L'Europe Et La Question D'autriche (... ) Chéradame André bpt6k33651819

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L'Europe et la question

d'Autriche au seuil du XXe


siècle... (4e édition) / André
Chéradame

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Chéradame, André (1871-1948). Auteur du texte. L'Europe et la
question d'Autriche au seuil du XXe siècle... (4e édition) / André
Chéradame. 1906.

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L'EUROPE
ET LA

QUESTION D'AUTRICHE
AU SEUIL DU XX' SIÈCLE
L auteur et les éditeurs déclarent réserver leurs droits de reproduction
et de traduction en France et dans tous les pays étrangers, y compris la
Suède et la Norvège.

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Tous droits réservés
AUX

MEMBRES DU PARLEMENT FRANÇAIS


PRÉFACE

Voilà un siècle que l'on travaille à résoudre la ques-


Il

tion d'Orient. Le jour où l'on croira l'avoir résolue,


l'Europe verra se poser inévitablement la question d'Au-
triche (1). Il

Rarement vue d'historien fut plus pénétrante. Les


puissances du vieux monde se croient délivrées du pro-
blème oriental ; depuis la guerre turco-grecque, l'homme CI

malade semble reprendre des forces ; on ne parle plus


Il

de sa succession; mais voici que, suivant les prévisions de


M. Albert Sorel, l'intérêt politique se déplace et se con-
centre sur l'empire de François-Joseph.
Les événements de Chine, quelle que soit leur durée, ne
sont un dérivatif qu'en apparence. Ils n'empêchent point
un avenir menaçant de se préparer en Europe centrale.
Une conflagration générale peut sortir de la crise chi-
noise, et donner aux affaires d'Autriche une précoce matu-
rité.
Le danger qui grandit au centre du continent n'est pas
nouveau. Depuis longtemps on sent son approche, mais
on la sent confusément. On s'imagine à priori que ce péril
(1) Albert SOREL, la Question d'Orient au XVIlle siècle, p. 280. Plon,
Paris, 1889.
résulte de causes très complexes et son étude décourage.
C'est là une simple présomption; elle a suffi toutefois
à condamner à de faibles résultats tous ceux qui ont tenté
de montrer la situation vraie de l'Autriche devant l'Eu-
rope.
Les avertissements cependant n ont point manqué.
Édouard Hervé, un des esprits les plus clairvoyants
et

et parfois les plus profonds de ces quarante dernières


années (1) « en matière de politique extérieure, a dégagé
force l'importance continentale de l'empire des Habs-
avec
bourg. A sept ans de distance, il annonce la guerre de
et

1866 (2) ; »
il explique que laisser aabaisser l'Autriche, c'est
faire le jeu de la Prusse » . Au lendemain de Sadowa, pré-
voyant que l'unité allemande sera cimentée dans le sang
français, il déclare : La France, sans se battre, vient
cc

d'essuyer le plus grave échec qu'elle ait subi depuis


Waterloo. " Le désastre qu'a prévu Édouard Hervé arrive.
Il songe aux moyens d'en restreindre la portée et de garan-
tir l'avenir. Le 23 novembre 1871, il écrit . Si nous CI

n'étions pas des Grecs du Bas-Empire ou des Polonais du


dix-huitième siècle, si nous n étions pas uniquement
occupés de nos misérables et honteuses querelles... nous
prêterions quelque attention à ce qui se passe du côté du
Danube. Ce sont nos affaires qui se font là; ce sont nos
intérêts qui sont enjeu. » Ensuite il montre constamment
dans ses innombrables articles, « le chancelier de Berlin
continuant dans la paix l'oeuvre qu'il a commencée par la
la reconstitution de l'ancien empire germanique
guerre :
de M. Paul Des-
(1) V. le discours de réception à l'Académie française
chanel, 1er février 1900.
(2) Le 3 mai 1866, Thiers dévoila l'ambition prussienne dans un discours
qui eut en Europe un profond retentissement.
dans des conditions nouvelles, appropriées aux nécessités
de notre temps. »
Si Édouard Hervé a vu si clair, c'est qu'il était un de
ceux qui avaient compris l'importance des peuples
slaves de l'Autriche dans le système politique européen
et la portée profonde de ce que disait le Dr Rieger dans
les voyages qu'il fit à Paris entre 1866 et 1870.
Le but du grand chef politique de la Bohême était d'at-
ti'rer l'attention des hommes influents sur les conséquences
inévitables de Sadowa. Il causa avec Émile de Girardin;
Duruy le reçut à sa maison de campagne ; la princesse Trou-
betzkoï le mit en relations avec Gambetta et Mme Cornu,
sœur de lait de Napoléon III, obtint pour lui une audience
impériale.
L'empereur des Français écouta avec grande attention
l'homme d'État tchèque et le congédia sur ces mots :
«
Si, au moins, je pouvais faire pour vous ce que j'ai
fait pour les Hongrois » paroles qui trahissaient bien
!

l'impuissance où il se voyait déjà à soutenir plus long-


temps le principe des nationalités qu'il sentait se retourner
contre lui.
En quittant l'empereur, le Dr Rieger lui laissa un
mémoire sur la situation de l'Europe centrale. Après
l'avoir lu, Napoléon III le remit au duc de GramInont,
alors ambassadeur de France à Vienne, qui, avec une
inconcevable légèreté, le communiqua à M. de Beust.
L'ancien ministre du roi de Saxe, devenu diplomate autri-
chien, y trouva des idées en opposition absolue avec les
siennes. Fort mécontent de la démarche du Dr Rieger
auprès des Français, il prit une copie du mémoire et la fit
publier dans la JSeue Freie Presse. Les Allemands n'eurent
pas assez d'injures pour le Dr Rieger. Cela ne saurait étonner.
Son mémoire avertissait la France de ce qui la menaçait :
« La
fièvre de conquêtes qui caractérise la race germanique
revivra indubitablement dès que la belliqueuse Prusse mar-
chera à la tête de la grande fédération allemande. Les )J

vues contenues dans ce document avaient tant de valeur


que le général prussien Papke, amené un jour à en par-
ler, n'hésita pas à dire : « Si j'étais l'empereur d'Autriche,
je donnerais à M. Rieger pour son mémoire la grand'croix
de Saint-Léopold, et si j'étais le roi de Prusse, je l'enfer-
merais à Spandau (1). »
Les voyages de M. Rieger furent inutiles. La diplomatie
française ne sut tirer aucun parti des renseignements pré-
cieux qui lui étaient apportés.
Après la guerre franco-allemande, parallèlement à
Édouard Hervé, quelques Français aux vues pénétrantes
suivent le développement des choses d'Autriche.
Dans de nombreux ouvrages, M. Louis Léger s'efforce
de rendre plus justes nos notions sur le monde slave. Il
montre que l'idée panslaviste ne menace pas les Habs-
bourg. « Nous avons en France contre cette idée, dit-il,
bien des préventions; mais le rapide développement dela
puissance allemande nous fait un devoir impérieux de
dépouiller les vieux préjugés, d'étudier en face les faits et
les idées, et de chercher avec persévérance tout ce qu'on
en peut tirer d'utile pour la politique extérieure de la
France (2). » C'est à une diplomatie prévoyante qu'il
appartient de distinguer les éléments de l'Autriche et d'en
évaluer les forces. «La France suit avec un trop vif inté-
(1) Je tiens cette anecdote de l'entourage immédiat du Dr Rieger.
(.2) Louis LÉGER, le Monde slave, p. 304. Hachette, Paris, 1897.
rêt le développement de la nouvelle Allemagne pour
qu'il lui soit permis d'ignorer les nationalités secondaires
qui s'opposent à ce développement (1). » M. Marbeau
commente les paroles de Skobeleff. « La lutte est iné-
vitable entre le Slave et le Teuton (2), » et montre
que cette lutte naîtra un jour en Europe centrale. Dans
la Revue des Deux Mondes (3), M. Dareste prévoit que
l'oppression des Tchèques par les Allemands sera l'ori-
gine du conflit : il en déduit la valeur européenne de la
Bohême. M. A. Rambaud, dans ses belles études slaves,
attire lui aussi l'attention sur le danger autrichien.
Enfin, le président de la Chambre des députés fran-
çais se place résolument sur le terrain de la grande poli-
tique :

«
Les premières années du vingtième siècle, dit-il, ver-
ront se dérouler, par l'effet des vicissitudes naturelles
dans la maison d'Autriche, un drame décisif, dont il est
aisé de prévoir dès aujourd'hui tout au moins le prologue
et les premiers actes. Le rôle de la France y est tracé
d'avance (4). »
Puis plus récemment, dans son discours de récep-
tion à l'Académie française (5), M. Paul Deschanel ne
se contente pas de faire l'éloge enthousiaste d'Édouard
Hervé, il donne à son pays l'avertissement suprême que
les hommes d'état courageux prononcent à l'instant qu'ils
sentent décisif : c Ah ' combien nous serions coupables

(1) Louis LÉGER, le Monde slave, p. 43. Hachette, Paris, 1897.


(2) MARBEAU, Slaves et Teutons. Hachette, Paris, 1882.
(3) V. DARESTE, Revue des Deux Mondes, 1ER août 1895.
(4) Discours de M. Paul Deschanel au banquet du Comité national répu-
blicain du Commerce et de l'Industrie, le 3 mars 1898.
(5) 10r février 1900.
devant la patrie et devant l'histoire, si, conscients plus
qu'aucune autre génération ne le fut jamais, de notre mis-
sion historique, des termes et des éléments du problème
extérieur que nous avons à résoudre, tenant en quelque
sorte dans nos mains les solutions, nous les laissions encore
échapper, et nous perdions encore une fois d'avance une
partie suprême, —jouée sans nous, — d'où dépendra ou
le relèvement ou l'irréparable décadence, pour n'avoir pas
su imposer à nos passions cette discipline morale et sociale
qui n'est pas moins indispensable que la discipline mili
taire à la préparation des victoires. »
Tous ceux-là, écrivains ou hommes politiques, ont eu,
selon le mot de Talleyrand, de l'avenir dans l'esprit. »
CI

Les premiers ils ont exposé et soutenu une grande idée. Au


début de cet ouvrage, je tiens à rendre hommage à ces
précurseurs ; ils ont vu le danger quand il y avait encore
du mérite à le voir ; ils se sont imposé la tâche ingrate de
le signaler à une époque où ils savaient que leur clair-
voyance serait insuffisamment appréciée.
Sous peine d'être surpris par les événements, il faut
poursuivre avec énergie l'œuvre qu'ils ont commencée. Il
y a dans l'histoire des peuples des heures redoutables qui
engagent leur destinée pour une longue période. Elles
précèdent parfois de plusieurs années les événements
qu'elles déterminent, aussi échappent-elles à la vigilance
de la presse.
Ces graves instants, ce sont ceux où des souverains s'en-
tendent pour une vaste combinaison politique, où des
gouvernements pusillanimes laissent s'accomplir des évé-
nements dont les suites ne sauraient immédiatement
apparaître. Tout cela, les peuples le savent quand l'accord
est conclu, quand la faute est irréparable, et ils doivent
la payer un jour de leur or et de leur sang.
Pour ne pas avoir saisi ces minutes décisives, la diplo-
matie française s'est constamment trompée depuis un
demi-siècle sur les véritables desseins des Hohenzollern.
L'affaire des duchés ouvre la série des erreurs.
" La France pour son
malheur n'intervient pas, et de
cette première violence vont naître les autres. 1864 est
comme une première épreuve, en raccourci, de 1866,
l'année fatale, et de 1870, l'année terrible (1). » Dans
l'espace de sept ans, « Bismarck abat successivement le
Danemark, l'Autriche, la France, établit l'hégémonie de
la Prusse en Allemagne et la prépondérance de l'Allemagne
en Europe. " Les moments psychologiques qui engageaient
ces événements n'ont pas été saisis par ceux qui avaient
la charge de la France : ils n'ont donc pu ni prévoir le
danger ni l'éviter. Les hommes qui furent avertis sont
restés impuissants. Ils n'ont pas trouvé un gouverne-
ment ou une presse qui voulût tenir constamment la France
au courant de l'état vrai de l'Allemagne, des espérances,
des ambitions, des préparatifs militaires et des agisse-
ments politiques de la cour de Berlin.
Rien n'a été fait. Les rapports du colonel Stoffel sont
restés dans les cartons; les projets du maréchal Niel ont
été repoussés; Édouard Hervé a parlé dans le désert;
jusqu'au dernier moment, les Français ont été dupes
d'une situation habilement « truquée » et ils ont été
,
vaincus pour avoir ignoré les forces de leurs adversaires.
Il est un art de tromper les peuples. Les suites de la

(1) M. Paul Deschanel, discours de réception à l'Académie française.


dépêche d'Ems constituent l'exemple le plus retentis-
sant des conséquences qui peuvent résulter, en politique
étrangère, de la simple falsification d'un texte. On consi-
dère'volontiers comme exceptionnel l'emploi de ce Il pro-
cédé » politique ; il est cependant d'un usage courant.
Les gouvernements qui poursuivent l'exécution de grands
projets l'appliquent journellement, car ils ont un intérêt
constant à donner à leurs ressortissants et surtout à leurs
voisins l'orientation d'esprit favorable à l'accomplisse-
ment de leurs secrètes entreprises.
La presse est leur moyen d'action permanent. a C'est
une force nationale comme la diplomatie, comme l'armée,
comme le crédit. » A Berlin, on l'a merveilleusement
compris. On s'y est ingénié, et on est parvenu à exercer
une influence réelle sur les principales agences télégra-
phiques, qui procurent aux journaux leurs informations
extérieures. D'habiles suppressions, des réticences savantes
suffisent à donner à une dépêche le caractère tendancieux
que seul peut reconnaître un observateur très informé.
Ces altérations de la vérité, continuées méthodique-
ment pendant des années, produisent des résultats extra-
ordinaires.
C'est grâce à elles qu'au moment du conflit avec l'Au-
triche en 1866 « une partie de l'opinion française égarée
continue à soutenir la Prusse (1) », et qu'après Sadowa
les mêmes appréciations erronées subsistent, indestruc-
tibles, jusqu'à la guerre franco-allemande.
Un gouvernement qui, comme celui de Berlin, doit sa
puissance à une telle méthode ne l'abandonne pas ; il la
perfectionne et la modernise.
(1) M. Paul Deschanel, discours de réception à l'Académie française.
Ce qui s'est fait avant 1870 se continue actuellement.
Les opinions les moins fondées sur l'état vrai de l'Europe
centrale sont entretenues avec soin dans tout le continent
et spécialement en France.
Aussi le Français renseigné uniquement par les feuilles
publiques se fait-il une idée fausse de l'empire des Habs-
bourg. Pour lui, l'Autriche est un pays polyglotte, de
majorité allemande, — raison pour laquelle il fait
partie de la triple alliance, — Le conflit de ses diverses
nationalités le dissout et prépare son démembrement.
Seule, l'action personnelle de l'empereur François-Joseph
maintient encore ce bizarre assemblage de peuples, mais
le jour de sa disparition, l'Autriche se divisera d'elle-
même, et ses provinces allemandes par une attraction
toute naturelle iront se fondre dans l'empire allemand.
Il y a là, en perspective, un grand danger pour l'Europe
et pour la France, mais il est inévitable.
Telle est l'opinion généralement admise.
La longue enquête à laquelle je me suis livré sur place
m'a démontré que si un semblable jugement ne corres-
pondait nullement à la situation vraie de l'Autriche, il
était par contre merveilleusement approprié à servir les
vues des vainqueurs de Sadowa. J'en ai conclu qu'il était
le résultat des efforts depuis longtemps poursuivis par les
agences télégraphiques en vue d'égarer les esprits. Le
présent ouvrage est consacré à établir la vérité de cette
conclusion. Il vise en outre un but plus élevé.
Si la France ne peut plus diriger les événements exté-
rieurs et est réduite à en subir les coups et les contre-
coups, c'est que l'opinion, n'étant jamais documentée
à temps, est dans l'impossibilité d'exprimer sa volonté,
en connaissance de cause, préalablement aux événements. Or,
sous une forme quelconque, la crise du centre continental
est certaine. Il est indispensable que la masse des Fran-
çais en connaisse à l'avance toute la gravité, sous peine de
voir se répéter les fautes du passé et de subir les désastres
qui en sont l'inéluctable conséquence.
Je me suis donc proposé de réunir dans un seul livre tous
les éléments d'appréciationrelatifs à l'Europe centrale : origines
historiques de la situation actuelle, phases de sa récente évolu-
tion, intérêts des divers États lésés ou favorisés par une modifi-
cation des frontières de l'Autriche, intérêt général européen,
hypothèses à prévoir, plans de conduite déduits de l'observa-
tion des faits.
C'est effectivement sur des faits que je me suis constam-
ment appuyé, aussi me suis-je attaché à en faciliter le
contrôle dans la plus large mesure possible, au moyen
de textes allemands joints aux traductions, de fac-similés
et de cartes géographiques.
Si cette étude pouvait servir à la sauvegarde des inté-
rêts français, mon but serait atteint; mais, pour cela, il
faut que les membres du Parlement consentent à envisager
les événements qui se préparent. Pourront-ils s'y refuser?
Derrière eux, ils ontle terrible exemple des députés du Corps
législatif, qui, pour n'avoir pas armé la Paix, ont conduit
la France à la plus désastreuse des guerres. Aujourd'hui
encore, l'avenir de ce pays dépend de la clairvoyance des
membres du Parlement. Déjà, leur responsabilité est
engagée devant l'histoire. Puissent-ils le comprendre à
temps!
C'est à eux que je dédie ce livre.
Ses conclusions ont été la meilleure récompense de
mes années de travail. A mesure que mes recherches ont
avancé, la conviction s'est faite en moi que, plus que
jamais, la cause de la France s'identifie avec celle de la
justice, et que pour résoudre la question d'Autriche, la
meilleure manière d'être bon Français sera encore d'être
bon Européen.

Paris, 15 janvier 1901,


..
APERÇU GÉNÉRAL DE L'OUVRAGE

Une documentation sérieuse peut seule déterminer une forte


conviction, mais l'abondance même des faits exposés présente un
inconvénient. Elle peut parfois faire oublier au lecteur l'idée
générale qui justifie les arguments suggérés par ces faits. J'ai
donc pensé utile, au début de ce livre, de donner un très bref
aperçu des idées essentielles qui l'inspirent et d'établir leur en-
chaînement.
La situation actuelle de l'Autriche est la conséquence de son
développement historique. Le
CHAPITRE 1

L'ÉVOLUTION POLITIQUE DE L'AUTRICHE AU XIXE SIÈCLE

l'établit. L'étude de cette évolution permet de constater qu'elle


est entravée uniquement par l'action extérieure de la Prusse. On
en conclut que la compréhension entière des affaires d'Autriche
exige la connaissance des vues du gouvernement de Berlin sur
l'Europe centrale. Cette considération amène à reconnaître au
cours du
CHAPITRE II
LE PANGERMANISME
le lien qui existe entre l'ancienne conception pangermaniste
récemment modernisée et la solution des affaires du centre
continental. Le
CHAPITRE III
LA PROPAGANDE PANGERMANISTE EN CISLEITHANIE

démontre par de nombreux faits la réalité du danger, la nature


et l'importance du mouvement prussophile en Autriche. Le
CHAPITRE IV
L'AUTRICHE, LA HONGRIE ET LE NOUVEL ÉTAT DE CHOSES

est consacré à discuter les chances de succès des doctrines pan-


germanistes en Autriche et à exposer pour quelles raisons les
Magyars se trouvent dans la nécessité d'abandonner leur ancienne
politique. Le
CHAPITRE V
LE MOUVEMENT PANGERMANISTE DANS L'EMPIRE ALLEMAND

a pour objet de vérifier dans quelle mesure l'idée d'extension de


l'empire aux dépens de l'Autriche est encouragée par le gouver-
nement de Berlin. Cette constatation une fois faite, on examine
dans le
CHAPITRE VI
COMMENT PEUT SE POSER LA QUESTION D'AUTRICHE

Les différentes hypothèses étant exposées, on arrive rationnel-


lement à se demander quels États ont avantage au maintien ou
au démembrement de l'Autriche. La recherche des intérêts de
chaque puissance permet seule d'arriver à une approximation
suffisante de la vérité. Or, ces intérêts n'apparaissent nettement
que si l'on suppose réalisée l'entrée de l'Autriche dans l'empire
allemand. Les conditions et les conséquences de cette hypothèse
sont prévues dans le
CHAPITRE VII
CE QUE SERAIT L'ALLEMAGNE AGRANDIE DE L'AUTRICHE

Les déductions qui en résultent donnent enfin la possibilité


dans le
CHAPITRE VIII
L'INTÉGRITÉ DE L'AUTRICHE ET LES PUISSANCES

de répartir les États intéressés parla question d'Autriche en trois


groupes : ceux dont les intérêts sont douteux, ceux qui ont un
avantage présent au morcellement de l'Autriche' et ceux qui, au
contraire, ont des raisons vitales de vouloir sa conservation. Ces
éléments divers permettent d'arriver à la
CONCLUSION
Elle expose pourquoi et comment il est encore possible de sau-
vegarder la paix européenne.
L'EUROPE
ET LA

QUESTION D'AUTRICHE
AU SEUIL DU XX' SIÈCLE

CHAPITRE PREMIER
L'ÉVOLUTION POLITIQUE DE L'AUTRICHE
AU XIX' SIÈCLE.

1 LES Il FAITS Il — § i". Les grandes étapes :


HISTORIQUES ET LEUR AGTiox.
de 1815 à 1867. Le régime absolutiste. L'idée de nationalité sous sa
forme nouvelle réagit contre lui. Les mouvements nationaux se dessinent
dans l'Etat autrichien; la révolution de 18*8, puis l'action de Napo-
léon III, assurent leur essor. Sadowa et l'émancipation des Magyars.
1867 : le Il dualisme ", Transleithanie et Cisleithanie. Esprit de la Cons-
titution de 1867. Pourquoi et comment elle n'est que partiellement ap-
pliquée. — § 2. Les peuples non allemands de l'Autriche depuis 1867 :
Polonais, Ruthènes, Italiens, Roumains, Slovènes, Serbo-Croates, Tchè-
ques. — § 3. Influence du développement politique des Slaves cislei-
thans sur François-Joseph et sur les Allemands d'Autriche.
Il. L'A UTRICIIE VRAIE. — § 1. Les deux aspects de l'Autriche : l'Autriche
de 1867, l'Autriche ethnographique. — § 2. La tendance vers le "fédé-
ralisme Il : A quoi se résument les affaires d'Autriche au point de vue
international. Répartition géographique des partisans et des adversaires
.
du « fédéralisme , Comment Il fédéralisme en Cisleithanie Il est l'anti-
thèse de « démembrement de l'Autriche » . Où est l'obstacle à la réforme
fédérale. — § 3. Formule de l'Autriche vraie : Ses éléments constitutifs.

Ce qui s'impose, au début d'une étude sur l'Autriche,


c'est l'établissement d'une base de raisonnement scientifique
exactement conforme aux réalités. Les opinions courantes
sur l'empire de François-Joseph sont d'une origine trop sus-
pecte pour constituer cette base. Sans se perdre dans une
foule de détails prolixes, sans citer une infinité de noms qui
nuisent à la clarté, il faut chercher la vérité aux sources
mêmes, la demander aux enseignements de l'histoire et à la
connaissance des faits » que les informateurs étrangers
H

s'ingénient précisément à passer sous silence ou à dénaturer ;


on ne saurait d'ailleurs comprendre la situation actuelle de
l'Europe centrale sans avoir présents à l'esprit les caractères
essentiels de l'évolution politique de l'Autriche au dix-neu-
vième siècle.

LES « FAITS » HISTORIQUES ET LEUR ACTION

Les traités de 1815, en mettant fin à la tourmente révolu-


tionnaire et à la période napoléonienne, restaurèrent en
Autriche (1) l' « absolutisme » dans sa toute-puissance.
François II, qui régnait alors, revint avec joie aux an-
ciennes traditions. Il ne convoqua plus les Diètes de ses pays
et appliqua partout un système oppressif, dont il se complai-
(1) A cette époque, l'expression «
Autriche »
désignait l'ensemble des
pays suivants :
1° Les provinces héréditaires de la région des Alpes, au nombre de dix;
2° Les terres de la couronne de saint Venceslas ou royaume de Bohème,
formé de la Bohême proprement dite, de la Moravie et de la Silésie autri-
chienne;
3° La Galicie et la Bukovine ;
4° Les pays de la couronne de saint Étienne, soit quatre Etats : le
de Hongrie, la principauté de Transylvanie, le royaume de Croatie
royaume
l 'Autriche-Hongrie
et d'Esclavonie, la province de Serbie, c 'est-à-dire toute
actuelle plus les provinces italiennes perdues en 1859 et en 1866.
Le terme « Autriche » a donc, en 1815, son acception la plus
étendue; il
la conserve jusqu'en 1867 ; depuis lors, il ne désigne plus que la Cisleithanie.
Pour la connaissance détaillée des vicissitudes subies par l'empire des
Habsbourg, consulter l'excellente Histoire de l'Autriche-Hongrie, par Louis
LÉGER. Hachette, Paris, 1895.
sait volontiers à exposer les avantages : Mes peuples sont
(1

étrangers les uns aux autres, disait-il à l'ambassadeur de


France : tant mieux. Ils ne prennent pas les mêmes mala-
dies en même temps. En France, quand la fièvre vient, elle
vous prend tous le même jour. Je mets des Hongrois en
Italie et des Italiens en Hongrie. Chacun garde son voisin.
Ils ne se comprennent pas, ils se détestent. De leurs anti-
pathies naît l'ordre, et de leur haine réciproque, la paix
générale. »
Cependant l'Autriche réunissait dans ses limites plusieurs
nations étrangères. Ce fait importait peu. L'ancien régime
impliquait la subordination des peuples aux princes ; les
Habsbourg continuèrent donc à imposer une administra-
tion, allemande comme eux, à leurs sujets, sans tenir aucun
compte de la diversité des nationalités (1). (1L'Europe, dit
un contemporain, louait, jalousait, maudissait la puissance
de l'Autriche, mais on ne songeait pas au peuple autrichien.
Il ne s'agissait que du prince et de son ministre. »
Un tel procédé de gouvernement, d'une évidente injus-
tice, n'était possible qu'avec des peuples (Magyars, Italiens,
Tchèques, Polonais, Ruthènes, Slovènes, Roumains, Slova-
ques, Croates, Serbes) sans conscience nationale, ignorants
de leurs droits ; cette inertie politique ne pouvait indéfini-
ment se prolonger.

§ 1.
— Les quinze années qui séparent les traités de
Vienne de l'année 1830 voient se dessiner, en Autriche, l'ac-
tion des idées de la Révolution française.
Déjà avant 1815, les Hongrois s'étaient passionnés pour
elles. Un des leurs, Bacsany, avait expié à Kufstein de neuf
années de forteresse le crime d'avoir traduit la Marseil-
laise. L'empereur des Français, avec son intelligence péné-

(1) Exception faite, à certains points de vue, pour les


pays de la couronne
de saint Étienne. Des vestiges de l'ancien dualisme,
reconnu par Marie-
Thérèse, subsistaient encore.
trante des hommes et des choses, avait compris le parti qu'il
pourrait peut-être tirer de ces tendances. En 1809, il
adressa aux Hongrois une proclamation chaleureuse qui
correspondait à leurs aspirations avec une justesse éton-
nante : " Hongrois... Le moment est venu de recouvrer
votre indépendance. Je vous offre la paix, l'intégrité de votre
territoire, de votre liberté et de vos constitutions, soit telles
qu'elles ont existé, soit modifiées par vous-mêmes, si vous
jugez que l'intérêt des temps et les intérêts de vos conci-
toyens l'exigent. Je ne veux rien de vous ; je ne désire que
vous voir nation libre et indépendante. Votre union avec
l'Autriche a fait votre malheur. Votre sang a coulé pour
elle dans des régions éloignées et vos intérêts les plus chers
ont été constamment sacrifiés à ceux des États héréditaires.
Vous formiez la plus belle partie de son empire et vous
n'étiez qu'une province toujours asservie à des passions qui
vous étaient étrangères.
«
Vous avez des mœurs nationales, une langue nationale ;
vous vous vantez d'une illustre et ancienne origine reprenez
:

donc votre existence comme nation. Ayez un roi de votre


choix, qui ne règne que pour vous, qui réside au milieu de
vous, qui ne soit environné que de vos citoyens et de vos sol-
dats. Hongrois, voilà ce que vous demande l'Europe entière
qui vous regarde, voilà ce que je vous demande avec elle. »
Ces offres intéressées n'eurent point raison des méfiances
des Magyars contre Napoléon Ier, mais, en précisant leur
idéal, elles les rendirent moins disposés à supporter le joug
absolutiste.
Aussi, après 1815, le gouvernement de François Il leur
scmblc-l-il Intolérable. Ils ne cessent de protester. A force
d'instances, ils obtiennent en 1825 que le souverain con-
voque enfin leur Diète à Pozony (Presbourg). Nagy et Deak
s'y révèlent grands orateurs. Pour la première fois, la
langue magyare apparaît à la tribune parlementaire, où
jusqu alors on ne parlait que latin. Les sentiments nationaux
se manifestent avec une telle puissance que François II
n'ose les heurter de front et subit toutes les remontrances
de ses sujets magyars.
A peu près en même temps, les Italiens s'agitent à l'autre
extrémité de l'empire. Silvio Pellico, coupable du plus pur
patriotisme, subit dans les cachots du Spielberg une longue
détention. Mais les congrès de Troppau (1820) deLaybach et
(1821) sont impuissants à arrêter chez les Italiens l'essor de
l'esprit libéral. Ils crient avec une colère croissante : Fuori c(

i tedeschi! Dehors les Allemands! » et par Allemands ils


entendent ces fonctionnaires autrichiens de tout grade que
le gouvernement de Vienne leur envoie pour les opprimer.
Les Slaves, moins avancés, ne font qu'entrer dans la
période du réveil politique. Au sud, les Croates ont à
Zagreb (Agram) leur centre national. Les Slovènes l'éta-
blissent à Ljublania (Laybach). En Galicie, la petite répu-
blique de Cracovie est l'Eldorado de la Pologne vaincue et
démembrée.
Au nord, les Tchèques donnent un prodigieux spectacle.
Depuis la bataille de la Montagne-Blanche (1620), le flot
germanique a roulé sur la Bohême ses vagues puissantes.
Tout ce qui était slave a été submergé ; même la langue a
disparu.
Au début du dix-neuvième siècle, Palacky (1), s'entrete-
nant avec Jungmann (2) et Safarik (3), pouvait justement
(1) Frantisek Palacky (prononcez Palatzky), né à Hodslavice le 14 juillet
1798, mort à Prague le 26 juin 1876. Historien, créateur du programme
politique national. OEuvres : Histoire de Bohême depuis les origines légen-
daires jusqu'à la bataille de Mohacz, 1526 (10 vol. in-8°), les Archives
bohèmes, etc. — Le Dr Rieger est le gendre de Palacky.
(2) Josef Jungmann, né \ Hudlice en Bohême le 16 juillet 1773, mort
le 16 novembre 1847. Son but a été de perfectionner la langue tchèque, de
l'enrichir pour la conformer aux exigences modernes de la littérature scien-
tifique et artistique. En 1839, il devient recteur de l'Université de Prague.
OEuvi es principales : Dictionnaire tchèque-allemand, traduction d'Atala, de
Chateaubriand, et du Paradis perdu, de Milton; Histoire de la littérature
tchèque, bibliographie complète depuis l'origine jusqu'aux temps modernes.
(3) Pawel Josef Safarik (prononcez Chapharjik), né le 13 mai 1795 à
dire : « Si le plafond de cette pièce s'écroulait, la nation
tchèque aurait cessé de vivre. » Pleins d'une ardeur qu'ex-
plique seule une foi profonde, ces trois hommes entre-
prennent cependant une tâche qui semble insensée refaire :

la nation tchèque. A peine ont-ils élevé la voix dans le pays


bohème que le peuple, endormi depuis des siècles, répond
à leur appel, rapprend la langue oubliée et, au prix d'une
lutte incessante contre les Allemands, reconstitue son unité
morale. La création d'un musée tchèque en 1818, une agi-
tation d'étudiants en 1820, sont les premiers indices de cette
renaissance surprenante. L'action de poètes, ardents pa-
triotes, Kollar, Celakovsky, etc., l'accentuent.
C'est alors qu'éclate à l'occident de l'Europe la Révo-
lution de 1830. Elle n'exerce pas en Autriche d'action
directe, mais son influence cependant décuple la puissance
des aspirations nationales. Un an s'est à peine écoulé que
les Italiens de Parme et de Modène se soulèvent contre leurs
souverains autrichiens. Les récriminations des Magyars de-
viennent plus pressantes. A la Diète de 1833, ils cessent de
parler latin et la langue magyare devient pour toujours
l'instrument des actes parlementaires. Dans la Gazette de la
Diète, Louis Kossuth entretient l'esprit public et développe
les énergies. Après 1840, les forces magyares sont suffisam-
ment concentrées pour que François Deak puisse dresser
utilement le programme du parti national : aLa Hongrie est
un pays libre, indépendant dans tout son système de législa-
tion et d'administration; elle n'est subordonnée à aucun
autre pays. Nous ne voulons pas mettre les intérêts de
notre patrie en contradiction avec ceux de l'unité de la
monarchie et de la sûreté de son existence; mais nous regar-
Kobelarov, pays slave de la Hongrie, mort le 26 juillet 1861. Philologue
et archéologue, bibliothécaire de l'Université de Prague. Il faut citer parmi
vieux-tchèque, les
ses œuvres principales : les Origines de la grammaire
Antiquités slaves, l'Ethnographie slave, la traduction de Marie-Stuart, de
Schiller; les Chansons des peuples slaves de Hongrie, la Muse des monts
Carpathes et la lyre slave.
dons comme contraire aux lois et à la justice que les intérêts
de la Hongrie soient subordonnés à ceux de n'importe quel
pays... Nous ne consentirons jamais à ce qu'ils soient sacri-
fiés à l'unité du système gouvernemental... Pour nous, la vie
constitutionnelle est un trésor qu'il ne nous est pas permis
de sacrifier ni à un intérêt étranger, ni aux plus grands avan-
tages matériels. Notre premier devoir est de la conserver,
de la fortifier; nous sommes convaincus que si les États
héréditaires jouissaient encore de leur ancienne liberté, ou
si, selon les besoins de notre siècle et de la justice, ils pre-
naient rang parmi les nations constitutionnelles, nos inté-
rêts et les leurs, qui maintenant sont souvent divisés, quel-
quefois même opposés, se concilieraient plus facilement...
La monarchie, croissant en force intellectuelle et matérielle,
résisterait avec plus de sûreté aux orages que le temps et les
circonstances pourraient soulever un jour. »
Au nord de Vienne, les Tchèques se développent rapide-
ment. Leur Diète est encore, il est vrai, une assemblée
impuissante, mais le peuple réalise de plus en plus « vic-
torieusement son émancipation intellectuelle et morale ,.
En 1846, Havlicek rédige la Gazette officielle de Prague qui
fait pendant à l'organe de Kossuth à Pesth. L'année sui-
vante, les chefs du mouvement bohême comprennent le
danger de leur isolement. Ils essayent de fédérer dans une
union d'ensemble tous les peuples de l'Etat autrichien pour
faire aboutir à la fois leurs revendications communes ;
l'égoïsme des Magyars fait obstacle à cette tentative aussi
politique que généreuse.
En Galicie, les Polonais veulent davantage. Leurs nobles
croient le moment venu de reconquérir une entière liberté.
Ils font une insurrection qui est écrasée et dont le résultat
est de donner à Ferdinand Ier l'occasion attendue de s'em-
parer (1846) de la petite république de Cracovie, foyer du
libéralisme et du nationalisme polonais.
Ainsi, après 1830, les efforts des peuples autrichiens se
précisent, s'accentuent constamment, mais restent encore
isolés. L'action puissante de la Révolution de 1848 va leur
donner un commencement de coordination. Son effet en
Autriche est formidable. Sur tous les points de l'empire, à
Venise, à Pesth, à Prague, à Agram, à Leopol, à Vienne,
les soulèvements populaires se font au nom de la liberté et
du patriotisme. Metternich, qui depuis si longtemps exerce
un pouvoir discrétionnaire, doit s'enfuir. La dynastie est
ébranlée et se sent contrainte d'entrer dans la voie des
concessions. A Prague, on tient pour la première fois des
discours en langue tchèque (Il mars 1848). On réclame son
égalité avec la langue allemande. Le ministère viennois,
présidé par Pillersdorff, cède, et par la patente du 8 avril
1848 reconnaît les droits égaux des deux langues. Les Slo-
vènes demandent que le nord de la Styrie et de la Carinthie
soit abandonné aux Allemands, qui y prédominent, mais
que le reste du pays forme une province distincte sous le
nom de Slovénie. A Pesth, de jeunes patriotes s'emparent
d'une imprimerie et publient en douze articles les reven-
dications magyares. Pressé de toutes parts, le monarque
autrichien autorise la constitution d'un ministère hoogrois.
Les Allemands, eux aussi, ébranlés par la commotion géné-
rale, croient le moment venu de reconstituer le grand
empire germanique du moyen âge. Ils convoquent à Franc-
fort les députés de tous les pays qu'ils considèrent comme
allemands et affectent d'y comprendre la Bohême. Ils invi-
tent Palacky à se joindre à eux. Dans une lettre qui n'est
pas seulement d'un grand citoyen, mais d'un politique aux
vues lointaines, le patriote tchèque proteste contre cette
tendance à assimiler la Bohême à une région allemande.
«
Je ne suis pas Allemand, dit-il, ou du moins, je n'ai pas
conscience de l'être, et certainement, vous ne m'avez pas
appelé auprès de vous pour jouer le rôle d'un comparse
sans opinion et sans volonté... Je suis Tchèque, d'origine
slave, et le peu que je vaux est tout entier ar service de ma
nation. Cette nation est sans doute petite, mais elle cons-
titue depuis ses origines une individualité historique; ses
princes sont entrés dans le concert des princes allemands,
mais le peuple lui-même ne s'est jamais considéré comme-
allemand... D'ailleurs, vous voulez affaiblir à jamais, rendre
même impossible l'existence de l'Autriche comme État indé-
pendant; or, le maintien de l'intégrité, le développement de
l'Autriche, sont d'une haute importance, non seulement pour
mon peuple, mais pour l'Europe entière, pour l'humanité et
la civilisation elle-même. »
Le congrès de Francfort passe outre et poursuit ses
séances.
Les Slaves d'Autriche saisissent le péril de l'inaction
en présence d'une telle activité. Les Tchèques prennent
l'initiative d'appeler à Prague les délégués de toutes les
régions slaves de la monarchie. L'Assemblée qui se réunit
le 2 juin 1848 a pour but d'affermir l'esprit de solidarité
c(

de tous les Slaves d'Autriche, de protester contre l'incorpo-


ration dans le nouvel empire allemand des pays dont les
habitants n'étaient pas allemands, de s'allier pour agir en
commun dans l'intérêt national et politique, de rechercher
à quelles conditions on pourra organiser l'Autriche en un
état fédératif, d'envoyer aux souverains une adresse dans
laquelle seraient exposés les besoins et les désirs des
Slaves i,.
Quelques jours plus tard, des troubles suscités, assure-
t-on, par les autorités allemandes éclatent; le congrès est
dissous. Malgré tout, la situation reste difficile, et l'empe-
reur incline de plus en plus à s'entendre avec ses peuples.
Il appelle à Vienne (juillet 1848) leurs députés, sauf ceux
des pays de la couronne de Hongrie qui dépendent du gou-
vernement Installé à Pesth.
La Diète ainsi réunie doit achever le grand ouvrage de
ci

la renaissance de la patrie et de l'affermissement de la li-


berté » Elle commence ses travaux et vote certaines mesures
.
qui, comme le rachat à bon marché de toutes les prestations
et corvées, au moyen d'une forme d'indemnité particulière
pour chaque province, constituent un premier pas vers le
«
fédéralisme »
.
Cependant l'agitation continue et s'aggrave, surtout dans
les pays de la couronne de Hongrie. Les Roumains de Tran-
sylvanie, soumis aux Magyars, réclament d'eux l'égalité de
traitement. Les Serbo-Croates les imitent. Leur chef impro-
visé, Stratimirovitch, les conduit. Nous combattons, dit-il,
cc

contre ceux qui violent la constitution, qui ne veulent la


liberté que pour eux-mêmes, qui prétendent n'employer
qu'au profit de la minorité magyare un trésor gonflé par
les sueurs des Slaves, des Allemands et des Roumains. »
Les peuples commencent à entrer en rivalité les uns avec
les autres. A Vienne, on se reprend à espérer. Peut-être, la
fameuse devise des Habsbourg, Divide ut imperes, va-t-elle
une fois encore sauver la dynastie! Des agents habiles se
mettent en relations avec Jelachich, le chef des Croates, le
plus redoutable adversaire des Magyars. Schwarzenberg
remplace Metternich au ministère. Cependant l'empereur
faiblit devant les difficultés; les ressorts de son énergie sont
brisés ; Schwarzenberg lui persuade de céder la couronne
à son neveu. François-Joseph, qui a dix-huit ans, prend le
pouvoir (2 décembre 1848).
Se départir de la rigueur de l' absolutisme » tout en
CI

conservant une administration centralisée à Vienne, tel est


le désir qu'il marque dans sa proclamation d'avènement.
ci
Fermement résolu à conserver sans tache l'éclat de la
couronne, mais prêt à partager nos droits avec les repré-
sentants de nos peuples, nous espérons, avec l'aide de Dieu,
arriver à réunir, en un grand corps d'État, tous les pays et
toutes les races de la monarchie. »
C'était là un commencement de constitutionnalisme » ;
CI

le CI
dualisme », lui-même, existait déjà en puissance,
puisque la Hongrie n'avait pas été convoquée aux délibé-
rations de l'assemblée réunie à Vienne. C'était donc dans
cette ville que se débattait le sort du reste de la monar-
chie. Palacky, l'historien tchèque, y soutenait les desi-
derata des fédéralistes. Il demandait en leur nom quatre
ministères pour la défense des intérêts communs à tout
l'empire la Guerre, la Marine, les Finances et les Affaires
:

étrangères; chaque province jouirait d'une complète auto-


nomie ; les Diètes nationales choisiraient des députés qui,
réunis, constitueraient la Diète centrale; chaque nationa-
lité aurait à Vienne sa chancellerie particulière.
Réaliser l'entente sur tous ces points était difficile ; cepen-
dant, au bout de quelques mois, on parvint à la faire.
«
Le 2 mars 1849, l'œuvre constitutionnelle des fédéra-
listes paraissait achevée. » La cause des peuples était sur le
point de triompher. Un coup de théâtre fit subitement
obstacle à son succès. Les articles que le Parlement de
Francfort venait de voter s'appliquaient, non seulement à
l'Allemagne, mais aussi à l'Autriche. Les Allemands, indi-
gnés de l'œuvre fédéraliste qui s'élaborait à Vienne et qui
par la force des choses était dirigée contre eux, résolurent
de l'enrayer à tout prix. Stadion, alors ministre de l'inté-
rieur, servit leurs desseins. Le 6 mars 1849, il appela
quelques-uns des députés slaves et leur déclara qu'en
l'absence des Hongrois, l'Assemblée ne saurait légalement
voter une constitution applicable à tout l'empire. Les dé-
putés répondirent à Stadion que la question ne pouvait
pas se poser ainsi, les Hongrois jouissant déjà d'un gouver-
nement particulier. Malgré toutes les protestations, la Diète
fut dissoute. Une constitution, octroyée par l'empereur,
remplaça l'œuvre qu'elle devait accomplir, mais elle res-
tait muette sur les droits historiques des diverses provinces
et sur l'égalité des nationalités.
En Hongrie, la crise continuait en s'aggravant. Le gou-
vernement de Vienne, suivant son plan perfide, poussa se-
crètement contre les Magyars le ban de Croatie, Jelachich.
Kossuth, indigné, fit voter par la Diète de Debreczen
(14 avril 1849) la déchéance de la maison d'Autriche et
l'indépendance de la Hongrie. A ce moment même, on
apprit que le tsar Nicolas, cédant à la prière de l'empereur
François-Joseph, mettait à sa disposition les armées russes
pour dompter les Magyars révoltés.
La politique astucieuse de la cour de Vienne, qui consis-
tait à armer les peuples les uns contre les autres, trionir
phait. On l'appliqua partout, et partout ce procédé immo-
ral réussit.
En peu de temps, le succès fut complet. Déjà le prince
Windischgraetz avait bombardé Prague. Radetzky reconquit
la Lombardie, et les Magyars capitulèrent devant les Russes
à Vilagos. Une fois de plus, les peuples étaient vaincus.
François-Joseph oublia. Toutes les concessions faites fu-
rent retirées et le régime absolutiste remis en pratique dans
toute son âpreté. L'empire entier fut soumis à un régime
de compression à outrance. On s'ingénia à créer à Vienne
un gouvernement centralisé dont la force militaire était
l'unique fondement. La constitution historique de la Hon-
grie devint lettre morte. Le royaume de saint Étienne fut
divisé en cinq cercles (1852), et là, aussi bien que dans le
reste de l'État, les fonctions publiques furent exclusivement
confiées à des Allemands. « Le centre étant à Vienne, en
pays allemand, la centralisation aboutit à faire de l'allemand
la langue universelle de l'empire (1)... » Partout, ce fut une
réaction violente contre les aspirations les plus ardentes des
peuples autrichiens.
Pendant quelques années, cette méthode permit de com-
primer les sentiments nationaux, mais bientôt ils allaient
acquérir une nouvelle force d'expansion.
Monté sur le trône de France, Napoléon III proclama
sainte la cause des nationalités et mit son honneur à la sou-
(1) Ch. SEIGNOBOS, Histoire politique de l'Europe contemporaine, p. 399.
Colin, Paris, 1897
tenir dans toutes ses manifestations. Son intervention en fa-
veur de l'unité italienne n'eut pas seulement pour consé-
quence de soustraire la Lombardie au joug du gouvernement
viennois (1859), elle détermina le monarque autrichien à se
rapprocher de ses peuples.
La guerre d'Italie avait épuisé les finances de l'Autriche.
Son crédit était ruiné. François-Joseph comprit qu'il lui
était impossible de le restaurer sans le concours de ses
sujets, ce qui l'amena à reconnaître l'impérieuse nécessité
d'abandonner enfin 1' cabsolutisme ». Tout d'abord, il lui fal-
lait reprendre avec ses peuples le contact perdu depuis 1848.
A cet effet, 'il convoqua à Vienne un Conseil d'État ren-
c(

forcé ". Une commission en fut tirée dans le but de pro-


céder à un examen approfondi du budget. Son action fut
capitale. Sans doute, les éléments aristocratiques y domi-
naient, mais elle reflétait, cependant, les idées de 1848
avec tant de force, elle dénotait d'une façon si manifeste la
prédominance des volontés fédéralistes, que l'empereur
fut ébranlé. Le 20 octobre 1860, il signa un diplôme qui
devait être « une loi fondamentale d'État, permanente et
irrévocable » (1), et où François-Joseph se déclarait prêt à
régner en souverain constitutionnel. Cet acte, d'une portée
considérable, « reconnaissait aux Landtag des divers pays
le pouvoir de voter les lois, en opérant suivant les formes
historiques (2). » Il déclarait que « les institutions devaient
répondre à la conscience du droit historique » (3) des
« royaumes et pays IJ.
La théorie de l'Autriche fédérale reçut ainsi, sous la
signature impériale, une première confirmation officielle.
Pourquoi donc le diplôme resta-t-il lettre morte? C'est
qu'il menaçait dans leurs privilèges, nés du ¡¡centralismcIJ
les fonctionnaires allemands de Vienne. Formant l'entou-
,
(1) Ch. SEIGNOBOS, Histoire politique de l'Europe contemporaine, p. 496.
(2) ID., ibid.
(3) ID., ibid.
rage immédiat de l'empereur, ceux-ci s'ingénièrent à réagir
contre une réforme qui les dépossédait. Ils réussirent si
bien à dissuader François-Joseph d'accomplir toute ré-
forme que, le 26 février 1861, ce dernier, ne considérant
plus que les intérêts du « germanisme », promulgua une
constitution qui était la négation du diplôme.
Comme par le passé, les Allemands gardent tous les fils
de l'administration, mais les peuples non allemands, sur-
excités par la perspective d'une prochaine libération sont
plus ardents que jamais, les Hongrois surtout. Leurs récri-
minations dominent celles des Slaves eL amènent une période
pleine de troubles qui se prolonge jusqu'en 1866. Le dé-
sastre de Sadowa survient au milieu de ces complications.
Les Magyars, avec une grande intelligence politique, sen-
tent qu'il faut profiter de la situation inextricable où se
débat le gouvernement de Vienne.
Cette fois, la nécessité d'une transformation s'impose
inéluctable à François-Joseph. Deux procédés s'offrent à
son choix. Le premier consiste à fédéraliser l'Autriche
entière sur la base du diplôme de 1860, c'est-à-dire à
donner l'autonomie administrative aux divers pays de la
monarchie, en respectant leurs droits historiques; le second
n'est en réalité qu'un expédient il s'agit de faire la part du
:

feu, de traiter avec la nationalité la plus forte, celle des


Magyars, pour partager avec eux à la fois le pouvoir et la
domination des autres peuples. Conseillé par l'Allemand de
Beust, ancien ministre du roi de Saxe (1), l'empereur d'Au-
triche s'arrêta à ce dernier système.
Par la constitution promulguée le 22 décembre 1867, il
établit le dualisme » austro-hongrois, qui subsiste encore
\1

aujourd'hui.
L'Autriche de 1815 est alors arbitrairement partagée en
deux régions : la Hongrie ou Transleithanie et l'Autriche

(1) De Beust était entré au service de François-Joseph en octobre 1865.


proprement dite ou Cisleithanie (1). Chacune a son code, sa
banque nationale, sa monnaie, etc.
Désormais, les Allemands ne dominent plus seuls dans la
monarchie ; sous la pression des circonstances, au mépris
de tous les droits et sans consulter les autres peuples de
l'empire, ils ont cédé aux Magyars une part de l'hégé-
monie. Depuis 1867, ceux-ci ont donc à s'administrer eux-
mêmes et à contenir tous les peuples ou fractions de
peuples non magyares vivant sur le territoire de la Trans-
leithanie : Slovaques, Ruthènes, Serbes, Croates et Rou-
mains (2).
Jusqu'à présent, en dépit de6 protestations incessantes de
ces derniers, les Magyars ont réussi à maintenir intactes les
prérogatives du gouvernement de Pesth sur leurs ressortis-
sants latins et slaves.
Il y a là un état de choses dont il est impossible de ne pas
tenir compte dans un ouvrage consacré comme celui-ci à
l'examen d'éventualités précises que seuls des faits certains
autorisent à envisager comme rapprochées. Or, c'est seule-
ment en Cisleithanie, en Autriche, que l'intensité des progrès
nationaux des Slaves rend inévitables de prochaines modifi-
cations ; c'est donc sur l'Autriche qu'il faut concentrer l'at-
tention. Pour cette cause, malgré l'intérêt, assurément très
réel, que présente la situation des Slaves et des Roumains
de Transleithanie, je m'abstiendrai de parler plus longue-
ment de leurs efforts en vue d'acquérir l'indépendance na-
tionale.
Dans cette étude, l'expression « Question d'Autriche »
s'applique donc spécialement à la Cisleithanie: j'exposerai
d'ailleurs dans quelle mesure la transformation de l'Au-
triche intéresse la Hongrie (3).
(1) Voir à la fin du volume la carte sur papier transparent intitulée :

« l'Autriche officielle depuis 1867. » Depuis cette époque, l'expression


«
Autriche » s'applique seulement à la Cisleithanie.
(2) Voir la remarque III de la carte « l'Autriche vraie »
.
(3) Voir la seconde partie du chapitre IV, intitulée : Quelle peut être
Tout en consacrant l'esprit dominateur du « dualisme i,,
la constitution de 1867 tenait compte, au moins dans son
texte, des Ruthènes, des Tchèques, des Polonais, des Slo-
vènes, des Croates et des Serbes qui devaient continuer à
vivre en Cisleithanie.
L'article 19 de la constitution est formel :
<t
Tous les peuples de l'État sont sur le pied d'égalité, et
chaque peuple, en particulier, a droit à ce que l'inviolabi-
lité de sa nationalité et de son idiome soit garantie. L'éga-
lité de tous les idiomes usités dans l'empire, pour les écoles,
l'administration et la vie publique, est reconnue par l'État.
Dans les pays où existent différentes nationalités, les éta-
blissements publics d'éducation doivent être organisés de
manière que, sans être contraint d'apprendre une seconde
langue, chaque citoyen puisse acquérir tous les moyens
nécessaires d'instruction (1). "
Ce texte constituait malheureusement une simple façade.
Il ne fut jamais appliqué. Pouvait-il en être autrement,
puisque la cour de Vienne avait opté pour le « dualisme »
et non pour le « fédéralisme » , précisément dans le but
de maintenir intacte la suprématie du « germanisme », au
moins dans une moitié de l'empire?
Les fonctionnaires allemands voyaient leur champ d'ac-
tion restreint à l'Autriche; en manière de compensation on
voulut augmenter leur puissance.
Avec l'unité d'administration s'imposait l'unité de langue.

l'attitude de la Hongrie en présence du mouvement fédéraliste et de t'a


poussée pangermaniste en Cisleithaiiie?
(1) « Alle Volksstiimme des Staates sind gleiehberechtigt, und jeder
Volksstamm hat ein unverletzliches Recht auf Wahrunr, und PHege seiner
Nationalitiit und Sprache. Die Gleichberechtigung aller land,'siiblichen
Sprachen in Schule, Amt und offentliehem Leben vvird vom Staate aner-
kannt. In den Liindern, in welchen mehrere Volksstiimme wohnen, sollen
die offentlichen Unterrichtsanstalten derart eingerichtet sein, dass ohne
Anwendung eines zwanges zur Erlernung einer zweiten Landessprache
jeder dieser Volksstiimme die erforderlichen Mittel zur Ausbiidung in
teiner Sprache erhiilt. »
C'est pourquoi le gouvernement de Vienne imposa à toute
l'Autriche le caractère d'un État allemand. Les intérêts
du germanisme ne l'admettaient pas autrement, Pour ci

tous ces Allemands, en effet, les conservateurs des pays


alpins exceptés, il n'y a qu'un droit historique en Autriche :

le « centralisme » et la « suprématie allemande » (1).


N'admettant la liberté que pour eux-mêmes, considérant
les Slaves comme une race inférieure, les Allemands d'Au-
triche continuent donc après 1867, tout en se qualifiant de
it
libéraux ,, à refuser d'appliquer l'article 19 de la consti-
tution. Les seules lois qui leur conviennent, ce sont celles
comme la loi électorale de Schmerling, combinaison hypo-
crite, basée en apparence sur la représentation des intérêts,
mais dont le seul objet est d'assurer la majorité aux Alle-
mands de Cisleithanie, même dans les Diètes des pays
slaves.

§2. — Après 1867, la situation des peuples cisleithans


non allemands continue donc à être aussi défavorable
qu'avant l'établissement du « dualisme » Cependant le
.
grave échec qu'ils viennent de subir ne lasse pas leur
courage. Ils perfectionnent leur organisation nationale,
réclament sans cesse et finissent, à force de ténacité, par
remporter quelques avantages sur le " centralisme » vien-
nois. Les circonstances ne les ont pas tous également favo-
risés; aussi leur fortune a-t-elle été diverse; on ne saurait
s'en faire une idée exacte que par l'examen séparé du
développement de chacune de ces nationalités (2).

r
(1) Dr K. KRAMARSCH, Avenir de l'Autriche (Revue de Paris, 1ER fé-
vrier 1899, p. 581). Cet article fort remarquable est à lire en entier. Il a. ;

soulevé en son temps en Autriche une vive polémique, tant à cause de son
fonds que de la personnalité de son auteur : le Dr Kramarsch, un des leaders
du parti jeune-tchèque, était vice-président du Reichsrath pendant les fa'
meuses séances de l'obstruction allemande contre les ordonnances du comte
Badeni.
(2) Pour l'entière intelligence de ce passage relatif aux peuples cislei-
A peine le dualisme » fut-il établi que les Polonais pro-
«
testèrent. La déclaration de septembre 1868 est l'exposé de
leurs desiderata. « La Diète du pays nomme seule les dépu-
tés au Reichsrath. — Le gouvernement ne pourrra jamais
ordonner d'élections directes. — Les députés galiciens ne
prendront part aux délibérations du Reichsrath que pour
les affaires communes à la Galicie et aux autres pays cislei-
thans. — Les affaires commerciales du pays, les institutions
de crédit, les droits de cité et la police des étrangers, l'en-
seignement, la justice et l'administration rentrent exclusive-
ment dans la compétence de la Diète. — La Galicie aura
une cour de cassation. — Elle réclame un gouvernement
séparé, responsable devant la Diète, et un ministre respon-
sable. "
Ces revendications parvinrent à Vienne à un moment très
favorable. En raison de sa situation excentrique dans l'em-
pire, peu d'Allemands résident en Galicie (1). Le maintien
d'une administration allemande dans cette région offrait
en soi un faible intérêt; céder, constituait au contraire un
acte de très habile politique. Alors uniquement représentés
par des aristocrates, hostiles à la Russie, les Polonais étaient
par suite peu disposés à sympathiser avec les autres Slaves
cisleithans tous russophiles. D'intelligentes concessions du
pouvoir central pouvaient donc creuser l'abîme entre ces
derniers et les Polonais. A Vienne, on n'hésita pas, et si
l'on n'accorda point à la Galicie absolument tout ce qu'elle
demandait, on lui octroya une très. large autonomie. Les
Polonais acquirent ainsi une place exceptionnellement
avantageuse en Autriche. De ce jour, toute leur politique
eut pour objectif de la conserver. C'est ce qui explique
pourquoi ils sont devenus les alliés des Allemands et sont
thans, il est nécessaire d'avoir sous les yeux la carte de " l'Autriche vraie »
placée à la fin du volume.
(1) On ne compte actuellement en Galicie que 230,000 Allemands, soit
3.5 pour 100 de la population totale. AUERBACH, les Races et les Nationa-
lités en Autriche-Hongrie, p. 179, Alcan, Paris, 1898.)
restés pendant de longues années les fermes soutiens du
"
centralisme » viennois.
L'évolution naturelle des choses a modifié ce point de
vue tout récemment. L'adoucissement du régime russe,
apporté à Varsovie par le prince Iméretinsky (1), a comcidé
avec le redoublement de rigueur du traitement que le gou-
vernement de Guillaume II impose aux Polonais du grand-
duché de Posen; l'hostilité des Polonais de Galicie s'est
trouvée ainsi orientée, moins contre Pétersbourg que contre
Berlin, et le « germanisme » leur est apparu désormais
comme l'adversaire vraiment irréductible de leur nationa-
lité; dans le même temps, la représentation polonaise
au
parlement de Vienne devenait plus accessible aux idées
démocratiques ; enfin, l'autonomie de la Galicie était si
fortement établie que sa restriction n'était plus à craindre.
Ces causes concordantes ont amené les députés polonais à
faire alliance avec les autres Slaves cisleithans et les Alle-
mands vraiment libéraux pour former au Reichsrath cette
majorité fédéraliste qui a maintenu au pouvoir le comte
Badeni et le comte Thun.
L'adhésion des Polonais au programme autonomiste des
autres Slaves est d'une grande importance. Sans doute, au
point de vue purement parlementaire, cette adhésion
ne
présente pas un caractère de stabilité absolue. Le club
po-
lonais comprend encore des membres fort imbus des vieilles
idées aristocratiques, restés très influents,
qui ne se mon-
trent pas toujours disposés à suivre les Tchèques lorsque
la tactique de ceux-ci comporte l obstruction bruyante.
Cette considération est d ailleurs secondaire. Ce
qui importe
pour l 'avenir, ce ne sont pas les combinaisons éphémères
du Parlement, mais l'entente du peuple polonais de
« »
Galicie avec les autres peuples slaves de la Cisleithanie.
cc »
Or, toutes les manifestations des dernières années tendent

(1) Mort en décembre 1900.


1 -
..
à prouver que cette entente doit être durable. De nom-
breuses sociétés polonaises et tchèques de gymnastique, de
chant, d'étudiants, ont saisi toutes les occasions de frater-
niser; des milliers de femmes de Bohême et de Galicie ont
échangé des télégrammes pour affirmer leur solidarité dans
le « slavisme » ; en juin 1898, l'alliance tchèque polonaise s'est
affirmée avec éclat lors des fêtes des centenaires de Palackv,
l'historien tchèque, et d'Adam Mickiewicz, le grand poète
polonais; à l'occasion de l'inauguration du nouveau théâtre
polonais de Leopol (1) (4 octobre 1900), la ville de Prague,
représentée par son maire, le Dr Srb, a offert à la ville de
Leopol une couronne de laurier en argent et une adresse
contenant ces lignes : La couronne de laurier doit rap-
el

peler aux Polonais qu'ils proviennent de la même souche


que les Tchèques, et que ceux-ci sont animés du même
esprit que les Polonais. Les deux peuples doivent avoir
pour devise : Pour nous et pour notre liberté. » Le vif
el

désir de tous les Slaves est que les Polonais agissent con-
formément à cette devise dans toutes leurs actions politi-
ques. » On verra plus loin (2) que la communauté des
intérêts économiques ne peut que confirmer l'union des
Polonais avec les autres Slaves cisleithans.
Les Ruthènes, eux, sont dans une situation très particu-
lière. La concession de l'autonomie aux Polonais, les ayant
soustraits à l'administration allemande, c'est à l'adminis-
tration polonaise que s'adressent maintenant toutes leurs
réclamations. Elles se présentent d'ailleurs dans des condi-
tions particulièrement délicates, car si les Ruthènes occu-
pent la presque totalité des districts ruraux de la Galicie
orientale, les Polonais ont la majorité dans les villes. Cette
curieuse répartition ethnographique amène les Ruthènes à
demander aux Polonais l'octroi d'une autonomie d'un type
(1) Leopol se dit : Lemberg en allemand, Lwow en polonais, Lwiw en
ruthène.
(2) Voir p. 148 et suivantes.
tout spécial et encore mal défini. Il y a bien là une confir-
mation de la force des idées fédéralistes dans cette partie de
la Cisleithanie, mais il en résulte en même temps que la
«question » ruthène n'est pas directement influencée par la
prépondérance plus ou moins grande du germanisme » à
ie

Vienne.
Les Roumains qui occupent le sud de la Bukovine sont
dans le même cas. Malgré leur faible nombre, ils sont par-
venus cependant à envoyer au Reichsrath cinq députés. On
ne saurait toutefois les considérer comme « fédéralistes »,
car leur secret désir est de se séparer de l'Autriche pour se
réunir à la Roumanie. Le gouvernement de Vienne combat
de son mieux ces tendances ; dans ce but, il a établi à
Czernowitz « une université allemande qui constitue sur la
frontière russe le dernier jalon de la civilisation germa-
nique ".
On retrouve ces idées séparatistes chez les Italiens du
Trentin, de l'Istrie et du Littoral. Des faits topiques révè-
lent leur intensité.
En avril 1899, le roi Humbert, donnant audience à des
fonctionnaires, adresse à chacun d'eux quelques mots aima-
bles. M. Lovisati, professeur de minéralogie, défile devant
le roi.
— De quel pays êtes-vous? lui dit Humbert.
— Je suis, répond le professeur, d'un pays qui désire
ajouter un nouveau joyau à la couronne de Votre Majesté.
— Que voulez-vous dire?
— Je suis de Trieste, ville qui ne perdra jamais une occa-
sion de s'affirmer italienne.
En effet, lors des récentes funérailles du roi d'Italie, la
représentation municipale de Trieste a fait déposer sur le
cercueil une couronne portant cette inscription Triest
:

Al suo re, et le club vélocipédique de Zara a adressé
au
ministère italien un télégramme où il parlait de la Dalmatie
— lembo di terra italiana.
Ces sentiments séparatistes paraissent justifiés surtout par
des considérations sentimentales. Les Italiens d'Autriche
ont plutôt à se louer du gouvernement de Vienne, qui
montre d'assez grands égards pour leurs droits nationaux,
non pas sans doute par raison d'équité, mais comme consé-
quence d'un calcul politique qui rappelle l'astucieuse tac-
tique de l'ancienne république de Venise. La bureaucratie
centraliste admet en effet qu'il faut faciliter l' « italianisa-
tion » de l'Istrie et de la côte dalmate, parce qu'elle espère
qu'en opposant les Italiens aux Slaves du sud, possesseurs
naturels du sol, Latins et Slaves se neutraliseront récipro-
quement et qu'un jour les Allemands pourront plus facile-
ment s'implanter dans le pays.
Les Slovènes se trouvent ainsi avoir à lutter au nord
contre les Allemands et au sud contre les Italiens. Plus
favorisés, les Serbo-Croates n'ont que ces derniers comme
adversaires. Tous ces Slaves, en grande majorité paysans
ou montagnards peu fortunés, ont eu à vaincre des difficultés
sans nombre avant de parvenir à s'organiser. Après 1867,
ils l'étaient cependant suffisamment pour protester contre
la centralisation allemande. Depuis, leurs progrès ont été
continus. Ils ont conquis de haute lutte la majorité à la
Diète et au conseil municipal de Ljublania (Laybach) et
possèdent maintenant vingt-quatre représentants au parle-
ment de Vienne. Ces succès électoraux n'ont arraché au
pouvoir central que des concessions minimes et peu nom-
breuses en 1880, le baron Prajak, d'ailleurs de nationalité
:

tchèque, a introduit la langue slovène comme langue exté-


rieure » des tribunaux, c'est-à-dire que, dans leurs rapports
avec les parties, les tribunaux du sud cisleithan peuvent
employer le slovène au même titre que l'allemand; en 1893,
des classes slovènes ont été établies parallèlement aux
classes allemandes du lycée de Cilj (Cilli) ; en outre des
écoles primaires ont été fondées en Carinthie et dans le sud
de la Styrie. C'est là à peu près tout ce que les Slovènes
ont obtenu d'officiel. L'administration des villes où ils for-
ment la majorité, Cilli, Marbourg, Klagenfurth, continue à
rester allemande. A Trieste, dont le centre est incontesta-
blement italien, mais où les Slovènes peuplent les fau-
bourgs et la campagne environnante, ils sont encore privés
d'écoles primaires bien que la loi cependant soit formelle,
puisqu'elle donne le droit aux pères de quarante enfants
inscrits pendant cinq années consécutives d'obtenir la créa-
tion d'une école de leur nationalité. Il y aura bientôt
quinze ans que mille chefs de famille slovènes ont fait sem-
blable demande. Pour tourner le texte de la loi, les auto-
rités ont imaginé de ne faire aucune réponse à leur requête ;
les mille pères de famille slovènes de Trieste l'attendent
encore. A Ljublania (Laybach), la capitale, sur quarante
mille habitants, on ne compte que quatre mille Allemands.
Ceux-ci ont trois collèges, les Slovènes n'en ont aucun; ils
doivent même se contenter d'écoles primaires, notoirement
insuffisantes pour le chiffre de la population. Un fait récent
montre mieux encore le degré de l'arbitraire dont souffrent
les malheureux Slovènes. A la fin de 1899, le président du
tribunal de Cilj (Cilli) était à remplacer. Le ressort com-
prend 11,659 Allemands et 209,367 Slovènes, soit 5 p. 100
d'Allemands et 95 p. 100 de Slovènes ; c'est cependant un
Allemand qui a été nommé comme par le passé.
Ces injustices systématiques ne lassent pas les Slovènes.
Forts de la justice de leur cause, ils protestent contre un
régime qu'ils savent ne pouvoir se maintenir (I).
En attendant la reconnaissance officielle de leurs droits,
les Slovènes ne perdent aucune occasion de s'affranchir du
joug du Il germanisme » ; en 1894, à la suite d'un tremble-
ment de terre, au lieu de s'adresser, pour leurs travaux de
éfection, à des techniciens de Vienne, cependant plus pro-

(1) Encore le 3 avril 1900, le Dr Majaron a réclamé à la Diète de Lju-


blania I!,aybach) l'égalité absolue des langues slovène et allemande.
ches, ils ont fait appel à des ingénieurs sortis de l'école
polytechnique de Prague.
Les qualités naturelles des Slovènes justifient leur déve-
loppement moral continu, malgré le peu de ressources dont
ils disposent; elles expliquent le succès qu'obtiennent les
bibliothèques populaires que des sociétés nationales privées
font circuler dans les campagnes pour suppléer à l'insuffi-
sance des écoles. Un signe certain décèle les progrès de la
culture politique. Avant 1891, les Slovènes élisaient leurs
députés sans leur tracer une ligne d'action précise; mainte-
nant, le député slovène à Vienne reçoit chaque jour de
nombreuses lettres de ses électeurs, qui s'intéressent fort
intelligemment à la marche des affaires publiques. Il y a là
une garantie de succès pour l'avenir ; une autre, toute ma-
térielle, résulte du coefficient très élevé de la prolificité des
.< Slovènes. Les familles de neuf ou dix enfants sont très fré-
quentes; il est vrai qu'un grand nombre d'entre elles sont
fort pauvres, surtout en raison du délaissement économique
dont souffre la région qu'ils habitent. Le réseau des che-
mins de fer qui la traverse est très incomplet; l'industrie
ne peut se développer; leurs tarifs sont si défavorables
qu'actuellement le bois de Galicie revient moins cher à
Ljublania (Laybach) que celui des environs. Cette organi-
sation défectueuse a une répercussion profonde sur la popu-
lation; il s'ensuit qu'un grand nombre de Slovènes, ne
trouvant pas à vivre dans leur pays, dont les richesses sont
mal exploitées, sont contraints d'émigrer en Amérique.
Économiquement donc aussi bien que politiquement, les
Slovènes sont sacrifiés. Ils souffrent profondément des injus-
tices accumulées dont ils sont les victimes, et à mesure
qu'ils voient plus clair, le joug de l'administration allemande
leur paraît plus intolérable.
Les Tchèques, plus anciennement organisés, ont obtenu
sur le « centralisme » viennois des avantages mieux mar-
qués. Aussitôt après Sadowa, leur chef, le Dr Rieger, comprit
que l'unification de l'Allemagne allait se faire sous la direc-
tion de la Prusse, et, d'une façon prophétique, il annonça
les dangers qui en résulteraient d'abord pour son pays et
ensuite pour toute l'Autriche : « Nous aurons devant nous
les forces militaires de quarante millions d'Allemands. Ces
forces seront poussées par la nature des choses et par cet
instinct de conquête, qui est inné à la nation allemande,
vers de nouvelles acquisitions (1). »
Convaincus de ce péril futur, les Tchèques virent avec
une déception profonde l'établissement du dualisme », ci

qui en rapprochait l'éventualité.


Ils protestèrent aussitôt (22 août 1868) dans un document
qui résumait leurs réclamations et qui devança de quelques
jours la déclaration des Polonais. (Voir page 18.)
La situation de la Bohême en Autriche était exposée, en
huit articles, d'après les anciens textes :
1" Il y a entre la Bohême et le souverain un rapport de
droits et de devoirs mutuels qui oblige également les deux
parties.
2° L'Autriche n'est pas un État unitaire : le royaume de
Bohême n'est attaché au reste de la monarchie que par le
lien de l'union personnelle.
3° Aucune modification ne peut être apportée à cet état
de choses que par un contrat nouveau entre le royaume et
la dynastie.
4° Aucune assemblée étrangère à la Bohême, Beichsrath
ou Délégation, ne peut imposer au royaume les dettes de
l'Empire ou d'autres charges publiques.
5° (Cet article est sans intérêt.)
6° La nation hongroise a le droit de traiter avec le
souverain de ses intérêts, mais non pas de ceux de la
Bohême.
7° La Cisleithanie est sans fondement historique et la

(1) Discours à la Diète de Prague, 13 avril 1867.


Bohême n'a pas à se faire représenter dans une assemblée
cisleithane.
80 Les questions constitutionnelles pendantes doivent
êtrè réglées d'un commun accord entre le souverain et la
nation politique bohême « représentée sur la base d'une loi
électorale juste et d'une élection correcte » (1).
Les termes mêmes de cette déclaration établissent nette-
ment qu'en plus de l'autonomie administrative, les Tchè-
ques réclament le respect des droits historiques du royaume
de saint Venceslas, formé de trois parties la Bohême pro-
:

prement dite, la Moravie et la Silésie. Les Allemands nient


ces droits avec une passion destinée sans doute à marquer
l'absence complète d'arguments fondés; en effet, ces droits
ne paraissent pas contestables.
Louis Kossuth, dans des lettres qu'il adressa à Helfy
en 1871, a déclaré que ces droits étaient identiques à ceux
de la Hongrie ; le roi de Prusse lui-même, en entrant en
Bohême à la tête de ses troupes, en 1866, a reconnu ces ti-
tres historiques dans une proclamation qu'il adressa « aux
habitants du glorieux royaume de Bohême » (2).

(1) Cité par L. LÉGER, Histoire de l'Autriche-Hollgrie, p. 563. Hachette,


Paris, 1895.
(2) Le texte de cette proclamation, affichée le 10 juillet 1866 dans les
rues de Prague et publiée dans les journaux le même jour, mérite d'être
connu en entier.
HABITANTS DU GLORIEUX ROYAUME EINWOHKER DES GLORREICIIEN
DE BOHÊME! LONIGREICIIES BOIiMEN!

Par suite de la guerre faite contre In folge des gegen unsere Wiins-
notre volonté par l'empereur d'Au- che vom Kaiser von Oesterreich her-
triche, nous arrivons sur le sol de beigefiihrten Krieges, betreten wir
votre patrie, non pas en ennemis nicht als Feinde und Eroberer, son-
et en conquérants, mais avec l'en- dent mit voiler Achlung für Euere
tier respect de vos droits histori- historischen und nationaleii Rechte
ques et nationaux. Eueren Ileimatlicllen Boden.
Ce n'est pas la guerre avec ses dé- Nicht Krieg und Verheerung, son-
sastres, mais les ménagements et dern Schonung und Freundschaft
notre amitié, que nous offrons à tous bieten wir allen Einwohnern ohne
Émanant d'un Hohenzollern, ce document suffirait à
lever tous les doutes, mais il en est un plus décisif encore;
l'empereur François-Joseph, le principal intéressé à s'op-
poser aux réclamations des Tchèques, en a lui aussi admis
le bien fondé, dans des circonstances qui ne laissent aucune
place à l'équivoque. Le concert de réclamations qui, après
1867, s'éleva en Cisleithanie contre le « dualisme Il finit
par émouvoir le souverain. L'injustice du nouveau régime
lui apparut enfin avec assez d'évidence pour qu'il se décidât
à entrer dans la voie du fédéralisme i) en donnant, pour
c(

commencer, satisfaction à la Bohême.


En 1871, il chargea le comte Hohenwart de remplir

les habitants sans distinction de Unterschied des Standes, der Con-


classe, de croyance et de nationa- fession und Nationalitiit.
lité. L'lsset Euch von unseren Gegnern
Ne croyez pas, comme le disent und Verleumdern nicht einflüstern,
nos ennemis et nos calomniateurs, dass wir aus Eroberungssucht diesen
que nous faisons cette guerre par jetzigen Krieg hervorgerufen haben.
esprit de conquête. L'Autriche, en Oesterreich hat uns zum Rampfe gez-
voulant nous faire envahir par les wungen, indem es mit den deut-
autres États allemands, nous a con- schen Regierungen uns überfallen
traints à la guerre; mais nous som- wollte; aber nichts liegt uns fermer
mes loin de nous opposer a vos justes als die Absicht, Eueren _qerechteît
désirs d'indépendance et à votre Wünschen nach Selbststandigkeit
libre développement national. und freier nationaler Entwicklung
Considérant les sacrifices multi- entgegen zu treten.
pies et immenses que le gouverne- Eingedenk der vielen. fast uner-
ment impérial vous a imposés pour schwinglichen Opfer, welche Euch
les préparatifs de cette guerre, nous zur Vorbereitung fiir den jetzigen
ne voulons pas vous en imposer d'au- Krieg die kaiserliche Regierung be-
tres et nous n'exigerons de personne reits abverlangte, sind wir weit
qu'il agisse contre ses convictions. entfernt, Euch weitere Lasten auf-
Nous respecterons notamment votre zuerregen und verlangen wir von
sainte foi. Toutefois, nous ne pour- Niemanden, dass er gegen seine
rions tolérer d'hostilités manifestes uberzeugung handle namentlich
,
et nous serions forcés de punir sévè- werden wir Euere heilige Religion
rement toute trahison. ehren und achten, doch konnen wir
Si vous nous traitez en amis, vous offenen Widerstand nicht dulden
trouverez en nous des amis et non und namentlich müssen wir hinter-
des ennemis. Mais, en quittant vos listigen Verrath strenge strafen.
demeures et en les abandonnant Wenn Ihr uns freundlich entge
au pillage, vous agiriez sans discer- gen kommt, werdët Ihr uns nur
cette grande tâche. Les négociations avec Prague commen-
cèrent. Le 12 septembre de la même année, par un rescrit
dont les Tchèques gardent précieusement le souvenir,
François-Joseph déclarait :
" Ayant en bonne mémoire la situation juridique d'État
de la couronne de Bohême et la conscience de l'éclat et du
pouvoir que cette couronne a prêtés à nous et à nos prédé-
cesseurs, de même qu'en témoignage de la fidélité iné-
branlable avec laquelle la population de Bohême a tou-
jours appuyé notre trône, nous reconnaissons volontiers les
droits de ce royaume et nous sommes prêts à renouveler
celte confirmation par le serment du sacre du couronne-
ment (1). »
nement. Vous serez plus sages en als Freunde und nicht als Feinde
recevant amicalement nos troupes kennen lernen. Namentlich handelt
et en vous entendant à l'amiable Ihr thoricht, wenn Ihr aus Eueren
avec elles au sujet des vivres dont Wohnungen fliehet und Ihr Diesel-
elles ont un besoin absolu. ben der Zerstorung preisgebt. Ihr
L'autorité militaire ne vous de- that besser, wenn Ihr die Solda-
mandera que le strict nécessaire, et ten freundlich erwartet und Ihr mit
elle défendra votre propriété, que ihnen friedlich wcgen der Lebens-
votre fuite abandonnerait à la rapine mittel unterhandelt, welche durchaus
et au pillage. Pour le reste, nous nothwendig sind.
nous remettons en toute confiance Die militrir-Befehlshaber werden
au Dieu des armées. Si notre juste dann von Euch nichts mehr verlan-
cause mérite la victoire, le moment nen, als was durchaus nÕthig ist und
viendra peut-être aussi où les aspi- Euer Eigenthum schutzen, welches
rations nationales des Bohèmes et Ihr durch die Flucht dem Raube
des Moraves pourront être satis- und der Plünderunf: preisgebt.
faites, comme l'ont été celles des Das Ubrige iiberlassen wir mit
Hongrois. Puisse alors leur bonheur voller Zuversicht demGott der Heer-
être assuré d'une manIère dura- schaaren! Sollte unsere gerechte Sa-
ble, sous l'heureuse étoile de cette che obsiegen, dann durfle sich viel-
guerre! leicht auch den Bülunen und-Màh-
rern der Augenblick darbieten, in
LE COMMANDEMENT SUPÉRIEUR dem sie ihre nationalen Wùnsche
PRUSSIEN. gleich den Ungam verwirklichen
künnen. Môge dann ein gùnstiger
Stern ihr Gliick auf immerdar be-
gründen.
Das Preussische ODER-Commando.
(i) Eingedenk der staatsrechtlichen Stellung der Krone Bohmens und des
Quand ce document fut connu, la joie devint immense
dans toute la Bohême. Les Tchèques pensaient avoir atteint
le but de leurs efforts. Les 9 et 10 octobre 1871, la Diète
de Prague vota les articles fondamentaux qui devaient régler
la nouvelle position de la Bohême dans la Cisleithanie.
On avait compté sans l'impérieuse politique prussienne.
A ce moment même, M. de Bismarck venait de réaliser
le chef-d'œuvre de sa diplomatie; la France était vaincue
et l'unité allemande fondée. Déjà le ministre de Guil-
laume Ier entrevoyait l'immense champ d'action du nouvel
empire. L'Autriche était un instrument indispensable à la
réalisation de ses plans ultérieurs, mais, pour qu'elle pût
remplir ce rôle, le germanisme » devait y conserver la
CI

prépondérance. S'il était appliqué, le " fédéralisme » allait


la détruire en donnant la majorité aux Slaves. Bismarck
n'hésita pas. Il dépêcha près de François-Joseph le roi de
Saxe, avec une mission qu'on assure avoir été impérative.
Les Hongrois, dont les intérêts concordaient avec ceux de
la Prusse, agirent à Vienne dans le même sens. Encore
ébranlé par le rude coup de Sadowa, voyant la France
vaincue, François-Joseph, réduit à l'impuissance, céda. Il
renvoya le comte Hohenwart et confia le pouvoir au comte
Auersperg, qui, revenant sur tous les engagements pris,
restaura le germanisme » dans toute sa puissance.
CI

Cette période fut pour les Tchèques une des plus dou-
loureuses de leur histoire ; leurs efforts toutefois n'étaient
point complètement perdus, puisqu'ils avaient eu pour
résultat d'établir d'une façon péremptoire la légitimité des
droits du royaume de Bohême (1).

Glanzes und der Macht bewusst, welche dieselbe Uns und Unseren Vor-
fahren verliehen hat, eingedenk ferner der unerschiitterlichen Treue, mit
welcher die Bevôlkerung Bohmens jederzeit Unselen Thron stiitzte, erkennen
wir gerne die Rechte dieses Konigreiches an und sind bereit diese Aner-
kennung mit Unserem Krônungseide zu erneuern...
(1) Sur le droit d'État de la Bo'aème, consulter Das bôhmische Staatsrecht,
du Dr K. Kramarsch Imprimerie de la Zeit
Il », Vienne, 1896.
Leur courage domina le malheur. Avec une admirable
ténacité, ils se remirent à l'œuvre, perfectionnant leur
organisation pour la lutte nationale et s'attachant surtout à
développer l'esprit de discipline politique. Ils ont ainsi
réussi à rendre plus absolue l'union morale de la nation
bohême et à contraindre le gouvernement de Vienne à leur
faire quelques concessions.
La liste en est courte.
En 1882, à la suite d'incessantes réclamations, l'empe-
reur les a autorisés à établir à Prague une université
tchèque. Autre avantage plus mince mais qui demanda
cependant trois années de luttes, de 1893 à 1896, les
Tchèques ont obtenu que les plaques des rues de Prague
fussent rédigées en langue bohème (1). Enfin, en avril 1897,
le comte Badeni publia les fameuses ordonnances sur l'em-
ploi des langues en Bohême et en Moravie.
Cette réforme, autour de laquelle on a fait tant de bruit,
n'était en réalité qu'un commencement d'application de
l'article 19 de la Constitution de 1867 proclamant l'égalité
des langues. (V. page 16.) Les ordonnances ne faisaient
donc que rendre aux Tchèques un fragment de leur droit
national. Leur objet était de remédier à des abus très évi-
dents. En substance, elles disaient :

«
A toute réclamation adressée aux ministères de l'inté-
rieur, des finances, du commerce, de l'agriculture, aux
autorités judiciaires, il sera répondu dans la langue de cette
réclamation.
Les actes officiels seront rédigés dans la langue des
«
destinataires.
Les autorités devront communiquer avec les communes
cc

et les arrondissements dans la langue de ces divisions admi-


nistratives.

1 (1) Voir la remarque II de la carte «


l'Autriche vraie ».
"
Les communications générales seront rédigées en deux
langues.
ii
Contre tout accusé, il sera requis en sa langue.
i(
Tout jugement sera rendu dans la langue de l'accusé.
c-
Toute déposition sera rédigée dans la langue des
témoins. »

Une série de mesures assurait enfin, à partir du 1erjuillet


1901, la connaissance pratique du tchèque et de l'allemand
par les fonctionnaires de la Bohême.
En somme, le tchèque n'était pas mis sur un pied d'éga-
lité avec l'allemand, qui restait, comme jadis, lalangue inté-
rieure des administrations, des postes, des télégraphes, de
l'armée et de la gendarmerie. Pourquoi donc des disposi-
tions si justes, si modérées, où il n'y avait à reprendre que
dans les détails, ont-elles pu soulever des colères si vio-
lentes ? Simplement parce qu'elles impliquaient le retour
de François-Joseph à une politique fédéraliste. C'est pour
oette raison unique que les ordonnances ont porté au
paroxysme de l'irritation ceux des Allemands d'Autriche
qui s'acharnent à maintenir le « centralisme » viennois,
instrument de leur suprématie.
Il faut ici remarquer soigneusement que ces
« rétro-
,
grades , minorite en Autriche, comme je l'exposerai plus
loin, ont été impuissants à obtenir par eux-mêmes le retrait
des ordonnances. Il est essentiel de mettre en lumière sa
véritable cause.
Après une opposition passionnée au Reichsrafh, les
adversaires du comte Badeni n'étaient arrivés qu'à le faire
tomber du pouvoir. Ses ordonnances demeuraient et le
comte Thun, soutenu par la même majorité, les main-
tenait dans leur esprit. Leur abrogation ne devait être
obtenue que sous la pression d'influences extérieures à l'Au-
triche.
L empereur Guillaume II, convaincu comme Bismarck
de la nécessité prussienne de conserver au « germanisme Il
sa prédominance en Cisleithanie, redoute par-dessus tout
l'application d'un régime fédéraliste à l'Autriche.
En présence de la majorité, qui s'est prononcée pour cette
réforme au Reichsrath, devant l'impuissance de l'opposition
violente d'un groupe d'Allemands, il comprit que la thèse
fédérale allait triompher, si on ne lui faisait promptement
échec. Visiblement, la chancellerie berlinoise était inquiète.
Un article fort curieux de la Gegenwart refléta son état
d'esprit :

i(
Le gouvernement de l'empire allemand a dû éviter
toute apparence d'immixtion dans les affaires intérieures de
son allié; il a dû, à cause de l'alliance existante, garder cette
réserve, même quand les intérêts de la race allemande ont
été sacrifiés à la politique intérieure de l'Autriche. Il est
vrai que ces égards ont leurs limites. Ces limites viennent
d'être franchies par la partie adverse. L'alliance austro-
allemande est basée sur les fondements allemands de ces
deux États qui, autrefois, étaient unis par la Confédération
germanique. Aujourd'hui, cette condition importante du
traité d'amitié n'existe plus. On a conclu l'alliance austro-
allemande contre les agressions franco-russes, donc contre
toute action antiallemande du continent européen. Le ca-
ractère de l'alliance a changé et notre diplomatie ne peut
plus se dissimuler que la valeur de cette union est devenue
nulle. On ne peut pas demander à l'Allemagne de
presque
confier à une Autriche slave la mission de sauvegarder l'em-
la Russie, dans le d coup de main fran-
pire contre cas 'un
çai&. Le moment est venu où l Allemagne doit sortir de la
réserve. Aussi, tout fait croire que de Berlin on a envoyé des
conseils amicaux à Vienne.
Comme voisins, nous ne saurions tolérer que la Bohême,
«
la Moravie et la Silésie deviennent des pays slaves, et nous
devrons prendre fait et cause pour nos compatriotes, ce dont
le moment empêchés par le traité qui
nous sommes pour
nous lie à l'Autriche, pays soi-disant allemand. Le jour où
cet empêchement disparaîtrait, une politique active du côté
de l'Allemagne s'impose, ne fût-ce que pour se garer de
l'alliance franco-russe. Nous sommes vivement intéressés
aux troubles intérieurs de la puissance danubienne, et il
ne nous est guère permis de rester des spectateurs impas-
sibles, à moins que le gouvernement autrichien ri abandonne
en dernière heure sa funeste politique, qui a mis l'empire
des Habsbourg dans une situation grave, qui ne tardera pas
à faire naître des complications nationales au delà des fron-
tières de l'empire (1). »
Cet article fut-il inspiré par la chancellerie de la Wilhelm-
strasse? Fut-il simplement l'oeuvre d'un observateur bien
informé? Ce qui est certain, c'est qu'il parut en juillet 1899.
Or, le mois suivant, M. de Bülow se rencontrait à Sem-
mering avec le comte Goluchowski ; M. de Hohenlohe
voyait ensuite François-Joseph à Ischl, et, quelques semaines
plus tard, on apprenait que le comte Thun avait dû remettre
sa démission à l'empereur, bien qu'il disposât toujours de la
majorité au Reichsrath. Il était aussitôt remplacé par un
ministère de fonctionnaires qui, le 17 octobre, abrogeait
les fameuses ordonnances.
L'enchaînement de ces faits présente, on l'avouera, un
intérêt singulier. Le moins qu'on puisse faire est de cons-
tater que, conformément à ce qu'annonçait la Gegenwart,
Berlin a envoyé à Vienne des « conseils amicaux Il et que
François-Joseph a abandonné en dernière heure sa funeste
CI

politique » ; c'est-à-dire que, revenant une fois de plus sur


son désir de réaliser le fédéralisme » il s'est attaché à
CI
,
maintenir ce qui restait du « centralisme i)
.
Le résultat de cette brusque évolution fut de faire perdre
aux Tchèques le terrain qu'ils avaient gagné au prix d'efforts

(1) Cité par les Questions diplomatiques et coloniales, 1er août 1899,
p. 433.
si persévérants. Cependant, dans ce cas des ordonnances,
ileur droit était indéniable. Le 2 janvier 1899, la Cour de
cassation du royaume de Bohême l'a constaté juridique-
ment. D'après son arrêt rendu à cette date, les ordonnances
sur les langues ont été promulguées conformément au droit
de l'État, et les plaideurs sont fondés à considérer la langue
tchèque, aussi bien que la langue allemande, comme idiome
du royaume de Bohême.
Le peuple tchèque, malgré sa prodigieuse renaissance,
souffre donc encore d'une injustice notoire. Les revendica-
tions qu'il formule, par l'entremise de ses représentants
autorisés, sont cependant d'une modération singulière.
Que répondre quand le député Horitza vient dire au parle-
ment de Vienne : "Les quarante-quatre mille Allemands de
Prague (1) possèdent cinquante-six écoles primaires et secon-
daires. Les soixante-trois mille Tchèques qui, officielle-
ment, vivent à Vienne (2) n'ont ni droit, ni loi, et pas une
seule fois la loi sur les écoles populaires n'a été appli-
quée (3). »
Que dire de cette loi électorale dontle fonctionnement est
réglé de telle sorte qu'à Brno (Brunn), où plus de la moitié
de la population est tchèque, la municipalité est exclusive-
ment allemande?
Ce ne sont là que des exemples d'injustices. Aussi conçoit-
on que l'abrogation des ordonnances sur les langues ait dé-
terminé chez les Tchèques une amertume profonde. La dou-
leur s'est manifestée dans tout le royaume. Parmi les innom-

(1) Dont vingt et un mille israélites.


