Thérapies Cognitives Et Émotions La Troisième Vague

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Thérapies cognitives et 

émotions
La troisième vague

Chez le même éditeur
Manuel de psychiatrie, J.-D. Guelfi, F. Rouillon, 2e édition, 2012, 888 pages.
Cas cliniques en thérapies comportementales et cognitives, J. Palazzolo,
2e édition, collection Pratiques en psychothérapie. 2012, 280 pages.
Traitement du trouble de la personnalité borderline - Thérapie cognitive
émotionnelle, F. Mehran, 2e édition, collection Médecine et psychothérapie,
2011, 320 pages.
Les personnalités pathologiques, Q. Debray, 6e édition, collection Médecine
et psychothérapie. 2011, 240 pages.
Les psychothérapies comportementales et cognitives, J. Cottraux, collection
Médecine et psychothérapie. 2011, 384 pages.
Psychopathologie de l’adulte, Q. Debray, B. Granger, F. Azais, 4e édition,
collection Les âges de la vie. 2010, 488 pages.
TCC et neurosciences, J. Cottraux, collection Médecine et psychothérapie.
2009, 240 pages.
Psychothérapie cognitive de la dépression, I.M. Blackburn, J. Cottraux,
3e édition, collection Médecine et psychothérapie. 2008, 240 pages.
Psychothérapies cognitives des troubles de la personnalité, J. Cottraux,
I. M. Blackburn, 2e édition, collection Pratiques en psychothérapie. 2006,
320 pages.
Protocoles et échelles d’évaluation en psychiatrie et psychologie,
M. Bouvard, J. Cottraux, 5e édition, collection Pratiques en psychothérapie.
2010, 348 pages.
Thérapies cognitives
et émotions
La troisième vague
Coordonné par
Jean COTTRAUX

Avec
Franck Dattilio, Firouzeh Mehran, Dominique Page, Pierre Philippot, Charles Pull,
Marie-Claire Pull, Aziz Salamat, Richard Toth, Philippe Vuille

2e édition
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tement est aujourd’hui menacée.
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incorporées (art. L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle).

© 2014, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés


ISBN : 978-2-294-73530-1

Elsevier Masson SAS, 62, rue Camille-Desmoulins, 92442 Issy-les-Moulineaux cedex


www.elsevier-masson.fr
Préface de la seconde
édition

Par Jean Cottraux

Quoi de nouveau dans les TCC de troisième


vague ?
C’est avec un grand plaisir que je préface la seconde édition de cet ouvrage
collectif qui a trouvé tout de suite sa place auprès du public car il marquait
une évolution dans la conceptualisation et la pratique de la thérapie cogni-
tive et comportementale (TCC).
En effet, nous sommes tous un jour ou l’autre piégés par nos émotions, et
le travail sur les émotions fait partie de la pratique quotidienne de tout psy-
chothérapeute, quelle que soit son orientation. Ce livre montre comment
les thérapies comportementales et cognitives (TCC) élaborent des théories,
mettent au point des méthodes pratiques et inventent des techniques spéci-
fiques pour traiter les problèmes émotionnels. Il présente aussi une métho-
dologie qui permet l’analyse des interrelations subtiles entre les émotions,
les comportements et les cognitions. Ces interrelations ont été étudiées en
détail par les méthodes d’imagerie fonctionnelle, qui ont montré que les
patients présentant des troubles psychiatriques bien délimités, et qui répon-
dent à la TCC, présentent des changements fonctionnels dans de régions
cérébrales d’intérêt spécifiques.
Historiquement, les TCC se sont développées selon trois vagues succes-
sives :
• une première vague comportementale (1950-1980) ;
• une deuxième vague qui correspond à la révolution cognitive (1980-
1990) ;
• une vague « émotionnelle » de 1990 à nos jours. Cette troisième vague
comprend principalement à cinq courants :
– la thérapie dialectique comportementale de Linehan,
– la thérapie d’Acceptation et d’Engagement d’Hayes,
– la thérapie de pleine conscience (Mindfulness Training) issue de la tra-
dition bouddhiste mais laïcisée,
– la thérapie des schémas de Young qui fait une grande place à la mise
au jour et à la modification des dérégulations émotionnelles dans les
troubles de la personnalité,
– les nouvelles méthodes d’exposition aux situations provocatrices
d’émotions anxieuses, que représentent les thérapies par la réalité
virtuelle (TRV).
VI

Ces différentes approches sont présentées en détail d’une manière des-


criptive et critique dans les chapitres de cet ouvrage.
Depuis la date du la première édition en 2007 des pratiques nouvelles se
sont fait jour et l’on peut pointer trois faits marquants :
• L’accent mis par la psychologie positive sur l’optimisme et les autres
affects positifs et leur rôle dans la vie quotidienne, le bien-être et la santé.
• La thérapie focalisée sur la compassion qui lance un pont entre des pra-
tiques millénaires et les TCC modernes fondées sur les neurosciences.
• Le travail patient effectué par les chercheurs pour valider les approches
cognitives et comportementales des émotions, selon le paradigme de la
médecine fondée sur des preuves.
Ce sont donc ces trois points qui ont été mis à jour dans la présente édition.
Elle comporte un nouveau chapitre qui synthétise les données de la médecine
fondée sur des preuves qui valident certaines des thérapies de troisième vague
dans des indications reconnues.
Liste des auteurs
Jean Cottraux : Docteur en psychologie et en médecine, psychiatre hono-
raire des hôpitaux  ; ancien chef de l’unité de traitement de l’anxiété,
hôpital neurologique, Lyon ; ancien chargé de cours à l’université Lyon 1.
Frank Dattilio : Docteur en psychologie, professeur, Department of Psychia-
try, Harvard Medical School, États-Unis.
Firouzeh Mehran : Docteur en psychologie, psychologue clinicienne atta-
chée à l’hôpital Sainte-Anne (CMME), Paris.
Dominique Page : Docteur en psychologie, responsable du service de psy-
chologie adulte et de l’unité de thérapie comportementale et cognitive,
clinique des Rives-de-Prangins, Suisse.
Pierre Philippot : Docteur en psychologie, professeur de psychologie à l’uni-
versité de Louvain, Belgique.
Charles Pull : Professeur de psychiatrie et chef de service au CHU du Luxem-
bourg.
Marie-Claire Pull : Psychologue au CHU du Luxembourg.
Aziz Salamat : Infirmier spécialiste en thérapie cognitive et comportementale ;
membre de l’unité de thérapie comportementale et cognitive (unité CC),
clinique des Rives-de-Prangins, Suisse.
Richard Toth : Psychologue, membre de l’unité de thérapie comportemen-
tale et cognitive (unité CC), clinique des Rives-de-Prangins, Suisse.
Philippe Vuille : Psychiatre et psychothérapeute, Neufchâtel, Suisse.
Liste des abréviations
AAQ questionnaire d’acceptation et d’action
ACT acceptance and commitment therapy
AP attaque de panique
APA american psychiatric association
BAI inventaire d’anxiété de Beck
BDI inventaire de dépression de Beck
CAVE cave automatic virtual environment
CF consciemment faux
CIM classification internationale des maladies
CJ consciemment juste
ECR études cliniques randomisées
EEG électroencéphalogramme
ESPT état de stress post-traumatique
FACS facial action coding system
HMD head mounted display
IJ inconsciemment juste
ITSF programme intensif de sensibilisation au modèle à 12 étapes
MBCT mindfulness-based cognitive therapy
MBSR mindfulness-based stress reduction program
PBI parental bonding instrument
PHRV projet hospitalier de réalité virtuelle
PPI programme d’orientation comportementale de promotion de
l’innovation
PTSD stress post-traumatique
ST schema therapy
SUD unité subjective de détresse, subjective unit of distress
TAG trouble anxieux généralisé
TCC thérapies comportementales et cognitives
TCD thérapie comportementale dialectique
TCR théorie des cadres relationnels
TERV traitements par exposition en réalité virtuelle
TEP tomographie à émission de positons
TH traitement habituel
TPEL émotions et trouble de personnalité état-limite
TRV thérapies par la réalité virtuelle
1 Les bases psychologiques
et biologiques
des émotions et les trois
vagues de la thérapie
comportementale
et cognitive
J. Cottraux

« Il n’y a que les grandes croyances qui nous donnent


de grandes émotions. »
Honoré de Balzac, Le Cousin Pons

Les personnes qui demandent une thérapie cognitive et comportementale


(TCC) présentent au moins l’une des trois plaintes suivantes, qui expriment le
sentiment qu’elles sont prises au piège de leurs émotions :
• elles ne font plus face à leurs émotions qui les submergent et les conduisent
au repli, et à éviter les situations sociales ou les situations quotidiennes de
rencontre avec l’environnement physique ;
• leur vie est remplie de confusion et leurs émotions les empêchent de
résoudre les problèmes relationnels qu’elles rencontrent ;
• elles sont aspirées dans la spirale d’un échec consécutif à un scénario de vie
qui les déprime. Elles répètent toujours la même erreur qui peut avoir lieu au
travail, dans la vie personnelle ou dans les loisirs. Les mêmes actions se répè-
tent. Pourtant elles savent qu’il faut faire autrement. Le scénario est bouclé par
des émotions et des actions impulsives ou compulsives qui s’imposent à elles,
sans qu’elles puissent les maîtriser (Cottraux, 2001).
Il existe de nombreuses conceptions scientifiques des émotions : il est impossible
de les envisager toutes. Ce chapitre s’efforce simplement de montrer, de manière
synthétique, sur quels fondements scientifiques spécifiques s’est progressive-
ment établie la pratique actuelle des TCC. Mais avant cette mise en perspective,
il faut se livrer à l’exercice difficile de donner une définition de l’émotion.

Thérapies cognitives et émotions


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2 Thérapies cognitives et émotions

Qu’est-ce que l’émotion ?


Je propose de définir l’émotion comme une réponse comportementale et
physiologique, brève et intense, qui reflète et/ou révèle le vécu subjectif de
celui qui est affecté par un événement interne ou externe.
L’émotion est sans doute l’un des phénomènes psychologiques les plus
difficiles à comprendre et donc à définir. Aussi, il me semble préférable de la
présenter en fonction de ses cinq caractéristiques principales.

L’émotion est à la fois une sensation


et une construction mentale
L’émotion correspond à un « vécu » subjectif : l’émotion ressentie peut être
positive, ou bien négative  ; elle peut se révéler plaisante ou déplaisante.
Mais elle correspond aussi à un traitement de l’information et donc à une
construction mentale à partir d’informations qui viennent du monde exté-
rieur et/ou de sensations physiques. Ce traitement de l’information peut
être conscient ou inconscient : problème qui est débattu depuis longtemps.

L’émotion a une fonction de survie


L’émotion, tout comme la douleur, est un phénomène qui présente une
valeur de survie  : la peur permet de fuir, d’attaquer ou de s’immobiliser.
La joie permet de savourer l’instant de bonheur. À son niveau le plus élé-
mentaire, l’émotion est une composante nécessaire de la vie. L’émotion
peut être primaire et reliée à la génétique ou secondaire et façonnée par la
culture. La part relative des influences de la culture et de l’inné peut être
étudiée. L’émotion a des caractéristiques sociales : elle peut être adaptée, ou
inadaptée à un contexte social spécifique. Elle peut être vécue, interprétée
et agie individuellement ou collectivement. Elle permet aux individus et
aux groupes humains ou aux animaux de communiquer. Le contrôle per-
manent des émotions est donc un leurre.

L’émotion est un phénomène observable


De nombreux textes poétiques, des films, des romans ou des musiques lais-
sent la trace des émotions enfuies : ils peuvent donc être étudiés comme des
documents sur l’émotion. Le langage du corps était devenu un universel à
l’époque du cinéma muet. La musique est, sans doute, ce qui s’approche
le plus de l’émotion  : en effet, ni le cinéma parlant, ni le cinéma muet,
ni le mime n’ont pu s’en passer et le théâtre se sert de la musique des mots.
Le lien entre les arts plastiques et la musique se retrouve chez les rares
personnes qui présentent la particularité de pouvoir transformer les émo-
tions musicales en des perceptions colorées (synesthésie).
Les émotions sont déclenchées par des situations, ou des stimuli spé-
cifiques dont les effets peuvent être étudiés en détail au cours de la vie
courante, ou dans les psychothérapies, qui ont pour elles l’avantage de la
Les bases psychologiques et biologiques des émotions et les trois vagues... 3

durée et donc la possibilité de voir se dérouler la répétition des émotions, en


rapport avec le récit du scénario de vie du patient (Cottraux, 2001).
De nombreuses méthodes expérimentales ont permis d’étudier les émo-
tions en laboratoire. Il est possible de les induire par différentes méthodes :
• des photographies de visages et de brefs récits émotionnels (Ekman et
Davidson, 1994) ;
• des mots affectifs (Sauteraud et coll., 1995) ;
• des musiques (Velten, 1968) ;
• de brefs récits de scénarios (Cottraux et coll., 1996) ;
• des vidéos (Decety et Chaminade, 2003) ;
• des expressions du visage présentées sur un écran (Etkin et coll., 2004) ;
• des programmes de réalité virtuelle (Berthoz, 2003) ;
• des contextes sociaux reconstruits (Tillfors et coll., 2001).
L’émotion peut alors être décomposée en composantes affectives, cogni-
tives, physiologiques, comportementales, et être étudiée en imagerie céré-
brale. Cette dernière analyse les régions cérébrales d’intérêt qui s’activent
ou se désactivent lors de la présentation des stimuli émotionnels. Il devient
alors possible d’analyser les interrelations de ces quatre composantes
et d’effectuer une cartographie cérébrale des émotions. Entre 1994 et 2004,
il a été publié plus de 55 études sur les émotions de sujets normaux avec la
caméra à positons ou l’IRM fonctionnelle (Phan et coll., 2004).

L’émotion est brève. Approches scientifiques


et littéraires
L’émotion dure quelques secondes  : il est souvent nécessaire d’utiliser
un film au ralenti pour en faire une analyse précise (Ekman, 1994). Il faut
donc établir une distinction entre les émotions, la passion, les sentiments
et l’humeur.
Une étude expérimentale du lexique français qui comprend 237 mots à
connotation affective, suggère que, dans la langue française, l’émotion ren-
voie à une intensité, pas toujours hédonique, alors que le sentiment s’ins-
crit dans la durée (Niedentahl et coll., 2004). Cette définition lexicale qui
correspond aux labels que les individus donnent à leurs émotions rejoint
l’éthologie qui considère que l’émotion est un phénomène intense, fugace
et très rapide.
Les romans et leur style peuvent aussi être étudiés de manière quanti-
tative. Je vais envisager deux exemples de manière purement qualitative,
qu’il me semblerait intéressant d’étudier de plus près, et qui ont trait aux
relations entre les mots : émotion, sentiment et passion.
Le célèbre roman de l’écrivain britannique Jane Austen (1775-1817) Sense
and Sensibility (en français : Raison et sentiments), oppose le mariage d’amour
au mariage de raison. Mais il n’est question de l’émotion amoureuse qu’à
travers la durée des sentiments, finement décrits, et de leur dualité qui les
4 Thérapies cognitives et émotions

Figure 1.1
La carte de Tendre dans Clélie de Madeleine de Scudéry (1607-1701).

fait osciller entre la raison conformiste et les apparences du « bon mariage »,


l’attraction amoureuse, et son authenticité.
La passion est plus brève que les sentiments, bien que nourrie d’émo-
tions fortes et créatrices d’un lien d’attachement puissant, dont l’intensité
le plus souvent décline avec le temps. Elle représente sans doute un chaînon
entre l’émotion et les sentiments. Une histoire d’amour commence avec des
émotions, peut se poursuivre par une passion qui, soit va se consumer, soit
va se transformer en un sentiment durable. Elle peut aussi se perdre dans le
« Lac d’Indifférence » (ou indifférence), ou « la Mer d’Inimitié » décrits par
la carte du Tendre (ou de Tendre). Cette carte du pays imaginaire de Tendre
avait été inventée par Mlle de Scudéry, écrivaine « précieuse » du xviie siècle,
pour donner une représentation géographique de la passion amoureuse. On
peut retrouver en Mlle de Scudéry et sa contemporaine, Madame de Lafayette,
auteur de La Princesse de Clèves, les fondatrices du roman d’analyse. Un
fil secret les relie à Marcel Proust. Il faut prendre en considération l’abord
romanesque des émotions, disséquées, exprimées et écrites avec art. Ce
corpus littéraire peut, lui aussi, être mesuré par des études de stylistique
quantitatives. Le roman tout comme le cinéma influencent les émotions et
les comportements : leur impact sur la modulation culturelle des émotions
est donc significatif. La figure 1.1 représente la carte du pays de Tendre. Une
fois encore les romanciers ont précédé les psychologues dans une tentative
de systématisation des émotions humaines.
Les bases psychologiques et biologiques des émotions et les trois vagues... 5

La notion d’humeur renvoie à la stabilité d’un état émotionnel qui dure


quelques jours, quelques semaines ou toute la vie : l’humeur est donc plus
le reflet d’un tempérament ou de la personnalité. Hippocrate avait déjà
décrit le tempérament bilieux, la bile noire : l’atrabile, et la personnalité de
l’atrabilaire. Ce que nous appelons actuellement l’affect négatif ou le « neu-
roticisme ». Cependant l’humeur peut être la condition de base sur laquelle
vont apparaître les mouvements émotionnels dans les personnalités labiles,
comme la personnalité borderline toujours entre l’enfer et le paradis, la
colère, l’anxiété, la tristesse ou les sensations de vide.

L’émotion est au centre de la relation psychothérapique


Il est possible aussi d’évaluer les changements émotionnels durant les psy-
chothérapies, au cours desquelles les patients expriment le plus souvent
une humeur négative, anxieuse, coléreuse ou dégoûtée, qui correspond à
des mouvements émotionnels rarement marqués par la joie. Le partage des
émotions négatives et leur mise en forme sont le pain quotidien de tous les
psychothérapeutes. Je vais donc envisager comment, dans les trois vagues
qu’ont connues successivement les TCC, le problème a été abordé.

Les émotions et les trois vagues des TCC


La TCC a connu trois vagues successives, qui en arrivant au rivage, finissent
par se superposer, après s’être rencontrées.

La vague comportementale
Une première vague est comportementale et se situe entre les années 1950
et 1980. Elle parlait peu d’émotion car elle se référait au modèle comporte-
mental radical de Skinner, qui repose essentiellement sur l’analyse expéri-
mentale du comportement par l’étude des contingences de renforcement.
Les motivations, les émotions et les réactions physiologiques aussi bien que
les cognitions ne sont que des effets des contingences de renforcement
qui les façonnent de l’extérieur. Un réarrangement judicieux du monde
extérieur devrait suffire à les changer de manière favorable en utilisant les
bons renforçateurs (Skinner, 1962 ; 1974a). Les limites de ce modèle sont
évidentes. Il est circulaire puisque les renforçateurs expliquent le renforce-
ment et vice-versa. Il est aussi métaphysique et réductionniste.
Dans un roman écrit par Skinner Walden Two (1962), il peut devenir uto-
piste. Il s’agit d’une utopie positive, où Skinner parodie un célèbre roman
américain du xixe siècle écrit par Thoreau : Walden. Il propose l’histoire
d’une communauté entièrement régie par les lois de l’apprentissage skin-
nerien et donc les « bonnes contingences de renforcement ». Skinner fut
attaqué par le sénateur Robert Kennedy, qui lui reprocha de soutenir un
modèle de contrôle social qui ressemblait fort au communisme. On peut
facilement objecter à Skinner : « Qui va contrôler ceux qui contrôlent les
autres pour leur propre bien ? ».
6 Thérapies cognitives et émotions

Sur un plan plus scientifique, Skinner fait constamment peu de cas des
contraintes génétiques sur l’apprentissage, explorées par les éthologistes. Il
accordait peu d’importance aux processus intermédiaires entre les stimuli et
les réponses, mis au jour par les thérapeutes cognitivistes et les neurosciences
cognitives. De même, les processus innés sous-jacents au langage furent
considérés avec peu d’intérêt (Skinner,  1957), ce qui entraînera une polé-
mique célèbre avec le linguiste Noam Chomsky (1970), partisan d’une gram-
maire générative et d’universaux du langage qui reposaient sur un système
inné d’acquisition du langage. Le plus surprenant, est le manque d’intérêt de
Skinner, pourtant poète à ses heures, pour les émotions : en témoigne le cha-
pitre de son livre About Behaviourism (1974a) qui traite des émotions et de la
motivation. Il reste aujourd’hui de l’approche skinnerienne, une méthode
pour analyser les comportements en fonction de leurs conséquences, de
manière fiable et objective et des procédures d’apprentissage programmé
dont les principes demeurent valables. Albert Bandura (1977) proposa un
modèle alternatif d’apprentissage social qui tenait compte de la personne,
de ses capacités d’autocontrôle et de structures cognitives qui représentaient
un progrès mais où l’émotion était peu prise en compte.
En fait, c’est en s’intéressant aux émotions que la thérapie comportemen-
tale a acquis véritablement un statut de psychothérapie, alors qu’avant on
parlait de « modification du comportement » pour rendre compte de la
démarche environnementaliste radicale de Skinner. Ce dernier était très cri-
tiqué dans les premiers cercles s’intéressant à la TCC en Angleterre, où l’on
considérait que le skinnerisme était l’expression de la volonté de puissance
des psychologues américains, éternels rivaux de la psychologie anglaise. À
cette époque, les recherches cliniques de Joseph Wolpe (1975) débutées dans
les années 1950, puis celles d’Isaac Marks (1987) entamées dans les années
1960, se fondaient sur le conditionnement classique pavlovien, qui explique
les réponses du système nerveux végétatif, et donc les émotions. Alors que
le conditionnement opérant skinnerien s’intéresse quasi exclusivement
aux réponses motrices et verbales. Hans Eysenck, qui dirigeait l’institut de
Psychiatrie de Londres, était un disciple de Pavlov et cherchait également
des processus qui pouvaient expliquer l’établissement de réponses émotion-
nelles et physiologiques inadaptées en une seule rencontre avec un stimulus
nuisible qu’il avait appelé le processus d’incubation (Eysenck,  1976). Ces
auteurs ont proposé un déconditionnement des réponses émotionnelles et
une approche pratique de la psychothérapie. Ce modèle qui repose sur
trois piliers : l’exposition aux situations évitées, l’habituation des réponses
émotionnelles et l’extinction des réponses comportementales d’évitement,
a connu un grand succès. Il proposait un paradigme simple qui permettait
d’ancrer la TCC dans la pratique quotidienne et dans les neurosciences.
Plusieurs méthodes d’exposition font appel explicitement à la confronta-
tion du sujet en imagination aux situations anxiogènes, afin de désincarcé-
rer les affects bloqués. Ainsi la thérapie implosive de Stampfl et Levis (1977)
et la thérapie du deuil de Ramsay (1977). Dans la méthode de Ramsay, il
s’agit d’un deuil guidé par le thérapeute qui aide le sujet à affronter ce qu’il
nie : la perte d’un être cher. Le deuil pathologique est conceptualisé comme
Les bases psychologiques et biologiques des émotions et les trois vagues... 7

un état de stress post-traumatique, avec évitements externes et internes de


tout ce qui peut rappeler la perte. Des résultats intéressants ont été rappor-
tés avec cette méthode dans des études de cas et deux études contrôlées
(Cottraux, 1981 ; Mawson et coll., 1981 ; Sireling et coll., 1988). À cet égard,
une méthode présentée comme nouvelle, EMDR (Shapiro,  1995), ne fait
que reprendre et affiner ces travaux initiaux.
Isaac Marks (1987), dans un ouvrage qui récapitule les travaux de cette
époque, a montré le lien entre ses propres travaux cliniques et les travaux
fondamentaux du futur prix Nobel 2000, Éric Kandel. Ce dernier avait
démontré chez des organismes comprenant un nombre limité de neurones
(l’aplysie, une limace de mer), qu’il existait, à côté des réponses condition-
nelles, une mémorisation après une seule rencontre avec un stimulus nui-
sible. Il se passe alors une potentialisation à long terme, laquelle résulte
d’une cascade d’événements chimiques qui font que la réponse va s’accroître
sans qu’il soit nécessaire de mettre en place des expériences de conditionne-
ment (Kandel, 1998). C’est donc la trace émotionnelle et comportementale
du conditionnement (par associations répétées) ou l’apprentissage non-
associatif (en une seule rencontre avec une situation traumatique) qui était
au centre du débat théorique et thérapeutique. Éric Kandel (2006) dans son
ouvrage autobiographique, raconte que la source émotionnelle de ses tra-
vaux provenait du traumatisme qu’il avait lui-même subi, lors de la fuite de
sa famille de Vienne, au moment de la Nuit de Cristal, en 1939.

Quand les vagues se rencontrent : un cocktail


avec B.F. Skinner
En fait, les différentes vagues se sont constamment superposées, ce qui a
provoqué des remous. Pour illustrer ce point de vue, je vais reprendre un
texte que j’ai publié en 1983, dans le bulletin de l’Association française de
thérapie comportementale, à la suite d’un cocktail chez le Pr Marc Richelle
de l’université de Liège, où s’était tenue la Conférence européenne d’ana-
lyse expérimentale du comportement. Ce texte, que je préfère laisser tel
qu’il fut écrit, sur le vif, donne une idée des discussions de l’époque. On y
découvre un Skinner figé sur ses positions scientifiques personnelles, mais
aussi visionnaires, car il anticipe la vague écologiste actuelle.

[…] Élargissant le débat, Skinner a posé la question : « Comment sauver un


monde menacé par la guerre, la pollution, etc. ? » et il nous a confié que
lorsqu’il a écrit Beyond freedom and dignity (1974), il était encore un peu
optimiste mais qu’actuellement, il était de plus en plus pessimiste sur le sort de
la Terre. Il se proposa d’écrire un ouvrage destiné à développer des solutions
fondées sur l’analyse expérimentale des comportements.
Le Pr Richelle avait organisé un cocktail le lendemain soir, où un certain nom-
bre de participants eurent l’honneur d’y être invités. Le rite social était de venir
successivement, par groupe de cinq ou six, à la table de Skinner et de bavarder
x
8 Thérapies cognitives et émotions

x
informellement avec lui autour d’un verre de champagne, Skinner ne buvant
que des jus de fruits.
L’entretien fut intéressant d’autant que les divers participants, qui étaient avec
moi, n’y allèrent pas de main morte. Une demoiselle italienne eut sans doute
la palme de la séduction en demandant à Skinner ce qu’il avait fait des poèmes
qu’il avait écrits dans son jeune âge, et en lui demandant les tirés à part. B.F.
Skinner promit de les envoyer avec, semble-t-il, beaucoup de plaisir à rappeler
ainsi sa vocation littéraire initiale. Nous entrâmes plus dans le vif du sujet en
discutant avec lui de l’origine de ses travaux, et fort honnêtement, il rappela
le rôle de Kornovsky et de Thorndike dans le développement de ses théories.
Une psycholinguiste rappela ses conflits avec Chomsky, qu’il balaya d’un geste
de la main. Puis quelqu’un eut la malencontreuse idée de lui demander ce
qu’il pensait de la neurophysiologie, ce à quoi il répondit que cela ne servait
pas à grand-chose en psychologie et que depuis 1938 il estimait ne pas avoir à
changer de position à ce sujet. J’ai eu alors l’idée perverse de lui demander ce
qu’il pensait des cognitions et du mouvement cognitif. Ceci entraîna la même
réponse. À savoir, qu’il ne fallait pas attendre grand-chose du développement
de ce mouvement, en ce qui concerne la thérapie comportementale, l’analyse
expérimentale du comportement et la psychologie. Sur ce, Skinner se leva pour
continuer la discussion dans d’autres petits groupes. Certains mauvais esprits
dans le groupe, ont fait remarquer que « cognition » avait sans doute servi de
stimulus discriminatif pour son comportement moteur. D’autres suggérèrent
que nous avions façonné son comportement, pour qu’il réponde ce que nous
attendions. D’autres, enfin, soulignèrent que le cocktail avait lieu dans une
ancienne commanderie de templiers, ce qui ne prédisposait guère à une atti-
tude œcuménique pourtant entrevue au cours de la conférence…

La vague cognitive
La deuxième vague correspond à la révolution cognitive entre 1970 et 1990.
Elle a tout d’abord insisté sur la cognition consciente. La thérapie rationnelle
émotive d’Albert Ellis (1962), étudie les systèmes de croyances irrationnels
conscients ou préconscients du patient pour les modifier. Ellis aboutit à la
conclusion générale que le comportement « névrotique » est un comporte-
ment aberrant mis en actes par une personne intelligente. Cette aberrance
proviendrait de l’image grandiose que les sujets ont d’eux-mêmes. Le but
général de la thérapie est l’acceptation inconditionnelle de soi. Le sujet doit
ne plus porter des jugements sur son essence, par exemple : « Je suis un raté » ;
mais plutôt considérer avec relativisme les accidents de son existence, par
exemple : « J’ai échoué tel jour, tel examen ». Ellis a proposé une approche
pragmatique de restructuration cognitive qui a eu un certain succès dans des
travaux cliniques et de recherche. Ellis a proposé de traiter les distorsions cog-
nitives, par étapes, selon un système qu’il résume par les lettres A, B, C, D, E.
A. activation des croyances par un événement : tout d’abord sont isolées les
activités ou les situations qui activent les systèmes de croyance ;
Les bases psychologiques et biologiques des émotions et les trois vagues... 9

B. systèmes de croyances irrationnelles : ensuite, sont déterminés les sys-


tèmes de croyances irrationnelles ;
C. conséquences comportementales et cognitives : ces systèmes de croyances
irrationnelles constituent les réponses internes aux événements et donnent
lieu à des pensées, des sentiments et des comportements défaitistes ;
D. modification des croyances : le thérapeute aide le patient à corriger son
système de croyances irrationnelles ;
E. le résultat est la mise en place d’une conception rationnelle de l’exis-
tence qui devient ainsi plus acceptable et satisfaisante pour le sujet.
On peut observer que cette hyperrationalité stoïcienne, fait bon mar-
ché de la complexité des motivations humaines et considère les émotions
comme une entrave à la vie. De plus, l’attitude psychothérapique d’Ellis,
souvent marquée par une confrontation des sujets à leurs propres impasses
existentielles, demeure questionnable, si elle se transforme en une attitude
provocatrice de sentiments négatifs durables.
J’ai pu observer Albert Ellis de près durant une journée à son centre de
New York dans les années 1980 : cette attitude systématique pourrait se
révéler inadaptée, pour la majorité des patients et des psychothérapeutes en
formation. Cependant ses disciples fonctionnent d’une manière beaucoup
plus souple, ce qui peut expliquer la popularité de sa méthode, dont le
succès a été validé par la méta-analyse initiale de Smith et Glass (1977).
En fait, ce modèle historique a laissé progressivement la place à un modèle
cognitif plus sophistiqué et intégratif (Mahoney, 1974). Celui-ci se fonde sur
l’analyse expérimentale du traitement de l’information et l’étude clinique
systématique des schémas cognitifs aussi bien dans les différents syndromes
d’axe I, que dans les troubles de la personnalité (Beck et coll., 1979 ; Ingram
et Hollon, 1986 ; Alford et Beck, 1997 ; Beck et Freeman, 2004 ; Rapport
INSERM, 2004 ; Cottraux, 2006 ; Cottraux et Blackburn, 2006).
Dès le début, dans les années 1970, apparaît l’intérêt pour les processus
émotionnels (Beck, 1976). Beck et coll. (1979) décrivent de manière claire
la méthode qui lui a permis de construire son système psychothérapique, à
partir de l’étude des pensées automatiques préconscientes reliées aux émo-
tions négatives : « l’émotion est la voie royale vers la cognition ».
Si l’on examine la thérapie cognitive de la dépression, les premières
séances consistent à repérer les émotions et les affects, et à les relier aux
pensées et aux comportements. Le thérapeute expliquera d’abord au
patient ce que l’on entend par « pensée automatique ». C’est-à-dire qu’il
s’agit « d’une pensée ou d’une image mentale dont on n’est peut-être pas
conscient, à moins de se concentrer sur elle : elle fonctionne malgré soi
et son contenu est le plus souvent négatif. La mise au jour des pensées
automatiques peut se faire par des questions directes. Le thérapeute uti-
lisera aussi le jeu de rôle pour recréer les situations ou des techniques de
visualisation en imagination. Une des manières d’aborder les pensées
automatiques, en clinique, consiste à demander au patient ce qu’il pense
lorsqu’il manifeste une émotion négative (qui se traduit souvent par des
pleurs), et de se concentrer sur son dialogue ou monologue intérieur, pour
10 Thérapies cognitives et émotions

ensuite l’aider à modifier cette pensée automatique. Cette technique a reçu


le nom de « sonde cognitive ».
La thérapie cognitive insiste actuellement tout autant sur les relations
entre les cognitions et les émotions conscientes qu’inconscientes (Cottraux,
2001). La thérapie cognitive a produit un nombre considérable de travaux
dans tous les problèmes psychopathologiques et psychologiques, comme
en témoignent deux revues de l’ensemble de ces travaux (Beck,  2005  ;
Butler et coll., 2006). Le Prix Lasker, la plus haute distinction médicale amé-
ricaine, est venu en 2006, couronner l’œuvre d’Aaron Temkin Beck.

La vague émotionnelle
La troisième vague débute dans les années 1990. Elle correspond principa-
lement à la thérapie dialectique comportementale de Linehan (2000). On
y rattache aussi la thérapie de pleine conscience ou Mindfulness Training
(Zegal et coll., 2002). La thérapie des Schémas de Young, en fait également
partie ; elle accorde une grande place à la mise au jour des émotions et à la
modification des dérégulations émotionnelles dans la thérapie cognitive des
troubles de la personnalité (Young et coll. 2005 ; Giesen-Bloo et coll. 2006 ;
Mehran, 2006). Il faut y ajouter l’ACT (Acceptance and Commitment Therapy),
qui peut se traduire en français par : « Thérapie d’acceptation et d’engage-
ment ». Cette nouvelle forme de thérapie représente une synthèse entre
la thérapie comportementale, les thérapies humanistes et la thérapie cog-
nitive (Hayes et coll., 1999). Ces quatre courants seront détaillés dans les
chapitres suivants de cet ouvrage.

L’éthologie des émotions : de Darwin à Ekman


Dans son livre de 1872, L’expression des émotions chez l’homme et les animaux,
Darwin a présenté le premier, un travail scientifique d’envergure sur le sujet,
à partir de l’étude de personnes de son entourage et d’animaux.

Les travaux de Darwin


Darwin s’est aidé, d’une manière novatrice pour l’époque, non seulement
de dessins mais aussi de photographies et d’enquêtes de terrain effectuées
par des informateurs.
Selon Darwin, après une enquête : la surprise, la tristesse, la colère, la
joie, le mépris, le dégoût, la honte et la peur étaient les huit émotions fon-
damentales. D’autres émotions comme la culpabilité, la ruse, l’obstination,
la stupéfaction et la jalousie ne correspondaient pas à une expression dis-
tincte des autres. Pour Darwin, hausser les épaules ou le geste de tête de
négation était des comportements universels alors que le geste de la tête
d’approbation ne l’était pas.
Les auteurs contemporains, à la suite de Darwin, ont souligné que l’expres-
sion faciale représente, sans doute, le meilleur indicateur de l’universalité
de cette expérience personnelle.
Les bases psychologiques et biologiques des émotions et les trois vagues... 11

Ekman et la mise au jour des émotions primaires


transculturelles
Le travail le plus sophistiqué est celui de Paul Ekman, partisan de l’univer-
salisme biologique de Darwin, qui se heurta longtemps à l’opposition des
anthropologues relativistes, comme Magaret Mead. Celle-ci considérait que
les émotions étaient avant tout façonnées par la culture et que les facteurs
innés étaient de peu d’importance. En somme, autant de cultures autant
d’émotions variées. Convaincu de la justesse de la thèse de Darwin, Ekman,
après un travail acharné, avec un système de codage, le Facial Action Coding
System (FACS), a retenu cinq émotions primaires : la tristesse, la colère, le
dégoût, la peur, la joie.
Il s’y ajoutait également au départ, une sixième émotion : la surprise, et
une septième : le mépris. Le mépris n’a pas été tenu longtemps pour émo-
tion universelle, car il n’apparaissait pas dans toutes les cultures en particu-
lier celles qui sont illettrées. Finalement Ekman a montré, dans les années
1970-1980, par une série d’études effectuées dans 21 pays, que seules cinq
émotions se rencontraient dans toutes les cultures, y compris celles qui
n’avaient pas accès au cinéma, qui aurait pu imposer un modèle social
commun de comportements. Le test consistait à montrer six photographies
de visage pendant 10 à 15 secondes et à demander de dénommer l’émotion.
Ou encore à écouter un récit et à choisir parmi trois photographies celle
dont la tonalité émotionnelle correspondait le mieux au récit. La surprise
faisait également partie des six émotions primaires a priori. Cependant dans
ses travaux et ceux de ses collaborateurs, la peur se différenciait mal de la
surprise dans de nombreux groupes étudiés.
Selon Ekman, il faut voir dans ces émotions primaires un « câblage  »
fondamental commandé par la génétique. L’émotion primaire présente des
caractéristiques très précises. Elle apparaît de manière rapide, spontanée et
involontaire : elle est difficilement contrôlable par la volonté consciente.
Elle s’accompagne d’images, de pensées et de sensations spécifiques à cha-
cun de ces six types et se traduit essentiellement dans la mimique faciale.
Pour parler d’émotion primaire, il faut qu’il s’agisse d’une réponse rapide,
automatique, quasi inévitable et partagée entre l’Homo sapiens et l’ensemble
des primates. L’émotion peut revêtir des aspects plus subtils : mouvements
passagers du visage qui ne sont détectables que par le ralenti d’un film et
qui représentent de brèves « fuites » involontaires d’un état mental que la
personne veut cacher. Ainsi, on peut même décrire, après observation, une
méthode pour discriminer le vrai et le faux sourire : le vrai sourire implique
à la fois la contraction des muscles zygomatiques et le plissement des yeux.
La dissociation entre les deux : contraction zygomatique sans plissement
des yeux représente un sourire de commande. L’émotion est proche de
l’action : ce qui nous émeut nous fait bouger, courir, frémir trembler, fuir,
attaquer, parler, rester muet, tomber à la renverse. Mais l’émotion est aussi
proche de réactions végétatives : rougir, pâlir, suer, le changement du dia-
mètre des pupilles. Elle affecte donc aussi bien le système neurovégétatif
12 Thérapies cognitives et émotions

que le système musculaire. La voix peut aussi refléter les émotions ainsi que
les variations du rythme cardiaque, de la respiration, de la sudation qui
transparaît dans les variations de la conductance cutanée. Bien qu’elles
puissent être simulées, les réponses émotionnelles peuvent aussi être détec-
tées par de fins observateurs. Des enregistrements suivis d’études des fré-
quences vocales ont également été proposés.
Quoique très attaché à la conception darwinienne, Ekman ne nie pas pour
autant le rôle des influences sociales dans la modulation des émotions : il
présente son modèle de cinq émotions primaires comme des « programmes
ouverts ». Ce qui fait que certaines informations et certaines règles de la
culture sont plus facilement incorporées que d’autres. Il s’agit donc d’une
contrainte sur les apprentissages sociaux. Par exemple, il a montré que
des Japonais qui regardent un film émouvant, à l’inverse des Américains,
contrôlent davantage leurs émotions et les masquent par un sourire, sur-
tout en présence d’une figure d’autorité. Mais ils se laissent tout autant aller
à leurs émotions lorsque le contrôle social par des règles d’exhibition dis-
paraît. (Ekman, 1982 ; Ekman et Davidson, 1994 ; Ekman in Darwin, 1996)

Les fonctions des émotions


La principale fonction des émotions est l’adaptation. Ce sont des systèmes
internes qui nous orientent vers le maintien de la vie. Par rapport aux cog-
nitions, les émotions sont plus archaïques et représentent un système adap-
tatif destiné à accroître nos capacités de survie. Par exemple, la peur sera
activée dans des situations ambiguës où il faut prendre une décision rapide :
ami/ennemi, serpent ou branche d’arbre. Elle a pour effet d’augmenter
l’attention, d’alerter la conscience et d’accroître le stockage des souvenirs.
Le dégoût nous avertit des nourritures à éviter. Mais sur le versant positif,
une émotion comme la joie est nécessaire au maintien de la vie. D’une
manière générale, tout ce qui a un caractère de renforçateur positif, et qui
va donc accroître les comportements pour l’obtenir, participe à la survie :
par exemple, la recherche du plaisir et de la nouveauté.
La recherche d’émotions positives peut faciliter la vie en groupe ou
encore l’établissement des liens positifs d’attachement. Les réactions grou-
pales peuvent aussi être faites d’émotions partagées qui vont entraîner les
groupes dans des conduites collectives, qu’elles vont réguler. Au niveau des
interactions sociales simples, les émotions servent à la communication à
travers l’empathie : en particulier dans les réponses aux mimiques ou aux
inflexions de la voix.
Ainsi, à l’université de Cambridge, Simone Baron Cohen (2004) a monté
un programme interactif informatisé : Mind Reading. Ce programme pro-
gressif regroupe 412 émotions qui sont classées en 24 groupes. Il est proposé
pour aider les sujets souffrant de troubles envahissants du développement,
ou plus spécifiquement d’autisme infantile, à développer une « théorie de
l’esprit » d’autrui en augmentant les réponses empathiques aux expressions
émotionnelles des visages présentés ; au ton de voix en relation ; mise en
relation avec des histoires qui placent les émotions dans un contexte.
Les bases psychologiques et biologiques des émotions et les trois vagues... 13

Sens et sensibilité : les relations


entre émotions et cognitions
La sensibilité est une capacité de répondre à des stimuli d’intensité faible
et de discriminer des stimuli voisins les uns des autres : c’est le propre de
la sensibilité artistique que de répondre à des nuances pour les assimiler et
les rassembler dans l’œuvre d’art et d’en jouer pour émouvoir les autres. Le
sens correspond à l’interprétation, que l’on peut donner à ces changements
infimes  : le spectre des émotions inexprimées et fugaces que les artistes
cherchent à stabiliser dans des formes durables.
Il existe au moins 150 théories des émotions comme le rapporte Alain
Berthoz dans son ouvrage sur la décision (2003). Je n’envisagerai ici que le
modèle historique de William James, le modèle de Lazarus, le modèle de
Zajonc, le modèle de Damasio, et celui de LeDoux.

Le modèle de William James


Le débat a commencé avec un article de William James : Qu’est ce qu’une
émotion (1884). Selon James, ce sont les réponses corporelles (tachycardie,
tension musculaire, spasmes viscéraux, dilatation pupillaire, sudation) et
toutes les informations qui proviennent du corps qui font les émotions. Ces
informations arrivent au cerveau qui donne un label spécifique à chaque
émotion en fonction des patterns périphériques (peur, colère, joie, tristesse,
dégoût). C’est donc un feedback spécifique venant du corps, qui va permet-
tre de reconnaître une émotion : nous avons peur parce que nous tremblons
et sommes tristes parce que nous pleurons.
Plus tard les travaux de Schacter et Singer (1962) ont montré que les phé-
nomènes périphériques émotionnels sont ambigus et que l’interprétation
qui en est donnée par le sujet, dépend de ses attentes et du contexte joyeux
ou triste mis en place par l’expérimentateur. Autrement dit l’émotion est
essentiellement une construction mentale : ce principe a permis d’avancer
une théorie cognitive de l’émotion.

Le modèle de l’évaluation cognitive de Lazarus


L’émotion dans cette perspective est un phénomène physique, déclenché
par une situation vécue et qui reçoit une étiquette cognitive. L’émotion est
donc une interprétation qui met en relation l’émoi physique avec ce qui le
provoque. Ce qui peut se traduire par le schéma suivant (Figure 1.2), qui
représente un modèle classique des relations entre émotion et cognition :
celui de l’évaluation cognitive (Monat et Lazarus, 1991). Lazarus considère
que certaines émotions peuvent être déclenchées de manière inconsciente

Figure 1.2
Émotions et cognitions. Le modèle de Lazarus : l’évaluation cognitive.
14 Thérapies cognitives et émotions

(automatiquement) mais il a surtout souligné l’importance des processus


conscients et de la pensée élaborée dans les stratégies d’adaptation à l’émo-
tion. Selon le modèle de Lazarus, la cognition est causale et c’est l’évalua-
tion cognitive consciente qui fait qu’un état affectif ressenti devient une
émotion. Des données expérimentales soutiennent pour une part ce point
de vue (Roseman et Edvokas, 2004).

Émotions inconscientes et préférences inconscientes :


le modèle de Zajonc
De nombreux auteurs ont fait remarquer qu’une grande partie des émotions
ne passe pas par la conscience. Des modèles du fonctionnement préconscient,
conscient et subliminaire ont été proposés, soulignant que vraisemblablement
la conscience correspondrait à des activations des régions pariétales et tem-
porales et à un traitement descendant de l’information, top down (Dehaene et
coll., 2006). Mais le fonctionnement du reste du cerveau est beaucoup plus
automatique et échappe au contrôle volontaire.
Les méthodes d’imagerie cérébrale permettent d’étudier en temps réel le
cerveau en train de traiter une information trop rapide pour accéder à la
conscience. On peut provoquer le traitement de l’information en l’activant
par des stimuli subliminaires. On peut déclencher des émotions et des
comportements en projetant des visages heureux, en colère ou neutres qui
ne sont pas perçus par la conscience, car ils sont présentés trop rapidement
par un tachyscope durant seize millisecondes.
Une étude (Berridge et Winkelman,  2003) a montré que la présentation
subliminaire de visages heureux augmentait de 50  % la consommation de
jus de fruit chez des participants assoiffés, alors que la présentation sublimi-
nale de visages en colère la diminuait. Les participants ne rapportaient aucun
changement émotionnel conscient durant l’expérience. Une structure céré-
brale primitive, le nucleus accumbens est situé en profondeur, à la jonction
des structures corticales et sous-corticales et reçoit des afférences du tronc céré-
bral, qui gère les réponses végétatives et des régions préfrontales impliquées
dans l’évaluation cognitive des émotions. Il se situe donc à la jonction des
opérations conscientes et inconscientes. Le nucleus accumbens est la région
cérébrale qui gérerait des émotions et les préférences inconscientes.
Ces réponses émotionnelles font qu’on aime ou pas une situation, un visage
ou une expression. Ces processus de choix inconscients sont largement utili-
sés, de manière plus ou moins discernable par le marketing et la publicité. Par
exemple, un message subliminaire sexuel peut se trouver dissimulé sous la
forme d’une image ambiguë qui n’est pas perçue tout de suite, mais fait son
chemin chez le spectateur, pour associer la sexualité au produit à vendre.
Une telle conception correspondrait au modèle des préférences affectives
inconscientes qui est dû à Zajonc (1980). Ce dernier a proposé une hypo-
thèse (Figure 1.3) : les jugements affectifs seraient précognitifs, non verbaux,
automatiques, et inévitables. Selon Zajonc, affect et cognition ­appartiennent
à deux systèmes qui sont séparés mais reliés entre eux. Les jugements émo-
tionnels sont des préférences qui fonctionnent d’une manière automatique,
Les bases psychologiques et biologiques des émotions et les trois vagues... 15

Figure 1.3
Émotions et cognitions : le modèle de Zajonc.
instantanée, inévitable et irrévocable. Ils sont comparables au coup de
foudre amoureux. Ils correspondent souvent à la reconnaissance de quelque
chose de déjà connu et souvent oublié. Ainsi, l’émotion n’aurait pas besoin
d’étiquette cognitive consciente, car elle témoigne simplement d’un choix
inconscient qui persiste, quoi qu’il arrive, et quels que soient les arguments
qui en démontrent le caractère fallacieux.
Des travaux expérimentaux ont précisé le fonctionnement cérébral lors
du traitement inconscient des émotions. Une étude effectuée chez des sujets
normaux, mais qui variaient dans leurs scores à l’inventaire d’anxiété-
trait de Spielberger, a montré avec l’IRM fonctionnelle des différences de
localisation du traitement de l’information émotionnelle consciente et
inconsciente. Cette étude utilisait le masquage rétrograde : elle présentait
tantôt des visages apeurés, tantôt des visages apeurés suivis très rapidement
de visages neutres, ce qui ne permettait pas une reconnaissance consciente de
l’émotion montrée par le visage. Il est apparu que le traitement conscient
de l’émotion « peur » se déroulait dans l’amygdale dorsale et le traitement
inconscient dans la région inférieure et latérale de l’amygdale (Etkin
et coll., 2004). Le degré de réponse inconsciente était directement corrélé
avec le score d’anxiété-trait : ce dernier correspond à une modalité stable de
la personnalité du sujet.

Le modèle de Damasio : émotions et sentiments


(Figure 1.4)
Il existe des émotions inconscientes. Celui qui les vit ne peut les rattacher à
aucun événement qui les déclencherait. Mais il existe aussi vraisemblable-
ment des cognitions inconscientes qui évaluent ces émotions. Après une

Figure 1.4
Émotions et cognitions : le modèle de Damasio.
(D’après A. Damasio. Spinoza avait raison. Odile Jacob, 2003)
16 Thérapies cognitives et émotions

évaluation inconsciente des émotions, une deuxième évaluation consciente


va transformer l’émotion « brute » en sentiment affiné, ou raffiné, quand
il s’agit de son expression artistique. Mais Damasio (1999  ; 2003) va au-
delà de la réduction de l’émotion au biologique « précablé » proposé par
Darwin puis Eckman. Selon lui, un sentiment est la perception d’un état
du corps (réel ou simulé) en même temps que la perception de certains
thèmes psychologiques. Les sentiments sont en relation avec des situations
qui les causent. Cependant les sentiments diffèrent des émotions. Ce sont
des pensées au sujet des émotions : des métacognitions pourrait-on dire, ou
encore des schémas stables qui régulent la vie affective. L’émotion reste un
phénomène bref et ponctuel.
Trois types d’émotions sont décrits par Damasio dans un classement heu-
ristique.

Les émotions d’arrière-plan


Elles correspondent à un fonctionnement homéostatique biologique de
l’organisme peu perceptible : énergie, enthousiasme, énervement, malaise
peuvent en être le reflet global. Il s’agirait d’une sorte « d’état d’être » pour
ne pas dire état d’âme de base. Elles sont articulées aux besoins et aux moti-
vations.

Les émotions primaires


Elles correspondent aux six émotions isolées par Ekman  : joie, tristesse,
colère, dégoût, peur et surprise.

Les émotions sociales


Elles correspondent à la sympathie, la honte, la culpabilité, l’orgueil, l’envie,
la gratitude, l’admiration, l’indignation et le mépris.
La conception de Damasio affirme que sentiment et pensées sont intime-
ment liés. On peut dire que la cognition est liée à l’émotion comme les deux
faces d’une feuille de papier. Il existe des cognitions conscientes et incons-
cientes, les pensées conscientes vont mettre en forme l’émotion. Celle-ci
s’exprime sous la forme élaborée du sentiment.

Le modèle de LeDoux : l’amygdale « hub »


des réponses émotionnelles. Une voie consciente
et une voie inconsciente pour les TCC
Les travaux de LeDoux (1996) ont permis une avancée significative de la
biologie des émotions et de leurs relations avec les facteurs cognitifs. La
conscience joue peu de rôle dans ce type d’apprentissage, qui a lieu dans
deux structures neurologiques qui appartiennent à des structures primitives
du cerveau  : le thalamus et l’amygdale, et également le tronc cérébral.
L’apprentissage de la peur et des réactions anxieuses a lieu dans le thala-
mus et l’amygdale, selon une voie qui court-circuite le cortex préfrontal.
Cette voie est utilisée quand il s’agit de réponses de survie immédiates : fuir,
Les bases psychologiques et biologiques des émotions et les trois vagues... 17

affronter et combattre, ou s’immobiliser. Cette voie courte correspond donc


aux processus de conditionnement classique qui ont été envisagés en détail
au début de ce chapitre.
Mais à cette voie courte se superpose une voie longue, qui permet un
traitement conscient, mais plus lent de l’information. Cette voie fait relais
dans les aires préfrontales (néocortex). Une atteinte du cortex préfrontal
empêche la décroissance des réponses de peur et d’anxiété par l’exposition
répétée aux situations provocatrices d’anxiété (LeDoux, 1996). Ce qui veut
dire que la conscience joue sans doute un rôle dans les processus d’habi-
tuation.
Les personnes qui présentent des perturbations émotionnelles impor-
tantes utilisent essentiellement la voie courte, automatique et incons-
ciente : ce qui expliquerait des réactions de colère, de violence ou de peur
disproportionnées par rapport à la situation qui provoque l’émotion. On
retrouve ce fonctionnement impulsif dans la personnalité borderline où on
a mis en évidence l’implication d’une hyperréactivité de l’amygdale (Herpertz
et coll., 2001).
La figure  1.5 représente les voies longues et courtes du traitement de
l’information à caractère émotionnel selon LeDoux (1998  ;  2002). Elle
positionne aussi les possibles actions de la thérapie comportementale sur
la voie courte, émotionnelle et de la thérapie cognitive sur la voie longue,
plus rationnelle.

Figure 1.5
Voie courte et voie longue vers l’amygdale.
18 Thérapies cognitives et émotions

TCC, émotions et imagerie fonctionnelle


cérébrale
Les relations entre les émotions, les comportements et les cognitions ont
été étudiées en détail par les méthodes d’imagerie fonctionnelle.

Au-delà du fantôme dans la machine


Les psychothérapies ont été longtemps dominées par le modèle cartésien du
dualisme. Il oppose l’esprit, res cogitans, entité spirituelle immatérielle, et le
corps, res extensa, qui lui serait régi par les lois de la physique. Selon ce point
de vue, il n’y aurait pas d’ancrage de la psychothérapie dans le cerveau.
L’âme serait « le fantôme dans la machine ». Bien qu’implicite et rarement
énoncée comme telle, cette croyance demeure vivace chez beaucoup de
personnes et de psychothérapeutes. Pourtant l’ensemble des données dures
actuelles place l’esprit dans le cerveau et ses circuits complexes, dont petit à
petit le fonctionnement se dévoile.
Les méthodes d’imagerie fonctionnelle ont été utilisées dès leur appa-
rition pour tester des hypothèses psychopathologiques mais aussi pour
évaluer les effets des psychothérapies et tenter d’en expliquer les processus.
Plusieurs études ont montré des changements identiques, ou très voisins
lorsqu’on compare les effets des traitements pharmacologiques par antidé-
presseurs à ceux qui ont été obtenus par les psychothérapies. Pour les loca-
lisations anatomiques, le lecteur peut se rapporter à la planche anatomique
en annexe de ce chapitre.

L’anxiété sociale et la réponse au visage des autres


en neuro-imagerie avant et après TCC
L’anxiété sociale est dominée par la peur du regard des autres forcément
perçu comme critique ou réprobateur. L’anxiété d’agir ou de parler en public
et une peur de l’évaluation négative en sont les manifestations cliniques les
plus prégnantes. On comprend donc que le problème de la relation avec le
visage d’autrui soit devenu un centre d’intérêt pour la recherche dans ce
trouble anxieux, qui le plus souvent recouvre un trouble de personnalité
évitante.
De nombreux travaux utilisant la neuro-imagerie fondamentale ont
montré le rôle du noyau amygdalien dans la réponse de peur vis-à-vis des
visages nouveaux, du regard d’autrui, ou bien ont cherché à mesurer l’aver-
sion du regard (Drevets et coll.,  2001  ; Garrett et coll.,  2004  ; Birbaumer
et coll., 1998). Il apparaît, également, qu’une perturbation du noyau amyg-
dalien représente un marqueur de trait qui manifesterait ainsi un facteur de
tempérament. Il serait repérable très précocement par l’IRM fonctionnelle
lors de stimulation par la présentation de visages nouveaux et représen-
terait un endophénotype (Schwartz et Rauch,  2004). La réponse en IRM
fonctionnelle à des visages humains a été étudiée par Birbaumer et  coll.
(1998). Leur étude a comparé 7  patients et 5  contrôles. La stimulation
Les bases psychologiques et biologiques des émotions et les trois vagues... 19

était représentée par des visages humains, flashés par des diapositives. Ces
visages avaient une expression neutre et dont la présentation était asso-
ciée ou non à une mauvaise odeur. Les résultats ont montré une activation
bilatérale de l’amygdale chez les phobiques sociaux vis-à-vis des visages,
que ces visages soient associés ou non à l’odeur. Chez les sujets normaux,
cette activation apparaissait seulement si leur présentation était associée à
l’odeur désagréable.
Ces travaux fondamentaux ont conduit à des travaux thérapeutiques cen-
trés sur la peur d’être dévisagé et jugé négativement par les autres, fréquente
chez les personnes souffrant d’anxiété sociale. Tillfors et coll. (2001) ont
mis au point une procédure d’activation émotionnelle par prise de parole
en public qui servait d’étalon destiné à la mesure des effets neurobiolo-
giques avant et après chacun des deux traitements. Il s’agissait donc d’une
« sonde » cognitive et émotionnelle soigneusement mise au point. Ce para-
digme d’activation émotionnelle a été utilisé par Furmark et coll. (2002),
qui ont effectué une étude avec la tomographie à émission de positons
(TEP), utilisant l’oxygène  15 comme marqueur. Dix-huit patients ont été
rentrés dans l’étude. Il s’agissait de patients présentant une phobie sociale
selon le DSM-IV, qui ont été randomisés en trois groupes : Citalopram, TCC
ou liste d’attente. Une tâche de prise de parole de deux minutes et demie,
devant un public silencieux de 6-8  personnes servait de test provocateur
d’anxiété, durant l’examen à la TEP. La comparaison de l’activité du citalo-
pram et de la TCC, après neuf semaines de traitement, dans les phobies
sociales a montré une diminution de l’activité du complexe amygdalien
chez les répondeurs dans les deux groupes. Il y avait aussi une diminution
dans des structures limbiques : l’hippocampe et le cortex périamygdalien,
rhinal et parahippocampal. Le degré de l’atténuation d’activité amygda-
lienne limbique était associé à l’amélioration clinique, à un an de suivi. En
somme, cette étude montre la diminution chez les répondeurs de l’activité
des régions dont l’activité sous-tend les réactions de défense et les émotions
qui les accompagnent.

Schémas cognitifs personnels et émotions :


le modèle de Beck et la TCC
Une des solutions au problème des rapports entre les cognitions et les émo-
tions est de considérer que, puisque tous les deux se déroulent pour une
bonne part de manière inconsciente, on pourrait considérer que l’émotion
n’est qu’un cas particulier de la cognition. Il est possible de distinguer les
cognitions froides des cognitions chaudes. Les cognitions froides corres-
pondent aux savoirs procéduraux et à la mémoire sémantique. C’est le
domaine de l’apprentissage, des réflexes conditionnés, des structures qui
gèrent automatiquement et inconsciemment les phénomènes de réalité
et la logique. On peut leur opposer les cognitions chaudes, qui seraient
plus reliées à la mémoire épisodique ou autobiographique et aux émotions
et aux mises en forme par des schémas cognitifs situés dans la mémoire
20 Thérapies cognitives et émotions

sémantique. Les cognitions froides comme les cognitions chaudes peuvent


se révéler conscientes ou inconscientes. Le concept de schéma cognitif per-
met de sortir du débat de manière pragmatique : cette structure profonde et
inconsciente est activable par des déclencheurs émotionnels. Les thérapies
cognitives (Beck et coll., 1979 ; Alford et Beck 1997 ; Cottraux, 2004) repo-
sent sur l’idée que la modification des schémas cognitifs et des émotions qui
y sont attachées joue un rôle central dans le processus psychothérapique.
Un schéma cognitif est une structure imprimée par l’expérience sur l’orga-
nisme qui va entraîner un traitement spécifique de l’information provenant
du monde extérieur ou des états somatiques.
Le modèle cognitif des troubles psychopathologiques peut se résumer en
douze propositions :
1.  les schémas représentent des interprétations personnelles de la réalité
qui sont automatiques et s’activent de manière inconsciente ;
2.  les schémas influent sur les stratégies individuelles d’adaptation ;
3.  ils représentent une interaction entre les comportements, les émotions ;
4.  ils se manifestent par des distorsions cognitives et des biais spécifiques
à chacun des grands types psychopathologiques : en clair des préjugés, des
attitudes ou des croyances irrationnelles ;
5.  ils se traduisent par une vulnérabilité cognitive individuelle ;
6. chaque trouble psychopathologique résulte d’interprétations inadap-
tées concernant soi-même, l’environnement actuel, et le futur. Il existe
donc des schémas spécifiques : schémas d’interprétation négative des évé-
nements (dépression), schémas de dangers (phobies attaques de panique),
schémas de sur-responsabilité (trouble obsessionnel compulsif) ;
7.  les schémas se traduisent par une attention sélective vis-à-vis des évé-
nements qui les confirment  : ils représentent donc une prédiction qui se
réalise ;
8.  les schémas pathologiques sont des structures adaptatives sélectionnées
par un environnement et devenues inadaptées à un autre environnement ;
9. ils sont donc à relier à des structures neurobiologiques (des réseaux),
gérant à la fois les émotions et les croyances, sélectionnées par l’évolution
naturelle. Ils sont stockés dans la mémoire à long terme (mémoire séman-
tique). Ils sont inconscients et activables par des situations « gâchettes » qui
correspondent aux situations dans lesquelles ils ont été imprimés ;
10. la meilleure façon d’accéder aux schémas est d’activer les émotions  :
« l’émotion est la voie royale vers la cognition ». Il est conseillé au théra-
peute, en cas d’expression émotionnelle dans la séance, de rechercher la
pensée automatique qui est attachée à l’émotion (Beck et coll., 1979). Par
exemple le monologue intérieur : « Je ne vaux rien » correspond à la tris-
tesse et aux larmes dépressives. Il renvoie au schéma « standards élevés »
qui pourra être examiné dans sa dimension historique : d’où viennent ces
standards ? Ce qui permettra de le modifier progressivement ;
11.  ces schémas peuvent être à la base de la personnalité en particulier les
schémas cognitifs précocement acquis lors des expériences infantiles ;
Les bases psychologiques et biologiques des émotions et les trois vagues... 21

12. les TCC ont pour but la modification des schémas par des méthodes
cognitives, comportementales, émotionnelles et interpersonnelles.
On voit donc à travers cette présentation la place centrale que joue l’émo-
tion aussi bien dans la théorie que la pratique des thérapies cognitives.

L’empathie et la pratique des TCC


Des expérimentateurs ont mis en avant le développement très précoce,
d’une capacité spécifique de la perception et de la représentation de l’action
motrice qui permettrait de comprendre les intentions et les émotions des
autres.

Les neurones miroirs et l’empathie


Ce modèle se fonde sur des données de l’expérimentation animale. Certains
neurones corticaux, situés dans les régions frontales prémotrices, appelés
«  neurones miroirs  » sont activés lorsque le singe se prépare à saisir un
aliment. Ils le sont aussi lorsque l’animal voit autrui exécuter le même acte.
Des «  neurones miroirs  » codent l’acte lui-même et assurent sa représen-
tation et celle de son but. Le cerveau de l’observateur est donc le miroir
qui reflète automatiquement l’action des autres. Ce système de neurones
frontaux gérerait donc un ensemble de représentations partagées.
De Cety et Chaminade (2003) ont effectué des enregistrements de camé-
ras à positon sur des sujets qui voyaient des vidéoclips dans lesquels des
acteurs racontaient des histoires tantôt tristes, tantôt neutres, comme si
eux-mêmes avaient vécu ces histoires. Ces histoires étaient racontées avec
des attitudes et des comportements qui étaient soit en rapport, soit sans
rapport avec l’émotion. À la fin de chaque film, les sujets devaient évaluer
l’état de l’humeur de l’acteur et également dire à quel point ils trouvaient
cette personne susceptible d’être aimée. Les histoires tristes, en comparaison
avec des histoires neutres, étaient associées à un accroissement des activités
dans les structures qui sont en relation avec le traitement des émotions. De
même, lors des histoires tristes, les régions pariétales droites inférieures du
cortex cérébral, qui appartiennent au réseau des représentations partagées
étaient activées. Ce réseau n’était pas activé quand les sujets regardaient des
comportements sociaux inappropriés.

