Said Messati
Said Messati
Said Messati
mémoire
pour l'obtention du diplôme de
MAGISTER DE FRANÇAIS
Option : Sciences des textes littéraires
Saïd MESSATI
Titre :
Directeur de recherche :
Dr Foudil DAHOU
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CHAPITRE II
LA VIOLENCE DE L’ECRITURE :
UNE ESTHETIQUE DE LA CRUAUTE
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Chapitre II : La violence de l’écriture : une esthétique de la cruauté
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113
A.VANONCINI, Le Roman policier, Que sais-je ? , Paris, 1993, p. 105.
114
«En sociologie descriptive, figure ayant pour objet de représenter l'ensemble des relations
individuelles entre les différents membres d'un groupe. » Petit Robert, Dictionnaire de la langue
française, Paris, 1989.
115
A.VANONCINI, op. cit., p.107.
116
A. LOUNES, « Le polar et la manière : Le Dingue au bistouri de Commissaire Llob », in : El-
Moudjahid (30 juillet 1991). Dans son article, LOUNES fait allusion à l'influence des romans de Frédéric
Dard sur les romans policiers du Commissaire Llob. (Yasmina Khadra).
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Chapitre II : La violence de l’écriture : une esthétique de la cruauté
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blanche telle que Roland Barthes la définit dans son ouvrage Le Degré zéro de
l'écriture, 117 et qui, de ce fait, distingue Les agneaux du Seigneur d’autres romans.
Dans les Agneaux du Seigneur, nous sommes face à une fiction qui se déroule à
Ghachimat, petite bourgade algérienne, tranquille et paresseuse, «assise en tailleur au
milieu de ses vergers, pour se croire l'épicentre du monde» 121 . Dans les premiers
chapitres, rien, sauf le nom du village qui signifie «mort de misérables » 122 n'annonce
les événements horribles qui, au cours du roman, bouleverseront ce village calme que
rien ne distingue d'autres villages algériens. À Ghachimat, on se connaît depuis
l'enfance, on se dispute une place au café, on bavarde, on se jalouse, on s'affronte pour
117
R. BARTHES, Le Degré zéro de l'écriture, Seuil, Paris, 1993.
118
F. EVRARD, Lire le roman policier, Dunod, Paris, 1996, p. 160.
119
Ibid.
120
J. PONS, « Le roman noir, littérature réelle », Les Temps Modernes, n° 595, août-septembre-octobre
1997, p.07.
121
Y. KHADRA, op. cit., p.48.
122
Le nom Ghachimat se compose du mot arabe «ghachi »qui signifie «petites gens », «gens de petite
condition » et du mot «mat »qui veut dire, dans un sens très large, «mort » («Échec et mat !»).Ainsi, le
nom Ghachimat voudrait dire «des intouchables sont morts »ou bien «mort de misérables ».
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obtenir la main d'une fille, on étouffe sous le poids des traditions, on envie ceux qui ont
réussi et on méprise ceux qui sont restés dans la misère. Mais les événements d'octobre
1988, le déchaînement de la violence et la montée des intégristes changent la vie
quotidienne et les structures anciennes du village, même si les habitants ne veulent pas
encore y croire :
« Depuis octobre 88, qui a vu Alger s'insurger contre les ogres du régime, les
Frères musulmans émergent inexorablement de la clandestinité. La hiérarchie
tribale qui gérait le destin du douar, qui plaçait le droit d'aînesse au-dessus
des uns, et la piété filiale par-dessus tous, se voit chaque jour bousculé par les
jeunes contestataires. Les Anciens tentent de revenir à la charge, mais leurs
fréquentes tergiversations permettent aux ouailles du cheikh de gagner du
terrain, boulimiques, dangereusement expansionnistes. » 123
Peu à peu, les intégristes écartent les notables et les anciens du village, des amitiés
se brisent, des opprimés se transforment en des personnes ayant un avenir. Rien ne peut
plus cacher que l'ordre du village est bouleversé, que « la bête immonde se réveille », 124
et rien n'arrêtera le cours des événements. Le FIS gagne les élections communales,
l’ancien maire de Ghachimat, représentant local de l'État FLN, est remplacé par un
membre du FIS, « le hijab est imposé et la barbe exigée. Le village se mue en
forteresse, et la bonhomie de naguère se découvre de l'agressivité ». 125 Le café, lieu de
rendez-vous des habitants de Ghachimat, « ressemble à un mouroir », 126 devenant par
contrecoup le miroir des événements et des changements de mentalités. Les intégristes
commencent à constituer une armée parallèle ; la guerre sainte est décrétée à
Ghachimat, et les premiers cadavres cruellement mutilés apparaissent. «Le règne de la
terreur a commencé. La vallée entre dans un monde parallèle, jalonné d'atrocités.» 127 .
De fait, les intégristes expulsent tous ceux qui ne partagent pas leur foi et liquident
les étrangers qui refusent de quitter le village. Mais au lieu de réagir ou de condamner
les horreurs, les gens restent indifférents et ont plutôt tendance à justifier les tueurs et à
légitimer leurs actes cruels. Ce n'est qu'après deux ans de tuerie, que les habitants de
123
Y. KHADRA, op. cit., p. 57.
124
Ibid., p. 66.
125
Ibid., p. 97.
126
Ibid., p.103.
127
Ibid., p.129.
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Ghachimat commencent à se rendre compte de ce qui se passe dans leur village, et ils
s'aperçoivent que ce sont toujours les plus pauvres qui sont tués et « que plus personne
n'est vraiment à l'abri ». 128 Comme le Pouvoir de l’Algérie se distingue par son
absence, la résistance armée, qui demande vengeance et lutte vivement contre les
adhérents du FIS, commence à s'organiser. Mais ce n'est qu'après l'intervention de
l'Armée que l'opinion publique se détourne complètement du FIS, sans que cela ait
vraiment des conséquences, et à la fin du roman, aucun aboutissement ne se laisse
deviner : «Ghachimat retient son souffle. Il ne sait rien faire d'autre, Ghachimat. Il
cohabite avec sa claustrophobie.» 129
Comme il le fit dans sa série noire, Yasmina Khadra, dans Les agneaux du
Seigneur, décrit, de près et dans toute sa cruauté inimaginable, le drame algérien. Mais
contrairement à ses romans précédents, où la structure du roman noir servait de machine
à l’action, ce récit n'a besoin que d’une seule action pour se mettre en mouvement. Une
fois mise en marche, la machine ne peut plus être arrêtée, et les événements se suivent
irrésistiblement. Dans le déroulement du récit, tout personnage a sa place et son rôle
défini par son passé et par l'Histoire, et chacun devient un rouage de la mécanique
impitoyable qui entraîne l'action. Tandis que les uns, Les agneaux du Seigneur, se
transforment en bêtes sauvages incontrôlables, les autres, voire la plupart des habitants,
se cachent derrière leur naïveté et tombent en inactivité. Ne restent que de rares
individus qui comprennent et qui résistent, mais qui trouveront bientôt la mort.
Après avoir présenté les événements des Agneaux du Seigneur, nous sommes
amenés à dire que la dureté impitoyable du récit se révèle dans l'écriture, écriture qui,
épurée de toute sensibilité et privée de toute décoration et de tout lyrisme, paraît aussi
brute que les événements décrits. Cette absence poétique accroît les cruautés
démontrées dans le roman. Parallèlement au déroulement des événements, le rythme est
rapide qui accélère les phrases, tandis que le choix des mots est trié avec précision.
Le contenu du roman et la façon dont l'action est prescrite, le rythme des phrases,
le choix des mots et l'écriture se complètent parfaitement dans Les agneaux du Seigneur
128
Ibid., p.135.
129
Ibid., p.208.
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et dévoilent les aspects les plus noirs du conflit sanglant. Mais ce n'est pas là que réside
toute l'originalité du roman, elle ne se révèle que si l'on pousse plus loin l'analyse de
l'écriture noire de Yasmina Khadra en la comparant à ce que Roland Barthes désigne
par «écriture blanche »
Dans Le Degré zéro de l'écriture, 130 premier jalon de la réflexion barthésienne sur
la littérature et le langage, Barthes distingue d'abord la langue « […] corps de
prescriptions et d'habitudes, commun à tous les écrivains d'une époque » 131 du style
expression de «la mythologie personnelle et secrète de l'auteur ». 132 Tandis que la
première peut être considérée comme horizon, voire ligne de transgression, également
comme l'aire d'une action, la définition et l'attente d'un possible ; 133 le deuxième a une
dimension verticale, plonge dans le souvenir clos de la personne, et ses références se
retrouvent au niveau d'une biologie ou d'un passé, non d'une Histoire. 134
Pour Barthes, il s'y ajoute une troisième dimension «une autre réalité formelle» 135 ,
celle de l'écriture. À côté de la langue et du style, l'écriture est le lieu d'un choix et d'une
liberté pour l'écrivain. Tandis que la langue et le style sont des données antécédentes à
toute problématique du langage, le produit naturel du Temps et de la personne
biologique, l'écriture est l'expression de l'identité formelle de l'écrivain en s'établissant
en dehors de l'installation des normes de la grammaire et des constantes du style. Elle
est le ton, le débit, la fin, la morale, le naturel de la parole de l'écrivain ; mais elle est
aussi le choix d'un comportement humain et l'affirmation d'un certain Bien. 136 Ainsi,
l'écriture est aussi «le rapport entre la création et la société, elle est la forme saisie dans
son intention humaine et liée ainsi aux grandes crises de l'Histoire.» 137
130
R. BARTHES, op. cit.,
131
Ibid., p.145.
132
Ibid., p.145-146.
133
Ibid., p.145.
134
Ibid., p.146.
135
Ibid., p.147.
136
Ibid., p.147.
137
Ibid., p.147.
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Examinons plus attentivement ce que Barthes entend par écriture blanche, notion
qui servira de base à nos réflexions ultérieures autour de l'œuvre de Yasmina Khadra.
D’après la vision barthésienne relative à l'écriture blanche, celle-ci pourrait être
comparée à une écriture de journaliste « si précisément le journalisme ne développait en
général des formes optatives ou impératives (c'est-à-dire pathétiques) » 140 .
Contrairement à ces tendances de l'écriture journalistique, l’écriture blanche est une
écriture neutre :
« Mais cette fois, l’instrument formel n'est plus au service d'une idéologie
triomphante [comme l'était l'idéologie bourgeoise]:il est le mode d'une
situation nouvelle de l'écrivain, il est la façon d'exister d'un silence ; il perd
volontairement tout recours à l'élégance ou à l'ornementation, car ces deux
138
Ibid., p.179.
139
Ibid., p.141.
140
Ibid., p.179.
141
Ibid., p.179.
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Les agneaux du Seigneur de Yasmina Khadra nous paraît être un éclair d'écriture
blanche et ses particularités se manifestent à plusieurs niveaux. Nous avons distingué
quelques caractéristiques du récit qui nous paraissent typiques de l'écriture blanche.
Ensuite, nous constatons que dans Les agneaux du Seigneur, il n'y a plus de héros
mais seulement des acteurs, des complices, des témoins et des victimes de la guerre
civile en Algérie. Nous voyons de nombreux personnages, des représentants divers du
conflit, dont les histoires personnelles divergent les unes des autres et dont la motivation
de participer ou de renoncer au combat s’explique de façon multiple. Dans ce contexte,
il est aussi intéressant d’enregistrer que le récit de Yasmina Khadra est dominé par de
142
Ibid., p.179-180.
143
Selon la terminologie de G. GENETTE, on distingue le récit « homodiégétique », où le narrateur
s’incarne dans un personnage de l’action, du récit « hétérodiégétique », où le narrateur est tout à fait
extérieur à l’histoire. Quand le narrateur est le héros de l’histoire, le personnage principal, le récit est «
autodiégétique ».
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Il devient donc évident que c'est dans la concrétisation du sujet, dans le ton et
l'expression individuelle de Yasmina Khadra, dans son écriture, que résident la force de
son récit et aussi son engagement. L'auteur ne pousse plus de cris mais donne à voir
jusqu'à l'épouvante sans rien cacher de la réalité algérienne, ni au niveau du contenu ni
au niveau de l'écriture et sans prendre parti pour un côté ou pour un autre. Comme toute
écriture blanche, celle de Yasmina Khadra se place elle aussi au milieu des cris et des
jugements et ne participe à aucun d'eux.
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Comme une feuille de papier, la temporalité narrative se présente sous deux faces
inévitablement liées. D'un côté, le temps narratif est déterminé par la nature linéaire du
signifiant linguistique. Contrairement aux peintres, qui peuvent donner à voir les choses
et les gens d'un coup, dans la coexistence simultanée de l'espace pictural, les romanciers
sont tributaires de la nature consécutive du langage: ainsi, c'est très progressivement que
le lecteur voit apparaître devant l'œil de son esprit les lieux et les personnages du roman
dont il tourne les pages une à une. Telle est la première face du temps narratif: c'est le
temps du récit, déterminé par la succession des mots sur la page. Ce temps racontant se
repère par le décompte d'unités de texte: nombre de lignes, de pages, de chapitres, etc.
L'autre face de la temporalité narrative, c'est le temps raconté. Les pages, les
chapitres du roman défilent: un monde fictif se constitue progressivement, avec ses
décors, ses personnages et sa chronologie. Pas plus que nous, les personnages de roman
n'échappent au temps: ils profitent des jours qui passent, vieillissent et se souviennent.
C'est là le temps de l'histoire (tH), un temps calendaire fictif, qui se mesure en heures,
jours, mois et années.
Le procédé narratif montre de manière visible cette autre forme de violence qui ne
manque pas de solliciter l’intérêt du lecteur d’une part et de gêner sa lecture d’autre
part. En confrontant l’ordre de la disposition des évènements ou segments temporels
dans le discours narratif à l’ordre de succession de ces mêmes évènements ou segments
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temporels dans l’histoire, à partir d’indices textuels. Nous pouvons distinguer une
certaine discordance indéniablement prégnante entre l’ordre de l’histoire et l’ordre du
récit. Cette rupture de l’ordre chronologique relève de ce que Gérard Genette nomme
anachronies. 144
Ainsi, nous pouvons dire à partir ce cette lecture que l’auteur a choisi de traiter un
des désastres qu’a connu le monde moderne au cours du siècle dernier, pour essayer de
démontrer à son public comment les choses peuvent évoluer de manière insatisfaisante
et désagréable en lui rapportant en même temps d’autres faits plus récents, sans
résolutions, qu’il est invité à méditer, tel le terrorisme et l’intégrisme.
144
Dans son ouvrage intitulé Figures III Genette défini les anachronies comme : « les déférentes formes
de discordance entre l’ordre de l’histoire et celui du récit ». Ainsi étudier l'ordre temporel d'un récit,
résume Genette, c'est confronter l'ordre de disposition des événements ou segments dans le discours
narratif à l'ordre de succession de ces mêmes événements ou segments temporels dans l'histoire, en tant
qu'il est explicitement indiqué par le récit lui-même, ou qu'on peut l'inférer de tel ou tel indice indirect.
On pourrait penser que la tendance spontanée des conteurs et romanciers soit de faire coïncider l'ordre des
événements racontés et l'ordre de leur présentation narrative. Or, c'est le contraire qui est vrai: la majorité
des récits ne respectent pas l'ordre chronologique: ils sont anachroniques, soit qu'ils racontent avant ce
qui s'est passé après – anticipation, ou prolepse; soit qu'ils racontent après ce qui s'est passé avant –
rétrospection, ou analepse.
145
Ibid., p. 87.
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Il s’agit bien entendu dans les deux cas d’analepses. A titre d’exemple nous pouvons
relever les deux exemples suivants.
Dans cette séquence le narrateur relate l’événement du maire qui tremble de rage à
cause de Issa Osmane, car ce dernier a dévoyé les clefs de la mairie : « Si dans cinq
minutes, tu ne me rapportes pas la clef, abruti d’Issa, je t’arracherai la peau du dos
avec mes propres mains. Hier, tu as égaré ma sacoche, et aujourd’hui la mairie va
chômer à cause de tes étourderies. » 146 Subitement le regard du narrateur se concentre
sur le personnage de Hadj Maurice, c’est l’occasion d’un retour en arrière pour fouiner
dans le passé du personnage : « De l’autre côté de la chaussée, en face du garage, Haj
Maurice est fondé dans sa chaise en osier, le visage écarlate, un large éventail à la
mains.(…) il est devenu gros et sage, et c’est avec infiniment de délectation qu’il s’est
initié aux douceurs indicibles de l’oisiveté. » 147 Puis le retour d’une manière expéditive
à l’événement de départ : «J’ai l’ai trouvée !j’ai l’ai trouvée !… » 148 ; Issa a retrouvé la
clef du maire.
