Anthropodev 876

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 7

"Note de lecture : "La Gouvernance foncière en RD Congo : du

pluralisme institutionnel à la vampirisation de l’État" de Michel BISA"

Baraka Akilimali, Joël

ABSTRACT

Une recension du livre "La Gouvernance foncière en RD Congo : du pluralisme institutionnel à la


vampirisation de l’État" publié aux éditions Academia en 2019. La recension met en exergue le fil rouge de
l'ouvrage autour du pluralisme institutionnel et normatif tout en faisant une autopsie critique de la notion de
"vampirisation de l'Etat" analysée dans l'ouvrage avant d'engager une réception théorique de l'ouvrage.

CITE THIS VERSION

Baraka Akilimali, Joël. Note de lecture : "La Gouvernance foncière en RD Congo : du pluralisme institutionnel
à la vampirisation de l’État" de Michel BISA. In: Anthropologie & développement, Vol. varia, no. varia, p.
163-167 (2019) http://hdl.handle.net/2078.1/248088 -- DOI : 10.4000/anthropodev.876

Le dépôt institutionnel DIAL est destiné au dépôt DIAL is an institutional repository for the deposit
et à la diffusion de documents scientifiques and dissemination of scientific documents from
émanant des membres de l'UCLouvain. Toute UCLouvain members. Usage of this document
utilisation de ce document à des fins lucratives for profit or commercial purposes is stricly
ou commerciales est strictement interdite. prohibited. User agrees to respect copyright
L'utilisateur s'engage à respecter les droits about this document, mainly text integrity and
d'auteur liés à ce document, principalement le source mention. Full content of copyright policy
droit à l'intégrité de l'œuvre et le droit à la is available at Copyright policy
paternité. La politique complète de copyright est
disponible sur la page Copyright policy

Available at: http://hdl.handle.net/2078.1/248088 [Downloaded 2021/08/05 at 21:00:40 ]


Anthropologie & développement 
50 | 2019
Varia

La Gouvernance foncière en RD Congo : du


pluralisme institutionnel à la vampirisation de
l’État
Joël Baraka Akilimali

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/anthropodev/876
DOI : 10.4000/anthropodev.876
ISSN : 2553-1719

Éditeur
Presses universitaires de Louvain

Édition imprimée
Date de publication : 1 décembre 2019
Pagination : 163-167
ISBN : 978-2-87558-940-8
ISSN : 2276-2019
 

Référence électronique
Joël Baraka Akilimali, « La Gouvernance foncière en RD Congo : du pluralisme institutionnel à la
vampirisation de l’État », Anthropologie & développement [En ligne], 50 | 2019, mis en ligne le 16 juin
2020, consulté le 25 janvier 2021. URL : http://journals.openedition.org/anthropodev/876  ; DOI :
https://doi.org/10.4000/anthropodev.876

La revue Anthropologie & développement est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative
Commons Attribution 4.0 International.
La Gouvernance foncière en RD Congo :
du pluralisme institutionnel à la vampirisation
de l’État
Michel Bisa Kibul, 2019, L ouvain-La- Neuve, Aca demia-L’Harma tta n,
280 p.

Joël Baraka Akilimali

Du pluralisme normatif et institutionnel comme fil rouge des réflexions


Cet ouvrage vient enrichir la littérature socio-anthropologique sur les questions
foncières en Afrique subsaharienne en général, et congolaises en particulier. Il constitue la
suite d’une recherche doctorale qui a été menée sur la gouvernance foncière dans un
contexte de crise en république démocratique du Congo.
La problématique posée par l’auteur se résume à dépasser l’opposition entretenue
entre des normes et institutions formelles d’une part et des normes et institutions
coutumières d’autre part, dans l’analyse du pluralisme juridique. Cette opposition à
dépasser présente souvent ces dernières « de façon homogène, comme étant les seules
en marge de la loi qui expliqueraient la mauvaise gouvernance formelle du foncier, et à ne
pas tenir compte des relations et interactions entre acteurs, étatiques et non étatiques,
qui jouent sur la pluralité des normes » (p. 16). Dès lors, l’auteur se propose de
« comprendre et d’expliquer, les mécanismes qui sous-tendent le pluralisme institutionnel
ainsi que la vie/survie de l’État ».
À travers les six chapitres de l’ouvrage, l’auteur dégage un fil rouge précis autour de la
problématique du pluralisme juridique dans la gouvernance foncière. Ce fil rouge se
dégage en partant des éléments méthodologiques et conceptuels de la recherche mais
également d’un cadrage de la littérature sur le sujet (chapitre 1). Il s’ensuit l’analyse
empirique des contextes et des descriptions des divers terrains analysés ; terrains révélant
un triple intérêt du fait de leur diversité rurale, urbaine et périurbaine (chapitre 2).
L’ouvrage, à travers son cheminement, propose une autopsie concrète des normes et des
structures sociales qui interviennent dans la gestion foncière en RD Congo, notamment au
niveau des collectivités publiques locales, toujours marquées par des représentations et
symboliques coutumières et/ou bricolées (chapitre 3). Dans le chapitre suivant, l’auteur
présente une économie générale de l’arsenal normatif et institutionnel de la gestion
foncière et des ressources naturelles connexes, telles que le minier (chapitre 4). Le travail
164 Anthropologie & développement n° 50

