Diagnostic Dune Pancytopénie Et Dune Bicytopénie

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Diagnostic d’une pancytopénie


AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine

et d’une bicytopénie
P Casassus

Q u’est-ce qu’une pancytopénie ? C’est par définition la baisse du taux des différentes cellules sanguines dans le
sang. Plus précisément, on entend par ce terme la diminution associée du taux sanguin des hématies, des
leucocytes (globalement) et des plaquettes (tricytopénie).
À quoi doit-elle faire penser ? Elle doit toujours faire craindre une maladie de la moelle, et tout particulièrement une
leucémie aiguë, mais aussi, quelles qu’en soient les causes, des accidents secondaires aux différentes cytopénies. Elle
peut justifier par elle-même la prescription de traitements symptomatiques.
Il faut en fait y adjoindre les bicytopénies qui, bien souvent, reconnaissent les mêmes causes et doivent donc être
explorées en suivant le même raisonnement.
© Elsevier, Paris.

■ ■
‚ Pancytopénies centrales par diminution
Introduction Définitions ou disparition des précurseurs

Aplasies médullaires
La pancytopénie et la bicytopénie sont des Une pancytopénie se définit par la baisse
simultanée de : Dans leurs formes primitives (idiopathiques), ce
syndromes qui peuvent s’observer dans des
– la lignée érythrocytaire (évaluée par la baisse sont les causes de pancytopénie les plus rares.
situations de mécanismes très variés dont dépend le
de l’hémoglobine au-dessous de 12 et 13 g/dL La moelle est désertique, ne comportant ici et là
pronostic à moyen et long terme. On peut les
respectivement chez la femme et l’homme) ; que quelques lymphocytes perdus entre les cellules
regrouper en trois types : central, périphérique ou
– la lignée leucocytaire : moins de 4 000 graisseuses.
mixte. Quelques principes de raisonnement simples
partant de l’observation clinique et de la lecture de leucocytes/mm3 (ou 4 G/L), mais une neutropénie L’hémogramme est caractérisé par des
isolée (moins de 1 500/mm3) a la même valeur s’il cytopénies, de degré variable suivant les lignées,
l’hémogramme permettent le plus souvent de
n’y a pas de baisse de l’ensemble des leucocytes ; dont l’anémie est « arégénérative », c’est-à-dire que
comprendre le ou les mécanismes physiopatholo-
– la lignée plaquettaire : moins de 150 000/mm3 les réticulocytes sont effondrés, proches de zéro, et
giques en cause.
(ou 150 G/L). en général « normocytaire » (c’est-à-dire avec un
Il est important de faire cet effort de raisonnement
Une bicytopénie correspond le plus souvent à une volume globulaire moyen [VGM] entre 82 et 95 fl).
rigoureux, car le mécanisme de la pancytopénie
baisse simultanée des leucocytes et des plaquettes, La leucopénie s’accompagne d’une neutropénie
influe aussi sur le pronostic immédiat, lié, bien sûr, à
mais toute autre configuration est possible et absolue avec une « inversion de la formule
la gravité propre des symptômes et notamment à
conduira à entreprendre un raisonnement leucocytaire », car, si la durée de vie courte des
l’intensité de chacune des cytopénies, mais pas
physiopathologique similaire. polynucléaires neutrophiles (PN) explique qu’une
exclusivement.
neutropénie s’installe alors rapidement, les
En pratique, voici les questions que l’on est
lymphocytes, dont certains sont à durée de vie


