Histoire Du Climat Web
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Les auteurs
Emmanuel Le Roy Ladurie, membre de l'Institut, professeur émérite
au Collège de France, spécialiste de l'histoire du climat
Daniel Rousseau, ancien directeur de l'École nationale de la météorologie
Jean-Pierre Javelle, membre du comité de rédaction de La Météorologie
Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2
le XIVe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
le XVe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
le XVIe siècle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
le XVIIe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
le XVIIIe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
le XIXe siècle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
Nous signalerons des événements Les premières mesures de température en France datent de 1658. Afin de reconstituer une chronique
météorologiques significatifs par leur du climat pour des époques plus anciennes, d’autres quantités, liées aux aléas du climat, sont utilisa-
ampleur et leurs conséquences humai- bles. C’est ainsi que les dates de vendanges, qui ont été relevées et conservées de façon quasi conti-
nes et nous mettrons en évidence, nue (en Bourgogne en particulier depuis la fin du XIVe siècle), sont particulièrement utiles car elles sont
quand c’est possible, les fluctuations bien corrélées aux températures d’avril à septembre. La figure donne les températures annuelles
d’avril à septembre depuis 1658 et leur moyenne sur 11 ans, ce qui met bien en évidence des suc-
climatiques pluridécennales. cessions de séquences d’années chaudes (indiquées en rouge en haut de la figure) et d’années fraî-
ches (en bleu). Les moyennes sur 11 ans des dates de vendanges à Beaune, Salins, sur le plateau
À l’aide d’exemples et d’illustrations, suisse et à Argenteuil fluctuent généralement en concordance avec les températures. Avant 1658,
nous évoquerons différentes méthodes les moyennes sur 11 ans des seules dates de vendanges disponibles permettent l’identification de
mises en œuvre par les historiens et séquences d’années à vendanges précoces (chaudes) et de séquence d’années à vendanges tardi-
par certains météorologistes pour ves (fraîches).
reconstituer les climats passés, en parti- D’après Rousseau D., 2014. Fluctuations des dates de vendanges bourguignonnes et fluctuations
culier avant l’existence des séries de des températures d’avril à septembre de 1378 à 2010. Compte rendu du XXVII e colloque de
mesures météorologiques quantitatives. l’Association internationale de climatologie, 2-5 juillet 2014, Dijon, France.
Celles-ci n’apparaissent qu’après
l’invention du baromètre et du thermo-
mètre au XVIIe siècle et ne deviennent
relativement nombreuses qu’à partir de
la seconde moitié du XIXe siècle.
Bibliographie
Les lecteurs désireux d’en savoir plus Le Roy Ladurie E., 2004. Histoire humaine et comparée du climat. Tome 1. Canicules et glaciers XIIIe–XVIIIe siècles.
pourront se reporter aux références Fayard, Paris, 746 p.
citées en bibliographie des articles et, Le Roy Ladurie E., 2006. Histoire humaine et comparée du climat. Tome 2. Disettes et révolutions 1740-1860.
de façon plus générale, aux ouvrages Fayard, Paris, 616 p.
d’Emmanuel Le Roy Ladurie : Histoire Le Roy Ladurie E., 2009. Histoire humaine et comparée du climat. Tome 3. Le réchauffement de 1860 à nos jours.
humaine et comparée du climat en trois Avec le concours de G. Séchet. Fayard, Paris, 462 p.
tomes et Les fluctuations du climat de Le Roy Ladurie E., Rousseau D., Vasak A., 2011. Les fluctuations du climat de l’an mil à aujourd’hui. Fayard, Paris,
l’an mil à aujourd’hui, en collaboration 324 p.
avec D. Rousseau et A .Vasak.
La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle 3
mètres
1100 1369 1666/67 1859/60
Extension maximale
0
Résumé
Avancée
1000
événements historiques.
3000
Abstract 3300
date
About history of climate, France,
14th century 1000 1500 2000
This paper briefly presents the clima- Figure 1. Évolution de l’extension du glacier d’Aletsch (Suisse) au cours du dernier millénaire d’après
tic fluctuations in France during the Holzhauser et al. (2005). La position de la langue terminale est estimée par un ensemble de métho-
14th century, considered as the begin- des glaciologiques, historiques et archéologiques : observations directes depuis 120 ans, sources
ning of the Little Ice Age, and their historiques (cartes, photographies, peintures, chroniques, études scientifiques) pour remonter jus-
impact on society and some historical qu’à environ 1550, techniques dendrochronologiques et analyses de traces d’occupation humaine
events. (fondations, chemins, etc.) pour remonter jusqu’au Moyen Âge.
4 La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle
Les pluies trop abondantes reviendront Figure 2. Indice de rigueur des hivers au XIVe siècle pour une zone géographique s’étendant sur l’Europe
pendant la décennie 1340-1349. centrale, l’Europe occidentale et le nord de l’Italie (d’après Pfister et al., 1996). L’indice peut prendre
sept valeurs entre –3 (hiver très froid) et +3 (hiver très doux). Il est établi à partir de sources documen-
L’indice pluviométrique très fort de taires (annales, chroniques locales et textes officiels). L’hiver est défini suivant les conventions climato-
cette décennie, compilé par Pierre logiques habituelles : l’hiver de l’année N regroupe décembre N – 1, janvier N et février N.
Alexandre (1987), retrouve son niveau
très élevé des années 1310-1319. En
raison de ce temps dépressionnaire qui
limite l’ablation des glaces et peut-être
aussi à cause d’hivers neigeux, le gla-
cier d’Aletsch avance et passe par un chaleur et à la sécheresse du mois vingt semaines de gel, avec gel des
maximum de longueur et d’épaisseur d’août 1360 et, incidemment, on grands fleuves Rhin, Loire, Rhône. Le
autour de 1370. Même remarque pour signale une gelée de printemps sur les glacier de Gorner opère une nouvelle
le glacier de Gorner dont la crue vignes en mai 1360. Ces néfastes progression avec des étés frais pres-
s’étale de 1350 à 1375. Ces phéno- coups d’échaudage, ou sécheresses, se qu’une année sur deux de 1356 à 1378.
mènes s’accompagnent en 1342 rencontrent en 1351, 1360 et 1361 On note un doublement voire un triple-
d’inondations en France, Toscane, (Alexandre, 1987). ment des prix du blé en 1369-1370.
Bohême, et en 1343 de déluges en Le printemps 1370 très sec est suivi
Bavière, Alsace, Suisse, Italie du Nord, L’allongement des glaciers obéit à des d’un épisode froid et de pluies abon-
Autriche. Suite aux mauvaises mois- phénomènes très différents à savoir les dantes ; les céréales subissent donc
sons de 1342-1343, les prix du blé hivers très froids de 1355 et surtout de multiples facteurs météorologiques
triplent durant ces deux années l’hiver glacial de 1364, ce dernier étant agressifs. Tout ceci se produit dans
(Mestayer, 1963). Ils retomberont à l’un des sept hivers les plus rigoureux un contexte de dépopulation post-
leur valeur habituelle en 1344 du PAG (van Engelen et al., 2001). pesteuse qui n’a pas grand-chose à
(figure 3). Les vendanges rhénanes On décompte selon les cas quinze à voir avec le climat mais qui doit
sont très éprouvées par des gelées en
septembre 1343. Nouvel épisode
superaqueux et gélif dans la moitié
nord de la France en 1345-1346-1347.
La peste noire de 1347-1348 est atroce
mais n’a pas d’origine climatique.
Aletsch et Gorner sont en progrès à
partir de 1350 (Holzhauser, 1985).
Une fois de plus, c’est le défaut
d’ablation qu’il faut mettre en cause.
Les maxima glaciaires intègrent les
fraîcheurs de 1342-1347 et de 1349 à
1370. Après 1380, un certain nombre
d’étés chauds reviennent en force. Par
delà la peste de 1348, on note les petits
coups de chaleur des années 1351 et
1360. Une crise de subsistance avec
triplement des prix du froment inter-
vient en 1351-1352. Pour une fois, les
pluies et le froid ne sont pas en cause,
mais c’est un coup de chaleur et de
sécheresse, une manière d’échaudage, Figure 3. Prix du blé à Douai de 1329 à 1500 d’après Mestayer (1963). Douai, ville située au cœur
qui a affecté les moissons de 1351. De d’une riche région agricole a été un centre important de commerce des céréales à partir du Moyen
1358 à 1360, le déficit des récoltes Âge. Les prix du blé et de l’avoine étaient relevés le 1er octobre, date à laquelle la récolte de l’année
induit une très forte hausse des prix arrivait sur le marché. Ils reflétaient donc bien l’abondance des récoltes. Les prix sont exprimés en
agricoles. Les causes tiennent à la livres parisis par rasière (unité de mesure de volume).