s’achève enfin à travers deux chapitres sur la « vampirisation de l’État », concept


analytique proposé par l’auteur. D’un côté, le problème de la vampirisation de l’État est
analysé sous l’angle de la pluralité d’acteurs (chapitre 5) et, de l’autre, l’auteur évoque des
pistes vers une thérapie contre cette « vampirisation de l’État » (chapitre 6). En conclusion
générale, l’auteur rappelle la pluralité, la complexité et la diversité liées à son objet
d’étude, tout en insistant sur « les gouvernementalités d’acteurs face aux enjeux
fonciers » (p. 255). Il rappelle l’intérêt d’identifier « la vampirisation de l’État » comme
une « pathologie institutionnelle inoculée dans le système étatique par les acteurs qui
agissent au nom de l’État mais contre les intérêts vitaux de l’État » (idem).

Autopsie de la « vampirisation de l’État » au cœur des pratiques


des institutions sociopolitiques
L’objectif clairement affiché par l’auteur à travers l’annonce du chapitre 3 est la
« compréhension des normes et des structures sociales de gestion foncière et, ensuite,
l’explication de leurs mécanismes de fonctionnement et de perpétuation » (p. 85). Dans
une trajectoire riche et originale sur le thème de la socio-anthropologie foncière
congolaise, l’auteur fait un état des lieux inédit des croyances et proverbes porteurs des
normes sociales, couplés aux interdits et aux mécanismes de socialisation coutumière, et
finalement à la symbolique totémique (p. 89-95). Il s’ensuit un rapport synthétique au
travers de tableaux synoptiques renseignant, non sans intérêt, les modes de faire-valoir
des concessions foncières au titre des normes sociales et des usages des terres. Ils incluent
le relevé des principales sources des conflits fonciers en lien avec les normes sociales ; le
cadrage des principaux acteurs/menaces de la sécurité foncière ; les principaux modes de
résolution des conflits ; et finalement la perception des enquêtés quant aux rôles fonciers
jugés indispensables pour le chef coutumier (p. 96-118). Une des faiblesses majeures du
socio-pluralisme institutionnel que note l’auteur est notamment la compréhension du
concept de « communauté locale », que la loi foncière congolaise a posé mais dont elle n’a
jamais défini le sens, ni les contours et moins encore la portée substantielle. Dès lors,
l’auteur soulève un danger lié à ce concept de « communauté locale » en ce sens qu’il est
parfois instrumentalisé pour des besoins politiques de « l’autochtonie » ; et par
conséquent il devient parfois porteur d’un élément exclusionniste et discriminatoire vis-à-
vis d’autres acteurs fonciers « allochtones » dans la dynamique conflictuelle d’accès et de
contrôle de la ressource foncière. La dynamique conflictuelle en lien avec ce concept est
souvent moins problématisée, viciée ou sous-estimée dans la littérature juridique
positiviste et/ou socio-anthropologique du foncier.
Dans l’analyse du chapitre 4, complétée par les chapitres 5 et 6, se dégage l’épicentre
matériel de l’ouvrage, à savoir la démonstration dans l’esprit et dans la lettre du
pluralisme institutionnel et normatif et ses effets sur la gouvernance foncière. Parlant de
la persistance de l’insécurité foncière et de la résurgence des conflits fonciers, l’auteur
déclare sans ambages que « les conflits fonciers multiformes persistent à travers tout le
pays et dans tous les milieux ruraux, urbano-ruraux et urbains à cause, entre autres, d’une
mosaïque complexe des textes, d’organes et d’acteurs approximativement formels qui
Lu et à lire 165

