Métrique Et Tropos Dans Les Perses
Métrique Et Tropos Dans Les Perses
Métrique Et Tropos Dans Les Perses
TRAGDIES DESCHYLE:
LES SEPT CONTRE THBES ET LES PERSES
Anne-Iris Muoz*
* Universit de Dijon,
Frana.
Introduction
La dramaturgie dEschyle repose sur une interaction entre la
mtrique et la forme conue comme mouvement, un langage
entre le pote et son public, cr par linteraction entre diffrents rseaux de rptitions et dchos. Dans notre regard
moderne, la forme dune tragdie doit tre une architecture,
une structure. Or cette approche nest possible que face un
texte crit, et lobjet qui en rsulte na que peu voir avec la
performance du Vme sicle avant notre re. Avec une telle
mthode danalyse, hritire sans le savoir dune tradition de
lordo rige en principe universel1, on aboutit trop souvent
une condamnation de la technique du pote tragique, taxe de maladresse ou dinsuffisance2. Or les textes archaques
et classiques soulignent et explicitent leur forme par des termes autorfrentiels, repris ensuite dune tradition potique
lautre. Ainsi, Homre marque trs souvent le centre de ses
structures annulaires avec un terme renvoyant une forme
ronde, comme ceux de la famille de , , ou
encore la , le tourbillon, et souligne de la sorte le moment
o le premier lment va se rpter par limage du tour ou
du tournant3. Il se pourrait que les potes tragiques utilisent
une technique du mme ordre. Je voudrais proposer quelques
arguments en faveur de cette hypothse, partir dune lecture
de linteraction entre forme et mtrique dans deux tragdies
dEschyle, les Sept contre Thbes et les Perses.
Eschyle utilise une macro-forme, ou macro-syntaxe,
quil adapte au contexte de chaque tragdie, mais qui prsente un mouvement rcurrent: durant un premier mouvement, qui concide avec ce quon pourrait appeler la scne
du , de la parole par opposition aux actes, un
personnage ou un chur dploie une matrise dont le type
est dfini durant le prologue et la parodos. A un point donn, cette matrise russit, mais sous la forme dune victoire
symbolique qui ne sest pas encore concrtise en actes; ce
moment, qui ne concide pas avec le centre gomtrique de
la tragdie, est marqu comme le tournant central par
un terme du mme ordre que ceux quemployait Homre
plus petite chelle. Je choisis donc de dsigner ce moment
par le terme de tropos, lun des mots utilis lpoque archaque et classique pour dsigner la forme comme mouvement, parce quil est le plus proche du langage autorfren176
Begriffeassoziiert oder
direkt als Bezeichnung
der Figur: den Tropos,
den Wirbel bei Homer,
den Kranz bei Pindar,
die hellenistischen
Dichter verwenden die
Form kaum, aber, wo sie
frhgriechische Dichtung
nachahmen, setzen sie die
Bilder von Schild, Wirbel
und Kranz in die Mitte.
Die alexandrinischen
Philologen haben ein
kleines, 1-2 Verse gltiges
Lesefenster (wo sie
Kykloi sehen), aber sie
sind fr das Kriterium
des Zeitrckschritts
empfnglich und nennen
die Figur Epanalepse.
177
S1
K1 R1
S2 K2 R2
Gr 1 Belagerung | Freude Gr 2 Bruderkampf? | Bestrzung
8. Thalmann 1978. On
peut schmatiser cette
organisation autour dun
axe de symtrie de la
manire suivante:
1. Prologue
(1-77); 2. Parodos (78181);3. Premire scne
pirrhmatique (182286);4. Premier stasimon
(287-368); 5. La scne
des boucliers (369-676
approximativement);
6. Deuxime scne
pirrhmatique
(677-719
approximativement);
7. Deuxime stasimon
(720-791);[8. Scne du
messager (792-821)];9.
Troisime stasimon
(822-860);10. Kommos
(874-1004).
