Document 4 Le Coût Du Capital
Document 4 Le Coût Du Capital
Document 4 Le Coût Du Capital
FRANCK BANCEL
ESCP Europe, Labex Réfi
QUENTIN LATHUILLE
Morgan Stanley, Londres, Royaume-Uni
ALBAN LHUISSIER
Crédit Suisse, Londres, Royaume-Uni
De la difficulté
de mesurer le coût
du capital
1. Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que la responsabilité des auteurs. Cet article a été présenté
dans différents séminaires académiques et professionnels et notamment à la Commission d’évaluation de la SFAF.
Les auteurs remercient les membres de la SFAF ainsi que les rapporteurs pour leurs commentaires.
104 Revue française de gestion – N° 242/2014
L
e coût moyen pondéré du capital doxalement, les manuels de finance ne
(CMPC) est un des concepts clefs font que rarement état de cette absence de
de la finance d’entreprise. Détermi- consensus et de la question de la mesure
ner la VAN d’un projet ou la valeur d’une du CMPC. Il est en effet habituellement
entreprise suppose de connaître le CMPC enseigné qu’il est possible d’estimer sans
pour actualiser les cash-flows futurs. La difficulté majeure le CMPC de chaque
récente adoption des normes IFRS et la entreprise (ou pour chaque ligne de métier
prise en compte de la notion de « juste composant l’entreprise).
valeur » ont encore renforcé l’importance Cet article part de ce constat et se concentre
de ce concept qui demeure indispensable à sur les questions suivantes : Pourquoi
tout exercice de valorisation. existe-t-il une telle diversité des pratiques ?
La détermination du CMPC suppose d’ap- Pourquoi n’est-il pas possible d’arriver à
pliquer le cadre théorique proposé par la un consensus concernant les paramètres
finance d’entreprise. Les enquêtes réalisées d’estimation du CMPC ? L’absence de
depuis deux décennies montrent que les consensus est-elle liée à une « mauvaise »
praticiens connaissent les modèles d’éva- mise en œuvre des principes théoriques ?
luation et les mettent en œuvre (Jacobs Si l’on admet que le CMPC ne peut être
et Shivdasani, 2012 ; Fernandez, 2012 ; parfaitement mesuré, quelles sont les
Bancel et Mittoo, 2013 ; Graham et Harvey, conséquences sur les pratiques en finance
2001 ; Bruner et al., 1998, etc.). Ainsi, d’entreprise ?
selon une enquête de l’Association for Nous montrons dans cet article que le
Financial Professionals (2011), 91 % des CMPC ne peut être défini sans assumer
entreprises présentant un chiffre d’affaires une marge d’erreur importante. Nous iden-
annuel supérieur à 1 milliard de dollars tifions tout d’abord les paramètres accep-
actualisent les cash-flows futurs pour déter- tables pour déterminer le CMPC, en prenant
miner la valeur d’un projet, et neuf entre- en compte l’aspect théorique et les dif-
prises sur dix recourent au modèle d’éva- férentes mesures mobilisées par les pro-
luation des actifs financiers (Médaf) pour fessionnels. Nous utilisons notamment les
calculer le coût de leur capital (cité par résultats d’une enquête récente de l’Asso-
Jacobs et Shivdasani, 2012). ciation for Financial Professionals (2011)
Pourtant, au-delà des apparences, les visant à évaluer les pratiques concernant la
enquêtes montrent également qu’il n’existe détermination du coût du capital. À partir
pas de consensus sur l’estimation des para- des paramètres acceptables, nous simulons
mètres nécessaires à la mise en œuvre ensuite les valeurs des CMPC de trois socié-
des modèles et au calcul du CMPC. On tés retenues pour leur diversité en termes
peut penser que cette diversité des pra- d’activité et de taille (Boeing, News Corp et
tiques conduit à des différences notables Wal-Mart). Enfin, nous discutons des consé-
en ce qui concerne l’estimation du CMPC quences de nos résultats sur les pratiques en
selon les professionnels considérés. Para- matière d’évaluation d’entreprises.
De la difficulté de mesurer le coût du capital 105
2. L’espérance est la moyenne des rentabilités espérées pondérées par leur probabilité d’occurrence :
E(r) = Σni = 1 ri pi
Avec : E(r) : moyenne des rentabilités espérées ; ri : rentabilité espérée dans l’état du monde i ; pi : probabilité
d’occurrence de l’état du monde i.
