L'Europe Et La Question D'autriche (... ) Chéradame André bpt6k33651819
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QUESTION D'AUTRICHE
AU SEUIL DU XX' SIÈCLE
L auteur et les éditeurs déclarent réserver leurs droits de reproduction
et de traduction en France et dans tous les pays étrangers, y compris la
Suède et la Norvège.
L'EUROPE
r/r LA
QUESTION D'AUTRICHE
AU S l,', 0 IL IJ
D XXe SIÈCLE
Ouvrage accompagné
QUATRIÈME ÉDITION
PARIS
LIBRAIRIE PfcON
PLONNOURRIT ET O,, IMPRIMEURS-ÉDITEURS
ItUE GARANCIÈRE, 8
1U 06
Tous droits réservés
AUX
1866 (2) ; »
il explique que laisser aabaisser l'Autriche, c'est
faire le jeu de la Prusse » . Au lendemain de Sadowa, pré-
voyant que l'unité allemande sera cimentée dans le sang
français, il déclare : La France, sans se battre, vient
cc
«
Les premières années du vingtième siècle, dit-il, ver-
ront se dérouler, par l'effet des vicissitudes naturelles
dans la maison d'Autriche, un drame décisif, dont il est
aisé de prévoir dès aujourd'hui tout au moins le prologue
et les premiers actes. Le rôle de la France y est tracé
d'avance (4). »
Puis plus récemment, dans son discours de récep-
tion à l'Académie française (5), M. Paul Deschanel ne
se contente pas de faire l'éloge enthousiaste d'Édouard
Hervé, il donne à son pays l'avertissement suprême que
les hommes d'état courageux prononcent à l'instant qu'ils
sentent décisif : c Ah ' combien nous serions coupables
QUESTION D'AUTRICHE
AU SEUIL DU XX' SIÈCLE
CHAPITRE PREMIER
L'ÉVOLUTION POLITIQUE DE L'AUTRICHE
AU XIX' SIÈCLE.
§ 1.
— Les quinze années qui séparent les traités de
Vienne de l'année 1830 voient se dessiner, en Autriche, l'ac-
tion des idées de la Révolution française.
Déjà avant 1815, les Hongrois s'étaient passionnés pour
elles. Un des leurs, Bacsany, avait expié à Kufstein de neuf
années de forteresse le crime d'avoir traduit la Marseil-
laise. L'empereur des Français, avec son intelligence péné-
le CI
dualisme », lui-même, existait déjà en puissance,
puisque la Hongrie n'avait pas été convoquée aux délibé-
rations de l'assemblée réunie à Vienne. C'était donc dans
cette ville que se débattait le sort du reste de la monar-
chie. Palacky, l'historien tchèque, y soutenait les desi-
derata des fédéralistes. Il demandait en leur nom quatre
ministères pour la défense des intérêts communs à tout
l'empire la Guerre, la Marine, les Finances et les Affaires
:
aujourd'hui.
L'Autriche de 1815 est alors arbitrairement partagée en
deux régions : la Hongrie ou Transleithanie et l'Autriche
r
(1) Dr K. KRAMARSCH, Avenir de l'Autriche (Revue de Paris, 1ER fé-
vrier 1899, p. 581). Cet article fort remarquable est à lire en entier. Il a. ;
soulevé en son temps en Autriche une vive polémique, tant à cause de son
fonds que de la personnalité de son auteur : le Dr Kramarsch, un des leaders
du parti jeune-tchèque, était vice-président du Reichsrath pendant les fa'
meuses séances de l'obstruction allemande contre les ordonnances du comte
Badeni.
(2) Pour l'entière intelligence de ce passage relatif aux peuples cislei-
A peine le dualisme » fut-il établi que les Polonais pro-
«
testèrent. La déclaration de septembre 1868 est l'exposé de
leurs desiderata. « La Diète du pays nomme seule les dépu-
tés au Reichsrath. — Le gouvernement ne pourrra jamais
ordonner d'élections directes. — Les députés galiciens ne
prendront part aux délibérations du Reichsrath que pour
les affaires communes à la Galicie et aux autres pays cislei-
thans. — Les affaires commerciales du pays, les institutions
de crédit, les droits de cité et la police des étrangers, l'en-
seignement, la justice et l'administration rentrent exclusive-
ment dans la compétence de la Diète. — La Galicie aura
une cour de cassation. — Elle réclame un gouvernement
séparé, responsable devant la Diète, et un ministre respon-
sable. "
Ces revendications parvinrent à Vienne à un moment très
favorable. En raison de sa situation excentrique dans l'em-
pire, peu d'Allemands résident en Galicie (1). Le maintien
d'une administration allemande dans cette région offrait
en soi un faible intérêt; céder, constituait au contraire un
acte de très habile politique. Alors uniquement représentés
par des aristocrates, hostiles à la Russie, les Polonais étaient
par suite peu disposés à sympathiser avec les autres Slaves
cisleithans tous russophiles. D'intelligentes concessions du
pouvoir central pouvaient donc creuser l'abîme entre ces
derniers et les Polonais. A Vienne, on n'hésita pas, et si
l'on n'accorda point à la Galicie absolument tout ce qu'elle
demandait, on lui octroya une très. large autonomie. Les
Polonais acquirent ainsi une place exceptionnellement
avantageuse en Autriche. De ce jour, toute leur politique
eut pour objectif de la conserver. C'est ce qui explique
pourquoi ils sont devenus les alliés des Allemands et sont
thans, il est nécessaire d'avoir sous les yeux la carte de " l'Autriche vraie »
placée à la fin du volume.
(1) On ne compte actuellement en Galicie que 230,000 Allemands, soit
3.5 pour 100 de la population totale. AUERBACH, les Races et les Nationa-
lités en Autriche-Hongrie, p. 179, Alcan, Paris, 1898.)
restés pendant de longues années les fermes soutiens du
"
centralisme » viennois.
L'évolution naturelle des choses a modifié ce point de
vue tout récemment. L'adoucissement du régime russe,
apporté à Varsovie par le prince Iméretinsky (1), a comcidé
avec le redoublement de rigueur du traitement que le gou-
vernement de Guillaume II impose aux Polonais du grand-
duché de Posen; l'hostilité des Polonais de Galicie s'est
trouvée ainsi orientée, moins contre Pétersbourg que contre
Berlin, et le « germanisme » leur est apparu désormais
comme l'adversaire vraiment irréductible de leur nationa-
lité; dans le même temps, la représentation polonaise
au
parlement de Vienne devenait plus accessible aux idées
démocratiques ; enfin, l'autonomie de la Galicie était si
fortement établie que sa restriction n'était plus à craindre.
Ces causes concordantes ont amené les députés polonais à
faire alliance avec les autres Slaves cisleithans et les Alle-
mands vraiment libéraux pour former au Reichsrath cette
majorité fédéraliste qui a maintenu au pouvoir le comte
Badeni et le comte Thun.
L'adhésion des Polonais au programme autonomiste des
autres Slaves est d'une grande importance. Sans doute, au
point de vue purement parlementaire, cette adhésion
ne
présente pas un caractère de stabilité absolue. Le club
po-
lonais comprend encore des membres fort imbus des vieilles
idées aristocratiques, restés très influents,
qui ne se mon-
trent pas toujours disposés à suivre les Tchèques lorsque
la tactique de ceux-ci comporte l obstruction bruyante.
Cette considération est d ailleurs secondaire. Ce
qui importe
pour l 'avenir, ce ne sont pas les combinaisons éphémères
du Parlement, mais l'entente du peuple polonais de
« »
Galicie avec les autres peuples slaves de la Cisleithanie.
cc »
Or, toutes les manifestations des dernières années tendent
désir de tous les Slaves est que les Polonais agissent con-
formément à cette devise dans toutes leurs actions politi-
ques. » On verra plus loin (2) que la communauté des
intérêts économiques ne peut que confirmer l'union des
Polonais avec les autres Slaves cisleithans.
Les Ruthènes, eux, sont dans une situation très particu-
lière. La concession de l'autonomie aux Polonais, les ayant
soustraits à l'administration allemande, c'est à l'adminis-
tration polonaise que s'adressent maintenant toutes leurs
réclamations. Elles se présentent d'ailleurs dans des condi-
tions particulièrement délicates, car si les Ruthènes occu-
pent la presque totalité des districts ruraux de la Galicie
orientale, les Polonais ont la majorité dans les villes. Cette
curieuse répartition ethnographique amène les Ruthènes à
demander aux Polonais l'octroi d'une autonomie d'un type
(1) Leopol se dit : Lemberg en allemand, Lwow en polonais, Lwiw en
ruthène.
(2) Voir p. 148 et suivantes.
tout spécial et encore mal défini. Il y a bien là une confir-
mation de la force des idées fédéralistes dans cette partie de
la Cisleithanie, mais il en résulte en même temps que la
«question » ruthène n'est pas directement influencée par la
prépondérance plus ou moins grande du germanisme » à
ie
Vienne.
Les Roumains qui occupent le sud de la Bukovine sont
dans le même cas. Malgré leur faible nombre, ils sont par-
venus cependant à envoyer au Reichsrath cinq députés. On
ne saurait toutefois les considérer comme « fédéralistes »,
car leur secret désir est de se séparer de l'Autriche pour se
réunir à la Roumanie. Le gouvernement de Vienne combat
de son mieux ces tendances ; dans ce but, il a établi à
Czernowitz « une université allemande qui constitue sur la
frontière russe le dernier jalon de la civilisation germa-
nique ".
On retrouve ces idées séparatistes chez les Italiens du
Trentin, de l'Istrie et du Littoral. Des faits topiques révè-
lent leur intensité.
En avril 1899, le roi Humbert, donnant audience à des
fonctionnaires, adresse à chacun d'eux quelques mots aima-
bles. M. Lovisati, professeur de minéralogie, défile devant
le roi.
— De quel pays êtes-vous? lui dit Humbert.
— Je suis, répond le professeur, d'un pays qui désire
ajouter un nouveau joyau à la couronne de Votre Majesté.
— Que voulez-vous dire?
— Je suis de Trieste, ville qui ne perdra jamais une occa-
sion de s'affirmer italienne.
En effet, lors des récentes funérailles du roi d'Italie, la
représentation municipale de Trieste a fait déposer sur le
cercueil une couronne portant cette inscription Triest
:
—
Al suo re, et le club vélocipédique de Zara a adressé
au
ministère italien un télégramme où il parlait de la Dalmatie
— lembo di terra italiana.
Ces sentiments séparatistes paraissent justifiés surtout par
des considérations sentimentales. Les Italiens d'Autriche
ont plutôt à se louer du gouvernement de Vienne, qui
montre d'assez grands égards pour leurs droits nationaux,
non pas sans doute par raison d'équité, mais comme consé-
quence d'un calcul politique qui rappelle l'astucieuse tac-
tique de l'ancienne république de Venise. La bureaucratie
centraliste admet en effet qu'il faut faciliter l' « italianisa-
tion » de l'Istrie et de la côte dalmate, parce qu'elle espère
qu'en opposant les Italiens aux Slaves du sud, possesseurs
naturels du sol, Latins et Slaves se neutraliseront récipro-
quement et qu'un jour les Allemands pourront plus facile-
ment s'implanter dans le pays.
Les Slovènes se trouvent ainsi avoir à lutter au nord
contre les Allemands et au sud contre les Italiens. Plus
favorisés, les Serbo-Croates n'ont que ces derniers comme
adversaires. Tous ces Slaves, en grande majorité paysans
ou montagnards peu fortunés, ont eu à vaincre des difficultés
sans nombre avant de parvenir à s'organiser. Après 1867,
ils l'étaient cependant suffisamment pour protester contre
la centralisation allemande. Depuis, leurs progrès ont été
continus. Ils ont conquis de haute lutte la majorité à la
Diète et au conseil municipal de Ljublania (Laybach) et
possèdent maintenant vingt-quatre représentants au parle-
ment de Vienne. Ces succès électoraux n'ont arraché au
pouvoir central que des concessions minimes et peu nom-
breuses en 1880, le baron Prajak, d'ailleurs de nationalité
:
Par suite de la guerre faite contre In folge des gegen unsere Wiins-
notre volonté par l'empereur d'Au- che vom Kaiser von Oesterreich her-
triche, nous arrivons sur le sol de beigefiihrten Krieges, betreten wir
votre patrie, non pas en ennemis nicht als Feinde und Eroberer, son-
et en conquérants, mais avec l'en- dent mit voiler Achlung für Euere
tier respect de vos droits histori- historischen und nationaleii Rechte
ques et nationaux. Eueren Ileimatlicllen Boden.
Ce n'est pas la guerre avec ses dé- Nicht Krieg und Verheerung, son-
sastres, mais les ménagements et dern Schonung und Freundschaft
notre amitié, que nous offrons à tous bieten wir allen Einwohnern ohne
Émanant d'un Hohenzollern, ce document suffirait à
lever tous les doutes, mais il en est un plus décisif encore;
l'empereur François-Joseph, le principal intéressé à s'op-
poser aux réclamations des Tchèques, en a lui aussi admis
le bien fondé, dans des circonstances qui ne laissent aucune
place à l'équivoque. Le concert de réclamations qui, après
1867, s'éleva en Cisleithanie contre le « dualisme Il finit
par émouvoir le souverain. L'injustice du nouveau régime
lui apparut enfin avec assez d'évidence pour qu'il se décidât
à entrer dans la voie du fédéralisme i) en donnant, pour
c(
Cette période fut pour les Tchèques une des plus dou-
loureuses de leur histoire ; leurs efforts toutefois n'étaient
point complètement perdus, puisqu'ils avaient eu pour
résultat d'établir d'une façon péremptoire la légitimité des
droits du royaume de Bohême (1).
Glanzes und der Macht bewusst, welche dieselbe Uns und Unseren Vor-
fahren verliehen hat, eingedenk ferner der unerschiitterlichen Treue, mit
welcher die Bevôlkerung Bohmens jederzeit Unselen Thron stiitzte, erkennen
wir gerne die Rechte dieses Konigreiches an und sind bereit diese Aner-
kennung mit Unserem Krônungseide zu erneuern...
(1) Sur le droit d'État de la Bo'aème, consulter Das bôhmische Staatsrecht,
du Dr K. Kramarsch Imprimerie de la Zeit
Il », Vienne, 1896.
Leur courage domina le malheur. Avec une admirable
ténacité, ils se remirent à l'œuvre, perfectionnant leur
organisation pour la lutte nationale et s'attachant surtout à
développer l'esprit de discipline politique. Ils ont ainsi
réussi à rendre plus absolue l'union morale de la nation
bohême et à contraindre le gouvernement de Vienne à leur
faire quelques concessions.
La liste en est courte.
En 1882, à la suite d'incessantes réclamations, l'empe-
reur les a autorisés à établir à Prague une université
tchèque. Autre avantage plus mince mais qui demanda
cependant trois années de luttes, de 1893 à 1896, les
Tchèques ont obtenu que les plaques des rues de Prague
fussent rédigées en langue bohème (1). Enfin, en avril 1897,
le comte Badeni publia les fameuses ordonnances sur l'em-
ploi des langues en Bohême et en Moravie.
Cette réforme, autour de laquelle on a fait tant de bruit,
n'était en réalité qu'un commencement d'application de
l'article 19 de la Constitution de 1867 proclamant l'égalité
des langues. (V. page 16.) Les ordonnances ne faisaient
donc que rendre aux Tchèques un fragment de leur droit
national. Leur objet était de remédier à des abus très évi-
dents. En substance, elles disaient :
«
A toute réclamation adressée aux ministères de l'inté-
rieur, des finances, du commerce, de l'agriculture, aux
autorités judiciaires, il sera répondu dans la langue de cette
réclamation.
Les actes officiels seront rédigés dans la langue des
«
destinataires.
Les autorités devront communiquer avec les communes
cc
i(
Le gouvernement de l'empire allemand a dû éviter
toute apparence d'immixtion dans les affaires intérieures de
son allié; il a dû, à cause de l'alliance existante, garder cette
réserve, même quand les intérêts de la race allemande ont
été sacrifiés à la politique intérieure de l'Autriche. Il est
vrai que ces égards ont leurs limites. Ces limites viennent
d'être franchies par la partie adverse. L'alliance austro-
allemande est basée sur les fondements allemands de ces
deux États qui, autrefois, étaient unis par la Confédération
germanique. Aujourd'hui, cette condition importante du
traité d'amitié n'existe plus. On a conclu l'alliance austro-
allemande contre les agressions franco-russes, donc contre
toute action antiallemande du continent européen. Le ca-
ractère de l'alliance a changé et notre diplomatie ne peut
plus se dissimuler que la valeur de cette union est devenue
nulle. On ne peut pas demander à l'Allemagne de
presque
confier à une Autriche slave la mission de sauvegarder l'em-
la Russie, dans le d coup de main fran-
pire contre cas 'un
çai&. Le moment est venu où l Allemagne doit sortir de la
réserve. Aussi, tout fait croire que de Berlin on a envoyé des
conseils amicaux à Vienne.
Comme voisins, nous ne saurions tolérer que la Bohême,
«
la Moravie et la Silésie deviennent des pays slaves, et nous
devrons prendre fait et cause pour nos compatriotes, ce dont
le moment empêchés par le traité qui
nous sommes pour
nous lie à l'Autriche, pays soi-disant allemand. Le jour où
cet empêchement disparaîtrait, une politique active du côté
de l'Allemagne s'impose, ne fût-ce que pour se garer de
l'alliance franco-russe. Nous sommes vivement intéressés
aux troubles intérieurs de la puissance danubienne, et il
ne nous est guère permis de rester des spectateurs impas-
sibles, à moins que le gouvernement autrichien ri abandonne
en dernière heure sa funeste politique, qui a mis l'empire
des Habsbourg dans une situation grave, qui ne tardera pas
à faire naître des complications nationales au delà des fron-
tières de l'empire (1). »
Cet article fut-il inspiré par la chancellerie de la Wilhelm-
strasse? Fut-il simplement l'oeuvre d'un observateur bien
informé? Ce qui est certain, c'est qu'il parut en juillet 1899.
Or, le mois suivant, M. de Bülow se rencontrait à Sem-
mering avec le comte Goluchowski ; M. de Hohenlohe
voyait ensuite François-Joseph à Ischl, et, quelques semaines
plus tard, on apprenait que le comte Thun avait dû remettre
sa démission à l'empereur, bien qu'il disposât toujours de la
majorité au Reichsrath. Il était aussitôt remplacé par un
ministère de fonctionnaires qui, le 17 octobre, abrogeait
les fameuses ordonnances.
L'enchaînement de ces faits présente, on l'avouera, un
intérêt singulier. Le moins qu'on puisse faire est de cons-
tater que, conformément à ce qu'annonçait la Gegenwart,
Berlin a envoyé à Vienne des « conseils amicaux Il et que
François-Joseph a abandonné en dernière heure sa funeste
CI
(1) Cité par les Questions diplomatiques et coloniales, 1er août 1899,
p. 433.
si persévérants. Cependant, dans ce cas des ordonnances,
ileur droit était indéniable. Le 2 janvier 1899, la Cour de
cassation du royaume de Bohême l'a constaté juridique-
ment. D'après son arrêt rendu à cette date, les ordonnances
sur les langues ont été promulguées conformément au droit
de l'État, et les plaideurs sont fondés à considérer la langue
tchèque, aussi bien que la langue allemande, comme idiome
du royaume de Bohême.
Le peuple tchèque, malgré sa prodigieuse renaissance,
souffre donc encore d'une injustice notoire. Les revendica-
tions qu'il formule, par l'entremise de ses représentants
autorisés, sont cependant d'une modération singulière.
Que répondre quand le député Horitza vient dire au parle-
ment de Vienne : "Les quarante-quatre mille Allemands de
Prague (1) possèdent cinquante-six écoles primaires et secon-
daires. Les soixante-trois mille Tchèques qui, officielle-
ment, vivent à Vienne (2) n'ont ni droit, ni loi, et pas une
seule fois la loi sur les écoles populaires n'a été appli-
quée (3). »
Que dire de cette loi électorale dontle fonctionnement est
réglé de telle sorte qu'à Brno (Brunn), où plus de la moitié
de la population est tchèque, la municipalité est exclusive-
ment allemande?
Ce ne sont là que des exemples d'injustices. Aussi conçoit-
on que l'abrogation des ordonnances sur les langues ait dé-
terminé chez les Tchèques une amertume profonde. La dou-
leur s'est manifestée dans tout le royaume. Parmi les innom-
§ 3.
— Les « faits » de l'histoire marquent avec une force
extrême la progression du développement des nationalités
non allemandes de la Cisleithanie. Cette seule constata-
tion ne saurait suffire toutefois à dégager les caractères
essentiels de l'évolution politique de l'Autriche ; il faut
encore auparavant s'être rendu compte de l'action exercée
par l'avènement des Slaves à la vie publique sur la dynastie
des Habsbourg, en la personne de François-Joseph, et sur
ses sujets allemands.
Cette influence sur le monarque autrichien a été beau-
coup plus profonde qu'on ne l'admet généralement. Les
variations mêmes de François-Joseph en sont la preuve.
Élevé dans les principes du plus pur absolutisme »,
«
prenant le pouvoir au milieu de difficultés presque inex-
tricables causées par les revendications populaires (1848),
il n'était porté ni par son éducation ni par les circonstances
à comprendre ses peuples. Cependant, malgré ces conditions
défavorables, François-Joseph a évolué.
Après la guerre d'Italie, il s'engage dans la voie constitu-
tionnelle, et s'il ne la suit pas avec une constance absolue,
c'est qu'il reste victime de deux influences contradictoires,
qui se combattent encore en lui-même et qui, selon toute
vraisemblance, le troubleront jusqu'à la mort.
Chef de l'antique maison des Habsbourg, le souvenir des
temps où elle dominait le monde germanique l'oppresse. Au
fond de son âme, il considère son expulsion de la confédé-
ration des princes allemands comme l'événement le plus
douloureux de son règne et, dans l'excès de ses regrets, il
oublie parfois de servir uniquement l'intérêt moyen des
peuples si divers dont il a la charge.
Les deux conceptions de son rôle, entre lesquelles il peut
choisir, s'imposent à lui tyranniques et cependant restent
contradictoires; prince allemand, François-Joseph doit sou-
tenir dans son empire la cause du « germanisme » ; il est
alors partisan du « centralisme » et, par leurs conséquences,
Sadowa et Sedan font de lui un satellite de Berlin ; monar-
que autrichien, il ne voit que la multiplicité des peuples
qu'il gouverne et ses sentiments d'équité naturelle l'in-
,
clinent au " fédéralisme , réveillant en lui le désir su-
prême de se soustraire à la tutelle humiliante des Hohen-
zollern.
Ces deux compréhensions si opposées de ses devoirs
triomphent tour à tour chez François-Joseph; elles déter-
minent ces revirements subits, inexplicables pour quiconque
n'a pas compris la lutte qui s'est engagée dans l'esprit de
l'empereur.
Avant 1867, il penche déjà vers le « fédéralisme ». L'in-
fluence germanique de de Beust l'arrête et le détermine à
établir le régime « dualiste i, qui n'est qu'un dédouble-
,
ment du CI
centralisme ,. Les plaintes de ses peuples
s'élèvent persistantes et lui montrent qu'il s'est trompé.
En 1871, il tente de nouveau de leur donner satisfaction;
l'initiative hardie de Bismarck l'empêche de laisser libre
cours aux sentiments équitables qui le poussent. Il s'aban-
donne même et, en 1879, lui, le vaincu de Sadowa, signe
avec son vainqueur un intime traité d'alliance. Jusqu'à la
chute du Chancelier de fer, il conserve cette attitude humi-
liée. Puis, la surveillance berlinoise se relâche peut-être ;
partout les progrès des Slaves se manifestent; François-
Joseph est frappé de voir des hommes comme le prince
Lobkowicz, le comte Pallfy, ses amis d'enfance, se rallier
ouvertement à la cause tchèque ; de nouveau, il incline vers
le fédéralisme ,. Il appelle le comte Badeni aux affaires
(1
§ 1.
— Les modifications profondes qui se sont produites
en Autriche depuis 1867 amènent à considérer cet empire
sous deux aspects.
L'un est celui que le pacte dualiste a donné officiellement
à la Cisleithanie. Les cartes courantes des atlas intitulées
ci
l'Autriche-Hongrie » le représentent. On y voit la Cislei-
thanie divisée en provinces, Haute et Basse-Autriche, Styrie,
Carinthie, Galicie, etc., offrant toutes les apparences d'un
État unitaire et centralisé.
Tant que le régime centraliste allemand fut appliqué à
toutes les populations slaves, cette carte fut bien une ex-
pression relative de la vérité, mais après qu'une large auto-
(1) Die Deutschen in Oesterreich sind auch ein Teilvolk geworden wic
die anderen. — F. NAUMANN. Deutschland und Oesterreich, p. 15.
—
Verlag der Hilfe », Schoneberg-Berlin, 1900.
cc
(2) Idem.
(3) « Ohne Slaven..., gibt es keine Majoritiit im Abgeordnetenhause. »
Cité par la Politik. Prague, 7 novembre 1899.
(r.) Oesterreich ist nicht mehr deutsch...