amené à se poser : peut-il s’agir d’une leucémie ?
Pancytopénies de mécanisme longue (lymphocytes « mémoires »), circulant à partir
Peut-il s’agir d’une autre maladie maligne de la des organes lymphoïdes périphériques, sont
central
moelle ? Peut-il s’agir d’une aplasie primitive de la beaucoup moins concernés par l’atteinte de la
moelle ? Dans ce dernier cas, y a-t-il des traitements moelle (tableau I).
urgents à prescrire ou à ne pas prescrire ? Quels sont ‚ Mécanismes
Le mécanisme est parfois immunologique (30 à
les critères de pronostic ? Y a-t-il des risques Elles correspondent à une insuffisance de 40 % des cas), ce qui explique les essais, parfois
immédiats et des gestes « qui sauvent » ? Peut-il s’agir production des diverses lignées médullaires, qui peut couronnés de succès, des traitements immunosup-
d’une pathologie bénigne ou curable ? être : presseurs. Ailleurs, il est inconnu, même si l’on peut
Encore faut-il d’abord faire la part de ce qui est – quantitative : il n’y a plus assez de cellules parfois incriminer une exposition à un toxique
maladie de la moelle et de ce qui est cause souches, parce qu’elles ont disparu ou parce qu’elles industriel (dérivés du benzène) ou agricole et
périphérique, dont les risques sont très différents, et sont inhibées par des cellules malignes ; l’exposition répétée aux radiations ionisantes. Dans
retenir ces deux réflexions :
© Elsevier, Paris

– qualitative : la moelle est riche, mais la d’autres cas, un virus (comme certaines hépatites
– une pancytopénie n’est pas synonyme myélopoïèse est déficiente, parce qu’il y a un non A, non B, non C) ou un médicament (comme le
d’aplasie ; manque de vitamines (anémies « mégaloblastiques ») chloramphénicol qui donne des aplasies définitives,
– la plus fréquente cause de bicytopénie est la ou non (anémies « réfractaires », sous-entendu les sels d’or ou la D-pénicillamine) est peut-être en
cirrhose. réfractaires au traitement vitaminique). cause.

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la stimulation des fibroblastes par un clone


