Pour Cocon Idiotiseanul Ou Ce Qu'Il Est Raisonable de Dire de La Litterature
Pour Cocon Idiotiseanul Ou Ce Qu'Il Est Raisonable de Dire de La Litterature
Pour Cocon Idiotiseanul Ou Ce Qu'Il Est Raisonable de Dire de La Litterature
OU
« Tu causes, tu causes! »
Raymond Queneau, Zazie dans le métro
UN DISCOURS EMBARRASSÉ
1
Pompiliu Eliade, Ce este literatura?, Cluj-Napoca, Dacia,
« Restitutio », 1978, p. 5 ; je souligne.
9
3
Il n’y va pas de main morte ! Je crois que l’auteur triche un peu ou,
plutôt, qu’il s’agit là d’un stratagème lui permettant « de sauver la
face », pour parler comme Goffman : au cas où sa théorie s’avérerait
indéfendable, la faute en serait à ses continuateurs, qui n’ont pas été
capables de bien saisir sa pensée, etc. – Cocon Simpliţian
– Tu es bien méchant. S’il s’adresse à ses continuateurs, c’est plutôt
parce qu’il n’a pas, je pense, une bonne formation linguistique et la
poétique, a-t-on affirmé et plus d’une fois, est l’une des branches de la
linguistique – Cocon Erudiţian
15
4
Le terme de « poétique » a été utilisé bien avant qu’il ne devienne
synonyme de « science de la littérature » ou de « théorie littéraire »;
seulement, chez un Aristote ou un Boileau, il désignait un discours
normatif, du type « faites… ; ne faites pas… » ; classiquement, la
poétique était un discours visant à enseigner non pas ce que c’est qu’une
œuvre « littéraire » mais plutôt la technique de fabrication / utilisation
d’une telle œuvre – Cocon Erudiţian
5
Infra, chapitre XI.
16
est réellement tel qu’ils le décrivent (ou qu’il s’en faut de très peu),
qu’ils peuvent prouver ce qu’ils avancent, etc. Il s’agit là de
prétentions, au sens que, bien qu’il pense avoir établi une loi et
avoir des preuves en faveur de ce qu’il avance, un scientifique peut
bien se tromper. La communauté scientifique est toutefois là, à
l’affût des erreurs, prête à critiquer tout ce qu’on lui propose. Cette
attitude méfiante qui se traduit en une tentative de falsification des
théories qu’on avance, c’est-à-dire en une tentative de trouver non
pas des preuves qui confirment la théorie nouvellement proposée
mais plutôt des contre-exemples, des contre-arguments qui en
montrent l’inacceptabilité, a pour conséquence la consolidation et
la croissance permanente du savoir8. La production scientifique
8
– Je pense que l’auteur se complique trop et, de toute façon, je ne vois
pas où il veut en venir – Cocon Simpliţian
– Je crois que l’auteur est le partisan de la théorie de Karl R. Popper,
théorie qui sort tout droit du siècle des Lumières qui parlait d'un
« tribunal de la raison ». Conformément à cette théorie le savoir s’ac-
croît sur des bases rationnelles, par une permanente critique interne :
quelqu’un propose une théorie qui, avant d’être acceptée, si elle le sera
jamais, est soumise par les autres à un bien minutieux examen critique.
Conformément à cette approche, la communauté scientifique donne son
adhésion à une théorie si et seulement si elle ne peut pas la falsifier,
c’est-à-dire si elle n’arrive pas à trouver un contre-argument ou une
preuve l’infirmant. Si la théorie affirme, par exemple, que tous les cor-
beaux sont noirs, les scientifiques ne s’efforceront pas de trouver des cas
qui la confirment (des corbeaux noirs), mais des contre-exemples, des
cas qui l’infirment (des corbeaux qui, tout en étant des corbeaux, ont un
beau plumage blanc): identifier un seul corbeau blanc serait, dans cette
perspective, infiniment plus efficace que l’identification de milliers et de
milliers de corbeaux confirmant la théorie. Dans cette conception, la
croissance du savoir s’accompagne d’une rationalité toujours accrue et
elle est assurée par la méfiance que la communauté scientifique a
programmatiquement à l’égard des diverses théories élaborées en son
sein.
L’auteur semble toutefois ignorer une théorie alternative, celle de
Thomas Kuhn, qui affirme qu’il y n’y a croissance du savoir que durant
ce qu’il appelle la « science normale », c’est-à-dire une période pendant
18
10
Ce sont les formalistes russes qui ont proposé le terme de « literatur-
nost' », que l'auteur traduit par « littérarité » – Cocon Erudiţian
11
C’est la démarche de toutes les sciences modernes de la nature : elles
considèrent que leur mission est achevée lorsqu’elles ont réussi à
ramener l’ensemble de ce qui est (et constitue à leurs yeux l’inconnu) à
un ensemble de causes (supposées connues) : elles posent que ce qui est
est l’effet d’une (série de) cause(s) – Cocon Erudiţian
21
12
Lorsqu'on parle de la mort de Dieu, par exemple, c'est ce type
d'existence affaiblie qu'on accorde au Dieu qui en est venu à mourir: une
existence mentale, comme objet corrélatif de l'acte de croire. « Dieu est
mort » veut tout simplement dire que la plupart de nous ont cessé de
croire en lui. – Cocon Simpliţian
22
13
Ces remarques me font penser à une distinction, très importante et
subtile, que Nelson Goodman fait dans Langages de l'art entre œuvres
d'art autographiques et œuvres d'art allographiques: les premières ne
sont pas destinées à la reproduction (une toile, par exemple, ou une
statue), alors que les dernières le sont (le cinéma, la littérature); alors
qu’il n’y a pas pour les premières un langage de notation défini, ce qui
fait que tout est en elles significatif (même une tache accidentelle de
peinture dans le cas d’une toile ou l’inflexion d’une voix dans une
représentation théâtrale), les dernières ont un système conventionnel de
notation qui permet des variations des caractéristiques matérielles de
l'objet dans lequel l’œuvre s'incarne (À la recherche du temps perdu en
édition princeps et en livre de poche ne se distinguent en rien). Dans le
premier cas on a affaire à des originaux, qui peuvent donner naissance à
des contrefaçons, dans le deuxième cas il n'y a ni original ni copie (en
littérature on peut identifier tout au plus des plagiats). V. Nelson
Goodman, Langages de l'art. Approches d'une théorie des symboles
(1968), J. Chambon, 1990, p. 149 – 151 – Cocon Erudiţian
Chapitre II, dans lequel Mitru Perea propose sa définition
négative de la littérature
14
En fait, s’il ne s’occupe que de la seule poésie, c’est qu’il pense
qu’entre celle-ci et ce qu’il appelle « prose romanesque » ou
« littéraire » « la dif-férence est moins qualitative que quantitative » et
que « c’est par la fréquence de l’écart que se distinguent ces deux genres
littéraires » (p. 22). Ce qu’il appelle prose, tout court, serait une sorte de
« degré zéro de l’écriture ». « On peut figurer le phénomène de style,
précise-t-il, par une ligne droite dont les deux extrémités représentent les
deux pôles, pôle prosaïque d’écart nul et pôle poétique d’écart
maximum » (ibidem).
25
15
Op. cit., p. 12 ; je souligne.
16
Que c’est intéressant : si, au lieu de dire « écart », Cohen avait dit
« différence », par exemple, tout aurait changé ! Je constate qu’on
n’utilise pas impunément les mots et que tout choix est lourd de
conséquences – Cocon Simpliţian
17
« Nous », c’est-à-dire moi, Mitru Perea, et lui, Jean Cohen.
18
Op. cit., p. 51 ; je souligne.
26
19
Et pourquoi le laisser de côté ? J’ai toujours pensé que les poètes sont
un peu malades de la tête, sinon pourquoi est-ce qu’ils n’appellent pas
un chat un chat? – Chir Onochephalos
20
C’est bizarre, ce qu’il dit, mais vrai ! – Chir Onochephalos
21
Op. cit., p. 52.
27
22
Jean Cohen fait à cet égard des remarques ingénieuses et parfaitement
convaincantes. Il affirme, par exemple, qu’il y a une conception
« substantialiste » de la versification (du mètre et de la rime) qui fait de
celle-ci une superstructure affectant la seule substance sonore, un
« ornement qui flatte l’oreille » (une sorte de musicalité) mais n’affecte
en rien le contenu. À cette conception, il oppose non seulement des
arguments empiriques (les poèmes ne sont plus depuis longtemps
chantés, mais lus, dans le silence des bibliothèques, etc.), mais aussi et
surtout des arguments de droit, qu’il affirme (et que je trouve)
dirimants : bien que l’enjambement, par exemple, semble n’être qu’une
discordance du mètre et de la syntaxe, il constitue en fait un rapport
entre le son et le sens. « Le vers donc n’est pas un élément autonome,
s’ajoutant du dehors au contenu. Il est partie intégrante du processus de
signification. Il ne relève pas, comme tel, de la musicologie, mais de la
linguistique » (op. cit., p. 32).
23
Cette équivalence que notre auteur (en suivant d’ailleurs Cohen)
propose entre les représentations mentales et ce qui leur correspond dans
le monde (si tant il est qu’il y a quelque chose qui leur correspond) me
semble un peu forcée – Cocon Simpliţian
28
b) blonds cheveux ;
c) cheveux d’or.
De toute évidence, ces trois syntagmes véhiculent les mêmes repré-
sentations, car ils répondent tous les trois et de façon pertinente à la
question « De quelle couleur sont les cheveux de Jeanne ? ».
N’empêche que le rapport du signifié « blonds » et du signifié
« cheveux » n’est pas le même s’il est désigné à l’aide du signifiant
« d’or » ou « blonds » ou si ce dernier adjectif est postposé ou
antéposé24. Seuls les rapports qui existent entre les représentations
sont de nature linguistique.
Concluons cette discussion en disant qu’on ne saurait ne pas
suivre Jean Cohen et dire que, s’il y a littérarité, elle consiste en
une série d’écarts par rapport à la norme linguistique et entendons
par là qu’il s’agit d’écarts par rapport à la fois à la forme de
l’expression et à la forme du contenu. La poéticité est immanente
au langage et plus exactement à la forme de l’expression et à la
forme du contenu.