— Oesterreich als Eillheitsstaat,
p. 10. — Deutschvolkischer Verlag « Odin » , Munich, 1900.
nomie eut été concédée à la Galicie, que les Slovènes, les
Serbo-Croates, les Ruthènes, les Italiens et surtout les
Tchèques en eurent arraché quelques fragments au gou-
vernement de Vienne, depuis surtout que le fédéralisme Il
et
1
(1) Dr KRAMARSCH, l'Avenir de l'Autriche, ci
Revue de Paris, » 1ER fé-
vrier 1899, p. 584.
centraliste, expédient de 1867, instrument d'injustice, destiné
à prolonger l'hégémonie allemande, progressivement dégradé
par son arbitraire même, aujourd'hui d'un fonctionnement
impossible, sera-t-il ou non remplacé par un régime fédéra-
liste qui satisfasse les divers éléments nationaux, comme celui
qui fonctionne dans la Confédération helvétique, où trois
peuples différents vivent dans la plus parfaite harmonie ?
Ce qui précède a déjà permis de constater la progression
des idées fédérales. Il faut connaître la rapidité de leur
croissance et en évaluer les forces.
Le tableau intitulé : les Partis nationaux en Autriche,
d'après leur représentation au Reichsrath de Vienne (1),
permet de faire cette évaluation avec une précision mathé-
matique. Suivant ce tableau, basé sur les élections au
Reichsrath depuis 1873, le nombre des députés allemands
non fédéralistes a diminué constamment, celui des Alle-
mands fédéralistes s'est au contraire maintenu, tandis que
le chiffre des députés slaves, donc fédéralistes, a augmenté
sans interruption.
Ces résultats sont d'autant plus frappants que la loi élec-
torale autrichienne, malgré ses modifications successives,
reste un chef-d'œuvre d'arbitraire destiné à favoriser les
Allemands. Un exemple suffira à en établir la monstrueuse
injustice.
Actuellement, grâce à cette loi, neuf millions d'Allemands
parviennent à avoir 205 députés, tandis que quinze millions
de Slaves n'en obtiennent que 196. La raison de cette
étrange anomalie est simple. Dans le Vorarlberg, province
«ilemande, 38,000 habitants ont un député, tandis qu'en
Galicie, région slave, il faut 165,000 habitants pour avoir
droit à un représentant au Reichsrath.
LE PANGERMANISME
L'IDÉE PANGERMANISTE
§ 1.
— Est-il d'ailleurs certain que le Pangermanisme,
même jadis, ait été un rêve sentimental? On peut en dou-
ter. Ses plus lointaines manifestations, belliqueuses ou con-
quérantes, décèlent sa nature prussienne et le font appa-
raître simplement comme un moyen commode de dissimuler
les entreprises de la politique berlinoise. C'est qu'en fait
le Pangermanisme ne vise pas simplement les pays où vivent
des Germains, mais les régions dont la possession est utile à la
puissance prussienne, Ainsi, de tout temps, l'Autriche, où les
Allemands ne sont qu'une faible minorité, a été l'objet des
convoitises pangermanistes. Dès 1859, la Gazette d'Augs-
bourg en donne la raison avec la plus grande netteté "Nous
:
r
de la Confédération, si ce n'était pas Autriclze qui fût le
légitime possesseur de ces pays non allemands, la nation alle-
mande devrait en faire la conquête à tout prix, parce qu'ils
sont absolument nécessaires pour son développement et sa
position de grande puissance. »
Une déclaration aussi catégorique établit que l'identité
de langue et de race, généralement donnée comme la raison
d'être du Pangermanisme, n'est qu'un simple prétexte; les
avantages militaires, politiques ou économiques sont ses
seuls éléments constitutifs. C'est en vertu de cette théorie de
la conquête pour cause d'utilité que la Prusse a fait recon-
naître « par le parlement de Francfort, comme territoires
allemands, ses provinces orientales, qui en réalité sont
slaves (1) » ; que plus tard, dans l'affaire des duchés, après
avoir invoqué le principe des nationalités, elle s'est emparée
de (1
la partie septentrionale et purement scandinave du
Schleswig (2) " et qu'en 1844 le futur maréchal de Moltke
,
trouvait naturel d'écrire: Nous espérons que l'Autriche (3)
(1
§ 2.
— Le roi de Prusse, son souverain, partageait les
mêmes vues et fit tout pour en préparer la réalisation : on
a vu plus haut (page 26) qu'en 1866 il adressa une procla-
mation au glorieux royaume de Bohême , dans laquelle
(c ,
il invitait les Tchèques à se prononcer en sa faveur et s'enga-
geait formellement, en échange, à respecter les droits de la
couronne de saint Venceslas.
(1) DEBIDOUR, Histoire diplomatique de l'Europe, t. II, p. 67. Alcan,
Paris, 1891.
(2) Op. cit., p. 273.
(3) A cette époque l'expression « Autriche - désignait toute l'Autriche-
Hongrie actuelle.
(4) « -'Pir lioffen, dass Oesterreich die Rechte und die Zulmnft der Donau-
landfr wahren und Deutschland endlich dahin gelangen werde, dit, Mun-
dungen seiner grossen Strome zu befreien. » VON MOLTKE, Schrifien, t. II,
p. 313.
En pleine renaissance nationale, les Tchèques, bien
inspirés par Julius Gregr, repoussèrent une offre qui les
aurait soumis de nouveau au joug du « germanisme « Le
.
roi Guillaume ne s'inclina pas devant cet échec, et avant de
signer le traité de Prague, il voulut encore réclamer de
François-Joseph la cession de la Bohême. Son ministre Bis-
,
marck l'en détourna. Le futur Chancelier préparait déjà la
guerre contre la France; il ne voulait pas s'aliéner irrémé-
diablement l'Autriche, dont il désirait la neutralité, et
qu'il espérait enchaîner plus tard à l'Allemagne par une
alliance (1). Après 1871, il se félicita de sa réserve. La
force de résistance des Tchèques se manifesta; le loyalisme
des sujets allemands des Habsbourg apparut longtemps
inattaquable; l'auteur du Kulturkampf vit dans leur catho-
licisme un danger, et, comme chancelier, il sut mieux que
personne quelles complications inévitables susciterait en
Europe toute annexion réalisée par l'Allemagne aux dépens
de l'empire de François-Joseph.
Ces considérations dictèrent la conduite du prince de
Bismarck. Même après sa chute du pouvoir, il ne cessa
de décourager les tendances pangermanistes. A la fin
de 1897, une association organisa des manifestations anti-
autrichiennes sur le sol de l'empire allemand; le solitaire
de Friedrichsruh aussitôt fit déclarer par les Nouvelles de
Hambourg (2), son organe favori it A Leipzig, l'Alldeut-
:
(1) Il'" Ich versichere, wenn mir Ober — und Niederosterreich morgen
angeboten wurden, wiirde ich sie ablehnen. Sie sind zu weitab. Wenn Prag
une Wien die P!âtze wechseln konnten, wiirde ich nicht nein sagen. » Cité
par la Deutsche Zeilung du 6 août 1898 et par les Alldeutsche Blàtter du
21 août 1898.
triomphes de l'expansion économique et coloniale, succé-
dant à ceux des champs de bataille, les Allemands ont
perdu leur modération de jadis, et l'exaltation de leur su-
prématie sous toutes les formes est devenue le thème cou-
rant de leurs écrivains. « Nous sommes, dit l'un d'eux, les
meilleurs colons, les meilleurs matelots et même les meil.
leurs marchands... Nous sommes le peuple le plus intelli-
gent, le plus élevé dans les sciences et dans les arts... Nous
sommes, sans aucun doute, le peuple le plus guerrier de
la terre (1). »
Bientôt, la fondation de l'empire allemand apparut
comme le commencement et non comme la fin du déve-
loppement national (2). On admit avec Paul de Lagarde
que 1871 de même que Sadowa étaient de simples épisodes
historiques (3). Sans doute, jusqu'à présent, les Hohenzol-
lern ont accompli une tâche immense, mais il leur reste
encore beaucoup plus à faire (4).. On conclut : Il faut main-
tenant continuer l'œuvre de Guillaume Ier (5). Des ambi-
tions nouvelles, vagues mais impérieuses, s'emparèrent
donc des Allemands.
En 1892, une curieuse brochure, intitulée : Un Empire
allemand universel (6), commença à les préciser. Trois mys-
térieuses étoiles tiennent lieu de signature à ces pages qui,
relues aujourd'hui, semblent avoir été prophétiques. Elles
établissent combien les idées pangermanistes étaient encore
indécises dans le public allemand il y a seulement neuf
années ; elles permettent de mieux apprécier l'étonnante ra-
(1) F. BLEY, Die Weltslellung des Deutschtums, p. 21. Lehmann,
Munich, 1897.
(2) Idem.
(3) Paul DE LAGARDE, Deutsche Scliriften, p. 113. Dieterich, Gottiogen,
1892.
(4) Deutschland bei Beginn des 20. Jahrhullderts, p. VII. Milit.ar-Verlag
R. Félix, Berlin, 1900.
(5) G. WALDERSEE, Was Deutschland braucht, p. 15. Thormann, Berlin,
1895.
(6) Ein Deutsches Weltreicli. Llistenoder, Berlin, 1892.
pidité de leur développement. « Avant 1870 (7), dit l'auteur
anonyme, un but sublime s'offrait à nous :
refaire l'empire
allemand. Aujourd'hui, nous sommes divisés sur l'orienta-
tion à prendre. Les uns se contentent de conserver honora-
-
(1) Passim.
(2) « Die Machtvermehrung, die nun in erster Linie geboten ist, ist auf
dem Gebiete einer Einigung aller deutscher Stammesgenossen zu suchen. »
Op. cit., p. 7.
(3) " Ein solches Bestreben soll auch Regierungsseits nicht bekâmpft
werden, so lange es sich in den richtigen Grenzen hait. » Op. cit., p. 8.
(4) « Moge dieser Weltenkampf nicht zu fruhe kommen, damit wir
unsere Vorarbeit alldeutscher Einigkeit verrichtet haben... » Op. cit.,
p. 10.
dérés. Soyons donc prévoyants. La diplomatie nous aidera
en disposant favorablement l'échiquier européen. La réus-
site de nos projets exige l'affaiblissement de la puissance
russe, le renforcement de la Turquie, et s'accommode fort
bien de l'occupation anglaise en Égypte.
/(
N'ayons point d'idées préconçues sur la manière défini-
tive de réaliser le Pangermanisme. Nous en sommes encore
à la période des conjectures. Notre tâche actuelle (1892) con-
siste à présenter comme but suprême à tous les Germains,
sans distinguer s'ils sont hauts ou bas Allemands, la création
d'une Confédération germanique semblable à celle des anciens
jours. "
Le mystérieux auteur d'Ein Deutsches Weltreich dégage
sous sa forme nouvelle l'idée de la Grande-Allemagne,
de la « Pangermanie ». Il ne cache pas les difficultés d'une
propagande essentiellement délicate, mais, avec beaucoup
d'art, il invite le gouvernement à ne pas s'en effrayer : on
fera preuve d'habileté, ajoute-t-il; les efforts seront con-
tenus dans de justes limites (in den richtigen Grenzen) ; on
agira progressivement jusqu'au moment où les batteries
pourront être démasquées sans danger; alors l'Europe se
trouvera en face d'une situation préparée dans les moindres
détails, contre laquelle elle sera impuissante.
Sous l'influence de ces idées, un nouveau courant d'opi-
nion s'établit. Le toast prononcé à Vienne le 29 sep-
tembre 1894, devant une assemblée de savants allemands,
par le conseiller privé, professeur Dr. J. Wislicenus, rec-
teur de l'Université de Leipzig, en montra nettement
l'esprit : « L'empire allemand n'est pas l'Allemagne. Vrai-
ment et positivement, l'Allemagne est aussi grande que le
pays où résonne la langue allemande... Si l'Allemagne était
l'empire allemand, elle serait trop petite (1). p
(1) « das Deutsche Reich ist nicht Deutschland. Deutschland ist wir-
...
klich und wahrhaftig so gross, so weit die deutsche Zunge klingt... "rare
Deutschland nur das Deutsche Reich es ware zu klein. »
Les tendances nouvelles étaient déjà assez fortes pour
qu'une société l'Union pangermanique » (Alldeutscher
CI
Il
C'est une erreur fatale, qui est aussi fréquemment com-
mise parles Allemands d'Autriche, de croire que l'empereur
François-Joseph est un ami du Il germanisme » du Il germa-
,
nisme " autrichien (2). « Il n'y a là qu'une légende (3). »
11
«
Visiblement l'alliance avec l'Autriche-Hongrie n'a été fidè-
lement observée que d'un seul côté. Lorsque Bismarck l'a
conclue, l'Autriche était encore allemande (4). »
Ces récriminations restèrent sans effet. Le Il Slavisme »
était sur la voie du succès; il fallait à tout prix l'arrêter. En
minorité au Reichsrath, les Allemands d'Autriche ne purent
obtenir par eux-mêmes le retrait des ordonnances. Le
gouvernement de Berlin dut se résoudre à intervenir. On
sait déjà (voir page 33) à la suite de quels incidents Fran-
çois-Joseph sacrifia le comte Thun et fit abroger les ordon-
nances (octobre 1899).
Une fois de plus, la politique prussienne triomphe; mais
la chancellerie de la Wilhelmstrasse ne se fait aucune illu-
sion sur sa victoire. Elle-même la considère comme un
expédient, sachant fort bien que l'Autriche a cessé d'être
une puissance allemande. Aussi, sa grande préoccupation
est-elle de trouver une combinaison nouvelle susceptible
d'arrêter les progrès des Slaves. Les Pangermanistes inter-
viennent alors. « Si, à l'origine, la maison des Habsbourg
a partiellement réussi à germaniser les territoires qui appar-
II
COMMENT LES PANGERMANISTES JUSTIFIENT LEUR THÈSE
ist ein unverletzbares Glied unseres Volkstums, das wir retten mnssen... »
K. PROLL, Die Kàmpfe der Deutschen in Oesterreich, p. 11. Lustenoder,
Berlin, 1890.
(2) c<
Gegen die Habsburgische Gewaltpolitik gibt es also nur ein Gegen-
mittel, nâmlich Grossdeutsche Gewaltpolitik. Die Deutsche Politik der
Zukunft, » p. 9. Deutschvolkischer Verlag Odin », Munich, 1900.
C<
(3) « Aber selbst wenn die Tschechen nicht ihrer Natur nach Todfeinde
und Angreifer des Deutschen Reiches waren, miissten wir trotzdem eine
'%Viedererwerbung Deutschosterreichs erstreben aus dem einfachen Grunde,
weil uns Oesterreich von der Adria trennt. Die Deutsche Politik der
C<
,
Zukunft, » p. 9. Deutschvolkischer Verlag « Odin , Munich, 1900.
(4) "... das Deutsche Reich muss Deutschossterreich erobern... " op.
cit., p. 12.
(5) « Das Deutsche Volk kannsich nicht vom adriatischen Meereabdriin-
gen lassen, ohne iiberhaupt seinen Anspruch auf die Stellung einer Gross-
macht verloren zu geben. » Gross-Deutschland, Deutschvolkischer Verlag
p. 10. « Odin », Munich, 1900.
(6) V. Dr MEHRMANN, Deutsche Welt-und Wirtschafts-Politik, p. 56.
Deutschvolkischcr Verlag « Odin», Munich, 1900.
ment, elle a atteint un degré tel que tout le monde recon-
naît l'impuissance du marché indigène à absorber la pro-
duction (1). Sans doute, le courant de l'émigration allemande
se dirige vers le sud-ouest, mais la porte n'est pas suffisam- ~
§ 3.
— L'aveu brutal d'ambitions aussi désordonnées dé-
concerte tout d'abord, et l'on se demande si elles ne sont
pas simplement provoquées par quelque cas de mégalo-
manie maladive. L'état d'esprit que manifeste depuis peu
le public allemand fait malheureusement écarter cette
hypothèse (4). Il établit qu'il faut au contraire attacher
de l'importance même aux manifestations pangermanistes
les plus extravagantes, puisqu'on les accueille outre-Rhin
comme des projets tout naturels.
Les arguments employés par les Pangermanistes pour
démontrer les caractères pratiques et nécessaires de leur
III
LE PLAN PANGERMANISTE
und Auswanderung, das ist das Ziel. " DrK. MEHRMANN, Deutsche Welt-und
,
Wirtschafts-Politik, p. 57. Deutschvolkischer Verlag " Odin » Munich,
1900.
(4) "Gross Deutschland wird das Ziel und die Arbeit des nachsten Jahre
sein ,. Gross-Deutschland, p, 23. Deutschvolkischer Verlag " Odin »,
Munich, 1900.
(5) « Das neue Jahrhundert wird in Mitteleuropa ein Deutsches Reich
von 72, 5 Mill. Volksgenossen entstehen sehen. » Op. cit., p. 4.
pour réaliser l'extension de l'Allemagne jusqu à l'Adria-
tique (I).
§ 1. La littérature pangermaniste comprend plu-
— CI »
sieurs programmes de ce genre. Le fond en est identique,
seuls les détails et la forme varient.
La brochure intitulée la Pangermanie et L'Europe centrale
en 1950 (2) est le type du genre. Son auteur anonyme est un
membre de l'Union pangermanique qui ensuite a fait siennes
les idées exprimées. Pour cette raison, je donne l'analyse
de cette brochure, de préférence aux autres similaires.
Destiné à conquérir les classes moyennes, le « pro-
gramme » pangermaniste est parsemé à dessein de tout ce
qui peut séduire les esprits, en flattant les passions contre
la France, l'Angleterre et la Russie.
«
L'empire allemand, dit l'auteur anonyme, est incom-
plet (3). En dehors des frontières impériales, on compte vingt
et un millions d'Allemands : deux en Suisse, dix en Autriche-
Hongrie, un en Russie et huit millions de Bas-Allemands
en Belgique et en Hollande. Le problème consiste à établir
une identité complète entre le territoire linguistique et le
territoire politique; alors seulement l'Allemagne atteindra
ses frontières naturelles. Quelles sont-elles? Le canal de la
mer du Nord à la Baltique est achevé ; l'Allemagne n'a plus
besoin de s'étendre dans la presqu'île du Jutland (4), les
Danois n'ont donc rien à craindre. A l'ouest, la frontière
suit le pays flamand, les Ardennes, la forêt des Vosges et la
crête du Jura jusqu'au mont Blanc. Au sud-ouest, le mont
Rose, le Simplon, le Gothard, le Splugen, le Septimer, la
(1) Das Ziel muss die staatliche Zusammenfassungdes mitteleuropàischen
«
deutschen Sprachgebietes sein und die Gewinnung des Zugangs zum Adria-
tischen Meere. » Op. cit., p. 5.
(2) « G;-ossdeutschlaizd und Mitteleuropa um das Jahr 1950, von einem
Alldeutschen. » Thormann, Berlin, 1895.
(3) Passim.
Maloya, la Bernina, le Stilfser Joch, l'Ortler, l'Adamello, la
Brenta et la chaîne des Dolomites séparent l'Allemagne de
l'Italie. Au sud et à l'est, la nature n'a pas marqué les fron-
tières, mais depuis des siècles la langue allemande progresse
vers la mer; on est donc autorisé à conclure que ce mouve-
ment d'expansion continuera dans l'avenir. Jusqu'où? Qui
peut le dire (1)? Sans doute, ces territoires ne peuvent
être acquis que successivement. Pour le moment, il faut
concentrer tous les efforts sur l'Autriche et la rattacher à
l'empire allemand — quand bien même une répétition des
événements de 1866 serait nécessaire (2). Les circonstances
sont propices : la dissolution de l'empire des Habsbourg
est imminente; elle se produira dès que le souverain actuel
aura fermé les yeux (3). La force réduira les populations
slaves. Un morcellement habile de l'empire des Habsbourg
facilitera la domination allemande. La Russie recevra la
Galicie et la Bukovine. La Roumanie s'accroîtra aux dépens
de la Hongrie. La Croatie, la Slavonie, la Dalmatie, le
Monténégro, la Bosnie, l'Herzégovine, formeront, avec la
Serbie, un royaume dépendant de l'Autriche par une union
personnelle, et l'Autriche elle-même sera étroitement liée à
l'empire allemand. Pour avoir la route libre jusqu'à Trieste,
possession indispensable à la Grande-Allemagne, il ne res-
tera plus à réduire que les Tchèques et les Slovènes.
r Ces opérations forment la première partie du programme
pangermaniste; la seconde partie consistera à mettre en
pratique les conseils de Roscher et de Rodbertus sur la colo-
nisation allemande en Asie Mineure. Toutes les puissances
prévoient le démembrement de la Turquie; l'Allemagne
doit s'arranger pour en avoir une forte part.
(1) Bis wohin? Wer kann sagen? Grossdeutsch/alld und Mitteleuropcium
CI
(1^ Il
Das Kiistenland zusammen mit der Siiclpitze von Dalmatien (Ragusa,
Bocche di Cattaro, Spizza mit den Hafen Triest, Pola und Cattaro) bildet
ein Dentsches Reichsland, organisirt als Militargrenze unter der Verwal-
tung eities kaiserlich-deutschen militàrischen Statthalters. Es bildet die
Grundlage fur die deutsche Seemacht in der Adria und dem Mittelmeer. Op.
cit., p. 10.
(2) « Mit dem Konigreich Oesterreich schliesst Preussen eine Militâr-
konvention ab, nach dem Vorbilde der w'drttembergischen oder badischen. »
Op. cit., p. 11.
(3) « Die osterreichische Kriegsflotte geht in der deutschen auf. Idem.
»
(4) Il Pola uns Cattaro werden Reichskriegshafen. Idem.
»
(5) Par exemple Grossdeutschland. Deutschvolkischer Verlag " Odin Il,
Munich, 1900.
(6) « Die osterreichische Kaiserkrone geht (und zwar fur ewige Zeiten) an
die Hohenzollern über." Die Deutsche Politik der Zukunft, p. 14. Deutsch
volkischer Verlag " Odin ", Munich, 1900.
ployé en Alsace-Lorraine serait appliqué à la nouvelle con.
quête. Salus Germaniae suprema lex. En Moravie, les pro-
priétés tchèques passeraient à l'État prussien (1) ; partout
les journaux et les livres ne paraîtraient plus qu'en langue
allemande (2). Une série de mesures longuement énumé-
rées, réactionnaires au point d'être féodales, assurerait dans
tout le pays la compression du « Slavisme » .
(1) «
Ja, es wurde sich sogar vermutlich eine Reihe anderer europaischer
Staaten mit uns zu einem gemeinsamen Zollvereine zusammenschliessen, um
fur die Ausschliessung vom englisch redenden Teile der Erde Ersatz zu
finden n. Die Deutsche Politik der Zukunft, p. 13. Deutschvolkischer
,
Verlag « Odin » Munich 1900.
(2) Paul DE LAGARDE, Deutsche Schnften, p. 113 Dieterich, Gottingen,
1892.
(3) V. chap. v, 11, partie.
CHAPITRE III
§ 1.
— Un parti prussophile existe en Autriche depuis fort
longtemps. Il fut fondé il y a plus de vingt-cinq ans par
M. Schônerer et quelques-uns de ses amis, d'abord en-
flammés par les victoires de Sadowa et de Sedan, et défini-
tivement conquis par la gloire radieuse du jeune empire.
Fils de l'entrepreneur de chemins de fer Mathias Schô-
nerer, Georges Schônerer naquit à Vienne, le 17 juillet 1842.
Il étudia à Dresde, administra une terre près de Tubingen,
et séjourna jusqu'en 1865 à l'académie agricole de Hohen-
heim, dans le Wurtemberg. Il s'imprégna ainsi pendant
toute sa jeunesse des idées unitaires allemandes. Revenu
dans son pays d'origine, il se fixa au château de Rosenau,
près de Zwettl, en Basse-Autriche. En 1873, les électeurs
l'envoyèrent au Reichsrath comme progressiste. Deux ans
plus tard, il abandonnait cette nuance et manifesta bientôt
ses tendances prussophiles. Le 18 décembre 1878, il fit
connaître dans un discours au Reichsrath le désir crois-
CI
II
§ 1.
— Sachant bien que toute action populaire pour être
durable doit avoir une base sentimentale, ils se sont d'abord
efforcés de détruire les anciennes préventions contre la
Prusse.
M. K. Prôll, qui a été en Allemagne un des Pangerma-
nistes de la première heure, s'est voué à cette tâche prépa-
ratoire. Depuis dix-huit ans, il envoie des arbres de Noël
c(
(1) V. p. 204.
milles princières allemandes (d'Autriche) et à leurs parti-
sans catholiques (1). »
C'est qu'en effet, dès le début de la campagne, le catho-
licisme, soutien du loyalisme autrichien des sujets alle-
mands de François-Joseph, était apparu comme un obstacle
redoutable à la diffusion du Pangermanisme. Avec l'audace
et la décision qui les caractérisent, les Prussophiles réso-
lurent de détruire cet obstacle.
En Autriche, M. Schonerer fut encore le grand orga-
nisateur. Au début de 1898, il se mit à l'œuvre résolument :
Il
Brisons enfin, disait-il, les chaînes qui nous lient à une
Église ennemie du Il germanisme (2) » Ces paroles com-
.
blèrent de joie les évangélistes de Berlin qui fournirent la
coopération la plus active (3), et bientôt le mouvement anti-
catholique éclata en Autriche aux cris de Los von Rom :
(1) «
Wenn Deutschosterreich slavisches Land wird, dann wird dies das
Werk deutscher Fiirstengeschlechter und ihres katholischen Anhanges
sein. » Deutsches Parteileben in Oesterreich, p. 6. Deutschvo)k!scber
Verlag « Odin ,, Munich, 1900.
