Said Messati

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République Algérienne Démocratique et Populaire

Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique


***

UNIVERSITE KASDI MERBAH – OUARGLA


Faculté des Lettres et Sciences Humaines
Département des Langues Etrangères

Ecole Doctorale de Français


Antenne de l'Université Kasdi Merbah-Ouargla

mémoire
pour l'obtention du diplôme de

MAGISTER DE FRANÇAIS
Option : Sciences des textes littéraires

présenté et soutenu publiquement


par

Saïd MESSATI

Titre :

La violence de l’écriture dans le roman algérien d’expression


française des années 90
Le cas de ″Les agneaux du Seigneur" de Yasmina Khadra

Directeur de recherche :
Dr Foudil DAHOU

Année universitaire : 2006/2007


Chapitre II : La violence de l’écriture : une esthétique de la cruauté
______________________________________________________________________

______________________________________

CHAPITRE II

LA VIOLENCE DE L’ECRITURE :
UNE ESTHETIQUE DE LA CRUAUTE
______________________________________
Chapitre II : La violence de l’écriture : une esthétique de la cruauté
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II.1 Une radiographie en « noir et blanc »

Au cours des parties précédentes -chapitre préliminaire et premier chapitre-


nous avons mentionné, à plusieurs reprises, la place centrale que la critique sociale
occupe dans les romans noirs de Yasmina Khadra. Nous avons vu que cette place est
inséparablement liée aux images de la vie réelle. Depuis les années soixante-dix,
l’aspect sociologique joue, au plan international, un rôle de plus en plus important dans
les romans et surtout dans le roman noir -qui depuis une trentaine d’années manifeste le
souci de dévoiler une problématique politique ou sociale parallèlement à l’enquête du
détective. Au sujet de l’intégration d’une enquête sociologique dans le roman noir,
Vanoncini travaillant à partir du principe du « sociogramme » 113 , (terme emprunté à la
sociologie 114 ) identifie ses auteurs à des « radiologues de la société contemporaine ». 115
Comme notre étude a déjà tenté de le montrer,Yasmina Khadra compte
incontestablement parmi ces radiologues de la société algérienne et de son système
politique ; ce que constate aussi Lounès, critique du quotidien algérien El Moudjahid, en
des termes semblables à ceux de Vanoncini :

« Il [Yasmina Khadra] radiographie le corps social de la société algérienne,


mieux que ne l'avaient fait certains soucieux-logues algériens de réputation
internationale. D'ailleurs, tout son récit est une étude quasi-sociologique
[...]. » 116

Cette impression servira de point de départ à nos réflexions, et nous montrerons


d'abord, l’écriture noire dans Les agneaux du Seigneur en nous interrogeant, d’une
façon très générale, sur le contenu et la façon dont les événements ont été radiographiés
dans le roman. Puis nous approfondirons nos réflexions, en montrant que cette écriture
n'est pas uniquement une écriture noire, mais qu'elle peut aussi être désignée d’écriture

113
A.VANONCINI, Le Roman policier, Que sais-je ? , Paris, 1993, p. 105.
114
«En sociologie descriptive, figure ayant pour objet de représenter l'ensemble des relations
individuelles entre les différents membres d'un groupe. » Petit Robert, Dictionnaire de la langue
française, Paris, 1989.
115
A.VANONCINI, op. cit., p.107.
116
A. LOUNES, « Le polar et la manière : Le Dingue au bistouri de Commissaire Llob », in : El-
Moudjahid (30 juillet 1991). Dans son article, LOUNES fait allusion à l'influence des romans de Frédéric
Dard sur les romans policiers du Commissaire Llob. (Yasmina Khadra).

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Chapitre II : La violence de l’écriture : une esthétique de la cruauté
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blanche telle que Roland Barthes la définit dans son ouvrage Le Degré zéro de
l'écriture, 117 et qui, de ce fait, distingue Les agneaux du Seigneur d’autres romans.

II.1.1 Une écriture noire

Le lecteur du roman Les agneaux du Seigneur ne manque pas d’être frappé et


heurté par l’horreur qui se dégage de sa fiction. Une langue aux formes percutantes, des
images violentes, des situations narratives insoutenables traversent tout le roman. Cet
univers est une rupture et se fait proche d’un code d’écriture précis qui est celui du
roman noir. Ce genre romanesque que l’on peut présenter brièvement comme un sous-
genre du roman policier, où l’histoire du crime et celle de l’enquête se déroulent
parallèlement en s’entremêlant, est né aux États Unis après la Première Guerre mondiale
(1930); Evrard le définit comme « un roman de comportement et de violence » 118 et
insiste sur le fait que son caractère « sociologique et politique » 119 a permis un
renouvellement d’autres genres. Dans le roman noir, comme l’écrit Pons, il ne s’agit, en
effet, pas seulement « de résoudre une énigme, de trouver l’auteur du crime et de mettre
à jour ses mobiles, il s’agit de comprendre, en dépassant la sphère individuelle, les
dérapages, les accidents de parcours, à l’intérieur des déterminations sociales qui
pèsent comme une fatalité et qui sont la forme moderne du destin. » 120

Dans les Agneaux du Seigneur, nous sommes face à une fiction qui se déroule à
Ghachimat, petite bourgade algérienne, tranquille et paresseuse, «assise en tailleur au
milieu de ses vergers, pour se croire l'épicentre du monde» 121 . Dans les premiers
chapitres, rien, sauf le nom du village qui signifie «mort de misérables » 122 n'annonce
les événements horribles qui, au cours du roman, bouleverseront ce village calme que
rien ne distingue d'autres villages algériens. À Ghachimat, on se connaît depuis
l'enfance, on se dispute une place au café, on bavarde, on se jalouse, on s'affronte pour

117
R. BARTHES, Le Degré zéro de l'écriture, Seuil, Paris, 1993.
118
F. EVRARD, Lire le roman policier, Dunod, Paris, 1996, p. 160.
119
Ibid.
120
J. PONS, « Le roman noir, littérature réelle », Les Temps Modernes, n° 595, août-septembre-octobre
1997, p.07.
121
Y. KHADRA, op. cit., p.48.
122
Le nom Ghachimat se compose du mot arabe «ghachi »qui signifie «petites gens », «gens de petite
condition » et du mot «mat »qui veut dire, dans un sens très large, «mort » («Échec et mat !»).Ainsi, le
nom Ghachimat voudrait dire «des intouchables sont morts »ou bien «mort de misérables ».

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obtenir la main d'une fille, on étouffe sous le poids des traditions, on envie ceux qui ont
réussi et on méprise ceux qui sont restés dans la misère. Mais les événements d'octobre
1988, le déchaînement de la violence et la montée des intégristes changent la vie
quotidienne et les structures anciennes du village, même si les habitants ne veulent pas
encore y croire :

« Depuis octobre 88, qui a vu Alger s'insurger contre les ogres du régime, les
Frères musulmans émergent inexorablement de la clandestinité. La hiérarchie
tribale qui gérait le destin du douar, qui plaçait le droit d'aînesse au-dessus
des uns, et la piété filiale par-dessus tous, se voit chaque jour bousculé par les
jeunes contestataires. Les Anciens tentent de revenir à la charge, mais leurs
fréquentes tergiversations permettent aux ouailles du cheikh de gagner du
terrain, boulimiques, dangereusement expansionnistes. » 123

Peu à peu, les intégristes écartent les notables et les anciens du village, des amitiés
se brisent, des opprimés se transforment en des personnes ayant un avenir. Rien ne peut
plus cacher que l'ordre du village est bouleversé, que « la bête immonde se réveille », 124
et rien n'arrêtera le cours des événements. Le FIS gagne les élections communales,
l’ancien maire de Ghachimat, représentant local de l'État FLN, est remplacé par un
membre du FIS, « le hijab est imposé et la barbe exigée. Le village se mue en
forteresse, et la bonhomie de naguère se découvre de l'agressivité ». 125 Le café, lieu de
rendez-vous des habitants de Ghachimat, « ressemble à un mouroir », 126 devenant par
contrecoup le miroir des événements et des changements de mentalités. Les intégristes
commencent à constituer une armée parallèle ; la guerre sainte est décrétée à
Ghachimat, et les premiers cadavres cruellement mutilés apparaissent. «Le règne de la
terreur a commencé. La vallée entre dans un monde parallèle, jalonné d'atrocités.» 127 .

De fait, les intégristes expulsent tous ceux qui ne partagent pas leur foi et liquident
les étrangers qui refusent de quitter le village. Mais au lieu de réagir ou de condamner
les horreurs, les gens restent indifférents et ont plutôt tendance à justifier les tueurs et à
légitimer leurs actes cruels. Ce n'est qu'après deux ans de tuerie, que les habitants de
123
Y. KHADRA, op. cit., p. 57.
124
Ibid., p. 66.
125
Ibid., p. 97.
126
Ibid., p.103.
127
Ibid., p.129.

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Ghachimat commencent à se rendre compte de ce qui se passe dans leur village, et ils
s'aperçoivent que ce sont toujours les plus pauvres qui sont tués et « que plus personne
n'est vraiment à l'abri ». 128 Comme le Pouvoir de l’Algérie se distingue par son
absence, la résistance armée, qui demande vengeance et lutte vivement contre les
adhérents du FIS, commence à s'organiser. Mais ce n'est qu'après l'intervention de
l'Armée que l'opinion publique se détourne complètement du FIS, sans que cela ait
vraiment des conséquences, et à la fin du roman, aucun aboutissement ne se laisse
deviner : «Ghachimat retient son souffle. Il ne sait rien faire d'autre, Ghachimat. Il
cohabite avec sa claustrophobie.» 129

Comme il le fit dans sa série noire, Yasmina Khadra, dans Les agneaux du
Seigneur, décrit, de près et dans toute sa cruauté inimaginable, le drame algérien. Mais
contrairement à ses romans précédents, où la structure du roman noir servait de machine
à l’action, ce récit n'a besoin que d’une seule action pour se mettre en mouvement. Une
fois mise en marche, la machine ne peut plus être arrêtée, et les événements se suivent
irrésistiblement. Dans le déroulement du récit, tout personnage a sa place et son rôle
défini par son passé et par l'Histoire, et chacun devient un rouage de la mécanique
impitoyable qui entraîne l'action. Tandis que les uns, Les agneaux du Seigneur, se
transforment en bêtes sauvages incontrôlables, les autres, voire la plupart des habitants,
se cachent derrière leur naïveté et tombent en inactivité. Ne restent que de rares
individus qui comprennent et qui résistent, mais qui trouveront bientôt la mort.

Après avoir présenté les événements des Agneaux du Seigneur, nous sommes
amenés à dire que la dureté impitoyable du récit se révèle dans l'écriture, écriture qui,
épurée de toute sensibilité et privée de toute décoration et de tout lyrisme, paraît aussi
brute que les événements décrits. Cette absence poétique accroît les cruautés
démontrées dans le roman. Parallèlement au déroulement des événements, le rythme est
rapide qui accélère les phrases, tandis que le choix des mots est trié avec précision.

Le contenu du roman et la façon dont l'action est prescrite, le rythme des phrases,
le choix des mots et l'écriture se complètent parfaitement dans Les agneaux du Seigneur

128
Ibid., p.135.
129
Ibid., p.208.

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et dévoilent les aspects les plus noirs du conflit sanglant. Mais ce n'est pas là que réside
toute l'originalité du roman, elle ne se révèle que si l'on pousse plus loin l'analyse de
l'écriture noire de Yasmina Khadra en la comparant à ce que Roland Barthes désigne
par «écriture blanche »

II.1.2 Une écriture blanche

Dans Le Degré zéro de l'écriture, 130 premier jalon de la réflexion barthésienne sur
la littérature et le langage, Barthes distingue d'abord la langue « […] corps de
prescriptions et d'habitudes, commun à tous les écrivains d'une époque » 131 du style
expression de «la mythologie personnelle et secrète de l'auteur ». 132 Tandis que la
première peut être considérée comme horizon, voire ligne de transgression, également
comme l'aire d'une action, la définition et l'attente d'un possible ; 133 le deuxième a une
dimension verticale, plonge dans le souvenir clos de la personne, et ses références se
retrouvent au niveau d'une biologie ou d'un passé, non d'une Histoire. 134

Pour Barthes, il s'y ajoute une troisième dimension «une autre réalité formelle» 135 ,
celle de l'écriture. À côté de la langue et du style, l'écriture est le lieu d'un choix et d'une
liberté pour l'écrivain. Tandis que la langue et le style sont des données antécédentes à
toute problématique du langage, le produit naturel du Temps et de la personne
biologique, l'écriture est l'expression de l'identité formelle de l'écrivain en s'établissant
en dehors de l'installation des normes de la grammaire et des constantes du style. Elle
est le ton, le débit, la fin, la morale, le naturel de la parole de l'écrivain ; mais elle est
aussi le choix d'un comportement humain et l'affirmation d'un certain Bien. 136 Ainsi,
l'écriture est aussi «le rapport entre la création et la société, elle est la forme saisie dans
son intention humaine et liée ainsi aux grandes crises de l'Histoire.» 137

130
R. BARTHES, op. cit.,
131
Ibid., p.145.
132
Ibid., p.145-146.
133
Ibid., p.145.
134
Ibid., p.146.
135
Ibid., p.147.
136
Ibid., p.147.
137
Ibid., p.147.

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Toujours selon Barthes, ce n'est qu'après la révolution de 1848, plus précisément


après la rupture avec l'écriture bourgeoise, que les écritures commencent à se multiplier.
Se développent alors une écriture artisanale (fondée par Flaubert), une écriture réaliste
(pratiquée par Maupassant, Zola et Daudet) et ce que Barthes désigne par Silence de
l'écriture (réalisé chez Mallarmé), puis aussi une écriture blanche (inaugurée par
L'Étranger de Camus), c’est-à-dire une écriture neutre «libérée de toute servitude à un
ordre marqué du langage » 138 , écriture que Barthes appelle «le degré zéro de l'écriture
» et qu'il qualifie de « dernier épisode d'une Passion de l'écriture qui suit pas à pas le
déchirement de la conscience bourgeoise » 139 .

Examinons plus attentivement ce que Barthes entend par écriture blanche, notion
qui servira de base à nos réflexions ultérieures autour de l'œuvre de Yasmina Khadra.
D’après la vision barthésienne relative à l'écriture blanche, celle-ci pourrait être
comparée à une écriture de journaliste « si précisément le journalisme ne développait en
général des formes optatives ou impératives (c'est-à-dire pathétiques) » 140 .
Contrairement à ces tendances de l'écriture journalistique, l’écriture blanche est une
écriture neutre :

« La nouvelle écriture se place au milieu de ces cris et de ces jugements, sans


participer à aucun d'eux ; elle est faite précisément de leur absence ; mais
cette absence est totale, elle n'implique aucun refuge, aucun secret ; on ne
peut donc dire que c'est une écriture impassible ; c’est plutôt une écriture
innocente. » 141

À l'opposé d'autres formes d'écriture, l'écriture blanche n'implique ni une opacité


de la forme ni une problématique du langage et de la société, mais réalise concrètement
la condition première de l'art classique, c’est-à-dire son 'instrumentalité.

« Mais cette fois, l’instrument formel n'est plus au service d'une idéologie
triomphante [comme l'était l'idéologie bourgeoise]:il est le mode d'une
situation nouvelle de l'écrivain, il est la façon d'exister d'un silence ; il perd
volontairement tout recours à l'élégance ou à l'ornementation, car ces deux

138
Ibid., p.179.
139
Ibid., p.141.
140
Ibid., p.179.
141
Ibid., p.179.

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dimensions introduiraient à nouveau dans l'écriture, le Temps, c'est-à-dire


une puissance dérivante, porteuse d'Histoire. Si l'écriture est vraiment neutre,
si le langage, au lieu d'être un acte encombrant et indomptable, parvient à
l'état d'une équitation pure (...) alors la littérature est vaincue,la
problématique humaine est découverte et livrée sans couleur,l'écrivain est
sans retour un honnête homme. » 142

Les agneaux du Seigneur de Yasmina Khadra nous paraît être un éclair d'écriture
blanche et ses particularités se manifestent à plusieurs niveaux. Nous avons distingué
quelques caractéristiques du récit qui nous paraissent typiques de l'écriture blanche.

En premier lieu, c’est de la position d'un observateur extérieur que le narrateur


poursuit les événements dans Les agneaux du Seigneur, qu'il décrit les habitants du
village, évoque leur passé et raconte leur vie quotidienne. Mais il est intéressant de
constater que l'instance narratrice de Les agneaux du Seigneur évite tout jugement et
jette toujours un regard neutre sur les événements et les personnages.

La tentative de l'auteur de s'approcher sans préjugés du sujet se reflète non


seulement dans la perspective de la narration que Yasmina Khadra choisit dans son
roman, mais aussi dans le fait que nous ne trouvons plus de protagoniste dans Les
agneaux du Seigneur. Nous avons déjà mentionné cette caractéristique dans le chapitre
préliminaire, et nous avons déjà souligné qu'elle nous paraît d'autant plus remarquable
que ses romans précédents se construisaient tous autour d'un personnage principal, le
Commissaire Llob, protagoniste et narrateur autodiégétique 143 de la série.

Ensuite, nous constatons que dans Les agneaux du Seigneur, il n'y a plus de héros
mais seulement des acteurs, des complices, des témoins et des victimes de la guerre
civile en Algérie. Nous voyons de nombreux personnages, des représentants divers du
conflit, dont les histoires personnelles divergent les unes des autres et dont la motivation
de participer ou de renoncer au combat s’explique de façon multiple. Dans ce contexte,
il est aussi intéressant d’enregistrer que le récit de Yasmina Khadra est dominé par de
142
Ibid., p.179-180.
143
Selon la terminologie de G. GENETTE, on distingue le récit « homodiégétique », où le narrateur
s’incarne dans un personnage de l’action, du récit « hétérodiégétique », où le narrateur est tout à fait
extérieur à l’histoire. Quand le narrateur est le héros de l’histoire, le personnage principal, le récit est «
autodiégétique ».

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nombreux dialogues entre les personnages. Ceux-ci se caractérisent au cours des


entretiens, expliquent leurs actions et défendent leur position. Leurs opinions différentes
coexistent les unes auprès des autres, et cette diversité des voix et des opinions donne
aussi un caractère objectif et neutre à la manière dont le conflit algérien est présenté
dans le roman.

En étudiant l'écriture de Yasmina Khadra à la lumière de la définition que propose


Barthes, nous constatons que l'écriture de Les agneaux du Seigneur n'est pas du tout
allusive ou ambiguë, elle est directe, dit tout, sans faux semblant. Elle est le contraire
d'une écriture poétique, les mots n'ont pas la fonction de faire surgir quelque chose qui
se cacherait au-dessous, ils disent ce qu'ils disent, ils décrivent ce qu'il faut décrivent.
Sans décoration, sans accessoire, sans détour, sans recours à la beauté, Yasmina Khadra
réussit à rendre ses paroles transparentes à l'extrême.

Il devient donc évident que c'est dans la concrétisation du sujet, dans le ton et
l'expression individuelle de Yasmina Khadra, dans son écriture, que résident la force de
son récit et aussi son engagement. L'auteur ne pousse plus de cris mais donne à voir
jusqu'à l'épouvante sans rien cacher de la réalité algérienne, ni au niveau du contenu ni
au niveau de l'écriture et sans prendre parti pour un côté ou pour un autre. Comme toute
écriture blanche, celle de Yasmina Khadra se place elle aussi au milieu des cris et des
jugements et ne participe à aucun d'eux.

Parallèlement à cette écriture en "noir et blanc", Khadra a essayé, à travers le


parcours des personnages, le mouvement narratif marqué par de fréquentes césures et le
mélange des genres, de peindre un univers traversé par des plages de violence intensif.
Ces procédés d’écriture seront traités dans les pages suivantes.

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II.2 La cruauté du récit

II.2.1 Un (dés) ordre temporel

Comme une feuille de papier, la temporalité narrative se présente sous deux faces
inévitablement liées. D'un côté, le temps narratif est déterminé par la nature linéaire du
signifiant linguistique. Contrairement aux peintres, qui peuvent donner à voir les choses
et les gens d'un coup, dans la coexistence simultanée de l'espace pictural, les romanciers
sont tributaires de la nature consécutive du langage: ainsi, c'est très progressivement que
le lecteur voit apparaître devant l'œil de son esprit les lieux et les personnages du roman
dont il tourne les pages une à une. Telle est la première face du temps narratif: c'est le
temps du récit, déterminé par la succession des mots sur la page. Ce temps racontant se
repère par le décompte d'unités de texte: nombre de lignes, de pages, de chapitres, etc.

L'autre face de la temporalité narrative, c'est le temps raconté. Les pages, les
chapitres du roman défilent: un monde fictif se constitue progressivement, avec ses
décors, ses personnages et sa chronologie. Pas plus que nous, les personnages de roman
n'échappent au temps: ils profitent des jours qui passent, vieillissent et se souviennent.
C'est là le temps de l'histoire (tH), un temps calendaire fictif, qui se mesure en heures,
jours, mois et années.

La réalité bi-face de la temporalité narrative permet d'instituer des jeux avec le


temps. Rien, en effet, ne contraint les récits à copier le temps des horloges. Les
romanciers peuvent par exemple – et ne s'en privent pas! – raconter les choses dans le
désordre, plus ou moins vite, en développant longuement un épisode ou, à l'inverse, en
passant sans mot dire sur des semaines, voire des années entières... La narratologie
distingue trois types de relations pertinentes entre le temps du récit et le temps de
l'histoire: l'ordre, la durée et la fréquence. Nous en donnons la description ci-après.

Le procédé narratif montre de manière visible cette autre forme de violence qui ne
manque pas de solliciter l’intérêt du lecteur d’une part et de gêner sa lecture d’autre
part. En confrontant l’ordre de la disposition des évènements ou segments temporels
dans le discours narratif à l’ordre de succession de ces mêmes évènements ou segments

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Chapitre II : La violence de l’écriture : une esthétique de la cruauté
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temporels dans l’histoire, à partir d’indices textuels. Nous pouvons distinguer une
certaine discordance indéniablement prégnante entre l’ordre de l’histoire et l’ordre du
récit. Cette rupture de l’ordre chronologique relève de ce que Gérard Genette nomme
anachronies. 144

Le roman de Yasmina Khadra Les agneaux du Seigneur se compose de quatre


chapitres qui dès lors constituent sa charpente. L’importance que l’auteur accorde à ce
récit n’est pas fortuite ni insignifiante. Son histoire résume la vie de ces villageois qui
représente en quelque sorte la société algérienne et les fâcheuses conséquences qu’ont
occasionnées les bouleversements politiques et sociaux des années 90. Une lecture entre
les différentes évolutions de l’intrigue du récit nous permet de constater que ce récit
enclave les trois phases de l’intrigue à savoir : une situation initiale, un développement
des événements et une situation finale.

Ainsi, nous pouvons dire à partir ce cette lecture que l’auteur a choisi de traiter un
des désastres qu’a connu le monde moderne au cours du siècle dernier, pour essayer de
démontrer à son public comment les choses peuvent évoluer de manière insatisfaisante
et désagréable en lui rapportant en même temps d’autres faits plus récents, sans
résolutions, qu’il est invité à méditer, tel le terrorisme et l’intégrisme.

En ce qui concerne la narration, elle est répartie sur un nombre de périodes


distantes dans le temps. La progression ne se fait pas de manière chronologique, mais
constitue « un vaste mouvement de va-et-vient » 145 à partir d’un temps présent. De
nombreuses échappées vers le passé prennent place au sein du récit. Ainsi le passage du
présent au passé s’effectue sur deux niveaux : selon que ce passage participe au
développement et à la progression de l’histoire et qu’il brise ou non la linéarité du récit.

144
Dans son ouvrage intitulé Figures III Genette défini les anachronies comme : « les déférentes formes
de discordance entre l’ordre de l’histoire et celui du récit ». Ainsi étudier l'ordre temporel d'un récit,
résume Genette, c'est confronter l'ordre de disposition des événements ou segments dans le discours
narratif à l'ordre de succession de ces mêmes événements ou segments temporels dans l'histoire, en tant
qu'il est explicitement indiqué par le récit lui-même, ou qu'on peut l'inférer de tel ou tel indice indirect.
On pourrait penser que la tendance spontanée des conteurs et romanciers soit de faire coïncider l'ordre des
événements racontés et l'ordre de leur présentation narrative. Or, c'est le contraire qui est vrai: la majorité
des récits ne respectent pas l'ordre chronologique: ils sont anachroniques, soit qu'ils racontent avant ce
qui s'est passé après – anticipation, ou prolepse; soit qu'ils racontent après ce qui s'est passé avant –
rétrospection, ou analepse.
145
Ibid., p. 87.

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Il s’agit bien entendu dans les deux cas d’analepses. A titre d’exemple nous pouvons
relever les deux exemples suivants.

Dans cette séquence le narrateur relate l’événement du maire qui tremble de rage à
cause de Issa Osmane, car ce dernier a dévoyé les clefs de la mairie : « Si dans cinq
minutes, tu ne me rapportes pas la clef, abruti d’Issa, je t’arracherai la peau du dos
avec mes propres mains. Hier, tu as égaré ma sacoche, et aujourd’hui la mairie va
chômer à cause de tes étourderies. » 146 Subitement le regard du narrateur se concentre
sur le personnage de Hadj Maurice, c’est l’occasion d’un retour en arrière pour fouiner
dans le passé du personnage : « De l’autre côté de la chaussée, en face du garage, Haj
Maurice est fondé dans sa chaise en osier, le visage écarlate, un large éventail à la
mains.(…) il est devenu gros et sage, et c’est avec infiniment de délectation qu’il s’est
initié aux douceurs indicibles de l’oisiveté. » 147 Puis le retour d’une manière expéditive
à l’événement de départ : «J’ai l’ai trouvée !j’ai l’ai trouvée !… » 148 ; Issa a retrouvé la
clef du maire.

Dans la deuxième séquence, le narrateur attire l’attention sur Jelloul le Feu et sur
son comportement curieux : « Au sortir du village, Jelloul le Feu se met au garde-à-
vous en voyant arriver la Peugeot et porte sa main à sa tempe dans un salut
militaire » 149 . Puis le récit bifurque sur le passé de Cheik Abbas dans une longue
analepse : « Ramdane Ich est content. Son fils est revenu. Les gens affluent dans son
patio, chargés de présents… » 150 Ensuite, le récit revient à l’événement de départ à la
conduite bizarre de Jeloul le Feu lorsque il entend le bruit de la Peugeot : « Jelloul le
Feu se tient à croupetons sous un olivier, avivant un hypothétique feu de bivouac en
entendant le vrombissement de la Peugeot, il se relève et porte sa main à la temple .» 151

146
Y. KHADRA, op. cit., p. 20.
147
Ibid., p. 21-22.
148
Ibid., p. 23.
149
Ibid., p. 24.
150
Ibid., p. 24-31.
151
Ibid., p. 31.

76
Chapitre II : La violence de l’écriture : une esthétique de la cruauté
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Ensuite, le récit ¾ Le narrateur attire


revient à l’attention sur
l’événement de Jelloul le feu et
départ à la conduite sur son
bizarre de Jelloul le comportement
Feu curieux
(Présent) (Présent)
Analepse

Puis le récit bifurque


sur le passé de Cheik
Abbas dans une
longue analepse.
(Passé)

Figure n° 5 : Perturbation du temps narratif

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D’autres analepses participent de manière plus marquante pour ralentir et gêner la


succession des faits, apporter des éclaircissements sur le cours des évènements et faire
progresser l’action. Elles sont d’une extrême importance du fait qu’elles font partie
intégrante de l'histoire. Aucun autre élément structurel ne marque les changements de
temps. La rupture temporelle brusque et sans avertissement pare le texte d’une violence
indicible et obstrue la lecture.