Ceci dit, il nous reste à répondre à une dernière question,
dernière du point de vue chronologique, mais d’une extrême
importance : comment identifier les écarts ? Qu’est-ce que nous
savons de la prose, de ce « pôle prosaïque » dont on n’a pas de
manifestation textuelle mais dont la forme la plus proche, selon
Cohen, est le discours scientifique ? Il paraît, affirme avec raison
mon élève, qu’on n’en sait pratiquement rien : « Ce code du
langage par rapport auquel se définit la poésie n’a été explicité
nulle part »25. Jusqu’à présent, aurait-il dû ajouter. Est-ce dire que,
avant qu’on ne s’occupe de la poésie, on devrait procéder à un
examen exhaustif du code « prosaïque »? Il est clair que ce serait
assez coûteux, en termes de temps aussi bien que d’effort
intellectuel, pour quelqu’un qui ne souhaite savoir que ce que
poésie veut dire. Est-ce qu’on ne pourrait pourtant pas en faire
l’économie et essayer, sans trop entrer dans les détails, d’identifier
24
Op. cit., p. 36.
25
Op. cit., p. 50.
29
26
Op. cit., p. 201 ; je souligne.
27
Op. cit., p. 201.
– Je crois que l’auteur commet là une erreur : cet axiome, dit l’auteur,
est valable pour toute communication verbale, or la poésie est elle aussi,
je crois, communication. Son message doit donc être lui aussi
intelligible – Chir Onochephalos
– Ce que tu peux être pressé ! Tu verras que Cohen accepte l’intel-
ligibilité du poème, mais il s’agirait selon lui d’une intelligibilité qui
« n’est plus du même ordre » (p. 201) – Cocon Erudiţian
30
33
Op. cit., p. 69.
34
Op. cit., p. 70.
35
Et encore il s’agit là, dans les vers de Racine, d’une très légère entorse
faite à l’usage courant. Mais que dire de ces vers de Claudel, cités par
Cohen :
Ni
Le marin, ni
Le poisson qu’un autre poisson à manger
Entraîne, mais la chose même et tout le tonneau
Et la veine vive
Et la veine même
Et l’eau même et l’élément. Je joue, je resplendis.
– Cocon Simpliţian
36
Henri Morier, Dictionnaire de Rhétorique et de Poétique, cité par
Cohen.
33
41
Op. cit., p. 105.
42
Cohen formule une hypothèse que je trouve tout à fait séduisante,
notamment qu’il y aurait dans notre tête « un répertoire de phrases
simples possibles qui constitueraient une véritable table de pertinence,
valable tout au moins pour une culture donnée » (op. cit., p. 105) ; ce
répertoire serait, selon moi, la liste de tous les individus qui constituent,
pour une communauté, le monde et la liste de tout ce qu’on peut
prédiquer de chacun d’eux séparément – Cocon Erudiţian
– C’est un peu fou, non ? – Chir Onochephalos
35
telle figure est un écart, Cohen propose une théorie du sens et des
fonctions du langage, théorie s’appuyant à son tour sur ce que
j’appellerai une sorte d’anthropologie. Même si à peine esquissées,
sa théorie sémantique aussi bien que son anthropologie me
semblent à la fois intéressantes et convaincantes.
Il y aurait, selon lui, deux types de sens : le sens dénotatif – le
sens enregistré par les dictionnaires, où le mot est défini selon les
qualités « cognitives » du référent ou, autrement dit, selon les pro-
priétés intrinsèques du référent; et le sens connotatif47, celui qui
désigne les « qualités affectives » du référent48, c’est-à-dire des
propriétés n’appartenant pas à la substance même de ce dernier
mais à ce qu’il produit sur l’observateur49. Ces deux sens
correspondraient à la fonction cognitive et, respectivement, à la
fonction émotive50 de la « conscience ».
Mettons que, regardant le ciel, je constate qu’il est d’un gris
uniforme et qu’aucun oiseau ne se découpe sur lui (fonction
intellectuelle à laquelle correspond le sé1 « le ciel est gris et vide »)
et que, simultanément, j’éprouve une certaine amertume, voire une
angoisse semblable à celle que je ressens devant la mort (fonction
émotive à laquelle correspond le sé2 « trouble, angoisse »). Si,
voulant maintenant communiquer mon expérience, je dis, par
exemple, quelque chose comme Le ciel est gis et vide, je décris
bien le ciel (les épithètes gris et vide actualisent le seul sens
dénotatif), mais je ne communique nullement l’angoisse qui s’est
47
Qu’il désigne aussi comme « sens intellectuel » et « sens émotionnel »
ou encore « sens prosaïque » et « sens poétique » – Cocon Erudiţian
48
Je dois avouer que je trouve tout cela vraiment obscur – Chir
Onochephalos
49
Traditionnellement, on distingue en logique les qualités intrinsèques
(comme étendu, rugueux, etc.), en l’absence desquelles on ne pourrait
pas concevoir un objet, et les qualités extérieures (comme agréable,
beau, etc.), qui ne sont nullement nécessaires à la définition d’un objet.
En effet, essayer de définir une pomme comme « quelque chose que
j’aime » serait bien stupide – Cocon Erudiţian
50
Qu’il appelle également « intellectuelle » ou « représentative » et,
respectivement, « affective ».
37
53
Op. cit., p. 201.
Chapitre III, dans lequel Mitru Perea s’essaie également à une
définition positive de la littérature
54
L’expression est de Jean-François Lyotard qui, dans Le Différend
(Minuit, 1983), défend l’idée qu’il y a plusieurs « régimes de phrases »
(raisonner, décrire, connaître, raconter, ordonner, etc.) et que deux
phrases de « régime hétérogène » ne sont pas traduisibles l’une dans
l’autre parce qu’il n’y a pas de règle commune au divers régimes ; une
phrase n’est « intelligible » qu’à l’intérieur de son régime – Cocon
Erudiţian
43
57
Notre auteur a raison de s’adresser à Jakobson car il partage avec ce
dernier bien des idées, témoin le passage suivant : « L’objet de la
poétique, c’est avant tout, de répondre à la question: Qu’est-ce qui fait
d’un message verbal une œuvre d’art? Comme cet objet concerne la
différence spécifique qui sépare l’art du langage des autres arts et des
autres conduites verbales, la poétique a droit à la première place parmi
les études littéraires. […] La poétique a affaire à des problèmes de
structure linguistique. […]. Comme la linguistique est la science globale
des structures linguistiques, la poétique peut être considérée comme
faisant partie intégrante de la linguistique. » – Roman Jakobson,
« Linguistique et poétique » (1960) in Essais de linguistique générale,
Minuit, 1963, p.
58
Voilà ce qu’il dit dans « Qu’est-ce que la poésie ? » (1934 - 1935) : « Si
nous voulons définir cette notion, nous devons lui opposer ce qui n’est
pas poésie. Mais dire ce que la poésie n’est pas, ce n’est pas aujourd’hui
si facile » (Questions de poétique, Éditions du Seuil, 1973, p. 113) –
Cocon Erudiţian
45
CONTEXTE
DESTINATEUR ……… MESSAGE DESTINATAIRE
………
CONTACT
CODE
59
Op. cit., p. 213.
60
Pour une raison que me semble obscure, Jakobson rejette le terme de
référent, qu’il trouve ambigu – Cocon Erudiţian
46
référentielle
émotive poétique conative
phatique
métalinguistique
1. 2. 3. 4. 5. 6.
1 mon matou se trouve devant une chaise
.
65
« Selon quel critère linguistique reconnaît-on empiriquement la
fonction poétique? En particulier, quel est l’élément dont la présence est
indispensable dans toute œuvre poétique? » – Op. cit., p. 220.
66
Rien de plus simple : on ouvre la bouche et on produit des bruits –
Cocon Simpliţian
67
Roman Jakobson (« Deux aspects du langage et deux types d’aphasie »,
Essais de linguistique générale, éd. cit., p. 48) se rapporte explicitement
à cet égard à Saussure qui, dans son Cours, parlait de deux types
d’arrangements des signes : in praesentia, arrangement où « deux ou
plusieurs termes [sont] également présents dans une série effective »,
alors que le second « unit des termes in absentia dans une série
mnémonique virtuelle. » – Cocon Erudiţian
49
68
Ils peuvent apparaître tous au même endroit de la chaîne – Cocon
Simpliţian
50
69
« Linguistique et poétique », loc. cit., p. 220.
70
Ibidem.
71
Op. cit., p. 238.
72
« le poème, hésitation prolongée entre le son et le sens » (Tel Quel II,
Pléiade II, p. 637) – Cocon Erudiţian
73
Op. cit., p. 238.
51
76
Daniel Delas – Jacques Filliolet, Linguistique et poétique, Larousse,
« Université », 1973, p. 41.
53
77
On pourrait rétorquer que cette définition n’est pas valable pour l’ensemble
de la littérature, car Jakobson s’en tient à la seule poésie, donc à un de ses
sous-genres et que ce qu’il dit ne caractérise donc pas tous les textes
littéraires. Mais Jakobson a prévenu ce reproche – et je lui en sais gré – en
disant (tout comme Cohen, par ailleurs, lorsqu’il parle de la prose littéraire)
qu’il s’agit là d’une question de degré et non pas de nature : « Dans la
‘composition non versifiée’ […] les parallélismes sont moins strictement
marqués que dans le ‘parallélisme continuel’, et il n’y a pas de figure
phonique dominante : aussi la prose présente à la poétique des problèmes
plus compliqués, comme c’est toujours le cas en linguistique pour les
phénomènes de transition. »
78
« Le parallélisme grammatical », Questions de poétique, Seuil, 1974, p.
27(9).
79
Jean-Claude Coquet, « Poétique et linguistique » in A. J. Greimas,
Essais de sémiotique poétique, Larousse, 1972, p. 28.
54
85
V. à ce sujet, entre autres, « L’art comme procédé » (1925) de Victor
Chklovski in Tzvetan Todorov (éd.), Théorie de la littérature, Éditions
du Seuil, 1965. Chklovski affirme que notre perception ordinaire – du
langage et du monde – est émoussée par l’habitude : « L’objet passe à
côté de nous comme empaqueté, nous savons qu’il existe d’après la
place qu’il occupe. Sous l’influence d’une telle perception, l’objet
dépérit, d’abord comme perception, ensuite dans sa reproduction » (p.
82). Selon lui, l’art nous libère de cet « automatisme perceptif » et nous
fait parcourir le chemin inverse, de la reconnaissance des mots et des
objets, à leur perception. – Cocon Erudiţian
86
De plus, elle le fait d’une façon bien élégante, car elle explique tous les
traits caractéristiques à partir d’un seul principe, celui du parallélisme.