(2) Voir la note de la carte « l'Autriche vraie » Remarque II.
.
(3) Abg. Horitza : Die 44,000 Deutsche in Prag haben 56 Volks-und
...
Biirgerschulklassen, wogegen für 63,000 Bôhmen in Wien kein Recht, kein
Gesetz, nicht einmal das Volksschulgesetz existirt. (Séance de la Chambre
des députés du 22 novembre 1899.) La loi scolaire autrichienne oblige
les communes à construire une école pour chaque nationalité, si pendant
cinq années quarante enfants de cette nationalité ont été portés sur les
•listes de contrôle.
brables protestations qui se sont élevées, aucune n'a été
plus digne, plus juste, plus éloquente que celle du prélat
de Hradetz Kràl (Kœniggrsetz), parlant devant une associa-
tion ouvrière : Il Depuis plus de cent ans, le peuple labo-
rieux de la Bohême est victime de l'injustice et de l'ingra-
titude. Car, il est superflu de le rappeler, les Habsbourg
n'ont reçu la couronne de Bohême que de la libre élection
des États de ce pays, et vouloir faire de ce pays une simple
province, c'est de l'injustice et de l'ingratitude. Devant Dieu
et devant la justice divine, notre pays, uni à la Moravie et à
la Silésie, forme un royaume uni et indivisible. Si les
hommes d'État dirigeants méprisent le droit, qui donc est
responsable du désordre et des manifestations qui se pro-
duisent? Personne, que ceux qui ont oublié le vieux pro-
verbe : Il Pères, ne mettez pas la haine dans le cœur des
Il
fils de la Bohême. » Que l'Autriche revienne aux maximes
de la justice, et des manifestations joyeuses succéderont à
celles de la colère; notre roi sera salué au Hradschin par
les acclamations du peuple enfin satisfait, et l'Autriche sor-
tira de son tombeau comme Lazare. Il

§ 3.
— Les « faits » de l'histoire marquent avec une force
extrême la progression du développement des nationalités
non allemandes de la Cisleithanie. Cette seule constata-
tion ne saurait suffire toutefois à dégager les caractères
essentiels de l'évolution politique de l'Autriche ; il faut
encore auparavant s'être rendu compte de l'action exercée
par l'avènement des Slaves à la vie publique sur la dynastie
des Habsbourg, en la personne de François-Joseph, et sur
ses sujets allemands.
Cette influence sur le monarque autrichien a été beau-
coup plus profonde qu'on ne l'admet généralement. Les
variations mêmes de François-Joseph en sont la preuve.
Élevé dans les principes du plus pur absolutisme »,
«
prenant le pouvoir au milieu de difficultés presque inex-
tricables causées par les revendications populaires (1848),
il n'était porté ni par son éducation ni par les circonstances
à comprendre ses peuples. Cependant, malgré ces conditions
défavorables, François-Joseph a évolué.
Après la guerre d'Italie, il s'engage dans la voie constitu-
tionnelle, et s'il ne la suit pas avec une constance absolue,
c'est qu'il reste victime de deux influences contradictoires,
qui se combattent encore en lui-même et qui, selon toute
vraisemblance, le troubleront jusqu'à la mort.
Chef de l'antique maison des Habsbourg, le souvenir des
temps où elle dominait le monde germanique l'oppresse. Au
fond de son âme, il considère son expulsion de la confédé-
ration des princes allemands comme l'événement le plus
douloureux de son règne et, dans l'excès de ses regrets, il
oublie parfois de servir uniquement l'intérêt moyen des
peuples si divers dont il a la charge.
Les deux conceptions de son rôle, entre lesquelles il peut
choisir, s'imposent à lui tyranniques et cependant restent
contradictoires; prince allemand, François-Joseph doit sou-
tenir dans son empire la cause du « germanisme » ; il est
alors partisan du « centralisme » et, par leurs conséquences,
Sadowa et Sedan font de lui un satellite de Berlin ; monar-
que autrichien, il ne voit que la multiplicité des peuples
qu'il gouverne et ses sentiments d'équité naturelle l'in-
,
clinent au " fédéralisme , réveillant en lui le désir su-
prême de se soustraire à la tutelle humiliante des Hohen-
zollern.
Ces deux compréhensions si opposées de ses devoirs
triomphent tour à tour chez François-Joseph; elles déter-
minent ces revirements subits, inexplicables pour quiconque
n'a pas compris la lutte qui s'est engagée dans l'esprit de
l'empereur.
Avant 1867, il penche déjà vers le « fédéralisme ». L'in-
fluence germanique de de Beust l'arrête et le détermine à
établir le régime « dualiste i, qui n'est qu'un dédouble-
,
ment du CI
centralisme ,. Les plaintes de ses peuples
s'élèvent persistantes et lui montrent qu'il s'est trompé.
En 1871, il tente de nouveau de leur donner satisfaction;
l'initiative hardie de Bismarck l'empêche de laisser libre
cours aux sentiments équitables qui le poussent. Il s'aban-
donne même et, en 1879, lui, le vaincu de Sadowa, signe
avec son vainqueur un intime traité d'alliance. Jusqu'à la
chute du Chancelier de fer, il conserve cette attitude humi-
liée. Puis, la surveillance berlinoise se relâche peut-être ;
partout les progrès des Slaves se manifestent; François-
Joseph est frappé de voir des hommes comme le prince
Lobkowicz, le comte Pallfy, ses amis d'enfance, se rallier
ouvertement à la cause tchèque ; de nouveau, il incline vers
le fédéralisme ,. Il appelle le comte Badeni aux affaires
(1

et le maintient au pouvoir, malgré les objurgations les plus


violentes. Il faiblit enfin. Guillaume II saisitle moment; sous
une forme un peu différente, il réédite à nouveaula tentative
heureuse de Bismarck. Elle réussit. La force de résistance
de François-Joseph est aussitôt brisée. En octobre 1899, il
fait abroger les ordonnances et, comme pour se rassurer
fur la justice de cet acte, il va se retremper aux sources du
pur « germanisme » .
En mai 1900, cédant à on ne sait quelles mystérieuses
négociations conduites par le prince Égon de Fürstenberg,
le souverain autrichien se rend à Berlin. Lui, le chef des
Habsbourg, il fait le port de foi et hommage au descendant
des électeurs de Brandebourg, il salue à sa majorité l'héri-
tier du trône de Prusse et nomme le petit-fils du vainqueur
de Sadowa feldmarschall de l'armée autrichienne.
Ces « poussées i) de « germanisme » ont été désas-
treuses ce sont elles qui ont empêché François-Joseph
:

de se maintenir dans son rôle strictement autrichien. Tout


en constatant ce fait trop certain, ce serait cependant man-
quer d'équité que de juger sévèrement l'empereur. Ceux-là
seuls le feront qui ne comprendront pas la puissance d'un
atavisme séculaire, d'une éducation absolutiste, l'amertume
profonde que mettent au cœur des chefs d'État les désastres
du champ de bataille et la déprimante influence des malheurs
privés. Ceux qui saisiront l'action réelle de ces causes con-
cordantes ne manqueront ni de pitié, ni de justice; ils
reconnaîtront qu'en réalité François-Joseph s'est assez
rapproché de ses sujets slaves pour qu'on puisse dire avec
exactitude : « Les Habsbourg ne sont plus une dynastie
allemande (1). " Sans doute, François-Joseph n'est point
allé jusqu'au bout de l'évolution; il ne constitue pas encore
le type complet du souverain qui convient à une Autriche
rajeunie. Il est, pourrait-on dire, le monarque de transi-
tion entre le Habsbourg allemand, féodal, absolutiste, et le
Habsbourg purement national, qui seul pourra gouverner,
à la grande lumière du vingtième siècle.
François-Joseph n'a pas terminé la statue, mais il l'a
ébauchée. Puisse son successeur donner les derniers coups
de ciseau et achever l'oeuvre; il serait alors le monarque
vraiment autrichien, d'une indépendance absolue, maître
unique de ses peuples et libre enfin de leur dispenser les
bienfaits de la justice moderne !
Si les tendances de François-Joseph ont évolué sous l'in-
fluence des événements et devant les progrès des Slaves,
ses sujets allemands ne sont point non plus demeurés
identiques à ce qu'ils étaient autrefois. Chez les uns, le
temps, le sentiment de l'équité, ont fait leur travail salu-
taire; d'autres sont simplement devenus moins inébranla-
blement hostiles que jadis à leurs concitoyens slaves; d'au-
tres enfin témoignent d'une intransigeance exaspérée. On
peut ainsi, afin de se rendre clairement compte de l'état
d'esprit des Allemands d'Autriche, les répartir en trois
groupes.
(1) ...Habsburg ist keine deutsche Dynastie mehr...
Deutschland bei Beginn des 20. Jahrhunderts, p. 103. Militär-Verlag
R. Felix, Berlin, 1900.
Le premier est composé des Allemands qui, comprenant
l'impossibilité de maintenir l'ancien état de choses, ad-
mettent en principe les réclamations des Slaves et recon-
naissent 1 obligation d'appliquer loyalement l'article 19 de
la Constitution. (V. p. 16.)
Ces partisans de la conciliation se sont formés, surtout
pendant les vingt dernières années, dans les régions
alpestres de la Cisleithanie; mais leur volonté ne s'est
manifestée nettement que lorsque la plupart de leurs dépu-
tés ont constitué avec les Slaves la majorité fédéraliste qui
a soutenu les ministères Badeni et Thun.
Dans maints documents (1), ces Allemands ont très loya-
lement déploré les événements du Parlement qui paralysent
son activité et ébranlent l'empire dans ses fondements. Ils
se sont déclarés prêts à provoquer et à protéger toute
action ayant pour but de régler et d'assurer par voie légis-
lative le droit d'État sur la base de l'égal traitement des
peuples. Cette adhésion au Il fédéralisme » s'est faite sans
enthousiasme ; il est clair que des Allemands ne sauraient
mettre la même ardeur que les Slaves à demander la
réforme fédérale. Les Allemands fédéralistes la reconnaissent
indispensable au bien de l'Autriche et se déclarent prêts à
l'admettre; c'est là tout ce qu'on peut attendre d'eux, et
c'est d'ailleurs suffisant.
Une telle attitude, toute de raison et d'intelligence poli-
tique, leur a valu les attaques véhémentes des Allemands
Intransigeants, qui les accusent de trahir la cause du Il ger-
manisme . Il Ils ne se sentent chez eux que dans le camp
M

gouvernemental des Panslavistes. Les Thun, les Lichtens-

(1) Texte d'un manifeste du groupe des Allemands fédéralistes : le Die


Parte, bedauert die Vorgânge im Abgeordnetenhaus, die dessen Thâtigkeit
lahmlegen und die Reichsgrundlagen erschuttern, und erklart sich bereit,
jede Aktion, welche dahin ziehlt, das nationale Recht der Staatsbiirger
im Wege der Gesetzgebung auf Grund der Gleichberechtigung der Nationen
zu regeln und zu sichern mit allen Nachdi ucke zu unterstutzen und zu fôr-
dern. "
tein, les Dipauli, les Ebenhoch, les Lueger, etc., sont de
ces teutoslaves (1). »
Des violences aussi désordonnées ne sauraient ébranler
dans leurs convictions des hommes qui, déjà, dans des
circonstances très difficiles, sont restés fidèles à leur pro-
gramme. Toutefois, répétées avec une persévérance tenace,
ces objurgations sont susceptibles d'influer sur la situation
parlementaire et même de briser momentanément l'accord
existant entre les Allemands fédéralistes et les Slaves. Une
crise de cette nature suit son cours actuellement. Il ne faut
pas y voir autre chose qu'un incident de la vie politique
peu susceptible d'exercer une grande influence sur l'avenir.
Les députés allemands fédéralistes sont envoyés au
Reichsrath surtout par les duchés de Salzbourg, le Tyrol
et la Haute-Autriche (2).
Si, dans ces régions, les populations honnêtes, paisibles,
justes, profondément loyalistes, sans contact direct avec
les Slaves, ne sont pas dévoyées par une action étrangère,
il est à peu près certain qu'elles resteront convaincues de
la nécessité de traiter équitablement tous les peuples cis-
leithans. Leur influence serait alors très heureuse pour
l'avenir de l'Autriche. Elle peut même devenir considé-
rable, car ces populations représentent plus de trois mil-
lions de têtes, soit un tiers des Allemands d'Autriche (3).
Chose singulière et qui surprendrait quiconque ignore la
valeur toute relative de la terminologie politique usitée en
Autriche, ces députés fédéralistes, qui consentent par tolé-

(1) Sie sind und fühlen sich nur im panslavistischen Regierungslager zu


Hause. Die Thun, Lichtenstein, Dipauli, Ebenboch, Lueger zc. sind solche
Teutoslaven.
-
Deulsches Parteileben in Oesterreich, von H..., p. 10; DEUTSCIIVOL.
KISCHER VERLAG « ODIN Il . Munich, 1900.
Le Dr Lueger n'est cependant pas susceptible d'être considéré à aucun
degré comme fédéraliste. (V. plus loin.)
(2) Voir la carte en couleurs insérée, p. 54.
.
(3) V. p. 54 comment ce chiffre a été obtenu.
rance à se dépouiller d'anciens privilèges et cherchent à
établir la conciliation sur la base de la justice sociale, sont
qualifiés de (t conservateurs i), tandis qu'au contraire ceux
qui se disent (t libéraux » sont partisans du (t centralisme » ,
c'est-à-dire de la compression des Slaves à outrance.
Ce's étiquettes politiques n'ont aucune signification. Il
importe d'insister sur ce point : c'est grâce à elles que
les agences télégraphiques, à la solde de certains États,
sont parvenues à induire les étrangers en erreur. Dans
les pays comme la France, portés instinctivement à l'anti-
cléricalisme, les Autrichiens, dénommés (i conservateurs »1
.
ont été en outre qualifiés de " cléricaux , Leur catholi-
cisme, affaibli par les siècles, est cependant dénué de tout
esprit de prosélytisme, et il est curieux de noter que l'épi-
thète de (t cléricaux » leur est décernée par des hommes
dont l'action s'exerce en faveur d'un cléricalisme protestant,
remarquablement sectaire (1).
On ne saurait rester plus longtemps dupe de cette ruse
de guerre, en somme grossière. Si les hommes doivent être
jugés d'après leurs actes, il est certain que, par leur atti-
tude à l'égard des Slaves, les Allemands conservateurs » se
cc

montrent progressistes alors que les Allemands « libéraux »


sont, comme on va le voir, violemment réactionnaires.
Les Allemands qui, quoique très fermement « autri-
chiens » ne sont cependant pas encore résolus à renoncer
,
aux avantages que leur assure le centralisme » forment
CI

le second groupe. Établis autour de la capitale, mieux pla-


cés que tous les autres pour jouir des avantages d'une
administration groupée à Vienne, ils sont par suite moins à
même d'apprécier exactement la gravité des injustices qui
en résultent pour les Slaves, et ils restent toujours sous
l'impression du glorieux passé, circonstances qu'on ne sau-
rait oublier si l'on veut être équitable à leur égard.

(1) Voir p. 115 et suivantes, l'exposé du mouvement Los von Rom


Autrefois l'Allemand de Vienne tenait dans le Bund la
première place; puis, perdant la domination de l'Allema-
gne, il s'est vu successivement chasser de l'Italie, de la Ga-
licie et de la Hongrie ; il est menacé aujourd'hui d'être dé-
possédé en Bohême et dans le pays slovène; la force même
des choses ne l'amène-t-elle pas à ressentir une répulsion
instinctive pour tout ce qui est slave?
Mais, il importe de le remarquer, cette intransigeance
est loin d'être absolue. En dépit des démonstrations tapa-
geuses que les Allemands du centre de l'Autriche font par-
fois contre les Slaves, si l'on observe la tendance générale
de leur évolution, l'opposition qu'ils font au « fédéra-
lisme " apparaît en voie de diminution progressive. Aussi
des « leaders » fort autorisés des partis slaves espèrent-ils
parvenir à une entente avec ces Allemands dont l'opposi-
tion n'est pas invincible. M. Lueger, personnalité la plus
marquante de ce groupe, et dont les dernières élections au
conseil municipal de Vienne ont confirmé la popularité
croissante, pourrait contribuer puissamment à assurer le
succès de cette œuvre pacificatrice. Malheureusement les
déclarations fâcheuses qu'il a cru devoir faire récemment
contre le droit d'État de la Bohême montrent que le mo-
ment de l'accord n'est pas arrivé. Il n'y a pas lieu toutefois
de désespérer de l'avenir. Quiconque a suivi M. Lueger
dans sa vie politique connaît sa valeur et ses progrès. Si
l'on tient compte du chemin déjà parcouru, il est permis de
penser qu'il finira par se rendre lui aussi à l'évidence et
comprendra l'impérieuse nécessité d'une entente avec les
Slaves. On peut ainsi considérer les Allemands du second
groupe comme étant susceptibles de se fondre un jour avec
le premier. La puissance numérique de celui-ci se trouve-
rait doublée, le nombre d'Allemands de la nuance Lueger
pouvant être évalué à trois millions environ (1).

(t) V. p. 54 comment ce chiffre a été obtenu.


Le troisième groupe est celui des irréductibles. Partant
du principe que la renaissance des Slaves et surtout des
Tchèques devait être impossible, les Allemands qui le
forment considèrent qu'elle ne saurait être juste. Dans cette
lente dépossession de leurs privilèges, ils voient une viola-
tion de leurs droits. Pour eux, la perte de la suprématie
équivaut à l'oppression. a Il n'y a pas aujourd'hui dans
toute l'Europe un second peuple se trouvant dans un sem-
blable état de plus grande faiblesse politique, deplusamère
détresse nationale que les Allemands d'Autriche... Ils
luttent actuellement d'une manière décisive, et de l'issue de
ce combat dépend la question de savoir si l'élément germa-
nique en Autriche sera pris encore en considération (1). »
L'exagération évidente de ces plaintes s'explique par
l'exaspération où les dernières élections et surtout les
ordonnances du comte Badeni ont mis les fanatiques du
et
germanisme » Dès lors, poussés au dernier degré de la
.
colère, ils n'hésitent pas à employer les procédés les moins
admissibles. Sous peine de malédiction nationale, leurs jour-
naux invitent tout Allemand, en mesure de le faire, à enlever
aux Slaves leurs moyens d'existence. Plus d'ouvriers,
ci
plus de serviteurs tchèques. Donnez-leur congé, même s'ils
vous suppliaient à genoux de les garder (2). » Ces conseils,
dignes des Teutons du premier âge, ont été suivis à la
lettre. Dans l'été de 1897, plusieurs centaines de familles
tchèques ont dû abandonner Aussig, Komotau, Eger. Dans
cette dernière ville, la mesure a été radicale ; même les
petits commerçants qui s'y étaient installés il y a vingt-cinq
ou trente ans, et qui jamais n'avaient fait de politique, ont
été contraints de s'exiler. Depuis, ce système d'expulsion
(1) Volkszeitung. Reichenberg, mars 1899.
(2) Cité par le député K. Baxa, dans
son discours à la Diète de Bohême,
le 18 janvier 1898. Ce discours est lire
a en entier. Il contient un nombre
considérable de faits contrôlés établissant l'incroyable violence des
Allemands envers les Tchèques. Il a été publié français. E. Beaufort,
en
Prague, 1898.
s'es* généralisé dans toute la Bohême allemande, sauf dans
certaines parties du nord où les industriels allemands, qui
emploient des ouvriers tchèques, ne peuvent se passer com-
plètement de leurs services, à cause du bas prix de leur
main-d'œuvre. En revanche, ils les soumettent à des vexa-
tions sans nombre et les menacent de renvoi, s'ils deman-
dent l'application de la loi sur l'enseignement qui leur per-
met d'obtenir la création d'écoles tchèques lorsque qua-
rante enfants tchèques ont été inscrits pendant cinq années
consécutives sur les listes scolaires.
Les cas où les Allemands n'hésitent pas à faire emploi
de la force brutale sont malheureusement fréquents. Le
Dr Karel Baxa en a fait connaître toute une série à la
Diète de Bohême : c'est par exemple une bande d'Alle-
mands qui assaille les mineurs tchèques de Most (Brùx).
Leurs camarades de Havrany, localité du voisinage, vien-
nent à leur secours. Avertis à temps, les Allemands vont les
surprendre dans la nuit du 9 août 1897, brisent leur mobi-
lier et en blessent un grand nombre. Ce sont les écoles
tchèques qui concentrent spécialement les colères germa-
niques ; celle de Podmokly (Bodenbach) est attaquée par
un millier d'Allemands armés de bâtons et de haches ;

celle de Dubenetz est incendiée; pendant l'été, les touristes


tchèques qui se risquent dans le nord de la Bohême sont
fréquemment frappés s'ils osent parler leur langue; à Most
(Brûx), les monuments funéraires qui portaient des inscrip-
tions en langue tchèque ont été brisés. Ce sont là des faits
typiques; on pourrait en relever des milliers.
Des populations capables d'actes aussi fanatiques élisent
nécessairement des députés d'une intransigeance absolue.
Pour ceux-ci, les progrès des Slaves n'existent pas; les
droits historiques de la Bohême sont sans valeur; la seule
Autriche qu'ils comprennent, c'est l'Autriche centralisée à
leur profit exclusif ; les seules lois qu ils admettent, ce sont
celles qui assurent leur suprématie. Majorité, justice,
nécessités autrichiennes, sont pour eux des mots vides de
sens; seuls, existent les intérêts supérieurs du « germa-
nisme » Ils sont aujourd'hui les dignes descendants de
.
ceux que, dès 1867, l'Invalide russe apostrophait avec véhé-
mence : " Qu'ils se souviennent, ces Allemands, que, tout
en s'enorgueillissant de leur liberté de conscience, de pen-
sée et de science, ils exterminaient cette même liberté
chez les Slaves, et que, tout en vénérant Martin Luther,
ils ont brûlé Jean Huss. Qu'ils se souviennent combien de
martyres ont dû supporter les Slaves, que des Slaves en
centaines de mille ont dû mourir par la faim, par le fer ou
sur les bûchers, pour faire place aux Allemands qui habitent
aujourd'hui la terre slave au milieu des Slaves, auxquels
ils disent avec orgueil : « Vous êtes à nous ; nous vous
i( avons
conquis par notre civilisation. » Non, ce n'est pas
la civilisation qui a soumis cette terre aux Allemands ; ce
n'est pas la civilisation qui a tué les germes slaves dans
ce pays. Tout ce que les Mongols n'ont pu dompter en
Orient a été systématiquement détruit en Occident par les
Allemands. Depuis vingt ans, les Allemands ne font que
parler dans tous les coins du monde du principe des natio-
nalités, et, dès qu'il s'agit de la nationalité slave, ils oublient
leurs causeries humanitaires et sont disposés à se convertir
en autant de Metternich. »
MM. Schônerer (1) et Wolf, les chefs des intransigeants,
continuent en effet, dans ce sens, l'œuvre du ministre
absolutiste. Ils forment au parlement de Vienne le groupe
peu nombreux des Prussophiles — sept membres (2) — mais
dont l'importance s'accroît rapidement sous l'action de cir-
constances récentes exposées aux chapitres II et III.
Les adhérents de ce groupe se recrutent surtout dans la
Bohême du nord, principal champ de bataille où se ren-
contrent Slaves et Germains, et dans quelques autres cen-
(1) V. p. 107 le passage relatif a M. Schonerer.
(2) Ecrit avant les élections de 1901.
tres disséminés dans le reste de la monarchie. Leur
nombre peut être estimé au maximum à trois millions (1).
Les neuf millions d'Allemands d'Autriche se répartissent
donc en trois groupes qu'on peut considérer comme numéri-
quement à peu près égaux.
La carte insérée page 54 montre leur répartition géogra-
phique. Trois millions ne s'opposent plus au » fédéralisme »,
teinte violette ; — trois millions sont à la fois opposés au «fé
déralisme » et à l'ingérence prussienne (M. Lueger est leur chej
le plus influent),
— teinte rose pâle ; — trois millionc enfin
peuvent être considérés comme des adversaires irréductibles
des Slaves ; plutôt que de leur céder, ils admettent et même
désirent le démembrement de l' Autriche, — teinte rouge. —
Au total, deux tiers d'Allemands d' Autriche sont nettement
partisans du maintien des frontières actuelles.
Sans doute, ces Allemands non prussophiles admettent
cependant la triple alliance, mais c'est avec beaucoup de
réserves, dans un sens strictement défensif et comme me-
sure de précaution contre la Russie (2).
Il est essentiel de constater avec soin cette diversité d'opi-
nions des Allemands d'Autriche sur le fédéralisme ,,. Elle
CI

montre déjà la fausseté de l'idée répandue tendancieu-


sement par les agences et qui représente la majorité des
Allemands de Cisleithanie comme disposés à accepter le
démembrement de l'Autriche et à subir volontiers la main-
mise du gouvernement de Berlin.

(1) V. p. 54 comment ce chiffre a été obtenu.


(2) Comme l'a expliqué en octobre 1892 M. de Kalnoky à la délégation
autrichienne, " le traité conclu avec l'Allemagne constitue une alliance
manifestement et honnêtement défensive ; c'est pourquoi on a pu sans hési-
tation le rendre public dans sa totalité... »
II
L'AUTRICHE VRAIE

La connaissance des « faits » de l'histoire, de l'état actuel


des peuples cisleithans, de l'influence exercée par les pro-
grès des Slaves sur François-Joseph et sur ses sujets alle-
mands, permet de considérer maintenant dans son ensemble
l'évolution politique de l'Autriche-Hongrie au dix-neuvième
siècle.
Le développement de la personnalité des peuples non
allemands de l'État autrichien, tel est le phénomène capital
qui la caractérise. Ce développement détermine une ten-
dance croissante vers la liberté, qui apparaît clairement
comme une conséquence directe des idées de la Révolution
française.
Dans le combat soutenu par les peuples autrichiens, deux
périodes se laissent distinguer. Entre 1815 et 1867, Slaves,
Magyars, Italiens s'attaquent à la dynastie des Habsbourg,
qui s'obstine à maintenir l'absolutisme de l'ancien régime.
Après 1867, l'aspect de la lutte se modifie; les combattants
se divisent et leur adversaire change. Les Slaves et les Rou-
mains de Hongrie se débattent contre les Magyars; les
Slaves d'Autriche cessent de protester contre la dynastie
qui, en la personne de François-Joseph, admet en principe
le « fédéralisme ", sans avoir le courage de le réaliser.
Désormais tous leurs efforts sont dirigés contre le " ger-
manisme Il qui, comme jadis l' " absolutisme » défend ses
, ,
privilèges. Sous l'action d'assauts multiples, le « germa-
nisme i, faiblit à son tour. Ses défenseurs se font plus rares
parmi les Allemands d'Autriche, mais ils gagnent en vio-
lence ce qu'ils perdent en nombre. Toutefois, cette violence
ne saurait faire illusion et le mouvement rétrograde du
(1
germanisme i) en Cisleithanie apparaît comme certain.
Le caractère allemand de l'Autriche diminue avec une
telle évidence que les plus farouches antislaves sont con-
traints de le constater. Ils reconnaissent aujourd'hui qu'en
Autriche les Allemands sont fortement mélangés (starh
gemischt) (1) d'autres nationalités. Fortement mélangés,
l'expression est beaucoup trop faible. Doués d'une proli-
ficité supérieure à celle des Allemands, non seulement les
Slaves ont reconquis la place perdue, mais ils ont pénétré
toute la Cisleithanie.
Dans trois provinces seulement, le duché de Salzbourg,
la Haute et la Basse-Autriche (2), les Allemands représen-
tent plus des trois quarts de la population; dans le Tyrol, le
Vorarlberg, la Carinthie, ils en forment plus de la moitié;
en Bohême, en Moravie et en Silésie, leur nombre est infé-
rieur à cette fraction; en Istrie, en Carniole, enDalmatie, en
Bukovine, en Galicie, on ne rencontre les Allemands qu'à
l'état de groupements extrêmement faibles qui, réunis, don-
nent un chiffre très inférieur au quart de la population ; à
Vienne même, au centre du groupe le plus favorisé, les
Slaves se sont fait une place fort importante, puisqu'on
évalue leur nombre au moins à 20 pour cent des habitants
de cette capitale considérée si souvent, bien à tort, comme
purement allemande (3).
Un fait est donc certain : « les Allemands d'Autriche sont

(1) C'est l'euphémisme employé sur la carte de l'Atlas colonial de Lang-


hans intitulée : Verbreitung der Deutschen iiber die Erde. — Répartition
des Allemands dans le monde.
(2) V. la carte - l'Autriche officielle depuis 1867 » et regarder par trans-
parence sur la carte de « l'Autriche vraie » la répartition des races dans
les diverses provinces.
(3) Un article du Slavianski Viek (le Siècle slave) intitulé : « Polu-
slavjanskaïa Viena » (Vienne à moitié slave), octobre 1900, admet que
dans la capitale autrichienne vivent : 400,000 Tchèques, 20,000 Slova-
ques, 30,000 Slovènes, 10,000 Croato-Serbes, 20,000 Polonais. — Soit un
demi-million de Slaves formant un tiers de la population totale.
devenus un fragment de peuple comme les autres (1). Il
Il
Personne ne peut considérer aujourd'hui la monarchie
austro-hongroise ou les pays représentés au Reichsrath
comme une possession allemande, susceptible de supporter
les droits de la souveraineté allemande (2). u C'est ce que
reconnaît sous une autre forme le Dr Ebenhoch, l'un des
leaders allemands à Vienne : " Sans les Slaves, il n'y a pas
de majorité à la Chambre des députés (3). )J

Cette déchéance du i( germanisme » arrache à l'un de ses


défenseurs un cri de désespoir qui est le véritable mot
de la situation : "L'Autriche n'est plus allemande (4). x
Non, l'Autriche n'est plus allemande; elle ne l'a été jadis
que politiquement, mais ce temps est passé sans retour, et
l'Autriche, cortège de peuples, cherche la formule nouvelle
qui assurera son avenir.

§ 1.
— Les modifications profondes qui se sont produites
en Autriche depuis 1867 amènent à considérer cet empire
sous deux aspects.
L'un est celui que le pacte dualiste a donné officiellement
à la Cisleithanie. Les cartes courantes des atlas intitulées
ci
l'Autriche-Hongrie » le représentent. On y voit la Cislei-
thanie divisée en provinces, Haute et Basse-Autriche, Styrie,
Carinthie, Galicie, etc., offrant toutes les apparences d'un
État unitaire et centralisé.
Tant que le régime centraliste allemand fut appliqué à
toutes les populations slaves, cette carte fut bien une ex-
pression relative de la vérité, mais après qu'une large auto-

(1) Die Deutschen in Oesterreich sind auch ein Teilvolk geworden wic
die anderen. — F. NAUMANN. Deutschland und Oesterreich, p. 15.

Verlag der Hilfe », Schoneberg-Berlin, 1900.
cc

(2) Idem.
(3) « Ohne Slaven..., gibt es keine Majoritiit im Abgeordnetenhause. »
Cité par la Politik. Prague, 7 novembre 1899.
(r.) Oesterreich ist nicht mehr deutsch...
— Oesterreich als Eillheitsstaat,
p. 10. — Deutschvolkischer Verlag « Odin » , Munich, 1900.
nomie eut été concédée à la Galicie, que les Slovènes, les
Serbo-Croates, les Ruthènes, les Italiens et surtout les
Tchèques en eurent arraché quelques fragments au gou-
vernement de Vienne, depuis surtout que le fédéralisme Il
et

existe moralement, une telle carte n'est plus qu'un vain


simulacre et un simple souvenir historique.
L'autre aspect de l'Autriche est très différent. Mais ac-
tuellement, comment l'indiquer? La tâche est délicate,
puisque les peuples cisleithans, s'ils ont achevé leur évolu-
tion intellectuelle, n'ont pas encore obtenu de résultats ma-
tériels, cristallisés sous une forme géographique reconnue.
J'ai pensé tourner la difficulté par un artifice et donner
graphiquement une représentation de cette dualité d'aspect
de l'Autriche par la superposition de deux cartes (1).
La première sur papier transparent rappelle la Cislei-
thanie, telle que l'a établie la pacte de 1867. Sous les limites
des provinces, la seconde carte en couleurs apparaît. Basée
sur les groupes ethnographiques, elle symbolise l'Autriche
fédérale qu'on voit poindre sous les formes anciennes. Ici,
les limites des peuples sont telles que les ont faites la nature,
l'histoire, la prolificité des races : c'est l' Autriche vraie.
Les tableaux qui accompagnent cette carte résument
toute la situation ethnographique de la Cisleithanie. Ils
rappellent que ses peuples appartiennent à trois races.
Les Latins sont représentés par un million d'Italiens et
de Roumains. Les premiers occupent le Trentin, la côte
ouest de l'Istrie et certaines îles de la Dalmatie (teinte bleu
pâle); les seconds, au nombre de 220,000, habitent le sud
de la Bukovine (teinte bleu foncé).
Les Germains comptent neuf millions d'Allemands (teinte
rose). Ils sont au nord de la Bohême et de la Moravie, à
l'ouest et au centre de l'Autriche.
Les Slaves forment un total de quinze millions répartis

(1) V les deux cartes placées à la fin du volume.


en plusieurs groupes : les Ruthènes, 3,250,000 (teinte vert
foncé); les Polonais, 4,000,000 (teinte vert pâle); les
Tchèques, 6,000,000 (teinte jaune) ; les Slovènes, 1,350,000
(teinte chamois clair), et les Serbo-Croates, 680,000 (teinte
chamois foncé).
Les chiffres officiels eux-mêmes accusent donc en faveur
des Slaves d'Autriche une majorité de six millions sur les
Allemands (1), vérité longtemps sans valeur politique, mais
qui en a pris une depuis que les Slaves cisleithans ont la
ferme volonté de conquérir leur indépendance administra-
tive en se basant sur leurs droits historiques et sur l'ethno-
graphie.

82. — Arrivée à un tournant de son histoire, l'Autriche,


instruite par le passé, reconnaît la nécessité de trouver sans
retard la formule qui l'adapte aux exigences des temps
nouveaux. Quelle peut être cette formule? Ne se dégage-
t-elle pas de la succession des événements?
Depuis cent ans et surtout depuis 1867, tout indique que
l'Autriche incline vers le fédéralisme i), qui apparaît
CI

comme l'aboutissement naturel de l'évolution politique de


la Cisleithanie. Ni les efforts des fonctionnaires centralistes
de Vienne, ni les troublantes hésitations de François-
Joseph, n'ont pu enrayer le mouvement. La réforme fédé-
rale est donc la seule que permet d'envisager une concep-
tion nette des réalités.
(1) Il est important de remarquer que ces chiffres, donnés par l'adminis-
tration allemande de Vienne, ont été établis d'après une base qui les fausse
au détriment des Slaves.
Au lieu de fonder la statistique sur la langue maternelle de chaque Autri-
chien, on l'a basée sur la langue usuelle de conversation ou " Umgangs-
sprache » On a ainsi compté comme allemand tout sujet autrichien par-
.
lant allemand dans la vie courante. Or, un grand nombre de Slaves, soit
parce qu'ils résident sur les limites des groupements ethnographiques, soit
parce qu'ils sont employés par des Allemands ou habitent dans des villes
en majorité allemande, parlent l'allemand.
Ils ont été classés comme Germains, alors que cependant ils sont vrai-
ment Slaves par la naissance, la langue et le cœur.
C'est seulement en élargissant par le « fédéralisme » l'au-
tonomie des pays et royaumes cisleithans qu'on peut satis-
faire des peuples si divers et concilier à la fois leur idéal
politique et leurs intérêts économiques jusqu'alors sacrifiés.
" On ne peut pas
impunément administrer avec la même
formule des pays riches comme la Bohême, la Mora vie, la
Silésie, et des pays pauvres comme les Alpes, la Galicie ou
la Dalmatie (1). »
Le temps n'est plus où M. de Taafe pouvait dire : Pour CI

que l'Autriche soit bien gouvernée, il faut que personne ne


soit content. >>
Les peuples cisleithans réclament aujour-
d'hui leur part de bonheur. L'Autriche, région de transi-
tion entre l'Occident et l'Orient, carrefour de races et de
religions, pays où les recrues prêtent serment à l'empereur
en neuf langues, ne peut plus continuer à être envisagée
d'après les conceptions centralistes. Désormais, c'est comme
une Suisse monarchique qu'il faut considérer l'empire de
François-Joseph
La réforme fédérale qu'il s'agit de faire est d'ailleurs
assez simple. Elle consisterait essentiellement à étendre la
compétence des Diètes locales à toutes les affaires qui ne
sont pas d'intérêt général, à restituer aux Diètes le droit
d'envoyer leurs députés au Parlement central, à doter les
« pays »
de l'autonomie administrative et conséquemment
à les faire participer aux sources de revenus payés par eux,
dont l'État profite seul jusqu'ici. Quant à la question plus
spéciale au royaume de Bohême, que les Tchèques veulent
maintenir indivisible, on ne conçoit pas pourquoi une diffi-
culté sérieuse subsisterait, puisque les textes sont formels
et que François-Joseph a donné sa parole en 1871 de se
faire couronner roi à Prague.
Toutes les affaires autrichiennes, si complexes en appa-
rence., se ramènent donc à une seule question : Le système

1
(1) Dr KRAMARSCH, l'Avenir de l'Autriche, ci
Revue de Paris, » 1ER fé-
vrier 1899, p. 584.
centraliste, expédient de 1867, instrument d'injustice, destiné
à prolonger l'hégémonie allemande, progressivement dégradé
par son arbitraire même, aujourd'hui d'un fonctionnement
impossible, sera-t-il ou non remplacé par un régime fédéra-
liste qui satisfasse les divers éléments nationaux, comme celui
qui fonctionne dans la Confédération helvétique, où trois
peuples différents vivent dans la plus parfaite harmonie ?
Ce qui précède a déjà permis de constater la progression
des idées fédérales. Il faut connaître la rapidité de leur
croissance et en évaluer les forces.
Le tableau intitulé : les Partis nationaux en Autriche,
d'après leur représentation au Reichsrath de Vienne (1),
permet de faire cette évaluation avec une précision mathé-
matique. Suivant ce tableau, basé sur les élections au
Reichsrath depuis 1873, le nombre des députés allemands
non fédéralistes a diminué constamment, celui des Alle-
mands fédéralistes s'est au contraire maintenu, tandis que
le chiffre des députés slaves, donc fédéralistes, a augmenté
sans interruption.
Ces résultats sont d'autant plus frappants que la loi élec-
torale autrichienne, malgré ses modifications successives,
reste un chef-d'œuvre d'arbitraire destiné à favoriser les
Allemands. Un exemple suffira à en établir la monstrueuse
injustice.
Actuellement, grâce à cette loi, neuf millions d'Allemands
parviennent à avoir 205 députés, tandis que quinze millions
de Slaves n'en obtiennent que 196. La raison de cette
étrange anomalie est simple. Dans le Vorarlberg, province
«ilemande, 38,000 habitants ont un député, tandis qu'en
Galicie, région slave, il faut 165,000 habitants pour avoir
droit à un représentant au Reichsrath.

(1) V. la planche insérée entre les


pares 54 et 55. Ce tableau a été dressé
avant l'annonce de la dissolution du Reichsrath. Il n'a pas été modifié, les
résultats totaux des élections de 1901 ne devant être connus que postérieu-
rement à la publication de cet ouvrage.
Les élections ne reflètent donc la vérité que d'une façon
très affaiblie, mais, pour cette raison même, les déductions
qu'elles suscitent en faveur des Slaves n'en sont que plus
décisives. On peut d'ailleurs les corriger dans une assez
large mesure, et leur restituer à peu près leur véritable
portée. S'il est intéressant de connaître le nombre des dé-
putés fédéralistes, il l'est bien autrement de savoir combiea
l'idée fédéraliste elle-même peut compter de partisans
parmi les 25,000,000 d'habitants de la Cisleithanie.
La carte dite Répartition géographique des partisans et
des adversaires du fédéralisme en Autriche représente cette
situation d'une façon approximative.
J'ai pris, pour l'établir, comme point de départ les résul-
tats fournis par les élections, c'est-à-dire le rapport existant,
d'après la loi électorale, suivant les différentes régions de
l'Autriche, entre un député et le chiffre de la population
qui l'a élu. J'ai tenté ensuite de corriger les erreurs que cette
loi a occasionnées, par des recherches faites en général à
des sources fort autorisées. J'ai eu tendance toutefois à attri-
buer aux adversaires du Il fédéralisme une situation meil-
1)

leure que celle qu'ils occupent actuellement, voulant ainsi


escompter par avance les progrès qu'ils semblent devoir
réaliser sous l'action de la campagne pangermaniste dont
on trouvera le récit au chapitre III. Aussi est-ce à dessein
que les taches rouges de la carte donnent une idée plus
importante des Allemands séparatistes que le faible nombre
de leurs députés ne semble présentement l'indiquer.
Ces explications données, la carte peut ètre utilement
consultée. Elle montre qu'aux quinze millions de Slaves,
tous fédéralistes, — teinte verte, — il faut ajouter les trois
millions environ d'Allemands — teinte violette — qui recon-
naissent aujourd'hui l'impossibilité de ne pas faire droit aux
revendications des Slaves. Dix-huit millions d'Autrichiens
sont donc fédéralistes, disposant par conséquent d'une
majorité de six millions et demi.
LES PARTIS NATIONAUX EN AUTRICHE
D'APRÈS LEUR REPRÉSENTATION AU REICHSRATH DE VIENNE
Or, on ne saurait trop se pénétrer de cette idée : l'établis-
sement du « fédéralisme » constitue une réorganisation pure-
f
ment intérieure de Autriche qui ne met nullement en cause
ses frontières actuelles : « fedéralisme en Cisleithanie » est
l'antithèse de démembrement de l'Autriche. »
cc

Un raisonnement fort simple permet de s'en convaincre ;


les dix-huit millions de fédéralistes dont on vient de cons-
tater l'existence sont nécessairement opposés à tout dé-
membrement. Le démembrement, en effet, rendrait impos-
sible la réalisation de leur idéal politique.
Pour fixer maintenant le nombre des Autrichiens qui
veulent le maintien des frontières actuelles, il convient
d'ajouter aux dix-huit millions de fédéralistes les trois mil-
lions d'Allemands de la nuance Lueger, — teinte rose pâle,
— qui, loyalement dévoués aux Habsbourg, sont profondé-
ment Autrichiens, mais n'admettent cependant pas encore
les réclamations des Slaves.
Cela fait donc au total vingt et un millions d'Autrichiens
absolument convaincus de la nécessité de conserver les
frontières actuelles.
Combien partagent l'opinion contraire? Environ trois
millions de Prussophiles, groupés dans les dernières années
par la campagne pangermaniste (V. chapitre III), auxquels
il convient d'ajouter le million de Latins cisleithans sépara-
tistes. En effet, les uns veulent se réunir à la Roumanie et
les seconds à l'Italie (1). C'est donc quatre millions d'Autri-
chiens imbus d'idées séparatistes.
La disproportion existant entre les chiffres de quatre et de
vingt et un est si considérable qu'on peut hardiment con-
clure : Il n'y a pas à l'intérieur de l'Autriche de force suscep-
tible d'en produire la dissolution, et ceux qui la désirent sont
l1) La réalité de ces sentiments n'est pas douteuse. Quelques jours avant
le 18 août 1900, fète du soixante-dixième anniversaire de la naissance de
l'empereur François-Joseph, la police a dû arrêter à Trieste une centaine
d'individus qui criaient: « A bas l'Autriche! Vive l'Italie! Vive Victor-
Emmanue! ! "
infiniment trop peu nombreux pour l'imposer PAR EUX-MÊMES.
De ces constatations, il résulte que la réforme fédérale peut
se faire sans troubler la paix continentale, puisque, modifi-
r
cation purement interne de Autriche, elle ne touche pas à ses
frontières.
Il importe donc de discerner très nettement l'idée fédé-
raliste de celle qui désigne le démembrement de l'Autriche,
généralement admis comme devant être la conséquence
inévitable des revendications slaves. La suite de cette étude
fera comprendre plus complètement l'importance capitale
de cette distinction.
On pourra dire : Si le c fédéralisme n s'indique nettement,
s'il dispose en sa faveur d'une majorité écrasante, comment
expliquer que son établissement paraisse encore lointain et
que l'Autriche soit divisée par des luttes intestines, sem-
blant indiquer bien plus des volontés imprécises et diver-
gentes qu'une conception simple et forte comme celle du
«
fédéralisme » ?
C'est qu'en effet un obstacle redoutable s'oppose à la
réalisa.tion du «'fédéralisme » ; cet obstacle qu'on ne saurait
trouver à l'intérieur de la Cisleithanie, il faut le chercher au
delà de ses frontières, à Budapesth et surtout à Berlin.
De toute évidence, le fédéralisme » aurait pour consé-
(1

quence de donner le pouvoir aux Slaves, majorité dans le


pays. Les Magyars, minorité chez eux et qui jouent en
Transleithanie le même rôle que les Allemands en Au-
triche, ont pensé jusqu'à présent ne pas avoir en eux-mêmes
une force de résistance suffisante pour refuser une réforme
fédérale à leurs ressortissants roumains et slaves, le jour où
elle aurait été accordée aux Slaves cisleithans. Pour cette
raison fondamentale, ils se sont toujours montrés adver-
saires déclarés du I( fédéralisme ». On verra au chapitre IV
que leur point de vue est en train de se modifier profondé-
ment.
J'ai indiqué plus haut les considérations essentielles qui
guident la chancellerie berlinoise à l'égard de l'Autriche;
elles sont directement inspirées des traditions de l'Etat
prussien, dont l'objectif a toujours été de devenir la puis-
sance dirigeante d'une confédération germanique aux bases
sans cesse agrandies.
Les Habsbourg ont fait obstacle à ces vastes ambitions,
jusqu'au jour où il a été permis à la Prusse, victorieuse à
Sadowa, d'asseoir son hégémonie sur l'empire allemand
reconstitué à Versailles. Mais les Hohenzollern ne considè-
rent point leur mission historique comme terminée. Toutes
les terres qui faisaient jadis partie du Saint-Empire romain
de nation germanique ne sont point enfermées dans les
frontières de l'empire actuel. Après une période d'accalmie,
nécessitée par l'assimilation des conquêtes de 1870, les
appétits traditionnels de la Prusse se réveillent. Les acquisi-
tions coloniales ne sauraient les satisfaire. Les ambitions
prussiennes menacent maintenant l'Autriche. L'explosion de
ces convoitises ne peut pas surprendre. Après Édouard
Hervé, le DrRieger, M. Louis Léger et quelques autres l'ont
annoncée depuis longtemps avec une parfaite perspicacité.
Il'" L'ambition allemande ne cessera de réclamer comme
siennes des provinces — l'Autriche — qu'on lui a si long-
temps attribuées et sur lesquelles elle s'est accoutumée
à se croire un droit absolu (1). » Les Allemands ont toujours
voulu faire de la Bohême une des colonnes de leur grand
empire germanique (2). Voilà pourquoi aux deux instants
où l'empereur François-Joseph a voulu écouter les conseils
de son cœur et de sa raison, en faisant la réforme fédérale,
un diplomate prussien s'est trouvé pour lui dire : Il Tu
n'iras pas plus loin. « Voilà pourquoi en 1871 Bismarck
envoie à Vienne le roi de Saxe exiger le renvoi de Hohen-
wart et son remplacement par Auersperg; pourquoi en 1899
(1) Louis LÉGER, Histoire de l'Autriche-Hongrie, p. 451. Hachette
Paris, 1895.
(2) Op. cit., p. 512.
Guillaume II obtient la démission du comte Thun et le
retrait, des ordonnances sur les langues.
En dépit des volontés si formellement exprimées par les
peuples autrichiens, le succès de ces démarches impérieuses
a été possible, parce que François-Joseph, toujours sous le
coup de Sadowa, n'a pas su se décider, ne pouvant plus
être empereur germanique, à rester un prince purement
autrichien. Il existe donc un lien si étroit entre les affaires
d'Autriche et celles d'Allemagne qu'on ne saurait com-
prendre ce qui se passe à Vienne sans connaître ce que
veut Berlin.

§ 3. — Munis des éléments d'appréciation fournis par


l'histoire et par la connaissance des intérêts communs ou
contraires, on peut résumer et définir en quelques lignes
l'Autriche actuelle.
L'on dira : l'Autriche est un État polyglotte, de majorité
slave, où les Allemands prédominent encore injustement,
conséquence dernière de l'ancien régime absolutiste impose
jadis à leurs peuples par les Habsbourg, dynastie allemande.
Depuis cent ans, cette situation se modifie. L'évolution na-
turelle de l'Autriche la pousse au « fédéralisme », qui ferait
de la Cisleithanie une Suisse monarchique.
L'établissement du « fédéralisme Il, réforme purement inté-
rieure, n implique point la modification des frontières
actuelles de la Cisleithanie, elle ne saurait par suite troubler
la paix générale. Il est exact cependant qu'un danger menace
l'Europe, mais il réside exclusivement dans les convoitises sur
HAutriche de l'empire allemand dirigé par la Prusse (1).
Telle est la formule de Y Autriche vraie.
L'étude du mouvement pangermaniste va en vérifier
l'exactitude.
(1) Comparer cette formule avec celle qui résume l'opinion sur l'Autriche
couramment admise en France. V. préface, p. ix.
CHAPITRE II

LE PANGERMANISME

I. L'IDÉE PANGERMANISTE. — § 1. Son caractère prussien : la Gazette d'Augs-


bourg et les écrits de von Moltke. — § 2. Guillaume Ier, Bismarck et le
Pangermanisme : le roi de Prusse et la Bohême en 1866. Pourquoi et
comment le Chancelier a toujours été opposé à la création de la Grande-
Allemagne. — § 3. Causes de son évolution dans un sens toujours plus
réaliste : la Weltpolitik, le progrès des Slaves en Autriche, la nouvelle
situation économique de l'empire allemand, la tactique des sujets ca-
tholiques de Guillaume II.
II. COMMENT LES PANGERMANISTES JUSTIFIENT LEUR THÈSE. - § 1. La " lit-
térature pangermaniste : son-apparente futilité, son importance vraie.
>t

Influence de Paul de Lagarde sur le mouvement actuel. — § 2. Les



trois grands arguments : le Pangermanisme est réalisable ; son applica--
tion serait avantageuse; elle est même inévitable pour l'empire alle-
mand. — § 3. Critique de ces arguments : leur vice fondamental.
III. LE PLAN PANGERMANISTE. — § 1. Les lignes générales : analyse de la
brochure-programme « la Pangermanie et l'Europe centrale en 1950 ».
A quoi se réduisent pratiquement les prétentions pangermanistes suscep-
tibles d'une réalisation immédiate. — § 2. Le morcellement de l'Au-
triche : les vues sur ce point de " l'Union pangermanique ou Al->t

deutscher Verband.- § 3. Les phases d'exécution du plan pangermaniste :


la mainmise sur l'Autriche, la période de 'radiation ultérieure de la
Grande-Allemagne.

L'idée de réunir dans un seul État tous les Germains du


continent hante depuis longtemps les rêveurs d'outre-Rhin ;
cette origine ancienne et nuageuse a fait considérer souvent
cette conception comme purement sentimentale et sans
valeur politique. Si un tel jugement a pu être exact, il ne
l'est plus aujourd'hui. Sous l'action de causes toutes ré-
centes, l'idée pangermaniste, évoluant rapidement, s'est
condensée en une formule précise et réaliste dont l'applica-
tion, peut-être imminente, est ardemment préparée.
I

L'IDÉE PANGERMANISTE

§ 1.
— Est-il d'ailleurs certain que le Pangermanisme,
même jadis, ait été un rêve sentimental? On peut en dou-
ter. Ses plus lointaines manifestations, belliqueuses ou con-
quérantes, décèlent sa nature prussienne et le font appa-
raître simplement comme un moyen commode de dissimuler
les entreprises de la politique berlinoise. C'est qu'en fait
le Pangermanisme ne vise pas simplement les pays où vivent
des Germains, mais les régions dont la possession est utile à la
puissance prussienne, Ainsi, de tout temps, l'Autriche, où les
Allemands ne sont qu'une faible minorité, a été l'objet des
convoitises pangermanistes. Dès 1859, la Gazette d'Augs-
bourg en donne la raison avec la plus grande netteté "Nous
:

maintenons que les possessions autrichiennes qui ne font


pas partie de la Confédération allemande ont pour l'Alle-
magne exactement la même importance que toute autre
partie de la Confédération. La défense de ces possessions
est donc commandée par l'intérêt même de l'Allemagne;
elle est pour celle-ci un droit et un devoir. En voici les
motifs. D'abord, les parties de l'empire qui ne peuvent ni
créer ni conserver une civilisation supérieure font partie
du domaine de la civilisation germanique; ensuite, l'union
intime avec ces territoires est particulièrement avantageuse
aux intérêts matériels de la Confédération ; enfin, la possession
de ces provinces peut seule permettre de représenter d'une
manière qui convient à une grande puissance, avec assurance
et succès, les intérêts allemands dans les grandes complica-
tions qui se présenteront inévitablement.
Nous déclarons hautement que si ce n'était pas un membre
(c

r
de la Confédération, si ce n'était pas Autriclze qui fût le
légitime possesseur de ces pays non allemands, la nation alle-
mande devrait en faire la conquête à tout prix, parce qu'ils
sont absolument nécessaires pour son développement et sa
position de grande puissance. »
Une déclaration aussi catégorique établit que l'identité
de langue et de race, généralement donnée comme la raison
d'être du Pangermanisme, n'est qu'un simple prétexte; les
avantages militaires, politiques ou économiques sont ses
seuls éléments constitutifs. C'est en vertu de cette théorie de
la conquête pour cause d'utilité que la Prusse a fait recon-
naître « par le parlement de Francfort, comme territoires
allemands, ses provinces orientales, qui en réalité sont
slaves (1) » ; que plus tard, dans l'affaire des duchés, après
avoir invoqué le principe des nationalités, elle s'est emparée
de (1
la partie septentrionale et purement scandinave du
Schleswig (2) " et qu'en 1844 le futur maréchal de Moltke
,
trouvait naturel d'écrire: Nous espérons que l'Autriche (3)
(1

maintiendra les droits et sauvegardera l'avenir des pays du


Danube et que l'Allemagne parviendra finalement à libérer
l'embouchure de ses grands fleuves (4). »

§ 2.
— Le roi de Prusse, son souverain, partageait les
mêmes vues et fit tout pour en préparer la réalisation : on
a vu plus haut (page 26) qu'en 1866 il adressa une procla-
mation au glorieux royaume de Bohême , dans laquelle
(c ,
il invitait les Tchèques à se prononcer en sa faveur et s'enga-
geait formellement, en échange, à respecter les droits de la
couronne de saint Venceslas.
(1) DEBIDOUR, Histoire diplomatique de l'Europe, t. II, p. 67. Alcan,
Paris, 1891.
(2) Op. cit., p. 273.
(3) A cette époque l'expression « Autriche - désignait toute l'Autriche-
Hongrie actuelle.
(4) « -'Pir lioffen, dass Oesterreich die Rechte und die Zulmnft der Donau-
landfr wahren und Deutschland endlich dahin gelangen werde, dit, Mun-
dungen seiner grossen Strome zu befreien. » VON MOLTKE, Schrifien, t. II,
p. 313.
En pleine renaissance nationale, les Tchèques, bien
inspirés par Julius Gregr, repoussèrent une offre qui les
aurait soumis de nouveau au joug du « germanisme « Le
.
roi Guillaume ne s'inclina pas devant cet échec, et avant de
signer le traité de Prague, il voulut encore réclamer de
François-Joseph la cession de la Bohême. Son ministre Bis-
,
marck l'en détourna. Le futur Chancelier préparait déjà la
guerre contre la France; il ne voulait pas s'aliéner irrémé-
diablement l'Autriche, dont il désirait la neutralité, et
qu'il espérait enchaîner plus tard à l'Allemagne par une
alliance (1). Après 1871, il se félicita de sa réserve. La
force de résistance des Tchèques se manifesta; le loyalisme
des sujets allemands des Habsbourg apparut longtemps
inattaquable; l'auteur du Kulturkampf vit dans leur catho-
licisme un danger, et, comme chancelier, il sut mieux que
personne quelles complications inévitables susciterait en
Europe toute annexion réalisée par l'Allemagne aux dépens
de l'empire de François-Joseph.
Ces considérations dictèrent la conduite du prince de
Bismarck. Même après sa chute du pouvoir, il ne cessa
de décourager les tendances pangermanistes. A la fin
de 1897, une association organisa des manifestations anti-
autrichiennes sur le sol de l'empire allemand; le solitaire
de Friedrichsruh aussitôt fit déclarer par les Nouvelles de
Hambourg (2), son organe favori it A Leipzig, l'Alldeut-
:

scher Verband a manqué des égards toujours dus aux États


voisins. Les orateurs autrichiens venus sur le territoire de
l'empire ont oublié leur devoir de sujets des Habsbourg.
Leur langage ne saurait se qualifier... Il est fâcheux de
penser que les Allemands d'Autriche se soient oubliés jus-
qu'à réclamer l'intervention de l'empire allemand dans

(1) V. Dr SEEP, Deutschland einst und jetzt, p. 22. Lehmann, Munich,


1896.
(2) V. dans les Hamburger Nachricliten du 3 juillet 1897, l'article inti-
tulé: " Ein offenes Wort. -o
leurs affaires intérieures. Ils eussent mieux fait de se rap-
peler les paroles adressées par le prince de Bismarck, le
15 avril 1895, à une députation d'Allemands autrichiens :
CI
Pour prouver efficacement vos sentiments à l'empereur
«
allemand, remplissez tous vos devoirs envers votre propre
«
dynastie. Je vous conseille la condescendance et l'indul-
« gence pour vos
voisins slaves. Il
Le vieux chancelier ne se prononçait qu'à regret dans ce
sens négatif. Incarnation de l'esprit prussien, il eût voulu,
comme von Moltke, l'extension indéfinie vers le sud. Il en a
même toujours ménagé les possibilités, mais la crainte
d'englober une trop grande masse de Slaves et de catho-
liques l'arrêtait. « Je certifie, disait-il à un envoyé du Daily
Telegraph, que si demain on m'offrait la Haute et la Basse-
Autriche, je les refuserais. Elles sont trop loin. Si Prague
pouvait changer de place avec Vienne, je ne dirais pas
non (1). 1,

Bismarck garda jusqu'à la mort cette réserve voulue à


l'égard du Pangermanisme, mais, dans ses dernières années,
il put constater l'impuissance de ses conseils.

— Des causes nouvelles, nées postérieurement à


§ 3.
l'avènement de Guillaume II, ont toutes incliné l'opinion
allemande à admettre comme nécessaire une nouvelle exten-
sion continentale de l'empire.
A sa chute du pouvoir, le prince de Bismarck laissa
l'Allemagne dans un état de prospérité générale. L'ardeur
fiévreuse avec laquelle le jeune empereur Guillaume saisit
les rênes du gouvernement autorisa de nouvelles espé-
rances. Ses succès semblèrent les justifier. Grisés par les

(1) Il'" Ich versichere, wenn mir Ober — und Niederosterreich morgen
angeboten wurden, wiirde ich sie ablehnen. Sie sind zu weitab. Wenn Prag
une Wien die P!âtze wechseln konnten, wiirde ich nicht nein sagen. » Cité
par la Deutsche Zeilung du 6 août 1898 et par les Alldeutsche Blàtter du
21 août 1898.
triomphes de l'expansion économique et coloniale, succé-
dant à ceux des champs de bataille, les Allemands ont
perdu leur modération de jadis, et l'exaltation de leur su-
prématie sous toutes les formes est devenue le thème cou-
rant de leurs écrivains. « Nous sommes, dit l'un d'eux, les
meilleurs colons, les meilleurs matelots et même les meil.
leurs marchands... Nous sommes le peuple le plus intelli-
gent, le plus élevé dans les sciences et dans les arts... Nous
sommes, sans aucun doute, le peuple le plus guerrier de
la terre (1). »
Bientôt, la fondation de l'empire allemand apparut
comme le commencement et non comme la fin du déve-
loppement national (2). On admit avec Paul de Lagarde
que 1871 de même que Sadowa étaient de simples épisodes
historiques (3). Sans doute, jusqu'à présent, les Hohenzol-
lern ont accompli une tâche immense, mais il leur reste
encore beaucoup plus à faire (4).. On conclut : Il faut main-
tenant continuer l'œuvre de Guillaume Ier (5). Des ambi-
tions nouvelles, vagues mais impérieuses, s'emparèrent
donc des Allemands.
En 1892, une curieuse brochure, intitulée : Un Empire
allemand universel (6), commença à les préciser. Trois mys-
térieuses étoiles tiennent lieu de signature à ces pages qui,
relues aujourd'hui, semblent avoir été prophétiques. Elles
établissent combien les idées pangermanistes étaient encore
indécises dans le public allemand il y a seulement neuf
années ; elles permettent de mieux apprécier l'étonnante ra-
(1) F. BLEY, Die Weltslellung des Deutschtums, p. 21. Lehmann,
Munich, 1897.
(2) Idem.
(3) Paul DE LAGARDE, Deutsche Scliriften, p. 113. Dieterich, Gottiogen,
1892.
(4) Deutschland bei Beginn des 20. Jahrhullderts, p. VII. Milit.ar-Verlag
R. Félix, Berlin, 1900.
(5) G. WALDERSEE, Was Deutschland braucht, p. 15. Thormann, Berlin,
1895.
(6) Ein Deutsches Weltreicli. Llistenoder, Berlin, 1892.
pidité de leur développement. « Avant 1870 (7), dit l'auteur
anonyme, un but sublime s'offrait à nous :
refaire l'empire
allemand. Aujourd'hui, nous sommes divisés sur l'orienta-
tion à prendre. Les uns se contentent de conserver honora-
-

blement les biens acquis, les autres veulent le développe-


ment, avec toutes ses conséquences, de la puissance alle-
mande. C'est ce but qu'il faut atteindre. Le groupement en
même faisceau politique de tous les membres d'un
un
peuple a toujours constitué l'objet des efforts d'une nation
vivace. Inspirons-nous donc des paroles du poète Arndt :
Toute terre où résonne la langue allemande est alle-
«
mande, » et travaillons à l'union de toutes les tribus
«
germaniques. Elle nous procurera l'accroissement de puis-
sance rêvé (1). Tant que nos efforts pour l'obtenir seront
exercés dans de justes limites, le gouvernement ne doit pas
les combattre (2). Mettons-nous à l'œuvre dès maintenant ;
éveillons dans tous les pays germains du continent le senti-
ment de la communauté d'origine et le désir d'unité. Sans
doute, cette politique peut soulever plus tard de violentes
oppositions, même un conflit général ; mais puisse cette
lutte ne pas se produire avant que nous ayons préparé les
esprits à la réalisation du Pangermanisme (3)! Peut-être,
d'ailleurs, sera-t-il possible d'éviter les solutions violentes :
le type fédéral de l'empire allemand se prête facilement à
l'incorporation d'États soucieux de conserver leur liberté
intérieure, et le Pangermanisme sera déjà une réalité si
l'union existe dans les relations extérieures des États confé-

(1) Passim.
(2) « Die Machtvermehrung, die nun in erster Linie geboten ist, ist auf
dem Gebiete einer Einigung aller deutscher Stammesgenossen zu suchen. »
Op. cit., p. 7.
(3) " Ein solches Bestreben soll auch Regierungsseits nicht bekâmpft
werden, so lange es sich in den richtigen Grenzen hait. » Op. cit., p. 8.
(4) « Moge dieser Weltenkampf nicht zu fruhe kommen, damit wir
unsere Vorarbeit alldeutscher Einigkeit verrichtet haben... » Op. cit.,
p. 10.
dérés. Soyons donc prévoyants. La diplomatie nous aidera
en disposant favorablement l'échiquier européen. La réus-
site de nos projets exige l'affaiblissement de la puissance
russe, le renforcement de la Turquie, et s'accommode fort
bien de l'occupation anglaise en Égypte.
/(
N'ayons point d'idées préconçues sur la manière défini-
tive de réaliser le Pangermanisme. Nous en sommes encore
à la période des conjectures. Notre tâche actuelle (1892) con-
siste à présenter comme but suprême à tous les Germains,
sans distinguer s'ils sont hauts ou bas Allemands, la création
d'une Confédération germanique semblable à celle des anciens
jours. "
Le mystérieux auteur d'Ein Deutsches Weltreich dégage
sous sa forme nouvelle l'idée de la Grande-Allemagne,
de la « Pangermanie ». Il ne cache pas les difficultés d'une
propagande essentiellement délicate, mais, avec beaucoup
d'art, il invite le gouvernement à ne pas s'en effrayer : on
fera preuve d'habileté, ajoute-t-il; les efforts seront con-
tenus dans de justes limites (in den richtigen Grenzen) ; on
agira progressivement jusqu'au moment où les batteries
pourront être démasquées sans danger; alors l'Europe se
trouvera en face d'une situation préparée dans les moindres
détails, contre laquelle elle sera impuissante.
Sous l'influence de ces idées, un nouveau courant d'opi-
nion s'établit. Le toast prononcé à Vienne le 29 sep-
tembre 1894, devant une assemblée de savants allemands,
par le conseiller privé, professeur Dr. J. Wislicenus, rec-
teur de l'Université de Leipzig, en montra nettement
l'esprit : « L'empire allemand n'est pas l'Allemagne. Vrai-
ment et positivement, l'Allemagne est aussi grande que le
pays où résonne la langue allemande... Si l'Allemagne était
l'empire allemand, elle serait trop petite (1). p
(1) « das Deutsche Reich ist nicht Deutschland. Deutschland ist wir-
...
klich und wahrhaftig so gross, so weit die deutsche Zunge klingt... "rare
Deutschland nur das Deutsche Reich es ware zu klein. »
Les tendances nouvelles étaient déjà assez fortes pour
qu'une société l'Union pangermanique » (Alldeutscher
CI

Verband) se formât dans le but de les propager. Sa for-


tune a été rapide. Elle influe aujourd'hui si sérieusement
sur l'orientation des affaires allemandes, notamment à
l'égard de l'Autriche, qu'il est indispensable de connaître
cette société avec quelque détail.
Ce Verband dérive directement de /'Allgemeiner deutscher
Verband ou Il Union générale allemande que fonda, en 1886,
1)

le Dr. Peters pour incliner les Allemands vers l'expansion


coloniale. Les premières années furent difficiles. Des riva-
lités de personnes eurent lieu, puis les éléments mauvais fu-
rent écartés, et, vers 1894, le comité directeur présenta enfin
une réelle homogénéité. Déjà des personnages connus ou
officiels en faisaient partie. Parmi ceux-ci, on trouvait : le
conseiller privé Wislicenus, recteur de l'Université dL
Leipzig; von Fischer, premier bourgmestre d'Augsbourg;
le comte von Arnim Muskau; le Dr. K. Peters, commis-
saire de l'empire ; de Bary, consul général à Anvers; Baum-
bach, colonel à Altenbourg; Bernhardi, secrétaire de la
chambre de commerce de Dortmund ; le Dr. Hùbbe-
Schleiden, le peintre Lenbach, le Dr. G. von Mayr, sous-
secrétaire d'État à Strasbourg; Müser, consul de l'empire
à Bruxelles; von Oettingen, conseiller à la Cour d'appel;
K. Proll. publiciste ; von Sandrart, général d'infanterie; le
major von Steun, von Tiedemann-Labischin, président du
gouvernement à Bromberg; le Dr. Hasse, député de Leipzig
,au Reichstag.
En 1895, ce dernier fut élu président de la Société.
Ses projets étaient beaucoup plus grandioses que ceux du
Dr Peters. Il les indiqua en modifiant l'année suivante le
titre du Verband JI, qui devint l' Alldeutscher Verband
CI

ou l'Union pangermanique. A cette date, l'Union comptait


7,700 adhérents. Les ambitions nouvelles et surtout l'acti-
vité du Dr Hasse, intelligemment secondé par son comité,
qui, en dehors des personnalités importantes, comprend
une foule de professeurs, d'industriels et de commerçants,
ont porté ce nombre à 21,500 (1).
Dans sa forme définitive, l'Union a pour but d'affirmer
la conscience du peuple allemand (das Gewissen des deut-
schen Volkes) (2), et de poursuivre, à l'intérieur comme à
l'extérieur des frontières, l'union de toutes les tribus alle-
mandes (die Gemeinschaft aller deutschen Stiimme) (3).
L'action de la société s'étend aux 80 millions d'Alle-
mands qu'elle trouve dans le monde quel que soit l'État
auquel ils appartiennent (4). Les paroles du grand élec-
teur : Souviens-toi que tu es Allemand, » (Gedenke, dassDu
CI

ein Deutscher bist!) symbolisent ceprogramme. Pour rem- le


plir, l'Union emploie des moyens très divers. Dans l'empire,
elle surveille sans relâche les Alsaciens-Lorrains, les Da-
nois et les Polonais ; elle signale au gouvernement leurs
moindres tentatives pour secouer le joug et réclame leur
répression par des mesures draconiennes; elle agit sur la
politique extérieure en dirigeant les poussées de l'opinion
par des publications habilement répandues. Depuis 1894,
les Alldentsche Bldtter ou « Feuilles pangermaniques » (5)
sont chaque semaine l'organe officiel du Verband. En
outre, des brochures paraissent sous le titre : Der Kampj
um das Deutschtum (la Lutte pour le " Germanisme ,);
chacune envisage selon l'actualité une question relative au
Pangermanisme. De fréquentes réunions des groupes locaux

(1) L'Alldeutscher Verband comptait exactement, à la date du 1er avril


1900, 21,361 membres répartis en 184 groupements. V. le rapport lu à
l'assemblée générale du Verband le 7 juin 1900, à Mayence.
(2) V. la couverture de l' Aildeutschei- Allas. Justus Perthes, Gotha, 1900.
(3) Idem.
(4) Mitglied des Alldeutschen Verbandes kann jeder unbescholtene
Deutsche werden, ohne Rucksicht auf seine Staatsangehorigkeit. Alldeut-
sches Werbe-und Merk-Buchlein, p. 5. Lehmann, Munich, 1900.
(5) Lorsqu'elles étaient encore peu connues, les Alldeutsche Blàlter pa-
raissaient avec la mention : " Reproduction désirée même sans déclaration
des sources (Abdruck, auch ohne Quellenangabe erivunscht), If
assurent la cohésion des adhérents (1). Ceux-ci envoient des
délégués aux assemblées générales du Verband, qui ont
pris bientôt une véritable importance. Au Reichstag, l'Union
compte un nombre notable de députés qui interviennent cha-
que fois qu'une question touchant à son programme vient
en discussion. Enfin, une correspondance très active tient le
comité central de Berlin au courant de tout ce qui intéresse
le Il Germanisme » dans le monde.
Cette puissante organisation a obtenu en peu de temps des
résultats considérables. L'Union a protégé efficacement les
intérêts d'Allemands résidant à l'étranger. Elle a fait relever
les subventions des écoles allemandes d'outre-mer. Des lois,
notamment celle de 1897 sur l'émigration et celle de 1898
sur l'acquisition ou la perte de la nationalité allemande, sont
dues à son initiative. Son action sur l'expansion coloniale
a été réelle. L'acquisition de Kiao-tcheou est en partie son
oeuvre. Le 9 octobre 1895, peu après le traité de Shimo-
noseki, l'Union adressait au chancelier de l'empire une
requête (2) où elle demandait instamment l'établissement
d'une station navale en Extrême-Orient. Depuis, elle amené
une campagne ardente jusqu'au jour où le gouvernement
de Berlin, profitant du massacre de ses missionnaires, a
pris pied effectivement en Chine.
L'Union travaille avec activité à l'accroissement des forces
militaires de l'empire. Dès le début de 1896, elle a répandu
de nombreuses brochures pour démontrer la nécessité de

(1) Les groupes de l'Union, tenant compte de la situation particulière de


chaque pays où ils se trouvent, décident quels moyens conviennent le
mieux au but qu'ils poursuivent. V. Afidelltsche Blàtter, 1894, p. 2.
(2) Extrait de la requête : " Durch den Frieden von Shimonoseki und
das Eingreifen der Màchte Deutschland, Russland und Frankreich in die
japnnisch-chinesischenWirrenistin Ostasien eine Gestaltung der Dinffeein-
getreten, die nicht nur die unangesetzte Aufmerksamkeit seitens des Deut-
schen Reiches, sondern auch die wohl noch lange Zeit dauernde Anweisen-
heit deutscher Kriegsschiffe in jenen Gewassern erfordert, ohne dass wir
indess bis jetzt im Besitze eines geeigneten St'iitzpunktes, eines eigenen Hafens/
fur dieselben wâren. o
voter les crédits pour l'armée navale (1). Elle a organisé
dans chaque ville de l'empire des conférences, souvent faites
par des personnages officiels, comme le contre-amiral Wer-
ner, le capitaine-lieutenant Meyer, le capitaine de corvette
comte Bernstoff. En même temps, elle fit agir ses adhérents
des colonies et de l'étranger et bientôt celles-là deman-
daient officiellement au chancelier de l'empire l'accroisse-
ment de la flotte. Cette propagande contribua beaucoup au
succès final; il n'est pas douteux que dans la circonstance
l'Alldeustcher Verband ait acquis des droits particuliers à
la bienveillance de l'empereur.
Le gouvernement de Berlin suit d'ailleurs volontiers les
conseils du comité de l'Union. Il a fini, comme le deman-
dait depuis longtemps le Dr Hasse, par réclamer au Landtag
de Prusse cent nouveaux millions de marks pour aider
à la germanisation de la Posnanie, et par expulser, en
novembre 1898, une quantité d'ouvriers danois, polonais et
autrichiens.
C'est à cette société si puissante qu'est due la diffusion
dans les masses allemandes de cette conception : l'Alle-
magne puissance universelle » (Weltmacht). Les acquisi-
CI

tions coloniales dans le Pacifique et dans les mers de Chine


ont facilité sa tâche et bientôt la politique de l'empereur
Guillaume II a été qualifiée : politique universelle ( Weltpo-
litik).
L'atmosphère favorable à l'idée pangermaniste étant ainsi
créée, elle se développa rapidement. Le monde gouver-
nemental, imbu des principes bismarckiens, avait contre
elle de la prévention; les changements survenus dans les

(1) Deutsche Weltpolitik (la Politique allemande universelle).


Deutschlands Seegejahren (les Dangers de l'Allemagne sur mer).
GenÜgt Deutschlands Wehrkraft zur See ? (l'Allemagne est-elle suffi-
samment défendue sur mer?)
Der Niedergang deutscher der Aufschwung fremder Seemacht (le Recul
de la puissance maritime allemande et i essor des marines étrangères, etc.).
Toutes ces brochures ont été éditées par Lehmann de Munich.
forces respectives des partis nationaux en Autriche, consé-
,

quence des progrès réalisés par les Slaves cisleithans, ont


grandement contribué à la dissiper.
Depuis 1866, le gouvernement de Berlin oppose à la
Russie l'Autriche et attribue à cet État la mission de tenir
ouvertes les portes de l'Orient à l'influence germanique. Le
maintien de la suprématie des Allemands dans l'empire de
François-Joseph est la base de cette politique que le prince
de Bismarck a résumée en une formule lapidaire : " Plus
l'influence des Allemands sera forte en Autriche, et plus
les rapports entre l'Allemagne et l'Autriche seront étroits. (1) »
Ce maintien n'est possible que par la compression des élé-
ments slaves.
Partant de ce principe, les diplomates prussiens ont tou-
jours eu pour objectif de faira obstacle à l'établissement du
«
fédéralisme » On sait par quel procédé (voir page 29)
.
M. de Bismarck y a réussi en 1871. Lorsqu'en 1879 il par-
vint à faire signer à François-Joseph le pacte d'alliance, lasécu-
rité devint complète à Berlin; la prépondérance du germa- CI

nisme» était assurée à Vienne pour des années. Maisles pro-


grès incessants des Slaves et surtout des Tchèques s'accusè-
rent dans les élections. Il fallut bien prendre au sérieux les
statistiques officielles de l'administration de Vienne. On
n'avait plus affaire à l'Autriche de jadis, dont le réseau
administratif étouffait les éléments nationaux, mais à une
Autriche où, en face de neuf millions d'Allemands privilé-
giés, se dressaient quinze millions de Slaves, en pleine con-
science de leurs droits. On comprit le danger à Berlin. Ce fut
bien autre chose quand, en avril 1897, les fameuses ordon-
nances du comte Badeni prouvèrent le retour de François-
Joseph à une politique fédéraliste. Cette fois, les publicistes
allemands accusèrent nettement la maison des Habsbourg

(1) « Je starter der Einfluss der Deutsclien in Oesterreich sein wird,


desto siclierer werden die Beziehunr,en des Deutschen Reiches zu Oesterreich
sein. » Friedrichsruh, 15 avril 1895.
de manquer à sa mission etd'opprimer le germanisme (1)».
CI

Il
C'est une erreur fatale, qui est aussi fréquemment com-
mise parles Allemands d'Autriche, de croire que l'empereur
François-Joseph est un ami du Il germanisme » du Il germa-
,
nisme " autrichien (2). « Il n'y a là qu'une légende (3). »
11

«
Visiblement l'alliance avec l'Autriche-Hongrie n'a été fidè-
lement observée que d'un seul côté. Lorsque Bismarck l'a
conclue, l'Autriche était encore allemande (4). »
Ces récriminations restèrent sans effet. Le Il Slavisme »
était sur la voie du succès; il fallait à tout prix l'arrêter. En
minorité au Reichsrath, les Allemands d'Autriche ne purent
obtenir par eux-mêmes le retrait des ordonnances. Le
gouvernement de Berlin dut se résoudre à intervenir. On
sait déjà (voir page 33) à la suite de quels incidents Fran-
çois-Joseph sacrifia le comte Thun et fit abroger les ordon-
nances (octobre 1899).
Une fois de plus, la politique prussienne triomphe; mais
la chancellerie de la Wilhelmstrasse ne se fait aucune illu-
sion sur sa victoire. Elle-même la considère comme un
expédient, sachant fort bien que l'Autriche a cessé d'être
une puissance allemande. Aussi, sa grande préoccupation
est-elle de trouver une combinaison nouvelle susceptible
d'arrêter les progrès des Slaves. Les Pangermanistes inter-
viennent alors. « Si, à l'origine, la maison des Habsbourg
a partiellement réussi à germaniser les territoires qui appar-

(1) V. F. BLEY, Die Weltstellung des Deutschtums, p. 20, Lehmann, Mu-


nich, 1897.
(2) «Es ist ein verhânrnisvoller Irrtum, der auch von den Deutschen
Oesterreichs noch vielfach geniihrt wird, zu glauben, Kaiser Franz-Joseph
sei ein Freund des Deutschtums, des œsterreichischen Deutschtums... »
Hannoverschen Kurier, 8 février 1899.
(3) « Die Deutschfreundlichkeit Kaisers Franz-Joseph... ist und bleibt
eine Legende. » Idem.
(4) « Offenbar ist diese Biindnistreueaber eine durchaus einseitige. Denn
als Bismarck das Bundniss mit Oesterreich, Ungarn schloss, war Oesterreich
noch Deutsch." Die Deutsche Politik der Zukunft, p. 11, Deutschvolkischer
Verlag « Odin » Munich, 1900.
,
tenaient jadis à la Confédération germanique, elle a ensuite
complètement échoué dans cette tâche. Cette tâche, les
Hohenzollern et les autres princes allemands peuvent et
doivent la mener à bonne fin (1) Il Il le faut d'autant plus
que les tribus allemandes de l'Autriche « sont au-dessous
de leur mission civilisatrice (2) )1. Si l'on n'y prend garde,
l'Autriche se changera lentement en un groupe d'États
«
particuliers, qui se dissoudront ensuite à la première occa-
sion favorable (3). »
Conclusion : pour l'empêcher, il faut rattacher l'Autriche
à l'empire allemand.
Beaucoup d'hommes politiques, jadis réfractaires au Pan-
germanisme comme Bismarck et pour les mêmes raisons,
inclinent maintenant à admettre cette solution, parce qu'elle
leur apparaît comme seule susceptible désormais de main-
tenir l'Autriche dans la dépendance de Berlin. Leur change-
ment d'opinion s'opère graduellement et d'autant mieux
qu'il s'accorde avec les nécessités nouvelles créées par
l'orientation économique de l'empire allemand.
Le prince de Bismarck sut toujours maintenir un juste
équilibre entre les intérêts agricoles et les intérêts indus-
triels de son pays. Guillaume II, comptant sur la continuité
de l'essor commercial de l'empire, a surtout favorisé les
seconds. Le commerce d'exportation a pris un développe-
ment prodigieux, mais pratiquement la vie et la richesse de
l'Allemagne dépendent aujourd'hui de ses débouchés étran-
gers. Ceux-ci, pendant une période assez longue, ont semblé
(1) « Was dem Hause Habsburg ursprunglich nur halb gelangund spater
vollig misslang, die Germanisirung der fruber zum deutschen Bunde geho-
rigen Lander, dass miissen und konnen die Hohenzollern im Bunde mit den
anderen deutschen Herrscherfamilien ganz zu Ende führen. » Oesterreichs
Zusammenbruch und Wiederaufbau. 4. Lehmann, Munich, 1899.
(2) « ihrer Kulturmission nachgekommen... » K. Proll, Die Kâmpfe
...
der Deutschen in Oesterreich, p. 7. Liistenoder, Berlin, 1890.
(3) « Oesterreich wird sachte in ein Biindel von Einzelstaaten allmalig
verwandelt, das sich so bei passender Gelegenheit auflost. » Op. cit.,
p. 123.
indéfiniment extensibles. Depuis peu, une évolution aussi
rapide que puissante tend à diminuer les facultés d'absorp-
tion de trois débouchés d'une importance considérable pour
le commerce allemand.
Le livre de M. Williams, Made in Germany (1), a signalé au
Royaume-Uni le danger de l'expansion économique du
jeune empire continental. Tout d'abord, sur la Tamise, on
n'a pas voulu croire à la grandeur du péril, puis l'esprit pra-
tique des Anglais les a fait réfléchir. Le livre bleu de 1898
sur la Foreign trade competition (la Concurrence com-
merciale étrangère) (2) montre les préoccupations pro-
fondes que leur cause maintenant la concurrence des sujets
de Guillaume II. A Londres, on s'ingénie à trouver des moyens
indirects d'entraver le commerce allemand; on les étend
peu à peu à tous les territoires britanniques, tout en laissant
subsister en théorie le principe du free trade, ce qui per-
met d'attendre la réalisation de la grande fédération écono-
mique rêvée par M. Chamberlain.
A l'est de l'Allemagne, la Russie complète son outillage.
Elle s'affranchit rapidement de la dépendance étrangère,
car sa population consommatrice d'objets fabriqués est fort
restreinte par rapport à sa population totale. Ce fait expli-
que comment le gouvernement du Tsar, ayant déjà à pro-
téger l'industrie nationale, a pu établir un tarif douanier
prohibitif, dont souffrent tout spécialement les exporta-
teurs allemands.
Aux États-Unis, le bill Mac-Kinley et le tarif Dingley ont
porté un coup terrible à la prospérité de l'empire. Rien ne
saurait mieux en donner une idée que le dernier rapport de
la Chambre de commerce de Greiz(3), relatif à une branche

(1) Heinemann, Londres, 1897.


(2) " Opinions of H. M. diplomatic and consular officers on british
trade methods. — Printed for her Majesty's stationery ofHce, by DaiJing
and Son Ltd, 1-3, Great S'-Tbomas Apostle, E. C. 1898, London.
(3) Ville industrielle, située entre la Thuringe et la Saxe.
de l'industrie textile, l'une des plus importantes de l'Alle-
magne.
La circonscription de Greiz a exporté aux États-Unis .
En 1895, pour 4,000,000 de marks de tissus de laine.
En 1896, pour 2,000,000 Id. Id.
En 1897, pour 1,500,000 Id. Id.
En 1898, pour 915,000 Id. Id.
En 1899, pour 200,000 Id. Id.
Le marché américain se ferme donc au commerce alle-
mand avec une extraordinaire rapidité.
Or, ces trois pays, Angleterre, Russie, États-Unis, à
eux seuls, absorbaient en moyenne les 4/10 du total
des exportations allemandes. Le commerce y devenant
de plus en plus difficile depuis cinq ans, les Allemands
voient ainsi diminuer les facultés d'absorption de ces
débouchés au moment même où l'essor de l'industrie de
l'empire détermine dans certaines branches une évidente
surproduction.
Ce n'est pas tout : cette. difficulté d'écouler les produits
fabriqués, jointe à la nécessité de lutter dans le monde entier
contre la concurrence américaine, a amené les industriels
allemands à baisser leurs prix de vente. Il en est résulté une
diminution dans les bénéfices nets alors même que le chiffre
global des exportations s'élèvait. Vendre beaucoup n'est pas P-
gagner beaucoup. La décroissance des bénéfices nets con-
cordant avec la création désordonnée d'entreprises indus-
trielles de toute nature a déterminé en Allemagne une grande
rareté des capitàux. On en a la preuve dans l'accroissement
continu du taux d'escompte de la banque de Berlin et dans
le fait que le gouvernement impérial a cru devoir contracter
sur le marché américain le premier emprunt de 80,000,000
de marks motivé par l'expédition de Chine. La gravité de
cette rareté des capitaux, conséquence des nouvelles diffi-
cultés économiques, apparaît tout entière si l'on considère
que l'Allemagne, ne pouvant se suffire par elle-même, est
dans l'obligation d'acheter chaque année à l'étranger pour
près de deux milliards de francs d'objets indispensables à
sa consommation, grains, animaux, bois, etc. L'empire alle-
mand doit par conséquent gagner sur son commerce exté-
rieur deux milliards de francs avant d'avoir accru d'un
pfennig son capital national. L'enrichissement de l'Alle-
magne est donc loin d'avoir été aussi considérable qu'une
série de publications récentes et fort enthousiastes le laisse
supposer.
Ces faits synchroniques, fermeture des plus importants
débouchés, diminution des bénéfices nets, insuffisance des
capitaux, surproduction, dépendance de l'étranger pour les
produits de consommation, amènent à conclure qu'à la
période si brillante, par laquelle l'Allemagne vient de
passer, va succéder une ère pleine de difficultés. Le moyen
de les résoudre consiste essentiellement dans l'ouverture de
nouveaux débouchés, propres à remplacer ceux qui sont en
voie de se fermer. Le gouvernement de Berlin est pénétré
de cette nécessité et, visiblement, toutes ses combinaisons
politiques sont déterminées par la volonté d'y satisfaire.
Avec beaucoup d'habileté, les Pangermanistes ont tiré
parti de cette situation toute nouvelle. Leurs idées, affir-
ment-ils, contiennent en germe la solution du problème des
débouchés. C'est ce que montre, avec beaucoup de clarté, le
Dr Hasse, député de Leipzig au Reichstag et président de
l'Alldeutscher Verband, dans sa brochure : la Politique alle-
mande universelle (1).
De nombreux dangers menacent l'Allemagne, dit-il.
«
Pour y parer, une tension plus grande des forces existantes
sera à peine suffisante (2). L'Allemagne ne peut pas sans
péril suivre l'exemple de l'Angleterre et consacrer tout son

(1) DrE. HASSE, Deutsche Weltpolitik. Lehmann, Munich, 1897.


(2) « Eine hohere Anspannunr, der vorhandenen Krafte wird kaum aus-
reichen. » Op. cit., p. 8.
trafic à l'exportation, au commerce d'outre-mer et aux entre-
prises extra-européennes (1). Les traités de commerce expi-
rent en 1903. D'ici là, il s'agit de dégager une nouvelle for-
mule économique. Il faut rétablir l'équilibre entre l'agricul-
ture et l'industrie. Nous y parviendrons, si la puissance
politique et économique de l'Allemagne est assise sur une
base plus large qu'aujourd'hui (2).
«
Le Zollverein a supprimé les obstacles qui gênaient le
commerce et l'industrie ; il est la cause première du succès
des dernières années. L'expérience a établi que la voie était
bonne. Il faut donc simplement reprendre l'idée de l'écono-
miste F. List (3), c'est-à-dire étendre le Zollverein à toute
l'Europe centrale. Une immense étendue du continent serait
ainsi assurée au commerce allemand et sa puissance de
rayonnement extérieur s'accroîtrait dans des proportions
énormes. »

(1) Op. cit., p. 12.


(2) Op. cit., p. 8.
(3) Frederic List (1789-1846). Il fut d'abord employé dans l'administra-
tion wurtembergeoise, puis appelé par le ministre Wangenheim à la chaire
d'économie politique lors de la création d'une faculté des sciences à Tu-
bingen. Il fonda peu après un journal appelé l'Ami du peuple de Souabe.
A la suite de la chute du ministère Wangenheim, le journal fut sup-
primé et List dut donner sa démission. -

En 1820, il fut envoyé comme représentant de la ville de Reutlingen à la


chambre wurtembergeoise; mais, à la suite d'une condamnation qu'il
encourut pour avoir fait autographier une pétition dans laquelle étaient
signalés de nombreux vices de l'administration, il émigra en Amérique où
il continua à propager par la plume les deux grandes idées qui le préoccu-
paient ; le développement des chemins de fer et Je Zollverein. Il revint
en 1833 à Leipzig avec le titre de consul des États-Unis.
A la suite de la perte de sa fortune pendant la crise financière de l'Amé-
rique, n'ayant pour vivre que sa plume et sa parole, il parcourut l'Alle-
magne et la Hongrie. Il tenta même, à Londres, de créer une alliance
commerciale entre l'Angleterre et l'Allemagne. L'échec de cette dernière
tentative l'affecta profondément; il alla pour se fixer en Tyrol et se tua, à
Kufstein, d'un coup de pistolet.
Ses principaux ouvrages sont : Esquisse d'un nouveau système d'économie
politique (Philadelphie, 1827), Sur un réseau de chemins de fer à cons-
truire en Saxe (Leipzig, 1833), Système national d'économie politique
(Stuttgard, 1841).
Or pratiquement, 1 idée d extension du Zollverein s'appli-
que d'abord à l'Autriche et ainsi se superpose exactement à
la partie principale du programme pangermaniste, qui, per-
dant alors tout caractère vague et sentimental, devient une
conception précise et utilitaire. Le rattachement de l'Autri-
che à l'empire allemand n'est donc plus seulement un pro-
cédé de compression du « Slavisme» mais encore un moyen
,
d'assurer l'avenir économique de l'Allemagne. Ses partisans
affirment en effet que la création du Zollverein de l'Eu-
rope centrale permettra seule à l'Allemagne d'affranchir
son industrie de la dépendance des débouchés russe, anglais
et américain.
Il convient ici de remarquer à quel point l'idée d'extension
du Zollverein est devenue un instrument d'acquisition de
puissance politique dans les mains des Hohenzollern
C'est la Prusse qui, la première, a conçu le Zollverein,
qui a commencé à le réaliser en supprimant, en 1818, ses
douanes intérieures et qui, par des agrandissements suc-
cessifs, notés sur la carte ci-contre, est arrivée à dominer
le territoire économique de l'empire allemand actuel.
C'est l'agitation protectionniste de Frederic List qui a
rendu possible l'oeuvre d'Otto de Bismarck (1) ; mainte-
nant qu'il s'agit de préparer un accroissement nouveau de
la puissance prussienne, c'est le Dr Hasse, président de
l'Union pangermanique, qui fait campagne avec énergie
pour étendre le Zollverein à l'Autriche.
Il est en tout cas certain que, dissimulée sous l'idée d'ex-
tension du Zollverein, l'idée d'agrandissement de l'Alle-
magne pénètre facilement les « sphères » officielles les plus
hostiles. Les industriels et les commerçants y voient l'ac-
croissement de leurs débouchés et les agriculteurs se
disent : CI
Le jour où les régions agricoles de l'Autriche,
jointes à l'empire allemand, diminueront sa dépendance de
(1) Ohne Fiedrich List kein Otto von Bismarck. Alldeutsche Bliitter,
1895, p. 165.
l'étranger pour les produits de consommation, le gouverne-
ment pourra protéger nos intérêts plus efficacement qu'au-
jourd'hui. M

Il n'est pas jusqu'au changement survenu dans l'attitude


des catholiques allemands qui n'ait aidé à la fortune des
conceptions pangermanistes.
La politique de Guillaume II à l'égard du catholicisme est
en opposition, au moins en apparence, avec celle que
suivit le prince de Bismarck. Devant les progrès du socia-
lisme et la force croissante du CI
centre au Reichstag,
1)

l'empereur allemand, quoique profondément luthérien, a


reconnu l'impossibilité de gouverner sans le concours de ses
sujets catholiques. Depuis son avènement, il ne cesse de
leur donner de menus gages afin de gagner leur confiance;
il faut reconnaître qu'il y a complètement réussi. Aujour-
d'hui les catholiques servent avec éclat ses vues et sont
les plus fermes soutiens du trône impérial. Leur « natio-
nalisme JI, exalté par la Weltpolitik, dépasse même facile-
ment la grandeur de leur dévouement envers Rome.
cc
Nous sommes Allemands avant d'être catholiques, 1)

disait récemment un étudiant. C'est ce que montre d'une


façon typique un curieux incident. A la fin d'août 1899, les
catholiques allemands ont tenu à Neisse, près de Breslau,
leur 46e congrès. Le premier jour, le buste du pape avait
été placé à la droite de la tribune présidentielle et celui de
l'empereur à la gauche. On vit là une incorrection grave et,
le lendemain, le premier bourgmestre lui-même vint resti-
tuer au buste de Guillaume II la place d'honneur.
Ce loyalisme ardent n'est point sans arrière-pensée. Il
dissimule des ambitions, aussi religieuses que politiques,
sur la portée desquelles il serait grave de se méprendre.
Les catholiques de l'empire allemand, comme tous les
partis, — ils en forment un en Allemagne,
— comprennent
plusieurs groupes, séparés par des nuances. Le plus
nom-
breux et le plus influent gravite autour d'un ami personnel
de Guillaume II, Mgr Kopp, prince évêque de Breslau. Le
raisonnement des catholiques, qui forment ses troupes,
peut se résumer ainsi : Dans l'empire allemand actuel, nous
sommes 17 millions 1/2 de catholiques contre 31 millions
de protestants; sur les 9 millions d'Allemands, sujets de
François-Joseph, 500,000 seulement sont évangélistes ; le
jour où l'Autriche serait incorporée à l'empire allemand,
nous serions 26 millions de catholiques contre 31 millions 1/2
de protestants. Non seulement alors nous leurs tiendrions
tête, mais nous formerions un État catholique compact au
centre de l'Europe, et finalement Rome serait amenée à
prendre son point d'appui en Allemagne au lieu de s'obs-
tiner à le conserver en France, dont le gouvernement lui est
hostile. Notre intérêt est donc d'être pangermanistes.
Jadis une telle façon d'envisager les choses eût été
sans valeur; mais aujourd'hui, étant données les circons-
tances nouvelles, il faut lui attribuer une importance consi-
dérable.
Le temps n'est plus où l'Allemagne, par crainte d'aug-
menter le nombre de ses sujets catholiques, n'aurait même
pas envisagé l'hypothèse de s'étendre en Autriche (1).
L'argument fut juste autrefois; il a cessé de l'être depuis
que toutes les conditions de la vie politique de l'Allemagne
sont radicalement changées; l'heure du Kulturkampf est
passée ; le prince de Bismarck a quitté le pouvoir ; Guil-
laume II s'est passionné pour la Weltpolitik, il cherche à
mettre l'influence de Rome au service de l'expansion com-
merciale de son empire en Orient et en Extrême-Orient ; à
Berlin, les avantages économiques priment désormais toutes
les considérations religieuses.

(1) Le prince de Bismarck... ne peut pas non plus souhaiter d 'ag-


« ...
-
introduisant
graver les difficultés religieuses de l'empire germanique, en y allemande
l'Autriche
un élément catholique aussi important que celui del 'Eui-ope 1887, 183. et
des territoires intermédiaires. » Sir Charles DILKE, en p.
Quantin, Paris, 1887.
Sans doute, le jour où son objectif sera atteint et la main-
mise réalisée, on verra Guillaume II protéger avec une fer-
veur nouvelle le luthérianisme, pierre angulaire du trône
de Prusse, mais ce moment est encore lointain. Ce qu'il im-
porte actuellement de constater, c'est l'opinion des catho-
liques allemands au sujet de la Grande-Allemagne ; or, on ne
saurait se faire d'illusions, la majorité d'entre eux souhaite
sa réalisation et y travaille.
Ces causes si diverses, psychologiques, politiques, écono-
miques, religieuses, agissant d'une façon concordante dans
les dernières années, ont favorisé puissamment le dévelop-
pement des idées pangermanistes.

II
COMMENT LES PANGERMANISTES JUSTIFIENT LEUR THÈSE

Les partisans de la Grande-Allemagne n'ont pas seule-


ment profité des circonstances favorables de la période
actuelle pour vivifier leur doctrine en la modernisant ; avec
cet esprit de méthode dont les Allemands savent tirer un si
merveilleux parti, ils ont tenté de créer des arguments à
l'appui de leur thèse préconçue.

§ 1. —Ils les exposent dans une littérature » comme on


Il
,
dit de l'autre côté du Rhin, qui s'est développée avec une
intensité progressive. Certains affirment qu'« on ne saurait
accorder beaucoup d'importance à ces élucubrations, pour
la plupart anonymes, qui ne tiennent compte ni des faits
ni même des probabilités (I) ».

(1) V. Beaumoht, Questions diplomatiques et coloniales, 1900, p. 530.