Dans une autre perspective, comme nous l’avons déjà cité en début de chapitre, le
rythme narratif du récit est très alerte (du premier au quatrième chapitre); le narrateur
passe d’un personnage à un autre, d’un fait à un autre en de rapides séquences sans se
soucier des transitions. Cela pourrait traduire l’urgence de l’événement raconté, la
grande confusion exigée par la situation narrative. Le narrateur évoque, avec
précipitation et dans une succession effrénée, jusqu’au bout du roman, les aventures de
Cheikh Abbas, Issa la Honte et son fils Tej, Kada l’instituteur, Allal Sidhoum, Jafer
Waheb, Zane le nain, Haj Mourice, et Dactylo, (les personnages les plus imposants dans
la trame narrative) pris dans la tourmente d’une insurrection et de ses violences. Aucun
personnage n’a une envergure profonde (à l’exception de Tej Ousmane). La violence et
le choc brutal monopolisent le tissu narratif.

Enfin, nous remarquons clairement à travers cette dialectique, ce vaste mouvement


d’aller-retour, ces anachronies, qui font basculer le récit tantôt au passé tantôt au
présent en faisant se succéder les deux temps, causent une perturbation absolue de la
lecture et déstabilisent le lecteur.

II.2.2 Les personnages : un déséquilibre social et historique

Depuis plusieurs années, la notion de personnage est remise en cause par un


certain nombre de romanciers. Le personnage dit traditionnel cède la place à un
personnage de roman qui : « [...] naît seulement des unités de sens, et n’est fait que de
phrases prononcées par lui ou sur lui » 152 . Le personnage de roman est donc un être de
papier, il n’est fait que de mots et est entièrement contenu dans le texte. Néanmoins
ceux qui donnent naissance à ce personnage sont avant tout des êtres humains et ils ne

152
R.WELLEK et A.WARREN, La théorie littéraire, Seuil, Paris, p.208.

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Chapitre II : La violence de l’écriture : une esthétique de la cruauté
_____________________________________________________________________________________

peuvent nier l’influence de leur milieu sur leur production. Les personnages
romanesques, pour la plupart, ont été inspirés à l’auteur par son vécu et ont une
individualité propre.

Achour et Rezzoug reconnaissent qu’

«on peut difficilement imaginer un récit sans personnage. Donnée essentielle,


il est logiquement le point central de nombreuses approches du fait littéraire.
Tomachevski notait qu’il était utilisé par l’écrivain pour faciliter l’attention
du lecteur en représentant un point de convergence dans “l’amoncellement
des motifs”:il est lui même caractérisation nominale à des “constructions plus
complexes”:les personnages portent habituellement une teinte émotionnelle
[...]Attirer les sympathies du lecteur pour certains d’entre eux et sa répulsion
pour certains autres entraîne immanquablement sa participation émotionnelle
aux événements exposés et son intérêt pour le sort du héros .» 153

La dimension véritable du personnage est une dimension textuelle :


symbole/support narratif. On peut en varier à loisir les caractéristiques. Il est un résultat,
un effet, dû à l’action conjointe de traits de langage : narratifs, descriptifs. Il n’a d’autre
existence que celle que lui attribue la fiction, pas d’autre matérialité que celle de
l’écriture confrontée à la lecture ; il est d’abord l’objet d’un décodage.

Par ailleurs, le personnage relève d’une technique, d’un système de truquage


destiné à faire endosser à la fiction une allure du réel. Philippe Hamon désigne le
personnage en ces termes : « Un signifiant discontinu renvoyant à un signifié
discontinu ». 154 Le personnage est donc considéré comme un signe qui participe au code
original et général propre à chaque énoncé. La réalité sémantique exprimée par le
personnage est à construire par l’activité de lecture et n’est donc complète qu’à la fin du
texte.

Le personnage peut avoir donc trois natures ou qualités :

153
C.ACHOUR et S.REZZOUG, op. cit., p 200.
154
Ph. HAMON « Pour un statut sémiologique du personnage », Littérature n°6, Larousse, mai 1972. p.
15.

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Chapitre II : La violence de l’écriture : une esthétique de la cruauté
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ƒ Il est matière langagière, résultante de la convergence de signes textuels.


ƒ Il est un signe, ou plus exactement, si nous considérons son aspect composite, un
ensemble sémiotique.
ƒ Il est un élément fonctionnel du récit, puisqu’il entretient tout un réseau de relations
à différents niveaux du texte (par exemple, avec les différents personnages, avec les
autres éléments sémantiques de l’oeuvre : contexte, intertexte, texte général, avec des
catégories formelles comme la narration, la focalisation).

Homon analyse aussi trois catégories de personnages :

¾ Les personnages référentiels


Ce sont des personnages historiques ou des personnages sociaux qui renvoient à « un
sens plein, immobilisé par une culture » dont la « lisibilité dépend directement du degré
de participation du lecteur à cette culture », qui assurent à la fiction une apparence du
réel.
¾ Les personnages embrayeurs
« Il sont les marques de la présence en texte de l’auteur, du lecteur ou de leurs délégués
: personnages "porte-parole", choeur des tragédies antiques […] conteurs et auteur
intervenant [...] personnages de peintures, d’écrivains, de narrateurs ... »
¾ Les personnages anaphores
« Eléments à fonction essentiellement organisatrice et cohésive », ils organisent dans
l’énoncé les séries d’appels et de rappels causalement et chronologiquement nécessaires
(nécessaire à la grammaire du texte, à l’élaboration du code de lecture, à ce que l’on
nomme la cohésion interne). 155

Dans notre corpus d’analyse, nous avons axé notre travail sur le personnage,
d’abord par l’établissement des relations fonctionnelles dont il est le centre : rapport aux
autres, oppositions, etc. ; ensuite par la nomination de personnages qui représentent en
vérité une autre forme de la violence de l’écriture.

155
Ibid.

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Chapitre II : La violence de l’écriture : une esthétique de la cruauté
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Dès l’incipit, Yasmina Khadra a mis en place ses personnages, livrés à eux-
mêmes, c’est-à-dire à l’inactivité, à l’ennui, au désoeuvrement, connotant également de
manière négative toute tentative d’un mieux-être possible.

Tout commence donc par le retour au pays d’un de ses enfants fanatisés à
l’extrême, Abbas, Imam depuis l’âge de dix-sept ans, fils du notable Ramdane Ich, pour
que l’apparente sérénité de cette bourgade tranquille, plus exactement anesthésiée,
comme sous l’effet d’une bombe, soit complètement bouleversée, pour basculer,
ensuite, dans l’horreur collective.

Apparente sérénité, parce qu’en fait l’organisation de Ghachimat repose sur un


équilibre fragile du statut social admis par la force des choses, sans pour autant être
avalisé par tous, la frustration des uns face à l’arrivisme et l’aisance matérielle des
autres. D’un côté, les parias, parce que payant le lourd tribut de l’histoire (certains
étaient anciens collaborateurs pendant la guerre d’Algérie) tels Issa Osmane surnommé
par les gens du village Issa la Honte et son fils Tej, ainsi que les laissés pour compte
désœuvrés à longueur d’année, hittistes comme Jafer, Mourad et son frère Boudjema ;
invétérés fumeurs de Kif ou Zane le nain dont la cruauté n’a d’égale que l’importance
de la difformité physique. De l’autre, les nantis, groupe social composé des arrivistes
avec leur insupportable arrogance telle que la famille du maire ou celle de Ramdane Ich,
aux côtés des plus modestes, ceux gagnant honnêtement leur vie, tels que Allal Sidhoum
le policier, Kada, l’instituteur, Dactylo, l’écrivain public ou Hadj Maurice un pied noir
natif du village et intégré dans la population locale -son insertion en France, après avoir
l’Indépendance de l’Algérie, s’étant soldée par un véritable échec.

C’est dans ce climat délétère que va s’opérer une incontestable révolution (les
rejetés prenant le dessus), que Yasmina Khadra démonte, tout au long de son récit, avec
force détails.

De fait, l’auteur cherche, à travers cette mise en scène des personnages, à dévoiler
les rapports conflictuels qui ont conduit l’Algérie à la violence : rancœur, désillusion,
frustration, règlement de compte tels sont, dans l’ensemble, les moteurs principaux de
cette foulée meurtrière.

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Chapitre II : La violence de l’écriture : une esthétique de la cruauté
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C’est ainsi que l’intégrisme va devenir le ferment de la révolution en permettant le


basculement des deux groupes sociaux constitutifs de l’organisation interne du village :
les parias deviennent les seigneurs arrogants et meurtriers, seigneurs de la guerre et de
la violence ; les notables, se terrant dans leur demeure, faisant du silence leur devise,
parce qu’espérant par leur silence, échapper à la violence des plus forts.

Du groupe des parias, plusieurs personnages vont émerger, se transformer, voire


se métamorphoser très vite en tueurs. Il s’agit notamment de :

1- Tej Osmane, fils de Issa-la-Honte, pour lequel la montée de l’intégrisme va


constituer non seulement un tremplin (il devient le chef d’un groupe armé) mais
aussi donner corps à sa soif de vengeance et de prestige social ;
2- Kada l’instituteur, qui s’enrôlera dans les rangs des intégristes avec une
formation en Afghanistan par déception amoureuse, jalousie et rancœur -Sarah,
la fille du Maire du village lui ayant préféré son ami policier Allal Sidhoum ;
3- Zane, le nain, l’exclu à double titre du village, qui s’accommodera à merveille
de ce renversement social pour prendre sa revanche sur le sort qui lui était
jusqu’alors réservé à cause de sa difformité physique et de la misère dans
laquelle sa famille a toujours baigné.

De l’ensemble des habitants du village -véritables agneaux du seigneur qui


pourraient, à l’instar de la tragédie, constituer un chœur antique, tant ils nous
apparaissent comme une entité n’existant seulement que pour entériner, au grand jour,
par leurs palabres ou par leurs lamentations les actes barbares qui sévissent, sans pour
autant agir réellement- quelques figures plus héroïques arrivent malgré tout à se
démarquer, au quatrième chapitre du drame, sans pouvoir, à vrai dire, changer la
situation.

D’abord, le policier Allal Sidhoum, époux de Sarah qui paiera très vite, de sa vie,
les quelques moments de bonheur passés avec sa jeune épouse et son engagement au
sein d’un groupe d’autodéfense à la recherche des intégristes. Ensuite, Hadj Maurice,
lequel pour n’avoir pas voulu quitter sa demeure, alors convoitée, ni son village natal,
trouvera une mort horrible. Enfin, Dactylo, l’écrivain public solitaire, personnage

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Chapitre II : La violence de l’écriture : une esthétique de la cruauté
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atypique du village parce que cultivé, appréciant la littérature et l’art, qui aura la tête
tranchée par un Tej Osmane au sommet de sa folie meurtrière et de sa soif de
vengeance : « Regarde Dactylo, [dira] Tej triomphant. Regarde partir en fumée le
douar des traîtres. Où est donc passé son groupe d’autodéfense ? Ils croyaient
m’intimider, avec leurs rejetons. J’ai donné l’ordre à mes hommes de n’épargner ni les
bêtes ni les nourrissons. N’est-ce pas une fresque magnifique ! » 156

II.2.2.1 La nomination des personnages

La nomination des personnages de notre corpus d’analyse, Les agneaux du


Seigneur, n’est pas du tout gratuite. Elle est en fait, pour parler comme Molho : « Un
acte d’onomatomancie », c’est-à-dire « l’art de prédire à travers le nom la qualité de
l’être » 157

Nous nous limiterons, dans cette section, à une étude des seuls noms de notre
roman Les agneaux du Seigneur. Puis, suivant les catégories proposées par Hamon,
nous essayerons de reconnaître le signifiant du personnage pour rétablir le signifié. Les
personnages seront donc étudiés selon quelques principes de base très généraux.

La plupart des noms dont sont affublés les personnages, ont une racine arabe.
Chaque vocable porte en lui une signification et certains mots sont richement chargés de
connotations. Le nom du Issa la Honte sera traité comme exemple pour étayer nos
propos.

Le schéma suivant permet de déchiffrer le nom de Issa la Honte tout en en


dévoilant la connotation socio-historique.

156
Ibid., p. 197.
157
M. MOLHO, cité in www.limg.com/Cours/Documents.ht

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Chapitre II : La violence de l’écriture : une esthétique de la cruauté
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Issa la Honte

Issa Honte
Jésus Déshonneur

Chrétienté
Croisades Harki
Colonisation

La Haute
trahison

Figure n° 6 : Violence et nomination de personnages

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Chapitre II : La violence de l’écriture : une esthétique de la cruauté
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Nous constatons à travers ce schéma que le nom Issa la Honte est lourd de
connotations, seul un lecteur instruit de l’histoire algérienne peut le décoder. Il est de
par son titre porteur de signes négatifs concrétisés par le faire maléfique.

Ainsi, le nom est constitué de deux mots : d’une part Issa, nom arabe qui signifie à
la lettre Jésus, et qui évoque le colonisateur français. D’auteur part la Honte est une
dénomination qui indique le déshonneur. Ce nom à « un fonctionnement référentiel ». Il
dévoile les harkis (anciens collaborateurs pendant la guerre d’Algérie) qui payent
aujourd’hui le lourd tribut de l’Histoire.

Vu leur nombre important dans notre corpus, le tableau suivant traite des noms les
plus récurrents et les plus significatifs dans le texte.
Nomination Catégorie Connotation
Evocation de Abassi Madani le
Cheikh Abbas (Si) référentiel président du FIS (accusé
d’intégrisme et d’assassinats)
Evocation du système politique
Le Maire référentiel du FLN (inculpé de la crise
socio-politique)
Haj Mourice Allusion à la colonisation
(Pied noir) référentiel française.
Evocation de la mafia politico-
Le nain anaphore financière avec son
égocentrisme et son hypocrisie
Dactylo Evocation de l’Histoire et du
(Ecrivain public) embrayeur Savoir qui sont en permanente
dégradation.
Allal Sidhoum Evocation de l’institution
(Le policier) embrayeur Militaire

Les noms des personnages du roman Les agneaux du Seigneur ont donc un
fonctionnement référentiel qui accrédite la fiction et l’ancre dans le socio-historique, qui
en assure la cohérence. Le nom est à la fois produit pour un texte et producteur de sens
dans ce même texte.

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Chapitre II : La violence de l’écriture : une esthétique de la cruauté
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II.2.3 Une fusion du réel et de l'irréel

L'auteur de Les Agneaux du Seigneur diversifie les formes de son écriture tout au
long des chapitres dans lesquels le réel est au cœur du récit même s'il tente dans certains
passages d'y échapper pour se situer dans l'irréel. Cette dimension réaliste dans l'œuvre-
corpus se lit au travers de la récurrence des indicateurs spatio-temporels.

Lesdits indicateurs accentuent le degré de véracité pour authentifier, historier et


socialiser l'œuvre à étudier. Les indicateurs infra servent d'illustration :

• Noms de pays: Afghanistan (p.94), France (p .22), Egypte, Pakistan, Malaisie


(p.67).
• Noms de villes: Sidi Bel Abbes (p.11), Alger, Sétif, Biskra (p.52), Blida, Boufarik
(p.121), Guemmar (p.120), Oran (p.53), El- Asnam (p.69), Lyon (p.22).

• Noms de régions: Djebel El-Khouf (p.129), Hassi Meskhout (p.130), Ghar Hira,
Minen (p.65).
• Événements historiques: octobre 88 (p.57), matin de 63 (p.47), après la guerre de
62 (p .194).

Cette technique du roman réaliste met en scène, pour des raisons historiques
précises, des personnages de tous les milieux, de toutes les classes sociales et de toutes
les catégories socioprofessionnelles. Ainsi, elle incite le lecteur à les repérer d'une
manière binaire selon des critères différents :
• Age :
Vieux jeunes
-Haj Menouar -Khada Hilal
-Ramdane Ich -Jafer Waheb
-Haj Mourice -Allal Sidhoum
-Hajja Mabrouka -Sarah
-Haj Baroudi -Tej Ousmane
-Haj Bilal -Mourad
-Haj Boudali -Boudjema
-Cheikh Redouane -Haouari
-Le vieux Messoud -Tahar
-Sy Rabh -Fodil
-Issa Ousmane Smail
…etc. …etc.

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Chapitre II : La violence de l’écriture : une esthétique de la cruauté
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• Classe sociale :

Riches pauvres

-Le Maire -Issa Ousmane


-Ramdane Ich -Tej Ousmane
-Allal Sidhoum -Tej Ousmane
-Sarah -Zaine le nain
-Dactylo -Mourad
-Haj Mourice -Boudjema
…etc. …etc.

• Culture (instruit/non instruit):

Instruit Non-instruit

-Maire -Jafer Waheb


-Dactylo (l'écrivain -Tej Ousmane
public) -Mourad
-Haj Mourice -Boudjema
-Allal Sidhoum (le -Haouari
policier) -Tahar
-Dahou (le boutiquier) …etc.
-Kada Hilal
(l’instituteur)
…etc.

Le discours réaliste est en effet un discours convainquant : il cherche à produire


l’illusion référentielle. Il est marqué par le sceau de l’événement immédiat tel que celui
de l'intégrisme défini dans l’horreur. Le récit se veut donc conforme à la réalité
socioculturelle du lecteur, et varie selon leur changement, il renvoie au contexte
extralinguistique. Telle est la raison pour laquelle Yasmina Khadra élargit son champ
d’investigations pour quêter la satisfaction et le plaisir de la majorité de ses lecteurs.

Pour ce faire, il répond à deux exigences : il se doit à la fois de donner au lecteur


des garanties sur la vérité du savoir asserté et de conférer à ce savoir un statut narratif
faisant recours, comme le déclare Hamon, au «personnel romanesque» 158 soit par le
biais de personnages-prétextes garants de l’information (personnages compétents) tel
Allal Sidhoum qui permet au lecteur de vivre, ne serait-ce que pour un court moment,
dans un village algérien ; soit par des justificateurs de description (personnages-points

158
Ph. HAMON « Pour un statut sémiologique du personnage », Littérature n°6, Larousse, mai 1972. p.
15.

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Chapitre II : La violence de l’écriture : une esthétique de la cruauté
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de vue) comme Zaine le nain qui emporte le lecteur sur les lieux des crimes des
intégristes avec les descriptions qu’elle en fait, ou alors Dactylo qui partage avec le
lecteur son point de vue sur la réalité algérienne amère.

Ce qui est à ajouter, à cet égard, c'est que le symbolisme a plus d'influence sur le
lecteur qu’une description sèche du réel. Il s’offre à l’attention de toute personne sans se
dissimuler, et tout être humain est potentiellement capable de le percevoir et de
comprendre son message malgré sa nature ésotérique. Mais son sens fluide et caché
permet à chaque lecteur de lui attribuer une interprétation différente et son étude n’est
jamais achevée.

L'écriture mystérieuse de Khadra refuse de délivrer ses secrets malgré le voile de


réalité qui la dissimule. Son roman est, d’une part insoumis à l’exigence de lisibilité
complète car c’est une entité qui se veut inaliénable contrairement aux romans réalistes.
D’autre part, il se veut exotérique dans la mesure où les images sont des procédés de
désambiguïsation.

II.3 La violence du langage

II.3.1 Une écriture orale

Le grand nombre des personnages utilisé dans Les agneaux du Seigneur produit
certainement une diversité au niveau du langage. Ne se limitant pas à un seul registre
langagier, Yasmina Khadra ne cesse de changer de niveau de langue tout le long de son
récit. Nous remarquerons, de façon générale, que ce changement de registres dépend
essentiellement du lieu qui cadre l’action, et des personnages qui y participent.

Le passage d’un registre à l’autre participe à cette volonté de l’auteur de


déstabiliser le lecteur. Il se retrouve obligé de puiser dans tous les niveaux de son
bagage langagier afin d’accomplir sa tâche, à savoir la lecture, qui désormais n’est plus
un moment de détente.

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Chapitre II : La violence de l’écriture : une esthétique de la cruauté
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Afin d’augmenter les effets de violence dans le texte, Khadra choisi de multiplier
ses styles d’écriture. Loin de se contenter d’un seul style, il assemble les extrêmes : une
langue hautement soignée, et une autre mimétique de l’oral, populaire et vulgaire. Il a
tenté dans de ce roman de rendre compte du parlé à l’écrit, en ouvrant les portes de la
littérature à l’oralité et rendre ainsi possible une rencontre entre deux mondes. La
langue parlée, usuelle, qui caractérise le mode oral est introduite illicitement dans le
texte littéraire qui se doit d’être conforme à certaines règles et convenances langagières
lui conférant son trait distinctif, à savoir sa littérarité.

L’inscription de l’oralité dans le texte se fait par divers moyens qui lui assurent
l’effet escompté. Parmi ces procédés, nous noterons la ponctuation et le bruitage qui
marquent fortement cette écriture.

Afin d’assurer au texte sa dimension orale, les différents signes de ponctuation


sont mis en place. Leur fonction joue un rôle irremplaçable dans le mimétisme de la
langue orale et sa transcription à l’écrit. Les signes de ponctuation les plus occurrents
sont en nombre de deux : le point d’exclamation (!) et le point d’interrogation (?) - les
extraits infra servent d’illustration :

« – c’est parti ! L’heure de la vengeance a sonné. Malheur aux taupes

car les « patriotes » ne leur feront pas de cadeau.

Et au café, toute la journée :

– Tu te rends compte ? Attou, une taupe ?...

– Attou ? Ce moins-que-rien, une taupe ?... » 159

Ces Procédés s’inscrivent plus dans l’oral que dans l’écrit grâce à la multiplicité
des personnages en même temps qu’au manque d’indication quant à la prise de parole
de chacun d’entre eux.

159
Y. KHADRA, Les Agneaux du Seigneur, p. 179.

89
Chapitre II : La violence de l’écriture : une esthétique de la cruauté
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Un autre signe de ponctuation est pareillement présent, utilisé rarement dans les
écrits, il s’agit des points de suspension « … ». Ce signe particulier indique
généralement que l’énoncé est interrompu tel est le cas du passage ci-dessous :

« – Ôtez-lui la robe, glousse Zaine. Tranche-lui le cou… Je veux le voir se débattre


comme un vieux porc bien engraissé… Putain ! Visez-moi du sang. C’était pas une
bête finalement, c’est une vraie citerne… » 160

Ainsi, l’utilisation des points de suspension par l’auteur, lui évite tout
commentaire susceptible de décrire l’action qui accompagne la parole émise. Elle
permet également aux lecteurs de suivre facilement et rapidement le dialogue sans qu’il
y ait d’interruptions susceptibles de gêner leur lecture. En somme, ce signe de
ponctuation est capable de traduire des émotions particulières des personnages. Il
participe en grande partie au reflet de la langue orle dans l’écrit.

Il est à souligner, enfin, que l’utilisation des virgules et des points est très
fréquente pour renforcer le ton de la phrase et accélérer son rythme. L’extrait ci-après
éclaircit nos propos :

« – Si, dans cinq minutes, tu me rapportes pas la clef, abruti d’Issa, je t’arracherai la
peau du dos avec mes propres mains. Hier, tu as égaré ma sacoche, et aujourd’hui la
mairie va chômer à cause de tes étourderies… » 161

En lisant ce passage, nous remarquerons que l’auteur le remplit de virgules et de


points si bien que le lecteur arrive aisément à reproduire l’intonation orale. La
ponctuation oblige ainsi le lecteur à lire le texte d’une certaine manière et avec certains
rythme et ton, préalablement visés par l’auteur.

Bien que le langage du récit précédemment cité fait partie de l’oral, certains
passages à l’intérieur des mêmes textes n’en relèvent pourtant pas et s’inscrivent au
contraire dans le langage soutenu. Tel est le cas lorsque Lyès raconte à Zane le nain
l’histoire des fondamentalistes :

160
Ibid., p. 155.
161
Ibid., p.20.

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«Dactylo raconte qu’à la fin du XIe siècle un, un persan s’est installé sur la montagne
d’Alamut pour fonder la secte des Assassins. Assassin vient d’assassyine qui veut
dire″fondamentalistes″ en arabe. Il a semé la mort et la terreur sur terre entière,
s’attaque à de redoutables seigneurs jusque l’empire ottoman s’est écroulé comme un
château de carte… » 162

Le mélange d’écritures littéraire et orale, l’alternance de registres langagiers,


perturbent le rythme du roman et visent à exercer un effet de violence sur le lecteur.

II.3.2 Un vocabulaire choquant

La langue réécrite de l’orale est une langue brute, parfois choquante, les mots
employés par l’auteur sont des mots vivants, crus, sans artifices. Si le vocabulaire
populaire est bien vivant, il donne naissance à autant de mots qu’il en laisse mourir. Les
mots argotiques n’appartiennent aucunement au beau monde de la langue académique,
leur effet esthétique est très limité. La bienséance est pratiquement absente du texte,
l’usage fréquent de mots vulgaires et crus a pour but de choquer la sensibilité du lecteur.

Le choc produit par la langue orale utilisée dans le roman est important d’une part,
parce qu’elle est spécifique aux villageois et n’est pas commune à toutes les classes
sociales. D’autre part, à cause du contraste entre terme littéraire et terme populaire
existants dans un même texte. Cette rencontre de deux langues aussi éloignées renforce
et accentue l’effet de choc.

Le recours de l’auteur à un mélange de mots familiers et vulgaires et à des


expressions familières nuit à la compréhension de certains lecteurs francophone qui sont
habitués à la langue littéraire et non pas à la langue argotique propre à la société
française. Les mots sont par conséquent dérangeants, dénotant une réalité et des
conditions de vie aussi dérangeantes, vécues essentiellement par les villageois d’un
enfermement territorial. Le rejet d’une esthétique littéraire du mot ne signifie pas le
rejet de la langue française ou le rejet de toute bienséance, bien au contraire. Ouvrant la
porte à sa trivialité, le bon goût est certes renversé, mais non détruit. Le dépaysement
apporté par le vocabulaire populaire permet d’explorer d’autres chemins, voire,

162
Ibid., p.100.

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pourquoi pas, d’aller jusqu’au bout de la langue. Il s’agit de retrouver une langue brute,
primitive, une langue concrète qui désigne la réalité telle qu’elle est. Variée, cette
langue peut dire la diversité du monde sans passer par des tropes. La langue académique
perd son prestige, la rhétorique également. En touchant au vocabulaire, Khadra a donné
le ton du peuple et le ton du bouleversement.

Cet aspect lexical de la violence se lit dans les mots et expressions soulignés dans
les extraits suivants :

« Je veux comprendre ce qui se passe, bordel ! » 163

« Espèce de salopard. Rassieds-toi, va, et raconte- moi comment c’est, le travail d’un
laboureur » 164

« Je veux le voir débattre comme un vieux porc bien engraissé…putain ! » 165

« Je revends de la came…Et maintenant, va te faire foutre. » 166

« -Ton héroïsme s’arrête là, fils de pute » 167

Nous remarquons qu’il s’agit d’un lexique appartenant à la langue argotique


vulgaire, le lecteur est immédiatement étourdi. La vulgarité et le manque de finesse
attisent inévitablement l’intérêt du lecteur qui se trouve pris au piège dans un texte où le
mélange des différents registres de langue lui offre une mosaïque inhabituelle. L’écart
créé choque le lecteur, l’attention de celui-ci est d’autant plus suscitée que le terme
argotique n’est pas aisément compréhensible ou brutalement inconnu.

Ainsi, nous retrouvons des mots familiers connus, fréquemment utilisés, compris
par tous les lecteurs : cinglé pour feu, fumier pour salaud, fric pour argent, etc. D’autres
qui le sont moins, bien qu’ils fassent partie du vocabulaire familier : charabia qui
signifie "langage incompréhensible", racketter qui signifie "voler de l'argent " ou
encore girouette qui signifie "personne qui change souvent d'opinion".