3. La covariance mesure la variation simultanée de deux variables et se définit de la manière suivante :
Cov(ri,rj) = Σni = 1 Σmj = 1 pij (ri – E(ri)) (rj – E(rj))
4. La variance est une mesure de la dispersion des rentabilités espérées autour de l’espérance :
Var = Σni = 1 pi (ri – E(r))2
106 Revue française de gestion – N° 242/2014
mesure des paramètres peuvent être décom- 2) la deuxième est liée au choix d’une
posés en deux catégories distinctes : méthode donnée. Par exemple, pour éva-
1) la première découle de la nécessité d’esti- luer le bêta des capitaux propres (βe),
mer une valeur numérique. Par exemple, il est possible de régresser les rende-
les obligations gouvernementales des dif- ments des actions contre divers indices
férents États de diverses maturités peuvent boursiers et sur différentes périodes de
être utilisées comme un proxy pour le temps.
taux sans risque. Ces valeurs numériques Les principaux degrés de liberté que nous
sont généralement obtenues à l’aide d’une avons estimés sont répertoriés dans le
source externe et non pas calculées par les tableau 1 ci-dessous. Nous pouvons noter
praticiens ; que cinq d’entre eux illustrent les diffé-
Prime de risque de marché (E(Rm)– Rf)) Indice de marché utilisé pour la régression
MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
Cet article vise à montrer que le CMPC n’est pas un concept parfaitement mesurable. Pour
mener à bien notre démonstration, nous identifions tout d’abord les paramètres nécessaires
au calcul du CMPC considérant d’une part les enseignements du cadre théorique, et d’autre
part, les pratiques des professionnels. Nous utilisons notamment les résultats d’une enquête
récente de l’Association for Financial Professionals (2011) menée auprès de professionnels
américains de la finance. Nous mobilisons également d’autres sources académiques fré-
quemment citées dans d’autres enquêtes. À partir des pratiques et des paramètres identifiés,
nous simulons ensuite les valeurs des CMPC de trois sociétés retenues pour leur diversité en
termes d’activité et de taille (Boeing, News Corp et Wal-Mart). En combinant l’ensemble des
possibilités, nous sommes en mesure d’effectuer un total de 103 680 simulations et de repré-
senter l’univers des CMPC possible pour les trois entreprises considérées. Chaque simula-
tion est obtenue à partir d’hypothèses « raisonnables », fondées sur une pratique ou identifiée
dans la littérature. Enfin, nous discutons en conclusion des conséquences de nos résultats en
essayant d’esquisser les meilleures pratiques en matière de détermination du CMPC.
De la difficulté de mesurer le coût du capital 107
rentes méthodes disponibles pour calculer des taux à court terme, considérant que le
le bêta des capitaux propres. moyen et long terme présentent un risque
Comme expliqué dans l’introduction, nous structurellement plus important. Évidem-
identifions et simulons dans cet article les ment, le choix d’un taux à court terme aura
paramètres nécessaires au calcul du CMPC également un impact sur la détermination
de trois sociétés américaines (Boeing, New de la prime de risque de marché (présentée
Corp et Wal-Mart). L’objectif est d’iden- dans le paragraphe suivant).
tifier la fourchette de valeurs possibles Les trois sociétés sur lesquelles portent
considérant des paramètres utilisés par les nos simulations étant américaines, nous
professionnels. avons choisi d’estimer le taux sans risque
1. L’estimation des valeurs numériques à partir de titres d’État américains. Selon
l’enquête de l’Association for Finan-
Le taux sans risque cial Professionals (citée par Jacobs et
Le choix de l’actif sans risque est un exer- Shivdasani, 2012), les quatre actifs les plus
cice difficile dans la mesure où aucun actif utilisés par les praticiens sont les bons du
ne présente un risque nul. En pratique, trésor américain à 3 mois (16 % des répon-
le taux sans risque est estimé à partir dants), les obligations de l’État américain
des rendements des titres d’État (ce qui à 5 ans (12 %), les obligations de l’État
aujourd’hui pose problème dans le contexte américain à 10 ans (46 %) et les obligations
de surendettement des États). La question de l’État américain à 30 ans (11 %). En
de la maturité est également essentielle. mars 2013, les actifs sans risque américains
L’approche traditionnelle consiste à choisir que nous avons retenus présentaient les
un actif sans risque dont l’échéance est du taux exposés dans le tableau 2.