La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle 5
Bibliographie
Alexandre P., 1987. Le climat en Europe au Moyen Âge. Contribution à l’histoire des variations climatiques de 1000 à 1425, d’après les sources narratives de l’Europe
occidentale. Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, Paris, 827 p.
Holzhauser H., 1985. Neue Ergebnisse zur Gletscher- und Klimageschichte des Spätmittelalters und der Neuzeit. Geographica Helvetica, 40, 168-185.
Holzhauzer H., Magny M., Zumbühl H.J., 2005. Glacier and lake-level variations in west-central Europe over the last 3500 years. The Holocene, 15, 789-801.
Jordan W.C., 1996. The great famine. Northern Europe in the early fourteenth century. Princeton University Press, Princeton, États-Unis, 328 p.
Le Roy Ladurie E., 2004. Histoire humaine et comparée du climat. Canicules et glaciers XIIIe-XVIIIe siècles. Fayard, Paris, 746 p.
Mestayer M., 1963. Prix du blé et l’avoine de 1329 à 1793. Revue du Nord, 45, 157-176.
Pfister C., Schwarz-Zanetti G., Wegmann W., 1996. Winter severity in Europe: the fourteenth century. Clim. Change, 34, 91-108.
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Weikinn C., 1958. Quellentexte zur Witterungsgeschichte Europas von der Zeitwend bis zum Jahre 1850. Akademie, Berlin.
Wolff P., 1954. Commerces et marchands de Toulouse (1350-1450). Plon, Paris, 711 p.
6 La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle
On dispose à partir du XVe siècle, et même s’agit d’une position médiane entre le
de la fin du XIVe, de séries de dates de petit âge glaciaire en majesté de 1850 et
vendanges (figures 1 et 2). Ces données l’appareil actuel, extrêmement réduit vers
quantitatives constituent un bon indica- l’aval. Aletsch conserve au Quattrocento
teur des conditions météorologiques des positions respectables mais qui ont
entre la formation des bourgeons et la cessé provisoirement d’être maximales et
fructification, ce qui correspond en qui ne le redeviendront qu’à partir des
moyenne à la période avril-septembre, années 1570 et surtout 1590-1610 (Le
même si des facteurs économiques et Roy Ladurie, 2005).
sociaux peuvent aussi influencer la fixa-
tion de la date des vendanges. Les séries À l’échelle d’un an ou tout au plus de
vendémiologiques sont donc largement deux ou trois ans, on note évidemment
utilisées depuis les années 1960 pour des millésimes remarquables du point de
reconstituer l’histoire du climat (Le Roy vue des subsistances. Comme dans nos
Ladurie, 1967), après le travail pionnier précédents développements, ils abou-
d’Alfred Angot (1883) prolongé par Mar- tissent essentiellement à des moissons
cel Garnier (1955). diminuées porteuses de famines, en parti-
culier pendant les époques de guerres très
Mais parlons des glaciers d’abord : intenses, ou parfois génératrices d’une
depuis 1385, les glaciers alpins sont certaine abondance frumentaire du reste
entrés en modeste récession. Pour très relative.
Altesch et Gorner et vraisemblablement
les autres glaciers alpins, après un maxi-
mum d’extension vers 1380, s’est imposé
ce recul modéré mais qui n’est pas du
tout comparable à l’immense recul
Guerres, climat,
amorcé à partir de 1855-1860 et surtout épidémies et famines
marqué depuis 1935. Vers 1455, le gla-
cier d’Aletsch est plus court qu’il ne l’est Évoquons d’abord la première moitié du
en 1920 alors que le recul glaciaire du XXe XVe siècle, très fortement marquée par la
siècle est déjà nettement amorcé ; néan- seconde portion de la guerre de Cent Ans
moins il demeure nettement plus long qui se termine vers 1450 et définitivement
qu’il ne l’est de nos jours dans ses dimen- en 1453, date de l’évacuation de Bordeaux,
sions très rétrécies. En d’autres termes, il dernier point d’appui de la domination
Résumé
Cet article présente brièvement les
fluctuations du climat en France au
XVe siècle et aborde leur impact sur la
société et sur certains événements
historiques.
Abstract
About history of climate, France,
15th century
This paper briefly presents the clima-
tic fluctuations in France during the
15th century and their impact on the Figure 1. Dates de vendange à Beaune de 1378 à 1500 (écart au 20 septembre, valeur moyenne de la
society and on some historical events. date de vendange). D'après Labbé et Gaveau (2013).
La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle 7
anglaise dans le sud-ouest de la France des conflits militaires et des guerres civi- 2000 (1859, 1868 et 2000). L’impact de
actuelle. On peut d’abord mentionner le les, alors que règnent encore sur la France cette canicule se traduit par un double-
grand hiver de 1408, indice 9 de maxi- fort éprouvée à l’époque le roi fou ment du prix des céréales dans la France
mum du froid dans la grande série de van Charles VI et la reine Isabeau de Bavière du Nord tandis qu’à Toulouse une très
Engelen et al. (2001), avec des consé- dont la mauvaise réputation n’est plus à forte inflation des prix céréaliers se fait
quences sur les vergers et les cultures : faire. L’été 1420 est très chaud, avec des sentir, due à une mauvaise récolte régio-
destructions partielles d’arbres fruitiers, vendanges très précoces, en avance d’un nale et peut-être à des phénomènes
de vignes et doublement du prix des mois sur leurs dates usuelles. Il figure monétaires. Sur le marché de la ville
céréales sur le marché de Douai représen- dans la liste des étés brûlants (indice 9, rose, les prix du carton de froment pas-
tatif du nord du Bassin parisien (Mestayer, maximal) signalés par van Engelen, qui sent de 13 sous en 1419 à 26 en 1420 et à
1963). C’est dans la deuxième moitié du sont au nombre de neuf pendant le petit 56 en 1421. Le grand historien toulou-
mois de novembre 1407 que sont appa- âge glaciaire entre 1326 et 1846 (1326, sain Philippe Wolff a insisté sur l’impact
rues les rigueurs qui vont s’instaurer 1420, 1422, 1473, 1540, 1556, 1781, 1783 de cette très sévère crise de subsistance
durant l’hiver 1408. Le sud de la France a et 1846) et de trois pendant la phase de sur la morbidité et la mortalité (Wolff,
été semble-t-il épargné. La cherté des réchauffement contemporain jusqu’en 1954).
céréales, qui n’est pas catastrophique du
reste, viendrait d’une raréfaction de cel-
les-ci du fait vraisemblablement de cet
hiver assez rude et d’une fin d’été 1408
pluvieuse néfaste à la bonne maturation
des grains dans les gerbes dressées sur les
champs. La guerre a pu jouer un rôle en
raison de l’incursion des troupes du duc
de Bourgogne, en particulier lors de la
bataille d’Othée près de Liège.
Chaleur et sécheresse
de l’année 1420
Le printemps et l’été 1420 sont marqués Transcription
par la chaleur et la sécheresse. Quelques Item soluto cuidam homino qui fuit in vinea clausi dicti
exemples d’observations contenues dans Thoheret 20 denarii (d.)
Item soluto pro dieta unius equi qui adduxit dictam
des sources narratives et d’autres docu- vindemiam de dicto clauso 3 solidi (s.) 4 d.
ments, recueillies par Pierre Alexandre Item pro una vectura facta in dicto clauso per quemdam
(1987) ; les dates sont corrigées selon le quadrigam 20 d.
calendrier grégorien. Item dicta die soluto cuidam homino qui fuit in partagio
vinee des Turons cum Hugues Niquel 20d.
Journal d’un bourgeois de Paris (œuvre Item soluto tribus hominibus asinariis qui quadrigaverunt
d’un clerc parisien, chanoine de Notre- dictam vindemiam 15 d.
Dame, 1410-1426) Item pro ferratura duorum pedum equi que equitabatur
Floraison précoce des roses, du 16 avril au dictus celerarius tempore vindemiarum 20 d.
24 mai ; cerises mûres au mois de mai ; Die mercurii sequentem in vinea de Cisie 3 hominibus,
blés mûrs à la fin du mois de mai « comme 5 mulieribus qui vindemiaverunt in dicta vinea,
cuilibet homino 15 d. et cuilibet mulieri 10 d., valent 7 s. 11 d.
à la Saint-Jean » (24 juin) ; vendanges à
partir de la mi-août. Traduction
Item payé à un homme qui fut dans la vigne du clos dudit
Chronique de Metz (1333-1407) Tholeret 20 deniers (d.)
Temps beau et chaud au printemps. Item payé pour la nourriture d'un cheval qui apporta ladite
Muguet fleuri le 10 avril. Maturation pré- vendange dudit clos 3 sols (s.) 4 d.
coce des fruits ; fraises mûres à Metz le Item pour une charretée faite dans le clos
19 avril ; cerises mûres à Metz le 9 mai ; par un charretier 20 d.