Tableau I. – Exemple de numération formule Tableau II. – Exemple de numération formule médullaire anormal (il est probable qu’il existe aussi,
sanguine d’aplasie médullaire. sanguine d’une leucémie à tricholeucocytes.
surtout en fin d’évolution, une inhibition directe de la
Hb : 6,5 g/dL Hb : 8,5 g/dL myélopoïèse par le clone lui-même). On voit ainsi
coexister diverses cytopénies et un passage de
VGM : 87 fl VGM : 90 fl
précurseurs immatures dans le sang, chassés hors
3
Réticulocytes : 0,1 % (= 2 400/mm ) Réticulocytes : 0,7 % (= 20 000/mm3) des espaces médullaires réduits par la fibrose : d’où
Plaquettes : 19 000/mm3 Plaquettes : 55 000/ mm3 l’érythromyélémie qui associe à la myélémie la
présence de fréquents érythroblastes.
Leucocytes : 3 000/mm3 Leucocytes : 3 500/mm3
¶ Myélofibroses primitives
PN : 20 % (= 600/mm3) PN : 20 % (= 700/mm3)
Splénomégalie myéloïde
Lymphocytes : 75 % (= 2 250/mm3) Lymphocytes : 76 % (= 2 660/mm3) dont
7 % évoquant des tricholeucocytes Proche de la leucémie myéloïde chronique (LMC)
Monocytes : 5 % (dont elle se distingue par l’absence de chromosome
Monocytes : 1 % (= 35/mm3) Philadelphie et la présence de la myélofibrose), elle
Hb : hémoglobine ; VGM : volume globulaire moyen ; PN : polynucléaires
Myélocytes : 3 % est d’évolution chronique, longtemps bien tolérée au
neutrophiles.
début, comportant souvent une splénomégalie
+ présence de deux érythroblastes
pour 100 leucocytes (progressivement monstrueuse), une hyperleuco-
Les aplasies secondaires aux traitements
cytose avec une érythromyélémie et des hématies
anticancéreux sont beaucoup plus fréquentes, très
Hb : hémoglobine ; VGM : volume globulaire moyen ; PN : polynucléaires déformées, mais elle tend à évoluer vers une
généralement réversibles (sauf après certains neutrophiles. pancytopénie par désertification de la moelle,
traitements de conditionnement de greffe de
finissant par entraîner des complications mortelles
moelle), surtout aujourd’hui avec l’utilisation des ¶ Hémopathies lymphoïdes chroniques (quand elle n’évolue pas vers une transformation en
facteurs de croissance des granuleux (G-CSF Il est exceptionnel qu’une leucémie lymphoïde leucémie aiguë : 10 à 20 % des cas).
[granulocyte colony stimulating factor] : Neupogent, chronique (LLC) se présente sous l’apparence d’une
Granocytet ou GM-CSF [granulocyte macrophage pancytopénie. Cela se voit essentiellement dans les Myélofibrose aiguë
colony stimulating factor] : Leucomaxt) qui devraient rares formes splénomégaliques pures (ou presque), Dans la myélofibrose aiguë, la pancytopénie est
être complétés très prochainement par un plus fréquentes dans les exceptionnelles LLC de type au premier plan, souvent sans splénomégalie, et la
équivalent de la thrombopoïétine (stimulant la T, et correspondant alors à ce que l’on a longtemps fibrose intense est révélée par la BM. Cette maladie,
mégacaryocytopoïèse) et le CSF (colony stimulating appelé le syndrome de Felty. C’est l’étude de encore plus rare, mal comprise et grave, est
factor) ou l’interleukine 3 (IL3), stimulant les cellules l’immunophénotypage des lymphocytes circulants quelquefois réversible avec certains traitements
souches. (ou médullaires) qui est l’examen le plus intéressant (interféron, corticothérapie…).
pour affirmer le diagnostic et typer la population
¶ Myélofibroses accompagnant les leucémies
leucémique.
Leucémies Aiguës ou chroniques (cf leucémies à
En revanche, il est une hémopathie lymphoïde tricholeucocytes), elles sont responsables d’une
chronique B, assez rare mais intéressante à majoration de la pancytopénie due à la leucémie qui
¶ Leucémies aiguës
connaître (car généralement facile à traiter), la est souvent associée à une érythromyélémie
Les leucémies aiguës (LA) peuvent se présenter leucémie à tricholeucocytes, qui se présente souvent évocatrice, et d’une densification osseuse qui peut
avec le même tableau hématologique qu’une sous forme d’une pancytopénie à la fois centrale et rendre difficile le diagnostic de la leucémie par le
aplasie médullaire idiopathique, c’est-à-dire sous la périphérique. Trois mécanismes y sont associés : myélogramme, imposant alors la BM.
forme d’une pancytopénie pure, isolée, sans cellules – l’infiltration médullaire diffuse par ces cellules
anormales circulantes, sans syndrome tumoral lymphoïdes B atypiques que sont les tricholeuco- ‚ Pancytopénies par déficit qualitatif de la
clinique, et alors seul le myélogramme pourra cytes (plus grands que les lymphocytes, au production (dysmyélopoïèse)
apporter le diagnostic. Celui-ci est en réalité souvent cytoplasme large et pâle, aux limites floues, aux
envisagé sur l’analyse du frottis sanguin par un prolongements « chevelus » et au noyau moins Anémies mégaloblastiques
laboratoire spécialisé qui peut, parmi les cellules dense) ;
¶ Mécanisme
classées en « lymphocytes », dépister des cellules – la myélofibrose, diagnostiquée sur biopsie
Il s’agit d’une insuffisance médullaire par
indifférenciées d’allure blastique. Ce type de médullaire (BM), phénomène très exceptionnel dans
altération des mitoses provoquée par un manque de
leucémie s’oppose aux formes très tumorales par une prolifération lymphoïde ;
tétrahydrofolate, soit dû à une carence d’apport ou
une cinétique de multiplication cellulaire plus lente, – l’hypersplénisme, car la splénomégalie est le
d’utilisation des folates, soit secondaire à un
et elle a un pronostic de ce fait un peu meilleur. Il symptôme clinique le plus habituellement rencontré,
effondrement des réserves en vitamine B 12
peut s’agir aussi bien de LA myéloblastiques que souvent isolément.
(principalement dans le cadre de l’anémie de
lymphoblastiques (LAL). Ces formes sont importantes Une anomalie de l’hémogramme doit y faire Biermer, mais aussi des gastrectomies totales ou de
à connaître pour éviter une prescription intempestive penser, surtout si la leucocytose n’est pas encore la maladie de Crohn). Le tétrahydrofolate, formé en
de corticoïdes qui peuvent être suffisamment trop effondrée : la quasi-absence des monocytes présence de vitamine B12, est en effet indispensable
efficaces dans une LAL de l’enfant pour obtenir une (nettement inférieurs aux 200/mm3 habituels) à la synthèse de la thymidine qui entre dans la
rémission rapide, avec disparition des lymphoblastes (tableau II). Il n’y a guère en effet d’autre hémopathie constitution de la molécule d’acide désoxyribonu-
de la moelle, mais temporaire, avec un risque pour qui fasse disparaître à ce point cette population cléique mais pas d’acide ribonucléique : d’où le
l’évolution ultérieure, compromise par le retard mis à monocytaire, ce qui explique du reste la fréquence mauvais fonctionnement, le retard et même
débuter le traitement adéquat. En outre, la rapidité de deux types d’infections à germes « intracellulai- l’avortement des mitoses dans les tissus à fort
d’effet de la corticothérapie peut s’accompagner res » : la tuberculose et la légionnellose. renouvellement comme la moelle (toutes les lignées
d’une cytolyse au point d’entraîner une sont concernées, et pas seulement la lignée rouge) et
hyperuraturie avec son risque d’anurie dès lors que Myélofibroses le tube digestif, sans perte de l’activité enzymatique
la prophylaxie usuelle (hyperhydratation et La pancytopénie est due, au moins pour une part, (permettant par exemple le maintien d’une synthèse
administration d’urate-oxydase) n’aura pas été à l’infiltration de la trame réticulaire de la moelle par normale de l’hémoglobine dans les érythroblastes
prescrite. des fibres de réticuline et de collagène, secondaire à « macrocytaires »).

