réaliste : « Elle produit des pommes
qui ressemblent aux bouche des chameaux
chairs sortant de la
quand ils mugissent. Il s'échappe de l'intérieur de ces fruits une
substance inflammable que l'on préfère à toute autre pour allumer
le feu. Elle sert aussi à bourrer des coussins et des oreillers » (4).
En somme, c'est la flore des bords de la mer Morte qui réapparaît
icicomme en général sur tous les points irrigués du Ghôr et de la
Ara bah (5.
(1) Ihn el-Beitiiar. Traité des Simples, Xoiices et extraits ries mss. de la Bihl. Nat.,
XXV, p. 214. Cette huile « est chaude et renommée contre lengourdissement : elle est bien
connue dans le Ghôr ».

[1) P. 238.
(31 P. 448.
(4;, Ibid.
(5) RB., 1909, pp. 600 s.
416 REVUE BIBLIQUE.

Le tell Handaqouq près duquel nous passons, une heure et demie


après avoir quitté 'Ammatâ, tire son nom d'une plante ^yj-o^) i

que les Grecs appelaient Aw-bç à'vpioç, le lotus sauvage, sorte de trè-
fle décrit par Dioscoride (1). Nous sommes à présent au point où la
vallée du Jourdain est le plus resserrée tout au plus six kilomètres de
;

large. Cette région se nomme Ouahadna. Le niveau du sol y est plus


élevé qu'au sud et la terre en est rougeàtre. A une demi-heure de
Handaqouq se dresse l'imposant tell Situât, c'est-à-dire « la colline

des cassiers ». Les naturalistes arabes rendent en effet la -/.a^îTi'a des


Grecs par slîhah {!>.:s^) (2). A quinze minutes au nord-est, en nous
engageant un peu dans la montagne nous visitons le khirbet et Vouâdy
Slîhât qui a de l'eau et des ruines d'aqueduc et de moulins. Aussi
bien que les noms géographiques tirés des productions agricoles,
ces débris, ces tells qui se succèdent à de brefs intervalles prouvent
combien ces pays étaient autrefois habités, et cultivés. Aujourd'hui,
les environs de Slihât sont absolument dépeuplés, sans même une
tente de nomades; la terre grise et marneuse ne porte plus aucune
trace de sillon. Sur la crête des montagnes à l'orient, se découpe
la silhouette de quelques vieux chênes échappés au vandalisme du
déboisement. De nombreux pommiers de Sodome font le seul or-
nement de ce bout de vallée redevenu sauvage.
Nous avons repris le grand chemin du Ghôr qui suit, tant bien que
mal, l'antique voie principale de la Basse-Pérée. A une heure qua-
rante au nord de Handaqouq nous traversons Vouddy el-Qarn (3) ap-
pelé aussi el-Himmar, sinueux, profond, sans eau, aux berges rou-
geâtres. Dix minutes plus loin, on voit tout à coup le Liban et
l'Hermon couverts de neige se dresser étincelants dans un ciel très
pur. Le terrain que nous foulons en ce moment est rocheux, acci-
denté, on dirait un morceau de Judée transféré dans le Ghôr. A
sept minutes de l'endroit où l'on est surpris par la vue des beaux
sommets neigeux, trois milliaires jonchent le sol. Malheureusement,
ils ne portent pas d'inscription d'après le temps que nous avons
;

mis à chevaucher jusqu'ici, nous devons être à peu près à 15 milles


au nord de 'Ammatà. La vallée s'élargit de nouveau grâce à la vaste
plaine de Beisân qui commence à l'ouest.

Un tell couvert de pierres se trouve à droite du chemin, huit mi-


nutes après les milliaires. Notre guide en ignore le nom ; c'est pro-

(1) Ibn el-Beithaiî, op. l., iXXIII, p. 4fi6.

(2) Ibid., XXV, p. 272. Hébreu : nî?''j:p, Ps. 45, 9.

Ce nom provient du gros tell el-Qarn situé surle Jourdain non loin de l'aboutisse-
(3)
ment de l'ouâdv. On trouve aussi les deux noms réunis, Qarn el-Eimmar.
MÉLANGES. 417

bablement Habil delà carte de Schumacher. Près de là nous sommes


croisés par des chasseurs arabes accompagnés d'une meute de beaux
chiens. Avec leurs lonss fusils très vieux modèle ils n'ont pas chance
d'abattre beaucoup de san.iiliers, aussi leur retour de chasse n'a-t-il
rien de triomphant. Tandis que nous nous élevons sur les dernières
pentes des montagnes de Adjloùn. l'ouély et l'arbre sacré de Sou-
/«//i6/7 attirent nos regards dans la plaine. Dans les fastes de la conquête

musulmane, Sourahbilben-Hasanah tient un des premiers rangs. Ce fut


lui qui soumit au pouvoir des califes la côte phénicienne, Tibériade et

la vallée du Jourdain dont il resta le gouverneur après la conquête

définitive (1,. Emporté lui aussi par la peste d'Amwas 639;, il repose
vraisemblablement dans le 7nizdr qui garde son nom. au cœur même
de la province confiée à son administration.
C'est à l'intérieur de Xouady Jobîs (pi. 1. 2 que nous prenons
notre repas de midi. Un cours d'eau limpide serpente au fond de la
large vallée, à travers les roseaux et les arbustes épineux. Les pentes
sont formées de conglomérats de petits galets au milieu desquels on
voit engagés quelques blocs de grès. Vers la « porte de l'ouàdv >^

s'élève un tertre nommé Mezabil ; quelques restes de canaux sont


encore visibles ici et là. A l'ouest, une échappée de vue sur le Tha-
bor; à lest, sur les hauteurs de Galaad. Le long du ruisseau, dans
le Ghor, quelques campements des Beni-Hasàn, hommes farouches qui

finissent par prendre des mines plus avenantes quand le docteur D.


appartenant à la caravane a examiné leurs malades. La vallée du
Jabîs a conservé le nom de la localité biblique encore introuvée de
Jabès-Galaad. qui pourvut malgré elle à la restauration de la tribu de
Benjamin. La parenté qui en résulta explique les rapports étroits
établis entre le Benjamite Saill et les habitants de Jabès. Saiil, en
effet, délivra la ville des attaques des Ammonites; lesgens de Jabès,
en retour, arrachèrent des murs de Beisàn le cadavre de Saiil et de
son fils que y avaient exposés et leur rendirent les hon-
les Philistins

neurs funèbres, conduite que David trouva louable. Plus tard, David
fit transférer leurs ossements à au pays de Benjamin 2).
.Séla.

Revenus sur le s-rand chemin de la vallée du Jourdain qui passe

(1) Cf. C\ETA.M, Aiinali deli Islmn. 16' an. de l'hégire, 320. Ce n'est donc plus le Scha-
rablt qui embarrassait naguère Neslle li-anl la carte de Fischer-Gulhe. Quant à Scftar-
habil, d'après une inétatliese que se permettent ordinairement les Arabes suivant le prin-
! cipe du moindre effort, c'est une sinriple fantaisie d'y voir avec Mommert, sur le dire d'un
missionnaire, le sens de " ruine d'Abel >' ZDPV., 1907, p. 212; 1908. p. 296.

X "y^f *^*''r*' -^ug.. 21. 9: I Sam., 11;31. 11-1.3: H.So/»., 2,5; 21. 12; Chron., 10,
11.

REVUE BIBLIQUE 1911. — N. S., T. VIIC. 27


418 REVUE BIBLIQUE.

alors à travers des champs de blé et des prairies envahies par les as-
phodèles, nous arrivons au bout de trois quarts d'heure sur un
terrain semé de ruines ce sont des fragments de colonnes en granit
:

rouge de 0"\30 de diamètre, des fûts de colonnes en calcaire jaune


de O^'ôô de diamètre, un socle mouluré et une petite abside. A cinq
minutes de là. le ravin sans eau de Sale h et à dix minutes, les eaux
abondantes et impétueuses de l'ouàdy Djirm el-Môz qui, descendant
de Fahil,se divise en plusieurs branches sous des fourrés de roseaux
impénétrables.
En faisant un grand détour vers le nord, nous finissons par arriver
à Fahil où les tentes sont fixées. La topographie de l'endroit peut
s'esquisser ainsi Qu'on se
:

figure un plateau de terre


rouge très fertile et encore
bien cultivé, situé à une
centaine de mètres au-des-
sus de la vallée du Jourdain
et formant comme un pre-
mier degré contre les ram-
pes des montagnes de Adj-
loùn quile terminent à Test.
Les autres limites sont à

l'ouest le Ghôr, au sud la

crevasse du Djirm el-Mùz et

au nord le seil el-Hammeh.


C'est vers Lextrémité sud
t'uui. JaasseDi que se trouve l'éminence
lig. i. — Fragment de rempart à Fabil. qui porte les ruines d'une
ville jadis entourée de rem-
parts ifig. -2) et occupée aujourd'hui par quelques maisons de
paysans. Si miséral>le est ce hameau qu'il conserve encore le nom de
la ruine : khirbet Fahil. A
de cette éminence sont les ruines
l'ouest
d'une basilique et celles de la principale nécropole de la ville. La cité
était forte surtout du côté méridional où le plateau s'arrête brusque-
ment aux flancs de l'ouâdy Djirm el-Môz (\\n renferme de beaux spéci-
mens de sculptures d'un art très développé, des grottes sépulcrales, des
grottes d'habitation et une grande quantité de sources dont les eaux fai-
saient autrefois tourner des moulins. Ces eaux d'une température de
2i**centigrades n'entretiennent plus de nos jours qu'une végétation
sauvage où s'abritent des sangliers; aux temps de la domination
arabe, le bananier devait y croître ainsi que le fait conjecturer le
MÉLANGES. 419

nom de louàdv Djirm el-Môz, « la cueillette de la banane >. Au point


de jonction des deux dépressions qui donnent naissance à louàdv, se
dresse tell el-Hom sur lequel était bâtie une acropole dont les arase-

ments sont seuls visibles fig. 3). Cette colline, plus élevée que la ville,
est abrupte et d'un accès difficile. Le sommet, tronqué par une plate-

forme plus spacieuse que celle qui termine les cônes artificiels de Ma-
chéronte et d'Alexandrion, est un des plus remarquables belvédères de
la barrière orientale du Ghôr. Immédiatement au sud s'étend une série
dt' labaqàt ou plateaux; au nord, c'est tabaqdt Fa/iil et ses ruines;
en avant, la vallée du Jourdain depuis l'extrémité méridionale du lac
de Tibériade, moirée par les méandres du fleuve qui s'empourprent
sous les reflets des nuages embrasés au crépuscule, la plaine de Bei-
sàn avec ses nombreux tells et ses cours d'eau infinis. Au fond, Gel-
boë, Néby Dahy. le Carmel, le Thabor, les monts de la Galilée supé-
rieure bornent cet attrayant panorama (1).

Fa/iil ou plus exactement Fil/l -^ répond à l'hébreu Pahl


(^nZ ^2). Quant au grec Pella llÉ/./.a), il n'est, me semble-t-il, ni la
transcription, ni la traduction de l'appellation sémitique. Il y a eu
simple adaptation, fondée sur une vague ressemblance, d'un mot hel-
lénistique à un mot sémitique. D'autre part, le nom sémitique ne dé-
rive pas du nom grec; comment expliquer, dans ce cas, linsertion de
l'aspirée? Pella et Pahl ont vécu concurremment, l'un dans la bou-
che des gens de race hellénique, l'autre dans la bouche des indigè-
nés et c'est de la bouche des indigènes que les Arabes ont entendu le
I

'
Pahl dont ils ont fait Fihl. Quand les colons macédoniens vinrent
s'installer sur ces plateaux, vers 310 avant notre ère, le mot de Pahl
'
suffit à leur donner l'idée de nommer cet endroit Pella. Ce nom leur

était familier, lis le distribuaient d'autant plus volontiers qu'il leur


iMppelait la capitale de la patrie absente et (jue la naissance d'A-
lexandre l'avait immortalisé (3j. Le même
procédé de toponymie se
itmarque à propos d'autres ^illes d'Orient. Ainsi, chez l'envahisseur
2iec, le nom de la vieille cité d'Asdôd évoqua lenom d'une ville
I Achaïe qui leur parut se rattacher au premier comme phonétique,

I (1) Entre racrojiole et la ville, dans la vallée du Djirm se voient les ruines d un temple
dont les colonnes renversées ont un mètre de diamètre ; des sculptures d'acanthes, de
volutes, de corniches avec oves d'un travail fin permettent de juger de la perfection de ce
1 monument. Dans le khirbet nous retrouvons le linteau publié dans RB.. 1899, p. 22. On
trouvera la description de la basilique près de laquelle nous avons campé et des Testiges
anciens qui bordent le Djirm el-Môz dans la brochure illustrée de Schumacher, Pella,
L'indres, 1888.
'
KooûT, éd. Wustenfeld, III. Talmud de Jérusalem, Schebi'ifh, 6. 1.
i, Etienne de UyzaNCE né).)», tio/i: ^lay.îôovîaç., ©sffTotXa;. "Axa-x;. 7.o:).r,; Iyp{a;.
:
420 REVUE BIBLIQUE.

Azôtos (1). Le rapport est lointain, pourtant aussi, tandis que les ;

gens de race hellénique disaient Azôtos, ceux de race sémitique con-


tinuèrent à appeler cette ville Asdôd et le transmirent aux Arabes
qui en ont fait Esdoùd. et Azôtos comme Pella disparut de l'usage,
avec la ruine de la civilisation hellénistique.
Pella se montre dans l'histoire comme le type de la cité attachée
sincèrement à riieliénisme. Conquise par Autiochus le Grand, en 218

riiot. ilu U' Kliriicli.

Fig. 3. — Tell cl-Hoçu (Acropole de Pella). Au premier pian passe l'ouàdy Djirm el-Moz.
J
avant .I.-C, dans une campagne où
la forteresse du Thabor avait

déjà été emportée énergiquement au prosélytisme


{'2), elle résista
arn)é d'Alexandre Jannée. ce qui lui valut une ruine dont elle sut
d'ailleurs se relever rapidement. Pompée l'ayant délivrée de la ser-
vitude juive, elle lit partie des villes libres qui formèrent la Décapote.
Elle eut des soulèvements juifs au début de la guerre do
à souffrir
Vespasien, mais son attachement au pouvoir romain lui permit de
goûter une profonde tranquillité tandis que toute la Palestine était
en efTervescence. C'est pourquoi la petite communauté chrétienne.

(1)Ét. de Byz. : "AÇwTo; (qu'Épipbane qualifie de Ti6).t; 'EXWjvwv) 7:c>),i; Uoloiiaxv/riç... £(j:i /.a

a),).r, îtôÀt; "Aîwto; 'A/aiaç. Apamée de l'Oronte fut aussi appelée Ui'/la., dit Etienne de
liyzance, ànô tt,; îv Maxioovia.
(2) PoLYBE, //(.>" ^, 5, 70 : à'JsaÀKyâijLîvo; ci y.al t6 'Ara^-jp-.ov àyélfolt. -xalTiooàYwv TtapéXaês
IléXXav y.al Ka(jLoOv xat Fôspo-jv.
MELANGES. 421

voulant échapper aux vicissitudes de la guerre, quitta Jérusalem


pour s'établir à Pella jusqu'à Tentier rétablissement de la paix 1 . Au
n^' siècle, l'antisémitisme de Pella se manifesta d'une nouvelle manière.
En effet ce fut entre 135 et 165 qu'Ariston de PelJa écrivit son dialo-
gue de Jason et de Papiskos où les objections des Juifs et des judéo-
chrétiens sont réfutées au moyen de l'Ancien Testament {^k Lors de
l'invasion musulmane, la ville ne se rendit pas sans coup férir aux
.\rabes qui venaient, sous la conduite de Souralibil (3). de disperser
les troupes byzantines dans la plaine de Beisàn -23 janvier 635 Cette f
.

^^ctoire, qui livra aux califes la vallée du Jourdain tout entière, eut
pour principal théâtre les terres détrempées du sud-est de Scytho-
polis. On y pataugea si bien que la bataille fut appelée par les
Arabes fjàm er-radfjhah ou " journée de la fange ». Le 8 février,
nous trouverons sur la rive droite du Jourdain, vis-à-vis du cours
du Jabis, un tertre ruineux nommé tell Railghah. Encore un exemple
qui fait saisir combien l'onomastique de la vallée du Jourdain a subi
l'influence delà conquête arabe. Ouant à Fahil. à la fin du ix" siècle.
sa population était à moitié grecque et à moitié arabe. Les quelques
habitants qui. de nos jours, sont \enus repeupler ces ruines, sont
peu sympathiques et ne manquent pas de manifester leur hostilité aux
rares étrang-ers qui viennent planter leur tente chez eux pour une
nuit.

IV. DE FAHIL A LOrADV EL-ARAB.

Le prem'er accident de terrain rencontré sur notre route le lende-


main. 3 février, el-Hammeh dont le filet d'eau coule au
est le seil
milieu des lauriers-roses. En remontant la petite vallée vers l'est
on trouve d'abord le Hammet Abou Dablij, source thermale de
iO" centigrades avec effluves de soufre et vestiges d'installation bal-
néaire, puis le tell Hammi.
Cet ensemble de ruines est situé à trente-
cinq minutes de Fahil répond mieux aux « Thermes de Pella »
; il

du Talmud que louàdy Djirm el-Môz (i). Revenus dans le Ghôr, nous

(1) ScHLERER, GDJ]'.*. Il, p. 174. JosÈPHE, BJ., III, 3, 5. met une nillr, parmi les toparchies
de Judée. Ce n'est point assurément la Pella de la Décapole. Pelle doit se trouver entre
Nicopolis et Dômeh en Judée. Une inscription des environs de Ljdda mentionne un Mapyiwv
ne/J.EJ;. RB., 1904, p. 83.

(2) BiTiFKOL, Liltérat. grecque, p. 89. Le gentilis de Pella est HsÀ/.aïo; (Eusèbe. HE., W.

6, 3). Etienne de Byz. s. v. àno'/'.-rr,z Ilî)7aîo:, -tb Èôvi/.ôv nî).>,r,vo{.


:

(3) Caetani, Annali delV Islam, XZ" an.de l'hégire, 207 ss. —
L^Si^xîioz, Palestine un-
derthe Moslems,p. 439.
(4) ScUebi'Uh, 6, 1 "/"ET NT^Z". L'identification de ces thermes avec le Djirm el-Môz
:

est mise en avant par Schimachek, op. l.. p. 35 et Schierer. op. l., p. 174. Le Djirm s'ap-
pelle aussi ouôdy Fahil.
422 REVUE BIBLIQUE.

atteignons, une heure et quart après notre départ de Fabil, Youâdy


Abou Zeyad dont l'eau est en partie canalisée. Un tertre couvert de
masures s'élève à la sortie du ravin, c'est le tell Merqa' Près de là .

un Circassien fait paître un troupeau de juments. Les dunes avoisi-


nant Jourdain font place à une plaine verdoyante qui descend vers
le

le fleuve en pente douce il en est de même sur la rive droite. l'iu-


;

sieurs gués coupent le Jourdain en cette région, donnant accès à la

riche plaine de Beisân et à la trouée qui permet de pénétrer dans la


basse Galilée. De nombreux ruisseaux au cours perpétuel et les tapis
de verdure sont bien de nature à y attirer les nomades de l'est aux

prises avec la soif et la sécheresse. On comprend qu'à l'époque de Gé-

déon, Madianites, Amalécites et autres fils de l'Orient s'y soient

abattus nombreux comme des sauterelles », amenant d'innom-


«

brables chameaux « en aussi grande quantité que le sable qui est


sur le bord de la mer » (1). De'nos jours, ce territoire fait partie des
domaines du sultan. Les Tcherkesses ou Circassiens commencent à s'y
installer. Près du groupe d'arbres sacrés à'el-Arbain, ils ont déjà un
petit \illage.
A trente-cinq minutes au nord de l'ouàdy Zeyàd on traverse le

cours abondant de Vouddy Siqlab du Slave », dominé à


« la vallée

l'est par une sorte de fortin appelé Araq Redjeidân. Aux environs,
'

des chevaux paissent en liberté. Nous rencontrons bientôt quelques


cavaliers arabes dont l'un porte sur l'épaule une longue lance; ils

ouvrent la marche à un défilé très curieux de nomades en migration,


qui rappelle beaucoup le cortège de Sémites représenté aux Béni
Hasân en Egypte. C'est un clan des Soukour du Ghôr qui est en train
de changer de résidence. Des moutons passent d'abord en niasse com-
pacte gardés par des chiens blancs qui circulent autour d'eux. Peu
après, arrivent des ânes chargés d'une partie du matériel de campe-
ment. Seuls le bout des pattes, le museau et les oreilles du baudet
apparaissent sous les rouleaux de toile noire, les poêles à café, les
marmites à riz et les poulets qui pendent en guirlandes de chaque
côté. Voici venir ensuite des chameaux portant aussi des toiles de
tente et les claies de roseaux qui servent à diviser en compartiments
l'habitation du nomade. Un grand troupeau les suit. Au milieu des
brebis s'avance un énorme bélier enrubanné, pomponné, un miroir
historié sur sa large queue. Tout le monde reconnaît eu lui le cheikh
de la gent moutonnière et même les chiens noirs, qui vont et viennent
sur les côtés de la masse laineuse en mouvement, le respectent. Les

(1) Ju(jes,l, 12. Lagrange, Livre des Jiujes, p. 135.


MÉLANGES. 423

enfants en bas âge forment un groupe spécial. Des ânes les empor-
tent un peu comme des paquets leur petite tête toute souriante
;

émerge des sacoches dans lesquelles ils sont enfermés. Ils ont parfois
pour pendant un ou deux chevreaux qui font contrepoids dans la
seconde poche de la sacoche. Les enfants des bonnes familles de la
tribu sont installés sur des couvertures disposées en manière de divan
sur l'échiné de l'Ane. Un pauvre orphelin est bajulé sur le dos d'un
Bédouin charitable. Les vieilles femmes suivent dans leur ample robe
de cotonnade bleue, toutes armées dune longue pipe, distraction de
la Bédouine à la retraite. Les jeunes femmes en bottes roug-es ferrées

au talon passent en causant l'une d'elles tient en laisse deux jolis


;

chiens noirs et blancs. Puis encore du mobilier le mouliti de basalte, :

les sacs de grains, etc. Toute la bande séloigne vers le sud. Tel .Jacob
se rendant vers Soukkoth avec sa substance ».<>

Sur la berge nord de Youâdy Taybeh qu'agrémente un filet d'eau,


est situé le petit hameau de Ouaqqa^, où se trouve un ouély de même
nom et un aqueduc. Ce nom doit remonter probablement au temps
de la conquête arabe; on signale en effet à la bataille de Fahil un
chef musulman appelé Amir ben abi Ouaqqas (1). Les gens du village
se livrent à la culture du tabac. D'après leur dire, il y a maintenant

à l'ancien gué du cheikh Housein un pont de bois, djisr el-hasab, qui


permet d'aller facilement à Beisân (2 Au delà des masures de Ouaq-
.

qas, les montagnes reculent à l'est, une grande plaine cultivée se


découvre sur le Jourdain que dévoilent de larges brèches verdoyantes,
;

des tentes de Bédouins sont éparpillées. A trente-cinq minutes plus


au nord, le sol devient grisâtre et pierreux et l'envahissement des
scillesy rend difficile la culture (3).
Au bout d'une heure et quart d'une chevauchée très monotone
depuis l'ouâdy Taybeh, nous arrivons au mizàr éclatant de blancheur
et aux multiples coupoles connu sous le nom de cheikh Ma ad où

certains auteurs arabes ont placé le tombeau deMo'âdh, fils de Djebel


el-Ansàri qui. aussitôt après avoir pris la succession de l'émir A bon
Obeydah, succomba, lui aussi, à la terrible peste d'Amwas. A proxi-
mité du sanctuaire s'élève le petit village de Ma ad composé princi-
palement de greniers à céréales [sotineh). C'est aussi le cas de l'ag-

(1) Baladzuri 215, d'après Caetani. Annali, 13« année de l'hégire, 211.
(2) Ils ne connaissent pas Youâdy el-'Amoud qui se trouve plus au nord-est, près de
Mendah d'après Schumacher. A un quart d'heure au nord de Ouaqqas passe le ravin sans
eau nommé el-Hasa ou Hoitsa (Schura.j.
(3J La scille {'onsol, basai el-berr) eii un oignon sauvage décrit par Ibn el-Beithar, Xo-
iices..., XXV, p. 476.
424 REVL'E BIBLIOLt:.

glomération située sur la rive droite de l'ouàdv el-'Arab et dont la


moderne appellation de Souneh afait disparaître Fancien nom attaché 1
aux ruines sur lesquelles elle est bâtie, e/-Qousei?\ Après le Yarmouk
et le Jabboq Vouâdy el-'Arab est Faffluent le plus considérable du
Jourdain pi. II, 21. Aussi avait-il jadis les honneurs d'un pont dont il

ne reste plus qu'une arche à l'ouest et une culée à Test. C'est près de
là que viennent encore se réunir les diflerentes routes du nord de
Adiloùn avant de conduire sur une ligne commune unique au pont
du Jourdain appelé djisr el-Medjàmy. Les nombreux campements

arabes installés dans la plaine le long du cours deau expliquent suffi-

samment le nom de cet ouàdy.

V. (lADARA.

Partis vers une heure de l'après-midi à travers un terrain semé de


blocs basaltiques, nous nous engageons, quinze minutes après, sur le

sentier montant qui suit les traces d'une ancienne voie. A une heure
cinquante, nous rencontrons deux gros fragments de colonnes qui
paraissent trop longs pour être des milliaires. Une heure et demie de
montée nous amène sur un plateau de terre rouge, et des restes de
sculpture antique d'un très bon goût nous font pressentir le voisinage
dune de ces villes helléniques que les Grecs d'Alexandre savaient faire
surgir sur leurs pas.
On ne considère souvent dans l'œuvre d'Alexandre que la caducité
de son empire : à bien des yeux, sa campagne en
Asie n'est qu'une
marche triomphale à jamais terminée par
une catastrophe d'où l'on
tire de grandes leçons morales. Cette vue des choses s'arrête aux ap-
parences et se contente des simples dehors. Le partage de l'empire
du conquérant entre ses généraux, loin d'enrayer ou de clore l'œuvre
du fondateur, n'a fait que la consolider, car chacun deux s'est appli-
qué à faire prévaloir dans le lot de peuples qu'il s'était adjugé, l'idée
directrice de la conquête qu'il eût été difficile à un seul de réaliser,
je veux dire la diffusion de l'hellénisme. L'établissement de la civili-
sation comprise sous ce nom eut la colonisation pour agent principal.
Alexandre et ses successeurs avaient saisi que la seule installation
d'un gouverneur et dune garnison de race hellénique dans une ville
asiatique ou égyptienne ne suffirait pas à l'helléniser. Là où ils fu-
rent réduits à en agir de la sorte, leur plan se heurta à d'innombrables
difficultés. L'histoire de Jérusalem sous les dynasties macédoniennes

de Syrie en est une preuve. Sur les points, au contraire, où ils réus-
sirent à implanter des éléments tirés du monde grec pour qu'ils y
MELANGES. 42o

vécussent en citoyens, en propriétaires, en cultivateurs et qu'ils y


fissent souche, le résultat fut très
appréciable. Sans doute tous les
pays colonisés ne se laissèrent pas pénétrer dhelléuisnie au même point
que l'Asie Mineure où depuis quelques siècles l'influence de l'Hellade
s'était fort répandue. Mais si la couche sémitique de la Palestine, par

exemple, résista, en phis d'un point, à l'action étrangère, on ne peut


nier qu'il se produisit des centres grecs un rayonnement dont les
effets furent durables. Il n'y aurait pour s'en convaincre qu'à com-
parer peu de traces laissées dans ce pays par la domination perse
le

avec ce qui est resté de l'occupation g-recque. La Perse s'était bornée


à établir des pachas et des satrapes: la Macédoine implantait des
colons. Là est le secret de cette différence. De plus, on ne vit pas le
fait qui n'est point inouï dans les annales des invasions la personna- :

lité des vainqueurs s'absorber dans celle des vaincus. Les centres hel-

léniques, en effet, surent conserver, sans le laisser entamer par les


populations dans lesquelles ils étaient comme noyés, le patrimoine
apporté de"la patrie lointaine, la langue, la religion, les mœurs, la
civilisation.
Avant tout, le colon grec se distinguait comme artiste et homme
pratique à la fois. que l'on acquiert dès que l'on
C'est la conviction
a mis le pied sur le plateau couronné par les ruines de Gadara. Un
sol vigoureux fortement coloré parles sels minéraux, très propre aux
céréales, qui y viennent encore très drues maigre le travail négligé
de l'Arabe, occupe les abords de la ville. Tout ce domaine découvert,
réservé au labour, était bordé jadis dune ligne ininterrompue de
chênes et de lauriers dont les nombreux rejetons étonnent le voya-
geur habitué à la nudité de la nature palestinienne. Les ruines de la
cité émergent du milieu de la campagne à la glèbe sombre et les

taillis, prenant à la lisière du pays plat, descendent sur les pentes

abruptes des ravins. L'isolement créé autour de ce plateau par de pro-


fondes crevasses naturelles fait de Gadara une position stratégique
de premier ordre. Placée sur l'éperoa nord-ouest du massif de Ga-
laad,Gadara n'était rattachée à cette région que par une chaussée
rocheuse dont on avait profité pour établir un aqueduc et une grande
voie de communication avec le Hauran (1 1. Par contre, si l'on venait de
Tibériade. de Scythopolis. de Pella, ou de la station balnéaire d'Em-
matha, on avait à escalader péniblement les voies ascendantes tracées
sur le tlanc des vallées du Hiéromax ou du Jourdain (2). Mais de quel-

li Voir le plan dressé par Schlmacuek, \or(hein 'Ajliin, p. il, et la coupe de l'aque-
duc, p. 79.

(2) Ces voies, maintenant complètement délabrées, permettent encore l'accès de Gadara
426 REM'E BIBLIQUE.

que côté qu'il débouchât des chênaies dont


la montagne était revêtue,
l'étranger voyait sa peine amplement récompensée. Le long de la voie
s'alignaient les monuments de la mort auxquels l'art grec savait en-
lever la tristesse.
Ici, des mausolées élégants comme des temples en

miniature avec leurs colonnettes et leurs tympans à reliefs; là, des


sarcophages en basalte où de petits génies tenaient des guirlandes
au-dessous d'une tête à la chevelure ondulée, où de belles rosaces
accompagnaient des couronnes de lauriers enrubannées et des cornes

riiot. du P, Jaussen,

Fig. Kntrce de tombeau à Gadara.

noueuses, où des mutles sculptés aux angles soutenaient l'extrémité


de lourds festons. Plus loin, c'était une grotte funéraire close par

deux vantaux agrémentés de panneaux à moulures, encadrés d'une


huisserie en basalte portant des motifs d'ornementation ou une ligne
de grec (fig. 4) f'I).
En poursuivant sa marche sur le chemin dallé dont il reste encore
des tronçons intacts, on arrivait bientôt sous les murs de la ville dont
un citoven à l'intelliGoncc accorto vous eût fait admirer les beautés :

dont le territoire immédiat est clos au midi par l'ouâdy el-'.\rab. au nord-est par l'ouàdy

Samar, au nord par le Yarmouk. à l'ouest par la vallée du Jourdain. Ce nest que par l;i
ramification du sud-est qu'il tient au pays de 'Adjloûn.
'1) De nombreux sarcophages où l'on retrouve les motifs indiqués ci-dessus se voient
encore aux abords de Moukeis, village qui s'élèvi' sur les ruines de l'ancienne Gadara.
Malheureusement, ces richesses archéologiques sont mises en pièces par les .\rabes qui re-
peuplent cet endroit longtemps désert. En 1812, BcRChHARDT (Travels in Syria. pp. 270 s.)
comptait plus de 70 sarcophages sur la déclivité nord de la montagne qui porte la ville. CI.
ScHiMACHER. op. /., p. 68. Sur l'inscription de Gaius Ànnius yoii RB., 1895, p. 618.
MELANGES. 427

la citadelle sur la saillie centrale d'el-Mel'ab, les tours d'angles, le


grands Attiques devaient alter-
\yste, les théâtres où les tragédies des
ner avec les comédies de Ménandre et d'Hérondas (1). Mais ce que
vous eussiez été capables de sentir sans l'aide d'un guide, c'était la
grandeur et Tharmonie du décor, qui terminait dans un lointain
fuyant l'appareil scénique. Rien n'empêche de subir aujourd'hui la
même impression les durs gradins de basalte forment encore les
:

rangées symétriques de l'hémicycle sous lesquelles s'ouvre la bouche


sombre des vomitoires et la nature n'a point replié la toile de ses

^^^'•S^l

'kr
Pliot. du P. Jaus?en.

Théâtre ouest de Gadara.

décors. Assis sur les degrés supérieurs du théâtre de l'ouest (fig. 5),
vous portez instinctivement vos regards sur la colonnade d'une voie
triomphale qui se perd dans la campagne fertile, puis sur la pointe
sud du lac de Tibériade deux sommets galiléens du Thabor et
et les

du Néby Dahy, appelé aussi Petit Hermon. Du théâtre nord on jouit


d'une vue bien plus étendue et plus attrayante la nappe bleue du :

lac de Génésareth avec les agglomérations qui semblent dormir sur


ses bords, Samach et Tibériade, avec l'anse gracieuse de Magdala,

(1) La construction d'un grand khàn au centre des ruines a causé des actes de vandalisme
qu'on ne peut que déplorer. Des débris provenant des ruines de temples ont été insérés
dans la construction. La déformation de l'antique cité, contre laquelle Schumacher protes-
tait déjà en 1899 {ZDP\ .. 1899, p. 182 se poursuit d'année en année suivant les besoins des
1,

maçons arabes. Le théâtre de l'ouest est encore bien mieux conservé que celui du nord.
Pour leur description architectonique voir Schumachek, SorUiern 'AJlân, pp. 49 ss. En
187."), GuÉRiiv (Galilée, l. pp. 300 ss.j a pu voir les ruines dans un meilleur état que nous,

car alors les quelques habitants de Moukeis se contentaient de vivre dans les grottes sépul-
crales. Cet explorateur signale <( d'ouest en est une longue rue dallée que bordaient jadis
428 REVLK BIBLIQUE.

charme les yeux quand ils se portent à gauche (fig. 6 ; à droite, ce sont

les 2'ibbo sitesdu plateau volcanique de la Gaulanitide qui se suc-


cèdent jusqu'au pied du Grand Hermon dont les sommets neigeux
éclatant au soleil forment le fond de ce tableau enchanteur. De la
promenade qui côtoie le gouffre béant du Hiéromax, le même pano-
rama se pare dun premier plan qui en décuple le côté saisissant.
C'est une vallée sauvage de 560 mètres de profondeur livrant passage
au cours impétueux du Scheriat el-Menadireh et où jaillissent les

sources fumantes d"el-Hammi.


Ces eaux thermales n'ont pas peu contribué à la renommée de Ga-

Pnot. Jaussen.

I ig. tj. — Le lac de Tiljériade vu de> hauteurs île Gailara.

dara dans l'antiquité, et leur voisinage fut certainement un des grands


avantages de cette ville. H était sans doute assez pénible de s'y rendre
et encore plus d'en remonter (1 . Mais rien n'obligeait à opérer l'aller
et le retour dans la même journée. Au contraire, tout avait été dis-
posé pour qu'on pût y faire agréablement une saison. Les ruines
des installations thermales, les restes d'un théâtre, des chapiteaux

des deux côtés des colonnes raoïiolithes, dont les bases seules sont encore en partie debout.
A droite et à gauche s'élevaient, sur divers monticule?, de nombreux monuments, bâtis tous
en pierres de taille et décorés pour la plupart de colonnes monolithes, les unes calcaires.
es autres basaltiques, soit corinthiennes, soit ioniques... Parmi ces édifices, on remarque
plusieurs temples, qui ont dû être transformés en églises à l'époque chrétienne ».

1) 11 faut une heure pour descendre de Moukeis à el-llanimi, deux heures pour en re-

monter sans trop se fatiguer.


MÉLANGES. 429

doriques et ioniques perdus dans la l)rousse, quelques palmiers qui


se balancent çà et là, attestent encore qu'on avait su faire d'Emma-
tha un séjour de plaisance.
Les sources chaudes d'el-Hammi se répartissent sur une longueur
de 1.300 mètres. Elles se font jour dans une grande boucle»du Yarmouk
et la plupart doivent leur origine au massif volcanique du Djôlan dont

la lave a été mise à nu par endroits, grâce aux travaux nécessités par
la création delà voie ferrée de Caifia à Damas. Les deux principaux
points d'émergence se trouvent à proximité des ruines; il était naturel

qu'ils fussent mis à


de préférence à tout autre dans l'instal-
protit
lation balnéaire. L'un d'eux parait à la lumière, au pied d'un gros
pan de mur, reste d un caldarium (fig. 7). Il s'appelle chez les Arabes
Bammet Selhn. a comme température 48" centigrades
presque et

deux mètres cubes à la seconde comme débit: il dégage une forte


odeur d'hydrogène sulfuré. Même phénomène à la source nommée
Hammet el-Djarab, qui forme une petite nappe bleuâtre à 200 mè-
tres de là vers le nord et dont le débit est un mètre cube à la seconde
et la température de iO degrés. Dans le bassin qu'elle alimente se
jette le filet d'eau de '.4m Boulos (25°). En allant vers l'est, on ren-
contre encore Hammet er-Riah fSi") et 'Ain Sa'ad 'el-Fdr (28° (1).
Telles sont les sources chaudes de Gadara que les Grecs regardaient
comme les secondes de l'empire romain, après celles de Baies (2).
Origène les dit fameuses (3). « Tous les ans, raconte saint Épiphane,
il s'y fait un grand concours de peuples (-Tn^';-jz'.z On y vient do .

toutes parts dans le but de prendre des bains pendant quelques jours
et d'y laisser diverses maladies [k). » Au vi" siècle, les sources
étaient connues sous le nom de w Thermes d'Élie ». Les lépreux, cfui
recevaient des secours de l'hospice où Ion hébergeait les étrangers,

( Ij D'après l'étude de Noetling, Geologische Skizze der Vingebuncj von el-HcDiimi,


ZDPV., 1887, pp. 59 ss. Les températures notées ci-dessus ont été prises par une tempéra-
ture atmosphérique de 27" centigrades. Cf. Schumacher,The Jaulnn, pp. 149 ss. Ces deux
notices sont accompagnées de plans. Pour une plus ample bibliographie, on consultera
SCIIIERER. GDJV.i, II, p. 158.
(2) Elnape de Sardes danssa 'Vie deJambllque (apud Rel\>d, Palxslinu, p. 775): ... ItX
Ta ràôapa. Ôspaà Zi ic-z: /ou7&à xf,z lupts;, twv ye fic-à Tr,-/ 'Pwtxa-.xr.v Èv ^aiai; ôîOTîpa.

(3) In Joh., VI, il : Fâoapa vào ti6).'.; aiv ÈaT'.v Tr,; 'IojSa;a;, 7:spi r,v xà ô'.ao6r,Ta 6c'p|xaTUYX*"'^'-
Par deux ['Ononiasticon [éd. Klostermann, pp. 22. 7i' mentionne les bains chauds de
fois

'Ea(jLa6à à iiroxiinilé de Gadaïa. On lit dans U traduction de S. Jérôme villa in vicinia :

Gudarœ nomine Ammathcu ubi calidœ oqux erumpunt. Gadara iirbs trans Joidanem —
contra Scydiopolini et Tiberiadem ad orientalem plagam sifa in monte, ad cuius rri-

dices aquse calidx erumpunt, balneis desuper xdificalis.


(4) Hœres., X.XX, 7 {PG., 41, 416) napaY'.-'OvTai yoùv s-; TâSapa. £•; Ta Ôepaà -jôata. Le
:

récit d'Épiphane montre que ces bains en commun ne se prenaient pas sans détriment de la
moralité.
V.^0 REVUE BIBLIQUE.

y étaient passés à l'étuve et Ion prétendait que certains recouvraient


la santé. Des tempéraments étaient incapables de résister au traite-

ment énergique et à la haute température des bains chauds. Ce fut


probablement le cas d'un nommé Jean de Plaisance qui trépassa aux
thermes de Gadara. suivant le renseignement de son compatriote,
le bien connu pèlerin de 570 (li. De nos jours, ces sources sont fré-

quentées en hiver par les Arabes de la région; mais l'aménagement


balnéaire est des plus primitifs. Il consiste en une série de fosses
creusées sous les roseaux dans le tuf encore mou et gluant du dépôt
hydrothermal.
L'hellénisme de Gadara eût été incomplet si à la recherche des
agréments et des commodités de la vie. à la culture des beaux-arts

elle n'avait joint legoût de l'éloquence, des belles-lettres et même


de la philosophie (2). Le premier grand homme, en effet, qui soit
sorti de Gadara est un philosophe. Sans doute c'est un philosophe à
part, dont le
système con-
siste à mépriser
tous les systè-
^~"^"-' ^-
^^^ imaginés
par les écoles
célèbres. Et
pourtant, il

fera lui-même
école ou du
moins il devien-
dra le type de
cette classe d'es-
prits indépen-
dants qui se
sont donné le

nom de cyni-
ques. Tout le

monde connaît
Phot. Jaiiseu.

Source chaude a el-Hamnii el ruines de iher mes. Ménippe; peu


ns-
savent qu'il est
né à Gadara. il est vrai que sa vie s'est écoulée loin de sa patrie. D'a-

1 Geyer. Itin. Hteros., p. 163 ad milia tria 'a Gadera] sunt aquas calidas. qua'
;

appellantur termas Helise, ubi leprosi mundaniur, qui e renodochiohabent de publicuin


delicias.
(2) La nomenclature des auteurs de Gadara est donnée par Schlerer, op. /., p. 54.
MÉLANGES. 431

bord esclave, il recouvre sa liberté à Sinope; on le retrouve en Grèce


où, tout en poursuivant la richesse par l'usure, il cingle les riches, les
philosophes et les dieux au moyen de parodies et do satires aujour-
d hui perdues. Sa verve avait gardé un peu de la rugosité des ba-
saltes du YarmouU. Mort au début du iir" siècle avant notre ère, il

inspire encore, 500 ans plus tard, les traits caustiques d'un syrien de
Samosate, lameux Lucien, en ([ui il trouve un imitateur et un con-
le

tinuateur. Le cynique de Gadara n'est-il pas la première figure ap-


paraissant dans les Dialogues des Morts? Diogène s'éclipse devant
lui « Je te recommande, dit-il à PoUux, si tu aperçois quelque part
:

Ménippe le chien tu le trouveras à Corinthe près du Cranium, ou bien


au Lycée, riant des disputes des philosophes), de lui dire Ménippe, :

Diogène t'engage, si tu as assez ri de ce qui se passe sur la terre,


à venir dessous, rire encore davantage. A quoi le reconnaitrai- —
je? réplique Pollux. —
un vieillard chauve, ayant un manteau
C'est
plein de trous, ouvert à tous les vents, et rapiécé de morceaux de
toutes couleurs : il rit toujours, et se moque, la plupart du temps,
de ces hâbleurs de philosophes (1). »

A l'époque d'Adrien, Gadara produit un autre cynique qui se


donne pour tâche de jeter sur les oracles des dieux un complet
discrédit. L'œuvre du gadarénien Oenomaos nous est connue, en effet,
par les fragments qu'Eusèbe a insérés dans sa Préparation évangéli-
que et (fui ne sont qu'une vive diatribe contre la divination. Cette
préoccupation constante de prendre les oracles en défaut est d'ailleurs
suflisaminent indiquée par le titre de son ouvrage principal, Fir^Twv
swpâ (2). Il n'y a donc pas lieu de s'étonner qu'un partisan déclaré
du polythéisme comme l'empereur Julien ait eu des paroles dures
à l'adresse d'Uenomaos (3). Entre Ménippe et Oenomaos, les bords du
lac de Tibériade avaient été foulés par un vrai pauvre dont la doc-
trine sut s'implanter sans les originalités de la conduite et sans les
écarts et les violences du langage. Tandis que le cynisme disparut
déshonoré, les enseignements du Christ ont trouvé un écho dans le
monde entier.
Il n'y pas a loin, quoi qu'il paraisse, du cynisme à Épicure. C'est
pourquoi le gadarénien Méléagre, que ses poésies font paraître comme
un parfait épicurien, peut se déclarer disciple de Ménippe, son com-

(1) Dialocjiw I. Un traité spécial de Lucien est intitulé Ménippe ou la NekijuDiuncie.


Cf. Choiseï, Ilixt. de la Littér grecque. V, p, 47. Strabon, XVI, 2, 29. appelle Ménippe
.

Ô (7110UÔOY£),OIOÇ.

(2) Prèp. évdiKj., V, 1îi-3(i; vi, 7.

(3) Ckoiset. op. /., ]). 70'i.


432 REVUE BIBLIQUE.

patriote et presque son contemporain. Il dit en effet dans une de ses


épigrammes :

L'île de Tyr est ma nourrice, mais la patrie qui m'a engendré c'est l'Attique habi-
tant dans la syrienne Gadara. Rejeton d'Eucrates et compagnon des Muses, moi, Mé-
léagre, je me suis fais le suivant des Grâces méuippiennes. Je suis syrien. Quelle
merveille? Étranger, nous habitons tous la même patrie qui est le monde. Le chaos
nous a tous fait mortels. Chargé d'ans, j'ai gravé ces lignes sur la pierre avant de
descendre au tombeau, car la vieillesse est voisine de rHadès(l).

iMéléagre est donc un Grec de Syrie, le fils d'un colon de cette


« illustre ville de Gadara » ou de cette « terre sacrée de Gadara »
ainsi qu'il le redit ailleurs (2). Lune des épitaphes qu'il s'est amusé
à composer pour son tombeau se termine par ces deux lignes qui
marquent bien le milieu dans lequel il a vécu :

Es-tu Syrien? Salam! Es-tu Phénicien? Audoni! Es-tu Grec ? Xatf s. Et toi, de ton
côté, salue de même (3).

Gette façon d'entretenir le passant pour se faire connaître de lui,


afin de survivre dans la mémoire des hommes, se retrouve dans une
épitaphe métrique découverte à Saffoureh, petit village du Djôlàn, à
une heure au sud de Fîk :

Mon ma mère Philous; mon nom est Apion et ma patrie, com-


père était Quintus et
mune à Gadara qui cultive les Muses. Ma mère est originaire de la sage
tous, est
Hippos. Ayant laissé la maison sans enfaut, j'habite une tombe à la jonction de trois
chemins (4.

Le genre auquel s'adonna de préférence la verve de Méléagre fut


l'épigramme qui, chez les Grecs, comme la définit Sainte-Beuve, n'est
qu' « un mot, une larme, un regret, un désir, un sourire, un senti-

ment vif et fugitif qu'on veut fixer (3) ». Les sujets qu'il traite sont

tous ceux de la poésie anacréontique. Sa manière est bonne, ainsi que


les critiques se sont plu à le reconnaître. André Ghénier et Sainte-
Beuve l'ont admiré. Il a subi le charme de la nature; il a connu les
sentiments délicats et profonds. Qu'il chante la cigale enivrée des
gouttes de la rosée et charmant de sa lyre criarde une muse bavarde
mais solitaire, qu'il pleure une jeune mariée morte au lendemain de

(1) Anthologie palatine, VIT, 417 TiiTpa oî \it Xcxvoï 'At61; èv 'Airsupioi;
: vatofiÉva raôâ-
ûot;. Comme on le lit au moyen âge, on disait déjà Assyrien pour Syrien.
(2) 418, 419 Faôâpwv yùtivànôlii
:

TaSâpMV 6' Ispà -/Ôwv.
(3) 419, Aùoovtç est reslilué par Scallger d'après Plante, Pœnul., V, 2, 41 : Saluta hune
rursus Punicè verbis meis. — Auô donni interprété par Bochart, Geog?-. sacra, II, 6 :

"IJIIN mn, vive domine mi.


(4) Cl.-Ganxeai. Études d'arch. or.. II, p. 142 : TraTpU Se ao-j, xat nàiri y.otvrj, Ticapa
/pYl(iTO[xoyijia.

(5) Causeries du Lundi, XII. p. 293.


MÉLANGES. 433

son hymen, son expression est toujours à la hauteur du sentiment.


Voici quelques vers qui font penser aux apprêts fuurijres qui entou-
raient le lit de la fîUe de .laïre :

Kn dénouant les bandeaux de la virginité, ce n'est point un mariage qu'a fait Cléa-
rista. car elle a épousé l'Hadès. Hier soir les liâtes jouaient aux portes de la nymphe...
ce matin, elles poussent un gémissement, et réduit au silence. Hyménée adopte un
chant lugubre. Les mêmes torches qui répandaient leur clarté autour du lit nuptial
vont montrer à la morte la voie des enfers (i;.

L'épicurien Philodème ne fut pas un artiste comme Méléagre. Il se


contenta de rédiger quelques froids traités didactiques dont une par-
tie Né à Gadara lui
a été retrouvée dans les fouilles d'Herculanura.
aussi, il vécut quelques années à Rome au temps de Cicéron (2 .Dans
le domaine de la rhétorique, nous retrouvons deux Gadaréniens,

Théodore et Âpsinès. Le premier fut un des maîtres de Tibère et fonda


une école qui concevait Fart oratoire comme soumis à des mouve-
ments spontanés, à des impressions de circonstances et non comme
un art immuable, exercé suivant une méthode rigoureuse et des tra-
ditions intangibles, n'aboutissant qu'à une éloquence compassée et
mécanique. Les partisans de Théodore eurent maille à partir avec
les disciples d'Apollodore de Pergame, tenants du second système.
Apsinès brilla sous Philippe l'Arabe (2'i-'i.-2'i-9 . Ses discours qui furent
célèbres en leur temps ne nous sont pas parvenus, pas plus que son
commentaire sur Déraosthène. En revanche, nous possédons sa rhéto-
rique remplie d'exemples très pratiques (3).
Aussi bien que Pella, Gadara était grecque aussi de nom. La Macé-
doine possédait une Gadara i Pourquoi les colons macédoniens furent-
'

) .

ils amenés à faire choix de cette appellation? Vraisemblablement, il

se trouvait, à l'époque de leur installation, quelque localité d'indi-


gènes nommée Guedor dans la région ou sur le point même qui de-
vint le centre de leur colonie. Il se produisit là encore une simple
adaptation onomastique. Ce qui nous confirme dans cette hypothèse,
c'est le nom de Djedour ou Djedour Moukeis que les habitants don-
nent encore à la partie orientale du plateau de Gadara. Ce Djedour
arabe suppose un ancien Guedor qui a dû xiwe côte à côte avec Ga-
dara dans le souvenir et la langue des indigènes jusqu'à l'invasion

(1) Anthologie, VII, 182.


(2) Ses œuvres traitent de morale, Je rhétorique et de musique. Elles ont été publiées
en partie dans la collection des écrivains grecs et latins de Teubner par Sldhaus.
(3) Croisct, op. /...355, 781. SiSEMiHL, Gescfiicfiteder ijriech. LitfTitur iniltr Altjcun-
drinerzeit. 11. 507-511.
(4; Etienne de Bïzance : li-: xa; Tacasa /.cô(xr, Ma/.=5&/{»;.
UETLE BIBUQLE 1911. — N. S., T. VUI. 24
434 REVUE BIBLIQUE.

musulmane. L'origine du nom actuel de Moukeis, sous lequel les Ara-


bes désignent les ruines de Gadara, nous échappe (1).
Dans la campagne qui tomber l'Arabie en son pouvoir, Antiochus
fit

le Grand, une fois maître de Pella, réduisit aisément Gadara, malgré


la réputation que cette place avait d'être forte entre toutes les localités
de la Galaaditide -2). Cette facilité à passer sous le sceptre d'Antio-
chus l218) était due, pensons-nous, au peu de répugnance qu'éprou-
vaient les Gadaréniens à reconnaitre un monarque d'origine hellé-
nique. Tout autre fut leur résistance quand, 117 ans plus tard, le
juif Alexandre Jannée vint mettre le siège devant leur ville. Ce ne
fut qu'après dix mois de lutte qu'elle dut en venir à composition et
entrer, à son corps défendant, sous la tutelle des Juifs (3).
Ces liens de vassalité, quels qu'ils fussent, Pompée les brisa en 6i
avant Jésus-Christ, et cet acte daffranchissement fut pour Gadara le
point de départ d'une nouvelle ère de prospérité. Par les soins d'un
de ses fils, le Gadarénien Démétrius, affranchi de Pompée, on vit
disparaître les ruines qu'avait accumulées le siège de l'année 101 et
que la surveillance jalouse des Juifs avait empêché jusqu'alors de
relever (4).

Reconnaissante de tous ces bienfaits, la cité, considérant Pompée


comme son second fondateur, adopta pour début de son ère, l'année
même de sa libération (6i-63 av. J.-C.) et plus tard elle aima à
prendre sur monnaies le titre de Pompéienne. En 30 avant notre
ses
ère, Gadara Hérode par Auguste. Les citoyens, ne se ré-
fut cédée à
signant jamais à cette nouvelle domination Israélite, ne manquèrent
aucune occasion de la secouer. On les vit dénoncer la tyrannie d'Hi
rode, tantôt à Marcus Agrippa, tantôt k Auguste lui-même, sans succt-
il est vrai (5). Aussi, avec quel soulagement nos Grecs de Gadai.i

durent-ils repasser, à la mort d'Hérode, sous la suzeraineté romaine (6 1

Leur antisémitisme trouva de nouveau à se manifester lors de la


guerre juive dont les environs du lac de Tibériade furent le théâtre
en 68 de notre ère. Loin de faire cause commune avec les séditieux,
lesGadaréniens firent disparaître du milieu d'eux les Juifs turbulents
qui auraient pu les compromettre, et pour prouver à Rome leur loya-

(1) Les habitants interrogés à ce sujet disent plus volontiers Moukeis que Oumm Keis.
(2) POLVBi:, Hist.. V, 71 : raSapwv, â ôoxsï twv xa^' àxsîvoy; toô; TOTtouîCi/ypÔTriti Siaiïpstv.
(3) A'iHiq., XIII, 13, 3; 15, i. Bel. Jitd., I, 4, 2.

(4) Ânliq., XIV, 4, 4 : xat Tâoapa [lèv. ;jLtxçôv £;x7tpo(î6£v xaTacr/.açî'ffav, àvÉ/ticï 6 noii-i^io:
Ar,îiY)Tpi'w yapiÇôfjisvo; tw FacapET, àTtsJ.îufiépw la-jToù.
^5) Anliq.. XV, 10, 1, 3.

L6) XVII, 11, 4.


MÉLANGES. 435

lisme, abattirent eux-mêmes les remparts de leur cité (1). Ce fut aux
ncclamations joyeuses de la foule que Vespasien fit son entrée dans
la ville où les dispositions bienveillantes à légard des vainqueurs
étaient entretenues parune nombreuse aristocratie de la fortune (2).
Le généra] laissa une garnison dans la
ville démantelée c'était pro- :

bablement un détachement de la dixième légion Fretensis dont le


séjour à Gadara sous l'empereur Adrien nous a été révélé par des
documents épigraphiques (3).
A l'époque byzantine, Gadara est avant tout célèbre par ses ther-
mes. Comme ville importante, elle
donne son nom à toute la région du
Yarmouk, qui est le pays gadarénien.
AEmmatha, dans le ra\'in, sont les
bains gadaréniens; le Yarmouk lui-
même est le c( fleuve de Gadara » {ï'j ;

tout le pays compris entre le Kouq-


qad et la Trachonitide porte encore
aujourd'hui le nom de Djédour. L'ex-
\^ ^
pression « pays des Gadaréniens »
de s. Matthieu, viii, 28, peut donc
avoir une compréhension assez vaste
etne point s'appliquer exclusivement
aux environs immédiats de Gadara.
Le terme préféré par s. Marc « pays
des Géraséniens » est d'une exten- rii;. 8. — Matériaux anciens employés
dans la construction du khàn de Ga-
sion non moins considérable. Comme dara.
le précédent, il sert à désigner va-
guement le territoire de la Décapole où tlorissait l'hellénisme (5).
Dès le iv'' siècle, on constate que Gadara est pourvu d'un évêché.
Ses évèques ont apposé leur signature au bas des actes des conciles

(1) Bell. Jucl.,18, 5; IV, 7, 3.


Il,

(2) IV, 7, '.i xà TâSapa y.aTor/.ouv nloiauji. A ceUe occasion, .Josèphe donne GaJara
: 7io)./oî oè

pour capitale de la Pérée. Ailleurs, il donne à cette province Pella comme limite nord!
(3) Cl.-Ganneal, i?^10., II, p. 299 ss. Épitaphe, à Djébàïl, d'un Gadarénien entré dans la
légion X' L. Philocxlus L. films, colonia Valen{tia) Gadara, miles Legionis
: Fr{etensis]. X
Études d'arcliéol. orient., I, 168; Michon, RB., 1905, p. 573. Dédicace trouvée à Gadara :

Imp{eratori) Cxs{ari) Trajano Hadriano Aitg, p{rimns) p[ilus] leg(ionis) X l'r{etensis)

et coh{ors) I.

(4) Cyrille de Scythopolis, Saba- Vita, 33: ITapà -cov ),£yÔ!J.evov 7:oTa[ièv Faoâpwv. Les ana-
chorètes trouvent des grottes dans Yarmouli. S. Épiphane y signale aussi de grands sé-
le

pulcres taillés nommés polyandria dans l'un desquels il place une scène de magie. Voir
ces toinbeau.v dans Schumacheu, The Jaulàn, p. 157.

(5) Voir la discussion topographique sur le sujet dans Lagrange, .S'. Marc, pp. 126 ss.
436 REWE BIBLIQUE.

de Nicée, d'Éphèse, de Chalcédoine, d'Antioche (341). de Jérusalem


(536 Gadara fig-iire encore sur les cartes du moyen âge sous la forme
.

« Ga'dera ». La ville disparaît peu à peu depuis cette période pour

devenir le repaire de quelques familles bédouines qui gitent dans les


sépulcres de basalte ou dans des maisons faites de pierres de taille
arrachées aux ruines (fig-. 8).

Jérusalem.
Fr. F. -M. Abkl.
CHROMOUE

XOLVELLE INSCRIPTION' GRECOUF. DE MADABA.

Dans un récent voyag-eà Màdabâ nous avons copié et photographié

(fig. 1 une inscription grecque en mosaïque qu'on venait de


et -2)

mettre à jour au sud de l'acropole, tout près des ruines de la grande

mw
mmmmmmmw
mmmmhmmmw
.ïïePI[^AAAHT6ôHKeH
£Yl^ôÇMlAMTei

Fig. 1 et 2. — Inscription grecque de Màdab;"i, copie et pliotographie.

église, décorée du titre de cathédrale dans le plan de Màdabà publié


jadis par le R. P. Séjourné : J"^.. La découverte de ce texte est due à
M. l'abbéPamphyle. curé latin de Màdabà, qui a réussi à le faire dé-
-ager en entier de dessous un pilier de maison qui en cachait une
bonne moitié. La mosaïque n'a pas trop soufï'ert. même là où on
lavait bâti au-dessus. Elle est seulement un peu défoncée sur quelques

(1) RB., 1892, p. 634.


438 REVUE BIBLIQUE.

points par de grosses pierres qu'on y a jetées sans aucune précau-


tion. Toutes les lettres sont néanmoins assez bien conservées et suf-
fisamment nettes pour qu'il n'y ait jamais lieu d'hésiter sur la lecture.
L'inscription est tracée dans un cercle d'un mètre de diamètre, dont
le cadre formé par quatre lignes de couleurs différentes blanche,
est :

jaune, rouge, noire. Les lettres, hautes en moyenne de O'^jlOo, sont


généralement plus épaisses à la base qu'au sommet. On lit sans diffi-
culté :

Opûv I
AssvTisj TCJ hpéMç I
TO TTpaov 6a'j;j.aÇs twv |
y.-:'.j;j,â-o)v "/.(ai) t(7)v

7::v(.)v ty;v |
àps-rjV zCo v-(x\) tmot, -.m tc-oj T-r;v |
Tïspiy.aAA-r; TsOriy.Ev j îù/.c--

•;,{av iv ï-i'. |
yÇr/ •.vg('//.':iwvcç) C .

Voyant la douceur du prêtre Léonce, admire l'excellence de {ses


fondations et de [ses] travaux; car aussi en ce même lieu il a établi

cette très belleordonnance, en Van 498, indiction 6'\


Le prêtre Léonce nous était déjà connu par la grande inscription
de l'Élianée (1^ qui le qualifie de t:j r.px'-j-i-z-j. Ici -z r.zy.z^) ne peut
être que le neutre de l'adjectif TrpSiç pris substantivement. La dou-
ceur parait donc avoir été le trait dominant du caractère de Léonce.
Elle ne l'empêchait pas cependant d'être très actif, comme on prend
soin de le faire remarquer et ainsi qu'en témoignent du reste les
débris des deux édifices vraiment grandioses qu'il avait fait bâtir
. ou décorer.
Le petit signe, assez semblable à une apostrophe, qu'on remarque
à droite du N dans le haut, après le mot zpa:v, 1. 3, et qui reparait
plus bas. 1. 5, à la suite de àpsTr^v et de c-i, ne peut pas être considéré
comme un signe d'abréviation. Ce doit être plutôt un signe de sépa-
ration, une sorte de ponctuation assez rare, mais non inconnue dans
lépigraphie grecque Le point qui vient après sj/.oj;j,{av, 1. 7,
(2).

sera sans doute expliqué aussi de la même manière.


A la ligne 5, tw;y; pour twBe. Ligne 6, -:£6y;/.sv pour téOs'./.ev. — —
Ligne 7, ùv.zz'^ix't doit s'entendre de la belle ordonnance générale de
l'édifice et l'on serait même très tenté de dire de sa décoration en mo-
saïque. Saint Cyrille de Jérusalem, dans une de ses catéchèses
(xiv, 9), parlant de la pierre du sépulcre de Notre-Seigneur, dit qu'onne

la voyait plus de son temps, « lu. -r,v rapcjsav 3J/.:7;j.iav que nous tra-
duirions : <( à cause des revêtements décoratifs actuels ». Dans notre
cas il s'agirait donc du pavement en mosaïque où est insérée l'ins-
cription. — le koppa
L'année i98 (noter =
90) calculée d'après l'ère

(1) fiB., 1897, p. 653.

(2) Dans une des inscriptions de l'Élianée contemporaine de celle-ci, on a noté aussi un
signe de séparation, mais divergent de celui qui nous occupe (RB., 1900, p. 471).
CHRONIQUE. 439

de Bosra répond à l'an 60 V : la sixième indiction tombait précisément


en cette même année.
« Les fondations et les travaux » dont parle ce texte, comme aussi
la très belle décoration, visent selon toute vraisemblance la grande
église bâtieen cet endroit. Il serait intéressant de chercher à nou-
veau quels débris peuvent exister encore de ce monument et de
tenter d'établir leur relation précise avec la mosaïque qu'on vient
de découvrir. Celle-ci, à vrai dire, dans la section que nous
avons eue sous les yeux, paraîtrait un peu grossière pour le pavé
général d'une monumentale église. Toutefois les exemples nombreux
fournis déjà par l'exploration de .Màdabâ ont prouvé que dans un
même édifice la décoration en mosaïques comportait des variations
considérables. Notre section pourrait donc avoir appartenu à une
annexe qui se serait trouvée, si nos souvenirs sont bien tidèles. tout
près de l'abside méridionale.
Une fois de plus on constate que l'époque la plus florissante de
Màdabà fut la tin du vi® siècle et le début du vu. A ce moment il
fallait que la cité fût riche et bien peuplée pour qu'on érigeât dans

son sein tant de monuments religieux tous parfaitement décorés. En


579, sous « le très digne et très saint évèque Sergius », était achevée

l'église des Saints (1) Apôtres


en 596, le même prélat
; voyait s'élever
l'église inférieure de l'Élianée. En 60i c'était le tour du monument
fondé et décoré par le prêtre Léonce dont parle l'inscription que
nous publions aujourd'hui (2). En 608, ce « très doux prêtre Léonce »
complétait les travaux de Sergius et finissait de bâtir « le beau
temple » consacré au prophète Élie (3). A la même période appar-
tiennent encore sans doute quelques-unes des dLx autres églises
connues de Màdabà, dont la date de fondation n'a pas été retrouvée.
Puisse le ciel, sinon faire renaître ce siècle de splendeur, du moins
accorder à la vaillante population catholique de Màdabà la consolation

RB., 1902, p. 427, 599.


(1)
Avant d'assigner toutefois une date aussi basse comme première origine de cette im-
(2)

portante église, il y aurait lieu de se demander si Léonce n'y aurait pas fait exécuter sim-
plement quelques restaurations, ou même le seul pavement en mosaïque. Un groupe de
chapiteaux corinthiens du meilleur style ont été découverts dans les récents travaux. Nous
les avons photographiés et il nous parait difficile de les dater plus bas que la fin du iv« ou

le courant du v- siècle. Le fragment d'architrave relevé naguère par le P. Séjourné [RB.,

1892. p. 637), divers autres débris de moindre importance mais de style analogue, suggèrent
ici un des monuments chrétiens les plus anciens de la cité. Et qui dira sa relation possible
avec le monument du stratège nabaléen Itibel érigé par son lils Al)dobodas? {CIS., II,

196). Les deux inscriptions dédicatoires de ce monument ont été en effet découvertes en
ce même lieu.

(3) RB., 1897, p. 652 ss.


450 REVUE BIBLIQUE.

de voir achever bientôt Ihiimblc église à la construction de laquelle


leur pasteur se consacre avec tant de dévouement.

M.-R. Savigxac, 0. p.

NOTE DKPIGRAPHIE.

On me permettra de revenir sur les deux inscriptions publiées


dans cette Revue, 1911, pp. 286 ss., à propos de deux détails qui ont
provoqué des demandes d'éclaircissements. Le chitfre de l'indiction
du texte de Jéricho est incomplet parce que la mosaïque est endom-
magée en cet endroit. Les lettres-chiffres de lindiction étaient dans
l'état primitif aussi grandes que les lettres de l'inscription; mais

un enfoncement a fait disparaître la moitié supérieure de leur haste.


Il n'y a donc pas à chercher d'autres combinaisons qui se fonde-

raient sur l'état actuel des chiffres comme si c'était leur état ori-
ginel.
Pour le texte de Scythopolis, je reconnais avoir attribué au lapi-
cide une trop forte entorse à la grammaire. Ma restitution n'est que
très hvpothétique. car la lettre qui suit TOllEP parait être un P.

Si, cependant, on tenait à maintenir le sens de péribole, je restau-


rerais le mot incomplet en -z -EpioiXaiiv, ou ts rspîccAiv pour rsp'.o;-

A'.cv usités chez les auteurs byzantins.


n'ailleurs M. Bi ïinno\v a eu l'obligeance de nous faire remarcjuer
que ce texte a déjà été publié par le R. P. Germer-Durand dans les
Echos d'Orient [\^Qi, p. 75), et même signalé par la Revue Biblique
(1902, p. 318). En 1901, la pierre, qui sert de pavement, était sans
doute dans un meilleur état, et la suggestion du R. P. Germer pour
expliquer la dernière ligne parait très heureuse. Cependant à la
ligne 6, M. Brûnnow lit avec moi âv xp(ivciç), auquel il ajoute ''^{ot.aCkziy.z .

ce qui est certainement préférable à àv /pfuTw) ,3(sr,9(T)).

[Abel]

la prktennue violation de la mosquér n'omar.

Il serait supertlu de mettre les lecteurs de la Revue en garde contre


les bruits singuliers qui ont couru sur la -siolation de la mosquée
d'Omar. Il faut p3urtant reconnaître que les journaux les plus sérieux

se sont laissé entraîner à donner les informations les plus étranges, et.

ce qui est le plus étonnant, d'après des renseignements venus de

.lérusaleni. On ne parlait de rien moins que de fouilles dans le roc sur


CHRONIQUE. 441

lequel est construite la mosquée d'Omar, de l'ouverture du caveau,


jusquici inviolé, qui se trouve sous le rocher central. He ce caveau
étaient sortis, comme dans un rêve oriental, les trésors les plus éblouis-
sants et les plus saintes reliques, des cassettes de pierres précieuses et
des sacs de poudre d"or, la baguette de Moïse, l'arche d'alliance, la
couronne de Salomon, le sceau d'Aly. etc. Un yacht se tenait à Jatfa,
prêt à recevoir ces dépouilles qui avaient pris rapidement le chemin
de l'Angleterre.
Les correspondants de Jérusalem se faisaient l'écho de « la rumeur
publique parmi les musulmans » mais était-ce bien chez les Musul-
;

mans qu'est née cette rumeur? on se le demande à Jérusalem, et si

tout ce bruit, parfaitement ridicule, n'avait pas pour but de contrarier


une exploration où la connaissance topographique des lieux était en
jeu?
Les auteurs du prétendu sacrilège étaient en effet les membres de la
mission anglaise dirigée par M. le capitaine Montagu Parker, qui a
poursuivi pendant deux ans exploration de la petite colline dite
Ophel, située au sud de l'enceinte de la mosquée.
Pendant quelques jours, ou plutôt quelques nuits, du 2 au l avril 'i-

de cette année, les explorateurs se sont proposé d'ouvrir de nouveau


et d'examiner plus complètement divers canaux situés dans cette
enceinte, canaux inscrits depuis trente à quarante ans sur n'importe
(juelbon plan de la mosquée, et bien connus de MM. Clerraont-Ganneau
et Warren. Il va sans dire que personne n"a donné même un coup de
ciseau dans la roche sacrée.
Le fameux puits des âmes quon disait situé sous la grolte de
cette roche sainte excitait naturellement la curiosité.
On ne manquait jamais de dire que c'était le point de
aux visiteurs
départ des canaux qui conduisaient au Gédron le" sang des sacrifices.

Or le résultat fort inattendu de la petite fouille entreprise dans ce


caveau a été de faire constater... que ce caveau n'existait pas Le puits 1

merveilleux qui défrayait le folk-lore a une profondeur maxima


de 25 centimètres... depuis que les sondages réitérés de la commis-
sion d'enquête ont élargi un peu la petite anfractuosité rocheuse sur
laquelle posait par ses bords la dalle sonore dont les touristes et les
pèlerins gardent le souvenir.
Cette information a son intérêt, pour les archéologues, mais comment
expliquer que Jérusalem ait pu être secouée d'une émotion si vive, et
presque comique? En plein midi, sur un vain bruit de massacre par
si

les Musulmans irrités, la plupart des boutiques se sont trouvées fermées,


les maisons verrouillées, les terrasses hoaleuses. C'est vieux comme
442 REVUE BIBLIQUE.

le temps des prophètes, à Jérusalem, cette maladie nerveuse que le


vicomte E.-M. de Vogué définissait naguère la folie hiéroso- ((

lymitaiue ». Isaie a connu ces sursauts orageux qui jetaient toute la


population sur les toits dans une terreur transie, avec des cris tumul-
tueux : « Qu'as-tu donc à grimper toute sur les toits, ville tapa-
geuse? » {Is. XXII, 1). Et comme pour
au passé avec une in-
se relier

conscience spontanée, l'affiche municipale placardée quelques heures


après Talerte débutait par cette apostrophe « Qu'esl-ce que cette
:

panique, et pourquoi ces alarmes? »


Puisqu'il n'y a plus même de caveau, les gens rassis concluront
qu'on n'a pas emporté de trésors. Les « grosses valises contenant les
objets enlevés » n'étaient donc sans doute que des valises de voyage,
les bagages assez volumineux apportés en prévision de huit à dix

mois de séjour par des gentlemen qui ne pouvaient se priver de tout


confort.
Pour tout dire, si les imaginations orientales se sont montées à un
tel diapason, c'est peut-être parce que la mission anglaise s'est en-
tourée d'un secret trop rigoureux, qu'elle imposait naturellement à
ceux qui étaient admis à visiter ses fouilles.

On ne peut qu'espérer une prompte publication nous avons essaye ;

ici de dissiper la légende; il convient que l'histoire se fasse.

Pour laisser d'ailleurs à chacun sa part de responsabilité, je tiens


à dire que le R. P. Vincent, qui a été admis très obligeamment aux
fouilles dites d'Ophel. n'a jamais mis les pieds dans l'enceinte du
Haram en compagnie de la mission anglaise.

Fr. M.-J. Lagrange.


RECENSIONS

f. Der Stammbaum Christi bei den heiligen Evangelisten Mâttbâus uud


Lukas. Eine historisch-exegetische Untersucimng, von Peter Vogt, S. J.; in-S"
de x\-l-2'2 pp. BibUsche Sfndirn, XII, o, Ilerder, t!)07.
H. Die Stammbàume Jesu nach Matthâus und Lukas. Ihre ursprungliche
Bedeiitung und Text-Gestalt und ihre Quelien. Eine exegetische kritische Studie, von
Joseph ^Michael Heer, Doktor der Théologie und Philosophie, Privatdozent an der
Universitiit zu Freiburg ini Breisgau; in-8° de viii-224 pp. Bibllschc Sindicn. XV,
2 et 3, Herder, 1910.

Voici donc, dans les Etudes bibliques éditées par M. le Professeur Bardenhewer,
deux monographies consacrées aux deux généalogies du Christ qui se trouvent,
comme chacun sait, dans saint Matthieu et dans saint Luc.
I. — La première, du Pi. P. Vogt, de la Compagnie de Jésus, a déjà quatre ans de

date; ce compte rendu est donc fort en retard. On n'aurait pas été tenté de revenir
en arrière si la publication de M. Heer n'avait de nouveau appelé l'attention sur un
problème délicat. Des deux ouvrages, celui du P. Vogt est le plus classique, si l'on
sen tient à la manière de traiter le sujet. Il débute par le schéma des opinions,
avec une énumération assezcomplètedesauteursqui ont pris parti depuis le xvr siècle.
Tout cela est fort clair, et assez utile, quoique l'intérêt du livre ne soit pas là. Trois
groupes principaux d'opinions I ceux qui voient dans les deux cas (Matthieu et Luc)
:

la généalogie de Joseph II ceux qui voient dans Mt. la généalogie de Joseph, dans Le. la
;

généalogie de Marie; III ceux qui ne se prononcent pas. Quoique le groupe I soit divisé
en plusieurs fractions, pratiquement, au point de vue de l'auteur, il s'agit de ceux
qui tiennent avec Jules Africain que la descendance est dans Mt. une filiation réelle
par le sang, dans Le. une fihation légale. Il est indispensable, pour la clarté de ce
qui va suivre, de rappeler les grandes lignes de la théorie de Jules Africain, dont le
texte nous a été conservé par Eusèbe (1). Dès cette époque, et sans doute depuis plus
longtemps, on était embarrassé pour concilier la généalogie de Mt. qui donne à
Joseph pour père Jacob, et celle de Le. qui lui donne pour père Héli. C'était la diver-
gence fondamentale. Jules Africain pose en principe que chez les Hébreux on n'atta-
chait pas moins d'importance à la filiation légale qu'à la filiation naturelle. Comme
exemple de filiation légale, il cite la loi dite du lévirat. Quand un homme mourait
sans laisser de fils, son frère, habitant au même endroit, devait épouser sa veuve.
Les enfants qu'elle lui donnait étaient regardés comme descendants du premier mari
défunt. Appliquant ce principe à la question, l'Africain dit que Matthan dans la ligne

de Mt.) et Melchi (dans la ligne de Le.) avaient successivement épousé la même femme,

1) PG., X, 5-2 ss.


444 REVUE BIBLIQUE.

nommée Estha. Du premier mariage naquit Jacob, du second naquit Héii. Jacob
et Héli étaient donc frères du côté maternel. Héli mourut à son tour sans enfants, et
c'est ici qu'intervient le iévirat. Jacob, son frère, épousa sa veuve et lui donna un
fils, Joseph (père putatif de Jésus), qui était donc en même temps fils de Jacob et fils

d'Héli.
Or l'Africain ne donne point cette solution comme une supposition ingénieuse,
mais comme un souvenir traditionnel, conservé dans la famille de Jésus, parmi ceux
que les chrétiens nommaient par respect « les Maîtres » (oect-otjvoi). Ils racontaient
qu'Hérode avait fait détruire tous les registres officiels contenant les généalogies des
principales familles, surtout dans la descendance des rois et des grands prêtres. On
les avait reconstituées comme on avait su, et c'est ainsi qu'où avait réussi à produire
les deux généalogies de Jésus dont la différence était expliquée par les « Maîtres >

comme on vient de le voir.


Assurément cette tradition ne se présente pas avec les meilleures garanties. Depuis
longtemps on a fait remarquer qu'en alléguant la destruction des archives, les «Maîtres »

se dispensaient de fairela preuve de leurs arbres généalogiques, que cette destruction


est contraire au dire formel de .Tosèphequi prétend ci ter ses ancêtres d'à près les tables pu-
bliques en remontant jusqu'au cinquième degré (1). Mais personne, je pense, ne l'avait
traitée aussi outrageusement que le R. P. Vogt. Oubliant pour un instant que toute
l'antiquité a regardé les deux généalogies comme celles de Joseph, iljette lasuspicion
sur cette opinion parce qu'elle est sympathique aux rationalistes (2). Puis c'est un
déchaînement contre les oza-ôauvoi. Parce qu'ils étaient fixés à Nazara et à Kokaba,
ce sont sûrement des Ébionites, des hérétiques qui ont rejeté les généalogies authen-
tiques pour en forger une nouvelle. Entre eux et Le. il faut choisir, puisque Le. a
placé Matthat et Lévi entre Melchi et Héli. Disons dès à présent que M. Heer a donné
de bonnes raisons pour suspecter l'authenticité de ces deux noms dans la généalogie;
ils paraissent bien être une répétition de ceux du v. 29. Le P. Vogt ne s'arrête pas

à cette hypothèse : les prétendus « Maîtres » sont des faussaires.


Tout n'est pas à dédaigner dans ce réquisitoire. S'il est absolument impossible de
prouver que les « .Maîtres » étaient des Ebionites et des faussaires, il se peut que
leur explication n'ait été à l'origine qu'une supposition de bonne foi appuyée plus

ou moins consciemment sur une autre hypothèse. Le Vogt rappelle que la même
P.
difficulté de raccbrder les généalogies se pose à propos de Salathiel et de Zorobabel
qui figurent dans toutes deux avec des ascendants et des descendants différents. Le roi
Joachim étant mort sans enfants, on a pu supposer que sa veuve Xoestha ou Nestha avait
épousé Melchi. Jéchonias, fils de Joachim et de \estha IV Regn. 24, 8), eût été i

ainsi frère de Néri, fils de Melchi. Néri mort sans enfants, et Jéchonias ayant épousé
sa veuve, Salathiel pouvait figurer dans l'arbre de Mt. comme fils naturel de Jéchonias
et comme fils légal de Aéri. L'hypothèse une fois acceptée, on devait assez naturel-
lement la renouveler pour résoudre la difficulté plus grande encore des ancêtres

immédiats de Joseph. N'est-il pas étrange qu'on l'ait proposée de nouveau sur le nom
de Melchi, en donnant à sa femme le nom d'Estha, si semblable à Nestha? La solu-
tion des« Maîtres », au lieu d'être traditionnelle, ne serait qu'un décalque d'une solu-
tion déjà imaginaire... Or
Vogt ne se contente pas de cet avantage. Il tient
le P.
absolument à une descendance rigoureuse par le sang. Ce qu'il nous faut, dit-il»
c'est un descendant de Juda (p. 26). —
Oui sans doute, mais comme l'Africain l'a si bien
dit, cette filiation peut être naturelle ou légale. S'il n'en a pas donné d'autre preuve

(1) Jos., Vila, I : èv xaTç Sif)[A0(7!ai;Ô£)>T0iç àvaYeYfaiJ.lA£vr,v.


(-2) P. 16, note 7.
RECENSIONS. 4'k.

que le lévirat, c'est que dans l'antiquité tout le monde tenait cette proposition pour
évidente. Quand le P.Vogt prétend que Luc, s'adressant à des Gentils, devait néces-
sairement leur parler de filiation naturelle, sous peine de n'être pas compris, il

oublie le rôle considérable joué par l'adoptionchez lesRoiuains. L'arbre généalogique


des Antonins, si soigneusement reproduit sur les inscriptions de !\Iarc-Aurèle. ne
contient que des filiations adoptives jusqu'à la cinquième génération. On dirait bien
plutôt avec d'autres critiques. Holtzmann par exemple, qu'on n'a pas prouvé que
l'adoption existât chez les Juifj. Mais ce serait à la condition de ne tenir aucun cas
de la méthode comparative. Les Arabes connaissaient et connaissent encore l'adop-
tion. Elle est regardée aujourd'hui encore au pays Moab comme remplaçant si
de
complètement l'effet de la génération que l'adopté devient damauy. fils par le sang,
en môme temps que satiarai/, fils par le nom Robertson Smith a insisté plus 1 .

d'une fois sur la force du lien adoptif il prétend même que la conception primitive
:

de parenté est plus religieuse que naturelle 2 .

Mrs Lewis vient de rappeler les textes du grand arabisant, et en a relevé de


semblables chez les Hindous 1). Ce sont des idées qu'il suffisait d'énoncer dans

l'antiquité. On ne prouvait pas ce sur quoi tout le monde était d'accord. Nous n'a-
vons pas à substituer nos idées à celles des anciens quand il s'agit d'expliquer
leur pensée.
Naturellement, — le lévirat en est une preuve — , on cherchait à concilier le plus
possible la parenté légale et la parenté naturelle ; l'adopté, pris dans la famille,
paraissait encore plus sûrement un fils, et naturellement aussi l'adoption - quel
qu'en fut le mode — n'était pas le cas le plus fréquent. Il ne servirait de rien de
pousser les choses à l'absurde, comme fait le P. Vogt. et de prétendre que dans
le système ancien. Luc n'avait donc cité que des pères légaux ip. 30\ et qu'avec
cette méthode Jésus ne descendrait pas plus d'Adam que de Joseph p. 31'. C'est
un défi au sens historique que d'admettre au temps de Jésus une lignée royale
reconnue officiellement par ordre de primogéniture de maie en mâle; c'est assez
de prouver solidement que les descendants de David pouvaient être connus et pos-
séder des titres généalogiques. Se montrer si scrupuleux sur la transmission des
droits uniquement par le sang est en tout cas contraire au sens des Pères qui n'ont

pas hésité à regarder les deux généalogies comme se terminant à Joseph, et qui.
tout en regardant l'une comme légale, l'autre comme naturelle, les ont mises sur le

même pied. Us ont estimé que de la sorte Jésus, qui n'était cependant pas le fils

de Joseph, se rattachait à David, et cette filiation qui nous paraît assez étrange,
je le veux bien, leur a paru parfaitement fondée et satisfaisante pour justifier les
prophéties et les promesses.
Le R. lui, ne le concède que de très mauvaise grâce. L'examen de
P. Vogt,
la tradition lui évidemment très pénible, quand il lui faut ranger du côté de
est
Jules Africain. Eusebe. saint Jérôme, saint Augustin, saint Thomas. Aussi s'efforce-
t-il de relever les moindres diverirences. d'ex.igérer les doutes, de restreindre les
affirmations. Quand il conclut que l'accord des Pères n'est pas tellement cogent qu'il
interdise toute nouvelle enquête, ce n'est certes pas moi qui le chicanerai sur ce
point. Je demande seulement qu'on tienne compte de ce critère dans d'autres cir-

(1) Jaissfn, (.'ouluiÊtes des Arabes..., p. i"i.

(2) The Religion of theSemite:<.'^ éd.. p. 273: texte iltjâ cité RB., IOjC, p.oûo. note J. .4 la suite
d'une alliance, cesontmême des tribus qui se généalogisaient au même ancêtre: on employait
le verbe uasaba avec différentes lornies et modalités.
3) The old syriac Gospels, p. xis.

446 REVUE BIBLIQUE.

constances, et aussi qu'on regarde les Pères comme des témoins très assurés des
conceptions de leur temps. Sur ce point leur autorité n'est pas moins respectable à la
critique qu'à la théologie. La difficulté à concilier les généalogies éclatait à tous les
yeux; saint Augustin y est revenu plusieurs fois. Il y avait une manière bien simple
de la faire disparaître, c'est celle du R. P. Vogt dire que Luc a tracé la généalogie
:

de Marie. Cette solution se fût imposée si on eût regardé la généalogie légale comme
iasuffisante. Personne n'y a songé (1). Personne n'a prétendu que la généalogie na-
turelle donnât à Jésus plus de droits que l'autre. C'est là un sentiment dont il serait
téméraire de s'écarter, même comme critique, car il est l'expression des convictions
religieuses des anciens. Il nous faut un descendant de David, soit, mais par la voie
naturelle ou par la voie légale (2).

Vogt ne veut pas admettre. Il nous faut la généalogie du Christ


C'est ce que le P.
selon la chair: qu'elle se trouve quelque part. Elle ne se trouve pas dans
il faut
.Mt. qui aboutit à Joseph il faut donc que Le. aboutisse à Marie. Si la généalogie
;

de Le. n'est pas celle de Marie, elle ne sert de rien, elle ne sert même qu'à em-
brouiller les choses p. 81); il nous faut toujours une généalogie de la liguée royale,
de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, une généalogie qui donne à Jésus
le droit de revendiquer le trône de David. Mais, n'en déplaise à l'auteur, Marie ne

pouvait donner à son Fils aucun droit strict au trône de David; ce droit ne se trans-
mettait pas par les femmes; aucun Juif n'aurait été touché de cet argument. Et ce
n'est pas seulement la généalogie de Luc que Vogt condamne, au sens où l'ont
entendue les Pères, comme inutile et nuisible (p. 81), c'est aussi, eu dépit de ses
dires, celle de saint Matthieu. Si Mt. a dressé une généalogie inefficace selon les
idées de Vogt pour établir les droits de Jésus, il s'est livré à un travail superflu. Et
d'autre part, si Mt. a tracé une généalogie utile tout en n'aboutissant qu'à Joseph
et à David, pourquoi Luc aurait-il perdu son temps en remontant de Joseph à Dieu.!*

Constamment on voit se faire jour cette étrange prétention d'apprécier les Pères
et même les textes sacrés d'après des idées qui peuvent être aujourd'hui plus cou-

rantes, mais qui ne sont pas celles des anciens.


Mais, encore une fois, le consentement des Pères n'empêchait pas le R. P. Vogt
de tenter à son tour les ressources de l'exégèse. C'est alors qu'on voit cet intransi-
geant recourir à des solutions bien étranges. Au lieu de reconnaître avec les catho-
liques que la voix du Père au baptême proclame la filiation unique de Jésus, le

P. Vogt, cette fois d'accord avec les rationalistes, l'entend autrement. Jésus n'y est
point affirmé Fils de Dieu, mais plutôt Fils de l'homme, deuxième Adam, nouvel
ancêtre de l'humanité. Pourquoi cette témérité exégétique ? Pour que le baptême
donne à la généalogie le caractère d'une généalogie réelle, selon la chair et le sang,
permettant de revendiquer le trône de David. Et cette même réalité est introduite
dans la traduction du texte : /ai ajT'o; r,v 'Ir^aou? signifie : « et lui-même Jésus était
réellement » quoi? âgé d'environ trente ans...? est-ce que l'âge de trente ans était
l'objet spécial des complaisances du Père? Pvon! le sens est : « et lui personnelle-
ment, ce Jésus, était réellement en sa qualité de Fils de l'homme, aussi le fils aîné

(Il Le R. p. Vogt ne cite dans ce sens aux premiers siècles qu'un début de commentaire de
Mt. faussement attribué à saint Hilaire: mais de quel droit le date-t-il du temps de l'évèque de
Poitiers?
(-2) Saint Augustin pensait même que, absolument parlant. Luc aurait pu dire .(/e>î(((7 pour
marquer l'adoption J\on ergo alienuin essel a veritale, eliamsi Lucas ah illo esse Joseph yeni-
:

luiii diceret. a quo f'uerat adoptalus, etiam sic quippc yenuit eum, non ut homo esset sed ut
filius esset {De cens, Ev. II, ni. 7). On peut mesurer ici toute la distance entre les idées des an-
ciens et les nôtres.
RECENSIONS. 447

de Dieu » 'p. 90). Après ce tour de force exegétique. on trouvera tout naturel que
Vogt joigne Jésus Héli en passant pardessus Joseph
à Jésus, qui passait pour fils
:

deJosepii, était en réalité tils d'Heli, Héli étant censé le père de Marie. Si ou
objecte que d'après la tradition chrétienne le père de Marie se nommait Joachim,
il est facile de répondre ou que le même homme
deux noms, ou que la tradi- avait
tion s'est trompée, ou que le nom de Joachim a été emprunté à l'histoire de Suzanne
(Dan. 13, 4 dont le mari se nommait Joachim. Joachim était riche et époux de
Suzanne; le père de Marie était riche et époux d'Anne-, nouveau démarquage dans
le goût d'Estha-Melchi!
Il est pourtant bien dur de rompre toujours avec toutes les traditions. Eu finissant,

le P. Vogt trouveun appui prophétique dans /acharie 12, tO-14) cinq cents ans ,

avant notre ère, puis il met de son côté tous les Pères qui ont compris la lignée de
Luc comme une lignée sacerdotale. C'est toujours le même système seule une :

filiation naturelle pouvait transmettre à Jésus des droits sacerdotaux; donc ces

Pères regardaient la généalogie de Luc comme naturelle et comme aboutissant à


Marie, sans cela pas de droits sacerdotaux. Pour juger de la valeur de cet argument,
il suffira de l'appliquer à la généalogie de Matthieu seule une généalogie réelle :

pouvait transmettre à Jésus des droits royaux, la généalogie par Joseph ne transmet-
tait donc pas de droits royaux.
En réalité, le seul point d'appui du P. Vogt et de son opinion est dans les textes
de saint Justin qui supposent que Marie était de la maison de David; nous les retrou-
verons tout à l'heure.

II. —
Il semble bien que la brochure du R. P. \'ogt n"a pas eu une bonne presse

parmi les catholiques allemands. Quoique M. Heer se défende de l'attaquer systé.


matiquement, il la prend souvent à partie, le plus souvent à très bon droit, et l'on
peut se demander si M. Bardenhewer, en insérant ce second travail, n'a pas eu pour
but de réparer l'impression produite par le premier. Mais ce sont là sans doute des
soupçons téméraires, d'autant qu'en somme M. Heer suit sa voie qui est bien à lui,
assez originale, parfois trop originale, d'autres fois moins originale qu'il ne le

pense, si ce n'est par l'exagération d'opinions déjà connues.


Il faut cependant le dire dès le début, M. Heer est beaucoup mieux armé que le

R. P. \ogt pour traiter une question aussi complexe. Beaucoup plus au courant de
la critique textuelle, il n"a pas non plus cette outrance dans le raisonnement, ce parti
pris de faire flèche de tout bois, qui vicient les meilleures parties de son devancier.
Sur la question des « Maîtres », parents du Seigneur, M. Heer prend le contre-
pied du P. Vogt. On ne peut prouver que ce soient des Ebionites, et leur témoignage
sur la destruction des archives par Hérode est parfaitement recevable. Il faut encore
les en croire quand ils disent que les généalogies ont été rétablies; mais ils n'ont
plus aucune autorité quand il s'agit du point qui les touchait de plus près, celui du
lien qui unissait Joseph à Jacob et à Héli. Car M. Heer soutient, comme M. Vogt.
mais pour d'autres raisons, que la généalogie de Luc est celle de Jésus par Marie. A
ces hstes rétablies, M. Heer accorde un entier crédit. Quand Josèphe s'appuie sur les
tablettes publiques, c'est à elles qu'il fait allusion. Si l'on n'avait pas brûlé les ar-
chives, il serait remonté beaucoup plus haut que cinq générations. Il existait donc
de nouvelles généalogies, que M. Heer regarde comme parfaitement sûres, fondant
une certitude historique parfaite, et auxquelles Matthieu et Luc ont eu recours, de
préférence même aux documents bibliques 1), quand ils pouvaient consulter les deux.