L'objection tirée du caractère anonyme de quelques
brochures ne semble pas pouvoir être pris en sérieuse con-
sidération. D'abord, des sociétés puissantes dont quelques-
unes comptent plus de 20,000 membres, comme l'Union pan-
germanique (voir page 68, note 1), patronnent la plupart de
ces publications non signées. Il faut remarquer en outre qu'en
général les publicistes extravagants, bien loin de cacher leur
personnalité, l'affichent au contraire avec ostentation. Aussi,
loin d'être une cause de discrédit, l'anonymat d'une série de
brochures pangermanistes révèle au contraire leur impor-
tance et constitue dans l'espèce comme une marque de
fabrique. Quiconque connait l'histoire de l'Allemagne sait
que le gouvernement de Berlin s'emploie volontiers à
orienter l'opinion préalablement aux événements au moyen
de brochures anonymes. On pourrait le prouver par des
exemples nombreux. Un seul, cité par un historien dont le
sérieux ne saurait être mis en doute, suffira.
En 1866, M. de Goltz, ambassadeur de Prusse à Paris,
fit « repandre une brochure anonyme dont l'auteur s'effor-
çait de démontrer combien l'alliance de la France et de la
Prusse serait avantageuse pour les deux pays (1) ".
Enfin l'argument qui consiste à dire qu'on ne saurait
accorder beaucoup d'importance aux idées politiques des
auteurs pangermanistes, parce qu'ils développent des plans
d'une grandeur insensée, ne vaut pas davantage. Toutes les
crises de transformation de l'Allemagne ont été précédées
d'une agitation littéraire, pendant laquelle des projets en
apparence irréalisables et même fous étaient livrés à l'opi-
nion (2). L'histoire a démontré qu'ils contenaient cependant
toujours une forte part de vérité.
(1) DEBlDouR, Histoire diplomatique de l'Europe, t. II, p. 291. Alcan,
Paris, 1891.
(2) Dès 1848, l'érudition complaisante des Allemands étendait démesuré-
ment les limites de la patrie germanique. « Ils nous regardaient toujours
comme des ennemis et nous reprochaient plus aigrement que jamais d'avoir
acquis l'Alsace et la Lorraine... , DEBlDouR, op. cit" t. II, p. 11.
Il faut donc connaître, même dans ce qu'elles ont
d'excessif, les publications pangermanistes. Elles témoignent
avec une force singulière du réalisme politique des nouvelles
générations allemandes. Leur nombre croissant prouve leur
succès, et, ce qui est plus grave, la plupart des idées qu'elles
préconisent sont déjà entrées dans la voie de la réalisation
pratique (1). Cette littérature » est souvent prolixe et obs-
H

cure, mais on y trouve parfois des passages qui condensent en


quelques lignes très claires ce qui est développé ailleurs en
des pages interminables. Je me suis attaché à découvrir ces
passages essentiels, et je vais les faire connaître en les grou-
pant dans l'ordre indiqué par la nature des arguments pan-
germanistes.
Une traduction peut facilement ne pas marquer les
nuances d'expression qui font parfois toute l'importance
d'une pensée : afin d'en faciliter le contrôle, j'ai tenu à
donner en note, pour les plus importantes de ces cita-
tions, le texte allemand, outre la référence bibliographique.
On trouvera ainsi reproduits de nombreux passages de Paul
de Lagarde (2). Leur date n'est pas récente, mais leur impor-
tance est exceptionnelle. Paul de Lagarde, orientaliste
éminent et théologien faisant autorité, s'est aussi passionné
pour la politique générale. Il a publié sur l'avenir de l'Alle-
irngne des études qui, en leur temps, ont eu un vif succès (3).
Relues maintenant, elle font apparaître Paul de Lagarde
comme le précurseur autorisé du mouvement pangerma-
niste actuel. Les meneurs d'aujourd'hui n'ont fait que s'assi-
miler ses idées ; ils les reproduisent avec des nuances à peine

(1) V. les chapitres iil et v.


(2) Paul-Antoine de Lagarde naquit à Berlin le 2 décembre 1827. Il suc-
céda au professeur Ewald en 1869 dans sa chaire des langues sémitiques à
l'Université de Gottingen. Comme théologien, il est connu surtout par ses
ouvrages sur l'histoire ecclésiastique primitive et l'ancien droit canonique.
(3) Ces études ont été réunies dans un volume de 420 rafles sous le titre
de Deutsche Schriften. La troisième édition a paru en 1892 chez Dieterich,
à Gottingen.
sensibles, sans avoir toujours la notoriété de leur auteur. J'ai
donc cru préférable, toutes les fois que cela m'a été possible,
de remonter à la source, en négligeant les répétitions plus
modernes des mêmes conceptions, ce qui ne m'a pas
empêché d'ailleurs de puiser souvent dans les plus récentes
et les plus typiques des publications pangermanistes (1).

§ 2. — Les arguments produits en faveur du Panger-


manisme, réduits à leurs éléments essentiels, peuvent se
grouper autour de trois idées : le Pangermanisme est d'une
réalisation possible; son application procurerait des avan-
tages importants à tous les pays germains ; il constitue,
pour l'empire allemand, une opération excellente et néces-
saire.
Le Pangermanisme est économiquement possible, assure-
t-on.
Il restituerait à l'Allemagne le cours entier du Danube et
du Rhin, la Hollande et la Belgique, jadis principaux fac-
teurs de la prospérité du vieil empire germanique (2). Les
grands travaux exécutés en Europe préparent de la façon la
plus heureuse la jonction des bassins du Danube, de l'Oder,
de l'Elbe et du Rhin (3). Les gens d'affaires suivent leur dé-
veloppement avec intérêt. Le Sénat de Hambourg préconise
hautement le canal de l'Elbe au Danube, et une société
allemande - austro-hongroise s'est constituée pour faire
adopter l'idée d'un canal de l'Oder au Danube (4). L'assen-
timent des commerçants et des industriels à l'extension du t
Zollverein n'est point douteux.
Politiquement, la réalisation du Pangermanisme est éga-
(1) Elles ont été spécialement nombreuses en 1895 et en 1897.
(2) V. G. WALDERSEE, Was Deustchland bl'aucht! p. 6. Thormann,
Berlin, 1895.
(3) V. D' HASSE, Deutsche Weltpolitik, p. 9. Lehmann, Munich, 1897.
(4) Ces canaux mettraient en rapports fluviaux directs Hambourg et les
usines de Silésie avec l'orient. Leur tracé est indiqué sur la carte "1' utriche
vraie » placée à la fin du volume. V. aussi p. 179 et 208.
lement admissible. La situation intérieure de l'Allemagne
n'est pas un obstacle, elle constitue, au contraire, un élé-
ment de succès, car elle fait comprendre au peuple alle-
mand l'étroitesse de ses frontières actuelles (1). Sans doute,
une politique continentale d'expansion a ses dangers, mais
a-t-on jamais atteint aisément un but élevé? Les hommes
d'État aux affaires doivent le reconnaître; dans cette occur-
rence, le péril serait moindre que celui qu'il fallut courir,
lors de l'acquisition de la Silésie ou dans les années 1806,
1864 et 1866. C'est aux diplomates à atténuer ou même
à conjurer les dangers extérieurs susceptibles de se pro-
duire (2). Les événements de 1870, surtout, constituent un
encouragement. Le Pangermanisme ne paraît-il pas plus
facile à réaliser que ne le fut, pour le prince de Bismarck,
l'union des « tribus » du centre (3)? Ce que le grand Fré-
déric et le prince de Bismarck ont pu faire, leurs successeurs
doivent pouvoir le faire à leur tour. La Prusse a toujours été
entourée de dangers; si elle renonçait maintenant à son
initiative propre par crainte de complications, cela équivau-
drait pour elle à désespérer de l'avenir (4). Certes, il y a des
obstacles, mais ils ne sont pas insurmontables. Plus la
mission d'un peuple est pénible à remplir et plus brillante
est sa gloire (5). Un grand peuple ne peut se maintenir
alerte et vivant qu'en cherchant toujours à s'étendre (6).
Quand Bismarck, dans ses Souvenirs, prêche la paix cons-
tamment et conseille à l'Allemagne de mépriser les provo-
cations, il encourage nos voisins et bons amis à l'imperti-
(1) V G. WALDERSEE, Was Deustchland braucht, p. 7. Thormann, Berlin,
.
1895.
(2) Idem.
(3) V. F. BLET, Die Weltstellung des Deutschtums, p. 39 et 40. Leh-
mann, Munich, 1897.
(4) \ .
G. WALDERSEE, Was Deutscltlalld braucht, p. 9. Thormann, Berlin,
18Y5.
(5) V. Paul Dz LAGARDE, Deutsche Schriften, p. 110. Gottingen, 1892.
(6) Deutlcltlalld bei Beginn des 20. Jahrhunderts, p. 41. Militâr Verlag.
R. Félix, Berlin, 1900,
nence (1). Non, dans ce cas, Bismarck n'a pas rendu service
à son pays (2).
Il n'est pas impossible d'ailleurs d'écarter par des arran-
gements diplomatiques les solutions violentes, mais il faut
se hâter. La situation actuelle de VAutriche-Hongrie ne sau-
rait se maintenir longtemps ainsi (3).
Si la diplomatie manœuvre convenablement, l'Angleterre
est la moins redoutable. Sa conduite sera subordonnée à
celle des autres puissances, et elle s'inclinera devant la
force des choses parce que i( power that is » (4). Les
Français ne viennent pas en considération (5). Ils sont en
pleine décadence. On leur cédera la partie française de la
Belgique et ils consentiront à l'extension allemande en
Autriche. L'accroissement de puissance qu'on aura permis
à la France sera compensé par une étroite union de la
Hollande et de l'Allemagne.
Le système des compensations peut s'appliquer aussi avec
les Russes. Il vaut mieux s'entendre avec eux qu'avoir à
leur faire la guerre ; non seulement l'opération présente
des risques, mais on ne peut pas trouver d'argent chez
eux (6). Il est permis de croire que l'offre des Indes et peut-
être de Constantinople les rendrait sourds aux propositions
résultant de l'alliance française. La présence des Russes à
Constantinople sera sans danger, du jour où les Balkans
seront soumis à la puissance allemande (7).

(1) Deutschland bei Beginn des 20. Jahrhunderts, p. 41.


(2) Idem.
l3Î " Die heutige Stellung Oe?' 'ITPich Ungarns ist auf die Dauer
unhaltbar «. G. WALDERSEE, Was eutschland braucht, p. 10. Thormann,
Berlin, 1895.
(4) Op cit., p. 12.
(5) " Die Franzosen kommen nicht in Betracht ». Dr HASSE, Die
deutsche Oslmark, p. 4. Priber, Berlin, 1894.
(6) « Geld ist in Rnssland auch nicht zu holen... » Gross Deutschland.
p. 22. Deutschvolkischer Verlag « Odin M, Munich, 1900.
(7) V. G. WALDEBSEE, Was Deutschland braucht, p. 11. Thormannr
Berlin, 1895.
L'es temps présents sont extraordinairement favorables à
l'action : la Russie, orientée vers l'Asie, s'entend volontiers
avec l'Allemagne ; la France, depuis Fachoda, répugne de
moins en moins à un accord avec Berlin; en proie à des
luttes intestines sans précédent, elle détruit elle-même sa
puissance militaire; le gouvernement de Berlin est donc
maître de la situation. A lui d'en tirer parti.
Les peuples touchés par l'application du Pangermanisme
résisteront moins qu'on ne le pense, car leur intérêt est de
s'absorber dans la grande patrie allemande pour faire face
aux difficultés de la lutte économique. Chacun d'entre eux
n'a-t-il pas, en outre, des raisons particulières d'admettre le
Pangermanisme? La situation militaire de la Suisse est
intenable et sa neutralité n'est qu'une fiction (1). En consti-
tuant un vaste camp retranché, qui permettrait aux troupes
allemandes de contribuer à la défense du mont Blanc, du
Saint-Bernard, du mont Rose, du Simplon et ..lu Gothard,
l'empire allemand assurerait à la Suisse une complète sécu-
rité (2). Ce n'est donc point l'Allemagne qui a besoin de
la Suisse, mais la Suisse qui a besoin de la protection de
l'empire allemand (3). La situation de la Hollande est ana-
logue. Seule ;ne étroite alliance avec le peuple allemand
peut lui assurer le retour de son ancienne prospérité (4).
N'appartient-elle pas d'ailleurs à l'Allemagne au même titre
que la Bretagne et la Normandie à la France (5)? Quant à
la Belgique, aucun pays d'Europe n'est plus menacé (6). La
réunion de la partie flamande est inévitable. Pour le grand-
duché de Luxembourg, la question ne se pose pas de la
même manière. Il jouit déjà des avantages du Zollverein;

(1) V. Grossdeuts< -hlaîzd und Milteleuropa. um das Jahr 1950, p. 17.


Thormann, Berlin, 1895.
(2) Idem.
(3) Idem.
(4) Op. cit., p. 12.
(5) >p. cit., p. 11.
^

(6) Op. cit., p. 14.


sa capitale n'a plus qu'à devenir une forteresse impériale
allemande (1).
De tous les pays germains, l'Autriche serait le plus favo-
risé. Le principe des nationalités, donné par Napoléon III
comme fondement exclusif de la formation des États, est
devenu pour la Cisleithanie un danger (2). Le Pangerma-
nisme l'en délivrera en rendant service aux deux pays (3).
La Prusse n'a point un corps assez grand pour son âme, et
l'Autriche n'a pas d'âme pour son vaste corps (4) ; l'Alle-
magne a trop de princes et l'Autriche a trop de peuples (5);
l'Autriche a besoin de nos colons et l'Allemagne a besoin
de l'Autriche pour ses colons (6). La politique de cet État
doit donc consister à attirer les émigrants allemands et à
les répartir en colonies compactes sur les frontières les plus
reculées (7). Être une colonie de l'Allemagne est sa seule
mission (8). Ainsi, l'Autriche servira ses véritables intérêts.
Elle a besoin d'une race dominante, seuls les Allemands
savent y dominer (9).
Il n'y a pas à tenir compte des autres populations. Les
Magyars et les Tchèques sont un fardeau pour l'histoire (10).
Sans valeur politique, — politisch werlhlos, — ils consti-
tuent simplement un amalgame utilisable pour les nouvelles
(1) le... deutsche Reichsfestung. » Op. cit., p. 15.
j
(2) V. Dr SEEP, Deutschland einst Uild etzt, p. 21. Lehmann, Munich,
1896.
(3) V.Paul DE LAGARDE, Deutsche Schriften, p. 32. Dieterich, Gottingen,
1892.
(4) le
Preussen hat fur seine Seele keinen ausreichenden Leib, Oester-
reich fur einen sehr geniigenden Leib keine Seele. » Op. cit., p. 35.
(5) « Deutschland... hat zu viel Fiirsten, Oesterreich zu viel Volker... »
Op. cit., p. 32.
(6) le
Oesterreich braucht unsere Kolonisten, und Deutschland braucht
Oesterreich fur seine Kolonisten. » Op. cit., p. 113.
(7) Op. cit., p. 112.
(8) «Esgibt keine andere .<\ufgabe fur Oesterreich ais die, der Koloni-
estaat Deutschlands zu verden. » Op. cit., p. 111.
(9) « Oesterreich bedarf einer herrschenden Rasse, und herrschen
konnen in Oesterreich nur die Deutschen. » Op. cit., p. 397.
(10) « eine Last fur die Geschichte. » Op. cit., p. 27.
...
formations allemandes (1). En assurant inébranlablement
la suprématie allemande en Autriche, le Pangermanisme
rendra impossibles les luttes nationales.
Les avantages que trouverait à son propre point de vue
l'empire allemand à une extension continentale sont plus
décisifs encore. Le Zollverein (2) serait étendu à l'Autriche,
à la Hongrie, à la Bosnie, à l'Herzégovine, à la Belgique, à
la Hollande et peut-être à la Suisse et à la Roumanie. De
542,000 kilomètres carrés, la superficie du territoire doua-
nier passerait à 1,322,000 kilomètres carrés, et de 52 mil-
lions, le nombre des consommateurs s'élèverait à 108 mil-
lions. Avec l'Allemagne pour centre, le nouveau Zollverein
régirait les bassins du Danube, du Rhin, de l'Elbe et de
l'Oder. Il dominerait la mer du Nord, la Baltique, l'Adria-
tique et la mer Noire. L'accord des États de l'Europe cen-
trale s'étendrait à toutes les manifestations de la vie écono.
mique : chemins de fer, postes, télégraphes, canaux... Des
câbles sous-marins, posés à frais communs, assureraient
l'indépendance; une marine de guerre commune garantirait
le respect des droits de tous.
Les colonies des États confédérés s'ajouteraient aux
colonies actuelles de l'empire allemand et constitueraient
un territoire économique d'expansion extérieure. Il serait
encore insuffisant pour absorber les 10,562 millions de
marks d'exportations annuelles que font actuellement les
États appelés à former le futur Zollverein; on l'étendrait
par des acquisitions en Chine et en Asie Mineure (3).
Les avantages politiques seraienttoutaussi considérables.
Le rattachement de l'Autriche à l'Allemagne mettrait un
obstacle décisif aux progrès du « Slavisme » Cette solu-
.

(1) Op. cit., p. 111.


(2) De tous les auteurs pangermanistes, le Dr Hasse expose le mieux ce
que serait le futur Zollverein. Les données qui suivent sont tirées de sa
brochure Deutsche Weltpolitik. Lehmann, Munich, 1897.
(3) Il importe de remarquer que la politique allemande
en Chine et en
Asie Mineure travaille exactement dans ce sens.
tion ne comporte pas les dangers qu'on pourrait supposer.
En opérant la fusion des armées et des flottes allemandes
et autrichiennes, l'extension procurerait les moyens de faire
face aux dangers qu'elle susciterait. Pola deviendrait un
grand port de guerre pour la formidable marine germanique
et l'armée allemande obtiendrait cette puissance inouïe que
procure l'énormité des effectifs (1). Ainsi étroitement ratta-
chée à l'empire allemand, l'Autriche deviendrait son avant-
garde et son mandataire (2). Soumis à sa domination, les
États des Balkans seraient indirectement placés sous l'égide
de l'empire allemand (3), qui se trouverait alors en bonne
situation pour recevoir une large part des dépouilles de la
Turquie.
Armé de tels éléments de puissance, le gouvernement de
Berlin assurerait » la paix à l'Europe, sans cependant
c(

peser trop lourdement sur les États confédérés ; mais, qu'on


ne s'y trompe pas, seule une Allemagne s'étendant de l'Ems
aux embouchures du Danube, de Memel à Trieste, de Melz
aux rives du Bug, peut remplir cette mission, car seule
une telle Allemagne pourrait se nourrir et avec son armée
permanente vaincre la Russie ou la France, ou battre même
leurs forces réunies avec l'appui de ses réserves (4). Loin
d'être ébranlée, l'unité de l'empire reposerait sur une
assise plus solide qu'actuellement (5). Le jour où le peuple

(1) V. Dr HASSE, Die Deutsche Ostmark, p. 4. Priber, Berlin, 1894.


(2) « ...Vorhut und Mandatar des Deutschen Reiches... Il V. G. WAL-
DERSEE, Was Deutschland braucht, p. 13. Thormann, Berlin, 1895.
(3) Idem.
(4) " Den Frieden in Europa ohne dauernde Belastigung seiner Anffeho-
rigen zu erzwingeri, ist nur ein Deutschland im Stande, das von der hms
zur Donaumiindung, von Memel bis Triest, von. Vletz bis etwa zuin Hug
reicht, weil nur ein solches Deutschland sich ernahren, nur ein solch' s mit
seinem stehendrn Heere sowohl Frankreich als Russland, und mit seinem
Heere und dessen erstem Ersatze das mit Frankreich verbiindete Russland
niederschlagen kann. Il Paul DE LAGARDE, Deutsche Schriften, p. 113 et 114.
Dieterich, Gottingen, 1892.
(5;) V. G. WALDERSEE, Was Deutschland braucht, p. 10. Thormann,
Berlin, 1895.
allemand aurait le champ libre entre la mer du Nord et la
mer Noire, avec un horizon largement ouvert sur l'Orient,
le spectre du socialisme s'évanouirait de lui-même (1).
Il est enfin un argument décisif à tous les points de vue :
l'extension en Autriche apparaît comme une nécessité iné-
luctable pour l'empire allemand.
Le peuple allemand a la mission historique de faire
reculer le flot du nationalisme russo-slave. Toute idée
d'abandon des Allemands habitant des deux côtés de la
Leitha doit être considérée comme une infamie (2). L'Au-
triche actuelle ne peut consentir aux Allemands un modus
vivendi qui soit à peu près acceptable (3). La Prusse n'a-
t-elle point d'ailleurs à suivre sa politique traditionnelle :
empêcher les Habsbourg de faire de leur empire un État
slave? C'est une question vitale pour l'empire allemand (4).
Oui, sa sécurité l'exige; il a besoin d'être assuré qu'en
aucun cas, derrière ses frontières du sud, ne se trouvera
un État ennemi. Il doit s'opposer à la création en Cis-
leithanie d'un empire slave, pouvant faire cause commune
contre lui avec la Russie, la France et le Danemark (5).
CI
Jusqu'ici, l'alliance avec l'Autriche y a suffi, mais son
caractère a changé et notre diplomatie ne peut plus se dissi-
muler la valeur nulle de cette union (6). » Or, le « germa-
(1) Op. cit., p. 15.
(2) « Es muss sich des Aufgebens der in den beiden Leithanien wohn-
haften Deutschen als einer Ehrlosigkeit schamen. » Paul DE LAGARDE,
Deutsche Schriften, p. 397. Dieterich, Gottingen, 1892.
(3) « Das heutige Oesterreich kann auf gar keinen modus vivendi der
Deutschen mehr eingehen, der fur letztere nur halbwegs annehmbar
ware. » Oesterreich als Einheitsstaat, p. 9. Dentschvolkischer Verlag
«
Odin ", Munich, 1900.
... eine stattliche Lebensfrage flir das Deutsche Reich, Die Deutsche
(4) «
Politik der Zukunft », p. 8. Deutschvolkischer Verlag « Odin » Munich,
,
1900.
(5) « dass nicht vor seiner Thiïre ein slavisches Reich entstphe, das
...
mit dem andern slavischen Reiche im Üsten, und mit Frankreich und Dane-
mark gegen Deutschland gemeinschaftliche Sache machen konnte. » Paul
DE LACARDE, Deutsche Schriften, p.3 7. Dieterich, Gottingen, 1892.
(6) V. la note 1, p. 33.
nisme dans les Alpes, les Carpathes, sur le Danube et sur
»
l'Elbe constitue une fraction inviolable de notre nationalité.
Nous devons la sauver (1). Les souverains autrichiens re-
.

noncent à ce devoir sacré. Tous les moyens sont donc


permis. Contre la politique de violence des Habsbourg, il
n'y a qu'un remède, la politique de violence pangerma-
niste (2). Nos intérêts les plus certains nous poussent.
Même si les Tchèques n'étaient pas naturellement les
ennemis implacables et les agresseurs de l'empire alle-
mand, nous devrions cependant nous efforcer d'acquérir à
nouveau l'Autriche pour cette simple raison que l'Autriche
nous sépare de l'Adriatique (3). L'empire allemand doit
conquérir l'Autriche allemande (4), car le peuple allemand
ne peut pas se détourner de la mer Adriatique sans perdre
ses droits à la situation de grande puissance (5). Ne nous
laissons pas leurrer par les apparences; en fait, nous avons
abandonné depuis longtemps la politique pacifique et nous
sommes passés à la politique d'attaque. Notre force indus-
trielle et commerciale et notre faiblesse agricole en sont les
causes (6). L'industrie allemande s'est développée si rapide-
(1) Das Deutschtum in den Alpen, Karpathen, an der Donau und Elbe
c<

ist ein unverletzbares Glied unseres Volkstums, das wir retten mnssen... »
K. PROLL, Die Kàmpfe der Deutschen in Oesterreich, p. 11. Lustenoder,
Berlin, 1890.
(2) c<
Gegen die Habsburgische Gewaltpolitik gibt es also nur ein Gegen-
mittel, nâmlich Grossdeutsche Gewaltpolitik. Die Deutsche Politik der
Zukunft, » p. 9. Deutschvolkischer Verlag Odin », Munich, 1900.
C<

(3) « Aber selbst wenn die Tschechen nicht ihrer Natur nach Todfeinde
und Angreifer des Deutschen Reiches waren, miissten wir trotzdem eine
'%Viedererwerbung Deutschosterreichs erstreben aus dem einfachen Grunde,
weil uns Oesterreich von der Adria trennt. Die Deutsche Politik der
C<

,
Zukunft, » p. 9. Deutschvolkischer Verlag « Odin , Munich, 1900.
(4) "... das Deutsche Reich muss Deutschossterreich erobern... " op.
cit., p. 12.
(5) « Das Deutsche Volk kannsich nicht vom adriatischen Meereabdriin-
gen lassen, ohne iiberhaupt seinen Anspruch auf die Stellung einer Gross-
macht verloren zu geben. » Gross-Deutschland, Deutschvolkischer Verlag
p. 10. « Odin », Munich, 1900.
(6) V. Dr MEHRMANN, Deutsche Welt-und Wirtschafts-Politik, p. 56.
Deutschvolkischcr Verlag « Odin», Munich, 1900.
ment, elle a atteint un degré tel que tout le monde recon-
naît l'impuissance du marché indigène à absorber la pro-
duction (1). Sans doute, le courant de l'émigration allemande
se dirige vers le sud-ouest, mais la porte n'est pas suffisam- ~

ment ouverte (2). Un véritable peuple a le droit de créer


avec sa bonne épée l'espace qui manque à ceux de ses
enfants qui ne peuvent plus vivre sur son territoire (3).
L'Allemagne se trouve donc en présence de nécessités
inéluctables qui rendent inutile toute considération senti-
mentale.
Les frontières des États ne sont point fixées pour l'éter-
nité (4).
Pourquoi se préoccuperait-on des Autrichiens non Alle-
mands? Bismarck n'a-t-il pas dit que les races étaient mâles
et femelles? Tous ces Slaves et surtout les Tchèques nous
haïssent du fond du cœur. Ils savent que notre vie est leur
mort (5). Celui qui ne veut pas être chassé doit savoir
expulser (6). C'est ce que nous ferions, une fois maîtres de
l'Autriche. Nous inviterions alors à revenir dans leur pays
les Allemands qui habitent en dehors de nos frontières, en
Hongrie, en Transylvanie, dans l'Amérique du Nord, dans
l'intérieur de la Russie, dans les provinces baltiques, — en
supposant toutefois que nous n'annexions pas ces dernières.
Voilà quelle devrait être notre politique nationale, notre

(1) V. G. WALDERSEE, Was Deutsch/and braucht, p. 5. Berlin, Thor-


mann, 1895.
(2) V. Dr K. MEHHMANN, Deutsche Welt-und Wirtschafts-Politik, p. 60.
Deutschvolkischer Verlag c Odin » Munich, 1900.
,
(3) Die Deutsche Politik der Zukunft, p. 4. Deutschvolkischer Verlag
« Odin » , Munich,
1900.
(4) « Aut'h die Grenzen der Staaten sind nicht flir die Ewigkeit abgesteckt.
Grossrlelllscltland und l11itteleul'opa um das Jahr 1950 » p. 5. Thormann, JI
,
Berlin, 1895.
(5) Il Sie aile hassen uns, weil sie wissen, dass unser Leben ihr Tod ist... JI
Paul DE LAGARDE, Deutsche Schriften, p. 395. Dieterich, Gottingen, 1892.
(6) " Wer nicht vertrieben sein will, muss vertreiben. JI Cité dans
Grossdeutschland und Mitteleuropa um das Jaltr 1950, p. 29. Thormann,
Berlin, 1895.
réponse à cette haine de l'Allemand, qui s'étale partout si
effrontément depuis que, dans nos modestes frontières, nous
nous sommes comportés comme un peuple arrivé à sa ma-
jorité. Notre peuple a toléré l'incendie du Palatinat; il s'est
vu créer mille difficultés par les Tchèques depuis Jean
Huss; tous les Slaves, Russes ou Polonais le détestent et le
persécutent. Un tel peuple n'a-t-il pas le droit, de par Dieu,
d'en venir à l'emploi de procédés radicaux, mais plus hu-
mains encore que ceux employés lors de la guerre de Trente
ans et pendant les campagnes de Napoléon 1er (1).
Quelles qu'elles soient, les éventualités belliqueuses ne
sont pas à redouter; l'empire allemand peut se reposer en
toute confiance sur son armée (2). N'hésitons donc pas :
autant que le permettent les suppositions humaines, non
seulement les forces dont nous disposons font espérer le
succès, mais encore elles le garantissent (3).

§ 3.
— L'aveu brutal d'ambitions aussi désordonnées dé-
concerte tout d'abord, et l'on se demande si elles ne sont
pas simplement provoquées par quelque cas de mégalo-
manie maladive. L'état d'esprit que manifeste depuis peu
le public allemand fait malheureusement écarter cette
hypothèse (4). Il établit qu'il faut au contraire attacher
de l'importance même aux manifestations pangermanistes
les plus extravagantes, puisqu'on les accueille outre-Rhin
comme des projets tout naturels.
Les arguments employés par les Pangermanistes pour
démontrer les caractères pratiques et nécessaires de leur

(1) Deutschland bei Beginn des 20. Jahrhunderts, p. 213. MiliÜir-Ver-


lag R. FÉLIX, Berlin, 1900.
(2) « kann das Reich sich mit vollem Vertrauen auf das Heer stiitzen
...
80weit kriegerische Eventualitàten iiberhaupt in Betracht zu ziehen sind... »
G. WALDKRSËE, Was Deutschland braucht, p. 6. Thormann, Berlin, 1895.
(3) V. G. WALDERSEE, Was Deutschland braucht, p. 14. Thormann,
Berlin, 1895.
(4) V. le chap. v.
théorie rie sont trop évidemment que de simples affirmations
pour qu'on leur consacre une longue réfutation.
Sans doute, les avantages que l'empire allemand trouve-
rait à une extension continentale apparaissent fort claire-
ment, mais on ne saisit point du tout ceux des pays dits
CI
germains » à s'absorber dans la Grande-Allemagne. La
Suisse tient jalousement à son indépendance et a les
moyens de la faire respecter. Rien ne la menace du côté de
la France, qui ne songe nullement à annexer Lausanne et
Genève, pas plus que la Belgique. Au point de vue écono-
mique, la Suisse, la Belgique et la Hollande sont dans un
véritable état de prospérité. Grâce à leur situation de puis-
sances secondaires et neutres, seules en Europe, elles
n'ont à supporter que des impôts relativement légers. Où
sont donc les intérêts assez considérables pour leur faire
prendre volontairement une part des charges militaires qui
pèsent si lourdement sur les sujets de Guillaume II?
Pour l'Autriche, la thèse est plus insoutenable encore.
Comment admettre que son rattachement à l'empire alle-
mand puisse mettre fin à ses luttes nationales? Dans l'hypo-
thèse la plus favorable, à moins de procéder par extermi-
nation, le gouvernement de Berlin aurait toujours à réduire
6 millions de Tchèques et 1,350,000 Slovènes. Depuis un
siècle, la Prusse n'est point parvenue à germaniser ses trois
millions de Polonais; on est donc fondé à croire qu'elle
éprouverait un échec plus grand encore avec les Slaves
d'Autriche, dont les dernières années ont prouvé la valeur
politique.
C'est enfin une erreur fondamentale que de présenter
l'extension du Zollverein comme le seul moyen d'assurer
l'avenir économique de l'empire allemand. Certes, il lui
faut sans tarder des débouchés nouveaux et vastes, mais
une entente loyale avec la Russie et la France ne les lui
procurerait-elle pas avec moins de risques qu'une extension
continentale?
Quant au cynisme avec lequel les Pangermanistes trai-
tent les droits nationaux des Slaves d'Autriche, il n'est
assurément pas en contradiction avec les précédents de la
politique prussienne, mais il surprendra péniblement les ad-
mirateurs superficiels de la civilisation allemande (deutsche
Kultur). L'Allemagne de 1830 a vécu. Le temps n'est plus
où Schopenhauer pouvait reprocher à ses compatriotes de
chercher dans les nuages ce qu'ils avaient à leurs pieds.
Seul aujourd'hui triomphe le réalisme brutal de la conquête.

III
LE PLAN PANGERMANISTE

Partant de cette idée que le moment est venu d'établir


«
la solidarité pangermanique (1) Il, de fonder «l'union éter-
nelle de la nation allemande (2) » d'assurer et d'étendre le
,
domaine du commerce, de l'industrie et de l'émigra-
tion (3) )), les Pangermanistes considèrent « la création de
la Grande-Allemagne comme devant être l'objet des plus
prochaines années (4) ». Avec une minutieuse prévoyance,
ils ont dressé le programme des opérations politiques né-
cessaires pour constituer « au centre de l'Europe un em-
pire allemand de soixante-douze millions de têtes (5) » et
(i) K. PROLL, Die Kàmpfe der
... die alldeutsche Solidaritat...
« »
Deutschen in Oesterreich, p. 96. Lustenoder, Berlin, 1890.
(2) « Ein ewiger Bund der deutschen Nation » . Idem.
!

(3) Sicherunft und Erweiterung des Absatzgebietesfur Industrie, Handel


cc

und Auswanderung, das ist das Ziel. " DrK. MEHRMANN, Deutsche Welt-und
,
Wirtschafts-Politik, p. 57. Deutschvolkischer Verlag " Odin » Munich,
1900.
(4) "Gross Deutschland wird das Ziel und die Arbeit des nachsten Jahre
sein ,. Gross-Deutschland, p, 23. Deutschvolkischer Verlag " Odin »,
Munich, 1900.
(5) « Das neue Jahrhundert wird in Mitteleuropa ein Deutsches Reich
von 72, 5 Mill. Volksgenossen entstehen sehen. » Op. cit., p. 4.
pour réaliser l'extension de l'Allemagne jusqu à l'Adria-
tique (I).
§ 1. La littérature pangermaniste comprend plu-
— CI »
sieurs programmes de ce genre. Le fond en est identique,
seuls les détails et la forme varient.
La brochure intitulée la Pangermanie et L'Europe centrale
en 1950 (2) est le type du genre. Son auteur anonyme est un
membre de l'Union pangermanique qui ensuite a fait siennes
les idées exprimées. Pour cette raison, je donne l'analyse
de cette brochure, de préférence aux autres similaires.
Destiné à conquérir les classes moyennes, le « pro-
gramme » pangermaniste est parsemé à dessein de tout ce
qui peut séduire les esprits, en flattant les passions contre
la France, l'Angleterre et la Russie.
«
L'empire allemand, dit l'auteur anonyme, est incom-
plet (3). En dehors des frontières impériales, on compte vingt
et un millions d'Allemands : deux en Suisse, dix en Autriche-
Hongrie, un en Russie et huit millions de Bas-Allemands
en Belgique et en Hollande. Le problème consiste à établir
une identité complète entre le territoire linguistique et le
territoire politique; alors seulement l'Allemagne atteindra
ses frontières naturelles. Quelles sont-elles? Le canal de la
mer du Nord à la Baltique est achevé ; l'Allemagne n'a plus
besoin de s'étendre dans la presqu'île du Jutland (4), les
Danois n'ont donc rien à craindre. A l'ouest, la frontière
suit le pays flamand, les Ardennes, la forêt des Vosges et la
crête du Jura jusqu'au mont Blanc. Au sud-ouest, le mont
Rose, le Simplon, le Gothard, le Splugen, le Septimer, la
(1) Das Ziel muss die staatliche Zusammenfassungdes mitteleuropàischen
«
deutschen Sprachgebietes sein und die Gewinnung des Zugangs zum Adria-
tischen Meere. » Op. cit., p. 5.
(2) « G;-ossdeutschlaizd und Mitteleuropa um das Jahr 1950, von einem
Alldeutschen. » Thormann, Berlin, 1895.
(3) Passim.
Maloya, la Bernina, le Stilfser Joch, l'Ortler, l'Adamello, la
Brenta et la chaîne des Dolomites séparent l'Allemagne de
l'Italie. Au sud et à l'est, la nature n'a pas marqué les fron-
tières, mais depuis des siècles la langue allemande progresse
vers la mer; on est donc autorisé à conclure que ce mouve-
ment d'expansion continuera dans l'avenir. Jusqu'où? Qui
peut le dire (1)? Sans doute, ces territoires ne peuvent
être acquis que successivement. Pour le moment, il faut
concentrer tous les efforts sur l'Autriche et la rattacher à
l'empire allemand — quand bien même une répétition des
événements de 1866 serait nécessaire (2). Les circonstances
sont propices : la dissolution de l'empire des Habsbourg
est imminente; elle se produira dès que le souverain actuel
aura fermé les yeux (3). La force réduira les populations
slaves. Un morcellement habile de l'empire des Habsbourg
facilitera la domination allemande. La Russie recevra la
Galicie et la Bukovine. La Roumanie s'accroîtra aux dépens
de la Hongrie. La Croatie, la Slavonie, la Dalmatie, le
Monténégro, la Bosnie, l'Herzégovine, formeront, avec la
Serbie, un royaume dépendant de l'Autriche par une union
personnelle, et l'Autriche elle-même sera étroitement liée à
l'empire allemand. Pour avoir la route libre jusqu'à Trieste,
possession indispensable à la Grande-Allemagne, il ne res-
tera plus à réduire que les Tchèques et les Slovènes.
r Ces opérations forment la première partie du programme
pangermaniste; la seconde partie consistera à mettre en
pratique les conseils de Roscher et de Rodbertus sur la colo-
nisation allemande en Asie Mineure. Toutes les puissances
prévoient le démembrement de la Turquie; l'Allemagne
doit s'arranger pour en avoir une forte part.
(1) Bis wohin? Wer kann sagen? Grossdeutsch/alld und Mitteleuropcium
CI

das Jahr 1950. » Thormann, Berlin, 1895.


(2) CI... wenn auch als letztes Heilmittel eine Widerholung der Erei-
gnisse von 1866 in Betracht gezogen werden muss. » Op. cit., p. 10.
(3) CI
Seine Auflosung steht bevor, sobald der jetzige Herrscher die Augen
ceschiossen haben wird ! » Idem.
(1
La guerre inévitable entre 1 Allemagne et la Russie ter-
minera cette œuvre. Si elle est heureuse, l'Allemagne
annexera les provinces baltiques, l'Esthonie, la Livonie et
la Courlande. Elle formera un État polonais et un royaume
ruthène destinés à recevoir les Juifs et les Slaves qui émi-
greront du grand empire allemand (1).
Il
Finalement, deux groupes territoriaux seront constitués
en Europe centrale; l'un politique ou confédération germa-
nique comprendra l'empire allemand actuel, le Luxem-
bourg, la Hollande, la Belgique, la Suisse allemande et
l'Autriche-Hongrie; l'autre sera un immense Zollverein ;
outre la confédération germanique, il embrassera les prin-
cipautés baltiques, le royaume de Pologne, le pays ru-
thène, la Roumanie et la Serbie agrandie (2).
«
La Pangermanie abritera alors 86 millions d'hommes
et le territoire économique soumis à son action commerciale
directe et exclusive sera habité par 131 millions de consom-
mateurs.
Il
Sans doute, des Allemands ne peupleront pas seuls le
nouvel empire allemand ainsi constitué, mais seuls ils gou-
verneront, seuls ils exerceront les droits politiques, servi-
ront dans la marine et dans l'armée, seuls ils pourront
acquérir la terre. Ils auront alors, comme au moyen âge, le
sentiment d'être un peuple de maîtres ; toutefois ils condes-
cendront à ce que les travaux inférieurs soient exécutés par
les étrangers soumis à leur domination (3). )1

Ces derniers traits, dont la plaisante outrecuidance se


retrouve dans toutes les publications pangermanistes, ne

(1) G;-ossdeutschlaizd und Mitteleuropa um das Jahr 1950, p. 40.


Thormann, Berlin, 1895.
(2) Op. cit., p. 42.
(3) "... dass die Deutschen allein politische Rechte ausiiben, im Heer
und in der Marine dienen und Grundbesitz erwerben konnen, erlanren sie
das im Mittelalter vorhanden Bewusstsein wieder, ein Herrenvolk zu sein.
Sie dulden die unter ihnen lebenden Fremden gern zur Ausfiilirung dernie-
deren Handarbeiten ". Op. cit., p. 48.
nuisent aucunement à leur succès. Les Allemands acceptent
ces extravagances comme choses fort naturelles et ils admi-
rent avec infiniment de sérieux les cartes, comme celle
ci-jointe, où l'empire allemand, après avoir annexé les
Flandres, la Hollande et l'Autriche-Hongrie, sauf la Tran-
sylvanie, s'étend de Hambourg à Trieste (1).
Ce n'est pas assurément sur de pareilles données qu'on
peut discuter sérieusement le Pangermanisme. Il est indis-
pensable, au préalable, de le réduire à ses éléments poli-
tiques, c'est-à-dire à ceux susceptibles d'une application
pratique et immédiate. Pour cela, il faut le dépouiller de
tout ce que ses partisans y ont mis dans le but de frapper
l'imagination des masses. La tâche est aisée. Si les auteurs
pangermanistes revendiquent avec une égale énergie tous
les pays germains du continent, c'est autant pour paraître
se conformer au principe qu'ils prétendent invoquer que
parce qu'ils se disent Il vaut toujours mieux demander trop
:

que pas assez (2).


Leur but lointain est bien la réunion en un seul État de
tous les territoires linguistiques allemands de l'Europe et
même de certaines régions slaves, mais, en réalité, aucun
d'entre eux ne regarde comme prochaine l'absorption des
Flandres, de la Hollande et de la Suisse allemande; tous au
contraire voient dans l'Autriche une annexion pouvant être
immédiate (3).
L'idée de posséder Trieste les obsède. Déjà, en 1853,

(1) La carte ci-jointe est une fraction exactement copiée de la carte


annexée à la brochure Grossdeutschland. Cette carte est elle-même une repro-
duction de la planche n° 12 c. de l' Atlas de Debes, édition 1899. Europa,
Sprachen-und Volkerkarte. (Carte linguistique et ethnographique de l'Eu-
rope.) Un fort trait rouge, ajouté par l'auteur de la brochure, marque les
futures frontières.
(2) « iieber zu viet als zu wenig zu beanspruchen. » Grossdeutschland
...
und Mittel Europa um das Jahr 1950, p. 9. Thormann, Berlin, 1950.
(3) « Die osterreichisch-ungarische Monarchie steht vor dem Zusammen-
bruch. « Oesterreichs Zusammenbruch und JViederaufball, p. 3. Lehmann,
Munich, 1899.
Paul de Lagarde considérait l'acquisition de ce port comme
une question vitale pour l'Allemagne (1). Il Même si tous les
Italiens se ruaient contre nous, disait-il, jamais cette place
ne devrait tomber entre leurs mains (2). »
Les Pangermanistes d'aujourd'hui sont dans les mêmes
sentiments. La seule pensée qu'un obstacle pourrait surgir
les irrite. Ils avertissent par précaution le gouvernement de
Rome que Iljamais il ne pourra déplacer ses frontières du
nord contre la volonté de l'Allemagne (3) " et ils invitent
,
les Italiens à diriger leur attention vers le Tessin, la Savoie
et la Corse et non vers le Tyrol du sud et surtout vers
Trieste (4). Pour toute l'Allemagne, Trieste est la porte
commerciale naturelle ouverte vers l'Orient et le canal de
Suez. Trieste doit donc être un port allemand (5).

§2. — Le moment présent paraît exceptionnellement


favorable à la satisfaction de ces convoitises, pendant si long-
temps réfrénées.
La monarchie austro-hongroise est sur le point de se dé-
membrer (6), croient les partisans de la Grande-Allemagne.
Ils entendent donc que le gouvernement de Berlin se tienne
prêt à toute éventualité; dès maintenant, ils discutent les
meilleurs moyens de réaliser l'annexion.
L'Allemagne devra-t-elle procéder seule à cette délicate
opération ou s'entendre avec ses voisins comme jadis à

(1) « ... Triest zu besitzen fur Deutschland eine Lebensfrage ist... »


Paul DE LAGARDE, Deutsche Schriften, p. 29. Dieterich, Gottingen, 1892.
(2) « ...wenn aile Italianer zusammen gegen uns sturmen, diesen Hafen
durfcn sie niemals in die Bande bekommen. » Idem.
(3) " Italien seine nordlichen Grenzen niemals gegen den Willen
...
Deutschlands verschieben kann. Il Grossdeutschland und Mittel Europa
um das Jahr 1950, p. 18. Thormann, Berlin, 1895.
... sie sollten ihre Aufmerksamkeit mehr dem Tessin, Savoyen,
(4) "
Nizza und Korsika schenken als Sudtirol und namentlich Triest. » Idem.
(5) Dr E. HASSE, Alldcutschc Blâtter, 1895, p. 137.
(6) Oeslerreichs Zueaiijîte?tbruch und Wiederaufbau,
p. 3. Lehmann,
Munich, 1899.
propos de la Pologne? C'est un point sur lequel ils n'ont
aucune idée préconçue. Ils remettent aux circonstances le
soin d'en décider. Il On pourrait examiner si une alliance
entre l'Allemagne, l'Italie et la Russie — qui dans ce cas
devrait se séparer de la France en vue de procéder au

démembrement de l'Autriche ne serait pas plus conforme
au but (1). »
Ce point réservé, le morcellement de l'empire de Fran-
çois-Joseph est l'objet d'études fort sérieuses, basées sur les
documents statistiques et ethnographiques les plus récents :

trouver le moyen de réduire au minimum les difficultés


d'absorption de la future conquête, tel est le but de ces
études.
La brochure intitulée le Démembrement de l'Autriche et
sa reconstitution (2) part du point de vue, d'ailleurs faux
comme on sait, que toute la Cisleithanie, sauf la Bukovine,
la Galicie et la Dalmatie, est allemande et que, par consé-
quent, il est légitime de s'en emparer.
Mais comme ce territoire considérable contiendrait encore
huit millions de Slaves, il s'agit de trouver le plus sûr pro-
cédé de domination. Son morcellement entre les grands
États de l'Allemagne, dans la proportion indiquée sur la
carte ci-contre, est la solution proposée.
La Prusse recevrait la Silésie et la Moravie; la Bohême
proprement dite serait la part de la Saxe ; la Bavière pren-
drait la région de l'Inn, Salzbourg, le Vorarlberg et le
Tyrol (3); la Haute-Autriche, la Basse-Autriche, la Styrie,
la Carinthie et la Carniole formeraient un État autrichien
d'environ 5,300,000 habitants. Le Littoral (Küstenland)
avec la partie sud de la Dalmatie, Raguse, les bouches du
(1) Alldeutsche Blatter, 1899, p. 14
(2) Oesterreichs Zusammenbruch und Wiederaufbau. Lehmann, Mu-
nich, 1899. Cette brochure, œuvre de l'Union pangermanique, a été saisie
par la police autrichienne et six tribunaux différents l'ont condamnée en
Cisleithanie. (V. p. 137.)
(3) Op. cit., p. 10.
Cattaro, Trieste et Pola, constitueraient, comme l'Alsace-
Lorraine, un Reichsland, un pays d'empire, administré par
un gouverneur militaire impérial, territoire qui servirait de
base à la puissance maritime de l'Allemagne dans l'Adria-
tique et dans la Méditerranée (1). Le royaume d'Autriche
serait. lié à la Prusse par une convention militaire, mettant
son armée dans une situation analogue à celle du duché de
Bade ou du Wurtemberg (2). La flotte autrichienne se fon-
drait dans la flotte allemande (3). Pola et Cattaro devien-
draient des ports de guerre de l'empire (4).
Les autres brochures (5) qui traitent du démembrement
de l'Autriche offrent les mêmes traits; elles sont unanimes
notamment à exclure la Galicie, la Bukovine et la Dal-
matie de la liste des conquêtes désirées ; ce sont là des
poids morts, inutiles au " germanisme » dont il faut se dé-
,
barrasser à tout prix.
Poussant plus loin encore dans l'avenir, les Pangerma-
nistes ne se contentent point de prévoir les conditions du
morcellement de l'Autriche, ils prétendent en déduire toutes
les conséquences. La couronne impériale d'Autriche pas-
serait — cette fois pour toujours — aux Hohenzollern (6).
Un régime de fer beaucoup plus dur que celui qui a été em-

(1^ Il
Das Kiistenland zusammen mit der Siiclpitze von Dalmatien (Ragusa,
Bocche di Cattaro, Spizza mit den Hafen Triest, Pola und Cattaro) bildet
ein Dentsches Reichsland, organisirt als Militargrenze unter der Verwal-
tung eities kaiserlich-deutschen militàrischen Statthalters. Es bildet die
Grundlage fur die deutsche Seemacht in der Adria und dem Mittelmeer. Op.
cit., p. 10.
(2) « Mit dem Konigreich Oesterreich schliesst Preussen eine Militâr-
konvention ab, nach dem Vorbilde der w'drttembergischen oder badischen. »
Op. cit., p. 11.
(3) « Die osterreichische Kriegsflotte geht in der deutschen auf. Idem.
»
(4) Il Pola uns Cattaro werden Reichskriegshafen. Idem.
»
(5) Par exemple Grossdeutschland. Deutschvolkischer Verlag " Odin Il,
Munich, 1900.
(6) « Die osterreichische Kaiserkrone geht (und zwar fur ewige Zeiten) an
die Hohenzollern über." Die Deutsche Politik der Zukunft, p. 14. Deutsch
volkischer Verlag " Odin ", Munich, 1900.
ployé en Alsace-Lorraine serait appliqué à la nouvelle con.
quête. Salus Germaniae suprema lex. En Moravie, les pro-
priétés tchèques passeraient à l'État prussien (1) ; partout
les journaux et les livres ne paraîtraient plus qu'en langue
allemande (2). Une série de mesures longuement énumé-
rées, réactionnaires au point d'être féodales, assurerait dans
tout le pays la compression du « Slavisme » .

§ 3. — L'intensité des convoitises sur l'Autriche ne fait


pas oublier aux Pangermanistes le reste de leur programme,
mais ils estiment qu'il deviendra seulement réalisable le
jour où l'empire allemand s'étendra de Hambourg à Trieste.
" Notre avenir est sur l'eau,
disent-ils, mais notre présent
est entre l'Adriatique et la mer du Nord. » Une fois en pos-
session de l'Autriche, nous redeviendrons les voisins des
pays faiblement peuplés du Danube et des Balkans (3).
L'action de la Grande-Allemagne pourra s'exercer dans ces
régions avec toute son intensité. Elle rayonnera ainsi au
nord et au sud-est.
Il ne sera pas très difficile alors d'amener la Suisse, la
Hollande et la Belgique à entrer dans le Zollverein de
l'Europe centrale. L'Allemagne forme l'hinterland de ces
deux derniers États et le trafic qui en résulte leur est si
nécessaire qu'il ne pourraient mener longtemps une poli-
tique commerciale séparée (4). Enfin, la force d'attraction
économique d'une confédération ainsi formée au centre
de l'Europe sera peut-être telle qu'une série d'autres États
(1) « Das Gut der Tschechen in Mâhren geht in den Besitz des preus-
sischen Staates liber... » Gross-Deutschland, p. 18. Deutschvolkischer
Verlag « Odin ,, Munich, 1900.
(2) « Bûcher, Zeitungen und Zeitschriften diirfen nur in deutscher Spra-
che erscheinen. « Op. cit., p. 19.
(3) « Und endlich, im Besitze von Oesterreich, werden wir wieder die
Nachbarn der dünn bevolkerten Donau-und BalkanIander... » Die Deutsche
Politik der Zukunft, p. 9. Deutschvolkischer Verlag " Odin », Munich,
1900.
(4) Alldeutsche Blâtter, 1897, p. 224.
du continent demanderont à en faire partie pour y trouver
une compensation de leur exclusion de l'Union douanière
de toutes les terres anglaises de l'Univers (1).
Dans la conception de ses auteurs, la réalisation du Pan-
germanisme apparaît donc comme une opération à deux
temps : la première imminente vise lAutriche; son succès
rendra possible la seconde, qui. donnera enfin à l'Allemagne
ses frontières naturelles Il à V ouest, Luxembourg et Belfort,
cc

à l'est une ligne allant de Memel à la mer Noire et au sud


Trieste (2).
Pour les partisans de la Grande-Allemagne, la théorie
n'est qu'un moyen; l'action seule les séduit. Ils veulent
inculquer leurs idées à tous les Allemands. A cet effet, ils
ont créé une puissante organisation de sociétés fédérées
entre elles, admirable instrument de propagande, dont j'ex-
poserai plus loin le fonctionnement (3). Ce qu'il faut main-
tenant établir, c'est le lien étroit existant entre le mouve-
ment pangermaniste et la question d'Autriche.

(1) «
Ja, es wurde sich sogar vermutlich eine Reihe anderer europaischer
Staaten mit uns zu einem gemeinsamen Zollvereine zusammenschliessen, um
fur die Ausschliessung vom englisch redenden Teile der Erde Ersatz zu
finden n. Die Deutsche Politik der Zukunft, p. 13. Deutschvolkischer
,
Verlag « Odin » Munich 1900.
(2) Paul DE LAGARDE, Deutsche Schnften, p. 113 Dieterich, Gottingen,
1892.
(3) V. chap. v, 11, partie.
CHAPITRE III

LA PROPAGANDE PANGERMANISTE EN CISLEITHANIE

J. FORMATION DU PARTI PRUSSOPHILE AUTRICHIEN.


- § 1. Les
M. Schonerer. Le programme de Linz. Les « cheminements » de
origines :

l'idée prussophile. — § 2. Comment les ordonnances du comte Badeni sur


l'emploi des langues en Bohême et en Moravie ont été le prétexte de l'agi-
tation ouverte et violente ; l'entente se fait entre M. Schonerer et le
Dr Hasse. Leurs lieutenants. L'Union pangermanique régulatrice de l'ac-
tion. Premiers succès.
II. MOYENS D'ACTION ET TACTIQUE DES PANGERMANISTES. — § 1. Les pro-
cédés d'agitation : les arbres de Noël de l'empire allemand, œuvre de
M. Karl Proll. Les réunions publiques. Causes premières de leur succès.
La littérature prussophile, son origine. Inefficacité des tentatives de ré-
pression. Les cartes postales illustrées, leur rôle, les collections de l'Odin
Verein. Le mouvement Los von Rom : sa raison d'être, action du groupe
Schonerer. Son échec au point de vue religieux, son succès au point de
vue politique. Caractère véritable et portée du mouvement. — § 2. La
tactique : à l'égard des socialistes, des agriculteurs, des commerçants et
des industriels. L'intransigeance des Prussophiles est calculée et crois-
sante.
III. LES RÉSULTATS DE LA CAMPAGNE. — § 1. Les conséquences certaines :
tension momentanée des rapports entre Vienne et Berlin. Etablissement
en Autriche d'une organisation pangermaniste. Aggravation des luttes
nationales. Action de la campagne prussophile sur l'armée, les fonction-
naires, la jeunesse. Progrès des idées prussophiles. Décroissance des sen-
timents loyalistes. Les troubles d'août 1899, leur importance réelle. —
§ 2. Les forces pangermanistes en Cisleithanie : répartition géographique.
Evaluation numérique.
IV. GRAVITÉ DE LA SITUATION PRÉSENTE. — § 1. Forme du danger actuel :
minorité audacieuse et majorité passive. L'illusion du nombre et la tâche
des agences télégraphiques. —§2. Prévisions d'avenir : justesse des vues
de Bieger: Le mouvement fédéraliste chez les Allemands d'Autriche
peut être momentanément enrayé. Le parti autrichien et sa base néces-
saire. Les élections de 1900-1901. Leur importance europeenne. La main
étrangère.
I

FORMATION DU PARTI PRUSSOPHILE AUTRICHIEN

Si les convoitises des Pangermanistes sur l'Autriche


étaient seulement ardentes en théorie, mais platoniques en
fait, leur intérêt serait politiquement nul. Il n'en est pas
ainsi. Sous leurs apparences de rêveurs ambitieux, les par-
tisans de la Grande-Allemagne sont de froids réalistes. Pour
faire pénétrer leurs doctrines en Cisleithanie, ils mènent
une campagne habile qui prépare à l'Europe les plus graves
complications.

§ 1.
— Un parti prussophile existe en Autriche depuis fort
longtemps. Il fut fondé il y a plus de vingt-cinq ans par
M. Schônerer et quelques-uns de ses amis, d'abord en-
flammés par les victoires de Sadowa et de Sedan, et défini-
tivement conquis par la gloire radieuse du jeune empire.
Fils de l'entrepreneur de chemins de fer Mathias Schô-
nerer, Georges Schônerer naquit à Vienne, le 17 juillet 1842.
Il étudia à Dresde, administra une terre près de Tubingen,
et séjourna jusqu'en 1865 à l'académie agricole de Hohen-
heim, dans le Wurtemberg. Il s'imprégna ainsi pendant
toute sa jeunesse des idées unitaires allemandes. Revenu
dans son pays d'origine, il se fixa au château de Rosenau,
près de Zwettl, en Basse-Autriche. En 1873, les électeurs
l'envoyèrent au Reichsrath comme progressiste. Deux ans
plus tard, il abandonnait cette nuance et manifesta bientôt
ses tendances prussophiles. Le 18 décembre 1878, il fit
connaître dans un discours au Reichsrath le désir crois-
CI

sant des Allemands d'Autriche de se réunir à l'empire


allemand (1) " Le mouvement antisémite qui se produisit
.

(1) «... der steigende Wunsch der Deutschen Bevolkerung Oesterreichs


mit dem deutschen Reich vereinigt zu werden. »
en Allemagne vers 1880 eut les sympathies de M. Schônerer
jusqu'au jour où son culte pour Bismarck les absorba entiè-
rement. M. Schônerer devint l'un des pèlerins assidus de
Friedrichsruh, et sacrifiant en fait ses opinions antisémites
au Germanisme s , il se trouve aujourd'hui marcher contre
cc

les Slaves avec ses anciens adversaires.


Quand la gauche radicale allemande se forma au Reichs-
rath, en 1881, dans le but d'établir la solidarité de tous les
Allemands d'Autriche, l'atmosphère devint plus favorable
id.ées du châtelain de Rosenau. L'année suivante, aidé
aux
de quelques amis, il dressa la liste des revendications prus-
sophiles dans le document appelé depuis programme de c(

Linz» (août 1882) (1). Deux articles surtout avaient de l'im-


portance : l'un demandait l'exclusion (Sonderstellung) de
la Cisleithanie de trois provinces, la Galicie, la Bukovine
et la Dalmatie; l'autre réclamait l'entrée dans le Zollverein .
allemand de la Cisleithanie ainsi restreinte. Ces prétentions,
qui présentent aujourd'hui une extrême gravité, laissèrent,
en 1882, les Autrichiens à peu près indifférents.
Pensant trouver un meilleur accueil de l autre côté de
la frontière, M. Schônerer fit des démarches auprès de Bis-
marck. Elles restèrent sans succès. Le chancelier faisait de
l'Autriche ce qu'il voulait ; il n avait aucune raison de sus-
citer des difficultés à son alliée du sud. Avec sa rudesse
coutumière, il découragea M. Schônerer, lui fit comprendre
qu'il n'avait point à compter sur Berlin et condamna ainsi
longtemps agitation à une presque complète inef-
pour son
ficacité.
Puis, Bismarck quitta le pouvoir; Guillaume II inaugura
la Tfeltpolitik; l'opinion évolua en Allemagne, l'Union pap-
germanique se constitua et trouva des adhérents.
Schônerer le Dr Hasse étaient faits pour s 'entendre.
M. et
(1) Sur le programme de Linz consulter Die nationalpolitischen For-
Il

der deutschen oppositioncllen Parteien im osterreichisc en


dcrungen 1899.
Abgeoi-dizeteizhau.çe Supplément aux Alldeutsche Blatler du 4 juin
» .
Ce dernier, lui aussi, ne demandait qu'à agir en Autriche.
Il savait que le conseil donné dès 1853 par Paul de La-
garde avait été suivi, que l'émigration allemande, dirigée
systématiquement d'après un plan réfléchi sur c les points
stratégiques de l'Istrie, du pays slovaque, des parties ma-
gyares de la Hongrie, de la Bohême et de la Galicie »,
représentait déjà un chiffre considérable (1), que par con-
séquent des centres prussophiles existaient en puissance,
capables de fournir rapidement les cadres d'un parti pan-
germaniste. La difficulté était de les discerner, de leur donner
conscience d'eux-mêmes et de les unir par un lien commun.
C'est à quoi M. Schônerer travailla. La concession faite
aux Slovènes d'un collège à Cilj (Cilli) détermina chez les
Allemands d'Autriche une certaine agitation très favorable
à ses projets qui lui permit de recruter un nombre fort en-
courageant de partisans. Le moment était venu d'opérer
avec ensemble. On s'entendit. A la fin de 1896, le Dr Hasse
envoya en Autriche deux de ses plus fidèles collaborateurs,
MM. Fritz Bley et von Pfister-Schwaighusen, avec la mission
d'établir les bases d'une organisation pangermaniste. Les
deux délégués visitèrent Prague, Reichenberg, Leitmeritz,
Brüx, Linz, Graz, Villach, Marbourg; Fritz Bley parla à
Vienne le 20 novembre, et von Pfister-Schwaighusen, le
7 décembre. Partout, ils répandirent sous les formes les
plus séduisantes l'idée du Zollverein de l'Europe centrale.
Leur propagande porta rapidement ses fruits. A peine
étaient-ils de retour en Allemagne, que les journaux autri-
chiens dévoués à la cause de Berlin, avec lesquels ils
(1) «
Die deutsche Auswanderung muss systematisch und nach eincm
sorgtàltig, auch nach strategischen Gesichtspunkten iiberlegten Plane nach
Istrien, nach den slovakischen und magyarischen Theilen Ungarns, nach
Bohmen und Galizien gerichtet werden... Il Paul DE LACARDE, Deutsche
Schriften, p. 27. Dieterich, Gottingen, 1892.
On compte actuellement en Autriche 103,433 Allemands sujets de l'em-
pereur Guillaume, et 6,597 en Hongrie.
V. Alldeutsches Werbe-und Merk-Buchlein, p. 21. Lehmann, Munich,-
1899.
s'étaient abouchés, reprirent et développèrent leurs argu-
ments. Le 12 février 1897, le Grazer Tageblatt préconisa
l'établissement d'une alliance plus étroite entre l'Allemagne
et l'Autriche, au moyen d'une Union douanière, première
étape vers de meilleures conditions (1).
Les esprits étaient suffisamment préparés pour qu'on
tentât une action ouverte, la seule qui pût vraiment être
efficace ; mais il fallait au moins un prétexte pour la com-
mencer.

§ 2. — Les ordonnances du comte Badeni sur l'emploi


des langues en Bohême et en Moravie (avril 1897) fourni-
rent ce prétexte.
Elles avaient le caractère anodin que l'on sait; cepen-
dant, le comte Badeni, en raison des difficultés de la situa-
tion parlementaire, avait eu soin, avant de les publier, d'en
communiquer le texte aux députés allemands des groupes
dits progressiste et nationaliste. Ceux-ci ne protestèrent
que faiblement; aussi, le comte Badeni se crut-il autorisé à
penser que sa réforme serait acceptée sans de trop grandes
difficultés. Il en fut autrement. Le D' Hasse et M. Schô-
nerer, qui n'attendaient qu'une occasion propice, jugèrent
celle-ci excellente. Ils dressèrent aussitôt ce plan fort
simple : agiter l Autriche avec le prétexte des ordonnances;
surchauffer en même temps les esprits en Allemagne au nom
du Germanisme » menacé, et continuer la campagne autant
cc

d'années qu'ille faudrait pour forcer finalement le gouverne-


ment de Berlin à intervenir.
En moins de quatre ans, MM. Hasse et Schônerer sont
parvenus à exécuter les deux premières parties de ce pro-
gramme. Ils furent admirablement secondés, il est vrai,
dans leur entreprise. En Allemagne, le premier disposait
des cadres excellents de l'Union pangermanique ; en Autri-

(1) als erste Etappe zu besseren Zustanden. Il


« ...
che, le second avait des lieutenants peu nombreux, mais
pleins d'ardeur. C'étaient le Dr Karel Türk (1), Karel
Wolf (2), rédacteur en chef de l'Ostdeutsche Rundschau;
Karel Iro (3), fondateur de Y Union scolaire allemande (4)
aujourd'hui dissoute, et Karl Kittel, propriétaire rural, tous
-
actuellement députés au Reichsrath.
Dès le début, MM. Hasse et Schônerer se sont révélés tac-
ticiens remarquables. L'intérêt des ordonnances était local,
puisqu'elles s'appliquaient seulement à la Moravie et à la
Bohême; ils ont eu l'habileté de les présenter comme le
, premier act de la « tchéquisation de l'Autriche s, Tche-
chisierung Oesterreichs, formule alarmante qu'ils ont ré-
pétée partout avec une insistance si persévérante, que
bientôt la plupart des sujets Allemands de François-Joseph
se sont émus et ont envoyé à Vienne force pétitions contre
la réforme du comte Badeni. Dans le nord de la Bohême, où
les ordonnances avaient leur point d'application le plus dé-
licat, l'agitation fut organisée avec une ardeur méthodique.
Dans des manifestes vibrants, on convia les électeurs à la
résistance : La direction du parti allemand (en Bohême)
CI

engage tous les hommes ayant conscience de leur nationa-


lité allemande à prendre part à l'Assemblée de Reichen-
berg, à proclamer l'indignation générale causée dans toutes
les classes de notre nation par les ordonnances et à mani-
fester notre ferme volonté d'obtenir leur abrogation même
par l'emploi des moyens les plus décisifs (5). »
(1) Né en 1840, membre du Reichsrath depuis 1885.
(2) Né en 1862, membre du Reichsrath depuis 1897.
(3) Né en 1861, membre du Reichsrath depuis 1897.
(4) Schulverein fur Deutsche.
(5)(C
Die Leitung der deutschen Volkspartei in Bohmen richtet an aile
nationalbewussten Manner des deutschen Volkes die Bitte sich an der Ver-
sammlung in Reichenberg zu betheiligen, um so durch eine überwaltigende
Kundgebung die allgemeine Entrustung, welche die Sprachenverordnungen
in allen Kreisen unseres Volkes hervorgerufen haben, auszusprechen und
den festen Willen der Zurucknahme derselben mit aller Entschiedenheit und
unter Anwendung der scharfsten Mittel zum Ausdruck zu bringen. o 26 avril
1897.
Les meetings se multiplièrent aussi bien en Allemagne
qu'en Autriche. Il y en eut jusqu'à Hambourg. La presse de
l'empire allemand fulmina contre le comte Badeni et se
mit, elle aussi, à réclamer impérieusement l'abrogation des
ordonnances. En quelques mois, les Pangermanistes avaient
atteint leur premier but : poser la question du « Slavisme »
à Vienne et à Berlin.
Dans l'ampleur du débat, la cause qui l'avait fait naître
disparut, et le député prussophile Prade put écrire avec vé-
rité : « Il ne s'agit plus des ordonnances sur les langues ni
d'un accord à établir entre députés allemands et tchèques,
accord impossible à cause de la différence des idées; il
s'agit de savoir si l'Autriche sera une grande puissance po-
litique et sociale, sous une direction allemande, ou un État
fédéral, tchèque-polonais-allemand, qui fera une politique
slavo-cléricale et se tournera plus tard contre l'alliance avec
l'empire allemand protestant (1). u
L'hostilité contre les Tchèques se réveilla plus forte que
jamais; les sentiments prussophiles se manifestèrent en
même temps. Les meneurs de la campagne poussèrent vi-
vement les choses. Dans l'été de 1897, ils firent répandre
dans le nord de la Bohême, surtout à Reichenberg, à Tets-
chen, à Teplitz, à Saaz, à Krumau, etc., des milliers de
cc
tracts i) . Sur la couverture de ces brochures, une plan-
tureuse Germania s'épanouissait; à l'intérieur, on pouvait
lire : it Aux agissements impudents des Tchèques, il n'y a
qu'une réponse à faire. Chassons les Tchèques de toutes les
maisons allemandes.. de toutes les fabriques allemandes...
Agir ainsi est le devoir de tout bon Allemand; plus de
domestiques, plus d'ouvriers tchèques. Qu'un Allemand
(1) « ... es handle sich jetzt um die Entscheidung ob Oesterreich ein
moderner, von grossen socialpolitischen Gesichtspunkten regierten Staat
unter deutschen Führung, oder eine Klericaleslavische Politik machen und
sich frühcr oder spâter gegen die Allianz mit dem protestantischen Kaiser-
reiche werden wird. Volkszeitung de Reichenberg. Cité par la Politik de
JI

Prague, 18 seDtembre 1897.


n'achète plus chez un Tchèque ou chez ceux qui les sou-
tiennent. Il L'organe du Dr Hasse, « les Feuilles pangerma-
niques,,, était encore plus pressant : " Nous adressons à tousv
les membres de l'Union l'instante prière de renvoyer, dans
tous les cas, leurs ouvriers et leurs gens de service tchè- 1

ques (1). " Cette coopération sans réserve de YAlldeutscher


Verband était pour M. Schônerer et ses amis le meilleur
des encouragements. Ils étaient enfin compris et soutenus.

II

MOYENS D'ACTION ET TACTIQUE DES PANGERMANISTES

Connaissaiat à fond le pays, les meneurs de la campagne


ont employé tous les moyens, petits comme grands, pour
rompre la paix relative qui subsistait en Autriche.

§ 1.
— Sachant bien que toute action populaire pour être
durable doit avoir une base sentimentale, ils se sont d'abord
efforcés de détruire les anciennes préventions contre la
Prusse.
M. K. Prôll, qui a été en Allemagne un des Pangerma-
nistes de la première heure, s'est voué à cette tâche prépa-
ratoire. Depuis dix-huit ans, il envoie des arbres de Noël
c(

de l'empire allemand (Reichsdeutsches Weilmachtsbiiumchen)


aux enfants pauvres des Allemands d'Autriche-Hongrie. En
Cisleithanie, son action est concentrée surtout sur la forêt
de Bohême et sur la Moravie. Ici, la politique se dissimule
sous la forme d'une attention qui touche profondément non

(1) Wir richten an alle Mitglieder unseres Verbandes das dringende


Il
Ansuchen tschechische Arbeiter und Dienstboten unter allen Umstanden
zuriickzuweisen. » Alldeutsche Blàtler, 1897, p. 116.
seulement ceux qu'elle atteint directement, mais encore
leurs voisins et leurs parents. Tout un groupe de gens est
ainsi amené à parler de l'empereur Guillaume et ils finissent
par conclure que c'est un bien bon souverain puisque ses
agents s'occupent avec tant de sollicitude du pauvre monde.
Cette manœuvre fort simple et quelques autres du même
genre ont contribué à créer un public sympathique qui a
fait le succès des premières réunions prussophiles, inaugu-
rées en 1896, par les délégués de l'Union pangermanique.
Multipliées sur tous les points de l'Autriche après les ordon-
nances du comte Badeni, organisées par des hommes qui en
ont une pratique constante, conduites par des orateurs vio-
lents et d'une éloquence populaire, ces assemblées ont
permis à M. Schonerer de recruter le gros des troupes qui
aujourd'hui marchent avec lui. Rapidement, les auditeurs
sont devenus les lecteurs assidus des publications prusso-
philes que les sociétés de Berlin (1) répandent à profusion
en Autriche. Intelligemment dosées suivant les âges et
même les sexes, ces publications forment dans leur en-
semble un moyen de propagande merveilleusement adapté
au but poursuivi.
Les cartes postales illustrées, que les Allemands aiment
à échanger avec tant d'abondance, sont, elles aussi, deve-
nues un moyen d'action. Chaque incident de la lutte poli-
tique donne naissance à un dessin tendancieux, si bien
qu'une collection complète de ces cartes constitue une vé-
ritable histoire de la campagne pangermaniste. C'est un
Saint-Michel allemand qui repousse dans les flammes un
Tchèque tenant les ordonnances; c'est un paysan allemand
le fameux Michel — qui crie : t( A bas le droit d'État
. —
de la Bohême ! » et, un bâton à la main, se tient prèt à
frapper sur les Tchèques; c'est un souvenir du duel entre le
comte Badeni et le député pangermaniste Wolf. Tirées à des

(1) V. p. 196 et suivantes


milliers d'exemplaires, ces cartes passent sous les yeux des
libraires, du public qui regarde la vitrine, de l'envoyeur,
des employés des postes, du facteur, du destinataire, de sa
famille et de ses amis. Elles insinuent ainsi lentement, mais
continuellement, les idées prussophiles à une foule de
gens. Le caractère antiautrichien des dessins s'accentue
suivant le développement de la campagne pangermaniste.
L'un des derniers représente l'aigle des Hohenzollern
broyant dans ses serres la couronne des Habsbourg.
Des cartes postales aussi gravement tendancieuses surgis-
sent maintenant de tous côtés. Au début, la police autri-
chienne les a saisies; puis, soit qu'elle ait reçu l'ordre de
laisser faire, soit qu'elle se soit lassée, la répression a cessé.
Cette propagande par l'image a dû être jugée très efficace,
car une société importante de Munich, l'Odin Verein (1),
s'est consacrée à l'édition de ces dessins prussophiles, et
tout spécialement de ceux dont l'objet est de soutenir le
mouvement en faveur du protestantisme, qui, comme on va
voir, est devenu un des plus sûrs instruments de l'action
pangermaniste.
L'agitation, motivée uniquement par les ordonnances du
comte Badeni, manquait d'ampleur. En dehors de la
Bohême et de la Moravie, le mensonge de la « slavisation
de l'Autriche » pouvait bien surexciter les populations alle-
mandes momentanément, mais ce procédé artificiel allait
devenir inefficace. Il fallait trouver un moyen d'étendre la
propagande d'une façon directe et permanente à toutes les
parties de l'Autriche où vivent des Allemands. Ce moyen,
on crut le trouver dans une lutte contre le catholicisme. Le
Dr Hasse, luthérien fanatique, l'avait en horreur. Pour lui,
comme pour tous les Prussophiles, l'Autriche doit rede-
c
venir protestante. La cause du germanisme » l'exige. « Si
l'Autriche devient un pays slave, la faute en sera aux fa-

(1) V. p. 204.
milles princières allemandes (d'Autriche) et à leurs parti-
sans catholiques (1). »
C'est qu'en effet, dès le début de la campagne, le catho-
licisme, soutien du loyalisme autrichien des sujets alle-
mands de François-Joseph, était apparu comme un obstacle
redoutable à la diffusion du Pangermanisme. Avec l'audace
et la décision qui les caractérisent, les Prussophiles réso-
lurent de détruire cet obstacle.
En Autriche, M. Schonerer fut encore le grand orga-
nisateur. Au début de 1898, il se mit à l'œuvre résolument :
Il
Brisons enfin, disait-il, les chaînes qui nous lient à une
Église ennemie du Il germanisme (2) » Ces paroles com-
.
blèrent de joie les évangélistes de Berlin qui fournirent la
coopération la plus active (3), et bientôt le mouvement anti-
catholique éclata en Autriche aux cris de Los von Rom :

(Rompons avec Rome). On affecta de se placer au point de


vue utilitaire : " Passez au protestantisme pour assurer votre
avenir, dit-on aux Autrichiens. Là où le catholicisme est
tout-puissant, les peuples meurent, et, sur toute la terre,
il n'y a pas de nation qui soit à la fois florissante et catho-
lique romaine (4). » M. Schonerer déploya une activité
fébrile. Le 15 janvier 1899, il réunit à Vienne huit cents
personnes se déclarant prêtes à passer avec lui au protes-
tantisme, et il annonça que le nombre des conversions
dépasserait prochainement dix mille. Par les moyens les

(1) «
Wenn Deutschosterreich slavisches Land wird, dann wird dies das
Werk deutscher Fiirstengeschlechter und ihres katholischen Anhanges
sein. » Deutsches Parteileben in Oesterreich, p. 6. Deutschvo)k!scber
Verlag « Odin ,, Munich, 1900.
(2) « Also weg mit den Fesseln, die uns an eine deutschfeindliche Kirche
binden. » Cité par P. BRAUSLICH, Die ôsterreichische Los von Rom Be-
wequng, p. 27. Lehmann, Munich, 1899.
(3) V p. 204 et suivantes.
(4) « Kuii-z, wo der romischeKatholizismus allmachtig ist, da sterben die
Volker, und ist noch kein so verborgener Ort auf der El'dkugf>1 zu finden,
an dem sich uns der Anblick darbote : eine romisch-katholische und dennoch
eine aufblühende Nation'! » Op. cit., p. 4.
plus divers, on chercha à surexciter les esprits. On réveilla
les vieux souvenirs de la guerre de Trente ans. Dans les
premiers mois de 1899, des pasteurs de l'empire allemand
vinrent renforcer ceux qui normalement se trouvent en petit
nombre en Autriche (1). Sans le moindre respect de la
paix confessionnelle, ils organisèrent partout, mais spécia-
lement dans le nord de la Bohême, des meetings politico-
religieux. A Teplitz, le pasteur Lumnitzer se signala par un
zèle plus qu'excessif. A Asch, à Karbitz, etc., on prêcha en
plein air la bonne parole prusso-protestante. M. Schonerer
totalisa les résultats qui lui parvinrent sur des bulletins
de conversion imprimés au préalable dans ses ateliers. Ces
bulletins constituent une pièce fort curieuse dont voici
l'exacte reproduction :

Malgré tous ces efforts, le mouvement de Los von Rom a


été très loin de donner les résultats espérés. Les Panger-
manistes se sont absolument mépris sur l'état religieux de

(1) Il n'y a en Autriche qu'un demi-million d'évangélistes.


l'Autriche ; ils n'ont point tenu un compte suffisant de ce
que sur neuf millions d'Allemands, sujets de François-
Joseph, on compte seulement un demi-million de protes-
tants, soit la dix-huitième partie, et ils n'ont pas compris
que, si la foi d'un très grand nombre de catholiques est
assez tiède, la force de l'atavisme et de l'habitude leur ins-
pire cependant tout le contraire de la sympathie pour le
luthéranisme. La réprobation a été générale. A l'heure
présente, bien que M. Schônerer lui-même ait abjuré avec
éclat en août 1900, il n'est pas encore parvenu à atteindre
le chiffre de dix mille conversions qu'il avait annoncé.
Donc au point de vue religieux, et jusqu'à ce moment, le
mouvement Los von Rom a échoué. Ses organisateurs ne
s'en montrent d'ailleurs aucunement découragés. « En Au-
triche, dit la Kreuzzeitung, le mouvement Los von Rom est
devenu plus silencieux. Nous nous en réjouissons, parce
qu'on pourra travailler plus efficacement. » Ce langage
sybillin demande une explication. En réalité, les conver-
sions sont le moindre souci des missionnaires protestants ;
ils se contentent parfaitement des bénéfices politiques de
leur propagande, qui, ceux-là, sont des plus certains. Le
député Wolf, pur agitateur politique, le proclame implici-
tement lorsqu'il déclare : « Nous avons à soutenir un
combat pour la civilisation et pour notre nationalité. Notre
arme la plus tranchante est le mouvement Los von Rom.
Il suffit de regarder les Siebenburgen (1) pour voir que
chaque presbytère y est à la fois la forteresse du « Germa-
nisme » et du Protestantisme. Le Protestantisme a en lui
une force invincible qui nous fera triompher (2). »
Ces paroles suffiraient presque à établir le caractère
politique du mouvement Los von Rom. Mais il y a mieux :

(1) Principale colonie allemande en Hongrie.


(2) « Einen Kulturkampf fur unser Volksthum haben wir zu fuhren
und die schneidigste Waffe 1)1 diesem ist die Los von Rom Bewegung. Man
brauche nur nach Siebenburgen zu schauen, wo jedes Pfarrhaus eine
un procès, jugé à Graz en juin 1899, lève tous les doutes.
Le 4 mai 1899, la police de François-Joseph arrêtait le
pasteur prussien Everling, dont les démarches avaient paru
suspectes. On trouva sur lui un carnet de voyage, relatant
toutes ses conversations, et des lettres fort explicites de
dignitaires allemands et de fonctionnaires autrichiens. Ces
papiers démontrant la complicité de MM. Fraiss et Polzer,
de Graz, un procès leur fut fait. Les débats établirent de
la façon la plus nette que la campagne protestante en
Autriche n'est qu'un prétexte commode et habile pour dis-
simuler aux yeux des autorités autrichiennes la propa-
gande prussophile.
C'est ce que devait avouer, quelques mois plus tard, le
super-intendant Meyer, parlant à Braunschweig, à la réu-
nion organisée par la Ligue évangélique pour la pro-
tection des intérêts allemands protestants, où il a dit :
CI
Le véritable cri des protestants d'Autriche n'est pas Los
von Rom (Rompons avec Rome), mais Los von Oesterreick
(Rompons avec l'Autriche) (1).
En présence de déclarations aussi excessives, les Nou-
velles cle Hambourg, héritières de la répulsion de Bismarck
pour le Pangermanisme, ont jugé nécessaire de protester.
CI
Nous ne sommes nullement disposés à défendre certains
discours tenus à l'assemblée générale de l'Union évangé-
lique. Nous ne voudrions pas en particulier adopter le point
de vue auquel on s'est placé pour adresser au gouverne-
.

ment autrichien des critiques sur son attitude à l'égard du


mouvement Los von Rom. Nous trouvons juste que les
évangélistes protègent en Allemagne et en Autriche leurs
coreligionnaires, comme le Gustav-Adolf-Verein le fait
d'ailleurs depuis des années, mais le mouvement « Los von

Hochburg des Deutschthums und des Protestantismus bilde. Der Protestan-


tismus hat eine stiihlende und sehutzende Kraft mit ihm werden wir
siegen. Il Cité par la Politik de Prague, 19 juillet 1900.
(t) V. le n° 55 des Braunschweiger Neueste Yachi-ichteiz, 1900.
Rom est si étroitement lié à la situation politique actuelle,
1)

que nous devons observer en Allemagne la plus grande circons-


pection, circonspection que notre qualité d'alliés de l'Au-
triche donne doublement le droit d'attendre de nous (1). Il

§ 2. — Le choix seul de procédés d'agitation si divers, mais.


concourant tous au même but, donne l'idée la plus avanta-
geuse de l'intelligence et de l'habileté des meneurs panger-
manistes; l'étude de la tactique très souple qu'ils observent
confirme cette opinion. Il faut signaler d'une façon toute
particulière la tactique qu'ils suivent à l'égard des groupe-
ments populaires autrichiens, enclins au socialisme interna-
tional; les Pruss.ophiles ont réussi, dans une large mesure,
à utiliser ces tendances socialistes qui semblaient devoir
leur être si opposées. Leur première action dans ce but pré-
cède de quelques années le ministère Badeni, et remonte à
l'époque où il s'agissait surtout d'empêcher la cohésion de
se faire entre les divers éléments slaves.
Voyant le peuple tchèque, composé en immense majorité
d'ouvriers industriels ou agricoles, les hommes du groupe
Schônerer se sont dit — et le raisonnement était juste —
que s'ils pouvaient gagner au socialisme international une
partie du prolétariat tchèque, ils diviseraient le peuple
bohême, empêcheraient sa concentration nationale et, du
même coup, arrêteraient le mouvement fédéraliste. Partant
de ce point de vue, ils ont tenté l'entreprise qu'une
circonstance déjà ancienne a grandement facilitée.
La presse socialiste de Vienne est en grande partie entre
les mains d'Israélites, généralement hostiles aux Slaves,
qui, pendant des siècles, ont formé une matière aisément

(1) Aber die Los von Bom-11ewegung ist zu sehr mit politischen Mo-
«
menten durchsetzt, als dass wir in Deutschland ihr gegeniiber uns nicht
die grosste Vorsicht auferlegen miissten, eine Vorsicht, die angesichts
unseres Bundesverhàltnisses zu Oesterreich mit doppelten Recht von uns
erwartet werden darf. » Cité par la Politik de Prague du 12 octobre 1900.
exploitable. L'avènement de ces derniers à l'indépendance
politique comporte leur libération économique ; il en résulte
que la plupart des Israélites ont un vif intérêt à la compres-
sion du Ilslavisme » et, comme il est clair qu'ils ne peuvent
,
la réaliser par eux-mêmes, ils se trouvent amenés à favo-
riser par tous les moyens le mouvement pangermaniste. C'est
ce qui explique pourquoi la presse socialiste de Vienne a
favorisé de son mieux les manœuvres socialistes des Prusso-
philes. Elle a étendu ses ramifications sur la Bohème, et
bientôt'les résultats les plus encourageants ont été obtenus.
Un parti internationaliste s'est formé chez les Tchèques,
mais, très rapidement, les ouvriers bohêmes ont vu clairement
le piège qu'on leur tendait. Ils ont compris que les seuls
principes applicables du socialisme étaient parfaitement
compatibles avec les intérêts et les devoirs de leur nationa-
lité et ils ont fondé un parti socialiste national qui poursuit
maintenant à la fois l'amélioration pratique du sort des tra-
vailleurs et le succès de la cause tchèque.
Dissimulée sous la forme sociale, l'action prussophile a
donc été vaine auprès des Slaves cisleithans ; elle a réussi
davantage avec des Allemands socialistes internationaux.
Sur eux le Pangermanisme a eu prise indirectement. Lors-
qu'en juillet 1899 le comte Thun, selon une tradition déjà
ancienne, gouverna à l'aide du paragraphe 14 de la Cons-
titution et décréta, en vertu de ce texte, un relèvement
des taxes sur le sucre, l'alcool, la bière et le pétrole, les
Prussophiles ont qualifié ces taxes de nouveaux impôts. Le
mot d'ordre a été donné aux groupes socialistes viennois.
Des manifestations se sont produites aussitôt, et l'on a pu
voir dans les rues de la capitale des bandes criant « A :

bas le gouvernement A bas le comte Thun » La situa-


! !

tion du ministère s'en est trouvée plus difficile, et c'est ainsi


qu'une tactique adroite a su mettre au service du roi de
Prusse les forces révolutionnaires, alors qu'individuellement
les ouvriers allemands autrichiens internationalistes ne sont
pas disposés à se soumettre au joug prussien. Cette ma-
nœuvre a réussi plusieurs fois dans des circonstances ana-
logues ; cependant, si l'on en juge par le congrès qui s'est
tenu à Graz dans l'été de 1900, il semble que les socia-
listes autrichiens commencent à s'apercevoir du rôle qu'on
veut leur faire jouer. Toutefois, on ne constate encore que
des cas de clairvoyance individuelle ; les groupes socia-
listes autrichiens, dirigés par les Israélites de Vienne, tra-
vaillent aussi activement que M. Schbnerer à la destruction
de l'État cisleithan. M. Naumann, leader des sociaux-natio-
naux de l'empire allemand, le reconnaît non sans satisfac-
tion : (i Il y a deux partis en Autriche qui doivent avoir
les sympathies des Allemands de l'empire : les Allemands
nationaux et les socialistes démocrates. Il est possible qu'ils
se querellent pmjois; au fond, ils agissent ensemble (1). »
Avec les gens d'affaires, hommes calmes qui tiennent à la
paix et aux profits, les Prussophiles, cessant de faire appel à
la violence, font agir la séduction du grand Zollverein,
«
Une fois qu'il sera établi, disent-ils aux agriculteurs, vous
aurez toute l'Allemagne comme débouché pour vos produits,
et quant à vous, industriels et commerçants, vous profi-
terez largement de l'expansion commerciale de l'empire
allemand. Tous, vous devez donc demander l'entrée de la
Cisleithanie dans l'union douanière allemande. »
Si maintenant, cessant d'envisager les détails, l'on consi-
dère dans son ensemble la tactique des Pangermanistes, elle
apparaît caractérisée par une intransigeance calculée et pro-
gressive. Ils ne veulent, en effet, sous aucun prétexte, cesser
l'agitation ; aussi s'ingénient-ils à rendre vaines toutes les
tentatives de conciliation avec les Slaves en demandant tou-
jours ce qu'ils savent impossible d'accorder. Ils réclament
(1) «
Zwei Parteien in Oeslerreich sind es, denen vom reichsdeutschen
Standpunkt aus Sympathiecn gebiihren : Deutschnationale und Sozialdemo-
kraten ! Mogen sie sich driiben streiten— sie wirken doch im Grunde zu-
sammen ! » F. Naumann, Deutschland und Oesterreich, p. 21. Verlagder
«
Hilfe » Berlin. 1900.
.
par exemple la division de la Bohême en deux régions
distinctes : l'une, allemande, aurait Reichenberg pour capi-
tale ; Prague serait le centre de la partie tchèque.
La région allemande formerait un territoire fermé (ges-
chlossenes Gebiet). Tout ce qui est tchèque devrait en dis-
paraître, tandis que, dans la région tchèque, les deux
langues tchèque et allemande auraient les mêmes droits.
Une pareille prétention équivaut simplement à demander
aux Tchèques le complet abandon de leurs nombreux
compatriotes du nord et l'entier renoncement aux droits
historiques du royaume de saint Venceslas, basés surl'indi-
visibilité de la Bohême, de la Moravie et de la Silésie. Les
Tchèques luttent depuis cent années pour obtenir le res-
pect de ces droits. Comment pourraient-ils donc consentir
à une division de la Bohême qui équivaudrait à tracer
d'avance à l'Allemagne les cadres d'une future annexion (1)?
L'attitude des Prussophiles, depuis l'abrogation des ordon-
nances du comte Badeni, est une démonstration convain-
cante du caractère voulu de leur intransigeance. En avril
1897, ils affirment : « Nous combattons pour obtenir le re-
trait des concessions qui lèsent les droits du Il germanisme" ;
en octobre 1899, ils obtiennent gain de cause, mais ils n'en
continuent pas moins à se refuser obstinément à toutes
les tentatives d'accord et leurs chefs proclament que leur
opposition est irréductible. " Je tiens une réconciliation avec
les Slaves pour un effort inutile, écrit le député Bareuther.
Il s'agit simplement de savoir si notre suprématie ou celle
des Slaves s'implantera en Autriche (2)... » a On parle tou-
jours d'égalité entre les Allemands et les Slaves ; c'est
comme si l'on comparait un lion à un pou, parce que
(1) Louis LÉGER, Histoire de l'Autriche-Hongrie, p. 594. Hachette,
Paris, 1895.
(2)1\
Eine Verstândigung mit den Cechen herbeizuführen, halte ich fur
ein vergebliches Bemiihen. Es handelt sich einfach um unsere oder die sla-
vische Vorherrschaft in Oesterreich... » lettre à M. Schonerer. V la Po-
litik du 19 janvier 1900.
tous les deux sont des animaux (1), dit M. Schonerer. Dans
les affaires nationales, je ne puis me placer sur le terrain de
l'égalité (2). Son lieutenant Iro est encore plus explicite :
M

« Nous ne
voulons point d'ordonnances sur les langues,
point de compromis, point de division de la Bohême, mais
une pleine reconnaissance de la prédominance des Alle-
mands en Autriche (3). »
Cette prédominance, les Pangermanistes ne se contentent
pas de l'avoir en fait, ils exigent que des signes extérieurs la
manifestent. Dans le programme revisé le jour de la Pente-
côte de 1900, la reconnaissance de l'allemand comme langue
d'État de l'Autriche est inscrite parmi les principales reven-
dications. La seule concession qui ait été faite consiste à
dire : Langue de communication ( Vermittelungssprache)
CI

au lieu de langue d'État (Staatssprache). » Encore M. Scho-


nerer proteste-t-il contre cette faiblesse. Or, si les Slaves,
en raison de la prescription séculaire, peuvent admettre
que l'allemand reste pratiquement la langue des adminis-
trations communes à tous les pays de la Cisleithanie, il leur
est impossible de reconnaître cet idiome comme langue
d'État par la simple raison qu'ils sont quinze millions dans le
pays et les Allemands seulement neuf millions.
Des prétentions aussi excessives garantissent donc aux
Prussophiles la possibilité de continuer indéfiniment l'agita-
tion qui est leur raison d'être. Nous ne permettrons pas
et

que la paix existe en Autriche avant que la langue alle-

(1) V. la Pensée slave de Trieste, 17 mars 1900.


(2) «... ich bekanntlich in nationalen Angelegenheiten nicht auf dem
Standpunkte der Gleichheit stehen kann. » Cité par la Politik du 25 janvier
1900.
(3) Il
Wir wollen keine Sprachenverordnungen, keinen einseitigen « Aus-
gleich » , keine Zweiteilung Bohmens —sondern eine volle Anerkennung der
Vorherrschaft der Deutschen in Oesterreich, oder nach vollzogener Sonder-
stellung Galiziens eine friedliche Aenderung der Verfassung im Sinne der
Angliederung der einstmals deutschen Bundeslânder als Bundesstaat an
das " Deutsche Reich. » V. Unverfalschte Deutsche Worte. 1er janvier
1898.
mande ait été érigée en langue d'État (1), » assure leur
grand chef; en réalité, ceci équivaut à dire : avant que l'Au-
triche ait été incorporée à l'empire allemand.

III
LES RÉSULTATS DE LA CAMPAGNE

Des efforts si multiples, si habiles, si persévérants, ne


pouvaient manquer d'avoir des résultats.

§ 1. — Ces résultats toutefois n'ont point constitué que


des avantages pour les meneurs de la campagne prus-
sophile. Leur audace a déterminé pendant quelques mois
un refroidissement très sensible entre les gouvernements
de Vienne et de Berlin.
Au début de la propagande, les hauts fonctionnaires de
François-Joseph se sont refusés à prendre au sérieux les
prétentions des Pangermanistes. Cependant la journée du
10 juillet 1897, où la foule avait arboré le drapeau de
l'empire allemand dans les rues d'Eger, avait été révélatrice.
La crainte de froisser l'ombrageux allié de Berlin inclina à
une modération pleine de pusillanimité. Puis, les Panger-
manistes proclamèrent leur but; leurs agissements se préci-
sèrent; l'obligation de sévir s'imposa. La répression fut hési-
tante, timide et anodine. Le 7 août 1898, le commandant
du district (Bezirkshauptmann) de Saaz interdit à la société
Germania d'organiser un service en l'honneur de Bis-
marck. A peu près à la même époque, le gouverneur de
Prague s'opposa à la formation d'une société dite Union des
(1) "Es darf nicht eher Friede werden in Oesterreich, bevor nicht die
deutsche Sprache in aller Form zur Staatssprache eihoben ist, » paroles
de M. Schônerer citées par la Politik du 11 février 1900.
villes allemandes de la Bohême. Le comte Thun était alors
au pouvoir. Un incident sans précédent l'amena bientôt à
prendre des mesures plus énergiques. En novembre 1898,
cédant aux instances de l'Union pangermanique, le gou-
vernement de l'empereur Guillaume expulsa sans motif une
foule d'ouvriers slaves autrichiens. Interpellé au Reichsrath,
.
le comte Thun, justement indigné, protesta contre un tel
procédé et déclara nettement qu'il userait de représailles si
les expulsions continuaient en Prusse. Ce langage, nou-
-

veau par sa fermeté, fit à Berlin une énorme sensation.