Cette simplicité est bien louable – Cocon Simpliţian
57
par les symétries qu’il présente, montre que je me suis une fois de
plus un petit peu trop avancé en me ralliant inconditionnellement à
la théorie de Jakobson. Pour peu qu’on réfléchisse on constate qu’il
est extrêmement rare qu’un lexème, par exemple, corresponde à un
phonème ; par ailleurs, si une combinaison de sémèmes conduit à
un énoncé sémantique, la combinaison linéaire des phonèmes
produit des unités syllabes, et il est clair que, sauf de très rares
exceptions, à un énoncé sémantique correspond plusieurs unités-
syllabes. De deux choses l’une : ou bien le texte poétique est
constitué de lexèmes non seulement mono-sémémiques, mais aussi
monosyllabiques correspondant chacun, de plus, à un énoncé
sémantique complet, ou bien le principe du parallélisme, en dépit
de la séduction qu’il a exercée sur moi, n’est pas défendable.
Comme la connaissance que nous avons des textes poétiques
montre à l’évidence qu’on ne saurait suivre la première hypothèse.
Conclusion : à ma grande déception, le principe du parallélisme
n’est pas défendable.
Ou plutôt il n’est pas entièrement défendable, car voilà ce qu’un
élève de Jakobson affirme : « L’isomorphisme […] ne conduit
donc pas à l’homologation terme à terme, segment phonétique à
segment sémantique des deux plans du discours poétique. Si
l’homologation est possible, elle apparaît sous la forme d’une
corrélation d’un autre type. […] On peut, par exemple, chercher à
définir la spécificité du discours poétique par la co-occurrence, sur
le plan de la manifestation, de deux discours parallèles, l’un
phonémique et l’autre sémantique, se déroulant simultanément,
chacun sur son plan autonome et produisant des régularités
formelles comparables et éventuellement homologables :
régularités discursives qui obéiraient à une double grammaire
poétique située au niveau des structures profondes. […] [On
pourrait envisager] la possibilité d’organisations discursives –
phonémiques et sémémiques – parallèles ; les taxies phémiques et
sémiques, finalement, situées au niveau plus profond,
59
89
A.-J. Greimas, « Pour une théorie du discours poétique » in A. J.
Greimas, Essais de sémiotique poétique, Larousse, 1972, p. 28.
90
Elle n’est pas très bonne, mais enfin, c’est un exemple comme un
autre ! – Cocon Simpliţian
91
Mais je n’ai pas ri, moi ! – Chir Onochephalos
60
92
L’explication de Greimas est différente : il y aurait là un plaisir
engendré par la découverte de deux isotopies à l’intérieur d’un récit
supposé homogène ; autrement dit : plus le texte comporte des isotopies,
plus on y prend plaisir et plus on rit – Chir Onochephalos
93
A.-J. Greimas, Sémantique structurale, Larousse, 1966, p. 30.
94
A.-J. Greimas, Du sens, Seuil, 1970, p. 10.
61
95
François RASTIER, « Systématique des isotopies » in A.-J. Greimas,
Essais de sémiotique poétique, Larousse, 1972, p. 82 ; je souligne –
Mitru Perea
Dans la conclusion de sa recherche, Rastier l’inscrit dans le cadre
d’une théorie de la lecture, théorie qui, dit-il, « devra rompre avec le
présupposé de la linéarité du discours, discutable à tous les niveaux
linguistiques » (p. 106). « Une telle théorie, ajoute-t-il, permettrait de
définir à tous les niveaux linguistiques ce système de redondances
instituant dans un texte les cohérences et les incohérences, réglées, qui
le constituent en discours » (ibidem). Il y a quand même dans son texte,
tout au début, certaines affirmations que je n’ai pas encore réussi à
comprendre : il affirme par exemple que la poétique « n’a pas d’objet
qui soit scientifiquement défini » et que « la littérature n’est visible qu’à
l’intérieur du système idéologique qui a défini nos arts et nos discours »
(p. 81) – Cocon Erudiţian
62
102
Op. cit., p. 55.
103
Op. cit., 2e partie, chap. II.
65
104
Vous remarquerez que le Groupe μ prend une fois de plus ses distances
avec Rastier, car pour ce dernier une isotopie est obligatoirement
manifestée par au moins deux lexèmes – Mitru Perea
105
Mais où est-il allé chercher tout cela ! – Chir Onochephalos.
– De plus, l’auteur présente d’une manière très, mais très approximative
l’analyse, autrement intéressante, proposée par le Groupe μ – Cocon
Erudiţian
66
que toutes les fois où je dis ici, je dois interpréter cette expression
en tenant compte de l’endroit où je me trouve et comme je bouge
beaucoup cette expression doit être en permanence réinterprétée. Il
ne s’agit donc pas là d’une caractéristique des textes littéraires mais
de toute communication verbale et ce n’est pas ce que nous
cherchions.
Pour ce qui est de ce que Bertinetto appelle « l’établissement de
critères de vérité spécifiques », au sens que l’œuvre littéraire
référerait à un monde qui pourrait être très différent de celui de
notre expérience mais que nous, lecteurs, nous pouvons toujours
l’« ajuster », pour ainsi dire, à notre contexte existentiel concret et
même le considérer comme une sorte de verbalisation exemplaire
d’un tel contexte, eh bien, une fois de plus je dois avouer qu’il ne
remplit pas les conditions mentionnées, car il ne concerne pas le
texte lui-même mais son utilisation : c’est moi, lecteur, qui
compare l’univers de sens avec mon contexte existentiel, c’est moi
qui trouve qu’il entre en contradiction avec ce dernier, etc. Et si
j’étais Martien ? Et si mon contexte existentiel était tout autre ?
Nous en venons ainsi à la « circularité sémantique » : le sens
des lexèmes apparaissant dans un texte littéraire ne pourrait pas
être établi par référence à ses valeurs usuelles mais par l’interaction
mutuelle de tous les mots qui constituent le texte en question. On
se rappelle par exemple le distique de Toulet : vu qu’il se trouvait à
la rime et que le vers suivant se terminait par le lexème morts, le
mot remords devait être réinterprété comme re-mort, nouvelle
mort. Mais s’agit-il là d’une propriété des seuls textes littéraires ?
Est-ce qu’il n’est pas vrai de tous les textes ? Est-ce que les mots
peuvent avoir un sens indépendant de tout contexte d’utilisation ?
Il est clair que la réponse ne saurait être que négative. Si je ne lui
l’ignore pour le moment), parle non seulement des déictiques mais aussi
des noms propres, tels que les noms de ville par exemple, dont la
dimension référentielle serait, selon lui, affaiblie : « Rouen » dans un
roman de Flaubert ne renverrait pas nécessairement à la ville de Rouen
figurant sur les cartes de la France mais à une ville quelconque – Cocon
Erudiţian
71
113
Je me demandais tout à l’heure pour qui il se prend ; maintenant, je le
sais – Chir Onochephalos.
72
114
C’est le raisonnement que se sont tenu les herméneutes – Cocon
Erudiţian
115
À l’amertume qui me semble résonner dans les derniers paragraphes, à
l’allure cavalière de la discussion, je crois que, dépité par les deux
échecs essuyés jusqu’à présent, dépité également par le fait que les
premières caractéristiques inventoriées par Bertinetto se sont avérées,
semble-t-il, illusoires, l’auteur est en train de ne plus vouloir examiner
toute la liste avec l’attention requise. Dommage ! Il risque de jeter le
bébé avec l’eau du bain – Cocon Simpliţian
73
116
Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, Paris,
Gallimard, 1961, § 7.
Chapitre V, dans lequel Cocon Erudiţian intervient de façon
intempestive pour mettre au point certaines choses
118
C. W. Morris, Foundations of the Theory of Signs, Chicago, 1938, ch.
3 - 5.
77
119
Je ne sais plus qui est qui. Et, en général, je pense que les gens se
compliquent trop – Chir Onochephalos
120
« Faites de sorte que votre contribution conversationnelle soit telle
qu’elle est demandée, au moment où elle apparaît, par le but accepté ou
par la direction de l’échange linguistique dans laquelle vous êtes
engagé » – H. P. Grice, « Logic and Conversation » in Peter Cole &
Jerry L. Morgan (éd.), Syntax and Semantics. 3. Speech Acts, New York,
Londres, Academic Press Inc., 1975
78
121
J’ai présenté assez librement la théorie développée par H. P. Grice in
« Meaning », Philosophical Review, LXVI, n’ 3 (juillet 1957) et « Logic
and Conversation », loc. cit.; v. aussi Oswald Ducrot – Jean-Marie
Schaeffer, Nouveau dictionnaire encyclopédique des sciences du
langage, Paris, Seuil, 1995, p. 475 – 477.
122
« le langage est structuré intrinsèquement pour et par la
communication » – J. W. Oller, « On the relations between Syntax,
Semantics and Pragmatics », Linguistics, 1972, p. 45.
79
128
Op. cit., p. 44.
85
132
Wolfgang Iser, L’Acte de lecture. Théorie de l’effet esthétique,
Bruxelles, Pierre Mardaga Éditeur, 1985, p. 43.
133
Op. cit., p. 50.
134
Op. cit., p. 37.
87
147
Op. cit., p. 113.
148
Ibidem.
149
Comme chez Jakobson (qu’il cite, d’ailleurs, p. 179), à cette différence
près que chez ce dernier il s’agissait de signes, alors que chez Iser il
s’agit d’éléments de signification puisés dans une sorte
d’« encyclopédie ». Tout à l’heure, par exemple, lorsqu’il disait que le
personnage de Balzac avait froid, l’auteur « calculait » cette information
à partir d’un renseignement fourni par le pôle texte (notamment « le
vêtement était de très mince apparence ») et d’informations figurant
dans son propre savoir encyclopédique (« chez nous, au mois de
décembre il fait froid » ; « pour ne pas avoir froid on doit être
chaudement vêtu ») – Cocon Erudiţian
92
156
Pourquoi « se demander » ce que c’est que la fiction ? Comme
toujours, l’auteur se complique et soulève de faux problèmes ! Tout le
monde sait ce que c’est que la fiction : c’est quelque chose d’inventé,
quelque chose qui n’existe pas en réalité – Chir Onochephalos
157
L’auteur simplifie (et modifie légèrement) la définition bien plus
technique de Siegfrieg J. Schmidt (« Towards a pragmatic interpretation
of "fictionality" » in Teun A. van Dijk (éd.), Pragmatics of Language
and Literature, Amsterdam, North-Holland Publ. Comp. – Oxford
American Elsevier Publ. Comp. Inc, 1976, p. 168) : « si un locuteur L
énonce p sachant que p est faux dans EW (=le monde de notre
expérience) et si L a l’intention de faire accroire à l’auditeur A que p est
97
159
L’auteur suit ici John R. Searle, Les Actes de langages, Paris,
Hermann, 1972, ch. 3 et 4 – Cocon Erudiţian
160
« Comme si » : on ne doit pas penser que le poète énonce
effectivement cette phrase, mais que tout se passe comme s’il le faisait.