même ordre de grandeur que la durée de vie
prévue de l’investissement. Cependant, les La prime de risque de marché
obligations d’État à très long terme (30 ans) La prime de risque de marché correspond
sont souvent peu liquides. En conséquence, à l’excédent de rendement qu’un investis-
la plupart des praticiens utilisent plutôt seur doit exiger pour rémunérer le risque
des obligations de maturités de 5 ou 10 ans. systématique. Cette prime peut être esti-
Certains professionnels préfèrent cependant mée en mesurant l’excès de rentabilité du
Actif Valeur
portefeuille de marché par rapport au taux 10 ans). Les valeurs simulées de la prime
sans risque au cours des années passées. de risque de marché que nous utilisons plus
Cela étant, sa mesure fait l’objet d’un débat loin sont corrigées pour tenir compte du
concernant l’impossibilité d’observer le taux sans risque.
portefeuille de marché. En effet, même
Le coût de la dette
les indices de marché les plus « larges »
ne comprennent pas tous les actifs (par Le coût de la dette est le taux auquel une
exemple, les actifs non cotés) et sous-esti- entreprise peut financer sa dette existante
ment les rendements négatifs associés aux dans les conditions actuelles du marché.
entreprises ayant fait faillite (« biais du sur- Si la dette de la société est notée par une
vivant »). Une autre alternative pour esti- agence de rating, le coût de la dette est
mer la prime de risque de marché consiste relativement simple à estimer. Dans le cas
à calculer une prime de risque implicite. contraire, il est envisageable d’obtenir une
Cette dernière est obtenue à partir du taux notation implicite à l’aide de sociétés com-
actuariel qui égalise la valeur actuelle des parables ou par exemple, de considérer le
flux de trésorerie futurs des actifs compo- coût apparent de la dette à partir des états
sant le portefeuille de marché et la valeur financiers.
du portefeuille de marché. Des banques ou Dans la pratique, l’enquête de l’Association
des sociétés de conseil publient régulière- for Financial Professionals (citée par Jacobs
ment ces primes de risque implicites fon- et Shivdasani, 2012) montre que 37 % des
dées sur des consensus d’analystes finan- financiers utilisent le taux actuel de leur en-
ciers (tableau 3). cours de dette, 34 % utilisent le taux pré-
Nous avons inclus dans nos simulations des visionnel d’une nouvelle émission de dette
primes de risque de marché provenant de et 29 % utilisent le taux moyen historique.
différentes sources utilisées par les profes- Pour les besoins de cette étude, nous avons
sionnels : Fernandez (2012), Damodaran choisi des valeurs du coût de la dette basée
(2013), Ibbotson/Morningstar et Bloom- sur :
berg. Nous avons également calculé la 1) Le « spread » de crédit de la dernière
prime historique pour le S&P500 au cours émission de dette à long terme de l’entre-
des 25 dernières années (moyenne arithmé- prise (10 ans), à laquelle nous avons ajouté
tique et rendement des emprunts d’État à le taux actuel des bons du Trésor à 10 ans ;
Ibbotson 6,00 %
Bloomberg 8,34 %
2) Le taux moyen enregistré pour les émis- financiers. Pour nos trois sociétés, le taux
sions récentes (sur les 2 dernières années) d’imposition peut être estimé de la manière
de dette à long terme par les entreprises du suivante (cf. tableau 5).
S&P500 ayant la même notation que les
La structure du capital et l’effet de levier
sociétés que nous étudions.