(.1; Par e.\emple pour Salatbiel ^p. 134)


i48 REVUE BIBLIQUE.

Franchement, cela n'est pas très cohérent. Puisque M. Ileer insiste tellement sur
l'existence de ces listes officielles, autant valait-il suivre l'autorité de Josèphe qui
les allègue, que celle des « Maîtres » qui ne parlent que de listes reconstituées d'après
des souvenirs privés. Sur ce point la négation du P. Vogt est certainement plus lo-
gique, d'ailleurs trop logique par sa précaution de taxer d'hérésie ceux dont il veut
récuser le témoignage.
Mais il y a encore beaucoup plus de contradiction, du moins apparente, dans la
façon dont M. Heer entend le sens, la fonction de la généalogie de Luc. Il opine très
justement contre le P. Vogt que le sens de la voix du ciel au baptême c'est d'affirmer
que Jésus est Fils de Dieu au sens propre. Puis, il ajoute que c'est aussi la fonction de
la généalogie. Cela est tellement étrange, que je cite le texte en note (1). L'auteur j
revient plus d'une fois (2;. Et il allègue longuement dans ce sens l'autorité de saint
Irénée. Mais saint Irénée esquisse seulement une typologie admirable, dont on peut
bien croire qu'elle a été dans la pensée de saint Luc. Jésus parait dans sa généalogie
comme un second Adam, Sauveur des hommes, et de tous les hommes, puisqu'il
n'est pas seulement fils de David, mais qu'il remonte par ses ancêtres jusqu'à Adam,
issu de Dieu. C'est là une conception fort différente de la première manière de
M. Heer, et c'est celle qu'on peut conclure de quelques-uns de ses textes (3). Dans
Tune, la généalogie confirme la filiation divine (4j, et cela est inintelligible; dans
l'autre, elle associe à la filiation divine humaine. On dirait que quand
la filiation
M. Heer a dit nouvel Adam, il a dit en même temps Fils naturel de Dieu. Les deux
:

caractères sont réunis en Jésus, mais ils n'en sont pas moins distincts. Et la seconde
manière qui, si elle n'est pas celle vers laquelle a évolué M. Heer, est du moins
celle qu'ont exposée de très bons commentateurs, cette seconde manière permet
aussi bien que la première d'admirer l'harmonie et l'art de la composition de Luc.
Ce que je me permets de critiquer ici, c'est donc l'exagération (5) d'une idée juste.
Mis en veine de typologie, M. Heer note que saint Irénée n'a connu dans la liste
de Luc que 72 noms, parmi lesquels il faut compter Jésus et .\dam, tandis que les
différents manuscrits ou versions vont jusqu'à 77. Le chiffre de 72 est symbolique,
il signifie l'universalité des nations. Cela, on peut le concéder. Mais Luc a-t-il mis
72 noms, ou ne serait-ce pas Irénée qui s'est arrêté à 72 précisément pour obtenir
un sens typologique? M. Heer regarde le chiffre de 72 comme primitif, et alors com-
mence une opération qui rappelle celle de Procuste, quand son hôte était trop grand
Caïnan (n" 65 du grec) est rejeté pour ce seul motif qu'il est omis par D, lu 'Ailam par
si/rsin. et Thamon par e. On sait que sur ce nom se sont engagées des luttes épiques

où l'on englobait même l'inspiration biblique. On sera débarrassé de ce gêneur. Mat-

(I) DiesorZusaiumenliang he\ Lukaszwingt rormlicli ilazu dein Slammbaunigenau diesel helogische

Funktion zuzuweisen, niinilicli die schrUlstellerisclie Funktion, Jésus als den Solui Gottes zu er-
weisen. ahcr nicht in menscliiicliem, sondern in einem iibcrmc^nscliliclien Sinn etc. (p. 40).
(-2)Par exemple p. 51.
(;{)Par exemple p. 103, où la généalogie est un moyen de concilier d'une laçon typologique la
nature du Kils de l'homme et la nature du Fils de Dieu cf. p. liî", p. Iliv, et surtout p. 97.
:

CO II n'y avait qu'un moyen de l'entendre ainsi, c'olailde rattacher « Fils do Dieu « directement
à Jésus en sautant par-dessus la généalogie comme avait fait un ancien auteur cité par M. Heer
(PL., XXXV, 2253 s.); celui-là du moins était logique, car la filiation d'Adam par rapport à Dieu
étant celle d'une créature, il est impossible de comprendre comment Jésus, second Adam, élait
par cela même le propre Fils de Dieu.
(5^ Cette exagération se retrouve encore dans la p. 45, note, où l'auteur se prononce pour l'au-

thenticité du passage emprunté au Ps. 2. 7; à la p. 42, note, où Col. 1, ISserait une allusion à la
généalogie de Luc que saint Paul aurait connue et à son sens typique. Le sens de • Le Christ est... :

le premierne d'entre les morts • serait le Christ est issu des ancêtres mortels de la généalogie
:

le premier-né duquel sort une nouvelle vie, etc.


RECENSIONS. 449

that 4 et Lévi ].5] avec Admein ôo^ sont enlevés et, du moins pour Matthat et pour
Lévi. les raisons sont plausibles. Malgré tout il noms. C'est ici qu'il faut ad-
reste 73
mirer à la fois la sincérité érudite et le don qu'a M. Heer de raisonner d'après ses
propres conceptions. Un critique moins instruit des usages de l'antiquité ne compte-
rait pas le nom de Jésus : mais M. Heer sait que les anciens, en pareil cas. comptaient
toujours le premier et le dernier. Pourtant il ne faut que 72 noms. Et c'est Joseph qui
ne compte pas, parce qu'il est père putatif! Donc Jésus se rattache directement à
Héli. c'est-à-dire par Marie, et pour qui connaît les habitudes typologiques des an-
ciens, tout cela est très clair !

Tout de même il y a le texte, qui fait si nettement de Joseph le point de départ de


la généalogie. M. Heer apprécie comme il convient le sans façon du P. Vogt qui in-
troduit si gratuitement dans le texte l'idée d'une filiation réelle ou naturelle. Il a
très bien compris que, tel qu'il est, ce passage résistera à toutes les manipulations
exégétiques. Aussi a-t-il pris le parti de le transformer. La srande affaire, c'est
toujours de rapprocher t,v de tou W/.il 3, 23 . M. Heer le tente en organisant trois
incises, et voici le résultat :

A. y.x'. xjTo; f,v 'j


'Ir'joyç,

A; ipyo;j.;Vo; ï-\ ~'o iinT'.iaa


a) 6i<sî\ Itôiv Tv.â/.ovTa,

B) wv y'-b; w; ivotittîTO 'Iwarjs.

A. tou'HÀ;'; Toj AlïXysu., tou Aoà;jL tou Ohoî.

Ce n'est pas ici le lieu de discuter cette «restauration du texte p. 96. >>

Le principal changement est l'incise a. Elle s'appuie sur l'autorité de Clément et


d'Irénée. Qui ne voit qu'elle est aussi naturelle chez des Pères (\ qui racontent som-
mairement les faits, qu'inutile dans Luc, où d'ailleurs elle ne figure dans aucun
manuscrit? S'il faut en venir là, le système est jugé, et encore cela sufQt-iP Qui ac-
cordera assez de crédit à la typologie pour résoudre les questions de texte, quand la
typologie elle-même en dépend?
De même que M. Heer a essayé de fortifier ses conjectures
le P. Vogt, typolo- —
giques et textuelles —
par le témoignage des Pères (2^. Mais il n'a pas réussi à
prouver qu'Irénée savait que la généalogie de Luc était celle de Marie, parce qu'il
a opposé Marie à Eve peu après avoir cité la généalogie de Luc. ni à établir que
Justin s'appuyait sur cette généalogie pour dire que Marie était fille des patriarches.
Ou plutôt Justin s'est appuyé sur les deux généalogies, sur celle de Matthieu et sur
celle de Luc pour prouver que Jésus pouvait se nommer Fils de l'homme, étant
Gis d'une Vierge qui descendait soit des patriarches, soit d'Adam. Voici en effet le
texte de Justin (.3) " Il se disait donc fils de l'homme, soit à cause de sa naissance
:

d'une vierge qui, comme j'ai dit 4). était de la race de David, de Jacob, d'lsa;ic et

(i; Ir.ÉNKE. Haer. II. 33, .3 ad bo.pt ismum en ha venit wjn'hi.m qui triginta annos sv./jpleverat,
:

sed qui inciyerel esse tanquain triginta annorum. cura veniret ad baptismum. Où l'on voit
d'ailleurs qu'Irénée lisait ào-/6;jEvoç, Qui, je le reconnais volontiers, pourrait être supprimé,
mais non remplacé par Ipyôaîvo:. On comprend ditficilement comment l'incise A qui n'est encore
p. 94 que très dl?îne d'attention selir beaclitenswert devient à la p. 9t> partie intégrante du texte.
Ce nouveau texte est proposé avec une réserve de bon goût Der griecbisclie Wortlaut ware :

hiemacli — Kleinigi^eiteo daliingestellt etwa folgender. mais enfin il est proposé, et traduit.
(2) Il l'ait justice cependant de l'argument prophétique tiré de Zacharie. Cest à ce propos qu'il
accuse le livre du P. Vogt, dont il relève les qualités, de choquer trop souvent le sens historique
et philologique (p. 98 et note l .

(3) Dial. G, 4, trad. Archambault.


(4) Nous savons qu'il est le
« premier-né Je Dieu, antérieur à t'eûtes les créatures >, le lils
«

des palriarches. puisque devenu chair par une vierge de leur race, il a enduré de se faire chair >

(C, 2 On sait que d'aiirés y. Heer, ce premier-né de Col. 1. lo ss. est une allusion à la généal".
.

REVUE BIBLIOUE 1911. ,\. S., T. VIU. — 29


4:J({ REVUE BIBLIQLE.

d'Abraham, soit parce qu'ldam lui-même était père de ceux qui sont énumérés et
dont Marie descend par sa race : car nous savons que ceux qui ont engendré des
femmes sont pères aussi des enfants qui sont nés à celles-ci ». Je crois que ni le

P. Vogt. ni iM.Heer ne réussiront jamais à expliquer l'alternative de Justin, « soit

que... soit que »... autrement que comme une allusion aux deux généalogies, l'une
seterminant à Abraham, l'autre se terminant à Adam. Dans les deux cas, le rai-
sonnement est le même. Justin regarde donc les deux généalogies comme celles de
Jésus par iMarie en ce sens que Marie descendait des ancêtres nommés. Il sait ou
croit savoir par ailleurs qu'elle était (ille de David; il ne le conclut pas directement
des généalogies, autrement il faudrait dire que la généalogie de Matthieu est aussi
celle de Marie. Qui prouve trop, ne prouve rien.
M. Heer n'a donc pas établi sa thèse plus que le P. Vogt, et les caractères gras
qu'il emploie ne donnent pas plus de force au raisonnement. Il aurait dû plutôt les

éviter quand il s'agit de prouver par le Talmud que Marie était fille d'Heli. Le Tal-
mud de Jérusalem parle en effet d'une Marie, fille d'Éli, suspendue en enfer par les
seins, pour avoir jeûné avec ostentation (1 Rien ne prouve que le Talmu l'ait re-
. I

gardée comme la mère de Jésus, et peu importe que quelque rabbin de basse épo-
que rapprochement méchant. Aussi bien les traditions du Talmud sur Jésus
ait fait ce
— si prononcer à ce sujet le mot de tradition
l'on peut sont si confuses qu'on —
n'est pas même certain qu'il ait connu la mère de Jésus sous le nom de Marie, à
moins qu'il n'ait emprunté ce nom à l'Évangile, en la confondant peut-être avee
Marie de Magdala \2).

De la généalogie de Luc, M. Heer passe à celle de saint Matthieu. Il a eu le mé-


rite de montrer à quel point elle est nourrie de typologie. Si le chiffre de quatorze
revient trois fois, c'est que c'est la valeur numérale du nom de David (3). De longues
pagec sont consacrées à cet intéressant phénomène dont M. Heer paraît bien s'attri-
buer la découverte (4 il aurait pu le trouver signalé dans un des derniers com-
) :

mentateurs de saint Matthieu, M. Allen (p. 7), renvoyant à un article de M. G.


H. Box, Into-preter, janv. 1906, p. 199. Il est vrai qu'on n'y avait pas attaché jus-

qu'à présent tant d'importance. Par ce jeu de chiffres, que M. Box nommait une
sorte d'acrostiche, Matthieu indiquait d'une autre façon la filiation davidique de
Jésus; il ne la prouvait pas. M. Heer y voit une preuve rigoureuse (ô;. Il est bon
d'interpréter les textes selon l'état d'esprit des auteurs et des premiers lecteurs. Mais
on peut tout de même se demander si on en était là au premier siècle de notre ère,
soit parmi les Juifs, soit parmi les chrétiens. Au contraire, M. Heer me parait avoir
parfaitement réussi à prouver que l'omission de trois noms, Ochozias, Joas, Ama-
sias dans Matthieu (1, 8) est due au phénomène de la damnatio meniorioe. C'était

déjà l'opinion de saint Hilaire et de saint Jérôme. Il s'agit d'un usage ancien ;
les

Pères sont ici d'excellents guides. Il a fallu du courage à M. Heer — mais il n'en
manque pas — pour revenir à leur opinion qu'il a parfaitement mise en lumière.

gie tle Luc. Ce qui suil prouve que Justin pensait plutôt à celle de Matthieu qui met les patriar-
ches plus en relief: cf. Dial. XLIII. l • né d'une vierge de la race d'Abraham, de la tribu de
Juda et de David », dans l'urdre descendant de Matthieu.
(1) .1. Hagiga, M, 2.
j
^2) CL Le Messianisme..., p. -288 s.
|
"
^3) -TT soit 4 -f ^ '..

,4) Cf. p. 121. le privilège d'inventeur se rapporte-t-il seulement au rapprochement


Ou bien
avec la note de Dte ayada der babylonischen Amorâer. p. lit? Ce détail ne mériterait pas
Baciiei;,
d'être relevé, et ce dont M. Heer aurait droit d'être fier, c'est d'avoir compris le premier le mys-
tère du nombre de Mt. 1, 1".
(5) ...so rulit nuii auch in der matthâischen Généalogie
die gaaze Be-vireiskraft in dem Geheini-
nis der dreimal Davidischen Geschlechlerzahl (p. 127). Les caractères gras sont de M. Heer.
RECliNSIONS 431

Le caractère légal de la généalogie de Matthieu bien établi, M. Heer ajoute qu'on


pourrait sans aucun scandale dogmatif|ue adopter la leçon du ms. si/rsin. : Josepli
engendra Jésus. Cela devrait s'entendre que Joseph était légalement le père de
Jésus, rien de plus.
Je n'ai rien a objecter à ce raisonnement
nécessaire de le faire, mais je
(1;, s'il est
continue à penser que la leçon du
une leçon dérivée. La thèse de M. Heer
s>/rsi)i. est

est nouvelle en ce sens qu'il est le premier catholique à la soutenir, mais elle ne présente

rien d'essentiel qui n'ait été réfuté d'avance par .^LM. Zahn, Burkitt. etc., pour ne
citer que des protestants. Le-'<yrs(n. demeure complètement isolé. "SI. Heer lui adjoint
encore comme compagnon le dialogue de Timothée et d'Aquila 2). Ce serait très
Grave, puisque la leçon prendrait ainsi pied dans les textes grecs 'la/.œo ÈY£vv7;a£v :

-'.'I 'Jwarjp -'ov àvopa Mapt'a?, s? %


ÈYSVVriOTj 'Ir,aoyç ô Xsyôaïvo; Xp'.j-oç, y.aX 'Itoarjs ÈYÉvvrjtjjv

Tov 'Ir,aoi3v tov X£yô;x:vov Xv.cttov. Heer Suppose que l'auteur 'du v^ siècle !) a combiné
la leçon des grands manuscrits celle du si/rsiu. : il ne semble pas connaître la dé-
et

monstration très convaincante de M. Burkitt (3) à partir de /.a'; 'Iw^jr;^. c'est le


;

Juif qui prend la parole pour son compte, ne


Dans deu.x autres cas l'au-
il cite pas.

teur du dialogue ne connaît que la variante classique. Restreinte au territoire syrien,


la variante aberrante s'explique tout naturellement le copiste a répugné à dire de ;

Marie qu'elle avait « engendré » (c'est le sens propre de 7"'*Ni, et


il a écrit cela de
Joseph, étant d'ailleurs conscient du sens légal de la généalogie. Mais il est encore
plus évident que la variante w u.vr.sTcjOsT'cîr -apOÉvo: Mx-J.x'j.. « auquel était fiancée la
vierge Marie » est une substitution secondaire aux mots tov à'vopx Mapîaç, parce qu'on
a tenu à bien dire que Marie n'était pas au sens vulgaire la femme de Joseph. M. Heer
s'applique ici, avec beaucoup de soin et un sens très délié des institutions, à définir
la nature du mariage chez les Hébreux; puis il conclut exactement le contraire de

ce qu'exigeaient ses prémisses. On hésite à formuler une pareille critique : il le faut


cependant. C'est précisément parce que les liançailles chez les Hébreux étaient plus
que de simples fiançailles, qu'un Juif pouvait écrire sans étonner personne que Joseph
mari de Marie, sauf à dire ensuite que le mariage n'était pas encore rendu
était le
complet par la deductlo in dorm'.m. En dehors du monde juif on pouvait se scandali-
ser que Marie, nommée fiancée au v. 18, ait déjà un mari au v. 16. Rien de plus sim-
ple que de rétablir l'harmonie en reportant au v. 16 le titre de fiancée, et c'est ce
qu'ont fait quelques manuscrits. Mais, sans s'en douter,
ils ont détruit la pointe de

la généalogie, car Jésus, de Marie seule, ne pouvait se rattacher au.x ancêtres


fils

de Joseph que si le lien entre Joseph et Marie était déjà caractérisé par un mariage,
ce qui se pouvait à cause de la nature spéciale des fiançailles chez les Hébreux.
En terminant, j'exprime le regret de ne pouvoir rendre un hommage sans restrictions
aux brillantes recherches de M. Heer. La Revue l'a fait, quand il se tenait sur un
autre terrain. Ici il s'agit delà méthode historico-critique: j'ai cru devoir accentuer
les divergences. Elles n'empêchent pas l'estime pour un travail aussi approfondi.
Entre le réalisme presque judaïsant du P. Vogt et la typologie exaspérée de M. Heer,
il doit y avoir une voie moyenne. C'est d'ailleurs celle qu'a toujours suivie le gros de
l'exégèse catholique,
Jérusalem. 11 janv. Imh.
Fr. M.-J. Lagrange.
(1; Cf. RB., lOOti, o03 ss.
(2) Publié par M. Conybeare en 1898.
(3) Evangelion da-Mepharrcshe. Il, 205.
BULLETIN

Questions générales. — A signaler dans le Dictionnaire apologétique de hi


Foi catholique (Fasc. v) < 1\ les articles très remarquables sur l'Egypte R. P. Mallon,
;

S. .T.\ l'épigraphie (R. P. Jalabert, S. J.), l'Eucharistie (M. Lebreton). Dans l'article

sur rÉ"vpte, le R. P. Malloa s'attache tout d'aborJ aux relations de ce pays avec
les Israélites. A propos de Joseph, il est vraiment étonnant que le coûte des deux
frères soit encore rappelé comme une « analogie égyptienne ». S'il y a analogie, serait-
ce donc que le genre littéraire des récits est le même? Pour conclure, l'auteur ren-

voie a Maspero et à Viiiouroux. M. Vigoureux paraît croire que le conte des deux
frères confirme la véracité de l'histoire de Joseph: est-ce ce que veut dire le R. P.
Mallon? « Une histoire semblable est racontée dans le • conte des deux frères », ro-

man composé plus tard sous le règne de Ménephtah »... (col. 130.5). L'histoire, conte

ou roman, n'est même pas tellement semblable, puisque les deux frères sont le thème
de rincestueuse Phèdre et Hippolyte. etc.) agrémenté des invraisemblances les plus
i

fantasmagoriques. 11 semble que si la « tradition » impose la comparaison de Joseph


et des deux frères, il serait plus à propos d'insister sur les énormes ditférences que

sur les analogies. La principale difficulté opposée à l'histoire de Joseph, c'est que son
surnom que la Vulgate a traduit Sclvator mundi est, d'après des égyptologues très
compétents, un mot de frappe relativement récente. II est vrai que M. Naville et
d'autres ont combattu ces vues. Le P. Mallon ne parle pas de ce point; on dira
qu'il ne pouvait entrer dans trop de détails dans un semblable dictionnaire. Sur l'é-
poque de l'Exode, l'auteur expose les deux systèmes les plus en vogue, et donne le
choix entre le règne d'Aménophis IV et celui de Ménephtah. La Tievue ne saurait
lui en faire un reproche, puisqu'elle n'a jamais professé sur ce sujet une opinion bien
ferme. Mais la date la plus haute soulève une question assez grave. Si l'Exode a eu
lieu sous Aménophis IV^, au temps de Moïse l'alphabet cananéen n'existait pas-, le
Pentateuque aurait-il donc été écrit en égyptien ou en assyrien? Le R. P. Mallon n'a
pas ahordé non plus ce point. Il ne parait pas être de ceux qui répondraient hardi-
ment que l'alphabet était déjà inventé, sans tenir compte du fait del-Amarna. Quant
aux miracles de la sortie d'Egypte, le R. P. s'applique à faire ressortir leur carac-

tère à la fois naturel quant à la substance, et surnaturel quant au mode. Encore


donne-t-il le choix « Qu'on admette un changement {de l'eau du Nil) en sang véri-
:

table...ou qu'on se contente de surabondance de limon rougeâtre » (p. 1307). A


propos du passage de la mer Rouge, après qu'un vent violent et chaud a -divisé les
eaux et mis la mer à sec. les Israélites passent entre les deux murailles liquides.
L'auteur n'a-t-il pas soupçonné que les murailles liquides sont une manière poétique
de chanter le passage à pied sec, et que la distinction des sources rendrait ici quel-

(1) Beaucliesne, Paris.


BULLETIN. «3
que service à l'exégèse, aussi bien d'ailleurs que dans le cas du sang et du limon rou-
geâtre ?

Faut-il parler de la critique biblique aux jeunes gens? et comment leur en parler?
Double question qui préoccupe les maîtres cbrétiens consacrés à l'enseignement de la
jeunesse. Le R. P. Giovannozzi, directeur de l'enseignement religieux pour les élèves de
cours secondaires à Florence, a fait une large part à la Bible, et il ne laisse pas ignorer
à ses élèves les problèmes soulevés par la critique. Aussi bien qui donc les ignore
aujourd'hui? et n'est-ce pas vers ces questions qu'on dirige de préférence les jeunes
esprits quand on veut créer en eux des préjugés contre la Foi? Dans cette situation, le
seul parti à prendre est une défense loyale. C'est ce qu'a fait avec succès le R. P. Gio-
vannozzi, auquel son mérite reconnu comme savant, et spécialement comme astro-
nome, assure la sympathie et le respect des jeunes ,1). L'auteur est assez large quand
il s'agit de prononcer ([u'une chose n'est pas de foi ; en fait ses solutions sont plutôt
conservatrices. Exemples il n'est pas de foi que le déluge ait englouti tous les
:

hommes, mais on ne peut attaquer non plus cette proposition au nom de la science.
La femme de Lot a été enveloppée dans des débris de cendres et de pierres; l'expres-
sion de bloc de sel a été suggérée par la nature du sol. Josué n'a fait arrêter ni le
soleil ni la terre, mais il s'est réellement produit un phénomène qui permettait à

l'écrivain sacré de s'exprimer comme il l'a fait, lui même croyant d'ailleurs que le
soleil s'était arrêté. Jonas a réellement passé trois jours dans le ventre du poisson,

mais on ne peut exclure absolument l'explication parabolique; que les jeunes gens
s'en rapportent à la Sagesse prudente de l'Eglise « La luce verra anche in niateria
:

storica, e, quando sia vera luce, la Chiesa sarà ben contenta di aprire le linestre e le
porte » (II, p. 76). On comprend qu'un enseignement aussi distingué ait toujours été
tenu en grande estime par les archevêques de Florence.

M. Camerlynck a formé le dessein d'écrire un Abrégé d'Introduction générale à


la Sainte Écriture (2'. Pour lui donner dès à présent une base, il publie en un fas-
cicule séparé les principaux documents ecclésiastiques qu'un exégète catholique
doit fréquemment avoir sous les yeux. L'idée est excellente et ce recueil sera goûté
comme Enchiridion spécial à la Bible.

Nouveau Testanent. —
M. liutton a entrepris de traduire en sigles les rela-
tions des principales autorités textuelles du N. T. Il nomme cela un atlas (3). Dans
chacun des livres du N. T. un certain nombre de leçons sont réparties en texte
alexandrin, texte occidental et texte syrien. Puis ces passages forment les têtes de
ligne d'un tableau où les principaux mss. et versions sont énumérés. Dès lors on
se rend compte d'un coup d'œil du nombre de fois où tel ms. etc. a des leçons
alexandrines, occidentales ou syriennes. M. Hutton ne nous dit pas ce qui l'a décidé
dans le choix des passages examinés. Les tables sont précédées de notes où l'auteur
expose ses vues sur la critique textuelle et les mérites respectifs des principales re-

(1) I problemi deW Esislenza. Corso triennale di Religione per studenti di Mceo: voLI. La divi-
nità del Cristianesimo (seconda edizione). Vol. II. I Dogmi del Crislianesimo. ^L "U'oisièiue volume
sera consacré à la morale), Firenze, I9H, Scuola tipografica Calazanziana.
(2) Compendium introductionis fjeneralis in sacram Scripluram. Pars prior. Documenta. In-H"
de xii-127 pp. Bruges, Bejaert, 1911.
(;<) An Atlas of te.rtual critici&m. being an atiempt lo sliow Uie mutual relationslup of ihe
authorities for the te\t of tlie New Testament up to al)0Ut 1000 A. D., by Edward Ardron Hltton,
M. A. vicar of St Michaers, Hargrave, in-lO de xvi-i2'; pp. (avec des tables). Cambridge, a tlie
Universitv Press, l'Jll.
/

454 REVUE BIBLIQUE.

censions. Il est inquiétant de lire (p. 31) qu'Eusèbe et Basile appartenaient tous deux
à Césarée. M. Hutton aurait-il confondu Césarée de Palestine et Césarée de Cappa-
doce? L'ouvrage comprend des notes utiles de M. Burkitt.

Depuis 1894, M. le professeur W. Sanday a coutume de réunir à certains jours


quelques personnes pour étudier la question synoptique (1). Le résultat de ces con-

férences est aujourd'hui communiqué au public. Mais ce n'est pas sons la forme de
conclusions adoptées par tout le groupe. Chacun fournit sa contribution, et ces essais,

— comme ils se nomment, —


tentent parfois des voies si différentes que l'éditeur a
cru devoir dire sa pensée sur chacun d'eux, sans craindre de marquer son dissenti-
ment. Le sommaire indique à lui seul la variété des sujets traités :

W. Sano.'IY : Les conditions dans lesquelles ont ('té t'cfits les évangiles, et leur
portée par rapport à certaines difficultés du problème synoptique. — Sir John C. Haw-
Kijvs i. S. Luc ne s'est pas servi de s. Marc comme source dans sa section 9, 51-
:

18, 14. 2. L'omission par s. Luc de la matière contenue da7is s. Ma?'c 6. 4-5-8, 26.
3. La Passion de s. Luc dans ses relations avec le problème s/jnoptiqtie. B. H.Streeter: —
Sur l'ordre original de Q; Connaissance et usar/e de Ç de la part de s. Marc; Exten-
sion pnmitive de Q; Évolution littéraire des évangiles; Nofre-Seigneur devant Hérode.
— "W. C. Allen Le livre des Paroles employé par l'éditeur du premier évangile;
:

Le substratum araméen des évangiles. —


J. Vebnon Bartlet Lessowxes de l' évan-:

gile de s. Luc. — W. Addis


E. La critique de l'Hexateuque comparée à celle des
:

é^xingiles. — N. P. Williams Une théorie récente sur l'origine de l'évangile de


:

s. Marc. — Appendice (B. H. Streeter) La critique des synoptiques et le problème


:

eschatologique.
Il serait superflu de dire que tous ces essais font honneur à la patience et à la
droiture anglaises. Onne voit percer nulle partie souci de lancer de brillantes hypo-
thèses, on ne craint pas de dire une fois de plus ce qui a été dit déjà, l'unique préoc-

cupation étant de serrer de plus près les questions. Cependant toutes les observa-
'

tions n'ont pas la même valeur, et peut-être trouvera-t-on, dans une étude, de bonnes
raisons contre telle conclusion ou même tel principe que l'étude voisine accepte ;

on dirait parfois que les efforts déployés de part et d'autre se neutralisent. De toute
façon des pages si consciencieuses et si mûries demandent à être lues de très près-
Ce une erreur cependant que d'y voir le vnde-mecum de l'étudiant. Les pre-
serait
mières bases du svstème des deux sources sont supposées plutôt qu'établies. Il n'est
question nulle part de prouver la priorité de Marc, ou son emploi par Luc, ou la
dépendance de Mt. et de Le. par rapport à Me. Tout cela est censé admis, et ce sont,
on l'a vu par la table des matières, les questions ultérieures qui ont absorbé l'atten-
tion des professeurs d'Oxford.
Nous sommes orientés dès le début. M. Sanday rappelle que si l'hypothèse deû
deux documents explique assez bien les ressemblances des synoptiques, leurs diver-
gences seraient plus naturelles si on pouvait admettre qu'ils ont puisé à m\e mêm«
catéchèse orale. C'est en particulier le cas lorsque le même mot est pris dans un sens
différent chez deux évangélistes, ou lorsque les mêmes phrases sont placées pal
l'un dans un par l'autre dans la bouche d'un acteur, etc. Même difficulté
récit,

quant à la priorité de Marc, lorsqu'il parait contenir des traits secondaires, ou dans
les cas oii Le. et Mt. s'entendent contre lui sur des traits qui semblent primitifs.

(1) Sludies l'a Ihe synoptic problem, hy Members of llie Univeisity of Oxford edited by W. Sas

D.vY D. D. Lady Margaret Profossor of Divinity, in-S" de xxvfi-4.^6 pp. Oxford, at tlie Clarendoj
Press, l'Jll.
BULLETIN. 455

A ces difQcultés M. Sanday répond d'abord, — et la réponse, pour n'être pas nou-
velle, est encore la meilleure. — que les évangélistes sont des historiens, non des
copistes. Il neuve de son argumentation, que les
ajoute, et c'est la partie la plus
anciens n'étaient pas aussi bien pourvus que nous pour copier des textes. Ils n'écri-
vaient point sur des tables, mais plutôt sur leurs genoux comme font encore les —
scribes arabes, — et les rouleaux qu'ils consultaient gisant à terre, il se passait plus
de temps entre la lecture des sources et la rédaction-, on se contentait donc plus
volontiers d'une citation approximative. Spécialement quant à l'usage de ;\Iarc par
Luc, M. Sanday qui rejette avec raison le Proto-Marc, imagine une recension plus
coulante qui aurait servi de texte à à s. Matthieu et à s. Luc. L'étrange est
la fois

que cette recension aurait complètement disparu, nos mss. ne nous ayant conservé
qu'une recension plus originale. L'hypothèse est tellement en l'air, qu'elle ne peut
vraiment pas Oj;urer comme élément appréciable dans la question synoptique. Au
contraire, la dimension limitée des tomes de papyrus qui ne permettait pas de faire
des livres trop longs est un fait positif dont on doit tenir compte quand il s'agit
d'expliquer pourquoi les évangélistes n'ont pas reproduit tout ce qu'ils trouvaient
dans leurs sources.
M. Sanday s'est dispensé de faire une application de détail aux difficultés qu'il
avait énumérées au début. On ne voit pas en effet comment ces solutions explique-
raient les passages secondaires de s. Marc: aussi bien navait-il choisi comme exemple
de caractère secondaire que des omissions.
Les notes de M. Hawkins sont empreintes de la sobriété, de la précision, du rai-
sonnement déduit avec exactitude, n'allant jamais au delà des prémisses, qui font
tant d'honneur à l'auteur des Horae synopticae. Il pense que Le. a renoncé à se ser-
vir de Me. soit dans « la petite interpolation » (Le. 6. i>0-8, soit dans • la grande :i ,

interpolation » Le. 9. .51-18, 14^, quoique, dans ce dernier cas, il n'y ait pas moins
de 'trente-cinq versets ou parties de versets qui ressemblent à ce qu'on lit dans Me.
Mais un certain nombre de ces passages consiste en doublets, c'est-à-dire que Le. y
revient ailleurs, cette fois en s'inspirant de Mc: si donc dans la grande interpolation
il traite de nouveau ces thèmes, c'est qu'il suivait une autre source ou il les lisait.

Assez souvent, dans cette section, Le. se rencontre avec Mt. dans un rapport plus
étroit qu'avec Mc; nouvelle preuve qu'il ne s'attachait pas alors à son guide ordi-
naire. D'ailleurs sir J. Hawkins estime que cette seconde source n'est pas seulement
ici les Logia, mais que Le. a pu consulter des disciples ayant suivi le Maître. On
s'expliquerait ainsi que, ne voulant pas perdre une tradition aussi précieuse, il ait
abandonné pour un temps trame de Marc; peut-être même, ajoute M. Hawkins,
la

Le. avait-il rédigé cette section avant de connaître Marc. Cette hypothèse rendrait
mieux compte de la liberté que Le. a prise vis-à-vis de Mc. qu'il estime tant, mais on
avouera qu'elle n'est pas nécessaire. Venant à une autre marque de l'indépendance
de Le, l'omission de Mc. 6, 45-8. 26, M. Hawkins prouve péremptoirement que
cette section est trop dans le style de Marc pour qu'on puisse l'attribuer à un Deu-
téro-Marc, et il indique les raisons qui justifient l'omission, surtout si Le. était
décidé à ne pas écrire un évangile trop long. De Mc, M. Hawkins pas.se au second
document qu'il nomme encore Q (Quelle, source) pour ne rien préjuger, mais qu'il
est très tenté de nommer Logia, car il croit que bien lui que Papias avait en
c'est
vue. Un essai de reconstruction de ce document tel qu'il doit avoir été écrit ne lui
paraît pas (p. 118. note 2' moins futile qu'à M. Burkitt: cependant, selon sa manière
très subtile de doser les probabilités, il indique trois classes de passages (en tout
84) communs à Le. et à Mt. qui ont plus ou moins de chances d'avoir fait partie des
436 REVUE BIBLIQLE.

Logia. Oiren conclure sur la forme de ces Lugia? Qu'ils étaient écrits sans aucun
ordre chronologique, puisque Le. et Mt. les ont placés dans des contextes si différents,
et, pour la même raison, qu'ils étaient rarement pourvus d'introductions tirées des
circonstances. Cependant M. Hawkins est trop prudent pour conclure que les Logia
ne contenaient rien de plus que les parties communes à Le. et à Mt. Il estime au
contraire qu'ils ont dû être beaucoup plus considérables, parce que Papias n'aurait
pas accordé tant d'importance à cet ouvrage, s'il n'avait compté qu'environ 236 ver-
sets, et qu'il ne l'aurait pas non plus mis en relation avec l'évangile de s. Matthieu

qui en compte 1.068. Comme d'autre part il est peu probable que l'antiquité ait laissé

perdre un recueil d'une telle valeur si son contenu n'avait été conservé dans les Evan-
giles canoniques, il faut se demander
ou Mt. n'en auraient pas conservé des
si Le.
parties assez considérables dans des passages où ils ne se contrôlent pas l'un par
l'autre. Et c'est à cette œuvre délicate que M. Hawkius consacre d'ingénieuses sug-
gestions. Elles seraient sans doute moins purement conjecturales qu'il ne les présente
s'il tenait plus fermement à la tradition qui fait de s. Matthieu l'auteur du premier
évangile.
Le troisième essai de M. Hawkins est relatif à l'indépendance de Le. par rapport
à Me. dans le récit de la Passion. C'est un fait reconnu, qu'il met de nouveau en
lumière. L'explication qu'il en donne ne paraîtra pas heureuse c'est comme com- :

pagnon de s. Paul dans ses missions que Luc se serait accoutumé à prêcher la Pas-
sion d'une certaine manière qu'il ne se serait pas soucié de rendre plus conforme à
celle de s. Marc. Mais M. Sanday a fait remarquer que les divergences de s. Luc
ont le caractère de particularités historiques, plutôt que de vues doctrinales, et qu'il
n'y a donc pas de raison de les rattacher à s. Paul.

M. Streeter a repris la question des relations de Mt. et de Le. avec Q. II opine


sans hésiter que l'ordre primitif de Q se retrouve plutôt dans Le. que dans Mt., d'a-

près un principe qui lui parait décisif : Le. a coutume de suivre l'ordre de ses sources,
ce que ne fait pas Mt. nous en avons la preuve dans leur conduite par rapport à
:

Me. Quand ils s'inspiraient de Q, il y a tout lieu de croire qu'ils ont agi de la même
façon. Mais ce raisonnement était d'avance privé d'efficacité par les observations de
M. Hawkins. S'il est prouvé que les Lor/ia n'avaient aucun ordre chronologique,
pourquoi Luc se serait-il appliqué à reproduire une suite purement matérielle? Cela
pouvait suflire à Matthieu, qui aime à grouper les discours, non à Luc qui préfère
leur donner des cadres... Il serait donc au moins aussi aisé de retourner la proposi-
tion. Lorsque M. Streeter conclut ensuite que ^Ic. s'est inspiré de Q, on a l'impres-
sion que la conclusion est un peu trop absolue. Avant de rien conclure pour Me, il
faut d'abord démontrer que Mt. et Le, dans un passage parallèle à Me, suivent une
autre source que lui, sans quoi la question ne serait pas posée nettement. On obtient
ce résultat en montrant qu'ils se ressemblent beaucoup plus entre eux que chacun
d'eux avec Me. Soit, et cela prouve bien qu'ils avaient une source commune. Mais alors
connnent prouver que cette source est aussi celle de Me, puisqu'il en diffère au moins
autant que des deux autres synoptiques qui se sont passés de lui? Si l'indépendance
de Lc.-Mt. par rapport à Me. est établie par certaines divergences, ces mêmes diver-

gences, en bonne logique, doivent prouver aussi l'indépendance de Me par rapport


à la source de Lc.-Mt. Aussi M. Streeter ne parle-t-il que de réminiscences, d'emprunts
faits de mémoire 1) etc.. ce qui équivaut à confesser que les rapprochements litté-

(1) Il y a à tout le moins un peu d'antinomie dans les termes. Si l'on emploie un ouvrage par
simple réminiscence, cela ne peut guère se nommer « faire des extraits • ^cf. p. 166).
BULLETIN. 457

raires ne portent pas au même degré. Avec de pareilles raisons la critique ne se


serait probablement pas crue autorisée à sortir du système de la catéchèse orale.
M. Streeter revient, après M. Hawkins, sur l'étendue de Q et ses rapports avec
IMt. et Le. est porté à croire qu'une partie de Q est conservée dans Le. seul, en
Il

particulierque Le. 9, .51-18 14, est, dans l'ensemble, un extrait de Q. Mais il faut
entendre ici que Q avait été développé en divers sens, et que Mt. et Le. n'avaient
pas sous les yeux la même recension.
L'essai sur l'évolution littéraire des évangiles n'a pas le même caractère technique
que les autres. On eût pu le du volume comme une sorte
placer en tête ou à la lin
de sommaire des opinions adoptées aujourd'hui par toute une école de critique.
Nagueres (27 mars 1911), M. Jean VVeiss faisait à Jérusalem une conférence sur la
façon dont les évangiles se sont produits [ilic Eiilsfclunu/ ilrr Eiynufclirii), et suivait
exactement les mêmes lignes que M. Streeter. Il est très probable qu'il ne l'avait pas
lu, et peut-êtreM. Streeter n'avait pas non plus conscience de se rattacher aux tra-
vaux antérieurs du professeur de Heidelberg. C'est qu'il s'agit désormais d'un thème
reçu et il faut reconnaître que M. Streeter l'a traité d'une façon très brillante. Au
début, très peu de temps après la mort de Jésus, en Palestine, personne n'éprouvait
le besoin d'écrire la vie du Maître, parce que la tradition vivante en conservait

encore les traits, surtout pour ce qui regardait la Passion et la Résurrection, d'autant
qu'on espérait comme prochain l'avènement du Seigneur. Tout au plus demandait-
on à counaitre et à posséder par écrit ses paroles, qui devaient servir de lumière
dans les occurrences de la vie. Personne ne songeait à remplacer la tradition orale,
mais on voulait la compléter, lui donner une physionomie plus nette sur certains
points d'une importance majeure, par exemple le rapport de Jésus avec la prédication
de Jean, qui avait si fort ébranlé les esprits, l'attitude à prendre envers les Phari-
siens, chefs spirituels de la nation. Il fallait aussi expliquer pourquoi Jésus, devenu
Christ par sa résurrection, et attendu dans sa gloire de Christ, avait, durant sa vie,
si peu répondu à l'idéal des Juifs. L'histoire de la Tentation racontait comment cet
idéal n'était pas celui qui convenait à Jésus, mais plutôt une suggestion du malin qu'il
avait repoussée. C'est ainsi que les LoQi'i ont pris naissance, et c'est pour cela qu'ils
ont compris, outre les paroles de Jésus, tout ce qui regardait les rapports de Jésus et
du Baptiste, le récit de la Tentation et les discussions de Jésus avec les Scribes et les
Pharisiens; c'était assez pour les chrétiens de Palestine aspirant après la Parousie.
Tout autre était la situation à Rome. On voulait savoir les principaux événements
de la vie de Jésus, il fallait exposer la trarne de sa Passion et de sa vie à la lumière
de la doctrine de Paul. Ce fut l'œuvre de Marc, qui s'étend sur ces points avec le
sentiment le plus vif des faits vus pour eux-mêmes, et qui réduit à quelques linéa-
ments ce qu'il croit nécessaire d'emprunter aux Lofjia. Après ces dajx oeuvres pri-
mitives, l'époque de ia réflexion exigea des vies complètes, comprenant à la fois les

récits et la doctrine; les deux autres synoptiques ont la prétention d'offrir des touts
complets, et poursuivent des intentions apologistes, le premier évangile s'aitachant à
prouver que Jésus est le Messie attendu par les Juifs, le troisième qu'il est bien le

Sauveur du monde. En lisant M. Streeter, on se dit que les choses ont du se passer
de la sorte, et en effet cet exposé des origines réalise la situation et les besoins de la
communauté primitive dans la façon dont ils auraient été satisfaits si la thèse cri-
tique sur l'étendue des Logia était démontrée. A la réflexion, il surgit des doutes.
Lorsque par exemple M. Streeter demande si les premiers chrétiens pouvaient son-
ger à une vie de Jésus, eux qui n'avaient jamais entendu parler de biographies
d'Isaïe, de Jérémie. d'Ézéchiel et des autres prophètes (p. 212), on pourrait répondre
458 REVUE BIBLIQUE.

qu'ils avaient lu sans doute les gestes d'Elie et d'Éiisëe, sans parler de la vie de
Samuel, depuis sa conception jusqu'à sa sépulture. Il est très facile d'établir une har-
monie parfaite entre des tendances présumées et un ouvrage présumé, mais d'autres
corabii)aisons seraient possibles. La seule utilité de ces généralisations est de dessiner
clairement pour le grand public le résultat des études de détails; elles n'offrent pas
en elles-mêmes un argument de plus. D'ailleurs tous les faits ne sont pas également
maniables. Si Marc a abrégé ce qui regardait le Baptiste parce qu'on ne s'en souciait
pas à Rome, pourquoi a-t-il raconté si longuement les circonstances de sa mort? Il

est aussi bien difûcile de croire que les premiers chrétiens de Palestine n'attachaient
pas d'importance aux miracles, parce qu'ils vivaient dans une atmosphère qui en était
comme saturée. Quoi qu'il en soit, il n'estque juste de constater que cette critique
se rapproche en partie des thèmes de M. Streeter est prêt à admettre
la tradition.

que les Loyia sont une œuvre de s. Matthieu, écrite une douzaine d'années après
la mort de Jésus. Le second évangile vieut de Rome, et il répond parfaitement
à la description qu'en a laissée Papias. Le premier et le troisième évangile sont de
l'époque qui suit celle des Apôtres, mais ils contiennent une bonne partie de l'écrit
primitif. D'ailleurs, ce que M. Streeter dit de leur but est admis depuis longtemps
par l'exégèse la plus conservatrice.
L'arrangement de M. Streeter a paru si peu satisfaisant à M. Allen qu'il imagine
tout autrement les Log'ui. et c'est bien d'après lui qu'ils mériteraient vraiment le titre
de Logia. Hari.ack a reconstruit cette source d'après Le. et Mt. Mais, dit avec raison
M. Allen, —
et l'observation a été faite maintes fois, si nous reconstruisions un —
Marc d'après Le. et Mt., combien ne serait-il pas différent du Marc authentique! De
plus M. Allen ne comprend pas ud recueil de discours qui aurait encore embrassé
quelques récits. Il se borne donc à prendre dans Mt. les paroles ou sentences de Jésus
qui ne sont pas dans Me; obtient il ain>i un recueil de discours dont la phraséologie
et la théologie ont le même aspect, — ce qui n'a rien d'étonnant, puisque tout est
emprunté au même auteur. Quant à Luc, il n'aura connu cette source que sous une
autre forme. Ce qu'il y a bien à retenir dans Targumentation de M. Allen, c'est que
le premier évangile a souvent des termes d une saveur très primitive qu'on ne peut

attribuer à un recenseur relativemeut récent.


M. Allen tient encore que le second évangile a été écrit en araméen, aussi bien que
les Il est impossible de traiter ce point sans entrer dans le détail (1).
Logia.
M. Allen est peu respectueux de la forme la plus reçue de la théorie des deuxi
Si
documents, M. Bartiet la met carrément eu doute dans son essai sur les sources de!
Luc. « Il croit fermement » que Miirc a été euiployé par les deux autres syuopti-j
ques; mais, cet hommage rendu à une partie de la théorie, il se propose de démon-
trer que Le. et-Mt. ne se sont pas inspirés du même document, et, pour tout dire, lej
sigle Q ne représente plus pour lui un document écrit, mais seulement une catéchèse]
apostolique. Ni Mt. ni Me. n'ont connu un écrit de ce genre, et si l'on en trouve lai
trace dans Le, c'est que lui-même avait recueilli les éléments de cette catéchèse enj
même temps que d'autres renseignements très précieux dans un milieu judéo-chré-
tien, à Cesarée, auprès de l'évangéliste Philippe. C'était là pour lui une source capi-j

taie, d'abord notée dans son carnet, puis combinée par lui avec le texte de Me. pour

composer son évangile. Comme M. Bartiet traite presque uniquement de Le, on ne


voit pas que ses observations l'aulorisentà nier l'existence de Logia écrits séparément.
Même s'il était prouvé qu'ils n'ont été cuunus de Le. que sous leur forme orale, ou
mêlés à sa source particulière, on ne pourrait conclure qu'ils n'ont pas été écrits sousj
(i) cf. Evangile selon saint Marc, p. lxmx ss. ,
BULLtriN. 4o9

une forme dont s'est servi Mt. C'est sur ce point, semble-t-il. que portent les réserves
de M. Sanday, un peu inquiet de voir ébranlée, à la fin du volume, la base sur laquelle
reposent les autres essais. Et il faut convenir que M. Bartiet ne se dégage pas suffi-
samment de l'équivoque. Lorsqu'il soutient que Q contenait un récit de la Passion,
qu'est-ce dire, si Q est simplement la catéchèse orale, fondement de toute la tradition
évangélique?
M. Addis semble avoir eu pour but de rassurer les personnes qui craignent que
la critique de l'hexateuque ne soit appliquée au Nouveau Testament d'une manière
aussi destructrice de l'unité. Il montre bien que le cas n'est pas le même.
M. Williams s'en prend à la théorie de M. Wendling sur les trois couches de Marc
et montre correctement qu'elle est contredite par les faits. Lui-même croit cependant
devoir concéder que le second évangile a existé dans trois états on y aurait ajouté ;

successivement « la grande interpolation >• et le chapitre 13. Ces vues sont en


partie réfutées d'avance par M. Hawkins quelques pages plus haut.
11 faut le redire les professeurs d'Oxford qui nous ont donné ce volume ont
:

échangé leurs idées, plutôt qu'ils ne les ont mises en commun pour les imposer au
public. Des esprits très divers ont abordé le problème synoptique par différents
points. L'accord n'en est que plus impressionnant, par exemple sur la priorité de
s. Marc. Le désaccord prouve peut-être d'ores et déjà que certaines questions sont

insolubles. A l'épreuve, certaines solutions se montreront plus <olides que d'autres.


Les essais d'Oxford serviront désormais de thème à beaucoup d'autres conférences-,
ce sont assurément des modèles de discussion compétente, sereine et courtoise.

Quelle exégèse du doute, s'il n'est pas avéré que Papias a


demeurera à l'abri

distingué deux Jean, l'un qui est évidemment l'apôtre, fils de Zébédée, et l'autre
qu'il qualifie de presbytre Que l'on accuse ce vieil homme de radotage, ou ses
.'

copistes d'infidélité, j'y consens, mais si l'on s'en tient au texte courant, le doute
n'est pas possible. Relisons-le encore une fois. « S'il venait quelqu'un qui avait fré-
quenté les presbytres, je m'informais des discours des presbytres, ce qu'André ou ce
que Pierre avait dit, ou ce [qu'avait diti Philippe ou ce "qu'avait dit] Thomas ou
Jacques ou ce [qu'avait dit[ Jean ou MaHhieu ou quelque autre des disciples du
Seigneur, et ce que disent Aristion et le presbytre Jean, disciples du Seigneur. » Et
cependant ce n'est personne de moins autorisé que dom J. Chapman, le savant bé-
nédictin anglais, qui entre en' lice pour réduire à un seul ces deux Jean, qui ne seraient
plus que Jean l'apôtre, auteur du quatrième évangile, de l'Apocalypse et des trois
épîtres qui portent son nom. Le travail de dom Chapman était déjà écrit en 190.3 et
1904; il l'a seulement retouché (P.
Puisque dom Chapman tient pour l'unité, on est tout d'abord étonné qu'il affirme
très nettement que les presbytres ne sont pas les apôtres, mais les disciples des
apôtres. Au lieu de sous-entendre : a à savoir », il sous-entend « pour savoir par
eux ». « Je m'informais des discours des presbytres [pour savoir par leur canal] ce
qu'André », etc. Et cela parait tout à fait bien vu, mais n'en résulte-t-il pas que le

presbytre Jean sera plutôt un disciple des Apôtres qu'un disciple de Jésus et surtout
qu'un Apôtre'? La phrase présente une autre difficulté. Papias s'informait donc, d'a-
près dom Chapman, de ce qu'avaient dit les apôtres par le canal des presbytres et
de ceux qui les avaient fréquentés, donc à travers deux intermédiaires: mais s'in-

îormait-il directement ce que disaient Aristion et le presbytre Jean encore vivants,


ou par le canal de ceu.\ qui les avaient fréquentés, ou encore par le canal de ceux
(1) John the presbyter and the fourth Gusjjel, by dom John Ciiap-man. O. <. B., in-8'' tic lOS pp.
Oxford, Clarendon Press. 1911.
460 REVUE BIBLIQUE.

qui avaient fréquenté des presbytres qui les connaissaient? Je crois volontiers avec
dom Chapman qu'il faut supprimer au moins un intermédiaire, et que si Papias n'a
pas interrogé directement Aristion et le presbylre Jean, du moins ceux qu'il interro-
geait avaient reçu leur témoignage. Je dis donc avec l'auteur « Le résultat de cette :

analyse de la construction de montrer clairement que Jean le presbytre et


est

Aristion ne sont pas coordonnés avec les Apôtres, mais avec les Presbytres, et c'est
un résultat extrêmement important » (p. 25). Très important, en elTet, car il prouve
que Jean le presbytre n'est pas sur le même rang que les Apôtres, mais sur le même
rang que les presbytres, dont il porte précisément le nom pour être distingué du fils
de Zébédée. Et j'avoue que, jusqu'à cet endroit, j'ai cru que dom Chapman allait

conclure à deux Jean. Mais point, il paraît au contraire, chose étrange, tout à fait
convaincu d'avoir démontré l'unité. Il y a pourtant bien longtemps qu'on a montré
que le Jean, dit le presbytre, nommé après Aristion, dans une catégorie à part, ne
peut être Jean l'Apôtre; que Papias n'a pu mettre une seule personne à la fois parmi
les morts et parmi les vivants-, qu'en le liommant une fois encore après Aristion et en

rangeant sur le même plan les narrations de l'un et les traditions de l'autre, il

montre assez clairement qu'il ne parle pas du dernier des Douze. Enfin c'est bien ce

qu'a compris Eusèbe, qui avait le livre de Papias sous les yeux.
Dom Chapman attaque séparément chacune des raisons d'Eusèbe, comme un
avocat s'efforcerait de répondre aux arguments d'un adversaire. Sans doute si l'opi-

nion d'Eusèbe était évidemment fausse, il faudrait bien essayer de montrer que ses
arguments ne prouvent Mais qu'a donc d'impossible, d'invraisemblable, d'ab-
rien.

surde, l'existence d'un second Jean en Asie, ou même en dehors d'Asie, car enfin
Papias ne dit même pas que le presbytre ait habité l'Asie?
C'est, dit dom Chapman, que s. Irénée a compris qu'il s'agissait de Jean l'Apôtre.
Si Irénée parle de science certaine, qu'on change le texte de Papias, ou qu'on dise
qu'il n'a pas su ce qu'il écrivait. Mais entre Irénée, se fiant probablement à sa
mémoire, et Eusèbe relisant le texte de Papias pour contrôler le dire d'Irénée, — et

il avait les deux livres sous les yeux, — il faut opter pour Eusèbe. Qui n'a pas cou-
tume de rendre armes quand une personne, même d'intelligence très médiocre,
les
La mémoire de s. Irénée a pu s'accrocher
affirme qu'elle a relu un texte pour vérifier.'
à l'un des passages où Papias parlait de Jean le presbytre, sans se souvenir du pas-
sage que nous avons cité, où il le distingue de Jean l'Apôtre.
Mais, dit encore dom Chapman, nous aboutissons à cette conséquence absurde
qu'il faut alors admettre deux Jean le presbytre, celui de Papias et celui qui a écrit
les deux petites épîtres johannines, à savoir l'Apôtre qui prend aussi le titre de pres-
bytre! Cette conséquence n'est pas au>si terrifiante qu'elle le paraît au savant
anglais. Jean l'Apôtre a pu prendre le titre de -pjcrojrspoç, comme s. Pierre a pu
prendre le titre de TJV7:paojT3Go; (I Pet. 5, 1), mais cela n'empêche pas qu'il ait pu
exister dans la catégorie des presbytres un nommé Jean. Il faudrait seulement re-
connaître que répithète de presbytre qui pouvait être prise par un apôtre est devenue
dans la langue de Papias et d'Irénée une sorte de terme technique pour désigner les

anciens de la génération suivante. Mais n'est-ce pas ce que dom Chapman a soli-
dement établi?
Parlons franc. D'où vient que M. Brassac a pu écrire : « pour la distinction : ... en
général les adversaires de l'authenticité du quatrième évangile » ; « contre la dis-

tinction : ... en général les défenseurs de l'authenticité {1) »?

(1) Manuel biblique. III, 13« éil. (p. -la.'i et loti, en note).
BULLETIN. 4G1

Cela siïnifie évidemment qu'on craint, en admettant deux Jean, d'aDFaiblir la thèse

de l'authenticité, surtout depuis que M. Harnack a essayé d'établir que le quatrième


évangile a été écrit par Jean le presbytre d'après Jean l'Apôtre.
S'il a existé un Jean le presbytre, il faut qu'il ait écrit le quatrième évangile ! La con-
clusion s'impose, dit dom Chapman : pas de demi-solution 1
— Vraiment c'est avoir
bien peur d'un fantôme. Il y aurait eu dix Jean, tous presbytres.tous vivants à Éphèse
au temps de Papias, que l'authenticité du quatrième évangile n'en souffrirait aucune
atteinte. Ce n'est pas parce qu'il a cru que Papias avait été disciple de Jean l'Apôtre
qu'Irénée a affirmé que l'Apôtre avait écrit le quatrième évangile. Si Papias avait attri-

bué quatrième évangile au presbytre, Eusèbe nous l'aurait dit. Et je ne puis que
le

m'associer à la vigoureuse démonstration de dom Chapman contre l'hypothèse de

Harnack, qui est tout à fait en l'air. Mais alors pour(]uoi en a-t-il si peur? Il semble
que des deux côtés on raisonne trop d'après les livres pour conclure aux réalités.
Papias ayant nommé Jean le presbytre, il faut, diront les partisans de M. Harnack.
qu'il ait joué un rôle considérable. Mais, dit dom Chapman, personne n'a plus parle

de ce Jean '1). sauf les lecteurs de Papias, il n'a donc jamais existé.
Or il suffirait de conclure : il n'avait donc rien fait d'assez remarquable pour qu'où
continuât d'en parler. On peut avoir existé dans la réalité sans avoir un état civil
dans les livres, et on peut avoir été nommé dans un livre sans avoir rien fait d'extra-

ordinaire.
De Jean le presbytre, le texte actuel d'Eusèbe dit, comme d'Aristion. qu'il était dis-
cipledu Seigneur. D'après dom Chapman. ce mot doit être entendu en toute rigueur,
puisque ce Jean serait Jean l'Apôtre. Mais, tout en le distinguant, on pourrait se
demander s'il a connu personnellement Jésus, ou s'il a été son disciple au sens large
(Act. 9, 1). La version syriaque ne porte pas cette mention, qui ne paraît pas non
plus dans l'esprit d'Eusèbe. Je ne voudrais pas chercher chicane à dom Chapman
sur ce point, beaucoup moins clair que le point principal; pourtant à lire la phrase
comme lui, Aristion et Jean le presbytre appartiennent plutôt à la génération qui a
suivi celle des apôtres.
Lorsque Jean le presbytre sera rentré dans l'obscurité relative dont il n'aurait
pas dû sortir, on trouvera moins d'inconvénients à lui rendre l'existence à laquelle
il a droit. Quand la question qui le concerne aura perdu de sou importance, elle

sera tout naturellement résolue. Certes on n'a rien à objecter à ce qu'il n'ait existé

qu'un seul Jean. L!n seul Jean suffit à tout. Un seul Jean a écrit les ouvrages
canoniques attribués à Jean l'Apôtre. Un seul Jean a conservé un souvenir
éternel. Mais quand on revient au texte de Papias, on se demande pour la centième
fois pourquoi donc, n'ayant pas nommé tous les Apôtres, il a mis parmi eu.xJean, qu'il
se proposait de nommer encore après Aristion... Et on ne trouve pas de réponse...

Etrange brochure que celle de M. W. Brandt sur les régîtes de pureté des Juifs et
leur description dans les Evangiles ;2). Ilpresque uniquement du célèbre pas-
s'agit
sage de saint Marc (7, 1-5) sur la lotion des mains avant le repas et autres usages
des Pharisiens et des Juifs, relatifs à la pureté des aliments et des ustensiles.

ii;Soitdilen passant, il se débarrasse assez subtilement de l'autorité des. DenysdWlesandrie :

« Ila entendu dire qu'il y avait deux tombes à Éphèse, mais il n'a pas entendu dire qu'ily avait
eu deux Jean connus en cet endroit • (p. 55).
(:2i Jûdische Reinheitslehre und ihre lieschreibung in den Evangelien, von Wilhelm Brandt,
in-8'> de vn-6i pp. Giessen, Tôpelmann, 1910 (Beiliefte zur Zeitsciirift liir die alttestamentliehe

Wissensclialt. XlX .
462 REVUE BIBLIQUE.

M. Biiehler (1) a essayé de prouver que le devoir de se laver les mains avant de
manger n'était d'abord obligatoire que pour les prêtres, qu'il n'a été imposé aux doc-
teurs qu"à la fin de i'^'" siècle de notre ère, et qu"il n'a jamais été tout à fait général
parmi les Pharisiens. D'où il fallait naturellement conclure que les faits racontés par
Marc et la leçon qu'en avait tirée Jésus n'étaient point authentiques, sans parler
des renseignements fournis par l'évangéliste lui-même. Là-dessus M. Brandi reprend
toute la question, prouve que les usages dont parle Marc sont, sinon établis sur des
textes, du moins vraisemblables, et cependant il conclut que les paroles de Jésus ont

été inventées par la tradition chrétienne pour appuyer sur l'autorité du Maître la pra-
tique des Gentils qui ne distinguaient pas entre aliments purs ou impurs!
Voyons d'abord la défense de Marc; on comprend que dans ces conditions, elle n'a
aucune arrière-pensée apologétique. Il y a à distinguer plusieurs usages. Pour ce qui
regarde la lotion des mains, M. Brandt lit dans Marc nj/.vâ (au lieu de -jytJ^fj) les :

Juifs observants se lavent « souvent » les mains avant démanger. Ce « souvent », dit
l'auteur, pourrait faire allusion aux différents actes de la lotion. Il fallait verser de
l'eau deux fois et se frotter les mains dans l'intervalle. Chacun voit ce que cette
interprétation a de forcé. Sur le fond de la question, M. Brandt distingue, très juste-
ment, semble-t-il, le principe de l'impureté des mains avec les conséquences qu'en
ont tirées les Rabbins, et le simple fait de se laver les mains avant le repas. Il concède
à M. Bùchler que la doctrine de l'impureté des mains ne s'est développée que peu à
peu. D'abord il fallait tremper ses mains avant de manger des choses saintes, puis on
obligea à verser de l'eau sur les mains avant de manger des oblations, et cela ne —
regardait encore que les prêtres, —
puis on obligea les rabbins et enfin tout le monde à
recevoir de l'eau sur les doigts avant de manger quoi que ce soit. C'est bien là en
effet un schéma rabbinique, mais il serait imprudent de fixer des dates très fermes.

Si l'usage était devenu universel au ii*^ siècle, est-on sur qu'il n'existait pas un siècle
auparavant? et si Hillel et Chammaï, et non pas seulement leurs disciples, ont posé
le principede l'impureté des mains, peut-on affirmer qu'il n'avait pas conduit assez
vite aux usages attestés par l'Évangile? De toute façon, il est très juste de dire avec

M. Brandt qu'on n'avait pas attendu les décisions des rabbins pour se laver les mains
avant le repas. Il estime que cet usage a été emprunté aux Grecs. Il est bien plus
vraisemblable qu'il est héréditaire en Orient où il existe encore, beaucoup plus chez les
Bédouins que chez les citadins. L'usage de manger avec les doigts les oblige à se laver

surtout la main droite, et le texte cité par M. Brandt sur Chammaï s'explique assez
simplement par l'usage actuel de donner de la main à son hôte une portion de choix (2).
Comment cet usage fut-il regardé par les Pharisiens comme un rite ? C'est ce que
M. Brandt renonce sagement à expliquer, mais rien n'est plus vraisemblable que cette
fusion des idées et des usages dès le temps de Jésus. Quand il s'agissait de manger
« des pains », en prenant les termes à la lettre, les disciples se dispensaient sans

doute d'un usage qui suppose la table mise et le plat de viande avec du jus apporté
au milieu des convives. Les Pharisiens, du moment qu'ils donnaient à l'usage un
sens religieux, relatif à la pureté, devaient l'étendre à toute sorte de nourriture.
M. Brandt passe ensuite au second usage attesté par saint Marc. Préférant la leçon
SaTtitawvTai (au lieu de ç.av-î(iwvTat), il l'applique aux personnes : les observants qui
reviennent du marché ne se mettent pas à table sans avoir pris un bain (cf. Le. 11,
29). On a nié absolument cet usage. L'auteur a réussi à découvrir un texte du Tal-

A) Der ijoUh'iiscIte 'Am-ha^Ares des zweitcn Jahrhiindertes, Wien, HtO(>.


M. Brandt suppose que Chammaï ilonnait à manger à un enfant.
(-2)
BULLETIN. 4G:{

niud de Jérusalem (1) qui prouve quemême des gens du peuple se croyaient tenus
à prendre un bain avant de manger quand ils se savaient en état d'impureté. Des
personnes scrupuleuses ont pu se croire tenues à la même précaution lorsqu'elles
revenaient de la place publique, où il était si facile de se contaminer.
Mais que faut-il penser du lavage des pots? M. Brandt suppose qu'ils sont enterre
cuite. Dès lors, s'ils ont encouru l'impureté, il faut les briser; cette fois la Loi est
formelle; il ne suiflrait pas du tout de pour
les laver les rendre purs.
Pour résoudre cette difficulté, on pourrait dire que
les pots sont en métal ou en
bois; mais M. Brandt s'est interdit cette solution. Il suppose donc que, dans ce con-
texte, Marc a voulu parler de la purification des pots et des assiettes avant le repas ;

ce serait une simple précaution à tout hasard. Comme on ne sait pas au juste si le
pot ou l'assiette n'a pas contracté quelque imoureté non prévue par la Loi, on les lave
avant le repas. De cet usage aussi le Talmud olîre des traces positives au ii" siècle,
et on peut supposer que l'usage remonte plus haut. Après tout cela on peut bien
estimer que les Pharisiens pensaient aussi qu'une nourriture profane avait des chances
de contaminer, ce qui est le sujet de la discussion des Pharisiens avec Jésus. Parvenu
à ce point. M. Brandt aurait dû s'apercevoir qu'il otîrait un appui précieux à ceux qui
lisent GxvTbojvTat. Si la nourriture pouvait contaminer, il fallait l'asperger ou la laver
elle aussi, autant que faire se pouvait.
AinsiM. Brandt a réussi à prouver que tous les usages visés par Marc existaient
bien à du premier siècle et même avant. 11 a enlevé du chemin tout ce qui
la fin

exposait l'exégète à suspecter l'authenticité du texte de Marc. Pourquoi donc le


rejette-t-il? Parce que les termes de Jésus, pris en eux-mêmes, sont trop opposés à
la Loi qui prescrivait la distinction des aliments. La raison n'est pas très grave,

précisément parce quela pensée demeurait enveloppée dans le contexte des circons-

tances, dans une forme énigmatique et paradoxale où M. Brandt reconnaît le


et

cachet du maître. Si la première partie de sa thèse est bien établie, comme nous
croyons, on ne s'arrêtera pas à la conclusion qui tient au scepticisme radical de
l'auteur.
Au s'il est tout à fait
surplus, à propos de chercher dans le Talmud et dans
les autresœuvres des Rabbins des renseignements sur leur mentalité et leur ca-
suistique, on serait par trop crédule en regardant leurs compilations comme le
miroir des faits. Les textes évangéliques, beaucoup plus en contact avec les faits, et
des faits récents, ont une valeur que tout le Talmud ne saurait ébranler.

Lorsque saint Paul commença de prêcher à Athènes et à Rome, le monde


gréco-romain avait entendu déjà la voix d'autres prédicateurs de vertu. Avec
ses tendances pratiques, la philosophie stoïcienne ne pouvait s'en tenir aux disputes
d'écoles ; elle avait fondé des chaires pour le grand public, et le caractère popu-
laire de ces exhortations s'était accentué par l'union du stoïcisme avec la philoso-
phie cynique, habituée depuis Diogène à se faire entendre dans les carrefours. Cette
prédication, car c'était bien une prédication, devait nécessairement constituer un
genre littéraire, ayant ses formes de style, ses règles de composition, ses tournures
et ses figures, un ton particulier, une façon de dire, éloignés de la façon dialectique
de Platon autant que de l'exposition systématique d'Aristote. Y a-t-il entre ce style
de la diatribe stoïcienne et l'argumentation de saint Paul assez de ressemblance pour
qu'on puisse conclure que l'éducation grecque est entrée pour une aussi grande part
que l'éducation rabbinique dans sa manière de prêcher ? c'est ce qu'a recherché

(1) A la suite de Beràkhôth, m, 4, éd. Bomberg, loi. GO, col. 1.


464 RKVUE BIBLIQUE.

M. Bultmanu, dans une brochure assez courte, mais très étudiée, Le stijle de la prr-
de Paul et la Diatribe cynico-stoicienne (i).
(liciitioii

Les représentants de la prédication cynico-stoicienne sont Télés, philosophe cy- :

nique du iii"= siècle avant J.-C, disciple de Bion de Borysthène. Horace, surtout
dans ses satires, Sénèque. Musonius Rufus, Epictète, Dion de Pruse. Le dernier de
la liste est Plutarque, qu'on s'étonne un peu de trouver là, et dont le nom seul
prouve que M. Bultmann n'entend pas parier d'une école particulière de philosophie,
puisqu'on connaît assez la guerre qu'il fit aux Stoïciens. Il s'agit donc surtout des
prédicateurs de vertu. Qu'y a-t-il d'étonnant à ce que les prédicateurs emploient le

même style? dira quelqu'un. Or voilà précisément une des figures qu'emploient en
commun la Diatribe et saint Paul l'interlocuteur qui : fait des objections et qu'on
remet à sa place.
Pour avoir pleine lumière sur le sens de cette ressemblance et des autres, il fau-
drait encore comparer saint Paul à saint Jacques. On constaterait que saint Jac-
ques est indemne de ce-tte influence, tandis que saint Paul l'a subie. Évidemment il
n'est point question d'une dépendance littéraire; sans cela Epictète ne figurerait pas
au premier rang dans les analogies; il s'agit d'un moule, ou si l'on veut d'un habit
dont Paul et les stoïciens ont pu revêtir leur pensée, parce qu'elle était destinée à
produire un certain effet. Aussi bien M. Bultmann n'aborde pas la question du fond
des idées, et, même à s'en tenir au style, il n'est point porté à exagérer les ressem-
blances. Malgré tout, saint Paul avait son genre d'esprit et son tempérament qui
n'étaient pas ceux d'un Grec, et sa foi dans la Rédemption et la grâce qui n'était pas

la confiance d'un stoïcien dans sa volonté. Puisque nous aimons à dire que le style,

c'est l'homme, ces dons individuels devaient se retrouver dans le style. Paul est con-
vaincu, le philosophe l'est aussi: tous deux cherchent plus à communiquer leur con-
viction et à entraîner qu'à démontrer par la dialectique. Cependant le Grec est
toujours porté à raisonner. S'il se sert du dialogue, c'est pour conduire la pensée à
son but par un artifice ingénieux; chaque réplique est un anneau dans une chaîne;
lorsqu'il termine une phrase par le mot du commencement, c'est pour montrer que
la conclusion résout bien le problème posé. Dans saint Paul, le dialogue n'a pas ces

allures savantes, et le dernier mot du cadre verbal qui enferme ses énumérationsest
simplement un rappel qui fixe l'attention. On sait que ce dernier phénomène est
regardé par certains critiques comme un indice de style poétique. Quand un pro-
phète emploie Yiucluaio, c'est, dit-on, une preuve qu'il recourt à la poésie. Or où
trouver des cadres plus fermes que dans s. Paul, Rom. 8, 31 ur.èp f,,aôjv... 34 urrÈp tjijlôjv

et 8, 35 Tt; f,;jLa; ytosbs'.... 39 f,,uLà; /tocbat 21? Cette réflexion dont M. Bultmann a
fourni lui-même le thème, pourrait bien suggérer en même temps, et qu'il faut
plutôt regarder cette figure comme appartenant à la rhétorique qu'à la poétique (3),

et que s. Paul suit ici décidément les traditions sémitiques plutôt que les tournures
grecques. Le goût de l'antithèse, poussé chez s. Paul, a aussi ses racines dans
si loin

le sémitisme, mais il forme des jeux de mots, leur groupe-


faut reconnaître que la

ment, la combinaison des prépositions sont empruntés au genre de la Diatribe. Dans


les deux prédications, on se sert de comparaisons familières. S. Paul en prend lui

aussi la matière dans la vie de tous les jours, mais, outre qu'il ne parle jamais ni

(1) Der Stil der Paulinischen Predigt und die Icj/nisch-stoisc/ie Diatribe, von Lie. Rud. Bilt-
MASN, Uepetenla. d. Iniversitat Marburg, in-8 de 109 pp. Gotlingen, 1910.
(-2) CI. nom. 12, i-5.

(3) Quelles belles strophes on obtiendrait en coupant s. Paul en petites lignes, et en écrivant

en lettres grasses certains mots, par exemple x£pôï)(7a) qui revient quatre fois I Cor. 9, 19-22.
MII.LKTIN. 465

des choses de In mer. ni de la médecine, thèmes Divoris des stoïciens, il ne donne


pas aux ohjeis le relief de choses vues. Il ne les voit ni sous leurs contours, ni dans
leurs mouvements. Il n'a pas le sens de la forme, ni celui de l'action, qui est si re-
marquable chez le Grec, artiste et dramaturge. Encore moins est-il porté comme le
Grec à passer du sérieux au plaisant, à mêler l'enjouement et la passion: comme il
n"a en vue que des intérêts religieux, dont il comprend la suprême importance pour
ceux auxquels il s'adresse, il a toujours dans le ton une certaine véhémence, même
quand il se fait tendre et familier. Et voici que ce compte rendu, lui aussi, tourne à
l'antithèse, et qui! insiste plus sur les différences que sur les analogies. C'est que les
analogies tiennent plus à la forme, à des détails d'expressions dont il faut chercher
le M. Bultmann. Les rapprociiements sont souvent frap-
tableau dans l'ouvrage de
pants et en tout cas concluants par leur nombre. L'auteur a soin de remarquer qu'ils
se trouvant surtout dans les avis et les exhortations, où s. Paul se montre plus pré-
dicateur qu'écrivain. Il faut conclure que sa prédication orale ressemblait encore
beaucoup plus que ses épitres à celle des philosophes de son temps. Ces analogies
d'expressions et de tours prouvent décidément que s. Paul avait souvent entendu
leurs discours de morale et qu'il avait été formé, pour ce qui regarde le style ora-
toire, plus par les Grecs que par les Juifs. Et cette constatation n'est sans doute pas
inutile à l'exégèse du grand apôtre.

On s'est habitué, dans certains cercles de l'exégèse, à traduire par l'epilepsie le

« stimulus carnis ». « l'aiguillon à la chair », dont s'est plaint s. Paul II Cor. 12, 7 .

Depuis l'ouvrage de M. Krenkel (1 , on affecte même de nommer l'apôtre épilepti'{ue.

non sans le mettre, par manière de compensation, en très illustre compagnie, comme
si cette cruelle maladie, loin de nuire au génie, en était presque un indice. M. le

D'" Adolphe SeeligmilUer ne partage pas ces opinions. Spécialiste de maladies ner-
veuses, il s'est cru autorisé par son expérience et ses études à réfuter M. Krenkel T.
Même sans être spécialiste, on peut estimer qu'il y a réussi. Mais quelle était donc
l'attaque dont s. Paul a prié Dieu si instamment de le délivrer"? M. Seeligmiiller se
défend de conclure : il inclinerait vers une malaria ou une migraine affectant les
yeux. Ce ne serait pas en tout cas des assauts de la chair, résultant de tentations ou
de suggestions diaboliques. >'ous le croyons volontiers; mais où M. Seeligmùllera-t-il
pris que cette explication était une doctrine catholique ?

Le volume que nous donnent M. Charles Michel et le V\


petit Peeters 3 n'a pas
tout à même contenu que l'ouvrage de M. Amann intitulé «
fait le Le protévangile de
Jacques et ses remaniements latins » RB.. 1910, p. OIG ss. La . nouvelle collection
ne donne pas le Liber de nativitate Mariae, mais donne en plus le texte grec et la tra-
duction de l'Évangile de Thomas et la traduction en français de l'histoire de Joseph
le charpentier d'après des rédactions copte et arabe. Les prolégomènes sont beau-
coup moins considérables, ainsi que les notes. .Sur la difficile question de la date du
protévangile, M. Michel est plus réservé que M. Amann. Enlevée la partie xxt-xxiv»
que M. Harnack a nommée ud Apocryphum Zachariof et qui ne doit être que peu an-
térieure au vi" siècle, il reste deux autres documents distincts, les seize premiers

H) Der Dovit im Fleische, 18!tO.


War Paulus Epileptiker.' ZT\y'àguDg eines Nervenartzes v^'ii Dr. Adolpli SeeligmCllek. in-H;
(i)
de 82 pp. Hinriclis, 1910.
(3) Évangiles apocryphes, 1 Protévangile de Jacques, Pseudo-Matthieu. Evangile de Thomas.
:

textes annotés et traduits par Charles Micdel. correspondant de l'Institut, professeur à l'L'niversité
de Liège: Histoire de Joseph le charpentier, rédactions copte et arabe traduites et annotées par
P. PEETEns, bollandisie: in-lâ de XL-iw pp. Paris, Picard, lîUl.

I

REVUE BIBUQLE 1011. N. S., T. VIII 30


4CG REVUE BIBLIQUE.

chapitres, qui forment proprement riiistoire de Marie, et la section xvri-xx, com-


prenant un Apocryphum Josi'pîti. Tandis que M. Amann estime que ces deux docu-
ments étaient déjà réunis en un seul ouvrage vers la fin du ii^ siècle au plus tard,
M. Michel parle seulement de leur groupement comme accompli au y« siècle (p. xvi).
Cependant il paraît bien les regarder comme antérieurs à Origène, ce qui est le prin-
cipal. La traduction de M. Michel est beaucoup plus coulante et plus agréable à lire

en français; peut-être cela ne va-t-il pas sans négliger quelques nuances '!).
Le P. Peeters a traduit l'histoire de Joseph avec sa maîtrise ordinaire, mais sans
s'astreindre à être trop littéral pour cette très bonne raison qu' « une traduction est
surtout faite pour ceux qui en ont besoin et non pour les spécialistes... » et que « à
force de chercher l'exactitude du menu détail, elle devient fausse dans l'ensemble »

(p. XXXIX s.).

M. Nau a rendu le plus sensible service aux théologiens en traduisant en français


Le livre d'Héraclide de Damas (2), composé par Xestorius, et dont on ne possède
qu'une version syriaque, récemment découverte, et publiée par le R. P. Bedjan. Cet
ouvrage est bien peu du ressort de cette Revue, car Nestorius s'est beaucoup moins
préoccupé d'établir sa Christologie sur des textes bibliques, que de combattre l'opinion
de saint Cyrille et d'exposer les faits de sa cause. On remarquera cependant sa tliéorie
«ur les apparitions de Dieu dans l'Ancien Testament par le ministère des Anges
(p. 49), et l'esquisse des circonstances évangéliques qui prouvent la réalité de la na-
ture humaine du Christ (p. 85 et s.). Nestorius na cité aucun passage aussi souvent
que celui de saint Paul sur l'abaissement du Christ (Phil. 2, 6 ss.) et ce beau texte
ne lui a pas précisément porté bonheur, car il l'a interprété de façon à en déduire
pour le Christ la nécessité d'un prosôpon humain, quel que soit le sens de ce terme.
Les citations ont été conformées à la Pechitto par le traducteur syriaque; on le cons-
tate surtout pour un passage où cette traduction s'écarte évidemment des autres
textes (Rom. 5, 6).
M. Nau s'est défendu de faire lui-même le travail qui s'offre aux théologiens. On
regrettera donc qu'il ait cru devoir donner en italiques ce qu'il regarde probablement
comme la quintessence de la les deux natures entraînent chez
doctrine de Nestorius :

lui deux hypostases deux personnes {prosôpoiis\ unies en une pn r simple


distinctes et

prêt et échange (p. xxviii). Avant d'accepter ce jugement sommaire, il faut rappeler
que, d'après M. Nau lui-même, Nestorius se refusait à admettre entre la nature et
l'hvpostase la distinction qu'on a admise depuis; de plus il suffit de parcourir non
pas même le livre, mais la table dressée par M. Nau, pour se convaincre de léuer-
gie avec laquelle Nestorius a proclamé l'unité de personne (prosôpon) dans le Christ.
Il est vrai qu'il parle en maint endroit du prosôpon de la divinité et du prosûpou de

l'humanité, mais il faudrait savoir s'il ne s'en tient pas aux déclarations du début,
d'après lesquels il n'y a, semble-t-il, qu'un prosôpon, celui du Verbe, qui n'appartient
à la nature humaine que parce qu'il agit en elle. On devra du moins tenir compte

de textes comme celui-ci « Depuis qu'il s'est fait (chair) et qu'il a habité parmi
:

nous, il a attiré la chair par appropriation jusqu'à son propre prosôpon, qui est pour

1) Par exemple t/Yyixev (i, -;>; et f,yy'.atv (2, 2) traduits « arriva », tandis que M. Araann traduit
le parlait » était arrivé » et l'aoriste « arriva •.

yestorius.
(2)

Le livre d'Héraclide de Damas, traduit en français par F. Nau. professeur à l'Ins-
titut catholique de Paris, avec le concours du R. P. Bedjan et de M. Biuèbe, suivi du texte grec des
trois homélies de Nestorius sur les tentations de Notre-Seigneur et de trois appendices Lettre à :

Cosme, —
présents envoyés d'Alexandrie; Lettre de Nestorius aux habitants de Constantinople.
In-S" de xxvui-40i pp. Paris, Letouzey et Ané, 1910.
BULLETIN. 467

deux d'une part, pour l'essence de Dieu, et d'autre part pour l'union et l'appropria-
:

tion de la chair; de sorte que même la chair qui est chair par nature, par suite de

l'union et de l'appropriation dn prosôpon, est également Fils, a On dirait que seul le


jo/os'jpo/i du Verbe, aune existence réelle, tandis que quand INestorius
divin, celui
parle des deux, le rôle que jouent les natures. Quand le Fils, qui est unique,
il entend
agit coiume homme, il prend \epros6ponàe l'humanité, c'est-à-dire qu'il en accom-
plit les actions. Aussi à propos de l'écliange des prosôpons, M. Tixeront a pu écrire
L'Uniiersiti' catholique, février 1911, p. 280'i : " c'est-à-dire que le Clirist Homme-
Dieu peut agir et comme Homme et comme Dieu. C'est là. me semble-t-il, le sens de
ces expressions singulières: elles ne font qu'énoncer, sous une forme assez obscure,
la loi de la communication des idiomes ». Cependant Xestorius, qui concède par en-
droits cette communication des idiomes, paraît en somme lui être hostile, et peut-être
les deux prosôpons sont-ils précisément conservés, en dépit de l'union si souvent af-
firmée, pour éviter la communication des idiomes. L'unique prosnpon du Christ équi-
valait à deux, afin qu'on puisse bien nettement attribuer à chaque nature ce qui lui
convenait. Quoi qu'il en soit, il est à prévoir que l'on se disputera longtemps sur la
doctrine de .Xestorius. et on n'entend pas ici prendre parti. Elle est à tout le moins
très obscure et incohérente, tendant à restreindre l'unité du Christ. L'exposé de Xes-
torius était fatalement destiné à revêtir un mauvais sens, pour peu qu'on fût mal
disposé vis-à-vis de sa personne, et ni sa personne, ni ses écrits n'ont iuspiié cette
confiance qui fait les dévouements à toute épreuve. Ses ennemis l'attaquèrent, et
personne ne s'est résolu à le suivre jusqu'au bout. Peut-être a-t-il profité de cette le-
çon pour atténuer ses affirmations. Malgré tout, Le Livre d'HcracUde est incontesta-
blement un document de premier ordre pour l'histoire de l'Église au v" siècle. Et,
à supposer que Xestorius ait adouci dans son apologie les propositions qui l'avaient
fait condaamer. ne faut-il pas se réjouir qu'il ait rendu hommage à la sagesse de
l'Eglise romaine, et qu'il ait voulu mourir dans la doctrine de saint Léon? Espé-
rons qu'il ne se trouvera personne pour regretter la sombre figure de l'hérésiarque
damné d'avance qu'avaient tracée les adversaires du concile de Chalcédoine. Si l'on
pense avec M. >"au que INestorius était « bavard, ignorant, brouillon, despote, orgueil-
leux » ^p. xxvii , on ne lira pas sans émotion les dernières pages du livre : « j'ai ac-

cepté de souffrir ce dont on m'accusait, afin que les hommes puissent recevoir sans
encombre l'enseignement des Pères tandis que j'étais ainsi accusé, car je ne m'oc-
cupe pas de ce qui a été fait contre moi ù (p. 330j.

Tout le monde rendra hommage à la maîtrise avec laquelle .M. >'au a su rendre
accessible à tous un texte si embarrassé il.

Ancien Testament. — L'ouvrage de M. Allgeier « sur les doubles récits dans


:

la Genèse 2) » est un manifeste de l'école de M. Hoberg contre l'étude de M. Schulz


qui a paru dans les BibUsche Sfuf/ien XIU, 1] éditées par le professeur Bardenhewer.
M. Allgeier soutient que ces récits en double n'existent pas,
essaye de — ce qu'il
prouver par un examen critique, et de plus — qu'ils seraient
incompatibles avec la
notion d'inspiration, — ce qu'il essaye de prouver en analysant la notion d'inspira-
tion. Dans la première partie de sa brochure, au lieu de se demander bonnement si

(1; C'est M. Nau qui a débarrassé le marché littéraire du titre bizarre de Bazar d'Hcraclide, eu
montrant que le syriaque tegourld {mercatura) devait être la traduction du grec îrpa-'tiaTïia
« traité > plus souvent que commerce « ».

(2) Ueber Doppel.berirhle in '1er Genesis. —


Eine kritische Intersuchnng und eine prinzipielle
Prùfung von D'' Arthur Allgeier, geistlicher Lehrer amFriedrichsgjmnasium zu Freiburg im Breis-
gau, in-8 de vui-142 pp. Fribourg en Brisgau, Herder, 1911.
i68 REVUE BIBLIQUE.

l'existence de doublets — déjà concédée par le vénéré et très strict Père Corluy, S. J.
— n'est pas la plus simple explication des faits, l'auteur résout comme il peut les

observations présentées par IM. On


que l'une des preuves de ces doublets
Schulz. sait

c'est qu'ils sont encore plus visibles dans le texte original des Septante. Pour le nier.

M. Allgeier alléguera certains manuscrits des LXX, sans paraître se douter que
toute une catégorie de manuscrits a été corrigée d'après le texte massorétique, ou il

apportera en faveur de ce dernier l'autorité de Saadia ! A propos de la seconde par-


tie,on demande seulement à l'auteur de citer intégralement les textes conciliaires. A
lapage 121, note 1. on lit Vat. sess. m, c. 3 « Fide divina et catliolica ea omnia
: :

credenda sunt, quae in verbo Dei scripto vel tradito conlinentur ». Un point, c'est
tout. Heureusement que le texte du concile du Vatican continue, sans même une vir-

gule : « et ab Ecclesia sive solemni iudicio sive ordinario et universali magisterio tan-

quam divinitus revelata credenda proponuntur ». D'ailleurs M. Allgeier, qui nie


l'existence de récits en double dans la Genèse, admet très volontiers des doublets lé-
gislatifs. Il est évident que, pour nous chrétiens, qui ne sommes pas tenus de payer
la dîme de la façon dont elle est réglée dans le Pentateuque, il importe fort peu que
les cinq rédactions successives ne concordent pas (p, 118). De plus, l'auteur trouve
très naturel que le dernier législateur ait conservé les différents monuments d'une
législation qui s'était modifiée avec le temps. Pourtant les Juifs, s'ils étaient tenus de
savoir tous les détails de l'histoire des patriarches, étaient aussi tenus de payer la

dîme. Comment pouvaient-ils s'y reconnaître? Prétendra-ton qu'ils devaient s'en


tenir au texte qui figurait le dernier dans l'ordre des livres? Que le Deutéronome
abrogeait par conséquent le Lévitique? Ou faisait-on une comparaison des textes
pour s'en tenir à une résultante? Ce sont des difficultés qu'il serait bon de résoudre
avant d'alléguer que l'existence des doublets historiques ferait descendre la foi des lec-
teurs au niveau d'une purement humaine. Décidément M. Allgeier ferait bien de
foi

raisonner d'après le texte complet du concile du Vatican. 11 pourrait y ajouter


le texte classique de s. Thomas sur les choses quac iwrtuioit ad fidem per se, ou

per accidetis. « Sic ergo circa mundi principium aliquid est, quod ad substan-
tiam fidei pertinet, scilicet mundum incepisse creatum; et lioc omnes concorditer di-

cunt. Quo autem modo et ordine factus sit, non pertinet ad fidem nisi per accidens
inquantum in Scriptura traditur, cuius veritatem diversa expositione Sancti salvantes
diversa tradiderunt (1 . » iM. Schulz n'entendait pas sacrifier la vérité de l'Ecriture
tout en confessant que le texte inspiré prend un autre caractère et doit être inter-

prété un peu différemment si l'on opine pour l'existence des doublets. Ce qui est mis
en question, ce n'est pas la vérité de l'écrivain sacré, mais la certitude de l'interpré-
tation ancienne, sur des points qui ne sont pas résolus par le magistère solennel ou
ordinaire de l'Eglise.
M. Schulz lui-même ne paraît pas très disposé à se rendre aux raisons de M. AU
geier. 11 le lui déclare dans l'avant-propos d'une petite brochure intitulée EUloire et

édification dans l'Ancien Testament (2). Le but de ce nouveau travail est de montrer
qu'il y a dans la Bible des récits édifiants qui ne sont pas strictement conformes à la

réalité des choses. Les preuves sont tirées de Judith. Tobie, la Sagesse, etc., et ordi
nairement appuyées sur les concessions des exégètes les plus conservateurs, comme
Hoberg, Kaulen, etc. (31. M. Schulz fait remarquer que tel est d'ailleurs le procédé

Sur celte dislinctioa, cf. RB., lOOO, p. I3j ss.


1;
Geschichtc und Erbauir/ig im Allen TeslamoU.
{2) —
Eine exegetisclie Intersuchung von Pro-
l'essor Allons Siiiui.z, in-8" de viii-Oi) pp. Braunsberg, Grimme. 1911.
(3) L'argument oppose à M. Hol)erg est assez piquant. Ce savant concède ((ue la loi du royaume
BULLETIN. 4119

de l'Église dans sa liturgie. Il n'oublie pas la distinction entre l'inspiration accordée


aux auteurs sacrés et l'assistance plus ou moins notable que Dieu donne à son Eglise
en pareil cas. La comparaison a donc simplement pour but de poser cet argument :

Si personne ne se croit autorisé à reprocber pour cela à l'Eglise de mentir, peut-on


dire que ceux qui, par hypothèse, croient retrouver le même procédé dans la Bible
lui imputent un véritable mensonge?

