Histoire Du Climat Web

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Réunissant une série d’articles publiés de 2009 à 2016

dans la revue scientifique La Météorologie, ce fascicule


retrace les principales fluctuations du climat en France
entre les XIVe et XIXe siècles, leur impact sur la société et sur
plusieurs événements historiques.

À l'aide d'exemples et d'illustrations, il aborde différentes


méthodes élaborées par les historiens et les climatologues
pour reconstituer les climats passés, en particulier lorsque
les séries de mesures météorologiques quantitatives
n’existaient pas encore.

Les auteurs
Emmanuel Le Roy Ladurie, membre de l'Institut, professeur émérite
au Collège de France, spécialiste de l'histoire du climat
Daniel Rousseau, ancien directeur de l'École nationale de la météorologie
Jean-Pierre Javelle, membre du comité de rédaction de La Météorologie

Édité par : Sur l’histoire du climat en France


@MeteoetClimat MeteoetClimat
depuis le XIVe siècle
Emmanuel Le Roy Ladurie, Daniel Rousseau,
Avec le soutien de :
Jean-Pierre Javelle

Maquette, impression : Météo-France


7, rue Teisserenc de Bort - CS 70558 - 78197 Trappes Cedex
ISBN 978-2-95563121-8 - Dépôt légal : 2e trimestre 2017 - © SMF 2017
SOMMAIRE

Sur l’histoire du climat en France


Emmanuel Le Roy Ladurie, Jean-Pierre Javelle et Daniel Rousseau

Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2

le XIVe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

le XVe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6

le XVIe siècle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

le XVIIe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12

le XVIIIe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16

le XIXe siècle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20

Impact du climat sur la mortalité en France,


de 1680 à l’époque actuelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
Emmanuel Le Roy Ladurie et Daniel Rousseau
2 La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle

Sur l’histoire du climat en France :


introduction

ous avons entrepris de publier

N une série de brefs articles sur


l’histoire des fluctuations du cli-
mat entre les XIVe et XIXe siècles, à rai-
son d’un article par siècle. Nous nous
concentrerons sur la France, en abor-
dant l’impact de ces fluctuations sur la
société et sur certains événements histo-
riques. Le début de cette série coïncide
presque exactement avec le commen-
cement de ce que l’on appelle le petit
âge glaciaire, marqué par une succes-
sion d’avancées des glaciers alpins. Il
correspond aussi à une époque où les
sources documentaires, directes ou indi-
rectes, sur le climat et ses conséquences
deviennent plus nombreuses.

Nous signalerons des événements Les premières mesures de température en France datent de 1658. Afin de reconstituer une chronique
météorologiques significatifs par leur du climat pour des époques plus anciennes, d’autres quantités, liées aux aléas du climat, sont utilisa-
ampleur et leurs conséquences humai- bles. C’est ainsi que les dates de vendanges, qui ont été relevées et conservées de façon quasi conti-
nes et nous mettrons en évidence, nue (en Bourgogne en particulier depuis la fin du XIVe siècle), sont particulièrement utiles car elles sont
quand c’est possible, les fluctuations bien corrélées aux températures d’avril à septembre. La figure donne les températures annuelles
d’avril à septembre depuis 1658 et leur moyenne sur 11 ans, ce qui met bien en évidence des suc-
climatiques pluridécennales. cessions de séquences d’années chaudes (indiquées en rouge en haut de la figure) et d’années fraî-
ches (en bleu). Les moyennes sur 11 ans des dates de vendanges à Beaune, Salins, sur le plateau
À l’aide d’exemples et d’illustrations, suisse et à Argenteuil fluctuent généralement en concordance avec les températures. Avant 1658,
nous évoquerons différentes méthodes les moyennes sur 11 ans des seules dates de vendanges disponibles permettent l’identification de
mises en œuvre par les historiens et séquences d’années à vendanges précoces (chaudes) et de séquence d’années à vendanges tardi-
par certains météorologistes pour ves (fraîches).
reconstituer les climats passés, en parti- D’après Rousseau D., 2014. Fluctuations des dates de vendanges bourguignonnes et fluctuations
culier avant l’existence des séries de des températures d’avril à septembre de 1378 à 2010. Compte rendu du XXVII e colloque de
mesures météorologiques quantitatives. l’Association internationale de climatologie, 2-5 juillet 2014, Dijon, France.
Celles-ci n’apparaissent qu’après
l’invention du baromètre et du thermo-
mètre au XVIIe siècle et ne deviennent
relativement nombreuses qu’à partir de
la seconde moitié du XIXe siècle.
Bibliographie
Les lecteurs désireux d’en savoir plus Le Roy Ladurie E., 2004. Histoire humaine et comparée du climat. Tome 1. Canicules et glaciers XIIIe–XVIIIe siècles.
pourront se reporter aux références Fayard, Paris, 746 p.
citées en bibliographie des articles et, Le Roy Ladurie E., 2006. Histoire humaine et comparée du climat. Tome 2. Disettes et révolutions 1740-1860.
de façon plus générale, aux ouvrages Fayard, Paris, 616 p.
d’Emmanuel Le Roy Ladurie : Histoire Le Roy Ladurie E., 2009. Histoire humaine et comparée du climat. Tome 3. Le réchauffement de 1860 à nos jours.
humaine et comparée du climat en trois Avec le concours de G. Séchet. Fayard, Paris, 462 p.
tomes et Les fluctuations du climat de Le Roy Ladurie E., Rousseau D., Vasak A., 2011. Les fluctuations du climat de l’an mil à aujourd’hui. Fayard, Paris,
l’an mil à aujourd’hui, en collaboration 324 p.
avec D. Rousseau et A .Vasak.
La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle 3

Sur l’histoire du climat


en France : le XIVe siècle
Emmanuel Le Roy Ladurie1, Jean-Pierre Javelle, Daniel Rousseau2
1 Collège de France,
11 place Marcelin Berthelot, 75231 Paris Cedex 05
2 Conseil supérieur de la Météorologie, Toulouse

a notion de petit âge glaciaire Pour Christian Pfister, la période 1303-

L (PAG) est un peu exagérée quant au


vocabulaire par comparaison avec
les grands âges glaciaires qui projetaient
1328 marque le début d’un rafraîchis-
sement par rapport à ce que fut le petit
optimum climatique du IXe au XIIIe siè-
les glaciers alpins jusque dans la vallée cle (Pfister et al., 1996). Les indices
du Rhône au sud de l’actuelle ville de hivernaux proposés par cet auteur
Lyon. Mais elle est généralement retenue (figure 2) sont presque tous négatifs
par les climatologues et il nous est com- pour le XIVe siècle, notamment pendant
mode de l’utiliser. Le PAG s’étend, non son premier quart. On notera en parti-
sans fluctuations internes, de 1300 à 1855 culier les hivers très rudes de 1306 et
environ avec une avancée des glaciers de 1323.
alpins consécutive à un temps plus frais,
notamment en Suisse pour ceux de Le PAG se signale dès l’abord par
Gorner et d’Aletsch (figure 1). des situations dépressionnaires au

mètres
1100 1369 1666/67 1859/60

Extension maximale
0

Résumé
Avancée

1000

Cet article présente brièvement les Petit âge glaciaire


fluctuations du climat en France au
XIVe siècle, considéré comme le début
du petit âge glaciaire, et aborde leur 2000
impact sur la société et sur certains
Retrait

événements historiques.

3000
Abstract 3300
date
About history of climate, France,
14th century 1000 1500 2000

This paper briefly presents the clima- Figure 1. Évolution de l’extension du glacier d’Aletsch (Suisse) au cours du dernier millénaire d’après
tic fluctuations in France during the Holzhauser et al. (2005). La position de la langue terminale est estimée par un ensemble de métho-
14th century, considered as the begin- des glaciologiques, historiques et archéologiques : observations directes depuis 120 ans, sources
ning of the Little Ice Age, and their historiques (cartes, photographies, peintures, chroniques, études scientifiques) pour remonter jus-
impact on society and some historical qu’à environ 1550, techniques dendrochronologiques et analyses de traces d’occupation humaine
events. (fondations, chemins, etc.) pour remonter jusqu’au Moyen Âge.
4 La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle

printemps et en été, notamment une


période humide de 1314 à 1322, mais
surtout marquée par de grands abats
d’eau de 1314 à 1316 avec des mois-
sons très endommagées, une désas-
treuse récolte de 1315 responsable
d’une famine en Europe occidentale et
centrale (Jordan, 1996 ; Le Roy
Ladurie, 2004). Les historiens y voient
volontiers la fin du beau Moyen Âge
roman puis gothique (XIe-XIIIe siècles) :
la ferveur religieuse – processions,
prières en vue d’obtenir de bonnes
récoltes – se déploie très largement
jusqu’au retour du beau temps et de
l’abondance frumentaire.

Les pluies trop abondantes reviendront Figure 2. Indice de rigueur des hivers au XIVe siècle pour une zone géographique s’étendant sur l’Europe
pendant la décennie 1340-1349. centrale, l’Europe occidentale et le nord de l’Italie (d’après Pfister et al., 1996). L’indice peut prendre
sept valeurs entre –3 (hiver très froid) et +3 (hiver très doux). Il est établi à partir de sources documen-
L’indice pluviométrique très fort de taires (annales, chroniques locales et textes officiels). L’hiver est défini suivant les conventions climato-
cette décennie, compilé par Pierre logiques habituelles : l’hiver de l’année N regroupe décembre N – 1, janvier N et février N.
Alexandre (1987), retrouve son niveau
très élevé des années 1310-1319. En
raison de ce temps dépressionnaire qui
limite l’ablation des glaces et peut-être
aussi à cause d’hivers neigeux, le gla-
cier d’Aletsch avance et passe par un chaleur et à la sécheresse du mois vingt semaines de gel, avec gel des
maximum de longueur et d’épaisseur d’août 1360 et, incidemment, on grands fleuves Rhin, Loire, Rhône. Le
autour de 1370. Même remarque pour signale une gelée de printemps sur les glacier de Gorner opère une nouvelle
le glacier de Gorner dont la crue vignes en mai 1360. Ces néfastes progression avec des étés frais pres-
s’étale de 1350 à 1375. Ces phéno- coups d’échaudage, ou sécheresses, se qu’une année sur deux de 1356 à 1378.
mènes s’accompagnent en 1342 rencontrent en 1351, 1360 et 1361 On note un doublement voire un triple-
d’inondations en France, Toscane, (Alexandre, 1987). ment des prix du blé en 1369-1370.
Bohême, et en 1343 de déluges en Le printemps 1370 très sec est suivi
Bavière, Alsace, Suisse, Italie du Nord, L’allongement des glaciers obéit à des d’un épisode froid et de pluies abon-
Autriche. Suite aux mauvaises mois- phénomènes très différents à savoir les dantes ; les céréales subissent donc
sons de 1342-1343, les prix du blé hivers très froids de 1355 et surtout de multiples facteurs météorologiques
triplent durant ces deux années l’hiver glacial de 1364, ce dernier étant agressifs. Tout ceci se produit dans
(Mestayer, 1963). Ils retomberont à l’un des sept hivers les plus rigoureux un contexte de dépopulation post-
leur valeur habituelle en 1344 du PAG (van Engelen et al., 2001). pesteuse qui n’a pas grand-chose à
(figure 3). Les vendanges rhénanes On décompte selon les cas quinze à voir avec le climat mais qui doit
sont très éprouvées par des gelées en
septembre 1343. Nouvel épisode
superaqueux et gélif dans la moitié
nord de la France en 1345-1346-1347.
La peste noire de 1347-1348 est atroce
mais n’a pas d’origine climatique.
Aletsch et Gorner sont en progrès à
partir de 1350 (Holzhauser, 1985).
Une fois de plus, c’est le défaut
d’ablation qu’il faut mettre en cause.
Les maxima glaciaires intègrent les
fraîcheurs de 1342-1347 et de 1349 à
1370. Après 1380, un certain nombre
d’étés chauds reviennent en force. Par
delà la peste de 1348, on note les petits
coups de chaleur des années 1351 et
1360. Une crise de subsistance avec
triplement des prix du froment inter-
vient en 1351-1352. Pour une fois, les
pluies et le froid ne sont pas en cause,
mais c’est un coup de chaleur et de
sécheresse, une manière d’échaudage, Figure 3. Prix du blé à Douai de 1329 à 1500 d’après Mestayer (1963). Douai, ville située au cœur
qui a affecté les moissons de 1351. De d’une riche région agricole a été un centre important de commerce des céréales à partir du Moyen
1358 à 1360, le déficit des récoltes Âge. Les prix du blé et de l’avoine étaient relevés le 1er octobre, date à laquelle la récolte de l’année
induit une très forte hausse des prix arrivait sur le marché. Ils reflétaient donc bien l’abondance des récoltes. Les prix sont exprimés en
agricoles. Les causes tiennent à la livres parisis par rasière (unité de mesure de volume).
La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle 5

une série d’années noires avec une


vraie famine qui est donc plus accusée
Le grand hiver de 1364 dans le Midi que dans la France du
Nord. La pointe majeure des prix
L’hiver glacial de 1364 est remarquable par sa longueur et son intensité. Le très riche du blé à Toulouse dans ce contexte n’a
catalogue critique des événements météorologiques en Europe de 1000 à 1425, éta-
bli par Pierre Alexandre (1987), relève des indications convergentes tirées de plu-
pas d’équivalent pendant toute une
sieurs sources narratives ou documents (registres de comptes, de délibérations longue période (Wolff, 1954). On peut
communales, etc.) dont on trouvera ci-dessous quelques exemples (dates corrigées parler d’un épisode méridional au sens
selon le calendrier grégorien). large puisque l’Aquitaine est frappée
Chronique de l’hôtel de ville de Montpellier (1330-1412) : grand gel continuel du mais aussi l’Italie du Nord. La cherté
8 décembre 1363 au 15 mars 1364, entrecoupé par d’abondantes chutes de neige à des céréales secondaires est bien plus
trois reprises ; gel du Rhône ; eaux gelées entre Sète et Mèze ; vignes, oliviers, forte que celle du froment avec une
figuiers et autres arbres détruits par le gel. hausse de 500 % du prix du millet.
Chronik de Jacques de Koenigshofen (1346-1420), chanoine de Saint-Thomas de La trajectoire des dépressions est deve-
Strasbourg : hiver long et rude ; grand gel continuel du 29 décembre 1363 au nue nettement plus méridionale qu’à
20 mars 1364 ; gel du Rhin jusqu’en mars ; gel de la Brüsch à trois reprises, notam- l’ordinaire.
ment le 1er mars 1364 ; les cigognes qui d’habitude reviennent vers le 1er mars ne
reviennent qu’à partir du 20 mars ; arbres et vignes gelés en hiver ; cherté du bois à Bien sûr, la peste de 1348 marque
Strasbourg en hiver.
une rupture : à une France surpeuplée
Chronique rouennaise (1363-1423) : grand gel à partir du 25 décembre 1363 ; gel
succède une France dorénavant dépeu-
de la Seine du 4 janvier 1364 au 15 février 1364 ; ensuite dégel très lent, sans pluie,
jusqu’au 20 mars 1364 ; pas d’inondation lors du dégel. plée par les pestes et par les guerres.
Mais les crises de subsistance qui
étaient nombreuses avant 1348 le
demeurent, quoique peut-être à un
moindre degré, dans une France
dépeuplée mais qui reste pauvre et
malheureuse du fait des conflits guer-
supporter de surcroît les mortalités d’environ 30 %. Ces pluviosités post- riers. La dépopulation ne provoquera
dues au complexe mauvais climat- sécheresse de 1374 provoquent enf in l’élévation du niveau de vie
mauvaises récoltes. l’inondation de la Seine et on relève de populaire que progressivement à partir
fortes pluies automnales en du deuxième tiers du XVe siècle.
La famine franco-italienne de 1374- Languedoc. L’an 1374 apporte son lot
1375 dérive des sécheresses d’hiver de de grandes inondations rhénanes en Au cours des vingt dernières années du
1374 ; ce contexte sec fait place janvier-février. Cette détestable année siècle, la sécheresse du printemps et de
ensuite à des pluies torrentielles d’avril atteint même, outre la France et l’été 1384 à Paris et l’hiver très froid
à juin 1374, néfastes pour les récoltes. l’Italie, l’Angleterre. Les inondations de 1399 n’ont aucune incidence sur les
De ces mauvaises récoltes à la révolte et autres accidents de la traumatique prix agricoles. L’une des raisons est
antipapale de 1375 il n’y a qu’un pas. année 1374 attirent très fortement que la population ayant assez forte-
L’année 1374 est donc traumatique l’attention des compilateurs ment diminué par suite des pestes et
notamment dans le Midi de la France. d’intempéries (Weikinn, 1958). À des guerres, la conjoncture du blé
Les prix frumentaires augmentent Toulouse, le biennat 1374-1375 ouvre devient moins sensible.

Bibliographie
Alexandre P., 1987. Le climat en Europe au Moyen Âge. Contribution à l’histoire des variations climatiques de 1000 à 1425, d’après les sources narratives de l’Europe
occidentale. Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, Paris, 827 p.
Holzhauser H., 1985. Neue Ergebnisse zur Gletscher- und Klimageschichte des Spätmittelalters und der Neuzeit. Geographica Helvetica, 40, 168-185.
Holzhauzer H., Magny M., Zumbühl H.J., 2005. Glacier and lake-level variations in west-central Europe over the last 3500 years. The Holocene, 15, 789-801.
Jordan W.C., 1996. The great famine. Northern Europe in the early fourteenth century. Princeton University Press, Princeton, États-Unis, 328 p.
Le Roy Ladurie E., 2004. Histoire humaine et comparée du climat. Canicules et glaciers XIIIe-XVIIIe siècles. Fayard, Paris, 746 p.
Mestayer M., 1963. Prix du blé et l’avoine de 1329 à 1793. Revue du Nord, 45, 157-176.
Pfister C., Schwarz-Zanetti G., Wegmann W., 1996. Winter severity in Europe: the fourteenth century. Clim. Change, 34, 91-108.
van Engelen A.F.V., Buisman J., F. IJnsen, 2001. A millenium of weather, winds and water in the Low Countries. In: Jones P.D., A.E.J. Ogivie, T.D. Davies et K.R. Briffa : History
and climate : Memories of the Future ? Kluwer Academic, New York, 101-124.
Weikinn C., 1958. Quellentexte zur Witterungsgeschichte Europas von der Zeitwend bis zum Jahre 1850. Akademie, Berlin.
Wolff P., 1954. Commerces et marchands de Toulouse (1350-1450). Plon, Paris, 711 p.
6 La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle

Sur l’histoire du climat


en France : le XVe siècle
Emmanuel Le Roy Ladurie1, Jean-Pierre Javelle, Daniel Rousseau2
1 Collège de France, 11 place Marcelin Berthelot, 75231 Paris Cedex 05
2 Conseil supérieur de la météorologie, Toulouse

On dispose à partir du XVe siècle, et même s’agit d’une position médiane entre le
de la fin du XIVe, de séries de dates de petit âge glaciaire en majesté de 1850 et
vendanges (figures 1 et 2). Ces données l’appareil actuel, extrêmement réduit vers
quantitatives constituent un bon indica- l’aval. Aletsch conserve au Quattrocento
teur des conditions météorologiques des positions respectables mais qui ont
entre la formation des bourgeons et la cessé provisoirement d’être maximales et
fructification, ce qui correspond en qui ne le redeviendront qu’à partir des
moyenne à la période avril-septembre, années 1570 et surtout 1590-1610 (Le
même si des facteurs économiques et Roy Ladurie, 2005).
sociaux peuvent aussi influencer la fixa-
tion de la date des vendanges. Les séries À l’échelle d’un an ou tout au plus de
vendémiologiques sont donc largement deux ou trois ans, on note évidemment
utilisées depuis les années 1960 pour des millésimes remarquables du point de
reconstituer l’histoire du climat (Le Roy vue des subsistances. Comme dans nos
Ladurie, 1967), après le travail pionnier précédents développements, ils abou-
d’Alfred Angot (1883) prolongé par Mar- tissent essentiellement à des moissons
cel Garnier (1955). diminuées porteuses de famines, en parti-
culier pendant les époques de guerres très
Mais parlons des glaciers d’abord : intenses, ou parfois génératrices d’une
depuis 1385, les glaciers alpins sont certaine abondance frumentaire du reste
entrés en modeste récession. Pour très relative.
Altesch et Gorner et vraisemblablement
les autres glaciers alpins, après un maxi-
mum d’extension vers 1380, s’est imposé
ce recul modéré mais qui n’est pas du
tout comparable à l’immense recul
Guerres, climat,
amorcé à partir de 1855-1860 et surtout épidémies et famines
marqué depuis 1935. Vers 1455, le gla-
cier d’Aletsch est plus court qu’il ne l’est Évoquons d’abord la première moitié du
en 1920 alors que le recul glaciaire du XXe XVe siècle, très fortement marquée par la
siècle est déjà nettement amorcé ; néan- seconde portion de la guerre de Cent Ans
moins il demeure nettement plus long qui se termine vers 1450 et définitivement
qu’il ne l’est de nos jours dans ses dimen- en 1453, date de l’évacuation de Bordeaux,
sions très rétrécies. En d’autres termes, il dernier point d’appui de la domination

Résumé
Cet article présente brièvement les
fluctuations du climat en France au
XVe siècle et aborde leur impact sur la
société et sur certains événements
historiques.