Item le même jour, payé à un homme qui fut au partage
fèves et pois mûrs le 10 mai ; seigle nou- de la vigne des Teurons avec Hugues Niquel 20 d.
veau le 15 mai ; verjus nouveau le Item payé à trois âniers qui transportèrent
19 mai ; raisins presque mûrs à Metz le ladite vendange 15 d.
1er juillet ; vin nouveau à Metz le 31 juillet. Item pour le ferrage de deux sabots d'un cheval que montait
le cellérier à ce moment 20 d.
Documents d’Albi (1345-1420) Le jour suivant mercredi, pour trois hommes et
Les mois de mars, avril et mai sont très cinq femmes qui vendangèrent dans la vigne de Cisie,
secs ; aucune pluie en mai, sauf à deux à chaque homme 15 d. et à chaque femme 10 d., valent 7 s. 11 d.
reprises. Maturation précoce des fruits à
Albi ; cerises mûres à Albi le 16 avril ; Figure 2. Extrait de la page correspondant aux travaux de vendange du 30 septembre au 2 octobre
récolte de seigle à partir du 25 mai. Vent 1399 dans le livre de comptes tenu, en latin, par le cellérier de la collégiale Notre-Dame de Beaune.
d’Autan continuel pendant deux mois et Les chanoines possédaient un grand nombre de parcelles de vignes sur le territoire de la commune.
demi, dévastant les vignes et détruisant Les livres de comptes de la collégiale ont été utilisés par Labbé et Gaveau (2013) pour reconstituer
les récoltes. les dates de vendanges à Beaune aux XIVe et XVe siècles, en retenant la date de la première parcelle
vendangée. (Archives départementales de la Côte-d’Or / G2918, ©CG21/F. Petot/2014)
8 La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle
L
sécheresse prolongée. La sécheresse du
caractérisé par un contraste entre printemps 1524 est responsable de la
les soixante premières années, plus disette de 1524-1525, l’une des quatre
douces, avec une légère régression des grandes crises de subsistance des années
glaciers alpins, et les quarante dernières 1520-1560 (Baulant et Meuvret, 1962) ;
années marquées par un rafraîchissement – 1530-1540 : la canicule estivale de
du climat français, suivi au bout de sept à 1540, avec des vins excellents, a été étu-
dix ans par une progression spectaculaire diée en détail par Pfister (1999) dans ses
des glaciers alpins. importantes réflexions historiques sur le
climat. Les prix du blé à Paris et à Douai
En hiver, le rafraîchissement ainsi illustré restent bas, résultats de belles moissons
pourrait être de l’ordre de 0,5 °C ou qui bénéf icient du beau temps. En
même moins, ce qui est suffisant étant Europe centrale, chaleur et sécheresse
donné l’extraordinaire sensibilité des gla- sont extrêmes. On traverse à pied rivières
ciers. Les tiédeurs de la première moitié et fleuves, en particulier le Rhin.
du XVIe siècle seraient spécialement nota-
bles lors des décennies 1520-1529 et La canicule de l’été 1556 provoque une
1550-1559. Par rapport à la période vendange très précoce en Bourgogne, le
1901-1960, les printemps seraient un peu 6 août à Beaune, avec des vins de grande
plus frais en général pour le XVIe siècle qualité. En revanche, à cause de la séche-
dans son entier, surtout pour la décennie resse, la moisson est médiocre. Cette
1520-1529 et bien sûr à partir de 1560. sécheresse favorise des incendies de forêt
Les étés des soixante premières années jusqu’en Normandie, comme le signale
manifesteraient quelques tiédeurs surtout dans son livre de raison le gentilhomme
de 1500 à 1506, avec une décennie 1521- normand Gilles de Gouberville (1993).
1529 rafraîchie, surtout pendant les L’année 1559 est aussi une année chaude
années 1526-1529. On notera une fraî- avec des vendanges et des moissons pré-
cheur des automnes de 1509 à 1520, puis coces, mais les prix du grain ne montent
une certaine tiédeur automnale jusqu’à la pas, signe d’absence d’échaudage.
Résumé mi-temps des années 1560 (Pfister et al.,
1999). Le beau XVIe siècle n’est pas exempt
Cet article présente brièvement les d’années, ou de séquences de plusieurs
fluctuations du climat en France au années, humides et fraîches, avec des
XVI e siècle, qui est marqué par le conséquences fâcheuses. Ainsi, c’est pro-
contraste entre la tiédeur des soixante bablement la persistance d’un temps
premières années et la fraîcheur des Le beau XVIe siècle, doux et très pluvieux de l’automne 1520
jusqu’au printemps 1521 qui cause une
quarante dernières. Il aborde l’impact
de ces fluctuations sur la société et sur
vendanges et moissons mauvaise récolte de blé, avec un quasi-
certains événements historiques. Au cours des soixante premières années doublement du prix du setier de froment
du XVIe siècle, la Bourgogne connaît à Paris pendant l’année post-récolte1
plusieurs séries de vendanges précoces 1521-1522, et donc une disette, suivi
(Rousseau, 2014), conséquences de d’un effondrement des prix à partir de
Abstract printemps-étés chauds : juillet 1522 lors de l’arrivée sur le marché
– 1500-1504 : l’année 1504 est même de l’excellente moisson de 1522.
About history of climate, France, l’une des douze années les plus chaudes
16th century du dernier millénaire pour l’hémisphère À partir de 1526, une séquence fraîche et
Nord, d’après les données dendro- pluvieuse provoque une véritable crise
This paper briefly presents the cli- climatologiques (Briffa et al., 2004) ; météorologique qui se déclenche à partir
matic fluctuations in France during – 1516-1525 : la vendange du 4 septem- de l’année post-récolte 1528-1529 et
the 16th century, characterized by a bre 1516 à Beaune est la plus précoce culmine en 1531-1532. À Paris, le prix
contrast between the first sixty mild depuis la très chaude année 1473. À du setier de froment grimpe de 1,51 livre
years and the last forty cool years, Paris, le prix du blé augmente fortement 1. L’année post-récolte va du mois d’août de
and their impact on society and some en 1516, 1521 et 1524-1525, à la suite de l’année de la moisson à juillet de l’année
historical events. récoltes diminuées par échaudage ou suivante.
10 La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle
our le printemps et l’été, le XVIIe au grand hiver 1608 qui est suivi par un
0
17
Abstract 10
16
20
About history of climate, France,
17th century 15
30
1610
1620
1630
1640
1650
1660
1670
1680
1690
1700
1621-22 et atteint un maximum de provoque une nouvelle épidémie de on dispose de deux séries fondamen-
14,09 en 1622-1623 (Baulant et dysenterie en Anjou et en Bretagne (Le tales de températures mensuelles qui
Meuvret, 1962). Roy Ladurie, 2004). vont durer jusqu’à nos jours.
On aura aussi une année très difficile en Au milieu de la séquence tiède de 1636- Quelques années après le début de la
France à partir de la récolte de 1630. 1647, les quatre années de 1640 à 1643 séquence tiède de 1659-1671, les pluies
Dans le Val de Loire, le Sud-Ouest, la sont fraîches et humides, avec des ven- excessives sur la moitié nord de la
Bretagne et le Nord, les pluies conti- danges tardives en Bourgogne. Les prix France en janvier, puis d’avril à septem-
nuelles de l’automne 1629, de l’hiver et du blé augmentent fortement dans le bre 1661, affectent les moissons, occa-
du printemps 1630 provoquent la Bassin parisien et ne baissent qu’après sionnant la famine de 1661-1662
grande famine de 1630-1631 : « Au la récolte de 1644. Le Sud-Ouest et la (Lebrun, 1975). Sur le marché parisien,
mois de May 1630 et durant icelluy il Bretagne connaissent les mêmes diffi- le prix du sétier de froment, qui
pleust en abondance desquelles pluyes cultés et des révoltes de la faim éclatent s’établissait à 12 livres tournois en
furent noyez les fruicts de la terre, et en 1643, en particulier en Aveyron 1654, grimpe presque incroyablement à
delà s’en suivit la grande famine qui où les Nouveaux Croquants parvien- 40 livres tournois ou davantage d’avril à
commença à l’este et dura depuis le nent à s’emparer temporairement de juillet 1662, quand les stocks de grain
mois d’Aoust 1630 jusques a la fin du Villefranche-de-Rouergue en y entrant sont épuisés. Face à cette énorme dis-
mois de May 1631. » (Journal des « tambour battant et mèche allumée ». ette, l’État central intervient en faisant
Malebaysse, cité par Couyba, 1902). venir des grains de Bordeaux, de
On signale des émeutes de subsistance à Bretagne et de la Baltique. Bossuet
Lyon, à Dijon et à Caen et des paysans prêche contre l’avarice des riches aux
morts de faim dans l’Agenais ; indica-
tion très importante, car on pense tou-
Les désastres dépens des pauvres. Néanmoins, les 5 et
6 juin 1662, au plus fort de cette tragé-
jours aux épidémies de typhus, de la Fronde die frumentaire, le jeune roi Louis XIV
dysenterie et fièvre proliférant sur la donne une fête splendide dans la cour
sous-alimentation, mais on oublie que La séquence fraîche de 1648-1658 des Tuileries à Paris, le Grand
des personnes meurent directement de débute par trois années très pluvieuses, Carrousel.