M. Harold ^L "Wiener ne se lasse pas de traiter la question des origines du Penta-


teuque. Il est évidemment de sa trouvaille qui consiste à opposer la cri-
très satisfait
tique textuelle à la critique littéraire eîà corriger les divergences des passages paral-
lèles en recourant aux leçons harmonisantes. Son nouveau volume The orir/in of the

PentaleucJi, donne les conclusions de la méthode (1). Depuis son précédent ouvrage,
temps de modifier ses points de vue. Aussi nous contenterons-
l'auteur n'a pas eu le
nous de renvoyer à ce que la Revue a déjà dit concernant le système adopté par
M. Wiener (2). Les arguments sentent le barreau songez que l'auteur est harrhter- :

f(t-lau\

Le troisième livre d'Esdras, que le Concile de Trente n'a pas reçu dans le Canon,
a profité du regain d'intérêt qui s'attache aux livres apocryphes. On a même pré-
tendu en divers endroits le préférer aux deux livres canoniques d'Esdras et de Xéhé-
mie (I et II d'Esdras dans la Vulgate). On
sait que nous ne le possédons qu'en grec
— sans parler des versions du grec, — que correspondant soit aux deux livres cano
et

niques, soit même à une partie des Paralipomènes, il a de plus certaines parties eu
propre, en particulier la charmante histoire des pages (III Esd. 3, 1-5, 6), et

qu'il range les faits dans un ordre particulier. Le R. P. Bayer, de l'ordre des Frères
Mineurs, s'est proposé de l'étudier en le comparant aux livres canoniques et de pré-
ciser sa valeur et ses origines 3 . Il a commencé par comparer le texte grec de III
Esdras aux parties qu'il a en commun avec le texte raassorétique. La conclusion est
que ce texte a été traduit d'un texte hébreu etaraméen assez semblable au texte
massorétique. Le traducteur savait d'ailleurs mieux l'hébreu que l'araméen, et ses
contresens sont plus nombreux quand il traduit cette dernière langue. En somme la
traduction est fidèle, tout en demeurant suffisamment grecque; c'est un bon exemple
d'une traduction exacte sans être trop littérale. Lorsqu'on peut conclure que le tra-

ducteur avait sous les yeux un original différent du texte massorétique actuel, il y a
lieu de comparer la valeur des traditions. Dans la majorité des cas, d'après le

R. P. Bayer, le texte grec de III Esdras représente une meilleure tradition textuelle.
Mais il n'en est pas ainsi lorsque l'on compare la chronologie de III Esdras à celle
des deux livres canoniques. Le R. P. croit pouvoir conclure que III Esdras avait
l'autre ouvrage sous les yeux et qu'il en a changé l'ordre des faits dans un but dé-
terminé. Encore est-il que cette préférence n'est pas absolue. D'après III Esdras, il

y a eu deux essais de reconstruction du Temple, l'un avec Sesbassar sous C}tus,


l'autre avec Zorobabel sous Darius, fils d'Hystaspe, tandis que I Esdras fait re-

venir Zorobabel sous Cyrus. Le P. Bayer refuse d'identifier ces deux person-

iDt. 17, l't-20 n'est pas de Moïse, mais de Samuel. Cependant elle est non seulement insérée
dans un corps mosaïque, mais rédigée de laçon à laire cruire que les Israélites n'étaient pas en-
core dans le pays de Canaan. Cette fiction admise, pourquoi ne pas l'étendre à des parties beau-
coup plus considérables du Deutéronome et au livre entier?
1) The origiii of ttie Fentateuch, |)ar Hap.old M. Wiexer, M. A., I.L. lî. etc. In-8 de v -j- 152 pp. ,

Londres, Elliot, 1910.


{i) RB., 1910, p. 618 s.
yZ) Dai dritteBuch Esdras undsein Verhdltnis zu den Bûcheni Esra-Xehemia, von P. Edmund
Bayer, 0. K M. In-S" de xiii-161 pp.; Biblische Sludien, XVI, 1 Herder, 1»11. ;
470 REVUE BIBLIQUE.

nages, comme on l'a proposé pour concilier les deux récits, et donne raison à l'apo-
cryphe quant à la tentative de Sesbassar. Quant à l'auteur des livres canoniques :

« il a enchevêtré de telle sorte les récits puisés à différentes sources sur les deux res-
taurations du Temple, qu'une deux événements n'est presque plus
séparation des
possible » (p. ne donnera guère satisfaction à M. Allgeier. D'ail-
104), solution qui
leurs toute cette partie historique est vraiment traitée trop succinctement; il fau-
drait une étude beaucoup plus complète pour aboutir à un résultat définitif.
L'auteur devait aussi se préoccuper des parties propres à l'apocrjphe, surtout de
la dispute des pages, avec les privilèges accordés par aux Juifs et le départ de le roi

la caravane. On a cru que ce morceau avait été


en grec. Le R. P. estime auécrit
contraire que c'est la traduction d'un original hébreu et araméen. L'apocryphe grec
est donc tout entier la traduction d'un ouvrage hébreu et araméen, et cet ouvrage
est l'œuvre d'un seul auteur; U est postérieur au texte hébreu et araméen canonique,
et a le caractère d'un Targum. On ne peut en placer l'origine qu'après Daniel,
après les premières guerres macchabéennes.
Quant à la version grecque, elle était déjà connue de Josèphe, qui a allégué III Es-
dras de préférence aux livres canoniques dont il ne parle pas. Il ne restait plus qu'à
comparer cette version (Esdras a) à la version du texte massorétique (Esdras P).
Cette dernière est naturellement postérieure à la fixation du texte massorétique,
vers la fin du second siècle après J.-C. Tandis que celle de l'apocryphe est d'un bon
grec courant, Esdras 3 est une version littérale à l'excès, parfois même inintelligible
sans le recours au texte original. Elle serait l'œuvre de Théodotion, On voit com-
bien est embrouillée toute cette histoire. A l'origine, le prototype du texte massoré-
tique canonique, mis par l'apocryphe dans un ordre nouveau et développé à la ma-
nière d'un Targum. Ce nouvel ouvrage presque aussitôt traduit, et supplantant le

premier dans l'estime générale, seul connu des premiers chrétiens de langue grecque.
Puis l'atchetype cristallisé dans la forme massorétique, traduit en grec et remplaçant
l'apocryphe dans l'estime du monde chrétien. Ce n'est pas un petit mérite d'avoir
traité toutes ces questions en si peu de pages. Elles seraient plus claires si l'auteur
avait exposé aux débuts les relations de fait entre les deux textes. Il a probablement
supposé la connaissance d'une bonne introduction ;
pourtant un peu de synthèse
aurait donné du jour à ses analyses.

La collection des Documents pour l'itude de la Bible, publiés sous la direction de


M. François Martin, s'est enrichie d'un volume très important, les P«n/mes de Salomon,
par M..I. Viteau (1), auteur d'études fort estimées sur le grec du NouveauTestament.

Par une heureuse innovation, l'éditeur s'est résolu à éditer le texte grec, et il annonce
qu'il en sera désormais ainsi pour les textes grecs et latins. Des textes orientaux

(hébreu, éthiopien, syriaque, slave) il ne sera donné qu'une traduction.


L'intérêt d'une édition des Psaumes de Salomon vient d'être rafraîchi parla décou-
verte due à M. Rendel Harris d'une version syriaque jointe à celle desOdes. Cependant
cette version est faite, elle aussi, d'après le grec, non d'après l'original qu'on suppose
avoir été hébreu; ce n'est donc qu'un témoin textuel de plus, et un témoin indirect.
Ses variantes ont été coUigées par M. Martin et indiquées en français sous le texte
grec.
Tout l'ouvrage de M. Viteau est fort bien composé. L'Introduction traite d'une ma-
nière approfondie le problème historico-littérairedes circonstances de la composition,

Les Psaumes de Salomon, introduction, texte grec et traduction par J. Yitkao, docteur es
(l)
avec les principales variantes delà version syriaque par François Martin, prof- de langues
lettres,
sémitiques à l'Institut catholique de Paris, in-8» de 427 pp. Paris, Letouzey et Ané, 1911.
BULLETIN. 4:1

Peut-être poursuit-on une précision impossible en proposant, d'ailleurs sous réserve,


une date ilistiucte pour chaque Psaume, de l'an 69 à Tau 47 environ... D'ailleurs sauf
le Ps. 2 qui serait de 48 à 47, et le Ps. 18 qui est à part, tous les autres sont
censés antérieurs à Tan M. Viteau pense que l'auteur avait conservé des iin-
.55. et

pressims personnelles profondes du temps d'.A.lexaudre Jannée. Disons que les cha-
pitres suivants sont consacrés aux doctrines, à l'auteur, à l'histoire du livre dans les
littératures juives et chrétiennes et jusqu'à nos jours, avec une revue complète ana-
lysant les diverses opinions des critiques. Le chapitre V, qui traite de l'original hébreu,
c'e»t-à-du'e jdutùt de la langue grecque hébraisante de la version que nous possédons
seule, est très approfondi et digne du philolugue qu'est M. Viteau. Désirant donner
une édition originale, quoique celle de vonGtbhardt soit justement estimée, M. Viteau
s'est occupé du classement des manuscrits. Il a suivi surtout la Ms. R [Vatic. grec.

336). Autant qu'une collation sommnre a permis de le constater, il est beaucoup


plus sobre de conjectures que von Gebhardt. On ne peut que l'approuver par exemple
Ps. 17, 16, où la correction du savant allennnd était vraiment trop hardie; mais
au v. 25 «lu même psaume, il faut bien lii-e/.aOapbai et non y.aOâp-.-ov, d'autant que la
version syriaque, inconnue de Gebhardt, appuie la correction. M. Viteau estime que
le psalmiste a nommé le Messie Seigneur .'17, 35 1 -, il ne faudrait pas en tout cas
s'appuyer sur Lam. 4, 20, où il e^t question du Messie de lahvéj d'ailleurs dans
tout ce psaume, /.jçio; est Dieu lui-même. On ne voit pas clairement quel rang
occuperont les nations dans le gouverneniect du Messie; tantôt elles sont gouvernées
paralielt-ment au peuple (p. 79\ tantôt elles lui sont subordonnées ,'p. 8o>, c^ qui paraît
plus juste. Grâce au travail très soigné de M. Viteau, et aussi à la circonstance heu-
reuse de la collation du syriaque, l'édition française des Psaumes de Salomon se trouve
maintenant en avance sur ses rivales. Voilà encore une lacune heureusement comblée.

Dans quelle mesure les rabbins qui ont composé leTalmud et les Midraehim ont-ils
pratiqué la polémique contre les chrétien*, les gnostiques ou les Juifs simplement
apostats? C'est une question fort délicate. Lejuddïsmea ne pouvait ne pas se préoccuper
beaucoup du christianisme qui grandit et lui reproche sa stérilité, l'abanJon de Dieu,
son irupuissance, qui prétend même lui avoir dérobé le secret de ses Ecritures. Il

répond, l'Écriture à la main, mais il. polémique


ne se soucie pas d'engager une
écrite » (1), ou plutôt ouverte et franche. Il est donc très dilûcile de savoir s'il ne
défend pas sa foi d'une façon purement spéculative, contre des objections imperson-
nelles, ou s'il vise des adversaires, et à quel groupe ils appartiennent. M. Marmor-
stein a essaye de faire plus de lumière sur ce point, dans une brochure qu'il intitule :

« Le> d'^noininatiom donnéf^' aux chrptieas et aux gnostiques dan>! le Tahnud et le

Midrac/i « {2). Le sujet traite est plus ample et plus restreint que le titre ne l'indique.
Plus restreint, car l'auteur nous fait grâce de nouveaux développements sur les Minitn :

plus ample, parce qu'il esquisse quelques controverses entre juifs et chrétiens, par
exemple en ce qui touche au véritable Israël.
Israël, accusé par les chrétiens d'avoir encouru la répudiation de Dieu, se défen-
dait par une parabole. Une négresse, st-rvante. disait à son amie : Mon maître va
répudier sa femme, parce qu'elle a les mains noires, et m'épouser. Mais, répondait
l'amie, il sera plus facile à ta maîtresse de se laver les mains qu'à toi de changer de
couleur ! Israël était bien la maîtresse; l'esclave négresse, si longtemps plongée dans

1 Le Messianisme.... p. 2it8.
Religionsgescftichtl.iche SCudien. I Heft : Die Bezeichnungen fur L'hi-islen und Gnosiiker im
{ij

Talmud und Midraî. Von Dr. A. Marmokstei.n Rabbiner, Skotsctiau ^^Oest. Schlesien) : in-S» deSi pp.,
chez l'auleur. 1910.
472 REVL'E BIBLIQUE.

l'idolâtrie, n'nvait pas le droit de lui reprocher des fautes passagères. Mais si la né-
gresse était l'Église venue des Gentils, n'avait-elle pas changé de couleur? Quand les
rabbins prouvent la résurrection par les miracles d'Élie et d'Elisée, entendent-ils
suggérer que la résurrection de Jésus n'est pas prouvée (p. 37)? Certes tous les argu-
ments leur sont bons, et leur silence même peut être tendancieux, mais on doit
s'abstenir de conclure. Et y a-t-il eu des chrétiens qui rejetaient les Prophètes et

les Hagiographes (p. 33 1 ? Cette division n'indique-t-elle pas elle-même un milieu plus
palestinien, certains Samaritains, peut-être? Quoi qu'il en soit de ces doutes, on
saura bon gré à M. JMarmorstein d'avoir sondé quelques textes intéressants au point
de vue de la polémique.

Peuples voisins. — Cananéens. — La petite étude deM. W. H. Beniiettsur r//(«-

criptionde Mésa (1) s'appiiie sur quelques travaux antérieurs et les résume d'une façon
très claire. L'auteur a ajouté en appendice l'inscription de Siloé et le calendrier de
Gézer, On croira avec peine qu'il n'a pas même cité le travail du P. Vincent dont les
conclusions ont été adoptées par M. le Professeur Marti (2). La transcription et la
traduction proposées étaient tolérables comme un premier essai de déchiffrement,
mais il faut une belle dose de sans-gêne pour les présenter au public trois ans
après la décoivverie.
Er/ijptiens et Êgéens. — M. le baron v. Lichtenberg a esquissé tes influences

de la cicdisatioii égéenne sur f'Eçu/pte et la Palestine 'à . Les renseignements fournis


par l'Ancien l'estament sont mis à profit, et reçoivent à leur tour une belle lumière
des découvertes archéologiques. L'auteur estime que l'action de Samson, qui fait
tomber un palais philistin en ébranlant deux colonnes, s'explique au mieux si l'on con-
çoit ce palais comme un mêgaron égéen, dont le portique était supporté par deux
colonnes de bois. En effet les Philistins ou Keftiou des Égyptiens viennent de Crète,
que la Bible nommait Caphtor. M. v. Lichtenberg est portée les assimiler aux Pélasges.
Il reconnaît la céramique égéenne sur les tombeaux de Rekhmara, et en poursuit

les traces en Palestine. On est étonné qu'il n'ait pas cité le runaan du P. Viucent.

M. v. Lichtenberg vient de faire paraître un travail d'ensemble sur la civilisation


égéenne qui sera bien accueilli même après celui de M. Dussaud.
Le nouvel ouvrage n'a pu utiliser une fort intéressante publication de M. Daressy
dans les Annales du se/vice des anliijnités égyptiennes (4). L'incomparable musée du
comme on sait, disposé selon l'ordre chronologique. Quand on a franchi les
Caire est,
premières salles où l'Egypte paraît se concentrer en elle-même et n'avoir d'yeux que
pour son sol, ses industries, ses habitants, on la voit, à partir de la XVIII'^ dynastie
surtout, animée d'une curiosité universelle. C'est tout le monde connu d'alors qui
s'offre et il comprenait les principaux peuples que la Bible range dans
aux regards,
la descendance de Sem. Cham et Japhet, sans parler des nègres. On a beaucoup écrit
sur ces races et sur leurs coutumes. Un document dun intérêt considérable vient d'être

mis en lumière par M. Daressy. Ce sont des tablettes en terre cuite, dont les plus
grandes ont 0'",30 sur 0™,07, et qui représentent des prisonniers. Elles faisaient partie
de la décoration du temple de Ramsès III à Mcdinci HaOou. et nous montrent par

1) The Moabite Slone. by W. H. Bennett. D. D., Litt. D., iii-16 de 86 pp. Edinburgh T. et T. Clark,
l!)ll.
Ptevue biblique en tnutes lettres, puisqu'on ne parait pas soupçonner son existence), 1909,
2
1». p. 493, 6:i3; 1910, p. 158 ss., 320, i"i. Inutile d'ajouter qu'un article de la même Revue
-243 ss.;

sur Mésa ;i901, p. o-22 ss. ne pouvait aspirer à être cité par M. Bennett.
(3) Einflûsse der ûgdischen Kultur auf Acgypten und Paldstina, von Reinhold Freilierrn v.
Lu.UTEN'nERC, in-8° de 104 pp. Leipzig, Hinrichs, 1911.
(4) Plaquettes émaiUécs de Mrdinet-Habou, tirage à part aimablement envoyé par l'auteur.
BULLETIN. 473

conséquent le type des populations voisines de LÉgypte au \iv siècle avant notre ère.
« L'image du captif est couverte d'eraaux fondus au feu qui nous donnent tous les

détails du costume... Les couleurs employées sont blanc, rose, rouge foncé, jaune :

clair, vert foncé, vert clair, gris-bleu, noir, brun-rouge et brun-jaune. ^ M. Daressy

a distingué, outre les nègres, si faciles à reconnaître, non seulement par la couleur,
mais par les cheveux crépus et les lèvres charnues, des prisonniers à peau rouge et

des prisonniers à peau jaune, Hittites, Sémites, Libyens, peuples de la mer. Les peu-
ples à peau rouge ne sont représentés que par deux échantillons, que >L Daressy
nomme ïoursha, et ils ont le même costume que les peuples de la mer. fort distinct
de celui des Hittites, des Sémites et des Libyens. Oa remarquera surtout un Philis-
tin ;i i
vêtu d'une sorte d'éphod fixé par une ceinture qui n>st pas sans analogie avec
le costume crétois, très rudimentaire, mais le Philistin a de plus une longue robe. Il

s'est déjà rapproché des usages asiatiques: on pressent le moment où il sera séraitisé.
Il est d'une si belle allure avec son visage régulier, son nez fort, mais droit, ses che-

vaux ou coupes ou renfermés dans sa coilTure. sa barbe abondante,, mais taillée avec
soin, une sorte de pectoral suspendu à un riche collier, qu'on le prend aisément pour
un prince. En mettant en face de lui un Sémite, ou peut imaginer David à la cuur d'Achis
roi de Gath.

Chaldée. — Les fouilles, si intéressantes et si fécondes, de la Mission Française


en Chaldée. n'ont pas été interrompues par la mort de M. de Sarzec. On sait que
cet infatigable explorateur avait choisi comme principal chantier le site de Tello.
l'ancienne Laaas, capitale du pays des Sumériens. De 1877 à 1900, onze expéditions
avaient été dirigées par lui et les résultats les plus merveilleux avaient récompensé
ses efforts. Toute l'histoire de l'antique Chaldée. à lépoque ou les Sémites n'avaient
pas encore conquis la prépondérance sur le pays, était ressuscitée. Les documents
historiques, religieux, juridiques, et les monuments les plus curieux de la civilisation
sumérienne avaient permis déjà de faire un 'tableau fidèle de la situation politique

et économique de la Chaldée plus de trois mille ans avant notre ère 2 On ne pou- .

vait abandonner un terrain aussi fructueux. Depuis 1903, le capitaine 'aujourd'hui


commandant Cros fut charge de poursuivre les travaux.

Il n'a pas été moins heureux que son devancier si l'on en juge par la publication
dans laquelle MNL Cros, Hsuzey et Fr. Thureau-Dangin communiquent au
monde savant les principales découvertes 3 Chacun des auteurs a fourni sa con-
.

tribution spéciale. Le commandant Gros expose brièvement la méthode qu'il a suivie


dans l'exploration du tell. C'est le journal des fouilles . écrit avec la plus cons-
ciencieuse exactitude et en même
temps la plus charmante modestie. La partie ar-
chéologique est traitée par M. Heuzey avec sa maîtrise accoutumée. A M. Fr. Thu-
reau-Dansin est réservée la partie épiizraphique. Ce dernier avait, depuis la mort
prématurée de M. Amiaud, accepté de publier, dans les Découvertes en ChoM>^e,]es
inscriptions deLagas. C'est donc, en réalité, la continuation de cette publication que
nous avons sous les yeux. Les auteurs se réfèrent sans cesse à ce travail pour bien
indiquer les lumières nouvelles qu'ont apportées les fouilles plus récentes. L'n cer-

Acquis précédemment, mais qui parait se rattacher au même groupe.


i;

Les résultats de ces fouilles dans de Sa[izec et Heuzey, Découvertes en Chaldée (Paris, Le-
•2

roux encore en cours de publication.


,

i) Souvelles fouilles de Telloh. par le commandant Gaston Cros, publiées avec le concours de
Ikon Helzey et de Fr.A>çois Tucr.EAi-DAXGiN. Première livraison, p. i-104, j»l. II. III, VI, vues 1 et
2. 3 et 4 Paris, Leroux, 1910 Deuxième livraison. 10-5-2i4, pt. I, V, VII, VIII, vues
. et « Paris, .'i

Leioux. util La troisième livraison est sous presse.


.
474 REVUE BIBLIQUE.

tain nombre des dissertations qui composent les deux premières livraisons ont déjà
paru dans les «Comptes Rendus» de l'Académie des InscriptionsetBelies-Lettresoudans
la « Revue d'Assyriologie ». Mais elles ont été mises au point. Parmi les textes les plus

intéressants, signalons la tablette d'argile où, sous forme de lamentation, est racontée
la destruction de Lagas, à l'époque d'Ouroukagina (vers 3000 av. J.-C.» '1); 'a lettre

dans laquelle un grand-prêtre se plaint au vice-roi de Lagas d'une incursion des


Élamites à l'époque présargonique-, l'inscription d'un roi d'Our, inconnue jusqu'ici, et
dont le nom Soumou-ilou
accuse une origine amorrhéenne; enûn des tablettes diverses,
soit antérieures à Sargon d'Agadé, soit contemporaines de la première dynastie baby-
lonienne. Signalons surtout les « fragments d'hymnes » en langue sumérienne, qui
appartiennent à la série des lamentations de la déesse Baou. Ces texte dont l'état
fruste n'a pas permis à M. Ïhureau-Dangin d'en fournir l'interprétation suivie datent
probablement de la dynastie d'Isin (antérieure à la première dynastie babylonienne).
Un fragment (AO. 4332) est bilingue (suméro-babylonien) et son antiquité en double
l'importance. Nous n'avons pas besoin de dire avec quel soin les moindres morceaux
ont été édités et commentés par l'auteur. Nous devrions répéter ce que nous disions
l'an dernier au sujet d'une publication analogue (2).

Perses. — La Yordcrasi'it ische Bibliothek édite un troisième volume, qui ne le cède


en rien aux ouvrages déjà parus dans la même collection (3). C'est le recueil des inscrip-
tions des Achéménides publiées, en transcription et en traduction, par M. F. H. Weiss-
bach (4). Jusqu'ici, les divers auteurs qui avaient étuJié ces textes trilingues avaient
donné séparément la partie ou élamite. Grâce à une disposition
perse, babylonienne
typographique des plus ingénieuses on a maintenant sous les yeux à la fois la triple

transcription et la traduction de chaque passage. Ainsi les textes parallèles se complètent


et s'éclairent mutuellement. La compétence de M. Weissbach pour tout ce qui
touche les inscriptions des anciens rois de la Perse est indiscutable, malgré les
attaques dont ce savant a parfois été l'objet. Ou sent, dans son nouvel ouvrage, non
seulement le souci de l'objectivité dans la traduction, mais encore le respect de ses
devanciers et la préoccupation de les citer avec exactitude. Il se justifie, par
avance, dans sa préface, des lacunes qui pourraient exister dans la bibliographie et
déclare que, s'il y en a, c'est tout à fait contre son intention. On ne s'étonnera
pas de celte précaution oratoire si l'on tient compte du soin, presque malaJif, avec
lequel certains épigraphistes d'outre-Rhin cherchent à revendiquer la primauté dai
telle ou telle interprétation. M. Weissbach reconnaît, d'ailleurs, tout ce que le

anciens ont fait pour le déchiffrement des textes cunéiformes. Il ne faut pas oubliei
que c'est grâce aux documents trilingues qu'où est parvenu à pénétrer le mystère de
toute la littérature assyro-babylonienoe. C'est pourquoi dans sa table de l'ancienne
écriture perse, l'auteur donne, outre la forme et la valeur syllabique du signe, le

nom du savant qui a déterminé cette valeur. Les vétérans de la science cunéiforme
reparaissent au jour : Grotefend, Lassen, Hincks, Burnouf, Rawlinson, Oppert, etcJ
Une autre table donne la liste des signes élamites et de leurs équivalences. Le pli

bel hommage est rendu aux travaux du P. Scheil dans le domaine des inscriptions

d'Élara (p. xxxi). Nous ne pouvons insister sur l'importance des textes achémé-j

(1) cf.notre ouvrage La religion assyro-babylonienne. p. 9 et s.


(2 RB., 19)0. p. (i-25.
(3) A savoir ïiirnEAi-DANGiN, Die sumerischen und akkadischen Kùnigsinschriften (1937) e|
Km'dtzon, Die el-Amama Tafeln (1907-1910).
(4) Die Keilinschriflen der Ac/u'imeniden, bearbeilet von F. H. AVeissbacu, in-S" de lxsxiv IC +
pp. Leipzig, HiDnciis, 1911.
BULLETIN. 475

nides, depuis Cyrus le Grand ^.539-529 avant J.-C), à ArtaxerxèsOchus (359-338^,


tant au point de vue historique qu'au point de vue religieux. Désormais chacun pourra
puiser directement aux sources les renseignements qu'ils nous ont transmis. Cvrus
le Grand n'emploie que le babylonien dans ses inscriptions. C'est a Darius Hystaspe
i'ô22--186 av. J.-C.) que revient liotroduction chez les Perses d'une écriture nouvelle,
destinée à tra luire lidèlement les sons de la langue nationale. La ((nestion de savoir

si du tombeau de Mourghab est de Cyrus le Grand ou de Cyrus


l'inscription trilingue
le Jeune est traitée dans l'introduction 'p. lxvii ss.). Il est évident, en effet, que

si cette inscription est du premier, ce n'est plus Darius, mais Cyrus, qui doit être
considéré comme le promoteur de l'écriture perse. M. Weissbach maintient sa thèse
antérieure qui reconnaît dans l'auteur du monument de Mourghab non pas Cyrus le
Grand, mais Cyrus le Jeune. L'inscription elle-même « Je suis Cyrus, roi Achemé- :

nide » ne fournit aucun éclaircissement. Mais le témoignage formel de Darius dans


un texte néo-S'isien (Il et celui de Thémistocle écrivant à Téménide (2) concordent sur
le fait que l'écriture « aryenne » fut apportée aux Perses par Cyrus. On peut ajouter

que Cyrus le Grand aurait eu soin d'accoler à son nom sa généalogie (Cyrus. fils
de Cambyse, petit-lils de Cyrus. arrière-petit-fils de Té'ispès), comme il le fait dans
le cylindre babylonien d. 20 ss.) qui est resté de lui. En appendice, M. Weissbach

donne la transcription et la traduction du cylindre d'Antiochus Soter, rédigé en


babylonien. Antiochus y est appelé An-ti-'ii-kn-u$, sa femme Stratonice As-ta-ar-
ta-nt-ik-ku, son fils Séleucus Si-lu-uk-hu. Un lexique très complet des noms pro-
pres, avec leurs différentes transcriptions (babylonienne, perse, élamite), clôt ce pré-
cieux volume et en augmente encore l'utilité.

Langues. —
La découverte des papyrus a renouvelé, comme on le sait. la culture
du domaine de la grammaire néo-testamentyire. Actuellement, une grjnimaire du
Nouveau Testament, pour être acceptable, doit s'occuper des rapports existduts entre la
langue commune, révélée en grande pjrtie par la correspondance privée des papyrus,
et la langue des écrivains sacrés. M. L. Piadermacher. désireux de nous otTrir une
grammaire tout à fait à jour, s'est conformé naturellement à ce programme dans le

premier fascicule qu'il vient de lancer dans le public '3). La forme adoptée par ce
professeur n'est point celle des grammaires ordinaires oùla matière se trouve morce-
lée en une infinité de règles. Cest plutôt une causerie didactique du genre employé
dans les revues, partagée en paragraphes assez étendus, dont chacun peut faire l'ob-
jet d'une classe intéressante. Le style est limpide, aucunement surchargé de ces abré-
viations qui donnent à certaines grammaires l'air d'un véritable logogriphe de nature
à décourager l'étudiant. Parmi les sources mises en œuvre pour établir le milieu
linguistique du dialecte néo-testamentaire, M. Radermacher a eu l'heureuse idée de
faire entrer les inscriptions de Syrie publiées par Waddiogton et d'autres épigraphis-
tes. Le phénomène de la suppression du sigma à la fin de certaines prépositions

comme \>-i-/x'-i, r^'"/.?v ^7.?'-^> ^7.?' pour cause d'euphonie, l'amène, en passant, à une
juste Ircture d'une inscription de Btheiiie h.-'o pour h-'o;; -f;; /.'•j;j.t:, au lieu de la
restauration défectueuse de Waddington h toj (p. 39, note 1). A côté des papyrus
qui eussent pu être utilisés davantage, semble-t-il, l'auteur s'est servi des apocryphes
de l'Ancien et du Nouveau Testament et de ces premiers hagiographes byzantins, au
style simple jusqu'à la famiharité. où l'on sent la langue du peuple à peine dissimu-

Weissbach, ZDMG., ^9W. p. 838 s.


(1)
Ep.stûlogrofjht Oraeci, t-d. DiJot, p. TtH letlreili.
(2)
(3j Seutest'jmentliche Grammatik. Das triech(sc/t des Xeuen Testaments in Zusammenhan
mit der Volkssp, ache. Feuilles 1-5. In-8 , so pp. lubingue, Motir, 1911.
476 REVUE BIBLIQIE.

lée sous un léger vernis de culture. Au milieu de ce cadre dressé par un esprit très
maître de sa matière, quelques exemples tirés du Nouveau Testament, trop peu
même pour une grammaire qui s'intitule : NeutestamentJiche Grammatik. Il est vrai
qu'au point de vue de l'orthographe et de morphologie pure, il n'y a pas énormé-
la

ment à dire pour la langue du Nouveau Testament. Le présent fascicule comprend


des études sur la caractéristique de la /.otvrî, sur l'influence des langues étrangères
où déjà l'auteur touche quelques points de syntaxe qui nous donne un avant-goùt de
l'intérêt du second fascicule, un paragraphe sur l'évolution de la langue dans le sens
du pléonasme, de la composition, du renforcement des mots et des particules, un
autre sur l'orthographe, enfin l'étude des formes qui s'arrête aux verbes en p.-., en-
semble bien fait pour nous donner de justes directions dans l'étude du grec du Nou-
veau Testament.

La Grammatka del Greco del Xuovo Testatrienlo de M. A. Boatti (l)est conçue


sur le plan ordinaire des grammaires manuelles, plan que les étudiants trouvent le
plus commode mieux les recherches. La brièveté des règles ne nuit
et qui facilite le
point à la Seulement l'auteur a cru bon d'accumuler les variantes et de les
clarté.
faire accompagner des sigles des manuscrits qui les représentent. L'aspect aride qui
en résulte est encore accru par un certain nombre de statistiques trop développées.
Le travail du grammairien doit être distinct de celui de l'édition de textes critiques.
M. Boatti se garde de l'entraineraent de ceux qu'il appelle néo-hellénistes, dont la

tendance est de réduire au minimum les sémitismes du Nouveau Testament. Tout


hébraïsme, déclare-t-il, qui a une ou deux formes analogues dans le vaste domaine
de l'hellénisme, ne cesse pas pour autant d'être un hébraïsme. Il évite pareillement
de tenir pour sémitismes toutes les tournures cotées comme telles par les sémitisants
aussi déclarés que AVellhausen En général, il s'en tient à la %ua média de Moulton
avec une légère inclination du côté sémitisant. A signaler un bon chapitre sur l'or-
thographe des codices du Nouveau Testament. La forme xa0' îôt'av est un exemple
intéressant de tradition orthographique. Relevée plusieurs fois dans les évangiles, elle
n'est point là seulement comme un souvenir de l'antique, mais comme une particu-
larité vivante de l'usage hellénistique. Elle survit même chez les copistes byzantins,

puisque nous la retrouvons dans un manuscrit du ix'' siècle de la Vie de Jean le Si-

lenciaire. composée par Cyrille de Scythopolisi 2). Dans la partie de son ouvrage con-
sacrée à l'écriture et à l'étude des formes, l'auteur a mis en œuvre les résultats du dé-
pouillement des papyrus exécuté par Mayser. Pour la syntaxe, les rapprochements
du grec néo-testamentaire avec la /.o'.vr; sont beaucoup plus rares que dans la pre-
mière partie. La langue du Nouveau Testament y paraît un peu trop isolée de son
milieu. La division de la matière, toutefois, y est très nette et grâce à cette qualité la
grammaire de M. Boatti sera d'un grand secours aux étudiants désireux de s'initier
à la langue des livres inspirés.

Le R. P. Zorell S. J. a entrepris de doter le Cursus du P. Cornély d'un lexique


grec du Nouveau Testament (3 . Le premier fascicule comprenant de A à E?; vient de
paraître. Le texte auquel s'adapte ce lexique est celui des éditions critiques de Ti-
schendorf, de AVestcott-Hort, d'Hetzenhauer et de Brandscheid. Les références y
sont moins nombreuses que dans Grimm, mais il y a plus de précision dans les

(1) Parle I. Fonologia e Morphologia y-l" cdit.), xvi-U4 pp. Parte II. Sf'n/asst", l'»8 pp. Venise,
Libreria Emiliana, d910.
(2) Sinai Wi. l'ubliée parl'archid. Cléoptias, Jérusalem, 1907.
(3) yovi Testamenti Lexicon Grœcum. lii-8°, UiO pp. Paris, Letliielleux, 1511.
Bll.l.ETIN. 477

définitions théologiqiies. Plus d'uue fois l'auteur a utilisé les travaux de Deissmann
sur les papyrus.

Palestine. — Le raonachisme oriental s'est développé un peu partout suivant la


même gradation. Le premier état comportait la grotte isolée où le solitaire pra-
tiquait à sa fantaisie les austérités de l'ascétisme. Souvent le rayonnement de la sain-
teté de l'ermite lui attirait des disciples qui se voyaient autorisés à habiter à proxi-
mité du solitaire des grottes ou des cabanes dont l'ensemble constituait l;i laure. Les
liens de communauté se resserrant à la longue donnaient lieu à la formation du cou-
vent où les religieux menaient en permanence la vie commune. L'histoire monachale
delà Palestine olîre plusieurs exemples de cette évolution de l'installation religieuse. Le
but de M. Kirsopp Lakedans son étude surles premiers monachismeau mont
jours du
Athos 1 est de montrer qu'avant de se couvrir de couvents illustres la sainte Mon-
tagne eut ses ermitages et ses laures. 11 réunit à cet effet une série de documents
dont le plus intéressant est sans contredit la Vie de Pierre l'Athonlte. Fait prisonnier
par les Arabes au cours d'une campagne des troupes byzantines en Syrie, vers 8.38,

Pierre fut emmenéà Samara. villearabe sur le Tigre, aux environs de Bagdad. Avant
recouvré sa liberté, il vient à Rome recevoir du pape la tonsure monastique. A son
retour en Orient, les circonstances l'obligent à demeurer à l'Athos, dont il prévoit
les glorieuses destinées. 11 sy crée un ermitage. Le reste de l'étude de M. Kirsopp
Lake est consacré à Euthyme de Thessalonique, à Jean Colobos et à la venue d'A-
thanase l'Athonite.

Assurément, on ne saurait désirer rien de plus complet en fait de bibliographie


palestinienne que la PaUhtina-ï.iteratuv de M. P. Thomsen (2). Le second volume de
son vaste catalogue va de 190-5 à 1909, se partageant en questions générales, histoire,
géographie et topographie historiques, archéologie, seographie. Palestine moderne.
Toutes ces sections se subdivisent en un grand nombre de rubriques qui permettent de
se reconnaître au milieu dece déluge de productions de nature et de valeur si diverses.
L'auteur, cependant, se garde de tout jugement sur les articles ou ouvrages qu'il
emmagasine; aussi, quelqu'un d'inexpérimenté risque de perdre un temps considé-
rable à consulter tout le matériel qui lui est présenté. Il est vrai que la moindre cri-^

tique sur les auteurs enregistrés amené la bibliographie palestinienne à des


aurait
proportions considérables que M. Thomsen n'a pas voulu atteindre. Au demeurant,
la Pold&tiaa-Litt'ratuv est un bon instrument de travail non seulement pour ce

qui regarde l'antiquité, mais aussi pour des questions actuelles auxquelles se pas-
sionne l'opinion, telles que le Sionisme, la colonisation de la Palestine, les influences
étrangères, l'état de l'islam, les compétitions indigènes dans l'église orthodoxe, etc.

PaldsHiuijahrbuch des deut. ecang. Institut^... zu Jérusalem, M, 1910 Zk— Prof.


Dalman : Compte rendu de l'exercice 1909-10; notes de voyage: en cours de route
on se livre à la botanique, on cueille la Veronica diJi/mn. le Lupinus pllosus. VEro-
divm gruinuiu. etc. Du même, une conférence sur les différences qui existent entre
la vie des anciens Palestiniens et la vie des Palestiniens d'aujourd'hui. Lhumwible
Orient tu. ressort très ébranlé. — H. Gressmann : La pierre aii'j'daire. — A. Alt : Mizpa
de Benjamin, sérieuse étude topographique aboutissant à la conclusion que M. Ra
boisson proposa en 1894 voir RB.. 1899. p. 316, c'est-à-dire à l'identifleation de

(1' Theeadyd'jiji of iiionagdciiiii on niount Athos, ia-1-2, HT pp. Oxford, Clarendon Press. 1909.
(2) In-S", xx-aio pp. Leipzig, Hinriehs, 1911.
3) In-8°, iv-136 pp., 1 esquisse de carte, et 18 plioto^apliies excellentes. Berlin : Minier und
Sohn. 1910.
478 REVUE BIBLIQUE.

Mispa avec Nasbe. L'auteur se montre d'ailleurs très informé des opinions émises à
ce sujet. —
P. Rahle Les sanctuaires musulmans autour de Jérusalem et aux envi-
:

j-ons. — Rothsteio : Coutumes /nusulmanes relativement aux noces à Lifta. Les trois
derniers articles sont illustrés par de belles pliotogravures.

Zeitschrift dex DPV., 191 1, 2 et 3. — E. Nestlé La Judée d'après Josèphe. Revue


:

topograpbique sans ideiitiQeation nouvelle. — E. Bauraann La localisation de Mizpa


:

de Benjamin à Tell Nasbe. On voit que les identitications sérieuses finissent par
s'imposer avec le temps. C'est un encouragement pour les topographes que pour-
rait inquiéter la vogue de certaines fantaisies que se permettent des palestinolo-
gues improvisés. J. Reil —
Miniatures de l'évangéliaire de 1211 du couvent sijnen
:

de Jérusalem, avec 4 planches. —


Dalman et Dinsmore poursuivent leur catalogue
de plantes de Palestine.

Bas heilige Land 1911, 2. . —


Le R.P.Maurice Gisler donne deux photographies mon-
trant combien la plante lulicf est plus propre aux aspersions rituelles que Yoriga-
niun maru considéré ordinairement comme l'hysope. R. P. Dunkel Nazareth et — :

^es sanctuaires, notice historique tenant compte des découvertes du R. P. Prosper


Viaud. —
M"*Gertrude Nassar Intéressants détails sur la vie ordinaire des femmes
:

musulmanes en Galilée et sur les usages matrimoniaux, accompagnés de photographies


que seule une femme est admise à prendre. —
Quelques pages du P. Ad. Dunkel
sur les fouilles de Sa marie et sur Nazareth.

Nea Sion, 1911, 3. — Themelis : réfutation de certaines théories erronées sur l'his-
toire de l'église de Jérusalem. — J. Phocylides publie la vie de Théodore le Sabaïtc
qui devint évèque d'Edesse et le martyre de son parent Michel, où Ton trouve des
renseignements pleins d'intérêt sur Jérusalem et saint Sabas dansla deuxième partie

duYiiF La mention de la cérémonie du feu sacré est à relever. Cette céré-


siècle.

monie était donc en usage déjà au viiT siècle. Jusqu'ici le plus ancien témoignage
connu relatif à ce fait était celui du moine Bernard (870),
A propos de l'inscription de Séleucie publiée dans RB., 1911, pp. 117 s., on
complétera ainsi les deux mots tronqués de la 6^ ligne l/.aT6v-apyov /wot/iç... le cen-

turion de la cohorte x. d'après la transcription analogue du papyrus de Berlin II, 423


(il'' s.) 3Î; /(ipTriV npîaav.
ÉCOLE PRATIQUE I) ÉTUDES BIBLIQUES
ET FACULTÉ DE THÉOLO&TE

AU COUVENT DOMINICAIN DE SAINT-ÉTIENNE, A JÉRUSALEM

PROGRAMME DE L'ANNEE SCOLAIRE 1911-1912 (octobre a juillet'.

Theologia dogmatica. — De Deo uno et irino. Feria II', IV^ et VI', hora 8*
a. m.
R. P. Hyacinthus Petitot.

Theologia moralis. — I)e ultimo fiuf et de nctibxs liumfnii.'<. Ferïa IIP, ¥=> et
sabbato, hora 8* a. m.
R. P. N.

Exégèse du N. T. — Évangile selon saint Luc. Mardi et jeudi, à 10 h. m.

R. P. Marie- Joseph Lagrange.

Exégèse de TA. T. — Le liv/r de Job. Samedi, à 10 h. m.

R. P. Paul Dhorme.

Géographie de ia Terre Sainte. — Palestine se/iletit/ionalc Liiudi.à 10 h. m.

R. P. Piaphaël Savignac.

Topographie de Jérusalem. — Jérnsatein dans FA. T. — Vendredi, à lu h. m.

R. P. Marie Abel.

Épigraphie sabéenne. — Mercredi, à 9 h. m.

R. P. Aritoiiin Jalssex.

Langue hébraïque. — Lundi et vendredi, à 3 h. 14 s.

R. P. Bertrand Carrière.

Langue arabe. — Mercredi et samedi, à 3 h. 1/4 s.

R. P. A. Jalsse.n.

Langue araméenne. — Grammaire et inscriptions. Mercredi et samedi, à


4 h. 3/4 s.
R. P. R. Savignac.
( Cours supérieur. Mercredi, à 10 h. m.
'
( Cours élémentaire. Vendredi, à 4 li. 3/4 s.

R. P. P. Dhorme.

Langue copte. — Lundi, h 4 h. 3/4 s.

R. P. M. Abel.

Langue grecque. — Grammaire du X T. et des papi/rm. Mercredi, à 10 ii. m.


R. P. M. Abel.

Promenade archéologique, le mardi soir de chaque semaine.


Excursion de la journée entière, une fois par mois.

Voxjages :

I. Du 12 octobre au 18. —
Djifneh, Atâra, Abiid, Rentis, Djildjiiieh, Kafr Saba.
Ras el-'Aïn, Ibn Ibrak, Kafr Aoa, Lydda, Ramieh, Medyeh, Gézer, Amwas, Beth-
Horon, Jérusalem.
il. Du l*^"" janvier au 7. —
Bethléem, Aïo-Djedi, Sebbeh, Djebel Ousdoum,
Zoueira, Karmel. Hébron. Jérusalem.
III. Après Pâques. — Jéricho, Mont Nébo, Mâdabâ, 'Amman, Djérach, Hosn,
le Djôlan, Banias, Tell el-Qâdy, Hounin, Safed, Capharnaura, le !ac de Tibériade,
Tibériade, le Thabor, Nazareth, Djénin, Sebastyeh, Naplouse, Jérusalem.

Le Gérant : J. Gabalda.

Typographie Firmin-Didot et C'^. — Paris


LA

STRUCTURE DE EArOCAUYPSE DE S. JEAN

Après tous les travaux regorgeant dérudition. qui ont été, ces der-
nières années, consacrés à lApocalypse de S. Jean, il n'est pas facile,
je le crois, de dire quelque chose de neuf touchant les possibililés
des sens apocalyptiques: mais, entre les divers sens chaque fois pos-
sibles, disons même plausibles, il faudrait pouvoir en choisir un avec
décision; car c est là le but essentiel de toute exégèse; or, l'unanimité
d interprétation du livre aux sept sceaux est encore loin d'être un fait
acquis à la science théologique. De nombreux travaux traitent —
parfois au petit bonheur —
de ses sources littéraires, de ses parti-
cularités linguistiques, des préoccupations doctrinales du milieu où
cette Révélation a paru, des attaches juives, orientales ou hellénisti-
ques de son imagerie, entin des prétendues « clés historiijues » des
visions ou symboles étudiés un à un; mais je ne sais s'ils sont entiè-
rement de nature à rendre l'Apocalypse plus populaire chez cette
nombreuse fraction des croyants, doués d'un sens rassis mais étroit,
qui la considèreut encore comme un livre presque incompréhensible,
dont l'étude détaillée est un peu dangereuse, et ne saurait attirer
que des fantaisistes. En dépit du caractère sacré que la foi les oblige
pourtant de reconnaître à cet épilogue du Nouveau Testament, beau-
coup de prêtres, et même des prêtres théologiens, partagent encore,
sans se l'avouer, les appréhensions ou les réptftinances que trahissait
autrefois saint Denys d'Alexandrie, quand il n'osait l'attribuer à un
Apôtre. Cependant, si Dieu a inspiré ce livre, c'est pour c|ue nous le
lisions et que nous le comprenions.
Si tant de recherches savantes, et parfois fort méritoires, n'ont pas
encore abouti aux résultats qu'on aurait pu en espérer, cela peut
tenir au fait que la plupart ont eu un caractère trop fragmentaire ou
trop spécial. L'abus de la méthode analytique a été particulièrement
funeste à ce livre. Avant d'étudier cette œuvre si vivante, les cri-
REVUE BIBLU.iLE 1 '.' 1 1 . — >'. S.. T. VHI 31
482 REVUE BIBLIQUE.

tiques indépendants,— lesquels ont trop réussi à donner le ton aux


orthodoxes, — ont posé en principe indiscutable quelle n'était qu'une
compilation; ils se sont crus autorisés alors à la débiter en tout petits
morceaux, dont ils cherchaient partout la provenance, en consultant
tous les documents possibles, excepté justement Y ensemble d'où le
fragment avait été arraché par eux. Or, un symbole isolé, une vision
isolée, peuvent souvent prendre une multitude de sens, qui se diver-
sifient suivant Tunique norme des préoccupations, et du degré d'ingé-

niosité,de l'interprète. Celui-ci, comme on l'a vu plus dune fois,


peut se laisser engager dans des voies complètement fallacieuses par
une analogie lointaine entre telle image du texte sacré, et tel élément
d'un mythe étranger, ou tel fait matériel du premier siècle. Si l'on

avait, au contraire, examiné d'abord chaque symbole en fonction de


toute la vision à laquelle il se rattache, puis chaque vision en fonction
de toutes les autres, si l'on était ainsi arrivé à découvrir par quels
procédés littéraires sont amenés les motifs les plus caractéristiques,
et quelle en est la valeur respective dans l'ensemble, alors il est cer-
tain qu'à chaque élément s'attacherait un sens beaucoup plus déter-
miné, et plus intéressant peut-être ; le péril des fantaisies exégétiques
deviendrait beaucoup moins menaçant, à coup sûr (1).
Voilà pourquoi nous avons attaché une importance capitale et
consacré un temps très long à l'étude proprement littéraire, au sens
vrai, de ce livre, à la considération de l'ensemble, et, avant tout, de
ses procédés de composition. Nous voulons, dès à présent, en exposer
eu gros les résultats; un commentaire encore à écrire les justifiera,
nous l'espérons. En tout cas, ce n'est qu'après avoir essayé de cette
méthode avec loyauté, patience, une grande attention, qu'on pourrai
et

décider si l'Apocalypse est, oui ou non, composée de pièces et de mor-


ceaux, ou bien, au contraire, un livre d'une seule et magnifique ve-
nue. Le sens qu'on lui donnera dépend, en grande partie, du juge-
ment qu'on aura porté sur son homogénéité.

Essayons d'abord de nous figurer l'impression qu'un helléniste]


moderne, doublé si l'on veut d un orientaUste, mais ignorant oi
insoucieux des théories critiques allemandes, éprouverait en abordant]
naïvement, et pour la première fois, la lecture de ce livre. Il aurait!

(I) Parmi les commentaires récents, il n'en est aucun qui me paraisse plus utile que^
celui du professeur de Cambridge H. Barclw Swete. Il m'a toujours servi, et je suis d'ac-
cord avec lui pour la plupart des conclusions.
STRUCTURE DE L'APOCALYPSE DE S. JEAN. 483

peut-être à surmonter d'abord l'impression de chaos, qui est produite


par la profusion des images éclatantes, peu nettement coordonnées,
et, à première vue, extraordinairement instables. Cela s'aggraverait
encore par le contraste qu'il peut remarquer entre une syntaxe bar-

bare etun vocabulaire qui a sa richesse et son raffinement. Mais


aussi, il aura vite le sentiment d'un rythme très ample et très gran-
diose qui, d'un bout à l'autre du livre, vous emporte, comme par ra-
fales harmoniques, à travers les tonalités les plus riches et les plus
diverses, depuis le murmure intime de la tendresse mystique jusqu aux
terreurs presque physiques des tonnerres et des ouragans; derrière
tout cela, il y a comme accompagnement une musique grave et tou-
jours triomphale, qui vient du ciel, des alentours du trône de Dieu,
et domine complètement, à des instants périodiques, les accords tu-
multueux de la scène terrestre. Seulement, la formule de ce rythme
est d'abord très difficile à saisir. Au moment où l'on croirait l'avoir
presque fixée, le rythme vous échappe, et semble se noyer dans un
pur vacarme, un tourbillon où se heurtent et claquent, au vent d'une
inspiration désordonnée, des lambeaux de mélodies disparates. Cela
toutefois n'est qu'apparent. Si l'on persiste à bien lire et à bien écou-
ter, l'ordre reprend, et s'affirme plus net que jamais, aux yeux et
aux oreilles.
Dès cette première prise de contact, voici ce qu'il aura été impos-
sible de ne pas remarquer.
Notre lecteur percevra d'abord, comme tout le monde l'a fait avant
lui, que le livre est divisé en grandes sections bien tranchées, dont
chacune, à sa manière, forme un tout. C'est : (xi un titre, une intro-
duction épislolaire, et une vision où le « Fils de l'Homme >'
donne
mission au Voyant de Patmos d'écrire ce qu'il a vu, c'est-à-dire des
révélations concernant d'abord certaines réalités présentes [x s'.sîv),
ensuite des réalités encore à venir (a iJ.éWzi Yîvéîjôat y.e-ôcxx'jxx)^ comme
il est clairement dit au v. 19. Cette introduction comprend tout le
I" chapitre. (3) Viennent ensuite sept par le Révélateur
lettres dictées
pour sept contemporaines de l'Asie Mineure. C'est là sans doute
églises
l'accomplissement de la première partie de la mission relative aux
événements actuels, x v.ivf, et à leurs conséquences immédiates. Elle
s'étend sur les chapitres ii et m. y) Du chapitre iv au chapitre xx,
v. 11, se déroule une longue série de visions très variées, et très
difficiles à comprendre et à classer, mais qui se rapportent toutes

principalement, on n'en peut douter, aux choses de l'avenir, x y.éX/.v.


-;vn(sby.i ;j,"à TauTx, quoique l'une ou l'autre puisse reposer sur l'in-

terprétation spirituelle de quelque fait présent, (o) Enfin les derniers


484 REVUE BIBLIQUE.

chapitres, xx, ll-xxu, décrivent la consommation du siècle présent


et l'établissement du jugement général. Cette
siècle futur, après le

partie contient aussi des recommandations directes au lecteur, et se


termine sur une formule épistolaire. répondant à celle du début. Il
faut remarquer aussi que les images de cette section finale sont les
mêmes, pour la plupart, que celles des deux premières. Par là le
livre entier apparaît comme une sorte de cercle qui se fermerait.
Le lecteur notera ensuite les caractères communs les plus visibles
du contenu de ces diverses sections. Avant tout, l'emploi des nombres,
de nombres consacrés et symboliques, comme trois, quatre, se])t, douze
et ses multiples. Ce qu'il y a de plus remarquable à ce titre, ce sont les

séries septenaiies qui forment la trame principale du drame apoca-


Ivptique : sept lettres (n-iii), sept sceaux au livre des destinées (v-viu ,

sept trompettes (viii-xi» et sept coupes xv-xvi' aux mains des Anges
exécuteurs des jugements divins. — On sera fiapjîé aussi, au milieu
de la variabilité des imag-es symboliques, de la ténacité de certaines
d'entre elles, ainsi de la couleur blanche attribuée soit à des vête-
ments, soit à d'autres objets (i, li; ii, 17: m, i, .5. 18; iv. 'n vi, 2, 11 ;

vu, 9, 13; XIV, 14-; xix, 11, li; xx, 11 . laquelle couleur, dans les
moins obscurs de ces passages, symbolise évidemment l'idée de triom-
phe. Enfin beaucoup de développements ou de tableaux sont parallèles
deux à deux, par mode de similitude ou d'antithèse; beaucoup de
figures isolées aussi sont antithétiques, et vont s'opposant deux à deux,
soit dans l'intérieur dune même série, soit même en demeuuant si-
tuées respectivement en des séries diverses. Je ne pourrais en donner
l'énumération que dans le commentaire détaillé. Certains tableaux
antithétiques ont d'ailleurs exactement la même entrée en matière :

ainsi c'est un des Anges aux sept coupes qui montre au Voyant la Pros-
tituée Babylone xvii, 1 seq.i, et un autre de ces mêmes Anges qui
lui fait voir la Jérusalem nouvelle, fiancée de l'Agneau (xxr, 9 seq.i.
Avec cela, beaucoup d'anticipations, de répétitions au moins appa-
rentes, de figures ou de scènes entières qui semblent d'abord laire
double emploi.
En outre de ces observations formelles et générales, il est certaines
particularités frappantes du contenu qui ne peuvent échapper au lec-
teur intelligent et attentif. Ainsi la section -- iv-xx . qui est comme le

corps de la prophétie, n'est pas aussi homogène que les autres elle :

doit se diviser, à ce qu'il semble, au moins en deux parties caracté-


risées respectivement par les deux séries apparemment équivalentes
des sept trompettes et des sept coupes. Ces deux parties sont d'ailleurs
tellement liées qu'il est extrêmement difficile d'en trouver le point de
STRLCTUKE DE I.APOCALYPSE DE S. JEAN. 4Sri

suture. Pourtant elles doivent avoir chacune leur rôle particulier dans
a Révélation, car on voit tout de suite que c'est la dernière partie de
a section qui contient les prophéties les plus saillantes, les plus ori-
sinales, les plus développées et les plus précises dans leur détail. Cela
n'empêche que les deux parties ont. pourrait-on dire, un fond de scène
commun : c'est ledécor céleste qui a été décrit au chapitre iv, le trône
de Dieu, les quatre Animaux symboliques, l'océan de cristal, les vingt-
le chœur des .\ng-es. C'est de là que partent, avant
quatre Vieillards,
ou après chaque grand déploiement de la puissance divine sur la terre,
ces chœurs de voix triomphales dont nous avons parlé (iv, 1-11: v,
8-U; VII. 11-12; XI. 15-18; xii, 10-12; xv, 2-V : xi\. 1-8^. Le « drame .^

— nous continuons à nous servir de cette comparaison parce qu'elle


est, en somme, la plus commode, —
se déroule donc sur une scène
qui a comme deux plans, deux étages l'un terrestre, rempli d'une
:

action tumultueuse et intiniment variée, l'autre céleste, où les princi-


paux personnages restent toujours eu place. Le voyant se donne comme
le spectateur de cette double action, et il semble que les péripéties de

l'avant-scène, si tumultueuses qu'elles soient, ne lui cachent jamais ce


plan supérieur, cette espèce de voûte animée d'où descendent les mes-
sagers des décrets qui s'exécuteront au premier plan. Pour mieux faire
saisir cette disposition continue, je la comparerais volontiers à celle des
théâtres où l'on représentait au moyen âge les Mystères, ou à la situa-
tion respective de l'orchestre et de la scène dans les tragédies grec-
ques; seulement, ici, l'orchestre serait en haut.
Si l'on passe au style, on remarquera, au milieu des sémitismes et
des incorrections de toute sorte du vocabulaire et de la syntaxe, que
l'auteur a indiqué, par-ci par-là, une distinction assez nette, au cours
d'une même vision, entre \(X. partie narrative, où il décrit une série
d'images qui passent devant ses yeux, et une partie prophétique, mar-
quée par l'usage du temps futur, où il annonce seulement ce que
l'apparition de ces images fait connaître à son esprit touchant l'avenir.
Cette distinction est même peut-être beaucoup plus fréquente qu'on
ne le signale d'habitude dans les commentaires. Seulement il est très
délicat de l'appliquer les nombreuses variantes qu'otTrent à ce point
:

de vue les manuscrits, le peu d'exactitude qu'apporte l'auteur dans


l'emploi des temps du verbe grec, empêcheront souvent d'y voir clair,
et pourront désespérer l'helléniste qui n'est qu'helléniste, loin de
l'engager à pousser à fond l'analyse par laquelle il séparerait tout ce
qui est narration, ou description d'un fait présent, historique ou vi-
sionnel, de ce qui est prophétie, toute relative à l'avenir.
Quoi qu'il en soit, cet ensemble d'observations formelles, que je crois
486 REVUE BIBLIQUE.

tout homme instruit et exercé capable de faire s'il le veut, ne laisse


pas d'être de la plus haute importance; et il est trop rare, k mon avis,
que les interprètes insistent assez là-dessus. Ces cadres et ces carac-
tères généraux ont beaucoup de relief et de fixité; si l'on s'attache
d'abord à bien les considérer, au lieu daccrocher du premier coup
son esprit critique à de minimes détails, pareils à des buissons qui
distrairaient de regarder les arbres et la forêt, on se sentira beaucoup
plus d'assurance et de courage pour creuser tout ce symbolisme et
cette symétrie que l'on a entrevus en gros, et pour chercher s'ils ne
sont pas soumis à des lois fixes dont la connaissance aiderait à péné-
trer le sens de bien des textes qui demeurent désespérément obscurs
ou fuyants quand on les examine isolément, en dehors de ces grands
cadres.
Pour pousser l'analyse plus avant, il faut d'ailleurs être un spécia-
liste des études néo-testamentaires. D'assez minutieuses observations
philologiques, une connaissance approfondie du reste du Nouveau
Testament, et aussi de l'Apocalyptique juive, des notions étendues sur
l'orientalisme et l'hellénisme,de fréquents recours à la tradition
exégétique des premiers siècles, enfin, par-dessus tout, une grande
attention, seront nécessaires pour entretenir quelque espérance de
mener l'œuvre k bien. Moyennant cela, des rapprochements suggestifs
surgiront presque à chaque ligne. iMais il y en a trop; leur abondance
même est un obstacle à la sûreté de l'interprétation, et un triage sé-
vère s'imposera. Les interprétations particulières ou générales qui
affluent à l'esprit, en l'absence d'une tradition ferme et unique, ne se
présentent d'abord que sous l'aspect d'hypothèses très conjecturales,
simplement possibles, et ce n'est qu'au prix d'une longue patience,
d'un véritable travail à la loupe, que l'on peut arriver à étayer un
système quelconque, d'arguments capables de produire la conviction.
On n'y arrivera sûrement jamais si l'on n'opère un retour continuel de
la considération de chaque parcelle à celle que l'on possède déjà du
tout; et la première condition pour le faire est de garder constam-
ment présentes à l'esprit les quelques conclusions, purement formelles,
qu'a pu fournir l'ébauche d'analyse qui précède.

II

C'est que, dans l'Apocalypse, la forme peut être étudiée indépen-


damment de la matière, vu qu'elle est bien plus aisément saisissable
que celle-ci ; et certainement les procédés littéraires une fois définis
éclairent la signification de chaque vision, ou même de chaque sym-
STRUCTURE DU UAPOCAUYPSU DE S. JUAN. 4^"

bole, ne fût-ce qu'en restreignant, par les rapprochements que cette


connaissance impose, le champ trop vaste des explications qui s'ofï'ri-

raient pour chaque élément en va ainsi, je crois, dans


pris à part. Il

toute exégèse, mais particulièrement dans lexégèse d'un livre allégo-


rique, rempli de figures quine répondent plus aux tendances actuelles
de notre imagination.
Continuons donc Fanalyse commencée, et tâchons de préciser ce
que nous n'avons encore fait quentrevoir.
Une forte objection à l'admission d'un plan régulier et d'un ordre
rationnel dans l'Apocalypse, surgit du fait des redites apparentes,
ainsi que de la présence de certains morceaux qui troublent le
rythme présumé, et qu'on ne sait comment rattacher à ceux qui les
précèdent ou qui les suivent. Nombre de critiques s'appuient là-dessus
pour décréter que l'Apocalypse n'est qu'une compilation, parfois in-
digeste. .Je veux indiquer comment cette grosse difliculté s'amincit
jusqu'à disparaître, si l'on sait reconnaître certains procédés de dé-
veloppement spéciaux à notre auteur.
I. Le premier est ce que j'appellerai la loi de remboUement. Qu'on
veuille bien me passer cette expression un peu grotesque, je n'en ai
pas trouvé qui rende ma pensée d'une façon plus simple et plus con-
crète. Voici en quoi elle consiste :

Nous avons dit que la section du chap. iv au chap. xv. v. 11 se


--

divise en deux grandes séries. Un ne peut se dissimuler, après avoir


dépassé la lin du chapitre xi. qu'on se trouve transporté dans un mi-
lieu nouveau d'images, répondant sans doute à de nouvelles pensées.
C'est la vision de la Femme et du Dragon, celle des Bêtes, de la Cour-
tisane, du Verbe victorieux, et beaucoup d'autres qui s'y rattachent.
Elles ont beaucoup plus de couleur individuelle que les précédentes,
et le Voyant parait s'attacher à attirer sur elles, d'une façon toute

spéciale, l'attention de ses lecteurs, comme sur des prophéties qui les
toucheraient de plus près. Jusque-là, avec les sept sceaux et les sept
trompettes, nous restions la plupart du temps dans les lieux com-
muns apocalyptiques, tremblements de terre, invasions, chutes d'é-
toiles, etc., assurément très grandioses, mais ne comportant pas d'ex-
plication trop déterminée, vu l'extrême variété des conditions de
temps et de lieu où peuvent s'appliquer. Tout cela représentait
ils

l'exécution des décrets contenus dans le livre scellé », ïz:>^it';'.z\j.vizç.


du chap. V, que l'on a souvent comparé aux tablettes des destinées »
<

babyloniennes, et que seul l'Agneau immolé avait eu le pouvoir d'ou-


vrir, c'est-à-dire de rendre exécutoire, avec toute la solemiité que
l'on sait. Quand on atteint le chapitre xii. ce livre, au contenu uni-
488 REVUE BIBLIQUE.

versel, a certainement été lu en entier, toutes ses dispositions ont été


réalisées, aul rement dit ce monde transitoire est arrivé à sa consom-
mation. La chose est certaine : et d'après les termes mêmes qui closent
cette série (xi, 15-19), etannoncent l'arrivée du jugement dernier :

et d'après les paroles de l'Ange imposant du chapitre x « qui jura par

Celui qui vit aux siècles des siècles qu'aux jours de la voix du
septième Ange chap. xi, 15) quand celui-ci sonnerait, le Mystère de
Dieu s'accomplirait, ainsi qu'il l'a annoncé à ses serviteurs les
Prophètes » (x. 6, 7). Cependant, après cette septième trompette, le
chapitre xii et les suivants nous ramènent au siècle présent, comme
si rien encore n'avait été exécuté. On en a conclu que la vision de la

Femme et du Dragon marquait le commencement d'une nouvelle Apo-


calypse, d'une origine documentaire tout à fait ditlerente de celle de
la précédente (iv-xi), quoique équivalente pour la signification, et
juxtaposée tant bien que mal à la première par un artifice du rédac-
teur. Cela, nous ne l'admettons pas; l'impression est très forte, en
effet, que la différence de ces deux parties est plus que matérielle; de

l'une à l'autre il y a progrès évident, pour l'ampleur, pour la pré-


cision. La seconde doit avoir au moins une valeur explicative vis-à-
vis de la première. Mais qu'elle se rapporte à un avenir ultérieur, nous
ne pouvons non plus le croire, attendu que le livre aux sept sceaux,
dont le contenu s'est réalisé de vi à xi, embrassait bien tout l'avenir.
Il faut donc chercher à préciser le rapport de ces deux parties, et

pour cela bien déterminer le point de départ de la série xii-xx. Or,


si le contenu du livre du chap. v a été épuisé, il a été fait mention

d'un a2///e /nve c'est le ,'i',6>.xp'2'.;v que tenait dans sa main le grand
.•

Ange du chapitre x. La forme diminutive suggère que le contenu de-


vait en être plus restreint que celui du premier. 11 diffère encore de
celui-ci en ce qu'il n'est pas, lui, èjspaY'.TE^.^vcç. mais ouvert, y;v5o)y;j.£vcv.
Ce trait signifie le plus naturellement qu'il est d'une interprétation
pius accessible au Voyant et à ses lecteurs que le premier, peut-être
parce qu'il se rapporte à des événements plus prochains. Mais quel enj
est au juste le contenu ? Il est vaste encore; car, après que le Voyante
a mangé ce livre (symbole étrange pour nous, mais renouvelé
d'Ezéchiel), il se trouve en mesure de « prophétiser encore sur des!
pcLiples, et des races, et des langues, et des rois nombreux » (x, ll).î
D'autre part, le contenu de ce livre doit être moins général, à quelque]
point de vue, que celui du livre ouvert par l'Agneau lui-même, car]
le Voyant se tait volontairement sur une partie au moins de l'avenir,!
celle que lui a révélée, dans la même vision, le grondement des sept|
tonnerres (x, 3-4). On est naturellement porté à croire que ces pro-^
STHLCTLRt; DE L'APOCALYPSE DE S. JEAN. 480

phéties suf des peuples noml^reiix — lesquelles ne peuvent être seu-


lement la vision schématique de xi. l-li, ou des Deux Témoins —
sont précisément les visions qui s'ouvrent par celle de la Femme et
du Dragon.
Jusqu'ici rien que de plausible. Mais voici une grosse difficulté, qui
semble ruiner toute cette constructioD. Cette série de visions, xir-xx,
n'est aucunement rattachée littérairement au petit livre du chap. x.
Au contraire, elle eu est séparée par toute la fin de la première
Apocalypse. Quand le Voyant niançe ce nouvel instrument de pro-
phétie, la septième trompette n'a pas encore sonné, le troisième Fae
n'a pas encore reçu son accomj:»lissement, et tout le chapitre xi qui va
suivre, y compris la scène des deux témoins, fait encore partie de la
séîie précédente. Loin de nous aider à découvrir un ordre rationnel
dans l'Apocalypse et un lien entre ses parties, le « petit livre » n'a
donc fait qu'ajouter une obscurité ou une incohérence de plus. Il

fournit un des arguments tendant à prouver que l'Apocalypse


forts
n'est qu'une combinaison de morceaux de provenance disparate, et
soudés au hasard, mécaniquement, avec des conclusions qui n'ont
pas eu de prémisses, et des entrées en matière qui nontaucune matière
à les suivre. Car si véritablement x, 2, 8-11 , se rapportait à xu sq.,
pourquoi ce petit morceau se trouverait-il à cette place, mis ainsi en
vedette dans un ensemble aljsolument dilierent, où il a l'air d'un bloc
erratique, et ne servirait qu'cà mettre en relief le désordre du rédac-
teur?
Voilà la difficulté; et voici la réponse. Il faudrait se rendre aux
raisons ci-dessus exposées, si nous avions là l'unique exemplaire de
ces prétendus « blocs erratiques », ou si de pareils blocs se trouvaient
dispersés complètement au hasard à travers le livre. Mais il n'en est
pas ainsi. Nous pouvons affirmer que le '^<.c\y.piz'.c'/ de x. 2, 8-11 est
bien en rapport avec la série xii s. ; et que, s'il nous est apparu
comme incrusté dans la série précédente, où il semblait n avoir rien
à faire, ce n'est point du faitd'un hasard, ou d'une maladresse rédac-
tionnelle, mais bel et bien en vertu d'une intention, et même d'une
intention profonde.
La preuve de double affirmation est fournie par l'examen
cette
attentif des chapitres qui suivent. Nous y trouvons en effet des emboî-
tements tout pareils à celui que nous avons présumé; et ce sont des
anticipations faites en p7^opres termes de quelque scène qui suivra, en
sorte qu'il n'y a pas moyen de douter du lien intentionnel; et ils se
présentent toujours à des places analogues, de sorte qu'on ne peut
douter qu'il y ait un procédé constant de composition.
490 REVUE BIBLIQUE. •

Au reste, les voici énumérés :

1° La prophétie des deux témoins, au chapitre xi, contient déjà


IV, 7) la mention de la « Bête qui monte de l'abime », laquelle ne

montera pourtant qu'au chapitre xiii. C'est là un signe que la


deuxième partie est déjà contenue dans la première, par une espèce
d'inAolution;
2°' La chute de Babylone, qui sera racontée seulement aux
chap. xvii-xix, est déjà annoncée au chap. xiv, dans la vision
8,
d'Anges préparatoire à celle de l'effusion des sept coupes; puis signa-
lée comme déjà faite au chap. xvi, v. 19, c'est-à-dire avant la fin,
dans le résumé des bouleversements qui suivent FefFusion de la sep-
tième coupe. Ceci peutnous aider à deviner la raison de ces anticipa-
tions plus ou moins lointaines. Elles concernent surtoutles événements
qui intéressent le plus le lecteur chrétien du premier siècle :

Babylone, ou Rome païenne, était la grande ennemie, l'implacable


persécutrice, qui avait donné lieu à ce culte impie des empereurs,
auquel tout le livre est plein d'allusions. L'auteur sacré déploie un
véritable luxe d'avertissements pour convaincre les fidèles qu'ils en
seront délivrés un jour. Il y en a encore au chapitre xvin, 1-3 et
21-2i.
.3° L'effusion des sept coupes, qui sont les châtiments répandus sur
le siècle mauvais, aux chap. xv-xvi, est déjà présagée par une allu-
sion au chap. xiv, v. 10, dans la bouche d'un Ange annonciateur.
ï° Leffusion de la sixième coupe (xvi, 12-16) a pour effet ce rassem-
blement desennemis de Dieu, les rois de rOrie?it les ?arihes, ennemis
de l'empire romain, ont été pris pour symbole; cf. ch. ix, 13-19,
après le son de la sixième trompette), mais on ne dit rien de la bataille
qu'ils livrent, ou de leur défaite, tout cela étant réservé au chapitre
\i\. 17-21. où il s'agit presque sûrement des mêmes ennemis.
5» Les « noces de l'Agneau » et de son épouse, la Femme-Jérusalem,

(jui feront le sujet des chapitres de la dernière section, xxi-xxii, sont


annoncées dans un cantique céleste, au chapitre xix, 7-9. — C'est-à-
dire par une anticipation absolument analogue à celle que nous
sommes, avec tous ces exemples, en train de prouver.
Que conclure de tout cela? Pour nous, une affirmation de critique
littéraire s'impose ici nous avons trouvé, en douze chapitres, six
:

exemples d'anticipations frappantes, en des places sensiblement ana-


logues. Le fait est si constant qu'il ne peut être un effet du hasard. Il
est voulu, c est un procédé littéraire. Ce procédé ressemble à celui
qu'on nomme, en poétique savante, la concatenatio : pourtant il n'est
pas tout à fait le même, et voilà pourquoi nous avons mieux aimé le
STRUCTURE DE L'APOCALYPSE DE S. JEAN. 4wi

désigner par un terme pittoresque que par une expression technique


qui pourrait tromper. Nous l'appelons k la loi dp.< emboîtements ». Au
cours d'une révélation, généralement vers la fin. le Voyant pose
comme une pierre d'attente pour y élever plus tard l'édifice dune
révélation nouvelle. Révélation nouvelle, ai-je dit; c'est plutôt l'ex-
plication d'un point do la révélation précédente et générale, celui qui
touche le lecteur de plus près. Un coup est ainsi frappé sur son ima-
gination. Il est tenu eu haleine, dans une attente vibrante d'émotion,
jusqu'à ce que Dieu et le Prophète s'expliquent davantage. Ainsi les
décrets divins forment comme des cercles qui tournent autour d'un
point où son œil reste fixé, et vont se resserrant toujours, tant qu'enfin
la foudre en sort et frappe là où son intérêt demeurait suspendu.
Procédé rare et bien recherché, ne sais s'il a toujours été
si l'on veut. Je
aussi conscient (jue j'ai l'air de le dire. Toujours est-il qu'il existe
réellement, et qu'il est étrangement dramatique. Si nous nous met-
tions à la place des chrétiens de l'Asie Mineure, en ces dernières
années du i^' 5>iècle. après leur expérience des premières persécutions:
si nous nous rendions compte de leur anxiété, et de la foi avec laquelle

ils attendaient la lumière que la révélation prophétique pouvait jeter

sur leur avenir inquiétant, alors nous serions moins surpris de ces
procédés expressifs et nous les comprendrions mieux.
Voilà donc la répétition dune anomalie, d'un même désordre
apparent, qui nous a fait découvrir un ordre supérieur, parce que
plus varié. Ces « emboîtements » sont Lan d'atl'aiblir l'impression de
l'unité de l'Apocalypse.
II. Il une autre grave objection contre 1 homogénéité du
existe
livre. C'est le fait des redites nombreuses qui le remplissent, et qui
seraient, pense-t-on, tout à fait inutiles si le tout émanait d'un écri-
vain spontané, et non d'un rédacteur qui coud ensemble tant bien quo
mal un bien ramassé un peu partout et dont il ne veut pas laisser
perdre une parcelle. Dans le commentaire, je montrerai qu'il n'en est
pas ainsi. En examinant, par exemple, le chapitre xii, où ces redites
sont très visibles, nous verrons qu'il n'y a pas là sm\T^\e juxtaposition
des sources analogues, mais que plutôt, dans Vintérieur d'une même
série, une vision schématique, qui contient déjà toute la révélation
visée, s'explicite ensuite en di\isions plus amples quelles, identiques
à la première pour le fond, mais y apportant chacune une précision
et une clarté nouvelle 1 J'ai appelé cela ailleurs un développement
.

(1) C'est ce que j"ai déjà exposé dans cette Revue. Le douzième chapitre de l'Apoca-
lypse, octobre 1909.
492 REVUE BIBLIQUE.

en volutes, ou mieux en « ondes concentriques ». Ce procédé est très


caractéristique de l'Apocalypse, mais sans lui être absolument parti-
culier, car on en trouverait des exemples chez plusieurs prophètes.
C'est une forme de la pensée hébraïque. Cela ne dit rien, en général,
contre l'unité.
III. Tout ce que nous venons de dire ne concerne encore que le mode
de présentation le plus extérieur des prophéties. Si maintenant nous

examinons leur contenu, si surprenant d'abord par sa diversité et son


apparente confusion, nous découvrirons sans trop de peine plus d'un
nouveau fil conducteur.
Le premier est ce que j'appellerai, si l'on veut, la loi de ^perpétuité
de l'antithèse.
Qu'il y ait des figures ou des phrases antithétiques à l'intérieur de
chaque série, et presque de chaque tableau, le lecteur le plus super-
ficiel le remarquera par ses propres moyens. Mais il y en a trop. Que
signifient-elles? Se groupent-elles autour d'une idée centrale, antithé-
tique également, dont chacune ne représenterait qu'une des réalisa-
tions partielles dans les temps ou dans les lieux divers, ou bien encore
un aspect partiel, mais qui peut se retrouver dans tous les cas de
réalisation? Ces problèmes ne peuvent être résolus que par l'étude
détaillée du texte. Toutefois nous pouvons déjà dire que cette com-
plexité, quand on arrive à la saisir d'un seul regard, se simplifie beau-
coup. Si variées que soient les images, elles se trouvent reliées entre
elles par de telles analogies, qu'on est vite porté à croire à la (juasi-
identité de beaucoup des choses qu'elles représentent. V a-t-il, au
fond, autre chose que l'opposition de deux sociétés, de deux cités,
comme dira saint Augustin, celle desamis de Dieu, la vraie Jérusalem,
gouvernée par l'Agneau, et celle de ses ennemis, Babylone, où com-
mande le Dragon ? L'une réservée aux épreuves passagères, qui,
n'empêchent pas la joie intérieure, enfin au triomphe final, absolu]
l'autre à l'exercice dune domination despotique, mais transitoire]
(jui ne l'empêche pas de sentir continuellement la main vengeresse

delà Providence, toute plongée qu'elle est dans la h'hvbiç \j.z-;ikr,. la


tribulation de ce monde, jusqu'au jour où Dieu l'écrasera dans la honte
éternelle de la « Seconde mort »? Cette simplicité de l'antithèse fon-
damentale ressort surtout dans la deuxième partie de la section y, tout
entière dominée par l'opposition des deux Femmes-Cités, image chère
aux prophètes de l'Ancien Testament. Les Bêtes, les rois et leurs
armées, Gog et Magog, semblent bien représenter les mêmes réalités
complexes, continues à travers l'histoire du monde. Cité du Dragon;
de même l'armée du Logos, les cent quarante-quatre mille, le camp
STRUCTURE DE L'APOCALYPSE DE S. JEAN. 49:i

des saints, semblent plus ou moins s'identifier. On ne peut croire, en


tout cas,que les successions de tableaux où ces figures typiques appa-
raissentrépondent toujours aune succession historique, dans l'avenir,
d'événements nettement séparés. Ce serait faire de l'Apocalypse le livre
le plus incohérent et le plus incompréhensible qui soit, et tomber

dans toutes les rêveries des Joachimites ou de Nicolas de Lyre. Seul


l'usage de la « théorie de la récapitulation » fait aboutir à un sens
satisfaisant.
Si l'antithèse fondamentale est parliculièrement nette dans la sec-
tion susdite, on peut dire qu'elle commande tout le livre.
Mais il est des places consacrées, dans les séries, où elle s'exprime
avec plus de netteté. Ily a des tableaux destinés exclusivement à faire
ressortir cette antithèse générale. Cette observation est des plus im-
portantes. Et ces tableaux se trouvent en règle ordinaire situés à des
places fixes. C'est ce qu'on peut nommer « la loi de périodicilé dans
l' exposition de l'antithèse »

l'' A la fin des visions préparatoires qui précèdent les septé-


naires ;

2° A chaque sixième moment des septénaires (celui des lettres ex-


cepté).
1° Ce que nous appelons ainsi « visions préparatoires », c'est

d'abord la série qui va de vi, 1 à viii, avant la destruction du siècle


présent au son des sept trompettes angéliques ; ensuite la série qui
va de XIV, 6 à xv, .">, avant retfusion des coupes, laquelle correspond
à la série des trompettes, avec cette principale diflerence qu'elle est
rapportée à la vision précédente des Bêtes au chap. xiii.

Dans la première série (vi-vii), nous voyons d'abord quatre cava-


liers, qui apparaissent dans le ciel h la voix des quatre animaux sym-

boliques, et se rangent devant le trône de Dieu, attendant le moment


d'exécuter ses ordres. Ensuite, pendant que l'Agneau achève de rompre
les sceaux du livre pour que le contenu en devienne exécutoire, les
préparatifs delà destruction s'achèvent ; les prières des saints « immo-
lés pour » produisent au ciel comme une tension de
la parole de Dieu
la justice vindicative qui va éclater. Quand le sixième sceau est rompu,
le Voyant peut considérer, dans une vision anticipée, quel sera le

résultat de l'accomplissement des ordres du livre un cataclysme uni- :

versel, décrit dans le style apocalyptique commun, épouvante les rois


de la terre etc., c'est-à-dire les impies et leurs chefs, et leur fait dire

aux montagnes : Tombez premier membre de


sur nous! C'est là le

l'antithèse signalée (vi, 12-17 Au contraire, les « serviteurs de Dieu »


1.

que des Anges ont marqués au front avant le déchaînement de la


494 REVUE BIBLIQUE.

colère, pour que les calamités des Anges exterminateurs passent à côté
d'eux sans les atteindre, chantent les louanges de Dieu devant son
trône (vu, 1-17 i. Leur attitude forme un contraste absolu avec celle
des mondains méchants. Cette vision d'ensemble, anticipée, qui ap-
paraît au Voyant au terme des préparatifs qui se font au ciel pour la
destruction du monde, résume déjà tout ce qui va s'accomplir au
lui

son des trompettes, en dévoile le vrai sens, le vrai but.


et lui

L'autre série xiv, 6-xv, 5 a beaucoup d'analogie avec celle qui pré-
cède. Il se fait encore des préparatifs au ciel avant l'effusion des sept
coupes pleines de la colère de Dieu. Trois Anges qui font des proclama-
tions (xiv, 6-11répondent aux quatre Cavaliers du chap. vi. Comme
le premier des Cavaliers du chapitre vi était désigné par les traits
mêmes de sa description —
ainsi que nous le démontrerons en son

lieu —
comme agent symbolique des conquête spirituelles du Verbe et
de l'Évangile, tandis que les trois autres symbolisaient la préparation des
vengances, ainsi le premier Ange (xiv, 6-7) remplit un rôle bienfai-
sant, lui qui «< porte un Évangile éternel pour être annoncé aux habi-
tants delà terre ) et proclame la prochaine victoire de Dieu; les deux
autres au contraire annoncent des malheurs. Le parallélisme ne s'ar-
rête pas là, et la fameuse antithèse ressort d'une façon encore plus
nette dans la vision qui suit, de la 7noisson et de la vendange. La
« moisson », qui, d'après la terminologie de l'Ancien Testament, est
une image essentiellement joyeuse, est faite par un personnage qui
est « comme un Fils d'homme », c'est-à-dire parle Christ lui-même
qui recueille les élus li-16); la u vendange »,qui, dans la même ter-
minologie, signifie ordinairement l'écrasement des ennemis, foulés
aux pieds comme des grappes dont le sang jaillit, est accomplie par
un subordonné, par un Ange 17--20 La cuve de vengeance est
esprit ,
1.

foulée; mais les amis de Dieu, les vainqueurs de la Bête (xv, 2-V
chantent devant le Tout-Puissant le cantique triomphal de Moïse. Ces
scènes rappellent tout à fait celles du chapitre vi et du chapitre vu,
bien que le parallélisme soit dans le fond plus que dans la forme.
montrer le but et le résultat de l'ef-
Elles sont destinées, elles aussi, à
fusion des coupes qui va suivre, au chapitre xvi.
2' J'ai dit que la même antithèse apparaît encore dans toute son

ampleur à un point fixe des septénaires, c'est-à-dire à leur sixième


et avant-dernier moment. Là elle a pour but de résumer les résul-
tats du processus de destruction, comme les visions préparatoires
les avaient présagés. Nous avons déjà vu ce qui se produit à la rup-
ture du sixième sceau. Au son de la sixième trompette, voici, d'une
part, l'infernale chevauchée qui massacre le tiers des hommes impies,
STRUCTURE DE L'APOCALYPSE DE S. JEAN. 495

sans convertir les autres (xi, 13-21), mais aussi, d'autre part, après
l'intermède du ^loXapfciov, dont nous avons vu la haute portée, voici
le tableau des Deux Témoins (xi, l-li, qui représente la continuité
du pouvoir du Bien sur la terre, résiste à toutes les persécutions,
même à la mort, et ressuscite toujours quand on croit lavoir détruit,
pour le plus grand bien des habitants du monde, qui, devant un tel
spectacle, tinissent par « rendre gloire au Dieu du ciel » 11-13).
Alors la septième trompette, celle de la consommation, n'a plus qu'à
sonner.
Avec de la sixième coupe, a lieu le rassemblement des
l'effusion
rois de pour la bataille de ce grand Jour du Dieu tout-puis-
la terre «
sant » (xvi, 14). Le sort des élus est vaguement indiqué par la
phrase « Heureux qui veille et qui garde ses vêtements ». Ici l'anti-
:

thèse, il est vrai, n'est pas développée, mais cette scène amorce le
chapitre xix, où elle le sera très amplement.
L'antithèse fondamentale se retrouve encore en de nombreux pas-
sages que nous ne pouvons citer ici. Nous voulions simplement
montrer qu'elle se trouve principalemenl située en des points cor-
respondants de développements divers entre eux, et c'est là un fait
hautement significatif, en ce qui touche à la composition du livre.
Une observation d'un autre ordre se rapporte à un caractère parti-
culier de l'un des deux membres de l'antithèse, les amis de Dieu, la
Cité de Dieu. Cette collectivité est constamment représentée dans un
double état l'un de persécutions et d'épreuves, l'autre de sécurité inté-
:

rieure sur terre et de triomphe au ciel. Ce dernier état répond aux


deux phases du « Règne de Dieu », tel qu'il est représenté dans les
Evangiles. Deux phases nettement distinguées dans les péricopes qui
mettent en scène la Femme-Jérusalem, mère du Christ passible et
mystique (c. xii), et épouse du Christ glorieux fc. xx, seq. Dans le .

premier état, celui d'Église militante, elle vit sur la terre, obsédée
par le Dragon, mais gardant cependant la sécurité et la paix dans
le désert où elle est réfugiée c. xii) dans le deuxième, elle appa-
;

raît comme descendant du ciel. L'auteur insiste beaucoup sur la sécu-


rité intérieure de l'Église militante. Dans les visions préparatoires
que j'ai analysées ci-dessus, Prophète use du temps présent pour
le

signiher ce qu'il voit: ce sont toujours des images de la béatitude


spirituelle, qui peut exister même au milieu des persécutions,
comme l'indiquent les promesses des lettres aux sept églises, no-
tamment à celles de Philadelphie de Laodicée (m, 20),
(ni, 10) et
promesses toutes susceptibles, d'abord, d'un accomplissement actuel
et terrestre, mais intérieur. C'est de la même façon que nous croyons
496 REVUE BIBLIQUE.

qu'il faut interpréter le passage du chapitre vu, 9 et suivants : « Ceux


qui sont revêtus des tuniques blanches,... ce sont ceux qui viennent
\t'. èpxiij.svoi) de la grande tribulation;... devant le trône
ils sont (eraiv)

de Dieu, et ils l'adorent (Xa-piuiu^iv) jour


dans son temple » et nuit

(13, 14, 15). C'est un présent. Puis viennent des verbes au futur —
au moins dans les meilleurs manuscrits —
qui doivent se rapporter
à la phase dernière qui suivra le Jugement « Et Celui qui est assis :

sur le trône les fera habiter sous son abri (!7-/.-r;vwa£ià^"aj-:5j;). Ils li au-
ront plus faim, et ilsn auront plus soif.... l'Agneau... sera leur pas-
teur (zoty.avEî) et les mènera aux sources des eaux de la vie, et Dieu
essuiera toute larme de leurs yeux » (15, 16, 17). Il s'agit sùremenf,
en ces derniers passages, de la consommation du règne de Dieu au
ciel, et il est au moins remarquable que l'emploi du futur les sépare
nettement des passages précédents, lesquels peuvent s'appliquer,
comme les promesses des lettres, à la phase du Règne de Dieu,
initiale
celle de la grâce terrestre. Plusieurs autres passages du livre, que nous

noterons à mesure, pourraient être rapprochés de celui-là. C'est ce que


j'appellerais — si je ne craignais, à la fin, d'avoir l'air pédant, —
la « loi des deux phases ».

Toute cette unité de symétrie se complète enfin par celle des


divers cantiques qui célèbrent périodiquement, sur la scène céleste,
les grandes victoires de Dieu.
'
Cet ensemble de procédés constitue comme l'architecture savante
du livre. Toute cette symétrie et ces antithèses sont voulues. Dirai-je
cependant qu'elles sont voulues systématiquement comme procédé
artistique? Je n'irais pas jusque-là; parce que, si les cadres exté-
rieurs sont nets, la matière qui les remplit n'est pas toujours orga-
nisée avec beaucoup d*art ni d'équilibre; il y a de singuliers glisse-
ments de symboles, qui font passer une même image
et éclatements
d'une idée sur l'autre, ou une même idée d'une image sous l'autre:
nous étudierons cela à part (1). Il y a encore, dans les mômes
tableaux antithétiques, une telle absence de parallélisme détaillé
entre les deux membres de l'opposition, qu'on peut croire que ces
visions, quand le Prophète les a eues de fait n'étaient pas encore ,

associées, ou que, si elles ont des sources littéraires, ces sources


n'étaient pas les mêmes. Seulement, quand il a fallu écrire son livre,
l'auleur a organisé ses souvenirs et ses emprunts, en respectant l'in-
dividualité de chacun, dans une disposition tout à fait harmonique

(IJ Voir B. Allô, La Variabilité des symboles dans l'.ipocafjjpse, dans la Revue des
Sciences philosophiques et théologiques, aviiil 1908.
STRUCTURE DE L'APOCALYPSE DE S. JEAX. 497

quant à Viciée. C'est pour cela qu'il a établi ces grands cadres si nets.
Mais dans ces cadres, Tinspiration et le souvenir se jouent encore
avec une grande liberté, sans aucun souci d'harmoniser les détails,
quant à la forme littéraire. La constatation de ce double fait empêche
de croire que l'Apocalypse soit l'œuvre d'un compilateur, et en
même temps de considérer son auteur comme un artiste de la plume,
un écrivain professionnel. C'est un esprit spontané, qui saisit puis-
samment, retient et org-anise de même, mais qui reste bien étranger
aux règles grecques de l'art d'écrire, —
comme sa langue toute seule
suffirait à le montrer.

m
Nous ne sommes pas encore au Ijout de l'analyse qui peut nous
dévoiler, avec les procédés de composition de l'auteur, sa psvcho-
logie d'écrivain. Nous avons vu comment la netteté de ses cadres,
et leurscorrespondances voulues, n'empêche pas la matière ardente,
qui y est versée tout en fusion, d'échapper maintes fois aux lois du
parallélisme général qu'il s'est imposé. En lace de cela, nous pou-
vons noter un phénomène inverse un parallélisme qui semble pres-
:

que inconscient, en tout cas non cherché, entre des idées ou des
figures éparpillées dans des cadres tout à fait distincts ou distants les
uns des autres.
C'est, par exemple^, la répétition d'une image qui revient en des
scènes absolument différentes, pour éveiller partout la même impres-
sion. Ainsi en est-il des vêtements blancs, ou de la couleur blanche
en général. Ce trait revient une douzaine de fois dans le livre, sans
parler des images similaires. Il appartient à l'aspect de Dieu et de son
trône, au Logos, aux élus. Dans le chapitre vu, v. 9 et 13, c'est de
toute évidence le signe de la pureté, de la joie et de la victoire.
Ainsi en est-il encore dans les lettres du commencement (ii, 17; m,
i, 5, 18 . Cela montre comment il faut l'interpréter dans les passages
en soi moins clairs. Ainsi le cheval blanc du premier cavalier, au
chapitre vi, 2 (ép. xix, il ne peut être quela monture d'un triom-
,

phateur divin et bienfaisant, par opposition à celles des autres cava-


liers; nuée l)lanche » sur laquelle apparaît le Fils d'homme
et la w

du chapitre xiv, rapprochée de l'image de la « moisson », opposée à


celle de la « vendange », indique qu'il s'agit de l'appel des élus, et
non de la punition des réprouvés.
C'est encore, en deux sections dune tonalité différente, le retour de
toute une séine des mêmes images avec le même sens fondamental.
RETCE BIBLIQUE 1911. — N. S., T. VIII. 32
498 REVUE BIBLIQUE.

du matin, etc., se trouvent


Ainsi le livre de vie, l'arbre de vie, l'étoile
à la dans les promesses faites aux fidèles d'Asie, à la fm des lettres
fois

de la deuxième section, et dans la dernière section, le plus eschato-


logique de toutes, relative à la Jérusalem céleste.
Bien plus, il y a des traits spécifiques d'une scène donnée qui appa-
une autre scène n'ayant avec
raissent subitement, à l'état isolé, dans
celle-làaucun rapport littéraire direct, ni aucun autre parallélisme
de détails. Nous l'avons déjà vu à propros des « emboîtements » ;

mais la même chose se reproduit un peu partout. Il ne faut pas cher-


cher à l'expliquer par l'indigence imaginative de l'auteur, dont les
images, au contraire, sont plus variées que chez nul autre écrivain
d'apocalypses. Et, notons-le, ce sont généralement des traits qui lui
sont propres, au lieu de rentrer dans les lieux communs apocalypti-
ques, du genre tremblements de terre, invasions, étoiles qui tom-
bent, etc. Ainsi on ne saurait affirmer qu'il y ait aucun parallélisme
voulu entre les Deux Témoins du chapitre xi et les Deux Bêtes du
chapitre xiv. Leur mention appartient à des parties différentes du
livre. Leur origine ne remonte pas aux mômes sources. Les Bêtes,
ou du moins la première, celle qui monte de la mer, se rattachent
au symbolisme de Daniel, des parties poétiques de FAncien Testa-
ment, et, vu leur affinité avec Tiàmat ou autres personnages du
« Poème de la Création » babylonien, proviennent sans doute d'un
fond de traditions proto-sémitiques , sinon sémito-aryennes. Les
Deux Témoins, au contraire, ont des traitsempruntés aux person-
nages historiques Moïse et Aaron, et se rattachent sûrement, au point
de vue littéraire, à la vision du prophète Zacharie (ch. iii-iv), c'est-à-
dire au grand-prêtre Jésus et à Zorobabel, types du pouvoir sacerdotal
et- du pouvoir laïque dans le peuple élu. Par là ils ont leur contre-

partie dans les Deux Bêtes qui représentent de leur côté le pouvoir
politique et le pouvoir intellectuel de l'Antéchrist. Mais c'est un paral-
lélisme d'idées seulement, transcendant à toutes les formes littéraires
un peu compliquées dont l'auteur a coutume d'user.
De même, les hommes qui ont reçu la « marque de la Bête » au cha-
pitre xiiT, et qui sont destinés à « boire du vin de la colère de Dieu »
(xiv, 10), s'opposent manifestement à ceux qui ont été marqués du
signe de Dieu au chapitre vu. afin d'être épargnés par la colère, et à
ceux qui ont le sceau de l'Agneau et le nom de son Père écrits sur leurs
fronts (xiv, 1).