Abstract
About history of climate, France,
15th century
This paper briefly presents the clima-
tic fluctuations in France during the
15th century and their impact on the Figure 1. Dates de vendange à Beaune de 1378 à 1500 (écart au 20 septembre, valeur moyenne de la
society and on some historical events. date de vendange). D'après Labbé et Gaveau (2013).
La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle 7

anglaise dans le sud-ouest de la France des conflits militaires et des guerres civi- 2000 (1859, 1868 et 2000). L’impact de
actuelle. On peut d’abord mentionner le les, alors que règnent encore sur la France cette canicule se traduit par un double-
grand hiver de 1408, indice 9 de maxi- fort éprouvée à l’époque le roi fou ment du prix des céréales dans la France
mum du froid dans la grande série de van Charles VI et la reine Isabeau de Bavière du Nord tandis qu’à Toulouse une très
Engelen et al. (2001), avec des consé- dont la mauvaise réputation n’est plus à forte inflation des prix céréaliers se fait
quences sur les vergers et les cultures : faire. L’été 1420 est très chaud, avec des sentir, due à une mauvaise récolte régio-
destructions partielles d’arbres fruitiers, vendanges très précoces, en avance d’un nale et peut-être à des phénomènes
de vignes et doublement du prix des mois sur leurs dates usuelles. Il figure monétaires. Sur le marché de la ville
céréales sur le marché de Douai représen- dans la liste des étés brûlants (indice 9, rose, les prix du carton de froment pas-
tatif du nord du Bassin parisien (Mestayer, maximal) signalés par van Engelen, qui sent de 13 sous en 1419 à 26 en 1420 et à
1963). C’est dans la deuxième moitié du sont au nombre de neuf pendant le petit 56 en 1421. Le grand historien toulou-
mois de novembre 1407 que sont appa- âge glaciaire entre 1326 et 1846 (1326, sain Philippe Wolff a insisté sur l’impact
rues les rigueurs qui vont s’instaurer 1420, 1422, 1473, 1540, 1556, 1781, 1783 de cette très sévère crise de subsistance
durant l’hiver 1408. Le sud de la France a et 1846) et de trois pendant la phase de sur la morbidité et la mortalité (Wolff,
été semble-t-il épargné. La cherté des réchauffement contemporain jusqu’en 1954).
céréales, qui n’est pas catastrophique du
reste, viendrait d’une raréfaction de cel-
les-ci du fait vraisemblablement de cet
hiver assez rude et d’une fin d’été 1408
pluvieuse néfaste à la bonne maturation
des grains dans les gerbes dressées sur les
champs. La guerre a pu jouer un rôle en
raison de l’incursion des troupes du duc
de Bourgogne, en particulier lors de la
bataille d’Othée près de Liège.

De 1417 à 1435, interviennent une série


d’étés un peu plus tièdes. L’année 1420
est particulièrement dure du point de vue

Chaleur et sécheresse
de l’année 1420
Le printemps et l’été 1420 sont marqués Transcription
par la chaleur et la sécheresse. Quelques Item soluto cuidam homino qui fuit in vinea clausi dicti
exemples d’observations contenues dans Thoheret 20 denarii (d.)
Item soluto pro dieta unius equi qui adduxit dictam
des sources narratives et d’autres docu- vindemiam de dicto clauso 3 solidi (s.) 4 d.
ments, recueillies par Pierre Alexandre Item pro una vectura facta in dicto clauso per quemdam
(1987) ; les dates sont corrigées selon le quadrigam 20 d.
calendrier grégorien. Item dicta die soluto cuidam homino qui fuit in partagio
vinee des Turons cum Hugues Niquel 20d.
Journal d’un bourgeois de Paris (œuvre Item soluto tribus hominibus asinariis qui quadrigaverunt
d’un clerc parisien, chanoine de Notre- dictam vindemiam 15 d.
Dame, 1410-1426) Item pro ferratura duorum pedum equi que equitabatur
Floraison précoce des roses, du 16 avril au dictus celerarius tempore vindemiarum 20 d.
24 mai ; cerises mûres au mois de mai ; Die mercurii sequentem in vinea de Cisie 3 hominibus,
blés mûrs à la fin du mois de mai « comme 5 mulieribus qui vindemiaverunt in dicta vinea,
cuilibet homino 15 d. et cuilibet mulieri 10 d., valent 7 s. 11 d.
à la Saint-Jean » (24 juin) ; vendanges à
partir de la mi-août. Traduction
Item payé à un homme qui fut dans la vigne du clos dudit
Chronique de Metz (1333-1407) Tholeret 20 deniers (d.)
Temps beau et chaud au printemps. Item payé pour la nourriture d'un cheval qui apporta ladite
Muguet fleuri le 10 avril. Maturation pré- vendange dudit clos 3 sols (s.) 4 d.
coce des fruits ; fraises mûres à Metz le Item pour une charretée faite dans le clos
19 avril ; cerises mûres à Metz le 9 mai ; par un charretier 20 d.
Item le même jour, payé à un homme qui fut au partage
fèves et pois mûrs le 10 mai ; seigle nou- de la vigne des Teurons avec Hugues Niquel 20 d.
veau le 15 mai ; verjus nouveau le Item payé à trois âniers qui transportèrent
19 mai ; raisins presque mûrs à Metz le ladite vendange 15 d.
1er juillet ; vin nouveau à Metz le 31 juillet. Item pour le ferrage de deux sabots d'un cheval que montait
le cellérier à ce moment 20 d.
Documents d’Albi (1345-1420) Le jour suivant mercredi, pour trois hommes et
Les mois de mars, avril et mai sont très cinq femmes qui vendangèrent dans la vigne de Cisie,
secs ; aucune pluie en mai, sauf à deux à chaque homme 15 d. et à chaque femme 10 d., valent 7 s. 11 d.
reprises. Maturation précoce des fruits à
Albi ; cerises mûres à Albi le 16 avril ; Figure 2. Extrait de la page correspondant aux travaux de vendange du 30 septembre au 2 octobre
récolte de seigle à partir du 25 mai. Vent 1399 dans le livre de comptes tenu, en latin, par le cellérier de la collégiale Notre-Dame de Beaune.
d’Autan continuel pendant deux mois et Les chanoines possédaient un grand nombre de parcelles de vignes sur le territoire de la commune.
demi, dévastant les vignes et détruisant Les livres de comptes de la collégiale ont été utilisés par Labbé et Gaveau (2013) pour reconstituer
les récoltes. les dates de vendanges à Beaune aux XIVe et XVe siècles, en retenant la date de la première parcelle
vendangée. (Archives départementales de la Côte-d’Or / G2918, ©CG21/F. Petot/2014)
8 La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle

L’hiver 1432 est très rude, van Engelen


lui attribuant l’indice 8 sur une échelle
qui va jusqu’à 9. Il est suivi, jusqu’en
juillet, par une période fraîche et très plu-
vieuse qui fait figure d’exception dans la
séquence d’étés chauds qui va de 1417 à
1435 et qui débouche sur une mauvaise
moisson. À Paris et à Douai, les prix du
blé s’envolent en fin d’année 1432 et
durant la première moitié de 1433 (figure
2), provoquant une disette. La France du
Sud (Toulouse et Languedoc) est logée à
la même enseigne, ainsi que l’Europe du
Centre et du Nord-Ouest (Allemagne,
Belgique, Angleterre). Un mois d’août
chaud et sec explique la relative précocité
de la vendange dijonnaise qui débute le
18 septembre 1432.

Dans le Bassin parisien et en Norman-


die, la désastreuse famine de 1438-1439
fait suite à un printemps et un début d’été Figure 3. Variations du prix du froment à Paris et à Douai au XVe siècle. À Paris, le prix du sétier de fro-
froids et humides, responsables d’une ment est exprimé en livres tournois : de 1431 à 1478, moyenne pour l’année civile, de 1479 à 1499,
mauvaise récolte qu’aggravent encore prix à la Saint-Martin (d’après Baulant, 1968). À Douai, le prix de la rasière de froment est exprimé en
les malheurs des dernières décennies de livres parisis (d’après Mestayer, 1963). Le setier et la rasière sont des mesures de volume. À partir de
la guerre de Cent Ans. À Paris, le prix du 1479, les prix parisiens sont reconstitués à partir de documents lacunaires et incertains, ce qui peut
setier de froment passe de 1,68 livre en expliquer l’absence de pointe en 1481-1482.
1436 à 5,95 en 1438, avant de redescen-
dre à un prix compris entre 1 et 2 pour
les années 1440 à 1445 (f igure 2).
résultat d’une des pires configurations
pour les récoltes de céréales : fortes
Bibliographie
L’Angleterre, l’Allemagne et les Pays- pluies pendant l’été 1480 provoquant de Alexandre P., 1987. Le climat en Europe au Moyen Âge.
Bas connaissent aussi une mauvaise terribles inondations du Rhin et de la Contribution à l’histoire des variations climatiques de 1000
récolte frumentaire. C’est une période Moselle (Champion, 1858), hiver 1481 à 1425, d’après les sources narratives de l’Europe occiden-
catastrophique à cause des disettes. Les glacial suivi d’un printemps et d’un été tale. Éditions de l’École des hautes études en sciences
fléaux principaux sont la peste, deve- sociales, Paris, 827 p.
pourris. En Bourgogne, les dates de ven-
nue quasi annuelle, et la guerre contre danges sont très tardives : à Beaune, Angot A., 1883. Étude sur les vendanges en France.
l’Angleterre. La situation est telle que les Annales du Bureau Central Météorologique, B29-B120.
elles s’établissent au 4 octobre en 1481.
pillards anglais, après avoir tout détruit À Douai, le prix de la rasière de blé Baulant M., 1968. Le prix des grains à Paris de 1431 à
sur leur passage, meurent de faim. 1788. Annales, Économies, Sociétés, Civilisations, 23,
passe de 1,7 livre en 1480 à 3,2 en 1481 520-540.
et atteint 6,7 livres en 1482, valeur
Champion M., 1858. Les inondations en France du
record pour le XVe siècle, accentuée par
VIesiècle à nos jours. Paris, 6 vol. (réédition Cemagref
les guerres qui ont suivi la mort du duc
Une France apaisée de Bourgogne, Charles le Téméraire, en
sur Cédérom, 2002).
Garnier M., 1955. Contribution de la phénologie à
1477. Face au désastre de la famine,
mais qui subit encore Louis XI ne reste pas inactif. Mais sa
l’étude des variations climatiques. La Météorologie
4e série, 40, 291-300.
des crises politique est bizarrement contradictoire.
D’une part, il introduit en janvier 1482
Labbé T., Gaveau F., 2013. Les dates de bans de vendan-
ges à Beaune (1371-2010). Analyse et données d’une
de subsistance la libre circulation des grains, peut-être nouvelle série vendémiologique. Revue historique, 666,
en vue d’importations, mais surtout il 333-368.
La seconde moitié du XVe siècle est une interdit le stockage des céréales et Le Roy Ladurie E., 1967. Histoire du climat depuis l’an
période, relativement pacifique, de recons- l’exportation. On est en plein dans la mil. Flammarion, Paris, 381 p.
truction après la guerre de Cent Ans. politique dirigiste qu’on appellera mer- Le Roy Ladurie E., 2005. Histoire humaine et comparée
Quelques groupes de beaux étés chauds, cantiliste de la monarchie française et du climat. Canicules et glaciers XIIIe-XVIIIe siècles. Fayard,
avec des vendanges précoces et de bonnes qu’on retrouvera à partir de Colbert jus- Paris, 746 p.
moissons qui favorisent des prix bas de qu’au XIXe siècle. Mestayer M., 1963. Prix du blé et l’avoine de 1329 à
céréales, contribuent à la renaissance 1793. Revue du Nord, 45, 178, 157-176.
économique. C’est le cas en 1457-1458, Van Engelen A.F.V., Buisman J., Ijnsen F., 2001. A mille-
1461-1462, 1464, 1471-1473 et enfin nium of weather, winds and water in the Low
1494-1495. Plusieurs séquences d’étés Remerciements Countries. In Jones P.D., A.E.J. Ogivie, T.D. Davies, K.R.
Briffa: History and climate : Memories of the Future?
frais n’ont pas de conséquences bien
Kluwer Academic, New York, 101-124.
gênantes sur le ravitaillement céréalier, en Nous remercions Thomas Labbé qui
particulier 1453-1456, 1465-1468, 1474, nous a fourni la transcription et la tra- Wolff P., 1954. Commerces et marchands de Toulouse
(1350-1450). Plon, Paris, 711 p.
1477, 1485, 1488-1491 et 1496-1498. duction de la page du livre de comptes
de la collégiale Notre-Dame de Beaune,
Néanmoins, en 1481-1482, la France et les archives départementales de la
connaît une grave famine qui concerne Côte-d’Or pour la reproduction de ce
aussi l’Allemagne et la Suisse. C’est le document.
La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle 9

Sur l’histoire du climat


en France : le XVIe siècle
Emmanuel Le Roy Ladurie1, Jean-Pierre Javelle, Daniel Rousseau2
1 Collège de France, 11 place Marcelin Berthelot, 75231 Paris Cedex 05
2 Conseil supérieur de la Météorologie, Toulouse

e XVIe siècle dans son entier est

L
sécheresse prolongée. La sécheresse du
caractérisé par un contraste entre printemps 1524 est responsable de la
les soixante premières années, plus disette de 1524-1525, l’une des quatre
douces, avec une légère régression des grandes crises de subsistance des années
glaciers alpins, et les quarante dernières 1520-1560 (Baulant et Meuvret, 1962) ;
années marquées par un rafraîchissement – 1530-1540 : la canicule estivale de
du climat français, suivi au bout de sept à 1540, avec des vins excellents, a été étu-
dix ans par une progression spectaculaire diée en détail par Pfister (1999) dans ses
des glaciers alpins. importantes réflexions historiques sur le
climat. Les prix du blé à Paris et à Douai
En hiver, le rafraîchissement ainsi illustré restent bas, résultats de belles moissons
pourrait être de l’ordre de 0,5 °C ou qui bénéf icient du beau temps. En
même moins, ce qui est suffisant étant Europe centrale, chaleur et sécheresse
donné l’extraordinaire sensibilité des gla- sont extrêmes. On traverse à pied rivières
ciers. Les tiédeurs de la première moitié et fleuves, en particulier le Rhin.
du XVIe siècle seraient spécialement nota-
bles lors des décennies 1520-1529 et La canicule de l’été 1556 provoque une
1550-1559. Par rapport à la période vendange très précoce en Bourgogne, le
1901-1960, les printemps seraient un peu 6 août à Beaune, avec des vins de grande
plus frais en général pour le XVIe siècle qualité. En revanche, à cause de la séche-
dans son entier, surtout pour la décennie resse, la moisson est médiocre. Cette
1520-1529 et bien sûr à partir de 1560. sécheresse favorise des incendies de forêt
Les étés des soixante premières années jusqu’en Normandie, comme le signale
manifesteraient quelques tiédeurs surtout dans son livre de raison le gentilhomme
de 1500 à 1506, avec une décennie 1521- normand Gilles de Gouberville (1993).
1529 rafraîchie, surtout pendant les L’année 1559 est aussi une année chaude
années 1526-1529. On notera une fraî- avec des vendanges et des moissons pré-
cheur des automnes de 1509 à 1520, puis coces, mais les prix du grain ne montent
une certaine tiédeur automnale jusqu’à la pas, signe d’absence d’échaudage.
Résumé mi-temps des années 1560 (Pfister et al.,
1999). Le beau XVIe siècle n’est pas exempt
Cet article présente brièvement les d’années, ou de séquences de plusieurs
fluctuations du climat en France au années, humides et fraîches, avec des
XVI e siècle, qui est marqué par le conséquences fâcheuses. Ainsi, c’est pro-
contraste entre la tiédeur des soixante bablement la persistance d’un temps
premières années et la fraîcheur des Le beau XVIe siècle, doux et très pluvieux de l’automne 1520
jusqu’au printemps 1521 qui cause une
quarante dernières. Il aborde l’impact
de ces fluctuations sur la société et sur
vendanges et moissons mauvaise récolte de blé, avec un quasi-
certains événements historiques. Au cours des soixante premières années doublement du prix du setier de froment
du XVIe siècle, la Bourgogne connaît à Paris pendant l’année post-récolte1
plusieurs séries de vendanges précoces 1521-1522, et donc une disette, suivi
(Rousseau, 2014), conséquences de d’un effondrement des prix à partir de
Abstract printemps-étés chauds : juillet 1522 lors de l’arrivée sur le marché
– 1500-1504 : l’année 1504 est même de l’excellente moisson de 1522.
About history of climate, France, l’une des douze années les plus chaudes
16th century du dernier millénaire pour l’hémisphère À partir de 1526, une séquence fraîche et
Nord, d’après les données dendro- pluvieuse provoque une véritable crise
This paper briefly presents the cli- climatologiques (Briffa et al., 2004) ; météorologique qui se déclenche à partir
matic fluctuations in France during – 1516-1525 : la vendange du 4 septem- de l’année post-récolte 1528-1529 et
the 16th century, characterized by a bre 1516 à Beaune est la plus précoce culmine en 1531-1532. À Paris, le prix
contrast between the first sixty mild depuis la très chaude année 1473. À du setier de froment grimpe de 1,51 livre
years and the last forty cool years, Paris, le prix du blé augmente fortement 1. L’année post-récolte va du mois d’août de
and their impact on society and some en 1516, 1521 et 1524-1525, à la suite de l’année de la moisson à juillet de l’année
historical events. récoltes diminuées par échaudage ou suivante.
10 La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle

tournois en 1526-1527 jusqu’à 4,67 livres


tournois en 1531-1532, soit un triplement
tout à fait remarquable. Dès avril 1529, le
mécontentement social se fait sentir à
Lyon avec la fameuse Grande Rebeyne
(révolte), quand les stocks de grain com-
mencent à s’épuiser au printemps
(Gascon, 1971). Le mécontentement
populaire est dirigé contre les spécula-
teurs qui constituent des stocks pour
mieux profiter de la hausse des prix. En
Auvergne, province spécialement pauvre,
la crise de subsistance de 1529 est très
marquée (Charbonnier, 1980). La hausse
du prix du blé, qui concerne vraisem-
blablement tout l’Ouest-européen, dure
jusqu’en 1530 et même au-delà. En
Angleterre, les lois féroces d’Henry VIII
contre les pauvres, les mendiants voués à
être fouettés et mutilés, révèlent que le Figure 1. Fluctuations de la longueur du glacier des Bossons de 1580 à 2005 (Nussbaumer et
Zumbühl, 2012). L’origine de l’axe des ordonnées correspond à la longueur maximale, observée en
déficit céréalier est devenu sensible à
1818. Les points noirs ont été établis à partir de sources historiques écrites, cartographiques ou ico-
tous et spécialement aux plus défavorisés. nographiques. La courbe continue noire a été tracée par interpolation entre ces points. Les courbes
en traits pointillés correspondent aux incertitudes sur l’estimation. On constate une bonne cohérence
d’ensemble avec la courbe verte, établie par Mougin dans son ouvrage précurseur sur l’histoire des
glaciers dans les Alpes françaises (Mougin, 1912).
Nouvelle poussée La famine de 1562-1563 est causée par
glaciaire L’avancée des glaciers
un hiver et un été très pluvieux, avec de
grosses inondations dans les bassins de la
Les années 1560-1600 sont passion-
nantes pour l’historien du climat puisque
à Chamonix Loire et de la Seine. On constate ensuite
un doublement des prix du blé de 1565 à
marquées par une intensification du petit Un texte issu des archives de la Chambre 1566 en raison du grand hiver de 1565,
âge glaciaire avec une avance générale des comptes de Savoie démontre qu’à caractérisé par la valeur maximale 9 de
des glaciers de Chamonix : mer de partir de 1600 la vallée de Chamonix a l’indice défini par van Engelen et al.
Glace, glacier des Bossons, glacier subi une avancée catastrophique des gla- (2001), qui agit négativement sur la
d’Argentière, glacier du Tour (figure 1). ciers, résultat des fraîcheurs des années récolte de 1565 et sur l’année post-
À partir des années 1590, le glacier des 1590. récolte. La révolte des Pays-Bas de 1566,
Bois, nom de la pointe terminale de la « Dès la réformation des tailles [c’est-à- première révolution de l’âge moderne, a
mer de Glace dans sa partie inférieure, dire dès 1600 (la réformation des tailles des causes profondes, religieuses et poli-
en Savoie a été opérée par l’édit du
culbute des maisons. Le glacier d’Argen- tiques, mais elle est provoquée sur un
1er mai 1600)] les glaciers rivière d’Arve
tière détruit lui aussi des habitats. On en et autres torrens ont ruyné et gasté cent mode événementiel par les troubles
vient même à craindre que la mer de nonante cinq journaulx de terre en divers sociaux des années 1565-1566, suite à un
Glace ne barre le cours de la rivière endroictz de la dicte parroesse plus que doublement du prix du blé dans
d’Arve, ce qui semble ne s’être jamais [Chamonix] et particullierement nonante la France du Nord et les Pays-Bas.
produit au cours des derniers millénaires journaulx et douze maisons ruyn’s au
(Le Roy Ladurie, 1967). village du Chastelard auquel n’est resté La crise de subsistance de 1573 est aussi
que la douzième partie du terroir, le provoquée par une forte augmentation
Cette période rafraîchie connaît de fortes village des Bois à cause desd. Glassiers ; des prix du blé à Paris, conséquence d’un
crises de subsistance dues simultané- au village de la Rozière et Argentier sept hiver long et rigoureux suivi par un prin-
maisons couvertes des susd. Glassiers,
ment aux météorologies défavorables du temps et un été frais et humides, avec
dont le ravaige continue et faict de jour à
petit âge glaciaire, pluie et fraîcheur, et aultre progrès… deux autres maisons ruy-
une vendange tardive en Bourgogne.
aux guerres de religion qui prennent un nés au villaige de la Bonneville… à Surtout, la remarquable crise agricole,
caractère désastreux de 1560 jusqu’à la l’occasion desd. Ruynes la cense du urbaine, politique et religieuse de 1586-
pacification enfin obtenue par Henri IV disme est grandement diminuée ». 1588 est due à un presque triplement du
en 1596. Parker (2013) a beaucoup Cette archive est capitale car elle indique prix du blé à Paris. Les années 1585,
insisté sur l’impact désastreux de la que, dans des hameaux anciens, des mai- 1586 et 1587 constituent un trio
combinaison d’une météorologie néga- sons ont été « recouvertes » par des gla- d’années fraîches et humides, avec un
tive et d’une guerre importante, soit par ciers en progression constante. Il ne s’agit hiver froid et d’importantes inondations
ravages directs de la guerre soit par fis- donc pas seulement de dégâts provoqués de la Seine, de la Loire et du Rhône en
calité excessive. Pendant les guerres de par des chutes de glace. Par ailleurs, la 1586. Cette fois-ci, l’environnement
religion de 1560 à 1596, on assiste à cinq diminution de la dîme est significative de idéo-logique n’est pas protestant comme
la disparition de champs cultivés dans des
crises de subsistance importantes de ce en 1566 aux Pays-Bas mais hyper-
terroirs soumis à l’avancée du front gla-
type. Aucune de ces crises ne s’explique ciaire. catholique, dans l’esprit des ligueurs très
par des phénomènes d’échaudage ou de contestataires. C’est le grand déclen-
Texte des archives communales de Chamonix CC 1, pièce
sécheresse. C’est toujours le grand froid n° 19, texte du 2 mai 1605 publié par Letonnelier (1913) et chement des troubles de la Ligue, notam-
et l’excès de pluviosité qui s’attaquent reproduit par Le Roy Ladurie (1967). ment parisiens, culminant en mai 1588
aux moissons. sur la base d’une conjoncture de violent
La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle 11

mécontentement populaire et bourgeois. Bourgogne et, dans le pays de Bade, elles


L’intérêt idéologique et littéraire porté produisent des vins peu abondants et Remerciements
aux crises de subsistance s’affirme dans de mauvaise qualité (Müller, 1953). Les auteurs remercient Samuel Nussbau-
la dramaturgie de Shakespeare avec mer et la mairie de Montfaucon-en-Velay
d’importantes allusions à ces phéno- À partir de 1599, les prix du blé baissent pour avoir fourni respectivement la
mènes dans Coriolan. presque de moitié. C’est évidemment figure 1 et le cliché du tableau d’Abel
la fin des guerres de religion qu’il faut Grimmer, ainsi que les autorisations de
Dans le contexte climatique froid et mettre en cause, avec la belle période reproduction correspondantes.
humide de la décennie 1590 (figure 2), la d’Henri IV, mais les deux bons étés 1598
dernière crise de subsistance du siècle et 1599, l’un normal et l’autre chaud,
se produit en 1597. Le déficit de céréales y sont probablement pour quelque chose.
est responsable d’une forte mortalité La combinaison guerre-climat, avec en
et d’un effondrement de la natalité. l’occurrence un retour à la paix, est à
Les vendanges sont très tardives en l’œuvre.
Bibliographie
Baulant M., Meuvret J., 1962. Prix des céréales extraits
Livres de raison et journaux, de la Mercuriale de Paris (1520-1698). Sevpen, Paris,
sources d’informations climatiques 2 vol., 422 p.
Briffa K.R., Osborn T.J., Schweingruber F.H., 2004. Large-
Les livres de raison, registres de compte assortis de commentaires qui étaient tenus par scale temperature inferences from tree rings: a review.
les chefs de famille, et les journaux individuels peuvent contenir des informations météo- Global Planet. Change, 40, 11-26.
rologiques et phénologiques précieuses pour la reconstitution des climats passés. Charbonnier P., 1980. Une autre France ; la seigneurie
Ainsi, les archives départementales de La Manche conservent un ensemble de manuscrits rurale en Basse Auvergne du XIV e au XVI e siècle.
du livre de raison du gentilhomme normand Gilles de Gouberville (v. 1521-1578), qui Publications de l’Institut d’études du Massif central,
couvrent les années 1549 à 1562. Gouberville fait état, par exemple, des dégâts provoqués Clermont-Ferrand, 2 vol., 1294 p.
dans le Cotentin par la chaleur et la sécheresse du printemps et de l’été 1556. Cet Gascon R., 1971. Grand commerce et vie urbaine au
épisode, avec une moisson précoce mais médiocre en quantité dans les environs de Paris, XVIe siècle ; Lyon et ses marchands. Mouton, Paris et La
est aussi mentionné dans le journal de Claude Haton (1534-v. 1605) qui documente la Haye, 2 vol., 1000 p.
période 1553-1582. Ce journal d’un prêtre catholique intransigeant, qui a passé la plus Gouberville G. de, 1993. Le journal du sire de Gouberville.
grande partie de sa vie à Melun, constitue un témoignage important sur l’époque des Éditions des Champs, Briquebosc, 4 vol.
guerres de religion. Signalons enfin le journal que le magistrat Pierre de l’Estoile (1546-1611) Haton C., 2001. Mémoires. Éditions du CTHS, Paris,
a rédigé pendant les règnes d’Henri III et d’Henri IV, de 1574 à 1610. Pierre de l’Estoile y 4 vol.
donne de nombreux détails sur la crise de subsistance de 1586-1587.
Letonnelier G., 1913. Documents relatifs aux variations
Les écrits de Gilles de Gouberville et de Claude Haton, publiés à la fin du XIXe siècle, ont été des glaciers dans les Alpes françaises. Bulletin de la sec-
réédités récemment de façon plus complète (Gouberville, 1993 ; Haton, 2001). Les tion de géographie, 288-295.
éditions du journal de Pierre de l’Estoile se sont succédées depuis 1621 jusqu’à nos jours.
Le Roy Ladurie E., 1967. Histoire du climat depuis l’an
Sur la bibliothèque numérique Gallica (http://gallica.bnf.fr), on trouve les éditions du
e mil. Flammarion, Paris, 382 p.
XIX siècle des journaux de Gouberville et Haton, ainsi que le manuscrit de Pierre de
l’Estoile. Metzger A., 2012. Plaisirs de glace ; essai sur la peinture
hollandaise hivernale du siècle d’or. Hermann, Paris,
120 p.
Mougin P., 1912. Études glaciologiques, Savoie-
Pyrénées, tome 3. Imprimerie nationale, Paris, 140 p.
Müller K., 1953. Geschichte des Badischen WeinBaus.
Schauenburg, Lahr in Baden, 286 p.
Nussbaumer S.U., Zumbühl H.J., 2012. The Little Ice
Age history of the Glacier des Bossons (Mont Blanc
massif, France): a new high-resolution glacier length
curve based on historical documents. Clim. Change, 111,
301-334.
Parker G., 2013. Global crisis. War, climate change and
catastrophe in the seventeenth century. Yale University
Press, New Haven, London, 872 p.
Pfister C., 1999. Wetternachhersage. 500 Jahre
Klimavariationen und Naturkatastrophen 1496–1995.
Haupt, Bern, 304 p.
Pfister C., Bradzil R., Glaser R., Eds, 1999. Climatic varia-
bility in sixteenth-century Europe and its social dimension.
Kluwer Academic Publishers, Dordrecht, Boston,
London, 354 p.
Rousseau D., 2014. Fluctuations des dates de vendan-
ges bourguignonnes et fluctuations des températures
d’avril à septembre de 1378 à 2010. Pollution atmosphé-
rique, 222, 746-752.
van Engelen A.F.V., Buisman J., Ijnsen F., 2001. A mille-
Figure 2. Le mois de janvier, tableau peint en 1592 par le Flamand Abel Grimmer (v. 1570-1619) nium of weather, winds and water in the Low Countries.
représentant le mois de janvier et un thème religieux, le songe de Joseph et la fuite en Égypte. Pour In: Jones P.D., A.E.J. Ogivie, T.D. Davies, K.R. Briffa, eds,
les peintres hollandais de la fin du XVIe et du XVIIe siècle, le paysage hivernal devient un genre pictural, History and climate: Memories of the Future? Kluwer
avec ses sols enneigés et ses cours d’eau gelés, sous l’influence de Bruegel l’Ancien (Metzger, Academic, New York, 101-124.
2012). Photo reproduite avec l’aimable autorisation de la mairie de Montfaucon-en-Velay.
12 La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle

Sur l’histoire du climat


en France : le XVIIe siècle
Emmanuel Le Roy Ladurie1, Jean-Pierre Javelle, Daniel Rousseau2
1 Collège de France, 11 place Marcelin Berthelot, 75231 Paris Cedex 05
2 Conseil supérieur de la Météorologie, Saint-Mandé

our le printemps et l’été, le XVIIe au grand hiver 1608 qui est suivi par un

P siècle débute par une séquence


relativement tiède de 1602 à 1616
(f igure 1), avec une date moyenne
été médiocre (van Engelen et al., 2001).
Les prix du blé augmentent, mais la
crise de subsistance reste modérée cette
de vendange à Beaune qui s’établit au année-là.
16 septembre (Rousseau, 2014). Dans
l’esprit de Parker (2013), pour qui Une série d’années fraîches se déroule
l’étude du climat est inséparable des de 1617 à 1635, avec bien sûr des
considérations sur l’état de paix et de inégalités dans ces fraîcheurs. Alors que
guerre, notons que, depuis la fin des les famines sont beaucoup plus rares
guerres de religion en 1598, la France dans les îles britanniques que sur le
connaît une époque paisible pendant continent, on signalera quand même
la seconde partie du règne d’Henri IV une des dernières famines anglaises
(1600-1610) et sous la régence dans l’histoire, celle de 1622, suite à
de Marie de Médicis (1610-1614), sou- deux années froides ou fraîches, avec en
vent dépeinte sous des couleurs trop 1621 un hiver très rude et un été pourri,
sombres. On reste dans une période de et en 1622 un hiver plutôt froid et un
petit âge glaciaire, mais, sous l’effet des été frais (van Engelen et al., 2001).
Résumé printemps-étés relativement tièdes de
1602 à 1616 et avec un retard d’une
L’ensemble de ce quatuor a eu, à des
titres divers, des conséquences défavo-
dizaine d’années, le front terminal de la rables sur les récoltes. À Paris, les prix
Cet article présente brièvement les Mer de Glace recule de 314 mètres des céréales connaissent une nette
fluctuations du climat en France au entre 1610 et 1624, après avoir pro- hausse, moins marquée toutefois qu’en
XVIIe siècle et aborde l’impact de ces
gressé de 1125 mètres depuis 1570 Angleterre : le prix du sétier de froment
fluctuations sur la société et sur cer- (Nussbaumer et al., 2007). Van Engelen passe de 8,98 livres en 1619-1620 à
tains événements historiques. Le attribue l’indice 8, sur une échelle de 9, 9,88 en 1620-1621, puis à 12,43 en
XVIIe, à tendance fraîche, est caracté-
risé par la poussée glaciaire qui, à
Chamonix, culmine vers 1644. Il se
termine par l’une des plus grandes Date de vendange à Beaune Température avril-septembre à Paris
famines qu’ait connues la France, en -10 18
1693-1694.
Date de vendange (nb jours après le 31 août)

Température avril-sept. à Paris (°C)

0
17

Abstract 10
16

20
About history of climate, France,
17th century 15
30

This paper briefly presents the clima-


14
tic fluctuations in France during the 40
17 th century and their impacts on
society and some historical events. 50 13
The rather cool 17th century is cha-
1600

1610

1620

1630

1640

1650

1660

1670

1680

1690

1700

racterized by the progression of gla-


ciers, which in Chamonix culminates Figure 1. Fluctuations du climat au cours du XVIIe siècle détectées par les dates de vendange à
around 1644. At the end of the cen- Beaune (nombre de jours après le 31 août), de 1600 à 1657, et par la température moyenne d’avril à
tury, France suffered one of its grea- septembre à Paris (°C), de 1658 à 1700. En rouge et bleu, les séquences chaudes et froides citées
test famines in 1693-1694. dans cet article. Pour chaque séquence, la moyenne est indiquée par un trait horizontal.
La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle 13

1621-22 et atteint un maximum de provoque une nouvelle épidémie de on dispose de deux séries fondamen-
14,09 en 1622-1623 (Baulant et dysenterie en Anjou et en Bretagne (Le tales de températures mensuelles qui
Meuvret, 1962). Roy Ladurie, 2004). vont durer jusqu’à nos jours.

On aura aussi une année très difficile en Au milieu de la séquence tiède de 1636- Quelques années après le début de la
France à partir de la récolte de 1630. 1647, les quatre années de 1640 à 1643 séquence tiède de 1659-1671, les pluies
Dans le Val de Loire, le Sud-Ouest, la sont fraîches et humides, avec des ven- excessives sur la moitié nord de la
Bretagne et le Nord, les pluies conti- danges tardives en Bourgogne. Les prix France en janvier, puis d’avril à septem-
nuelles de l’automne 1629, de l’hiver et du blé augmentent fortement dans le bre 1661, affectent les moissons, occa-
du printemps 1630 provoquent la Bassin parisien et ne baissent qu’après sionnant la famine de 1661-1662
grande famine de 1630-1631 : « Au la récolte de 1644. Le Sud-Ouest et la (Lebrun, 1975). Sur le marché parisien,
mois de May 1630 et durant icelluy il Bretagne connaissent les mêmes diffi- le prix du sétier de froment, qui
pleust en abondance desquelles pluyes cultés et des révoltes de la faim éclatent s’établissait à 12 livres tournois en
furent noyez les fruicts de la terre, et en 1643, en particulier en Aveyron 1654, grimpe presque incroyablement à
delà s’en suivit la grande famine qui où les Nouveaux Croquants parvien- 40 livres tournois ou davantage d’avril à
commença à l’este et dura depuis le nent à s’emparer temporairement de juillet 1662, quand les stocks de grain
mois d’Aoust 1630 jusques a la fin du Villefranche-de-Rouergue en y entrant sont épuisés. Face à cette énorme dis-
mois de May 1631. » (Journal des « tambour battant et mèche allumée ». ette, l’État central intervient en faisant
Malebaysse, cité par Couyba, 1902). venir des grains de Bordeaux, de
On signale des émeutes de subsistance à Bretagne et de la Baltique. Bossuet
Lyon, à Dijon et à Caen et des paysans prêche contre l’avarice des riches aux
morts de faim dans l’Agenais ; indica-
tion très importante, car on pense tou-
Les désastres dépens des pauvres. Néanmoins, les 5 et
6 juin 1662, au plus fort de cette tragé-
jours aux épidémies de typhus, de la Fronde die frumentaire, le jeune roi Louis XIV
dysenterie et fièvre proliférant sur la donne une fête splendide dans la cour
sous-alimentation, mais on oublie que La séquence fraîche de 1648-1658 des Tuileries à Paris, le Grand
des personnes meurent directement de débute par trois années très pluvieuses, Carrousel.
faim. La mortalité française de 1631 est en coïncidence avec les violents mouve-
l’une des plus fortes connues. Compte ments populaires et bourgeois contre Indépendamment de ces phénomènes
tenu du creux de natalité, le déficit Anne d’Autriche. C’est la Fronde du tragiques de courte durée (une ou deux
démographique national s’élève à plu- parlement, accompagnée de révoltes années), les printemps-étés de 1659 à
sieurs centaines de milliers d’âmes populaires dont certaines pour les sub- 1671 sont relativement tièdes, avec des
(Dupâquier, 1991). sistances comme en 1649, année remar- dates de vendanges précoces en
quable par son hiver long et rude suivi Bourgogne, sauf en 1663. Le prix du blé
La séquence fraîche de 1617-1635 pro- d’un printemps et d’un été frais et plu- baisse progressivement lors des années
voque, avec un décalage de sept à huit vieux. La mauvaise moisson de 1649 de relative abondance de 1663 jusqu’en
ans, une poussée impressionnante de la explique la forte hausse du prix du fro- 1672. C’est la belle époque colber-
Mer de Glace, jusqu’à un maximum ment à Paris pendant l’année post- tienne.
historique vers 1644 avec un front gla- récolte 1649-1650. Ensuite, la Fronde
ciaire plus avancé que lors des futurs des Princes, à partir de 1650, persévère Une séquence fraîche, brève mais bien
maxima de 1821 et 1852. dans le désastre jusqu’en 1653. Le prix caractérisée, marque les années 1672 à
du seigle connaît des pointes très fortes. 1675, avec à Dijon une vendange tar-
Comme Ernest Labrousse l’a remarqué, dive le 5 octobre 1673 et très tardive le
le seigle, céréale populaire par excel- 14 octobre 1675. Dans la vallée du
lence, est plus sensible à la hausse des Rhône, des pluies ininterrompues
Séquence tiède prix que le froment (Labrousse, 1933). s’abattent à partir du début du mois de
Le cas est très net au moment de la novembre 1674. Le Rhône connaît
mais meurtrières Fronde, mélange de causalités météoro- sa plus forte crue du XVIIe siècle et, le
épidémies logiques et de guerre civile. La récolte
de 1658 est gravement affectée par des
16 novembre, la ville d’Avignon est
envahie par les eaux (Pichard et
Une séquence un peu plus tiède s’étend pluies et des inondations. À Paris, la Roucaute, 2014). Le 24 juillet 1675, au
de 1636 à 1647. Trois années de suite, crue de 1658 est comparable sinon pire vu de la fraîcheur, Madame de Sévigné
les vendanges dijonnaises sont remar- que celle de 1910 et à Pontoise, l’église se demande dans une lettre à sa fille si
quablement précoces : 4 septembre Notre-Dame est inondée. « le procédé du Soleil et des saisons est
1636, 3 septembre 1637 et 9 septembre tout changé ». C’est en effet l’époque
1638. Paradoxalement, en 1636, alors du minimum de Maunder (1645 à
que la récolte de blé est excellente, la 1715), période au cours de laquelle les
France connaît un très important pic de
mortalité, de l’ordre du demi-million de
Débuts des séries taches solaires ont cessé d’être visibles.
Il est possible que la marquise ait pu
décès supplémentaires. La peste ne suf- thermométriques obtenir des informations à ce sujet de la
fit pas à expliquer cette hécatombe. En
fait, durant les fortes chaleurs de l’été en France part des astronomes de l’Observatoire
de Paris. Une pointe modérée des prix
1636, la baisse du niveau des rivières
facilite la pollution de l’eau et provoque
et en Angleterre du blé est enregistrée à Paris en 1675
sous l’effet d’une récolte vraisembla-
une épidémie meurtrière de dysenterie À partir de juin 1658 pour l’Île-de- blement amoindrie par les intempéries.
dans le nord de la France. La sécheresse France (Rousseau, 2013) et à partir de Mais on ne peut pas parler d’une impor-
de l’été et du début de l’automne 1639 1659 pour l’Angleterre (Manley, 1974), tante crise de subsistance.
14 La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle

Les premières séries de mesures


de température et de précipitations
L’ère de la météorologie moderne commence au XVIIe siècle
avec l’invention en Italie des principaux instruments de
mesure des grandeurs physiques de l’état de l’atmosphère :
le baromètre, le thermomètre et l’hygromètre.
Peu après l’invention, vers 1650 à Florence, du thermomètre à
tube scellé contenant un liquide, plusieurs thermomètres iden-
tiques, munis d’une échelle à 50 degrés, furent envoyés par le
Grand Duc Ferdinand II de Toscane à des correspondants
situés en Italie et dans quelques autres pays européens,
accompagnés d’instructions pour effectuer des mesures coor-
données (figure 2). Le premier réseau météorologique au
monde était né. Comprenant 11 points de mesures, il a fonc-
tionné à partir de 1654 jusqu’à la dissolution en 1667 de
l’Accademia del Cimento (Académie des expériences) pour
des raisons religieuses (Camuffo et Bertollin, 2012). Ayant reçu
un de ces thermomètres, l’astronome Ismaël Boulliau a réalisé
les premières mesures de température à Paris de mai 1658 à
septembre 1660, ce qui a permis de constituer une série de
températures à Paris remontant à 1658 (Rousseau, 2013).
Figure 2. Exemplaires du thermomètre à alcool utilisé par Ismaël
Les premières observations régulières de précipitations ont
Boulliau. Le tube de verre comporte 50 graduations. Grâce à
été réalisées en France par Pierre Perrault pendant trois
l’extraordinaire habileté de Mariani, le souffleur de verre du Grand Duc
années disjointes, entre 1668 et 1674, dans le but de savoir si Ferdinand II de Toscane, ces thermomètres donnaient des mesures
la quantité annuelle de précipitations est suffisante pour comparables (Middleton, 1969). Museo Galileo, Florence, Photo
alimenter les rivières (Perrault, 1674). On dispose d’une série Franca Principe et Sabina Bernacchini.
pluviométrique à Paris, à partir de 1688, grâce à l’installation,
par Philippe de la Hire, d’un pluviomètre sur la terrasse indicateur climatique pertinent, en raison de la variabilité spa-
de l’Observatoire de Paris (Garnier, 1974). Mais il est difficile tiale des précipitations nettement plus marquée que celle de
de considérer une mesure ponctuelle de pluie comme un la température.

Tableau 1. Les 13 grands hivers du XVIIe siècle (d’après Rousseau, 2012).

Hiver 1608 1621 1649 1658 1660 1663 1672 1677 1679 1681 1684 1692 1695 1697

Anomalie
–4,1 –2,0 –2,2 –2,7 –3,5 –2,9 –4,1 –2,7 –4,2 –3,6
de température (°C)
Indice 8 8 7 7 7 8 7 7 7 7 9 7 8 8

Les grands hivers du XVIIe siècle Les rudes


De 1659 à 1700, on recense dix hivers (décembre à février) pour lesquels la tem-
années 1690
pérature moyenne à Paris a été inférieure de 2 °C ou davantage par rapport à la
Pour la séquence fraîche de 1687 à
température hivernale moyenne du XIXe siècle (1801-1900). Dans le tableau 1, on
indique pour chacun de ces hivers l’anomalie négative de température à Paris ainsi 1701, la température moyenne d’avril à
que la valeur de l’indice hivernal de van Engelen (van Engelen et al., 2001) gradué septembre à Paris s’établit à –0,5 °C, en
de 1 à 9. De 1601 à 1658, on ne dispose pas de mesures de température. La série écart à la référence calculée pour le
est complétée en retenant les hivers les plus rigoureux, pour lesquels l’indice prend XIXe siècle. L’énorme famine française
la valeur 8 (la valeur 9 n’a été attribuée à aucun hiver de cette période). Neuf aut- de 1693-1694 (figure 3), trouve son
res hivers dont l’indice vaut 7 (1601, 1618, 1620, 1624, 1635, 1646, 1649, 1655, explication dans la combinaison de la
1658) sont susceptibles d’avoir une anomalie de température inférieure à –2 °C situation de guerre dite de la Ligue
(Rousseau, 2013). Parmi ces derniers, on retiendra l’hiver 1649, long et rude dans d’Augsbourg (1688-1697) et de ces
la moitié nord de la France, en Angleterre et aux Pays-Bas, et l’hiver 1658 pour années remarquablement fraîches et
lequel Boulliau, cité par Arago (1858), signale des épisodes de froid intense à Paris
pluvieuses (Lachiver, 1991), en particu-
en janvier-février et le gel de la Seine suivi d’une énorme débâcle qui emporte le
Pont-Marie. lier 1692. Fénelon proteste contre la
politique fiscalement très coûteuse de
Louis XIV. La France, pratiquement
En écart à la température moyenne de illustrée par quelques millésimes remar- dans ses limites actuelles, comptait
la période 1801-1900, les moyennes quables : canal du Midi à sec durant 22 250 000 habitants fin 1692. Les
d’avril à septembre à Paris sont de l’automne 1679, grosses crises agricoles pertes humaines dues à la famine
+0,3 °C de 1659 à 1671, de –0,8 °C de due à la sécheresse en Languedoc, en (1,3 million sur 22 millions) sont en
1672 à 1675 et enfin, pour la séquence 1676, 1678, 1679, 1681 et 1684, mais proportion bien supérieures aux pertes
tiède de 1676 à 1686, de +0,6 °C (Le ces étés très chauds sont favorables aux civiles et militaires de la guerre de
Roy Ladurie, 2012). Cette tiédeur est moissons dans le nord de la France. 1914-1918. De 1685 à 1695, les baisses
La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle 15

1000 Bibliographie
900 Sépultures Arago F., 1858. Des plus grands froids observés annuellement dans les différents lieux du globe. Table des hivers
mémorables. In : Notices scientifiques, tome 8, volume 5, Paris-Leipzig, 257-395.
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700 Camuffo D., Bertolin C., 2012. The earliest temperature observations in the world: the Medici Network (1654-
1670). Clim. Change, 111, 335-363.
600 Couyba L., 1902. La misère en Agenais de 1600 à 1629 et la grande famine de 1630-1631. Imprimerie Renaud
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500 Dupâquier J. (sous la direction de), 1991. Histoire de la population française. Tome II, De la Renaissance à 1789.
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400 Garnier M., 1974. Longues séries de précipitations en France. Mémorial de la Météorologie nationale n°53, Paris,
480 p. 4 vol.
300 Goubert P., 1952. En Beauvaisis, problèmes démographiques du XVIIe siècle. Annales, économies, sociétés, civilisa-
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200 Labrousse E., 1933. Esquisse du mouvement des prix et des revenus en France au XVIIIe siècle. Tome I, Les prix.
Baptêmes Dalloz, Paris, 306 p.
100 Lachiver M., 1991. Les années de misère : la famine au temps du Grand Roi. Fayard, Paris, 573 p.
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1692 1693 1694 1695 1696
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1952). 405.
Middleton W.E.K., 1969. Invention of the meteorological instruments. The John Hopkins Press, Baltimore, États-
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de population sont de 26 % dans le Nussbaumer S. U., Zumbühl H. J., Steiner, D., 2007. Fluctuations of the “Mer de Glace” (Mont Blanc area, France)
Massif central, région très pauvre, 5 % AD 1500–2050. Part I: The history of the Mer de Glace AD 1570–2003 according to pictorial and written docu-
dans le Sud-Ouest, 6 % dans l’Est, 8 % ments. Zeitschrift für Gletscherkunde und Glazialgeologie, 40 (2005 & 2006), 5-140.
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16 La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle

Sur l’histoire du climat


en France : le XVIIIe siècle
Emmanuel Le Roy Ladurie1, Jean-Pierre Javelle, Daniel Rousseau2
1 Collège de France, 11 place Marcelin Berthelot, 75231 Paris Cedex 05
2 Conseil supérieur de la Météorologie, Saint-Mandé

partir du milieu du XVIIIe siècle, 1709, dernière grande


À on commence à disposer de sour-
ces iconographiques qui complè-
tent les sources écrites pour déterminer
famine française
les fluctuations du front des grands À propos de la première séquence
glaciers alpins (f igure 1). Ceux-ci fraîche (1709-1717), on ne manquera
occupent au cours du XVIIIe des posi- pas d’évoquer le grand hiver de 1709 au
tions avancées, sans atteindre les sujet duquel Saint-Simon écrit : « Il [le
maxima des XVIIe et XIXe siècles. froid] prit subitement la veille des Rois,
et fut près de deux mois au-delà de tout
Selon la périodisation proposée par souvenir. En quatre jours, la Seine et
Daniel Rousseau (Le Roy Ladurie et al., toutes les autres rivières furent prises,
2011), qui concerne le printemps et et, ce qu’on n’avait jamais vu, la mer
l’été, une séquence relativement tiède gela à porter le long des côtes. Les
s’étend de 1702 à 1708 (figure 2). Elle curieux observateurs prétendirent qu’il
se fait remarquer par des printemps-étés alla au degré où il se fait sentir au-delà
(avril à septembre) plutôt tièdes, notam- de la Suède et du Danemark. Les tribu-
ment de 1705 à 1707, avec de fortes naux en furent fermés assez longtemps.
mortalités par canicules provoquant des Ce qui perdit tout, et qui fit une année
dizaines voire des milliers de morts, de famine en tout genre de production
notamment enfantines. Les moissons de la terre, c’est qu’il dégela parfaite-
Résumé sont relativement bonnes (le blé a eu ment sept ou [huit] jours, et que la gelée
chaud) avec des prix du froment plutôt reprit subitement, aussi rudement
Cet article présente brièvement les bas. qu’elle avait été : elle dura moins ; mais,
fluctuations du climat en France au
XVIIIe siècle et aborde l’impact de ces
fluctuations sur la société. Le XVIIIe se
signale d’abord par le grand hiver de
1709, responsable de la dernière
grande famine française, et se ter-
mine par les années prérévolution-
naires et révolutionnaires pendant
lesquelles de mauvaises récoltes ont
été suivies d’émeutes de subsistance.

Abstract
About history of climate, France,
18th century
This paper briefly presents the clima-
tic fluctuations in France during the
18 th century and their impact on
society and some historical events.
The 18th century is at first marked by
the great winter of 1709, responsible
for the last French great famine, and Figure 1. La vallée de Chamonix, vue du Planet, près d’Argentière (1780). Sur cette gravure admira-
it ends with the pre-revolutionary blement précise de Hackert, le glacier d’Argentière est tout proche de l’église du village (Le Roy
and revolutionary years, with bad Ladurie, 1967). Aquatinte, gravure colorée à la main. British Museum, Londres. © The trustees of the
harvests followed by subsistence riots. British Museum.
La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle 17

des précipitations abondantes en


région parisienne sont néfastes pour
les moissons. La hausse du prix du
blé (28,5 livres le sétier à Paris) donne
lieu à des émeutes populaires, mais
les importations de grains depuis le
sud-ouest de la France et l’Angleterre
limitent la gravité de la disette. Les
années 1730 sont particulièrement
remarquables avec des prix du blé très
bas qui atteignent un minimum
en 1735, à 12,8 livres le sétier à
Paris (Labrousse, 1944). De 1727 à
1735, les vendanges sont précoces
et la qualité du vin de tout premier
ordre dans le pays de Bade en 1727,
Figure 2. Fluctuations du climat au cours du XVIIIe siècle détectées par la température moyenne d’avril à 1728, 1729, 1731, 1733 et 1735
septembre à Paris (°C). En rouge et bleu, les séquences chaudes et froides citées dans cet article. Pour (Müller, 1953). On assiste même à
chaque séquence, la moyenne est indiquée par un trait horizontal. une surproduction de vins avec un
effondrement des prix. Le gouverne-
jusqu’aux arbres fruitiers et plusieurs régions méditer ranéennes de la ment de Louis XV limite les planta-
autres fort durs, tout demeura gelé » France, le froid provoque la destruc- tions de vignes à partir de 1729, puis
(Saint-Simon, 1984). Van Engelen tion massive des oliviers et la mort de les interdit en 1731. On peut faire un
et al. (2001) attribuent l’indice 8 sur nombreux ceps de vigne. L’oliveraie rapprochement entre cet écroulement
une échelle de 9 à cet hiver qui est française ne se remettra jamais tout des prix du vin et la considérable
marqué par un mois de janvier parti- à fait de cette catastrophe. Intro- surproduction de 1904-1906 suivie
culièrement rigoureux (–3,7 °C à Paris duite par l’hiver 1709, la séquence en Languedoc par de puissantes mani-
d’après Rousseau, 2013). En l’absence 1709-1717 est fraîche et pluvieuse, festations de vignerons en 1907, dont
d’une couche de neige protectrice, avec de nombreuses inondations on ne trouve toutefois pas l’équivalent
le froid détruit les jeunes pousses en 1710, 1711 et 1712. La tempé- dans les années 1730.
de blé quelques mois après l’époque rature moyenne annuelle à Paris
des semailles. En région parisienne, est de 10,7 °C, alors qu’elle vaut L’année 1740, avec un hiver glacial,
le prix du blé atteint des records 11,4 °C pour la séquence tiède 1702- un printemps et un été pourris, ouvre
durant l’automne 1709 (f igure 3). 1708. la séquence fraîche de 1740-1746.
Essentiellement à partir de l’été À Paris, la température moyenne
1709 et jusqu’à la récolte conve- On retrouve une séquence tiède de de l’année 1740 (décembre 1739 à
nable de 1710, ce désastre cause un 1718 à 1739. Les récoltes de blé sont novembre 1740) est de 8,3 °C, valeur
excès de mortalité de 630 000 per- abondantes en 1718 et 1719, mais des la plus basse de la période qui s’étend
sonnes qui procède en grande partie épisodes caniculaires (températures de 1659 à nos jours. La mauvaise
d’épidémies aggravées par la sous- moyennes de 21,3 °C en août 1718 moisson de 1740 provoque dans
alimentation, mais qui concerne aussi et de 20,9 °C en juillet 1719 à Paris) toute l’Europe une crise de subsistance
des personnes directement mortes causent des centaines de milliers de jusqu’à l’été 1741 (Post, 1985). En
de faim (Dupâquier, 1991). Dans les mort (Lachiver, 1991). En 1725, France, la disette et les épidémies
causent une mortalité supplémentaire
de l’ordre de 100 000 morts. C’est
la dernière crise de subsistance
importante que connaîtra la France.
Aux XVI e , XVII e et jusqu’au début
du XVIIIe siècle, une pénurie frumen-
taire de même ampleur aurait pro-
bablement entraîné cinq fois plus
de victimes. On a changé d’époque
à la suite de l’amélioration de la
situation économique, du dévelop-
pement des routes et de la diminu-
tion des impôts après la fin des guerres
de Louis XIV. On passe d’années
de famine, comme en 1693 et 1709, à
des années de restrictions qui
s’accompagnent néanmoins de pous-
sées de mécontentement populaire.
Ainsi, en septembre 1740, l’attitude du
Figure 3. Évolution du prix du sétier de froment (en livres tournois) en région parisienne aux quatre car-dinal Fleury, Premier ministre,
marchés traditionnels (Pâques, Saint-Jean, Saint-Martin et Noël) de 1708 à 1710 (d’après Dupâquier assiégé par la foule dans son carrosse,
et al., 1968). Les prix montent de 10 livres tournois au début de 1708 à un maximum de plus de inspire des réflexions ironiques : « Le
50 livres à la fin de 1709, après la mauvaise récolte de l’été 1709. Ils reviennent à un niveau d’une peuple mourait de faim, le cardinal
quinzaine de livres après la bonne récolte de 1710. mourait de peur » (Nicolas, 2008).
18 La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle

Après 1740, Les premières publications


l’apaisement relatif de relevés météorologiques
des crises De 1732 à 1740, Réaumur f it des du plus grand chaud de l’après-midi ;
de subsistance observations météorologiques chez lui
à Paris et au cours de ses déplace-
et de les disposer dans des tables où la
comparaison des plus grands degrés
Viennent ensuite dans le registre de la ments. Après s’être contenté de de froid et de chaud de tous les mois
tiédeur les années 1747-1762, avec une publier les extrêmes de chaque mois, il de l’année se pourrait faire d’un coup
pointe de mortalité en 1747 dont les insère, à partir de 1735, les tableaux d’œil. Lorsque je lus la première de ces
raisons sont vraisemblablement épidé- complets de ses relevés quotidiens tables à l’Académie, quelques-uns de
dans le volume annuel de l’Histoire de nos Messieurs, et M. de Mairan entre
miques (Le Roy Ladurie, 2006). l’Académie royale des sciences. autres, pensèrent qu’il n’en fallait pas
Pendant cette séquence de printemps- rester-là, qu’il convenait de donner la
« Depuis que l’on sait faire des thermo-
étés chauds, qui pour les étés s’étend mètres dont les degrés sont compa- suite complète des observations du
même jusqu’en 1764, les moissons rables, depuis qu’on en peut voir dont Thermomètre pour tous les jours de
sont bonnes, en tout cas convenables, les degrés ont des valeurs fixes, il m’a chaque année. La crainte de grossir
à tel point que, sous l’impulsion de paru qu’on serait bien aise de savoir un nos volumes par des tables, qui sem-
Choiseul, le gouvernement royal peu plus sur les degrés de froid et de blent n’offrir rien d’agréable au lecteur,
libère, en 1764, les contraintes chaud de chaque année, que ne nous m’empêcha d’être de leur avis ; mais j’y
qui pesaient sur le commerce du blé en apprennent les résultats dont je suis revenu quand j’ai eu fait plus
et en vient à une sorte de libéralisme viens de parler : qu’on verrait avec plai- d’attention aux utilités qu’on pourra
sir des comparaisons du plus grand retirer de ces sortes de tables, surtout
frumentaire. depuis que j’ai vu que le nombre des
froid et du plus grand chaud de
chaque mois, qui nous apprendraient à observateurs du thermomètre se multi-
Pendant la période fraîche suivante, combien de variations est sujet l’état pliait, et que nous avons lieu d’espérer
1763-1774, l’année 1770 est parti- de l’air dans lequel nous vivons : qu’on d’avoir des observations faites dans tou-
culièrement remarquable par de serait bien aise, et qu’il nous serait pas tes les parties du monde et dans leurs
nombreuses inondations tout au long inutile de pouvoir comparer ces chan- différents climats » (Réaumur, 1735).
d’un hiver doux et pluvieux suivi gements de l’air de notre climat avec Par la suite, des séries d’observations
par un printemps et un été frais et ceux de l’air de différents climats. C’est météorologiques quotidiennes à Paris
pourris (Champion, 1858-1864). À la ce qui me détermina à donner paraissent dans deux publications men-
suite de la mauvaise moisson de 1770, quelques résultats des observations du suelles, le Journal oeconomique, à par-
les prix du grain connaissent une aug- thermomètre pour chaque mois de tir de 1753, et le Journal de médecine à
l’année ; savoir, une observation du partir de 1762. Et, depuis ses débuts en
mentation marquée, sans être catas-
plus grand froid du matin, une obser- 1777, le Journal de Paris, plus ancien
trophique. Malgré la disette, la mor- vation de plus grand froid de l’après- quotidien français, publie en première
talité n’est pas très importante en midi, une observation du plus grand page les observations météorologiques
raison une fois de plus des progrès chaud du matin, et une observation de la veille à Paris (figure 4).
économiques accomplis par la nation.
La vision pessimiste d’Hippolyte
Taine (2011) à propos de la famine
guettant sans cesse le bas peuple fran-
çais semble quelque peu excessive,
même si des difficultés de subsistance
se produisent encore de temps à
autre. Mais, comme plus tard en 1789,
quoiqu’avec moins d’ampleur,
l’agitation sociale est très importante,
à tel point que le Premier ministre
Choiseul est limogé en 1770. Les
vieilles contraintes médiévales, qui
para-lysaient plus ou moins le négoce
du blé selon les économistes du temps,
sont remises en place sous les auspices
de l’abbé Terray, contrôleur général
des finances.