Les sujets « borderline » sont empathiques


et les psychopathes, non
Certaines réponses émotionnelles en apparence incompréhensibles sont
actuellement mieux appréhendées par l’imagerie cérébrale. Les personnes
qui présentent une personnalité antisociale de type psychopathique sont
moins empathiques que des sujets normaux. Ils montrent une moins
bonne capacité à décoder les émotions de visages montrant de la peur, de
la joie ou une expression neutre. Ces difficultés de décodage s’associaient à
une décroissance de l’activation du gyrus fusiforme chez les psychopathes,
22 Thérapies cognitives et émotions

en contraste avec un accroissement dans la même région chez les sujets


normaux contrôles, lors de la présentation de visages qui expriment de la
peur. Chez eux, les signaux de détresse d’autrui ne sont pas perçus, ce qui
entraînerait une absence d’inhibition des conduites antisociales, car ces
signaux n’ont pas la valeur aversive qu’a habituellement la souffrance des
autres (Deeley et coll., 2006).
Inversement, une étude, effectuée par le groupe de Marsha  Linehan, a
montré que les patients qui présentaient un trouble de la personnalité bor-
derline, sont très performants pour ressentir et décoder les émotions des
autres, en particulier celles de leur thérapeute (Wagner et Linehan, 1999).
Les personnes présentant une personnalité borderline ont du mal à sup-
porter l’absence de contact visuel avec le thérapeute, sans vivre une expé-
rience frustrante de « détachement ». De même ces patients supportent mal
les baisses d’attention du thérapeute. Ils supportent encore plus mal l’immo-
bilité totale et le silence du thérapeute. Certains supportent mal la relaxation
car ils abandonnent leur contrôle permanent et ont peur de la régression
dans un monde imaginaire qui les renvoie souvent à des situations trau-
matiques. Le thérapeute doit donc être actif, présent et soutenant. Il est
donc vraisemblable de faire l’hypothèse que la relation de face à face facilite
l’alliance thérapeutique, le partage des émotions et des cognitions et de ce
fait entraîne un sentiment de sécurité. En TCC, le thérapeute doit représen-
ter une base de sécurité (Bowlby, 1988) sur laquelle le patient « borderline »
peut s’appuyer pour réparer les manques de sa maturation personnelle.

Les conséquences pour l’alliance thérapeutique


La relation thérapeutique en thérapie cognitive se définit comme une
relation de collaboration empirique qui serait comparable à celle de deux
savants travaillant ensemble sur un problème. Elle sert de fondement à
l’apprentissage qui est lié aussi à la relation thérapeutique et aux change-
ments cognitifs du sujet. Cependant, le changement en thérapie est dû aux
capacités du sujet et non uniquement à la relation et doit se généraliser
dans d’autres contextes que la thérapie. Les auteurs conseillent donc de
laisser la responsabilité du changement au sujet sans donner trop d’impor-
tance au thérapeute.
La relation thérapeutique ainsi définie représente une condition néces-
saire, mais non suffisante : il y faut aussi l’application de méthodes et de
techniques validées. Les TCC développent l’empathie comme fondement
de l’alliance thérapeutique, tout en soulignant qu’il s’agit d’un rapport col-
laboratif, où le patient est en contact à égalité avec un thérapeute « réel »
(Beck et  alford, 1997  ; Cungi, 2006). Le thérapeute doit présenter une
capacité d’élaboration de ses émotions, ce qui peut fonctionner comme un
modèle cognitif pour les patients présentant des troubles de la personnalité.
Mais le fondement de la relation thérapeutique demeure l’empathie et son
effet sur la communication verbale et non verbale et elle participe à l’éta-
blissement d’un lien thérapeutique positif, comme l’avait, il y a longtemps,
souligné Carl Rogers (1961).
Les bases psychologiques et biologiques des émotions et les trois vagues... 23

Figure 1.6
Micro-analyse de l’interaction psychothérapique.

Sur le plan clinique, on peut observer que l’empathie passe par le regard,
le comportement non verbal et la vue, tout autant que par le ton de voix
et le contenu des messages. Il ne faut pas que le contenu du message dis-
qualifie l’émotion exprimée, qui, elle, sera le plus rapidement perçue et
décodée. En outre, les émotions les plus élémentaires ne sont pas toujours
contrôlables, il existe des «  fuites  » non verbale qui révèlent les affects  :
par exemple, une contraction des muscles de la mâchoire, une moue, et la
hauteur du ton de voix laissent transparaître la colère rentrée.
Il faut donc que le thérapeute soit capable de monitorer et de restructurer
ses cognitions et ses émotions en permanence. La figure 1.6 représente le
processus d’auto-observation.

La psychologie positive et l’optimisme


Les domaines abordés par la psychologie positive se regroupent en trois
thèmes fondamentaux  : les expériences subjectives positives, en particulier
le bonheur, le bien-être, le plaisir, la plénitude, et les processus qui sous-­
tendent la créativité ; les traits positifs de caractère, en particulier l’optimisme
et la mise en pratique de l’empathie et de la gratitude. Autrement dit, la
psychologie positive pose la question de la place des émotions positives et
de leurs effets aussi bien sur le développement individuel, la santé, que le
bien-être et l’harmonie sociale.
L’optimisme désigne un état d’esprit par lequel on perçoit et interprète le
monde de manière positive. Être optimiste, c’est présenter un style d’expli-
cation des événements, de leurs causes et de leurs conséquences, qui se
centre constamment sur leurs aspects favorables et favorise la résilience  :
autrement dit l’art de rebondir face à l’adversité.
Les travaux de recherche ont montré que la résilience n’est héritable qu’à
43 %. De même, la variabilité des émotions positives est influencée à 40 %
par la génétique (revue in Cottraux,  2007 et 2012). L’optimisme apparaît
comme un trait psychologique lié à une vie plus longue et qui protège de la
dépression dans des études contrôlées (Giltay, 2004 et 2006).
Ce qui a conduit l’un des fondateurs de la psychologie positive, Martin
Seligman, à recommander dès les années  1990 «  les cliniques de l’opti-
misme », destinées à mettre en place précocement une vie affective p ­ ositive
chez les enfants et les adolescents pour prévenir les troubles anxieux ou
24 Thérapies cognitives et émotions

dépressifs ultérieurs. Il s’agit de développer des forces du caractère, en


particulier le courage, les compétences relationnelles, la pensée logique, la
conscience de ses motivations, l’optimisme, la sincérité, la persévérance, le
réalisme, la capacité à prendre du plaisir, la capacité à relativiser les ennuis,
la centration de l’esprit sur le futur et la capacité à donner du sens à la vie.
Les méthodes qui sont utilisées dans ces cliniques sont directement inspi-
rées des thérapies cognitives de la dépression et appliquées à la prévention.
Les premières évaluations de leurs résultats sont positives (Seligman, 2006).

La thérapie focalisée sur la compassion


L’auteur qui a le plus travaillé sur le problème de la compassion en psy-
chothérapie est Paul Gilbert (2005 ; 2010). Il a apporté des données nou-
velles qui ouvrent des voies psychothérapiques intéressantes. Il propose un
modèle fondé sur l’étude neuroscientifique de l’empathie et de la compas-
sion, tout en définissant celle-ci en se référant de manière agnostique à la
définition qu’en donne le Dalaï-lama : « Une sensibilité à la souffrance de
soi et des autres avec un profond engagement à essayer de la soulager ».
Paul Gilbert met en avant trois systèmes : celui de l’affiliation ; celui de
réduction de la menace ; et celui de la motivation. Selon Gilbert, il existe
trois systèmes qui assurent nos relations avec le monde et qui doivent inter-
agir de manière harmonieuse :
1. Un système est lié à la détection et à la réponse aux menaces. Il associe des
émotions défensives variées comme la peur, l’anxiété, la colère, le dégoût.
2. Un système lié à l’instinct, la motivation et la recherche de récompense. Il est
lié à la mise en œuvre d’actions positives qui procurent un sentiment de
bien-être et d’euphorie en relation avec la perception et l’interprétation que
nous avons réussi.
3. Un système de sécurité et d’apaisement qui opère par l’intermédiaire des opia-
cés et du système de l’ocytocine. Les sentiments positifs qui en découlent sont
le calme, le sens du bien-être, un état de paix et le sentiment d’être lié aux
autres. Le système d’apaisement est stimulé par l’affection. Il correspond à
la relation d’attachement précoce décrite par John Bowlby (1988) selon un
modèle d’éthologie des relations mère enfant qui représente actuellement
la pierre d’angle de l’étude des émotions précoces et de leurs effets dans la
psychologie « normale » et les troubles psychopathologiques de l’attache-
ment chez l’enfant et l’adulte. Il est stimulé quand un parent calme un
enfant et apaise sa détresse. Le système de sécurité et d’apaisement permet
de réguler les deux autres systèmes : le système instinctuel et motivationnel et
le système de gestion de la menace. Il correspond à un développement harmo-
nieux du cortex frontal dans l’enfance. La figure qui suit résume ce modèle
(Figure 1.7).
L’établissement d’une relation psychothérapique apaisante, la méditation
en pleine conscience, des images de personnes compassionnelles que le
patient laisse émerger au cours d’une méditation guidée par le ­thérapeute
Les bases psychologiques et biologiques des émotions et les trois vagues... 25

Figure 1.7
Trois types de système de régulation des affects : le modèle de compassion selon Paul
Gilbert.
(D’après P. Gilbert, Compassion Focused Therapy Routledge, London, 2010)

permettent de réduire l’anxiété, d’activer le système d’apaisement et le sys-


tème motivationnel et d’assurer le retour d’actions positives qui facilitent
le bien-être. L’obstacle thérapeutique est souvent la peur de la compas-
sion que ressentent aussi bien les patients que les thérapeutes. Des travaux
pilotes et contrôlés commencent à valider cette approche novatrice (Neff
et Germer, 2012). Son intérêt réside en ce qu’elle pourrait se révéler utile
pour les patients qui ne répondent pas aux interventions classiques de
TCC. En effet, certains patients présentant des troubles anxieux, dépres-
sifs chroniques et/ou des troubles de la personnalité viennent souvent de
milieux où règnent négligences et abus. Leurs émotions sont avant tout
négatives et marquées par la honte, le dégoût de soi, ou la haine de soi. Ils
vivent dans un monde de menaces aussi bien internes qu’externes. Ils n’ont
vécu que de rares expériences de sécurité et d’apaisement et de ce fait ne
sont pas capables de se sécuriser et de s’apaiser eux-mêmes, car leur système
d’apaisement est peu développé.

Conclusion
Au fur et à mesure de l’évolution des TCC à travers les trois vagues, l’approche
des émotions s’est affinée et les besoins en formation et en supervision se sont
accrus, simplement parce que les thérapeutes avaient affaire à des patients
d’une plus grande complexité qui remettaient en cause une application trop
26 Thérapies cognitives et émotions

simple des techniques : en particulier les personnes présentant un trouble


de la personnalité borderline. La formation et la supervision des thérapeutes
devraient leur permettre de faire face aux problèmes émotionnels de leurs
patients en relation avec leurs propres problèmes émotionnels.
Les apports de la psychologie positive et la thérapie centrée sur la compas-
sion sont encore à valider complètement, mais leur mise en pratique appa-
raît déjà prometteuse.
Le développement scientifique actuel permet d’étudier les processus de
traitement de l’information et leurs modifications après thérapie. Mais les
informations scientifiques doivent se traduire dans la formation et la pra-
tique quotidiennes des thérapeutes en TCC, après une validation soigneuse
par la médecine fondée sur des preuves (cf.  chapitre  10) des méthodes
­nouvelles.

La représentation anatomique des régions citées

Figure 1.8
Face interne du cerveau : hémisphère droit.
Schéma a été reconstruit et commenté à partir de : R. Nieuwenhuys, J. Voogd et C. van Huijzen. The human
central nervous system. Heidelberg, Springer, 1981

NB : Je remercie le Pr Nicolas Kopp pour ses conseils précieux sur la localisation
anatomique exacte de l’amygdale qui fait partie avec le gyrus parahippocam-
pique et le gyrus cingulaire du cerveau «  émotionnel  », autrement appelé
grand lobe limbique (schéma publié In : Cottraux, Masson, 2004).
Les bases psychologiques et biologiques des émotions et les trois vagues... 27

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2 La théorie d’attachement
et les thérapies cognitives
intégratives des troubles
de la personnalité :
sécurité et émotions
F. Mehran

Les premiers auteurs qui ont proposé un rapprochement entre la théorie des
schémas de Beck et la théorie de l’attachement de John Bowlby sont deux
psychothérapeutes cognitivistes italiens Guidano et Liotti (1983). Du fait de
leur proximité conceptuelle, ces travaux ont été progressivement transposés en
termes de schémas cognitifs. Des travaux récents (Williams et Riskind, 2004) ont
montré que les perturbations anciennes de l’attachement étaient à relier aux
difficultés actuelles dans la relation amoureuse, étaient, également, en lien
avec des troubles anxieux et dépressifs, et s’exprimaient dans des mesures des
schémas cognitifs. La théorie de l’attachement a été intégrée dans la thérapie
des schémas de Jeffrey Young, qui est actuellement validée empiriquement
(Giesen-Bloo et coll., 2006). En pratique, ce modèle du développement affectif
aide le patient et le thérapeute à conceptualiser la genèse de ses perturbations
émotionnelles et à réparer les carences parentales précoces.

Dans ce chapitre, nous allons tenter de décrire certaines phases précoces


du fonctionnement de la personnalité et d’anticiper ses conséquences sur
l’avenir. L’objectif est de définir certains schémas qui s’élaborent tout au
long de l’enfance précoce et de comprendre leur fonctionnement futur sur
la personnalité et ses troubles.
Au cours de ces dix dernières années, l’intégration des perspectives cogni-
tives et interpersonnelles a porté une attention considérable sur le modèle
développemental de Bowlby avec ses implications clairement articulées
par rapport à la psychopathologie et particulièrement, aux troubles de la
personnalité.
En psychopathologie, les modèles de vulnérabilité cognitive se concentrent
sur le rôle des croyances irrationnelles, les schémas cognitifs dysfonctionnels

Thérapies cognitives et émotions


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32 Thérapies cognitives et émotions

et le traitement de l’information biaisée alors que la théorie d’attachement


souligne le rôle des modèles internes de travail sécurisé et insécurisé de soi
et des autres et leurs effets sur le traitement de l’information, la régulation
émotionnelle et l’interaction avec les autres (Mehran, 2006).
Bowlby (1969-1973) propose l’hypothèse suivante  : «  Tous les enfants
internalisent les modèles parentaux et tout le long de leur vie, ces modèles
servent comme guide pour véhiculer la relation avec autrui ».
Les réactions de l’enfant face à la séparation avec ses donneurs de soins
ont joué un rôle important dans la compréhension de l’opération et la régu-
lation du système d’attachement.
Bowlby explique la réaction de l’enfant face au processus de la séparation
dans son livre devenu un classique : Attachment and loss et le volume II :
Separation, anxiety and anger, 1973.
Les événements reliés à l’attachement, tels que la perte, l’abus conduisent
aux modifications des représentations internes de l’enfant et affectent ses
stratégies de la transformation émotionnelle et cognitive.
Les recherches empiriques de ces dernières années ont soutenu le lien
entre l’engagement parental défectueux, l’attachement insécurisé de
l’enfant et le développement des troubles anxieux et des troubles de la per-
sonnalité.
Bowlby considère que sa théorie conçue pour comprendre le maternage
comme une activité humaine est une approche éthologique (Bowlby, 1988).
L’hypothèse implicite de cette approche considère que le comportement
de maternage, ainsi que le comportement d’attachement sont d’un certain
degré préprogrammé. Le comportement de maternage a des profondes
racines biologiques, lesquelles justifient les très profondes émotions asso-
ciées à ce dernier.
Bowlby publia A Secure Base en 1988 alors qu’il avait 81 ans. Ce livre est
le résultat de sa contribution finale à la théorie d’attachement, une dis-
cipline qu’il avait créée avec l’aide de Mary Ainsworth, presque un demi-
siècle auparavant.

Quelques concepts définis par Bowlby (1978)


Afin d’expliquer la théorie d’attachement, nous allons d’abord examiner les
concepts suivants.

Figure maternelle
Par figure maternelle, on entend la personne vers qui le comportement
d’attachement de l’enfant se dirige. Souvent, cette personne représente la
sécurité pour le sujet.

Présence
Par présence, on entend : « possibilité d’accès facile ».
La théorie d’attachement et les thérapies cognitives intégratives des troubles... 33

Absence
Par absence, on entend : « inaccessibilité ».

Séparation et perte
Par séparation et perte, on entend : « l’inaccessibilité de la figure d’atta-
chement du sujet et cela, soit de manière temporaire (séparation), soit de
manière permanente (perte) ».

Disponible
Pour Bowlby, le mot « disponible » veut dire que la figure d’attachement est
à la fois accessible et prête à réagir positivement.

Comportement d’aggripement
Pris au sens propre ou figuré, il se présente à tout âge, c’est-à-dire à l’enfance,
à l’adolescence ainsi qu’à l’âge adulte. Nous employons souvent des adjec-
tifs plus péjoratifs pour le décrire comme « jaloux », « fusionnel », « sur-
dépendant », « avide » et « possessif ».

« Attachement anxieux » ou « attachement précaire »


Au fur et à mesure que les facultés cognitives de l’enfant se développent,
ce dernier devient capable d’anticiper l’éventualité de divers événements,
surtout ceux dont il croit qu’ils provoquent la peur et l’angoisse. Parmi les
différentes situations effrayantes qu’un enfant ou un adulte peut anticiper,
celle où la figure d’attachement sera inaccessible et indisponible est la plus
angoissante et insupportable.

Attachement
Dans l’enfance, l’attachement peut être défini comme des comportements
qui visent « la recherche de sécurité et particulièrement vis-à-vis de la figure
maternelle », alors que l’attachement dans l’adolescence et la vie d’adulte
a été défini comme un lien avec une personne proche qui offre un engage-
ment affectueux au sujet. Cette autre personne peut être une figure paren-
tale, un partenaire intime ou même un ami proche (Lopez et Guer, 1993, In :
Mehran, 2006).
Bowlby (1978) ne considère pas le terme « angoisse de séparation  »
adapté, il préfère « attachement anxieux » ou « attachement précaire  ».
Dans les études récentes, les théoriciens cognitivistes proposent le terme
d’« attachement insécurisé », ce dernier a été adopté dans ce chapitre.

Style d’attachement
C’est un concept psychologique qui s’intéresse à la façon dont la personne
a été reliée à ses proches afin de développer et maintenir un sens de sécurité
personnelle.
34 Thérapies cognitives et émotions

Le dictionnaire anglais d’Oxford définit le terme « sûr » (sécurité) comme :


« libre de soucis, d’appréhension, d’angoisse ou d’alarmes ».

Les différences entre « engagement parental »


(bonding) et « attachement »
L’engagement parental concerne les perceptions des individus au niveau de
la qualité et la quantité du contact parental alors que l’attachement se foca-
lise sur les modèles cognitifs de soi et des autres que l’individu a intégrés à
la suite des interactions précoces avec les parents. L’engagement parental
peut être considéré comme le principal fondement d’un fonctionnement
psychologique.
D’après Parker (1983, In : Riskind et coll., 2004), l’engagement parental
inclut à la fois les soins (maternage, affection, etc.) et la protection (la créa-
tion du sens de la sécurité).
Parker (1983) énumère les interruptions suivantes, qui peuvent affecter
l’engagement normal :
• rejet et critiques permanents des parents ;
• surprotection et degré élevé d’anxiété des parents et leurs intrusions
inappropriées dans la vie de l’enfant.
Quand les processus normaux du développement et leurs liens affectifs
avec les parents ont été interrompus, il y a une forte chance que l’individu
développe des styles d’attachement insécurisé qui vont le poursuivre tout
le long de sa vie.

La théorie de base de l’attachement


Le modèle de travail interne de soi et le modèle
de travail interne des autres
D’après Bowlby (1978), la réaction du jeune enfant face à la séparation avec
sa figure d’attachement passe par les trois phases suivantes :
• protestation et tentative pour retrouver la mère ou la phase d’anxiété ;
• désespoir, préoccupation par l’absence de la mère et l’attente pour son
retour ;
• perte de l’intérêt pour la mère et le détachement émotionnel.
Selon Bowlby, ces trois phases sont universelles et elles sont liées aux trois
points essentiels de la théorie psychanalytique qui sont les suivants :
• la phase de protestation concerne le problème de l’angoisse de la
­séparation ;
• celle de désespoir, celui du chagrin et du deuil ;
• enfin, celle de détachement, celui des mécanismes de défense.
George Kelly, dans son ouvrage en deux volumes publié en 1955, The
psychology of personal constructs, décrit un modèle de l’homme comme
La théorie d’attachement et les thérapies cognitives intégratives des troubles... 35

constructeur actif de son monde. Il construit ce monde suivant ses expé-


riences, il enregistre les événements et anticipe leurs conséquences. Dans
le système de construction personnelle, la place des figures d’attachement,
leur disponibilité et la façon dont elles vont répondre en cas d’appel au
secours sont primordiales.
Un autre élément important dans les constructions personnelles de
l’individu est la notion que ce dernier a de lui-même et la façon dont ses
figures d’attachement le considèrent.
La croyance du sujet par rapport à la disponibilité de ses figures d’atta-
chement détermine la réaction de ce dernier face aux situations éventuelle-
ment dangereuses, tout au long de sa vie (Mehran, 2006).
Bowlby (In : Lyddon et Sherry, 2001) distingue deux modèles de travail :

Le modèle interne de travail de soi


Il s’agit d’un schéma qui évalue et concerne la façon dont l’enfant se voit
lui-même et son rôle dans la relation d’attachement. Son modèle de travail
interne est composé d’une série de croyances à propos de ses propres valeurs
et de ses compétences en tant qu’individu.

Le modèle interne de travail des autres


Ce modèle est en général le dérivé des modèles de travail des premiers don-
neurs de soin.
Ainsi, au départ, les styles d’attachement ont été classés en deux
­catégories :
• l’attachement sécurisé ;
• l’attachement insécurisé.

Les caractéristiques du style d’attachement sécurisé


Selon Ainsworth (1985), les enfants qui ont développé un style d’atta-
chement sécurisé expérimentent leurs figures d’attachement comme dis-
ponibles et responsables. Ces derniers explorent l’environnement et, de
temps en temps, jettent un regard sur leurs donneurs de soins. Les adultes
possédant un style d’attachement sécurisé développent des systèmes de
soi qui sont relativement ouverts aux nouvelles informations et aux
changements.

Les caractéristiques de l’attachement insécurisé


Contrairement aux individus possédant un style d’attachement sécurisé,
les systèmes de soi de ceux qui ont un style d’attachement insécurisé sont
fermés aux nouvelles informations.
Il n’existe pas d’équilibre entre leurs processus d’assimilation et d’accom-
modation, leurs modèles de travail fonctionnent plutôt par le processus
d’assimilation et sont souvent focalisés sur quelques construits personnels
rigides comme la méfiance, la dépendance, l’absence de valeur personnelle,
le doute, etc.
36 Thérapies cognitives et émotions

Ayant été inspiré par le modèle d’attachement de Bowlby, Bartholomew


(1990) a travaillé sur la notion du travail interne de soi et des autres et il a
proposé un système de quatre catégories d’attachement.
Bartholomew a organisé les modèles du travail des individus suivant deux
dimensions :
• la distinction entre soi et les autres ;
• la valence (ou la dimension positive versus négative).
Le tableau  2.1 est l’adaptation du diagramme à quatre catégories de
­Bartholomew (1990).
Nous allons décrire les quatre styles d’attachement.
Tableau 2.1
Modèle de soi : adaptation du diagramme à quatre catégories de Bartholomew
(1990)
Positif Négatif
Positif Sécurisé Préoccupé
Négatif Détaché Craintif

Les styles d’attachement d’adultes sécurisés


Ces adultes ont un véritable sens d’efficacité personnelle et possèdent des
schémas relationnels de soi positifs.
Ces adultes croient être dignes de recevoir de l’affection, de l’attention et
du respect (Collins et Read, 1990).
Ils considèrent les autres comme des êtres accessibles, responsables,
dignes de confiance. Ils sont à l’aise dans les relations amoureuses.

Les styles d’attachement d’adultes craintifs


Ces adultes possèdent un schéma relationnel négatif des autres et antici-
pent le rejet des autres. Ils gèrent leur stress avec des tentatives de contre-
attaque et ont tendance à éviter les relations intimes (Shavers, Collins and
Clark, 1996. In : Williams and Riskind, 2004).

Les styles d’attachement d’adultes détachés


Les sujets manifestent leur besoin d’attachement à travers un mode de fonc-
tionnement défensif et possèdent une opinion positive d’eux-mêmes. Ces
adultes minimisent leurs besoins d’attachement à travers un fonctionne-
ment dépressif (Fraley et Shavers, 1997).

Les styles d’attachement d’adultes préoccupés


Ces adultes ont des doutes sur leur acceptabilité, leur valeur et leur désira-
bilité en ce qui concerne le jugement des autres. Ils tiennent des schémas
relationnels négatifs de soi (Brennan et coll., 1998 In : Mehran). Ces adultes
font une focalisation excessive sur l’importance et le maintien des relations
amoureuses.
La théorie d’attachement et les thérapies cognitives intégratives des troubles... 37

L’attachement insécurisé et les vulnérabilités


cognitives
Selon Williams et Riskind (2004), l’attachement insécurisé peut contribuer au
développement des vulnérabilités cognitives de l’anxiété et/ou de dépression,
en conduisant systématiquement l’individu à traiter l’information interper-
sonnelle du passé et du présent de façon biaisée. L’attachement insécurisé
précoce peut provoquer chez l’individu des déficits dans les habilités et les
compétences sociales. Ce dernier peut produire comme résultat des déficits
dans les stratégies de la régulation efficace de soi et de ses émotions.

L’attachement insécurisé et la psychopathologie


De nombreuses études ont souligné le lien entre les dimensions de l’atta-
chement insécurisé et la psychopathologie.
Ainsi, les relations entre le TAG, la phobie sociale, le PTSD, les symptômes
dépressifs, les états dissociatifs, les troubles du comportement alimentaire
et particulièrement, les troubles de la personnalité, en l’occurrence la per-
sonnalité borderline ont été démontrés.
Les résultats des recherches suggèrent que les individus avec des figures
d’attachement peu chaleureuses et peu empathiques ou surprotecteurs et
contrôleurs risquent, plus probablement, de développer un des styles d’atta-
chement insécurisé et plus tard, expérimenter l’anxiété, la dépression et les
troubles de la personnalité (Mehran, 2006).
Tous les individus qui souffrent d’un état pseudophobique, en réalité,
souffrent d’un état d’angoisse aiguë ou chronique en rapport avec la dis-
ponibilité des figures d’attachement.
D’après Bowlby (1978), l’attachement anxieux est destiné à conserver le
maximum d’accessibilité à la figure d’attachement. La colère est, à la fois,
un reproche pour ce qu’il s’est passé et une dissuasion pour que cela ne
se reproduise plus. La colère reliée à l’attachement peut paraître dans des
comportements agressifs et antisociaux.
Palmer, Oppenheimer et Marshall (1988) ont trouvé que les femmes souf-
frant des troubles du comportement alimentaire, en général, rapportaient
plus de mauvaise qualité de soins parentaux que les autres. Ce trouble était
associé au rejet maternel ou à la surprotection.
Les sentiments de tristesse et de désespoir reliés à l’attachement peuvent
devenir des symptômes dépressifs profonds.
Bowlby (1980) suggère que les trois principaux types de circonstances
suivantes peuvent être associés au futur développement de la dépression :
• quand un des parents décède : l’enfant a l’impression de ne plus avoir
de contrôle sur la suite des événements. Cette formulation de Bowlby est
compatible avec la théorie du « désespoir appris » de Seligman (Seligman
et coll., 1979) ;
• quand, malgré de multiples tentatives, l’enfant n’arrive pas à développer
des relations stables et sécurisées avec ses donneurs de soin, il peut, très
probablement, développer son modèle comme un échec ;
38 Thérapies cognitives et émotions

• quand le message des parents à l’enfant est qu’il est incompétent, bon
à rien et indigne d’amour : l’enfant risque de développer un modèle de
soi « indigne d’amour  », ainsi qu’un modèle des autres  « non aimable  »
(Bretherton, 1985, In : Cassidy et Shaver, 1999). Autour de 40 % des patients
hospitalisés (American Psychiatric Association, 1994) ont ressenti le sentiment
de dépersonnalisation.
Les expériences d’abus dans l’enfance et l’adolescence dans lesquelles, de
surcroît, la protection des donneurs de soin n’était pas présente peuvent, à
l’âge adulte, prédisposer les individus à des états dissociatifs.

L’attachement insécurisé et les troubles


de la personnalité
Bowlby (1978) postule « qu’un doute rongeant quant à l’accessibilité et la
disponibilité des figures d’attachement est une des raisons principales d’une
personnalité instable et angoissée ».
La continuité des patterns d’attachement est le moyen grâce auquel la
structure de la personnalité se confirme et ceci se réalise à travers les opéra-
tions d’assimilation des mécanismes du schéma (Lyddon, 1993 ; Mahoney,
1991).
Dans les troubles de la personnalité, le terme « immature » signifie que
les structures de la personnalité sont considérées comme les conséquences
d’un développement bloqué.
D’après Bowlby (1978), le modèle de développement de la personnalité
considère celle-ci comme progressant à travers certaines étapes, sur une voie
unique qui la mène vers la maturité. Les diverses formes de personnalités
perturbées sont alors attribuées à un arrêt survenu à l’une de ces étapes. Cet
arrêt peut être définitif mais parfois, il est partiel (Tableau 2.2).
Nous allons étudier deux des troubles de la personnalité les plus préva-
lents : la personnalité antisociale et la personnalité borderline.
D’après Dozier (In : Cassidy et Shaver, 1999), l’implication de la génétique
dans les troubles de la personnalité est très variable. Il y existe un degré
d’héritabilité relativement élevé pour le trouble de la personnalité anti-
sociale et un degré bas pour le trouble de la personnalité borderline.
Les cas d’abus sont très fréquents dans les troubles dissociatifs, des
troubles de la personnalité anti-sociale et borderline.
Souvent, le comportement réel d’un donneur de soin (en général les
parents) oscille rapidement entre blessant et affectueux si bien que l’enfant
n’arrive pas à en intégrer un modèle unique (Main et Morgan, 1996).
Les expériences des soins parentaux combinés à une perte sont centrales
dans le développement du trouble de la personnalité anti-sociale.
Des séparations prolongées avec les donneurs de soins (séparation due
au divorce ou au décès), des pères avec une personnalité anti-sociale et des
comportements déviants ou des mères peu affectueuses et négligentes sont
souvent à l’origine du développement du trouble de la personnalité anti-
sociale (Mc Cord, 1979 ; Robins, 1966).
La théorie d’attachement et les thérapies cognitives intégratives des troubles... 39

Tableau 2.2
Les relations entre les dimensions d’attachement, les styles de personnalité
et les croyances assimilatives (schémas) qui les précèdent (inspiré de
Lyddon et Sherry, 2001 ; adaptation in Mehran, 2006)
Dimension
Style de personnalité Croyances assimilatives (schémas)
d’attachement
Préoccupé Dépendant « Je suis une personne faible et je ne peux
pas survivre sans les autres »
Obsessionnel-compulsif « Je dois toujours être prêt pour prouver
ma compétence »
Histrionique « J’ai besoin de l’attention des autres pour
me sentir important et utile »
Préoccupé Évitant « Même si les gens me rejettent, je veux
et craintif de quelqu’un qui m’aime »
Paranoïaque « Seul, je suis plus en sécurité parce que
les autres ne peuvent pas être crédibles »
Craintif et détaché Antisocial « J’ai besoin d’être dur et puissant, ainsi
je ne serai jamais mal »
Narcissique « Je suis spécial, unique et j’ai droit à des
considérations spéciales »
Détaché Schizotypique « Je suis un étrange oiseau »
Schizoïde « Le monde est différent, ne te donne donc
même pas la peine d’établir des relations »
Borderline « Si les choses ne vont pas dans mon sens,
Attachement
je ne peux pas les tolérer. Les autres sont
­désorganisé
formidables ; non, ils ne le sont pas »

Zanarini et coll. (1989) ont trouvé que, dans l’enfance de 89 % des indi-
vidus souffrant du trouble de la personnalité anti-sociale, il existe des expé-
riences de longues séparations avec leurs donneurs de soins.
Le trouble de la personnalité anti-sociale est souvent associé à un rejet
parental, une discipline rude et un contrôle inadéquat.

L’attachement insécurisé et le trouble


de la personnalité borderline
Main et Solomon (1986) ont développé une nouvelle classification dans les
dimensions d’attachement qui est celle d’attachement « désorganisé, dés-
orienté » et qui correspond au trouble de la personnalité borderline.
L’attachement désorganisé de l’enfant et de l’adulte a été relié aux diffé-
rentes variétés de difficultés d’adaptation et de la psychopathologie.
Des expressions symptomatiques de l’agressivité, l’anxiété, la tristesse
sont présentes quand les stratégies normales d’adaptation ont échoué.
40 Thérapies cognitives et émotions

D’après Bowlby (1978), un enfant peut ressentir que sa mère ne répond


pas à ses sollicitations, et ne l’aime pas. Lorsque l’enfant cherche à attirer
l’attention de cette mère, cette dernière le trouve odieusement exigeant ;
quand il l’interrompt, elle le trouve insupportablement égoïste. Lorsqu’il
se fâche devant son indifférence, elle dit qu’il a un mauvais caractère ou
même un esprit vicieux. Ainsi, le point de vue de sa mère sera le reflet de ce
qu’il construira comme modèle interne de lui-même.
Une autre possibilité est qu’à l’inverse de la première solution, l’enfant
adopte le point de vue de sa mère et cela, au prix d’un désaveu du sien.
Une autre solution consiste à ce que l’enfant croie aux deux points de vue
et oscille inconfortablement de l’un à l’autre et, plus tard, dans les relations
avec les autres et les prises de décision : il devient dichotomique.

Les corrélations cognitives et les comportements


d’attachement désorganisé chez l’enfant
La corrélation avec la famille
D’après Lyons-Ruth et Jacobritz (1999, In : Cassidy et Shaver), l’incidence de
l’attachement désorganisé, dans l’enfance, varie entre 13 % et 80 %, suivant
la présence des types de facteurs de risque familial. Les facteurs de risque
familial sérieux incluent : la maltraitance, les troubles majeurs de dépres-
sion des parents, les troubles bipolaires des parents et la prise d’alcool de ces
derniers. Ces facteurs de risque sont associés à une augmentation significa-
tive des patterns d’attachement désorganisé dans l’enfance.

La corrélation avec des donneurs de soin effrayants


et effrayés
Jacobson et coll. (1994) suggère que les enfants désorganisés ont des pauvres
performances parce qu’ils sont particulièrement vulnérables aux processus
irréguliers de la pensée générés par leur anxiété concernant les réactions
des autres.

Les patterns d’attachement désorganisé


et le développement des relations avec les pairs
La plupart des études sur la relation des enfants ayant des patterns d’atta-
chement désorganisé ont conclu que ces derniers étaient plus incompétents
dans la qualité de jeu et la résolution de conflit que les enfants ayant un
style d’attachement sécurisé.

Les patterns d’attachement désorganisé


et le développement des problèmes comportementaux
Des études récentes (Lyons-Ruth et Jacobritz, 1999, In : Cassidy et Shaver)
ont trouvé une association entre l’attachement désorganisé et le développe-
ment de l’agression contre les pairs.
La théorie d’attachement et les thérapies cognitives intégratives des troubles... 41

L’attachement désorganisé et les troubles dissociatifs


Liotti (1992) postule que la désorganisation et la désorientation dans l’enfance
augmentent la vulnérabilité de l’enfant aux troubles dissociatifs (ex.  : des
fugues, des états de transe, des troubles dissociatifs d’identité, des expériences
de dépersonnalisation et de déréalisation et enfin, des idées de possession).
Main et Hesse (1990) ont suggéré que l’expérience de traumatisme en
l’absence de protection d’un donneur de soins prédispose les individus au
développement du trouble de la personnalité borderline ou des pathologies
dissociatives. Ces auteurs considèrent que l’enfant ne peut pas intégrer les
différentes qualités d’une figure d’attachement dans de simples modèles de
soi et des autres, quand cette dernière se comporte de façon soit effrayée,
soit effrayante. Ainsi, ces modèles non intégrés vont accompagner le sujet
borderline tout le long de sa vie.
Chez les individus borderline, le sens d’identité de soi est instable ; de la
même manière, la représentation des autres est sous-développée et instable.
Les autres sont idéalisés à un moment et dévalorisés à un autre. Le problème
de base est la peur d’abandon par la personne idéalisée. La menace d’aban-
don vient du fait que le sens instable de soi est dépendant de la validation
de la personne idéalisée. La menace d’abandon est expérimentée comme
potentiellement dévastatrice.
Cette instabilité des représentations internes est associée avec la labilité
émotionnelle.
Gunderson et coll. (1980) décrivent la pathologie borderline comme une
pathologie dans laquelle les processus attentionnels et comportementaux
n’ont pas été intégrés.
Les individus souffrant d’un trouble de la personnalité borderline rappor-
tent pendant leur enfance, des taux élevés de séparations prolongées avec
leurs donneurs de soins (Zanarini et coll., 1989). Ces séparations sont parti-
culièrement fréquentes avec leurs mères (Soloff et Millward, 1983).
Les sujets borderline basculent d’une opinion négative de soi et des
autres, à une opinion positive avec peu de fidélité, avec une dimension
d’attachement particulier. Ainsi, ils se montrent impulsifs, labiles, irrités,
vides, excessivement émotionnels et impuissants (Mehran, 2006).
Bowlby (1973) a remarqué que, selon une perspective développementale,
certains enfants montrent des modèles de travail multiples, contradictoires
et incompatibles. L’histoire développementale des personnalités borderline
est souvent chaotique.

Les réactions émotionnelles à l’interruption


de l’attachement
La peur, la colère, la tristesse sont des réponses aux menaces de l’inacces-
sibilité.
De l’enfance à l’âge adulte, certaines émotions spécifiques accompa-
gnent les appréciations de l’individu face à l’accessibilité de ses figures
42 Thérapies cognitives et émotions

d’attachement. Normalement, ces émotions servent comme des fonctions


motivationnelles, du monitorage de soi et de la communication pour
l’individu (Bowlby, 1969 ; 1982). Dans les premières années de la vie, l’exp­
ression des émotions et leurs réceptions sont les seuls moyens de la commu-
nication.
Si, à cause de la séparation, les parents sont perçus comme inaccessibles,
souvent une augmentation de la colère et de l’hostilité a été observée chez
l’enfant.

Quelques lignes directrices pour les familles


L’influence parentale dans le développement des deux styles d’attachement
sécurisé et insécurisé est primordiale. Les modèles d’attachement se trans-
mettent fidèlement d’une génération à l’autre.
Voici quelques recommandations ;
• les membres de la famille doivent offrir un environnement calme et
serein à l’enfant ;
• les figures d’attachement peuvent encourager l’enfant à chercher des
amis et les recevoir volontiers ;
• l’expression de soi est encouragée et l’enfant se sent libre de parler de ses
problèmes avec ses parents et de donner son opinion ;
• maintenir la routine familiale, ne pas oublier les bons moments et ne pas
s’occuper uniquement des règles et des limites d’éducation ;
• faire confiance à l’enfant et son jugement ;
• accepter l’enfant comme il est et lui offrir beaucoup d’affection ;
• être disponible et accessible pour l’enfant ;
• encourager les résultats positifs et les réussites de l’enfant ;
• participation fréquente des membres de la famille à des activités et des
loisirs communs ;
• aider l’enfant à prendre soin de lui-même et devenir au fur et à mesure
autonome ;
• résister avec fermeté aux pressions de l’enfant.

Les outils d’évaluation


Parmi les mesures qui évaluent l’engagement parental, The parental bonding
instrument, PBI (Parker et coll, 1979 ; In : Riskind et coll. 2004) est le plus
utilisé.
Ce questionnaire est composé de 25 items qui évaluent deux dimensions
de contributions parentales : surprotection et soin.
Chaque partie contient des questions concernant les thèmes suivants :
• surprotection  : composée de deux dimensions. L’une, avec contrôle,
surprotection, intrusion, contacts excessifs, infantilisation et absence
d’encouragement pour des comportements indépendants ; l’autre dimen-
sion comporte des comportements qui suggèrent la recherche de l’indépen-
dance et l’autonomie ;
La théorie d’attachement et les thérapies cognitives intégratives des troubles... 43

• soin : également composée de deux dimensions. L’une, avec affection,


chaleur émotionnelle et empathie ; l’autre dimension, avec froideur émo-
tionnelle, indifférence et négligence.

Les résultats de recherche


Certaines études ont établi le lien entre l’environnement familial problé-
matique et les troubles anxieux. Cassidy (1995) a trouvé que les personnes
présentant le trouble de l’anxiété généralisée décrivaient plus de rejet par
leurs parents que les personnes qui ne souffraient pas des symptômes de
l’anxiété généralisée.
Brown et Harris (1993) ont conclu que les individus souffrant des troubles
paniques avaient fréquemment subi des pertes précoces de l’une de leur
figure d’attachement, ou bien leur donneur de soin était extrêmement
inadéquat, en comparaison avec des sujets qui n’avaient pas de diagnostic
psychiatrique.
West et George (1998) ont relevé un chevauchement dans les corrélations
associées aux relations d’attachement désorganisé et celles associées à la vio-
lence maritale. Ces derniers ont également constaté que la violence maritale
est associée à une constellation de caractéristiques d’adultes en rapport avec
des relations d’attachement non résolues et désorganisées. Cette constella-
tion inclut une histoire de trauma ou d’abus, une organisation de personna-
lité borderline, une intense anxiété d’abandon, des contenus mentaux non
intégrés ou dissociés, des comportements de contrôle vis-à-vis du partenaire.

La sécurité et les émotions


Selon la théorie d’attachement, les problèmes de la dysrégulation émotion-
nelle ont une origine développementale. Dans un environnement insécu-
risé, les figures d’attachement n’encouragent pas l’expression émotionnelle
de l’enfant. Le style d’attachement insécurisé conduit l’individu vers une
dysrégulation émotionnelle. Il existe alors une surrégulation, une sous-
régulation émotionnelle, ou les deux.
Les réponses émotionnelles sont directement influencées par l’apprentis-
sage à travers les expériences. L’expérience émotionnelle est intégralement
reliée à l’expérience personnelle de l’enfant. Un environnement insécurisé
génère chez l’individu des émotions négatives et douloureuses comme : la
peur, le doute, la tristesse, la honte, l’angoisse et la colère. Plus tard, ce
dernier va souffrir des mêmes émotions en surgénéralisant les situations
douloureuses du passé aux situations présentes, lesquelles ont juste un
détail en commun avec le passé.
D’après Young (2003), les individus se protègent contre les émotions
négatives en utilisant les stratégies inadaptées d’adaptation (coping) :
• la surcompensation (comme l’agressivité, l’hostilité, la recherche de
reconnaissance, etc.) ;
• l’évitement (comme le déni, le repli sur soi, la recherche d’excitation, etc.) ;
• la capitulation (comme la passivité, la soumission, la dépendance, etc.).
44 Thérapies cognitives et émotions

L’émotion est une information sur une forme tacite de connaissance de


soi ou un modèle de travail interne de soi ou encore, un schéma précoce
inadapté.
Dans les situations relationnelles, l’individu qui a développé un style
d’attachement insécurisé bloque ses émotions. Ces émotions sont obscures,
accablantes, profondes, destructrices, souvent anciennes et parfois, diffuses.
Ce style d’attachement ne permet pas de développer et de maintenir un
sens de sécurité personnelle. La relation avec l’autre devient une source
d’anxiété permanente ; alors que le sujet qui a développé un style d’attache-
ment sécurisé expérimente des émotions « authentiques » et des réactions
adaptées à des situations spécifiques. Ces émotions sont fraîches, nouvelles,
profondes. Elles mobilisent une action d’autoprotection et permettent une
résolution de problème adaptée. Ces émotions sont des réponses aux cir-
constances et elles changent quand les circonstances changent. Elles sou-
lagent et améliorent le « soi » et la relation avec les autres (Mehran, 2006).

La psychothérapie du style d’attachement


insécurisé et ses conséquences
Les cliniciens ont besoin d’observer soigneusement les interactions fami-
liales. Passer en revue à la fois les histoires d’attachement des parents et des
enfants et comprendre comment les traumatismes d’attachement ont créé
un dilemme émotionnel extrême dans la famille.
En créant, pour le patient, une base sécurisante dans laquelle il pourra
explorer l’environnement et exprimer ses pensées et ses émotions, le théra-
peute a un rôle similaire à celui d’une mère qui fournit une base sécurisée à
son enfant avec laquelle il pourra tranquillement explorer l’environnement.
Les thérapeutes cognitivocomportementalistes doivent explorer les
modèles de travail interne des patients ainsi que les stratégies d’attache-
ment, en tenant compte des informations suivantes :
• des interruptions courantes dans la relation d’attachement (séparations
prolongées, conflits chroniques, séparation maritale et perte) ;
• la nature de la communication dans la relation d’attachement ;
• les stratégies d’attachement que l’enfant a développées comme réponses
d’adaptation aux exigences et maltraitances des parents.

Le rôle du thérapeute
• Le thérapeute fournit des conditions dans lesquelles le patient peut
réévaluer et restructurer ses modèles internes de lui-même et de ses figures
d’attachement, à la lumière d’une nouvelle prise de conscience acquise à
travers la relation thérapeutique.
• Le thérapeute assiste le patient dans son exploration et l’encourage à
reconsidérer la façon dont il s’engage dans des relations avec les figures
d’attachement significatives de sa vie où il crée des situations qui vont le
conduire à des résultats négatifs.
La théorie d’attachement et les thérapies cognitives intégratives des troubles... 45

• Le thérapeute aide le patient à reconnaître que les modèles de lui et des


autres sont dérivés des expériences douloureuses du passé ou des messages
déroutants transmis par les parents.
• Le thérapeute élabore graduellement avec le patient, les modèles cogni-
tifs tacites de soi et des autres qui ne sont plus viables.
• Le thérapeute apprend au patient à élaborer les sentiments reliés à ces
informations nouvellement établies.
• Le thérapeute soutient le patient dans sa construction de soi, de nou-
velles structures (Lyddon 1990).

Les thérapies cognitives intégratives


des troubles de la personnalité et la théorie
d’attachement
J. Young, dans son approche de la thérapie des schémas (2003) a conceptua-
lisé la pathologie borderline en imaginant le patient borderline comme un
enfant effrayé, négligé, parfois abusé et livré à lui-même, dans un monde
malveillant et dangereux. Cet enfant cherche la sécurité et l’aide, tout en
ayant très peur de l’abus et de l’abandon (Mehran, 2006).
Young propose les cinq domaines suivants :
• séparation et rejet ;
• manque d’autonomie et de performance ;
• manque de limites ;
• direction vers les autres ;
• survigilance et inhibition.
Chaque domaine est composé de quelques schémas et, au total 18 sché-
mas précoces inadaptés ont été classés.
Les cinq domaines représentent chacun les besoins affectifs, fondamen-
taux, frustrés et non comblés de l’enfant.
La thérapie des schémas s’est beaucoup inspirée de la théorie d’attache-
ment et particulièrement, en ce qui concerne le schéma d’abandon et son
rôle dans le trouble de la personnalité borderline.
Bowlby a beaucoup insisté sur le rôle protecteur du thérapeute pour
fournir au patient une base sécurisante pour arriver à explorer ses modèles
internes. Cette idée a été incorporée dans la thérapie des schémas par le
concept de limited reparenting ou re-maternage limité (Mehran, 2006).
Giesen-Bloo et coll. (2006) de l’université de Maastricht ont comparé
la thérapie des schémas avec la psychothérapie centrée sur le transfert
pour le traitement du trouble de la personnalité borderline. Les résul-
tats montrent un nombre plus élevé d’interruptions dans la thérapie
centrée  sur le transfert. Les résultats indiquent également des effets
positifs du traitement par ST (Schema Therapy) sur tous les critères diag-
nostiques du trouble de la personnalité borderline, aussi bien que sur la
qualité de vie.
46 Thérapies cognitives et émotions

En 2001, j’ai conçu et organisé une « thérapie cognitive émotionnelle


de groupe pour le traitement de la personnalité borderline » à la clinique
des maladies mentales et de l’encéphale (CMME) de l’hôpital Sainte-Anne.
L’objectif principal de ce groupe psycho-éducatif est de consolider l’appren-
tissage acquis en thérapie individuelle.
Cette approche de thérapie a d’autres objectifs comme : apprendre à repérer la
réactivation des schémas dysfonctionnels (croyances assimilatives qui représen-
tent le modèle interne de soi et des autres intégré ou non intégré dans l’enfance
et l’adolescence). Amener les patients à prendre conscience de la façon dont les
êtres humains, par leur réaction émotionnelle, affectent les uns et les autres.
Cette forme de thérapie est une forme intégrative dans laquelle les six
approches suivantes ont été intégrées :
• l’approche classique de la thérapie cognitive de A. Beck ;
• la théorie d’attachement de J. Bowlby ;
• la thérapie comportementale dialectique de M. Linehan ;
• l’approche de la thérapie des schémas de J. Young ;
• les techniques des développements créatifs dans la thérapie cognitive de
C. Padesky et K. Mooney ;
• l’approche centrée sur l’émotion de L. Greenberg et coll.
Dans l’aspect pédagogique des séances de groupe, la théorie d’attachement,
les deux styles d’attachement sécurisé et insécurisé et les caractéristiques de
chacun sont abordés. La dimension désorganisée du style d’attachement insé-
curisé et son rôle dans le développement du trouble de la personnalité avec
ses abus, ses traumatismes et ses interactions avec les figures d’attachement,
soit inaccessible, soit surprotecteur sont étudiés. Les cinq domaines de besoin
insatisfait de l’enfant et leurs schémas proposés par Young sont expliqués.
Différentes techniques comportementales, cognitives, expérientielles (du
vécu émotionnel) sont utilisées pour réactiver les expériences émotionnelles
douloureuses. Les techniques de jeu de rôle facilitent la prise de conscience
des patients par rapport au transfert inconscient du modèle interne de leurs
figures d
­ ’attachement sur les autres personnes présentes dans leur vie actuelle.
Différentes techniques sont employées pour permettre au patient de compren-
dre leur traitement biaisé de l’information dicté par leur modèle interne de
travail de soi.
Une étude préliminaire sur 23 patients de ces groupes montre une dimi-
nution significative des critères diagnostiques de la personnalité borderline.
Le changement a été constaté sur la disparition des idées de suicide et/ou
des comportements d’automutilation, le sentiment de vide, l’angoisse
d’abandon et enfin, la colère (Mehran, 2006).

Conclusion
La théorie d’attachement facilite la tâche des cliniciens en les aidant à
comprendre la valeur potentielle et fonctionnelle d’un nombre considérable
de symptômes et de problèmes associés aux vulnérabilités cognitives de
styles de personnalité.
La théorie d’attachement et les thérapies cognitives intégratives des troubles... 47

Les patterns d’attachement sont déterminés par la qualité et la quantité


de contacts avec les figures d’attachement.
Au cours de ces dernières années, plusieurs études publiées, liées à la
théorie d’attachement de Bowlby, ont souligné le lien entre les dimen-
sions de l’attachement insécurisé et le développement des troubles psy-
chologiques. Souvent, le style d’attachement insécurisé est à la base des
troubles de la personnalité, particulièrement les personnalités anti-sociale
et borderline.
Les découvertes de Main et coll. (1985, 1986, 1990) du pattern d’atta-
chement désorganisé, développé dans l’enfance, ont ouvert de nouvelles
perspectives pour comprendre l’interférence entre le développement et la
psychopathologie.
L’alliance thérapeutique peut paraître comme une base sécurisante et un
modèle de travail interne représentatif d’un modèle adapté et sain de figure
d’attachement.

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3 L’intégration des rêves
dans la thérapie cognitive
émotionnelle
F. Mehran

Quoi de plus émotionnel qu’un rêve ? En effet, au cours de la phase de sommeil


paradoxal les aires préfrontales sont hypofonctionnelles, ce qui libère les struc-
tures les plus archaïques du cerveau émotionnel et leur permet de s’exprimer
dans le désordre. Les rêves du patient peuvent être étudiés et décryptés, pour
y rechercher des éléments scénarisés qui se répètent fréquemment, et ainsi,
reflètent des émotions en lien avec les schémas cognitifs. Pour Beck, le rêve
est une sorte de « biopsie des processus psychiques » du patient et il permet
d’avoir accès aux thèmes qui sont ceux du schéma. Il faut rappeler que, dans
un travail qui date de 1959, Beck a montré que les rêves des patients dépres-
sifs reflétaient leur vision du monde à l’état de veille. Depuis, des travaux sur
le rêve et son intégration dans les thérapies cognitives ont vu le jour. Il en
résulte des principes qui permettent d’orienter patients et thérapeutes dans
leur travail de collaboration sur le rêve, qui devient ainsi une des voies vers la
compréhension des schémas cognitifs.

Durant ces dix dernières années, nous avons été témoins de la naissance de
multiples approches en psychothérapie. Les deux mouvements de proliféra-
tion et d’intégration sont nés en même temps (Mehran, 2006). Prochaska et
Diclemente (1992) ont différencié éclectisme et intégration. D’après ces der-
niers, l’éclectisme produit des thérapies en forme de mosaïque qui combi-
nent divers éléments de différentes sources, alors que l’intégration essaie de
produire une nouvelle approche fondée sur le mélange de différentes idées.
La capacité à intégrer une approche thérapeutique particulière dans un style
unique et personnel dépend, en partie, de la maturité et de la compétence
du thérapeute.
Alford et Beck (1997) ont essayé, dans leur livre The Integrative Power
of Cognitive Therapy, de clarifier les procédures en thérapie cognitive qui
peuvent être considérées comme intégratives. La thérapie cognitive évolue
constamment et ne craint pas d’intégrer les techniques de diverses psycho-
thérapies.

Thérapies cognitives et émotions


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52 Thérapies cognitives et émotions

D’après Alford et Norcross (1991), le pouvoir conceptuel de la thérapie


cognitive, son intérêt pour la recherche et ses nombreuses techniques thé-
rapeutiques l’ont placée au premier plan des psychothérapies efficaces exis-
tantes. Parmi les techniques empruntées par la thérapie cognitive, nous
nous sommes intéressés à « l’usage des rêves et des métaphores des rêves »
proposé par Beck, dans un article (Mehran et Guelfi, 2003) et un ouvrage
traitant du trouble de la personnalité borderline (Mehran, 2006). La capacité
à incorporer la plus psychodynamique des techniques, c’est-à-dire l’inter-
prétation des rêves et ceci, sans faire violence au modèle cognitif, est une
démonstration du pouvoir technique de la thérapie cognitive.
L’interprétation des rêves dans la thérapie cognitive permet d’examiner
les aspects non verbaux et primitifs des cognitions. Le travail de rêve illustre
également le pouvoir de la compréhension du vécu émotionnel (expérien-
tiel) et le travail du corps dans la thérapie cognitive, décrit par Mahoney
(1995). Les rêves peuvent être considérés comme des exemples des schémas
cognitifs tacites (Dowd et Courchaine, 1996), des schémas cognitifs de base
(Beck, 1995) ou des schémas précoces inadaptés (Young, 1999).
Au cours de ces dernières années, l’intérêt du courant intégrationniste
a conduit les thérapeutes et les chercheurs cognitivistes à chercher dans
d’autres directions, comme la psychothérapie des constructions person-
nelles (ou « construits »), de Kelly (1955), la Gestalt Thérapie, la psychana-
lyse moderne et la neurobiologie.
En 1967, Beck organise un nouveau cours pour les étudiants en méde-
cine de l’université de Pennsylvanie. Ce cours s’intitulait La psychothérapie
à large spectre. La philosophie de ce cours était d’encourager les thérapeutes
à chercher des facteurs communs, à vaincre les limites théoriques et à faire
en sorte que toutes les techniques soient accessibles à tous les thérapeutes.
Avec la « psychothérapie à large spectre », Beck essaye de se rapprocher de
certains psychanalystes, mais ce travail lui a également permis un rappro-
chement avec certains leaders les plus importants de la thérapie comporte-
mentale comme Joseph Wolpe et Arnold Lazarus. Wolpe n’approuva pas la
théorie de Beck concernant l’existence des médiateurs cognitifs alors que
Lazarus trouva ses idées très intéressantes. Depuis toujours, les rêves ont
fait partie de l’expérience humaine. Traditionnellement, ils sont considérés
comme des éléments de base de la psychothérapie.

Le contexte historique de l’usage des rêves


en psychothérapie
Le dieu gréco-égyptien Sérapis était le dieu des rêves. Dans la tradition
gréco-romaine, cette forme primitive du travail du rêve est associée à la
guérison et la fertilité.
Depuis toujours, les rêves étaient associés à l’idée de la révélation et de
la cure. C’est pour cette raison que les premières formulations de la psy-
chothérapie (la guérison spirituelle «  scientifique  » du xxe  siècle) étaient
L’intégration des rêves dans la thérapie cognitive émotionnelle 53

étroitement liées au travail du rêve et à l’interprétation des rêves (Gonçalves


et Barbosa, In : Rosner et coll., 2004).
La naissance de la psychothérapie est souvent associée à la publication
des interprétations des rêves de Freud (1900). C’est à partir de ce travail que
Freud utilisa le rêve comme la « voie royale qui mène à l’inconscient » et
qu’il offrit le début d’une théorie de l’esprit qui constitue la fonction théo-
rique et centrale de la psychanalyse. D’après Freud, le rêve est un moyen
pour l’accomplissement du désir de Ça.
Freud, Adler, Jung et d’autres, malgré leurs nombreux différends se sont
accordés pour affirmer que les rêves étaient des outils thérapeutiques essentiels.
Adler (1927) affirme que l’objet des rêves doit être cherché dans les sen-
timents qu’il déclenche. Le rêve est seulement un moyen, un instrument à
l’image du monde et au style de vie du rêveur. Selon lui, le rêve rend pos-
sible une résolution de problèmes créative, sans la contrainte de la réalité.
Ce dernier pense que les rêves servent à mettre le rêveur en contact avec les
sentiments qui peuvent être négligés et évités pendant l’état d’éveil.
Pour Jung, le symbole de rêve est important, comme si ce dernier reflé-
tait non seulement l’inconscient personnel de l’individu mais également
l’inconscient collectif.
La Gestalt thérapie (Perls, 1969) utilise le rêve non pas comme un langage
caché de l’inconscient mais plutôt comme un moyen d’étendre l’expérience
du patient.
Des auteurs aussi divers que Platon et Voltaire ont utilisé le pouvoir de
la métaphore pour transmettre des idées. Cette dernière sert à exprimer un
désir, un besoin de comprendre ou de prendre conscience.
De la même façon que chez Freud (1900), les premières formulations de
la thérapie cognitive proviennent des études sur le rêve.
Un survol du travail de rêve dans la thérapie cognitive nous dirige vers la
fin des années 1960 pendant lesquelles Beck développa une rudimentaire
théorie cognitive des rêves.
En 1960, Beck, comme George Kelly (1955), commence à enseigner à ses
patients à devenir scientifiques dans leurs propres laboratoires mentaux.
D’abord, il leur apprit à identifier leurs distorsions cognitives connues
comme «  pensées automatiques  » (des observations cliniques) ensuite, à
comprendre que ces distorsions étaient des croyances qui pouvaient être
évaluées de façon objective. Ainsi, il entraîna ses patients à réexaminer et
mettre au défi l’évidence de leurs croyances. Enfin, il les encouragea à réin-
terpréter les faits de façon plus adaptée et réaliste.
En 1959, alors que Beck pratiquait la psychanalyse, il reçut une première
bourse pour étudier les rêves des déprimés. À la fin de ce projet, Beck décida
de résumer les résultats de ses travaux de recherche sur les rêves et cer-
taines de ses premières formulations cognitives sous la forme d’une mono-
graphie. Cette monographie devient, en 1967, le livre de Beck, Depression:
Clinical Experimental and Theoretical Aspects, réimprimé en 1970 sous le nom
de Depression: Causes and Treatment (Beck, 1967, 1971).
54 Thérapies cognitives et émotions

Suite à sa recherche sur les rêves, Beck se transforma scientifiquement et


rejeta entièrement la théorie du désir ainsi que l’existence des mécanismes
de défense et les symboles. Son livre sur la dépression peut être considéré
comme un travail transitionnel qui marqua publiquement son passage de la
psychanalyse à la thérapie cognitive. De 1968 à 1971, de façon relativement
limitée, Beck travailla sur les cognitions et les rêves et publia deux articles
(1969, 1971) dont Cognitive patterns in dreams and daydreams (1971). Cette
nouvelle théorie du rêve était un instrument précieux pour la recherche
d’une audience pour la nouvelle école de psychothérapie de Beck qui était
la « thérapie cognitive ». Plus tard, des thérapeutes cognitivistes ou issus des
branches constructivistes ou expérientielles ont approfondi l’idée de l’usage
des rêves comme des expressions thématiques des cognitions des patients et
non pas des expressions symboliques à interpréter ou à décoder.
L’objectif de ce chapitre est de sensibiliser les thérapeutes cognitivo-
comportementalistes à l’intérêt de l’usage des rêves et des métaphores des
rêves dans la thérapie cognitive et de leur proposer quelques lignes direc-
trices, ainsi que quelques techniques.

Définition et caractéristiques des rêves


D’après Hobson (1999a), le processus de l’interprétation des rêves est un
processus risqué, car ce que « nous voyons, sentons et faisons dans nos rêves
révèle nos prédilections spécifiques et personnelles ». À vrai dire, quand le
rêveur décrit le contenu de son rêve, de façon à la fois consciente et incons-
ciente, il impose une certaine structure sur ce rêve (Flanagan, 2000). Le
rêveur raconte son rêve en état éveillé ainsi, pour reconstruire son rêve, la
logique de ce dernier utilisera les mêmes distorsions cognitives qu’il utilise
habituellement pour interpréter les événements extérieurs.
Beck (1971) a défini le rêve comme un phénomène visuel survenant
pendant le sommeil à titre d’expérience privée et non pas publique. Trois
caractéristiques de rêve ont été décrites par Seligman et Yellen (1987) :
• il est périodique ;
• il contient des explosions visuelles et non connectées ;
• il englobe la synthèse émotionnelle et cognitive des deux premières.
Selon cette théorie, il existe deux catégories de rêves visuels :
• une vue détaillée, colorée, large dans le centre du champ visuel ;
• l’autre, moins détaillée, moins colorée, plus petite et dans la périphérie
du champ.
La façon dont le rêveur intègre l’explosion visuelle avec des épisodes
émotionnels éloigne ce dernier du rôle passif d’observateur que la majorité
des approches de rêve lui attribue. Au contraire, cette explosion visuelle
met le rêveur dans un rôle de participant actif dans la construction de rêve.
Ce point de vue s’avère être en cohérence avec l’approche constructiviste.
D’après Rosner (1997), Beck déplaça le travail de rêve du niveau latent au
niveau manifeste de l’analyse et d’un point de vue motivationnel à un point
L’intégration des rêves dans la thérapie cognitive émotionnelle 55

de vue cognitif. Le contenu manifeste est la façon dont le rêve apparaît au


rêveur (beaucoup plus direct et centré sur le conscient), alors que le contenu
latent est centré sur l’inconscient et contient le sens caché et réprimé. Selon
la perspective psychanalytique classique, le contenu manifeste peut, en
effet, être abandonné et être considéré comme « couverture », « introduc-
tion » ou « stimulus » car le contenu latent est la vraie « essence » du rêve.
Les métaphores sont les moyens centraux qui conduisent le sens des
rêves.
Les multiples métaphores présentes dans le rêve peuvent être considérées
comme une part de construction en cours, pour la signification du rêve.
Pendant les rêves, ainsi que pendant la vie éveillée, les individus sont dans
un permanent processus d’assimilation de leurs expériences multiples et
variables à travers leurs métaphores personnelles. Autrement dit, les rêves
représentent de puissantes métaphores pour les croyances irrationnelles,
lesquelles ne peuvent être activées par un autre procédé.

Les raisons de non-usage des rêves


dans les thérapies comportementales et cognitives
Une des raisons pour lesquelles l’usage des rêves a été rejeté par des thé-
rapeutes cognitivocomportementalistes est que, généralement, les rêves
étaient considérés comme ayant des sources inconscientes et, par consé-
quent, inappropriés pour être utilisés dans les thérapies comportementales
et cognitives. Un rapprochement, même partiel, avec les courants analy-
tique et humaniste était sévèrement jugé. Voici quelques exemples d’argu-
ments que Freeman et White (2004) avancent pour le non-usage des rêves
dans les thérapies comportementales et cognitives :
• de façon générale, les thérapeutes cognitivistes viennent plus de tradi-
tion et d’orientation comportementaliste et ces dernières considèrent que
les rêves n’ont pas de composantes comportementales directes et par consé-
quent, ils doivent être évités ;
• certains thérapeutes cognitivistes refusent de travailler sur les rêves parce
qu’ils considèrent que le travail de rêve n’a pas de valeur ;
• il existe peu de lignes directrices pour l’usage des rêves en clinique ;
• étant donné que le contenu des rêves est difficile à étudier, les données
de recherche ont été clairsemées, par conséquent l’efficacité de l’approche
n’a pas été suffisamment validée.