163
Ibid., p. 138.
164
Ibid., p. 115.
165
Ibid., p. 155.
166
Ibid., p. 142.
167
Ibid., p. 162.

92
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Mais, d’autre part, nous rencontrons tout au long de notre lecture des mots,
empruntés à la langue arabe, introduits dans le texte. Ainsi, nous retrouvons d’autres
d’origine arabe populaire tels que : khôl qui signifie "fard sombre" que l'on utilise pour
se maquiller, Ibliss qui signifie "diable" ou alors gandoura qui signifie "vêtement de
laine ou de coton". D’autres mots font partie de la langue arabe classique, tels que :
moudjahid, qui signifie "combattant", ou vizir qui signifie "ministre" …etc. Fesq est un
mot arabe signifiant "débauche ou dépravation "et ayant une connotation négative. En
rapport avec la description des prostituées et des jeunes algériens portant des jeans et
des mini-jupes et imitant les ringards décadents de l'Occident, le jeu de mots Riad el
Feth /Riad el Fesq – le parc de la victoire /"parc de la débauche"–prend tout son sens.

Pour que l’argot ne freine pas le train de l’écriture, il ne faut donc pas en abuser,
sans cela, l’effet ne serait plus surprenant, mais lassant. Afin d’apprécier à sa valeur
principale son expressivité et sa variété, il faut éviter de submerger et d’ennuyer le
lecteur peu habitué à rencontrer des expressions argotiques dans un cadre qui lui paraît
peu approprié de prime abord. C’est la raison pour laquelle notre roman objet d’étude
monopolise presque cette écriture de l’oralité.

II.3.3 Une syntaxe transgressée

Les personnages du roman Les agneaux du Seigneur, quels qu’ils soient, jeunes ou
âgés, utilisent un langage propre aux villageois. Yasmina Khadra a essayé de rapporter
dans son roman, non seulement la vie qu’ils mènent, mais également leur façon de
parler pour donner au récit une illusion de réel, d’où l’autre intérêt de l’écriture de
l’oralité.

Etant donné que la langue parlée est une langue rapide et concise, le locuteur
quand il parle a tendance à détourner des mots pour aller plus vite et parce que c’est
naturel, cela évite de briser le flux de la parole, et permet à la personne de finir ce
qu’elle a à dire avant d’être interrompue.

L’envie de dire le plus d’informations possibles en peu de temps et de mots,


accélère le rythme et influe sur la construction des phrases. La rapidité de la
prononciation est donc l’une des spécificités du langage oral. Sa transcription à l’écrit

93
Chapitre II : La violence de l’écriture : une esthétique de la cruauté
_____________________________________________________________________________________

ne peut se faire qu’à l’aide d’une syntaxe particulière qui soit capable de réfléchir la
vivacité de l’oral.

De manière générale, la syntaxe épouse le personnage que la narration est censée


représenter au moment du récit. Ainsi, la construction des phrases change avec le
changement des situations et des personnages. On pourrait compter plusieurs procédés
visant à reproduire l’effet de l’oral.

Les règles de la négation qui sont obligatoires à l’écrit, disparaissent à l’oral


familier. L’adverbe " ne "qui indique la négation dans le groupe verbal est
ordinairement accompagné d’un autre mot : pas, point, rien, aucun, etc. Sauf quand il
est explétif, il s’emploie seul sans l’idée de négation dans des propositions
subordonnées comparatives ou dans celles qui dépendent d’un verbe exprimant la
crainte ou le doute.

Dans notre texte, le " pas "disparaît dans quelques phrases négatives produites par
les personnages. Les exemples sont nombreux, nous en citons quelques-uns :

« kada n’a voulu le rencontrer » 168

« Le fils de Issa la Hante n’à osé lever les yeux » 169

« …il n’a connu véritable honte avant d’être élevé au rang des notables.» 170

La rapidité de la langue orale nécessite à côté de cette suppression de certains


mots, la suppression de certaines lettres aussi. Dans certains cas, il s’agit d’une élision,
définie comme la « suppression, dans l’écriture ou la prononciation de la voyelle finale
d’un mot devant un mot commençant par une voyelle ou un h muet (elle se marque pas
l’apostrophe) » 171 .

Cette élision n’est donc pas réservée à l’oral, elle est très fréquemment utilisée à
l’écrit. Sauf que certaines élisions ne sont pas très appropriées à l’écrit. Prenons
l’exemple de : t’apprends ou ç’avait, qui font partie de la langue orale et ne

168
Ibid., p. 65.
169
Ibid., p. 79.
170
Ibid., p. 82.
171
Larousse, Dictionnaire de la langue française, Paris 1997.

94
Chapitre II : La violence de l’écriture : une esthétique de la cruauté
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conviennent pas à l’écrit. Tandis que d’autres élisions s’imposent dans les deux langues
(orale et écrite). Exemple : l’impossibilité d’écrire t’écraser en deux mot : te écraser.

Par ailleurs le scripteur effectue d’autres suppressions, mais à un niveau plus


délicat, celui des voyelles, des consonnes et des syllabes au milieu des mots. Le but
étant toujours le mimétisme de la rapidité de la prononciation à l’oral. Leur suppression
est généralement remplacée soit par une apostrophe, soit par un accent aigu : comme
dans l’exemple suivant d’une suppression de voyelle, sans que l’élision ne soit permise :
l’adjectif démonstratif « ce » qui se réduit souvent à la première lettre,

« - Dieu ! C’ qu’elle est belle. » 172

L’élévation du ton, les cris et le ralentissement de la prononciation sont à leur tour


aussi reproduits à l’écrit. Le moyen utilisé par l’auteur pour ce faire est le découpage
des mots :

« Et bien, je vais te le dire : stu-pé-fiants ! » 173

« - Il-ne-veut-pas-mou-rir…
Les autres l’imitent, et se mettent à scander :
- Il-ne-veut-pas-mou-rir… Il-ne-veut-pas-mou-rir… » 174

De même, ce découpage des mots et leur répétition accentuent le ton tragique de la


situation d’autant plus que les propos rapportés mettent l’accent sur le tragique. Le
roman de Yasmina Khadra est digne des tragédies grecques développées par Eschyle,
Sophocle et Euripide.

Par ailleurs, les situations tragiques sont malheureusement d’actualité et le langage


des personnages accentue la cruauté et la violence des situations tragiques.

172
Y. KHADRA, op. cit., p. 115.
173
Ibid., p. 142.
174
Ibid., p. 202.

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Conclusion
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CONCLUSION

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90
Conclusion
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91
Conclusion
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Nous avons tenté, tout au long de ce travail, de montrer les manifestations de la


violence dans l'écriture de Les Agneaux du Seigneur de Yasmina Khadra. Sans nous
glorifier de l'exhaustivité, il nous semble plus ou moins légitime de signaler le grand
profit que nous avons pu tirer de cette étude aussi courte et simpliste qu'elle soit.

Toutefois, cette simplicité apparente de l'étude que nous avons menée à travers
une lecture analytique de l'œuvre, nous a permis, outre l'acquisition de nouvelles
performances d'analyse, l'adoption d'une démarche pluridisciplinaire visant à décrypter
rationnellement les différents éléments qui sont considérés comme les pierres angulaires
de l'œuvre littéraire et en conséquence celles des personnages, de la narration et du
langage.

Ainsi, notre démarche a consisté à reproduire le cheminement de découverte de


l'œuvre de la manière dont le ferait un lecteur potentiel face à un texte nouveau. Notre
progression avait donc pour dessein de faire connaître le roman du plus apparent au
plus subtil.

Globalement, Les agneaux du Seigneur nous est donc apparu selon une double
perspective : d’une part, comme fiction se faisant le reflet de la réalité et portant un
regard critique sur la société algérienne des années quatre-vingt-dix -à ce sujet, Yasmina
Khadra déclare : «Il est évident que la tragédie de mon pays a donné un sens différent à
mes textes » 1 -; d’autre part, comme réflexions sur l’écriture, se fondant sur une langue
dure qui se joue au mot, et une langue orale comme pour renforcer cette interrogation
sur l’écriture.

Après avoir étudié l'œuvre, nous sommes arrivé à montrer, que la violence traverse
l’écriture de part et d'autre : d’abord, au niveau des messages d'accompagnement qui
entourent le texte -tous les éléments paratextuels, et sans exception, portent une charge
importante de violence. À travers ces éléments hétérogènes (pseudonyme, titre,
dédicace, épigraphe) nous avons pu déceler une forme de violence qui agit sur le lecteur
indirectement mais intensément.

1
Cf. Interview de l'auteur à propos de la sortie de son roman A quoi rêvent les loups, [propos recueillis par
Valérie Pabst, 1999, source Internet : www.fnac.be/fr/htlm/auteurs/khadra/interview.htm]

97
Conclusion
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De fait, l’analyse des éléments paratextuels a mis en évidence les rapports que ces
derniers entretiennent avec le texte. Notre travail nous a également réservé quelques
surprises. Elles concernent d'abord le rapport découvert entre certains aspects du
paratexte tels que : pseudonyme/couverture et titre/pseudonyme. Ensuite nous pensons
avoir montré pour la première fois que le nom de Mina peut être un autre pseudonyme
de Mohammed sur lequel aucune analyse (à notre humble connaissance) n’a été faite
auparavant 2 . A la fin de cette analyse nous avons constaté que le paratexte remplit chez
Yasmina Khadra une fonction littéraire, assume l'expression de figures, et finalement
fait texte, ouvre du sens. Nous l'avons vu, il contribue à faire vrai tout autant qu'à faire
rêver.

Par ailleurs, nous avons constaté que l’écriture des Agneaux du Seigneur n'est pas
uniquement une écriture noire, mais qu'elle peut aussi être désignée d’écriture blanche
telle que Roland Barthes la définit dans son ouvrage Le Degré zéro de l'écriture. En
effet, nous avons remarqué qu'au-delà des passions, des douleurs et des rancoeurs,
Yasmina Khadra décrit les événements en Algérie comme s'il était convaincu que rien
ne sert de dénoncer, de hurler, de pleurer. Ce n'est ni un cri ni une écriture de l'urgence
que nous avons dans Les Agneaux du Seigneur, puisque ne s'y trouve aucune émotion,
aucune sentimentalité ni au niveau du contenu ni au niveau de l'écriture. Le récit
ressemble plutôt à un inventaire où les événements sont énumérés de façon distante et
sans qu'aucune cruauté ne soit oubliée.

Nous avons remarqué aussi que Yasmina Khadra se prolonge dans l'engagement
de l'écriture puisqu'en évitant toute opacité au niveau de la forme, en repoussant tout
recours à l'élégance et à la décoration et en choisissant, au niveau de l'instance
narratrice, un regard neutre, il réussit à livrer «la dimension universelle » du conflit
algérien. C'est grâce à cette écriture qu'il arrive à montrer que :

2
Les Masques de Yasmina est le dernier livre de l'écrivain et professeur Françoise NAUDILLON (de
l'Université Concordia -Québec) publié aux Éditions Nouvelles du Sud. A ce propos nous avons demandé
à l'auteur son point de vue sur notre lecture du pseudonyme : «Je suis très heureuse de savoir que vous
avez eu connaissance de mon travail sur Yasmina Khadra et enchantée de savoir que d'autres se lancent
dans l'analyse des romans de cet auteur Je trouve votre travail tout à fait remarquable et intéressant et je
vous encourage à poursuivre dans ce qui semble une recherche d'envergure.»

98
Conclusion
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« Le village de Ghachimat n'y [dans Les Agneaux du Seigneur] est plus


seulement le symbole de l'Algérie ; [qu'] il nous conte une histoire de mort qui
pourrait s'enraciner dans n'importe quelle géographie, dans bien des pays de
notre planète...» 3

Egalement, nous avons repéré d’autres formes de violence d’écriture manifestes au


travers du déséquilibre social et la nomination des personnages, le mouvement narratif
perturbé et le mélange de genres…etc. Enfin, le langage utilisé par l’auteur présente
l’autre aspect de la violence de l’écriture à savoir le mélange de l’écriture littéraire et de
l’oralité, l’alternance des registres langagiers, la vulgarité des mots et la transgression
syntaxique…etc.

Dans notre travail de thèse nous tenterons de rendre compte de ces améliorations
puisque notre projet s’inscrit dans la continuité de ce mémoire de magister. En effet,
nous voudrions continuer à explorer l’univers romanesque de Yasmina Khadra, en
incluant à notre corpus actuel certains romans que nous avions du laisser de côté dans le
cadre de ce mémoire ; en approfondissant également certains points qui, nous l’avons
souligné dans cette recherche, nous paraissent mériter des développements susceptibles
de s'ouvrir sur de nouveaux sujets dont l’enfermement de l’espace et la nomination des
lieux dans l'écriture de Yasmina Khadra.

3
M. GAZIER, «La Haine au village », Télérama, 23 septembre 1998, p. 15.

99
Bibliographie
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BIBLIOGRAPHIE

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‫‪104‬‬
Annexes
______________________________________________________________________

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ANNEXES

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Annexes
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1. Questionnaire adressé à Yasmina Khadra

a. Présentation du questionnaire
Les réponses reproduites ci-après nous ont été adressées par Monsieur Yasmina
Khadra (par courrier électronique) en date du 18 décembre 2005. Elles correspondent à
une série de questions qui avaient été préparées pour recevoir des réponses écrites.
Nous tenons à le remercier de sa longue missive.
La reproduction des réponses obéit à une scrupuleuse fidélité. Nous avons
conservé toute la ponctuation et toute la présentation de Monsieur Yasmina Khadra.
b. Le questionnaire

Q -Le titre « Les agneaux du Seigneur », est-ce qu’il est


de votre choix* ou de l’éditeur ?
*Pourriez-vous nous donner une idée sur ce choix (du
titre) ?

Y.K- Le titre est de moi. L'éditeur intervient rarement


dans le choix du titre, sauf lorsque l'écrivain est
consentant. Ce titre m'a été inspiré suite aux
témoignages d'un rescapé, miraculeusement épargné par
le GIA lors du massacre de Had Chekala (Relizane).
Pendant les tueries, un terroriste s'est écrié, en tombant
sur un petit enfant :" Tiens, voilà un agneau ". Et il l'a
égorgé. Au nom du Seigneur.

Q -Quelle est en général la part de responsabilité de


l'auteur et de l'éditeur dans le choix d'un titre?

Y.K - De quelle responsabilité vous parlez ? Il s'agit


d'un titre, pas d'un manifeste. Un auteur donne un titre à
son ouvrage comme un père donne un prénom à sa
progéniture. C'est aussi simple que cela.

Q -Le roman se compose de quatre chapitres. Comment


expliquer-vous l’absence des intertitres ? Est-ce qu’il a
un rapport avec le contenu du roman ?

Y.K -L'écrivain est libre de construire son texte comme


cela lui convient. Si mes chapitres ne comportent pas
"d'intertitres", c'est parce que je ne l'ai pas jugé utile.
Comme dans tous les romans, le fond repose sur la
forme. Bien sûr qu'il y a un rapport. Sinon, comment
gérer le travail ?

Q -Avez-vous été associé aux choix d’illustrations et


texte de première et quatrième de couverture

106
Annexes
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-Pourriez-vous nous expliquer le choix de la
photographie de la première de couverture ?

Y.K -J'ai beaucoup déploré les couvertures des Agneaux


et de A quoi rêvent les loups, pour la version Pocket. On
ne m'avait pas consulté, à cette époque. Depuis ce
malentendu, j'ai un droit de regard sur le choix des
illustrations, --leur nature, et c'est moi qui décide quoi
retenir.

Q -La dédicace du roman « Les agneaux du Seigneur »,


s'adresse à votre père et votre mère «à mon père et à ma
mère». Pouvez-vous nous expliquer ce choix
dédicatoire?

Y.K -Il n'y a rien à expliquer. Quant à la dédicace, je


suis libre de l'insérer dans le texte comme libre de ne pas
la mentionner du tout. Tout à fait entre nous, je ne vois
pas le rapport avec le contenu du roman. Ce sont des
détails tellement minimes et inutiles pour votre travail.

Q -L’épigraphe du roman est une citation du philosophe


allemand, Friedrich Wilhelm Nietzsche .Pouvez-vous
nous dire pourquoi Nietzsche ? Et pourquoi en le trouve
souvent dans vous épigraphes (A quoi rêve les loups,
par exemple) ? En outre, pourriez-vous préciser dans
quel contexte le philosophe allemand prononcé cette
citation?

Y.K -J'ai pour Nietzsche une profonde admiration. C'est


un poète et un philosophe d'une rare lucidité et d'un
génie absolument remarquable. S'il m'arrive de lui
emprunter quelques formules en guise d'exergues pour
mes textes, ce n'est pas par pure fantaisie. Ces formules
illustrent généralement le contexte de mes écrits.

Q -Lorsqu'un ouvrage est édité en collection de poche,


est-ce que sa signifier une chose ?

Y.K -Un ouvrage est édité en poche pour bénéficier


d'une plus large audience. La fabrication n'est pas
luxueuse, et le prix est grandement abordable

Q -Accepteriez-vous de me communiquer le chiffre de


vente de ce roman?

Y.K -Je n'ai pas tous mes chiffres de vente. Les


Agneaux a été traduit dans sept ou huit langues. Ce n'est
pas ma meilleure vente. Peut-être un peu plus des 100
000.

107
Annexes
______________________________________________________________________
2. Pêle-mêle de questions attendues et/ou inattendues à Yasmina Khadra en 2004
a. Le questionnaire

Q -La première de toutes : acceptez-vous de vous prêter


à ce « pêle-mêle de questions»?

Yasmina Khadra -Oui.

Q -Quel est le titre du dernier poème que vous ayez lu,


ou relu ?

Yasmina Khadra -Cela fait longtemps que je n’ai pas


lu de poésie. Les derniers poètes lus sont Mamoud
Darwich et Lamartine.

Q -Quel est le titre du dernier roman, que vous ayez lu,


ou relu ?

Yasmina Khadra -« Disgrâce » de J.M. Coetzee et «


Regrets sans repentirs » de Chester Himes.

Q -Quels sont vos trois films préférés ?

Yasmina Khadra -« La Bataille d’Alger » ; « La Strada


» de Fellini et « Apocalypse Now » de Coppola.

Q -Quels airs de musique, connus ou inconnus, vous


émeuvent-ils le plus ?

Yasmina Khadra -Toutes les musiques du monde


m’émeuvent.

Q -Y a-t-il un champion sportif que, aujourd'hui ou hier,


vous ayez admiré ?

Yasmina Khadra -Mohammed Ali et Noureddine


Morcelli.

Q -Rousseau pensait que l'homme est naturellement


bon, Hobbes qu'il est plutôt naturellement méchant.
Alors, Hobbes ou Rousseau ?

Yasmina Khadra -Je pense que l’homme est le


croisement de l’ange et du démon. Il est
fondamentalement bon et forcément méchant.

Q -Vous êtres le fils d'un combattant -et d'un héros- de


l'Armée de Libération Nationale. Dans un de vos
romans, vous évoquez le massacre de familles harkies,

108
Annexes
______________________________________________________________________
après l'indépendance. Cela signifie-t-il que vous
considérez manichéenne la façon dont on a pu rendre
compte, en Algérie, de la guerre d'indépendance ? Toute
Histoire le serait-elle ?

Yasmina Khadra -Toutes les Histoires sont


manichéennes. Toutes essayent de s’inspirer des
mythologies et de se prolonger dans la légende. C’est la
raison pour laquelle les guerres perdurent.

Q -Vous exprimez souvent votre admiration pour les


femmes de votre pays, pour l'influence qu'elles ont sur le
présent et l'avenir de votre pays. La société algérienne
dans son ensemble -pouvoir politique, pouvoir religieux,
opinion publique- leur reconnaît-elle les mêmes vertus ?

Yasmina Khadra -La société algérienne ne reconnaît


aucune vertu aux siens. Elle veut les incarner toutes, et
toutes lui font défaut. Lorsque le culte de la personnalité
sévit quelque part, dîtes-vous qu’il ne laisse rien aux
autres.

Q -Etes-vous croyant ?

Yasmina Khadra -A l’image de Chateaubriand.

Q -S'il y a une vie après la mort, comment occuperez-


vous tout ce temps ?

Yasmina Khadra -À dormir d’un sommeil de juste.

Q -Vous êtes un des auteurs de langue française


contemporains les plus traduits. Comment analysez-
vous cet universel intérêt pour votre oeuvre ?

Yasmina Khadra -Il est encore tôt pour dresser un


bilan fiable. Disons que j’essaye de mériter les égards
que je réclame. Il n’est pas évident pou un Arabe de
convaincre large, aussi je profite de chaque intérêt que
l’on me porte pour dire que nous sommes aussi capables
du meilleur que du pire. Je suis très content de toucher
les Occidentaux ; c’est la preuve que nous pouvons nous
entendre. Il suffit juste de s’écouter.

Q -« Nous sommes toujours au bord du malentendu »,


disait Camus, que vous aimez. En écrivant, en avez-vous
conscience ?

Yasmina Khadra -La littérature est née à partir du


malentendu. Elle est donc son essence et sa conscience.

109
Annexes
______________________________________________________________________

Q -L'actualité déverse son lot quotidien d'horreurs.


Finalement, que peuvent contre cela tous les
commissaires Llob et tous les Yasmina Khadra de la
Terre?

Yasmina Khadra -Le Bien n’a jamais triomphé du Mal.


C’est le Mal qui finit par jeter l’éponge, lassé par ses
propres abus. Les Llob et les Khadra sont là pour,
justement, ne pas le ménager.

Q -Quelle question particulièrement importante ne vous


ai-je pas posée ?

Yasmina Khadra -Il faut en laisser aux autres et aux


lendemains.

110
Annexes
______________________________________________________________________
3. Première de couvertures

[Les agneaux du Seigneur, Coll. Julliard, 1998.]

[Les agneaux du Seigneur, Coll. Pocket, 1999.]

111
Annexes
______________________________________________________________________

[A quoi rêvent les loups, Coll. Pocket, 2000.]

[Morituri, Coll. Baleine, 1997.]

112
Annexes
______________________________________________________________________
4. Œuvre première de Yasmina Khadra
Les romans de Yasmina Khadra (dix titres sur un total de dix-huit récits ou
romans de Mohamed Moulessehoul) sont aujourd'hui traduits dans quatorze pays :
USA, Grande-Bretagne, Portugal, Espagne (castillan et catalan), Hollande, Suisse,
Allemagne, Italie, Autriche, Grèce, Turquie, Pologne, Israël, Algérie. Le prix Nobel de
littérature 2003, le Sud-Africain J.M Coetzee, considère Yasmina Khadra comme un
des écrivains majeurs d'aujourd'hui.

Titres Maisons d’éditions Années

Les Sirènes de Bagdad Julliard 2006

L'attentat Julliard 2005

La part du mort Julliard 2004

Cousine K Julliard 2003

Les hirondelles de Kaboul Julliard 2002

L'imposture des mots Julliard 2002

L'écrivain Julliard 2001

A quoi rêvent les loups Julliard 1999

Les agneaux du Seigneur Julliard 1998

L'automne des chimères Baleine 1998

Double Blanc Baleine 1998

Morituri Baleine 1997

La Foire des Enfoirés Laphomic 1993

Le dingue au bistouri Laphomic 1990

Le privilège du phénix ENAL 1989

De l'autre côté de la ville L'Harmattan 1988

El Kahira ENAL 1986

La fille du pont ENAL 1985

Houria ENAL 1984

Amen (à compte d'auteur) Paris 1984

113
Annexes
______________________________________________________________________

5. Sur l'écriture de Yasmina Khadra

L'intérêt passionné de Yasmina Khadra pour tout ce qui touche à son pays, l'a conduit à
rédiger, pour les presses française et algérienne, un certain nombre d'articles, dans
lesquels, faisant fi des menaces et des dangers, ou du souci de sa gloire littéraire, il
entend dire ce qui lui convient et ce qui le révolte ; ce qui l'émeut et ce qui l'horrifie. La
plume du journaliste retrouve le style de l'écrivain, lyrique et dépouillé. Nous avons
choisi de présenter quelques-uns de ces textes.

Commentaires de Wenceslas Carlos Lozano


[traducteur espagnol de Yasmina Khadra]

« La métaphore zoomorphe est une des constantes de l'écriture de


Yasmina Khadra. J'en retiens plusieurs dizaines -et en offre ma
traduction-, tirées de cette trilogie d'Alger que constituent les romans
Morituri, Double blanc et L'automne des chimères, des enquêtes très
suivies dans le temps du commissaire Brahim Llob, un personnage
bourru et vraiment peu commode, un obsédé de la décence politique
né à la littérature quelques années auparavant avec Le dingue au
bistouri, et toujours aussi pimpant de nos jours, ressuscité par la
grâce d'une acrobatie chronologique (La part du mort, 2004) que seul
les grands talents littéraires savent et peuvent se permettre. Don
Quichotte ne fut-il pas lui-même un revenant littéraire grâce à
l'obstination d'un public lecteur inconditionnel ?

J'entends par zoomorphisme la représentation métaphorique ou


allégorique que l'on fait d'un animal pour caractériser quelqu'un ou
quelque chose, une conduite, un caractère, une situation, etc. Nombre
de ces expressions sont les échos de traditions populaires et de
croyances antiques ; des échantillons d'un imaginaire collectif
transmis d'une génération à l'autre. Elles s'insèrent dans la langue et
fonctionnent aussi bien si ce qui les motiva à l'origine conserve sa
transparence pour le parlant actuel, ou pas. L'analyse comparée de ce
genre d'expressions dans les systèmes phraséologiques de deux
langues (en l'occurrence les traductions espagnoles desdits romans,
faites par l'auteur de cet article) permet de mettre en relief des
similitudes et des différences intéressantes en ce qui concerne la
fréquence d'utilisation, la structure sémantique, les connotations, le
système de valeurs, etc.

La religion, en tant qu'espace spirituel naturel et élément très


récurrent chez l'auteur, fait l'objet du second travail, cette fois-ci sur
six romans, les trois précédents plus Les agneaux du seigneur, À quoi
rêvent les loups et L'imposture des mots. Les allusions à la religion se
comptent par centaines, et englobent aussi bien la cosmovision que le
quotidien des personnages. Elles sont reprises ici presque dans leur
totalité et regroupées en trois sections: la mythologie classique et
autres catégories "primitives" comme la superstition, le judéo-
christianisme et, avant tout et surtout, l'islam, souvent dans sa dérive
intégriste, car le jour à jour de ces romans est brutalement
conditionné par la marée fondamentaliste -et bien évidemment la
corruption du système qui en est responsable-, et par les profonds
changements historiques qui ont eu lieu dans son pays, dans un
processus irrépressible de dégradation des valeurs sur lesquelles il

114
Annexes
______________________________________________________________________
s'était appuyé.

Il ne s'agit pas d'une simple compilation mais d'une mise en rapport


de ces expressions dans différents contextes afin d'en souligner la
diversité et la rentabilité littéraire, et de mettre en relief la richesse
métaphorique de l'écriture de ce romancier d'un savoir-faire
exceptionnel et doué d'un puissant imaginaire. Et puis, bien entendu,
de signaler les difficultés de traduction d'un tel discours, qui parfois
joue moins sur le sens que sur les effets phoniques ou les retombées
psychologiques des enchaînements de métaphores et des calembours,
dans une bienheureuse alliance de l'imaginaire maghrébin avec la
langue française. »

Wenceslao Carlos Lozano

115
Annexes
______________________________________________________________________

6. Tableau des figures

N° Titre Page
1 Les rapports paratextuels 36
2 Le jeu de mots du pseudonyme 42
3 L’emboîtement de pseudonymes 45
4 La symbolique du pseudonyme 55
5 Perturbation du temps narratif 77
6 Violence et nomination de personnages 84

116
RESUME

Le thème de notre travail de recherche porte comme titre « La violence de l’écriture dans le roman
algérien d’expression française des années 90 : Le cas de ″ Les agneaux du Seigneur ″ de Yasmina Khadra ». Il nous a
été inspiré d’abord par le contexte de l’Algérie des années 90, un contexte jalonné de bouleversements et
soubresauts sociopolitiques ; et ensuite par l’abondance des productions littéraires qui témoignent de cette
décennie.

Yasmina Khadra nous invite dans ce roman mêlant réflexions sur l'écriture et violence du texte à
méditer les questions de l’essence humaine et sa prédisposition à la violence. Ecrit dans une langue dure qui
se joue du mot, une langue orale pour renforcer cette interrogation pertinente sur l’écriture, le roman de
Yasmina Khadra Les agneaux du Seigneur refuse au lecteur le confort de la certitude pour lui offrir une
violence dissimulée dans les plis et replis de l’écriture. De fait, nous avons essayé de répondre à une
question majeure tout au long de cette étude : Comment se manifeste la violence dans l’écriture de Les Agneaux
du Seigneur de Yasmina Khadra ?