(2) « Also weg mit den Fesseln, die uns an eine deutschfeindliche Kirche
binden. » Cité par P. BRAUSLICH, Die ôsterreichische Los von Rom Be-
wequng, p. 27. Lehmann, Munich, 1899.
(3) V p. 204 et suivantes.
(4) « Kuii-z, wo der romischeKatholizismus allmachtig ist, da sterben die
Volker, und ist noch kein so verborgener Ort auf der El'dkugf>1 zu finden,
an dem sich uns der Anblick darbote : eine romisch-katholische und dennoch
eine aufblühende Nation'! » Op. cit., p. 4.
plus divers, on chercha à surexciter les esprits. On réveilla
les vieux souvenirs de la guerre de Trente ans. Dans les
premiers mois de 1899, des pasteurs de l'empire allemand
vinrent renforcer ceux qui normalement se trouvent en petit
nombre en Autriche (1). Sans le moindre respect de la
paix confessionnelle, ils organisèrent partout, mais spécia-
lement dans le nord de la Bohême, des meetings politico-
religieux. A Teplitz, le pasteur Lumnitzer se signala par un
zèle plus qu'excessif. A Asch, à Karbitz, etc., on prêcha en
plein air la bonne parole prusso-protestante. M. Schonerer
totalisa les résultats qui lui parvinrent sur des bulletins
de conversion imprimés au préalable dans ses ateliers. Ces
bulletins constituent une pièce fort curieuse dont voici
l'exacte reproduction :
(1) Aber die Los von Bom-11ewegung ist zu sehr mit politischen Mo-
«
menten durchsetzt, als dass wir in Deutschland ihr gegeniiber uns nicht
die grosste Vorsicht auferlegen miissten, eine Vorsicht, die angesichts
unseres Bundesverhàltnisses zu Oesterreich mit doppelten Recht von uns
erwartet werden darf. » Cité par la Politik de Prague du 12 octobre 1900.
exploitable. L'avènement de ces derniers à l'indépendance
politique comporte leur libération économique ; il en résulte
que la plupart des Israélites ont un vif intérêt à la compres-
sion du Ilslavisme » et, comme il est clair qu'ils ne peuvent
,
la réaliser par eux-mêmes, ils se trouvent amenés à favo-
riser par tous les moyens le mouvement pangermaniste. C'est
ce qui explique pourquoi la presse socialiste de Vienne a
favorisé de son mieux les manœuvres socialistes des Prusso-
philes. Elle a étendu ses ramifications sur la Bohème, et
bientôt'les résultats les plus encourageants ont été obtenus.
Un parti internationaliste s'est formé chez les Tchèques,
mais, très rapidement, les ouvriers bohêmes ont vu clairement
le piège qu'on leur tendait. Ils ont compris que les seuls
principes applicables du socialisme étaient parfaitement
compatibles avec les intérêts et les devoirs de leur nationa-
lité et ils ont fondé un parti socialiste national qui poursuit
maintenant à la fois l'amélioration pratique du sort des tra-
vailleurs et le succès de la cause tchèque.
Dissimulée sous la forme sociale, l'action prussophile a
donc été vaine auprès des Slaves cisleithans ; elle a réussi
davantage avec des Allemands socialistes internationaux.
Sur eux le Pangermanisme a eu prise indirectement. Lors-
qu'en juillet 1899 le comte Thun, selon une tradition déjà
ancienne, gouverna à l'aide du paragraphe 14 de la Cons-
titution et décréta, en vertu de ce texte, un relèvement
des taxes sur le sucre, l'alcool, la bière et le pétrole, les
Prussophiles ont qualifié ces taxes de nouveaux impôts. Le
mot d'ordre a été donné aux groupes socialistes viennois.
Des manifestations se sont produites aussitôt, et l'on a pu
voir dans les rues de la capitale des bandes criant « A :
« Nous ne
voulons point d'ordonnances sur les langues,
point de compromis, point de division de la Bohême, mais
une pleine reconnaissance de la prédominance des Alle-
mands en Autriche (3). »
Cette prédominance, les Pangermanistes ne se contentent
pas de l'avoir en fait, ils exigent que des signes extérieurs la
manifestent. Dans le programme revisé le jour de la Pente-
côte de 1900, la reconnaissance de l'allemand comme langue
d'État de l'Autriche est inscrite parmi les principales reven-
dications. La seule concession qui ait été faite consiste à
dire : Langue de communication ( Vermittelungssprache)
CI
III
LES RÉSULTATS DE LA CAMPAGNE
(1) 11
Deutschnational Verein für Oesterreich. »
« Wiener deutscher Schul verein, »
(2)
tobre 1899, Erben passe la journée à Hüttelsdorf, localité
des environs. Le soir, il revient chez lui à pied, en chantant
une vieille chanson bohême. Deux Allemands passent. Par-
tisans de M. Schônerer, ils ont les Tchèques en exécration.
Ils enjoignent à Erben de se taire. Une querelle s'engage.
Le Tchèque, terrassé, est sur le point de succomber. Il
prévient ses deux adversaires que, s'ils ne le lâchent pas, il
se défendra au couteau. Les Prussophiles le pressent da-
vantage. Erben tire son couteau et en blesse un mortel-
lement. Traduit devant les tribunaux, il paie de dix mois de
prison les suites de sa chanson bohème. Les duels motivés
par les querelles nationales sont encore une des consé-
quences du mouvement pangermaniste. La liste en serait
longue. Un exemple suffira : en avril 1899, M. Mattusch,
élève à l'École des mines de Leoben, tue son camarade
allemand, M. Januschke. En présence de tels faits, il est
impossible de ne pas reconnaître que les idées prusso-
philes ont trouvé en Autriche des partisans nombreux et
convaincus. On en rencontre dans toutes les couches
sociales. L'armée, elle-même, en renferme un nombre
important (1). Les fonctionnaires n'ont pas échappé davan-
tage à l'action de la propagande. Les lettres trouvées sur le
pasteur Everling sont révélatrices à ce sujet (2) et à chaque
instant des faits regrettables témoignent de la partialité qui
en résulte. En juin 1899, des Prussophiles organisent une
réunion dans le quatrième arrondissement de Vienne.
Des antisémites, partisans des Habsbourg, protestent contre
les paroles d'un des orateurs. Ils sont aussitôt assaillis à
coups de couteau. Au lieu d'intervenir, le commissaire de
police, Lœventhal, fait cause commune avec les Panger-
119..
manistes. Ceux-ci connaissent bien l intérêt qu'ils ont à
avoir dans l'administration des adhérents susceptibles de de-
venir un jour des complices ; ils en triomphent ouvertement.
(1) Les conséquences de cet état de choses'sont envisagées p. 308.
(2) V. p.
(1
Aujourd'hui des centaines de fonctionnaires pensent réso-
lument Deutschnational (1). »
Les plus ardentes recrues de M. Schônerer sont naturelle-
ment, en raison de la fougue de leur âge, les étudiants.
L'Université allemande de Prague a d'abord été le centre de
l'agitation scolaire; puis l'activité malfaisante de M. Wolf a
réussi à la communiquer aux Universités de Vienne, de
Brunn, de Graz et d'Innsbruck. La fusion des étudiants
allemands de l'empire et des étudiants allemands d'Autriche
s'est ensuite réalisée, toujours à l'instigation du Dr Hasse,
sous le titre de « l'Union des étudiants allemands Il (2), qui
possède déjà des ramifications dans toutes les écoles supé-
rieures. Ce résultat n'a pas suffi aux Prussophiles. Prépara-
teurs d'avenir, ils entendent gagner à leurs idées même les
enfants des collèges. Pour y parvenir, ils ont imaginé de
fonder, dans la plupart des villes d'Autriche, des Ligues de
la jeunesse (Jugendbunde) qui se tiennent en relation cons-
tante avec les groupements similaires existant dans l'empire
allemand. La jeunesse autrichienne est ainsi à tous les
degrés l'objet d'un embrigadement méthodique
Aprèsun tel travail, ladiffusion des idées prussophiles dans
certaines régions était inévitable. Tout décèle leur pénétra-
tion. Pour avoir des policiers ressemblant à ceux de l'em-
pereur Guillaume, le conseil, municipal de Leitmeritz fait
porter à ses sergents de ville des casques dits Pickelhanben; le
drapeau allemand est arboré dans les fêtes publiques (3) ;
la Wacht am Rhein et le Deutschland über alles sont
chantés à la place de l'hymne autrichien ; les conseils
municipaux d'Eger, d'Innsbruck, de Marbourg, etc., déci-
dent qu'une rue portera le nom de Bismarck. Dans cette
(1) «Hunderte von Verwaltungsbeamten denkenheuteéntschieden deutsch-
national... » Deutschland bei Beginn des 20. Jahrhunderts, p. 101. Militiir-
VerlagR. Félix, Berlin, 1900.
(2) " Verein der Deutschen Studenten.
»
(3) La première démonstration antiautrichienne qui
se soit produite sous
cette forme a eu lieu à Éger le 10 juillet 1897.
dernière ville, pour bien marquer, par une ironie qu'on
crut piquante et qui n'est que lourde, l'entier oubli de
Sadowa, on a choisi comme Bismarckstrasse la rue où se
trouve le commandement de la brigade impériale et royale
— K. und K. Brigade-Kommando. — Les réunions les plus
antiautrichiennes se tiennent ouvertement. Le 16 mai 1900,
MM. Wolf et Schônerer parlent à Aussig. La salle est
décorée aux couleurs de l'empire allemand, un buste de
Bismarck préside et deux mille personnes, dont un grand
nombre de sujets de Guillaume II, qui ont tout exprès passé
la frontière, assistent à l'assemblée. Les Pangermanistes
autrichiens mettent un empressement identique à répondre
aux démonstrations des Allemands de l'empire. Un de leurs
chefs, le Dr Bareuther, adresse à l'assemblée générale de
l'Union pangermanique, tenue à Mayence le même mois,
une dépêche ainsi conçue : « Salut et prospérité au plus
actif Verein de la Pangermanie. De toute mon âme, je
salue ses efforts pour consolider notre solidarité nationale
par une union économique (1). Il Plus récemment encore, le
jour du soixante-dixième anniversaire de François-Joseph,
le drapeau révolutionnaire pangermaniste, noir, rouge et
jaune, a été arboré dans beaucoup d'endroits du nord de
la Bohême (2). Il est donc indéniable que de plus en plus
l'épithète de Deutschnational, dont se paraient les Panger-
manistes au début de leur campagne quand ils n'osaient
point encore proclamer leur but véritable, s'identifie avec
celle de Preussisclmational.
La contre-partie inévitable du développement des sympa-
thies pour les Hohenzollern a été la diminution des senti-
ments loyalistes envers les Habsbourg. Dès le commence-
ment de leur action publique, les meneurs prussophiles
(1) «
Die Studenten entfernen aus ihren Kneiplokalen die Bilder der
osterreichischen Kaiserpaares unter wüstem Spektakel und stellen Bismarck
u. s. w. Busten auf. » Deutschland bei Beginn des20. Jahrhunderts, p. 102.
Militar-Verlag R. Félix, Berlin, 1900.
mais, comme tous les pusillanimes, dans la crainte d'en
apercevoir toute l'étendue, ils ne l'envisagent pas résolu-
ment; ils veulent croire que le silence suffira peut-être à
l'éviter. Un semblable calcul est assurément faux avec des
adversaires aussi décidés que le sont les meneurs panger-
manistes. Chaque défaillance du pouvoir est une prime à
leur audace. Dans une lettre au président du conseil,
MM. Bareuther, Iro, Schônerer, Walter, voulant réveiller
les souvenirs de l'ancienne confédération germanique,
n'hésitent pas à parler de la ville libre impériale d'Eger
(jreie Reichsstadt Eger). Enfin, scandale dépassant tous les
autres, le 25 octobre 1899, en plein Parlement de Vienne,
le député Tûrk, salué par les applaudissements enthou-
siastes de ses amis, a déclaré : « Les pays héréditaires alle-
mands doivent s'adosser à l'empire allemand d'une façon
quelconque, à peu près comme cela existait avant 1866.
Une union douanière économique avec l'Allemagne est la
première étape dans cette voie... Nous autres, Allemands,
nous sommes prêts à tout. Faites éclater une guerre civile
entre les Allemands et les Tchèques en Bohème, en Moravie
et en Silésie, et les armées allemandes de la Prusse vien-
dront vous donner une danse (sic) (1). "
Cette insulte à l'État autrichien, faite en présence de tous
les représentants de la Cisleithanie, a passé comme le reste,
exemple presque incroyable d'une impunité dont la durée
a peut-être servi davantage la diffusion du Pangermanisme
que les efforts des meneurs. Ceux-ci ont eu rapidement
l'impression qu'ils étaient les maîtres. En 1897, ils ont
commencé l'agitation ouverte, et, deux ans plus tard, ils
(1) Ces lignes ont été écrites un peu avant les dernières élections.
(2) V. la teinte rouge de la carte intitulée Répartition géographique des
partisans et des adversaires du fédéralisme en Autriche, p. 54.
IV
§ 1.
— Sans doute, les Prussophiles ne sont encore qu'une
minorité, mais une minorité remuante et organisée. Va-
t-elle, par des manœuvres hardies, imposer sa volonté à la
majorité passive et mal défendue des Allemands loyalistes?
C'est là une hypothèse qui pourrait se réaliser si la marche
en avant des adeptes de M. Schônerer n'est pas arrêtée
résolument. Dès maintenant d'ailleurs, la place qu'ils ont
prise en Autriche présente de graves inconvénients. Habi-
lement répartis par petits groupes sur tout le pays con-
voité (1), les Prussophiles donnent de loin l'illusion du
nombre, et leurs manifestations violentes, dominant celles
de tous les autres, peuvent passer facilement pour l'expres-
sion de la volonté générale des Germains de Cisleithanie.
C'est ce qu'affirment tout au moins les ennemis de l'Autriche ;
les agences télégraphiques, dont la mission est de montrer
aux étrangers une Autriche dont toutes les forces se désa-
grègent, travaillent avec persévérance à entretenir cette
illusion (2).
§ 2. Ce qui arrive aujourd'hui, conséquence de la fai-
blesse de François-Joseph, a été prévu, il y a plus de trente
ans, par le Dr Hieger. Il voyait alors se former à Vienne
le parti si faussement qualifié de Il libéral » ; il en con-
naissait les attaches secrètes et déjà dans son mémoire
(1) Se reporter à la carte insérée p. 54.
(2) V. préface.
1 à Napoléon III, signalant ses tendances et son programme,
il n'hésitait pas à dire : Il Ce parti allemand et dit progres-
siste est actuellement en Autriche le parti dominant, le
parti du gouvernement. Tant qu'il en sera ainsi, il ne per-
mettra pas que l'on gêne la Prusse dans l'exécution de sa
prétendue mission allemande, qui signifie la dissolution de
l'Autriche. IJ
(1) V. p. 16.
Galicie, de la Bukovine et de la Dalmatie, la reconnaissance
de l'allemand comme langue d'État de la Cisleithanie, qui,
réduite ainsi territorialement, entrerait, en outre, dans le
Zollverein allemand. Toutes ces prétentions tendent, avec
beaucoup d'évidence, à faciliter la réalisation du plan pan-
germaniste. Si elles triomphaient, la physionomie politique
du centre du continent serait profondément modifiée; il en
résulte que les élections de Cisleithanie ont une importance
européenne.
L'agitation menée en faveur de ce dangereux programme
se poursuit avec frénésie. Le manifeste du parti allemand
extrême est une preuve nouvelle de son intransigeance
absolue. « Au cours de ces élections, le peuple allemand
autrichien a à décider sur son propre compte et sur le sort
de l'Etat. Il faut que les élections s'effectuent dans l'union
de tout le peuple allemand autrichien, et qu'il soit déclaré
au corps électoral de la façon la plus formelle, la plus
péremptoire, que nous voulons un État autrichien sous la
direction du peuple allemand (1), » « et étroitement uni à
l'empire allemand, ajoute le Dr Bareuther (2).
IJ
L'AUTRICHE, LA HONGRIE
ET LE NOUVEL ÉTAT DE CHOSES
(1) V. p. 108.
(2)CI
Die Ausschliessung der Polen und Südslaven, namentlich aber der
ersteren aus dem Wiener Reichsrathe ware unter den heutigen Verhâltnis-
sen aber auch das sicherste Schutzmittel fur die Erhaltung des Volksthums
der Deutsch-Oesterreicher... Est ist daher dringend geboten, dieLinzer Pro-
grammforderung wegen Sonderstellung Galiziens der Vergessenheit, in
welche sie zeitwilig gerathen zu sein scheint, wieder
zu entreissen. Il Ascher
Zeitung, juin 1900.
ne considérant que leur intérêt, aveuglés par la vivacité
de leurs désirs, croient cette offre irrésistible et, pourvu
qu'on l'accepte, se déclarent prêts aux combinaisons les
plus conciliantes. Ainsi, par exemple, ou bien la Galicie
serait rattachée à la Hongrie et y occuperait une place
analogue à celle de la Croatie, ou bien, si les Polonais l'exi-
geaient, on pourrait réunir la Galicie et la Bukovine pour
en former un territoire complètement indépendant.
Ces propositions, en apparence libérales et magnifiques,
ne résistent pas à l'examen. Que deviendrait donc une
Galicie retranchée administrativement, et par conséquent
financièrement, de l'Autriche ? L'accroissement de l'auto-
nomie galicienne serait forcément peu de chose, puisque,
dès maintenant, elle fonctionne à peu près dans sa pléni-
tude. Quant aux conséquences financières de l'opération,
elles constitueraient, pour les Polonais, un véritable dé-
sastre. Pays agricole, presque sans industrie, mal exploité
par suite du manque de capitaux, la Galicie reçoit de l'Au-
triche pour l'entretien de ses services administratifs plus de
millions de florins qu'elle ne lui en verse sous forme d'im-
pôts. Il y a là un avantage considérable qu'il faudrait né-
cessairement perdre le jour où la Galicie cesserait d 'appar-
tenir à la Cisleithanie. Il est donc infiniment peu probable
les députés polonais, grands propriétaires fonciers, dont
que
les terres, pour la plupart, sont fortement grevées d'hypo-
thèques, admettent une combinaison dont le résultat le
plus certain serait d'accroître leurs charges dans des
proportions considérables. Quelle compensation pourrait
les y décider ? Même actuellement, la situation économique
de la Galicie n'est rien moins qu'avantageuse. Au nord et à
l'est, la douane russe forme une barrière infranchissable ;
sud, la haute chaîne des Carpathes, traversée par de
au
la sépare presque aussi efficacement de la
rares passages,
Hongrie. Les exportations galiciennes, consistant presque
exclusivement en produits agricoles, n'ont donc leur écou-
lement que par l'ouest dans les pays autrichiens, débouché
indispensable par le fait qu'il est unique. Ne serait-il pas
gravement compromis, le jour où la Galicie serait séparée
du reste de la Cisleithanie ? Si l'on suppose même qu'aucune
barrière douanière, au sens strict du mot, ne soit établie, il
n'en est pas moins évident que, sous quelque forme qu'on
la suppose, cette séparation serait moins propice au trafic
galicien que le régime actuel.
La Galicie aurait-elle au moins la possibilité de vendre à
la Hongrie ce que lui refuserait l'Autriche? Mais, encore
plus que la Galicie, la Hongrie vit de ses exportations agri-
coles et le gouvernement de Buda-Pesth met un soin jaloux
à défendre le commerce magyar. Consentirait-il à admettre
les Galiciens au partage de cet avantage? Ce qui a lieu
actuellement est la meilleure des réponses. Les temps sont
bien passés où Magyars et Polonais fraternisaient. Depuis
longtemps, ils ont cessé de chanter, comme en 1848 : « Nous
sommes frères pour boire et pour nous battre. » L'âpreté
des luttes économiques a eu raison des sentiments, et aujour-
d'hui les Hongrois ne témoignent aux Polonais qu'un
égoïsme raisonné. Un fait topique l'établit. Les Hongrois
exportent une grande quantité de bétail et de porcs. Pour
protéger cet élevage, l'une des principales sources de
richesse du pays, le gouvernement de Pesth a imaginé un
procédé dont se plaignent fort les éleveurs galiciens. La
douane n'existant pas entre la Galicie et la Hongrie, les ani-
maux polonais peuvent, théoriquement du moins, venir en
toute liberté sur les marchés hongrois concurrencer ceux
des Magyars. Pour faire obstacle à cette concurrence, les
gens de Pesth ont imaginé d'installer aux quelques pas- ,
(1) Von einer Trennung wollen die in Galizien herrschenden Polen aber
Il
nichts wissen, obwohl dieselbe ihnen doch beinahe vollkommene Selbstan-
dir,keit brachte, denn sie befinden sich unter den jetzigen Verhàltnissen sehr
wohl. » Gross-Deutschland, p. 8. Deutschvolkischer Verlag « Odin »I
Munich, 1900
une population en réalité ethnographiquement identique
aux Petits-Russiens de la région de Kiev, ce qui inclinerait
aussitôt à admettre que les Ruthènes de Galicie, fraction du
peuple petit-russien, ont intérêt à être réunis aux quinze
millions (1) de leurs frères vivant sous le sceptre du Tsar. Il
n'en est cependant point ainsi. Le gouvernement de Péters-
bourg ne considère pas les Petits-Russiens comme une na-
tion distincte. Il ne voit en eux que des Russes relevant de
l'administration centrale et s'efforce d'empêcher tout ce qui
pourrait les différencier des grands Russes de la région de
Moscou. Il est, par suite, résolument hostile à tout ce qui
pourrait réveiller l'esprit particulariste des Petits-Russiens,
et il est possible, comme certains l'affirment, que cette atti-
tude soit conforme à leur véritable intérêt.
Quoi qu'il en soit de ce point de vue (il ne rentre pas dans
le cadre de ce travail de l'examiner), les Ruthènes de Gali-
cie n'ont pas à supporter de semblables contraintes. Sans
doute, leurs chefs politiques ne se déclarent point satis-
faits et demandent aux Polonais de Leopol de nouvelles
concessions. Il n'en est pas moins certain toutefois qu'ils
parlent librement leur langue, l'impriment sans la moindre
autorisation, possèdent des collèges où on l'enseigne sans
entraves et ont des partis politiques où toutes les nuances
de l'opinion peuvent se produire au grand jour. Les Ru-
thènes de Galicie se trouvent donc dans une situation privi-
légiée par comparaison avec celle de leurs frères de Russie.
Le maintien de ces avantages exige qu'ils restent dans le
cadre de la Cisleithanie ; par suite, ils sont fermement autri-
chiens. Ils sont également fédéralistes, puisqu'ils réclament
des Polonais la concession d'une autonomie d'un type spé-
cial (2). Or, fraction du grand parti fédéraliste cisleithan,
(1) Chiffre moyen entre ceux donnés par les auteurs petits-russiens.
(2) Ce type est fort ditficile à déterminer en raison de ce fait que les
Ruthènes occupent seulement les districts ruraux de la Galicie orientale, les
villes étant polonaises.
ils peuvent espérer obtenir de nouveaux avantages ; au
contraire, le jour où la Galicie serait rendue indépendante
sous une direction purement polonaise ou annexée à la
Russie, ils n'auraient plus rien à attendre de l'avenir.
Le cas des Slovènes et des Serbo-Croates est moins com-
pliqué. La simple vue de la carie suffit à établir que seul le
<t
fédéralisme » peut assurer leur développement national.
Ils en sont profondément convaincus ; aussi se solidarisent-
ils avec les Tchèques, sachant bien que la victoire des
Bohêmes rendra la leur possible ensuite.
Tous les peuples slaves ont ainsi un intérêt certain à l'exis-
tence de la Cisleithanie. Cette constatation permet d'appré-
cier maintenant la nature véritable de ce qu'on a appelé le
Panslavisme des Slaves d'Autriche.
Parce qu'aux moments critiques de leur renaissance
nationale, les Slaves cisleithans et surtout les Tchèques,
après la déception de 1867, se sont tournés vers la Russie,
les Allemands ont propagé partout en Europe l'idée que
les Slaves cisleithans travaillaient au démembrement de la
monarchie des Habsbourg. Il Les jeunes tchèques, dit le pan-
germaniste K. Proll, voudraient pour l'Autriche une nou-
velle catastrophe de la Bérésina, afin que les Russes les
prennent sous leur haute protection et qu'ils puissent
ensuite détruire l'empire allemand (1)." Ces lignes récentes
ne sont qu'une manifestation nouvelle de l'effort persistant
fait pour vivifier cette théorie du Panslavisme, qui, en réa-
lité, a perdu, au moins depuis trente ans, toute valeur
politique.
On vient de voir quels intérêts considérables engagent les
Polonais et les Ruthènes à rester en Autriche. Quant aux
Tchèques, leur individualité est trop fortement accusée
(1) - in Wien liebt man uns nicht... » Deutschland bei Beginn des
...
20. Jah)-hunde;,ts, p. 100. Militar-Verlag R. Félix, Berlin, 1900.
lificité supérieure des Slaves, se renforce constamment et
naturellement.