Encore ceci : la Bête de lAbime semble avoir été frappée à mort,


puis avoir guéri ou être ressuscitée, aux chapitres xiii, 3, 14, et xvii,
8, 11. De même les Deux Témoins, représentants terrestres du pouvoir
STRUCTLRE KE L'APOCALYPSE DE S. JEA.N 499

(lu Christ mort et ressuscité, sont eux-mêmes immolés, puis ressus-


citent XI, 7, 12 .

Tous ces traits semblables se trouvent à une distance beaucoup trop


grande les unes des autres, et sont entourés de contextes Ijeaucoup
trop divers, pour frapper immédiatement le lecteur. Il faut admettre
qu'ils n'étaient pas destinés à produire un effet littéraire; uii pareil
eflet a été si peu cherché, que leur apparition déconcerterait plutôt

les amateurs de compositions bien équilil^rées. Pour les remarquer,


il faut avoir pénétré dans la pensée la plus profonde de l'auteur par

une longue habitude du texte. Que nous apprennent-ils donc? Rien


de plus. —
et c'est assez, —
que la simplicité grandiose de son idée
fondamentale s'exprimant spontanément, sans intention dart, mais
suivant le rythme et l'antithèse cpii forment comme la substance
même de son imagination et de sa conviction il voit dans le règne :

du Mal une contrefaçon perpétuelle de celui du Bien, dans l'Antéchrist


une caricature du Christ. Toutes ces images s'envolent du même
trésor de sa pensée, sans recherche consciente, au souffle d'une puis-
sante inspiration qui déborde de beaucoup son art conscient d'écri-
vain; et cela nous montre d'une façon palpable combien toutes les
visions consignées dans son livre formaient une unité dans son esprit.
Voici un dernier trait curieux que nous pouvons noter, sans
d'ailleurs que je veuille y insister plus que de raison. Tous les septé-
naires sont sépart'S en deux séries, /'une ch trois, l'autre de quatre
membres. Ainsi la rupture des quatre premiers sceaux (ch. vi) amène
des effets du même ordre, l'apparition des quatre cavaliers; et
celle des trois derniers vi, 9-viii, 5; amène des scènes bien plus
développées, supplication des martyrs, vision préparatoire, préparatifs
des sept Anges exterminateurs, sans ressemblance littéraire avec les
précédentes. Même chose pour les sept trompettes le son des quatre :

premières amène des cataclysmes schématiquement exposés, sur la


terre, la mer, les fleuves et les astres vni, 7-12 tandis que les trois .

dernières amènent les trois «. vae » fondant directement sur les


hommes, annoncés à part par un aigle qui vole au milieu du ciel
(viir, 13 , et développés dans les scènes extraordinaire ment colorées
et fantastiques des sauterelles, de la chevauchée infernale, avec la
vision préparatoire du chapitre xi. après quoi vient la consommation.
La vision des sept coupes peut être aussi, à ce point de vue, mise en
parallèle avec celle des trompettes, car l'effusion des quatre premières
(xvi, 2-9; atteint aussi directement la terre, la mer, les fleuves et le
soleil, tandis que celle des trois dernières a des effets plus spéciaux,
en rapport plus étroit avec les particularités de cette partie du livre.

i
bûO / REVLE BIBLIQUE.

On interprète souvent cette division des septénaires en i -^ 3 par


une dualité de sources : la tradition apocalyptique commune aurait
fourni les quatre premiers membres, qui sont des lieux communs :

guerre, fo.'ninf , peste, et ? bétes sauvages pour les cavaliers; per-


turbations dans le ciel, la terre, la mer et les eaux douces pour les trom-
pettes elles coupes. L'auteur aurait, de son propre cbef, transformé ce
quaternaire en septénaire par l'addition de trois visions, plus spéciales,
à chaque série. Nous ne contestons pas la possibilité de la chose, mais
cette théorie ne rend pas compte de tout, par exemple du caractère spé-
cial du premier cavalier, ni du renvoi des troubles de \'air jusqu'à la

^Septième coupe \vi. 17 seq. ). Puis cette dualité est inadmissible dans la
/série des lettres aux sept églises, qui sont très homogènes et toutes
/ pareilles dinspiralion les unes aux autres. Or, là aussi, nous trouvons
/ la même division du septenaii'e en trois et quatre. Dans les trois pre-
mières, à Éphèse. à Srayrne, à Perg-arae ii, 1-17 il y a un détail ,

de composition caractéristique l'adaionition u Que celui gui a des


: :

I oreilles entende ce que l'Esprit dit aux Églises ». précède les promesses
faites au " vainqueur >. Dans les quatre dernières. àThyatii^e, àSardes.
à Philadelphie et à Laodicée ii, I8-111. •2-2
, la caractéristique est in-
verse et l'admonition suit la promesse. C'est peu de chose; mais ce
peu de chose est très significatif. Il nous dévoile chez l'auteur un
goût, un instinct, un je ne sais quoi de peu explicable pour nous.
qui le fait diviser la même façon toutes les séries de sept, que le
de
coutenu pour cela des raisons, ou qu'il ne lui en fournisse
lui fournisse
pas. C'est un trait individuel que je ne me charge pas d'expliquer et
où je n'ai aucune envie de chercher un sens mystique, bien que —
tout soit possible avec la « Gêmatria » qui était alors en honneur.
Mais ce trait, on ne peut pas le négliger, et sa ténacité, jusque dans
les sept lettres, diminue beaucoup la vraisemblance de la théorie

dualiste.
De pareilles observations, qui iront se multipliant et se précisant
dans l'étude du texte, tendent à un double but faciliter l'intelligence :

du livre mystérieux, par la mise en relief des lois qui ont présidé à
sa composition littéraire: — en faire ressortir l'homogénéité, indice
d'unité, niée par tant de critiques à contre-sens. La détermination
de l'origine et du symbole pris à part peut nous coûter
sens de chaque
des études longues et fastidieuses: mais elles auront beaucoup plus
de chance d'aboutir à un résultat sérieux après que cette étude de la
structure littéraire, qui révèle déjà le sens général du livre, nous aura i

orientés dans nos recherches.


Nous dirons pour conclure que l'Apocalypse nous apparaît déjà^
!
STRUCTURE DE L'APOCALYPSE DE S. JEAN. oOl

non comme une compilation chaotique et échevelée, mais comme


une œuvre d'art spontané, d'une magnifique venue. Le rythme, malgré
les atteintes partielles au parallélisme, en est très nettement marqué.

Les développements en volutes et le glissement des symboles ne nui-


sent pas à la régularité symétrique des pensées. C'est une œuvre d'art
qui nous déroute d'abord, il est vrai, mais qu'on admire toujours
plus à mesure qu'on la pénètre mieux. On comprend qu'elle a pu jail-
lir brûlante, et comme un tout indivisible, de la mémoire et du cœur
du Voyant, On comprend aussi qu'elle répugnait aux interpolations,
et que les uraves menaces de latin du livre contre les interpolateurs

(xxii. 18-19 , n'étaient pas des paroles en l'air. D'ailleurs, il n'était


pas si facile de Tinterpoler : sa forte structure à elle seule devait lui
assurer un respect qui était rarement accordé aux Apocalypses en gé-
néral — par exemple à Hénoch, — à cause de leur caractère originel
de compilations. Joignez à cette unité de pensée l'unité de langue,
aujourd'hui reconnue. Toute cette régularité de forme imposée à une
matière exubérante fait voir combien simple et grandiose était dans la
pensée de Jean ce poème prophétique de courage et de contiance
surnaturelle. Jean l'adressait aux chrétiens d'Asie Mineure, au début
des persécutions mais sa prophétie garde son actualité pour les chré-
:

tiens de notre temps, et de tous les temps, pour tous ceux qui, au
milieu des obscurités et des fluctuations de cette vie, attendent, se
liantdans leur espoir contre tout espoir, la victoire finale et abso-
lue de Jésus-Christ.

Fribourg, 26 mai 1911.

E. Bernard Allô.
LE LIVRE DES JUBILES
BUT ET PROCÉDÉS DE L'AUTEUR. — SES DOCTRINES.

(Suite) (1).

LKS DOCTRLNES.

Les enseignements dun auteur qui se propose de faire Uapologie


d'Israël, du sacerdoce et de la loi, portent naturellement avant toutt
sur la vocation d'Israël et de Lévi et sur les observances légales
Cependant, il a aussi ses vues en matière de dogme proprement dit

et il ne laisse pas que de les exposer à l'occasion. Son livre contien


des indications pleines d'intérêt sur Dieu, la création et la révélation
les anges démons, l'homme et le péché, le jugement elles ré-
et les
i
tributions, le royaume messianique et le Messie.
Pour donner une idée de sa manière sans dépasser les limites
d'un article, je ne dirai que quelques mots des observances légales
en général, de la circoncision et du sabbat. J'exposerai plus longue-
ment son enseignement dogmatique.

1. — Les observaiices légales. — La circoncision. — Ze sabbat.


Le seul moyen pour Israël de réaliser les desseins de Dieu sur lui,
d'être béni dans toutes ses œuvres et de voir « susciter de sa race une
plante de justice sur toute la terre » (2), c'est d'observer les obser-
vances du Très-Haut et d'exécuter ses volontés (3) ainsi que l'a recom-
mandé Abraham, sans s'écarter ni à gauche ni à droite de toutes les
voies du Seigneur (i Il ne doit pas transgresser le précepte et \-ioler
).

le pacte qui lui a été imposé (5 1.

Les Israélites, en particulier les contemporains de notre auteur,


sont très enclins à oublier ces recommandations et à négliger la

(1) Voir RB.. 1911. pp. 321 ss.

(2) 21, 24. — (3i 21. 23. — (4) 20. 3. — (5) 30, 21.
LE LIVRE DES JUBILAS. 503

pratique de la loi. Les défections sont nombreuses autour de lui.

Ses frères délaissent les prescriptions légales et adoptent les pratiques


des Gentils. Pour remettre en honneur les commandements et les
rites divins, l'auteur des .hibih's a imaginé un thème qu'il réédite pour
chaque loi. à quelques variantes près.
Il fait d'abord
1 historique de son institution, et il recule le plus
loin possible, au moins au temps des grands patriarches, Abraham,
Isaac et Jacob, la date à laquelle elle a été promulgaée, appliquée
ou suivie sur la terre pour la première fois. Il tire ensuite des con-
clusions sur la nature et la force de son obligation et aussi sur les
motifs les plus puissants qu'il peut imaginer de l'observer son ob- :

servation par les auges ou par les ancêtres, quelquefois même par
Dieu, son inscription sur les tablettes du ciel ou sur les livres des
aïeux d'Abraham, Hénoch et \oé 1 ). les châtiments temporels (2) et
éternels 3 qui attendent ses violateurs, les bénédictions réservées à
ceux qui l'observent ;i . Comme les Juifs de son temps arguaient sans
doute, pour justifier leurs négligences, de la désuétude, de la cou-
tume contraire, du caractère temporaire éphémère de toutes les
et

loisi5 , notre auteur proteste en terminant son exposé qu il n'y a pas


de limite de jours, que la loi oblige sans cesse et jusqu'à l'éternité.
La circoncision et le sabbat comptent parmi les objets les plus
graves des prescriptions de la loi d'Israël.

La circoncision est le " signe de l'alliance éternelle entre moi et


vous », Abraham '^6). et il a ordonné à tous les
a dit le Seigneur à
en la personne de leur père commun, de circoncire la chair
Israélites,
de leur prépuce 7 Tout enfant mâle doit être circoncis le huitième
.

jour, que ce soit un fils d'Hébreu ou un esclave acheté ou né dans la


maison 8 . Ainsi l'alliance divine sera dans leur chair en pacte
éternel 9 .

Abrahamaobéi (10). Ses descendants doivent faire de même. Certains


diffèrent l'accompUssement du précepte. Ils n'en ont pas le droit « Ils :

n'y a pas à laisser passer un seul jour en plus des huit jours » (11;.
D'autres vont plus loin; ils sont ^< infidèles à ce commandement » '12);
. ils blasphèment en n'observant pas l'ordonnance de cette loi » (1-3)
« :

ils traitent leur personne comme les Gentils(li,, et ils laissent « leurs

enfants sans circoncision, comme ils sont nés v (15 .Ce sont des fils de
Réliar 16 Ni eux ni leurs fils ne seront des
'
. enfants de l'alliance

1) 2i. —
2i 21. -.'2.
10. 3 22. 12. —
(4} 21. 24; 36, 6. —
{ôj37. où Esaii invoque ce [irétexte jiour violer son serment.
18,

(6) 15, 11. —


(-) 15, 11. '8 15, 12-13. — —
(9, 15, 13. (lO; 15, 23-24. — — 11 15,
25. — (12j 15, 33. —
13 15, 3i.— 14) 15, 3i. (15) 15, 33. —
:i6; 15, 33. —
b04 REVUE BIBLIQUE.

que ie Seigneur a conclue avec Abraham » -A). Ce sont des « enfants


de la corruption » ; il n'y a pas de signe sur eux qu'ils appartiennent
au Seigneur, ils sont destinés à disparaître, à périr, à être déracinés
de la terre, parce qu'ils ont violé l'alliance de leur Dieu (2). Leur
crime est un des plus grands qui se puisse concevoir; il provoquera
une grande colère de la part du Seigneur. Leur erreur est « éternelle »,
irrémissible; « il n'y aura plus pour eux de pardon ni de rémis-
sion ))
(3).

Que les Israélites gardent donc sur eux le signe de l'alliance, sïls
ne veulent pas être déracinés de la terre (i). Ce faisant, ils ne feront
qu'imiter les anges. Car tous les anges de la face et tous les anges de
la sanctification ont été créés circoncis (5;. En ordonnant à Israël de
se circoncire, Dieu l'a fait entrer dans la société de ses anges saints (6).

Qu'ils le gardent éternellement, car « cette loi est pour toutes les
générations, à jamais... C'est une loi éternelle, décrétée et inscrite sur
les tablettes du ciel » iT).

Comme la circoncision est le signe distinctif d'Israël, la célébration


du sabbat est son premier office de peuple prêtre.
Le sabbat ou le repos du septième jour de la semaine a été institué
par Dieu après la création. Il a accompli toute son œuvre en six jours,
et il a sanctifié le septième jour pour tous les siècles, en l'établissant
« comme un signe pour toute son œuvre » 8). Ce jour est donc béni
et saint entre tous les qu'aucun jour de
jours (9). Il est « béni plus
jubilé des jubilés Le Créateur de toutes choses l'a élevé « en
» (10).
bénédiction, en sainteté et en gloire au-dessus de tout jour » (11).
C'est un jour de fête, un jour de règne saint, pour tout Israël, à ja-
mais (12).
peuples pour le célébrer. Dieu a dit,
Israël a été choisientre tous les
en aux anges 13 dès après la création
effet, 1 Voici que je me sépa-
, : (^

rerai un peuple d'entre tousles peuples, et ils observeront le sabbat...


Et j'ai élu la race de Jacob entre tout ce que j'ai vu, et je l'ai inscrite
pour moi en fils aine, et je l'ai sanctifiée pour moi pour les siècles des
siècles, et je leur montrerai le jour du sabbat, afin qu'en ce (jour) ils

célèbrent le sabbat (en s' abstenant) de tout travail » (14). Plus loin,
lange qui instruit Moïse, remarque que cette faveur n'a été faite qu'à
Israël le Seigneur n'a pas sanctitié de « peuples pour observer le
:

sabbat en ce jour, en dehors d'Israël seul. A lui seul il a ordonné...


d'observer le sabbat sur la terre » !l5).

(1) 15, 26. — (2) 15, 26. — (3} 15. 34. — '4; 15, 28. — (5) 15, 27. — (6) 15, 27. —
(7) 15, 25. — (8} 2, I. 21. — ;'9) 2, 23 et 26. — (10) 2, 30. — (II) 2, 32. — (t2) 50, 9.

— (13) 2, 19. — ;;i4) 2, 20.— (15) 2, 31.


LE LIVRE DES JLBILÈS. 505

La sanctification du sabbat est comme la nonne de la sanctification

d'Israël : « Je les sanctifierai pour moi pour qu'ils soient mon peuple...
comme j'ai sanctifié et je sanctifie pour moi le jour du sabbat » il).
Comme ce jour est ' béni et saint ». ainsi Jacob est « béni et saint, et
celui-ci est avec celui-là pour la sanctification et pour la bénédic-
tion » (2^. Et il a été donné à Jacob et à ses descendants « d'être tous
les jours les bénis et les saints du premier témoignage et de la (pre-
mièrej loi, comme (Dieu) a sanctifié et béni le jour du sabbat dans le
septième jour » 3).

Le pays babité par Israël doit célébrer lui aussi le sabbat à sa façon,
e'est-à-dire par le repos tous les sept ans (ii, selon les indications
donnéespar un ange à Moïse sur le mont Sinaï (5) : « Et la terre aussi
célébrera ses saijbats tant que vouslbabiterez» (6i. Usemble même que
toutes les créatures doiventparticiper àsa célébration. ' Le Seigneur fit
le septième jour saint pour toutes les créatures » 7 .Mais ilfaut entendre
ces mots de toutes les créatures qui dépendent d'Israël ici-bas, car
les Gentils ne sont certainement pas appelés à cet bonneur Dieu n'a :

pas sanctifié de « peuples pour observer le sabbat... en dehors


d'Israël » (8). Au ciel, les anges inférieurs en sont exclus 9 .

L'observation dusabbat consiste à passer ce jour « en mangeant, en


buvant et en bénissant celui qui a tout créé » (10 , et surtout à ne pas
faire en lui œuvre quelconque, pour ne pas le profaner 11 D'après .

le précepte du sabbat et toute la législation de ses prescriptions que


lange a écrits pour Moïse 12) et qu il lui a ordonné de communiquer 1

aux enfants d'Israël (13;, ceux-ci doivent s'abstenir rigoureusement


du travail, aux champs, à la maison, ou ailleurs li et enaénéral de i
,

tout travail quel qu'il soit, aucun ne convient 15 Us ne feront même '
.

pas leur bon plaisir 16), Non seulement ils ne travailleront pas eux-
mêmes, mais ils ne feront travailler ni leurs enfants, ni leurs serWteurs
et leurs servantes, ni leur bétail, ni l'étranger qui est chez eux 17 Le ; .

jour dusabbat, ils n'allumeront pas de feu 18 ils ne puiseront pas ,

d'eau 19 ils ne prépareront rien de ce qui se mansre et se boit (20 mais


, .

ils auront soin de préparer des aliments la veille, le sixième jour (21 .

Us ne pourront rien appoi-ter ou emporter de maison en maison (22),


pas même soulever un objet pour le porter (23 pas môme charger un ,

animal 2i^. Us n'ont pas le droit d'aller en voyage 25 .Us iront jusqu'à

(1) 2, 19. — 2) 2,23. — '3) 2, 24. — (4] Voir Léfitique, 25 et 26. 34. 43. — ',5, 50. 2 :

cf. 7, 35-38. — (6) 50, 3. — (7) 2. 25. — ^8) 2, 31. — (9; 2. 18. — (10; 2. 21; cf. 2. 31
et 50. 9. — (11 2, 20. — (12 50. 6. — ;i3; 2. .'.9. — (14) 50, 12. — 15) 2, 29. —
(16, 2. .29. — 'ITj 50. 7. — ;i8j 50. 12. — 1
19 i
50, 8. — :20, 2, 29. — (21 1 2, 29 : 50, 9.
— (22; 2, 30 ; 50, 8. — 23) 50, 8. — ;24) 50, 12. — 25; 50, 12.
o06 REVUE BTBLIQŒ.

se garder de déclarer qu'ils veulent travailler en ce jour afin de se


mettre en route pour toute sorte de vente ou achat 1). Beaucoup de
plaisirs honnêtes leur sont interdits : les relations conjugales (2), la

chasse, lapêche(3 ,de même les mortifications excessives, telles que le


jeûne (i;, qui iraient directement à rencontre du précepte de manger,
boire et se réjouir le jour du sabbat. Enfin, il est défendu de frapper,

tuer ou immoler un animal ou un oiseau » et de faire la guerre (5),


«

tout cela indistinctement sous peine de mort (6). Les seules œuvres
permises en ce jour saint sont des œuvres de religion ' brûler de :

Tencens, offrir un présent et un sacrifice devant le Seigneur... Cette


seule œuvre doit être accomplie le jour du sabbat, dans le sanctuaire
du Seigneur votre Dieu • 7.
La loi du sabbat est écrite sur les tablettes que Dieu a données à
Tange qui dicte à Moïse. Le temps ne la pas abrogée elle est tou- ;

jours en ^'igueur, car « elle a été donnée aux enfants d'Israël en loi
éternelle pour leurs générations » 8 .

En ordonnant à Israël qu'il se repose, boive et mange et se rassasie


en ce jour de fête, Dieu lui a fait un grand honneur 9). qu'il partage
avec le Seigneur même et avec ses anges. Après que le Créateur a « ac-
compli sou œuvre et tout ce qu'il a créé », il a le premier « chômé le
septième jour il a appelé ses anges, mais les anges supé-
» 10). Puis
rieurs seulement, les deux grandes classes », à célébrer le sabbat
«

avec lui. Il nous donna un grand signe, le jour du sabbat, dit l'ange
»

à Moïse, pour que nous fassions œuvre pendant six jours, et que nous
gardions le sabbat le septième jour, en nousabstenant de toute œuvre.
Et à tous les anges de la face et à tous les anges de la sanctification, les
deux grandes classes (d'anges) il nous a ordonné ceci de célébrer le , :

sabbat avec lui dans le ciel et sur la terre » (11). Nous lavons donc
observé « dans les cieux, avant qu'il soit notifié à toute chair d'a-
voir à garder le sabbat en ce jour sur la terre 1*2 . Maintenant.

(r 50, S. — (2) 50,50. 12.


8. —(4) 50, 12.
(3] (5; 50. 12. —
:6; 50, 13. — —
(T 50. 10-11. — Je donnerai
dans les notes de )a traduction des chapitres 2 et 50 les
références aux passages parallèles de la Bible. Il suffît de remarquer ici que la législation
mosaïque ne connaît pas la prohibition des relations conjugales, la défense de puiser de l'eau,
de chasser, de pêcher, daller en voyage, de déclarer qu'on veut travailler. Pour celle de
faire la guerre, qui coula si cher parfois au peuple juif, voir 1 Macchabées, 2. 32. 38. 41 9.34, ;

43; 11 Macchabées, 5, 25: 15. 1. Sur l'holocauste du sabbat, v. II Esdras. 10. 33. Cf. Ronsch,
Dax lUuh der Jubiloen, 1874. p. .jIO-512,. sur l'observance du sabbat d'après la Bible, la
Mischna et lesJi;/)î7e5,- Béer, Das Buch der JuhiUien. 1856. p. 39 et 53, sur les observances
sabbatiques des Jubilés et la tradition juive.

(8) 2. 33. — 50.


(9 10.— (lo; 2, 1. — (11 2, 17-18.
(12) 2. 30. — Durant la 2' semaine du inonde, les anges amènent à Adam les animaux de
LE LIVRE DES JUBILES. 507

les enfants d'Israël doivent l'observer, « eux aussi avec nous » (1 .

S'ils le font, ils seront « saints et bénis tous les jours - comme les
anges ne seront pas déracinés de la terre (3). Au contraire,
(2), et ils

s'ils négligent sabbat dans l'aberration de leur cœur i), comme


le

ils paraissent le faire au temps présent ô;, ils mourront. L'homme


qui fait n'importe laquelle des œuvres prohibées le jour du sabbat
doit mourir « à jamais » (6 parce qu il a profané le jour saint du
,

Seig-neur 7)

2. — Dieff, la création et la révélation.

Le vrai Dieu est saint, tidèle et juste par-dessus tous. Il n'y a pas
chez lui d'acception de personne, et il ne reçoit pas de présent corrup-
teur 8 Son nom est célébré, glorifié, grand, splendide, admiralïle
.

et puissant '9).

L'auteur a une telle idée de sa sainteté et de sa dignité qu'il attribue


délibérément à des anges ou même à des démons, certaines actions
(|ui ont Dieu pour auteur dans la Bible, mais qui lui paraissent incom-
patibles avec sa perfection 10). Le même souci,ou peut-être la crainte
défavoriser l'anthropomorphisme, lui fait omettre complètement h*
récit de la lutte de Jacob avec le Seigneur 11).
11 lui donne les titres de Créateur ;12; . Créateur de toutes choses '^^^1
3),
Dieudes'dieux! li :, Dieu des esprits de toute chair (15 Dieudu ciel 1, (16),
Dieu éternel (17), Dieu tout-puissant 18!, Seigneur de justice
'19),

Dieu de justice '20,, Dieu des siècles (21), Seigneur de tous les siè-
cles (22), Dieu de Sem (23), Dieu d'Abraham (24). Dieu d'Abraham
et d'Isaac (25 , Dieu d'Isaac '26), Dieu d'Israël (27), Dieu de tout (28)
et surtout celui de Dieu très-haut (29).
Bien qu'il parle assez souvent du ciel, surtout à propos des anges
et des tablettes sur lesquelles sont inscrits les préceptes divins, cepen-
dant ne semble pas en faire l'unique séjour de Dieu. A cet égard, on
il

dirait qu'il partage parfois les vues de 1 auteur d'un texte interpolé

la création pendant six jours seulement ; de son côté, Adam ne travaille à nommer ces
animaux puis Eve que pendant les mêmes six jours, 3, 1-6.
(i; 2, 21. — Z] 1, 27
(2j 2, 28. —
(4) 2, 29. 5) 23, 19. — (6) 50. 13; 2, 27. — — —
1 , 2, 25, 27. —
21, 4. (9j 36, 7.
8j — —
(10) Voir plus haut, p. 336 à 338.
(11) 32, 24-32. Bohn, Theologischc Studien und Kriliken, 1900, p. 170, est d'un avis op-
posé. Il estime que la raison de cette omission est tout autre, et que l'auteur ne redoutait
pas les anthropomorphismes.
(12) 7, 20; 10, 8; 16, 26; 22, 6. —(13) 2, 31, 32: 11, 17; 17. 3; 22, i, 45. 5.
(14) 8, 20; 23, 1.— (15)10, 3.— (16) 12,4; 20, 7.— (l7) 13, 8. —(18)15, 3; 27. 11.
— (19) 25, 15. —
(20) 25, 21. (21) 25, 15. —
(22 31. 13. (23) 8. 18. —
(24^ 45, 3. — —
— (25) 44, 5.— (26) 45, 3. (27) 45, 3. —
(28) 22, 10, 27 —
30. 19 31, 13. 32. (29) 7, ; : —
508 REVUE BIBLIQLE.

dans le Livre des paraboles d'Hcnoch (1). Pour lui. le séjour, du moins
le séjour provisoire (2) de Dieu, de ses anges et de ses élus est aussi, à
l'occasion, le jardin d'Éden, qui est le lieu le plus sacré de la terre (3).
C'est là que les anges conduisent le juste Hénoch pour le glorifier et
l'honorer. Il y écrit ses livres sur le jugement et le châtiment du
monde et toute la malice des enfants des hommes (4). Dieu amène
néanmoins son déluge sur l'Eden, d'après un verset assez obscur (5 .

mais il n'est pas détruit pourcela. Lors du partage de la terre entre les
fils de Noé, à la sortie de l'arche, il est compris dans" le lot de Sem (6),
et Noé sait, évidemment par révélation, » que le jardin d'Eden est
le saint des saints, parce qu'il est la demeure du Seigneur " (7).
Il va eu ou il y aura plusieurs créations. Les passages dans lesquels

l'auteur des Jubilés expose ses théories sur ce sujet sont malheureuse-
ment altérés en partie ou déplacés. Autant qu'on en peut juger malgré
l'état du texte, il distingue deux créations ou, plus exactement, une

création et un renouvellement de la création. La première est la


création du monde actuel, celle qui est racontée dans la Genèse, i et ii,
et dans les Jubilés, ii, 1-ii; il l'appelle simplement «la création » (8.
Dans cette création, Dieu a créé le ciel, la terre et toutes choses en-
semble '9), après les avoir préparées dans son intelligence (10). lia tout
créé par sa parole 11) et par son bon plaisir (12).
La seconde ou nouvelle création aura lieu à la fin des temps, dans
le royaume messianique (13).

36; 12. 19. 13. IG. 16. 18, '.>: 20. 9; 21, 20, 22, 23, 2.j; 22,
-li); : G, 11, 13. 19, 23, 27;
25, 3, 1 1 , 21 ;32, 1 39. <1.
27, 15 ; ;

(1) Cf. François Martin, Le Livre d'Hcnoch, 1906. p. xxxv.

(2) Voir plus loin le royaume. :

(3) 3. 12 et 4, 26. 'X 4, 21 et 23. — (â 4, 2'«. — — ^6. 8. 16. — ;:} 8. 19. — (8 1,


29. — (9) 2, 1-14, 25; 32, 18; 36, 7. (tO, 2, 2. — — (11) 12, 4. — (12) 16, 26.

(13) Voir p. 5?6. Charles, 7 lie Rook of Jubllees... iranslated, 1902, p. 10, note sur 1,29,
croit découvrir dans les Jubiles trois nouvelles créations. Celle de la lin des temps serait la

troisième. La première aurait eu lieu après le déluge et le châtiment des mauvais anges ou
veilleurs. Lorsque le Seigneur eut exterminé l'Iiomme et toute chair, à l'exceplioa de Noé, 5,
4-5, et qu'il eut châtié tous les pervers, 5, 11. « il lit pour toutes ses «vavres une nature
nouvelle et droite, afin qu'elles ne commissent plus le crime dans toute leur nature jusqu'à

réternité, et pour que tous fussent justes, chacun selon son espèce », 5, 12. Mais ce ver- —
.sel se trouve au milieu du récit de la condamnation des veilleurs et des hommes, 5, 11 et
13, qu'il coupe d'une façon tout à fait inattendue. En outre, après le déluge, les descen-
dants de Noë n'ont pas lardé à commettre l'iniquité. 10, 1-2, etc. Ce verset n'est donc
pas à sa place: dans le texte primitif, il devait faire partie du tableau de la lin des temps:
par conséquent, il ne traite pas d'une création distincte de celle qui aura lieu alors.
La deuxième (( nouvelle création » coïnciderait avec la fondation de la communauté

juive par Jacob, qui devrait, d'après 19, 25, fonder le ciel, affermir la terre et renouveler
les luminaires. —
Mais celte prophétie d'.\braham ne porte pas sur Jacob lui-même; elle
porte sur ses descendants « Dans sa race sera béni mon nom et le nom de mes pères, dit
:

Abrabam..., et eux sont destinés à fonder le ciel et à affermir la terre et renouveler tous
LE LIVRE DES JUBILES. 309

Le monde une fois créé, Dieu ne Ta pas abandonné à lui-même. Il

l'a dirigé et le dirige tous les jours par les esprits ou par les anges 1 j.

Il dirige même en personne et sans intermédiaire le peuple élu d'Is-


raël (2). Tous les événements du monde sont connus de Dieu à Ta-
vance ''3 et, dans une certaine mesure, prédéterminés par lui i).
Les plus importants, surtout ceux qui concernent Israël, sont inscrits
sur les tablettes du ciel. Tels, le nom qui sera donné au fils et héritier
d'Abraham (5\ et l'histoire d'Israël tout entière dont un ange mon-
tre à Jacob les sept tablettes quil apporte du ciel. Tout arrivera selon
ce que Jacob y a vu et lu (6). Tels encore l'avènement du royaume
messianique T , le bonheur et la gloire promis à Lévi et à Juda par

la bénédiction d'isaac 8 .

Sur ces tablettes aussi, sont inscrits tous les préceptes que Dieu a
donnés à son peuple, à ceu.x qui connaissent le droit de la loi (9).
Nous avons vu, à propos des observances légales, l'usage continuel que
faitnotre auteur de cette idée des tablettes célestes. Elle lui a été sug-
gérée sans doute par la parole de lahveh à Moïse « Monte vers moi :

sur la montagne et restes-y je te donnerai les tables de pierre, la loi et ;

les préceptes quepour leur instruction


j'ai écrits ;10 Les tablettes .

du ciel contiennent, selon lui, la loi de la purification (11); le précepte


de se couvrir (12) ; la peine portée contre les meurtriers (13) ; la loi

du talion iï): l'institution de la fête des Semaines 15 . des commémo-


raisons des quatre-tempsil6i.de la fête des Tabernacles 17', du jour de
l'Addition (18) et de la commémoraison du sacrifice d"Abrahannl9); les
règles du véritable calendrier ou de la division des jours 20 ;
la loi de
la circoncision;2i); l'interdiction do marier la cadette avant rainée(22);

les luminaires », 19. 24-25. Il s'agit donc « des temps du salut, et non pas. comme le

veut Charles, d'une époque nouvelle inaugurée par Jacob o, dit avec raison le P. La-
grange, Le Messianis))U' chez- les Juifs, 1909, p. 149, noie 3.

Charles allègue encore 2, 23 y a vingt-deux patriarches depuis Adam jusqu'à Ja-


: « 11

cob, et vingt-deux espèces d'œuvres ont été faites jusqu'au septième jour ». Ce passage
montre que l'auteur a vu un moyen d'exalter Israël dans le double rapprochement qu'il
imagine entre le nombre des iK-uvres de Dieu et celui des Patriarches, et entre le couron-
nement de la création et la venue de Jacob. Mais il ne prouve pas qu'il place une nou-
velle création au temps de Jacob. Il ne contient pas un mot sur ce sujet, pas plus qu'il
n'y est fait allusion dans toute la suite de l'apocryphe. En d'autres termes, la fondation
par Jacob du peuple élu de EKeu est assurément une date très mémorable. Rien n'indique
cependant qu'elle coïncide avec un renouvellement de la nature.

(1) Voir p. :.lû-5l4 : les anges et les démons. — 2) 15, 32. — (3; 4, 19. —(4; 16, 3.

— 16, 3.
(5]

(6) 32, 21-24. Cf. Sagesse, 10. 10 C'est la sagesse « qui lui montra à Jacob' le royaume
:

de Dieu et lui donna la science des choses saintes ».


(7) 23, .32. —
(8) 31, 32. (9; 3. —
31. —(10} Exode, 24, 12. 111)3, 10. il2 3, — —
3i; —(13)4. 5-6. —
(14)4, 32. - (15) 6. 17. (16^ 6, 29. (17) 16. 28-29. (18) 32, 28. — — —
— (19) 18, 19. — (20) 6, 35. — (21) 15, 25. — (22) 28, 6.
510 REVUE BIBLIQUE.

le châtiment de l'adultère il), de ceux qui souillent Israël par leur


impureté (2) et de l'inceste ^3); la loi de la dime (i); les ordon-
nances du sabbat (5).
Dieu n'a pas fait connaître aux hommes tout d'un coup ses préceptes
et sa volonté. Sa révélation a été progressive. Au temps des fils de
Jacob, par exemple, le droit et la loi n'étaient pas encore pleinement
révélés à tous. Ils ne l'ont été qu'aux jours de Moïse (6).
Il les manifeste d'abord et surtout pas ses anges (7), puis par les

songes qu'il envoie la vision en songe est le mode de révélation pré-


:

féré de notre apocryphe. Hénoch voit « dans une vision de son sommeil
cequi a été et ce qui sera, comment cela se passera pour lesenfants des
hommes dans leurs générations, jusqu'au jour du jugement » (8). —
La Genèse avait écrit « 0?i rapporta à Rébecca les paroles d'Ésaii son
:

fils aîné » (9) contre Jacob. Les Jubilés substituent à cette expression
la suivante : « Et les paroles d'Ésaû, son fils aine, furent dites en
songe à Rébecca » 'ylO). Elle apprend aussi par un songe le jour de
sa mort (11). — C'est encore dans un songe que Jacob reçoit les ins-

tructions divines relatives à son retour en Canaan (12), et que Laban


s'entend défendre par le Seigneur de faire du mal à Jacob (13). —
Les glorieuses destinées de Lévi lui sont révélées dans un songe, à Ré-
thel (14) . —
Les tablettes de Thistoire l'Israël sont communiquées par
un ange à Jacob, dans une vision de nuit (15). Enfin, c'est dans —
un songe, que les anges annoncent à Juda qu'il a obtenu le pardon
de son crime (16 j.

3. — Anges et dhnons.

Les anges jouent un rôle capital dans les conceptions théologiques


de l'auteur des Jubilés : ils sont Fanneau qui relie Dieu au monde. Ses
vues sont apparentées, à certains égards, à celles des auteurs des di-
verses parties du Livre d' Hénoch. Néanmoins, elles présentent dans
leur ensemble un caractère original, et. malgré leurs incohérences
et leurs obscurités, elles forment un système plus homogène que les
théories éparses dans l'apocryphe d'IIénooh.
Lesanges ont été créés le premier jour 17], mais après le ciel, la terre (^

et les eaux (18). Us sont répartis en trois classes les anges de la face, :

(1) 39, 6. — (2) 30, 9. — [3) 33, 10-12. — (4) 32, 10, 15. — (:.) 50, 13. — (6) 33, Iti.

— (7} Voir p. .".13. — (8) 4. 19. — faj Genèse, 27, 42. — (10) 27, 1. — (11); 35, 6. —
(12) 29, 3.
(13) 29, 0. Ces deux songes, de Jacob et de Laban , sont rapportés dans la Genèse, 31,
10-13 et 23-24. — (14) 32, 32, 21.
1. — (15) — (1»;) 41, 24. — (17; 2, 2.
(18) Sur la création des anges avant ou après le monde daprès les Pères, voir l'article de
LE LIVRE DES JLHILES. 311

lesanses de la sanctification et les anges qui président aux éléments


ou en général aux œuvres de Dieu. Les anges de la troisième classe
portent le nom d'anges de tel ou tel esprit (1) ou même d'esprits ,2),
comme dans quelques chapitres du Livre dHénoch 3). Ils compren-
nent les anges de l'esprit du vent, les anges de l'esprit des nuages,
des ténèbres, de la neige, de la grêle et de la gelée, ceux des sons.
des tonnerres et des éclairs, les anges des esprits du froid et de la cha-
leur, de l'hiver,du printemps, du temps de la moisson et de l'été, et
d'un mot lesles esprits des œuvres de Dieu qui sont dans
anges de tous
lescieux ou sur la terre (i). Ce sont des anges inférieurs. En dehors de
la direction des éléments, les Jubilés ne les mentionnent qu'une fois :

ils leur prêtent encore le rôle de gouverneurs des nations. Car Dieu a
donné pouvoir à des esprits sur tous les peuples, à l'exception du
peuple d'Israël. Sur celui-là. donné pouvoir ni à un ange ni à
il n'a
un esprit : lui seul est son chef, il le guide, et il le requiert de la main
de ses anges et de la main de ses esprits et de la main de toutes ses
puissances (5i.

Les deux premières classes ou « grandes classes » '6 comprennent ^

les anges supérieurs anges de la : face et anges de la sanctification. L;i


dénomination d' anges de la face est empruntée à Isaïe 7

Les <>
.

anges de la sanctification portent parfois le nom de saints ». Dans sa .<

bénédiction de Lévi, Isaac dit expressément « comme les anges de la :

face et comme les saints » 8;. Dans l'histoire d'Asar, c'est un « ange
de Dieu, un des saints » qui apparaît à l'esclave de Sara 9,. Et « tous
les saints du Seigneur approuvent la loi portée contre l'inceste à
propos de Ruben 10 Aux uns et aux autres, le nom d'anges est plus
.

spécialement réservé qu'aux esprits. Par conséquent, il faut leur at-


tribuer tout ce qui est dit des « anges sans autre précision. ••

G. Bareille, au mot ange, dans Vacant-Mangenot, Dictionnaire de théologie catholique,


fasc. la suite d'Origène, la grande majorité des Pères grecs ou latins
5. 1901. col. 1193-1 193: à
aadmis que les anges ont été créés avant le monde. Mais quelques-uns. comme saint Épiphane,
estiment que les anges ont été créés avant les astres seulement, non avant le ciel et la terre,
ou même comme Gennade De ecclesiasticis dogtnaiibus, ±0. P. £., t. XLII, col. 1215^ qu'ils
ont été créés après le ciel, la terre et l'eau, tout comme dans les Jubilés.
(1) 2, 2.
(2; 1, 25 : « Tous les anges et tous les esprits sauront et reconnailronl ". etc.

3; Même flottement, en effet, dans cet apocryphe: voir Framois Martin, Le Livre d'Hénoch,
p. xxin.

(4) 2, 2. Les attributions des esprits sont les mêmes dan> le Livre d Hénoch, ibidem,
p. XXV
(5; 15, 31-32.
(6, 2, 18. — (7) Isaïe, 63, 9 : « Et l'ange de sa face les a sauvés ». — '8 31. ij. —
v9) 17, 11. — (10} 33, 12.
312 REVUE BIBLIQUE.

Bien qu'ils soient au-dessus des " esprits », ils semblent doués d'un
corps, car ils entêté créés circoncis : « telle a été leur nature depuis le
jour de la création » (1). Cette supériorité d'un être corporel sur un
être tout spirituel n'est pas pour déconcerter la pensée juive, qui avait
imaginé l'histoire des veilleurs 2'i. f

Leur mission est double louer et servir Dieu au ciel, remplir les :

fonctions de ministres du Très-Haut sur la terre et dans les enfers,


auprès des hommes et auprès des anges déchus (3\
Dieu les a créés tout exprès pour servir devant lui (i). A peine ont-
ils reçu l'existence qu'ils ont vu l'œuvre du Seigneur, l'ont béni et

ont chanté des louanges en sa présence sur toutes ses œuvres (5). Us
forment la société de Dieu, le Seigneur leur communique ses projets (6).
De leur côté, ils doivent le servir, exactement comme feront les lévites
après l'institution du sacerdoce (7), et faire œuvre au ciel pendant
six jours de la semaine (8 Mais le septième jour, le sabbat, leur a été
.

donné comme un grand signe pour qu'ils le gardent en s'abstenant en


ce jour de tout travail à l'instar du Seigneur (9) et en célébrant ce
saint jour avec lui dans le ciel et sur la terre (10). Pour le sabbat
comme pour la circoncision, ils sont les modèles célestes donnés par
Dieu à Israël (11). Ilenest de même pour la fête des Semaines, qui a été
célébrée dans le ciel longtemps avant de l'être sur la terre. « depuis
le jour de la création jusqu'aux jours de Noé » (^12). A l'occasion, ils

accompagnent le Seigneur quand il descend sur là terre lorsqu'il a :

voulu voir la ville et la tour de Babel pour en confondre les construc-

(1) 15. 'il. — G. Bareille. op. cit., coU 119Ô-1200, résume les opinions des Pères sur la

nature des anges. Plusieurs, sous l'influence du Livre d'Hcnoch, ont admis la corporelle des
anges. Toutefois, Tertullien explique, De carne Cfirisli. 6. P.L., t. II, col. 764-765, que ce
n'est pas une corporelle grossière comme la nôtre, et, pour Origène, l'ange n'est pas précisé-
ment un corps mais un esprit uni à un corps très sublii. In Joan., c. 13. 'S3, 34, P. G.,
t. XIV, co!. 4.'i7: In Matlh., c. 17, 30, P. G., t. XIII, col. 1570. elc. Cette opinion perdit —
à peu près tous ses pariisans à partir du quatrième concile de Latran (1215). La doctrine de
l'Église est. en effet, que les anges sont des esprits sans corps même éthéré (Vacant, ibidem,
col. 1227 et coi. 1268).

(2) Voir le Livre d' H énoch , ch. 6-16.


(3) Cette doctrine est conforme, dans ses grandes lignes, à celle des Saintes Écritures, d'après
laquelle les anges forment la cour du Très-Haut, Job, 1.6: 2. l;Tobie, 12, — l'entou-
15, etc.

rent et le servent, Daniel, 6, 10; Isa'ie, 6, 3; Apocalypse. 7, 11 ; 8, 3. etc. — exécutent ses


décrets auprès des créatures, Genèse, 16, 7; Nombres, 22, 22; Juges. 2, 1: II Rois, 24, 6:

I Maccb.,7,4t; Matlh.. 1, 20:2, 13: Luc, 1, 11, 26, etc. —combattent le démon pour défen-
dre l'Église du Christ, .\pocalypse, 12. 7. Voir pour références plus complètes Vacanl. —
art. Anges d'après la :Sainte Écriture, dans Vacant-Mangenot, Dictionnaire de théologie
catholique, fascicule 5, 1901, col. 1189-1192.
(4) 2, 2. — (5,1 2, 3. — (6) 2, 19 ; 3, 4.

(7) 30, 18: 31. 14. _ (8) 2, 17; cL 3, 1. — (9) 2, 1, 17. — (10) 2, 18. —(Il) 2, 21 ,

15, 27. — (12i 6, 18.


r.E LIVRE DES JUBILES. 513

teiirs, il leur a dit : ' Allons, descendons et confondons leurs langues »,


et ils sont descendus avec lui (1).
Comme ministres de Dieu, anges ne régissent pas eux-mêmes
si les

Israël, pas plus que ne font les esprits, cependant ils communiquent
les révélations du Seigneur aux Patriarches ou à Moïse. Ils montrent à
Hénoch, qui reste avec eux pendant six jubilés d'années, tout ce qui est
sur la terre et dans les cieux (2), surtout le calendrier 3). Ils disent
I à Noé tous les remèdes aux maux apportés sur la terre par les dé-
mons dévoilent leurs séductions et lui en enseignent la gué-
(4), lui
rison par les plantes (5). Un ange de la face découvre à Abraham ses
hautes destinées (6) puis lui apprend la langue de la création, l'hébreu,
oublié par les hommes depuis le jour de la chute de Babel (7). Des
anges lui annoncent, ainsi qu'à Sara, la prochaine naissance d'Isaac(8),
qui sera la tige d'une race sainte, part du Seigneur (9). C'est un ange
qui remet à Jacob les tablettes de Fliistoirc disraël, lui en donne
l'intelligence et lui prédit sa mort en Egypte et son ensevehssement
en Canaan (10). Juda apprend des anges qu'il a obtenu par sa pé-
nitence le pardon de son crime (11 j, et que sa descendance vivra parce
que ses lils n'ont pas connu Thamar(12). Le même ange de la face,
qui a révélé à Abraham les desseins de Dieu sur lui, écrit plus tard
pour Moïse le livre de la première loi 13), c'est-à-dire le Pentateuque,
puis il lui dicte ou lui communique de la part du Seigneur et d'après
les tablettes du ciel les Jubilés eux-mêmes ou l'histoire de ce qui arri-
vera dans toute la division des jours, depuis la création jusqii'à l'éta-
Idissement du royaume messianique (l'i-).ll lui fait connaître spéciale-
ment les jours des sabbats et leurs ordonnances (15), ainsi que les
lois du temps et le temps selon la division de ses jours (16), l'interdiction

du mariage de la cadette avant celui del'ainée (lT),et en général les


observances légales à inculquer aux Israélites.
Les anges portent également les ordres divins et les font exécuter à
I
l'homme. Pendant la seconde semaine du monde, ils amènent successi-
vement à Adam toutesles hôtes sauvages et tous les animaux domesti-
ques pour qu'il leur donne un nom (18). Us conduisent ensuite Adam
d'abord (19), puis Eve, après sa purihcation, dansle jardin d'Éden (20'.
Là, ils donnent du travail à Adam, et ils lui apprennent tout ce qui

(1) 10, '^2,23. Deuléronome, 33. 3


Cf. Tous les saints sont dans ta main, ils sont
: .<

assis à tes pieds, et chacun recueille la parole )>.


(2; 4, 21. —
(3) 4, 18. —(4) 10, 10. - [b) 10, 12-13. (6, 12, 22-24. — (7) 12. 2.-.- —
27. — (8) 16, 1-4. —
(9; 16, 15-19.— (10) 32, 21-24. [il] 41, 2i. — (12) 41, 27. — —
(13) 6, 22; cf. 30, 12. —
;i4 1, 26, 27; cf. 2, 1. (l.^: 50. 1, 6. — —
:i6) 50, 13.— (l/j 28.
6-7. — (18) 3, 1-2. — (19j 3, 9. — (20) 3, 12.

KEVUE BIBLIOUE 1911. — N. S., T. VIII. 33


514 REVUE BIBLIQUE.

touche à l'agriculture {!). Ce sont eux encore qu enlèvent Hénoch


du milieu des enfants des hommes pour le conduire dans le jardin
d'Éden(2). Quand Noé est sur le point de s'enfermer dans l'arche, ils
lui amènent tous les êtres quil doit sauver avec lui (3). Le par-
tage légitime de la terre par Noé entre ses trois fils se fait en leur
présence (i). Ils reçoivent l'ordre de retenir le bras d'Abraham au
moment où il va immoler sonfils (5) et d'éprouver sa patience à l'occasion
de la mortde Sara (6,-. Comme ils ont fait avec Noé, ils concluent une
alliance avec Abraham de la part du Seigneur (7). Ils empêchent
Jacob d'élever un sanctuaire à Béthel (8i. Ils permettent à Israël de
s'emparer des richesses des Égyptiens en compensation de l'esclavage
auquel ceux-ci l'ont réduit si longtemps (9^.
Les envoyés célestes ont encore le devoir de veiller sur les hommes,
non seulement sur des justes plus chers à Dieu (10) et dans quelques
circonstances extraordinaires, — comme lorsqu'ils vont sauver Lot de
la catastrophe de Sodome (11), consoler Agar et l'arracher à son dé-
sespoir 12), déjouer les noirs desseins du prince des démons contre
Moïse '13) ou contre le peuple élu (li), délivrer les Israélitespar l'anéan-
tissement des Égyptiens (15i, guider la marche d'Israël dans le dé-
sert (16) , — mais sur tous les hommes, d'une manière habituelle et per-
manente. Tout homme, semble-t-il, a son ange gardien qui le protège
et le défend contre ses ennemis. Les plus méchants en sont pourvus,
et Ésati, malgré toute sa perversité, a le sien tout comme Jacob. Seu-
lement, l'ange gardien de Jacob est plus grand, plus puissant et
plus honoré que celui d'Ésaii (17).
Ils rendent à Dieu uu compte fidèle de leurs missions pour les

pécheurs comme pour les justes. Touteslesfois qu'ils reviennent devant


lui, ils lui font connaître tous les péchés qui se commettent dans le ciel

et sur la terre, dans les ténèbres, partout (18 et ils


danslalumière et ,

célèbrent en sa présence les actes des Israélites fidèles, qui leur sont
bien connus (19) Ainsi, ils bénissent à jamais Abraham pour avoir célé-
.

bré en son temps la fête des Tabernacles (20); leurs voix se font entendre

(I) 3, 15.— (2)4, 23. —(3)5,23. — (4) 8, 10. — (5) 18. 9-16. — («) 19. 3. — (7) 14,
•20. — 32, 22.
(8) —
(9) 48, 19.

(10) Dans l'Ancien Testament, la croyance à l'existence


d'un ange gardien du Juste est ex-
primée au moins dans Psaumes, 91 iVulg., 90 ll-i:î « Il ordonnera pour toi à ses anges
, :

de te garder dans toutes tes voies, ils te porteront sur leurs mains », etc.
(II) 16, 7. —(12) 17, 11. (13) 48, 4.— —
(14) 48, 9. 13, 16-18. (15) 48, H et 13. —
— (16) 1, 29.

(17) 35. 17. Il est possible cependant que le« protecteur >> de Jacob soit Dieu et celui

d'Esaii le démon.
(18) 4,6. —
(19) 1, 2.J. —
(20) 16, 28.
LE LIVRt: DES JUBILÉS. r.ia

(laus le ciel pour proclamer la fidélité du Patriarche au Seigneur dans


toutes les tribulations 1 : ils se souviennent sans cesse de la glorieuse
conduite de Lévi à Sicliem 2 .

Enlin, comme nous allons le voir, ils exécutent les jugements divins
contre les anges coupables.
Tous les anges n'ont pas été fidèles à leur créateur. Un certain
nombre d'entre eux. ceux qui sont appelés les veilleurs, ont commis
le péché. L'auteur a tiré leur histoire du cycle des apocalvpses
d'Hénoch et de Noé (3 En introduisant les veilleurs dans les clas-
.

ses d'anges créés par Dieu, il lui aurait été facile de la souder à son
œuvre. Il n'a pas pris cette peine ou il n'y a pas pensé; il s'est contenté
d'insérer la légende à peu près telle quelle pour amener le récit du
déluge.
Les anges nommés veilleurs sont donc descendus sur la terre, du
temps de Jared i envoyés par Dieu ;5 pour instruire les entants
,

des hommes
exercer la justice et l'équité sur la terre. Séduits par la
et

beauté des filles des hommes, ils se sont unis à elles pour pécher et se
souiller ^6). Déplus,
ils ont exercé la divination par le soleil, la lune

dans tous les signes du ciel 7


et les étoiles, Leur mauvais exemple et .

leurs enseignements pervers ont fait grandir l'iniquité sur la terre.


Toute chair a corrompu sa voie et ses mœurs, depuis l'homme jus-
qu'aux animaux domestiques aux bêtes sauvages. Les uns et les et

autres se sont mis à se dévorerentre eux, et les pensées de Ihumanité


n'ont pas cessé de s'appliquer au mal (8).
Des fils sont nés aux veilleurs de ces unions illicites. Ce sont les
géants 9). les Naphidim ou Xaphilim et les Elyo. tous dissemblables,
tous occupés à s'entretuer et à se dévorer ou à égorger l'homme 10 .Ils
ont répandu beaucoup de sang et ont péché contre tout ce qui se meut
et marche sur la terre 11).
Dans son irritation, Dieu a exterminé tous les hommes par le déluge,
à l'exception de Noé et de ses enfants anges prévarica- \l-2 . Pour les
teurs, il a ordonné aux anges fidèles de les déraciner de leur puis-
sance et de les enchaîner dans les abîmes de la terre. Ses ordres
ont été exécutés les veilleurs sont enchaînés au milieu des abimes
:

1) 17, 1.5. Le texte ne contient pas cependant le rnola anges]»; il \ est dit seulement : ^ Il

y eut des voix dans les deux au sujet d'Abraham >.. etc.
{'2) 30. 20.

(3, François Martin, Le livre d'Hénoch, 1900. p. lxxix-lxxx, sur les divergences du
Cf.
récit entre Hénoch et les Jubilés ; je signalerai ces divergences en détail dans les notes qui
accompagneront la traduction des Jubilés.
(4 4. 15. — (5j 5. 6. — (6 4, 22. — (7) 8. 3. — (8, 5, 2. — V 5. 1. — ;iOi 7. 22. —
;il 7. 2i. — 12; 5. 4, 5; 7. 25, 26.
ol6 REVUE BIBLIQUE.

et y sont seuls (1) jusqu'à l'éternité, jusqu'au jour du grand jugement


et du châtiment de tous les pécheurs (2).
Mais auparavant ils ont dû assister à l'exécution de leurs enfants
criminels. Un ordre est sorti de devant la face de Dieu pour les frapper
par le glaive et les chasser de sous le ciel (3), et les fils coupables des
mauvais anges se sont mis à s'entr'égorger jusqu'à ce qu'ils fussent
tous tombés par le glaive et détruits de la terre (i).
Il semble cependant qu'ils ne périssent pas tout entiers. Si nous

saisissons bien la pensée de l'auteur, qui manque sur ce point de


cohésion et de clarté, leurs esprits ne sont pas anéantis (5). Ils demeu-
rent et continuent à causer leurs méfaits sous le nom de « démons »,
esprits impurs (6), méchants et pervers (7). Ils sont appelés encore,
mais dans un passage seulement, puissances de Mastêmâ (8), et même
puissances du Seigneur (9). Nous rencontrons aussi à plusieurs re-
prises le nom de Satan il n'y avait pas de Satan en Egypte au :

temps de Joseph (10), et il n'y aura pas de Satan dans le royaume


messianique (11). Mais il se peut que dans ces passages ce mot désigne
tous les « adversaires » possibles des justes plutôt que les démons
seuls. Par contre, dans le récit du châtiment des démons (12), Satan
désigne certainement leur chef.
Le rôle des démons est la contre-partie de celui des anges. Ceux-ci
servent Dieu et sont auprès des hommes les ministres de ses bienfaits.
Les démons servent leur prince et s'emploient à perdre l'homme.
Leur prince porte tour à tour les noms de Béliar (13), de Satan (14)
et surtout de Mastêmâ (15) ou de prince du Mastêmâ (16). C'est lui
qui inspire ou même conduit en personne toutes leurs entrepri-
ses (17). A l'origine, ils se tenaient tous devant lui pour écouter sa
voix et exécuter tout ce qu'il leur disait (18), c'est-à-dire pour
faire aux hommes tout le mal possible, car ils ont été créés pour

(1) 5, 6. —(2) 5, 10. —(3) 5, 7. (4) 5, 9. —


(5) 10. 5. —

(6) 10, 1. Jamais le serpent tentateur d'Eve, dont l'histoire est racontée 3. 17-2.3, n'est

appelé « démon ».

(7) 10, 11. — (8) 49. 2. — ;9) 49, 4. — (10) 40, U ; 46, 2. — (II) 23, 29; 50, 5. —
(12) 10, 11.
U) 10, 11.
(13)1, 20; 15, 33. — (

(l.j) 17. 16 Maslèmà » est l'équivalent de « Satan » et « prince du Mastêmâ »,


; 48, 2. « ;

léquivalent de « piince du Satan », c'esl-à-dire des démons pris collectivement. Le mot


aiaméen Masiémâ, du verbe selam, parait signilier en effet, « celui qui exerce des hostilités »,
tout comme'le mot» salan», voirDilJrnann, Lexicon linguae ne/hiopicae, col. 177; Charles.
The Booli ofJubilees... translated, 1902, p. 80 Littmann, dans Kaulzsch, Die Apokrypheu ;

nnd Pseïid épigraphe a des Allen Testaments, t. Il, p. 58, note f.

.
(16) 18, 9, 12 ; 48, 9, 12, 15 (d'après le texte des manuscrits A et B). — (17) Ibidem.
— 118) 10. 8.
LE LIVKE fiES JUBILÉS. olT

perdre {D. Ils ne se sont que trop bien acquittés de leur mission.
Immédiatement après le déluge, ils ont commencé à séduire les en-
fants de Noé 2 à les égarer et à les perdre 3
,
Ils les ont aveuglés .

et les oût fait errer, ils ont exercé une véritable domination sur tous
les vivants (i) et sont allés jusqu'à faire périr les petits-fils du pa-
triarche (5 Pour mener ce combat contre l'humanité, ils ont em-
.

ployé tontes les ruses, car ils ne marchent pas dans la droiture et ils
ne luttent pas avec loyauté 6 .

Mais le pouvoir des démons n'est pas un pouvoir rival de celui de


Dieu. L'auteur des Jubili^s n'est pas un adepte du dualisme. Il n'y a
qu'un être tout-puissant, le vrai Dieu. Il a créé les démons, comme
tout le reste. Leur prince Mastêmà lui-même l'appelle son créateur 7).
S'ils font le mal, c'est uniquement parce qu'il le permet, pour châtier

la perversité humaine (8,.


Noé a donc recouru à celui-là seul, qui « connaît le châtiment des
démons » (9), pour le supplier de mettre un terme à leurs méfaits,
comme il l'a fait à ceux de leurs ancêtres, les veilleurs, de les en-
fermer et de les tenir de les réduire
dans le lieu du jugement 10 et

à l'impuissance contre les enfants des justes, jusqu'à Fétemité 1 1 .

Le Seigneur a entendu cette prière. Mais comme il venait de donner


à ses anges l'ordre d'enchaîner tous les démons, le prince de ces es-
prits, Mastêmà. s'est présenté devant lui et a prié son « créateur
de lui laisser quelques démons pour exécuter ses ordres. Sinon, a-t-il

ajouté, je ne pourrai pas exercer mon pouvoir sur les enfants des
«

hommes, car ils sont à perdre et à faire errer avant monjugement))'12).


Dieu a acquiescé à sa demande. Il a ordonné à ses anges de laisser
le dixième des démons devant leur pi'ince et d'en faire descendre
neuf dixièmes au lieu du jugement 13 En même temps, il a chargé .

un de ses ministres fidèles d'apprendre à Noé les remèdes contre la


malice et la perfidie des mauvais esprits li .

Les anges ont exécuté ces commandements. Ils ont montré à Noé
les remèdes à tirer des plantes contre les maux et les séductions

exercés parles démons, et ils ont enchaîné dans le lieu du jugement,


loin des fils de Noé. tous les esprits méchants et pervers, un dixième
excepte (15 .

Depuis, les démons continuent, dans la mesure où le permet la

Cl) 10. 3. — (2) 7, 27. — 3 10. 1. — '4i 10. 3, G. — 5' 10, 2. — 6, 10. 10. —
- 10, 8.
(8 Voir p. 520. — Sur la doctrine de la dépendance de Satan à l égard de Dieu, dans Hé-
noc/?, voir Françoi> Martin. Z.*^ Livre d'Hénoch, 1906. p. xxxi.
(9' 10. 6. — •
10 10, 3-.-.. — 11, 10. 6. — (12, 10, 8. — ;i3) 10. 9.— (14) 10, 10.—
15 10. 11.
518 REVUE BIBLIQUE.

réduction de leurs forces, à faire leur œuvre contre les hommes, eu


attendant leur propre jugement (l).Leur prince Mastêmà s'y emploie,
comme eux, de tout son pouvoir. Il ne cesse d'envoyer d'autres esprits.
de ceux qui lui sont restés, au secours de ceux qui travaillent à
commettre toute sorte d'impiété, de péché et de crime sur la terre,
à corrompre, à faire périr, à verser le sang [i]. Lui et les siens
régnent sur pensée du cœur des hommes, des méchants tout au
la
moins, errer loin de Dieu (3). Ils ont poussé les descendants
et les font

de Xoé, au temps d'Our, à adorer les idoles de fonte, les images


sculptées, les simulacres impurs qu'ils s'étaient faits, à commettre le
péché et l'impureté (i). Ce sont eux que les nations adorent encore
sous la figure des idoles (5). Non contents d'inciter les hommes à
ridolàtrie, ils cherchent parfois à les affamer et à les ruiner. Pen-
dant l'enfance d'Abraham, Mastêmà a envoyé des corbeaux qui man-
geaient les semences et dérobaient aux enfants des hommes le fruit
de leurs labeurs 6 .

Mais en somme,
ne réalisent leurs noirs desseins que contre les
ils

nations ou les méchants, deux termes à peu près identiques pour


l'auteur des Jubilés. Dieu a confié sinon aux démons, du moins à des
anges inférieurs, des « esprits » (^7 le gouvernement de tous les ,

païens. Ces esprits les dirigent de telle sorte qu'ils les font errer loin
de Dieu. Il arrive même que les démons frappent ces païens ou ces
méchants non plus seulement par la permission divine mais par ordre
du Seigneur. Ce sont les puissances du Mastêmà, qui comme puis-
sances du Seigneur, ont mis à mort les premiers-nés de toute la terre
d'Egypte, pour châtier et pour vaincre l'endurcissement de Pha-
raon 8). C'est leur prince qui, à la suggestion divine, frappe les
Égyptiens et les précipite dans la mer !9i.

Sur Israël, ils ne peuvent rien directement. Dieu en personne régit


le peuple élu (10), et il en!demande compte à ses esprits et à ses anges,
quels qu'ils soient. Le plus grand de ses « amis », le patriarche
Abraham, ne l'a-t-il pas prié (|ue les esprits de Mastêmà n'aient pas
pouvoir sur Jacob et sur sa race pour l'éloigner du Seigneur, son
Dieu, depuis maintenant jusqu'à l'éternité 11) !

Tout ce que les démons peuvent contre Israël ou contre les justes,
c'est d'exciter contre eux soit les Gentils ou les méchants, soit Dieu
lui-même. Le prince du Mastêmà se présente un jour devant le Sei-
gneur pour accuser Abraham d'aimer Isaac plus que tout « Dis-lui :

(1) 10, 8. — (2V 11. 5. — (3; 12, 20. — (4) 11, 4. — :.; 22, 17. — (6) 11, tl. —
(7) 15, 31. — (8] 49, 2-4. — :9) 48, 17. — (10) 15, 32.— (11) 19, 28.
LE LIVRE DES JUBILES. 519

de l'offrii' en holocauste sur l'autel, et toi tu verras s'il accompKt cette


parole, et tu recomiaitras en tout (1). » C'est donc à
s'il est fidèle
l'instigation du prince des démons que Dieu impose à Abraham l'é-
preuve de l'immolation d'Isaac. Mais Mastèmà est impuissant à agir
contre la fidélité d'Abraham, et il sort de cette tentative couvert de
confusion 2 . Lors de la sortie d'Ég-ypte, il accuse les enfants d'Israël
devant les Egyptiens 3), et il lance ces derniers, avec toutes leurs
forces, à la poursuite du peuple élu i). Moïse, qui a vu de près sa
haine et qui sait sa manœuvre habituelle, supplie le Seigneur de
ne pas permettre que l'esprit de Béliar ait le pouvoir d'accuser Israël
devant lui. pour le détourner perfidement de toute voie de justice <o).
Si les mauvais esprits vont plus loin, s'ils tentent de faire du mal
aux élus de Dieu, les anges sont toujours là pour les arrêtera temps,
pour leur rappeler le caractère précaire et subordonné de leur pou-
voir. L'n ange de la face retient le bras d'Abraham que Mastèmà
avait fait lever sur Isaac 6 Longtemps après, le même ange sauve
.

Moïse des mains du prince des démons, quand il voulait le tuer à son
retour en Egypte \1]. Des anges déjouent les efforts de Mastèmà,
lorsqu'il cherche à faire tomber Moïse dans les mains de Pharaon et
qu'il seconde les incantations des magiciens 8 Grâce à leur inter- .

vention, ceux-ci ne peuvent pas guérir les maux qu'ils ont causés 9;.
Ils s'interposent entre Israël et les Égyptiens pour laisser à Israël le
temps de fuir et neutraliser ainsi les excitations du chef des dé-
mons ^10). Puis, afin que ce même Mastèmà ne puisse pas accuser les
devant leurs oppresseurs
Israélites et les empêcher d'en obtenir des
vêtements et des objets précieux, ils l'enchaînent et le tiennent loin
des enfants d'Israël '^11 .

Ni pour les anges ni pour les démons, les Jubilés, bien différents
en cela du Livre d'Hénoch, ne donnent un seul nom propre, en
dehors, de ceux du prince des mauvais esprits. C'est d'autant plus
étonnant que l'auteur goûte fort d'ordinaire ce genre de précision,
comme nous lavons constaté à propos des femmes des Patriar-
ches (^12).

i. — L'hommç et le péché.

L'homme a été créé pour être heureux. Dieu a fait pour lui la
graisse de la terre; il lui a donné de pouvoir manger et boire dans la

(1) 17, 16. —2) 18, 12. — 3 48, 15. — (4j 48. 12. — ;5i 1, 20. — 6; 18, 9-11. —
{-) 48, 2-4. —(8) 48, y. — ;;:ii 48, lO. — (lO) 48, 13. — 11) 48, 13-18.
(12i Voir plus haut, p. 341.
Ô20 REVUE BIBLIQUE.

joie en bénissant son Créateur (1), et sous sa protection, car il garde le

bon (2).
Aulieu de jouir de son bonheur, l'homme s'est laissé enlacer dans
le péché (3), qui se commet partout, dans le ciel et sur la terre, dans
la lumière et dans les ténèbres (4), à toutes les époques. Au temps de
Noé avant le déluge, toute chair a corrompu sa voie, depuis l'homme
jusqu'aux animaux (5); des anges même ont péché (6). Chacun s'est
vendu pour faire l'iniquité, la terre en a été remplie, et il s'est commis
jusqu'à des fautes contre les bêtes et tout ce qui se meut sur la terre .

Toutes les pensées et tous les désirs de l'homme ont eu pour but la va-
nité et le mal (7).
Après le châtiment des veilleurs et après le déluge, les esprits
mauvais n'ont pas tardé à égarer de nouveau l'humanité (8). Abra-
ham a proclamé que de son tcmps^ toutes les œuvres des hommes
étaient péché et malice, que toutes leurs actions étaient impureté,
perversité et souillure, et qu'il n'y avait pas chez eux de justice. Il a
fortement recommandé à son fils Isaac de ne pas aller dans leurs voies

et de ne pas marcher sur leurs traces pour éviter la colère di-


vine (9).
Les contemporains de l'auteur ne sont pas meilleurs que leurs de-
vanciers, loin de là (10).
Quelle est la source de ce péché universel? Pour les Jubilés^ pas plus
que pour le Livide d'Hénoch, ce n'est pas la faute de nos premiers pa-
rents. Après avoir désobéi à Dieu, leurs veux s'ouvrirent et ils durent
couvrir leur pudeur (11) ils furent chassés du jardin d'Éden (12), qui
;

avait été créé pour le plaisir (13), et condamnés à vivre dans la souf-
france puis à mourir li). Les animaux, qui s'entretenaient tous dans
une seule langue, cessèrent de parler et furent expulsés eux aussi du
jardin d'Éden. Ce sont là les seules suites de la désobéissance
d'Adam et d'Eve.

Le péché vient de la perversité humaine et des tentations des dé-


mons. La perversité humaine est sa principale cause, car si les démons
peuvent exercer leur pouvoir jusqu'au jour du jugement sur les enfants
des hommes, pour les perdre et les faire errer, c'est parce que la per-
versité de ces derniers est fort grande (15).

(1) 22, 6. — (2) 21, 20; cf. 45, 5. — (3) 1, 21. — (4) 4, 6. —(51 5, 2, 3. — (6) voir An-
ges et démons, p. 515. — (7j 7, 23, 24. — (8) 10, 1 et suivants. — (9) 21, 21-22. — (10) 1,
10-14; 23, 9-15: voir Royaume messianique, p. 525. — (11) 3, 21-22. — (12) 3, 17-35. —
(13) 2, 7. — fl4) 3, 28-29.

(15) 10, 8; cf. 11 4, 5. Les /H/n7^s combinent les deux doctrines quon rencontre dans le
Livre d'Hénoch. dont l'une attribue le péchV' aux mauvais anges, l'autre à la malice des
hommes. Voir François yiarlin, Le Livre d'Hihwc/i.f. x.\xi-x\xii.
LE LIVRE DES JUBILES. 521

Les fautes que commettent les hommes n'ont pas toutes la même
gravité. Il yadespécliésd'ignorancei 1 . ou même d'impureté. dont le

au moins le juste d'Israël (2). peut obtenir le pardon. Tout Israël


juste,
demande d'être purifié de ces péchés ou de ces erreurs une fois par
an, le jour de la fête instituée à l'occasion de la disparition de Jo-
seph (3). Le repentir, la pénitence et la prière peuvent même obtenir
au coupable le pardon de crimes très graves, comme le prouve
l'exemple de Juda +).
Mais il y a aussi des « erreurs mortelles » 5 , des erreurs éter-
nelles (6) et des péchés complets de mort » (7).- Ceux-là sont
«

irrémissibles. Tels sont l'omission de la circoncision, l'idolâtrie, le


mariage avec les Gentils. Pour ceux qui les commettent, il n'y a ni
pardon ni rémission 8 aucun espoir sur la terre des vivants '9),
( .

aucune offrande capable d'apaiser Dieu 10 .

Enfin, il est des péchés qui, commis par les pères, retombent sur les
enfants, ou plutôt que les enfants eux-mêmes commettent en la per-
sonnede leur père. Les Jubiiésnen citent qu'un exemple, mais combien
important pour légitimer les revendications d'Israël ! C'est celui de
Cham. Canaan a erré dans le péché de son père, et c'est pour cela que
toute sa race doit être détruite(ll).
Le péché grave a des suites funestes dès ici-bas soit pour l'individu,
soit pour le genre humain tout entier. D'une façon générale, le Seigneur
cache sa face au coupable, le déracine de la terre lui et sa race, fait

disparaître son nom


descendance de sous les cieux i-2
et sa .

L'humanité tout entière doit au péché la diminution de la vie,


même pour les justes 13). Adam ne serait pas mort s'il n'avait pas
péché (14). Tout au moins a-t-il vécu fort long-temps, près de mille
ans (1.5). lien a été de même des hommes qui l'ont suivi jusqu'au déluse.
Ils vivaient en moyenne 19 jubilés ou 931 ans. Après le délug-e, de
nombreuses afflictions et la dépravation de leurs voies ont diminué le
nombre de leurs jubilés. Ils ont été tôt rassasiés de jours 16 . Tout par-
fait qu'il s'est montré dans toutes ses œuvres, et quoiqu'il ait toujours
été agréable au Seigneur, Abraham a vieilli avant d'accomplir i ju-

(1)22, U. —
(2) 5. 17-18. Ces versets ne paraissent pas à leur place. 3i 34, 19. —
— 4;41, 24-25. —
(5i 21, 22. (6) 15, .34. —'") 26, 34. —
(8 15, 34. '9) 22, 22. — —
— (10 30, 16. —
11: 7, 10-13; 22, 21. 12 21, 22. — 1

(13i Les Jubilés Tenveneal la prédiction d'isaïe. 65, 20. sur la longévité dans la Jéru-
salem nouvelle, longévité relative pojr le pécheur lui-même « Il n'v aura plus là de :

jeune enfant né pour peu de jours, ni de vieillard qui n'accomplisse pas le nombre de
ses jours: car ce sera mourir jeune que de mourir centenaire, et c'est à cent ans que la
malédiction atteindra le pécheur » 'trad. Crampon].
(14 3. 25. — (15 4, 30. — (16] 23, 9.
522 REVUE BIBLIQUE.

biles, à hommes. Maintenant, à l'époque


cause de la méchanceté des
où durée delà vie est encore réduite. Les hom-
écrit notre auteur, la
mes sont vieux avant d'atteindre 2 jubilés, ou 98 ans, et si l'un d'eux
atteint 1 jubilé et demi ou 73 ans, on dit qu'il a vécu longtemps (1).
Cette vieillesse précoce a pour corollaires la décrépitude intellectuelle
et l'oubliprématuré de toute science (2). Il en sera ainsi pour toutes
les générations qui se lèveront jusqu'au jour du grand jugement.
Le péché aura encore des suites dans l'au-delà, suites plus graves
que toutes celles que nous venons d'énumérer.

3. — Jugement et rétributions. Royaume messianique et Messie.

Il est tenu en effet dans le ciel, en vue d'un jugement ultérieur, des
registres exacts des actions humaines et de la valeur morale de leurs
auteurs.
Les pécheurs ne sont pas mentionnés sur le < livre de vie » (3), ou
en sont effacés après certains crimes, s'ils y étaient déjà inscrits (4.). Ils

sont effaeés aussi dans des ca-s analogues du <c livre de la correction
des hommes » (5), c'est-à-diredu livre où figurent les noms-
peut-être
de ceux que Dieu corrige pour les ramener à lui. Mais ils sont portés sur
le livre de ceux qui sont condamnés à périr (6), et sur le livre voué à

la destruction (7). Ils sont inscrits sur les tablettes du ciel comme en-
nemis de Dieu (8 leurs fautes sont couchées sur « les livres éter-
1
;

nels » devant le Seigneur (9).


Les justes sont inscrits tout naturellement sur les livres de vie, dont
les pécheurs sont exclus, ou sur les tablettes du ciel. Abraham
figure sur ces tablettes comme ami du Seigneur (10) ; Lévi, comme
ami et juste; et son massacre des Sichémites. comme un témoignage
de bénédiction et de justice (H). Tous les observateurs de la loi y sont
dénommés «^ amis » (l'2l.

Dieu jugera les uns et les autres, car il est l'auteur du jugement (13),
et iljugera par conséquent sur documents authentiques en quelque
les
sorte. Il a déjà jugé les géants, fils des veilleurs coupables, ainsi
que les Sodomites (H), et il a exercé ou exercera encore d'autres juge-
ments particuliers, par exemple contre les Philistins (15), les égyp-
tiens (16), etc. Mais de plus il rendra un jour un jugement général et

définitif.

Ce jugement terrible, c'est surtout en tant que rendu contre les

(1) 23, 10-12. — 23, 11. — 36, 10. —


(2) 30, 22. —
;:î) (4) :,) 36, 10. — (6) 30, 22.
— (7) 36, 10. — 30, 22. — 39, G.—
(8) 19, 9. — (llj 30,
(9) (10) 19, 20. — (12) 30, 21.
— (13) 23, 31. — (14) 20, — (15) 24, 28-33. —
5. 48. (Ifi) 3.
LE LIVRE DES JUBILÉS. 523

pécheurs que l'envisage l'auteur des Jubilés. Il parle très rarement,


dans un seul passage croyons-nous, de la miséricorde que fait l'au-
teur du jugement à des centaines, à des milliers et à tous ceux qui
><

l'aiment » (1). Pour lui. comme pour les auteurs sacrés (2), le mot
('jugement », qu'il s'agisse d'un jugement ou d'un juge- particulier
ment général, est souvent synonyme de « condamnation ou même ><

de « châtiment » (3),
Le jugement général sera rendu le « jour du jugement », c'est-à-
dire, d'après les contextes de cette locution, à la fin du monde (i) ;

le«jour du grand jugement, quand sera infligé un châtiment à tous


ceux qui ont corrompu leurs voies et leurs œuvres devant le Sei-
gneur » (5); le « jour de la perturbation, de la malédiction, de l'in-
dignation et de la colère » (6).
Dieu jugera tous les êtres : « 11 n'est rien dans le ciel et sur la

terre, dans la lumière et dans les ténèbres, dans le schéol et dans les
abimes, et dans le lieu obscur » qui ne doive être jugé. Il les jugera
sur toute chose, « le grand selon sa grandeur, et le petit selon sa

petitesse, et chacun selon sa voie » (7). Les démons seront jugés


comme les hommes
(8), et probablement aussi leurs pères,; les veil-
leurs coupables, qui sont enchaînés en attendant le grand jour (9).
Il n'est pas jusqu'à Satan ou Mastêmà qui ne doive subir ce juge-

ment, qui marquera la fin de son pouvoir et de celui des mauvais


esprits sur les hommes 10).

Le jugement prononcé sera d'une justice absolue. Le Seigneur est


le « saint juge » (11), le juge juste (12) et incorruptible (13,. Une

fait pas acception de personne, et il ne reçoit pas de présents corrup-

teurs. Toutes les richesses de la terre ne le fléchiraient pas (14). C'est


un Dieu qui fait justice de tous ceux qui transgressent ses comman-
dements (15).
La sentence quil rendra est déterminée d'avance. Le jugement de
tous les pécheurs, de tous ceux qui se sont écartés de la voie où il

(1) 23, 31. — (2) Exode, 6. 6:7. 4; 12, 12; Isaïe, 66. 16, etc..
(3) Voilà pourquoi plus d'une fois Charles emploie dans sa traduction le mol « condam-
nation », V. g. 5, 10, là où je crois devoir employer celui de
jugement », qui représente «

exactement le sens primitif des mots éttiiopiens correspondants. Dans quelques cas cependant,
V. g. 7, 29, le contexte impose absolument pour les mêmes mots le sens de condam- «.

nation M.

(4) Voir particulièrement 10, 22 : après la confusion de Babel, les peuples se disperse-
ront, et « il n'y aura plus un dessein unique cliez eux jusqu'au jour du jugement ». Cf. 9,
15; 10, 17; 16,
22, 21. 9;

(5) 5, 10; cf. 23, 11. — {(,) 36. 10. — 5, 14-15. —


.7) {8; 10, 8. — (9) 5, 10. -
(10) 10, 8. —
(11) 10; 32. — (12; 5, 16. — (13) 33, — 18. (14) 5, 16. — (15) 21, 4.
o24 REVLE BIBLIQUE.

leur avait ordonné de marcher est déjà décrété, inscrit et gravé sur
les tablettes du ciel j). Dieu a même fait à son élu Hénoch la

faveur de le lui révéler, et le saint patriarche a consigné dans un


livre le châtiment du monde (2).

En exécution de pécheurs condamnés iront souf-


cette sentence, les
frir dans le « ou
lieude la damnation, où les atten-
du jugement »

dent déjà les anges prévaricateurs (3) et les neuf dixièmes des dé-

mons (i). En plusieurs passages, ce « lieu du jugement » a pour


parallèle ou pour synonyme le sehéol les mangeurs de sang et les :

idolâtres doivent descendre dans le sehéol et se rendre dans le lieu


de la damnation et du châtiment (5). Il est situé dans les abhnes de
la terre (6), ou simplement dans labime 7).
Les Jubilés nous disent peu de chose des tourments qui leur sont
réservés. Nous savons seulement que les ténèbres régnent dans le
sehéol (8), qu'au jour du jugement Dieu « jugera par le glaive et
par le feu ' tout le mal qui aura été commis (9). Il est encore ques-
tion de châtiment par le feu dans les malédictions prononcées par
Isaac contre les mauvais frères, mais il est difticile d'affirmer qu'il
s'agit du châtiment définitif. Là comme ailleurs, il semble que l'au-

teur des Jubilés brouille les perspectives et parle successivement et


sans transition, tantôt d'un jugement particulier contre telle ou telle
classe de pécheurs, tantôt du jugement général et dernier. Sous les

mêmes réserves, ce châtiment quel qu'il soit sera sans fin, de sorte
qu'il « sera dans l'opprobre et dans la ma-
renouvelé tous les jours

lédiction et dans la colère et dans les tourments et dans l'indignation


et dans le châtiment et dans la maladie, à jamais » (10). La malé-

diction descondamnés sera « éternelle » 11 .

Notre apocryphe nous laisse absolument ignorer quels seront les


exécuteurs de la sentence (l-2\ et. ce qui serait beaucoup plus inté-
ressant pour nous, le mode de survivance des pécheurs dans l'au-
delà.
Il ne nous renseigne pas beaucoup mieux sur le mode de survi-

vance des justes et la nature de leur bonheur. Fort probablement, ils


séjournent dans le jardin d'Éden(13), en attendant le jugement.

(1) 5, 13-li. — -i» 4, 23. — (3) 5. 6. 10. — (4) 10, 5, 0. 11. — 5) 7, 29; 22, 22. —
(6' 5, 6, 10.

(7) 7, 29. Voir, sur les conceptions analogues à' Hénoch, Franrois Martin, Le Livre d Hé-
noch, p. XLT.
(8^ 7, 29. — (9) 9, 15, — (xa) 36, 10. — (11] Ibidem.
(12} Le Livre des paraboles d' Hénoch appelle ces exécuteurs les « anges du châtiment»:
voir op. cil., p. XLV.
13) Charles, Apocahjplic Lileralur. dans Cheyne. Encyclopaedia biblica. 1899, pense
LE LIVRE DES JUBILÉS. 525

puisque enlevé Hénoch (1) et que Dieu demeure à


c'est là qu'est

roccasion (2). Avant de mourir, Isaac annonce à ses enfants, sans


plus préciser, qu'il va aller sur le chemin de ses pères « dans la
demeure éternelle » (3). D'autre part, leur inscription sur les ta-
blettes du ciel ou sur le livre de vie suppose manifestement qu'une
vie de félicité les attend après la mort ou au moins après le juge-
ment. Mais en quoi consistera cette félicité? On chercherait en vain
dans les Jubilés une réponse claire et précise à cette question.
Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'elle ne paraît pas distincte, après
le jugement dernier, de celle dont les justes doivent jouir dans le
royaume messianique. En d'autres termes, les Jubilés ne promettent
aux justes qu'une récompense finale, celle du royaume. Nous enten-
dons par là un état de bonheur qui accompagnera la fin du monde,
mais le mot même de « royaume » ne se trouve pas dans les Jubi-
lés, au moins avec ce sens (4). Notre auteur le décrit en deux pas-

sages de quelque étendue, i, 22-29 et xxiii, 11-3J, et en plusieurs


versets isolés, comme égarés dans d'autres contextes iv, 26; v, 12; :

XIX, 25; XXV, 20-21; l, 5. Malheureusement, ses vues sont passable-


ment confuses et incomplètes. Mous essayerons d'y apporter un peu
d'ordre et d'en mettre en relief les lacunes et les obscurités.
L'avènement du royaume sera précédé d'une période d'infidélités
sans égales de la part d'Israël, représenté parla génération perverse
qui pèche en ce moment sur la terre. Ses œuvres sont impureté,
fornication, souillure et abomination (5). Tous agissent mal, toutes
les bouches parlent le crime, toutes les voies sont souillées et cor-
rompues (6j. Les Israélites ont oublié les commandements et l'alliance,
les fêtes, le mois, le sabbat et le jubilé, en un mot toutes les pres-
criptions (7). Ils sont de plus profondément divisés et en lutte les
uns contre les autres. Ceux qui sont restés fidèles combattent
pour la loi et pour l'alliance, les jeunes contre les vieux et les vieux
contre les jeunes, les pauvres contre le riche, le petit contre le
grand, et le mendiant contre le prince (8). Ils auront recours à l'arc,

qu'avant le jugement final les âmes des justes résident vraisemblablement dans un séjour
intermédiaire, au Païadis ou au Ciel.
(Ij 4, 23. — (2) 8, 19; voir p. 508. — (3) 36. 1.

(4) Dans 12. 19, le rnot éthiopien malakùl signifie « la domination » de Dieu et non « le
règne « ou « le royaume
messianique; dans 50,
» 9, mangest, qui signifie proprement
« règne », s'applique au sabbat, jour de règne saint
;< » pour Israël.
(5) 23. 14. — ((i) 23, 17.

(7) 23, 19. Les plaintes de l'auleur sur l'infidélité des Israélites à la loi de la circonci-
sion, 15, 33-34, visent aussi cette période.
;8) 23, 19.
526 REVUE BIBLIQUE.

au glaive et à la guerre pour les ramener dans la voie. Mais ils n'y
réussiront pas. Les méchants qui échapperont au carnage finiront
par triompher, grâce à leurs fraudes et à leurs richesses. Sans en
avoir le dioit, ils s'arrogeront un grand nom, et ils iront jusqu'à
souiller le Saint des Saints par leur impureté et leur corruption (1).
Le Seigneur châtiera d'abord ces crimes par une nouvelle dimi-
nution de la durée de la vie (2). Seuls, les hommes vigoureux attein-
dront 80 ans, alors que les jours des anciens allaient jusqu'à
1000 années. Ces années si brèves ne seront que douleur, aftliction
et calamité (3). Les hommes de cette génération perverse ne jouiront
d'aucune paix ;V. Dieu leur enverra plaie sur plaie, blessure sur
blessure, malheur sur malheur, rumeur sinistre sur rumeur sinistre
et toute sorte de châtiments et de souffrances gelée, grêle, neige, :

fièvre et froid, torpeur, disette, mort, glaive et captivité (5). Viendra

même le moment où la terre périra, où il n'y aura plus ni vin ni


huile, et où tous les animaux disparaîtront, — bêtes sauvages, bé-
tail, oiseaux et poissons, — cela à cause des enfants des hommes et

de la malice de leurs œuvres (6). Tous ces maux ne les convertiront


pas plus que les eCTorts des bons (7). Alors fondra sur eux un der-
nier châtiment, apparemment le plus grand de tous : le Seigneur
livrera son peuple coupable au glaive, au supplice, à la captivité, au
pillage et à la destruction, en faisant lever contre lui les pécheurs
des nations. Ces exécuteurs des vengeances divines « sont sans misé-
ricorde et sans pitié, ne font acception de personne... parce qu'ils
sont plus méchants et plus puissants pour faire le mal que tous les
enfants des commettront le désordre dans tout Israël,
hommes. Et ils

et le crime contre Jacob, et beaucoup de sang sera versé sur la

terre, et il n'y aura personne pour rassembler et personne pour


ensevelir » (8).

ceux qui survivront à ces désastres crieront, invoqueront


Cette fois,
et prieront pour être délivrés de la main des pécheurs des nations.
Mais personne ne sera délivré. L'infortune atteindra un tel degré que
les jeunes têtes blanchiront et qu'un enfant de trois semaines paraîtra
vieux comme un homme de cent ans (9 1.

L'heure du salut sonnera à ce moment. Il se fera par les enfants.


Ils reprendront leurs pères et leurs anciens pour leur péché et leur

injustice, leurs mauvais discours et leurs grandes méchancetés, aussi


« à cause de leur abandon de l'alliance que le Seigneur a conclue

(1) 23, 21. — (2) 23, 12.— (3) Ibidem. — (4) 23. 12 et 15. — (5 23, 13. — (6) 23, 18.

— (7) 23, 21. — (8) 23, 22-23. — (9) 23, 25.


I.b; I,lVHt: liES JLBILES. 327

entre eux et lui, pour qu'ils observent et accomplissent tous ses


commandements et ses ordres et toute sa loi. sans s'en écarter à
droite ou à eauclie » à chercher les lois
(1 . Alors ils commenceront
et les préceptes et à revenirdans les voies de la justice (-2). Ils recon-
naîtront leur péché et celui de leurs pères 3 .

Comme l'abrègement de la vie avait été le premier châtiment des


crimes d'Israël, la longévité sera la première suite de sa conversion.
Les jours se multiplieront de génération en génération pour les
enfants des hommes jusqu'à approcher de mille ans et d'années plus
nombreuses que ne l'était auparavant le nombre des jours. Il n'v auia
pas de vieillard, tous resteront enfants et jeunes + . leurs jours s'écou-
leront dans la paix et dans
Ce sera le temps de la « grande la joie ô .

paix » dont parle Rébecca quand elle bénit Jacob 6 Il n'y aura ni .

Satan, ni méchant pour perdre les élus de Dieu, ni mal quelconque


pour les affliger 7 Guéris et relevés parle Seigneur, ils chasseront
.

tous leurs ennemis 8 Israël habitera en sécurité toute la terre 9


. .