9. Solmsen 1937, 197-211.
10. de Crmoux 2012,
39-59; voir en particulier,
pour lanalyse des vers
69-77, 49-51: Etocle, en
suggrant implicitement
une dissociation entre
son propre sort et celui
de la cit, montre quil a
dj, ce point, reconnu
le caractre implacable
de la maldiction et sait
quil nen rchappera pas.
LErinys est ainsi invoque
efficacement au secours de
la cit, puisque cest elle
qui provoque la rencontre
des deux frres, et qui
place face Polynice le
seul guerrier capable de se
mesurer lui, Etocle.
pas dans la premire et la deuxime partie du drame, on observe le parcours de chacun dentre eux, le problme de lunit qui a tant arrt les commentateurs ne se pose plus dans
les mmes termes. La particularit des Sept contre Thbes tient
au fait que le chur et Etocle suivent deux parcours inverses
qui les amnent respectivement la position oppose, ce qui
implique une inversion au centre du drame. Au lieu dun fil
simple qui mne un personnage ou un chur de la matrise
qui se dploie dans le domaine du logos la perte de cette
matrise dans le domaine des erga, comme dans les Suppliantes par exemple, deux fils se combinent dans cette tragdie
qui met en scne deux frres dont le destin est de sentretuer.
Dans la description qui suit, les units fonctionnelles sont
envisages chacune du point de vue de ce double parcours;
ces units concident ici, de manire exceptionnelle dans les
tragdies conserves dEschyle, avec la division en prologue,
parodos, pisodes, stasima et exodos (cf. annexe 3).
puisquil est form par le seul couple de boucliers qui opposent, sur les blasons des deux guerriers, Zeus et Typhon.
La premire forme que le public pouvait percevoir dans
le catalogue des boucliers est signale par un cho trs fort
entre la premire porte, o se trouve Tyde, et la sixime,
o se trouve Amphiaraos ; cette structure annulaire correspond linterprtation du salut de la cit par le chur, qui la
rend particulirement audible par ses couples de strophes et
dantistrophes, qui sarrtent avant la septime porte. Les six
premires portes peuvent ainsi se rpondre deux deux de la
manire suivante:
Porte I (Protos), Tyde Mlanippe
Porte II (Electre), Capane Polyphonte
Porte III (Niste), Etoclos Mgareus
Porte IV (Onkaa), Hippomdon Hyperbios
Porte V (Bore), Parthnope Aktor
Porte VI (Homolos), Amphiaraos Lasthns
Mais cette forme est elle-mme rintgre, au moment
o le messager rvle la prsence de Polynice la septime
porte, dans une deuxime structure annulaire dont le centre
est cette fois form par une seule porte, mais o se trouve
le seul couple dun bouclier argien et dun bouclier thbain;
laffrontement symbolique de Zeus et de Typhon la 4e porte
devient donc le centre, nouveau double, de la rpartition
issue de lintervention de lErinys, qui assure simultanment
le salut de Thbes:
Porte I, Tyde et le ciel toil
Porte II, Capane et le flambeau
Porte III, Etoclos et lchelle
Porte IV, Hippomdon Hyperbios, affrontement Zeus Typhon
Porte V, Parthnope et la Sphinx
Porte VI, Amphiaraos et le bouclier-miroir
Porte VII, Polynice et sa Dik.
Le mme jeu se rpte dans le passage du premier centre
au second, invitant redfinir ce qui prcde selon le mme
mouvement de rinterprtation. Le tropos commence donc au
moment de la sortie dEtocle, aprs ce deuxime centre.
184
Le deuxime stasimon (720-791) permet au chur de rcuprer sa fonction hermneutique ou prophtique, par la lecture
quil fait de laction de la maldiction familiale depuis la transgression de Laos, en remontant de gnration en gnration
jusqu la racine du mal. Sa capacit de lecture des vnements
se dploie dans un retour travers le pass qui a t impuls
par Etocle ds le milieu de la scne des boucliers, puis par son
analyse explicite de laction de lErinys dans le deuxime centre.
A linverse, en partant vers la mort par sa sortie juste avant le
chant choral, Etocle se trouve dplac du terrain qui avait permis le dploiement de sa comptence guerrire, et son parcours
amorce alors un mouvement de reflux: il assure le salut de la
cit, mais passe dans le domaine de la maldiction, qui a raison
de lui malgr toute sa clairvoyance.