Les Allemands d'Autriche se trouvent ainsi, au même
titre que les Tchèques, les Polonais ou les Slovènes, dans
l'impossibilité de former un État isolé. Par suite, la solu-
tion fédérale s'impose à eux rationnellement. Le parti
allemand fédéraliste s'est formé sous l'influence de ces con-
sidérations. Malheureusement, la violence des Prussophiles
semble réussir actuellement à en arrêter le développe-
ment; mais un jour viendra où la force des choses amè-
nera le retour à des idées plus sages. Les raisons du
Il
fédéralisme » sont réelles et permanentes, celles du Pan-
germanisme sont artificielles et transitoires. La fraction de
la presse allemande de Vienne, qui n'est pas à la solde d'une
politique étrangère, ne manque pas d'y insister en réprou-
vant les menées prussophiles. Le Fremdenblatt, feuille offi-
cieuse du ministère du Ballplatz, a blâmé énergiquement
l'attitude des Pangermanistes à la journée d'Eger (10 juil-
let 1897). Il prévoyait déjà que le déchaînement de telles
passions pouvait ébranler les fondements de l'État autri-
chien. La Reichswehr a encore été plus nette. Elle a pris
résolument à partie les quelques conseillers municipaux de
Vienne qui ont proposé de donner le nom de Bismarck à
l'une des rues de la capitale. Il Bismarck fut surtout un Prus-
sien. L'Autriche n'a jamais eu d'ennemi pire que lui. Puis-
que ces messieurs du conseil municipal veulent donner le
nom de Bismarck à une rue de Vienne, qu'on le donne à la
Marchfeldstrasse ; elle conduit à l'endroit où nous avons
construit des redoutes en 1866 contre les Prussiens que
Bismarck amenait chez nous. »
Cette hostilité pour l'Allemagne soumise à la direction de
la Prusse est la base du Il loyalisme i) autrichien. Sur la foi
des agences télégraphiques aux nouvelles tendancieuses,
on croit trop souvent qu'il a disparu. Les fêtes du soixante-
dixi'ème anniversaire de François-Joseph ont éclairé nette-
ment la situation. Seuls les Pangermanistes n'ont point
voulu faire trêve (V. p. 137); mais pendant quelques jours
les deux tiers au moins des Allemands de Cisleithanie ont
oublié leurs divisions pour témoigner dans un même élan
avec les Slaves leur dévouement à l'empereur. Ces senti-
ments subsisteront aussi longtemps que leurs raisons d'être.
L'Autriche est une patrie pour l'Allemand de Cisleithanie
aussi bien que la Belgique ou la Suisse pour l'habitant de
Bruxelles ou de Genève. Si l'on proposait à l'un ou à l'autre
de se laisser annexer par la France, sous prétexte qu'il
parle français, il refuserait avec indignation. Le cas de
l'Allemand de Cisleithanie est le même. La similitude des
langues n'est qu'une illusion, au fond assez grossière. Ce
qui fait la patrie dans le droit moderne, c'est la volonté
des peuples de vivre en commun. Or, tous les peuples
cisleithans, germains ou slaves, ont des intérêts durables,
générateurs permanents de cette volonté. La parole de
Schiller reste donc vraie : « L'Autrichien a une patrie, il
l'aime, et, à cela, il a de bonnes raisons. IJ
«
germanisme i) ont déterminé la politique vacillante de
François-Joseph, mais les paroles qu'il adressait à ses peu-
ples, à l'occasion de son soixante-dixième anniversaire, mon-
trent que s'il a été victime des erreurs du germain, il com-
prend cependant tous les devoirs du monarque cisleithan :
«
Que mes peuples le sachent bien: j'ai consacré ma vie à
leur bien-être ; je me félicite de contribuer à leur prospérité,
et je vois dans leur loyauté et leur patriotisme, et aussi dans
la confiance réciproque qui règne entre eux et moi, les plus
fermes bases sur lesquelles repose l'avenir de la patrie. » Ces
paroles ne renferment-elles point la formule de l'Autriche
nouvelle ? N'impliquent-elles pas une opposition résolue à
la propagande prussophile? Sinon, comment maintenir « la
confiance réciproque » qui règne entre « les peuples d'Au-
triche et leur souverain » ? Comment assurer l'avenir » de
cc
§ 4. —
L'intérêt de l'Autriche, considérée dans son
ensemble, domine les intérêts de ses peuples et de sa
dynastie ; or à notre époque réaliste, cet intérêt général se
traduit par une orientation économique déterminée, dont
l'objectif est d'assurer la sauvegarde des biens matériels du
pays.
Si l'extension du Zollverein allemand à la Cisleithanie
comporte véritablement des avantages considérables pour le
commerce et l'industrie autrichiens, on devra admettre
comme probable que, peu à peu, la tentation des jouis-
sances matérielles aura raison des résistances nationales et
qu'en fin de compte l'Autriche entrera dans l'Union doua-
nière allemande, acte qui serait décisif, car l'histoire dé-
montre que toutes les unions douanières ont abouti à l'ab-
sorption politique du plus faible des États contractants par
le plus fort. Au contraire, si le projet d'extension du Zoll-
verein est défavorable aux intérêts autrichiens, c'est une
garantie de plus, et non la moins forte, de l'échec des Pan-
germanistes. Il est donc capital de rechercher dans quel
sens incline l'intérêt de l'Autriche.
Pour déterminer cette direction, la situation économique
présente de la Cisleithanie doit servir de point de départ
au raisonnement. L'appréciation du secrétaire du syndicat
central de l'industrie autrichienne offre à cet égard des
garanties de compétence et d'impartialité. « Les rapports
des chambres de commerce et des syndicats industriels, dit
le Dr Grunzel, font un tableau effrayant de la situation
actuelle de l'industrie autrichienne. Les États voisins, l'Alle-
magne, l'Italie et la Russie, montrent un brillant dévelop-
pement. Notre grande industrie se trouve, au contraire,
dans un état de stagnation et même de recul. Qu'y a-t-il de
plus significatif à cet égard que le rapport de la chambre de
commerce de Prague, qui, l'an dernier, abstraction faite
d'une brasserie, n'enregistre pas une seule création d'un
établissement industriel dans son riche district (1). Les
Il «
(1) «
Was wir am Balkan verloren haben, konnten wir in Kleinasiea
reichlich wieder einbringen — undkein Staat ist in Folge seiner Lage beru
fener, dort als Pionnier aufzutreten, als gerade Oesterreich. » Dr Grunzel ï
r
Die wirtschaftlichen erhaltnisse Kleinasiens, p. 4. Dorn, Vienne, 1897. ~
capitales de rester abritée derrière la douane austro-alle-
mande, ce qui revient à dire que la Cisleithanie n'a pas
d'intérêt décisif à entrer dans l'union douanière allemande.
En réalité, le projet de F. List, repris par le Dr Hasse, profi-
terait presque exclusivement à l'empire allemand. Ceux-là
mêmes qui le préconisent l'avouent parfois indirectement
iL
Il nous est certainement possible de créer en Europe un
territoire économique fermé qui se suffise à lui-même (1)... »
u
Si nous réussissons à étendre nos frontières en Europe,
il nous sera possible de rendre la prospérité à notre agri-
culture. Les parties de l'Autriche qui peuvent tomber dans
notre lot sont plus fertiles et bien plus propres que celles
de l'Allemagne à une culture intensive (2)... »
Ces déclarations imprudentes établissent l'égoïsme notoire
des propositions économiques des Prussophiles. Elles suffi-
sent à mettre les Autrichiens en garde contre le projet
d'union douanière. Assurément, il peut se faire que, pour
certaines industries spéciales, l'union avec l'Allemagne soit
avantageuse, mais pour l'ensemble, elle serait détestable.
C'est ce que déclare, avec beaucoup de sincérité, un fabri-
cant autrichien qui, lui, personnellement, aurait intérêt à
la fusion économique des deux pays.
"
Au point de vue industriel, en général, je dois cons-
tater qu'une union douanière serait extrêmement dange-
reuse pour beaucoup d'industries autrichiennes. La princi-
pale raison en réside dans les mauvaises conditions dans
(1) " Moglich ist es uns gewiss, ein grosses, geschlossenes Wirthschaftsge-
biet zu schaffen in Europa, das sirli selbst geniigt... » Deutsch/and bei
Beginn des 20. Jahrhunderts, p. 156. Militar-Verlag R. Félix, Berlin, 1900.
V. encore Dr K. MEIIBI%IA-.,'ri, Deutsche Welt-und Wirtschafts-Politik,
p. 61. Deutschvolkischer Verlag " Odin » , Munich, 1900.
(2) " Aber wir konnen einen gewaltig frischen Zug in unsere Land-
wirthschaft bringen, wenn es uns gliickt, unsere Grenzen in Europa auszu-
dehnen. Die Theile Oesterreichs, die uns zufallen konnen, sind fruchtbar
und vielfach noch extensiv bearbeiteit im Vergleich zu Deutschland... »
Deutschland bei Beginn des 20 Jahrhunderts, p. 155. Militar-Verlag
R. Félix, Berlin, 1900.
lesquelles se trouvent ces industries, par rapport à l'état de
prospérité et d'avancement dont jouissent celles de l'empire
allemand (1). »
Cette raison est si forte que le Il Club industriel » et
l' «Union des industriels autrichiens i) se sont très nettement
prononcés contre le Zollverein (2).
En définitive, si l'on veut résumer ces divers points de
vue, on peut dire que l'Autriche se trouve amenée aujour-
d'hui à repousser le projet d'union douanière, pour les
mêmes motifs qui ont décidé le gouvernement prussien
à laisser tomber, en 1850, les avances de la cour de Vienne
Une considération économique générale se superpose
donc aux considérations politiques particulières et renforce
puissamment les raisons concordantes que les peuples
slaves et les Allemands de Cisleithanie ont de vivre
fédérés ensemble, au sein d'un même État, gouverné par la
maison des Habsbourg.
C'est cet ensemble qui permet de conclure : l'Autriche a en
elle-même des sources de réelle vitalité ; l'évolution naturelle
des choses ne tend pas à sa dissolution; son démembrement ne
saurait résulter que d'un coup de force extérieur.
Le devoir du gouvernement de Vienne découle de ces
constatations; en arrêtant résolument la propagande prusso-
phile et en se refusant à toute union douanière avec
l'empire allemand, il assurera son avenir et rendra impos-
sible le seul véritable danger qui le menace.
1
(1) «
Vom allgemein industriellen Standpunkte mus8 ich noch konsta-
tieren, dass eine Zollunion mit Deutschland fur viele Industrien Oester-
reichs ausserordentlich gefàhrlich wâre. Die Hauptgriinde liegen in unseren
gegeniiber der deutschen Industriefreundlichkeit und Industrieforderung
entschieden zurückgebliebenen Zustanden. » Alldeutsche Bldtter, 1900,
p. 280.
(2) « Einen der Zollunion sehr feindseligen Standpunkt nehmen der
" Industriellen-Klub » und der Bund österreichischer Industriellen ein... »
Idem.
II
§ 1.
— Une opposition constante à l'établissement d'un
régime fédéraliste en Cisleithanie a dominé longtemps la
politique de Pesth à l'égard de Vienne. De fort bonnes rai-
sons justifiaient cette ligne de conduite.
Écrasés par les Russes en 1848, les Magyars en ont res-
senti une haine profonde pour tout ce qui était russophile.
Sadowa, victoire prussienne, en permettant leur émanci-
pation, les a jetés dans les bras des Hohenzollern. Bismarck
est devenu d'abord leur dieu et ensuite leur soutien, chaque
fois qu'il s'est agi de maintenir dans la dépendance les
Slaves de Cisleithanie, dont l'émancipation eût pu provo-
quer celle des Slaves et des Roumains de Transleithanie.
Tout a donc concouru à identifier la conduite des deux
gouvernements de Berlin et de Pesth à l'égard de l'Au-
triche.
L'intimité politique entre le Chancelier de fer et le comte
Andrassy alla même si loin, qu'on pouvait croire qu'un
traité secret existait entre eux, en vertu duquel les Hon-
grois s'engageaient à ouvrir aux Allemands la route de
Trieste. La Revue mensuelle hongroise l' a donné clairement à
entendre : Il Pour ce qui concerne l'Autriche occidentale et
l'Allemagne, nous sommes d'avis que la Confédération de
l'Allemagne du Nord doit s'étendre incontestablement sur
toute l'Allemagne... Une Grande-Allemagne, une Allemagne
unie sous la direction de la Prusse, voilà le seul moyen,
pour l'Allemagne, d'accomplir la mission à laquelle elle
est appelée par la Providence. Dans ces conditions seule-
ment, elle peut être un appui solide pour l'empire hongrois
oriental et permettre ainsi à celui-ci de remplir à son tour
sa mission en Orient... La couronne tchèque est une absur-
dité ; la Bohême est un pays allemand et doit rester à l'Alle-
magne. Tout au plus pourrait-on accorder une plus grande
autonomie à la Galicie (1). »
Lors de son dernier voyage à Buda-Pesth (1897), Guil-
laume II, en paraissant se désintéresser absolument des
Allemands qui vivent en Hongrie, a semblé dresser la contre-
partie de ce programme. La note a même été si accentuée
qu'après son départ M. G. Beksics, publiciste officieux,
écrivait dans le Pesti Hirla-p : « L'empereur allemand a
abandonné les Germains de l'est de la Leitha. Aucune de
nos nationalités non magyares ne peut plus compter sur une
protection étrangère. Aucune action du dehors ne viendra
donc empêcher l'unité de la nation magyare... Aujour-
d'hui, nous pouvons tout faire. »
Donc, jusqu'à une époque très rapprochée, les Magyars,
suivant avec constance la même ligne politique, sont restés
adversaires du .
fédéralisme , Mais tout change. Des
CI
§ 2.
— Le point de savoir si la Hongrie jouira ou non
d'une entière indépendance présente pour les Magyars l'in-
térêt le plus immédiat. Il y a à Pesth un certain nombre
d'hommes politiques qui estiment incomplète l'oeuvre de
1867 et jugent le moment venu de la terminer.
Ils admettent bien que le souverain continue à être un
Habsbourg, mais ils veulent que la frontière douanière soit
rétablie entre l'Autriche et la Hongrie, que l'armée hon-
groise soit exclusivement casernée sur le territoire hongrois,
que la Hongrie ait une représentation diplomatique et con-
sulaire distincte de celle de l'Autriche.
M. F. Kossuth, l'un des fils du grand homme de 1848,
est le plus actif propagateur de cette thèse. Son principal
argument consiste à dire : « Le régime actuel empêche la
Hongrie de se créer une industrie nationale. Malgré tous nos
efforts, la Transleithanie est restée un pays presque exclusi-
vement agricole. Elle doit encore tirer de l'étranger, et
surtout de l'Autriche, la plupart des objets fabriqués néces-
saires à sa consommation. En protégeant l'industrie natio-
nale, le rétablissement de la ligne douanière lui permettrait
de se développer. »
Posée dans ces termes, la question de l'indépendance de la
Hongrie, bien faite pour flatter l'ardent patriotisme des
Magyars, trouve de nombreux partisans, surtout depuis que
la situation troublée de la Cisleithanie empêche le fonction-
nement régulier du pacte de 1867. La période de tension a
même commencé. Elle en est au point que, tout récem-
ment, le conseil municipal de Pesth s'est prononcé en
faveur de la séparation douanière, et que, de tous côtés, on
demande en Transleithanie le boycottage des produits autri-
chiens.
Or, cette question de l'indépendance de la Hongrie n'in-
téresse point seulement les Magyars ou les Autrichiens,
mais encore tous les États de l'Europe, et particulièrement
le gouvernement de Berlin, dont la politique économique
serait puissamment favorisée par le rétablissement de la
ligne douanière entre l'Autriche et la Hongrie.
Les Magyars déclarent qu'ils veulent s'affranchir de l'in-
dustrie autrichienne, mais il est évident que le seul fait
de faire obstacle aux importations de la Cisleithanie ne
suffira pas à créer une industrie nationale hongroise. Il
s'écoulera nécessairement une longue période de temps
pendant laquelle les Magyars devront, par la force même
des choses, acheter au dehors les objets fabriqués qu'ils ne
peuvent produire eux-mêmes. S'ils ne les prennent plus en
Autriche, il faudra qu'ils les achètent en Allemagne, et
c'est ici que va apparaître le lien existant entre la séparation
de la Hongrie d'avec l'Autriche et l'essor économique de
l'empire allemand.
Depuis des années déjà, les sujets de Guillaume II dé-
ploient la plus grande activité pour conquérir le marché
hongrois. Leurs commis voyageurs sillonnent en tous sens
la Transleithanie, mais ils ont à lutter contre les situations
anciennement acquises par les industriels autrichiens, dont
les produits parviennent en Hongrie, sans avoir à supporter,
comme les produits allemands, de lourds droits de douane.
Cette condition défavorable disparaîtrait le jour où l'in-
dépendance de la Hongrie serait réalisée selon les vues de
M. Kossuth. Il est facile de concevoir que dans la période
de transition qui suivrait, leo exportateurs de l'empire alle-
mand, devenus fournisseurs nécessaires, seraient alors mer-
veilleusement placés pour chasser les Autrichiens du marché
hongrois. L'intérêt économique de l'empire allemand à l'in-
dépendance de la Hongrie n'est donc pas douteux. Il suffirait
à expliquer le soin que met le comte d'Eulenbourg, ambas-
sadeur de l'empereur Guillaume à Vienne, à favoriser, par
tous les moyens dont dispose un diplomate, les idées chères
à M. Kossuth. Les considérations commerciales ne sont
d'ailleurs pas les seules qui puissent inspirer cette action.
L'empire allemand a encore un vif intérêt politique à
pousser à l'indépendance de la Hongrie ; une Cisleithanie
isolée serail plus faible encore que celle d'aujourd'hui;
elle répondrait avec une docilité plus parfaite aux sollici-
,
Dass ausser den 2,601, 188 Rumanen in Ungarn auch im KÕnigreich Ruma-
nien 4,610,000 (neben 890,800 anderen) wohnen und zusammen mit
diesen ein geschlossenes Sprachgebiet von mehr als 7,211,000 Rumanen
bilden, die der Gesamtheit der Vlagyaren an Zahl gleich sind, darf doch
nie aus den Augen gelassen werden. Il E. H. Alldeutsche Blàtter, 1894,
p. 67.
Le langage est transparent. C'est donc bien en rattachant
plus tard la Transylvanie à la Roumanie que les Panrrerma-
nistes songent à amener les Magyars à un degré suffisant
d'impuissance pour permettre de relier entre eux ces îlots
allemands où, jusqu'au moment décisif, on aura soin d'en-
tretenir une influence.
Ces projets et ces actes peuvent à bon droit alarmer les
Magyars dont le patriotisme est chatouilleux au point que
leur administration des postes renvoie souvent en Alle-
magne, sans les distribuer, les lettres qui portent par
exemple le nom de ville de Klausenbourg en allemand au
lieu de celui de Kolozvar en magyar.
déralisme » en Cisleithanie.
LE MOUVEMENT PANGERMANISTE
DANS L'EMPIRE ALLEMAND
1 L'OPINION PUBLIQUE.
— § 1. Comment on l'a travaillée : les Sociétés.
L'Alldeutscher Verband pose la question d'Autriche devant les Alle-
mands de l'empire. L'Odin- Verein. Le Gustav-Adolf-Verein. L'Evaltge-
lischer Bund. L'Allgemeiner Deutscher Sprachverein. L'Allgemeiner
Schulverein. Quelques autres sociétés pangermanistes. La presse : jour-
naux, revues, agences télégraphiques. Les personnalités influentes : le
groupe pangermaniste au Reichstag. Les pasteurs évangélistes. M. von
Stolberg-Wernigerode. Mgr Kopp. Mommsen. Le colonel de Bernhardi.
Le général von der Goltz. Vue d'ensemble de l'organisation pangerma-
niste. — § 2. Les résultats de la propagande : les professeurs, la jeunesse
et la Grande-Allemagne. Progression rapide des idées pangermanistes.
La folie pangermaniste. État actuel de l'opinion.
IL LE GOUVERNEMENT DE BERLIN. — § 1. Facilités accordées à la cam-
pagne pangermaniste : la bienveillance des autorités. Les événements de
Chine déterminent momentanément une nouvelle tactique. Faits indi-
quant le retour aux premières tendances. — § 2. Propagation officielle de
l idée de la Grande-Allemagne le Manuel de Géographie de MM. Brust
:
et Berdrow. — §3. Le consul allemand à Prague carrière et succès. —
.
§ 4. Guillaume II et la Pangermanie : indices révélateurs et paroles à
retenir. — § 5. La question d'argent : qui a fourni les subsides nécessaires
àla campagne pangermaniste?
— § 6. Les nouvelles mesures militaires:
armement, fortifications, loi militaire du 25 mars 1899. Signification géné-
rale. — § 7. La politique extérieure de Guillaume II : à l'égard de l'Au-
triche, de l'Angleterre, dela France et dela Russie. Tendances de l'en-
semble. — § 8. Le nouveau chancelier de l'empire allemand M. de
:
B'iilow, disciple de Bismarck.
L'OPINION PUBLIQUE
(1) "
Eine Reihe national gesinnter Männer und bewährter Jugend-
freunde hat sich zusammengeschlossen, um auf de Vertiefung nationaler
Erziehung und Bildung unserer heranwachsenden Jugend einzuwirken...
«
Was gross und edel, was gut und wahr, was deutsch im besten Sinne
ist, soll die Herzen unserer Kinder erfassen, sie für das Grosse in Vergan-
genheit und Zukunft begeistern, und das Pflichtgefühl in ihnen wachrüt-
teln, ihr ganzes Sein für die Sache des Vaterlandes einzusetzen in Selbstzucht
und tapferer Stählung an Geist und Körper. " Julius Lohmeyer's Vaterlän-
dische Jugendbücherei. Lehmann, Munich, Heustrasse 20.
(2) Quatre ou cinq éditeurs ont en Allemagne le monopole de la « litté-
rature » pangermaniste. Le plus important est Lehmann, de Munich, qu'
fait lui-même partie du comité directeur de YAlldeutscher Verband.
Il a publié notamment le Démembrement de l'Autriche et sa reconstitu-
tion, plaquette condamnée par six tribunaux différents de Cisleithanie et
dont j'ai donné plus haut l'analyse.
encore certaine des suites qu'aurait sa démarche, n'y était
représentée qu'officieusement, mais MM. Zimmermann, '
Lotze et Fôrster, députés au Reichstag, assistaient au mee-
ting. Le rédacteur autrichien Welker y déclara <'La ques- :
(1) «Es handelt sich um die Kämpfe der Völker unter einander um die
Kämpfe des deutschen Volksthums gegen die Angriffe des czechischen und
polnischen Volks. Und da, meine ich, ist es unser Recht und unsere Pflicht
— und ich mache vom diesem Rechte an dieser Stelle feierlich Gebrauch
und hoffe im Einverständniss mit der Merheit aller Parteien dieses hohen
Hauses zu sprechen, wenn ich sage, dass wir innerhalb und ausserhalb dieses
Hauses es öffentlich aussprechen müssen, dass in diesem Völkerkampfe
unsere, des deutschens Volkes, Sympathien denen gehören, die bis zum
Jahre 1866 mit uns zu einem Bundesstaat gehörten und die noch heute
nicht aufgehört haben, unsere Blutsverwandten, unsere Volksgenossen zu
sein, und die im Kämpfe um das Fortbestehen ihres Volksthums auch für
die Zukunft unseres Volkes kämpfen. " V. Berichte über die Verhand-
lungen ,des Reichstags. Seance du 15 decembre 1897, dixieme legislature,
cinquieme session, premier volume, p. 261.
(2) Texte allemand du telegramme du prince regent de Baviere : Oberst-
dorf, den 11 September 1898. Seine Kgl. Hoheit der Prinz Regent entbietet
den Teilnehmern am Alldeutschen Verbandstage in München für die Aller-
höchst demselben dargebrachte telegraphische Huldigung Ihren besten Dank
Ces manifestations affectées n'ont pas nui à une action
plus discrète, mais bien autrement dangereuse. Depuis son
entrée en ligne, l'Union a établi dans toutes les régions de
l'Autriche des « hommes de confiance (1) ", chargés de la
tenir au courant des moindres incidents de la vie politique
du pays et d'organiser la propagande autour d'eux.
En voici une liste, d'ailleurs fort incomplète. On ne sau-
rait s'en étonner. Ces « hommes de confiance » sont des
agents secrets, ce qui est très nettement établi par les quel-
ques lignes dont l'Union pangermanique fait précéder la
liste de ses groupes locaux et de ses représentants.
«
Pour des raisons faciles à concevoir, nous avons omis
de publier les noms de nos hommes de confiance en Autri-
che-Hongrie. Nous leur transmettrons volontiers les com-
munications intimes de ceux que nous jugerons y avoir
intérêt (2). »
Quoi qu'il en soit, parmi ceux qu'on peut connaître, il faut
citer :
(1) Der Staat ist Wurscht, wenn er gegen die Interessen der
« uns
Deutschen handelt. Hoffentlich holt das jetzige Wahlrecht bald der Teufel,
dann ziehen, wir 28 bis 30 Mann statt 6 bis 8 ein. Nur in einem Staate,
der im Geiste Bismarck's regiert wird, sehen wir unsere Heil... "
(2) « Der Alldeutsche Verband siehtin der Erhaltung des österreichischen
Deutschtums eine Lebensfrage des deutschen Volkes und hofft, dass es den
Deutschen Oesterreichs durch standhaftes Ausharren im Kämpfe gelingen
werde, die ihnen gehührende Stellung im Staate zu erlangen. Er wünscht
dieser Voraussetzung einen engeren Anschluss Oesterreichs an das
unter
Deutsche Reich durch die Aufnahme des deutschösterreichischen Bünd-
nisses in die Verfassung und durch eine Zollunion. »
(3) ODIN, Ein Kampfblatt für die alldeutsche Bewegung. Knorr, Munich.
sous-titre, ainsi que les brochures de propagande (Flu_qschrif--
ten) qui sortent de ses presses sont si violentes que le gou-
vernement autrichien a interdit à sa poste d'en opérer le
transport. Cette mesure est restée complètement inefficace.