Pour mener à terme cette étude nous avons emprunté nos concepts à diverses disciplines qui
forment le large domaine des sciences humaines et de la critique littéraire en l’occurrence : la linguistique,
la psychanalyse, la sociocritique et la sémiologie…C’est donc à un exercice interdisciplinaire que nous nous
sommes livré.

Après avoir étudié le roman, nous sommes parvenus à montrer que la violence traverse l’écriture de
part et d’autre : d’abord, au niveau des éléments hétérogènes qui entourent le texte où tous les éléments
paratextuels, sans exception, portent une charge importante de violence, mais à des degrés différents. À
travers ces informations paratextuelles (pseudonyme, titre, dédicace et épigraphe) nous avons pu déceler
une forme de violence qui agit sur le lecteur indirectement mais intensément.

Ensuite, nous avons pu constater que l’écriture de Les Agneaux du Seigneur n'est pas uniquement une
écriture noire, mais qu'elle peut être aussi désignée d’écriture blanche telle que Roland Barthes la définit dans
son ouvrage Le Degré zéro de l'écriture. En effet, nous avons remarqué que ce type d’écriture jouait un rôle
impératif dans la transmission de la violence. En outre, nous avons distingué d’autres formes de violence
d’écriture telles que : le déséquilibre social et la nomination des personnages, le mouvement narratif
perturbé et le mélange de genres.

Enfin, le langage utilisé par l’auteur présente l’autre forme de la violence de l’écriture tels que : le
mélange d’écritures littéraire et orale, l’alternance de registres langagiers, la vulgarité de mots et la
transgression syntaxique.
________________________
Mots clés: violence, paratexte, écriture radiographique, écriture noire, écriture blanche.
ABSTRACT
The topic of our research work is entitled «Violence in writing in the Algerian novel expressed in French in
the 90’s as like book “The Lord’s lambs” by Lamina Khadra as our sample of study». We have been inspired firstly
by the context of Algeria in the 1990’s which was marked by socio-political overthrows and uprisings and
secondly by the abundance of productions in that period.

In this novel Yasmina Khadra, who mixes together reflections on writing and violent text, invites us
to meditate on the essence of man and his predisposition to violence. Yasmina Khadra’s novel is superbly
written in a harsh and oral language so as to reinforce the questioning on writing. This novel refuses the
reader the comfort of in order to offer him a violence hidden in the folds and unfolds of writing. Therefore,
we have tried to answer this question throughout this study: How does violence appear in the writing of
Yasmina Khadra “The Lord’s lambs”?

In order to achieve this work, we have borrowed concepts from various disciplines which make up
the large repertory of Human Sciences and literary criticism, namely, Psychanalysis, Linguistics, Socio-
criticism, Semiology …In this way; we have, then done an interdisciplinary exercise.

After having analysed the novel, we have managed to show that violence goes through the novel from
a part to another: at first it is obvious at the level of the accompanying messages which surround the text
where all the paratextuel elements and without exception are loaded with violence but at different degrees
according to its nature. Though this paratextuel information (pseudonym, title, dedication, the epigram)
we have been able to detect another form of violence which affects the reader indirectly but intensely.

Moreover, we have noticed that the writing of “The Lord’s lambs” is not only a black writing but it
can also be considered a white writing as Roland Barthes defines it in his book “The zero degree in writing”.
In fact, we have observed that this type of writing plays an imperative role in the transmission of violence.
After that, we have distinguished other forms of violence in the text such as the social disorder of the
characters, the disturbed narrative movement and the mixture of styles. Finally, the language used by the
author presents the other aspect of violence such as: the mixture of literary and oral writing, the alternation
of linguistic registers, the vulgarity of words and syntaxic transgression.
______________________
Keys words: violence, paratexte, radiography writing, black writing, and white writing.
‫ﺍﻟﻤﻠﺨﺹ‬

‫ﻴﺘﻨﺎﻭل ﻫﺫﺍ ﺍﻟﺒﺤﺙ ﻤﻭﻀﻭﻉ » ﻋﻨﻑ ﺍﻟﻜﺘﺎﺒﺔ ﻓﻲ ﺍﻟﻘﺼﺔ ﺍﻟﺠﺯﺍﺌﺭﻴﺔ ﺍﻟﻤﻜﺘﻭﺒﺔ ﺒﺎﻟﻔﺭﻨﺴﻴﺔ ﻓﻲ ﺍﻟﺘﺴﻌﻴﻨﺎﺕ‪,‬‬
‫ﻭﻗﺼﺔ "ﺨﺭﻓﺎﻥ ﺍﻹﻟﻪ " ﻟﻠﻜﺎﺘﺏ ﻴﺎﺴﻤﻴﻨﺔ ﺨﻀﺭﺓ ﻨﻤﻭﺫﺠﺎ« ﻭﻗﺩ ﺃﻭﺤﻰ ﻟﻨﺎ ﺒﻬﺫﺍ ﺍﻟﻤﻭﻀﻭﻉ ﺍﻟﻭﻀﻊ‬
‫ﺍﻟﺴﻭﺴﻴﻭﺴﻴﺎﺴﻲ ﺍﻟﺫﻱ ﺸﻬﺩﺘﻪ ﺍﻟﺠﺯﺍﺌﺭ ﻓﻲ ﺴﻨﻭﺍﺕ ﺍﻟﺘﺴﻌﻴﻨﺎﺕ ﻭﻓﻲ ﻅل ﻏﺯﺍﺭﺓ ﺍﻹﻨﺘﺎﺝ ﺍﻷﺩﺒﻲ ﺍﻟﺫﻱ ﻴﺸﻬﺩ‬
‫ﻋﻠﻰ ﻫﺫﻩ ﺍﻟﻤﺭﺤﻠﺔ ‪.‬‬

‫ﻭﻗﺩ ﺃﺜﺎﺭ ﻓﻴﻨﺎ ﺍﻟﻤﻭﻀﻭﻉ ﺍﻻﻫﺘﻤﺎﻡ ﺒﺎﻟﻌﻼﻗﺔ ﺒﻴﻥ ﻋﻨﻑ ﺍﻟﻜﺘﺎﺒﺔ ‪ ,‬ﻭﺤﻘﻴﻘﺔ ﻤﻭﻗﻑ ﺍﻹﻨﺴﺎﻥ ﻭﻭﻀﻌﻴﺎﺘﻪ ﻤﻥ‬
‫ﺍﻟﻌﻨﻑ‪ .‬ﻭﻗﺩ ﺃﻋﺘﻤﺩ ﺍﻟﻜﺎﺘﺏ ﻋﻠﻰ ﻟﻐﺔ ﻤﻜﺘﻭﺒﺔ ﺘﺄﺴﺴﺕ ﻋﻠﻰ ﻗﻭﺓ ﺍﻟﺘﻼﻋﺏ ﺒﺎﻷﻟﻔﺎﻅ ﻭﺃﺨﺭﻯ ﺸﻔﺎﻫﻴﺔ ﻜﺎﻨﺕ ﺘﻘﻭﻡ‬
‫ﺒﺩﻭﺭ ﺍﻟﺩﺍﻋﻡ ﻟﻠﻐﺔ ﺍﻷﺴﺎﺴﻴﺔ‪ .‬ﻭﻟﺫﺍﻟﻙ ﺘﻌﻤﺩ ﺍﻟﻜﺎﺘﺏ ﻋﻠﻰ ﺍﺴﺘﻔﺯﺍﺯ ﺍﻟﻘﺎﺭﺉ ﻭﺩﻋﻭﺘﻪ ﺇﻟﻰ ﺘﻭﻅﻴﻑ ﻭﺤﺸﺩ ﻜل‬
‫ﻁﺎﻗﺘﻪ ﻤﻥ ﺍﺠل ﻤﺴﺎﺀﻟﺔ ﺍﻟﻨﺹ ﺒﻌﻴﺩﺍ ﻋﻠﻰ ﺍﻟﻘﺭﺍﺀﺓ ﺍﻟﻤﺴﻁﺤﺔ‪ .‬ﺍﻨﻪ ﻤﻥ ﻨﻭﻉ ﺍﻟﻨﺼﻭﺹ ﺍﻟﺘﻲ ﺘﺘﻴﺢ ﻨﻭﻋﺎ ﻤﻥ‬
‫ﺍﻟﻌﻨﻑ ﺍﻟﻤﺘﻀﻤﻥ ﻓﻲ ﺜﻨﺎﻴﺎ ﺍﻟﻜﺘﺎﺒﺔ ‪.‬‬

‫ﻷﺠل ﺫﻟﻙ ‪ ,‬ﺴﻌﻴﻨﺎ ﺇﻟﻰ ﺍﻹﺠﺎﺒﺔ ﻋﻠﻰ ﺍﻟﺘﺴﺎﺅل ﻁﻴﻠﺔ ﻫﺫﻩ ﺍﻟﺩﺭﺍﺴﺔ ﻋﻥ ﺘﺠﻠﻴﺎﺕ ﺍﻟﻌﻨﻑ ﻓﻲ ﻫﺫﻩ ﺍﻟﻜﺘﺎﺒﺔ‪.‬‬
‫ﻭﺴﻌﻴﺎ ﻤﻨﺎ ﻟﻺﺠﺎﺒﺔ ﻋﻥ ﻫﺫﺍ ﺍﻟﺘﺴﺎﺅل ﻓﻘﺩ ﻭﻅﻔﻨﺎ ﺠﻤﻠﺔ ﻤﻥ ﺍﻷﺩﻭﺍﺕ ﻭﺍﻟﻤﻌﺎﺭﻑ ﺍﻟﻨﻅﺭﻴﺔ ﻤﻨﻬﺎ ﻤﺎ ﻴﺘﺼل‬
‫ﺒﺎﻟﻌﻠﻭﻡ ﺍﻹﻨﺴﺎﻨﻴﺔ ‪ ,‬ﻭﺍﻟﻨﻘﺩ ﺍﻷﺩﺒﻲ ‪ ,‬ﻭﺒﺨﺎﺼﺔ ﻤﺎ ﻴﺘﻌﻠﻕ ﺒﺤﻭﺍﻟﻴﺔ ﺍﻟﻨﺼﻭﺹ ‪ ,‬ﻭﻋﻠﻡ ﺍﻟﻨﻔﺱ ﺍﻟﺘﺤﻠﻴﻠﻲ ﻭﻋﻠﻡ‬
‫ﺍﻻﺠﺘﻤﺎﻉ ﺍﻟﻨﻘﺩﻱ ﻭﻋﻠﻡ ﺍﻟﻌﻼﻤﺎﺕ‪...‬ﺍﻟﺦ ﺇﺫﺍ ﺍﻟﺘﺠﺭﺒﺔ ﺍﻟﺘﻲ ﻗﻤﻨﺎ ﺒﻬﺎ ﺘﻌﺘﻤﺩ ﻋﻠﻰ ﺍﻟﻌﺩﻴﺩ ﻤﻥ ﺍﻟﺘﺨﺼﺼﺎﺕ‪.‬‬

‫ﻭﺒﻌﺩ ﺘﺤﻠﻴﻠﻨﺎ ﻟﻠﻘﺼﺔ ﺘﻭﺼﻠﻨﺎ ﺇﻟﻰ ﺇﻥ ﻅﺎﻫﺭﺓ ﺍﻟﻌﻨﻑ ﺘﺨﺘﺭﻕ ﻤﺴﺘﻭﻴﺎﺕ ﺍﻟﻜﺘﺎﺒﺔ ﺍﻟﻤﺨﺘﻠﻔﺔ ﺒﺤﻴﺙ ﺇﻥ ﻜل‬
‫ﻋﻨﺎﺼﺭ ﺍﻟﺤﻭﺍﻟﻴﺔ ﻭﺒﺩﻭﻥ ﺍﺴﺘﺜﻨﺎﺀ ﺘﺤﻤل ﺸﺤﻨﺔ ﻫﺎﻤﺔ ﻤﻥ ﺍﻟﻌﻨﻑ ﺘﺨﺘﻠﻑ ﻨﺴﺒﻬﺎ ﺒﺤﺴﺏ ﻁﺒﻴﻌﺔ ﻫﺫﻩ ﺍﻟﻌﻨﺎﺼﺭ‪.‬‬
‫ﻭﻤﻥ ﺨﻼل ﺍﻟﻤﻌﻠﻭﻤﺎﺕ ﺍﻟﺤﻭﺍﻟﻴﺔ ﻤﺜل ‪ :‬ﺍﻻﺴﻡ ﺍﻟﻤﺴﺘﻌﺎﺭ‪ ,‬ﺍﻟﻌﻨﻭﺍﻥ ‪,‬ﺍﻹﻫﺩﺍﺀ ﻭ ﺍﻟﻬﻼﻟﻴﺔ …ﺍﻟﺦ‪ ،‬ﺃﻤﻜﻥ ﺍﻟﺘﻌﺭﻑ‬
‫ﻋﻠﻰ ﻨﻭﻉ ﺃﺨﺭ ﻤﻥ ﺍﻟﻌﻨﻑ ﻴﻤﺎﺭﺱ ﻋﻠﻰ ﺍﻟﻘﺎﺭﺉ ﺒﻁﺭﻴﻘﺔ ﻏﻴﺭ ﻤﺒﺎﺸﺭﺓ ﻭﻟﻜﻨﻬﺎ ﺸﺩﻴﺩﺓ ﺍﻷﺜﺭ‪ .‬ﺜﻡ ﺘﻭﺼﻠﻨﺎ ﺇﻟﻰ ﺇﻥ‬
‫ﻜﺘﺎﺒﺔ" ﺨﺭﻓﺎﻥ ﺍﻹﻟﻪ" ﻟﻴﺴﺕ ﻤﻥ ﻨﻭﻉ ﺍﻟﻜﺘﺎﺒﺔ ﺍﻟﺴﻭﺩﺍﺀ ﺍﻟﺨﺎﻟﺼﺔ ﺒﺤﻴﺙ ﻴﻤﻜﻥ ﻭﺼﻔﻬﺎ ﺒﺄﻨﻬﺎ ﺒﻴﻀﺎﺀ ﺃﻱ ﻜﺘﺎﺒﺔ‬
‫ﺤﻴﺎﺩﻴﺔ ﻜﻤﺎ ﻴﻌﺭﻓﻬﺎ ﺭﻭﻻﻥ ﺒﺎﺭﺕ ﻓﻲ ﻜﺘﺎﺒﻪ "ﺍﻟﺩﺭﺠﺔ ﺍﻟﺼﻔﺭ ﻟﻠﻜﺘﺎﺒﺔ"‪ ,‬ﻓﻲ ﺍﻟﺤﻘﻴﻘﺔ ﻟﻘﺩ ﻻﺤﻅﻨﺎ ﺃﻥ ﻫﺫﺍ ﺍﻟﻨﻭﻉ ﻤﻥ‬
‫ﺍﻟﻜﺘﺎﺒﺔ ﻴﻠﻌﺏ ﺩﻭﺭﺍ ﻤﺅﺜﺭﺍ ﻟﻨﻘل ﺍﻟﻌﻨﻑ‪.‬‬

‫ﻜﻤﺎ ﺤﺩﺩﻨﺎ ﺃﺸﻜﺎﻻ ﺃﺨﺭﻯ ﻟﻠﻌﻨﻑ ﺨﻼل ﺍﻟﻨﺹ ﻤﺜل ‪ :‬ﺘﺴﻤﻴﺔ ﺍﻟﺸﺨﺼﻴﺎﺕ ﻭﻋﺩﻡ ﺍﻟﺘﻭﺍﺯﻥ ﺍﻻﺠﺘﻤﺎﻋﻲ‬
‫ﻓﻴﻤﺎ ﺒﻴﻨﻬﻡ‪ ,‬ﺍﺨﺘﻼل ﻤﺴﺘﻭﻯ ﺍﻟﺤﻭﺍﺭ‪ ,‬ﻭﺍﻟﺘﻨﻭﻴﻊ ﺒﻴﻥ ﺍﻷﺠﻨﺎﺱ ﻭﺍﻷﻨﻤﺎﻁ ﺍﻟﻨﺼﻴﺔ‪...‬ﺍﻟﺦ ‪.‬ﻭﻓﻲ ﺍﻟﻨﻬﺎﻴﺔ ﻓﺎﻥ ﺍﻟﺨﻁﺎﺏ‬
‫ﺍﻟﻤﺴﺘﻌﻤل ﻤﻥ ﻗﺒل ﺍﻟﻜﺎﺘﺏ ﺍﻅﻬﺭ ﺍﻷﺸﻜﺎل ﺍﻷﺨﺭﻯ ﻟﻠﻌﻨﻑ ﻓﻲ ﺍﻟﻜﺘﺎﺒﺔ ﻤﺜل ‪ :‬ﺍﻟﻤﺯﺝ ﺒﻴﻥ ﻤﺴﺘﻭﻯ ﺍﻟﻤﻜﺘﻭﺏ‬
‫ﻭﺍﻟﻤﻨﻁﻭﻕ ‪ ,‬ﺘﻭﻅﻴﻑ ﺍﻟﻤﻌﺠﻡ ‪ ,‬ﻭﻋﻼﻗﺎﺕ ﺍﻟﺘﺭﻜﻴﺏ ﺍﻟﻤﺨﺘﻠﻔﺔ‪.‬‬
DEDICACE

A mes Parents

A mes frères et sœurs

A tous mes amis

A tous mes collègues


REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier chaleureusement mon directeur de recherche Monsieur


Foudil Dahou, chargé de la formation doctorale à l’Université de Ouargla, pour
avoir accepté de diriger ce travail. Ses orientations, dès le départ, nous ont permis
de bien circonscrire le sujet de notre recherche. Grâce à ses conseils, ses remarques
et ses suggestions avisés, ce mémoire a pu être préparé et rédigé dans des
conditions favorables. Nous lui sommes très reconnaissant pour la gentillesse et la
disponibilité qu'il a manifestées à notre égard.

Je remercie également toutes les personnes qui ont collaboré de près ou de


loin à la réalisation de ce modeste travail. En guise de reconnaissance, je salue en
eux la grandeur d'esprit et le soutien permanent qu'ils m'ont apporté tout au long
de ma formation universitaire notamment :

Monsieur Khennour, Monsieur Raïssi ainsi que Madame Akchiche et


Madame Doghmane pour leur aide précieuse.

Tous mes enseignants en poste graduation particulièrement : Monsieur


Kadik, Monsieur Debbache, Monsieur Dakhia, Monsieur Blankman, Monsieur
Dugas et Monsieur Lebaut.

Tous mes enseignants de la graduation : Monsieur Khadraoui Monsieur


Bensalah, Monsieur Yahia Cherif, Monsieur Bouterdine, Madame Meziane et
Mademoiselle Mekkaoui.

Tous mes amis et collègues avec lesquels j'ai passé ces dernières années. Je
garderai un souvenir indélébile des échanges fructueux que nous avons eus
ensemble.

Que tous et toutes trouvent ici l’expression de ma gratitude la plus profonde.


Table des matières
______________________________________________________________________

TABLE DES MATIERES

Introduction ………………………………………………………………………………………………….. 07

CHAPITRE PRELIMINAIRE
L'ALGERIE 1990 : LITTERATURE ET VIOLENCE

1. Une ère de turbulences…………………………………………………………..................... 14

1.1 L’actualité sanglante comme moteur de l’écriture…………………………. 19


1.1.1 Une prolifération de la production littéraire………………………… 21
1.1.2 Une nouvelle littérature dite de l'urgence…………………………….. 22

1.2 Pourquoi et pour qui (d)écrire ?........................................................... 25


1.2.1 Le témoignage………………………………………………………………... 26
1.2.2 Yasmina Khadra : une décennie de productivité…………………. 27

CHAPITRE I
LE PARATEXTE : UNE GRAPHIE DE L’HORREUR

I.1 Le paratexte : un indice de signifiance………………………………………………………. 34


I.1.1 Le nom de l’auteur……………………………………………………………………………. 39
I.1.2 Le blanc de la fleur : parfum de la mort………………………………………………. 47
I.1.3 Le vert du feuillage : couleur de l'instabilité………………………………………….. 47

I.2 Le titre…………………………………………………………………………………………………... 49
I.2.1 Approche titrologique du titre Les agneaux du Seigneur……………………… 50
I.2.2 Titre/pseudonyme : un signe homogène……………………………………………….. 54

I.3 La dédicace……………………………………………………………………………………………. 56

I.4 L’épigraphe…………………………………………………………………………………………… 59

I.5 L’absence totale des intertitres…………………………………………………………………. 62

4
Table des matières
______________________________________________________________________

CHAPITRE II
LA VIOLENCE DE L’ECRITURE : UNE ESTHETIQUE DE LA CRUAUTE

II.1 Une radiographie en "noir et blanc"……………………………………………………………. 66


II.1.1 Une écriture noire……………………………………………………………………………… 67
II.1.2 Une écriture blanche………………………………………………………………………….. 70

II.2 La cruauté du récit………………………………………………………………………………….. 74


II.2.1 Un (dés) ordre temporel……………………………………………………………………… 74
II.2.2 Les personnages : un déséquilibre social et historique……………………………… 78

II.2.2.1 La nomination des personnages…………………………………………….. 83


II.2.3 Une fusion du réel et de l’irréel………………………………………………….. 86

II.3 La violence du langage…………………………………………………………………………….. 88


II.3.1 Une écriture orale……………………………………………………………………………... 88
II.3.2 Un vocabulaire choquant…………………………………………………………………... 91
II.3.3 Une syntaxe transgressée…………………………………………………………………….. 93

Conclusion …………………………………………………………………………………………………….. 97

Références bibliographiques ……………………………………………………………………………. 101

Annexes ……………………………………………………………………………………………………….. 106


1. Questionnaire adressé à Yasmina Khadra………………………………………………… 106
2. Pêle-mêle de questions attendues et/ou inattendues……………………………………. 108
3. Première de couvertures………………………………………………………………………….. 111
4. Œuvre première de Yasmina Khadra………………………………………………………. 113
5. Sur l’écriture de Yasmina Khadra…………………………………………………………… 114
6. Tableau des figures………………………………………………………………………………… 116

5
___________________________________

INTRODUCTION

___________________________________
Introduction
______________________________________________________________________

2
Introduction
______________________________________________________________________

Le travail que nous avons entrepris, dans le cadre de notre mémoire de magister,
porte en titre: « La violence de l’écriture dans le roman algérien d’expression
française des années 90 : Le cas de ″ Les agneaux du Seigneur ″ de Yasmina
Khadra ». Il nous a été inspiré par :

− Le contexte sociopolitique de l’Algérie des années 90, un contexte jalonné de

bouleversements et soubresauts sociopolitiques durant lesquels un grand nombre de


civil et d'intellectuels ont payés un très lourd tribut.
1
− L’abondance des œuvres littéraires qui témoignent de cette époque.

Ainsi, ce contexte rongé par l’angoisse et le désespoir, voit naître une littérature
algérienne d’expression française subversive par sa thématique et même par sa forme.
Les écrivains algériens éprouvent ce désir de signifier la violence par l’écriture qui
constitue le fil d’Ariane les liant à leur quotidien. A ce sujet, Rachid Mokhtari
affirme:« Une nouvelle littérature algérienne a surgi de la réalité sanglante du
terrorisme : romans, nouvelles, récits, témoignages, essais, décrivent, racontent,
exorcisent de leur empreinte graphique, le malheur de l’Algérie depuis le début de la
décennie écoulée. » 2

Par ailleurs, cette violence a conduit de nombreux écrivains à s'engager, femmes et


hommes de l’ancienne comme de la nouvelle génération, au pays ou en exil :
Mohammed Dib, Assia Djebbar, Rachid Boudjedra, Malika Mokeddam, Yasmina
Khadra, Maissa Bey, Boualem Sansal, Yamina Mechakra, Azouz Begag. Ces voix
multiples et tant d’autres ont pris conscience de cette situation subtile qui, durant plus
d’une dizaine d’années, a marqué l’Histoire de leur pays. Ces écrivains ont réagit,
comme pour répondre à un appel intérieur, dans l’écriture de leur vécu et de leur
mondanité quotidienne : « On écrit parce qu’on est inquiet, parce qu’on doute. Tout le
monde n’est pas inquiet. Tout le monde ne doute pas. C’est peut-être pour cette raison

1
A titre d'exemple : Si Diable veut de Mohammed Dib, Arris de Yamina Mechakra, Le serment des
barbares de Boualem Sansal et Des Rêves et des assassins de Malika Mokeddem.
2
R. MOKHTARI, La graphie de l’horreur, Chihab, Alger, quatrième de couverture.

7
Introduction
______________________________________________________________________

que tout le monde n’est pas écrivain » 3 , écrit Marguerite Duras dans un livre
d’entretiens paru quelques années avant sa mort.

Les romans noirs de Yasmina Khadra constituent l’un de ces exemples qui
reproduisent cette décennie de bouleversement et de violence. Officier supérieur de
l’armée algérienne, publiant sous un pseudonyme féminin (de son vrai nom Mohammed
Moulessehoul), il donne roman après roman, naissance à une œuvre originale et riche.
Ses premiers polars connaissent un certain succès en Algérie mais suscitent surtout
l’adhésion des lecteurs européens. En France, mais aussi en Allemagne et dans des
dizaine de pays 4 où ils sont traduits, ses romans sont très bien accueillis et le mystère
qui entoure l’auteur et sa fonction ne font qu’ajouter à l’intérêt que le public lui porte.

Par leur ton et par leur contenu, les romans noirs de Yasmina Khadra peuvent
être considérés comme de véritables témoignages du drame algérien. Dantec définit ce
genre comme « le récit d’une guerre privée entre la vérité et le mensonge, entre la
fiction et le réel : le réel ment. La fiction reste le seul moyen de le subvertir et de le faire
avouer. » 5 Nous pouvons suggérer que, plus peut-être que toutes les autres formes
littéraires, les romans noirs sont aptes à rendre compte des convulsions de la société
algérienne contemporaine.

C’est pourquoi nous nous proposons dans le présent travail d’étudier une de ses
œuvres, la plus traduite dans les années 90 Les agneaux du Seigneur (1998). Ce choix
du corpus et de la décennie nous le justifions par les raisons suivantes : d’une part, cette
date nous paraît être particulièrement symbolique, elle marque tout à la fois l’entrée de
l’Algérie – après les manifestations d’octobre 1988 – dans des temps de violence et de
profonds bouleversements économiques, sociaux et politiques, ensuite, dans Les
Agneaux du Seigneur, presque rien ne rappelle, les romans antérieurs de l’auteur, et son

3
Ibid., p. 14.
4
Les romans de Yasmina Khadra sont aujourd'hui traduits dans douze pays : Etats-Unis d'Amérique,
Grande-Bretagne, Portugal, Espagne, Hollande, Suisse, Allemagne, Italie, Autriche, Grèce, Turquie,
Pologne.
5
M. DANTEC, « Le goût du réel contre l’hyper-réalité de la postmodernité », in F. EVRARD, Lire le
roman policier, Dunod, Paris, 1996, p. 109.

8
Introduction
______________________________________________________________________

écriture semble au niveau du contenu et de la présentation des événements, plus noire et


plus dure que les précédents.

Cette étude présente, à notre sens, un double intérêt : d’un côté ce genre de roman
est assez inhabituel dans le paysage littéraire algérien et encore peu étudié par les
chercheurs, son développement dans les années quatre-vingt-dix en Algérie nous a donc
paru mériter attention ; de l’autre côté, cette écriture peut effectivement rendre compte
des convulsions de la société algérienne des années 90.