Dans la deuxième séquence, le narrateur attire l’attention sur Jelloul le Feu et sur
son comportement curieux : « Au sortir du village, Jelloul le Feu se met au garde-à-
vous en voyant arriver la Peugeot et porte sa main à sa tempe dans un salut
militaire » 149 . Puis le récit bifurque sur le passé de Cheik Abbas dans une longue
analepse : « Ramdane Ich est content. Son fils est revenu. Les gens affluent dans son
patio, chargés de présents… » 150 Ensuite, le récit revient à l’événement de départ à la
conduite bizarre de Jeloul le Feu lorsque il entend le bruit de la Peugeot : « Jelloul le
Feu se tient à croupetons sous un olivier, avivant un hypothétique feu de bivouac en
entendant le vrombissement de la Peugeot, il se relève et porte sa main à la temple .» 151
146
Y. KHADRA, op. cit., p. 20.
147
Ibid., p. 21-22.
148
Ibid., p. 23.
149
Ibid., p. 24.
150
Ibid., p. 24-31.
151
Ibid., p. 31.
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Dans une autre perspective, comme nous l’avons déjà cité en début de chapitre, le
rythme narratif du récit est très alerte (du premier au quatrième chapitre); le narrateur
passe d’un personnage à un autre, d’un fait à un autre en de rapides séquences sans se
soucier des transitions. Cela pourrait traduire l’urgence de l’événement raconté, la
grande confusion exigée par la situation narrative. Le narrateur évoque, avec
précipitation et dans une succession effrénée, jusqu’au bout du roman, les aventures de
Cheikh Abbas, Issa la Honte et son fils Tej, Kada l’instituteur, Allal Sidhoum, Jafer
Waheb, Zane le nain, Haj Mourice, et Dactylo, (les personnages les plus imposants dans
la trame narrative) pris dans la tourmente d’une insurrection et de ses violences. Aucun
personnage n’a une envergure profonde (à l’exception de Tej Ousmane). La violence et
le choc brutal monopolisent le tissu narratif.
152
R.WELLEK et A.WARREN, La théorie littéraire, Seuil, Paris, p.208.
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peuvent nier l’influence de leur milieu sur leur production. Les personnages
romanesques, pour la plupart, ont été inspirés à l’auteur par son vécu et ont une
individualité propre.
153
C.ACHOUR et S.REZZOUG, op. cit., p 200.
154
Ph. HAMON « Pour un statut sémiologique du personnage », Littérature n°6, Larousse, mai 1972. p.
15.
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Dans notre corpus d’analyse, nous avons axé notre travail sur le personnage,
d’abord par l’établissement des relations fonctionnelles dont il est le centre : rapport aux
autres, oppositions, etc. ; ensuite par la nomination de personnages qui représentent en
vérité une autre forme de la violence de l’écriture.
155
Ibid.
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Dès l’incipit, Yasmina Khadra a mis en place ses personnages, livrés à eux-
mêmes, c’est-à-dire à l’inactivité, à l’ennui, au désoeuvrement, connotant également de
manière négative toute tentative d’un mieux-être possible.
Tout commence donc par le retour au pays d’un de ses enfants fanatisés à
l’extrême, Abbas, Imam depuis l’âge de dix-sept ans, fils du notable Ramdane Ich, pour
que l’apparente sérénité de cette bourgade tranquille, plus exactement anesthésiée,
comme sous l’effet d’une bombe, soit complètement bouleversée, pour basculer,
ensuite, dans l’horreur collective.
C’est dans ce climat délétère que va s’opérer une incontestable révolution (les
rejetés prenant le dessus), que Yasmina Khadra démonte, tout au long de son récit, avec
force détails.
De fait, l’auteur cherche, à travers cette mise en scène des personnages, à dévoiler
les rapports conflictuels qui ont conduit l’Algérie à la violence : rancœur, désillusion,
frustration, règlement de compte tels sont, dans l’ensemble, les moteurs principaux de
cette foulée meurtrière.
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D’abord, le policier Allal Sidhoum, époux de Sarah qui paiera très vite, de sa vie,
les quelques moments de bonheur passés avec sa jeune épouse et son engagement au
sein d’un groupe d’autodéfense à la recherche des intégristes. Ensuite, Hadj Maurice,
lequel pour n’avoir pas voulu quitter sa demeure, alors convoitée, ni son village natal,
trouvera une mort horrible. Enfin, Dactylo, l’écrivain public solitaire, personnage
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atypique du village parce que cultivé, appréciant la littérature et l’art, qui aura la tête
tranchée par un Tej Osmane au sommet de sa folie meurtrière et de sa soif de
vengeance : « Regarde Dactylo, [dira] Tej triomphant. Regarde partir en fumée le
douar des traîtres. Où est donc passé son groupe d’autodéfense ? Ils croyaient
m’intimider, avec leurs rejetons. J’ai donné l’ordre à mes hommes de n’épargner ni les
bêtes ni les nourrissons. N’est-ce pas une fresque magnifique ! » 156
Nous nous limiterons, dans cette section, à une étude des seuls noms de notre
roman Les agneaux du Seigneur. Puis, suivant les catégories proposées par Hamon,
nous essayerons de reconnaître le signifiant du personnage pour rétablir le signifié. Les
personnages seront donc étudiés selon quelques principes de base très généraux.
La plupart des noms dont sont affublés les personnages, ont une racine arabe.
Chaque vocable porte en lui une signification et certains mots sont richement chargés de
connotations. Le nom du Issa la Honte sera traité comme exemple pour étayer nos
propos.
156
Ibid., p. 197.
157
M. MOLHO, cité in www.limg.com/Cours/Documents.ht
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Issa la Honte
Issa Honte
Jésus Déshonneur
Chrétienté
Croisades Harki
Colonisation
La Haute
trahison
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Nous constatons à travers ce schéma que le nom Issa la Honte est lourd de
connotations, seul un lecteur instruit de l’histoire algérienne peut le décoder. Il est de
par son titre porteur de signes négatifs concrétisés par le faire maléfique.
Ainsi, le nom est constitué de deux mots : d’une part Issa, nom arabe qui signifie à
la lettre Jésus, et qui évoque le colonisateur français. D’auteur part la Honte est une
dénomination qui indique le déshonneur. Ce nom à « un fonctionnement référentiel ». Il
dévoile les harkis (anciens collaborateurs pendant la guerre d’Algérie) qui payent
aujourd’hui le lourd tribut de l’Histoire.
Vu leur nombre important dans notre corpus, le tableau suivant traite des noms les
plus récurrents et les plus significatifs dans le texte.
Nomination Catégorie Connotation
Evocation de Abassi Madani le
Cheikh Abbas (Si) référentiel président du FIS (accusé
d’intégrisme et d’assassinats)
Evocation du système politique
Le Maire référentiel du FLN (inculpé de la crise
socio-politique)
Haj Mourice Allusion à la colonisation
(Pied noir) référentiel française.
Evocation de la mafia politico-
Le nain anaphore financière avec son
égocentrisme et son hypocrisie
Dactylo Evocation de l’Histoire et du
(Ecrivain public) embrayeur Savoir qui sont en permanente
dégradation.
Allal Sidhoum Evocation de l’institution
(Le policier) embrayeur Militaire
Les noms des personnages du roman Les agneaux du Seigneur ont donc un
fonctionnement référentiel qui accrédite la fiction et l’ancre dans le socio-historique, qui
en assure la cohérence. Le nom est à la fois produit pour un texte et producteur de sens
dans ce même texte.
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L'auteur de Les Agneaux du Seigneur diversifie les formes de son écriture tout au
long des chapitres dans lesquels le réel est au cœur du récit même s'il tente dans certains
passages d'y échapper pour se situer dans l'irréel. Cette dimension réaliste dans l'œuvre-
corpus se lit au travers de la récurrence des indicateurs spatio-temporels.
• Noms de régions: Djebel El-Khouf (p.129), Hassi Meskhout (p.130), Ghar Hira,
Minen (p.65).
• Événements historiques: octobre 88 (p.57), matin de 63 (p.47), après la guerre de
62 (p .194).
Cette technique du roman réaliste met en scène, pour des raisons historiques
précises, des personnages de tous les milieux, de toutes les classes sociales et de toutes
les catégories socioprofessionnelles. Ainsi, elle incite le lecteur à les repérer d'une
manière binaire selon des critères différents :
• Age :
Vieux jeunes
-Haj Menouar -Khada Hilal
-Ramdane Ich -Jafer Waheb
-Haj Mourice -Allal Sidhoum
-Hajja Mabrouka -Sarah
-Haj Baroudi -Tej Ousmane
-Haj Bilal -Mourad
-Haj Boudali -Boudjema
-Cheikh Redouane -Haouari
-Le vieux Messoud -Tahar
-Sy Rabh -Fodil
-Issa Ousmane Smail
…etc. …etc.
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• Classe sociale :
Riches pauvres
Instruit Non-instruit
158
Ph. HAMON « Pour un statut sémiologique du personnage », Littérature n°6, Larousse, mai 1972. p.
15.
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de vue) comme Zaine le nain qui emporte le lecteur sur les lieux des crimes des
intégristes avec les descriptions qu’elle en fait, ou alors Dactylo qui partage avec le
lecteur son point de vue sur la réalité algérienne amère.
Ce qui est à ajouter, à cet égard, c'est que le symbolisme a plus d'influence sur le
lecteur qu’une description sèche du réel. Il s’offre à l’attention de toute personne sans se
dissimuler, et tout être humain est potentiellement capable de le percevoir et de
comprendre son message malgré sa nature ésotérique. Mais son sens fluide et caché
permet à chaque lecteur de lui attribuer une interprétation différente et son étude n’est
jamais achevée.
Le grand nombre des personnages utilisé dans Les agneaux du Seigneur produit
certainement une diversité au niveau du langage. Ne se limitant pas à un seul registre
langagier, Yasmina Khadra ne cesse de changer de niveau de langue tout le long de son
récit. Nous remarquerons, de façon générale, que ce changement de registres dépend
essentiellement du lieu qui cadre l’action, et des personnages qui y participent.
88
Chapitre II : La violence de l’écriture : une esthétique de la cruauté
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Afin d’augmenter les effets de violence dans le texte, Khadra choisi de multiplier
ses styles d’écriture. Loin de se contenter d’un seul style, il assemble les extrêmes : une
langue hautement soignée, et une autre mimétique de l’oral, populaire et vulgaire. Il a
tenté dans de ce roman de rendre compte du parlé à l’écrit, en ouvrant les portes de la
littérature à l’oralité et rendre ainsi possible une rencontre entre deux mondes. La
langue parlée, usuelle, qui caractérise le mode oral est introduite illicitement dans le
texte littéraire qui se doit d’être conforme à certaines règles et convenances langagières
lui conférant son trait distinctif, à savoir sa littérarité.
L’inscription de l’oralité dans le texte se fait par divers moyens qui lui assurent
l’effet escompté. Parmi ces procédés, nous noterons la ponctuation et le bruitage qui
marquent fortement cette écriture.
Ces Procédés s’inscrivent plus dans l’oral que dans l’écrit grâce à la multiplicité
des personnages en même temps qu’au manque d’indication quant à la prise de parole
de chacun d’entre eux.
159
Y. KHADRA, Les Agneaux du Seigneur, p. 179.
89
Chapitre II : La violence de l’écriture : une esthétique de la cruauté
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Un autre signe de ponctuation est pareillement présent, utilisé rarement dans les
écrits, il s’agit des points de suspension « … ». Ce signe particulier indique
généralement que l’énoncé est interrompu tel est le cas du passage ci-dessous :
Ainsi, l’utilisation des points de suspension par l’auteur, lui évite tout
commentaire susceptible de décrire l’action qui accompagne la parole émise. Elle
permet également aux lecteurs de suivre facilement et rapidement le dialogue sans qu’il
y ait d’interruptions susceptibles de gêner leur lecture. En somme, ce signe de
ponctuation est capable de traduire des émotions particulières des personnages. Il
participe en grande partie au reflet de la langue orle dans l’écrit.
Il est à souligner, enfin, que l’utilisation des virgules et des points est très
fréquente pour renforcer le ton de la phrase et accélérer son rythme. L’extrait ci-après
éclaircit nos propos :
« – Si, dans cinq minutes, tu me rapportes pas la clef, abruti d’Issa, je t’arracherai la
peau du dos avec mes propres mains. Hier, tu as égaré ma sacoche, et aujourd’hui la
mairie va chômer à cause de tes étourderies… » 161
Bien que le langage du récit précédemment cité fait partie de l’oral, certains
passages à l’intérieur des mêmes textes n’en relèvent pourtant pas et s’inscrivent au
contraire dans le langage soutenu. Tel est le cas lorsque Lyès raconte à Zane le nain
l’histoire des fondamentalistes :
160
Ibid., p. 155.
161
Ibid., p.20.
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Chapitre II : La violence de l’écriture : une esthétique de la cruauté
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«Dactylo raconte qu’à la fin du XIe siècle un, un persan s’est installé sur la montagne
d’Alamut pour fonder la secte des Assassins. Assassin vient d’assassyine qui veut
dire″fondamentalistes″ en arabe. Il a semé la mort et la terreur sur terre entière,
s’attaque à de redoutables seigneurs jusque l’empire ottoman s’est écroulé comme un
château de carte… » 162
La langue réécrite de l’orale est une langue brute, parfois choquante, les mots
employés par l’auteur sont des mots vivants, crus, sans artifices. Si le vocabulaire
populaire est bien vivant, il donne naissance à autant de mots qu’il en laisse mourir. Les
mots argotiques n’appartiennent aucunement au beau monde de la langue académique,
leur effet esthétique est très limité. La bienséance est pratiquement absente du texte,
l’usage fréquent de mots vulgaires et crus a pour but de choquer la sensibilité du lecteur.
Le choc produit par la langue orale utilisée dans le roman est important d’une part,
parce qu’elle est spécifique aux villageois et n’est pas commune à toutes les classes
sociales. D’autre part, à cause du contraste entre terme littéraire et terme populaire
existants dans un même texte. Cette rencontre de deux langues aussi éloignées renforce
et accentue l’effet de choc.
162
Ibid., p.100.
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Chapitre II : La violence de l’écriture : une esthétique de la cruauté
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pourquoi pas, d’aller jusqu’au bout de la langue. Il s’agit de retrouver une langue brute,
primitive, une langue concrète qui désigne la réalité telle qu’elle est. Variée, cette
langue peut dire la diversité du monde sans passer par des tropes. La langue académique
perd son prestige, la rhétorique également. En touchant au vocabulaire, Khadra a donné
le ton du peuple et le ton du bouleversement.
Cet aspect lexical de la violence se lit dans les mots et expressions soulignés dans
les extraits suivants :
« Espèce de salopard. Rassieds-toi, va, et raconte- moi comment c’est, le travail d’un
laboureur » 164
Ainsi, nous retrouvons des mots familiers connus, fréquemment utilisés, compris
par tous les lecteurs : cinglé pour feu, fumier pour salaud, fric pour argent, etc. D’autres
qui le sont moins, bien qu’ils fassent partie du vocabulaire familier : charabia qui
signifie "langage incompréhensible", racketter qui signifie "voler de l'argent " ou
encore girouette qui signifie "personne qui change souvent d'opinion".
163
Ibid., p. 138.
164
Ibid., p. 115.
165
Ibid., p. 155.
166
Ibid., p. 142.
167
Ibid., p. 162.
92
Chapitre II : La violence de l’écriture : une esthétique de la cruauté
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Mais, d’autre part, nous rencontrons tout au long de notre lecture des mots,
empruntés à la langue arabe, introduits dans le texte. Ainsi, nous retrouvons d’autres
d’origine arabe populaire tels que : khôl qui signifie "fard sombre" que l'on utilise pour
se maquiller, Ibliss qui signifie "diable" ou alors gandoura qui signifie "vêtement de
laine ou de coton". D’autres mots font partie de la langue arabe classique, tels que :
moudjahid, qui signifie "combattant", ou vizir qui signifie "ministre" …etc. Fesq est un
mot arabe signifiant "débauche ou dépravation "et ayant une connotation négative. En
rapport avec la description des prostituées et des jeunes algériens portant des jeans et
des mini-jupes et imitant les ringards décadents de l'Occident, le jeu de mots Riad el
Feth /Riad el Fesq – le parc de la victoire /"parc de la débauche"–prend tout son sens.
Pour que l’argot ne freine pas le train de l’écriture, il ne faut donc pas en abuser,
sans cela, l’effet ne serait plus surprenant, mais lassant. Afin d’apprécier à sa valeur
principale son expressivité et sa variété, il faut éviter de submerger et d’ennuyer le
lecteur peu habitué à rencontrer des expressions argotiques dans un cadre qui lui paraît
peu approprié de prime abord. C’est la raison pour laquelle notre roman objet d’étude
monopolise presque cette écriture de l’oralité.