Le concept du travail de rêve et la perspective


cognitiviste
Quelle que soit l’orientation des thérapeutes, ces derniers affirment que
souvent, pendant les séances, les patients mentionnent leurs rêves et cher-
chent à comprendre leur sens.
56 Thérapies cognitives et émotions

Nous allons essayer d’illustrer deux tendances de l’usage du rêve. La pre-


mière peut être considérée comme une extension de la thérapie cognitive
classique qui étudie les distorsions cognitives dans le domaine des cogni-
tions de l’être humain. Ceux qui adhérent à ce modèle pourraient être nom-
més les « objectivistes », alors que ceux qui décrivent l’usage des rêves d’un
point de vue métaphorique pourraient être appelés les « constructivistes ».
Aujourd’hui, ces deux tendances sont acceptées et reconnues dans la littéra-
ture de la thérapie cognitive (Dowd. In : Rosner et coll, 2004).

Définition des deux différentes épistémologies :


l’objectivisme et le constructivisme
Les thérapeutes cognitivistes de tendance objectiviste cherchent, avec
l’usage des rêves, des programmes directifs et de courte durée du traitement.
Selon ce point de vue, le rêve est considéré comme un miroir dans lequel se
reflètent les schémas et les distorsions cognitives des patients, de la même
façon que dans leur vie éveillée ; alors que chez les thérapeutes cognitivistes
de tendance constructiviste, la tâche peut paraître différente. Le constructi-
visme croit à la capacité humaine pour une pensée créative et imaginative.
D’après cette approche, les êtres humains construisent activement leurs réa-
lités personnelles et sociales à travers une multitude de voies symboliques
comme le langage, la métaphore, la narration, les mythes, etc. ; de ce point
de vue, le rêve représente un autre véhicule symbolique pour construire ses
propres significations personnelles. Nous allons essayer d’étudier quelques
tendances dans chacune de ces approches :

Les approches cognitivistes de tendance objectiviste


Le modèle cognitif des rêves de Beck
Le modèle cognitif des rêves de Beck voit le rêveur comme idiosyncrasique
et le rêve comme une dramatisation de la triade cognitive, c’est-à-dire la
vision du soi du monde et du futur. Les rêves sont des produits du monde
intérieur du rêveur qui sont dans une réelle continuité avec les processus de
la pensée pendant l’état d’éveil.
D’après Beck (1971), pendant les expériences d’éveil d’un individu, cer-
tains patterns cognitifs qui lui sont propres sont activés, mais ces derniers
peuvent être « embrouillés » par l’entrée des stimuli externes.
Étant donné que pendant le sommeil, certains stimuli sont coupés, quand
un certain état d’éveil est atteint, ces patterns ou schémas vont exercer un
minimum d’influence sur la pensée de l’individu et vont se manifester dans
le contenu thématique des rêves.
Beck (1971) a écrit : « J’ai écrit les pensées automatiques ou les distorsions
cognitives, celles-là peuvent être considérées comme une sorte d’idées pro-
bablement analogues à ce que Freud appelle “le préconscient”. Les pensées
automatiques sont beaucoup plus reliées aux rêves idiosyncrasiques que les
réelles cognitions qui se trouvent au centre de la conscience de l’individu. ».
L’intégration des rêves dans la thérapie cognitive émotionnelle 57

Figure 3.1
Exemple de carnet d’autoenregistrement des rêves.

D’après Beck (1971), une façon « économique » de découvrir les schémas


dysfonctionnels des patients est de s’approcher du sens de leurs rêves et
de considérer leurs interprétations comme une sorte de « biopsie de leurs
processus psychiques ».
Au départ, la psychanalyse a porté attention sur le contenu latent et le
contenu manifeste a été ignoré, alors qu’une grande partie de l’information
psychodynamique est disponible dans le contenu manifeste du rêve.

Les modèles de Freeman et Boylls (1992) et Freeman et White


(2004)
On propose au patient de garder un journal ou un agenda de rêve à côté de
son lit. L’adaptation du carnet d’autoenregistrement de pensées dysfonc-
tionnelles est un outil idéal pour explorer le contenu des rêves. Ce carnet
fait partie des tâches assignées et sera utilisé comme un des éléments de
l’agenda de la séance. Le carnet sert, dès le réveil, à marquer les rêves, les
fragments des rêves et des images.
Le carnet ci-dessous (Figure 3.1), d’autoenregistrement des rêves, a été ins-
piré des modèles de Freeman et Boylls (1992) et Freeman et White (2004).
On enregistre les rêves dans les colonnes de la façon suivante:
• colonne 1 : date du rêve :
• colonne 2 : écrire le rêve mot par mot, avec ses détails ;
• colonne 3 : marquer les réactions émotionnelles et physiologiques et les
évaluer de 0 à 100 ;
• colonne 4 : marquer les images et les associations reliées au rêve ;
• colonne 5 : restructurer, recadrer et utiliser l’image du matériel du rêve
autrement ;
• colonne 6 : réévaluer des émotions du départ de 0 à 100.
Une partie de l’image ou la pensée de rêve peut être ciblée puis testée,
mise en confrontation et modifiée avec les techniques cognitives d’usage.
Le modèle ci-dessous est un résumé et l’adaptation des lignes directrices
proposées par Freeman et Boylls (1992) et Freeman et White (2004) :
• les rêves ont besoin d’être compris dans des termes contextuels et théma-
tiques, plutôt que dans des termes symboliques ;
• le contenu thématique des rêves est idiosyncrasique au rêveur et doit être
vu dans le contexte de la vie du rêveur. Les rêves ne sont pas des p
­ hénomènes
isolés : ils doivent être connectés aux préoccupations courantes du patient ;
58 Thérapies cognitives et émotions

• le langage spécifique et l’imagerie sont importants dans la signification


des rêves. Les mots, le ton de la voix, les images visuelles et la qualité du
langage influencent l’aspect exprimé. En utilisant les mots et les symboles
du rêveur, nous pouvons mieux comprendre l’intérêt de son rêve ;
• les réponses émotionnelles au rêve peuvent être considérées comme
similaires aux réponses affectives du rêveur, dans les situations d’éveil.
Bonheur, anxiété, dépression ou autres réponses émotionnelles seraient les
mêmes dans les situations de rêve et d’éveil ;
• la durée particulière de rêve est de moindre importance que le contenu.
Étant donné que nous rêvons en image, une image ou fragment de rêve peut
être exceptionnellement bref, mais possède un énorme impact émotionnel ;
• le rêve produit est de la responsabilité du rêveur. Le matériel particulier
que ce dernier choisit d’introduire dans son rêve, vient probablement de
ses expériences précédentes et il devient une fonction idiosyncrasique du
rêveur ;
• le matériel de rêve est sensible à la même restructuration cognitive que
les pensées automatiques. En utilisant le carnet d’autoenregistrement des
pensées dysfonctionnelles, le patient peut apprendre à discuter à propos
des thèmes dysfonctionnels exprimés dans les rêves et changer sa réponse
affective par rapport au rêve ;
• les rêves peuvent être utilisés quand le patient paraît « bloqué » dans la
thérapie ;
• les rêves ne doivent pas être les seuls éléments d’attention de la thérapie ;
ils ont besoin d’être traités comme une partie de l’agenda de la séance ;
• les images, comme les rêves, peuvent être valables pour être utilisées
comme matériel métaphorique.
• le rapport et le recueil du matériel du rêve doivent être encouragés par un
système mis en place, par exemple le carnet à côté du lit.
• le patient doit apprendre à développer une communication, restructurer
les images négatives et inadaptées de ses rêves ;
• le patient doit apprendre à tirer une « morale » du rêve ;
• les images de rêve considérées comme inappropriées peuvent être utili-
sées dans la thérapie pour décrire les futures expériences complexes ;
• le rappel et l’analyse du contenu du rêve peuvent être utilisés comme
une tâche assignée standard.

Les approches cognitivistes de tendance constructiviste


Les approches constructivistes insistent sur les points suivants :
• une attention particulière sur l’aspect développemental de la reconstruc-
tion de l’histoire et des patterns ;
• une élaboration graduelle des modèles tacites du travail du soi et du
monde qui ne sont plus viables (des indications qui peuvent émerger dans
le processus du travail des rêves) ;
L’intégration des rêves dans la thérapie cognitive émotionnelle 59

• une complète évaluation des émotions reliées à ces informations du vécu


émotionnel nouvellement évaluées ;
• le soutien du thérapeute pour la construction de nouvelles structures de
significations (Rosner et Lyddon In: Rosner, Lyddon et Freeman, 2004).
Parmi les approches cognitives de tendance constructive, nous allons citer :
• l’approche cognitive narrative : la psychothérapie cognitivonarrative est
une approche thérapeutique qui a pour objectif d’aider le patient à proposer
de nombreux contenus de ses narrations, d’explorer les différents modes de
narration et enfin, de réussir, de façon variée, à construire la réalité cohé-
rente en dehors de sa narration ;
• la psychothérapie cognitivonarrative, qui propose les trois suppositions
suivantes (Gonçalves et Barbosa In : Rosner, Lyddon et Freeman, 2004) :
– pendant l’état de rêve, l’individu expérimente une multitude de sti-
mulations sensorielles chaotiques, des états émotionnels et des proces-
sus cognitifs. Ces stimulations émergent de façon aléatoire, comme des
résidus de l’expérience de la vie éveillée ;
– face à cette stimulation continuelle, l’individu affronte la tâche de
l’organisation de cette expérience aléatoire et chaotique dans un proces-
sus cohérent et significatif ;
– enfin, la construction de la cohérence implique le besoin d’imposer
activement un ordre narratif.
Un manuel pour faciliter le travail des rêves en psychothérapie est pro-
posé dans lequel on trouve des lignes directrices composées de six étapes.

Le modèle cognitivoexpérientiel de l’interprétation des rêves


de Hill (Hill et Rochlen, 2002)
Dans l’approche cognitivoexpérientielle de l’interprétation des rêves, Clara
Hill précise que le langage des rêves utilise les deux caractéristiques essen-
tielles suivantes chez l’être humain :
• sa tendance à utiliser les métaphores ;
• sa capacité à être un talentueux narrateur d’histoire.
Le modèle de Hill est composé des quatre étapes suivantes :
• un bref aperçu du modèle ;
• une étape d’exploration. Dans cette étape, la technique de DRAW est
utilisée. D consiste à fournir une minutieuse description de l’image de
rêve. R désigne la réexpérimentation des sentiments pendant le segment
du rêve. En insistant sur les sentiments, les images deviennent plus
immédiates et significatives au patient. A sert aux associations, quand le
patient établit une association, le thérapeute lui demande plus de détails
et, petit à petit, on accède aux schémas cognitifs en rapport avec le rêve.
W (waking life) représente les déclencheurs du rêve en rapport avec la vie
d’éveil ;
• une étape d’insight ;
• une étape de l’action.
60 Thérapies cognitives et émotions

La neurobiologie des rêves


La théorie moderne de la neurobiologie des rêves considère que les états de
rêves et l’état d’éveil sont des états différents de l’existence. La théorie de la
neurobiologie permet aux thérapeutes cognitivocomportementalistes de
mieux expliquer les expériences de rêve des patients, pendant leur état d’éveil
et de les rendre moins effrayantes et plus compréhensibles.
Les premières tentatives pour comprendre les rêves par le biais des para-
digmes neurologiques de la fin du xixe siècle ont été proposées par Freud. Ce
dernier considérait l’expérience de rêve, principalement façonnée par des
forces psychologiques internes.
Pour Freud (1900), le rêve constitue « la voie royale qui mène à l’incons-
cient et le rêve est un moyen pour l’accomplissement du désir du Ça ». De
nos jours, malgré tous les livres et articles rédigés sur la théorie du rêve de
Freud, cette dernière n’est plus acceptée par la majorité des neurobiolo-
gistes, car les résultats de recherches en neurobiologie suggèrent que l’expé-
rience de rêve est le résultat d’un processus très complexe de l’activation
neuronale dans le cerveau du sujet qui dort.
Pendant la période de rêve, de façon sélective, certaines régions du
cerveau sont déconnectées alors que les autres régions du cerveau devien-
nent, de façon exceptionnelle, actives. En particulier les aires préfron-
tales (prévision, délibération, pensée logique et contrôle) sont inhibées
et la région amygdalienne, qui gère les émotions, est activée (Hobson et
Mc Carlcy, 1977 ; Hobson,  1989, 1999a, 1999b). Deweiko (2002, 2004)
suggère que le thérapeute informe le patient que pendant l’état de rêve,
l’amygdale, par laquelle la peur semble être générée, est particulièrement
activée. Cela explique le fait que beaucoup de rêves contiennent des
thèmes en rapport avec le danger, la peur ou les menaces. Il est important
de noter que l’architecture du sommeil a évolué pendant une époque
où les premiers hommes étaient vulnérables face aux attaques des pré-
dateurs. Ceci expliquerait le fait que pendant la nuit, quand l’individu
était endormi, le système nerveux s’apprêtait à mettre ce dernier dans
des situations de lutte, par conséquent, plus vulnérables aux attaques
possibles.
Le rêve est un phénomène complexe. Les études en EEG ont identifié les
quatre phases bien distinctes suivantes dans le cycle du sommeil (Doweiko
In : Rosner et coll., 2004) :
• la phase n° 1 du sommeil est caractérisée par une phase courte, tradition-
nelle. Cette phase concerne 5 % du temps de sommeil de l’individu (Gillin
et coll., 2000). Dans cette phase, les mouvements des yeux sont faibles et
l’activité électrique est marquée par un voltage de niveau bas. Pendant cette
phase, le sujet peut être facilement réveillé et après le réveil, il ne rapportera
pas d’activité de rêve ;
• la phase n° 2 du sommeil englobe entre 45 % et 75 % du temps total du
sommeil. Le sujet n’est pas facilement réveillé pendant cette phase et après,
le réveil ne rapportera pas d’expérience de rêve ;
L’intégration des rêves dans la thérapie cognitive émotionnelle 61

• si le sujet continue à dormir, éventuellement, il progressera vers la phase


n° 3 du sommeil. Dans cette phase, les patterns d’ondulations « delta »
commencent à être remarqués dans l’EEG ;
• dans la phase n° 4 (ou delta), le sommeil est marqué par des périodes à
50 % de l’activité électrique et marquée par l’activité d’ondulations « delta ».
Dans cette phase, l’EEG montrera des patterns caractéristiques de voltage
bas et une rapide fréquence d’activité. Les yeux vont bouger sous les pau-
pières fermées et le sujet perdra son contrôle sur les groupes musculaires
importants. Si pendant cette phase, le sujet est réveillé assez rapidement, il
pourrait rapporter des expériences de rêve.
Ainsi, si le sujet n’est pas dérangé, il poursuivra son cycle de sommeil avec
ses quatre phases et s’approchera à nouveau de la phase n° 1 du sommeil.
Cependant, il lui faut entre 60 et 90 minutes avant de commencer un autre
cycle de sommeil.

L’interprétation des rêves dans différentes


pathologies
D’après Beck (1971), certains patterns, dans les rêves, paraissent corrélés
avec des catégories précises de diagnostic, en termes de psychopathologie.
Par exemple, dans des séries de rêves étudiés, on a pu identifier certains
thèmes qui différencient un groupe psychiatrique d’un autre.
Adler (1927) souligne les thèmes communs du rêve qui sont considérés
comme des extensions des cognitions de la vie éveillée du sujet. Parmi ces
thèmes, nous pouvons citer « tomber » qui pourrait représenter une perte de
statut ou de prestige, alors que « voler » pourrait signifier que le rêveur n’a
pas « enterré » une personne et n’en a pas fait le deuil. Beck et Ward (1961,
In : Rosner et coll., 2004), soulignent à nouveau la possibilité que le « rêve
masochiste » ne soit pas construit en étant associé seulement avec l’état de
la dépression. Il serait plus raisonnable de le considérer plutôt comme étant
relié à certaines caractéristiques de la personnalité des individus, qui favo-
risent le développement de la dépression (p. 466). Beck et Hurvich (1959)
ont étudié les rêves des patients déprimés dans lesquels les événements sont
désagréables dans leurs contenus manifestes. Les rêveurs déprimés se décri-
vaient comme des victimes des expériences douloureuses comme le rejet,
l’abandon, la frustration et la passivité. En un mot, l’imperfection, la tris-
tesse, la perte, la perpétuation des événements négatifs, le pessimisme, la
personnalisation et l’injustice sont des thèmes récurrents des rêves des dépri-
més, alors que chez les patients paranoïaques, il existe plutôt des thèmes de
persécution avec un abus injustifié. Les patients souffrant des troubles anxieux
font des rêves dans lesquels on rencontre des dangers et des catastrophes.
Les thèmes des rêves des patients maniaques sont plutôt expansifs. D’après
Barrett (2002), les victimes de guerre des états de stress post-traumatique
ont des rêves impliquant, dans leur contenu, l’expérience du combat.
Dans la médecine comportementale, les rêves peuvent être ­utilisés pour
62 Thérapies cognitives et émotions

identifier des attitudes relatives à certains symptômes physiques. Barrett


illustre la valeur fonctionnelle des rêves avec des exemples dans le domaine
du traitement du deuil, du traumatisme, la psychothérapie transculturelle,
la dépression et la médecine comportementale.

L’évaluation des modèles de l’interprétation


des rêves
De nos jours, 15 études ont été publiées sur le modèle de Hill. Parmi les
résultats obtenus, nous pouvons citer les exemples suivants :
• dans des séances uniques d’interprétation des rêves, les patients volontaires
ont rapporté avoir bénéficié plus de la séance, s’il s’agissait des rêves agréables
plutôt que des rêves désagréables (Hill et coll., 2001 ; Zack et Hill, 1998) ;
• l’interprétation des rêves est efficace dans des séances uniques de la thé-
rapie individuelle (Heaton et coll., 1998 ; Rochlen et coll., 1999, Zack et
Hill, 1998) et la thérapie de groupe (Falk et Hill, 1995). Les modifications
sont plus consistantes au niveau de l’insight et de la compréhension de soi,
qu’au niveau des symptômes ;
• les gens, avec des attitudes positives par rapport aux rêves, expriment
plus d’intérêt à participer à la thérapie du groupe et gagnent plus de l’expé-
rience que ceux qui ont une attitude négative vis-à-vis de l’interprétation
des rêves (Hill et coll., 1997).
Armitage et coll. (1995) suggèrent que les thérapeutes cognitivistes mani-
pulent le système qui génère et module les rêves, ils devraient obtenir plus
de changements dans les thèmes des rêves des patients déprimés que le
traitement avec des antidépresseurs.
Mais d’autres études comme celle de Beck et Hurvich (1959) et Beck et
Ward (1961) ont obtenu des résultats contraires. Ces derniers affirment que
les thèmes négatifs des rêves persistaient après une dépression aiguë.
Les études sur l’efficacité de l’interprétation des rêves en thérapie cogni-
tive sont encore trop peu nombreuses et la supériorité d’une approche par
rapport à l’autre n’a pas été suffisamment validée.

Quelques lignes directrices pour les thérapeutes


cognitivocomportementalistes souhaitant
se lancer dans l’interprétation des rêves
• Le thérapeute doit avant tout maîtriser parfaitement la théorie de base et
les techniques de la théorie cognitive, avant de s’aventurer dans la voie de
l’interprétation des rêves.
• Le thérapeute doit initier le processus en donnant un aperçu au patient
de ce que l’on attend d’une séance d’interprétation des rêves.
• Le thérapeute doit mener la séance de l’interprétation des rêves de
manière collaborative, dans laquelle il joue le rôle du guide accompagna-
teur plutôt que de l’expert qui connaît le sens du rêve.
• Le thérapeute doit être créatif et flexible.
L’intégration des rêves dans la thérapie cognitive émotionnelle 63

• Le thérapeute doit expliquer au patient que l’objectif de cette approche


est d’explorer les images du rêve et après, de les assembler pour comprendre
son sens et finir par construire des insights.
• Le thérapeute doit garder en mémoire qu’il doit aider le patient à explo-
rer l’action plutôt que dicter l’action.
• Dans la phase d’insight, le thérapeute doit encourager le patient à penser
à propos du sens du rêve et à chercher d’autres significations auxquelles ils
n’auraient pas réfléchi.
• Le thérapeute cognitiviste peut enrichir son matériel technique en
incluant les rêves comme une partie du processus de la thérapie et non pas
comme le seul sujet de l’agenda de la séance.

Exemple de cas
Le cas suivant est un exemple de l’usage des rêves en thérapie cognitive, travaillé
avec une patiente.
Présentation du cas
Iris est une patiente âgée de 50 ans, mère de trois enfants. Elle est toute petite,
intelligente et même si de temps en temps, elle pleure, elle est de nature très
gaie. Elle est assistante de direction dans une entreprise où son chef est fort
satisfait de la qualité de son travail.
Iris a eu une enfance très difficile avec un abandon du père et une mère absente
et autoritaire qui, avec beaucoup de peine, essayait de nourrir ses quatre enfants.
Iris était la dernière dans l’ordre de la fratrie.
N’ayant pas des moyens financiers suffisants, toute la famille vivait dans un très
petit appartement où il fallait chauffer l’eau dans une marmite pour se laver. Iris
n’avait que 5 ans quand, une fois, la marmite d’eau bouillante est tombée sur
elle et elle s’est brûlée au 3e degré.
D’après Iris, c’est à partir de cet incident qu’elle a développé un schéma de dan-
ger et vulnérabilité très handicapant. Parallèlement, elle souffrait d’une timidité
pathologique et se considérait, à tous les points de vue, moins bien que les autres.
Iris a souhaité suivre une thérapie comportementale et cognitive parce qu’elle
manquait profondément de confiance en elle et qu’elle avait développé une
agoraphobie avec des attaques de panique. Les attaques de panique se déclen-
chaient particulièrement dans des situations sociales comme les réunions de tra-
vail, les critiques et les commentaires de ses collègues et le regard réprobateur
réel ou imaginé des autres. Par ailleurs, Iris avait remarqué que, quand elle allait
à l’église, en regardant les statues, elle pouvait avoir des attaques de panique.
À travers son carnet d’autoenregistrement de ses pensées automatiques et diffé-
rentes autres techniques, nous avions déjà pris connaissance du fait qu’Iris avait
développé un schéma d’imperfection et un schéma de vulnérabilité et de danger.
Le contenu manifeste du rêve d’Iris
Voici le contenu manifeste du rêve d’Iris qu’elle a raconté en séance et que nous
avons décidé ensemble de classer dans l’agenda, parmi d’autres sujets.
Ce rêve sera présenté suivant les modèles de Freeman et Boyll (1992) et Freeman
et White (2004). x
64 Thérapies cognitives et émotions

x Date
Dimanche 4 septembre.
Rappel du rêve
Je suis à l’église. Je suis assise et, en haut de ma tête, il y a un socle et, dans les
niches, il y a des statues qui tournent et je ne sais pas sur qui elles finiront par
tomber ! Il y a, à côté de moi, ma collègue antipathique.
Émotions
Je suis crispée, nerveuse et j’ai peur. J’évalue ces émotions à 90 car elles sont
très fortes.
Pensées et associations
Iris : « J’ai peur des statues depuis toujours et chaque fois que j’en vois une, je
suis très anxieuse. Je pense que j’ai associé ma collègue que je n’aime pas et qui
m’angoisse face aux statues. »
La psy : « Croyez-vous que nous pouvons chercher ensemble d’autres associa-
tions pour ce rêve ? »
Iris : « Je vois juste que j’ai toujours peur des statues. »
La psy : « Cette collègue avec qui vous ne vous sentez pas à l’aise, pourriez-
vous, de façon affirmée, lui dire que vous alliez changer de place pour que les
statues ne tombent pas sur vous ? »
Iris : « Non, je suis passive, j’ai peur de déclencher des conflits, je n’ai pas le droit
de m’affirmer. »
La psy : « Est-ce que maintenant, vous pouvez imaginer des associations entre
les statues et votre collègue antipathique ? »
Iris : « Oui, j’ai peur des statues depuis toujours car j’ai l’impression qu’elles
me regardent en me jugeant et étant donné que cette collègue antipathique me
critique souvent, je l’ai associée aux statues. »
La psy : « Iris, ce rêve sort de votre propre imagination ; vous avez été le metteur
en scène, l’actrice et la productrice. La seule personne qui peut restructurer, reca-
drer et reproduire ce rêve, c’est uniquement vous. Pourriez-vous réfléchir à un
scénario différent et plus créatif que vous auriez pu réaliser dans votre rêve ? »
La restructuration adaptée du rêve
Iris essaye de changer le matériel du rêve de la manière suivante :
« Je peux regarder les statues et me dire qu’elles sont très hautes et qu’elles ne
pourront pas tomber sur moi, parce que si elles bougent, je le saurai et je me
protégerai en m’éloignant.
Je peux devenir plus active et plus affirmée et, au lieu d’être effrayée et angois-
sée, je peux prendre la collègue et la mettre également dans une niche. Ainsi,
elle ne sera plus effrayante et ne pourra pas m’atteindre. Je pourrai également
commencer à m’exprimer plus souvent et défendre mes droits, après tout j’ai les
mêmes droits que les autres. »
Réévaluation des émotions
« Avec ma meilleure compréhension des origines de mes peurs et de mes doutes,
je crois pouvoir baisser le degré de mes émotions de 90 à 40. »
L’intégration des rêves dans la thérapie cognitive émotionnelle 65

Conclusion
D’un point de vue développemental, le sommeil et l’expérience du rêve
sont très importants pour l’être humain car ce dernier dépense approxima-
tivement 1/12e de sa vie dans cet état d’existence (Doweiko, 2004, Rosner
et coll., 2004).
Utilisés de manière active ou plus simplement, pour collecter les infor-
mations, les rêves sont souvent les moyens les plus courts pour découvrir ce
que Beck (1971) appelle « les patterns cognitifs et irréalistes ».
Tout au long de ce chapitre, nous avons constaté que le processus du
rappel et la discussion prennent place pendant l’état d’éveil et les constel-
lations cognitives utilisées par le patient contiendraient les mêmes dis-
torsions que ce dernier utiliserait normalement pour interpréter la réalité
extérieure.
Les thérapeutes des deux tendances de thérapie, cognitive objectiviste
et cognitive constructiviste, considèrent l’usage des rêves comme un outil
thérapeutique très précieux et efficace. Ils sont également unanimes sur la
valeur thérapeutique de la restructuration des thèmes des rêves dans la vie
éveillée des patients.
Le travail de Beck sur les rêves a été très important, car les premières
formulations de la thérapie cognitive proviennent des études sur les rêves.
L’usage des rêves en thérapie cognitive permet aux patients de jouer un
rôle actif et créatif en explorant leurs rêves et en en comprenant le sens, et
de parvenir à certains insights.
Les recherches concernant l’interprétation des rêves, en général, et le
modèle de Hill, en particulier, sont actuellement à leurs débuts. Beck
(1971) est convaincu que le modèle cognitif des rêves offre une alter-
native au point de vue de Freud (1900), qui consiste à considérer les
rêves à la fois comme un moyen de la réalisation du désir et le gardien
du sommeil. Le thérapeute cognitiviste doit éviter le piège des symboles
universels de rêve. Après cette revue de l’usage des rêves et les méta-
phores des rêves, nous emprunterons notre conclusion à Frédéric Perls
(cité in Fagan et Shepherd, 1970) : « Freud appela le rêve la voie royale
vers l’inconscient, moi, je crois que le rêve est réellement la voie royale
vers l’intégration ».

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4 La thérapie basée
sur la pleine conscience :
mindfulness, cognition
et émotion
P. Philippot

La thérapie de « pleine conscience » se nourrit du bouddhisme, tout en res-


tant attachée à la tradition cognitive. Elle est destinée à prévenir les rechutes
dépressives chez les patients en rémission d’une dépression unipolaire récur-
rente. Lors d’état de tristesse passager, les patients ayant déjà eu plusieurs épi-
sodes dépressifs ont tendance à réactiver automatiquement des pensées, des
émotions négatives qui peuvent déclencher une rechute. La thérapie cognitive
de pleine conscience, vise la mise au jour de ce mode de fonctionnement de
l’esprit et favorise la construction d’une nouvelle attitude à l’égard des pen-
sées et des émotions négatives. Les pensées sont alors vues comme de simples
événements mentaux, indépendamment de leur contenu et de leur charge
émotionnelle. Il faut les observer avec détachement et bienveillance. Ce pro-
gramme intègre des techniques de thérapie cognitive avec la pratique de la
méditation. La méditation permet en particulier de se centrer sur le présent,
de ne pas se laisser entraîner par les ruminations négatives. Le sujet peut alors
sortir de la spirale de la tristesse en se déconnectant des pensées négatives, qui
sont des phénomènes impermanents. Quelques travaux contrôlés suggèrent
un effet de cette thérapie dans la prévention des rechutes de patients dépres-
sifs. Elle peut aussi être une méthode pour aider les personnes normales à
vivre mieux. Elle peut aider les thérapeutes. Enfin, elle a été utilisée aussi bien
pour les patients que pour les thérapeutes dans les programmes de thérapie
comportementale dialectique de Marsha Linehan.

Depuis une dizaine d’années, les interventions basées sur la pleine


conscience connaissent un succès important dans les pays anglo-saxons
des deux côtés de l’Atlantique. En Europe francophone, cette nouvelle
approche suscite un intérêt certain, tant parmi le public, que parmi les
professionnels de la santé mentale. Cependant, les interventions basées sur

Thérapies cognitives et émotions


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70 Thérapies cognitives et émotions

la pleine conscience y sont encore mal connues et il y a très peu de théra-


peutes formés à cette approche.
Le présent chapitre a pour ambition de présenter les interventions basées
sur la pleine conscience aux professionnels francophones de la santé men-
tale. Cette approche sera définie et les procédures d’intervention concrète-
ment décrites. Nous en examinerons les processus impliqués et les domaines
d’application. Les similitudes et différences entre cette nouvelle approche
et les thérapies comportementales et cognitives classiques seront débattues.
Nous terminerons par une discussion du développement possible des inter-
ventions basées sur la pleine conscience dans les pays francophones.

Définition de la « pleine conscience »


Kabat-Zinn (2003) a défini la pleine conscience comme un état de
conscience qui résulte du fait de porter son attention intentionnellement,
sur l’expérience qui se déploie au moment présent, sans la juger. Chaque
élément de cette définition est nécessaire pour cerner le concept de pleine
conscience. Il s’agit donc d’un état de conscience qui résulte d’une action
volontaire : le fait de volontairement maintenir son attention sur un élément
donné. En d’autres termes, la pleine conscience implique le recrutement
des processus d’attention soutenue. L’objet de l’attention est également impor-
tant, il s’agit de l’expérience directe, personnelle et présente de l’individu,
expérience qui fluctue sans cesse. Dans le cadre de la pleine conscience,
l’expérience présente est principalement opérationnalisée par les données
sensorielles immédiates, par exemple les sensations corporelles, ce que l’indi-
vidu voit, sent, entend, goûte. L’expérience présente peut aussi être les pen-
sées et les images mentales qui surgissent spontanément dans le champ de la
conscience. En résumé, pour entrer dans un état de pleine conscience, l’indi-
vidu est donc invité à focaliser toute son attention sur les données de son
expérience directe, par exemple, sur sa respiration, ou plutôt sur les sensations
corporelles engendrées par sa respiration.
La centration de l’attention sur l’expérience présente ne suffit pas. Il faut
en plus le faire dans un certain état d’esprit, en entretenant une certaine atti-
tude : l’attitude de non-jugement. Cette attitude de non-jugement implique
le fait d’accueillir toutes les facettes de l’expérience présente, qu’elles sem-
blent a priori agréables ou désagréables, et de les explorer avec la même
curiosité bienveillante. En effet, notre tendance naturelle est de rechercher
les aspects plaisants de nos expériences et de rejeter, minimiser ou nier les
aspects déplaisants. Dans la pleine conscience, contrairement à la relaxa-
tion, par exemple, nous ne cherchons pas à promouvoir un état physique
ou psychologique agréable ou détendu. Nous cherchons plutôt à prendre
conscience le plus pleinement possible de toutes les facettes de notre état
actuel, qu’elles soient positives ou négatives. Le but n’est pas non plus de
ne pas avoir d’a priori. Les jugements que nous portons immédiatement sur
toute donnée de notre expérience sont pour la plupart automatiques et il
serait vain d’essayer de les supprimer (McNally, 1995). Le but est plutôt de
La thérapie basée sur la pleine conscience : mindfulness, cognition et émotion 71

ne pas nous laisser emporter par ces jugements, de ne pas les laisser gouver-
ner notre attention. Il s’agit de les observer comme des créations de notre
esprit, comme des données de notre expérience ici et maintenant. Pour
utiliser la métaphore d’un participant à un groupe de pleine conscience, il
s’agit d’apprendre à « débrayer » par rapport aux jugements de nos expé-
riences qui surviennent spontanément. En pleine conscience, nous allons
jusqu’à ne pas juger le jugement.
La définition à contrario de la pleine conscience est l’état de « pilote auto-
matique ». Nous avons tous fait l’expérience, alors que nous conduisions
sur un chemin familier, de nous retrouver à un endroit donné en constatant
que nous n’avons aucune conscience de ce qui s’est passé dans les dernières
minutes. Nous savons que nous avons dû emprunter tel chemin, mais
nous n’en gardons aucun souvenir conscient. Notre esprit était totalement
absorbé dans des pensées qui nous ont déconnectés de notre expérience
directe. Cet état de « pilote automatique » est exactement l’opposé de l’état
de pleine conscience.
En résumé, la pleine conscience est un état mental qui résulte du fait de
centrer notre attention, volontairement, sur notre expérience présente dans
ses aspects sensoriels et mentaux, cognitifs et émotionnels, sans poser de
jugement.

L’origine et le développement
de la pleine conscience en psychothérapie
Les origines historiques
La notion et la pratique de la pleine conscience ont été particulièrement
développées dans le bouddhisme dont elles constituent le cœur de la médi-
tation depuis deux millénaires et demi. Cependant, différents chercheurs et
cliniciens ont pensé que cette approche pouvait être utile aux occidentaux,
sans pour autant souscrire au contexte culturel et religieux d’origine de la
pleine conscience (Baer, 2003). Jon Kabat-Zinn (1985 ; 2000) a été le premier
à élaborer, dès la fin des années  1970, un programme structuré, visant le
développement de la pleine conscience, le Mindfulness-Based Stress R­ eduction
program (MBSR), programme de réduction du stress basé sur la pleine
conscience. Ce programme, développé dans un contexte médical, a servi
de base ou de référence au développement des programmes ultérieurs. Il sera
décrit en détail plus loin (voir page 74).

Le développement actuel de la pleine conscience


en psychothérapie
Il y a actuellement deux programmes exclusivement basés sur la pleine
conscience qui ont été publiés et qui ont fait l’objet de recherches
sérieuses. Il s’agit, d’une part, du programme MBSR de Jon Kabat-Zinn
et, d’autre part, de la thérapie cognitive basée sur la pleine conscience,
72 Thérapies cognitives et émotions

Mindfulness-Based Cognitive Therapy (MBCT), développée par Segal et coll.


(2002  ; 2006). D’autres formes de thérapie font largement appel à la
pleine conscience, notamment la thérapie comportementale dialectique
de Marsha Linehan (2000), la thérapie par l’acceptation et l’engagement,
Acceptance and committment therapy (ACT) d’Hayes (1994), ou la thérapie
de prévention de la rechute pour patients dépendants de Marlatt (1994).
Différents chapitres de cet ouvrage sont consacrés à certaines de ces
approches. Elles ne seront donc pas présentées ici.

La description des traitements exclusivement


basés sur la pleine conscience
Le programme de réduction du stress basé
sur la pleine conscience (MBSR)
Le programme MBSR de Kabat-Zinn (1985) a été développé dans un contexte
hospitalier, initialement pour aider des patients souffrant de douleurs chro-
niques et de troubles liés au stress. Il s’agit d’un programme structuré en
huit séances hebdomadaires, appliqué en groupe de 20 à 30 personnes, pré-
sentant des troubles divers : douleur ou maladie chronique, anxiété, stress
(il n’y a pas de sélection sur base d’un diagnostic). Les séances durent entre
2 heures et 2 heures 30 à l’exception de la 6e séance qui consiste en une
journée entière d’exercices.

L’organisation d’une séance type


Chaque séance débute directement et sans introduction préalable par un
exercice pratique de pleine conscience qui dure généralement 40 minutes.
Ensuite, les participants sont invités à partager leurs impressions (pensées,
sentiments, sensations, tendances à l’action), commentaires et questions
consécutives à leur expérience personnelle de l’exercice. Toute la séance est
conçue de manière à ce que les participants soient ancrés dans leur expé-
rience directe et à éviter tout discours intellectualisant. Les participants
échangent ensuite sur les exercices qu’ils ont effectués durant la semaine
écoulée. Sur base des commentaires, questions et réactions des participants,
l’animateur du groupe aborde le thème spécifique de la séance. Un nouvel
exercice est alors pratiqué. Celui-ci constituera en général en une des tâches
à effectuer à domicile pour la semaine suivante. La séance se termine par
l’assignation des tâches à domicile qui sont identiques pour tous les parti-
cipants. Celles-ci impliquent en moyenne 45  minutes de pratique quoti-
dienne de la pleine conscience, 6 jours sur 7.
Ce dernier point est extrêmement important. Les participants sont
informés avant d’entamer les sessions de groupe et doivent fermement
s’engager à faire les exercices à domicile et à les pratiquer quotidiennement
pendant 45 minutes. En fait, cet engagement constitue le principal critère
La thérapie basée sur la pleine conscience : mindfulness, cognition et émotion 73

­ ’admission dans le groupe de formation à la pleine conscience. Une per-


d
sonne qui n’y souscrit pas n’est pas acceptée. En effet, les bénéfices qui
peuvent être retirés de cette formation dépendent principalement de la pra-
tique quotidienne entre les séances. Cela est confirmé par des recherches
qui ont établi des corrélations fortes entre l’importance de la pratique et les
bénéfices obtenus (Austin, 1997).

Les exercices de pleine conscience


Les exercices proposés aux participants peuvent être classés en deux caté-
gories. Il y a d’une part, des exercices dits « formels » qui sont structurés
et impliquent qu’on leur réserve un temps et un espace propres. Ils sont
généralement assez longs (entre 20 et 45 minutes). D’autre part, il y a des
exercices « informels ». Il s’agit là principalement de pratiquer des activi-
tés quotidiennes en pleine conscience plutôt qu’en pilote automatique.
Qu’ils soient formels ou informels, les exercices ne constituent jamais
un but en eux-mêmes. Ils ne sont que des prétextes pour développer la
capacité de pleine conscience.

Les exercices formels


Les exercices formels sont principalement de type méditatif. Le premier à
être enseigné est le balayage corporel (body scan). Il se pratique couché.
Après une prise de conscience des points de contact avec le sol et de la
respiration, le participant est invité à centrer son attention sur une partie
du corps (par exemple, le genou gauche) et à ressentir les sensations corpo-
relles qui s’y manifesteraient. L’attention est ensuite guidée sur différentes
parties du corps une à une et l’exercice se termine par une centration sur la
conscience du corps comme un tout.
Chaque fois que l’attention est distraite par une pensée, une image, une
sensation, un bruit, ou un quelconque élément distracteur, les participants
sont invités à prendre le plus pleinement possible conscience du distracteur
et à ensuite rediriger leur attention sur le point de focalisation de l’exer-
cice. Les distractions sont présentées comme normales. Les participants
sont encouragés à développer une attitude d’acceptation et de patience
par rapport à celles-ci, tout en maintenant la détermination de garder, du
mieux qu’ils peuvent, leur attention focalisée sur l’objet de la méditation.
Les participants sont également incités à développer une attitude de curio-
sité bienveillante par rapport à leur expérience, quelle qu’en soit la tonalité
affective. Cette attitude mentale d’ouverture au vécu est encouragée pour
tous les types d’exercices de pleine conscience.
Dès la seconde séance, un exercice de méditation est proposé. Les parti-
cipants sont invités à trouver une position assise qui soit confortable, qui
puisse être maintenue pendant une longue période de temps sans bouger,
et qui incarne une attitude de présence et de dignité, un mélange d’état
de vigilance et de sérénité. Dans cette position, ils sont conviés à centrer
leur attention sur leur respiration, en commençant par les mouvements du
74 Thérapies cognitives et émotions

­ entre. Lors des séances ultérieures, l’exercice de méditation est complété


v
par d’autres focalisations attentionnelles, par exemple, sur les sensations
corporelles, les sons ou les pensées qui surviennent spontanément. Enfin,
lors de la 5e séance, les participants sont invités à activer pendant la médi-
tation l’évocation d’une situation personnelle difficile (par exemple, un
conflit interpersonnel toujours actif) et d’observer les effets de cette évoca-
tion sur leurs réactions mentales et surtout corporelles.
Des exercices faisant plus intervenir le corps sont également proposés.
Il s’agit principalement d’exercices de yoga ou d’étirement en pleine
conscience. La marche en pleine conscience, telle que pratiquée dans le
Zen, est également utilisée.
Enfin, un dernier type d’exercice formel est de type court et se pratique en
1 à 3 minutes : l’espace respiratoire (breathing space) ou « mini-méditation ».
Il consiste en trois temps. Dans le premier, les participants prennent
conscience de leur état ici et maintenant, tant au niveau de leurs sensa-
tions  corporelles que de leur espace mental (cognitions et émotions).
Ensuite, ils se focalisent sur la respiration. Et enfin, ils redéploient leur
conscience sur leur corps et leur environnement.

Les exercices informels


Les exercices informels consistent principalement en des activités quoti-
diennes, souvent effectuées de manière automatique et sans conscience,
mais qui, pour les besoins de l’exercice, sont effectuées en pleine conscience.
Les participants sont donc invités à se centrer sur leur expérience directe,
sur leurs sensations corporelles, sur toutes informations sensorielles, pen-
sées, et images mentales durant ces activités. L’activité elle-même peut
être le fait de se brosser les dents, de manger un fruit, de sortir les pou-
belles, etc. L’important est de la faire dans la même volonté de centration
de l’attention et dans la même attitude mentale que celle décrite pour les
exercices formels, c’est-à-dire avec ouverture et bienveillance, comme une
expérience, un simple jeu.

La thérapie cognitive basée sur la pleine conscience


(MBCT)
La thérapie cognitive basée sur la pleine conscience (MBCT) est l’adap-
tation du programme MBSR pour en faire un programme de prévention
de la rechute dépressive (Segal et coll.,  2002 ; 2006). Il comporte deux
modifications par rapport au programme MBSR. D’une part, la partie psy-
choéducative est exclusivement centrée sur l’explication de la nature et le
fonctionnement de la dépression ainsi que sur les stratégies de coping les
plus adaptées pour faire face à la rechute dépressive. D’autre part, certains
éléments de thérapie cognitive sont inclus dans le programme. Il s’agit prin-
cipalement du fait qu’une insistance particulière est donnée au message
déjà bien présent dans le programme MBSR : « les pensées ne sont pas des
faits, ce ne sont que des pensées, même celles qui prétendent le contraire ».
Le nombre de participants dans les groupes MBCT est souvent moindre
(maximum une douzaine) que dans les groupes MBSR.
La thérapie basée sur la pleine conscience : mindfulness, cognition et émotion 75

L’application de la pleine conscience


L’apprentissage de la pleine conscience constitue avant tout une stratégie
de prévention secondaire. Il est clairement présenté comme n’étant pas une
psychothérapie, mais plutôt une approche de développement personnel,
centrée sur une capacité proprement humaine : la prise de conscience de son
expérience personnelle. Il est suggéré que cette capacité est bénéfique dans
une variété de situations incluant la gestion d’émotions difficiles ou pénibles.
L’apprentissage de la pleine conscience a été proposé aux populations les
plus diverses : personnes souffrant d’anxiété ou de dépression récurrente, de
douleur chronique, d’un cancer, d’insomnie, de trouble anxieux, etc.

Les critères d’inclusion des participants


à un programme de pleine conscience
Il n’y a pas réellement de critères formels d’exclusion ou d’inclusion pour
les participants à un groupe de pleine conscience (si ce n’est l’absence de
trouble psychotique aigu). Un des aspects primordiaux est la capacité et
la détermination de la personne à effectuer quotidiennement 45 minutes
d’exercice. Une personne trop déprimée ou dont les ressources cognitives
sont amoindries risque de ne pas avoir la capacité de centrer son atten-
tion pendant de longues périodes de temps et de se décourager. Il est alors
conseillé d’attendre la restauration de ressources attentionnelles suffisantes
avant d’entamer un programme d’apprentissage de la pleine conscience.
La détermination et la capacité à libérer 45 minutes de temps pour les
exercices constituent souvent un obstacle important. Cette exigence radi-
cale est cependant, selon les auteurs (par exemple Kabat-Zinn, 2003), une
des raisons de l’efficacité du programme. En effet, cette exigence entraîne
une réorganisation de la vie quotidienne pour pouvoir libérer le temps
d’exercice, et cette réorganisation d’agenda est souvent la source d’un ques-
tionnement très concret sur les buts et les valeurs qui déterminent nos
actions au quotidien.
Dans notre expérience clinique, nous avons également constaté que le
programme est à déconseiller aux personnes présentant une tendance à la
dissociation ou des phobies de type interceptif (attaque de panique, hypo-
condrie, etc.). En effet, beaucoup d’exercices impliquent une centration sur
les sensations corporelles. Cette focalisation sur le corps est souvent vécue
comme une exposition trop confrontante pour ces personnes.

Les domaines d’applications et d’efficacité


de la pleine conscience
La pleine conscience a été appliquée à de nombreux domaines. Dans une
revue compréhensive de la littérature, Baer (2003) a examiné les domaines
pour lesquels des études d’efficacité ont été effectuées. Les domaines pour
lesquels une présomption d’efficacité existe concernent notamment :
• une série de troubles de l’axe I du DSM-IV (APA, 1994) : troubles anxieux,
dépression et troubles des conduites alimentaires ;
76 Thérapies cognitives et émotions

• la douleur chronique ;
• certains autres troubles psychosomatiques (par exemple psoriasis,
fybromyalgie). La pleine conscience a également été proposée à différentes
populations hospitalières, notamment des personnes souffrant de cancer.
Des essais cliniques ont aussi été menés dans l’insomnie et même dans les
problèmes de couple (Smith, 2004).
En ce qui concerne l’efficacité, en termes de réduction des symptômes
psychologiques centraux de ces troubles, la taille d’effet moyen est de .74,
ce qui marque une efficacité modérée à bonne. Baer (2003) conclut sa méta-
analyse en indiquant que les programmes MBSR et MBCT sont conformes
aux critères de « traitements probablement efficaces » selon les critères de
l’APA (1995). La difficulté principale à rencontrer le label « traitement bien
établi comme efficace » consiste en ce que ce label implique que le traite-
ment s’adresse à une population spécifique, ce qui n’est pas le cas de MBSR.
Actuellement, grâce à des réplications d’études d’efficacité dans des labo-
ratoires différents, le programme MBCT réunit les critères des traitements
bien établis comme efficaces.
Récemment, dans notre laboratoire, nous avons pu établir l’effet bénéfique
de la pratique de la pleine conscience dans le traitement de l’acouphène
chronique invalidant (Philippot et coll.,  2006a). Des patients sévèrement
handicapés par un acouphène chronique ont d’abord bénéficié d’une séance
de psychoéducation. Ensuite, ils ont été répartis aléatoirement dans deux
groupes de traitement, l’un consistant en six séances d’apprentissage de la
relaxation de type Jacobson (une méthode déjà démontrée efficace dans la
gestion des acouphènes), l’autre en six séances du programme MBSR. Les
deux traitements ont montré une efficacité importante, mais semblable,
dans la réduction des émotions négatives, des ruminations et des handicaps
subjectifs suscités par l’acouphène. Le groupe de pleine conscience a pré-
senté une légère supériorité dans la réduction de l’irritabilité, un symptôme
majeur de cette affection. Cependant, au suivi de trois mois, les partici-
pants du groupe de pleine conscience ont montré une consolidation des
bénéfices du traitement, alors que les participants du groupe de relaxation
montraient une détérioration. Les bénéfices à moyen terme de la pleine
conscience semblent donc supérieurs.
Actuellement, des tentatives d’utilisation de l’apprentissage de la pleine
conscience sont faites dans bien des domaines, tant au niveau clinique,
qu’au niveau institutionnel (école, prison, gestion du stress au travail, etc.).
Nous ne disposons pas encore de données empiriques suffisamment solides
pour attester du bien-fondé de ces applications.

Le processus d’action de la pleine conscience


Une manière alternative de considérer les applications possibles de la pleine
conscience est d’examiner les processus psychologiques sur lesquels elles
agissent et de les utiliser dans les cas où ces processus doivent être mobili-
sés. Malheureusement, il n’existe pas de modèle bien établi pour spécifier
La thérapie basée sur la pleine conscience : mindfulness, cognition et émotion 77

les processus activés par la pleine conscience. Ceci est notamment dû au


fait qu’il s’agit de l’importation, dans le domaine clinique, d’une pratique
spirituelle multimillénaire et non d’une technique thérapeutique dérivée
d’un modèle théorique scientifique. Un des défis pour le développement
futur de la pleine conscience est sans nul doute la constitution d’une base
théorique permettant la modélisation de cette technique. Néanmoins, il
existe une série de spéculations fondées quant aux processus qui seraient
mobilisés par la pleine conscience (Baer, 2003) et que nous allons détailler
ci-après.

L’exposition
La pratique de la pleine conscience implique très certainement des proces-
sus d’exposition prolongée avec prévention de la réponse de fuite, évite-
ment, et de non-acceptation de l’expérience. Par exemple, dans le cas de
la douleur chronique, les patients sont invités à centrer leur attention sur
les sensations de douleur, à les observer, les décrire et les explorer, tout
en restant assis, sans bouger et sans essayer de supprimer les sensations.
De même, les patients anxieux ou déprimés sont invités à considérer de
la même manière leurs pensées anxiogènes ou dépressogènes. L’individu
est donc amené à se confronter avec la réalité nue de son expérience, sans
déni, sans évitement. Dans le cas de l’anxiété, les exercices peuvent parfois
s’apparenter à de l’exposition intéroceptive, une intervention reconnue
comme particulièrement efficace (Barlow et Craske, 2000).

Les changements cognitifs


À nos yeux, une des particularités les plus intéressantes de la pleine
conscience est le changement qu’elle permettrait d’opérer sur les boucles
de ruminations mentales qui entretiennent l’affectivité négative (Watkins,
2004). D’après Teasdale et coll. (1995), l’efficacité de la pleine conscience
dans la prévention de la dépression tient au fait que l’entraînement de la
focalisation attentionnelle volontaire permet de désamorcer les boucles de
pensées négatives qui s’autoalimentent de manière automatique pendant la
rumination. La pratique de la pleine conscience permettrait de rester centré
sur l’expérience présente, de manière concrète et spécifique, en s’opposant
ainsi aux ruminations qui sont abstraites et générales, souvent centrées sur
le passé ou le futur (Borkovec et Hinz, 1990). De manière congruente, des
recherches expérimentales ont permis de démontrer que la pratique de la
pleine conscience augmentait la capacité à accéder à des souvenirs person-
nels de manières concrète et spécifique (Williams et coll., 2000 ; Philippot
et coll., 2006b).
Un autre changement cognitif induit par la pratique de la pleine
conscience est la relativisation des pensées et le questionnement de leur
valeur de vérité. Comme énoncé plus haut, un accent particulier est mis sur
le fait de considérer les pensées comme des pensées, c’est-à-dire comme des
créations de notre esprit et non comme le reflet de la réalité. Cet aspect est
assez proche de certaines stratégies de thérapie cognitive.
78 Thérapies cognitives et émotions

L’acceptation
Nous avons souligné l’importance d’une attitude mentale d’acceptation
et d’ouverture à l’expérience, quelle qu’elle soit, pendant les exercices de
pleine conscience. Il s’agit en fait de promouvoir un processus d’accepta-
tion active (et non de résignation) de notre réalité, telle qu’elle est, afin
de pouvoir au mieux décider si une action doit être entreprise (et le cas
échéant, laquelle), ou s’il vaut mieux s’accommoder d’une situation sur
laquelle nous n’avons que modérément prise. Cette attitude correspond
tout à fait à celle promue tant par la thérapie par acceptation et engagement
que par la thérapie comportementale dialectique pour lesquelles un chan-
gement émotionnel profond n’est possible que quand l’individu a reconnu
et accepté l’émotion qui l’habite, avec ses implications en termes de buts et
de désirs, avoués ou non.

La gestion de soi
La pleine conscience implique l’observation de soi, principalement de ses
réactions émotionnelles automatiques. Cette observation entraîne une
meilleure connaissance de soi et des conséquences de ses modes de réac-
tions spontanés. Ceci permet d’imaginer des alternatives et d’accroître la
palette des modes de réactions possibles. L’observation de soi permet éga-
lement de détecter plus rapidement les signes avant-coureurs d’une fragili-
sation de son état psychologique et d’y réagir de manière préventive avant
que la situation ne se dégrade trop.

La relaxation
Le but explicite des exercices de pleine conscience n’est pas de se relaxer, ni
de générer un état particulier, si ce n’est d’être pleinement conscient de son
expérience présente, quelle qu’elle soit. Cependant, les exercices de pleine
conscience peuvent engendrer un état de relaxation, surtout quand ils sont
pratiqués régulièrement depuis un certain temps. Cet effet secondaire et
non recherché entraîne évidemment les bénéfices liés à la relaxation.

La comparaison avec les thérapies


comportementales et cognitives et spécificité
de l’approche par pleine conscience
Les similitudes entre les deux approches
Les interventions basées sur la pleine conscience présentent de nombreux
points communs avec les thérapies cognitives et comportementales clas-
siques. La plupart de ces interventions ont d’ailleurs été conçues et publiées
par des praticiens et des chercheurs dont la formation de base est de type
cognitivocomportementale.
Un des premiers points communs est le fait que ces interventions sont
formellement limitées dans le temps (entre 8 séances, MBCT et MBSR, et
La thérapie basée sur la pleine conscience : mindfulness, cognition et émotion 79

50  séances, thérapie comportementale dialectique). Un contrat clair et


explicite est chaque fois présenté aux participants. Les interventions sont
bien structurées et ont été consignées dans des protocoles clairs et opéra-
tionnels. Il y a également dans les deux approches un souci de validation
empirique de l’efficacité de l’intervention qui se concrétise dans des pro-
grammes de recherche systématiques.
Un autre domaine de similitude concerne les processus de changement
impliqués : l’exposition, les auto-observations, les changements cognitifs,
la relaxation, etc. Tous ces processus sont mobilisés par les deux approches,
même si c’est par des moyens différents : de manière directe et explicite dans
les thérapies comportementales et cognitives, et de manière indirecte
dans les approches basées sur la pleine conscience.
Enfin, une autre similitude entre les deux approches est qu’elles sont
toutes les deux basées sur l’ici et maintenant. Les approches basées sur la
pleine conscience sont totalement focalisées sur l’expérience immédiate
de l’individu. Les thérapies comportementales et cognitives mettent avant
tout l’accent sur le fonctionnement actuel de l’individu, même si ses anté-
cédents historiques ne sont pas niés.

Les différences entre les deux approches


Une des principales différences entre les approches basées sur la pleine
conscience et les thérapies comportementales et cognitives classiques
concerne les objectifs thérapeutiques explicites. En thérapie comportemen-
tale et cognitive, les objectifs sont centraux : ils sont explicités, négociés
et discutés avec le client, un contrat explicite est conclu à leur sujet et des
évaluations régulières sont effectuées pour s’assurer de la bonne progression
vers ceux-ci.
La perspective des approches basées sur la pleine conscience est diamétra-
lement opposée à cette attitude. Les clients y sont explicitement encouragés
à ne pas tendre vers un but, à ne pas rechercher à atteindre un état ou une
performance particulière. Il leur est demandé de faire les exercices du mieux
qu’ils peuvent, sans soucis de bien ou de mal faire, simplement de faire les
exercices et de ne pas attendre de résultats immédiats. Bien plus, il leur est
dit que la meilleure manière d’arriver à un changement dans le domaine
émotionnel est de ne pas se mettre en attente de changement, mais de
développer une attitude d’acceptation pour son expérience actuelle.
L’idée qui préside ici est que le fait de se mettre en attente d’un change-
ment restreint la perception de l’expérience actuelle qui est alors décodée
en termes de rapprochement ou d’éloignement quant aux objectifs. Cette
attitude constitue alors une forme de jugement ou de non-acceptation qui
est opposée au principe même de la pleine conscience.
Une autre différence, corollaire à la précédente, est le fait que, contrai-
rement aux thérapies comportementales et cognitives, les interventions
basées sur la pleine conscience ne visent pas à changer le contenu de cogni-
tions qui seraient irrationnelles. Au contraire, le but de la pleine conscience
est d’amener la personne à accepter ses cognitions telles quelles, c’est-à-dire
80 Thérapies cognitives et émotions

pour ce qu’elles sont réellement : des créations transitoires de notre esprit,


et non le reflet exact de la réalité. En aucun cas, la personne n’est encoura-
gée à analyser ses cognitions ou à débusquer leurs aspects irrationnels ou
biaisés. Au contraire, elle y est découragée, car il s’agirait d’une forme de
jugement, contraire au principe de la pleine conscience.
Une troisième différence est le fait que la pratique personnelle de la
pleine conscience par l’intervenant est essentielle dans ce mode de prise
en charge. La plupart des approches basées sur la pleine conscience exigent
même une pratique régulière de la médiation en pleine conscience comme
condition nécessaire pour pourvoir être un intervenant. Cette exigence
entraîne un style de relation thérapeutique propre. Dans le contexte de la
pleine conscience, l’intervenant n’est pas dans une position forte de savoir
et d’éducateur comme il l’est dans les interventions cognitives et compor-
tementales classiques. Il effectue tous les exercices avec les participants et
partage au même titre ses expériences avec le groupe. La relation thérapeu-
tique est donc plus égalitaire. L’intervenant a donc le rôle de guide et de
modèle dans un processus de développement personnel.

La spécificité des approches basées sur la pleine


conscience
Au-delà des similitudes et des différences avec les thérapies comportemen-
tales et cognitives, les approches basées sur la pleine conscience présentent
des spécificités propres. La principale est sans doute qu’elles sont entière-
ment focalisées sur une approche très concrète et expérientielle du vécu
et qu’elles récusent totalement toute interprétation intellectuelle et abs-
traite, détachée de l’expérience directe de l’individu. L’objectif essentiel de
la pleine conscience n’est pas de comprendre et encore moins d’analyser et
de changer les contenus mentaux de l’individu, émotions ou cognitions.
Il s’agit plutôt de modifier le mode de relation et l’attitude de l’individu
par rapport à ses contenus mentaux, tels qu’il les expérimente ici et main-
tenant. Les approches basées par la pleine conscience favorisent donc un
mode de connaissance de soi holistique, basé sur la prise de conscience du
vécu, feeling  : savoir par expérience, plutôt qu’un mode de connaissance
analytique, basé sur des inférences et des déductions, knowing : savoir par
connaissance, (Forgas, 2000).
Les approches basées par la pleine conscience se situent clairement dans
ce qui est souvent appelé la troisième vague en thérapies comportementales
et cognitives : la première étant comportementale, la seconde cognitive et
la troisième centrée sur l’attitude par rapport aux expériences émotion-
nelles personnelles (Teasdale, 2005). Comparativement aux deux premières
vagues, la troisième privilégie la relation thérapeutique et met moins
l’accent sur les aspects techniques des interventions. Elle promeut l’accep-
tation de l’expérience vécue et des valeurs fondamentales de l’individu.
Cependant, les thérapies comportementales et cognitives et les
­interventions basées sur la pleine conscience ne sont certainement pas
La thérapie basée sur la pleine conscience : mindfulness, cognition et émotion 81

a­ ntithétiques. En de nombreux points, elles peuvent s’enrichir mutuelle-


ment. Par exemple, notre pratique clinique cognitive et comportementale
a été fortement influencée par les approches basées sur la pleine conscience
en ce qui concerne les procédures d’exposition. Plutôt que d’apprendre aux
clients à se confronter à leurs situations phobogènes en leur donnant des
outils permettant de contrôler leur anxiété (mode d’intervention compor-
tementale classique), notre attitude est maintenant de les exposer à leurs
émotions, non pas pour les contrôler ou en diminuer l’intensité, mais pour
apprendre à les accepter et à les considérer pour ce qu’elles sont : le résultat
de notre manière de percevoir les choses, et non la réalité. Cette attitude
est assez proche de celle qui a été récemment préconisée par Barlow dans le
développement de son nouveau programme d’intervention basé sur l’expo-
sition et la tolérance aux émotions (Barlow et coll., 2004).

L’implication de la pleine conscience


pour les thérapeutes et les équipes thérapeutiques
Du fait de l’obligation de pratique personnelle de la pleine conscience
par les intervenants, certains changements sont induits dans les équipes
utilisant ces interventions. Par exemple, dans la mise en application de
son programme de thérapie comportementale dialectique, Linehan (2000)
recommande de commencer chaque réunion d’équipe par un court exer-
cice de pleine conscience. L’idée est que le thérapeute et l’équipe doivent
incarner dans leurs relations et attitudes, l’esprit d’ouverture et de tolérance
de la pleine conscience, s’ils veulent le transmettre de manière crédible et
efficace aux participants. Dans certaines équipes, les membres effectuent
ensemble des retraites de méditation. Ainsi, les changements du style thé-
rapeutique entre intervenants et clients évoqués plus haut, se généralisent
également entre les intervenants d’une même équipe.

Le développement de la pleine conscience


en francophonie
La pleine conscience est à l’aube de son développement en francophonie
où il y a encore très peu d’intervenants formés à ce type d’intervention.
Actuellement (2006), en Europe francophone, il n’y a que deux centres
qui offrent régulièrement les programmes MBCT et MBSR : les hôpitaux
universitaires de Genève et les consultations psychologiques spécialisées de
l’université de Louvain-la-Neuve (Belgique). Le premier atelier de formation
pour thérapeutes a été organisé en août 2004 en Suisse et le second en mai
2006 en Belgique. Comparativement aux milliers d’intervenants formés
dans les pays anglo-saxons, le poids relatif de la francophonie reste donc
encore très faible. Cependant, la situation change rapidement. Une forte
demande s’exprime dans les pays francophones, tant de la part du public
qui recherche de plus en plus cette forme de traitement, que de la part
82 Thérapies cognitives et émotions

des professionnels qui souhaitent se former aux interventions basées sur la


pleine conscience.
Il existe actuellement un site Internet francophone entièrement dédié
à la pleine conscience comme intervention thérapeutique (www.ecsa.ucl.
ac.be/mindfulness). Outre des informations générales relatives à la pleine
conscience, ce site offre une bibliographie francophone sur le sujet, la pos-
sibilité de télécharger des enregistrements d’exercices ou les verbatims des
instructions d’exercice. Le site indique également les formations en cours
ou projetées. Enfin, il reprend une série de liens utiles vers d’autres sites
(anglophones) sur la pleine conscience.
Un autre élément de développement important est la traduction fran-
cophone toute récente du livre de Segal et coll. (2002 ; traduction 2006).
Outre une introduction aux interventions basées sur la pleine conscience
et au programme MBCT en particulier, cet ouvrage comporte un manuel
reprenant des descriptions détaillées de chaque session ainsi que de nom-
breux exemples cliniques.

Conclusion
Les interventions basées sur la pleine conscience s’inscrivent dans la troi-
sième vague qui anime actuellement le mouvement des thérapies compor-
tementales et cognitives au sens large. Elles sont centrées sur la prise de
conscience de l’expérience directe, ici et maintenant. À ce titre, elles impli-
quent une exposition forte aux émotions et un changement de perspective
cognitive : considérer ses pensées comme la création de son mental plu-
tôt que comme des faits avérés. Elles invitent aussi à apprendre à tolérer
l’inconfort des émotions négatives plutôt que de chercher à le fuir à tout
prix. Elles connaissent actuellement un succès certain dans les pays anglo-
saxons et tout laisse présager un développement imminent dans les pays
francophones. Nous espérons y contribuer par ce chapitre.