C'est alors que se produira la " nouvelle création » prédite par


Dieu même à Moïse 10 . Le Seigneur renouvellera d'abord Israël, qui
se tournera vers lui en toute droiture, de tout cœur et de toute âme :

« Je circoncirai le prépuce de leur cœur et le prépuce du cœur de


leurs descendants, et je leur créerai un esprit saint, et je les purifierai,
de sorte qu'ils ne se détourneront pas de moi depuis ce jour jusqu'à
l'éternité. Et leur âme s'attachera à moi et à tous mes commande-
ments et je serai pour eux un père et ils seront pour moi des
enfants. Et lisseront tous appelés les enfants du Dieu vivant il .

Il descendra même
dans cet Israël sanctifié, pur désormais de toute
faute, de fornication, d'impureté et de souillure, de péché et d'er-
reur. 12 II habitera éternellement avec eux dans son nouveau sanc-
tuaire, créé au milieu d'eux, à .Jérusalem, sur le mont Sion. pour les
siècles des siècles, et il apparaîtra aux yeux de tous, et tous sauront
qu'il est le Dieu d'Israël et le père de tous les enfants de Jacob, roi sur
la montagne de Sion pour tous les siècles des siècles. Et Sion et
Jérusalem seront saintes 13 .

'I, 23, 16.

(2 23, 26. d'après la leçon du manuscrit A. Au lieu de Ils commenceront à chercher »,


les autres manuscrits lisent : ies e/i/iîïj/.s coiûmenceront à chercher ».
3, 1, 22. — (4; 23, 27 et 28. —
y5 23. 29. —
6) 25, 20: cf. 23. 30. — .7) 23, 29:
50, 5. — 8) 23. 30. — i9; 50, ô.

10) 1, 29; cf. 4. 26. La perspective fait singulièrement défaut dans cette peinture du
royaume : les prédictions de Dieu, 1, 23-29. suivent à peu près sans transition l'annonce de
ce qui adviendra après la captivité.
(11) 1, 23-25.— (12) 1, 26; 50, 5. — (13; 1, 26-29.
528 REVUE BIBLIQUE.

Il renouvellera également toutes les autres œuvres de la première


création, soit au poiut de vue matériel, soit au point de vue moral.
Mais il les renouvellera par l'intermédiaire d'Israël, Les cieux, la
terre et toutes les créatures seront renouvelés selon les puissances du
ciel et selon toutes les créatures de la terre. Les luminaires en particu-
lier seront renouvelés pour la guérison, la paix et la bénédiction de
tous les élus d'Israël (1). Abraham, par
Ils le seront, comme l'a prédit
lesdescendants de Jacob, qui « sont destinés à fonder le ciel et à afFer-
mir la terre et à renouveler tous les luminaires » du firmament (21.
Dans cette « nouvelle création ». toute la terre sera sanctifiée par le
sanctuaire érigé sur le mont Sion : « A cause de lui, la terre sera
purifiée de tous ses péchés et de toute son impureté pour les généra-
tions éternelles» (3). Elle sera pure, à partir de ce moment, jusque
dans tous les temps (V), car Dieu fera a pour toutes ses œuvres une
nature nouvelle et droite, afin qu'elles ne commettent pas le crime
dans toute leur nature jusqu'à l'éternité, et pour que tous soient
justes, chacun selon son espèce, tous les jours » 5).
C'est tout ce que Tauteur nous fait entrevoir de la participation des
Gentils au royaume. Il ne prononce même pas le mot abhorré de
« nations »; en termes vagues et voilés, sans doute intentionnellement,

il laisse entendre qu'elles seront sanctifiées par Israël et par le sanc-

tuaire de Sion dans la création nouvelle.


Quand aura lieu cette merveilleuse transformation du monde?
Influencé par sa conception de la création nouvelle, qui selon lui est
avant tout une création « graduelle » et non « instantanée et catastro-
phique » (6), Charles estime que le royaume avait déjà commencé pour
l'auteur (7). Je ne crois pas pouvoir partager cette opinion. L'auteur des
Jubilrs traite toujours ses contemporains de génération perverse (8 .

Loin de voir, comme l'insinue Charles i^U), l'inti'oduction du royaume


dans le gouvernement d'un Hasmonéen, il dit en termes fort clairs
le peu d'estime qu'il nourrit pour le prince de son temps (10) les :

zélateurs de la loi sont réduits à se révolter et à lutter contre lui. Il


est vrai que, dans une certaine mesure, la conversion d'Israël sera
graduelle, comme toute conversion et aussi parce qu'elle s'accomplira
par les enfants. Mais la conversion d'Israël et la transformation ou
nouvelle création du monde matériel sont deux choses distinctes.

(1) 1, 29. — (2) 19, 25. — (3) 4, 2G. — (4 50, 5.

(5) 5, 12. Voir plus haut, p. 508, noie l"i, sur le déplacement de ce verset.
(6) Charles, The Bookof Jubilees... (ranslated, 1902, p. 9, noie sur 1, 29.
(7) Ibidem, p. lxxxvii. — .8) 23, 14; cf. 23, 22. — (9) Charles, op. cit.. p.
Lxxxviii. — (10) 23, 19.
LE LIVRE DES JLBILÉS. 529

Il n'est dit nulle part que celte transformation sera graduelle et pro-
gressive. Bien mieux, et la conversion d'Israël et la nouvelle créa-
tion seront précédées de véritables catastrophes calamités de toute :

sorte (1), destruction de la terre et de tous les êtres ^i, suerre ci-
vile (3), invasion des nations (ij. Et tout au moins la principale de
ces catastrophes, la destruction de la terre et de tous les animaux
n'a évidemment pas eu lieu encore.
L'auteur des Jubilés écrit donc pendant la période de crime qui
précède royaume, et très vraisemblablement au début de cette
le

période, alors que commencent les catastrophes. Mais l'avènement du


royaume parait imminent à ses yeux. Les plaies énuméréesS et le
grand chàtimeut du Seigneur 6i viendront sur la génération ac-
tuelle (7^, et c'est aussi dans cette génération que les enfants repren-
dront leurs pères et que ceux-ci finiront par chercher la loi et par re-
venir à la justice (8 .

A quel moment doit se placer l'avènement du royaume par rapport


au jugement dernier? Est-ce avant, est-ce après ce jugement? L'exa-
men minutieux des textes et leur comparaison attentive ne permettent
guère de formuler sur ce point une conclusion ferme.
D'après xxiii, 11, toutes les générations qui se lèveront depuis le
jour où parle l'auteur jusqu'au jour du grand jugement vivront une
vie très brève. Or, la longévité est une des principales caractéristiques
du royaume 9). Par conséquent, l'avènement du royaume ne devrait
avoir lieu qu'après le jugement final, qui en serait comme le prélude
ouïe premier acte.
Mais d'autre part il n'est pas fait une mention claire d'un jus-ement
de ce genre entre l'exposé des infidélités d'Israël et l'annonce de
sa conversion par les enfants, ou même à un point quelconque du
tableau des événements qui doivent précéder le royaume. Il est d'ail-
leurs bien difficile d'admettre que les enfants des Israélites se conver-
tiront après le jugement dernier seulement. Charles 10) en con-
clut que le jugement ne peut avoir lieu qu'à la fin du rovaume.
Cette manière de voir n'est pas plus facile à concilier avec les
textes que celle qui placerait le jugement avant le royaume. Le rovaume
doit se placer certainement à la fin des temps, quand sera arrivé tout
ce qui doit arriver depuis le commencement de la création, dans toute
la di\ision des jours (il C'estalors seulement que sera construit lenou-
.

(1, 23, 13. — ',•>)


23, 18. — (3) 23. 19. — :'i) 23, 22. — (5) 23, 13. — (6) 23. 22.
— (7) 23, 14 et 22. — (8) 23. 26. — (9j 23, 27-28.
;iO) Charles, op. cit. p., 150, note sur 23, 30. — ^ll) 1, 2« et 27.

REVUE BIBLIOLE 1911. — N. S.. T. VIII. 34


530 REVUE BIBLIQUE.

veau sanctuaire de Sion et que Dieu viendra l'habiter. De plus, il ne


doit pas durer 1000 ans ou un nombre limité dannées, comme le pense
Charles (1). Il doit durer indéfiniment, « jusqu'à Téteruité » (2), dans
« tous les siècles des siècles » (3), « pour les siècles des siècles » (4),
« jusqu'à (la fin de tous les jours de la terre » 5i. Les 1000 ans de
vie de xxiii, 27 ne sont que l'expression concrète et frappante dune du-
rée indéfinie. La preuve en est que l'auteur les expKque aussitôt dans le
sens « d'années plus nombreuses que ne l'était auparavant la multi-
tude des jours », et 1000 jours sont loin d'être une multitude de jours
dans une vie humaine. Il ne reste donc aucune place pour le jugement
après le royaume.
Au lieu de chercher à situer le jugement avant ou après le royaume,
il serait peut-être plus exact de le faire coïncider avec le début du

royaume. Cette solution s'harmoniserait avec les indications de xxiii,


11 sur la brièveté de la vie humaine avant le jugement dernier et de
xxui, 27 sur la durée indéfinie du royaume. D'autiepart, xxiii, 30-31
semble faire allusion à un jugement qui pourrait être le jugement
final. Le v. 30 célèbre, en etfet. le triomphe des justes et la réalisation

de « tous leurs jugements » sur leurs ennemis, elle v. 31 ajoute qu'ils


reconnaîtront que « le Seigneur est l'auteur du jugement ». Or, ce ju-
gement a lieu manifestement au début du royaume, au moment où
adviennent la longévité et la paix décrites dans les versets précé-
dents, par conséquent sans doute aussitôt après la conversion d'Israël.
Gardons-nous toutefois d'être trop affirmatifs les textes ne sont :

pas suffisamment explicites, et la difficulté d'assigner au jugement


une place précise subsiste toujours. Reconnaissons plutôt que notre
auteur n'avait pas des idées fort arrêtées sur la relation du jugement et
du roy aume. Comme d'autres auteurs d'apocryphes de cette époque 6 '
1,

il a recueilli toutes les traditions et les doctrines de sa secte ou de son

milieu qui lui ont paru intéressantes et adaptées à son but. Mais il ne
s'est pas préoccupé de les coordonner entre elles, quelque disparates
qu'en fussent les éléments. Il les a juxtaposées sans plus (7). x\insi le

jugement et le royaume apparaissent dans son œuvre comme deux


faits distincts dont nous ne voyons pas le rapport, qui doivent se pro-
duire à la fin des temps. Il parle tantôt de l'un tantôt de l'autre, du
jugement surtout quand il cherche à inculquer le respect de la loi. Il

Op. cit., p. 150. —(2) 1. 23. —(3) 1. 26.


(1) —
'X 1- 27 et 28. —
(5) 1, 29.

Voir par exemple les doctrines des Paraboles àa Livre d'Hénoch sur le sort des àines
(6)
des justes après la mort: François Martin, Le Livre d'Hénoch. 1906, p. sxxiv-xxxv.
(7) L'auteur agit de même dans l'histoire des veilleurs, p. 515, et dans son enseignement

sur le calendrier.
LE LlMiE DES JUBILÉS. 331

ne cherche pas à les combiner et ne paraît pas avoir cure des difficul-
tésque peut engendrer cette façon d'agir.
Deux catégories de justes participeront au royaume messianique.
La première comprend ceux qui vivront encore à l'avènement du
royaume, après avoir été jusque-là opprimés et meurtris par les con-
tempteurs de la loi. Ceux-là, le Seigneur les guérira de leurs maux et
les fera lever, cest-à-dire les relèvera de leur état d'oppression et
d'inférioritépour leur donner une grande j^aix et leur faire chasser
leurs ennemis (1). D'après ce que nous avons vu delà durée du royaume,
il semble que ces justes vivront toujours en corps et en âme, tels qu'ils

se trouveront quand il arrivera. La deuxième catégorie est celle des


justes morts 2). Les Jubilés, qui semblent les placer ailleurs en Éden,
nous apprennent quà ce moment ils verront le bonheur des serviteurs
de Dieu sur la terre, et qu'ils rendront grâce et exulteront de joie à
tout jamais à la vue de la réalisation de leurs jugements et de leurs
malédictions contre leurs ennemis ,3i. Mais c'est leur esprit seul qui
sera dans la joie. Leur corps, leurs ossements continueront à reposer
dans la terre (i). La doctrine de la résurrection, si nettement affirmée
dans le Livre d'Hénoch, les Testaments des douze Patriarches, les
Psaumes de Salomon, le. IV Livre d'Esdras, V Apocalypse de Bariich,
est donc étrangère aux Jubilés, mêmepour les élus d'Israël (5).

En résumé, le bonheur qui attend les justes dans le royaume mes-


sianique est un bonheur tout spirituel et trèsmoral, exempt des jouis-
sances matérielles qui en font partie dans d'autres conceptions (6). Il
est avant tout destiné aux justes d'Israël, qu'ils vivent encore à son
avènement ou qu'ils soient déjà morts, mais ces derniers ne ressusci-
teront pas. Les nations y auront part, clans une certaine mesure, vague
et imprécise, entout cas uniquement par l'intermédiaire d'Israël. Nous
ignorons la relation qui existait pour l'auteur entre le royaume et le
jugement et même s'il en existait une.
conception d'un royaume spirituel, caractérisé par le retour
Cette
d'Israël au bien, dérive en ligne directe de l'Ancien Testament. L'au-
teur des Jubilés n'a pas eu besoin de l'emprunter au mazdéisme,

'l'i 23, 30.

(2) P. Volz. Jiidische Eschatologie, 1903, p. 25, propose à peu près la même interpréta-
tion pour 23. 30-31, mais il voit dans ces Tersets, je ne sais pourquoi, « une amplilication
ultérieure ».

;3; 23, 30. — 4) 23, 31.


[h) C'est aussi lopinion de Charles, The Book of Jubilees... translated, 1902, p. 150, et
celle du P. Lagrange. Le Messianisme chez les Juifs, 1909, p. 67.
(6^ V. g. dans celles de la première partie et des Paraboles du Livre d'Hénoch ; Fran-
çois Martin, op. cit., p. xlvii-xux.
532 REVUE BIBLIQUE.

comme le Il n'avait qu'à lire non seulement la


prétend Charles (1).

deuxième partie mais Isaïe, ii, 1-5; iv, 2-6; xi, 1-13; xxv,
d'Isaïe (2),

6-9; Sophonie, m, 12-13, dont les plus prévenus ne peuvent raisonna-


blement soutenir qu'ils ont subi l'influence du mazdéisme; il n'avait,
dis-je, qu'à lire ces passages pour apprendre que le royaume ou mieux
le règne de Dieu de l'Ancien Testament était basé sur le progrès mo-

ral (3), Certaines parties des premiers chapitres dlsaïe sont frappantes
à cet égard, par exemple ii, 3 : « Des peuples nombreux viendront et

diront : montons à la montagne de lahveh, à la montagne


Venez et

du Dieu de Jacob; il nous instruira de ses voies, et nous marcherons

dans ses sentiers. Car de Sion sortira la loi, et la parole de Dieu de


Jérusalem ». Un peu plus loin, le prophète annonce que « le pays
sera rempli de la connaissance de lahveh, comme le fond des mers
par les eaux qui le couvrent (i- ». Cette connaissance de Dieu et de
ses voies ne constitue-t-elle pas le fond même du progrès religieux 1

Sophonie n'est pas moins affirmatif sur la conversion d'Israël : « Je

laisseraiau milieu de toi un peuple humble et petit, qui se confiera


au nom de lahveh. Le reste d'Israël ne fera rien d'inique, il ne
dira pas de mensonge, et il ne se trouvera plus dans leur bouche de
langue trompeuse i5) ». L'idée que la conversion se fera par les
enfants a été suggérée aussi, fort vraisemblablement, à notre auteur,
par divers passages des écrits de l'Ancien Testament, comme l'ex-
pression de Sophonie que nous venons de lire : « Un peuple humble
et petit », distinct du ce reste d'Israël »; — ou l'éloge de Josias ado-
lescent dans II Paralipomènes, xxxiv, 3-7; —ou mieux encore

(1) Charles, op. cit., p. Lxswiiet p. 9, noto sur 1. 29.

(2) Isaïe, 43, 19 sq. : 44, 3-5; 49, 8-13: 60; 65, 17-25; cf. Jérémie, 31, 31-34.
Cette thèse a été solidement établie par plusieurs exégèles catholiques. Le règne de
(3)
Dieu dans l'Ancien Testament, dit fort justement le P. Lagrange, « était le passage du droit
au fait, ou encore la reconnaissance du droit, la mise en scène historique d'une idée éternelle,
le progrès sans doute extraordinaire et merveilleux, mais enlin la suite d'une ciiose com-
mencée » {Revue Biblique, 1908, p. 60). Cf. du même aalear, Le Messianisme chez- les Juifs,

p. 148. Dans une excellente étude


sur Les Prophéties de l'Ancien Testament {Bévue du
clergé français, 1908, t. LVI. p. 539), M. Touzard fait ressortir que les temps meilleurs pré-
dits par les premiers et les plus anciens des prophètes sont caractérisés par le
progrès reli-

gieux : « La grande œuvre de Dieu devait être l'instauration de son règne, la conquête des na-
tions, l'épanouissement de la justice et de la paix. Tout cela devait se réaliser
d abord ici-bas
d'une façon progressive, sans heurts ni secousses ». Plus tard seulement, les prophètes
ajoutèrentau tableau lesgramls bouleversements que des apocryphes commele Livred Hénoch
ont si longuement développés. Cf. ibidem, p. 543-544, sur le progrès d'Israël et même de
l'individu dans les prophètes, en particulier dans Jérémie, 31, 31-34; du même, L'ar- —
gument proplictiquc, dsim Revue pratique d'apologétique, 1908, t. VII, p. 92-98: J.-B. —
Frey, art. Royaume de Dieu dans Vigouroux. Dictionnaire de la Bible, fasc. XXXIV,
1910, col. 1239.

(4) Isa'ie, 11, 9. — 1,5) Sophonie, 3, 12-13.


LE LIVRE DES JUBILES. 533

Psaumes, vin. 3 Par la bouche des enfants et de ceux qui sont


: <

à la mamelle, tu t'es fondé une force pour confondre tes enne-


mis, pour imposer silence à l'adversaire et au blasphémateur ».
Jusqu'ici, dans cette étude sur le royaume, je n'ai rien dit du Mes-
sie. C'est que le royaume des Jubilés est un royaume sans Messie.

L'auteur croyait à sa venue. Mais il connaissait trop bien les prophéties


de l'Ancien Testament pour ignorer qu il devait sortir de Juda. Il
ne pouvait donc lui" assigner une place prééminente qu'à la condition
d'effacer le rùle de Lé\à. Il lui aurait été indifférent sans doute de
rabaisser les Hasmonéens, pour lesquels il professait peu d'estime.
Mais, prêtre lui-même, il ne pouvait consentir à l'humiliation du sa-
cerdoce lévitique tout entier. Il a trouvé le moyen de concilier ses
préférences personnelles avec la vérité prophétique : il a imaginé
un Messie de la race de Juda. sans rôle précis dans le royaume. Trois
versets lui suffisent pour le décrire. Un des fils de Juda doit être « prince -

et s'asseoir « sur le trône de gloire », fouler aux pieds ceux qui le


haïssent, faire trembler peuples et nations, porter le nom de Juda
sur toute la terre, être le secours de Jacob et le salut d'Israël, la
source, par sa justice, d'une grande paix pour toute la race des
«

enfants du Bien-aimé » l Assurément, les mots « grande paix ",


.

que nous avons déjà vus employés pour désigner le royaume 2 pour- ,

raient faire conjectui-er qu'il s'agit de la période qui a précédé et


amené cette ère de bonheur. Mais dans la description de cette période
pas plus que dans celle du royaume notre auteur ne dit pas un mot
du Messie et ne lui fait aucune place, pas un événement ne suppose
ou ne nécessite son intervention 3 Une fois de plus, et cette fois à .

dessein, probablement, il se contente de juxtaposer ses concepts et


laisse le champ ouvert aux hypothèses sur les relations qu'il a vues
lui-même entre eux.
François Martin.

1 31. 18-20.
(2 23. 30: 25, 20; v. plus haut, p. 527.
(3 Oa pourrait tout au plus rattacher
le rôle de ce Messie conquérant à la réalisation

des jugements des justes sur leurs ennemis. 23, 30. Pour tout le reste, son caractère faij
plutôt contraste avec la conception d'un royaume spirituel et rnoral comme celui des Jubilés.
LE CATALOGUE
DES VICES DANS L'EPITRE AUX ROMAINS (1, 28-31

-* Et parce qu'ils nont pas jugé à propos de pénétrer plus avant dans la connais-
sance de Dieu. Dieu les a abandonnés à leur raison dégradée, pour manquer à leurs

devoirs, -^ eux remplis de toute injustice, méchanceté, cupidité, malice, coupables


d'envie, de meurtres, de querelles, de fraude, de malveillance, semeurs de bruits
infamants, ^"*
calomniateurs, —
odieux à Dieu! —
insolents, orgueilleux, fanfarons,
ingénieux au mal, rebelles à leurs parents.
'^^
inconsidérés, versatiles, sans affection,
sans pitié.

Avant de rechercher le sens général du texte et ses accointances,


il ne sera pas inutile de le gloser, ne fût-ce que pour expliquer et
justifier la traduction.

28) ûo/.iuLxîTs'.v, vériQer si on est digne, juger bon. ï/tvi Iv irziyvwciai comme iv ocyi^

ï/tv/ (Thuc. II, 65, 3) ou iv ata/jvrj ï/stv (Xen. Cijr. VI, I, 36) pour être en colère,
être confus; donc ici « connaître ». Mais È-fyvoj'.ç n'a pas dû être employé dans le

sens de yvCiai;; il s'agit d'une connaissance plus approfondie : cf. I Cor. xiii, 12. pour
de yvwa'.; et de è-Jvvwt'.; dans Justin, Contre Tri/pJi. III. S.
le verbe, et la distinction

Les païens ont dédaigné de prendre de Dieu une connaissance plus approfondie,
Dieu les livre à une intelligence àoô/.iaov (jeu de mots), c'est-à-dire qui ne saurait être
approuvée par personne, disqualifiée. Le vou? n'est pas seulement l'intelligence spécu-
lative, mais le principe des actions morales, ce qui a induit la Vg. à traduire sensum
au lieu de inentem. C'est le principe raisonnable tout entier qui est dégradé. Ta af, y.aôv
/.ovTa, par opposition à ta y.xôr/.ovra (Xkin. Cijr. I, ii, 5 , les devoirs, officia, comme
le devoir est tô /.aOf.x.ov. Ce dernier terme était fort employé par les stoïciens: on en
attribuait même la parenté à Zenon (Diog. Laerce, 25 et 108); d'ailleurs il appar-
tenait à la langue de tout le monde. La raison, qui ne mérite plus son nom. se porte

vers ce qui est contraire à la raison et indigne d'elle.


29-31) Cornelynote avec raison que la Vg. ayant traduit -o'.stv par u( faciant aura'il
dû commencer l'énumération par le nominatif, replet i etc.; en grec l'accu^, suit
naturellement aù-oû; comme apposition et tzoieîv dont il est sujet. L'énumération com-
prend encore dans la Vg. fornicutio v. 29) et absque foedere [w 31). Ces deux mots
retranchés, avec les meilleures autorités, on se demande s'il ne faudrait pas encore
enlever ooXoj [v. 29) avec A. Dans ce cas nous aurions une liste où chaque vice aurait
un compagnon, tous allant deux par deux. On peut du moins constater des groupes
de deux à cause de l'assonance, -jôovoj yôvov», (Îtjvétoj; àjuvOirouç ^cf. I Tim. i. 9, 10
et II Tim. m, 5; Philox, De sacr. AbelisetCaini, 32; M. II, 268 s.). On peut aussi re
marquer que quatre vices dépendent de z£;:X»ipwij.E'vouç et cinq (ou quatre sans ooXoj)
de u-coroj;. Viennent ensuite sept vices positifs et cinq négatifs et il est à noter que ;

la distinction se fait en séparant une paive. Il est difficile d'indiquer un ordre logique.

Il semble pourtant que les quatre premiers défauts sont plutôt des dispositions mau-
LE CATALOGUE DES VICES DANS L'ÉPITRE AUX ROMAINS (I, 28-31). 53b

vaises qui se manifestent par les cinq péchés qui suivent. Les qualiGcations qui vien-
nent ensuite ont rapport aux relations des hommes entre eux.
29) Entre les deux premiers couples il y a plutôt decrescendo, car àoi/îa, injustice
positive, est pire que -Xsov:;??., cupidité, avarice qui peut conduire à l'injustice, et
-ovr,p(a, malice exercée, est pire que /.z/.îa, disposition au mal. — Le meurtre et la
discorde sont comme encadrés entre les déf.iuts dont ils proviennent, l'envie et la

malveillance; de même que l'envie ou la jalousie, la /.x/.orjOî'-» prend tout en mauvaise


part : k'^Ti yàp /.xy.orJÛE-.a xô izi to yito'i'i •j,-:oXa|i.5iévîtv TrdtvTa (ARtSTOTE, Ehet. II, 13).
Aristote en a donc fait un vice spécial; mais le vulgaire l'entendait plus largement :

y.a/.or'Oc'.a [jlev i-jxi zx/.îa /.t/.yj'X'xhri, xxzoTpo-îa ôc Tzov/AXr^ y.yÀ zavTooa-r] ^ravo'jpytK (Am-
inon. p. 80 dans le Thésaurus), dionc une disposition générale à faire du mal. La ruse
loôXoji estun genre très étendu; elle est tout à fait coupable quand elle dégénère en
fourberie ou en fraude. i'-OjataTat, auteurs de médisances ou de calomnies quand on
ne les profère qu'à voix basse.

30) x.a-aXâXojç indique la délraction plus ouverte.


0£j-:tj3î;, d'après Cornely, Sanday-Hea dlam, etc., ceux qui ont la haine de Dieu.
C'est la traduction de la version latine suivie de Cyprien, abJiorrcntes Deo ; c'est l'opi-

nion de ThéoJoret : OsoaTJYEÎç /.aXst tou; àns/ôw; -soi -bv ôsov o'.ay.E'.ijiÉvouç, d'Euthy-
mius. On allègue surtout Clém. Rom. (ep. XXXV, 5) qui emploie ÔEo^-JYt'a au sens
actif de la détestatioa de Dieu. Cependant le mot n'a jamais ce sens dans le grec
profane; et surtout on ne voit pas pourquoi Paul mettrait un crime aussi énorme
dans la série des châtiments de la raison ; il serait plutôt cause de sa dégradation.
Il faut donc traduire avec la Vg. Dca O'Iibile-'^ (de même Pcs.), détestés de Dieu. Mais
pourquoi ce terme dans la série des vices et des défauts? Ou ne peut l'expliquer que
parla tradition scripturaire. Dieu hait spécialement l'orgueil et la détraction (1): [n^jr^-r]

j'vxvT'. Ivjo(o'j y.x\ ivOpw-jjv j-Epr/javt'a ^Eccli. X, 7); les Proverbes (vi, 16 s.) rangent
parmi ce que Dieu hait ôsQaÀfjLo; uSptsxou, YÀwaaa àôt/.o;... C'est bien
: le même con-
texte; GioïTjyEu est donc moins un défaut qu'une épithète qui se joint à certains dé-
fauts, presque une parenthèse. Les jÇptiia'! sont des insolents, peut-être même vis-à-
vis de la divinité. L'j'6o;; attirait spécialement sa colère. D'après Aristote, c'est le

défaut des aristocrates [Pot. iv [\i[). C'est naturellement aussi le défaut de ceux qui
dominent ou aspirent à dominer; il dérive de l'orgueil. — Les aky/,6^zi sont les fan-

farons; Vg. • elatos: Cypnea : jactanfes sui; Lucifer : gloriantes. Comme s. Paul ne
semble avoir en vue que des défauts graves — on songera moins au miles gloriosus
de Plante qu'à une certaine arrogance. D'après Pliilon, c'est le désir de la gloire
qui conduit à ce défaut (De spécial, kg. iv, 87; M. H, p. 3-50); il n'est donc pas
ridicule, et peut facilement être offensant. D'après les stoïciens : Jactatio estvoluptas
gestiens et se offerens insolentius (Cic. Tusc. I\', ix, 20).
Ici encore nous avons, avec les trois dernières épithètes, un ordre décroissant.
L'ordre qui va du moins grave au plus grave a été esquissé par le pythagoricien Cal-
licratidas {ap. Stob. Flor. lxx.xv, 16, cité par Field, Notes on tite tninslntion
t.

of Ihe iV. T. p. 152) : àvây/.a yào tojç noÀÀx 'É/ovxaç -CET-j-foi^Oa'. -pàTOV, TcTuçwjjlevw; oï àXa-
Çôvaç yri-ViiOx'.- xK7.'C/yij.^r>\ yiio xvtio:, 'j-Epr/iâvo; t);jlev... j-Epr/.pxvajç oè ycVO|j.ïvioç, -joçiaTa;

fjjJLEV.

— è-iîjpETx? /.a/.ôjv forme difiicileraent couple avec ce qui suit. Si àÀa^^ovs; indiquait
seulement on pourrait penser à ceux qui inventent des fautes dont
les fanfarons,

ils se chargent eux-mêmes par gloriole, les fanfarons du crime. Mais ce défaut n'est

(1) Ze'j; yàp \).t;y.lr,^ ^/wffar,; /.oiATioy; jitiÇfiyby.ioEi {Hofa. Ant. 127 s.).
536 REVUE BIBLIQUE.

peut-être pas assez commun pour être signalé ici. Je pense que Pau! vise celui que
Philon nomme xav.o[ji»î-/avoç (De sacrificiis Abelis et Caini, 32; M. I, 166), inventeur
d'odieuses machinations, plutôt que celui qui invente par raffinement de nouvelles
manières de pécher (contre Cornely). On peut comparer aussi àYpjTvvouvrï; oùz ;?? xb
àyaObv à).X'si;Tb T:ov/jpov {Didakè, \, 2), ceux qui veillent uon pour le bien, mais pour
le mal.
— vovsjaiv à-EiOsu ouvre la série des vices négatifs. Philon, De ebrietate, 17 s.; M.
I, 360 : voLio'j /.sî.sûovToç, il "û/^pt, xou; yovï?; xtiiàv, 6 [j.Èv [at] xijjlwv à-siOrjç. Les païens
regardaient le respect des parents comme l'un des premiers préceptes de la loi divine :

EsCH. Suppl. 707 ss. Eum. 269 ss.; EuR. frag. 852s. [Nauck]; PiND. Pyth. vi, 23 ss.
; ;

XÉN. Memor. IV', iv, 19 s. Chez les Romains anciens l'obéissance était due au père
durant toute sa vie. Les Juifs avaient le précopte du Décalogue, et lepseudo-Phocylide
le mettait au second rang (v. 8) :

TzpGJra ÔeÔv xfp-a, [j.sT£r£ixa oè aeto yovfja;.

31) àa-vÉxoj; forme jeu de mots avec àcruvGéxouç. Il doit cependant avoir sa raison
d'être. Comment un vice d'être
est-ce inintelligent »? C'est que si les Grecs analy-
<'

sent selon l'ordre humain, Paul, comme les anciens sapientiaux, se place toujoursau
point de vue de Dieu. Il s'agit de ceux qui n'ont aucune ouverture pour les choses
religieuses; le mot grec rend tantôt b'iDS tantôt Slj qui ont ce sens; cf. Ps. xci

(xcii), 6; Sap. I, 5; XI, 15; Eccli. XV, 7. Dans ce dernier texte (héb. 213 "lU^^N), les
àa'jv£xoi sont ceux qui ne comprennent pas la Sagesse divine; vu,
cf. àopoaûvr; (Me.

22). Si Paul a visé un sens un peu spécial qui rentre dans Euthymius
le contexte,
l'a bien indiqué en traduisant àauvsiÔTjxou?, les gens sans conscience, ou du moins
sans délicatesse de conscience, qui n'envisagent pas leurs actions selon leur portée
religieuse, et qui, par conséquent, sont peu sûrs en affaires. En aucun cas ce ne sont
des impies (contre Cornely). àauvOéxojç a été traduit iiicompositos parla Vg. selon le
sens philosophique du mot, « simple », par opposition à ce qui est composé. Dans
Démosthène (383, De fais. leg. 136) le sens paraît être inconstant, sur lequel on ne
peut compter en politique, versatile : w? ô ij.£v ûripLo; iaxtv 6/Àoç, àaxa6;j.7jx6xaxov T:pày|j.a

xwv -dtvxojv xx't àauvOETwxaxov. Cf. PoLYB. Exc. Vat. p. 434 [Thés.) : tj r.fhi xbv ^fov fj[xôjv

àaûvôîxoç xj77j. L'inconstance touche facilement à l'infidélité; on a même traduit :

« infidèles à leurs engagements » (auvOv/a')? f'i'difragi, comme dans Jer. in, 7. 8. 10.

11 (pour rendre les sens de t:;2) en parlant d'une épouse infidèle ou plutôt perfide.
dtaxôpyoj; sine affeclio)ie (Vg.) ne s'entend probablement pas des parents, déjà
nommés. Les hommes ne s'aiment pas entre eux; chacun pour soi. A la suite de ce
mot, quelques témoins ajoutent aanovocj;, soit d'après II Tim. m, 3, soit comme
glose de àTJvOixoj;.
àvaÀEirJaovaç, sans pitié, sans miséricorde; ce mot ajoute au précédent l'idée d'une
infortune à laquelle on demeure insensible.

Un commentaire complet exigerait Fétude du contexte. Mais cette


partie du sujet est suffisamment connue, et les exégètes sont à peu
près d'accord.
En revanche, il est assez étonnant que, jusqu'à ces derniers temps,
les commentateurs ne se soient pas préoccupés de fixer le sens du
catalogue de saint Paul en le comparant à d'autres. Le P. Cornely,
par exemple, dans son commentaire, d'ailleurs si complet et si solide,.
LE CATALOGUE DES VICES DANS L'EPITRE AUX ROMAINS I. 28-3 1\ 337

ne cite d'autres points de comparaison que ceux qu'otTrent les «'-pî-

tres paulines, encore sans les ônumérer tous 1 .

dans une note qui n'est presque qu'une longue citation


M. Lietzmann,
des passages analogues, a ouvert une voie féconde. Il opine que ces
sortes de catalogues, si fréquents dans Philon, émanent de l'usage
des écoles philosophiques. Il en conclut que saint Paul a subi les
mêmes influences stoïciennes que les Juifs cultivés de son temps (2).
M. Deissmann 3 est plus en garde contre l'hypothèse d'une in-
fluence philosophique. Il rapproche les énumérations de saint Paul,
surtout celle de la première aux Corinthiens vi, 9-10), de ces épi- i

thètes qu'on inscrivait sur les jetons de spectacle, épithètes qui sont
parfois des noms de vertus, maisplus souvent des noms de vices, et au
vocatif, comme impude'iiis, moice (adidter), patice. cinaidus, fur,
ehnose ou vinose, arpax. Ce rapprochement est en effet des
trico,
plus suggestifs ne prouve mieux que ces reproches pour rire,
et rien

le bien-fondé des graves inculpations de saint Paul. Mais la banalité


de ces accusations dirigées à la cantonade ne rend pns compte des
intentions spéciales que peut avoir eues l'Apùtre.
Ce sont ces intentions que nous voudrions chercher.
On a parlé de suggestions stoïciennes. M. Lietzmann, que nous ve-
nons de citer, est trop sage pour chercher dans saint Paul les ter-
mes techniques de la philosophie du Portique. Saint Paul aurait seu-
lement subi, comme tous les gens cultivés, fussent-ils d'origine juive,
l'influence de cette philosophie, devenue l'éducatrice de tous ceux
qui se maintenaient à un certain niveau moral.
Cette position modérée est très bien choisie: il est difficile de ré-
futer une opinion si atténuée, et de nier une influence qu'on fait si

discrète, mais en revanche on demandera où sont les preuves de


l'affirmation? Peut-on encore parler de stoïcisme si l'on ne dénonce
aucune trace d'une doctrine proprement stoïcienne? Or c'est bien
ici le cas.

On sait que les Stoïciens étaient unanimes à énumérer quatre sor-

tes de passions, qui étaient la source de tous les vices la tristesse, :

la crainte, le désir, le plaisir (i.


Ce point était tout à fait arrêté dans leur doctrine, comme on
Il xiii. 13; I Cor. vi, 9. 10; II Cor. xii, 20. 21; Gai. v, 19-21; Eph. m, .3-5 {? ; ajouter
I Cor. V, 10. 11: Eph. IT, 31; t, 3-4; CoL m, 5. 8; I Tini. i, 9-10; II Tim. m, 2.5.

(2j .4/1 die Rcemer, erklaert *on Lie. Hans Lii;tzma>n.


(3j Licht vom Osten, p. 230.
',4) Cic. De finibus,Tii. 35 perlurbationes animorum, qnns Groeci
: Tzibr, appeUant. —
omnesque eae sunt génère quattuor, parlihus plures : aegritudo, formido, libido,
quamque Stoici commuai nomine corporis et aniitii r,oo-/r,-/ appellaitt (kKtiiM.lll. 38U.
538 REVUE BIBLIQUE.

peut s'en convaincre en parcourant les textes recueillis par d'Arnim (1).

Il n'était point ignoré du juif lettré et philosophe qu'était Phi-


Ion (2). Lorsqu'il parle des passions qui troublent Tàme, il nomme
sans aOTectation les quatre passions des Stoïciens, comme s'il s'agis-
sait d'une doctrine reçue; le plaisir qui élève Tàme trop haut, ou la
tristesse qui l'abat et la déprime, ou la crainte qui la détourne et la
fait dévier de la voie droite, ou le désir qui l'entraîne avec violence
vers les objets absents.
Il est assez évident qu'on ne trouve rien de tel dans Paul ; ni dans
l'énumération des Romains, ni dans aucune autre il ne cite les vices
que les Stoïciens faisaient découler de la crainte.
Il est vrai que souvent les Stoïciens, se servant de termes moins
abstraits, citaient comme les vices principaux, l'attrait pour le plaisir
ou la luxure, l'attacbement à l'argent ou l'avarice, l'amour de la
gloire ou l'ambition, ainsi que la superstition iS). Mais c'étaient là
des appellations populaires, qu'on ne saurait rattacher à une philo-
sophie spéciale; un accord avec Paul sur ce point ne prouverait donc
pas l'influence du Portique.
Il y a plus. Les doctrines sont en opposition sur un point impor-
tant. Il est très remarquable que Paul reproche aux Gentils de man-

quer de miséricorde: sont xn\zr,\j.o'n:. Le mot est extrêmement


ils

rare. aucun doute opposée aux principes du stoï-


L'idée était sans
cisme. La pitié était positivement une de ces maladies de l'âme dont
le sage devait se guérir. C'était même par cette rigueur inflexible

que le stoïcisme plaisait aux Romains. Il se greffa tout naturellement


sur la rude nature de Gaton. Ge vrai Romain n'était point choqué
d'entendre dire que la miséricorde n'était le fait que des sots et des
esprits légers (i).

DiOG. Laert.. vu, 110. d'après Hécàton et Zéiioii : xwv oà -aOwv -à à>wTàTw... slva-. yvrr,

TSTTspa, /.•J7iY)v. yôoov, i7rt6u(i.;av, if)Oovr;v.

(1) StoicoruiH veterun fragtneald, III. ii" 377 ss. C'est, je pense, une erreur de Diete-
Y\c\\{Xekijia, p. 171, note 2) d'avoir cru que Laclance citait les Stoïciens, lorsqu'il dit : très
suntigitur adf'eclus qui honilne^ in oninia facinora praecipites agunt ira ntpidilas li-
bido, proptereapoetae très Furias esse dixerunt, (/uae mentes hominum exagitant (Insl.
div. IV, XIX, 4). Lactance expose plulôt sa manière de voir, empruntée seulement en
partie aux Stoïciens, par exemple quant aux Furies.
(2) De vita Mosis,ll, 139; M. Il, p. 156 eï ti ûreosaîvono : odayo^i è? à/.ÔYoy Ttâôou; r, îtapà
çûffiv ÈTratpoOor,; v.cù [x.£T£wpi^o-J<7r,; fjôov/jç r, (rTsXÀo'jTr,; ï\incù.iv X^Tir^; xal xa9atpoû<jri; ri

àTtoaxpÉcpovTo; xat àTcoxÀîvovtoç xrjv èti' eOôîia; ôptir,v çôooy îj fô; È7rt6"j[J.îa; 7:pô; xà [j.r, r^'jj^ii'^i'x

£),xo'Jar;; xal à7ro-£ivoû'7-/j; ^ia... Ce passage est cité par d'Arnim, lil, 392.
(3) DiETERTCU, Neliyia, p. 170 : 3i),r|00v;'a, çt),07i)v0UT{a, çiXoôolix, Ô£'.'7tôï[jiov{a [luxuria,
avaritia. ambitio, superstitio).
(4) Cic. Pro Murena, 61 : neminein misericordein esse nisi sUillunief levein.
LE CATALOGLE DES VICES DANS LEPITRE AUX ROMAINS I. 28-31'. 539

L'étonnant est que cette doctrine se soit perpétuée comme une

partie intégrante du stoïcisme jusque dans un temps où la rig-ueur


de ses principes avait été tempérée par l'invasion d'idées simplement
humaines.
Comme le droit romain peu à peu battu en brèche par
avait été
les principes universels de l'équité, la morale du stoïcisme n'était

plus au premier siècle de notre ère rigoureusement déduite de la


conception du souverain bien résidant dans la vertu. On avait éprouvé
le besoin, pour la répandre, de la rendre plus accessible dans l'expres-
sion,plus attrayante dans la pratique. On y parlait volontiers de
l'amour du prochain. Sénèque se faisait tendre à l'occasion. Il savait
qu'on reprochait au stoïcisme d'ignorer la pitié. Mais il ne pouvait
pousser les concessions trop loin. Même pour lui la pitié est une
maladie de l'àme J .On ne peut donc pas voir dans saint Paul un
(

écho même affaibli du stoïcisme.


A-t-on d'ailleurs prouvé que le stoïcisme, devenu une pidlosopliie
populaire, ait exercé un empire tellement universel? On pourrait
en douter, ne fût-ce que d'après le titre d'un traité de Plutarque :.

« Des notions communes rapprochées des maximes stoïciennes ».

Le premier siècle de notre ère est une époque d'éclectisme.


Si rénumération de saint Paul ne décèle aucune suggestion stoï-
cienne, ne faut-il pas cependant y reconnaître l'influence générale de
la philosophie que les Juifs subissaient parfois, sans savoir s'orienter
entre les systèmes dont les notions précises s'estompaient de plus en
plus ? On pense aussitôt à Philon. M. Lietzmann a cité un très grand
nombre de passages où Philon a groupé des vices et des vertus. Au
premier abord on est étonné de la ressemblance du procédé, et, en
effet, le procédé est bien le même.
Mais dans Philon. si éclectique qu'il soit, on reconnaît le plus sou-
vent une tendance philosophique, un système, ce qui n'est pas le cas
pour saint Paul. Insister sur la manière du juif d'Alexandrie, c'est
faire mieux comprendre par opposition la manière simple et popu-
laire, mais aussi plus réaliste, de l' apôtre.
Le plus souvent, ce qui marque ces tirades, c'est l'empreinte stoï-
cienne. Nous avons déjà eu l'occasion de citer un passage où Philon
nomme par leur nom les quatre genres des passions stoïciennes.
D'Arnim n'a cité que cet endroit, mais il n'est pas le seul, quoiqu'il

(i; SÉNÈQLF.. De clementia,l\., 5 Scio maie audxre apxid imperitos seclam Stoicorum
:

tanquam nimis durum... obicitur enim illi, qitod sapientem negat misereri, negat
ignoscere... Misericordia est aegritudo animi ob alienarum miseriarum speciem...
aegritudo autem in sapientem virum non cadit.
o40 REVUE BIBLIQUE.

soit peut-être le moins mélaneé. Philon parle encore de ces désordres


de l'àme parmi lesquels il faut ranger « les plaisirs, ou les désirs, ou

les tristesses, ou les craintes, ou encore les sottises et les injus-


tices 1 ». Une autre fois il analyse, à la façon stoïcienne, les fâcheux
i

résultats qui découlent de quatre passions maîtresses, qui sont bien


celles du Portique 2 1 . Ailleurs encore, il conserve le chiQre de quatre
passions et de quatre vices, mais sans s'en tenir à la partition clas-
sique '3 .

Il faut rattacher au même courant l'idée de regarder les passions

ou les fautes comme des Furies vengeresses (i) : Philon revient à


deux reprises sur cette conception. Un de ces passages est fort inté-
ressant, puisqu'il s'agit de la cité de Caïn, opposée à la cité de Dieu.
On serait tenté de croire que Philon a profité de ce prétexte pour
esquisser le tableau des vices des païens. Il se rencontrerait ainsi
avec saint Paul. Les Caïnites sont « coutumiers d'impiété, d'athéisme,
d'amour-propre, de superbe, de fausses opinions et ils se croient

sages, alors qu'ils ignorent la sagesse qui les conduirait à la vérité;


ilscombinent en eux-mêmes l'ignorance, le manque d'éducation et
de culture, et les autres Furies sœurs et parentes de celles-là; ils ont
pour loi les dérèglements, les injustices, l'inégalité, l'indiscipline,
l'audace, le fol orgueil, l'impudence, l'excès des plaisirs, toutes sortes
de désirs contre nature (5 ». Ces Furies-passions sont stoïciennes;
l'importance que Philon attache ici à la connaissance rappellerait
plutôt Socrate. Beaucoup plus nettement encore la division de l'àme
en trois puissances vient de Platon. C'est entre ces trois parties, la
raison, l'irascible et le concupiscible. que Philon partage les vices 6).

C'est à la même
grande école de Platon et d'Aristote qu'il faut
attribuer le groupement des vices par opposition aux quatre vertus
cardinales, la prudence, la tempérance, la force et la justice 7).

'1) De migralione Ahrahomi, 50. M.I, 4^5 : u>'i T?;oovaî f, i7:i6'j(xta'. f, /O-aiy; ;6êoi f, Trâ/tv

àspoff'jvai xat àô'./tai...

(2) Quis rerum divinar.hercs. 269 s.; M. I, 511 s.

(3) De agriciiltura, 83 M. I, 313 ; : xai yàp xaxCai z(o yé^ci TÉTTaps; xai iriôr, Taûra'.;

Icâf lÔjjLa — , 5; T,5ovaT; xai £TCi6-j|jLÎat;, àôix'lat; te y.al -avoypyjai;, et: et x'j~<xy7.'.z xai ttÀcOvî-

Çiai; xai toî; 7:apa-/,r,(j:ot; 6pÉu.[iaiT'.v i-vf^rfiii.

Cic. Tusc. III, XI, 25


(4) his aulem perlurhationihus, quas in litam /iomi)Uim slul-
:

titiaquasi quasdam furias immitlit...


(5 De posterilale Caiui, 52; M. I, 235. Cf. De sacrifîciis Ahelis et Caiiti, 15: M. I. 166 :

à peine lenfanl est-il sorti des langes qu'il a pour compagnes àçpoa'jvr.v àxo).a(7'av àSix-av
çôoov Oî'./.iav. Ta; àX).a: (JUYvîveî; xï;pa;.
(6) De cou fusions ling. 21 ; M. I. 408. .\u voO; se rattachent àfpoajva; xai oiûIol: àxo/a(j;ai
Tî xai ào'.xia'.. le 6-..{jl6; a en partage Ta; âxfiavEî; xai 7Tapa;6po-j /jTTa:. et £r:'.6\;u.ia TO-J; -j-o

vr,7:i6Tr,To; àîi xoûsow; IpwTa;...


T De rnufalionc noniinunt. 197: M. I. 608; cf. De ebrietate, 23: M. I, 360.
LE CATALOGUE DES VICES DANS LEPITRE AUX ROMAINS L 28-:M . r>H

Même semble commenter dans le décalogue le précepte


lorsqu'il
« tu ne désireras point ». Pliilon met en œuvre ses habitudes de
dialectique; il groupe comme l'ont fait les Stoïciens les péchés et les
crimes qui se rattachent au désir (1).
Toutefois de bgns juges, M. Bréhier (2 par exemple, estiment que
Philon explique surtout comme les cyniques Torigine des fautes: elle
estdans l'entraînement du plaisir. Aussi, après avoir énuméré les
^dces fort graves dont le plaisir est le chef, le philosophe alexandrin,
en véritable rhéteur, dresse une liste de cent quarante-sept épithètes
dont il flétrit Tami du sans intérêt de la repro-
plaisir (3 . Il serait
duire en entier; on ne distingue aucun principe de classification;
parfois, comme dans Tépitre aux Romains, les épithètes sont accolées
par paires, ^^vxjj:; ,iâ-/.av:r, ou bien les mots composés sont réunis
d'après un de leurs éléments, yy.pyj.r,-^'.: '^.y.z'jzrJi.T.-iyyz- i3xpJ6j;j.cç
;îapjz£v6r,;. Malgré tout,
quelque rhéteur a prononcé ce catalogue,
si

il a fait preuve d'une mémoire prodigieuse. Parmi tant de noms, il

serait étrange qu'aucun ne ressemblât aux épithètes pauliniennes :

on peut citer a:-.-/,:;?, ^a77:;v;cç' (4). za£:vé/.t-/;ç, a'^iXor, àXa^tôv, Sv'sc-.r,


h:iyJ.~H-c-.zz. i-£',Or;ç, '^y.o'j'-'/.y.^r^yzq. /,y:/,zj:r-/y:/zt 5 .

Après la lecture de ce fastidieux inventaire, on est porté à juger


favorablement celui de Paul outre qu'il est varié par d'habiles cou-
;

pures, il parait vraiment moins scolastique, moins déclamatoire,


moins artificiel. On n'y trouve pas trace de ces préoccupations philo-
sophiques qui envahissent spontanément l'esprit de Philon.si

D'ailleurs, l'apôtre et le philosophe ne se rencontrent pas non plus


sur les termes d'une façon assez caractéristique pour qu'on puisse
supposer une dépendance littéraire du côté de Paul. On est frappé
cependant de les trouver d'accord sur ce principe que l'oubli de la
loi de Dieu est le principe de la déchéance morale (6). Mais les termes

(1) De specialibus legibus, IV. 87 ss. ; M. II, 350 et comparez A>di!omci.s dans nAaNni,
m, 397.
(2) Les idées... de Pliilon..., p. 272.
(3) De sftcriftciis Abelis et Caini, 32 ; dans Mangey II, 268 s. dans De mercede mere-
tricis.

(4) Si ce mot se trouve en effet dans l'épitre aux Romains.


(5) On a insisté plus haut sur ce dernier mot.
(6) Voici ce beau passage : âu.x ô' àvay/.aïov tT.zabxi, œ; èv f./îw •rx.'.àv CT(o[jLaT'., y.al tt, toO
ôvTo; 6coO tiiX'ifi Ttàsav T-rv aûv âÀXtov àpsTûv xoivwvjav... ItieI xai lO'Jvav-iov TovîTôiv îspùvvôijLa»
àTûOTTâvra; lûsïv itrtiv àxo/.âo'T'O'j;, àvaia^^'JvTOu;, à5:xouç, ào-éfJLvovç, o/iyôçpova;, zw.oLiztybr.\i.oyx-,
iisuôoXîyia; ÉTaipou; xal 'iiîuSopxia;, Tyjv èÀeyQspîav TtsTrpaxô-a; o-J/oy xat àxpàTOU xas :îî[xu.âTU)v
xat sCfiopsia; yaorpô; àTVOÀa-j'ïîtçxai xwv [i^zà.ywjxéç'x... (De virtutibus [De paeni-
el; ts Ta;

tentia]. 182: 40G\ Philon a dit aussi 7tr,7rî oà Triv-oùv à6'.xou.âT(iiv à6e6xr,; [De Decal.
M. II. :

91; M. I, 196; ce dernier texte cité par Lietzinann;. Cf. Siuus Italicus, IV, 792 heu pri- :

mae scelerum causae mortalibiis aegris yaturum nescire deiim.


g42 REVUE BIBLIQUE.

de Paul se rapprochent beaucoup plus de ceux de l'auteur de la

Sagesse que de ceux de Philon (1).


Avant de s'enquérir des suggestions que Paul a pu recueillir dans
la culture profane, n'aurait-il pas été à propos de s'informer de celles
qu'il tenaitde son éducation bildique? L'un des premiers prophètes,
Osée, avait déjà énuméré les vices de son temps, et, chose remar-
quable, il les avait précisément mis en connexion avec une lacune
dans la connaissance de Dieu.

Il n'y a ni fidélité, ni charité, ni connaissance de Dieu dans le pays. On jure, on ment,

on tue, on vole, on commet Tadultère, on exerce la violence, et les attentats sanglants


touchent aux attentats... mon peuple a péri manque de connaissance (2).

La rencontre n'est certainement pas fortuite, d'autant que Paul a


citéOsée en termes exprès dans cette morne épitre aux Romains (3).

Mais la ressemblance ne s'étend pas au détail de l'énumération.


On pourrait encore songer non plus au judaïsme hellénistique,
mais à ce judaïsme beaucoup plus strict qui n'avait pas cependant
échappé à la culture générale du temps. On a rappelé le catalogue
de la Didachè, placé dans cette partie du livre qu'on estime appar-
tenir à une source juive, « les deux voies » (4). De même que Paul,
l'auteur énumère d'abord les vices, puis il continue par des épi-
thètes. En tête sont les vices concrets, proscrits par les Décalogues;
viennent ensuite les vices abstraits, comme dans un passage de saint
Marc sur lequel nous allons revenir. Les épithètes fâcheuses soulignent
une énergique revendication des droits des pauvres et des opprimés
jugés injustement. C'est un des traits les plus nets de la littérature is-
raélite, depuis les psaumes jusqu'au livre d'Hénocli (5).
I^s points d'accord avec saint Paul ne font pas défaut, on trouve
iiv:-., GSAOç, JTrspr^^avia, y.ay.'a, nhîz^iiiiy., àXa^svEia. Il se pourrait que

Paid ait eu en mémoire un tableau de ce genre, très haut en couleur,


mais on ne saurait prouver qu'il se soit inspiré spécialement des deux
voies. Il n'était guère dans son caractère de démarquer une leçon
morale pour l'appliquer à son sujet.
A moins peut-être que cette leçon ne lui ait été imposée par lauto-
rité de son Maître. De tous les catalogues que nous avons rencontrés

jusqu ici, aucun ne ressemble à celui de l'épitre aux Romains,

(1) Sap. XIV, 12. 2-2-31,


(2) Os. IV, 1-6; trati. van Hoonackc.
<3) Rom. IX, 25 s.

(4) v, 1 s.

(5) Dans ce livre, riches et puissants sonl ordinairement synonymes de pécheurs; les

Justes sont pauvres, humiliés, maltraités


LE CATALOGUE DES VICES DANS l/EPITRE AUX ROMAINS I, 28-31 1. 543

comme un texte de saint Marc (1), reproduisant les paroles du Sau-


veur.
Dans cette liste, après les pensées mauvaises, :• l'.yj.z-;iz\}.z\ z': -/.a-/.:-',

viennenl xopvsfx'., vj.zr.yJ., r^'-'-'-î V'^'-'/y-y'--,


-Xïcvsru',, -rriv^piau siXsç,
h.-€i.'[v.y.^ i-^OaXy.br -jv/;p;;, '(Si.y.z-yr^\}.iy.^ 'j-spr/^av'a, i^ccTjvr,.

Dans saint Matthieu (2), on ne trouveque six noms au lieu de douze :

sîv:'., \}.z<:/t'.y.\^ r.zpi'.y.'., •lz-jzz[j.y.z--jz\y.'., :jKy.7or,iJ.'.y.'-i toujours après les


pensées mauvaises, z:y.hz'^'>.z\j.o\ -zvr,pz<..

Comme Marc n"a pas les faux témoignag-es ^'•bfjzz[j.yp-:-jz'.y.i), il a donc


sept noms en plus de Matthieu, et ces noms ont précisément leur équi-
valent dans la liste de saint Paul, sauf xiéX^ftix. En effet TTAsovsr'ai et
r.zrr,piy.<. sont seulement le pluriel de tta^cv;;-'?. et de r.z'rr,ziy., zz'/.z: est

textuel, iç;f)aA;j.bç -nz^rr^ziz répond à çOiv:;. j-zzr^oyyh. à 'jr.zzTizhz-j:,


7.ozzzjvr, a as'jvsTS'jç.

On donc contraint de se demander si Paul dépend de Marc, ou si


est
au contraire Marc ne dépendrait pas de Paul dans ce cas la liste :

primitive de la catéchèse apostolique serait celle de Matthieu, et elle


aurait été développée dans Marc selon les idées de Paul (3).
On abord noter que la partie commune à Marc et à Matthieu
doit d'
a incontestablement un caractère pins juif ce n'est guère qu'un :

reflet de la deuxième partie du décalogue z-j [j-zr/j-ùaiiq oj ^ovsûjsiç,


: ,

zj y.'/A'lz'.:, ;j •!jz'jzz[j.yz-jpr,zt'.z (i Le commandement « tu ne désireras


.

pas » etc., pouvait être omis, comme compris dans les mauvaises
pensées. Quant à la ';Suyj:zr^\v.y., dans la Bible grecque elle désigne
toujours le blasphème, c'est-à-dire une parole insultante pour Dieu.
C'était peut-être le sens que lui donnait la catéchèse primitive. Dans
Matthieu, après l'interdiction du faux témoignage, dans Marc surtout,
entre l'envie et l'orgueil, il semble bien que le mot doive être pris au
sens de parole offensante pour les hommes, sens qui était très usité
en grec, concurremment avec l'autre signification. Ce serait une
dépendance de ce que nous nommons le huitième commandement,
un terme grec pour désigner une chose interdite par la loi juive.
En négligeant ce que ce mot a pour ainsi dire d'intermédiaire, il
demeure une opposition assez marquée entre les péchés très concrets,
communs à Matthieu et à Marc, et les vices caractérisés par des termes
(1) Me. viii, 21.

(2; Mt. XV, 19.


(3) M. Loisy, si prompt à conclure au pauliûisme de Marc, se conlenle de dire « cf. Rom. i, :

29-31. Sur un rapport possible de lénumération des péchés dans Marc avec « les deux
voies source de la Didacliè, cf. Seeeeri;, etc. » [Les évautjilex synoptiques, l, p. 967,
)i

note 3).

(4) Dt. V, 17-20.


54 REVUE BIBLIQUE.

abstraits, comme ssacç, xzé'K';iix, -j-ipr^ox'/ix, à^^pcjùvr,. Il est vrai que,

parmi ceux-ci, se trouve le mais le mauvais œil, pour


mauvais œil,

désigner l'envie, est une expression aussi grecque qu'hébraïque.


La question ainsi posée, la solution n'est guère douteuse. Si saint
Paul avait entendu dans la catéchèse une liste semblable à celle de
Marc, est-il vraisemblable qu'il se soit inspiré seulement de la partie
qui n'est pas commune aux deuxévangélistes? N'est-il pas plus vraisem-
blable que les noms qui sont en plus dans Marc, noms abstraits pour
la plupart (six sur sept), ont été empruntés par Marc à une catéchèse
agrandie dans les milieux païens, surtout sous l'influence de Paul,
peut-être même sous l'influence de l'épitre aux Romains? Qu'on ait
ajouté àasAysia, cela se comprend assez pour remplacer les vices
contre nature, stigmatisés par Paul; le mot, d'ailleurs, peut passer
pour paulinien (1). Et, quoi qu'il en soit de l'imitation de Paul par
Marc, on ne peut vraiment pas affirmer que Paul se soit inspiré de la
catéchèse chrétienne.
Voilà donc encore un résultat négatif.
que nous cherchons mal. Peut-on même imaginer
C'est, dira-t-on,
qu'un apôtre, chaque jour en contact avec les réalités, avec les
défauts concrets qui lui barrent la route, s'exprime en philosophe
ou en éditeur qui récite un catalogue de vices usité dans les décla-
mations de l'école, ou qu'il compose lui-même une de ces listes d'a-
près l'analyse psychologique, ou encore qu'il l'emprunte àla tradition
des maitres juifs, plutôt que de s'inspirer du spectacle qu'il avait sous
les yeux?
Et cependant cela parait bien être le cas dans les deux épttres à
Timothée (2). L'une énumèrc les vices opposés à la bonne doctrine,
la seconde les défauts des hommes dans les derniers temps. Non seu-
lement ces énumérations ressemblent à celles de Philon, dont elles
ont le vague, sans avoir la portée philosophique la seconde s'est ;

visiblement inspirée de l'épitre aux Romains elle-même.


Il n'était donc pas superflu d'envisager cette hypothèse; mais,
sommes-nous tenus de nous demander si saint
à plus forte raison,
Paul n'a pas parlé du paganisme gréco-romain d'après nature,
et d'après ses expériences apostoliques traçant à larges traits le ta-
bleau de la décadence des mœurs dans le corps entier de l'empire.
Cette opinion paraît très naturelle. Elle est sans doute supposée
implicitement par les commentateurs qui ne s'expliquent pas. Elle a

(i; Rom. XIII, 13; II Cor. xii, 21 ; Gai. v, 19; Eph. iv, 19; de plus dans le N. T., I Pet. iv,

3; 11 Pet. Il, 7, 3 18; Jude, 4.

(2) 1 Tim. I, 9, 10; II Tim. m, 2-5.


€ATALOGUE DES VICES DANS I.'EPITRE AUX ROMAINS (I, 28-31). o4n

cependant ses difficultés, s'il s'agit du passage de saint Paul que


nous avons détaché spécialement et de la dépravation régnante au
sein de la culture gréco-romaine.
Si l'Apôtre avait eu l'intention de prononcer une sorte de réquisitoire
contre les mœui's dans l'Empire, il semble qu'il n'aurait pas dû
omettre certains aspects. Il est proljable qu'on ne lirait pas aujourd'hui
une description sur les Romains de la décadence sans qu'il soit ques-
tion de leurs orgies, de ces festins fastueux et parfois ridicules, tels que
ceux de LucuUus ou de Trimalcion. Paul ignorait si peu ce trait qu'il
le note dans cette même épitre 1 .

Ce qui nous frappe encore, c'est la facilité des divorces, la répu-


gnance pour le mariase, la stérilité des unions. Je ne parle pas de la
tyrannie des empereurs. Sans doute dans les provinces on était moins
consterné qu'à Rome des exécutions qui décimaient les plus glorieuses
familles. C'est en
que nous avons appris à détester la
lisant Tacite
bassesse des délateurs, la servitude du Sénat, la lâcheté des juges et
souvent des victimes. Mais pourquoi saint Paul n'a-t-il pas touché
un point qui a étonné les païens eux-mêmes, l'action profondément
démoralisatrice de certains cultes religieux? Il <emble que c'était
le cœur même de son sujet. Il voit la cause du mal dans le parti pris

de ne pas rendre un culte au vrai Dieu lidolàtrie est d'après lui le :

point de départ d'une chute morale: comment le prouver avec plus


d'évidence qu'en montrant l'immoralité non seulement pratiquée,
mais enseignée par les maîtres de relision? Il n'avait qu'à produire
à nouveau, sinon les anathèmes de Lucrèce contre les sacrifices hu-
mains, du moins la sévère condamnation de Tite-Live sur les Baccha-
nales additae voluptates reliyioni vint et epularum, qiio plurium
:

aniïiii ilUcerentur venena indidein intestinaeque caedes, itaut ne


corpora quidem interdum ad sepidturam exstarent. Midta dolo, ple-
raque per rira audebant. Occulebat vim, quod prae ululations tym-
panorumque et cymhalarum strepitu nulla vox quiritantium inter
stupra et caedes exaudiri poterat (2). Il eût ainsi préludé aux diatribes
de Juvénal contre les cultes syriens ou égyptiens.
Et ce n'étaient point seulement des religions étrangères, plus uu
moins secrètes, plus ou moins suspectes, dont on exagérait peut-être
les crimes commis dans l'ombre, qui auraient pu tenter la verve de
saint Paul. Depuis des siècles on rougissait des mauvais exemples que
donnaient les dieux officiels de l'Olympe. Les Stoïciens, dont on fait
aujourd'hui les maîtres de saint Paul, lui fournissaient une matière

1; xm, 13 : ;j.i^ y.a)u.o'.; za: u.É5a'. ;.

(2) Liv XXXJX, 8.

REVUE ElBUOUE 1911. — N. S., T. VIII. 35


o46 REVUE BIBLIQUE.

abondante. —
sans parler des cyniques et de la comédie. Les jeunes
gens de Térence expliquaient d'avance la pensée de Sénèque Qitid :

aliud est vitJa nostra incendere, quam auctores illis inscribere deos et
dare morbo exemplo divinitatis excusatmn licentiam (1).
Il est d'autant plus étonnant que Paul se soit refusé ce facile

triomphe, que l'auteur de la Sagesse, qu'il avait certainement sous les


yeux ou dans la mémoire en écrivant son premier chapitre aux Ro-
mains, avait esquissé un tableau très vivant et relativement complet
des désordres du paganisme : Les païens
rites où ils « célébrant des
immolaient leurs enfants, ou des mystères clandestins, ou se livrant
aux débauches effrénées de rites étranges; ils ne gardent plus la pu-
deur ni dans la vie, ni dans le mariage; l'un tue l'autre par la trahi-
son, ou l'outrage par l'adultère. Ce n'est partout que sang et meurtre^
vol et tromperie, corruption, manque de foi, désordre, parjure,
persécution des gens de bien, oubli des bienfaits, souillure des
âmes, impudicités contre nature, instabilité des mariages, adultère
et luxure (2) ».
A côté de cette vigoureuse mercuriale, les reproches de saint Paul,
sauf ce qu'il a dit plus haut de l'idolâtrie et des vices contre nature,,
paraîtront bien vagues, et singulièrement incomplets.
Paul lui-même a trouvé d'autres accents, quand il se trouvait en-
présence d'une douloureuse réalité, et qu'il s'agissait de trancher
dans le vif. On sait ce qu'était Corinthe, la cité des plaisirs faciles et
des débauches coûteuses, maison même temps la cité grecque où la
paix romaine n'avait pu que ravaler à un niveau plus bas les compéti-
tions, les brigues, les rivalités de partis. A ceux-là il dit carrément :
(( Ne vous y trompez pas : ni les impudiques, ni les idolâtres, ni les
adultères, ni les elféminés, ni ceux qui recherchent les jeunes gens,
ni les voleurs, ni les avares, ni les ivrognes, ni les insulteurs, ni les
hommes de proie ne posséderont le royaume de Dieu (3). »
Puis, sachant bien où les entraine l'esprit d'intrigues, il craint de
trouver parmi eux « discorde, envie, animosités, disputes, détractions,
faux rapports, enflure, agitations (4j ».

(1) Sen. De brev. vit. 16.


(2) Sap. \iv, 23-26. D'après la traduction Crampon.
(3) I Cor. VI, 9-10.
(4) II Cor. xn, 20-21. Cette énuniéralion parait plus spéciale que celle de Dion Chryso-
slome qui parlait plus tard, à propos de ceux qui atlluaient à l'isthme, de l'ignorance, de la
méchanceté, de la licence et des défauts d'une àme sans réflexion, ni culture, lâche, arro-
gante, amie des plaisirs, sans noblesse, colère, chagrine, méchante, et corrompue de toute
façon ('i'uy.TJ; dcfoovo; y.al àaa6o-j: xal oî'./ïj; xai ÔpaTîia: xaî ?i).r,5Qvou xal àv£),£uOépou xai ôpyi —
Àr,; xal îravo-jpvoy xal jtivxa -rpônov ôiîyOapjAî'vr;;". Or. \'1II, 8; éd. dArnim. I.p. 97.
LE CATALOGUE DES VICES DA.NS LEPITHE ALX RO>L\LNS \, 28-31). b4T

Chez les Asiatiques, le ton dans les querelles est beaucoup [dus
élevé ; les intrigues secrètes le cèdent aux éclats de voix. Aussi, quand
il s'adresse aux Éphésiens, ce qu'il leur recommande d'éviter, c'est :

« l'aigreur, l'animosité. la colère, les cris, la difTamation (1 >« ou en-


core « les vilaines paroles, les boulfonueries. les plaisanteries (2; ».
Ce n'est sans doute point par hasard qu'il donne ces avis à ceux
d'Éphèse. Colosses, située dans la même région, est prévenue à son tour
contre l'animosité. la colère, la diffamation, les vilaines paroles 3...
Peut-être est-il prudent de ne pas aller plus loin dans cette voie, et

de ne pas voir une peinture des vices propres aux Galates dans l'énu-
mération que Paul leur adresse des vices de la chair « l'impudicité, :

l'impureté, la débauche, l'idolâtrie, les maléfices, les inimitiés, la


discorde, l'envie, les auimosités, les disputes, les dissensions, les sectes,
les meurtres, les scènes d'ivrognerie et le désordre de la table + ».

On pourrait alléguer cependant que si ce tableau ressemble à celui


où les Corinthiens sont invités à se reconnaître, la violence des
meurtres a remplacé l'adresse des vols; les discussions y sont ouvertes
et poussées jusqu'aux ruptures Paul ne parle pas aux ardents Galates
;

de la mollesse parmi les vices de la chair, ni de la recherche des


garçons
Ces exemples semblent suffisants pour mettre dans son jour la
manière de saint Paul. Sans négliger ce qui appartient à l'humanité,
ces vices c|ue l'on rencontre partout où il y a des hommes, il a cepen-
dant eu vue certains travers particuliers de ceux auxquels il s'a-
dresse : il ne parle pas aux Corinthiens comme aux Éphésiens ou
aux Galates. N'aurait-il pas suivi la même méthode, plus ou moins
expUcitement voulue, en s'adressant aux Romains? Au début, on
dirait bien d un catalogue de vices injustice, méchanceté, cupidité,
:

malice, envie, meurtres, querelles, fraudes, malveillance. Mais lors-


qu'il passe des termes abstraits aux épithètes. ces épithètes ne lais-
sent pas que d'être caractéristiques. Les vices abstraits sont ceux de
tout le monde les épithètes ne seraient-elles pas celles où l'on a
;

toujours reconnu les Stoïciens? L'orgueil tient la première place,


avec les insolents, les orgueilleux, les fanfarons, et les défauts qui
découlent du besoin de la supériorité, les détractions publiques
ou secrètes, la révolte contre les parents. La dureté du cœur vient
ensuite, en termes d'autant plus significatifs qu'ils sont plus rares.

(i; Eph. IV, 31.


(2) Epb.v, 4.
(3) CoL m, 8.
(4; GaL V, 19-21.
548 REVUE BIBLIQUE.

Toutefois, les exég-ètes modernes sont d'accord que saint Paul n'en
a pas aux philosophes, et nous ne voulons pas céder à la tentation
de rétorquer l'argument de ceux qui flairent ici une pensée stoïcienne.
Mais le stoïcisme et le caractère des Romains s'accordaient à merveille
et s'amalgamaient aisément. Dans sa description de la déchéance
morale des Gentils, saint Paul, écrivant aux tidèles de Rome, n'a-t-il
pas dû insister sur la part propre aux maîtres du monde? Ils se flat-
taient de réunir tous les peuples dans une même société. Tous les
idées qu'énumère Paul sont précisément des vices anti-sociaux,
marquant le triomphe de l'orgueil personnel, en hostilité avec les
autres hommes, même dans la famille, détruisant toute stabilité dans
les relations et surtout cette bonté du cœur qui est le meilleur ciment
de l'ordre social.
Lesprit un peu lourd de ces Occidentaux, comparé à la vivacité
orientale, s'accommodait assez bien de lépithète d'inintelligents.
Leur amour de la gloire dégénérait souvent en jactance, et les temps
étaient déjà loin où le respect de l'autorité paternelle était l'une des
forces morales de Rome.
On se ferait scrupule de serrer la comparaison de trop près, et il

est sur que Paul n'entendait pas dire aux Romains chrétiens des cho-
ses désobligeantes pour leur patriotisme. Il ne s'arrogeait pas le droit
de les traiter comme ceux de Corinthe ou d'Éphèse, ou comme ses
Galates mais enfin il serait étonnant que le sens des réalités n'ait pas
;

guidé sa plume.
Peut-être faut-il ajouter que s'il n'a pas été très précis, comme
nous avons dû le reconnaître, c'est que déjà sa pensée suivait un
n.ouveau tour. Il préparait son apostrophe au juif « Ainsi tu es :

inexcusable, ô homme qui juges, car en jugeant l'autre, tu te con-


damnes toi-même, car tu fais la même chose, toi qui juges (1). »

Il devait donc, dans son énumération des fautes, s'en tenir à des
reproches que les Juifs avaient mérités. Si cette explication est juste,
tout devient clair.
Les Juifs se sont morale plus pure
targués surtout d'une vie ;

rien ne les scandalisait autant que débauche païenne, l'absence de


la

retenue dans le plaisir. Peut-être ne tenaient-ils pas assez compte de


la compensation que leur offrait la polygamie et il faut sans doute

de l'hypocrisie
faire la part officielle qui les inspirait, pour la plus
grande gloire de la nation, et, à ce qu'ils croyaient, de Dieu. ^lais

(1) II, 1. D'après l'opinion de beaucoup la plus commune (contre Lipsius), c'est bien au
juif que Paul s'adresse dès le début du ch. ii, sans le nommer, i)our mieux ménager 1 ef-
fet du V. 17
I.E CATALOGUE DES VICES DANS L'ÉPITRE ACX ROMAINS (I, 28-31). 549

cette hypocrisie elle-même les mettait en garde contre le luxe étalé


des festins, accompagné des excès dont on tirait vanité (1). Ne serait-
ce pas pour cela cfue Paul s'est abstenu cette fois de faire allusion
aux péchés de la chair, aux fêtes crapuleuses (/.wy.;'., yiOaO, à l'impu-
dicité zTSAYE'.a, T:=cv£{as aux paroles déshonnêtes x'."/c:Tr,r, ';.o)p:/.:7(aV? '

Il ne pouvait se dispenser de parler de l'immoralité des Gentils il ;

l'a fait au début, avant de commencer l'énumération qui pouvait

être appliquée aux Juifs. Certains traits leur conviennent même


mieux qu'aux Romains, comme les diffamations secrètes ou publiques.
Leur orgueil comme Juifs, leur mépris du reste du monde, leur jac-
tance respirent encore dans tous leurs écrits de ce temps. Ils étaient
très unis entre eux, et se soutenaient, surtout en pays étrangers, mais
leur nationalisme étroit les fermait ,2) à ces sentiments plus larges
d'humanité dont Sénèque, quoique stoïcien, s'est fait le vulgarisateur
le plus éloquent.
Peut-être dira-t-on que des vices communs aux Romains et aux
Juifs sont ceux de l'humanité tout entière.
Il se peut. Mais il y avait certainement entre les deux races, au

point où l'histoire les avait conduites, des affinités spéciales. N'y eùt-
il eu de commun que l'instinct de la domination, l'orgueil et l'é-

goïsme, à déterminer une physionomie particulière.


qu'il suffirait
C'est cette physionomie qu'on a cru reconnaître dans le célèbre pas-
sage de l'épitre aux Romains. Ce n'est, si l'on veut, qu'une nuance,
mais, si elle est juste, elle a sa valeur. « Car nous voulons la nuance
encor », a dit Verlaine.

Jérusalem, décembre 1910.


Fr. M.-J. Lagraxge.

{1) C'est peut-être ce qui a donné lieu à la charge de TaciteSeporad epulis, discreti
:

cubilibus, proiectissinia ad lilndinem gens, alienarum concubitu abstinent ; inter se


iiihil illïcitum {Hist. V, b). L'ensemble des reproches est exagéré.
(2) Cf. Le Messianisme..., p. 278, citant les vers de Juvénal, XIV, 96 ss. Tacite a vu les
choses très en noir, mais marque ici le trait
il juste : apud eos fuies obstinata. miseri-
cordia in promptu. Sed ad versus omnes alios hostile odium 'Bist.\, h).
MÉLANGES

NOTE SUR PHILIP., II, 6 :

oOy âpT:a.Ya6v r,yT,nx~o.

Hors de Philip., ii, G de textes ecclésiastiques qui, presque tous,


et

en dépendent, le ternie est très rare; on Ta trouvé une fois


xpr.ocy^.ô:

dans Plutarque [De educ. lib., XV); jamais encore dans les Papyrus
grecs qui fournissent une contribution si précieuse à la lexicographie
du Nouveau Testament.
En général, la tradition occidentale est fixée par les versions latines
où rapina traduit àp-av-j.sç ; elle interprète Philip., ii, 6 : Le Christ
n'a pas considéré que ce fût pour
une itsurpationlui d'être égal à
Dieu. La tradition orientale voit dans '7.p-y.-;\j.'zz V objet même de l'u-
surpation; le Christ n'a pas regardé sa divinité comme une proie h
laquelle on s'attache pour en jouir ou dont on puisse craindre d'être
dépossédé comme d'un bien usurpé.
Il est inutile d'ajouter que les deux exégèses, divergentes dans
l'interprétation littérale, s'accordent sur la conclusion doctrinale :

que le Christ participe à la divinité comme à son bien propre et ina-


liénable.
Les exégètes modernes gardent communément à àp-aY;j.sç son
acception pleine et forte de rapt ou de proie: ils se divisent sur le
sens actif on passif [concret) à donner à ce terme ; praeda rapienda
ou praeda rapta?
C'est dans l'une ou l'autre de ces directions que leur exégèse se
développe et peut-être s'égare (1).

II

M. d'Alès, dans une note très ingénieuse et très savante (Recherches

(1) Cf. LiGHTFOOT, Philippians, p. 133-137: L. Duchesne. Bull, crit., IV (1883). ji. 2'i;

Badham, Philippians, ii, V>, The Expository Times, 11)08, p. 331-333; J. Ross. 'ApTzoLy\i6;,
Philip., II, 6 (The Journal of theological studies, juillet 19rtii, p. 57.>-576).
MÉLAiSGES. ool

de Science religieuse, mai-juin, 1910, 200-269), adopte le sens pro-


prement actif de âcz^Yy-i; et cherche à en préciser la signification
par deux tevtes de Plutarque dont l'un (l), au moins, n'avait pas
encore été versé au débat. M. d'Alès voit dans ces textes « un trait de
lumière qui opère la synthèse d'une tradition exéiiétique étrange-
ment morcelée »; d'après lui, il faudrait donner à y.^~y.';\j.'zz de Phi-
lip., II, 6, le sens erotique de rapt amoureux, à'amour f'urtif; d'où
cette explication : « Le Fils de Dieu, loin de goûter l'ivresse de cette
fête divine la jouissance des prérogatives de la divinité', n'a pas
ou])lié les hommes et s'est anéanti par l'Incarnation )>.

Malheureusement, que l'un des textes de Plutarque,


il se trouve
Quaest. conviv. loc. cit., doit être mis hors de cause. « Vaut-il mieux,
dans un banquet, faire sa part à chacun des convives ou les ser\'ir
en commun? » Plutarque énumère les inconvénients de ce dernier
usage :

Où i"*?
Ç'^t''-OV oiioÈ 0'j[X7:oTiy.ôv, oijia;, A mon avis, ce n'est pas. dans un fes-

::pooi[i.iov sùcoyîaç, uaipasi: zaî àpraTab; tin, un prélude bien amical, ni digne de
•/.ai ysipôjv oiatXXa zal ota"j'/.oiVta[xô;, àÀÀ' convives que les regards jetés (sur les
a-o:îa /.at xuvtxà TcÂEUTwvTa noÀÀây.tç $i; plats}, l'avidité à s'en emparer (àpjiaï-

Àoiooptaç /.'xi opyàç, où xaT' àÀXrjXtov [j.ôvov. ao'ç , les disputes à coups de mains et de
àXXà /.a\ zarà twv Tsa-sro/.ouwv /.a\ -/.%-.->. coudes; ce sont là des pratiques dépla-
tCjV i(jIltiVTOJV. cées, cyniques, et qui dégénèrent souvent
en injures et emportements, non seule-
ment entre les convives, mais encore en-
vers les serviteurs et les amphitryons.

Nous sommes loin du sens à' enlèvement ou jeu de mains lascif


que M. d'Alès croit apercevoir dans ces lignes. Il n'y a pas ici la

moindre « empreinte de sens erotique ».


Le second passage de Plutarque (2) \De educ. puer., xv) paraît à
M. d'Alès « digne de la plus haute attention »; est-il beaucoup plus
concluant?

Toùç 1J.EV cjv T^ç ô'jpaç èTziOujAOuvta; Il convient, ^/i/ Plutarque, d'écarter
sAauvEtv
àT.tl ;:poaT])4E, tou; -?;? -W/r^z des enfants ceux qui n'aiment que leur
ipaaTa; vr/.^'viiri /.%-% -o (jijvoXov. Kal charme physique et, en général, d'ad-
mettre auprès d'eux ceux qui sont épris
XTÊOV k'pwra; v.cà tov iv Kpr^Tr, -/.xÀoyiic- de leur Ame. Ainsi faut-il fuir les amours
vov ap— ayao'v. en usage à Thèbes et à Elis, et ce qu'on
appelle en Crète rap;:aY[j.ô;.

(1) Quaestiones convivales, II. x. 2. p. (;'i4 A Plut.. Scripta Moral, éd. Didot\ t. Il,

p. 781).

(2) Plut., Moralia, p. 12 A. éd. Hemadakis (Teubner . 1888. t. I. p. 2C,. i:.-20 (= Di-
dot, Plut., Script. Moral., I. p. \?,).
552 REVUE BIBLIQUE.

Il est question ici, comme d'excès bhîmables, de certaines pra-


tiques, fréquentes et en particulier dun usage
dans la Grèce antique,
Cretois décrit par Fhistorien Éphore il) et mentionné par Héra-
clide (2) (probablement Héraclide Lembos) en termes qui ne laissent
aucune illusion sur le caractère profondément immoral de cet
usag-e (3 L'éraste avait-il fait choix d'un enfant, dit Éphore, il ne
.

s'en emparait point par persuasion; il l'enlevait (où vàp -v.Hoî y.aTap-

';x:z'KX'. x/X x-px';ftj. Ce n'était, d'ailleurs, qu'un rapt


t:jç àp(o;j.£v:jç,
simulé, suivi d'un séjour du ravisseur (5 àp-âCoiv) et de l'enfant dans
les montagnes.
Voilà ce que Plutarque désignait par xp-x\'[j.zç.
Le sens très particulier et très local de l'expression en exclut l'em-
ploi dans une lettre adressée à des chrétiens de Macédoine.
Psychologiquement, on s'expliquerait mal que l'apôtre saint Paul
dans une exhortation nettement morale, mais où il fait allusion aux
rapports mêmes du Christ avec la divinité, ait employé un terme
qui devait, s'il était compris, éveiller, chez les auditeurs et lecteurs
de sa lettre, l'image d'une pratique infâme et de mœurs païennes
qu'il stigmatise ailleurs ^/îom., i, 27; I Cor., vi, 9; I Tim., i, 10).

III

Je crois qu'il faut chercher dans un autre sens.


On c'ite, depuis longtemps, mais sans peut-être en avoir vu tout
l'intérêt, des textes indépendants de Philip., ii. 0, où les termes :

aszav;j.a, xo~x'([j.zz, non seulement sont absolument synonymes, mais

apparaissent, avec une signification très atfaiblie, d'où l'idée d'usur-


pation, de rapt et de proie a certainement disparu.
Par exemple, dans saint Cyrille d'Mexandrie \De Adoratione in
Spiritu et veritate, i; P. G., LXVIII, 172), Lot vient d'inviter les
anges, dissimulés sous figures d'étrangers, à entrer chez lui. « Non,
répondent-ils, nous camperons sur la place; mais Lot insiste \).v.- :

^ivw; /.7.-.izi3.",i-z. y-a-. =>/ àp-a^jv-bv ty;v r^y.pj.i-.r^-zvi wç ï\ àopavijç y.x'i

yiy.ztz-izy.z ï-z^vr.z spîviç. OJy.oOv -j.zzv/.'lt-.y.\ ;j.èv ajtcjr. x'Jj'^.z-jq t$

ioTsuc ~y.z-.-.''S)v. /.al t:;t:v v.p-^xii-.z. Peut-on donner de ce texte une


autre explication que celle-ci Lot ne se hâte pas de prendre occa- ;

(1) MùLLER ;Didot). FrapH. hist. (jr., I. p. 251-252.

(2) Ibid.. II. p. 222.

(3) Ainsi ràpnaY(i.ô; de Plutarque


n'est pas un mot « sans commentaire » et si u le :

Dictionnaire des antit/iiités romaines, de Daremberg et Saglio. n'a i)as d'article Har-
pagmos ». on y décrit cet usage à l'art. Éducation, t. Il, 1° partie, p. '»7(j a.
MÉLA^'GES. 353

sion de leur refus, comme s'il eût eu un cœur froid et sans charité;
aussi introduit-il les étrangers chez lui. et leur sert-il à hoire et à
manger?
Un texte d'Eusèhe de Césarée [Hisl. eccles., VIII, xii. 2: P. G., X,
TG9 G) présente le mot y.z~-jL';\j.y. avec le sens très net de nioi/en qiion
saisit pour échapper : (Certains chrétiens, dit Eusèbe,

tViV -cTpav oeûyovTî; tS'm aXwva-. /.at I l'iivant l'épreuve, avant d'être pris et
3?ç /Eïpa; Twv È-tSoûXwv uJ)vm, oL-ifoOvi de tomber aux mains de leurs ennemis?
èÇ j'i/riXGJv ôwaaTwv iajToli; xaTî/.prjav.- j se précipitèrent du haut de terrasses éle-
7av, TÔv OdvaTov ap7:ayijLa Oéjasvci-. ttI: vées. saisissant la mort comme le moyeu
Tôjv ojaasSwv [JLO/Or^pîa;. 1 d'échapper à la méchanceté des impies.

Ces citations peuvent suffire.

A mon avis, nous sommes ici en présence de locutions populaires


dans lesquelles y.zr.y.-;\j.7., xpr.y.';[j.z: avaient un sens très v<jisin d'occa-
sion, de prétexte, d'échappatoire qu'on se hâte de saisir pour en
profiter ou s'exempter d'un devoir pénible ou d'une corvée.
En appliquant cette acception à Philip., ii, 6, je propose l'expli-
cation suivante, très simple et très claire :

Que ces sentiments (d'abnég-ation et de soumission les uns aux


autres) régnent parmi vous, comme (ils régnaient) dans le Christ
.lésus. Il était dans la forme de Dieu, mais il n'a point pensé que cet

état d'égalité divine lui fût un prétexte [ou une occasion] à saisir
(pour se dispenser de la soumission et de l'obéissance à son Père
dont II au contraire, lui-même s'est dépouillé (de ses
était l'égal;;
prérogatives divines en prenant (volontairement la forme d'un
i i

esclave.
On voit, d'ailleurs, aisément que cette interprétation ne diminue
en rien l'affirmation de ce passage relative à la divinité de .lésus-

Christ.

Paris.
L. Saint-Paul.
5o4 REVUE BIBLIQUE.

II

INSCRIPTION LIllYÂNITE D'EL- ELA

UN AFKAL DU DIEU WADD.

Nous avons publié dans la Revue (1909, p. 576 ss.) quelques notes
sur un sanctuaire lihyanite récemment retrouvé au Khirbet Hereibeh
situé à quelque distance au nord du
villag"e d'el- Ela, sur la frontière
actuelle du Hedjaz. A ce sanctuaire
appartenait très vraisemblablement
iv^^^ vil l'inscription lihyanite que la So-
ciété française des fouilles archéo-
logiques nous autorise obligeam-
ment à communiquer à nos lecteurs,
en attendant la publication pro-
chaine du second volume de notre
« Mission archéologique en Arabie »

dans leque
de notre dernière exploration
MELANGES.
5o6 REVUE BIBLIQUE.

être « consacrer comme familier ». L'éthiopien wadaqa possède à


peu près les mêmes sens que l'arabe « tomber, dégoutter, etc. ». A :

la forme active 'awdaqa, il signifie « faire tomber, lancer, frapper


:

du glaive ». Il semble bien qu'il est question, dans notre texte,


d'une ofl'rande sanglante, dune immolation à la divinité de la per-
sonne consacrée. Ce sens, suggéré par l'éthiopien, pourrait être celui
de l'arabe d'après le sens de la première forme, être aiguisé, en
parlant d'un glaive.
L. 6-7. — L'objet de cette consécration un jeune homme aSv ^=-
est
-»^, nommé Sàlim, comme le fils de 'Abdwadd. Il n'est pas aisé de
déterminer l'emploi immédiat auqu^el était destiné ce jeune homme.
L. 8. —
nSï[^2]n. Le "2 a disparu, mais il a laissé sur la pierre des
vestiges assez clairs pour autoriser le lecteur à croire qu'il avait été
gravé. Si on admet que nSva est le texte authentique, on pourra
l'analyser par l'arabe s^* « la prière », par suite, une
endroit de
chapelle, un temple. Il est vraique pour exprimer ce sens, la prépo-
sition 2 serait exigée ; on pourrait cependant entendre la tournure
comme un accusatif de lieu.
Dans le cas où nbï, sans le '2, serait considéré comme original,
on pourrait s'en tenir au même ordre d'idées. Le Qoran emploie
.^^^ pour désigner les synagogues des Juifs le minéen se sert de ;

nSy pour signifier « les chapelles, les oratoires », annexés au temple


principal. Le liliyanite.a pu se servir du même nom. Et en somme,
on peut se demander s'il ne l'a pas fait, et si la disparition du *2
n'est pas intentionnelle, tellement elle est radicale. On aurait alors
nSj:n comme en minéen.
Toutefois, d'autres explications sont possibles. Qu'on lise n^^ycn ou
Th'iT\, on peut voir dans ce mot une apposition à Sâlim, un nom pro-
pre précédé de l'article -. suivant l'usage assez fréquent du lihya-
nite. On dirait : « Sàlim al-Maslat » ou peut-être <( Sàlim fils de Mas-
lat », Le nom nSï?2, serait regardé comme étant de la forme Jkxi.-' (ou

bien ^j^^", J^i-* etc.). Si o,s.UL» n'est pas mentionnée par les auteurs
arabes comme un nom de personne, on apprend par le Lisan al-
"^Arah que ^Jul? est un nom propre d'homme, qui, d'après Yâqùt (1),
est d'un usage assez fréquent. De plus, employé comme nom propre,
il est toujours précédé de l'article. On dit o^LJ'... La même :

orthographe se trouve chez Ibn Doreid (2). Comme nom propre nSïn
serait donc parfaitement justifié.

(1) Yaqut, 3/2<V"'«---, 11,388; 111. 812; IV, 906; etc.

(2) IbnDor., Utiqnq..., 44, 11.


MELANGES. 557

Encore une hypothèse. Au point de vue grammaticaL rien n'em-


pêche de considérer r-y-rr; comme une épithète de Sàhm, épithète
destinée à faire connaître la manièn- dont il a été otfert au Seigneur

de Càbat. La racine arabe ^i^l^. à laquelle se rapporte r-ï'Z.-, si-


gnifie « frapper de Fépée ». r-ï'i- peut répondre au participe

,^jj^<ij' « le frappé du glaive ». Mais d'après le Lis//n, lusage arabe


préfère, pour exprimer cette idée, employer le participe passif de

la quatrième forme, ^J^'. qui signitie deux choses " le glaive ;

tiré de sa gaine " et aussi « l'homme qui a été frappé du tranchant


du glaive 1 ». D'après cette analyse qui est tout à fait gramma-
ticale, on traduirait r-i-Z" z'-ù* par " Sàlim, frappé du glaive, ou :

immole >.