interviennent, au nom de l’État mais contre les intérêts étatiques, dans la gestion des
affaires publiques » (p. 125). L’auteur pose déjà ici les jalons sémantiques de la notion de
« vampirisation de l’État ». Ce concept phare de l’ouvrage est défini plus précisément par
la suite, lorsque l’auteur affirme :
e
L’État congolais du XXI siècle se retrouve dans la nature de Thomas Hobbes, John Locke
et Jean-Jacques Rousseau. Il a été, à plusieurs coups, mordu par des vampires qui l’ont
vampirisé à son tour. Voilà pourquoi l’on assiste à des situations de l’État contre l’État.
Les institutions de l’État vampirisé constituent des moyens destinés à imposer aux
populations des contraintes en vue de l’objectif privé des acteurs. (p. 241)

Tout ceci n’est pas sans affecter la sécurité des droits fonciers locaux, comme le note
bien l’auteur en affirmant que « l’une des sources de l’insécurité des droits fonciers réside
dans l’existence contradictoire du pluralisme institutionnel formel en matière de gestion
foncière et des ressources naturelles et environnementales » (p. 125).
Notant les nombreuses réformes formelles normatives, institutionnelles et organiques,
entreprises à partir des années 2000 relativement à l’arsenal législatif et opérationnel des
ressources naturelles, l’auteur y voit deux questionnements de grande importance en
rapport avec le pluralisme juridique. D’une part, il s’agit du questionnement quant à la
primauté/préséance entre le droit foncier et le droit lié aux ressources naturelles en
général et minières en particulier. D’autre part, se pose le défi de l’institutionnalisation
des normes à l’image réelle des pays subsahariens en général.
En réponse aux questions soulevées ci-dessus, c’est l’aspect politique qui semble primer
dans les faits, à travers la conduite et l’orientation des législations congolaises au plan de
la primauté d’une ressource face au foncier. Ainsi l’auteur montre comment les pressions
extérieures lors de l’élaboration du Code agricole en 2011 ont pesé sur la reformulation
des articles afin d’y intégrer une vision néolibérale pour sécuriser les investisseurs
étrangers. Il en ressort que « la loi agricole votée en 2011 ne garantit, ni les intérêts de
l’État, ni ceux des communautés locales » (p. 169). Plus loin, l’auteur opère une analyse
des rapports de force à travers une éloquente analyse des gouvernementalités minières
dans la gestion foncière (p. 173-204). Il s’ensuit également les implications judiciaires du
pluralisme formel qui, elles aussi, ne sont pas sans alerter sur le fossé des prescrits légaux
avec les pratiques d’acteurs.

Réception théorique de l’ouvrage


Au plan théorique de la recherche, l’ouvrage de Michel Bisa Kibul inspire une triple
analyse.
Tout d’abord, la thématique de la « vampirisation de l’État » semble dans le fond
recouper la littérature sur les défis de la formation de l’État contemporain en Afrique
subsaharienne, en contexte d’absence de véritables contre-pouvoirs dans la gestion
publique. Ces défis peuvent s’illustrer sous la caricaturale figure de proue de la « politique
du ventre » inspirée du cas camerounais (Bayart, 1985). Cette thématique viendrait
relancer le débat sur « l’effondrement prématuré » de l’État africain eu égard à ses limites
166 Anthropologie & développement n° 50