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5 La thérapie d’acceptation
et d’engagement :
émotion, contexte
et action
P. Vuille

La thérapie d’acceptation et d’engagement mise au point par Steven Hayes, a


des liens avec les thérapies humanistes, comme la Gestalt thérapie, tout autant
qu’avec la thérapie cognitive. Ce courant considère que de nombreux troubles
psychologiques résultent des efforts pathologiques pour contrôler les émo-
tions, les pensées et les expériences subjectives. Il s’y ajoute une domination
des fonctions cognitives et de la pensée sur le vécu émotionnel. Et comme
troisième processus, Hayes souligne l’absence de contrôle sur les valeurs fonda-
mentales qui doivent guider la vie et l’incapacité à se comporter en accord avec
ces valeurs. La thérapie consiste donc à aider le sujet à se dégager de la pen-
sée, pour avoir un contact direct avec ses émotions vécues. Il faut également
l’aider à adopter une attitude et un comportement cohérents par rapport à ses
propres valeurs.
Le but de la thérapie est donc de se dégager de l’impasse en acceptant ses émo-
tions au lieu de les fuir, ou de les éviter, et dans un deuxième temps de dégager
des valeurs qui permettent de s’engager dans une vie plus satisfaisante. Huit
essais contrôlés de petite taille ont permis un début de validation de cette
méthode dans la dépression, la gestion de l’anxiété et du stress, ou comme
traitement d’appoint dans les états psychotiques. Ce chapitre représente, à ma
connaissance le premier chapitre en langue française sur ce sujet.

La thérapie d’acceptation et d’engagement, ACT, à prononcer comme le


mot « acte » (Hayes, 1999) est une psychothérapie comportementale appar-
tenant à la troisième vague des thérapies comportementales et cognitives
(TCC). Elle repose sur une théorie fonctionnelle du langage, la théorie des
cadres relationnels ou TCR (Hayes, 2001), qui a été élaborée comme un
développement de l’approche scientifique du comportement humain vou-
lue par B.F. Skinner.

Thérapies cognitives et émotions


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86 Thérapies cognitives et émotions

La TCR rend compte des aspects problématiques inhérents à la princi-


pale ressource adaptative de l’humanité dans la lutte pour la survie : nos
compétences verbales restreignent notre aptitude à vivre dans le moment
présent et nous ouvrent la possibilité d’éviter non seulement des situations
extérieures dangereuses mais aussi des états intérieurs désagréables. Cet évi-
tement d’expériences (Hayes, 1996) joue un rôle important dans le dévelop-
pement et le maintien des problématiques définies par les nomenclatures
psychiatriques comme des troubles anxieux, des troubles dépressifs ou des
troubles de la personnalité.
La TCR éclaire aussi la manière dont l’intelligence verbale fonde la pos-
sibilité pour l’être humain d’orienter son comportement en fonction de
valeurs (Wilson et coll., 2004) offrant des perspectives allant au-delà d’expé-
riences de satisfaction à court terme. Le travail sur les valeurs constitue un
des aspects importants de la thérapie.
Toute psychothérapie vise à un changement. L’ACT cherche à favoriser
l’acceptation des événements privés (pensées, images, sensations physiques)
désagréables dans les situations où leur évitement conduit au renoncement
à des actions allant dans le sens des valeurs choisies par le sujet ou à la per-
sistance dans des actions contraires à ses valeurs. Prendre un engagement,
c’est choisir maintenant une attitude future dont on sait qu’elle pourra
entraîner un inconfort à court terme mais contribuera à la direction qu’on
souhaite donner à sa vie.
Le traitement ne vise pas à changer le contenu des événements privés
mais à en modifier le contexte, notamment le contexte de littéralité dans
lequel les sons, qui forment un mot ou une phrase, acquièrent les fonctions
perceptives des réalités qu’ils désignent. Quand ce mouvement réussit, il
permet d’accepter plus facilement des événements privés désagréables.
L’évitement n’est alors plus la seule issue, et l’engagement dans des actions
au service des valeurs choisies devient possible.

Comment l’ACT conçoit-elle la notion


d’émotion ?
L’idée reçue veut que les comportementalistes ne s’intéressent pas aux
émotions. Elle repose sur une confusion avec le behaviorisme watsonien
et son exigence d’un accord entre au moins deux observateurs pour qu’un
phénomène donné puisse faire l’objet d’un discours scientifique. Pour
Skinner, l’étude des événements privés qui n’ont qu’un seul observateur est
aussi importante que celle des événements publics du comportement : les
stimulations prenant naissance à l’intérieur du corps jouent un rôle impor-
tant dans le comportement (Skinner, 1974) et ce que les gens ressentent est
souvent aussi important que ce qu’ils font (Skinner, 1989).
L’ACT fait sienne l’épistémologie pragmatique et contextuelle du beha-
viorisme skinnérien. Dans une telle approche, les notions mécanistes de
« cause » et de « conséquence » ne sont pas pertinentes et on s’intéresse plu-
tôt à la manière dont une variable dépendante va évoluer en fonction d’une
La thérapie d’acceptation et d’engagement : émotion, contexte et action 87

variable indépendante. Du fait de leur statut particulier, les événements


privés ne sont pas manipulables et ne peuvent donc intervenir comme des
variables indépendantes. Les pensées, les émotions et les sensations phy-
siques ne peuvent ainsi pas avoir de statut « causal » dans l’analyse et sont
considérées comme des comportements devant eux aussi être expliqués. Le
fait que des pensées et des émotions puissent influencer le comportement
ouvert n’est pas nié mais on se posera la question des variables contex-
tuelles susceptibles d’établir et de maintenir une telle relation entre événe-
ments privés et comportement ouvert.
Le développement dans les dernières décennies du xxe siècle de travaux
expérimentaux sur l’équivalence des stimuli, la transformation de leurs
fonctions et les processus de dérivation relationnelle a permis l’élaboration
d’une théorie fonctionnelle du langage fidèle à l’épistémologie pragmatique
et contextualiste du behaviorisme skinnérien, la TCR, dont l’application au
domaine de l’émotion chez l’être humain sous-tend la manière dont l’ACT
approche les problèmes émotionnels.
Nous ne pouvons ici présenter la TCR que d’une manière très résumée.
Quand nous pensons et réfléchissons, quand nous parlons d’une manière
qui a du sens et quand nous comprenons le sens de ce qui nous est dit,
nous ne faisons rien d’autre que de dériver des relations entre des événe-
ments qui peuvent être des stimuli externes ou internes. Ils peuvent avoir
le caractère « non arbitraire » de ce que nous pouvons de manière directe
et immédiate voir, entendre, toucher, goûter, sentir ou ressentir  ; ou le
caractère « arbitraire » de constructions verbales comme « bien », « mal »,
« cher », « horrible », etc. La TCR décrit les propriétés suivant des processus
de cadrage relationnel  : implication mutuelle et combinatoire, apprentis-
sage (par entraînement portant sur des exemples multiples) du contrôle
contextuel du type de relation dérivée, transformation des fonctions de
stimulus conformément aux relations établies, la nature des fonctions
transférées étant également sous contrôle d’indices contextuels. L’aspect
permanent et envahissant de ces processus trouve un reflet dans notre expé-
rience de la quasi-impossibilité à éprouver une sensation ou à avoir une
perception qui ne soit pas aussitôt l’objet d’une élaboration verbale. Il nous
est difficile de rester dans l’ici et maintenant des données sensorielles brutes
et nous sommes constamment entraînés dans les dimensions verbalement
construites du futur et du passé, du bien et du mal.
Le pattern complexe d’événements privés que nous appelons « émotion »
(Friman, 1998) ne fait pas exception. Reconnaître une configuration parti-
culière de sensations physiques, de pensées et d’images et lui donner le
nom d’une émotion, procède d’opérations verbales qui vont inévitable-
ment comporter un aspect d’évaluation : la joie, la détente et l’amour sont
« bons » tandis que l’angoisse, la colère et la tristesse sont « mauvaises ».
Pour un être humain, l’angoisse n’est pas simplement un état caractérisé
par la présence simultanée de certaines sensations physiques et de certaines
tendances à l’action, mais une catégorie verbale évaluative et descriptive
intégrant un large éventail d’expériences comme des souvenirs, des pensées,
des évaluations et des comparaisons sociales. Le caractère bidirectionnel des
88 Thérapies cognitives et émotions

processus fondant le langage crée l’illusion que le caractère « mauvais » que


nous attribuons à l’anxiété constitue une qualité inhérente à l’émotion elle-
même. Nous disons que « c’est une mauvaise émotion » et non « c’est une
émotion et je l’évalue comme mauvaise ».
L’expérience de l’émotion en tant que phénomène subjectif n’a de sens
que chez un sujet capable de se concevoir comme tel. Pour la TCR, le sens de
soi, reposant sur des processus de cadrage relationnel lors de l’énonciation
verbale (cadrage relationnel « deictique »), est un effet collatéral du langage.
Les processus d’évaluation ne vont pas s’arrêter au phénomène « émotion »
mais déborder sur celui ou celle qui le vit.
Le concept de fusion cognitive fait référence aux situations dans lesquelles
ce sont les fonctions dérivées par des processus de cadrage relationnel (donc
les fonctions verbales) qui l’emportent, dans la régulation du comporte-
ment, sur les fonctions psychologiques directement disponibles dans l’envi-
ronnement. Le monde construit est alors confondu avec le monde « réel »,
qu’il s’agisse du monde extérieur ou de la personne même de l’individu. Le
mot, l’événement qu’il désigne, et le sujet qui le décrit, vont s’amalgamer
dans des formules comme : « je panique » ou « je suis déprimé ». Dans le
contexte de littéralité ainsi établi, les pensées et les émotions vont se trou-
ver en quelque sorte « en prise directe » sur le comportement et fonctionner
de manière à en apparaître comme les causes.
Pour la science du comportement, les phénomènes intervenant dans
une réaction émotionnelle sont déterminés par l’histoire (ontogénétique
et phylogénétique) de l’individu et par l’état actuel du monde qui s’offre
à lui. Ce que nous ressentons quand nous éprouvons une émotion n’est
donc rien d’autre que la réactivation de notre passé par notre présent. Une
personne dont l’histoire a été difficile ou traumatisante, sera ainsi particu-
lièrement encline à ressentir des émotions désagréables comme l’anxiété
ou la tristesse. Pour avoir d’autres réactions émotionnelles dans l’avenir, il
lui faut construire une histoire différente à partir du présent, démarche qui
va malheureusement se heurter à un inconfort émotionnel considérable à
court terme (Hayes, 1994). La demande du patient d’avoir maintenant des
réactions différentes est compréhensible et légitime (personne ne mérite
d’avoir une histoire difficile)  ; elle est pourtant porteuse du piège de la
répétition puisqu’il sera difficile d’y répondre sans favoriser d’une manière
ou d’une autre les comportements d’évitement qui ont empêché jusque-là
l’engagement dans des comportements constructifs.

L’évitement d’expériences
Les processus fondant le langage et la cognition humaine sont le résultat
d’un processus de sélection des caractéristiques propres à favoriser la sur-
vie. Ils sont donc axés sur la reconnaissance et l’élimination des dangers.
Une fois qu’un événement privé est évalué comme « mauvais » ou « dan-
gereux  », il va tout naturellement devenir la cible des processus verbaux
qui ont été tant de fois renforcés par les succès, qu’ils nous assurent dans la
La thérapie d’acceptation et d’engagement : émotion, contexte et action 89

maîtrise de l’environnement matériel, ce d’autant plus que notre éducation


et notre culture nous ont appris qu’il devait être possible de les appliquer à
notre monde intérieur. Nous allons donc nous engager dans l’évitement de
certaines de nos expériences émotionnelles. Combien de fois nous a-t-on
dit, parfois avec beaucoup de tendresse, de ne pas pleurer, ou bien de ne pas
avoir peur  ? Quand nous étions enfants, nous n’avons vu, qu’exception-
nellement, ces géants qui nous donnaient l’exemple de fondre en larmes
ou de trembler de peur. Contrôler l’expression de l’émotion ne signifie pas
qu’on en maîtrise l’expérience subjective. L’enfant qui réussit à ne pas pleu-
rer ne devient pas joyeux mais silencieux. Le fait que notre culture accepte
l’idée que les pensées et les émotions sont la cause des comportements,
favorise aussi les efforts pour éviter celles qui sont négatives puisqu’elles ris-
queraient de conduire à de « mauvaises » actions. Les conséquences à court
terme d’un comportement ont un impact bien plus grand sur sa fréquence
que les conséquences éloignées. Même si elles s’avèrent souvent destruc-
trices ou pour le moins contre-productives à long terme, les manoeuvres
d’évitement d’expériences apportent généralement un soulagement immé-
diat. De nombreux facteurs contribuent ainsi à l’installation et au maintien
de l’évitement d’expériences et on peut le considérer comme un comporte-
ment appris, généralisé, entretenu par renforcement négatif.
L’évitement d’expériences peut s’avérer utile dans bien des situations  :
s’absorber dans un travail pour chasser l’inquiétude que nous cause l’attente
d’un être cher voyageant par mauvais temps, se distraire de la douleur
d’une intervention dentaire en pensant aux prochaines vacances,  etc. Il
ne devient problématique que lorsqu’il empêche l’engagement dans des
activités importantes pour le sens qu’on souhaite donner à sa vie et quand
les phénomènes évités dépassent un certain niveau d’intensité. Un exercice
permet d’illustrer ce dernier point.
Nous grattons une allumette et demandons au patient de l’éteindre avec
une méthode simple, rapide et intelligente. Habituellement, il le fait en
soufflant dessus. Nous lui proposons ensuite d’imaginer un début d’incen-
die avec des flammes de 30  cm que nous l’encourageons à éteindre avec
la même méthode simple, rapide et intelligente. Il comprend qu’il ne
va qu’attiser le feu et la métaphore peut le mettre en contact avec l’effet
contre-productif des techniques pourtant intelligentes de contrôle du vécu
émotionnel.
Pour éviter des pensées, nous recourons à notre capacité à formuler et
à suivre une règle verbale qui aura dans le cas particulier des effets para-
doxaux puisque la règle qu’il faut construire contient l’objet qu’on veut
fuir. Les travaux expérimentaux sur la suppression de pensées (Wegener,
1987) confirment que les contenus psychiques que l’on cherche à éviter ont
tendance à devenir envahissants. En outre, certains aspects de l’expérience
ne répondent que peu ou pas du tout au contrôle verbal. Les réactions
émotionnelles reposent largement sur des processus de conditionnement
répondant, elles sont médiatisées par le système nerveux neurovégétatif que
l’on appelle aussi « autonome » précisément parce qu’il n’est pas soumis au
contrôle volontaire. Quand l’anxiété doit être évitée à tout prix, le moindre
90 Thérapies cognitives et émotions

signe d’angoisse devient menaçant et mobilise des stratégies de contrôle.


Dès qu’elles sont perçues comme inefficaces (dès que les « flammes » sont
trop grandes pour pouvoir être « éteintes ») un mécanisme de cercle vicieux
est amorcé.
Nous sommes tous dépositaires de processus de conditionnement aver-
sif dont la nature et l’importance dépendent de notre histoire. Certaines
situations de réalité mais aussi certaines pensées, images et sensations
physiques vont donc mobiliser une tendance à l’évitement d’expériences.
L’ubiquité et le caractère envahissant des processus relationnels expliquent
que les efforts d’évitement doivent sans cesse être renouvelés. L’évitement
d’expériences devient alors une occupation de plus en plus contraignante
et envahissante. La souffrance «  positive  » liée aux émotions et aux pen-
sées désagréables diminue mais au prix de la souffrance «  négative  » due
à l’appauvrissement d’une existence privée des activités orientées par les
valeurs qui nous sont chères. Les changements nécessaires pour que notre
vie ressemble davantage à ce que nous voulons en faire vont inévitablement
s’accompagner d’événements privés inconfortables. Là aussi, l’évitement
d’expériences a des conséquences délétères. Enfin, certaines formes d’évi-
tement d’expériences sont en elles-mêmes destructrices comme l’abus de
toxiques, les troubles alimentaires, le jeu pathologique ou le workaholism.

Les différents aspects de l’expérience de soi


L’ACT distingue trois variantes de l’expérience de soi :
• « Soi comme contenu » désigne le soi conceptualisé que nous construi-
sons constamment pour donner un sens à notre histoire. Cette notion se
rapproche du concept de « scénario de vie » (Cottraux, 1995). Le besoin de
maintenir la cohérence de l’histoire ainsi construite favorise l’interprétation
des expériences éventuellement susceptibles de la modifier dans un sens
où elles vont en fin de compte la confirmer. L’ACT vise à mettre en cause
cette construction, à la démonter non pas en l’attaquant mais en affaiblis-
sant la domination des processus verbaux et le contexte de littéralité qui
contribuent à lui donner le pouvoir d’orienter les choix du sujet.
• «  Soi comme processus  » désigne la faculté d’établir une relation
d’équivalence entre un ensemble aux contours mal définis de sensations
corporelles, de prédispositions comportementales et de pensées, et le nom
d’une « émotion ». Notre orientation dans la complexité des situations de
la vie en société dépend du processus continu d’élaboration verbale de nos
états intérieurs qui fait la différence entre la peur de l’animal et l’angoisse
de l’être humain. Pour établir et consolider cette faculté qui correspond
à ce que d’autres orientations psychothérapeutiques appellent la capacité
d’être « proche de ses émotions » ou d’avoir « accès à ses émotions », il faut
qe les réponses de l’environnement précoce soient correctes et appropriées
à ce que l’enfant ressent. Elle sera donc insuffisamment développée en
cas de carences et de traumatismes précoces et tout particulièrement dans
La thérapie d’acceptation et d’engagement : émotion, contexte et action 91

les situations d’abus où le feedback de l’environnement a été mensonger :


« tu aimes ça ». Les personnes qui ne savent pas appliquer des catégories
émotionnelles de manière adéquate ont beaucoup de peine à faire des choix
qui leur soient profitables. L’ACT s’efforce d’établir un climat thérapeutique
favorable au développement de cette capacité.
• « Soi comme contexte » est une notion difficile à saisir. Dans un article
publié en 1984, Hayes a décrit l’expérience de soi comme une perspective
ouverte et sans limites. Comme c’est toujours depuis là que je regarde, je
ne peux pas voir cette «  chose  » (qui n’est pas une chose puisqu’elle n’a
pas de limites), mais seulement l’expérimenter d’une manière restant le
plus souvent fugace. Cet aspect de la subjectivité humaine est à la base des
expériences de transcendance et de spiritualité, il est d’une importance fon-
damentale pour la thérapie. Nous cherchons à le développer grâce à des
exercices et des métaphores. Faire l’expérience qu’il y a au moins un fait
immuable et stable à propos de soi-même qui n’est ni une croyance ni un
espoir ni une idée (toutes notions constitutives du « soi comme contenu »)
peut représenter une ressource, un lieu sûr permettant au patient d’accep-
ter la confrontation avec des expériences extrêmement douloureuses en
sachant que, quoi qu’il arrive, cette réalité restera inchangée. Pour utiliser
un langage imagé : quelle que soit l’intensité de la tempête, le ciel lui-même
n’en est pas affecté.

Les principes de la thérapie


Afin de favoriser l’engagement dans des comportements orientés par les
valeurs, l’ACT s’efforce de développer le sens de «  soi comme contexte  »
comme un lieu sûr depuis où l’exposition devient possible et des stratégies de
« défusion » par lesquelles nous voulons rendre visible le processus d’élabo-
ration verbale plutôt que ses résultats. Nous cherchons à modifier le contexte
de littéralité des pensées plutôt que leur contenu, à les voir pour ce qu’elles
sont et non pour ce qu’elles disent qu’elles sont. Le simple fait d’encourager,
dans l’analyse fonctionnelle, une distinction entre pensées, images et sensa-
tions physiques (Rebt, 2003) va déjà dans le sens de la défusion.
L’ACT recourt volontiers à des métaphores et à des exercices pour essayer
de diminuer l’emprise des processus verbaux. Les réalités que nous voulons
rendre accessibles sont souvent difficiles à cerner par un discours linéaire
et logique, et plus faciles à illustrer par des images. Une métaphore ne
comporte ni prescription ni directive ; elle ne propose pas de nouvelle façon
de « faire juste » et n’encourage donc pas l’adhésion rigide à des règles ver-
bales. Son usage aide à faire du champ thérapeutique un nouveau contexte
social/verbal dans lequel le fait de s’appuyer exagérément sur des construc-
tions rationnelles est remis en question pour privilégier le type de sagesse
résultant du contact direct avec les contingences. Il est facile de se rappeler
d’une métaphore si bien qu’elle va accompagner le patient dans de nom-
breux domaines où l’on souhaite qu’il puisse changer de comportement.
92 Thérapies cognitives et émotions

En ramenant sur le terrain du bon sens des aspects paradoxaux de la théorie


qui ne pourraient être expliqués que par de longs discours, le langage méta-
phorique permet d’obtenir une meilleure adhésion des patients au modèle.
Les implications du modèle théorique de l’ACT rendent la relation thé-
rapeutique fondamentalement égalitaire. La thérapie n’est pas la rencontre
entre une personne défectueuse, déséquilibrée, «  inférieure  » et un être
«  supérieur  » dont l’éion serait «  réussie  », qui détiendrait une sagesse et
des compétences le mettant à l’abri des aspects douloureux de la condition
humaine. Comme le patient, le thérapeute est constamment confronté aux
pièges impliqués par la capacité à élaborer des constructions verbales, que
ce soit dans son travail de thérapeute ou dans sa vie en dehors du cabinet
de consultation. Il sera lui-même inévitablement confronté dans le cours de
la thérapie à des émotions et à des pensées désagréables : il pourra se sentir
irrité, frustré, ennuyé, désorienté et avoir des pensées comme «  je suis en
train de me planter complètement ». S’il essaie alors de se rattraper avec une
métaphore ou un exercice pour « reprendre la main », son intervention sera
inappropriée. Elle ressemblera dans sa topographie à une intervention d’ACT,
mais correspondra, d’un point de vue fonctionnel, à l’évitement d’une expé-
rience désagréable. Le modèle offert au patient sera donc à l’opposé de celui
que nous aimerions lui donner et le processus thérapeutique courra le risque
de s’enliser.
L’ACT connaît toute une panoplie de stratégies de défusion et encou-
rage thérapeutes et patients à en inventer de nouvelles. Nous proposerons
comme exemple la métaphore du jeu d’échecs.

La métaphore du jeu d’échecs : le niveau de l’échiquier


Imaginez le plateau d’un échiquier qui ne serait pas limité à 8 cases sur 8 mais
s’étendrait à l’infini dans toutes les directions comme un plan. Et sur ce plateau,
comme les pièces du jeu d’échecs, vos « événements privés » : pensées, images,
sensations physiques. On peut en gros les classer en deux équipes. Il y a les
blancs : en général, les bonnes pensées ne sont pas très loin des images sympa-
thiques et des sensations physiques agréables. Et puis les noirs. Les mauvaises
pensées font équipe avec les images qu’on préfère ne pas regarder et les sensa-
tions physiques désagréables. Comme dans le jeu d’échecs, les deux équipes lut-
tent pour contrôler le terrain. Est-ce que vous avez remarqué en vous une lutte
de ce genre ? Depuis combien de temps dure-t-elle ? Est-ce que vous tenez pour
une des deux équipes ? Et que faites-vous, dans cette partie ? Où êtes-vous ?
En général, le patient remarque qu’il y a une telle lutte et qu’il « tient » évidem-
ment pour les blancs. Certains disent que la lutte est là depuis toujours. D’autres
pensent qu’elle a commencé au moment où leur problème est entré dans leur
vie. Le patient se rend compte qu’il est dans la partie. Est-ce que c’est fatiguant ?
Les patients sont unanimes à l’admettre. Est-ce que c’est déjà arrivé qu’une des
deux équipes gagne définitivement ? Même si on a connu l’ivresse de la victoire
ou l’amertume de la défaite, il faut toujours recommencer la partie. À qui sont
les blancs ? À moi bien sûr. Et les noirs ? À moi aussi. Comment voulez-vous
gagner cette partie contre vous-même ? x
La thérapie d’acceptation et d’engagement : émotion, contexte et action 93

x À ce point, il est temps de rendre le patient attentif au fait qu’il existe peut-
être une autre position. L’échiquier ne subit pratiquement pas d’usure ni de
fatigue du fait de la partie qui s’y joue, il ne souhaite la victoire d’aucune des
deux équipes et il est en contact avec l’intégralité des pièces. Nous aimerions
donner au patient les moyens d’occuper cette place-là, d’avoir avec les pensées,
les images et les sensations physiques qui l’habitent, le type de relation illustré
par notre métaphore. Être au niveau de l’échiquier n’est pas facile et on ne
peut jamais y rester longtemps. Notre mouvement naturel est de retrousser nos
manches pour retourner dans le jeu, de reprendre nos efforts de manipulation
des pièces en vue de leur donner une configuration qui nous convienne. Dans
bien des situations, cela ne pose aucun problème et c’est même souhaitable
(c’est par exemple très utile pour la résolution des problèmes de réalité, ces
problèmes « extérieurs à notre peau » qui forment l’essentiel de ceux que nous
devons résoudre dans notre vie quotidienne et notre activité professionnelle).
Nous ne risquons pas de désapprendre le mouvement si bien rodé de retour
dans le terrain ou de ne plus en trouver le chemin. Mais nous pouvons apprendre
à nous mettre au niveau de l’échiquier, au moins pour un moment, et nous pou-
vons apprendre aussi à reconnaître progressivement les situations et particulière-
ment les pensées qui nous ramènent à la position de lutte au milieu des pièces.
Nous invitons le patient à garder cette image avec lui et la suite du dialogue
thérapeutique permet d’y revenir. Il n’est pas rare que le patient émette bientôt
un commentaire montrant que son intelligence travaille à récupérer l’image que
nous lui avons proposée. Être au niveau de l’échiquier, c’est bien, voilà la solu-
tion de mes problèmes, être au milieu des pièces, c’est faux. Dans cette occasion
comme dans d’autres, nous pourrons lui poser la question à brûle-pourpoint :
« Et cette pensée que vous venez d’avoir, c’est une pièce blanche ou noire sur
votre jeu d’échecs ? ».

La métaphore peut être utilement complétée par un exercice simple de


pleine conscience comme celui où on visualise des feuilles se déplaçant
lentement sur une rivière et où l’on y dépose, au fur et à mesure qu’on les
reconnaît, les pensées qui apparaissent avant de les regarder s’en aller et
d’attendre la suivante. On va tôt ou tard « perdre le fil », partir avec une
pensée au lieu de s’en détacher. Quand on s’en rend compte, on revient à
l’exercice. Il permet au patient de faire l’expérience de l’équivalence entre
« partir avec une pensée » et « retourner au niveau des pièces ».

Les résultats empiriques


Comme toutes les thérapies comportementales, l’ACT attache une grande
importance à la documentation de son efficacité par l’expérimentation cli-
nique. Elle insiste aussi sur l’étayage empirique des principes qui la fondent
(Hayes et coll., 2006) et l’effort principal de la stratégie de recherche s’est
jusqu’à ces dernières années concentré sur l’étude des fondements théo-
riques de la thérapie. Plus de 50  études ont ainsi été consacrées à tester
la validité de la TCR et, dans le domaine clinique, de nombreuses études
94 Thérapies cognitives et émotions

corrélationnelles ont été effectuées afin de documenter le rôle joué dans


la psychopathologie et dans la thérapie par des processus comme la fusion
cognitive et l’évitement d’expériences.
Le questionnaire d’acceptation et d’action (AAQ) (Hayes, 2004) a été
développé pour mesurer le degré des processus de fusion cognitive, d’évite-
ment d’expériences et d’incapacité à agir en présence d’événements privés
difficiles. Validé en deux versions comportant respectivement 9 et 16 items,
il a été mis en œuvre dans 32 études réunissant plus de 6 500 sujets. Les
74 corrélations (taille d’effet pondérée : .42) retrouvées entre les scores AAQ
et diverses échelles de psychopathologie et mesures de la qualité de vie
confirment les prédictions du modèle théorique.
Dans le souci de valider pas à pas, au fur et à mesure du développement
de l’instrument thérapeutique, les différentes facettes de l’approche, toute
une série d’études ont été menées afin de documenter l’impact de processus
comme la défusion, « soi comme contexte » ou le travail sur les valeurs. Levitt
et coll. (2004) ont ainsi soumis 60 patients souffrant d’un trouble panique à
un test de provocation au CO2 afin de comparer l’impact d’une brève inter-
vention favorisant l’acceptation (un enregistrement audio de 10  minutes
basé sur le manuel de l’ACT décrivant le caractère inutile et paradoxalement
contre-productif des stratégies de contrôle de l’expérience) avec deux inter-
ventions formellement similaires prônant des stratégies de suppression et
de distraction. Les participants ont été répartis de manière aléatoire entre
les trois conditions. Par rapport aux groupes témoin, les sujets exposés à
l’intervention d’acceptation ont montré un niveau d’anxiété significative-
ment inférieur et ils étaient, de manière également significative, davantage
disposés à renouveler l’expérience.
Huit études cliniques randomisées (ECR) ont été publiées et un nombre
équivalent devrait l’être prochainement (Hayes, 2004). Dans une seule,
consacrée par Zettle (2003) à une comparaison entre l’ACT et la désensi-
bilisation systématique chez un groupe de sujets (n = 24) présentant une
anxiété devant les mathématiques, la taille d’effet produite par l’ACT a été
inférieure à celle obtenue avec le traitement de comparaison. Ce résultat
provient peut-être du fait que les sujets participant à l’étude présentaient
dans l’ensemble un bas niveau de perturbation.
Bond et Bunce ont publié (2000) une étude portant sur la gestion du
stress sur le lieu de travail. 90 employés (45 hommes et 45 femmes) d’une
entreprise du domaine des média ont été attribués de manière aléatoire à un
protocole  d’ACT, à un programme d’orientation comportementale de pro-
motion de l’innovation (PPI) dans lequel les participants étaient encouragés
à identifier et à modifier les événements stressants à leur lieu de travail ou à
une liste d’attente servant de groupe de contrôle. Les deux interventions
actives ont consisté en 3 séances de groupe d’une demi-journée réparties sur
une période de 14 semaines. Sur une échelle de mesure du stress global et
sur une échelle mesurant le niveau de santé mentale générale, l’ACT a montré
des résultats significativement supérieurs à ceux du groupe PPI et du groupe
de contrôle. Les deux interventions actives ont démontré une ­ efficacité
La thérapie d’acceptation et d’engagement : émotion, contexte et action 95

c­ omparable en matière de diminution de la dépression et d’augmentation


des actions concrètes allant dans le sens d’une réduction des stresseurs sur
le lieu de travail. Les résultats de l’intervention d’ACT étaient médiatisés par
une acceptation accrue des pensées et des émotions désagréables.
Dans une ECR réalisée par Bach et Hayes (2002), (80) patients (51 hommes
et 29 femmes) présentant des symptômes psychotiques florides ont été aléa-
toirement attribués soit à un groupe de traitement habituel (TH) soit à un
groupe combinant le TH avec 4 séances individuelles d’ACT de 45 minutes
(n = 40 par groupe). Les séances d’ACT étaient centrées sur l’acceptation des
expériences en rapport avec les symptômes, sur des stratégies de défusion,
sur l’importance de faire une différence entre soi-même et ses symptômes
et sur l’engagement dans des actions pour réaliser des buts correspondant à
des valeurs. Les participants au groupe d’ACT ont montré un taux de réhos-
pitalisation réduit d’environ 50  % pendant la période de suivi de 4  mois
après l’intervention. Les participants au groupe d’ACT étaient plus nom-
breux que ceux du groupe  TH à admettre en fin d’étude avoir des symp-
tômes psychotiques mais le taux de réhospitalisation était particulièrement
bas dans ce sous-groupe reconnaissant la présence de symptômes. Les parti-
cipants au groupe d’ACT ont aussi montré quatre mois après l’intervention
un niveau significativement diminué de croyance dans les symptômes.
Aucun des participants du groupe d’ACT qui admettait des symptômes et
montrait en même temps une diminution de la croyance aux symptômes
n’a été réhospitalisé.
Cent-quatorze sujets polytoxicomanes, sous traitement substitutif de
méthadone, ont été attribués de façon aléatoire (Hayes, 2004) à un groupe
restant sous traitement substitutif seul, à un groupe recevant 16 semaines
d’ACT en groupe et en individuel et à un groupe recevant un programme
intensif de sensibilisation au modèle à 12  étapes (ITSF). Au suivi après
6 mois, les sujets du groupe d’ACT (mais pas ceux du groupe ITSF) mon-
traient, en comparaison avec les sujets restés sous traitement substitutif
seul, une diminution significativement plus importante du taux d’opiacés
objectivé par l’analyse d’urine.
Une dernière étude (Strosahl, 1998) mérite d’être signalée. Huit théra-
peutes appartenant à un réseau de santé qui s’étaient portés volontaires
pour acquérir une formation en ACT ont été comparés à leurs 10 collègues
qui ne s’étaient pas inscrits. La formation a consisté en un atelier didactique
de 2 jours, 3 journées de formation clinique centrée sur le manuel de l’ACT
et 1’année de supervision à raison d’une séance mensuelle de 3  heures.
Avant le début de la formation, 59 patients, de tous les thérapeutes impli-
qués dans le projet, ont été évalués au début de leur traitement et 5 mois
plus tard une évaluation identique a été effectuée sur 67 patients après la
fin de la formation. Les 126 patients évalués représentaient un échantillon
dans lequel on trouvait pratiquement tous les problèmes de santé mentale.
Avant la formation, il n’y avait pas de différence entre les deux groupes de
thérapeutes quant à la proportion de patients qui terminaient le traitement
après 5 mois ni quant à la manière dont ils parvenaient à gérer le problème
96 Thérapies cognitives et émotions

qui les avait amenés à consulter. Après la fin de la formation, les patients
des thérapeutes formés en ACT étaient significativement plus nombreux
que ceux des thérapeutes du groupe témoin à avoir terminé leur traitement
en 5 mois, à décrire une amélioration de leur niveau d’adaptation et à être
d’accord avec leur thérapeute quant à la poursuite ou non de la prise en
charge.
Les résultats des études disponibles à ce jour sont prometteurs même si le
nombre de participants a souvent été relativement restreint en comparai-
son avec des études portant sur des approches thérapeutiques bien ­établies
disposant de moyens plus importants. Les résultats des études corrélation-
nelles visant à identifier l’activité des différentes composantes du processus
thérapeutique et ceux des études d’efficacité clinique sont dans l’ensemble
favorables mais de nombreuses questions n’ont pas encore été examinées.
Les résultats dont nous disposons suggèrent que l’ACT agit par le biais de
processus différents de ceux médiatisant l’action des traitements dispen-
sés dans les groupes témoins, y compris la TCC. Le nombre d’études bien
contrôlées est encore insuffisant pour qu’on puisse affirmer que l’ACT est
d’une manière générale plus efficace que d’autres traitements pour les pro-
blèmes qui ont été examinés mais les données recueillies jusqu’à présent
sont prometteuses.

Références
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prevent the rehospitalisation of psychotic patients: A randomized controlled trial.
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6 La thérapie de groupe
et gestion des émotions
M.-C. Pull

Tout en constituant un langage universel (Evans, 2003), les émotions de base,


aussi bien que les émotions dites supérieures, sont individuelles et personnelles
dans leur ressenti. Vouloir les gérer par une thérapie de groupe peut paraître
un défi. Et pourtant la clinique nous montre que la thérapie de groupe peut
être un outil puissant dans l’apprentissage de la gestion de ces émotions.
Ce chapitre très pratique montre l’application de la TCC dans la gestion de
l’anxiété liée aux attaques de panique avec ou sans agoraphobie dans un pro-
gramme développé à l’hôpital de jour pour adultes du service de psychiatrie
ambulatoire et de liaison du centre hospitalier de Luxembourg. Les méthodes
utilisées dans ce modèle pourront être transposées, mutatis mutandis, dans des
thérapies de groupe ou des thérapies individuelles qui ont pour but d’appren-
dre à gérer ou à modifier d’autres émotions aiguës.

Avant de commencer à écrire ce qui suit, deux questions s’imposaient :


• Fallait-il faire une révision de ce qui avait été publié à ce sujet (Free, 1999 ;
Paleg, Jongsma, 2000 ; Tschuschke, 2001) ou apporter un témoignage per-
sonnel ? ;
• S’agissait-il de parler de la gestion des émotions par une thérapie de
groupe ou dans une thérapie de groupe ?
Nous avons opté pour une approche clinique qui est la synthèse de ce que
de nombreuses thérapies de groupe de psychothérapie cognitivocomporte-
mentale ont apporté au cours des dernières années. Une meilleure gestion
des émotions est l’objectif de ces groupes et il va sans dire qu’il y a des
moments à l’intérieur d’une telle thérapie où le thérapeute doit savoir gérer
les émotions du groupe.
Plus le groupe sera spécifique plus il pourra être thérapeutique. Les
groupes qui englobent un spectre émotionnel trop large risquent d’avoir
uniquement une fonction de thérapie de soutien mais non pas de psycho-
thérapie qui viserait un changement réel. Comme les techniques cogni-
tivocomportementales à la base de ces thérapies de groupe sont connues
et très bien expliquées dans de nombreux manuels internationaux publiés

Thérapies cognitives et émotions


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100 Thérapies cognitives et émotions

par les maîtres de cette approche thérapeutique, nous nous concentrerons


plutôt sur leur application pratique dans le cadre du programme que nous
offrons à l’hôpital de jour du service de Psychiatrie ambulatoire et de liaison
du Centre hospitalier de Luxembourg. Ce programme a été développé il y
a quelques années et adapté régulièrement. Comme nous avons un recul
sur plus d’une vingtaine de groupes «  meilleure gestion des attaques de
panique », effectués par moi-même et ma collègue Lidwine Wouters, seul ou
à deux thérapeutes, ce groupe sera pris comme base de témoignage.
L’émotion au premier plan est l’anxiété sous toutes ses formes  : aiguë,
diffuse, chronicisée. Les blocs utilisés dans cette thérapie de groupe pour-
ront être intégrés dans d’autres thérapies de groupe qui ont pour but une
meilleure gestion d’autres maladies ou troubles des émotions, d’autres états
émotionnels, d’autres émotions aiguës. Certains de ces « remèdes » aideront
à canaliser la colère, la jalousie, d’autres à limiter l’anxiété généralisée, le
doute, d’autres encore à mettre des limites ou à aller au-delà des limites. Les
applications peuvent être nombreuses et variées, combinées ou isolées. Le
danger qui pourrait nous guetter, en tant que thérapeutes, serait de prendre
pour simplistes des méthodes qui ne sont pas sophistiquées. Celles présen-
tées par la suite sont effectivement simples, faciles à appliquer, et elles se
sont avérées efficaces. L’un des buts de la thérapie est de rendre ou de don-
ner à la personne individuelle qui participe au groupe son autonomie, la
plus grande légèreté d’être, qu’elle puisse acquérir et de lui assurer une qua-
lité de vie optimale sans son problème émotionnel ou malgré son problème
émotionnel. Comme une thérapie de groupe s’adresse à un large public,
d’origine socioculturelle très variée et très étendue, le langage choisi doit
être parlant pour tous. La base doit être scientifiquement correcte (prin-
cipes cognitivocomportementaux) et les moyens de transmission doivent
favoriser la compréhension, l’apprentissage, l’application des théories, des
exercices et amener le changement. Les métaphores sont un outil à la fois
agréable et puissant pour ce faire et  allègent le côté purement théorique
mais nécessaire de la thérapie.

Les séances préliminaires


Les séances thérapeutiques sont précédées d’une évaluation psychiatrique,
d’une évaluation psychométrique et d’un ou de plusieurs entretiens indivi-
duels préliminaires.

L’évaluation psychiatrique
Le recrutement des patients se fait par le biais de la consultation de psychia-
trie. Ainsi, tous les patients qui nous sont adressés ont été vus par un psy-
chiatre qui a posé un diagnostic psychiatrique. Dans le cadre du groupe dont
nous parlons, il s’agit d’un diagnostic de trouble panique avec ou sans agora-
phobie ce qui correspond à un code F41.0 de la Classification internationale
des maladies (CIM-10) (Organisation mondiale de la Santé, 1993, 1994).
La thérapie de groupe et gestion des émotions 101

L’évaluation psychométrique
Le testing psychologique comprend des tests de personnalité (MMPI, 16PF,
Neo-PI-R, IPDE) et des tests spécifiques (PDSS, Questionnaire des peurs) (in
Bouvard et Cottraux, 2005).

L’entretien préliminaire
Il s’agit d’un entretien préliminaire semi-structuré avec une anamnèse
générale ainsi qu’une anamnèse du trouble spécifique.
Le premier entretien ou les premiers entretiens individuels que nous
aurons avec le patient nous permettront de compléter le diagnostic psy-
chiatrique par une analyse holistique et une analyse fonctionnelle, ceci
dans le but de connaître à la fois le patient et sa symptomatologie. Cette
démarche  nous aidera aussi à nous rendre compte des problèmes qui
pourront être abordés au cours de la thérapie de groupe et de ceux dont
nous saurons qu’ils existent mais qu’ils sortent de ce cadre. Une thérapie
de groupe peut être une première étape dans un projet thérapeutique plus
long. Il faut en faire part au patient. Pour faire cela, j’aime avoir recours à la
métaphore de la laine.
Savez-vous tricoter ? Connaissez-vous quelqu’un qui sait tricoter ? Savez-
vous ce qui se passe quand un tricot est terminé  ? Il reste un bout de fil
plus ou moins long ! Imaginez que tout au long de sa vie, S. range ses fils
dans un grand sac. Au bout des années s’accumulent des fils de laine, de
coton, de soie, des fils de couleurs, de longueurs, d’épaisseur, de consis-
tances différentes. Si nous lui demandons de nous sortir un fil rouge que se
passe-t-il ? Eh bien tous les autres fils entremêlés y restent accrochés. Dans
un premier temps il s’agit de démêler les fils, de faire des pelotes et de voir
avec laquelle ou lesquelles elle va travailler dans un deuxième temps. Va-t-
elle faire un jacquard avec tous les fils mélangés ? C’est un travail difficile,
lent, où il ne faut pas se tromper, pour lequel il faut être drôlement doué.
Et quel travail s’il faut tout défaire ! Donc autant commencer, peut être, par
une seule couleur. Si les explications et le point (de tricot) choisis sont sim-
ples et clairs, le modèle a toutes les chances de réussir et de l’entraîner vers
des travaux de plus en plus complexes.
Cette métaphore illustre bien ce qui se passe quand nous rencontrons un
patient pour un premier entretien. Chaque nouvelle histoire de vie nous
met face à un nouveau défi. Une histoire où se mélangent événements de
vie, problèmes, troubles, ressources, comportements, cognitions, émotions,
une histoire qui s’est construite à partir de la génétique, de la biologie, de
l’éducation à l’école, à la maison, de modèles, de la religion, de la culture,
d’expériences personnelles. Ce sont les émotions qui rajoutent la couleur, les
nuances au récit du vécu. Selon la personnalité, le schéma de fonctionne-
ment, l’âge, le problème, l’urgence, nous pouvons passer des tons effacés et
camaïeux aux tons vifs et phosphorescents pour le récit de faits comparables.
La taille du groupe est un facteur important, de même que le nombre
de thérapeutes qui encadrent le groupe. Six patients nous semblent un
102 Thérapies cognitives et émotions

nombre idéal à gérer lors d’une psychothérapie de groupe, chaque patient


pourra s’exprimer à différentes reprises au cours de chaque séance, ce qui
apporte toute la richesse interpersonnelle d’une telle thérapie de groupe.
La thérapie reste semi-structurée, il y a une place pour la théorie et une
place pour l’expression émotionnelle. L’encadrement d’un nombre plus
élevé de patients entraînerait une structuration plus rigide qui risquerait
de dévier vers un cours ex cathedra et une certaine frustration des patients
quand leur temps de parole, déjà court en thérapie de groupe, est réduit à
un minimum. L’idéal est d’avoir deux thérapeutes pour encadrer un groupe.
Faire un groupe à deux thérapeutes peut être un vrai plaisir, le faire seul est
possible mais souvent lié à un stress important pour le thérapeute, surtout
au cas où un problème imprévu se présente. Et, quand nous travaillons sur
les émotions nous savons que des imprévus peuvent se présenter que ce soit
une crise de larmes, une crise d’anxiété aiguë, une crise de colère. L’encadre-
ment peut se faire mieux à deux, les enchaînements se font naturellement
et spontanément, il y a de la place pour l’humour et le rire, les séances
sont plus riches. Chaque séance peut être vécue comme une nouvelle mise
en scène que nous connaissons bien mais qui sera différente de toutes les
autres, grâce à la participation d’un nouveau public avec des émotions de
nature et de degrés différents.

Les 8 séances de « thérapie de groupe


pour une meilleure gestion des attaques
de panique »

« […] dance me through the panic ‘til I’m gathered


safely in […] »
Leonard Cohen, Dance me through the end
of love (1984)

1re séance de thérapie de groupe (durée 2 h) : gérer


l’émotion par la respiration
Introduction
Le programme de cette séance est dense et varié. Accueil des patients, présenta-
tion de la théorie de base de la thérapie cognitivocomportementale, exposition
du programme de groupe, prescription du premier remède qui leur permettra
de gérer les symptômes physiques de l’anxiété et des émotions en général.
L’accueil
L’accueil des participants à la thérapie de groupe par le(s) thérapeute(s). Le
thérapeute va les chercher dans la salle d’attente où ils attendent tous en
silence pour les amener à la salle de thérapie qui leur a été montrée lors
La thérapie de groupe et gestion des émotions 103

du premier entretien individuel. Invitation à s’asseoir dans un demi-cercle


autour du (des) thérapeute(s). Mot de bienvenue. Présentation : comme les
patients ne se connaissent pas entre eux, ils sont invités à écrire leur pré-
nom sur une feuille pliée et de la placer par terre devant eux. Ils se présen-
tent brièvement en disant quelques mots personnels sur eux-mêmes non
relatifs aux attaques de paniques (par exemple leur âge, leur passe-temps,
leur musique ou leur plat préféré). Le thérapeute en fait de même.
Ensuite les règles du groupe sont expliquées :
• secret du groupe ;
• appellation par le prénom mais maintien du vouvoiement ;
• exactitude, le retard d’un seul participant créant un préjudice pour tous ;
• présence souhaitée à toutes les séances :
– chaque séance est à considérer comme une partie d’un tout, en man-
quer une met en péril l’efficacité de la thérapie,
– une dynamique de groupe se crée très rapidement, l’absence de l’un
ou de l’autre participant a une influence négative sur le vécu du groupe ;
• sortie de la salle en milieu de séance  : en cas de malaise ou de besoin
d’assistance, prévenir le thérapeute (surtout s’il n’y a qu’un seul thérapeute)
et revenir obligatoirement dans la salle ;
• respect de l’autre :
– temps de parole accordé à chaque participant,
– non-ingérence dans les problèmes de l’autre,
– il est rappelé que chaque participant est là pour résoudre son pro-
blème et non pas celui du voisin qui peut paraître plus simple.
Pour conclure cette partie, la métaphore du papillon du film Oui mais
est reprise, où des enfants voient un papillon sur le point de sortir de son
cocon. Croyant bien faire, ils décident de l’aider. Mais le papillon qui
n’aura pas fait cet effort lui-même et fortifié par là ses ailes, ne saura pas les
déployer pour voler.
L’explication du déroulement des séances
Chaque séance se déroule en deux temps avec une pause-café au milieu. La
première partie débute avec la cotation des échelles de Beck (BDI, BAI, voir
Bouvard et Cottraux, 2005), un tour de table où chaque personne est invitée
à prendre la parole, la vérification des devoirs à domicile, une partie théo-
rique et des exercices. Ensuite, souvent après la pause, enchaînement avec
une partie pratique, vers la fin de la séance, un exercice de détente avec une
métaphore, la fixation du travail à domicile, la remise des fiches thérapeu-
tiques et, pour conclure, l’évaluation de la séance.

Les échelles d’autoévaluation : passation de l’Inventaire


d’anxiété de Beck et de l’Inventaire de dépression de Beck
La cotation hebdomadaire de ces deux échelles permet au thérapeute de
voir l’état émotionnel du patient et son évolution au cours de la thérapie.
Comme nous n’avons pas de contact avec les patients entre les séances, le
104 Thérapies cognitives et émotions

score nous permet aussi de voir s’il y a eu des éléments négatifs importants
entre les séances, avant même de faire le tour de table et de choisir ainsi le
moment d’intervention du patient. En premier, si nous voulons lui accorder
plus de temps, en dernier si nous ne voulons pas que son récit déstabilise
les autres. La cotation hebdomadaire de ces deux échelles permet également
au patient d’apprendre à bien distinguer entre deux états émotionnels diffi-
ciles mais différents, l’anxiété et la dépression.

Le travail en séance
Les explications théoriques sur la thérapie
cognitivocomportementale et la gestion des émotions
Afin de mettre les patients à l’aise et d’enlever le plus possible le stress d’une
première séance de groupe, la partie active du (des) thérapeute(s) est plus
grande que dans les séances à suivre. À chaque fois que le sujet le permet,
des métaphores sont utilisées pour mettre le patient naturellement en état
de détente et d’écoute et de faciliter ainsi l’apprentissage.
Comme il est important que les patients comprennent la démarche
de la thérapie qu’ils vont suivre, une brève explication est donnée
sur différentes formes de psychothérapie (psychanalyse, thérapie sys-
témique) et sur la spécificité de la thérapie cognitivocomportementale.
Il faut particulièrement insister sur le fait qu’elle est centrée sur « ici et
maintenant », sur un objectif, et sur l’aspect de thérapie brève pour une
symptomatologie précise. Comme les entretiens préliminaires nous ont
permis de faire une analyse fonctionnelle, nous connaissons l’histoire du
patient, l’historique du trouble, peut être l’origine, peut être les facteurs
de maintien.
À l’aide du schéma des trois cercles (émotion, cognition, comportement),
nous visualisons ensuite ce que les patients vivent au quotidien dans leur
non-gestion de l’anxiété :

Paul doit prendre l’autoroute pour aller au travail :


• émotion : anxiété,
• cognition : je vais faire une attaque de panique et avoir un accident,
• comportement : il passe par les chemins de campagne,
• émotion : honte.
Alice veut aller au supermarché :
• émotion : anxiété,
• cognition : je vais faire un malaise,
• comportement : elle va prendre un anxiolytique,
• émotion : culpabilité.
Jeanne vient d’avoir une bonne note :
• émotion : fierté,
• cognition : maman sera contente,
• comportement : au lieu de marcher, elle court à la maison.
La thérapie de groupe et gestion des émotions 105

Demander aux patients de donner chacun un exemple personnel. Les


patients connaissent ce cercle vicieux et peuvent donner bien des exemples.
Il nous semble ici utile de leur montrer que cet enchaînement, cette rela-
tion circulaire, se fait aussi dans des situations émotionnelles positives. En
thérapie, il est important de ne pas montrer que le négatif.
Comme nous ne pouvons pas intervenir directement sur les émotions,
nous allons passer par les cognitions et/ou par le comportement. Tout au long
de la thérapie nous leur montrerons sur quel plan nous travaillons, par exem-
ple lors de cette première séance ce sera sur le plan comportemental. Nous
leur apprendrons un nouveau comportement respiratoire qui leur permettra
de mieux gérer les manifestations physiques de l’anxiété et de reprendre ainsi
le contrôle de leur corps. Nous les aiderons à constituer une « boîte à outils »
dans laquelle chaque outil aura son importance. Comme dans une vraie boîte
à outils certaines clés serviront tout le temps, alors que d’autres ne seront uti-
lisées que dans des situations bien précises. Mais nous savons tous que le jour
où nous avons besoin d’une certaine clé, aucun autre outil ne fera l’affaire.
Les explications théoriques sur les attaques de panique
et la gestion de l’émotion anxiété
Les différentes possibilités de réaction face à la peur, à l’anxiété : attaquer,
fuir, être pétrifié. Démontrer à l’aide d’un exemple  : comment réagiriez-
vous si vous étiez réveillé par une détonation ?
Lors de la première séance, très peu d’explications théoriques seront don-
nées sur les attaques de panique car tout au long de la thérapie nous aurons
la possibilité d’y revenir. Quelques mots sur les généralités, les symptômes,
le scénario, les attaques de panique diurnes, les attaques de paniques noc-
turnes. Une fiche détaillée sera remise aux patients à la fin de la séance.

Petit exercice
Sur une carte chaque patient note trois renseignements relatifs à ses attaques de
panique (par exemple, où, quand, depuis quand, fréquence, durée, intensité, etc.).
Demander à un volontaire de partager avec le groupe ce qu’il a écrit, les autres
suivront. Souligner les points communs et les différences. Un premier échange
spontané se mettra automatiquement en route, les patients se retrouvent sur un
terrain commun et connu.

Comme l’anxiété ne laisse souvent plus beaucoup de place pour d’autres


émotions, nous remettrons une feuille avec toute une liste d’émotions positives
et négatives aux patients à la fin de la séance. Nous leur demandons de les lire
à domicile et de noter quelles émotions leur sont familières. Il est important
d’apprendre ou de réapprendre à reconnaître et à différencier les émotions,
même les émotions négatives. La cotation de l’anxiété et de la dépression en
début de séance va dans ce sens. Nous le signalisons aux patients.
Les explications sur le comportement respiratoire
Avant de donner des explications théoriques nous demandons aux patients
de compter combien de fois ils respirent en une minute, en continuant à
106 Thérapies cognitives et émotions

respirer comme ils le font au moment même, donc en n’appliquant aucune


respiration particulière. Bien souvent leur cycle respiratoire est supérieur à
15 respirations par minute, alors qu’ils ne sont pas dans un état anxieux
et leur étonnement est grand quand nous leur disons que pendant cette
même minute nous avons respiré seulement deux à trois fois. Les explica-
tions portent ensuite sur : la respiration, inspiration/expiration, le schéma
des poumons, l’hyperventilation, l’hypoventilation.
Les patients anxieux sont plus centrés sur l’inspiration que sur l’expi-
ration. Comme dans le yoga, nous leur apprenons à se concentrer sur
l’expiration et «  l’inspiration se fera toute seule  ». Nous leur donnons
l’exemple de personnes qui doivent bien gérer leur expiration comme les
sportifs, les chanteurs, les musiciens, les pêcheurs de perles. Mais aussi de
magiciens, comme le grand Houdini qui arrivait à rester enchaîné sous
l’eau de plus en plus longtemps pour augmenter le suspens auprès de ses
spectateurs. Et puis nous parlons de cet animal domestique, grand maître
de l’hypoventilation. L’un des deux animaux domestiques qui sont les
compagnons les plus fréquents de l’homme, le chien ou le chat ? Le chat !
Et nous allons nous inspirer de son ronronnement pour apprendre une
respiration qui permettra de reprendre la maîtrise du corps dans les états
émotionnels très déstabilisants comme l’anxiété. Expliquer en racontant
met les patients dans un état de meilleure réceptivité, ils sont détendus
et à l’écoute.

Exercice pratique : le ronronnement


Une démonstration de Charly Cungi (Cungi, 2006), lors d’une formation
qu’il a donnée au CHL de Luxembourg, est à la base de cet exercice.
Nous commençons par démontrer une respiration brève avec une ins-
piration et une expiration courtes, par la bouche. Nous leur demandons
de le faire aussi, tout en précisant que c’est bien une respiration avec ses
deux parties, inspiration et expiration, mais une mauvaise respiration.
Puis nous leur demandons de faire un son guttural avec la gorge, un peu
comme s’ils prononçaient la lettre « R », et de poser doucement la main
sur leur cou. Que ressentez-vous  ? Comme une vibration. Oui, et cette
vibration est comme un frein qui fait que nous prendrons beaucoup de
temps pour vider les poumons. Bien les vider, permettra de mieux les rem-
plir ensuite.
Ensuite nous démontrons une fois le ronronnement complet et nous
demandons au groupe de faire tous ensemble cet exercice de ronronnement :

1. inspirer par le nez ou par la bouche (en état d’anxiété aiguë la respiration se
fait souvent automatiquement par la bouche, ce qui conduit à l’hyperventilation) ;
2. ronronner ;
3. fermer la bouche ;
4. inspirer par le nez ;
5. continuer à partir de 2.
La thérapie de groupe et gestion des émotions 107

Chaque personne peut le faire selon son rythme. Si nous leur demandons
ensuite de compter combien de ronronnements ils font en 1  minute, la
plupart des participants, à leur grand étonnement, se situent entre trois et
cinq respirations. Si nous ne pouvions voir qu’une seule fois un patient
ou un groupe de patients, ce serait cet exercice-là que nous lui (leur) mon-
trerions. Pratiqué régulièrement, il facilite la gestion des émotions violentes
dont l’anxiété aiguë. En parlant d’exercice nous parlons d’apprentissage et
de répétition. Nous recommandons aux patients de faire leur travail à domi-
cile par rapport au ronronnement comme suit :
• de le pratiquer trois fois par jour (inspirer, ronronner ; inspirer, ronronner ;
inspirer, ronronner) à des moments fixes, matin, midi, soir (avant de se lever,
après s’être lavé les dents, par exemple). Plus ils le pratiquent consciemment
dans un premier temps, plus il va devenir automatique dans un second temps ;
• de le faire la première semaine avec le bruit du ronronnement quand ils
sont seuls. Plus nous impliquons nos sens dans un nouvel apprentissage,
mieux il se fixera dans notre cerveau. L’ouïe et le toucher sont impliqués par
le ronronnement et les vibrations qu’il déclenche ;
• d’utiliser les deux premiers soirs une bougie, de l’approcher le plus près
possible des lèvres sans se brûler, de faire vibrer dans un premier temps la
flamme en ronronnant, puis de réduire le souffle. Nous en faisons la démons-
tration lors de la séance et chaque participant le fait une fois. La vision est
impliquée et le ronronnement dure en général encore plus longtemps, telle-
ment la personne est concentrée sur la flamme et la gestion de l’expiration.
Il est recommandé aux patients de le faire quand ils sont seuls afin de ne pas
donner à leur entourage l’impression d’avoir atterri dans l’ésotérisme !
• de l’introduire de plus en plus dans leur vie de tous les jours (tout de
suite en sortant de la séance de thérapie en attendant devant le feu rouge,
en faisant la queue au supermarché, en prenant l’ascenseur, en épluchant
les pommes de terre, etc.).
Comme l’expérience montre que les adultes ne sont souvent pas plus discipli-
nés que les enfants pour faire leurs devoirs à domicile, nous leur remettons une
fiche DIN-A 4 avec la liste de tous les exercices de respiration et de relaxation
avec une case pour chaque jour de la semaine. Nous leur demandons de cocher
à chaque fois qu’ils font l’un ou l’autre exercice. Tous les exercices appris seront
à continuer tout au long de la thérapie et au-delà. Toutes les semaines, la couleur
de cotation change, ce qui nous permet de voir si le patient applique et conti-
nue d’appliquer ce qui lui a été appris. Sans application pas de changement.
NB : Au lieu d’appliquer l’expiration par la bouche, l’expiration par le nez
peut être pratiquée bouche fermée en produisant le son OM.

La préparation du travail à domicile


• pratiquer le ronronnement ;
• lire les textes que nous avons distribués sur les attaques de panique, sur
l’hyperventilation ;
• remplir la fiche hebdomadaire des attaques de panique réelles et/ou anti-
cipées ;
108 Thérapies cognitives et émotions

• réfléchir sur un objectif (concret, réaliste, réalisable, qui dépend d’eux)


qu’ils voudraient atteindre jusqu’à la fin du groupe.
La documentation et les fiches thérapeutiques
• fiche ronronnement :
– au recto : explication du ronronnement,
– au verso : explication du travail à domicile ; une tête de chat est rajou-
tée comme symbole qui sera repris à d’autres moments ;
• liste des émotions ;
• fiche hebdomadaire : attaques de panique (attaques de panique réelles
et/ou anticipées)/dépression ;
• feuille de notation respiration/relaxation.
L’évaluation de la séance
Les patients sont invités à donner leur avis sur la séance et à formuler leurs
critiques. Nous leur expliquons que leur avis nous est important afin d’amé-
liorer le fond et la forme du contenu des séances. Comme nous leur appre-
nons que la TCC doit une partie de son efficacité à l’abandon des stratégies
qui se sont avérées inefficaces, ils osent s’exprimer.

• Nom, date
• Est-ce que les explications étaient claires ?
• Est-ce que les exercices étaient difficiles ?
• Est-ce que vous avez appris quelque chose de nouveau ?
• Est-ce que c’était difficile pour vous de participer au groupe ?
• Est-ce que la participation à cette séance a eu une influence sur votre
anxiété ? Oui/non ; si oui : je suis moins anxieux, je suis plus anxieux ;
• Est-ce que la participation à cette séance a eu une influence sur votre état
dépressif ? Oui/non ; si oui : je suis moins déprimé/je suis plus déprimé ;
• Remarques personnelles.

2e séance de thérapie de groupe (durée 2 h) :


recadrer l’émotion par la méthode des six points
Introduction
Dans la salle d’attente, où le thérapeute va les chercher, quelques patients
se parlent.
Au programme familiarisation avec la respiration abdominale, les six
points à retenir pour combattre une attaque de panique. Sur le plan théo-
rique : le conditionnement, l’apprentissage.