Le troisime pisode (792-821), centr sur la double nouvelle
apporte par le messager, le salut de la cit et la mort des deux
frres, constitue la premire tape de la dpossession dEtocle, son action tant dsormais relaye par celle de lErinys. A
linverse, le dialogue entre le messager et le chur parachve
la rcupration de sa fonction hermneutique par ce dernier,
puisquil ne cesse de couper la parole au hraut et finit par annoncer lui-mme la mort des deux frres (804-812).
Lexodos dans son ensemble rpond donc au couple form
par le prologue et la parodos, et parachve le parcours du
chur aussi bien que celui dEtocle.
Le troisime stasimon (822-860) est le prolongement du
prcdent du point de vue de la fonction chorale: le chur
dchiffre dans le fratricide luvre de la maldiction dont il
venait de rappeler lorigine.
Le kommos (874-1004) qui suit parachve ce rtablissement du chur dans sa fonction, en inversant la situation
de la parodos: alors quau dbut du drame le chur stait
tromp de voix et avait entonn un chant de thrne prmatur au lieu de prires salvatrices, il entonne ici, sous une
forme non seulement antistrophique, mais antiphonique, le
thrne officiel, non sur la cit, mais sur la famille royale. Le
chur des Thbaines rcupre donc, aprs sa fonction hermneutique, sa fonction motionnelle et rituelle20: il recouvre
la fin du drame la totalit de ses comptences. A linverse, le
thrne final du chur accomplit la crainte formule par Etocle dans le prologue, celle dentendre sur toutes les bouches les
hymnes grondants et les chants de deuil se rpandre travers
187
188
rvler la nouvelle sa place: linversion prend le pas sur le paralllisme formel. Enfin, le thrne final, compos comme une
somme de tous les mtres utiliss dans la tragdie, constitue
galement une rponse aux dochmies du dbut, confirmant le
registre du thrne, cette fois appropri. Les dochmies, qui, associs lincapacit de respecter une responsio dans le chant et
une organisation chorgraphique en volutions parallles, servaient dans la parodos mettre en scne la perte de contrle du
chur, ont la fin pour rle de marquer la rintgration par ce
dernier de ses fonctions chorales; bien plus rguliers que dans
la parodos, ils sont associs la forme antistrophique la plus
dveloppe, celle de lantiphonie.
Les Sept contre Thbes superposent lopposition entre deux
traditions formelles et entre deux systmes politiques: la forme
ronde y est associe, comme cest aussi le cas chez Pindare, en
particulier dans la Pythique 10, lancien systme aristocratique,
qui correspond au pouvoir fminin, au pouvoir des familles.
Ainsi, Etocle ne parvient rduire les femmes au silence dans
la premire partie de la tragdie quen employant leur forme, et
en utilisant le tropos quelles ont-elles-mmes prpar en disant
Zeus de (d)tourner les coups contre les ennemis ().
Le tournant central durant la scne des boucliers est lui aussi
marqu par la rptition la (462 et 490), lune des images
traditionnelles, chez Homre, au centre dune structure annulaire24. A linverse, la forme catalogique25, traditionnellement
associe, depuis les Muses dHsiode, ce qui se veut un discours de vrit, caractrise le pouvoir dmocratique, ou tyrannique, dans le bon sens du terme, dEtocle, et dans le second
agn avec le chur, cest avec cette arme que le roi remporte
la victoire ou du moins le dernier mot. Lopposition entre ces
deux formes est pose, la manire dun code, ds le prologue:
alors que le discours dEtocle est trs nettement organis en
catalogue, avec reprise des mmes mots pour dlimiter chaque
partie de son discours, et un ordre des arguments fond sur
le paralllisme, le discours lespion, qui revendique lui aussi
les mmes valeurs pousses lextrme, sorganise comme une
structure annulaire extrmement marque: charg dapporter
Etocle toutes les informations ncessaires sur lennemi, il devient en quelque sorte le porte-voix des envahisseurs. Or, dans
tout le drame, la forme ronde est associe, non seulement aux
femmes et la politique familiale, mais surtout laction de la
maldiction et au fratricide. La mtrique et les formes caract189
comme inconsciemment par les vieux dignitaires perses qui forment le chur; 2. laccomplissement (tragic fulfillment) des
attentes dramatiques avec larrive du messager; 3. un mouvement de retour en arrire (retrospection), avec le regard que
lombre de Darios porte sur les exploits de son fils, avant de
rvler lavenir; 4. une phase dvidence ( tragic evidence)
avec larrive de Xerxs, longuement attendue.