Les années tièdes 1775-1781 ont été


rendues célèbres dans le petit milieu
des historiens par la thèse d’Ernest
Labrousse (1944) relative à la crise
économique de ces années-là et de la
décennie 1780 qui, les unes et les
autres, préluderaient par causalité Figure 4. Extrait du Journal de Paris du 1er février 1784 indiquant les données météorologiques
maléf ique au déclenchement de la de la veille (encadré) observées à Paris ainsi que la hauteur de la Seine. Sous le titre
Révolution française en 1788-1789. Bienfaisance, le premier article expose les mesures prises par le gouvernement royal en
En fait, la vraie crise économique faveur des plus pauvres durant les grands froids de l’hiver 1784. (Image Hathi Trust Digital
préludant à la Révolution ne com- Library)
mence qu’en 1788-1789 ; les années
La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle 19

1778-1781, avec de fortes tiédeurs


printanières et estivales, ne sont pas Années très rude ; le mois de décembre 1788
est glacial, avec une température
particulièrement prérévolutionnaires,
mais elles sont le théâtre de quatre
prérévolutionnaires moyenne à Paris de –6,8 °C, ce qui
constitue un record de froid pour une
millésimes de surproduction viticole et et révolutionnaires moyenne mensuelle à Paris. Mais ce
de bas prix céréaliers. Ces quatre grand hiver n’aggrave pas la crise
années ont des printemps ou des étés Par la suite, le phénomène prérévolu- frumentaire bien présente depuis la
plutôt chauds. La surabondance des tionnaire et révolutionnaire devient par moisson de 1788.
vendanges de ce quadriennat fait bascu- lui-même intéressant, c’est évident,
ler les prix du breuvage vers la baisse. indépendamment d’analyses portant En ce qui concerne la causalité de la
sur des périodes plus longues. Le Révolution française, en 1787-1788,
La séquence fraîche qui suit dure couple d’années 1787-1788, prépa- on est en quelque sorte devant le
dix-huit années, soit de 1782 à 1799. ratoire dès avant les États généraux au déclic, la gâchette qui actualise
La température moyenne d’avril à grand événement révolutionnaire, violemment les causalités étalées sur
septembre présente un écart négatif présente des caractéristiques intéres- plusieurs décennies (montée de la
de –0,4 °C par rapport à la moyenne santes : pluies excessives durant bourgeoisie et d’une noblesse libérale
1676-2010. Pour les températures l’automne 1787, sécheresse au prin- et suicidaire). Suivant un mécanisme
hivernales (septembre à mars), temps et à l’automne 1788, échaudage analogue, en 1794, un coup
cet écart est de –0,8 °C. L’éruption du et canicule de f in de printemps et d’échaudage lors de l’été achève de
Laki en 1783 provoque des phéno- d’été 1788, violents orages de grêle en déclencher une mauvaise récolte au
mènes de pollution naturelle, avec une juillet 1788 (Garnier, 2013). La récolte moment même (thermidor) de la chute
augmentation de mortalité par les des grains est médiocre sans être de Robespierre. Le déficit alimentaire
voies respiratoires bien entendu en catastrophique. La mortalité provoque la classique émeute du prin-
Islande et en Scandinavie et, dans une n’augmente pas contrairement aux cri- temps suivant, parce que le pain est
moindre mesure, en France et en ses de subsistance précédentes (1740), devenu très cher, d’autant plus qu’en
Angleterre. Elle est suivie par un hiver mais les peuples sont dans la rue par décembre 1794, en pleine période de
1784 très froid, avec de graves inonda- mécontentement devant la cherté en disette, les Thermidoriens ont commis
tions. La sécheresse de 1785, particu- ville et même à la campagne, sur la l’erreur d’abolir la limitation auto-
lièrement marquée en hiver et au base d’une mauvaise récolte, 1788, qui ritaire du prix des grains. En 1795,
printemps dans le nord-ouest de se répercute sur l’ensemble de l’année l’agitation de prairial (mai) est dure-
la France, ne correspond pas à une post-récolte 1788-1789. La population ment réprimée par la bourgeoisie
canicule, ce qui en limite les dégâts. doit aussi subir un hiver 1788-1789 républicaine et royaliste de Paris.

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20 La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle

Sur l’histoire du climat


en France : le XIXe siècle
Jean-Pierre Javelle, Emmanuel Le Roy Ladurie1, Daniel Rousseau2
1 Collège de France, 11 place Marcelin Berthelot, 75231 Paris Cedex 05
2 Conseil supérieur de la météorologie, Saint-Mandé

Résumé
Cet article présente brièvement les
fluctuations du climat en France au
XIXe siècle et aborde l’impact de ces
fluctuations sur la société. Le XIXe est
marqué par les dernières crises de sub- our le printemps et l’été (mois
Les conséquences de
sistance qui ont d’importances consé-
quences sociales en contribuant aux
révolutions de 1830 et 1848. Le rapide
recul des glaciers alpins après le maxi-
P d’avril à septembre), le XIXe siècle
commence par une séquence tiède
de 1800 à 1808, avec un écart de 0,3 °C
l’éruption du Tambora
La série d’années 1809-1817 connaît
au-dessus de la température moyenne à
mum atteint dans les années 1850 signe Paris calculée sur la période 1801-1900 des printemps-étés nettement plus
la fin du petit âge glaciaire. (figure 1). Néanmoins, la récolte de blé frais. À Paris, la température moyenne
de 1802 est déficitaire, conséquence de d’avril à septembre se situe 0,9 °C au-
l’enchaînement d’un automne 1801 très dessous de la séquence précédente
pluvieux, avec d’importantes crues de la 1800-1808 et 1 °C au-dessous de la
Abstract Seine, du Rhin, de la Saône et de la suivante 1818-1835. En revanche, la
Garonne en décembre 1801 et janvier moyenne des températures hivernales
About history of climate, France, 1802, d’un mois de janvier froid et d’un est très proche de celle des séquences
19th century printemps sec. Grâce aux mesures diri- précédente et suivante. L’année 1811
gistes prises par Bonaparte et aux se distingue nettement par ses tempé-
This paper briefly presents the clima- importations, la disette provoquée par la ratures élevées au printemps, en
tic fluctuations in France during the hausse des prix du froment reste limitée automne et, dans une moindre mesure,
19 th century and their impact on (Le Roy Ladurie, 2006). Ainsi, le prix en été. Ainsi, avec 12,7 °C, le prin-
society and some historical events. The moyen national de l’hectolitre de temps 1811 est le plus chaud enregis-
19th century is marked by the last food froment atteint un maximum de tré à Paris des 30 années 1782 à 1821.
shortages with serious social conse- 25,19 francs en 1802, contre 20,34 en Les vendanges à Dijon sont précoces
quences for French revolutions of 1830 1800. De 1804 à 1808, les chaleurs (12 septembre). Mais, pour les céréa-
and 1848. The retreat of the alpine gla- estivales et printanières favorisent les les, cet épisode chaud n’a pas de
ciers after the 1850s maximum cor- belles récoltes. Le prix de l’hectolitre de conséquences bénéf iques, bien au
responds to the end of the Little Ice froment reste constamment en dessous contraire, à la suite de dégâts provo-
Age. de 20 francs (Labrousse et al., 1970) qués par les orages dans le nord de la
France et par l’échaudage dans le sud.
Les mesures dirigistes n’empêchent pas
le prix du froment de doubler à Paris
entre novembre 1811 et avril 1812. Les
épidémies frappent les populations défa-
vorisées, affaiblies par la sous-alimenta-
tion. La crise agricole a des répercussions
démographiques importantes : hausse des
décès (environ 60 000 morts supplémen-
taires en 1811-1812), baisse des mariages
et des conceptions (Rollet, 1970). Les
émeutes qui affectent les grandes villes
au printemps 1812 sont brutalement
réprimées en Normandie. Ainsi, à Caen,
six révoltés sont fusillés, dont deux fem-
mes (Le Roy Ladurie, 2006). L’hiver
1813-1814 est un des plus rigoureux du
XIXe siècle, avec un écart de température
moyenne de 2,3 °C au-dessous de la tem-
pérature moyenne des hivers du siècle.
Figure 1. Fluctuations du climat au cours du XIXe siècle détectées par la température moyenne d’avril à
septembre à Paris (d’après Le Roy Ladurie et al., 2011). En rouge et bleu, les séquences chaudes et L’éruption volcanique du Tambora dans
froides. Pour chaque séquence, la moyenne est indiquée par un trait horizontal. Certaines années l’île indonésienne de Sumbawa, le
signalées dans le texte sont repérées sur le graphique. 10 avril 1815, est probablement la plus
La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle 21

forte et la plus meurtrière du dernier nettement plus que les groupes d’années Thureau-Dangin (1892), la médiocre
millénaire. Elle a des conséquences sur suivantes et précédentes. Les très médio- récolte de 1845 n’avait pas laissé
l’ensemble de la planète, les années 1816 cres moissons de 1827, 1828, 1830 et d’excédent de grains, ce qui a aggravé les
et 1817 étant particulièrement fraîches 1831 favorisent une agitation populaire effets économiques, sociaux et politiques
avec des crises de subsistance dans de particulièrement marquée à Paris en de la très mauvaise récolte de céréales en
vastes régions de l’hémisphère Nord juillet 1830 : Trois Glorieuses, chute de 1846 provoquée par un phénomène
(Post, 1977). À Londres, on observe des Charles X et avènement de Louis- d’échaudage qui a frappé la plupart des
levers et couchers de soleil très colorés Philippe (Clément, 2015). L’hiver 1829- pays d’Europe centrale et occidentale. En
dès la fin juin 1815 et, dans le nord-est 1830 est celui dont la température effet, 1846 est une année chaude, avec un
des États-Unis, un brouillard sec persis- moyenne à Paris est la plus basse enregis- été sec et caniculaire qui se classe, pour
tant au printemps et en été 1816. En trée sur la période 1658-2015. La Seine l’hémisphère Nord, parmi les douze étés
Europe et en Amérique du Nord, l’année est gelée du 28 décembre au 6 janvier et les plus chauds des 600 dernières années
1816 est restée dans les mémoires popu- du 5 au 10 février. La révolte lyonnaise (Briffa et al., 2004). À Paris, la tempéra-
laires comme « l’année sans été » des canuts en 1832 s’inscrit aussi dans ce ture du mois de juin 1846 se situe à
(Stothers, 1984). À Paris, la température contexte de cherté du blé à la suite d’une 3,5 °C au-dessus de la moyenne 1801-
moyenne des trois mois d’été juin, juillet série de mauvaises récoltes. Le prix du 1900. Circonstance aggravante, la pro-
et août (15,3 °C) est la plus basse de la froment chute ensuite, grâce aux belles duction de pommes de terre baisse de
période pour laquelle on dispose de récoltes des étés chauds de 1832, 1834 plus d’un tiers à cause de la maladie qui
mesures thermométriques (1658-2015). et 1835. Et, avec un décalage de fait des ravages dans toute l’Europe du
Les vendanges sont très tardives, le quelques années sur la période tiède Nord. Par ailleurs, la Loire et ses
25 octobre 1816 à Dijon, et les récoltes 1818-1835, le front de la mer de Glace affluents connaissent des inondations
de blé sont déficitaires. Le prix moyen recule de 359 mètres entre 1822 et 1842. catastrophiques en octobre 1846
national annuel de l’hectolitre de blé (Champion, 1861). En dépit d’un ensem-
grimpe de 19,53 francs en 1815 à 26,17 Pendant la séquence fraîche 1836-1856, ble de mesures gouvernementales, le prix
en 1816 pour atteindre un maximum de l’importante pluviosité de l’année 1839, du blé augmente fortement pour atteindre
36,16 francs en 1817. L’augmentation des particulièrement au mois de juin, semble 29,01 francs en moyenne annuelle en
décès reste limitée, mais la diminution du être responsable de la récolte de blé défi- 1847, soit 50 % de plus qu’en 1845. Les
nombre de mariages et de naissances est citaire qui a été suivie d’émeutes de sub- émeutes qui se multiplient dans l’ouest et
nettement plus sensible (Le Roy Ladurie, sistance dans l’ouest et le centre de la le centre de la France sont sévèrement
2006). On peut noter que les informa- France, de l’automne 1839 jusqu’au prin- réprimées et trois condamnations à mort
tions sur l’éruption du Tambora mettent temps 1840. Fin octobre et début novem- sont prononcées dans l’Indre. En
plusieurs mois pour atteindre la France, bre 1840, une crue exceptionnelle du Bourgogne, les déficits des récoltes de
contrairement à ce qui se passera pour Rhône et de la Saône cause des dégâts céréales, de maïs et de pommes de terre
une autre éruption importante d’un vol- considérables, en particulier à Avignon sont aggravés par des phénomènes
can indonésien, le Krakatoa en 1883, (Champion, 1862). d’accaparement et de spéculation
connue quelques jours après grâce au (Lévêque, 1983). La disette provoque une
télégraphe électrique, bien qu’elle soit En 1845, année très fraîche et plu- crise monétaire, à cause des importations
nettement moins violente. On ne réalisera vieuse, le rendement du froment chute à de blé depuis la Russie et d’autres pays, et
l’importance de l’influence des éruptions nouveau. Comme le note le grand histo- se transforme en une crise économique
volcaniques sur le climat qu’au début du rien de la Monarchie de Juillet Paul qui touche différents secteurs comme la
XXe siècle (Stothers, 1984).

Cette séquence fraîche 1809-1817 pro-


voque, avec un délai de quelques
années, un fort maximum des glaciers
alpins. Ainsi, après un net recul à la fin
du XVIIIe siècle, de 400 m entre 1778
et 1795, la mer de Glace connaît une
avancée, très accentuée au cours de la
seconde moitié des années 1810, pour
culminer en 1821 à 560 m au-delà de la
position atteinte en 1795. Dans la vallée
de Chamonix, les villages d’Argentière
et des Bois sont alors menacés
(Mougin, 1912).

Disettes et révolutions
1818-1835 est une période tiède avec des
printemps-étés chauds et secs favorables
aux céréales, dans laquelle on distingue
une phase plus fraîche et plus humide de Figure 2. La vallée de Chamonix vue du Chapeau. Au premier plan, séracs de la langue terminale de la
1827 à 1831. D’après Garnier (1974), mer de Glace. On distingue aussi le glacier des Bossons. Cette photo des frères Bisson date de 1860, huit
de 1827 à 1831 les pluies annuelles à ans après le début de la décrue et une dizaine d’années après les premières photographies de la mer de
Paris avoisinent ou dépassent 600 mm, Glace (Nussbaumer et al., 2012). Photo : Digital image courtesy of the Getty’s Open Content Program.
22 La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle

construction des chemins de fer et


l’industrie textile. Parmi les causes com-
plexes de la révolution de 1848, la crise 1. Retour sur le petit âge glaciaire
économique née de la mauvaise récolte
de 1846 a joué un rôle certain (Thureau- L’examen de l’évolution des glaciers dans le PAG, 1857-1987, période in-
Dangin, 1892). Pour la France, il s’agit de alpins met en évidence une croissance termédiaire, et 1988-2015, période
la dernière crise de subsistance de grande qui a débuté vers 1300, pour atteindre pendant laquelle les effets du réchauf-
ampleur causée par un aléa climatique. des valeurs maxima vers 1370, puis à fement climatique sont clairement
Par la suite, l’impact sur la vie sociale nouveau vers 1665 et enfin dans les détectables.
d’une mauvaise récolte devient beaucoup années 1850. Depuis lors, on assiste à
un retrait généralisé des glaciers. La La période 1, 1659-1856, comporte
moins important grâce aux importations huit f luctuations successives de
période qui s’étend du XIVe au milieu
de céréales facilitées par le chemin de fer séquences d’années plutôt chaudes et
du XIXe siècle a été dénommée petit
et, pour le blé américain, par la naviga- âge glaciaire (PAG), bien que les posi- plutôt froides. La période 2, 1857-
tion à vapeur. tions maximales occupées par les gla- 1987, comporte trois fluctuations suc-
ciers alpins pendant le PAG soient très cessives. La période 3, 1988-2015, ne
En mai et juin 1856, les inondations loin des positions atteintes pendant le comporte qu’une séquence chaude.
catastrophiques de la Loire sont les plus dernier âge glaciaire. Si les fluctua- La figure 3 fournit les différences des
importantes qui se soient jamais produi- tions de l’avancée des glaciers cor- températures moyennes de chaque
tes en aval du confluent avec l’Allier respondent plus ou moins, avec mois entre la période 1 (PAG) et la
(Dacharry, 1996) et le Rhône connaît quelques années de retard, aux fluc- période 2, ainsi qu’entre la période 3
aussi une crue extrême qui détruit de tuations multidécennales des tempéra- (réchauf fement climatique) et la
tures moyennes (Rousseau, 2013), il période 2. Entre la période 2 et la
nombreuses digues et cause de très
est beaucoup plus difficile de caracté- période 1, aucune différence impor-
importants dommages (Pichard et riser le PAG du point de vue clima- tante de température n’est constatée
Roucaute, 2014). tique. En ef fet, les éléments d’avril à septembre, durant la période
climatiques conditionnant l’évolution végétative conditionnant les récoltes.
des glaciers sont nombreux, parmi les- Les relevés des dates de vendanges
La fin du petit âge quels la température, les précipitations
et l’ensoleillement. Ils interviennent
confirment d’ailleurs les données des
thermomètres. Ainsi, la moyenne des
glaciaire non seulement par leur valeur, mais
aussi par leur répar tition dans le
dates de vendange à Beaune est prati-
quement la même pour la période 1
Après une phase de retrait, une nouvelle temps. (25 septembre) et la période 2 (27
avancée de la mer de Glace se déclenche Concernant la relation entre septembre). L’expression petit âge gla-
à partir de 1842 pour culminer en 1852, l’extension des glaciers et la tempéra- ciaire est donc assez peu adaptée à la
ture, l’examen des moyennes men- description d’une grande partie de
ce maximum étant presque aussi impor-
suelles des températures relevées à l’année. En plein PAG, on a même
tant que celui de 1821, à quelques dizai- connu des étés caniculaires, comme
nes de mètres près. Quant au glacier Paris depuis 1658 permet une compa-
raison entre les températures durant la celui de 1540 qui a pu être comparé à
suisse de Grindenwald, il atteint en 1855 l’été caniculaire de 2003 (Wetter et
période du PAG, que l’on suppose se
un maximum un peu plus marqué que Pfister, 2013).
terminer en 1856, année qui cor-
celui de 1821. On considère générale- respond à la fin d’une séquence fraî- Ce n’est que pour le mois de janvier et
ment que les années 1850 marquent la fin che (Le Roy Ladurie et al., 2011), et les le mois de mars que les moyennes
du petit âge glaciaire (figure 2). périodes suivantes. Les moyennes des mensuelles des périodes 1 et 2 dif-
températures mensuelles à Paris ont fèrent de plus de 0,5 °C. Pour ces
La séquence tiède 1857-1876 débute par ainsi été calculées pour trois deux mois, les figures 4 et 5 indiquent
une succession de beaux étés 1857, 1858 périodes : 1658-1856, période incluse la distribution des températures. La
et 1859 qui favorisent de bonnes récoltes
de blé et des vins de qualité. Mais la cani-
cule de 1859 et l’épidémie de dysenterie
associée provoquent 100 000 morts sup-
plémentaires. En septembre 1866, la
Loire connaît une nouvelle crue histo-
rique, particulièrement importante dans
sa partie amont. La chaleur de l’été 1868
favorise une abondante récolte de céréa-
les et des vins de qualité exceptionnelle.
En décembre 1871, le froid intense
(–0,7 °C de température moyenne) fait
souffrir les Parisiens assiégés par les
Prussiens. En juin 1875, causée par de
fortes pluies s’ajoutant à la fonte des nei-
ges, une crue historique de la Garonne
provoque des centaines de morts et
détruit des milliers de maisons.