faim. La mortalité française de 1631 est en coïncidence avec les violents mouve-
l’une des plus fortes connues. Compte ments populaires et bourgeois contre Indépendamment de ces phénomènes
tenu du creux de natalité, le déficit Anne d’Autriche. C’est la Fronde du tragiques de courte durée (une ou deux
démographique national s’élève à plu- parlement, accompagnée de révoltes années), les printemps-étés de 1659 à
sieurs centaines de milliers d’âmes populaires dont certaines pour les sub- 1671 sont relativement tièdes, avec des
(Dupâquier, 1991). sistances comme en 1649, année remar- dates de vendanges précoces en
quable par son hiver long et rude suivi Bourgogne, sauf en 1663. Le prix du blé
La séquence fraîche de 1617-1635 pro- d’un printemps et d’un été frais et plu- baisse progressivement lors des années
voque, avec un décalage de sept à huit vieux. La mauvaise moisson de 1649 de relative abondance de 1663 jusqu’en
ans, une poussée impressionnante de la explique la forte hausse du prix du fro- 1672. C’est la belle époque colber-
Mer de Glace, jusqu’à un maximum ment à Paris pendant l’année post- tienne.
historique vers 1644 avec un front gla- récolte 1649-1650. Ensuite, la Fronde
ciaire plus avancé que lors des futurs des Princes, à partir de 1650, persévère Une séquence fraîche, brève mais bien
maxima de 1821 et 1852. dans le désastre jusqu’en 1653. Le prix caractérisée, marque les années 1672 à
du seigle connaît des pointes très fortes. 1675, avec à Dijon une vendange tar-
Comme Ernest Labrousse l’a remarqué, dive le 5 octobre 1673 et très tardive le
le seigle, céréale populaire par excel- 14 octobre 1675. Dans la vallée du
lence, est plus sensible à la hausse des Rhône, des pluies ininterrompues
Séquence tiède prix que le froment (Labrousse, 1933). s’abattent à partir du début du mois de
Le cas est très net au moment de la novembre 1674. Le Rhône connaît
mais meurtrières Fronde, mélange de causalités météoro- sa plus forte crue du XVIIe siècle et, le
épidémies logiques et de guerre civile. La récolte
de 1658 est gravement affectée par des
16 novembre, la ville d’Avignon est
envahie par les eaux (Pichard et
Une séquence un peu plus tiède s’étend pluies et des inondations. À Paris, la Roucaute, 2014). Le 24 juillet 1675, au
de 1636 à 1647. Trois années de suite, crue de 1658 est comparable sinon pire vu de la fraîcheur, Madame de Sévigné
les vendanges dijonnaises sont remar- que celle de 1910 et à Pontoise, l’église se demande dans une lettre à sa fille si
quablement précoces : 4 septembre Notre-Dame est inondée. « le procédé du Soleil et des saisons est
1636, 3 septembre 1637 et 9 septembre tout changé ». C’est en effet l’époque
1638. Paradoxalement, en 1636, alors du minimum de Maunder (1645 à
que la récolte de blé est excellente, la 1715), période au cours de laquelle les
France connaît un très important pic de
mortalité, de l’ordre du demi-million de
Débuts des séries taches solaires ont cessé d’être visibles.
Il est possible que la marquise ait pu
décès supplémentaires. La peste ne suf- thermométriques obtenir des informations à ce sujet de la
fit pas à expliquer cette hécatombe. En
fait, durant les fortes chaleurs de l’été en France part des astronomes de l’Observatoire
de Paris. Une pointe modérée des prix
1636, la baisse du niveau des rivières
facilite la pollution de l’eau et provoque
et en Angleterre du blé est enregistrée à Paris en 1675
sous l’effet d’une récolte vraisembla-
une épidémie meurtrière de dysenterie À partir de juin 1658 pour l’Île-de- blement amoindrie par les intempéries.
dans le nord de la France. La sécheresse France (Rousseau, 2013) et à partir de Mais on ne peut pas parler d’une impor-
de l’été et du début de l’automne 1639 1659 pour l’Angleterre (Manley, 1974), tante crise de subsistance.
14 La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle
Hiver 1608 1621 1649 1658 1660 1663 1672 1677 1679 1681 1684 1692 1695 1697
Anomalie
–4,1 –2,0 –2,2 –2,7 –3,5 –2,9 –4,1 –2,7 –4,2 –3,6
de température (°C)
Indice 8 8 7 7 7 8 7 7 7 7 9 7 8 8
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16 La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle
Abstract
About history of climate, France,
18th century
This paper briefly presents the clima-
tic fluctuations in France during the
18 th century and their impact on
society and some historical events.
The 18th century is at first marked by
the great winter of 1709, responsible
for the last French great famine, and Figure 1. La vallée de Chamonix, vue du Planet, près d’Argentière (1780). Sur cette gravure admira-
it ends with the pre-revolutionary blement précise de Hackert, le glacier d’Argentière est tout proche de l’église du village (Le Roy
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La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle 17
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20 La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle
Résumé
Cet article présente brièvement les
fluctuations du climat en France au
XIXe siècle et aborde l’impact de ces
fluctuations sur la société. Le XIXe est
marqué par les dernières crises de sub- our le printemps et l’été (mois
Les conséquences de
sistance qui ont d’importances consé-
quences sociales en contribuant aux
révolutions de 1830 et 1848. Le rapide
recul des glaciers alpins après le maxi-
P d’avril à septembre), le XIXe siècle
commence par une séquence tiède
de 1800 à 1808, avec un écart de 0,3 °C
l’éruption du Tambora
La série d’années 1809-1817 connaît
au-dessus de la température moyenne à
mum atteint dans les années 1850 signe Paris calculée sur la période 1801-1900 des printemps-étés nettement plus
la fin du petit âge glaciaire. (figure 1). Néanmoins, la récolte de blé frais. À Paris, la température moyenne
de 1802 est déficitaire, conséquence de d’avril à septembre se situe 0,9 °C au-
l’enchaînement d’un automne 1801 très dessous de la séquence précédente
pluvieux, avec d’importantes crues de la 1800-1808 et 1 °C au-dessous de la
Abstract Seine, du Rhin, de la Saône et de la suivante 1818-1835. En revanche, la
Garonne en décembre 1801 et janvier moyenne des températures hivernales
About history of climate, France, 1802, d’un mois de janvier froid et d’un est très proche de celle des séquences
19th century printemps sec. Grâce aux mesures diri- précédente et suivante. L’année 1811
gistes prises par Bonaparte et aux se distingue nettement par ses tempé-
This paper briefly presents the clima- importations, la disette provoquée par la ratures élevées au printemps, en
tic fluctuations in France during the hausse des prix du froment reste limitée automne et, dans une moindre mesure,
19 th century and their impact on (Le Roy Ladurie, 2006). Ainsi, le prix en été. Ainsi, avec 12,7 °C, le prin-
society and some historical events. The moyen national de l’hectolitre de temps 1811 est le plus chaud enregis-
19th century is marked by the last food froment atteint un maximum de tré à Paris des 30 années 1782 à 1821.
shortages with serious social conse- 25,19 francs en 1802, contre 20,34 en Les vendanges à Dijon sont précoces
quences for French revolutions of 1830 1800. De 1804 à 1808, les chaleurs (12 septembre). Mais, pour les céréa-
and 1848. The retreat of the alpine gla- estivales et printanières favorisent les les, cet épisode chaud n’a pas de
ciers after the 1850s maximum cor- belles récoltes. Le prix de l’hectolitre de conséquences bénéf iques, bien au
responds to the end of the Little Ice froment reste constamment en dessous contraire, à la suite de dégâts provo-
Age. de 20 francs (Labrousse et al., 1970) qués par les orages dans le nord de la
France et par l’échaudage dans le sud.
Les mesures dirigistes n’empêchent pas
le prix du froment de doubler à Paris
entre novembre 1811 et avril 1812. Les
épidémies frappent les populations défa-
vorisées, affaiblies par la sous-alimenta-
tion. La crise agricole a des répercussions
démographiques importantes : hausse des
décès (environ 60 000 morts supplémen-
taires en 1811-1812), baisse des mariages
et des conceptions (Rollet, 1970). Les
émeutes qui affectent les grandes villes
au printemps 1812 sont brutalement
réprimées en Normandie. Ainsi, à Caen,
six révoltés sont fusillés, dont deux fem-
mes (Le Roy Ladurie, 2006). L’hiver
1813-1814 est un des plus rigoureux du
XIXe siècle, avec un écart de température
moyenne de 2,3 °C au-dessous de la tem-
pérature moyenne des hivers du siècle.