La presse de l'empire allemand éleva si haut le diapason
de ses récriminations que le comte Thun, sous la pression
de hautes influences, dut atténuer la portée de ses déclara-
tions. Un sentiment de mauvaise humeur réciproque n'en
subsista pas moins. A ce moment même, l'agitation panger-
maniste s'étendait à toute l'Autriche à 1" suite au mouve-
ment Los von Rom. Le comte Thun vit alors le danger dans
toute son étendue et s'efforça de l'enrayer. En mars 1899,
il fit saisir à la frontière les cartes postales illustrées que
l'Odin Verein (1) de Munich expédiait par milliers pour
engager, au nom du Germanisme » , les Allemands autri-
(1

chiens à passer au protestantisme ; en avril, l'association des


nationaux allemands, présidée par le député Wolf, et plu-
sieurs autres groupements protestants furent dissous par
le gouverneur de la Basse-Autriche; le 4 mai, mesure plus
grave, prise pour la première fois depuis Sadowa, le gou-
vernement de Vienne fit arrêter l'agent prussien, le pasteur
Everling, l'expulsa et traduisit en justice ses complices
autrichiens : MM. Fraiss et Polzer de Graz (2); en juin le
Statthalter (gouverneur) de Prague interdit la Teutonia,
société des étudiants allemands, en raison de son attitude
antiautrichienne ; en septembre, on s'en prit au grand
chef pangermaniste, M. Schônerer lui-même; mais on se
(1) V. p. 204.
(2) V. p. 118.
contenta de dissoudre la ligue fondée par lui sous le nom de
I Union des Agriculteurs allemands de la marche de l'Est (1),
dangereuse association qui se reforma aussitôt sous le titre
de Ligue des Agriculteurs allemands. Ce simple fait suffit
à établir la puérilité des mesures de répression.
Depuis la chute du comte Thun, amenée par les circons-
tances que l'on sait (2), la politique berlinoise a retrouvé à
Vienne une influence plus grande que jamais. Sûrs de main-
tenir les positions acquises, les Pangermanistes comprennent
l'intérêt qu'ils ont à ne pas faire perpétuellement usage de
la violence et décrètent de temps à autre une période d'ac-
calmie relative. Une fois surtout, cette intelligence de la
situation leur a merveilleusement réussi. François-Joseph
commençait à saisir que le mouvement prussophile était
directement dirigé contre sa dynastie. Des mesures sérieuses
pouvaient s'ensuivre ; à tout prix, il fallait replonger le
souverain dans ses anciennes illusions. Dans ce but, on
profita des grandes manœuvres faites en septembre 1899 au-
tour de Reichenberg, région absolument dévouée à M. Schô-
nerer, pour organiser des manifestations loyalistes. Elles ont
eu, il faut le reconnaître, le résultat voulu. Depuis lors,
François-Joseph est revenu à son appréciation première.
Il considère l'agitation actuelle comme une nouvelle mani-
festation des nombreuses périodes troublées qu'il a déjà tra-
versées: "J'en ai vu bien d'autres depuis 1848, » dit-il par-
fois à ceux qui tentent de lui ouvrir les yeux. Sans doute,
peu de souverains ont subi des épreuves plus douloureuses,
plus diverses, que l'empereur d'Autriche; il n'en est cepen-
dant pas moins certain que le présent état de choses est
absolument sans analogie avec les situations passées.
Quoi qu'il en soit, les Prussophiles jouissent désormais
d'une liberté d'action à peu près entière. Le gouvernement
de Vienne ne se permet même plus d'observations. On sait
(1) " Bund der Deutschen Landwirthe in der Ostmark.
»
(2) V. p. 33.
à Berlin l'étendue de sa pusillanimité et on en profite large-
ment. En décembre 1899, les expulsions de Slaves, sujets
autrichiens qui travaillent en Allemagne, ont recommencé
par centaines (1). Ces mesures que rien ne justifie ont paru
intolérables, et le 28 du même mois des députés tchèques
et polonais, membres de la délégation autrichienne, ont
interpellé à ce sujet le comte Goluchowski. Le ministre des
affaires étrangères de François-Joseph a répondu en garan-
tissant à nouveau la solidité de la triple alliance, ce qui
dans les circonstances d'alors équivalait à dire, en lan-
gage diplomatique, qu'il n'y avait rien à obtenir de Berlin.
En sera-t-il toujours ainsi? Vraisemblablement non. De
nombreux indices permettent de prévoir qu'avant long-
temps les ministres de François-Joseph seront contraints
par la force des choses à revenir à la digne et patriotique
attitude esquissée parle comte Thun.
En attendant, le temps passe, l'audace des Pangerma-
nistes s'accroît. La liberté dont ils jouissent leur a permis de
couvrir toute la partie :de l'Autriche qu'ils convoitent d'une
organisation complète, très active, perfectionnée de jour en
jour et de plus en plus efficace.
Dès le début, les Prussophiles ont trouvé un puissant
concours dans la partie de la presse viennoise qui, comme
on sait, est entre les mains d'Israélites. Ceci se conçoit;
«
l'élément Juif tout entier travaille en faveur du Panger-
manisme (2). » Cette presse mensongèrement qualifiée de
libérale puisqu'elle demande l'oppression des Slaves, com-
prend la plupart des journaux à grand tirage de la capitale
autrichienne.
En juillet 1866, la Presse de Vienne a indiqué fort nette-
ment l'esprit secret qui depuis a constamment guidé ces

fi) A Myslowitz, seulement du 1er juilletau leroctobre 1900, le commis-


saire de police a expulsé plus de 500 personnes.
(2) DE GORLOF, la Question d'Orient au vingtième siècle, p. 14 Ventre,
Nice, 1899.
1 1
.
feuilles publiques : « Si l'Allemagne nous prête la main, nous
lui donnerons en cadeau ce beau Danube bleu, qui lui ouvrira
le monde merveilleux de l'Orient. »
Aujourd'hui « la Nouvelle Presse libre » (Neue Freie
Presse) travaille activement à la réalisation de cet idéal.
Depuis sa fondation, elle mine sournoisement l'Autriche,
mais dans les dernières années, croyant sans doute la partie
gagnée, elle masque moins bien son jeu. Ainsi, elle a
défendu ouvertement le rédacteur Hofer d'Eger, poursuivi
pour haute trahison, et elle a accueilli avec enthousiasme
la lettre sauvage de Mommsen contre les Tchèques. Le
cc
Nouveau Journal de Vienne » (Neues Wiener Tageblatt)
suit une politique moins accentuée. Il se contente de faci-
liter l'œuvre pangermaniste en ridiculisant les mesures de
répression. C'est encore le cas de la " Gazette populaire
autrichienne » (Oesterreichische Volkszeitung). Parmi les
grands organes provinciaux d'une nuance identique, on
trouve le " Journal de Prague » (Prager Tageblalt), la
Bohémia de Prague, le " Messager quotidien » (Tagesbote)
de Brùnn. Jamais ces feuilles n'impriment le mot de Pan-
germanisme, mais elles s'emploient fort habilement à pré-
parer l'intervention allemande en effaçant graduellement
toutes les préventions contre Berlin. D'autres, la Silésia de
Troppau, la Gazette d'Eger » (Egerzeitung), la Gazette
iL cc

populaire allemande de Reichenberg » (Deutchevolkszei-


tung), la Gazette de Leitmeritz » (Leitmeritz Zeitung), ne
CI

cherchent plus à sauver les apparences. Enfin, parmi les


plus violemment pangermanistes, il faut citer c la Revue
allemande de l'Est » (Ostdeutsche Rundschau), dirigée par
le député Wolf, et dont une aigle prussienne, écartelée en
tête de ses numéros, indique suffisamment les tendances, et
pour terminer : it les Pures Paroles allemandes » (Unverf
âlschie Deutsche Worte), où M Schonerer réclame sans re-
lâche la réunion de l'Autriche à l'empire allemand.
A côté de la presse quotidienne, des revues soutiennent
les mêmes idées. Ce sont : le Messager populaire alle-
(1

mand » (Deutscher Volksbote), que dirige à Prague M. Kies-


lich; Der KyfJ/zauser (1), à Linz; Der Scherer, publication
dont le principal objectif est de dissoudre le loyalisme des
populations tyroliennes, pour les rendre plus accessibles aux
idées luthériennes et prussophiles (2). Ce ne sont là que les
principaux organes dévoués à la cause de Berlin. Dans
toutes les parties de l'Autriche où habitent des Allemands,
une foule de journaux locaux, nés depuis trois ou quatre
ans, travaillent dans le même sens.
L'action de nombreuses sociétés décuple l'influence déjà
si considérable de cette presse.
Des associations dites de protection (Schutzvereine) se
sont constituées dans le but avoué de lutter contre les
Slaves. Elles forment autant de centres ardemment panger-
manistes. Telles sont : l'Union de la forêt de Bohême (3),
Budweis 1884; l'Union des Allemands du nord de la Mora-
vie (4), Olmutz 1886; la Sudmark, Graz 1889; l'Union des
Allemands de l'ouest de la Bohême, Pilsen 1892 (5); la
Nordmark, Troppau 1894; l'Union des Allemands de l'est de
la Bohême, Trautenau 1894 (6); l'Union des Allemands du
nord-ouest de la Bohême, Teplitz 1894 (7) ; l'Union des
Allemands du cercle d'Eger, 1895 (8); l'Union générale des
Allemands de Bohême, Prague 1894 (9). La croissance
de cette dernière société est particulièrement remarquable.
Elle comptait :
(1.) Der Kyffhauser, deutsche Blätter für Politik, Kunst und Leben,
LINZ.
(2) Der Scherer, directeur K. Kabemann ; Marie-Theresienstrasse, Inns-
bruck.
(3) Der deutsche Bohmerwaldbund. « Le nom de ville indique le siège
«
de la Société, et l'année qui le suit, la date de sa création.
(4) « Bund der Deutschen Nordmährens. "
v (5) « Bund der Deutschen in Westböhmen. "
(6) k Bund der Deutschen in Ostböhmen. "
(7) « Bund der Deutschen in Nordwestbohmen. »
1
(8) « Bund der Deutschen in Errerkrpis. "
(9) « Bund der Deutschen in Böhmen, " Prag I, Bethlehemsplatz, 2.
En 1895, 6,000 membres et 81 groupes locaux.
1896, 18,000 — 209 —
1897, 21,000 — 226 —
1898, 30,000 — 347 —
1899, 50,000 — 535 —
Ces chiffres sont éloquents, ils enregistrent la rapide pro-
gression des idées prussophiles dans le nord de la Cislei-
thanie. Enfin, au-dessus de « l'Union des Allemands de
,
Bohême , on trouve « l'Union générale des Allemands
d'Autriche (1) », présidée par le député Wolf.
.
Tous ces groupes, fédérés entre eux, se tiennent en rela-
tion étroite avec l'Union viennoise des écoles alle-
CI

mandes (2) », fondée à Vienne en 1880, qui prépare les


enfants à comprendre et à aimer l'idée de la Grande-Alle-
magne.
Cette énumération, déjà longue, est cependant encore
très incomplète ; pour la parfaire, il faudrait citer les innom-
brables sociétés de chant, de sport ou de gymnastique éta-
blies depuis longtemps dans l'empire de François-Joseph,
dans lesquelles entrent les Pangermanistes avec l'idée pré-
conçue de faire des prosélytes parmi les anciens adhérents.
Le fonctionnement d'une organisation aussi complète,
d'un caractère si nettement offensif, ne pouvait qu'exaspérer
les luttes nationales. Sans doute, les rivalités entre Slaves
et Allemands sont bien antérieures à la campagne panger-
maniste, mais elles n'avaient point jadis le caractère impla-
cable qu'elles présentent maintenant. Des incidents mul-
tiples, tantôt puérils, tantôt tragiques, en témoignent : c'est
l'avocat tchèque, Dr Stejskal de Duckov (Dux, Bohême du
Nord), qui trouve, un matin, sa maison complètement bar-
bouillée d'encre d'imprimerie ; c'est l'histoire lamentable du
journaliertchèque Josef Erben, domicilié à Vienne. Le 20 oc-

(1) 11
Deutschnational Verein für Oesterreich. »
« Wiener deutscher Schul verein, »
(2)
tobre 1899, Erben passe la journée à Hüttelsdorf, localité
des environs. Le soir, il revient chez lui à pied, en chantant
une vieille chanson bohême. Deux Allemands passent. Par-
tisans de M. Schônerer, ils ont les Tchèques en exécration.
Ils enjoignent à Erben de se taire. Une querelle s'engage.
Le Tchèque, terrassé, est sur le point de succomber. Il
prévient ses deux adversaires que, s'ils ne le lâchent pas, il
se défendra au couteau. Les Prussophiles le pressent da-
vantage. Erben tire son couteau et en blesse un mortel-
lement. Traduit devant les tribunaux, il paie de dix mois de
prison les suites de sa chanson bohème. Les duels motivés
par les querelles nationales sont encore une des consé-
quences du mouvement pangermaniste. La liste en serait
longue. Un exemple suffira : en avril 1899, M. Mattusch,
élève à l'École des mines de Leoben, tue son camarade
allemand, M. Januschke. En présence de tels faits, il est
impossible de ne pas reconnaître que les idées prusso-
philes ont trouvé en Autriche des partisans nombreux et
convaincus. On en rencontre dans toutes les couches
sociales. L'armée, elle-même, en renferme un nombre
important (1). Les fonctionnaires n'ont pas échappé davan-
tage à l'action de la propagande. Les lettres trouvées sur le
pasteur Everling sont révélatrices à ce sujet (2) et à chaque
instant des faits regrettables témoignent de la partialité qui
en résulte. En juin 1899, des Prussophiles organisent une
réunion dans le quatrième arrondissement de Vienne.
Des antisémites, partisans des Habsbourg, protestent contre
les paroles d'un des orateurs. Ils sont aussitôt assaillis à
coups de couteau. Au lieu d'intervenir, le commissaire de
police, Lœventhal, fait cause commune avec les Panger-

119..
manistes. Ceux-ci connaissent bien l intérêt qu'ils ont à
avoir dans l'administration des adhérents susceptibles de de-
venir un jour des complices ; ils en triomphent ouvertement.
(1) Les conséquences de cet état de choses'sont envisagées p. 308.
(2) V. p.
(1
Aujourd'hui des centaines de fonctionnaires pensent réso-
lument Deutschnational (1). »
Les plus ardentes recrues de M. Schônerer sont naturelle-
ment, en raison de la fougue de leur âge, les étudiants.
L'Université allemande de Prague a d'abord été le centre de
l'agitation scolaire; puis l'activité malfaisante de M. Wolf a
réussi à la communiquer aux Universités de Vienne, de
Brunn, de Graz et d'Innsbruck. La fusion des étudiants
allemands de l'empire et des étudiants allemands d'Autriche
s'est ensuite réalisée, toujours à l'instigation du Dr Hasse,
sous le titre de « l'Union des étudiants allemands Il (2), qui
possède déjà des ramifications dans toutes les écoles supé-
rieures. Ce résultat n'a pas suffi aux Prussophiles. Prépara-
teurs d'avenir, ils entendent gagner à leurs idées même les
enfants des collèges. Pour y parvenir, ils ont imaginé de
fonder, dans la plupart des villes d'Autriche, des Ligues de
la jeunesse (Jugendbunde) qui se tiennent en relation cons-
tante avec les groupements similaires existant dans l'empire
allemand. La jeunesse autrichienne est ainsi à tous les
degrés l'objet d'un embrigadement méthodique
Aprèsun tel travail, ladiffusion des idées prussophiles dans
certaines régions était inévitable. Tout décèle leur pénétra-
tion. Pour avoir des policiers ressemblant à ceux de l'em-
pereur Guillaume, le conseil, municipal de Leitmeritz fait
porter à ses sergents de ville des casques dits Pickelhanben; le
drapeau allemand est arboré dans les fêtes publiques (3) ;
la Wacht am Rhein et le Deutschland über alles sont
chantés à la place de l'hymne autrichien ; les conseils
municipaux d'Eger, d'Innsbruck, de Marbourg, etc., déci-
dent qu'une rue portera le nom de Bismarck. Dans cette
(1) «Hunderte von Verwaltungsbeamten denkenheuteéntschieden deutsch-
national... » Deutschland bei Beginn des 20. Jahrhunderts, p. 101. Militiir-
VerlagR. Félix, Berlin, 1900.
(2) " Verein der Deutschen Studenten.
»
(3) La première démonstration antiautrichienne qui
se soit produite sous
cette forme a eu lieu à Éger le 10 juillet 1897.
dernière ville, pour bien marquer, par une ironie qu'on
crut piquante et qui n'est que lourde, l'entier oubli de
Sadowa, on a choisi comme Bismarckstrasse la rue où se
trouve le commandement de la brigade impériale et royale
— K. und K. Brigade-Kommando. — Les réunions les plus
antiautrichiennes se tiennent ouvertement. Le 16 mai 1900,
MM. Wolf et Schônerer parlent à Aussig. La salle est
décorée aux couleurs de l'empire allemand, un buste de
Bismarck préside et deux mille personnes, dont un grand
nombre de sujets de Guillaume II, qui ont tout exprès passé
la frontière, assistent à l'assemblée. Les Pangermanistes
autrichiens mettent un empressement identique à répondre
aux démonstrations des Allemands de l'empire. Un de leurs
chefs, le Dr Bareuther, adresse à l'assemblée générale de
l'Union pangermanique, tenue à Mayence le même mois,
une dépêche ainsi conçue : « Salut et prospérité au plus
actif Verein de la Pangermanie. De toute mon âme, je
salue ses efforts pour consolider notre solidarité nationale
par une union économique (1). Il Plus récemment encore, le
jour du soixante-dixième anniversaire de François-Joseph,
le drapeau révolutionnaire pangermaniste, noir, rouge et
jaune, a été arboré dans beaucoup d'endroits du nord de
la Bohême (2). Il est donc indéniable que de plus en plus
l'épithète de Deutschnational, dont se paraient les Panger-
manistes au début de leur campagne quand ils n'osaient
point encore proclamer leur but véritable, s'identifie avec
celle de Preussisclmational.
La contre-partie inévitable du développement des sympa-
thies pour les Hohenzollern a été la diminution des senti-
ments loyalistes envers les Habsbourg. Dès le commence-
ment de leur action publique, les meneurs prussophiles

(1) Heil und Wachstum dem rührigsten Verband Alldeutschlands! Aus


«
ganzer Seele begrüsse ich sein Bestreben, unsere Volksgemeinschaft durch
wirtschaftliche Vereinigung zu festigen. »
(2) A Bielitz, par exemple.
n'ont pas hésité à se montrer prêts à trahir l'Autriche. i( Il
nous faut la réunion de l'empire d'Autriche à l'Allemagne,
déclara le député Iro, le 24 mai 1897, dans un discours qu'il
fit à Salzbourg. L'Autriche deviendra une province confé-
dérée comme les autres provinces allemandes. L'empereur
continuera à s'appeler empereur, s'il le veut; pour nous,
nous comptons sur notre mère la Germanie, qui n'abandon-
nera pas ses enfants en Autriche. » A Leipzig, le 27 juil-
let 1897, l'Autrichien Hofer, rédacteur aux Egerer Na-
chrichten, parla avec plus de violence encore au banquet
qui termina la journée : « Jamais nous n'abandonnerons le
combat contre les Slaves. Nous savons que derrière nous
sont les cinquante millions d'Allemands de l'empire. Notre
devise à nous, Allemands de Bohême, reste toujours : un
Dieu, un empereur, un empire. » Ces paroles valurent à
leur auteur une poursuite pour haute trahison, que le gou-
vernement de Vienne eut la faiblesse d'abandonner devant
les clameurs de la Neue Freie Presse. Les étudiants manifes-
tent si fréquemment leurs sentiments prussophiles que cer-
tains « corps » ont dû être dissous, comme la Teutonia de
Prague. Ces mesures de pure forme restent inefficaces.
"Les étudiants retirent de leurs salles de réunion le portrait
de François-Joseph et le remplacent par le buste de Bis-
marck (1). 1)

Un fait plus grave s'est produit. A Graz, de jeunes


Pangermanistes ont brûlé publiquement le drapeau autri-
chien. Les autorités ne les ont pas inquiétés, mais elles ont
saisi le journal qui voulut porter ce scandale à la connais-
sance publique. Une faiblesse aussi inconcevable n'a qu'une
explication.
Ceux qui gouvernent à Vienne sentent bien le danger,

(1) «
Die Studenten entfernen aus ihren Kneiplokalen die Bilder der
osterreichischen Kaiserpaares unter wüstem Spektakel und stellen Bismarck
u. s. w. Busten auf. » Deutschland bei Beginn des20. Jahrhunderts, p. 102.
Militar-Verlag R. Félix, Berlin, 1900.
mais, comme tous les pusillanimes, dans la crainte d'en
apercevoir toute l'étendue, ils ne l'envisagent pas résolu-
ment; ils veulent croire que le silence suffira peut-être à
l'éviter. Un semblable calcul est assurément faux avec des
adversaires aussi décidés que le sont les meneurs panger-
manistes. Chaque défaillance du pouvoir est une prime à
leur audace. Dans une lettre au président du conseil,
MM. Bareuther, Iro, Schônerer, Walter, voulant réveiller
les souvenirs de l'ancienne confédération germanique,
n'hésitent pas à parler de la ville libre impériale d'Eger
(jreie Reichsstadt Eger). Enfin, scandale dépassant tous les
autres, le 25 octobre 1899, en plein Parlement de Vienne,
le député Tûrk, salué par les applaudissements enthou-
siastes de ses amis, a déclaré : « Les pays héréditaires alle-
mands doivent s'adosser à l'empire allemand d'une façon
quelconque, à peu près comme cela existait avant 1866.
Une union douanière économique avec l'Allemagne est la
première étape dans cette voie... Nous autres, Allemands,
nous sommes prêts à tout. Faites éclater une guerre civile
entre les Allemands et les Tchèques en Bohème, en Moravie
et en Silésie, et les armées allemandes de la Prusse vien-
dront vous donner une danse (sic) (1). "
Cette insulte à l'État autrichien, faite en présence de tous
les représentants de la Cisleithanie, a passé comme le reste,
exemple presque incroyable d'une impunité dont la durée
a peut-être servi davantage la diffusion du Pangermanisme
que les efforts des meneurs. Ceux-ci ont eu rapidement
l'impression qu'ils étaient les maîtres. En 1897, ils ont
commencé l'agitation ouverte, et, deux ans plus tard, ils

(1) Dann müssen die deutschen Erbländer in irgendeiner Form an das


"
Deutsche Reich sich anlehnen, etwa in jenem Zustande, wie es vordem Jahre
1866 bestand. Eine wirlhschaftliche Zollunion mit Deutschland wäre der
erste Schritt dazu... Wir Deutschen sind auf alles gefasst. Treiben Sie es zu
einem Bürgerkrieg zwischen den Deutschen und den Cechen in Böhmen,
Mähren und Schlesien, dann werden die Deutschen Heere Preussens Ihnen
einen Tanz aufspielen. »
jugeaient déjà les esprits suffisamment préparés à accepter
leurs plus audacieuses conceptions ; c'est alors qu'ils ont
répandu parmi les Allemands d'Autriche ce plan du mor-
cellement de la Cisleithanie, dont j'ai donné plus haut
l'analyse (1). Bien que non signée, cette brochure reflète
exactement les idées personnelles du Dr Hasse. LesPanger-
manistes lui attribuent, en tout cas, une importance toute
spéciale, car ils ont tout fait pour en favoriser la diffusion,
donnant la liberté de reproduction (2) et fixant un prix de
propagande qui décroît avec le nombre d'exemplaires
achetés à la fois. Une seule brochure coûte 40 pfennig;
au cent, elle ne revient plus qu'à 10 pfennig, et au mille
seulement à 5 pfennig.
La publication d'un document si explicite est l'aveu
évident du but réel qu'on poursuit. Comme le démembre-
ment de l'Autriche implique la destruction, ou tout au moins
l'étroit assujettissement de la maison régnante, l'attaque
contre la dynastie des Habsbourg devait être l'aboutisse-
ment logique de la campagne prussophile. C'est ce qui est
arrivé.
(1
C'est aux Hohenzollern, dit un écrivain de Y Odin Verein,
et non aux Habsbourg que nous devons nous attacher. Il est
écrit dans l'histoire, en lettres de sang, que ceux-ci n'ont
point la force ni même la volonté d'assurer l'union des États
allemands et de réduire leurs tendances séparatistes (3). »
Le soixante-dixième anniversaire de François-Joseph a

(1) Oesterreichs Zusammenbruch und Wiederaufbau, Lehmann, Munich,


1899. V. la carte « le morcellement de l'Autriche d'après les Pangerma-
nistes. Il
(2) Naclidruck mit Quellenangabe gestattet. V. la couverture de la bro-
chure.
(3) die Hohenzollern und nicht die Habsburger es sind, denen wir
u...
uns anzuschliessen haben, weil es in der Geschichte mit blutiger Schrift ges-
chrieben steht, dass die Habsburger nicht die Kraft haben, um die ausei-
nanderstrebenden Deutschen Staaten und Stäätlein zusammenzuzwingen...»
Die deutsche Politik der Zukunft p. 3. Deutschvölkischer Verlag Odin",
^
Munich, 1900.
permis de constater le résultat de telles exhortations. Alors
que tous les partis et toutes les nationalités de l'Autriche-
Hongrie faisaient trêve à leurs querelles, seuls, les Prusso-
philes n'ont pas désarmé. Ils ont manifesté un peu partout
leurs sentiments antidynastiques; à Innsbruck, ils ont fait
coller la nuit sur les murs des affiches autocopiées qui se
terminaient par : « Vivent les Hohenzollern — Hoch Hohen-
zollern! » deux mots qui résument toute la campagne pan-
germaniste.
En présence de faits si nets, comment prétendre que si
elle vise les Slaves, elle épargne l'Autriche et les Habs-
bourg? N'est-il pas loin le temps où, du nord de la Bohême
jusqu'à l'Adriatique, tous les sujets allemands du mo-
narque autrichien chantaient d'un cœur sincère :
Dieu sauve l'empereur François,
Notre bon empereur,
Que l'amour tresse pour lui les rameaux de laurier
En une couronne éternellement verte.
Les troubles qui, à la fin d'août 1899, ont éclaté dans
toute l'Autriche ont été comme la synthèse du mouvement
prussophile. Le relèvement des taxes sur les sucres, la bière
et le pétrole, dont j'ai parlé plus haut, en fut le prétexte.
Immédiatement le caractère pangermaniste de l'agitation
s'affirma. A Graslitz (Bohême), les Prussophiles attaquent la
capitainerie en chantant : Il La garde sur le Rhin ; » à Asch,
ils décrochent des bâtiments de la douane l'écusson portant
l'aigle impérial de la maison d'Autriche et le piétinent; à
Vienne, les manifestations, malgré leur apparence socia-
liste, sont dirigées sous main par les agents de M. Schône-
rer; à Graz, la foule attaque le palais de l'empereur, en
poussant des cris hostiles à la dynastie; à Klagenfurth, une
violente démonstration est faite contre l'archevêque, connu
pour ses sentiments de dévouement à l'Autriche et de répul-
sion pour l'Allemagne. Or, tous ces troubles ont lieu en
même temps et seulement dans les régions allemandes ; on
constate sur place que partout ils sont l'oeuvre d'habiles
agitateurs (1), et non pas le résultat spontané de l'irritation
populaire. Il est donc permis de voir en eux moins une
manifestation contre le comte Thun qu'une mobilisation
générale des forces pangermanistes.

§ 2. — Si le succès » de ces troubles constitue pour


ci

leurs organisateurs le plus puissant des encouragements,


il présente aussi de l'intérêt pour l'observateur étranger;
ils facilitent le contrôle de la répartition géographique des
centres prussophiles et leur évaluation numérique.
à
Dans la région viennoise, l'ouest et au sud (2),les popu-
lations allemandes sont encore en immense majorité profon-
dément attachées aux Habsbourg. Les Pangermanistes
n'existent que dans certaines villes ; ils y forment des grou-
pements numériquement faibles, mais ardents et parfaite-
ment organisés. Salzbourg, Linz, Innsbruck, Neustadt, Leo-
ben, Graz, Judenbourg, Marbourg, Cilli, Villach, Klagen-
furth, Trieste (3), sont leurs centres principaux. Par contre,
dans la Bohême dite allemande et surtout dans l'arc de
cercle formé par Troppau, Trautenau, Reichenberg, Leit-
meritz et Eger, les sentiments autrichiens, sauf dans les
communes tchèques, ont à peu près complètement disparu.
A quel chiffre correspond l'ensemble des Prussophiles?
Leurs progrès rapides rendent une évaluation numérique
bien délicate. Il y a quatre ou cinq ans, on eût serré la
vérité de près, en parlant de quelques milliers de têtes ;
aujourd'hui, il en est autrement. Un premier point est cer-
tain, c'est que ce nombre est beaucoup plus important que

(1) V. les dépêches adressées à la fin d'août 1899 au Daily Telegraph


par son correspondant autrichien.
(2) V. les teintes violette et rose pâle de la carte dite Répartition géogra-
phique des partisans et des adversaires du fédéralisme en Autriche, p. 54.
(3) Jusqu'ici, le groupe de Trieste s'est abstenu de toute démonstration.
Sa consigne est de travailler sans éclat afin de ne pas éveiller trop tôt les
susceptibilités italiennes.
le groupe Schônerer au Reichsrath, formé de sept députés,
ne le laisse supposer (1).
Dans une réunion publique tenue à Tetschen, en novem-
bre 1899, le député Wolf a affirmé que les trois quarts des
Allemands de Bohême appartenaient à son parti. Cette
estimation ne semble pas exagérée.
Si I on considère l'activité des Pangermanistes et leur
parfaite organisation, on peut même admettre que tous les
Allemands de Bohême, c'est-à-dire environ deux millions
d'individus, deviendront des adeptes plus ou moins ardents
de M. Schônerer. Combien peut-il y en avoir dans le reste
de la Cisleithanie ? Jusqu'ici, seules, quelques villes ont été
touchées par la propagande. Si l'on admet que leur péri-
phérie immédiate puisse être également pénétrée par elle,
on peut évaluer approximativement à un million, en dehors
de la Bohême, le nombre des Allemands prussophiles (2).
Donc, si l'on tient compte des progrès qu ils peuvent vraisem-
blablement encore réaliser grâce à une propagande intense
faite dans un champ d'action propice, on peut admettre que
les Pangermanistes atteindront un total *d'environ trois mil-
lions de têtes.
Par rapport aux vingt-cinq millions d'habitants de la
Cisleithanie, il est évident que le chiffre de trois millions de
Prussophiles est bien faible. Toutefois leur audace et les
troubles d'août 1899 indiquent qu'il faut leur attribuer une
importance plus grande que leur nombre; cette considé-
ration ne doit cependant jamais faire perdre de vue que les
deux tiers d'Allemands d'Autriche, c'est-à-dire la très grande
majorité, sont encore loyalistes.

(1) Ces lignes ont été écrites un peu avant les dernières élections.
(2) V. la teinte rouge de la carte intitulée Répartition géographique des
partisans et des adversaires du fédéralisme en Autriche, p. 54.
IV

GRAVITÉ DE LA SITUATION PRÉSENTE

La situation créée en Cisleithanie par la propagande


pangermaniste constitue en elle-même un véritable danger.

§ 1.
— Sans doute, les Prussophiles ne sont encore qu'une
minorité, mais une minorité remuante et organisée. Va-
t-elle, par des manœuvres hardies, imposer sa volonté à la
majorité passive et mal défendue des Allemands loyalistes?
C'est là une hypothèse qui pourrait se réaliser si la marche
en avant des adeptes de M. Schônerer n'est pas arrêtée
résolument. Dès maintenant d'ailleurs, la place qu'ils ont
prise en Autriche présente de graves inconvénients. Habi-
lement répartis par petits groupes sur tout le pays con-
voité (1), les Prussophiles donnent de loin l'illusion du
nombre, et leurs manifestations violentes, dominant celles
de tous les autres, peuvent passer facilement pour l'expres-
sion de la volonté générale des Germains de Cisleithanie.
C'est ce qu'affirment tout au moins les ennemis de l'Autriche ;
les agences télégraphiques, dont la mission est de montrer
aux étrangers une Autriche dont toutes les forces se désa-
grègent, travaillent avec persévérance à entretenir cette
illusion (2).
§ 2. Ce qui arrive aujourd'hui, conséquence de la fai-
blesse de François-Joseph, a été prévu, il y a plus de trente
ans, par le Dr Hieger. Il voyait alors se former à Vienne
le parti si faussement qualifié de Il libéral » ; il en con-
naissait les attaches secrètes et déjà dans son mémoire
(1) Se reporter à la carte insérée p. 54.
(2) V. préface.
1 à Napoléon III, signalant ses tendances et son programme,
il n'hésitait pas à dire : Il Ce parti allemand et dit progres-
siste est actuellement en Autriche le parti dominant, le
parti du gouvernement. Tant qu'il en sera ainsi, il ne per-
mettra pas que l'on gêne la Prusse dans l'exécution de sa
prétendue mission allemande, qui signifie la dissolution de
l'Autriche. IJ

C'est bien, en effet, la longanimité déplorable dont le


gouvernement de Vienne a fait preuve envers ce parti dit
libéral qui a permis aux idées prussophiles de prendre en si
peu d'années une aussi grande extension. Aujourd'hui, la
nécessité de réprimer les menées étrangères en Cisleithanie
s'impose avec évidence. Le Dr Kramarsch a expliqué avec
force qu'on ne saurait attendre plus longtemps. Le radica- CI

lisme allemand menace trop l'avenir de la monarchie et


même la paix européenne pour qu'il soit permis de tarder
à prendre des mesures énergiques (1). » En supposant
cc
qu'on n'arrête pas ce mouvement, qu'il soit encouragé
par la jeunesse allemande, imbue des théories pangerma-
nistes, stimulé par les luttes nationales du Parlement, luttes
inévitables dans un Parlement central où chaque nationalité
combat pour ses droits ou ses privilèges, les Allemands, que
les politiques libéraux voulaient unir pour en faire l'appui
de leur centralisme » se grouperont tous en un parti
et
,
nationaliste radical, mais cette fois contre l'État, contre
l'idée immanente de l'Autriche, c'est-à-dire contre l'idée de
justice et d'égalité pour tous les peuples (2) . IJ

Sans doute, même si tous les Allemands d'Autriche deve-


naient prussophiles, — hypothèse tout à fait irréalisable, —
ils ne seraient jamais qu'une minorité dans l'État cisleithan;
mais bien avant que ce résultat puisse être obtenu, il en est un
autre qu'il est possible d'atteindre et qui aurait les plus
(1) Dr K. KRAMARSCH, l'Avenir de l'Autriche (Revue de Paris, 1er février
1899, p. 598).
,
(2) Op. cit., p. 585 et 586.
1-
fâcheuses conséquences. Si le gouvernement de Vienne ne
comprend pas enfin son intérêt et ses devoirs, il est à re-
douter que le terrorisme pratiqué par les Prussophiles ne
parvienne à arrêter, au moins momentanément, l'accepta-
tion de « fédéralisme » par ceux des Allemands autrichiens
dont j'ai signalé plus haut la sagesse politique. (V. p. 38.)
Les Allemands loyalistes sentent nettement l'imminence
et la portée de ces dangers. Pour les rendre impossibles, ils
voudraient former un grand parti autrichien. Ce titre dit
tout son programme. M. Lueger en serait le chef. Malheu-
reusement, les récentes déclarations antislaves du bourg-
mestre de Vienne semblent indiquer qu'il n'a pas encore
absolument dégagé les conditions inéluctables d'existence
d'un tel parti. Il est clair cependant qu'un parti autrichien ne
pourra subsister que s'il a pour base l'égalité de traitement
(Gleichberechtigung) des diverses nationalités, seul moyen
d'établir un modus vivendi entre Slaves et Allemands.
Les circonstances inquiétantes de la période actuelle
donnent un intérêt tout particulier aux élections qui ont
lieu actuellement. Comme par le passé, les Tchèques ré-
clament le respect du droit d'État de la Bohême, l'appli-
cation de l'article 19 de la Constitution de 1867 (1) et la
concession de l'autonomie administrative. Les points de vue
des Allemands sont divers. Beaucoup de députés modérés,
précisément une partie de ceux qui acceptaient le « fédéra-
lisme », lassés par les luttes et les injures des dernières
années, ont renoncé à se présenter devant leurs électeurs.
Cette attitude est fort regrettable. Ils laissent ainsi la place
à des candidats ardents, disposant de grands moyens et qui,
plus ou moins, dépendent du groupe Schônerer. Le pro-
gramme de ces derniers comporte la rupture du pacte
dualiste (l'Autriche serait rattachée à la Hongrie par le
simple lien personnel du souverain), la Sonderstellung de la

(1) V. p. 16.
Galicie, de la Bukovine et de la Dalmatie, la reconnaissance
de l'allemand comme langue d'État de la Cisleithanie, qui,
réduite ainsi territorialement, entrerait, en outre, dans le
Zollverein allemand. Toutes ces prétentions tendent, avec
beaucoup d'évidence, à faciliter la réalisation du plan pan-
germaniste. Si elles triomphaient, la physionomie politique
du centre du continent serait profondément modifiée; il en
résulte que les élections de Cisleithanie ont une importance
européenne.
L'agitation menée en faveur de ce dangereux programme
se poursuit avec frénésie. Le manifeste du parti allemand
extrême est une preuve nouvelle de son intransigeance
absolue. « Au cours de ces élections, le peuple allemand
autrichien a à décider sur son propre compte et sur le sort
de l'Etat. Il faut que les élections s'effectuent dans l'union
de tout le peuple allemand autrichien, et qu'il soit déclaré
au corps électoral de la façon la plus formelle, la plus
péremptoire, que nous voulons un État autrichien sous la
direction du peuple allemand (1), » « et étroitement uni à
l'empire allemand, ajoute le Dr Bareuther (2).
IJ

En présence de prétentions si notoirement excessives et


d'une situation si troublée, que peut-on prévoir? Dans une
réunion tenue le 8 septembre 1900, à Neutitschein (nord de
la Moravie), le député Wolf a estimé que le nombre des
membres de son parti au Parlement s'élèverait de sept à
quinze. Ces prévisions sont en voie de se réaliser. Au
moment où j'écris ces lignes, les résultats des élections,
non encore terminées en Cisleithanie, indiquent très nette
ment un renforcement des postes extrêmes. L'idée natio-
nale se manifeste de plus en plus chez les Slaves ; à Vienne,
où les Pangermanistes ne peuvent briguer ouvertement les
suffrages, ils se sont coalisés avec les Israélites pour faire

(1) Cité par la Pensée slave de Trieste, 20 octobre 1900.


(2) cc
... im engsten Anschluss an das Deutsche Reich. " Asch, il sep-
tembre 1900.
passer les socialistes internationaux à la place des députés
autrichiens de la nuance Lueger; dans la Bohême du nord,
les Prussophiles battent les Allemands modérés,
Il est donc certain que les Pangermanistes plus nom-
breux seront, mieux encore que par le passé, à même
d'arrêter à Vienne la marche des affaires publiques et d'ac-
croître la confusion qui règne en Autriche. Ce résultat né-
faste est indubitablement la conséquence directe de la
campagne prussophile. Sans elle, jamais le loyalisme des
sujets allemands de François-Joseph n'aurait pu être sérieu-
sement entamé.
MM. Schônerer, le Dr Hasse et leurs collaborateurs
peuvent être fiers de l'œuvre accomplie. De très bonne foi,
sans doute, ils ont cru servir leur pays. Leur ardeur, leur
activité, mériteraient l'admiration, si le mouvement créé
par eux ne menait fatalement l'Europe à la plus redoutable
des conflagrations. Devant le caractère inéluctable du
danger qu'ils provoquent aussi délibérément, on peut se
demander s'ils ont pesé suffisamment touets les consé-
quences de leur action. Les preuves multiples d'intelligence
qu'ils ont données rendent peu vraisemblable la conjecture
qu'ils ont agi sans discernement, et l'on est conduit à con~
dure qu'ils sont simplement les instruments d'une volonté
supérieure.
Cette volonté qui s'ingénie à briser tous les rouages de
l'État cisleithan, à tarir les sources profondes de sa vitalité;
qui s'attache avec ténacité à effriter le bloc autrichien, pour
n'avoir pas sans doute à le détruire directement, quelle est-
elle? Les directions que suit le Dr Hasse viennent trop no-
toirement de Berlin, les traditions de la politique prus-
sienne sont trop connues pour qu'à priori la conclusion
soit douteuse; mais il y a là un point essentiel qui demande
à être mis en lumière. J'y consacrerai le chapitre V : « Le
mouvement pangermaniste dans l'empire,allemand. »
CHAPITRE IV

L'AUTRICHE, LA HONGRIE
ET LE NOUVEL ÉTAT DE CHOSES

I. L'AUTRICHE A-T-ELLE INTÉRÊT ADMETTRE, SOUS UNE FORME QUELCONQUE,


A

UNE APPLICATION DU PANGERMANISME ? — § 1. Les peuples slaves : quelles


raisons ont-ils d'être fédéralistes? Ces raisons sont-elles fondamentales et
permanentes? Sont-ils Panslavistes? Peut-on les considérer comme sin-
cèrement autrichiens ? — § 2. Les Allemands d'Autriche : l'Allemand de
Vienne et l'Allemand de Berlin. Influence de la répartition géographi-
que des races. Le loyalisme. La patrie autrichienne. — § 3. Les Habs-
bourg ont-ils intérêt à se rapprocher des Hohenzollern? Les enseigne-
ments de l'histoire. Le rôle futur du souverain autrichien. — § 4. L'Au-
triche a-t-elle un avantage économique certain à entrer dans le Zollverein
allemand ? État actuel du commerce autrichien. Ses causes et les néces-
sités qui en découlent. Avantages et inconvénients qu'aurait pour l'Au-
trice son entrée dans l'Union douanière allemande.
II. QUELLE PEUT ÊTRE L'ATTITUDE DELA HONGRIE EN PRÉSENCE DU MOUVEMENT
FÉDÉRALISTE ET DE LA POUSSÉE PANGERMANISTE EN CISLFIT]IANIE ? —
§ 1. L'ancienne politique hongroise : sa raison d'être. Son insuffisance
actuelle. — §2. Le projet de Hongrie indépendante: la thèse de M. Kos-
suth. Sa portée européenne. Est-elle conforme aux intérêts magyars ?
— § 3. Le Zollverein de l'Europe centrale et les Hongrois. Se-
rait-il de nature à favoriser l'essor économique magyar? — § 4. Even-
tualités qui résulteraient pour la Hongrie d'une mainmise de l'Alle-
magne sur la Cisleithanie : les nouveaux contacts et leurs dangers. —
§ 5. Les vues des Pangermanistes sur la Hongrie : théories, faits, prévi-
sions. — § 6. Les nouvelles tendances en Hongrie : le courant d'opinion
antiallemand. Les Magyars inclinent à admettre l'établissement du « fé-
déralisme » en Cisleithanie.

L'Autriche a-t-elle intérêt à subir la mainmise de l'Alle-


magne et, en présence de cette éventualité, quelle peut être
l'attitude de la Hongrie? Telles sont les deux questions aux-
quelles il faut répondre, avant de pouvoir apprécier quel
avenir est réservé au mouvement pangermaniste en Cislei-
thanie

L'AUTRICHE A-T-ELLE INTÉRÊT A ADMETTRE, SOUS UNE FORME


QUELCONQUE, UNE APPLICATION DU PANGERMANISME?

Les peuples slaves, les Allemands et la dynastie des


Habsbourg sont les trois éléments principaux, constitutifs
de l'Autriche. Pour juger le degré de solidité de l'empire de
François-Joseph, la plus sûre méthode semble donc être
d'évaluer la force de résistance i( autrichienne » de chacun
de ces éléments et de dégager ensuite, par le groupement
des avantages communs, quel est l'intérêt économique gé-
néral de l'ensemble cisleithan.

§ I. — Les peuples slaves se disent fédéralistes. Est-ce


pour des raisons fondamentales et permanentes? Sont-ils
Il
des Autrichiens" convaincus ou restent-ils seulement sous
le sceptre des Habsbourg par mesure transitoire et en espé-
rant mieux? Pour fixer nettement les idées à ce point de
vue, il s'agit au préalable de dégager la nature des liens qui
rattachent chacun de ces peuples à la Monarchie.
Les Tchèques sont à la fois partisans du « fédéralisme i)
et du respect des droits historiques. Leurs prétentions ne
constituent en aucune façon une cause d'affaiblissement
pour l'Autriche. La Bohême a toujours compris qu'elle ne
peut tenir tête à la fois à l'Autriche et à l'Allemagne (1).
Les chefs politiques tchèques, quelle que soit leur nuance,
(t) Louis LÉGER, Hisloije de l' Autriche-Hongi-ie, p. 483. Hachette,
Paris, 1895. -
l'ont constamment proclamé. Déjà, dans son Mémoire à
Napoléon III, le Dr Rieger disait : La Bohême sait très
CI

bien que tout agrandissement de la Prusse constitue un


danger pour son indépendance et même pour son existence
nationale. Elle sera toujours disposée par conséquent à sou-
tenir de toutes ses forces l'Autriche contre les agressions de
la Prusse. Pendant la dernière guerre (1866) la Bohême
a prouvé d'une façon saisissante son loyalisme envers la
dynastie. On peut être sûr que le peuple tchèque, dès que son
légitime désir d'autonomie sera satisfait, soutiendra de
toutes ses .forces l'Autriche contre les attaques de l'Allemagne
prussienne. » C'était là une confirmation nouvelle de ce qu'il
avait déjà déclaré à la Diète de Prague, le 13 avril 1866 :
Il
Tous nos efforts doivent tendre à un seul but : conserver
l'Autriche et nous conserver nous-mêmes, dans l'Autriche. »
Les Tchèques reconnaissent donc la nécessité de soutenir
l'État cisleithan, mais est-ce comme un pis aller et avec
l'arrière-pensée d'arriver plus tard à une complète indépen-
dance? En aucune façon. Non seulement ils ne souhaitent
pas cette indépendance, mais ils la redoutent en raison de
leur faible nombre et de leur voisinage avec le plus grand
empire militaire de l'Europe. Il Les Tchèques comprennent
fort bien qu'un semblable cadeau, d'où qu'il vienne, consti-
tuerait un avantage très précaire (1). » Ils ne sont donc pas
séparatistes ; le maximum de leurs revendications ne dépasse
point l'accomplissement de la promesse impériale faite en
1871 et la concession de la liberté administrative.
Si, pour les Tchèques, il s'agit d'obtenir l'autonomie,
pour les Polonais, il s'agit de la conserver. Ils y ont réussi
pendant une longue période en s'alliant avec les Allemands
contre les autres Slaves de Cisleithanie ; puis, la situation
ayant radicalement changé, ils sont devenus partie inté-
grante du groupe fédéraliste. Ils y forment l'appoint qui

(1) Mémoire du Dr Rieger à Napoléon III. — V. préface.


donne toute sa solidité au bloc slave, et c'est pour cette rai-
son que les Prussophiles font leur possible pour les en
détacher. Le moyen qu'ils croient le plus sûr d'y par-
venir est d'offrir aux Polonais de grandes concessions, et
notamment ce qu'ils appellent la Sonderstellung de la Ga-
licie et de la Bukovine, c'est-à-dire l'exclusion de la Cislei-
thanie de ces deux provinces, auxquelles on attribuerait un
régime spécial.
L'idée de la Sonderstellung appartient à M. Schonerer,
qui l'a formulée dans un des articles les plus importants
du programme de Linz (1). Au point de vue pangerma-
niste, l'efficacité du procédé serait certaine. La Sonders-
tellung de la Galicie et de la Bukovine écarterait en effet
du Reichsrath les députés de sept millions deux cent
cinquante mille Slaves, ce qui suffirait à restituer aux Alle-
mands de la Cisleithanie ainsi restreinte la supériorité nu-
mérique et par suite la suprématie.
Depuis 1882, ce beau projet a dormi paisiblement dans les
cartons de M. Schonerer; c'est tout récemment que les
Prussophiles, grisés sans doute par leurs succès, l'ont
exhumé. A la séance du Reichsrath du 25 octobre 1899,
le député Türk en a réclamé l'application. Plus dernière-
ment enfin, le Dr Bareuther a préconisé le procédé de la
Sonderstellung, comme étant le moyen le plus propre à
servir la cause du germanisme » en Cisleithanie (2).

La question qui se pose pour nous est de savoir en


quoi cette Sonderstellung de la Galicie et de la Bukovine
peut être séduisante pour les Polonais. Les Pangermanistes,

(1) V. p. 108.
(2)CI
Die Ausschliessung der Polen und Südslaven, namentlich aber der
ersteren aus dem Wiener Reichsrathe ware unter den heutigen Verhâltnis-
sen aber auch das sicherste Schutzmittel fur die Erhaltung des Volksthums
der Deutsch-Oesterreicher... Est ist daher dringend geboten, dieLinzer Pro-
grammforderung wegen Sonderstellung Galiziens der Vergessenheit, in
welche sie zeitwilig gerathen zu sein scheint, wieder
zu entreissen. Il Ascher
Zeitung, juin 1900.
ne considérant que leur intérêt, aveuglés par la vivacité
de leurs désirs, croient cette offre irrésistible et, pourvu
qu'on l'accepte, se déclarent prêts aux combinaisons les
plus conciliantes. Ainsi, par exemple, ou bien la Galicie
serait rattachée à la Hongrie et y occuperait une place
analogue à celle de la Croatie, ou bien, si les Polonais l'exi-
geaient, on pourrait réunir la Galicie et la Bukovine pour
en former un territoire complètement indépendant.
Ces propositions, en apparence libérales et magnifiques,
ne résistent pas à l'examen. Que deviendrait donc une
Galicie retranchée administrativement, et par conséquent
financièrement, de l'Autriche ? L'accroissement de l'auto-
nomie galicienne serait forcément peu de chose, puisque,
dès maintenant, elle fonctionne à peu près dans sa pléni-
tude. Quant aux conséquences financières de l'opération,
elles constitueraient, pour les Polonais, un véritable dé-
sastre. Pays agricole, presque sans industrie, mal exploité
par suite du manque de capitaux, la Galicie reçoit de l'Au-
triche pour l'entretien de ses services administratifs plus de
millions de florins qu'elle ne lui en verse sous forme d'im-
pôts. Il y a là un avantage considérable qu'il faudrait né-
cessairement perdre le jour où la Galicie cesserait d 'appar-
tenir à la Cisleithanie. Il est donc infiniment peu probable
les députés polonais, grands propriétaires fonciers, dont
que
les terres, pour la plupart, sont fortement grevées d'hypo-
thèques, admettent une combinaison dont le résultat le
plus certain serait d'accroître leurs charges dans des
proportions considérables. Quelle compensation pourrait
les y décider ? Même actuellement, la situation économique
de la Galicie n'est rien moins qu'avantageuse. Au nord et à
l'est, la douane russe forme une barrière infranchissable ;
sud, la haute chaîne des Carpathes, traversée par de
au
la sépare presque aussi efficacement de la
rares passages,
Hongrie. Les exportations galiciennes, consistant presque
exclusivement en produits agricoles, n'ont donc leur écou-
lement que par l'ouest dans les pays autrichiens, débouché
indispensable par le fait qu'il est unique. Ne serait-il pas
gravement compromis, le jour où la Galicie serait séparée
du reste de la Cisleithanie ? Si l'on suppose même qu'aucune
barrière douanière, au sens strict du mot, ne soit établie, il
n'en est pas moins évident que, sous quelque forme qu'on
la suppose, cette séparation serait moins propice au trafic
galicien que le régime actuel.
La Galicie aurait-elle au moins la possibilité de vendre à
la Hongrie ce que lui refuserait l'Autriche? Mais, encore
plus que la Galicie, la Hongrie vit de ses exportations agri-
coles et le gouvernement de Buda-Pesth met un soin jaloux
à défendre le commerce magyar. Consentirait-il à admettre
les Galiciens au partage de cet avantage? Ce qui a lieu
actuellement est la meilleure des réponses. Les temps sont
bien passés où Magyars et Polonais fraternisaient. Depuis
longtemps, ils ont cessé de chanter, comme en 1848 : « Nous
sommes frères pour boire et pour nous battre. » L'âpreté
des luttes économiques a eu raison des sentiments, et aujour-
d'hui les Hongrois ne témoignent aux Polonais qu'un
égoïsme raisonné. Un fait topique l'établit. Les Hongrois
exportent une grande quantité de bétail et de porcs. Pour
protéger cet élevage, l'une des principales sources de
richesse du pays, le gouvernement de Pesth a imaginé un
procédé dont se plaignent fort les éleveurs galiciens. La
douane n'existant pas entre la Galicie et la Hongrie, les ani-
maux polonais peuvent, théoriquement du moins, venir en
toute liberté sur les marchés hongrois concurrencer ceux
des Magyars. Pour faire obstacle à cette concurrence, les
gens de Pesth ont imaginé d'installer aux quelques pas- ,

sages des Carpathes, par où se font les importations d'ani-


maux galiciens, des stations sanitaires, destinées en principe
à empêcher le bœuf ou le porc galicien de venir contaminer
son congénère hongrois. Cette précaution toute moderne est
irréprochable, mais, par une coïncidence au moins cu-
rieuse, lorsque les éleveurs hongrois écoulent difficilement
leurs produits, les vétérinaires placés aux Carpathes décou-
vrent, avec une unanimité frappante, au bétail polonais des
maladies contagieuses et lui interdisent rigoureusement le
territoire hongrois. Ce fait suffit à caractériser ce que pour-
raient être des relations plus étroites entre la Galicie et la
Hongrie. La Sonderstellung ne pourrait évidemment pas les
améliorer; son résultat économique le plus certain serait
donc de mettre la Galicie dans une situation encore plus
difficile qu'aujourd'hui.
Au point de vue politique, cette Sonderstellung gagnerait-
elle les Polonais? Si l'on suppose que la Galicie devrait être
rattachée à la Hongrie, il est clair que les Polonais n'ont
aucune raison de se soumettre à la suzeraineté des Magyars.
Ceux-ci, d'ailleurs, ne trouveraient eux-mêmes aucun intérêt
à exercer cette suzeraineté ; si la Croatie est parfois pour
eux une source de difficultés, elle leur procure au moins
l'inappréciable avantage d'un accès à l'Adriatique. La pos-
session de la Galicie ne leur offrirait rien de comparable.
Cette hypothèse écartée, peut-on envisager celle d'une
complète indépendance dela Galicie? On n'y saurait songer.
Beaucoup moins riche que la Bohême, la Galicie supporte-
rait plus difficilement qu'elle les lourdes charges qui in-
combent à un État indépendant.
Enfin, dernière supposition, la Sonder çtelliin_q serait-elle,
comme le veulent un grand nombre de Pangermanistes, le
prélude de la cession de la Galicie à la Russie, en compen-
sation de l'avance que le Tsar permettrait à l'empire alle-
mand de faire vers Trieste? Dans ce cas, les Polonais
auraient des raisons bien décisives de s'opposer à la com-
binaison.
Des trois parties de la Pologne, la Galicie en est l'Eldo-
rado et le conservatoire de la vie nationale. Chaque année
tous ceux qui constituent Il l'intelligence » de la Pologne
russe et prussienne se réunissent sans entraves à Zakopane,
station estivale sur le versant nord des Carpathes. La li-
berté du territoire galicien a ainsi pour tous les Polonais
une valeur inestimable à laquelle ils ne sauraient volontai-
rement renoncer.
Sous quelque forme qu'on l'envisage, la Sonders tellung
de la Galicie apparaît donc comme une détestable opération
au point de vue polonais. C'est ce qui explique pourquoi le
projet de M. Schônerer est accueilli très fraîchement à
Leopol et à Cracovie. Les Prussophiles le constatent avec
dépit. Les Polonais, qui gouvernent la Galicie, ne veu-
CI

lent pas entendre parler d'une séparation, bien qu'elle dût


leur donner une indépendance presque complète. Ils se
trouvent très bien dans la situation actuelle (1). »
Cette dernière phrase résume toute la vérité. Des raisons
économiques et politiques lient le sort de la Galicie à celui
de l'Autriche et les mêmes motifs, augmentés de considéra-
tions sentimentales, rendent les Polonais solidaires des
autres Slaves cisleithans. En effet, depuis que le gouverne-
ment prussien mène en Posnanie une persécution impla-
cable en faveur de la germanisation, les Allemands appa-
raissent aux Polonais comme des adversaires beaucoup plus
redoutables que les Russes, et ceci aide les Polonais à com-
prendre que la création de la Grande-Allemagne rendrait
plus efficace la germanisation de la Posnanie et inévitable
la Sonderstellung de la Galicie. Ils sont donc fédéralistes et
autrichiens, puisque c'est la meilleure manière pour eux
d'assurer leur avenir et de maintenir leur indépendance.
J'ai déjà indiqué plus haut (page 20) la situation admi-
nistrative particulière des Ruthènes de la Galicie orientale;
je n'y reviendrai pas. Sous le nom de Ruthènes, on désigne

(1) Von einer Trennung wollen die in Galizien herrschenden Polen aber
Il
nichts wissen, obwohl dieselbe ihnen doch beinahe vollkommene Selbstan-
dir,keit brachte, denn sie befinden sich unter den jetzigen Verhàltnissen sehr
wohl. » Gross-Deutschland, p. 8. Deutschvolkischer Verlag « Odin »I
Munich, 1900
une population en réalité ethnographiquement identique
aux Petits-Russiens de la région de Kiev, ce qui inclinerait
aussitôt à admettre que les Ruthènes de Galicie, fraction du
peuple petit-russien, ont intérêt à être réunis aux quinze
millions (1) de leurs frères vivant sous le sceptre du Tsar. Il
n'en est cependant point ainsi. Le gouvernement de Péters-
bourg ne considère pas les Petits-Russiens comme une na-
tion distincte. Il ne voit en eux que des Russes relevant de
l'administration centrale et s'efforce d'empêcher tout ce qui
pourrait les différencier des grands Russes de la région de
Moscou. Il est, par suite, résolument hostile à tout ce qui
pourrait réveiller l'esprit particulariste des Petits-Russiens,
et il est possible, comme certains l'affirment, que cette atti-
tude soit conforme à leur véritable intérêt.
Quoi qu'il en soit de ce point de vue (il ne rentre pas dans
le cadre de ce travail de l'examiner), les Ruthènes de Gali-
cie n'ont pas à supporter de semblables contraintes. Sans
doute, leurs chefs politiques ne se déclarent point satis-
faits et demandent aux Polonais de Leopol de nouvelles
concessions. Il n'en est pas moins certain toutefois qu'ils
parlent librement leur langue, l'impriment sans la moindre
autorisation, possèdent des collèges où on l'enseigne sans
entraves et ont des partis politiques où toutes les nuances
de l'opinion peuvent se produire au grand jour. Les Ru-
thènes de Galicie se trouvent donc dans une situation privi-
légiée par comparaison avec celle de leurs frères de Russie.
Le maintien de ces avantages exige qu'ils restent dans le
cadre de la Cisleithanie ; par suite, ils sont fermement autri-
chiens. Ils sont également fédéralistes, puisqu'ils réclament
des Polonais la concession d'une autonomie d'un type spé-
cial (2). Or, fraction du grand parti fédéraliste cisleithan,

(1) Chiffre moyen entre ceux donnés par les auteurs petits-russiens.
(2) Ce type est fort ditficile à déterminer en raison de ce fait que les
Ruthènes occupent seulement les districts ruraux de la Galicie orientale, les
villes étant polonaises.
ils peuvent espérer obtenir de nouveaux avantages ; au
contraire, le jour où la Galicie serait rendue indépendante
sous une direction purement polonaise ou annexée à la
Russie, ils n'auraient plus rien à attendre de l'avenir.
Le cas des Slovènes et des Serbo-Croates est moins com-
pliqué. La simple vue de la carie suffit à établir que seul le
<t
fédéralisme » peut assurer leur développement national.
Ils en sont profondément convaincus ; aussi se solidarisent-
ils avec les Tchèques, sachant bien que la victoire des
Bohêmes rendra la leur possible ensuite.
Tous les peuples slaves ont ainsi un intérêt certain à l'exis-
tence de la Cisleithanie. Cette constatation permet d'appré-
cier maintenant la nature véritable de ce qu'on a appelé le
Panslavisme des Slaves d'Autriche.
Parce qu'aux moments critiques de leur renaissance
nationale, les Slaves cisleithans et surtout les Tchèques,
après la déception de 1867, se sont tournés vers la Russie,
les Allemands ont propagé partout en Europe l'idée que
les Slaves cisleithans travaillaient au démembrement de la
monarchie des Habsbourg. Il Les jeunes tchèques, dit le pan-
germaniste K. Proll, voudraient pour l'Autriche une nou-
velle catastrophe de la Bérésina, afin que les Russes les
prennent sous leur haute protection et qu'ils puissent
ensuite détruire l'empire allemand (1)." Ces lignes récentes
ne sont qu'une manifestation nouvelle de l'effort persistant
fait pour vivifier cette théorie du Panslavisme, qui, en réa-
lité, a perdu, au moins depuis trente ans, toute valeur
politique.
On vient de voir quels intérêts considérables engagent les
Polonais et les Ruthènes à rester en Autriche. Quant aux
Tchèques, leur individualité est trop fortement accusée

Die Jungczechen wünschen fiir Oesterreich eine neue Beresina Katas-


(1) «
trophe, damit sie die Russen unter ihnen cniidigen Schutz nehmen unddann
das deutsche Reich zerstoren künnen. » Karl. PROLL, Die Kàmpfe der
Deutschen in Oesterreich, p. 120. Liistenoder, Berlin, 1890.
pour qu'ils consentent à la perdre au profit des Russes.
C'est ce que donnait à entendre avec une netteté absolue,
dès 1868, la Correspondance tchèque, qui alors paraissait à
Berlin Il Nous devons assurément remercier les journaux
:

russes de leurs paroles sympathiques, mais nous sommes


obligés d'exprimer nos opinions, surtout en nous adressant
au Golos, dont l'idéal est la réunion de tous les Slaves en
une seule nation, union à la réalisation de laquelle il fau-
drait tendre de toutes ses forces comme vers un but supé-
rieur ; nous sommes obligés de dire que nous ne partageons
pas ce désir, ne voulant à aucun prix renier notre histoire
et perdre notre individualité. Nous voulons rester ce que nous
sommes, c 'est-à-dire une nation; c'est comme nation et non
autrement que nous voulons rester en bonnes relations avec
les autres nationalités slaves. »
Le temps n'a fait qu'accroître les raisons qui justifient ces
lignes. D'ailleurs, les Tchèques ne sont-ils pas séparés de
la Russie par des centaines de kilomètres occupés par des
masses polonaises?
Pour les Slovènes et les Serbo-Croates, la question ne
saurait se poser. La Hongrie forme entre eux et l'empire
des Tsars une barrière, que peuvent seuls franchir les
politiques qui se complaisent dans le monde des chimères.
La vérité, c'est que le Panslavisme politique n'a jamais
été qu'un épouvantail. Les Polonais l'ontagité à l'époque où
leur lutte avec la Russie était dans toute son acuité ; ils
avaient alors intérêt à ameuter l'Europe contre les Russes.
Les Allemands ont repris ensuite à leur profit le thème pans-
laviste, tâchant de montrer dans les Slaves d'Autriche des
fauteurs de troubles et des préparateurs de guerre; aujour-
d'hui enfin, les partisans de la Grande-Allemagne s'en ser-
vent à leur tour, invoquant le Panslavisme comme une ex-
cuse et même comme une raison d'être du Pangermanisme.
Le moment est venu de ne plus être dupes d'un fan-
tôme et d'une calomnie, profitable seulement à ceux qui,
voulant partager l'Autriche, ont intérêt à faire croire qu'elle
se dissout naturellement.
Sans doute, les sujets slaves de François-Josephpréfèrent
Pétersbourg à Berlin, mais c'est pour des raisons purement
sentimentales et qui en aucune façon ne sont susceptibles
d'entraîner une extension nouvelle de la Russie.
Les intérêts particuliers de chacun des peuples slaves de
Cisleithanie étant ainsi déterminés, de même que le carac-
tère vrai de leur Panslavisme, on peut conclure que leur
volonté de rester dans le cadre de l'Autiiche est profonde,
fondamentale et permanente. Séparés par le groupe alle-
mand de la région viennoise, ils ne peuvent espérer former
un Étatpurement slave. Leur intérêt bien compris les amène
donc à s'appuyer les uns sur les autres, et à conclure une
entente avec les Allemands de Vienne. C'est là le dernier
terme de l'évolution qui porte en elle-même le « fédéra-
. ,
lisme » Or, qui dit a fédéralisme , dit lien fédéral. Les
Slaves cisleithans n'en cherchent pas d'autre que celui
indiqué par l'histoire, les services passés, le loyalisme pré-
sent : la dynastie des Habsbourg. Par la force des choses,
ceux-ci n'ont pas de plus fidèles sujets que les Slaves et
l'Autriche n'a pas de plus fermes soutiens.

§2.— Des points de vue différents amènent les Alle-


mands de Cisleithanie à une conclusion analogue. Toutefois,
comme le Pangermanisme recrute des partisans dans leurs
rangs, ils ne présentent point, comme les Slaves, une opi-
nion presque unanime.
Pour bien comprendre la psychologie de l'Allemand
d'Autriche, il est indispensable de ne pas attribuer à la
similitude des langues une influence qu'elle n'a pas. En
réalité, entre un Allemand de Vienne et un Allemand de
Berlin, la différence est au moins aussi grande qu'entre
un Parisien et un Genevois. Ceux-ci parlent le français,
mais leur mentalité i) est opposée au point d'être presque
CI
antipathique l'une à l'autre. Il en est de même entre les
Allemands du nord et ceux du Danube moyen. L'hostilité
qui règne entre eux est certaine. Au début de la guerre
franco-allemande, on souhaitait à Vienne la défaite des
Hohenzollern. A une fête donnée salle Sophie, le public
siffla le chant « Je suis Prussien
— Ich bin ein Preusse »,
tandis qu'il saluait la Marseillaise de tonnerres d'applau-
dissements. Ces sentiments, bien que ne se manifestant plus
sous une forme si expressive, se sont cependant maintenus
avec tant d'évidence, qu'un des auteurs pangermanistes
écrivait l'an dernier : a On ne nous aime pas à Vienne (1). »
Aussi l'alliance avec l'Allemagne, admise comme une né-
cessité politique, ne fut jamais vraiment populaire; lorsque
M. Ugron l'a récemment attaquée à Pesth, le Vaterland,
de Vienne, n'a pas hésité à reconnaître que, sous l'in-
fluence de cette alliance, l'Autriche se démoralisait de plus
en plus.
La diversité des caractères contribue à expliquer cette
absence totale d'affinités. Le Viennois est affable, simple et
gai. La morgue sévère du Prussien lui est insupportable. La
rude main des Hohenzollern lui déplaît. Il repousse avec
horreur l'idée de devenir son vassal. Les Allemands qui
pensent ainsi en Autriche sont de beaucoup les plus nom-
breux, aussi est-ce une des raisons qui permettent de croire
que la grande masse restera toujours réfractaire aux vio-
lences comme aux séductions des Pangermanistes.
La répartition des races sur le sol cisleithan tend encore
à maintenir cet état d'esprit. Sauf dans le nord de la
Bohême, en contact direct avec la Saxe, et dans le Tyrol,
qui touche à la Bavière, les Allemands de Cisleithanie sont
séparés de l'Allemagne par la masse très dense de six mil-
lions de Tchèques. Or, cette barrière, en raison de la pro-

(1) - in Wien liebt man uns nicht... » Deutschland bei Beginn des
...
20. Jah)-hunde;,ts, p. 100. Militar-Verlag R. Félix, Berlin, 1900.
lificité supérieure des Slaves, se renforce constamment et
naturellement.
Les Allemands d'Autriche se trouvent ainsi, au même
titre que les Tchèques, les Polonais ou les Slovènes, dans
l'impossibilité de former un État isolé. Par suite, la solu-
tion fédérale s'impose à eux rationnellement. Le parti
allemand fédéraliste s'est formé sous l'influence de ces con-
sidérations. Malheureusement, la violence des Prussophiles
semble réussir actuellement à en arrêter le développe-
ment; mais un jour viendra où la force des choses amè-
nera le retour à des idées plus sages. Les raisons du
Il
fédéralisme » sont réelles et permanentes, celles du Pan-
germanisme sont artificielles et transitoires. La fraction de
la presse allemande de Vienne, qui n'est pas à la solde d'une
politique étrangère, ne manque pas d'y insister en réprou-
vant les menées prussophiles. Le Fremdenblatt, feuille offi-
cieuse du ministère du Ballplatz, a blâmé énergiquement
l'attitude des Pangermanistes à la journée d'Eger (10 juil-
let 1897). Il prévoyait déjà que le déchaînement de telles
passions pouvait ébranler les fondements de l'État autri-
chien. La Reichswehr a encore été plus nette. Elle a pris
résolument à partie les quelques conseillers municipaux de
Vienne qui ont proposé de donner le nom de Bismarck à
l'une des rues de la capitale. Il Bismarck fut surtout un Prus-
sien. L'Autriche n'a jamais eu d'ennemi pire que lui. Puis-
que ces messieurs du conseil municipal veulent donner le
nom de Bismarck à une rue de Vienne, qu'on le donne à la
Marchfeldstrasse ; elle conduit à l'endroit où nous avons
construit des redoutes en 1866 contre les Prussiens que
Bismarck amenait chez nous. »
Cette hostilité pour l'Allemagne soumise à la direction de
la Prusse est la base du Il loyalisme i) autrichien. Sur la foi
des agences télégraphiques aux nouvelles tendancieuses,
on croit trop souvent qu'il a disparu. Les fêtes du soixante-
dixi'ème anniversaire de François-Joseph ont éclairé nette-
ment la situation. Seuls les Pangermanistes n'ont point
voulu faire trêve (V. p. 137); mais pendant quelques jours
les deux tiers au moins des Allemands de Cisleithanie ont
oublié leurs divisions pour témoigner dans un même élan
avec les Slaves leur dévouement à l'empereur. Ces senti-
ments subsisteront aussi longtemps que leurs raisons d'être.
L'Autriche est une patrie pour l'Allemand de Cisleithanie
aussi bien que la Belgique ou la Suisse pour l'habitant de
Bruxelles ou de Genève. Si l'on proposait à l'un ou à l'autre
de se laisser annexer par la France, sous prétexte qu'il
parle français, il refuserait avec indignation. Le cas de
l'Allemand de Cisleithanie est le même. La similitude des
langues n'est qu'une illusion, au fond assez grossière. Ce
qui fait la patrie dans le droit moderne, c'est la volonté
des peuples de vivre en commun. Or, tous les peuples
cisleithans, germains ou slaves, ont des intérêts durables,
générateurs permanents de cette volonté. La parole de
Schiller reste donc vraie : « L'Autrichien a une patrie, il
l'aime, et, à cela, il a de bonnes raisons. IJ

§ 3. Si les peuples de Cisleithanie ne peuvent subsister



qu'à la condition de rester unis, l'existence des Habsbourg,
en tant que maison régnante, est de même étroitement
subordonnée à celle de l'Autriche. Cette existence, seul le
Pangermanisme la menace. S'il triomphait, le monarque
autrichien serait réduit devant l'empereur allemand au
rôle de vassal d'un roi de Saxe ou d'un roi de Bavière. Pour
que François-Joseph ou son successeur se laissât amener
à un tel état de déchéance, il lui faudrait méconnaître
tous les enseignements de l'histoire.
Depuis des siècles, les Hohenzollern sont les rivaux des
Habsbourg. Ceux-ci, jusqu'au congrès de Vienne, ont réussi
à maintenir une écrasante suprématie sur les descendants
ambitieux de l'électeur de Brandebourg. Après 1815 l'Au-
triche n'a pu que faire obstacle aux sourdes ambitions de
la Prusse. Metternich ne voulait pas la voir dépasser le
Mein (1). « La Saxe au pouvoir de Frédéric-Guillaume, c'était,
à son sens, l'équilibre germanique détruit, les défilés de
Bohême et la route de Vienne ouverts aux plus dangereux
et aux plus constants ennemis des Habsbourg (2). » Schwar-
zenberg continua la tâche de Metternich, et lorsque Fré-
déric-Guillaume tenta de créer cette union restreinte qui
devait donner la prépondérance à la Prusse, le ministre de
François-Joseph le contraignit à envoyer von Manteuffel
s'humilier à Olmutz (29 novembre 1850). L'avènement de
Bismarck au pouvoir changea la face des choses. L'affaire
des duchés éclata. L'Autriche ne voulait pas que la Prusse
se les appropriât. Les manœuvres du ministre du roi Guil-
laume tournèrent bientôt toutes les difficultés. Il expulsa
d'abord la Confédération de l'administration des duchés,
puis par la convention de Gastein (14 août 1865), il établit
sur eux le condominium de l'Autriche et de la Prusse. Dès
lors, il avait lié la partie. Au moment où François-Joseph
se débattait au milieu de difficultés intérieures que les
agents prussiens attisaient, Bismarck accusa la cour de
Vienne de ne point remplir ses engagements. La Prusse
arma en silence, mais activement. Jusqu'au dernier jour,
le futur chancelier multiplia les protestations de paix. « Rien
n'est plus éloigné des intentions de S. M. le Roi, qu'une atti-
tude offensive contre l'Autriche, » déclarait-il au ministre
de François-Joseph. Ces lignes étaient écrites le 5 avril;
(1

et trois jours après était signé le traité d'alliance offensive


et défensive de la Prusse avec l'Italie (3) !» A la fin de
juin 1866, deux armées autrichiennes entraient en Bohême,
Sadowa avait lieu, et d'un seul coup M. de Bismarck

(1) A. DEBIDOUR, Histoire diplomatique de l'Europe, t. I, p. 21,


Alcan, Paris, 1891.
(2) Op. cit., t. I, p. 20.
(3) Op. cit., t. II, p. 298.
arrachait la Vénétie aux Habsbourg et les subordonnait aux
Hohenzollern.
Le monarque autrichien oubliera-t-il ce drame? Ne com-
prendra-t-il point que, cette fois, il s'agit de l'existence de
sa maison? Il montrerait dans ce cas une complète incons-
cience ue sa haute mission, de ce que lui réserve l'avenir,
et des services qu'il peut rendre à l'Europe. Placé à la
tète d'une confédération qui préserverait le continent des
envahissements de l'Allemagne, il s'acquerrait des titres sûrs
à l'appui de ceux (et ils sont nombreux) qui redoutent ces
envahissements et il obtiendrait en même temps les moyens
de reconquérir dans une paix glorieuse le prestige perdu.
Cette conception n'est-elle pas digne de tenter celui qui
règne à Vienne? Pourquoi ne séduirait-elle pas le succes-
seur de l'empereur actuel? Sans doute, les poussées » de
CI

«
germanisme i) ont déterminé la politique vacillante de
François-Joseph, mais les paroles qu'il adressait à ses peu-
ples, à l'occasion de son soixante-dixième anniversaire, mon-
trent que s'il a été victime des erreurs du germain, il com-
prend cependant tous les devoirs du monarque cisleithan :
«
Que mes peuples le sachent bien: j'ai consacré ma vie à
leur bien-être ; je me félicite de contribuer à leur prospérité,
et je vois dans leur loyauté et leur patriotisme, et aussi dans
la confiance réciproque qui règne entre eux et moi, les plus
fermes bases sur lesquelles repose l'avenir de la patrie. » Ces
paroles ne renferment-elles point la formule de l'Autriche
nouvelle ? N'impliquent-elles pas une opposition résolue à
la propagande prussophile? Sinon, comment maintenir « la
confiance réciproque » qui règne entre « les peuples d'Au-
triche et leur souverain » ? Comment assurer l'avenir » de
cc

cette patrie que les Pangermanistes ne songent qu'à détruire ?

§ 4. —
L'intérêt de l'Autriche, considérée dans son
ensemble, domine les intérêts de ses peuples et de sa
dynastie ; or à notre époque réaliste, cet intérêt général se
traduit par une orientation économique déterminée, dont
l'objectif est d'assurer la sauvegarde des biens matériels du
pays.
Si l'extension du Zollverein allemand à la Cisleithanie
comporte véritablement des avantages considérables pour le
commerce et l'industrie autrichiens, on devra admettre
comme probable que, peu à peu, la tentation des jouis-
sances matérielles aura raison des résistances nationales et
qu'en fin de compte l'Autriche entrera dans l'Union doua-
nière allemande, acte qui serait décisif, car l'histoire dé-
montre que toutes les unions douanières ont abouti à l'ab-
sorption politique du plus faible des États contractants par
le plus fort. Au contraire, si le projet d'extension du Zoll-
verein est défavorable aux intérêts autrichiens, c'est une
garantie de plus, et non la moins forte, de l'échec des Pan-
germanistes. Il est donc capital de rechercher dans quel
sens incline l'intérêt de l'Autriche.
Pour déterminer cette direction, la situation économique
présente de la Cisleithanie doit servir de point de départ
au raisonnement. L'appréciation du secrétaire du syndicat
central de l'industrie autrichienne offre à cet égard des
garanties de compétence et d'impartialité. « Les rapports
des chambres de commerce et des syndicats industriels, dit
le Dr Grunzel, font un tableau effrayant de la situation
actuelle de l'industrie autrichienne. Les États voisins, l'Alle-
magne, l'Italie et la Russie, montrent un brillant dévelop-
pement. Notre grande industrie se trouve, au contraire,
dans un état de stagnation et même de recul. Qu'y a-t-il de
plus significatif à cet égard que le rapport de la chambre de
commerce de Prague, qui, l'an dernier, abstraction faite
d'une brasserie, n'enregistre pas une seule création d'un
établissement industriel dans son riche district (1). Les
Il «

(1) Die Berichte der Handelskammern und industriellen Vereinigungen


«
entwerfen von der gegenwiirtigen Lage der osterreichischen Industrie ein
erschreckendes Bild. Unsere Nachbarstaaten : Deutschland, Italien und
exportations de l'Autriche vers l'Orient baissent d'année
en année (1). » « A l'intérieur de ses propres frontières
douanières, l'industrie autrichienne perd chaque jour du
terrain. L'émancipation de la Hongrie et la diminution des
facultés consommatrices de la population en sont les
causes (2). »
Le Dr Grunzel est très net, mais il ne dit pas tout. Il
oublie, peut-être parce qu'il est plutôt de tendance prusso-
phile, d'indiquer la cause la plus importante de cette
CI
stagnation » et même de ce « recul ». Cette cause réside
essentiellement dans l'essor industriel et commercial de
l'empire allemand. Incontestablement, c'est lui qui, de tous
les États du continent, dispose du meilleur outillage écono-
mique. Ses produits se trouvent ainsi dans de meilleures
conditions pour lutter avec ceux que vend l'Autriche en
Hongrie, dans les Balkans et en Orient. L'organe du
Dr Hasse, les Alldeutsche elâiter le constatent expressé-
ment Présentement, l'Allemagne concurrence l'Autriche-
: iL

Hongrie, dans la majorité des cas avec succès, pour les


articles d'importation les plus importants (3). » De son côté,
le Vaterland de Vienne faisait remarquer, en août 1899,
qu'en présence des efforts faits par l'Allemagne pour acca-

Russland weisen auf eine glânzende Entwikelunghin, unsere Grossindustria


befindet sich dagegen mit wenigen Ausnahmen in einer Stagnation, ja sogar
im Riickgange. Was konnte hierfiir bezeichnender sein, als die Mittheilung
der Prager Handelskammer, dass in ihrem grossen und reichen Bezirke im
-
verflossenen Jahre — abgesehen von einer Brauerei nicht einzige Neugriin-
dung oder Vergrosserung eines Etablissements zn verzeichnen war! » Dr J.
GRUNZEL, Secretar des Centralverbandes der Industriellen Oesterreichs.
Die wirtschaftlichen Verhaltnisse Kleinasiens, p. 3. Dorn, Vienne, 1897.
(1) Il... leider seinen Export nach dem Oriente von Jahr zu Jahrsinken
sieht... » Op. cit., p. 57.
(2) Il Die osterreichische Industrie verliert im eigenen Zollgebiete tagtàft-
lich an Terrain durch die fortschreitende Emancipation Urigarns und die
sinkende Consumkraft der Bevolkerung. Op. cit., p. 3.
(3) Il Da Deutschland gegenwiirtig in allen wichtigeren Einfuhrartikeln
mit Oesterreich-Ungarn, und zwar zum grossten Teile erfolgreicli konkur-
riert... » Alldeutsche Blàtter, 1898, p. 238.
parer le commerce de l'Asie Mineure, l'Autriche devait
prendre ses précautions contre cette cause nouvelle d'affai-
blissement de son commerce.
D'une façon générale donc, l'Allemagne a chassé l'Au-
triche de débouchés qui, jusqu'ici, contribuaient à absorber
sa production d'objets fabriqués. Nul fait ne peut mieux
établir que les intérêts industriels allemands et autrichiens
sont en complète opposition.
L'offensive économique des Allemands exige la défen-
sive des Autrichiens, ce qui implique pour ces derniers
l'obligation de conserver et même de créer tous les obs-
tacles de nature à entraver la concurrence de l'empire
allemand (1). Or, précisément, la barrière douanière qui
sépare l'Autriche de l'Allemagne, en raison des différences
de tarifs et des formalités de douane qu'elle justifie, est
l'un des freins les plus efficaces qui se puissent concevoir.
Cette constatation suffirait presque à démontrer que le
maintien de la ligue douanière s'impose pour la protection
des intérêts autrichiens, mais le point est assez délicat pour
mériter d'être exposé avec plus de détail.
L'idée de supprimer toute barrière économique entre
l'Allemagne et l'Autriche est née, il y a plus d'un demi-
siècle, d'un état de choses très différent de celui qui la fait
revivre aujourd'hui.
Le 26 octobre 1849, Bruck, ministre du commerce à
Vienne, fit publier dans la Wiener Zeitung un projet
d'union douanière austro-allemande. Ce projet fut assez
(1) C'est ce que demande formellement l'Union générale (Centralverband)
des industriels autrichiens dans le programme électoral qu'elle vient de
publier à Vienne, le 15 octobre 1900.
" ... handelt es sich
darum, Lebensfragen der Industrie Oesterreichs zu
losen, ihr die Erhaltunq des heimischen Marktes xu sichern, ausreichenden
Schùtz vor der auswartigen Concurrenz zu chaffen und gleichzeitig mitzu-
wirken, dass sie auf dem Weltmarkte, gestützt durch eine methodische
und ausgiebige Forderung ihrer Exportinteressen, in einer ihrer technischen
Vervollkommung und Le!stungsfâhigkeit entsprechenden Weise erscheinen
konne. »
mal accueilli à Berlin. La Prusse avait alors une industrie
moins bien outillée que celle de l'Autriche, et, à Potsdam,
on comprit aussitôt que l'Union douanière réalisée permet-
trait aux Habsbourg d'établir solidement leur suprématie
sur le monde germanique.
La réponse du gouvernement de Berlin fut donc réservée
et dilatoire. Le 21 juillet 1850, la chancellerie de Vienne
revint à la charge. Personnellement, le président du con-
seil des ministres prussien von Manteuffel eût été assez
disposé à répondre favorablement; il invita même le pléni-
potentiaire de François-Joseph à venir discuter à Berlin
les bases de l'Union douanière. Mais l'opinion de Manteuffel
ne fut pas partagée par son prince, et, dans les conférences
qui eurent lieu à Dresde en 1851, la Prusse accentua sa ré-
pugnance à accéder aux propositions de la cour de Vienne.
Celle-ci insista encore l'année suivante, puis finit par se
résigner, comprenant enfin que la résolution de ne rien
faire, prise à Berlin, était inébranlable.
Aujourd'hui, les rôles sont renversés. Vienne ne domine
plus Berlin, mais Berlin domine Vienne, et les Hohen-
zollern écrasent les Habsbourg de leur puissance. Ce sont
eux maintenant qui veulent établir leur hégémonie sur le
continent germanique ; aussi, sont-ce les Pangermanistes,
fidèles serviteurs de la Prusse, qui reprennent au profit
de cette puissance le projet d'union douanière austro-alle-
mande. Les Autrichiens peuvent-ils l'accepter?
La supériorité de l'outillage allemand sur leur outillage
n'est pas douteuse. Qu'âdviendrait-il de leur industrie si,
l'Europe centrale, depuis la mer du Nord jusqu'à l'Adriatique,.
ne formait plus qu'un seul territoire économique?
Sans doute, les régions agricoles de la Cisleithanie
auraient un débouché plus vaste pour leurs produits ; mais,
précisément, ces régions à excédents agricoles comme la
Galicie et le pays slovène sont habitées par des Slaves fédé-
ralistes ; un simple avantage commercial ne les ferait point
consentir à une réforme qui, sous une apparence écono-
mique, comporterait, à brève échéance, le renoncement à
leur idéal politique.
Assurément, l'industrie autrichienne aurait, en principe,
la faculté de vendre ses produits, elle aussi, dans toute
l'étendue de l'union douanière, et d'utiliser les ports d'expé-
dition de la mer du Nord ; mais ces avantages ne seraient-ils
pas rendus pratiquement illusoires par le seul fait que les
conditions moins favorables de la fabrication autrichienne
ne lui permettraient pas de concurrencer utilement l'indus-
trie allemande? Ce serait celle-ci, au contraire, qui, sans
obstacles, atteindrait la Méditerranée, les pays balkaniques
et l'Orient. Les produits des sujets de Guillaume II feraient
alors un mal plus grand qu'aujourd'hui à l'industrie cislei-
thane, d'abord sur le sol même de l'Autriche, et ensuite
dans les pays qui constituent encore ses débouchés exté-
rieurs. L'industrie autrichienne non seulement perdrait ainsi
les places qu'elle a su se conserver en Hongrie et dans les
Balkans, mais il lui faudrait renoncer même à l'espoir de
retrouver au loin les débouchés qu'elle vient de perdre sur
le continent. it Ce que nous avons perdu dans les Balkans,
dit le Dr Grunzel, nous pouvons le retrouver largement en
Asie Mineure. Aucun État n'est mieux situé que l'Autriche
pour exploiter ce pays (1). » Cette vue est juste, et elle le
restera tant que l'Autriche conservera les avantages de sa
situation territoriale ; mais ce serait les perdre que de
,
donner aux produits de l'empire allemand le libre accès de
l'Adriatique, puisque ce serait leur permettre d'atteindre
l'Orient comme ceux de l'Autriche, mais en bénéficiant en
plus de l'avantage d'une fabrication moins onéreuse.
L'industrie autrichienne a donc, semble-t-il, des raisons

(1) «
Was wir am Balkan verloren haben, konnten wir in Kleinasiea
reichlich wieder einbringen — undkein Staat ist in Folge seiner Lage beru
fener, dort als Pionnier aufzutreten, als gerade Oesterreich. » Dr Grunzel ï
r
Die wirtschaftlichen erhaltnisse Kleinasiens, p. 4. Dorn, Vienne, 1897. ~
capitales de rester abritée derrière la douane austro-alle-
mande, ce qui revient à dire que la Cisleithanie n'a pas
d'intérêt décisif à entrer dans l'union douanière allemande.
En réalité, le projet de F. List, repris par le Dr Hasse, profi-
terait presque exclusivement à l'empire allemand. Ceux-là
mêmes qui le préconisent l'avouent parfois indirectement
iL
Il nous est certainement possible de créer en Europe un
territoire économique fermé qui se suffise à lui-même (1)... »
u
Si nous réussissons à étendre nos frontières en Europe,
il nous sera possible de rendre la prospérité à notre agri-
culture. Les parties de l'Autriche qui peuvent tomber dans
notre lot sont plus fertiles et bien plus propres que celles
de l'Allemagne à une culture intensive (2)... »
Ces déclarations imprudentes établissent l'égoïsme notoire
des propositions économiques des Prussophiles. Elles suffi-
sent à mettre les Autrichiens en garde contre le projet
d'union douanière. Assurément, il peut se faire que, pour
certaines industries spéciales, l'union avec l'Allemagne soit
avantageuse, mais pour l'ensemble, elle serait détestable.
C'est ce que déclare, avec beaucoup de sincérité, un fabri-
cant autrichien qui, lui, personnellement, aurait intérêt à
la fusion économique des deux pays.
"
Au point de vue industriel, en général, je dois cons-
tater qu'une union douanière serait extrêmement dange-
reuse pour beaucoup d'industries autrichiennes. La princi-
pale raison en réside dans les mauvaises conditions dans

(1) " Moglich ist es uns gewiss, ein grosses, geschlossenes Wirthschaftsge-
biet zu schaffen in Europa, das sirli selbst geniigt... » Deutsch/and bei
Beginn des 20. Jahrhunderts, p. 156. Militar-Verlag R. Félix, Berlin, 1900.
V. encore Dr K. MEIIBI%IA-.,'ri, Deutsche Welt-und Wirtschafts-Politik,
p. 61. Deutschvolkischer Verlag " Odin » , Munich, 1900.
(2) " Aber wir konnen einen gewaltig frischen Zug in unsere Land-
wirthschaft bringen, wenn es uns gliickt, unsere Grenzen in Europa auszu-
dehnen. Die Theile Oesterreichs, die uns zufallen konnen, sind fruchtbar
und vielfach noch extensiv bearbeiteit im Vergleich zu Deutschland... »
Deutschland bei Beginn des 20 Jahrhunderts, p. 155. Militar-Verlag
R. Félix, Berlin, 1900.
lesquelles se trouvent ces industries, par rapport à l'état de
prospérité et d'avancement dont jouissent celles de l'empire
allemand (1). »
Cette raison est si forte que le Il Club industriel » et
l' «Union des industriels autrichiens i) se sont très nettement
prononcés contre le Zollverein (2).
En définitive, si l'on veut résumer ces divers points de
vue, on peut dire que l'Autriche se trouve amenée aujour-
d'hui à repousser le projet d'union douanière, pour les
mêmes motifs qui ont décidé le gouvernement prussien
à laisser tomber, en 1850, les avances de la cour de Vienne
Une considération économique générale se superpose
donc aux considérations politiques particulières et renforce
puissamment les raisons concordantes que les peuples
slaves et les Allemands de Cisleithanie ont de vivre
fédérés ensemble, au sein d'un même État, gouverné par la
maison des Habsbourg.
C'est cet ensemble qui permet de conclure : l'Autriche a en
elle-même des sources de réelle vitalité ; l'évolution naturelle
des choses ne tend pas à sa dissolution; son démembrement ne
saurait résulter que d'un coup de force extérieur.
Le devoir du gouvernement de Vienne découle de ces
constatations; en arrêtant résolument la propagande prusso-
phile et en se refusant à toute union douanière avec
l'empire allemand, il assurera son avenir et rendra impos-
sible le seul véritable danger qui le menace.

1
(1) «
Vom allgemein industriellen Standpunkte mus8 ich noch konsta-
tieren, dass eine Zollunion mit Deutschland fur viele Industrien Oester-
reichs ausserordentlich gefàhrlich wâre. Die Hauptgriinde liegen in unseren
gegeniiber der deutschen Industriefreundlichkeit und Industrieforderung
entschieden zurückgebliebenen Zustanden. » Alldeutsche Bldtter, 1900,
p. 280.
(2) « Einen der Zollunion sehr feindseligen Standpunkt nehmen der
" Industriellen-Klub » und der Bund österreichischer Industriellen ein... »
Idem.
II

QUELLE PEUT ÊTRE L'ATTITUDE DE LA HONGRIE


EN PRÉSENCE DU MOUVEMENT FÉDÉRALISTE ET DE LA POUSSÉE
PANGERMANISTE EN AUTRICHE ?

Depuis 1867, le gouvernement de Pesth influe profondé-


ment sur la vie politique de la Cisleithanie. Il est donc
impossible de ne point se demander quelle peut être son
attitude en présence des deux courants opposés, fédéraliste
et pangermaniste, qui se manifestent en Autriche.

§ 1.
— Une opposition constante à l'établissement d'un
régime fédéraliste en Cisleithanie a dominé longtemps la
politique de Pesth à l'égard de Vienne. De fort bonnes rai-
sons justifiaient cette ligne de conduite.
Écrasés par les Russes en 1848, les Magyars en ont res-
senti une haine profonde pour tout ce qui était russophile.
Sadowa, victoire prussienne, en permettant leur émanci-
pation, les a jetés dans les bras des Hohenzollern. Bismarck
est devenu d'abord leur dieu et ensuite leur soutien, chaque
fois qu'il s'est agi de maintenir dans la dépendance les
Slaves de Cisleithanie, dont l'émancipation eût pu provo-
quer celle des Slaves et des Roumains de Transleithanie.
Tout a donc concouru à identifier la conduite des deux
gouvernements de Berlin et de Pesth à l'égard de l'Au-
triche.
L'intimité politique entre le Chancelier de fer et le comte
Andrassy alla même si loin, qu'on pouvait croire qu'un
traité secret existait entre eux, en vertu duquel les Hon-
grois s'engageaient à ouvrir aux Allemands la route de
Trieste. La Revue mensuelle hongroise l' a donné clairement à
entendre : Il Pour ce qui concerne l'Autriche occidentale et
l'Allemagne, nous sommes d'avis que la Confédération de
l'Allemagne du Nord doit s'étendre incontestablement sur
toute l'Allemagne... Une Grande-Allemagne, une Allemagne
unie sous la direction de la Prusse, voilà le seul moyen,
pour l'Allemagne, d'accomplir la mission à laquelle elle
est appelée par la Providence. Dans ces conditions seule-
ment, elle peut être un appui solide pour l'empire hongrois
oriental et permettre ainsi à celui-ci de remplir à son tour
sa mission en Orient... La couronne tchèque est une absur-
dité ; la Bohême est un pays allemand et doit rester à l'Alle-
magne. Tout au plus pourrait-on accorder une plus grande
autonomie à la Galicie (1). »
Lors de son dernier voyage à Buda-Pesth (1897), Guil-
laume II, en paraissant se désintéresser absolument des
Allemands qui vivent en Hongrie, a semblé dresser la contre-
partie de ce programme. La note a même été si accentuée
qu'après son départ M. G. Beksics, publiciste officieux,
écrivait dans le Pesti Hirla-p : « L'empereur allemand a
abandonné les Germains de l'est de la Leitha. Aucune de
nos nationalités non magyares ne peut plus compter sur une
protection étrangère. Aucune action du dehors ne viendra
donc empêcher l'unité de la nation magyare... Aujour-
d'hui, nous pouvons tout faire. »
Donc, jusqu'à une époque très rapprochée, les Magyars,
suivant avec constance la même ligne politique, sont restés
adversaires du .
fédéralisme , Mais tout change. Des
CI

horizons nouveaux se découvrent. Les événements qui se


sont passés en Autriche, surtout depuis 1897, déterminent
actuellement chez les Magyars une évolution qui pourrait
bien être décisive. De graves questions se posent devant
les hommes d'État de Pesth sous une forme nouvelle, et

(1) D'après le Nord, août 1868.


les anciennes formules politiques paraissent impuissantes à
les résoudre.