Écrit dans une langue dure qui se joue au mot, et une langue orale comme pour
renforcer cette interrogation sur l’écriture, le roman de Yasmina Khadra Les agneaux du
Seigneur refuse au lecteur le confort de l’évidence pour lui offrir une fiction violente
qui se manifeste à travers deux formes d’écriture : d’une part, une écriture qui présente
la violence comme thème ou l’écriture de la violence. L’auteur nous invite dans ce
roman à réfléchir sur les relations qui ont présidé à la naissance et à la montée de la
violence en Algérie, à travers la formation de groupes armés irréguliers : rancœur,
désillusion, frustration, pouvoir, terrorisme, intégrisme, règlement de compte, tels sont,
les moteurs principaux de la folie meurtrière que vont connaître les habitants de
Ghachimat et par extension, bien au-delà de cette fiction romanesque, ceux, de l’Algérie
tout entière.

D’autre part, il s’agit d’un autre aspect de la violence : celui de l’écriture ou la


violence de l’écriture ; c’est l’écriture « qui, dans ses formes mêmes, prend en charge la
violence à transmettre, à susciter, à partager. C’est l’écriture qui, dans ses dispositifs
textuels, se charge de la seule fonction subversive à laquelle elle puisse prétendre ».
Marc Gontard à qui nous empruntons cette définition nous en fournit les principaux
critères. Nous précisons, d’emblée, que nous réservons l’étude de l’écriture de la
violence à notre travail de thèse et concentrons la présente recherche sur la violence de
l’écriture avec l'idée de montrer, dans ce mémoire, comment se manifeste la violence de
l’écriture dans les Agneaux du Seigneur de Yasmina Khadra.

De prime abord, nous tenons à préciser que le présent travail ne prétend


aucunement à l’application d’une méthode précise ou à la mise en évidence de

9
Introduction
______________________________________________________________________

l’efficacité d’un quelconque appareil analytique. Sa finalité est d'atteindre la lisibilité la


plus totale possible, et par là à réduire ce que Jean Ricardou appelle le deuxième
analphabétisme qui guette le lecteur chaque fois qu’il se retrouve en situation de
décodage du texte littéraire. Sur ce sujet précis Ricardou écrit dans Problèmes du
Nouveau roman: «Lire la littérature (…) c’est tenter de déchiffrer à tout instant la
superposition, l’innombrable entrecroisement des signes dont elle offre le plus complet
répertoire. La littérature demande en somme qu’après avoir appris à déchiffrer
mécaniquement des caractères typographiques, l’on apprenne à déchiffrer l’intrication
des signes dont elle est faite. Pour elle, il existe un second analphabétisme qu’il importe
de réduire.» 6

A cet effet, nous n’avons point hésité à emprunter nos concepts à diverses
disciplines qui composent le large répertoire pluridisciplinaire ; en l’occurrence la
linguistique, la psychanalyse, la sociocritique, la sémiologie. C’est donc à un exercice
interdisciplinaire que nous nous sommes livrés. Nous sommes-nous aussi livrés, sans
hésitation aucune, à des interprétations intuitives mais argumentées. Car, à la base de ce
travail, il y a, essentiellement, notre subjectivité, passion, curiosité et implication
comme élément-sujet de cet univers que nous nous proposons de décortiquer.
Cependant, nous sommes conscient que cette motivation risque d’amoindrir l’objectivité
de notre réflexion. Mais nous demeurons convaincus que cette prise de conscience nous
permet de prendre la distance qu’il faut au moment où il le faut. En un mot, la présente
approche critique, animée à la base par des raisons passionnelles, s’avère d’une passion
raisonnable. C’est ce qui lui confère toute sa dimension académique.

C'est pourquoi nous commencerons, dans un premier temps, par reposer le corpus
objet d’étude dans son contexte socio-politique et littéraire. Ce chapitre intitulé
préliminaire est nécessaire à la compréhension et à l’éclaircissement des événements
clés constituant le fond de notre roman Les agneaux du Seigneur. Le chapitre est centré
plus particulièrement sur des informations relatives à la situation sociale, politique et
littéraire de l’Algérie des années quatre-vingt-dix, les plus explicites tout au long du
texte étudié.

6
J. RICARDOU, Problèmes du Nouveau roman, Gallimard, Paris, p 20.

10
Introduction
______________________________________________________________________

Le premier chapitre traitera de la violence des messages d'accompagnement qui


entourent le texte intitulé Le paratexte : une graphie de l’horreur. Dans ce chapitre,
nous essayerons d’analyser le paratexte qui représente une importance primordiale dans
notre cas pour une double raison. D’une part, parce qu’il est le moyen par lequel
s’effectue le premier contact entre le lecteur et l’œuvre. D’autre part, il est lui-même
générateur de violence. Aussi, tenterons-nous d’y exploiter, les réponses aux
questionnaires que nous avons adressé à Yasmina Khadra (nous remercions l'auteur de
sa longue missive) sur le paratexte de son roman Les agneaux du Seigneur.

Dans le second chapitre, il sera question d’un autre aspect de la violence : celui de
l’écriture ou plus justement La violence de l’écriture : une esthétique de la cruauté. Ce
dernier chapitre s'attachera principalement à montrer les particularités de cette écriture à
partir des études textuelles. Nous essayerons de soutenir d’abord que l’écriture de Les
Agneaux du Seigneur n'est pas uniquement une écriture noire, mais qu'elle peut aussi
être désignée d’écriture blanche telle que Roland Barthes la définit dans son ouvrage Le
Degré zéro de l'écriture. Dans cette section intitulée -une radiographie en « noir et
blanc » nous expliquerons comment Yasmina Khadra a réussi à rendre son écriture
épurée de toute sentimentalité et beauté, et comment ce type d’écriture joue un rôle dans
la transmission de la violence.

Ensuite, dans la deuxième section,- La cruauté du récit -nous tenterons de montrer


d’autres formes de violence telles que : la négativité des personnages, le mouvement
narratif perturbé et le mélange de genres.

Enfin, nous étudierons la violence du langage qui traverse toute la représentation


du récit : le mélange d’écritures littéraire et orale, l’alternance des registres langagiers et
la transgression syntaxique, qui perturbent le rythme du roman et visent à exercer un
effet de violence sur le lecteur.

11
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
______________________________________________________________________

______________________________________

CHAPITRE PRELIMINAIRE

L'ALGERIE 1990 :
LITTERATURE ET VIOLENCE

____________________________________
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
_____________________________________________________________________________________

Le survol que nous proposons de la situation socio-politique et littéraire de


l’Algérie des années quatre-vingts et quatre-vingt-dix, se révèle être nécessaire à la
compréhension du contexte et du discours de fond porté par notre corpus Les agneaux
du Seigneur de Yasmina Khadra. Nous insistons dans ce chapitre, plus particulièrement
sur quelques aspects à la fois politiques et littéraires de la scène algérienne des années
quatre-vingt- dix, les plus nettement perceptibles tout au long du texte étudié.

Ainsi, dans ce chapitre, nous tentons un aperçu du contexte qui a vu émerger la


littérature algérienne d’expression française avec sa tendance désignée par certains
écrivains français tels que Jean-François Vilar et Jean Pons la littérature de l’urgence 1 .
Quoique nous pensions que toute la littérature algérienne d’expression française à partir
des années 50, soit une littérature de l’urgence. De plus, nous optons pour cette
dénomination afin de désigner la littérature algérienne écrite durant la guerre civile 2 du
pays. Ce survol est d’autant plus important pour nous qu’il légitime notre lecture de
certains faits historiques, agissement, emploi des temps et espace dans Les agneaux du
Seigneur.

De même, une esquisse définitionnelle du concept de violence – première


thématique du roman – s’impose d'elle même. En effet, il est inconcevable pour nous de
travailler sur la violence sans la définir selon des acceptions motivées.

Enfin, une bibliographie de l’auteur des années 90, est indispensable pour
démontrer que l’étude de la violence n’est pas un hasard littéraire. Ce regard sur
l'auteur et ses œuvres nous permet également de savoir à quel point la thématique de la
violence a marqué l'écriture de Yasmina Khadra.

1
R. MOKHTARI, op. cit., p.203
2
Le Pouvoir politique en Algérie a toujours refusé d’utiliser cette expression de « guerre civile ».

13
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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1. Une ère de turbulences

Les débuts des années quatre-vingt-dix sont, en Algérie, celles d’une crise
économique marquée par des bouleversements socio-politiques. A ce propos, Najib
Redouane et Yamina Mokaddem dans la présentation de leur ouvrage, Algérie, 1989,
écrivent : « Il est des dates qui, dans le devenir des pays, ont marqué profondément la
vie politique et sociale, culturelle et artistique des générations qui ont suivi. » 3

Cette décennie a en effet subi, de la manière la plus radicale, les effets de deux
événements particuliers qui nous paraissent fondamentaux dans ce contexte : les
émeutes d’octobre 1988 et l’interruption du processus électoral en décembre 1991.
Avant de tenter d’expliquer ces événements essentiels, nous proposons un survol du
concept de violence, qui nous permettra de comprendre l’atmosphère de la décennie.

Le concept ainsi désigné -la violence- a été abondamment traité sous toutes ses
facettes au cours des années 90. De grands reportages ont paru sur le sujet à la télévision
et dans les quotidiens à grand tirage 4 . Des romans, des écrits de philosophes, et des
travaux en sciences humaines ont investi ce concept intégralement - l’enfermer dans une
définition unique serait donc une gageure. Chaque auteur qui a cherché à cerner le
concept a proposé sa définition. Aucune étude n’est cependant parvenue à le
circonscrire de façon exhaustive. Ainsi, la plupart des auteurs affirment la difficulté de
définir la violence. A ce propos Patrick Baudry écrit : « Il n’y a pas de définition
satisfaisante que l’on puisse produire de la violence (…) définir la violence est donc
inutile, douteux mais aussi monstrueux…» 5

Ces précautions prises, nous revenons à une définition extraite d’un dictionnaire
contemporain, le Robert par exemple qui donne les définitions suivantes :

3
N. REDOUANE et Y. MOKADDEM, Algérie, 1989, La Source, Toronto, 1998, p. 11-12.
4
En Algérie, le pouvoir politique a fait des journalistes des fonctionnaires de l’Etat. Le système a institué
la censure ou l’autocensure. Jusqu’en octobre 1988, il n’y avait qu’un seul quotidien en français, El
moudjahid, journal du parti unique le "FLN". L’Algérien était soumis quotidiennement à une information
gouvernementale élaborée, conçue et confectionnée selon les vœux de ceux qui gouvernaient. Les
événements d’octobre 1988 ont modifié le système et l’ont obligé à adopter le multipartisme. Le système
de l’information a lui aussi connu quelques changements : l’adoption d’un nouveau code de l’information
(avril 1990) et la naissance de la presse indépendante et partisane.
5
P. BAUDRY, violence, soins et tiers social, Jalmalv, Paris, 1996, p. 46.

14
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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– C’est le fait d’agir sur quelqu'un ou le faire agir contre sa volonté en


employant la force ou l'intimidation ;
– l’acte par lequel s’exerce la violence ;
– une disposition naturelle à l'expression brutale des sentiments (parler avec
violence). Force brutale d'une chose ou d'un phénomène (la violence de la
tempête). Caractère de ce qui produit des effets brutaux (la violence de ses
migraines). 6

Quant au psychanalyste Freud, il considère la violence comme :

« Une réponse aux frustrations, conscientes ou inconscientes subies par


l’individu dès sa plus tendre enfance. Cette violence, très souvent refoulée,
s’exprime aussi bien dans les rêves que dans les fantasmes. Elle peut aussi
être, s’il n’y a pas d’issue possible, la cause de troubles mentaux. » 7

Retenons également que Laborit se fonde dans sa définition sur l’existence d’une
volonté de domination. En fait, certaines personnes ont systématisé le principe de la
sélection naturelle en loi fondamentale de la société, de lutte pour la vie où les plus forts
finissent par imposer leur loi aux plus faibles, comme le note Bigeard :

« L’homme préhistorique avait conscience d’appartenir à sa tribu, de ne faire


qu’un avec les autres et l’agressivité générale se tournait contre la nature
hostile ; mais aujourd’hui l’homme fait sa « niche » dans des « sous-
ensembles» sociaux et il ne voit au-delà que des ensembles plus vastes, sans
jamais redécouvrir l’horizon naturel contre lequel il lui faudrait tendre ses
forces : c’est donc contre ses semblables qu’il « détourne » son agressivité. » 8

Dans le même ordre d'idée, Michaux s'intéresse aux bases anthropologiques,


sociologiques et philosophiques du concept dont il ne manquera pas de souligner
l'extrême relativité :

« La violence, ce sont non seulement des faits, mais tout autant nos manières
de les appréhender, de les juger, de les voir (et de ne pas les voir). (…) La
relativité et l'indéfinissabilité du concept de violence ne sont pas accidentelles

6
Le Petit Robert, Dictionnaire de la langue française, Paris, 1989.
7
E.CALAIS. R., DOUCET, Thèmes de culture générale et littéraire, Magnard, Paris, 1999, p. 97.
8
J.-M. BIGEARD, La violence, Larousse, Paris, 1979, p. 10.

15
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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mais inhérentes à une notion qui polarise la diversité conflictuelle des


évaluations sociales. Il faut souligner de nouveau avec insistance qu'au sein
d'une même société politique, les mêmes faits ne sont pas appréhendés ni
jugés selon les mêmes critères. L'usage d'un concept comme celui de violence
suppose la référence à des normes qui peuvent n'être pas partagées par
9
tous ».

En résumant lesdites opinions, deux familles d’idées presque toujours opposées


expliquent le concept de violence. 10 D’une part, celle développée par certains
philosophes considérant que la violence est inhérente à l’homme et s’inscrit au plus
profond de sa nature 11 biologique, psychologique…etc. D’autre part, nous distinguons
l’idée qui adopte le postulat rousseauiste selon lequel « l’homme est naturellement bon
et c’est la société qui le corrompt » 12 . Il s’agit ici d’une interprétation selon laquelle la
violence est extérieure à l’individu ou au groupe concerné.

De fait, les causes politiques, idéologiques et économiques jouent souvent le rôle


de facteur déclenchant de la violence, ce qui explique notamment deux phénomènes :

• La délinquance : qui est l’ensemble des infractions commises à l'encontre de


l'ordre public ; elle se manifeste souvent lorsque certaines circonstances favorables sont
réunies comme chômage, milieu familial désuni, situation d’échec scolaire, frustrations
liées au développement de la société …etc.

• Les guerres : qui sont plus meurtrières ; elles impliquent davantage les civils
et mobilisent plus de participants et de victimes innocentes (1914-1939) ; elles peuvent
avoir plusieurs formes : soit entre États, soit entre groupes politiques ou sociaux à
l'intérieur du même pays (les guerres civiles et les conflits intérieurs).

9
Y. MICHAUD, La violence, Que sais-je ? Paris, 1999, p. 15.
10
En répondant à une question dans le même ordre d'idée, Rousseau pensait que l'homme est
naturellement bon, Hobbes qu'il est plutôt naturellement méchant. Alors, Hobbes ou Rousseau ? Yasmina
Khadra à répondu : « Je pense que l’homme est le croisement de l’ange et du démon. Il est
fondamentalement bon et forcément méchant. » (Cf. infra : annexe1, p. 106)
11
Ce postulat a été abordé aussi par T. HOBBES avec sa formule « l’Homme est un loup pour
l’Homme».
12
Ibid., p. 09.

16
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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Cette idée fait de la violence le synonyme de la transgression et de l’insécurité,


vécues en Algérie lors de l’automne 1988. Le pays a été en effet marqué par une
ampleur des manifestations populaires contestataires dont la jeunesse s’est faite le
principal porte-parole. Dans un article paru dans Le Monde diplomatique, Ellyas fait état
de « l’incroyable violence » 13 des émeutes du 4 Octobre 1988, dont l’intensité
s’amplifie lourdement le lendemain et les jours suivants. Manifestant sa colère
notamment contre le chômage endémique et la frustration, la hausse des prix et la
raréfaction de produits de première nécessité, la jeunesse algérienne plonge alors Alger
et d’autres villes du pays dans « un chaos sans égal depuis l’indépendance » 14 . A ce
propos, Ali-Benali écrit :

« Pendant des jours entiers, ces jeunes vont parcourir les rues, détruisant tout
ce qui symbolisait la “ hogra“ [définie comme « la violence feutrée,
insidieuse et méprisante »] qu’ils subissaient jusque-là. Sans Dieu ni maître
serait-on tenté de dire. Sans autre but que celui de casser. » 15

Le choc d'Octobre 1988 déclenche une phase nouvelle de la politique algérienne.


L'opposition politique illégale voit dans les émeutes « la conséquence de 26 années de
dictature et de parti unique qui ont conduit l'Algérie à la faillite économique, sociale et
politique. » 16

Au-delà de la perspective strictement politique et des bouleversements


occasionnés dans l’organisation sociale du pays, les événements d’Octobre vont amener
après des années de turbulences, une ouverture au pluralisme politique. Par conséquent
le FLN 17 autorise la création d’associations à caractère politique. De nombreux partis
politiques sont fondés et des partis d'opposition, qui avaient travaillé en clandestinité et
dont les leaders étaient parfois en exil, sont rendu officiels. Ainsi, plus de 44 partis

13
A. ELLYAS, "Les Leçons oubliées des émeutes d’octobre 1988", Le Monde diplomatique, mars 1999,
p. 08.
14
Ibid.
15
Z. ALI-BENALI, « Voici venir le temps des possibles ?… », in N. REDOUANE, Y. MOKADDEM,
rupture tragique ou rupture féconde, La Source, Toronto, 1999, p. 43.
16
CH.-R. AGERON, Histoire de l'Algérie contemporaine, Que sais-je, Paris, 1994, p. 124.
17
Parti politique algérien né de la fusion de divers mouvements nationalistes à la veille de la Révolution
algérienne, qui a conduit son pays à l'indépendance. De 1962 à 1989, le FLN a été le parti unique de
l'Algérie indépendante.

17
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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politiques voient le jour entre 1989 et 1990, dont la plupart participeront aux élections
législatives prévues en juin 1991. Par ailleurs, de nouveaux hebdomadaires sont créés
durant cette période, des mouvements culturels se développent et des associations
indépendantes de femmes et d'autres groupes se forment. 18

Le résultat du premier tour des élections législatives du 26 décembre 1991 met en


évidence le rejet et la sanction du Parti Unique détenant sans partage les rênes du
pouvoir depuis une trentaine d'années. De même, il fait la preuve du succès continu du
Front Islamique du Salut (FIS) 19 au premier tour des législatives, après une première
victoire, en juin 1990, aux élections municipales. Durant cette période, le deuxième tour
des élections législatives est annulé. Un Haut Comité d'Etat est institué le lendemain.
Celui-ci instaure l'état d'urgence dans le pays et fait appel à Mohamed Boudiaf, un des
leaders historiques du FLN, exilé depuis vingt-huit ans au Maroc. Durant sa courte
période d'activité, la Chambre administrative du tribunal d'Alger décide de la
dissolution du FIS en mars 1992, avant que Mohamed Boudiaf ne soit assassiné le 29
juin dans des circonstances mystérieuses. Le 2 juillet 1992, il est remplacé par Ali Kafi.
Le même mois, un nouveau gouvernement est constitué ; en même temps, Abassi
Madani et Ali Belhadj, les dirigeants du FIS, sont condamnés par un tribunal militaire à
douze ans de réclusion. Ali Kafi restera président jusqu'au 31 janvier 1994, date à
laquelle le général Lamine Zeroual est porté à la tête de l'Etat algérien.

Le 26 août 1992, une bombe explose à l'aérogare d'Alger. L'attentat, officiellement


attribué au FIS, coûte la vie à dix personnes et fait des douzaines de blessés. Depuis cet
événement, – qui a été le plus douloureux par rapport au autres attentats – le pays est
plongé dans « l'engrenage de la violence et de la contre-violence » 20 et les attentats se
produisent presque tous les jours, ce qui devient alors l’unique règle, qui domine le
pays. Les propos de Grandguillaume illustrent mieux ce que nous venons de décrire:

18
19
Créé en mars 1989 et légalisé en septembre de la même année, dans le cadre de la Constitution du 23
février et de la loi du 5 juillet relative aux associations à caractère politique, ce parti religieux est
rapidement devenu une force politique incontournable du champ politique algérien.
20
O. MONGIN et L. PROVOST, « 1997 : Normalisation politique et violences massives », in J.-R. Henry
Les violences en Algérie, Odile Jacob, Paris, 1998, p. 214.

18
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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« La violence d’aujourd’hui est la suite de celle d’hier. A partir des années


1990, les mouvements islamistes ont utilisé contre l’Etat une violence qui
s’enracinait dans la haine de l’Etat sécrétée par celui-ci. (…). Le pouvoir
exerce une répression contre les islamistes armés, mais en même temps contre
ceux qui veulent le remettre en cause, et contre les populations qu’il
soupçonne de sympathies islamistes. (…). Enfin, une violence trouve son
origine. » 21

Il est certain que la violence qu’a vécue l’Algérie pendant les années quatre-vingt-
dix, est incompréhensible si on ne tient pas compte des liens complexes entre des faits
et des intérêts historiques, économiques, sociaux et politiques que ceux-ci soient de
nature nationale ou bien internationale. Mais également, et c’est ce qui nous intéresse en
premier lieu, c’est de savoir comment cette violence a été introduite dans la littérature
algérienne d’expression française. C'est ce qui fera l’objet des lignes suivantes.

1.1 L’actualité sanglante comme moteur de l’écriture

Plongés au cœur de ce qui nous est présenté (par l’ensemble des journaux et des
revues périodiques ) comme une guerre civile, un grand nombre de civils, surtout des
intellectuels – écrivains, journalistes, metteurs en scène, musiciens, universitaires – et
beaucoup d'autres n’échappent pas à la barbarie, qui dès les débuts de la crise les prend
pour cible comme l’affirme R. Boudjedra: « Chaque fois que le sang des innocents a été
cruellement déversé par la horde sauvage, les écrivains, si nombreux de cette décennie,
l’ont recouvert avec l’écriture, ou plus exactement avec l’encre de l’écriture. » 22

Pour mémoire, nous citerons l’assassinat du dramaturge Abdelkader Aloulla, du


psychiatre Mohammed Bousebsi et de l’universitaire Mohammed Boukhobza, ou encore
du poète Youssef Sebti, et de l’écrivain Tahar Djaout, que l’écrivain Rachid Boudjedra
évoque dans son roman Timimoun : « Le grand écrivain Tahar Djaout abattu par des
terroristes de deux balles dans la tête au moment où il déposait ses deux fillettes devant
leur école. » 23

21
G. GRANDGUILLAUME, « Comment a-t-on pu en arriver là ? », in J.-R. Henry Les violences en
Algérie, Odile Jacob, Paris, 1998, p. 7.
22
R. BOUDJEDRA, « Le palimpseste du sang », in R. MOKHTARI, op. cit., p. 15.
23
R.BOUDJEDRA, Timimoun, ANEP, Alger, 1994, p. 90.

19
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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Malgré la violence quotidienne, la littérature algérienne semble plus vivante que


jamais. Témoignant de cette vivacité, Beïda Chikhi écrit dans un ouvrage récent : « Les
textes s’accumulent sous des formes décapantes. Les éditeurs s’activent, diffusent, les
revues culturelles prolifèrent, les mouvements associatifs se multiplient, font acte et
prennent acte par l’écriture, les débats publics s’animent, questionnent, interprètent,
polémiquent, se transcrivent. » 24

Ainsi, cet environnement tragique et terrifiant, rongé par l’angoisse et le


désespoir, voit naître un paysage littéraire subversif par sa thématique et par sa forme.
Les écrivains algériens éprouvent ce désir de signifier la violence par l’écriture qui
constitue le fil d’Ariane les liant à leur quotidien. A ce sujet, nous citons Nourredine
Saadi qui dit : « Seul le roman ou peut-être la poésie semblent aujourd’hui pouvoir
exprimer la tragédie que nous [la société algérienne] vivons. » 25

Quant à Rachid Boudjedra, il va jusqu’à redéfinir le concept de littérature dans ce


contexte en écrivant, dans un article récent que : « La vraie littérature se mesure à la
violence qui lui permet d’excéder, de déborder et de subvertir les lois d’une société,
d’un pays ou du monde. Donc l’histoire de l‘humanité truffée de guerres et de
violence.» 26

De fait, cette violence quotidienne a donné le souffle à de nouveaux noms, aux


voix multiples de femmes et d'hommes, au pays ou en exil tels Mohamed Kacimi El
Hassani, Aziz Chouaki et Abdelkader Djemaï et tant d’autres qui ont pris conscience de
cette situation subtile qui, durant plus d’une dizaine d’années, a marqué l’Histoire du
pays. Ces écrivains se sont jetés, comme pour répondre à un appel intérieur, dans
l’écriture de leur vécu et de leur mondanité quotidienne car selon eux « on écrit parce
qu’on est inquiet, parce qu’on doute. Tout le monde n’est pas inquiet. Tout le monde ne
doute pas. C’est peut-être pour cette raison que tout le monde n’est pas écrivain. » 27

24
B. CHIKHI, Littérature algérienne, désir d’histoire et esthétique, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 221.
25
N. SAADI, Interview dans le quotidien Le Soir d’Algérie, n°1736, 19 juin 1996, p.10.
26
R. BOUDJEDRA, « La littérature et la guerre », El-Watan, 06 Janvier 2005, p.08.
27
Ibid., p.14.

20
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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A cette prolifération d’auteurs, s’ajoute naturellement une prolifération de la


production littéraire qui participe également au renouveau du paysage littéraire
algérien.

1.1.1 Une prolifération de la production littéraire

Les confusions qu’a vécue l’Algérie pendant les années quatre-vingt-dix ont
certainement un déterminisme majeur dans la prolifération de la production littéraire
D’une part, parce que, comme nous le suggérions auparavant, la réalité tragique n’a pas
étouffé la production littéraire algérienne mais a, au contraire, mobilisé une parole
multiple. D’autre part, parce que les événements algériens ont rendu particulièrement
visible la production algérienne chez les éditeurs et les médias internationaux.

En réponse à cette violence, nous assistons à une production remarquable, dans le


domaine romanesque soit avec des écrivains déjà reconnus, tels Dib, Djebar Boudjedra,
ou de la nouvelle génération comme Malika Mokeddam, Yasmina Khadra, Maïssa Bey,
Boualem Sansal, Yamina Mechakra et tant d’autres. Pour Rachid Mokhtari, la période
s’étalant entre 1995 et 1999 est une date intéressante à noter dans la production
romanesque et dans l’histoire de la littérature algérienne parce que « plus d’une
cinquantaine de romans ont paru entre 1995 et 1999. De Si Diable veut de Mohammed
Dib à Arris de Yamina Mechakra, les fondateurs du roman algérien qui se sont jetés
dans l’écriture pour dénoncer le génocide colonial croisent la syntaxe de sang de
Yasmina Khadra, Boualem Sansal, Nouredine Saadi, Sabrina Kherbiche, Younil…» 28

La poésie et le théâtre demeurent également un domaine de prédilection de


l’expression littéraire algérienne des années quatre-vingt-dix tel est le cas du poète
Abdelhamid Laghouati dans son recueil La fête confisquée, 29 Mohammed Sehaba, ou
encore les noms d’Hamida Ait El Hadj, Fatiha Berezac, Myriam Ben et dans le domaine
du théâtre nous nommerons à titre d’exemple les pièces de Slimane Benaïssa, Fatima
Gallaire et Arezki Metref.

28
R. MOKHTARI, op. cit., quatrième de couverture.
29
A, LAGHOUATI, La fête confisquée, Association culturelle Noudjoun, Médéa, 1992.

21
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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Enfin, nous signalerons la place cruciale qu’occupe les témoignages dans les
années quatre-vingt-dix, qui sont souvent le fait des femmes ; nous citerons par exemple
les récits de Malika Boussouf, Vivre traquée 30 , de Leïla Aslaoui, Survivre comme
l’espoir 31 . En parallèle à ces témoignages, d’autres œuvres féminines s’affirment ; des
romans féminins, parfois à forte dimension autobiographique, sont publiés, tels ceux de
Malika Mokaddem, Latifa Ben Mansour ou encore les nouvelles de Maïssa Bey et son
roman, Au commencement était la mer 32 .