Figure 1. Fluctuations du climat au cours du XIXe siècle détectées par la température moyenne d’avril à
septembre à Paris (d’après Le Roy Ladurie et al., 2011). En rouge et bleu, les séquences chaudes et L’éruption volcanique du Tambora dans
froides. Pour chaque séquence, la moyenne est indiquée par un trait horizontal. Certaines années l’île indonésienne de Sumbawa, le
signalées dans le texte sont repérées sur le graphique. 10 avril 1815, est probablement la plus
La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle 21
forte et la plus meurtrière du dernier nettement plus que les groupes d’années Thureau-Dangin (1892), la médiocre
millénaire. Elle a des conséquences sur suivantes et précédentes. Les très médio- récolte de 1845 n’avait pas laissé
l’ensemble de la planète, les années 1816 cres moissons de 1827, 1828, 1830 et d’excédent de grains, ce qui a aggravé les
et 1817 étant particulièrement fraîches 1831 favorisent une agitation populaire effets économiques, sociaux et politiques
avec des crises de subsistance dans de particulièrement marquée à Paris en de la très mauvaise récolte de céréales en
vastes régions de l’hémisphère Nord juillet 1830 : Trois Glorieuses, chute de 1846 provoquée par un phénomène
(Post, 1977). À Londres, on observe des Charles X et avènement de Louis- d’échaudage qui a frappé la plupart des
levers et couchers de soleil très colorés Philippe (Clément, 2015). L’hiver 1829- pays d’Europe centrale et occidentale. En
dès la fin juin 1815 et, dans le nord-est 1830 est celui dont la température effet, 1846 est une année chaude, avec un
des États-Unis, un brouillard sec persis- moyenne à Paris est la plus basse enregis- été sec et caniculaire qui se classe, pour
tant au printemps et en été 1816. En trée sur la période 1658-2015. La Seine l’hémisphère Nord, parmi les douze étés
Europe et en Amérique du Nord, l’année est gelée du 28 décembre au 6 janvier et les plus chauds des 600 dernières années
1816 est restée dans les mémoires popu- du 5 au 10 février. La révolte lyonnaise (Briffa et al., 2004). À Paris, la tempéra-
laires comme « l’année sans été » des canuts en 1832 s’inscrit aussi dans ce ture du mois de juin 1846 se situe à
(Stothers, 1984). À Paris, la température contexte de cherté du blé à la suite d’une 3,5 °C au-dessus de la moyenne 1801-
moyenne des trois mois d’été juin, juillet série de mauvaises récoltes. Le prix du 1900. Circonstance aggravante, la pro-
et août (15,3 °C) est la plus basse de la froment chute ensuite, grâce aux belles duction de pommes de terre baisse de
période pour laquelle on dispose de récoltes des étés chauds de 1832, 1834 plus d’un tiers à cause de la maladie qui
mesures thermométriques (1658-2015). et 1835. Et, avec un décalage de fait des ravages dans toute l’Europe du
Les vendanges sont très tardives, le quelques années sur la période tiède Nord. Par ailleurs, la Loire et ses
25 octobre 1816 à Dijon, et les récoltes 1818-1835, le front de la mer de Glace affluents connaissent des inondations
de blé sont déficitaires. Le prix moyen recule de 359 mètres entre 1822 et 1842. catastrophiques en octobre 1846
national annuel de l’hectolitre de blé (Champion, 1861). En dépit d’un ensem-
grimpe de 19,53 francs en 1815 à 26,17 Pendant la séquence fraîche 1836-1856, ble de mesures gouvernementales, le prix
en 1816 pour atteindre un maximum de l’importante pluviosité de l’année 1839, du blé augmente fortement pour atteindre
36,16 francs en 1817. L’augmentation des particulièrement au mois de juin, semble 29,01 francs en moyenne annuelle en
décès reste limitée, mais la diminution du être responsable de la récolte de blé défi- 1847, soit 50 % de plus qu’en 1845. Les
nombre de mariages et de naissances est citaire qui a été suivie d’émeutes de sub- émeutes qui se multiplient dans l’ouest et
nettement plus sensible (Le Roy Ladurie, sistance dans l’ouest et le centre de la le centre de la France sont sévèrement
2006). On peut noter que les informa- France, de l’automne 1839 jusqu’au prin- réprimées et trois condamnations à mort
tions sur l’éruption du Tambora mettent temps 1840. Fin octobre et début novem- sont prononcées dans l’Indre. En
plusieurs mois pour atteindre la France, bre 1840, une crue exceptionnelle du Bourgogne, les déficits des récoltes de
contrairement à ce qui se passera pour Rhône et de la Saône cause des dégâts céréales, de maïs et de pommes de terre
une autre éruption importante d’un vol- considérables, en particulier à Avignon sont aggravés par des phénomènes
can indonésien, le Krakatoa en 1883, (Champion, 1862). d’accaparement et de spéculation
connue quelques jours après grâce au (Lévêque, 1983). La disette provoque une
télégraphe électrique, bien qu’elle soit En 1845, année très fraîche et plu- crise monétaire, à cause des importations
nettement moins violente. On ne réalisera vieuse, le rendement du froment chute à de blé depuis la Russie et d’autres pays, et
l’importance de l’influence des éruptions nouveau. Comme le note le grand histo- se transforme en une crise économique
volcaniques sur le climat qu’au début du rien de la Monarchie de Juillet Paul qui touche différents secteurs comme la
XXe siècle (Stothers, 1984).
Disettes et révolutions
1818-1835 est une période tiède avec des
printemps-étés chauds et secs favorables
aux céréales, dans laquelle on distingue
une phase plus fraîche et plus humide de Figure 2. La vallée de Chamonix vue du Chapeau. Au premier plan, séracs de la langue terminale de la
1827 à 1831. D’après Garnier (1974), mer de Glace. On distingue aussi le glacier des Bossons. Cette photo des frères Bisson date de 1860, huit
de 1827 à 1831 les pluies annuelles à ans après le début de la décrue et une dizaine d’années après les premières photographies de la mer de
Paris avoisinent ou dépassent 600 mm, Glace (Nussbaumer et al., 2012). Photo : Digital image courtesy of the Getty’s Open Content Program.
22 La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle
La séquence fraîche 1877-1891 cor- Figure 3. En bleu, écart (en °C) de la température moyenne mensuelle 1658-1856 à Paris à la tempé-
rature moyenne mensuelle 1857-1987 (en marron). En rouge, écart (en °C) de la température
respond à l’arrêt du recul des glaciers
moyenne mensuelle 1988-2015 à la température moyenne mensuelle 1857-1987.
alpins constaté vers 1880, stabilisation
qui durera jusqu’aux années 1930. Avec
La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle 23
Le froid est particulièrement marqué en une moisson déficitaire. Mais, grâce avec une série de beaux étés accompa-
janvier dans le sud de la France. Ainsi, à aux importations, les prix des céréales gnés de moissons abondantes et de vins
Arles, le Rhône est pris par les glaces n’augmentent pas. de qualité, mis à part des dégâts causés
du 8 janvier au 2 février. Le gel pro- aux céréales par la sécheresse et la
longé, sans couche de neige protectrice, Le XIXe siècle se termine par une sé- chaleur pendant l’été 1893.
endommage les semis, ce qui conduit à quence tiède qui va de 1892 à 1901,
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La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle 25
Impact du climat
Résumé
Grâce aux témoignages historiques,
sur la mortalité en France,
aux estimations des démographes et à
des mesures météorologiques éparses,
les principales anomalies climatiques
de 1680 à l’époque actuelle
intenses depuis 1680 ayant eu des
conséquences sur la mortalité fran-
çaise sont identifiées et commentées. Emmanuel Le Roy Ladurie1 et Daniel Rousseau2
De grands froids et des canicules, par 1 Institut de France, 75270 Paris
leurs effets directs, mais aussi des 2 Conseil supérieur de la météorologie
conditions météorologiques défavora-
bles aux récoltes et des étés très
chauds et secs favorables aux épidé-
mies ont été à l’origine d’excédents
de décès durant l’Ancien Régime
pouvant dépasser 100 000 victimes et
allant même jusqu’à 1 300 000 lors
des famines de 1693-1694. Pour le
XXe siècle et le début du XXIe, grâce
aux données météorologiques et
démographiques mensuelles pour vue d’historien, le climat ni la – relation directe, les conditions météoro-
l’ensemble de la France, les relations
entre les fluctuations des tempéra-
tures et celles des décès peuvent être
mises en évidence plus précisément.