et faiblesses (Mitchell, 1991) puisque encore confronté à ce jour aux concepts


caricaturaux « d’État failli » et « d’État en reconstruction » (Milliken et Krause, 2002 ;
Titeca et Herdt, 2011). Elle relance également la place des pouvoirs et des privilèges de
l’administration dans la conjoncture de différenciation sociale (Fisiy, 1992). L’analyse
conceptuelle de la « vampirisation de l’État » n’opère pas néanmoins un approfon-
dissement par rapport aux défis théoriques liés à l’occidentalisation quasi brutale de
l’ordre politique (Badie, 2008), notamment congolais. L’auteur introduit certes le débat lié
aux difficultés d’inculturation des institutions. Cependant ce débat semble ne pas inclure
l’analyse de l’hypothèse radicale de l’aliénation des institutions par rapport à leurs cadres
des références socio-anthropologiques. Bien plus, face à la survie négociée de l’État
vampirisé, l’ouvrage ne semble pas expliquer davantage le sens et le fondement de la
résilience observable de l’État, résilience sous-tendue par des logiques de survie
informelle (Aungu Matsanza, 2018).
Ensuite, le débat sur le pluralisme juridique semble ne pas situer sa longue trajectoire
congolaise, contextualisée par les débuts d’un dualisme juridique (Mugangu, 1997), vers
un véritable pluralisme juridique, rompant ainsi la dichotomisation formel/informel. Cette
dernière source est quasiment ignorée de la bibliographie de Michel Bisa Kibul, pourtant la
pensée de Richard Mulendevu Mukokobya est elle-même issue d’une recherche doctorale
récente (Mulendevu, 2013). Cette recherche aurait pu offrir une analyse comparative et
complémentaire intéressante.
Enfin, l’auteur, bien qu’il problématise avec pertinence l’hétérogénéité des coutumes et
de leurs évolutions dans le temps et dans l’espace, semble par moment nourrir une vision
de (ré)invention de la tradition (Hobsbawn, 2012) ; notamment dans la perpétuation de
certaines subjectivités rattachées à la « tradition » et ce parfois dans l’idée de l’opposition
de la modernité contre la tradition. Ceci est important à dépasser tant l’anthropologie
juridique invite les chercheurs à une rupture épistémologique pour un « paradigme de
l’entre-deux ». Il s’agit, nous dit Étienne Le Roy, d’un paradigme qui repose non sur une
explication de type « ni » (ni tradition ni modernité) mais sur la conceptualisation d’une
relation entremêlée et dialectique de type « et », à la fois traditionnelle et moderne, donc
contemporaine. Il nous faut apprendre à conjuguer logique institutionnelle et logique
fonctionnelle sans reproduire le principe de l’englobement du contraire (Le Roy et al.,
2016).
L’ouvrage de Michel Bisa Kibul demeure une œuvre de premier plan pour la socio-
anthropologie foncière congolaise tant il apporte une lumière nouvelle sur le thème du
pluralisme juridique, et particulièrement sur le thème des confrontations au sein du cadre
formel. Celui-ci est pourtant et souvent présenté, à tort, comme cohérent par l’idéologie
moniste positiviste. L’approche socio-anthropologique renouvelée de Michel Bisa Kibul
permet de rompre avec cette vision d’un formalisme juridique qui serait toujours
harmonieux par la force du discours positiviste, s’auto-légitimant par l’existence d’un
contrôle juridictionnel. L’analyse empirique de déconstruction est d’une richesse
impressionnante, présentant une vue d’ensemble des défis de la gouvernance foncière
contemporaine à la fois sur le terrain rural, urbain et urbano-rural en RD Congo.
Lu et à lire 167

Bibliographie
Bayart J.F., 1985, L’État en Afrique, Paris, Les Presses de Sciences Po.
Mitchell T., 1991, « The Limits of the State: Beyond Statist Approaches and their Critics », American
Political Science Review, n° 85(1), pp. 77-96.
Milliken J., Krause K., 2002, « State Failure, State Collapse, and State Reconstruction: Concepts,
Lessons and Strategies », Development and Change Special, n° 33(5), pp. 753-774.
Titeca K., Herdt T., 2011, Real Governance Beyond the « Failed State »: Negotiating Education in the
Democratic Republic of the Congo, Oxford University Press on behalf of Royal African Society.
Fisiy C.F., 1992, Power and Privilege in the Administration of Law. Land Law Reforms and Social
Differentiation in Cameroon, Leiden, African Studies Centre.
Badie, 2008 (1992), L’État importé. L’occidentalisation de l’ordre politique, Paris, Fayard.
Aungu Matsanza G., 2018, Résilience ou sursis de l’État : l’identité nationale au secours de la RD
Congo, Louvain-la-Neuve, Academia-L’Harmattan.
Mugangu S., 1997, La gestion foncière rurale au Zaïre. Réformes juridiques et pratiques foncières.
Cas du Bushi, thèse de doctorat, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant, 337 p.
Mulendevu R., 2013, Pluralisme juridique et règlement des conflits fonciers en République
Démocratique du Congo, Paris, L’Harmattan.
Hobsbawn, 2012 (1983), L’invention de la tradition, Amsterdam éditions.
Le Roy E., Karsenty A., Bertrand A. (éds), 2016 (1996), La sécurisation foncière en Afrique, pour une
gestion viable des ressources renouvelables, Paris, Karthala.

Vous aimerez peut-être aussi