Les différents coûts de la dette sont présen- Déterminer le CMPC suppose de connaître
tés dans le tableau 4. la valeur de marché de la dette et des capi-
taux propres. Si les capitaux propres et la
Le taux d’imposition dette sont cotés, les données sont facilement
Selon l’enquête de l’Association for Finan- disponibles. Mais dans la pratique, la situa-
cial Professionals, seuls 29 % des financiers tion est plus complexe. Par exemple, la dette
utilisent le taux d’imposition marginal des et les capitaux propres peuvent être soit non
entreprises du pays dans lequel la société cotés, soit temporairement non représenta-
paie ses impôts. Ceci pourrait s’expliquer tifs de la structure financière de long terme
par la difficulté d’estimer ce taux sur une de l’entreprise. Par conséquent, les prati-
base consolidée pour les entreprises opé- ciens n’hésitent pas à ajuster la structure du
rant dans plusieurs pays. Nous avons retenu capital et à définir un levier cible en fonc-
un taux marginal de 40 % aux États-Unis tion de leur expertise ou en procédant par
en additionnant la moyenne des taux des analogie avec des sociétés comparables. Si
impôts locaux au taux de 35 % d’imposi- la dette n’est pas cotée, la valeur de marché
tion fédéral sur le revenu des sociétés. Nous de la dette nette peut être réévaluée à partir
avons par ailleurs calculé le taux d’impo- des états financiers. Jacobs et Shivdasani
sition effectif moyen à partir des états (2012) expliquent que 30 % des répondants
Société
Méthode/Estimation
News Corp Wal-Mart Boeing
Société
Taux d’imposition
News Corp Wal-Mart Boeing
Taux effectif (moyenne des trois dernières années) 25,88 % 32,37 % 29,00 %
110 Revue française de gestion – N° 242/2014
Société
Structure du capital5
News Corp Wal-Mart Boeing
Dette nette moyenne sur capitalisation boursière moyenne 8,76 % 14,63 % 5,62 %
Dette nette fin 2012 sur capitalisation boursière fin 2012 9,13 % 15,54 % 0,12 %
Dette nette fin 2012 sur capitalisation boursière moyenne 10,99 % 16,60 % 0,13 %
Dette nette moyenne sur capitalisation boursière fin 2012 7,24 % 13,67 % 5,27 %
Dette nette
5. Le calcul correspond à la valeur pour
Dette nette + Capitaux propres
De la difficulté de mesurer le coût du capital 111
Bêta « brut » 1,289 1,410 1,366 1,279 1,361 1,272 1,373 1,491 1,469 1,377 1,444 1,330 1,298 1,275 1,253 1,142 0,714 0,659
Indice de marché S&P500 MSCI S&P500 MSCI S&P500 MSCI S&P500 MSCI S&P500 MSCI S&P500 MSCI S&P500 MSCI S&P500 MSCI S&P500 MSCI
Horizon temporel 10 ans 10 ans 10 ans 10 ans 10 ans 10 ans 5 ans 5 ans 5 ans 5 ans 5 ans 5 ans 2 ans 2 ans 2 ans 2 ans 2 ans 2 ans
Fréquence Jour Jour Semaine Semaine Mois Mois Jour Jour Semaine Semaine Mois Mois Jour Jour Semaine Semaine Mois Mois
R2 0,636 0,564 0,620 0,585 0,577 0,615 0,721 0,633 0,700 0,664 0,651 0,697 0,663 0,576 0,644 0,615 0,477 0,499
Walmart
Bêta « brut » 0,565 0,504 0,538 0,427 0,381 0,310 0,491 0,442 0,453 0,375 0,382 0,339 0,463 0,413 0,445 0,387 0,435 0,325
Indice de marché S&P500 MSCI S&P500 MSCI S&P500 MSCI S&P500 MSCI S&P500 MSCI S&P500 MSCI S&P500 MSCI S&P500 MSCI S&P500 MSCI
Revue française de gestion – N° 242/2014
Horizon temporel 10 ans 10 ans 10 ans 10 ans 10 ans 10 ans 5 ans 5 ans 5 ans 5 ans 5 ans 5 ans 2 ans 2 ans 2 ans 2 ans 2 ans 2 ans
Fréquence Jour Jour Semaine Semaine Mois Mois Jour Jour Semaine Semaine Mois Mois Jour Jour Semaine Semaine Mois Mois
R2 0,341 0,201 0,252 0,171 0,141 0,114 0,357 0,215 0,268 0,199 0,241 0,241 0,281 0,201 0,206 0,179 0,222 0,153
NewsCorp
Bêta « brut » 0,994 1,068 1,180 1,053 1,069 0,899 1,002 1,085 1,185 1,075 1,004 0,848 1,080 1,072 1,086 0,989 0,865 0,719
Indice de marché S&P500 MSCI S&P500 MSCI S&P500 MSCI S&P500 MSCI S&P500 MSCI S&P500 MSCI S&P500 MSCI S&P500 MSCI S&P500 MSCI
Horizon temporel 10 ans 10 ans 10 ans 10 ans 10 ans 10 ans 5 ans 5 ans 5 ans 5 ans 5 ans 5 ans 2 ans 2 ans 2 ans 2 ans 2 ans 2 ans
Fréquence Jour Jour Semaine Semaine Mois Mois Jour Jour Semaine Semaine Mois Mois Jour Jour Semaine Semaine Mois Mois
R2 0,485 0,415 0,511 0,438 0,447 0,386 0,566 0,494 0,579 0,515 0,540 0,485 0,631 0,559 0,625 0,597 0,531 0,450
De la difficulté de mesurer le coût du capital 113
BÊTAS ET R²
Les praticiens utilisent souvent le coefficient de corrélation (R²) obtenu à partir de la régres-
sion linéaire comme une mesure de la qualité de l’estimation du bêta. Cependant, le R²
peut être faible, non pas parce que le Médaf est un mauvais modèle mais pour des raisons
qui tiennent à la méthode des moindres carrés et/ou à l’utilisation de données inappropriées.