§ 2.
— Le point de savoir si la Hongrie jouira ou non
d'une entière indépendance présente pour les Magyars l'in-
térêt le plus immédiat. Il y a à Pesth un certain nombre
d'hommes politiques qui estiment incomplète l'oeuvre de
1867 et jugent le moment venu de la terminer.
Ils admettent bien que le souverain continue à être un
Habsbourg, mais ils veulent que la frontière douanière soit
rétablie entre l'Autriche et la Hongrie, que l'armée hon-
groise soit exclusivement casernée sur le territoire hongrois,
que la Hongrie ait une représentation diplomatique et con-
sulaire distincte de celle de l'Autriche.
M. F. Kossuth, l'un des fils du grand homme de 1848,
est le plus actif propagateur de cette thèse. Son principal
argument consiste à dire : « Le régime actuel empêche la
Hongrie de se créer une industrie nationale. Malgré tous nos
efforts, la Transleithanie est restée un pays presque exclusi-
vement agricole. Elle doit encore tirer de l'étranger, et
surtout de l'Autriche, la plupart des objets fabriqués néces-
saires à sa consommation. En protégeant l'industrie natio-
nale, le rétablissement de la ligne douanière lui permettrait
de se développer. »
Posée dans ces termes, la question de l'indépendance de la
Hongrie, bien faite pour flatter l'ardent patriotisme des
Magyars, trouve de nombreux partisans, surtout depuis que
la situation troublée de la Cisleithanie empêche le fonction-
nement régulier du pacte de 1867. La période de tension a
même commencé. Elle en est au point que, tout récem-
ment, le conseil municipal de Pesth s'est prononcé en
faveur de la séparation douanière, et que, de tous côtés, on
demande en Transleithanie le boycottage des produits autri-
chiens.
Or, cette question de l'indépendance de la Hongrie n'in-
téresse point seulement les Magyars ou les Autrichiens,
mais encore tous les États de l'Europe, et particulièrement
le gouvernement de Berlin, dont la politique économique
serait puissamment favorisée par le rétablissement de la
ligne douanière entre l'Autriche et la Hongrie.
Les Magyars déclarent qu'ils veulent s'affranchir de l'in-
dustrie autrichienne, mais il est évident que le seul fait
de faire obstacle aux importations de la Cisleithanie ne
suffira pas à créer une industrie nationale hongroise. Il
s'écoulera nécessairement une longue période de temps
pendant laquelle les Magyars devront, par la force même
des choses, acheter au dehors les objets fabriqués qu'ils ne
peuvent produire eux-mêmes. S'ils ne les prennent plus en
Autriche, il faudra qu'ils les achètent en Allemagne, et
c'est ici que va apparaître le lien existant entre la séparation
de la Hongrie d'avec l'Autriche et l'essor économique de
l'empire allemand.
Depuis des années déjà, les sujets de Guillaume II dé-
ploient la plus grande activité pour conquérir le marché
hongrois. Leurs commis voyageurs sillonnent en tous sens
la Transleithanie, mais ils ont à lutter contre les situations
anciennement acquises par les industriels autrichiens, dont
les produits parviennent en Hongrie, sans avoir à supporter,
comme les produits allemands, de lourds droits de douane.
Cette condition défavorable disparaîtrait le jour où l'in-
dépendance de la Hongrie serait réalisée selon les vues de
M. Kossuth. Il est facile de concevoir que dans la période
de transition qui suivrait, leo exportateurs de l'empire alle-
mand, devenus fournisseurs nécessaires, seraient alors mer-
veilleusement placés pour chasser les Autrichiens du marché
hongrois. L'intérêt économique de l'empire allemand à l'in-
dépendance de la Hongrie n'est donc pas douteux. Il suffirait
à expliquer le soin que met le comte d'Eulenbourg, ambas-
sadeur de l'empereur Guillaume à Vienne, à favoriser, par
tous les moyens dont dispose un diplomate, les idées chères
à M. Kossuth. Les considérations commerciales ne sont
d'ailleurs pas les seules qui puissent inspirer cette action.
L'empire allemand a encore un vif intérêt politique à
pousser à l'indépendance de la Hongrie ; une Cisleithanie
isolée serail plus faible encore que celle d'aujourd'hui;
elle répondrait avec une docilité plus parfaite aux sollici-
,

tations de Berlin; la tâche des Pangermanistes, qui, comme


on l'a vu, consiste essentiellement à préparer l'intervention
de l'empire allemand en Autriche, serait par suite singuliè-
rement facilitée.
C'est ce qu'a fort bien compris M. Naumann, le chef des
sociaux-nationaux allemands, dont les sympathies pour le
Pangermanisme se laissent facilement pénétrer : « Il peut
y avoir des cas où la paix de l'Europe serait rompue sans la
volonté de l'Allemagne. La désagrégation de l'Autriche peut
contraindre à la guerre. Si la Hongrie brise le lien qui la
rattache à Vienne et le remplace par un autre, on peut faci-
lement imaginer des cas qui rappelleraient celui de la candi-
dature des Hohenzollern au trône d'Espagne en 1870 (1). Il
Les Pangermanistes le savent bien; c'est pourquoi ils
réclament eux aussi avec insistance la simple union person-
nelle de l'Autriche avec la Hongrie. Mais malgré les désirs
diversement motivés des Magyars, de Berlin et des Prusso-
philes, la Hongrie en arrIvera-t-elle à se séparer réelle-
ment d'avec l'Autriche? Si cette éventualité est possible,
elle n'est cependant pas près d'être réalisée, car, pour
peu qu'on examine à fond ses conséquences, on s'aperçoit
qu'une indépendance absolue serait loin de servir les inté-
rêts des Magyars.
(1) Es kann ja Lagen gehen, in denen die Ruhe Europas ohne Deutsch-
"
lands Willen gebrochen wird. Selbst durch den osterreichischen Zerset-
zungsprozess kann der Zwang zum Krieg eintreten. Wenn etwa Unffarn den
Draht nach Wien zerschneiden und neue Dràhte anlegen wuirde so konnten
leicht Fàlle eintreten, die an die hohenzollern'sche Kanditatur fur Spanien
im Jahre 1870 erinnern. » Deutschland und Oesterreich, F. NiumAN.N-,'
p. 8. Verlag der « HUPe » Berlin, 1900.
Je l'ai déjà dit un peu plus haut : le rétablissement d'une
douane austro-hongroise ne créera pas automatiquement
l'industrie magyare. De toute évidence, une période de
plusieurs dizaines d'années sera nécessaire, et, pendant ce
temps, la Hongrie devra devenir tributaire de l'empire alle-
mand. Or, en raison de cette origine, les prix des objets que
les Allemands vendraient aux Magyars seraient bien moins
élevés que ceux de fabrication autrichienne, ce qui, en
vertu des lois de la concurrence, rendrait plus difficile
encore la création d'une industrie magyare sur le sol
hongrois. En fait, on faciliterait simplement aux Alle-
mands la prise de possession économique de la Hongrie
où leurs industries installeraient des succursales. L'organe
du Dr Hasse le dit sans détour Les Magyars travaillent
: (1

sans relâche à se libérer économiquement de l'Autriche.


Ils ne pourront y réussir qu'avec l'aide de capitaux, d'ingé-
nieurs et d'ouvriers allemands (1). »
Sans doule, les excédents agricoles de la Hongrie (d'ail-
leurs en diminution constante) pourraient trouver en Alle-
magne l écoulement qu'ils ont maintenant en Autriche ;
mais la création d'une industrie nationale, invoquée
par
M. Kossuth comme justification de
son projet, serait-elle
alors plus facile à effectuer qu'actuellement?
Ce n'est pas tout. La véritable cause qui
a fait obstacle
jusqu ici à la création d'une industrie magyare, ce n'est
pas
l'origine autrichienne des produits consommés
par la Hon-
grie, mais la pénurie de capitaux dont elle souffre. Là gît
la grosse difficulté. Or, il n apparaît pas que la séparation
d'avec l'Autriche aiderait à la résoudre. Obligée d'entretenir
une représentation diplomatique et consulaire qui lui soit
personnelle, à supporter seule les charges des
rouages

(1) Die Madjaren arbeiten ohne Unterlass ihrer wirtschaftlichen


«
Befreiung von Oesterreich. Das konnen sie aber an
nur mit Hiilfe des deut-
schen Kapitals, deutscher Fabrikanten, Ingenieure und Arbeiter
Alldeutsche Bldtter, 1898, p. 176.
erreichen
directeurs d'une armée, la Hongrie serait inéluctablement
amenée à augmenter le nombre de ses fonctionnaires, c'est-
à-dire le chiffre de ses impôts.
Enfin, une Hongrie épaulée contre l'Autriche est plus
sûre de son existence qu'autrement. L'idée de la séparation
de la Hongrie n'est donc séduisante qu'en apparence. Ne
serait-il pas d'ailleurs extrêmement difficile d'isoler prati-
quement les deux pays? La Hongrie et l'Autriche, dont
chacune produit en surabondance les marchandises qui font
précisément défaut à l'autre, se complètent mutuelle-
ment (1). L'agriculture et l'élevage hongrois ont besoin
d'être protégés contre la concurrence d'outre-mer. N'est-il
et

donc pas heureux que l'Autriche, qui est à deux pas, ne


mette aucun obstacle à l'entrée des produits hongrois et
consente même à ce que des mesures de défense soient
prises au besoin en leur faveur contre les produits simi-
laires d'autres provenances (2) ? Il Qu'en retour l'Autriche
et

demande un traitement analogue pour ses articles indus-


triels, ce n'est que justice, et puisque, sous ce rapport, la
Hongrie est forcément tributaire de l'étranger, n'est-il pas
raisonnable d'en faire profiter un État avec lequel on est
politiquement en rapports intimes et qui, au point de vue
commercial, présente des avantages qu'on ne saurait trouver
autre part (3)? » Enfin, il faudrait dédoubler la direction de
la guerre, de la marine et de la diplomatie, que l'Autriche
et la Hongrie mettent en commun. Par conséquent, les
charges qui en résultent s'accroîtraient. Ainsi, non seule-
ment la séparation affaiblirait les deux pays, mais elle soulè-
verait les questions les plus épineuses. Il y a donc bien des
chances pour que subsiste l'ordre de choses établi.
Certes, le pacte de 1867 est loin d'être parfait. On peut le

(1) G. VAUTIER, la Hongrie économique, p. 429. Berger-Levrault,


Paris, 1893.
(2) Op. cit., p. 431.
(3) Op. cit., p. 432.
reviser dans les détails, en augmentant progressivementl'in-
dépendance de la Hongrie, mais sans provoquer, par des exi-
gences inopportunes, une crise générale austro-hongroise.
Le comte Apponyi concluait récemment dans ce sens. C'est
vraiment la seule politique qui paraisse raisonnée et sage.

§ 3. — Si la séparation de l'Autriche d'avec la Hongrie


paraît difficile à réaliser, la combinaison qui consisterait à
faire entrer la Transleithanie dans le futur Zollverein de
l'Europe centrale est-elle de nature à séduire davantage les
Magyars?
Il y a une dizaine d'années, M. de Matlekovits (1), ancien
sous-secrétaire d'État au ministère de l'agriculture, de
l'industrie et du commerce hongrois, a préconisé un système
mixte qui supprimait la douane pour certains articles et
la laissait subsister pour d'autres. Ce projet, très étudié et
fort sérieux, tenait compte avec équité des divers intérêts en
présence. C'est ce qui le différencie de celui que soutient
actuellement le Dr Hasse.
Si ce dernier propose d'introduire la Hongrie, pays agri-
cole et presque sans industrie, dans le grand Zollverein,
c'est à la fois parce que l'Allemagne, ne pouvant suffire à
sa propre consommation, acquerrait à bon compte les excé-
dents agricoles de la Hongrie et que le commerce allemand
serait plus à même de s'emparer du débouché hongrois. Il
s'agit de déterminer dans quelle mesure une telle combi-
naison peut cadrer avec les nécessités magyares.
On vient de voir que la disparition de la douane austro-
allemande permettrait à l'empire allemand d'inonder de ses
produits le territoire de la Transleithanie et que, par consé-
quent, les fabriques magyares qui y seraient fondées à

(1) Die Zollpolitik der oesterreicltisclt-ungarisclten Monarchie und des


deutschen Reiches seit 1868 und deren nàchste Zukunft. (La politique doua-
nière de la monarchie austro-hongroise et de l'empire d'Allemagne depuis
1868 et son prochain avenir). Dr Alexandre DE MiTLEKOviTS,Leipzig, 1890.
grand renfort d'argent ne pourraient vraisemblablement
pas soutenir cette concurrence et reprendre le marché.
Les intérêts industriels magyars semblent donc bien devoir
être lésés par l'entrée de la Hongrie dans le grand Zollve-
rein. Restent les intérêts agricoles. Ils sont importants
puisque les principales exportations de la Hongrie consis-
tent en céréales et en bétail. A ce point de vue, trois faits
surtout sont à remarquer :
1° En raison de l'accroissement de la population et de la
diversité des cultures substituées à celles du blé, les rende-
ments agricoles de la Hongrie, propres à l'exportation, sont
en diminution progressive;
20 Le prix du blé étant diminué, sa culture rapporte moins,
d'où la nécessité d'une production plus intensive, pour par-
venir à des résultats financiers identiques à ceux de jadis ;
3° L'empire allemand achète moins de produits agricoles
à la Hongrie qu'autrefois, parce qu'il se fournit plus avan-
tageusement ailleurs (Indes, Russie, États-Unis). Il L'Alle-
magne, qui, autrefois, absorbait le quart du froment exporté
par la Hongrie, ne figure plus pendant les dernières années
à l'exportation de cet article que pour 8 à 10 p. 100 (1). » Il
en est de même pour les porcs, dont le commerce est si
considérable en Hongrie. Les porcs que la Hongrie ne
vendait pas à l'Autriche allaient en Allemagne. « Ce pays,
autrefois l'un des plus importants débouchés, tend aujour-
d'hui à se suffire à lui-même. Aussi l'exportation de la
Hongrie, qui, avant 1876, oscillait entre 300,000 et
400,000 têtes, s'est-elle abaissée à 77,703 en 1888. Les
années suivantes ont amené une amélioration ; toutefois,
les anciens chiffres semblent ne plus devoir reparaître (2). Il
Ces faits dénotent avec certitude que les Magyars ont un
intérêt moindre que jadis à trouver des débouchés à
l'étranger pour les produits agricoles. Cela se conçoit encore
(1) G. VAUTIER, la Hongrie économique, p. 375. Berger-Levrault, 1893.
(2) Op. cit., p. 387.
pour une autre raison. Les effets de dévolution économique
générale sont tels qu'il ne s'agit pas pour les Hongrois
d'envahir les autres marchés, mais bien de préserver le leur.
¡¡L'agriculture, n'exportant plus que difficilement, redoute
à présent la concurrence d'outre-mer jusque sur son propre
marché et se voit obligée de recourir à la protection (1). »
Étant données ces raisons, il semble probable que les
intérêts agricoles de la Hongrie s'arrangeraient assez mal de
son entrée dans le Zollverein rêvé par le Dr Hasse. Au point
<le vue strictement hongrois, son projet est d'ailleurs d'un
égoïsme notoire. Le Dr Gottfried Zœpfl, de Nuremberg,
en a fait l'aveu dans des conditions qu'il est bon de retenir.
Le Dr Zœpfl est l'un des membres les plus actifs de
«
l'Union allemande-austro-hongroise ". Ce Verein berli-
nois, sur lequel j'aurai à revenir, est comme une succursale
économique de l'Union pangermanique. Son but est de
hâter l'achèvement des canaux de l'Elbe et de l'Oder au
Danube, dont l'exécution constitue, comme on sait, l'un des
articles principaux du programme de la Weltpolitik. Pour
propager ses idées, ce Verein organise des conférences
dans les trois pays sur lesquels il concentre son action.
C'est dans l'une de ces réunions, tenue à Buda-Pesth le
3 septembre 1899, que le Dr Zœpfl s'est laissé aller à
d'intéressantes déclarations (2).
«
Les conséquences économiques du programme com-
mercial résultant d'une union douanière de l'Allemagne, de
l'Autriche-Hongrie et même éventuellement des pays du
bas Danube, a-t-il dit, entraîneraient l'achèvement dans ces
régions du réseau de routes commerciales et l'établissement
de tarifs de transport, en vue de rapprocher économique-
ment ces divers pays entre eux. Je ne puis discuter ici les
(1) Op. cit., p. 60.
(2) - Auswârtige Handelspolitik und innere Verkehrspolitik. Vortrag
gehalten beim IV. Verbandstag des Deutsch-Oesterreichisch-Ungarischen
Biennenschiffahrtsverbandes am 3. September t899, in Budapest,
von
Dr Gottfried Zœpfl, Nürnberg. Siemenroth, Berlin, 1900
»
«
détails » de ce programme de politique commerciale; je ne
puis notamment aborder la question de savoir dans quelle
mesure les pays du Danube sont propres à compléter les insuf-
fisances agricoles de l'Allemagne et quels débouchés l'indus-
trie allemande peut trouver dans ces pays (1). »
Le Dr Zœpfl néglige ces détails. Il croit inutile d'expli-
quer aux Magyars comment, une fois les canaux exécutés,
l'industrie allemande pourrait inonder plus facilement
l'Orient de ses produits, et comment l'Allemagne ferait
parvenir sur ses marchés, à des conditions meilleures
qu'aujourd'hui, les grains qui lui sont d'autant plus néces-
saires que sa population augmente davantage. Tout cela est
superflu. Il suffit au Dr Zœpfl de convaincre ses auditeurs
de la nécessité des canaux de jonction. Malheureusement
pour le succès de sa thèse, il laisse échapper, avant de con-
clure, des paroles qui trahissent le mobile réel de son pro-
sélytisme... « Nous avons besoin de débouchés au dehors
de l'Allemagne (2). x Et encore : i( Il s'agit maintenant pour
l'Allemagne de joindre à sa grande puissance politique une
puissance économique de premier rang dans le monde, et
de la conserver (3). »
On revient ainsi à la formule de la Welpolitik, de la
politique universelle chère aux nouvelles générations alle-

(1) Die verkehrspolitische Folge des handelspolitischen Programma


«
einer zollpolitischen Vereinigung von Deutschland und Oesterreich Ungarn,
eventuell auch noch der S'ûddonaustaaten ist der Ausbau der deutsch-osLer-
reichisch-ungarischen Verkehrsstrassen und billige Fracht auf denselben
behufs moglischster wirthschaftlicher Annaherung der einzelnen Gegenden.
Die Einzelheiten dieses verkehrspolitischen Programms, insbesondere die
Frage, wie weit die Donaulander geeignet sind, die wirthschaftlichen
Bedürfnisse Deutschlands zu erganzen und welchen Absatz die deutsche
Industrie in diesen Landern zu erwarten hat,kann icli hier nicht erortern. »
Op. cil., p. 39.
(2) « Ich habe schon gesagt, dass wir Absatzgebiete ausserhalb
Deutschlands brauchen. »
(3) « Fiir Deutschland handelt es sich zur Zeit darum, zu der grossen
politischen Machtstellung sich eine wirtlischaftliche Machtstellung ersten
Ranges auf der Erde zu erobern und zu erhalten » Op. cit., p. 38.
mandes. Tous les obstacles qu elle rencontre doivent être
brisés. Cette politique comporte le libre accès vers les
Balkans et vers l'Orient; les Hongrois sont sur la route :
il faut qu'ils laissent libre passage à la théorie impérialiste
berlinoise, et c'est pour faire ce passage que le projet de
Zollverein s'étend aussi à la Hongrie. Quant aux intérêts
magyars, M. Hasse et ses amis s'en soucient fort peu. Ce
qu'il s'agit de conclure, c'est une sorte de société léonine,
au profit de l'empire allemand. Cette préoccupation est trop
visible pour admettre que les réalistes Magyars puissent se
laisser prendre à un piège si mal dissimulé.

§ 4. — On peut encore envisager une autre hypothèse:


celle dans laquelle les Hongrois rèsteraient politiquement et
économiquement en dehors d'une modification de l'Europe
centrale, mais laisseraient les Allemands réaliser la main-
mise qu'ils souhaitent sur la Cisleithanie. Quelles éventua-
lités en résulteraient pour les Magyars? Tout au moins l'éta-
blissement de contacts peu désirables et même dangereux
avec de nouveaux voisins. Une telle opération ne se conçoit
bien en effet que si la Russie, d'accord avec la cour de
Berlin, consentait à partager l'Autriche comme jadis la
Pologne (1). Dans ce cas, la Galicie formerait nécessaire-
ment la part de la Russie, ce qui rendrait la Hongrie voisine
immédiate de l'empire des Tsars. Le gouvernement de
Pesth peut-il envisager, sans appréhension, un tel événe-
ment? N'aurait-il pas beaucoup plus à redouter d'une Rus-
sie mise à même de faire en Hongrie la propagande slave
qui lui conviendrait — et le fait d'avoir accepté la Galicie
impliquerait cette volonté — que d'une Autriche fédéra-
lisée et, par suite, nécessairement pacifique? La Galicie ne
forme-t-elle pas un État-tampon idéal que les Magyars ont
le plus grand intérêt à conserver? Le doute sur ces points

(1) Voir chapitre VIII, ii, § 2, la discussion de cette hypothèse.


divers ne semble pas possible. D'ailleurs le seul triomphe de
la politique prussienne en Cisleithanie suffirait amplement
à faire naître chez les Magyars les craintes les mieux fondées.

8 5. — Dès maintenant même ces craintes ont leur raison


d'être : les projets affichés par les Prussophiles à l'égard de
la Hongrie sont de nature à faire réfléchir sérieusement à
Pesth. C'est que les chefs du Pangermanisme ne limitent ni
leur théorie ni leur action à la Cisleithanie. Là encore, Paul
de Lagarde est leur inspirateur. En 1853, il conseillait déjà
de diriger l'émigration allemande vers les parties magyares
cc

de la Hongrie (1) » . Avec une perspicacité étonnante, il


voulait ménager à la Prusse, pour le jour où l'existence de
la Hongrie deviendrait un obstacle à ses projets, les moyens
de dissoudre la nationalité magyare, dont on connaît
l'extraordinaire vitalité. Partant de ce principe que ii tout
abandon des Allemands des deux côtés de la Leitha doit
être considéré comme une infamie (2) ", il est arrivé rapi-
dement à soutenir la thèse de la supériorité de l'Allemand
le Magyar. Sans se soucier de savoir si Attila, dont
sur
les Magyars se réclament avec tant de fierté, ne représentait
à époque une civilisation plus avancée que celle
pas son
des Germains, Paul de Lagarde a fini par condamner sans
appelles Magyars au nom de la pauvreté cérébrale qu 'il s est
plu à leur trouver. Pendant trois siècles, une masse de
(L

allés dans les universités protestantes de


Magyars sont
!'Allemagne et des Pays-Bas; pas un d'eux n'a jamais réussi
de la Jamais un Magyar n'a acquis
du delà moyenne.
intellec-
d'importance dans ordre quelconque de la vie
un
tuelle (3). »
Les nécessités de la politique berlinoise ont .1-1
empêché les

nach magyarischen Theilen Ungarns.. Paul DE LAGARDE,


(1)
« ...
Deutsche Schriften, p. 27. Dieterich, Gottingen, 1892.
Op.ccDrciJahrhundcrtep.
hindurch sind junge Magyaren in hellen Haufen
(3)
protestantischen Universitâten Deutschlands und der Niederlande
nach den
Allemands de continuer à traiter les Magyars avec autant
de mépris. Au contraire, pendant de longues années, les
politiques de Pesth et de Berlin se sont confondues jusqu'au
jour récent où les ambitions de la Weltpolitik, en se préci-
sant, ont commencé à modifier ces bons rapports.
La faute en est aux partisans de la Grande-Allemagne,
qui, revenant aux idées de Paul de Lagarde, font les com-
binaisons les plus ambitieuses aux dépens de la Hongrie.
J'ai montré plus haut comment la Sonderstellung de la
Galicie, de la Bukovine et de la Dalmatie donnerait aux
Allemands la majorité dans la CIsleithanIe ; mais cette ma-
jorité serait très faible. Dans l'Autriche ainsi réduite, les
Allemands ne représenteraient pas plus de 53 p. 100 de la
population. Ce faible pourcentage » inquiète les Prusso-
cc

philes, et ils se demandent s'il serait suffisant pour effectuer


avec sécurité la seconde phase de l'opération entreprise,
qui consisterait à rattacher la Cisleithanie restreinte à
l'empire allemand. Pour opérer avec une plus grande certi-
titude, ils sont d'avis de joindre à cette Cisleithanie restreinte
les terres de l'ouest de la Hongrie, habitées par une popu-
lation allemande. On prendrait les districts de Presbourg,
IL

de Wisselbourg, d'Altenbourg, d'Odenbourg jusqu'à Raab,


soit au total vingt-huit mille kilomètres carrés, renfermant
trois millions d'âmes (1). » C'est évidemment dans ce but
que l' Union pangermanique invite les Allemands d'Autriche
à prendre de l'influence dans les comitats de l'ouest de la
Hongrie (2).
gezogen : nie hat ein einziger von ihnen es liber die Mittelmassigkeit
hinaus gebracht. Nie ist ein Magyar auf irgend einem Gebiete des geistigen
Lebens von Bedeutung gewesen. » Op. cit., p. 26.
(1) Il Niederosterreich wird durch die angrenzenden rein deutschen
Gebiete von Pressburg, Wisselburg, Altenburg, Õdenburg bis zur Raab und
durch 'die deutschen Grenzbezirke des südlichen Mahrens vergrossert, so
dass es in Zukunft 28,000 Q. Km und etwa 3 Mill. Einwohner zahlen wird. »
Gross-Deutschland, p. 12. Deutschvolkischer Verlag « Odin » Munich,
,
1900.
(2) Il... miissten die Deutschenin Oesterreich die augrenzenden westlichen
Komitiite zu beeinflussen suchen. » Alldeutsche Bliitter, 1898, p. 176.
Par i effet naturel de cette annexion, le coefficient des
Allemands dans la nouvelle Cisleithanie s'élèverait de 53 à
60 pour 100 (1). Les Allemands qu'on incorporerait ainsi
constitueraient une excellente acquisition. La plupart sont
prussophiles, et beaucoup sont des émigrés qu'une lointaine
prévoyance a drigés. selon le conseil de Paul de Lagarde,
sur les points les plus importants de la Hongrie.
M. Ch. Loiseau a déjà signalé l'intensité de ce courant
d'immigration. On peut s'en rendre compte à la pro- CI

gression formidable du chiffre des protestants en Translei-


thanie. La statistique de 1890 accusait déjà, sur l'éten-
due du royaume de saint Étienne, 2,225,126 calvinistes et
1,204,400 luthériens. Réunis, ils forment aujourd'hui une
masse de plus de 4,200,000 personnes. Il fut un temps où
la Hongrie patriote aurait protesté contre cet envahisse-
ment. Aujourd'hui, engagée à fond dans la politique tripli-
cienne, elle s'en accommode (2) »
.
Ces lignes sont de 1898. Il a suffi des trois années écou-
lées pour modifier fort sensiblement les points de vue des
Magyars. Cette évolution rapide résulte dans une large mesure
des intentions peu équivoques à l'égard de la Hongrie, ré-
vélées dans ce laps de temps par les publications pangerma-
nistes, et dont des faits certains ont établi le caractère sé-
rieux.
Considérant que, dans le royaume dit de Hongrie, les
CI

Magyars gouvernent quoiqu'ils ne représentent que 43.7


pour 100 de la population (3), » que les non-Magyars ont
• une majorité de deux millions et demi (4), que deux mil-
(1) (1
Durch Anschluss der aristossenden deutschen Sprachgebietes in
Ungarn (Hienzen und Haidebauern) wurde der deutsche Anteil sogar auf
60 /,, steigen. » Justus Pérthes' Alldeutsc/ter Atlas, p. 5. Gotha, 1900.
(2) Ch. LOISEAU, leBalkall Slave, p. 233. Perrin, Paris, 1898.
(3) « lin sogenannten Konigreich Ungarn herrschen die Madjaren,
obwohl sie nur 43,7 proz. der Einwohnerzahl ausmachen. » Gross-
Deutschland, p. 6. Deutscbvo!k!scher Verlag « Odin » Munich, 1900.
,
(4) Das magyarische Unoarn und der Dreibund, p. 12. Lehmann,
Munich, 1891.
lions d'Allemands, malheureusement dispersés, vivent en
Hongrie (1), mais que la colonie des Saxons des Sieben-
CI

burgen a particulièrement bien réussi, qu'elle est encore


actuellement le rocher du Germanisme au milieu du Magya-
risme qui submerge tout (2) ", les partisans de la Grande-
Allemagne estiment qu'il faut préparer pour l'avenir l'utili-
sation de ces forces allemandes. Aussi, la carte n° 6 de l'Atlas
colonial de Paul Langhans intitulée : La colonisation alle-
CI

mande à l'est des pays du Danube (3), » reproduit-elle


minutieusement les îlots germaniques de la Transleithanie.
L'Atlas pangermaniste dénombre avec soin les Allemands
qui y vivent. Il en compte 218,000 dans les Siebenburgen et
393,000 dans le Banat de Temesvar. Il constate que les Alle-
mands représentent 24 pour 100 de la population de Pesth,
56 pour 100 de celle de Temesvar, 60 pour 100 de celle de
Presbourg, 61 pour 100 de celle d'Hermanstadt (4).
La propagande pangermaniste dans tous ces centres alle-
mands a déjà commencé depuis longtemps sous la forme
religieuse protestante. Un rapport du Gustav-Adolf Verein
de la fin de 1895 établit que les Siebenburgen ont reçu
dans l'exercice précédent une subvention de 511,316 marks
et la Hongrie proprement dite 1,260,085 marks (5). Les

(1) « Die in Ungarn wohnenden Deutschen, zwei Mill. an der Zahl,


wohnen leider zerstreut im ganzen Lande. « Gross-Deutschland, p. 6.
Deutschvôlkisrher Verlag " Odin » Munich, 1900.
,
(2) « Insbesondere gelangten die Ansiedelungen des Sachsen in Sieben-
burgen zur hohen Bliite, sie sind heute noch ein Fels des Deutschtums
inmitten des alles iiberflutenden Ylagyarentums. » K. SCHWARZENBERG,
KamIsich dieôsterreichisch-ungarischeArmee den Einflûssen der Nationali-
tiitenkampfe ejitzieheti? » p. 7. Lehmann, Munich, 1898.
(3) Deutsche Kolonisation im Osten, I. Donau-Lânder. V. p. 187.
(4) Chiffres donnés p. 6 de l'Atlas de LANGHANS. Alldeutscher Atlas,
Justus Perthes, Gotha, 1900.
(5) « Les envois du Gustav-Adolf-Verein servent presque exclusivement
la protection du germanisme. » « Die Zuwendungen des Gustav-Adolf-
Vereins dienen doch fast ausschliesslich dem Schutz des Deutschtums. »
Dr SCHULTUEIS, Deutschnationales Vereinswesen, p. 12. Lehmann, Munich,
1897
efforts récents et moins dissimulés des Prussophiles ont été
également concentrés sur les Siebenburgen. Déjà on peut en
constater les résultats. M. Lurtz de Kronstadt a été délégué
à l'assemblée générale de l'Union pangermanique, tenue à
Munich le 10 septembre 1898, pour remercier de leurs
Il
sympathies les Allemands de l'empire avec lesquels les
IJ

Allemands des Siebenburgen, dans leur Il poste » difficile,


se sentent complètement unis (1). Pour resserrer ces liens,
l'Union pangermanique a imaginé d'organiser l'été dernier
des excursions d'Allemands de l'empire dans la région des
Siebenburgen (2). Cette entrée en ligne de YAlldeutscher
Verband est significative; elle décèle l'existence d'une cam-
pagne pangermaniste en Hongrie, analogue à celle qui se
poursuit en Autriche. Sans doute, la forme est plus modérée,
plus prudente, le gouvernement de Pesth étant moins tolé-
rant que celui de Vienne, mais la volonté déployée est aussi
tenace et le but poursuivi également réaliste. Ce but, on
l'entrevoit facilement. La carte n° 6 de l'Atlas colonial de
Langhans, reproduite ci-contre, permet de constater que
les îlots germaniques, essaimés en Hongrie, constituent
comme les jalons d'une route qui mettrait la Serbie et la
Roumanie en communication avec Vienne. Comme ils
comptent bientôt dominer dans la capitale autrichienne, les
Prussophiles prétendent se ménager pour plus tard la possi-
bilité d'établir ce chemin allemand vers l'Orient, ce qui sera
facile le jour où le sentiment de la solidarité germanique
existera dans les colonies allemandes de la Transleithanie.
La réussite de ce vaste plan d'avenir suppose nécessaire-
ment que la domination de la Hongrie sera enlevée aux
Magyars. Les Prussophiles y songent dès maintenant, et ils
(1) « fur die Sympathien der Reichsdeutschen, mit welchen sie sich
...
auf ihrem schwierigen Posten einig fiihten... »
(2) Les prix de ces excursions organisées par Priber (Berlin, W., Franzo-
sischestrasse, 25/26) ont été fixés à 240 et 300 marks. V. aussi à ce sujet la
brochure Aufnach Siebenburgen, du conseiller d'État intime Bramer et du
professeur Dr Honiger. Priber, Berlin, 1900
croient avoir trouvé un moyen irrésistible d'y parvenir.
Au temps où la chancellerie berlinoise avait besoin du
concours du gouvernement de Pesth, les Allemands se refu-
saient énergiquement à entendre les plaintes des Roumains
de Transylvanie contre les Magyars (1).
Avec un tranquille cynisme, la Gazette de Cologne jadis
a
expliqué pourquoi : Un homme d'État prussien devrait
CI

être frappé d'aveuglement pour soutenir à Bucarest les

plans fantastiques et puérils de quelques Roumains


exaltés
et leur sacrifier les sympathies des Magyars
pour le progrès
national de l'Allemagne sous la direction de la Prusse
(2). »
Aujourd'hui le point de vue est changé et les Pangerma-
nistes, considérant que l'empire allemand
peut désor-
mais se passer de la coopération du gouvernement de Pesth,
estiment le moment venu de
renverser la politique à l'égard
des Roumains et des Magyars. Dans
un article signé E. H.
(probablement Ernest Hasse), les Alldeutsche
Blatter le di-
(1) Voir la Transylvanie roumaine
"
sur la carte insérée p. 361.
Gazette de Cologne fin novembre 1868.
1
sent fort explicitement. Autrefois les Magyars pouvaient
ci

s'assurer l'alliance durable des Allemands contre les Rou-


mains au prix de quelques concessions politiques. Aujour-
d'hui, il est trop tard pour continuer dans cette voie et cela
vaut mieux ainsi. Une intelligente politique triplicienne
devra donc réconcilier les Saxons et les Souabes de Hongrie
avec les Roumains, leurs anciens adversaires. Ensuite, elle
les éclairera et les organisera pour les élections. Trente ou
quarante députés allemands et roumains au Parlement de
Budapesth, non pas opportunistes mais radicalement natio-
naux, seront une plus sûre garantie pour la Triplice que
les applaudissements frénétiques des salons magyars et les
acclamations turbulentes de la rue (1). »
Si cette tactique réussit, elle fera sentir aux Magyars
l'étendue de la force germanique et elle mettra un frein à
leur expansion nationale, jusqu'au jour où l'on pourra faire
mieux encore. Les Roumains fixeront le sort de la Hon-
(1

grie. On ne doit jamais oublier que si les 2,601,000 Rou-


mains de Hongrie et ceux du royaume de Roumanie, au
nombre de 4,610,000, étaient réunis sur un même terri-
toire, ils formeraient une masse de 7,211,000 Roumains,
égale à la totalité des Magyars (2). »
(1) «
Früher hatten die Magyaren die Bundesgenossenschaft der Deut-
schen geren die Rumanen durch politisclie Konzessionen dauernd sicher
stellen konnen. Heute ist es zu spat dazu. Und es ist gut so. Eine verstân-
dige Dreibundpolitik wird also die Sachsen und die Schwaben in (Jngarn
mit ihren angeblichen Gegnern, den Humanen, zu versohneii, sie aufcuk-
taren und zunachst fur die Wahlen zu organisieren haben. Dreizig bis vierzig
nicht opportunistische, sondern nntionalgesinnte « grune! » deutsche und
rumanische Abgeordnete in Ofen-Pest sind uns eine sicherere Gewahr fur
den Dreibund ais der frenetische BeifaIl magyarischer Salons und magya-
rischen Strassenlàrms. » Alldelltsche Blàtter, 1897, p. 222.
(2) Diese (die Rumanen) werden das Schicksal Ungarns bestimmen.
tC

Dass ausser den 2,601, 188 Rumanen in Ungarn auch im KÕnigreich Ruma-
nien 4,610,000 (neben 890,800 anderen) wohnen und zusammen mit
diesen ein geschlossenes Sprachgebiet von mehr als 7,211,000 Rumanen
bilden, die der Gesamtheit der Vlagyaren an Zahl gleich sind, darf doch
nie aus den Augen gelassen werden. Il E. H. Alldeutsche Blàtter, 1894,
p. 67.
Le langage est transparent. C'est donc bien en rattachant
plus tard la Transylvanie à la Roumanie que les Panrrerma-
nistes songent à amener les Magyars à un degré suffisant
d'impuissance pour permettre de relier entre eux ces îlots
allemands où, jusqu'au moment décisif, on aura soin d'en-
tretenir une influence.
Ces projets et ces actes peuvent à bon droit alarmer les
Magyars dont le patriotisme est chatouilleux au point que
leur administration des postes renvoie souvent en Alle-
magne, sans les distribuer, les lettres qui portent par
exemple le nom de ville de Klausenbourg en allemand au
lieu de celui de Kolozvar en magyar.

§ 6. — Il n'est donc pas étonnant que les idées des


Magyars sur les Allemands soient en train d'évoluer. Il y a
encore quatre années, le danger slave était le seul qu'ils
eussent à envisager et leurs intérêts politiques et écono-
miques cadraient encore absolument avec ceux de l'empire
allemand; la propagande prussophile en Cisleithanie et en
Hongrie vient de tout modifier. On constate en effet à Pesth
l'éclosion de sentiments nouveaux. La triple alliance n'est
plus intangible. Il y a seulement deux ans, un député
hongrois aurait été honni s'il l'eût attaquée; M. Ugron a pu
critiquer violemment (fin décembre 1899), devant la délé-
gation hongroise, la politique germanophile du comte Golu-
chowski. Loin d'en être blâmé, il a reçu de côtés divers les
plus sérieux encouragements. Le Magyar Hirlap déclara
que l'idée antiallemande développée par M. Ugron méri-
tait d'être prise en considération par le gouvernement.
L'officieux Budapesti Hirlap renchérit : c La Hongrie n'est
pas disposée à rendre éternellement et gratuitement service
au gouvernement allemand et au marché financier de Ber-
lin... » Enfin M. F. Kossuth, qui, le 3 janvier 1900, voulut
protester contre le discours de M. Ugron en faisant l'apo-
logie de la Triplice, eut une presse détestable. Non seule-
ment ses paroles furent jugées inopportunes, mais on ajouta
qu'en parlant ainsi, il avait prouvé qu'il n'était pas un
homme d'État. Depuis lors, son rival plus heureux,
M. Ugron, poursuit avec succès sa campagne contre l'al-
liance avec l'Allemagne qu'il accuse « d'être la conspiration
des souverains contre les peuples » Ces sentiments si
.
nouveaux sont-ils vraiment la conséquence de la propa-
gande prussophile? Les mesures qu'on prend à Pesth pour
la réprimer ne permettent guère d'en douter. Le ministre
de la justice hongrois prépare en effet un projet de loi où
il est dit expressément : « Celui qui, sans la permission du
gouvernement hongrois, demande à une société ou à des
personnes étrangères, ou accepte d'elles une aide maté-
rielle pour des églises ou des écoles, sera passible d'un
mois de prison et d'une amende de deux cents florins. »
De toute évidence, cette mesure est dirigée contre le Gus-
tav-AdolrVerein et certainement les Magyars n'auront pas
plus de ménagements envers les autres entreprises panger-
manistes.
Ces indices établissent, tout au moins, que les sentiments
prussophiles sont en baisse à Buda-Pesth. On peut même se
demander si la vieille haine latente des Magyars pour les
Allemands n'est pas en train de renaître. Déjà on chante
plus souvent en Hongrie la chanson dont le refrain com-
mence par ces mots : Il L'Allemand est une canaille (1). »
La contre-partie naturelle de l'hostilité contre les Alle-
mands est une moindre antipathie à l'égard des Slaves cislei-
thans. Les deux sentiments sont si naturellement et si étroi-
tement solidaires que, peu après le début de la campagne
pangermaniste, les Magyars, sentant son danger, esquissaient
déjà un mouvement de rapprochement avec les Slaves. Le
12 septembre 1897, cinq mois après les ordonnances du
comte Badeni, le député magyar Nikolas Barth écrivait dans

(1) « Der Deutsche ist ein Hundsfott o


le Magyar Orszag : « Les peuples ont leurs usages, leurs fron-
tières, leurs traditions, leurs organes. Dès qu'ils le peuvent,
ils se développent. On le constate aujourd'hui en Autriche,
où l'idée du fédéralisme a peu à peu progressé. Le fédéra-
lisme est la conséquence de la force des choses et constitue la
meilleure solution.
Ce qui arrive en Autriche est le résultat de la cause à
«
l'effet. La domination allemande décroît chaquejour, parce que
depuis longtemps elle est artificielle. Les peuples la rempla-
cent en raison de la force historique qu'ils ont en eux. »
De telles idées, si différentes des anciennes, ont été
favorisées par l'affaiblissement très notable des sentiments
d'hostilité contre la Russie qu'on constate à Buda-Pesth.
Assurément, au commencement, comme les vieilles préven-
tions sont toujours difficiles et. longues à déraciner, les par-
tisans de l'entente avec les Slaves cisleithans n'ont formé
parmi les Magyars qu'un groupe peu nombreux, mais il s'est
renforcé constamment et a recruté des personnalités in-
fluentes, telles que M. Lang, vice-président du Parlement
hongrois. Les idées nouvelles ont ainsi rapidement pro-
gressé. Le mois de décembre 1899 a marqué une étape
décisive.
Dans le même article où les Budapesti Hirlap approu-
vaient M. Ugron d'avoir pris à partie la triple alliance, on
ajoutait : ...Les Tchèques ne tendent pas à autre chose
c(

qu'à assurer la réalisation du droit d'État de la Bohême ;


il consiste en somme à lui donner dans la Monarchie une
place semblable à celle de la Hongrie. S'opposer aux efforts
des Tchèques ou les éluder ne serait ni juste, ni intelligent,
ni politique. Ce ne serait pas juste, parce que la Bohême a
précisément les mêmes droits que la Hongrie à une indépen-
dancè d'État. Comme la Hongrie, en toute indépendance,
elle a élu roi Ferdinand Ier et choisi les Habsbourg pour
dynastie; comme la Hongrie, elle a réussi un certain temps
à conserver son indépendance à l'égard du pouvoir central.
Elle ne fut moins heureuse que plus tard. Alors que la
Hongrie a reconquis lentement sa liberté, la Bohême n'y est
pas encore parvenue. Si elle réussit maintenant à atteindre
la situation que la Hongrie, plus heureuse, a déjà, pourquoi
en prendrions-nous ombrage? Non seulement, nous ne devons
pas nous opposer aux efforts des Tchèques, mais nous devons
au contraire les favoriser. Si nous y faisons obstacle, il peut
arriver deux choses : d'abord le maintien de la situation
présente, qui non seulement peut nuire à l'union existant
entre l'Autriche et la Hongrie, mais encore amoindrir la
situation de l'État austro-hongrois en tant que grande
puissance; ou bien la fin de la situation actuelle par un
retour à l'absolutisme, les nationalités autrichiennes étant
trop fortes et leur opposition trop absolue pour que la vie
constitutionnelle ou parlementaire soit possible. Mais, pra-
tiquer l'absolutisme en Autriche, c'est préparer une explo-
sion épouvantable dont les effets pourraient bien être de
remettre la Hongrie au point où elle était en 1848 et de
tourner contre les Magyars non seulement la force du roi,
mais encore celle des autres États. S'opposer à l'accomplis-
sement des vœux naturels des Tchèques, c'est donc ménager
un état de choses dont il ne sortira rien de bon pour la Hon-
grie. Puisse l'opinion publique hongroise bien réfléchir à
quels résultats elle peut aboutir, si elle persiste à protéger
l'hégémonie allemande ! Alors elle prendra parti pour les
Tchèques. »
Cet article, que jamais on n'aurait cru voir paraître
dans un journal de Pesth, est d'une grande importance. Il
est la preuve matérielle des tendances conciliatrices des
Magyars. Il montre qu'à Pesth les gens perspicaces se ren-
dent parfaitement compte qu'il faut choisir entre l'établis-
sement du « fédéralisme » en Cisleithanie ou accepter la
mainmise de l'empire allemand sur l'Autriche. Il y a ainsi
deux systèmes à suivre. L'ancien aboutit à déchaîner le
«
germanisme »
dans des conditions détestables pour la
Hongrie, le second comporte une entente raisonnée avec
les Slaves cisleithans.
Pour quelle politique se décideront les Magyars? ÉVI-,
demment pour celle qui leur semblera offrir le moins de
risques.
S'ils favorisent les projets allemands sur Trieste, ils don-
neront au gouvernement prussien, maître de la Confédéra-
tion qui depuis tant de siècles réalise ses annexions par
voie de soudures territoriales, l'irrésistible tentation de
joindre les nouvelles possessions allemandes à cette partie
de la Bosnie et de l'Herzégovine qui formerait alors la part
k
de l'Autriche. Pour cela, il faudrait couper les Hongrois de
la mer (1).
M. Ch. Loiseau n'hésite pas à dire ce que dans cette
occurrence pourraient faire les Magyars : Les Hongrois
ci

sont un peuple à la fois trop judicieux et trop énergique,


ils attachent notamment trop de prix à la possession d'un
littoral et à celle de la ville de Fiume, pour admettre
un seul instant l'hypothèse où la frontière territoriale du
royaume de saint Étienne serait rejetée par delà la Save —
ce qui serait exactement le cas considéré. — Celui-là seul
qui ne connaît ni leur tempérament, ni leurs traditions, ni
leurs intérêts pourrait leur prêter en cette matière désinté-
ressement ou libéralisme", ou même supposer qu'ils hési-
(1

teraient à mettre en œuvre les moyens les plus radicaux


pour parer à cette éventualité (2). »
Ce moyen radical est en somme d'un emploi fort simple.
Il consiste, pour les Magyars, à permettre l'établissement
du ¡¡fédéralisme" en Cisleithanie.
Jadis l'entente ne pouvait pas se faire. Aujourd'hui elle
est possible. Les Magyars savent bien qu'au fond le Pans-
lavisme politique n'existe pas chez les Slaves cisleithans et
que les Tchèques ont montré assez de sens pratique pour
(1) Voir la carte « l'Autriche vraie Il.
(2) Ch. LOISEW, le Balkan Slave, p. 252. Perrin, Paris, 1898.
qu'on puisse conclure avec eux l'accord solide, commandé
par l'intérêt le plus certain de la Transleithanie. C'est à
cette solution qu'on se décidera à Pesth, le jour où on y sera
convaincu de l'entière vérité des paroles du député jeune-
tchèque, Dr G. Eim :
Les Magyars ne doivent pas se dissi-
CI

muler que le jour où le drapeau des Hohenzollern flottera


de Prague à Trieste, leur état et leur nationalité s'effondre-
ront aussi sous le poids de la suzeraineté de l'Allema-
gne (1). »

Si, maintenant, l'on considère les courants d'opinion,


dont les intérêts matériels sont la base en Hongrie aussi
bien qu'en Autriche, il s'en dégage une nouvelle confirma-
tion de la tendance générale des peuples de François-Joseph
à réprouver la doctrine pangermaniste et à réaliser le fé-
CI

déralisme » en Cisleithanie.

(1) Vie contemporaine, mars 1892.


CHAPITRE V

LE MOUVEMENT PANGERMANISTE
DANS L'EMPIRE ALLEMAND

1 L'OPINION PUBLIQUE.
— § 1. Comment on l'a travaillée : les Sociétés.
L'Alldeutscher Verband pose la question d'Autriche devant les Alle-
mands de l'empire. L'Odin- Verein. Le Gustav-Adolf-Verein. L'Evaltge-
lischer Bund. L'Allgemeiner Deutscher Sprachverein. L'Allgemeiner
Schulverein. Quelques autres sociétés pangermanistes. La presse : jour-
naux, revues, agences télégraphiques. Les personnalités influentes : le
groupe pangermaniste au Reichstag. Les pasteurs évangélistes. M. von
Stolberg-Wernigerode. Mgr Kopp. Mommsen. Le colonel de Bernhardi.
Le général von der Goltz. Vue d'ensemble de l'organisation pangerma-
niste. — § 2. Les résultats de la propagande : les professeurs, la jeunesse
et la Grande-Allemagne. Progression rapide des idées pangermanistes.
La folie pangermaniste. État actuel de l'opinion.
IL LE GOUVERNEMENT DE BERLIN. — § 1. Facilités accordées à la cam-
pagne pangermaniste : la bienveillance des autorités. Les événements de
Chine déterminent momentanément une nouvelle tactique. Faits indi-
quant le retour aux premières tendances. — § 2. Propagation officielle de
l idée de la Grande-Allemagne le Manuel de Géographie de MM. Brust
:
et Berdrow. — §3. Le consul allemand à Prague carrière et succès. —
.
§ 4. Guillaume II et la Pangermanie : indices révélateurs et paroles à
retenir. — § 5. La question d'argent : qui a fourni les subsides nécessaires
àla campagne pangermaniste?
— § 6. Les nouvelles mesures militaires:
armement, fortifications, loi militaire du 25 mars 1899. Signification géné-
rale. — § 7. La politique extérieure de Guillaume II : à l'égard de l'Au-
triche, de l'Angleterre, dela France et dela Russie. Tendances de l'en-
semble. — § 8. Le nouveau chancelier de l'empire allemand M. de
:
B'iilow, disciple de Bismarck.

Le soutien qu'ils ont trouvé chez les Allemands de 1 em-


pire a seul permis aux Pangermanistes d'obtenir en Cislei-
thanie des résultats aussi importants.
Par la force même des choses, les Germains les plus
enclins à se laisser séduire par l'idée de la Grande-Alle-
magne, de YAlldeutschland, devaient être les sujets de Guil-
laume II. En se passionnant pour la conception nouvelle,
ils ont déterminé un courant d'opinion, indispensable à
connaître pour l'intelligence complète du mouvement pan-
germaniste.
L'attitude observée par le gouvernement de Berlin à
l'égard des manifestations pangermanistes, faites sur le sol
soumis à son action, n'offre pas moins d'intérêt : elle per-
met de discerner, avec de très grandes chances d'exactitude,
la politique que semble vouloir suivre Guillaume II vis-à-vis
de l'Autriche.

L'OPINION PUBLIQUE

L'état présent de l'opinion publique allemande n'est pas


le résultat spontané d'une évolution naturelle, mais d'une
propagande exécutée en Allemagne en même temps qu'en
Autriche par des procédés analogues, avec cette différence
toutefois que la portée en est autrement grave. Pour se per-
suader qu'on se trouve bien en présence d'agissements
voulus, le mieux est d'étudier dans ses éléments principaux
et saisissables l'organisation pangermaniste, sans craindre
d'entrer parfois dans les détails.

§ 1. — Les Pangermanistes ont su mettre au service de


leur propagande les merveilleuses facultés d'association des
Allemands.
Ils disposent maintenant de groupements puissants, coor-
donnés entre eux et dont chacun remplit une tâche déter-
minée. Le plus influent de tous est incontestablement l 'All-
deutscher Verband (l'Union pangermanique) (1). Au cha-
:
pitre II, j'ai posé sa constitution, son programme et son
action géné e; dans le chapitre III, j'ai montré ses agis-
sements en Autriche ; je vais maintenant établir comment
cette active société a réussi à poser la question d'Autriche
devant le public de l'empire allemand.
Comprenant que l'esprit national facilite leur action, le
Dr Hasse et ses amis s'ingénient à exalter par tous les
moyens la grandeur de leur pays et sa puissance militaire.
«
L'Union pangermanique, pénétrée de la haute valeur
qu'on doit attribuer à l'art introduit dans les intérieurs
comme moyen d'éducation nationale, a résolu d'éditer les
gravures artistiques inspirées par un profond sentiment pa-
triotique et qui, reproductions excellentes des œuvres des
grands maîtres, peuvent servir à la décoration (2). »
Le même sentiment a déterminé un groupe d'hommes
H

profondément nationaux, amis éprouvés de la jeunesse, à se


réunir dans le but d'accroître son éducation nationale
et d'influer sur la formation des générations qui gran-
dissent...
" Ce qui est
grand et noble, ce qui est bon et vrai, ce qui
est allemand au meilleur sens du mot, doit s'emparer du
cœur de nos enfants. Il faut qu'ils s'enthousiasment pour la

(1) L'Alldeutschel' Verband, Berlin,


W. 35, Liitzowstrasse. Je rappelle
que l'action de l'Union s'étend au monde entier. En dehors des groupes
locaux qui couvrent d'un réseau serré toute l'Europe, elle a établi des
centres pangermanistes en Amérique : à Assomption, Coban, Concepcion,
Espirito-Santo, La Paz, Lima, Managua, Montévideo, San Francisco, Vera-
Cruz; en Afrique : à Port-Élisabeth, Johannesburg, au Caire; en Asie : à
Bangkok, KaÏfa, Hong-kong, Jaffa; en Océanie : à Batavia, Jaluit, Mel-
bourne, etc.
(2) Il Durchdrungen von der Erkenntniss des hohen Werthes, welcher der
Kunst im Hause auch als nationales Erziehungsmittel innewohnen kann,
hat sich der Alldeustche Verband zur Herausgabe dieser Kl1nstbliitter ent-
schlossen, welche ein tiefes, vaterliindisches Gefdhl offenbaren und als
Werke erster Meister, in vorziigleicher Weise vervielfiiltigt, jedem Baume
wini Schmuckegereichen werden. Il Alldeutsches Werbe-und Merk-Bûchlein,
p. 29. Lehmann, Munich, 1899.
grandeur du passé et pour les promesses de l'avenir. Le
sentiment du devoir doit les dominer (1). o
Dans ce but, toute une bibliothèque a été créée. Parmi
les titres des ouvrages qui la composent on trouve au hasard :
Un héros brandebourgeois à la côte des esclaves, Le cœur
allemand, Le paradis germanique, Le lion des Flandres,
Les grands héros du peuple allemand, Aux jours de la
détresse allemande, La prise de Strasbourg, etc. (2).
Afin d'augmenter le nombre et d'élever la qualité des
volumes de cette bibliothèque, l'Union pangermanique a
ouvert des concours d'ouvrages patriotiques pour les en-
fants ; comme stimulant, elle distribue à leurs auteurs des
prix de deux mille, quinze cents et douze cents marks.
Ces petits moyens montrent la profondeur de vue du co-
mité directeur de l'Union; les sentiments hostiles contre
l'Autriche qu'il a su créer en Allemagne en établissent sa
puissance.
On se souvient comment les ordonnances du comte Badeni
(avril 1897) ont été le prétexte de l'intervention duDrHasse
en Cisleithanie. Aussitôt, l'Union pangermanique convia
les Autrichiens à venir protester contre les ordonnances sur
le sol de l'empire allemand. La première de ces réunions
eut lieu à Dresde le 9 mai 1897. L'Union, qui n'était pas

(1) "
Eine Reihe national gesinnter Männer und bewährter Jugend-
freunde hat sich zusammengeschlossen, um auf de Vertiefung nationaler
Erziehung und Bildung unserer heranwachsenden Jugend einzuwirken...
«
Was gross und edel, was gut und wahr, was deutsch im besten Sinne
ist, soll die Herzen unserer Kinder erfassen, sie für das Grosse in Vergan-
genheit und Zukunft begeistern, und das Pflichtgefühl in ihnen wachrüt-
teln, ihr ganzes Sein für die Sache des Vaterlandes einzusetzen in Selbstzucht
und tapferer Stählung an Geist und Körper. " Julius Lohmeyer's Vaterlän-
dische Jugendbücherei. Lehmann, Munich, Heustrasse 20.
(2) Quatre ou cinq éditeurs ont en Allemagne le monopole de la « litté-
rature » pangermaniste. Le plus important est Lehmann, de Munich, qu'
fait lui-même partie du comité directeur de YAlldeutscher Verband.
Il a publié notamment le Démembrement de l'Autriche et sa reconstitu-
tion, plaquette condamnée par six tribunaux différents de Cisleithanie et
dont j'ai donné plus haut l'analyse.
encore certaine des suites qu'aurait sa démarche, n'y était
représentée qu'officieusement, mais MM. Zimmermann, '
Lotze et Fôrster, députés au Reichstag, assistaient au mee-
ting. Le rédacteur autrichien Welker y déclara <'La ques- :

tion des langues en Bohême intéresse tous les peuples de


langue allemande, car le peuple allemand n'est point borné
par les poteaux-frontières noir, blanc et rouge (1). »
L'assemblée s'associa à ces paroles en votant à l'unani-
mité une déclaration c dénonçant les ordonnances sur les
langues en Bohême comme une humiliation de tout le peu-
ple allemand, invitant tous les Allemands à s'opposer aux
convoitises slaves par tous les moyens... et engageant les
compatriotes autrichiens à lutter sans aucune considéra-
tion »
.
Pour bien accentuer le caractère de la réunion on envoya,
avant de se séparer, des télégrammes d'honneur au roi de
Saxe, à l'empereur allemand et au prince de Bismarck.
Encouragée par ce premier succès, l'Union pangerma-
nique profita de sa troisième assemblée générale pour orga-
niser à Leipzig, le 10 juin 1897, une manifestation plus
importante encore. Cette fois, les députés au Parlement
autrichien MM. Wolf, de Vienne; Dr Funke, de Leitmeritz,
et le Dr Schücker, d'Eger, vinrent en personne, accompa-
gnés de délégués qui prétendaient représenter toutes les
régions de l'Autriche allemande. Le résultat fut un appel
pressant adressé par l'Union pangermanique à tous les Alle-
mands du continent : it Nous faisons nôtres, disait ce docu-
ment, les victoires et les défaites des Allemands d'Autriche-
Hongrie. Nous nous engageons solennellement à faire tous :
nos efforts pour obtenir que le combat soutenu courageuse-
ment par nos compatriotes en Autriche, pour leur bon droit,
s'étende de plus en plus et voie s'accroître ses partisans et
(1) « Das ist eine gemeinschaftliche Angelegenheit aller Völker deutscher
Zünge. Das deutsche Volk ist nicht begrenzt durch die schwarzweissro-
then Pfähle. »
ses moyens d'action ; il faut que cette lutte devienne un
sujet de préoccupation pour le peuple allemand tout en-
tier (1). »
La police de l'empire, d'ordinaire si soupçonneuse,
laissa faire ; mais le gouvernement de Vienne témoigna son
mécontentement, en faisant saisir à la frontière le numéro
des Alldeutsche Blâtter du 27 juin 1897, chargé de répandre
en Autriche 1' appel » L'Union pangermanique répondit
« .
à cette mesure par une nouvelle démonstration à Leipzig,
le jour anniversaire de Sedan. Son succès fut encore plus
marqué que celui des précédentes. Les autorités allemandes
continuaient à ne mettre aucun obstacle. L'Union panger-
manique se vit le champ libre. Elle annonça une nou-
velle réunion à Berlin pour le 12 novembre 1897. Les
députés autrichiens MM. Prade, Funke et Wolf avaient
promis leur concours, mais le gouvernement de l'empereur
Guillaume, voyant qu'il allait être cette fois trop ouverte-
ment compromis, interdit l'assemblée. Cette mesure fit une
énorme publicité à l'Union pangermanique et lui amena de
nouveaux adhérents. L'audace de ses chefs s'accrut, au
point que le 15 décembre 1897, son président, le Dr Hasse,
n'hésitait pas à demander au Reichstag de voter une motion
en faveur des Allemands d'Autriche.
c
Il s'agit, dit-il, du combat entre les peuples, de la lutte
des Allemands contre les Tchèques et les Polonais. J'es-
time que notre droit et notre devoir—je fais ici solennel-
lement usage de ce droit et j'espère parler en commu-
nion d'idées avec les majorités de tous les partis de celte
(1) " Die Siege und die Niderlagen des Deutschtums in Oesterreich-
Ungarn sind auch die unsrigen und wir versprechen feierlich, nach Kräften
dahin Zu wirken, dass der von unseren Volksgenossen in Ocsterreich für ihr
.
gutes, völkisches Recht mutvoll geführte Kampf in immer weiteren Kreisen
Verständnis, Teilnahme und Untertützung finde und so zu einer Angelegen-
heit des gesamten deutschen Volles werde.
" Im
Auftrage des Alldeutschen Verbandstages.
" Die Hauptleitung,
« DR HASSE. »
chambre — est de dire publiquement dans le Parlement et
en dehors du Parlement que nos sympathies sont acquises
aux Allemands d'Autriche. Jusqu'en 1866, ils ont appartenu
à un État fédéré avec le nôtre. Ils n'ont pas cessé de rappe-
ler notre parenté commune. Ils savent qu'ils sont nos com-
patriotes, et en luttant pour leur existence nationale ils com-
battent aussi pour l'avenir de notre peuple (1). »
Naturellement, le Reichstag se refusa, à une forte majo-
rité, à la démonstration inconvenante qu'on lui demandait;
mais le seul fait qu'une semblable question ait pu se poser
devant une assemblée parlementaire étrangère à l'Autriche
est déjà grave en lui-même. Cet échec n'affecta aucune-
ment le comité de l'Union, qui accentua même sa propa-
gande. Le 11 juillet 1898 son secrétaire, le Dr Lehr, venait
sur le territoire autrichien, à Eger, prononcer un discours
enflammé en l'honneur du prince de Bismarck; le 9 sep-
tembre 1898, la quatrième assemblée générale de l'Union
avait lieu à Munich, sous la protection bienveillante des
autorités bavaroises, et deux jours plus tard elle recevait
par dépêche, en réponse aux félicitations du Dr Hasse, les
encouragements du prince régent de Bavière (2).

(1) «Es handelt sich um die Kämpfe der Völker unter einander um die
Kämpfe des deutschen Volksthums gegen die Angriffe des czechischen und
polnischen Volks. Und da, meine ich, ist es unser Recht und unsere Pflicht
— und ich mache vom diesem Rechte an dieser Stelle feierlich Gebrauch
und hoffe im Einverständniss mit der Merheit aller Parteien dieses hohen
Hauses zu sprechen, wenn ich sage, dass wir innerhalb und ausserhalb dieses
Hauses es öffentlich aussprechen müssen, dass in diesem Völkerkampfe
unsere, des deutschens Volkes, Sympathien denen gehören, die bis zum
Jahre 1866 mit uns zu einem Bundesstaat gehörten und die noch heute
nicht aufgehört haben, unsere Blutsverwandten, unsere Volksgenossen zu
sein, und die im Kämpfe um das Fortbestehen ihres Volksthums auch für
die Zukunft unseres Volkes kämpfen. " V. Berichte über die Verhand-
lungen ,des Reichstags. Seance du 15 decembre 1897, dixieme legislature,
cinquieme session, premier volume, p. 261.
(2) Texte allemand du telegramme du prince regent de Baviere : Oberst-
dorf, den 11 September 1898. Seine Kgl. Hoheit der Prinz Regent entbietet
den Teilnehmern am Alldeutschen Verbandstage in München für die Aller-
höchst demselben dargebrachte telegraphische Huldigung Ihren besten Dank
Ces manifestations affectées n'ont pas nui à une action
plus discrète, mais bien autrement dangereuse. Depuis son
entrée en ligne, l'Union a établi dans toutes les régions de
l'Autriche des « hommes de confiance (1) ", chargés de la
tenir au courant des moindres incidents de la vie politique
du pays et d'organiser la propagande autour d'eux.
En voici une liste, d'ailleurs fort incomplète. On ne sau-
rait s'en étonner. Ces « hommes de confiance » sont des
agents secrets, ce qui est très nettement établi par les quel-
ques lignes dont l'Union pangermanique fait précéder la
liste de ses groupes locaux et de ses représentants.
«
Pour des raisons faciles à concevoir, nous avons omis
de publier les noms de nos hommes de confiance en Autri-
che-Hongrie. Nous leur transmettrons volontiers les com-
munications intimes de ceux que nous jugerons y avoir
intérêt (2). »
Quoi qu'il en soit, parmi ceux qu'on peut connaître, il faut
citer :

Vienne Anton Schalk, docteur en droit,


M.
Wienstrasse, 28.
Modling, près Vienne. lVI. Paul Theune, ingénieur.
Budweis M. Jos. Taschek, négociant.
Oberleutensdorf..... M. Jos. Biester.
Prague M. Jos. Wagner, commerçant.
Reichenberg M. Franz Vogel, commerçant.
Treibnitz. M. le Dr Jos. Titta.
Villach M. TschebulI, notaire.
Laybach M. J. Binder, professeur.
...........
und hoffen, dass dieselben nach ernster Arbeit recht frohe Stunden in der
bayrischen Landeshauptstadt verleben werden. Im allerhochsten Auftrage,
gez. Oberst von Wiedernann, K. Fl'ûgeladjudant.
(1) L'Union pangermanique a également un homme de confiance à Paris :

M. Fritz Weber, 15, rue des Petites-Écuries.


(2) " Aus naheliegenden Gründen haben wir uns es unterlassen, die
Namen unserer Vertrauensmânner in Oesterrich-Ungarn zu veroffentlichen.
Zuverlâssigen Interessenten werden wir gern vertrauliche Mittheilungen
machen. » V. Alldeutsches Werbe-und Merk-Biichlein, p. 13. Lehmann,
Munich, J899
Graz M. le Dr J. Khull, professeur.
M. le Dr R. v. Planner.
Marbourg M. Franz Schonherr, professeun.
..........
Ces correspondants devoués renseignent exactement
l'Union pergermanique et lui permettent d'agir efficace-
ment dans un sens antiautrichien.
En même temps que la vaste organisation de l'Alldeutscher
Verband fonctionne régulièrement en Autriche et se perfec-
tionne sans cesse, l'Union s'ingénie à tenir dans l'empire alle-
mand l'opinion constamment en éveil sur les affaires d'Au-
triche. Les réunions récentes de l'Union pangermanique
ont montré avec beaucoup d'évidence que c'est bien là le
but qu'on poursuit. Le 6 février 1900, dans la réunion orga-
nisée à Magdebourg, le Dr Samassa de Berlin déclara :
«
L'Allemand de l'empire a le devoir de suivre la lutte des
Allemands d'Autriche contre les Slaves avec intérêt et intel-
ligence.
«
Si le Prince de Bismarck a toujours été partisan de l'inté-
grité de l'Autriche, c'est qu'il avait devant lui un État dans
lequel la suprématie des Allemands était assurée, et pas
du tout un État fédératif comme le veulent les Slaves, qui
comporte l'abandon de toute politique bismarckienne basée
sur l'unité (1). » Un peu plus tard, les 6, 7 et 8 juin 1900,
l'Union pangermanique a tenu à Mayence son assemblée
générale annuelle. Le même Dr Samassa y affirma que le
maintien du Il Germanisme » en Autriche était une question
de vie ou de mort pour le peuple allemand. Après lui, dans
un discours fanatique, le député autrichien Wolf reprit les
principaux articles du programme de Linz : Il L'Autriche
(1) Jedenfalls hat aber auch der Reichsdeutsche die Pflicht, diesen
«
Kämpfen mit Interesse und Verständniss zu folgen. Denn wenn auch Bis-
marck stets für die Integrität Oesterreichs eingetreten ist, so hat er doch
entschieden dabei einen Staat im Auge gehabt, in dem die Vormacht der
Deutschen sichergestellt war, keineswegs aber einen föderalistischen Staa-
tenbund nach dem Sinne der Slaven, derin der unerbittlichen gegenseitigen
Bekämpfung die Bethätigung seiner ganzen Politik findet. -
nous est indifférente quand elle agit contre les intérêts des
Allemands.
"
Nous espérons que le système électoral actuel sera
bientôt envoyé au diable. Alors, nous serons vingt-huit ou
trente hommes résolus au lieu d'être six ou huit. Nous ne
voyons notre salut que dans un État régi selon l'esprit
de Bismarck (1). »
L'assemblée approuva avec éclat ces déclarations.
«
L'Union pangermanique voit dans la conservation du
«
germanisme i) autrichien une question vitale pour le
peuple allemand. Elle souhaite que tous les Allemands
d'Autriche réussissent par leur persévérance dans la lutte à
acquérir la situation qui leur convient dans l'État. L'Union
exprime, en outre, le désir que des liens plus étroits s'établis-
sent entre l'Autriche et l'empire allemand, ce qui pourrait
être réalisé au moyen d'une revision de l'alliance austro-alle-
mande et par l'établissement d'une Union douanière (2). o
A côté de l'Union pangermanique, un grand nombre
d'autres groupements travaillent simultanément et d'accord
avec elle. L'Odin Verein a un caractère à la fois politique
et religieux. Il fut fondé à Munich en 1897. Son programme
est le même que celui du Dr Hasse, mais son action se limite
à l'Autriche et sa tendance est plus particulièrement protes-
tante. Sa publication hebdomadaire, Y Odiii, feuille de combat
le mouvement pangermaniste (3), comme le dit son
pour

(1) Der Staat ist Wurscht, wenn er gegen die Interessen der
« uns
Deutschen handelt. Hoffentlich holt das jetzige Wahlrecht bald der Teufel,
dann ziehen, wir 28 bis 30 Mann statt 6 bis 8 ein. Nur in einem Staate,
der im Geiste Bismarck's regiert wird, sehen wir unsere Heil... "
(2) « Der Alldeutsche Verband siehtin der Erhaltung des österreichischen
Deutschtums eine Lebensfrage des deutschen Volkes und hofft, dass es den
Deutschen Oesterreichs durch standhaftes Ausharren im Kämpfe gelingen
werde, die ihnen gehührende Stellung im Staate zu erlangen. Er wünscht
dieser Voraussetzung einen engeren Anschluss Oesterreichs an das
unter
Deutsche Reich durch die Aufnahme des deutschösterreichischen Bünd-
nisses in die Verfassung und durch eine Zollunion. »
(3) ODIN, Ein Kampfblatt für die alldeutsche Bewegung. Knorr, Munich.
sous-titre, ainsi que les brochures de propagande (Flu_qschrif--
ten) qui sortent de ses presses sont si violentes que le gou-
vernement autrichien a interdit à sa poste d'en opérer le
transport. Cette mesure est restée complètement inefficace.
L'Odin affirme disposer d'une organisation telle qu'il est en
état de faire le service de ses publications, malgré toutes
les interdictions officielles (1). L'Odin s'adonne, en outre
et tout spécialement, à l'édition des cartes postales illus-
trées dont j'ai déjà signalé le rôle qui consiste surtout à
faciliter la tâche des sociétés purement religieuses. Celles-ci
ont commencé depuis fort longtemps leur travail.
Le Gustav-Adolf-Verein, fondé en 1832 par le marchand
W. Schild, à l'occasion de l'érection d'un monument, en
l'honneur de Gustave-Adolphe, sur le champ de bataille de
Lutzen, est doté d'une organisation remarquable. Son action
s'étend, en principe, sur tout le monde évangéliste; mais,
par un hasard qui n'est certainement pas fortuit, elle se
concentre sur le territoire de la future Pangermanie, et
notamment sur l'Autriche. Le rapport du Verein pour 1895
établit que l'année précédente 5,900,000 marks ont été
répartis entre 623 communes évangélistes de Cisleithanie,
dont 150 en Galicie, 163 en Bohême et 91 en Moravie. L'ac-
tion de ce Verein a été conduite avec tant de méthode qu'on
évalue ses adhérents en Autriche à 80,000, soit au sixième
du total des protestants sujets de François-Joseph. Natu-
rellement, le Gustav-Adolf-Verein a prêté un concours très
actif au mouvement Los von Rom. Son rapport de 1900
constate en effet qu'il a envoyé l'an passé en Autriche
40 théologiens dont la mission est suffisamment mise en
évidence par le cas du pasteur Everling.
L ' Evangélis cher Bund est une société de même nature.

(1) «In Oesterreich trotz Postdebit-Entzuffes stark verbreitet ; Versen-


dung an die osterreichischen Bezieher durch entsprechende Massregeln
gesichert. » V. la couverture de la brochure intitulée Deutsches Parteileben
i;z Oesterreich. Deutschvolkischer Verlag « Odin » , Munich, 1900.
Son action s'est combinée de même avec celle de l'Union
pangermanique. Un rapport publié par le Reichsbote le
dit formellement (1). A sa dernière assemblée générale,
le Bund a décidé de consacrer en 1901 une somme de
200,000 marks à la propagande en Autriche. Il convient ici
de remarquer que la base du mouvement Los von Rom.
est exlusivement en Allemagne. C'est à Berlin, au commen-
cementde 1899, que l' Evangelischer Bund, présidé par le con-
seiller à la cour (Hofgerichtsrath) von Oettingen, a tenu
de véritables conseils de guerre pour organiser la campagne
protestante, dresser la liste des pasteurs à envoyer et l'itiné-
raire à suivre; c est de Municn que furent expédiés des
milliers de cartes postales invitant les catholiques autrichiens
à passer au protestantisme; c'est le consistoire de Dresde
qui, en mai 1899, fut dans la nécessité de faire revenir les
pasteurs saxons, pourvus d'emplois dans les autres États de
l'Allemagne, pour remplir'la charge des titulaires partis en
nombre considérable « propagander" en Autriche; c'est le
pasteur Muller, de Munchen-Gladbach, président du consis-
toire évangélique, qui invita les fidèles à soutenir de leurs
deniers la campagne. Une circulaire évangéliste, publiée
par la Grazer Volksblatt (Journal populaire de Graz), révèle
d'ailleurs avec une suffisante clarté l'origine de l'argent
employé à la propagande. « Il s'agit, dit ce document, de
jeter un pont solide vers la protestante Allemagne (2). » Et,
pour rassurer les néophytes qu'on convoite, la circulaire
ajoute : « On ne vous demande pas d'argent... Il est pourvu
aux moyens nécessaires (3). »

(1) Abgesandte des Alldeutschen Verbandes und des Evangelischen


(c

Bundes bei der Abfassung der Besschltisse zur Organisation des Uebertrittes
Protestantismus mithalfen. Rapport du Reichsbote, V. la Politik de
zum »
Prague du 31 janvier 1899.
(2) "... feste Brücken müssen nach dem protestantischen Deutschland
geschlagen werden. »
(3) « Geldopfer werden nicht beansprucht... Fur die erforderlichen
Mittel !,jt gesorgt. » V. Politik, 17 mars 1899.
Tout, absolument tout, vient de l'empire allemand; on
y a même imprimé les ci
tracts »
évangélistes qui ont été
répandus à profusion en Autriche. Le fac-similé ci-joint
reproduit la couverture de l'un d'eux, adressé spécialement
aux habitants de la région d'Eger, dont on veut flatter ainsi
le patriotisme local. Cette brochure est le modèle du genre.

Sortie des presses de la société it Germania » de Brême,


elle s'efforce de démontrer que la cause du Germanisme Il
(1

est étroitement liée à celle du protestantisme. La dernière


phrase est un pur chef-d'œuvre. « Soyez libres et Allemands
et par-suite protestants. Il
Des incidents fâcheux comme l'arrestation du pasteur
Everling (voir page 119) n'arrêtent pas l'ardeur des sociétés
évangélistes. Encore maintenant, leurs émissaires sillon-
nent l'Autriche. Certains même s'y sont fixés à demeure (1).
L'impunité, qui leur est assurée, les encourage à montrer
de plus en plus leurs sentiments prussophiles. Les Mun-
chener Neueste Nachrichten ont constaté avec satisfaction
que plusieurs pasteurs évangélistes de l'empire allemand
assistaient à la conférence que MM. Wolf et Schônerer
ont faite en juillet 1900 à Eger et où les comités pan-
germanistes de Hambourg, de Berlin, de Munich, d'Augs-
bourg, de Nuremberg, de Darmstadt, de Cassel, de
Dresde, de Leipzig ont envoyé des dépêches de félicita-
tions.
Après les sociétés religieuses, vient le groupe des sociétés
économiques. Là comme ailleurs, on retrouve à l'origine
l'action du Dr Hasse. En 1895, partant toujours des idées
soutenues par F. List, il établit tout un plan de voies de
communications, propres à faciliter le trafic général alle-
mand. " Il s'agit de réunir une série d'entreprises particu-
lières en un système allemand, " qui constituera plus tard
les grandes artères économiques du Zollvérein de l'Europe
centrale qu'il s'agit de fonder (2). »
La même année, le Dr G. Zœpfl, dont les idées sont
identiques à celles du Dr Hasse et qui très probablement
est un de ses amis personnels, démontre que la question Ct

des canaux est étroitement liée à la création d'une Union


douanière de l'Europe centrale ou tout au moins à une Union
douanière austro-allemande (3) ».
En conséquence, dans une conférence qu'il fit à Berlin
le 26 avril 1895, le Dr G. Zœpfl demanda la jonction du
Mein, de l'Elbe et de l'Oder au Danube au moyen de ca-

(1) Ex. :
Le Révérend Friedrich Kiirzenbach est venu de Westphalie
s'installer à Braunau.
(2) Alldeutsche Blatter, 1895, p. 165.
(3) "... bemerke hier nur, dass dasselbe im engsten Zusammenhange
mit den Bestrebungen fur ein mitteleuropiiische oder wenigstens deutsch-
osterreichische Zollunion steht. » Dr Gottfried Zopfl, Mittellâiidische Ver-
kehrsprojekte, p. 73. Siemenroth, Berlin, 1895. 7
naux. Après leur achèvement, l'Allemagne disposera de
plusieurs routes fluviales vers la mer Noire.
1° La voie mer du Nord — Baltique par le canal Empe-
reur-Guillaume — Stettin— l'Oder et le canal de l'Oder au
Danube.
2° La voie Hambourg — Elbe — le canal de l'Elbe au
Danube — et le Danube.
3° La voie Brême — le canal du centre — Elbe — le
canal de l'Elbe au Danube et le Danube.
4° Le Rhin, le Mein et le Danube (1).
Pour arriver à la réalisation de ces grands travaux, le
Dr Zôpfl conseillait de constituer une fédération de sociétés
sur le modèle de l ' Alleg emeiner Deutscher Handels-und. Ge-
iverbeverein, qui, de 1819 à 1823, a mené l'agitation d'où
est sorti le Zollverein allemand (2).
L'idée du Dr Zôpfl est aujourd'hui une réalité. La fédéra-
tion des sociétés pour l'exécution des canaux existe; elle
comprend trois groupements principaux l'Union centrale:

pour l'extension de la navigation allemande sur fleuves et


sur canaux, Berlin (3); l'Union pour l'extension de la na-
vigation sur les canaux bavarois, Nuremberg (4) ; l'Union
du Danube, Vienne (5).
Ces trois sociétés agissent de concert. Elles organisent des

(1) Op. cit., p. 7J


(2) Op. cit., p. 7L.
(3)cc
Centralverein fur Hebung der deutschen Fluss-und Kanalschif-
fahrt, » Berlin. Cette société publie la Zeitschrift für Biennenschiffahrt,
dirigée par le major Hilken.
(4)cc
Verein fur Hebung der Fluss-und Kanalschifrthrt in Bayern. »
(5) « Donauverein, » Vienne. Sur cette question des canaux, consulter ;
Der Elbe-Aloldau-Donaii-Kanal als Tramitstrasse des we,tôçtlichenHandels
mit besonderer Rücksicht auf die Interessen des reichsdeutschell L,'lbyebieles
und den Ijundel der Elbespelliifen liai?ibitry und Lübeck, par le Dr F. SIE-
WERT, secrétaire de la chambre de commerce de Liibeck. Siemenroth.
ei
Berlin, 1899. — Die wirthscliaftliche Bedeutung des Rh n-Elbe-Kanais;
Mit G,jjehipi igung des Herrn Alinisters der offentlichen Arbeiten als Pri-
vaterarbeit he;-ausyegebeiz, par Sympher, Regierungs-und Baurath, 11 cartes,
2 vol. Siemenroth, Berlin.
conférences, comme celle dont j'ai parlé plus haut (1), et
déploient la plus grande activité pour préparer la réalisa-
tion de la partie économique du programme pangerma-
niste. Leur action serait-elle d'ailleurs purement commer-
ciale, qu'elle n'en mériterait pas moins de fixer la plus
grande attention, car l'exécution des canaux de l'Elbe et de
l'Oder au Danube, en modifiant les conditions générales du
transit continental, est destinée à entraîner d'incalculables
conséquences.
Comme tous les grands pays, l'empire allemand possède
des associations dont le but est de répandre à l'étranger la
langue allemande. Il n'y aurait donc rien à en dire si, depuis
quelques mois, on ne voyait ces groupements accentuer
leur note et faire servir leur organisation à la diffusion des
idées pangermanistes. L'Allgemeiner Deutscher Sprcichverein
(Union linguistique générale allemande) (2) est certainement
de ce nombre. L'éloge qu'en faisaient les Alldeutsche Blât-
ter dès la fin de 1894 ne laisse pas le moindre doute (3).
C'est encore le cas de l' Allgemeiner deutscher Schulverein
(Union générale scolaire allemande) (4), dont les secours
en argent pour les écoles allemandes de l'étranger, les jar-
dins pour les enfants, etc., sont toujours régulièrement
concentrés sur l'Autriche allemande et particulièrement
sur la Bohême, le plus important champ de bataille.
N'est-ce pas cette même société qui, quelques mois plus
tard, gagnée par le courant général, lançait cet appel?
(1
Allemands, soyez sur vos gardes. Les événements bien
connus de l'Autriche montrent combien le c Germanisme i)
y est menacé. A nous, qui voulons jouir des bienfaits d'un
- empire allemand puissant, une tâche sainte incombe. Nous
(1) Voir p. 179.
(2) Berlin W., Motzstrasse, 78.
(3) " Der Allgemeine Deutsche Sprachverein... ist doch eine echt
alldeutsche Vereinigung. » Alldeutsche Bldtter, 1894, p. 152.
(4) Fondé le 18 août 1881. Berlin W., Wichmannstr., 2 a. Le président
de cette société est le professeur Brandi.
devons recevoir nos frères d'origine, menacés en Autriche,
les protéger de toutes nos forces dans ce combat pour le
bien suprême, les mettre en état de résister à une lutte qui,
d'année en année, devient plus menaçante et plus dange-
reuse. Il faut leur donner les moyens de lutter contre l'in-
solence des Tchèques, de tous ces Slaves d'une civilisation
inférieure. Quand la maison du voisin brûle, la vôtre est
menacée. Donc debout, Allemands, hommes et femmes,
montrez votre fidélité, votre « Germanisme » , et coopérez
au grand œuvre national! »
Cette coopération prend la forme de subsides que le Verein
répand fort intelligemment en Autriche-Hongrie. Le rap-
port lu à Darmstadt, le jour de l'assemblée générale de
1900, constate que cette participation financière a été de
120,000 marks pour l'exercice précédent.
A côté de ces sociétés, on en trouve beaucoup d'autres qui
très évidemment sont dévouées aux idées pangermanistes,
au moins à un degré quelconque, puisque l'Alldeutscher
Verband les recommande chaleureusement. Parmi celles-ci
il faut noter :

La Société coloniale allemande (1), grand-duc Albrecht


de Mecklembourg, président;
L'Union centrale de Géographie commerciale et de
défense des intérêts allemands à l'étranger (2) ;
L'Union navale allemande, prince de Wied, président (3);
L'Union centrale des sociétés navales allemandes à
l'étranger (4) ;
L'Union allemande du Schleswig du Nord (5);
La banque de crédit de Scherrebek (6) ;
(1) Deutsche Kolonialgeselischaft. Berlin W., Potsdamerstr., 22 a.
(2) Centralverein fur Handeisgeographie und Forderung deutscher Inte-
resseniUl Auslande. Berlin SW., Hallesches Ufer, 35. Dr Jannasch, président
(3) Deutscher Flottenverein. Berlin W., Wilhelmstr, 90.
(4) Haupverband deutscher Flottenvereine im Auslande. Berlin W.,
Bülowstr., 74.
(5) Deutscher Verein für das niirdliche Schleswig.
(6) Creditbank Scherrebek
L'Union évangélique pour la protection des orphelins de
la province de Posen (1);
La Société évangélique de l'orphelinat de Kobissau près
Danzig (2) ;
L'Union évangélique des émigrants allemands (3);
La Société Saint-Raphaël pour la protection des émigrants
allemands catholiques (4).
Cette nomenclature est encore très incomplète.
Les manifestations diverses faites par cet ensemble de
sociétés n'ont été possibles que parce que la plus grande
partie de la presse de l'empire allemand les a encouragées
par un accueil enthousiaste.
Il existe maintenant de l'autre côté du Rhin un nombre
considérable de journaux qui s'ingénient à renforcer le cou-
rant pangermaniste et préconisent ouvertement l'absorption
de l'Autriche sous une forme quelconque. Parmi les organes
particulièrement dévoués à cette politique, on trouve : le
Deutsche ¡J1ichel(5), feuille de propagande réce m ment fondée r
d'un bon marché extraordinaire et tout à fait nuance
Dr Hasse ; la Hilfe (l'Aide) (6), revue hebdomadaire, dont le
directeur, M. Fr. Naumann, leader des sociaux-nationaux,
aime les formes adoucies, prudentes et surtout opportu-
nistes ; la Jugend de Munich, qui va volontiers jusqu'à une
poétique violence. Son chant des Allemands d'Autriche,
Lied der Deutschen Oesterreichs (7), est tout à fait digne
des Alldelltsche Bliitter. La Gegenwart (le Présent), vieille
revue, jouissant d'une grande autorité, est si favorable à la
Wcltpolitik qu'on y trouve des articles de ce genre : « Jus-

(1) Evangelischer Verein für Waisenpflege in der Provinz Posen.


(2) Deutsch-Evangel. Waisenhaus in Kobissau b. Danzig.
(3) Evangplischer Haupteverein für deutsche Auswanderer.
14) St-Raphael-Verein zum Schutze katholisch-deutscher Auswanderer.
(5) Berlin W 57, Göbenstrasse, 6.
(6) Lire en entier la brochure de M. Naumann Deutschland und Oesler-
reich, dont j'ai donnp plu? haut quelques extraits.
(7) V. le n° 47 de 1 année 1897
qu'à présent, l'Allemagne n'a même pas accompli sa mission
la plus immédiate, qui consiste à réunir sous l'aile de l'aigle
impériale tous les peuples de race et de langue allemandes.
Les temps présents sont extraordinairement favorables j

à l'obtention de ce but.
«Les Allemands d'Autriche désirent précisément être rat-
tachés à l'empire allemand. Il faut trouver un moyen quel-
conque de donner une solution satisfaisante à cette grave
question qui, non seulement pour les Allemands d'Autriche,
mais encore pour l'empire allemand, est une question de vie
ou de mort. (La tâche européenne de l'Allemagne) (1).
11

Voilà pour quelques-unes des revues pangermanistes.


Parmi les organes de la presse quotidienne qui développent
les mêmes points de vue, on trouve à Berlin : le Berliner
Bôrsen-Kurier, le Berliner Tageblatt, la Deutsche Zeilschrift,
la Tœgliche Rundschau, la Vossische Zeitung, la Deutsche
Zeitung (2). Ce dernier journal est entièrement adonné
à l'œuvre pangermaniste. Il est dirigé depuis cinq ans par
le Dr Fr. Lange, membre du comité directeur de l'Alldeut-
scher Verband.
Dans la presse provinciale, le Dr Hasse compte également
un nombre considérable de partisans et de défenseurs. Les
Münchener Neueste Nachrichten sont dévouées et les Leip-
ziger Neueste Nachrichten sont ardentes. A la fin d'août 1897,
elles déclaraient déjà sur un ton de morgue hautaine :
IL
La Cisleithanie subsistera seulement si la langue allemande

(1) « Deutschland hat bis jetzt nicht einmal seine nachste nationale Auf-
gabe, aile Volker deutscher Abstammung und Sprache unter die Fittiche
des Reichsalder zu versammeln, erfiillt. Gerade die Gegenwart ist aber aus-
serordentlich günstig fur die Erreichung dises Zieles. Die Deutschen in
Oesterreich sehen sich geradezu nach Anschluss an das Deutsche Reich,
und es soUte moglich sein, irgendwie eine befriedliche Losung dieser
schwierigen Frage, die nicht nur fur Deutschœsterreicher, sondern ebenso
sehr fur das Deutsche Reich eine Lebensfrage ist, zu finden. Die Europaische
Angabe Deutschlands, von Wm. Weber. » Gegenwart, n°20, 20 mai 1899,
p. 306.
(2) Berlin, Wilhelmstrasse, 9.
est reconnue comme langue d'État et si l'Autriche entre
dans une union douanière et commerciale (Zollverein und
Verkehrverein) avec l'empire allemand. 1)

Les résultats déjà si considérables obtenus par la cam-


pagne prussophile en Cisleithanie leur paraissent encore
insuffisants ; les Nachrichten voudraient renforcer le courant
d'immigration artificielle. " Il existe un moyen par lequel
nous pouvons accroître la force de résistance vraiment héroï-
que des Allemands. Nous pouvons leur infuser du sang nou-
veau. Chaque année vingt ou trente mille fils de l'Allemagne
quittent leur pays. La plupart vont chercher leur vie au
delà du grand océan, où un grand nombre périclite bientôt
et disparaît dans les grandes villes des États-Unis, cloaques
de tous les mondes. Ne serait-il pas possible de diriger sur
l'Autriche ces émigrants perdus jusqu'ici pour le peuple
allemand? L'Autriche pourrait parfaitement les recevoir.
Elle n'a que 79 habitants par kilomètre carré, alors que
l'Allemagne en a 97. Ces colons allemands, poui 11 plupart
paysans, seraient bien reçus de leurs frères allemands dans
les régions menacées par les Slaves. Les nouveaux venus tra-
vailleraient ainsi à l'œuvre de la civilisation. Le milieu alle-
mand leur fournirait aide et protection. Ils conserveraient
alors leur nationalité plus facilement que les autres Alle-
mands qui vont à l'étranger. On obtiendrait finalement
double résultat le nombre des Allemands s accroîtrait
un :

la du Germanisme trouverait de nouveaux dé-


et cause « »

fenseurs. »
Je n'ai pas reculé devant la longueur de cette citation
qu'elle donne idée de la tranquille impudence des
parce une
journaux de l'empire allemand à l'égard de l Autriche ; pour
c'est un pays conquis qu'il faut traiter ad majorem Ger-
eux
înaniœ gloriam.
Aucun journaliste allemand de la majorité ne se demande
si la cause des Slaves cisleithans est juste ou non. A toutes
les tentatives de raisonnement, ,ils opposent l'argument
inébranlable, croient-ils, de la supériorité de la race. Leur
thèse est simple autant que brutale : les Allemands dominent
en Autriche depuis des siècles ; ils ont apporté aux Slaves la
civilisation; ce serait en compromettre les bons effets que
de permettre à ceux-ci de toucher à l'ordre de choses établi.
Jusqu'ici, les Habsbourg ont été les serviteurs du germa- cc

nisme » C'est à eux qu'il appartient de maintenir les Slaves


.
turbulents dans leur situation passée. Si les Habsbourg
échouentdans cette mission, ils se condamnent à disparaître,
car alors ils travaillent eux-mêmes à la décomposition de
l'Autriche et ils la conduisent à un démembrement qui, de
toute nécessité, rattachera les provinces allemandes de la
Cisleithanie à l'empire allemand.
Cette thèse, unanimement soutenue par la presse de
l'Allemagne, même par les organes qui ne se piquent pas de
Pangermanisme, est celle que les agences télégraphiques de
Berlin diffusent à l'étranger. Le mécanisme de l'opération,
qui peut paraître très compliqué, est en réalité fort simple
.
Il
Les agences télégraphiques sont plus ou moins les instru-
ments officieux des gouvernements, qui ne se font pas faute
de leur faire dire ce qu'ils veulent. En outre, une critique
serrée des dépêches a lieu avant que celles-ci soient trans-
mises aux intéressés, et il s'opère ainsi dans l'ombre un tra-
vail qui n'a rien de particulièrement édifiant. Telle nouvelle
qui présenterait un grand intérêt pour le public est soi-
gneusement éliminée. D'autres sont soumises à un maquil-
lage étrange. En résumé, les journaux ne sont pas mis au
courant de ce qui se passe, mais bien de ce qu'il convient
aux gouvernements de leur laisser savoir (1). »
Or, à Berlin, c'est surtout le bureau Wolff qui est
dans la main du gouvernement. Il lui est d'autant plus
facile d'impressionner, comme il l'entend, les lecteurs du
monde entier, que presque toutes les agences télégra-
(1) L'Art de rédiger, d'administrer et d'imprimer un journal, p. 59.
Soullier, Genève, 1900.
phiques, afin de réduire leurs frais, qui sont considérables,
échangent entre elles les nouvelles de leurs pays respec-
tifs.
C'est ainsi que les informations sur l'Allemagne et
l'Autriche-Hongrie données aux journaux français par les
agences de Paris sont généralement frelatées, alors que
cependant la bonne foi et la loyauté de ces agences restent
entières. Il y a là très certainement le résultat d'une lacune
grave dans l'organisation générale de la presse. Je n'ai pas
à chercher ici les moyens de la combler. Il me suffit de la
constater et d'en tenir compte.
Ce qui précède établit que, dans tout l'empire allemand,
un nombre considérable de sociétés et de journaux prépare
les esprits à admettre la réalisation du projet de la Grande-
Allemagne. Leur action a été singulièrement facilitée par
les encouragements que leur ont prodigués avec ostentation
des personnalités d'une notoriété plus ou moins grande.
Comme il est impossible de citer tous les Pangermanistes de
marque, je rappellerai seulement quelques noms pris parmi
les classes influentes de la société.
Tout comme le Reichsrath de Vienne, le Reichstag de
Berlin a son groupe de députés pangermanistes. " Le
professeur Hasse, le Dr Lehr, M. Liebermann, le comte
d'Arnim, s'attachent à sauver les Autrichiens, » dit l'un des
publicistes de l'Odin Verein (1).
Sauver les Autrichiens, on se doute bien que cet euphé-
misme veut dire : préparer l'extension de l'empire aux
dépens de l'Autriche. C'est ce qu'explique fort clairement,
dans une de ses poésies, M. Liebermann, déjà cité :
I

Dieu allemand, laisse arriver ;

Ce que ton peuple implore.