En fait, il s’agirait là d’une convention socialement établie et tacitement
acceptée par tous les participants – Cocon Simpliţian
99
165
Par force illocutionnaire on comprend, à la suite de Austin, la capacité
d’un énoncé de produire, du simple fait de son énonciation, un certain
effet dans le monde : je ne peux promettre qu’en disant « je promets » ;
par effet perlocutionnaire on comprend ou bien un effet non voulu (en
parlant, j’ennuie mes interlocuteurs) ou bien un effet non immédiat, qui
ne résulte pas automatiquement de l’application des règles (je peux
interroger quelqu’un pour le faire rougir). – Cocon Erudiţian
166
Samuel R. Levin, Op. cit., p. 152 ; on retrouve Coleridge avec sa
« suspension de l’incrédulité ».
101
167
Ibidem, , p. 154.
168
Ibidem.
169
On peut par exemple dire à quelqu’un : « Passe me voir cet après-
midi ! ». Il s’agit là bien d’une invitation qu’on fait sans recourir au
verbe « inviter » – Cocon Simpliţian
– On peut rétorquer qu’il s’agit là d’une phrase qui est issue, grâce à
diverses transformations, de « Je t’invite chez moi cet après-midi –
Erudiţian
102
170
« The Logical Status of Fictional Discourse », New Literary History,
1975, 6, 2 ; trad. roum. in Mircea Borcilă – Richard McLain (éd.),
Poetica americană. Orientări actuale, Cluj-Napoca, Dacia, 1981.
171
Je me demandais s’il allait reconnaître sa dette envers Searle ; il le fait,
mais à moitié, car la critique de l’incrédulité appartient toujours à
103
176
Ibidem.
177
Op. cit., p. 219.
178
Je vois maintenant pourquoi l’auteur a pris soin de souligner à
plusieurs reprises que les règles de le la communication sérieuse et non
sérieuse ne sont pas de nature sémantique et qu’elles sont extérieures à
la compétence linguistique des usagers d’une langue – Cocon Simpliţian
105
179
C’est la définition donnée par le Lexis – Cocon Erudiţian
Vous voyez que je ne suis pas le seul à proposer une définition pareille –
Chir Onochephalos
106
180
Ça veut dire quoi, « cyclothymique » ? – Chir Onochephalos
181
C’est un auteur français de la fin du XIXe siècle qui a donné cette
définition du dilettante. Barrès, je crois. – Cocon Erudiţian
182
Il n’y va pas de main morte ! – Chir Onochephalos
109
autres aspects, entre le poème en prose et le roman. 187 Ils ont tous
un «air de famille » sans qu’il y ait pour autant une quelconque
« essence » qui s’incarnerait en chacun d’eux.
Le concept d’art (et par conséquent celui de littérature aussi)
serait donc un concept ouvert. Ou plutôt un concept qu’on devrait
considérer comme ouvert. « Un concept est ouvert si ses conditions
d'application peuvent être amendées et corrigées; c'est-à-dire si on
peut imaginer ou établir une situation ou un cas qui ferait appel à
quelque espèce de décision de notre part, en vue soit d'étendre
l'usage du concept de façon à le couvrir, soit de clore le concept ou
d'en inventer un nouveau pour traiter le nouveau cas et sa nouvelle
propriété »188
D’une façon brutale : un concept est ouvert si on peut décider à
un moment donné de l’utiliser en référence à un objet qui n’a que
de vagues ressemblances avec les objets auxquels on l’a jusque-là
appliqué communément. Voire aucune. Et, suite à cette décision
carrément arbitraire, les propriétés singulières de cet objet
compteront désormais comme référence pour l’établissement d’une
nouvelle plage de similitudes. Les propriétés invoquées par un
concept ouvert ne sont ni nécessaires, ni suffisantes pour saisir une
quelconque essence, latente ou manifeste : ce sont là autant de
187
Ces exemples ne se trouvent pas dans l’article de Weitz ; je crois que
c’est Mitru Perea, l’auteur de cette étude, qui les a inventés, dans l’esprit
de Weitz, et je l’en félicite car cela montre qu’il est de bonne volonté et
qu’il s’efforce de penser avec un auteur dont les opinions sont
diamétralement opposées aux siennes– Cocon Erudiţian
188
Op. cit., p. 32.
118
191
Toute réflexion faite, Weitz a tort de parler d’une impossibilité
logique – l’impossibilité logique d’un concept réel de l’art. Il s’agit là
plutôt d’un parti pris, un préjugé des Temps Modernes : le parti pris
d’originalité. Une règle d’or de la tragédie classique, par exemple, était
l’imitation : les Anciens ayant déjà tout fait, et parfaitement, et il serait
donc vain, voire stupide d’essayer d’innover, d’essayer de produire
quelque chose de nouveau. Pour eux, le concept de tragédie était un
concept clos et, s’il avait vécu à l’époque, Weitz n’aurait peut-être pas
pensé à la nécessité de l’« ouvrir » pour permettre l’apparition de
nouvelles formes de tragédie – Cocon Erudiţian
192
Op. cit., p. 34.
193
Ibidem.
120
197
Ayant à son tour des sous-classes : poésie, roman, théâtre.
Chapitre X, dans lequel on assiste à la deuxième intervention de
Cocon Erudiţian au sujet cette fois de ce qu’il appelle
une « révolution du regard »
qui est, pour parler avec Aristote. La pro-duction n’était pas l’af-
faire des seuls artisans et artistes, mais aussi de la nature :
l’apparition des fleurs sur une branche d’abricotier était toujours
ποιησις, pro-duction, venue dans la présence, dans le présent,
avènement. Les cothurnes qui sortaient des mains d’un cordonnier
de même. Une maison, des armes, une théorie également. Entre
fleurs, cothurnes, armes, poèmes, théorèmes, il n’y avait pas de
différence fondamentale : c’était là autant de pro-duits, autant de
choses conduites à la présence, dans la présence.199
L’art était donc faire-venir et simultanément savoir-faire200, avec
un accent particulier toutefois sur le second terme. Pour Aristote il
était « la disposition permanente à produire conformément à un
raisonnement exact ». Pour Thomas d’Aquin c’était « recto rationi
factibilium », « la raison correcte du faisable ». En reculant dans le
temps jusqu’au stoïcien Kleantes on apprend qu’il était « la
capacité de tracer une voie ». D’ailleurs, pour l’ensemble des
stoïciens à la base d’un art il y avait un système de règles, qu’ils
désignaient brièvement comme « le système ». Ce dernier terme
figure aussi dans la définition qui, selon Tatarkiewicz, aurait été
acceptée dans l’espace européen depuis les Grecs jusqu’au XVII e
siècle et même plus tard (il cite même le dictionnaire de termes
philosophiques de Lalande, mais il précise toutefois que cette
définition y figure à titre historique) : Ars est systema
praeceptorum universalium, consentientium, ad unum eundemque
finem tendentium », « l’art est le système de préceptes universels,
compatibles, tendant à une seule et même fin. »201
Certes, si les Grecs et leurs successeurs ne voyaient pas de
différence fondamentale entre navires, chaussures, guerres et
théorèmes, tout étant pro-duction réglée, ils les distribuaient quand
même dans des classes différentes en faisant jouer des critères qui,
bien que d’une grande diversité en apparence, avaient tous ceci de
199
Ça me semble assez obscur – Chir Onochephalos
200
Je comprends maintenant la note 3, page 8 de Cocon Erudiţian où il
disait que les anciennes poétiques étaient du type faites…, ne faites
pas… – Cocon Simpliţian.
201
Op. cit., p. 52 – Cocon Simpliţian.
126
202
C’est une classification de Hugues de Saint-Victor, auteur du XII e
siècle – Cocon Erudiţian
128
203
Il s’agit en fait de ce que nous nommons beaux-arts – Cocon
Simpliţian
204
Pour nous il n’y a évidemment pas de commune mesure entre la
guerre, l’éclosion d’une fleur, la composition d’une tragédie et
l’élaboration d’un théorème.
205
Cabinet des beaux-arts.
129
206
En anglais on hésite à l’époque entre polite arts, ensuite elegant arts et
fine arts – Cocon Erudiţian
207
Selon Tatarkiewicz, « la définition de Batteux a été l’événement le
plus important de l’histoire européenne de la classification des arts »
(Op. cit., p. 112).
208
C’est un présupposé qui se trouve aussi à la base de la poétique.
130
des objets qui sont plus près d’elle ou plus grands par rapport à
elle, et moins distincte des objets plus lointains et plus petits. La
différence entre les diverses monades – et c’est là quelque chose
d’extrêmement important – n’est pas dans l’objet de la perception
(ou de la représentation) mais dans le degré de clarté (ou
d’obscurité) de la perception.
On se rappelle également que, aux yeux de Leibniz, nous
sommes des agrégats de monades : il y a en nous une monade
centrale, – l’âme –, et d’autres monades qui forment notre corps,
avec ses organes, ses sens, etc. Comme la différence, disions-nous
tout à l’heure, entre les monades n’est pas de nature mais de degré,
il résulte que, de la même manière que notre « âme » aboutit à une
certaine image « claire » de l’ensemble de l’univers, image que
nous appelons connaissance, nos sens aussi « connaissent » le
monde, à cette différence près que le savoir qui se forme dans les
sens est plus obscur. Et de la même manière qu’il y a une science
de ce qu’on allait appeler désormais la connaissance intellectuelle,
« je ne doute pas, affirme Baumgarten, qu’il puisse exister aussi
une science susceptible de guider la connaissance inférieure, en
d’autres termes, une science de la connaissance sensible. » Cette
science du « concept sensible »212, c’est l’esthétique.