La séquence fraîche 1877-1891 cor- Figure 3. En bleu, écart (en °C) de la température moyenne mensuelle 1658-1856 à Paris à la tempé-
rature moyenne mensuelle 1857-1987 (en marron). En rouge, écart (en °C) de la température
respond à l’arrêt du recul des glaciers
moyenne mensuelle 1988-2015 à la température moyenne mensuelle 1857-1987.
alpins constaté vers 1880, stabilisation
qui durera jusqu’aux années 1930. Avec
La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle 23

fréquence d’occurrence des mois de


janvier avec une moyenne négative
des températures illustre bien ces diffé-
rences entre les trois périodes (figure
4). La période 1 compte 41 mois de
janvier à température moyenne infé-
rieure à 0 °C sur 198, soit 22 % des
mois de janvier. La période 2 compte
12 mois de ce type sur 131, soit 9 %
des mois de janvier. La période 3 ne
compte aucun mois de janvier de
température moyenne négative.
Concernant la distribution des tempé-
ratures, la période du PAG se distingue
donc de la période suivante par une
proportion plus importante de mois de
janvier glacials (de l’ordre d’un hiver
sur cinq).
La faible fréquence de mois de mars
doux pendant le PAG est mise en évi-
Figure 4. Distributions des moyennes mensuelles de température du mois de janvier pour les trois
dence sur la figure 5 en examinant la
périodes étudiées. Le trait rouge vertical correspond à 0 °C.
fréquence des mois de température
moyenne supérieure à 8 °C. Dans la
période 1 appartenant au PAG, seule-
ment 17 % des mois de mars sont dans
ce cas, alors que la fréquence est de
32 % pour la période intermédiaire
et qu’elle s’élève à 77 % dans la
période 3.
Plus grande fréquence de vagues de
froid intense en janvier et prolonge-
ment très fréquent des températures
basses jusqu’au mois de mars sont
ainsi les particularités du PAG décela-
bles sur les relevés des températures.
Par contre, pour les autres mois, les dis-
tributions des températures durant le
PAG sont très proches des distributions
des températures de la période qui va
de 1857 à 1987. Au-delà de 1987, un
réchauffement généralisé de tous les
mois de l’année est constaté. Figure 5. Distributions des moyennes mensuelles de température du mois de mars pour les trois
périodes étudiées. Le trait rouge vertical correspond à 8 °C.

une température moyenne de 8,8 °C,


l’année 1879 est la plus fraîche obser-
vée à Paris de 1741 à nos jours. La pro-
duction végétale de 1879 est déficitaire
suite à un printemps et un été frais,
Pendant l’hiver glacial 1879-1880, la
Seine reste gelée du 9 décembre au
2 janvier (figure 6). Une température de
–25,6 °C est relevée le 17 décembre
1879 à Paris, mois qui, avec une tempé-
rature moyenne de –6,5 °C, se situe au
2e rang des mois les plus froids à Paris
après décembre 1788. En janvier, les
débâcles de la Loire et de la Seine pro-
voquent des dégâts considérables,
notamment la destruction d’une partie
du pont des Invalides à Paris. L’hiver
1890-1891 est aussi très rigoureux. Il
est très précoce dans le nord de la Figure 6. Les Glaçons est l’un des tableaux exécutés par Claude Monet à Vétheuil en observant la
France, la température à Paris restant débâcle sur la Seine, à la fin de la longue période de froid intense de l’hiver 1879-1880. University of
négative presque sans discontinuer du Michigan, Museum of Art, tableau acquis grâce à la générosité de Russell B. Stearns (ancien élève,
26 novembre 1890 au 15 février 1891. 1916) et de son épouse Andree B. Stearns, Dedham, Massachusetts.
24 La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle

2. Le développement des réseaux climatologiques


à la fin du XIXe siècle
À partir des années 1850, l’extension du tine au XVIIIe n’ont pas duré plus d’une ervations du réseau pluviométrique mis
réseau télégraphique permet l’échange dizaine d’années. Il s’appuie sur les éco- en place par l’administration des Ponts et
rapide des observations météorologiques les normales d’instituteurs, auxquelles Chaussées à partir de 1871. Il lance aussi
et la diffusion d’avertissements et de pré- sont fournis des instruments de préci- un grand programme d’observations
visions. En France, l’astronome Urbain Le sion, et crée les commissions météorolo- phénologiques (développement des
Verrier (1811-1877) met en place à giques départementales chargées de plantes et migrations des oiseaux) dans
l’Observatoire de Paris un service de coordonner les observations bénévoles les stations météorologiques.
météorologie télégraphique, conçu d’orages. Les observations sont publiées
d’emblée à l’échelle de l’Europe, qui chaque année, sous la forme de tableaux En 1900, pour la France métropolitaine,
fonctionne quotidiennement à partir de et de cartes, dans les Atlas météorolo- le service de climatologie du BCM reçoit
1857. Dans le domaine de l’étude du cli- giques de l’Observatoire de Paris. Sous mensuellement les données fournies par
mat, Le Verrier accomplit aussi une l’impulsion d’Alfred Angot (1848-1923), 19 observatoires, dont 4 observatoires
œuvre considérable en installant un le Bureau central météorologique de montagne, 83 écoles normales,
réseau d’observation pérenne, alors que (BCM), créé en 1878, développe les obs- 31 sémaphores, 21 phares et 45 stations
les initiatives des siècles précédents, ervations et les études climatologiques faisant au moins trois observations par
comme l’Academia Del Cimento au XVIIe, qui paraissent dans les Annales du jour, ainsi que les relevés de précipita-
le réseau de l’Académie de médecine et Bureau central météorologique de tions effectués par 2032 stations pluvio-
celui dela Société météorologique pala- France, en intégrant notamment les obs- métriques (Bouquet de la Grye, 1902).

Le froid est particulièrement marqué en une moisson déficitaire. Mais, grâce avec une série de beaux étés accompa-
janvier dans le sud de la France. Ainsi, à aux importations, les prix des céréales gnés de moissons abondantes et de vins
Arles, le Rhône est pris par les glaces n’augmentent pas. de qualité, mis à part des dégâts causés
du 8 janvier au 2 février. Le gel pro- aux céréales par la sécheresse et la
longé, sans couche de neige protectrice, Le XIXe siècle se termine par une sé- chaleur pendant l’été 1893.
endommage les semis, ce qui conduit à quence tiède qui va de 1892 à 1901,

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La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle 25

Impact du climat
Résumé
Grâce aux témoignages historiques,
sur la mortalité en France,
aux estimations des démographes et à
des mesures météorologiques éparses,
les principales anomalies climatiques
de 1680 à l’époque actuelle
intenses depuis 1680 ayant eu des
conséquences sur la mortalité fran-
çaise sont identifiées et commentées. Emmanuel Le Roy Ladurie1 et Daniel Rousseau2
De grands froids et des canicules, par 1 Institut de France, 75270 Paris
leurs effets directs, mais aussi des 2 Conseil supérieur de la météorologie
conditions météorologiques défavora-
bles aux récoltes et des étés très
chauds et secs favorables aux épidé-
mies ont été à l’origine d’excédents
de décès durant l’Ancien Régime
pouvant dépasser 100 000 victimes et
allant même jusqu’à 1 300 000 lors
des famines de 1693-1694. Pour le
XXe siècle et le début du XXIe, grâce
aux données météorologiques et
démographiques mensuelles pour vue d’historien, le climat ni la – relation directe, les conditions météoro-
l’ensemble de la France, les relations
entre les fluctuations des tempéra-
tures et celles des décès peuvent être
mises en évidence plus précisément.
À mort ne se peuvent regarder fixe-
ment, pourrait-on dire en para-
phrasant La Rochefoucauld(1). La mort
logiques peuvent tuer sans ambages par
action de la canicule (1719) ou du gel
(1684), autrement dit du grand froid ; la
pour les raisons que chacun connaît. Le pluie enfin ne joue qu’un faible rôle dans
Tous les hivers et occasionnellement climat, parce que son histoire, en termes ce genre de relation directe, si l’on met à
des canicules exceptionnelles sont d’historiographie justement, a été long- part le cas spécial des inondations, certes
encore responsables d’excédents de temps négligée, et qu’elle présente tueuses d’hommes elles aussi ;
décès dépassant la dizaine de milliers. maintes embûches et difficultés spéci- – relation indirecte par la médiation des
fiques. D’où, incidemment, la susdite subsistances ; en Europe, il s’agit des
négligence. céréales ; du « blé », lui-même étant un
nom générique pour le froment et aussi
Abstract Nous voudrions ici nous en tenir au pro- pour d’autres grains panifiables (seigle,
blème des grandes ou parfois moins etc.). L’action négative des conditions
Climatic impact on mortality in grandes mortalités d’origine météorolo- météorologiques, quand elle est contraire
France from 1680 up to now gique intervenues de 1680 à nos jours ; aux intérêts agricoles et humains, pro-
soit mortalités caniculaires, ou encore voque la famine, ou la simple disette qui
We have used historical data, demo- hivernales ; ou liées à la disette voire à la peut tuer elle aussi.
graphers’ estimates and various famine, les subsistances céréalières ayant
meteorological measurements to fait défaut pour cause de médiocres mois- Cela se joue non point à deux (grand hiver
identify and to comment the most sons, elles-mêmes induites par les ou canicule, d’où morts assez nombreu-
intense climatic anomalies, the ones attaques d’un grand hiver (1709) ou ses), cas de la relation directe, mais à trois,
that had visible consequences on celles de la pluie (1692-1693) ; ou encore en fonction des ennemis du blé qui sont :
French mortality. We were particu- celles de la canicule avec sécheresse et – l’excès de pluie (exemple : disette de
larly interested in severe winters and échaudage (1846) et puis les événements 1740) ;
heat waves and their direct conse- de 2003, soit 15 000 victimes en France – le gel long et rude (exemple : 1709) ;
quences on human mortality. We have pour cause de mois d’août excessivement – l’échaudage(2)-sécheresse (exemple :
also looked at indirect effects such as brûlant, confèrent quelque actualité à 1846).
weather unfavourable to cereal har- notre entreprise.
vests causing mortality through grain Le tout pouvant se prêter à des combinai-
scarcity, famines and collateral epide- sons variées ; les plus fréquentes étant
mics due to malnourishment. For the « grand hiver plus énormes pluies de
period before 1850 we have only
considered mortalities above 100,000
La surmortalité sous printemps et d’été, éventuellement froi-
des » (1740) ; ou encore « échaudage-
persons. For the period 1850 to 2007, l’Ancien Régime sécheresse de fin de printemps et de
monthly meteorological and demo- début d’été, le tout suivi ou accompagné
graphic data were available and so we Sous l’Ancien Régime, notamment d’intempéries estivales » (1811).
obtained a more precise relationship l’Ancien Régime économique, hérité du
between fluctuation of temperatures Moyen Âge et qui prend fin vers 1860, la (1) La Rochefoucauld : « Le soleil ni la mort ne se
and mortality. All winters and some relation du climat et en général des condi- peuvent regarder fixement ». Maximes et pensées.
Éditions André Silvaire, Paris, 1991.
severe heat waves are still responsible tions météorologiques (le temps qu’il fait, (2) Accident de croissance des grains de céréales
for yearly excesses of mortality grea- inévitablement variable), vis-à-vis de la provoqué par un excès de chaleur lorsque le grain
ter than 10,000 people. mortalité, peut prendre deux formes : n’est pas encore mûri.
26 La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle

Figure 1 - Des températures moyennes


relativement basses sont observées Moyenne annuelle des températures de 1681 à 1710
entre 1687 et 1700, tant dans la série de Manley 13

Température moyenne en °C
(en Angleterre centrale) que dans celle de Morin
reconstituée par Legrand (pour Paris). Morin Renou
12

11

10

La famine de 1693 9

Commençons par la famine de 1693 ;


8
c’est pour l’essentiel une disette pous-
sée à l’extrême, due à la pluie (1692-
7
1693) et au froid avec quand même un

1681

1683

1685

1687

1689

1691

1693

1695

1697

1699

1701

1703

1705

1707

1709
petit coup d’échaudage (1693) par-
dessus le marché. Elle se situe dans le
cadre du minimum de Maunder (1645-
1715), et plus spécialement du Late
Maunder Minimum ou LMM (1675-
1715). « Grève » des taches solaires à récolte de 1693 : manque de grain et diff icile année post-récolte 1693-
la surface de notre étoile, à laquelle un de pain. Un certain nombre de person- 1694) à 1 300 000 personnes, soit
certain nombre de climatologues attri- nes meurent directement de faim ; mais, 5,8 % de la population française dans
buent la baisse des températures à la pour l’essentiel, ce sont les épidémies, le cadre virtuel de l’Hexagone contem-
surface de notre globe, notamment en favorisées par la sous-alimentation, qui porain, lui-même matriciel de nos sta-
Europe, France incluse (Bard et al., aggravent considérablement la morta- tistiques démographiques (figure 2).
1997). lité, vraisemblablement typhus, dysen- C’est de très loin la plus grande cata-
terie, fièvres diverses, puisque la peste strophe démographique qu’ait éprou-
Les séries thermométriques de Manley a disparu du territoire national (sauf un vée la France depuis les années 1680
(Hulme et Barrow, 1997) et Legrand peu plus tard, localement, à Marseille jusqu’à nos jours ; une France, rappe-
(Legrand et Le Goff, 1992), en particu- en 1720). Les bandes de mendiants lons-le, qui comptait 20 à 22 millions
lier, enregistrent les fraîcheurs et les promènent l’infection contagieuse tout d’habitants selon les années à
froidures de la f in du XVII e siècle au long des routes et des villes du l’époque ; un désastre mortel pire que
(1687- 1700) avec beaucoup de force royaume. Les pauvres sont évidem- ceux qu’engendreront les guerres de la
(figure 1), et les dates de vendanges ment les principales victimes ; mais les Révolution et de l’Empire, celles de
dijonnaises prennent une douzaine de riches ou les aisés ne sont pas néces- 1870, de 1914-1918 et de 1939-1945.
jours de retard pendant les années sairement épargnés par les épidémies, Les meilleurs esprits de l’époque,
1690, par contraste avec les années et parfois du fait de la sous-alimenta- Vauban, Fénelon…, en même temps
1680 dont les récents travaux de tion, elle aussi. Au terme de calculs que l’opinion publique, ont sévèrement
Valérie Daux (Le Roy Ladurie et basés sur les données de l’époque et accusé le coup. Sévèrement à l’encontre
Vasak, 2007) montrent que certaines sur les travaux de l’Institut national du Roi Soleil, ce qui était quelque peu
années y furent très réchauffées par d’études démographiques (Ined), injuste, car la guer re de la Ligue
rapport à ce qui surviendra au Lachiver (1991) évalue le nombre des d’Augsbourg (1688-1697) qu’il menait
contraire dans le registre du froid et morts supplémentaires en 1693 et 1694 envers et contre tout, était loin d’être la
parfois du glacial, postérieurement à (c’est-à-dire notamment pendant la seule responsable du malheur public.
1687. Les causes immédiates de la
catastrophe de 1693-1694 tiennent aux
très fortes pluies par temps frais ou
froid de l’été et de l’automne 1692 ;
récolte des grains 1692 abîmée déjà ; Nombre de décès en France de 1680 à 1719
(D'après M.Lachiver)
surtout semailles ratées dès l’automne 1 700 000
1692. Les charrues n’entrent plus dans 1693-1694
1 600 000
les terres excessivement détrempées.
1 500 000
La série noire, si l’on peut dire, conti-
nue en 1693, pluies au printemps et 1 400 000
début d’été avec un petit coup 1 300 000
d’échaudage en août pour compléter le 1 200 000 1719
1709-1710
tableau. C’est « la cerise sur le 1 100 000
gâteau ». D’où gros déf icit de la 1 000 000
900 000 1705-1706-1707
800 000
700 000
Figure 2 - Évaluation
du nombre de décès annuels 600 000
en France de 1680 à 1719. 500 000
1680

1682

1684

1686

1688

1690

1692

1694

1696

1698

1700

1702

1704

1706

1708

1710

1712

1714

1716

1718

À noter en particulier les pointes


initiées par des aléas climatiques.
La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle 27

Le grand hiver Dans le même esprit, arrêtons-nous,


parmi ces groupes d’années surchauf-
provoque l’excès des pluies tel qu’enre-
gistré en 1692-1693. On est là dans
de 1708-1709 fées, sur un couple brûlant, un véritable
thermocouple : le biennat estival chaud
des famines de type classique depuis
le Moyen Âge et depuis l’époque
L’hiver glacial et mortel de 1708-1709 et sec de 1718-1719 ; vendanges préco- « moderne », famines de 1315 et de
est préparé, peut-être, par quatre érup- ces, les plus précoces en duo (depuis le 1661, extrêmement agressives. En
tions volcaniques, Vésuve et Santorin en quatuor de 1683-1686), avec sauterelles 1740 (grand hiver plus pluies ultérieu-
zone proche (méditerranéenne) ; africaines jusqu’en Languedoc. Ce res) et en 1770 (forte pluviométrie), on
Fujiyama, au Japon, et piton de la même biennat torride provoque en est en présence d’un véritable assaut
Fournaise, dans l’île de la Réunion. Ces 1719 la pollution des eaux devenues aqueux contre la production du blé avec
éruptions, qui se prolongent éventuelle- trop rares et d’autant plus sales, et les des conséquences mortalitaires assez
ment jusqu’en 1708 inclusivement, sont- déshydratations infantiles et autres. Il importantes, même si l’on n’en est plus
elles largement responsables de est générateur d’une terrible épidémie au million de morts des années 1693-
l’empoussiérage de l’atmosphère régio- de dysenterie qui contribue à l’énorme 1694.
nale et terrestre, ainsi qu’éventuellement mortalité du moment, soit plus de
de la baisse des températures enregistrée 400 000 morts supplémentaires en la
dès 1708 lors du grand hiver de 1708- seule année 1719 ; les maxima mortels
1709 ? Marcel Lachiver (1991) dénom- se situant de mars à novembre, avec
bre sept vagues de froid hivernal culmination, bien sûr, pendant l’été, en 1740 et 1770 :
juillet, surtout août et quelque peu lors
de 1708-1709 : les premiers gels du
19 au 27 octobre 1708 ; puis du 18 au des semaines ultérieures (Le Roy vent, froidure,
25 novembre ; ensuite du 5 au 12 décem- Ladurie, 2004). pluie et disette
bre ; l’épreuve cruciale, la plus destruc-
trice, du 5 au 24 janvier 1709 ; puis du On retrouvera une autre canicule consi- 1740 : un très grand hiver, très froid ;
4 au 10 février ; ensuite du 22 février dérable, quoique moins marquée et un printemps très froid lui aussi ; un
1709 au dernier jour de ce mois et enfin moins meurtrière, mais pas négligea- été très frais, très pluvieux sur le tard ;
la septième fois du 10 au 15 mars. Le ble, en 1747, avec un excédent mortel enf in en automne un déluge. Une
20 janvier 1709, on plonge à -20,5° d’environ 200 000 personnes ; on année agricole désastreuse, avec de
(minimum) à Paris. La récolte des blés n’atteint pas à la gravité des grandes mauvaises conséquences démogra-
d’hiver est fortement amputée ; les famines louis-quatorziennes ni de la phiques.
semailles d’orge de printemps permet- dysenterie de 1719, mais on est assez
tront, si l’on peut dire, de parer au grain ; proche des chiffres de 1704-1707 sur Bilan : 100 000 morts supplémentaires
ce qui n’empêchera pas une véritable une seule année et non pas sur trois ans. (ordre de grandeur) en 1741, l’année
famine avec à la limite un quintuplement Les causes de cette très forte pointe de qui a suivi les mauvaises récoltes de
(sic) des prix du froment. Le déficit mortalité sont variées ; mais l’essentiel 1740 et au cours de laquelle la disette
démographique calculé par Lachiver semble venir d’une dysenterie canicu- s’est fait le plus sentir, par comparai-
(1991) selon les mêmes méthodes qu’en laire recensée comme telle quant à ses son avec les chiffres encadrants de
1693 est de 600 000 personnes décédées caractères et à ses causes, cela en liai- 1740 et 1742, (Le Roy Ladurie, 2006) ;
en plus de la normale. son avec la chaleur et la sécheresse, rôle des épidémies collatérales, donc à
elles-mêmes installées sur l’Hexagone base de sous-alimentation et de dénu-
et sur la Belgique, de la mi-août 1747 trition également. Il y a un progrès(2)
jusqu’au mois d’octobre. Épidémie de par rapport à l’époque de Louis XIV
Les étés caniculaires dysenterie de grande ampleur ! (Le Roy
Ladurie, 2006).
(100 000 morts au lieu d’un million),
mais l’impact est encore assez impor-
du XVIIIe siècle tant, moins grave pourtant que dans le
Après deux années de chaleur, notam- cas des canicules susdites.
L’hiver de 1709 s’intercale lui-même ment estivale et automnale, 1778 et
entre deux phases caniculaires. D’abord 1779, les épidémies de dysenterie se 1770 : une année froide et fraîche, ven-
les années 1705,1706 et 1707. Elles sont déclenchent, à force d’ardeur solaire, à danges très tardives ; 196 jours de
marquées, à des degrés divers, pendant partir du début septembre 1779, date pluie, de décembre 1769 à novembre
l’été, par de très fortes poussées calori- repérée dans le nord de la France ; le 1770 ; mauvaise récolte céréalière ;
fiques, d’où grosse moisson, prix du blé nombre des morts s’établit à environ prix des grains très élevé ; on est
très bas, dont se félicitent les populations 200 000 personnes au-dessus des chif- obligé de renoncer à la liberté du com-
malgré la guerre de succession d’Espa- fres normaux moyens annuels des merce des grains, c’est la chute des
gne. Mais les canicules tuent : à l’échelle morts de la décennie 1770-1779. Or il libéraux, en particulier de Choiseul,
française, sur la base des travaux de n’y a aucune crise de subsistance en remplacé au ministère par Maupéou et
Lachiver, on peut estimer les pertes à vue ; jamais le blé n’a été aussi bon Terray, qui remettent en place les
200 000 personnes environ en trois ans marché et les agriculteurs s’en plai- contrôles frumentaires ; et au total un
(1705, 1706 et 1707). Cet excédent de gnent même. C’est bien un phénomène redémarrage de la mortalité en 1770 et
décès résulte d’épidémies meurtrières, de pure météorologie tueuse, la chaleur
dont on peut penser que certaines (dysen- agissant directement de façon létale sur (1) Relatif au froment et aux céréales panifiables
terie en 1706 et 1707 notamment) ont été la santé publique. en général.
favorisées par les épisodes de très forte (2) Cause de ce progrès : légère augmentation de
sécheresse et chaleur estivale, par Le XVIIIe siècle serait-il ainsi essentiel- la productivité agricole, construction de routes
qui permettent de ravitailler les régions déficitai-
l’infection des rivières et des nappes lement caniculaire ? En fait, il y a éga- res, transports maritimes plus efficaces, circula-
phréatiques devenues trop basses et trop lement de grandes mortalités dues au tion de monnaies d’or et d’argent et de crédit plus
sensibles à l’invasion des germes patho- déficit frumentaire(1) (1693-1694) que intense, etc.
gènes.
28 La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle

surtout 1771 ; mais il n’est plus ques- subsistances corrélative ont pu inaugu- Au total, nous ne donnons ici que des
tion de famine ultramortalitaire rer un cycle de mortalité devenant ordres de grandeur obtenus à l’aide de
comme au temps de Louis XIV. ensuite purement épidémique, qui cul- méthodes flexibles : différences de mor-
L’économie française a beaucoup pro- mine en 1803 avec 150 000 morts et talité d’une année sur l’autre (quand le
gressé depuis le « Roi Soleil » (Le Roy 1804 avec 190 000 morts (Dupâquier, sursaut est extraordinairement specta-
Ladurie, 2006). 1988 ; Le Roy Ladurie, 2006). culaire), ou par rapport à l’année
d’avant et à l’année d’après. Utilisation
1811 : canicule, crise de subsistance, parfois de la deuxième année après une
émeutes, dure répression, mais poussée mauvaise récolte : ainsi 1741, bien plus
de mortalité insignifiante (sauf pour la traumatisée que la première année qui
Prérévolution, Grande Armée en Russie !) pourtant a lancé la crise dès 1740 ; ou
bien comparaison avec le chiffre
révolution Quelques années plus tard, avec 1816, décennal ; enfin utilisation d’un bloc de
l’année sans été, nous sortons entière- deux années malheureuses (1846 et
et première moitié ment de l’orbite caniculaire. L’éruption 1847, voire 1803 et 1804), etc.
du XIXe siècle indonésienne du Tambora, en avril
1815, est-elle à mettre en cause ? De ce Nous n’avons exposé, dans ce qui pré-
Nous en arrivons maintenant à la fait, année pourrie en 1816. Mauvaise cède, que la ligne de crête et nous avons
période immédiatement prérévolution- récolte en France, agitation sociale mais laissé de côté la mortalité hivernale ordi-
naire, puis révolutionnaire, enfin impé- surmortalité insignifiante. naire, laquelle est, comme chacun sait,
riale (Premier Empire). Nous disposons considérable. Nous ne nous intéressons
alors, sur les courbes thermiques de Enfin, l’ultime et complexe canicule de qu’à l’extraordinaire, comme par exem-
Manley (1974) et de Renou (1887), 1846. D’abord la maladie de la pomme ple en 1709 et en 1740. Nous avons peut-
d’une série d’années plutôt tièdes, en de terre en 1845, fungus infestans, spore être trop « exemplifié » les canicules, car
tout cas pas trop fraîches, de 1787 à pataticide importée d’Amérique par voie au Moyen Âge et jusque vers 1600 et
1811 (figure 3). D’où occurrence de maritime. Puis canicule-sécheresse très même au-delà, les années pourries ou
quelques remarquables canicules : violente de 1846, en France et ailleurs en glaciales et pourries, paraissent essentiel-
1788, 1794 et 1811. Canicules de prin- Europe. Ce double impact (fungus et les à notre thème, davantage peut-être
temps-été-automne (il y a des varia- canicule-sécheresse) induit misère et chô- que les canicules. Mais il y a là pourtant,
tions), avec intempéries estivales, le mage intense du textile et du bâtiment en dans notre texte, avant même que soient
tout étant dangereux pour l’agriculture 1847 par report du pouvoir d’achat popu- obtenus ultérieurement des chiffres plus
et pour les humains, avec impact morta- laire sur le pain devenu très cher. On précis et plus exacts, une première
litaire, le cas échéant. achète beaucoup moins les tissus et les approximation qui donne à tout le moins
services des maçons. Mévente du textile. une idée sur l’air du temps, « du temps
Canicule sèche d’abord (d’où échau- Hyper-paupérisme du prolétariat, soit qu’il a fait », éventuellement ultramor-
dage) plus intempéries estivales : il 80 000 morts de plus en 1846 (pour des tel, depuis la fin du XVIIe siècle jusqu’en
s’agit de 1788 ; mauvaise récolte céréa- raisons directement caniculaires égale- première moitié du XIXe siècle inclusive-
lière, mais pas ou peu de morts – la ment) et 110 000 décès additionnels en ment. Il s’agit essentiellement, répétons-
France a beaucoup progressé – mais 1847. Au total près de 200 000 morts le, d’ordre de grandeur (tableau 1).
crise de subsistances donnant lieu à des supplémentaires environ. Et au bout de
émeutes prérévolutionnaires, puis révo- tout cela la révolution de 1848 avec ses Il y a eu certainement un changement
lutionnaires en 1788-1789. innombrables causalités, le climat de vitesse depuis la terrible époque
n’étant qu’un simple instrumentiste louis-quatorzienne jusqu’à un XVIII e
1794 : canicule plus intempéries d’été, parmi d’autres dans un immense orches- moins meurtrier, sans parler ultérieure-
idem (voir 1788). Mauvaise récolte tre « causalitaire » en effet (Le Roy ment d’un XXe siècle, nettement assagi,
céréalière, mortalité forte, surtout dans Ladurie, 2006). notamment après 1911.
les villes, mais non mesurable en
termes démographiques. Formidables
émeutes de subsistances, du prin-
temps 1795 (révoltes parisiennes de
« Prairial »). Moyenne annuelle des températures de 1781 à 1820
13
Température moyenne en °C

1801-1802 : la mauvaise récolte de 1802 Morin Renou 1811


est liée à un hiver 1801-1802 extraor- 12 1794
dinairement humide (inondation centen- 1788
nale à Paris en décembre-janvier).
11
Les déficits céréaliers et la crise de
1794
10 1788
1811

Figure 3 - Durant la période relativement tiède 9


de 1787 à 1811, on observe un maximum relatif
de température moyenne annuelle
dans les années 1788, 1794 et 1811, 8
marquées par des canicules, 1816
dans la série de Manley (Angleterre centrale),
7
comme dans celle de Renou (Paris).
1781

1783
1785
1787

1789
1791
1793

1795
1797
1799

1801
1803
1805

1807
1809
1811

1813
1815
1817
1819

À noter aussi le minimum relatif de température


en 1816, l’année « sans été ».
La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle 29

Tableau 1 - Années dans la période 1680-1900 où des aléas climatiques Ordre de grandeur de l’excédent de décès*
sont à l’origine d’un excédent d’au moins 100 000 décès.

1693-1694 Mauvaises récoltes 1692 et 1693 par excès de pluies. Famines et épidémies. 1 300 000
1705-1706-1707 Sécheresse et chaleur estivale. 200 000
1709-1710 Grand hiver 1709. Mauvaise récolte. Disette 1709-1710. 600 000
1718-1719 Étés très chauds. Dysenterie 1719. 400 000
1740- 1741 Grand hiver 1740. Excès de pluies. Mauvaise récolte. Disette 1741. 100 000
1747 Été très chaud. Dysenterie. 200 000
1779 Été très chaud. Dysenterie. 200 000
1803-1804 Mauvaise récolte 1802 par excès de pluie. Épidémies. 300 000
1846-1847 Été très chaud et mauvaise récolte céréalière1846. Maladie des pommes de terre. 200 000
1859 Été très chaud. Dysenterie. 100 000

*Les évaluations sont établies sur les estimations


de décès publiées par l’Ined (Blayo, 1975) et
Fin du XIXe siècle Pour les décès l’Insee (1961).
Les données sur le nombre de décès ont
Les pointes du nombre de décès été extraites des publications de la
annuel de la fin du XIXe siècle sont alors Statistique générale de la France
le plus souvent liées à des épidémies et (Mouvement de la population), puis de première guerre mondiale sont donc
à la guerre ( 1870-1871) et non à des l’Institut national de la statistique et des absentes du décompte des décès dans
événements climatiques. C’est ainsi études économiques, Insee, (bulletins ces statistiques. À l’opposé, une partie
que les épidémies de choléra, qui ont mensuels de statistiques et site Internet des pertes civiles dues à la seconde
fait leur apparition en France en 1832 de l’Insee). Les données entre les deux guerre mondiale (bombardements,
(100 000 victimes), ont été également guerres et depuis 1946 concernent résistance, libération) est incluse dans le
meurtrières en 1849, 1854 et 1855. On l’ensemble de la France (Hexagone et décompte des décès. Il est en consé-
remarque également une épidémie de Corse). Afin de disposer de données quence difficile d’évaluer l’impact du
grippe meurtrière en 1834 (Dupâquier, comparables, une évaluation pour ce climat durant cette dernière période.
1988). même ensemble a été faite (proportion-
nellement à la population des départe- La figure 4 montre, de 1901 à 2007,
On notera cependant dans cette période ments concernés) pour les périodes où l’évolution du nombre de décès. On
la canicule meurtrière de 1859 les statistiques n’étaient pas disponibles constate que deux évènements majeurs,
(100 000 décès excédentaires, avec dans sur la totalité des départements. En effet, non liés au climat, ont perturbé de façon
ce total sinistre un excédent de décès de de 1901 à 1913, de 1939 à 1942 et en importante la mortalité civile : la grippe
60 000 enfants de moins de cinq ans de 1945, le Bas-Rhin, le Haut-Rhin, la espagnole et la seconde guerre mondiale.
juillet à octobre). Les fortes tempéra- Moselle, n’étaient pas inclus dans les
tures de juillet 1859 relevées à Paris statistiques françaises. À ces départe- Afin de mettre en évidence les fluctua-
(22,6 °C de moyenne) n’ont été dépas- ments s’est ajoutée la Corse, située pro- tions des décès liées aux aléas clima-
sées en juillet, depuis cette date, qu’en visoirement hors statistiques en 1943 et tiques, une référence lissée du nombre de
1983, 1994 et 2006. 1944. Par ailleurs, de 1914 à 1919, les décès mensuels et annuels a été calculée.
statistiques publiées concernent les Elle est obtenue pour une année A com-
seuls soixante-dix-sept départements prise entre 1906 et 2002 en effectuant la
qui n’étaient pas dans la zone des com- moyenne sur les onze années de A-5 à
Au XXe siècle et bats. Les pertes civiles et militaires
occasionnées expressément par la
A+5 et en ignorant dans les moyennes les
périodes de la seconde guerre mondiale
au début du XXIe siècle
Pour cette dernière période nous pou-
vons disposer des données quantitatives Moyenne annuelle des décès journaliers
précises établies par les organismes 2 400
Grippe espagnole
nationaux de statistiques et de météoro- Guerre 1939-1945
logie, tant pour la démographie que 2 300
Moyenne lissée
pour le climat. 2 200
Annuelle brute
2 100

2 000
Les sources de données 1 900
Pour étudier les relations entre le climat
1 800
et la mortalité, nous utiliserons des don-
nées moyennées temporellement sur le 1 700
mois et moyennées spatialement sur 1 600
l’ensemble du territoire français.
1 500

1 400
1901
1906

1911
1916

1921
1926

1931
1936
1941
1946

1951
1956

1961
1966

1971
1976
1981
1986

1991
1996

2001
2006

Figure 4 - Nombre moyen de décès journaliers


en France de 1901 à 2007.
30 La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle

Moyenne annuelle des décès journaliers


2 900 1907 Grippe espagnole
2 800 Guerre 1939-1945
1919
1940
2 700 1929
2 600 1909 Annuelle lissée
1917
2 500 1914 Hiver lissé
2 400 Hiver brut
2 300 Eté lissé
2 200 1908 1911 Eté brut
2 100 1905 1953
1904
2 000 1918
1963
1 900 1970
1956
1 800 1921 1928 1986
1923 1929 1985
1 700 1930 1937
1 600 19321934
2003
1 500 1976
1982
1983
1995
1 400 1994 2006
1949
1 300 1947 1952 1959
1 200
1 100
1901
1906
1911
1916

1921
1926
1931
1936
1941
1946
1951
1956

1961
1966
1971
1976
1981

1986
1991
1996
2001
2006
Figure 5 - Nombre moyen de décès journaliers en France en hiver et en été de 1901 à 2007.

et de la grippe espagnole. Pour les Pour les températures réalisée selon la procédure définie par
années proches de 1901 et de 2007, Pour les températures, nous avons uti- Moisselin et al. (2002), permet, par
l’intervalle sur lequel s’opère la lisé un indicateur thermique mensuel, comparaison avec des observations
moyenne est progressivement réduit. De calculé par Météo-France. voisines, de rectifier des données bru-
plus, un lissage est opéré, éliminant les tes qui pourraient être entachées
fluctuations de période égale à deux ans. Cet indicateur a été construit sur la d’erreurs dues à des modif ications
On observe une diminution assez régu- période 1899-1946 en moyennant les d’emplacement des mesures ou des
lière du nombre de décès, bien que la anomalies mensuelles de 32 séries modifications de la procédure instru-
population se soit accrue durant cette « homogénéisées » de température mentale, le tout pour les rendre compa-
période. journalière moyenne (moyenne de la rables aux mesures actuelles. Pour la
température maximale et de la tempé- période 1947-2007, l’indicateur a été
La figure 5 montre pour les quatre mois rature minimale) régulièrement répar- construit en moyennant les anomalies
d’hiver (de décembre à mars) et les qua- ties sur la France (f igure 6). Cette de trente séries brutes, elles aussi régu-
tre mois d’été (de juin à septembre) le « homogénéisation » des données, lièrement réparties (f igure 7).
nombre de décès et les références lissées
correspondantes. On note une prépondé-
rance constante des décès hiver-
naux sur les décès estivaux,
cette différence ayant
notablement
évolué au cours
du siècle, pour
atteindre une plus
faible valeur rela-
tivement constante
de 1976 à 2007.

On verra plus loin que


la plupart des écarts
constatés entre les cour-
bes brutes des décès
hivernaux et estivaux et les
courbes lissées de référence
correspondent à des années de
grands froids (décès hivernaux) Figure 6 - Stations utilisées de 1899 à 1946. Figure 7 - Stations utilisées de 1947 à 2007.
ou de canicule (décès estivaux).
La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle 31

L’anomalie est évaluée par rapport aux


tempéra-tures mensuelles moyennes de Anomalie des températures d'été (juin à septembre) de 1901 à 2007
4
la période 1971-2000. Les figures 8 et
2003
9 fournissent, pour l’été et l’hiver, la 3 Moyenne lissée sur 11 ans

Anomalie des températures en °C


chronologie des températures moyen- Données brutes
nes ainsi qu’une moyenne glissante des 2 1911 1947
températures établie selon le même 1949 1983
principe que la référence utilisée pour 1 1959 19761982
1921 1973
les décès. Ainsi sont mises en évidence
sur ces figures les années de fortes 0
anomalies chaudes en été et de fortes
anomalies froides en hiver. -1

-2

Analyse -3
1901
1906
1911
1916

1921
1926
1931
1936
1941
1946
1951
1956

1961
1966
1971
1976
1981

1986
1991
1996
2001
2006
de la chronologie mensuelle
du nombre de décès Figure 8 - Anomalie des températures moyennes d’été de 1901 à 2007 (anomalie par rapport à la température
Afin de mieux appréhender les relations moyenne de la période de référence 1971-2000).
existant entre le nombre de décès et les
aléas du climat, une analyse plus fine
que l’échelle saisonnière est très utile.
À titre d’illustration, la figure 10 four-
Anomalie des températures d'hiver (déc. à mars) de 1901 à 2007
nit, mois par mois, la moyenne des 2
décès journaliers comparée à une réfé-
rence mensuelle lissée, c’est-à-dire
Anomalie des températures en °C

1
constituée de façon analogue aux réfé-
rences annuelles et saisonnières décrites
0
précédemment.
2005
Cette chronologie du début de XXIe siè- -1
1986
cle montre des caractéristiques, que l’on 1918 2006
trouve de la même façon pendant tout le -2 1932 1953 1964
1941 1956 1971 1985 1987
XXe siècle : 1907 1947
1909 1935
– une variation annuelle avec systémati- -3 1917 1929 1942 Moyenne lissée sur 11 ans
quement un maximum pendant l’un des Données brutes
mois d’hiver. La valeur de ce maximum -4
1963
fluctue largement d’hiver en hiver. On
1901
1906
1911
1916

1921
1926
1931
1936
1941
1946
1951
1956

1961
1966
1971
1976
1981

1986
1991
1996
2001
2006
remarque en particulier, sur les périodes
hivernales, une forte anomalie positive Figure 9 - Anomalie des températures moyennes d’hiver de 1901 à 2007 (anomalie par rapport à la température
(des décès) en févier-mars 2005, cor- moyenne de la période de référence 1971-2000).
respondant à un hiver rigoureux et tardif
qui augmente d’environ 10 000 la sur-
mortalité hivernale systématique ;
– un minimum en été, sauf pointes
Figure 10 - Évolution, mois par mois, du nombre moyen de décès journaliers de 2001 à 2007. Courbe rouge : décès
exceptionnelles correspondant à des constatés de l’année A. En bleuté, moyenne, mois par mois, des décès de l’année A-5 à l’année A+x, avec x = 5
canicules. Celle de juin à août 2003 cor- jusqu’en 2002 ; puis x = 2007-A. Les mois de canicules de juin à août 2003 et de juillet 2006 ont été ignorés dans la
respond à un excédent total de décès de moyenne. Toutes les pointes majeures sont hivernales ; en 2003 s’est ajoutée une forte pointe estivale.
près de 20 000, et celle de juillet 2006
correspond à un excédent sensible, mais Nombre de décès journaliers comparés à une référence moyenne de janvier 2001 à décembre 2007
beaucoup plus modeste d’environ 3 000 1 900
(Rousseau, 2006).
1 800

1 700
Évaluation 1 600
du nombre des décès
liés aux canicules 1 500

La confrontation des années où se pro- 1 400


duisent des pointes estivales sur les dia-
grammes chronologiques des décès 1 300
mensuels avec les statistiques des ano-
malies mensuelles de température 1 200
Janv-01
Avril
Juillet
Octobre
Janv-02
Avril
Juillet
Octobre
Janv-03
Avril
Juillet
Octobre
Janv-04
Avril
Juillet
Octobre
Janv-05
Avril
Juillet
Octobre
Janv-06
Avril
Juillet
Octobre
Janv-07
Avril
Juillet
Octobre

indique que ces pointes sont presque tou-


tes liées à des mois qui furent marqués
32 La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle

par une période caniculaire, période qu’il


est possible éventuellement de préciser Relation entre anomalie de température et de mortalité en été
par l’examen des données météorolo- (étés 1918 et1940 à1945 exclus)
120%
giques journalières. Grâce aux seules 1911