Les personnages du roman Les agneaux du Seigneur, quels qu’ils soient, jeunes ou
âgés, utilisent un langage propre aux villageois. Yasmina Khadra a essayé de rapporter
dans son roman, non seulement la vie qu’ils mènent, mais également leur façon de
parler pour donner au récit une illusion de réel, d’où l’autre intérêt de l’écriture de
l’oralité.
Etant donné que la langue parlée est une langue rapide et concise, le locuteur
quand il parle a tendance à détourner des mots pour aller plus vite et parce que c’est
naturel, cela évite de briser le flux de la parole, et permet à la personne de finir ce
qu’elle a à dire avant d’être interrompue.
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Chapitre II : La violence de l’écriture : une esthétique de la cruauté
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ne peut se faire qu’à l’aide d’une syntaxe particulière qui soit capable de réfléchir la
vivacité de l’oral.
Dans notre texte, le " pas "disparaît dans quelques phrases négatives produites par
les personnages. Les exemples sont nombreux, nous en citons quelques-uns :
« …il n’a connu véritable honte avant d’être élevé au rang des notables.» 170
Cette élision n’est donc pas réservée à l’oral, elle est très fréquemment utilisée à
l’écrit. Sauf que certaines élisions ne sont pas très appropriées à l’écrit. Prenons
l’exemple de : t’apprends ou ç’avait, qui font partie de la langue orale et ne
168
Ibid., p. 65.
169
Ibid., p. 79.
170
Ibid., p. 82.
171
Larousse, Dictionnaire de la langue française, Paris 1997.
94
Chapitre II : La violence de l’écriture : une esthétique de la cruauté
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conviennent pas à l’écrit. Tandis que d’autres élisions s’imposent dans les deux langues
(orale et écrite). Exemple : l’impossibilité d’écrire t’écraser en deux mot : te écraser.
« - Il-ne-veut-pas-mou-rir…
Les autres l’imitent, et se mettent à scander :
- Il-ne-veut-pas-mou-rir… Il-ne-veut-pas-mou-rir… » 174
172
Y. KHADRA, op. cit., p. 115.
173
Ibid., p. 142.
174
Ibid., p. 202.
95
Conclusion
______________________________________________________________________
_______________________________________________
CONCLUSION
______________________________________
90
Conclusion
______________________________________________________________________
91
Conclusion
______________________________________________________________________
Toutefois, cette simplicité apparente de l'étude que nous avons menée à travers
une lecture analytique de l'œuvre, nous a permis, outre l'acquisition de nouvelles
performances d'analyse, l'adoption d'une démarche pluridisciplinaire visant à décrypter
rationnellement les différents éléments qui sont considérés comme les pierres angulaires
de l'œuvre littéraire et en conséquence celles des personnages, de la narration et du
langage.
Globalement, Les agneaux du Seigneur nous est donc apparu selon une double
perspective : d’une part, comme fiction se faisant le reflet de la réalité et portant un
regard critique sur la société algérienne des années quatre-vingt-dix -à ce sujet, Yasmina
Khadra déclare : «Il est évident que la tragédie de mon pays a donné un sens différent à
mes textes » 1 -; d’autre part, comme réflexions sur l’écriture, se fondant sur une langue
dure qui se joue au mot, et une langue orale comme pour renforcer cette interrogation
sur l’écriture.
Après avoir étudié l'œuvre, nous sommes arrivé à montrer, que la violence traverse
l’écriture de part et d'autre : d’abord, au niveau des messages d'accompagnement qui
entourent le texte -tous les éléments paratextuels, et sans exception, portent une charge
importante de violence. À travers ces éléments hétérogènes (pseudonyme, titre,
dédicace, épigraphe) nous avons pu déceler une forme de violence qui agit sur le lecteur
indirectement mais intensément.
1
Cf. Interview de l'auteur à propos de la sortie de son roman A quoi rêvent les loups, [propos recueillis par
Valérie Pabst, 1999, source Internet : www.fnac.be/fr/htlm/auteurs/khadra/interview.htm]
97
Conclusion
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De fait, l’analyse des éléments paratextuels a mis en évidence les rapports que ces
derniers entretiennent avec le texte. Notre travail nous a également réservé quelques
surprises. Elles concernent d'abord le rapport découvert entre certains aspects du
paratexte tels que : pseudonyme/couverture et titre/pseudonyme. Ensuite nous pensons
avoir montré pour la première fois que le nom de Mina peut être un autre pseudonyme
de Mohammed sur lequel aucune analyse (à notre humble connaissance) n’a été faite
auparavant 2 . A la fin de cette analyse nous avons constaté que le paratexte remplit chez
Yasmina Khadra une fonction littéraire, assume l'expression de figures, et finalement
fait texte, ouvre du sens. Nous l'avons vu, il contribue à faire vrai tout autant qu'à faire
rêver.
Par ailleurs, nous avons constaté que l’écriture des Agneaux du Seigneur n'est pas
uniquement une écriture noire, mais qu'elle peut aussi être désignée d’écriture blanche
telle que Roland Barthes la définit dans son ouvrage Le Degré zéro de l'écriture. En
effet, nous avons remarqué qu'au-delà des passions, des douleurs et des rancoeurs,
Yasmina Khadra décrit les événements en Algérie comme s'il était convaincu que rien
ne sert de dénoncer, de hurler, de pleurer. Ce n'est ni un cri ni une écriture de l'urgence
que nous avons dans Les Agneaux du Seigneur, puisque ne s'y trouve aucune émotion,
aucune sentimentalité ni au niveau du contenu ni au niveau de l'écriture. Le récit
ressemble plutôt à un inventaire où les événements sont énumérés de façon distante et
sans qu'aucune cruauté ne soit oubliée.
Nous avons remarqué aussi que Yasmina Khadra se prolonge dans l'engagement
de l'écriture puisqu'en évitant toute opacité au niveau de la forme, en repoussant tout
recours à l'élégance et à la décoration et en choisissant, au niveau de l'instance
narratrice, un regard neutre, il réussit à livrer «la dimension universelle » du conflit
algérien. C'est grâce à cette écriture qu'il arrive à montrer que :
2
Les Masques de Yasmina est le dernier livre de l'écrivain et professeur Françoise NAUDILLON (de
l'Université Concordia -Québec) publié aux Éditions Nouvelles du Sud. A ce propos nous avons demandé
à l'auteur son point de vue sur notre lecture du pseudonyme : «Je suis très heureuse de savoir que vous
avez eu connaissance de mon travail sur Yasmina Khadra et enchantée de savoir que d'autres se lancent
dans l'analyse des romans de cet auteur Je trouve votre travail tout à fait remarquable et intéressant et je
vous encourage à poursuivre dans ce qui semble une recherche d'envergure.»
98
Conclusion
______________________________________________________________________
Dans notre travail de thèse nous tenterons de rendre compte de ces améliorations
puisque notre projet s’inscrit dans la continuité de ce mémoire de magister. En effet,
nous voudrions continuer à explorer l’univers romanesque de Yasmina Khadra, en
incluant à notre corpus actuel certains romans que nous avions du laisser de côté dans le
cadre de ce mémoire ; en approfondissant également certains points qui, nous l’avons
souligné dans cette recherche, nous paraissent mériter des développements susceptibles
de s'ouvrir sur de nouveaux sujets dont l’enfermement de l’espace et la nomination des
lieux dans l'écriture de Yasmina Khadra.
3
M. GAZIER, «La Haine au village », Télérama, 23 septembre 1998, p. 15.
99
Bibliographie
______________________________________________________________________
______________________________________
BIBLIOGRAPHIE
______________________________________
Références bibliographiques
______________________________________________________________________
Corpus
Références critiques
BAYLON C. et FABRE P., Les noms de lieux et de personne, Nathan, Paris, 1982.
101
Références bibliographiques
______________________________________________________________________
CHEVREL Y., La littérature comparée, Presses Universitaires de France, Que sais-je,
Paris, 1997.
ECO U., Lector in fabula : le rôle du lecteur ou la coopération interprétative dans les
textes narratifs, Grasset et Fasquelle (pour la traduction française), Paris, 1985.
Articles et revues
102
Références bibliographiques
______________________________________________________________________
-- « Une Agatha Christie à l’algérienne », Rose d’abîme de
Aïssa Khelladi, « Entretiens avec Abdelkader Djemaï », n° 22-23, juin-septembre 1998.
ELLYAS A., « Les Leçons oubliées des émeutes d’octobre 1988 », Le Monde
diplomatique, mars 1999,
Sources Internet
DOUIN, Jean-luc, « Yasmina Khadra lève une part de son mystère », Le Monde, 10
septembre 1999, www.lemonde.fr/article_impression/0,2322,21735,00.htlm
« Le second degré de l’Algérie », propos recueillis par Mona Chollet, in Charlie Hebdo,
août 1999. Source Internet www.peripherie.net/g-yb.htm
Dictionnaire
C.-P. HUMBERT, Dictionnaire des symboles, des rites et des croyances, Hachette,
Paris, 2003.
Dictionnaire des Symboles, site internet, http://perso.clubinternet.frramberg/Ap15.htm
103
Références bibliographiques
______________________________________________________________________
CD consultés
-BEAUMARCHAIS J.-P. et COUTY D., Dictionnaire électronique des œuvres
littéraires de la langue française.
104
Annexes
______________________________________________________________________
______________________________________
ANNEXES
______________________________________
Annexes
______________________________________________________________________
1. Questionnaire adressé à Yasmina Khadra
a. Présentation du questionnaire
Les réponses reproduites ci-après nous ont été adressées par Monsieur Yasmina
Khadra (par courrier électronique) en date du 18 décembre 2005. Elles correspondent à
une série de questions qui avaient été préparées pour recevoir des réponses écrites.
Nous tenons à le remercier de sa longue missive.
La reproduction des réponses obéit à une scrupuleuse fidélité. Nous avons
conservé toute la ponctuation et toute la présentation de Monsieur Yasmina Khadra.
b. Le questionnaire
106
Annexes
______________________________________________________________________
-Pourriez-vous nous expliquer le choix de la
photographie de la première de couverture ?
107
Annexes
______________________________________________________________________
2. Pêle-mêle de questions attendues et/ou inattendues à Yasmina Khadra en 2004
a. Le questionnaire
108
Annexes
______________________________________________________________________
après l'indépendance. Cela signifie-t-il que vous
considérez manichéenne la façon dont on a pu rendre
compte, en Algérie, de la guerre d'indépendance ? Toute
Histoire le serait-elle ?
Q -Etes-vous croyant ?
109
Annexes
______________________________________________________________________
110
Annexes
______________________________________________________________________
3. Première de couvertures
111
Annexes
______________________________________________________________________
112
Annexes
______________________________________________________________________
4. Œuvre première de Yasmina Khadra
Les romans de Yasmina Khadra (dix titres sur un total de dix-huit récits ou
romans de Mohamed Moulessehoul) sont aujourd'hui traduits dans quatorze pays :
USA, Grande-Bretagne, Portugal, Espagne (castillan et catalan), Hollande, Suisse,
Allemagne, Italie, Autriche, Grèce, Turquie, Pologne, Israël, Algérie. Le prix Nobel de
littérature 2003, le Sud-Africain J.M Coetzee, considère Yasmina Khadra comme un
des écrivains majeurs d'aujourd'hui.
113
Annexes
______________________________________________________________________
L'intérêt passionné de Yasmina Khadra pour tout ce qui touche à son pays, l'a conduit à
rédiger, pour les presses française et algérienne, un certain nombre d'articles, dans
lesquels, faisant fi des menaces et des dangers, ou du souci de sa gloire littéraire, il
entend dire ce qui lui convient et ce qui le révolte ; ce qui l'émeut et ce qui l'horrifie. La
plume du journaliste retrouve le style de l'écrivain, lyrique et dépouillé. Nous avons
choisi de présenter quelques-uns de ces textes.
114
Annexes
______________________________________________________________________
s'était appuyé.
115
Annexes
______________________________________________________________________
N° Titre Page
1 Les rapports paratextuels 36
2 Le jeu de mots du pseudonyme 42
3 L’emboîtement de pseudonymes 45
4 La symbolique du pseudonyme 55
5 Perturbation du temps narratif 77
6 Violence et nomination de personnages 84
116
RESUME
Le thème de notre travail de recherche porte comme titre « La violence de l’écriture dans le roman
algérien d’expression française des années 90 : Le cas de ″ Les agneaux du Seigneur ″ de Yasmina Khadra ». Il nous a
été inspiré d’abord par le contexte de l’Algérie des années 90, un contexte jalonné de bouleversements et
soubresauts sociopolitiques ; et ensuite par l’abondance des productions littéraires qui témoignent de cette
décennie.
Yasmina Khadra nous invite dans ce roman mêlant réflexions sur l'écriture et violence du texte à
méditer les questions de l’essence humaine et sa prédisposition à la violence. Ecrit dans une langue dure qui
se joue du mot, une langue orale pour renforcer cette interrogation pertinente sur l’écriture, le roman de
Yasmina Khadra Les agneaux du Seigneur refuse au lecteur le confort de la certitude pour lui offrir une
violence dissimulée dans les plis et replis de l’écriture. De fait, nous avons essayé de répondre à une
question majeure tout au long de cette étude : Comment se manifeste la violence dans l’écriture de Les Agneaux
du Seigneur de Yasmina Khadra ?
Pour mener à terme cette étude nous avons emprunté nos concepts à diverses disciplines qui
forment le large domaine des sciences humaines et de la critique littéraire en l’occurrence : la linguistique,
la psychanalyse, la sociocritique et la sémiologie…C’est donc à un exercice interdisciplinaire que nous nous
sommes livré.
Après avoir étudié le roman, nous sommes parvenus à montrer que la violence traverse l’écriture de
part et d’autre : d’abord, au niveau des éléments hétérogènes qui entourent le texte où tous les éléments
paratextuels, sans exception, portent une charge importante de violence, mais à des degrés différents. À
travers ces informations paratextuelles (pseudonyme, titre, dédicace et épigraphe) nous avons pu déceler
une forme de violence qui agit sur le lecteur indirectement mais intensément.
Ensuite, nous avons pu constater que l’écriture de Les Agneaux du Seigneur n'est pas uniquement une
écriture noire, mais qu'elle peut être aussi désignée d’écriture blanche telle que Roland Barthes la définit dans
son ouvrage Le Degré zéro de l'écriture. En effet, nous avons remarqué que ce type d’écriture jouait un rôle
impératif dans la transmission de la violence. En outre, nous avons distingué d’autres formes de violence
d’écriture telles que : le déséquilibre social et la nomination des personnages, le mouvement narratif
perturbé et le mélange de genres.
Enfin, le langage utilisé par l’auteur présente l’autre forme de la violence de l’écriture tels que : le
mélange d’écritures littéraire et orale, l’alternance de registres langagiers, la vulgarité de mots et la
transgression syntaxique.
________________________
Mots clés: violence, paratexte, écriture radiographique, écriture noire, écriture blanche.
ABSTRACT
The topic of our research work is entitled «Violence in writing in the Algerian novel expressed in French in
the 90’s as like book “The Lord’s lambs” by Lamina Khadra as our sample of study». We have been inspired firstly
by the context of Algeria in the 1990’s which was marked by socio-political overthrows and uprisings and
secondly by the abundance of productions in that period.
In this novel Yasmina Khadra, who mixes together reflections on writing and violent text, invites us
to meditate on the essence of man and his predisposition to violence. Yasmina Khadra’s novel is superbly
written in a harsh and oral language so as to reinforce the questioning on writing. This novel refuses the
reader the comfort of in order to offer him a violence hidden in the folds and unfolds of writing. Therefore,
we have tried to answer this question throughout this study: How does violence appear in the writing of
Yasmina Khadra “The Lord’s lambs”?
In order to achieve this work, we have borrowed concepts from various disciplines which make up
the large repertory of Human Sciences and literary criticism, namely, Psychanalysis, Linguistics, Socio-
criticism, Semiology …In this way; we have, then done an interdisciplinary exercise.
After having analysed the novel, we have managed to show that violence goes through the novel from
a part to another: at first it is obvious at the level of the accompanying messages which surround the text
where all the paratextuel elements and without exception are loaded with violence but at different degrees
according to its nature. Though this paratextuel information (pseudonym, title, dedication, the epigram)
we have been able to detect another form of violence which affects the reader indirectly but intensely.
Moreover, we have noticed that the writing of “The Lord’s lambs” is not only a black writing but it
can also be considered a white writing as Roland Barthes defines it in his book “The zero degree in writing”.
In fact, we have observed that this type of writing plays an imperative role in the transmission of violence.
After that, we have distinguished other forms of violence in the text such as the social disorder of the
characters, the disturbed narrative movement and the mixture of styles. Finally, the language used by the
author presents the other aspect of violence such as: the mixture of literary and oral writing, the alternation
of linguistic registers, the vulgarity of words and syntaxic transgression.