Contre cette on songera peut-être à soulever la


interprétation,
difficulté du on prétendra qu'il faut lire p'""j;~.
"2 effacé et
A cette objection, on peut faire une double réponse Première- :

ment, le terme ^i,J~^" s'emploie dans le même sens que ,j:^,}^\

vjL^bl^J' « tué, mort ». En second lieu, si r^yn représentait la véri-

table lecture, il pourrait être regardé comme l'infinitif de la qua-


trième forme, qui exprimerait très clairement le but <le la consécra-
tion, 'j^' « pour être immolé ». De quelque façon qu'on lise,

r-ï~ ou r~L:-.". on trouvera toujours .dans ce mot l'idée d" « immo-


lation ».
Ce sens parait décidément préférable, du moins au premier qui a
été proposé. En effet, dans le cas d'une consécration du jeune homme
pour rester dans le sanctuaire, outre qu'il eût été plus régulier
d'écrire la préposition -, il eût été plus naturel de suivre l'ordre :

« — (iàbat
ont offert à dhou dans son sanctuaire, » ou « dans le
sanctuaire de dhou — Gàbat ». C'est sans doute aussi à cause de l'im-
molation qu'on insiste sur la jeunesse de Sàlim: les Arabes immo-
laient de préférence les jeunes gens, comme on le sait entre autres
par la pathétique histoire du fils de saint Ml -2 .

L. 8. —au Seigneur de Gàbat ». Ce terme se rencontre


nzyV-' «
fréquemment dans nos inscriptions lihyanites. Il désisne ici le Sei-

'1) Selon Ibn Doreid ^_;^—>^= \-^ ^


veut dire « un homme habile dans ses affaires » ;

ais le terme ^^^..'^' signifie aussi : « tué, immolé ».

(2) LAGRANGt:, Étude sur les religions sém., 2* éd., p. 257 s.


3o8 REVUE BIBLIQUE.

gneur ou le Ba al de Gâbàt. Le souvenir de ce lieu a été conservé

par les géographes arabes, sous le nom de Ï^M et de JoUL Abou'l-


Faradj (1) parle longuement de ^»i, de son château fort et des

richesses qui s'y trouvaient. Il place cette localité auprès de ^j=^- Et

Yâqùt (2) situe v^J-^ 'A trois milles de Médine, sur la route de Da-
mas; "^M était donc au sud d'el-'Ela, sur la route de Médine. Mais
Yâqùt parle de ^^ d'après une de ses sources seulement, d'après
Tabary, car selon d'autres témoignages, il écrit l)'-i;. Et pour lui,

j^jU et ïjli( représentent la même localité auprès de 4)=-.

Avant Yâqùt, le célèbre Bekry (3) avait mentionné la même


tradition. Pour ce dernier, ^jU se trouve un peu au nord de ^e-;
ily a des richesses abondantes « les nombreux palmiers fournis- ;

saient des dattes aux femmes du Prophète ». Il y a trois jours de

marche de Médine à LU3' ^'^, « la Gâbat supérieure », qu'il distingue

de ^livJ' ÏJ- « la Gâbat inférieure ». Dans un autre passage (4\


Bekry place immédiatement après ^^j=^ la ville de ijU,. Sous l'ap-

pellation de JoUj, on n'hésitera pas, croyons-nous, à reconnaître notre


T\ivi «Seigneur ou Ba'al de Gâbat ». Cette localité était justement
célèbre à cause de la fertilité du sol et de l'abondance de ses palmiers ;

son Ba'al jouissait de sa renommée, à en juger par la mention


fréquente qui en est faite dans les inscriptions lihyanites. C'est pour
ce motif que le nom de nzvT s'est conservé dans XjU' malgré la diffé-

rence de prononciation entre î et 7. Et les auteurs arabes, comme


Yâqùt. ont enregistré le fait sans le comprendre.
Il est malheureusement impossible de dire le nom de ce Seigneur
divin de (Tâbat. Serait-ce l'étoile du matin, à laquelle les Arabes de
saint Nil voulaient immoler Théodule?
L. 10. — r;vc-!£ « son bonheur ». Ce mot
se trouve en lihyanite
dans une sorte de formule stéréotypée, à côté de Tjx: et de mnN. Le
sens que nous lui donnons, ne saurait être douteux. Le mot sera com-
paré à l'arabe -W^ qui signifie « précéder, vaincre, prospérer ». V iod
qui se trouve à la fin dans ""riE a été expliqué par M. Lidzbarski

(1) Kit. el-'Ag..., X\U, 123.


(2) Yaqlt, II, 931.
(3) Bekrv, Mu'(/rim..., p. 331, iiO, 691.
(4) Bekry, 175.
MELANGES. 559

Œphemeris..., III, 215) comme une indication du duel. On rencontre


aussi n'cnî. On s'attendrait à lire ici 2~, pronom suflixe du pluriel,
({ui se rapporterait à tous les sujets du verbe ; mais le - seul est cer-

tain; il termine la ligne. Il faudra admettre que le lapicide n'a pas eii

de place pour graver ou bien que le - se rapporte uniquement


le 72,

au sujet principal, 'Abdwadd. On ne peut guère supposer en effet,


même si le jeune Sàlim a été seulement consacré au dieu comme es-
clave, que ce fût pour sa prospérité à lui.
L'intérêt vraiment peu ordinaire de ce texte nous engage à déter-
miner la signifioation propre du terme "'lEx sur lequel nous avons
promis de nous arrêter un instant.
Le mot S^EN lih vanité répond évidemment au nabatéen nSz£n
mentionné dans une inscription funéraire de Médaïn-Sàleh, expliquée
dans notre « Mission archéologique en Arabie » ip. 170). Dans cet
endroit, nous avons indiqué succinctement comment, après les pre-
mières hésitations des savants, une interprétation nouvelle de ce nom
se dégageait peu à peu et tendait à prévaloir. Après avoir mentionné
les éclaircissements successifs fournis par Lidzbarski (1) et Litt-
mann (2), nous ajoutions « Ce mot a été rapproché de l'assyrien ab-
:

\p) kallu (3), dont le sens de « sage » (4) est le plus fréquent et qui
sert d'épithète à un prêtre ou à un devin. Il est fort possible que
l'afkal nabatéen ait revêtu ce double caractère qui, dans l'antiquité,
était assez commun au même individu. Ce devait être, en tout cas, un
persoijinage important pour qu'on cré;U ainsi à son profit, dans le cas
d'une violation de sépulture, une amende de mille drachmes, payée
d'ordinaire au roi, quelquefois cependant au stratège. Peut-être ne
serait-on pas très loin de la vérité en reconnaissant en lui la pre-
mière autorité religieuse locale. »
Cette hypothèse reçoit aujourd'hui une nouvelle confirmation.
On remarquera d'abord que Abdwadd, l'auteur de l'inscription,
porte le titre de ~* --EN- Ici Afkal est déterminé par le nom du dieu
Wadd; il désigne donc, selon toute vraisemblance, un dignitaire
chargé des intérêts du dieu. Et, de ce chef, ne semble-t-il pas qu'on
soit autorisé à traduire "V"'2£n par prêtre de Wadd »?
<<

L'inscription palmyrénienne qui a déterminé Lidzbarski à cher-


cher un titre religieux dans ?2î:n, ne contredit nullement cette inter-
prétation. Il est très exact, suivant la remarque de Lidzbarski, que

(1) Ephemeris..., I, p. 2u2.

(2) Seinitic inscriplions, p. 78.


(3) HoMMEL, Theolog. Lil.-bl., 1901, col. 497.

(4) DiioiiME, Choix de Textes, p. 34 s. (1. 55), 52 s. '1. 93;, elc...

i
560 REVUE BIBLIQUE.

S^£N* se trouve après un nom propre de personne (1), mais il est

encore plus important de noter que ce ternie est déterminé par le


nom du dieu 'Azîzù, comme dans notre texte il est en connexion intime
avec dieu \Yadd. Et un détail assez piquant mérite d'être relevé
le :

Alors que Bal fait une consécration à deux dieux, Arsû et Azizù, il
ne se déclare F'afkal que d'un seul (-2), NnS»^ '""'r;' n S^Ex. L"afkal
désignait donc une dignité religieuse bien spécifiée (3). Et il semble
que la meilleure traduction à proposer soit celle de « prêtre ».

La tradition arabe, si obscure et si embrouillée soit-elle, confirme


cette interprétation.
Dans le « Livre des Chansons » [Kitdb al-' Aijdny, d'Abou'l-Faradj
^ c *
mort en 356 de Fhégire), al-'afkal, LO^l', désigne certainement un
personnage dépositaire d'une autorité religieuse différente de l'au-

torité civile ordinaire. On lit en al-Ay..., XXI, p. 186)


effet [Kit. :

« L"afkal était Omar ben al-Gu'ayd... Le pouvoir sur les Rabi'at


appartenait aux Dubay'at 'Adgam...; ensuite il passa aux \Vnzali...,
ensuite aux Abd al-Qays, et c'est V'afkal qui l'obtint, et il s'appelait
Omar ben al-(iu'ayd. »

Dans al-Ay. XV, 76, on trouve, à propos d'un vers de Alqamah


Kit. ,

sur Omar ben al-(iu ayd, ce renseignement significatif « Omar :

benal-Gu'ayd éidd\ prêtre, (.ï"^; il était des Beni-'Amir, ben ad-Dil,


ben Sanni, ben 'Afsa ben Abd al-Qays. Cette dignité ne cessa point
parmi ses descendants dont l'un, ar-Ri])àb ben al-Barâ', exerrait les
fonctions de prêtre lorsqu'il renonça au paganisme pour passer à la
religion du .Mesîh. » Dans le « Livre des Chansons » nous trouvons le
même personnage, Omar ben al-Gu'ayd, nommé 'afkal dans un
endroit, et appelé prêtre .^^^ dans un autre passage. A la rigueur, il

(1) Tour pernieUre au lecteur de sui\re plus facilement la discussion, nous donnons la

traduction de cette inscription palmyrénienne :

X Pour Arsù et pour 'Azizù, dieux bons et louables, a fait (cecij Ba'l tils de Yarhibola ,

'Afkal de 'Azizù, Dieu bon et miséricordieux, pour sa vie et celle de son frère, au mois
d'octobre de l'an 500, etc.
(2) Dans linscription nabatéenne,
1'
'afkal n'est déterminé par aucun uum divin « El :

quiconque ne fera pas comme c'est écrit ci-dessus sera redevable à Dùsarà et à Hobal et à
Manùtu de 5 samdins, et à 1' 'afkal. d'une amende de mille drachmes de Harétat. »
(3) Si l'inscription de Warka, Hommel, Sud-ar. Chrest., p. 113, à laquelle fait allusion
Lidzbarski, portait ^.T^'jhzza ^t *' in" était pour TT", on aurait un rapport assez
curieux entre cette inscription ininéenne (?) et palmyrénienne déjà citée. On
l'inscription
sait en eflet 'v. Dussald, ISotes de mijlliologie syrienne, p. Il, etc). que "i""!'", '^/y^.

n'était qu'une épitbète et que le nom spécifique du dieu était "JÛl^V"'^^"- 1 étoile du

matin. Le If^TÎ? de Palmyre serait une reproduction du ^r,fy'J SjSN, minéen. Serait,
SdEN
il permis de dire aussi que lelihyanite (avec le nabatéen?) a hérité ce nom du minéen?
MÉLANGES. u61

pourrait se faire que ces deux appellations s'appliquassent à deux


fonctions différentes, mais il est de beaucoup plus probable que ces deux
termes ne désignent qu'une seule et même dignité : celle de prêtre.
Cette tradition a été recueillie par Ibn Doreid, mt)rt en 934 de l'hé-
gire, dans son livre intitulé hiiquq ou '< TÉtymologie ». A la page
197,1. 7, il dit « kw\ Béni ad-Dil appartenait Y'afkal qui s'appelait
:

'Omar ben Gu'ayd ». C'est évidemment le même personnage que ce-


lui du" Livre des Chansons». Et après avoir dit que le terme afkal était
devenu synonyme de « tcmnerre et de tempête », pour signifier l'efiroi
qu'inspirait ce personnage, il ajoute « Et T'afkal était seigneur :

des Kabi'at au temps de l'ignorance; il était tyranniquo et cupide. »


Le Lisdii al-Arab a enregistré la même tradition : 1 "afkal est repré-
senté comme un personnage tyrannique semant partout l'épouvante.
Dans les lexiques arabes usuels J-O' est traduit par « crainte, trem- :

blement »
Peut-être d'autres ouvrages arabes, que nous n'avons pas sous la
main, contiennent-ils des renseignements plus explicites sur ce digni-
taire qui a dû, a un moment donné, exercer ses fonctions à la manière
des faqîrs modernes, en inspirant la crainte et la terreur les spécia- :

listes saliront trouver ces textes et les mettre en valeur. Qu'il nous

suffise, pour le moment, d'avoir montré que la tradition arabe a

conservé le souvenir de l'afkal, prêtre (1); cela confirme d'une

manière assez décisive, la proposition que nous avons faite de traduire


n/^zEN par « prêtre de Wadd ». De nouvelles découvertes accroîtront
sans doute la lumière sur ce point.
A. Jaussen et R. Savignac.

(Ij Si quelque auteur a déjà fait le rapprochement entre le "'S^x des inscriptions et le

prêtre i liCi'; de la tradition arabe, nous n'en avons pas connaissance et il nous est dif-

ficile de nous renseigner, à Jérusalem. Nous savons seulement qu'on a essayé de rat-

tacher "^ZÎN à la racine ^ ^ ;


Clermont-Ganneal, Recueil..., IV, p. 404). Lidzbarski,

qui cite matériellement le mot 3-^' ^^"^ ^" ^"'^° tirer, le regarderait volontiers comme
' o
I f
l'équivalent de Lvi.- « celui qui fait attention à une chose, qui s'applique ». Les rensei-

gnements tirés de la tradition arabe sur IXi' cadrent peu avec ces hypothèses. Inutile
d'insister sur le fait qu'en arabe on écrit généralement :
\ viNt " ^^ 'afkal », comme
si on voulait indiquer le prêtre connu de tous, « le grand prêtre ». Quant à l'etymologie du
mot, on hésitera sans doute encore longtemps, avant de la déterminer. Mais dés mainte-
nant deux voies paraissent ouvertes rattacher "il£x à une racine assyrienne, en cherchant
:

dans ce domaine lorigine du nom et de la fonction, ou bien attribuer a lancienne langue


du sud de l'Arabie la propriété de a terme. On reconnaîtra, qu'au point de vue araiie,

ViCa! ^^^ ^"^ comparatif qui peut aisément être pris pour un superlatif.

REVLE BIBLIQUE 1911. — N. S., T. VIII. 36


o62 REVUE BIBLIQUE.

III

LE PSAUME Vil

Le psaume vu a présenté beaucoup de difficultés aux critiques, sur-


tout à cause de son rythme et de sa strophique.
M. Duhm (1) en fait deux poèmes, dont le premier (vv. 2-6 et 13-18)

a six strophes de deux distiques et le second, trois strophes de deux.


Dans le premier poème les distiques sont formés de deux vers égaux
à trois accents, tandis que dans le second, le premier membre de
chaque distique a trois accents et l'autre deux seulement. Les versets
10^-12 offrent, selon M. Duhm, un embrouillement de phrases qui
ne s'accordent guère avec le reste. En outre, les deux morceaux ne

se suivent pas; dans le premier, l'auteur demande àJahweh du secours


contre un ennemi personnel; dans le second, il le supplie de lui faire
justice dans un jugement qu'il rendra en présence de tous les peu-
ples. M. Duhm retranche les versets 10''-12 déjà mentionnés; d'autre
part, il est obligé de compléter quelques stiques.
M. Bickell (2) avait proposé une partition en deux poèmes; M. Duhm
la suivi en développant l'exposé des arguments.
M. Baethgen (3 ) ne propose aucune reconstruction rythmique.
M. Briggs (i) divise notre psaume en deux strophes de dix triniè-
tres chacune. Il élimine les vv. 5'', 7-12, et 18 c'omme une série de
gloses. En plus de ces suppressions, il propose quelques corrections
fondées sur la métrique.
iM. Rothstein (5) est effrayant : il ne laisse subsister que dix vers,

qu'il épure par la suppression de huit mots, et l'addition de deux au-


tres qui manquaient.
M. Minocchi (6) reconnait l'unité du psaume, mais le mètre et la

(1) Die Psalmen, Freiburg 1899, a. h. 1.


(2) Carmina Veteris Testamrnli metrice, Oeniponle 1882, a. h 1.

(3) Die Psalmen, 3« éd., Gottingen 1904. a. h. 1.


(4) The Book of Psalms, vol. I. Edinburgh 1907, a. h. 1.
(5) Grundziige des hebr. RhytUmus. Leipsig 1909. p. 79.
(6) I Sahni, 2' éd., Roraa 1905, a. h. 1.
MÉLANGES. S63

répartition en strophes ont été troublés; il propose trois strophes de


deux distiques (3-3). puis deux strophes de deux distiques 3 : 2i, enfin
encore trois strophes semblables aux premières. Les vv. 8-9, 11-12
forment une interpolation due à un remaniement postérieur.
M. Sievers (1) propose comme mètre 3:3/3; il élimine quelques
membres et mots.
M. Grinime 2 propose une division en trois strophes à cinq distiques
(i : S\ Il lui manque un membre à quatre accents dans la première
strophe ; ensuite il retranche quelques mots ; mais ce qui est fort
suspect, c'est qu'il est obligé d'enlever les vv. li-lG.
Nous proposons une autre partition strophique; voici la traduction

du psaume mis en strophes. Les stiques sont tous à trois accents.

2. Jahweh, mou Dieu, en toi je me réfugie.


sauve-moi de 'mon persécuteur" et protège-moi,
3. de peur qu'il ne m'enlève, comme un lion
qui emporte, saos que personne ne sauve.

4. Jahweh, mon Dieu, si j'ai fait cela,

s'il y a de l'iniquité dans mes mains,


5. si j'ai rendu du mal à celui qui vivait en paix avec moi.
si j'ai dépouillé celui qui m'opprimait sans raison,
6. que l'ennemi me poursuive et m'attaque.
qu'il foule à terre ma vie,

qu'il couche ma gloire dans la poussière.

7. Debout. Jahweh, dans ta colère!

Lève-toi. dans ta grande fureur contre 'mon adversaire'!


Réveillle-toi, 'Jahweh, mon Dieu',
'pour' le jugement, que tu as ordonné.

8. Que l'assemblée des peuples t'environne,


'assieds-toi' en haut au-dessus d'elle-.

9. Jahweh, 'juge' des peuples.

juge-moi. Jahweh, selon mon droit


et selon mon innocence qui est à moi.
10. Que la malice des méchants cesse,
et affermis le juste.

^.. Celui qui sonde les cœurs et les reins,


11. le Dieu juste, 1
est mon bouclier 'autour de moi';
Dieu est le sauveur de ceux qui ont le cœur droit
Dieu est juste juge.

(1) Metrische Studien, I, p. 504.


\2) Psabnenprobîeme, hreihuT^ 1902, p. 152.
564 REVUE BIBLIQUE.

[. ..] Dieu s'irrite en tout temps :

13. Certes, de nouveau il aiguise son glaive,


il bande son arc et vise,

14. il dirige sur lui {l'ennemi du poète) ses armes meurtrières,


ses flèches, qu'il a rendues brûlantes.
15. Voici, il {V ennemi) conçoit le péché
[.,.] il est gros de l'iniquité et enfante la déception [pour soi-même).
16. Il creuse une fosse et l'approfondit
et lui-même tombe dans la fosse qu'il fait;

17. son iniquité retombe sur sa tête,

et sa violence descend sur son front.

18. {Addition liturgique.) Je veux louer Jaweh à cause de sa justice,

chanter le Nom de Jahweh, le Très-Haut!

Quelques remarques critiques.


V. 2, omettre Sd et lire au sing. comme au v. 3.

V. 5^, verset à peu près incompréhensible; les corrections pro-


posées ne .satisfont guère.
V, 7, nilï lire un singulier ;
ajouter avec G inSx nin''; G a dû lire

une préposition devant ^E'^ra, probablement S ;


Fomission du relatif

est naturellement possible, cf. encore v. 16.

V. 8^, lire '"^^^ avec presque tous les critiques.

V. 9, lire avec Bickell ]\'[^ car la troisième personne entre les vv.

8 et 9^, qui ont la deuxième personne, est impossible.


v. 10'', omettre avec G i devant ^n2.

v. 11, lire '')''^-:


''"
pour iS" est possible dans l'écriture défective;
omettre i avec G.
V. 15, omettre "
avec G. On pourrait peut-être traduire : Voici, il

conçoit l'iniquité et il en est gros; il est en travail (lire ^pi? comme


verbe) et enfante la déception. Est-ce que Say peut avoir cette signifi-
cation spéciale?
Au sujet de la division en strophes, notez que le P. Lagrange ad-
met pour le cantique de Deborah des strophes d'une longueur iné-
gale (1). Le principe posé par cet auteur est le suivant : « Chaque
strophe doit être caractérisée par une certaine unité de pensée ».

Appliquons ce principe : dans la première strophe, le poète expose


sa situation: dans la seconde, dont l'unité est frappante même au
point de vue syntaxique, il énonce son innocence. Dans la troisième

(1) Le livre des Juges, Pari.s 1903, p. 108.


MELANGES. 565

strophe, il demande que Jahweh lui rende justice et au cours d'un


jugement qui est décrit dans la quatrième. La strophe suivante est
un acte de confiance en la justice divine; cette confiance lui fait voir
comme déjà présent le châtiment de son ennemi (cinquième strophe),
châtiment qui n'est vraiment qu'une juste rétribution septième stro-
phe). Le V. 18 ne peut être qu'une addition liturgique.
Le V. 15 s'harmoniserait peut-être mieux avec v. 16 qu'avec v. li ;

on peut dire cependant que le v. 15 décrit comme le début de la

sixième strophe la fin de l'ennemi, mais sous une autre image.


Le fait que dans les longues strophes le tristique ne soit pas tou-
jours à la même place, ne semble pas une difficulté bien grave à la
restitution proposée : comparez la division du psaume ii proposée
par M. Duhm, dans son commentaire; et M. Briggs qui ne distingue
même pas les distiques et les tristiques.

Celui qui, comme


Grimme, attache une grande valeur au sela
M.
dans la strophique, remarquera que le seul sela qui se trouve dans
ce psaume se trouve à la fin d'une strophe (v. 6),
En ce qui concerne la mesure, les stiques paraissent être réguliè-
rement de trois accents. Toutefois au v. 9, il manque un accent au
second stique. Au v. 7 manque un accent, mais le texte est corrompu,
et tout au moins il n'est pas certain. Le v. 4 doit être lu avec trois

accents, ce qui n'est pas très beau mais M. Rothstein lui-même admet
;

''^'":.
cette accentuation : il faut lire
Le v. 10 est aussi défectif à moins qu'on ne lise p •-]; ^'l'irz'l.

Au V. 15 accentuer •jw.

Ciilembor:^ Hollande).

W. VAN KOEVERUEX.
CHRONIQUE
LES RÉCENTES FOUILLES D'OPHEL

La libéralité scientifique et l'exquise courtoisie de M. A. autorisent


la Revue à initier ses lecteurs aux importants résultats obtenus en
dix à douze mois de laborieuses et très habiles fouilles sur la petite
colline méridionale de Jérusalem, dite Ophel. Le fruit de ces travaux,
si peu éclatant que le public indifférent le puisse estimer, est trop

considérable en ce qu'il éclaire les origines et l'antique histoire de


Jérusalem pour que les topographes et les biblistes ne soient pas dé-
sireux d'en jouir au plus tôt. Tous sauront gré comme nous à la bien-
veillance désintéressée des distingués explorateurs, pour cette prompte
communication (1).
Elle comprendra : I. l'exposé sommaire des résultats archéolo-
giques seuls; II. quelques conclusions déduites de ces faits nouveaux.
On voit de suite lecaractère tout à fait différent des deux parties de
cette note la première, exclusivement composée de données techni-
:

ques aussi précises qu'elles ont pu être enregistrées; la seconde, au


contraire, réservée à quelques déductions dont il sera loisible à qui le
voudra de scruter le bien-fondé de discuter la valeur si ces déduc-
et

tions ne lui paraissent pas découler assez spontanément des faits.


Suivant l'usage de la Revue, on s'est préoccupé surtout de faciliter

(1) Un comple rendu plus complet, comprenant un rapide historique de la mission, avait
été préparé pour paraître dans la Revue dès le mois de juillet. Les incidents déplorables
suscités à Jérusalem à propos de certain détail de ces fouilles, sont venus modifier les pro-
jets de publication qu'avaient formés, je crois, MM. les directeurs de la mission. Remettant
à plus tard leur propre journal de fouilles, ils ont voulu que leurs premiers travaux fussent
présentés par un témoin qu'on ne soupçonnerait pas de partialité, puisqu'il est étranger à
l'entreprise et nel'a suivie qu'en curieux très intéressé par ses résultats scientifiques. Ce
compte rendu plus détaillé a donc été publié par les soins du syndicat, en double édition
anglaise et française, à Londres, par Horace Cox {The Field, Bream's Buildings) sous le
titre « Jérusalem souterraine». On se reportera à cette publication intégrale pour avoir une
présentation provisoire des explorateurs et de leur méthode de fouilles. On y trouvera na-
turellement aus^i une documentation graphique plus complète.
CHRONIQUE. 367

au lecteur tout le contrôle possible au moyen de graphiques dé-


taillés. Leur préparation a été l'efiort constant de toutes les visites au

chantier. Je suis naturellement le seul responsable du dessin et des


inexactitudes qui auraient pu s'y glisser, malgré des vérifications
réitérées sur place à peu près pour chaque détail de quelque impor-
tance. Mais j'ai hâte d'ajouter que ces plans fassent demeurés impos-
sibles sans la constante et inlassable complaisance de MM. les mem-
bres de la mission, et sans le concours très éclairé et toujours prêt
des PP. Savignac et Carrière, mes confrères à l'École. C'est à eux que
doit revenir le mérite de la précision qui a pu être obtenue dans les
opérations particulièrement délicates du levé et surtout du nivelle-
ment des tunnels. Comme d'habitude les photographies sont l'œuvre
exclusive du P. Savignac. Le P. Lagrange, qui a suivi le progrès de la
fouille, a eu la bonté de donner aux plans et à ces notes le contrôle de
son examen attentif et expérimenté (li. La lecture qu'ont bien voulu
en faire de leur côté M. A. et M. B., directeurs de la mission, est un nou-
veau garant qu'aucune incorrection fâcheuse n'y subsiste. A tous j'ai

à cœur d'exprimer ma meilleure gratitude.

École biblique et arctiéologique, Jérusalem, le 15 avril 1911.

H. VixcEXT, 0. p.

I. — LES RÉSCLTATS ARCHÉOLOGIQUES.

Pour mettre quelque clarté dans une description qui n'a plus à
tenircompte de l'ordre et des péripéties de la fouille, on examinera
d'ensemble :

1" la source ;

2" le réseau des canaux et galeries en relation immédiate avec


elle ;

3° le passage souterrain entre la fontaine et la crête d'Ophel;


i" le tunnel-aqueduc de Siloé ;

5° les cavernes funéraires, les séries céramiques et quelques trou-


vailles accessoires.
1. La source.

Les éléments apparents avant les fouilles dans le singulier édicule


couramment appelé Aïn Oumm ed-Daràdj et Fontaine de la Vierge,
ont été depuis longtemps vulgarisés par la photographie, le dessin et

(1) J'implore la clérneace de tous les amis qu'aurait pu désobliger, au cours de presque
deux années, notre fidélité opiniâtre à éluder leurs questions, pour faire honneur à renga-
gement de discrétion qui nous avait ouvert le chantier. Ils sauront du moins qu'ils peuvent,
au besoin, compter eux-mêmes sur une discrétion qu'ils n'ont pu faire fléchir.
568 REVUE BIBLIQUE.

les descriptions une première volée de marches pénétrant de biais


:

sous une voûte en maçonnerie un palier spacieux au bout duquel


:

un second escalier plus étroit descend en fausse éqnerre devant l'entrée


dune caverne artificielle dans le roc tig-. 1). Ce nest certes pas que
tout soit aussi limpide que
tout est banalen cette struc-
ture. L'origine et la date
de ses divers éléments ont
déjà été maintes fois dé-
battues : celui-ci a qualifié
byzantine ou romaine la
voûte un peu bancale que
celui-là croit arabe ou mé-
diévale. Les plus avisés ont
pensé à des remaniements
successifs dont quelques-
uns ont remis en œuvre, à
une époque très basse, des
matériaux beaucoup plus
anciens. Rien n'a été mo-
difié dans cette partie du

monument; il n'y a donc


pas lieu d'entreprendre ici

la discussion de ce sujet.
Il serait non moins hors
1. — Fontaine ilc la VicioC. Entrée de la caverne
de propos de montrer en
Mie du palier extérieur.
quoi sont inexactes les an-
ciennes descriptions de la fontaine, même si l'inexactitude portait
sur des particularités faciles à constater avant les travaux de 1900-
1011. Le plan et les coupes (pi. I enregistrent l'état des lieux après le
déblaiement total ; on indiquera finalement les transformations qu'a
imposées la restauration du bassin.
La seconde rampe de l'escaKer moderne se termine dans le vide, à
donne accès dans la chambre d'eau.
0" .75 de la porte irrégulière qui

D'une facile enjambée on passe de la dernière marche sur le seuil ro-


cheux de la caverne, A (pi. I, -2). Immédiatement derrière ce seuil, à
l'O.,une cavité ovale, 7>, aux parois fort irrégulières, plonge en forme
d'entonnoir à 1",60 dans le sol et tout au fond se voit le point d'émer-
gence de la source nous y retiendrons. L'extrémité occidentale de ce
;

trou se relève en manière de petit barrage à 0'",25 au-dessus du ni-


veau du seuil .4, pour retomber de 0'",70 sur la face opposée en pa-
CHROMnUE. ••69

roi dressée artificiellementau niveau général de larrière-chambre.


L'excavation bizarre presque triangulaire. Z). qui pénètre de nou-
et

veau dans le sol derrière ce barrage n'est apparemment qu'une ten-


tative, peut-être assez moderne, d'atteindre la source proprement
dite. Elle s'ouvre à l'extrémité d'une petite qui traverse en
faille

écharpe tout le sol de la chambre. Après le déblaiement quelques


sondages discrets ont augmenté le volume de cette cavité et la régu-
larité de ses bords, supprimé aussi le nodule proéminent au fond et
entre les deux lèvres de la crevasse. On
qu'un traite-
a l'impression
ment analogue dut premier examen sommaire
être pratiqué lors d'un
de cette crevasse, U y a une dizaine d'années, au cours des travaux
que M. Schick a dirigés et décrits (^1) ses parois en effet ne sont point
;

revêtues partout de la même et très dure concrétion calcaire que celles


de la cavité voisine, où jaillit l'eau. Décompte fait du trou D, le sol
de l'arrière-chanibre est uni, avec une pente peu prononcée vers l'en-
trée de la caverne. Si légère qu'elle soit, une telle pente ne laisse pas
d'abord de surprendre; on l'attendrait en sens inverse, dans la direc-
tion du tunnel dont l'orifice. F. échancre largement le fond occidental
de la chambre. A considérer de plus près ce sol. on reconnaît vite
quelques autres particularités dignes d'attention. Il s'agit beaucoup
plutôt d'un chenal spacieux entre le point d'émergence de la source
et la bouche du tunnel que d'un fond de bassin, ou d'un sol de cham-
bre. L'espèce de gradin aa haut de 0'",'i.5, en moyenne,
, si nettement
visible sur les phot. fig. 2 et pi. III et inintelligible dans l'hypothèse
d'une simple chambre d'eau, est taillé de tout autre main que le reste

des parois. Au lieu dune fine coupe au ciseau, ainsi qu'on la peut ob-
server en toutes les autres parties de la monumentale alcôve, à la

voûte en particulier, on a ici une taille large et presque brutale, au


pic de mine. La paroi est très sommairement dressée et ni les sédi-
ments ni l'érosion n'ont pu effacer en de longs siècles toute morsure
de l'outil. Détails bien humbles, à coup sûr, et qu'il pourrait sembler
un peu prétentieux de relever, s'ils ne devaient fournir par la suite un
élément de comparaison très utile avec le radier et les parois infé-
rieures du fameux tunnel-aqueduc de Siloé.
Sans franchir pour le moment la porte F, retraversons la chambre
£", en notant seulement le singulier et violent contraste entre l'irrégu-

larité de son plan et la correction élégante de sa voûte : un splendide


berceau à l'arrière (fig. 3 et pi. III) relevé en manière de coupole au-
dessus de la source proprement dite, dans la partie antérieure de la

(1) ScHirR. The Virgin's Fount; QS.. 1902, pp. 29 ss.


o70 REVLK BIBLIQUE.

chambre Les deux petites cavités b


(pi. II i. et c. de forme diÛerente,
mais d'e.vécution analogue, visibles dans la coupe (pi. I, 2), sont à
remarquer aussi 1 .

A l'orient du nouveau dénivellement artificiel, abaissant


seuil A,
de rocheux dans un bassin H, développé sous l'escalier
l'",65 le sol
moderne. Ce bassin par trop mal défini dans les observations anté-
rieures, est en réalité un rectangle sommaire, dont les grands axes
mesurent actuellement V^ x
2, parce qu'un vieux mur le limite obli-

Fig. i. — La chambre d'eau après le déblaiement. Vue de l'entrée.

quement à l'est. Ce qu'on ne pouvait néanmoins soupçonner avant le


curage extrêmement laborieux et le maintien à sec par de puissantes
pompes, c'est la profondeur relativement considérable de ce bassin
et son exacte relation 1" avec la source actuelle, •i" avec tel canal
connu de vieille date en bordure sur du Cédron, 3° avec la
le lit

vallée elle-même. Avec la source, la communication est immédiate


moyennant une fissure naturelle dans le rocher sous le seuil A^ fis-

sure qui vient se perdre à l'angle sud-ouest du bassin H dans une de

(1) Dans b ou a enfoncé, au début des fouilles, une forte palte-ticlie pour accrocher un
phare pendant les travaux de nuit. Le trou est aujourd hui rempli de tiinent. [.'autre a été
intenlionnellemenl exagéré dans le dessin.
CHFii'MnlE. 571

ces cavités d'apparence assez régulière auxqu(41es les géologues ont


donné le nom de
marmites ». Débarrassée des décombres qui l'obs-
«

truaient, celle-ci, d, mesure plus d'un mètre de profondeur sous le


niveau du bassin, avec un moyen diamètre de O'^.SO à Torifice. Le sol
du bassin offre d'abord une pente très accentuée vers l'orient. A
1"'.50 en\dron du barrage A, une saillie en relève le niveau de qua-

rante à quarante-cinq centimètres, avec une échanciure passablement


irrégulière contre la paroi septentrionale et une profonde entaille
dans l'angle nord-est du bassin. Pour saisir le sens de ces détails et
réaliser la forme précis*' du bassin il faut supprimer par la pensée le
gros mur /. On voit alors le bassin E. se développer d'à peu près
2 mètres à l'est, puis buter contre un ressaut du roc presque aussi
élevé que le seuil .4 et couronné par un blocage-énorme, J Dans la .

section R' du bassin, prise ainsi entre deux barrages, le sol rocheux
est sensiblement plus bas, mais tout à fait fruste. Un canal en maçon-
nerie. A', le traverse en biais de nord-ouest en sud-est où nous le sui-
vrons plus tard dans son anfractuosité de roc. Son amorce fig. i) a été re-
trouvée dans la grande entaille du bassin H, précisément sous le mur /,
dont la fonction devient ainsi très claire : obturer le canal A', rétrécir
le bassin en inutilisant la section //', et refouler toute l'eau à l'occident.
A l'orient du gros blocage /, qu'on a eu soin de respecter, la fouille
a rencontré un béton eé (pi. 1, 2 et '*) d'une résistance extrême, à un
niveau supérieur de 1'". du bassin R et développé,
10 environ au radier
par endroits presque à fleur de roc. dans la direction du Cédron, sous
l'amas de décombres qui porte aujourd'hui la première volée de
marches. Il semble que ce béton ait été détruit depuis longtemps sous
l'escalier; il n'était franchement conservé que dans l'étroite zone pro-
tégée par le pied de la muraille. En le défonçant pour atteindre la
crête du roc, on a mis à jour un nouveau canal. Z, violemment ouvert
à une profondeur moyenne de i'^.SO dans l'assise rocheuse. Ce canal
pénètre sous l'escaUer moderne et vient se perdre dans une caverne
assez exiguë, J/. dont le plafond de roc et la paroi orientale très as-
surés gardent la trace d'un ruissellement d'eau fort prolongé. Cette
petite caverne, située vers le milieu de la T marche de l'escalier
extérieur, n'est plus qu'à 15 ou 16 mètres du litactuel du Cédron;
mais on savait déjà —
et les travaux préalables à la construction de
la nouvelle mosquée-école de Siloé durant l'hiver de 1909-1910 ont
fait constater de nouveau — que la vallée est remblayée en ces pa-
rages d'au moins i mètres. Aucune donnée précise ne fixe en ce point
l'exacte situation du lit primordial: à tenir compte cependant de tous
les indices connus, on doit le reporter de 5 à 6 mètres au minimum
572 REVUE BIBLIQUE.

vers l'ouest, soit à peu près au milieu de la jeune mosquée campée


ainsi d'un bord h Vautre du vieux lit. La position de la caverne M

Fig. 3. — La voûte au fond de la chambre d'eau.

presque tout au pied de la rampe occidentale, est donc un fait assez


établi et sa nature s'éclaire d'autant, ainsi qu'on le verra.
Les parois de cette caverne ofirent toutes les aspérités d'une faille
CHRONIQUE. 373

naturelle. Elle était obstruée, ainsi que le canal d'accès L et toute la

zone couverte encore de ^deux béton (?f. par des décombres que 1 on
croirait pris dans la curure d'un bassin : terre lavée et alliage extraor-
dinaire de tessons d'une poterie assez uniforme, casseaux de jarres et
de cruches de grandes dimensions. Pas une pièce intacte, pas un tes-
son ornementé, pas même de casseaux assez grands pour permettre
de saisir un galbe de vase je me suis pourtant beaucoup acharné à
:

manipuler ces innombrables bribes, parce que. dès le premier exa-


men, au moment où Ion défonçait le pavage en béton, j'avais étéirappé
de Tabsence de tout débris moderne. Entre deux couffes de déblais
prises l'une immédiatement au-dessous du béton l'autre immédiate-
ment au-dessus la difï'érence était palpable. Dans celle-ci, un mélange
de terre sèche, d'éclats de pierre et quelques tessons oîi se distin-
guaient au plus sommaire coup d'oeil des anses juives ( 1 ), des frag-
ments de fine poterie hellénistique et jusqu'à des morceaux de cette po-
terie rouge vernissée dite poterie samienne; dans celle-là. rien qu'une
boue noirâtre et des tessons grossiers d'une poterie épaisse, à parois
peu régulières d'une pâte relativement homogène mais imparfaite-
ment malaxée, en argile grasse, rouge ou jaunâtre, tantôt séchée,
friable et de coloration uniforme, avec une sorte d'enduit sur la paroi
concave dénotant l'intérieur du vase, tantôt cuite et présentant ces
zones de cuisson inégale si caractéristiques des époques où les potiers
novices ne savaient pas encore régler la température de leurs fours
de manière à durcir normalement toute l'épaisseur des vases. Quel-
ques morceaux d'anses ou de bords moulurés sont les seules pièces un
peu moins indétinies que j'aie pu saisir dans les déblais. Si insigni-
fiants que soient en eux-mêmes ces tessons, ils fournissent néanmoins
cet utile indice que tous appartiennent le plus vraisemblablement à
la période Israélite proprement dite. L'un ou l'autre est certainement
cananéen, tandis que à aucun je ne connais un équivalent bien carac-
térisé dans la période judéo-hellénique, c est-à-dire à une époque
postérieure au ix" siècle avant notre ère.
A défaut d'une coupe systématique, il n'a pas été possible d'étudier
complètement la nature du blocage /. En réunissant les observations
de détailfaites aux diverses phases de la fouille, dès qu'un accident
quelconque entamait ce mur plus ou moins profondément sur une
face ou sur l'autre, je le crois composé de gros moellons bruts,
noyés dans un mortier compact, jaunâtre et huileux qui lui donnait

(1) La teiiniaologie qui sera cuiistamment usitée à propos de la poterie est celle usitée
dans la Revue depuis iî^., 1906, pp. 55ss.avec la chronologie correspondante.

I
574 REVISE BIBLIQUE.

une solidité remarquable et paraît l'avoir rendu parfaitement étanche.


Le grand canal aux parois frustes, L, se perd maintenant sous ce
blocage on s'attendrait à en retrouver au moins Tamorce sur la paroi
;

occidentale : pour ne pas détruire le canal en maçonnerie A' installé

à travers la section //'du bassin dans le roc, leparement occidental


du mur /n'a pas été déblayé jusqu'au radier. Son interruption sou-
mieux sa destruction, sur ce point,
daine, on dirait est d'ailleurs justi-

fiée par une autre constatation le bassin HH a : au été creusé, tout


moins approfondi postérieurement à la création de ce canal. Il faut
déplorer qu'aucune observation positive, au cours des travaux de 1901,
n'ait indiqué, si sommairement que ce soit, la nature des couches de
décombres désormais irrémédiablement bouleversées. La fouille de
M. A. en 1910, beaucoup plus large et plus radicale que le sondage
pratiqué il y a dix ans ou celui de M. \yarren en 1867 (1 rendait ce- 1,

pendant possible un essai de classement dans la section H', Les tessons


recueillis avec toute la précaution que de droit, se classent aux deux
périodes Israélite et judéo-hellénique avec cette anomalie d'abord très
étrange de stratification qu il n'y a pas la moindre régularité de
couches. De fortes anses à section ronde, profil ovale allongé, pâte
épaisse et peu homogène, comme on les peut voir aux flancs des
lourdes jarres Israélites, se trouvent ici mêlées, et souvent à un niveau
supérieur, à de bien plus solides et plus élégantes ansesjudéo-hellé-
niques [i). Et il en va ainsi de tons les morceaux examinés. Tous, au
surplus, s'entassaient dans une terre assurément très humide, mais
certainement soustraite toujours au lavage prolongé qui donne à la

vase d'un bassin un aspect si Pour compliquer cette petite


particulier.
énigme de stratification, MM. les directeurs du chantier recueillirent
un jour, presque à 1 mètre au-dessus du rocher, si j'ai bien saisi la
localisation qu'ils ont eu l'obligeance de m'indiquer, une lampe Israé-
lite à peine ébréchée et très probablement aussi vieille que le xiT-

xi"" siècle avant notre ère. Or, peu après, des casseaux de jarres
juives bien caractérisés et de trois à quatre siècles plus jeunes, selon
toute vraisemblance, étaient arrachés de dessous le mur / en déblayant
lorifice très soigneusement obturé du canal en maçonnerie K.
Une coupe nécessitée dans ce mur pour l'assèchement provisoire du
bassin, en a fort à propos révélé la nature une maçonnerie relative-
:

ment soignée en moellons équarris, liés par un mortier peu épais

(1) Recovery of Jérusalem, p. 243. Excepté la mention de l'entreprise, on ignore à peu


près tout de ce sondage, qui atteignit environ 1",20 .^sous lescalier ••.

(2) Je n'ai pu remarquer, ni en place ni dans les déblais, aucun fragment de poterie cana-
néenne.
CHROMOIK. r;7r,

mais gras, avec un alliag"e de poudre rouseâtro identique à la brique


pilée des enduits de citerne et des vestiges calcinés qui suggèrent
quelque addition de cendre. Un crépissage de même nature, quoique
plus finement broyé, couvrait partiellement encore la paroi occiden-
tale (1).En essayant de détacher quelques fragments de ce crépissage,
on faisait de temps à autre apparaître de minces tessons appliqués
aux joints de la maçonnerie pour diminuer lépaisseur de lenduit et
en faciliter l'adhérence. La douzaine de fragments ainsi examinés se
distingue nettement de:? innombrables tessons du bassin. Au lieu de
pièces telles qu'on les peut attendre comme débris des grands vases
usuels pour le puisage et le transport de Teau, on a de fins morceaux
dune poterie légère, très homogène, fort bien cuite et présentant les
caractères intrinsèques des plus sûres pièces de la vaisselle transformée
aux ix^-viii" siècles parles influences chypriotes ou rhodiennes. Je n'ai
aucune peine à avouer ma longue perplexité en face de constatations
à La découverte ultérieure
la fois si restreintes et si difficiles à concilier.

d'un canal qui sera décriten son lieu devait cependant introduire
quelque ordre assez spontané dans cette apparente incohérence.
Dans lamas énorme de vase et débris qui obstruait aux trois quarts la
section occidentale du Ijassin de f/^', toute tentative de classification eût
été apparemment chimérique du moins ila parupUis prudent de n'en
:

risquer absolument aucune avec des éléments trop sujets à caution.


iMême dans les couches les plus profondes, soustraites depuis long-
temps à toute cause de perturbation, subsiste l'inévitable chance d'un
bouleversement occasionné par le courant de la sourcf' et par le cla-
potis des eaux. L'unique observation qui ait paru suffisamment fondée
pour une distinction assez nette entre les parois infé-
être utile, est
rieures du une hauteur de 1°\50 environ depuis le sol, et
bassin, sur
les parois supérieures ici une surface capricieuse presque à l'égal
:

dune paroi de caverne naturelle, mais patinée et polie comme par


des siècles de frottement réitéré; là au contraire une surface sans
régularité affectée, plane et correcte pourtant ainsi que peut la
créer sans retouches un forage rapide en un banc de roche dure au- ;

cune trace de frottement, nulle patine pour dissimuler le sillon


des coins de fer et des pointes de pics employés dans l'excision
du roc, mais seulement la petite couche rugueuse de concré-
tion calcaire étendue sur les parois baignées uniformément par
les eaux de la source. Ces eaux ont vêtu de même toutes les parois

(1) Même à la partie supérieure du mur, seule déblayée en 1901, ce vieil enduit était facile
à discerner des plaques de ciment moderne étendues sur les craquelures et sur les brèches.
r)76 REVLE BIBLIQUE.

du grand tunuel-aqueduc de Siloé. depuis le radier jusqu'au niveau le


plus élevé quelles aient pu atteindre. Leur point d'émergence, qui
avait été indiqué de façon passablement diverse, est aujourd'hui cer-
tain. Elles jaillissent au fond de la cavité B par une fissure oblongue
dont la plus grande ouverture peut mesurer environ 12 à 15 centimètres
d'une lèvre à l'autre I, 1 et 2 . Le bassin régulateur du siphon est de-
meuré inconnu. On serait enclin toutefois à le supposer plus haut dans
de la colline à cause de la pression considérable de jaillis-
les entrailles
sement, pression qui occasionne le bruissement très fort préalable à
chaque apparition de l'eau pendant une à deux minutes et qui accom-
pagne lépanchement de la source dans toute sa période ascendante.
En tenant compte de la résonance dans la caverne, ce bruit est compa-
rable à une très forte raffale de vent qui s'engouffrerait dans une
porte. La violence du courant parait se briser en partie dans la fissure
même, comme si le jet se précipitait d'en haut contre le sol de la fente.
L'eau bouillonne à l'orifice et trouvant une libre issue par le fond in-
cliné de la cavité B et la fente au-dessous du seuil ,4, se précipite dans
le bassin H. La saillie du radier, puis le mur / brisent totalement le
courant. Le niveau s'élève dans le bassin et dès qu'il affleure le seuil
A, l'eau, refoulée par son propre mouvement, parait sourdre de des-
sous l'escalier et se déverser dans la chambre E. On ne se trompera
plus sur cette apparence, ni sur tel petitsuintement accidentel en
quelque point des parois de la caverne. Quant à l'intermittence, il en
sera reparlé plus loin.
Il eût été vain de transcrire avec minutie les détails notés au cours
de longs mois, si la caverne de la fontaine si heureusement déblayée
avait pu demeurer intacte. Aux termes de la concession autorisant
les fouilles, la loi turque imposait la restauration de l'état antérieur.
D'autre part, c'était réaliser pour les villageois de Siloé et pour leurs
légumes dans les anciens jardins royaux, un bénéfice inappréciable
que d'assurer la circulation plus régulière de l'eau entre le bassin
d'Oumm ed-Daràdj de Siloé. La section //' du bassin a été
et l'étang
remblayée. On a refermé, sous le mur /, la bouche du canal A', pro-
tégé sur son parcours par une maçonnerie de blocage destinée à le

conserver dans l'éventualité très hypothétique de quelque réutilisation


à venir. On s'est efforcé de régulariser le bassin réduit, //, et de le
rendre tout à fait étanche moyennant un crépissage au meilleur
ciment. Le seuil.4 étroit et par trop glissant, a été quelque peu dilaté
,

pour constituer une petite plate-forme plus commode à l'usage des


paysannes de Siloé qui viennent puiser de nouveau en ce lieu une eau
plus abondante et plus propre. Un cailloutis cimenté à la surface a
CHRONFQU . 577

rempli le petit bassin de jaillissement, B. et la crevasse D en vue de


faciliter la circulation dans la grotte sans entraver Témerg-ence de
la source préservée au contraire contre l'envahissement de la boue et
des débris du dehors pi. Il A l'entrée F le chenal a été barré par un bloc
I .

aussi haut que le gradin latéral, de manière à créer dans la chambre


E une sorte de bassin purilicateur où les eaux déposeront tous les
éléments hétérogènes quelles pourraient entraîner avant de péné-
trer dans le tunnel ipl. III). GrAce à cette précaution, le plus minime
effort de bonne volonté dans l'entretien de ce bassin préviendrait un

nouvel envasement du tunnel. Mais... ?

2. Le réseau des canaux et cjaleries en relation avec la source.

Le terme de canal employé seul définirait trop radicalement et trop


vite des passages dans le roc dont l'un ou l'autre peut n'avoir pas eu
pour luit immédiat ou exclusif la circulation de l'eau. En suivant un
ordre de situation tout à indépendant de classement chronolo-
fait

gique, ils ont été numérotés (pi. I) de I à Vlll, pour la facilité des
repères provisoires.
I. Le n" I, depuis très longtemps soupçonné 1 n'est autre que ,

le fameux <^ second aqueduc » de M. Schick, thème d'inépuisables


controverses depuis vingt-cinq ans. Il avait été fort judicieusement
« prophétisé » par le Rév. W. F. Birch, deux ans avant que les pre-
mières recherches de M. Schick (2) Ainssent en établir l'existence à
rencontre des dénégations imprudentes de M. Conder et d'autres.
On ne possédait néanmoins à ce sujet qu'un indice après les travaux
de 1886, quoique l'exploration ait été poursuivie à plusieurs repri-
et

ses à l'instigation du comité du P. E. Fund ou sur d autres initia-


tives !3i. la plus grande incertitude planait toujours sur les points
essentiels la vraie nature de ce passage, sa relation exacte avec la
:

source et le tunnel-aqueduc de Siloé. Aucun niveau précis n'avait été


déterminé à l'amorce de ce « second ac[ueduc » en dépit de l'élé-

(1)Dès 1884. par exemple. M. le chanoine Birch, M. le prof. Sayce et M. le capitaine Con-
der rompaient déjà des lances pour ou contre la possibilité d'un tel canal Q.S., ISSi.
p. 75 SS., 173 s., 241; 1885, p. 60.
(2) QS.. 1886, p. 89 ss. Cf. le plan, face p. 88, avec celui de M. Birch {QS., 1884. face
p. 75) et les observations de M. Birch QS., 1889, pp. 35-38).
(3) Fouilles de M. Schick avec plans nouveaux où s'enchevêtrent, sans distinction suffi-
sante, les constatations et les hypothèses nouvelle tentative en 1890
QS'., 1886, pp. 197-200 ;

{QS., 1890, p. 257 s.; 1891, pp. 13-18,. et en 1891 {QS., p. 199). Fouilles accidentelles à la
fontaine dirigées et décrites par M. Schick (QS., 1902, pp. 29-35), visitées et mieux décrites
par M. leD' Masterman ilnd., pp. 35-38 .

UEVLE BIBLIQUE 1911. N. S., T. — VIII. 37


o78 REVUE BIBLIQUE.

gante composition graphique présentée comme une " coupe » de la


fouille dans la fontaine (l)»en 1901.
L'orificede ce canal a été très heureusement retrouvé par la nou-
velle mission de 1910, au fond du bassin//'. En déblayant avec toute
la précaution nécessaire le conduit en maçonnerie [k') qui traversait
obliquement le puits de fouille, on aboutit promptenient, sous le
mur/, à une bouche rétrécie comme pour permettre l'installation
d'une porte ou d'une vanne (fig. 4) réglant à volonté la communi-
cation entre le bassin H et le canal K. Après un parcours sinueux de
3 mètres environ, ce canal construit disparaissait sous un éboulis de
gros blocs, e (I, 1), déliris d'une
' ancienne paroi plaquée con-
tre le roc dans le bassin//', ou
tombés de l'édicule supérieur.
Derrière ces blocs, le conduit
maçonné se prolonge , avec
des sinuosités nouvelles et

plus prononcées, en suivant


une du rocher et tra-
faille
l'/l mur en ffi-os moelions-^

W msçoiinerie en bétoi
verse une première caverne

Fig. 4. — Orifice du canal I et coupe transversale. exiguë séparée d'une autre


caverne plus spacieuse (S"" x
r",50 par un étranglement juste assez large pour qu'il
environ)
n'y ait plus besoin de parois latérales en maçonnerie. Dans cette
caverne, où l'on peut facilement se tenir debout, le canal est inter-
rompu par un petit bassin rectangulaire profond de 0'",V8. Le canal
un niveau un peu moins
d'entrée ressort, à l'extrémité opposée, avec
élevé, pour s'engouffrer bientôt sous une arcade naturelle de roc, /,
haute à peine de 0°',70. Sur toute cette étendue le canal est tantôt
creusé en partie dans la roche, tantôt construit de toutes pièces;
dans les deux cas, ses parois ont été revêtues d'un enduit imperméa-
ble extrêmement solide et de si fraîche apparence qu'on serait tenté
de le croire étendu d'hier. Un courant d'eau plus considérable que
celui du tunnel de Siloé se précipitait par ce canal à chaque montée
de la source à cause d: son niveau en contrebas du bassin de concen-

(1) p. 32. Où M. Scliick indiquait « une profondeur de 6 pieds 12 » sous le


QS., 1902,
palier actuel, M. Macalisler estimait qu'on devait lire plutôt*» 9 pieds 1/2 » et attribuait
celte imprécision à un « défaut de santé et de mémoire » chez le vénérable explorateur [QS., ,

1902, p. 196); on verra bientôt qu'il faut lire en réalité « 20 pieds » environ, c'est-à-dire
6 mètres. Schick avait dû prendre pour l'orilicc du canal, qu'il explorait seulement d'en
haut, un petit enfoncement dans la paroi de maçonnerie (|uia fout l'air d'un premier mih-
rab, à une époque où le niveau du |)alier était plus bas.
CHRONIQUE. r,7(t

tration HH' depuis longtemps mal protégé par


. le barrage fissui-é /.

très insuffisamment réparé en 1901.


Il était manifeste au premier aspect que cette section de canal dans
un tunnel ouvert sans souci de régularité en des assises caverneuses
du roc. était bien la même qu'explorèrent, il y a dix ans, MM. Horn-
stein et Masterman 1 Leur examen fut poussé jusqu'à ')\ mètres de
.

l'entrée du tunnel, c'est-à-dire environ iO mètres au delà du point où


s'arrête la description ci-dessus. Il n'y a. d'autre part, aucune raison
valable de mettre en doute que ce canal ne se raccorde à celui que
les fouilles successives de M. Schick ont fait connaître plus ou moins

intégralement jusqu'à l'extrémité méridionale d'Ophel. On ne sera


donc point surpris que M. A. ne se soit pas imposé l'inutile tâche de
recommencer cette partie de l'exploration. L'étude rendue possible à
l'amorce de ce canal, avait fourni les meilleurs éléments d'attribution
chronologique à espérer, du moins les plus évidents pour établir la
relation de ce conduit avec tous les autres à la source. Je l'aurais
donc vu bloquer de nouveau sans aucun regret, si les conditions dans
lesquelles avaient dû être efl'ectués les visites et le relevé passable-
ment compliqué n'eussent fait souhaiter un contrôle. L unique détail
auquel ait été consacrée, dès le premier jour, toute l'attention possible
est la détermination du niveau à l'entrée du canal sous roche. En ce
point, le radier est à 6'", 25 sous le palier moderne de l'escalier d'accès,
et à 0'",80 au-dessous de l'orifice actuel de la source.
A peu près au niveau de la 0' marche comptée de la source dans
II.

laseconde rampe d'escalier s'ouvre la galerie n" II. Large à peine de


O^jôô à son point de départ et orientée presque juste NS. sur un
parcours sensiblement régulier d'environ 10 mètres, elle s'infléchit
résolument ensuite au SSO., se dilate l'",50 ou
par intervalles jusqu'à
se rétrécit à 0",V8, court detemps à autre à peu près en ligne droite
dans un banc rocheux homogène, ou se tord avec des plis de couleu-
vre pour suivre quelque faille, souvent sans aucune autre raison appa-
rente que le hasard de l'éclatement des rochers quand la galerie fut
percée. Elle s'allonge ainsi à flanc de coteau !2), va, vient, comme si

elle s'éloignait à regret delà fontaine. De loin en loin, la paroi orien-


tale est coupée à 0"\50 en^'ipon au-dessus du sol par une ouverture
toujours a.ssez irrégulière et de largeur plus ou moins égale à celle
de la grande galerie. A fi3 mètres de l'escalier actuel, soit à GI™.90

(1) Masterm\>'. Tke recently-discovered aqiieduct front tlie Virgin s founlaiu. QS.,
1902, p. .33 SS.

2) La première section .seulement de ce canal est tracée pi. I jujur imliiuer son place-
rnent et sa relation avec les autres galeries.
S80 REVUE BIBLIQUE.

de rentrée de roc primitive, l'axe de la galerie est à l't° SSO. par


rapport à son point de départ. Un brusque tournant le dirige tout à
coup par 9° au SE., tandis que s'embranche, à l'",30 de hauteur dans
la paroi occidentale, une galerie latérale, II'', orientée par 22" SO.
Passé cet embranchement, la galerie principale multiplie d'abord
les oscillations capricieuses et parait reprendre ensuite sa marche
générale au S. avec un fléchissement moins prononcé vers l'Ouest,
10"35' seulement au point où le déblaiement s'est arrêté, à 72", GO de
l'entrée.
Des raisons d'ordre pratique ayant interdit l'ouverture de puits à
pour l'extraction des décombres et l'aération du
la surface extérieure
tunnel, on n'imagine rien d'aussi laborieux que cette fouille. A 30 mè-
tres de la fontaine les bougies ne brûlaient plus et il fallut recourir
aux lampes électriques portatives. D'heure en heure, les ouvriers de-
vaient être renvoyés dehors, malgré l'action permanente d'un venti-
lateur installé sur l'escalier et le recours éventuel à des capsules
d'oxygène. Je suis un peu confus d'avouer qu'à certaines visites, je
n'ai pas eu l'énergie daifronter la galerie plus d'un quart d'heure.
Si je rappelle que durant presque quinze jours, M. A. et ses collègues
se sont succédé là sans interruption à la tête des équipes de jour et
de nuit, c'est pour attester très pratiquement à quel point ces pré-
tendus amateurs, — inexpérimentés au gré des nouvellistes qui se

renseignent dans les parlotes élégantes ou joviales et écrivent dans


leur confortable fauteuil, —
ont pris au sérieux leur tâche momen-
tanée de fouilleurs.
On va saisir le motif qui rendait en eiïet très opportunes cette con-
tinuité et cette précaution minutieuse dans les observations. La ga-
lerie n'eût pas été soupçonnée, si l'on n'y eût été conduit par l'étrange
tunnel III A l'intersection des deux passages, l'en-
à décrire plus loin.
tassement compact des décombres qui obstruaient II, leur nature
aussi, ne laissaient guère douter qu'il ne s'agisse d'un remblai arti-
ficiel très soigneux. Au lieu du sol de roc, cependant assez régulier

et sain, on avait d'abord rencontré un caniveau en superbes blocs de

pierre « royale ». Une couche de vase desséchée en couvrait le fond


et contenait une relative abondance de tessons très nettement Israélites
du x^'-ix® siècle avant notre ère. Là-dessus un amas de débris où se
mêlaient de gros éclats de pierre, des galets, d'innombrables fragments
de poterie, quelques rares traces de cendre de foyer et de menus osse-
ments animaux, apparemment des rebuts de vieille cuisine le tout :

en quelque sorte paqueté dans une argile rougeàtre toute différente


des boues de canal et identique —
naturellement à l'humidité près —
CHROMO LK. 581

à Targ-ile de surface sur le coteau. Deux faits surtout piquaient la


curiosité en face cFun tel amas : sa densité, qui suggérait une sorte
de pilonnage devant cet orifice du tunnel III, l'homogénéité absolue
décoloration générale des décombres et déphasé céramique. Sur les
o mètres de hauteur accessible au moment de ma première observa-
tion, les quelques douzaines de tessons choisis pour fcxamen appar-

tenaient exclusivement à
la plus basse époque Israé-
lite, avec une prépondé-
i-ance très notable de piè-
ces judéo-helléniques, en
même temps qu'une ex-
trême variété de fragments
moulurés d'une vaisselle
qu'on n'a pas coutume de
trouver en des canaux.
De là il n'y avait qu'un
pas à l'hypothèse
d'un
remblai pratiqué d'un seul
coup pour obturer le tun-
nel III. Bientôt on allait
s'apercevoir que la gale-
rie II se développait avec
les mêmes caractères, au
\. et au S., et Ion atteignait
la crête du rocher et le
plafond de la galerie. Ce
plafond n'était pas de roc,
ainsi qu'on l'aurait pu ima-
giner, ni en dalles, mais en
quartiers de roche et en
blocs d'appareil énormes
^'jLAaOiV^iïcS. aSL4VÏ
en travers de
(fîg. 5) jetés

la tranchée, empilés au Fig. 5. — Dans la i^alerie II. sous les blocs du plafond.

hasard de leurs arêtes avec


une hâte visible et la préoccupation manifeste de décourager toute ten-
tative de réouverture de la galerie qu'on prenait tant de peine à dissi-
muler. On serait même assez enclin à penser que le remblai et ce qui
pourrait s'appeler le scellement par les lourdes masses de pierre furent
pratiqués à peu près simultanément. Dans quelques cas en effet, l'é-
norme bloc jeté d'une lèvre à l'autre de la galerie et pas assez long
58-2 REVUE BIBLIQUE.

pour s'y appuyer avec solidité a glissé presque au fond, s arrêtant par-
fois sur une assez faible saillie, sans doute parce qu'il atteig-nait à ce

niveau le remblai en formation. Ailleurs une pierre pesant au mini-


mum une demi-tonne à dû être en quelque sorte calée à fleur de rocher
par le remblai déjà débordant sur ce point. Les décombres enlevés,
la pierre mal assise n"a pu supporter sans fléchir la foulée supérieure.
Fille s'est d'abord lég-èrement afl'aissée, puis une lézarde y est apparue

pi. IV, 1, a) quelques jours après le déblaiement total et il a été facile

d'en suivre le progrès en plusieurs visites très rapprochées. Ces divers


détails sont tous suftisamment exprimés par les photographies.
En présence de tels faits, il importait de ne négliger aucune précau-
tion pour déterminer la nature de la galerie et fixer le développement
des particularités étranges que présentait son remblai. A 10, à 16. à
18", 50 à 21 mètres de la source, en quatre séries d'observations très
rapprochées au front de déblaiement, c'était toujours le même état
archéologique, moins l'existence du caniveau rapporté, qui reparais-
sait seulement sous forme d'enduit imperméable en quelques points
du radier où la roche n'était pas assez franche. A 50 mètres environ,
l'entassement des grands blocs formant plafond tend à devenir moin-
dre et l'obturation plus néglig-ée. En même temps commençaient d'ap-
paraitre quelques tessons de basse époque judéo-hellénique; un jour
même fut présentée dans la galerie par un ouvrier, une tète destatuette
hellénistique, soi-disant aperçue à l'instant même dans un couffin. Le
directeur du chantier à ce moment était en mesure d'attester que cette
pièce insolite n'avait pas été vue à l'extraction des déblais sous ses
yeux et la rapide circulation des couffins de main en main dans le cou-
loir peu éclairé rendait suspecte la prétendue trouvaille. Examinée de
plus près, la pièce suggéra des doutes plus inquiétants encore et l'ou-
vrier, serré brusquement de questions et redoutant une sanction sévère,
préféra bientôt avouer qu'elle était « peut-être tombée » de quelque
poche. On se contenta de l'euphémisme penaud du pauvre homme et

sa pièce lui fut rendue, non sans un avertissement énerg-ique de ne


pas récidiver. La rigoureuse discipline du chantier prévenait ainsi
l'introduction d'un élément tout à fait perturbateur, en dépit de sa mi-
nime apparence. Restaient les débris plus nombreux de basse époque
judéo-hellénique. Information prise sur le point précis doù avaient
été retirés les décombres auxquels ils étaient mêlés, ils se trouvèrent
localisés fort nettement au sommet du remblai, en deux ou trois points où
le cailloutis du plafond présentait quelque dislocation et d'assez petits

interstices. Partout ailleurs se retrouvait rhomogénéité si frappante


du début,
CHRONIQUE. 583

Un peu avant d atteindre la branche latérale II', cet alliage d'élé-


ments tardifs augmentait et se conservait dans la partie explorée de
la galerie 11% tandis qu'au delà de Fembranchement les débris, dans
la galerie principale, tendaient à redevenir assez uniformément ar-
chaïques.
ne mest guère douteux que cette énurme tranchée dans le roc ne
Il

soitune conduile d'eau son amorce à la fontaine, les magnitiques


;

sections de caniveau en pierre blanche ou les revêtements cimentés


dans les passages où la roche était lissurée. le dépôt de vase, enfin les
ouvertures espacées le long de la paroi orientale en contrebas de la

terrasse rocheuse où se maintient la tranchée tout cela s'explique le :

plus simplement du monde dans l'hypothèse d'un canal d'irritation et


ne s'explique bien que dans cette hypothèse. Si la hauteur movenne
de 2°", 75 environ semble d'abord peu favorable à une installation
hydraulique de cette nature, elle trouve néanmoins une raison d'être
dans la nécessité de capter l'eau à un niveau assez bas au réservoir //
et de lui conserver cependant une pression suffisante pour assurer le
courant sans exagérer la pente de la galerie. Le plus élémentaire
barrage en un point quelconque élevait l'eau de la quantité désirée,
ou l'obligeait à se déverser dans celle-ci ou celle-là des issues laté-
rales.

On s'abstiendra de décrire ici plus à fond la galerie IP et de discuter


sa nature, en notant seulement l'analogie manifeste du procédé de
forage par éclatement au moyen de coins de fer et sans retouche régu-
lière au pic. Dès qu'on observait successivement, à ce point de vue, les
galeries I et II et l'ensemble du réservoir HH , on ne pouvait se sous-

traire à l'impression d'unmode unif«»rme de percement, au moyen


d'un outillage analogue, malgré la diversité de dates suggérée pai'
d'autres détails.
III. A i'^j^O du point de départ priniitii de la galerie 11 la paroi oc-
cidentale de roc est échancrée par une ouverture, g, en trapèze ren-
versé, haute de 2", 55, large de 0"\iO à la base et de 1 mètre environ

au sommet voy. pi. IV, 2'. C'est nouveau tunnel sous roc, le
l'entrée d'un
n" m. Un couloir de 2'",o0 delongse développe, par 52' SU., non sans
quelque sinuosité, derrière cette entrée dont il conserve en gros la forme.
Le plafond se maintient àpeu près horizontal, mais le sol descend d'en-
viron 0™,50 sur celte très faible étendue. Soudain le plafond retombe
en manière de conque à 0'",95 seulement; une protubérance bien cal-
culée à la base d'une paroi masque aux une
h (fig. 6)
2 3 étroite porte
ouvrant de biais sur une nouvelle section du couloir, qui s'élargit jus-
qu'à 1™,05 en moyenne, se relève à l'",50 de hauteur maximum ets'o-
58i REVUE BIBLIQUE.

riente presque en plein 0. — 5" à peine OS, — L'affaissement pro-


gressif du sol se poursuit clans ce passage aux parois tortueuses. A
3 mètres du premier étranglement une seconde et beaucoup plus
large porte, fait communiquer le passage avec une chambrette large
«',

de 2", 30 et profonde presque de 3 mètres, avec des murs bien dressés


et un sol au contraire

fort inégal. Elle est ou-


verte à l'ouest par toute
sa largeur sur une cham-
bre ronde, splendide-
ment évidée d'une as-
sise rocheuse haute de
V à 5 mètres à tout le
moins. En l'état pré-
sent de mon informa-
tion directe, j'estinn;
que les parois supé-
rieures de cette cham-
bre, masquées encore
par leboisage du puits
et des décombres mou-
vants qu'on devait s'in-
terdire de toucher, con-
vergeaient à l'origine
vers un plafond envoûte
plus ou moins conique
à petit orifice central :

juste à la façon des ci-


ternes antiques visitées
par douzaines à travers
Kig. ti. — Dans k' ])roii)icr cUauglemenl du luiinel 111.
notre Palestine. De cet
porte h. état primitif, il ne reste
plus guère que la sug-
gestion dans un certain rétrécissement du sommet des parois. Il y a
beau temps que le plafond a été supprimé et la fouille a rendu évi-
dent qu'on s'était donné beaucoup de mal, à une certaine époque,
pour intercepter tout accès, soit de la surface extérieure, soit des gale-
ries latérales. Le passage III avait été empli avec soin de terre pilée
et de débris identiques à ce qui a été décrit dans la galerie II. Une
lourde dalle de pierre, calée par un boulet sphérique d'à peu près
0^,40 de diamètre, tamponnait l'orifice occidental de la porte h exiguë'
CHRONIQUE. 585

et basse. Dans la chambre ronde elle-même, ce n'était qu'un entasse-


ment de grands blocs visiblement arrachés d'une construction fortifiée,
un mur de ville peut-être. A peu près tous offraient une face bien
dressée avec des arêtes à réglure correcte, quoique sans ornementa-
tion ni encadi'ement, dans les blocs examinés. Tel d'entre eux mesu-
rait un peu plus d'un mètre de face sur une hauteur minimum de
0'",70 et une épaisseur presque égale, et je ne suis pas sûr d'avoir
aperçu leplus volumineux. On ne pouvait naturellement songer à re-
monter des pièces de ce poids à la surface actuelle il a fallu les dé-
;

biter en moellons et ce n'a pas été la moins dangereuse tâche.


Dans les interstices de ces massives pierres, quelques décombres
avaient glissé. Peut-être un examen assidu en toute la durée de la
fouille eût-il rendu possible une distinction entre des couches anciennes
insérées entre des blocs et les débris bouleversés par la coulée des
pluies. L'unique observation assez ferme pour être communiquée est
l'absence radicale de tessons antérieurs au début de la période judéo-
hellénique dans le mince lit de décombres qui semble avoir déjà
couvert le sol rocheux de la chambre, quand les premiers quartiers
de pierre y furent précipités pêle-mêle. Les casseaux de vaisselle cer-
tainement Israélite n'étaient au contraire point rares dans les paquets
de débris insérés entre des blocs à un niveau supérieur. Cette anomalie,
qui, une fois de plus, m'a rendu long-temps perplexe, trouvera peut-
être plus loin son explication. Signalons enfin, avant de quitter le
tunnel IIl et la chambre où il aboutit, le polissage remarquable de
toutes les arêtes rocheuses, aux ouvertures ou sur les aspérités des
parois,le dressage relativement soig"né au pic. l'absence de tout revê-

tement étanche. de toute concrétion calcaire et de toute vase carac-


téristique des fonds des canaux.
IV. En débouchant du tunnel III dans la chambre ronde, on remar-
,

que aussitôt, dans la paroi septentrionale, une ouverture toute sem-


blable, les dimensions exceptées, à l'orifice de III mais la hauteur
;

n'est ici que de r",70 et les largeurs maximum et minimum 0'",90 et


0"',65. La galerie IV ainsi amorcée, décrit vers le iWO. une petite

courbe sinueuse (pi. I, 1). A la suivre depuis la chambre, on croirait


d'abord se retrouver dans le couloir initial de III même horizon-
:

talité du plafond, même décrochement un peu en forme de conque,


inclinaison analogue du sol, identité absolue du procédé de taille au
pic, produisant de longues stries aux extrémités repliées à la façon
d'un croissant peu profond. Vers le miKeu de la courbe du tunnel
s'amorce, dans la paroi occidentale, un tunnel où nous allons péné-
trer, n°V, tandis que devant son ouverture la paroi opposée offre deux
586 REVUE BIBLIOLE.

entailles parfaitement régulières, mais abandonnées à 0^.70 de


/ et /i,

profondeur maximum. On y peut saisir avec exactitude le procédé de


mine. Le maître d'œuvre traçait la figure de la galerie à ouvrir. Son
tracé approfondi au ciseau devenait la limite dexcision et le champ
de la paroi était attaqué largement au pic. L'ouvrier travaillait debout
et creusait toujours de haut en bas, de telle sorte que la tète de sape
était unplanincliné sur lequel le mineur pouvait généralement opérer
avec toute la vigueur de ses bras. Il ouvrait d'abord avec quelque soin
une rainure au plafond et sur les bords de sa tranchée et piquait plus
hardiment le centre. Une retouche finale, quand le forage avait atteint
un certain développement, donnait aux parois la correction désirée.
Il est très facile de se rendre compte pratiquement que la tendance

spontanée dans ce mode d'exécution est de relever sans cesse la


galerie, tout au moins le niveau du sol. et ce fait pourra expliquer
mainte particularité apparemment déconcertante dans les autres tun-
nels.
.Je n'ai su découvrir aucune raison bien plausible à ces deux
amorces de galerie ni à leur abandon; mais j'y suis revenu bien des
fois pour revoir et en quelque manière palper certains détails du

labeur de mine dans toute la durée de l'étude des tunnels.


Au nord de ces coupures, la galerie devient un peu plus large et
plus tortueuse dans une assise de mauvais calcaire caverneux. Le
plafond seul conserve une certaine régularité parce qu'on l'a fait coïn-
cider avec un lit d'assise le sol, au contraire, une fois débarrassé des
;

sédiments très durs causés par la longue stagnation des eaux, a laissé v

voir des rugosités, des tissures et plusieurs dénivelloments peu en faveur 1


d'un canal proprement dit. L'embouchure sur la galerie VI était murée J
par un blocage, t, en mo(Mlons liés avec un mortier de même aspect et
fait des mêmes éléments que celui du mur / dans le bassin de la source.

Malgré son épaisseur et l'enduit de brique pilée qui le revêtait du côté


du canal de la fontaine, ce blocage, qui avait parfaitement dissimulé
la galerie aux regards de tous les explorateurs, ne l'avait pas protégée
contre l'invasion des eaux et même de la boue, une boue fine et com-
pacte, absolument stérile en vestiges archéologiques. Elle provenait
d'ailleurs pour la majeure partie des poches argileuses traversées par
les fissures où les eaux suintent à chaque hiver presque sur toute la
paroi occidentale. A défaut de débris quelconques, aptes à suggérer
une date, un détail assez ténu a semblé, dès la première constatation,
très utile à enregistrer l'existence d'une ligne horizontale fermement
:

tracée à la pointe, dans les parties saines de la paroi orientale, et


dont le niveau varie toujours à angle droit et proportionnellement à
CHRONIQUE. 587

celui du plafond. Sur l'arête rocheuse à l'issue de la galerie, la ligne


parait se relever brusquement jusqu'au plafond; mais on la voit en
réalité se replier au dehors sur la paroi de la chambre ronde et venir
encadrer, à 1"", 40 environ dusol, un cartouche rectangulaire de O^jiSx
0'°,38. C'est là que fut pour moi. je le confesse, l'unique amertume de

la fouille. On n'était alors que vers le milieu de la première campagne,

en octobre 1909. Le tunnel, découvert par son extrémité nord, était


dégagé par la galerie de la fontaine, elle-même remblayée sur pres-
que 1/3 de sa hauteur. C'est dire que malgré tous les efforts pour
maintenir l'eau à niveau bas dans cette branche latérale par des sys-
tèmes de tuyaux, on pataugeait plus que de raison à chaque montée
de la source. Le jour où fut touchée la chambre ronde et le déblaie-
ment arrêté sous léboulis menaçant qu'on devait plus tard attaquer
par le dehors, l'inspection de la fameuse ligne, déjà observée avec
curiosité dans la galerie, amena le regard à la base du cartouche très
nettement visible tout le haut demeurait masqué par un emplâtre
:

de terre humide qui avait l'air de faire office de tampon sous l'angle
d'un bloc de proportions immodérées, et que la fouille avait déjà
privé d'un supplément très opportun d'appui inférieur. Spontanément,
tout glissa des mains dans la boue du tunnel, moins la bougie... Et
de frotter le fond du cartouche... et d'arracher la terre pincée sous
l'angle du bloc malencontreux, sans souci de son équilibre, heureu-
sement meilleur que notre prudence! Comment en effet admettre que,
dans le champ une fois nettoyé de ce cartouche, n'allaient pas appa-
anguleuses de quelque vieille inscrip-
raître enfin les lettres grêles et
tion hébraïque, pendant de l'inscription trouvée naguère au bout du
tunnel de Siloé ? La déception fut d'autant plus sentie que l'espoir
avait été plus imprévu et l'obstination plus prolongée à fourbir cette
roche, puis à l'éclairer suus tous les angles et à la scruter dans toutes
les positions . Quand il fallut faire droit à l'évidence que rien n'avait
jamais été gravé là dedans, surgit l'idée qu'on aurait pu seulement
tracer, par un procédé quelconque, des lettres que le temps avait

manqué pour Nouvel examen, tout aussi déçu


sculpter. ce qui ne:

devait pas empêcher de le recommencer avec persévérance dès le


lendemain et dix autres fois avec mélancolie durant les premiers mois
de la campagne de 1910. Le cartouche vide et la ligne de niveau dont
il marque le point de départ deviendront pourtant des éléments de

comparaison assez utiles dans la suite, pour qu'on veuille bien par-
donner la confession candide que leur mention vient de provoquer.
V. Le tunnel V, dont l'amorce a été indiquée tout à l'heure, n'exige
pas de longs détails pour compléter et préciser le graphique pi. 1. 1 Le .
588 REVUE BIBLIQUE.

banc rocheux abonde en fissures et en cavités tapissées de concrétions


calcaires, ou ornées de petites stalactites. Ainsi s'explique la présence
de l'argile boueuse entassée sur une moyenne hauteur de 1™,30, c'est-
à-dire presque jusqu'au plafond, sur toute la lon§ueur(l). La galerie est
ascendante avec une régularité qui frappe et dont le motif n'est pas
du toutsi apparent. Après des mois d'observation patiemment réitérée,
j'ai l'impression que ce relèvement est tout accidentel et devait dis-

paraître dans le radier, si le travail eût été achevé. Le plafond coïn-


cide en grande partie avec une base de stratification géologique in-
clinée d'ouest en est, ou plus exactement OON. en EES., sous un angle
d'environ 7°. Les mineurs se sont laissé entraîner par ce joint, qui les
dispensait de rectifier constamment le haut de leur galerie et leur
fournissait un plafond correct. Le relèvement presque parallèle du
radier s'explique de lui-même, ainsi qu'on l'a vu, et si le labeur n'eût
été abandonné, il est clair que, pour admettre l'introduction et la cir-
culation de l'eau, ce radier devait être ravalé d'au moins 2"', 50 au
point d'arrêt de la galerie. Le déblai n'a pas fourni le plus minime
document archéologique et la singularité du tracé de ce tunnel, par
ailleurs d'une exécution admirable, n'est pas le moindre point d'in-
terrogation qui surgisse des récentes fouilles.
VI est la galerie sous roche établissant la communication entre
l'ancien passage intérieur d'Ophel et le tunnel de Siloé, n° VIII. Après
tant d'explorations aussi soigneuses que compétentes on pouvait l'es-

timer connue à fond et je n'ai aujourd'hui aucune honte à faire


l'aveu de mon émoi, un soir de
fin septembre 1909, au début de mes

visites régulièresau chantier, en voyant pratiquer une coupure dans


le sol juste devant la galerie IV, découverte depuis peu. Les ingé-
nieurs de la mission eurent beau me faire constater des yeux et des
doigts qu'on ne taillait point dans la roche vive mais dans un amas
de béton compact, mon scepticisme inquiet dura tout le temps d'avoir
vu élargir péniblement l'entaille sous mes yeux, d'avoir ramassé des
éclats sur divers points des parois, d'être revenu les laver généreu-
sement à la fontaine et les examiner à la bonne lumière vive du soleil.
Or c'était bien un béton, avec une chaux grisâtre et grasse, quelques
parcelles calcinées et beaucoup de poussière de brique l'ensemble :

compact et dur au point d'exiger un réel effort pour l'effriter. Plus


tard, la fouille du bassin et l'examen du mur de barrage / devaient
fournir le plus exact équivalent de ce mortier alors nouveau pour moi.

(l) Hauteur inaxiinuin de celte galerie, r",65; minimum, 1">,35 ; largeur maximum, à l'en-
trée, 0'", 87 i parcours intérieur, O^./O; largeur minimum, au point d'interruption,
sur le

O'^jas ; largeur moyenne, 0'^,bO section trapézoïdale assez régulière dans toute l'étendue.
;
CHROMOUE. 589

En peu de temps, le sondage atteignait le radier de roc primitif


ainsique les parois latérales grossie rement dressées et revêtues de
très vieux sédiments calcaires. D'autres essais firent la preuve que
cet exhaussement artificiel se développait, à des profondeurs varia-
Jjles, sur tout le parcours de la galerie et l'excision méthodique en

fut résolue : tâche ardue, qui à ce moment devait s'accomplir souvent


dans Feau et toujours dans la boue, avec une attention constante

pour n'enlever que le remblai sans infliger de déformation préma-


turée au sol très inégal et aux parois antiques de la galerie. Elle ne
s'est pas accomplie seulement sous le regard des directeurs du chan-

tier, mais en grande partie de leurs mains et en pénétrant dans la

fouille il n'était pas toujours si simple à première vue de reconnaître,


dans la silhouette de scaphandrier allongée au fond du tunnel et
maniant activement un outil, M. A. ou M. B., ou tel autre des jeunes
explorateurs. Au prix de cet effort et de ces précautions, la galerie
primitive a été reconquise; on a découvert en outre le tronçon de
tunnel n° VII, le vrai niveau du tunnel-aqueduc n" VIII, le petit bar-
rage, q^ établi à l'embouchure de ce tunnel pour bloquer delà quan-
tité voulue l'extrémité de la galerie n" VI on a pu ressaisir enfin ;

comme une clef pour lintelUgence de tout ce réseau compliqué de


passages dans le roc.

Reprenons la galerie VI à la chambre de la fontaine, derrière cette


porte F où s'est arrêtée tout à l'heure la description. Voici d'abord un
réduit G ijîl- E 1 et 2 j, auxformes capricieusesmalgrél'exécutionparfaite
de ses parois c'est comme si la galerie, creusée en avançant de l'ouest
:

à l'est dans la direction de la source, avait voulu tourner la chambre


d'eau par nord, avant de se résoudre à y pénétrer moyennant lé-
le

chancrure F. Le fond septentrional du réduit n'offre cependant pas


exactement le plan de coupe oblique si accusé des autres fonds de
galeries interrompues et si le dressage au pic y est très net sur toute
la surface, ainsi qu'il l'est dans les parois supérieures de la galerie VI
jusqu'à l'embouchure du
on peut admettre l'hypothèse d'une
n" VIII,
simple retouche de cavité préexistante. Il n'est pas non plus invrai-
semblable qu'on ait eu d'abord l'idée d'amorcer le canal oblique-
ment sur la chambre d'eau pour prévenir l'introduction trop facile
de la boue et des débris. Au compte de cette préoccupation judi-
cieuse doit être mise sans doute la création du petit gradin de roc (1)
ménagé dans le sol à l'orifice précis de la galerie.
Les oscillations d'axe dans toute la première section EO. relèvent

(1) Nivelé maintenaat par un lit de ciment depuis que la création d'un barrage plus effi-

cace devant l'entrée F le rendait inutile.


n9n REVUE BIBLIQUE.

très probablement de simples négligences d'exécution. Elles sont

surtout sensibles à la base de la .salerie, c'est-à-dire au plan de sur-


lace, celui que le plan (I, i^ s'efforce de traduire. Dans la moitié supé-
rieure à peu près, où les parois étalent la preuve d'uu travail beau-
coup plus soigné, on s'est efforcé de corriger les plus scandaleuses ou
lesplus irrationnelles de ces sinuosités au moyen d'entailles analogues
à une gorge de cornicbe moulurée.
• A l'",75 de l'entrée une échancrurc, /, large de 0"',9-2, pénètre obli-
quement dans la paroi septentrionale et s'interrompt à la profondeur
maximum de O^jôO. On y retrouve les caractéristiques désormais fa-
milières d'une tète de sape abandonnée. Mieux que toute description,
l'examen du plan dira sa relation intentionnelle assez nette avec les
galeries VII et VIII, taillées de même main.
Après quelques tâtonnements plus irrégulier.s, la galerie se coude
presque à angle droit pour courir du S. au N. entre deux parois si-
nueuses d'une exécution forcément imparfaite étant donnée la nature
du banc rocbeux en cet endroit. Vers le milieu du parcours, en
cette section, s'ouvrent, à l'E. le minuscule tunnel n'' VII. à l'O. le

grand tunnel-aqueduc de Siloé. Passé ces embranchements, la ga-


lerie VI n'est plus guère qu'un trou brutalement pratiqué sans le
moindre souci de régularité et d'élégance. Elle se dilate bientôt dans
une assez spacieuse caverne naturelle, dont les axes moyens ont
2°", 50 et 2°',30, et vient mourir dans une anfractuosité artificielle, /^

où débouche le puits vertical de la grande galerie supérieure dont il


va être bientôt question.
Depuis fontaine jusqu'au barrage partiel, p, après l'em-
l'orifice à la

bouchure du tunnel de Siloé, la galerie VI une fois déblayée présen-


tait deux procédés de taille tout à fait distincts. A la base, sur une
hauteur variant de 0"",i5 à une taille violente et grossière par
i"',20,

éclats levés au ciseau ou à coups de marteau et produisant une sur-


face rugueuse que les sédiments épais n'ont pu aplanir; dans le
haut les stries régulières, concaves, serrées, d'un pic manié avec sou-
plesse pour donner à la paroi un fini élégant. La direction de ces stries,
surtout dans la section où la roche est plus saine, entre la galerie IV
et la source, indique assez nettement que le travail celui de re- —
touche à tout le moins —
fut exécuté en
• avançant de l'O. à l'E. ce ;

rieu trouvera en son temps quelque valeur.


N'ayant pu observer directement les débris constatés dans la vase
au début des travaux, je m'abstiendrai d'en rien mentionner. L'exci-
sion du conglomérat maçonné qui remblayait partiellement la galerie
a fourni au contraire de remarquables indices 1° l'analogie déjà :
Planche I.

^eseAu de GALERIES cUns U ROC


'AiN OUMM ED^n^RADJ . ... .,.„ GMZRIES
.. ^.... /, ROC
M. LE cAPiTAint .HONWcv B, fVïrker
Pla.nciii: 11.

Fontaine de la Vierge. La caverne £ vue de l'intérieur. Au centre la dernière marche de l'escalier


d'accès. Au-dessous le seuil de roc A. En avant le trou d'émergence, D. déjà remblayé. Au premier plan
la crevasse D encore béante.
Pl.wchk m.

Fontaine de la Vierge. La caverne E vue de l'entrée, après l'obturation lie la crevasse D et l'installa-
tion du gradin devant rorifice du canal VI.
Planche IV.

— £
CHRONIQUE. ",91

signalée entre le mortier de ce béton et celui ai] barrage dans le

réservoir de la fontaine; 2" de jolis tessons judéo-helléniques et de


basse époque israélite noyés dans ce magma ou appliqués contre des
du roc
fissures ;
3'^ les trois barrages p, g, t, identiques pour obstruer
hermétiquement les tunnels IV et VII et à moitié seulement l'extré-
mité de la galerie VI au delà du tunnel de Siloé.
La fouille proprement dite une fois achevée, on a pratiqué dans
cette galeriequelques sondages aussitôt remblayés. Les barrages ont
été rétablis en conservant seulement d'étroites ouvertures sous le
plafond pour signaler l'existence des galeries bloquées. Aucun de ces
travaux sans doute, pas plus que les tlaques de ciment moderne éten-
dues de-ci de-là, ne sont de nature à tromper, du moins avant plusieurs
couples de siècles, la religion des observateurs soigneux qui repren-
draient à nouveau l'étude du tunnel.
VII. De la galerie n" VII il u'y a rien à dire, sinon que sa forme
étrange est due au caprice de la nature dont on entreprit un jour de
régulariser l'œuvre pour l'utiliser en élargissant cette faille. Après
l'avoir inclinéedans une direction voulue, à 2'", 80 de profondeur, on
l'abandonna et l'orifice en fut muré. Il a fallu toute l'attention péné-
trante des directeurs de la mission de 1900 pour soupçonner son exis-
tence. Son exploration n'a livré aucun autre indice de classement que
le procédé de taille, surtout à la tète de sape. La boue stérile dont
elle était obstruée provenait des suintements.
VIII, en raison de son importance, fera l'objet d'un paragraphe

spécial de ces notes. Car ici encore, sur un monument estimé connu
dans le plus intime détail, les courageux travaux de M. A. ont amené
de curieuses révélations.
[A sitivre.)
RECENSIONS

An Introduction to the Literature of the Ne-w Testament bv J. INIoffatt,


Edinburgh, Clark, 1911, xl-630 p. — Sh. 12.