Pourcentage de la mortalité moyenne


données mensuelles, un bon ordre de 115%
grandeur de l’excédent de décès lié à ces 2003
canicules peut être obtenu par différence 110% 1983
entre le nombre de décès constatés et un
nombre fictif de décès d’une référence 1921
105% 1949
peu sensible à l’anomalie climatique. 1976 1982
Nous avons utilisé quatre méthodes pour 100%
établir cette référence : 1947
– la méthode 1 évalue les décès men- 95%
suels de référence de l’année A en utili-
sant les données de l’année A-5 à 90% 1917
l’année A+5 selon la méthode exposée
plus haut ; 85%
-1,4 -1,2 -1,0 -0,8 -0,6 -0,4 -0,2 0 0,2 0,4 0,6 0,8 1,0 1,2 1,4 1,6 1,8 2,0 2,2 2,4 2,6
– la méthode 2 utilise comme référence
la moyenne du nombre des décès de Anomalie de température en °C
même mois lors des deux années précé-
Figure 11 - Relation entre le rapport à la moyenne glissante des décès estivaux (en %) et l’anomalie de température
dentes et des deux suivantes ; estivale (juin-juillet-août-septembre). Les années de forte canicule avec forte surmortalité sont datées en bleu.
– la méthode 3 utilise le même principe,
mais le choix des années n’est pas sys-
tématique. Les années sont choisies Le tableau 1 fournit, pour les années calculée à l’aide de la dispersion des
pour ne pas utiliser des années elles- présentant une anomalie de décès (en résultats fournis par les quatre métho-
mêmes perturbées par une anomalie ; été) identifiable par une pointe dans la des. On peut constater, qu’en dehors des
– la méthode 4 évalue la pointe de décès chronologie des décès, les valeurs des périodes correspondant respectivement
observable sur la courbe des décès men- anomalies mensuelles des quatre mois à la grippe espagnole et à la seconde
suels à partir d’une interpolation des d’été (juin, juillet, août, septembre) guerre mondiale, toutes les années où
décès du mois précédent et du mois sui- ainsi qu’une évaluation de l’excès de une anomalie estivale a été observée
vant l’anomalie de la courbe. décès, avec une marge d’incertitude dans le nombre des décès sur la figure 5
se retrouvent dans le tableau 2 : les
excédents de décès en période esti-
Tableau 2 – Bilan des canicules de 1901 à 2007. vale au XXe siècle et en ce début de
XXI e siècle sont étroitement liés aux
Excédent Incertitude anomalies positives de température et
Anomalie de température plus précisément aux canicules.
de décès* + ou -
Juin Juil. Août Sept. Arrondi au millier Arrondie au millier

1904 0,3 1,8 0,0 -1,6 13 000 2 400 Relation entre


1905 0,5 1,2 -1,1 -1,2 2 900 600 la température moyenne
1906 0,2 -0,5 0,5 -0,1 14 600 2 600
et les décès en été
1911 -0,1 2,0 2,4 1,9 40 000 6 000
1921 0,6 1,5 -1,2 1,1 11 300 3 200
La figure 11 met en évidence que la
1923 -2,8 0,9 0,0 -0,9
surmortalité ne s’écarte significative-
5 200 2 800
ment de la valeur de référence que pour
1928 -0,1 1,5 0,2 0,0 5 400 2 400 les années d’anomalie de température
1929 0,1 0,3 -0,9 2,6 4 400 1 900 positive élevée. La surmortalité est
1930 1,3 -1,7 -0,9 0,1 2 500 800 d’autant plus intense que l’anomalie est
1932 -0,9 -1,9 1,4 1,2 3 500 700 forte, sauf pour les années 1917 et 1947
1934 0,7 1,2 -1,7 1,3 1 800 400 qui seront évoquées plus loin.
1947 1,6 1,3 2,0 1,7 1 200 500
1949 0,2 1,3 0,5 3,2 2 000 900
1952 1,4 1,1 0,0 -2,7 1 800 600 * Les excédents de décès portent sur le ou les
mois dont l’anomalie mensuelle de tempéra-
1959 0,4 1,2 -0,3 1,3 1 000 700
ture est en rouge dans le tableau. Les quelques
1976 3,0 1,3 -0,2 -1,2 5 700 800 cas où des mois sont comptabilisés alors que
1982 1,5 1,3 -1,1 1,7 2 300 1 400 l’anomalie moyenne mensuelle de température
1983 0,9 3,2 0,4 0,6 6 400 400 est faiblement positive ou même négative, cor-
respondent à des mois où les fortes chaleurs
1990 -0,2 0,6 1,5 0,0 1 700 600
n’ont concerné qu’une partie restreinte du
1994 0,8 2,5 1,2 -0,8 2 600 600 mois ou du territoire, mais occasionné des
1995 -0,3 2,2 1,2 -1,5 2 300 1 100 excédents de décès.
1997 0,2 -0,4 2,6 1,2 2 200 1 100 Nota : En raison de l’importance des pertes
2003 4,9 1,9 4,6 0,7 17 500 4 000 civiles liées à la guerre 1939-1945, il n’a pas été
possible d’évaluer les décès imputables aux
2006 2,1 4,1 -1,2 2,7 3 000 1 700
canicules de 1944 et 1945.
La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle 33

Figure 12 - Évolution du rapport mortalité


d’hiver/mortalité moyenne annuelle et du rapport mor- Moyenne décennales des mortalités hivernales et estivales (sans 1919 ni 1940-1945)

Rapport mortalité saisonnière/mortalité annuelle


talité d’été/mortalité moyenne annuelle. 1,25
1,19 1,19 1,15
Hiver
1,2 1,18
1,16 Eté
1,09
1,15 1,13
Parmi les canicules, deux ont été parti- 1,09 1,09 1,09 1,09
1,1
culièrement intenses et meurtrières :
2003 et 1911. La canicule de 2003 s’est 1,05
caractérisée par son intensité et son 1
étendue ; les 35 °C ont été dépassés sur
0,95
les deux tiers des stations météorolo-
giques en France, les 40 °C sur 15 %, 0,9
(Bessemoulin et al., 2004). Le nombre 0,85
de décès ainsi causés sur une période
0,8
très concentrée (du 3 au 13 août, avec
un paroxysme en région parisienne le 0,75
1901-1910 1911-1920 1921-1930 1931-1940 1941-1950 1951-1960 1961-1970 1971-1980 1981-1990 1991-2000 2001-2007
12 août) a mis en évidence la mécon-
naissance assez généralisée, jusqu’à
cette date, des risques des fortes cha-
leurs, en particulier pour les personnes
âgées. Cette tragédie a depuis permis avec l’hécatombe des populations civi- blablement atténuer ce bilan, comme
une meilleure connaissance du rôle les de l’hiver 1917, compte non tenu semblent l’indiquer en particulier des
néfaste des fortes chaleurs et la mise en des très nombreux décès militaires non comparaisons entre les pays européens
place d’actions de sensibilisation et de inclus dans les statistiques officielles (Healy, 2003).
mesures préventives qui commencent à de l’époque.
porter leurs fruits. C’est ainsi que le
bilan de la canicule de 2006 a été atté- Relation entre
nué (Fouillet et al., 2008) et que Surmortalité hivernale la température moyenne
l’espérance de vie s’accroît plus rapide-
ment depuis 2003 (Pison, 2008). et évaluation du nombre et les décès en hiver
des décès des hivers
Située dans une décennie où les tempé- les plus froids Selon les conditions hivernales, le bilan
ratures estivales moyennes étaient hivernal fluctue largement. La figure 13
d’environ 2 °C inférieures à celles de la À la différence de l’été, où l’on observe montre, malgré une certaine dispersion,
décennie actuelle, l’année 1911 a connu des excédents de décès uniquement les une nette relation entre l’écart à la nor-
une anomalie relative de température années de fortes canicules, tous les male de la température moyenne hiver-
pour tout l’été d’environ 2,5 °C, supé- hivers donnent lieu à une surmorta- nale et le rapport entre le nombre de
rieure encore à l’anomalie de 2003 (voir lité importante par rapport à la morta- décès hivernaux d’une année donnée et le
figure 8). À la différence de 2003, plu- lité moyenne des trois autres saisons et nombre de décès hivernaux moyens
sieurs pointes de chaleur d’amplitude de l’année en général. L’étude de la (moyenne glissante définie précédem-
comparable se sont succédées de juillet mortalité hivernale ne peut dès lors pas ment). On constate que des hivers rigou-
à septembre et les excédents de décès se limiter à l’examen des anomalies de reux entraînent une augmentation de la
ont été moins concentrés dans le temps. décès par rapport à la moyenne des surmortalité hivernale. À l’opposé, la
Ils ont néanmoins atteint le chiffre de décès hivernaux. Elle doit concerner mortalité est la plus faible durant les
40 000 décès, parmi lesquels la moitié également la variation moyenne hivers les plus doux. Les hivers les plus
environ étaient des décès d’enfants âgés annuelle des décès, qui se caractérise à rigoureux du siècle, 1963 et 1917, ont
de moins d’un an, contrairement à la notre époque, en France, par un maxi- effectivement entraîné de très fortes sur-
canicule de 2003 qui a essentiellement mum marqué de mortalité en hiver. Le mortalités. Cependant, on note que sept
concerné des personnes âgées (Le Roy profil de la variation saisonnière des années d’hiver rigoureux échappent à ce
Ladurie, 2009). décès diffère selon les pays et évolue au schéma. Cinq de ces sept années, 1918,
cours du temps (Rau, 2007). Comme le 1964, 1971, 1987, 2006, suivent des
On peut s’étonner que l’été 1947, qui a montre la figure 12, cette surmortalité années 1917, 1963, 1970, 1986, 2005 de
été le plus chaud du XXe siècle, avec par rapport à la moyenne, qui a fluctué grands froids ayant déjà entraîné
une période caniculaire de fin juillet et en France dans les sept premières d’importants excédents de décès. Le
début août au cours de laquelle, décennies du XXe siècle entre 13 % et décès des personnes les plus vulnérables
comme en 2003, les 40 °C ont été 19 %, a subi une rapide diminution lors de l’hiver précédent pourrait expli-
dépassés en particulier à Paris, n’ait entre les années 1960 et 1980, mais quer le moindre nombre de décès l’hiver
pas connu de pointes importantes de plafonne encore autour de 9 %, ce qui suivant. Bien que les années 1931 et 1933
décès. Peut-être est-ce dû au fait que correspond à un excédent de décès n’aient pas été des plus rigoureuses, un
les durs hivers de guerre (1940, 41, 42, hivernaux d’environ 15 000 chaque grand excédent de décès y fut enregistré,
44, 45), accentués par les privations, et année, du même ordre donc que le ce qui expliquerait aussi les bilans modé-
l’hiver 1946-1947 avaient déjà « fau- bilan de la tragédie d’août 2003. rés des deux autres années hivernales
ché » précocement les personnes les Pourtant ces décès excédentaires hiver- froides s’écartant néanmoins de notre
plus fragiles qui auraient pu succom- naux sont encore malheureusement schéma : soit 1932 et 1934. Par ailleurs,
ber lors de cet été 1947 caniculaire. La considérés comme « normaux », alors on observe aussi que 1949 et 1990
sous-mortalité de l’été 1917 est aussi qu’une meilleure adaptation de la s’écartent du schéma général, avec des
vraisemblablement à mettre en relation population au climat pourrait vraisem- anomalies positives de température et une
34 La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle

Figure 13 - Relation entre le rapport


Relation entre anomalie de température et de mortalité en hiver à la moyenne glissante des décès hivernaux (en %)
(hivers 1919 et1940 à1945 exclus) et l’anomalie de température hivernale
120% (décembre-janvier-février-mars).
1907 Les années d’hiver particulièrement froid
1953 1949 R2 = 0,3239
Pourcentage de la mortalité moyenne

1963 1929
115% avec forte surmortalité sont datées en noir.
1917 1970
110% 1909
1956 1986 encore 32 000 durant le récent hiver
105% 2005 1990
1985 1947 relativement froid de 2005. L’excédent
100% 1934 1971 de décès est calculé par rapport à la
2006 1932 moyenne lissée sur onze ans des décès
95% 1987 hivernaux. Cet excédent par rapport à la
1964
90%
moyenne lissée des décès hivernaux
atteint 50 000 pour un hiver très rigou-
85% reux comme 1929. Dans les trente
dernières année, la dépendance de la
80% mortalité vis-à-vis des rigueurs de
-3,2 -2,8 -2,4 -2,0 -1,6 -1,2 -0,8 -0,4 0,0 0,4 0,8 1,2 1,6 2,0 2,4
l’hiver s’est atténuée, mais la « surmor-
Anomalie de température en °C talité hivernale » oscille encore selon
les hivers dans une fourchette de
surmortalité supérieure à la moyenne. Le tableau 3 fournit quantitativement le 10 000 à 30 000.
Une épidémie de grippe en est sans doute bilan des hivers froids : la « surmor-
l’explication principale pour 1949. Le talité hivernale » et l’excédent de
développement de la pratique des vacci- décès par rapport à la moyenne des
nations contre la grippe depuis les années décès hivernaux. La « surmortalité Conclusion
1970-1980 a permis de diminuer les hivernale » est définie ici comme le
décès dus à la grippe, qui a été longtemps nombre de décès en excédent durant les On voit que la situation, ce n’est pas un
mise en avant comme cause de la sur- quatre mois d’hiver par rapport au nom- scoop, est allée en s’améliorant. De
mortalité hivernale. Pour 1990, bre moyen de décès les quatre mois pré- 1692 à 1719, on tourne autour du
l’épidémie de grippe n’explique sans cédents et des quatre mois suivants. La million de victimes (1693) ou du demi-
doute qu’en partie l’excédent de décès « surmortalité hivernale » a dépassé million (1709) ou du tiers de million de
observé. 100 000 en 1929, 60 000 en 1963 et morts (1719).

Tableau 3 – Bilan des années de grands froids de 1902 à 2007. De 1739 à 1848, on s’en tient aux
100 000, parfois 200 000 morts ou
Surmortalité Excédent davantage selon les cas : selon qu’il
Anomalie de température s’agit de crises de subsistance enra-
hivernale à la moyenne
cinées dans le froid et dans l’humide
Déc.
Janv. Fév. Mars Arrondi au millier Arrondi au millier (1740) ; ou encore s’agissant d’une
A-1
forte canicule, elle-même compliquée
1907 -3,1 -1,6 -3,1 -0,9 75 000 50 000 d’agression fongique contre les pom-
1909 -1,2 -2,4 -3,2 -2,5 65 000 20 000 mes de terre (1846-1847) ; ou encore on
1911 1,2 -3,2 -0,8 -0,7 68 000 15 000 peut avoir affaire à des hypercanicules,
1917 -0,5 -3,2 -3,9 -3 74 000 30 000 telles qu’en 1719, 1747 et 1779.
1918 -4,7 -0,4 0,2 -0,8 34 000 -13 000
1929 -1,3 -3,8 -4,9 -0,3 102 000 50 000 Quant au XXe siècle, disons plus large-
1932 -2,4 0,7 -4,1 -1,2 48 000 -9 000 ment toute la période qui va de 1850 à
1934 -5,5 -0,6 -2,1 -1 50 000 -2 000 nos jours, le chiffre des pertes tourne au-
1940 -2 -5,3 0,2 0,1 97 000*
dessous, voire très au-dessous, de la
1941
barre des 100 000 personnes, à
-4,4 -3,4 -0,4 0,2 49 000*
l’exception de l’hiver particulièrement
1942 -1,9 -4,6 -5,4 1,2 77 000*
meurtrier de 1929. La canicule la plus
1944 -1,5 0,8 -3,3 -2,6 60 000*
« tueuse », celle de 1911, monte « seule-
1945 -1,5 -5,5 2 0,7 55 000* ment » à 40 000 victimes, ce qui est
1947 -3,4 -3 -3 0,6 60 000 3 000 énorme selon nos critères contempo-
1953 -1,1 -3,5 -2,3 0,1 82 000 34 000 rains, mais nettement moins grave que
1956 1,6 0,5 -9,4 -0,4 51 000 12 000 lors des gigantesques massacres
1963 -3,7 -5,4 -5,1 -0,4 61 000 30 000 d’origine estivale et solaire qu’on avait
1964 -3,6 -2,8 0,6 -1,4 26 000 -11 000 enregistrés au XVIIIe siècle. Quant aux
1970 -3,7 0,4 -0,1 -2,7 39 000 22 000 crises de subsistances d’origine météo,
1971 -2,6 -0,8 -0,8 -3,7 26 000 -2 000
1985 -0,3 -5,1 -0,5 -1,8 28 000 9 000 * Les hivers rigoureux 1940, 1941, 1942, 1944,
1986 0,6 0,2 -5,2 -1 31 000 13 000 1945 ont été inclus dans ce tableau, bien que le
1987 0,3 -5 -0,9 -2,1 16 000 -6 000 calcul de la surmortalité hivernale soit perturbé
par la répartition de pertes civiles dues à la guerre.
2005 -0,8 0,5 -2,2 0 32 000 8 000
L’excédent à la moyenne n’a pas été calculée, la
2006 -2,1 -1,1 -1,5 -0,3 18 000 -5 000 moyenne étant perturbée par ces pertes civiles.
La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle 35

tellement fréquentes et tellement clas- d’origine essentiellement épidémique Remerciements


siques au Moyen Âge et sous l’Ancien ont pratiquement disparu et
Régime, elles ont pratiquement disparu, l’amplitude des fluctuations de morta- Les auteurs remercient Jean-Marc
sauf pendant les deux guerres mondiales. lité a diminué. En conséquence, et Moisselin, Michel Schneider et la
Une autre victoire, enfin, concerne la paradoxalement, les aléas climatiques, Direction de la climatologie de Météo-
disparition de la mortalité infantile par pourtant beaucoup moins meurtriers France, qui ont mis à leur disposition,
temps de canicule, si prégnante encore qu’autrefois, sont devenus un facteur pour cette étude, la série des indicateurs
en 1911 et qui disparaît au cours des épi- très important pour la compréhension thermiques mensuels sur la France ;
sodes analogues en phase ultérieure, des fluctuations de mortalité en géné- Michèle Muria de la direction régionale
même les plus vifs comme ceux de 1921 ral. En hiver, un excédent de décès par Midi-Pyrénées de l’Insee, le service de
ou de 1976. rapport à la moyenne annuelle documentation et Laurent Toulemon de
s’observe chaque année, modulé par la l’Ined, pour leur aide dans le recueil des
Les conditions de vie et les progrès de plus ou moins grande rigueur de données démographiques et les deux
la médecine ont considérablement l’hiver. En été, des surmortalités réviseurs anonymes pour leurs remarques
diminué l’impact des maladies infec- s’observent encore lors des années de et suggestions.
tieuses. De ce fait, les fluctuations canicule très intense.

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Rousseau D., 2006 : Surmortalité des étés caniculaires et surmortalité hivernale en France. Climatologie, 3, 43-54.
Réunissant une série d’articles publiés de 2009 à 2016
dans la revue scientifique La Météorologie, ce fascicule
retrace les principales fluctuations du climat en France
entre les XIVe et XIXe siècles, leur impact sur la société et sur
plusieurs événements historiques.

À l'aide d'exemples et d'illustrations, il aborde différentes


méthodes élaborées par les historiens et les climatologues
pour reconstituer les climats passés, en particulier lorsque
les séries de mesures météorologiques quantitatives
n’existaient pas encore.

Les auteurs
Emmanuel Le Roy Ladurie, membre de l'Institut, professeur émérite
au Collège de France, spécialiste de l'histoire du climat
Daniel Rousseau, ancien directeur de l'École nationale de la météorologie
Jean-Pierre Javelle, membre du comité de rédaction de La Météorologie

Édité par : Sur l’histoire du climat en France


@MeteoetClimat MeteoetClimat
depuis le XIVe siècle
Emmanuel Le Roy Ladurie, Daniel Rousseau,
Avec le soutien de :
Jean-Pierre Javelle

Maquette, impression : Météo-France


7, rue Teisserenc de Bort - CS 70558 - 78197 Trappes Cedex
ISBN 978-2-95563121-8 - Dépôt légal : 2e trimestre 2017 - © SMF 2017

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