Les échelles d’autoévaluation


Passation de l’Inventaire d’anxiété de Beck et de l’Inventaire de dépression
de Beck (Bouvard et Cottraux, 2005).
La thérapie de groupe et gestion des émotions 109

Le travail en séance
• Contrôle des fiches hebdomadaires sur les AP et sur les exercices
­respiration/relaxation.
• Revue du travail à domicile et des difficultés éventuelles. L’excuse «  je
n’avais pas le temps » qui peut être utilisée lors des premières séances est
mise en doute. Comme il faut respirer de toute façon autant apprendre à
respirer correctement.
• Tour de table sur les événements principaux de la semaine passée par
rapport aux AP. Les patients comprennent vite ce qui est important et est
intéressant pour le groupe.
Suite des exercices de respiration
La combinaison de la technique vagale, qui sollicite le réflexe barosinusien
de Valsalva avec la régulation respiratoire, est démontrée en vue de donner
au patient un moyen rapide de ralentir l’accélération cardiaque et respira-
toire :
1. inspirer ;
2. bloquer la respiration en gonflant le ventre ;
3. compter lentement jusqu’à 6 ;
4. expirer.
Nous recommandons aussi aux patients de pratiquer les exercices de res-
piration abdominale dans des positions différentes. En étant allongé et
en mettant une boîte de mouchoirs cubique sur leur ventre et d’observer
simplement qu’elle monte avec l’inspiration et descend avec l’expiration.
Puis d’essayer (sans la boîte !) sur le côté, d’abord l’un, puis l’autre. Ensuite
de faire l’exercice debout ou assis. Bien qu’il soit rare que la méthode du
ronronnement ne convienne pas il nous semble utile de proposer diffé-
rentes méthodes. Comme on observe des variations de tension chez certains
patients au cours des AP, nous démontrons un exercice de contraction des
muscles, qui leur apporte un moyen supplémentaire de gestion des symp-
tômes et leur permet de jongler avec des changements de tension imprévus
ou rapides et le sentiment de faiblesse physique. Cet exercice s’inspire de la
relaxation classique type Jacobson (in Cungi, 2006) avec tension et relâche-
ment des différents groupes musculaires (mains, avant-bras, bras, épaules,
nuque, front, cuir chevelu, yeux, mâchoire, langue, poitrine, ventre, haut du
dos, bas du dos, fesses, cuisses, mollets, pieds et orteils).
Quelques explications théoriques sur :
• le conditionnement à l’aide de l’histoire du chien de Pavlov, comparai-
son avec l’installation et la généralisation des AP ;
• le déclenchement des AP par des stimuli de plus en plus petits de
n’importe lequel de leurs cinq sens ;
• l’apprentissage d’un nouveau programme de fonctionnement face à
l’anxiété qui sera plus efficace que l’ancien (celui des AP), s’il est bien installé,
et comparaison avec différentes versions du même programme ordinateur ;
• le fonctionnement du système neurovégétatif ;
110 Thérapies cognitives et émotions

• la réponse vagale avec un exercice pratique : les patients sont invités à


sentir leur pouls (normal), puis à faire avec le thérapeute une quinzaine
d’hyperventilations, de reprendre le pouls (rapide), d’appliquer le ronron-
nement tout en sentant leur pouls, de remarquer la réponse vagale et le
retour à un pouls normal.
Six points pour mieux gérer les attaques de panique
La deuxième partie de la séance sera consacrée à la combinaison du compor-
tement respiratoire avec une démarche consciente sur le pan cognitif. Une
liste de six points pour mieux gérer les AP est proposée :
1. reconnaître ;
2. accepter ;
3. respiration ;
4. dialogue intérieur ;
5. distraction ;
6. durée ;
Une fiche thérapeutique sera remise aux patients à la fin de la séance avec
les six points suivis d’un symbole ou de quelques mots d’explication. Pen-
dant l’explication des six points, la participation des patients est demandée
et comme nous sommes sur un terrain qu’ils connaissent bien ils savent
donner de nombreux exemples :
1. Reconnaître qu’il s’agit d’une attaque de panique et non pas d’un infarctus,
d’une entrée dans la folie ou d’une perte totale du contrôle. Se le dire et rajou-
ter que c’est pénible, difficile, mais pas dangereux. Ils peuvent même rajouter
« d’après la thérapeute », car s’ils sont pris de colère il n’y a plus de place pour
l’anxiété. Le symbole dessiné est un éclair pour symboliser l’anxiété aiguë et
un cœur barré pour symboliser qu’il ne s’agit pas d’un problème cardiaque ;
2. Accepter le fait d’être de nouveau pris de panique et ne pas se débattre
par des moyens inefficaces, qui au lieu d’aider ne font que renforcer cet état.
Recours à la métaphore de la personne qui est en train de se noyer, plus elle
se débat plus ce sera difficile pour le sauveur de lui venir en aide. Dans la
situation de l’attaque de panique, le patient est à la fois celui qui se noie et
celui qui apporte l’aide. Le symbole dessiné est celui d’un bonhomme bras
en l’air dans les vagues et d’un bonhomme qui lui tend les bras ;
3. Respiration : il va de soi que si la respiration correcte était tout de suite
employée, les deux premiers points seraient superflus, mais nous savons
qu’au début ce n’est pas toujours évident. Symbole dessiné  : une tête de
chat, un gros ventre.
4. Le dialogue intérieur des patients est le plus souvent dévalorisant, sévère,
critique pendant et après l’AP. Nous leur demandons quelle serait leur réac-
tion si un enfant de cinq ans tombait devant eux, sur leurs pieds. Étonnés,
ils disent qu’ils l’aideraient à se relever, qu’ils lui parleraient doucement, le
réconforteraient. Nous les invitons à avoir cette même attitude envers eux-
mêmes. Symbole : un smiley souriant et un smiley grincheux barré.
5. Au début de la thérapie, il se peut que le patient qui s’expose, ou est exposé
par hasard, aux stimuli anxiogènes ne soit pas encore capable de maîtriser
son anxiété par les moyens appris. Des exercices de distraction peuvent
La thérapie de groupe et gestion des émotions 111

l’aider dans de tels moments. Il est important de lui faire comprendre qu’il
s’agit là de processus cognitifs automatiques comme réciter l’alphabet, les
tables de multiplication, les verbes réguliers ou irréguliers, chanter, prier,
écrire ce qu’il se passe au moment même (par exemple : Il est 10 h, je suis
dans le train, j’ai peur, mon anxiété est à 9/10, il est 10 h 01, mon anxiété
est à, etc.), trouver des prénoms pour les différentes lettres de l’alphabet,
arrivé à z recommencer et mettre des prénoms de fille là où il y avait des
prénoms de garçon. Symbole : abc, 1 x 1, Anne, Bertha, Caroline, etc.
6. Quand nous sommes anxieux, quand nous sommes déprimés, quand
nous avons mal, nous vivons une distorsion du temps. Si nous nous don-
nons un coup de marteau sur le pouce, nous pensons que cela dure une
éternité alors qu’il s’agit de fractions de secondes. Chaque AP a une durée.
Elle est délimitée dans le temps par un début et une fin. La personne est
présente quand l’AP commence (par exemple : en entrant dans le magasin,
à 10 h…) et sait par le passé que toutes ses AP se sont terminées. (par exem-
ple : à la sortie du magasin, en étant de retour chez elle, etc.). Ne pas rester
coincé par la pensée dans la situation anxiogène, mais être capable d’ima-
giner un après attaque de panique peut aider. Retrouver la notion pratique
de durée (par exemple : 3 minutes correspondent à telle ou telle chanson de
mon CD ; 2 minutes correspondent à une bonne demi-douzaine de ronron-
nements) peut apporter un réel soulagement. Symbole : alpha, omega.

La préparation du travail à domicile


• pratiquer le ronronnement et la respiration abdominale ;
• pratiquer l’exercice de tension musculaire ;
• apprendre et appliquer les six points ;
• en cas d’AP, noter lequel des six points n’a pas été respecté ;
• remplir la fiche hebdomadaire des attaques de panique réelles et/ou anti-
cipées ;
• noter l’objectif (concret, réaliste, réalisable, qui dépend de chacun) à
atteindre jusqu’à la fin du groupe.

La documentation et les fiches thérapeutiques


• fiche respiration abdominale ;
• fiche tension et détente musculaire ;
• fiche hebdomadaire : attaques de panique/dépression ;
• feuille de notation : respiration/relaxation ; (continuer à noter sur celle
qu’ils ont mais changer de couleur pour noter cette nouvelle semaine).

L’évaluation de la séance

3e séance de thérapie de groupe (durée 2 h) :


émotion, relaxation, pleine conscience
Dans la salle d’attente, où le thérapeute va les chercher, de plus en plus
de patients se parlent. Quelques mots de bienvenue. Avant de passer aux
questionnaires d’autoévaluation de Beck (in Bouvard et Cottraux, 2005),
112 Thérapies cognitives et émotions

le thérapeute leur fait remarquer qu’ils prennent toujours la même place,


que les habitudes se créent vite. Il reviendra dessus lors de la séance. Au
programme, la hiérarchie individuelle des expositions, encore d’autres exer-
cices de respiration, un exercice d’autohypnose.

Les échelles d’autoévaluation


Passation de l’Inventaire d’anxiété de Beck et de l’Inventaire de dépression
de Beck (in Bouvard et Cottraux, 2005).

Le travail en séance
Contrôle des fiches hebdomadaires sur les AP et sur les exercices respiration/
relaxation. Les patients se rendent compte que ceux qui font les exercices
avancent plus rapidement.
Revue du travail à domicile et des difficultés éventuelles. Précision de
l’objectif personnel à atteindre avant la fin du groupe et mise en place de la
hiérarchie d’exposition.

Ginette ne peut plus faire seule ses courses au supermarché :


1. exercice en imagination ;
2. aller sur le parking, sans descendre ;
3. aller sur le parking, garer la voiture, attendre 5 minutes avant de repartir ;
4. entrer dans le hall du supermarché, y rester 5 minutes ;
5. entrer dans le supermarché, prendre un panier, regarder, rester 10 minutes,
ne rien acheter ;
6. entrer, ne rien acheter mais se mettre dans une queue et attendre
10 minutes ;
7. acheter quelques articles, passer à la caisse express ;
8. y aller à un moment où il n’y a pas beaucoup de monde, chariot, queue,
10 articles ;
9. y aller à un moment où il y a beaucoup de monde, observer, rester
30 minutes ;
10. y aller seule un vendredi soir, un chariot plein à volonté.

Chaque patient choisit lui-même le moment où il va passer d’une étape


à une autre, tout en sachant que ce passage se fera seulement quand l’étape
précédente ne lui posera plus de problèmes. Si ce passage ne peut pas se
faire, nous l’aidons à en trouver les raisons et les ressources qui faciliteront
une progression. Nous insistons sur la répétition d’expositions positives
afin de ne pas penser que le succès est dû à « une bonne journée » et n’a
rien à faire avec eux. C’est aussi à cet endroit que nous parlons pour la pre-
mière fois des schémas de fonctionnement, de façon simple. En donnant
l’exemple d’un élève qui écrit un bon devoir et dit que c’était simple. Le
même élève dira de lui-même, s’il ne réussit pas, qu’il est bête. Son collègue
par contre dira dans la première situation qu’il est génial et c’est pour
cette raison qu’il a réussi. S’il échoue ce sera évidemment la faute du prof
La thérapie de groupe et gestion des émotions 113

qui est un idiot. Les patients savent en général très bien de quel côté ils se
situent. Beaucoup de ces patients sont dans la logique que le bien provient
des étoiles, ne dépend pas d’eux, alors que le mal vient d’eux-mêmes, ils en
portent la responsabilité et la culpabilité. Autant les patients peuvent rester
bloqués pour leur propre problème autant ils voient les solutions pour leurs
compagnons de thérapie. C’est au thérapeute de gérer leurs interventions
afin qu’elles restent constructives.
Tour de table sur les événements principaux de la semaine passée par
rapport aux AP.
En général nous observons progressivement de moins en moins d’anticipa-
tion d’attaques de panique sans raison. L’anxiété par rapport aux expositions
peut rester importante mais il y a de moins en moins d’évitement. Sur le
plan clinique, on observe un changement positif chez la plupart de patients.
Suite des exercices de respiration
Comme la respiration consciente peut être ressentie négativement par les
patients, il importe de leur enseigner des comportements respiratoires diffé-
rents allant du plus stricte comme celui de la « paille », au plus libre comme
celui de la « main ».
Respirer à l’aide d’une paille
Nous recommandons trois étapes :
• inspirer par le nez ou par la bouche, expirer par la paille ;
• inspirer par le nez ou par la bouche, expirer par la paille, inspirer par la
paille ;
• inspirer par le nez ou par la bouche, expirer et inspirer par la paille en se
bouchant le nez.
Respirer dans la main
Mettre la main sur le bas-ventre. Sentir la main et le ventre. Imaginer tout
simplement inspirer dans la main. Mettre la main juste au-dessus du nom-
bril, inspirer dans la main. Mettre la main sur le plexus solaire et imaginer
inspirer dans la main. Mettre la main sur le sternum et imaginer inspirer
dans la main.
Exercices de « relaxation qui permet de garder le contrôle »
Premier exercice : la relaxation 5, 4, 3, 2, 1
Il est bien connu que les exercices de relaxation type Schultz (in Cungi, 2006)
ou Jacobson peuvent provoquer des attaques de panique chez des patients
qui restent aux aguets et qui n’ont plus réussi à se détendre depuis long-
temps. C’est pour cette raison que nous préférons leur enseigner un exer-
cice d’autohypnose qui avec son côté mindfulness, pleine conscience, s’est
avéré des plus utiles au cours des années (Doutrelugne, Cottencin, 2005). Il
remonterait droit à Milton Erickson. Dans un premier temps, nous le pré-
sentons donc comme un exercice de relaxation qui permet de garder le
contrôle. Le mot « autohypnose » sera seulement dit à la fin de l’exercice. En
séance de groupe, nous pouvons démontrer l’exercice en passant la parole
d’un patient à l’autre ou en le faisant complètement avec le même patient.
114 Thérapies cognitives et émotions

Observer et écouter peut être extrêmement relaxant pour les autres. Le


patient est assis, les deux pieds par terre, les yeux ouverts, les mains posées
sur les jambes.
Dans un premier temps, nous lui demandons de nommer cinq objets qu’il
voit dans la salle de thérapie, peu importe lesquels, en précisant que ce n’est
pas un test projectif et qu’il n’y aura aucun jugement par rapport à ce qu’il
choisira de dire. Après chaque chose qu’il dira il fera une bonne respiration,
comme nous lui avons appris au cours de la thérapie. Puis nommer cinq
choses qu’il entend, toujours en faisant les bonnes respirations entre les dif-
férents bruits nommés. Et enfin, cinq choses qu’il sent ou ressent. Ces sensa-
tions peuvent être externes, comme le tissu de ses vêtements, la monture de
ses lunettes, ses pieds par terre, ou internes comme une sensation de chaleur,
de bien-être, de calme, de sérénité. Si les sensations internes sont bonnes, il
peut se fixer dessus, si elles sont dérangeantes, il vaut mieux rester avec les
sensations externes, toujours en faisant les bonnes respirations entre chaque
point. Puis quatre choses qu’il voit, entend, sent ou ressent, les mêmes,
d’autres, peu importe, toujours avec les bonnes respirations, puis trois, deux
et enfin une. Arrivé au bout, le patient se trouve dans un état de détente, favo-
rable à la suggestibilité, moment propice pour des renforcements en langage
positif : « je suis détendu », plutôt que « je ne suis pas anxieux », etc.
Il est recommandé aux patients de faire cet exercice une fois par jour, au
début de préférence en étant assis, afin de bien l’apprendre. Plus tard ils
pourront le faire le soir au lit, mais le lendemain ils ne se souviendront pas
s’ils se sont endormis à 4 entendre ou à 3.
La respiration du patient nous permet de contrôler s’il fait bien l’exercice.
Si la respiration redevient plus courte, il sort de la détente et est probable-
ment dans des pensées parallèles. Se concentrer sur la respiration ne permet
pas d’aller ailleurs avec la pensée. Si le patient perd le fil, va de 3 à 4, de
voir à sentir, c’est un signe de détente profonde et il ne faut surtout pas le
rappeler à l’ordre !
Pour certains patients adolescents, débuter par  5 peut les rendre impa-
tients ; on peut alors commencer à 4, mais pour l’adulte, 5 convient parfai-
tement bien.
Ne pas faire l’exercice en voiture. Et sortir de la détente avant de repren-
dre la voiture en tapant des pieds et en s’étirant. Le démontrer devant le
patient.
Sur la fiche thérapeutique sera marqué :
• 5, 4, 3, 2, 1 ;
• voir ;
• entendre ;
• sentir, ressentir ;
• respiration ;
• faire des suggestions en langage positif ;
• ne pas faire cet exercice en voiture ;
• sortir de la détente avant de reprendre la voiture.
La thérapie de groupe et gestion des émotions 115

À la fin de l’exercice, nous apprenons aux patients qu’il s’agit en fait d’un
exercice d’autohypnose. Le but est de leur permettre de réapprendre des
transes positives. C’est une capacité qu’ils avaient quand ils étaient enfant
mais qui s’est perdue en grande partie depuis. Ainsi, l’après-midi, vers
15 h, quand l’instituteur leur expliquait les mathématiques ou la géogra-
phie, ils étaient physiquement présents, mais avec leurs pensées ils étaient
ailleurs, dans la cour de récréation, en train de savourer le goûter qui les
attendait,  etc. Peu à peu, ces transes positives ont fait place aux transes
négatives pour lesquelles ils sont devenus de grands spécialistes. Les per-
ceptions erronées de la réalité, le côté virtuel de leurs appréhensions, les
psychodrames mentaux auxquels ils se livrent quotidiennement ne sont
autres que des transes négatives. La réinstallation d’états de détente leur
permet de retrouver un état de bien-être sans devoir aller se tester pour voir
si tout va vraiment bien, si leur cœur ne bat quand même pas un peu trop
vite et risque ainsi de les replonger rapidement dans un état émotionnel qui
risque d’échapper à leur contrôle.

Deuxième exercice : la relaxation 5, 4, 3, 2, 1 + endroit de sécurité


Il s’agit d’une variante du même exercice. Mais avant de dire les cinq choses
qu’il voit, entend ou ressent ici et maintenant (comme dans l’exercice pré-
cédent), le patient dit une chose de son endroit de sécurité, puis les cinq
choses présentes. Par exemple : le papier peint jaune (endroit de sécurité),
table, chaise, lampe, le thérapeute, la fenêtre (ici et maintenant) ; le ronron-
nement du chat (endroit de sécurité), le téléphone, la ventilation, la voix du
thérapeute, une ambulance, des pas dans le couloir (ici et maintenant) ; une
sensation de calme (endroit de sécurité) ; la chaussure qui serre, le col roulé,
les bras sur l’accoudoir, un point dans la poitrine, la ceinture du pantalon.
Et ainsi de suite pour  4, 3, 2 et  1 en veillant aux bonnes respirations. Le
but est de transposer la sensation de calme et de bien-être de l’endroit de
sécurité vers l’ici et maintenant. Terminer l’exercice comme le précédent
par des suggestions en langage positif.
Ces deux exercices de relaxation sont des exercices puissants, qui en plus
de la détente qu’ils procurent, nous ressourcent en énergie et permettent de
remettre le corps « à zéro », d’enlever les pressions, les nœuds, le mal-être.
NB : l’exercice 5, 4, 3, 2, 1, sans les respirations et en le faisant très rapide-
ment, peut servir d’exercice de distraction.
Exercice pratique
Les patients font deux à deux d’abord 5, 4, 3, 2, 1, l’un est patient, l’autre
thérapeute, puis ils changent de rôle pour faire 5, 4, 3, 2, 1  + . S’il y a une
possibilité, c’est bien de mettre les patients deux à deux dans des salles
séparées. Le thérapeute veillera à bien associer les patients. À tour de rôle, il
passera dans les différentes salles pour observer ce qu’il se passe.
Après les exercices, quelques minutes de feedback pour que chacun puisse
parler de ce qu’il a vécu en tant que patient et en tant que « thérapeute ».
C’est l’un des exercices où la dynamique de groupe a une influence très
positive.
116 Thérapies cognitives et émotions

En dehors du ronronnement, il s’agit à notre avis de l’un des exercices les


plus bénéfiques à la gestion des émotions que nous avons rencontrés en psy-
chothérapie, que ce soit en thérapie individuelle ou en thérapie de groupe.

La préparation du travail à domicile


• continuer la pratique des différentes respirations (ronronnement, abdo-
minale, Valsalva, main, paille) ;
• pratiquer l’exercice de tension musculaire ;
• s’exercer dans le 5, 4, 3, 2, 1 et 5, 4, 3, 2, 1  +  ;
• en cas d’AP, continuer à noter lequel des six points n’a pas été respecté ;
• remplir la fiche hebdomadaire attaques de panique/dépression ;
• recopier leur hiérarchie d’exposition ;
• noter la progression dans la réalisation des objectifs fixés.

La documentation et les fiches thérapeutiques


• fiche hiérarchie des expositions en 10 points ;
• fiche théorique sur le principe des expositions ;
• fiche relaxation 5, 4, 3, 2, 1 et 5, 4, 3, 2, 1  +  ;
• fiche hebdomadaire attaques de panique/dépression ;
• feuille de notation respiration/relaxation (continuer à noter sur celle
qu’ils ont mais changer de couleur pour noter cette nouvelle semaine).

L’évaluation de la séance

4e séance de thérapie de groupe (durée 2 h) :


provoquer l’émotion négative et apprendre à la gérer
Introduction
Dans la salle d’attente, tous les patients du groupe se parlent, une compli-
cité s’est installée entre eux. Le travail deux à deux a créé un rapproche-
ment. L’anxiété sociale devant le groupe et ses inconnus est ­définitivement
liquidée. C’est à ce moment de la thérapie de groupe que les différences
dans l’évolution des patients sont les plus manifestes. ­Certains patients
sont désormais capables de gérer leurs attaques de panique. Pour eux,
la thérapie pourrait s’arrêter ici. Ils ont à la fois compris le mécanisme
de leurs attaques de panique et ont repris le pouvoir de savoir les gérer.
Au programme, les différents stades du changement, le détail du scéna-
rio des attaques de panique, les exercices intéroceptifs, un exercice de
réorientation spatiotemporelle et un nouvel exercice d’autohypnose et
de détente.

Les échelles d’autoévaluation


Passation de l’Inventaire d’Anxiété de Beck et de l’Inventaire de Dépression
de Beck (in Bouvard et Cottraux, 2006).
La thérapie de groupe et gestion des émotions 117

Le travail en séance
Contrôle des fiches hebdomadaires sur les AP et sur les exercices ­respiration/
relaxation.
Revue du travail à domicile et de difficultés rencontrées lors de la réalisa-
tion des différentes étapes d’exposition. Relever les appréciations négatives
ou dévalorisantes des patients par rapport à leurs progrès :
• Ginette  : «  Je suis allée au supermarché mais il n’y avait pas grand
monde » (alors qu’elle est seulement à l’étape 5 et non pas à l’étape 10).
• Paul (qui n’avait plus pris l’autoroute depuis 3 ans) : « J’ai pris l’autoroute
mais je l’ai quittée à la 3e sortie. ».
Tour de table : par le biais de ce que les uns et les autres exposent, une
prise de conscience des comportements et des cognitions automatiques
s’installe, d’abord pour ceux des autres puis pour les leurs. Nous en profi-
tons pour décrire les principaux stades par lesquels ils passent au cours des
séances de thérapie.
Les stades du changement
À l’arrivée, ils ont des comportements inadéquats dont ils n’ont pas néces-
sairement conscience (inconsciemment faux, IF).
Après la première séance, ces comportements, tout en restant inadéquats,
seront conscients (consciemment faux, CF). Un changement cognitif est en
train de se mettre en place. Sur le plan émotionnel il n’y a pas encore de
changement positif.
Ce changement cognitif permettra d’amener un changement sur le
plan comportemental, par exemple un comportement respiratoire adapté
(consciemment juste, CJ). Et, si la logique des trois cercles est correcte, le
changement émotionnel positif va suivre et le cercle vicieux va se trans-
former en cercle salutaire.
Peu à peu les comportements adaptés répétés se feront automatiquement
(inconsciemment juste, IJ).
Afin que les patients ne se découragent pas, il est important de leur faire
remarquer qu’il y a un progrès dès le deuxième stade, même si sur le plan
émotionnel il n’y a pas encore de changement.
Reprise détaillée du scénario de l’attaque de panique avec ses différentes
étapes et les cinq points d’intervention possibles ou des mesures comporte-
mentales et/ou cognitives pourront être appliquées afin d’éviter l’escalade
finale vers la panique :
1. déclencheur ;
2. pensée automatique ;
3. émotion, sensations physiques qui peuvent se suivre dans n’importe
quel ordre ;
4. la fixation sur les sensations ;
5. l’intensification des sensations  ; l’interprétation catastrophique de ces
sensations et l’aboutissement à la panique.
118 Thérapies cognitives et émotions

Les exercices intéroceptifs


Passage en revue des exercices intéroceptifs qui ont pour but de provoquer
des sensations physiques comparables à celles rencontrées dans les états
anxieux aigus. Comme certains patients continuent à éviter les situations
anxiogènes, ces expositions leur permettent de provoquer de tels symp-
tômes et de les contrôler ensuite en utilisant les techniques respiratoires et
cognitives apprises. Les exercices sont très variés : secouer la tête, mettre la
tête entre les genoux, courir sur place, tendre complètement le corps, retenir
le souffle, tourner sur soi-même, respirer par une paille, hyperventiler, fixer
un point, déglutir rapidement, reproduire en imagination la pire sensation
physique, se relaxer et rêver, s’exposer à la chaleur, fixer son visage dans
le miroir, porter des vêtements serrés autour du cou, provoquer le vertige,
pour ne citer que les plus importants.
Exercice pratique  : tous les exercices sont démontrés et discutés avec les
patients. Chaque patient les classe ensuite par difficulté croissante et choisit
ensuite deux exercices sur lesquels il veut se concentrer au cours de la semaine,
ainsi qu’une situation in vivo pour laquelle ces exercices pourront lui servir.
L’exercice de réorientation spatiotemporelle
Ou comment se remettre rapidement dans le « ici et maintenant ». Dessiner
une caméra montée sur un tripode. Le pied du milieu représente le présent,
le pied de droite le futur, le pied de gauche le passé. Si nous nous sentons
mal, nous pouvons avoir deux types de problèmes :
• nous avons mal aux dents en ce moment même. Une visite chez le den-
tiste s’impose, nous sommes dans le présent, dans la possibilité d’action ;
• nous n’avons pas mal aux dents ou un problème du même type où nous
pourrions intervenir et pourtant nous nous sentons mal. Si nous regardons
de près, nos pensées sont soit dans le passé avec un souvenir pesant, soit
dans le futur avec une anxiété d’anticipation. Donc un « mal » que nous
créons ou recréons dans notre tête grâce à notre imagination. Nous ne pou-
vons pas remédier à un mal aux dents du passé ou du futur  ; de même,
nous ne pouvons rien changer à ce qui se passe en dehors du présent. D’où
l’importance de pouvoir se réorienter dans l’espace, dans le temps, par
exemple en prenant l’agenda, en regardant la date et en se posant la ques-
tion par rapport au mal de dents. Simple et pratique (Johnson, 2003).
L’exercice de détente des cinq doigts
À la fin de cette séance, nous apprenons aux patients une deuxième
méthode d’autohypnose (Davis, 2000), qui leur permettra de lâcher un peu
plus le contrôle et fera fonction d’exercice de relaxation à la fin de cette
séance intense sur le plan physique.
Nous commençons par un exercice de pleine conscience en demandant
au patient de prendre une position confortable sur la chaise (à la maison
il peut s’allonger s’il le souhaite ou se mettre debout), une position qui
lui permettra de se sentir à l’aise  : «  Prenez conscience des endroits où
votre corps a un contact avec le sol, la chaise, prenez-en bien conscience
tout en sachant que vous ne pouvez pas faire bien ou faire mal, ici il n’y a
pas de juste ou de faux, il vous suffit de réaliser consciemment ce qui est.
La thérapie de groupe et gestion des émotions 119

Remarquez comme votre corps respire et comment il bouge en faisant cela,


la cage thoracique monte et descend, de même que l’abdomen, et si vous
vous concentrez un peu plus vous prenez même conscience des tout petits
mouvements de vos narines selon que vous inspirez ou que vous expirez,
il suffit de se concentrer sur l’expiration et de se souvenir que si celle-ci est
bonne, l’inspiration se fera toute seule. »
«  Vous allez travailler avec votre main dominante et les cinq doigts, le
pouce, l’index, le majeur, l’annulaire, l’auriculaire. D’abord vous allez mettre
votre index sur le pouce, un peu comme si vous faisiez une pince, et en
enfonçant l’ongle du pouce dans l’index afin de faire un ancrage de la sen-
sation agréable que vous laissez s’installer au cours de cet exercice. C’est le
moment de vous souvenir d’une bonne fatigue physique… cette fatigue que
vous ressentez après avoir bien travaillé, fait du sport, ou tout simplement
cette sensation agréable que vous avez certains jours quand vous êtes déjà
réveillé et que vous savez que vous pouvez vous retourner encore une fois.
Sentez cette sensation agréable comme elle se propage depuis votre cuir
chevelu tout le long de votre corps jusque dans vos pieds et dans chacun de
vos orteils. Permettez à votre corps de se sentir détendu, relâché, paisible.
Puis faites glisser votre pouce sur votre majeur. Et ce sera le moment de vous
souvenir d’un temps agréable avec une autre personne. Cela peut être un
moment de tendresse ou un moment de simple conversation, un moment
où vous êtes senti à l’aise avec un autre être humain, un moment réel,
un moment imaginaire, un moment du passé, un moment du présent, un
moment du futur. Et essayez de retrouver cette sensation de sérénité,  de
calme intérieur, de confiance qui y est liée. Ce sera ensuite le moment
de rejoindre avec le pouce votre annulaire et de vous rappeler le plus beau
compliment que vous avez eu et qui vous vient à l’esprit. Prenez le temps
pour y réfléchir un peu, et souvenez-vous dans un premier temps comme ce
compliment a pu vous flatter, mais ensuite vous savez que vous commen-
cez à en douter un peu. Là, je vous demande d’accepter ce compliment et
de vous sentir plein de confiance en vous, de sentir cette estime de vous-
même, que vous pouvez avoir quand vous recevez un beau compliment,
quand vous vous sentez à sa hauteur. Et ce sera enfin le moment de poser
votre pouce sur votre auriculaire et de penser au plus bel endroit qui vous
vient à l’esprit et d’imaginer cet endroit avec ses couleurs, ses odeurs, les
sons qui lui sont familiers, et de sentir cette sensation de détente et de paix
qui sont propres à cet endroit. C’est le moment de vous faire des sugges-
tions dans un langage positif, de vous dire que c’est agréable de vous sentir
ainsi détendu, calme… ».
Si le temps le permet, les patients peuvent rester quelques instants dans
cette détente avant de passer à la conclusion de la séance.

La préparation du travail à domicile


• les cinq doigts ;
• s’exposer aux différentes sensations intéroceptives ;
• continuer la pratique des différentes respirations (ronronnement, abdo-
minale, Valsalva, main, paille) et des exercices de détente, 5, 4, 3, 2, 1 ;
120 Thérapies cognitives et émotions

• remplir la fiche hebdomadaire des attaques de panique réelles et/ou anti-


cipées ;
• noter la progression dans la réalisation de l’objectif qu’ils se sont fixés.
La documentation et les fiches thérapeutiques
• fiche IF, CF, CJ, IJ ;
• fiche scénario attaque de panique ;
• fiche exercices intéroceptifs ;
• fiche relaxation cinq doigts ;
• fiche hebdomadaire : attaques de panique/dépression ;
• feuille de notation respiration/relaxation (continuer à noter sur celle
qu’ils ont mais changer de couleur pour noter cette nouvelle semaine).

L’évaluation de la séance

5e séance de thérapie de groupe (durée 2 h) :


apprendre à séparer l’émotionnel du cognitif
Introduction
Les échanges dans la salle d’attente sont de plus en plus animés et s’accom-
pagnent souvent de rires. L’atmosphère est détendue. Au programme  :
mesure et démesure des émotions, les pensées négatives automatiques,
l’emploi des trois colonnes dans la restructuration cognitive.
Les échelles d’autoévaluation
Passation de l’Inventaire d’anxiété de Beck et de l’Inventaire de dépression
de Beck (in Bouvard et Cottraux, 2005).
Le travail en séance
Contrôle des fiches hebdomadaires sur les AP et sur les exercices respiration/
relaxation. Partage des difficultés rencontrées dans la réalisation du travail à
domicile, progression ou stagnation dans la réalisation de l’objectif person-
nel et de la progression dans la hiérarchie fixée. Mise en évidence de pensées
négatives qui seront reprises comme exemple plus tard dans la séance.
Tour de table sur les événements principaux de la semaine, les succès, les
difficultés persistantes, la réaction de l’entourage par rapport à leur évolu-
tion. Souvent nous continuons à noter, dans certaines situations, une déme-
sure dans la réaction par rapport à ce qui est arrivé. Par rapport à l’anxiété
mais aussi par rapport à d’autres émotions. Au cours des séances les schémas
de personnalité des patients commencent à se profiler de plus en plus.
Mesure et démesure des émotions
C’est le moment de parler de la mesure ou plutôt de l’utilité d’employer
deux sortes de mesure qui peuvent être notées chacune sur un trait gradué
de 0 à 10 :
• gravité de l’événement ;
• intensité de la réaction émotionnelle.
La thérapie de groupe et gestion des émotions 121

Imaginons une mère et un enfant. L’enfant renverse un encrier sur un


tapis blanc :
• gravité de l’événement : 5 ;
• intensité du cri de la mère : 10.
Imaginons la mère et l’enfant dans une autre situation : l’enfant est ren-
versé par une voiture :
• gravité de l’événement : 10 ;
• intensité du cri de la mère : 10.
Si nous redemandons quelle est la gravité de l’événement de l’encrier,
elle descend de 5 à 0-1. L’événement a été recadré par rapport à un autre
événement.
L’utilisation de « l’échelle analogique » peut être intéressante par rapport
au vécu personnel et par rapport à celui des autres participants du groupe
et permet le recadrage. Il s’agit de mesurer ce qui est perçu et d’apprendre
ou de réapprendre à percevoir avec nuance afin d’équilibrer ce qu’il se passe
objectivement et ce qui est vécu subjectivement.
Au cours de la thérapie, il se peut que les patients introduisent d’eux-
mêmes deux sortes de mesure supplémentaires, la durée et la fréquence. Les
symptômes passent plus rapidement et surviennent moins souvent.
Les pensées négatives automatiques et la restructuration cognitive
Les concepts de pensée négative et de restructuration cognitive sont expli-
qués aux participants et une fiche récapitulative écrite de ces explications
leur est remise.
Reprise des trois cercles (émotions, cognition, comportement) et intro-
duction théorique sur le travail cognitif dans la psychothérapie des troubles
anxieux, dépressifs, émotionnels, et plus particulièrement dans les attaques
de panique. Importance de l’élément cognitif dans le développement, la
persistance et la guérison du trouble.
Exercice pratique à l’aide de la fiche à trois colonnes :
1. situation ;
2. humeur/émotion (0-10) ;
3. pensée automatique.
L’accent est mis sur la distinction entre pensée et émotion, une distinc-
tion que les patients ne font souvent pas, et sur la nécessité d’une formula-
tion concrète afin de pouvoir à la fois isoler la pensée et l’émotion.
• Lise : « Je sens qu’il me regarde. ». En fait, il faudrait dire : « Je pense qu’il
me regarde », et l’émotion qui en découle est l’insécurité.
• Éric : « Je sens qu’elle me trompe. ». En fait, il faudrait dire : « Je pense
qu’elle me trompe », et l’émotion qui y correspond est la jalousie.
• Iris : « Je sens que j’aurai une mauvaise note. ». En fait, il faudrait dire :
« Je pense que je vais avoir une mauvaise note », l’émotion est la peur.
Afin de pouvoir apprendre à gérer une émotion, il faut lui donner un
nom, son nom. La pensée relative nous aidera à la reconnaître ou à la
préciser.
122 Thérapies cognitives et émotions

Le travail sur des situations récentes permet d’apprendre à reconnaître le


processus cognitif négatif, les pensées automatiques, les schémas cognitifs,
les croyances erronées. Au cours de la séance et des séances à venir, nous
soulignerons à chaque fois que l’un des patients va dans une distorsion
cognitive et nous les invitons à faire de même avec le thérapeute.
Les distorsions cognitives : à l’aide des dix formes citées par Burns (2006),
nous apprenons à reconnaître les différentes formes de pensées négatives
automatiques. Car bien souvent les patients ne se rendent pas compte qu’ils
sont dans ce processus cognitif négatif tellement cela fait partie de leur quo-
tidien : « Je suis bête » ; « Vous dites que c’est bon mais c’était facile à faire » ;
« Ma voisine est plus productive que moi » ; « J’ai eu de la chance »…). Ce
qui explique aussi pourquoi ils peuvent soudain être envahis « sans mobile
apparent » par un sentiment dépressif, la dernière petite pensée négative a
engendré le débordement d’un vase rempli inconsciemment au quotidien.
Les dix formes de distorsions de la pensée (tout ou rien, généralisation,
filtre mental, soustraction du positif, conclusion erronée, maximalisation
ou minimalisation, raisonnement émotionnel, je dois – j’aurais dû – j’aurais
pu, mettre une étiquette – mettre la mauvaise étiquette, personnalisation et
blâme) sont d’abord expliquées, et les exemples notés au cours des séances
de thérapie de groupe sont présentés.
Exercice pratique : deux par deux, les patients cherchent un ou plusieurs
exemples pour chacune des dix rubriques avant de les présenter au reste du
groupe. Discussion.
Exercice de détente avec implication des cinq sens : vision,
audition, sensation, olfaction, gustation
Après un exercice de pleine conscience suivi d’une image de détente (plage,
mer, lac, montgolfière, île…) qui s’adresse aux cinq sens, inviter les patients
à faire cet exercice tous les soirs au moment de se coucher :
• se souvenir d’un moment de bien-être par rapport à chacun de leurs cinq
sens au cours de la journée passée. Un bon moment tout simplement, cela
n’a pas besoin d’être un moment exceptionnel ;
• qu’est-ce que j’ai vu aujourd’hui qui a flatté mon œil ? Visage, tableau,
scène, fleur, etc. ;
• qu’est-ce que j’ai entendu de bon  ? Nouvelle, musique, rire, voix,
oiseau, etc. ;
• ma peau a-t-elle été effleurée de façon agréable  ? Tissu, geste, vent,
­chaleur, etc. ;
• mon nez se souvient-il de quelque chose ? Parfum, odeur, senteur, etc. ;
• ma langue a-t-elle rencontré une saveur à retenir  ? Salé, sucré, épicé,
doux, etc.
Si pour une raison ou une autre, la personne n’a rien vu de beau, qu’elle
remette la lumière et qu’elle regarde autour d’elle : elle est chez elle, donc
parmi des objets choisis parce qu’ils ont plu.
Si vous n’avez aucun souvenir acoustique agréable tournez le bouton de
votre radio afin de trouver la mélodie qui peut vous convenir.
La thérapie de groupe et gestion des émotions 123

Si rien d’agréable n’a effleuré votre peau glissez doucement l’étiquette de


votre pyjama entre le pouce et l’index et sentez à quel point cette matière
soyeuse est douce.
Sentez votre eau de toilette car vous aimez vous parfumer de quelque
chose qui sent bon.
Si vous n’avez pas le moindre souvenir gustatif, permettez-vous de rouvrir
exceptionnellement votre frigo au milieu de la nuit.
Cet exercice permet à la personne de sortir de ce somnambulisme que
nous rencontrons si souvent chez les patients en mal avec leurs émotions.
C’est un exercice tout simple mais qui permet de se « réveiller ».
Il pourrait être intéressant même de leur recommander d’écrire un « jour-
nal soleil », un journal dans lequel ils noteraient tous les jours une pensée
positive, un mot positif qui les a particulièrement enchantés ce jour-là. Un
journal à consulter les journées grises :
• J’ai vu un papillon arc-en-ciel.
• Trouvé plein de fortunes de mer.
• Vise la lune, si tu la loupes tu vas atterrir sur une étoile.
• Le sourire de ma fille.
• Une bonne nouvelle.
• Le premier crocus.
• Les grues sont revenues.
• Augmentation du salaire.
La préparation du travail à domicile
• relever les pensées distordues chez eux-mêmes et dans leur entourage ;
• exercice avec implication des cinq sens ;
• noter sur la fiche à trois colonnes des situations de la semaine accompa-
gnées des pensées, des émotions ;
• continuer les exercices de respiration et de détente ;
• remplir la fiche hebdomadaire attaques de panique/dépression ;
• noter la progression dans la réalisation des objectifs fixés.
La documentation et les fiches thérapeutiques
• fiche « dix formes de distorsions cognitives » ;
• fiche « trois colonnes » ;
• fiche hebdomadaire « attaques de panique/dépression » ;
• note explicative sur l’exercice avec implication des cinq sens.

L’évaluation de la séance

6e séance de thérapie de groupe (durée 2 h 30) :


la restructuration cognitive au service de l’émotion
À leur arrivée, les patients sont de plus en plus détendus, entre eux et aussi
bien plus ouverts envers le thérapeute. Souvent ils disent que l’évolution
124 Thérapies cognitives et émotions

positive des autres est beaucoup mieux perçue que la leur et que cela les
encourage à tenir bon.
Travail, pendant toute la séance, sur les distorsions cognitives et la
restructuration cognitive. Et, pour terminer un exercice de détente avec
une métaphore à « confusionner ». Le travail cognitif peut être difficile à
comprendre pour certains, donc de nombreux exemples pratiques seront
à l’ordre du jour. La séance commence par la visite du psychiatre qui parlera
des médicaments qui influencent, calment, changent, stabilisent les émo-
tions (30 minutes).

Les échelles d’autoévaluation


Passation de l’Inventaire d’anxiété de Beck et de l’Inventaire de dépression
de Beck (in Bouvard et Cottraux, 2005).

Le travail en séance
Contrôle des fiches hebdomadaires sur les AP et sur les exercices ­respiration/
relaxation. Il est important de profiter à chaque séance de ce moment pour
rappeler aux patients l’importance de ces exercices, de les motiver, de les
aider à trouver une possibilité de les faire.
La vérification du travail à domicile a son importance. S’il n’est pas vérifié
régulièrement, il finira par ne plus être fait, et cela bien que nous travaillons
avec des adultes. Ne pas le vérifier à une séance et le revérifier à la séance
d’après, permet aussi de les responsabiliser et de montrer la différence par
rapport à l’enfant qui fera le plus souvent le devoir s’il sait qu’il est contrôlé
pour ne pas être puni ou parce qu’il le faut, alors que l’adulte en aurait compris
l’utilité. Le thérapeute doit utiliser tous les moyens à sa disposition pour aider
le patient à changer. Le thérapeute, tout comme le patient, doit rester motivé !
Tour de table sur les événements principaux de la semaine par rapport
aux attaques de panique mais aussi par rapport à d’autres événements.
Mettre en évidence les facteurs qui peuvent influencer la survenue ou la
maîtrise des états anxieux. Parler des facteurs facilitants.

La médication et les attaques de panique


Comme nous avons un certain nombre de patients qui ont un traitement
médicamenteux parallèlement à la psychothérapie, nous demandons à
un psychiatre de nous faire un bref exposé. Il parle des différents types de
médicaments prescrits dans la gestion des émotions, leurs avantages, l’asso-
ciation psychothérapie-médication, il répond aux questions des patients
et envisage avec eux les mesures à prendre en cas d’arrêt de la médication.

La restructuration cognitive
La restructuration cognitive à l’aide des sept colonnes :
1. situation ;
2. humeur/émotion ;
3. pensée automatique ;
4. arguments en faveur de la pensée automatique ;
La thérapie de groupe et gestion des émotions 125

5. arguments contre la pensée automatique ;


6. pensée alternative ;
7. humeur/émotion.
Exercice pratique avec l’ensemble des patients avant de leur demander
de le faire deux à deux. Nous prévoyons assez de temps pour faire cet exer-
cice. Lors de la dernière séance, les patients ont appris à relever les pensées
automatiques, dans cette séance l’accent est mis sur la correction des erreurs
logiques et des croyances négatives. Le but est de réduire les distorsions cog-
nitives et de désactiver les schémas dysfonctionnels. Il s’agit de réduire à la
fois la fréquence des pensées négatives automatiques ainsi que la quantité de
contenu négatif des pensées par apport à soi, au monde et au futur. L’objectif
est d’augmenter l’utilisation de perceptions objectives d’objets, de situations
et d’événements. Ainsi un ascenseur peut redevenir un moyen de locomotion
au lieu d’une prison ou d’un cercueil. Ceci permet de corriger ce qui semblait
logique au patient et de lui montrer que si l’hypothèse de départ est fausse,
la démonstration et la conclusion le sont nécessairement aussi. La 7e colonne
permet pour ainsi dire de faire la preuve. Si l’intensité de l’émotion a changé,
la démarche était correcte. Si la pensée automatique était « je vais mourir »
et la pensée alternative devient « je (ne) serai (que) dans une chaise roulante »,
l’humeur reste inchangée à la colonne 7 par rapport à la colonne 2.
L’exercice de détente
Après ces efforts cognitifs importants, nous aimerions conclure avec une
petite histoire qui a pour but de montrer qu’il y a des situations où il faut
apprendre à réfléchir autrement. D’autres diront qu’elle sème la confusion.
À chacun de juger pour lui-même. Nous avons choisi une histoire du Moyen-
Orient qui est racontée par de nombreux auteurs et dont il est difficile de
retrouver l’origine. Elle est citée par Peseschkian (2003) et bien d’autres, et
peut varier légèrement selon l’auteur et selon le public auquel elle est des-
tinée. La séance commence par un exercice de pleine conscience comme à
la séance précédente, puis nous racontons l’histoire des chameaux.

Après sa mort, un homme laissa à ses trois fils 19 chameaux et il leur demanda
de les partager de la façon suivante : l’aîné aura la moitié, le second un quart
et le plus jeune un cinquième du troupeau. Ils sont en train de réfléchir, de se
disputer et d’aiguiser le couteau quand un sage passe avec son chameau. Il
s’arrête, met sa bête avec le reste du troupeau et demande ce qui se passe. Les
trois frères lui racontent leur situation qui semble sans issue. Le vieux sage réflé-
chit un instant en regardant les bêtes devant lui. Il en prend la moitié et donne
dix au premier né, au second il en remet cinq, le quart, et au troisième quatre,
le cinquième. Il récupère ensuite son propre chameau et il se remet en route.

La préparation du travail à domicile


• noter chaque jour un exemple de restructuration cognitive à l’aide des
sept colonnes ;
• continuer la pratique des différents exercices de respiration et de détente ;
126 Thérapies cognitives et émotions

• remplir la fiche hebdomadaire AP/D des attaques de panique réelles et/ou


anticipées ;
• noter la progression dans la réalisation de l’objectif qu’ils se sont fixé.

La documentation et les fiches thérapeutiques


• fiche « sept colonnes » ;
• fiche hebdomadaire « attaques de panique/dépression » ;
• métaphore des chameaux.

L’évaluation de la séance

7e séance de thérapie de groupe (durée 2 h) : aller


au fond de l’émotion
Introduction
Après avoir travaillé pendant les six séances précédentes sur la gestion
des émotions grâce aux changements comportementaux et cognitifs c’est
le moment de nous pencher sur le «  pourquoi  » et le «  pourquoi moi  »
par rapport aux attaques de panique. La deuxième partie de la séance sera
consacrée à la préparation de la 8e séance avec sortie et exposition(s) in vivo.

Les échelles d’autoévaluation


Passation de l’Inventaire d’anxiété de Beck et de l’Inventaire de dépression
de Beck (in Bouvard et Cottraux, 2005).

Le travail en séance
Contrôle des fiches hebdomadaires sur les AP et sur les exercices ­respiration/
relaxation.
Revue du travail à domicile, des difficultés éventuelles et des erreurs de
logique par rapport aux sept colonnes. Cet apport nous donnera de nom-
breux exemples personnels pour alimenter la présentation sur la personna-
lité et le schéma de fonctionnement des patients, schéma qui a préparé un
bon terrain pour l’installation des attaques de panique.
Tour de table sur les événements de la semaine, la progression sur le
plan pratique, l’influence sur d’autres domaines de la vie de famille ou
de la vie professionnelle. La plupart des patients deviennent bien plus
affirmés au cours de la thérapie et apprennent ainsi à se protéger avant
même que le sujet ne soit abordé dans cette 7e séance. Il est important de
rajouter, ultérieurement à cette séance, à quel point la stabilisation émo-
tionnelle d’un patient peut devenir déstabilisante pour l’un ou l’autre
membre de sa famille. Ainsi un mari, qui en raison de l’anxiété de son
épouse, était toujours informé de ses moindres activités, se trouve sou-
dain confronté à une situation nouvelle qui échappe à son contrôle avec
une femme qui gère ses attaques de panique, et commence à se déplacer
comme elle veut.
La thérapie de groupe et gestion des émotions 127

Le caractère et le schéma de fonctionnement de la personne


anxieuse
Reconnaître le positif et le négatif
Les patients se reconnaissent bien dans notre récit et les descriptions qui
suivent. Ils sont surpris de voir comment les thérapeutes peuvent savoir
ou deviner. La plupart des patients souffrant d’attaques de panique ont
ces caractéristiques émotionnelles positives communes  : la sensibilité, la
créativité, l’intuition, l’empathie, la gentillesse (Bourne, 2003). Leur grande
sensibilité les rend ouverts aux belles choses mais leur donne aussi une souf-
france plus grande. À la question « avez-vous de la créativité ? », certains
répondent « oui », d’autres « non ». Leur étonnement est grand quand nous
mettons en doute ce « non » car ils pensent à la créativité artistique unique-
ment et non pas à cette facilité qu’ils ont pour faire de multiples scénarios
de catastrophe pour lesquels ils sont devenus des experts. L’intuition, cette
capacité de sentir, de pressentir, avant d’apprendre ou avant de savoir leur
est bien familière et leur pose souvent un piège dans leur problème anxieux.
L’empathie pour les problèmes des autres leur vient naturellement et tout
au long du travail du groupe nous avons pu observer une grande gentillesse
dans leurs récits et envers les autres participants.
Ces cinq caractéristiques, qui sont des qualités extraordinaires qu’il faut
préserver, sont aussi en partie à l’origine des problèmes actuels. La personne
est déçue quand les égards qu’elle a pour les autres ne lui sont pas, ne serait-
ce que partiellement, rendus. Cela peut entraîner des sentiments d’amer-
tume qu’il ne faut en aucun cas laisser s’installer. Cette émotion négative
aurait la même fonction que le sel que les Anciens jetaient sur des terres
prises à l’ennemi, où plus rien ne pouvait pousser pendant longtemps.
Comme les qualités positives sont des qualités innées, le patient peut croire
que tout le monde les a. Ce qui n’est pas le cas.
Si l’intelligence intellectuelle peut être illustrée par une courbe de Gauss,
où l’intelligence moyenne se trouve au milieu tout en haut, l’intelligence
supérieure tout en bas à droite, l’intelligence inférieure tout en bas à gauche,
il n’est pas si simple d’illustrer ce que nous appelons intelligence émotion-
nelle. De plus, les deux ne vont pas nécessairement de pair. Il se peut qu’une
personne très brillante sur le plan intellectuel soit déficiente sur le plan
émotionnel. Et tout comme un enfant débile ne peut pas apprendre cer-
taines choses, qu’elles soient enseignées avec patience ou avec dureté, cette
personne est insensible à certaines demandes qu’elle ne comprend pas et
surtout qu’elle ne devine pas. Ce qui entraînera une atteinte à l’estime de
soi de celui qui risque de se dire qu’il n’a pas de valeur, qu’il n’est pas assez
important et ainsi de suite. Comprendre cela peut être utile et permettre
d’avoir une autre réaction vis-à-vis du comportement de l’autre.
Mais comme nous ne pouvons pas travailler au changement de l’autre
mais seulement au nôtre, le vrai problème se situe autre part. Si nous avons
parlé de caractéristiques positives dans un premier temps, il va de soi que
nous allons aussi évoquer des inconvénients. Ce sont des caractéristiques
que nous retrouvons chez beaucoup de nos patients qui ont un problème
128 Thérapies cognitives et émotions

avec leurs émotions mais surtout dans le cadre des problèmes anxieux. La
première est la recherche du perfectionnisme. Vouloir bien faire n’est pas
un mal en soi s’il n’y a pas que deux mesures : 0 % et 100 %. Où sont passés
les 99 + 1% ? Le problème est que les personnes qui sont dans cette dichoto-
mie se donnent rarement du crédit pour ce qu’elles ont fait. Elles ne voient
que ce qui n’a pas été fait. Ce qui a pour conséquence que le compteur est
remis tous les matins à zéro. C’est non gratifiant et fatiguant. Sisyphe au
xxie siècle. Les mythes se répètent.
Une deuxième caractéristique est le besoin de contrôle. Il s’agit moins du
contrôle des autres que de celui des événements de vie. Comme Epictète le
disait déjà, il y a deux sortes d’événements : ceux sur lesquels nous avons
une influence et ceux sur lesquels nous n’avons pas d’influence. Il rajoutait
que c’est une grâce de connaître la différence. Bien souvent nos patients
n’ont pas cette grâce. Un troisième point est l’importance du regard des
autres. À la fois dans le sens où c’est important de bien faire mais aussi
dans le sens où il faut satisfaire tout le monde. Il va de soi que les personnes
qui ont l’un ou l’autre, mais le plus souvent les trois caractéristiques réu-
nies, ont un lourd programme journalier. Ce qui génère évidemment du
stress. Le stress en lui-même peut être un problème, mais c’est surtout le fait
d’ignorer les signes physiques et psychiques qu’il crée qui sera à l’origine
de problèmes physiques et/ou psychiques importants : infarctus, burn-out,
troubles anxieux, troubles dépressifs, troubles psychosomatiques pour n’en
citer que les plus importants.
Un système d’autoprotection : les limites
La plupart des patients, et pas seulement dans les groupes attaques de
panique, se reconnaissent bien dans cette description. Ils comprennent
qu’ils ont appris à gérer les attaques de panique mais qu’il y a tout un travail
de longue durée à faire pour ne pas en générer des nouvelles tout au long de
leur vie, sur le même plan et sur d’autres plans. Dans l’avant-dernière séance,
nous arrivons aux limites, aux limites personnelles. Un peu comparable aux
limites que l’on introduit dans l’éducation des enfants. Pouvez-vous ima-
giner une autoroute sans signalisation ? Ce serait extrêmement dangereux
de ne pas savoir où s’arrête le macadam et où commence le ravin, de ne pas
savoir où on peut doubler, quelle est la vitesse recommandée, et… où sont
installés les radars. Voilà tout un programme d’installation à faire, au moins
d’être téléguidé. Ce dernier point pourrait faire sourire si ce n’était pas bien
souvent le cas. Que de patients perturbés dans leurs émotions sont manipu-
lés comme des marionnettes dont les fils sont activés par des proches, par
des membres de la famille ou de la famille d’origine, même longtemps après
la disparition de celle-ci.
Au début de la thérapie, nous avions parlé des projets à court terme, à
moyen terme et à long terme. Le travail sur les limites, voilà un objectif
à long terme. Apprendre à les connaître, à les respecter, les montrer aux
autres, les faire respecter. Un programme en quatre étapes. Comme nous
reverrons les patients quatre fois après la fin de la thérapie de groupe,
nous pouvons continuer à les accompagner dans leur changement en les
La thérapie de groupe et gestion des émotions 129

aidant à ­appliquer les techniques apprises au-delà de la gestion des attaques


de panique. Nous aimons accompagner cette idée de l’image du crabe
ermite qui sera reprise dans la relaxation de fin de séance.
La préparation de la prochaine séance : une séance d’exposition
Depuis l’hôpital, nous prendrons tous le bus municipal pour aller dans un
centre commercial situé à une vingtaine de minutes. Le centre commercial
compte de nombreuses boutiques disposées sur deux étages, ainsi qu’un
supermarché avec un rayon alimentation au rez-de-chaussée, des objets
divers à l’étage, allant des articles d’entretien à l’électroménager en passant
par les vêtements. À l’extérieur du bâtiment se trouve une voie à grande
vitesse, traversée par un pont, ainsi que des bâtiments très élevés et des
parkings en sous-sol sur trois étages.
Selon le problème du patient, des tâches d’exposition seront choi-
sies. Elles se feront sans les thérapeutes qui resteront dans les couloirs à
des endroits fixes. Les patients les contacteront à des moments précisés
d’avance. Dans un premier temps, certaines tâches se feront par les patients
deux à deux, seul ensuite. Si des expositions se font à l’extérieur du bâti-
ment, le patient sera accompagné à distance par l’un des thérapeutes. Le
retour en bus à l’hôpital pourra se faire séparément, si un patient choisit
comme exposition le retour seul en bus. Un thérapeute restera sur les lieux
jusqu’au départ du dernier patient. Tous se retrouvent pour un debriefing à
la fin de la séance.

L’imagerie et la métaphore
La séance commence par un exercice de pleine conscience. Puis nous
demandons au patient d’imaginer qu’avec chaque respiration il descend
plus profondément dans la détente, comme s’il descendait un escalier de dix
marches et avec chaque marche la détente deviendrait encore plus agréable.
La première marche, la deuxième… la dixième marche. Cet escalier le mène
à une plage. L’une de ces plages au sable fin. Ce sable fin qui passe douce-
ment à travers les doigts, chaud, fin, soyeux. Et puis il y a cet endroit non
loin de la mer où il ferait bon s’arrêter, s’asseoir, s’allonger. Comme il serait
agréable de sentir où est posée la tête, les épaules, le dos, la taille, les fesses,
les jambes, les talons. Les bras sont allongés le long du corps, les doigts
s’enfoncent dans le sable, et plus ils creusent plus la consistance du sable
change. Il devient plus humide, plus compact, plus frais. « Une douce brise,
ni trop chaude, ni trop fraîche passe sur votre corps et l’enveloppe comme
une couverture. Vous entendez le bruit des petites vagues qui viennent se
casser sur la plage. Vous aimeriez mettre les pieds dans l’eau fraîche mais
vous sentez cette paresse agréable qui vous empêche de bouger. Mais la
fraîcheur de l’eau serait si agréable. Vous arrivez à vous lever doucement,
dans le sable vous voyez la marque que votre corps y a laissée. C’est votre
place, votre endroit, mentalement vous pourrez y retourner à chaque fois
que vous le souhaiterez, il suffira de visualiser cette marque dans le sable qui
garde l’empreinte de votre corps, de votre tête, de votre dos, de vos jambes,
de vos talons. Quelques pas et vous avez les pieds dans l’eau. Vous imaginez
130 Thérapies cognitives et émotions

que vous laissez glisser le moindre nœud, le moindre mal-être, le moindre


souci que vous pourriez ressentir, le long de votre dos, de vos jambes, de vos
pieds, jusque dans la pointe de vos orteils où la première petite vague
les entraînera au fond de l’océan où ils se dilueront dans le grand bleu.
Vous pourrez recommencer aussi souvent que nécessaire, aussi souvent
que vous le souhaitez. Au moment de repartir vous voyez un coquillage
qui court par terre. Un coquillage qui court ? C’est en fait un crabe ber-
nard-l’hermite qui se déplace. Peut-être que le petit crabe est à la recherche
d’un nouveau coquillage, d’un coquillage plus grand, plus confortable.
Peut-être que le sien est devenu trop petit. Et pourtant il hésite à le quitter
car ce coquillage qui le serre le protège aussi. L’abandonner l’exposerait
aux dangers de la mer. Pourtant un coquillage plus grand, changerait sa
qualité de vie. Soudain, il voit un beau coquillage tout près qui l’attend…
c’est à ce moment que vous arrivez près de l’escalier, vous remettez vos
pieds sur le sable d’abord humide et compact à la sortie de la mer, puis
chaud et soyeux quand vous rejoignez la dernière marche de l’escalier.
Vous remontez les dix marches, la dixième, la neuvième… la première.
Vous sentez la chaise sur laquelle vous êtes assis, votre dos contre le dos-
sier, vos pieds par terre. Quand le moment sera bon pour vous, vous
pourrez rouvrir les yeux ».

La préparation du travail à domicile


• laisser tout simplement décanter les sujets que nous avons abordés ;
• travailler en imagination les expositions choisies pour la dernière
séance de thérapie de groupe. Nous contacter deux jours avant la pro-
chaine séance pour nous communiquer leur projet d’exposition ;
• appliquer les exercices de respiration et de détente ;
• remplir la fiche hebdomadaire des attaques de panique réelles et/ou anti-
cipées ;
• noter la progression dans la réalisation de l’objectif qu’ils se sont fixé.

La documentation et les fiches thérapeutiques


• fiche « personnalité anxieuse : + et – » ;
• feuille « préparation séance d’exposition in vivo » ;
• fiche hebdomadaire « attaques de panique/dépression ».

L’évaluation de la séance

8e séance de thérapie de groupe (durée 4 h) : gestion


de l’émotion et application pratique
Introduction
La plus grande partie de cette longue séance est consacrée à la sortie avec
les patients pour faire des expositions in vivo. Départ de l’hôpital et retour
à l’hôpital pour un tour de table et quelques conseils pratiques avant la
conclusion du groupe.
La thérapie de groupe et gestion des émotions 131

Les échelles d’autoévaluation


Passation de l’Inventaire d’anxiété de Beck et de l’Inventaire de dépression
de Beck (in Bouvard et Cottraux, 2005).
Le travail en séance
La sortie : exercices de confrontation in vivo
Préparatifs avant la sortie : tous les patients sont mis au courant des projets
d’exposition des autres ainsi que des endroits où se trouveront les théra-
peutes à des moments différents. Une feuille avec les indications précises
est remise à chaque patient. Il peut être nécessaire d’amener un troisième
thérapeute. En cas d’imprévu, le groupe restera ensemble avec un thérapeute.
Un numéro de téléphone portable pourrait être laissé mais dans la mesure
où, tout au long de la thérapie, nous avons dit au patient qu’il n’y a pas de
danger, nous préférons continuer dans cette lignée. Nous faisons une séance
d’exposition, nous ne sommes pas dans une aventure avec risque de mourir.
Nous nous souvenons aussi d’une époque pas très lointaine où tout patient
anxieux avait son portable alors que les thérapeutes n’en avaient pas encore.

Quelques possibilités d’expositions :


• Paul  : au supermarché, le thérapeute remplit un chariot de 20  articles, le
patient les remettra dans les différents étalages.
• Nicole : le thérapeute lui demande de trouver un ou plusieurs articles précis
dans le rayon alimentation.
• Jeanne : la patiente en profite pour faire ses courses. Elle achètera 15 articles.
• Christine  : elle essayera différents vêtements dans une boutique dont les
cabines d’essayage sont au fond du magasin.
• Léon  : dans le bus, il restera d’abord debout près de la porte de sortie. À
chaque arrêt, il avancera plus loin dans le bus. Au retour il s’assoira d’abord près
de la porte puis au fond du bus, près de la fenêtre.
• Georges : il ira prendre tout seul un café dans le bistrot du centre commercial
et mangera un croissant en public.
• Aline  : elle sortira du complexe commercial pour emprunter le petit pont
métallique qui traverse la voie à grande vitesse, s’approchera de la rampe, regar-
dera en bas. D’abord en compagnie d’un thérapeute, puis toute seule.
• Yves : il se mettra à côté de l’immeuble d’une dizaine d’étages et regardera
vers le haut. Puis il traversera le pont et regardera en bas, en tenant la rampe,
puis sans tenir la rampe.
• Line : elle prendra un bus, avant les autres, pour aller seule jusqu’au change-
ment de bus. Elle y attendra les autres pour retourner à l’hôpital.
• Claude : il attendra le départ des autres et les suivra avec le prochain bus.
Au retour à l’hôpital, un debriefing sur le vécu des différentes situations d’expo-
sition et de la gestion de l’anxiété. Cette séance est le plus souvent vécue
comme une grande aventure avec de nombreux exploits à raconter aux autres
patients et aux thérapeutes. Les conquérants de la peur ont de nombreuses
petites victoires à partager.
132 Thérapies cognitives et émotions

Conseils pour le maintien des effets de la thérapie


• maintenir l’inclusion des techniques apprises dans la vie de tous les
jours ;
• prévoir les facteurs de stress possibles et les déminer ;
• oser s’affirmer, sortir du comportement passif sans devenir pour autant
agressif ;
• accepter l’aide et l’appui de l’entourage, oser demander, apprendre à
déléguer ;
• se récompenser pour toute réussite, la valider et la valoriser ;
• en cas de rechute ou d’attaque de panique, se remettre rapidement dans
la situation ;
• fixer un objectif hebdomadaire pour continuer à regagner du terrain ;
• refaire régulièrement des exercices intéroceptifs, des expositions, des
confrontations ;
• veiller à une bonne hygiène de vie (alimentation, sommeil, exercice phy-
sique) ;
• renoncer aux « bouées de sauvetage » : portable, pilule, bouteille d’eau ;
• SOS : en cas de besoin, contacter le thérapeute et ne pas attendre la pro-
chaine séance.

Fixation d’un objectif à court (3 mois), à moyen (6 mois), long


termes (1 an)
L’imagerie pour la route : les Demperten
L’exercice de relaxation commence par un exercice de pleine conscience.
Quand les patients sont bien détendus, nous leur racontons cette histoire
d’une autre époque.
Au début du siècle dernier, le Nord de notre pays était bien pauvre. Les
champs rapportaient peu de récoltes. Il va de soi que le repas du soir était
bien souvent frugal : des pommes de terre cuites à l’eau, des Demperten. Les
bons jours avec des lardons, les autres avec du café noir. Cela peut paraître
étrange mais c’est ce qu’on m’a raconté. On versait bien du café noir dessus.
Imaginez toute une famille, comme ces familles d’autrefois, trois généra-
tions, parfois quatre, réunies autour de la même table et du même plat. Un
grand plat dans lequel chacun plongeait sa fourchette. Manger des Demper-
ten était tout un art, tout un savoir faire… et les vrais experts avaient une
pomme de terre en bouche, une deuxième sur la fourchette et une troisième
à l’œil. Imaginez, un plaisir qu’on savoure, un autre qu’on tient déjà et un
autre encore en vue. Une belle philosophie de vie concernant le plaisir, les
projets, les objectifs.

La préparation du travail à domicile


• continuer les exercices de respiration et de relaxation ;
• travailler sur la réalisation et la préparation des OCT, OMT et OLT fixés ;
• tous les soirs, prendre quelques minutes pour se souvenir d’un moment
agréable vécu sur le plan de chacun de leurs cinq sens.
La thérapie de groupe et gestion des émotions 133

La documentation et les fiches thérapeutiques


• fiche avec les règles pour le maintien du bénéfice de la thérapie ;
• fiche « respiration/relaxation ».

L’évaluation de la séance
• évaluation de la thérapie de groupe : les patients reçoivent un ques-
tionnaire à remplir chez eux et à nous renvoyer par la Poste ;
• fixation du rendez-vous pour les tests spécifiques qui sont refaits après
la 8e séance.

Les quatre séances de consolidation


Le mode de déroulement est dans l’ensemble le même que pour les huit
séances précédentes, de même que la durée. Inventaire d’anxiété et de
dépression de Beck, tour de table. En ce qui concerne les travaux à domicile,
les patients sont encouragés à continuer leurs exercices de respiration, de
relaxation, d’autohypnose, de restructuration cognitive, mais il n’y a plus
de petites croix à faire ! L’autonomie s’est installée au cours des séances pré-
cédentes ou elle ne s’installera que difficilement par la suite. Nous les
encourageons à continuer à travailler sur les objectifs à court terme, à
moyen terme et à long terme, afin de regagner de plus en plus de terrain.
Étant donné que leurs objectifs sont différents par rapport à leur situation
émotionnelle initiale, un travail de plus en plus personnalisé est demandé
aux patients et au(x) thérapeute(s). C’est ce qui est expliqué aux patients
lors de la première séance de consolidation et poursuivi comme but au
cours des trois suivantes. Aller au-delà du problème pour lequel ils se sont
présentés. L’influence de la dynamique de groupe reste positive. L’avance-
ment de chacun en particulier profite à tous les autres membres du groupe.
Il est important d’offrir de nouvelles techniques lors de ces séances car les
patients risquent de ne plus venir si on se limite à un simple contrôle du
statu quo. Si nous continuons à nous passionner pour la suite de leur évo-
lution, les chances sont plus grandes de voir les patients conserver leur
motivation.