Cette Introduction au Nouveau Testament fait partie de la grande collection


anglaise, ou plus exactement, anglo-américaine, fondée par les Professeurs Pro-
testants Briggs de New-York et Salmond d'Aberdeen : Ylnfernational Theohgical
Library. L'ouvrage de M. Moffatt constitue donc le pendant de l'Introduction to the
Literature of the Old Testament de Driver dont on connaît le succès et qui est à sa
huitième édition. L'importance de l'ouvrage ainsi que l'autorité dont jouit la collec-

tion dans les pays de langue anglaise m'engagent à faire de l'Introduction de M. Mof-
fatt une recension un peu détaillée.
D'abord quelques remarques générales.
Le plan de cette Introduction est plus étroit que celui des livres similaires. Cela
se comprend d'ailleurs aisément. U International Theological Litnarij consacre cinq
volumes à l'étude du Nouveau ïestanient. Le Tcxt and Canon o/' the Neiv Testa-
ment, la Thcology of the New Testament, une Histori/ of Christianit;/ in the Apo-
stolic Age ont déjà paru, et une Contcmj)orary History of the New Testament est an-

noncée. L'auteur a été forcé de se limiter aux questions littéraires qui se posent au
sujet des livres du Nouveau Testament .: questions d'auteurs, de temps et de lieu de
composition, de dépendances littéraires. On ne regrettera pas qu'il a dû négliger
rhistoire du texte et l'histoire du canon : ce sont deux sciences qu'il y a profit à
étudier et à traiter séparément. Mais les questions littéraires qui relèvent de l'Intro-
duction proprement dite ne peuvent être complètement séparées des grandes ques-
tions doctrinales, historiques et chronologiques de l'âge apostolique. A ce point de
vue, la trop grande division du travail offre des inconvénients. Cela est particulière-
ment évident dans l'étude des lettres pauliniennes, écrits de circonstance, qu'on ne
peut isoler des périodes bien connues de la vie de l'Apôtre. Aussi nous ne craignons
pas de dire que M. Moffatt a trop peu insisté sur l'histoire générale de Paul, sur les
origines des églises fondées par lui et sur la chronologie du grand Apôtre. Ce dernier
point est trop rapidement résumé, surtout maintenant qu'il y a moyen de préciser
par suite de l'inscription de Delphes, publiée par Bourguet {De Rcbus Delphicis
imperatoriae aetatis, Montepessulano. 1905). Cette inscription permet de dater assez
exactement le proconsulat de Gallion 1.52-53) et par suite le séjour de saint Paul à
Corinthe {Act. 18, 12-17). Elle jette ainsi une lumière très précieuse sur la chrono-
logie des voyages de l'Apôtre. M. Mofîatt semble ne pas avoir connu cette inscription.
C'est regrettable.
Si donc les questions littéraires sont quelquefois trop isolées de l'histoire générale,
il convient d'ajouter aussitôt que, au point de vue où elles sont abordées, rien n'a été
épargné pour que la discussion soit toujours claire et complète. Chaque étude est
précédée de renseignements bibliographiques extraordinairemeut abondants où l'on
RECENSIONS. 593

se retrouve cependant aisément, grâce à de multiples et judicieuses divisions. Les


auteurs catlioliques sont abondamment cités: il n'y a d'ostracisme pour personne.
On n'insistera pas sur Fune ou l'autre omission inévitable, sur quelque erreur de
détail, sur quelques fautes d'orthographe dans les titres français et néerlandais d'ou-
vrages renseignés; ce qui frappe, c'est le choix judicieux et la largeur de vue de
l'auteur. — L'ordre des questions est très nettement indiqué:
les remarques acces-

soires, l'argumentation de détail,développements moins importants sont ajoutés


les

en petit texte. Un grand nombre de tables svnoptiques permettent au lecteur de se


rendre aisément compte de la position actuelle des problèmes principaux de critique
néo-testamentaire et des conclusions de ses représentants les plus en vue. En un mot,
les renseignements fournis sont extraordinairement abondants et la disposition typo-

graphique est admirable.


Mais on s'aperçoit bien vite que M. Moffatt, qui s'est donné une peine infinie pour
étudier les documents et se renseigner chez les auteurs qui, avant lui, avaient écrit
sur les mêmes questions, est défiant à l'excès envers l'ancienne tradition et injuste-
ment partial contre elle. C'est là le grand défaut de ce livre. Nous le montrerons
plus loin par l'un ou l'autre exemple. Jamais M. Moffatt ne commencera l'étude d'une
question par l'exposé complet des données traditionnelles. Partout prédomine l'argu
ment interne et une certaine tendance à dater les écrits le plus tard possible. Cette
méthode explique encore la trop grande facilité à admettre de petites interpolations
et ce qu'il appelle " editorial handling ». des remaniements d'éditeur.

La division de l'ouvrage est conditionnée par les résultats et les conclusions de


l'auteur. Après les Prolégomènes 1-63 s'ouvre le premier chapitre consacré à la
.

Correspondance de Paul, bien entendu celle que Moffatt tient pour authentique
(64-176); le second chapitre traite de la litterature^historique (le.s Évangiles Synop-
tiques et les Actes^ (177-314y; le troisième des Homélies et Pastorales (315-482) :

1^ Petr. Jud.: 11^ Petr.;


: Eph.: PoMor.:— Hebr.: Jac: —
11^ et IIl^ Jo.: le qua- —
trième chapitre étudie V Apocalypse (483-.514j: le cinquième et dernier, le Quatrième
Ecangile et la 1^ Jo. 51.5-620
i. 1.

Nous ne suivons cette division que dans ses grandes lignes. Le groupement com-
munément admis nous semble préférable : c'est d'après celui-ci que nous avons fait

l'analyse des conclusions principales et disposé nos remarques.


à des questions de méthode et de genre litté-
Les Prolégomènes sont consacrés
mais sur lesquelles nous insistons moins pour ne pas allon-
raire très intéressantes,
ger outre mesure nos notes. D'abord un paragraphe sur la méthode d'Introduction
néo-testamentaire : c'est le problème littéraire comme tel qui est l'objet propre de
l'Introduction au Nouveau Testament. Suit un paragraphe sur l'ordre des livres, et
un autre sur les sources littéraires du Nouveau Testament. A noter ici que l'auteur
se montre très favorable à l'hypothèse de Florilei/la, ou recueils de textes de l'An-
cien Testament, surtout de prophéties messianiques, que les plus anciens écrivains
du Nouveau Testament auraient connus et utilisés. M. Moffatt maintient encore la
dépendance de Luc par rapport à Josèphe, et. en général, accepte trop facilement et
sur la foi de ressemblances trop peu caractéristiques l'utilisation de documents pro-
fanes ou apocryphes par les auteurs du Nouveau Testament. Très sugaestives et
remarques des
instructives sont les paragraphes suivants sur la composition du livre
à l'époque du Nouveau Testament certains cas de multiple édition, de parachève-
ment par l'auteur lui-même y sont signalés , sur les genres littéraires emplovés par
les auteurs du Nouveau Testament da diatribe et les différents genres épistolaires y
sont caractérisés), sur la circulation des écrits du Nouveau Testament, et enfin sur
REVUE BIBLIOLE 1911. — N. S., T. VUI. 3^
394 REVUE BIBLIQUE.

certains procédés de style, surtout la prose métrique. Nous ne pouvons pas insister ;

nous avons hâte d'en venir à l'introduction proprement dite.


M. Moffatt admet l'authenticité de neuf lettres pauliniennes; sans parler de l'épître
aux Hébreux, dont l'origine paulinienne immédiate n'est plus guère admise, il rejette
aux Éphésiens et des Pastorales.
l'authenticité de l'épître
Les aux ïhessaloniciens, les deux premières lettres de l'Apôtre, écrites dans
lettres

le courant du second voyage, ouvrent la série. Il n'y a rien de spécial à remarquer

ici. M. Moffatt réfute soigneusement les objections contre II Thés.: il n'a pas connu

l'hypothèse récente dHaroack qui croit cette lettre destinée aux juifs convertis de
ïhessalonique.
La question des destinataires de l'épître aux Galates est fort controversée.
M. Moffatt est un partisan décidé de la JSorth Galatian Theory : la lettre aurait été

écrite aux habitants de la Galatie proprement dite. Il est certain en effet que Paul
avait évangélisé cette contrée dans son deuxième (Act. 16, 6) et troisième voyage
{Act. 18, 23), du moins pour ce qui regarde les régions les plus occidentales. A notre
avis, ces textes, quoi qu'on en ait dit, ne permettent point d'autre interprétation. Et
comme la lettre aux Galates a été adressée à des chrétiens que Paul avait évangélisés
deux fois déjà {Gai. 4, 13 -oôtesov = une première fois) il faut l'attribuer logique-

ment au troisième voyage, dans l'hypothèse que préconise l'auteur. C'est ce que fait
M. Moffatt. Il rejette absolument la destination de la lettre aux chrétiens d'Antioche,
Iconium. Lystre et Derbes, villes qui appartenaient à l'époque de Paul à la province
romaine de Galatie et qui furent évangélisées par l'Apôtre dans le courant du pre-
mier et du deuxième voyage. Cette opinion, la South Gahitian Theory, nous parait
cependant sérieusement probable et s'appuie, entre autres, sur la présence, dûment
constatée par les inscriptions, d'un élément juif considérable dans ces dernières com-
munautés. Or il est avéré et reconnu partons que la controverse dans la communauté
des destinataires requiert la présence d'un élément juif important. On ne saurait
prouver d'autre part que beaucoup de juifs habitaient, à l'époque de Paul, l'ancienne
Galatie. On peut donc, nous semble-t-il, faire des habitants convertis dans la pre-
mière tournée d'évangélisation en Phrygie et Lycaonie, etc., les destinataires de
l'épître aux Galates. Elle pourrait être datée du second voyage de saint Paul. Nous
reconnaissons volontiers que la question est difficile et que les idées sont partagées.
Elle est d'ailleurs fort bien exposée par M. Molfatt qui s'est beaucoup inspiré du bel
ouvrage de Steinmann sur cette controverse.
Paul, d'après Moffatt, aurait écrit quatre lettres aux Corinthiens : 1) une lettre

perdue, antérieure à la première lettre canonique et rappelée dans celle-ci (I Cor. 5, 9);

Il Cor. 6, 14-7. 1 en serait probablement un fragment; 2) la première lettre cano-


nique datée d'Éphèse pendant le long séjour du troisième voyage; 3) après une visite
à Corinthe que les Actes n'auraient pas mentionnée, nouvelle lettre qui serait en
partie perdue, en partie conservée dans II Cor. 10, 1-13, 10; cette lettre daterait

du séjour d'Éphèse et aurait été écrite « dans une grande affliction, dans l'angoisse
de mou cœur et avec beaucoup de larmes » (II Cor. 4. 4i ; 4) enfin, arrivé en Macé-
doine, après réception de nouvelles consolantes sur la situation des chrétiens de Co-
rinthe, il écrit la seconde lettre canonique II Cor. 1-9 (moins 6, 14-7, 1) et 13,
11-13. On que ces conclusions ne sont pas nouvelles, mais on fera bien de se
sait

déûer de la : chez un écrivain du tempérament de Paul,


dissection de II Cor. vif et

nerveux, on ne peut rien tirer d'un changement un peu brusque de ton, ou d'un
manque de liaison entre deux sections qui se suivent.
L'épître aux Romains fut envoyée de Corinthe à la grande communauté de Rome
RECENSIONS. 595

que Paul n'avait point encore visitée. Elle finissait au chapitre 15. TJn exemplaire en
aurait été adressé à l'église d'Ëplièse par Paul lui-même, avec
une conclusion propre
et de longues salutations (16, 1-23). La
ne serait pas de
do.xologie finale (16, 25-27)
la main de Paul; mais elle ne serait pas non plus marcionite, comme on l'a pré-

tendu récemment. Les traces d'un éditeur postérieur seraient visibles en plus d'un
passage.
Quant aux épitres de la captivité, elles furent écrites pendant l'emprisonnement à
Rome : le lieu de composition serait certain pour la lettre aux Philippiens et à Phi-
lémon; on ne saurait démontrer la même thèse pour la lettre aux Colossiens; mais
très probablement elle daterait aussi de la même captivité. A cette même époque, il
faudrait rapporter la lettre perdue adressée aux Laodicéens mentionnée Col. 4, 16.
Ce —
en dehors de quelques notes recueillies par l'auteur des épîtres
serait là
Pastorales et dont il sera question plus tard —
tout ce qui nous est resté de l'activité
littéraire du grand Apôtre. Pour M. Moffatt, malgré les arguments très solides et de
plus en plus écoutés qu'on fait valoir pour la délivrance de l'Apôtre et une seconde
captivité romaine, la vie de Paul .se termine avec la fin du récit des Actes. Cette con-
clusion entraîne, comme conséquence logique, la non-authenticité des épîtres à Timo-
thée et à Tite.
C'est parmi les homélies que M. Moffatt place Tépître aux Éphésiens dont il nie
l'authenticité. L'écrit aurait été composé en .Asie Mineure, entre 75-8.5, par un chré-
tien de l'école de Paul, utilisant beaucoup l'épître aux Colossiens et connaissant aussi
la /» Pétri. Sç, voudrais m'étendre un peu sur ce point spécial, parce que l'étude sur
les questions littéraires de l'épître aux Ephésiens caractérise bien la méthode et les
procédés de l'auteur. 11 est entendu que is'p/*. 1, 1 la leçon âv 'Eoi^w est inter-
polée et que la question insoluble des destinataires de cette lettre sera absolument
négligée dans l'examen des arguments exposés par M. Moffatt contre l'authenticité.
Si jamais il était nécessaire de commencer l'étude d'une question par l'examen
complet de la tradition, ce serait certes le cas pour le problème que nous abordons

ici. Il n'est point difficile de l'établir. M. Moffatt reconnaît que saint Clément de Rome,
dans sa lettre à l'église de Corinthe, écrite en 96, fait allusion à certains passages de
l'épître aux Ephésiens. De telles allusions sont plus nettes encore au commencement
du second siècle dans les lettres d'Ignace et de Polycarpe. Vers le milieu du second
siècle, Marcion la proclamait authentique et la croyait adressée aux chrétiens de

Laodicée. Un peu plus tard la lettre est citée comme paulinienne par les auteurs
chrétiens de partout. M. Moffatt conclut de ces témoignages que la composition de la
lettre aux Ephésiens ne peut pas être portée après 85. C'est fort bien. Mais M. Moffatt

n'admettra pas qu'à cette époque la lettre circulait sans nom d'auteur : il a beau l'ap-
peler une homélie, c'est une lettre ;
elle en porte tous les caractères littéraires, et
partant, elle aura toujours porté un nom d'auteur, le nom de son auteur réel ou un
pseudonyme. Dès lors, si l'on nie l'authenticité de la lettre aux Éphésiens, il faudra
conclure que les chrétiens de P»^ome et leur chef, saint Clément, se soient laissé im-
poser un faux, quelque trente ans après la mort de l'Apôtre et cela dans la ville
même où celui-ci avait passé ses dernières années et où tout naturellement on devait
être au courant de son activité littéraire. Cela est-il probable? Il faudra conclure en
outre que dans l'Asie Mineure, où l'écrit pseudonyme aurait été composé, les chefs des
églises chrétiennes d'Antioche et de Smyrne auraient été victimes de la mystification
au début du second siècle. M. Moffatt, qui est si minutieux quand il s'agit de critique
interne, aurait dû exposer l'argument de tradition là où il discuta le problème de l'au-
thenticité; il l'a au contraire relégué, en petit texte, au paragraphe final et très court
596 REVUE BIBLIQLE.

qu'il consacre au temps de composition de la lettre. La tradition est favorable à l'au-

thenticité- de la lettre : moins qu'on puisse dire.


c'est bien le

Certes, il est légitime d'examiner aussi le contenu de la lettre, d'en étudier le vo-
cabulaire et le style pour s'éclairer sur la question d'auteur. Mais il ne faut point
oublier que la critique interne n'a pas de monopole. Les raisons internes qui poussent
M. Moffatt à nier l'authenticité de l'épitre aux Éphésiens sont avant tout la compa-
raison avec l'épitre aux Colossiens et avec la J» Pétri, puis, en ordre subsidiaire,
l'étude du vocabulaire et du style comparés avec le vocabulaire et le style des lettres
indubitablement pauliniennes.
Nous avons refait le travail de Moffatt et nous sommes arrivé à des conclusions
diamétralement opposées. Il serait trop long de critiquer toute l'argumentation, mais
nous en dirons assez pour montrer combien elle est peu solide et ne saurait rallier
l'assentiment. M. Moffatt commence par imprimer en deux colonnes les passages pa-
rallèles des deux lettres aux Colossiens et aux Ephésiens. Ces passages sont nom-
breux et la relation entre les deux épîtres est très étroite. Le but, l'ordre et la dis-
position, l'objet sont sensiblement les mêmes, mais le ton de l'épitre aux Éphésiens
est plus général, le style est moins nerveux, l'exposé est plus objectif, moins polé-

mique. Cependant il n'y a pas trace de copie servile l'auteur développe à l'occasion
:

les idées moins complètement exposées dans la lettre aux Colossiens on en trou- :

vera un bon exemple 2. 6. L'union du chrétien au Christ, cet élément fonda-


mental de la sotériologie de Paul, n'est nulle part si puissamment exposée que
dans notre lettre. On sent que l'auteur de la lettre aux Éphésiens n'est nullement
inférieur à l'auteur de l'épitre aux Colossiens il nous parait donc impossible de con-
:

sidérer le premier non seulement comme un vulgaire plagiaire, mais même comme
un habile imitateur du second. Dans les grandes lignes, et sauf certaines différences
que je ne voudrais pas diminuer, le rapport d'Eph. à Colos. ressemble beaucoup au
rapport de l'épitre aux Romains à celle aux Galates, ou des deux lettres aux Thessa-
loniclens. C'est de part et d'autre le même auteur qui sest assimilé les vérités que la

tradition et la révélation lui ont apprises et qui les expose d'une façon originale qu'il
n'est pas aisé d'imiter. Et puis, dans Ihypothèse de la non-authenticité de la lettre

aux Éphésiens et de sa composition tardive en Asie Mineure, conçoit-on l'onnssion des


détails les l'erreur de Colosses, erreur qui vers la fin du
plus caractéristiques sur
premier siècle donner naissance au Gnosticisme ? A cette époque, ua
et plus tard devait

imitateur de Paul n'eût certes pas manqué de reprendre, de développer des passages
comme CoL 2, 8; 16-18, etc. Dans ce même ordre d'idées, on peut noter aussi que
les exhortations morales des deux lettres se ressemblent bien plus que la partie dog-
matique autrement difficile et originale. Pour tous ces motifs, il nous semble indé-
niable que la comparaison générale entre Eph. et Col. est favorable à l'identité d'au-
teur des deux lettres.
Cette impression n'est certes pas diminuée par les remarques en sens contraire
dont M. Moffatt accompagne, au bas des pages, les textes parallèles. Qu'on en juge
par ces exemples ;ii. A propos de Eph. 1, 7 on note à l'exception de 2, 16, c'est la
:

seule allusion à la mort du Christ dansaux Éphésiens an advance upon thc


la lettre :

Pauline view in the direction of the Johannine! A supposer qu'il n'y eut dans la
lettre que deux passages où il serait question de la mort du Christ (l'auteur cite en-

(\ relever des remarques comme celle à propos de i>/i. 1, 4


Faut-il L'addition âv àyâur,
: •>

comme indiquant la fnrme dans laquelle se manileste le caractère irréprocliable, est une louclie
non-p»ulinienne. » Nous avons montré ici même 1?K>1», p. "
svv.) qu'il est bien plus probable qu'il
faille rapporter Èv àyâit-/) à ce qui suit.
RECENSIONS. r,9T

core 5, 2 qu'il compare avec I Petr. 2, 21 mais qu'il pourrait tout aussi bien comparer
à Phil. 2, 5 sv.), on ne voit pas encore comment on serait par là hors du champ
paulinien dans la direction johannique. Mais il est faux qu'il n'y ait dans l'épître aux
Éphésiens que deux ou trois allusions à mort du Christ. Citons encore la1, 20 : :

iyît'pa; aÙTOv h. vs/.pwv 2, 13 £YîV7J6r]Tî l'{Y^i âv tw xtaaTt to'j Xot^Toy, 14


; : èv zt] aaozt :

auTou; 5, 27 y.a\ iauiôv TTxpiow/.Ev 'utzIo ajT%, et moins explicitement 4, 32.


: On le voit,
nous sommes chez un auteur pour qui le fait de la mort du Christ est aussi important
qu'il fut pour saint Paul.
La doctrine du Christ y.i-^alr] serait différente dans les deux lettres : dans Col. 1,
18 sv. le Christ exercerait son pouvoir de chef, de y.ioxXr[, sur les esprits angéliques
et l'Église; dans Éphésiens ce serait avant tout sur l'Église. Je réponds : oui, pour
Ep?i. 1, 22, mais au v. 10 Paul parle de (JvaxsçaXaiticraaôa; Ta ndy-x Ev Tw Xp'.3-w,
xà £-\ -0?; ojpxvou y.cù Tx Itzi t?;? yî];. Eph. 1, 22 est donc une application plus res-
treinte d'un principe universel.
Ce qui est beaucoup plus grave, mais non moins gratuit, c'est la suite : « la fonction

de la réconciliation qui dans II Cor. 5, 18 et même dans


aux Colossiens est
l'épître
attribuée à Dieu, est rapportée dans la Christologie plus développée de l'épître aux
Éphésiens au Christ lui-même; un cas semblable se présente {ICor. 12, 28 coll.
Eph. 4, 11) pour la collation des dons spirituels. » Pour répondre à cette dernière
observation disons simplement que Paul attribue dans d'autres lettres sa vocation
apostolique au Christ par exemple Gai. 1, 1; Rom. 1, .5; I Cor. 1, 17 etc.) et que
dans l'Épître aux Ephésiens même 3, 2 il se dit appelé à l'apostolat des Gentils par
Dieu ye r|Z0JaaTc ttjv oî/.ovo;j.îxv t% yjxQixo; to3 Oîoîi... Il n'y a donc aucune opposi-
: e'i

tion entre ces Dieu ou que c'est ie Christ qui confère les
afûrmations que c'est
charges et les Clément de Rome l'avait parfaitement re-
charismes [cf. Gai. 1, l).
marqué et fort bien exprimé dans ses remarquables paroles « les apôtres nous ont :

été dépêchés... par le Seigneur Jésus-Christ. Jésus-Christ a été envoyé par Dieu.
Le Christ vient donc de Dieu et les Apôtres viennent du Christ ces deux choses
viennent en bel ordre de la volonté de Dieu» (xlii, I). Il en est de même de la ré-
conciliation qui tantôt dans saint Paul est attribuée à Dieu par le Christ, tantôt au
Christ : Dieu est V auteur de la réconciliation, le Christ en est Yimtniment. D'ail-
leurs l'épître aux Colossiens 1, 22 ne s'exprime pas autrement que l'épître aux Éphé-
siens. Il n'y a pas ombre de christologie diverse Eph. 2, 15 et II Cor. 5, 18.
Une dernière opposition — car je suis forcé de passer les moins importantes :

dans indubitablement authentiques, Paul proclame l'union spirituelle des
les lettres

chrétiens issus du judaïsme et des chrétiens convertis du paganisme sur la foi des pro-
phéties de l'Ancien Testament; dans l'épître aux Éphésiens cette même union serait
basée sur le décret éternel de Dieu. Si M. Moffatt avait songé à la composition des
communautés chrétiennes chez les destinataires d'Eph., il aurait sans doute saisi la
raison pour laquelle Paul s'abstient de trop argumenter des prophéties : les lecteurs
auraient eu peine à suivre et à comprendre puisqu'ils n'étaient ni d'anciens juifs ni
d'anciens prosélytes. Il faut de l'audace, certes, pour contester le caractère paulinien
de Eph. 4, 4 : iv cjw;j.a, xx'ï ïv -v£ij[j.a x.xôto; xx\ iy.kr'fir-ô sv ii.tx IX-îot t^: y.Kr^'^iMç uixô&v.

M. Moffatt ne s'en effraie point. Mais la vérité est que, au point de vue des idées,
l'épître aux Ephésiens reflète les grands courants de la théologie paulinienne. Le
rapport doctrinal entre Col. et Eph. n'est donc pas défavorable à l'authenticité de
cette dernière lettre.
M. Moffatt est mal disposé contre l'épître aux Éphésiens : ce n'est pas un interroga-
toire qu'il lui fait subir, c'est un réquisitoire qu'il prononce. C'est dans ce même
598 REVUE BIBLIQUE.

esprit qiril examine la relation littéraire entre Eph. et I» Pétri. Il se prononce en


faveur d'une dépendance littéraire entre les deux lettres, et l'auteur A' Eph. se serait
servi delà V Pétri. Je n'insiste pas parce que, même dans cette hypothèse, l'authen-
ticité de Eplu peut se défendre. Mais je crois qu'il est bien plus juste de nier la dé-
pendance littéraire et d'expliquer le s ressemblances entre les deux lettres par le
rédacteur de la F Pétri, Silvain, l'ancien disciple de Paul, auquel saint Pierre aurait
laissé sans doute quelque liberté de rédaction.
Nous arrivons ainsi à l'examen comparé du vocabulaire et du style. Dans l'épître
aux Ephésiens le nombre des 'i-y.'i Àsycasva, proportion gardée de la longueur de la

lettre, n'est pas exagéré : 37 mots qui ne se retrouvent pas ailleurs dans le JVouveau
Testament, et 43 qui ne se lisent pas dans saint Paul, les Pastorales comprises.
Au lieu d'appeler l'attention sur la ressemblance générale du vocabulaire û'Eph.
avec le vocabulaire paulinien. et tout particulièrement sur l'usage des petites particules
ïl' t;?, zl-.i. aoa oJv etc., sur l'identité du vocabulaire théologique et même sur la
prédilection de part et d'autre de verbes et de substantifs composés : tjvcveiçj-.v,

auîTtoo-otsrv, G-jy/.aO'rciv, on insiste sur des


Tju.no).'!Tr,ç, tj^^wlio:, cjY/).T,pov6;xo;, etc.,

différences de détail dans le choix des mots, différences dont on ne peut générale-
ment fournir une explication. On doit constater que Paul se sert de iva/.a-.voùv
II Cor. 4, 16, Col. 3, 10; et l'auteur de £p//. 4, 23 de œvxvsojaôa;. Mais que peut-on
conclure de là par rapport à la question d'authenticité? On insiste particulièrement
sur le vocable o:ioolo; qui se rencontre deux fois dans Eph., sept fois dans les Pas-
torales, alors que dans les autres lettres l'Apôtre se sert du terme hébreu ax-x-^i;
(sept fois, et deux fois dans les Pastorales). J'expliquerais ce phénomène, que pour
ma part je ne trouve pas si singulier, par l'abandon graduel des termes hébreux et
leur remplacement par les mots grecs mieux à la portée des communautés pagano-
chrétiennes. D'ailleurs oiâSoÀo; n'est pas rare dans les LXX. Mais à supposer que
cette explication ne vaille pas et qu'on ne puisse attribuer à saint Paul aucune
raison pour abandonner le terme saravà;, il n'y aurait aucune fausse modestie à
conclure à notre ignorance, et il serait prudent de ne baser aucune conclusion impor-
tante sur des indices aussi équivoques. Il vaut mieux ne pas poursuivre ces remarques.
Ce que nous avons dit suffit déjà pour conclure qu'au point de vue lexicographique
il n'y a pas le moindre motif d'abandonner la tradition sur l'auteur de l'épître aux
Ephésiens. Il y a dans le vocabulaire de cette lettre plutôt un argument en faveur de

son authenticité comme l'a franchement reconnu M. N;igeli (Wortschatz des Paulus,
p. 85^
La comparaison du style de la lettre aux Ephésiens avec le style des lettres pau-
liniennes n'est pas de nature à contrebalancer tous les indices et arguments concor-
dants en faveur de l'origine paulinienne de Eph. Certes, la phrase de l'épître aux
Ephésiens est longue, surchargée d'incidentes et de participes; les anacoluthes sont
fréquentes ; les parenthèses, les constructions avec génitifs répétés comme 3Î; "i-a-.vov

8dÇr)ç TTjç y âp;-:o; xjtou (1, 6) affectent désagréablement le sentiment esthétique. Mais
on trouve à peu près les mêmes phénomènes dans les autres lettres de l'Apôtre.
Tous ceux qui ont étudié ces écrits au point de vue du style et de la construction de
la phrase le savent, et il n'est pas nécessaire de citer des exemples. Si le style dans
la lettre aux Ephésiens est moins vif et moins nerveux que dans la plupart des lettres
de saint Paul, cela peut parfaitement s'expliquer par l'absence complète de toute
polémique et par la profondeur du sujet qui est exposé dans la partie dogmatique de
cette lettre.
Nous sommes loin d'avoir épuisé le sujet, c'est entendu. Mais nous sommes con-
RECENSIONS. :j99

vaincu que, d'après les remarques générales exposées plus haut, la thèse de l'au-
thenticité de l'épître aux Éphésiens est non seulement défendable, mais qu'elle
s'impose et qu'elle finira par prévaloir. Nous reprenons maintenant, après cette
analyse critique plus détaillée, le résumé succinct des principales conclusions du livre

de M. Moffatt. LesPastoralessont pseudépigraphiques; ellessontl'ccuvred'un Pauliuisle


qui écrivit vers la fin du premier siècle dans le but de sauvegarder les églises contre
des périls nouveaux. L'auteur connaissait et utilisait les épitres authentiques, et il

avait aussi accès à des billets de l'Apôtre qu'il a même insérés dans II Tim. 1, 1-18 ;

4, 9-21 et Tit. 2, 12-15. Cette hypothèse de billets authenti(|ues, exclusivement


consacrés à des détails peu importants et néanmoins conservés longtemps, nous
semble peu vraisemblable. C'est bien plus simple d'admettre l'aulhenticité intégrale
qui est bien appuyée par la tradition. Si l'on admet la libération de l'Apôtre et quel-
ques années de liberté entre la première captivité et la seconde, si l'on veut recon-
naître la probabilité, ou tout au moins la possibilité de nouvelles difficultés, de
nouveaux périls pour les communautés de ce temps, et par conséquent la nécessité
d'exhortations nouvelles, la plupart des objections contre lauthenticité des Pas-
torales tombent d'elles-mêmes. .

L'épître aux Hébreux est uu traité écrit vers 80 par un Helléniste à une com-
munauté chrétienne de Rome ou d'Italie. Les efforts tentés par les critiques récents
pour en découvrir l'auteur, d'après l'examen interne de l'épitre et ce que nous con-
naissons sur les principaux disciples de Paul, n'ont donné aucun résultat. D"après
Motfatt, il ne serait pas nécessaire de rattacher l'auteur au cercle des disciples de
Paul. On ne sait rien de précis sur le but et l'occasion de cette lettre. Elle fait le
désespoir de 1' « Introducteur ».

Le chapitre deuxième est consacré à la littérature historique : les Évangiles synop-


tiques et les Actes. La méthode de l'auteur s'y manifeste toujours en ce qu'il ouvre
la discussion par l'examen de la question synoptique uniquement d'après l'étude des
récits parallèles et la critique interne. Les témoignages sur la composition des Evan-
giles synoptiques, la question de l'origine de chaque Évangile en particulier sont
étudiés en second lieu et à la lumière des conclusions fournies par l'étude du pro-
blème synoptique. M. Moflatt, dans cette matière, se rallie aux conclusions de la
grande majorité des critiques indépendants. Il croit inutile de prouver l'insulTisance
de la tradition orale pour expliquer le parallélisme des Synoptiques et la priorité de
Marc. Cela posé, il en arrive logiquement à l'hypothèse des deux sources un recueil :

de discours et l'Évangile de _Marc, auxquels le premier et le troisième f^vangéliste


auraient puisé. Ce serait là le noyau primitif de nos Évangiles synoptiques.

Mentionnons encore très brièvement, au sujet des questions sur lesquelles l'accord
n'est point fait parmi les coreligionnaires de l'auteur, la position prise par M. Moffatt :

il admet l'existence d'un Marc primitif, toujours pour des raisons de critique interne,

mais le premier et le troisième Évangiles se seraient déjà servis du Marc canonique.


Le recueil de discours serait l'œuvre de l'Apôtre Matthieu, mais il ne faut pas songer
à le reconstruire. Marc n'aurait pas connu cette source. Luc n'a pas connu le pre-
mier Evangile. D'ailleurs, il est juste de reconnaître que l'auteur est parfaitement
convaincu de la difficulté du problème, et qu'il n'avance pas toutes ses conclusions
avec la même certitude.
M. Moffatt est radical pour la date des Évangiles synoptiques. L'évangile de Marc,
dans sa forme actuelle, daterait de très peu après la prise de Jérusalem Marc, le :

disciple de Pierre, aurait composé l'évangile primitif considérablement plus court


quelques années plus tôt. L'Évangile grec de Matthieu serait à placer entre 7() et 110.
600 HEVLE BIBLIQUE.

L'Évangile de Lue et les Actes auraient été composés vers la fin du premier siècle,

l'Évaugile entre 80-90, les Actes vers 100. Le médecin Luc. le compagnon de Paul,
en est l'auteur. Ajoutons encore que M. Moffatt s'abstient de tout jugement sur les

sources des Actes et qu'il rejette la recension occidentale.


Sur bien des points, ces opinions sont différentes des conclusions acceptées parmi
les catholiques. Elles appellent d'ailleurs les réserves les plus expresses. Mais il ne
saurait être question ici de motiver ce jugement. Ce qui prouve d'ailleurs typique-
ment le caractère précaire de ces conclusions uniquement basées sur la critique
interne, c'est qu'elles se défont au jour le jour. Harnack qui se trouve cité en faveur
de la date 80-90 pour la composition du troisième Évangile date à laquelle —
M. Moffatt se rallie précisément —
a tout récemment préconisé une date beaucoup
plus ancienne pour cet Évangile et les Actes. Il le place dès avant la mort de Paul,
après la captivité de deux ans mentionnée à la fin des Actes etqu'Harnack fixe à la fin
des années cinquante, mais qui, d'après une chronologie plus fondée, sérail à placer
en 63. L'Évangile de Marc est encore plus ancien, et l'Évangile grec selon saint
Matthieu daterait de très peu de temps après la catastrophe de 70, si pas un peu
avant celle-ci. Voilà la n^illeure réponse qu'on puisse opposer aux conclusions trop
hâtives de M.Molîatt sur la date des Évangiles synoptiques. En cette matière, comme
en bien d'autres qui relèvent de la critique littéraire, se dessine un mouvement de
retour vers la tradition.

Les épitres catholiques —


sauf la P Jo. —
sont étudiées conjointement avec d'au-
tres lettres pseudépigraphiques ou pseudonymes, dans le chapitre troisième sous le
titred'Homélies et Pastorales. Ce titre insinue déjà les conclusions de l'auteur, et
une introduction sommaire ne laisse plus le moindre doute. Nous serions en plein
dans la pseudépigraphie.
Cependant l'auteur est plutôt sympathique à la P Pétri et serait disposé à lui faire
un traitement de faveur. Mais il n'arrive pas à des conclusions fermes. L'authenticité
de la lettre est défendable en tenant compte de la collaboration et de la rédaction
de Silvain (5, 12, la lettre daterait dans cette hypothèse de très peu de temps après
:

le massacre de l'an 64. A noter que l'auteur paraît se rallier à l'opinion qui fixe le

martyre de saint Pierre en 67. Une plus juste appréciation de la tradition mènerait
certes à des conclusions beaucoup plus fermes. Le cas présente beaucoup d'analogie
avec l'épitre aux Ephesiens Clément de Rome connaît la L' Pet ri et elle est fami-
:

lière à Polycarpe.
L'épître de Jude date probablement du commencement du second siècle : l'auteur
connaît des tendances libertaires qui menacent la foi et surtout les mœurs des chré-
tiens auxquels il dénonce avec indignation ces abus et menace les fauteurs
écrit; il

des pires châtiments. La suscription s'expliquerait le mieux toujours parce que —


les raisons internes s'opposent à l'authenticité —
dans l'hypothèse d'une ancienne
interpolation un certain Jude aurait écrit la petite lettre; dans la seconde moitié du
:

second siècle on en aurait fait le frère de Jacques, dans le but d'augmenter l'autorité
de récrit.
La seconde épître de Pierre qui dépend de la lettre de Jude ne pourrait être beau-
coup antérieure au milieu du second siècle. Ce serait l'écrit le plus récent du Nou-
veau Testament. Sans vouloir nier les difficultés très réelles que présente la question
de l'authenticité de cette lettre, il n'y a aucune nécessité à lui assigner une date si
récente. On peut fort bien placer la lettre de Jude et la 11^ Pétri à l'époque aposto-
lique.
C'est réellement pitié de voir le traitement que subit la belle lettre de Jacques,
RECENSIONS. 601

toute remplie de maximes évangéliques. L'épître serait non seulement postérieure aux
lettres de Paul dont elle aurait utilisé l'uneou l'autre, mais elle ne daterait même
pas du premier siècle. On ne connaîtrait rien de précis sur l'auteur et le v. i serait
peut-être interpolé. C'est à cette conclusion que tendent deux caractères internes, la

couleur religieiKe et le style, d'après lesquels il faudrait résoudre les questions litté-
raires relatives à cette épître.
Il ne reste plus qu'à parler des écrits johanniques dont M. Moffatt a partagé l'étude
entre trois chapitres différents. On saisira le motif de cette division quand on con-
naîtra ses vues sur le problème johannique. Cette fois M. Moffatt examine la tra-
dition.
Sa thèse fondamentale —
et, empressons-nous de le dire, radicalement faussse —
c'est que l'Apôtre Jean est mort martyr bien avant la destruction de la ville de Jéru-
salem en 70. Il donne trois arguments en faveur de cette opinion la prédiction du :

Christ rapportée, Marc 10. 39 et Matthieu 20. 23, le témoignage de Papias, les
calendriers anciens de différentes églises. Je renvoie pour la réfutation de ces argu
ments qui m'entraînerait trop loin au commentaire du P. Lagrange, à l'examen cri-
tique du témoignage de Papias par IM. Lepin {L'oingine du quatrième Évangile,
p. 109-123, et pour ce qui regarde la question des calendriers à l'article de Bernard
dans VIrish Church Quarterbj de Janv. 1908). Un témoignage du gnostique Héra-
cléon (chez Clément d'Alexandrie, Strom. 4, 9) qui mentionne parmi les non-martyrs
« Matthieu, Philippe, Thomas, Lévi et beaucoup d'autres et omet le nom de Jean -

l'Apôtre, ne conQrme pas le martyre palestinien de celui-ci. Car il est très probable
que le commentateur gnostique connaissait la tradition, le " martyre » de saint Jean
dans une chaudière d'Huile bouillante, et que, pour ce motif, il regarda l'Apôtre
comme un véritable martyr. Toujours est-il que d'un fragment isolé comme celui
que rapporte Clément d'Alexandrie sans en faire connaître le contexte, on ne peut
rien conclure. L'opinion sur le martyre palestinien de l'Apôtre Jean est donc dé-
pourvue d'arguments sérieux 'on a même déclaré que c'était un caprice anticritique) :

elle est de plus opposée à une tradition universelle, ancienne et qui se présente avec

tous les caractères d'une tradition historique. Le chapitre 21 du quatrième Évan-


gile suppose clairement la longévité de l'Apôtre Jean. Justin suppose son séjour en
Asie Mineure puisqu'il lui attribue l'Apocalypse: Irénée et Polycrate d'Éphèse sont
explicites et leurs témoignages sont connus par tout le monde. Il est commode d'ex-
pliquer tous ces témoignages par une confusion entre l'Apôtre Jean et Jean le pres-
bytre, un célèbre chrétien d'Asie de la fin du premier siècle, dont parle vraisembla-
blement Papias. Mais la majorité des critiques, en gens pondérés et circonspects, se
refuse et se refusera toujours à de pareils tours de force.
La personne gênante de Jean l'Apôtre étant ainsi supprimée, M. Moffatt peut se
livrer fort à l'aise à la critique interne des cinq écrits johanniques. Voici ses conclu-
sions rapidement esquissées. Le presbytre Jean est l'auteur de 11^ et \W Jo.; il écrivit
en Asie Mineure vers la fin du premier siècle. Le même auteur a probablement écrit
l'Apocalypse, vers la même époque. Le but de l'Apocalypse serait de protester vigou-
reusement contre le culte de l'Empereur : ce serait la grande, la dernière iniquité :

Rome périra, sa fin sera la fin du monde.


Restent l'Évangile et la L' Jo. M. Moffatt essaie détablir, tant par le style et le

vocabulaire que par les idées religieuses des deux écrits, qu'ils ne proviennent pas
du même auteur, mais du même cercle asiatique. M l'Apôtre ni le presbytre Jean
n'en seraient l'auteur. L'Evangile ne serait d'ailleurs pas d'une unité parfaite. Non
pas que Moffatt accepte la théorie des sources dans le quatrième Évangile, mais il
602 REVUE BIBLIQUE.

faudrait cependant distinguer l'auteur de 1-20, et le reviseur qui y ajouta également


le chapitre 21. L'auteur qui avait à sa disposition une excellente source apostolique
dérivant de l'Apôtre Jean qu'il indique sous le terme transparent de « disciple bien-
aimé », est totalement inconnu « c'était un de ces anciens auteurs chrétiens ano-
:

nymes, probablement d'origine juive, qui voulaient cacher leur nom derrière l'objet
de leur écrit ». Ce ne fut point un témoin oculaire. L'Évangile daterait d'un peu
avant 110. L'auteur de l'appendice, le même que l'éditeur de l'Évangile, serait diffé-
rent de l'auteur premier et aurait écrit très peu de temps après. Il est probable, mais
non certain, que cet éditeur serait aussi l'auteur de la L^ Jo., homélie écrite contre
l'hérésie gnostique de Cérinthe.
Ainsi se liquiderait, devant le tribunal de la critique interne, entre deux ou trois au-
teurs différents l'héritage traditionnel de l'Apôtre Jean. Mieux que dans aucune autre
question, la méthode de l'auteur se révèle ici '< Pour éclairer la route (dans l'obscur
:

problème johannique) il est nécessaire de commencer par le témoignage interne des


écrits eux-mêmes. Après on rendra compte de l'origine et des variations de la tra-
dition... ! »

J'ai voulu donner dans les lignes qui précèdent une' idée générale de l'importani
ouvrage de M. Moffatt. Si l'on a eu la patience de les lire jusqu'au bout, on sera ren-
seigné sur les mérites et les défauts de ce livre. Fruit d'un immense labeur joint à un
remarquable talent d'exposition, il contient une somme considérable de renseigne-
ments, une mise en œuvre de matériaux exlraordinairement abondants, mais beau-
coup de ses conclusions sont influencées par une appréciation injuste de la tradition
historique dans les premiers siècles. En d'autres mots, M. Moffatt est un informateur
précieux qu'il y aura presque toujours profit à consulter et qui a droit d'être en-
tendu mais il ne sera jamais un guide, ni même un conseiller.
:

Louvain. B. COPPIETERS.

Die Inspirations lehre des heiligen Hieronymus, eiue biblisch-geschichtliclie


Studie, von Dr. Theol. Ludwig Schade Biblische Studien, XVI, 4 et 5), in-S-^ de
ix-223 pp. Herder, 1910.

Voici assurément le meilleur ouvrage que uous ayons sur l'idée que se faisait

saint Jérôme de l'inspiration biblique. M. S-hade n'a certes pas l'intention de déni-
grer le grand docteur, pourtant il ne le montre pas sous un jour bien favorable. C'est
que la logique et la cohésion n'étaient pas sou fort, et on risque toujours de l'amoin-
drir quand on met ses opinions eu systèmes. Ou n'en voit plus que les aspects dé-
cousus, sans pouvoir se rendre compte de la pénétration de ses vues, de l'intelligence
historique, de la connaissance toujours plus parfaite qu'il acquérait de la Bible et

qui précisément l'obligeait à moiliûer ses premiers concepts.


Aussi le seul moyen d'introduire un peu de lumière dans ce labyrinthe, c'est de
suivre l'évolution de la pensée de saint Jérôme. C'est ce qu'ont lait tous ses histo-
riens, et la tâche est désormais bieu avancée. Il y a le saint Jérôme disciple d'Ori-
gène.et le saint Jérôme devenu l'adversaire d'Origène, le saint Jérôme épris de l'exé-
gèse allégorique dont ses devanciers lui fournissaient les trop riches éléments, et le
travailleur infatigable qui a appris à goûter les richesses plus solides du sens littéral,
en le serrant de plus près et en le comprenant mieux -, le commentateur qui s'en
tient aux Septante, et le partisan convaincu de la vérité hébraïque; le prédicateur
qui cite comme canoniques les livres qui ne font pas partie du canon hébreu, et le
maître es Ecritures qui les rejetle.
RECENSIONS. èoA

C'est de 390 à 394 que s'accomplit cette crise décisive. M. Schade aurait augmenté
de beaucoup l'utilité de son livre en dressant à l'entrée le tableau cbronologique
des œuvres: ce serait comme un phare éclairan!; tout le reste. Le cadre est d'ail-
leurs excellent; il comprend l'essence de Tinspiration et ses propriétés, jusquou
:

elle s'étend et à quels livres. L'auteur a reconnu très franchement que depuis 390
Jérôme, qui n'admet plus l'autorité irréfragable des Septante, ne regarde plus des
lors comme canoniques les livres de l'Ancien Testament qui n'étaient pas compris
dans le canon hébraïque. On a essayé de nier ce fait en alléguant que Jérôme repro-
duisait la pensée de ses maîtres juifs plutôt que la sienne.
alors Notre auteur
donne coup de grâce à cette échappatoire de Franzelin et de Cornely en dressant
le

la liste des 232 passages où les deutéro-canoniques sont mentionnés. Ce travail de

patience est condensé en quelques pages avec des divisions qui montrent bien la
portée des allusions du saint Docteur. M. Gaucher avait imaginé un autre subterfuge :

Jérôme aurait regardé ces livres comme inspirés sans les tenir pour canoniques.
Rien de plus contraire à la doctrine du maître qu'une pareille abstraction. Nous
catholiques ne pouvons suivre saint Jérôme dans son appréciation des livres cano-
niques ce n'est pas une raison pour la méconnaître.
:

Je regrette que M. Schade n'ait pas employé aussi strictement la méthode chro-
nologique quand il s'azlt de l'opinion de saint Jérôme sur l'exactitude rigoureuse
des écrivains sacrés. Il était cependant sur la voie lorsqu'il a reconnu que. à partir
de 394. Jérôme, rompant avec Origène, s'éloigna de plus en plus de l'exégèse alléjo-
rique. Or cette exégèse lui rendait les plus grands services, M. Schade Ta très bien
vu, et cependant il ne s'est pas demandé si. à défaut de ce secours, Jérôme n'avait
pas été dans l'embarras et n'avait pas cherché à en sortir par une autre voie.
En elfet. l'exégèse allégorique offrait des ressources merveilleuses pour résoudre
certaines difficultés. Saint Jérôme, dit notre auteur, la préferait au sens littéral quand
il jugeait le sens historique physiquement impossible, quand la Bible n'eut pas été édi-

fiante au sens littéral 1 ou quand ses commandements eussent été impossibles 2;.
,

ou certaines difflcultés insolubles (3). Il est clair qu'à cette époque saint Jérôme se
débarrassait assez cavalièrement, trop même, des difficultés du sens littéral. Il ap-
prit à l'estimer davantase et renonça à des solutions par trop aisées. Les difficultés

ne disparaissaient pas toutes pour cela; d'autres se présentèrent à son esprit à me-
sure qu'il connut mieux la bible hébraïque et le rsouveau Testament. Est-il vraisem-
blable qu'il n'ait pas cherché un moyen de les résoudre ?

M. Schade nous afûrme qu'en tout cas il n'a jamais abandonné la thèse tradition-
nelle de l'inerrance de l'Écriture. Je le crois aussi. C'eût été une débâcle-, les difli-
cultés auraient disparu, mais que serait devenue la dignité de l'Ecriture? Certes
saint Jérôme n'en est pas là.La question, telle que la pose M. Schade. est mal
posée. Elle se posait plutôt pour saint Jérôme comme pour nous Etant donnée la :

véracité de l'Écriture, comment expliquer certains faits, révélés par une étude ap-
profondie de cette Écriture? ?»'est-il pas évident que les Apôtres et les Évangélistes
n'ont pas cité l'Ancien Testament avec une exactitude ponctuelle? N'est-il pas évi-

.1 Jérôme nie carrément le sens historique de la Sunamite donnée comme compagne de


couche àDavid nonne tibi videtur. si occidentem sequaris lilteram, vel figmentum essede mimo,
:

vel Atellanarum ludicra? (P. L. XXII, 328,.


(2) Quod si juxta litteram accipiamus, penitus impleri non potest... Ex uno igitur mandata,
quod juxta lilteram impossibile est, et caetera cogimur spiritualiter inlelligere [P. L. XXIV,
573).
(3) Loca difficilia sunt, et cum secitndum historiam minime pateant, cogimur juxta àvavwfr.v
diversas opiniones sequi (P. L. XXIV, 265).
604 REVUE BIBLIQUE.

dent que les auteurs sacrés s'expriment d'une façon différente sur certains faits qui
ne peuvent s'être passés de deux façons? Ae trouve-t-on pas dans toutes leurs œuvres
des imperfections dont une certaine manière d'entendre l'inspiration eût dû les
préserver? Que saint Jérôme se soit préoccupé de ces cas, M. Schade ne songe pas
à le nier, mais il pense qu'ils lui ont paru suffisamment résolus par la distinction
entre le sens et les mots. Jérôme aurait soutenu l'inspiration du sens, non l'Inspi-
ration verbale.
Ce sont bien en effet les termes approximatifs dont il s'est souvent servi, mais
cette distinction ne pénètre pas suffisamment dans sa pensée. D'abord saint Jérôme
a souvent insisté sur l'importance des mots, quand il s'agit d'une Écriture inspi-
rée (1), et quand il parle du sens, il faut voir ce qu'il entendait par là au moment
de sa vie supposons arrivé. M. Schade consent à ce que saint Jérôme
où nous le

ait admis l'inspiration verbale si l'on entend par là l'élévation des facultés humai- :

nes et la conduite surnaturelle dans le choix des mots, par opposition à une dictée
surnaturelle des mots (2). Pense-l-il donc que d'après Jérôme il y avait dictée sur-
naturelle des pensées, au sens mécanique où il le prend quand il s'agit de l'inspi-

ration verbale? Il affirme il est vrai que saint Jérôme insiste sur l'identité de la ré"
vélation et de l'inspiration (3). Pom-quoi aucune citation, sur un point aussi grave,

dans un ouvrage d'ailleurs si bien établi sur les textes? Et si Jérôme a dit cela quel-
que part, est-il demeuré fixé sur ce point? Ce que Jérôme a rejeté avec énergie quand
il a protesté qu'il s'attachait au sens de l'Ecriture, non aux mots, c'est l'exégèse tar-
gumique qui en venait à préférer la traduction littérale des mots à l'interprétation
du sens. îsulle part il n'a abordé la question soulevée par Franzelin d'une inspira-
tion réduite aux pensées, conçue comme une suggestion expresse des pensées qui
n'aurait eu aucune iniluence sur les mots. Il a toujours reconnu que les mots, fai-

sant partie de l'Écriture, participaient à l'influence de l'inspiration, et, quand il

parle du sens, il ne l'oppose point aux mots dans le sens antipsychologique de Franze-
lin ; il l'entend d'une façon assez large que M. Schade n'a pas voulu constater. En-
core notre auteur ne se sent-il pas sur un terrain bien solide, car il conclut que si

saintJérôme avait pu soupçonner que les exemples choisis par lui seraient un jour
étudiés au point de vue de l'inerrance de la Bible, il les aurait choisis avec plus de
circonspection (4; !

Ce n'est pas cependant la circonspection qui lui manque, et M. Schade qui a re-
connu en lui un sens politique très avisé (5), aurait dû s'apercevoir qu'en se servant
de l'antithèse du sens et des mots, il en suggère plus qu'il n'en dit. Les exemples
sont choisis avec soin et parmi les cas vraiment difficiles. Voici quelques-uns de ces
cas. C'est d'abord un passagede saint Matthieu : Tune impletum est quod scriptumest
per Jeretniam prop/ietam dicentem : et acceperunt Ir'Kjinla aryenteos... (Mt. 27, 9).
Jérôme le glose ainsi Hoc in Jeremia penitus non invenitur, sed in Zacharia, aliis
:

multo verbis ac toto ordine discrepante. Il ne peut pas ignorer que l'ordre des mots
est tellement différent dans Zacharie que le sens n'est pas le même, puisque, dans

(1) Ego enim non solum me in inlerpretatione Graecorum,


faleor, sed libéra voce profUeor
absque Scripluris sanctis, verborum ordo inysterium est, non verhum e verbo, sed sensum
ubi et
exprimere de sensu ^P. L. XXII, jTl, précisément dans la lettre à Paramacliius sur laquelle nous
allons revenir). M. Schade croit pouvoir entendre ubi comme s'il y avait quando : dans les •

cas où subtilité étrangère à la pensée de Jérôme; c'est encore du Franzelin qui admet l'ins-
>i :

piration verbale dans certains cas.


(-2) P. 140.
(3) Er betont die Identitât von offenbarung und Inspiration, p. 28.
(4) P. 65. Il s'agit dans ce qui suit de la lettre à Pammachius qu'on vient de citer.
'3) Hieronj mus war aber viel zu sehr Realpolitiker... (p. 204).
KECENSIO.NS. 605

ZacharieCll, 12 s.), c'est le prophète qui jette l'argent au potier. Aussi conclut-il
que l'Apôtre ne s'accorde ni avec les Septante ni avec l'hébreu Accusent Apofttolum :

falsUalis, quod nec cum Hebraico, nec cum Septuaginta congrunt translatoribns :
et quod his mnjus est, erret in nomine, pro Zacharia quippe Jeremiam posuit.
Jérôme s'y refuse cependant, et
Ainsi tout conduit à accuser l'évaniréliste d'erreur.
avec énergie Sed absit hoc de pedisscquo Christi dicrre. Quelle est donc la raison
:

qui lui permet de rejeter la conclusion qu'il avait si bien prép arée? C'est qu'il n'y
aurait erreur que si saint Matthieu avait entendu affirmer l'exactitude de la citation
et du nom de l'auteur. Or, ce n'était pas le but qu'il se proposait cui curae fuit non :

verba et si/llabas ancupari, sed scntentias doginatum pono'c. D'un côté les sens dog-
matiques, de l'autre les mots et les syllabes. Evidemment il y a un milieu. Jérôme ne

s'est pas soucié de préciser, il a suffisamment donné à entendre que l'inerrance n'est
pas synonyme de ponctualité. C'est de la même façon que ïhéophylacte dira plus
tard à propos de la servante ou des servantes de Caïphe
« Matthieu dit que c'est :

une autre, Marc dit que c'est la même, mais cela nous importe peu quant à la vérité
de l'Évangile; est-ce que les évangélistes seraient en désaccord sur un point impor-
tant et qui touche au salut (1)? »
Autre exemple de saint Jérôme. Saint Jean cite videbunl in quem compunxerunt, :

ce que les Septante avaient traduit Et adspicient adme^pro his quae dluserunt, sive
:

insultaverunt. Question de mots, dit le saint docteur, là où manifestement il v a une


différence de sens assez notable : et tatnen scnnonum varietas Spiritus uni late concor-
dat. Cette unité d'Esprit n'est-elle pas lunité de doctrine qui suffit, à défaut d'une
concordance précise dans les pensées?
De même lorsqu'on lit dans saint Matthieu que Bethléem n'est pas petite, en citant
Michée qui dit qu'elle est petite, ce n'est pas une simple question de mots, comme

s'ily avait petite, au lieu de peu importante. Le sens même est contraire, sensus
contrarius est, ou plutôt contradictoire, e regione sit posilum. Quelques modernes
ont éliminé cette difficulté en notant que la citation est placée dans la bouche des

scribes, qui ont pu se tromper. Cette solution n'avait pas échappé à Jérôme, qui l'a
proposée ailleurs-, mais aujourd'hui il estime que ces détails ne nuisent pas à la vé-
racité de l'évangéliste. Haecreplico non ut erungelistas arguam falsitatis {hoc quippe
impiorum est, Celsi, Porp?iyrii, Julicuii), sed ul reprehcnsores meos arfjuam imperitiae ;
et impetrem ab eis venlam, ut concédant mihi, insimplicl epistola,quod in Sci'ipfuris
sanctis, velint, nolint, apostolis concessuri sunt. Jene sais comment Jérôme aurait
pu exprimer plus fortement que l'Écriture n'est pas exempte de certaines imperfec-
tions, inséparables de tout travail humain. Et il est sur de son affaire, velint nolint.
Suivent d'autres exemples saint Marc (1, 2) cite Isaïe et commence par un texte qui
:

appartient à le même saint Marc (2, 2o), David est entré dans la
Malachie; dans
maison de Dieu sous le pontife Abiathar, tandis que, au livre des Rois, nous ne lisons
pas Abiathar, mais Achimelech. Et après d'autres exemples encore ex quibus uni- :

versis perspicuum est, apostolos et EvangeliHas, in interpretatione veterum Scriptura-


rum, sensum quaesisse, non verba, nec maynopere de ordine sennonibusque curasse
dum intellectui rcs pateret. Nous retombons donc dans la distinction du sens et des
mots! Mais qui pourrait s'y tromper? Ce qui prouve bien que les exégètes n'ont pas
vu dans tous ces cas de simples questions de mots, c'est que généralement ils se sont
refusés à suivre la solution que leur offrait saint Jérôme. Sa pensée à lui est claire.
Qu'on dise Abiathar ou qu'on dise Achimelech, ce n'est pas seulement une question

(1; P. G. CXXIH, GGl.


606 REVUE BIBLIQUE.

de mots, à moins qu'on ne dise avec certains harmonisateurs que le même grand
prêtre portait les deux noms; ici la difTérence des mots conduit nécessairement à la
distinction des personnes ; l'histoire est rapportée telle qu'elle s'est passée ou attri-

buée à une autre personne, et de même la citation. Mais cela est tout à fait indifférent

quant à la leçon morale ; dum intellectui res pateret.


On dirait qu'après avoir conclu, saint Jérôme prend plaisir à citer de nouveaux
traits. Il relève complaisamment les cas où le discours de saint Etienne s'écarte du
récit de la Genèse Abraham non émit sppxum abEmor pâtre Sychcm sed ah Ephron
: :

filio Seor : nec sepultus est in Sychem, sed in Hehron... En présence de cette diffi-

culté, iVIelchior Cano n"a pas hésité à dire que saint Etienne s'était trompé, mais que
saint Luc avait été l'historien le plus véridique en reproduisant tel quel le discours
avec ses erreurs. C'est une manière de comprendre l'inspiration. Ce n'est pas celle de
saint Jérôme, et sans se prononcer trop ouvertement, il en suggère une autre : différa
solutionein et istins quaestiunculae, ut obtrectalores mei quaerant, et intelligant,
non xerba in Scriptuns co)isiderinula, sed .^ensvs. Encore une formule émolliente,
car il ne s'agit pas de mots, mais de faits historiques. Si donc il faut s'attacher au
sens de l'Écriture, non aux mots, les sens ne peuvent être ici que l'enseignement
doctrinal; les mots sont les exemples historiques allégués, dont il n'importe absolu-
ment pas, pour la conclusion de saint Etienne, qu'ils se soient passés comme il le dit,
ou comme on le lit dans la Genèse.
En présence d'une pareille série d'exemples —
et on ne les a pas tous cités, ii faut —
beaucoup de candeur pour soutenir que saint Jérôme aurait été plus circonspect, s'il
avait pu se douter qu'on le prendrait en mauvaise part. Il avait une idée qu'il a incul-
quée fortement, en faisant appel à toutes les ressources de son érudition. Il s'est si
bien douté qu'on pourrait se servir de ces exemples pour attaquer la véracité de
l'Écriture, qu'il a protesté d'avance contre un pareil travestissement de sa pensée.
Il était embarrassé, et il le laisse voir, car les imperfections qu'il admet sont bien

une certaine manière d'erreur, ce qu'où nommerait aujourd'hui une erreur maté-
rielle, mais le mot d'erreur lui répugnant, il en a laissé la responsabilité à d'autres.

C'était en 392, trois ans avant la lettre à Pammachius, au moment fixé par M. Schade
pour l'évolution de sa pensée Sunt aulem qui asserant, in omnibus poene testimo-
:

niis quae de leteri testamento sumuutur, istius iiiodi esse errorem, ut aut ordo mute-
tur, aut verba, et interditm sensus quoque ipse diversus sit, vel apostolis, vel evan-
gelistis non ex librocai-pentibus teslimonia, sed memoriae credentibns, quae nonnunquam

fallitur (1).
Puisque saint Jérôme n'a pas voulu prendre celte opinion à son compte, il serait
injuste de la lui attribuer, mais il est visible qu'il n'en était point choqué, car il ne
s'iigissait pas d'attaquer la véracité des Écritures mais d'y reconnaître une certaine
manière d'erreur. Aussi M. Schade exagère-t il beaucoup que Jérôme
lorsqu'il prétend
a mis cette opinion en opposition très crue avec la Jérôme entend
sienue propre (2).

plutôt donner par là un supplément d'information qui pût avoir son utilité pour qui
ne trouverait pas sa propre explication satisfaisante (3'. C'est ainsi qu'après avoir
suggéré que les Apôtres se servaient plus volontiers des Septante comme plus
connus, il ajoute : licet plerique tradant Lucam Evangelistcun, ut proselytum, he-
braeas litleras ignorasse (4).

(1)P. L., XXV, 1197.


(2} Aber Hieronyinus niinint ein solches System nielit in Schutz, viclinehr stelU er dièse Ansicht
lier eigenen scliroll (!) gegemiber durcli - sunt autem quiasserani > (p. 59 ,
(3) Nous venons «le voir que lui-même ne la reproduit pas dans la lettre à Pammachius.
(4) P. L. XXIII, 1002.
RECENSIONS. 007

Si l'oa veut mesurer la distance qu'il y a entre l'opinion de saint Jérôme et une
autre qui paraît bien, elle, avoir confondu inspiration et révélation, qu'on compare à
cette expression si mesurée celle de IMelchior Cano : Impium est autem, quod Spi-
ritns sancti consiUo scripsit Lucas, id hebraicarwn litlfrarum itpiorationi tribucre (1).

Et, encore une fois, on pensera si l'on veut que saint Jérôme
trompé sur ce s'est

point comme il s'est trompé sur les deutéro-canoniques, mais puisque M. Scliade a
si bien pénétré sa pensée sur le second point, il me pardonnera de lui avoir exposé

quelques difficultés sur la manière dont il a entendu le premier. Je pense que, cette
fois encore, tout le mal vient de la distinction de Franzelin. Ce n'est pas avec cette

conception, de plus en plus abandonnée, qu'on expliquera la pensée de saint Jérôme-,


il ne l'a pas trouvée dans la tradition, puisqu'elle a pris naissance au xix"^ siècle, et
il était trop conscient de la vraie nature de l'Ecriture pour y voir la solution de ses
difficultés.

A travers bien des modifications, une évolution qui ressemble à de l'inconstanee,


saint Jérôme est toujours demeuré fidèle à sa pensée maîtresse que l'Ecriture était le
livre de Dieu où il fallait avant tout, sinon uniquement, chercher l'intelligence des
choses divines. M. Schade, qui parle plus d'une fois de son tempérament passionné
et sanguin, aurait pu mettre ce point plus en lumière, en même temps que les
merveilleuses ressources de son esprit dans le développement de ses opinions succes-
sives. Il a du moins reconnu le mérite de sa traduction de la Bible d'après l'hébreu;

je crois qu'il faut dire que c'est une des plus admirables performances de l'esprit

humain. Qu'on soit indulgent pour l'incohésion d'un système qui n'a jamais été bien
fixé dans l'esprit du saint Docteur; il est si beau dans le détail, et il a toujours été
épris de la vérité si passionnément.... Mais peut-être M. Schade répondra-t-il en
manière d'écho : trop passionnément!
Jérusalem. Er. M.-J. LagranGE.

Bibelatlas, m W
Haupt imd- 28 Nehenkartcn, par M. le prof. D"" H. Guthe, avec
une table alphabétique des noms anciens et modernes. Petit in-folio. Wagner et

Debes, Leipzig, 1911.


Après beaucoup d'Atlas bibliques pratiques et corrects à des degrés divers, voici
Y Atlas désirable. La garantie fondamentale pour un ouvrage de cette nature est que
l'auteur ait une connaissance directe, approfondie et critique de toutes les données
géographiques et topographiques de la Bible. M. le prof. H. Guthe est depuis long-
temps un exégète éprouvé. Il convient en second lieu que cet exégète soit doué d'un
sens historique affiné, servi par une lecture immense et bien assimilée qui le docu-
mente sur le dernier état scientifique des recherches concernant par exemple la dif-

fusion des tribus d'Israël ou l'interprétation de la table des peuples de la Genèse,

comme sur les voyages de S. Paul et le morcellement des provinces dans l'empire ro-
main-, c'est, sans contredit, le cas de M. G. Il faut — troisième et plus technique
exigence — qu'un tel savant soit doublé d'un spécialiste cartographe; c'est eucore le

cas. Enfin il est indispensable que les cartes où sont traduites les informations docu-
mentaires harmonisées avec les conditions et le relief du sol, soient fixées avec clarté
et autant que possible avec élégance par un graveur détalent; puisque V Atlas sort
des ateliers de Wagner et Debes à Leipzig, on s'attend bien à des cartes claires, d'un
dessin ferme et soyeux, ou chaque détail toponymique paraît s'offrir de lui-même
sans exiger de recherche parmi l'expression conventionnelle du sol et malgré la com-

(1) De loc. theol., II, 18.


608 REVUE BIBLIQUE.

plication des teintes qui concrétisent chaque situation historique. La plupart de ces
cartes sont de vrais chefs-d'œuvre de lucidité et de goût toutes, sans exception ni :

correspondent excellemment à leur nature et à leur but; elles ont été


restriction,
nuancées au mieux de ce qui était judicieux et pratique, depuis les simples diagram-
mes consacrés à la carte théorique du monde d'après la Genèse ou d'après Hérodote,
jusqu'aux cartons où sont représentés, avec une précision extrême, les plans des gran-
des capitales historiques et leurs environs immédiats Babylone, Ninive, Athènes, :

Rome, Alexandrie, Jérusalem, et encore Jérusalem.


Car la vénérable cité biblique, âme de la contrée et de toute son histoire, a spé-
cialement retenu l'attention de M. Guthe et le cercle très large de travailleurs
le prof.

dont son Atlas doit dès aujourd'hui devenir le Manuel lui en sera reconnaissant. Ses
principales phases topographiques font l'objet de six cartons limpides; quatre autres
à plus petite échelle, mais d'un dessin géographique très poussé encore, la font

figurer au centre de son district : aujourd'hui, au temps de N.-S.et à l'époque de la


restauration au retour de l'Exil. Décompte fait de nuances presque toutes fort mini-
mes (1), l'évolution de Jérusalem telle
que la dessinent les six plans de M. G. coïn-
cide absolumentavec que la Revue s'attache depuis ses origines à mettre en lu-
celle
mière et si l'on songe qu'à peu près chaque détail de cette singulière topographie
;

constitue un problème plus ou moins épineux, compliqué d'exégèse et d'archéologie,


on appréciera la somme de labeur que ces cartons ont certainement exigée.
Mais plutôt que de retenir l'attention sur telle particularité, si importante qu'elle
puisse être dans l'ouvrage, mieux vaut en indiquer brièvement le riche contenu.
1, Syrie et Egypte vers 1400-1250 av. J.-C, avec deux cartons le Delta oriental, et :

le Kil de Syène à Méroé. —


2, La Palestine au temps de Saiil; carton rovaumes :

d'Isboseth et de David. — 3, l.a Palestine vers 1000-7.50: cartons : roy. de David et


de Salomon, Jérusalem après les constructions salomoniennes. — 4, La Palestine
au vii"^ s.; cartons : Pal. vers 732 et Jérusalem au vii^ s. — ô. Royaume assyro-
babylonien aux viir-vii" s. ; six cartons : plans des capitales et plan de Tyr. —
6, Genèse carton le monde d'après Hérodote.
Table des peuples d'après la 7, Roy. ; : —
perse vers 500; cartons Jérusalem et son district. 8, Roy. des Séleucides et des
: —
Ptolémées après Antiochus HI, 187 av. J.-C. 9, Palestine au temps des Maccha- —
bées; 10, au temps de Pompée; 11, sous Marc-Antoine; 12, sous Hérode le Grand.
— 13, La Galilée. — 14, Palestine au temps du Christ; cartons : Jérus. et la contrée
environnante. — 15, Palestine après Hérode, 4 av. J.-C. -6 ap. J.-C; 16, sous
Agrippa !«'", 37-44 ; 17, sous les procurateurs romains: 18, au moment de l'Insurrection,
66-70. — 19, Le bassin de la Méditerranée au L'" s. ap. J.-C. ; six cartons : la baie
de S. Paul à Malte, la Palestine après 70, Jérusalem durant le siège, Alexandrie au

La désignation
(1) muraille large >. qui revient dans 3 plans, repose sur une coquille du
<.

texte hébreu dans Néh. 3, 8 (cf. RB., I90l, p. G2 et i>7) et sur une méprise archéologique de
M. Schick dont la preuve sera faite quelque jour. Ce niur-fantônie n'a pas plusde réalité archéo-
logique ni d'autlienticité documentaire solide que la • tour Méah (cf. RB., 1899, p. 582 ss.;,
que .M. G. eonserve par tradition. .le ne comprends pas la rubrique Coteau des Jébuséens > sur
la rampe sud-est de la colline occidentale; où eu lit-on quelque indication dans la Bible? et les
fouilles très soigneuses qui sont pratiquées précisément en celte région depuis de longues
années par les PP. Assomptionistes n'i>nt pas livré un indice archéologique de celte occupation
.lébuseenne. Les diagrammes de la Revue (189."», p. 39 1904. p. .Vj) assignent à la porte de la :

Vallée et à la porte Sterquiline des situations un peu autres que les plans de M. G. Nuance ana-
logue pour le tracé du " second mur" à l'orient du Saint-Sépulcre (RB., 190-2, p. 33). Il ne faut
plus de point d'interrogation après Bethesda localisée;» la piscine de Sainte-.'Vnne et si M. Couder
n'était pas mort, il protesterait une fois de plus contre l'étiquette qui fait figurer son nom à
côté d'un Calvaire excentrique, rival de celui qu'on met sous le patronage de Gordon au Bézétha.
si l'on tenait a présenter les quartiers neufs de la ville actuelle, il eut fallu refondre ce carton
qui est loin d'être à jour.
RECENSIOiNS. G09

i''^ Athènes au temps de S. Paul, Piome sous Néron.


s., 20, La Palestine actuelle — :

cartons:la Judée et Jérusalem actuelles. EnOn, les 9 feuilles qui groupent alphabé-

tiquement la nomenclature totale soit 7 à 8.000 noms. :

Il ne se peut rien de plus méthodique, de plus prudent et de mieux informé que les
diagrammes où s'expriment renchevêtreraeiit et les vicissitudes des principautés pa-
lestiniennes dans la période qui va des Hasmonéens à la réduction en provinces ro-
maines. La première pénétration Israélite et les groupements ethnographiques ne
sont pas moins heureusement traduits. Avec de telles cartes sous les yeux, ceux qui
n'ont pas encore pâli des années durant sur la littérature si souvent embrouillée de
Josèphe et sur des livres bibliques d'interprétation ardue, se feront presque sans elFort
la notion la plus correcte à laquelle ou puisse aujourd'hui prétendre. Les spécialistes
pousseront naturellement plus à fond les déterminations géographiques d'après les

textes assyro-babyloniens, les textes d'el-Amarua documents égyptiens (1):


et les
mais l'Atlas réalise pour bien longtemps la plus haute moyenne de données sûres à
utiliser commun des exégètes
par le et des historiens.
Les hommes de géographie pure se donneront peut-être le jeu d'énurnérer ce que
leur perspicacité sévère aura découvert d'inexact dans une toponymie dont la diffi-

culté est fameuse (2), ou dans le détail géographique de régions jusqu'ici insuffi-

samment relevées (3). Quand il existera quelque part une documentation technique
plus siire, M. le prof. Guthe sera le premier à la mettre en œuvre. Pour longtemps
néanmoins, et à tous points de vue, son magnifique Atlas fie la Bible demeurera le

manuel scientifique entre tous, élégant, pratique et grandement agréable à utiliser,


Jérusalem.
H. Vincent, O. P.

(•1) Voir par exemple dans le ir^ précédent de la Revue le diagramme où le P. Diiurme a con-
crétisé ses études « sur les pays bibliques et l'AssjTie •.

(2; pour ne citer que deux exemples au hasard dans la carte 1, les noms Fïrân et en-Nuwc-
Iji'a danà lu péninsule sinaitique sont certainement moins (amiliers dans l'articulation courante
que Feirâii et en-Noiu'ih^a.
(3) C'est ainsi qu'on aura quelque peine à suivre le distingué cartographe quand il suggère de
reculer la rive du golfe élanitique d'envirim 40 kilomètres au nord jusque vers 'Ain Ghoudinn
où il localise Asion-iiabcr. il se peut bien que le nom moderne conserve l'écho du vocable bibli-
(|ue, mais à la suite d'un de ces déplacements l'rciiuents dans la toponymie orientale. Si la côte
avait reculé dans de telles proportions depuis l'époque de la migration Israélite, les traces en
seraient moins oblitérées géologiquement et on n'a Jamais signalé de vestiges importants à
Ghoudiàn. —
Depuis unedou/.aine d'années, la iteoue rappelle périodiquement, mais en vain,
l'altenlicjn des cartographes sur le site très intéressant de Fe/i«n —
une vraie ciel" pour une partie
de l'Itinéraire des Hébreux. L'Atlas nouveau l'ignore toujours. Il a pouriant accueilli des déter-
minations géographiques moins précises encore —
pour n'en pas médire davantage tel, pour :

produire un seul cas, ce Oumui Adjoueh (Umm 'Vdschwa) inscrit en {)lusieurs cartes à 40 kilom.
'

environ à l'O. 0. N. de Bersabee. .l'y suis allé en \ petites heures de marche de Bersabée, en
lévrier 1004, et, si j'en crois ma feuille d'itinéraire, il faudrait fixer (lumm 'Adjoueh à 18-ï20 kilom.
au S. S. O. de Bersabée. Combien d'ailleurs il serait désirable que tout le bassin de Bersabée et
l'écheveau de vallées du >égeb septentrional fussent relevés par un ingénieur topographe...

REVUE BIBLIOUE 1911. — N. S.. T. VIU. 3'J


BULLETIN

Commissio pontificia « de re Biblica ». — De auctore. de terapore com-


positionis et de historica veritate evangelii secundura Matthaeum.
Propositis sequentibus dubiis Pontificia Commissio « de re Biblica » ita respon-
(lendum decrevit.
I. Uîrum, attento imiversali et a primis saeculis coiistanti Ecclesiae consensii,
(luem liiculenter ostendunt diserta Patruir, testiraonia. codicum Evangeliorum in-
bcriptioaes, sacrorum librorum versioiies vel antiquissimae et catalogi a Saactis Patri-
biis. ab ecclesiastieis scriptoribus,a SiuurûisPontiflcibi.is etCoiiciliis traditi, ac tandem
usus liturgicus Ecclesiae orientalis et oceideatalis affirmari certo possit et debeat Mat-
thaeum, Christi Apostolum, rêvera Evangelii- sub eiws uoniine vulgati esse auctorera?
Resp. Aftirraative.
:

II. Utrura traditionis suffragio satis fulciri censenda sit sententia qiiae tenet Mat-
thaeum et ceteros EvangeUstas in scribeudo praecessisse. et pi imum Evangeiium pa-
trie sermone a ludaeis palaestinensibus tune usitato quibus opus illud erat directum.
conscripsisse?
Resp. : Affirmative ad utramque partem.
III. Utrum redactio huius origlnalis textus differri possit ultra tempus eversionis
Ilierusalem. ita ut vaticiuia quae de eadem eversione ibi Jeguntur, scripta fueriat
post eventum: aut. quod allegari solet Irenaei testimonium 'Adrers. haçrcs., lib.

III. cap. I, n. 2i. incertae et controversae interpretatioriis. tanti ponderis sit existi-

mandum, ut cogat reiieere eorum sententiam qui congruentius traditioni censent


eamdem redactionem etiam ante Pauli in Urbem adventum fuisse confectam?
Resp. : Négative ad utramque partem.
IN . Utrum sustiueri vel probabiliter possit illa modernorum quoruindara opinio,
iuxta quam Matthaeus non proprie et Evangeiium composuisset. quale nobis
stricte

est traditum, sed tantummodocollectioneui aliquam dictorum seu sermonum Christi


quibus tamquam fontibus usus esset alius auctor anonymus, quem Evangeliiipsius re-
dactorem faciunt?
Resp. : rsegative.
V. Utrum ex eu quod Patres et ecclesiastici scriptores omnes, imo Ecclesia ipsa
iam a suis incunabulis, unice usi sunt, tamquam canonico, graeco textu Evangelii
sub Matthaei nomine coguiti, neiis quidem exceptis, qui Matthaeum Apostolum pa-

sermone expresse tradiderunt, certo probari possit ipsum Evange-


trie scripsisse
iium graecum identicum esse quoad substantiam cum Evangelio illo patrio sermone
ab eodem Apostolo exarato ?

Resp. : Affirmative.
VI. Utrum ex eo quod auctor primi Evangelii scopum prosequitur praecipue dog-
raaticum, et apologeticum, demonstrandi nempe ludaeis lesum esse Messiam a pro-
phetis praenuntiatum et e davidica stirpe progenitum. et quod insuper in disponen-
BULLETIN. 611

dis factis et dictis qnae enarrat et refert, non semper ordinem chronologicum, te-

net, deduci iode liceat ea noQ esse ut vera recipienda aut etiam affirmari possit ;

narrationesgestorum et sermonum Christi. quaein ipso Evangelio lejiiintur. alteratio-


nem sub influxu prophetiarum Veteris Testamenti et adultioris Eeclesiae status
subiisse. ac proinde historicae veritati haud esse conformes?
Resp. : Négative ad utranique partem.
VIL Utrum. speciatim solido fundameoto destitutaeceaseri iure debeant opinioues
eorum, qui ia dubium revocant authenticitatem historicani duorum priorum capitxm,
in quibus genealogia et infantia Cbristi narrantur, sicut et quarumdam in re dogma-
tica magni niomenti seutentiaruiu, uti sunt iliae quae respiciunt primatum Pétri
(Matth., XVI. 17-19 . formam baptizandi cura universali missione praedicandi Apo-
stolis traditam Mattb.. xxviii. 19-20 ,
professiouem ûdei Apostolonira in diviuita-
tem Christi (Matth., xiv, 33). et alia huiusniodi, quae apud Matthaeam peculiari
modo euuntiata occurrunt?
Resp. : Affirmative.
Die autem 19 lunii 1911 in audientia utrique infrascripto Rmo Consultori ab
Actis bénigne concessa SSmus Dominus _\oster Pius Papa X praedicla responsa rata
habuit ac publici iuris fieri mandavit.
Romae. die 19 lunii 1011.

Fllcraxus Yigourolx. Pr. S. Sulp.

Lai EEXTiLS Jaxssexs 0. S. B.

Questions générales. — Le huitième volume consacré aux papyrus d'Oxvrhvn-


ebos (1) contient encore quelques textes bibliques. 1. De l'ancienne latine des fra;:-

ments de Gen. 5, 4-13 de Gen. 5, 29-6i 2. Quelques-uns de ces passages n'étaient


et

point encore représentés, même dans les citations des Pères. La recension du papvrus
(iv- siècle) se tenait particulièrement près du grec. On remarquera le texte 6. 2 :

[iident]es autem filii [Dî fil ta s' hùmimun [quia sjj~>:ciosae siint. 2. Exode irrec 31.
13. 14 et 32, 7. 8 i^commencement du ni*' siècle;. Le texte est trop petit pour être
classé; cependant M. Hunt a noté des accords avec AM contre B. 3. Exode grec
40, 2G-32 (me siècle;. Ln accord avec BG contre AFM, mais deux accords avec
AFGM contre B. L'ne variante n'était connue que par un ms. du moyen âge: une
autre est nouvelle. 4. Tobie 'grec) 2, 2. 3. 4. 8. L'éditeur rappelle juentre la re-
cension de Tobie représentée par ms. Vatlcftiuis et Al^xandrinas et celle du Cod.
les

Sinaitlcus, on connaissait pour 6. 9-13, 8 une troisième recension représentée par


trois cursifs. Il montre que la recension du papyrus ivF siècle) est conçue dans le
même goût que cette dernière, plus développée que la première, moins prolixe que
la seconde. 5. Mt. 4. 23. 24, les deux versets disposés en amulette vi" siècle^.
6.Heb. 9, 12-19 IV siècle : la ponctuation est indiquée par deux points, comme
dans le papyrus 657. 7. Apocalypse 1, 4 à 7 fin du iir ou iv*^ siècle i. 8. Apoc. 3.
19-4, 2 (i\<^ siècle;.

Signalons aussi un fragment d'évangile gnostique, qui distinguait entre le Père


'-itt'p' et celui qui était avant lui -oo-âToj;\ M. Hunt ne se décide pas à le rattacher
à l'évangile de vérité de Valentiu. Le ms. est du début du iv*^ siècle. Parmi les autres
morceaux les plus intéressants de ce très riche recueil, le premier rang appartient
sans doute à des Mulinmbcs de Cercidas. que M. Hunt identifie avec l'ami d'Aratus
(PoLVBE. II, 48-30. 65'. Ce poète cynique, qui était en même temps homme d'état,

(1, In-4'> de XI-3I'» pp. London, 1911.


G12 REVUE BIBLIQUE.

attaquait ouvertement le polythéisme officiel. Ses divinités — quoique le passage soit


peu clair — étaient, d'après M. Hunt, le dieu de la guérison illaïav), la bienfaisance
([MsTâowç [?] et la rétribution (.\£[Acat?). Le christianisme devait naturellement re-
prendre cette polémique, mais avec un autre idéal que celui de Cercidas, très gros-
sier sur le thème de l'amour. Après les pièces officielles, contrats, comptes, etc., on
trouve des questions à l'oracle, dont une posée par un chrétien (1). Une amulette
invoque le dieu de la piscine probatique (2) {n° 1151, v^ siècle?). La correspondance
privée offre comme à l'ordinaire, des formules qu'on peut rapprocher de celles de
s. Paul : ~pô txh -âvTwv £-j-/ô|JLX'.9â aai ôXo/.Xrjoîrv... et à la fin : àsnâ^oa-v Tr^v àÔ£).'jrjv...

a'^-y-^rri 'Aç/uyysiv... ào' f|au)V (1158, lU" s. .

Le R. P. Capistran Romeis, des Frères Mineurs, s'est demandé Qu'est la Bible :

pour nous chrétiens? (3). Il répond que la Bible est pour nous un organe de la Révé-

lation, qu'elle est inspirée et par conséquent véridique. L'auteur s'étend en passant
sur les évangiles, et montre le cas que l'Église a toujours fait de la Bible. La préoc-
cupation dominante de l'auteur paraît avoir été de montrer combien respectable e
divine est la sainte Écriture, mais aussi de répondre aux objections de la critique
Pour cela, il n'hésite pas à se placer sur le terrain choisi par le R. P. de
historique.
llummelauer dans sa célèbre brochure. Exerjetisches ziir luspiratioiisfragc, dont il
s'approprie les principaux canons sur le discernement de ce qui est vraiment enseigné
dans la Bible comme histoire. On notera aussi les ressources qu'offre le R. P. Ca-
pistran au laïc instruit qui serait embarrassé des miracles de l'Exode : « Ici. comme
dans beaucoup d'autres endroits, il faut tout d'abord tenir compte de la manière dont
s'exprime un Oriental. Souvent il met en relief l'action de Dieu, sans nommer les

causes intermédiaires qui y sont opérantes. Il attribue immédiatement a Dieu, ce


que de saintes personnes remplies de Dieu ont mis en œuvre sous son incitation et
son impulsion. De même, tel lecteur peu familier avec la Bible, regardera comme
peu crovables les miracles, ceux par exemple qui précèdent et accompagnent la
sortie des Israélites de l'Egypte, parce que le surprenant, le surnaturel s'y impose
sous une forme très accusée [sich in krasser Form sicti aufdriinr/t), tandis qu'en
réalité la situation géographique et le climat de l'Egypte suggèrent qu'il n'était ques-
tion que de manifestations merveilleuses d'éléments déjà existants et connus. D'ail-
leurs, des exégètes conservateurs eux-mêmes admettent que les récits miraculeux de
lExode ont été ornés d'une façon poétique » ;p. 129 s.).

L'auteur semble aussi parfaitement d'accord p. 188 avec « les nouveaux exégètes
qui regardent certaines parties de la Genèse, des Juges et des Rois comme un préci-
de traditions populaires, le livre de Ruth comme une idylle, Jonas comme
pité littéraire
un midrach, c'est-à-dire comme un récit très libre pour mettre en valeur une vérité
religieuse, Job comme un dialogue de philosophie religieuse, Judith comme une
légende fortement tissée d'histoire {4] ».

(1) Dieu de notre patron,


c. Pliiloxène, si lu commandes d'introduire Anoup dans ton hôpital,
s.

montre ta puissance, et que tablette écrite sorte. » M. Hunt traduit : let this prayer be accom-
la
plislied. Mais ne s'agit-il pas plutôt d'un véritable oracle mécanique? On tirait la tablette ou bien
rien ne sortait; cf. I Sam. 14, 41 Sept.).
On 3 cite le commencement de l'évangile selon s. Jean en s'arrctant après ô Y^ïo^ev. C'est
(-2)

la coupure adoptée par la Vulgate, et déjà attestée pour l'Egypte par s. Arabroise Enar. in :

PS. 36 Alexandrini quidem et Aegyptii legicnt »... factum est niliil quod faclum est », el inter-
:

posila distinctione subiciunt in ipso rila est » (cité par M. Hunt).


(3) Wasuns CItristen die Bibel? «" de vrii-24-2 pp. Fribourg-en-B., Herder, 1911. Avec l'appro-
isl
bation du provincial des Mineurs et de l'Ordinaire. Prix M. -2.50. :

(4) Je ne sais comment traduire mit vielein historischen Einsc/dag.


:
BULLETIN. 613

On ne devrait pas s'en tenir au genre littéraire pour discerner ce qu'un livre bi-

blique contient vraiment d'histoire : « On tiendra avant tout pour historique un récit,
quand son contenu a passé d'une façon durable comme un t'ait dans la vie de la foi
do l'Église, ou quaod il est notablement connexe avec l'histoire du salut » (p. 188).

D'ailleurs le Pv. P. se garde sagement de s'en tenir à ce minimum; la comparaison


de la Bible avec les autres littératures lui sert avant tout à prouver sa supériorité
religieuse, mais elle lui permet aussi de constater son exactitude historique. .\e se
souciant pas de ce qui s'écrit en France, l'auteur eut mieux fait de ne nommer aucun

Français, pas même Bournouf '•<(>•).

L'encyclopédie de religion et de morale par M. Hastings sera décidément une


œuvre considérable, puisque le troisième volume va seulement de Burial à Confes-
sions (1). Ce sera aussi nue œuvre très utile à consulter, d'autant que l'on s'en tient
de plus en plus au principe de réserver chaque sujet ou fraction de sujet à un spé-
cialiste. C'est ainsi par exemple que Channs «iid Amulets sont distribués entre dix-

neuf auteurs, selon qu'il s'agit des Iraniens, .luifs, Hébreux, etc. Parmi les collabo-
rateurs catholiques, Ms'" Casartelli, le R. P. Thurstou, S. J. (sur la doctrine de
l'Église romaine), M. Turmel (Concordat). L'article qui touche de plus près à la Bible

est probablement Camumites, de M. Paton, bien divisé et assez complet.


Nouveau Testament. — M. Gregory nous annonce une bonne nouvelle : c'est

qu'il prépare une édition critique du Xouveau Tc^tamuni (2 . Il semblait y avoir


renoncé, et nous en avions exprimé du regret, car il est préparé à cette tâche par un
hibeur assidu qui a jusqu'à ce jour absorbé sa vie. On ne peut que le remercier d'avoir
repris courage. Avec la modestie sympathique dont il est coutumier, et dans le désir

bien naturel de se sentir en union d'idées avec ceux qui s'occupent du N. T., M. Gre-
gory leur adresse un appel très chaleureux et très cordial, moitié exposant ses vues,
moitié faisant appel à leurs conseils, mentionnant à l'occasion ceux qu'il a déjà reçus.
Son intention est donc de faire une édition critique, en donnant le texte de son
choix, c'est-à-dire celui qu'il regarde comme le plus rapproché du texte original.
Plusieurs professeurs opinaient pour l'édition d'un manuscrit, Sinaiticus, Vatlcanus,
ou mèmç.Alexandrlnns. M. Gregory objecte qu'il aurait fallu quand même le nettoyer
de ses fautes; on faisait donc la part à l'action de l'éditeur. Surtout, quand il s'agit
d'un texte comme celui du N. T., où nous avons tant de ressources pour réaliser un
texte meilleur que celui d'un manuscrit quelconque, c'est un devoir de faire tous les
effortspour y arriver. La majorité se rendra sans doute à cette raison, sinon ceux
— très rares en somme —
qui peuvent se former une opinion, du moins ce nombre
très considérable de professeurs et d'étudiants, ou d'autres, qui ne seront pas fâchés
d'avoir l'avis d'une personne aussi compétente que M. Gregory. D'autant que ceux
qui peuvent se faire une opinion en auront toute facilité par l'apparat qui accompa-
gnera Cet apparat sera complet. Par où l'éditeur n'entend pas qu'il allon-
le texte.

gera à propos de leçons assurées la liste des mss. Disons bien vite avec lui que cet
énorme travail n'aurait pas de but. Toute leçon divergente doit être mentionnée,
mais, pour les leçons certaines, c'est assez de montrer qu'elles le sont par des té-
moignages suffisants.
Contrairement à l'avis de quelques savants, Gregory incline à laisser de côté daus

(1 Hncyclopaedia of Religion aad Ethics, editetl by James Hastings... wiili the assistance of
.rohii A. Sei.bie; volume III : Burial-Confessions; in-4» de xxi-'JOl pp. à deux colonnes. Edinburgh,
Clark, 1910.
i2) Vorschlage fur eine krilische Ausi/abe des r/riechisc/ien Neuen Testaments von Caspar
liené GiiEcoiiY 8" de iv-d2 pp. Leipzig, Hinriclis, 1911.
;
614 RE\X'E BIBLIQUE.

Tapparat toutes les éditions imprimées. Quoi, même le tcxtus rcccptus? Lui-même.

Mais il y aura unsigle pour représenter ce qu'il est en réalité le texte presque officiel :

de l'église byzantine. 11 figurera comme valeur traditionnelle, non comme édition. Une
autre question est de savoir si les autorités seront rangées par ordre alphabétique et
numéral ou par groupes. La question est cette fois posée plutôt que résolue. On sent
bien que l'éditeur n'est pas bien sûr de pouvoir discerner des groupes, surtout de
leur tracer des limites. Peut-être pourrait-il adopter une solution mixte; se réserver
d'indiquer les groupes quand ils sont nettement déterminés; dans les autres cas mettre
tous les témoignages à la suite. Il sera en tout cas nécessaire, comme l'éditeur le dit.
de noter à chaque page
témoins principaux qui peuvent être entendus. D'une façon
les

générale, puisque l'éditeur prend la responsabilité du texte, encore moins peut-il


échapper à celle de l'apparat critique. Il faudra bien qu'il se résolve à trancher à sa
façon certaines questions d'orthographe, sauf à prévenir dans l'introduction des règles
qu'il a suivies. C'est très sagement aussi qu'il refuse d'enregistrer les phénomènes
d'itacismes qui ne peuvent rien changer au sens et qui sont évidemment de simples
variationsde prononciation et d'écriture. Ces variantes ne peuvent être jugées aussi
sévèrement que nos fautes d'orthographe la contravention est moins coupable quand
;

les mœurs sont moins arrêtées, mais enfin ces phénomènes ne regardent pas l'éta-

blissement d'un texte meilleur. Nous félicitons aussi M. Gregory de conserver Tordre
traditionnel des livres; cela n'empêchera pas les critiques de procéder à leurs théories;
eux-mêmes ne seront pas fâchés de n'être pas dérangés dans leurs habitudes.
Que dire de la langue de l'introduction?
Si M. Gregory ne se décide pas pour le latin, nous plaidons énergiquement pour
qu'il soit fait une part au français, langue demeurée universelle. Le système de

mettre l'allemand et l'anglais en double page serait déplorable. Pourquoi ne pas


imiter certaines granmiaires qui sont publiées en plusieurs langues, sans que le texte
des paradigmes soit changé? Le ï., annoncé, est une œuvre gigantesque. Ce serait
?»'.

en comparaison un travail peu considérable de rédiger l'introduction en alle-


très
mand, en anglais et en français, une seule de ces langues précédant le texte grec et
l'apparat. Nous avons bien mal répondu au désir de M. Gregory qui nous invite à
proposer des opinions personnelles. C'est que son plan répond parfaitement aux
désirs raisonnables de ceux qui étudient le N. T. L'apparat de Tischendorf n'est plus
du tout suffisant, depuis les découvertes si considérables des dernières années. Le
texte de AVestcott-Hort peut être améUoré, ne fût-ce que d'après ces découvertes.
C'est précisément ce que M. Gregory se propose de faire. Il est vrai que dans l'in-
tervalle le N. T. de M. von Soden aura sans doute paru. Mais sera-ce le dernier
mot, sur ce thème, et le dernier mot sera-t-il jamais dit ?