______________________
Keys words: violence, paratexte, radiography writing, black writing, and white writing.
ﺍﻟﻤﻠﺨﺹ
ﻴﺘﻨﺎﻭل ﻫﺫﺍ ﺍﻟﺒﺤﺙ ﻤﻭﻀﻭﻉ » ﻋﻨﻑ ﺍﻟﻜﺘﺎﺒﺔ ﻓﻲ ﺍﻟﻘﺼﺔ ﺍﻟﺠﺯﺍﺌﺭﻴﺔ ﺍﻟﻤﻜﺘﻭﺒﺔ ﺒﺎﻟﻔﺭﻨﺴﻴﺔ ﻓﻲ ﺍﻟﺘﺴﻌﻴﻨﺎﺕ,
ﻭﻗﺼﺔ "ﺨﺭﻓﺎﻥ ﺍﻹﻟﻪ " ﻟﻠﻜﺎﺘﺏ ﻴﺎﺴﻤﻴﻨﺔ ﺨﻀﺭﺓ ﻨﻤﻭﺫﺠﺎ« ﻭﻗﺩ ﺃﻭﺤﻰ ﻟﻨﺎ ﺒﻬﺫﺍ ﺍﻟﻤﻭﻀﻭﻉ ﺍﻟﻭﻀﻊ
ﺍﻟﺴﻭﺴﻴﻭﺴﻴﺎﺴﻲ ﺍﻟﺫﻱ ﺸﻬﺩﺘﻪ ﺍﻟﺠﺯﺍﺌﺭ ﻓﻲ ﺴﻨﻭﺍﺕ ﺍﻟﺘﺴﻌﻴﻨﺎﺕ ﻭﻓﻲ ﻅل ﻏﺯﺍﺭﺓ ﺍﻹﻨﺘﺎﺝ ﺍﻷﺩﺒﻲ ﺍﻟﺫﻱ ﻴﺸﻬﺩ
ﻋﻠﻰ ﻫﺫﻩ ﺍﻟﻤﺭﺤﻠﺔ .
ﻭﻗﺩ ﺃﺜﺎﺭ ﻓﻴﻨﺎ ﺍﻟﻤﻭﻀﻭﻉ ﺍﻻﻫﺘﻤﺎﻡ ﺒﺎﻟﻌﻼﻗﺔ ﺒﻴﻥ ﻋﻨﻑ ﺍﻟﻜﺘﺎﺒﺔ ,ﻭﺤﻘﻴﻘﺔ ﻤﻭﻗﻑ ﺍﻹﻨﺴﺎﻥ ﻭﻭﻀﻌﻴﺎﺘﻪ ﻤﻥ
ﺍﻟﻌﻨﻑ .ﻭﻗﺩ ﺃﻋﺘﻤﺩ ﺍﻟﻜﺎﺘﺏ ﻋﻠﻰ ﻟﻐﺔ ﻤﻜﺘﻭﺒﺔ ﺘﺄﺴﺴﺕ ﻋﻠﻰ ﻗﻭﺓ ﺍﻟﺘﻼﻋﺏ ﺒﺎﻷﻟﻔﺎﻅ ﻭﺃﺨﺭﻯ ﺸﻔﺎﻫﻴﺔ ﻜﺎﻨﺕ ﺘﻘﻭﻡ
ﺒﺩﻭﺭ ﺍﻟﺩﺍﻋﻡ ﻟﻠﻐﺔ ﺍﻷﺴﺎﺴﻴﺔ .ﻭﻟﺫﺍﻟﻙ ﺘﻌﻤﺩ ﺍﻟﻜﺎﺘﺏ ﻋﻠﻰ ﺍﺴﺘﻔﺯﺍﺯ ﺍﻟﻘﺎﺭﺉ ﻭﺩﻋﻭﺘﻪ ﺇﻟﻰ ﺘﻭﻅﻴﻑ ﻭﺤﺸﺩ ﻜل
ﻁﺎﻗﺘﻪ ﻤﻥ ﺍﺠل ﻤﺴﺎﺀﻟﺔ ﺍﻟﻨﺹ ﺒﻌﻴﺩﺍ ﻋﻠﻰ ﺍﻟﻘﺭﺍﺀﺓ ﺍﻟﻤﺴﻁﺤﺔ .ﺍﻨﻪ ﻤﻥ ﻨﻭﻉ ﺍﻟﻨﺼﻭﺹ ﺍﻟﺘﻲ ﺘﺘﻴﺢ ﻨﻭﻋﺎ ﻤﻥ
ﺍﻟﻌﻨﻑ ﺍﻟﻤﺘﻀﻤﻥ ﻓﻲ ﺜﻨﺎﻴﺎ ﺍﻟﻜﺘﺎﺒﺔ .
ﻷﺠل ﺫﻟﻙ ,ﺴﻌﻴﻨﺎ ﺇﻟﻰ ﺍﻹﺠﺎﺒﺔ ﻋﻠﻰ ﺍﻟﺘﺴﺎﺅل ﻁﻴﻠﺔ ﻫﺫﻩ ﺍﻟﺩﺭﺍﺴﺔ ﻋﻥ ﺘﺠﻠﻴﺎﺕ ﺍﻟﻌﻨﻑ ﻓﻲ ﻫﺫﻩ ﺍﻟﻜﺘﺎﺒﺔ.
ﻭﺴﻌﻴﺎ ﻤﻨﺎ ﻟﻺﺠﺎﺒﺔ ﻋﻥ ﻫﺫﺍ ﺍﻟﺘﺴﺎﺅل ﻓﻘﺩ ﻭﻅﻔﻨﺎ ﺠﻤﻠﺔ ﻤﻥ ﺍﻷﺩﻭﺍﺕ ﻭﺍﻟﻤﻌﺎﺭﻑ ﺍﻟﻨﻅﺭﻴﺔ ﻤﻨﻬﺎ ﻤﺎ ﻴﺘﺼل
ﺒﺎﻟﻌﻠﻭﻡ ﺍﻹﻨﺴﺎﻨﻴﺔ ,ﻭﺍﻟﻨﻘﺩ ﺍﻷﺩﺒﻲ ,ﻭﺒﺨﺎﺼﺔ ﻤﺎ ﻴﺘﻌﻠﻕ ﺒﺤﻭﺍﻟﻴﺔ ﺍﻟﻨﺼﻭﺹ ,ﻭﻋﻠﻡ ﺍﻟﻨﻔﺱ ﺍﻟﺘﺤﻠﻴﻠﻲ ﻭﻋﻠﻡ
ﺍﻻﺠﺘﻤﺎﻉ ﺍﻟﻨﻘﺩﻱ ﻭﻋﻠﻡ ﺍﻟﻌﻼﻤﺎﺕ...ﺍﻟﺦ ﺇﺫﺍ ﺍﻟﺘﺠﺭﺒﺔ ﺍﻟﺘﻲ ﻗﻤﻨﺎ ﺒﻬﺎ ﺘﻌﺘﻤﺩ ﻋﻠﻰ ﺍﻟﻌﺩﻴﺩ ﻤﻥ ﺍﻟﺘﺨﺼﺼﺎﺕ.
ﻭﺒﻌﺩ ﺘﺤﻠﻴﻠﻨﺎ ﻟﻠﻘﺼﺔ ﺘﻭﺼﻠﻨﺎ ﺇﻟﻰ ﺇﻥ ﻅﺎﻫﺭﺓ ﺍﻟﻌﻨﻑ ﺘﺨﺘﺭﻕ ﻤﺴﺘﻭﻴﺎﺕ ﺍﻟﻜﺘﺎﺒﺔ ﺍﻟﻤﺨﺘﻠﻔﺔ ﺒﺤﻴﺙ ﺇﻥ ﻜل
ﻋﻨﺎﺼﺭ ﺍﻟﺤﻭﺍﻟﻴﺔ ﻭﺒﺩﻭﻥ ﺍﺴﺘﺜﻨﺎﺀ ﺘﺤﻤل ﺸﺤﻨﺔ ﻫﺎﻤﺔ ﻤﻥ ﺍﻟﻌﻨﻑ ﺘﺨﺘﻠﻑ ﻨﺴﺒﻬﺎ ﺒﺤﺴﺏ ﻁﺒﻴﻌﺔ ﻫﺫﻩ ﺍﻟﻌﻨﺎﺼﺭ.
ﻭﻤﻥ ﺨﻼل ﺍﻟﻤﻌﻠﻭﻤﺎﺕ ﺍﻟﺤﻭﺍﻟﻴﺔ ﻤﺜل :ﺍﻻﺴﻡ ﺍﻟﻤﺴﺘﻌﺎﺭ ,ﺍﻟﻌﻨﻭﺍﻥ ,ﺍﻹﻫﺩﺍﺀ ﻭ ﺍﻟﻬﻼﻟﻴﺔ …ﺍﻟﺦ ،ﺃﻤﻜﻥ ﺍﻟﺘﻌﺭﻑ
ﻋﻠﻰ ﻨﻭﻉ ﺃﺨﺭ ﻤﻥ ﺍﻟﻌﻨﻑ ﻴﻤﺎﺭﺱ ﻋﻠﻰ ﺍﻟﻘﺎﺭﺉ ﺒﻁﺭﻴﻘﺔ ﻏﻴﺭ ﻤﺒﺎﺸﺭﺓ ﻭﻟﻜﻨﻬﺎ ﺸﺩﻴﺩﺓ ﺍﻷﺜﺭ .ﺜﻡ ﺘﻭﺼﻠﻨﺎ ﺇﻟﻰ ﺇﻥ
ﻜﺘﺎﺒﺔ" ﺨﺭﻓﺎﻥ ﺍﻹﻟﻪ" ﻟﻴﺴﺕ ﻤﻥ ﻨﻭﻉ ﺍﻟﻜﺘﺎﺒﺔ ﺍﻟﺴﻭﺩﺍﺀ ﺍﻟﺨﺎﻟﺼﺔ ﺒﺤﻴﺙ ﻴﻤﻜﻥ ﻭﺼﻔﻬﺎ ﺒﺄﻨﻬﺎ ﺒﻴﻀﺎﺀ ﺃﻱ ﻜﺘﺎﺒﺔ
ﺤﻴﺎﺩﻴﺔ ﻜﻤﺎ ﻴﻌﺭﻓﻬﺎ ﺭﻭﻻﻥ ﺒﺎﺭﺕ ﻓﻲ ﻜﺘﺎﺒﻪ "ﺍﻟﺩﺭﺠﺔ ﺍﻟﺼﻔﺭ ﻟﻠﻜﺘﺎﺒﺔ" ,ﻓﻲ ﺍﻟﺤﻘﻴﻘﺔ ﻟﻘﺩ ﻻﺤﻅﻨﺎ ﺃﻥ ﻫﺫﺍ ﺍﻟﻨﻭﻉ ﻤﻥ
ﺍﻟﻜﺘﺎﺒﺔ ﻴﻠﻌﺏ ﺩﻭﺭﺍ ﻤﺅﺜﺭﺍ ﻟﻨﻘل ﺍﻟﻌﻨﻑ.
ﻜﻤﺎ ﺤﺩﺩﻨﺎ ﺃﺸﻜﺎﻻ ﺃﺨﺭﻯ ﻟﻠﻌﻨﻑ ﺨﻼل ﺍﻟﻨﺹ ﻤﺜل :ﺘﺴﻤﻴﺔ ﺍﻟﺸﺨﺼﻴﺎﺕ ﻭﻋﺩﻡ ﺍﻟﺘﻭﺍﺯﻥ ﺍﻻﺠﺘﻤﺎﻋﻲ
ﻓﻴﻤﺎ ﺒﻴﻨﻬﻡ ,ﺍﺨﺘﻼل ﻤﺴﺘﻭﻯ ﺍﻟﺤﻭﺍﺭ ,ﻭﺍﻟﺘﻨﻭﻴﻊ ﺒﻴﻥ ﺍﻷﺠﻨﺎﺱ ﻭﺍﻷﻨﻤﺎﻁ ﺍﻟﻨﺼﻴﺔ...ﺍﻟﺦ .ﻭﻓﻲ ﺍﻟﻨﻬﺎﻴﺔ ﻓﺎﻥ ﺍﻟﺨﻁﺎﺏ
ﺍﻟﻤﺴﺘﻌﻤل ﻤﻥ ﻗﺒل ﺍﻟﻜﺎﺘﺏ ﺍﻅﻬﺭ ﺍﻷﺸﻜﺎل ﺍﻷﺨﺭﻯ ﻟﻠﻌﻨﻑ ﻓﻲ ﺍﻟﻜﺘﺎﺒﺔ ﻤﺜل :ﺍﻟﻤﺯﺝ ﺒﻴﻥ ﻤﺴﺘﻭﻯ ﺍﻟﻤﻜﺘﻭﺏ
ﻭﺍﻟﻤﻨﻁﻭﻕ ,ﺘﻭﻅﻴﻑ ﺍﻟﻤﻌﺠﻡ ,ﻭﻋﻼﻗﺎﺕ ﺍﻟﺘﺭﻜﻴﺏ ﺍﻟﻤﺨﺘﻠﻔﺔ.
DEDICACE
A mes Parents
Tous mes amis et collègues avec lesquels j'ai passé ces dernières années. Je
garderai un souvenir indélébile des échanges fructueux que nous avons eus
ensemble.
Introduction ………………………………………………………………………………………………….. 07
CHAPITRE PRELIMINAIRE
L'ALGERIE 1990 : LITTERATURE ET VIOLENCE
CHAPITRE I
LE PARATEXTE : UNE GRAPHIE DE L’HORREUR
I.2 Le titre…………………………………………………………………………………………………... 49
I.2.1 Approche titrologique du titre Les agneaux du Seigneur……………………… 50
I.2.2 Titre/pseudonyme : un signe homogène……………………………………………….. 54
I.3 La dédicace……………………………………………………………………………………………. 56
I.4 L’épigraphe…………………………………………………………………………………………… 59
4
Table des matières
______________________________________________________________________
CHAPITRE II
LA VIOLENCE DE L’ECRITURE : UNE ESTHETIQUE DE LA CRUAUTE
Conclusion …………………………………………………………………………………………………….. 97
5
___________________________________
INTRODUCTION
___________________________________
Introduction
______________________________________________________________________
2
Introduction
______________________________________________________________________
Le travail que nous avons entrepris, dans le cadre de notre mémoire de magister,
porte en titre: « La violence de l’écriture dans le roman algérien d’expression
française des années 90 : Le cas de ″ Les agneaux du Seigneur ″ de Yasmina
Khadra ». Il nous a été inspiré par :
Ainsi, ce contexte rongé par l’angoisse et le désespoir, voit naître une littérature
algérienne d’expression française subversive par sa thématique et même par sa forme.
Les écrivains algériens éprouvent ce désir de signifier la violence par l’écriture qui
constitue le fil d’Ariane les liant à leur quotidien. A ce sujet, Rachid Mokhtari
affirme:« Une nouvelle littérature algérienne a surgi de la réalité sanglante du
terrorisme : romans, nouvelles, récits, témoignages, essais, décrivent, racontent,
exorcisent de leur empreinte graphique, le malheur de l’Algérie depuis le début de la
décennie écoulée. » 2
1
A titre d'exemple : Si Diable veut de Mohammed Dib, Arris de Yamina Mechakra, Le serment des
barbares de Boualem Sansal et Des Rêves et des assassins de Malika Mokeddem.
2
R. MOKHTARI, La graphie de l’horreur, Chihab, Alger, quatrième de couverture.
7
Introduction
______________________________________________________________________
que tout le monde n’est pas écrivain » 3 , écrit Marguerite Duras dans un livre
d’entretiens paru quelques années avant sa mort.
Les romans noirs de Yasmina Khadra constituent l’un de ces exemples qui
reproduisent cette décennie de bouleversement et de violence. Officier supérieur de
l’armée algérienne, publiant sous un pseudonyme féminin (de son vrai nom Mohammed
Moulessehoul), il donne roman après roman, naissance à une œuvre originale et riche.
Ses premiers polars connaissent un certain succès en Algérie mais suscitent surtout
l’adhésion des lecteurs européens. En France, mais aussi en Allemagne et dans des
dizaine de pays 4 où ils sont traduits, ses romans sont très bien accueillis et le mystère
qui entoure l’auteur et sa fonction ne font qu’ajouter à l’intérêt que le public lui porte.
Par leur ton et par leur contenu, les romans noirs de Yasmina Khadra peuvent
être considérés comme de véritables témoignages du drame algérien. Dantec définit ce
genre comme « le récit d’une guerre privée entre la vérité et le mensonge, entre la
fiction et le réel : le réel ment. La fiction reste le seul moyen de le subvertir et de le faire
avouer. » 5 Nous pouvons suggérer que, plus peut-être que toutes les autres formes
littéraires, les romans noirs sont aptes à rendre compte des convulsions de la société
algérienne contemporaine.