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Diagnostic d’une pancytopénie et d’une bicytopénie - 4-0090

Tableau III. – Exemple de numération formule sanguine dans une anémie mégaloblastique. Tableau IV. – Exemple de numération formule
sanguine d’hypersplénisme par cirrhose.
Hématies : 1 200 000/mm3 Leucocytes : 3 500/mm3
Globules rouges :
Hématocrite : 14 % PN : 40 % PN : 56 %
3 200 000/mm3
Hb : 4,8 g/dL PE : 1 % Hb : 12 g/dL PE : 1 %
VGM : 117 fl Lymphocytes : 45 % VGM : 106 fl Lymphocytes : 37 %
Réticulocytes : 2 % Monocytes : 14 % Plaquettes : 70 000/mm 3
Monocytes : 6 %
Plaquettes : 70 000/mm3 Leucocytes : 3 200/mm 3

Sur le frottis, sont signalés :


- une anisocytose, une poïkilocytose, une polychromatophilie, avec des macrocytes et des ovalocytes, PN : polynucléaires neutrophiles ; Hb : hémoglobine ; PE : polynucléaires
des corps de Jolly éosinophiles ; VGM : volume globulaire moyen.
- des polynucléaires polysegmentés
élevé entre la rate et le système porte, qu’il y ait ou
PN : polynucléaires neutrophiles ; Hb : hémoglobine ; PE : polynucléaires éosinophiles ; VGM : volume globulaire moyen. non splénomégalie, gênant la sortie des cellules
sanguines de la rate vers la veine splénique (c’est le
¶ Diagnostic temps de saignement, hémolyse intramédullaire, cas de l’hypertension portale). Par définition, la
Il est évoqué sur le fait que la pancytopénie raccourcissement de la durée de vie des hématies) ; moelle est bien sûr normalement riche. Il peut
s’accompagne de signes de la dysmyélopoïèse – un excès de blastes dans la moelle (entre 5 et arriver, surtout quand la rate est très volumineuse,
mégaloblastique : franche augmentation du VGM 20 %), avec parfois blastose sanguine modérée. qu’une diminution de la durée de vie des cellules
(souvent au-dessus de 100 fl), PN polysegmentés Le myélogramme est indispensable au diagnostic. sanguines dans la rate accentue encore les
(signe pathognomonique) et souvent de grande Le traitement est souvent palliatif ou symptomatique cytopénies. Cela peut justifier l’indication d’une
taille (tableau III). Le myélogramme vient confirmer (notamment par des transfusions itératives), mais splénectomie.
le diagnostic en montrant une moelle riche, certains sujets peuvent bénéficier de petites doses de
notamment en érythroblastes, majoritairement chimiothérapie (cytarabine). Des essais de traitement Cirrhose (alcoolique ou non)
dystrophiques, de grande taille, basophiles par des facteurs de croissance (G-CSF, érythro- Elle est ainsi la cause la plus fréquente de
(mégaloblastes), mais aussi avec des mégacaryo- poïétine) sont actuellement en cours. bicytopénie. La première lignée concernée est
cytes dysmorphiques, des myélocytes et des
habituellement la lignée plaquettaire. La
métamyélocytes géants. Les signes cliniques