Une proposition: la forme des Perses
Or, si lon tente de dcrire le drame, non plus du point de
vue de laction, de ses parties ou du rle que les personnages
y jouent, mais en tenant compte de la forme comme mouvement, de lorganisation des rseaux dchos, de la caractrisation respective de chaque voix par les formes potiques quelle
emploie, et de la hirarchie entre ces diffrentes voix, le rsultat est trs diffrent, et incite modifier la dfinition du sujet
de la tragdie. Lanalyse formelle des systmes de la parodos
anapestique fait en effet apparatre, lintrieur de la voix du
chur, une tension qui ne se rsoudra que dans lexodos: les
deux premiers systmes (1-6 et 7-11) dfinissent cette voix
par deux fils opposs. La voix que le chur sattribue
lui-mme est celle dun groupe de vieux dignitaires, choisis
par Xerxs pour reprsenter son pouvoir en son absence, et
dont la tche est donc de conseiller la reine; mais en lui se
fait entendre une autre voix, quil rejette, une voix tragique
qui annonce le dsastre malgr lui, celle de son de son cur
trop mauvais prophte ( , 10-11),
qui fait des tourbillons dans sa poitrine. Ces deux systmes
composent un couple qui confronte, comme dans un miroir
antistrophique, les deux extrmes qui se combattent dans la
voix du chur, et sont suivis dune srie de six systmes (1258) composant un long catalogue de guerriers partis la suite
de Xerxs la conqute de la Grce. Le dernier systme (5964) revient la prmonition de la dfaite et accomplit, sur la
modalit du refus, un thrne fictif, du point de vue fminin
cette fois, celui des pouses perses au lit dsert.
La tragdie des Perses met donc aux prises deux discours
formels, dont lopposition se superpose celle des deux voix
du chur: le catalogue39, dont les vieux conseillers veulent quil
soit la forme de la victoire, avec ses sries parallles, et la forme
192
antistrophique, associe au tropos et aux formes rondes, caractristique de la tragdie, et associe de ce fait la dfaite. Le sujet de la parodos nest donc pas uniquement lattente dune
nouvelle: Eschyle y scelle un contrat avec le public, et dfinit
un drame parallle ce quon dfinit habituellement comme
laction scnique. Le chur tente en effet de dtourner la forme
du catalogue de son sens premier, un catalogue des morts, pour
en faire un catalogue des vivants la gloire de lempire perse, et
refuse simultanment une autre forme, la forme antistrophique
de la parodos. La tension initiale entre ces deux formes ne sera
rsolue que dans lexodos, qui rpond la parodos anapestique par un catalogue des guerriers morts, sous la forme la
plus tragique qui soit, antistrophique et antiphonique. Entre les
deux se succdent tout une srie de catalogues qui ne sont pas
prononcs par le chur: un catalogue des vivants et des morts
rclam au messager par la reine, mais que le chur retarde par
sa plainte antistrophique ; la recette de loffrande aux morts
donne par la reine sous forme dun catalogue dingrdients
du pelanos, juste avant le deuxime stasimon; le catalogue des
rois anctres de Xerxs, prononc par lombre de Darios pour
dnoncer la faute du jeune roi ; le premier catalogue chant
par le chur intervient juste avant lexodos, dans le troisime
stasimon, une clbration en dactyles des les possdes par
Darios du temps de son empire, et perdues par Xerxs. Cest
le chant qui mne le chur au plus proche de la forme quil
refuse, mais sans quil sagisse encore dun catalogue des morts:
le thrne est men a contrario, par contraste avec les temps de
prosprit. Lexodos apporte donc la rsolution de cette tension: le chur y accepte de superposer la forme du catalogue,
par laquelle il dfinissait la grandeur perse, et la forme tragique
antistrophique, qui scelle la disparition de cette grandeur.