Sois présent dans l'avenir
A la lutte des peuples.

(1) Die Deutsche Politik der Zukunft, p. 10. Deutschvolkischer Verlag


. Odin ,, Munich, 1900.
Reste fidèlement uni, à la Pangermanie,
Là où flottera notre bannière,
Depuis le Belt jusqu'à l'Adriatique (1).

Ces invocations et ces agissements compromettants n'em-


pêchent pas des personnages haut placés d'assumer avec le
Dr Hasse la responsabilité du développement de Alldeuts-
cher Verband. Ainsi, l'an dernier, le comte de Stolberg-
Vernigerode, ancien premier président de la Prusse orien-
tale et membre du Reichstag, est devenu l'un de ses
directeurs. Ce sont là, on l'avouera, des adhésions propres
à entraîner celles de simples bourgeois et de commerçants.
Des pasteurs fort connus n'ont pas hésité à donner l'appui
le plus absolu et le plus ostensible à la campagne. Le pas-
teur Luthardt, doyen des théologiens de Leipzig, a conseillé
d'inonder l'Autriche de brochures protestantes et panger-
manistes. Le pasteur Witte, de Berlin, ajouta que si la
censure interdisait l'introduction de ces tracts, on saurait
bien trouver le moyen de leur faire passer la frontière en
contrebande. Le 28 octobre 1900, le conseiller du consis-
toire supérieur de Dresde, Dr Tibelius, vint à Krammel,
près d'Aussig, inaugurer la première église évangéliste
fondée grâce au mouvement prusso-protestant.
Le cardinal Kopp, dont les relations personnelles avec
l'empereur Guillaume sont bien connues, s'est attaché à
montrer que les catholiques pangermanistes ne le cèdent
en rien aux protestants. Abusant des pouvoirs spirituels
que les traités de 1815 ont laissés au prince-évêque de
Breslau sur la Silésie autrichienne, il a fondé (avril 1899)
un nouveau séminaire dans le but avoué de former un
clergé prussophile pour remplacer celui des séminaires

(I) Deutscher Gott, o lass gelingen,


Was dein Volk von dir erfleht :
In der Zukunft Völker-Ringen
Steh, wo unser Banner weht,
Treu geeint Alldeutschland da
Von dem Belt zur Adria.
actuels, dévoué à l'Autriche. Trois mois plus tard, il inter-
vint plus audacieusement encore en essayant, d'ailleurs sans
succès cette fois, de faire nommer au siège archiépiscopal
de Prague le baron de Grimmenstein, d'origine prussienne.
Mommsen, un autre ami personnel de Guillaume Il et
qui, en écrivant l'histoire romaine, a trouvé l'occasion de
faire une apologie de la race germanique, a adressé à la
Neue Freie Presse (31 octobre 1897) une lettre contre les
Slaves d'Autriche, qui a eu un immense retentissement. On
y lisait : Croyez-m'en, de même que les Allemands d'Au-
ci

triche regardent vers l'Allemagne, de même les Allemands


de l'empire regardent vers l'Autriche (1). » Un homme de la
t&

situation de M. Th. Mommsen qui s'immiscerait aussi auda-


cieusement dans la politique d'un gouvernement allié, et
qui le ferait en termes d'une pareille grossièreté, serait
chez nous, disait M. Alphonse Humbert, député de Paris,
immédiatement hué par la presse tout entière. La lettre de
M. Th. Mommsen est accueillie par toute la presse alle-
mande avec un véritable enthousiasme. Les plus grands
journaux de Berlin lui consacrent des leaders sympathiques
et beaucoup ne craignent pas d'agrémenter les éloges qu'ils
en font d'injures et de menaces contre la monarchie autri-
chienne. »
Depuis ce succès, Mommsen n'a faitqu'accentuer sa note
menaçante. En 1900, la municipalité pangermaniste d'Eger
envoya à l'historien un exemplaire du catalogue des ar-

(1) Cette lettre, où Mommsen préconisait l'emploi de la violence à l'égard


des Tchèques, lui a valu une juste réplique du professeur Balcer, de
l'Université polonaise de Leopol. Elle contenait ce passage . " Allons,
monsieur, en qualifiant les Slaves d'apôtres de la barbarie prêts a anéantir
dans l'abîme de la sauvagerie la culture allemande, vous avez parlé comme
Pangermanisme ! Vous avez
un Allemand imbu des idées chauvinistes du
poussé un cri d'horreur et de douleur à la vue de la suprématie qui s 'échap-
pait des mains allemandes en Autriche ; mais vous n avez pas parlé en tout
historien, à la façon d'un Schiller ou d un Rancke ! Des paroles
cas en
les vôtres eussent été au-dessous de la dignité de ces hommes de
comme
science éminents. »
chives de la ville. Mommsen remercia dans une lettre où
il dit : i, Puisse votre pays se sauver, grâce à ses fidèles
qualités allemandes, à la faveur des troubles actuels (1). »
Les officiers, qui reflètent le mieux l'esprit du monde
militaire, parlent avec une netteté plus grande encore. Le
colonel de Bernhardi, ancien chef d'état-major du 16e corps,
actuellement attaché au grand état-major, honoré des
faveurs particulières de Guillaume II, a donné, dans une
conférence sur les éléments de la guerre moderne, à la so-
ciété militaire de Berlin, « la véritable formule des ambitions
allemandes (2) » : « Nous reconnaîtrons que l'empire alle-
mand nouvellement formé n'a pas encore atteint la limite
de l'extension possible de sa puissance. Son unification,
sa renaissance, lui ont imposé de nouveaux et impérieux
devoirs que, jusqu'ici, la Prusse avait dû remplir à elle
seule. Nous reconnaîtrons que sa mission historique n'est
pas encore terminée, puisque cette mission consiste à former
le noyau autour duquel viendront se grouper tous les éléments
dispersés de la race allemande, à étendre sa sphère d'influence
pour la mettre en harmonie avec ses limites politiques, à
donner et à assurer au " Germanisme » la place qui doit lui
revenir sur tout le globe...
" Pour
lui assurer cette place, nous devons avoir le cou-
rage de nous engager dans des voies nouvelles, où le flam-
beau de l'expérience ne viendra pas nous éclairer, où, en
apparence tout au moins, il nous faudra la plus grande au-
dace. »
Le général von der Goltz, ancien chef de la maison mili-
taire allemande en Turquie, aujourd'hui grand favori de
l'empereur Guillaume, soutient identiquement la même

(1) Moge Ihr Heimatland in seiner treuen deutschen Eigenart sich


«
durch die gegenwàrtigen Sturme durchretten ? » Ihr ergebenster -MO.)IMSEN.
Chalottenburg, 7 August, 1900.
(2) Ernest.JnDET. V. le Petit Journal des 23 et 24. août 1900. On y trou-
vera de longs extraits de cette remarquable conférence.
thèse : « Travailler sans relâche à perfectionner de plus en
plus notre armée et notre organisation militaire nationales,
sera encore pour nous la suprême sagesse politique. L'ac-
croissement de notre force morale, de cette puissance qui
décide de tout à la guerre, doit marcher de front avec nos
progrès matériels ; nous disons accroissement et non main-
tien, car « les forces morales ne restent jamais à un même
niveau ; elles décroissent dès qu'elles cessent de croître ».
i(
Il est donc nécessaire, avant tout, de nous convaincre
nous-mêmes et de convaincre la génération dont nous avons
à faire l'éducation que le moment du repos n'est pas venu,
que la prédiction d une lutte suprême, ayant pour enjeu l'exis-
tence et la grandeur de l'Allemagne, n est nullement une vaine
chimère issue de l'ambition de quelques fous ambitieux, que
cette lutte suprême éclatera un jour, inévitable, terrible et
grave comme toute lutte de nations, appelée à servir de pré-
lude à de grandes révolutions politiques. Ce sentiment doit
nous amener à tout faire, par l'exemple, par la parole, par
la plume, pour affermir dans nos cœurs et dans ceux de nos
enfants notre inébranlable fidélité à l'Empereur, notre
amour passionné de la patrie, notre esprit de sacrifice et
d'abnégation. Dans ces conditions, la victoire finale, dans
la lutte future, ne manquera pas d'appartenir encore à l'ar-
mée allemande, qui doit être et demeurer la nation alle-
mande armée (1). IJ

Les paroles ou les actes des députés de YAfldeutscher


Verband au Reichstag, de Mgr Kopp, de Mommsen, du co-
lonel de Bernhardi, du général von der Goltz, ne procèdent-
ils pas d'une même volonté : préparer l'extension, sous
une forme quelconque, des frontières de l'empire en Europe
même? Il semble bien que la réponse ne puisse être néga-
tive.
~
Cette revue des principaux moyens de l'action panger-
(1) Baron COLMAR VON DER la Nation armée, p. 530. Traduit par
GOLTZ,
H. MONET, capitaine d'infanterie. Westhausser, Paris, 1891.
maniste, quoique fort incomplète, permet de considérer
maintenant dans son ensemble l'instrument de la propa-
gande en Allemagne. Alors seulement on en comprend toute
l'importance.
La solidarité, l'action concertée et concordante de presque
tous les groupements pangermanistes, est certaine. Les dé-
légations que la plupart d'entre eux ont envoyées à Mayence
en juin 1900, à l'assemblée générale de Y Alldeutscher Verband,
l'établissent matériellement. On y trouvait en effet les re-
présentants d'un grand nombre de sociétés allemandes, no-
tamment de l'Union des étudiants allemands, de la Société
nationale des employés de commerce, de l'Union générale
linguistique allemande, de l'Union scolaire, de l'Union
évangélique, de l'Union des Sociétés navales, de l'Union
de la Wartburg, de l'Ostmarkverein, de l'Odin, de l'Union
du Nord du Schleswig, etc. (1). Il est donc indéniable que
le Dr Hasse et ses amis sont arrivés à réaliser cette force
d organisation (Macht der Organisation) qu'ils rêvaient de
créer il y a si peu d'années encore.
Quand on songe à l'action qu'a eue jadis le Tugendbund
et aux procédés relativement rudimentaires avec lesquels
M. de Bismarck est parvenu, entre 1866 et 1870, à
con-
vaincre les Allemands de la nécessité de reprendre l'Alsace-
Lorraine, alors seulement on comprend qu'un ensemble
de sociétés politiques, religieuses, économiques, ayant leurs
publications, leurs journaux, leurs revues servant des idées
communes et obéissant à une impulsion unique, peut
exercer une puissance formidable sur le peuple allemand,
qui, plus que tout autre, est un peuple enseigné.

§ 2. — Les résultats que cette organisation remarquable

(1) ... der Verein deutscher Studenten,


I< der deutsch-nationale Hand-
lungsgehilfen Verband, Allgemeiner deutscher Sprachverein, Schulverein,
Evanr,elischer Bund, Flottenverein, Wartburgbund, Ostmarkverein, Odin
und deutscher Verein Nord-Schleswig.
"
a obtenus dans l'empire allemand constituent à la fois une
preuve nouvelle de sa force et un avertissement précieux
pour ceux qui songent à l'avenir.
Dès sa création, l'Union pangermanique a trouvé des
adhérents particulièrement dévoués dans les élèves des
écoles supérieures. Au début de 1897, une délégation d'étu-
diants de l'empire alla à Vienne encourager les cama-
rades autrichiens et leur dire c Nous n'oublierons jamais
:

la Marche de l'Est, pas plus que nous n'avons oublié Stras-


bourg. L'avenir le montrera (1). » En raison de cet état
d'esprit, les ordonnances du comte Badeni soulevèrent des
protestations particulièrement violentes chez les étudiants
de l'empire.
La corporation de Leipzig convoqua tous les condisciples,
tous les frères allemands de l'empire et du dehors de l'em-
pire (Komrnilitonen, Deutsche Slammesbruder in nnd ansser
dem Reiche) à une réunion pangermaniste (Alldeutsche
Tagung), à un grand banquet pangermaniste (Grosser
Alldeutscher Kommers) dont on devine l'objet (2). Au lieu de
chercher à arrêter le mouvement, les professeurs firent tout
ce qu'il fallait pour l'accentuer. Lorsque la presse de l'em-
pire attaqua les Slaves d'Autriche et sollicita les manifesta-
tions en faveur des Allemands de Cisleithanie, les profes-
seurs (3) ordinaires des Universités d'Allemagne, sur l'ini-
tiative de l'Université de Heidelberg, firent une manifesta-
tion qui mérite d'être particulièrement retenue. 816 sur
1,100 (soit les trois quarts) envoyèrent, dans l'été de 1897,
une adresse aux professeurs de l'Université allemande
de Prague pour les engager à lutter vigoureusement contre
les Tchèques. On sait combien est considérable en Allema-
(1) Wir werden die Ostmark nie vergessen, so wenig wie wir Strassburg
«
vergessen haben ; die Zukunft wird's lehren. » Vienne, janvier 1897.
(2) Cet appel, fait au nom de YAussehuss studentischer Korporatxonen
Leipzigs, était signé de Karl Müller, étudiant en droit. Schletterstrasse, 14, 1.
(3) On compte plus de trente professeurs dans le comité de l Union pan-
germanique.
gne l'influence des professeurs d'université. On conçoit donc
que leur manifestation ait achevé de passionner leurs
élèves pour les idées pangermanistes. Il en est de même
dans un grand nombre de collèges, où ont été fondés des
; Jugendhunde, pareils à
ceux que le député Wolf a établis en
Autriche.
Cet embrigadement méthodique de lajeunesse est un fait
capital dont l'importance est très grande pour l'avenir.
L'Union pangermanique utilise merveilleusement ces forces
jeunes et ardentes." Laissons pendant deux semestres, con-
seille-t-elle aux parents, nos étudiants de l'empire s'impré-
gner à l'Université allemande de Graz de l'idéalisme renou-
velé d'une population allemande, luttant pour sa liberté
nationale (1). » Cette invitation a été entendue. Graz abrite
maintenant un grand nombre de jeunes sujets de l'empe-
reur Guillaume, mais c'est surtout à Prague (2) que les
étudiants de l'empire se réunissent et se montrent d'une
combattivité particulière.
La capitale tchèque possède deux Universités : l'Univer-
sité tchèque, autorisée par François-Joseph en 1882, est en
progrès constants ; l'Université allemande, au contraire, se
soutient si difficilement qu'il aurait été question de la sup-
primer si la campagne pangermaniste n'avait amené les ins-
criptions en chiffre suffisant des étudiants de l'empire.
Dans une lettre aux Akademische Blâtter de Berlin, l'un
d'eux expose, sans réserves, la raison de cet exode : "Nous
allons à Prague, dit-il, parce que si, sur les bancs de son
Université, on nous donne des cartes où les frontières poli-
tiques et nationales sont mal dessinées, la tache qu'y font

(1) Lassen wir unsere reichsdeutschen Studenten ein paar Semester sich
11

auf der deutschen Universität Graz erfüllen von dem frischen Idealismus
einer um ihr Volkstum kämpfenden deutschen Bürgerschaft. Alldeutsche
"
Blätter, 1898, p. 165.
(2) La population de Prague, y compris les faubourgs,
se compose de
264,000 Tchèques et de 40,000 Allemands, dont 21,000 Israélites. Recen-
sement de 1890.
les Tchèques sur la place de Bohême nous produit le même
effet que jadis au jeune Bismarck les couleurs françaises
flottant sur Strasbourg... En proclamant la nécessité pour
la Prusse de maintenir libre la route de Kœnigsberg à
Breslau, Bismarck a vu juste. Aujourd'hui, la nation alle-
mande a peut-être un intérêt plus décisif encore à main-
tenir libre la route de Breslau à Vienne. Prague est le
centre économique du pays et commande la Bohême. Au-
cune autre ville de la région allemande ne peut le rem-
placer. Aussi, laisser tomber son Université serait mettre
le dernier clou au cercueil du a Germanisme » (1). »
Les Allemands de Prague, estimant très haut la valeur
du renfort que leur apportent ces étudiants, les favorisent
de tout leur pouvoir. Une série de circonstances a livré aux
Allemands l'administration de la Caisse d'épargne du
royaume de Bohême. Ils en abusent souvent pour soutenir
leur politique, et l'on assure qu'au début de 1899 ils auraient
prélevé trois cent mille florins sur les fonds de cette insti-
tution, pour installer leurs amis étudiants dans le » Grand
,
Hôtel , situé près du parc de la ville. Une fois en posses-
sion de ce quartier général, les étudiants allemands se sont
cru tout permis; ils ont manifesté leurs sentiments prusso-
philes avec tant de violence que, comme je l'ai dit plus
haut, le statthalter de Prague a été contraint de dissoudre
leur association la Teutonia. Cette mesure, il est vrai, est
restée inefficace, si bien qu'en novembre dernier, dans ce
même HGrand Hôtel », une nouvelle assemblée d'étudiants
de l'empire et d'Autriche a eu lieu. Le délégué, sujet de
l'empereur Guillaume, M. Baumann, de Leipzig, assura
H que le but final des Allemands de l'empire était le même
que celui des Allemands d'Autriche (2) ».
Les faits de même nature sont très nombreux. Si l'on
(1) Politik, h0 43, 1899
(2) « dass dis Endziele der reichsdeutschen Studentenschait dieselben
...
seien, wie die der osterreichischen. Il
veut donc voir les choses comme elles sont, il faut considérer
la grande majorité des étudiants de l'empire allemand
comme des partisans très zélés de la Pangermanie. D'ail-
leurs, sous l'influence des brochures, des manifestations
faites par des personnalités connues ou des collectivités
influentes, sous l'action de considérations économiques,
politiques, sentimentales ou militaires, toutes les classes de
la société allemande se laissent gagner en grande partie
par les théories remises en honneur et modernisées par le
Dr Hasse.
Sans doute, tous les Allemands ne sont pas encore entrés
dans cette voie périlleuse. Après les premières attaques de
l'Union pangermanique contre l'Autriche, un grand nombre
de journaux de l'empire ont protesté fort honnêtement
contre cette immixtion (Einmischung) dans les affaires d'un
État étranger. La Kôlnische Volkszeitung a été l'un des plus
constants dans la réprobation. (t Tout homme intelligent
comprend, disait-elle en janvier 1900 que depuis 1866,
les choses se sont modifiées en Autriche, de telle façon que
l'ancienne prépondérance du « germanisme » dans l'empire
des Habsbourg, formé de nationalités enchevêtrées, ne peut
se maintenir sans violenter les autres nationalités et notam-
ment les Slaves. Assurément, chaque peuple a le droit et
le devoir de défendre énergiquement sa nationalité, mais il
doit reconnaître le même droit aux autres et le leur laisser
exercer. Cela est particulièrement nécessaire en Autriche,
où des nationalités si diverses se trouvent réunies dans un
même État. Elles doivent se respecter et se supporter réci-
proquement. L'exercice illimité des intérêts d'une de ces
nationalités est incompatible avec la conception même de
l'État autrichien. Les Allemands doivent se dire : Per-
c,

sonne-n'a le droit d'opprimer notre nationalité, mais nous


n'avons pas nous-mêmes le droit de comprimer le « sla-
visme » artificiellement et violemment. » Il faut donc cher-
cher le compromis nécessaire sur la base de la justice.
A côté des journaux, il est aussi des personnalités qui,
avec beaucoup de résolution, ont tenté d'arrêter un cou-
rant qu'ils jugeaient dangereux pour leur pays. A la fin
d'août 1897, le parti allemand du Droit (Deutsche Rechts-
partei) a tenu, à Francfort-sur-Ie-Mein, son quatrième
congrès. C'était le moment où la presse de l'empire n'avait
pas assez d'injures pour les Slaves d'Autriche. Le baron
von Schele de Hanovre crut devoir s'élever contre des atta-
ques qu'il trouvait injustifiées : Les Allemands libé-
(1

raux de Bohême, que je connais par moi-même et non par


ouï-dire, considèrent les Tchèques comme une nation
méprisable. Ils ne craignent pas de les outrager publique-
ment de la plus grossière façon, en employant des expres-
sions que je ne saurais reproduire ici (1). » Pour sanction-
ner ces paroles, le comte Bernstorff de Mecklembourg,
président du congrès, proposa la motion suivante Le : (1

parti du Droit salue comme un progrès considérable la con-


naissance plus complète de la dangereuse situation des
Allemands en Autriche, mais il regrette que l'attitude
d'une fraction de ces Allemands augmente encore les dan-
gers de la situation.
Le parti allemand du Droit proteste particulièrement
(1

contre les efforts faits non seulement en Autriche, mais aussi


en Allemagne spécialement par YAlldeutscher Verband —
ï Union pangerin anique, — dans le but facile à discerner de
terminer l'œuvre injuste de 1866 par l'annexion à l'empire
des terres allemandes de l'Autriche (2). JI

(1) Die liberalen Deutschbohmen, dass weiss ich nicht etwa aus
«
Schriften, sondern aus eigener Kenntniss, betrachten die Cechen als eine
minderwerthige Nation und scheuen sich nicht, in der gröbsten Art und
Weise mit Ausdrücken, wie ich sie hier vor diesem Kreise nicht wiederholen
mochte, die cechische Nation als solche zu beschimpfen, und zwar offent-
lich...
(2)Die deutsche Rechtspartei muss es als einen bedeutungsvollen
«
Fortschriftt begrüssen, dass neuerdings die Erkenntniss von der gefährdeten
Lage der Deutschen in Oesterreich zugenommen hat... Sie beklagt aber, dass
De telles protestations font trop d'honneur au bon sens
€t à la bonne foi de ceux qui les ont faites, pour ne pas mé-
riter d'être signalées; c'est rendre aussi un hommage à la
vérité et au courage tout particulier qu'elles dénotent chez
leurs auteurs. Malheureusement, on est bien forcé de cons
tater qu'elles ont été très rares; les organes qui, comme
la Süddeutsche Reichskorrespondenz, continuent à accuser
l'Union pangermanique de (t provoquer un mouvement irré-
dentiste chez les Allemands d'Autriche Il restent parfaite-
ment impuissants à arrêter le courant.
L'accroissement du nombre des partisans de la Grande-
Allemagne est si sensible parmi les sujets de Guillaume II,
qu'un des collaborateurs de l'Odin, malgré le caractère
insatiable de ses exigences, le constate : L'existence de
ci

journaux, comme la Tœgliche Rundschau, les Münchener


Neueste Nachrichten, la Deutsche Zeitung, de Berlin, les
Alldeuîsche Bliitter, YOdin et quelques autres, démontre
tout au moins que le nombre de ceux qui se réveillent va en
augmentant (1). » Un autre journal d'outre-Rhin, qui juge
les choses avec plus de calme, se déclare satisfait : (t On
reconnaît peu à peu en Allemagne que la propre défense
(Selbslverteidigung) des Allemands d'Autriche intéresse au
premier chef les Allemands de l'empire, garantit d'une ruine
complète l'alliance austro-allemande et oppose une digue
puissante au progrès du (t slavisme Il qui nous menacerait

ein grosser Theil derselben in nationaler Ueberhebung diese gefährdete


Stellung noch erschwert... Insbesondere legt die deutsche Rechtspartei Ver-
wahrung ein gegen Bestrebungen, welche jetzt schon, nicht nur in Oester-
reich, sondern auch im Reiche, hauptsächlich in Kreisen des alldeutschen
Verbandes, mit der erkennbaren Absicht hervortreten, das Unrecht des
Jahres 1866 durch Annexion der deutschen Länder Oesterreichs an einen
deutschen Einheitsstaat zu vollenden. "
(1) jt Nun, das Bestehen solcher Zeitungen wie der Täglichen Runschau,
der Münchener Neuesten Nachrichten, der Deutschen Zeitung in Berlin,
der Alldeutschen Blätter, des Odins und mancher anderer, beweist wenigs-
tens, dass die Zahl der Erwachenden im Zunehmen ist. » Die Deutsche Poli-
tik der Zukunft, p. 10. Deutschvölkischer Verlag " Odin n Munich, 1900.
,
plus tard. Non seulement ce changement d'appréciation se
manifeste dans la presse de toutes nuances et fixe l'atten-
tion sur les événements de la monarchie des Habsbourg,
qu'on voudrait changer en un État fédéral slavo-magyar,
mais encore les sociétés pangermanistes, jadis languis-
santes, prennent un nouvel et rapide essor. Il
La progression du chiffre des adhérents de l'Union pan-
germanique en est comme l'enregistrement mathématique.
L'Union comptait :

En septembre 1894... 5.600 membres et 27 groupes locaux.


décembre 1894... 5.742 — 33 —
décembre 1895... 7.715 — 46 —
septembre 1896... 9.046 — 62 —
janvier 1897... 9.443 — 66 —
avril 1897... 10.217 — 75 —
décembre 1897... 12.974 — 95 —
janvier 1898... 13.240 — 98 —
avril 1898... 15.401 — 113 —
novembre 1898... 16.409 — 121 —
décembre 1898... 17.004 — 129 —
février 1899... 18.083 — 140 —
juillet 1899... 19.851 —
168 —
avril 1900... 21.361 — 185 -
Si, au lieu d'envisager une seule société, on considère
l'opinion en général, il existe un autre procédé de marquer
les phases de son adhésion au Pangermanisme.
En 1892, paraissent quelques brochures isolées. Elles
sont anonymes, énigmatiques et même vagues. Cepen-
dant, le public leur fait bon accueil. Les publicistes com-
prennent que les désirs d'extension ne demandent qu 'à être
encouragés. Ils s'enhardissent. Des noms connus contre-
signent les théories nouvelles. Le succès se dessine. Une
foule d'ouvrages, brochures ou volumes, précisent les idées
pangermanistes. Paul de Lagarde est remis en honneur.
Les plaquettes les plus extravagantes trouvent des édi-
teurs (1). Les Il Feuilles pangermaniques » de YAlldeutscher
Verband voient augmenter rapidement leurs abonnés. Déjà
en 1895, l'idée de la Grande-Allemagne est suffisamment
admise pour qu'on puisse parler de sa réalisation éventuelle
avec infiniment plus de vraisemblance qu'avant 1870 on ne
pouvait le faire de la conquête de l'Alsace-Lorraine.
L'incident des ordonnances sur les langues du comte
Badeni survient; l'Union pangermanique le grossit volon-
tairement. En moins de deux ans, l'idée de l'extension en
Autriche réalise des progrès si frappants, que les grandes
maisons d'éditions scientifiques, comme celle de Justus
Perthes, n'hésitent plus à la préconiser. En 1897, Paul
Langhans publie son Atlas colonial, où la note pangerma-
niste apparaît déjà (2). Deux ans plus tard, il l'accentue
fortement dans sa carte : Il Les Allemands et les Tchèques
dans le nord de la Bohême (3). " On y trouve une abon-
dance d'indications offrant toutes les apparences de l'im-
partialité scientifique ; un détail toutefois révèle les préoc-
cupations de l'auteur.
Un des cartons i) qui accompagnent la grande carte a
(1

pour titre : L'obstacle transversal tchèque entre les mar-


(1

ches allemandes de l'est (4) ; » titre significatif, s'il en fût,


et qui exprime bien l'intensité de la colère que détermine
chez les Allemands l'existence de la Bohême slave.
Enfin, partout dans l'empire, la poussée d'opinion de-
vient plus intense; le géographe Paul Langhans n'hésite
plus à signer « l'Atlas pangermaniste » (5).
L'échelonnement de ces diverses publications permet
donc de constater qu'une sorte d'entraînement réciproque
s'est établi entre le public et les écrivains. Les publicistes

(1) V. pi us loin, p 232, l analyse de Gennallia lriumphans.


(2) P. LANGHANS, Kolonial Atlas. Justus Perthes, Gotha, 1897.
(3) « Deutsche und Tchechen in Nordl)i;hmen, P. L\XCHANS, 1899.
»
(4) « Der tchechische Querriegel zwischen den Deutschen Ostmarken.
»
151 Alldeutscher Atlas, von Paul LANGHANS. Justus Perthes, Gotha, 1900.
pangermanistes surexcitent les sujets de Guillaume II;
ceux-ci fortifient leurs ambitions, les précisent et provoquent
les auteurs à de nouvelles hardiesses. Il en est résulté
une exaltation progressive de l'opinion allemande. On peut
en constater maintenant les résultats. Les plus modérés
disent : " Nous croyons à la haute destinée du peuple
allemand. Nous croyons aussi à celle de notre empe-
reur (1). 11
Quant aux fanatiques, ils applaudissent avec
frénésie aux paroles de M. Schônerer qui, au delà de la
frontière, déclare : Il Nous ne sommes pas seulement des
hommes, nous sommes davantage parce que nous sommes
Germains, parce que nous sommes Allemands (2). »
On ne répète pas constamment à un peuple qu'il est
supérieur à tous les autres, dans tous les ordres et sous toutes
les formes, sans que son orgueil —et cela est très humain —
n'en soit profondément surexcité. Si des exagérations de
cette nature peuvent, à certains points de vue, être une
cause de force, elles n'en déterminent pas moins un sérieux
recul à d'autres égards. L'injustice notoire dont les Alle-
mands font preuve envers les Slaves d'Autriche les rend
durs et impitoyables. Ils vont même jusqu'à considérer le
«boycottage » économique comme un moyen de «protéger"
le Il germanisme . Ne les voit-on pas maintenant se refuser
IJ

à boire la bière de Pilsen (3) quand on ne leur certifie pas


qu'elle sort d'une brasserie allemande ?
Les incidents les plus futiles traduisent leur hostilité hai-
contre les Tchèques. Une société danoise de joueurs
neuse
(1) Wir glauben an den hohen Beruf des deutschen Volkes, wir glau-
«
ben auch an den hohen Beruf unseres Kaisers. » Carl COISRADT, Zur Heim-
kehr des Kaisers, p. 49. D Reimer, Berlin, 1898.
(2) « Wir sind nicht nur Menschen, wir sind mehr, weil wir Germanen,
weil wir Deutsche sind » SCHOÎSERER, Discours de Graz. Cité par la
Politik du 7 mars 1900.
(3) Pilsen, ville de Bohême, est un centre de fabrication de bière. Il y
existe un grand nombre de brasseries : les unes sont tchèques et les autres
allemandes. Les Alldeutsche Bldtter donnent la liste de ces dernières.
V. année 1897, p. 200.
de foot-ball de Copenhague vient concourir à Berlin. Par
malheur, avant d'arriver dans la capitale de l'empire, elle
a passé à Prague, où Tchèques et Danois ont fraternisé. A
Berlin, les Danois trouvent sur le quai de la gare d'Anhalt
les délégués de la société berlinoise de foot-ball « Germania »
avec laquelle ils doivent se mesurer. Le visage de ceux-ci
est glacial. L'un d'eux se détache du groupe de ses cama-
rades et demande un entretien au chef de la délégation
danoise, Andersen. Une conférence commence. Quatre
Berlinois et deux Danois y prennent part. bout de deux
heures, pour en finir, les Danois donnent une explication
qui peut passer pour une excuse de leur réception par les
Tchèques. Aussitôt, les nuages se dissipent et on leur fait
bon accueil.
Ces exemples pourraient être multipliés à l'infini. Le
fâcheux état d'esprit qu'ils dénotent résulte au fond d'une
cause unique : la Weltpolitik. La grande préoccupation d'en
assurer le succès domine à ce point qu'en 1900 on a vu cer-
tains chefs de corps recommander aux réservistes qui venaient
de terminer leur période d'exercer leur influence autour
d eux pour appuyer la politique de l'empereur. Or, la Welt-
politik impliquant une tendance perpétuelle vers la supré-
matie, il en résulte une tension d'esprit qui, par sa cons-
tance même, détermine visiblement chez beaucoup d'Alle-
mands un véritable ébranlement nerveux. « Quiconque a
suivi, meme d'une manière superficielle, le mouvement
pangermaniste est effrayé du grand nombre de gens qu'en
Allemagne le développement extraordinaire de la prospérité
du pays a frappés de la folie des grandeurs (1). x
Les brochures les plus insensées sont éditées, lues et
même discutées gravement par des journaux sérieux qui

(1) Journal de Colmar, 16 août 1900. Cet organe, dirigé par le député
protestataire au Reichstag Wetterlé, est remarquable par sa modération.
Pour qu'il parle en ces termes du mouvement pangermaniste, il faut qu'il
eoit dix fois convaincu de sa gravité.
assurent leur succès. Celles que j'ai déjà citées sont relative-
ment raisonnables auprès de " Germania triumphans, consi-
dérations sur les événements universels de 1900 à 1915, par
.
un partisan de la Pangermanie (1)" Elle a trouvé un accueil
particulièrement favorable. En donner une analyse me
semble de nature à faire comprendre plus complètement
l'état de l'opinion allemande.
Dans la préface, l'auteur juge nécessaires quelques pré-
cautions oratoires. Il On jugera invraisemblables, dit-il, les
événements que nous allons raconter; mais l'idéal étant
la force principale des nations, on ne saurait leur assigner
un but trop élevé. Quand bien même le peuple allemand
s'arrêterait à moitié du chemin qu'on lui trace, nous n'en
aurions pas moins rempli notre tâche.
cc
Au début du vingtième siècle, la concurrence allemande
est devenue si dangereuse qu'en Angleterre le libre-échange
a perdu un nombre considérable de partisans. Alors, la fédé-
ration des territoires britanniques a pu être réalisée. Ceux-
ci forment un immense territoire économique protégé
contre le commerce étranger. De toutes les puissances con-
tinentales, l'Allemagne souffre le plus de cet état de choses.
La situation devient bientôt intolérable. Un prétexte s'offre
d'en sortir. En 1902, le Sultan propose à l'Allemagne et à
l'Autriche-Hongrie de former avec la Turquie une union
douanière. Cette demande porte ombrage à la Russie, qui
fait appel à la France. Dans ce pays, l'opinion est partagée;
les uns voient avec satisfaction l'occasion longtemps atten-
due d'une guerre avec l'Allemagne; les autres estiment qu'il
vaut mieux s'entendre avec le gouvernement de Berlin.
Cette division de l'opinion française est la conséquence de
l'amélioration des rapports franco-allemands. Ils sont deve-
nus si amicaux que l'empereur Guillaume, répondant à

(1) Germania triumphans, Rückblick auf die weltgeschichtlichen Erei-


.

gnisse der Jahre 1900-1915, von einem Grosstdeutscllen. Hayn, Berlin,


1895.
l'invitation du gouvernement français, est venu visiter l'Ex-
position de 1900 (1). Peu après, il a même proposé à la
France une entente complète sur le terrain colonial et la
formation d'une union douanière. Malgré ces dispositions
conciliantes, aucun ministre français n'a osé affronter l'opi-
nion et conclure le traité. Les négociations traînentjusqu'au
début de 1903; finalement, la Russie déclare la guerre et
entraîne la France avec elle. Celle-ci remporte quelques
succès dans la haute Italie, mais dans l'est la victoire se
range du côté des Allemands et Paris est menacé d'un nou-
veau bombardement. La paix est conclue, mais, dans l'in-
térêt de sa politique, l'Allemagne ne demande rien à la
France, se contente du statu quo ante et renouvelle même
sa proposition d'alliance. Les Français, convaincus cette fois
de l'impossibilité de reconquérir l'Alsace-Lorraine, sont
gagnés par cette conduite.
Il
Libre à l'ouest, l'empereur allemand se retourne avec
toutes ses forces contre la Russie. Ses armées marchent à la
fois sur Moscou et sur Pétersbourg; la flotte allemande
bloque les côtes de la Baltique et du golfe de Finlande;
l'armée autrichienne opère dans la région de Kiev et les
Turcs prennent le Caucase à revers. Sous cette triple attaque,
la Russie accablée demande la paix, qui est signée à Saint-
Pétersbourg. L'Allemagne, comme principal vainqueur,
demande et reçoit la part du lion (2) (sic). Elle acquiert
les provinces de la Baltique, la Pologne, la Volynie,
la Podolie et la Crimée; la Turquie reçoit toute la région
entre la mer Noire et la Caspienne; l'Autriche obtient
la Bessarabie et contraint les États des Balkans, aux-
quels on impose des princes allemands, à former avec
elle un État fédéral. La langue allemande est proclamée
langue officielle de l 'Autriche, où des moyens variés
(t.) Écrit en 1895.
(2) a Deutschland verlangte und erhielt als der Hauptsieger den Lowe.
nanteil der Béate. » Op. cit., p. 10.
assurent l'inébranlable suprématie du « Germanisme ».
"
Bientôt après la paix de Saint-Pétersbourg, l'Autriche,
la Turquie et la France envoient des délégués à Berlin pour
élaborer la constitution d'un vaste Zollverein. On reconnaît
l'impossibilité de supprimer complètement les lignes doua-
nières et on adopte deux tarifs. L'un, très réduit, est réservé
aux États confédérés ; l'autre, prohibitif, s'applique aux
produits des États extérieurs au Zollverein. Un Parlement
douanier institué à Berlin permet le fonctionnement de cet
organisme économique ; mais la répartition des voix entre
les différents États assure à l'Allemagne la suprématie.
"
Son commerce, favorisé par de grands travaux et sur-
tout par le prolongement des chemins de fer d'Anatolie jus-
qu'au golfe persique, prend une extension considérable.
L'agriculture allemande redevient florissante et suffit, grâce
aux nouveaux territoires, à tous les besoins de la popula-
tion. Une période de paix commence. Le gouvernement
de Berlin opère une série de réformes sociales et orga-
nise méthodiquement la colonisation allemande en Eu-
rope même. En dépit de cette situation privilégiée, les
affaires sont toujours difficiles avec l'Amérique. La diplo-
matie allemande parvient à convaincre les gouvernements
français et italien de la nécessité d'intervenir et, en 1912,
les flottes des trois puissances commencent les hostilités
sur les côtes américaines. Les difficultés sont nombreuses,
mais, finalement, les troupes de l'Union sont défaites et la
paix est signée à Mexico. Les alliés reçoivent une indemnité
de guerre considérable; l'Allemagne acquiert le Mexique et
le Guatémala; la France, les États de l'Amérique centrale.
Ces acquisitions suscitent dans les premiers mois de 1913
les protestations de l'Angleterre. Les alliés lui déclarent la
guerre. L'empereur allemand est nommé chef suprême des
flottes combinées. On affame d'abord la Grande-Bretagne.
Enfin les troupes continentales peuvent débarquer; une
grande bataille, dirigée par l'empereur Guillaume en per-
sonne, ouvre la routç de Londres, où les alliés entrent
triomphalement. Un traité accroît encore le résultat des
conquêtes. L'Allemagne prend une forte partie des colonies
anglaises de l'Afrique et la France reçoit une série de terri-
toires, très propres d'ailleurs à lui créer partout d'immenses
difficultés.
«
LJAngleterre brisée, l'Allemagne apparaît enfin comme
la puissance universelle (Deutschland als Weltmacht). Direc-
tement ou indirectement, le monde entier lui est soumis; la
tâche suprême est accomplie, et, à la fin de 1915, le pre-
mier Reichstag de la « Pangermanie » se réunit à Berlin, où
tous les princes allemands des États confédérés célèbrent
le 500e anniversaire de la domination des Hohenzollern sur
le Brandebourg. »
On a voulu voir dans M. H. de Treitschke l'auteur de
cette affabulation extraordinaire; mais comment admettre
que ce grave historien ait refait, avecmoins d'excuse, le rêve
de Pyrrhus? Quoi qu'il en soit, le succès de Germania trium-
phans a été considérable. On se l'explique mieux après avoir
lu le chant pangermaniste que le Dr Alexandre Tille, long-
temps professeur allemand à l'Université de Glasgow et
fort connu, n'a pas craint de composer :
Celui qui descend de parents allemands
Et parle notre langue,
Celui dont le cœur bat à l'unisson du nôtre,
Nous ne l'abandonnons pas non plus.
Que l'Autriche, la Suisse ou les rives de la Frise
Soient son pays, peu nous importe !
Tendez les mains de ce côté, voisins des pays haut-allemands,
Vers le nouvel empire allemand !
Debout ! qu'un son allemand résonne bientôt
Depuis l'embouchure du Rhin
Jusqu'à la Moravie et depuis le Waskenwald
Jusqu'à la mer Adriatique (1).

(1) Wer da von deutschen Eltern stammt


Und unsre Sprache spricht,
Wem deutsch mit uns dall Herz entflammt,
Den lassen wir auch nicht.
Quand tout ce qui se sent allemand
Sera réuni en un seul empire,
Quand une seule couronne brillera
Dans le monde germanique,
Alors l'aigle impérial prendra son vol de la côte,
Son aile frappera l'air à grand bruit,
Et ce bruit voudra dire : Pangermanie de la mer à la terre,
Pangermanie de la terre à la mer (1) !

Le " type » du Pangermaniste se dévoile complètement


dans ces vers. Bismarck est son Dieu, la force sa doctrine
et la conquête à la prussienne son constant espoir. Il s'in-
digne contre ceux des Allemands qui considèrent comme
permises les seules guerres défensives (2). Le Journal de
Colmar a donné une description fort heureuse de ce dan-
gereux personnage. Il Le Pangermaniste ne traduit pas les
mots de l'hymne national : Deutschland über alles, comme la
raison l'exige, par : « J'aime l'Allemagne, ma patrie, par-
Il
dessus toutes choses, » mais il les prend au sens le plus
large : "L'Allemagne doit dominer effectivement le monde
Il tout
entier. » Il n'y a qu'un peuple, qu'une civilisation,
qu'un coutumier, qu'une langue, qu'un droit national. En
dehors de l'Allemagne, il n'y a que des races inférieures,

v Ob Oestreich, Schweiz, ob Friesland Strand


Ihm Heimat, gilt uns gleich.
Die Hand her, grossdeutsch Nachbarland
Am neuen Deutschen Reich !
. Auf! dass Ein Deutschklang töne bald
Von Rheines Mündung her
Bis Mähren und vom Waskenwald
Zum adriatischen Meer!
(1) Wenn alles, was da deutsch sich hält,
Zu einem Reich sich eint,
Wenn ob der ganzen deutschen Welt
Nur eine Krone scheint.
Da fliegt der Kaiseraar vom Strand,
Da rauscht sein Fittich schwer :
«
!"
Alldeutschland brausts vom Meer zum Land,
«
Alldeutsch! " vom Land zum Meer!
(2) V. Die Deutsche Politik der Zukunft, p. 4. Deutschvölkischcr Verlag
- Odin», Munich. 1900.
des êtres de valeur moindre, des usages barbares, des
idiomes qui doivent disparaître, des peuples auxquels on
ne peut reconnaître aucun droit à l'existence, des parias de
nature, des esclaves par destination (1). »
Le portrait n'est pas chargé. C'est un de ces « Superger-
mains » qui avec beaucoup de sérieux ose écrire ces lignes
que ses concitoyens lisent sans protester : « Une poli-
tique grande et adroite saura diviser les guerres; chaque
guerre devra être conduite à part, chaque adversaire abattu
out seul. Cela sera possible, avec tous, hormis avec la
France et la Russie, qui certainement marcheront ensemble;
mais d'après nos autorités militaires, nous pouvons les
prendre les deux à la fois sur nos cornes. Même la coali-
tion à la Kaunitz, devant laquelle tremblait Bismarck, et
qu'on sut si bien exploiter à Vienne, peut être vaincue avec
nos seules ressources, si, sans hésitation et sens scrupules,
nous nous élevons, dans la guerre, à un usage plus grand de
la violence (2). » Lorsqu'on tente de les rappeler à plus de
modération, les Pangermanistes répondent : Si, de 1848 i&

à 1866, nos pères avaient été aussi timides et aussi pusil-


lanimes que beaucoup de nos concitoyens opportunistes,
nous n'aurions pas encore réalisé les acquisitions de 1864
à 1871 (3). Il « On entend parfois chez les savants et les
sages, adversaires de l'idée pangermaniste, l'objection sui-
vante : A quoi nous serviront les Tchèques, les Slovènes
et les autres? Est-ce que les catholiques allemands d'Au-
triche représenteront réellement une augmentation de notre
(1) Journal de Colmar, 12 juillet 1900.
(2) Deutschland bei Beginn des 20. Jahrhunderts, p. 212. Militar-Verlag
R. Félix, Berlin, 1900.
L'Alldeutscher Verband n'a pas hésité à recommander à ses adhérents la
lecture et la discussion de cet ouvrage extravagant. V. Alldeutsche Blatter,
1900, p. 357.
(3) « Waren unsere Vater in den Jahren 1848 bis 1866 ebenso zaghaft
gewesen, wie viele unserer « opportunen » Zeitgenossen, dann hatten wir
noch heute nicht die Errungenschaften von 1864 bis, 1871. » Alldeutsche
Blatter, 1897, p. 242.
puissance? A la première objection nous répondrons que
l'Allemagne universelle n'est possible que si la grande
puissance slave, la Russie, est mise en miettes, est complè-
tement abattue. Alors, quand les armées allemandes triom-
phantes occuperont le pays de la Moldau jusqu'à l'Adria-
tique, il sera possible d'expulser simplement les populations
-
non allemandes de la Cisleithanie... On pourra les indem-
niser, mais il faudra faire table rase et coloniser leur pays
avec des Allemands. A l'occasion d'événements aussi consi-
dérables, nous n'hésiterions pas à enlever à la France et à
la Russie de larges bandes de terrain pour en faire les glacis
de nos frontières de l'est et de l'ouest. Il faudrait d'ailleurs
imposer comme condition de la paix que la population
indigène abandonnerait ces provinces et serait indemnisée
par les puissances vaincues. Là encore, on coloniserait
Voilà comment nous nous imaginons l'élargissement de nos
frontières en Europe. Cet élargissement est devenu pour
nous un besoin, de même que le pain est nécessaire pour
notre population, qui s'accroît si vite (1). »
Le Journal de Colmar (2), qui donne cet extrait, conclut :
«
Pauvres fous, diront quelques sceptiques. Oui, mais fous
dangereux, dont le gouvernement allemand aurait tout inté-
rêt à renier publiquement les théories et qu'il ferait bien
de rendre impuissants en leur rappelant qu'au-dessus de
leurs violences, en somme savamment calculées, il y a la loi
à l'intérieur, et à l'extérieur la nécessité d'entretenir avec
les pays voisins la paix, d'où découle tout progrès et toute
prospérité pour les peuples. »
Croire que quelques publicistes, plus ou moins tolérés
par l'opinion, se sont seuls livrés à des manifestations aussi
extravagantes, serait se tromper gravement. Le courant a

(1) Deutschland bei Beginn des 20. Jahrhunderts, p. 212-213. Militar-


Verlag R. Félix, Berlin, 1900.
(2) Journal de Colmar, 16 août 1900.
gagné même les hommes qui par vocation devraient être
les plus pacifiques.
Le Vorwaerts a raconté que devant une nombreuse et sym-
pathique assistance de professeurs et d'étudiants de théolo-
gie protestante, le théologien Lezius a prononcé un discours
applaudi où il recommandait de traiter les Polonais prus-
siens comme des Chinois. Voici un extrait de cette prodi-
gieuse harangue, qui intéresse également l'Alsace-Lorraine :
«
Salomon a dit : ne sois pas trop sage, ne sois pas trop
juste. La presse polonaise devrait être simplement anéan-
tie. On devrait supprimer toutes les associations polonaises
sans donner la moindre excuse à cette mesure. Ce procédé
sommaire devrait être appliqué également à la presse fran-
çaise et danoise comme aux associations d'Alsace-Lorraine
et du Schleswig-Holstein. Point de ménagements, particu-
lièrement en ce qui concerne les Polonais. Il faut changer
la Constitution en faveur de ces derniers. Les Polonais doi-
vent être considérés comme des ilotes. Ils ne devraient avoir
que trois privilèges : payer l'impôt, servir dans l'armée et
fermer la gueule (das Maul halten!) (1) x
.
Les savants les plus patentés témoignent d'un même état
d'esprit; chez eux, seule, la forme diffère : « Il ne saurait
y avoir d'idéalisme sérieux en politique, dit Henri de
Treitschke, sans une conception idéale de la guerre. x On
ne peut donc douter que ceux qui dirigent l'opinion ne
soient en parfait accord avec les militaires, accord qui
s'explique parfaitement par ce fait que l'immense majorité
des Allemands est imprégnée jusqu'aux moelles de ce prin-
cipe : « Seul un peuple pourra maintenir sa situation poli-
tique dans le monde qui mettra sa confiance dans la force
de son épée, qui, à tout instant, sera disposé et préparé à
employer toutes ses forces pour faire la guerre (2). x
(1) V. le Journal de Colmar, 16 août 1900.
(2) Colonel de Bernhardi. Conférence à la Société militaire de Berlin,
sur les Éléments de la guerre modei-ite. 1 .. 1
Cette ferme conviction n'empêche point d'ailleurs les
sujets de Guillaume Il de se qualifier, selon leurs nuances,
de progressistes, de libéraux, de nationalistes, de socialistes,
alors qu'en fait ils violent le droit, la nationalité, la liberté,
et qu'ils s'opposent énergiquement à tout progrès moral.
Les épithètes qu'ils s'attribuent ne sont pas, d'ailleurs, com-
plètement inexactes. Si elles sont fausses par rapport à la
collectivité humaine, elles sont vraies par rapport à la col-
lectivité germanique.
Il est assez piquant, on l'avouera, de constater aujourd'hui
chez les Allemands un chauvinisme plus déréglé que celui
qu'ils ont reproché aux Français, Eux qui jadis n'avaient
pas assez de moqueries pour la « grande nation ", s'inti-
tulent maintenant « le premier peuple du monde Il
.
Si fâcheux que soit cet état d'esprit, il faut le constater
tel qu'il est, et surtout éviter de croire qu'il disparaîtra
naturellement. Ce serait ne tenir aucun compte de l'essence
même du tempérament germanique. L'Allemand est le plus
rétrospectif des hommes; il a gardé le souvenir de toute son
histoire, et n'est pas comme le Français, qui ne la connaît
guère que depuis 1789. L'Allemand ne se demande pas
ce qu'a été, en réalité, le Saint-Empire romain de nation
germanique, mais il sait qu'il a existé. Ce souvenir l'enve-
loppe, l'oppresse, suffit à lui donner conscience de droits
historiques. Or, pour l'Allemand, le droit historique est le
droit absolu, et cette croyance le conduit par une pente très
douce à la théorie de l'annexion.
L'Allemand d'aujourd'hui a les yeux fixés sur la Prusse,
dont toute l'histoire se résume en une succession de crises,
dénouées par la conquête de terres. Une nouvelle crise
d'annexion vient de se déclarer. Elle a commencé par des
conquêtes coloniales, mais pour l'ogre de Berlin, ce sont là
de simples hors-d'œuvre qui le mettent en appétit (1).
(1) « L'extension de nos frontières en Europe est infiniment plus néces
à
saire l'avenir de la nation que toutes les colonies. » « ... die Ausdehnung
L'Autriche allemande, voilà le plat de résistance qui seul
peut le satisfaire. Mais, l' « Autriche allemande ", ce n'est
pas l'Autriche où vivent des Allemands ; ce sont toutes les
régions de l'Autriche qu'on prétend considérer comme alle-
mandes; c'est l'Autriche dessinée d'après le programme de
Linz (1), c 'est-à-diî-e une Autriche dont la Galicie, la Buko-
vine et la Dalmatie sont exclues, mais dont le territoire con-
tient encore huit millions de Slaves contre neuf millions
d'Allemands. C'est ce territoire qu'on entend appeler Au-
triche allemande ; c'est lui qui est l'objet des convoitises
avouées ou des espérances cachées. Quand et comment
s'emparera-t-on de cette Autriche allemande? Il faut saisir
les circonstances favorables. " Persévérez dans votre résis-
tance, » dit-on aux Allemands pangermanistes d'Autriche ;
il
attendez, » ajoute-t-on pour les impatients de l'empire.
Attendre résume toute la science d'État allemande (2).
il
Si la dissolution de l'Autriche arrive, elle déterminera
une guerre européenne avec ses suites incalculables; mais
si l'Autriche subsiste, le lien politique qui l'unit à nous nous
est nécessaire; il faut le rendre plus étroit par une union
douanière. L'empire allemand doit, et sa situation d'allié
le lui permet, empêcher la destruction du il Germanisme »
en Autriche. Il lui faut mener une politique d intervention
ouverte comme il a déjà commencé à le faire depuis un an et

unserer Grenzen in Europa unvergleichlich wichtiger ist für die Zukunft


der Nation, als alle Kolonien. » Deutschland bei Beginn des 20. Jahrhun-
dert;, p. 115. Militar-Verlag R. Félix. Berlin, 1900.
(1) V. cette frontière sur le carton annexé à la carte n° 2 de l' Atlas
pangermanique de Paul LAISGHAISS.
On met tant de soin à désigner ces terres comme allemandes et à les indi-
quer comme devant être inévitablement rattachées à l'empire allemand, que
même les cartes qui n'ont aucune prétention politique font naturellement
cette erreur. Rien de plus typique à ce sujet que la carte intitulée : l'Alle-
magne, l'empire allemand, l'Autriche allemande et la Suisse. — Deutsch- *
land, Deutsches Reich nebst Deutsch-Oesterreich und Schweiz, Cari Flem-
ming, Glogau.
(2) K. PROLL, Die Kâmpfe der Deutschen in Oesterreich, p. 139. Liis-
tenoder, Berlin, 1890.
demi (1)." Cette politique d'intervention permettra d'arriver
dans les conditions les meilleures au moment psycholo-
gique, où la question se posera de savoir si, selon l'expres-
sion de M. de Bûlow, l'Allemagne sera enclume ou marteau.
" Nous autres, Allemands, nous avons souffert silencieu-
sement pendant des siècles d'être enclume; je pense que le
temps est venu où nous pouvons avoir la prétention de
prendre du large et d'être marteau. Dans l'avenir, nous
voulons être marteau et non enclume (2). x Telle est là la
conclusion du Dr Hasse, principal créateur du courant
pangermaniste. Qu'on le veuille ou non, ce courant, d'abord
artificiel, constitue maintenant une de ces forces naturelles
qui produisent les grands événements politiques.
Voici comment quelques années de propagande faite
dans une atmosphère favorable ont suffi pour réveiller la
vieille nature teutonne et pour avoir raison des apparences
pacifiques que des observateurs superficiels pensaient avoir
découvertes outre-Rhin. Le peuple allemand « est prêt à
combattre dès qu'un orateur influent, pasteur fanatique ou
prince habile, parvient à lui démontrer la sainteté de telle
ou telle mesure belliqueuse (3) " . Cette mesure sainte, les
Pangermanistes prétendent que c'est la conquête de l'Au-
triche allemande. L'intensité de leur action a déterminé une

(1) Sollte er (ein Zerfall Oesterreichs) dennochkommen, so kommt eben


Il
der europaische Weltkrieg mit allen seinen Unberechenbarkeiten. Wenn
Oesterreich aber bleibt, so ist der politische Bund mit ihm notig und muss
durch spezielle Zollvereinigung wertvoller gemacht werden. Das deutsche
Reich muss und wird seine Stellung im Bund benutzen, um Vergewaltigun-
gen des Deutschtums in Oesterreich zu hindern ; es muss fur das Deutschtum
offene Interventionspolitik treiben, wie sie seit etwa 1 1/2 Jahren bereits
begonnen zuhaben scheint. Il Friedrich NAUMANN, Deutschland und Oester-
reich. p. 32. Verlag der « Hilfe ", Berlin, 1900.
(2) « Nun, wir Deutsche sind ja jahrhundertelang duldend und schwei-
gend Ambos gewesen ; ich glaube, es kommt die Zeit, in der wir auch Ans-
pruch darauf machen konnen, Ellbogenraum zu gewinnen, Hammer zu
werden. Hammer wollen wir sein in Zukunft, nicht Ambos. » Discours du
Dr H asse, à la séance du Reichstag du 15 décembre 1899.
(3) H. RAMIN, Impressions d'Allemagne, p. 339. Didot, Paris, 1898.
tension des esprits qui menace d'un éclat prochain. Cette
excitation passionnelle de l'opinion publique, dangereuse
pour la paix, à laquelle faisait allusion M. de Bulow dans
son discours du 10 décembre 1900, existe
bien réellement
Allemagne. Malheur aux États dont les gouvernements
en
n'auront pas su le comprendre à temps.

II

LE GOUVERNEMENT DE BERLIN

«
On voudrait bien savoir quel rôle joue dans tout cela
le gouvernement de Berlin, » écrivait M. Alphonse Hum-
bert, député de Paris, au moment où Mommsen envoyait sa
lettre à la Neue Freie Presse. « Il ne faudrait pas prétendre
qu'il y a là un mouvement d'opinion publique contre lequel
l'empereur lui-même ne peut rien. Personne n'ignore qu'il
suffirait d'un signe de la grande chancellerie pour faire
changer de ton à la grande majorité des feuilles berli-
noises. » Sur ce point, en effet, il n'y a aucun doute; aussi
l'attitude observée par le gouvernement de Berlin à l'égard
du mouvement pangermaniste présente-t-elle un intérêt très
puissant.

§ 1.
— Contester que le Dr Hasse et ses amis aient trouvé
chez les autorités allemandes de l'empire la plus sympa-
thique condescendance paraît bien difficile
Les libraires ont pu exposer sans obstacle dans leurs
vitrines les cartes et les brochures pangermanistes; l'Evan-
gelischer Bund et les autres sociétés protestantes ont dirigé
librement de Berlin le mouvement Los von Rom; l'Union
pangermanique a tenu sans la moindre entrave ses meetings
antiautrichiens dans toutes les grandes villes de l'empire,
parfois même avec la protection de la force publique. A la
réunion tenue à Mayence, le 29 octobre 1899, le député
autrichien Wolf prononça un discours qui souleva le plus
grand enthousiasme, quoique étant parfaitement injurieux
pour la maison des Habsbourg. Un Tchèque, qui se trou-
vait dans une galerie, interpella Wolf, et lui cria qu'il était
traître à sa patrie (Vaterlandsverriither). Aussitôt, les poli-
ciers qui assistaient à la réunion se précipitèrent sur lui et
expulsèrent le trop fidèle sujet de François-Joseph. Pour
quiconque connaît les procédés de la soupçonneuse police i

allemande, ce sont là des faits déjà révélateurs.


Il en est d'autres qui laissent peu de place à l'hésitation.
Les personnalités en vue, touchant plus ou moins au
monde officiel, qui ont manifesté contre l'Autriche, n'ont
été entravées d'aucune façon. Le Dr Hasse a formé avec
Mommsen, le professeur Wagner, le général von der
Goltz, etc., un comité d'agitation en faveur des Allemands
d'Autriche.
Aucun d'entre eux n'a même été blâmé pour cette attitude
au moins gravement incorrecte. Il semble au contraire que
de tels actes constituent un titre aux faveurs impériales;
Mgr Kopp est l'ami de Guillaume II; Mommsen, qui encou-
rage les Allemands d'Autriche « à une politique séparatiste,
qui ne tend à rien moins qu'au démembrement de la
monarchie des Habsbourg Il (I), a reçu récemment de son
souverain les témoignages les plus flatteurs (2), et si le
général von der Goltz n'avait été chargé de diriger les

(1) De M. Alphonse Humbert, député de Paris. V


l'Éclair, 16 octobre
1900.
(2) Après l'inauguration du castel romain de Saalbourg, Guillaume Il a
adressé à Mommsen le télégramme suivant : Il A Théodore Mommsen,
incomparable explorateur des antiquités romaines, Guillaume, empereur
des Germains, jetant les fondations du musée de la ville de Saalbourg, sou-
haite la bonne santé et rend hommage. »
Mommsen a immédiatement répondu à " l'empereur des Germains » :
K
Au premier des Germains, tant pour sa majesté que pour son huma-
nisme, rend hommage l'antiquaire de Lietzelburg. »
nouveaux travaux de fortification en Alsace-Lorraine, dont
il va être bientôt question, on parlait de lui en janvier 1900
pour succéder au général von Gossler, ministre de la guerre
prussien.
Toutefois, il convient de remarquer que pendant quel-
ques semaines le gouvernement allemand a semblé avoir
des velléités de réprimer la propagande pangermaniste. Au
commencement de 1900, diverses publications, faites à
l'étranger, relatives à la campagne du Dr Hasse, ont eu
,

pour résultat d'éveiller les méfiances de quelques Etats


contre la chancellerie berlinoise. L'inconvénient est de-
venu sensible au début des événements de Chine, où l'Al-
lemagne avait un vif intérêt à obtenir l'action concordante
des puissances continentales. Aussi, par une coïncidence
au moins bizarre, à l'instant où les négociations relatives
à l'action européenne en Chine commençaient, on appre-
nait que le gouvernement saxon interdisait, sous peine d'ex-
pulsion, aux Pangermanistes autrichiens, aux Schonerer,
aux Wolf, aux Iro, etc., de poursuivre leur campagne sur le
territoire de la Saxe. On ajoutait que probablement le gou-
vernement bavarois prendrait une mesure analogue pour
arrêter un mouvement qui est un outrage pour la per-
c(

sonne de l'empereur d'Autriche, allié par les liens de fa-


mille et d'amitié aux deux cours de Munich et de Dresde »
.
Fallait-il quatre années pour que les gouvernements
confédérés s'aperçussent que la campague prussophile
était un outrage pour l'Autriche aussi bien que pour son
empereur? Fallait-il surtout n'intervenir que lorsque l'or-
ganisation pangermaniste était réalisée dans tout l'empire
allemand et fonctionnait régulièrement? Seuls des diplo-
mates volontairement naïfs pourraient prendre au sérieux
une interdiction dont un fait postérieur a établi le carac-
tère anodin et d'ailleurs transitoire. Quelques mois après
cette menace d'expulsion, en août 1900, MM. Schonerer et
Iro venaient assister fort tranquillement à Dessau à une fête
donnée par une société de gymnastique brandebourgeoise.
Il est vrai que, pour se conformer à l'arrêté des autorités,
ils déclarèrent qu'ils ne venaient pas comme députés
au
Reichsrath, mais comme patriotes autrichiens. La distinc-
tion était subtile. Cependant, c'est à ce titre qu'ils prirent
la parole et prononcèrent un de ces discours violents dont
ils ont le secret. Le Gelzeimrath (conseiller secret) Dunker
leur répondit et YOstdeutsche Rundschau, qui relate le fait,
assure que les paroles de ce haut fonctionnaire produisirent
une profonde impression sur son auditoire. Il ne faut pas
plus s'étonner de voir un fonctionnaire d'État a fraterniserIl
avec M. Schônerer qu'un capitaine de corvette, le comte
Bernstorff et le vice-amiral Werner devenir les collabora-
teurs zélés de l'Union pangermanique. Ce dernier fait
s'explique d'ailleurs, puisque leur plus haut chef hiérar-
chique, l'amiral Tirpitz, secrétaire d'État, envoya à plu-
sieurs reprises en 1900 (c 'est-à-dii-e après toute la série des
manifestations antiautrichiennes de l'Union qu'il ne pouvait
ignorer) ses remerciements « les plus obligés » pour l'agi-
,
tation que la société présidée par le Dr Hasse avait menée
dans toute l'Allemagne en faveur du projet d'augmentation
de la flotte de guerre (1).
La collaboration de YAlldeutscher J erband à l'oeuvre du
ministère de Berlin paraît si évidente à ceux qui suivent de
près son action, que la Frankfurter Zeitung, lui reprochant

(1) Texte allemand de télégrammes de l'amiral Tirpitz à YAlldeutschen


Verband. " Euer Hochwohlgeboren bitte ich, den Mitgliedern der dortigen
Ortsgruppe des Alldeutschen Verbandes fur die mit durch den Vortstand
unterm 22. April übermittelten Wunsche hinsichtlich der unverkiirzten
Annahme der neuen Flottenvorlage durch den deutschen Reichstag meinen
.
verbindlischten Dank auszusprechen. — TIRPITZ, avril 1900. »
"
Rechtsanwals Freigang, Chemnitz.
Fur die mir telegraphisch übermittelte patriotische Kundgebung zu Guns-
ten der Flottenvorlage und die Wunsche hinsichtlich ihrer unverkiirzten
Annahme durch den Reichstag bitte ich, der dortigen neugegriindeten Orts-
gruppe des Alldeutschen Verbandes meinen verbindlichsten Dank auszu-
sprechen.— TIRPITZ, mai 1900.
d'approuver la politique d'expulsion pratiquée en Posnanie,
ajoutait : (t Cela caractérise bien cette Union pangermanique
qui n'est rien autre qu'une troupe du gouvernement... (1). »

§2. — Il ne semble pas que cette appréciation soit exces-


sive. On va voir que le gouvernement de l'empereur Guil-
laume travaille, tout comme YAlldeutscher Verband, à ré-
pandre l'idée d'une extension aux dépens de l'Autriche.
La pédagogie allemande a toujours eu pour caractère
d'être annexionniste. Avant 1870, on apprenait dans les
écoles prussiennes que l'Alsace-Lorraine faisait partie de
l'Allemagne; aujourd'hui, on y enseigne que le nord de
la Bohême appartient à l'empire allemand.
Pour atteindre ce résultat sans transitions trop brusques,
MM. Brust et Berdrow, professeurs de la ville de Berlin,
dans leur Manuel de géographie pour les écoles supérieures
de filles (2), font subir à la vérité d'étranges dégradations.
La description de l'empire allemand commence à la
page 3 ; page 6, on trouve l'énumération des diverses ré-
gions géographiques qui composent l'empire. La quatrième
est qualifiée : l'enceinte nord de la Bohême (Die nôrdliche
Umwallung Bôhmens). Cette désignation frappe par son
étrangeté, de même qu'on trouverait singulier en France
d'appeler enceinte nord de l'Espagne les Pyrénées fran-
çaises. Toutefois, on croit simplement à une inexactitude
grave, car, à la page précédente, on a trouvé la carte d'en-
semble de l'empire, reproduite ci-après, et on a vu que
l'enceinte nord de la Bohême correspondait au sud de la
Saxe et de la Silésie et n'empiétait en aucune façon sur le
territoire autrichien (3).
(1) «Das characterisiert diesen Alldeutschen Verband, der nichts weiter
als eine Regierungstruppe... " Frankfurter Zeitung, 21 décembre 1899,
Morgenblatt.
(2) Lehrbuch der Geographie für hohere Madschenschulen, von G. BRUST
und H. BERDROW, Stâdt. Lehrern in Berlin. Klinkhardt, Leipzig, 1895.
(3) Remarquer notamment que sur cette carte la frontière austro-alle-
Le souvenir de cette étonnante imprécision géographique
subsiste malgré tout dans l'esprit. Aussi quand, après avoir

') <Mebid)t: $ie-5Benetianer imgid)te!se6irgc, Do.n St. ffaujmann.

manue se trouve au nord de l'Erz-Gebirge et que par conséquent la rive


gauche du fleuve Eger se trouve complètement sur le territoire autrichien.
commencé l'étude détaillée de cette quatrième partie de
l'empire allemand (l'enceinte nord de la Bohême), on

trouve page 36 la carte qui la représente et dont on voit


ci-dessus la reproduction, on est stupéfait de constater
qu'elle contient, non plus le sud de la Saxe et de la haute
Silésie, mais en réalité la partie nord-ouest de la Bohême,
c'est-à-dire une fraction importante du territoire autrichien
actuel, dont un léger pointillé, très difficilement visible,
marque la véritable frontière.
Ici, la mauvaise foi semble évidente, mais un scrupule
subsiste encore assez fortement pour que l'on cherche à
s'assurer qu'il n'y a aucune erreur. Cette hypothèse bienveil-
lante perd tout fondement car, page 83, commence la des-
cription de l'Autriche, et on n'y trouve aucune mention de
l'Erz-Gebirge ou Monts Métalliques, qui au nord-ouest de la
Bohême constituent cependant un des éléments les plus
remarquables du système orographique cisleithan. On est
donc bien en présence d'une vérité faussée avec autant
d'habileté que de préméditation. Un pareil manuel, écrit
par des maîtres officiels, n'a évidemment été répandu dans
les écoles qu'avec l'assentiment des autorités et probable-
ment sur leur ordre. Il y a là un fait matériel dont il est dif-
ficile de nier l'importance.
L'appui direct que les fonctionnaires de l'empire ont
prêté fréquemment à la campagne pangermaniste aggrave
encore la portée de cette constatation. Après avoir relevé
plusieurs cas précis, où les agents du gouvernement sont
intervenus en faveur des amis du Dr Hasse, le Journal de
Colmar conclut : « Il serait temps, à notre avis, que les
autorités publiques, d'ordinaire si chatouilleuses lorsqu'une
loi est violée ou lorsqu'une agitation dangereuse se pro-
duit, surveillassent d'un peu plus près les agissements du
Pangermanisme. Il ne faudrait pas surtout qu'il se pro-
duisît le fait que nous avons signalé, il y a deux ou trois
ans à Mulhouse, où un fonctionnaire de la Kreisdirection
énvoyait des lettres de convocation à l'effet de créer une
association pangermaniste, et où ce fonctionnaire signait
les lettres en question avec les lettres I. V. (in Vertretung)
qui engageaient son chef direct. Sans doute, tous les mem-
bres des sociétés pangermanistes ne sont pas des énergu-
mènes comme ceux de la Berliner Deutsche Zeitung ; mais
pour le repos public, il est inadmissible que des fonction-
naires aient les moindres rapports avec les chefs d'un
parti où l'on se met en révolte ouverte contre la lettre et
l'esprit de la Constitution et où on prépare à l'Allemagne
les plus graves complications extérieures (1). »

8 3. — Le choix du consul que le gouvernement de


Berlin a envoyé à Prague est encore, dans un ordre diffé-
rent, une preuve de l'intérêt vif et constant que la chan-
cellerie de la Wilhelmstrasse prend aux affaires d'Autriche.
Le baron de Seckendorf représente l'empereur Guillaume
dans la capitale tchèque. De Tien-Tsin, M. de Seckendorf
devint consul à Seraïevo, Bosnie. Un incident digne d'être
retenu lui fit quitter ce poste. Il aurait donné en l'honneur
de son souverain une fête dont le caractère était tel que
l'empereur Guillaume apparaissait comme le maître de la
Bosnie. La note fut si excessive que le gouverneur du pays se
vit contraint, à ce qu'on assure, de réclamer le déplacement
du trop ardent consul. Après cette aventure, M. de Secken-
dorf fut nommé à Prague. Dès le début, il se fit connaître,
dans sa nouvelle résidence, sous un jour tout spécial. Dans
les cérémonies et dans les fêtes officielles, le représentant
de l'empereur Guillaume parut constamment dans l'uni-
forme singulier de l'ordre protestant de Saint-Jean de Jéru-
salem. Avec son justaucorps rouge et son chapeau à large?
bords, le baron de Seckendorf a incontestablement fait sen-
sation. Sans doute, les Tchèques le qualifient ironiquement
de Der Trompeter (le trompette) von Sackingen, personnage
amusant de je ne sais quelle opérette, mais cette innocente
plaisanterie ne l'a point empêché de pénétrer dans les
cercles très fermés de l'aristocratie. M. de Seckendorf a eu

(1) Journal de Colmar, 12 juillet 1900.


d'ailleurs le bon esprit de ne pas être exclusif. Il a cherché
à se mettre bien avec tous. On l'a même aperçu dans quel-
ques bals tchèques, ce qui lui a valu les attaques de cer-
tains Pangermanistes trop violents pour comprendre les
avantages de la souplesse. Cette souplesse, ils l'ont même
imputée à crime à l'actif consul, et le 28 février 1899,
le ministre des affaires étrangères de l'empire allemand
fut interpellé à la tribune du Reichstag sur les coupables
condescendances de son agent de Prague envers la race
inférieure des Tchèques. M. de Bülow répondit en lisant le
rapport de son subordonné sur l'incident : « Je remar-
querai, dit le baron de Seckendorf, que ma présence au
bal en question (25 janvier 1899) a été la suite d'une invi-
tation personnelle du comité organisateur. J'ai d'autant
plus pensé devoir m'y rendre que depuis mon arrivée à
Prague, j'ai fréquenté exclusivement les cercles allemands
et qu'au moins huit fois sur dix je me suis rendu à des ré-
jouissances semblables, organisées dans un but stricte-
ment nationaliste allemand (nur deutschnationalen Zwecken),
sans que, pour cette participation, j'aie été blâmé de l'autre
côté. "
Cette réponse pleine de bon sens ne souffrait point de
riposte. Le. baron de Seckendorf fut maintenu à Prague.
Il a conservé son attitude insinuante et a même assisté à
l'installation du D' Srb, le nouveau maire de Prague. Encore
une fois, les Prussophiles fanatiques ont crié à la trahison,
car, horreur! le Dr Srb n'a fait qu'un seul discours en
tchèque. Ces criailleries sans importance n'émeuvent aucu-
nement la chancellerie berlinoise, qui, avec une constance
imperturbable, maintient M. de Seckendorf à Prague. Elle
a sans doute pour cela de bonnes raisons. Des gens fort
bien informés assurent que le consul allemand, dans la ca-
pitale bohème, continue l'œuvre commencée à Seraïevo, et
qu'en dépit de sa brouille avec les plus violents, il entre-
tient des relations suivies et très utiles avec les chefs pan-
germanistes. Dans tous les cas, il est certain que la con-
duite de M. de Seckendorf reçoit à Berlin une complète
approbation. Il a été décoré tout récemment. Cette fa-
veur et cette confiance sont-elles la récompense des pro-
grès faits par le Pangermanisme en Bohême? Il est difficile
de le dire, rien ne permettant de déterminer exactement
la part qu'a pu y avoir M. de Seckendorf. Ceci importe
d'ailleurs assez peu ; l'attitude de son souverain, au même
point de vue, offre infiniment plus d'intérêt.

§ 4. — M
Que fait donc le loyal Guillaume II? Il se
demandait M. Alphonse Humbert au moment de l'éclat fait
par la lettre de Mommsen. « Son abstention, en la circons-
tance, est d'autant plus remarquée que, lors de son voyage
à Buda-Pesth, il a bien paru vouloir appuyer personnelle-
ment la politique violemment pangermaniste. Il
En effet, tout indique que les choses d'Autriche intéres-
sent passionnément l'empereur allemand, et l'on comprend
mieux à quel degré si l'on se pénètre de la conception très
particulière qu'il s'est faite de son rôle de souverain. Une
série de faits révélateurs et de paroles précises permettent
d'en donner le sentiment avec de grandes chances d'exacti-
tude.
A l'avènement de Guillaume II, les innombrables fonc-
tionnaires allemands de tous ordres portaient sur leur cas-
quette d'uniforme une cocarde aux couleurs de leur État res-
pectif. Cet insigne fédéral offusqua le jeune empereur, qui
ordonna de le faire surmonter d'une autre cocarde aux cou-
leurs de l'empire. Les événements de Chine lui ont permis
de réaliser un nouveau progrès. Les troupes allemandes
d'Extrême-Orient ont été dotées d'une tenue spéciale qui
comporle un chapeau à larges bords dont l'un des côtés est
crânement relevé à la façon des Boërs. Sur cette partie
plane une énorme cocarde impériale d'omine une cocarde
fédérale presque imperceptible qu'une occasion prochaine
sans doute permettra de faire disparaître (1). Cette gradation
dans l'emploi des petits moyens, Guillaume II l'applique
constamment. A la fin de 1899, il a voulu remplacer par sa
propre effigie l'aigle des timbres-poste de l'empire. Les
princes confédérés, choqués de cette intention par trop
contraire à l'esprit de la Constitution, ont protesté discrète-
ment, mais résolument. Guillaume II a dû s'incliner, mais
il s'est à demi satisfait en adoptant pour vignette une Ger-
mania dont les traits sont inspirés de ceux de l'impératrice
sa femme. Enfin, tout récemment, il vient de choisir comme
devise d'un nouveau timbre : « Seulement unis, unis,
unis. » Il Nur einig, einig, einig. » Sans doute, ce ne sont là
que des détails, mais ils témoignent suffisamment que la
place occupée par les États allemands semble encore trop
grande à Guillaume II. Il ne voudrait plus voir dans leurs
princes qu'un brillant état-major; le titre d'empereur fédé-
ral lui paraît mesquin, et très certainement le mot de « Ger-
manie i, sonne plus doucement à ses oreilles que celui
d'Allemagne.
On conçoit donc facilement que son souvenir s'en aille
volontiers vers les Germains d'Autriche et surtout vers leur
armée. Colonel honoraire d'un régiment de hussards hon-
grois, il profitait chaque année de la fête de ce corps pour
venir à Vienne passer une inspection militaire. Celle-ci
était si sérieuse que la sollicitude de l'empereur a fini par
froisser la cour et l'état-major autrichiens. Brusquement, le
régiment de hussards fut envoyé au fond de la Hongrie, et,
pour la première fois en 1898, Guillaume II n'a pas fait à
Vienne son voyage traditionnel.
Depuis, il est vrai, tout s'est arrangé. En mai 1900,
François-Joseph est venu à Berlin excuser la digne attitude
du comte Thun, et il a poussé la faiblesse jusqu'à conférer

(1) V. les uniformes de l'expédition allemande en Chine reproduits en


couleurs, dans Unsere Truppen in Ost-Asien. M. RUHL, Leipzig, 1900.
à l'empereur allemand le grade le plus élevé de toute
l'armée autrichienne.
Les discours de l'empereur donnent la véritable valeur
de ces indices généraux. La suite de leurs dates établit la
progression rapide des ambitions qu'ils révèlent. Dès les
premières années de son règne, la Fortune comble le jeune
empereur allemand. Celui qui était destiné à être son plus
redoutable adversaire, Alexandre III, meurt. La puissance
allemande grandit sur tous les points du monde. Aussi, au
début de 1896, Guillaume II peut-il à bon droit pousser ce
cri de triomphe Il L'empire allemand est devenu un empire
:

universel (1). « Il ne s'illusionne pas. Il sait que seule la


force permet de soutenir et de développer un tel empire.
Il le proclame : « Appuyé sur l'armée et confiant en
notre Dieu puissant, j'ai entrepris ma lourde tâche, sachant
bien que l'armée était le soutien principal de mon pays et
la plus solide colonne du trône prussien (2). » La prépara-
tion de la guerre devient sa constante préoccupation. Sans
jamais hésiter, il engage les dépenses militaires les plus
considérables. On a calculé que, dans les huit premières
années de son règne, Guillaume II a dépensé pour l'armée
et pour la marine 5,926 millions de marks, alors que son
grand-père, le vainqueur de Sedan, dans les huit dernières
années de sa vie, n'en a dépensé que 4,114, ce qui fait un
excédent de 1,812 millions de marks motivé pour la plus
grande partie par la seule personnalité de l'empereur actuel.
A partir de 1898, on observe que le mot de Germanie rem-
place généralement celui d'Allemagne dans les discours
impériaux, qui, par leur intempérance même, commencent
à dévoiler les idées fondamentales de Guillaume II. Le
28 août 1898, répondant au discours du bourgmestre de
Mayence, il déclare vouloir maintenir intact l'héritage que
(1) Aus dem Deutschen Reiche ist ein Weltreich geworden.
« » Toast
porté par Guillaume II à Berlin, le 18 janvier 1896.
(2) Guillaume II à la garde, juin 1898.
lui a légué son grand-père : Mais, ajoute-t-il, je ne pourrai
(1

y parvenir que si notre autorité se maintient ferme à l'égard


de nos voisins. Dans ce but, l'unité et la coopération de toutes
les tribus germaniques est nécessaire (l).
»
(1
Tribus germaniques, » l'expression est singulière! Ne
ressemble-t-elle pas étrangement à celle du Dr Hasse lors-
qu'il parle de la nécessité de réaliser « l'union de toutes les
tribus germaniques» (2). Certes, l'identité de termes ne se-
rait pas suffisante pour permettre d'affirmer que par tribus (1

germaniques Il Guillaume II a voulu désigner les Allemands


d'Autriche, si, dans d'autres circonstances, il n'avait été
plus explicite.
Le 3 février 1899, dans son discours fait au Landtag de
la province de Brandebourg, il déclare : " Nous voulons
faire en sorte que nous autres Germains nous soyons au
moins réunis en un bloc solide... Sur ce rocher de bronze du
peuple allemand, au loin sur la mer, et chez nous en Europe,
viendra se briser toute vague menaçante pour la paix (3). Il
Cette finale pacifique n'a trompé personne en Allemagne.
Seule l'allusion à l'union des Germains fut remarquée.
Aussi, peu après, l'organe du Dr Hasse commentait ce dis-
cours avec une joie profonde : « L'empereur ne tient pas
l'empire pour terminé... Il veut voir croître encore le
chêne de l'empire allemand... Comme ses ancêtres, son
point de vue est celui de la raison d'État. D'abord la Mar-
che, ensuite la Prusse, après l'empire allemand. Et quoi
encore ? S'il parle de la totalité des Germains, — et peut-
être pense-t-il ainsi aux Anglo-Saxons [le discours de Bar-

(1) " Dazu bedarf es der Einigkeit und Mitwirkung aller deutschen
Stämme. "
(2) " die Gemeinschaft aller deutschen Stämme. " V. la ^ouverture
...
de YAlldeutscher Atlas, Paul LANGHANS. Justus Perthes, Gotha, 1900.
(3) Deswegen wollen wir trachten, dass wir Germanen wenigstens
11

zusammenhalten wie ein fester Block. An diesem rocher de bronze des


deutschen Volkes, draussen weit über die Meere und bei uns zu Haus in
Europa möge sich jede den Frieden bedrohende Welle brechen ! »
men lavoir page 275) prouve que cette supposition était
fondée], il lui est impossible de sauter par-dessus le degré,
intermédiaire de la plus grande Allemagne, qui opère la
réunion de tous les Allemands... De l'empereur allemand
sortira un empereur des A llemands (l). » Le raisonnement
est logique. Les actes ultérieurs de l'empereur en ont
vérifié la justesse. Ce qui est certain, c'est que Guillaume II
a un plan politique; il y fait de constantes allusions. Je cc

n'ai aucune crainte de l'avenir; je suis convaincu que


mon plan réussira (2). » "J'ai en moi la volonté indomp-
table de marcher d'un pas ferme, en dépit de toutes les
résistances, dans la voie que j'ai une fois reconnue pour la
bonne (3). » Cette voie, en quelle compagnie l'empereur
compte-t-il la parcourir? Avec l'armée sans aucun doute.
«
Si, dans le monde, on veut décider de quelque chose,
la plume n'est puissante que soutenue de la force du
glaive (4). Il Quand l'empereur voudra « décider de quelque
chose par la force du glaive, » ne sera-ce point aux dépens
de l'Autriche? Bien des indices inclinent à le croire.
En août 1900, la bénédiction des drapeaux destinés aux
régiments de Chine avait lieu à l'arsenal de Berlin. Guil-
laume II portait, pour cette circonstance et pour la pre-
mière fois, un bâton de maréchal qu'il s'était octroyé à la
prière de ses généraux. C'était une sorte de canne longue
d'un mètre environ, recouverte d'un étoffe de soie jaune,

(1) Der Kaiser hait den Ausbau des Reiches nicht fur beendet. Er will
«
die deutsche Reichseiche noch wachsen sehen Wie seine Vater steht er
auf dem Boden des Staatsbewusstseins. Erst die Mark, dann Preussen, dann
das Deutsche Reich. Und wass dann ? Wenn er von der Gemeinsamkeit
der Germanen spricht und hierbei vielleicht an die Angelsarhsen denkt, so
kann er unmoolich die Zwischenstufe des grosseren Deutsclilands » die
(1
,
Zusammenfassung aller Deutschen, überspringen wollen... Aus dem deut-
(1

schen Kaiser » aber wird ein Kaiser des Deutschen ! » Alldeutsche Blatter,
1899, p. 53.
(2) Discours de Stettin, septembre 1900.
(3) Discours de Bielefield, juillet 1899.
(4) Discours à la Garde, janvier 1900.
sur laquelle s enroulait un ruban rouge portant des aigles
brodés en noir. On a fort remarqué en Allemagne ces trois
couleurs, jaune, rouge et noir, et non sans raison; ce ne sont
point celles de l'empire allemand, mais celles de la Confédé-
ration germanique d'autrefois et des drapeaux que les Prus-
sophiles autrichiens arborent maintenant en signe de protes-
tation contre l'étendard des Habsbourg. Le détail est curieux.
Les paroles de Guillaume II, posant la première pierre du
musée romain de Saalbourg (4 octobre 1900), ne font qu'en
augmenter la saveur. « Ma première pensée en ce jour se
reporte, en un souvenir plein de mélancolie, à mon inou-
bliable pèré, l'empereur Frédéric III. C'est à son énergie,
à sa volonté créatrice, que le château de Saalbourg doit sa
reconstitution. De même qu'à l'est de la monarchie le
manoir colossal des chevaliers qui implantèrent jadis la
civilisation allemande dans l'est a été reconstruit par son
ordre et va être bientôt achevé (1), de même, semblable au
phénix qui renaît de ses cendres, s'élève sur la hauteur du
séduisant Taunus, le vieux castel romain. Il fut un témoin
de la puissance romaine, un anneau de cette forte chaîne
d'airain qui reliait les légions de Rome au puissant empire,
de ces légions qui, sur l'ordre d'un empereur romain, d'un
César-Auguste, imposaient leur volonté au monde et ou-
vraient l'univers entier à la civilisation romaine, si parti-
culièrement bienfaisante pour les Germains.
(1
Au premier coup de marteau, je consacre donc cette
pierre à l'empereur Frédéric III; au second coup, je la
consacre à la jeunesse allemande, aux générations qui
s'élèvent et qui pourront apprendre dans le nouveau musée
ce que signifie « un empire universel » ; au troisième coup,
je la consacre à l'avenir de notre patrie allemande. Puisse-
t-elle, dans les temps futurs, par la coopération unifiée des
princes et des peuples, de leurs armées et de leurs citoyens,
(1) Guillaume II fait ici allusion au château des chevaliers de l'ordre
Teutonique à Marienbourg, non loin de Dantzig.
devenir aussi puissante, aussi fortement unie, aussi extraor-
dinaire que l'empire romain universel, afin qu'un jour, dans
l'avenir, on puisse dire, comme autrefois : Civis romanus
sum : Je suis citoyen allemand (1)! »
Ce discours, qui implique nettement l'idée d'extension
continentale de l'empire, fut salué d'enthousiastes acclama-
tions. Quelques jours plus tard (28 octobre 1900), célébrant
avec ses officiers le centième anniversaire de la naissance
du maréchal von Moltke, Guillaume souhaita à son état-
major de conduire l'Allemagne à de nouvelles victoires. Les
victoires supposent une guerre, mais à quel propos cette
guerre aurait-elle lieu ? « Mon but suprême, répond Guil-
laume II, est d'écarter ce qui sépare le grand peuple alle-
,
mand (2). Ces paroles, Guillaume II paraît en avoir fait

(1) Ii Der erste Gedanke am heutigen Tage greift zurück in wehmuths-


vollem Dank an meinen unvergesslichen Vater, den Kaiser Friedrich III.
Seiner Thatkraft, seinem schaffensfreudigen Wollen dankt die Saalburg ihre
Wiedererstehung. Gleichwie im fernen Osten der Monarchie die gewaltige
Ritterburg, die einst die deutsche Cultur in den Osten einpflanzte, auf sein
Geheiss wieder neu erstand und nunmehr ihrer Vollendung entgegen-
schreitet, so ist auf den flöhen des reizenden Taunus dem Phönix gleich aus
seiner Asche emporgestiegen das alte Römercastell, ein Zeuge römischer
Macht, ein Glied in der gewaltigen ehernen Kette, die Roms Legionen um
das gewaltige Reich legten und die auf das Geheiss des einen römischen
Imperators, des Cäsar Augustus, der Welt den Willen aufzwangen und die
gesammte Welt der römischen Cultur eröffneten, die befruchtend vor
Allem auf Germanien fiel. So weihe ich diesen Stein mit dem ersten Schlage
der Erinnerung an Kaiser Friedrich III, mit dem zweiten Schlage
der deutschen Jugend, den heranwachsenden Geschlechtern, die hier
in dem neuerstandenen Museum lernen mögen, was ein Weltreich
bedeutet, und zum dritten der Zukunft unseres deutschen Vaterlandes,
dem es beschieden sein möge, in künftigen Zeiten durch das einheit-
liche Zusammenwirken der Fürsten und Völker, ihrer Heere und ihrer
Bürger, so gewaltig, so fest geeint und so massgebend zu werden, wie es einst
das römische Weltreich war, damit 65 auch in Zukunft dereinst heissen
möge, wie in alter Zeit « Civis romanliS surrt x, nunmehr it Ich bin ein
deutscher Bürger. "
(2) « Mein höchstes Streben geht dahin, dasjenige, was das grosse deutsche
Volkt trennt zu beseitigen ! » Ces paroles, citees par le pasteur Braunlich a
,I
une des premieres reunions tenues a Berlin par l'Evangelischer Bund en
1899, pour l'organisation du mouvement Los von Rom, en Autriche, ont
ete reproduites par la Politik de Prague du 5 mars 1899.
lui-même le commentaire. Avant d'arrêter net, à Cologne,
le président Kruger, il sentit sans doute la nécessité de faire
comprendre à son peuple que l'intérêt même du « Germa-
nisme Il lui commandait de ne pas intervenir en faveur
des Boërs. Il alla alors à Tangermünde (29 novembre 1900)
inaugurer le monument de Charles IV, qui, il faut le remar-
quer avec soin, fut roi de Bohême de 1346 à 1378, et il
dit : Cet empereur, qui a construit dans cette ville, située
c(

à un confluent important de l'Elbe, un château splendide,


était merveilleusement doué pour comprendre les questions
qui nous préoccupent actuellement. Souvent, peut-être, il a
médité ici le plan qu'il avait conçu de créer un empire du Nord
dont l'Elbe serait la base. »
Ces paroles, extraites de discours divers, mais qui toutes
concordent à montrer les préoccupations pangermanistes
de Guillaume II, ne sont-elles pas suffisamment révéla-
trices ? Un empereur peut-il avoir des ambitions plus tumul-
tueuses? Peut-il, sans passer les bornes de la prudence pres-
crite, les exprimer plus clairement? Est-il possible de sou-
tenir que Guillaume Il Il est insensible aux influences pan-
germanistes i,? (1) Ce n'est point l'avis de ceux qui, menant
la campagne en faveur de la Grande-Allemagne, sont bien
placés pour en juger. M. Grell, professeur au collège de
Potsdam et collaborateur zélé du Dr Hasse, ne fait aucune
difficulté pour reconnaître que YAlldeutscher Verband a
trouvé dans l'empereur allemand n un puissant allié (2) o
et qu' " à bon droit on peut le considérer comme un pan-
germaniste » (3). Il serait dangereux dêsormais de ne pas
se rendre à une évidence qui devient chaque jour plus cer-
taine. Guillaume II favorise la politique pangermaniste, qui
n'est elle-même qu'une fraction de la Weltpolitik, de la

(1) W. BEAUMONT, Questions diplomatiques et coloniales, 1900, p. 538.


(2) "...e:nen mâcht!gen Bund"sflenossen. » H GRELL, Der Alldeutsch&
iVerband, p. 19. Lehmann, Munich, 1900.
(3) Il... mit Recht als ein alldeutscher bezeichnet worden ist." Idem
politique mondiale. Il a foi en son étoile. Il se croit la mis-
sion de restaurer l'empire germanique des anciens jours.
L'id ée de joindre Hambourg à Trieste le hante. Il connaît
l'imprévoyance de ses adversaires et il compte sur sa volonté
indomptable pour réussir l'entreprise audacieuse qui fera
de lui l'empereur des Germains (1), le Charlemagne des
temps modernes.
Tout permet donc de croire que lorsque les affaires d'Au-
triche arriveront à maturité, Guillaume II décidera de la paix
ou de la guerre. Les Pangermanistes le savent bien. La
volonté personnelle de l'empereur allemand est leur plus
grand espoir. Les princes allemands doivent laisser à
(1

l'empereur allemand cette décision pleine de lourdes con-


séquences (la guerre) (2). » N'est-ce point là ce que disait il
y a quelques mois, avec éloquence, le colonel de Bernhardi,
parlant à la Société militaire de Berlin : Il Le chef aura
pour unique loi ses projets et sa propre volonté. C'est seu-
lement en effet quand une pensée librement conçue est
appliquée avec une volonté ferme et hardie que peuvent
être engendrées ces grandes actions qui assurent ou modi-
fient les conditions d'existence des hommes et des États. »

§ 5.
— Le gouvernement de l'empereur Guillaume paraît
si favorable au nouveau courant de l'opinion publique, sa
conduite s'harmonise si parfaitement avec celle des sociétés
pangermanistes, qu'on peut se demander s'il n'est pas le
dispensateur des subsides considérables que nécessite leur
propagande en Autriche. Il est en effet très évident que les
seules cotisations des adhérents de ces sociétés, si nombreux
soient-ils, sont insuffisantes pour subvenir aux dépenses mul-
tiples d'une campagne qui dure déjà depuis plusieurs années.

(1) Dépêche à Mommsen, octobre 1900.