thrombopénie est même souvent le signe le plus
peuvent apporter une aide si l’examen de la bouche Pancytopénies de mécanisme précoce pouvant faire évoquer une cirrhose, avant
montre une langue dépapillée (glossite de Hunter) périphérique les autres cytopénies, bien avant l’apparition
ou si l’on note des symptômes du syndrome
d’anomalie biologique hépatique ou de signe
neuroanémique (paresthésies au début, puis signe ‚ Mécanisme clinique d’hypertension portale. La numération
de Romberg et syndrome pyramidal). Le diagnostic
Elles correspondent à des situations où la plaquettaire est le plus souvent modérément
sera affirmé sur le dosage de la vitamine en cause
production médullaire est normale, mais où les abaissée, entre 50 000 et 120 000/mm3. Ce n’est
(B12 ou acide folique).
lignées sanguines sont abaissées. Cela peut exister que lorsque la cirrhose s’aggrave, a fortiori quand
dans deux situations : apparaissent des complications avec signes de
Myélodysplasies
– toutes les cellules sont stockées exagérément coagulation intravasculaire disséminée, que la
¶ Mécanisme thrombopénie peut devenir plus menaçante. La
dans la rate, où leur durée de vie est alors souvent
Il s’agit toujours d’une dysmyélopoïèse, deuxième lignée atteinte est ensuite la lignée
écourtée : c’est l’hypersplénisme, situation fréquente.
c’est-à-dire de l’altération qualitative de la formation blanche, sans inversion de formule, comme nous
Dans ce cas, les lymphocytes sont « piégés » dans la
des différentes lignées myéloïdes : neutrophiles, l’avons vu. La leucopénie est d’autant plus basse que
rate, au même titre que les autres cellules sanguines.
hématies, plaquettes. Mais la cause n’est pas ici une la cirrhose est évoluée, sans préjuger des autres
Lorsque l’hypersplénisme est responsable d’une
carence en vitamine, d’où le terme longtemps utilisé mécanismes de leucopénie possibles. Il est rare
leucopénie, il n’y a pas d’inversion de la formule
d’« anémie réfractaire » (à la vitamine B12), mais une qu’elle soit responsable par elle-même d’une
leucocytaire (sauf si la maladie causale est
anomalie acquise des mitoses, en général en rapport infection. Enfin, l’anémie est plus rare (bien qu’il
elle-même responsable d’hyperlymphocytose). C’est
avec des altérations chromosomiques (activation existe toujours un phénomène d’hémodilution). Le
un signe assez évocateur, sauf s’il existe une cause
d’oncogènes). taux d’hémoglobine d’une cirrhose non compliquée
associée de lymphopénie (infection par le virus de
¶ Diagnostic l’immunodéficience humaine, corticothérapie est en général voisin de 12 g/dL, avec une
Ces insuffisances médullaires qualitatives, qui prolongée par exemple) ; macrocytose franche en cas d’éthylisme chronique
s’observent essentiellement chez le sujet âgé, – il existe une diminution de la durée de vie des (tableau IV). Là encore, les complications évolutives
lorsqu’elles sont responsables de pancytopénie, divers éléments figurés du sang, de façon vont favoriser l’anémie et transformer ce qui est le
correspondent le plus souvent à ce que l’on appelle simultanée, par un mécanisme immunologique : plus souvent une bicytopénie en pancytopénie. En
les « anémies réfractaires à excès de blastes », et sont dans ce cadre, les tricytopénies sont possibles, mais tout cas, malgré l’importance des cytopénies, une
en fait de réelles leucémies « pauciblastiques » qui tout à fait exceptionnelles, les bicytopénies moins splénectomie destinée à les corriger est inutile et
associent : rares, essentiellement au cours des maladies dangereuse.
– une pancytopénie avec une baisse des auto-immunes (lupus).
différentes lignées de façon très inégale d’une lignée En dehors de l’hypertension portale
à l’autre et d’un malade à l’autre ; ‚ Hypersplénisme L’hypersplénisme se voit surtout en cas de
– des anomalies qualitatives, visibles dans le franche splénomégalie, suffisamment importante en
sang et la moelle, qui s’observent suivant les Définition tout cas pour être palpable. Les pancytopénies les
malades sur le plan morphologique (PN dégranulés, Il s’agit du stockage accentué des cellules plus importantes se verront donc dans les maladies
macrocytes, sidéroblastes dans la moelle, sanguines dans la rate, soit qu’il y ait une franche de surcharge (maladie de Gaucher), dans la
mégacaryocytes à noyau dystrophique) ou augmentation du volume de la rate (splénomégalie splénomégalie myéloïde (où la numération formule
fonctionnel (déficit de la bactéricidie, allongement du cliniquement patente), soit d’un gradient de pression sanguine peut être modifiée par ailleurs [cf supra]),