C’est pourquoi nous nous proposons dans le présent travail d’étudier une de ses
œuvres, la plus traduite dans les années 90 Les agneaux du Seigneur (1998). Ce choix
du corpus et de la décennie nous le justifions par les raisons suivantes : d’une part, cette
date nous paraît être particulièrement symbolique, elle marque tout à la fois l’entrée de
l’Algérie – après les manifestations d’octobre 1988 – dans des temps de violence et de
profonds bouleversements économiques, sociaux et politiques, ensuite, dans Les
Agneaux du Seigneur, presque rien ne rappelle, les romans antérieurs de l’auteur, et son
3
Ibid., p. 14.
4
Les romans de Yasmina Khadra sont aujourd'hui traduits dans douze pays : Etats-Unis d'Amérique,
Grande-Bretagne, Portugal, Espagne, Hollande, Suisse, Allemagne, Italie, Autriche, Grèce, Turquie,
Pologne.
5
M. DANTEC, « Le goût du réel contre l’hyper-réalité de la postmodernité », in F. EVRARD, Lire le
roman policier, Dunod, Paris, 1996, p. 109.
8
Introduction
______________________________________________________________________
Cette étude présente, à notre sens, un double intérêt : d’un côté ce genre de roman
est assez inhabituel dans le paysage littéraire algérien et encore peu étudié par les
chercheurs, son développement dans les années quatre-vingt-dix en Algérie nous a donc
paru mériter attention ; de l’autre côté, cette écriture peut effectivement rendre compte
des convulsions de la société algérienne des années 90.
Écrit dans une langue dure qui se joue au mot, et une langue orale comme pour
renforcer cette interrogation sur l’écriture, le roman de Yasmina Khadra Les agneaux du
Seigneur refuse au lecteur le confort de l’évidence pour lui offrir une fiction violente
qui se manifeste à travers deux formes d’écriture : d’une part, une écriture qui présente
la violence comme thème ou l’écriture de la violence. L’auteur nous invite dans ce
roman à réfléchir sur les relations qui ont présidé à la naissance et à la montée de la
violence en Algérie, à travers la formation de groupes armés irréguliers : rancœur,
désillusion, frustration, pouvoir, terrorisme, intégrisme, règlement de compte, tels sont,
les moteurs principaux de la folie meurtrière que vont connaître les habitants de
Ghachimat et par extension, bien au-delà de cette fiction romanesque, ceux, de l’Algérie
tout entière.
9
Introduction
______________________________________________________________________
A cet effet, nous n’avons point hésité à emprunter nos concepts à diverses
disciplines qui composent le large répertoire pluridisciplinaire ; en l’occurrence la
linguistique, la psychanalyse, la sociocritique, la sémiologie. C’est donc à un exercice
interdisciplinaire que nous nous sommes livrés. Nous sommes-nous aussi livrés, sans
hésitation aucune, à des interprétations intuitives mais argumentées. Car, à la base de ce
travail, il y a, essentiellement, notre subjectivité, passion, curiosité et implication
comme élément-sujet de cet univers que nous nous proposons de décortiquer.
Cependant, nous sommes conscient que cette motivation risque d’amoindrir l’objectivité
de notre réflexion. Mais nous demeurons convaincus que cette prise de conscience nous
permet de prendre la distance qu’il faut au moment où il le faut. En un mot, la présente
approche critique, animée à la base par des raisons passionnelles, s’avère d’une passion
raisonnable. C’est ce qui lui confère toute sa dimension académique.
C'est pourquoi nous commencerons, dans un premier temps, par reposer le corpus
objet d’étude dans son contexte socio-politique et littéraire. Ce chapitre intitulé
préliminaire est nécessaire à la compréhension et à l’éclaircissement des événements
clés constituant le fond de notre roman Les agneaux du Seigneur. Le chapitre est centré
plus particulièrement sur des informations relatives à la situation sociale, politique et
littéraire de l’Algérie des années quatre-vingt-dix, les plus explicites tout au long du
texte étudié.
6
J. RICARDOU, Problèmes du Nouveau roman, Gallimard, Paris, p 20.
10
Introduction
______________________________________________________________________
Dans le second chapitre, il sera question d’un autre aspect de la violence : celui de
l’écriture ou plus justement La violence de l’écriture : une esthétique de la cruauté. Ce
dernier chapitre s'attachera principalement à montrer les particularités de cette écriture à
partir des études textuelles. Nous essayerons de soutenir d’abord que l’écriture de Les
Agneaux du Seigneur n'est pas uniquement une écriture noire, mais qu'elle peut aussi
être désignée d’écriture blanche telle que Roland Barthes la définit dans son ouvrage Le
Degré zéro de l'écriture. Dans cette section intitulée -une radiographie en « noir et
blanc » nous expliquerons comment Yasmina Khadra a réussi à rendre son écriture
épurée de toute sentimentalité et beauté, et comment ce type d’écriture joue un rôle dans
la transmission de la violence.
11
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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______________________________________
CHAPITRE PRELIMINAIRE
L'ALGERIE 1990 :
LITTERATURE ET VIOLENCE
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L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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Enfin, une bibliographie de l’auteur des années 90, est indispensable pour
démontrer que l’étude de la violence n’est pas un hasard littéraire. Ce regard sur
l'auteur et ses œuvres nous permet également de savoir à quel point la thématique de la
violence a marqué l'écriture de Yasmina Khadra.
1
R. MOKHTARI, op. cit., p.203
2
Le Pouvoir politique en Algérie a toujours refusé d’utiliser cette expression de « guerre civile ».
13
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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Les débuts des années quatre-vingt-dix sont, en Algérie, celles d’une crise
économique marquée par des bouleversements socio-politiques. A ce propos, Najib
Redouane et Yamina Mokaddem dans la présentation de leur ouvrage, Algérie, 1989,
écrivent : « Il est des dates qui, dans le devenir des pays, ont marqué profondément la
vie politique et sociale, culturelle et artistique des générations qui ont suivi. » 3
Cette décennie a en effet subi, de la manière la plus radicale, les effets de deux
événements particuliers qui nous paraissent fondamentaux dans ce contexte : les
émeutes d’octobre 1988 et l’interruption du processus électoral en décembre 1991.
Avant de tenter d’expliquer ces événements essentiels, nous proposons un survol du
concept de violence, qui nous permettra de comprendre l’atmosphère de la décennie.
Le concept ainsi désigné -la violence- a été abondamment traité sous toutes ses
facettes au cours des années 90. De grands reportages ont paru sur le sujet à la télévision
et dans les quotidiens à grand tirage 4 . Des romans, des écrits de philosophes, et des
travaux en sciences humaines ont investi ce concept intégralement - l’enfermer dans une
définition unique serait donc une gageure. Chaque auteur qui a cherché à cerner le
concept a proposé sa définition. Aucune étude n’est cependant parvenue à le
circonscrire de façon exhaustive. Ainsi, la plupart des auteurs affirment la difficulté de
définir la violence. A ce propos Patrick Baudry écrit : « Il n’y a pas de définition
satisfaisante que l’on puisse produire de la violence (…) définir la violence est donc
inutile, douteux mais aussi monstrueux…» 5
Ces précautions prises, nous revenons à une définition extraite d’un dictionnaire
contemporain, le Robert par exemple qui donne les définitions suivantes :
3
N. REDOUANE et Y. MOKADDEM, Algérie, 1989, La Source, Toronto, 1998, p. 11-12.
4
En Algérie, le pouvoir politique a fait des journalistes des fonctionnaires de l’Etat. Le système a institué
la censure ou l’autocensure. Jusqu’en octobre 1988, il n’y avait qu’un seul quotidien en français, El
moudjahid, journal du parti unique le "FLN". L’Algérien était soumis quotidiennement à une information
gouvernementale élaborée, conçue et confectionnée selon les vœux de ceux qui gouvernaient. Les
événements d’octobre 1988 ont modifié le système et l’ont obligé à adopter le multipartisme. Le système
de l’information a lui aussi connu quelques changements : l’adoption d’un nouveau code de l’information
(avril 1990) et la naissance de la presse indépendante et partisane.
5
P. BAUDRY, violence, soins et tiers social, Jalmalv, Paris, 1996, p. 46.
14
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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Retenons également que Laborit se fonde dans sa définition sur l’existence d’une
volonté de domination. En fait, certaines personnes ont systématisé le principe de la
sélection naturelle en loi fondamentale de la société, de lutte pour la vie où les plus forts
finissent par imposer leur loi aux plus faibles, comme le note Bigeard :
« La violence, ce sont non seulement des faits, mais tout autant nos manières
de les appréhender, de les juger, de les voir (et de ne pas les voir). (…) La
relativité et l'indéfinissabilité du concept de violence ne sont pas accidentelles
6
Le Petit Robert, Dictionnaire de la langue française, Paris, 1989.
7
E.CALAIS. R., DOUCET, Thèmes de culture générale et littéraire, Magnard, Paris, 1999, p. 97.
8
J.-M. BIGEARD, La violence, Larousse, Paris, 1979, p. 10.
15
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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• Les guerres : qui sont plus meurtrières ; elles impliquent davantage les civils
et mobilisent plus de participants et de victimes innocentes (1914-1939) ; elles peuvent
avoir plusieurs formes : soit entre États, soit entre groupes politiques ou sociaux à
l'intérieur du même pays (les guerres civiles et les conflits intérieurs).
9
Y. MICHAUD, La violence, Que sais-je ? Paris, 1999, p. 15.
10
En répondant à une question dans le même ordre d'idée, Rousseau pensait que l'homme est
naturellement bon, Hobbes qu'il est plutôt naturellement méchant. Alors, Hobbes ou Rousseau ? Yasmina
Khadra à répondu : « Je pense que l’homme est le croisement de l’ange et du démon. Il est
fondamentalement bon et forcément méchant. » (Cf. infra : annexe1, p. 106)
11
Ce postulat a été abordé aussi par T. HOBBES avec sa formule « l’Homme est un loup pour
l’Homme».
12
Ibid., p. 09.
16
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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« Pendant des jours entiers, ces jeunes vont parcourir les rues, détruisant tout
ce qui symbolisait la “ hogra“ [définie comme « la violence feutrée,
insidieuse et méprisante »] qu’ils subissaient jusque-là. Sans Dieu ni maître
serait-on tenté de dire. Sans autre but que celui de casser. » 15
13
A. ELLYAS, "Les Leçons oubliées des émeutes d’octobre 1988", Le Monde diplomatique, mars 1999,
p. 08.
14
Ibid.
15
Z. ALI-BENALI, « Voici venir le temps des possibles ?… », in N. REDOUANE, Y. MOKADDEM,
rupture tragique ou rupture féconde, La Source, Toronto, 1999, p. 43.
16
CH.-R. AGERON, Histoire de l'Algérie contemporaine, Que sais-je, Paris, 1994, p. 124.
17
Parti politique algérien né de la fusion de divers mouvements nationalistes à la veille de la Révolution
algérienne, qui a conduit son pays à l'indépendance. De 1962 à 1989, le FLN a été le parti unique de
l'Algérie indépendante.
17
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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politiques voient le jour entre 1989 et 1990, dont la plupart participeront aux élections
législatives prévues en juin 1991. Par ailleurs, de nouveaux hebdomadaires sont créés
durant cette période, des mouvements culturels se développent et des associations
indépendantes de femmes et d'autres groupes se forment. 18
18
19
Créé en mars 1989 et légalisé en septembre de la même année, dans le cadre de la Constitution du 23
février et de la loi du 5 juillet relative aux associations à caractère politique, ce parti religieux est
rapidement devenu une force politique incontournable du champ politique algérien.
20
O. MONGIN et L. PROVOST, « 1997 : Normalisation politique et violences massives », in J.-R. Henry
Les violences en Algérie, Odile Jacob, Paris, 1998, p. 214.
18
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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Il est certain que la violence qu’a vécue l’Algérie pendant les années quatre-vingt-
dix, est incompréhensible si on ne tient pas compte des liens complexes entre des faits
et des intérêts historiques, économiques, sociaux et politiques que ceux-ci soient de
nature nationale ou bien internationale. Mais également, et c’est ce qui nous intéresse en
premier lieu, c’est de savoir comment cette violence a été introduite dans la littérature
algérienne d’expression française. C'est ce qui fera l’objet des lignes suivantes.
Plongés au cœur de ce qui nous est présenté (par l’ensemble des journaux et des
revues périodiques ) comme une guerre civile, un grand nombre de civils, surtout des
intellectuels – écrivains, journalistes, metteurs en scène, musiciens, universitaires – et
beaucoup d'autres n’échappent pas à la barbarie, qui dès les débuts de la crise les prend
pour cible comme l’affirme R. Boudjedra: « Chaque fois que le sang des innocents a été
cruellement déversé par la horde sauvage, les écrivains, si nombreux de cette décennie,
l’ont recouvert avec l’écriture, ou plus exactement avec l’encre de l’écriture. » 22
21
G. GRANDGUILLAUME, « Comment a-t-on pu en arriver là ? », in J.-R. Henry Les violences en
Algérie, Odile Jacob, Paris, 1998, p. 7.
22
R. BOUDJEDRA, « Le palimpseste du sang », in R. MOKHTARI, op. cit., p. 15.
23
R.BOUDJEDRA, Timimoun, ANEP, Alger, 1994, p. 90.
19
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
_____________________________________________________________________________________
24
B. CHIKHI, Littérature algérienne, désir d’histoire et esthétique, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 221.
25
N. SAADI, Interview dans le quotidien Le Soir d’Algérie, n°1736, 19 juin 1996, p.10.
26
R. BOUDJEDRA, « La littérature et la guerre », El-Watan, 06 Janvier 2005, p.08.
27
Ibid., p.14.
20
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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Les confusions qu’a vécue l’Algérie pendant les années quatre-vingt-dix ont
certainement un déterminisme majeur dans la prolifération de la production littéraire
D’une part, parce que, comme nous le suggérions auparavant, la réalité tragique n’a pas
étouffé la production littéraire algérienne mais a, au contraire, mobilisé une parole
multiple. D’autre part, parce que les événements algériens ont rendu particulièrement
visible la production algérienne chez les éditeurs et les médias internationaux.
28
R. MOKHTARI, op. cit., quatrième de couverture.
29
A, LAGHOUATI, La fête confisquée, Association culturelle Noudjoun, Médéa, 1992.
21
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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Enfin, nous signalerons la place cruciale qu’occupe les témoignages dans les
années quatre-vingt-dix, qui sont souvent le fait des femmes ; nous citerons par exemple
les récits de Malika Boussouf, Vivre traquée 30 , de Leïla Aslaoui, Survivre comme
l’espoir 31 . En parallèle à ces témoignages, d’autres œuvres féminines s’affirment ; des
romans féminins, parfois à forte dimension autobiographique, sont publiés, tels ceux de
Malika Mokaddem, Latifa Ben Mansour ou encore les nouvelles de Maïssa Bey et son
roman, Au commencement était la mer 32 .
30
M. BOUSSOUF, Vivre traquée, Calmann-Lévy, Paris, 1995.
31
L. ASLAOUI, Survivre comme l’espoir, Media-Plus, Constantine, 1994.
32
M. BEY, Au commencement était la mer, Marsa, Alger, 1996.
22
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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premiers temps, laisse la place avec la parution de Nedjma de Kateb Yacine à une
esthétique plus directement iconoclaste. Ce texte publié en 1956 marque à la fois une
rupture et un commencement pour l’ensemble de la littérature maghrébine. Il opère, en
effet, un renversement de tous les modèles narratifs, et principalement descriptifs, qui
existaient jusqu’alors.
Il faut attendre la fin des années soixante pour qu’en dignes successeurs de Kateb,
les écrivains algériens de la troisième génération – Bourboune, Farès, Boudjedra, pour
ne citer que quelques-uns – développent une esthétique violemment négative qui exalte
l’écart et la déviation par rapport aux conventions stylistiques. La manifestation la plus
connue de ce que nous pouvons sans aucun doute considérer comme une seconde
naissance du roman algérien est La Répudiation (1969) de Rachid Boudjedra. Dans ce
roman, en effet, s’exprime violence et révolte individuelle dans une langue mise en
pièce par une écriture éclatée qui joue de tous les registres et de tous les genres. Pour
Charles Bonn, La Répudiation est « la manifestation scandaleuse de deux paroles
indicibles dans le système clos du discours algérien convenu : celle de la sexualité et
celle de la mémoire. » 33
Les années quatre-vingts marquent, en effet, la fin de ce que les critiques ont pu
nommer les monstres sacrés. Les grands écrivains iconoclastes, s’ils continuent à
produire, le font avec des ambitions littéraires moindres. Rachid Boudjedra délaisse la
violence du texte théorisée à propos du Maroc par Marc Gontard 34 pour revenir avec
des romans comme Timimoun (1994) ou La Vie à l’endroit (très directement lié à
33
J. NOIRAY, Littératures francophones I. Le Maghreb, Belin, Paris, 1996, p.197.
34
M. GONTARD, op. cit.
23
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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l’actualité algérienne) à une écriture plus directement narrative. Dans le même temps, il
s’éloigne du domaine littéraire pour publier deux essais FIS de la haine en 1992 et
Lettres algériennes en 1995.