1re séance de consolidation (1 mois après l’arrêt de la thérapie)


Récapitulation à l’aide d’une mind map à la façon de Tony Buzan (2003) qui
permet de visualiser en un coup d’œil, de façon radiale, l’ensemble de toutes
les techniques apprises au cours des huit premières séances. Un dessin qui
ressemble à un soleil avec au milieu un cercle dont partent comme des rayons
six traits ramifiés. Au milieu, le groupe « meilleure gestion des attaques de
panique », puis les six branches avec leurs ramifications respectives :
1. respiration : ronronnement, respiration abdominale, Om ;
2. relaxation : 5, 4, 3, 2, 1 ; 5, 4, 3, 2, 1 + ; cinq doigts, tension et détente
musculaire, exercice de pleine conscience ;
3. émotions  : reconnaître, différencier, mesurer, gérer, +/–  traits de per-
sonnalité ;
134 Thérapies cognitives et émotions

4. cognitions  : restructuration cognitive, 10  formes de distorsions cogni-


tives, sept colonnes ;
5. comportement : évitement, confrontation, hiérarchie d’exposition ;
6. points, scénario attaque de panique ;
7. hygiène de vie : travail, repos, loisirs, sommeil, alimentation, boissons,
sport, philosophie de vie.
Les patients sont encouragés à observer ce qui peut les tourmenter sur le
plan émotionnel, en notant leurs journées par + : positives, - : négatives,
+/-  moyennes et de voir s’il y a une interprétation plausible aux change-
ments, la présence ou l’absence de certaines personnes, certains jours de
la semaine, le week-end, certaines périodes du mois, etc. Reconnaître une
vulnérabilité peut contribuer à une meilleure gestion d’une émotion.
Continuer le travail sur la réalisation de l’objectif à moyen terme à réali-
ser jusqu’à la 2e séance de consolidation.

2e séance de consolidation (3 mois après l’arrêt de la thérapie)


Travail sur la gestion des émotions par rapport à ce qui est important dans
la vie, ce qui crée des émotions positives, ce qui provoque des émotions
négatives.
Métaphore des cinq pierres qui remonterait à un philosophe auquel on
avait demandé de faire un cours sur la gestion de la vie et du temps dans
une grande université américaine. Seulement pour ce faire, on ne lui accor-
dait qu’un quart d’heure. Le savant prit un vase transparent et y mit cinq
grosses pierres qui remplissaient le récipient. Puis il demanda à l’audience
s’il était bien rempli. À la réponse « oui » il rétorquait « non » et il rajouta
du gravillon, puis du sable, et enfin de l’eau. Il expliqua aux étudiants qu’il
voulait leur montrer que dans la vie on n’avait de la place que pour cinq
choses prioritaires représentées par les pierres. Des choses moins impor-
tantes représentées par le gravillon trouvaient leur place entre les pierres,
quant aux choses peu importantes représentées par le sable et aux choses
superficielles représentées par l’eau, elles devaient se faufiler là où il restait
de l’espace. Mais, il rajoutait que ce qui importait aussi, c’était de savoir
qu’il fallait commencer avec les grosses pierres, sinon il n’y aurait plus la
place pour les mettre toutes par la suite.
Comme il est dit en général que les cinq piliers sur lesquels repose une
vie équilibrée sont constitués par le travail, le corps, la famille, les amis,
la philosophie de vie, nous demandons aux patients d’imaginer qu’ils ont
une fiole avec de l’énergie de vie. Ils peuvent en imaginer la couleur, puis,
la verser dans cinq verres représentant chacun l’un des cinq piliers de la vie.
Lequel est trop rempli par rapport à un autre, lequel demande un investis-
sement émotionnel trop important, lequel est presque vide ?
Ce test peut être très utile. Dans des moments de vie où tout va bien,
peu importe lequel des verres est rempli plus qu’un autre. C’est dans des
moments où la vie émotionnelle est pénible où ce test peut être utile. Après
avoir appris à gérer l’urgence des émotions dans les attaques de panique,
il importe d’apprendre à gérer les émotions au quotidien afin de ne pas
recréer une nouvelle situation de crise.
La thérapie de groupe et gestion des émotions 135

Remplir le questionnaire des schémas de Young (2006) sur lequel nous


travaillerons à la prochaine séance. Fixer un objectif intermédiaire à attein-
dre jusqu’à la 3e séance de consolidation.
3e séance de consolidation (6 mois après l’arrêt de la thérapie)
Avant de communiquer aux patients les résultats de leurs questionnaires et
après avoir obtenu leur accord pour en parler en groupe, nous les familiari-
sons avec la méthode des six chapeaux d’Edward de Bono. Parfois, selon le
sujet des groupes, selon les membres du groupe, il peut être nécessaire d’y
avoir recours à un moment moins avancé de la thérapie ! Cette méthode
très simple permet à chacun de dire son opinion à propos d’un sujet donné
à un moment donné. Chacun est invité à s’exprimer et doit s’exprimer.
Le temps d’expression est défini, par exemple deux minutes. Le chapeau
revêtu (mentalement) garantit pour ainsi dire l’immunité de celui qui parle
mais fournit aussi la limite de ce qui peut être dit. Il y a six couleurs de
chapeaux : le blanc, le rouge, le noir, le jaune, le vert et le bleu. Chaque
chapeau peut être utilisé seul ou plusieurs chapeaux peuvent se succéder :
• le chapeau blanc est neutre et objectif, il s’occupe de faits ;
• le chapeau rouge permet l’expression du point de vue émotionnel, la
verbalisation des émotions, des sentiments, de l’intuition sont de son
domaine ;
• le chapeau noir est synonyme de prudence, de précautions à prendre ;
• le chapeau jaune est optimiste et laisse de la place à l’espoir ;
• le chapeau vert défend la créativité et les idées nouvelles ;
• le chapeau bleu détient le contrôle et organise l’utilisation des autres
chapeaux. Il a pour ainsi dire une fonction de chef d’orchestre. Ce sera au
thérapeute de le « revêtir » lors de cette séance de groupe. Il décidera quel
sera le chapeau revêtu par l’ensemble du groupe à un moment donné.
Par exemple nous pourrions demander aux membres du groupe de
s’exprimer par rapport au problème de colère d’un certain patient. En revê-
tant le chapeau blanc par exemple, puis le chapeau rouge. Le thérapeute
résume, guide, dirige le processus de réflexion. Il s’agit d’un instrument
exceptionnel pour gérer un groupe sur le plan de l’expression des émotions,
de leur gestion et de la réflexion pouvant amener un changement.
Le livre Je réinvente ma vie de Young (2003) est recommandé aux patients,
la partie concernant leur schéma leur est indiquée et peut leur être remis.

4e séance de consolidation (1 an après l’arrêt de la thérapie)


Le travail par rapport aux réflexions des trois premières séances de conso-
lidation a rendu les patients attentifs à leurs schémas de fonctionnement
avant même que nous n’en abordions le sujet explicitement à la 3e séance
de consolidation. Le temps entre les séances leur a permis de voir quel est le
travail qu’ils peuvent faire seuls en s’aidant d’un manuel de thérapie et quel
est le travail pour lequel ils auront besoin d’aide.
C’est le moment de reparler des pelotes de laine. Lesquelles restent  ?
Quelles émotions continuent à poser des problèmes ? Sur lesquelles serait-il
utile ou nécessaire de travailler ? Faut-il les orienter vers une autre thérapie
136 Thérapies cognitives et émotions

de groupe pour apprendre à gérer d’autres émotions, leur faut-il une théra-
pie individuelle, sont-ils bien comme ils sont  ? Une réponse à considérer
individuellement selon les besoins, les capacités et les possibilités du patient.
Nous remercions les patients de nous avoir accordé leur confiance pour ce
travail sur leurs émotions et avec leurs émotions.

Conclusion
Parfois, quand nous demandons à nos patients ce qu’ils attendent de la
thérapie de groupe, ils nous répondent qu’ils voudraient «  redevenir
comme avant ». Et c’est justement ce qu’il ne faut pas, puisque c’était leur
ancienne façon d’être, de ressentir, de penser, de se comporter qui a permis
au trouble émotionnel de s’installer. Au cours de la thérapie, de nombreux
patients se rendent compte qu’ils peuvent changer, évoluer dans leur déve-
loppement personnel, devenir de plus en plus la personne qu’ils voudraient
être. Avec eux, nous avons découvert toute la dimension de la signification
du signe chinois pour le mot « crise ». Ce signe se compose en effet de deux
signes différents, l’un voulant dire « danger », l’autre « chance ». Avant la
thérapie, ils étaient en crise, voire en danger. L’apprentissage de la gestion
de leurs émotions leur a donné la chance de reprendre leur vie en main.
Tout comme nous avons commencé ce chapitre par une métaphore,
nous nous proposons de le terminer par ce même moyen thérapeutique
qui intervient à la fois sur le plan des émotions et des cognitions. Au début
de la thérapie de groupe, pour une meilleure gestion des émotions, nous
nous trouvions en face d’une multitude d’émotions entremêlées, nouées.
Après un certain temps, il devient en général évident, que chaque patient
met toute son artillerie émotionnelle de défense et d’attaque au service de
deux émotions contradictoires comme l’anxiété et le courage, l’amour et la
haine, le doute et la confiance, pour n’en citer que quelques-unes. Différents
auteurs ont illustré cela par cette ancienne fable de deux animaux puissants,
tantôt des loups, tantôt des ours ou des dragons… se combattant au fond du
cœur, de l’âme ou du cerveau humain. Leur bataille est intense et acharnée.
Et lequel va gagner ? Tout simplement celui qui sera le mieux nourri.
L’art de la gestion des émotions en groupe, ou de groupe, ne consisterait-
il pas à trouver l’aliment de choix qui permettra à la bonne émotion de
survivre ?

Bibliographie
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Bouvard, M., & Cottraux, J. (2005). Protocoles d’échelles d’évaluation en psychiatrie et en
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Burns, D. (2006). When Panic Attacks. New York: Morgan Road Books.
Buzan, T. (2003). The Mind Map Book : Radiant Thinking – Major Evolution in Human
Thought. London: BBC Active.
Cungi, C. (2006). Savoir se relaxer en choisissant sa méthode. Paris: Retz.
La thérapie de groupe et gestion des émotions 137

Davis, M. (2000). The Relaxation and Stress Reduction Workbook. New Harbinger Edi-
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De Bono, E. (2000). Six Thinking Hats. London: Penguin Books.
Doutrelugne, Y., & Cottencin, O. (2005). Thérapies brèves. Paris: Masson.
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en hypnose clinique. Paris: Grancher.
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Johnson, S. (2003). The Present. New York: Doubleday.
Organisation Mondiale de la Santé. (1994). Classification internationale des troubles
mentaux et des troubles du comportement. Descriptions cliniques et directives pour le
diagnostique (1993). Critères diagnostiques pour la recherche. Masson, Paris: Traduc-
tion de l’anglais coordonnée par C. B. Pull, 1993 et 1994.
Paleg, K., & Jongsma, A. E. (2000). The group therapy treatment planner. London: John
Wiley.
Peseschkian, N. (2003). Der Kaufmann und der Papagei. Frankfurt: Fischer.
Tschuschke, V. (2001). Praxis der Gruppenpsychotherapie. Stuttgart: Thieme.
Young, J. S., Klosko, J. S., & Weishaar, M. E. (2006). La thérapie des schémas. Bruxelles:
Traduction de B. Pascal. De Boeck.
Young, J. S., & Klosko, J. S. (2003). Je réinvente ma vie. Traduction supervisée par
P. Cousineau. Montréal: Les Éditions de l’Homme (réédition).
7 La thérapie familiale
émotionnelle :
une approche centrée
sur le schéma
F. Dattilio, F. Mehran

La famille est le creuset des émotions et il s’y joue précocement la probléma-


tique de l’attachement, et celle des émotions fonctionnelles et dysfonction-
nelles. Un exemple en est la genèse d’émotions comme la colère et l’absence
de recherche de solutions pacifiques. L’étude et la modification des schémas
cognitifs familiaux permettent de comprendre la circulation des émotions
positives et négatives dans les couples et les familles. Le recueil des interpré-
tations des membres de la famille au sujet des interactions négatives récur-
rentes permet d’isoler des patterns relationnels spécifiques à chaque famille.
Leur modification passera par le recueil des pensées automatiques reliées aux
émotions et aux schémas. La thérapie familiale cognitive développera ensuite
les compétences d’écoute, les compétences sociales, les méthodes de résolu-
tion de problème et surtout les compétences pour assurer la négociation et le
compromis. Elle vise ainsi à rétablir l’harmonie et la circulation des sentiments
positifs dans la famille.
La capacité des familles à résoudre leurs conflits et leurs tensions dépend
souvent des compétences en matière de communication, mais également des
croyances ancrées des membres de la famille à propos du fonctionnement indi-
viduel et familial, ou de ce que les thérapeutes cognitivocomportementalistes
appellent « les schémas ».

Les schémas associés à l’émotion et au comportement sont les parties


intégrantes de ce qui constitue le tissu du fonctionnement familial (Dattilio,
2001-2005).
Quelques dizaines d’années auparavant, Aaron T. Beck a introduit le
concept du schéma dans la littérature cognitivocomportementale. Beck a
proposé le concept du schéma à la suite de ses premiers travaux sur les
sujets déprimés (Beck, 1967). Le schéma était en relation avec les croyances
négatives de base des patients déprimés.
Thérapies cognitives et émotions
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140 Thérapies cognitives et émotions

Plus tard, Beck s’est inspiré des travaux d’autres théoriciens de la psycho-
logie cognitive pour améliorer le concept du schéma. Parmi ces théoriciens
nous pouvons citer Piaget à qui nous devons le terme de « schème » ou
« schéma » qu’il a utilisé comme la structure de base du développement
cognitif.
Le modèle de George Kelly (1955) « la psychologie des construits per-
sonnels » ou « le constructivisme » qui étudie les voies idiosyncrasiques de
construction et d’interprétation du monde, dans le contexte du change-
ment comportemental (Mehran, 2003), a également inspiré le modèle de
Beck. Une autre influence est celle de la théorie d’attachement de Bowlby
(1969).
D’après Beck et Emery (1985), les schémas, structures de base de l’orga-
nisation cognitive, contribuent à nommer, classifier, interpréter, évaluer et
donner une signification aux objet et événements (Beck et Emery, 1985).
Les schémas sont des éléments centraux de la pensée et de la perception.
Ils ont une influence intégrante sur l’émotion et le comportement. À vrai
dire, les schémas sont utilisés comme modèles pour les expériences de vie
de l’individu et sa façon de traiter l’information.
Tout en étant cohérente et compatible avec les théories systématiques,
l’approche cognitivocomportementale est basée sur l’hypothèse suivante :
les membres d’une famille s’influencent simultanément les uns les autres et
sont influencés par les pensées, les émotions et les comportements des uns
et des autres (Dattilio, 2001 ; Leslie, 1988).
Chaque membre de la famille observe, à la fois ses propres cognitions,
comportements et émotions par rapport à l’interaction familiale et les
indices concernant la réponse des autres membres de la famille. Ainsi,
l’ensemble de ces perceptions conduit à la formation des postulats à propos
des dynamiques familiales, qui seront ainsi développés dans des « schémas »
ou « structures cognitives » relativement stables. Ces cognitions, émotions
et comportements peuvent induire des réponses chez les autres membres de
la famille. Cette inter-action provient de ces schémas les plus stables utiles
à la fondation du fonctionnement familial (Dattilio, Epstein et Baucom,
1998).
Quand ce cercle implique un contenu négatif qui affecte les réponses cog-
nitives, émotionnelles et comportementales, la volatilité des dynamiques
familiales a tendance à escalader et rendre les membres de la famille vulné-
rables à une spirale négative du conflit. Malheureusement, il existe très peu
de recherches empiriques pour soutenir cette théorie d’escalade. Bien que
dans la littérature le travail de Patterson et ses associés (Patterson, 1985 ;
Patterson et Forgath, 1998 ; Patterson et Hops, 1972) soit centré sur les études
empiriques des patterns négatifs dans l’interaction familiale, ces études se
concentrent seulement sur les interactions comportementales, avec très peu
ou pas d’attention sur les processus cognitifs.
Par ailleurs, Dattilio (2004) décrit les raisons potentielles qui ont contri-
bué à ce faible nombre de recherches empiriques conduites avec la famille.
Une des raisons est que les dynamiques d’un couple sont tellement proches
La thérapie familiale émotionnelle : une approche centrée sur le schéma 141

de celles de la famille, que beaucoup de composantes théoriques dans les


modèles d’interaction du couple peuvent aussi être appliquées aux familles
et ont été décrites en détail dans la littérature professionnelle (Dattilio, 1993 ;
1996 ; Epstein et coll., 1988 ; Schwebel et Fine, 1992 ; 1994).
Les perceptions des membres de la famille concernant les interactions
familiales fournissent de l’information qui forme le développement de
leurs schémas familiaux, particulièrement quand un membre observe
de telles  inter-actions de façon récurrente. Le pattern que l’individu
déduit de telles observations sert comme base pour former un schéma ou
modèle qui sera constamment utilisé pour comprendre le monde des rela-
tions familiales et anticiper les futurs événements à l’intérieur de la famille.

Les pensées automatiques et les schémas


Les pensées automatiques sont une autre clé de la cognition dans la théorie
cognitivocomportementale et sont parfois confondues avec les schémas en
raison d’un chevauchement entre les deux concepts.
Beck (1971) a écrit : « J’ai décrit les pensées automatiques ou les dis-
torsions cognitives, celles-là peuvent être considérées comme une sorte
d’idées probablement analogues à ce que Freud appelle le “préconscient” »
(Mehran, 2003b).
Les pensées automatiques ont été définies par Beck (1976) comme des
cognitions spontanées, qui souvent, apparaissent d’une manière brève et
instantanée et sont pour la plupart conscientes et facilement accessibles.
Ainsi, les pensées automatiques fournissent un chemin pour découvrir les
croyances et les schémas sous-jacents du sujet.
Par exemple, une mère qui a des difficultés à tolérer l’expression des
émotions négatives par les membres de la famille pourrait expérimenter
la pensée automatique suivante : « Il n’y a pas de place pour les émotions
négatives dans la vie », provenant d’une croyance ou d’un schéma sous-
jacent, ces émotions sont égales à la faiblesse et la faiblesse peut conduire
à la mort. Parfois, les cognitions peuvent aussi se présenter en deçà de
la connaissance consciente de l’individu, pour lesquelles, certaines tech-
niques sont utilisées pour les découvrir (Epstein et Baucom, 2002 ; Dattilio
et Epstein, 2003).
De façon générale, les schémas inconscients sont révélés à travers les
pensées automatiques de l’individu. Cependant toutes les pensées automa-
tiques ne sont pas les expressions des schémas.
Par ailleurs, Dattilio (2004) propose une esquisse de plusieurs pensées
automatiques qui expriment les attributions individuelles à propos des
causes des événements. Par exemple : « Ma fille ne m’a pas écrit parce que
tout simplement elle est occupée avec ses amis. ». Cependant ces attribu-
tions peuvent être basées sur des informations erronées et insuffisantes.
La thérapie cognitive, originalement formulée par Beck (1976), attribue
une grande importance au concept de schéma (Beck, Rush, Shaw et Emery,
1979 ; de Rubeis et Beck, 1988).
142 Thérapies cognitives et émotions

Pour rendre compte du processus du traitement de l’information dans la


vie de l’individu, plusieurs auteurs ont proposé des versions différentes de
la théorie du schéma.
Epstein, Schlesinger et Dryden (1988) se réfèrent aux schémas d’un indi-
vidu comme : « des postulats de base, relativement stables de longue date
que l’individu tient et qui concerne la façon dont le monde fonctionne et
sa propre place là-dedans ».
Pour Lakatos (1974), « les schémas convergent en un noyau métaphy-
sique profond, indiscutable, identifié essentiellement par la connaissance
tacite de soi-même, intériorisé à un âge précoce et qui représente pour
l’individu une vue implicite et complète de lui-même ».
Cependant, en dépit des avantages, les schémas provoquent également
des erreurs, des distorsions et des omissions chez le sujet dans son trai-
tement de l’information (Baldwin, 1992 ; Baucon et coll., 1989 ; Epstein,
Baucon et Rankin, 1993).
Par exemple, si un enfant reçoit de l’amour et de l’attention de ses parents
seulement à condition d’exhiber certains comportements désirés, dans ce
cas-là, il est probable que l’enfant développe un schéma comme « l’amour
et l’attention sont conditionnels ».
Les schémas sont des structures cognitives stables et non pas des furtives
inférences ou perceptions.
La théorie cognitivocomportementale ne suggère pas que les processus
cognitifs sont les seules causes de tous les comportements de la famille,
mais elle met l’accent sur le fait que l’appréciation cognitive influence de
façon significative les interactions comportementales des membres de la
famille et les réponses émotionnelles des uns aux autres (Epstein et coll.,
1988 ; Wright et Beck, 1993).
Dattilio (1993) propose que l’on insiste plus, non seulement sur l’examen
des cognitions de chaque membre de la famille, mais également sur ce qui
peut être nommé le « schéma familial ». La plupart des schémas familiaux
sont partagés entre les membres de la famille. Cependant, parfois chaque
membre de la famille peut dévier du schéma commun.
Il a été suggéré que les individus entretenaient deux séries séparées de
schémas à propos de la famille :
• un schéma familial relié aux expériences des parents avec leurs familles
d’origine ;
• les schémas reliés aux familles en général ou ce que Schwebel et Fine
(1994) considèrent comme une théorie personnelle de la vie familiale. Le
schéma est également modifié par les événements qui arrivent dans les
relations familiales courantes. Par ailleurs, il a été suggéré que la famille
d’origine de chaque partenaire dans une relation familiale joue un rôle cru-
cial dans la forme du schéma courant partagé par la famille (Dattilio, 1993 ;
1998 ; 2001).
Les schémas familiaux des parents sont souvent disséminés et appli-
qués de la façon dont ces derniers élèvent leurs enfants. L’intégration de
ces schémas avec les propres perceptions et inférences des enfants à propos
La thérapie familiale émotionnelle : une approche centrée sur le schéma 143

de leur environnement familial et d’autres expériences de vie contribuent


davantage au développement du schéma familial.
Le schéma familial peut être modifié tout au long de la vie et au fur et
à mesure que les événements se présentent (par exemple : mort, divorce,
maladie, etc.).
Le rôle central de la thérapie familiale d’orientation cognitivocomporte-
mentale est de faciliter le changement tout en tenant compte de l’influence
des schémas sur le dysfonctionnement familial. L’intervention consiste en
une série de stratégies cognitivocomportementales appliquées à la restruc-
turation cognitive des croyances de base ou « centrales » de la famille et de
modifier les patterns comportementaux qui sont associés aux schémas. La
composante comportementale de cette approche met l’accent sur plusieurs
aspects des comportements des membres de la famille et inclut :
• une interaction négative et excessive ainsi que des déficits dans les
comportements agréables échangés par les membres de la famille ;
• des compétences d’écoute et d’expression utilisées dans la communi-
cation ;
• des compétences en « résolution de problème » ;
• des compétences pour la négociation et le changement comportemental
(Epstein et coll., 1988 ; Epstein et Schlesinger, 1996).
Les modèles théoriques sous-jacents aux approches comportementales
de la thérapie familiale sont la théorie sociale de l’apprentissage (Bandura,
1977) et la théorie de changement social (Thibaut et Kelly, 1959).

Le rôle des émotions dans la thérapie familiale


d’orientation cognitivocomportementale
La composante émotionnelle est un aspect parmi d’autres du dysfonction-
nement familial qui fait venir les patients en thérapie.
Lazarus (1991) définit les émotions comme « un modèle de réaction orga-
nique complexe qui concerne ce que nous pensons et ce que nous sommes
en train de faire dans la vie ».
Les émotions expriment une mesure privée et intime de ce qui est en train
de se passer dans nos vies. Les thérapeutes cognitivocomportementalistes ont
tendance à se concentrer sur cette partie des émotions qui sont associées aux
processus cognitifs. Alors que dans des interactions familiales, le problème
se rapporte à la manière dont l’émotion, qu’elle soit positive ou négative,
est connectée à une expérience cognitive spécifique. Ainsi, un membre de la
famille peut paraître en train de ressentir la colère, alors que le thérapeute
explore la cognition associée à cette dernière de façon à mieux comprendre
l’émotion d’origine venant des interactions familiales précédentes.
Le thérapeute doit être capable de reconnaître comment les schémas fami-
liaux peuvent être associés aux émotions fortes et pour gérer ces dernières,
les membres de la famille auront besoin de devenir capables de focaliser sur
leur identification et leur modification.
144 Thérapies cognitives et émotions

Le développement des schémas familiaux


Le développement et l’opération des schémas dans les systèmes familiaux
sont similaires à ceux des individus et des couples. Virginia Satir (1947), une
pionnière de la thérapie familiale a écrit que « les parents sont des archi-
tectes de la famille ». La thérapie familiale d’orientation cognitivocompor-
tementale adopte le concept et prétend que les schémas et les expériences
de vie d’un couple sont transmis à leurs enfants et forment la constella-
tion familiale (Dattilio, 1998). Le terme de schéma familial est défini plus
clairement dans la récente littérature (Dattilio, 1998a ; 2001). Ce concept
comporte des croyances de longue date, très ancrées, que les membres de la
famille tiennent de façon commune à propos de la vie familiale.
Les schémas peuvent être des guides utiles pour les membres de la famille
pour naviguer dans les aspects compliqués de la vie familiale. Quand ils
sont extrêmes ou déformés, ils peuvent contribuer au conflit familial. Les
mythes émergent des schémas que les individus développent.

Les schémas dysfonctionnels


De la même façon que les schémas individuels, les schémas familiaux peu-
vent devenir dysfonctionnels et inadaptés et sont souvent au centre de la
pensée et de comportements marqués par des distorsions. Si nous prenons
l’exemple de la mère qui paraît dominer la famille avec son schéma à propos
de la faiblesse, et le père qui de façon silencieuse forme une coalition avec
les enfants contre la mère, il serait facile de comprendre de quelle façon les
membres de la famille ont appris à ne pas exprimer ouvertement leurs
émotions en présence de cette dernière. Le concept devient implicitement
compris que le coût serait trop élevé en exprimant des émotions négatives.
Ainsi les membres de la famille n’expriment pas d’émotions négatives, sauf
si la mère est absente. La famille a développé un schéma familial commun
qui signifie que la maladie mentale peut provoquer de la faiblesse et affec-
ter les autres membres de la famille. Cependant, il existe d’autres schémas
familiaux qui impliquent tous les autres membres sauf la mère et qui est :
« avec maman, nous avons besoin de marcher sur des œufs, ou bien, elle va
nous faire vivre l’enfer ». Ceci est similaire aux « mythes familiaux » que les
théoriciens de la thérapie systémique décrivent (Nichols et Swartz, 1998).

Les attentes
Si les attributions sont importantes, les prédictions que les membres de la
famille font à propos des uns et des autres concernant les futurs comporte-
ments le sont également. Ces prédictions sont connues comme des attentes
et sont généralement basées sur les schémas individuels des membres à pro-
pos des relations familiales. Les attentes peuvent avoir un profond effet sur
la disposition émotionnelle et comportementale de l’individu et des autres
membres de la famille.
Les schémas forment des attentes, et les attentes conduisent les membres
de la famille à se comporter de façon à créer des prophéties épanouissantes
La thérapie familiale émotionnelle : une approche centrée sur le schéma 145

qui renforcent les schémas familiaux. Les attentes négatives influent la


direction des conflits dans les dynamiques familiales.
Il n’est pas surprenant de constater à quel point les attentes des patients se
transforment en attributions stables dès qu’ils considèrent que les compor-
tements de leur partenaire ne risquent pas de changer. Dans la majorité des
cas, ces cognitions négatives sont associées aux émotions négatives, comme
la colère, la dépression, etc.

Les postulats
Les postulats sont des schémas spécifiques que chaque membre de la famille
construit à propos des caractéristiques des autres membres de la famille et
de la relation familiale. Ces croyances de base sont utilisées pour faire des
attributions sur les causes des comportements spécifiques des autres.
Ainsi, la croyance de base que chaque membre développe à propos des
autres et la relation peuvent influencer les comportements ou les événements
particuliers qui sont expérimentés (Baucom et Epstein,  1990 ; Baucom,
Epstein, Sayers et Sher, 1989).

Les standards
Les standards sont des schémas particuliers qui impliquent les croyances de
l’individu à propos des caractéristiques que les individus « doivent » avoir
dans leur relation.
Les membres de la famille utilisent des standards comme modèles pour
évaluer si chaque comportement de l’autre et si le rôle joué par ce dernier
sont appropriés ou acceptables.
Schwebel et Fine (1992) ont décrit les standards de leur travail sur « la consti-
tution familiale ». Une série élaborée de règles et de standards qui gouvernent
la vie familiale. La majorité de ces règles sont basées sur les schémas parentaux
individuels ou communs qui constituent « la vie familiale salubre ».
Les standards impliqués dans une « constitution familiale » contiennent :
• des standards pour relation-interpersonnelle parmi les membres de la
famille ;
• des standards pour le partage du travail ;
• des standards pour traiter les conflits ;
• des standards pour les limites et l’intimité ;
• des standards pour les individus en dehors de l’unité familiale (Schwebel
et Fine, 1992).

Intervenir dans les schémas familiaux


Pour traiter les schémas familiaux d’un point de vue cognitivocomporte-
mental, il est important de suivre une série d’étapes qui peuvent faciliter
le processus de l’analyse du schéma ainsi que poser la fondation pour la
restructuration.
146 Thérapies cognitives et émotions

Le cas de la mère qui a peur de la faiblesse peut être utilisé comme exemple.
• Étape 1 : découvrir et identifier les schémas familiaux et souligner les
domaines de conflit et dysfonctionnement qui sont soumis par ces schémas.
Les schémas peuvent être mis à jour par le biais des pensées automatiques
et l’usage des techniques comme « la flèche descendante » (Dattilio, 1998 ;
Dattilio et Padesky, 1990).
• Étape 2 : retracer l’origine des schémas familiaux et la façon dont ils
ont été développés pour devenir un mécanisme enraciné dans le processus
familial. Cela peut être réalisé par la recherche dans le passé des parents et
leurs schémas individuels.
• Étape 3 : faire prendre conscience du besoin de changement ; indiquer
comment la restructuration d’un schéma peut faciliter un fonctionnement
plus adapté et plus harmonieux dans l’interaction familiale. À ce niveau, il
est essentiel de faire prendre conscience à la famille que la modification des
schémas peut diminuer la tension et baisser le niveau de conflits dans la
famille.
• Étape 4 : obtenir ou susciter la reconnaissance par rapport à un
besoin pour modifier les schémas dysfonctionnels existants. Encourager
la coopération de la famille pour les membres de la famille qui ont des
objectifs différents et incompatibles pour le traitement, trouver un terrain
commun.
• Étape 5 : évaluer le niveau de compétence de la famille pour réali-
ser les changements et planifier des stratégies pour les faciliter. Parfois les
degrés d’habilité sont limités. Par exemple, si une famille fonctionne sur
un niveau intellectuel faible, ses compétences peuvent être moins sophis-
tiquées, l’intervention nécessite des techniques plus concrètes et le proces-
sus peut être programmé de façon plus lente.
• Étape 6 : mettre en œuvre des changements. Les fonctions du théra-
peute familial sont comme des instruments qui servent à faciliter le chan-
gement, à encourager les membres de la famille et à considérer les versions
modifiées de leurs croyances de base.
• Ceci est réalisé à travers l’usage des expériences collaboratrices, la réso-
lution de problèmes qui ont pour objectif de modifier les croyances et de
peser les effets de ces modifications par rapport aux croyances existantes
dans l’interaction familiale. La clé du changement dans le processus est
d’identifier comment les membres de la famille se comporteraient différem-
ment vis-à-vis des uns et des autres, s’ils avaient à vivre selon leurs schémas
modifiés.
• Étape 7 : mettre en place de nouveaux comportements. Cela implique
d’essayer les changements et vivre la crise. L’usage des exercices familiaux
et l’assignation des tâches sont impératifs dans la mise en place du change-
ment permanent (Dattilio, 2002).
• Par exemple, on peut suggérer à chaque membre de la famille de sélec-
tionner un comportement alternatif cohérent avec le schéma modifié, le
mettre en place, et enregistrer l’impact perçu par les membres de la famille.
La thérapie familiale émotionnelle : une approche centrée sur le schéma 147

• Étape 8 : consolider les changements. Cette étape implique l’établis-


sement du schéma modifié et associé aux comportements familiaux comme
un pattern permanent dans la famille à travers des pratiques répétitives.
Les thérapeutes cognitivocomportementalistes utilisent une variété de
techniques comme le questionnement socratique et la découverte guidée
pour introduire de nouvelles informations. L’usage des contes, des méta-
phores et des rêves engage la créativité des membres de la famille (Mehran
et Guelfi, 2002).

Conclusion
Le thérapeute qui travaille avec les schémas familiaux a besoin de plus de
courage et d’effort, parce qu’il a affaire à plusieurs séries de schémas indi-
viduels et souvent très ancrés et rigides. Les familles sont en général peu
disposées à accepter les changements, particulièrement quand ces derniers
menacent de perturber l’homéostasie générale.
Il a été suggéré aux thérapeutes de travailler d’abord sur les perceptions
sélectives, les attributions et les attentes avant d’attaquer la modification
des schémas.
La thérapie familiale d’orientation cognitivocomportementale concerne
des processus circulaires qui impliquent des facteurs cognitifs, comporte-
mentaux et affectifs aussi bien que l’influence des théories contextuelles
plus larges comme dans le cas de l’environnement interpersonnel et phy-
sique (Dattilio et Epstein, 2003, p. 169).
Par conséquent, le terrain pour une fertilisation plus riche est large, sur-
tout depuis que les thérapies comportementales et cognitives ont intégré
des concepts et des méthodes de tant d’autres approches (Dattilio, 1998c).

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8 La thérapie
comportementale
dialectique : l’émotion
en mouvement
D. Page, A. Salamat, R. Toth

Marsha  Linehan dans les années  1990 a proposé une théorie et un modèle
pratique d’intervention chez les patients borderline en intégrant les théories
comportementales concernant les compétences et les habiletés sociales, les
théories cognitives, certains aspects de la psychanalyse, et aussi des idées philo-
sophiques venant du marxisme et du bouddhisme Zen. Le cocktail s’est révélé
efficace car l’approche qu’elle propose est actuellement reconnue dans plus de
dix études contrôlées. Au centre de la pratique de la thérapie comportementale
dialectique est la gestion des émotions négatives et la synthèse entre l’esprit
rationnel et l’esprit émotionnel pour atteindre l’esprit sage. Cette métaphore
bouddhiste doit guider les thérapeutes dans leur compréhension des patients,
mais aussi dans la gestion de leurs propres mouvements émotionnels au cours
de thérapies souvent éprouvantes.

Au commencement… n’était pas l’émotion…


Chaque période de l’humanité se caractérise par un mode de pensée et une
appréhension du monde, de l’homme, du sens de la vie, du normal ou du
pathologique. Toute démarche psychothérapique s’inscrit donc dans une
vision spécifique de l’humain, dépendante de multiples facteurs et d’événe-
ments propres à la période durant laquelle elle émerge.
Les années  1890 constituent un véritable tournant dans l’histoire de
l’humanité : désormais, il est possible de restreindre les distances géogra-
phiques grâce au tramway électrique, au métro parisien, à l’aéroplane Eole,
au Zeppelin ou à la première liaison radio transatlantique. Le monde peut
être vu sur grand écran grâce au cinématographe et l’imagination alimente
le premier film de science fiction. Yersin isole le bacille de la peste, le brevet
de l’aspirine est déposé, tandis que les rayons X, l’électron et le radium sont
découverts. Et finalement, un certain Pavlov  Ivan  Petrovitch apporte un
éclairage nouveau sur la manière dont les comportements sont appris et
Thérapies cognitives et émotions
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152 Thérapies cognitives et émotions

maintenus ; il parle de conditionnement classique ou répondant, proces-


sus qui permet d’associer un stimulus avec une réponse, sans que ces deux
protagonistes n’entretiennent de liens naturels préalables. La pensée binaire,
en termes de « Si… alors… » prédomine.
Au cours des années  1960, le bathyscaphe atteint la profondeur de
11 020 mètres dans le Pacifique Ouest. La pilule est mise en vente aux États-
Unis, le premier homme part dans l’espace, le mur de Berlin est construit, le
Vietnam est attaqué par les États-Unis. Des stars naissent : Marilyn Monroe,
les Beatles, les Rolling Stones, Martin  Luther  King, le  Che. La Révolu-
tion culturelle chinoise débute, la première greffe du cœur est réalisée, le
Boeing  747 et le Concorde s’envolent, les premiers pas sur la Lune sont
faits, tandis que l’on cherche « sous les pavés la plage » !
La puissance de la pensée est mise en évidence par Aaron T. Beck : ce ne
sont pas les situations qui déclenchent les émotions et les comportements
mais la manière dont on les interprète. Plus l’interprétation est irration-
nelle, plus elle déforme la perception que l’on a de la réalité et plus elle
conduit à la survenue d’émotions douloureuses et de comportements pro-
blématiques. Dès lors, changer la pensée revient à se donner les moyens
de produire d’autres émotions et comportements. Les révolutions tech-
nologiques ont permis à l’humain d’élargir considérablement son champ
d’action ; tout-puissant, il veut devenir le maître d’un monde dans lequel il
tend cependant à ne plus savoir quelle est sa place.
Tchernobyl explose, Action Directe terrorise, Klaus Barbie est jugé, Wall
Street vit son lundi noir, l’Irangate éclate, le dopage éclabousse les jeux,
le revenu minimum d’insertion est instauré, le Printemps de Pékin est
réprimé dans le sang, le Mur de la honte tombe, le sida fait des ravages.
Les années 1980 mettent en lumière les limites de la toute-puissance de la
pensée : vouloir ne suffit pas à pouvoir. Les émotions trouvent leur place
dans la conception occidentale de l’être humain.
C’est dans ce contexte que Marsha M.  Linehan s’intéresse aux femmes
suicidaires chroniques et développe un modèle de compréhension du
trouble de personnalité borderline (selon l’appellation usitée dans le
DSM-IV-TR, APA, 2003) ou émotionnellement labile (selon les termes de
la CIM-10 (OMS, 1993). Elle formule l’hypothèse d’un dysfonctionnement
émotionnel biologique inné et de lacunes dans la régulation des émotions
acquises. Un traitement psychothérapeutique ambulatoire est mis au point,
la thérapie comportementale dialectique (TCD) ; il se centre sur l’apprentis-
sage d’une gestion efficace des émotions du patient et du thérapeute.
C’est au travers de cet accent spécifique mis sur l’émotion que la thérapie
comportementale dialectique (TCD) sera présentée dans ce chapitre.

Les émotions et le trouble de personnalité


état-limite (TPEL)
La TCD part de l’hypothèse que la personne TPEL – sera ainsi appelée dans
ce chapitre la personnalité borderline (ou limite) du DSM-IV – souffre d’une
La thérapie comportementale dialectique : l’émotion en mouvement 153

dysrégulation biologique de son système émotionnel (le lecteur intéressé


par ce point trouvera des éléments d’informations complémentaires dans
le chapitre 9).
Cette dysrégulation biologique s’exprime au travers d’une grande réacti-
vité aux stimuli externes et internes (tout événement même mineur est sus-
ceptible d’enclencher une réaction émotionnelle), d’une forte intensité de
la réponse émotionnelle produite (là où certains éprouveraient de la peur, la
personne TPEL sera terrorisée  ; là où d’autres ressentiraient de la gêne,
la personne TPEL sera rongée de honte) et d’un retour à l’état émotionnel
de base très lent (la réaction émotionnelle perdure malgré le temps qui
passe, fragilisant la compétence de faire face à de nouveaux stimuli déclen-
cheurs d’émotions).
La personne TPEL, dès l’enfance, doit dès lors trouver une aide supplé-
mentaire pour mettre en place des stratégies de gestion de ses émotions.
Malheureusement, l’environnement n’est que rarement préparé ou apte à
faire face à ces besoins accrus.
Face à cette pression, l’environnement en vient à dysfonctionner et
conduit l’enfant à subir des expériences qui ne font qu’exacerber ses déficits
en matière de compétences à réguler les émotions. On parle alors d’environ-
nement invalidant, caractérisé principalement par une incapacité à apporter
à l’enfant l’attention dont il a besoin que Marsha M. Linehan appelle famille
chaotique (2000), une intolérance face à l’étalage d’émotions – notamment
douloureuses ou la famille parfaite – la sur-simplification des stratégies de
résolution des problèmes, la survalorisation du contrôle émotionnel et la
prédominance de l’utilisation d’un locus de contrôle interne – en d’autres
termes, la famille typique. Le summum de l’invalidation produite par l’envi-
ronnement est l’abus physique et sexuel ; 75 % des personnes souffrant de
TPEL confient en avoir subi.
La non-concordance entre les compétences de l’environnement et les
besoins de l’enfant a pour conséquence de limiter voire d’empêcher certains
apprentissages indispensables à une gestion émotionnelle performante.
Ainsi, l’enfant n’a-t-il pas (ou que partiellement) l’occasion d’acquérir
quatre compétences fondamentales :
• la capacité d’identifier la nature de ses émotions et de pouvoir les étique-
ter de manière normative ;
• celle de les vivre et de s’y confronter ;
• celle d’influencer les stimuli internes et externes qui les ont déclenchées
en apprenant à moduler ses réactions émotionnelles et à tolérer la détresse ;
• et celle de moduler les pensées en lien avec les émotions, notamment en
apprenant quand faire confiance à ses interprétations.
Dans ce contexte, en difficulté pour faire face aux émotions et dans
l’impossibilité de bénéficier de l’aide qui lui serait nécessaire pour pallier
ses lacunes, l’enfant vulnérable émotionnellement en vient à produire des
comportements extrêmes pour faire entendre ses besoins  : mis au pied du
mur, l’environnement accorde enfin à l’enfant l’attention dont il a besoin et
renforce dès lors la probabilité d’apparition ultérieure de ces comportements.
154 Thérapies cognitives et émotions

Figure 8.1
Conception bio-psycho-sociale du TPEL.

C’est ainsi que la personne TPEL apprend à faire usage de tout un ensem-
ble de comportements problématiques, tels que les menaces de suicide, les
tentatives de suicide, les automutilations, ou les conduites impulsives. Uti-
lisés comme moyens de réguler l’intensité des affects, ils sont renforcés par
l’attention que leur porte l’environnement.
En résumé, la TCD considère que le TPEL se construit à partir d’une
vulnérabilité émotionnelle, résultante de la transaction entre le dysfonc-
tionnement du système de régulation des émotions de l’individu et le dys-
fonctionnement du système environnemental.
Cette conception biosociale du TPEL apporte un éclairage supplémentaire
aux descriptions cliniques que proposent le DSM-IV TR (APA, 2003) ou la
CIM-10 (OMS, 1993). Dans ces deux manuels diagnostiques, le TPEL est
caractérisé par une instabilité et une dysrégulation cognitives, émotion-
nelles et comportementales (Figure 8.1) :
• l’instabilité et la dysrégulation cognitives se caractérisent par la capacité
réduite d’anticiper les conséquences ; la personne TPEL évalue mal la portée
à moyen et long terme de ses actes et privilégie les conséquences positives à
court terme. Elle est également en difficulté par rapport à son image, craint
continuellement d’être abandonnée, et tend à percevoir autrui soit de
manière idéalisée, soit de manière dévalorisante. Le DSM-IV TR (APA, 2003)
mentionne aussi la présence d’états dissociatifs et d’idéations persécutoires
dans les contextes de stress intense auxquels la personne TPEL peut être
amenée à se confronter ;
La thérapie comportementale dialectique : l’émotion en mouvement 155

• l’instabilité et la dysrégulation comportementale se manifestent dans


différents secteurs, notamment les relations interpersonnelles. La personne
TPEL a de la peine à maintenir ces dernières, est en difficulté pour gérer
les tensions et conflits et souffre d’une labilité de l’humeur. De fait, mener
à bien une relation avec succès exige d’être capable d’une certaine dose
d’autorégulation des émotions ainsi que d’une tolérance aux expériences
susceptibles de déclencher de la douleur ; si ces compétences sont absentes,
les relations sont condamnées à devenir et rester chaotiques. Par ailleurs, les
lacunes de la personne TPEL en matière de gestion de la colère et les actes
de violence verbale ou physique qui en découlent viennent complexifier la
situation. Les comportements de la personne TPEL se caractérisent égale-
ment par une impulsivité marquée conduisant, par exemple, à des consom-
mations abusives de toxiques, des achats inconsidérés, des conduites
sexuelles à risques, ou des conduites alimentaires problématiques. Finale-
ment, les comportements automutilatoires et suicidaires sont fréquents et
lourds de conséquences, tant sur le plan personnel que relationnel ;
• quant à l’instabilité et la dysrégulation émotionnelles, elles sont pré-
sentes aussi bien dans les dysphories épisodiques et intenses que dans la
labilité émotionnelle caractéristiques de la personne TPEL, dans l’instabilité
affective qui en découle, dans la violence des émotions ressenties (particu-
lièrement la colère) et, finalement, dans le sentiment chronique de vide.
C’est la source de comportements imprévisibles et d’une inconsistance cog-
nitive fragilisant la stabilité du concept de soi ou du sens de l’identité.
Au vu de ce qui précède, un des aspects fondamentaux de la prise en
charge thérapeutique consistera dès lors à créer les espaces nécessaires à
l’apprentissage des compétences de gestion des émotions, des comporte-
ments et des cognitions, de sorte à permettre à la personne TPEL de pallier
ses lacunes et d’améliorer sa qualité vie.
Parallèlement, ces apprentissages ne pourront se réaliser et ne porteront
leurs fruits que dans un contexte relationnel où l’alliance thérapeutique est
intense, permettant à la personne TPEL de rester en vie et dans le proces-
sus thérapeutique. Dans ce contexte, les compétences interpersonnelles et
émotionnelles du thérapeute jouent un rôle fondamental dans la construc-
tion et le maintien de la prise en charge TCD.

Les émotions et le thérapeute TCD


Il est totalement utopique d’imaginer que le thérapeute respectera et appré-
ciera la personne TPEL avec laquelle il travaille simplement parce qu’il est
thérapeute. Il n’existe pas de regard positif ni de neutralité bienveillante
inconditionnels et le thérapeute TCD sera attentif de préciser ce point aussi
vite que possible au patient. Les comportements interpersonnels du patient
influencent, bon gré, mal gré, la volonté et la capacité d’aider du théra-
peute. La réciproque est également vraie  : les comportements, émotions
et cognitions du patient sont affectés en permanence par les réponses du
thérapeute. Dès lors, la responsabilité du thérapeute est importante dans la
156 Thérapies cognitives et émotions

qualité de la relation établie avec le patient et il devra apprendre à gérer ses


émotions de sorte à permettre le maintien de la démarche thérapeutique.
La TCD a été conceptualisée pour permettre de fortifier la relation thé-
rapeutique. C’est au sein de cette dernière que le thérapeute trouvera les
renforcements les plus puissants dont il dispose ; c’est également grâce à la
force de la relation thérapeutique que l’efficacité de la TCD est potentiali-
sée. Ainsi, la manière dont les choses sont dites, ou faites, est-elle tout aussi
importante que ce qui est dit ou fait.
À chaque étape, on analyse avec une extrême finesse ce qui vient renfor-
cer un comportement donné et quelle est la nature de ce renforcement. Or,
lorsque le thérapeute se sent menacé par le patient ou qu’il souffre au-delà
de ce qu’il est en mesure de supporter, il tentera d’apaiser le patient pour
se soulager lui-même et enclenchera ainsi un cercle vicieux, l’apaisement
venant renforcer à moyen et long terme la fréquence d’apparition et l’inten-
sité du comportement problème.

Éviter de blâmer la victime


Les situations stressantes conduisent tout individu à se rigidifier. Ainsi,
le thérapeute qui travaille avec une personne souffrant de TPEL est-il
fortement mis à l’épreuve devant l’intensité de la douleur exprimée. Il
est régulièrement envahi par un sentiment d’impuissance et sa capa-
cité de tolérer la détresse doit sans cesse être renforcée. Devant la souf-
france exprimée, le thérapeute redouble d’efforts pour apporter l’aide
et le soutien jugés nécessaires. À chaque communication douloureuse
de la personne TEPL, le thérapeute répond par un désir proportionnel de
prendre soin d’elle et de la soulager. L’incapacité d’atteindre ce soulage-
ment conduit le thérapeute à éprouver un fort sentiment d’échec et à res-
sentir de l’anxiété, particulièrement lorsque les menaces suicidaires sont
un des moyens utilisés par la personne TPEL pour exprimer sa douleur.
Confronté à l’impossibilité de pouvoir apporter un soulagement immé-
diat, le thérapeute finit par se sentir incompétent, inefficace et incapable
de soutenir la personne TPEL.
Le succès mitigé de son investissement supplémentaire conduit progres-
sivement le thérapeute à accuser la personne TPEL d’être la cause de tous
ses ennuis. Il en vient à blâmer la victime, changeant impulsivement de trai-
tement et s’engageant dans des actions palliatives.
En blâmant la victime, le thérapeute commet une importante erreur cog-
nitive : il confond la conséquence entraînée par un comportement donné
(souffrir de ne pouvoir soulager la souffrance de l’autre) avec une motiva-
tion et une intentionnalité (manque de volonté ou volonté délibérée du
patient d’agir de sorte à ne pas faire ce qu’il faut pour mettre un terme à sa
souffrance).
Blâmer la victime est un processus en deux étapes qui débute par une prise
de distance émotionnelle du thérapeute, à laquelle s’ajoute l’apparition
d’émotions négatives envers la personne TPEL. S’ensuit la diminution de
l’envie de l’aider. Dans un second temps, cette mise à distance opère telle
La thérapie comportementale dialectique : l’émotion en mouvement 157

une punition et conduit la personne TPEL à accroître sa sensibilité négative.


Une lutte de pouvoir s’engage, avec d’un côté, un patient de plus en plus
désespéré et de l’autre un thérapeute de plus en plus rigide, lutte de pouvoir
que ni l’un ni l’autre ne gagneront jamais.
Pour éviter de blâmer la victime, le thérapeute doit développer des trésors
de tolérance et accepter d’expérimenter la douleur émotionnelle que vit
la personne TPEL. Le cas échéant, il parvient à éviter de reproduire l’envi-
ronnement invalidant dans lequel la personne TPEL évolue ou a évolué.
Le thérapeute évite le piège d’une alternance iatrogène entre l’apaisement
faisant suite à l’émission de comportements extrêmes, et l’intransigeance
face aux besoins exprimés.
Dès lors, travailler avec une personne TPEL exige la constitution d’un
réseau de soutien actif. Cette prise en charge spécifique du thérapeute est
l’un des moteurs centraux de la TCD : c’est grâce à l’équipe de supervision,
qui se réunit de manière hebdomadaire pendant 2  heures, que les théra-
peutes sont en mesure de trouver le soutien nécessaire pour rester sur les
rails thérapeutiques, pour travailler sur eux-mêmes de sorte à trouver l’éner-
gie de ne pas blâmer la victime, pour générer l’espoir et la volonté de pour-
suivre le travail thérapeutique avec la personne TPEL. Dans ces supervisions
d’équipe, les émotions du thérapeute sont traitées de sorte à lui permettre
de maintenir une interprétation des comportements de la personne TPEL
non péjorative et phénoménologiquement empathique. Les perceptions en
termes de manipulations, de mensonges ou de clivages, sont systématique-
ment travaillées de sorte à créer les conditions sine qua non de l’empathie
et de la compréhension indispensables à l’attitude de soins. De même, les
interprétations en termes d’intention hostile de la part de la personne TPEL
sont ajustées, de sorte à ne pas créer une prophétie autovalidante engen-
drant de l’hostilité.

Respecter et faire respecter ses limites


Lorsque les émotions que le thérapeute éprouve deviennent trop fortes,
il arrive malheureusement qu’il fonctionne sur un modèle état-limite, se
repliant sur lui-même et inhibant la douleur. Prendre en charge des patients
TPEL est stressant et conduit inévitablement le thérapeute à souffrir en
cherchant à modifier les comportements cibles problématiques  ; plus le
stress augmente et plus le thérapeute risque de se montrer rejetant et agres-
sif, laissant croire et se laissant croire que certaines réponses fournies sont
thérapeutiques alors que, de fait, elles sont autant de punitions déguisées.
C’est ce qui se produit lorsque le thérapeute est l’auteur de comporte-
ments qui interfèrent avec la thérapie, qui provoquent chez le patient une
détresse inutile, ou rendent les progrès difficiles à réaliser. De nombreux
facteurs motivent ces comportements : une surcharge professionnelle, un
manque de confiance en soi, le sentiment de frustration devant la lenteur
des progrès thérapeutiques, les angoisses devant les menaces suicidaires,
le sentiment de perdre le contrôle de la thérapie, ou l’incapacité à tolérer
l’expression de la souffrance de la personne TPEL.
158 Thérapies cognitives et émotions

Ceci étant, un des moyens à la disposition du thérapeute pour permettre


que le point optimum d’intimité dans la relation thérapeutique soit res-
pecté est l’observation de ses limites. C’est un axe central de la prise en
charge thérapeutique TCD, sous la complète responsabilité du thérapeute
qui apprend à prendre soin du patient en prenant soin de lui-même. En
agissant ainsi, le thérapeute évite que des comportements ou des éléments
particuliers de la thérapie n’entravent le bon fonctionnement de celle-ci.
S’il est important que le thérapeute apprenne à observer ses limites et à les
faire respecter, il arrive malheureusement souvent qu’il sache qu’une limite
a été dépassée au moment où elle est franchie. Le thérapeute identifiera pro-
gressivement plus rapidement et plus clairement ses limites ; il prendra en
considération tous les signaux d’alerte de leur dépassement : par exemple,
le sentiment de colère, de frustration, d’inconfort ou d’échec.
Un thérapeute désespéré n’est pas plus performant pour analyser avec
pertinence la situation qu’un patient dans le même état émotionnel  ! Il
est donc essentiel de porter une attention spécifique aux limites et à leur
respect.
Les limites varient d’un thérapeute à l’autre et avec le temps, mais elles
varient également chez un même thérapeute selon le moment ou selon le
patient. Aucune limite n’est juste ou mauvaise en elle-même ; elle est telle
qu’elle est sur le moment. Généralement, les limites sont d’autant moins
rigides et étroites que l’alliance thérapeutique est forte et solide.
Observer ses limites exige du thérapeute qu’il apprenne à supporter la
souffrance qu’il cause au patient en les faisant respecter. Accepter sa propre
impuissance est fondamental dans cette démarche. D’autant qu’il est telle-
ment tentant d’élargir ses limites en vue d’un apaisement à court terme,
tout en prenant le risque d’en rendre le patient responsable par la suite, lui
reprochant l’excessivité des besoins exprimés !
Par exemple, si le thérapeute décide d’inscrire un comportement problé-
matique dans une procédure d’extinction, il doit s’attendre à souffrir de la
douleur qu’il va inévitablement causer ; il devra également se donner les
moyens de ne pas interrompre cette procédure d’extinction sous peine de
renforcer massivement le comportement ciblé.

L’alliance thérapeutique
L’attachement du patient envers le thérapeute est tout aussi important que
l’attachement du thérapeute envers le patient. Le premier est visé dès les
premières étapes de la prise en charge : les expériences cognitives, affectives
et comportementales du patient sont validées, les comportements inter-
férant avec la thérapie sont travaillés, et les contrats de travail clarifiés. Le
second est potentialisé par l’accent mis continuellement sur la diminution
des comportements suicidaires et parasuicidaires, des comportements inter-
férant avec la thérapie, et par la procédure de supervision.
Ces compétences sont d’autant plus fondamentales que le thérapeute
et le processus thérapeutique produisent des expériences émotionnelles
La thérapie comportementale dialectique : l’émotion en mouvement 159

extrêmement douloureuses pour la personne qui souffre de TPEL et que


c’est dans la capacité de trouver le courage de les affronter que naît leur
apaisement.
Dès lors, renforcer l’alliance thérapeutique est un objectif primordial.
Pour y parvenir, trois attitudes sont prônées dans la TCD  : l’acceptation
relationnelle, la résolution de problèmes relationnels et la généralisation
relationnelle.
• l’acceptation relationnelle est une position philosophique qui conduit
le thérapeute à s’accepter tel qu’il est sur le moment, à accepter l’autre et
à accepter la relation telle qu’ils sont, avec leurs forces et leurs faiblesses. Il
s’agit d’entrer radicalement dans la relation thérapeutique et de se confron-
ter à une situation et une vie faites de douleurs, pour rencontrer la personne
TPEL là où elle se trouve. Il s’agit de regarder la relation thérapeutique en
face, sans attente spécifique, en reconnaissant l’existence des erreurs rela-
tionnelles et thérapeutiques présentes ;
• la résolution de problèmes relationnels permet de porter une attention
spécifique à toutes les émotions de tristesse, d’insatisfaction ou de colère que
le patient et/ou le thérapeute éprouvent à un moment donné de leur trans-
action interpersonnelle. Ces problèmes relationnels sont autant de compor-
tements qu’il s’agit d’une part de reconnaître et d’autre part de résoudre en
assumant conjointement la responsabilité de le faire ;
• quant à la relation instaurée entre thérapeute et patient, elle constitue
un terrain d’observation et d’apprentissage idéal pour comprendre quels
sont les modèles de relations en vigueur à l’extérieur de la thérapie. Le
patient peut ainsi développer des compétences interpersonnelles adaptées
et constructives. Dès lors, une généralisation de la relation thérapeutique à
l’environnement non thérapeutique du patient a lieu.

La position dialectique
La dialectique est une position philosophique qui consiste à considérer que
tout est en changement perpétuel : des contradictions entre les pôles oppo-
sés (thèse et antithèse) naît une tension créatrice, conduisant à la synthèse.
Cette synthèse est elle-même à l’origine de nouvelles thèses et antithèses.
Appliquer ce principe dialectique dans le contexte thérapeutique, c’est utili-
ser des stratégies spécifiques qui ciblent la relation thérapeute-patient.
Dès lors, le thérapeute a pour objectif d’équilibrer les stratégies de trai-
tement, alternant entre l’acceptation et le changement, entre protéger le
patient et le conduire à se protéger, entre ne pas lâcher prise tout en se
montrant flexible. De même, il cherche à moduler la pensée et les comporte-
ments de manière dialectique, intégrant les points de vue opposés, synthéti-
sant les extrémités du continuum. Sa mission est de se tenir simultanément
des deux côtés de chaque pôle, en ayant l’intime conviction que ni lui ni
le patient ne détient la vérité et la certitude que l’issue de cette tension
consiste à découvrir ce qui a été omis dans le raisonnement, dans la percep-
tion de l’environnement et la manière de gérer ce dernier.
160 Thérapies cognitives et émotions

Pour ce faire, le thérapeute dispose de plusieurs ensembles de stratégies


dialectiques spécifiques dont voici quelques illustrations :
• Les paradoxes permettent de mettre en évidence les contradictions inhé-
rentes aux comportements du patient, au processus thérapeutique ou à la
réalité en général ; ils attirent l’attention du patient via l’effet de surprise
provoqué. Par exemple, à un patient exprimant : « Je n’en peux plus ! Je
veux mourir ! Vous êtes la seule personne susceptible de pouvoir m’aider ! »,
le thérapeute répondra : « Je suis désolé… je ne peux pas vous aider… c’est
contre mon éthique professionnelle d’aider les gens à mettre un terme à
leur vie alors que je crois fondamentalement à la possibilité que vous puis-
siez construire une vie digne d’être vécue… ». Pour le thérapeute, utiliser
le paradoxe revient simultanément à accepter les choses telles qu’elles sont
et à les changer, à enseigner comment demander de l’aide pour être plus
autonome, à offrir la liberté de choisir son comportement et d’exiger le res-
pect de certaines règles pour poursuivre la thérapie.
• Les métaphores peuvent prendre la forme d’analogies, d’anecdotes, de
paraboles, de contes ou d’histoires. Elles sont autant de manières d’ensei-
gner différemment la pensée dialectique, de permettre la survenue de nou-
veaux comportements et d’envisager différentes perceptions de la réalité.
La puissance de la métaphore réside à la fois dans l’intérêt que crée sa
narration ; la facilité avec laquelle elle sera dès lors mémorisée, et sa plus
grande malléabilité, permettant à celui qui l’écoute de l’adapter à ce qu’il
est en train de vivre. Par exemple, si thérapeute et patient sont dans une
lutte de pouvoir (le thérapeute encourage le patient à appliquer une tech-
nique et plus il le fait, plus le patient exprime le fait que cela ne marchera
pas) : « C’est un peu comme si nous étions tous deux dans une voiture qui
vient de s’enfoncer dans une congère ; nous cherchons à sortir la voiture
de la congère et pour ce faire, nous appuyons sur l’accélérateur tant et plus,
partant de la conviction qu’ainsi la voiture aura la puissance nécessaire pour
franchir la congère. Malheureusement, les pneus tournent dans le vide et la
voiture s’enfonce progressivement dans la neige. Le seul moyen que nous
avons de sortir de cette congère, c’est de trouver une façon de dégonfler les
pneus pour faire marche arrière ».
• La technique de l’avocat du diable consiste à argumenter un point de
vue opposé à celui que le thérapeute souhaite voir défendu par le patient.
Par exemple, lorsque le patient s’enthousiasme à l’idée de débuter un pro-
gramme d’exposition à la honte, le thérapeute joue l’avocat du diable en
émettant des réticences : « Bien sûr, ce serait fantastique de pouvoir vous
débarrasser de ce sentiment excessif de honte mais êtes-vous bien sûr que
cela en vaille la peine ? Pensez-vous que ce soit vraiment le bon moment
pour le faire  ?  ». En réaction, le patient pourra défendre le point de vue
opposé et trouver les arguments qui lui permettront de renforcer sa motiva-
tion à réaliser un changement.
• La technique de l’exagération est l’équivalent émotionnel de la technique
de l’avocat du diable. Dans ce contexte, le thérapeute s’attache à répondre
aux conséquences invoquées par le patient pour tenter de résoudre ce qui
La thérapie comportementale dialectique : l’émotion en mouvement 161

constitue à ses yeux un problème. Par exemple, si le patient annonce  :


«  C’est évident que je vais me suicider si vous maintenez votre projet de
partir en vacances pendant trois semaines  !  », le thérapeute répondra  :
« Comment continuer de parler de quelque chose d’aussi anodin que mes
vacances alors que votre souffrance est telle que vous envisagez de mettre
un terme à votre vie ! Comment avez-vous planifié de vous tuer ? Pensez-
vous qu’il serait judicieux d’organiser une hospitalisation ? ». L’idée sous-
jacente à l’exagération est de poursuivre le mouvement émotionnel au-delà de
son point final naturel, de sorte à permettre un déséquilibre salvateur.
• Faire de la limonade avec du jus de citron consiste à tirer partie favorable-
ment d’une situation qui, a priori, n’était susceptible d’apporter que dés-
avantages et déconvenues. Dit avec d’autres mots, il s’agit de voir en quoi
la bouteille à moitié vide pourrait bien être également à moitié pleine. Par
exemple, au patient qui se plaint de l’incompréhension flagrante dont a
fait preuve son assistante sociale lors d’un récent entretien, le thérapeute
rétorquera  : «  Quelle chance  ! Grâce à Mme  Dupont, nous allons pouvoir
peaufiner nos compétences interpersonnelles de sorte à potentialiser le fait
qu’elle entende votre demande la prochaine fois ! ».