À mort ne se peuvent regarder fixe-
ment, pourrait-on dire en para-
phrasant La Rochefoucauld(1). La mort
logiques peuvent tuer sans ambages par
action de la canicule (1719) ou du gel
(1684), autrement dit du grand froid ; la
pour les raisons que chacun connaît. Le pluie enfin ne joue qu’un faible rôle dans
Tous les hivers et occasionnellement climat, parce que son histoire, en termes ce genre de relation directe, si l’on met à
des canicules exceptionnelles sont d’historiographie justement, a été long- part le cas spécial des inondations, certes
encore responsables d’excédents de temps négligée, et qu’elle présente tueuses d’hommes elles aussi ;
décès dépassant la dizaine de milliers. maintes embûches et difficultés spéci- – relation indirecte par la médiation des
fiques. D’où, incidemment, la susdite subsistances ; en Europe, il s’agit des
négligence. céréales ; du « blé », lui-même étant un
nom générique pour le froment et aussi
Abstract Nous voudrions ici nous en tenir au pro- pour d’autres grains panifiables (seigle,
blème des grandes ou parfois moins etc.). L’action négative des conditions
Climatic impact on mortality in grandes mortalités d’origine météorolo- météorologiques, quand elle est contraire
France from 1680 up to now gique intervenues de 1680 à nos jours ; aux intérêts agricoles et humains, pro-
soit mortalités caniculaires, ou encore voque la famine, ou la simple disette qui
We have used historical data, demo- hivernales ; ou liées à la disette voire à la peut tuer elle aussi.
graphers’ estimates and various famine, les subsistances céréalières ayant
meteorological measurements to fait défaut pour cause de médiocres mois- Cela se joue non point à deux (grand hiver
identify and to comment the most sons, elles-mêmes induites par les ou canicule, d’où morts assez nombreu-
intense climatic anomalies, the ones attaques d’un grand hiver (1709) ou ses), cas de la relation directe, mais à trois,
that had visible consequences on celles de la pluie (1692-1693) ; ou encore en fonction des ennemis du blé qui sont :
French mortality. We were particu- celles de la canicule avec sécheresse et – l’excès de pluie (exemple : disette de
larly interested in severe winters and échaudage (1846) et puis les événements 1740) ;
heat waves and their direct conse- de 2003, soit 15 000 victimes en France – le gel long et rude (exemple : 1709) ;
quences on human mortality. We have pour cause de mois d’août excessivement – l’échaudage(2)-sécheresse (exemple :
also looked at indirect effects such as brûlant, confèrent quelque actualité à 1846).
weather unfavourable to cereal har- notre entreprise.
vests causing mortality through grain Le tout pouvant se prêter à des combinai-
scarcity, famines and collateral epide- sons variées ; les plus fréquentes étant
mics due to malnourishment. For the « grand hiver plus énormes pluies de
period before 1850 we have only
considered mortalities above 100,000
La surmortalité sous printemps et d’été, éventuellement froi-
des » (1740) ; ou encore « échaudage-
persons. For the period 1850 to 2007, l’Ancien Régime sécheresse de fin de printemps et de
monthly meteorological and demo- début d’été, le tout suivi ou accompagné
graphic data were available and so we Sous l’Ancien Régime, notamment d’intempéries estivales » (1811).
obtained a more precise relationship l’Ancien Régime économique, hérité du
between fluctuation of temperatures Moyen Âge et qui prend fin vers 1860, la (1) La Rochefoucauld : « Le soleil ni la mort ne se
and mortality. All winters and some relation du climat et en général des condi- peuvent regarder fixement ». Maximes et pensées.
Éditions André Silvaire, Paris, 1991.
severe heat waves are still responsible tions météorologiques (le temps qu’il fait, (2) Accident de croissance des grains de céréales
for yearly excesses of mortality grea- inévitablement variable), vis-à-vis de la provoqué par un excès de chaleur lorsque le grain
ter than 10,000 people. mortalité, peut prendre deux formes : n’est pas encore mûri.
26 La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle
Température moyenne en °C
(en Angleterre centrale) que dans celle de Morin
reconstituée par Legrand (pour Paris). Morin Renou
12
11
10
La famine de 1693 9
1681
1683
1685
1687
1689
1691
1693
1695
1697
1699
1701
1703
1705
1707
1709
petit coup d’échaudage (1693) par-
dessus le marché. Elle se situe dans le
cadre du minimum de Maunder (1645-
1715), et plus spécialement du Late
Maunder Minimum ou LMM (1675-
1715). « Grève » des taches solaires à récolte de 1693 : manque de grain et diff icile année post-récolte 1693-
la surface de notre étoile, à laquelle un de pain. Un certain nombre de person- 1694) à 1 300 000 personnes, soit
certain nombre de climatologues attri- nes meurent directement de faim ; mais, 5,8 % de la population française dans
buent la baisse des températures à la pour l’essentiel, ce sont les épidémies, le cadre virtuel de l’Hexagone contem-
surface de notre globe, notamment en favorisées par la sous-alimentation, qui porain, lui-même matriciel de nos sta-
Europe, France incluse (Bard et al., aggravent considérablement la morta- tistiques démographiques (figure 2).
1997). lité, vraisemblablement typhus, dysen- C’est de très loin la plus grande cata-
terie, fièvres diverses, puisque la peste strophe démographique qu’ait éprou-
Les séries thermométriques de Manley a disparu du territoire national (sauf un vée la France depuis les années 1680
(Hulme et Barrow, 1997) et Legrand peu plus tard, localement, à Marseille jusqu’à nos jours ; une France, rappe-
(Legrand et Le Goff, 1992), en particu- en 1720). Les bandes de mendiants lons-le, qui comptait 20 à 22 millions
lier, enregistrent les fraîcheurs et les promènent l’infection contagieuse tout d’habitants selon les années à
froidures de la f in du XVII e siècle au long des routes et des villes du l’époque ; un désastre mortel pire que
(1687- 1700) avec beaucoup de force royaume. Les pauvres sont évidem- ceux qu’engendreront les guerres de la
(figure 1), et les dates de vendanges ment les principales victimes ; mais les Révolution et de l’Empire, celles de
dijonnaises prennent une douzaine de riches ou les aisés ne sont pas néces- 1870, de 1914-1918 et de 1939-1945.
jours de retard pendant les années sairement épargnés par les épidémies, Les meilleurs esprits de l’époque,
1690, par contraste avec les années et parfois du fait de la sous-alimenta- Vauban, Fénelon…, en même temps
1680 dont les récents travaux de tion, elle aussi. Au terme de calculs que l’opinion publique, ont sévèrement
Valérie Daux (Le Roy Ladurie et basés sur les données de l’époque et accusé le coup. Sévèrement à l’encontre
Vasak, 2007) montrent que certaines sur les travaux de l’Institut national du Roi Soleil, ce qui était quelque peu
années y furent très réchauffées par d’études démographiques (Ined), injuste, car la guer re de la Ligue
rapport à ce qui surviendra au Lachiver (1991) évalue le nombre des d’Augsbourg (1688-1697) qu’il menait
contraire dans le registre du froid et morts supplémentaires en 1693 et 1694 envers et contre tout, était loin d’être la
parfois du glacial, postérieurement à (c’est-à-dire notamment pendant la seule responsable du malheur public.
1687. Les causes immédiates de la
catastrophe de 1693-1694 tiennent aux
très fortes pluies par temps frais ou
froid de l’été et de l’automne 1692 ;
récolte des grains 1692 abîmée déjà ; Nombre de décès en France de 1680 à 1719
(D'après M.Lachiver)
surtout semailles ratées dès l’automne 1 700 000
1692. Les charrues n’entrent plus dans 1693-1694
1 600 000
les terres excessivement détrempées.