Ainsi, dans les écrits des années quatre-vingts, nous assistons à un envahissement
progressif du littéraire par le réel. De nouveaux écrivains apparaissent qui témoignent
d’un nouveau développement du roman algérien. Parmi eux, les plus célèbres sans
doute et les plus importants sont Rachid Mimouni et Tahar Djaout. Le premier s’est fait
véritablement connaître avec la publication en France du Fleuve détourné (1982) qui
reste encore très marqué par l’influence du Polygone étoilé de Kateb Yacine. Il atteint
sa véritable maturité littéraire deux ans plus tard avec la publication de Tombéza en
développant une écriture de l’horreur très éloignée dans la forme, par sa froideur et sa
concision, des recherches formelles précédentes. Tahar Djaout, de son côté, est connu
depuis 1975 pour son activité poétique ; son entrée dans le genre romanesque se fait en
1981 avec L’Exproprié texte hybride entre poésie et prose. Avec les romans suivants,
Les Chercheurs d’os (1984), L’Invention du désert (1987) et surtout Les Vigiles (1991),
il revient à une écriture plus limpide, à la fois tranquille et corrosive, dont la dimension
tragique présage cependant déjà des événements dramatiques des années qui vont
suivre.
35
G.HAMMADOU, «Littérature algérienne : l’empreinte du chaos », Le Matin n°2873, lundi 6 Août
2001.
24
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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Quant à Meïsa Bey, écrire dans une situation d’urgence est un acte d’engagement
et de dévoilement d’une réalité explosive avec des mots disant le refus de toute
complicité confortable ou subornation : « (…) La force des mots montre l’urgence de
dire l’indicible, de chercher le pourquoi de cette folie qui ravage l’Algérie. De refuser
le silence et la peur trop longtemps imposés.» 36
Les textes des écrivains algériens des années quatre-vingt-dix ne cessent de nous
interroger sur la finalité de l’écriture dans le contexte tragique qu’a connu l’Algérie
depuis le début de la décennie. Pourquoi, mais également pour qui (d) écrire ?
Nous verrons que le témoignage – non pas envisagé en tant que genre mais plutôt
en tant que thématique – semble être le passage obligé des auteurs contemporains.
36
M. BEY, Revue Algérie, Littérature /Action, n°5,1996, p.77
25
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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1.2.1 Le témoignage
Quant à Yasmina Khadra, elle déclare : « De mon côté, je tiens à dire que je ne
quitte pas des yeux les convulsions dramatiques de mon pays depuis le déclenchement
des hostilités. » 39
37
F. BOUALIT, « La Littérature algérienne des années 90 : témoigner d’une tragédie ? », in Algérie
Littérature/ Action, n°1, mai 1996, p. 93.
38
Ibid., p. 38.
39
Ibid., n° 22-23, juin-septembre 1998, p. 191.
26
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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Nous pourrions multiplier encore les exemples, ceux que nous avons retenus
suffisent, il nous semble, à inscrire les œuvres des années quatre-vingt-dix dans un
espace tragique où le témoignage devient, pour les écrivains, une sorte de nécessité.
Cet espace tragique est également convoqué par les éditeurs et les critiques
français : Albin Michel à propos de La Nuit sauvage écrit : « Mohammed Dib (…)
témoigne de ses tragédies [celles de l’Algérie] et de ses conflits. » 40
Enfin, nous pensons que le témoignage peut être conçu comme un moyen de dire
le drame algérien, ce qui ne pourrait l’être autrement. Nous pouvons étendre cette
réflexion à l’ensemble des textes publiés cette dernière décennie, puisque nous avons
montré précédemment que les écrivains des années quatre-vingt-dix entendaient
témoigner de la tragédie algérienne. Yasmina Khadra est l’un des écrivains qui ont
éprouvé ce désir de signifier la crise algérienne par une nouvelle écriture qui peut être
lue comme un témoignage exemplaire de la situation socio-politique des années 90.
Les romans de Yasmina Khadra des années 90, peuvent être lus comme un
témoignage exemplaire de la situation socio-politique qu’a connue l’Algérie. Ainsi,
notre corpus d’étude Les agneaux du Seigneur 42 présente une transition remarquable
dans l’écriture de l’auteur. Il nous a semblé important de revenir un instant sur la
spécificité de ces romans et sur les principaux thèmes traités.
40
M. DIB, La Nuit sauvage, Albin Michel, Paris, 1995, quatrième de couverture.
41
A. KHELLADI, Rose d’abîme, Seuil, Paris, 1998, quatrième de couverture.
42
Y.KHADRA, Les agneaux du Seigneur, Julliard, Paris. p.48.
27
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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D'après leur structure et leur contenu, les premiers romans de Yasmina Khadra 43 –
des années quatre-vingt-dix–, sont incontestablement des romans noirs. L’auteur a
montré souvent qu’il maîtrisait parfaitement les règles de ce genre – nous
développerons cet aspect plus loin –. Tandis qu'il jongle avec ceux-là de façon créative
au niveau du contenu et de la langue, la structure de ses romans suit sans innovations ou
variations le modèle du roman noir. Dans tous ses romans, c'est donc un crime –
l'assassinat ou la disparition d'une personne – qui se trouve au début des enquêtes du
Commissaire Llob. Parallèlement aux recherches du commissaire et de ses collègues
cernant de plus en plus les suspects, la série de crimes se poursuit, et Llob découvre
toujours de nouvelles victimes jusqu'à ce qu'il arrive, à la fin du roman, à arrêter le(s)
meurtrier(s).
A part les éléments formels, ces romans sont aussi liés sur le plan du contenu :
d'abord par le lieu de l'action, toujours le même, qu’est Alger et ensuite par des
personnages récurrents dans tous les romans. Quant aux personnages, il faut surtout
mentionner le Commissaire Llob 44 , le protagoniste des romans qui occupe le poste de
commissaire dans la police d'Alger, qui est père de quatre enfants et un mari grognon
43
Après Le Dingue au bistouri et La Foire des enfoirés parus en Algérie sous le nom du protagoniste de
la série, le Commissaire Llob, la «trilogie française »–c'est-à-dire Morituri , Double blanc, et L'Automne
des chimères) –fut publiée en France sous le pseudonyme féminin de Yasmina Khadra. En septembre
1999, l'auteur a révélé partiellement son identité et avoué que Yasmina Khadra n'est pas une femme mais
un homme qui n'a pas les moyens de s'identifier."Yasmina Khadra lève une part de son
mystère".Entretien avec Yasmina Khadra, propos recueillis par J-L DOUIN, Le Monde (10
septembre1999)
44
En arabe, le nom Llob veut dire « noyau dur, coeur pur » ; Marie-Ange Poyet,"Préface", in Y.
KHADRA, Morituri, 1997, p. 10.
28
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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mais tendre; il y a ensuite ses collègues l'inspecteur Serdj et l'inspecteur Dine, puis le
patron haï, et confident de ce dernier, l’inspecteur Bliss. Au cours des romans, le lecteur
devient familier avec tous ces personnages, avec leurs petits et grands problèmes, et il
les accompagne dans leur vie quotidienne et durant leurs aventures.
29
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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livre, qui reprend en blanc, vert et rouge les couleurs du drapeau algérien ; elle montre
une carte de l'Algérie déchirée par un couteau –un pays blessé et sanglant, ébranlé par
des vagues de terrorisme. 45
En somme, les romans noirs de Yasmina Khadra offrent un éventail de thèmes très
varié : frustration de jeunes, trahison de la patrie, patriotisme, et intégrisme…etc. qui
évoque d'une manière claire, au-delà du crime, les conditions de vie d'un peuple assigné
à résidence pour cause d'absence de droits. Au fond, Yasmina Khadra présente d’une
manière implicite, une crise de valeurs pour un peuple qui n'a ni contrat social ni justice.
En faisant la démonstration de l'absence de justice ou de l'impossibilité de son
application, il montre à quoi sont réduis les hommes quant il s’agit de l'instinct de
45
Cf. infra : annexe5, p. 114.
46
Y. KHADRA, Double blanc, Baleine, Paris, 1997, p.133.
30
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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survie, et quand il n'y a plus que cela pour réguler une société, il n'y a plus de bien
collectif.
Après la publication de ces cinq romans noirs parus entre 1990 et 1998, et à
l'aggravation de la situation en Algérie Yasmina Khadra a changé de genre en publiant
Les agneaux du Seigneur 47 1998 et A quoi rêvent les loups1999. 48 Dans ces deux
romans, presque rien –sauf le thème principal, de la guerre civile en Algérie–ne
rappelle, à première vue, les romans précédents de l'auteur, ni les remarques ironiques
du protagoniste de la série noire, ni les passages humoristiques et les jeux de mots
drôles mais critiques. Dans Les agneaux du Seigneur par exemple le lecteur ne trouve
plus de personnage principal qu'il suit avec émotion et curiosité, mais un grand nombre
de personnages dont il poursuit les cruautés sans vouloir croire que de telles réactions
soient possibles :
« Regarde ta famille, dit Smail au maire (…). Tu vas assister à leur mort. Nous
allons les égorger sous tes yeux, les uns après les autres, ensuite nous sodomiserons
ta femme, puis nous lui crèverons les yeux, lui arracherons les doigts et la peau du
dos, lui découperons les seins et nous l’écartèlerons avec une scie à métaux. Et
quant nous en aurons fini avec les tiens, j’aspergerai personnellement ton corps
d’essence et te flamberai avec joie. Tu as voulu jouer avec le feu. Je t’apporte celui
de l’enfer. » 49
À quoi rêvent les Loups est le dernier roman publié dans les années 90. C’est
l'histoire d'un de ces jeunes, Nafa Walid que Yasmina Khadra décrit avec réalisme.
Histoire d'une dérive inévitable vers l'horreur d'un jeune déboussolé qui, d'une
opposition à sa famille et à ses amis, en arrive à perdre tout repère. Lui qui rêvait de
cinéma, de carrière d'acteur, de gloire et de fortune, se trouve entraîné dans le
cauchemar de la violence et la folie meurtrière les plus abominables.
47
Y.KHADRA, Les agneaux du Seigneur, Julliard, Paris, 1998.
48
Y.KHADRA, A quoi rêvent les loups, Julliard, Paris, 1999.
49
Y.KHADRA, op. cit., p.163.
31
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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mémoire, dissimule dans ces plis et replis une violence intensive qui, de ce fait,
distingue Les agneaux du Seigneur d’autres romans.
Cette réflexion servira donc de point de départ à notre étude et nous
commencerons d'abord, par l’écriture du paratexte qui présente une importance
considérable dans notre cas pour une double raison. D’une part, parce que le paratexte
est le premier élément qui interpelle le lecteur. D’autre part, il est lui-même générateur
de violence.
32
Chapitre I : Le paratexte : Une graphie de l’horreur
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CHAPITRE I
LE PARATEXTE : UNE
GRAPHIE DE L’HORREUR
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Chapitre I : Le paratexte : Une graphie de l’horreur
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Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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Grâce aux éléments paratextuels, l’auteur se donne à lire pour son lecteur. La
communication littéraire suit alors son cours habituel : le public visé est si large que
l’auteur, ainsi que la maison d’édition tentent de répondre à son attente par le choix des
éléments paratextuels. Il ne faut pas perdre de vue que le roman est un produit de
consommation.
« existe […] autour du texte du roman, des lieux marqués, des balises, qui
sollicitent immédiatement le lecteur, l’aident à se repérer, et orientent,
presque malgré lui, son activité de décodage. Ce sont, au premier rang, tous
les segments de texte qui présentent le roman au lecteur, le présentent, le
dénomment, le commentent, le relient au monde : la première page de
couverture, qui porte le titre, le nom de l’auteur et de l’éditeur, la bande-
annonce ; la dernière page de couverture, où l’on trouve parfois le prière
d’insérer ; la deuxième page de couverture, ou le dos de la page du titre, qui
énumère les autres oeuvres du même auteur ; bref, tout ce qui désigne le livre
comme produit à acheter, à consommer, à se conserver en bibliothèque, tout
ce qui le situe comme une sous-classe de la production imprimée, à savoir le
livre, et, plus particulièrement le roman. Ces éléments […] forment un
discours sur le texte et un discours sur le monde. » 56
54
G. GENETTE, Seuils, Seuil, Paris, 1987.
55
Ibid., p.07.
56
H. MITTERAND, cité par C. ACHOUR et S. REZZOUG, in Convergences critiques, Alger, OPU,
1990, p. 29.
34
Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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Ainsi, Mittérand rejoint dans le même ordre d’idée Genette, pour qui, le paratexte
est composé d’éléments disparates entretenant des interrelations entres eux. Ces
éléments permettent sans aucun doute l’accès au texte.
– le paratexte auctorial qui rassemble tous les éléments placés sous la responsabilité de
l’auteur.
– Le paratexte éditorial qui indique les éléments qui relèvent de l’implication de l’éditeur.
Ces deux catégories se subdivisent en deux sous-catégories :
– Le péritexte « [qui] désigne les genres discursifs qui entourent le texte dans l’espace du
même volume…» 57
– L’épitexte qui « [indique] les productions qui entourent le livre et se situent à
l’extérieur du livre. » 58
57
H. MITTERAND cité par Ph. LANE, in La périphérie du texte, Nathan, Paris 1992. p.14.
58
Ibid.
35
Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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PARATEXTE
Lecteur
(Consommation)
TEXTE
A travers ce schéma, nous constatons que la relation auteur/lecteur est une relation
de production et de consommation. A cet aspect littéraire se superpose l’aspect
36
Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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commercial, il apparaît évident que ces deux aspects sont indissociables et vont de
paire. Pour savoir comment un texte a été lu – consommé –, il faut d’abord savoir
comment il a été édité. Avant d’être soumis au public, le texte littéraire fait l’objet d’un
certain nombre de manipulations (corrections ou modifications), visant à l’adapter ou à
le situer dans la perspective d’un horizon d’attente particulier. Ainsi la première de
couverture est d’une importance majeure. C’est le moyen par lequel s’effectue le
premier contact entre le lecteur et le livre. Certes le contenu est incontestablement
primordial, mais le contenant et tous les éléments qui l’entourent ne sont pas négligés.
Ainsi, les éléments qui entourent le texte – paratexte auctorial ou éditorial– ont
pour rôle d’attirer le lecteur, de capter son attention et de susciter son intérêt. En somme
le contenu est la responsabilité de l’écrivain et la présentation du livre reste réservée
généralement à l’éditeur. La valeur ajoutée par le paratexte éditorial constitue l’une des
stations indispensables par lesquelles le texte doit passer pour produire son effet. La
procédure éditoriale et la démarche de commercialisation sont affranchies d’un certain
nombre de contraintes strictement commerciales, et pour ce faire la politique éditoriale
doit être en phase avec l’horizon d’attente du lecteur.
Le roman que nous nous proposons d’étudier est édité par différentes maisons
étrangères qui ont une certaine notoriété internationale. Lors de sa première édition, il a
été publié dans la collection de luxe Julliard. Après cette édition, le texte a été réédité
dans une publication de poche Pocket ce qui a permis au grand public d'accéder plus
facilement à ce roman 59 . Dans un même temps, cette publication montre le succès qu’a
rencontré le texte, ce que remarque également Genette : « L'édition de poche sera sans
doute longtemps synonyme de consécration. Par cela seul, elle est en elle-même un
formidable message paratextuel. » 60
59
Y. KHADRA nous a expliqué les raisons de ce passage de publication d’une version de prestige à une
autre de poche. A ce propos, il nous a précisé : « Un ouvrage est édité en poche pour bénéficier d'une
plus large audience. La fabrication n'est pas luxueuse, et le prix est grandement abordable ».
60
G. GENETTE, op. cit., p. 25.
37
Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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Nous pensons que la question de l'édition pose plusieurs problèmes dont celui
concernant le public du roman .En effet, pour les éditeurs occidentaux – les Français en
particulier – il semble bien que le public privilégié soit l'Occidental. D'autre part, le
choix de l'éditeur traduit le désir des auteurs –algériens– de voir leur roman publié
complètement et non pas avec des censures. De ce fait, ces éditeurs occidentaux dictent
souvent une politique éditoriale purement européenne qui néglige malheureusement les
particularités et les spécificités culturelles des autres publics. Ne somme-nous pas en
présence d’une forme de violence éditoriale ?