L'Odin affirme disposer d'une organisation telle qu'il est en
état de faire le service de ses publications, malgré toutes
les interdictions officielles (1). L'Odin s'adonne, en outre
et tout spécialement, à l'édition des cartes postales illus-
trées dont j'ai déjà signalé le rôle qui consiste surtout à
faciliter la tâche des sociétés purement religieuses. Celles-ci
ont commencé depuis fort longtemps leur travail.
Le Gustav-Adolf-Verein, fondé en 1832 par le marchand
W. Schild, à l'occasion de l'érection d'un monument, en
l'honneur de Gustave-Adolphe, sur le champ de bataille de
Lutzen, est doté d'une organisation remarquable. Son action
s'étend, en principe, sur tout le monde évangéliste; mais,
par un hasard qui n'est certainement pas fortuit, elle se
concentre sur le territoire de la future Pangermanie, et
notamment sur l'Autriche. Le rapport du Verein pour 1895
établit que l'année précédente 5,900,000 marks ont été
répartis entre 623 communes évangélistes de Cisleithanie,
dont 150 en Galicie, 163 en Bohême et 91 en Moravie. L'ac-
tion de ce Verein a été conduite avec tant de méthode qu'on
évalue ses adhérents en Autriche à 80,000, soit au sixième
du total des protestants sujets de François-Joseph. Natu-
rellement, le Gustav-Adolf-Verein a prêté un concours très
actif au mouvement Los von Rom. Son rapport de 1900
constate en effet qu'il a envoyé l'an passé en Autriche
40 théologiens dont la mission est suffisamment mise en
évidence par le cas du pasteur Everling.
L ' Evangélis cher Bund est une société de même nature.
Bundes bei der Abfassung der Besschltisse zur Organisation des Uebertrittes
Protestantismus mithalfen. Rapport du Reichsbote, V. la Politik de
zum »
Prague du 31 janvier 1899.
(2) "... feste Brücken müssen nach dem protestantischen Deutschland
geschlagen werden. »
(3) « Geldopfer werden nicht beansprucht... Fur die erforderlichen
Mittel !,jt gesorgt. » V. Politik, 17 mars 1899.
Tout, absolument tout, vient de l'empire allemand; on
y a même imprimé les ci
tracts »
évangélistes qui ont été
répandus à profusion en Autriche. Le fac-similé ci-joint
reproduit la couverture de l'un d'eux, adressé spécialement
aux habitants de la région d'Eger, dont on veut flatter ainsi
le patriotisme local. Cette brochure est le modèle du genre.
(1) Ex. :
Le Révérend Friedrich Kiirzenbach est venu de Westphalie
s'installer à Braunau.
(2) Alldeutsche Blatter, 1895, p. 165.
(3) "... bemerke hier nur, dass dasselbe im engsten Zusammenhange
mit den Bestrebungen fur ein mitteleuropiiische oder wenigstens deutsch-
osterreichische Zollunion steht. » Dr Gottfried Zopfl, Mittellâiidische Ver-
kehrsprojekte, p. 73. Siemenroth, Berlin, 1895. 7
naux. Après leur achèvement, l'Allemagne disposera de
plusieurs routes fluviales vers la mer Noire.
1° La voie mer du Nord — Baltique par le canal Empe-
reur-Guillaume — Stettin— l'Oder et le canal de l'Oder au
Danube.
2° La voie Hambourg — Elbe — le canal de l'Elbe au
Danube — et le Danube.
3° La voie Brême — le canal du centre — Elbe — le
canal de l'Elbe au Danube et le Danube.
4° Le Rhin, le Mein et le Danube (1).
Pour arriver à la réalisation de ces grands travaux, le
Dr Zôpfl conseillait de constituer une fédération de sociétés
sur le modèle de l ' Alleg emeiner Deutscher Handels-und. Ge-
iverbeverein, qui, de 1819 à 1823, a mené l'agitation d'où
est sorti le Zollverein allemand (2).
L'idée du Dr Zôpfl est aujourd'hui une réalité. La fédéra-
tion des sociétés pour l'exécution des canaux existe; elle
comprend trois groupements principaux l'Union centrale:
à l'obtention de ce but.
«Les Allemands d'Autriche désirent précisément être rat-
tachés à l'empire allemand. Il faut trouver un moyen quel-
conque de donner une solution satisfaisante à cette grave
question qui, non seulement pour les Allemands d'Autriche,
mais encore pour l'empire allemand, est une question de vie
ou de mort. (La tâche européenne de l'Allemagne) (1).
11
(1) « Deutschland hat bis jetzt nicht einmal seine nachste nationale Auf-
gabe, aile Volker deutscher Abstammung und Sprache unter die Fittiche
des Reichsalder zu versammeln, erfiillt. Gerade die Gegenwart ist aber aus-
serordentlich günstig fur die Erreichung dises Zieles. Die Deutschen in
Oesterreich sehen sich geradezu nach Anschluss an das Deutsche Reich,
und es soUte moglich sein, irgendwie eine befriedliche Losung dieser
schwierigen Frage, die nicht nur fur Deutschœsterreicher, sondern ebenso
sehr fur das Deutsche Reich eine Lebensfrage ist, zu finden. Die Europaische
Angabe Deutschlands, von Wm. Weber. » Gegenwart, n°20, 20 mai 1899,
p. 306.
(2) Berlin, Wilhelmstrasse, 9.
est reconnue comme langue d'État et si l'Autriche entre
dans une union douanière et commerciale (Zollverein und
Verkehrverein) avec l'empire allemand. 1)
fenseurs. »
Je n'ai pas reculé devant la longueur de cette citation
qu'elle donne idée de la tranquille impudence des
parce une
journaux de l'empire allemand à l'égard de l Autriche ; pour
c'est un pays conquis qu'il faut traiter ad majorem Ger-
eux
înaniœ gloriam.
Aucun journaliste allemand de la majorité ne se demande
si la cause des Slaves cisleithans est juste ou non. A toutes
les tentatives de raisonnement, ,ils opposent l'argument
inébranlable, croient-ils, de la supériorité de la race. Leur
thèse est simple autant que brutale : les Allemands dominent
en Autriche depuis des siècles ; ils ont apporté aux Slaves la
civilisation; ce serait en compromettre les bons effets que
de permettre à ceux-ci de toucher à l'ordre de choses établi.
Jusqu'ici, les Habsbourg ont été les serviteurs du germa- cc
(1) Lassen wir unsere reichsdeutschen Studenten ein paar Semester sich
11
auf der deutschen Universität Graz erfüllen von dem frischen Idealismus
einer um ihr Volkstum kämpfenden deutschen Bürgerschaft. Alldeutsche
"
Blätter, 1898, p. 165.
(2) La population de Prague, y compris les faubourgs,
se compose de
264,000 Tchèques et de 40,000 Allemands, dont 21,000 Israélites. Recen-
sement de 1890.
les Tchèques sur la place de Bohême nous produit le même
effet que jadis au jeune Bismarck les couleurs françaises
flottant sur Strasbourg... En proclamant la nécessité pour
la Prusse de maintenir libre la route de Kœnigsberg à
Breslau, Bismarck a vu juste. Aujourd'hui, la nation alle-
mande a peut-être un intérêt plus décisif encore à main-
tenir libre la route de Breslau à Vienne. Prague est le
centre économique du pays et commande la Bohême. Au-
cune autre ville de la région allemande ne peut le rem-
placer. Aussi, laisser tomber son Université serait mettre
le dernier clou au cercueil du a Germanisme » (1). »
Les Allemands de Prague, estimant très haut la valeur
du renfort que leur apportent ces étudiants, les favorisent
de tout leur pouvoir. Une série de circonstances a livré aux
Allemands l'administration de la Caisse d'épargne du
royaume de Bohême. Ils en abusent souvent pour soutenir
leur politique, et l'on assure qu'au début de 1899 ils auraient
prélevé trois cent mille florins sur les fonds de cette insti-
tution, pour installer leurs amis étudiants dans le » Grand
,
Hôtel , situé près du parc de la ville. Une fois en posses-
sion de ce quartier général, les étudiants allemands se sont
cru tout permis; ils ont manifesté leurs sentiments prusso-
philes avec tant de violence que, comme je l'ai dit plus
haut, le statthalter de Prague a été contraint de dissoudre
leur association la Teutonia. Cette mesure, il est vrai, est
restée inefficace, si bien qu'en novembre dernier, dans ce
même HGrand Hôtel », une nouvelle assemblée d'étudiants
de l'empire et d'Autriche a eu lieu. Le délégué, sujet de
l'empereur Guillaume, M. Baumann, de Leipzig, assura
H que le but final des Allemands de l'empire était le même
que celui des Allemands d'Autriche (2) ».
Les faits de même nature sont très nombreux. Si l'on
(1) Politik, h0 43, 1899
(2) « dass dis Endziele der reichsdeutschen Studentenschait dieselben
...
seien, wie die der osterreichischen. Il
veut donc voir les choses comme elles sont, il faut considérer
la grande majorité des étudiants de l'empire allemand
comme des partisans très zélés de la Pangermanie. D'ail-
leurs, sous l'influence des brochures, des manifestations
faites par des personnalités connues ou des collectivités
influentes, sous l'action de considérations économiques,
politiques, sentimentales ou militaires, toutes les classes de
la société allemande se laissent gagner en grande partie
par les théories remises en honneur et modernisées par le
Dr Hasse.
Sans doute, tous les Allemands ne sont pas encore entrés
dans cette voie périlleuse. Après les premières attaques de
l'Union pangermanique contre l'Autriche, un grand nombre
de journaux de l'empire ont protesté fort honnêtement
contre cette immixtion (Einmischung) dans les affaires d'un
État étranger. La Kôlnische Volkszeitung a été l'un des plus
constants dans la réprobation. (t Tout homme intelligent
comprend, disait-elle en janvier 1900 que depuis 1866,
les choses se sont modifiées en Autriche, de telle façon que
l'ancienne prépondérance du « germanisme » dans l'empire
des Habsbourg, formé de nationalités enchevêtrées, ne peut
se maintenir sans violenter les autres nationalités et notam-
ment les Slaves. Assurément, chaque peuple a le droit et
le devoir de défendre énergiquement sa nationalité, mais il
doit reconnaître le même droit aux autres et le leur laisser
exercer. Cela est particulièrement nécessaire en Autriche,
où des nationalités si diverses se trouvent réunies dans un
même État. Elles doivent se respecter et se supporter réci-
proquement. L'exercice illimité des intérêts d'une de ces
nationalités est incompatible avec la conception même de
l'État autrichien. Les Allemands doivent se dire : Per-
c,
(1) Die liberalen Deutschbohmen, dass weiss ich nicht etwa aus
«
Schriften, sondern aus eigener Kenntniss, betrachten die Cechen als eine
minderwerthige Nation und scheuen sich nicht, in der gröbsten Art und
Weise mit Ausdrücken, wie ich sie hier vor diesem Kreise nicht wiederholen
mochte, die cechische Nation als solche zu beschimpfen, und zwar offent-
lich...
(2)Die deutsche Rechtspartei muss es als einen bedeutungsvollen
«
Fortschriftt begrüssen, dass neuerdings die Erkenntniss von der gefährdeten
Lage der Deutschen in Oesterreich zugenommen hat... Sie beklagt aber, dass
De telles protestations font trop d'honneur au bon sens
€t à la bonne foi de ceux qui les ont faites, pour ne pas mé-
riter d'être signalées; c'est rendre aussi un hommage à la
vérité et au courage tout particulier qu'elles dénotent chez
leurs auteurs. Malheureusement, on est bien forcé de cons
tater qu'elles ont été très rares; les organes qui, comme
la Süddeutsche Reichskorrespondenz, continuent à accuser
l'Union pangermanique de (t provoquer un mouvement irré-
dentiste chez les Allemands d'Autriche Il restent parfaite-
ment impuissants à arrêter le courant.
L'accroissement du nombre des partisans de la Grande-
Allemagne est si sensible parmi les sujets de Guillaume II,
qu'un des collaborateurs de l'Odin, malgré le caractère
insatiable de ses exigences, le constate : L'existence de
ci
(1) Journal de Colmar, 16 août 1900. Cet organe, dirigé par le député
protestataire au Reichstag Wetterlé, est remarquable par sa modération.
Pour qu'il parle en ces termes du mouvement pangermaniste, il faut qu'il
eoit dix fois convaincu de sa gravité.
assurent leur succès. Celles que j'ai déjà citées sont relative-
ment raisonnables auprès de " Germania triumphans, consi-
dérations sur les événements universels de 1900 à 1915, par
.
un partisan de la Pangermanie (1)" Elle a trouvé un accueil
particulièrement favorable. En donner une analyse me
semble de nature à faire comprendre plus complètement
l'état de l'opinion allemande.
Dans la préface, l'auteur juge nécessaires quelques pré-
cautions oratoires. Il On jugera invraisemblables, dit-il, les
événements que nous allons raconter; mais l'idéal étant
la force principale des nations, on ne saurait leur assigner
un but trop élevé. Quand bien même le peuple allemand
s'arrêterait à moitié du chemin qu'on lui trace, nous n'en
aurions pas moins rempli notre tâche.
cc
Au début du vingtième siècle, la concurrence allemande
est devenue si dangereuse qu'en Angleterre le libre-échange
a perdu un nombre considérable de partisans. Alors, la fédé-
ration des territoires britanniques a pu être réalisée. Ceux-
ci forment un immense territoire économique protégé
contre le commerce étranger. De toutes les puissances con-
tinentales, l'Allemagne souffre le plus de cet état de choses.
La situation devient bientôt intolérable. Un prétexte s'offre
d'en sortir. En 1902, le Sultan propose à l'Allemagne et à
l'Autriche-Hongrie de former avec la Turquie une union
douanière. Cette demande porte ombrage à la Russie, qui
fait appel à la France. Dans ce pays, l'opinion est partagée;
les uns voient avec satisfaction l'occasion longtemps atten-
due d'une guerre avec l'Allemagne; les autres estiment qu'il
vaut mieux s'entendre avec le gouvernement de Berlin.
Cette division de l'opinion française est la conséquence de
l'amélioration des rapports franco-allemands. Ils sont deve-
nus si amicaux que l'empereur Guillaume, répondant à
II
LE GOUVERNEMENT DE BERLIN
«
On voudrait bien savoir quel rôle joue dans tout cela
le gouvernement de Berlin, » écrivait M. Alphonse Hum-
bert, député de Paris, au moment où Mommsen envoyait sa
lettre à la Neue Freie Presse. « Il ne faudrait pas prétendre
qu'il y a là un mouvement d'opinion publique contre lequel
l'empereur lui-même ne peut rien. Personne n'ignore qu'il
suffirait d'un signe de la grande chancellerie pour faire
changer de ton à la grande majorité des feuilles berli-
noises. » Sur ce point, en effet, il n'y a aucun doute; aussi
l'attitude observée par le gouvernement de Berlin à l'égard
du mouvement pangermaniste présente-t-elle un intérêt très
puissant.
§ 1.
— Contester que le Dr Hasse et ses amis aient trouvé
chez les autorités allemandes de l'empire la plus sympa-
thique condescendance paraît bien difficile
Les libraires ont pu exposer sans obstacle dans leurs
vitrines les cartes et les brochures pangermanistes; l'Evan-
gelischer Bund et les autres sociétés protestantes ont dirigé
librement de Berlin le mouvement Los von Rom; l'Union
pangermanique a tenu sans la moindre entrave ses meetings
antiautrichiens dans toutes les grandes villes de l'empire,
parfois même avec la protection de la force publique. A la
réunion tenue à Mayence, le 29 octobre 1899, le député
autrichien Wolf prononça un discours qui souleva le plus
grand enthousiasme, quoique étant parfaitement injurieux
pour la maison des Habsbourg. Un Tchèque, qui se trou-
vait dans une galerie, interpella Wolf, et lui cria qu'il était
traître à sa patrie (Vaterlandsverriither). Aussitôt, les poli-
ciers qui assistaient à la réunion se précipitèrent sur lui et
expulsèrent le trop fidèle sujet de François-Joseph. Pour
quiconque connaît les procédés de la soupçonneuse police i
§ 4. — M
Que fait donc le loyal Guillaume II? Il se
demandait M. Alphonse Humbert au moment de l'éclat fait
par la lettre de Mommsen. « Son abstention, en la circons-
tance, est d'autant plus remarquée que, lors de son voyage
à Buda-Pesth, il a bien paru vouloir appuyer personnelle-
ment la politique violemment pangermaniste. Il
En effet, tout indique que les choses d'Autriche intéres-
sent passionnément l'empereur allemand, et l'on comprend
mieux à quel degré si l'on se pénètre de la conception très
particulière qu'il s'est faite de son rôle de souverain. Une
série de faits révélateurs et de paroles précises permettent
d'en donner le sentiment avec de grandes chances d'exacti-
tude.
A l'avènement de Guillaume II, les innombrables fonc-
tionnaires allemands de tous ordres portaient sur leur cas-
quette d'uniforme une cocarde aux couleurs de leur État res-
pectif. Cet insigne fédéral offusqua le jeune empereur, qui
ordonna de le faire surmonter d'une autre cocarde aux cou-
leurs de l'empire. Les événements de Chine lui ont permis
de réaliser un nouveau progrès. Les troupes allemandes
d'Extrême-Orient ont été dotées d'une tenue spéciale qui
comporle un chapeau à larges bords dont l'un des côtés est
crânement relevé à la façon des Boërs. Sur cette partie
plane une énorme cocarde impériale d'omine une cocarde
fédérale presque imperceptible qu'une occasion prochaine
sans doute permettra de faire disparaître (1). Cette gradation
dans l'emploi des petits moyens, Guillaume II l'applique
constamment. A la fin de 1899, il a voulu remplacer par sa
propre effigie l'aigle des timbres-poste de l'empire. Les
princes confédérés, choqués de cette intention par trop
contraire à l'esprit de la Constitution, ont protesté discrète-
ment, mais résolument. Guillaume II a dû s'incliner, mais
il s'est à demi satisfait en adoptant pour vignette une Ger-
mania dont les traits sont inspirés de ceux de l'impératrice
sa femme. Enfin, tout récemment, il vient de choisir comme
devise d'un nouveau timbre : « Seulement unis, unis,
unis. » Il Nur einig, einig, einig. » Sans doute, ce ne sont là
que des détails, mais ils témoignent suffisamment que la
place occupée par les États allemands semble encore trop
grande à Guillaume II. Il ne voudrait plus voir dans leurs
princes qu'un brillant état-major; le titre d'empereur fédé-
ral lui paraît mesquin, et très certainement le mot de « Ger-
manie i, sonne plus doucement à ses oreilles que celui
d'Allemagne.
On conçoit donc facilement que son souvenir s'en aille
volontiers vers les Germains d'Autriche et surtout vers leur
armée. Colonel honoraire d'un régiment de hussards hon-
grois, il profitait chaque année de la fête de ce corps pour
venir à Vienne passer une inspection militaire. Celle-ci
était si sérieuse que la sollicitude de l'empereur a fini par
froisser la cour et l'état-major autrichiens. Brusquement, le
régiment de hussards fut envoyé au fond de la Hongrie, et,
pour la première fois en 1898, Guillaume II n'a pas fait à
Vienne son voyage traditionnel.
Depuis, il est vrai, tout s'est arrangé. En mai 1900,
François-Joseph est venu à Berlin excuser la digne attitude
du comte Thun, et il a poussé la faiblesse jusqu'à conférer
(1) " Dazu bedarf es der Einigkeit und Mitwirkung aller deutschen
Stämme. "
(2) " die Gemeinschaft aller deutschen Stämme. " V. la ^ouverture
...
de YAlldeutscher Atlas, Paul LANGHANS. Justus Perthes, Gotha, 1900.
(3) Deswegen wollen wir trachten, dass wir Germanen wenigstens
11
(1) Der Kaiser hait den Ausbau des Reiches nicht fur beendet. Er will
«
die deutsche Reichseiche noch wachsen sehen Wie seine Vater steht er
auf dem Boden des Staatsbewusstseins. Erst die Mark, dann Preussen, dann
das Deutsche Reich. Und wass dann ? Wenn er von der Gemeinsamkeit
der Germanen spricht und hierbei vielleicht an die Angelsarhsen denkt, so
kann er unmoolich die Zwischenstufe des grosseren Deutsclilands » die
(1
,
Zusammenfassung aller Deutschen, überspringen wollen... Aus dem deut-
(1
schen Kaiser » aber wird ein Kaiser des Deutschen ! » Alldeutsche Blatter,
1899, p. 53.
(2) Discours de Stettin, septembre 1900.
(3) Discours de Bielefield, juillet 1899.
(4) Discours à la Garde, janvier 1900.
sur laquelle s enroulait un ruban rouge portant des aigles
brodés en noir. On a fort remarqué en Allemagne ces trois
couleurs, jaune, rouge et noir, et non sans raison; ce ne sont
point celles de l'empire allemand, mais celles de la Confédé-
ration germanique d'autrefois et des drapeaux que les Prus-
sophiles autrichiens arborent maintenant en signe de protes-
tation contre l'étendard des Habsbourg. Le détail est curieux.
Les paroles de Guillaume II, posant la première pierre du
musée romain de Saalbourg (4 octobre 1900), ne font qu'en
augmenter la saveur. « Ma première pensée en ce jour se
reporte, en un souvenir plein de mélancolie, à mon inou-
bliable pèré, l'empereur Frédéric III. C'est à son énergie,
à sa volonté créatrice, que le château de Saalbourg doit sa
reconstitution. De même qu'à l'est de la monarchie le
manoir colossal des chevaliers qui implantèrent jadis la
civilisation allemande dans l'est a été reconstruit par son
ordre et va être bientôt achevé (1), de même, semblable au
phénix qui renaît de ses cendres, s'élève sur la hauteur du
séduisant Taunus, le vieux castel romain. Il fut un témoin
de la puissance romaine, un anneau de cette forte chaîne
d'airain qui reliait les légions de Rome au puissant empire,
de ces légions qui, sur l'ordre d'un empereur romain, d'un
César-Auguste, imposaient leur volonté au monde et ou-
vraient l'univers entier à la civilisation romaine, si parti-
culièrement bienfaisante pour les Germains.
(1
Au premier coup de marteau, je consacre donc cette
pierre à l'empereur Frédéric III; au second coup, je la
consacre à la jeunesse allemande, aux générations qui
s'élèvent et qui pourront apprendre dans le nouveau musée
ce que signifie « un empire universel » ; au troisième coup,
je la consacre à l'avenir de notre patrie allemande. Puisse-
t-elle, dans les temps futurs, par la coopération unifiée des
princes et des peuples, de leurs armées et de leurs citoyens,
(1) Guillaume II fait ici allusion au château des chevaliers de l'ordre
Teutonique à Marienbourg, non loin de Dantzig.
devenir aussi puissante, aussi fortement unie, aussi extraor-
dinaire que l'empire romain universel, afin qu'un jour, dans
l'avenir, on puisse dire, comme autrefois : Civis romanus
sum : Je suis citoyen allemand (1)! »
Ce discours, qui implique nettement l'idée d'extension
continentale de l'empire, fut salué d'enthousiastes acclama-
tions. Quelques jours plus tard (28 octobre 1900), célébrant
avec ses officiers le centième anniversaire de la naissance
du maréchal von Moltke, Guillaume souhaita à son état-
major de conduire l'Allemagne à de nouvelles victoires. Les
victoires supposent une guerre, mais à quel propos cette
guerre aurait-elle lieu ? « Mon but suprême, répond Guil-
laume II, est d'écarter ce qui sépare le grand peuple alle-
,
mand (2). Ces paroles, Guillaume II paraît en avoir fait
§ 5.
— Le gouvernement de l'empereur Guillaume paraît
si favorable au nouveau courant de l'opinion publique, sa
conduite s'harmonise si parfaitement avec celle des sociétés
pangermanistes, qu'on peut se demander s'il n'est pas le
dispensateur des subsides considérables que nécessite leur
propagande en Autriche. Il est en effet très évident que les
seules cotisations des adhérents de ces sociétés, si nombreux
soient-ils, sont insuffisantes pour subvenir aux dépenses mul-
tiples d'une campagne qui dure déjà depuis plusieurs années.
(1) « Abg. Stojalowski. Besser als Sie es thun, Geld aus Berlin oder von
den Juden zu nehmen. Sie haben schon mehrereTausend Gulden bekommen,
und wenn Sie mich herausfordern, sage ich, von wem Sie es bekommen
haben ! ,
2) Il est à remarquer que ce matériel C/96 du calibre 79,7 a été construit
de batteries lourdes, de mitrailleuses, etc.; j'entends seule-
ment parler de mesures qui dénotent des préoccupations
anormales, que l'état pacifique de l'Europe ne semble pas
justifier.