1 500 000
La série noire, si l’on peut dire, conti-
nue en 1693, pluies au printemps et 1 400 000
début d’été avec un petit coup 1 300 000
d’échaudage en août pour compléter le 1 200 000 1719
1709-1710
tableau. C’est « la cerise sur le 1 100 000
gâteau ». D’où gros déf icit de la 1 000 000
900 000 1705-1706-1707
800 000
700 000
Figure 2 - Évaluation
du nombre de décès annuels 600 000
en France de 1680 à 1719. 500 000
1680
1682
1684
1686
1688
1690
1692
1694
1696
1698
1700
1702
1704
1706
1708
1710
1712
1714
1716
1718
surtout 1771 ; mais il n’est plus ques- subsistances corrélative ont pu inaugu- Au total, nous ne donnons ici que des
tion de famine ultramortalitaire rer un cycle de mortalité devenant ordres de grandeur obtenus à l’aide de
comme au temps de Louis XIV. ensuite purement épidémique, qui cul- méthodes flexibles : différences de mor-
L’économie française a beaucoup pro- mine en 1803 avec 150 000 morts et talité d’une année sur l’autre (quand le
gressé depuis le « Roi Soleil » (Le Roy 1804 avec 190 000 morts (Dupâquier, sursaut est extraordinairement specta-
Ladurie, 2006). 1988 ; Le Roy Ladurie, 2006). culaire), ou par rapport à l’année
d’avant et à l’année d’après. Utilisation
1811 : canicule, crise de subsistance, parfois de la deuxième année après une
émeutes, dure répression, mais poussée mauvaise récolte : ainsi 1741, bien plus
de mortalité insignifiante (sauf pour la traumatisée que la première année qui
Prérévolution, Grande Armée en Russie !) pourtant a lancé la crise dès 1740 ; ou
bien comparaison avec le chiffre
révolution Quelques années plus tard, avec 1816, décennal ; enfin utilisation d’un bloc de
l’année sans été, nous sortons entière- deux années malheureuses (1846 et
et première moitié ment de l’orbite caniculaire. L’éruption 1847, voire 1803 et 1804), etc.
du XIXe siècle indonésienne du Tambora, en avril
1815, est-elle à mettre en cause ? De ce Nous n’avons exposé, dans ce qui pré-
Nous en arrivons maintenant à la fait, année pourrie en 1816. Mauvaise cède, que la ligne de crête et nous avons
période immédiatement prérévolution- récolte en France, agitation sociale mais laissé de côté la mortalité hivernale ordi-
naire, puis révolutionnaire, enfin impé- surmortalité insignifiante. naire, laquelle est, comme chacun sait,
riale (Premier Empire). Nous disposons considérable. Nous ne nous intéressons
alors, sur les courbes thermiques de Enfin, l’ultime et complexe canicule de qu’à l’extraordinaire, comme par exem-
Manley (1974) et de Renou (1887), 1846. D’abord la maladie de la pomme ple en 1709 et en 1740. Nous avons peut-
d’une série d’années plutôt tièdes, en de terre en 1845, fungus infestans, spore être trop « exemplifié » les canicules, car
tout cas pas trop fraîches, de 1787 à pataticide importée d’Amérique par voie au Moyen Âge et jusque vers 1600 et
1811 (figure 3). D’où occurrence de maritime. Puis canicule-sécheresse très même au-delà, les années pourries ou
quelques remarquables canicules : violente de 1846, en France et ailleurs en glaciales et pourries, paraissent essentiel-
1788, 1794 et 1811. Canicules de prin- Europe. Ce double impact (fungus et les à notre thème, davantage peut-être
temps-été-automne (il y a des varia- canicule-sécheresse) induit misère et chô- que les canicules. Mais il y a là pourtant,
tions), avec intempéries estivales, le mage intense du textile et du bâtiment en dans notre texte, avant même que soient
tout étant dangereux pour l’agriculture 1847 par report du pouvoir d’achat popu- obtenus ultérieurement des chiffres plus
et pour les humains, avec impact morta- laire sur le pain devenu très cher. On précis et plus exacts, une première
litaire, le cas échéant. achète beaucoup moins les tissus et les approximation qui donne à tout le moins
services des maçons. Mévente du textile. une idée sur l’air du temps, « du temps
Canicule sèche d’abord (d’où échau- Hyper-paupérisme du prolétariat, soit qu’il a fait », éventuellement ultramor-
dage) plus intempéries estivales : il 80 000 morts de plus en 1846 (pour des tel, depuis la fin du XVIIe siècle jusqu’en
s’agit de 1788 ; mauvaise récolte céréa- raisons directement caniculaires égale- première moitié du XIXe siècle inclusive-
lière, mais pas ou peu de morts – la ment) et 110 000 décès additionnels en ment. Il s’agit essentiellement, répétons-
France a beaucoup progressé – mais 1847. Au total près de 200 000 morts le, d’ordre de grandeur (tableau 1).
crise de subsistances donnant lieu à des supplémentaires environ. Et au bout de
émeutes prérévolutionnaires, puis révo- tout cela la révolution de 1848 avec ses Il y a eu certainement un changement
lutionnaires en 1788-1789. innombrables causalités, le climat de vitesse depuis la terrible époque
n’étant qu’un simple instrumentiste louis-quatorzienne jusqu’à un XVIII e
1794 : canicule plus intempéries d’été, parmi d’autres dans un immense orches- moins meurtrier, sans parler ultérieure-
idem (voir 1788). Mauvaise récolte tre « causalitaire » en effet (Le Roy ment d’un XXe siècle, nettement assagi,
céréalière, mortalité forte, surtout dans Ladurie, 2006). notamment après 1911.
les villes, mais non mesurable en
termes démographiques. Formidables
émeutes de subsistances, du prin-
temps 1795 (révoltes parisiennes de
« Prairial »). Moyenne annuelle des températures de 1781 à 1820
13
Température moyenne en °C
1783
1785
1787
1789
1791
1793
1795
1797
1799
1801
1803
1805
1807
1809
1811
1813
1815
1817
1819
Tableau 1 - Années dans la période 1680-1900 où des aléas climatiques Ordre de grandeur de l’excédent de décès*
sont à l’origine d’un excédent d’au moins 100 000 décès.
1693-1694 Mauvaises récoltes 1692 et 1693 par excès de pluies. Famines et épidémies. 1 300 000
1705-1706-1707 Sécheresse et chaleur estivale. 200 000
1709-1710 Grand hiver 1709. Mauvaise récolte. Disette 1709-1710. 600 000
1718-1719 Étés très chauds. Dysenterie 1719. 400 000
1740- 1741 Grand hiver 1740. Excès de pluies. Mauvaise récolte. Disette 1741. 100 000
1747 Été très chaud. Dysenterie. 200 000
1779 Été très chaud. Dysenterie. 200 000
1803-1804 Mauvaise récolte 1802 par excès de pluie. Épidémies. 300 000
1846-1847 Été très chaud et mauvaise récolte céréalière1846. Maladie des pommes de terre. 200 000
1859 Été très chaud. Dysenterie. 100 000
2 000
Les sources de données 1 900
Pour étudier les relations entre le climat
1 800
et la mortalité, nous utiliserons des don-
nées moyennées temporellement sur le 1 700
mois et moyennées spatialement sur 1 600
l’ensemble du territoire français.
1 500
1 400
1901
1906
1911
1916
1921
1926
1931
1936
1941
1946
1951
1956
1961
1966
1971
1976
1981
1986
1991
1996
2001
2006
1921
1926
1931
1936
1941
1946
1951
1956
1961
1966
1971
1976
1981
1986
1991
1996
2001
2006
Figure 5 - Nombre moyen de décès journaliers en France en hiver et en été de 1901 à 2007.
et de la grippe espagnole. Pour les Pour les températures réalisée selon la procédure définie par
années proches de 1901 et de 2007, Pour les températures, nous avons uti- Moisselin et al. (2002), permet, par
l’intervalle sur lequel s’opère la lisé un indicateur thermique mensuel, comparaison avec des observations
moyenne est progressivement réduit. De calculé par Météo-France. voisines, de rectifier des données bru-
plus, un lissage est opéré, éliminant les tes qui pourraient être entachées
fluctuations de période égale à deux ans. Cet indicateur a été construit sur la d’erreurs dues à des modif ications
On observe une diminution assez régu- période 1899-1946 en moyennant les d’emplacement des mesures ou des
lière du nombre de décès, bien que la anomalies mensuelles de 32 séries modifications de la procédure instru-
population se soit accrue durant cette « homogénéisées » de température mentale, le tout pour les rendre compa-
période. journalière moyenne (moyenne de la rables aux mesures actuelles. Pour la
température maximale et de la tempé- période 1947-2007, l’indicateur a été
La figure 5 montre pour les quatre mois rature minimale) régulièrement répar- construit en moyennant les anomalies
d’hiver (de décembre à mars) et les qua- ties sur la France (f igure 6). Cette de trente séries brutes, elles aussi régu-
tre mois d’été (de juin à septembre) le « homogénéisation » des données, lièrement réparties (f igure 7).
nombre de décès et les références lissées
correspondantes. On note une prépondé-
rance constante des décès hiver-
naux sur les décès estivaux,
cette différence ayant
notablement
évolué au cours
du siècle, pour
atteindre une plus
faible valeur rela-
tivement constante
de 1976 à 2007.
-2
Analyse -3
1901
1906
1911
1916
1921
1926
1931
1936
1941
1946
1951
1956
1961
1966
1971
1976
1981
1986
1991
1996
2001
2006
de la chronologie mensuelle
du nombre de décès Figure 8 - Anomalie des températures moyennes d’été de 1901 à 2007 (anomalie par rapport à la température
Afin de mieux appréhender les relations moyenne de la période de référence 1971-2000).
existant entre le nombre de décès et les
aléas du climat, une analyse plus fine
que l’échelle saisonnière est très utile.