J’avoue, je le disais déjà, que cette mutation inaugurale des
Temps modernes est quelque chose de déconcertant pour moi, et
surtout d’inquiétant, parce que tout cela m’incite à penser qu’il n’y
a pas de données immédiates de la conscience. Et ce non seulement
dans le sens où mon illustre contemporain Kant disait que le
monde-pour-moi dépend de la structure de mon intellect, ce qui ne
serait pas vraiment grave car cela n’exclurait pas la possibilité des
gens de se comprendre entre eux vu qu’il considérait que cette
structure était la même pour tous : si ce que Kant dit était vrai, les
anciens Grecs et les Européens modernes auraient « construit » des
212
C’est la manière dont il définit le beau : en tant que concept il est
général, comme les concepts de l’entendement ; sensible, il est
particulier, unique, comme toute chose qui tombe sous les sens – Cocon
Simpliţian
132
213
Le concept appartient à Paul Feyerabend, Adieu la raison, tr. fr., Éd.
du Seuil, « Points. Sciences », 1989, p. 140 – 144 – Cocon Erudiţian
214
Op. cit., p. 124.
215
Ibidem.
133
216
Remarquons au passage qu’il parle lui aussi de la mort des dieux grecs
d’une manière qui aurait déterminé un Queneau à le traiter de plagiaire
par anticipation : « Il n’existe plus pour [nos artistes] ce monde tout à la
fois réel et imaginaire, ce peuple d’êtres abstraits, dont le corps ne
devaient être que des enveloppes, si l’on peut dire, transparentes, de
toutes les perfections immatérielles. Il est détruit pour eux cet empire
des fictions... » – Considérations morales sur la destination des
ouvrages de l’art. Ou de l’influence de leur emploi sur le génie et le
goût de ceux qui les produisent ou qui les jugent, et sur le sentiment de
ceux qui en jouissent et en reçoivent l’impression (1807), Fayard, 1989,
p. 19.
217
En effet, le Louvre ne devient le « Muséum central des arts » qu’en
1792 – Cocon Adevărovici
218
Op. cit., p. 17
219
Je ne crois pas que Cocon Erudiţian cite textuellement Quatremère de
Quincy, car ce sont là des concepts du XXe siècle – Cocon Simpliţian
produire sur lui un certain effet. Il en est de même du véritable
sculpteur qui, lorsqu’il façonne sa statue, la destine à un certain
emplacement (à telle place publique par exemple) et à un certain
public : pour lui, son ouvrage doit faire quelque chose, il doit
produire un certain effet (moral). Et ce n’est que ce public qui peut,
la regardant dans son cadre pour lequel il a été conçu et s’appuyant
sur ses croyances, ses dogmes, ses « institutions pratiques »
(croyances, dogmes et institutions variables d’un pays à l’autre,
d’une époque à l’autre), saisir l’intention de l’artiste, la
signification de la statue, le sens du bras levé, etc. Or, en coupant
cette statue du contexte physique et « moral » auquel elle était
destinée et dans lequel elle pouvait faire de l’effet, en lui donnant
pour contexte d’autres statues, d’autres œuvres d’art, les musées
« déhistoricisent », dirait Quatremère de Quincy aujourd’hui, les
œuvres et incitent le spectateur à ne faire usage que de son « sens
externe » (la vue qui, on l’a vu, de tous nos sens, se lasse le plus
promptement) et, par conséquent, à ne voir dans l’œuvre que la
beauté physique, beauté comme chacun sait inférieure. Dans les
salles du musée, la statue déplacée de l’Acropole cesse de produire
quoi que ce soit et se contente d’être. Elle est, tout simplement, du
marbre modelé. Lisons le passage suivant, peut-être un peu trop
long mais sûrement instructif, dans lequel Quatremère de Quincy
présente synthétiquement la position de l’amateur dans « ces
rassemblements universels de productions de tout genre » que sont
les musées220 :
« La manie des collections, et l’abus des ouvrages qu’on
destinerait à les grossir, ont pour inconvénient principal, d’enlever
aux Arts ce qui est leur légitime patrimoine, de les déshériter, en
quelque sorte, en les bannissant de tous les emplois politiques,
religieux et moraux. Ce faux honneur fait aux objets qu’on enferme
avec tant de respect les déprime dans l’opinion publique, plus qu’il
n’en relève le prix. On s’habitue à en juger comme on juge d’un
220
Op. cit., p. 37.
135
224
Cf. Le Lexis, art. littérature.
Chapitre XI, dans lequel Mitru Perea propose, bizarrement, une
théorie institutionnelle de la littérature
Le monde de l’art
A B
229
Op. cit., p. 191 – Cocon Erudiţian
Vraiment, je me sens un peu perdu – Chir Onochephalos
Moi aussi. Franchement, je crois que l’auteur se complique trop – Chir
Simpliţian
142
230
Encore ? ! ! ! – Chir Onochephalos
231
Op. cit., p. 189.
143
236
« Le monde de l’art », in Danielle Lories (éd.), Philosophie analytique
et esthétique, Méridiens Kliencksieck, 1988, p. 193.
147
les objets du monde réel et les faire entrer dans un monde différent,
[...] un monde d’objets interprétés. »237
Le monde de l’art est peuplé de théories artistiques (plus ou
moins harmonieuses, plus ou moins concurrentes), d’œuvres d’art
et, bien sûr, d’un nombre de personnes qui produisent/apprennent
les théories artistiques en question et qui produisent/consomment
des ouvres d’art. Et comme le propos de ce livre est de répondre à
la question « qu’est-ce que la littérature ? », question qui, chemin
faisant, est devenu plus générale se transformant en « qu’est-ce que
l’art ? », voyons rapidement ce qu’on peut dire de sensé dans le
cadre de ce qui vient d’être dit au sujet des deux premières classes
d’« habitants » du monde de l’art, les œuvres et les théories. Pour
ce qui est des acteurs, j’ai dans l’idée qu’il nous faudra leur
consacrer sous peu toute notre attention.
« Un objet o n’est une œuvre d’art, affirme Danto, que
relativement à une interprétation I qui est une sorte de fonction
grâce à laquelle o est transfiguré en une œuvre : I(o)=OE. »238 À
peu près de la même manière que pour Berkeley être c’est être
perçu, l’esse de l’œuvre d’art est interpretari. Cette interprétation a
comme condition sine qua non l’existence d’une théorie, quelle
qu’elle soit : pas d’art sans une théorie de l’art! Théories artistiques
et œuvres d’art sont inextricablement liées, car c’est la théorie qui
les constitue239 : « Voir une œuvre sans savoir qu’il s’agit d’une
œuvre d’art est comparable à l’expérience qu’on peut avoir de
l’écriture sans avoir appris à lire : la voir comme une œuvre d’art
c’est donc passer du domaine des simples objets à celui de la
signification. »240
Il n’y a pas d’identité (complète) entre l’objet réel o et l’œuvre
d’art. D’une part, même si o est une constante perceptive (comme
dans le cas des deux fresques), toute variation de I aboutit à des
237
La Transfiguration du banal, p. 218.
238
Ibidem, p. 203.
239
« un des usages des théories [...] consiste à rendre l’art possible » –
ibidem, p. 184.
240
Ibidem, p. 203.
148
Conférer un statut
Pour voir ce que c’est que conférer un statut, procédons comme
Wittgenstein lorsqu’il se demande ce que c’est qu’un jeu :
essayons de voir concrètement comment on le fait et ce qu’on fait.
Tout d’abord un statut légal, ensuite un statut non légal. Voyons,
par exemple, comment on confère dans une société comme la nôtre
le statut de personnes mariées à un homme et à une femme. 243
Comme nous le savons tous, tout se passe dans le cadre d’une
241
Ibidem, p. 168.
242
Je saisis l’occasion pour dire que Danto a des réserves quant à la
théorie institutionnelle. V. La Transfiguration du banal, p. 156 – 161 –
Cocon Erudiţian
149
243
Je trouve quand même déplacé qu’on parle mariage dans un livre de
théorie littéraire – Cocon Onochephalos
244
Reste à savoir pourquoi on obéit aux institutions – Dubitanţius
245
L’auteur a raison de faire cette précision, car les règles de politesse
varient d’une communauté à l’autre et d’une époque à l’autre : roter
durant un repas est pour nous une conduite grossière, alors que pour un
Chinois c’est exprimer à votre hôte de la reconnaissance pour le repas
offert – Cocon Erudiţian
150
249
La première partie – « cet x est bon (mauvais) » – peut en fait n’être
que sous-entendue – Cocon Erudiţian
250
David Hume, Les Essais esthétiques, Paris, Vrin, l974, t. 2, p. 87.
155
etc. sous une rubrique ou sous une autre, il suffirait d’inspecter ses
caractéristiques directement observables ou les propriétés
déductibles de ses caractéristiques directement observables. À
première vue tout au moins, il y a là des affirmations de bon sens,
car les belles femmes semblent bel et bien exister, aussi bien que
les belles voitures ou les chiens méchants.
Même si elle est spontanément adoptée par le bon sens si
généreusement et surtout, si équitablement répandu, cette théorie
n’est pas défendable ; ou, tout au moins, elle n’est plus défendue
depuis Principia Ethica, de G. E. Moore251, ouvrage qui s’attaque
entre autres à ce que son auteur appelle « l’erreur naturaliste ».
Voyons pourquoi.
Si le terme évaluatif était un terme descriptif, un énoncé comme
Marie est belle, parce qu’elle grande, blonde et a des yeux
bleus
serait en tout point similaire à cet autre énoncé
Marie est célibataire, parce qu’elle n’est pas mariée.
Or, il n’en est rien. Si le premier énoncé a l’air tout à fait
acceptable, le second est bien bizarre, car ce qui succède à parce
que – elle n’est pas mariée – et qui se présente comme
l’explication de l’assertion Elle est célibataire est déjà compris
dans l’attribut célibataire et n’explique donc absolument rien. On
devrait faire de bien grands efforts d’imagination pour trouver une
situation où l’énoncé serait tant soit peu acceptable. Je devrais par
exemple imaginer que je vois Marie, que je constate qu’elle n’a pas
251
V. G. E. Moore, Principia Ethica (1903), Editura Du Style, 1997, §§
10 – 14 ; les arguments de Moore ont été critiqués à plusieurs reprises et
ont trouvé leur formulation standard chez Richard Hare, The Language
of Morals, Oxford, Clarendon Press, 1952, pp. 85 – 93. Pour une
présentation détaillée du réalisme (ou du « cognitivisme ») et de « l’anti-
cognivisme », v. Meta-etica contemporană de Svetozar Stojanivić,
Editura ştiinţifică, 1971, et, pour les développements plus récents, Alain
Montefiore & Valentin Mureşan (éditeurs), Filozofia morală britanică,
Alternative, 1998, surtout « Realismul moral », de Helen Steward –
Cocon Erudiţian
157
252
Je ne désigne pas non plus une « propriété non naturelle » – c’est là la
croyance de Moore –, pour la bonne raison que l’existence d’une
propriété que notre expérience ignore ne peut être prouvée ni donc
défendue.