Le point dquilibre qui forme le centre dans le parcours de
cette double voix du chur est le premier stasimon, o le chur
entonne le thrne officiel sur sa cit en couples strophiques prcds dun prlude anapestique, mais sous la forme dune dnonciation de Xerxs, et non dun catalogue des morts. Un autre trait
confirme ce rle de pivot: le deuxime systme anapestique
de la parodos comportait une dnonciation encore inconsciente
de Xerxs, assimil un (13)40, un jeune homme; le premier stasimon explicite la dnonciation de laction
du jeune roi par Xerxs; lombre de Darios reprend ensuite les
termes employs par le chur, en affirmant que son fils se com193
194
Evocation de Darios
(anapestes + couples strophiques)
195
Aprs le tropos
Xerxs
Le Chur
Atossa
Le Messager
Darios
Atossa
Le Chur
Xerxs
Centre
transpose la Grce, cette opposition pourrait se traduire comme un avertissement sur les dangers dun imprialisme excessif,
par opposition lquilibre attribu lempire de Darios grce
quelques ellipses historiques.
Cette opposition permet de comprendre autrement la
correspondance entre les deux kommoi pirrhmatiques, qui,
elle non plus, ne se superpose pas un cho mtrique: le premier est en dochmies fortement irrguliers et mls de rythmes divers, le second en ioniques. A premire vue, on pourrait
penser que cest simplement la hirarchie qui se renverse, et
que le chur prend la parole pour suppler aux fonctions de la
reine incapable de parler48, donc en position de faiblesse, dans
le premier, alors que dans la scne correspondante, lincapacit
du chur parler pousse la reine prendre le relais. Tous
les commentaires soulignent cette inversion de rle entre le
chur et la reine, mais les justifications proposes sont assez
disparates49. Lon peut toutefois remarquer, bien que le schma propos plus haut nen tienne pas compte, que le premier
kommos est immdiatement suivi dune demande de catalogue par la reine, de mme que le second kommos se termine
sur la demande dun catalogue par Darios50.
En effet, aprs lannonce du dsastre par l, le
kommos qui sengage a tout dun faux dialogue51 : le chur,
bien quil reprenne dans chacune de ses strophes lun des termes utiliss par le messager, vite toute rponse directe, mais
tente une esthtisation de la plainte dans la concomitance, avec
un ancrage dans le hic et nunc, de telle sorte que chaque rplique du chur est marque par un dcrochage par rapport
aux rpliques du messager52. A lannonce que larme perse
est dtruite de fond en comble, le chur amorce la plainte
(strophe 1) en sadressant aux Perses, dont il est le reprsentant, la 2e personne, et se met en scne lui-mme dans sa
raction au moment o il apprend la nouvelle, avec le participe prsent , qui porte le focus53: ,
(258-9). Le messager amorce
sa nouvelle rplique (260, ) par une reprise de la modalit exclamative
dj prsente dans sa premire rplique, avec un , tandis
que le semble renouer avec ses propres paroles autant que
rpondre celles du chur54. Le messager ajoute une information sur le caractre inespr de son propre retour (261,
), qui oppose
200
La diffrence dnonciation est sensible dans la modalit exclamative (), linfinitif exclamatif prenant,
par glissement de sens, le sens quavait lcho /
201
que la mmoire puisse retenir aisment. La limite fixer la longueur en fonction des concours et de la perception ne relve pas
de lart; car, sil fallait jouer cent tragdies, on les jouerait contre
la clepsydre, comme on la fait, dit-on, une fois ou lautre; mais
pour la limite, disons que ltendue qui permet le renversement
du malheur au bonheur ou du bonheur au malheur par une srie
dvnements enchans selon la vraisemblance ou le ncessaire
fournit une dlimitation satisfaisante de la longueur.