Pour l’édition de notre corpus, nous avons choisi la version originale de Julliard.
C’est une version qui contient peu de données paratextuelles. Il s’y trouve : le nom de
l’auteur (pseudonyme), le titre, la dédicace et l’épigraphe. La couverture représente les
couleur de la maison d’édition Julliard le blanc et le vert. 63
61
Pour la première édition de la version Pocket la première page de couverture représente un cimetière
et des femmes se recueillant sur les tombes de leurs proches et les pleurant. Quant à la deuxième
réédition, elle montre une femme voilée qui porte les photos de ses enfants avec un arrière plan rouge.
Ces deux couvertures expriment dès le premier regard de l’horreur et de la violence. L’auteur nous a
informé qu’il n’a pas été consulté pour l’intégration de cette couverture. (Cf. infra : annexe 4, p. 113.)
62
Cf. infra : annexe 1, p. 106.
63
Cf. infra : annexe 3, p. 111.
64
A cet effet, nous tenterons d’exploiter les réponses au questionnaire que nous avons adressé à l’auteur.
[Nous le remercions ici pour sa longue missive !]
38
Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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Le nom de l’auteur est l’un des premiers éléments que découvre le lecteur et qui
lui permet de mieux accueillir le texte. C’est un élément paratextuel important. Parfois,
il est suffisant pour la vente d’une œuvre. Il est soumis à des manipulations artistiques
qui lui confèrent une forme différente. Il peut être le nom civil de l’auteur, un
pseudonyme ou ne pas apparaître du tout. Lane remarque dans ce contexte que « le nom
de l’auteur constitue une inscription essentielle du paratexte puisque s’y conjuguent la
reconnaissance d’une appartenance d’un livre à un auteur (et à l’ensemble d’une
œuvre) et la mise en relation de l’ouvrage à la personnalité historique que désigne le
nom. » 65
65
LANE, op. cit., p. 42.
66
J. STAROBINSKI, cité par LANE, op. cit., p. 43.
39
Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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Les raisons qui ont poussé Khadra à dissimuler son identité sous ce pseudonyme
sont multiples et variées. D'une part, entrer en clandestinité comme il le dit dans une de
ses interviews : « Pour continuer d'écrire, justement. J'étais soldat. Mes six premiers
livres portaient mon vrai nom. Ma petite notoriété, en Algérie, a commencé à taper sur
le système de ma hiérarchie, qui a décidé de me soumettre à un comité de censure. J'ai
opté pour la clandestinité. Comme à la résistance. » 67 D'autre part, écrire à l'ombre
durant les années 90 était un moyen de salut face à la situation précaire du pays et
l’assassinat des intellectuels.
De ce fait, nous pensons que Yasmina Khadra a choisi, ce pseudonyme pour ses
vertus attractives car l’œuvre littéraire est destinée à la consommation. Quoi que nous
sachions pertinemment que ce pseudonyme est celui de son épouse comme l’atteste la
déclaration suivante : « J'ai opté pour un pseudonyme féminin pour rendre hommage
aux Algériennes en général et à mon épouse en particulier à qui j'ai donné mon nom
pour la vie et qui m'a offert le sien pour la postérité. » 68
Ainsi, le pseudonyme est constitué de deux mots : Yasmina, appellation arabe que
l’on donne à la gent féminine qui signifie fleur de jasmin, et Khadra perçu comme la
couleur verte, « la fleur du Jasmin est verte », telle est la signification littérale du
pseudonyme.
Par ailleurs, ce pseudonyme est basé sur un jeu de mot qui se manifeste comme
une masse homogène. Le mot « Yasmina » est au centre de ce jeu, qui peut être
remarqué de deux façons différentes. D’une part, le mot « Yasmina » fonctionne
comme une mise en abîme. Il est constitué de deux noms de femmes qui ont marqué la
vie privée et littéraire de l’auteur : « YasMina Khadra » qui est le vrai nom de son
épouse et au cœur de ce nom en trouve « Mina »nom d’épouse de son protagoniste le
Commissaire LIob. Cet emboîtement de noms attire l’attention et tente d’accrocher le
lecteur par la symbolique du jasmin, où se laisse entrevoir une certaine dose d’exotisme
et une sorte de perversion séductrice. L’auteur reprend ainsi une image déjà employée,
en Inde, par « Kama », le dieu de l'amour, qui atteint ses victimes par des flèches
auxquelles il attachait des fleurs de jasmin.
67
Cité in Maroc Hebdo International, n°672 -du 4 au 10 Novembre 2005, p. 41.
68
C. LECOMTE, « Le rêve de l'enfant-soldat », in www. Le Temps -Livres.com Samedi 8 octobre 2005
40
Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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Par ailleurs, « Yas » est un mot arabe défini comme le sentiment d’être
extrêmement malheureux, qui signifie en français le désespoir, la déception ou le
malheur. « Le désespoir de Mina » est le sens littéral du mot. Les événements des
années 90 ont rendus Mina plus dure et plus indépendante, aussi représente-t-elle toutes
les femmes algériennes dont les enfants fuient la terreur, femmes qui vivent dans la peur
permanente pour leurs proches et qui, impuissantes, sont obligées d'observer de chez
elles la suite des événements:
« Elle s'inquiète. Elle ne fait que ça. Son aîné est parti, sa grande se morfond
faute de prétendant, son mari est tête d'affiche aux olympiades terroristes (...)
Quand je sors, elle guette à la fenêtre. Quand j'ai cinq minutes de retard, elle
perd les pédales. Elle s'effiloche, Mina. Ses rondeurs, qui excellaient à
synchroniser mon pouls à leur déhanchement, se sont avachies. Son coeur ne
bat qu'effroi et furie. » 69
« Mina » est donc l’emblème de la femme fidèle et courageuse qui consacre sa vie
à son mari et à sa famille. C’est la femme qui fait tout pour que son mari soit satisfait.
C’est le même sentiment qui a amené la reine Cléopâtre, en Egypte, à aller à la
rencontre de son amant Marc Antoine dans un bateau dont les voiles étaient enduites
d'essence de jasmin.
69
Y. KHADRA, Morituri, Baleine, Paris, 1997, p. 134.
70
M.A. POYET, op. cit., p. 9.
41
Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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Le schéma suivant explique la technique et le jeu de mot utilisés par l’auteur dans
la composition de son pseudonyme.
L’épouse de
l’auteur
Mohammed
Moulessehoul
Commissaire
LIob
42
Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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Mina 71 est décrite dans les romans de l’auteur comme un personnage modeste et
instruit qui consacre sa vie à son mari et à sa famille. Pour elle, cela n'est pas un
sacrifice mais son devoir dans le cadre de la tradition algérienne. Elle fait tout pour son
mari, le chérit et lui obéit, et se culpabilise même lorsqu’elle ne parvient pas à le
réconforter. Mina s'est mariée dès l'âge de dix-sept ans, elle voulait devenir enseignante
mais Llob lui a interdit de travailler. Vingt-huit ans plus tard, elle assure toujours à son
mari qu'il a bien agi en lui interdisant d'aller travailler et qu'elle préfère être une maman
et une bonne épouse. Et elle l'est sans aucun doute dans le sens de la tradition
algérienne:jamais elle ne quitte la maison sans porter le voile; elle sait être belle rien
que pour son mari, elle est jolie, instruite et peut être présentée. Le Commissaire Llob
estime beaucoup son épouse, et il est convaincu que, dans le quartier entier, il n'y pas de
femme comparable à sa Mina. Pourtant, il ne lui parle jamais de son travail ni de ses
soucis, mais Mina le comprend sans rien demander. Elle sait se taire quand son mari est
de mauvaise humeur, et elle dort mal quand lui a des soucis et des problèmes. Le rôle de
Mina est bien fixé dans les romans:c'est celui d'une musulmane modèle.
Brahim LIob, quant à lui, est un père de famille exemplaire. Cette particularité du
personnage est mentionnée par les critiques algériens. L'un d'eux remarque entre autres
que « le personnage, en effet, n'a rien d'artificiel : il est tout entier inclus dans la
société, la société algérienne actuelle ». 72 Il est aussi enraciné profondément dans les
traditions du pays, il parle de son « éducation de musulman » 73 et se dit musulman
pratiquant. Il vit d'après les mœurs et les lois de la société traditionnelle rurale en
Algérie, lois qu’il force aussi sa femme et ses enfants à respecter. L'attitude
71
Le personnage de Mina n'est traité dans aucunes recherches ou études. Il serait pourtant intéressant de
savoir comment les lecteurs algériens surtout les femmes interprètent et comprennent ce personnage.
72
N. OURAMDANE, « Enigmes », Algérie Actualité, du 21 au 27 décembre 1993.
73
C. LLOB, La Foire des enfoirés, Baleine, Paris, 1993, p. 13.
43
Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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traditionaliste de Llob se reflète aussi dans sa conviction que la famille est le souverain
bien de chaque homme.
74
B. BRECHET, La bonne âme de Sé Tchouane, L’Arche, Paris, 1990.
75
Une interview de F. NAUDILLON in la revue Concordia français, Mars 2004 vol.3 n°5 in
www.concordiafrancais.org/mars2004/mar04_12.htm. Les Masques de Yasmina est le dernier livre de
l'écrivain et professeur d’'Université Françoise NAUDILLON publié aux Éditions Nouvelles du Sud.
L'auteur analyse le parcours médiatique et l'œuvre de notre auteur Mohamed MOULESSEHOUL.
76
M.-A. POYET, « Préface », in Morituri, Y. KHADRA, op. cit., p. 10.
44
Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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MOHAMMED MOULESSEHOUL
YASMINA KHADRA
MINA
LIOB
Le noyau
Le marié
Pseudonyme
Pseudonyme
Pseudonyme
Pseudonyme
Nom de l’auteur
45
Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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Par ailleurs, l’image du pseudonyme que l’auteur propose à ses lecteurs trouve
son fondement dans l’usage de ces deux attributs qui caractérisent la plante de jasmin à
savoir le blanc de la fleur et le vert du feuillage.
77
Encyclopédie électronique Encarta, [rubrique : La Schizophrénie] Microsoft, 2005.
78
Don Quichotte de la Manche est le héros du roman de Miguel de Cervantès publié en 1605 en Espagne.
C’est un personnage bon, noble et fou qui part tout seul en guerre contre le monde, qui vit dans ses
illusions et qui se bat contre des chimères. Quant à Dulcinée c’est la femme que Don Quichotte aime en
pensée et qu’il idéalise.
79
Y. KHADRA, La part de Mort, Julliard, Paris, 2004.
80
Encarta, op. cit.
46
Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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Par conséquent, la pureté impliquée par cette couleur est révélatrice du désir de
l’auteur d’être pur dans les propos qu’il a dans son texte. Ainsi, un contrat de véracité le
lie à son lecteur à qui il engage de mettre en scène des situations violentes sur la guerre
civile algérienne. Il en découle que, le pseudonyme engage non seulement la parole de
l’auteur mais celle de l’homme qui se cache derrière ce pseudonyme et qui engage
l’institution militaire à laquelle il appartient.
Pour ce qui est du second mot du nom Khadra, couleur verte en arabe, il est défini
comme, « une couleur, chimiquement la plus instable, elle symbolise l'espoir, la
fortune, bonne ou mauvaise, la chance ou la malchance, d’où son ambivalence » 83 . De
81
C.-P. HUMBERT, Dictionnaire des symboles, des rites et des croyances, Hachette, Paris, 2003 p.80.
82
Selon les cultures musulmane, chrétienne et juive.
83
C.-P. HUMBERT, op. cit., p. 413.
47
Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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même, Pastoureau, auteur d'Une histoire symbolique du Moyen -Age occidental, précise
qu’aujourd’hui le vert est devenu le symbole de l'instabilité,
On outre, le vert est l’emblème du salut pour l’islam dont le drapeau est vert, il est
aussi la couleur des plus grandes richesses, spirituelles tout autant que matérielles. Dans
la tradition musulmane, le vert est comme le blanc, une couleur de bon augure, symbole
de végétation. Il produit un effet sur les morts en leur transmettant l’énergie vitale,
aussi, place-t-on parfois des feuilles de palmier (vertes) sur des tombes 86 .
Par ce moyen, l’auteur cherche à brouiller les pistes. Le nom de l’auteur qui a pour
rôle d’accrocher, présenter et interpeller, laisse le lecteur en suspens. Sa fonction
poétique l’attire et son incompréhension le rebute. C’est un pseudonyme qui suscite
l’intérêt en même temps qu’il rend le sens inaccessible et réservé.
84
M. PASTOUREAU, « Le vert : celui qui cache bien son jeu », in www.Expresse.fr 26/07/2004
85
Pierre précieuse de couleur verte, utilisée en joaillerie.
86
Hadith du Prophète MOHAMMED (Q.S.S.S.L), in A. ASSKALANI, Fethe El Bari, Dar El Imam
Malek, Riyad, p.379.
48
Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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I.2 Le titre
Le titre est le deuxième élément paratextuel qui fait partie, selon l’expression de
Genette, des seuils du texte. Il est à la fois stimulation et début d’assouvissement de la
curiosité du lecteur. Cet élément important du paratexte est aussi à l’origine d’une
science assez récente : la titrologie 87 , a acquis depuis un certain nombre d’années (les
années 1970) une place importante dans l’approche des oeuvres littéraires. Selon
Duchet, le titre participe de la valeur publicitaire et commerciale de l’œuvre parce qu’il
« est un message codé en situation de marché : il résulte de la rencontre d’un énoncé
romanesque et d’un énoncé publicitaire ; en lui se croisent nécessairement littérarité et
socialité : il parle de l’oeuvre en termes de discours social mais le discours social en
terme de roman. » 88
Ainsi, Duchet rejoint, dans le même ordre d’idée, les publicitaires pour qui, le titre
ne doit pas être détaché du contexte social, ni de l’invention littéraire. C’est un élément
important qui permet au lecteur de formuler des hypothèses qui seront vérifiées lors de
la lecture.
Le titre, le plus travaillé par l’auteur mais aussi par l’éditeur pour répondre aux
exigences du marché littéraire, 89 indépendamment de sa fonction première qui est d’être
la porte d’entrée dans l’univers romanesque, participe de la médiation entre l’auteur et
le lecteur. Il joue alors un rôle important dans la lecture et remplit plusieurs fonctions :
87
L.-H. HOEK, op. cit., p.68
88
C. DUCHETC cité par C. ACHOUR et S. REZZOUG, op. cit., p.28.
89
A ce propos, l’auteur nous a confirmé dans une correspondance électronique que c’est lui qui a choisi
ce titre : « Le titre est de moi. L'éditeur intervient rarement dans le choix du titre, sauf lorsque l'écrivain
est consentant. […] Un auteur donne un titre à son ouvrage comme un père donne un prénom à sa
progéniture. »
90
L.-H. HOEK, op. cit., p.68.
49
Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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Partant de ces indications, nous allons tenter de lire le titre de Les agneaux du
Seigneur et de déchiffrer sa valeur.
91
C. ACHOUR et S. REZZOUG, op. cit., p. 29-30.
92
J.-R.R.TOLKEIN, Le seigneur des anneaux, Pocket, Paris, 2002.
93
T. HARRIS, Le silence des agneaux, Pocket, Paris, 1999.
50
Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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La première forme de violence qui peut être dégagé du titre réside dans cette
volonté de l’auteur de mettre sur un pied d’égalité Homme et animal, en réduisant à
l’extremum les valeurs humaines, qui sont en permanente dégradation.
Ainsi, si nous associons les deux images du titre agneaux et Seigneurs, nous
constatons qu’il s’agit d’un titre-personnage. C’est une mise en scène énigmatique des
personnages qui annonce ce droit de domination ou cette autorité possédée par
quelqu’un et la soumission totale des auteurs.
Les réflexions critiques du titre trouvent leurs fondement dans l’usage des deux
idées capitales : d’une part, il s'agit de la structure hiérarchique du pays et les
différences énormes entre les classes sociales – la pauvreté de la plus grande partie du
peuple algérien, et les richesses énormes d'une petite partie de la population. Cette idée
ce manifeste clairement dans l’organisation de Ghachimat qui se repose sur un
94
C’est autour de ces idées que l’auteur nous a expliqué comment il a inspiré ce titre: « Ce titre m'a été
inspiré suite aux témoignages d'un rescapé, miraculeusement épargné par le GIA lors du massacre de
Had Chekala (Relizane). Pendant les tueries, un terroriste s'est écrié, en tombant sur un petit enfant :"
Tiens, voilà un agneau". Et il l'a égorgé. Au nom du Seigneur. ». Cette idée par ailleurs se fait lire et est
développée par l’auteur tout au long du texte : « -Ils ont assassiné des nourrissons » « -Je te rappelle que
des enfants ont été massacrés », « Regarde Dactylo, [dira] Tej triomphant. Regarde partir en fumée le
douar des traîtres. Ou est donc passé son groupe d’autodéfense ? Ils croyaient m’intimider, avec leurs
rejetons. J’ai donné l’ordre à mes hommes de n’épargner ni les bêtes ni les nourrissons. N’est-ce pas une
fresque magnifique ! »
95
Le Petit Robert, Dictionnaire de la langue française, 1990.