Ainsi :
a) Le principe de la méthode des moindres carrés est de minimiser la somme des carrés des
« distances » des points à la droite de régression. L’utilisation de carrés permet de travail-
ler avec des grandeurs toujours positives et surtout, de rendre le problème d’optimisation
extrêmement simple sur un plan analytique. Cela étant, cette méthode donne une grande
importance aux points aberrants (« outliers »). Conceptuellement, un point aberrant, par
exemple éloigné de la droite de 5 unités, aura un poids dans le calcul égal à celui de 25 points
« normaux » éloignés de la droite d’une seule unité. Ainsi, un très petit nombre de points
aberrants peut conduire à un R² très faible ou déformer la droite de régression, bien que le
modèle soit, hormis ces quelques points aberrants, très satisfaisant. Notons qu’il est possible
de renforcer la robustesse des moindres carrés en excluant les points aberrants, ou d’utiliser
d’autres fonctions que la fonction carré.
b) Un faible R² peut également résulter du choix de données inapproprié. Par exemple, le
choix d’un indice de marché, d’une période d’estimation ou de fréquences des rendements
inadaptés peut conduire à un faible R². L’interprétation d’un R² faible nécessite donc de
s’assurer que la régression a été conduite avec des données adéquates avant de pouvoir
conclure sur l’importance du risque spécifique.
tableau 8 résume les différentes possibilités Comme nous pouvons le voir, les dis-
que nous avons prises en considération pour tributions statistiques obtenues ont une
nos simulations. forme gaussienne. Plus important encore,
Comme le montre ce tableau, les hypo - elles sont très largement réparties. Comme
thèses décrites dans la première partie nous le montre le tableau 9, les valeurs mini-
conduisent à effectuer un total de 103 680 males simulées des CMPC de News Corp,
simulations pour le calcul du CMPC de Wal-Mart et Boeing, ressortent à 4,46 % ;
Boeing, New Corp et Wal-Mart. Chaque 2,16 % et 5,07 %. Les valeurs maximales
simulation est obtenue à partir d’hypo- sont respectivement égales à 14, 14 % ;
thèses fondées sur une pratique identifiée 7,24 % et 12,07 %.
dans la littérature ou dans les enquêtes Nous pensons cependant que nos simula-
menées auprès des professionnels. tions font apparaître des valeurs pour le
Les figures 1, 2 et 3 présentent les valeurs CMPC des trois entreprises qui sont au-delà
du CMPC que nous avons obtenues et des fourchettes de valeurs « acceptables ».
montrent comment leur répartition se com- Certaines valeurs issues de nos simulations
pare à une courbe gaussienne. seraient en effet considérées par les prati-
114 Revue française de gestion – N° 242/2014
Paramètre Possibilités #
Valeurs numériques
DN
DN fin DN fin DN
Sructure du capital moyenne/
2012/ 2012/ CB moyenne/ 4
(D/E) CB
CB fin 2012 moyenne CB fin 2012
moyenne
Dernière
Spread
Coût de la dette émission 2
moyen
long terme
Taux
Taux effectif
Taux d’imposition 2
marginal moyen
(3 ans)
Calcul de bêta
Fréquence des
Jour Semaine Mois 3
rendements
MSCI
Indice de marché S&P500 2
World Index
Ajustement pour
l’instabilité Aucun Blume 2
temporelle
Note : DN : dette nette, CB : capitalisation boursière, D/E : dette/fonds propres.