Il apparaît, au regard de ce bref survol de la production littéraire des années


quatre-vingt-dix, que les événements tragiques qui ont secoué l’Algérie depuis le début
de la décennie, ont bien provoqué une production fructueuse et des modifications au
plan littéraire. Ce sont ces modifications d’écriture que nous nous attacherons à décrire
car elles témoignent d’un renouveau du champ littéraire algérien et surtout d’une
évolution de l’écriture littéraire.

1.1.2 Une nouvelle littérature dite de l’urgence

Les modifications d’écriture littéraire des années quatre-vingt-dix ne sont


cependant pas le premier bouleversement que connaît la littérature algérienne
d’expression française. Il nous a semblé important de revenir un instant sur un bref
historique du roman algérien d’expression française et sur les principaux changements
qu’il a connus, car ceux-ci témoignent d’une évolution de la littérature algérienne dans
son ensemble. Nous verrons donc comment, en quelques décennies, le roman algérien
est passé d’une écriture iconoclaste tant au plan de la forme que de celui du contenu à
une nouvelle écriture en lien étroit avec l’actualité.

Une fois l’Indépendance acquise, l’attention des écrivains du Maghreb s’est


concentrée sur les grandes questions de l’aliénation du moi et de la quête identitaire.
Ces questions se sont accompagnées d’un travail d’appropriation et de subversion du
langage. En Algérie, le style du constat et de la neutralité, qui avait prédominé dans les

30
M. BOUSSOUF, Vivre traquée, Calmann-Lévy, Paris, 1995.
31
L. ASLAOUI, Survivre comme l’espoir, Media-Plus, Constantine, 1994.
32
M. BEY, Au commencement était la mer, Marsa, Alger, 1996.

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L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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premiers temps, laisse la place avec la parution de Nedjma de Kateb Yacine à une
esthétique plus directement iconoclaste. Ce texte publié en 1956 marque à la fois une
rupture et un commencement pour l’ensemble de la littérature maghrébine. Il opère, en
effet, un renversement de tous les modèles narratifs, et principalement descriptifs, qui
existaient jusqu’alors.

Il faut attendre la fin des années soixante pour qu’en dignes successeurs de Kateb,
les écrivains algériens de la troisième génération – Bourboune, Farès, Boudjedra, pour
ne citer que quelques-uns – développent une esthétique violemment négative qui exalte
l’écart et la déviation par rapport aux conventions stylistiques. La manifestation la plus
connue de ce que nous pouvons sans aucun doute considérer comme une seconde
naissance du roman algérien est La Répudiation (1969) de Rachid Boudjedra. Dans ce
roman, en effet, s’exprime violence et révolte individuelle dans une langue mise en
pièce par une écriture éclatée qui joue de tous les registres et de tous les genres. Pour
Charles Bonn, La Répudiation est « la manifestation scandaleuse de deux paroles
indicibles dans le système clos du discours algérien convenu : celle de la sexualité et
celle de la mémoire. » 33

En outre, les revendications sociales ou identitaires de cette génération passent par


une véritable théorisation de l’écriture qui trouve certainement sa source dans les
rapports conflictuels à la langue de l’autre mais va également au-delà. Chez ces
écrivains, la quête d’identité ne se sépare pas d’une quête de l’écriture. Les recherches
d’écriture sont donc au centre des préoccupations des écrivains qui entendent rompre
avec la génération précédente. Ainsi, pour cette génération la subversion formelle est
plus efficace encore que celle des thèmes.

Les années quatre-vingts marquent, en effet, la fin de ce que les critiques ont pu
nommer les monstres sacrés. Les grands écrivains iconoclastes, s’ils continuent à
produire, le font avec des ambitions littéraires moindres. Rachid Boudjedra délaisse la
violence du texte théorisée à propos du Maroc par Marc Gontard 34 pour revenir avec
des romans comme Timimoun (1994) ou La Vie à l’endroit (très directement lié à

33
J. NOIRAY, Littératures francophones I. Le Maghreb, Belin, Paris, 1996, p.197.
34
M. GONTARD, op. cit.

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L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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l’actualité algérienne) à une écriture plus directement narrative. Dans le même temps, il
s’éloigne du domaine littéraire pour publier deux essais FIS de la haine en 1992 et
Lettres algériennes en 1995.

Ainsi, dans les écrits des années quatre-vingts, nous assistons à un envahissement
progressif du littéraire par le réel. De nouveaux écrivains apparaissent qui témoignent
d’un nouveau développement du roman algérien. Parmi eux, les plus célèbres sans
doute et les plus importants sont Rachid Mimouni et Tahar Djaout. Le premier s’est fait
véritablement connaître avec la publication en France du Fleuve détourné (1982) qui
reste encore très marqué par l’influence du Polygone étoilé de Kateb Yacine. Il atteint
sa véritable maturité littéraire deux ans plus tard avec la publication de Tombéza en
développant une écriture de l’horreur très éloignée dans la forme, par sa froideur et sa
concision, des recherches formelles précédentes. Tahar Djaout, de son côté, est connu
depuis 1975 pour son activité poétique ; son entrée dans le genre romanesque se fait en
1981 avec L’Exproprié texte hybride entre poésie et prose. Avec les romans suivants,
Les Chercheurs d’os (1984), L’Invention du désert (1987) et surtout Les Vigiles (1991),
il revient à une écriture plus limpide, à la fois tranquille et corrosive, dont la dimension
tragique présage cependant déjà des événements dramatiques des années qui vont
suivre.

Les années quatre-vingt-dix inscrivent un autre moment tragique de l’Histoire


d’Algérie. La crise socio-politique et économique plonge l’Algérie dans d’autres formes
de violence qui conduisent à des confrontations sanglantes. Les écrivains algériens
tournent résolument vers le témoignage en introduisant le référent Histoire des années
90, un moment brûlant de l’actualité. C’est l’écriture instantanée de l’événement
historique. C’est l’avènement de l’écriture dite de l’urgence. A ce propos le journaliste
Hammadou écrit : «Les évènements tragiques qui secouent le pays depuis le début de la
décennie écoulée ont […] suscité une nouvelle littérature algérienne qualifiée de
«littérature de l’urgence ». […], cette littérature dont l’origine est «le drame qui se
joue dans les arènes de l’histoire contemporaine de l’Algérie.» 35

35
G.HAMMADOU, «Littérature algérienne : l’empreinte du chaos », Le Matin n°2873, lundi 6 Août
2001.

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L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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Quant à Meïsa Bey, écrire dans une situation d’urgence est un acte d’engagement
et de dévoilement d’une réalité explosive avec des mots disant le refus de toute
complicité confortable ou subornation : « (…) La force des mots montre l’urgence de
dire l’indicible, de chercher le pourquoi de cette folie qui ravage l’Algérie. De refuser
le silence et la peur trop longtemps imposés.» 36

Cette écriture de l’urgence semble, en effet, privilégier la dimension critique et


une forme de prise en charge du réel à l’élaboration littéraire. Il ne faudrait pourtant pas
conclure trop rapidement à un abandon de toute préoccupation littéraire chez les
écrivains algériens des années quatre-vingt-dix. A notre sens, l’effacement des marques
de littérarité peut être considéré comme un nouvel exercice de style qui témoigne de
l’envahissement du littéraire par le réel.

Si les écrivains algériens des années quatre-vingt-dix semblent s’être détachés du


modèle iconoclaste de leurs prédécesseurs, leurs fictions ne continuent pas moins de
nous interroger sur le rôle et la finalité de l’écriture dans le contexte extrême qu’a connu
l’Algérie durant cette période, pourquoi et pour qui (d) écrire ?

1.2 Pourquoi et pour qui (d) écrire ?

Les textes des écrivains algériens des années quatre-vingt-dix ne cessent de nous
interroger sur la finalité de l’écriture dans le contexte tragique qu’a connu l’Algérie
depuis le début de la décennie. Pourquoi, mais également pour qui (d) écrire ?

Nous verrons que le témoignage – non pas envisagé en tant que genre mais plutôt
en tant que thématique – semble être le passage obligé des auteurs contemporains.

36
M. BEY, Revue Algérie, Littérature /Action, n°5,1996, p.77

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L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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1.2.1 Le témoignage

Le témoignage semble être devenu dans les années quatre-vingt-dix, le passage


obligé des textes des nouveaux auteurs algériens publiés au pays ou en exil. A ce propos
F. Boualit écrit :

« La littérature algérienne des années 90 se conçoit comme une écriture-


témoignage dont la caractéristique principale est la vraisemblance. C’est,
comme on peut le constater à la lecture des textes, une littérature réaliste qui
fonctionne comme un compromis entre l’exactitude historique et la liberté de
l’écrivain (sans souci du pacte social qui le lie à ses lecteurs. » 37

Les circuits d’éditions internationales ont aussi une responsabilité dans ce


phénomène. L’actualité algérienne entraîne une attente événementielle de la part du
lectorat. Et il apparaît évident qu’une majorité des éditeurs privilégient les textes qui
témoignent – sous une forme ou une autre – de la situation algérienne des années
quatre-vingt. Ainsi, il y a chez les écrivains algériens une véritable volonté de témoigner
et de dire cet espace tragique qui nourrit la fiction et dit la réalité.

La dimension tragique, la mort et la violence s’inscrivent sans aucun doute dans


les écrits des auteurs contemporains mais alimentent également le discours des
écrivains quand il s’agit de décrire la situation de la société algérienne des années
quatre-vingt-dix. Ceux-ci s’accordent, en effet, à identifier la situation algérienne à une
tragédie ou à un drame. Dans ce contexte, Assia Djebar écrit : « Mon écriture
romanesque est en rapport constant avec un présent, je ne dirais pas toujours de
tragédie mais de drame. » 38

Quant à Yasmina Khadra, elle déclare : « De mon côté, je tiens à dire que je ne
quitte pas des yeux les convulsions dramatiques de mon pays depuis le déclenchement
des hostilités. » 39

37
F. BOUALIT, « La Littérature algérienne des années 90 : témoigner d’une tragédie ? », in Algérie
Littérature/ Action, n°1, mai 1996, p. 93.
38
Ibid., p. 38.
39
Ibid., n° 22-23, juin-septembre 1998, p. 191.

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L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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Nous pourrions multiplier encore les exemples, ceux que nous avons retenus
suffisent, il nous semble, à inscrire les œuvres des années quatre-vingt-dix dans un
espace tragique où le témoignage devient, pour les écrivains, une sorte de nécessité.

Cet espace tragique est également convoqué par les éditeurs et les critiques
français : Albin Michel à propos de La Nuit sauvage écrit : « Mohammed Dib (…)
témoigne de ses tragédies [celles de l’Algérie] et de ses conflits. » 40

De même les éditions Seuil écrivent à propos de Rose d’abîme de Aïssa


Khelladi : «Rose d’abîme dépasse les récits que suscitent les événements algériens, il
nous fait basculer dans les profondeurs où se noue, en chaque être, la tragédie. » 41

Enfin, nous pensons que le témoignage peut être conçu comme un moyen de dire
le drame algérien, ce qui ne pourrait l’être autrement. Nous pouvons étendre cette
réflexion à l’ensemble des textes publiés cette dernière décennie, puisque nous avons
montré précédemment que les écrivains des années quatre-vingt-dix entendaient
témoigner de la tragédie algérienne. Yasmina Khadra est l’un des écrivains qui ont
éprouvé ce désir de signifier la crise algérienne par une nouvelle écriture qui peut être
lue comme un témoignage exemplaire de la situation socio-politique des années 90.

1.2.2 Yasmina Khadra : une décennie de productivité

Les romans de Yasmina Khadra des années 90, peuvent être lus comme un
témoignage exemplaire de la situation socio-politique qu’a connue l’Algérie. Ainsi,
notre corpus d’étude Les agneaux du Seigneur 42 présente une transition remarquable
dans l’écriture de l’auteur. Il nous a semblé important de revenir un instant sur la
spécificité de ces romans et sur les principaux thèmes traités.

40
M. DIB, La Nuit sauvage, Albin Michel, Paris, 1995, quatrième de couverture.
41
A. KHELLADI, Rose d’abîme, Seuil, Paris, 1998, quatrième de couverture.
42
Y.KHADRA, Les agneaux du Seigneur, Julliard, Paris. p.48.

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L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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D'après leur structure et leur contenu, les premiers romans de Yasmina Khadra 43 –
des années quatre-vingt-dix–, sont incontestablement des romans noirs. L’auteur a
montré souvent qu’il maîtrisait parfaitement les règles de ce genre – nous
développerons cet aspect plus loin –. Tandis qu'il jongle avec ceux-là de façon créative
au niveau du contenu et de la langue, la structure de ses romans suit sans innovations ou
variations le modèle du roman noir. Dans tous ses romans, c'est donc un crime –
l'assassinat ou la disparition d'une personne – qui se trouve au début des enquêtes du
Commissaire Llob. Parallèlement aux recherches du commissaire et de ses collègues
cernant de plus en plus les suspects, la série de crimes se poursuit, et Llob découvre
toujours de nouvelles victimes jusqu'à ce qu'il arrive, à la fin du roman, à arrêter le(s)
meurtrier(s).

A première vue, les romans de l’auteur n'apportent donc pas d'innovations au


genre. Pourtant, deux caractéristiques importantes de ses romans doivent être
soulignées: d’une part, Yasmina Khadra réussit pour la première fois dans l'histoire du
genre en Algérie à vraiment créer du suspens et surtout à maintenir la tension du début
de ses romans jusqu'à leur fin. Ni des actions parallèles gênantes ou des descriptions
exhaustives des lieux ajoutées de façon artificielle, ni de longs dialogues moralisants ou
des traités ne brisent le suspense des romans. D'autre part, sa série autour du
Commissaire Llob forme une unité et se caractérise par une continuité au niveau du
style et surtout de la structure des œuvres isolées.

A part les éléments formels, ces romans sont aussi liés sur le plan du contenu :
d'abord par le lieu de l'action, toujours le même, qu’est Alger et ensuite par des
personnages récurrents dans tous les romans. Quant aux personnages, il faut surtout
mentionner le Commissaire Llob 44 , le protagoniste des romans qui occupe le poste de
commissaire dans la police d'Alger, qui est père de quatre enfants et un mari grognon

43
Après Le Dingue au bistouri et La Foire des enfoirés parus en Algérie sous le nom du protagoniste de
la série, le Commissaire Llob, la «trilogie française »–c'est-à-dire Morituri , Double blanc, et L'Automne
des chimères) –fut publiée en France sous le pseudonyme féminin de Yasmina Khadra. En septembre
1999, l'auteur a révélé partiellement son identité et avoué que Yasmina Khadra n'est pas une femme mais
un homme qui n'a pas les moyens de s'identifier."Yasmina Khadra lève une part de son
mystère".Entretien avec Yasmina Khadra, propos recueillis par J-L DOUIN, Le Monde (10
septembre1999)
44
En arabe, le nom Llob veut dire « noyau dur, coeur pur » ; Marie-Ange Poyet,"Préface", in Y.
KHADRA, Morituri, 1997, p. 10.

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L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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mais tendre; il y a ensuite ses collègues l'inspecteur Serdj et l'inspecteur Dine, puis le
patron haï, et confident de ce dernier, l’inspecteur Bliss. Au cours des romans, le lecteur
devient familier avec tous ces personnages, avec leurs petits et grands problèmes, et il
les accompagne dans leur vie quotidienne et durant leurs aventures.

Au plan du contenu, l'action se concentre sur des problèmes sociaux, économiques


ou politiques auxquels la société algérienne se voit confrontée actuellement. Dans Le
Dingue au bistouri, premier roman de Yasmina Khadra paru en Algérie en 1990, le
Commissaire Llob est chargé de trouver un dingue qui tue surtout des femmes sans
motivation évidente. Parallèlement à l'histoire de l'enquête, se développe la critique
sévère du Commissaire Llob contre les conditions de vie et de logement inhumaines à
Alger, critique à propos d'une jeunesse algérienne frustrée et sans perspectives et d'une
société ignorante, dont le dingue apparaît comme une des victimes.

La Foire des enfoirés, le deuxième roman de Yasmina Khadra écrit


immédiatement après Le Dingue au bistouri, n’est paru en Algérie qu'en 1993 pour des
raisons techniques. Dans ce roman, les idées critiques du Commissaire Llob se font
surtout autour des thèmes du patriotisme et de la trahison de la patrie pour l'argent, aussi
bien qu'autour des raisons de la situation politique et économique difficile de l'Algérie.
Un autre thème important du roman doit être mentionné, celui des soucis du
Commissaire Llob pour l'avenir et le prestige de sa patrie. A maintes reprises, le
Commissaire Llob critique la lâcheté et l'indifférence de la population algérienne face
aux problèmes sociaux, et se moque de ce qu'on appelle la démocratie et le socialisme
en Algérie.

Les thèmes centraux de Morituri –troisième roman de la série, publié en France


sous le nom de Yasmina Khadra –sont l'intégrisme qui règne en Algérie, ses formes
diverses et ses conséquences : la mort et les tueries, comme l'évoque le titre du roman.
Ce sont les morituri –ceux qui luttent contre les intégristes comme le fait le
Commissaire Llob, et qui sont donc dès le début voués à la mort comme l'étaient les
gladiateurs qui combattaient dans les jeux du cirque à Rome –qui se trouvent au centre
de ce roman noir, dont l'action et les protagonistes sont tirés directement de la vie
quotidienne en Algérie. Les thèmes du roman se reflètent aussi sur la couverture du

29
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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livre, qui reprend en blanc, vert et rouge les couleurs du drapeau algérien ; elle montre
une carte de l'Algérie déchirée par un couteau –un pays blessé et sanglant, ébranlé par
des vagues de terrorisme. 45

Dans Double blanc, le quatrième roman de la série, le Commissaire Llob entre de


nouveau en contact avec des intégristes durant ses recherches. Cette fois-ci, c'est
l'assassinat de Ben Ouada qui prélude à l'enquête. Autrefois, celui-ci était diplomate et
critique du socialisme algérien, mais il est surtout en possession d'un programme pour
ordinateur qui porte le nom d'HIV – « hypothèse 4 », « un programme diabolique conçu
par un groupe d'opportunistes friqués pour faire main basse sur le patrimoine industriel
du pays » 46 .Comme dans Morituri, l'implication de personnalités réputées et
d'industriels dans des affaires criminelles se trouve aussi au centre de Double blanc.
Dans les deux romans, les responsables des crimes n'hésitent pas à soutenir les
machinations des intégristes et à s'en servir pour s'enrichir.

Le dernier roman du volet, L’Automne des chimères paru en France en 1998,


n’en demeure pas moins également porteur d’une charge énigmatique puisque au-delà
du suspens entretenu par la tension permanente pesant sur la vie de Llob, sans cesse
menacé de mort, le roman s’achève précisément sur un flagrant délit de substitution de
texte : sans que l’on sache comment ni par qui ni dans quelles circonstances le crime a
été commis, Llob est découvert mort par Lino, son adjoint, dépositaire de ce fait d’une
nouvelle énigme à résoudre.

En somme, les romans noirs de Yasmina Khadra offrent un éventail de thèmes très
varié : frustration de jeunes, trahison de la patrie, patriotisme, et intégrisme…etc. qui
évoque d'une manière claire, au-delà du crime, les conditions de vie d'un peuple assigné
à résidence pour cause d'absence de droits. Au fond, Yasmina Khadra présente d’une
manière implicite, une crise de valeurs pour un peuple qui n'a ni contrat social ni justice.
En faisant la démonstration de l'absence de justice ou de l'impossibilité de son
application, il montre à quoi sont réduis les hommes quant il s’agit de l'instinct de

45
Cf. infra : annexe5, p. 114.
46
Y. KHADRA, Double blanc, Baleine, Paris, 1997, p.133.

30
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
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survie, et quand il n'y a plus que cela pour réguler une société, il n'y a plus de bien
collectif.
Après la publication de ces cinq romans noirs parus entre 1990 et 1998, et à
l'aggravation de la situation en Algérie Yasmina Khadra a changé de genre en publiant
Les agneaux du Seigneur 47 1998 et A quoi rêvent les loups1999. 48 Dans ces deux
romans, presque rien –sauf le thème principal, de la guerre civile en Algérie–ne
rappelle, à première vue, les romans précédents de l'auteur, ni les remarques ironiques
du protagoniste de la série noire, ni les passages humoristiques et les jeux de mots
drôles mais critiques. Dans Les agneaux du Seigneur par exemple le lecteur ne trouve
plus de personnage principal qu'il suit avec émotion et curiosité, mais un grand nombre
de personnages dont il poursuit les cruautés sans vouloir croire que de telles réactions
soient possibles :

« Regarde ta famille, dit Smail au maire (…). Tu vas assister à leur mort. Nous
allons les égorger sous tes yeux, les uns après les autres, ensuite nous sodomiserons
ta femme, puis nous lui crèverons les yeux, lui arracherons les doigts et la peau du
dos, lui découperons les seins et nous l’écartèlerons avec une scie à métaux. Et
quant nous en aurons fini avec les tiens, j’aspergerai personnellement ton corps
d’essence et te flamberai avec joie. Tu as voulu jouer avec le feu. Je t’apporte celui
de l’enfer. » 49

À quoi rêvent les Loups est le dernier roman publié dans les années 90. C’est
l'histoire d'un de ces jeunes, Nafa Walid que Yasmina Khadra décrit avec réalisme.
Histoire d'une dérive inévitable vers l'horreur d'un jeune déboussolé qui, d'une
opposition à sa famille et à ses amis, en arrive à perdre tout repère. Lui qui rêvait de
cinéma, de carrière d'acteur, de gloire et de fortune, se trouve entraîné dans le
cauchemar de la violence et la folie meurtrière les plus abominables.

Parallèlement au changement du genre et à l'aggravation de la situation en Algérie,


l'écriture de Les Agneaux du Seigneur semble au niveau du contenu et de la présentation
des événements, plus noire que la précédente. Cette écriture que nous étudions dans ce

47
Y.KHADRA, Les agneaux du Seigneur, Julliard, Paris, 1998.
48
Y.KHADRA, A quoi rêvent les loups, Julliard, Paris, 1999.
49
Y.KHADRA, op. cit., p.163.

31
L'Algérie 1990 : Littérature et Violence
_____________________________________________________________________________________

mémoire, dissimule dans ces plis et replis une violence intensive qui, de ce fait,
distingue Les agneaux du Seigneur d’autres romans.
Cette réflexion servira donc de point de départ à notre étude et nous
commencerons d'abord, par l’écriture du paratexte qui présente une importance
considérable dans notre cas pour une double raison. D’une part, parce que le paratexte
est le premier élément qui interpelle le lecteur. D’autre part, il est lui-même générateur
de violence.

32
Chapitre I : Le paratexte : Une graphie de l’horreur
______________________________________________________________________

_____________________________________

CHAPITRE I

LE PARATEXTE : UNE
GRAPHIE DE L’HORREUR

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Chapitre I : Le paratexte : Une graphie de l’horreur
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Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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I.1 Le paratexte : un indice de signifiance

Le texte, comme l'énonce Genette dans Seuils 54 , se présente rarement sous sa


forme nue. En effet, il est accompagné d'un certain nombre d'indications qui permettent
de le révéler au public. Le lecteur peut alors découvrir le roman, avant même d'en faire
la lecture, grâce à toutes ces informations paratextuelles. Selon lui « Le paratexte est
donc pour nous, ce par quoi un texte se fait livre et se propose comme tel à ses lecteurs,
et plus généralement au public. Plus que d'une limite ou d'une frontière étanche, il
s'agit ici d'un "seuil" ou (...) d’un "vestibule "qui offre à tout un chacun la possibilité
d'entrer ou de rebrousser chemin.» 55

Grâce aux éléments paratextuels, l’auteur se donne à lire pour son lecteur. La
communication littéraire suit alors son cours habituel : le public visé est si large que
l’auteur, ainsi que la maison d’édition tentent de répondre à son attente par le choix des
éléments paratextuels. Il ne faut pas perdre de vue que le roman est un produit de
consommation.

Mittérand., à son tour voit qu’il :

« existe […] autour du texte du roman, des lieux marqués, des balises, qui
sollicitent immédiatement le lecteur, l’aident à se repérer, et orientent,
presque malgré lui, son activité de décodage. Ce sont, au premier rang, tous
les segments de texte qui présentent le roman au lecteur, le présentent, le
dénomment, le commentent, le relient au monde : la première page de
couverture, qui porte le titre, le nom de l’auteur et de l’éditeur, la bande-
annonce ; la dernière page de couverture, où l’on trouve parfois le prière
d’insérer ; la deuxième page de couverture, ou le dos de la page du titre, qui
énumère les autres oeuvres du même auteur ; bref, tout ce qui désigne le livre
comme produit à acheter, à consommer, à se conserver en bibliothèque, tout
ce qui le situe comme une sous-classe de la production imprimée, à savoir le
livre, et, plus particulièrement le roman. Ces éléments […] forment un
discours sur le texte et un discours sur le monde. » 56

54
G. GENETTE, Seuils, Seuil, Paris, 1987.
55
Ibid., p.07.
56
H. MITTERAND, cité par C. ACHOUR et S. REZZOUG, in Convergences critiques, Alger, OPU,
1990, p. 29.

34
Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
_____________________________________________________________________________________

Ainsi, Mittérand rejoint dans le même ordre d’idée Genette, pour qui, le paratexte
est composé d’éléments disparates entretenant des interrelations entres eux. Ces
éléments permettent sans aucun doute l’accès au texte.

Genette met en évidence deux catégories de paratexte :

– le paratexte auctorial qui rassemble tous les éléments placés sous la responsabilité de
l’auteur.
– Le paratexte éditorial qui indique les éléments qui relèvent de l’implication de l’éditeur.
Ces deux catégories se subdivisent en deux sous-catégories :

– Le péritexte « [qui] désigne les genres discursifs qui entourent le texte dans l’espace du
même volume…» 57
– L’épitexte qui « [indique] les productions qui entourent le livre et se situent à
l’extérieur du livre. » 58

En résumant ces informations, le schéma suivant explique en détail les différents


rapports paratextuels, et les opérations essentielles qui participent à la publication d’une
œuvre notamment entre l’auteur, lecteur et l’éditeur.

57
H. MITTERAND cité par Ph. LANE, in La périphérie du texte, Nathan, Paris 1992. p.14.
58
Ibid.

35
Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
_____________________________________________________________________________________

PARATEXTE

AUTEUR Production EDITEUR


(Horizon d’attente)

PARATEXTE Commercialisation PARATEXTE


AUCTORIAL (Horizon d’attente du lecteur) EDITORIAL

Lecteur
(Consommation)

EPITEXTE PERITEXTE PERITEXTE EPITEXTE


AUCTORIAL AUCTORIAL EDITORIAL EDITORIAL

TEXTE

Conférences Nom de Couvertures. Affiches


Journaux l’auteur Jaquettes. publicitaires.
intimes Titres Prière Communiqués
Correspondances Intertitres d’insérée etc. etc.
etc. Dédicaces
Préfaces
Notes etc.

Figure n°1 : Les rapports paratextuels

A travers ce schéma, nous constatons que la relation auteur/lecteur est une relation
de production et de consommation. A cet aspect littéraire se superpose l’aspect

36
Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
_____________________________________________________________________________________

commercial, il apparaît évident que ces deux aspects sont indissociables et vont de
paire. Pour savoir comment un texte a été lu – consommé –, il faut d’abord savoir
comment il a été édité. Avant d’être soumis au public, le texte littéraire fait l’objet d’un
certain nombre de manipulations (corrections ou modifications), visant à l’adapter ou à
le situer dans la perspective d’un horizon d’attente particulier. Ainsi la première de
couverture est d’une importance majeure. C’est le moyen par lequel s’effectue le
premier contact entre le lecteur et le livre. Certes le contenu est incontestablement
primordial, mais le contenant et tous les éléments qui l’entourent ne sont pas négligés.