253
Ô, combien de belles femmes j’ai connues ! Ce que l’auteur dit me fait
rire ! – Chir Onochephalos
158
toute autre chose) qu’elle est belle ?254 Est-ce que la réponse
naturaliste (ou cognitiviste, ou encore réaliste, etc.) est la seule
possible ?
« J’exprime mon attitude à son égard », répondent les tenants de
la théorie diamétralement opposée, l’« émotivisme »255. En dépit de
sa forme assertive, un énoncé comme « cet x est beau » ne serait
pas un énoncé factuel (= il serait dépourvu de signification
descriptive), mais quelque chose qu’on pourrait assimiler aux
exclamations, aux interjections, etc., expressions qui indiquent
notre approbation (ou désapprobation). L’énoncé « Cette femme
est belle » ne serait qu’en apparence une assertion ; en fait, d’un
certain point de vue, il serait l’équivalent de « Cette femme ! ».
Si une assertion résulte d’un raisonnement et peut susciter
l’accord ou le désaccord (elle peut être déclarée correcte ou
incorrecte, vraie ou fausse), une expression contenant un terme
axiologique résulterait de l’existence d’un certain état interne et ne
saurait susciter de désaccord (elle pourrait être déclarée sincère ou
insincère, mais non pas fausse ou vraie) : de gustibus non
disputandum ! S’il y a des disputes pourtant lors d’un jugement
évaluatif, elles ne porteraient pas sur le jugement proprement dit,
mais sur ses justifications (« ce tableau est beau, parce qu’il est
rectangulaire ») : ces dernières se rapporteraient, il est vrai, aux
propriétés empiriques des objets évalués et seraient donc
falsifiables, mais elles seraient extérieures à l’évaluation. En
contestant, par exemple, son affirmation selon laquelle le tableau
est rectangulaire, je ne voudrais donc pas contester l’attitude
exprimée par mon interlocuteur : j’essaierai tout simplement de lui
faire comprendre que l’objet en question n’a pas les propriétés qu’il
lui attribue et que, par conséquent, son attitude est inadéquate. Tout
se passe comme si je lui disais quelque chose comme : « Tu as
254
Excepté les exemples, dans toute cette critique du naturalisme, l’auteur
semble suivre très fidèlement Richard Hare – Cocon Erudiţian
255
V. A. J. Ayer, Language, Truth and Logic, Londres, Victor Gollanz,
1936; Philosophical Essays, Londres, Macmillan, 1954 – Cocon
Erudiţian
159
chose qui est là devant nos yeux qui est belle ou laide, bonne ou
mauvaise, etc. Autrement dit, nous pensons d’une part que notre
attitude est une réponse aux propriétés physiques de l’objet et que,
d’autre part, c’est là la bonne réponse, la réponse appropriée.
Comme on ne saurait accepter ni la première, ni la deuxième
interprétation de l’acte évaluatif, on devrait peut-être s’engager sur
une troisième voie, que certains appellent quasi-réaliste258, une voie
qui tienne compte à la fois des « évidences » des deux théories
antagonistes, notamment du fait que nous « sentons » que la valeur
n’est ni quelque chose de (strictement) factuel, ni quelque chose de
(purement) subjectif. On devrait donc soutenir que les termes
évaluatifs décrivent bien quelque chose, mais non pas ce que
l’ancienne logique appelait les modes intérieurs, c’est-à-dire les
qualités intrinsèques des choses, des qualités inhérentes aux choses
sans lesquelles on ne pourrait pas les concevoir, mais ce qu’elle
appelait des « qualités extérieures » et que Simon Blackbaum, un
philosophe d’aujourd’hui, appelle quant à lui des « qualités
projetées »259 : « On peut affirmer sur le sujet des modes qu’il y en
a qu’on peut appeler intérieurs, parce qu’on les conçoit dans la
substance; comme rond, quarré; et d’autres qu’on peut nommer
extérieurs, parce qu’ils sont pris de quelque chose qui n’est pas
dans la substance; comme aimé, vu, désiré, qui sont des noms pris
des actions d’autrui; & c’est ce qu’on appelle dans l’École
denomination extérieure. »260 Lorsque je dis d’une chose qu’elle est
visible, je dis bien quelque chose de la chose en question, sans que
la « visibilité » soit une de ses propriétés intrinsèques. D’ailleurs,
les choses deviennent visibles et cessent de l’être visibles sans que
leur substance en soit modifiée : lorsque mon ami Paul entre dans
258
Simon Blacbaum, « Reply to McDowell : Rule-Following and Moral
realism », in Steven H. Holtzmamann & Christopher M. Leich (eds),
Wittgenstein : To Follow a Rule, Londres, Routledge and Kegan Paul,
1981. V. une brève présentation de sa position in Helen Steward, art.
cit., p. 120 – 122.
259
P. H. Nowell-Smith (Ethics, Londres, 1954, p. 151) parlait déjà des
termes axiologiques comme de « Aptness-words » – Cocon Erudiţian
260
Logique de Port-Royal, p. 75.
161
261
Ça a l’air profond, mais je n’y comprend rien – Chir Onochephalos
– Sincèrement, moi non plus – Cocon Adevărovici
162
262
Toute cette discussion (un peu trop formelle à mon goût) s’inspire, je
crois, d’un article de Alan Tormey, « Critical Judgements » (1973), in
W. E. Kennick (éd.), Art and Philosophy. Readings in Aesthetics, New
York, St Martin’s Press, 1979, 2e édition, p. 621. Tormey s’appuie à son
tour sur Hintikka – Cocon Erudiţian
– J’ajoute qu’elle s’inscrit elle aussi en faux dans la discussion concernant
la nature prétendument cognitive des termes évaluatifs – Cocon
Simpliţian
163
263
C’était l’évidence même ; pire, cela semble résoudre le problème, mais
ne résout absolument rien – Cocon Onochephalos
164
s’agit d’une terreur, à cette différence près que dans le premier cas
elle est sanglante alors que dans le second on devrait parler d’une
terreur blanche, d’une douce terreur.
À force d’avoir honte, à force d’avoir peur de ne pas être
marginalisé par les autres, on finit par se conduire, penser, sentir,
etc. comme eux. À force d’avoir honte de ne rien éprouver devant
le texte que le grand critique admire, à force de vouloir vivre ce
que le critique dit vivre, à force de vouloir admirer ce qui fait
l’admiration du critique, son lecteur finit par admirer lui aussi le
texte en question. L’universalisation du goût « pur » du critique, le
transfert dans les autres de l’attitude qu’il a ou prétend avoir quant
à une certaine œuvre se fait donc dans des conditions
« impures »267 : la beauté vient aux textes grâce non pas à
l’exercice désintéressé de la faculté de sentir, comme on le répète
depuis Kant, mais au fait que le lecteur s’est laissé intimider par le
critique et a fini par l’admirer et par envier l’admiration que celui-
ci a pour le texte en question. Il désire le désir et le plaisir de
l’autre, comme Emma Bovary désirait les désirs et les plaisirs des
personnages de ses lectures de jeunesse.268
Se rapportant à certaines personnes vivant « à la charge » de
leur entourage, Max Scheler parlait d’une sorte de « vampirisme
psychique »269, qu’il expliquait par le fait que, chez ces personnes,
le sentiment qu’elles ont de leur « vide », de la « nullité » de leur
existence se double d’une soif d’expériences internes si grande
qu’elles n’hésitent pas à entrer violemment dans le moi le plus
intime des autres. Pour être défendable, cette description du
me fournir toutes les raisons dont j’avais besoin pour aimer les œuvres
en question. Et je commençais à vraiment les aimer ! – Chir
Onochephalos
267
V. Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, Seuil, 1997, « Les
conditions impures d’un plaisir pur », p. 88 – 92.
268
Est-ce que l’auteur est influencé par la théorie du « triangle du désir »
développée par René Girard dans son Mensonge romantique et vérité
romanesque ? – Cocon Erudiţian
269
Max Scheler, Nature et formes de la sympathie, Petite Bibliothèque
Payot, p. 66.
171
270
« Les choses ne sont pas bonnes parce qu’elles auraient la propriété sui
generis du “bon” mais d’une part du fait qu’elles ont certaines propriétés
naturelles, d’autre part en vertu de l’existence de standards d’origine
sociale concernant les propriétés que les choses doivent avoir. » A. A.
Ivin, « Semantica discursului evaluativ » in Sorin Vieru – Dragan
Stoianovici (éds), Norme, valori, acţiune. Analiza logică a discursului
practic, Editura Politică, 1979, p. 264.
271
Cela me rappelle l’histoire du jeune Japonais qui, voyageant pour la
première fois dans un pays européen éprouve, durant une dizaine de
jours, la sensation que tout le monde lui en veut, sentiment qui disparaît
peu à peu. S’il pense que tout le monde lui est hostile c’est que,
obéissant à sa culture, il interprète les yeux plutôt ronds des Européens
comme signes de colère. Son malaise est réel, mais les yeux plutôt ronds
des Européens sont incapables à eux seuls de le produire : pour qu’il
s’installe il faut qu’il y ait aussi une culture qui associe à une certaine
forme un certain pouvoir – Cocon Adevărovici
173
276
« les discours “littéraires” ne peuvent plus être reçus que dotés de la
fonction auteur : à tout texte de poésie ou de fiction on demandera d’où
il vient, qui l’a écrit, à quelle date, en quelles circonstances ou à partir
de quel projet. Le sens qu’on lui accorde, le statut ou la valeur qu’on lui
reconnaît dépendent de la manière dont on répond à ces questions » –
Op. cit., p. 800.
277
Op. cit., p. 801.
178
278
Michel Foucault doit penser non pas tellement aux auteurs qu’aux
imprimeurs-libraires qui devaient obtenir pour leurs publications des
« privilèges d’imprimer », l’apparition de l’imprimerie ayant déterminé
les pouvoirs à exercer une haute surveillance sur le risque séditieux des
œuvres d’esprit. – Cocon Adevărovoci
279
Op. cit., p. 803.