valeurs plus faibles pour les autres para- un grand nombre de transactions de fusion-
mètres afin de « moyenner » son calcul. acquisition, la valorisation de l’entreprise
Notons également que l’estimation du nécessite de définir un CMPC pour chaque
CMPC de trois grandes entreprises comme domaine d’activité dans lequel l’entreprise
Boeing, New Corp et Wal-Mart est sans opère en sachant que cette dernière n’est pas
doute un exercice relativement facile à réa- cotée. Dans ce cas, les praticiens utilisent
liser du fait de leur cotation et de la dispo- un ensemble de firmes cotées comparables
nibilité des informations. En revanche, dans dans le but d’extraire des données permet-
De la difficulté de mesurer le coût du capital 117
tant d’estimer les paramètres du CMPC. d’estimation des paramètres. Il est impor-
Cette approche est source de difficultés tant de présenter les sources disponibles et
supplémentaires liées au manque d’homo- la nécessité de les appréhender dans une
généité des entreprises comparables. cohérence d’ensemble. La recherche en
finance et en sciences de gestion pourrait
CONCLUSION également contribuer au débat en se réap-
propriant un concept qui n’est plus un objet
Cinquante ans après son introduction, le
de recherche majeur depuis les années 1970.
CMPC est un des concepts les plus utilisés
Une recherche « appliquée » qui permet-
en finance d’entreprise. Cependant, malgré
trait de fonder les meilleures pratiques en
un cadre théorique rigoureux, il n’y a pas
matière d’estimation des paramètres serait
de consensus sur les méthodes d’estimation
en effet d’une grande utilité pour la com-
des paramètres nécessaires à son calcul. La
munauté financière mais également au-delà.
détermination du CMPC nécessite donc
3) Certaines pratiques professionnelles sont
de mobiliser un nombre important d’hy-
plus contestables que d’autres. Si le passage
pothèses (concernant la prime de risque
de marché, le bêta, le ratio de l’effet de de la théorie à la pratique est complexe,
levier, et le taux sans risque). Comme il n’en reste pas moins qu’il est possible
nous l’avons montré en recourant à des de définir un ensemble de « meilleures »
simulations, l’ensemble des CMPC pos- pratiques pour définir le CMPC. Ainsi,
sibles est très étendu et la subjectivité du les paramètres doivent être sélectionnés
calcul est incontestable. Dans la pratique, en cohérence avec l’actif devant être éva-
le CMPC est au moins autant le résultat lué. Par exemple, le bêta d’une entreprise
d’une « convention » que le produit d’un multinationale sera estimé avec un indice
simple calcul. Nous souhaitons en conclu- de marché mondial. La prime de risque
sion de cet article tirer plusieurs enseigne- de marché retenue sera homogène au taux
ments de ce qui précède. sans risque et cohérente avec les caracté-
1) Il est essentiel de concevoir le CMPC ristiques de l’actif (prime de risque euro-
comme un concept non parfaitement mesu- péenne pour une entreprise européenne,
rable. Les fourchettes de valeur retenues etc.), etc. Des simulations seront réalisées
pour le CMPC renvoient à la détermination à partir de paramètres cohérents. Un scéna-
« d’hypothèses raisonnables ». On ne peut rio « central » et une fourchette de CMPC
calculer le CMPC mais simplement estimer « acceptables » seront établies et les valeurs
des fourchettes de valeurs dans lesquelles extrêmes (ou peu probables) seront éli-
il est situé. Retenir une valeur unique pour minées. Bien entendu, si ces propositions
le CMPC conduit à une estimation erronée ne règlent pas tous les problèmes, elles
de la valeur qui ne peut être pleinement favorisent les approches les plus vertueuses
intégrée que par des simulations et des tests en « réalignant » les pratiques et le cadre
de sensibilité (ce que font par ailleurs de théorique. Cela nous semble être la condi-
nombreux professionnels de la finance). tion nécessaire pour mieux appréhender
2) L’enseignement du CMPC devrait davan- le CMPC et en améliorer l’usage dans le
tage mettre l’accent sur la grande difficulté monde professionnel.
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