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les lymphomes atteignant la rate (où une phase (donc avec moelle riche en mégacaryocytes)
leucémique peut entraîner une « inversion de correspond au syndrome d’Evans et se voit surtout Erreurs à éviter
formule leucocytaire »), les maladies auto-immunes dans le cadre du lupus systémique. Le diagnostic est ✔ Confondre pancytopénie et aplasie
et dans certaines infections (leishmaniose, paludisme orienté par l’existence d’un test de Coombs direct médullaire.
chronique, viroses). positif (souvent de type IgG + complément), parfois ✔ Confondre hyperlymphocytose et
aidé par une forte positivité d’un test de Coombs neutropénie avec inversion de
plaquettaire, et conforté par l’existence éventuelle formule leucocytaire.
Attention d’autres signes de lupus (cutanés, articulaires, ✔ Prescrire une corticothérapie
✔ Une pancytopénie qui se répare en rénaux...). devant une pancytopénie sans avoir
quelques jours sous corticothérapie La pancytopénie immunologique, où une vérifié sur le myélogramme l’absence
était peut-être une LAL à forme neutropénie auto-immune (objectivée par la mise en de leucémie.
aplasique. évidence d’autoanticorps antigranuleux) s’associe au
✔ Devant une pancytopénie sans syndrome d’Evans, est exceptionnelle et se voit dans
aucun monocyte : penser à une des maladies auto-immunes complexes (lupus ou – association, chez un malade lupique, d’une
« leucémie à tricholeucocytes ». maladies proches). thrombopénie par splénomégalie, d’une
✔ Devant une pancytopénie sans neutropénie due à un traitement par cyclophos-


inversion de formule : penser à un phamide au long cours, et d’une anémie
hypersplénisme. Pancytopénies de mécanisme mixte inflammatoire...

Elles ne sont pas rares. Par exemple : Cela est important à garder à l’esprit pour
‚ Bicytopénies et pancytopénies – anémie auto-immune et hypersplénisme ; interpréter, avec un raisonnement rigoureux, toute
immunologiques association de cytopénies, avant de se lancer
– anémie inflammatoire, neutropénie et throm-
L’association d’une anémie hémolytique (donc bopénie par hypersplénisme dans un lymphome de aveuglément vers la consultation du spécialiste et le
régénérative) et d’une thrombopénie auto-immune la rate ; myélogramme.

Philippe Casassus : Professeur de thérapeutique, responsable de l’unité d’hématologie du service du Pr Guillevin,


hôpital Avicenne, 125, route de Stalingrad, 93009 Bobigny cedex, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : P Casassus. Diagnostic d’une pancytopénie et d’une bicytopénie.
Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 4-0090, 1998, 4 p

Références

[1] Casassus PH, Le Roux G. Décision en hématologie. Paris : Vigot, 1990 : 1-411 [3] Najman A, Verdy E, Potron G, Isnard F. Hématologie. Paris : Ellipses, 1994 : 2
tomes
[2] Dreyfus B. Myélofibrose. Hématologie. Paris : Flammarion Médecine-
Sciences, 1984 : 526 -532 [4] Zittoun R, Samama M, Marie JP. Manuel d’hématologie. Paris : Doin, 1992

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