L'infox

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Pourquoi préférons-nous les infox 

Par Romina Rinaldi (in Sciences Humaines, n°323 (mars 2020), pp. 34-35)

Les fausses informations, appelées fake news ou infox, captent notre attention et
suscitent l’adhésion malgré leur inexactitude. Comment peut-on s’en préserver ?

Saviez-vous qu'en 2019, Emmanuel Macron déclarait qu'«après deux offres


d'emploi refusées, les chômeurs pourront être ciblés par des drones» ? Cette
information juste assez plausible est en fait erronée ! Il s'agit d'une fake news, aussi
appelée infox. Les fausses informations adoptent généralement les codes des médias
«classiques», sans pour autant être soumises à leurs normes éditoriales, notamment
d'objectivité ou de neutralité. Au départ à visée humoristique, les infox tournent
parfois au tragique car elles peuvent être utilisées à des fins de propagande. Une
situation d'autant plus alarmante que même lorsque les informations sont corrigées par
la suite, elles laissent des traces au niveau de l'opinion publique. Qu'est-ce qui nous
conduit à adhérer et surtout à diffuser les fake news ? Peut-on s'en prémunir ?

Notre mémoire est loin d'être illimitée. Or, la quantité d'informations à laquelle
nous sommes quotidiennement exposés dépasse très largement notre capacité à les
«intégrer» correctement. Dès lors, nous sommes amenés à sélectionner. Et cette
sélection s'opère en grande partie grâce à nos émotions : promesses grandiloquentes,
discours larmoyants, images-chocs retiennent plus facilement notre attention car ils
marquent nos esprits. En analysant les tweets sur la Cop 15, des chercheurs danois ont
montré que plus une information suscite des sentiments «négatifs» (peur, tristesse,
colère...), plus elle risque d'être reprise et diffusée facilement. Pourtant, le contenu
émotionnel d'un gros titre ne garantit en rien la véracité du contenu.

Pour économiser son énergie, notre cerveau très sollicité utilise des heuristiques,
c'est-à-dire des réflexes de raisonnement, simples et rapides, basés sur une estimation
formulée à partir de ce que nous savons déjà. Mais dans certains contextes, ces
heuristiques mènent à des erreurs de jugement, aussi appelées par les spécialistes
«biais cognitifs». Il en existe différents types :
Le biais de confirmation -Une fois que nous avons acquis une conviction, il est
très difficile de changer d'avis, même si une nouvelle information vient contredire la
première. Nous accordons ainsi plus d'importance ou de légitimité à des contenus
confirmant nos opinions et nos croyances, et avons tendance à exclure les preuves qui
les invalident. Ce biais est particulièrement mobilisé quand les infox impliquent des
croyances et opinions très personnelles (voire identitaires), notamment en matière de
politique ou de religion. Par exemple, en 2004, un canular a répandu la rumeur qu'une
jeune femme de 23 ans s'était fait agresser par des assaillants musulmans. Ils lui
auraient dessiné des croix gammées sur le ventre. Le président Chirac en personne est
intervenu publiquement à ce sujet... avant que l'information soit démentie.

Le cerveau a ses propres réflexes. Toutefois, nous n’avons pas tous les mêmes
capacités à contrer nos heuristiques1. Certaines personnes sont plus enclines à le faire.
Elles utilisent plus souvent un mode de raisonnement dit analytique, plus lent et moins
intuitif.

Si notre raisonnement heuristique peut nous mener sur de fausses pistes, il nous
sauve très souvent la mise ! Imaginez que chaque information que vous traitez, chaque
décision que vous prenez, soient décortiquées, soupesées, triangulées : du choix d'un
club de sport à celui de votre sandwich du déjeuner. Cette vie serait impossible !

En définitive, les biais de réflexion sont utiles au quotidien. On ne peut s'en


dispenser. Malgré cela, lorsqu'il s'agit de juger d'une nouvelle information, il est
possible de contrer au moins en partie notre tendance à la crédulité. On peut par
exemple créer de bonnes habitudes en encourageant les jeunes enfants à poser des
questions pour remettre en question leurs certitudes... ou les adultes à devenir des «
experts » des médias.

1
Qui sert à la découverte.

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