La validation
L’intervention du thérapeute exige la recherche permanente d’un équilibre
entre la validation de ce que vit le patient à un moment donné et les tech-
niques de résolution de problèmes qui le conduiront à modifier ses compor-
tements. La validation et la résolution de problèmes sont des stratégies
centrales de la prise en charge TCD. Face à quelqu’un qui souffre inten-
sément et dont on ne peut modifier l’environnement en vue de diminuer
la souffrance, le thérapeute risque de vouloir concentrer toute son énergie
pour conduire le patient à changer son comportement (attitude prônée
dans le contexte de la résolution de problèmes). Or, une des étapes fonda-
mentales de tout changement est l’acceptation radicale et inconditionnelle
des choses telles qu’elles sont sur le moment : c’est la validation.
Valider, c’est mettre en évidence la partie adéquate et compréhensible de
la réponse en la recontextualisant dans l’ici et maintenant. Le thérapeute
qui veut valider doit observer de manière active ce que le patient est en train
de vivre ; il doit ensuite être en mesure de reformuler ce qu’il a observé en
se positionnant de manière non jugeante. Finalement, le thérapeute valide
le comportement ainsi observé et reformulé de manière non jugeante en
mettant en évidence la part de sagesse et d’adaptabilité présente dans le
comportement par rapport au contexte dans lequel il survient.
Quatre niveaux de validation sont à la disposition du thérapeute pour
exprimer l’acceptation de la réalité telle qu’elle est sur le moment :
• la validation émotionnelle consiste à offrir au patient des opportunités
de vivre en séance ses émotions quelles qu’elles soient. Elle permet égale-
ment au thérapeute d’enseigner l’observation et l’étiquetage des émotions
y compris en verbalisant, d’une manière non jugeante, les émotions qu’il a
162 Thérapies cognitives et émotions

pu décoder. Finalement, le thérapeute valide la part de l’émotion du patient


qui est compréhensible, la normalise et conduit à une interprétation non
jugeante de cette dernière ;
• la validation cognitive conduit le thérapeute à soutenir le patient dans
l’observation et la description qu’il fait de sa manière de se penser et de
penser le monde qui l’entoure. Il est ainsi possible au thérapeute d’appren-
dre au patient à différencier les interprétations des faits. La part du raison-
nement qui est valide et qui correspond à la réalité est mise en lumière de
sorte à permettre au patient d’apprendre quand se faire confiance dans ses
analyses ;
• quant à la validation comportementale, elle conduit le patient à diffé-
rencier son comportement des motivations inférées ainsi qu’à apprendre à
l’observer et le décrire adéquatement. Les standards irréalistes sont travail-
lés ; thérapeute et patient apprennent à rechercher en quoi un comporte-
ment donné est compréhensible. Le comportement est accepté tel qu’il est
sur le moment avec ses imperfections ;
• la validation des compétences porte également le nom d’encouragement.
Il s’agit pour le thérapeute de communiquer au patient sa conviction dans le
fait que celui-ci fait du mieux qu’il peut et son espoir dans les compétences
du patient à continuer d’aller de l’avant. Le thérapeute se concentre sur les
capacités du patient et diminue l’impact des critiques qui proviennent de
l’extérieur. Le thérapeute renforce positivement le patient à chaque pas fran-
chi en direction de l’objectif visé. Encourager le patient est une compétence
fondamentale du thérapeute. C’est grâce à l’encouragement et à l’espoir
véhiculés que le patient pourra combattre les moments de désespoir, actuels
et à venir, et qu’il parviendra à contrecarrer les comportements de passivité
active caractéristiques du TPEL.
Souvent, le thérapeute craint qu’en validant ce que vit la personne, il ne
renforce voire n’amplifie l’intensité des émotions et des comportements
problématiques consécutifs ; la confrontation de cette croyance à la réalité
met en évidence son irrationalité.
Par ailleurs, si le thérapeute se sent particulièrement anxieux devant la
détresse exprimée par le patient et qu’il cherche à gérer cette anxiété en
apportant des solutions immédiates au patient, il enclenche malgré lui un
processus d’invalidation des émotions. Toutes les émotions ont un sens
même s’il faut parfois le rechercher activement ; toutes les émotions sont
compréhensibles et tolérables. Cependant, pour savoir que toute émo-
tion est tolérable, il faut pouvoir faire usage de stratégies de tolérance à la
détresse. Cet apprentissage sera proposé aux patients dans le contexte des
modules psychoéducationnels. Pour pouvoir l’enseigner, les thérapeutes
devront apprendre à l’appliquer à leur propre détresse.

Les modes de communication


Deux modes de communication sont proposés par la TCD, toujours en res-
pectant les principes dialectiques  : la communication dite réciproque et la
La thérapie comportementale dialectique : l’émotion en mouvement 163

communication dite irrévérencieuse. Pour communiquer adéquatement, le


thérapeute doit être capable de passer de l’un à l’autre pôle de cette dialec-
tique, alternant sa capacité de répondre avec chaleur et sincérité par une
information donnée sur lui-même ou sur le processus thérapeutique en
cours et sa compétence à se montrer impertinent et incongru.
Les capacités de répondre, de donner des informations sur soi, de se mon-
trer chaleureux et sincère sont les quatre facettes de la communication
réciproque. Cette modalité de communication est utilisée dans toutes les
stratégies et les étapes thérapeutiques. Elle conduit le thérapeute à trans-
mettre au patient soit des informations qui se réfèrent à sa biographie (par
exemple, son parcours professionnel, ses expériences dans le domaine
pathologique abordé,  etc.), soit des informations sur ce qu’il ressent ou
pense lorsque le patient fait ou dit certaines choses (métacommunication
sur la transaction interpersonnelle en cours).
Cette capacité de communiquer de manière réciproque est également
celle que le thérapeute mobilise lorsque le comportement du patient
dépasse ses limites personnelles, ou que le patient s’engage dans des
comportements interférant avec la thérapie. Par exemple, à un patient
manifestant son hostilité verbalement, le thérapeute répondra : « Lorsque
vous haussez le ton et que vous m’insultez, je sens mon cœur qui s’accé-
lère et je suis sur mes gardes. Cela coupe chez moi toute envie de vous
soutenir et de vous aider ».
Mais demander au thérapeute de se montrer chaleureux envers le patient
est un défi qu’il ne pourra relever seul : comme mentionné précédemment,
la chaleur interpersonnelle inconditionnelle n’est pas caractéristique des
relations quelles qu’elles soient. Dès lors, il sera fréquent de voir le théra-
peute s’engager soit dans des comportements si intensément chaleureux
que le contrat thérapeutique est mis en péril et risque de dégénérer en ami-
tié et relation intime. Inversement, la colère et le désespoir du thérapeute
sont monnaie courante devant l’intensité de la souffrance du patient et
le manque apparent d’améliorations. Le thérapeute devra donc accepter
de travailler ses émotions, lors des supervisions d’équipe et en s’auto­
appliquant les techniques de gestion des émotions.
À l’opposé de ce continuum de communication, apparaît la communica-
tion dite irrévérencieuse que l’on peut résumer comme la capacité du théra-
peute de répondre du tac au tac, de mobiliser son esprit de répartie, afin de
permettre de sortir au plus vite d’une relation dans laquelle thérapeute et
patient sont englués, le tout en allant droit au but et sans papier d’emballage.
Par exemple, à un patient annonçant qu’il va se tuer, le thérapeute répon-
dra : « Si vous vous tuez… je ne pourrai plus être votre thérapeute ! ». Cette
confrontation ne peut prendre naissance que dans une relation interper-
sonnelle forte et positive et sera systématiquement enrobée de validation.
Communication réciproque et irrévérencieuse se mêlent l’une à l’autre en
une seule construction stylistique. Leur fluidité et leur harmonie dépendent
de la rapidité avec laquelle le thérapeute est en mesure de passer de l’une à
l’autre au cours d’une même interaction.
164 Thérapies cognitives et émotions

La consultation environnementale versus


la consultation du patient
La gestion de cas préconisée par la TCD se subdivise en deux catégories que
sont la consultation environnementale et la consultation du patient.
Dans la consultation environnementale, le thérapeute interagit, en lieu et
place du patient, avec l’environnement de ce dernier. Ce type d’interaction
est limité au maximum et est régi par des conditions strictes d’application :
le résultat doit être essentiel et le risque encouru par le patient sans inter-
vention doit être supérieur à celui en lien avec une intervention, à court et à
long terme (tel sera le cas, par exemple, lorsque le patient est inconscient ou
qu’il vit une décompensation psychotique). Dans ce contexte, le thérapeute
est autorisé à entrer en interaction avec l’environnement du patient, en se
positionnant comme le ferait un avocat, prenant la défense de son patient :
seules les informations pertinentes et indispensables seront données et for-
mulées de manière non péjorative. Un résumé de ces échanges sera transmis
au patient ultérieurement.
La consultation du patient est l’attitude prônée par la TCD. Le thérapeute
joue le rôle d’un entraîneur qui a pour mission d’aider le patient à inter-
agir efficacement avec son environnement. C’est cette attitude qui permet
d’accroître le respect des patients, de leur apprendre à devenir des usagers
performants du système de soins et de diminuer les situations de clivage au
sein des équipes. Dans cette perspective, si le thérapeute prend part à une
réunion de réseau, ce sera en présence du patient et sa mission se limitera
à aider ce dernier à exprimer ce qu’il souhaite, en interagissant efficace-
ment avec les personnes présentes. Toujours dans le même ordre d’idées,
si un service de soins somatiques appelle le thérapeute pour l’informer que
le patient est sous leur responsabilité, le thérapeute évitera de donner à
l’équipe des conseils relatifs à la manière de gérer le patient : il demandera
à parler directement au patient de sorte à l’aider à interagir efficacement
avec l’équipe soignante.

L’équipe de supervision
Diminuer la fréquence et l’intensité des comportements interférant avec
la thérapie, qu’ils soient émis par le patient ou par le thérapeute, permet
de créer les contingences indispensables à la poursuite du processus théra-
peutique. L’objectif est de prévenir l’usure du thérapeute plutôt que de la
traiter. Pour que le processus thérapeutique puisse avoir lieu et se poursuive,
la motivation du patient et du thérapeute de mener à bien cette démarche
est essentielle ; or, la motivation est le résultat des renforcements que les
deux protagonistes de la relation reçoivent.
L’équipe de supervision est là pour pallier le manque de renforce-
ments  positifs que le thérapeute reçoit du patient, pour contrebalancer
les renforcements aversifs qui surviennent dans le contexte thérapeutique,
pour permettre au thérapeute de continuer de renforcer positivement et
massivement chaque progrès du patient et pour apprendre progressivement
La thérapie comportementale dialectique : l’émotion en mouvement 165

au patient à prendre soin de son thérapeute. Être capable d’apprécier authen-


tiquement le patient est l’un des objectifs des procédures de supervision.
Par ailleurs, c’est également dans le contexte de l’équipe de supervision
que le thérapeute sera soutenu dans l’application des compétences TCD aux
situations qu’il vit avec la personne TPEL. Le thérapeute pratiquera donc
les techniques de prise de conscience totale, de régulation des émotions,
d’efficacité interpersonnelle ou de tolérance à la détresse, pour gérer de la
manière la plus adéquate possible ses émotions durant la prise en charge.
Ainsi, s’il est fondamental que le patient apprenne à gérer ses émotions
pour parvenir à une qualité de vie digne d’être vécue, il est tout autant
fondamental que le thérapeute apprenne à gérer ses émotions de sorte à être
en mesure de traiter le patient.
Thérapeute et patient sont confrontés au même apprentissage : pouvoir
vivre les émotions tout en étant capables de réduire les stimuli déclencheurs
ou les activations comportementales et cognitives en lien avec ces émo-
tions. Le thérapeute supervise le patient dans cette tâche, l’équipe de super-
vision le thérapeute.

Les émotions et la thérapie TCD


Partant d’une conception où le trouble de personnalité état-limite est la
résultante d’une vulnérabilité émotionnelle et où la qualité de la relation
thérapeutique est le vecteur fondamental de l’efficacité de la prise en charge,
Marsha M. Linehan (2000) a développé un modèle de prise en charge thé-
rapeutique, permettant la création de terrains d’apprentissage d’une gestion
efficace et compétente des émotions du patient, dans le but de diminuer la
labilité émotionnelle, comportementale et cognitive caractéristique du TPEL.
La TCD a pour objectif premier de supprimer l’usage des comportements
suicidaires, parasuicidaires et automutilatoires et d’accroître la satisfaction
de vivre. Les comportements suicidaires, parasuicidaires et automutilatoires
sont les problèmes sur lesquels thérapeute et patient s’engagent à travailler
et ne sont pas considérés comme des solutions aux difficultés rencontrées
par le patient.
La TCD est comportementale, dans la mesure où elle préconise l’analyse
et l’apprentissage du repérage des modèles comportementaux de la per-
sonne TEPL et la mise en place de comportements alternatifs constructifs et
performants en lieu et place des comportements problématiques préalable-
ment usités.
La TCD est également cognitive  : elle permet de modifier certaines
croyances apprises dans d’autres contextes et n’ayant plus de validité
actuelle. Elle vise également l’augmentation de la capacité à développer
une pensée dialectique. Par contre, à la différence de la thérapie compor-
tementale et cognitive classique, la TCD ne part pas de l’hypothèse que ce
sont les cognitions qui enclenchent les émotions  : les cognitions sont le
produit des émotions avec lesquelles elles entrent en congruence et qu’elles
166 Thérapies cognitives et émotions

expriment. Dès lors, les techniques de restructuration cognitive classique


ne sont pas utilisées car elles risqueraient, du moins dans un premier temps
de la démarche thérapeutique, de reproduire l’environnement invalidant et
d’empêcher en conséquence l’apprentissage d’une gestion pertinente des
émotions.
La TCD est par ailleurs orientée vers l’acquisition de compétences. Par
exemple en matière de régulation des émotions ou d’efficacité interperson-
nelle, elle équilibre acceptation et changement et exige l’existence d’une
relation thérapeutique collaborative intense.
Finalement, la TCD est un programme thérapeutique qui vise l’augmenta-
tion des compétences du patient, l’augmentation de sa motivation à chan-
ger, la généralisation des acquis à l’environnement naturel, la structuration
de l’environnement thérapeutique de sorte à soutenir les compétences du
patient et du thérapeute, ainsi que l’augmentation des compétences et de la
motivation du thérapeute à traiter le patient efficacement.

Les cadres thérapeutiques


Les cadres thérapeutiques établis par la TCD pour permettre à ces différents
objectifs d’être atteints sont au nombre de cinq : les groupes psychoéduca-
tionnels, la psychothérapie individuelle, les consultations téléphoniques,
l’équipe de supervision et les traitements dits auxiliaires.
Les patients doivent obligatoirement participer à l’ensemble du pro-
gramme et s’en verront exclure s’ils venaient à manquer quatre séances
consécutives, individuelles ou de groupe. Cette règle, établie dans un
premier temps afin de satisfaire aux exigences de la recherche que menait
Marsha M. Linehan au sujet de l’efficacité de la TCD, s’est avérée avoir un
impact thérapeutique inattendu en diminuant le nombre d’arrêts du trai-
tement. Dès lors, elle a été maintenue dans le cadre de la prise en charge.

Les groupes psychoéducationnels


Les groupes psychoéducationnels sont autant de terrains d’apprentissage
sur lesquels le patient TPEL peut pallier ses lacunes dans le domaine de
la gestion des émotions et des relations interpersonnelles, consécutives à
sa vulnérabilité biologique et aux apprentissages de l’environnement dans
lequel il a évolué et évolue aujourd’hui.
Ils visent l’apprentissage de compétences susceptibles de diminuer le
chaos interpersonnel, la labilité des émotions et des humeurs, l’impulsivité
et la dysrégulation cognitive, notamment le sentiment de confusion par
rapport à soi.
Deux heures trente par semaine et en présence de deux coanimateurs, les
patients sont invités à faire l’apprentissage de diverses compétences telles
que la pleine conscience ou la prise de conscience totale, l’efficacité inter-
personnelle, la régulation des émotions et la tolérance à la détresse. Ces
différentes compétences sont enseignées dans des modules de huit séances
chacun, durant lesquels abstraction est faite des situations de crise de la
La thérapie comportementale dialectique : l’émotion en mouvement 167

vie de tous les jours  : on se centre sur les compétences susceptibles, une
fois exercées et maîtrisées, de remplacer adéquatement les comportements
problèmes ciblés :
• le module de prise de conscience totale a pour objectif d’enseigner au
patient à observer – c’est-à-dire expérimenter ce qu’il est en train de vivre
sans l’influencer, décrire – en d’autres termes donner un nom ou étiqueter
ce qu’il observe et participer à ce qu’il est en train de vivre sur le moment,
de manière non jugeante, en se concentrant sur une seule chose à la fois et
en se montrant efficace dans cette tâche. (Le lecteur intéressé par ces straté-
gies de prise de conscience totale, appelées également mindfulness trouvera
des compléments d’informations utiles dans les chapitres 3 et 8 du présent
ouvrage) ;
• le module de régulation émotionnelle vise l’apprentissage de compé-
tences susceptibles de diminuer l’intensité et la labilité émotionnelle. La
personne apprend à repérer ses émotions, à les nommer, à les analyser – en
d’autres termes à être en mesure de comprendre en quoi elles sont en lien
avec les événements internes ou externes qui surviennent et à construire
des émotions positives  – par exemple en développant des activités spéci-
fiques susceptibles de favoriser la maîtrise ou le sentiment de bien-être ;
• le module de tolérance à la détresse se centre sur les moyens à dispo-
sition de la personne pour supporter une souffrance de manière efficace
et donc sans se faire de mal. Il s’agit d’apprendre également à accepter la
situation telle qu’elle est à un moment donné et à accepter ses compétences
et incompétences à gérer cette situation. Différents outils sont enseignés
dans le contexte de ce module pour permettre à la personne d’apprendre
comment améliorer le moment présent, de quelle manière distraire les
émotions douloureuses pendant un certain laps de temps, ou dans quelle
mesure apaiser les émotions douloureuses via les cinq sens ;
• le module d’efficacité interpersonnelle vise l’apprentissage des compé-
tences nécessaires à l’établissement et au maintien de relations harmo-
nieuses et positives, tout en gardant et améliorant le respect de soi. Pour
une bonne part, ce module enseigne les compétences classiques de l’affir-
mation de soi, en se centrant toutefois sur deux territoires d’interactions
plus problématiques pour les personnes TPEL : la formulation de demandes
et celle de refus.
Entre chaque séance de groupe, le patient doit réaliser des tâches à domi-
cile qu’il répertorie sur une fiche d’auto-observation. Quotidiennement et
en fonction des compétences apprises dans les différents modules, il est
invité à inscrire les compétences utilisées et à évaluer leur efficacité en fonc-
tion des émotions rencontrées.
La séance de groupe se subdivise en cinq temps spécifiques  : au début,
chaque participant est accueilli personnellement et le temps nécessaire à
la construction d’un climat de travail chaleureux et collaboratif est pris. La
première partie de la séance est consacrée à la revue des tâches à domicile,
en se centrant sur l’application des compétences et leur utilité selon les
émotions vécues  ; dans le cas de figure où un patient n’a pas complété
168 Thérapies cognitives et émotions

ses fiches ou ne les a pas prises avec lui, cet oubli est travaillé comme un
comportement interférant avec la thérapie de sorte à permettre progres-
sivement au patient de prendre conscience de l’importance des tâches à
domicile et de le conduire à les réaliser.
Vient ensuite la pause durant laquelle les thérapeutes restent à disposi-
tion pour aider tout patient en difficultés. S’ensuit la seconde et dernière
partie de la séance, consacrée à l’enseignement des nouvelles compétences
selon des modalités générales décrites dans le Manuel d’entraînement aux
compétences psychosociales (Linehan, 2000).
Le temps consacré à la conclusion du groupe est plus conséquent que
dans d’autres types de prise en charge, puisqu’il doit permettre à des
patients particulièrement réactifs de pouvoir quitter le groupe dans un état
émotionnel acceptable ; les personnes TEPL ont souvent besoin de plus de
temps que d’autres pour s’ouvrir et pour se refermer sur le plan émotionnel.

Les entretiens individuels


En parallèle de ces apprentissages en groupe, le patient participe activement
à des entretiens individuels avec un thérapeute considéré comme princi-
pal. Le thérapeute individuel a pour mission d’aider le patient à gérer les
situations de crise et de le superviser dans l’application des compétences
acquises durant les groupes psychoéducationnels à sa vie de tous les jours.
Les entretiens individuels ont lieu à raison d’une fois par semaine pen-
dant 60 minutes. Leur durée peut être augmentée en fonction des objectifs
thérapeutiques visés, notamment si la séance est dédiée à une démarche
d’exposition.
Chaque entretien individuel débute par la révision des fiches d’auto-
observation complétées durant la semaine et une attention particulière est
portée à la survenue de comportements cibles, par ordre d’importance :
• les comportements suicidaires, parasuicidaires et automutilatoires, y
compris les idéations et expressions verbales, les attentes et croyances en
termes d’efficacité, les affects qui y sont reliés ;
• les comportements interférant avec la thérapie, tels la non-attention, la
non-collaboration, la non-compliance, les interférences négatives avec les
autres patients, le dépassement des limites du thérapeute et de l’institution,
les atteintes de la motivation du thérapeute à traiter le patient, etc. ;
• les comportements interférant avec la qualité de vie, à savoir tous les
comportements que le patient souhaite modifier dans l’idée d’améliorer
son existence (par exemple, phobie sociale, gestion pondérale, difficultés
conjugales, etc.).
Les personnes TPEL présentent trois types de comportements qui met-
tent à rude épreuve le thérapeute  : les tentatives de suicide, les menaces
suicidaires et les manifestations d’hostilité. Plus la souffrance exprimée est
intense et plus les progrès thérapeutiques sont lents, plus le stress du théra-
peutique augmente.
Afin d’aider le thérapeute à mieux gérer ce stress, plusieurs ensembles de
stratégies ont été mis au point par Marsha Linehan (2000). Ces ­stratégies
La thérapie comportementale dialectique : l’émotion en mouvement 169

sont présentées telles des listes contrôles et permettent de canaliser les


interventions du thérapeute vers un maximum d’efficacité, en l’aidant à
mieux faire face à ses débordements émotionnels et à ceux du patient.

Le protocole face aux situations de crise


Face aux situations de crise, le thérapeute a pour objectif d’aider le patient à
interrompre l’envahissement émotionnel et ses interférences sur les compé-
tences cognitives. Pour ce faire, il porte son attention sur l’affect plutôt que
sur la situation, en identifiant et en validant les émotions ressenties par
le patient. L’accent est mis sur l’ici et maintenant. Le thérapeute permet
de  construire un lien entre les réponses de crise et les événements déclen-
cheurs, en reformulant et en synthétisant à plusieurs reprises la nature du
problème rencontré. Dans ce contexte, le patient est invité à pratiquer les
compétences acquises durant les modules psychoéducationnels de sorte à
résoudre le problème, à savoir l’envahissement émotionnel. Un plan d’actions
est élaboré conjointement avec le thérapeute sur la base d’un contrat expli-
cite et limité dans le temps ; le thérapeute formule avec clarté et précision ce
qu’il demande au patient et ce qu’il attend de lui. Les risques suicidaires sont
évalués et la potentielle récurrence de la réponse de crise anticipée, de sorte à
planifier des stratégies de gestion, si tel devait être le cas.

Le protocole face aux comportements suicidaires,


parasuicidaires et automutilatoires
Lorsque le thérapeute est confronté aux menaces de suicide, parasuicide
ou automutilations, sa tâche est double et dialectique : à la fois, il a pour
mission d’empêcher que le patient ne se tue ou ne se fasse du mal et il
doit également diminuer la probabilité ultérieure qu’un suicide ou un acte
autodommageable ne se produise.
C’est pour cette raison qu’une règle arbitraire a été établie dans le proto-
cole de prise en charge des comportements suicidaires et automutilatoires :
la règle des 24  heures. Elle consiste pour le thérapeute et le patient à ne
pas entrer en contact téléphoniquement l’un avec l’autre lorsqu’un acte
autodommageable ou un tentamen a été réalisé au lieu de demander au
thérapeute le soutien et la supervision nécessaires pour mettre en place
des comportements alternatifs. Dès lors, cette absence de contact pendant
vingt-quatre heures permet d’éviter que l’intérêt du thérapeute pour le
patient, une fois la tentative de suicide ou l’acte autodommageable réalisés,
ne joue le rôle d’un renforcement positif du comportement problème que
l’on cherche à éteindre.
Par ailleurs, chaque fois qu’un comportement suicidaire, parasuicidaire
ou automutilatoire est réalisé par le patient, il sera travaillé dans le détail
et en priorité lors de l’entretien individuel suivant. L’objectif est alors de
comprendre avec précision et minutie comment se sont déroulés les évé-
nements, quelles sont les cognitions et émotions, qui se sont enchaînées
jusqu’à l’émission du comportement problème. Il s’agit aussi de pouvoir,
à partir de cette analyse en chaîne détaillée, d’identifier tous les maillons, à
partir desquels des comportements alternatifs auraient permis de s’abstenir
170 Thérapies cognitives et émotions

de produire le comportement problème. Cette analyse de solutions permet


progressivement l’apprentissage d’autres comportements plus productifs, et
le réflexe d’y faire recours.
La répétition des analyses en chaîne et des analyses de solutions permet
également de comprendre comment les comportements problématiques
ciblés fonctionnent, en quoi ils sont répondants ou opérants selon les situa-
tions et de voir quel est le modèle de fonctionnement dans lequel ils s’ins-
crivent.
Quatre types de protocoles sont développés par Marsha M.  Linehan
(2000) pour potentialiser les interventions thérapeutiques selon le moment
de survenue du comportement suicidaire, parasuicidaire ou automutila-
toire  : le protocole face aux comportements antérieurs, le protocole face
aux menaces, le protocole face aux comportements exécutés en présence
du thérapeute individuel et celui face aux comportements exécutés en
présence des coanimateurs de groupe. L’ensemble de ces protocoles sont
décrits dans le détail dans l’ouvrage Traitement cognitivocomportemental du
trouble de personnalité borderline (Linehan, 2000).

Le protocole face aux comportements interférant


avec la thérapie
De même qu’aucun comportement suicidaire, parasuicidaire ou automu-
tilatoire n’est passé sous silence, tous les comportements qui mettent en
péril la démarche thérapeutique, y compris ceux qui conduisent à l’usure
du thérapeute, sont travaillés de manière systématique et structurée. Il s’agit
là de permettre que la thérapie ait lieu et qu’elle se déroule dans les condi-
tions sine qua non de son efficacité. En travaillant sur les comportements
interférant avec la thérapie, une alliance thérapeutique forte et intense se
construit et c’est de la puissance de cette collaboration entre thérapeute et
patient que dépend la réussite de la prise en charge TCD.
Parmi les comportements du patient qui interfèrent avec la thérapie, il y
a toutes les conduites qui l’empêchent d’être en mesure de recevoir la thé-
rapie. S’inscrivent dans cette catégorie, les comportements qui diminuent
ou empêchent la participation (par exemple, absence physique ou psycho-
logique, consommation de substances altérant l’état de conscience), ceux
qui ne permettent pas à une relation authentique et collaborative avec le
thérapeute de s’installer (par exemple, le mutisme, la non-transmission de
certaines informations, l’argumentation continuelle), ceux qui conduisent
le patient à ne pas participer activement à la thérapie (par exemple, refuser
de s’exposer à des situations redoutées, ne pas compléter les fiches d’auto-
observation entre les séances, ne pas se conformer aux recommandations
de traitement).
Dernière catégorie  : les comportements qui interfèrent avec les autres
patients et mettent la qualité de la prise en charge en péril. Il ne s’agit pas
d’éviter les conflits interpersonnels mais de ne pas autoriser qu’ils soient
exprimés au travers de remarques manifestement hostiles, critiques ou
jugeantes.
La thérapie comportementale dialectique : l’émotion en mouvement 171

Le patient est également susceptible de s’engager dans tout un ensemble


de comportements qui vont, à plus ou moins brève échéance, user le théra-
peute s’ils ne font pas l’objet d’un travail de correction spécifique. Tel est le
cas des conduites du patient qui poussent à bout les limites du thérapeute,
comme le fait de refuser de s’engager dans la démarche de soins, de ne
pas mettre en pratique des stratégies considérées comme essentielles, de se
rendre au domicile du thérapeute et de faire intrusion dans sa vie privée,
de menacer le thérapeute d’agressions physiques, etc. Ces interactions pro-
blématiques ne sont à aucun moment considérées comme la preuve d’un
manque de limites de la part du patient : elles sont perçues comme le résul-
tat de lacunes d’apprentissage des comportements adéquats pour permettre
à la relation – qu’elle soit ou non thérapeutique – d’être initiée et mainte-
nue de manière harmonieuse. Dès lors, il sera fondamental que thérapeute
et patient travaillent côte à côte pour pallier cette lacune.
Le thérapeute est également susceptible de produire des comportements
interférant avec la thérapie et ces comportements feront l’objet d’un tra-
vail spécifique et approfondi durant les séances de supervision. Citons
par exemple : la difficulté à tolérer l’expression de souffrance du patient,
l’accent mis continuellement sur le changement de comportement au
détriment de l’acceptation de ce dernier et le risque de reproduire dès lors
l’environnement invalidant dans lequel le patient a évolué, l’acceptation
inconditionnelle du patient, quels que soient ses comportements, le
manque de patience qui conduit le thérapeute à changer continuellement
de stratégie de traitement, la surprotection du patient, l’usage excessif
d’un style de communication réciproque ou irrévérencieux, les punitions
déguisées, ou les comportements iatrogènes qui viennent renforcer posi-
tivement les comportements problématiques ciblés que l’on souhaite éli-
miner, etc.

Les consultations téléphoniques


Dans le modèle TCD, il est indispensable d’accepter de recevoir des
appels téléphoniques, en dehors des entretiens individuels ou de groupe.
Ces appels permettent d’atteindre quatre objectifs primordiaux, dans le
contexte de la prise en charge :
• grâce à eux, les contacts avec le thérapeute, qui pourraient avoir une
valeur de renforcement positif des comportements cibles, sont réduits au
strict minimum. En effet, en offrant au patient la possibilité d’être sou-
tenu dans l’application de comportements alternatifs, à ceux qui posent
problèmes, le thérapeute renforce positivement toute action allant dans
le sens de l’objectif visé. Parallèlement, l’interdiction d’entrer en contact
téléphonique, durant les 24 heures qui suivent l’émission d’un comporte-
ment suicidaire ou d’automutilation, réduit au maximum toute interaction
conditionnelle entre une réponse de crise et l’attention portée par l’envi-
ronnement ;
• deuxièmement, grâce aux consultations téléphoniques, le patient a la
possibilité d’apprendre progressivement à demander de l’aide de manière
172 Thérapies cognitives et émotions

appropriée, ce qui lui permettra de généraliser cette compétence à ses


proches ;
• ce processus de généralisation s’applique également aux compétences
en voie d’acquisition, que le patient apprendra à appliquer aux situations
problématiques de sa vie de tous les jours ;
• finalement, les consultations téléphoniques présentent l’avantage de
permettre un compromis entre le manque de temps des thérapeutes et le
besoin de temps des patients. Cependant, aucune consultation télépho-
nique ne prendra la forme d’un entretien thérapeutique  : les interactions
sont centrées sur la manière dont la personne se débrouille pour appliquer
les compétences de gestion des émotions et des relations, apprises durant les
groupes psychoéducationnels. Une consultation téléphonique n’outrepasse
jamais 10 à 20 minutes.
Trois cas de figure précèdent les consultations téléphoniques  : soit le
patient vit un état de crise et il souhaite obtenir de son thérapeute le sou-
tien et la supervision qui lui seront nécessaires à l’application performante
des compétences enseignées dans les groupes psychoéducationnels  ; soit
le patient appelle le thérapeute en fonction d’un agenda d’appels prépro-
grammés, tel est le cas notamment pour les patients qui ont besoin de
pouvoir dépasser les émotions de honte ou de culpabilité qui les empê-
chent de demander l’aide dont ils ont besoin  ; soit encore le thérapeute
appelle le patient pour contrôler la manière dont ce dernier se débrouille
dans l’application des compétences nouvellement acquises  ; l’objectif est
d’éviter l’évitement par exemple lorsqu’un patient ne se présente pas à une
séance programmée.
Globalement, durant les interactions téléphoniques, le thérapeute reste
centré sur les compétences que le patient a mobilisées ou pourrait mobili-
ser et non sur l’analyse de la situation. L’objectif final est de chercher des
stratégies susceptibles de vivre la crise, et d’y survivre sans se faire de mal
jusqu’à la séance suivante.
Face aux consultations téléphoniques, la majorité des thérapeutes vivent
l’angoisse d’être envahis dans leur vie privée d’une façon insupportable. Là
encore, la connaissance que le thérapeute a de ses limites est primordiale
car elle lui permettra de déterminer les espaces durant lesquels il se sent en
mesure de se rendre disponible pour superviser le patient : pour certains,
les appels au-delà de 20 h 00 ne seront pas acceptés tandis que d’autres sou-
haiteront s’engager à répondre dans les 2 heures faisant suite au message
laissé sur un répondeur téléphonique. Si les appels devenaient abusifs, c’est-
à-dire s’ils outrepassent les limites préalablement explicitées et clairement
établies par le thérapeute, ils devront bien évidemment être traités comme
des comportements interférant avec la thérapie.

Les traitements auxiliaires


Dans la TCD, est considéré comme auxiliaire tout traitement non TCD et
dont le patient a besoin à un moment où l’autre de son évolution. C’est dans
La thérapie comportementale dialectique : l’émotion en mouvement 173

cette catégorie que sont classés les groupes de soutien, les autres prises en
charge thérapeutiques (par exemple, thérapie de couple ou de famille), ou
les consultations en orientation scolaire et professionnelle. On y classe égale-
ment les traitements psychopharmacologiques et les hospitalisations.
Le protocole de médication proposé par la TCD consiste à séparer la
pharmacothérapie de la psychothérapie de sorte à éviter que la prescription
médicamenteuse ne devienne un enjeu thérapeutique. En séparant psycho-
thérapie et pharmacothérapie, il est également possible pour le thérapeute
de respecter scrupuleusement sa mission TCD, à savoir enseigner au patient
comment devenir un consommateur compétent et responsable et comment
interagir efficacement avec le personnel médical. Cette attitude spécifique
de la TCD est développée dans le contexte de la consultation du patient
versus de l’environnement développée précédemment. Dès lors, tout abus
ou mauvais usage de la médication prescrite pourra être travaillé par le thé-
rapeute TCD soit comme un comportement suicidaire ou parasuicidaire,
soit comme un comportement interférant avec la thérapie.
Quant aux hospitalisations, elles ne sont pas privilégiées : le dicton « Il
faut battre le fer pendant qu’il est chaud  » est un leitmotiv de la TCD. Si
l’hospitalisation est toutefois souhaitable – par exemple : si le patient vit
une phase psychotique, si le risque de suicide est plus élevé que celui de
procéder à une hospitalisation iatrogène, si des tensions sérieuses détério-
rent la relation entre le thérapeute et le patient, s’il s’agit de permettre la
gestion de la médication –,le thérapeute utilise les stratégies d’intervention
environnementale et défend dès lors les besoins et droits du patient.
Lors d’une hospitalisation, l’objectif du thérapeute est d’aider le patient
à interagir efficacement avec l’équipe hospitalière et il applique systémati-
quement les stratégies de consultation du patient, le supervisant dans ses
interactions avec les équipes de soins.

La supervision du thérapeute
Comme mentionné précédemment, la supervision du thérapeute fait partie
intégrante du traitement TCD. Elle ne constitue pas un extrafacultatif mais
une démarche obligatoire et incontournable durant laquelle le thérapeute
se verra appliquer les stratégies TCD qu’il applique également aux patients
de sa cohorte.
L’ensemble des thérapeutes se réunit à raison d’une fois par semaine
durant deux heures. Leur mission est de s’aider mutuellement à maintenir
une relation thérapeutique avec le patient, à équilibrer les interactions et à
fournir le contexte de traitement propre à la TCD
Durant ces réunions de supervision, le thérapeute est invité à utiliser
une perspective dialectique pour interagir avec ses collègues, recherchant
en permanence la synthèse entre les pôles opposés. Il reçoit également les
encouragements dont il a besoin pour faire face aux difficultés de la prise en
charge, lui permettre de se sentir sûr de ses compétences de thérapeute tout
en reconnaissant et acceptant qu’il est faillible.
174 Thérapies cognitives et émotions

Cette dynamique spécifique aux supervisions TCD contribue activement


à briser les procédures de clivage, caractéristiques de l’échec de la synthèse
entre les membres de l’équipe. Dans la conception TCD, c’est l’équipe qui
clive l’équipe et porte seule la responsabilité d’y remédier. Aucune dissen-
sion au sein de l’équipe ne peut donc être attribuée à la personne TPEL.
Le clivage est traité comme un échec de la synthèse et du processus inter-
personnel entre les membres de l’équipe.
Briser le clivage revient à passer de la position : « J’ai raison ou il a rai-
son » à « J’ai raison et il a raison » et pour ce faire, il s’agit d’accepter de se
confronter à l’inconfort que crée la douleur avec laquelle se bat le patient.

Les émotions et l’efficacité de la prise


en charge thérapeutique
La TCD est un modèle de prise en charge thérapeutique qui se centre,
comme nous l’avons vu dans les pages qui précèdent, sur l’apprentissage
d’une gestion émotionnelle performante et efficace susceptible de rempla-
cer les comportements problématiques caractéristiques du TPEL.
Dans la conception TCD, le TPEL est la résultante de la transaction entre
une personne vulnérable émotionnellement et un environnement invali-
dant. Responsable d’acquérir les compétences nécessaires à une qualité de vie
satisfaisante, la personne TPEL n’est pas coupable des lacunes dont elle souf-
fre. Les comportements problématiques qui caractérisent sa pathologie sont
considérés comme le résultat de lacunes d’apprentissage et d’une gestion des
contingences iatrogènes de la part de l’environnement. Cette conception
bio-psycho-sociale est enseignée dans ses moindres détails au patient TPEL
de sorte qu’il devienne expert du modèle et puisse trouver ainsi l’énergie de
se plier aux exigences de la prise en charge. La compliance au traitement est
dès lors optimisée : les différentes recherches s’étant intéressées au taux de
rétention en traitement mettent en évidence l’efficacité de la TCD (Koons
et coll., 2001 ; Linehan et coll., 1991 ; 2002 ; 1999 ; 2000 ; Rathus et coll.,
2002 ; Van den Bosch et coll., 2002 ; Roel Verheul et coll. ; 2003).
Le thérapeute a lui aussi un rôle extrêmement important à jouer dans la
réussite et l’efficacité de la TCD. Dans une étude réalisée par Marsha Linehan
et ses collègues (1999), 28  femmes âgées de 18 à 45  ans ont été suivies
pour moitié dans un programme TCD et pour l’autre selon un protocole
de traitement habituel  ; toutes ces personnes souffraient simultanément
d’un abus de substances et d’un trouble de personnalité état-limite. Parmi
les questions de recherche figurait l’impact de l’adhésion du thérapeute à la
prise en charge TCD : plus le thérapeute appliquait à la lettre le traitement,
plus les patients diminuaient leur consommation de toxiques. L’adhésion
du thérapeute au traitement et ses compétences à l’appliquer avec doigté
peuvent donc être considérées comme autant de facteurs susceptibles
d’expliquer l’efficacité de la prise en charge.
Une étude menée par Ralph Turner (2000) va dans le même sens : certains
thérapeutes sont plus efficaces que d’autres selon les modalités de prise en
La thérapie comportementale dialectique : l’émotion en mouvement 175

Figure 8.2
L’efficacité optimale de la prise en charge thérapeutique.

charge qu’ils pratiquent. Ce résultat souligne l’importance que le thérapeute


utilise un modèle de prise en charge qui lui corresponde et qui soit adapté
à sa manière d’être au monde et d’envisager la pathologie et le traitement.
Pour soutenir le thérapeute et lui permettre d’acquérir les compétences
théoriques, pratiques et de gestion émotionnelle qui lui seront néces-
saires pour devenir et rester un acteur performant de la réussite de la prise
en charge, la TCD exige qu’il soit supervisé hebdomadairement durant
2 heures au minimum.
Finalement, pour que la TCD présente une efficacité optimale, il est fon-
damental, comme le souligne à de multiples reprises Marsha M. Linehan
(2000), qu’une relation forte et intense se noue entre le thérapeute et le
patient (Figure 8.2). L’établissement et le renforcement de l’alliance théra-
peutique font partie intégrante des objectifs et des moyens de traitement.
Pour ce faire, thérapeute et patient bénéficient d’une prise en charge spéci-
fique leur permettant d’apprendre à faire face et gérer leurs émotions : tandis
que le thérapeute applique les stratégies TCD au patient pour le maintenir
en vie et dans la prise en charge, l’équipe de supervision les applique au
thérapeute pour lui permettre de rester thérapeutique.
Edward Shearin et Marsha Linehan (1992) se sont intéressés au lien exis-
tant entre la manière dont thérapeutes et patients se perçoivent et la sur-
venue de comportements suicidaires ou automutilatoires. C’est ainsi que,
durant 7  mois, après chaque entretien individuel, des couples de théra-
peutes et de patients ont eu pour mission de choisir parmi une liste d’adjec-
tifs ceux qui décrivaient au mieux la qualité de la relation. Ces résultats
étaient ensuite mis en lien avec le nombre de comportements suicidaires
et automutilatoires survenus durant la semaine suivante. De manière sta-
tistiquement significative, plus les patients percevaient leurs thérapeutes
176 Thérapies cognitives et émotions

comme autonomisant tout en se montrant contrôlant (notamment via la


précision des consignes transmises) et plus les patients percevaient leurs
thérapeutes comme chaleureux et compréhensifs, moins le nombre de
comportements suicidaires et automutilatoires était élevé. Parallèlement,
ce résultat était positivement corrélé à la sympathie que les thérapeutes
ressentaient à l’égard de leurs patients à l’issue de la séance ainsi qu’à leur
évaluation des capacités de ces derniers de prendre soin d’eux-mêmes.
En conclusion, potentialiser l’efficacité de la TCD revient donc à prendre
au sérieux ces trois facteurs que sont : l’observance, l’adhésion et l’alliance
thérapeutique. De leurs interactions, de leur complémentarité et de leur
interdépendance dépend la mise en place d’un cercle vertueux optimisant
l’efficacité de la démarche thérapeutique. Dans ce contexte, le travail sur et
avec les émotions est au centre de toute la prise en charge des patients souf-
frant de TPEL, de la conception du trouble à l’établissement du programme
thérapeutique, en passant par l’apprentissage, par le patient et le thérapeute
d’une gestion émotionnelle compétente.

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9 L’illusion de présence
et les émotions :
traitement des troubles
anxieux par exposition
en réalité virtuelle
C. Pull

L’idée de recourir à l’immersion dans la réalité virtuelle est apparue dans les
milieux des TCC américains au début des années  1990. Le principe de cette
technique est d’exposer l’individu à un environnement virtuel par l’intermé-
diaire d’un casque qui suit les mouvements de sa tête pour créer l’illusion de
présence d’un monde reconstruit par un logiciel. L’objectif est qu’il ressente
l’illusion d’être en présence de la situation qui provoque l’émotion anxieuse.
C’est donc une forme d’exposition qui a le mérite de pouvoir être standardisée
et répétée autant de fois que nécessaire avant d’aborder les situations réelles
qui terrifient le patient. La réalité virtuelle utilise essentiellement des informa-
tions visuelles et sonores, et donc beaucoup moins de stimuli sensoriels que le
monde réel. Pourtant elle réussit à créer l’illusion de présence du fait que l’être
humain ne peut traiter simultanément qu’un nombre limité d’informations et
qu’il peut remplir par l’interprétation les blancs de la perception. Cela suppose
aussi que l’individu soit capable d’inhiber sa propre présence dans le monde
réel pour plonger dans le virtuel. Quelques patients peuvent s’y montrer
résistants. Cependant les traitements par la réalité virtuelle ont montré leur
efficacité dans la répétition des réponses émotionnelles et le retraitement des
informations. Leur efficacité est en général égale à celle des TCC classiques
des troubles anxieux. Comme toute psychothérapie, il est nécessaire qu’une
bonne relation se noue entre thérapeute et patient. Ce chapitre montre que
cet instrument de recherche peut devenir un instrument puissant de traite-
ment dans ses bonnes indications, et dans des mains expertes.

Peur, anxiété et angoisse sont des émotions à tonalité négative éprouvées en


présence d’une menace, réelle ou imaginaire, immédiate ou future, vitale ou
anodine. Elles ont leur origine dans des structures cérébrales déterminées,
en particulier dans l’amygdale. Elles constituent des émotions naturelles,
Thérapies cognitives et émotions
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180 Thérapies cognitives et émotions

indispensables pour assurer la survie. Elles peuvent toutefois également se


dérégler et être à l’origine de manifestations pathologiques caractérisant un
groupe de troubles mentaux appelés troubles anxieux.
Les troubles anxieux peuvent être traités de façon efficace par les psycho-
thérapies cognitives et comportementales, seules ou en combinaison avec
une pharmacothérapie adaptée. L’un des éléments essentiels du traitement
consiste en une exposition progressive et soutenue aux stimuli anxiogènes.
Les expositions se font classiquement d’abord en imagination, c’est-à-dire
en l’absence du stimulus anxiogène dans l’environnement réel du sujet,
puis in vivo c’est-à-dire dans la réalité. Les deux types d’exposition provo-
quent une réaction émotionnelle anxieuse, dont l’intensité va progressive-
ment décroître et s’éteindre au fur et à mesure que la personne s’habitue
aux stimuli qui lui faisaient peur au départ.
L’exposition en réalité virtuelle constitue une approche intermédiaire
entre les deux expositions classiques. Le but des traitements par exposition
en réalité virtuelle (TERV) est d’immerger la personne dans des environne-
ments virtuels qui reproduisent les objets, les personnes ou les situations
dont elle a peur, de l’aider à s’y habituer et de permettre à la réaction émo-
tionnelle anxieuse de s’éteindre. Pour atteindre ce but, la personne doit
avoir l’illusion de se trouver exposée effectivement à l’un ou l’autre des sti-
muli qui lui font peur, en d’autre mots elle doit avoir l’impression qu’elle se
trouve effectivement en présence de l’un de ces stimuli, et elle doit y réagir
comme si elle se trouvait exposée à un stimulus réel, c’est-à-dire qu’elle doit
éprouver une forte anxiété.

L’anxiété et les troubles anxieux


Sous l’appellation « troubles anxieux », les deux classifications officielles des
troubles mentaux actuellement en vigueur, le chapitre V (F) de la 10e révi-
sion de la Classification internationale des maladies ou CIM-10 (OMS, 1994)
et la révision de texte de la 4e édition du Manuel diagnostique et statistique des
troubles mentaux ou DSM-IV-TR (AAP, 2004) regroupent des troubles dans
lesquels une émotion, à savoir l’anxiété, constitue à la fois le dénominateur
commun et la caractéristique essentielle. Les troubles anxieux décrits dans
les classifications officielles sont : le trouble panique (avec ou sans agora-
phobie)  ; l’agoraphobie (avec ou sans trouble panique)  ; la phobie spéci-
fique ; la phobie sociale ; le trouble obsessionnel-compulsif ; l’état de stress
post-traumatique ; l’état de stress aigu et l’anxiété généralisée.
Dans le trouble panique, l’anxiété survient de façon spontanée et inatten-
due, sous la forme d’attaques de panique, c’est-à-dire d’accès bien délimités
marqués par l’occurrence soudaine d’une appréhension intense, d’une peur
ou d’une terreur souvent associée à des sensations de catastrophe immi-
nente. Les attaques s’accompagnent de symptômes tels que des sensations
de « souffle coupé », des palpitations, des douleurs ou une gêne thoracique,
des sensations d’étranglement ou des impressions d’étouffement et la peur
de mourir, de devenir « fou » ou de perdre le contrôle de soi.
L’illusion de présence et les émotions... 181

Dans les autres troubles anxieux, c’est l’exposition à un stimulus pho-


bogène qui provoque de façon quasi systématique une réaction anxieuse
immédiate, laquelle peut prendre la forme d’une attaque de panique. Quel
que soit le trouble anxieux, le sujet reconnaît le caractère excessif ou irra-
tionnel de sa peur. La (les) situation(s) phobogène(s) est (sont) évitée(s) ou
vécue(s) avec une anxiété ou une détresse intense. L’évitement, l’anticipation
anxieuse ou la souffrance dans la (les) situation(s) redoutée(s) perturbent de
façon importante les habitudes de l’individu, ses activités professionnelles
(ou scolaires) ou bien ses activités sociales ou ses relations avec autrui, ou
bien le fait d’avoir cette phobie s’accompagne d’un sentiment de souffrance
important.
Dans l’agoraphobie (avec ou sans antécédent de trouble panique)
l’anxiété est liée au fait de se trouver dans des endroits ou des situations
d’où il pourrait être difficile (ou gênant) de s’échapper ou dans lesquelles
aucun secours ne pourrait être trouvé en cas de survenue d’une attaque
de panique. L’anxiété conduit typiquement à un évitement envahissant de
nombreuses situations comme par exemple le fait d’être seul hors de son
domicile ou d’être seul chez soi  ; d’être dans une foule  ; de voyager en
voiture, en bus ou en avion ; ou d’être sur un pont ou dans un ascenseur.
Dans la phobie spécifique, l’anxiété est provoquée par l’exposition à un
objet ou à une situation particulière, ou par l’anticipation de la confron-
tation à cet objet ou à cette situation (par exemple prendre l’avion, les
hauteurs, les animaux, avoir une injection, voir du sang). L’exposition au
stimulus phobogène provoque de façon quasi systématique une réaction
anxieuse immédiate qui peut prendre la forme d’une attaque de panique
liée à la situation ou facilitée par la situation. La peur de l’objet ou de la
situation conduit habituellement à un comportement d’évitement.
Dans la phobie sociale, l’anxiété est provoquée par l’exposition à un
certain type de situations sociales ou de situations de performance. L’expo-
sition à la situation sociale ou de performance provoque presque inva-
riablement une réponse anxieuse immédiate. Cette réponse peut prendre la
forme d’une attaque de panique liée ou favorisée par des situations. Le plus
souvent, la situation sociale ou de performance est évitée. Dans d’autres cas,
elle est vécue avec une souffrance intense.
Dans le trouble obsessionnel-compulsif, l’anxiété est déclenchée par une
idée intrusive qui conduit à une idée obsédante, à laquelle le patient réa-
git par des compulsions (qui servent à neutraliser l’anxiété) ou/et par des
conduites d’évitement. Les obsessions ou compulsions sont à l’origine de
sentiments marqués de détresse, d’une perte de temps considérable (pre-
nant plus d’une heure par jour) ou interfèrent de façon significative avec
les activités habituelles du sujet, son fonctionnement professionnel (ou
scolaire) ou ses activités ou relations sociales habituelles.
Dans l’état de stress post-traumatique, l’anxiété survient suite à la revivis-
cence d’un événement extrêmement traumatique, notamment suite à des
flashbacks. Elle s’accompagne de symptômes d’activation neurovégétative
et elle conduit à un évitement des stimuli associés au traumatisme.
182 Thérapies cognitives et émotions

L’état de stress aigu est caractérisé par des symptômes similaires à ceux de
l’état de stress post-traumatique mais survenant immédiatement dans les
suites d’un événement extrêmement traumatique.
Dans l’anxiété généralisée, le sujet est constamment anxieux et présente
des soucis persistants et excessifs. L’anxiété, les soucis ou les symptômes
physiques entraînent une souffrance cliniquement significative ou une alté-
ration du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines
importants.

Le traitement classique des troubles anxieux


La pharmacothérapie et les thérapies comportementales et cognitives (TCC)
sont efficaces dans le traitement des troubles anxieux, soit individuellement
soit en combinaison.

La pharmacothérapie
La pharmacothérapie des troubles anxieux comprend essentiellement
diverses benzodiazépines et antidépresseurs. L’efficacité de ces molécules a
été démontrée dans de nombreux essais contrôlés et randomisés, du moins
à court terme et tant qu’elles sont prises par le patient. Elles comportent
toutefois souvent des effets secondaires non négligeables (par exemple une
prise de poids ou des troubles sexuels pour ce qui est des antidépresseurs, et
des troubles cognitifs et le développement d’une dépendance physique
et psychique pour ce qui est des benzodiazépines. Par ailleurs, les rechutes
sont fréquentes à l’arrêt des traitements médicamenteux.

Les psychothérapies comportementales et cognitives


ou TCC (Cottraux, 2004 ; Fontaine, 2006)
D’après un rapport de l’INSERM (2004) évaluant trois approches psycho-
thérapeutiques, l’efficacité des TCC a été établie par une ou plusieurs méta-
analyses ou/et par des essais cliniques contrôlés randomisés de forte
puissance statistique et convergents, dans les troubles anxieux suivants : les
phobies spécifiques, le trouble panique avec ou sans agoraphobie, la phobie
sociale, l’anxiété généralisée, le trouble obsessionnel-compulsif, et l’état de
stress post-traumatique.
Les thérapies comportementales et cognitives des troubles anxieux consis-
tent essentiellement à aider le patient à confronter l’objet, les personnes ou
la situation redoutés. Le patient est encouragé à s’exposer graduellement
aux stimuli phobogènes, selon une hiérarchie de situations anxiogènes éta-
blie par lui-même. Au cours des expositions, la personne est encouragée à
confronter l’objet qui lui fait peur, par exemple en regardant attentivement
une araignée (dans le cas d’une phobie des araignées), en regardant en face
un petit groupe de personnes qu’elle ne connaît pas bien (dans le cas d’une
phobie de parler en public), ou en regardant en bas du dixième étage d’un
immeuble (dans le cas d’une acrophobie). Il est important que le thérapeute
L’illusion de présence et les émotions... 183

aide la personne à se concentrer visuellement sur l’objet, les personnes ou


la situation qui lui font peur ou/et à prêter attention à des bruits ou à des
odeurs qui s’y rattachent.

Les expositions classiques


La thérapie cognitivocomportementale classique distingue deux types
d’exposition : l’exposition in vivo et l’exposition en imagination. Les expo-
sitions peuvent avoir lieu soit dans le bureau du thérapeute (par exemple
dans le cas d’une phobie des araignées), soit à l’extérieur (par exemple dans
un grand immeuble dans le cas d’une phobie des ascenseurs).

L’exposition en imagination
L’exposition en imagination consiste à demander au patient de visualiser
les objets ou les situations qui lui font peur. Le patient est invité à fermer les
yeux et à « imaginer » l’objet, la personne ou la situation dont il a peur.

L’exposition in vivo
L’exposition in vivo consiste à confronter l’objet ou la situation réelle. À
titre d’exemple, le patient est invité à regarder, voire à toucher, une arai-
gnée (dans le cas d’une phobie animale), à faire un discours devant une
audience (dans le cas d’une phobie de parler en public), à prendre le métro,
un bus, ou un train (dans le cas d’une phobie des transports en commun).

L’intérêt et les limites des expositions en imagination


ou in vivo
L’exposition in vivo est plus efficace que l’exposition en imagination, mais
quand le sujet présente une peur importante, il est préférable de faire précé-
der l’exposition in vivo par une exposition en imagination. L’exposition in
vivo reste de toute façon le but final du traitement. Après un traitement par
exposition en imagination, il s’agira de confronter l’objet ou la situation
réelle. Quel que soit le stimulus phobogène, l’exposition en imagination
peut toujours se faire dans le bureau du thérapeute. Il n’en est pas ainsi pour
l’exposition in vivo. S’il est vrai que le thérapeute peut exposer le patient à
certains stimuli phobogènes dans son bureau (par exemple avec un patient
qui présente une phobie des araignées, une phobie du sang ou une phobie
des injections), ceci n’est pas vrai dans la plupart des cas, qu’il s’agisse d’une
phobie des ascenseurs, d’une acrophobie ou d’une agoraphobie.
Les deux types d’exposition peuvent se faire avec ou sans thérapeute. Les
expositions assistées par un thérapeute sont habituellement plus efficaces
que les expositions non assistées. Les expositions en imagination se font
habituellement d’abord en présence du thérapeute, et sous sa guidance,
puis le patient s’expose à l’objet ou à la situation phobogène en l’absence
de son thérapeute. Les thérapeutes peuvent également accompagner leurs
patients à l’extérieur pour des expositions in vivo, par exemple pour les aider
à traverser un pont dans le cas d’une acrophobie ou pour se déplacer dans
un supermarché dans le cas d’une agoraphobie. En fait, il est rare, pour des
184 Thérapies cognitives et émotions

raisons pratiques, que le patient bénéficie d’un traitement par exposition in


vivo assistée par un thérapeute.
L’exposition in vivo est d’une part la technique la plus efficace, et de
l’autre l’aboutissement recherché du traitement de nombreux troubles
anxieux. Elle soulève toutefois de nombreuses difficultés d’ordre pratique :
trouver les insectes et autres animaux dont la personne a peur (dans le cas
des phobies spécifiques de type animal) ; encourir des risques réels (dans les
expositions à la hauteur dans le cas d’une acrophobie) ; se faire remarquer
(dans le traitement de l’agoraphobie comportant des expositions dans des
lieux publics)  ; ou encore trouver un groupe de personnes à qui s’adres-
ser (dans le cas d’une phobie de parler en public). Certaines situations ne
peuvent pas être confrontées directement et doivent être soit simulées (par
exemple un orage dans le cas d’une phobie des orages), soit être revécues à
travers des photos ou des films (par exemple dans le cas d’un état de stress
post-traumatique dû une expérience de guerre). Enfin, certaines expositions
peuvent être faciles à réaliser mais poser des problèmes financiers consi-
dérables (par exemple se faire accompagner d’un thérapeute au cours du
traitement d’une phobie des avions).

L’exposition en réalité virtuelle


L’exposition en réalité virtuelle se situe entre l’exposition en imagination et
l’exposition in vivo (Riva et coll. 2004; Fuchs et Moreau, 2006). Son intérêt
essentiel dans le traitement des troubles anxieux est de créer l’illusion d’être
présent dans un environnement réel alors que la personne se trouve en fait
dans un bureau.

La réalité virtuelle
La réalité virtuelle est connue du grand public à travers les jeux d’ordina-
teur, les parcs d’attraction et certains films comme The lawnmower man,
Disclosure ou Minority report. Plus récemment, elle a été introduite dans
divers domaines de la médecine, et plus particulièrement en psychiatrie et
en psychologie, comme une technique complémentaire de traitement des
troubles anxieux par exposition progressive aux stimuli anxiogènes.

Définition
La réalité virtuelle se définit comme étant « l’application qui permet à un
utilisateur de naviguer et d’interagir en temps réel avec un environnement
en trois dimensions généré par un ordinateur ». Il s’agit d’une application
qui crée l’illusion d’être dans un monde en trois dimensions. L’utilisateur
se sent « immergé » dans un environnement virtuel, il peut le visiter et s’y
déplacer. L’environnement change en fonction de ses déplacements.

L’équipement technique
Il existe plusieurs types d’appareillage, de complexité croissante, permet-
tant une application de la réalité virtuelle dans le domaine de la clinique :
L’illusion de présence et les émotions... 185

la console ou l’écran d’ordinateur (desktop virtual reality), le casque de réalité


virtuelle (head mounted display, HMD), et le type projectif et la voûte immer-
sive (cave automatic virtual environment, CAVE).
La réalité virtuelle par simple console ou écran d’ordinateur utilise un
écran d’ordinateur pour l’immersion dans le monde virtuel. L’utilisateur
interagit avec le monde virtuel au moyen de dispositifs de contrôle tels
le clavier, la souris ou le joystick. La troisième dimension est suggérée par le
recours à des logiciels de simulation produisant des effets de perspective,
de rotation ou d’interposition. Ce type d’accès à la réalité virtuelle est prin-
cipalement utilisé dans les jeux d’ordinateur et dans le dessin industriel.
Le casque de réalité virtuelle ou visiocasque est constitué de deux écrans
de télévision miniatures. Il peut être monoscopique ou stéréoscopique. Il
peut être muni d’un appareil de suivi des déplacements (tracker), lequel réa-
git aux mouvements de la tête, ce qui permet à l’utilisateur d’interagir avec
des environnements virtuels en trois dimensions. Le casque est actuelle-
ment l’appareillage le plus couramment utilisé en clinique, notamment
dans le traitement par exposition en réalité virtuelle des troubles anxieux.
La voûte ou le couloir de réalité virtuelle, requiert trois projecteurs RGB
et trois ordinateurs dédiés aux murs ainsi qu’un ordinateur central. L’uti-
lisateur porte des lunettes 3D et se tient debout, au centre de la voûte, où
l’environnement virtuel est projeté sur chaque mur et sur le plancher. Les
lunettes 3D permettent l’intégration des informations nécessaires pour que
l’utilisateur se retrouve complètement «  immergé  » dans les environne-
ments virtuels.
La réalité virtuelle et la technologie des environnements virtuels ont
donné lieu à des applications multiples, en particulier dans le domaine du
dessin industriel, dans celui des simulations d’avions, et surtout dans celui
des jeux d’ordinateurs, y compris des jeux éducatifs (par exemple des jeux
proposant une « visite dans le corps humain »).
Depuis une dizaine d’années, la réalité virtuelle a également été intro-
duite en médecine et en psychologie, notamment pour le traitement des
troubles anxieux. Pour être efficace sur le plan thérapeutique, l’exposition
en réalité virtuelle doit s’accompagner d’une sensation d’immersion, d’un
état d’implication, d’un sentiment de présence.

Immersion, implication, illusion de présence


Immersion, implication et illusion ou sentiment de présence sont trois
concepts fondamentaux en réalité virtuelle.

Définitions
Les trois concepts sont définis de façon légèrement différente selon les
auteurs. Il existe toutefois un accord substantiel sur les points suivants :
• l’immersion (même terme en anglais) concerne le degré avec lequel les
sens sont engagés dans l’environnement virtuel. L’immersion se traduit par
la perception subjective d’être « enveloppé par », « inclus dans » ou « en
interaction avec » cet environnement ;
186 Thérapies cognitives et émotions

• l’implication (involvement) concerne le degré avec lequel le sujet


concentre son attention sur un stimulus (ou sur un ensemble cohérent de
stimuli). Plus un sujet fixe son attention sur ces stimuli, plus grande sera
son implication ;
• l’illusion ou le sentiment de présence (presence ou sense of presence) est
la perception subjective « d’être là », « d’être présent » dans un environne-
ment virtuel. L’illusion de présence correspond à « l’expérience subjective
d’être dans un lieu ou dans un environnement précis, alors qu’on se trouve
physiquement dans un autre environnement ».
Immersion et implication jouent un rôle essentiel dans l’installation de
l’illusion de présence.

Les facteurs intervenant dans l’immersion, l’implication


et l’illusion de présence
La sensation d’immersion, l’état d’implication et le sentiment ou l’illusion
de présence peuvent varier en fonction de plusieurs variables, internes ou
externes au sujet. Plusieurs auteurs, tels Bouchard et coll. (voir la liste des
sites Internet) ont répertorié une liste de facteurs intervenant plus particu-
lièrement à ce niveau.
L’interaction avec l’environnement
L’illusion de présence est favorisée par une navigation facile à travers un
environnement et gênée par une navigation difficile.
Le contrôle de l’environnement
Un environnement contrôlable par la personne favorise l’illusion de pré-
sence, un environnement qui est hors de son contrôle peut empêcher son
installation.
Le réalisme des images
L’illusion de présence augmente avec le degré de réalisme des images. La
résolution des écrans dans le visiocasque et la texture des images dans
l’environnement virtuel représentent de ce fait des paramètres importants.
Les modalités sensorielles
La réunion de plusieurs modalités sensorielles (images, sons, toucher,
odeurs) dans un environnement augmente le sentiment de présence.
La durée des expositions
La durée des expositions doit être suffisamment longue pour assurer une
bonne adaptation sensorielle et une familiarisation avec les tâches à effec-
tuer dans un environnement virtuel. Un environnement virtuel provoque
ou ne provoque pas un sentiment de présence au cours des 15 premières
minutes d’exposition. L’illusion de présence n’est pas rehaussée par des
expositions dépassant cette durée.
La survenue de cybermalaises
Le sentiment de présence peut être négativement influencé par la survenue
et la persistance de cybermalaises. Les cybermalaises détournent l’attention
L’illusion de présence et les émotions... 187

de l’environnement virtuel. La personne se concentre sur les malaises, ce


qui diminue son implication dans la réalité virtuelle et par conséquent éga-
lement le sentiment de présence.

La présence d’autres personnes dans l’environnement virtuel


La présence d’autres individus (humains ou avatars) contribue au sentiment
subjectif de présence (voir également p. 192). Ces individus peuvent s’adres-
ser au sujet en lui parlant ou en lui faisant des signes et renforcer ainsi
l’illusion que lui-même se trouve effectivement dans cet environnement.

Les facteurs dépendant de l’individu


Certains facteurs de personnalité (par exemple la suggestibilité) ou la ten-
dance à privilégier une modalité sensorielle par rapport aux autres peuvent
avoir une influence sur l’illusion de présence.