À titre d’illustration, la figure 10 four-
Anomalie des températures d'hiver (déc. à mars) de 1901 à 2007
nit, mois par mois, la moyenne des 2
décès journaliers comparée à une réfé-
rence mensuelle lissée, c’est-à-dire
Anomalie des températures en °C
1
constituée de façon analogue aux réfé-
rences annuelles et saisonnières décrites
0
précédemment.
2005
Cette chronologie du début de XXIe siè- -1
1986
cle montre des caractéristiques, que l’on 1918 2006
trouve de la même façon pendant tout le -2 1932 1953 1964
1941 1956 1971 1985 1987
XXe siècle : 1907 1947
1909 1935
– une variation annuelle avec systémati- -3 1917 1929 1942 Moyenne lissée sur 11 ans
quement un maximum pendant l’un des Données brutes
mois d’hiver. La valeur de ce maximum -4
1963
fluctue largement d’hiver en hiver. On
1901
1906
1911
1916
1921
1926
1931
1936
1941
1946
1951
1956
1961
1966
1971
1976
1981
1986
1991
1996
2001
2006
remarque en particulier, sur les périodes
hivernales, une forte anomalie positive Figure 9 - Anomalie des températures moyennes d’hiver de 1901 à 2007 (anomalie par rapport à la température
(des décès) en févier-mars 2005, cor- moyenne de la période de référence 1971-2000).
respondant à un hiver rigoureux et tardif
qui augmente d’environ 10 000 la sur-
mortalité hivernale systématique ;
– un minimum en été, sauf pointes
Figure 10 - Évolution, mois par mois, du nombre moyen de décès journaliers de 2001 à 2007. Courbe rouge : décès
exceptionnelles correspondant à des constatés de l’année A. En bleuté, moyenne, mois par mois, des décès de l’année A-5 à l’année A+x, avec x = 5
canicules. Celle de juin à août 2003 cor- jusqu’en 2002 ; puis x = 2007-A. Les mois de canicules de juin à août 2003 et de juillet 2006 ont été ignorés dans la
respond à un excédent total de décès de moyenne. Toutes les pointes majeures sont hivernales ; en 2003 s’est ajoutée une forte pointe estivale.
près de 20 000, et celle de juillet 2006
correspond à un excédent sensible, mais Nombre de décès journaliers comparés à une référence moyenne de janvier 2001 à décembre 2007
beaucoup plus modeste d’environ 3 000 1 900
(Rousseau, 2006).
1 800
1 700
Évaluation 1 600
du nombre des décès
liés aux canicules 1 500
1963 1929
115% avec forte surmortalité sont datées en noir.
1917 1970
110% 1909
1956 1986 encore 32 000 durant le récent hiver
105% 2005 1990
1985 1947 relativement froid de 2005. L’excédent
100% 1934 1971 de décès est calculé par rapport à la
2006 1932 moyenne lissée sur onze ans des décès
95% 1987 hivernaux. Cet excédent par rapport à la
1964
90%
moyenne lissée des décès hivernaux
atteint 50 000 pour un hiver très rigou-
85% reux comme 1929. Dans les trente
dernières année, la dépendance de la
80% mortalité vis-à-vis des rigueurs de
-3,2 -2,8 -2,4 -2,0 -1,6 -1,2 -0,8 -0,4 0,0 0,4 0,8 1,2 1,6 2,0 2,4
l’hiver s’est atténuée, mais la « surmor-
Anomalie de température en °C talité hivernale » oscille encore selon
les hivers dans une fourchette de
surmortalité supérieure à la moyenne. Le tableau 3 fournit quantitativement le 10 000 à 30 000.
Une épidémie de grippe en est sans doute bilan des hivers froids : la « surmor-
l’explication principale pour 1949. Le talité hivernale » et l’excédent de
développement de la pratique des vacci- décès par rapport à la moyenne des
nations contre la grippe depuis les années décès hivernaux. La « surmortalité Conclusion
1970-1980 a permis de diminuer les hivernale » est définie ici comme le
décès dus à la grippe, qui a été longtemps nombre de décès en excédent durant les On voit que la situation, ce n’est pas un
mise en avant comme cause de la sur- quatre mois d’hiver par rapport au nom- scoop, est allée en s’améliorant. De
mortalité hivernale. Pour 1990, bre moyen de décès les quatre mois pré- 1692 à 1719, on tourne autour du
l’épidémie de grippe n’explique sans cédents et des quatre mois suivants. La million de victimes (1693) ou du demi-
doute qu’en partie l’excédent de décès « surmortalité hivernale » a dépassé million (1709) ou du tiers de million de
observé. 100 000 en 1929, 60 000 en 1963 et morts (1719).
Tableau 3 – Bilan des années de grands froids de 1902 à 2007. De 1739 à 1848, on s’en tient aux
100 000, parfois 200 000 morts ou
Surmortalité Excédent davantage selon les cas : selon qu’il
Anomalie de température s’agit de crises de subsistance enra-
hivernale à la moyenne
cinées dans le froid et dans l’humide
Déc.
Janv. Fév. Mars Arrondi au millier Arrondi au millier (1740) ; ou encore s’agissant d’une
A-1
forte canicule, elle-même compliquée
1907 -3,1 -1,6 -3,1 -0,9 75 000 50 000 d’agression fongique contre les pom-
1909 -1,2 -2,4 -3,2 -2,5 65 000 20 000 mes de terre (1846-1847) ; ou encore on
1911 1,2 -3,2 -0,8 -0,7 68 000 15 000 peut avoir affaire à des hypercanicules,
1917 -0,5 -3,2 -3,9 -3 74 000 30 000 telles qu’en 1719, 1747 et 1779.
1918 -4,7 -0,4 0,2 -0,8 34 000 -13 000
1929 -1,3 -3,8 -4,9 -0,3 102 000 50 000 Quant au XXe siècle, disons plus large-
1932 -2,4 0,7 -4,1 -1,2 48 000 -9 000 ment toute la période qui va de 1850 à
1934 -5,5 -0,6 -2,1 -1 50 000 -2 000 nos jours, le chiffre des pertes tourne au-
1940 -2 -5,3 0,2 0,1 97 000*
dessous, voire très au-dessous, de la
1941
barre des 100 000 personnes, à
-4,4 -3,4 -0,4 0,2 49 000*
l’exception de l’hiver particulièrement
1942 -1,9 -4,6 -5,4 1,2 77 000*
meurtrier de 1929. La canicule la plus
1944 -1,5 0,8 -3,3 -2,6 60 000*
« tueuse », celle de 1911, monte « seule-
1945 -1,5 -5,5 2 0,7 55 000* ment » à 40 000 victimes, ce qui est
1947 -3,4 -3 -3 0,6 60 000 3 000 énorme selon nos critères contempo-
1953 -1,1 -3,5 -2,3 0,1 82 000 34 000 rains, mais nettement moins grave que
1956 1,6 0,5 -9,4 -0,4 51 000 12 000 lors des gigantesques massacres
1963 -3,7 -5,4 -5,1 -0,4 61 000 30 000 d’origine estivale et solaire qu’on avait
1964 -3,6 -2,8 0,6 -1,4 26 000 -11 000 enregistrés au XVIIIe siècle. Quant aux
1970 -3,7 0,4 -0,1 -2,7 39 000 22 000 crises de subsistances d’origine météo,
1971 -2,6 -0,8 -0,8 -3,7 26 000 -2 000
1985 -0,3 -5,1 -0,5 -1,8 28 000 9 000 * Les hivers rigoureux 1940, 1941, 1942, 1944,
1986 0,6 0,2 -5,2 -1 31 000 13 000 1945 ont été inclus dans ce tableau, bien que le
1987 0,3 -5 -0,9 -2,1 16 000 -6 000 calcul de la surmortalité hivernale soit perturbé
par la répartition de pertes civiles dues à la guerre.
2005 -0,8 0,5 -2,2 0 32 000 8 000
L’excédent à la moyenne n’a pas été calculée, la
2006 -2,1 -1,1 -1,5 -0,3 18 000 -5 000 moyenne étant perturbée par ces pertes civiles.
La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle 35
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Réunissant une série d’articles publiés de 2009 à 2016
dans la revue scientifique La Météorologie, ce fascicule
retrace les principales fluctuations du climat en France
entre les XIVe et XIXe siècles, leur impact sur la société et sur
plusieurs événements historiques.
Les auteurs
Emmanuel Le Roy Ladurie, membre de l'Institut, professeur émérite
au Collège de France, spécialiste de l'histoire du climat
Daniel Rousseau, ancien directeur de l'École nationale de la météorologie
Jean-Pierre Javelle, membre du comité de rédaction de La Météorologie