L'activité déployée dans les chantiers de constructions
maritimes allemands, le nouveau projet d'accroissement de
la flotte de guerre et les relèvements de crédits prévus pour
le budget de la marine de 1901 méritent de fixer sérieuse-
ment l'attention. Ils ne constituent pas, comme on a voulu
le dire, une menace dirigée uniquement contre l'Angle-
terre. Sans doute, cette hypothèse est la première qui se
présente à l'esprit, bien que depuis le discours de Barmen,
apprenant au monde le caractère durable de l'accord anglo-
allemand, elle ait singulièrement perdu de sa vraisemblance,
mais elle n'est pas la seule qu'on puisse faire. Il est certain
en effet que dans le cas d'une intervention allemande en
Autriche, et par conséquent d'une conflagration générale,
la flotte de l'empire aurait, elle aussi, un rôle actif à jouer,
de nature à influer sérieusement sur le succès final. Ce
rôle, Guillaume Il l'a indiqué fort nettement dans son dis-
(1) «En cas d'une lutte de la Triple Alliance contre l'Alliance franco-russe,
la France, pense-t-on généralement, n'aurait que les deux cinquièmes de ses
forces environ dans la mer du Nord et les trois cinquièmes au moins dans la
Méditerranée. Dans ces conditions, t escadre française de la Manche
serait aujourd'hui sensiblement inférieure à la totalité de la flotte alle-
mande. -
(2) Pour tous les détails sur cette loi militaire, V. la Revue militaire,
avril 1899.
(3) Les trois délibérations du Reichstag ont eu lieu les 12 janvier, 14 et
16 mars 1899.
une armée l'indice d'un organisme qui se fortifie et se com-
plète : tout temps d'arrêt dans cette évolution conduit fina-
lement à la décadence et au désastre (1). »
En réalité, la portée de la nouvelle loi dépasse de beau-
coup celle d'un simple perfectionnement. De vingt, le
nombre des corps d'armée est passé à vingt-trois par le
dédoublement de ceux dont les gros effectifs rendaient le
maniement difficile et par la création d'unités nouvelles,
dans la proportion suivante (2) :
Ayant la loi. Après la loi. Unités noarelles.
Frage der Zeit und es bedürfe hiezu keines Krieges.Es bedarf eines Krieges
und dieser muss kommen, da es einmal unseren Nachbarn nach dem schonen
Lande an der Donau geliistet und Deutschlands Grenzen auch nach Osten
einer Erweiterung bediirfen. So wie Oesterreich seit jeher fur sein gutes
Recht eingestanden ist, so wird es seinerzeit um seinen Bestand ringen ; es
gilt dann den letzten entscheidenden Kampf. Moge die noch vorhandene
Zeit beniitzt werden, um wenigstens die Vorbedingungen einer gliicklichen
Vertheidigung zu schaffen. » V. la Politik de Prague du 28 décembre 1899
et du 6 février 1900.
I
DANS LA PAIX
§ 1.
— Présentement, l'objectif principal des Pangerma-
nistes est de ruiner aussi complètement que possible le
loyalisme des Allemands d'Autriche envers leur dynastie.
Leur propagande, organisée sur des bases puissantes que
l'on sait et dissimulée fort habilement sous les dehors du
mouvement protestant Los von Rom, qui permet de la pour-
suivre sans éclats inutiles, peut y contribuer largement. Il
est vrai que, même si le gouvernement de Vienne continue
à ne pas faire d'opposition sérieuse, il ne semble pas que les
Prussophiles puissent jamais devenir une majorité numé-
rique parmi les Allemands d'Autriche. Toutefois, les pro-
grès qu'ils peuvent encore réaliser n'en constituent pas
moins un travail préparatoire indispensable à la grande
opération politique qu'ils prétendent réaliser.
II
DANS LA GUERRE
et si lourdes auxquelles j'aurais à faire face vont s'accroître dans des propor-
tions que je juge être démesurées. 1
r
On les prévient que Aurore tient à leur
disposition un carnet militaire où, sous le voile de l'ano-
nymat, ils peuvent se plaindre publiquement de leurs offi-
ciers.
Que devient, en vérité, l'organisme militaire d'une nation
ou de telles attaques, réprimées sévèrement par les lois,
sont protégées par le pouvoir? Dans de telles conditions,
les troupes françaises peuvent-elles rester entre les mains
du généralissime une arme bien trempée? Un article sensa-
tionnel du Novoié Vrémia a résumé, avec impartialité semble-
t-il, la situation présente. « Jusqu'à ces derniers temps,
l'armée française a été considérée par les plus puissantes
armées européennes comme une égale, comme un orga-
nisme tout à fait sérieux, formé selon toutes les règles de la
science militaire, possédant avec un excellent armement un
admirable esprit et une parfaite discipline... A partir d'au-
jourd'hui, elle paraît changer de voie et de destination. »
Cette appréciation n'est-elle pas fondée? Quand on consi-
dère que les premières des manifestations antimilitaristes
(1) V. le Petit Sou du 2ft octobre 1900.
(2) V. l'Aurore du 3 novembre 1900.
ne remontent pas à plus de trois années, n'est-il pas à
craindre que les jeunes soldats qui entreront à l'avenir à
la caserne n'y arrivent avec un esprit moins bien disposé
que jadis à l'acceptation de leurs devoirs? Les sacrifices
financiers que fait et fera le Parlement pour la défense
nationale ne serviront absolument à rien, s'il laisse détruire
la discipline, qui est l'inéluctable condition d'une armée.
«
Les forces morales ne restent jamais à un même niveau;
elles décroissent dès qu'elles cessent de croître (1). x
Certes, le mal n'est encore que superficiel, une action
énergique du pouvoir peut l'enrayer rapidement, mais si
cette action ne se produit pas, la France entrera immanqua-
blement dans la voie de l'affaiblissement militaire. Les
peuples y marchent rapidement ; elle aboutit au désastre.
Cette déchéance possible de la puissance militaire de
la France, les Pangermanistes la connaissent et l'escomp-
tent. Quand ils ont vu la politique, germe de mort des
armées, introduite dans les troupes de la République, leur
joie a été si grande que, tout en sachant imprudent de la
témoigner, ils ont eu peine à la contenir. Malgré leur réserve
voulue, il leur échappe parfois des phrases sur le sens véri-
table desquelles il est impossible de se méprendre. Ils se
félicitentde voir « la France toujours complètement absorbée
par des événements intérieurs (2) » . La France montre
iL
(2) « Es wird bald kein Rivale mehr sein. » Op. cit., p. 59.
(3) « Schon mehren sich die Stimmen in Frankreich, die dem franzôsis-
chen Volke raten, den politischen, merkantilen und industriellen Wettbe-
werb mit den Volkern germanischer Rasse aufzugeben, sich auf ein idyl-
lisches Stilleben in behaglichem Wohlstand zurückzuziehen und sich mit
kulturellen Leistungen in Kunst und Wissenschaft zu begniigen, » Eduard
von HARTMANN, Die G.e!jenwal't, 30 décembre 1899 et 6 janvier 1900.
-
résultats : elle permettrait au commerce allemand de s'em-
parer d'une grande partie des débouchés extérieurs qui
restent encore aux Anglais et aux Français et en désorgani-
sant les forces continentales de la France, elle donnerait au
gouvernement de Berlin une grande liberté pour agir en
Autriche. Les Pangermanistes envisagent en effet cette éven-
tualité comme une des plus favorables à leurs desseins :
cc
Contre la volonté de la Russie, la transformation complète
de l'Autriche n'est possible que pendant une guerre entre
la France et l'Angleterre (1) »
Cette liberté d'action seraitcomplète si, comme des indices
fort sérieux permettent de le supposer, l'accord anglo-alle-
mand, dont on connaît les effets en Chine et au Transvaal,
prévoit en plus le règlement futur des affaires de l'Europe
centrale.
Cette dernière hypothèse ne se conçoit nettement qu'après
un exposé, au moins élémentaire, de l'évolution écono-
mique générale qui est en train de modifier profondé-
ment les rapports des États.
Il existe actuellement dans le monde cinq grands terri-
toires économiques qui s'isolent de plus en plus complète-
ment les uns des autres., (Voir la carte ci-après Les grands
territoires économiques.)
Depuis le bill Mac-Kinley et le tarif Dingley, les États-
Unis se ferment étroitement aux importations étrangères.
Par contre, ils inondent les marchés étrangers de produits
fabriqués à si bon compte qu'ils concurrencent ceux des
Allemands, non seulement dans les débouchés dont ceux-ci
avaient cru se rendre maîtres, mais même sur le sol de
l'empire allemand (2).
-
espérer, dit l'un d'eux, que si jamais il est placé dans l'alter-
native de sacrifier le droit des princes — celui des Habs-
bourg, bien entendu — ou le bien de l'empire qui lui est
confié, il se décidera dans le même sens que son grand-
père dans les affaires du Schleswig-Holstein, du Hanovre
et de la Hesse électorale (2). »
§ 3. — L'hypothèse d'une intervention allemande en
Autriche dans le cas de l' occasion unique » doit être
CI
krâftig arbeiten, dann geht es gewiss. » Deutschland bei Beginn des 20. Jahi -
hunderts, p. 212. Militar-Verlag R. Félix, Berlin, 1900.
«
Jamais jusqu'à présent la préparation stratégique n'a eu
pareille importance pour le résultat de la lutte, jamais les
conséquences du premier choc n'ont exercé une influence
aussi décisive que celle qu'elles exerceront à l'avenir... Le
déploiement stratégique terminé, la manœuvre offensive
doit en jaillir comme l'éclair du nuage (1). IJ
vie immer, ohne nach dem Wie und Warum zu fragen, auf das Geheiss
ihres Kaisers ihre Schuldigkeit griindlich thun. » Op. cit., p. 49.
(1) « ist dieses Volk voilstândiger als irgend eines, in der H and seiner
...
Regierung... » Op. cit., p. 208.
en effet, pourrait très facilement mettre les apparences en
harmonie avec les textes.
Qu'on imagine, par exemple, qu'un conflit se produise
entre les régiments tchèques casernés dans le nord de la
Bohême et des douaniers allemands, que des troubles d'une
nature quelconque éclatent dans cette région, — et nous
savons qu'il dépend du gouvernement de Berlin de les sus-
citer par l'intermédiaire de ses comités pangermanistes à
l'instant précis qui lui conviendra, — Guillaume II sera
évidemment libre alors de considérer les frontières de l'em-
pire comme attaquées et de mettre en mouvement toute c(
(i) « Aber es fragt sich, ob das Deutsche Reich stark genug ist, trotz
Russlands und Frankreichs unsere Osterreichischen Briider aus der Slaven-
meute herauszuhauen. » Die Deutsche Politik der Zukunft p. 13
Deutschvolkischer Verlag Odin » , Munich, 1900.
(1
simples citoyens doivent se borner à donner l'impression
qu'ils sont mûrs pour cette tâche immense; que, dès qu'il le
faudra, tout le peuple allemand, y compris sa fraction au-
trichienne, se laissera convaincre de la nécessité et de la jus-
tice de cette guerre (contre l'Autriche) et sera prêt à la sou-
tenir de toutes ses forces (1). » Toutefois, le même auteur
estime qu'il est possible, en agissant subitement et très ra-
pidement, d'éviter cette guerre formidable. Il faut, avant
et
III
DE LA NÉCESSITÉ DE PRÉVOIR LES DIVERSES HYPOTHÈSES
§ 2.
— La prévision des événements extérieurs et l'art
d'en tirer parti constituent en somme une escrime supé-
rieure où chaque coup doit trouver sa parade. Ces parades,
une « prévoyance incessante et poussée aux limites les
IJ
(1) a Hier ist die Intervention immer nur der Vorwand fur Eroberungs-
politik... » Dr K. MEHRMANCÎ, Deutsche Welt-und Wirtschafts-Politik.
Deutschvolkischer Verlag « Odin ", p. 39.
CHAPITRE VII
LE NOUVEAU TERRITOIRE
II
La Hongrie a
................ 17.600.000 - —
27.125.000 habitants.
Soit en chiffres ronds 27,000,000 d'habitants.
Les chiffres donnés plus haut comme représentantl'armée
austro-hongroise mobilisée correspondent à une population
totale de 43,680,000 habitants.
Le rapport de 27 à 43 est de 3 à 5.
La réduction à opérer sur les chiffres donnés est donc des
trois cinquièmes.
§ 3.
— Les conséquences politiques de
l'extension se-
raient d'une bien autre portée.
Introduite dans la Méditerranée par l'Adriatique, la Con-
fédération germanique détruirait l'équilibre actuel. Elle
exercerait autour d'elle une puissance de radiation dont
on ne peut se rendre compte qu'après avoir étudié les posi-
tions occupées actuellement par les Allemands dans les
Balkans, en Orient et en Extrême-Orient.
A Bucarest, leur colonie compte « officiellement »
15,000 âmes, et leur mainmise financière sur toute la
Roumanie est déjà réalisée. Tous les emprunts roumains
ont été émis à Berlin, par la Disconto Gesellschaft, qui
maintenant fait sentir durement la dépendance où elle tient
ses débiteurs. "... Chose extraordinaire, dit l' Indépendance
roumaine (1), la baisse de notre crédit, la dépréciation de
nos fonds publics est, pour une grande partie, l'œuvre des
représentants de l'épargne allemande... »
A Belgrade, « ville slave de physionomie et même d'or-
gueil intime, si l'on peut dire, où l'Occidental se butte
pour la première fois à des enseignes de magasins unifor-
mément établies en caractères cyrilliques, le seul idiome de
l'Occident que l'on trouve à parler dans ces magasins, c'est
l'allemand (2). IJ
t. II, p. 298.
(2) Op. cit., p. 279.
(3) « die in Zukunft das Erbe Deutschlands bilden sollen. » Cité dans
...
Deutschlanc/s Anspruche an das Tùrkische Erbe, p. 11.Lehmann, Munich,
1896.
(4) hoffte die Zeit zu erleben, wo die türkische Erbschaft an
...
«
Deutschland gefallen sein wird, und deutsche Soldaten oder Arbeiterregi-
menteram Bosporus stehen. » Op. cit., p. -12. Lehmann, Munich, 1896.
Il y a trente ans, les Allemands n'étaient encore rien à
Constantinople ; ce laps de temps très court leur a cepen-
dant suffi pour se créer en Turquie une situation hors de pair.
La première manifestation officielle de l'influence du
gouvernement de Berlin auprès du Sultan fut l'envoi, en
1882, d'une mission militaire. En principe, les officiers qui
étaient mis ainsi à la disposition du ministre de la guerre
turc devaient continuer la tâche de réfection de l'armée
ottomane, commencée par la mission française entre la
guerre de Crimée et 1870. En fait, la mission militaire alle-
mande, surtout dans ses premières années, a été loin d'avoir
l'influence qu'on est tenté de lui attribuer. Elle n'a point
eu, comme on l'admet souvent, la haute main sur les troupes
du Commandeur des croyants, qui, pour des raisons reli-
gieuses inéluctables, ne subissent que dans une très faible
mesure l'action d'officiers chrétiens, quels qu'ils soient.
D'ailleurs, sur les douze officiers qui composaient la mission
allemande, on trouvait onze hommes médiocres, incapables
d'exercer une influence sérieuse; le douzième, il est vrai,
était de la plus haute valeur. C'est aujourd'hui le général
baron Colmar von der Goltz (1). C'est lui qui a vraiment
frayé les voies à l'Allemagne en Turquie et qui, en obtenant
la réforme des écoles militaires turques et de la Grande
Maîtrise de l'artillerie, a fait pénétrer dans l'armée ottomane
la dose de principes militaires prussiens qu'elle était sus-
ceptible de s'assimiler. Quant aux campagnons de von der
Goltz, leur rôle s'est borné à amener la Turquie à acheter
exclusivement en Allemagne son matériel de guerre. Ils ont
pleinement réussi dans cette entreprise, but véritable de
leur mission. Le commerce allemand pour les armes, les
munitions, les équipements de toutes sortes, a ainsi trouvé en
Turquie un premier et important débouché.
Ce premier succès amena les publicistes allemands à
(1) Babylonien, das reichste Land in der Vorzeit und das lohnendste
Kolonisationsfeld fiir die Gegel/wart. V. Deutschlands Ansprüche an das
Türkische Erbe, p. 12. Lehmann, Munich, 1896.
(2) « Unter allen Landern der Erde giebt es keines, das wie Syrien und
Assyrien so sehr zur Kolonisation einladet, hier giebt es keinen Urwald aus-
zuroden, keine Naturschwierigkeiten zu uberwinden, man hat bloss den
Boden aufzukratzen, zu saen und zu ernten. » Op. cit., p. 13.
(3) « Der Orient ist das einzige Territorium der Erde, das noch lIichtvon
einer der emporstrebenden Nationen in Beschlag genommen worden ist; es
ist aber das schonste Kolonisationsfeld, und wenn Deutschlanddie Gelegen-
heit nicht verpasst uud danach greift, ehe die Kosaken die Hand danach
austrecken, hat es in der Teilung der Erde den besten Teil errungen. »
Op. cit., p. 12.
(4) Kleinasien, ein deutsches Kolonisationsfeld. V. Deutschlands Ans-
priiche an das Türkische Erbe, p. 13. Lehmann, Munich, 1896.
qui permettraient de diriger le courant de l'émigration
allemande vers les régions fertiles de la Turquie et d'établir
plus tard avec cet État une union douanière; l'avenir éco-
nomique et politique de l'Allemagne serait ainsi placé sur des
bases d'une ampleur et d'une solidité extraordinaire (1). »
Un événement considérable vint alors stimuler singuliè-
rement l'activité des Allemands.
Constituée en 1892 sous l'égide de la Deutsche Bank et de
la Württembergische Vereinsbank, la société dite des chemins
de fer ottomans d'Anatolie obtint le 4 octobre 1888 un firman
lui concédant l'établissement et l'exploitation d'un réseau
en Asie Mineure. Le directeur général de cette société était
M. von Kühlmann, et l'ingénieur en chef M. 0. Knapp, tous
deux Allemands. Sous une direction allemande, construits
CI
(1) Il... so würde damit dieganze wirtschaftliche und damit auch politische
Zukunft Deutschlands auf eine ungleich breitere und festere Grundlage
gestellt werden... » V. Deutschlands Anspriiche an das Tüi-kiçche Erbe,
p. 14. Lehmann, Munich, 1896.
(2) V. la carte insérée p. 352.
plus brillantes perspectives. Le temps était bien passé où
M. de Bismark lançait sa boutade célèbre : « La question
d'Orient ne vaut-pas les os d'un grenadier poméranien, « et
se vantait avec une ostentation qui peut-être déjà n'était pas
très sincère de ne point lire le courrier de Constantinople.
Guillaume II venait de monter sur le trône. Dans sa préoc-
cupation d'assurer des débouchés au commerce de son em-
pire, il apporta, dès le début de son règne, une attention
extrême à tout ce qui concernait la Turquie. Bientôt sa
politique orientale se dessina.
Au lieu de continuer à servir c du mauvais café » a
l'homme malade JJ, ne valait-il pas mieux lui faire prendre
des fortifiants ? On serait le sauveur et on aurait droit
à la reconnaissance. C'était là la théorie des cercles offi-
ciels. Les Pangermanistes, alors au début de leur organisa-
tion et dans la fièvre de leurs premiers efforts, n'envoyaient
que le triomphe final. «L'intérêt allemand demande que la
Turquie d'Asie au moins soit placée sous le protectorat
allemand. Le plus avantageux serait pour nous l'acquisi-
tion en propre de la Mésopotamie et de la Syrie, et l'obten-
tion du protectorat de l'Asie Mineure habitée par les Turcs.
Un sultanat serait formé des terres situées dans la sphère
d'influence allemande avec garantie de la plus complète
autonomie pour ses habitants (1). » Ces idées de conquête
progressive furent développées dans une brochure au titre
suggestif : les Prétentions allemandes à l'héritage de la Tur-
quie (2). Éditées par YAlldeutscher Verband, ces curieuses
pages résument les idées fondamentales du Dr Hasse et de
(1) das deutsche Interesse aber verlangt zum mindesten, dass dann
«...
diese asiatische Turkei unter deutsche Schutzherrschaft gestellt werde, und
das vorteilhafteste ware fur uns einerseits die Erwerbung Mesopotamiens und
Syriens zu eigenem Besitz, andrerseits die Schutzherrschaft iiber das klein-
asiatische, im wesentlichen von Tiirken bewohnte Sultanat und die Einbe-
ziehung Arabiens in die deutsche Interessensphâre bei voltiger Autonomie
seiner Hewohner. » Alldeutsche Blàtter, 8 décembre 1895, p. 222.
(2) Deutschlands Anspriiche an das Türkische Erbe. Lehmann, Munich
1896.
ses amis sur la mission orientale de l'Allemagne. Elles ont
révélé leurs ambitions insatiables; le fameux voyage de
Guillaume II à Jérusalem et à Constantinople, en octobre
1898, est encore venu les exaspérer.
Le succès remporté par l'empereur allemand dans ce
déplacement politique n'est pas contestable. M. de Bülow,
qui l'accompagnait, eut avec le grand vizir de nombreuses
conférences et, bien qu'aucune communication officielle ne
permette d'affirmer l'existence d'un instrument diplomati-
que, il semble qu'un traité analogue à celui réclamé par le
Dr Kaerger ait été passé entre l'Allemagne etla Turquie. Des
faits très certains le font au moins supposer. Pendant le
séjour de Guillaume II à Constantinople, le sultan concéda
le port d'Haidar-Pacha, sur le Bosphore, à la compagnie
allemande des chemins de fer d'Anatolie; après le départde
l'empereur, le directeur de la Deutsche Bank, le Dr Siemens,
est devenu plus puissant que jamais ; les officiers allemands
ont pris une place plus considérable que par le passé ; on leur
a fait inspecter successivement tous les corps d'armée ; on
les a chargés d'organiser les grandes manœuvres; à la con-
férence de la Haye, enfin, Abdul-Hamid a affiché avec
éclat sa solidarité avec l'Allemagne et, d'accord avec elle,
refusa de suspendre ses armements.
Ces faveurs des Turcs, au lieu de calmer les ambitions
allemandes, les déchaînent. A Berlin, on convoite de plus
en plus l'Asie Mineure. Les premiers résultats des chemins
de fer d'Anatolie ayant été plus que satisfaisants, on a fait
étudier le pays avec un soin minutieux, par des missions
nombreuses. Le premier-lieutenant d'artillerie Karl Kannen-
berg, aidé du premier-lieutenant Schâffer, attaché au grand
État-major, a résumé le résultat de ses observations dans un
ouvrage très complet (1). Depuis que ces explorations sont
(1) Kleinasiens Naturchâtze, von KANNENBERG, Prem.-Lieut. im thüring.
Feldartillerie-Regiment N° 19, mit Beitrâgen von Prem.-Lieut. Schàffer,
kommandiert zum grossen Generalstab. Borntraeger, Berlin, 1897.
-
terminées, on invite instamment les Allemands à aller trafi-
quer dans ces régions ; afin de leur faciliter les choses on a
dressé un intéressant atlas économique du pays (1). Mais le
but qu'on poursuivait avec le plus d'ardeur était d'obtenir
la concession de la voie ferrée qui doit aboutir au golfe
Persique.
Depuis plusieurs années déjà, les ambassades de Cons-
tantinople soutenaient chacune leur tracé. Les Anglais
appuyaient un projet qui, partant d'Alexandrette, atteignait
la vallée de l'Euphrate par Alep, et la suivait ensuite jus-
qu'à Bagdad. Le syndicat russe formé par le comte Wladimir
Kapnist, cousin du représentant du Tsar à Vienne, voulait
Tripoli de Syrie comme tête de sa ligne, qui, après un em-
branchement sur Kerbela, aboutissait à Koueit sur le golfe
Persique. Les Allemands, eux, rêvaient de prolonger la
ligne d'Angora, par Kaïserieh-Sivas-Malatia-Diarbékir, jus-
qu'à Bagdad, mais pendant longtemps ils ne purent trouver
de combinaison financière assez sûre pour proposer la réa-
lisation de ce vaste programme. Leur tâche pendant cette
période dut se borner à être négative et à empêcher que les
compétiteurs n'obtinssent la concession. Les Allemands
d'ailleurs ne renonçaient nullement à leur projet; avec leur
ténacité bien connue ils poussaient au contraire les études
à fond. Elles démontrèrent les difficultés techniques d'un
prolongement par Angora. Une commission d'étude, com-
posée du consul général, conseiller de légation Stemrich,
de l'ingénieur en chef prussien Mackensen, fut chargée
d'examiner si l'entreprise ne serait point plus facilement
réalisable en partant de Konia. En même temps, le major
Morgen, attaché militaire près de l'ambassade allemande à
Constantinople, recevait de l'empereur Guillaume l'ordre
de se rendre à Erzeroum et à Bagdad pour y étudier la
valeur stratégique du chemin de fer à construire. Enfin le
. (1) Handel.ç-und Produktenkarte von Kleinasien, par le DrErnst-Fried-
rich STEnNKoPF. Halle, 1898.
souverain allemand détachait de son escadre du Pacifique
le croiseur Arcona et l'envoyait découvrir au fond du golfe
Persique quel serait le meilleur point d'aboutissement de la
ligne projetée.