280
Bourdieu exagérait donc lorsqu’il disait que dans le monde de l’art il
n’y a pas de garantie juridique ou institutionnelle – Cocon Adevărovici
179
281
Je trouve bizarre qu’on s’adresse aux juristes et non pas directement
aux intéressés eux-mêmes : est-ce que les auteurs ne savent pas mieux
que personne ce qu’ils sont ? – Chir Onochephalos
– Je crois que Mitru Perea fait au contraire preuve de sagesse, car, dans
leurs réponses, les auteurs, gens vaniteux, on le sait, pourraient se
leurrer eux-mêmes ; mais s’ils s’adressent au tribunal pour que « justice
soit faite », c’est qu’ils acceptent comme pertinent le regard que le
juriste porte sur eux – Cocon Simpliţian
282
Remarquons en passant que le terme de « création » est lourd de sens
dans notre tradition chrétienne. Les Anciens ne le connaissaient pas ; les
prémodernes la réservait à Dieu, le seul à pouvoir créer, si créer c’est ex
nihilo. Jusqu’au XVIIIe siècle finissant, on pensait que, lorsqu’il
invente, l’homme ne crée pas, mais combine tout simplement d’une
manière nouvelle ce dont Dieu a peuplé le monde – Cocon Erudiţian
283
Bernard Édelman, La Propriété littéraire et artistique, PUF, 1989, p.
14.
180
284
Op. cit., p. 17.
285
Op. cit., p. 16. Édelman cite à cet égard un passage de l’Arrêt du Trib.
Civ. de la Seine du 19 déc. 1928 : « Dans le domaine littéraire [...]
l’auteur ne crée rien ni n'invente rien, au sens strict du mot, mais se
borne à puiser dans l'observation de la nature et des hommes, des
matériaux qu'il rassemble dans un ouvrage déterminé » – Cocon
Erudiţian
286
Op. cit., p. 18 ; je souligne.
181
Chir Onochephalos
293
Op. cit., p. 39.
183
294
Trib. Civ. Seine, 19 déc. 1928, apud Édelman, Op. cit., p. 20.
295
Est-ce ce qui explique ce que l’auteur appelait « l’anthropologie » de
Jean Cohen, cette théorie qui justifiait l’affirmation que dénotation et
connotation ne peuvent pas jouer simultanément par l’idée que cognition
et émotion sont exclusives l’une de l’autre ? – Cocon Simpliţian
296
L’auteur a raison de citer Diderot, car c’est lui qui a lancé en France
les débats autour des droits d’auteur. Voilà ce qu’il affirme en 1767 :
« Quel est le bien qui puisse appartenir à un homme d’esprit, si un
ouvrage d’esprit [...], la portion de lui-même la plus précieuse [...] ne lui
appartient pas ? » – Cocon Erudiţian
184
299
Op. cit., p. 13.
300
Op. cit., p. 14.
301
Op. cit., p. 13.
302
Op. cit., p. 14 ; je souligne .
186
306
Après tout ce que j’ai dit dans ce chapitre, j’hésite à employer le terme
d’auteur en référence aux producteurs de statues, poèmes et pièces de
théâtre prémodernes.
307
L’expression « créations artistiques » est à mettre, évidemment, entre
guillemets !
308
Jean-Claude Chirollet, « L’art et le politique » in Roland Quilliot éd.,
Philosophie de l’Art, Ellipses, coll. Philo, 1998, p. 229.
Troisième intervention, intempestive, de Cocon Erudiţian, sur
l’invention du génie au XVIIIe siècle
312
Odo Marquard, « Questions à la philosophie de l’histoire ou Dans
quelle mesure la philosophie de l’histoire peut-elle être irrationnelle »,
La Pensée politique,1, Gallimard/Le Seuil, 1994, p. 210.
313
Ibidem, p. 211.
314
Ibidem.
194
qu’ils pensent qu’il reste à faire, s’il est conservateur. Si, au temps
de la théodicée traditionnelle, la responsabilité du mal incombait à
Dieu, qu’on pouvait tenir pour responsable du mal qui existe et
avec lequel on pouvait à la rigueur entrer en conflit, l’Européen
moderne doit trouver un autre bouc émissaire, immanent à
l’humanité, et ouvrir un conflit avec ceux qui ont fait ce qui est et
qui en sont déclarés responsables et, ajoute Marquard, ceux qui
veulent faire ce qui reste à faire et en être responsables.
C’est à l’« homme de lettres » que les Lumières s’en remettront
pour l’éradication du mal. « Successeur des puissances de la terre
et du ciel », pour parler avec Paul Bénichou315, l’homme de lettres,
tel que les Lumières le fabriquent, « c’est celui dont la profession
principale est de cultiver la raison »316, et ce « pour ajouter aux
autres ». Deux traits le caractérisent : premièrement, il est un être
de raison, bien sûr, mais aussi un être d’« enthousiasme », de
« coeur » ou encore de « sensibilité ». La raison de l’homme de
lettres n’est pas un instrument neutre, qui se borne à enregistrer et à
analyser froidement les faits, mais une pensée « larmoyante », si
j’ose dire, une pensée pénétrée des malheurs de l’humanité.
« Raison » et « sensibilité » s’appuient réciproquement :
« L’alliage de la Raison et de la sensibilité fait l’homme de génie,
l’homme vertueux ; elles se prêtent l’une à l’autre un secours
mutuel », écrit en 1777 un certain Mistelet317.
L’homme de lettres, dont l’innocence est prouvée par la sainte
indignation qu’il éprouve au spectacle des souffrances de ses
semblables, s’attache donc à asseoir le monde sur des bases
rationnelles pour le rendre humain, humainement acceptable. C’est
ce programme qui se trouve à la base de la Révolution qui clôt le
siècle, Révolution qui annonce, c’est vrai, des lendemains qui
315
Paul Bénichou, Le Sacre de l’écrivain, 1750 – 1830. Essai sur
l’avènement d’un pouvoir spirituel laïque dans la France moderne,
Gallimard, 1996, p. 26.
316
La Harpe, dan son discours de réception à l’Académie française, cité
par Bénichou, Op. cit., p. 30.
317
Apud Bénichou, Op. cit., p. 31.
195
318
Apud Bénichou, Op. cit., p. 117.
319
Joseph de Maistre, Soirées de Saint-Pétersburg, 8e entretien, apud
Bénichou, Op. cit., p. 117-118.
196
324
Immanuel Kant, Critica facultăţii de judecare, Editura Ştiinţifică şi
Enciclopedică, 1981, p. 95.
325
Ibidem, p. 121.
326
Ibidem, P. 95.
327
Ibidem, p. 102.
328
Alain Besançon, Imaginea interzisă. Istoria intelectuală a
iconoclasmului de la Platon la Kandinsky, Humanitas, 1996, p. 211. V.
également, Jran-François Lyotard, Leçons sur l’Analyitique du sublime,
Galilée, 1991, ch. 7.
199
334
« Elle consiste à appliquer en premier lieu le concept à l’objet d’une
intuition sensible, et en second lieu à appliquer la simple règle de la
réflexion sur cette intuition à un tout autre objet, dont le premier n’est
que le symbole. »
335
Ibidem, p. 215 – 216.
336
Ibidem, p. 216.
201
337
G. W. F. Hegel, Esthétique. L’Idée du beau, Paris, Aubier-
Montaigne,1964, t. 1, p. 34.
338
Ibidem, p. 35.
339
L’attitude de celui qu’on a désigné plus haut comme homme de raison.
340
. Ibidem, p. 42 ssq.
202
source interne qui l’anime et lui insuffle la vie ne dépasse pas les
limites de la région profonde où elle habite. »347 Toute existence
naturelle, affirme encore Hegel, est placée sous le signe de la
finitude. Même la belle nature. Au lieu d’avoir dans sa
contemplation l’intuition de la parfaite et profonde correspondance
entre son intériorité et son extériorité, l’oeil qui la contemple ne
voit que dispersion et détails accidentels qui dépendent de
l’extérieur. Le beau – ou l’idéal – n’arrive donc pas dans la nature
à sa réalisation plénière. « La nécessité du beau artistique découle
donc des défauts inhérents à la réalité immédiate, et l’on peut
définir sa tâche en disant qu’il est appelé à représenter dans toute
leur liberté [...] les manifestations de la vie [...] et à rendre ainsi
l’extérieur conforme au concept. »348 Et Hegel ajoute : « Grâce à
lui, la vérité se trouve libérée de son ambiance temporelle, de sa
course à travers les choses finies, et elle acquiert en même temps
une expression extérieure à travers laquelle on aperçoit, non plus la
médiocrité de la nature et de la prose, mais une existence digne de
la vérité. »
C’est dans ce contexte qu’on peut mesurer toute l’importance de
l’invention, au XVIIIe siècle, du « génie ». On se rappelle que
Diderot décrivait l’« homme de génie » comme quelqu’un ayant
une étendue de la « sensibilité » hors du commun et une force de
l’imagination qui le pousse irrésistiblement à « réaliser » ses
« fantômes », etc. Hegel n’affirme pas autre chose, seuls les
concepts qu’ils utilisent, forgés dans les environ soixante-dix ans
qui séparent ses leçons de Berlin des textes de Diderot étant
différents. Pour lui aussi, l’artiste doit avoir une expérience très
riche : « il doit avoir beaucoup vu, beaucoup entendu et beaucoup
retenu »349. Cette appréhension du monde extérieur, mais aussi de
la réalité interne de l’homme n’est pas un but en soi, car ce qu’une
œuvre d’art doit exprimer avant tout c’est « la vérité et la
347
Op. cit., p. 96.
348
Op. cit., p. 104.
349
Op. cit., tome II, p. 317.
206
350
Op. cit., tome II, p. 318.
351
Ibidem.
352
Il est absurde de penser, dit Hegel, que des poèmes comme ceux
d’Homère ont été conçu pendant le sommeil ; le surréalisme le
contredira.
353
Ibidem, p. 317 – 325.
207
éprouvé de grands sentiments, que son coeur et son esprit aient été
profondément émus et secoués, qu’il ait beaucoup vécu et
beaucoup peiné, avant d’être en état d’exprimer en formes
concrètes les profondeurs insondables de la vie. »354
secondaire par rapport à (ce qui se passe dans) l’artiste (on naît
artiste ; et on peut être artiste sans jamais avoir produit quoi que ce
soit). Par rapport au Moi. C’est le Moi, ce Moi en mal d’être, qui
constitue le centre autour duquel tout gravite. ne prend sens pour
les Modernes que par référence à la subjectivité, pour devenir, chez
les Contemporains, expression pure et simple de l’individualité »358
Le génie est donc activité créatrice, et il faut donner à cette
épithète tout son poids : comme Dieu, il crée ex nihilo359, au sens
qu’il n’a besoin de rien d’extérieur. Ce qu’il nous propose comme
œuvre d’art, il l’a puisé en lui-même. Ce qu’il exprime c’est son
vécu, c’est sa façon de voir les choses. Et ce don de la création, il
l’a hérité de ce Dieu que l’Européen du XVIIIe siècle a tué, on l’a
vu, par trop d’amour. « Ces chantres sont de race divine », affirme
Chateaubriand dans René. Lamennais est plus explicite encore :
« L’art est pour l’homme ce qu’est en Dieu la puissance créatrice ».