Ainsi, les éléments qui entourent le texte – paratexte auctorial ou éditorial– ont
pour rôle d’attirer le lecteur, de capter son attention et de susciter son intérêt. En somme
le contenu est la responsabilité de l’écrivain et la présentation du livre reste réservée
généralement à l’éditeur. La valeur ajoutée par le paratexte éditorial constitue l’une des
stations indispensables par lesquelles le texte doit passer pour produire son effet. La
procédure éditoriale et la démarche de commercialisation sont affranchies d’un certain
nombre de contraintes strictement commerciales, et pour ce faire la politique éditoriale
doit être en phase avec l’horizon d’attente du lecteur.

Le roman que nous nous proposons d’étudier est édité par différentes maisons
étrangères qui ont une certaine notoriété internationale. Lors de sa première édition, il a
été publié dans la collection de luxe Julliard. Après cette édition, le texte a été réédité
dans une publication de poche Pocket ce qui a permis au grand public d'accéder plus
facilement à ce roman 59 . Dans un même temps, cette publication montre le succès qu’a
rencontré le texte, ce que remarque également Genette : « L'édition de poche sera sans
doute longtemps synonyme de consécration. Par cela seul, elle est en elle-même un
formidable message paratextuel. » 60

59
Y. KHADRA nous a expliqué les raisons de ce passage de publication d’une version de prestige à une
autre de poche. A ce propos, il nous a précisé : « Un ouvrage est édité en poche pour bénéficier d'une
plus large audience. La fabrication n'est pas luxueuse, et le prix est grandement abordable ».
60
G. GENETTE, op. cit., p. 25.

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Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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Malgré le succès de Les Agneaux du Seigneur, Yasmina Khadra nous a informé


qu’il n’a pas été consulté pour l’intégration de la couverture dans la version Pocket 61 ,
ce qu’il a beaucoup regretté. A ce propos, il écrit : « J'ai beaucoup déploré les
couvertures des Agneaux et de A quoi rêvent les loups, pour la version Pocket. On ne
m'avait pas consulté, à cette époque. Depuis ce malentendu, j'ai un droit de regard sur
le choix des illustrations, -leur nature, et c'est moi qui décide quoi retenir. » 62

Nous pensons que la question de l'édition pose plusieurs problèmes dont celui
concernant le public du roman .En effet, pour les éditeurs occidentaux – les Français en
particulier – il semble bien que le public privilégié soit l'Occidental. D'autre part, le
choix de l'éditeur traduit le désir des auteurs –algériens– de voir leur roman publié
complètement et non pas avec des censures. De ce fait, ces éditeurs occidentaux dictent
souvent une politique éditoriale purement européenne qui néglige malheureusement les
particularités et les spécificités culturelles des autres publics. Ne somme-nous pas en
présence d’une forme de violence éditoriale ?

Pour l’édition de notre corpus, nous avons choisi la version originale de Julliard.
C’est une version qui contient peu de données paratextuelles. Il s’y trouve : le nom de
l’auteur (pseudonyme), le titre, la dédicace et l’épigraphe. La couverture représente les
couleur de la maison d’édition Julliard le blanc et le vert. 63

Etant donné l’absence d’autres éléments paratextuels, nous nous contenterons,


dans notre travail, de l’analyse du péritexte afin de montrer que la violence de l’écriture
ne se manifeste pas uniquement avec le texte mais se lit dès les préambules au texte. 64

61
Pour la première édition de la version Pocket la première page de couverture représente un cimetière
et des femmes se recueillant sur les tombes de leurs proches et les pleurant. Quant à la deuxième
réédition, elle montre une femme voilée qui porte les photos de ses enfants avec un arrière plan rouge.
Ces deux couvertures expriment dès le premier regard de l’horreur et de la violence. L’auteur nous a
informé qu’il n’a pas été consulté pour l’intégration de cette couverture. (Cf. infra : annexe 4, p. 113.)
62
Cf. infra : annexe 1, p. 106.
63
Cf. infra : annexe 3, p. 111.
64
A cet effet, nous tenterons d’exploiter les réponses au questionnaire que nous avons adressé à l’auteur.
[Nous le remercions ici pour sa longue missive !]

38
Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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Ainsi, notre analyse de ces éléments obéira essentiellement au critère du lieu


d’apparition du message dans le roman, suivant ainsi l'ordre dans lequel le lecteur est
amené à prendre connaissance du texte d'accompagnement.

I.1.1 Le nom de l’auteur

Le nom de l’auteur est l’un des premiers éléments que découvre le lecteur et qui
lui permet de mieux accueillir le texte. C’est un élément paratextuel important. Parfois,
il est suffisant pour la vente d’une œuvre. Il est soumis à des manipulations artistiques
qui lui confèrent une forme différente. Il peut être le nom civil de l’auteur, un
pseudonyme ou ne pas apparaître du tout. Lane remarque dans ce contexte que « le nom
de l’auteur constitue une inscription essentielle du paratexte puisque s’y conjuguent la
reconnaissance d’une appartenance d’un livre à un auteur (et à l’ensemble d’une
œuvre) et la mise en relation de l’ouvrage à la personnalité historique que désigne le
nom. » 65

Le nom de l’auteur est donc le premier élément à aborder dans la mesure où il


exerce un effet d’attraction, sur le lecteur et participe à la promotion. Il ne décline pas
l’identité réelle de l’auteur vu qu’il se présente sous forme de pseudonyme. La
dimension réelle de ce dernier se manifeste ici dans la relation entre les motifs et les
manières. La manière est ici nettement claire : c’est la pratique de la supposition
d’auteur, selon laquelle un auteur réel attribue une œuvre à un auteur qui peut être
imaginaire ou réel. Le jeu consiste alors à chercher les motifs qui ont amené l’auteur à
utiliser un masque ; et surtout de comprendre les significations de ce nouveau masque.
C’est ce que note Jean Starobinski : « Lorsqu’un homme se masque ou se revêt d’un
pseudonyme, nous nous sentons défiés. Cet homme se refuse à nous. En revanche nous
voulons savoir, nous entreprenons de le démasquer. Devant qui cherche-t-il à se
dissimuler ? […] Et une nouvelle question s’enchaîne aux précédentes : que veut dire
ce nouveau visage dont il s’affuble, quelle signification donne-t-il à ses conduites
masquées, quel personnage vient-il maintenant simuler, après avoir dissimulé ce qui
voulait disparaître ? » 66

65
LANE, op. cit., p. 42.
66
J. STAROBINSKI, cité par LANE, op. cit., p. 43.

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Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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Les raisons qui ont poussé Khadra à dissimuler son identité sous ce pseudonyme
sont multiples et variées. D'une part, entrer en clandestinité comme il le dit dans une de
ses interviews : « Pour continuer d'écrire, justement. J'étais soldat. Mes six premiers
livres portaient mon vrai nom. Ma petite notoriété, en Algérie, a commencé à taper sur
le système de ma hiérarchie, qui a décidé de me soumettre à un comité de censure. J'ai
opté pour la clandestinité. Comme à la résistance. » 67 D'autre part, écrire à l'ombre
durant les années 90 était un moyen de salut face à la situation précaire du pays et
l’assassinat des intellectuels.

De ce fait, nous pensons que Yasmina Khadra a choisi, ce pseudonyme pour ses
vertus attractives car l’œuvre littéraire est destinée à la consommation. Quoi que nous
sachions pertinemment que ce pseudonyme est celui de son épouse comme l’atteste la
déclaration suivante : « J'ai opté pour un pseudonyme féminin pour rendre hommage
aux Algériennes en général et à mon épouse en particulier à qui j'ai donné mon nom
pour la vie et qui m'a offert le sien pour la postérité. » 68

Ainsi, le pseudonyme est constitué de deux mots : Yasmina, appellation arabe que
l’on donne à la gent féminine qui signifie fleur de jasmin, et Khadra perçu comme la
couleur verte, « la fleur du Jasmin est verte », telle est la signification littérale du
pseudonyme.
Par ailleurs, ce pseudonyme est basé sur un jeu de mot qui se manifeste comme
une masse homogène. Le mot « Yasmina » est au centre de ce jeu, qui peut être
remarqué de deux façons différentes. D’une part, le mot « Yasmina » fonctionne
comme une mise en abîme. Il est constitué de deux noms de femmes qui ont marqué la
vie privée et littéraire de l’auteur : « YasMina Khadra » qui est le vrai nom de son
épouse et au cœur de ce nom en trouve « Mina »nom d’épouse de son protagoniste le
Commissaire LIob. Cet emboîtement de noms attire l’attention et tente d’accrocher le
lecteur par la symbolique du jasmin, où se laisse entrevoir une certaine dose d’exotisme
et une sorte de perversion séductrice. L’auteur reprend ainsi une image déjà employée,
en Inde, par « Kama », le dieu de l'amour, qui atteint ses victimes par des flèches
auxquelles il attachait des fleurs de jasmin.

67
Cité in Maroc Hebdo International, n°672 -du 4 au 10 Novembre 2005, p. 41.
68
C. LECOMTE, « Le rêve de l'enfant-soldat », in www. Le Temps -Livres.com Samedi 8 octobre 2005

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Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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Par ailleurs, « Yas » est un mot arabe défini comme le sentiment d’être
extrêmement malheureux, qui signifie en français le désespoir, la déception ou le
malheur. « Le désespoir de Mina » est le sens littéral du mot. Les événements des
années 90 ont rendus Mina plus dure et plus indépendante, aussi représente-t-elle toutes
les femmes algériennes dont les enfants fuient la terreur, femmes qui vivent dans la peur
permanente pour leurs proches et qui, impuissantes, sont obligées d'observer de chez
elles la suite des événements:

« Elle s'inquiète. Elle ne fait que ça. Son aîné est parti, sa grande se morfond
faute de prétendant, son mari est tête d'affiche aux olympiades terroristes (...)
Quand je sors, elle guette à la fenêtre. Quand j'ai cinq minutes de retard, elle
perd les pédales. Elle s'effiloche, Mina. Ses rondeurs, qui excellaient à
synchroniser mon pouls à leur déhanchement, se sont avachies. Son coeur ne
bat qu'effroi et furie. » 69

Dans la même perspective, Poyet considère que le recours à cette utilisation du


pseudonyme Yasmina Khadra sous la forme d’un nom féminin est une mise en lumière
de la situation difficile qu’a vécue la femme algérienne dans ce contexte de violence des
années 90. A ce propos, elle écrit :

« […] Comment expliquer la violence de Yasmina Khadra autrement que par


une volonté farouche de déguisement, de travestissement? Il ne faut pas, c’est
vital, que l'on puisse la démasquer. Et non seulement il ne faut pas démasquer
l'écrivain, mais il ne faut surtout pas démasquer la femme. Voilà sans doute le
prix du droit d'éditer pour une femme algérienne. Voilà le prix de la vie
contre la barbarie intégriste ou la répression policière ou militaire. » 70

« Mina » est donc l’emblème de la femme fidèle et courageuse qui consacre sa vie
à son mari et à sa famille. C’est la femme qui fait tout pour que son mari soit satisfait.
C’est le même sentiment qui a amené la reine Cléopâtre, en Egypte, à aller à la
rencontre de son amant Marc Antoine dans un bateau dont les voiles étaient enduites
d'essence de jasmin.

69
Y. KHADRA, Morituri, Baleine, Paris, 1997, p. 134.
70
M.A. POYET, op. cit., p. 9.

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Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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Le schéma suivant explique la technique et le jeu de mot utilisés par l’auteur dans
la composition de son pseudonyme.

L’épouse de
l’auteur
Mohammed
Moulessehoul

Yas Mina Khadra


Désespoir Fécondité
Déception L’épouse du Richesse
Malheur etc. protagoniste Espoir etc.

Commissaire
LIob

Figure n°2 : Le jeu de mots du pseudonyme

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Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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Ce schéma servira donc de point de départ à nos réflexions, et nous essayerons


d’abord de dévoiler le personnage de Mina qui peut être perçu comme un autre
pseudonyme du Commissaire LIob. Puis nous approfondirons nos réflexions en
montrant que ce montage du pseudonyme YasMina Khadra peut être défini comme un
dédoublement de la personnalité de l’auteur

Mina 71 est décrite dans les romans de l’auteur comme un personnage modeste et
instruit qui consacre sa vie à son mari et à sa famille. Pour elle, cela n'est pas un
sacrifice mais son devoir dans le cadre de la tradition algérienne. Elle fait tout pour son
mari, le chérit et lui obéit, et se culpabilise même lorsqu’elle ne parvient pas à le
réconforter. Mina s'est mariée dès l'âge de dix-sept ans, elle voulait devenir enseignante
mais Llob lui a interdit de travailler. Vingt-huit ans plus tard, elle assure toujours à son
mari qu'il a bien agi en lui interdisant d'aller travailler et qu'elle préfère être une maman
et une bonne épouse. Et elle l'est sans aucun doute dans le sens de la tradition
algérienne:jamais elle ne quitte la maison sans porter le voile; elle sait être belle rien
que pour son mari, elle est jolie, instruite et peut être présentée. Le Commissaire Llob
estime beaucoup son épouse, et il est convaincu que, dans le quartier entier, il n'y pas de
femme comparable à sa Mina. Pourtant, il ne lui parle jamais de son travail ni de ses
soucis, mais Mina le comprend sans rien demander. Elle sait se taire quand son mari est
de mauvaise humeur, et elle dort mal quand lui a des soucis et des problèmes. Le rôle de
Mina est bien fixé dans les romans:c'est celui d'une musulmane modèle.

Brahim LIob, quant à lui, est un père de famille exemplaire. Cette particularité du
personnage est mentionnée par les critiques algériens. L'un d'eux remarque entre autres
que « le personnage, en effet, n'a rien d'artificiel : il est tout entier inclus dans la
société, la société algérienne actuelle ». 72 Il est aussi enraciné profondément dans les
traditions du pays, il parle de son « éducation de musulman » 73 et se dit musulman
pratiquant. Il vit d'après les mœurs et les lois de la société traditionnelle rurale en
Algérie, lois qu’il force aussi sa femme et ses enfants à respecter. L'attitude

71
Le personnage de Mina n'est traité dans aucunes recherches ou études. Il serait pourtant intéressant de
savoir comment les lecteurs algériens surtout les femmes interprètent et comprennent ce personnage.
72
N. OURAMDANE, « Enigmes », Algérie Actualité, du 21 au 27 décembre 1993.
73
C. LLOB, La Foire des enfoirés, Baleine, Paris, 1993, p. 13.

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Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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traditionaliste de Llob se reflète aussi dans sa conviction que la famille est le souverain
bien de chaque homme.

Nous sommes donc en face d’une situation de similitude, où finalement les


deux personnages –Mina et LIob– se retrouvent comme l’envers et l’endroit de la même
médaille. Cette manière de voir le monde est présente dans tous les romans de la série
noirs de Khadra, notamment Le Dingue au bistouri et La Foire des enfoirés: Khadra
reprend ainsi un procédé déjà usité par Brecht, surtout dans La Bonne âme de Sé
Tchouan 74 où Choui Ta et Chen Té fonctionnent comme une même entité. Il devient
donc évident de dire que le nom de Mina est le pseudonyme de son marie le
Commissaire LIob. Tel est le cas de Yasmina Khadra et Mohammed Moulessehoul.
Quoi que nous sachions antérieurement que l’auteur a signé ses premiers romans de son
vrai nom et Le Dingue au bistouri et La Foire des enfoirés du nom de son protagoniste
Le Commissaire LIob, A ce propos Naudillon écrit : « Il y a au moins deux masques de
Yasmina Khadra : il a d’abord publié sous le pseudonyme du commissaire Llob (le
premier masque), ensuite il a publié sous le célèbre pseudonyme au prénom féminin de
Yasmina Khadra. » 75

Le schéma suivant affirme nos propos, et explique le procédé de la mise en abîme


exploité par l’auteur dans son pseudonyme. Cette technique d’emboîtement dévoile un
caractère important du commissaire LIob qui correspond à la signification de son
nom, « noyau dur, coeur pur » 76 . Ce sont ses sentiments pour sa patrie et sa sensibilité
vis-à-vis de ses prochains.

74
B. BRECHET, La bonne âme de Sé Tchouane, L’Arche, Paris, 1990.
75
Une interview de F. NAUDILLON in la revue Concordia français, Mars 2004 vol.3 n°5 in
www.concordiafrancais.org/mars2004/mar04_12.htm. Les Masques de Yasmina est le dernier livre de
l'écrivain et professeur d’'Université Françoise NAUDILLON publié aux Éditions Nouvelles du Sud.
L'auteur analyse le parcours médiatique et l'œuvre de notre auteur Mohamed MOULESSEHOUL.
76
M.-A. POYET, « Préface », in Morituri, Y. KHADRA, op. cit., p. 10.

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Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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MOHAMMED MOULESSEHOUL

YASMINA KHADRA

MINA

LIOB

Le noyau
Le marié
Pseudonyme

Pseudonyme
Pseudonyme

Pseudonyme

Nom de l’auteur

Figure n°3 : L’emboîtement de pseudonymes

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Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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Nous constatons à travers ce schéma que l’auteur a l’impression que deux


personnes vivent en lui. On l’a vu se glisser dans la peau de son célèbre protagoniste
commissaire Brahim Llob, puis tuer ce dernier, et se lancer à nouveau avec le nom de sa
femme. Cette conduite menée par l’auteur dans la formulation de son pseudonyme
trouve sa forme dans la réunion-séparation de deux consciences qui interfèrent
constamment l’une avec l’autre, au point de devenir indissociables et complémentaires.
S’il y a histoire d’une conscience, paradoxalement, elle ne passe pas par l’emploi de la
première personne, mais par la dialectique d’une confrontation permanente entre deux
personnes. Le psychanalyse Bleuler définit ce phénomène comme une schizophrénie, un
terme qui signifie littéralement « esprit coupé en deux». 77 C’est une forme particulière
de dédoublement de la personnalité de l’auteur qui ressemble à celle de Don
Quichotte 78 et de sa femme idéalisée Dulcinée -de l’auteur espagnol Cervantès.

En fait, les différents éléments du pseudonyme portent et produisent les signes de


l’Histoire: cette transmutation des signes permet d’incessants allers-retours entre le
passé et le présent, la fiction et la réalité et l’amour et la haine de la même personne.
C’est l’expression d’un déchirement et d’une conscience malheureuse. Cette émotion
douloureuse est présentée clairement dans La part du mort 79 lorsque Khadra a redonné
la vie de nouveau, à Brahim LIob, après l’avoir tué, lors d’une précédente intrigue.
Freud explique ce phénomène « comme un mécanisme psychique de défense qui fait
coexister au sein du moi deux attitudes contradictoires ne s’influençant pas
mutuellement : l’une tient compte de la réalité et se fonde sur elle, l’autre, fondée sur le
désir, dénie la réalité (déni). » 80

Par ailleurs, l’image du pseudonyme que l’auteur propose à ses lecteurs trouve
son fondement dans l’usage de ces deux attributs qui caractérisent la plante de jasmin à
savoir le blanc de la fleur et le vert du feuillage.

77
Encyclopédie électronique Encarta, [rubrique : La Schizophrénie] Microsoft, 2005.
78
Don Quichotte de la Manche est le héros du roman de Miguel de Cervantès publié en 1605 en Espagne.
C’est un personnage bon, noble et fou qui part tout seul en guerre contre le monde, qui vit dans ses
illusions et qui se bat contre des chimères. Quant à Dulcinée c’est la femme que Don Quichotte aime en
pensée et qu’il idéalise.
79
Y. KHADRA, La part de Mort, Julliard, Paris, 2004.
80
Encarta, op. cit.

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Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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I.1.2 Le blanc de la fleur : parfum de la mort

Autant, le blanc est l’une des caractérisations de la fleur du jasmin. De même,


l’emplacement du pseudonyme sur la première page de couverture est superposé à un
espace blanc. Et tout porte à croire que ce nom est enveloppé dans son propre linceul
puisque nous savons que dans la tradition musulmane le blanc en est la couleur.
Toutefois, la couleur blanche est, selon le dictionnaire des symboles, considérée comme
étant, « d’abord le signe de la pureté. Absolu et sans variations, à l’exception des
nuances de brillance ou de matité, il est à la fois non-présence mais aussi somme de
toutes les couleurs. » 81

Par conséquent, la pureté impliquée par cette couleur est révélatrice du désir de
l’auteur d’être pur dans les propos qu’il a dans son texte. Ainsi, un contrat de véracité le
lie à son lecteur à qui il engage de mettre en scène des situations violentes sur la guerre
civile algérienne. Il en découle que, le pseudonyme engage non seulement la parole de
l’auteur mais celle de l’homme qui se cache derrière ce pseudonyme et qui engage
l’institution militaire à laquelle il appartient.

En outre, dans la plupart des croyances 82 , le blanc est la couleur de l’est et de


l’ouest, points extrêmes où le soleil naît et meurt. C’est à travers lui, que la limite et le
passage s’expriment : de la naissance au linceul, le blanc accompagne toutes les
grandes étapes de la vie. Le blanc est donc aussi couleur initiatrice, celle qui marque le
triomphe du jour sur la nuit pour dire et écrire la vérité rien que la vérité aux lecteurs.

I.1.3 Le vert du feuillage : couleur de l'instabilité

Pour ce qui est du second mot du nom Khadra, couleur verte en arabe, il est défini
comme, « une couleur, chimiquement la plus instable, elle symbolise l'espoir, la
fortune, bonne ou mauvaise, la chance ou la malchance, d’où son ambivalence » 83 . De

81
C.-P. HUMBERT, Dictionnaire des symboles, des rites et des croyances, Hachette, Paris, 2003 p.80.
82
Selon les cultures musulmane, chrétienne et juive.
83
C.-P. HUMBERT, op. cit., p. 413.

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Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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même, Pastoureau, auteur d'Une histoire symbolique du Moyen -Age occidental, précise
qu’aujourd’hui le vert est devenu le symbole de l'instabilité,

« […] Le vert représente la chance mais aussi la malchance, la fortune mais


aussi l'infortune, l'amour naissant mais aussi l'amour infidèle, l'immaturité
(des fruits verts) mais aussi la vigueur (un vieillard vert)... Au fil du temps,
c'est la dimension négative qui l'a emporté: à cause de son ambiguïté, cette
couleur a toujours inquiété. Ainsi, on a pris l'habitude de représenter en
verdâtre les mauvais esprits, démons, dragons, serpents et autres créatures
maléfiques qui errent dans l'entre-deux, entre le monde terrestre et l'au-
delà. » 84

Selon Pastoureau, le verte possède une valeur négative, celui de la pourriture, de la


maladie, valeur négative que l’on retrouve dans la pierre d’émeraude 85 censée porter
malheur dans certains milieux (chez les comédiens notamment) où il est banni.

On outre, le vert est l’emblème du salut pour l’islam dont le drapeau est vert, il est
aussi la couleur des plus grandes richesses, spirituelles tout autant que matérielles. Dans
la tradition musulmane, le vert est comme le blanc, une couleur de bon augure, symbole
de végétation. Il produit un effet sur les morts en leur transmettant l’énergie vitale,
aussi, place-t-on parfois des feuilles de palmier (vertes) sur des tombes 86 .

Par ce moyen, l’auteur cherche à brouiller les pistes. Le nom de l’auteur qui a pour
rôle d’accrocher, présenter et interpeller, laisse le lecteur en suspens. Sa fonction
poétique l’attire et son incompréhension le rebute. C’est un pseudonyme qui suscite
l’intérêt en même temps qu’il rend le sens inaccessible et réservé.

Après le nom de l’auteur que le lecteur découvre de prime abord, d’autres


éléments paratextuels participent à lui faire anticiper la teneur du texte. C’est le cas du
titre qui contribue à donner un sens au texte.

84
M. PASTOUREAU, « Le vert : celui qui cache bien son jeu », in www.Expresse.fr 26/07/2004
85
Pierre précieuse de couleur verte, utilisée en joaillerie.
86
Hadith du Prophète MOHAMMED (Q.S.S.S.L), in A. ASSKALANI, Fethe El Bari, Dar El Imam
Malek, Riyad, p.379.

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Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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I.2 Le titre

Le titre est le deuxième élément paratextuel qui fait partie, selon l’expression de
Genette, des seuils du texte. Il est à la fois stimulation et début d’assouvissement de la
curiosité du lecteur. Cet élément important du paratexte est aussi à l’origine d’une
science assez récente : la titrologie 87 , a acquis depuis un certain nombre d’années (les
années 1970) une place importante dans l’approche des oeuvres littéraires. Selon
Duchet, le titre participe de la valeur publicitaire et commerciale de l’œuvre parce qu’il
« est un message codé en situation de marché : il résulte de la rencontre d’un énoncé
romanesque et d’un énoncé publicitaire ; en lui se croisent nécessairement littérarité et
socialité : il parle de l’oeuvre en termes de discours social mais le discours social en
terme de roman. » 88

Ainsi, Duchet rejoint, dans le même ordre d’idée, les publicitaires pour qui, le titre
ne doit pas être détaché du contexte social, ni de l’invention littéraire. C’est un élément
important qui permet au lecteur de formuler des hypothèses qui seront vérifiées lors de
la lecture.

Le titre, le plus travaillé par l’auteur mais aussi par l’éditeur pour répondre aux
exigences du marché littéraire, 89 indépendamment de sa fonction première qui est d’être
la porte d’entrée dans l’univers romanesque, participe de la médiation entre l’auteur et
le lecteur. Il joue alors un rôle important dans la lecture et remplit plusieurs fonctions :

– une fonction « apéritive » : le titre doit appâter, éveiller l’intérêt.


– Une fonction abréviative : le titre doit résumé, annoncer le contenu sans le
dévoiler totalement.
– Une fonction distinctive : le titre singularise le texte qu’il annonce, le
distingue de la série générique des autres ouvrages dans laquelle il
s’inscrit. 90

87
L.-H. HOEK, op. cit., p.68
88
C. DUCHETC cité par C. ACHOUR et S. REZZOUG, op. cit., p.28.
89
A ce propos, l’auteur nous a confirmé dans une correspondance électronique que c’est lui qui a choisi
ce titre : « Le titre est de moi. L'éditeur intervient rarement dans le choix du titre, sauf lorsque l'écrivain
est consentant. […] Un auteur donne un titre à son ouvrage comme un père donne un prénom à sa
progéniture. »
90
L.-H. HOEK, op. cit., p.68.

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Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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Pour Achour et Rezzoug, le titre se présente comme emballage, mémoire ou écart


et comme incipit romanesque » 91 . Il est emballage dans le sens ou il permet savoir et
plaisir ce qui fait de lui un acte de parole performatif ; mémoire, dans la mesure où il
rappelle au lecteur quelque chose de déjà connu et a donc une fonction mnésique ; et
incipit romanesque, vu qu’il permet l’entrée anticipée au texte. Le titre, comme toute
communication verbale, remplit plusieurs fonctions notamment celles déterminées par
Jakobson Roman :

– fonction référentielle : il doit informer.


– Fonction conative : il doit impliquer.
– Fonction poétique : il doit susciter l’intérêt ou l’admiration.

Partant de ces indications, nous allons tenter de lire le titre de Les agneaux du
Seigneur et de déchiffrer sa valeur.

I.2.1 Approche titrologique du titre « Les agneaux du Seigneur »

Les agneaux du Seigneur, titre du roman de Yasmina Khadra, se compose d’un


article défini suivi d'un nom commun, puis article défini contracté qui permet d'effacer
la construction prépositionnelle, suivi à son tour d'un nom commun devenu nom propre
grâce à la majuscule à nouveau. L'ensemble déséquilibré, permet de faire se répondre
terme à terme les substantifs « agneaux » et « Seigneur », mais en respectant la
chronologie qu'impose la lecture : il y aura d'abord agneaux, puis le Seigneur.

A première vue, nous remarquons que ce titre attire l’attention en raison de sa


similitude avec des titres très connu, Le Seigneur des anneaux 92 et Le silence des
agneaux. 93 L’auteur tente d’accrocher ses lecteurs et provoque leur intérêt dés le titre.
Aussi, l’agneau est un animal qui symbolise souvent la pureté et la douceur. Doux
comme un agneau ; se dit d’une personne calme et paisible. Il est aussi une image liée à

91
C. ACHOUR et S. REZZOUG, op. cit., p. 29-30.
92
J.-R.R.TOLKEIN, Le seigneur des anneaux, Pocket, Paris, 2002.
93
T. HARRIS, Le silence des agneaux, Pocket, Paris, 1999.