Tout étant ainsi préparé, la diplomatie allemande à Cons-
tantinople redoubla d'activité. Afin de réduire les oppositions
manifestes, elle imagina de constituer une société interna-
tionale, neutre en apparence. Ce procédé avait en outre
le très précieux avantage de permettre de rassembler les
capitaux nécessaires. Les Allemands agirent ensuite vigou-
reusement à Yldiz-Kiosk ; ils persuadèrent si bien au Sultan
que ce chemin de fer une fois construit lui permettrait de
mobiliser rapidement ses troupes d'Asie Mineure alors que
présentement il lui faut plusieurs mois avant de pouvoir les
utiliser dans une guerre européenne, qu'en décembre 1899,
le Dr Siemens, président du conseil d'administration de la
société des chemins de fer d'Anatolie, signait avec la Porte
une convention décisive. En vertu de cet accord, le chemin
de fer de Bagdad était concédé à la Société dite internatio-
nale. Celle-ci s'engageait à terminer les travaux dans un
délai de huit années. Un article de la convention stipulait
que le capital de l'entreprise serait réparti dans les propor-
tions suivantes :
40 pour 100 d'argent allemand;
40 pour 100 d'argent français ;
20 pour 100 de capitaux d'autres nationalités.
Quand la nouvelle de la concession parvint à Berlin, où on
l'attendait anxieusement depuis plusieurs semaines, ce fut
une explosion d'enthousiasme. Guillaume Il remercia le
Sultan dans un télégramme chaleureux, les Feuilles panger-
maniques firent ressortir fort exactement l'importance du
futur chemin de fer dans un article intitulé : Il Le chemin de
fer allemand de Bagdad. Il
(1
A bon droit nous pouvons désigner sous ce titre la con-
cession de chemin de fer récemment faite par le Sultan,
bien qu un groupe de financiers français y participe pour
40 pour 100. La banque allemande (Deutsche Bank) de
Berlin est à la tête de l'affaire. On sait qu'elle administre
financièrement les chemins de fer d'Anatolie et qu'elle leur
a assuré un développement économique et politique consi-
dérable.
«
L'id ée de ce chemin de fer a été conçue parl'intelligence
allemande; des Allemands ont fait les études préliminaires;
des Allemands ont écarté tous les obstacles qui en empê-
chaient l'exécution. Ils étaient très grands. Nous devons
d'autant plus nous réjouir de ce succès, que les Russes et
les Anglais se sont ardemment employés à la Corne d'Or
pour empêcher l'adoption du projet allemand. Les Anglais
ont joué leur dernier atout en se déclarant prêts à cons-
truire le chemin de fer de Bagdad sans aucune garantie
fournie par le gouvernement turc. S'ils ont échoué, c'est
que derrière l'entreprise de chemin de fer, la Porte a vu
les desseins politiques du gouvernement anglais.
«
Le Sultan possède dans les pays traversés par le chemin
de fer de grandes propriétés particulières. Au début, il était
peu favorable à l'entreprise, puis il consentit à ce que le
chemin de fer fût construit et administré par des Allemands,
à la condition qu'il restât une propriété turque. A ce mo-
ment, l'influence personnelle de notre empereur a écarté
les derniers obstacles et a ouvert à l'esprit d'entreprise des
Allemands un champ d'action qui promet infiniment. Le
nouveau chemin de fer se joint à Konia à la ligne d'Ana-
tolie et par Bagdad et Bassorah aboutit au golfe Persique,
à environ cent kilomètres de l'embouchure du Chat-el-
Arab.
"
Sur une longueur de plus de 3,400 kilomètres, la ligne
traverse des régions qui, jadis, furent le siège d'un com-
merce florissant et d'une riche agriculture. Elle établit une
nouvelle communication entre l'Europe et les Indes elle
;
rouvre entre ces pays lointains, la Syrie et le Levant, la
route commerciale que pratiqua autrefois Alexandre le Grand.
Ce n'est pas seulement parce que la construction de ce chemin
de fer absorbera 400 millions de francs que l'industrie alle-
mande trouvera une source abondante de profits, mais parce
qu'il nous mettra à portée de territoires riches et vastes" qui
offrent au commerce allemand un immense débouché.
Il
Si l'on considère les avantages politiques et militaires
que la Turquie recevra du fait du chemin de fer, on trouve
qu'elle s'est tirée à bon compte en accordant une simple
garantie d'intérêt.
Il
Pour l'empire allemand, abstraction faite des avantages
économiques, le chemin de fer de Bagdad pourra être plus
tard d'une grande valeur politique. Nous avons donc une
double raison d'être reconnaissants aux hommes dont
l'énergie et l'habileté ont mené cette œuvre à bonne
fin (1). Cette joie un peu exubérante se conçoit. La con-
1)
(1) «Der Plan einer deutschen Kolonisation und Kultivation in der asia-
tischen Turke! hat ausser der politischen, wirtschaftlichen und weltverkehr-
lichen auch noch eine nationale, ganz besonders eine alldeutiche Bedeu-
tung. Nach der Lage dieses Gebietes wiïrde sich an dieser Aufgabe nicht
bloss das deutsche Reich, sondern das deutsche Volk in seiner Gesamtheit
beteiligen konnen. Die deutschen Staminé der Schweiz und ganz besonders
Oesterreichs waren ebenso zur \litarbeit berufen, wie die deutschen
Stamme des Deutschen Reicbes. " Alldeutsche Blatter, 1895, p. 224.
qui, par des élargissements successifs, arriverait à englober
tous les États du vieux continent dits germains, et bien
entendu ceux qui sans être germains formeraient enclave
dans cette immense étendue. Les colonies de ces divers États
constilueraient dans toutes les parties du monde un im-
mense territoire extra-européen, exclusivement réservé aux
exportateurs du grand empire germanique.
Il y a déjà dix-sept ans, M. de Caix de Saint-Aymour a
entrevu, avec une perspicacité remarquable, mais qui sans
doute alors ne fut guère appréciée, les premières phases de
cette gigantesque opération. Il a merveilleusement compris
qu'elle devait commencer par l'absorption de l'Autriche.
«
Pour les Allemands, en effet, l'Autriche n'est qu'une
avant-garde, un pionnier de l'Allemagne en Orient, et sa
mission est de civiliser, c'est-à-dire de germaniser tout le
sud-est de l'Europe. Pour les politiciens de Berlin, la forme
actuelle de la monarchie des Habsbourg n'est qu'une forme
provisoire, préparatoire, qui ne doit durer qu'aussi long-
temps qu'elle sera nécessaire pour couvrir de son drapeau
l'infiltration lente des Germains dans la vallée du Danube ;
tous les pays soumis à l'Austro-Hongrie sont considérés dès
à présent comme autant de provinces d'une Grande-Alle-
magne future et les nations qui les habitent comme des
vassales de la race allemande (1). «
« Le
grand jeu se joue à Vienne et à Pesth, et c'est l'Au-
triche-Hongrie que l'Allemagne pousse sur la route du
Bosphore. Les deux étapes de cette route sont faciles à dé-
terminer.
cc
Première étape :
Il
L'Austro-Hongrie,démesurément étendue vers l'Orient,
devient réellement l'empire de l'Est... à la condition, cela
va sans dire, d'abandonner à la Grande-Allemagne les sept
millions de Germains qu'elle détient encore.
(1) DE CAIX DE SAINT-AYMOUR, les Pays sud-slaves de l'Austro-Hongrie,
p. 288. Plon, Paris, 1883. 1 1
«
Deuxième étape :
«
L'empire des Habsbourg, s'épuisant vainement à main-
tenir dans un calme factice ses peuples ethnographique-
ment et linguistiquement séparés et rivaux, sinon hostiles,
ne réussit dans cette tâche qu'avec l'appui de l'empire des
Hohenzollern et sert, en échange, de véhicule et de champ
de germanisation à la culture allemande.
" Puis, quand cette germanisation aura fait assez de pro-
grès, quand l'empereur d'Autriche, devenu à son tour
l'homme malade, ne gouvernera plus que des Magyars, des
Roumains ou des Slaves teutonisés, la presqu'île des Bal-
kans tombera comme un fruit mûr aux mains du Gargantua
de Berlin, qui pourra tranquillement alors quitter les bords
de la Sprée, et transplanter sa capitale sur les rives plantu-
reuses de la belle Donau, sinon sur les eaux bleues de la
mer Égée (1). "
La vitalité des Slaves d'Autriche est venue compromettre
gravement la réalisation de ce beau rêve; mais comme on
n'y a point encore renoncé à Berlin, l'Autriche apparaît
plus que jamais comme la clef de voûte de l'énorme édifice
que les Allemands prétendent élever. Sans elle, tout est
incomplet et tout peut s'écrouler. Ils l'avouent bien dans
leurs accès d'impatience : L'Autriche barre la route de
l'Orient. « Elle est comme un sac devant une porte. Pen-
dant longtemps nous avons cru que c'était un sac de sable,
maintenant nous voyons que c'est un dangereux sac de
poudre (2). » « L'empire allemand doit s'emparer de l'Au-
triche-allemande (3). Alors seulement la bâtisse germa-
1,
ten wir, wie ein trâger Sandsack, jetzt aber, wie ein gefahrlicher Pulver-
sack. » Zur l1eimkehr des Kaisers von Carl Conradt, p. 4. D. Reimer,
Berlin, 1898
(3) « das Deutsche Reich muas Deutschosterreich erobern : « Die
...
La carte Ce que serait l'Allemagne agrandie de l'Au-
c(
§ 4.
— Les points de vue auxquels peuvent se placer les
Roumains sont très différents de ceux des Serbes et des
Bulgares. Producteurs de grains, les Roumains doivent
pouvoir les écouler au dehors. La Russie, pays agricole, ne
saurait être leur débouché. L'Allemagne, au contraire, a
an avantage évident à tirer une partie des céréales qui lui
font défaut de la Roumanie qui, de son côté, sans autre
industrie que celle, encore naissante, des pétroles, se trouve
amenée à acheter en Allemagne la plupart des produits
fabriqués qui lui manquent. Les deux États ont ainsi des
intérêts économiques concordants, solidarité que renforce
encore celle des intérêts politiques. On ne saurait l'oublier,
le roi Carol Ier est un Hohenzollern. Lorsqu'en 18G6, il fut
élu prince de Roumanie, il servait comme sous-lieutenant
au 3e régiment de dragons prussiens. Son inclination natu-
relle le portait donc vers l'empire allemand. Les événe-
ments de son règne l'ont amené à y prendre définitivement
son point d'appui.
Après la guerre turco-russe, la Roumanie a dû céder à la
Russie sa part de la Bessarabie et accepter en compensation
les marécages de la Dobroudja. Le traité de Berlin a ainsi
laissé aux Roumains un souvenir pénible et un ressentiment
si profond contre Pétersbourg, qu'on s'est habitué à Buca-
rest à considérer la Russie comme l'adversaire éventuel. On
a fait venir de Belgique le général Brialmont pour fortifier
toute la région qui s'étend au sud de la Moldavie, entre les
Carpathes et les régions impraticables de la Dobroudja.
Cette barrière, formée de coupoles cuirassées, dont les
principaux groupes sont à Focsani et à Namolosa, est jugée
capable, en cas d'attaque, de donner aux soldats de la Tri-
plice le temps de venir à l'aide des Roumains. La précau-
tion n'a point encore paru suffisante; la capitale a été entou-
rée de forts qui en font un véritable camp retranché dont
l'investissement exigerait, assure-t-on, près de quatre cent
mille hommes.
La position prise contre la Russie est donc très nette. 1
laume II. Les cartes, que les jeunes sujets du roi Carol ont
à consulter dans les écoles, montrent que l'idéal territorial
des Roumains est loin d'être satisfait. On y trouve nette-
ment marquées les limites de la Roumanie irredenta, cons-
tituée de trois fractions distinctes. La première est naturel-
lement la Bessarabie; mais, comme elle se trouve sous la
domination russe, on n'espère la récupérer que dans un
avenir lointain. Par contre, tout bon Roumain estime que,
dans un temps peut-être rapproché, il sera possible de réu-
nir à la Roumanie le sud de la Bukovine et surtout la Tran-
sylvanie, actuellement soumise aux Magyars, acquisitions
qui feraient rentrer dans le royaume plus de trois millions
de frères roumains. Or, pour devenir une réalité, ce rêve
suppose nécessairement le démembrement de l'empire des
Habsbourg. C'est pourquoi l'action dissolvante exercée en
Autriche par les Pangermanistes trouve à Bucarest tout le
contraire de la réprobation. On y sait fort bien que ce mou-
vement, s'il réussit, est susceptible de faire naître les
circonstances qui permettraient au gouvernement de Berlin
d'intervenir, ce qui, par voie de conséquences, détermine-
rait le démembrement d'abord de l'Autriche et ensuite celui
de la Hongrie, démembrement indispensable pour s'em-
parer de la Transylvanie.
Ces constatations suffisent amplement à établir qu'aucune
puissance de second ordre n'est aussi complètement que la
Roumanie sous la dépendance de Berlin. On en doit con-
clure que, selon toute probabilité, si la "question d'Autriche"
venait à se poser, le gouvernement du roi Carol obéirait
docilement aux suggestions de la Wilhelmstrasse.
§ 5.
— Un fait :
la divergence de plus en plus grande des
intérêts du peuple et de ceux de la dynastie domine actuel-
lement toute la politique de l'Italie. Les dernières élections
ont établi le progrès des idées républicaines dans toute la
péninsule et même dans le Piémont, berceau de la maison
de Savoie. Il apparaît ainsi clairement que le fils du roi
Humbert se soutiendra au pouvoir surtout grâce à l'appui
énergique qu'il reçoit des Hohcnzollern. Ce système lui
permettra peut-être de prolonger la durée d'un trône com-
promis, mais non de regagner les sympathies de son peuple
qui commence à s'émouvoir des empiétements incessants
des alliés de Berlin.
Dans la haute Italie, les Allemands colonisent avec la
même méthode qu'ils emploient en Autriche et dans les
Bal V ans. Il n'y a guère de semaine où une compagnie de
navigation allemande ne transporte de Gênes en Amérique
des centaines d'Italiens qui, convaincus par les fallacieuses
promesses d'agents recruteurs, abandonnent en masse leurs
villages.
A peine sont-ils partis, que des paysans venus de Bade
ou de Bavière arrivent pour les remplacer. Dans bien des
endroits déjà, le Germain cultive la vigne que le Latin a
plantée. A Turin, à Gênes, les Allemands sont les maîtres, et
dans le reste du pays, ils expulsent les Italiens des meil-
leures situations commerciales.
On conçoit donc que la seule pensée de voir Trieste,
fraction de litalia irredenta, reine de cette mer Adriatique
dont Venise est la perle, tomber aux mains de Guillaume II,
suffirait à exaspérer les sujets de Victor-Emmanuel. Mal-
heureusement, ils connaissent encore fort mal le danger
pangermaniste et se rassurent un peu naïvement par les
manifestations platoniques que fait parfois le conseil muni-
cipal de Trieste. Ainsi, le 13 mars 1899, il a voté, à l'unani-
mité, la pose dans la salle de réunions d'une pierre commé-
morative portant l'inscription suivante :
ci
Le 15 janvier 1899, les députés et les maires de l'Istrie
et du Frioul oriental, réunis dans cette salle, ont affirmé, à
l'encontre des récentes prétentions d'autres races, le carac-
tère italien, indélébile depuis mille ans, de la région com-
prise entre les Alpes Juliennes et la mer. »
Ces déclarations sont sincères, mais elles ont le grave
inconvénient de dissimuler à la plupart des Italiens le
véritable péril ; aussi sont-ils encore convaincus que si
l'Istrie ne reste pas à l'Autriche, elle appartiendra à l'Italie.
Les Pangermanistes qui bénéficient de cette quiétude
sont cependant bien résolus à s'emparerde Trieste. Comme ils
font peu de cas des Italiens, ils ne considèrent pas que leur
opposition puisse être un obstacle redoutable. L'Italie est
(1
(1) «
Italien ist zu arm, zu gering an Bevolkerungszahl, zu wenig krie-
gerisch tiichtig, um als Mitbewerher auftreten zu konnen ; versucht es das,
Deutschland
so bleibt der Misserfolg nicht aus, wie in Afrika und China. »
bei Beginn des 20. Jahrhunderts, p. 53. Militâr-Verlag. R. Félix, 1900.
(2) « Italien und Oesterreich sind keine wirklicken Bundesgenossen fur
uns mehr, sie stehen nur au dem Papier! » Alldeutsche Blatter, 1898,
p. 285.
(3) Denn Italien hat ohne Zweifel ein Interesse daran, jedes Vordrin-
(c
II
ÉTATS SUSCEPTIBLES D'ASSURER LE RESPECT
DE L'INTÉGRITÉ DE L'AUTRICHE
«
On se trompe fort, si l'on croit les articles de journaux
qui prétendent que les principaux intérêts russes sont en
Asie orientale. Ceux-ci sont, par rapport à ses intérêts euro-
péens, comme 1 est à 20 (3). » Cette vérité apparaît plus clai-
rement encore si l'on considère qu'une fois à Trieste les
Allemands pourraient tirer tous les avantages du chemin de
(1) -
- es vermutlich früher oder spater noch
einmal zu einem Kampfe
des choses le veut ainsi. La Russie ne peut donc pas laisser
le gouvernement de Berlin grouper sous sa direction des
forces considérables que lui seul pourra mettre en mouve-
ment contre elle à la fois en Europe et en Asie. La Russie
serait-elle certaine de résister à une attaque où elle aurait
affaire aux Allemands, aux Roumains, aux Turcs et peut-
?
être aux Suédois Ferait-elle face à une coalition qui l'atta-
querait au nord-ouest, à l'ouest, au sud-ouest, au sud et au
sud-est? Rien n'est moins sûr. S'il est vrai que la Russie est
un réservoir immense de soldats admirables, il n'en est pas
moins certain que, pour des raisons financières qui subsis-
teront longtemps encore, elle ne peut mettre en ligne qu'une
partie relativement faible de ses ressources en hommes. Il
y a là une considération économique d'une portée capitale
qui en détermine une autre non moins essentielle.
La Russie manque notoirement de capitaux. De toute
nécessité, elle doit faire des emprunts considérables à
l'étranger. Cette obligation est encore accrue par les der-
nières acquisitions en Extrême-Orient qui obligent le gou-
vernement de Pétersbourg à consacrer la majeure partie
de ses fonds à des travaux dont l'immensité s'accroît sans
cesse. De toute évidence, la Russie est contrainte de se
ménager les marchés étrangers sur lesquels elle peut trouver
des capitaux. Or, l'expérience a prouvé que la France est le
seul pays du monde où la Russie ait obtenu et puisse obtenir
— d'ailleurs à l'avantage des Français quand ils savent
traiter sérieusement — les sommes énormes encore indis-
pensables à son développement. Il en résulte que les inté-
rêts matériels des deux pays sont liés pour une période indé-
finie. Tout ce qui affaiblit la Russie diminue la valeur de la
créance des porteurs français et toute évolution de la politique
générale qui appauvrit la France menace l avenir de la Russie.
Or, je le montrerai plus loin, la simple extension du Zollve-
zwischen Russland und Deutschland kommen wird... »
Die deutsche Politik
der Zukunft, p. 5. Deutschvolkischer Verlag Odin
(C ,, 1900.
rein à l'Autriche porterait un coup terrible au commerce et
à l'industrie français, dont la prospérité règle les possibilités
d'épargne des Français. La Russie a, par suite, une raison
de plus de vouloir le maintien du statu quo.
En définitive, l'ensemble de ces considérations détermine
cette forte conviction : sans commettre la plus inexcusable
des fautes, la Russie ne peut pas permettre à l'empire alle-
mand de porter atteinte, de quelque façon que ce soit, à
l'intégrité de l'Autriche.
Il
A cette heure solennelle et grave, la Bohême se voit em-
pêchée, par des raisons majeures, d'élever la voix en tant
que nation politique, en faveur des principes supérieurs
qu'elle considère comme sacrés et qu'elle est décidée à
défendre constamment et de toutes ses forces; elle tient
cependant à faire connaître ses sentiments.
Il
Indubitablement, la nation allemande a le droit de
repousser par les armes les attaques contre ses États ou
contre sa liberté. Mais si elle préméditait d'imposer à la na-
tion française une certaine forme de gouvernement ou de
lui arracher une partie de son territoire dont les populations
se sentent françaises, elle violerait à l'égard de ces popula-
tions leur droit de disposer librement d'elles-mêmes et elle
subordonnerait le droit à la force.
Il
La Bohême ne peut pas refuser ses plus franches sym-
pathies à cette noble et glorieuse nation française, qui ne.,
combat plus aujourd'hui que pour sa liberté nationale et^
pour la défense de sa patrie, à cette nation qui s'est acquis
de si grands titres à la reconnaissance de la civilisation pour
le progrès des principes humains et libres. »
Les Français peuvent-ils méconnaître qu'après la guerre,.
les Tchèques n'ont pas cessé de croire en leur force, en
leurjustice et en leur sens politique? Les paroles du député
tchèque Horitza, répondant au Reichsrath, le 26 décem-
bre 1899, aux attaques du pangermaniste Türk, le prouvent.
(1
Nous lutterons jusqu'à la dernière goutte de notre sang
pour l'existence de la monarchie, quoique, selon toute appa-
rence, le gouvernement autrichien ne voie pas clairement
les dangers qui le menacent. A la vérité, nous souhaitons
que la Russie, grâce à son alliance avec la France, rende à
l'Autriche contre la Prusse le même service qu'en 1849 elle
a rendu à la monarchie contre les Hongrois. Cette espérance
est malheureusement enfermée dans l'avenir. En France,
cependant, on connaît la situation de l'Autriche. Si on lit
le discours que l'honorable et généreux président de la
Chambre des députés français a prononcé lors de sa récep-
tion à l'Académie, le 1" février, on constate qu'il voudrait
voir donner à la question de l'existence de l'Autriche la
même solution que nous-mêmes. Nous lui en sommes très
reconnaissants. Notre existence est liée à celle de l'Au-
triche... Si en Autriche les autorités compétentes ne nous
comprennent pas, nous sommes au moins compris des
Français, ce peuple à la vaste intelligence et au sens diplo-
matique... (1). »
(1) Diesen Kampf um die Existenz der Monarchie werden wir kämpfen
11
bis zum letzten Blutstropfen, obwohl sich Oesterreich fortwährend den An-
schein gibt, als ob es diese Dinge nicht sehe. Wir haben zwar gehofft, dass
Russland durch den Bund mit Frankreich Oesterreich einmal denselben
Liebesdienst gegen Preussen erweisen werde, wie es ihn Oesterreich im
Jahre 1849 gegen die Ungarn erwiesen hat. Diese Hoffnung ist aber leider
in weite Ferne gerückt. In Frankreich ist man sich dieser diplomatischen
Situation bewusst. Wenn man die Rede des sehr verehrten, hochherzigen
Präsidenten der französischen Deputirtenkammer liest, welche er am 1. Fe-
bruar bei seinem Eintritte in die Akademie gehalten hat, so sieht man,
dass er diese Frage, die Frage von dem Bestande Oesterreichs, genau in
unSITem Sinne gelöst wissen will.
Wir s;nd ihm dafür zu Dank verbunden. Wir sind mit unserer Existenz an
Oesterreich gebunden... Wenn wir in Oesterreich bei den massgebenden
Personen kein Verständnis finden, so finden wir es wenigstens bei den
Französen, diesem Volke von grossartiger Intelligenz und seinem diploma-
tischem Gefühl. »
Stenographisches Protokoll.
Haus der Abgeordneten. XVI. Session, 36. Sitzung am 26. Februar 1900,
r. 2338.
Les délégués de la ville de Prague dans une adresse remise
au Conseil municipal de Paris, en juillet 1900, à l'occasion
de l'Exposition universelle, ont établi que ces sentiments
étaient bien ceux du peuple tchèque tout entier : ci
Les
représentants de la capitale royale du royaume de Bohême
désirent témoigner ainsi, en leur nom et au nom de leurs
compatriotes, leur vive admiration et leur enthousiasme
pour la métropole de la France, et ils saisissent cette occa-
sion solennelle de rappeler la solidarité des intérêts publics,
civilisateurs et économiques, unissant la nation tchèque à
la France éclairée et laborieuse, qui répandit toujours dans
le monde, avec désintéressement, les idées généreuses du
progrès et de la civilisation en luttant pour la liberté et les
droits de l'humanité entière. «
C'est encore aux Français que les Tchèques, impuis-
sants à agir par eux-mêmes, se sont adressés pour faire
transmettre au président KrÜger l'hommage de leur respect
et le tribut de leur admiration. K Convaincus que tous les
peuples qui se défendent sont sûrs de trouver un écho dans
les cœurs lorsqu'ils s'adressent à la France, les citoyens
tchèques s'associent avec une patriotique émotion aux
manifestations de sympathie du conseil municipal de Paris,
pour le vaillant peuple boër et pour le vénérable représen
tant du Droit méconnu. "
Non, les Français n'ont pas le droit d'oublier le passé ni
de trahir la morale supérieure dont ils se prétendent les
gardiens. Sans un éternel déshonneur, ils ne peuvent laisser
écraser les huit millions de Slaves cisleithans menacés par
le Germanisme » .
(1
(1) Cette thèse reçoit l'approbation de quelques Français. Dans une lettre
ouverte adressée par l'Europe nouvelle, novembre 1900, à YAllgemeine
Zeitung de Munich, on peut lire : - L'Allemagne est avant tout un pays
d'industrie, la France un pays agricole. Leurs productions réciproques loin
de se contrarier se complètent. La France vendrait à l'Allemagne ses vins
On conçoit volontiers que la Strasburger Post préconise
une entente sur de pareilles bases. Il est clair, en effet, que
le jour où la France- serait entrée dans le Zollverein., le
prix des articles allemands, qui ne seraient plus arrêtés par
la ligne douanière, deviendrait si bas, que les Français
seraient contraints de les consommer de préférence à ceux
de leur industrie propre. Par ce seul fait, celle-ci serait mor-
tellement et généralement atteinte.