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Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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soubassement fragile et sur un statut social admis par la force des choses, à travers la
frustration des uns face à l’arrivisme et l’aisance matérielle des autres. Cette structure
est composée d’un côté, des pauvres, parce que payant le lourd tribut de l’histoire Tels
Issa Osmane surnommé et son fils Tej ainsi que les laissés pour compte désœuvrés à
longueur d’année, les « hittistes » 96 comme Jafer, Mourad et son frère Boudjema ;
invétérés fumeurs de Kif ou Zane le nain dont la cruauté n’a d’égale que l’importance
de sa difformité physique. De l’autre, les riches, groupe social composé des parvenus
avec leur insupportable arrogance telle que la famille du maire ou celle de Ramdane Ich,
« Quel est ce Houbel surgi des ténèbres ? » Ils mon regardé avec dédain et
m’ont répondu : « C’est le mausolée du Martyr ? » J’ai dit : « Il y a des
cimetières pour les morts. » Ils mon crié, horrifiés : « la gloire a ses
monuments aussi. Nos enfants se doivent de s’abreuver aux sources de leur
histoire. » J’ai dit : «Où est donc cette gloire, à Riad el-Feth ? Dans ces
magasins interlopes où les caleçons sont exhibés comme des trophées ? Dans
96
Expression utilisée par les jeunes qui signifie littéralement « teneurs du mur » pour désigner les
chômeurs.
97
En 1984 fut célébré le trentième anniversaire de la révolution algérienne. A cette occasion, le parc Riad
el Feth, ensemble culturel et de loisirs, fut érigé au centre de la capitale algérienne. Cet ensemble est
dominé par un monument symbolique énorme, le Maqam ech Chahid, le monument aux martyrs, qui
forme aujourd'hui un grand signal au-dessus de la baie d'Alger. Trois palmes de béton de 90 mètres de
haut se dressent vers le ciel et protègent la flamme du héros et la crypte. C'est autour de ces symboles
critiques que les algériens le compare avec Houbel dieu mecquois d’avant l’avènement de l’islam.
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Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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ces bars où l’on s’enivre sans vergogne ? Dans ces cinémas obscurs où l’on
enseigne le voyeurisme béat ?... Où donc ce martyr au milieu de cette
tourbe ? »… Non mes frères, il n’ y a jamais eu de place pour les morts,
encore moins pour les démunis comme vous, à Riad el-Fesq…Là-bas règnent
seulement la cupidité des traîtres, les spéculations et la clochardisation d’un
peuple séduit et abandonné. » 98
Le Seigneur Houbel, et, dans un sens figuré, le FLN, qui, une trentaine d'années
après l'indépendance, se légitime toujours par cette victoire, y sont démasqués. De façon
symbolique, le FLN est donc rendu responsable de la misère du peuple algérien, il est
aussi accusé de ne pas prendre les Algériens au sérieux et même de les tromper.
Pendant une visite à Alger, cheikh Redouane se voit toujours confronté aux
mêmes images, et à maintes reprises, il tombe sur des jeunes frustrés et sans occupation,
qui se trouvent partout à Alger, adossés aux murs des bâtiments désolants. Il s'agit
des jeunes chômeurs qui tuent le temps dans les rues d'Alger, parce qu'ils n'ont pas
d'autre occupation. Y a rien, pas de culture, pas de boulot, pas d'aspirations. cheikh
Redouane qui critique donc l'Etat (Seigneur), incapable de donner du travail et des
perspectives à la jeune génération, et incapable aussi de leur procurer une responsabilité
face à leur patrie. Ainsi les attaques de cheikh Redouane ne s'adressent pas seulement à
l'Etat, mais aussi à la jeunesse elle-même, qui n'est plus prête à lutter pour son droit
dans sa patrie et qui préfère fuir et imiter l’occident comme les moutons ( agneaux) de
Panurges.
Après avoir passé donc la définition du titre et sa relation avec le texte nous
pouvons dire d’ores et déjà que ce titre est thématique qui à un rapport particulier au
contenu du texte, car il entretient une relation avec le contenu du roman qu’il dénomme.
Le titre de Yasmina Khadra suggère donc les symboles des personnages qui sont en
relation direct avec le texte . Genette, à ce propos affirme qu’
98
Y. KHADRA, op. cit., p.68.
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Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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Ainsi, ce titre est « un élément du texte global qu’il anticipe et mémorise à la foi.
Présent au début et au cours du récit qu’il inaugure, il fonctionne comme embrayeur et
modulateur de lecture » 100 C’est ainsi que nous retrouvons ces agneaux du Seigneur
tout au long du texte : « les loups [seigneurs] sont lâchés, l’agneau ferait mieux de
regagner sa bergerie » 101 et « ils ont assassiné des nourrissons » 102
Une autre image qui véhicule l’idée de violence, celle qui réunir le pseudonyme et
le titre. Les mots de ces deux éléments paratextueles se tissent entre eux de telle sorte
qu’ils dégagent les trois couleurs du drapeau national à savoir le blanc, le vert et le
rouge.
99
G. GENETTE, op. cit., p.78.
100
C. ACHOUR et S. REZZOUG, op. cit., p. 30.
101
Y. KHADRA, op. cit., p.72.
102
Ibid., p.166.
103
Cf. infra : annexe1, p. 106.
104
Ibid
54
Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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Pseudonyme
Khadra
Yasmina Le vert
Le blanc
Agneaux Se(A)igneur
Le blanc Le rouge
(Saigner)
Titre
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Aujourd’hui l’Algérie est victime d’une autre violence celle des Seigneurs de la
guerre : la mafia politico-financière du (FLN) et l’intégrisme du (FIS). .Dans cette
image nous trouvons une critique implicite du système et des dirigeants qui, pour le
monde extérieur, font semblant de lutter contre les intégristes, mais qui, en réalité, les
soutient. Comme si l'auteur cherche a nous dire qu’il y a deux sortes de bergers parmi
les gardiens des peuples : ceux qui s'intéressent à la laine et ceux qui s'intéressent aux
gigots. Aucun ne s'intéresse aux agneaux (le peuple).
I.3 La dédicace
Nous entendons par cette appellation l'expression selon laquelle l’on destine une
œuvre à une personne ou à un groupe de personnes. Cet hommage n'est que symbolique
puisque la dédicace ne concerne que « la réalité idéale de l'œuvre elle-même » 105 .
Cependant, cette inscription n'est pas définitivement liée à l'œuvre comme le souligne
Genette dans Seuils « Un auteur peut en effet, toujours (...) supprimer ou modifier une
dédicace d'œuvre lors d'une nouvelle édition. » 106
Dans notre roman, l’auteur dédie son texte à ses parents : « à mon père et ma
mère ». C’est une dédicace privée qui a une formulation classique, que nous
retrouverons à plusieurs reprises. 107
105
G. GENETTE, op. cit., p.110.
106
Ibid., p.129.
107
Y.KHADRA nous a affirmé que ce choix dédicatoire n’avait aucun rapport avec le contenu du roman.
A ce propos, il écrit : « (…) Quant à la dédicace, je suis libre de l'insérer dans le texte comme libre de ne
pas la mentionner du tout. Tout à fait entre nous, je ne vois pas le rapport avec le contenu du roman.»
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Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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fait intervenir sa famille dans le seuil du roman, de l’univers romanesque, qui acquiert
ainsi un statut particulier. N’est-ce pas un indice pour rattacher l’univers vécu de
l’écrivain à celui, fictif, du roman ?
La dédicace que l’auteur propose à ses lecteurs trouve son fondement dans le
cadre qui réuni ses parents « la famille ». La fonction de cette dernière est celle qui
consiste à assurer l'équilibre émotionnel et affectif de ses membres, en particulier les
jeunes enfants. Elle est la première victime d’une violence qui ronge tout sur son
passage et qui n’épargne personne de ses malheurs. Souvent considérée comme espace
fondamental de la société, la cellule familiale connaît une sérieuse désagrégation. La
famille est le lieu par excellence de la perversion des valeurs sociales, les conflits la
traversent très profondément. Elle se retrouve marquée du sceau de la négativité et de la
suspicion. Les relations sont conflictuelles et caractérisées par une série d’oppositions,
travaillées par un certain nombre de rapports contradictoires.
D'une certaine manière, la dédicace dévoile l'itinéraire d'un enfant qui tente de
rattraper la vie et le destin qui lui échappe. L’enfant devra donc faire face jusqu’à l’âge
d’homme à une double violence :
108
Ibid., p.13
109
Ibid., p.37
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Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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aussi la brutalité de la vie à l'école des cadets : le clairon au petit matin, le matricule
remplaçant le nom, la tonsure, les pieds gelés, la discipline infernale des gradés plus ou
moins sadiques, les nuits remplies par les cauchemars des orphelins qui ont connu les
horreurs de la guerre coloniale. Seuls l'amitié avec certains compagnons d'infortune et
les souvenirs qui jaillissent mettent un baume de fraîcheur dans le cœur de l’enfant.
Cette relation « parents/fils » se fait lire et est développée par l’auteur tout au long
du texte. Des relations de désaccords et de conflits entre le père et son fils tel Hadj
Boudali et son fils :
« Je ne suis pas venu filer de la laine, vitupère Hadj Boudali. Cette situation
n’a que trop duré. Nous devons réagir, et tout de suite. J’ai laissé mon fumier
de fils pour mort, à la maison. Je n’ai pas mis au monde un garnement pour
subir son joug »
110
Ibid.
111
Ibid.
112
Y.KHADRA, op. cit.
58
Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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Nous nous proposons à présent de continuer notre étude par l'examen de la citation
mise en épigraphes.
I.4 L’épigraphe
L’épigraphe est une citation qui figure en exergue du livre, qu’un auteur place au
début d’un texte et nettement séparée de lui, pour éclairer le sens ou encore l’appuyer.
Dans les romans modernes, elle est peu utilisée, ce qui donne un aspect très classique au
texte. Son utilisation participe toutefois de la valeur de l’œuvre et permet d’inscrire la
pensée de l’auteur. La citation de A. Compagnon illustre mieux nos propos « L’auteur
abat ses cartes. Solitaire au milieu d’une page, l’épigraphe représente le livre - elle se
donne pour son sens, parfois pour son contresens -, elle l’induit, elle résume. Mais
113
Entretien de M. LAFIFI, « Nous sommes les otages d’une histoire travestie », Liberté 27 mai 2004, p.
08.
114
Ibid.
115
Ibid.
59
Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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d’abord elle est un cri un premier mot, un raclement de gorge avant de commencer
vraiment, un prélude ou une profession de foi… » 116
Selon une des thèses fondamentales de Nietzsche, « toute conduite humaine, est
motivée par la volonté de puissance. Dans son sens positif, la volonté de puissance n'est
pas uniquement synonyme de pouvoir sur les autres, mais signifie aussi le pouvoir sur
soi » 118
116
LANE, op. cit., p. 46.
117
Khadra admire beaucoup Nietzsche, il nous a expliqué cela en répondant à une question concernant
son utilisation itérative de quelques formules (citations) en guise d’exergues pour ses textes. Il écrit : «
J’ai pour Nietzsche une profonde admiration. C’est poète et philosophe d’une rare lucidité et d’un génie
absolument remarquable. S’il m’arrive de lui emprunter quelques formules en guise d’exergues pour mes
textes, ce n’est pas pure fantaisie. Ces formules illustrent généralement le contexte de mes écrits » (Cf.
infra : annexe1, p. 106).
118
Encyclopédie électronique, Encarta, 2005.
60
Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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Ainsi, le contenu de la citation exprime la pensée de l’écrivain qui peut être lue
doublement. D’une part, Yasmina Khadra, par le premier passage de la citation « Plus
d’un s’entend à brouiller et à maltraiter sa propre mémoire », semble prévenir le
lecteur que le contenu de son roman n’est qu’une suite de l’histoire de l’Algérie; à
travers la mise en scène des personnages ayant une relation avec la réalité historique
pendant la guerre de libération, tels les caïdes « les fêtes qu’on y organisait, les officies
dans leurs uniformes de jeunes dieux, les caïdes semblables à des sultans » 119 qui ont
trahie, « la mémoire collective » 120 et leurs fils « Kada Hilal [est un] Arrière-petit-fils
d’un caïd tyrannique… » 121 du peuple algérien et qui payent aujourd’hui le lourd tribut
tels Issa Osmane surnommé par les gens du village Issa la Honte:
« Issa a collaboré avec la SAS pendant la guerre. Il était alors le seul Arabe à
fréquenter le réfectoire des soldats français. Certes, ne mouchardait pas, ne
brutalisait pas les seins, cependant, il péchait à cultiver son embonpoint à
l’heure que les autres crevaient de faim et de fiel. A la fin de la guerre, les
maquisards lui avaient décidé de le crucifier sur place. Sans l’intervention de
Sidi Saim le vénéré, son cadavre aurait pourri sur la berge de la rivière.
A Ghachimat la rancune est la principale pourvoyeuse de la mémoire
collective. Aujourd’hui, Issa paie. Ses habits sont malodorants. Il mange
rarement à sa fin.
Lorsqu’il rase les murs, semblable à une ombre chinoise, il garde la tête
basse et se fait te petit… 122
119
Y. KHADRA, op. cit., p.148.
120
Ibid., p.148.
121
Ibid., p.13.
122
Ibid., p.19-20.
123
Ibid., p.152.
61
Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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région [qu’] il a le bras si long qu’il peut frapper où il veut et quant il veut ». 124 Ainsi
que les laissés pour et donner corps à leur soif de vengeance et de reconnaissance
sociale. « Je n’ai élevé Tej que pour me venger. Et je ne vais pas me gêner. » 125
Cette épigraphe est thématique dans le sens où elle introduit l’ouvrage et informe
le lecteur de ce que s’assigne l’auteur pour fonction. Cette fonction agit comme un
couperet attirant l’attention du lecteur qui sera curieux de lire ce roman. L’épigraphe
participe donc du rôle d’accroche de l’attention du lecteur à qui l’auteur lui-même
promet en évoquent cette citation.
L’intertitre, que nous définirons comme étant le titre intérieur d’une partie d’un
roman, est le plus proche du contenu du texte. Il permis au lecteur un contact plus
proche du texte. A l’opposé du titre de l’œuvre, l’intertitre n’est pas tellement
important. C’est ce qui fait qu’il existe dans certains nombres de romans alors que dans
d’autres, il est absent comme c’est le cas de notre corpus Les agneaux du Seigneur.
Khadra, dans son roman choisit, de ne pas utiliser d’intertitres 126 . Cette absence
est aussi significative que leur présence dans le roman. C’est ce qui est signifié du
moins par Genette dans Seuils en disant que « « l'absence peut être, ici comme ailleurs,
aussi significative que la présence » 127 .
124
Ibid., p 171.
125
Ibid., p.173.
126
Dans Les Agneaux du Seigneur l’auteur nous a justifié cette absence par le fait qu’il n’a pas jugé
nécessaire de donner d’intertitres aux différents chapitres : « L'écrivain est libre de construire son texte
comme cela lui convient. Si mes chapitres ne comportent pas "d'intertitres", c'est parce que je ne l'ai pas
jugé utile. Comme dans tous les romans, le fond repose sur la forme. Bien sûr qu'il y a un rapport. Sinon,
comment gérer le travail ? »
127 G. GENETTE, op. cit., p. 274.
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donnant aucune idée préconçue sur le texte ? Et de là, lui permettre d découvrir le texte
au fur et à mesure de sa lecture ?
Le titre global donne une idée très brève du contenu du texte. Sa fonction
d’accroche de l’attention du lecteur fonctionne dans le sens où il est promet un certain
plaisir à découvrir le contenu du roman. Ce plaisir se fera perduré d’autant plus
d’élément qui lui permet de se rapprocher du texte est absent. L’absence donc
d’intertitres ne peut-elle pas fonctionner comme « emballage » telle qu’il a été défini
par Achour et Rezzoug.
L’absence d’intertitres peut se lire aussi comme une volonté de la part de l’auteur
de ne pas se conformer aux normes d’écriture préétablies, comme elle répond de la
motivation de l’auteur qui veut faire planer les interrogations sur le texte. Ainsi le
lecteur découvrira pas à pas le texte ou est un désir de ne pas choquer le lecteur à
l’avance par la réalité qui frappe le pays.
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