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Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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l'enfance 94 et symbolise l'innocence et la pureté soulignée par sa couleur blanche. Par


ailleurs, le terme seigneur est un titre honorifique donné autrefois en Europe à des
personnalités de haut rang. Se dit aussi, de celui qui détient la puissance et l’autorité.
Ainsi, l’expression Le Seigneur de la guerre 95 qui vient de l’histoire chinoise du début
du 20ème siècle, désigne un despote local à la tête d’une armée privée.

La première forme de violence qui peut être dégagé du titre réside dans cette
volonté de l’auteur de mettre sur un pied d’égalité Homme et animal, en réduisant à
l’extremum les valeurs humaines, qui sont en permanente dégradation.

Ainsi, si nous associons les deux images du titre agneaux et Seigneurs, nous
constatons qu’il s’agit d’un titre-personnage. C’est une mise en scène énigmatique des
personnages qui annonce ce droit de domination ou cette autorité possédée par
quelqu’un et la soumission totale des auteurs.

En effet, ce que l’auteur veut mettre en évidence à travers ce titre-personnage, ce


sont les relations qui ont présidé à la naissance et à la montée de la violence en Algérie
à travers la formation des groupes armés intégristes : rancœur, désillusion, frustration,
règlement de compte, tels sont, grosso modo, les moteurs principaux de la folie
meurtrière que vont connaître les habitants de Ghachimat et par extension, bien au-delà
de cette fiction romanesque, ceux, de l’Algérie toute entière.

Les réflexions critiques du titre trouvent leurs fondement dans l’usage des deux
idées capitales : d’une part, il s'agit de la structure hiérarchique du pays et les
différences énormes entre les classes sociales – la pauvreté de la plus grande partie du
peuple algérien, et les richesses énormes d'une petite partie de la population. Cette idée
ce manifeste clairement dans l’organisation de Ghachimat qui se repose sur un

94
C’est autour de ces idées que l’auteur nous a expliqué comment il a inspiré ce titre: « Ce titre m'a été
inspiré suite aux témoignages d'un rescapé, miraculeusement épargné par le GIA lors du massacre de
Had Chekala (Relizane). Pendant les tueries, un terroriste s'est écrié, en tombant sur un petit enfant :"
Tiens, voilà un agneau". Et il l'a égorgé. Au nom du Seigneur. ». Cette idée par ailleurs se fait lire et est
développée par l’auteur tout au long du texte : « -Ils ont assassiné des nourrissons » « -Je te rappelle que
des enfants ont été massacrés », « Regarde Dactylo, [dira] Tej triomphant. Regarde partir en fumée le
douar des traîtres. Ou est donc passé son groupe d’autodéfense ? Ils croyaient m’intimider, avec leurs
rejetons. J’ai donné l’ordre à mes hommes de n’épargner ni les bêtes ni les nourrissons. N’est-ce pas une
fresque magnifique ! »
95
Le Petit Robert, Dictionnaire de la langue française, 1990.

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Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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soubassement fragile et sur un statut social admis par la force des choses, à travers la
frustration des uns face à l’arrivisme et l’aisance matérielle des autres. Cette structure
est composée d’un côté, des pauvres, parce que payant le lourd tribut de l’histoire Tels
Issa Osmane surnommé et son fils Tej ainsi que les laissés pour compte désœuvrés à
longueur d’année, les « hittistes » 96 comme Jafer, Mourad et son frère Boudjema ;
invétérés fumeurs de Kif ou Zane le nain dont la cruauté n’a d’égale que l’importance
de sa difformité physique. De l’autre, les riches, groupe social composé des parvenus
avec leur insupportable arrogance telle que la famille du maire ou celle de Ramdane Ich,

D’autre part, les pensées critiques du titre concernant le système politique en


Algérie et démasquant les dirigeants responsables de la misère, vont beaucoup plus loin
que ses remarques critiques à propos des différences entre les classes sociales. Ainsi,
l’auteur se dresse-t-il contre le gouvernement –le parti unique, le FLN–jugé responsable
du chômage, de la crise politique et d'une jeunesse frustrée et sans perspectives; la
critique de l’auteur accuse un gouvernement qui continue à utiliser la guerre de
Libération et ses symboles pour donner une identité au pays et à la population au lieu de
reconnaître enfin, une trentaine d'années après l'indépendance, les problèmes du peuple
et de réagir contre. Nous trouvons explicitement cette critique dans l'exemple suivant où
le Maqam ech Chahid « Houbel » 97 , le monument des martyrs, qui devrait rappeler les
héros de la guerre de Libération, cache, de façon symbolique, les problèmes de l'Algérie
contemporaine:

« Quel est ce Houbel surgi des ténèbres ? » Ils mon regardé avec dédain et
m’ont répondu : « C’est le mausolée du Martyr ? » J’ai dit : « Il y a des
cimetières pour les morts. » Ils mon crié, horrifiés : « la gloire a ses
monuments aussi. Nos enfants se doivent de s’abreuver aux sources de leur
histoire. » J’ai dit : «Où est donc cette gloire, à Riad el-Feth ? Dans ces
magasins interlopes où les caleçons sont exhibés comme des trophées ? Dans

96
Expression utilisée par les jeunes qui signifie littéralement « teneurs du mur » pour désigner les
chômeurs.
97
En 1984 fut célébré le trentième anniversaire de la révolution algérienne. A cette occasion, le parc Riad
el Feth, ensemble culturel et de loisirs, fut érigé au centre de la capitale algérienne. Cet ensemble est
dominé par un monument symbolique énorme, le Maqam ech Chahid, le monument aux martyrs, qui
forme aujourd'hui un grand signal au-dessus de la baie d'Alger. Trois palmes de béton de 90 mètres de
haut se dressent vers le ciel et protègent la flamme du héros et la crypte. C'est autour de ces symboles
critiques que les algériens le compare avec Houbel dieu mecquois d’avant l’avènement de l’islam.

52
Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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ces bars où l’on s’enivre sans vergogne ? Dans ces cinémas obscurs où l’on
enseigne le voyeurisme béat ?... Où donc ce martyr au milieu de cette
tourbe ? »… Non mes frères, il n’ y a jamais eu de place pour les morts,
encore moins pour les démunis comme vous, à Riad el-Fesq…Là-bas règnent
seulement la cupidité des traîtres, les spéculations et la clochardisation d’un
peuple séduit et abandonné. » 98

Le Seigneur Houbel, et, dans un sens figuré, le FLN, qui, une trentaine d'années
après l'indépendance, se légitime toujours par cette victoire, y sont démasqués. De façon
symbolique, le FLN est donc rendu responsable de la misère du peuple algérien, il est
aussi accusé de ne pas prendre les Algériens au sérieux et même de les tromper.

Pendant une visite à Alger, cheikh Redouane se voit toujours confronté aux
mêmes images, et à maintes reprises, il tombe sur des jeunes frustrés et sans occupation,
qui se trouvent partout à Alger, adossés aux murs des bâtiments désolants. Il s'agit
des jeunes chômeurs qui tuent le temps dans les rues d'Alger, parce qu'ils n'ont pas
d'autre occupation. Y a rien, pas de culture, pas de boulot, pas d'aspirations. cheikh
Redouane qui critique donc l'Etat (Seigneur), incapable de donner du travail et des
perspectives à la jeune génération, et incapable aussi de leur procurer une responsabilité
face à leur patrie. Ainsi les attaques de cheikh Redouane ne s'adressent pas seulement à
l'Etat, mais aussi à la jeunesse elle-même, qui n'est plus prête à lutter pour son droit
dans sa patrie et qui préfère fuir et imiter l’occident comme les moutons ( agneaux) de
Panurges.

Après avoir passé donc la définition du titre et sa relation avec le texte nous
pouvons dire d’ores et déjà que ce titre est thématique qui à un rapport particulier au
contenu du texte, car il entretient une relation avec le contenu du roman qu’il dénomme.
Le titre de Yasmina Khadra suggère donc les symboles des personnages qui sont en
relation direct avec le texte . Genette, à ce propos affirme qu’

«un lieu (tardif ou non), un objet (symbolique ou non), un leitmotiv, un


personnage, même central, ne sont pas proprement parler des thèmes, mais
des éléments de l’univers diégétique des œuvres qu’ils servent à intituler. Je le
qualifierai pourtant tous les titres ainsi évoqués des thématiques, par une

98
Y. KHADRA, op. cit., p.68.

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Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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synecdoque généralisante qui sera, si l’on veut, un hommage à l’importance


du thème dans le contenu dans, qu’elle soit d’ordre narratif, dramatique ou
discursif. » 99

Ainsi, ce titre est « un élément du texte global qu’il anticipe et mémorise à la foi.
Présent au début et au cours du récit qu’il inaugure, il fonctionne comme embrayeur et
modulateur de lecture » 100 C’est ainsi que nous retrouvons ces agneaux du Seigneur
tout au long du texte : « les loups [seigneurs] sont lâchés, l’agneau ferait mieux de
regagner sa bergerie » 101 et « ils ont assassiné des nourrissons » 102

Ce titre donne donc un aperçu du contenu et tente d’accrocher le lecteur par un


emballage singulier, où se laisse entrevoir une certaine dose d’exotisme (pour le lecteur
occidental) et une sorte de perversion séductrice. Le rôle d’accroche du titre a bien
fonctionné et c’est sans doute ce qui lui a valu plus de « 100.000 » 103 lecteurs et
« traduit en sept ou huit langues » 104 . Il est bien évident que nous n’attribuons pas
uniquement le succès du livre à son titre : il y a d’autres facteurs qui entrent en jeu (le
thème –d’actualité de l’Algérie par exemple, qui joue un rôle primordial dans la
diffusion du livre).

I.2.2 Titre/pseudonyme : un signe homogène

Une autre image qui véhicule l’idée de violence, celle qui réunir le pseudonyme et
le titre. Les mots de ces deux éléments paratextueles se tissent entre eux de telle sorte
qu’ils dégagent les trois couleurs du drapeau national à savoir le blanc, le vert et le
rouge.

99
G. GENETTE, op. cit., p.78.
100
C. ACHOUR et S. REZZOUG, op. cit., p. 30.
101
Y. KHADRA, op. cit., p.72.
102
Ibid., p.166.
103
Cf. infra : annexe1, p. 106.
104
Ibid

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Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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Pseudonyme

Khadra
Yasmina Le vert
Le blanc

Agneaux Se(A)igneur
Le blanc Le rouge
(Saigner)

Titre

Figure n°4 : La symbolique du pseudonyme

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Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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À travers cette image du drapeau national, Yasmina Khadra décrit la réalité


tragique de Algérie avec ses souffrances rouges, et ses espoirs verts et blancs. L’auteur
à choisit d’installer le conflit de la guerre civile sur le drapeau nationale qui est
l’emblème de l’Algérie. La couleur rouge de l’étoile et du croissant est le symbolise du
sang des martyrs de la guerre de Libération.

Aujourd’hui l’Algérie est victime d’une autre violence celle des Seigneurs de la
guerre : la mafia politico-financière du (FLN) et l’intégrisme du (FIS). .Dans cette
image nous trouvons une critique implicite du système et des dirigeants qui, pour le
monde extérieur, font semblant de lutter contre les intégristes, mais qui, en réalité, les
soutient. Comme si l'auteur cherche a nous dire qu’il y a deux sortes de bergers parmi
les gardiens des peuples : ceux qui s'intéressent à la laine et ceux qui s'intéressent aux
gigots. Aucun ne s'intéresse aux agneaux (le peuple).

I.3 La dédicace

Nous entendons par cette appellation l'expression selon laquelle l’on destine une
œuvre à une personne ou à un groupe de personnes. Cet hommage n'est que symbolique
puisque la dédicace ne concerne que « la réalité idéale de l'œuvre elle-même » 105 .
Cependant, cette inscription n'est pas définitivement liée à l'œuvre comme le souligne
Genette dans Seuils « Un auteur peut en effet, toujours (...) supprimer ou modifier une
dédicace d'œuvre lors d'une nouvelle édition. » 106

Dans notre roman, l’auteur dédie son texte à ses parents : « à mon père et ma
mère ». C’est une dédicace privée qui a une formulation classique, que nous
retrouverons à plusieurs reprises. 107

Dédier ou dédicacer un travail à quelqu’un c’est donc lui témoigner de la


reconnaissance, de l’amour dans le cas des membres de la famille. Ceci révèle le
caractère du romancier humain, sympathique et attaché aux valeurs familiales. L’auteur

105
G. GENETTE, op. cit., p.110.
106
Ibid., p.129.
107
Y.KHADRA nous a affirmé que ce choix dédicatoire n’avait aucun rapport avec le contenu du roman.
A ce propos, il écrit : « (…) Quant à la dédicace, je suis libre de l'insérer dans le texte comme libre de ne
pas la mentionner du tout. Tout à fait entre nous, je ne vois pas le rapport avec le contenu du roman.»

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Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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fait intervenir sa famille dans le seuil du roman, de l’univers romanesque, qui acquiert
ainsi un statut particulier. N’est-ce pas un indice pour rattacher l’univers vécu de
l’écrivain à celui, fictif, du roman ?

La dédicace que l’auteur propose à ses lecteurs trouve son fondement dans le
cadre qui réuni ses parents « la famille ». La fonction de cette dernière est celle qui
consiste à assurer l'équilibre émotionnel et affectif de ses membres, en particulier les
jeunes enfants. Elle est la première victime d’une violence qui ronge tout sur son
passage et qui n’épargne personne de ses malheurs. Souvent considérée comme espace
fondamental de la société, la cellule familiale connaît une sérieuse désagrégation. La
famille est le lieu par excellence de la perversion des valeurs sociales, les conflits la
traversent très profondément. Elle se retrouve marquée du sceau de la négativité et de la
suspicion. Les relations sont conflictuelles et caractérisées par une série d’oppositions,
travaillées par un certain nombre de rapports contradictoires.

D'une certaine manière, la dédicace dévoile l'itinéraire d'un enfant qui tente de
rattraper la vie et le destin qui lui échappe. L’enfant devra donc faire face jusqu’à l’âge
d’homme à une double violence :

D’abord, celle de l’armée, dont il décrit la dureté, les brimades et les


mortifications dans son roman l’Ecrivain. La destinée pour Mohamed Moulessehoul,
était le choix de son père, un ancien officier de l’armée de libération. C’était un matin
de septembre 1964 le père a pris l’enfant par la main est monté tout au nord de
l’Algérie pour le confier à l'école des Cadets : « un collège prestigieux où l'on
dispensait la meilleure éducation et la meilleure formation, où l'on allait faire de moi
un futur officier… » 108 . D'Oran à Tlemcen, jusqu'à l'école d'El-Mechouar, l'auteur se
remémore le voyage avec les yeux de l'enfant qui vit sa première déchirure. Rupture
avec sa famille, sentiment d'abandon, et plongé dans l'univers aride du pensionnat : « je
ne comprenais pas ce qui m'arrivait. J'étais si heureux chez nous » 109 , écrit-il. Mais le
bonheur de l'enfance ne sera plus jamais ce qu'il a été. Cet éloignement du foyer le
fragilise à l'école où la dureté du règlement a tôt fait de consumer ses chagrins. Il décrit

108
Ibid., p.13
109
Ibid., p.37

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Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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aussi la brutalité de la vie à l'école des cadets : le clairon au petit matin, le matricule
remplaçant le nom, la tonsure, les pieds gelés, la discipline infernale des gradés plus ou
moins sadiques, les nuits remplies par les cauchemars des orphelins qui ont connu les
horreurs de la guerre coloniale. Seuls l'amitié avec certains compagnons d'infortune et
les souvenirs qui jaillissent mettent un baume de fraîcheur dans le cœur de l’enfant.

Ensuite, les bouleversements même au sein de la famille, répudiation de sa mère,


« qui n'a encore que trente ans » 110 laquelle devra, seule avec sept enfants, faire face à
un quotidien traumatisant. Le jeune cadet Mohamed est désormais chef de famille quand
il n'est pas derrière les murs de la caserne : « Difficile de se croire la plus belle chose
qui soit arrivée à quelqu'un (le père !) quand d'un claquement de doigt on se retrouve
relégué au rang d'objet déclassé. ». 111

Cette relation « parents/fils » se fait lire et est développée par l’auteur tout au long
du texte. Des relations de désaccords et de conflits entre le père et son fils tel Hadj
Boudali et son fils :

« Je ne suis pas venu filer de la laine, vitupère Hadj Boudali. Cette situation
n’a que trop duré. Nous devons réagir, et tout de suite. J’ai laissé mon fumier
de fils pour mort, à la maison. Je n’ai pas mis au monde un garnement pour
subir son joug »

« Me traiter de renégat, moi, son père, trois fois pèlerin. Jamais je ne me


suis permis de lever les yeux sur mon père, moi. Je n’osais même pas
approcher mes enfants en sa présence. Je lui baisais la main autant de fois
que je le rencontrais. Il était ingrat, grincheux, imprévisible, soupçonneux, et
pas une fois je n’ai oublié qu’il était d’abord mon père. Aujourd’hui, ma
progéniture, me traite comme si j’étais Ibliss en personne, moi qui ai jeûne à
me rompe les tripes pour la nourrir et l’instruire… » 112

110
Ibid.
111
Ibid.
112
Y.KHADRA, op. cit.

58
Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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De ce fait, après 36 ans au service de l’institution militaire, Khadra affirme que


« ça été 36 ans de vie gâchée » 113 Ainsi, dans un entretien qu’il a accordé à
l’hebdomadaire liberté au mois de Mai 2004, Yasmina Khadra a dévoilé la vraie raison
de rejoindre l’Académie militaire : « J’avais accepté de rejoindre l’Académie militaire
pour ma mère. Elle avait tellement souffert. Pour elle, la seule chose qui pouvait la
consoler était de me voir colonel. Je ne serai jamais colonel. » 114

Enfin, Yasmina Khadra a quitté l’armée en 2001 et il a décidé de se consacrer


totalement à l’écriture, mais de l’autre côté, sa mère l’a quitté aussi car son fils l’a
trahie, comme il explique bien dans cette citation :

« Lorsqu’elle m’a vu quitter l’armée avec le grade de commandant, elle a pété


les plombs. C’était la plus cruelle farce que je pouvais lui faire, la plus
abominable des trahisons. Depuis, elle vit recluse chez elle et refuse de
recevoir du monde. Elle ne veut plus entendre parler de ses enfants, ni de ses
petits-enfants, ni ses proches car son fils prodige l’a trahie..» 115

Nous nous proposons à présent de continuer notre étude par l'examen de la citation
mise en épigraphes.

I.4 L’épigraphe

L’épigraphe est une citation qui figure en exergue du livre, qu’un auteur place au
début d’un texte et nettement séparée de lui, pour éclairer le sens ou encore l’appuyer.
Dans les romans modernes, elle est peu utilisée, ce qui donne un aspect très classique au
texte. Son utilisation participe toutefois de la valeur de l’œuvre et permet d’inscrire la
pensée de l’auteur. La citation de A. Compagnon illustre mieux nos propos « L’auteur
abat ses cartes. Solitaire au milieu d’une page, l’épigraphe représente le livre - elle se
donne pour son sens, parfois pour son contresens -, elle l’induit, elle résume. Mais

113
Entretien de M. LAFIFI, « Nous sommes les otages d’une histoire travestie », Liberté 27 mai 2004, p.
08.
114
Ibid.
115
Ibid.

59
Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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d’abord elle est un cri un premier mot, un raclement de gorge avant de commencer
vraiment, un prélude ou une profession de foi… » 116

L’épigraphe est donc, la quintessence de l’ouvrage : l’essentiel, du point de vue


symbolique, en quelques mots, en quelques lignes. Cette importance de l’épigraphe fait
apparaître la dimension symbolique de la citation : « Plus d’un s’entend à brouiller et à
maltraiter sa propre mémoire de maniéré à se venger au moins complice. »

La citation de notre corpus est de Nietzsche, célèbre philosophe et poète allemand.


L’hypotexte ne l’accompagne pas. Seul le nom de l’auteur y figure. Nietzsche est parmi
les grands philosophes qui ont formulés une critique radicale de la pensée occidentale et
de la morale chrétienne. De ce fait, il a exercé une profonde influence sur la littérature
allemande, ainsi que sur la littérature française. 117

Selon une des thèses fondamentales de Nietzsche, « toute conduite humaine, est
motivée par la volonté de puissance. Dans son sens positif, la volonté de puissance n'est
pas uniquement synonyme de pouvoir sur les autres, mais signifie aussi le pouvoir sur
soi » 118

Ce bref aperçu sur l’auteur va nous aider à comprendre la pensé de Yasmina


Khadra. D’abord, en citant un philosophe aussi célèbre, l’auteur semble vouloir donner
à son roman la même valeur que ce nom connu. De plus, celle-ci met en scène,
l’existence d’une « volonté de domination », c’est-à-dire certaines personnes ont
systématisé la force en loi fondamentale de la société où les plus fort finissent par tous
les moyens d’imposer leur loi aux plus faibles.

En effet, cette épigraphe renvoie directement au contenu du texte et à la volonté de


l’auteur d’informer le lecteur avant de passer à la lecture du roman. Ce genre

116
LANE, op. cit., p. 46.
117
Khadra admire beaucoup Nietzsche, il nous a expliqué cela en répondant à une question concernant
son utilisation itérative de quelques formules (citations) en guise d’exergues pour ses textes. Il écrit : «
J’ai pour Nietzsche une profonde admiration. C’est poète et philosophe d’une rare lucidité et d’un génie
absolument remarquable. S’il m’arrive de lui emprunter quelques formules en guise d’exergues pour mes
textes, ce n’est pas pure fantaisie. Ces formules illustrent généralement le contexte de mes écrits » (Cf.
infra : annexe1, p. 106).
118
Encyclopédie électronique, Encarta, 2005.

60
Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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d’anticipation offrira une sorte de fil conducteur au lecteur et orientera de ce fait la


lecture.

Ainsi, le contenu de la citation exprime la pensée de l’écrivain qui peut être lue
doublement. D’une part, Yasmina Khadra, par le premier passage de la citation « Plus
d’un s’entend à brouiller et à maltraiter sa propre mémoire », semble prévenir le
lecteur que le contenu de son roman n’est qu’une suite de l’histoire de l’Algérie; à
travers la mise en scène des personnages ayant une relation avec la réalité historique
pendant la guerre de libération, tels les caïdes « les fêtes qu’on y organisait, les officies
dans leurs uniformes de jeunes dieux, les caïdes semblables à des sultans » 119 qui ont
trahie, « la mémoire collective » 120 et leurs fils « Kada Hilal [est un] Arrière-petit-fils
d’un caïd tyrannique… » 121 du peuple algérien et qui payent aujourd’hui le lourd tribut
tels Issa Osmane surnommé par les gens du village Issa la Honte:

« Issa a collaboré avec la SAS pendant la guerre. Il était alors le seul Arabe à
fréquenter le réfectoire des soldats français. Certes, ne mouchardait pas, ne
brutalisait pas les seins, cependant, il péchait à cultiver son embonpoint à
l’heure que les autres crevaient de faim et de fiel. A la fin de la guerre, les
maquisards lui avaient décidé de le crucifier sur place. Sans l’intervention de
Sidi Saim le vénéré, son cadavre aurait pourri sur la berge de la rivière.
A Ghachimat la rancune est la principale pourvoyeuse de la mémoire
collective. Aujourd’hui, Issa paie. Ses habits sont malodorants. Il mange
rarement à sa fin.

Lorsqu’il rase les murs, semblable à une ombre chinoise, il garde la tête
basse et se fait te petit… 122

Dans le deuxième passage de la citation «de maniéré à se venger au moins


complice. » dont plusieurs personnage vont émerger, et se transformer très vite en
tueurs tels Issa la Honte qui est devenu « sy Issa » 123 et son fils Tej « l’émir de la

119
Y. KHADRA, op. cit., p.148.
120
Ibid., p.148.
121
Ibid., p.13.
122
Ibid., p.19-20.
123
Ibid., p.152.

61
Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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région [qu’] il a le bras si long qu’il peut frapper où il veut et quant il veut ». 124 Ainsi
que les laissés pour et donner corps à leur soif de vengeance et de reconnaissance
sociale. « Je n’ai élevé Tej que pour me venger. Et je ne vais pas me gêner. » 125

Cette épigraphe est thématique dans le sens où elle introduit l’ouvrage et informe
le lecteur de ce que s’assigne l’auteur pour fonction. Cette fonction agit comme un
couperet attirant l’attention du lecteur qui sera curieux de lire ce roman. L’épigraphe
participe donc du rôle d’accroche de l’attention du lecteur à qui l’auteur lui-même
promet en évoquent cette citation.

I.5 L'absence totale des intertitres

L’intertitre, que nous définirons comme étant le titre intérieur d’une partie d’un
roman, est le plus proche du contenu du texte. Il permis au lecteur un contact plus
proche du texte. A l’opposé du titre de l’œuvre, l’intertitre n’est pas tellement
important. C’est ce qui fait qu’il existe dans certains nombres de romans alors que dans
d’autres, il est absent comme c’est le cas de notre corpus Les agneaux du Seigneur.

Khadra, dans son roman choisit, de ne pas utiliser d’intertitres 126 . Cette absence
est aussi significative que leur présence dans le roman. C’est ce qui est signifié du
moins par Genette dans Seuils en disant que « « l'absence peut être, ici comme ailleurs,
aussi significative que la présence » 127 .

En effet, en choisissant de ne pas mettre d’intertitres dans Les agneaux du


Seigneur, Khadra n’a voulu qu’être fidèle à lui-même. Car même dans ses œuvres
antérieurs, les intertitres n’y figurent guère. De même, lors de notre analyse des autres
éléments paratextuels, nous avons remarqué que Yamina Khadra ne développe pas le
paratexte. Est- ce une manière de la part de l’auteur de laisser le lecteur sur sa fin en lui

124
Ibid., p 171.
125
Ibid., p.173.
126
Dans Les Agneaux du Seigneur l’auteur nous a justifié cette absence par le fait qu’il n’a pas jugé
nécessaire de donner d’intertitres aux différents chapitres : « L'écrivain est libre de construire son texte
comme cela lui convient. Si mes chapitres ne comportent pas "d'intertitres", c'est parce que je ne l'ai pas
jugé utile. Comme dans tous les romans, le fond repose sur la forme. Bien sûr qu'il y a un rapport. Sinon,
comment gérer le travail ? »
127 G. GENETTE, op. cit., p. 274.

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Chapitre I : Le paratexte : une graphie de l’horreur
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donnant aucune idée préconçue sur le texte ? Et de là, lui permettre d découvrir le texte
au fur et à mesure de sa lecture ?

Le titre global donne une idée très brève du contenu du texte. Sa fonction
d’accroche de l’attention du lecteur fonctionne dans le sens où il est promet un certain
plaisir à découvrir le contenu du roman. Ce plaisir se fera perduré d’autant plus
d’élément qui lui permet de se rapprocher du texte est absent. L’absence donc
d’intertitres ne peut-elle pas fonctionner comme « emballage » telle qu’il a été défini
par Achour et Rezzoug.

L’absence d’intertitres peut se lire aussi comme une volonté de la part de l’auteur
de ne pas se conformer aux normes d’écriture préétablies, comme elle répond de la
motivation de l’auteur qui veut faire planer les interrogations sur le texte. Ainsi le
lecteur découvrira pas à pas le texte ou est un désir de ne pas choquer le lecteur à
l’avance par la réalité qui frappe le pays.

Tout au long de cette démonstration, nous avons lu la violence en faisant appel à


des points théoriques aussi divers les uns que les autres. Et nous pouvons enfin affirmer
que la violence se reconnaît à travers les éléments les moins attendus : les seuils de
l’œuvre. Il est donc impératif de le faire dans le texte afin de répondre à notre hypothèse
de départ à savoir la violence de l’écriture dans le paratexte et dans le texte.

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