Tout comme Zola, qui, un peu plus tard, dans Mes haines, leur fait
écho : « J’aime à considérer chaque écrivain comme un créateur
qui tente, après Dieu, la création d’une terre nouvelle »360.
Chateaubriand, Lamennais et Zola, des esprits qui, bien que
extrêmement opposés, se rencontrent toutefois là-dessus, ne sont
que des exemples pris au hasard, car on pourrait multiplier à
l’infini, ou presque, les affirmations de ce genre.
La création, pour les Modernes, est non seulement création à
partir de rien, mais aussi nouveauté. Nouveauté, certes, au sens que
l’œuvre s’ajoute à la nature et que l’artiste la concurrence, en
produisant des objets unitaires et nécessaires, des objets dont
chaque élément renvoie à tous les autres, etc. Mais, on l’a vu,
358
Luc Ferry, Homo estheticus, Thèse
359
Faut-il encore rappeler le désir de Flaubert d’écrire un livre sur rien ?
Faut-il rappeler cette autre déclaration du dernier Prix Nobel de France,
Claude Simon, qui, dans sa préface à Orion aveugle (1970), écrit :
« Avant que je me mette à tracer des signes sur le papier, il n’y a rien,
sauf un magma informe de sensations, plus ou moins confuses, de
souvenirs plus ou moins précis accumulés, un vague – très vague –
projet. C’est seulement en écrivant que quelque chose se produit. » ?
360
Mes haines, p. 141.
210
362
Pierre Bourdieu, Les Règles de l’art. Genèse et structure du champ
littéraire, Éditions du Seuil, 1992, 1998, coll. « Points », p. 99 – 100.
Chapitre XV, dans lequel Mitru Perea finit par accepter l’idée
d’une illusio littéraire
« Au principe du fonctionnement
de tous les champs sociaux, qu’il
s’agisse du champ littéraire ou du
champ du pouvoir, il y a l’illusio,
l’investissement dans le jeu »
Pierre Bourdieu
363
N’exagérons toutefois pas ! – Cocon Simpliţian
215
364
Dominique Noguez, « Le grantécrivain. D’André Gide à Marguerite
Duras », Le Débat, 1995, 86, p. 41 ; le texte a été depuis repris dans Le
grantécrivain & autres textes, Gallimard, « L’Infini », 2000.
365
Il l’a déjà fait à plusieurs reprises dans cet ouvrage ; lorsqu’il essayait
de montrer que l’ambiguïté, l’inexhaustivité de la sémiosis, etc. ne
sauraient être des caractéristiques textuelles – Chir Onochephalos
216
366
Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, Seuil, « Liber », 1997, p.
22.
367
Ibidem, p. 23.
368
Ibidem,p. 29.
369
Ibidem, p. 25 ; lisons également cet autre passage : « c’est seulement
avec l’École que s’instituent les conditions très spéciales qui doivent
être réunies pour que les conduites à enseigner puissent être accomplies,
en dehors des situations où elles sont pertinentes, sous la forme de “jeux
sérieux” et d’exercices “gratuits”, actions à vide et à blanc, sans
217
375
J’ai eu la même sensation lorsqu’on prêtait plus haut aux critiques des
stratégies d’intimidation / séduction – Cocon Onochephalos
376
Pierre Bourdieu, « Disposition esthétique et compétence artistique »,
Les Temps modernes, 1971, 295, p. 1348.
221
377
On ne doit toutefois pas se presser lorsqu’il s’agit de réfléchir – Cocon
Simpliţian
222
378
V. supra, p. 164 et suiv.
223
381
V. supra, p. 142.
Chapitre dernier, dans lequel Cocon Simpliţian se demande si
l’on ne devrait pas dire adieu à la Littérature
telle église, qui était toujours « la bonne »). Or, les nouveaux régimes
politiques qui se sont installés des deux côtés de l’Atlantique allaient
détruire ces deux repères. D’une part, le pouvoir allait se disséminer
dans la société, étant désormais « supporté » par toute personne ayant
des droits politiques. D’autre part la religion allait peu à peu déserter
l’espace public pour se cantonner, là où elle subsistait, dans l’intime,
dans l’espace privé. C’est dans le contexte de cette anomie qu’a pris
naissance (et, pour certains États, comme par exemple la France, où elle
avait une histoire déjà pluriséculaire : s’est consolidée) l’idée de nation.
Qu’il s’agisse de la « Volkgeist » de Herder, du « peuple » conçu comme
« individu spirituel » de Hegel ou de l’« Allgeist » (« esprit de totalité »)
de Wundt (c’est dans les dix volumes de la Völkerpsychologie de ce
dernier que l’idée va recevoir sa forme canonique), l’idée qui s’empare
des esprits à la fin du XVIIIe siècle et va donner l’une des
caractéristiques de l’histoire politique de ces deux derniers siècles,
depuis les révolutions nationales jusqu’aux récents événements de l’ex-
Yougoslavie c’est que si chacun de nous est ce qu’il est, si chacun de
nous pense ce qu’il pense, ressent ce qu’il ressent et réagit au monde de
la manière dont il réagit, c’est parce chacun de nous participe d’une
façon ou d’une autre d’une « âme supra-individuelle », pour parler le
langage du siècle passé : « l’âme française », « l’âme anglaise » (ou
allemande, russe, roumaine, etc.). C’est cette âme qui nourrirait nos têtes
et nos cœurs ; c’est cette âme qui informerait notre langue, notre
religion, nos mythes, nos coutumes : on s’en éloigne, on perd ses
« racines », on s’alanguit, et on en meurt.
Or, ce « sentiment national » ne va pas de soi, il doit être créé et
entretenu. C’est l’une des raisons d’être des fêtes républicaines ou
encore des musées en tout genre, fêtes et musées qui fabriquent, chacun
à sa manière, non seulement une mémoire collective mais aussi le
sentiment de fierté d’appartenir à cette nation, à ce peuple ayant un
227
383
David Novitz (« Art by Another Name: The Identification of Art
Across Cultures » ; http://www.arts.usyd.edu.au/Arts/departs/philos/ssla/papers/
novitz.html) et Wilfried van Damme (« Do Non-Western Cultures Have
Words for Art ? » ; même adresse) parlent toutefois de la possibilité
d’identifier des formes d’art dans des cultures ignorant le terme ; je me
range pourtant du côté de Cocon Simpliţian – Cocon Erudiţian
229
384
Baudelaire affirme quelque part que les révolutions les plus grandes se
passent « sous le ciel du crâne, dans le laboratoire étroit et mystérieux
du cerveau » – Cocon Erudiţian
385
Il doit y avoir un intérêt obscur pour que Cocon Simpliţian ensense
tellement leurs « mérites » – Cocon Onochephalos
386
Excepté le cas où cette dernière culture a été à un moment donné
influencée par la culture européenne, dont elle a « importé » l’état
mental en question.
230
pour, disons, la télévision. Il est vrai qu’on le fait depuis plus d’un
siècle et demi, mais il s’agit, on en conviendra, d’un malentendu :
dans une sorte de narcissisme outré (on pourrait même parler d’une
sorte d’impérialisme culturel) nous projetons sur des époques et
des cultures de jadis et d’ailleurs notre propre manière de voir les
choses et ainsi nous les faussons, nous les obligeons à nous
ressembler.
Je me demande en fin de compte si on ne doit pas dire adieu à la
Littérature (avec majuscule !). Ne s’agit-il pas d’une idiosyncrasie
de la modernité? De quelque chose de non universel, voire
d’accidentel, que tout le monde n’a pas connu et que tout le monde
ne connaîtra probablement pas ? Mais faut-il renoncer à prendre un
plaisir réel à regarder une belle personne pour la « simple » raison
que la beauté n’est pas un ensemble de propriétés réelles et
universelles des personnes considérées comme belles mais qu’elle
se trouve plutôt dans notre regard ? Franchement non : il est
souhaitable que nous continuions de goûter ce plaisir que nous
procure la beauté des femmes et des hommes ou la beauté de tel ou
tel objet ou paysage. Il est souhaitable que nous continuions de
goûter aussi le plaisir procuré par la littérature. À condition
toutefois que lorsque nous en venons à en parler nous disions des
choses raisonnables.
Un Discours Embarrassé..............................................................................8
D’une pensée forte de la littérature.................................................................12
Chapitre I, dans lequel Mitru Perea formule ses convictions les plus
profondes................................................................................................14
Chapitre II, dans lequel Mitru Perea propose sa définition négative de la
littérature.................................................................................................24
Chapitre III, dans lequel Mitru Perea s’essaie également à une définition
positive de la littérature..........................................................................40
Chapitre IV, dans lequel Mitru Perea analyse les traits du texte littéraire
qu’il lui semble avoir identifiés..............................................................68
Chapitre V, dans lequel Cocon Erudiţian intervient de façon
intempestive pour mettre au point certaines choses...............................75
Chapitre VI, dans lequel Mitru Perea propose une bien intéressante
théorie de la lecture.................................................................................81
Chapitre VII, dans lequel Mitru Perea fait une incursion du côté de la
fiction......................................................................................................96
Chapitre VIII, dans lequel Cocon Simpliţian intervient lui aussi de façon
intempestive..........................................................................................108
... à une pensée faible de la littérature..........................................................111
Chapitre IX, dans lequel Mitru Perea est de retour pour parler de ce qui
lui semble maintenant être l’impossibilité logique d’une théorie de la
littérature...............................................................................................113
Chapitre X, dans lequel on assiste à la deuxième intervention de Cocon
Erudiţian au sujet cette fois de ce qu’il appelle une « révolution du
regard ».................................................................................................124
Chapitre XI, dans lequel Mitru Perea propose, bizarrement, une théorie
institutionnelle de la littérature.............................................................138
Chapitre XII, dans lequel Mitru Perea explique comment la beauté vient
aux textes ou la Terreur dans les Lettres..............................................154
Qu’est-ce qu’un auteur ?.......................................................................175
Troisième intervention, intempestive, de Cocon Erudiţian, sur
l’invention du génie au XVIIIe siècle...................................................189
Chapitre XV, dans lequel Mitru Perea finit par accepter l’idée d’une
illusio littéraire......................................................................................214
Chapitre dernier, dans lequel Cocon Simpliţian se demande si l’on ne
devrait pas dire adieu à la Littérature...................................................225