Eu attendant ces grandes éditions, celle de M. Souter pourra rendre quelques ser-
vices (li. L'éditeur déclare que son texte semble avoir servi de base à la revision an-
glaise de 1881, et qu'il est fort usité à Oxford. Les personnes qui n'habitent ni cette
même l'Angleterre, auraient aimé quelque chose de plus précis. Car le texte
ville ni

de M. Souter n'est ni le fextus /'ccptits de Mill retouché et réédité maintes fois à


Oxford, ni celui de Westcott-Hort, édité seulement en 188-5, et qui doit être cepen-
dant fort usité dans les universités anglaises. Quoi qu'il en soit, ce texte est accom-

(1) Novum Testamentum graece. Texiui a reiractatoribus anglisadhihito brevem adnotationem


criticam subiecit Alexander Solter, Coll. B. Mariae Magdalenae apud Oxonienses in collegio
Mansicampensi giaecitatis Novi Teslamenti prolessor. Oxonii e typographeo Clarendoniano. La
préface est de septembre 1910.
RLI.LETIN. 61

pagné d'un apparat critique. La liste des témoins, rédigée en partie d'après Gregory
et von Soden, Malheureusement l'éditeur ne vise en aucune
est tout à fait respectable.
façon à être complet. Des passades considérables des évangiles ne présentent aucune
variante (1\ et, quand les variantes sont indiquées, toutes les autorités ne sont pas
mentionnées, même dans des cas graves 2;. Cependant il faut savoir gre à M. Souter
d'avoir mis à la portée des étudiants un grand nombre d'indications qui n'avaient
pas encore été extraites des éditions spéciales pom* l'usage de tous. Comme édition
ce volume donnant pour un prix si modique
est très soigné; en le {o les presses
d'Oxford ont rendu un service signalé aux petites bourses.

M. Harnack sur s. Luc [4), qui nous donne sa pensée


Voici une troisième étude de
définitive sur la dateoù furent composés les Actes des Apôtres et par conséquent les
évangiles synoptiques eux-mêmes, du moins le troisième, qui a précédé les Actes, et
le second qui a servi de source au troisième.

Les Actes des Apôtres auraient été composés au début de Tan 60,. en tout cas avant
la mori de s. Paul.
Assurément tout ce qu'écrit M. HarnaL-k mérite la plus grande attention, et les ca-
tholiques ne peuvent qu'apprécier le com-ours qu'il prête aux thèses traditionnelles.
Mais si nous devons nous mettre en garde contre l'engouement des thèses radicales,

nous ne sommes pas non plus obligés de suivre un savant protestant, quand sa reac-
tion nous paraît sur certains points légèrement outrée.
Hâtons-nous de dire que cette restriction ne s'applique pas à la vigoureuse dé-
monstration fournie par M. Harnack de l'unité des Actes. Les Wù'stiicke, où l'auteur
prend la parole comme du livre émanent du même au-
l'un des acteurs, et le reste
du troisième évangile. C'est Luc, le médecin. Aux
teur, et cet auteur est aussi celui
lins de non-recevoir très vagues de MM. P. W. Schmidt et Clemen. le maître de

Berlin oppose une nouvelle mise en lumière de l'unité. Il réimprime les Wlrstiicke
en soulignant les termes ou les constructions qu'on ne retrouve guère que dans le
reste du livre ou dans le troisième évangile. On touche ainsi du doigt que ces mor-
ceaux sont pour ainsi dire une concentration de la manière de Luc. Cet argument
positif est confirmé par une contre-épreuve. Dans le troisième évangile, les passages
empruntés au recueil de discours n'ont plus du tout la frappe de Luc. Il respectait
donc le style de ses sources. Par ailleurs les Mlrgd'tcki' ont le caractère d'un écrit
original; ce n'est donc point une source pour l'auteur des Actes; c'est plutôt le type
même de son style. Ce point acquis, il restait à répondre aux critiques protestants
qui refusent opiniâtrement d'accepter la valeur historique des Actes et aussi leur
composition par un témoin tel que Luc, compagnon de Paul. Ils allèguent la manière
dont les Actes esquissent la situation de Paul par rapport au Judaïsme, manière qu'on
juge inconciliable avecle dessin tracé d'après les épîtres paulines. M. Harnack aborde

icide front un problème irritant, surtout pour la conscience protestante; il le fait


avec l'entrain qu'on lui connaît. On dirait vraiment que dans ce débat il faut une
victime. Cette fois c'est bien s. Paul qui est sacrifié, car le critique berlinois lui prête
bien peu de logique dans ses attitudes. Toutefois, il rend hommage à son génie, à

cet esprit pratique qui l'a conduit à une solution habilement ménagée, à une évolu-

Par exemple Me. 4. 1-8; 5. :i-3-2. Des pages entiOres du quatricme évangile.
(1)
Par exemple Me. 1, l.
(2)

(3) Trois schellings cartonné.


îi'i Neu.e UntersuchuïKjen zur Apostelgeschichte und zur Ab/axsungszeit der synoptischen
Evdngelien: in-S" de 114 pp., HInrichs, 1911, faisant suite à Lukas der Arzt 190«); cf. RB,, lîKXi,
p. GU et à Die Apostelgeschichte (1908) ; cf. RB., I!X)8, p. 620.
616 REVUE BIBLIQUE.
tion plus utile à la cause du christianisme qu'une révolution. II serait superflu d'en-
trer ici dans le détail. Il est bien évident, au point de vue de la critique et de l'his-
toire, que Luc a pu voir les choses un peu autrement que Paul sans qu'il faille lui
refuser le titre d'historien. L'inspiration commune aux deux écrivains sacrés exige
seulement qu'il n'y ait pas de contradiction entre leurs affirmations. On peut donc
être parfaitement d'accord avec M. Harnack sur cette conclusion que Luc est l'auteur
des Actes et du troisième évangile, sans expliquer tout à fait comme lui les rapports
de Paul avec les Judéo-chrétiens.
Au contraire, on est obligé d'expliquer pourquoi on ne s'empresse pas de dire que
les Actes ont été écrits avant la mort de s. Paul, et même deux ans après l'arrivée
de l'apôtre à Rome, au moment où sa situation venait d'être changée.
Le principal argument de H. à la vérité n'est point négligeable. Il insiste sur la
façon dont les Actes se terminent. Depuis plusieurs pages, tout converge vers le
procès de Paul. C'est pour être jugé qu'il est venu à Rome. L'intérêt des lecteurs
est passionnément tendu vers ce point. Et l'on veut qu'écrivant vers l'an 90, l'auteur
des Actes ait laissé son lecteur en panne... Xon, si l'histoire de Paul se termine à ce

point, c'est que dans la réalité on en était encore là. Luc n'en a pas dit plus, parce
qu'alors il n'y avait rien de plus à dire. — L'argument
nouveau nos exégètes n'est pas ;

conservateurs l'ont exprimé avec la même Même


un peu en lisant
force. IL l'affaiblit
dans la finale de Luc que désormais la situation de Paul est changée ou il a quitté :

Rome, ou il est à Rome dans une autre situation. Car alors, pourquoi ne pas nous dire
ce qu'il en est? Il demeure donc que Luc, et très volontairement, n'a pas dit tout ce
qu'il savait... Quoi qu'en pense Harnack, il avait une très bonne raison de garder ici

cette réserve, s'il se proposait d'écrire un troisième livre, le second étant assez étendu
d'après la coutume des libraires anciens. La dernière phrase des Actes est exacte-
ment sur le même modèle que la dernière phrase de l'évangile; elle pouvait donc
être, elle aussi, une pierre d'attente. Luc se ménageait ainsi de revenir à Pierre on à
tel autre acteur des origines, pour achever enfin le récit des destinées de s. Paul. Puis-

que le procès de Paul le préoccupait tellement, est-il naturel qu'il ait pris la plume
avant de savoir comment tout s'était terminé? Il est plutôt très naturel, si le procès
n'a abouti qu'à un non-lieu, que cet épisode ait été raconté en passant au début d'un
troisième livre. >'e peut-on pas opiner aussi que, si la conclusion des Actes est si

peu dramatique, c'est que le premier procès de Paul avait fini, comme on dirait, en
queue de poisson? Qu'il ait été repris plus tard pour aboutir au martyre de l'Apôtre,
c'étaitdans un autre horizon, surtout si l'on admet, avec les exégètes conservateurs,
que Paul, auteur des pastorales, est revenu en Asie. Ainsi, dans l'opinion conserva-
trice sur la carrière de Paul, la couleur terne du dernier verset des Actes répondrait
bien à la réalité.
iM. Harnack ne nous paraît donc pas avoir réussi à assigner une date précise à la
composition des Actes. Il a, certes, raille fois raison d'établir combien ce livre est ancien,
mais nous ne prétendons pas non plus qu'il soit postérieur à l'an 70. Il n'est pour-
tant pas évident que les raisons alléguées par l'auteur soient toutes irréprochables..
Il prouve que l'ouvrage est très ancien parce que sa christologie est tellement an-
cienne qu'il n'en est pas de plus ancienne. L'argument suppose que cette christologie
appartient en propre à Luc. Pourtant II. ajoute que Luc a pu mettre dans le discours
de Paul (20, 28) des réminiscences de la théologie pauUnienne; cela est dit deux fois

(p. 76 et p. 78), Ne serait-il pas plus juste de dire, en s'associant à l'estime de H.


pour l'objectivité de Luc, qu'il a simplement reflété exactement et les premiers dis-
cours de s. Pierre, et ceux de s. Paul ? On s'expliquerait ainsi, par sa seule cons
BULLETIN. 617

cience d'historien, qu'il n'ait lien dit du malheur qui menaçait les Juifs, même s'il a
écritpeu avant la ruine du Temple. Les conservateurs accepteront-ils l'argument de
Harnack, que si Luc avait connu ce fait, il n'aurait pas manqué de forger une pré-
diction qui l'annonçât?
Après cela, il est assez étonnant que l'auteur soutienne que le discours eschatolo-
gique du troisième évangile n'a pas été nuancé d'après les faits du siège. Nous ne
soutenons pas non plus qu'il s'agit d'une prophétie post ernifum. La prophétie exis-
tait certainement. Mais on dirait bien que Luc l'a revêtue plus que Me. et ^Mt. de ses
modalités historiques parce que la perspective se rapprochait.
Pour le dire nous parait peu probable que Luc ait écrit les Actes
avec précision, il

en l'an 62, parce que nous pensons, comme Harnack, qu'il s'est servi de l'évangile
de s. Marc, et que s. Marc, d'après s. Irénée. a écrit après la mort de s. Pierre et de
s. Paul. Quoique H. laisse ici un certain jeu à l'affirmation, en supposant que Luc a

pu consulter une première rédaction de Marc, il admet très bien que sa thèse serait
caduque si Marc n'avait écrit qu'après la mort de Paul. Aussi n'hésite-t-il pas à suivre
dom Chapman dans son étrange exégèse de s. Irénée (1).

Nous pensons, avec la Commission biblique, que l'autorité d'Irénée n'est pas irré-

fragable, mais il faut du moins le lire sans trop le torturer. Parce que le but d'I-
rénée est en effet de prouver que l'évangile des disciples est bien celui des apôtres,
il lui aurait été interdit de fixer approximativement la date des évangiles, et il n'au-
rait pas eu le droit d'établir le synchronisme : composition de l'Évangile de Matthieu
pendant que Pierre et Paul fondaient l'église romaine, sous prétexte qu'il n'y a pas
de connexion entre les faits. Je retire le mot de torture; mais les entraves sont bien
une gêne, et ce sont vraiment des entraves que les gloses de dom Chapman, insérées
dans le texte d'Irénée. On les donne en note en anglais, pour ne pas s'exposer à
trahir la pensée de l'auteur en la traduisant ,2).

Et cependant le savant bénédictin concède qu'Irénée a bien voulu fixer une date en
parlant de Jean, « Car ï-zi-x s'entend clairement du temps < p. .568 . Or cet ï-i\-:y.
est en étroit parallélisme avec [j.i-.i. Si l'on veut attaquer Irénée. mieux vaut
dire avec Blass qu'il ne savait rien d'authentique, et qu'il a seulement regardé comme
accomplie promesse de saint Pierre
la (II Pet. 1, 15). A cela dom Chapman répond
que la seconde épître de saint Pierre n'était apparemment pas du tout familière à
saint Irénée 'p. 364}, réponse d'une saveur moins conservatrice assurément que la

thèse principale (3).


Et ce n'est pas seulement Irénée,c'est Papias qui insinue clairement que Marc a
écrit aprèsmort de Pierre. Papias entend excuser le disciple. Quelle excuse au-
la

rait-il eue s'il avait pu consulter son Maître? Harnack est obligé de supposer que

Marc s'était éloigné de Pierre. Que ne s'en rapprochait-il Encore Harnack est-il I

contraint par cette supposition à rejeter la tradition si ferme qui assigne Rome
The journal of theological Studies, 19D5, p. ."iGa ss.
(1)
Matthew araong tlie Hebrews in their o\\n language publislied a writing also of the Gos-
(2)
pel [besides preachhiij it]. Peter and Paul preaching tlie (iospel [-not to Jews btil] atRome [ifithoitt

writing it down], and founding tlie Cliurch there [n'hose testimony I shall give presently. viz.
III 3]. But [allhough tliey dicd williout liaving ivritten a Gos//eZj after their deatli [their preaching
has not been lost to us for] Mark, tlte disciple and interpréter of Peter, has lianded down to us.
he also in writing[h'Ae Matthew]the ttiings ^^hich were preaclied b> Peler, etc. Il est certain que
la thèse d'Irénée n'est pas fortiflée par le fait que Marc a écrit après la mort de Pierre; si donc
il avait pensé que Marc avait écrit avant, il n'eut pas manqué de le dire. Et n'est-ce pas la pré-

occupation de renforcer l'autorité du disciple par celle de l'apôtre qui a conduit la tradition
alexandrine à dire à la fin que Pierre avait formellement approuvé l'évangile ?
(3) M. Fillion ne juge nullement invraisemblable liue II Pet. 1. 15 soit une allusion a l'évangile
de S. Marc.
618 REVUE BIBLIQUE.
comme le lieu de composition de l'Évangile. Ce sont doue bien les textes les plus
respectables qui sont ébranlés... sous couleur de conservatisme.
On voit qu'ici nous plaidons plutôt pour la date de Marc que pour celle de Luc.
Ceux qui n'admettent pas que Luc se soit servi du Marc actuel peuvent faire abs-
traction de cette difficulté. Les bonnes raisons de M. Harnack pour prouver l'anti-
quité des Actes trouvent leur application en l'an 68, aussi bien qu'en l'an 62. Nous
disons donc seulemeot que la brusque terminaison des Actes ne prouve pas que cet
ouvrage ait été écrit aussitôt après la fin des deux ans de captivité. De très bons
auteurs placent le martyre de saint Pierre en l'an 64. Marc a pu écrire aussitôt après
sa mort l'évangile très court dont il possédait tous les éléments. Entre ce moment
et l'an 69, il restait à Luc assez de temps pour écrire l'évangile et les Actes. Les
événements de l'an 70, sa mort peut-être, ont pu l'empêcher d'écrire un troisième
ouvrage, qu'il a dû avoir l'intention de rédiger, même s'il a, comme le prétend Har-
nack, écrit les Actes avant d'être en état de satisfaire l'intérêt qu'il avait excité.
Est-ce pour se faire pardonner de revenir à la tradition que JM. Harnack compare
les écrits du Nouveau Testament- à des poutres branlantes qui ne sont pas plus
solides pour être plus vieillesComparaison n'est pas raison. Cette sortie
(p. 65).
d'un goût douteux n'amadouera aucun protestant, car ce sont bien les concepts et
l'esprit de l'Eglise catholique qui respirent dans les écrits du Nouveau Testament, et

ils sont d'autant plus dignes de confiance qu'ils remontent à des témoins plus sérieux.

Mais, ce point admis, il serait peu avisé d'attacher une importance suprême à
vieillir de quelques années l'œuvre de Luc et de Marc. De même qu'une légende

peut prendre naissance en quelques mois, —


sinon en quelques jours, des faits —
réels ne perdent rien de leur valeur pour être consignés par écrit dans des ouvra-
ges méthodiques seulement trente ou quarante ans après l'événement, surtout si l'on
prouve que ces ouvrages plus étendus s'appuient sur des témoignages certains, oraux
ou déjà écrits.

Le Dictionnaire apologétique, dirigé parM. d' Aies, contient dans sonsixième fasci-
cule une étude fort remarquable de M. Lepin sur les évangiles ca)ioniques. Il sem-
ble même que M. Lepin ait fait quelques pas dans la direction de la critique.
N'est-il même pas étrange qu'il explique à manière des critiques indépendants
la

les origines de la littérature évangélique ? ont pu se constituer, en particulier^,


« Ainsi
un document narratif xésuta'àwX,^ à l'usage des missionnaires chrétiens, la vie publique
du Sauveur, d'après la catéchèse des* apôtres et tout spécialement de saint Pierre
(n*^* 86); d'autre part un rrcwil dr ses (lixcour.< jugés les plus utiles à l'instruction des

fidèles.

« Inutile de dire qu'à une époque ou l'on pouvait encore si facilement consulter les
témoins, les mêmes documents ont dû rapidement se diversifier dans le détail, se

compléter et se répandre en des recensions Nos trois (1) Synoptiques


différentes.
ont fort bien pu être basés sur un ou plusieurs de ces documents primitifs, ou Evan-
giles partiels, qu'ils auront diversement traités, abrégés ou développés, suivant leur

point de vue personnel, leur but propre, et aussi leurs sources d'information spécia-
les sur les points particuliers » (col. 16:U). Ce sont bien les positions où l'on se place
communément aujourd'hui. Mais comment M. Lepin peut-il les concilier avec ses
conclusions, qui sont très conservatrices, sur les évangiles canoniques? c'est ce qui
apparaît moins clairement. D'abord M. Lepin n'est guère sympathique à l'hypothèse
d'une utilisation mutuelle de nos Évangiles : « En effet, on ne trouve nulle part, entre

(1) Donc Marc compris.


BULLETIN. 619

saint Marc et les deux autres Synoptiques, une identité absolue (1 . Or si son
texte avait été utilisé par eux, l'un ou l'autre, semble-t-il, devrait contenir des récits
entièrement pareils, des phrases littéralement semblables » (col. 1632 . Réponse :

Il y en a de très semblables, mais il n'est pus néccîsaire d'en trouver partout, si les
évangélistes ont travaillé comme M. Lepin vient de nous le dire, abrégeant ou déve-
loppant selon leur point de vue personnel, leur but propre, etc. Il s'est abstenu d'ar-
gumenter du respect empêcher un évangéliste d'utiliser à son gré
spécial qui devait
un texte inspiré; tout son raisonnement est doue en flagrante contradiction, d'une
colonne à l'autre. On est obligé de le dire, parce qu'il s'agit d'un point de la première
importance, évidemment en faveur du texte que nous avons cité
et que la raison est
le premier on ne peut exiger d'aucun auteur qu'il se comporte vis-à-vis de ses sour-
:

ces comme un copiste.


11 y a plus. M. Lepin admet à l'origine un doi^ument narratif... d'après la catéchèse

des apôtres et tout spécialement de saint Pierre. Toute la discussion qui suit tend à
prouver que notre second évangile, qui a eu Marc pour auteur, a été écrit d'après la

catéchèse de saint Pierre, d'après des renseignements personnels. Quelle raison pou-
vait avoir Marc d'utiliser un document narratif composé d'après la catéchèse de
Pierre? Pourquoi admettre l'i-xistence de ce véritable p/oto-Marc. qui fait double
emploi avec le Marc véritable? Sur quoi est-elle fondée? ISon seulement M. Lepin ne
le dit pas, mais la description qu'il donne de l'évangile de saint Marc parait bien
exclure un emploi un peu suivi de sources écrites, surtout en matière de narrations.
Si c'est lui qui a composé le document narratif, c'est donc lui que les autres ont
utilisé.

Et puisque, d'après l'auteur, le second évangile a pu utiliser le document narratif,


pourquoi le premier n'aurait-il pas utilisé le recueil de discours? Evidemment rien ne
s'y oppose dans le système de l'auteur, il le suggère plutôt, et on peut en dire
autant de saint Luc. Dès lors pourquoi ne pourrait-on pas retrouver dans le premier
et dans le troisième évangile des traces de ce recueil de discours? M. Lepin sera seu-
lement obligé de dire que ce recueil ne fut pas l'œuvre de saint Matthieu, car son
œuvre est, d'après la Mais ici M. Lepin prélude à la
tradition, notre premier évangile.
décision de la Commission biblique qui impose seulement l'identité quoad auhitantiam
entre l'évangile araméen de saint Matthieu et le premier évangile canonique '2). Les
termes de sa conclusion ne manquent pas de saveur « Mais, de l'examen du témoi- :

gnage traditionnel et de l'étude directe du livre, il semble bien résulter que saint Mat-
thieu est responsable de l'œuvre définitive comme de l'œuvre initiale, soit qu'il l'ait
exécutée également lui-même (3;, soit qu'il l'ait seulement couverte de son autorité 4 ,

qu'à tout le moins on ait jugé dès l'origine le nouvel ouvrage essentiellement conforme
'ô'
à celui qu'il avait authentiquement publié » 'col. 1661).
un peu compte de
Si l'on tient la tradition, — représentée ici par le seul Papias, sur
lequel s'appuie aussi M. Lepin, — cette dernière hypothèse est la seule admissible,

comme elle est la seule vraisemblable : « Matthieu avait écrit en langue hébraïque
les discours du Seigneur, et chacun les interprétait comme il pouvait ,' (Eus. E. E.
III. xxxix, 16, ap. Lepin, col. 1604 . C'est dire clairement que l'apôtre ne s'était

(1)Se trouve-t-elle même cJiez de purs copistes ?


(2/On nous permettra de rappeler que cette distinction a été proposée pour la première fois,
à notre connaissance, dans cette Revue (1896. p. -2~,.
(3) ?
•??
(4)
(5; :::
620 REVLb: BIBLIQUE.

pas traduit lui-même et qu'il n'existait pas de traduction authenti<iuée par lui. Si per-
sonne ne songe rendre l'apôtre responsable de toutes ces traductions diverses, pour-
à
quoi le rendre responsable de celle qui a prévalu? La responsabilité appartient ici à
l'Eglise qui a jugé inspiré le premier evaugile, et qui a continué de lui donner le nom
d"evangile selon Matthieu, sans s'arrêter au « caractère dadaptation que l'on doit
reconnaître à cette traduction » (col. 1661), puisque c'était le même évangile, 'luoci'l

siibstaniiam.
M. Lepio,qui a consacré à saint Jean des études spéciales, s'est étendu particulière-
ment sur le quatrième évangile. Cette fois encore on rendra justice à son effort pour

serrer de plus près la vérité « Il est même incontestable que ses comptes rendus de
:

discours ne prétendent pas reproduire la pleine réalité: à la distance d'un demi-siècle

ilne pouvait sans un miracle auquel Dieu n'était nullement obligé, avoir retenu inté-
gralement les paroles du Christ et de ses interlocuteurs, et l'on peut parfaitement pen-
ser qu'il les a exprimées plus d'une fois sous une forme qui se ressentait de l'expé-
rience acquise et accusait le travail accompli dans ses pensées par l'effet de ses
longues méditations » (col. 1750).

Poursuivant ses études sur le Nouveau Testament, M. Jacquier aborde une nouvelle
section Le ynureau Testament dans rÉglise chrétienne. Le premier volume de cette
:

partie a pour sous-titre préparation, formation et définition du Canon du yoitceau


:

Testament (l]. Ces termes indiquent déjà que l'auteur ne prétend pas démontrer
que dès le début du n*' siècle l'Église catholique a possédé une collection fermée des
écritures du Xouveau Testament tenues pour inspirées. Cette position, qui est plus ou
moins celle de Franzelin et de Zahn. peut être nécessaire au protestantisme scripturaire
conservateur; elle s'accorde mal avec les faits, et n'est point partie intégrante du
dogme catholique. En revanche, il importait de prouver contre M. Harnack que dès
le début l'Église était en possession d'im principe qui lui permetttait de former et de
définir son Canon. M. Jacquier l'a compris et il a poin"suivi l'examen des témoignages
dans les périodes apostolique, post-apostolique. — qu'il qualifie de préparation du Ca-
non, — puis dans la période déformation, de l'an 170 à l'an 350, dans la période de pro-
nuilgation, de 3.50 à 450, qui a eu son terme définitif au Concile de Trente. Les textes
sont examinés avec la précision et la modération que l'auteur apporte dans toutes ses

études. Il ne pouvait entreprendre de ramener à la même ligne droite et majestueuse


tant d'opinions divergentes selon les temps et selon les lieux. C'est l'écueil bien
connu du sujet. X'aurait-il pu serrer de plus près les questions de principes plus ou
moins voilées dans les débats de faits?
M. Jacquier conclut « qu'un écrit fut tenu pour inspiré, tout d'abord et principale-
:

ment, parce qu'il était d'origine apostolique » p. 442). Il semble que ce mot d'^ ori-
gine apostolique », assez fréquemment employé, pourrait créer une équivoque, et
qu'il y aurait avantage à le remplacer par celui de « garantie apostolique ». C'est
celui qu'a employé M^''" Batiffol. dans une étude très pénétrante (2i qui n'a pas été
citée par M. Jacquier. PiPlativement à l'authenticité de la Vulgate. on s'étonne qu'il
n'ait pas fait sienne l'opinion du R. P. Durand. On s'étonne encore davantage qu'il
résume d'après M. Chauvin ce qu'il nomme « l'opinion actuelle des théologiens ».
Cette opinion, qui n'est en somme que celle du cardinal Franzelin, est-elle vraiment
la plus autorisée"? Dans la neuvième édition de son manuel lS!>5i. M. Vigouroux

écrivait a II faut s'en tenir à l'opinion du cardinal Franzelin », En 1906, cette


:

(I) de UiO pp. Paris, Gabalda. i;»ll.


In-l-2
(2; Le Canon du youveau Testament {RB., 1903, 10-20 et -»j--233).
RULLETIN. 021

phrase a été remplacée par cette autre: « On peut néanmoins soutenir l'opinion du
P. Vercellone » (15'' éd., p. 237 Puisque
. _M. Jacquier j^o/uati user de ce laissez-passer,
fallait-il qu'il demeurât sur une opinion qui n'est évidemment pas la sienne?

Le Prophète de Golih'e (1 fait suite aux excellents volumes de « Lectures évangéli-


;

ques pour le temps de l'Avent, de Noël et de l'Epiphanie «, publiés déjà par M. l'abbé
Dard. Après l'Enlance et les premières manifestations « aux centres principaux de la
Palestine », c'est l'exemple et l'enseignement du divin Maître durant la première

année de sa vie publique en Galilée, aux rives du Lac, par les villes de la Décapole,
qui sont maintenant étudiés par l'exégètesîir, commentés par l'ardent apôtre, mis en
relief par le théologien et l'écrivain distingué que révélèrent les volumes antérieurs.
En nous faisant assister à la prière de Jésus dans le silence de la nuit et la solitude
austère du mont des Béatitudes, M. Dard a écrit : « Il priait : la brise passait sur ses
lèvres, semant à travers l'espace les paroles de fécondité surnaturelle qui transformait
l'humanité, la rendait à la justice perdue, à la vérité captive de l'erreur. » Que son
ouvrage soit lu avec attention et droiture et l'action divinement salutaire du Prophète
de Galilée deviendra plus féconde parmi nous.

L'histoire ecclésiastique de Théodoret (2^ de la commission berlinoise des Pères


de l'Église vient d'être éditée par le D' Léon Parmentier, professeur à l'université
de Liège, avec un soin remarquable. Toutes les éditions connues jusqu'à ce jour,
depuis celle de 1523, établie sur le codex de la bibliotiièque des dominicains de Bàle,
jusqu'à celle d'Oxford (1854), laissaient à désirer pour divers motifs. Ou bien les co-
dices mis en œuvre étaient défectueux, ou bien les collations de manuscrits étaient
incomplètes et erronées. La présente édition a évité ces défauts en prenant pour
appuis les meilleurs représentants du texte revus dans les originaux, en utilisant
des manuscrits jusqu'ici inconnus ou non employés, en interrogeant les versions
et les adaptations de l'œuvre historique de Théodoret. La tâche de l'édition était
ardue du fait que l'histoire de l'évêque de Cyr, étant une œuvre de polémique théo-
logique surtout, a subi de bonne heure des retouches suivant les idées particulières
de ceux qui la faisaient transcrire. Le
M. Parmentier se présente avec
travail de
bon discernement. Nous avons donc
toutes les garanties possibles d'exactitude et de
maintenant un texte de Théodoret plus assuré que celui de Migne. La Patrologie
grecque en effet s'est contentée de reproduire le texte de l'édition de Xoesselt (1771),
dont l'apparat critique porte les variantes des éditions antérieures, niais n'est pas

fondé sur une lecture directe des manuscrits. Dans l'introduction, l'éditeur traite
non seulement de la tradition manuscrite de l'histoire de Théodoret, mais encore des
sources et de la méthode de l'historien, apportant ainsi à l'histoire littéraire une im-
portante contribution.

Dans la collection des textes et documents (3) de MM. Hemmer et Lejay, les livres
V-VIII de l'Histoire ecclésiastique d'Eusèbe, avec une traduction par M. Grapin. Les
notes sont renvoyées à la fin du volume.

Nous sortirions tout à fait de notre domaine en faisant autre chose que de signaler
la splendide concordance de limitation de Jésus-Ch/ist, par Rayner Storr (4).

(1) Lectures évangéliques pour le temps après la Pentecôte, par M. rabl)é A. Dard. Deux volu-
mes in-12de -277 et 28S pages. Paris, Galjalda,ii'Jll.
(-2) Théodoret Kirchengeschichte in-S», cviii-4-27 pp. Leipzig, Hinrichs, 1911.
,

(3) In-12 de 361 pp., Paris, Picard. 1911.


(4) 8° de de xvio99 pp. Frowde, Oxford, Iniversity Press, 1911.
622 REVUE BIBLIQUE.

Ancien Testament. — L'enseignement biblique chez les protestants se pénètre


de plus en plus des théories dites critiques sur Torigine du Pentateiique. L'Angleterre
s'y met. à la suite de l'Allemagne. C'est ainsi que dans la Bible de Cambridge pour
les écoles et les collèges, tout un volume
est consacré à inie introduction au Penta-

teugue (1). C'est le titre officiel, mais ici


on dirait plus justement « à l'Hexateuque )>.
L'auteur, M. A.. T. Chapman, a procédé avec beaucoup de clarté. Après quelques
pages sur l'histoire de la critique ou des critiques, il pose trois propositions :

1. L'Hexateuque contient des passages plus récents que le temps de Moïse et de Jo-
sué. 2. L'Hexateuque est une œuvre composite, dans laquelle quatre documents ^au
moins) peuvent être distingués. 3. Les lois contenues dans le Pentateuque se repartis-
sent en trois codes différents qui appartiennent à difTérentes périodes de l'histoire
d'Israël. Les arguments sont ceux qu'on a coutume délire dans ces sortes d'analyses
littéraires, la diversité des noms divins, la diversité du style et du vocabulaire, l'exis-
tence de récits sous une double forme, s'il s'agit de l'histoire; la comparaison des

lois, en particulier sur le lieu du culte, les temps sacrés, les différentes sortes de
sacrifices, le statut des prêtres et des Lévites, s'il s'agit des codes. Les documents
déterminés au moyen de cette analyse ne sont pas moins connus : J, E, D et P.
La discussion est vraiment très bien menée, et cela est d'autant plus remarquable
que l'auteur, n'écrivant pas pour les érudits, ni même pour les élèves des Univer-
sités, s'est abstenu presque complètement de caractères hébraïques. Elle est suivie de

plusieurs appendices (X) destinés à confirmer la thèse ou à préciser quelques points,


comme, par exemple, les caractéristiques du Code sacerdotal, le style du Deutéro-
nome, les rapports de Lév. xvii-xwi avec Ezéchiel, les objections élevées contre
les résultats critiques au nom de l'archéologie, représentée ici par les études assyro-
babyloniennes, etc. On pourra donc, pour se faire une idée de la position des criti-

ques, lire ce petit ouvrage concurremment avec l'exposition de M. Mangenot (2).

Pour savoir ce qu'en pensent les exégètes les plus conservateurs, on lira la seconde
partie de l'ouvrage du même M. Mangenot, ou MM. Hoberg (3), Allgeier (4), Wie-
ner i5'. etc. On sait que le R. P. Briicker ne fait pas mauvais acceuil à une solution
plus conciliante [6} Il se peut donc que les trois ou quatre écrits rédigés sous la
: <<

direction de Moïse, et correspondant aux quatre documents des critiques, aient existé
longtemps séparément. Et il n'est pas interdit de retarder le moment de leur fusion
complète et définitive jusqu'à l'exil de Babylone ou jusqu'à l'époque d'Esdras. »

En quoi le R. P. témoigne assurément beaucoup de bonne volonté envers la criti-

que, mais elle ne se contentera pas de cette concession: elle avouerait plutôt que le
principal argument qui lui permet de distinguer les documents, surtout dans l'ordre
législatif, c'est la ditrérence des lois, coïncidant précisément avec les étapes d'une
longue évolution historique. Puisque M. Hoberg lui-même admet des changements
assez considérables depuis Moïse, il donc eq^dét,erminer l'étendue. Ce n'est
faut
pas ici le lieu. Disons cependant que M. Chapman
a diminué beaucoup trop le rôle de
Moïse : l'antiquité israélite l'aurait regardé plutôt comme un prophète que comme
un législateur! Le problème du Pentateuque ne sera jamais résolu si l'on n'attache
pas plus d'importance à la véritable tradition. Peut-être l'auteur gagnerait-il aussi à

il) An Inlrodi'.clijjii lo Ihe Penlateiicli, by A. T. Cuapman, M. A. Tn-Kide xix-339 pp. Cambridge,


Uuiversity Press, 1911.
(•21 U aulhv lit icité mosaïque du Pentateuque: cf. RB.. 190T, p. 310 ss.

(3) Cf. RB., iMOti. p.133: 1908, p. 623.


(4) Cf. RB., 1911, p. '»6-.
(5) Cf. RB., 1910, p. 698.
(G; L'Église et la critique biblique (1908), p. 145.
BULLETLN. 623

étendre un peu ses lectures. Sur la méthode dont usent les Sémites en écrivant l'his-
toire, l'article de M. le Professeur Guidi, écrit ici même, en 19u6, n'était pas inférieur
à celui de M. Bevan, dans les Cambridge biblical essays de 1909, qui est seul cité

p. 265.

Dans cette même collection, T/c- Camhridf/c Bible for Hchouh nml ('<jUi''j>:-i, la Ge-
nèse n'a point encore paru, mais nous avons VExode du Rév. S. R. Driver 1 1. C'est
dire que l'introduction et le commentaire sont traités de mains d'ouvrier. LVsprit gé-

néral est un peu plus traditionnel que celui de M. Chapman: le Rév. S. R. Driver écrit
que Moïse fait trop corps avec les récits du Pentateuque pour être autre chose qu'une
personne historique; sur sa vie et son caractère, nous possédons mainte tradition
digne de foi (p. xlv Tout en adhérant en gros aux théories littéraires de Wellhau-
.

sen, Driver le suit de moins près pour ce qui regarde la religion d'Israël avant les
Prophètes, et opine que le Décalogue, pour le fond, sinon
les histoires primitives. Il

pour la rédaction, remonte à Moïse, peut-être même le commandement de Tintéfâîc-


tion des images, et, sans qu'il ait professéun véritable monothéisme, sa religion au-
moral supérieur à toute autre. Sans Hbiite cela est encore très
rait éii'iiu caractère

peu. trop peu; mais il s'agit de rendre do'nipte de la position de M. Driver, et. pour
être juste, il faut ajouter que. dans sa conviction, les résultats critiques auxquels il

adhère n'affaiblissent pas la révélation chrétienne, puisque l'Ancien Testament est


l'histoire dune révélation progressive. Son exégèse est donc toujours respectueuse,
sinon telle qu'on puisse la recommander dans nos écoles à nous. Ces divergences
marquées, il nous serait agréable de noter plus au long le soin consciencieux avec
lequel sont traités tous les détails.
Le Prof. Driver n'a pas coutume de trancher les questions avec rassurauee de
ceux qui les ignorent ou qui prétendent étonner par des solutions nouvelles. Peut-
être même hésite-t-il trop à constater que la tradition du Dj. Mousa est celle qui est

représentée dans la Bible. Quoique les noms anciens aient trop souvent disparu de

l'onomastique moderne. l'itinéraire des >"ombres ne convient certainement pas à Ca-


des, ni au pays de Madian •! D'après Driver, le nom de Rephidim n'a pas été con-
servé.On ne pouvait s'attendre à le retrouver sous cette forme, mais celui d'Erfàyid
ou de Er-Rffdyiil le représente assez bien, et il a été constaté soit par le Surxeij
anglais, soit par les caravanes de l'Ecole biblique (RB., 1900, p. 86). C'est la tradi-
tion chrétienne qui a mis Rephidim à l'oasis de l'ouàdy Feïran, qu'on ne peut guère
nommer « le désert du Sinaï « : la situation d'Er-Refàyid exclut le Serbal.Une des
raisons qui empêcheraient Driver de regarder la plaine d'L'r-Rùhah comme ce dé-
sert du Sinaï, c'est le froid assez intense qui y sévit durant l'hiver. C'est une difd-
culté, mais elle est moindre si les Israélites n'étaient guère que -5 à 6.000. comme
on le dit 'p. xlv). Ils ont pu être surpris par le froid, se chauffer comme ils ont pu,
ou même décamper pour quelques jours, sans que ce départ, n'étant pas définitif,
ait laissé un souvenir dans la tradition. M. Driver est aussi porté à laisser en Canaan

une partie des Hébreux, par exemple la tribu d'Aser. tandis que les tribus d'Éphraïm
et de Juda auraient gagné ce pays les unes par l'est, les autres parle sud. Sous cette

forme il est malaisé d'établir cette conjecture, et nous voudrions encore moins nous

1 The Book of Exodus in the Uevised Version, witli Introduction and Notes, by the Rev. s. R.
Dkivef;, D.D. Regius professor of Hebrew. etc. In-IG de X. lxxii et 443 pp.: 19M.
(•2 M. le Dr. Musil estime avoir découvert la véritable moatag^ne biblique du Sinaï dans un vol-
can éteint du pays de Madian. al-Bedr. situé au sud-t>uest de la station de DOr al-Hamra, au
sud de Tebouk Comptes rendus de l'Acadéniie des sciences de Vienne, loil. p. 139).' La décou-
verte aurait eu lieu le -2 juillet 1910. Il convient d'attendre les preuves.
624 REVUE BIBLIQUE.

faire garant des hypothèses de M. l'abbé de Moor: on peut rappeler cependant que,
dès 1892, il écrivait dans la Rtr^r un article intitulé : « les Hébreux établis en Pales-
tine avant l'Exode ». Ce n'est donc pas d'aujourd'hui qu'est ouverte cette question,
demeurée si obscure.
Ce ne sont pas seulement les questions géographiques qui ont appelé spécialement
l'attention du Prof. Driver: il a consacré, en dehors du corameotaire, des notes plus
étendues à l'explication du nom divin (Ex. 3, 14^, à l'endurcissement du Pharaon, à
la manne, à l'arche^ à l'éphoi. etc., ainsi que des appendices à la Pâque, à la date

du Décalogue, au code de Hammourabi, au caractère historique de la tente du ren-


dez-vous (d'après Pi. Oa trouve aussi dans ce petit livre des illustrations intéres-
santes et des cartes.

A l'Exode se sont joints aussitôt les jSombres (1), expliqués par M. Me Neile. Il suit la

distinctiou des sources de M. Chapman, sous réserve d'une dissection plus complète.
Moins réservé que Driver, il place le Sinai à Cadès, après avoir conduit les Iraélites
à l'est du golfe d"AqabaI Les raisons ont, paraît-il, été données ailleurs. Cependant
le site de Phounon continue à être passé sous silence (2). Disons d'abord ce qui est
certain, avant de donner comme certaines des conjectures! Cette observation, que
nous répéterons autant de fois qu'il sera nécessaire, n'a pas pour but de dénigrer les
qualités de l'agréable petit volume.

En trois conférences [The Schueich Lectures, 1909) le Rév. Robert H. Kennett a


exposé tout un système sur la composition du livre d'Isaie (3). L'étude ne porte pas
directement sur les textes, qui sont censés connus. L'auteur suit l'histoire d'Israël,
depuis Achaz, en s'arrètant surtout au temps d'Isaie, à celui de Cyrus, à celui qui
va d'Antiochus Epiphane à Simon Macchabée (140 av. J.-C). C'est surtout entre
ces époques que, depuis Duhm, on répartit les prophéties d'Isa'ie. La nouveauté du
livre de M. Kennett est de grossir — outre mesure — le dernier recueil. Il fait un

récit très attrayant et très suggestif des circonstances, et assigne aux principales un
fragment prophétique. Et il est eu effet assez facile d'établir une concordance vrai-
semblable entre certains faits et les textes du prophète. Si jamais l'histoire ne re-
commence tout à fait, elle offre de temps en temps des périodes semblables. Les
campagnes des Séleucides contre les Ptolémées, avec les dissensions intérieures des
Égyptiens, ont leurs précédents dans les invasions de l'Egypte par les .Assyriens.
Jérusalem a été prise par Xabuchodonosor et par Antiochus. Les lidèles de lahvé
ont eu de tout temps à lutter contre l'idolâtrie, toujours réprouvée par les prophètes.
M. Kennett un savant trop distingué pour n'avoir pas tenté de fournir des dé-
est
tails caractéristiques, s'appliquant à l'époque grecque et ne convenant qu'à elle. On

peut douter qu'il y ait toujours réussi. Ce n'est pas qu'on puisse opposer à la thèse
une fin de non-recevoir absolue. Tout en respectant l'authenticité d'Isaie, on pour-
rait admettre que tel passage a été ajouté à la collection, même à une époque très

tardive (4). Au ii*' siècle, vers l'an 140, c'est certainement bien tard. Pourtant l'exé-
gèse est bien séduisante, qui explique par des cultes grecs le chapitre 65. Encore

(I) The Book of Sumbers.... by A. H. Me Neilf.: inl6 de xxvi-llHi.


(2) Cela finit par deveuir agaçant: est-ce parce que nous sommes callioliques et le D"^ Musil
aussi, que nous n'avons pu visiter et reconnaître le Kh. Fetiân,doat le nom avait d'ailleurs ét<'
relevé par le protestant Seetzen '.'

(3; The composition of the Book of Isaiah in tlie Light o( History and Arcliaeology by the ReT.
Uoberl H. Kennett, D. D. Regius Professer of Hebrew etc. London, publislied for tlie British Xca-
demy, by Henry Frowde, 1910.
{i)'cf. RB., 1900, p. 207.
BULLETIN. 625

faut-il le prophète a traduit Tyché par Gad, iiypothèse assez étrange.


supposer que
Mais beaucoup plus difficile d'eatendre 56, 9-57, 13 de la persécutiou d'An*
il est

tiochus Épiphane. Rien ne caractérise l'époque grecque, exclue par le sacrifice des
enfants (57, 9j M. Kennett en est réduit à dire qu'on a repris là un vieux verset!
;

Il compte davantage des analogies de facture. Peut-on placer


faudrait aussi tenir
l'Emmanuel ^1 et 8, 1-18; au temps d'Achaz, et entendre l'enfant miraculeux (9,
1-7) de Simon Macchabée! Ici, conformément au titre, l'archéologie vient au se-
cours de l'histoire. Le prophète parle de souliers bruyants ce sont les souliers à
:

clous des Macédoniens, plutôt que des sandales orientales. Les bas-reliefs assyriens
donnent cependant aux guerriers, quand ils ne vont pas pieds nus, d'assez solides
brodequins. Si l'auteur fixe une époque récente sans se laisser arrêter par des traits
plus anciens, un autre proposera avec plus de raison de rayer telle glose qui déno-
terait des temps modernes, comme, dans ce cas, la Galilée des nations. M. Kennett

ne nous paraît pas heureux en plaçant à une époque aussi basse les admirables la-
mentations sur la destinée du serviteur de lahvé. Ce serviteur, ce seraient les gens
pieux {hasîdim), morts pour la foi durant la persécution d'Antiochus, qui ont ramené
la nation à son Dieu par le sacrifice de leur vie.

Mais comment aurait-on eu l'idée, presque aussitôt après la composition de ce


poème, de le mêler à des faits du temps de Cyrus? Autant vaudrait dire que toute
la seconde partie raconte la délivrance de Babylone comme un symbole des exploits

des Macchabées.
En attribuant aux temps ma'chabéens la portion de beaucoup la plus considé-
rable du livre d'Isai'e(l),M. Kennett nous semble avoir déplacé son centre de gravité.
Aussi est-il assez empêché d'expliquer le texte du prologue grec du petit-fils de Jésus.
On voit, par les étranges fluctuations de la critique, que nous sommes encore bien
loin d'une analyse raisonnée chronologique des prophéties d'Isaïe qui puisse être
proposée avec quelques chances de succès. C'est rendre justice à M. Kennett de no-
ter que lui-même ne prétend pas être arrivé à des résultats définitifs.

Il serait malaisé d'indiquer une critique textuelle plus hardie que celle à laquelle
M. Paul Riessler, professeur de théologie à l'Université de Tùbingen, a
soumis le
livre des douze petits prophètes (2). Peu
apparemment]de la modération con-
satisfait

servatrice de M. van Hoonacker, il s'est lancé dans une voie nouvelle ou plutôt,
comme il le dit, sur trois chemins. Le premier le conduit à admettre la supériorité
du texte des Septante, auxquels il donne la préférence quand leur lecture lui paraît
appuyée par le contexte. Cela, en principe, n'est pas une nouveauté. Sur le second
chemin, on est plus exposé à tomber dans le subjectivisme les textes, dit-on,
:

étaient fortement abrégés; ces abréviations demeurées inaperçues ou mal comprises


ont amené des erreurs qu'il s'agit de réparer. Enfin, en troisième lieu, les Sophervn
anciens avaient employé des mots indices servant à introduire des gloses marginales.
Ces gloses ont été prises trop longtemps pour une partie intégrante du texte primitif.

1; 1, -i'»-31; 2, 1-5, -2-2; 4, 2-6; 8, 19--2-2; 9, 1-7; 10, 20--27, 33-3i; 11; 12; 16, 13-14; 17, 4-14; 18:

19; 23, 13-18; 24-27; 29: 30; 32-35; 41. 8-20; 42: 44, 1-8. 21-23; 45, 14-25; 48, 1-11, 16-19, 22;
49-66. D'ailleurs l'auteur concède que telle de ces prophéties peut être ancienne, modifiée
dans les temps nouveaux. Il serait plus juste alors de les rendre à Isaïe, comme le ch. 30 qui
parle des voyants et des prophètes comme on ne le faisait sans doute pas au temps d'Antiochus.
M. Kennett parle de « modification and re-editing of the old propheciesagainst Egypt contained
in Isa. XXX, XXXI » (p. 63;. C'est insinuer en passant un aspect tout autre de la question.
(2) Die kleinea Propheteu oder das Zicôlfprophetenbuch nacli dem Urtext ùhersetzt und erklârl,
von Dr. Paul Riessler Professor der Théologie an der Universitât Tùbingen, 8" de vi-294 pp. Rot-
tenburg, Bader, 1811. Avec l'imprimatur de l'Ordinaire.
REVUE BIBLIQUE 1911. — N. S., T. VIU. 40
626 REWE BIBLIQUE.

Voici un exemple des résultats que Riessler atteint par sa méthode. Dans Amos 1,
1, on lit : « deux ans avant le tremblement de terre ». M. Riessler traduit : [Va-
riante dans l'interprétation de « ils tremblèrent (1)]. » Il suppose que le glossateur
ayant écrit en abrégé tint qu'il fallait entendre .scnot, on a résolu l'abréviation en
scnâtaym. Ensuite pe?u? signiflerait ^ genre d'exégèse et d'interprétation » et hârâ'as
serait un mot indice (Stich^vort) faisant allusion à Joël 4, 16 auquel le début du verset
suivant a été emprunté. C'est de la même manière que le traducteur rend : [c'est à
identiûer avec une tribu de Beth Eden] [et en marge on lit : Peuple de Syrie[ (.4m.
1, 5) ce que tout le monde a traduit jusqu'à présent : « ainsi que celui qui tient le
sceptre de Beth Eden; et le peuple d'Aram émigrera à Qîr ». Pour le dernier mot,
le grec est appelé à l'aide, parce que in(/.Xr,-o; qui représente « à Qîr » semble au
traducteur une traduction de qân\ mal Assurément on ne peut refu-
lu pour qaruh'.
ser d'admettre l'existence de pareilles gloses ou abréviations 2) mais il semble que ;

vraiment M. Riessler dépasse toutes les bornes. Comment


d'Amos aurait- le glossateur
ilconnu si bien le Beth-Eden répondant au Bit-Adini des Assyriens, que les Grecs ont
vaguement rendu par Xaopâv? D'ailleurs la même tournure du porte-sceptre se re-
trouve au v. 8. Très logiquement M. Riessler traduit " Et j'anéantirai les habitants :

d'Azot )) par : une tribu d'Asqalon]. Nul n'est obligé de supposer


[c'est à identifier à

aux glossateurs beaucoup d'esprit, mais vraiment cette identification ou assimilation


(gleichsetzen) des habitants d'Azot à une tribu d'Asqalon est par trop niaise. Il est
bien plus vraisemblable que les deux fois le grec n'a pas compris tomek, et qu'il l'a

rendu les deux fois comme il a pu, d'après le contexte; l'adaptation au contexte
n'est pas synonyme de leçon primitive.
La critique littéraire de M. Riessler n'est pas moins osée que sa critique textuelle.
Les gloses éliminées, — et elles sont nombreuses, — il distingue l'ouvrage primitif
des prophètes et les passages parallèles dans lesquels est encadré. Ces passages il

parallèles ne sont pas toujours plus récents que l'auteur principal. Ils peuvent donc
être de lui; d'autres fois ils ont été composés et ajoutés par des auteurs plus récents,
mais ils peuvent aussi être plus anciens. M. Riessler, évidemment résigné d'avance à
paraître très origiual, voire paradoxal, admet ce dernier cas pour Zacharie, même
pour les chapitres 12 et 14, dont le caractère apocalyptique est si marqué et qu'il

estime plus anciens que le retour de l'exil.

A propos de Jonas, il s'étonne qu'un juif ait osé attribuer à un ancien prophète de
Juda des idées aussi imparfaites sur la divinité que celles que le héros du livre laisse
paraître. Le nom de Jonas, qu'il rapproche de Ionien, lui paraît indiquer que le
principal acteur était un prosélyte. Le livre serait un récit édifiant, composé en vue
des prosélytes. Comme la prière de Jonas suppose qu'il était battu par les vagues
plutôt que renfermé dans le ventre d'un poisson, M. Riessler pense que l'antinomie
vient du double sens d'un mot qui signifiait d'abord « épave » et qui a pu être tra-
duit « poisson ». Il reconnaît d'ailleurs que le poisson figurait déjà dans le texte
avant les temps chrétiens. Pour l'allusion contenue dans les évangiles (Mt. 12, 40 et
Le. 11, 29), on renvoie à l'exphcation donnée par M. van Hoonacker.
L'ouvrage de M. Riessler est avant tout une traduction; le commentaire et les
notes sont destinés à la justifier, quoique le commentaire contienne aussi de bonnes
indications exégétiques et même historiques. Le tout est rédigé avec une concision
extrême, et ne peut être suivi que par des personnes déjà exercées. Le principal

(1) On suppose que « es erlebten » est une coquille pour « es erbebten ».

(2) CI. pour le PS. 2, 11. RB.. 1903, p. 40.


F^LLETIN. fi27

mérite du livre est très probablement dans les conjectures esquissées pour expli-
quer le texte des Septante. M. Riessler y fait preuve d'une ingéniosité et dune vir-
tuosité philologiques peu communes; il y a là un effort très sérieux dont il faudra
tenir compte, rsous avons déjà dit que, selon nous, il se laisse entraîner trop loin sur
les trois voies qui constituent sa méthode. Afin d'éviter tout « malentendu », il a
soin de prévenir que sa critique littéraire n'a rien à faire avec l'intégrité ou l'inspi-
ration des Écritures. Le livre des petits prophètes a pu être rédigé à la manière de la

seconde édition de Jérémie, après que première eut été jetée au feu ;36, 32). 11
la

est certain qu'avant déjuger M. Riessler trop sévèrement, on devra se rappeler que
les livres des Israélites ou des Judéens n'étaient point composés comme les nôtres.

Il faut convenir, d'autre part, qu'en entrant dans cette quatrième voie on ne peut
atteindre à des résultats bien assurés. L'auteur ne le prétend pas non plus. Il a
indiqué, quoique trop brièvement selon nous, ses raisons qui pourront être discutées.

Il est d'un très grand intérêt pour les Anglais et assurément aussi d'un certain
intérêt pour tout le monde, de pouvoir comparer aisément les versions anglaises
protestantes de laBible. C'estl'avantage qu'a voulu procurer pour lePsuutierd). M. W.
A. Wright, en mettant sur six colonnes d'un très bel in-quarto, les six versions
anglaises de Coverdale (1535), de la grande bible (1539), de Genève (1560). des évê-
ques (1568;, la version autorisée il611), puis la version revisée (1885). Des appen-
dices contiennent des leçons marginales ou des variantes.

L'Académie royale des sciences de Gottingen a conçu le dessein de publier une édi-
tion des LXX. Son ambition est plus haute que celle des savants de Cambridge qui
se contentent de reproduire un manuscrit avec l'indication des autres sources d'in-
formation. A Gottingen, on prétend retrouver, dans la mesure du possible, le texte
primitif des Septante. C'est le labeur héroïque auquel de Lagarde avait convié sa
génération et les suivantes. Afin d'éclaircir le sujet et de déblayer les alentours, la

société de Gottingen publie dans ses communiqués des dissertations préliminaires.


On a eu l'heureuse idée de les publier séparément, et l'on peut déjà se rendre
compte, par les deux premières, de tout l'intérêt de ce travail.
M. Hautsch a examiné d'abord quels manuscrits représentaient le texte de Lucien
pour rOctateuque (2) (Pentateuque, Josué, Juges, Ruth). On sait en effet que la

recension lucianique n'est pas représentée pour toute la Bible par les mêmes mss.
Naguère notre collaborateur, M. Tisserant, rappelait ici même il911. p. 384 que pour
Ezéchiel les mss. lucianiques sont ceux qui sont chiffrés dans Holmes-Parsons 22.
36, 48, 51, 231. Il notait cependant que ce groupe ne compte que pour une unité en
face de Théodoret joint à 23 et au palimpseste Zuqninensis qu'il vient d'éditer, et,

d'autre part, que ce groupe a plusieurs chapitres étrangers, en gros, à la recension


de Lucien. C'était constater que le problème lucianique est loin d'être résolu.
Sur la première section de la Bible, Field, tout en indiquant les mss. 19, 108, ILS.
s'était exprimé avec beaucoup de réserve, une réserve plus justifiée que le procédé
de de Lagarde qui avait pris 19 et 108 pour base de sa reconstruction lucianique de
rOctateuque. M. Hautsch a montré que ce fut à tort^ en comparant le texte de ces

deux mss. avec celui que citaient les Pères antiochiens, spécialement Théodoret.
Loin de coïncider avec le texte de 19 et 108. les Pères sont plutôt d'accord avec les

(1) The Hexaplar Psalter being tlie book of Psalms in six english versions edited by William
Aldis Wright, M. A., iu-4' de vi-389 pp. Cambridge, University Press, 1911.
(2) Der Lukianlext des Oktateuch, 8" de i-28 pp. BerlLn, Weidmann, 1910.
628 REVUE BIBLIQUE.
mss. 54 et 75. Il faut voir dans la brochure de M. H. les détails et les modalités qui
nuancent ce jugement.
Le second essai marque un progrès encore plus signalé dans les études septua-
gintavirales.
Dans les prolégomènes de ses Hexaples. Field se demandait (p. lxxxii-lxxxiv) :

<' quid sibi velit to IaiJLap£i-r/.6v ». Et il distinguait 1) des passages traduits en grec,
probablement par Origène lui-même, d'après le Peotateuque hébreu samaritain, et
qui manquaient à la traduction des LXX, restreinte au Pentateuque des Juifs; 2) des
passages provenant d'une traduction antérieure, apparentés au Targum samaritain.
Une découverte fort intéressante vient de faire un peu de lumière sur ce dernier
point. Parmi les fragments d'origine égyptienne attribués à la bibliothèque de l'Uni-
versité de Giessen (1), se trouve un parchemin qui contient quelques passages en
grec du Deutéronome (fragments échelonnés de chap. 24 à 29). Ils ont été publiés avec
beaucoup de soin par MM. PaulGIaue et Alfred Rahlfs (2).
Après la description dumanuscrit, probablement iMiquatcrnio du v'^ ou du vi" siècle,
les deux savants, transcrivent le texte, en indiquant, comme il convient, ce qui est

lecture certaine, lecture douteuse ou conjecture. Us ont ajouté un commentaire qui


compare le texte grec au texte hébreu (texte raassorétique ou écriture samaritaine),
à la version samaritaine, aux autres targuras et aux diverses autorités des LXX. De
il résulte que le nouveau texte n'est pas une simple recen-
cette étude très attentive,
sion des LXX;une traduction originale du texte hébreu samaritain. Que ce
c'est

grec suive l'hébreu lui-même et non un targum, cela ressort de sa fidélité à ce texte ;

que ce soit l'hébreu de l'édition samaritaine, cela est prouvé par l'emploi du Gari-
zim aulieudel'Ébal etsous laforme bloquée Apy^p'^'f^ (Dt. 27, 4. 12). Les éditeurs
:

n'excluent pas toute influence des LXX, soit indirecte, soit même littéraire, mais
ils constatent que leur traducteur tantôt rend l'hébreu d'une manière plus servile,
tantôt, et beaucoup plus souvent, se préoccupe d'écrire un grec plus correct. Il n'est
pas douteux que cette traduction soit plus récente que celle qui est connue sous le

nom des Septante ; elle doit être antérieure à Origène. Un de ses traits les plus carac-

téristiques consiste à traduire « les anciens » a''2p~n


( LXX ^ yspoucta) par « les intelligents »
ou « les sages », tendance bien targumique, pour justifier la loi, car il ne servirait à
rien d'être avancé en âge, si l'on n'avait plus de sagesse, quand il s'agit de juger
les autres. Or M. Rahlfs a remarqué la même bizarrerie dans un fragment (de Gen.
37, 3-4. 9), déjà publié par M. Nicole. Il appartenait donc à la même traduction, quoi-
que non au même manuscrit. Où cette traduction a-t-elle été faite? Les éditeurs des
précieux fragments ne veulent pas se prononcer. Il y avait des Samaritains un peu
partout en Orient, même en Egypte... Toute la brochure est à lire; elle abonde en
remarques utiles pour la critique textuelle des LXX et pour l'étude du grec hellé-
nistique. Si la reconstruction du texte primitif des Septante est impossible, du moins si

elle exige beaucoup de temps et d'efforts, on peut dire dès maintenant que ce temps
et ces efforts ne seront pas perdus.
M. Rahlfs a fourni lui-même la preuve de l'extrême complexité du problème dont
il cherche la solution, en étudiant la recension de Lucien pour les deux livres des
Rois (3) (d'après le texte massorétique, Vg. III et IV Reg.). Incontestablement on
sort de cette lecture en se disant que la solution est moins avancée qu'on ne croyait

(1) Cf. RB., 1910, p. 4G0, où l'on corrigera la coquille Glane qu'il faut lire Glaue.
(2) Fragmente einer Uebentlzung des samarit. Pen<a<et«c/!s, 8» de 306et68pp. Weidoiaon 1911.
(3 Septuaginta Sludien herausgegeben von Alfred Raulfs. 3 Heft. Luciaiis Rezension
BULLETIN. 629

mais c'est encore un progrès que de dire non liquet après une connaissance plus pré-
cise des faits. L'enquête nous conduit, à travers la description des mss. qui représen-
tent le mieux pour ces deux livres la recension de Lucien, à l'examen de leur valeur,
Rahifs conclut que le groupe 82 et 93 est supérieur au groupe 19 et 108. Lagarde,
dont l'édition n'est pas irréprochable, donne un résultat semblable, plus par suite de son
instinct critique que par l'emploi d'une méthode arrêtée. Josèphe est interrogé, mais
ne fournit pas grande lumière, car pour les livres des Rois il s'attache beaucoup plus
au texte hébreu qu'à la traduction grecque. On admettait assez couramment que
l'ancienne version latine avait de nombreux points de contact avec la recension de
Lucien-, comme on datait ce latin du ii*^ ou tout au plus du iii<' siècle commençant,
c'étaitdonc du Lucien avant la lettre. En d'autres termes, les particularités du texte
des mss. lucianiques seraient antérieures à Lucien et prendraient ainsi une singulière
valeur comme expressions du plus ancien état de la version grecque. Il faut en ra-
battre, du moins pour ce qui regarde les deux livres des Rois. D'abord on constate
que les Pères orientaux, Théophile d'Antioche, Clément d'Alexandrie, Origène, la
Didascalia syrienne, ne trahissent en aucune manière l'existence de ces leçons spé-
ciales. En Occident, Hippolyte, Tertullien et Cyprien sont dans le même cas.
Les leçons vraiment lucianiques n'apparaissent en Occident qu'avec Lucifer de
CagUari. Or ce dernier écrivait environ quarante-cinq ans après la mort de Lucien. Il
est peu probable qu'il ait subi directement en Orient l'influence du critique grec,
mais de quel temps datait la version latine qu'il a suivie? Certaines parties de la Bible
ont été traduites à une époque que nous ignorons, des textes mélangés ont pris nais-
sance. On fera sagement de renoncer à cette hypothèse, d'ailleurs assez étrange,
des leçons lucianiques avant Lucien. Ce n'est pas que M. Rahifs ne reconnaisse dans
les mss. lucianiques des leçons fort anciennes. Dans l'ensemble, c'est bien de l'an-
cienne traduction grecque qu'il s'agit, et c'est précisément lorsqu'il corrige que Lu-
cien fait la preuve qu'il travaille sur le vieux fond, puisque les expressions anciennes
demeurent à côté des termes plus semblables aux LXX (doublets). L'argument est

bon, mais il doit être bien entendu. On ne conçoit pas du tout l'état d'esprit d'un re-
censeur qui se rendrait lui-même responsable de ces doublets. C'est bien Lucien qui
a mis les termes nouveaux, plus semblables à l'hébreu il a dû les mettre à la place ;

des autres. Il entendait donc innover, et son travail ressemblait en ce moment à

celui d'un traducteur nouveau. Mais plus souvent encore il a amélioré le grec —
à son point de vue — sans se rapprocher de l'hébreu. Il entendait donc plutôt ré-
former et corriger que refaire. Aussi bien peut-on déterminer à quel groupe appar-
tenait le texte grec qu'il prenait pour base. C'est au ms. Vatlcanus (B) et à la ver-
sion éthiopienne qu'il ressemble le plus. M. Rahifs ne nous explique pas comment
cette conclusion se concilie avec son opinion que B représente une recension hé-
sychienne. Il parle sans doute de B abstraction faite des leçons qui viendraient
d'Hésychius. Quoi qu'il en une nouvelle confirmation de la haute valeur
soit, c'est

du texte de B, du moins, répétons-le, pour ces deux livres, quoique Lucien fournisse
parfois une leçon plus ancienne et meilleure.
Comment Lucien s'y est-il pris pour modifier sa base ?
Rahifs, très prudent comme toujours, n'ose pas même
conclure que Lucien cor-
rigeait directement d'après le ne se souciait pas de suivre
texte massorétique. Il

les Hexaples, puisque tantôt il se tient plus près du texte massorétique, tantôt il en
demeure plus indépendant, dans l'ensemble moins féru qu'Origène d'affection pour

der Kônigsbùcher, 8" de 298 pp. Sur les deux premiers fascicules, cl. EB-, .'JC6, p. 338 et 1007,
P.4S6.
630 REVUE BIBLIQUE.

la recension hébraïque courante; il a dû plutôt s'inspirer de Théodotion, et peut-être

aussi des autres versions 'grecques qui nous sont demeurées inconnues. Pour tout
dire, les principes directeurs de Lucien demeurent dans le vague. Il allait dans le

sens de l'atticisme, mais sans méthode arrêtée; il prétendait améhorer le grec, mais

il s'est permis aussi des changements d'après d'autres passages... — Si seulement


nous connaissions la recension de Lucien pour tout le texte de la Bible ! — M. Rahlfs
ne s'attache pas à cette espérance, car il a d'ores et déjà constaté que la même mé-
thode n'a pas prévalu dans tous les livres. Lucien modifiait-il donc lui-même son crité-
rium, ou bien avait-il des collaborateurs qui travaillaient sans être assujettis à une
règle fixe ?

On voit que les hypothèses sont ici plus aisées que les solutions. Ajoutons encore
une conjecture c'est que plus d'un trait commun aux mss. lucianiques pourrait
:

bien émaner de disciples qui n'étaient plus des recenseurs responsables et qui se
croyaient peut-être plus autorisés à faire des changements que de simples copistes.
'

Pays voisins. —
Nous pouvons placer dans les « Pays voisins » le nouveau fas-
cicule des Forschungen zur Religion und Literatur des A. und N. Testaments de
MM. Bousset et Gunkel (1). C'est simplement la traduction et le commentaire de la
Geste de Gilgamès par MM. Ungnad et Gressmann (2). Le premier donne une tra-
duction allemande (sans transcription) de toute l'épopée babylonienne. Le second en
fait l'analyse détaillée et en recherche l'influence sur le folklore général. La partie
qui intéressera le plus les bibhstes est le récit du déluge (onzième tablette de l'épo-
pée). La traduction de M. Ungnad utilise tous les travaux déjà parus et serre de très
près le texte assyrien. M. Gressmann ne se contente pas d'analyser l'épisode; il en

fait ressortir les procédés littéraires et le compare avec les autres récitsdu déluge.
Pour ce qui en particulier du récit biblique, il s'en tient
est généralement aux con-
clusions de Gunkel dans son commentaire de la Genèse. On lira avec profit la cri-
tique de la méthode suivie par Jensen dans le bizarre ouvrage qu'il publiait en 1906
sous le titre Das Gilgamesch-Epos inder Weltliteratur [Z).

Dans une agréable brochure, M. Lehmann-Haupt vient de publier une conférence


qu'il donnait à Berlin, le 6 février 1910, devant la Deutsche Orient-Gesellschaft (4).

Nous avons vu ailleurs comment Asour avaient fait sortir de


les fouilles allemandes à

la légende le personnage de Sémiramis (5). C'est à cette découverte que M. Lehmann-

Haupt consacre la plus grande partie de son Xortrag. 11 s'attache à montrer ce qu'il
y a de fondé objectivement et ce qui est de pure imagination dans l'histoire de
Sémiramis, telle que l'ont répandue les écrivains classiques. C'est pour cela que sa
brochure a pour titre « La Sémiramis historique et son époque ». C'est une série de
:

considérations sur la situation politique et sociale des Assyriens au temps de Sammou-


ramat, femme de JSamsi-Adad IV (824-812 av. J.-C), mère d'Adad-nirari III (811-
783). De très jolies gravures sont encadrées dans le texte et permettent de suivre
plus facilement les digressions. Un certain nombre de ces gravures reproduisent des
photographies prises directement par l'auteur durant son expédition en Arménie et

en Mésopotamie.

(1) Fascicule 14.


(2) Das Gihjamcsch-Epos neu ùbersetzt und gemeinverstandlicli erklarl von Arthir Ungnad und
Hlgo Gressmann. ln-8 de iv -{- 233 pp. Gôltingen, Vandenhoeck et llupreclit, lim.
(3) RB., 1911, p. 3H.
(4) Die historische Sémiramis und ihrcZeit von C. F. Leumann-Halpt. ln-8 de
"6 pp. Tubingen,
Mohr, 1910.
(5) RB., 1910, p. 180.
BLLF.tTI.N. 6DI

La Revue a déjà signalé les collections d'hymnes et de prières, en Jangne sumé-


rienne, provenant des fouilles entreprises à Nippour {Nouffar) par l'université de
Pennsylvania l . M. Radau avait déjà communiqué un certain nombre de ces textes,

M. Hilprecht. à Toccasiou de son jubilé, que dans sa


tant dans le florileixium dédié à
brochure yinih the déterminer of fates {2). Ce sont encore les textes relatifs au dieu
Mnib qui sont édités et étudiés par M. Radau dans lun des volumes publiés par
l'université de Pennsylvania (3). Une longue introduction est destinée à synthétiser
les conclusions qui ressortent de ces textes concernant la religion sumérienne. Les
divinités de Soumer sont passées en revue sous leur double aspect, humain et divin.

Puis un chapitre spécial est consacré à M. Radau


la théologie et à la théogonie.
distingue quatre périodes dans l'évolution de la religion babylonienne lepoque :

préhistorique^ caractérisée par la prédominance du dieu du ciel. .\nou, dans le pan-

théon; répoque^ sumérienne durant laquelle le dieu Enlil supplante Anou: Tepoque
Amorrite-babylonienne, à partir de la dynastie hammourabienne, qui donne la pré-
séance au dieu Mardouk: enfin l'époque assyrienne qui exalte par dessus tout le dieu

national Asour nature des documents qu'il publie, l'auteur insiste plus
4 . D'après la

spécialement sur l'époque préhistorique et l'époque sumérienne. Son étude sur le


dieu Enlil est des plus pénétrantes. Et cependant, elle est contaminée, en bien des
endroits, par la préoccupation de retrouver chez les Sumériens les idées les plus

élevées de la théologie chrétienne. Ou nous parle sans cesse du rôle joué par le Fils

dans la Trinité. Remarquez que cette Trinité n'est, en fait, qu'une triade qui com-
prend le Père, le Fils, la Mère. Nous avons déjà crié casse-cou 5i à propos des spé-
culations de M. Radau. Disons tout de suite que, lorsqu'il s'agit d'interpréter les
te.xtes, l'auteur est beaucoup plus objectif que lorsqu'il s'agit d'en tirer des conclu-
sions sur l'histoire des religions. Il a réussi à coordonner les différents fragments
qui
exaltent les prérogatives du dieu Ninib. Les hymnes nous le présentent successive-

ment comme « celui qui donne la vie et la santé », « le sauveur de la Babylonie


contre les ennemis historiques ou mythiques », « le guerrier furieux et destructeur.
dieu des forces de la nature », « l'intercesseur et le médiateur ». Les notes qui accom-
pagnent chacun des textes sont marquées au coin de l'érudition la plus consommée.
Sans doute, bien des passages restent obscurs, puisque la langue est le sumérien sans
traduction babylonienne, mais M. Radau ne néglige aucun des textes bihngues déjà
parus, pour établir son interprétation. On lui saura gré de fournir, en même temps
que les documents, la clef qui permettra à tous de les utiliser.

Au du poème babylonien qu'on intitule communément « Le juste souf-


sujet
Condamin écrivait en 1903 « Le ton de ces plaintes rappelle tout
frant (6) », le P. :

naturellement celles de Job 7;. » Dans un long article du Journal of hiblical litera-
ture (1906, p. 135 ss.), M. Morris Jastrow, jr, recherchait les moindres analogies
entre le texte babylonien et le livre biblique pour aboutir à la conclusion que ce der-
nier avait été uifluencé directement par l'autre, si bien que l'article était intitulé A
habylonian parallel to the story of Job. Le P. Landersdorfer , O. S. B.. déjà connu

(1) RB., 1910, p. 627.


(•2; Ibid.
'3 Sumerian hymns and prayers to GodNin-ib from the temple library ofSippur by Hico Ra-
DAi. Vol. XXIX, l'« partie de The babylonian expédition of the university of Pennsylvania, Séries
A : Cuneiform texts. Grand in-4 de x -f 88 pp. -^ 15 pi. — pi. W
(4) Comparer notre ouvrage sur La religion assyro-babylonienne. p. 'J5 ss.

(S; $B.. I&IO. p. 628.


(6) Tra'iuction dans notre Choix de textes..., p. 273 ss.
Cl, Études, 20 mars 1903, p. 807.
632 REVUE BIBLIQUE.

par diverses publications assyriologiques, reprend aujourd'hui la question des rap-


ports qui existent entre « Le Juste souffrant » et le poème de Job (1). Cette étude est
conduite avec la méthode la plus rigoureuse. Tout d'abord, la transcription, la tra-

duction, lecommentaire des divers fragments qui nous sont parvenus du poème
babylonien. L'auteur se comporte très loyalement avec les traductions qui ont pré-
cédé la sienne et donne les raisons philologiques pour lesquelles il préfère telle inter-
prétation à telle autre. On voit qu'il est du métier et qu'il ne se laisse guider que par
des motifs d'ordre objectif. Il eût été plus pratique de faire figurer la traduction en
regard de la transcription au lieu de les mettre bout à bout. Les notes auraient pu
aussi s'aligner au bas des pages, de façon que le contrôle de l'interprétation proposée
se fasse au premier coup d'œil. Après avoir fourni au lecteur le texte qui servira de
base à la discussion, le P. Landersdorfer analyse longuement les idées émises par le
poète babylonien et les procédés qu'il met en œuvre pour toucher ses auditeurs. Il
remarque avec justesse qu'on ne se serait pas attendu à trouver dans la littérature
cunéiforme un morceau d'aussi belle envolée, tant au point de vue de la philosophie
religieuse que de la facture esthétique. Mais le problème de la relation entre le mal-
heur et le péché, posé d'une façon poignante dans ce texte, n'y reçoit pas de solution.
Il n'en va pas de même dans le hvre de Job. Le P. Landersdorfer montre bien la

différence énorme qui sépare les deux conceptions du mal, celle du poète babylonien
et celle de l'auteur inspiré. Sans se laisser éblouir par quelques ressemblances de
détail, attribuablesau sentiment de la douleur qui est partout le même, il conclut
nettement en faveur de l'indépendance de Job par rapport au « Juste souffrant ».
Cela ne veut pas dire que les Cananéens et par eux les Hébreux n'aient pu connaître
le poème babylonien. Mais, même en envisageant cette possibilité, l'originalité du
texte sacré est telle que toutemprunt reste invraisemblable. « Le juste souffrant »
est la lamentation d'un individu qui se sent accablé par la douleur et la maladie, le

livre de Job est la discussion serrée, sous la forme la plus dramatique , de tout le

problème du mal, à propos d'un cas particulier. [P. Dhorme.]

Palestine. —S. A. R.le prince Jean-Georges, duc de Saxe, est depuis longtemps
connu dans les cercles scientifiques par ses excellents mémoires sur l'histoire de l'art
byzantin et ses découvertes d'iconographie chrétienne. Traversant naguère l'Orient
bibli(ine, du Sinaï aux confins extrêmes de la Haute Syrie, l'illustre explorateur a
recueilli, dans les monastères, dans les bibliothèques, dans les vieilles églises et dans

les ruines, une moisson très ample de documents archéologiques et iconographiques

dont il enrichit maintenant les revues spéciales. L'archéologie de Palestine occupe


une importante place en ces publications. Les articles intitulés Trésors artistiques au
couvent du Sinaï {2), Une visite à la mosquée d'Abraham à Eébron (3) et Contributions
à la connaissance du Saint-Sépulcre à Jci'usahm (4), pour ne citer que ceux-là, seront
beaucoup de gratitude. Ils traitent en effet de monuments inaccessi-
accueillis avec
bles au commun des voyageurs, ou révèlent des pièces trop longtemps négligées. En
ce qui concerne le Saint-Sépulcre, par exemple, on notera surtout la miniature (5)

(1) Eiiie bahyloni&che Quelle fur das Buch Job ? Eine lilerar-geschichtliche Sludie von P. Dr.
SiMo:» LAND£i;sDiiiiFEn, 0. S. B. In-8 de xii-138 pp. Freiburg im Brcisgau, Herder. 19H. Dans les
Biblische Studien, XVI, 2.
(2) Dans la Zeilschrift fur chrisUiche Kunst, 1910, n» 12 et 1911. n° 4.
(3) Internation. Woctienschrift fur Wissenschaft, Kunsi, und Tcchnik, juin 1911.
(4) Zeitschr. fur christl. Kunst, 1911, n» 4.
(o) Op. laud., col. 117, fig. 1; cf. col. 113 s.
BULLETIN. 633

photographiée dans un antiphonaire du xv« siècle au couvent latia de Saint-Sauveur.


Elle représente le Sépulcre dans la forme que les Croisés lui avaient donnée en res-
pectant le plus possible ce qui subsistait de l'édicule primitif. C'est dire assez le haut
intérêt de ce très petit document dans la pénurie où nous sommes de représentations
graphiques un peu expUcites.

PEFund, Quart. Stat., avril 1911. — M. Diincan Mackenzie : L'aticien site d'Ain
Shems avec un mémorandum en vue des fouilles. Notice très substantielle accom-
pagnée de bonnes vues photographiques, qui permettront aux lecteurs de se faire
une idée du site et de l'importance de la ville biblique de Beth-Shemes que
M. Mackenzie est en train de fouiller avec le concours de M. l'architecte Newton. —
S. R. Driver : Les découvertes à Samarie (1). — Joseph Offord H. H. ClilTord
et
Gibbon : Inscriptions récemment découvertes, 7-elatives aux camjmgnes romaines en
Palestine. Le principal document est un titre juridique concernant un certain Qua-
dratus, vétéran de la X*^ Légion Fretensis qui a servi à Jérusalem et a été renvoyé
dans ses foyers par Sex. Hermetidius Campanus. légat d'Auguste pro-préteur. Ce
monument épigraphique découvert dans une maison romaine au Fayoum, en Egypte,
a été publié pour la première fois par M. Lefèbvre, dans le Bulletin de la Société
archeolosique d'Alexandrie N. S., III, 1910, p. 39'. M. Mispouleten a fait l'objet d'une
communication à l'Institut dans laquelle il a fait ressortir le haut intérêt d'un pareil
document qui « contient quatre dates consulaires concernant les années G8, 69, 93 et
94 de notre ère, un précieux renseignement pour la topographie de Rome à cette
époque, le nom d'un nouveau gouverneur de Judée sous Domitien et une formule
nouvelle de privilèges accordés à des militaires, à des légionnaires, une catégorie de
soldats considérée jusqu'ici comme ne jouissant pas d'une pareille faveur 2; .

Le texte est écrit sur une planchette en bois ayant appartenu à un diptyque. Voici
le passage qui a trait plus spécialement à la Palestine : o ... IV^eteranorum cura uxo-
ribus et liberis s{uis) in œre incisi (?) aut si qui cœlibes sint cum is quas postea
duxissent dumtoxat singuli singulas, qui militarerunt Eierosolymnis in leg'ione, X
Fretensi, dimissorum honesta missionc stipendis per Sex. Hermetidivm emeritisi
Campanum leg. Aug. pro prœtore V. Kal. Jan., Sex. Pompeio Collega, Q. Peducœo
Priscino COS. qui militare cœperunt P. Galerio Trachalo, Ti. Catio, et T. Flavio, Cn.
Andeno Cos. Ex permism M. Juni Rup. Prœfecti .Egypti, L. Nonio Caipurnio Tor-
quato Asprenate, L. Sextio Magio Laterano cos. K. Julls. amio XIII imp. Cxsaris Do-
mitiani Aug. Germanici mense epip. die VII. » Note de M. Mackenzie sur le kh. —
Adaseh. L'éminent archéologue ne croit pas pouvoir placer Gibeah au kh. Adaseh.
ces rumes étant jugées postérieures au christianisme. Juillet 19U. Dans une — —
conférence tenue à la réimion annuelle du Comité, M. le col. Sir Ch. Watson, retour
de Palestine, résume les transformations de Jérusalem depuis vingt ans ; il annonce
les résultats féconds d'une mission accomplie par MM. Mackenzie et Newton en
Transjordane et à Pétra, donne les dernières nouvelles des fouilles et fait espérer la
fondation prochaine d'un institut archéologique anglais à Jérusalem. Premier —
compte rendu provisoire de M. Mackenzie sur ses fouilles, avec un bon plan de
M. Newton. —
H. Vincent. 0. P. Evocation archéologique d'un site bibUqur .notes
:

d'une \isite au chantier de Beth Sémès, avec des photographies dues à l'obligeance de
M. le col. Watson. —
M. l'arch. A. Dickie L'église de la Nativité à Bethléem, compte
:

rendu judicieux d'une publication récente dont la Revue ne se hâtera point de parler.

(i; Voir RB., 19H, p. 290.


(2) Acad. des Inscript, et Bel.-Let. C. Fl., déc. I&IO, p. 795.
634 HEVIE BIBLIQUE.

n'ayant pas grand bien à en dire. — M. le D"" E.W.G. Masterman Observations à : la mer
Morte. — Notes de M. Gray sur le calendrier de Gézer — pour maintenir sa lecture
waw au lieu de noun dans tous les cas où revient le fameux controversé —
sigle de et
M. Birsch — pour maintenir contre M. Mackenzie l'équation Gaba'a de Saul : Adaseh.
Mittheilungen... des DP. Ve reins, 1911, n* 3. —
Guthe Aphek, Apheka. Il s'agit
:

de la ville d'Afek mentionnée dans I Sam. 4, où se réunissaient les Philistins pour


1,

combattre contre Israël. Ce nom est rapproché de celui d'une certaine forteresse
d'Apheca, mentionnée par Josèphe [Bel.jud.^W, 19, I) et qu'il convient de localiser
aux environs de Medjdel-Yâbâ, à l'est de Qala'at ras el-'Aïn l'ancienne Antipatris.
Medjdel-Yâbâ pourrait donc égaler Aphek.

Dasheilige Land, I9tl,


.3. —
M. labbé Heydet Les derniers solitaires de Palestine. :

— R. Verkade O. S. B.
P. Willibrord La révolte du Kérak. Récit intéressant des
:

événements qui se sont déroulés au Kérak l'hiver dernier. M"" Gertrude Nassar —
termine son travail surles femmes musulmanes de Galilée par quelques détails sur
leur vie religieuse. P. Ad. Dunkel— A propos du Saint-Sépulcre, une relation
:

du VI^ siècle. Récit du moine Alexandre au sujet de l'invention de la Sainte-Croix (1).


Du même Quelques remarques sur la topographie de Jrrusalem.
:

Il serait malaisé de torturer l'archéologie, l'architecture et la topographie plus que


le Rév. P. J. 0. Minosdans son « Tombeau » ,2). On savait que
des Rois à Jérusalem
c'était la sépulture d'Hélène d'Adiabène un hypogée hasmonéen
: lui découvre que c'est

remanié pour devenir la tombe d'Hérode... Celle d'Hélène était à «trois stades » de
la ville et d'après l'arpentage du topographe improvisé le monument en question serait

à « huit stades ou un raille ». L'erreur n'est que de moitié, mais M. Minos n'y regarde
pas à 700 mètres près. Du reste une page plus loin vous apprendrez que ces « huit
stades » sont la distance depuis «le palais royal ». Pourquoi cette salade.'* Et en voici
bien d'une autre, dans l'exégèse archéologique de la célèbre façade. Grâce à un sym-
bolisme cabalistique à faire peur, ce n'est pas seulement le double caractère des rois-
prêtres hasmonéens, mais toute l'histoire de la dynastie qui est « résumée laconique-
ment » —
oh combien! —
Sans compter qu'il y a, pour l'œil perspicace de cet ardent
symboliste, bien d'autres choses encore écrites dans ces sculptures. Par une effrayante
vivisection M. Minos sépare dans cette harmonieuse façade les éléments juifs, les élé-

ments grecs, les éléments romains et conclut au remaniement qu'on a dit ; tant pis
si cette enfilade de contresens archéologiques s'aggrave de quelque méprise sur des
textes fort clairs. Chemin faisant l'heureux explorateur a trouvé des traces « des mas-
sives portes de marbre tournant sur des pivots dans la roche vive » qui fermaient le
portique. Mais que ne découvrira pas le Rév. P. J. 0. Minos en soumettant tous les
monuments de Jérusalem à l'interprétation dont le secret lui est propre? [H. V.]

"Varia. — A l'occasion des solennités de son centenaire, l'Université de Bres-


lau vient de conférer au P. Lagrange le titre de Docteur honoraire en S. Théologie.
Le diplôme s'exprime ainsi:... ex decreto ordiiiis Theologorum catlwlicorwn
viro summe reverem/o Mariae-Josepho Lagrange, conventus Hierosolymitani Ord.
PraedicatorumadS. Stephanum Patri Priori, scholae studio rum biblicorum in eodem
conventu institutae rectori, consultori Pontificiae Commissionis de re biblica, qui
multos libros de Scnptura Sacra et religionum historia divulgavit, necnon litteris

;i) yi\GyE, Patrol. grec, t. LXXXVII, 3,,col. 40.37 ss.


(2) Proceed. Soc. of Biblic. Arch., XXXIII, 1911, pp. 19-25. Quelques bonnes photographies.
BULLtriN. 635

illlsperiodicis « Revue biblique iaternationale )) insc/iptis operam suam stUdiumque


indefesse navavit, qui catholicam scholam studioiiim biblicorum Hierosoîymis condi-
tam praeceptoris rectorisque minière functus ad sunimam auctoritatem sustulif, Doc-
TORis ss. Theologiae iiomen, jura, privilégia, honoris causa contulit, collataquc
publico hoc diplomate dedaravit die IW mensis Augusti anni MCMXI.

Très sensible au témoignage de haute estime adressé à son Directeur, la Revw bi-

blique se joint à lui pour exprimer à l'illustre Université de Breslau, — en la per-


sonne de M. le chanoine Prof. D'" A. Koenig, doyen du chapitre de Saint-Jean-
Baptiste de Breslau et de la Faculté de Théologie catholique, — la vive et très
respectueuse gratitude de son comité de rédaction et des professeurs de VÉcole
biblique.
[L\. D. L. R.]
TABLE DES MATIERES

ANNÉE 1911

N° 1. — Janvier.
Pr.eos.

I. LES ODES DE SA.LOMON [suite). — MS'^ Batiffol, M. J. Labourt. 5

II. OÙ EN EST LA QUESTION DU RECENSEMENT DE QUIRINIUS?


— R. P. Lagrange 60

III. LE PLUS ANCIEN MANUSCRIT BIRLIQUE DATE. - M. Eug.


Tisserant 85

IV. MÉLANGES. — 1° Verisimilia circa pericopen de muliere adultéra


C.roaD. VII, 53- VIII, 11); R. P. Van Kasteren. — 2" Le pays de
Job, R. P. Dhorme. — 3'^ Questions de critique littéraire et d'exé-
gèse touchant les chapitres xl ss. d'Isaïe (suite), M. A. Van Hoo-
nacker 96

V, CHRONIQUE. — Inscriptions de Syrie. — Petites découvertes au quar-


tierdu Cénacle à Jérusalem, R. P. Abel. — Les fouilles américaines à
Samarie, R. P. H. Vincent 115

VI. RECENSIONS. — M. Goguel, VEvangile deS.Marc. — J. M. Thompson,


Jésus accordiiig to S. Mark (R. P. Lagrange). — D"" J. Felten,
NcutestamentI iche Zeitgeschichte oder Judcutum und Heideutum zu/'

Zeit Christi undder Apostel (R. P. Lagrange). J. Skinner, A cri- —


tical and exegetical Commenta/y on Genesis (R. P. Lagrange). —
'I<TTop{a T% 'ExxXrjaCxç 'IspoaoXuuLwv (R. P. Abel) 1.32

VII. RULLETIN. — Questions générales. — Nouveau Testament. — Ancien


Testament. — Langues. — Palestine 145

N° 2. — Avril.

1. LES ODES DE SALOMON (/tn). — M?-^ Batiffol 161

II. LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYRIE. — R. P. Dhorme 198

III. L'ÉGLISE DE L'ÉLÉONA, avec illustrations et planches hors texte. —


R. P. H. Vincent 219
638 TABLE DES MATIERES.
Pages.
IV. MELANGES. — 1° Frammenti di Aquila o di Simmaco, M^' G. Mer-
cati. — 2° Rab'el II et Malikou III, R. P. Savignac. — ,3" Questions
de critique littéraire et d'exégèse touchant les chapitres xl ss. d'isaïe
(/(n), M. A. Van Hoonacker 267

V. CHRONIQUE. — Inscriptions de Jéricho et de Scythopolis. — Un mot


sur les ostraca de Samarie, R. P. Abel 286

VI. RECENSIONS. — A. Loisy, Jésus et la tradition nangétique (R. P.


Lagrange) 294

VII. BULLETIN. — Textes. — Nouveau Testament. — Ancien Testament.


— Peuples voisins. — Palestine 300

N" 3. — Juillet.

I. LE LIVRE DES JUBILÉS. — M. François Martin 321

II. LES PAYS BIBLIQUES ET L'ASSYRIE. — R. P. Dhorme 342

III. CHRONOLOGIE DES OEUVRES DE JOSÈPHE. - R. P. H. Vincent. .366

IV. MÉLANGES. — 1° Notes sur la recension lucianique d'Ezéchiel, M. Eug.


Tisserant. — 2^ Le Pasteur d'Hermas et les livres hermétiques,
M. Gustave Bardy. — 3° Exploration de la vallée du Jourdain,
R. P. Abel 384

V. CHRONIQUE. —Nouvelle inscription ;i;recque de Mâdaba, R. P. Sa


vignac. — Note d'épigraphie, R. P. Abel. — La prétendue violation
de la mosquée d'Omar, R. P. Lagrange 437

VI. RECENSIONS. — P. Vogt, S. J., Der Stammbauni Chriati bei deii heili-
gen EvangelistenMatt/iàus inidLukas. —
J. M. Heer, Die Sfammbàume

Jesu nach Matthâvs und Liikas (R. P. Lagrange) 443

VII. BULLETIN. — Questions générales. — Nouveau Testament. — Ancien


Testament. — Peuples voisins. — Chaldée. — Langues. — Palestine. 452

N" 4. — Octobre.

I. LA STRUCTURE DE L'APOCALYPSE DE S. JEAN. — R. P. Allô.. 481

II. LE LIVRE DES JUBILÉS [fin). — M. François Martin 502

III. LE CATALOGUE DES VICES DANS L'ÉPITRK AUX ROMAINS


(l, 28 31). — R. P. Lagrange .'J,34

IV. MÉLANGES. — 1° Note sur Philip., ii, 6, M. L. Saint-Paul. —


2° Inscription lihyanite d'el-'Ela, RR. PP. Jaussen et Savignac.
3° Le Psaume vu, M. "W. van Koeverden 550

V. CHRONIQUE. — Les récentes fouilles d'Ophel, R. P. H. Vincent. 566


TABLE DES MATIÈRES. 639
Page?.
VI. RECENSIONS. — J. MofTatt. An Introduction to the Literaturc of the
Nt'i.r Te^Uiment 'H. Coppieters). — D"^ T. L. Schade, Die Imqiirn-
tions lelnr ch's heilicji'n Eieronymiis ÇR. P. Lagrange). — D' Guthe,
Bibehillas . R. P. Vincent; Ô92

VU. BULLETIN. — Commissio pontificia « derebiblica ». — Questions géné-


rales. — Nouveau Testament. — Ancien Testament. — Pays voi-
sins. — Palestine (JIO
'>.-â7j^'
KE7UI Biblique.
1911.

V. 20
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