(2) Il Diesen folgenschweren Entschluss miissen dii Deutschen Fursten
bezw. der Deutsche Kaiser fassen... Die Deutsche Politik der Zukunft.
p. 10. Deutsehvölkiseher Verlag Il Odin Munich, 1900.
»,
Il existe donc une caisse noire où vont puiser les initiés.
Le député polonais Stojalowski, dont on peut discuter les
idées, mais dont on ne saurait nier l'intelligence, l'a dit
très nettement, en plein Parlement de Vienne, le 22 no-
vembre 1899. Au cours d'une violente altercation qu'il eut
avec le député Dachinski, élu par les Israélites de Cracovie
comme socialiste international, M. Stolajowski déclara :
c(
l
Je fais mieux que vous qui recevez de argent de Berlin
et des Juifs. Vous avez déjà reçu d'eux plusieurs milliers de
florins et si vous m en défiez, je dirai qui vous les a remis (1). »
Le député Dachinski ne releva pas le défi. C'est fâcheux.
Il en résulte une raison de plus de craindre que ce soit bien
le gouvernement de Berlin qui, selon des traditions, dont
l'histoire conserve la trace, a fait et fait encore tous les
frais non apparents de la propagande prussophile en Cislei-
thanie.

§ 6. Si ces dépenses ont eu lieu, elles sont incontes-



tablement élevées, mais il n'existe aucun moyen de les
évaluer. Il n'en est pas de même des crédits considérables
consacrés, depuis quelques années et spécialement depuis
trois ans, par le gouvernement de Berlin à de formidables
préparatifs militaires. On se trouve ici en présence de faits
d'ordre financier et militaire qui résultent évidemment d'une
réflexion mûrie; ils autorisent par suite des déductions d'une
grande force.
Je ne fais ici aucune allusion aux dépenses relatives au
perfectionnement de l'armement, elles sont la conséquence
naturelle des progrès de l'art militaire qui imposent par
exemple la mise en service de l'artillerie à tir rapide (2),

(1) « Abg. Stojalowski. Besser als Sie es thun, Geld aus Berlin oder von
den Juden zu nehmen. Sie haben schon mehrereTausend Gulden bekommen,
und wenn Sie mich herausfordern, sage ich, von wem Sie es bekommen
haben ! ,
2) Il est à remarquer que ce matériel C/96 du calibre 79,7 a été construit
de batteries lourdes, de mitrailleuses, etc.; j'entends seule-
ment parler de mesures qui dénotent des préoccupations
anormales, que l'état pacifique de l'Europe ne semble pas
justifier.
L'activité déployée dans les chantiers de constructions
maritimes allemands, le nouveau projet d'accroissement de
la flotte de guerre et les relèvements de crédits prévus pour
le budget de la marine de 1901 méritent de fixer sérieuse-
ment l'attention. Ils ne constituent pas, comme on a voulu
le dire, une menace dirigée uniquement contre l'Angle-
terre. Sans doute, cette hypothèse est la première qui se
présente à l'esprit, bien que depuis le discours de Barmen,
apprenant au monde le caractère durable de l'accord anglo-
allemand, elle ait singulièrement perdu de sa vraisemblance,
mais elle n'est pas la seule qu'on puisse faire. Il est certain
en effet que dans le cas d'une intervention allemande en
Autriche, et par conséquent d'une conflagration générale,
la flotte de l'empire aurait, elle aussi, un rôle actif à jouer,
de nature à influer sérieusement sur le succès final. Ce
rôle, Guillaume Il l'a indiqué fort nettement dans son dis-

avec une rapidité remarquable, sans crédita régulièrement votés par le


Reichstag, sur un simple ordre de l'empereur, en date du 22 mars 1897.
D'après les techniciens, le matériel français de 75 millimètres lui serait
supérieur à divers points de vue ; il est difficile toutefois d'apprécier avec
exactitude dans quelle mesure ces qualités compensent l'infériorité numé-
rique considérable des bouches à feu françaises. V. la note p. 265.
Un nouveau matériel allemand est d'ailleurs en train d'être substitué
au modèle 96, dont les inconvénients ont été reconnus.
On nouveau fusil à hausse unique jusqu'à 800 mètres au moins qu on sup-
pose devoir être à chargement automatique et qui emploiera très probable-
ment une balle à champignonnement, produisant les terribles effets de la
balle dum-dum tout en conservant sa force de pénétration, est en construction.
La dépense fort importante représentée par la fabrication de cette arme
sera sans doute, comme celle du canon à tir rapide, engagée par l'empe-
reur, sans demande faite au Reichstag, au moyen d'un compte ouvert à la
banque de l'empire et provisoirement garanti par le trésor de guerre.
En octobre 1900, on assura que les fabriques d'armes de l'État de Spandau,
d'Erfurt, de Dantzig, d'Amberg, etc., ont reçu l'ordre d'activer la fabrica-
tion du fusil modèle 1899, dont l'adoption est décidée pour toute l'infanterie
allemande.
cours de Kiel (avril 1891). Faisant allusion à toute éventua-
lité belliqueuse, il disait : « L'attaque est supérieure à la
défense ; aussi la flotte allemande devra-t-elle prendre une
vigoureuse offensive et s'efforcer, au premier choc, de
détruire l'ennemi en bataille rangée... Le système de 1870,
qui réduisait la marine strictement à la défensive, a vécu...
Une escadre doit concentrer en un seul effort tous ses
éléments, chercher le corps à corps et s'efforcer d'anéantir
l'ennemi par le choc le plus violent... » Ces paroles impé-
riales mettent en relief celles de l'amiral Tirpitz, secrétaire
d'État à l'office de la marine, qui, lors de la discussion
en seconde lecture du projet de 1899, a déclaré que le
plus important était la flotte de guerre destinée à agir dans
les eaux de l'Allemagne (1). Il faut enfin remarquer que
l'agitation la plus active, menée en faveur de l'augmenta-
tion de flotte, l'a été précisément par l'Union pangerma-
nique (Alldeutscher Verband). Rien ne saurait mieux indi-
quer le lien existant entre les ambitions maritimes de Guil-
laume II et le but ouvertement poursuivi par le Dr Hasse.
C'est là un point de vue que la récente augmentation de
la puissance offensive de l'armée de terre confirme avec
évidence.
Au début de 1899, le gouvernement de Berlin a pré-
senté subitement au Reichstag une loi militaire (2), dont
il a demandé le vote immédiat (3). L'exposé des motifs en
justifiait ainsi la nécessité : Des changements dans l'orga-
(1

nisation et le perfectionnement des formations sont pour

(1) «En cas d'une lutte de la Triple Alliance contre l'Alliance franco-russe,
la France, pense-t-on généralement, n'aurait que les deux cinquièmes de ses
forces environ dans la mer du Nord et les trois cinquièmes au moins dans la
Méditerranée. Dans ces conditions, t escadre française de la Manche
serait aujourd'hui sensiblement inférieure à la totalité de la flotte alle-
mande. -
(2) Pour tous les détails sur cette loi militaire, V. la Revue militaire,
avril 1899.
(3) Les trois délibérations du Reichstag ont eu lieu les 12 janvier, 14 et
16 mars 1899.
une armée l'indice d'un organisme qui se fortifie et se com-
plète : tout temps d'arrêt dans cette évolution conduit fina-
lement à la décadence et au désastre (1). »
En réalité, la portée de la nouvelle loi dépasse de beau-
coup celle d'un simple perfectionnement. De vingt, le
nombre des corps d'armée est passé à vingt-trois par le
dédoublement de ceux dont les gros effectifs rendaient le
maniement difficile et par la création d'unités nouvelles,
dans la proportion suivante (2) :
Ayant la loi. Après la loi. Unités noarelles.

Bataillons d'infanterie de ligne... 605 607 2


Escadrons de chasseurs à cheval... 7 17 10
Batteries d'artillerie de campagne. 494 574 80 (3)
Batteries d'artillerie à pied 37 38 1
Bataillons de pionniers 23 26 3
Bataillons de troupes de communi-
cation 7 11 4
Bataillons du train
.............. 21 23 2
L'effectif des bataillons d'infanterie a été renforcé (4).

(1) Cité par la Revue militaire, avril 1899, p. 259.


(2) Les nouveaux corps d'armée sont les XVIIIe prussien, le XIXe
saxon et
le IIIe bavarois, respectivement formés des XIe prussien, du XIIe saxon et
du IIe bavarois.
(3) Ce chiffre de 80 batteries se répartit entre
onze batteries de canons
de campagne et soixante-neuf batteries d'obusiers formant vingt-trois
groupes de trois batteries.
En raison de l'augmentation considérable de l'artillerie allemande, la
France se trouve « numériquement Il dans un dangereux état d'infériorité.
ARTILLERIE COMPARÉE DES DEUX PAYS APRES L'APPLICATION
DE LA NOUVELLE LOI ALLEMANDE :
Excédents eu faveur
France. Allemagne. de l'Allemagne.
Batteries 508 574 66
Pièces attelées 2,226 2,982 756
V. Revue militaire, avril 1899, p. 255 et 256.
(4) L 'état-major allemand justifie le relèvement des effectifs des batail-
lons d'infanterie par des raisons utiles à retenir
au moment où en France
on propose de réduire la durée du service militaire : « La réduction du
L'ensemble de ces diverses augmentations correspond à
un
relèvement de l'effectif budgétaire d'environ seize mille
hommes (1), de telle sorte qu'après l'application de la
loi, l' armée allemande comprendra sur le pied de paix
un peu plus de 600,000 hommes. Il convient en outre de
remarquer qu'en agissant sur l'ensemble des années de
service militaire dues par chaque Allemand, cette même
loi augmente de plus de 150,000 le nombre des réservistes
exercés.
Les travaux considérables de fortifications exécutés tout
récemment en Alsace-Lorraine ont également une signifi-
cation qu'on ne saurait manquer de relever.
Strasbourg, déjà formidablement défendu, a été doté de
nouveaux ouvrages. Deux forts très puissants ont été cons-
truits à Molsheim. Neu-Brisach, près deColmar, est devenu
une place forte de premier ordre. Un fort s'élève à Guin-
trange près de Thionville. Autour de Metz, on en construit
quatre : le fort du Point du Jour, en plein champ de
bataille de Gravelotte ; le fort d'Ancy, dont les canons com-
mandent la gare-frontière française de Batilly, sur la ligne de
Verdun; le fort Haeseler, au sommet du Saint-Blaise, et le
fort Prince impérial, à la pointe du Gorgimont.
D'immenses casernes et des magasins d'approvisionne-
ments considérables viennent d'être établis à Sarrebourg.
Ces différents ouvrages sont sur le point d'être terminés.
Il en est de même des améliorations qui ont été entreprises

service à deux ans a eu pour effet de diminuer considérablement la force


des unités d'infanterie. En réalité, il n'y a de disponibles pendant plusieurs
mois de l'année, comme exercés, que des hommes d'une seule classe. De
telle sorte que si dans la période comprise entre le renvoi de la dernière
classe et le 1er avril une guerre venait à éclater, une compagnie se trouverait
dans la nécessité de compléter son effectif avec les deux tiers de réser-
vistes. »
(1) Ce chiffre n'est nullement définitif. Le gouvernement s'est réservé
«
le droit de présenter, avant l'application intégrale de la loi, une demande
d'augmentation des effectifs, si le besoin s'en faisait trop vivement sentir »
Revue militaire, avril 1899, p. 246.
dans le même temps sur la frontière russe, notamment aux
places de Thorn, de Koenigsberg et de Breslau.
Deux déductions très nettes se dégagent de l'ensemble de
ces travaux. La première, c'est qu'ils sont destinés à contenir
puissamment la France et la Russie, nécessité inéluctable

Jans le cas d'une intervention allemande en Autriche. Les


dispositions militaires de l'Allemagne nettement offensives
contre l'Autriche fortifient cette présomption ; aucun
ouvrage n'existe au sud de l'empire allemand, et la loi
militaire de 1899 a renforcé d'un corps d'armée les effectifs
de cette région (1).

(1 Le XIXe corps, Leipzig, tiré du XII' corps, Dresde.


La seconde déduction, c'est que, dans la même hypo-
thèse, les deux puissantes lignes fortifiées de l'est et de
l'ouest sont destinées à permettre aux armées de choc, dont
le colonel de Bernhardi et le général von der Golz exposent
si clairement le rôle foudroyant, de se former en toute
sécurité à l'abri de cette ligne cuirassée. On verra au
chapitre suivant en considération de quelle nécessité les
Allemands se sont ménagé cette faculté.
Les diverses mesures déjà exposées paraissent dépasser de
beaucoup celles que prennent les États qui veulent simple-
ment assurer leur sécurité; une série de faits établissent que
a
l'empereur Guillaume les prises en vue d'événements qu'il
considère comme prochains.
Depuis deux ans, il pousse le rajeunissement des cadres
de son armée avec une activité qui ne fut jamais atteinte
à aucune époque et dans aucun pays. En 1899, plus de
700 officiers de tous grades, dont 526 pour les seules troupes
prussiennes et 351 autres, du 1er mai au 15 novembre 1900,
ont dû prendre une retraite anticipée. Ainsi l'armée alle-
mande possède maintenant les généraux de beaucoup les plus
jeunes. Il est incontestable que de ce chef elle s'assure sur
toutes les autres une supériorité très marquée. Dans la
même période de temps, on a remarqué l'activité particu-
lière mise à l'entraînement des pigeons voyageurs ; fait digne
de remarque, on assure que les navires de la Hamburg-
America-Linie, dont la première escale est à Cherbourg, en
font un lâcher à chaque voyage. Les travaux de fortification
en Alsace-Lorraine sont menés avec une hâte qui constitue,
elle aussi, un sujet de vif étonnement pour les Français des
pays annexés. En septembre 1899, l'un d'eux écrivait à
Mme Adam : « Je vois des préparatifs dont on n'a pas l'air
de se douter à Paris. » Les mesures prises par les autorités
militaires allemandes étaient assurément dignes d'émouvoir
les habitants d'Alsace-Lorraine. Pour le fort du mont Saint-
Blaise, près de Novéant, l'autorité militaire n'a pas voulu
attendre l'accomplissement des formalités légales d'expro-
priation; elle s'est emparée du terrain dépendant de la ferme
des Grosyeux malgré son propriétaire, M. de Brossin. Des
précautions tout à fait inusitées ont été prises pour assurer
le plus grand secret sur les nouveaux ouvrages. Les permis
de chasse ont été supprimés dans les régions où ceux-ci sont
contruits. Le 26 mai 1899, l'autorité militaire a interdit aux
journaux d'Alsace-Lorraine de publier le moindre renseigne-
ment, et même d'indiquer l'emplacement des chantiers, leur
nombre et celui des ouvriers qui y travaillent. Les Italiens
cuit été renvoyés des terrassements. Seuls, les ouvriers alle-
mands, malgré le prix plus élevé de leur main-d'œuvre, ont
été conservés. Encore sont-ils étroitement surveillés par de
nombreux gendarmes, venus tout exprès du centre de l'em-
pire. A la fin d'octobre 1899, les ouvriers des forts du
Saint-Blaise et d'Ancy se sont mis en grève. Les travaux
étaient abandonnés depuis une semaine seulement quand
l'autorité militaire consentit à relever les salaires de près
du quart.
En vue de quels desseins a-t-on pris des précautions si
extraordinaires, et pourquoi a-t-on montré un tel souci de
rapidité? Les déductions que suggère la loi militaire du
25 mars 1899 semblent permettre de répondre à la ques-
tion. Le développement considérable qu'elle a donné aux
troupes de communication (1) dénote chez l'état-major alle-
mand la prévision d'une vigoureuse offensive stratégique au
~ébut des opéralions, ce qui autorise à admettre l'hypothèse

(1) Les troupes de communication comprennent


: comme troupes de
chemins de fer, la valeur de trois bataillons; comme troupes de télégraphie,
la valeur de sept bataillons ; comme troupe d'aérostiers, la valeur d'un
bataillon ; soit au total onze bataillons. V. la Revue militaire, avril 1899,
p. 258.
La nomination d 'un inspecteur général des troupes de communication,
relevant directement de l'empereur et seul responsable de l'instruction
donnée à ces troupes, marque bien l'importance attribuée à
ce nouvel orga-
nisme. Op. cit., p. 257.
d'une attaque subite et sans déclaration de guerre. Les
lourdes charges financières qu'entraîne la loi ont aussi leur
enseignement. Sa simple application nécessite une dépense
d'organisation de 133 millions de marks et grève le budget
annuel de 27 millions (1). Or, rien du côté de la France ou
de la Russie ne pouvait alarmer le gouvernement de Berlin.
Par la conférence de la Haye, le Tsar a manifesté ses senti-
ments profondément pacifiques ; en France, aucune démons-
tration belliqueuse n'a eu lieu depuis longtemps. La loi
militaire a donc surpris tout le monde en Allemagne, et les
contribuables, déjà lourdement grevés, l'ont accueillie avec
une répugnance non dissimulée. Dans ces conditions, pour
que l'empereur Guillaume ait accru sans hésiter le fardeau
pesant sur ses sujets, il faut bien admettre qu'il a agi en vue
d'un plan politique secret, mais nettement déterminé, plan
qui d'ailleurs a été suffisamment découvert par la discussion
parlementaire de la loi au Reichstag.
Le baron de Stumm-Halberg, persona gratissima au-
près de Guillaume II, fut chargé de soutenir le projet gou-
vernemental à la tribune du Parlement. Au cours de son
argumentation, il déplora comme excessif l emploi fait
collègues pangermanistes de l'expression l'Alle-
par ses et

depuis le Belt jusqu'à l'Adriatique (Deutschland


magne »

Belt bis zur Adria), pour justifier le relèvement des


vom
effectifs, mais peu après, lui-même ajoutait dans le même
but : Il me suffit d'attirer l'attention sur les troubles inté-
(1

rieurs qui, à mon vif regret, ont lieu en Hongrie comme en


Autriche (2). »
L'allusion était transparente, elle fut saisie sans peine et

(1) Le budget de la guerre allemand pour 1901 comporte, sans compter


les dépenses relatives à l'expédition de Chine, 71. millions de marks de cré-
dits extraordinaires, soit 45 millions de plus qu'en 1900.
(2) « Icli brauche bloss auf die inneren Wirren, die zu meinem lebhaften
Bedauern, in Ungarn sowohl wie in Oesterreichstattfinden, hinzuweisen... "
Sténographische Berichte iiber die Yerhandlungen des Reichstags, séance
du 12 janvier 1899, dixième législature, premier volume, p. 200.
avec joie par les députés, qui, comme nous l'apprend M. de
Stumm-Halberg, n'hésitèrent pas à soutenir la loi en décla-
rant la nécessité d'assurer le développement de l'Allemagne
depuis le Belt jusqu'à l'Adriatique. Il faut d'ailleurs admettre
que cet argument est celui qui a agi puissamment sur le
public, car le 7 mars 1899 l'Éclair recevait de Berlin cette
fort intéressante dépêche : Il Pour obtenir le vote des
dépenses de cette nature, déjà sollicitées du Parlement, la
presse officieuse allemande avait l'habitude d'influencer le
sentiment public en lui montrant les sacrifices continuels de
la France en vue d'accroître sa puissance militaire et en lui
signalant, avec un grand luxe de commentaires, tout ce qui
pouvait faire croire à l'influence persistante de l'idée de
revanche... Actuellement, il semble au contraire qu'on évite
avec soin en Allemagne de froisser les susceptibilités fran-
çaises, et l'on n invoque plus, pour décider les députés à
desserrer les cordons de la bourse, que la puissance des partis
militaires en Russie et en Autriche ou les conséquences
possibles pour la paix européenne de la mort d'une ou
deux personnalités. »
Impossible de dire plus explicitement que la loi militaire
de 1899 a été motivée par l'hypothèse de la succession d'Au-
triche.

§ 7. — Cet ensemble de paroles précises et de faits cer-


tains, concordant avec les manifestations prussophiles en
Autriche, pourrait paraître suffisant pour conclure. Il est
rare qu'en politique étrangère la ligne suivie par un gou-
vernement s'indique avec autant de netteté. On peut cepen-
dant encore tirer de l'orientation donnée par Guillaume II à
sa politique extérieure un élément de jugement fort utile.
La courte période qui a eu pour point de départ l'événement
de Fachoda est féconde en enseignements.
Incontestablement, l'empereur allemand a su tirer un
excellent parti de l'animosité justifiée que les Anglais, avec
une méconnaissance complète de leurs véritables intérêts,
ont su réveiller en France contre eux.
A Paris, où tant de gens vivent dans la pensée que la
politique française doit de toute nécessité choisir entre
Londres et Berlin, — point de vue qui mériterait une longue
discussion, — on a penché un instant vers l'Allemagne. On
s'est bercé, sur les bords de la Seine, du rêve de réaliser
une entente franco-russo-allemande contre l'Angleterre.
Des projets vagues ont circulé. On n'en voyait pas très
bien la portée précise, la durée et les avantages réels; mais
ils flattaient les légitimes indignations du moment, et ils
faisaient le jeu de tous ceux qui, pour des motifs divers,
avaient intérêt à persuader aux Français que le grand appa-
reil militaire de la République était désormais moins né-
cessaire que jadis.
Dans toute cette période, l'empereur allemand a appliqué
avec une habileté remarquable le précepte de Machiavel :
(1
Si l'on vise un ennemi puissant que l'on se propose
d'attaquer un jour, il est sage d'user avec lui en attendant
de bons procédés et de détourner son attention en menaçant
son voisin. »
Pas un instant, donc, Guillaume II n'a cessé de suivre sa
ligne de conduite habituelle, mais il a laissé croire qu'il
allait incessamment prendre position contre l'Angleterre.
Les Français étaient dans l'attente; il a conservé son atti-
tude chatoyante ; il a continué de les accabler de ces préve-
nances légères, sans fond comme sans conséquences, mais
qui séduisent les âmes sensibles.
Il est facile aujourd'hui de dresser le bilan de cette poli-
tique.
En juillet 1899, le gouvernement français envoya l' Ibis à
Gestemunde, et, le même mois, Guillaume II monta à bord
de l'Iphigénie, à Bergen. L'événement était si considérable
que la presse allemande osa à peine y croire. L'empereur
i&

allemand sur un navire d'État français ! Des aspirants de


marine français manœuvrant devant le roi de Prusse!...
C'est le premier acte olficiel accompli par la France pour
manifester le désir de rapports amicaux avec l'Alle-
magne (1). » L'étonnement fut extrême à Berlin. Comment
le ministère français a-t-il pu faire une pareille démarche !
« Et
c'est par ordre de leur gouvernement que les Français
ont manœuvré devant l'œil observateur du prince étran-
ger (2) ! «
Il faut avouer que, pour un Prussien réaliste, la stupé-
faction était excusable. Comment concevoir que la France
de 1870 ait fait des avances à son vainqueur, quelques se-
maines après que l'empereur allemand venait de porter au
maximum la puissance militaire dirigée éventuellement
contre elle (loi du 25 mars 1899) et de donner l'ordre
d'activer les travaux de fortification en Alsace-Lorraine?
L'aberration qui a régné en cette circonstance dans les
cercles gouvernementaux français est d'autant plus incon-
cevable, que la conduite actuelle de l'empereur allemand à
l'égard de la France est exactement semblable à celle que
tous les Hohenzollern ont eu soin d'observer avant leurs
grandes opérations politiques. Endormir la France est leur
procédé habituel. C'est la tactique suivie par le grand-père
de Guillaume Il avec Napoléon 111, avant 1866. C'est encore
seulement après avoir passé plusieurs années à entretenir
la cour de Paris de projets.d'entente et même d'alliance,
que Guillaume Ier a risqué la grosse partie de 1870.
On sait les prodigieux résultats de cette manœuvre. Peu
de mois avant la guerre, les députés du Corps législatif
combattaient avec acharnement les projets du maréchal
Niel. Pour eux, les armées permanentes avaient fait leur
temps; le militarisme était une plaie; la France devait
donner l'exemple du désarmement; la Prusse l'imiterait
ensuite.
(1)Berliner Tageblatt,
(2) Id.
Les excellentes relations entre les cours de Paris et de
Berlin semblaient justifier cette argumentation. Deux mois
plus tard, les Allemands passaient le Rhin, et la France,
vaincue, payait de cinq milliards et de deux provinces le
monstrueux aveuglement des députés du Corps législatif.
L'analogie que présente la situation actuelle n'est-elle
pas frappante? Aujourd'hui, dans le même temps où l'on
constate des efforts continus pour amener les Français à
rayer le danger allemand de leurs préoccupations, la pro-
pagande antimilitariste s'organise à Paris, dans le but net-
tement avoué de saper les bases de l'armée française.
Spontanée ou non, cette propagande sert puissamment les
combinaisons de la chancellerie berlinoise, qui jouissait
déjà de l'inappréciable avantage de pouvoir, grâce aux
agences télégraphiques dont elle dispose, faire circuler en
France les a bruits » qui lui conviennent et à l'heure qu'elle
choisit. L'abondance élogieuse avec laquelle ont été com-
mentés les moindres actes de Guillaume II qui pouvaient
passer pour francophiles, la concision des télégrammes
relatifs aux armements allemands et l'absence à peu près
complète de renseignements sur la campagne pangermaniste
en Autriche décèlent suffisamment cette action occulte.
Son résultat le plus certain a été de cacher aux Français l'état
vrai de l'Allemagne et de dissimuler les intentions de leur
empereur, presque avec autant de succès qu'avant 1870.
La politique de Guillaume II à l'égard de la Russie a un
objectif identique, mais les procédés sont différents. Offi-
ciellement, l'empereur assure que son vif désir est de réta-
blir avec Pétersbourg les bonnes relations que le prince de
Bismarck sut maintenir si longtemps; ceci implique la des-
truction de l'alliance franco-russe; Guillaume II s'y emploie
consciencieusement. Il s'est d'abord attaché à la trans-
former par une série d'immixtions savantes. La première
a eu lieu un peu avant le traité de Shimonoseki. Ensuite,
il a tout fait pour occuper la Russie en Extrême-Orient.
Le bénéfice était certain. Il y a gagné de pouvoir installer
l'Allemagne à Kiao-Tcheou et de contraindre la Russie à
diluer sur une étendue toujours plus vaste les milliards
de ses grands emprunts, alors que peut-être il eût été plus
sage de les consacrer au développement de la Russie
d'Europe et à l'achèvement des armements.
La combinaison de ces jeux habiles a fait perdre à
l'alliance franco-russe, au moins momentanément, son
caractère initial. Sous l'impression du travail tendancieux
des agences, beaucoup de Français ne savent plus très bien
si l'alliance avec le Tsar est dirigée vraiment contre l'Alle-
magne et si elle peut leur être utile contre l'Angleterre. Ce
fâcheux état d'esprit a permis, dans certains milieux et
surtout dans les organes parisiens de la presse interna-
tionale, de mettre en question l'existence même de l'al-
liance. On n'attaque point encore ouvertement le gouver-
nement du Tsar, mais on le discrédite en répandant les
bruits les plus malveillants sur l'état de ses finances. Les
banquiers des petites villes de province opèrent le plus effi-
cacement en conseillant à leurs clients de vendre leurs
valeurs russes; ces banquiers, il est vrai, parfaitement
inconscients de l'œuvre qu'ils accomplissent, ne sont que
les porte-voix des grands financiers de la capitale qui,
eux,
obéissent, selon toute apparence, à un mot d'ordre mysté-
rieux.
Enfin, au moment précis où les Français, cessant de
croire à la possibilité de l'alliance continentale contre
l 'Angleterre, voient se développer
avec une vigueur surpre-
nante la campagne antimilitariste et antirusse, on apprend
tout à coup, d une façon indubitable, un événement qui
confond toutes les croyances, détruit toutes les espérances,
et semble une volte-face subite du fantasque empereur
Guillaume l accord anglo-allemand. Lui-même
:
en pro-
clame le caractère durable dans son discours de Barmen
:

« L entente avec le plus grand des États germaniques,


en
dehors de l'Allemagne, sera dans l'avenir un puissant
adjuvant pour les efforts communs des deux peuples sur le
marché du monde, où ils pourront se faire une concurrence
amicale sans aucun choc hostile (1). x
Quelques jours plus tard, le refus de recevoir le président
Kruger confirme avec éclat cet accord des deux grands
États germaniques. Sa divulgation a surpris certains mi-
lieux français. Bien des indices cependant l'annonçaient
et rien n'était plus conforme aux précédents historiques.
Guillaume II n'a fait qu'appliquer une fois de plus le plan
de Bismarck toujours le même : « Nous brouiller avec
l'Angleterre; puis se retourner brusquement, se rapprocher
d'elle et nous laisser plus isolés que jamais (2). »
On peut maintenant résumer les « faits" certains, destinés
à exercer une action puissante sur la politique générale, et
dont j'ai constaté successivement l'existence. On trouve :
La campagne prussophile en Cisleithanie;
Les armements militaires de l'empire allemand;
Les projets savamment tendancieux d'entente franco-
allemande ;
La campagne contre l'armée française ;
La campagne contre l'alliance franco-russe ;
L'entente anglo-allemande.
Or, par un hasard qu'il est difficile de supposer fortuit,
tous ces faits sont les conditions mêmes de l'extension conti-
nentale de l'empire allemand. Ils sont comme l'ombre des
,,,
grands événements qui s'approchent. Aux hommes d'État
de s'en rendre un juste compte.
Et maintenant que conclure sur ce point? Le gouverne-
ment de Berlin suil-il une politique pangermaniste ?
(1
L'empire allemand ne peut sauver les Allemands d'Au-
triche en une nuit s'il ne s'y est préparé d'avance. Existe-
(1) 24. octobre 1900.
(2) M. Paul DESCHANEL, Discours de réception à l'Académie française.
t-il des indices de tels préparatifs? A cette question on doit
répondre oui (1). «
Qui parle avec autant d'assurance? C'est l'un des publi-
cistes de l'Odin Verein, qui, assurément, a de bonnes raisons
pour être exactement renseigné. Comment en effet pour-
rait-on nier que la puissante propagande organisée en
Autriche, que les armements de l'Allemagne et l'orientation
générale de sa politique ne soient les résultantes d'une
même pensée directrice? Si une conviction doit être basée
sur les apparences et sur les déductions rationnelles qu'elles
suggèrent, le doute n'est pas permis.

§ 8. — On a, il est vrai, pour se rassurer, les déclarations


faites par M. de Biilow dans son discours au Reichstag le
11 décembre 1899. Après avoir constaté, ce qui est incon-
testablement exact, que les chances de l'Allemagne pour
l'avenir se sont « considérablement modifiées depuis deux
ans » , il ajouta : « La politique étrangère de l'Allemagne
n'est ni cupide, ni inquiète, ni fantaisiste. Et je dirai à ce
propos : les plans fantaisistes qu'on nous attribue de temps à
autre dans la presse étrangère sont de pure imagination...
Nous ne pensons nullement à donner à nos efforts dans ce
sens l'extension dont certains journaux à l'étranger nous
attribuent à tort l'intention. »
Que valent ces paroles officielles contre l'abondance des
faits? En réalité, bien loin de mettre aucune entrave à la
propagande pangermaniste, — et cela lui eût été facile en
sa qualité de ministre des affaires étrangères d'un État où la
police est toute-puissante, — M. de Bülow l'a au contraire
encouragée. Même au Reichstag, lorsqu'il a dû rappeler aux

(1) « Eine Rettung der Deutsch-Oesterreicher durch das Deutsche Reich


kann nicht liber Nacht beschlossen werden, wenn nicht vorgearbeitet
worden ist. Sind Zeichen solcher Vorarbeit vorhanden? Man darf die Frage
mit Ja beantworten... » Die Deutsche Politik der Zukunft, p. 6. Deutsch-
,
volkischer Verlag Odin , Munich, 1900.
CI
convenances les députés qui témoignaient à l'Autriche un.
intérêt trop compromettant, il l'a fait avec une modération
significative. « Ici, je fais une prière. Dans la discussion
...
d'aujourd'hui on a parlé à différentes reprises de la situation
intérieure de la monarchie austro-hongroise. Quelles sont
nos appréciations personnelles à l'égard des événements qui
se passent dans des États étrangers? C'est là un point sur le-
quel chacun doit s'arranger avec lui-même. Les pensées
n'ont pas de frontières et les sentiments non plus. Mais, si
ces sentiments viennent à recevoir une expression publique,
je crois de mon devoir de rappeler à la modération, à la
prudence et au respect des droits étrangers... (1). "
Cette admonestation paternelle laisse facilement percer
la sympathie. Elle surprend d'autant moins quand on sait
qu'en 1900 le chancelier actuel n'a pas hésité à devenir
membre de l'Allyerneiner Deutscher Schulverein, dont j'ai,
signalé plus haut le rôle en Autriche (2).
Ceux qui voudront juger la valeur exacte des dénéga-
tions de M. de Bùlow feront donc sagement de se rappeler
deux faits. Dans une dépêche aux habitants de Siegen, à
l'occasion de l'inauguration d'un monument à Bismarck
(20 octobre 1900), le nouveau chancelier s'est proclamé le
disciple de Bismarck, qui dans sa politique étrangère a tou-
jours procédé par surprises, par grands coups (3) : « J'aurai
toujours les yeux fixés, comme devant mon modèle, sur
la grande figure de l'inoubliable homme d'État. " La sin-

(1) Stenographuche Be;-ithfe über die Verhandlungen des Reichstags,


séance du 14 décembre 1897, neuvième législature. Veme session, premier
volume, p. 235.
(2) Texte allemand de l'adhésion de M. de BuIow. « Ich erachte es als
wichtige Aufgabe gerade derjenigen Reiehsbehorde, der die Wahrnehmung
der deutschen Interessen im Auslande und, in notwendigen Zusammen-
hange damit, die Fursorge fur die Erhaltung des Deutschtums unter den in
der Fremde lebenden Deutschen obliegt, der Pflege eines der gewaltigsten.
Bindemittel, der Muttersprache, erhont Aufmerksamkeit zuzuwenden. »
(3) V. CHERBULIEZ, l'Allemagne politique depuis la paix de Prague,
p. 396. Hachette, Paris, 1870.
cérité de M. de Bülow est donc celle de Bismarck. Or,
quelques mois avant Sadowa, Mensdorff, ambassadeur d'Au- "
".
triche à Berlin, alla trouver le ministre du roi de Prusse et
lui demanda s'il avait l'intention de rompre violemment la
convention de Gastein : Non, répondit M. de Bismarck,
mais si j'avais cette intention, vous répondrais-je autre-
ment (1).

(1) DEBIDOUR, Histoire diplomatique de l'Europe, t. II, p. 298. Alcan,


Paris, 1891.
CHAPITRE VI

COMMENT PEUT SE POSER LA QUESTION D'AUTRICHE

I. DANS LA PAIX. —§ 1. Par la continuation de la propagande pangerma-


niste son objectif est la destruction totale du loyalisme autrichien.
:

— § 2. Par une action politique plus intense exercée à Vienne à la faveur


des événements qui suivront l'ouverture de la succession d'Autriche : les
successeurs éventuels de François-Joseph. Les incertitudes prolongées.
— § 3. Par l'application du procédé de la Sonderstellung; c'est-à-dire
par l'exclusion de la Galicie, de la Bukovine et de la Dalmatie de la Cis-
leithanie : conséquences qui en résulteraient. — § 4. Par l'adoption de
mesures économiques successives tendant à faciliter l'entrée de l'Autriche
dans le Zollverein allemand : unification de tarifs, exécution des canaux
de l'Elbe et de l'Oder au Danube, etc.
II. DANS LA GUERRE. — § 1. Cas de la succession d'Autriche : ce que sup-
pose cette hypothèse. Ses phases de réalisation. — § 2. Cas de l' « occa-
sion unique » résultant de circonstances concordantes : la déchéance
militaire de la France, guerre franco-anglaise, accord Chamberlain-
Guillaume II, suites continentales d'événements extérieurs à l'Europe.
Action personnelle de Guillaume II dans cette hypothèse. — § 3. Des
possibilités techniques d'exécution : les préparatifs militaires allemands.
La Bohême au point de vue stratégique. L'armée autrichienne. Calcul des
probabilités. Les pouvoirs militaires de l'empereur Guillaume. L'état
d'esprit du peuple allemand rend-il possible une brusque mobilisation?
— § 4. La puissance des faits accomplis : l'Europe après les jours
décisifs.
III. DE LA NÉCESSITÉ DE PRÉVOIR LES DIVERSES HYPOTHÈSES. — § 1. Les
signes précurseurs y invitent : l'exemple de 1870. — § 2. Le principe
fondamental de la politique étrangère le commande : la « prévoyance »,
base de la méthode politique des Allemands, a causé leurs succès.

l'intérieur de l'Autriche, rien ne menace sérieusement


A
la paix européenne; le danger de la voir troublée existe
cependant, mais sa cause est extérieure aux frontières de la
Cisleithanie. Le mouvement pangermaniste, conséquence
des traditions conquérantes de la Prusse, établit qu'il réside
dans la nouvelle « poussée » des ambitions allemandes.
Tout indique l'approche des temps annoncés, dès 1875,
dans un mémoire technique sur la réorganisation de l'artil-
lerie autrichienne que les plus sérieuses investigations
permettent d'attribuer au général autrichien, l'archiduc
Johann Salvator.
ii
En dépit de toutes les protestations d'amitié, écrivait-il,
nous devons voir avec une entière clarté que les efforts
d'expansion de notre voisin, l'empire prussien allemand,
menacent l'intégrité de la monarchie.
('Union nationale et annexion nationale sont devenues les
principes de la formation moderne des États. De toute
évidence, ce sont eux qui ont déterminé les grandes guerres
de ce temps. Qui pourrait ne pas ressentir les craintes justi-
fiées qui en résulteront pour notre cher et malheureux
pays?... On prétend que la ruine de l'Autriche est seule-
ment une question de temps et qu'une guerre n'est pas
nécessaire. Cela n'est pas : il faut une guerre et elle viendra ;
un jour nos voisins auront envie des belles terres du pays
du Danube et l'Allemagne aura besoin d'étendre ses fron-
tières vers l'Orient.
«De même que l'Autriche a combattu dans le passé pour
son bon droit, elle luttera alors pour l'existence ; il s'agira
d'un combat décisif... Puisse le temps qui nous reste être
utilisé, au moins, pour créer les préparatifs d'une heureuse
défense (1) ! »
(1) Betrachtungen über die Organisation der osterreichischen Artillerie.
Mémoire du général archiduc d'Autriche Johann Salvator, 1875.
« Trotz aller Freundschaftbetheuerungen miissen wir uns dessen vollkom-
men klar sein, dass die expansiven Bestrebungen des benachbarten preus-
sich-deutschen Reiches die Integritât der Monarchie gefahrden. Nationale
Einir,ung und nationale Annexion sindZllm Principe dermodernen Staaten-
bildung geworden und haben unverkennbar den Impuls
zu den grossen
Kriegen der Neuzeit gegeben. Wer konnte sich angesichts dieser Thatsache
gegriindeten Befiirchtungen hinsichtlich unseres theueren, aber ungliickli-
chen Vaterlandes verschliessen ? der Zerfall Oesterreiehs sei nur eine
......
L'ensemble des dernières dispositions militaires et poli-
tiques récemment prises par le gouvernement de Berlin
établit le caractère véritablement prophétique des vues de
l'archiduc Johann Salvator. L'éventualité d'une intervention
de l'empire allemand dans les affaires d'Autriche est donc
de celles qu'on ne saurait se dispenser plus longtemps
d'envisager avec résolution.
Sous quelles formes peut-elle se produire? Comment la
transition s'opérera-t-elle entre la préparation sourde, ex-
posée plus haut, et l'action politique décisive? Sous l'in-
fluence de quels événements la " question d'Autriche »
est-elle susceptible de se poser devant l'Europe? Voilà
autant de points sur lesquels il convient d'être fixé.
Sans doute, on est contraint ici de raisonner sur des
hypothèses qui, certainement, ne se réaliseront pas sous
une forme identique à celle qu'on leur aura attribuée; tou-
tefois, l'exposé des « cas » probables offre l'avantage de
tracer les limites du vraisemblable et de contraindre à
préciser des dangers dont on sent bien l'approche, mais qui
restent dans l'esprit à l'état de vagues conceptions.
L'étude de l'œuvre et de la méthode des Pangermanistes
permet de constater qu'avec cette merveilleuse prévoyance
que les Allemands savent mettre en toute chose, ils se
ménagent la possibilité de réaliser la mainmise sur l'Au-
triche, soit dans la paix, soit dans la guerre.

Frage der Zeit und es bedürfe hiezu keines Krieges.Es bedarf eines Krieges
und dieser muss kommen, da es einmal unseren Nachbarn nach dem schonen
Lande an der Donau geliistet und Deutschlands Grenzen auch nach Osten
einer Erweiterung bediirfen. So wie Oesterreich seit jeher fur sein gutes
Recht eingestanden ist, so wird es seinerzeit um seinen Bestand ringen ; es
gilt dann den letzten entscheidenden Kampf. Moge die noch vorhandene
Zeit beniitzt werden, um wenigstens die Vorbedingungen einer gliicklichen
Vertheidigung zu schaffen. » V. la Politik de Prague du 28 décembre 1899
et du 6 février 1900.
I

DANS LA PAIX

Dans la paix, les Pangermanistes comptent surtout sur


l'action lente, mais progressive, de leurs procédés dissol-
vants. Ils espèrent en accroître l'efficacité dans des propor-
tions considérables, à la faveur de circonstances qu'on peut
déjà prévoir; les unes résulteront de la force des choses;
il appartient à une politique habile de susciter les autres.

§ 1.
— Présentement, l'objectif principal des Pangerma-
nistes est de ruiner aussi complètement que possible le
loyalisme des Allemands d'Autriche envers leur dynastie.
Leur propagande, organisée sur des bases puissantes que
l'on sait et dissimulée fort habilement sous les dehors du
mouvement protestant Los von Rom, qui permet de la pour-
suivre sans éclats inutiles, peut y contribuer largement. Il
est vrai que, même si le gouvernement de Vienne continue
à ne pas faire d'opposition sérieuse, il ne semble pas que les
Prussophiles puissent jamais devenir une majorité numé-
rique parmi les Allemands d'Autriche. Toutefois, les pro-
grès qu'ils peuvent encore réaliser n'en constituent pas
moins un travail préparatoire indispensable à la grande
opération politique qu'ils prétendent réaliser.

§ 2. — Les fruits de ce travail n'apparaîtront avec toute


leur importance que lorsque certains événements mettront
le gouvernement de Berlin à même de s'immiscer davantage
dans les affaires de l'Autriche. L'ouverture prochaine de la
succession au trône peut être de ceux-là.
L'état de la famille des Habsbourg laisse malheureuse-
ment subsister sur l'héritier de François-Joseph de fâ-
cheuses incertitudes.
L'empereur François-Joseph n'ayant plus d'enfants, son
successeur le plus direct est son neveu, l'archiduc François-
Ferdinand d'Esté (1). Officiellement, il doit recueillir la
couronne. Diverses raisons, dont la principale est le mariage
qu'il vient de contracter récemment, font que cet événe-
ment n'est cependant pas certain. En juillet 1900, l'archiduc
François-Ferdinand a épousé morganatiquement la com-
tesse Sophie Chotek (2), dame d'honneur de l'archiduchesse
Isabelle. La femme du futur empereur éventuel n'est donc
pas de sang royal. Les statuts de la maison des Habsbourg
ne prévoyant pas ces sortes d'unions, François-Joseph s'est
longtemps opposé à ce mariage. Il n'y a finalement consenti
qu'à condition que, préalablement au mariage, François-
Ferdinand prêterait un serment suivant lequel les enfants à
naître de son union n'auraient aucun droit à la couronne.
Cette cérémonie a eu lieu le 28 juin 1900, en présence de
François-Joseph, des archiducs et des hauts fonctionnaires
de la cour. Elle entraîne cette conséquence qu'à la mort de
l'archiduc François-Ferdinand la couronne passerait soit
à son frère cadet, l'archiduc Othon; soit à l'héritier de ce
dernier, l'archiduc Charles-Ferdinand-Joseph.
Une telle interprétation des statuts de la famille des
Habsbourg, à laquelle on prétend que la cour de Berlin n'a
pas été étrangère, est assurément regrettable. Elle prolonge

(1) L'empereur François-Joseph, né le 18 août 1830, avait trois frères.


L'aîné, Ferdinand, né en 1832, mourut avec le titre de Maximilien, empe-
reur du Mexique; le second, Louis-Victor, n'a pas eu d'enfants, et le troi-
sième, l'archiduc Charles-Louis, né le 30 juillet 1833, est mort en 1896
Marié trois fois, il reste de son second mariage avec la princesse Annon-
ciation de Bourbon-Sicile deux fils : l'aîné, l'archiduc François-Ferdinand
d'Esté, est né le 18 décembre 1863. C'est lui qui vient d'épouser la comtesse
Chotek. Son cadet, l'archiduc Othon-François-Joseph, né le 21 avril 1865,
marié à la princesse Marie-Joséphine de Saxe, est père de deux fils.
(2) La sœur de la comtesse Chotek est mariée au comte Jaroslav Thun,
frère cadet de l'ancien président du conseil des ministres.
l'incertitude qui pèse sur les souverains autrichiens; elle
laisse subsister la crainte que, pour ne pas ouvrir une pa-
renthèse dans l'ordre de succession, François-Joseph reve-
nant, comme il l'a déjà fait tant de fois sur sa décision, ne
désigne pour lui succéder directement l'archiduc Othon ou
l'aîné de ses enfants.
Chacune de ces éventualités est destinée à créer de fâ-
cheuses complications.
L'exclusion du trône des enfants de la comtesse Chotek
est le résultat d'une tradition de la famille des Habsbourg;
elle n'est nullement imposée par un texte constitutionnel;
aussi, au moment du mariage,une bonne partie de la presse
austro-hongroise n'a pas manqué de le faire remarquer
avec insistance. Les Tchèques et les Magyars, notamment,
ont déclaré qu'ils n'avaient aucune raison de ne pas recon-
naître comme roi de Hongrie ou de Bohême un enfant de
la comtesse Chotek. Depuis lors, il est vrai, les Magyars
ont accepté (novembre 1900) la solution imposée par Fran-
çois-Joseph, mais la situation n'est pas pour cela plus
nette.
Les difficultés seraient plus immédiates et plus grandes
encore si, à la place de François-Joseph, l'archiduc Charles-
Ferdinand-Joseph, fils de l'archiduc Othon, venait à rece-
voir la couronne. Ce prince, né en 1887, n'a par conséquent
que quatorze ans. Il y aurait donc lieu de recourir très
probablement à la nomination d'un conseil de régence,
état de choses qui faciliterait singulièrement les intrigues
berlinoises dans un pays comme l'Autriche, où le souverain
doit constamment et personnellement jouer le rôle d'arbitre
entre les diverses nationalités de la monarchie. La jeunesse
du fils de l'archiduc Othon n'est d'ailleurs pas le seul motif
qui pourrait faire regretter de voir l'archiduc François-
Ferdinand écarté du trône. Sans doute, ce dernier est peu
connu. On le dit froid et réservé, mais ceux qui l'ont
approché le savent conciliant et désireux de rendre justice
à tous ses peuples. Son mariage avec la comtesse Chotek,
réalisé malgré de grandes difficultés, témoigne de sa vo-
lonté et de son peu d'attachement à des préjugés surannés.
Parlant la plupart des langues de son futur empire, et no-
tamment le tchèque, qu'il manie avec une grande perfec-
tion, il semble avoir les qualités requises pour faire un
monarque vraiment autrichien. On peut donc souhaiter son
avènement. Quoi qu'il en soit, la succession au trône, en sup-
posant même que le gouvernement de Berlin ne cherche
pas à intervenir, donnera naissance à une série de diffi-
cultés et fournira aux Prussophiles une excellente occasion
de réaliser de nouveaux progrès.
§ 3. —A leur faveur, les Pangermanistes pourraient peut-
être, sans représenter la majorité mais grâce à leurs pro-
cédés d'intimidation, obtenir l'exclusion (Sonderstellung)
du territoire autrichien de la Galicie, de la Bukovine et de
la Dalmatie. L 'Atlas pangermanique, de Paul Langhans,
expose très nettement quel serait le résultat de cette opéra-
tion. Il élèverait la proportion des Allemands à 53 pour 100
et ferait tomber celle des Slaves à 43 pour 100 (1). La
situation actuelle serait renversée. Il La majorité slave
au Reichsrath de Vienne disparaîtrait aussitôt (2), » et le
Il
Germanisme Il retrouverait cette prépondérance maté-
rielle que seuls les progrès des nationalités slaves, basés
sur le nombre, lui font perdre progressivement depuis 1867.
Alors, selon l'expression textuelle du député Tùrk c Si les :

choses n'allaient pas mieux, les Allemands pourraient éven-


tuellement mettre leur poing dans l'œil des Tchèques (3). »

(1) Justus PERTHES, Alldeutscher Atlas, p. 5. Gotha, 1900.


(2) « Wiirde diese unnaturliche Verbindung Galiziens mit der osterrei-
chischen Westhalfte gelost, dann wurde sofort die slavische Uebermacht im
Reichstage zu Wien verschwinden. » Gross-Deutschland, p. 8. Deutschvol-
kischer Verlag Il Odin », Munich, 1900.
(3) «... dann konnten die Deutschen den Cechen eventuell, wenn es
nicht anders ginge, die Faust auf das Auge driicken. » Séance du Reichs-
rath du 25 octobre 1899.
Il est tout à fait nécessaire de se pénétrer de l'importance
capitale de l'idée de la Sonderstellung. Si elle se réalisait, la
majorité passant aux Allemands, ceux que le contrepoids
slave contraint à la modération se laisseraient facilement
entraîner par la minorité des Pangermanistes ; finalement,
ces derniers deviendraient les maîtres de la Cisleithanie
restreinte.
J'ai montré plus haut (v. p. 150) quelles raisons puis-
santes les Polonais ont de s'opposer à la Sonderstellung de
la Galicie ; il serait dangereux toutefois de se faire illusion
sur l'efficacité de leur résistance à ce morcellement de la
Cisleithanie. Pour qu'il puisse être réalisé, il suffit, en effet,
de supposer un souverain autrichien qui, subissant de plus
en plus les suggestions berlinoises, admettrait que la res-
tauration d'un régime absolutiste basé sur la prépondé-
rance du Germanisme i) est le salut de son empire. Alors,
(1

par un coup d'État analogue à celui de 1867 qui a établi


le dualisme austro-hongrois contre la volonté des peuples
slaves, il imposerait la Sonderstellung de la Galicie, de la
Bukovine et de. la Dalmatie.
Or, et ceci est tout à fait essentiel, la réalisation de la
Sonderstellung, même limitée à la Galicie, serait un acte
de politique internationale. Elle démontrerait d'abord avec
évidence l'influence croissante de la cour de Berlin sur celle
de Vienne; de plus, elle marquerait le moment à partir
duquel la réunion à l'empire allemand de ce qui resterait
de Cisleithanie pourrait être sûrement et pacifiquement
réalisée. M. Schonerer et ses amis le savent bien, et c'est
précisément pourquoi ils mettent tant d'obstination à ré-
clamer la Sonderstellung de la Galicie.

§ 4. — En effet, dans la Cisleithanie restreinte, les Prus-


sophiles deviendraient facilement maîtres de la majorité
allemande. Ils seraient alors en condition de faire voter les
mesures économiques nécessaires pour amener l'entrée de
l'Autriche dans le Zollverein allemand. On assisterait alors
à l'établissement de puissants trusts austro-allemands, à
l'unification progressive — déjà commencée à certains
points de vue — des tarifs de transport, des postes, des
télégraphes, des téléphones et des chemins de fer. Les tra-
vaux des canaux de l'Elbe et de l'Oder au Danube, dont
l'importance est si considérable pour l'Allemagne, seraient
poussés activement. On établirait ainsi mille liens maté-
riels entre les deux pays et on détruirait peu à peu les
obstacles si sérieux qui s'opposent actuellement à l'établis-
sement du Zollverein de l'Europe centrale.
Le jour où l'accession de l'Autriche à l'Union douanière
allemande aurait lieu, l'étape décisive serait franchie, puis-
que toutes les Unions douanières, sans exception, ont abouti
à l'unification politique de leur territoire, réalisée au profit
du plus puissant des États contractants.
Il est donc possible de concevoir que la mainmise sur
l'Autriche puisse être réalisée au moyen d'une série de
mesures successives. La plus décisive de toutes consisterait
dans l'exclusion de la Cisleithanie, de la Bukovine, de la Dal-
matie et surtout de la Galicie ; cette exclusion apparaît en
effet comme la condition nécessaire au succès des manœu-
vres destinées à placer, sans guerre, l'Autriche sous la
dépendance absolue de l'empire allemand.

II

DANS LA GUERRE

La temporisation convenant mal à leur ardeur impatiente,


les Pangermanistes envisagent plus volontiers les éventua-
lités belliqueuses. Les plus inquiétantes ne les arrêtent pas :
certains même se déclarent prêts à lutter a comme Fré-
déric le Grand contre le continent coalisé (1) Il. L'examen
des hypothèses d'une intervention armée de l'Allemagne
amène nécessairement à admettre qu'à la suite d'un événe-
ment quelconque la question d'Autriche « se posera brus-
CI

quement devant l'Europe.


Il s'agira alors de la résoudre rapidement, et il est clair
qu'en cette occurrence, seuls les gouvernements qui auront
prévu l'événement, avec toutes ses conséquences, seront à
même d'agir avec décision et conformément à leurs inté-
rêts.
,

§ 1. — Le cas envisagé le plus communément comme


susceptible de déterminer une intervention armée de l'Alle-
magne en Autriche est celui de l'ouverture de la succession
au trône de François-Joseph. Cette idée s'est implantée
fortement, surtout en raison de la croyance insinuée avec
constance et depuis longtemps que la monarchie des Habs-
bourg est dans un véritable état de dissolution et que les
volontés des peuples cisleithans sont tout à fait divergentes.
Je crois avoir suffisamment démontré au chapitre IV en
quoi cette croyance n'est pas conforme aux réalités. Non, le
seul fait de la mort de François-Joseph ne déterminera pas
le démembrement de l'Autriche. Est-ce à dire cependant
que cet instant ne soit pas redoutable et que le calme se
maintiendra? C'est là une toute autre question. Ceux qui
depuis tant d'années ont répandu, avec une persistance
si
grande, les idées les plus fausses sur l'Autriche, n'ont-ils
pas choisi précisément cette échéance de la mort de Fran-
çois-Joseph, comme le moment décisif de leur action?
Les précédents historiques légitiment cette supposition
;
Bismarck a falsifié la dépêche d'Ems, à l'instant où il
a
constaté l'achèvement des préparatifs politiques et militaires
qu'il dissimula avec tant d'art pendant des années.
(1) V. Deutschland bei Beginn des 20. Jahrhunderts, 6. Militar-
Verlag R. Félix. Berlin, HIOO.
p.
-
Si l'on croit que Guillaume II n'est pas réfractaire à la
morale bismarckienne, il faut également admettre qu'il peut
avoir fixé, lui aussi, l'instant de la mort du souverain autri-
chien comme devant être l'occasion d'une intervention
armée. La hâte qu'il met à terminer ses préparatifs mili-
taires autorise en tout cas cette hypothèse.
Quoi qu'il en soit, si ce projet a été formé, les phases de
sa réalisation pratique s'indiquent d'elles-mêmes.
En août 1899, de vagues prétextes ont suffi aux comités
pangermanistes pour agiter l'Autriche depuis le nord de la
Bohême jusqu'à l'Adriatique, et pour donner à ces troubles
un caractère nettement antidynastique (voir p. 138).
Ce qui a été fait peut évidemment se refaire, et avec plus
de facilité encore, à la faveur d'un de ces multiples inci-
dents qui accompagneront infailliblement le changement de
souverain autrichien. Il n'est pas douteux qu'au point où
en sont les choses, les Pangermanistes peuvent compter
rallier autour d'eux, dans cet instant décisif, les Prussophiles
de toutes nuances, depuis Prade jusqu'à Schônerer, les
protestants autrichiens, engagés à fond dans le mouvement
Los von Rom et les Israélites dont les intérêts concordent
avec ceux de Berlin.
Une telle mobilisation de gens fédérés, organisés, dont le
rôle a été réglé longtemps à l'avance, peut à distance frapper
vivement les imaginations. Sans doute, les Slaves et les Alle-
mands modérés protesteront, mais les étrangers n'ayant
pour établir leur jugement que les dépêches tendancieuses
des agences télégraphiques, n'en croiront pas moins que le
loyalisme a disparu de l'Autriche et que l'heure du démem-
brement a sonné. En même temps, la presse de l'empire alle-
mand jettera feu et flammes ; elle suppliera le gouverne-
ment de Berlin de ne pas manquer à sa mission historique;
elle adjurera l'empereur Guillaume d'être digne des Ho-
henzollern. Or, tout cela peut se passer en quelques jours,
et si vraiment l'empereur allemand envisage l'éventualité
Ï
,d'une action en Autriche avec la même décision que Bis-
marck préparait, dès 1867, la guerre contre la France, il
n'y a pas de doute que, paraissant céder à l'appel des Ger-
mains, ses frères, il n'aille, lui, l'empereur des Germains
(voir dépêche à Mommsen, p. 244), à la tête de ses troupes,
" rétablir l'ordre « etci
protéger la paix » .
Cette éventualité, que les précédents de la politique
prussienne rendent si vraisemblable, peut surgir d'un instant
à l'autre. L'empereur François-Joseph est âgé de soixante-
dix ans. Sans doute, très vigoureux, il est encore grand
chasseur et bon cavalier, mais il n'en est pas moins sujet
aux multiples accidents qui menacent les vieillards. On
ne saurait d'ailleurs oublier qu'en juillet 1899, son état a
été assez grave pour que l'archiduc François-Ferdinand,
l'héritier présomptif du trône, ait renoncé au voyage qu'il
devait faire en Russie.

§2. — Une autre hypothèse, celle-là complètement indé-


pendante de la personne de François-Joseph, explique dans
quelles circonstances l'intervention violente de l'Allemagne
€n Cisleithanie pourrait avoir lieu.
Pour concevoir clairement cette hypothèse, il faut d'abord
tenir compte de l'état d'esprit déterminé chez les Allemands
par le mouvement pangermaniste et considérer ensuite que
la période présente tient en suspens des événements tels
que
le gouvernement de Berlin, se voyant en condition d'agir
en Autriche, avec une sécurité presque absolue, n'hésiterait
pas, conformément aux traditions prussiennes séculaires, à
profiter d'une « occasion unique ,.
Quels peuvent en être les éléments générateurs? C'est
ce
qu'il s'agit de préciser.
Dans une Europe normale, où tous les grands États, di
rigés par des gouvernements vraiment nationaux, entre-
tiennent avec soin leur appareil militaire, une action
sou-
daine de l 'Allemagne en Autriche
ne se conçoit pas; il est
évident qu'elle constituerait la plus dangereuse des folies.
Il n'en sera peut-être bientôt plus ainsi; l'équilibre des
forces, qui s'est établi lentement au cours des trente der-
nières années et qui garantit la paix, semble en voie de se
rompre. L'examen de ce point de vue me conduit à con-
sidérer la valeur de l'armée française. C'est un sujet que
ma qualité de Français rend particulièrement délicat à
traiter. Il le faut cependant.
Le coefficient de force de l'armée française est un des
éléments essentiels de la « question d'Autriche ", et d'ail-
leurs je ne ferai que rappeler des faits constatés par la presse
universelle, dont la morale évidente se déduit logiquement.
Après la guerre de 1870, la reconstitution des forces mi-
litaires de la France a été réalisée avec une rapidité éton-
nante. La revue de Châlons (octobre 1896), donnée en
l'honneur de Nicolas II, a marqué le point culminant de
cette oeuvre de réfection.
Un souffle de patriotisme animait visiblement les superbes
régiments présentés par le gouvernement de la République
à l'admiration du Tsar. Une impression puissante se déga-
geait de ces masses profondes. On sentait que le travail
essentiel était terminé et qu'il suffisait d'entretenir, en le
perfectionnant dans le détail, un organisme magnifique.
Depuis lors, des événements, sans précédents dans l'his-
toire des peuples, sont survenus, qui certainement sont sus-
ceptibles de modifier ce jugement.
Dans sa lettre de démission (1), le général Jamont, ex-
généralissime des armées françaises, a constaté la ruine du

(1) Paris, 2 juillet 1Ô00.


Monsieur le Ministre,
L'instabilité du chef d'état-major de l'armée est incompatible avec la
formation et la conduite des armées de campagne. Au début d'une guerre,
le commandant d'un groupe d'armées a besoin d'un collaborateur ayant
toute sa confiance, qui soit renseigné sur l'ennemi et qui connaisse la mobi-
lisation pour en avoir préparé les détails.
Puisque a l'avenir il n'en sera plus ainsi, les difficultés déjà si grandes
service des renseignements et la désorganisation du haut
commandement. Depuis son départ, cet état de choses s'est
encore aggravé. La politique a été introduite dans l'armée.
Les rapports de police, qui ont été la base des récentes pro-
motions d'officiers, le constatent. Si ce système de faveur se
maintient, si la valeur technique continue à être méprisée,
il est à craindre que le découragement ne s'empare d'un
nombre important d'officiers qui, cependant, depuis trente
années, n'ont cessé de donner à la France les preuves d'une
abnégation totale et d'un loyalisme absolu. Cette action
dissolvante de la politique est destinée à s'exercer succes-
sivement, à tous les degrés de la hiérarchie, en raison du
système complètement nouveau adopté par le général
André, ministre de la guerre. Par sa circulaire du 19
oc-
tobre 1900 relative aux journaux à admettre dans les cercles
militaires, il invite les généraux chefs de corps à veiller
c& avec le plus grand soin à ce que, dans les cercles d'officiers,
.
toutes les opinions soient représentées , Dans les cercles
de sous-officiers, seuls les journaux dits de défense répu-
it
blicaine » sont admis. Or, la moitié de ces organes préco-
nisent les idées internationalistes, c socialisme des
sans
patrie, qui sape toutes les racines de la discipline et de la
subordination, conditions primordiales de toute guerre (1).
x
A la faveur d'une telle licence, un parti antimilitariste
a
pu s organiser en plein Paris: Il affiche ouvertement son
programme négatif et fait distribuer à la porte des casernes
des brochures de nature à détourner les soldats de leurs
devoirs. Les premiers résultats de cette action néfaste
se
laissent déjà constater.
En juillet 1899, une partie d'un régiment d'infanterie de

et si lourdes auxquelles j'aurais à faire face vont s'accroître dans des propor-
tions que je juge être démesurées. 1

Je vous prie, monsieur le ministre, de me faire relever de fonctions


mes
«t de me placer dans la position de disponibilité.
J AMONT.
(1) Colonel de Bernhardi.
• - 1 .
marine, caserné à Cherbourg, se mutine aux cris de : Vive
l'anarchie. En septembre 1899, cinquante-six réservistes
adressent au journal socialiste le Bourguignon, d'Auxerre,
une protestation contre leurs officiers. Dans le même mois,
on constate dans la région de Cosne que le comité central
anarchiste envoie aux futurs soldats des instructions sur la
manière d'accomplir leur service militaire, n pour en finir
une bonne fois pour toutes avec les galonnés. » Pendant le
ministère du général André, le mouvement antimilitariste
se développe avec ampleur. Des réunions s'organisent
librement où les jeunes gens qui doivent entrer au service
sont spécialement invités. On leur enseigne ce que doit
(L

faiie un conscrit à la caserne (1) » On y invite les ouvriers


.
devenus soldats à nouer des relations avec les Bourses
du travail (2) M
.
(L

r
On les prévient que Aurore tient à leur
disposition un carnet militaire où, sous le voile de l'ano-
nymat, ils peuvent se plaindre publiquement de leurs offi-
ciers.
Que devient, en vérité, l'organisme militaire d'une nation
ou de telles attaques, réprimées sévèrement par les lois,
sont protégées par le pouvoir? Dans de telles conditions,
les troupes françaises peuvent-elles rester entre les mains
du généralissime une arme bien trempée? Un article sensa-
tionnel du Novoié Vrémia a résumé, avec impartialité semble-
t-il, la situation présente. « Jusqu'à ces derniers temps,
l'armée française a été considérée par les plus puissantes
armées européennes comme une égale, comme un orga-
nisme tout à fait sérieux, formé selon toutes les règles de la
science militaire, possédant avec un excellent armement un
admirable esprit et une parfaite discipline... A partir d'au-
jourd'hui, elle paraît changer de voie et de destination. »
Cette appréciation n'est-elle pas fondée? Quand on consi-
dère que les premières des manifestations antimilitaristes
(1) V. le Petit Sou du 2ft octobre 1900.
(2) V. l'Aurore du 3 novembre 1900.
ne remontent pas à plus de trois années, n'est-il pas à
craindre que les jeunes soldats qui entreront à l'avenir à
la caserne n'y arrivent avec un esprit moins bien disposé
que jadis à l'acceptation de leurs devoirs? Les sacrifices
financiers que fait et fera le Parlement pour la défense
nationale ne serviront absolument à rien, s'il laisse détruire
la discipline, qui est l'inéluctable condition d'une armée.
«
Les forces morales ne restent jamais à un même niveau;
elles décroissent dès qu'elles cessent de croître (1). x
Certes, le mal n'est encore que superficiel, une action
énergique du pouvoir peut l'enrayer rapidement, mais si
cette action ne se produit pas, la France entrera immanqua-
blement dans la voie de l'affaiblissement militaire. Les
peuples y marchent rapidement ; elle aboutit au désastre.
Cette déchéance possible de la puissance militaire de
la France, les Pangermanistes la connaissent et l'escomp-
tent. Quand ils ont vu la politique, germe de mort des
armées, introduite dans les troupes de la République, leur
joie a été si grande que, tout en sachant imprudent de la
témoigner, ils ont eu peine à la contenir. Malgré leur réserve
voulue, il leur échappe parfois des phrases sur le sens véri-
table desquelles il est impossible de se méprendre. Ils se
félicitentde voir « la France toujours complètement absorbée
par des événements intérieurs (2) » . La France montre
iL

dans sa politique intérieure des troubles nerveux (3). »


« Même
dans la paix, la France perd de plus en plus son
,

rang de grande puissance (4). » a Cette célèbre nation paraît

(1) Scharnhorst, 1806.


(2) « Zudem ist Frankreich stets mit so ausserordentlich interessanten
inneren Vorgangen vollkommen beschâftigt. » Gross-Deutschland,
p. 20.
DeutschvÕlkiseher Verlag « Odin », Munich, 1900.
(3) « Frankreich... zeigt in seiner inneren Politik die nervose Unruhe
der Greifenhaftigkeit. » Deutschland bei Beginn des 20. Jahrhunderts.
p. 58. Militar-Verlag, R. Félix, Berlin, 1900.
(4) « ...Frankreich mitten im Frieden und durch denselbea seine Gross-
machstellung immer mehr verliert. » Op. cit., p. 55.
1 "
tomber en décadence (1). » Bientôt elle ne sera plus une
(1

rivale (2). » « Déjà en France se font plus nombreux ceux


qui conseillent au peuple français d'abandonner la concur-
rence politique, commerciale et industrielle avec les peuples
de race germanique et de se confiner dans une vie retirée,
idyllique, dans une aisance confortable en se contentant
de cultiver les arts et les sciences (3). » Ces accents de
triomphe se conçoivent; ils s'expliquent par le spectacle
des divisions des Français dans les dernières années.
Rien plus que les défaillances de la France ne sau-
rait encourager les Pangermanistes à persévérer dans leur
œuvre. Ils savent que plus la puissance militaire française
sera diminuée, et plus ils auront de chances d'entraîner le
gouvernement de Berlin au moment décisif.
La force restant, aujourd'hui comme hier, l'argument
suprême de toutes les grandes crises internationales, on
peut dire hardiment : l'existence d'une armée française, en
bon ordre matériel et moral, toujours en état d'intervenir,
est le plus sûr moyen d'empêcher, par le seul fait de son
existence, l'immixtion de l'empire allemand dans les affaires
de l'Autriche; par contre tout affaiblissement de l'armée
française accroît d'autant les chances de réalisation du plan
pangermaniste.
Une guerre entre la France et l'Angleterre aurait un
résultat analogue. L'affaire de Fachoda a failli la déchaîner;
sa possibilité subsistera sans doute encore pendant de
longues années. Quelles qu'en soient d'ailleurs la cause et
l'issue, une guerre franco-anglaise produirait au moins deux
(1) dieses hochbegabte Volk, scheint im Niedergang begriffen zu
...
CI

sein Op. cit., p. 54. •

(2) « Es wird bald kein Rivale mehr sein. » Op. cit., p. 59.
(3) « Schon mehren sich die Stimmen in Frankreich, die dem franzôsis-
chen Volke raten, den politischen, merkantilen und industriellen Wettbe-
werb mit den Volkern germanischer Rasse aufzugeben, sich auf ein idyl-
lisches Stilleben in behaglichem Wohlstand zurückzuziehen und sich mit
kulturellen Leistungen in Kunst und Wissenschaft zu begniigen, » Eduard
von HARTMANN, Die G.e!jenwal't, 30 décembre 1899 et 6 janvier 1900.
-
résultats : elle permettrait au commerce allemand de s'em-
parer d'une grande partie des débouchés extérieurs qui
restent encore aux Anglais et aux Français et en désorgani-
sant les forces continentales de la France, elle donnerait au
gouvernement de Berlin une grande liberté pour agir en
Autriche. Les Pangermanistes envisagent en effet cette éven-
tualité comme une des plus favorables à leurs desseins :
cc
Contre la volonté de la Russie, la transformation complète
de l'Autriche n'est possible que pendant une guerre entre
la France et l'Angleterre (1) »
Cette liberté d'action seraitcomplète si, comme des indices
fort sérieux permettent de le supposer, l'accord anglo-alle-
mand, dont on connaît les effets en Chine et au Transvaal,
prévoit en plus le règlement futur des affaires de l'Europe
centrale.
Cette dernière hypothèse ne se conçoit nettement qu'après
un exposé, au moins élémentaire, de l'évolution écono-
mique générale qui est en train de modifier profondé-
ment les rapports des États.
Il existe actuellement dans le monde cinq grands terri-
toires économiques qui s'isolent de plus en plus complète-
ment les uns des autres., (Voir la carte ci-après Les grands
territoires économiques.)
Depuis le bill Mac-Kinley et le tarif Dingley, les États-
Unis se ferment étroitement aux importations étrangères.
Par contre, ils inondent les marchés étrangers de produits
fabriqués à si bon compte qu'ils concurrencent ceux des
Allemands, non seulement dans les débouchés dont ceux-ci
avaient cru se rendre maîtres, mais même sur le sol de
l'empire allemand (2).
-

(1.)Gegen den Willen Russlands wiirde sieh die


« ganze Umgestaltung nur
durchfiihren lassen in einem Augenblick, in dem England und Frankreich
aich auf Kriegsfuss gegenuber stehen. Oesterreichs Zusammenbruch und
»
Wiederaufbau, p. 13. Lehmann, Munich, 1899.
(2) J 'ai déjà fait allusion, p. 74, à cette situation je répète néanmoins
;
certaines idées déjà exprimées afin d'atteindre un plus haut degré de clarté.
Le tarif douanier russe est également devenu prohibitif.
L'empire des Tsars se suffit presque déjà, ayant à peu près
achevé de constituer l'outillage national qui lui manquait
totalement, il y a encore peu d'années, rapidité qui s'ex-
plique par ce fait que la population russe, consommatrice
d'objets fabriqués, est infiniment restreinte par rapport à
la population totale de la Russie d'Europe et de la Russie
d'Asie.
En Angleterre, il est facile de constater une tendance
croissante à l'établissement de barrières douanières. La
Grande-Bretagne a répandu jadis dans le monde la fameuse
théorie du libre-échange, mais c'est qu'alors, n'ayant à crain-
dre nulle part de sérieuse concurrence commerciale, son
intérêt évident était de pouvoir faire pénétrer partout ses
marchandises, sans se heurter à un obstacle douanier. Ce
point de vue vient de changer radicalement. L'extrême gra-
vité pour le commerce anglais de la concurrence allemande
est établie aujourd'hui d'une façon si indubitable que
M. Chamberlain a conçu et est en train de réaliser la fédé-
ration des territoires britanniques, qui n'est autre chose que
la réunion dans une immense union douanière de toutes les
terres anglaises de l'Univers. Les Anglais adoptent donc à leur
tour le régime protectionniste, bien que, par un conserva-
c&

tisme Il très britannique, ils prétendent laisser subsister en


théorie le principe dufree trade.
Ce principe du libre-échange, c'est l'Allemagne, grand
pays exportateur et à domaine extra-européen restreint,
qui aurait intérêt à le défendre, si elle ne voyait se fermer
malgré elle les grands débouchés étrangers qui ont jusqu'ici
assuré sa fortune. Aussi, tout en soutenant la théorie de la
porte ouverte, elle croit plus sage de s'assurer, par des
acquisitions coloniales rapidement réalisées, un grand terri-
toire d'expansion extérieure qui dépende d'elle exclusive,
ment.
La France, enfin, occupe avec ses colonies une immense
étendue très nettement soumise, elle aussi, à un régime pro-
tectionniste.
Un fait capital et universel se dégage de ces constatations.
Afin de parer aux dangers croissants de la concurrence, les
cinq grandes puissances envisagées tendent à doter leur métro-
pole d'un territoire entouré d'un mur de Chine économique,
capable d'interdire aux puissances étrangères l'accès de ces
vastes étendues et de les réserver par conséquent au commerce
strictement national.
Or, chacun de ces territoires présente des particularités
caractéristiques.
Celui des États-Unis ne se suffit pas à lui-même, mais il
est probable que par une application de plus en plus étroite
de la doctrine de Monroë, le gouvernement de Washington
parviendra à réserver à ses exportateurs le monopole du
trafic dans l'Amérique du Sud. Le territoire russe, au con-
traire, jouit d'une indépendance absolue (au point de vue
commercial s'entend, il en est autrement au point de vue
financier). D'un seul tenant, lorsqu'il sera complété par cer-
taines acquisitions en Chine et dans les Indes, il compor-
tera tous les climats et pourra fournir tous les produits.
Le territoire anglais peut s'isoler, lui aussi, en raison de
son immensité, mais moins facilement cependant, à cause
de son morcellement. Toutefois, la fédération des colonies
britanniques ne saurait donner de résultats satisfaisants
qu'à la condition d'en expulser commercialement les Alle-
mands et les Américains qui y trafiquent et de réaliser en
Afrique certaines soudures territoriales (1) qui permet-
traient la complète mise en valeur des possessions déjà exis-
tantes. Le territoire français, qui comprend des terres
immenses, riches, encore inexploitées, est, lui aussi,
capable d'absorber l'activité de plusieurs générations. Quant
(1) Pour rendre possible, par exemple, l'exécution du chemin de fer du
Cap au Caire. Le Transvaal barrait la route; ce fut une des principales
causes de la guerre.
au territoire allemand, il est si notoirement insuffisant que,
lorsque les marchandises allemandes, déjà chassées des
États-Unis, gênées en Russie par les nouveaux tarifs,
ne
pourront plus se vendre dans les pays britanniques, réunis
dans une immense union douanière, FAllemagne, dont la
fortune est basée sur le commerce d exportation, ne vivra plus
qu'avec difficulté.
Cet ensemble de « faits » économiques a suscité un état
de choses tout nouveau.
La Russie étant libre d'agir en Extrême-Orient, la France
exclusivement absorbée par ses divisions intérieures, les
États-Unis, l'Angleterre et l'empire allemand, ne songeant,
au contraire, qu'à s'assurer le bénéfice exclusif de leurs pos-
sessions actuelles ou à en acquérir de nouvelles, se sont
lancés forcément dans des voies conquérantes. Il en est
résulté l'éclosion simultanée de trois impérialismes :
L'impérialisme américain ;
L'impérialisme anglais;
L'impérialisme allemand.
Si maintenant l'on considère ensemble ces cinq grandes
puissances, on constate que l'âpreté de la lutte écono-
mique est devenue telle qu'on peut les comparer aux nau-
fragés du radeau de la Méduse, où les plus forts se trouvent
amenés, pour subsister, à se partager les plus faibles.
Les États-Unis ne peuvent rien par la force contre
l'Europe ; leur véritable sphère d'action est l'Amérique du
Sud, qui peut-être leur suffira ; la Russie est pour tous
difficilement accessible ; la France néglige de s'occuper de
l'extérieur; en réalité, tout l'intérêt de la situation réside
dans l'orientation définitive que prendront l'Allemagne et
l'Angleterre.
Or, l'Anglais ne peut songer raisonnablement à expulser
le commerçant allemand des territoires britanniques qu'à
la condition de lui fournir une compensation sous la forme
d'un champ d'action suffisant pour son trafic nécessaire.
D'autre part, il n'existe plus dans le monde de grandes
terres libres, propres aux exportations européennes; l'Alle-
mand ne peut donc espérer s'assurer de vastes débouchés
qu'à la condition de les conquérir aux dépens de puissances
qui possèdent actuellement des colonies. En outre, l'exten-
sion du Zollverein à l'Autriche serait pour lui un moyen
excellent d'atteindre ce but; cette extension lui permettrait
en effet d'être en communication économique directe avec
les pays des Balkans et de l'Orient dont il veut faire ses
principaux clients.
La simple vue de la carte établit que seuls le territoire
colonial français et l'empire des Habsbourg, point de
jonction entre l'empire allemand et l'Orient, permettent aux
Anglais à la fois de trouver, par voies d'échanges, la
matière des soudures qu'ils jugent nécessaire de faire
en
Afrique et de donner aux Allemands la possession écono-
mique de terres suffisamment riches et peuplées pour les
détourner des pays britanniques.
Il n'y a en effet que deux combinaisons possibles : ou bien les
Anglais ou les Allemands, dont les intérêts commerciaux
sont
diamétralement opposés, lutteront entre eux
sans merci, ou
bien ils s entendront aux dépens de tiers qui dans l'espèce
ne
peuvent être que la France et ï Autriche.
Par suite le territoire colonial français et le sud de l'Eu-
rope centrale apparaissent rationnellementcomme le terrain
de conciliation entre Allemands et Anglais.
Il peut donc très bien se faire que l'accord anglo-alle-
mand se résume en une combinaison dont le but
essen-
tiel est de permettre la coexistence de l'impérialisme alle-
mand et de l'impérialisme britannique.
N'est-il pas légitime de le supposer? En novembre 1899,
l'empereur Guillaume Il s'est rencontré
avec M. Chamber-
lain au château de Windsor. Pendant quelques jours, le
plus grand mystère a plané sur l'entrevue. On savait sim-
plement que les deux interlocuteurs avaient fait
assaut
d'audace. Puis un peu plus tard, à la fin du même mois,
M. Chamberlain, dans un discours retentissant, déclarait
«
la nécessité de prévoir, dès maintenant, beaucoup de
choses encore enfermées dans l'avenir !l, « mais qui doi-
vent causer de l'anxiété aux hommes d'État d'Europe » et
au sujet desquelles un accord avec l'Allemagne « pourrait
faire plus que toute combinaison d'armes pour procurer la
paix au monde » M. Alphonse Humbert, qui, seul alors,
.
fut clairvoyant, écrivit dès qu'il connut ces paroles : Il CI

ne faut pas une extraordinaire perspicacité pour découvrir


dans ce passage une allusion aux événements qui suivront
la mort de l'empereur d'Autriche. Si c'est sur ce terrain que
doit en effet porter l'effort de la diplomatie anglaise et si
la pensée est venue aux hommes d État britanniques d'un
marché à passer avec l'empereur d'Allemagne, en lui lais-
sant carte blanche pour l'exécution des vastes desseins
qu'il médite dans l'Europe centrale, on fera bien de ne
pas se laisser endormir ni à Paris, ni à Pétersbourg. 1)

La guerre du Transvaal se prolongea. Pendant sa première


partie, Guillaume II conserva une attitude apparemment
neutre. Cependant un incident, qui ne fut pas assez remar-
qué, montra que, dès cette époque, il avait partie liée avec
l'Angleterre. En juin 1900 l'anglais Sullivan faisait repré-
senter son opérette Jlikado à l'opéra royal de Berlin.
Guillaume II assistait à la représentation. Il fit venir l'au-
teur dans sa loge pour le féliciter. Au cours de la conver-
sation qui s'engagea, ce dernier demanda à l'empereuralle-
mand s'il ne viendrait pas bientôt en Angleterre :
Votre
(1

Majesté aura chez nous un accueil tel qu'elle n'en a jamais


eu nulle part. Deux hommes sont populaires à cette heure
en Angleterre : lord Roberts et Votre Majesté. » Guillaume
répondit avec une satisfaction visible :
Oui, lord Roberts
(1

est un homme. Il a fait brillamment son affaire. Je l'ai


admiré avec plaisir et bien sincèrement. Il a rendu les plus
grands services à son pays. » — L'Angleterre, reprit Sul
CI
livan, sait ce qu'elle doit à Votre Majesté. —Je me réjouis,
repartit l'empereur, de ce que l'Angleterre sache quels
sentiments d'amitiéje lui porte, et qu'elle les apprécie (1). Il
Ces divers indices firent place à la certitude quand, le
14 octobre 1900, l'empereur allemand révéla dans son dis-
cours de Barmen le caractère durable de l'accord anglo-
allemand. « L'entente avec le plus grand des États ger-
maniques, en dehors de l'Allemagne, sera, dans tavenir,
un puissant adjuvant pour les efforts communs des deux
peuples sur le marché du monde, où ils pourront se faire
une concurrence amicale sans aucun choc hostile. IJ

Quelques jours après, le télégramme qui arrêta net


à Cologne le Président Kruger à cause de « dispositions
déjà prises » dévoila toute la portée de ces impériales
paroles. Enfin le 12 décembre 1900 le chancelier de l'em-
pire, qui avait affirmé la veille que l'Allemagne n'était pas
liée à l'Angleterre « par un lien gros comme un cheveu
» ,
interpellé sur le point de savoir si le traité anglo-allemand
ne renfermait pas des clauses contre la France, ne répondit
point à cette question, mais annonça au Reischtag que les
gouvernements allemand et anglais étaient convenus de ne
pas rendre public le texte du traité, « jusqu-'à ce que cer-
taines circonstances se fussent produites. » Cet ensemble de
faits certains et de déclarations si parfaitement en harmonie
avec l'hypothèse envisagée n'autorisent-ils pas à craindre
que la France et l'Autriche ne fassent tous les frais de l'en-
tente anglo-allemande?
Quand bien même l'accord anglo-allemand n'existerait
pas à ce point de vue, on peut encore concevoir d'autres cir-
constances qui favoriseraient singulièrement une action de
l'Allemagne en Europe centrale. Il suffit de supposer
une
conflagration générale qui résulterait soit d'événements ex-
térieurs à l'Europe, ce qui est parfaitement admissible,

(1) V. Gazette de Francfort, juin 1900.


puisque, actuellement même, les événements d'Extrême-
Orient peuvent la faire naître d'une façon inattendue, soit
de troubles dans les Balkans. Or, il faut bien se rendre
compte qu'en cas de conflagration générale, quelle qu'en
soit d'ailleurs la cause, toutes les « questions i) extérieures
latentes en Europe reviendraient subitement à la surface
du terrain politique. Les forces militaires étant mises en
action pour la satisfaction des ambitions de chacun, il est
difficile d'admettre que les Allemands ne chercheraient pas
alors à satisfaire celle qui, chez eux, prime de plus en plus
toutes les autres.
Si l'on se place au point de vue allemand, tous ces évé-
nements admissibles (diminution de la puissance militaire
française, guerre franco-anglaise, conflagration générale
résultant de l'accord anglo-allemand ou de tout autre motif)
peuvent se produire isolément ou se combiner entre eux,
pour déterminer brusquement l'existence d'une « occasion
unique » . Il reste à savoir si Guillaume II est homme à en
profiter. Indiscutablement, depuis qu'il est sur le trône, le
souverain allemand a donné des preuves répétées de son
esprit de décision et de son habileté à tirer parti des cir-
constances. Son attitude à l'égard des Arméniens, des
Boërs, le régime de fer qu'il impose actuellement à ses
sujets polonais, établissent péremptoirement que les consi-
dérations sentimentales sont pour lui sans valeur. Réaliste
autant que Bismarck, il est bien, malgré des divergences
de pure apparence, son élève et son continuateur. Il a un CI

plan politique qu'il cherche à exécuter de son mieux, et ce


plan a uniquement pour but de renforcer la puissance alle-
mande, sans se demander si son exécution entraîne la ruine
d'autres nations (1). »
Il fait chanter par son chancelier M. de Bülow un perpé-
tuel Hosanna! à la politique d'intérêt ; il sait que ce qui
CI

(i) V. L'Indépendance roumaine, 25 novembre 1900.


demandait autrefois des siècles s'accomplit aujourd'hui en
quelques mois (1) » ; il est pénétré de l'importance des
questions commerciales, de l'impérieuse nécessité de trouver
pour son empire une nouvelle formule économique avant
cette date fatidique de 1903, à laquelle expirent la plupart
des traités de commerce allemands; ceux qui l'entourent
lui montrent l'extension du Zollverein à l'Europe centrale
comme la solution du problème des débouchés ; s'il ren-
contre une occasion unique » qui permette d'agir avec
cc

sécurité alors que la puissance militaire de son empire


est à l'apogée, que l'esprit de discipline de ses troupes est
encore intact, résistera-t-il à la tentation prodigieuse de
solutionner d'un seul coup toutes les difficultés qui l'entou-
rent par un acte d'éclat, dont la réussite ferait de lui le
plus étonnant et le plus redoutable souverain du siècle qui
se lève?
Les Pangermanistes n'admettent pas que Guillaume II
puisse faillir. Ils proclament qu'à l'heure décisive il se
conduira en véritable prince prussien. Nous pouvons
cc

espérer, dit l'un d'eux, que si jamais il est placé dans l'alter-
native de sacrifier le droit des princes — celui des Habs-
bourg, bien entendu — ou le bien de l'empire qui lui est
confié, il se décidera dans le même sens que son grand-
père dans les affaires du Schleswig-Holstein, du Hanovre
et de la Hesse électorale (2). »
§ 3. — L'hypothèse d'une intervention allemande en
Autriche dans le cas de l' occasion unique » doit être
CI

(1) Discours de Guillaume II à Hambourg lors du lancement du cuirassé


Charlemagne, le 18 octobre 1899.
(2) «
80 diirfen wir wohl
"Und hoffen, dass, wenn er dereinst in die Lage
kommt, entweder das Fiirstenrecht zu opfern (wohlverstanden das Habs-
burgische) oder aber das Wohl des ijim anv.e^ trauten Reiches, dass er dann
eine Entscheidung treffen wird, \viç spin Grossvater in der Schleswig-Hol-
steinschen, in der Hannoverschen und intdçr l\.urhessisehen Frage. Die
»
Deutsche Politik der Zukunft, p. 11. Deutschyolkischer Verlag « Odin
Munich, 1900.
considérée comme d'autant plus sérieuse que, pour des rai-
sons techniques solidement fondées, l'empereur allemand
est actuellement à même de réaliser soudainement en Cis-
leithanie un coup de main militaire qui serait sans doute
décisif.
Les diverses mesures prises récemment par le gouver-
nement de Berlin ont porté au maximum la puissance
offensive et défensive des forces dont il dispose. Jamais la
flotte n'a été plus nombreuse, les effectifs de paix de
l'armée de terre plus élevés (1), l'armement plus complet,
l'entraînement des troupes plus parfait, l'outillage de
guerre tenu en meilleur état. Jamais des fortifications aussi
puissantes que celles exécutées dernièrement et à la hâte
à l'est et surtout à l'ouest n'ont mieux garanti l'Allemagne
contre la Russie et contre la France. Au sud, la frontière
de l'empire est complètement ouverte; l'Allemagne sait
n'avoir rien à craindre de l'Autriche. Elle se trouve par
contre merveilleusement placée pour l'envahir.
Avec son cadre de montagnes, la Bohême semble une
forteresse naturelle qui domine l'Europe centrale. Si les
nombreux passages des monts Métalliques, des montagnes
des Géants et des Sudètes étaient commandés par des forts
d'arrêt construits d'après les données de la fortification mo-
derne, il pourrait en être ainsi; mais l'état des finances de
l'Autriche et surtout sa situation d'alliée de l'Allemagne
n'ont point permis à l'art militaire de parfaire en Bohême
l'œuvre de la nature. Des routes nombreuses assurent une
facile traversée des montagnes; trois voies ferrées viennent
de Bavière et vingt-quatre débouchent de Saxe et de Silé-

(i) Accroissements récents des effectifs de paix de l'armée allemande :

1881 26,000 hommes.