207
. .
(25) Le style est ncessairement soit sriel, et ce par la seule conjonction, comme les prludes instrumentaux dans les
dithyrambes, soit boucl et semblable aux antistrophes des
anciens potes. (27) Le style sriel est le style ancien, Voici
lexpos de lenqute historique dHrodote de Thourioi(en
effet, tout le monde lutilisait primitivement, mais aujourdhui
rares sont ceux qui sen servent); (30) jappelle sriel le style
qui na pas de fin en soi, moins que le contenu nonc ne
soit termin. (32) il ne produit pas de plaisir, car il nest pas
dlimit; or tout un chacun dsire voir nettement le terme;
cest pour cette raison prcisment que les coureurs lorsquils
parviennent la borne expirent et se relchent: tant quils ont
la limite devant les yeux, ils ne diminuent pas leur effort avant
de lavoir atteinte. Tel est donc le style sriel.
Limage du stade permet donc de dcrire lopposition entre deux formes, caractrises par deux types de mouvement,
deux manires doprer le virage central63. Celle de la priode
est illustre par le moment o un coureur, dans la course double o il doit parcourir deux longueurs, fait son virage aussi
serr que possible autour de la pierre pose au milieu de son
parcours, le , meta en latin. Cest ce mouvement
de repli brusque qui fait ressentir le centre au coureur comme
aux auditeurs de la priode. Cest aussi ce virage, ce tournant,
qui fait ressentir lunit dune phrase, comme celle de la priptie dans un rcit. Aristote illustre lautre forme, qui tire
son nom de la production de colliers, lenfile, ,
series en latin, par la mme image : le coureur dcrit galement un cercle, mais son virage est si long, si doux, que ni
le coureur ni le public ne savent jamais o ils en sont dans
le texte. Or, la description quAristote propose pour la forme
de la tragdie est exactement lquivalent, dans une perspective narratologique, de celle du qui sert de modle
la forme de la priode. Le tournant ou retournement central ( ou
) jouerait dans cette forme le rle du centre dans
une structure annulaire, que lon peut dsigner du nom de
tropos, parce que les chos sont plutt des inversions que des
rptitions. Cette forme, comme celle de la priode, prsente
209
une unit dont les parties ne sont ressenties comme telles que
dans leur mouvement par rapport au centre, selon quelles adviennent avant ou aprs le tropos, ce qui affecte leur structure
et en dtermine la spcificit.
Le rapprochement des deux textes incite voir dans ce
passage non une division binaire en deux versants, entre lesquels se trouverait une frontire jouant le rle de point de division64, mais une description de la forme de la tragdie comme
un parcours en trois temps, ou plutt trois mouvements de
dure ingale : un aller, un tournant (ou revirement), et un retour. Limage se trouve dj dans lAgamemnon dEschyle, dans
la bouche de Clytemnestre (344,
), comme image de la tradition boucle qui caractrise le chur, par opposition au catalogue; elle vaut la
fois pour le style du muthos, la tradition homrique dont la priode est lun des visages en prose, et pour la forme de la tragdie
telle que la pratiquent Eschyle, Sophocle et Euripide.