Les facteurs liés au système


Il s’agit de facteurs externes déterminés entièrement par l’équipement et les
logiciels qui créent et animent l’environnement virtuel : champ de vision
étroit ou large, vision stéréoscopique, interactions multimodales.
L’un ou l’autre des facteurs précédents est habituellement en cause
quand un environnement ou l’objet virtuel ne paraît pas réel ou ne génère
pas d’angoisse chez les personnes qui ont peur de cet environnement
dans le monde réel. Le sujet ne se sent pas alors confronté à l’objet, à
la personne ou à la situation dont il a peur dans le monde réel. On dit
que l’objet, la personne ou la situation n’engendrent pas de sentiment
ou d’illusion de « présence ». Le défi est alors de trouver un moyen pour
améliorer la qualité de l’expérience virtuelle. Le thérapeute joue un rôle
essentiel à ce niveau.

La mesure de l’illusion de présence


L’intensité de l’illusion de présence dans un environnement virtuel peut
être mesurée de deux façons : par des mesures subjectives et par des mesures
physiologiques.

Les mesures subjectives


Au cours des dernières années, divers instruments ont été développés pour
mesurer l’intensité de l’illusion de présence dans les environnements vir-
tuels. Il s’agit entre autres de questionnaires pour mesurer le sentiment des
utilisateurs ou d’échelles d’appréciation qui permettent de quantifier les
observations des expérimentateurs ou des thérapeutes.

Les mesures physiologiques


L’intensité de l’illusion de présence peut également être mesurée par
la mesure de son retentissement sur les paramètres physiologiques de
l’anxiété, à savoir le rythme cardiaque, la tension artérielle, la réaction élec-
trodermale, la contraction musculaire, ou encore la saturation sanguine en
oxygène.
188 Thérapies cognitives et émotions

Le traitement par exposition en réalité


virtuelle ou exposition in virtuo
Le traitement par exposition en réalité virtuelle (TERV) introduit une nou-
velle approche dans le traitement des troubles anxieux (Riva et coll., 2004 ;
Wiederhold, 2004). Il constitue une étape intermédiaire entre l’exposition
en imagination et l’exposition in vivo. Il permet d’exposer la personne au
stimulus phobogène, de la même façon que le fait la thérapie traditionnelle,
mais dans un environnement généré par un ordinateur. La personne est
transportée dans un environnement virtuel où elle est exposée graduelle-
ment aux objets, personnes ou situations qu’elle redoute.

Le rôle du thérapeute
La présence du thérapeute est indispensable pendant les séances de réalité
virtuelle. Le rôle du thérapeute est de faciliter l’interaction avec la réalité vir-
tuelle et d’aider l’utilisateur (en l’occurrence le patient) à y naviguer (en
l’occurrence à s’y exposer). Par ailleurs, le thérapeute peut renforcer le pou-
voir d’évocation des environnements virtuels, en intervenant verbalement
et en orientant les effets de l’exposition in virtuo dans le sens voulu. Il peut
ainsi pallier les insuffisances de la représentation graphique, par exemple
en soulignant le rôle de certains éléments constitutifs. Enfin, le thérapeute
peut intervenir directement sur certains éléments d’un environnement, en
renforçant des stimuli ou en en rajoutant des stimuli supplémentaires au
cours des expositions.
Du fait que le thérapeute guide les expositions in virtuo, il n’est en géné-
ral pas nécessaire que les environnements virtuels soient très sophistiqués
pour produire les effets désirés. L’usage d’environnements soigneusement
choisis et habilement mis en scène par le thérapeute permet une immersion
suffisante pour déclencher des réactions se rapprochant des comportements
qu’auraient les patients dans la situation réelle correspondante, même
quand les environnements virtuels sont assez loin de la réalité. Les envi-
ronnements virtuels n’ont pas besoin d’une représentation graphique très
élaborée pour susciter des émotions (anxiété ou angoisse) chez le patient.
En s’appuyant sur l’aptitude naturelle de l’homme à projeter ses croyances
et son image de soi sur ce qui l’entoure, on peut parvenir à immerger le
patient en le conduisant à compléter lui-même ce qui fait défaut dans les
environnements virtuels.

Les avantages des expositions en réalité virtuelle


L’exposition en réalité virtuelle présente de nombreux avantages par rapport
aux méthodes d’exposition classiques, en imagination ou in vivo.

La sécurité du patient
L’exposition en réalité virtuelle reste possible même dans des situations où
l’exposition in vivo est difficile, dangereuse, ou peu pratique à réaliser. Ainsi,
les programmes de réalité virtuelle permettent d’exposer les patients sans
L’illusion de présence et les émotions... 189

aucun danger à des lieux élevés, à des animaux dangereux, ou encore à la


conduite automobile sur une autoroute ou à travers un tunnel.

Le contrôle de la situation par le thérapeute


Le thérapeute peut intervenir sur la situation. Il peut par exemple contrô-
ler le temps qu’il fait (survenue d’un orage ou survenue de turbulences
dans une simulation de vol en avion), le trafic (la densité du trafic dans
une simulation de conduite de voiture), les moyens de transport (sur-
venue de pannes dans une simulation impliquant un ascenseur, un bus
ou un train).

La discrétion
Dans les expositions classiques, le thérapeute accompagne son patient à
l’extérieur pour lui permettre de s’habituer aux situations qu’il redoute.
Confronter ses peurs dans des lieux publics (par exemple dans un grand
magasin) peut être gênant pour le patient qui risque d’y rencontrer des
connaissances. Un tel risque n’existe pas avec la thérapie virtuelle laquelle
se fait dans un bureau.

La réduction des évitements


Au cours des expositions en réalité virtuelle, le patient ne peut pas éviter
les objets ou les situations qu’il redoute puisqu’il les affronte sous les yeux
de son thérapeute qui suit sur son écran d’ordinateur les environnements
projetés dans le visiocasque. Le thérapeute peut encourager le patient à
rester « présent » dans la situation et à ne pas fermer les yeux ni détourner
le regard.

La progression au rythme du patient


Le thérapeute voit et entend tout ce que voit et entend le patient dans le
visiocasque. Si l’anxiété devient trop importante, le thérapeute peut inter-
venir et soit retourner à un environnement moins anxiogène, soit autoriser
le patient à enlever le visiocasque. Il peut répéter chaque étape aussi sou-
vent que nécessaire et progresser ainsi au rythme du patient.

Le contexte rassurant
La TERV se fait dans un bureau, en présence d’un thérapeute et avec son
aide. Le patient peut de ce fait s’exposer aux objets, aux personnes ou aux
situations qui lui font peur dans un contexte rassurant.

La disponibilité des objets et des situations


Dans le monde virtuel, les objets, les animaux, les personnes et les situa-
tions dont le patient a peur sont présents à tout moment et ils se prêtent
à des expositions autant de fois que le patient le souhaite, ce qui n’est évi-
demment pas le cas dans le monde réel.

La réduction des coûts


La TERV permet de réduire la durée et donc le coût total des traitements.
190 Thérapies cognitives et émotions

L’attrait pour le patient


La réalité virtuelle est une technologie très attrayante. À une époque où les
moins de quarante  ans ont pratiquement tous grandi en compagnie des
jeux d’ordinateur, la TERV est un traitement « cool » qui peut donner envie
de se traiter même à des personnes qui hésitent à consulter un psy.

L’attrait pour le thérapeute


La réalité virtuelle et la TERV fascinent autant les thérapeutes (du moins tous
ceux qui sont intéressés par les technologies modernes) que les patients.

Les inconvénients et les limites des expositions


en réalité virtuelle
Par rapport aux méthodes d’exposition classique, et en particulier par
rapport à l’exposition in vivo, la TERV présente également des limites ainsi
que quelques inconvénients. En particulier, certaines personnes n’arrivent
pas à éprouver un sentiment de présence quand elles sont immergées
dans un environnement virtuel. D’autre part, certaines personnes peuvent
éprouver des sensations désagréables, appelés cybermalaises.

L’absence d’illusion de présence


L’intensité de l’illusion de présence est variable selon les personnes. Chez
certains sujets, le sentiment de présence est très fort dans la plupart des
environnements virtuels correspondant à leur peur, d’une intensité égale ou
pratiquement égale à celle ressentie dans la réalité. Chez d’autres, l’illusion
de présence est au contraire très faible voire nulle dans tous les environne-
ments correspondant à leurs phobies. Or, pour être efficace, les expositions
à des environnements virtuels doivent reproduire les émotions engen-
drées par les environnements réels, à savoir, dans les troubles anxieux, une
anxiété caractéristique. Quand l’illusion de présence ne s’installe pas, il n’y
a pas non plus d’anxiété, et les expositions restent sans effet sur le trouble
anxieux qui fait l’objet du traitement.

Les cybermalaises
Sous l’appellation de « cybermalaises » on regroupe un ensemble de mani-
festations désagréables survenant pendant ou/et après les expositions en
réalité virtuelle. Il s’agit avant tout de sensations de vertige, de nausées, de
vomissements, de céphalées, de douleurs oculaires, de difficultés d’accom-
modation, de sensations de désorientation, d’ataxie, d’oppression gastrique
et de « tête vide ». Ces sensations sont le plus souvent peu marquées, mais
elles peuvent être assez importantes chez certains sujets pour entraîner une
interruption des expositions. La sévérité des cybermalaises peut être évaluée
à l’aide de questionnaires appropriés.

La relation thérapeutique
En TCC, la relation entre thérapeute et patient est habituellement une rela-
tion face-à-face. En TERV, le patient ne voit pas son thérapeute p
­ endant les
L’illusion de présence et les émotions... 191

expositions. De même, le thérapeute ne voit que partiellement les expres-


sions faciales du patient. Comme le thérapeute suit le cheminement du
patient dans les environnements virtuels et qu’il dirige sa progression à
travers certains environnements, il ne peut pas prêter attention à tout
moment aux expressions non verbales du patient.

Le coût
La technologie impliquée dans la réalité virtuelle est encore assez onéreuse
sur le plan financier. Ceci est vrai autant pour ce qui est du hardware que
des programmes informatiques utilisés pour créer les environnements vir-
tuels. Le prix des appareils est toutefois en train de diminuer rapidement, et
certains environnements peuvent d’ores et déjà être chargés gratuitement
à partir d’Internet. Au coût de la technologie il faut rajouter celui des thé-
rapeutes qui doivent suivre une formation approfondie pour apprendre à
l’utiliser au mieux.

Les applications pratiques de la TERV :


le traitement des troubles anxieux
Jusqu’à présent, l’exposition en réalité virtuelle a été étudiée essentielle-
ment dans les phobies spécifiques et dans la phobie sociale. Il existe éga-
lement quelques études sur l’utilisation de la réalité virtuelle dans l’état de
stress post-traumatique et dans l’agoraphobie (avec ou sans antécédents
de trouble panique). Les travaux réalisés jusqu’ici ont fait l’objet de plu-
sieurs revues, dont une, la plus récente en date, par l’auteur du présent
article (Pull, 2005).

Le traitement par exposition en réalité virtuelle


et les phobies spécifiques
La TERV a été étudiée avant tout dans le traitement des phobies spécifiques,
notamment dans la peur de voler en avion et dans l’acrophobie. Par ailleurs,
la TERV a fait l’objet de plusieurs études consacrées au traitement de la peur
de conduire une voiture, de la peur des araignées et de la claustrophobie.

La peur de voler en avion


Avec une prévalence de près de 20 %, la peur de voler en avion est l’une
des phobies spécifiques les plus fréquentes. Une proportion inconnue, mais
probablement importante de personnes se résigne à ne jamais prendre
l’avion, et ceci d’autant plus facilement que prendre l’avion ne constitue
pas une obligation pour la plupart des gens. Le stimulus phobogène peut
de ce fait être facilement évité, et la phobie persiste. Pour tous ceux qui sont
obligés de prendre l’avion, en particulier pour des raisons professionnelles,
la peur de voler constitue en revanche un handicap certain.
Le traitement passe obligatoirement par une exposition progressive au
stimulus phobogène, à une habituation aux avions et au fait de voler, et à
192 Thérapies cognitives et émotions

une extinction progressive de la peur qui accompagne cette exposition. Le


traitement classique passe par des expositions en imagination, suivies par
des expositions sur le terrain, in vivo. Les expositions sur place peuvent se
faire en présence du thérapeute. Dans certains cas, le thérapeute va accom-
pagner le patient au cours des premiers vols. La technique est efficace, mais
elle est onéreuse, en personnel et en frais. La TERV constitue une alter-
native beaucoup moins coûteuse et le plus souvent aussi efficace que les
techniques de confrontation et d’habituation classiques.
Les premiers essais de TERV pour la peur de voler en avion ont été faits il
y a une dizaine d’années. Il s’agissait d’études de cas, montrant qu’il était
possible de créer des environnements virtuels permettant aux patients de
s’immerger dans un avion virtuel, de se sentir comme s’ils étaient effecti-
vement dans un appareil réel et comme s’ils faisaient un vol en avion. Les
environnements virtuels provoquaient des états émotionnels identiques à
ceux éprouvés dans un avion réel, avec présence d’une anxiété anticipatoire,
survenue d’une angoisse croissant en intensité, avec une envie de vouloir
sortir de l’environnement, une habituation progressive à la situation et une
diminution puis une extinction de l’anxiété. Au bout d’une demi-douzaine
de séances, les sujets n’éprouvaient plus guère d’angoisse lors du TERV. Sur-
tout, ils devenaient capables de s’exposer en situation réelle, c’est-à-dire
qu’ils arrivaient à monter dans un avion réel et à faire des voyages en avion.
Différents environnements virtuels ont été créés au fil des années pour
traiter la peur de voler en avion. Sur le plan visuel, ces environnements
comprennent actuellement le fait de monter dans l’avion, de traverser le
sas, de s’asseoir à sa place, de pouvoir regarder ce qu’il se passe à l’inté-
rieur de l’avion (le patient peut voir les hôtesses ainsi que les passagers assis
devant, derrière, à gauche ou à droite de lui), aussi bien qu’à l’extérieur (le
patient peut regarder l’aéroport et les avions qui sont à l’arrêt). Au cours
du vol, le patient voit défiler les paysages, la mer, les nuages. Sur le plan du
son, les environnements actuels comprennent le bruit des moteurs, (avant,
pendant et après le décollage, ainsi que pendant l’atterrissage) et la voix des
hôtesses. Enfin, sur le plan des sensations, les environnements actuels intè-
grent habituellement des vibrations reproduisant de près celles éprouvées
dans un avion réel. De plus, certains environnements comprennent des
sièges provenant d’avions réels, avec obligation de boucler la ceinture.
La présence d’un thérapeute spécialisé en thérapie cognitivo­
comportementale, compétent dans le traitement des phobies par exposi-
tion aux stimuli phobogènes, et sachant par ailleurs manier les expositions
en  réalité virtuelle, est indispensable dans la TERV de la phobie de voya-
ger en avion. Le thérapeute guide le patient à travers l’environnement, il
l’aide à s’y exposer progressivement et l’encourage à y rester, tout en lui
demandant à intervalles réguliers de lui préciser le degré d’anxiété, d’incon-
fort ou de détresse éprouvés. Le thérapeute peut moduler l’intensité des
stimuli anxiogènes, la réduire si le patient est trop anxieux ou l’augmenter
si le patient ne ressent que peu ou pas d’anxiété. Il peut intervenir directe-
ment sur l’environnement, en changant certains éléments, ou en incluant
L’illusion de présence et les émotions... 193

des éléments nouveaux (par exemple des turbulences ou un orage). Il peut


également intervenir en parlant directement au patient et exercer ainsi une
influence considérable sur le degré de présence avec lequel le patient vit les
stimuli auxquels il est exposé.
Les premières incursions dans la TERV de la peur de voler en avion étaient
limitées à des études de cas. Elles ont rapidement été suivies par des études
contrôlées et randomisées. Dans ces études, la TERV a été comparée à des
traitements par exposition classique (dans un vrai aéroport et dans un vrai
avion), à des traitements par exposition en imagination et à des traitements
par relaxation. Les études contrôlées ont montré sans ambiguïté que la TERV
est hautement aussi efficace que le traitement par exposition classique, en
imagination ou en réalité, et plus efficace que le traitement par d’autres
méthodes, telles que la relaxation. Six à huit séances sont habituellement
suffisantes pour obtenir un résultat positif permettant à un sujet présentant
une phobie de voyager en avion de prendre effectivement un avion.
La peur des hauteurs (acrophobie)
Le traitement de l’acrophobie implique une exposition progressive aux
hauteurs. Après plusieurs séances d’exposition en imagination, le patient
doit commencer à s’exposer sur le terrain. Le patient peut se faire accompa-
gner par son thérapeute dans ses expositions, mais ceci n’est pas toujours
possible pour des raisons financières ou de disponibilité. Par ailleurs, les
expositions à la hauteur peuvent présenter un certain danger, ce qui soulève
des questions d’éthique, de sécurité et de responsabilité. En revanche, la
TERV permet au patient de s’exposer aux hauteurs dans le bureau de son
thérapeute, sans aucun danger.
Les premiers essais de TERV chez des sujets souffrant d’acrophobie ont été
faits il y a une dizaine d’années. Il s’agissait d’études de cas, montrant qu’il
était possible de créer des environnements virtuels permettant aux patients
de s’immerger dans un environnement reproduisant un endroit élevé, et
d’avoir l’illusion de se trouver dans un lieu élevé d’où ils regardaient vers le
bas. Les environnements virtuels provoquaient des états émotionnels iden-
tiques à ceux éprouvés par un sujet souffrant d’acrophobie qui se trouve
dans un endroit élevé et qui regarde en bas.
Différents environnements ont été créés au fil des années pour la TERV
de l’acrophobie. Les sujets peuvent s’immerger dans ces environnements
à l’aide d’un casque de réalité virtuelle ou à l’aide d’une voûte immersive.
L’un de ces environnements reproduit un balcon, d’où le sujet peut regar-
der en bas. D’autres environnements impliquent un ascenseur en verre qui
monte, du rez-de-chaussée au dernier étage d’un gratte-ciel. Certains de ces
environnements comportent une balustrade réelle, sur laquelle le patient
peut s’appuyer et se pencher en avant pour regarder en bas, vers un paysage
entièrement virtuel.
Comme dans la TERV de la peur de voler en avion, la présence d’un
thérapeute expérimenté est à nouveau indispensable dans le traitement de
l’acrophobie. Le thérapeute aide le patient à s’exposer progressivement à
194 Thérapies cognitives et émotions

la hauteur. Il l’encourage, par exemple, à s’approcher de la balustrade du


balcon, à regarder en bas et à se pencher au-dessus de la balustrade. Il peut
également inviter le patient à regarder à travers la paroi en verre d’un ascen-
seur, à ne pas détourner le regard, à rester bien présent dans l’environne-
ment virtuel, et à préciser, à intervalles réguliers, quel est le degré d’anxiété,
d’inconfort ou de détresse éprouvé lors de cette exposition. Comme dans la
TERV de la peur de voler en avion, le thérapeute peut moduler l’intensité
des stimuli anxiogènes. Il peut la réduire si le patient est trop anxieux ou
l’augmenter si le patient ne ressent que peu ou pas d’anxiété. Il peut éga-
lement intervenir directement sur l’environnement virtuel en augmentant
ou en diminuant la hauteur du lieu d’exposition, ou en incluant des élé-
ments nouveaux (présence d’autres personnes dans l’ascenseur, arrêt subit
de l’ascenseur dû à une panne d’électricité). Il peut également intervenir en
parlant directement au patient, en lui posant des questions ou en faisant
des commentaires et exercer ainsi une influence considérable sur le degré
de présence avec lequel le patient vit les stimuli auxquels il est exposé.

La peur de conduire une voiture


Certaines personnes ont peur d’apprendre à conduire une voiture. D’autres
ont appris à conduire, mais suite à un événement malheureux, le plus sou-
vent suite à un accident, elles n’osent plus se mettre derrière le volant. La
simple pensée d’avoir à conduire déclenche une anxiété pouvant prendre
l’allure d’une attaque de panique. Dans certains cas, la peur de conduire
une voiture fait partie d’un état de stress post-traumatique. Le plus sou-
vent, elle correspond plutôt à une phobie spécifique. Dans les deux cas, le
traitement passe obligatoirement par une phase d’exposition au volant, en
imagination puis en réalité, avec passage progressif à la conduite, d’abord
sur une route avec peu de trafic, puis sur des routes de plus en plus fréquen-
tées. En début de traitement, le patient peut se faire accompagner par un
professeur de conduite ou par son thérapeute, si ce dernier est disponible
pour l’assister dans ses expositions in vivo (et disposé à en assumer la res-
ponsabilité).
La TERV permet au patient de s’exposer à la conduite en voiture, dans
le bureau de son thérapeute, sous la guidance et avec les encouragements
de ce dernier, et sans prendre le moindre risque. Les programmes de TERV
actuellement disponibles donnent au thérapeute la possibilité d’aider son
patient à s’exposer progressivement à des situations de plus en plus diffi-
ciles, de persister dans chaque situation jusqu’au moment où la peur a dimi-
nué d’au moins 50 %, et de reprendre chaque étape jusqu’au moment où
elle ne provoque plus d’anxiété significative. Les environnements virtuels
comportent habituellement un vrai volant, à l’aide duquel le patient peut
conduire une voiture virtuelle à travers un environnement virtuel.
Les premiers environnements virtuels pour la TERV de la phobie de
conduire une voiture ont été crées il y a une dizaine d’années. Les premières
études de cas se sont révélées relativement décevantes. En effet, peu de
patients retrouvaient le courage de conduire après les séances de TERV, alors
L’illusion de présence et les émotions... 195

que les confrontations au cours des séances avaient conduit à une diminu-
tion significative de l’anxiété. Les essais plus récents utilisent de nouveaux
environnements et intègrent la TERV à des approches thérapeutiques plus
classiques. Les résultats montrent une diminution significative de l’anxiété
et des évitements non seulement au cours des séances, mais également in
vivo, et certains patients ont pu reprendre la conduite après une douzaine
de séances intégrant TERV, thérapie cognitivocomportementale classique
et bio-feedback.

La phobie des araignées


La phobie des araignées ou arachnoïdophobie constitue le prototype des
phobies animales. La vue des araignées provoque une anxiété pouvant
prendre la forme d’une attaque de panique chez certaines personnes. Il
s’agit d’une phobie des animaux qui réagit habituellement bien et vite à
quelques séances de thérapie cognitivocomportementale classique, associant
des séances d’exposition en imagination à des séances prolongées d’expo-
sition progressive in vivo. Au cours des séances, la personne est invitée à
s’exposer progressivement à des images d’araignées, à des vidéos montrant
des araignées, à des araignées en plastique, et en fin de compte à des arai-
gnées réelles. Il est de ce fait indispensable que le thérapeute ait à sa disposi-
tion des araignées vivantes, ce qui peut ne pas être évident, surtout en ville.
La phobie des araignées est accessible à la TERV. Le premier environne-
ment impliquant des araignées virtuelles a fait l’objet d’une étude de cas il
y a une dizaine d’années, avec des résultats très prometteurs. Plus récem-
ment, ces résultats ont été confirmés par une étude randomisée et contrôlée
par rapport à une liste d’attente. À noter à nouveau que la présence d’un
thérapeute expérimenté est indispensable au cours des séances d’exposition
pour guider le patient à s’exposer progressivement à la vue des araignées
virtuelles.

La claustrophobie
Les personnes souffrant de claustrophobie (peur des endroits clos) réagis-
sent par une anxiété pouvant prendre la forme d’une attaque de panique
quand ils se trouvent dans un endroit clos, en particulier une pièce étroite,
ou un endroit d’où il peut être difficile, gênant, voire dont il est impos-
sible de s’échapper. L’exemple typique d’un tel endroit est un ascenseur. La
claustrophobie est une phobie spécifique qui réagit bien à un traitement
cognitivocomportemental classique basé sur une exposition progressive,
soutenue, prolongée au stimulus phobogène.
Au cours des dernières années, plusieurs environnements virtuels ont
été développés pour la TERV de la claustrophobie. Les ascenseurs virtuels
permettent aux utilisateurs d’entrer dans un ascenseur et de monter un
nombre variable d’étages. Les pièces virtuelles permettent aux personnes
d’entrer dans une pièce et d’y rester alors que les portes sont fermées. Dans
certains environnements virtuels, le thérapeute peut progressivement
réduire la taille de la pièce, en rapprochant les murs les uns des autres.
196 Thérapies cognitives et émotions

Une fois de plus, la présence d’un thérapeute expérimenté est indispensable


pour guider le patient dans ce type d’environnement, pour lui demander
s’il est prêt pour rester dans une pièce alors que les portes sont fermées,
et s’il accepte que le thérapeute réduise progressivement la taille de la pièce.
Il existe actuellement quelques études de cas et au moins une étude
contrôlée et randomisée sur la TERV dans le traitement de la claustropho-
bie. Ces études montrent que la TERV peut réduire l’anxiété provoquée par
les endroits clos, et que les résultats obtenus en réalité virtuelle se traduisent
par une réduction de la claustrophobie dans la vie réelle.

Le traitement par exposition en réalité


virtuelle et la phobie sociale
L’appellation « phobie sociale » regroupe des troubles divers ayant comme
dénominateur commun le fait que la personne a peur des autres. Cette peur
peut être limitée à certaines situations sociales et n’apparaître que dans ces
situations. La situation particulière redoutée le plus souvent est celle de
parler en public. Ailleurs, la peur se manifeste dans toutes ou dans la plupart
des situations sociales. Dans ce cas, la précision « type généralisé » peut être
ajoutée au diagnostic de phobie sociale.
La phobie sociale peut être traitée par des médicaments (béta-bloquants,
antidépresseurs), par la psychothérapie cognitivocomportementale, ou par
une combinaison des deux. La thérapie cognitivocomportementale de la
phobie sociale comprend plus particulièrement des séances de relaxation, des
séances de restructuration cognitive, et des séances d’exposition progressive
aux situations sociales redoutées. Le traitement passe obligatoirement par
une exposition progressive aux situations sociales redoutées et par une habi-
tuation à ces situations. Le traitement classique passe par des expositions en
imagination, suivies par des expositions sur le terrain, in vivo. Les expositions
sont souvent proposées dans un cadre de thérapie de groupe. La technique
est efficace, mais elle est onéreuse, en personnel et en frais.
La TERV constitue une technique d’appoint intéressante pouvant être
ajoutée aux techniques de confrontation et d’habituation classiques. Dans
la phobie sociale, la TERV a été étudiée avant tout dans le traitement de la
peur de parler en public, alors qu’il n’existe que peu de travaux sur l’utilisa-
tion du TERV dans la phobie sociale, type généralisé.

La TERV pour la peur de parler en public


La technologie de la réalité virtuelle permet actuellement de placer une
personne devant un auditoire virtuel et de lui demander de lire un texte.
L’auditoire est composé d’un nombre variable de personnes qui regardent le
patient. Les auditeurs virtuels peuvent regarder le patient avec sympathie,
intérêt, et bienveillance, ou au contraire lui montrer leur désapprobation et
leur hostilité, leur désintérêt et leur ennui, ou encore adopter une attitude
neutre.
L’illusion de présence et les émotions... 197

Les premiers essais de TERV pour la peur de parler en public ont été réali-
sés il y a une dizaine d’années. Il s’agissait d’études de cas, suivies d’études
contrôlées et randomisées. Ces études ont montré qu’il était possible de
créer des environnements virtuels permettant aux patients de s’immerger
dans une situation où ils devaient parler devant une audience virtuelle,
composée soit de personnages réels reproduits sur des photos ou dans des
vidéos, soit de personnages créés par ordinateur (avatars). Le fait de parler
devant un auditoire virtuel provoque des états émotionnels identiques à
ceux déclenchés par un auditoire fictif, avec présence d’une anxiété antici-
patoire, survenue d’une angoisse croissante en intensité, envie d’éviter cet
auditoire ou de partir, puis habituation progressive à la situation, avec dimi-
nution puis extinction de l’anxiété provoquée par l’observation attentive
d’autrui. Après quelques séances de TERV, les sujets éprouvent significative-
ment moins d’angoisse à parler devant un auditoire virtuel et osent par la
suite s’exposer en situation réelle, devant un auditoire réel.
La présence d’un thérapeute expérimenté est indispensable. Le thérapeute
encourage le patient à s’adresser à son auditoire, il l’invite à regarder les per-
sonnes en face, et à parler à haute voix. Il lui demande de préciser, à intervalles
réguliers, quel est le degré d’anxiété, d’inconfort ou de détresse éprouvé lors
de cette exposition. Certains environnements virtuels permettent actuelle-
ment au thérapeute de moduler l’intensité des stimuli anxiogènes, en inter-
venant directement sur l’environnement virtuel. Ainsi, le thérapeute pourra
augmenter ou diminuer le nombre des membres de l’auditoire, ou leur faire
prendre différentes expressions et attitudes, bienveillantes, neutres ou hos-
tiles. Il peut ainsi exercer une influence considérable sur le degré de présence
avec lequel le patient vit les stimuli auxquels il est exposé.

La TERV pour l’anxiété sociale, type généralisé


Dans l’anxiété sociale, type généralisé, la personne a peur de la plupart des
situations sociales. Elle a peur d’écrire, de manger, de téléphoner devant
autrui, elle n’ose pas demander un renseignement ou un service, dire non
à quelqu’un, partir d’un magasin sans avoir acheté quelque chose, elle
redoute d’entrer dans une pièce où il y a déjà plusieurs autres personnes.
Dans une étude récente, contrôlée mais non randomisée, réalisée à
Sainte-Anne par l’équipe de Légeron, Klinger et coll. (2004) ont comparé
l’efficacité d’une TERV à celle d’une thérapie cognitivocomportementale
classique chez 36 patients présentant une anxiété sociale, type généralisé.
Pour la TERV, les auteurs ont utilisé quatre environnements virtuels. Dans le
premier, le patient va prendre un verre sur la terrasse d’un bistro. Il doit tra-
verser la terrasse et prendre place à une table située au milieu de la terrasse.
Dans le deuxième, il participe à un dîner entre amis, il doit sonner à leur
porte, et confronter les regards des autres invités, arrivés avant lui. Dans
le troisième, il entre dans un magasin, se fait montrer des chaussures et
doit résister à l’empressement de deux vendeurs. Dans le quatrième, il doit
lire un texte devant un auditoire virtuel, composé d’une demi-douzaine de
personnes.
198 Thérapies cognitives et émotions

Dans cette étude, les patients participaient à 12  séances de traitement


hebdomadaires, d’une durée de 45 minutes, sous la direction d’un théra-
peute spécialisé en thérapie cognitivocomportementale. Dans le groupe
TERV, chaque séance comprenait une introduction, des expositions en
réalité virtuelle (pendant une vingtaine de minutes), une discussion et une
préparation à des devoirs à faire à domicile. Dans le groupe de TCC clas-
sique, les participants suivaient un traitement de psychothérapie de groupe
(chaque groupe comprenant huit participants), consistant en des exposi-
tions en imagination et in vivo, un travail sur les pensées automatiques, et
une discussion sur des devoirs à faire à domicile. Dans les deux groupes de
traitement, les résultats ont montré une diminution significative, après trai-
tement, des notes aux instruments d’évaluation de l’anxiété sociale utilisés
dans l’étude, en particulier de la note totale et des notes séparées d’anxiété
et d’évitement à l’échelle d’anxiété sociale de Liebowitz.

L’état de stress post-traumatique


L’état de stress post-traumatique (ESPT) est un trouble anxieux grave sur-
venant à la suite d’un événement traumatisant hors du commun, ayant
habituellement confronté le sujet à la mort, voire ayant mis sa vie en dan-
ger. Les événements traumatisants les mieux étudiés dans le contexte de
l’ESPT concernent les expériences de combat et les expériences d’actes
de terrorisme.
Le traitement classique par TCC de l’ESPT est l’exposition progressive,
en imagination, aux images traumatisantes. Au cours des expositions,
le patient doit revivre les émotions et les sensations corporelles qui ont
accompagné le traumatisme. Certains auteurs recommandent de combiner
la réactivation de l’événement stressant avec un dialogue guidé, ce qui per-
mettrait de réduire l’intensité des réactions émotives.
La TERV a été étudiée dans plusieurs études de cas, comme complément
ou comme alternative à un traitement par exposition progressive en ima-
gination. Elle a été étudiée en particulier chez des vétérans de la guerre du
Vietnam, en association avec un traitement psychothérapeutique classique
de TCC. Divers environnements virtuels ont été développés pour permettre
à des vétérans atteints de ce trouble de revivre les événements traumati-
sants à l’origine de leur trouble actuel. L’un de ces environnements virtuels
comprend un hélicoptère virtuel survolant un Vietnam virtuel et une clai-
rière au milieu de la jungle. Le traitement combinant la TCC classique et
plusieurs expositions en réalité virtuelle a été plus efficace que la TCC seule.
La TERV a également fait l’objet d’une étude chez des survivants de
l’attaque terroriste du World Trade Center. Les environnements virtuels déve-
loppés dans le cadre de ce programme comprennent entre autres des avions
virtuels survolant l’île de Manhattan puis s’écrasant dans les tours du World
Trade Center. Ils comprennent également des explosions, des personnes
sautant des buildings, les tours qui brûlent et qui s’écroulent, et des nuages
de poussière qui se répandent sur le quartier. Les personnes traitées par une
L’illusion de présence et les émotions... 199

association de TCC classique et de TERV ont vu leur comportement signifi-


cativement amélioré par ce traitement.
Enfin, divers environnements virtuels ont été développés pour le traite-
ment des vétérans de la guerre en Irak. Dans ces environnements, le vétéran
peut prendre le rôle d’un soldat qui est seul dans une rue de Bagdad, celui
d’un soldat qui surveille un environnement en compagnie d’un autre sol-
dat, celui d’un soldat faisant partie d’une brigade qui traverse un quartier de
la ville. Les auteurs de ces environnements soulignent que les expositions à
ces environnements doivent se faire obligatoirement dans un contexte plus
global de thérapie et après une évaluation approfondie de la complexité du
trouble ainsi que de son impact sur le vétéran.

Le trouble panique avec agoraphobie


Le trouble panique (avec ou sans agoraphobie) est un trouble fréquent et
handicapant, avec une prévalence sur la vie variant entre  1 et 3  % selon
les études. Il peut évoluer vers l’agoraphobie, la dépression et l’abus ou la
dépendance à des substances telles que l’alcool ou les tranquillisants. Il
se caractérise par des attaques de panique récurrentes et inattendues, par
une crainte persistante d’avoir d’autres attaques de panique, par des préoc-
cupations à propos des conséquences possibles des attaques (par exemple
perdre le contrôle, avoir une crise cardiaque, «  devenir fou  »), et par un
changement de comportement important en relation avec les attaques. Les
attaques spontanées sont associées ou suivies d’une anxiété liée au fait de
se retrouver dans des endroits ou des situations d’où il pourrait être difficile
(ou gênant) de s’échapper ou dans lesquelles on pourrait ne pas trouver
de secours en cas d’attaque de panique soit inattendue soit facilitée par des
situations spécifiques ou bien en cas de symptômes à type de panique.
L’agoraphobie est également un trouble fréquent et handicapant. Elle
peut survenir de façon isolée ou apparaître dans les suites d’un trouble
panique. Elle correspond à un état d’anxiété qui se manifeste dans des
endroits ou des situations d’où il est difficile ou gênant de s’échapper en cas
d’attaque de panique. Les peurs agoraphobiques regroupent typiquement
un ensemble de situations caractéristiques incluant le fait de se trouver seul
en dehors de son domicile, d’être dans une foule ou dans une file d’attente,
sur un pont ou dans un autobus, un train, une voiture ou le métro, dans
une salle de cinéma ou de théâtre, dans un tunnel. Les peurs agorapho-
biques aboutissent à l’évitement des endroits ou situations redoutés.
Le trouble panique, avec ou sans agoraphobie, peut être traité par pharma-
cothérapie et/ou par psychothérapie cognitivocomportementale. La phar-
macothérapie comprend certains médicaments comme les benzodiazépines
et divers antidépresseurs, en particulier plusieurs tricycliques et différents
inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine. La thérapie cognitivocom-
portementale du trouble comprend notamment l’apprentissage du contrôle
respiratoire, la restructuration cognitive et surtout l’exposition progressive
et soutenue aux endroits et aux situations redoutés.
200 Thérapies cognitives et émotions

Le traitement classique des peurs agoraphobiques passe par des exposi-


tions en imagination, suivies par des expositions sur le terrain, in vivo. Les
expositions sur place peuvent se faire en présence du thérapeute. Dans cer-
tains cas, le thérapeute va accompagner le patient au cours des expositions.
La TERV constitue une alternative en principe intéressante aux tech-
niques de confrontation et d’habituation classiques. En effet, les peurs ago-
raphobiques concernent des endroits et des situations pouvant facilement
être reproduits en réalité virtuelle.

Les premiers essais


Les premiers essais de TERV pour des peurs agoraphobiques sélectionnées
ont été faits il y a une dizaine d’années aux États-Unis. Il s’agissait d’études
de cas, montrant qu’il était effectivement possible de créer des environne-
ments virtuels permettant aux patients de s’immerger dans des scénarios
reproduisant les endroits et les situations dont ils avaient peur. Par la suite,
l’intérêt de la TERV dans le traitement du trouble panique avec agoraphobie
a été confirmé par deux études contrôlées et randomisées, mais ces études
ont été limitées à un petit nombre de sujets et à quelques environnements
agorapobiques.
Le premier essai contrôlé et randomisé réalisé en France (et au Luxem-
bourg) porte sur un grand nombre de sujets et d’environnements. Il fera
l’objet d’une description détaillée.

Projet hospitalier de réalité virtuelle (PHRV) :


étude contrôlée multicentrique de la réalité virtuelle
et de la TCC dans le trouble panique avec agoraphobie
Le projet hospitalier de réalité virtuelle est une étude multicentrique entre
le Collège de France et trois hôpitaux universitaires, deux en France (Lyon
et Paris) et un au Luxembourg (Pull et coll.  2006). L’investigateur princi-
pal du projet est J. Cottraux. Il s’agit d’une étude contrôlée et randomisée,
comparant l’efficacité de la réalité virtuelle et celle de la thérapie cogniti-
vocomportementale à celle d’une liste d’attente, chez des patients répon-
dant aux critères diagnostiques du DSM-IV-TR pour le trouble panique avec
agoraphobie.

La méthodologie
Les deux traitements actifs, thérapie cognitivocomportementale classique
et thérapie centrée sur l’exposition en réalité virtuelle, ont été réalisés par
les mêmes thérapeutes, tous expérimentés en TCC. La thérapie cogniti-
vocomportementale comprenait l’apprentissage du contrôle respiratoire,
la restructuration cognitive, l’exposition en imagination à des stimuli
anxiogènes, l’exposition intéroceptive à des sensations physiques liées
à l’anxiété, et des devoirs à domicile avec notamment des expositions à
des situations anxiogènes réelles. Le traitement par exposition en réalité
virtuelle comprenait également un apprentissage du contrôle respiratoire,
L’illusion de présence et les émotions... 201

suivi de l­ ’exposition à 12 environnements virtuels. Chaque séance de traite-


ment, par TCC ou TERV, avait une durée d’environ 90 minutes.
Les participants ont été évalués avec de nombreux questionnaires et des
échelles d’évaluation, de tests comportementaux, et d’instruments cognitifs
spécifiques. Les instruments d’évaluation comprenaient le questionnaire
des peurs (Fear questionary, Marks et Mathews), l’échelle de sévérité du
trouble panique (Panic disorder severity scale, Shear), le questionnaire des
cognitions agoraphobiques (Agoraphobic cognitions questionary, Chambless),
l’échelle de panique, phobies, et anxiété généralisée (Cottraux), l’inven-
taire d’anxiété état/trait (State/trait anxiety inventory, Spielberger), l’échelle
d’appréciation de l’anxiété (Hamilton Anxiety Rating Scale), l’échelle d’appré-
ciation de la dépression de Hamilton (Hamilton Depression Rating Scale), le
questionnaire des expériences dissociatives (Dissociative experiences scale,
Moyano), l’Échelle d’appréciation de la qualité de vie (Quality of life rating
scale, Marks), l’échelle d’appréciation du handicap (handicap rating scale,
Sheehan), l’échelle d’évaluation de la relation thérapeutique (Cottraux),
l’échelle d’attente du résultat thérapeutique, version patient et version thé-
rapeute (Cottraux), le Rod and Frame test pour l’évaluation de la perception
subjective de la verticalité (Messina), la figure complexe de Rey pour l’éva-
luation de la perception et de la mémoire, la prise d’une photo de la face
pour l’évaluation des asymétries faciales, et l’Equitest (Nashner).
Le critère principal du résultat thérapeutique était une réduction de 50 %
de l’agoraphobie initiale sur le questionnaire des peurs. Les critères secon-
daires ont été les scores aux divers questionnaires et échelles d’évaluation de
l’anxiété, de la dépression, de la qualité de vie, et du handicap. Les variables
de processus ont été évaluées à l’aide du Rod and Frame Test et de la figure
complexe de Rey. Les malaises dus à la réalité virtuelle ont été évalués à l’aide
d’instruments développés par Bouchard et coll.
Les 12 environnements virtuels
Dans l’étude PHRV, le TERV comprenait 12 environnements virtuels. Ces
environnements ont été créés au Collège de France. Ils étaient présentés
aux patients à l’aide d’un visiocasque (Kaiser Pro view 60™) et un tracker,
c’est-à-dire d’un appareil de suivi des déplacements. Les patients étaient
guidés à travers chaque environnement par le thérapeute. Les techniques
de traitement et les directives pour chaque session thérapeutique étaient
décrites en détail dans un manuel. Les 12 environnements virtuels repro-
duisaient :
• un tunnel : il s’agit d’un espace fermé, composé d’un labyrinthe de tunnels
formant des couloirs et des pièces dans lesquels l’utilisateur peut se déplacer.
Les murs du tunnel possèdent une texture en carrelage blanc et bleu ;
• une voiture en milieu urbain : il s’agit d’un espace clos et mobile, qui
suit un trajet dans un environnement de type urbain. Au début, le sujet est
passif. Il est assis dans la voiture côté passager. Il peut ensuite se mettre au
volant et conduire la voiture en mode actif. Il peut regarder le tableau de
bord ou regarder vers l’extérieur ;
202 Thérapies cognitives et émotions

• une voiture dans un tunnel : il s’agit d’un espace clos et mobile. Le sujet
est dans une voiture qui suit d’abord un trajet prédéfini dans un environne-
ment urbain, aborde ensuite un tunnel dans lequel le sujet sera bloqué, puis
avance de façon sporadique. Le sujet peut être assis côté passager ou être au
volant et conduire en mode actif ;
• un bus : il s’agit d’un espace clos et mobile. Le sujet se trouve dans
un bus qui circule dans un environnement de type urbain selon une
trajectoire prédéfinie. L’environnement comprend l’intérieur du bus, des
personnages représentant les passagers, et des immeubles situés des deux
côtés de la rue ;
• un ascenseur : il s’agit d’un espace fermé. Le sujet se déplace dans un
couloir, jusqu’à la porte de l’ascenseur, pousse sur le bouton d’appel, entre
dans l’ascenseur, sélectionne l’étage, monte. Le thérapeute peut provoquer
« une panne ».
• un métro : il s’agit d’un espace clos et mobile. Le sujet observe puis
marche vers le quai, monte dans le wagon puis parcourt une, deux, ou trois
stations de métro. L’environnement comprend le quai du métro, l’intérieur
du métro avec des personnages représentant des passagers, des tunnels qui
défilent et des arrêts de métro avec des personnages et des publicités. Le
départ de chaque station est précédé du signal sonore caractéristique du
métro parisien ;
• un supermarché : il s’agit d’un espace clos dans lequel le sujet se déplace
librement. Il pousse un chariot et passe par plusieurs rayons, se met dans
une file d’attente et passe à la caisse où la caissière le regarde ;
• un grand espace : il s’agit d’un espace ouvert et mobile. Le sujet est assis
dans une voiture et roule sur une route de campagne. Il traverse des champs
et des forêts, et roule par moments le long d’un précipice. Il est seul, il n’y a
pas de personnages humains.
• un avion : il s’agit d’un espace fermé. Le sujet passe par le sas, rejoint sa
place, s’assoit. Il peut regarder autour de lui, à travers les hublots, observer
d’autres personnages ;
• un hall : il s’agit d’un espace fermé. Le sujet se trouve dans le hall d’un
immeuble qui comporte des colonnes, un sol avec des carrelages et un
plafond élevé. Le thérapeute peut déformer les colonnes et le carrelage et
engendrer un sentiment de déréalisation ;
• un cinéma : il s’agit d’un espace fermé. Le sujet entre dans une salle
de cinéma, trouve un siège, s’assoit. Sur l’écran il peut regarder un film.
Il peut également regarder ce qu’il se passe à sa gauche, à sa droite et
derrière lui ;
• une foule : il s’agit d’un espace ouvert. Le sujet se déplace dans une rue
où il y a beaucoup de monde. L’environnement est constitué d’un film
vidéo, comportant des personnages et des immeubles réels.

Le déroulement des séances de TERV


Chaque séance dure environ 90 minutes. Après une séance brève de relaxa-
tion, le thérapeute explique les principes de la TERV, y compris les concepts
L’illusion de présence et les émotions... 203

d’immersion et de sentiment de présence. Le sujet se familiarise avec le


visiocasque, avec les deux mini-écrans qui lui présentaient un environne-
ment virtuel, et avec le capteur de position.
Au cours de la première séance, le thérapeute et le patient établissent
d’abord une hiérarchie des peurs agoraphobiques. Pour cela, ils évaluent
ensemble la gêne et le niveau d’appréhension provoqués par chaque envi-
ronnement dans la réalité. Ensuite, le thérapeute présente les 12 environ-
nements virtuels décrits plus haut, des moins anxiogènes, a priori, aux plus
anxiogènes. Enfin, il évalue avec le patient le degré d’anxiété déclenché par
chaque environnement virtuel, et établit avec lui une hiérarchie des peurs
déclenchées par ces environnements.
Au cours des séances suivantes, le patient est exposé progressivement à
chacun des 12 environnements pour lequel l’intensité de l’unité subjec-
tive de détresse (Subjective unit of distress, SUD) est supérieure à 20 (sur un
maximum de 100), dans l’ordre de la hiérarchie établie auparavant. Les
expositions à ces environnements sont répétées jusqu’à réduction des SUD
à moins de 20/100. Chaque exposition durait environ 10 minutes et était
suivie d’une pause de 5 minutes. Le patient pouvait être exposé à plusieurs
environnements au cours d’une même séance. Pour chaque environne-
ment, le thérapeute évaluait par ailleurs la présence et l’intensité de cyber-
malaises éventuels.

Les résultats
Les données de l’étude PHRV font actuellement l’objet d’analyses appro-
fondies. Quatre-vingt-dix sujets présentant un trouble panique avec agora-
phobie ont été inclus dans l’étude. Les premiers résultats n’ont pas montré
de différence significative entre la TERV et la TCC classique.

Les perspectives d’avenir


De nombreuses tentatives sont actuellement en cours pour renforcer l’effi-
cacité de la TERV dans le traitement des troubles anxieux. Trois voies appa-
raissent d’ores et déjà très prometteuses.

L’inclusion d’avatars dans les environnements virtuels


Des programmes sont actuellement en cours de développement pour inclure
des personnages virtuels (appelés avatars) dans les environnements virtuels
destinés au traitement des personnes présentant une phobie sociale. Dans
ces programmes, les patients sont exposés à des avatars pouvant prendre
diverses expressions faciales, notamment des expressions bienveillantes,
neutres ou hostiles. Le thérapeute a ainsi la possibilité d’exposer son patient
à des situations de plus en plus anxiogènes.
Dans certains de ces programmes, il est possible de suivre et d’enregistrer
les mouvements oculaires des patients (eye tracking) et de vérifier ainsi s’ils
regardent bien en face le ou les personnages à qui on les confronte.
204 Thérapies cognitives et émotions

Le recours à des stimulants cognitifs


Une étude particulièrement intéressante a été publiée par Ressler et coll.
En 2004. Dans une étude en double aveugle, contrôlée et randomisée, ces
auteurs ont réparti 27 patients souffrant d’acrophobie en trois groupes de
traitement : un groupe de TERV associé à la prise d’un médicament-placébo,
et deux groupes de TERV associés à la prise de deux posologies différentes
d’un facilitateur cognitif, en l’occurrence la D-cyclosérine. La D-cyclosérine
était administrée 1 heure avant la séance de TERV. La TERV consistait en
deux séances de 35 à 45 minutes, séparées par un intervalle d’une semaine.
Au cours des deux séances, les patients étaient placés dans un ascenseur
en verre virtuel, dans lequel ils pouvaient regarder en bas par-dessus une
balustrade virtuelle. Après la 2e séance, les patients qui avaient reçu de la
D-cyclosérine avaient des scores de détresse subjective nettement plus
bas que les patients du groupe placebo. De plus, les patients du groupe D-
cyclosérine présentaient nettement moins d’évitement des endroits élevés
dans la réalité et plus d’expositions aux hauteurs dans leur environnement
habituel. La différence était maintenue après 3 mois. Tout se passait comme
si la D-cyclosérine facilitait l’extinction de la peur provenant de l’exposi-
tion au stimulus redouté, ici la hauteur.
Dans une autre étude contrôlée randomisée, l’efficacité de la prise d’une
dose de 50 mg de D-cyclosérine une heure avant les séances d’exposition a été
explorée chez des patients consultant pour une peur de parler en public. Par
rapport aux patients qui avaient reçu un placébo avant les séances d’exposi-
tion, ceux qui avaient pris de la D-cyclosérine avant les séances d’exposition
présentaient une réduction significativement plus importante des scores à
deux instruments d’évaluation de l’anxiété sociale utilisés dans cette étude.

La réalité augmentée
Dans les systèmes de réalité augmentée, des éléments virtuels sont super-
posés à des environnements du monde réel. Pour cela, on utilise des vitres
transparentes sur lesquelles un ordinateur projette des données virtuelles.
Le sujet peut ainsi voir des éléments virtuels superposés à un environne-
ment réel qui lui est familier. À titre d’exemple, il est possible avec l’aide
de la réalité augmentée d’introduire des souris virtuelles dans la pièce où se
déroulent les expositions.

Les applications de la réalité virtuelle


en dehors des troubles anxieux
La technologie de la réalité virtuelle est en pleine expansion dans de nom-
breux domaines médicaux et/ou psychologiques. Parmi ceux qui intéressent
plus particulièrement les psychiatres et les psychologues, et qui impliquent
directement les émotions, une place de choix revient au traitement des
troubles alimentaires, au traitement de la douleur et à celui des dépendances
à une substance psycho-active.
L’illusion de présence et les émotions... 205

Les troubles alimentaires


Dans les troubles alimentaires (anorexie mentale, boulimie nerveuse, hyper-
phagie boulimique ou binge eating disorder) et dans l’obésité, la personne
présente une altération de la perception de son poids et/ou de la forme
de son corps. Cette altération s’accompagne d’un mécontentement relatif à
son corps et d’émotions négatives, en particulier de sentiments de tristesse
et de dégoût.
La réalité virtuelle et la TERV peuvent être utilisées pour modifier la
perception de l’image du corps. La personne est confrontée à des person-
nages virtuels présentant différentes formes corporelles. Le thérapeute peut
modifier les formes corporelles de ces personnages en fonction des mesures
actuelles ou idéales de la personne ou en fonction des formes qu’elle sou-
haiterait avoir. L’exposition à ces personnages virtuels est utilisée pour dis-
cuter avec la personne de l’image qu’elle a de son corps, et pour l’aider à
en avoir une perception moins déformée et plus juste. La correction des
distorsions de l’image du corps aura des effets favorables sur l’évolution du
trouble alimentaire et sur les émotions qui l’accompagnent.

Les douleurs
La douleur est une sensation désagréable. Elle peut être précédée, associée
ou suivie de réactions émotionnelles diverses : anxiété, tristesse, colère.
Toute action sur la douleur aura de ce fait également un effet sur les
émotions. L’une des approches utilisées pour réduire les sensations dou-
loureuses concerne les techniques de distraction. C’est à ce niveau que la
réalité virtuelle peut être utile. Le fait que a réalité virtuelle suscite chez de
nombreuses personnes une illusion de présence très forte est utilisée pour
détourner leur attention dans des situations qui s’accompagnent de fortes
douleurs, par exemple lors du changement de pansement chez les grands
brûlés. Snow World (un monde de neige) est un environnement virtuel créé
pour les grands brûlés. Cet environnement permet au sujet de s’immerger,
de s’impliquer et de se sentir « présent » dans des activités qui se dérou-
lent dans un paysage de neige. Plusieurs études ont montré que ce type
de traitement réduisait significativement le degré de douleur ressentie par
les patients. Ceci est en rapport probablement à la fois avec la distraction
provoquée par l’illusion de participer à des activités intéressantes et avec
l’illusion de se trouver dans un environnement froid.

Les dépendances à une substance psychoactive


Les TCC occupent une place de choix dans le traitement des dépendances à
une substance psychoactive, par exemple à la nicotine, à l’alcool ou à une
drogue illicite, notamment pour aider la personne dépendante à faire face au
craving. Le craving consiste en une forte envie de prendre une substance
et s’accompagne d’émotions diverses, en particulier d’une forte anxiété et
d’accès de colère. L’une des techniques comportementales classiques utili-
sées consiste à exposer le sujet à un objet ou une situation qui déclenchent
206 Thérapies cognitives et émotions

une envie forte de prendre la substance (cue-exposure). En d’autres termes,


la personne doit s’exposer à des situations à risque et apprendre à y faire
face. Ce type d’exposition se fait habituellement en imagination, le sujet
étant invité à imaginer fumer, boire, ou prendre une drogue illicite. Les
expositions peuvent également se faire in vivo, le sujet se rendant dans un
endroit où on fume et boit, par exemple un bar, ou dans un endroit où on
consomme des drogues illicites. En fait, les deux techniques ne sont pas
toujours efficaces et elles peuvent parfois être contreproductives. En effet,
les expositions en imagination ne suscitent pas toujours un craving et les
expositions in vivo peuvent comporter un risque très réel de rechute. La
technologie de la réalité virtuelle permet de plonger la personne dans un
environnement virtuel où on fume et boit, par exemple un bar virtuel, ou
une pièce virtuelle où on consomme une drogue illicite, par exemple un
virtual crack room. Le sujet peut ensuite travailler sur son craving avec le
thérapeute et apprendre des techniques pour y faire face. Les expositions
en réalité virtuelle représentent ainsi une alternative intéressante aux tech-
niques classiques dans la mesure où les environnements virtuels suscitent
d’une part plus facilement une sensation de craving et que d’autre part elles
ne comportent aucun risque de rechute immédiate.

Discussion et conclusion
Le traitement des troubles anxieux a connu de grands progrès au cours des
dernières vingt années. Les approches les plus efficaces sont la TCC ainsi
que certains médicaments, notamment des médicaments antidépresseurs.
Les traitements classiques, bien qu’efficaces, sont toutefois loins d’être
efficaces dans tous les cas. Par ailleurs, la combinaison de la TCC et de la
pharmacothérapie a conduit à des résultats plutôt décevants. D’où l’intérêt
des approches nouvelles, avec, en premier lieu, la TERV.
La réalité virtuelle consiste essentiellement en des images capables
d’engendrer des réactions émotionnelles au même titre que la réalité. Dans
le traitement des troubles anxieux, l’émotion engendrée (et recherchée),
c’est l’anxiété. Les expositions en réalité virtuelle permettent au patient de
confronter progressivement les objets, les personnes ou les situations qu’il
redoute, de faire face à son anxiété dans un environnement virtuel que le
thérapeute sait contrôler à tout moment, et de gérer ses réactions anxieuses
dans un environnement réel ne présentant aucun danger.
La TERV constitue ainsi un ajout très intéressant et très prometteur à la
thérapie cognitivocomportementale par exposition aux troubles anxieux.
On peut la concevoir comme une étape intermédiaire très utile entre les
expositions en imagination et les expositions en réalité.
La TERV permet notamment de renforcer la TCC classique et de la
compléter dans des situations où les techniques classiques sont peu pra-
tiques, difficiles voire impossibles à mettre en place. On peut espérer égale-
ment qu’elle pourra contribuer à réduire le temps nécessaire pour traiter les
troubles anxieux.
L’illusion de présence et les émotions... 207

À côté des troubles anxieux, la TERV présente également un intérêt pour


le traitement des troubles alimentaires et celui des dépendances à l’alcool,
à la nicotine ou aux drogues illicites, et elle peut être efficace pour réduire
le degré de souffrance éprouvée par les grands brûlés en détournant leur
attention de leur douleur vers divers environnements, par exemple vers un
environnement de neige.
La TERV ne saurait toutefois pas remplacer le thérapeute ou se substituer
à la TCC classique. La présence d’un thérapeute reste capitale pour guider
la personne à travers chacun des environnements virtuels reproduisant des
objets, des personnes ou des situations qui lui font peur. Par ailleurs, les
techniques classiques utilisées en TCC gardent toute leur valeur, en particu-
lier l’apprentissage respiratoire, les techniques de relaxation, la restructura-
tion cognitive, ainsi que les expositions en imagination et les expositions
in vivo.
La TERV peut également être utilisée pour compléter ou renforcer l’effica-
cité d’un traitement médicamenteux. Inversement, certains médicaments,
par exemple la D-cyclosérine, pourront renforcer les apprentissages effec-
tués au cours des expositions en réalité virtuelle.
Il ressort de ce qui précède que la TERV n’est pas une thérapie à part
entière, pouvant être utilisée de façon indépendante de la TCC classique ou
sans thérapeute. Abstraction faite de certaines expositions simples, concer-
nant par exemple l’une ou l’autre phobie, la présence d’un thérapeute
compétent restera probablement toujours une condition indispensable à
tout traitement par TERV.
Enfin, il convient de souligner que la TERV doit évidemment toujours
répondre à des critères déontologiques et éthiques identiques à ceux qui
régissent les TCC classiques. La technologie de la réalité virtuelle se prêtant
facilement à des approches critiquables voire contraires aux règles élémen-
taires de bonne pratique professionnelle, il est essentiel de veiller à ce que
son usage en thérapie reste réservé à des indications ne soulevant aucun
problème sur le plan éthique.

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http://vrlab.epfl.ch. Site du Laboratoire de Réalité Virtuelle de l’École Polytechnique
de Lausanne, dirigé par D. Thalmann.
10 L’évaluation des résultats
des thérapies de troisième
vague
J. Cottraux

Est-ce que la troisième vague a tenu ses promesses complètement ou partielle-


ment et peut-on parler de révolution ou d’une simple évolution des TCC  ?
Cette partie vise à mettre à jour les données que l’on peut retrouver dans les
chapitres de ce livre en passant au crible les données issues de la médecine
fondée sur des preuves.

Les TCC dans les troubles de la personnalité


Depuis les travaux pionniers de Marsha Linehan au début des années 1990,
l’efficacité des TCC dans le trouble de personnalité borderline a été confirmée
par une série récente d’études contrôlées convergentes : Blum et coll., 2008 ;
Linehan et coll., 2006 ; Clarkin et coll., 2007 ; McMain et coll., 2009 ; Davidson
et coll., 2006  ; Cottraux et coll.,  2009. La thérapie des schémas de Young
(2005) s’est révélée supérieure à la thérapie psychanalytique (Giesen-Bloo et
coll., 2006). Actuellement, la TCC est la forme de psychothérapie la mieux
validée dans ce trouble de personnalité.

La méditation de pleine conscience


Une méta-analyse de l’ensemble des méthodes de méditation orientale,
incluant la méditation en pleine conscience, et de leurs effets dans le traite-
ment de l’anxiété, aboutit à la conclusion que les études sont de faible qua-
lité méthodologique. Ces études montrent néanmoins un léger avantage de
la méditation sur les conditions contrôles (Krisanaprakornkit et coll., 2006).
Le département de santé américain a commandité une méta-analyse
(AHRQ, 2007) incluant toutes les méthodes de méditations (yoga, Qi Gong,
méditation transcendentale, méditation de pleine conscience, méditation
zen, relaxation), qui sont pratiquées par environ 10 millions d’Américains ;
813  études ont été passées au crible. Ce travail aboutit à la conclusion
que rien n’est prouvé, du fait de la mauvaise qualité des études et le flou
des définitions des traitements. Il semble cependant que les méthodes de
Thérapies cognitives et émotions
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210 Thérapies cognitives et émotions

­ éditation augmentent la créativité des personnes « normales ». Elles repré-


m
senteraient donc un outil de développement personnel.
Une autre méta-analyse plus focalisée (Hofman et coll., 2010) apporte des
conclusions plus positives, et en faveur d’effets réellement thérapeutiques.
Elle a inclus 39 études et 1 140 patients traités pour cancer, trouble anxieux
généralisé, dépression ou d’autres problèmes médicaux et psychiatriques. Il
existe un effet modéré sur l’anxiété et la dépression. En limitant l’analyse
aux patients qui présentaient une dépression ou un trouble anxieux, les
tailles d’effet étaient importantes et proches de 1.
Une étude de qualité a mis en évidence que la thérapie cognitive basée sur
la méditation en pleine conscience avait des effets préventifs sur les rechutes
dépressives chez des patients qui avaient eu au moins trois épisodes dépres-
sifs antérieurs (Ma et Teasdale, 2004). Une autre étude contrôlée confirme
ce résultat (Godfrin, 2010).
La prévention des rechutes dans les addictions (Mindfulness Based Relapse
Prevention ou MBRP) appliquée depuis 1977 par Alan Marlatt a obtenu des
résultats encourageants dans deux études (cf. Bowen et coll., 2010). L’idée
essentielle de ce programme est d’accepter les besoins addictifs et de les
observer sans les juger, ni les punir, ni leur céder, et de différer les passages à
l’acte addictif. Un échec de l’autocontrôle ne doit pas entraîner de sanction
morale ou de dépression : ce n’est qu’un simple faux pas qu’il convient de
considérer avec bienveillance et qui doit inciter à poursuivre le programme.
La technique essentielle de ces programmes consiste à mettre en place un
espace méditatif dit « espace sobre » qui permet de surfer sur la vague des
impulsions toxicomaniaques et de différer et même annuler l’action impul-
sive. Une des limitations de ce programme est qu’il requiert de pratiquer
tous les jours durant 45 minutes les techniques de méditations apprises en
groupe (Bowen et coll., 2010).
Il est donc prudent de considérer, au vu du caractère encore controversé
des travaux les plus récents, que la thérapie cognitive fondée sur la pleine
conscience a une présomption d’efficacité dans la dépression, de même que
dans les troubles anxieux et la prévention des rechutes alcooliques.

La thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT)


Elle n’apporte pas de meilleurs résultats que les autres formes de traitement
et serait même moins efficace dans l’anxiété et la dépression, comme le
montre une méta-analyse (Powers et coll., 2009). Cependant dans la mesure
où elle inclut la mindfulness, elle pourrait s’avérer intéressante pour les
addictions (Ostafin et Marlatt, 2008).

La thérapie par la réalité virtuelle (TRV)


Une méta-analyse (Powers et Emmelkamp, 2008) a inclus 13 études portant
sur les troubles anxieux. Elle a retrouvé une supériorité nette par rapport
L’évaluation des résultats des thérapies de troisième vague 211

aux conditions qui servaient de contrôles. En revanche, la différence avec


la TCC classique était plus faible qu’avec les conditions contrôles, mais res-
tait en faveur de la TRV (taille d’effet de .39). La TRV appartient donc aux
traitements à l’efficacité démontrée, bien qu’il faille d’autres études pour
valider toutes ses indications et surtout démontrer encore plus clairement
qu’elle pourrait avoir une supériorité sur les formes classiques de TCC.

Conclusion
Une revue méta-analytique de Lars  Göran Öst (2008) concluait que les
thérapies de troisième vague étaient, quoique prometteuses, moins bien
validées que les thérapies comportementales dites de première vague, ou
cognitives dites de seconde vague. Ces cinq dernières années ont amené
des progrès qui permettent un jugement plus favorable qui attribuerait à
ces thérapies au minimum une présomption d’efficacité dans les rechutes
dépressives, l’anxiété et les addictions et une efficacité démontrée dans les
troubles de la personnalité.
Il faut aussi considérer que la troisième vague de la thérapie est plus une
évolution de la seconde vague dite cognitive, qu’une réelle rupture épis-
témologique. De plus, elle a promu des méthodes thérapeutiques nouvelles
qui ont fait avancer la recherche fondamentale en psychothérapie en lien
avec les neurosciences cognitives (Cottraux,  2011). Mais, avant tout, elle
a permis une compréhension plus large du vécu des patients et de leurs
difficultés à changer.

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