Dans les deux cas, l'industrie et le commerce français
subiraient donc un désastre dont l'intensité seule varierait.
La question d'Autriche est enfin sociale.
Les effets économiques de l'extension du Zollverein à
l'Autriche atteindraient en effet individuellement la masse
la plus intéressante des Français.
Les trois millions de patrons chefs d'industries et les
huit cent mille commerçants ne seraient pas les seuls
atteints dans leur fortune. Les six millions et demi de Fran-
çais qui vivent des salaires payés par les premiers et les
trois millions de Français dont les traitements servis par les
seconds sont l'aliment quotidien, auraient à supporter par
la force même des choses le poids du désastre économique.
Tous ces ouvriers et tous ces employés verraient soit leurs
salaires menacés de réduction, soit le chômage se généra-
liser. Or, la prospérité des individus qui vivent du commerce
et de l'industrie déterminant celle de ceux qui vivent de
CI
Si donc l'Autriche n'existait pas, dit M. Ch. Benoist, l'Eu-
rope devrait l'inventer, et puisque l'Autriche existe, l'Europe
doit tout faire pour la conserver (2). Déjà avant 1870,
)y
, .
lirait seraient presque nuls. A l'instar de l'Allemagne, c'est
maintenant, c'est tous les jours, c'est en pleine paix qu'il faut
s'en occuper (1). » Il faut donc aider à la fédération morale
des Slaves de l'Europe centrale. « Il y aurait là une barrière
de vingt-cinq millions de Slaves appuyés aux deux bouts par
la France et la Russie, voire même par l'Italie. Cette bar-
rière serait inexpugnable. On aurait dit à l'Allemagne : Tu (1
« peux
aller jusque là et pas plus loin. x D'ailleurs, hors de
l'Europe, l'Allemagne aurait plus que jamais un champ ou-
vert à son activité, et l'intérêt des autres nations du continent
serait de l'y engager, et même de la seconder au besoin (2)<"
«
La Russie voudrait voir François-Joseph régnant sur une
Autriche fédéralisée, amie de la France et dela Russie (3)."
Voilà ce que souhaitent les Russes dans les hypothèses
de paix. Leurs idées dans les hypothèses de guerre ne sont
pas moins fixées.
Lorsque le député Türk menaça les Tchèques des troupes
de Guillaume II (voir p. 136), les Moskowski Viedémosti dé-
clarèrent : « Versera-t-on le sang tchèque en Autriche ? Les
Allemands sont déjà prêts à appeler en Bohême les régi-
ments allemands. Croient-ils donc que la Russie verrait
détruire avec impassibilité des millions de Slaves pour la plus
grande gloire de [Allema_qne ! » Plus récemment enfin, un
publiciste russe a précisé encore davantage : « Nous savons
que l'Allemagne se prépare à annexer à la première occa-
sion favorable les Allemands d'Autriche et à faire un saut
jusqu'à Vienne et jusqu'à la mer Adriatique. Si l'Allemagne
ne visait que les Allemands d'Autriche, cela ne nous
regarderait pas, puisque l'Allemagne, même plus puissante
qu'aujourd'hui, ne serait pas dangereuse pour la Russie...
Mais il reste un cas où la Russie pourrait être obligee d'ac-
r
courir encore une fois à raide de Autriche pour la défendre
(t.) Idem.
(2) Op. cit., p. 19.
(3) Op. cit., p. 22. 1
.
contre VAllemagne : c'est celui où ïAllemagne se déciderait à
vouloir arracher à l'Autriche les Allemands qui s'y trouvent,
car il faudrait par conséquent qu'elle attaquât beaucoup de
Slaves et beaucoup de provinces slaves puisqu'on ne peut arri-
ver au Danube et à l'Adriatique qu en passant sur des cadavres
slaves ; c'est justement ce que la Russie ne permettra ja-
mais (1). »
Ces opinions empruntées à la plupart des grands organes
russes établissent que l'opinion des sujets du Tsar est par-
faitement préparée à comprendre la grandeur du rôle qu'il
lui appartient de remplir.
En France, pour des raisons différentes, il en est de
même. Sans doute les Français sont moins disposés que les
Russes à se passionner pour les questions extérieures, mais
ils n'ont plus l'indifférence de jadis pour la politique de
l'au-delà des frontières; ils ont éprouvé trop durement les
conséquences terribles de l'abstention. La presse sincère-
ment dévouée aux intérêts du pays — c'est celle formée
de presque tous les journaux à grand tirage — pourrait
donc exercer une heureuse influence en vulgarisant rapide-
ment la connaissance du danger allemand. Il lui suffirait
de rappeler les cas si nombreux où la France a été trompée
par la Prusse, et d'insister surtout sur celui de 1866. Alors
«
la Prusse a consommé son travail séculaire grâce à la neu-
tralité bienveillante de la France. Ce qui fermentait sourde-
ment dans la tête de ses électeurs et de ses rois, ce qu'ils
osaient à peine entrevoir dans leurs plus audacieuses rêve-
ries, s'est accompli (2) Il faudrait rappeler sans cesse aux
1)
.
Français que l'imprévoyance seule a causé Sadowa, dont
Sedan a été la conséquence; que seule une imprévoyance
nouvelle peut rendre possible la réalisation des ambitions
actuelles des Allemands. Il faut surtout expliquer aux Fran-
«
Il existe des difficultés en Autriche, mais elles sont pure-
ment internes. Tenant à la paix, nous voulons éviter toutes
les causes de guerre. Nous n'interviendrons donc pas, mais
nous entendons qu'aucune autre puissance n'intervienne en
Cisleithanie sous une forme quelconque. » Il est à noter que
cette ligne de conduite, visiblement inspirée par la volonté
d'assurer le calme du continent, ne pourrait pas être consi-
dérée comme peu amicale par le gouvernement de Berlin,
car elle est exactement en harmonie avec la déclaration faite
par M. de Bulow au Reichstag en 1897 : « Nous ne désirons
pas, dit-il, voir les gouvernements ni les Parlements étran-
gers se mêler de nos affaires intérieures. Mais précisément
parce que nous exigeons de l'étranger une attitude correcte
à notre égard, nous sommes les premiers obligés à en faire
autant, et ceci tout particulièrement en ce qui concerne
l'Autriche-Hongrie, car nous sommes alliés et étroitement
amis avec cet État, à la tête duquel se trouve un souverain
dont la sagesse est le phare de tous les peuples (1). » Ces
paroles, il est vrai, datent de 1897 ; alors Guillaume II n'était
pas encore engagé à fond dans la Weltpolitik et ses vues sur
l'Autriche ne comportaient qu'une réalisation lointaine. Les
(1) Wir wunschen nicht, dass fremde Regierungen oder fremde Parla-
«
meute sich in unsere inneren Verhàltnisse einmischen und in der Partei-
kampfe, an denen es ab und zu auch bei uns nicht fehlen soll. Aber gerade
weil wir vom Ausland uns gegenüber ein ganz korrektes Verlialten verlan-
gen, sind wir selbst zu einem solchen verpflichtet, und diese Pflicht besteht
ganz besonders gegen'iiber dem verbundeten und eng befreundeten oester-
reicliisch-ungarisclien Reiche, an dessen Spitze ein Herrscher stebt, zu dessen
Weisheit alle seine Volker mitgleiehem Vertrauen empor blicken konnen. »
StenographischeBerichte über die Verhalldlullgell des Reichstags, IXe légis-
lature, Ve session, 1897-1898, 1er volume. Séance du 14 décembre 1897,
p. 235.
déclarations de son ministre n'en subsistent pas moins et
peuvent maintenant être utilement invoquées.
La non-intervention générale et absolue : telle doit donc être
la formule de l'accord de la France et de la Russie relative-
ment à l'Europe centrale. Ce point posé, on conçoit logique-
ment ce qu'il reste à faire.
Le gouvernement de Berlin travaille politiquement à
détruire l'Autriche; la France et la Russie doivent travailler
politiquement à la consolider. Ces deux États peuvent y
parvenir sans avoir à vaincre de grandes difficultés.
La première nécessité pour les deux gouvernements est
d'être exactement renseignés sur l'état de la propagande
pangermaniste. Or, il n'est pas démontré que l'organisation
officielle des ambassades qui fonctionne actuellement à
Vienne soit suffisante. Ce n'est point dans les salons officiels
de la Hofburg, ni dans ceux de l'aristocratie viennoise qu'on
peut ¡¡apprendreIJ l'Autriche. Prague, Léopol, Cracovie,
Innsbruck, Brünn, Graz, Trieste, sont des centres ayant
chacun leurs points de vue différents. C'est seulement en les
connaissant tous qu'on peut avoir politiquement une vue
panoramique de la Cisleithanie. Il y aurait donc lieu, pour
la diplomatie franco-russe, de développer son service de
it
renseignements ) A côté de cette tâche commune aux
.
deux gouvernements, il en est une autre qui incombe plus
particulièrement à celui du Tsar.
Si, depuis 1867, François-Joseph a toujours reculé au
,
moment d'établir le « fédéralisme , c'est qu'il s'est senti
constamment isolé et exposé aux coups du Hohenzollern de
Berlin. Mais si le rapprochement déjà commencé entre
Vienne et Pétersbourg devenait plus étroit, si le Tsar faisait
comprendre à la Burg que, d'accord avec la France, il est
résolu à garantir l'Autriche contre toute immixtion berli-
noise, la situation ancienne n'existerait plus et le souve-
rain autrichien pourrait enfin agir avec une liberté qui lui
est inconnue depuis Sadowa.
Ces mesures d'ordre diplomatique, si importantes soient-
elles, ne constituent encore que la partie accessoire de ce,
qu'il convient de faire.
Dès 1842, Bismarck a voulu l'annexion de l'Alsace; von
Moltke a rédigé son plan d'attaque contre le Danemark en
décembre 1862, et en ISGO, donc six années avant l'action,
il a préparé militairement toutes les hypothèses suscep-
tibles de naître d'une guerre avec l'Autriche (1).
Ces précédents, joints aux enseignements si nets de la
campagne pangermaniste, autorisent à considérer comme
certain que tous les plans d'invasion de la Cisleithanie exis-
tent actuellement à Berlin dans les bureaux du grand état-
major. On doit donc, à Paris et à Pétersbourg, s'inspirer
du sage conseil donné aux députés du Reichstag par le
général von Gossler, ministre de la guerre prussien : « Ni la
grandeur des États, ni l'improvisation, ni l'enthousiasme,
ni le fanatisme, ne peuvent remplacer les préparatifs soi-
gneusement faits pendant la paix (2). »
Ceci revient à dire que toutes les hypothèses stratégiques
auxquelles peuvent donner lieu les événements d'Europe
centrale doivent être minutieusement prévues par les états-
majors français et russe, de telle sorte qu'au moment dé-
cisif, l'on puisse éviter cette perte de temps dont j'ai signalé
plus haut les irrémédiables conséquences. Alors, aucune
hésitation ne serait possible, et l'ordre de mobiliser l'armée
allemande, lancé par Guillaume II, mobiliserait, en quelque
sorte automatiquement, l'armée russe et l'armée française.
Cette prévision de toutes les opérations militaires suscep-
tibles de devenir nécessaires est d'ailleurs le plus sûr moyen
1
Allemagne (1) Italie (2) Roumanie(3) France (4) Russie (5) Bulgarie (6)
TOTAUX : TOTAUX :
(1) Cette opinion offre d'autant plus d'intérêt que les Nouvelles de Ham-
bourg sont inspirées, comme on sait, par le prince Herbert de Bismarck,
Au contraire, le groupe franco-russo-bulgare, disposant
déjà d'effectifs supérieurs, serait à peu près certain de rece-
voir des renforts d'une importance considérable.
Les Allemands de l'empire ne se font pas d'illusions sur la
solidité des troupes autrichiennes. «Les démonstrations des
Tchèques et des Magyars pour les Français, des Slaves du
sud pour les Russes doivent être considérées par leurs alliés
comme des symptômes périlleux dans le cas d'une guerre
de l'État du Danube avec un pays quelconque (1). » "S.j
l'Autriche devait combattre de concert avec l'Allemagne, on
peut penser avec quel enthousiasme et quelle hâte les régi-
ments tchèques, pleins de haine pour tout ce qui est alle-
mand, se porteraient au secours de leurs camarades alle-
mands (2). » Ces appréciations peu suspectes, jointes à ce
que l'on sait déjà (V. p. 308), permettent de prévoir ce qui
pourrait arriver, si l'Autriche avait à combattre non plus de
concert avec l'Allemagne, mais si l'Autriche était attaquée
par elle.
L'armée de François-Joseph est composée :
Pour les 4/10 de Slaves,
Pour les 3/10 d'Allemands,
Pour les 2/10 de Magyars (3).
Or, pour des raisons déjà exposées (4), les Magyars ne
qui, fidèle aux traditions de son père, est opposé à la politique pangerma-
niste de Guillaume II et par suite à sa conséquence : l'alliance avec l'An-
gleterre.
(1) « Die Kundgebungen der Tschechen und Magyaren für die Franzosen,
der Südslaven fur Russland wiirden im Fall einesKrieges des Donaustaates
mitjenen Landern als bedenkliche Erschcinungen, besonders vom Stand-
punkte der Bundesgenossen anzusehen sein. » SCHWARZENDERG, Katin sich
die osterreichisch-ungarische Armée den Einjlüssen der Nationalitaten
kàmpfe entziehen??? p. 23. Lehmann, Munich, 1898.
(2) « Man denke sich die Begeisterung, mit welcher im Fall eines Kampfes
Schulter an Schulter mit Deutschland heute tschechische Regimenter mit
dem an der Mutterbrust eingesogenen Hass gegen alles was deutsch, dem
deutschen Kamaraden zu Hilfe eilen wiirden! ! » Op. cit., p. 24.
(3) Un dixième de l'armée austro-hongroise est formé par des Latins,
Roumains et Italiens.
(4) V. p. 182 et suiv.
peuvent pas aider les Hohenzollern à s'étendre jusqu'à
Trieste. Il serait difficile aux 3/10 d'Allemands, qui, en majo-
rité, sont antiprussiens, de se joindre aux Allemands de
l'empire qui viendraient les attaquer, et, même si on l'admet
contre toute vraisemblance, dans ce cas, les troupes slaves
de François-Joseph, soit les 4/10, aideraient certainement
de tout leur pouvoir les adversaires des Allemands de l'em-
pire. Sans doute ces troupes slaves n'ont, en général, que
des officiers allemands, mais si les Russes avaient la pré-
voyance de surpeupler les cadres de leur armée de Kiev,
les officiers qui seraient en excédent pourraient, en venant
à la rencontre des régiments de Guillaume II entrés en
Bohême, encadrer rapidement les troupes slaves de François-
Joseph, heureuses de lutter avec les soldats du Tsar contre
l'ennemi commun. La valeur de ce renfort serait considé-
rable; autant il est vrai de dire qu'une armée autrichienne
seule aux prises avec l'armée allemande est vouée à une
destruction inévitable, autant il est exact d'admettre que sa
valeur militaire serait des plus sérieuses, si son action
s'ajoutait à celle des armées russes et françaises.
Ainsi, dans cette hypothèse (et il dépend des états-majors
français et russe de la faire naître), non seulement l'Alle-
magne attaquant l'Autriche pourrait être prise à l'est et à
l'ouest, mais elle se heurterait encore au sud à une résis-
tance opiniâtre. L'empire allemand serait conséquemment
enserré dans la plus formidable des étreintes. Cette éven-
tualité, techniquement possible, entraîne p':Jr son évidence
même d'autres conséquences. Tout d'abord, elle est de na-
ture à inspirer une sage circonspection aux alliés éventuels
de l'Allemagne, la Roumanie et l'Italie, circonspection qui
pourrait avoir ses effets avant ou après la déclaration de
guerre. Il importe d'ailleurs de remarquer que si ces États
n observaient pas la réserve justifiée par les circonstances si
dangereuses de la lutte où voudrait les entraîner l'Allema-
gne, la coopération militaire de l'Italie et de la Roumanie
ne serait pas pour l'empire allemand d'une très sérieuse
efficacité. L'armée roumaine peut être immobilisée par
l'armée bulgare, qui est excellente, et par un corps d'armée
russe posté en Bessarabie. Quant à l'armée italienne, elle
ne peut que contraindre la France à maintenir un certain
nombre de corps d'armée dans le sud-est du territoire de la
République ; des techniciens fort autorisés soutiennent même
que, depuis l'achèvement du système défensif des Alpes,
des troupes françaises relativement peu nombreuses suffi-
raient à faire obstacle à toute invasion italienne. Cette situa-
tion si nettement avantageuse de la coalition franco-russo-
bulgare aurait en outre un autre résultat militaire : celui
d'encourager à prendre une attitude offensive les États
hésitants qui, comme le Danemark et la Serbie, ont tant de
raisons de se ranger du côté de la France et de la Russie.
Il est incontestable que cet ensemble d'éventualités graves
et cependant à peu près certaines compliquerait singuliè-
rement la tâche de l'empereur allemand. Une fois les hos-
tilités ouvertes, comment maintiendrait-il en bon état le
moral de son peuple si nécessaire au succès final? Le pro-
blème paraît difficilement soluble.
Ce n'est pas tout.
La guerre moderne est soumise, de plus en plus, à des
exigences économiques d'une extrême complexité. Le sort
des armes peut dépendre du bon ou du mauvais ravitaille-
ment des armées d'opération. Or, une Allemagne attaquant
l'Autriche, ayant à faire front contre la France et la Russie,
éprouverait pour nourrir ses troupes et sa population civile
les plus grandes difficultés. Un écrivain militaire français
ne faisant allusion qu'à une guerre de la Triplice contre
la Duplice, par conséquent à une hypothèse moins désavan-
tageuse, estime que le ravitaillement de l'empire allemand
serait déjà des plus pénibles : « L'Allemagne importe chaque
année pour plus d'un milliard et demi de produits de con-
sommation et pour plus d'un milliard et demi de matières
nécessaires à son industrie. Son commerce avec la Russie
et la France disparaissant au moment des hostilités, elle
serait obligée d'avoir recours, pour la subsistance de sa
population et l'approvisionnement de ses usines, aux pays
d'outre-mer. Les petits États neutres dont elle est entourée,
Danemark, Belgique, Hollande, ne paraissent pas en me-
sure de combler le déficit dans une guerre de quelque
durée. » C'est ce que reconnaît le Dr Hasse. « Si nos rivaux
de l'est et de l'ouest s'unissaient pour nous boycotter, il
s'agirait vraiment alors d'un combat pour la vie (1). » Or, le
boycottage économique serait une conséquence inéluctable
de la guerre. Dans le cas envisagé, l'Allemagne n'aurait en
effet, pour se ravitailler, que la mer du Nord où la flotte
française pourrait tout au moins gêner considérablement
l'arrivée des convois de vivres. Par contre, au point de vue
des subsistances, la situation de la France et de la Russie
serait excellente. La Russie a pour s'alimenter tous les
pays d'Asie. La France vit presque sur elle-même. Elle n'a
besoin que de faibles excédents et même si les Anglais
parvenaient à bloquer toutes ses côtes, opération gigan-
tesque, la France pourrait encore recevoir d'Espagne les
subsistances nécessaires.
En définitive, toute tentative d'action de l'empire alle-
mand contre l'Autriche peut se heurter à des difficultés
militaires, politiques et économiques telles qu'une pareille
entreprise aboutirait presque fatalement à un désastre. Or,
si un coup de force allemand contre l'Autriche prèsente
actuellement les chances si sérieuses de succès que j'ai ex-
posées au chapitre V, c'est uniquement parce que les élé-
ments d'opposition à une extension continentale de l'Alle-
f
magne qui existent latents sur le sol de Europe ne sont pas
encore conscients de leurs forces et fédérés entre eux. C'est à
l'opinion publique des Français et des Russes à se pénétrer
(1) Aber zur That werden sich die Deutschen aus sich selbst heraus
1<
noch lang nicht erheben, dazu mussen sie noch viele Jahre in dem Feuer
osterreichischer Misswirthschaftgepeinigt und getautert werden... » Deutsch-
land bei Beginn des 20. Jahrhunderts, p. 102. Militiir-Verlag, Berlin, 1900.
(2) « ich glaube, dass die Niederkiimpfung des Tchechenvolkes den
...
Oesterreichern ohne fremde Hilfe kaum gelingen wird. » Oesterreichs
Zusàmmenbruch und Wiederaufbau, p. 9. Lehmann, Munich, 1899.
se fera pas immédiatement en Cisleithanie. De même que
l'Autriche a été troublée de .1859 à 1867 en passant du
/égime absolutiste au régime dualiste, de même il y aurait
bien des difficultés à résoudre avant de réaliser le « fédéra-
lisme » Mais peu importe. L'avantage d'avoir rendu les
.
crises internes de la Cisleithanie inoffensives pour la paix
européenne serait suffisant. Finalement, d'ailleurs, la force
des choses amènerait la solution fédérale. L'Autriche serait
alors cristallisée sous une forme moderne.
Tout esprit droit doit souhaiter cet aboutissement des évé-
nements de Cisleithanie. C'est l'intérêt de la liberté, puisque
le Il fédéralisme » est la seule forme d'Etat qui assure le
respect des droits des peuples autrichiens; c'est l'intérêt de
l'humanité, car la Prusse montre actuellement, en Pos-
nanie, comment elle traite les peuples qu'elle a conquis ;
c'est l'intérêt de la justice, car c'est en son nom que les
Slaves cisleithans font leurs revendications. Aucun d'entre
eux ne veut «porter atteinte aux droits légitimes de la natio-
nalité allemande... Mais la majorité des peuples de l'Autri-
che ne veut plus de privilèges pour la minorité » Ils se bor-
.
nent à dire :
Pas de nation privilégiée, l'Autriche à tous
cc
FIN
REMARQUES
RELATIVES A LA CARTE DE L'AUTRICHE VRAIE
III
TABLE ALPHABÉTIQUE ET ANALYTIQUE
DARESTE. Préface.
Zollverein, 89.
Pozony, 4. ;
Vistule, 376. Y
VOGEL ^P.), 202.
Volynie, 233. Yldiz-Kiosk, 340.
Voralberg, 48, 102.
Z
Vorwaerts, 239.
Vosges, 97. Zagreb, 5.
Vossische Zeitung, 213. Zakopane, 152.
ZIMMERMANN, 199.
w ZOEPFL, 179, 180, 208-209.
WAGNER (JOS.), 202. Zwettl, 107.
WAGNEII. (Professeur), 244.
TABLE DES MATIÈRES
PRÉFACE, p. III.
APERÇU GÉNÉRAL DE L'OUVRAGE, p. XV.
CHAPITRE PREMIER
L'ÉVOLUTION POLITIQUE DE L'AUTRICHE AU XIX* SIÈCLE
CHAPITRE II
LE PANGERMANISME
CHAPITRE III
LA PROPAGANDE PANGERMANISTE EN CISLEITHANIE
CHAPITRE IV
L'AUTRICHE, LA HONGRIE ET LE NOUVEL ETAT DE CHOSES
magyars? p. 172. -
M. Kossuth. Sa portée européenne. Est-elle conforme aux intérêts
§3. Le Zollverein de l'Europe centrale et les Hon-
crois. Serait-il de nature à favoriser l'essor économique magyar, p. 177.
§ 4. Eventualités qui résulteraient pour la Hongrie d'une main-mise
-=—
de l'Allemagne sur la Cisleithanie : les nouveaux contacts et leurs dan-
gers, p. 181. — § 5 Les vues des Pangermanistes sur la Hongrie : théories,
faits, prévisions, p. 182. — § 6. Les nouvelles tendances en Hongrie : le
courant d'opinion antiallemand. Les Magyars tendent à admettre l'éta-
blissement du « fédéralisme » en Cisleithanie, p. 189.
CHAPITRE V
CHAPITRE VI
COMMENT PEUT SE POSER LA QUESTION D'AUTRICHE
CHAPITRE VII
CE QUE SERAIT L'ALLKMAGNE AGRANDIE DE L'AUTRICHE
CHAPITRE VIII
L'INTÉGRITÉ DE L'AUTRICHE ET LES PUISSANCES
CONCLUSION, p. 399.
Remarques relatives à la carte de - l'Autriche vraie », p. 427. '
CARTES
Les partis nationaux en Autriche, d'après leur représentation au
Beichsrath de Vienne 54
Répartition géographique des partisans et des adversaires du " fédé-
ralisme » en Autriche 54
Les agrandissements successifs du Zollverein 78
La grande confédération germanique et l'Europe centrale en 1950.. 100
Le morcellement de l'Autriche d'après les Pangermanistes 102
Les Petits-Russiens ou Ruthènes et l'empire des Tsars 154
Les colonies allemandes en Hongrie 187
Les nouvelles fortifications allemandes 267
Les grands territoires économiques 298
Royaume de Bohême 307
Ce que serait l'Allemagne agrandie de l'Autriche 353
La Roumanie irredenta
L'Autriche officielle
...................................... 361
427
L'Autriche vraie ............................................. 427
FAC-SIMILÉS