Ce parcours pourrait correspondre au passage dcrit par
Aristote entre et , certains personnages ou
churs dcrivant simultanment le parcours inverse, comme
dans le double parcours invers des Sept contre Thbes. Laction
est donc redouble par une seconde action dans la voix du
chur et des personnages, chacune se trouvant gnralement
associe une ou plusieurs traditions potiques, de telle sorte
que lvolution dune forme potique une autre constitue
un second niveau de laction. Cette lecture de la forme peut
tre associe une comprhension de la katharsis tragique
comme drive de , et indiquant un certain dosage, un mlange comme celui de leau et du vin. Cest en ce
sens quil faut comprendre le tropos dans cet quivalent du
banquet dmocratique quest la tragdie, en particulier dans
les tragdies dEschyle: la situation initiale, ainsi que son dploiement dans le premier mouvement de la tragdie, constitue lquivalent dun certain dosage entre leau et le vin. Ce
dosage correspond un rapport de forces, une hirarchie des
pouvoirs. Durant le premier mouvement, le dosage volue,
mesure que la matrise (ou la non matrise) de chacun se dploie, jusqu parvenir, lors de cette victoire symbolique quest
le centre, un point dquilibre ou les deux composantes parviennent galit, les deux forces une stasis. Une fois pass le
centre, le rapport initial commence sinverser, une inversion
qui atteint son terme la fin de la tragdie. On pourrait donc
210
211
212
214
prologue
Organisation de la dfense
Univers masculin dordre
Tirade dEtocle
Rapport de lespion
Invocation aux dieux
78-181
parodos
strophicit croissante
dochmies irrguliers, iambes
(concinne, dimtres do- et rythmes mixtes
chmiaques / trimtres)
182-202
tirade dEtocle
21 trimtres
trimtres iambiques
203-244
kommos pirrhmatique
strophes dcroissantes
dochmies du chur
3 trimtres detocle
stichomythie
forme ronde
trimtres iambiques
Chur Etocle
264-286
tirade dEtocle
22 trimtres
trimtres iambiques
287-368
1er stasimon
Cit encercle
Affrontement symbolique
Prire aux dieux
iambes lyriques
6 phrcratiens
refrain olien
245-263
trimtres iambiques
ioniques, choriambes
iambes lyriques
3e couple strophique
dochmies + troches et
lcythes
369-374
Chur
3 trimtres
3 trimtres
trimtres iambiques
375-652
Messager-Etocle-Chur
Rcit du messager
Tirade dEtocle
Raction du chur
3 couples strophiques
trimtres iambiques
trimtres iambiques
dochmies, iambes lyriques
653-676
tirade dEtocle
24 trimtres
trimtres iambiques
677-682
Chur Etocle
6 trimtres
trimtres iambiques
683-711
kommos pirrhmatique
2 couples strophiques,
strophes croissantes
dochmies du chur
3 trimtres detocle
712-719
stichomythie
forme catalogique
trimtres iambiques
720-791
2me stasimon
Maldiction familiale
5 couples strophiques
1 concinne
2 concinne
3 concinne
4 concinne
5 non concinne
792-802
rcit du messager
Salut de la cit
11 trimtres
trimtres iambiques
803-814
stichomythie
forme ronde
trimtres iambiques
815-821
tirade du messager
8 trimtres (ou 6)
trimtres iambiques
822-831
3me stasimon
prlude anapestique
anapestes lyriques
832-960
3me stasimon
1 triade
strophe antistrophe
pode
861-873
interpol?
systmes anapestiques
anapestes de marche
Division en demi-churs
Thrne antiphonique
3 couples strophiques
str-ant 2
str-ant 3
str-ant 4
2 iambes syncops +
anapestes
3 iambes lyriques,
lcythes, dochmies?
4 ia. lyr. + ioniques
5 iambes lyriques,
lcythes, , ia rsolus
6 iambes lyriques
ep. iambes lyriques
961-1004 exodos
2 triades
str-ant 5
pode 5
str-ant 6
pode 6
1004-65
Interpol?
trimtres iambiques
Parodos anapestique
systmes longs
anapestes de marche
65-139
Parodos lyrique
4 couples strophiques
1 triade msodique
ioniques
1 couple strophique
140-154
Assemble du Chur
systmes courts
anapestes de marche
155-175
tirade du Chur
tirade de la Reine
ttramtres trochaques
176-214
Le songe dAtossa
Rcit du songe
rcit de la Reine
trimtres iambiques
215-231
232-248
Conseil du chur
Stichomythie
tirade du Chur
stichomythie
ttramtres trochaques
249-255
Rcit du messager
tirade du Messager
trimtres iambiques
256-289
Kommos pirrhmatique
Lamentations du Chur et du
Messager, Reine muette
strophe du Chur
2 trimtres du
Messager
trimtres iambiques
iambes, dochmies...
290-514
Reine-messager
3 rcits
demandes de la Reine
3 rcits du Messager
dialogue
trimtres iambiques
515-531
Chur
Reine
tirade de la Reine
trimtres iambiques
532-547
Prlude anapestique
Hymne Zeus
Thrne des femmes vs hommes
systmes courts
anapestes
548-597
1er stasimon
3 couples strophiques
dactyles
mtrique olienne
598-622
2e pisode
25 trimtres
trimtres iambiques
523-632
Prlude anapestique
systmes courts
anapestes
633-680
2e stasimon
Evocation de Darios
2 couples strophiques
1 triade podique
681-693
Darios
Questions au Chur
tirade de Darios
trimtres iambiques
694-702
Kommos pirrhmatique
Darios / chur
ioniques
ttramtres trochaques
703-714
715-738
739-758
Darios Atossa
Darios Atossa
Darios
Questions / Rponse
Rcit du dsastre
Prdiction de Darios ralise
6 ttr. + 6 ttr.
stichomythie
ttramtres trochaques
759-786
Darios
tirade de Darios
trimtres iambiques
787-799
800-842
843-851
Darios Chur
Darios
Chur Atossa
dialogue
tirade de Darios
dialogue Chur
Atossa
trimtres iambiques
852-906
3e stasimon
1 couple strophique
1 triade
dactyles + troches
quelques lcythes
907-916
Arrive de Xerxs
1 systme long
anapestes
917-930
Chur
Rprimandes en thrne
systmes courts
anapestes lyriques
931-1077
Exodos
6 couples strophiques
1 triade
1 anapestes lyriques
2 ioniques, lcythes,
anapestes
3 ia, ioniques, anapestes
4 iambes lyriques
5 ia lyr/phrcratiens
6 ia lyr/aristophanien
7 iambes lyr., anapestes,
troches, dochmie?
A Prologue, discours dEtocle aux citoyens, discours de lespion, prire aux dieux, trimtres iambiques (1-77)
B Parodos, strophicit croissante et dysfonctionnement de la responsio (78-181)
C 1er pisode, tirade dEtocle + kommos pirrhmatique dochmies / iambes + stichomythie + tirade dEtocle (182-286)
D 1er Stasimon: 3 couples strophiques, iambes lyriques + rythmes oliens + touche dioniques + troches (287-368)
E Catalogue des boucliers = 6 couples de tirades, 3 couples strophiques, trimtres / dochmies (369-676)
E Etocle contre Polynice = Etocle chur, kommos pirrhmatique dochmies / iambes + stichomythie (677-719)
D 2me Stasimon: 3 couples strophiques, dominante dioniques + mtres oliens + iambes lyriques + lcythes (720-791)
C 3me pisode, tirade du messager, stichomythie messager / chur, tirade du messager, trimtres iambiques (792-821)
B 3me Stasimon, avec anapestes et responsio strophique, prlude anapestique, thrne, triades en iambes syncops et lcythes (822-960)
A Exodos, thrne final du chur, cortge organis, antiphonie entre demi-churs (matrise de la responsio), iambes lyriques, lcythes, ioniques (961-1004)
A Prologue, hymnes grondants de reproche redouts par tocle en cas de dfaite (1-77)
B Parodos, dysfonctionnement de la voix chorale et perversion de la prire en thrne, le chur comme voix de lErinys (78-181)
C 1er pisode, les femmes ennemis du dedans menaant la cit, rduction du chur au silence par la forme ronde (182-286)
D 1er Stasimon: fausses prophties du chur (287-368)
E Catalogue des boucliers = 1e structure annulaire cur double (369-676)
E Etocle contre Polynice = 2e structure annulaire cur double (677-719)
D 2me Stasimon: le chur dchiffre laction de lErinys familiale depuis la transgression de Laos (720-791)
C 3me pisode, Etocle ennemi du dedans dont la mort assure le salut de la cit, le chur rduit au silence le messager (792-821)
B 3me Stasimon, le chur retrace laction de lErinys, larbitrage de ltranger de Chalybe et la maldiction accomplie (822-960)
A Exodos, thrne final du chur, l dEtocle (961-1004)