1887 41,000 —
1890 18,500 —
1893 70,000 —
1899 .......................... 17,000 —
sie. Toutes, sans doute, n'ont pas la même importance
stratégique, mais six suffisent aux opérations militaires les
plus complètes et les plus rapides. Les frontières de Bohême
sont donc essentiellement pénétrables.
A l'intérieur, des ouvrages fortifiés peuvent-ils au moins
arrêter une armée en marche? Assurément non. Thére-
sienstadt, forteresse destinée à barrer la trouée de l'Elbe,
ne possède que de vieux ouvrages incapables de résister
aux explosifs actuels, et la place d'Olmutz, qui, sur le pa-
pier, commande la trouée de l'Oder, bien que dans un état
moins défectueux, est sans plus d'efficacité, car des routes
diverses permettent de tourner cette position. Les ouvrages
de Prague sont également sans valeur, et Linz. qui, au sud,
pourrait couvrir la Bohême, est depuis longtemps sans
fortifications.
La Bohême se trouve ainsi exposée à une triple attaque
par la Silésie, la Saxe et la Bavière. Il faut en outre remar-
quer que les régions stratégiques du royaume de Bohême,
la périphérie montagneuse, — teinte rose de la carte ci-
contre, — sont habitées par des Allemands prussophiles.
Une armée d'invasion partie de l'empire allemand est
donc assurée d'avantages considérables : possibilité de
brusquer l'attaque par l'un quelconque des trois côtés (1),
absence d'obstacles fortifiés à briser, coopération assurée
et enthousiaste de l'élément allemand.
Ces raisons suffisent à établir l'impossibilité
pour les
troupes de François-Joseph de défendre l'Autriche sur le
sol de la Bohême. Sous peine de courir à un désastre
cer-
tain, les généraux autrichiens devraient l'évacuer pour
venir couvrir Vienne. La Bohême est donc virtuellement à
la merci de l'armée allemande libre de ses mouvements.
Or, a dit Napoléon : « Qui est maître de la Bohème est

(1) Sur la carte les flèches indiquent


une série de petites voies pouvant
servir aux opérations accessoires ; l'invasion proprement dite
ne peut forcé-
ment avoir lieu que par un nombre de points limités.
maître de la Moravie (1), " partie du même système straté-
gique. Cette possession a son importance; elle implique
celle de la route la plus courte pour marcher sur Vienne.
Deux cent cinquante-cinq kilomètres à peine, en effet, sépa-
rent à vol d'oiseau la capitale de François-Joseph du point où
l'Oder entre en Allemagne. La position enveloppante et essen-
tiellement offensive des forces de l'empereur Guillaume II
sur les frontières de l'Autriche met le grand état-major de
Berlin à même de profiter de ces avantages avec une rapidité
foudroyante. La création du XIXe corps (2) par le dédou-
blement du XIIe corps saxon porte à six (3) le nombre des
corps d'armée pouvant envahir en quelques jours le royaume
de Bohême (4). A partir du moment où les troupes alle-
mandes l'occuperaient, l'armée autrichienne, démoralisée
par la retraite, serait incontestablement dans des condi-
tions très défavorables pour continuer la résistance.
Encore ai-je supposé jusqu'ici que l'armée autrichienne
veuille et puisse tenter une sérieuse défense du territoire
cisleithan. Rien cependant n'est moins sûr, si l'on considère
l'état moral actuel des troupes de François-Joseph.
Il fut un temps où l'armée austro-hongroise était vérita-
blement dans la main du gouvernement de Vienne. C'était
lorsque tous les officiers étaient Allemands et que les Slaves,
qui, eux, formaient la majorité des troupes, sans conscience
précise de leur nationalité, se laissaient conduire docile-
ment sur n'importe quel champ de bataille, et s'y battaient
bravement pour l'honneur des Habsbourg. Les mouvements
nationaux, en faisant, à un degré quelconque, l'éducation

(1) Cité par Niox, Géographie militaire, Autriche-Hongrie, p. 113. Bau-


doin, 1881.
(2) Cette création a eu lieu en exécution de la loi du 25 mars 1899.
(3) Ier et IIe bavarois, XIX' Leipzig, XIIe Dresde, V'Posen, YIeBreslau.
(4) C'est-à-dire les trois parties qui le composent : la Bohême proprement
dite, la Moravie et la Silésie.
Si les circonstances le permettaient, ces six corps pourraient être suivis à
très courte distance de quatre autres.
politique de chacun des individus qui vivent en Cislei-
thanie, ont transformé cet état de choses.
Tirant le bénéfice de leur développement intellectuel, les
Slaves et surtout les Tchèques sont entrés depuis une
vingtaine d'années dans les écoles militaires, si bien qu'ils
forment maintenant à peu près le tiers des promotions des
jeunes officiers. Chez les simples soldats, les Slaves ont
conservé leur majorité écrasante. Il ne saurait en être autre-
ment, puisqu'ils sont de beaucoup les plus nombreux dans
le pays. Cependant la proportion entre la nationalité des
officiers et des soldats n'est donc pas encore devenue
parallèle à celle des éléments nationaux qui composent
l'État (1). Il en résulte de très sérieux inconvénients.
De tout temps, les officiers allemands ont montré une
vive répugnance à apprendre les langues slaves. Un fait
curieux, qui se passa en Bohême aux manœuvres impériales
de 1885, établit le fâcheux état de choses qui en est la
conséquence
Un cavalier tchèque arrive au galop de son cheval près
du commandant d'une batterie, et lui fait dans sa langue
une communication. Le commandant demande des expli-
cations en allemand. Nerozumim. Je ne comprends pas, "
(1

répond le Tchèque. A ce moment même, survient un hulan


polonais qui vient transmettre un ordre. « Parlez-vous
allemand? » demande le commandant. « JSeznàm. Je ne
comprends pas, dit le Polonais. Il allait partir, lorsque
1J

des hussards hongrois apportent une nouvelle qui, à leur


agitation, paraissait très importante. Interpellés à leur tour
en allemand, ils répondent eux aussi : Il Nemtudom. Nous
ne comprenons pas. "
(1) D'après une statistique récente publiée par la Pensée slave de Trieste
(17 novembre 1900), on compte dans l'armée autrichienne : 430,000 Slaves,
227,230 Allemands, 122,234 Magyars, 47,286 Roumains, 13,669 Ita'iens.
Pour tous les détails techniques, v. Organisation de l'armée aus'ro-hoti-
groise, par le capitaine Debains, de l'état-major de l'armée. Cbapelot.
Paris, mai 1900.
Cet inconvénient linguistique, qui a toujours été grave, n'a
fait que s'accroître depuis l'exaspération des luttes natio-
nales. De plus en plus, les Slaves tiennent à ne parler que
leur langue, et ceux des officiers allemands qui regrettent
amèrement le beau temps du «centralisme" sont moins dis-
posés que jamais à apprendre les langues slaves. Ce serait
cependant la solution indiquée. Il est évidemment plus fa-
cile à un homme cultivé, officier pour toute sa vie, de con-
naître le vocabulaire militaire en polonais ou en hongrois
qu'il n'est possible à un paysan ruthène, polonais ou hon-
grois d'apprendre l'allemand pendant la durée de son service.
Quoi qu'il en soit, la campagne prussophile a achevé de
diviser moralement l'armée autrichienne, dont la puis-
sance se trouve par suite gravement compromise. On peut
actuellement distinguer trois groupes dans le corps des offi-
ciers : celui des officiers slaves qui s'abstiennent de toute
manifestation et se consacrent exclusivement à l'accomplis-
sement de leurs devoirs, mais sans avoir, au fond, la moindre
sympathie pour les Allemands ; ceux-ci se divisent en deux
fractions : la plus nombreuse demeure fidèle à l'Autriche
et personnellement dévouée à la maison des Habsbourg,
mais à côté des officiers qui la constituent, le groupe des
officiers prussophiles, aussi pangermanistes que M. Schô-
nerer, grandit rapidement. Il y a là un vrai danger. Ce sont
ces officiers qui, pour des motifs futiles, soulèvent les inci-
dents les plus fâcheux.
Le 18 août 1899, jour de la fête de François-Joseph, un
dîner a lieu à Leopol. Un officier allemand est près d'un offi-
cier tchèque. Au moment du toast, le premier crie « Hoch «
et le second « Slava » . L'Allemand s'indigne de ce mot
slave. Le Tchèque proteste. Un souffletest échangé. Un duel
au pistolet a lieu. L'Allemand est tué. Les faits analogues se
sont tellement multipliés, depuis l'agitation prussophile, que
le ministre de la guerre de François-Joseph a fini par adresse
aux commandants de corps d'armée une circulaire confiden-
tielle leur ordonnant de refuser aux officiers l'autorisation
de se battre. De telles mesures sont restées inefficaces. L'hos-
tilité entre les éléments slaves et allemands de l'armée est
si complète que les autorités supérieures en sont réduites
à faire surveiller les officiers par les soldats et les soldats
par les officiers. Par application de ce système, on met le
plus grand soin, après chaque promotion, à répartir les offi-
ciers slaves dans les régiments de majorité allemande et les
officiers allemands dans ceux dont les soldats sont en majo-
rité slaves : ce procédé reste défectueux en raison du petit
nombre d'officiers allemands qui parlent les langues slaves
et il accroît encore la portée de l'inconvénient linguistique
signalé plus haut.
Naturellement, les hommes de troupe apportent encore
moins de réserve que les officiers dans la manifestation de
leurs sentiments. Bien que la censure autrichienne s'applique
à empêcher les incidents fâcheux de parvenir à la publicité,
on connaît assez de faits précis pour apprécier le degré de
haine qui existe entre soldats slaves et soldats allemands.
Dans son discours du 18 janvier 1898 à la Diète de
Bohême, le Dr Karel Baxa, parlant peu après les troubles de
Prague, a dit textuellement : « Je possède des renseigne-
ments tout à fait authentiques sur les troubles qui se sont
déroulés dans les casernes Ferdinand, Joseph et Cernin. Il
y
eut là des querelles, non seulement entre les soldats, mais
encore entre les officiers. » « Dans les casernes de Ferdinand,
la bagarre fut telle qu'on dut sonner l'alarme pour en finir.
Aux casernes de Joseph l'ordre fut rétabli, grâce aux soldats
qu'on fit venir de la caserne Ferdinand. »
Depuis lors, cet état d'esprit regrettable n'a fait que
s'accroître. Pendant les manœuvres de septembre 1899, les
chasseurs allemands d'Eger se sont battus avec l'infanterie
tchèque; il y eut des blessés des deux côtés. Aux manœu-
vres de 1900, les incidents ont été encore plus nombreux et
plus graves.
En présence de telles constatations, le moins qu'on puisse
faire est de se rallier à l'opinion d'un auteur pangermaniste
qui sur ce point est incontestablement juste et modéré.
«
Aucun homme sensé et sérieux, et moins que tout autre
un officier autrichien, ne peut assurer que les partis poli-
tiques, avec leur influence funeste pour la discipline, n'ont
pas pénétré dans l'armée (1). "
De toute évidence, il faut tenir compte de ce nouveau et
très fâcheux résultat de la campagne prussophile. « Nous
n'avons aucun motif de nous défier de la valeur des troupes
autrichiennes et italiennes; mais les deux armées souffrent
d'un défaut d'organisation; je veux dire que leur valeur est
diminuée parla faiblesse de l'effectif de paix des bataillons,,,
disait déjà en 1893 au Reichstag le chancelier de Caprivi.
Quelle doit être maintenant l'opinion du chef d'état-major
prussien? Il semble bien qu'il ne puisse redouter beaucoup
l'armée autrichienne telle qu'elle se présente actuellement.
Que pourrait-elle seule devant l'armée allemande? Assuré-
ment, les Slaves comprendraient que pour eux résister avec
la dernière énergie constitue une question de vie ou de
mort, mais, encadrés dans des régiments dont les officiers
sontallemands et souvent prussophiles, pourraient-ils le faire
avec efficacité? Quelle attitude prendraient-ils si leurs chefs
passaient de l'autre côté ? C'est une supposition rendue néces-
saire par la déclaration d'étudiants autrichiens qui, dans un
,
accès de « prussophilisme » voulant donner leur démission
d'officiers de réserve, se sont ravisés en disant qu'en somme
cette situation leur permettrait peut-être un jour de servir la
cause de la Grande-Allemagne. Ici la menace de trahison
est à peine voilée. Ne serait-elle pas exécutée, le jour où
(1) «
-
Kein vemiinftig denkender Mensch — am wenigsten der osterrei-
chische Offizier ist in der Lage, zubehaupten, dass das politische Partei-
getreibe mitseinem die Disziplin untergrabenden Einfluss nicht in der Armee
herrscht. » K. SCHWARZENBERG, Kann sich die ôterreichisch-ungarische
Armee den Einjliissen der Nationalitiitenkiimpfe entziehen ??? p. 23. Leh-
mann, Munich, 1898. -
tous les comités pangermanistes se mettraient eh état d'in-
surrection ouverte, ce qui ne manquerait pas de se pro-
duire dès qu'un seul soldat de l'empereur Guillaume aurait
mis le pied sur le sol de la Bohême? C'est bien en effet ainsi
que les choses se passeraient. On l'annonce même fort net-
tement : La France, la Russie et peut-être l'Angleterre
cc

s'opposeront à la création d'une Grande-Allemagne. Quant


à l'Autriche, elle est trop affaiblie pour être à craindre. Si
cela était, nous ferions sauter toutes les mines et nous travail-
lerions vigoureusementavec l'aide des idées pangermanistes.
Dans ces conditions, tout irait sûrement (1). »
Cette conclusion optimiste ne semble point déraisonnable,
si l'on considère la situation stratégique défectueuse de la
Bohême et l'état moral de l'armée autrichienne. Il ne paraît
pas en effet que cette armée, réduite à ses propres forces,
comme le suppose l'hypothèse, soit en mesure de barrer la
route de Trieste aux troupes allemandes qui, en définitive,
si elles sont laissées libres de leur action, paraissent aussi
assurées du succès qu'on peut l'être en matière d'opéra-
tions militaires.
Il faut enfin tenir compte, comme d'un élément capital,
de la rapidité foudroyante avec laquelle l'action serait
conduite. D'une façon générale, l'état-major de Berlin fait
de la rapidité d'exécution la condition essentielle de la
conduite de la guerre. « La concentration des forces sera
poursuivie à l'extrême dès le début de la guerre... Tout
gain de temps même minime peut prendre une extrême
importance... » « La résolution de faire la guerre, l'ordre de
mobilisation, la concentration et le commencement des hosti-
lités ne formeront en quelque sorte qu'un seul et même acte.
(1)cc
Sowohl Frankreich als Russland, vielleicht auch England, werden
sich der Schaffung eines Alldeutschlands widersetzen, Oesterreich wird
wenig mitreden, weil es zu ohnmachtig ist, und in dem Fall miissen wir
aile Minen springen lassen und mit dem alldeutschen Gedanken hochst ~

krâftig arbeiten, dann geht es gewiss. » Deutschland bei Beginn des 20. Jahi -
hunderts, p. 212. Militar-Verlag R. Félix, Berlin, 1900.
«
Jamais jusqu'à présent la préparation stratégique n'a eu
pareille importance pour le résultat de la lutte, jamais les
conséquences du premier choc n'ont exercé une influence
aussi décisive que celle qu'elles exerceront à l'avenir... Le
déploiement stratégique terminé, la manœuvre offensive
doit en jaillir comme l'éclair du nuage (1). IJ

Toutes les indications d'ensemble et de détail fournies


par le colonel de Bernhardi — et il en est de même dans les
écrits de tous les grands théoriciens militaires allemands —
dérivent de l'idée que la victoire appartient à qui prend
(L

de l'avance dans le temps et dans l'espace 1).


Une intervention armée de l'Allemagne en Autriche per-
mettrait d'autant mieux d'appliquer ces principes que les
dispositions enveloppantes des troupes allemandes autour de
la Bohême donnent la faculté de choisir le point d'invasion
avec les plus grandes chances de déjouer les prévisions des
Autrichiens. La difficulté réelle de l'opération consistera à
saisir l'instant politique de l'action. Pour nous, dit un
CI

Pangermaniste, il ne s'agit en face de ce problème que


d'attendre le moment favorable. Il viendra sûrement (2). »
Si les signes ne sont pas trompeurs, le temps approche où
«
les Allemands d'Autriche seront mûrs pour être réunis à l'em-
pire (3). » C'est à Berlin qu'il faudra se décider à attaquer.
On conduit généralement moins bien une guerre qu'on
«
doit subir que celle qu'on suscite soi-même (4). » « Vienne
aujourd'hui une crise européenne, la nation fera son devoir
sur l'ordre de son empereur, comme toujours, sans deman-
der comment et pourquoi (5). » On ne doit pas s'en étonner

(1) Colonel DE BERNHARDI, Conférence à la Société militaire de Berlin.


(2) « Fiir uns giebt es diesem Problem gegeniiber instweileen nur Abwar-
Deutschland bei
ten des gunstigen Moments, der sicher kommen wird. »
Beginndes 20. Jahrhunderts, p. 102. Militar-Verlag R. Félix, Berlin, 1900.
(3) « nicht aile Zeichen trügen, die Zeit heran, wo die Deut-
... wenn
8chen Oesterreichs reif sein werden, um im Reiche aufzugehen... » Idem.
(4) Op. cit., p. 50.
(5) « Kame es heute zu einer Europaischen Krise, so wiirde die Nation,
<\ucun peuple plus que « le peuple allemand n'est dans la
main de son gouvernement. » (1). La désinvolture avec
laquelle le plus grand nombre des journaux de l'empire ont
abandonné la cause des Boërs sur un signe de l'empereur est
une démonstration suffisante de cette vérité.
Il dépend donc de la seule volonté de Guillaume Il d'uti-
liser ces forces et de profiter de ces avantages au moment
opportun. Ce serait d'ailleurs plus simple qu'on n'est tenté
de le supposer.
L'article 11 de la constitution de l'empire reconnaît à
l'empereur allemand le droit de déclarer la guerre et d'or-
donner la mobilisation, sans consulter le conseil fédéral,
lorsque les territoires de la Confédération ou ses côtes sont
attaqués. Il vient d'être fait de ce droit une application qui
constitue un enseignement précieux à retenir.
Dans son numéro du 24 juin 1900, la Strasburger Post,
organe officieux du gouvernement d'Alsace-Lorraine, fai-
sait remarquer « que l'ordre de mobiliser les deux bataillons
d'infanterie de marine pour la Chine était la première
application qui ait été faite, depuis la fondation de l'empire,
de l'article de la Constitution relatif à la déclaration de
guerre. Or, à cette date du 24 juin, les possessions alle-
mandes en Chine n'avaient pas été attaquées par les Chinois
et l'assassinat du baron de Ketteler, représentant de l'empe-
reur à Pékin, qui eut lieu le 18 juin, était encore complète-
ment ignoré à Berlin. L empereur n'en a pas moins ordonné
la mobilisation, faisant de l'article 11 de la Constitution une
application si large, qu'on pourrait facilement la considérer
comme illégale. Il y a là un précédent qu'il faudrait ne
jamais oublier. Ce qui s'est passé à l'égard de la Chine peut
se reproduire à l'égard de l'Autriche. L'empereur allemand,

vie immer, ohne nach dem Wie und Warum zu fragen, auf das Geheiss
ihres Kaisers ihre Schuldigkeit griindlich thun. » Op. cit., p. 49.
(1) « ist dieses Volk voilstândiger als irgend eines, in der H and seiner
...
Regierung... » Op. cit., p. 208.
en effet, pourrait très facilement mettre les apparences en
harmonie avec les textes.
Qu'on imagine, par exemple, qu'un conflit se produise
entre les régiments tchèques casernés dans le nord de la
Bohême et des douaniers allemands, que des troubles d'une
nature quelconque éclatent dans cette région, — et nous
savons qu'il dépend du gouvernement de Berlin de les sus-
citer par l'intermédiaire de ses comités pangermanistes à
l'instant précis qui lui conviendra, — Guillaume II sera
évidemment libre alors de considérer les frontières de l'em-
pire comme attaquées et de mettre en mouvement toute c(

cette grande organisation des forces militaires, si coûteuse,


si compliquée, qu'un travail incessant et énervant maintient
toujours en état et qui n'a qu'un but : prévoir le moment
et les conséquences tactiques et stratégiques du moment où
du camp impérial partira le télégramme : Mobilisez."
Cette faculté d'interprétation attribuée à l'empereur alle-
mand, dont il a déjà fait un emploi si édifiant, confirme donc
bien dans ce sentiment que Guillaume II seul décidera de
la guerre.
Quant aux Pangermanistes, convaincus de la force du
courant qu'ils ont déchaîné, ils ne se bornent pas à envi-
sager les hypothèses exceptionnellement favorables que je
viens d'exposer. Ils préfèrent considérer le problème avec
son maximum de difficultés, c'est-à-dire comme comportant
une grande guerre continentale. Un des auteurs de l'Odin-
verein pose la question sans détours : « Il s'agit de savoir si
l'empire allemand est assez fort pour sortir par la force,
malgré la France et la Russie, nos frères autrichiens de
la meute slave (1). "Évidemment, un homme du métier
1)

seul peut dire si nos armements actuels sont suffisants. Les

(i) « Aber es fragt sich, ob das Deutsche Reich stark genug ist, trotz
Russlands und Frankreichs unsere Osterreichischen Briider aus der Slaven-
meute herauszuhauen. » Die Deutsche Politik der Zukunft p. 13
Deutschvolkischer Verlag Odin » , Munich, 1900.
(1
simples citoyens doivent se borner à donner l'impression
qu'ils sont mûrs pour cette tâche immense; que, dès qu'il le
faudra, tout le peuple allemand, y compris sa fraction au-
trichienne, se laissera convaincre de la nécessité et de la jus-
tice de cette guerre (contre l'Autriche) et sera prêt à la sou-
tenir de toutes ses forces (1). » Toutefois, le même auteur
estime qu'il est possible, en agissant subitement et très ra-
pidement, d'éviter cette guerre formidable. Il faut, avant
et

tout, remarquer que l'entrée des troupes impériales alle-


mandes en Bohême et en Haute-Autriche ne doit pas né-
cessairement amener les Russes et les Français à nous
prendre à la gorge (2). »
Les Allemands, habitués aux succès de leur diplomatie,
comptent en effet qu'elle aura su préparer le terrain poli-
tique avant l'opération militaire. Ils supposent que le chan-
celier berlinois arrivera à rompre l'alliance franco-russe ou
à leurrer jusqu'au dernier moment le gouvernement fran-
çais, en lui faisant entrevoir une grosse compensation, telle
que, par exemple, la rétrocession d'une partie de l'Alsace-
Lorraine, de même que Guillaume 1er a dupé Napoléon III
par l'appât du Luxembourg. Dans ce cas, la Russie isolée
deviendrait forcément hésitante, et, même si elle ne l'était
pas, en raison des difficultés de sa mobilisation, il en résul-
terait une période pendant laquelle l'empereur Guillaume
jouirait d'une entière liberté d'action. C'est à ce moment
que se placerait l'intervention militaire.

(1) Die Zulanglichkeit unserer dermaligen Riistungen kann natiirlich


«
nur von einem Fachmanne beurteilt werden. Der einfache Biirger muss
sich darauf beschrânken, der Ueberzeugung Ausdruck
zu geben, dass wir
auch dieser gewaltigen Aufgabe gewachsen sind, sobald es
nur gelingt, das
Deutsche Volk, auch den ostmârkischen Teil, von der Notwendigkeit und
Gerechtigkeit dieses Krieges zu iiberzeugen und zum vollen Einsetzen all
seiner Machtmittel zu entflammen, der jetzt bereit stehenden sowohl, als
der einstweillen noch schlummernden. Idem.
II
(2) « Hierzu sei vor allem bemerkt, dass ein Einmarsch reichedeutscher
Truppen nach Bohmen und Oberosterreich noch keineswegs die Russen und
Franzosen uns auf den Hals ziehen muss. » Idem.
En raison des moyens d'information dont on dispose
actuellement, cette période serait forcément très courte.
Elle suffirait toutefois. De l'avis de tous les techniciens,
quelques jours (huit ou dix) suffisent au grand état-major
allemand pour réaliser entièrement l'invasion de la Bohême.
Ce laps de temps écoulé, après avoir fait un puissant effort
vers le sud et occupé fortement le pays, l'Allemagne retrou-
verait la possibilité d'opérer sur la frontière de l'ouest les
grands chocs de masses destinés, d'après la conception mili-
taire qui prévaut à Berlin, à briser dans une seule grande
bataille toute la résistance morale des Français. Pour para-
chever le désastre, il suffirait ensuite de laisser le champ
libre à l'action dissolvante des partis internationaux qui
viennent d'être organisés à Paris. La guerre civile succéde-
rait à la guerre étrangère. Les troupes allemandes seraient
ainsi libres de se retourner contre la Russie. On peut donc
conclure avec assurance : le succès d'une intervention armée
de l'empire allemand en Autriche est en raison directe de sa
rapidité. Il en résulte, pour les gouvernements décidés à
garantir le statu quo actuel, l'impérieuse obligation d'agir
avec une égale rapidité.
14. — Toute hésitation, tout retard dès l'instant précis où
la mobilisation allemande aura commencé, est destiné à en-
traîner les plus redoutables conséquences. En effet, une fois
la faute de l'inaction contre l'Allemagne commise, sa gravité
apparaîtra avec évidence, mais il ?t'y aura plus de statu quo
à garantir, et on se trouvera en présence d'un fait accompli.
L'expérience a prouvé qu'en politique le fait accompli réali-
sait une sorte de prescription instantanée. N'est-il pas sans
exemple que la Prusse ait abandonné, sur de simples récla-
mations diplomatiques, ce qu'elle avait pris par la force? Or,
les puissances qui auront hésité à s'engager pour garantir
l'intégrité de l'Autriche hésiteront encore bien davantage à
entreprendre la guerre une fois l'Autriche brisée. G est ce
qu'escomptent fort sensément les Pangermanistes, quand ils
disent : « On peut imaginer des situations dans lesquelles
la Russie comme la France accepteraient
un fait accompli
et se contenteraient d'avantages faits sur d'autres points,
plutôt que de penser à une épouvantable prise d'armes avec
l'empire allemand (1)."
Ce calcul semble exact. La pusillanimité est
sœur de la
crainte. Il serait donc possible qu'après avoir laissé faire le
coup de force allemand, l'Europe, habilement divisée et
craintive, subirait pendant quelques années le nouvel état
de choses, jusqu'au jour où exaspérés
par les excès intolé-
rables qu'immanquablement commettrait
une puissance
cc ,
napoléonienne , installée au centre de l'Europe, les
peuples opprimés se coaliseraient dans un gigantesque
effort pour abattre à tout prix le colosse germanique.

III
DE LA NÉCESSITÉ DE PRÉVOIR LES DIVERSES HYPOTHÈSES

Dans la paix ou dans la guerre, d'une manière dissi-


mulée après une lente évolution ou par
un éclat soudain,
la Il question d'Autriche » peut se
poser devant l'Europe.
§ 1. Rarement autant de signes précurseurs, autant
de faits précis, autant de mesures certaines et décisives
ont
annoncé l'approche d'une grande complication continentale,
Les intentions de la Prusse à l'égard de la France avant 1870
étaient-elles aussi pénétrables que le sont aujourd'hui les
vues du gouvernement de Berlin à l'égard de l'Autriche?
C'est peu probable. L'intervention allemande
en Autriche
Denn es sind Lagen denkbar, in denen Russland sowohl als Frank-
(1) «
reich eine vollendente Thatsache hinnehmen und sich lieber mit Vorteilen
an anderen Stellen begnugen wurden, aïs den fuchtbaren Waffengang mit
dem Deutschen Reiche zu wagen. Die Deutsche Politik der
» Zukunft,
p. 13. Deutschvolkischer Verlag « Odin Munich, 1901.
» .
est donc une éventualité qui doit être envisagée d'après
ce principe que l' Il intervention est toujours le prétexte
d'une politique de conquête (1). 1)

§ 2.
— La prévision des événements extérieurs et l'art
d'en tirer parti constituent en somme une escrime supé-
rieure où chaque coup doit trouver sa parade. Ces parades,
une « prévoyance incessante et poussée aux limites les
IJ

plus reculées du possible peut seule permettre de les conce-


voir et de les exécuter. C'est pour avoir eu un gouverne-
ment constamment prévoyant que l'empire allemand vient
de passer dans la guerre et dans la paix par une période
exceptionnellement brillante. C'est pour ne point avoir été
prévoyante que la France a été vaincue à Sedan. Des
exemples aussi probants ne sauraient être inutiles.
Les gouvernements intéressés au maintien du statu quo
en Europe centrale doivent donc prévoir la « question d'Au-
triche sous toutes ses formes et dans toutes ses conséquences.
IJ

Il leur faut apprécier l'importance, pour la sauvegarde de


leurs intérêts, du mouvement fédéraliste cisleithan, se pé-
nétrer de la valeur européenne de la Bohême, clef de voûte
de l'édifice autrichien, et comprendre que de l'issue du
combat qu'y soutiennent les Tchèques dépend pour des
années le sort de l'Europe entière.
Tout revient à savoir si les gouvernements qui ne peu-
vent pas laisser disparaître l'Autriche sans commettre une
faute capitale sauront pénétrer à temps les projets alle-
mands et y apporter les obstacles qui conviennent. Quels
sont ces États et quels sont leurs moyens d'action?

(1) a Hier ist die Intervention immer nur der Vorwand fur Eroberungs-
politik... » Dr K. MEHRMANCÎ, Deutsche Welt-und Wirtschafts-Politik.
Deutschvolkischer Verlag « Odin ", p. 39.
CHAPITRE VII

CE QUE SERAIT L'ALLEMAGNE AGRANDIE


DE L'AUTRICHE

I. LE NOUVEAU TERRITOIRE. — § 1. Ses dimensions : superficie et distance


à vol d'oiseau du nord au sud.
— § 2. Ses populations : éléments cons-
titutifs. — § 3. Inconvénients que présenteraient les nouvelles acquisi-
tions au point de vue allemand : les Slaves et les catholiques.
II. LES CONSÉQUENCES DE L'EXTENSION. — § 1. Militaires : évaluation des
forces dont disposerait la Confédération (flotte et armée). —§2. Écono-
miques : moindre dépendance de l'Allemagne de l'étranger pour les pro-
duits de consommation. Amélioration de l'outillage national de l'empire
allemand. — § 3. Politiques : l'Allemagne puissance méditerranéenne.
Ce qu'est déjà l'Allemagne dans les Balkans, en Turquie et en Extrême-
Orient. Ce que pourrait être la radiation balkanique, orientale, extrême-
orientale et pangermaniste de la Confédération. L'importance réelle de la
question d'Autriche.

La question d'Autriche, si elle se pose, sous quelque


forme qu'elle se présente, touchera à des intérêts considé-
rables pour tous les États et vitaux pour quelques-uns.
Il est clair qu'alors le groupement des puissances s'effec-
tuera selon la connaissance plus ou moins exacte qu'elles
auront de ces intérêts. Il faut donc déterminer ceux-ci. Le
plus sûr moyen d'y parvenir est de supposer réalisées les
vues allemandes sur l'Autriche. On pourra ensuite discerner,
avec une netteté suffisante, quels sont les pays qui ont à
gagner ou à perdre à une modification territoriale de l'Eu-
rope centrale.
Dans le présent chapitre, je supposerai donc accomplis
des faits qui ne le sont pas, j'en tirerai les conséquences
en
me bornant toutefois à l'examen d'une hypothèse construite
sur des données admissibles.
J'admettrai, par exemple, qu'à partir d'aujourd'hui,
l'Autriche a passé durant plusieurs années par une série
de transformations. La propagande pangermaniste s'est con-
tinuée sans obstacles. Par le seul effet de l'âge, la jeunesse
allemande autrichienne, imbue des idées prussophiles, est
arrivée aux affaires. Il en est résulté que les éléments vio-
lents exercent une pression toujours plus forte sur le sou-
verain qui a imposé à ses sujets la Sonderstellung de la Ga-
licie, de la Bukovine et de la Dalmatie. Huit millions de
Slaves ont été ainsi retranchés de la Cisleithanie. Les Alle-
mands y ont retrouvé la supériorité numérique. Le groupe
des Allemands fédéralistes ayant perdu sa raison d'être a
disparu. Pendant ce temps, d'autres événements se sont
accomplis à l'occident de l'Europe. Progressivement, la
puissance militaire de la France a été désorganisée. La Ré-
publique française est devenue incapable de toute action
extérieure. La Russie, comprenant qu'elle ne pouvait plus
compter sur son alliée de l'ouest, s'est concentrée sur elle-
même. Elle a considéré que son action isolée devenait trop
chanceuse, et, tout en comprenant l'étendue de la faute
qu'elle va commettre, elle s'est désintéressée de l'Autriche.
Ainsi favorisés par le concours des circonstances, les Prus-
sophiles sont devenus complètement maîtres du Parlement
de Vienne, si bien qu'ils ont réussi à faire entrer la Cislei-
thanie restreinte dans l'Union douanière allemande. Le grand
Zollverein de l'Europe centrale a été réalisé. Quelques
années se sont encore écoulées. Finalement, comme cela
était inévitable, la Cisleithanie restreinte a été absorbée
politiquement par l'empire allemand.
C'est à ce moment qu'il faut considérer l'Allemagne agran-
die de la fraction de l'Autriche actuelle, 'qui représente le
minimum des revendications pangermanistes, et rechercher
les conséquences du nouvel état de choses.
1

LE NOUVEAU TERRITOIRE

Tout d'abord, que serait le nouveau territoire constitué


sur ces bases?
§ 1. --Il s'étendrait de
Hambourg à Trieste (950 kilo-
mètres à vol d'oiseau), depuis le Belt jusqu'à l'Adriatique,
et par l'Adriatique il donnerait à l'Allemagne accès dans
la Méditerranée. Sa superficie serait de 738,846 kilomètres
carrés (1).

§ 2. — Sa population compterait 68,834,000 âmes ;


69 millions en chiffres ronds.

§ 3. — Ce simple énoncé fait aussitôt apparaître que l'em-


pire allemand ne saurait ainsi s'étendre sans introduire
dans une très forte proportion à l'intérieur de ses frontières
des éléments slaves et catholiques. J'ai déjà dit pour quelles
raisons cette éventualité doit être admise comme possible.
Toutefois, afin que le caractère de vraisemblance de l'hy-
pothèse faite subsiste nettement dans l'esprit, je crois néces-
saire de montrer, avant d'aller plus loin, quels inconvé-
nients pourraient résulter en réalité pour la confédération
de la présence de ces nouveaux sujets slaves et catholiques.
Comme non allemands, l'empire actuel compte (2) :

(1) L'empire allemand actuel couvre une étendue de 540,483 kilomètres


carrés. La superficie de la Cisleithanie est de 300,213 kilomètres. En raison
de la Souderstellung, du retranchement supposé de la Galicie, de la Buko-
vine et de la Dalmatie, il convient de déduire de ce chiffre 78,532 kilo-
mètres pour la première de ces provinces, 10,456 pour la seconde et 12,862
pour la troisième.
(2) Chiffres donnés par l Union pangermanique. V. Alldeutsches Werbt-
und Merk-Buchlein, p. 24. Lehmann, Munich, 1899.
Polonais, Masures et Cassoubes 2.977.951
Wendes 117.883
Tchèques et Slovaques 76.078
Lettes 121.345
Danois 139.400
Frisons 48.827
. Wallons
...........................
Français
11.058
250.000
3.742.542
A ce chiffre, il faudrait ajouter :
T chèques 6.000.000
Slovènes 1.350.000
Serbo-Croates
...................... 145.000
7.495.COO
Soit, au total, 11,237,542. L'Allemagne, agrandie de l'Au-
triche, comprendrait donc près du sixième de sa population
de sujets non allemands.
Incontestablement, la proportion est forte.
Qu'en résulterait-il au double point de vue militaire et
politique? Par la force même des choses, l'armée et la flotte
de la Confédération comprendraient une proportion à peu
près équivalente d'éléments antiallemands. Mais, il faut le
remarquer, ces soldats ne compromettraient pas la solidité
des troupes dont ils feraient partie. Une fois annexés,
les Tchèques et les Slovènes, en tant que soldats noyés dans
les contingents allemands fortement encadrés, comme le
sont actuellement les Alsaciens-Lorrains, les Danois et les
Polonais, rendraient à la Confédération à peu près les
mêmes services militaires qu'un Piussien enthousiaste et de
race pure. Au point de vue politique, leur opposition serait
incontestablement plus efficace. Il est certain que seul un
régime de fer, analogue à celui qu'applique le gouverne-
ment de Berlin à ses sujets lorrains, alsaciens, danois et
polonais, pourrait maintenir dans l'obéissance des hommes
aussi attachés à la liberté que les Slaves d'Autriche. Comme
le régime d'arbitraire, bien qu'appliqué aux Polonais de Pos-
nanie depuis plus de cent ans, n'a pas fait réaliser de progrès
sensibles à la germanisation, on peut admettre, en raison
des preuves de vitalité qu'ils viennent de donner, que les
Tchèques résisteraient encore plus aisément que les Polo-
nais. Il est certain même que tous ces sujets, allemands par
la force, humiliés, brutalisés, soumis à des impôts écrasants,
s'uniraient moralement contre leurs oppresseurs ; mais quelle
résistance pratique pourraient-ils opposer à un gouverne-
ment qui a l'habitude séculaire de contenir les peuples
conquis et récalcitrants? Sans doute, il ne les assimile pas,
mais il les domine. N'ayant rien à craindre, au point de vue
militaire, d'un accroissementde sujets slaves, il ne craindrait
pas davantage leur opposition politique.
Le danger catholique, en raison même des traditions
prussiennes, paraîtrait devoir être infiniment plus réel. L'em-
pire allemand d'aujourd'hui compte, sur ses 52,000,000 d'ha-
bitants :
Protestants, 31,000,000, soit 63 pour 100,
Catholiques, 17,500,000, soit 35,8 pour 100 (1).
Si l'on ajoute parmi les Allemands d'Autriche :
Catholiques, 8,500,000,
Protestants, 500,000,
protestants et catholiques allemands, c 'est-à-dire ceux qui
pourraient avoir une influence quelconque sur le gouverne-
ment, se trouveraient être dans la Confédération supposée :
Catholiques, 26,000,000,
Protestants, 31,500,000.
Ces derniers ne disposeraient donc plus que d'une faible
majorité pour leur assurer la direction des affaires.
Il est très certain qu'il y a une dizaine d'années
on n'eût
jamais consenti à Berlin à envisager une semblable hypo-
thèse ; mais, comme je l'ai exposé, la politique mondiale de

(1) Les Israélites représentent les 1,2 pour cent du total.


- ~ ,
1
,
l'empereur Guillaume a tout changé. Adonné surtout à l'ex-
pansion économique, convaincu de la nécessité de lutter
contre le socialisme international, l'empereur a compris
qu'il ne pouvait rien sans avoir avec lui les catholiques qui
forment l'appoint indispensable aux scrutins du Reichstag.
On sait à quel point cette tactique a réussi. L'évolution des
catholiques allemands a commencé peu après la mort de
Windthorst. Gagnés par de menues concessions, ils ont
renoncé à l'opposition et sont devenus les soutiens les plus
fermes de Guillaume II.
En Chine, en Turquie, ils servent avec éclat sa politique;
au Reichstag, leurs votes lui assurent tous les crédits qu'il
demande pour l'armée et pour la marine. Il ne s'agit donc
plus de donner aux catholiques une part du pouvoir; c'est
chose faite.
Cette concession apparemment si contraire aux principes
luthériens des Hohenzollern offre-t-elle les inconvénients
que beaucoup veulent lui trouver? Assurément pas jusqu'à
présent. En réalité, les catholiques allemands se sont con-
tentés de peu de chose eu égard aux services qu'ils ont ren-
dus à l'empereur, et si celui-ci, dont les scrupules sont
légers, accepte d'accroître encore le nombre de ses sujets
catholiques, on peut être assuré que c'est avec l'idée bien
arrêtée de les réduire, si le besoin s'en faisait sentir, lors-
qu'il aura tiré d'eux l'utilité qu'ils présentent pour l'accom-
plissement de ses grands projets.

II

LES CONSÉQUENCES DE L'EXTENSION

Ce nouveau groupement des territoires de l'Europe cen-


trale entraînerait infailliblement d'immenses conséquences
dont on ne peut entrevoir que les principales,
§ 1. La conséquence militaire ia plus apparente de

l'absorption complètement réalisée serait la fusion des armées
et des flottes allemandes et autrichiennes. Les effectifs
qu'elles atteindraient alors peuvent être à peu près évalués,
si l'on opère sur ceux qui sonl actuellement officiels les ré- 1

ductions ou les augmentations que commande l'hypothèse.


Présentement, la flotte autrichienne comprend :
9 cuirassés;
2 grands croiseurs;
6 petits croiseurs;
Soitau total 17 navires de guerre.
Mais comme j'ai admis que la Hongrie, la Galicie, la Buko-
vine et la Dalmatie n'entreraient pas dans la Confédéra-
tion, la fraction de la flotte autrichienne qui pourrait s'ajouter
vraiment à celle de l'Allemagne serait approximativement
de :
5 cuirassés;
1 grand croiseur;
3 petits croiseurs.
Or, la flotte de combat allemande comprendra à l'avenir:
34 cuirassés;
8 grands croiseurs;
24 petits croiseurs.
Au total, la Confédération germanique reconstituée sous
la direction de la Prusse disposerait donc de :
39 cuirassés;
9 grands croiseurs;
27 petits croiseurs.
Une méthode analogue permet de se rendre compte,
mais avec plus d'exactitude, des forces qui constitueraient
l'armée de terre. Afin d'arriver à une approximation aussi
sérieuse que possible, j'ai opéré mes calculs sur des chiffres
considérés comme officiels et sans tenir compte des dépôts,
dont les troupes sont généralement de médiocre va1eur
Actuellement, sur le complet pied de guerre, l'empire
allemand peut mettre en ligne :
1,863,000 fusils;
105,000 sabres;
5,604 canons de campagne (1).
Dans les mêmes conditions, l'armée austro-hongroise peut
mobiliser :
1,255,000 fusils;
63,000 sabres ;
2,464 canons de campagne (2).
Ces chiffres ne sauraient être utilement ajoutés à ceux de
l'armée allemande qu'après avoir subi une réduction propor-
tionnelle à la population de la Galicie, de la Bukovine, de la
Dalmatie, de la Bosnie, de l'Herzégovine et de la Hongrie,
puisque par hypothèse ces pays ne feraient pas partie tout
d'abord de la Confédération.
La Galicie a 6.800.000 habitants.
La Bukovine a 680.000 —
.
La Dalmatie a 545.000 —
La Bosnie et l'Herzégovine ont. 1.500.000 .

La Hongrie a
................ 17.600.000 - —

27.125.000 habitants.
Soit en chiffres ronds 27,000,000 d'habitants.
Les chiffres donnés plus haut comme représentantl'armée
austro-hongroise mobilisée correspondent à une population
totale de 43,680,000 habitants.
Le rapport de 27 à 43 est de 3 à 5.
La réduction à opérer sur les chiffres donnés est donc des
trois cinquièmes.

(1) V. J. LAUTH, l'État militaire des principales puissances étrangères


1900.
en 1900, p. 84, 90, 95. Berger-Levrault, Paris,
(2) Op. cit., p. ~17, 223, 227.
.
Ce calcul effectué, on obtient :
753,000 fusils;
37,800 sabres;
1,476 canons de campagne,
qui, ajoutés aux chiffres de l'armée allemande mobilisée,
donnent :
2,616,000 fusils;
142,800 sabres;
7,080 canons de campagne.
Ces chiffres représentent les forces minima de l'armée de
terre dont disposerait la Confédération. Ces troupes, sou-
mises à une seule volonté, éduquées d'après le système
prussien, constitueraient, de toute évidence, un instrument
d'attaque et de défense d'une incomparable puissance. Par
leur nombre, elles dépasseraient d'un chiffre écrasant les
forces de la France ou de la Russie; de plus, en raison
des avantages économiques que présenterait pour la richesse
et le ravitaillement du pays l'établissement du Zollverein
de l'Europe centrale, la Confédération se trouverait mieux
placée que les deux puissances réunies pour soutenir une
longue lutte. La Russie, en effet, a pour longtemps encore
besoin d'immenses capitaux et la France, si elle n'y prend
sérieusement garde, finira par entrer dans la voie de l'appau-
vrissement financier.

§ 2. — Ces suites économiques du grand Zollverein, on


les comprend déjà par tout ce qui précède L'Allemagne,
en bénéficiant des excédents agricoles de la Cisleithanie,
diminuerait d'autant sa dépendance de l'étranger pour les
produits de consommation. Les réformes que le gouverne
ment de Berlin ne manquerait pas de réaliser dès l'entrée de
la Cisleithanie dans l'Union douanière allemande seraient
particulièrement fécondes. Maître de la législation commer-
ciale, des postes, des télégraphes, des téléphones, des che-
mins de fer de tout le centre du continent, il procéderait à
une unification générale des tarifs dans un sens conforme aux
intérêts de la Prusse d'abord, et ensuite de la Confédération.
Il compléterait le réseau des chemins de fer et pousserait
en toute hâte les travaux des canaux de l'Elbe et de l'Oder
au Danube; les usines allemandes une fois mises ainsi en
communication fluviale directe avec l'Orient, leurs produits
lourds ne seraient plus grevés des frais de transport considé-
rables que nécessite actuellement le contour de l'Europe.
Ces canaux permettraient en outre de faire parvenir à très
bas prix, dans toutes les régions de l'empire, les grains et
les objets nécessaires à la vie.
Le taux des salaires des ouvriers s'en ressentirait forcé-
ment. Peut-être ne s'abaisserait-il pas, mais il s'accroîtrait
moins vite que dans les autres États. Ce résultat serait pré-
cieux pour les fabricants. L'introduction dans la Confédé-
ration de la main-d'œuvre à bon marché des Slaves de
Cisleithanie y concourrait encore. Les conditions de la
production étant meilleures, le prix de revient des objets
fabriqués serait moindre ; les Allemands pourraient par
suite abaisser encore leurs prix de vente. Ils se trouveraient
ainsi dans des conditions économiques exceptionnellement
avantageuses pour concurrencer les étrangers dans un
nombre considérable de places et pour tenir tête partout
à la concurrence américaine.
Ces diverses réformes auraient donc pour résultat d'ac-
croître dans des proportions considérables la puissance éco-
nomique de l'outillage national de l'Allemagne.

§ 3.
— Les conséquences politiques de
l'extension se-
raient d'une bien autre portée.
Introduite dans la Méditerranée par l'Adriatique, la Con-
fédération germanique détruirait l'équilibre actuel. Elle
exercerait autour d'elle une puissance de radiation dont
on ne peut se rendre compte qu'après avoir étudié les posi-
tions occupées actuellement par les Allemands dans les
Balkans, en Orient et en Extrême-Orient.
A Bucarest, leur colonie compte « officiellement »
15,000 âmes, et leur mainmise financière sur toute la
Roumanie est déjà réalisée. Tous les emprunts roumains
ont été émis à Berlin, par la Disconto Gesellschaft, qui
maintenant fait sentir durement la dépendance où elle tient
ses débiteurs. "... Chose extraordinaire, dit l' Indépendance
roumaine (1), la baisse de notre crédit, la dépréciation de
nos fonds publics est, pour une grande partie, l'œuvre des
représentants de l'épargne allemande... »
A Belgrade, « ville slave de physionomie et même d'or-
gueil intime, si l'on peut dire, où l'Occidental se butte
pour la première fois à des enseignes de magasins unifor-
mément établies en caractères cyrilliques, le seul idiome de
l'Occident que l'on trouve à parler dans ces magasins, c'est
l'allemand (2). IJ

En Bulgarie, bien que, de tous les pays des Balkans, ce


soit celui où le « slavisme est le mieux protégé, les Alle-
IJ

mands, depuis le traité de Berlin, ont trouvé moyen de


s'implanter. c Ce serait même, d'après le Slovenski Svet,
un des terrains préférés du Deutscher Schulverein (3), qui
tient bureaux ouverts à Sofia, à Roustchouck, à Philippopoli,
à Varna (4). » A propos de la capitale, un correspondant
bien renseigné pouvait écrire à Yllluslrirte Zeitung (15 juil-
let 1893) : « Sur les 35,000 habitants de Sofia, plus d'un
quart est allemand ou autrichien. Les Bulgares de la classe
instruite entretiennent de bonnes relations avec nos compa-
triotes et commencent même à apprendre notre langue
maternelle. Sous peu, chacun de nos immigrants se trou-
vera tout à fait à l'aise (sic) en arrivant à Sofia \5). » Dès
(1) 14 décembre 1900.
(2) CV LOISEAIT, le Balkan slave, p. 235. Perrin, Paris, 1898.
(3) Le même dont j'ai parlé, p. 210.
(4) Ch. LOISEAU, op. cit., p. 236.
(5) Idem.
1882, cette colonie s'est trouvée assez forte pour fonder une
école allemande qui, d'ailleurs, depuis 1892, est subven-
tionnée par le gouvernement de Berlin.
En Croatie, la pénétration allemande est plus avancée
encore. «Le commerce, non seulement à Agram et à Essek,
mais dans les villes de second ordre, à Brod, à Djakovo, à
Vinkovce, à Mitrovitza, est entre les mains d'Allemands ou
d'Autriche ou de Bohême, juifs pour la plupart (1). »
En Bosnie, l'Allemagne du Nord, la Bavière, le Wur-
temberg, déversent chaque année des colons agricoles par
milliers (2). « Déjà, aux environs de Serajevo, au nord et à
l'est de la province, on voit s'élever de nouveaux villages ;
on entend aussi des noms nouveaux : Rudolfsthal, Wind-
thorst, qui ne semblaient pas destinés aux « Orientales » de
la politique. A Nevesinje, en Herzégovine, proche de la
frontière du Monténégro, toute une colonie allemande s'est
installée il y a une année à peine, d'un bloc. Et il en va de
même en maint endroit, sans que les feuilles austro-hon-
groises, sans que les statistiques officielles en fassent men-
tion (3). »
En Turquie, la place prise par les Allemands est consi.
dérable. Pour l'intelligence du plan d'ensemble de la poli-
tique berlinoise, il est nécessaire de la bien connaître; je
vais donc insister sur ce point spécialement.
Afin de bien marquer la continuité des vues et la méthode
suivie, je remonterai aux origines de l'action allemande en
pays ottoman.
Depuis plus d'un demi-siècle, des hommes clairvoyants
ont attiré l'attention du gouvernement de Berlin sur les
avantages qu'il pourrait trouver un jour en Turquie et par-

(1) Ch. LOISEAU, le Balkan slave, p. 232. Perrin, Paris, 1898.


Il est à noter qu'un grand nombre d'Allemands qui se disent Allen*ands
autrichiens sont en réalité originaires de l'empire.
1

(2) Op. cit., p. 231.


(3) Op. cit., p. 232.
ticulièrement en Asie Mineure. Dès 1841, le futur maréchal
von Moltke, alors en mission à Constantinople, écrivait dans
la Gazette d'Augsbourg : Nous constatons que tout le pays
<t

ottoman est sous l'influence de la Russie, de la France et


de l'Angleterre, sans qu'on puisse trouver aucune trace de
l'influence allemande. Il est remarquable qu'en Turquie
on entende toujours parler de ces trois puissances, mais
jamais de l'Autriche. On devrait cependant, là-bas, avoir
de la considération pour cet État plus que pour aucun autre,
car c'est le glaive de l'Autriche qui, tôt ou tard, jeté dans
la balance, décidera de la situation. Toutes les flottes du
monde ne peuvent ni accomplir ni empêcher le partage de
la Turquie. L'armée autrichienne remplirait peut-être la
première tâche et à coup sûr la seconde (1). Von Moltke IJ

concluait en demandant la fondation en Palestine d'une


principauté allemande (2). En 1848, l'économiste Roscher
désignait l'Asie Mineure comme devant former dans l'ave-
nir la part de l'Allemagne dans les dépouilles de la Tur-
quie (3). Rodbertus allait plus loin encore. Il espérait «vivre
assez longtemps pour voir la Turquie tomber entre les
mains de l'Allemagne et les soldats allemands sur les rives
du Bosphore (4) Ce rêve n'avait rien d'excessif. Il est
1)
.
presque réalisé.
(1) unter dem Einfluss Russlands, Frankreichs und Englands, nur
« ...
nicht unter deutschem Einfluss. Es ist sehr auffallend, in der Turkei
imnier nur von jenen drei Machten, nie von Oesterreich reden zu horen,
und doch sollte gerade dieses vor allen anderen dort in Ansehen stehen,
denn Oeslerreichs Schwert ist es, welches einst in die Wage der Entschei-
dung geworfen werden wird. Alle Flotten der Welt konnen weder die
Teilnng der Turkei vollziehen, nocli sie verhindern ; Oesterreichs Heere
konnen das eine vieilleicht, das andere gewiss... von Moltke. Schriften,
M

t. II, p. 298.
(2) Op. cit., p. 279.
(3) « die in Zukunft das Erbe Deutschlands bilden sollen. » Cité dans
...
Deutschlanc/s Anspruche an das Tùrkische Erbe, p. 11.Lehmann, Munich,
1896.
(4) hoffte die Zeit zu erleben, wo die türkische Erbschaft an
...
«
Deutschland gefallen sein wird, und deutsche Soldaten oder Arbeiterregi-
menteram Bosporus stehen. » Op. cit., p. -12. Lehmann, Munich, 1896.
Il y a trente ans, les Allemands n'étaient encore rien à
Constantinople ; ce laps de temps très court leur a cepen-
dant suffi pour se créer en Turquie une situation hors de pair.
La première manifestation officielle de l'influence du
gouvernement de Berlin auprès du Sultan fut l'envoi, en
1882, d'une mission militaire. En principe, les officiers qui
étaient mis ainsi à la disposition du ministre de la guerre
turc devaient continuer la tâche de réfection de l'armée
ottomane, commencée par la mission française entre la
guerre de Crimée et 1870. En fait, la mission militaire alle-
mande, surtout dans ses premières années, a été loin d'avoir
l'influence qu'on est tenté de lui attribuer. Elle n'a point
eu, comme on l'admet souvent, la haute main sur les troupes
du Commandeur des croyants, qui, pour des raisons reli-
gieuses inéluctables, ne subissent que dans une très faible
mesure l'action d'officiers chrétiens, quels qu'ils soient.
D'ailleurs, sur les douze officiers qui composaient la mission
allemande, on trouvait onze hommes médiocres, incapables
d'exercer une influence sérieuse; le douzième, il est vrai,
était de la plus haute valeur. C'est aujourd'hui le général
baron Colmar von der Goltz (1). C'est lui qui a vraiment
frayé les voies à l'Allemagne en Turquie et qui, en obtenant
la réforme des écoles militaires turques et de la Grande
Maîtrise de l'artillerie, a fait pénétrer dans l'armée ottomane
la dose de principes militaires prussiens qu'elle était sus-
ceptible de s'assimiler. Quant aux campagnons de von der
Goltz, leur rôle s'est borné à amener la Turquie à acheter
exclusivement en Allemagne son matériel de guerre. Ils ont
pleinement réussi dans cette entreprise, but véritable de
leur mission. Le commerce allemand pour les armes, les
munitions, les équipements de toutes sortes, a ainsi trouvé en
Turquie un premier et important débouché.
Ce premier succès amena les publicistes allemands à

(1) Le même dont il a déjà été question p. 219.


préciser leurs vues sur ce qu'il convenait de faire en pays
ottoman. L'orientaliste Dr Sprenger publia en 1886 une bro-
chure intitulée : la Babylonie, la terre la plus riche du
passé et le champ de colonisation le plus rémunérateur du
présent (1). it De toutes les terres du globe, disait-il, il n'y
en a pas invitant davantage à la colonisation que la Syrie ou
l'Assyrie. Là, pas de forêt vierge à défricher, pas de diffi-
cultés naturelles à vaincre, mais seulement à gratter la
terre, à semer et à récolter (2). x « L'Orient est le seul ter-
ritoire du monde qui n'ait pas encore été accaparé par une
grande puissance. C'est cependant le plus beau champ de
colonisation. Si l'Allemagne ne manque pas l'occasion et
s'en saisit avant que les Cosaques étendent la main de ce
côté, elle aura, dans le partage du monde, acquis la meil-
leure part (3). " Peu après, le Dr Kaerger développa les
mêmes idées dans sa brochure : l'Asie Mineure champ de
colonisation allemande (4). Il conseillait la colonisation en
Asie Mineure au moyen de grandes sociétés établies dans le
voisinage du chemin de fer d'Anatolie, qu'il était alors ques-
tion de construire. Il demandait surtout la conclusion d'un
traité entre la Turquie et l'Allemagne. Il La Porte serait
garantie contre toute agression étrangère; elle accorderait
en échange aux Allemands une longue série de privilèges

(1) Babylonien, das reichste Land in der Vorzeit und das lohnendste
Kolonisationsfeld fiir die Gegel/wart. V. Deutschlands Ansprüche an das
Türkische Erbe, p. 12. Lehmann, Munich, 1896.
(2) « Unter allen Landern der Erde giebt es keines, das wie Syrien und
Assyrien so sehr zur Kolonisation einladet, hier giebt es keinen Urwald aus-
zuroden, keine Naturschwierigkeiten zu uberwinden, man hat bloss den
Boden aufzukratzen, zu saen und zu ernten. » Op. cit., p. 13.
(3) « Der Orient ist das einzige Territorium der Erde, das noch lIichtvon
einer der emporstrebenden Nationen in Beschlag genommen worden ist; es
ist aber das schonste Kolonisationsfeld, und wenn Deutschlanddie Gelegen-
heit nicht verpasst uud danach greift, ehe die Kosaken die Hand danach
austrecken, hat es in der Teilung der Erde den besten Teil errungen. »
Op. cit., p. 12.
(4) Kleinasien, ein deutsches Kolonisationsfeld. V. Deutschlands Ans-
priiche an das Türkische Erbe, p. 13. Lehmann, Munich, 1896.
qui permettraient de diriger le courant de l'émigration
allemande vers les régions fertiles de la Turquie et d'établir
plus tard avec cet État une union douanière; l'avenir éco-
nomique et politique de l'Allemagne serait ainsi placé sur des
bases d'une ampleur et d'une solidité extraordinaire (1). »
Un événement considérable vint alors stimuler singuliè-
rement l'activité des Allemands.
Constituée en 1892 sous l'égide de la Deutsche Bank et de
la Württembergische Vereinsbank, la société dite des chemins
de fer ottomans d'Anatolie obtint le 4 octobre 1888 un firman
lui concédant l'établissement et l'exploitation d'un réseau
en Asie Mineure. Le directeur général de cette société était
M. von Kühlmann, et l'ingénieur en chef M. 0. Knapp, tous
deux Allemands. Sous une direction allemande, construits
CI

avec un capital et un matériel allemands, » les chemins de


fer d'Anatolie sont donc bien une œuvre allemande. Politi-
quement, le fait même de la concession marquait un im-
mense progrès; financièrement, l'entreprise n'offrait qu'un
minimum de risques. L'article 29 de la convention passée
avec le gouvernement ottoman stipulait de lui, en effet,
une garantie kilométrique de 15,000 francs, c'est-à-dire
qu'il s'engageait à parfaire cette somme à titre de dividende
par kilomètre exploité, quels que fussent en réalité les
rendements de l'exploitation. Le réseau concédé dans ces
conditions se composait de trois tronçons :
Il De Haidar-Pacha à Eski-GheirJ;
20 D'Eski-Chehir à Angora ;
30 D'Eski-Chehir à Konia (2).
Commencées en 1889, ces trois lignes furent terminées en
1896. L'exécution de ce grand travail laissait entrevoir les

(1) Il... so würde damit dieganze wirtschaftliche und damit auch politische
Zukunft Deutschlands auf eine ungleich breitere und festere Grundlage
gestellt werden... » V. Deutschlands Anspriiche an das Tüi-kiçche Erbe,
p. 14. Lehmann, Munich, 1896.
(2) V. la carte insérée p. 352.
plus brillantes perspectives. Le temps était bien passé où
M. de Bismark lançait sa boutade célèbre : « La question
d'Orient ne vaut-pas les os d'un grenadier poméranien, « et
se vantait avec une ostentation qui peut-être déjà n'était pas
très sincère de ne point lire le courrier de Constantinople.
Guillaume II venait de monter sur le trône. Dans sa préoc-
cupation d'assurer des débouchés au commerce de son em-
pire, il apporta, dès le début de son règne, une attention
extrême à tout ce qui concernait la Turquie. Bientôt sa
politique orientale se dessina.
Au lieu de continuer à servir c du mauvais café » a
l'homme malade JJ, ne valait-il pas mieux lui faire prendre
des fortifiants ? On serait le sauveur et on aurait droit
à la reconnaissance. C'était là la théorie des cercles offi-
ciels. Les Pangermanistes, alors au début de leur organisa-
tion et dans la fièvre de leurs premiers efforts, n'envoyaient
que le triomphe final. «L'intérêt allemand demande que la
Turquie d'Asie au moins soit placée sous le protectorat
allemand. Le plus avantageux serait pour nous l'acquisi-
tion en propre de la Mésopotamie et de la Syrie, et l'obten-
tion du protectorat de l'Asie Mineure habitée par les Turcs.
Un sultanat serait formé des terres situées dans la sphère
d'influence allemande avec garantie de la plus complète
autonomie pour ses habitants (1). » Ces idées de conquête
progressive furent développées dans une brochure au titre
suggestif : les Prétentions allemandes à l'héritage de la Tur-
quie (2). Éditées par YAlldeutscher Verband, ces curieuses
pages résument les idées fondamentales du Dr Hasse et de
(1) das deutsche Interesse aber verlangt zum mindesten, dass dann
«...
diese asiatische Turkei unter deutsche Schutzherrschaft gestellt werde, und
das vorteilhafteste ware fur uns einerseits die Erwerbung Mesopotamiens und
Syriens zu eigenem Besitz, andrerseits die Schutzherrschaft iiber das klein-
asiatische, im wesentlichen von Tiirken bewohnte Sultanat und die Einbe-
ziehung Arabiens in die deutsche Interessensphâre bei voltiger Autonomie
seiner Hewohner. » Alldeutsche Blàtter, 8 décembre 1895, p. 222.
(2) Deutschlands Anspriiche an das Türkische Erbe. Lehmann, Munich
1896.
ses amis sur la mission orientale de l'Allemagne. Elles ont
révélé leurs ambitions insatiables; le fameux voyage de
Guillaume II à Jérusalem et à Constantinople, en octobre
1898, est encore venu les exaspérer.
Le succès remporté par l'empereur allemand dans ce
déplacement politique n'est pas contestable. M. de Bülow,
qui l'accompagnait, eut avec le grand vizir de nombreuses
conférences et, bien qu'aucune communication officielle ne
permette d'affirmer l'existence d'un instrument diplomati-
que, il semble qu'un traité analogue à celui réclamé par le
Dr Kaerger ait été passé entre l'Allemagne etla Turquie. Des
faits très certains le font au moins supposer. Pendant le
séjour de Guillaume II à Constantinople, le sultan concéda
le port d'Haidar-Pacha, sur le Bosphore, à la compagnie
allemande des chemins de fer d'Anatolie; après le départde
l'empereur, le directeur de la Deutsche Bank, le Dr Siemens,
est devenu plus puissant que jamais ; les officiers allemands
ont pris une place plus considérable que par le passé ; on leur
a fait inspecter successivement tous les corps d'armée ; on
les a chargés d'organiser les grandes manœuvres; à la con-
férence de la Haye, enfin, Abdul-Hamid a affiché avec
éclat sa solidarité avec l'Allemagne et, d'accord avec elle,
refusa de suspendre ses armements.
Ces faveurs des Turcs, au lieu de calmer les ambitions
allemandes, les déchaînent. A Berlin, on convoite de plus
en plus l'Asie Mineure. Les premiers résultats des chemins
de fer d'Anatolie ayant été plus que satisfaisants, on a fait
étudier le pays avec un soin minutieux, par des missions
nombreuses. Le premier-lieutenant d'artillerie Karl Kannen-
berg, aidé du premier-lieutenant Schâffer, attaché au grand
État-major, a résumé le résultat de ses observations dans un
ouvrage très complet (1). Depuis que ces explorations sont
(1) Kleinasiens Naturchâtze, von KANNENBERG, Prem.-Lieut. im thüring.
Feldartillerie-Regiment N° 19, mit Beitrâgen von Prem.-Lieut. Schàffer,
kommandiert zum grossen Generalstab. Borntraeger, Berlin, 1897.
-
terminées, on invite instamment les Allemands à aller trafi-
quer dans ces régions ; afin de leur faciliter les choses on a
dressé un intéressant atlas économique du pays (1). Mais le
but qu'on poursuivait avec le plus d'ardeur était d'obtenir
la concession de la voie ferrée qui doit aboutir au golfe
Persique.
Depuis plusieurs années déjà, les ambassades de Cons-
tantinople soutenaient chacune leur tracé. Les Anglais
appuyaient un projet qui, partant d'Alexandrette, atteignait
la vallée de l'Euphrate par Alep, et la suivait ensuite jus-
qu'à Bagdad. Le syndicat russe formé par le comte Wladimir
Kapnist, cousin du représentant du Tsar à Vienne, voulait
Tripoli de Syrie comme tête de sa ligne, qui, après un em-
branchement sur Kerbela, aboutissait à Koueit sur le golfe
Persique. Les Allemands, eux, rêvaient de prolonger la
ligne d'Angora, par Kaïserieh-Sivas-Malatia-Diarbékir, jus-
qu'à Bagdad, mais pendant longtemps ils ne purent trouver
de combinaison financière assez sûre pour proposer la réa-
lisation de ce vaste programme. Leur tâche pendant cette
période dut se borner à être négative et à empêcher que les
compétiteurs n'obtinssent la concession. Les Allemands
d'ailleurs ne renonçaient nullement à leur projet; avec leur
ténacité bien connue ils poussaient au contraire les études
à fond. Elles démontrèrent les difficultés techniques d'un
prolongement par Angora. Une commission d'étude, com-
posée du consul général, conseiller de légation Stemrich,
de l'ingénieur en chef prussien Mackensen, fut chargée
d'examiner si l'entreprise ne serait point plus facilement
réalisable en partant de Konia. En même temps, le major
Morgen, attaché militaire près de l'ambassade allemande à
Constantinople, recevait de l'empereur Guillaume l'ordre
de se rendre à Erzeroum et à Bagdad pour y étudier la
valeur stratégique du chemin de fer à construire. Enfin le
. (1) Handel.ç-und Produktenkarte von Kleinasien, par le DrErnst-Fried-
rich STEnNKoPF. Halle, 1898.
souverain allemand détachait de son escadre du Pacifique
le croiseur Arcona et l'envoyait découvrir au fond du golfe
Persique quel serait le meilleur point d'aboutissement de la
ligne projetée.
Tout étant ainsi préparé, la diplomatie allemande à Cons-
tantinople redoubla d'activité. Afin de réduire les oppositions
manifestes, elle imagina de constituer une société interna-
tionale, neutre en apparence. Ce procédé avait en outre
le très précieux avantage de permettre de rassembler les
capitaux nécessaires. Les Allemands agirent ensuite vigou-
reusement à Yldiz-Kiosk ; ils persuadèrent si bien au Sultan
que ce chemin de fer une fois construit lui permettrait de
mobiliser rapidement ses troupes d'Asie Mineure alors que
présentement il lui faut plusieurs mois avant de pouvoir les
utiliser dans une guerre européenne, qu'en décembre 1899,
le Dr Siemens, président du conseil d'administration de la
société des chemins de fer d'Anatolie, signait avec la Porte
une convention décisive. En vertu de cet accord, le chemin
de fer de Bagdad était concédé à la Société dite internatio-
nale. Celle-ci s'engageait à terminer les travaux dans un
délai de huit années. Un article de la convention stipulait
que le capital de l'entreprise serait réparti dans les propor-
tions suivantes :
40 pour 100 d'argent allemand;
40 pour 100 d'argent français ;
20 pour 100 de capitaux d'autres nationalités.
Quand la nouvelle de la concession parvint à Berlin, où on
l'attendait anxieusement depuis plusieurs semaines, ce fut
une explosion d'enthousiasme. Guillaume Il remercia le
Sultan dans un télégramme chaleureux, les Feuilles panger-
maniques firent ressortir fort exactement l'importance du
futur chemin de fer dans un article intitulé : Il Le chemin de
fer allemand de Bagdad. Il
(1
A bon droit nous pouvons désigner sous ce titre la con-
cession de chemin de fer récemment faite par le Sultan,
bien qu un groupe de financiers français y participe pour
40 pour 100. La banque allemande (Deutsche Bank) de
Berlin est à la tête de l'affaire. On sait qu'elle administre
financièrement les chemins de fer d'Anatolie et qu'elle leur
a assuré un développement économique et politique consi-
dérable.
«
L'id ée de ce chemin de fer a été conçue parl'intelligence
allemande; des Allemands ont fait les études préliminaires;
des Allemands ont écarté tous les obstacles qui en empê-
chaient l'exécution. Ils étaient très grands. Nous devons
d'autant plus nous réjouir de ce succès, que les Russes et
les Anglais se sont ardemment employés à la Corne d'Or
pour empêcher l'adoption du projet allemand. Les Anglais
ont joué leur dernier atout en se déclarant prêts à cons-
truire le chemin de fer de Bagdad sans aucune garantie
fournie par le gouvernement turc. S'ils ont échoué, c'est
que derrière l'entreprise de chemin de fer, la Porte a vu
les desseins politiques du gouvernement anglais.
«
Le Sultan possède dans les pays traversés par le chemin
de fer de grandes propriétés particulières. Au début, il était
peu favorable à l'entreprise, puis il consentit à ce que le
chemin de fer fût construit et administré par des Allemands,
à la condition qu'il restât une propriété turque. A ce mo-
ment, l'influence personnelle de notre empereur a écarté
les derniers obstacles et a ouvert à l'esprit d'entreprise des
Allemands un champ d'action qui promet infiniment. Le
nouveau chemin de fer se joint à Konia à la ligne d'Ana-
tolie et par Bagdad et Bassorah aboutit au golfe Persique,
à environ cent kilomètres de l'embouchure du Chat-el-
Arab.
"
Sur une longueur de plus de 3,400 kilomètres, la ligne
traverse des régions qui, jadis, furent le siège d'un com-
merce florissant et d'une riche agriculture. Elle établit une
nouvelle communication entre l'Europe et les Indes elle
;
rouvre entre ces pays lointains, la Syrie et le Levant, la
route commerciale que pratiqua autrefois Alexandre le Grand.
Ce n'est pas seulement parce que la construction de ce chemin
de fer absorbera 400 millions de francs que l'industrie alle-
mande trouvera une source abondante de profits, mais parce
qu'il nous mettra à portée de territoires riches et vastes" qui
offrent au commerce allemand un immense débouché.
Il
Si l'on considère les avantages politiques et militaires
que la Turquie recevra du fait du chemin de fer, on trouve
qu'elle s'est tirée à bon compte en accordant une simple
garantie d'intérêt.
Il
Pour l'empire allemand, abstraction faite des avantages
économiques, le chemin de fer de Bagdad pourra être plus
tard d'une grande valeur politique. Nous avons donc une
double raison d'être reconnaissants aux hommes dont
l'énergie et l'habileté ont mené cette œuvre à bonne
fin (1). Cette joie un peu exubérante se conçoit. La con-
1)

cession du chemin de fer de Bagdad, dans les conditions


où elle est faite, est en effet destinée à produire les consé-
quences les plus extraordinaires ; elle constitue le dernier
acte de la mainmise des Allemands sur tous les princi-
paux chemins de fer ottomans. Qu'on en juge.
La ligne Salonique-Monastir, concédée en 1890 à M. Al-
fred Kaulla, directeur de la Württembergische Vereinsbank,
est absolument allemande. Son conseil d'administration est
présidé par M. G. Siemens. Cette ligne doit être prolongée
jusqu'à l'Adriatique. On comprend l'importance exception-
nelle qu'elle prendrait du jour où l'Allemagne serait ins-
tallée à Trieste.
Les Allemands exercent également une influence prépon-
dérante sur la compagnie d'exploitation des chemins de fer
orientaux Mitrovitza-Uskub-Salonique et Bellova-Philippo-
poli-Andrinople-Constantinople. Cette société, fondée, jadis,
M. Hirsch, été, après sa transformation, placée sous la
par a

(l) Alldeutsche Blàtter, 17 décembre 1899.


direction financière de la Deutsche Bank. Ces chemins de
fer aboutissent à Stamboul, derrière la pointe du Sérail. De
la gare, cinq kilomètres à peine, pendant lesquels le Bos-
phore se joint à la mer de Marmara, séparent la rive d'Eu-
rope de la Turquie d'Asie. En un quart d'heure de bateau,
le voyageur arrive à Haidar-Pacha, point concédé, comme
je l'ai dit, en 1898 aux Allemands pour l'établissement d'un
port. Or, Haidar-Pacha est la tête de ligne des chemins
de fer allemands d'Anatolie, dont les rails atteignent An-
gora et Konia. Un court branchement, parti d'Afioun, va
bientôt souder ce second tronçon à la petite ligne fran-
çaise Smyrne-Kassaba, de telle sorte que le grand port de
Smyrne aura pour hinterland toute l'Asie Mineure et se
trouvera livré au commerce allemand. Enfin, de Konia, la
ligne doit être incessamment prolongée jusqu'au golfe Per-
sique.
Cela ne suffit point encore. Les Allemands veulent pos-
séder entièrement tous les maillons de la chaîne de com-
munication. Après les chemins de fer, ils prétendent
acquérir les quais de Constantinople, qui appartiennent
encore à une compagnie française.
A la fin d'octobre 1899, parut un iradé impérial insti-
tuant une commission chargée d'étudier la question du ra-
chat des quais par l'État. « Or, disait la Deutsche Zeitung,
le gouvernement n'a pas actuellement l'argent nécessaire
au rachat et ne saurait se charger lui-même de l'adminis-
tration des quais. Il devrait donc se trouver quelqu'un qui
fournît les fonds et se chargeât de l'exploitation. Ce serait
la Compagnie des chemins de fer orientaux ou celle d'Ana-
tolie. Comme « La banque allemande » (Deutsche Bank) est
derrière l'une et l'autre, ce serait u La banque allemande »
elle-même. Par conséquent, si les quais devenaient posses-
sion allemande, ne fût-ce qu'à bail, tous les transports et les
communications seraient aux mains des Allemands depuis la
frontière orientale rouméliote jusqu'au golfe Persique. Les
conséquences économiques et politiques-de ce fait seraient
incalculables (1). »
... ,
On le croit sans peine. Ce serait tout d'abord l'exploita-
i

tion réservée à des Allemands de ces immenses vallées du


Tigre et de l'Euphrate d'une richesse prodigieuse. Les
résultats obtenus par la compagnie du chemin de fer d'Ana-
tolie, qui n'opère cependant encore que sur le haut pla-
teau qui les précède, en donnent une haute idée. Les bois
de construction, les minéraux, le vin, la laine, les grains sur-
tout, alimentent son trafic, qui en raison du bas prix de la
main-d'œuvre qu'on rencontre en Anatolie apparaît comme
facilement extensible.
Ces avantages économiques, si précieux déjà, ne sont
encore rien à côté de la perspective de disposer de la route
la plus courte vers l'Extrême-Orient. Quand les rails attein-
dront le golfe Persique, les Il malles » devront forcément
emprunter cette voie, infiniment plus rapide que celle par
Suez. Les compagnies allemandes aussi bien de navigation
que de chemins de fer se trouveront ainsi maîtresses du transit
des voyageurs de l'Europe à destination des Indes, de la
Chine et du Japon.
Enfin, l'accaparement des chemins de fer ottomans procure
aux Allemands l'occasion d'habituer progressivement les
populations à leur contact. Ils s'insinuent dans le pays, éta-
blissent des écoles à chaque station importante et font péné-
trer partout la souple influence germanique. Cette main-
mise a son résultat bien naturel. A mesure qu'ils occupent
plus étroitement la terre turque, à titre précaire, les Alle-
mands éprouvent un besoin grandissant de la posséder à
titre définitif.
Les faveurs exceptionnelles dont Abdul-Hamid les comble
entretiennent toutes ces espérances. Pas un mois ne s'écoule
sans qu'un nouvel acte du Sultan les encourage à aller

j (l) e Zeitung. Berlin, 17 décembre 1899.


Deutsch
plus loin. Je ne citerai que les faits les plus récents; Pen:"
dant la guerre sud-africaine, ce sont les consuls alle-
mands au Transvaal qui ont été chargés des intérêts des
sujets ottomans sur le territoire des deux républiques; les
sujets allemands qui trafiquent en Turquie jouissent de
facilités particulières, notamment à la douane; les touristes
allemands eux-mêmes sont l'objet de distinctions spéciales.
Dans le Starriboul du 10 mars 1900, on pouvait lire : «Les
quelques personnages allemands se trouvant parmi les tou-
ristes de l'Augusta-Victoria ont èu l'honneur d'être pré-
sentés hier à S. M. r. le Sultan par S. E. l'ambassadeur
allemand. » *

Masquée derrière le Commandeurdes croyants, l'influence


allemande commence même à s'exercer dans les territoires
africains encore soumis au Sultan. En juillet 1900, Mehmed-
Afez-Pacha, gouverneur de Tripoli, a quitté Constantiriople
pour se rendre à son poste. Dans sa suite se trouvait le colo-
nel allemand von Ruedgisch, chargé par le gouvernement
ottoman de la réorganisation des troupes irrégulières de
Tripoli. N'y a-t-il pas là un fait qui mérite d'être soigneuse-
ment retenu à un moment où la valeur internationale de
l'hinterland de la Tripolitaine se précise? Il est très cer-
tain qu'en cas de conflit général l'existence de troupes
turques bien organisées au sud-est de la Tunisie serait dan-
gereuse pour les Français.
Favorisée de mille façons, la colonie allemande de Cons-
tantinople augmente rapidement. Elle a ses cercles, ses
journaux, ses écoles; grâce à elle, la langue allemande se
développe dans Péra. On la parle dans un nombre crois-
sant d'endroits; déjà sa nécessité s'impose au point qu'on
est obligé de l'enseigner, au moins à titre facultatif, même
dans certaines écoles françaises. C'est là une conséquence
des milliers d'affaires que brassent maintenant les Allemands
en pays ottoman. La Deutsche Bank leur prête un énergique
concours. Son rôle devient de plus en plus prépondérant.
M. Ch. Loiseau a donc raison quand il dit
; « L'empire alle-
mand tend à devenir de plus en plus le conseiller diplomati-
que, le courtier financier et l'éducateur militaire de l'empire
ottoman (1). x Et sir Ellis Ashmead Bartlett n'exagère pas
quand il affirme : Il Les Allemands absorbent simplement
toute la Turquie. Ces résultats extraordinaires de la poli-
IJ

tique de Guillaume II satisfont les Pangermanistes les plus


exigeants. Pour le moment, ils cessent de réclamer le par-
tage de la Turquie. « Il importe beaucoup à nous autres
Allemands, dit l'organe du Dr Hasse, de renforcer la domi-
nation du Sultan et de la Turquie, puisque son existence est
désirable pour l'Allemagne (2). IJ

Dans son discours de Damas, Guillaume II a nettement


montré que sa politique turque n'était qu'une introduction à
sa politique musulmane. « Puisse Sa Majesté le Sultan, ainsi
que les 300 millions de Mahométans qui vénèrent en lui leur
Calife, être assurés que l'empereur allemand est leur ami
pour toujours (3) ! L'acte publié dans le moniteur officiel
M

allemand, par ordre de l'empereur, à l'occasion du vingt-


cinquième anniversaire du règne du Sultan, a encore accen-
tué la note ardente de ces sentiments : Demain le Sultan
eL

aura accompli la vingt-cinquième année de son règne. En


ce jour solennel, de toutes les parties de son vaste empire,
s'élèveront vers le ciel des prières pour la prospérité dit
calife. i, En Allemagne, on songera avec plaisir à l'anni-
c(

versaire d'un monarque dont la diplomatie prudente a tou-


jours maintenu les relations entre la Turquie et l'Allemagne
sur un pied d'une amitié que rien n'a troublée, dont beau-
(1) Charles LOISEAU, Balkan Slave, p. 227. Perrin, Paris, 1898.
(2) « Uns Deutschen kommt es darauf an, die Herrschaft des Sultans und
der Turkei zu kriiftigen, weil fiir Deutschland die Existenz des turkischen
Reiches erw'Unscht ist. Il Alfdeutçclten Blalter 1879, p. 235.
(3) « VIogen Seine Majestàt der Sultan und mogen die dreihundert Mil-
lionen Vlahotninedaner, welche auf der Erde zerstreut lebend in ihm ihren
Kalifen verehen dessen versichert sein, dass zu allen Zeiten der Deutsche
Kaiser ihr Freund wird. » Cité dans Zur Heimkehr des Kâisers, von.
C. CONRADT, p. 7. D. Reimer, Berlin, 1898. -
1 .
coup de nos compatriotes en Orient reconnaissent, avec res-
pect et gratitude, la bonne volonté éclairée. A l'occasion de
la date de demain, nous souhaitons, comme le feront des
millions de sujets, un long règne, béni et pacifique, au sou-
verain hospitalier, auquel l'empereur rendit justice dans
son toast mémorable du 8 novembre 1898 à Damas, au pro-
tecteur constant et amical de la civilisation allemande en
Turquie. »
Ces témoignages de sympathie de Guillaume II pour les
Ottomans ne peuvent pas empêcher de considérer qu'au
point de vue turc la place exceptionnelle que le Sultan fait
aux Allemands dans son empire présente de sérieux incon-
vénients. De plus en plus, ceux-ci tendent à regarder pays le
ottoman comme leur propriété personnelle. Toute la nou-
velle littérature allemande sur la Turquie manifeste cette
conviction. Un simple compte rendu de voyage est intitulé :
«
En Asie Mineure, sur les chemins de fer allemands (1). »
Dans son Atlas pangermaniste, Paul Langhans donne la
carte du chemin de fer allemand d'Anatolie et des chemins
de fer allemands de Bagdad (2). C'est donc bien, à tous les
degrés, la conquête de la Turquie organisée.
En Extrême-Orient, depuis le coup de force de Kiao-
Tcheou, l'Allemagne marche à pas de géant. Il n'y a guère
de doute que la crise actuelle se résoudra par sa mainmise
sur la province de Chan-Toung, l'une des plus riches de la
Chine.
Si maintenant l'on considère l'ensemble de ces faits mul-
tiples et certains, on constate qu'ils résultent bien de ce
plan de cheminement à travers la péninsule balkanique, qui
fut dressé jadis par Paul de Lagarde et perfectionné ensuite.

(1) V. Anf Deutscher Bahn in Kleinasien, par DERISBURG. Springer,


Beilin, 1898.
(2) «
... deutsch-anatolische und deutsche Bagdad-Bahnen. » V. la cou-
verture de l'Alldeutscher Atlas de Paul LANGHANS. Justus Perthes, Gotha,
1900.
"
Il y a longtemps, disait en août 1880 la Gazette nationale
de Berlin, que nous répétons aux colons partant pour l'Amé-
rique qu'il y a, à deux pas de chez nous, des pays magni-
fiques qu'il faut conquérir à la civilisation. Cette conquête
allemande, nous entendons qu'elle soit pacifique, qu'elle
soit faite par nos paysans, nos architectes, nos fonction-
naires (1). Le Deutscher Schulverein, dont j'ai montré déjà
M

l'action en Autriche (voir p. 210), est un des instruments de


cette pénétration. Il compte environ 40,000 membres, répar-
tis en 18 groupes provinciaux et 40 autres groupes subsi-
diaires (2). L'objet de cette société « est de faciliter à tous
les Allemands la mise en pratique individuelle du Drang nach
Osten. Son budget dépasse 100,000 marks. Elle a des agents
spéciaux, le D'Gœrtz entre autres, qui vont relever sur place
la topographie agricole et commerciale des régions qu'on
lui signale comme propices à des établissements allemands.
Il n'est guère de colon qui ne soit connu d'elle, ou de la
Sudmark ou d'autres sociétés similaires. Tout ce mouvement
est si bien concerté et se relie si naturellement à des centres
propulseurs qu'on en pourrait donner l'exacte mesure, si ces
sociétés montraient leurs livres (3). » Cette organisation
méthodique explique tout. Voilà pourquoi la burtia slave
s'appelle dorénavant Gasthaus (4) ; pourquoi de petits grou-
pements allemands se créent partout. Sans doute, il sont
infimes par rapport à la masse de la population environ-
nante, mais ils forment les maillons d'une chaîne. " C'est
quand les soudures partielles sont terminées qu'on découvre
la solidarité des anneaux et qu'elle se ferme (5). »En des
directions diverses, ces chaînes traversent la péninsule des
Balkans ; par la Bosnie et l'Herzégovine, elles donnent sur-
. (1) Cité par J. DE WITTE, l'Évolution de la question d'Orient dans les
Balkans, p. 54. Schepens, Bruxelles, 1900.
(2) Charles LOISEAU, le Balkan slave, p. 234. Perrin, Paris, 1898.
(3) Idem.
(4) Op. cit., p. 232.
(5) Op cit., p. 246.
tout à l'Allemagne la possibilité de se joindre plus tard à la
Turquie.
Il est clair que si la forme actuelle de l'empire a permis
d'atteindre des résultats aussi extraordinaires, la Confédé-
ration germanique, reconstituée sur les bases supposées au
début de ce chapitre, disposant d'une puissance militaire
énorme, exercerait autour d'elle une radiation dont on peut
concevoir les formes.
Cette radiation serait d'abord balkanique. Une fois en
contact direct avec les régions de l'Europe orientale, le gou-
vernement de Berlin tirerait tout le parti des centres alle-
mands qu'il crée méthodiquement, depuis si longtemps,
même dans les régions les plus foncièrement slaves. La
Roumanie, rapprochée du moment où elle pourrait mettre
la main sur la Transylvanie, serait de plus en plus dans la
dépendance étroite de l'Allemagne; la Serbie et la Bulgarie
verraient leur développement entravé; la Bosnie et l'Herzé-
govine formeraient la grande route allemande vers la Tur
quie. Trieste marquerait la première étape, Salonique la
seconde.
Alors, si le Sultan commettait la faute de laisser les Alle-
mands coloniser en Asie Mineure, la radiation orientale
s'exercerait pleinement. Maîtres de cette gigantesque voie
ferrée qui s'étendrait sans interruption depuis Hambourg
jusqu'au golfe Persique,les Allemands feraient de son point
d'aboutissement la tête de ligne de leurs compagnies de
navigation à destination de l'Extrême-Orient. Le Chan-
Toung, dont Guillaume II est en train de s'emparer confor-
mément aux principes de la Weltpolitik, se trouverait ainsi
relié par les voies les plus directes à la Confédération ger-
manique, dont on constaterait alors, dans toute sa vigueur, la
radiation extrême-orientale. Enfin, dans sa dernière forme,
la radiation serait pangermaniste. CI
Créer des colonies et
des cultures allemandes en Turquie, dit le Dr Kaerger, est
un plan qui, en dehors de ses conséquences pour la poli-
tique et le trafic universels, a une importance toute particu-
lière pour le Pangermanisme. En raison de la situation de
ce territoire, non seulement l'empire allemand, mais le
peuple allemand tout entier devrait contribuer à cette tâche.
Les tribus allemandes de la Suisse et surtout celles de l'Au-
triche devraient être appelées à y coopérer, aussi bien que
,
celles de l'empire allemand (1). » Rien de plus juste. En effet,
après la mainmise sur les pays des Balkans et de l'Orient,
la dernière phase de l'œuvre de Paul de Lagarde et du
Dr Hasse pourrait être facilement accomplie. Pour des con-
sidérations économiques décisives, les petits États comme
la Hollande, la Belgique, la Suisse, ne pourraient plus vivre
auprès de l'immense ZoLLverein, maître d'écraser leur indus-
trie. Leur seule manière d'échapper au désastre serait évi-
demment de se soumettre à l'hégémonie prussienne, en
entrant dans l'union douanière. L'absorption politique sui-
vrait d'autant plus vite qu'elle est dès maintenant prépa-
rée. Une propagande pangermaniste, moins intense sans
doute, mais analogue à celle qui a eu lieu en Autriçhe, se
fait également au nord-ouest de l'empire. En Belgique, les
Allemands sèment la division entre Wallons et Flamands
et se sont déjà rendus maîtres d'Anvers; en Hollande, le
récent mariage de la reine avec un prince dévoué aux inté-
rêts de Berlin, vient encore favoriser leurs desseins. Par-
tout ainsi on retrouve l'action de la politique1 berlinoise qui,
avec une admirable prévoyance, prépare des résultats judi-
cieusement échelonnés dans le temps. Finalement, on abou-
tirait donc à une extension nouvelle de la Confédération,

(1) «Der Plan einer deutschen Kolonisation und Kultivation in der asia-
tischen Turke! hat ausser der politischen, wirtschaftlichen und weltverkehr-
lichen auch noch eine nationale, ganz besonders eine alldeutiche Bedeu-
tung. Nach der Lage dieses Gebietes wiïrde sich an dieser Aufgabe nicht
bloss das deutsche Reich, sondern das deutsche Volk in seiner Gesamtheit
beteiligen konnen. Die deutschen Staminé der Schweiz und ganz besonders
Oesterreichs waren ebenso zur \litarbeit berufen, wie die deutschen
Stamme des Deutschen Reicbes. " Alldeutsche Blatter, 1895, p. 224.
qui, par des élargissements successifs, arriverait à englober
tous les États du vieux continent dits germains, et bien
entendu ceux qui sans être germains formeraient enclave
dans cette immense étendue. Les colonies de ces divers États
constilueraient dans toutes les parties du monde un im-
mense territoire extra-européen, exclusivement réservé aux
exportateurs du grand empire germanique.
Il y a déjà dix-sept ans, M. de Caix de Saint-Aymour a
entrevu, avec une perspicacité remarquable, mais qui sans
doute alors ne fut guère appréciée, les premières phases de
cette gigantesque opération. Il a merveilleusement compris
qu'elle devait commencer par l'absorption de l'Autriche.
«
Pour les Allemands, en effet, l'Autriche n'est qu'une
avant-garde, un pionnier de l'Allemagne en Orient, et sa
mission est de civiliser, c'est-à-dire de germaniser tout le
sud-est de l'Europe. Pour les politiciens de Berlin, la forme
actuelle de la monarchie des Habsbourg n'est qu'une forme
provisoire, préparatoire, qui ne doit durer qu'aussi long-
temps qu'elle sera nécessaire pour couvrir de son drapeau
l'infiltration lente des Germains dans la vallée du Danube ;
tous les pays soumis à l'Austro-Hongrie sont considérés dès
à présent comme autant de provinces d'une Grande-Alle-
magne future et les nations qui les habitent comme des
vassales de la race allemande (1). «
« Le
grand jeu se joue à Vienne et à Pesth, et c'est l'Au-
triche-Hongrie que l'Allemagne pousse sur la route du
Bosphore. Les deux étapes de cette route sont faciles à dé-
terminer.
cc
Première étape :
Il
L'Austro-Hongrie,démesurément étendue vers l'Orient,
devient réellement l'empire de l'Est... à la condition, cela
va sans dire, d'abandonner à la Grande-Allemagne les sept
millions de Germains qu'elle détient encore.
(1) DE CAIX DE SAINT-AYMOUR, les Pays sud-slaves de l'Austro-Hongrie,
p. 288. Plon, Paris, 1883. 1 1
«
Deuxième étape :
«
L'empire des Habsbourg, s'épuisant vainement à main-
tenir dans un calme factice ses peuples ethnographique-
ment et linguistiquement séparés et rivaux, sinon hostiles,
ne réussit dans cette tâche qu'avec l'appui de l'empire des
Hohenzollern et sert, en échange, de véhicule et de champ
de germanisation à la culture allemande.
" Puis, quand cette germanisation aura fait assez de pro-
grès, quand l'empereur d'Autriche, devenu à son tour
l'homme malade, ne gouvernera plus que des Magyars, des
Roumains ou des Slaves teutonisés, la presqu'île des Bal-
kans tombera comme un fruit mûr aux mains du Gargantua
de Berlin, qui pourra tranquillement alors quitter les bords
de la Sprée, et transplanter sa capitale sur les rives plantu-
reuses de la belle Donau, sinon sur les eaux bleues de la
mer Égée (1). "
La vitalité des Slaves d'Autriche est venue compromettre
gravement la réalisation de ce beau rêve; mais comme on
n'y a point encore renoncé à Berlin, l'Autriche apparaît
plus que jamais comme la clef de voûte de l'énorme édifice
que les Allemands prétendent élever. Sans elle, tout est
incomplet et tout peut s'écrouler. Ils l'avouent bien dans
leurs accès d'impatience : L'Autriche barre la route de
l'Orient. « Elle est comme un sac devant une porte. Pen-
dant longtemps nous avons cru que c'était un sac de sable,
maintenant nous voyons que c'est un dangereux sac de
poudre (2). » « L'empire allemand doit s'emparer de l'Au-
triche-allemande (3). Alors seulement la bâtisse germa-
1,

nique apparaîtrait avec ses dimensions colossales.

(1) DE CUX DE SUNT-AYMOUR, les Pays sud-slaves de l'Autriche-Hon-


grie, p. 290. Plon, Paris, 1883.
(2) Oes).er reich liegt ihnen wie ein Sack vor der Thur : so lange dach-
CI

ten wir, wie ein trâger Sandsack, jetzt aber, wie ein gefahrlicher Pulver-
sack. » Zur l1eimkehr des Kaisers von Carl Conradt, p. 4. D. Reimer,
Berlin, 1898
(3) « das Deutsche Reich muas Deutschosterreich erobern : « Die
...
La carte Ce que serait l'Allemagne agrandie de l'Au-
c(

triche » en donne quelque idée.


Ayant coupé en deux l'Europe, maîtresse de l'Adriatique
comme de la mer du Nord, sûre de ses flottes et de ses
armées, la Grande-Allemagne pèserait lourdement sur le
monde. Trieste, le Hambourg du sud, l'alimenterait dans la
paix, la ravitaillerait dans la guerre. Douée d'un outillage
d'une puissance incomparable, son industrie inonderait de
ses produits les pays qu'elle s'ingénie avec tant d'art à acca-
parer la Hollande et la Belgique déjà pénétrées; la Hon-
:

grie, cliente; la Roumanie, satellite; la Bulgarie, barrière


brisée; la Bosnie et l'Herzégovine, portes de l'Orient. Au
delà du Bosphore, elle atteindrait l'Asie Mineure, réservoir
immense de richesses. Projetée depuis Hambourg jusqu'au
golfe Persique sans solution de continuité, l'immense voie
ferrée allemande souderait Berlin à l'Extrême-Orient.
Alors le rêve gigantesque de l'empereur Guillaume II
la
serait accompli. Par force et par la richesse commerciale,
l'Allemagne dominerait l'univers. Pour caractériser l'état de
choses qui existerait alors, il suffirait de modifier légèrement
ce que Metternich écrivait de la France napoléonienne, et
de dire : « Le système allemand, qui triomphe aujourd'hui,
est dirigé contre tous les grands corps d'Etat, contre toute
puissance capable de maintenir son indépendance (1). Il

Édouard Hervé avait donc une prescience de l'avenir


prodigieuse lorsqu'il affirmait comme essentiel à la vie de
l'Europe « Une Autriche unie et forte est nécessaire pour
:

arrêter l'ambition prussienne. »


Deutsche Politik der Zukunft. » P. 12. Deutschvolkischer Verlag « Offin"
Munich, 1900.
,
'
(1) V. TAIISE, le Régime moderne, t. I, p. 102. Hachette, Paris, 1895.
CHAPITRE VIII
L'INTÉGRITÉ DE L'AUTRICHE ET LES PUISSANCES

I. ÉTATS NE POUVANT QU'ACCÉDER


A UNE COALITION CONTRE L'AUTRICHE OU E-,'
SA FAVEUR. — § 1. La Turquie : L'empire ottoman et le Panger-
manisme. La Sublime-Porte pourra-t-elle revenir à sa politique tradi-
tionnelle? — § 2. La Bulgarie : Les intérêts généraux. L'Allemand
politiquement et sentimentalement ennemi des Bulgares. L'influence
russe à Sofia. — § 3. La Serbie : Le peuple et les Obrenovitch. Les
Serbes et les Slaves d'Autriche. L'action du roi Alexandre. — § 4. La
Roumanie : Intérêts essentiels qui l'attirent vers Berlin. Pourquoi elle
ne peut que souhaiter le démembrement de l'Autriche-Hongrie. —
§5. L'Italie : La Maison de Savoie et les Italiens. Trieste allemand. Y a-
t-il des compensations possibles ? Quelques mesures récemment prises par
le gouvernement du Quirinal. — § 6. Les Etats-Unis d 'Amérique : Carac-
tère des relations de l'Union avec l'Allemagne. En quoi la création du
prand Zollverein de l'Europe centrale intéresse directement et à un haut
degré les États-Unis.
Il. ÉTATS SUSCEPTIBLES D'ASSURER LE RESPECT DE L'INTÉGRITÉ DE L'AUTRICHE.

- § 1. L'AngleterreLes rapports anglo-allemands. L'Angleterre peut-


:
elle laisser l'Allemagne s'étendre jusqu'à Trieste? Pourquoi on ne saurait
conclure. —§2. La Russie : La Russie a-t-elle intérêt à participer au par-
tage de l'Autriche? Raisons de nature à déterminer le gouvernement
de Pétersbourg à vouloir résolument l'indépendance de l 'Autriche. —
§ 3. La France : la question d'Autriche renferme-t-elle les éléments d'une
transaction sur la question d'Alsace-Lorraine? Triple caractère politique,
économique et social de la question d'Autriche au point de vue français.
Quelques opinions autorisées.

Les intérêts déterminent les coalitions. Donc, si l 'on


connaît les États qui ont des raisons capitales d assurer le
respect de l'intégrité de la Cisleithanie et ceux qui au con-
traire ont avantage à son démembrement, l 'on discernera,
avec de grandes chances d'exactitude, quel pourrait être le
groupement des puissances si la question (^Autriche venait
à se poser.
A ce point de vue, les puissances se répartissent nécessai-
rement en deux groupes : celles qui, par la nature même
des choses, ne peuvent qu'accéder à une coalition déjà exis-
tante contre l'Autriche ou en sa faveur et celles qui, à
cause de la place qu'elles occupent dans le monde, peuvent
s'opposer avec décision à toute intervention de l'empire
allemand.

ÉTATS NE POUVANT QU'ACCÉDER A UNE COALITION


CONTRE L'AUTRICHE OU EN SA FAVEUR

La Turquie, la Bulgarie, la Serbie, la Roumanie, l'Italie


et les États-Unis d'Amérique composent le premier groupe.
§ 1.
— Si la Turquie subit déjà profondément l'action
de la cour de Berlin, il est clair que l'extension de l'Alle-
magne vers le sud, en rapprochant considérablement cet
État de Constantinople, accroîtrait encore les facultés
d'ingérence des Allemands dans les affaires de l'empire
ottoman. Ilen résulte que rationnellement la Sublime-Porte
devrait se ranger du côté de ceux qui défendent l'intégrité
de l'Autriche. Mais la conduite de la politique n'est pas tou-
jours conforme à la logique.
Malgré les empiétements incessants des sujets de Guil-
laume II, on ne voit pas encore les Turcs revenir à cette
politique traditionnelle, qui, depuis tant de siècles, leur
permet de se maintenir en Europe et qui consiste essentiel-
lement à neutraliser les unes par les autres les influences
rivales des États étrangers. On peut donc se demander si
les Allemands, qui connaissent si bien les dessous de Cons-
tantinople, qui ont une part si grande dans toutes les
affaires et se sont si complètement immiscés partout, ne
parviendront pas à maintenir la diplomatie ottomane dans
le sillage de celle de Berlin. En présence d'une situation
aussi peu claire, il est impossible de conclure et de présager
quelle orientation pourrait prendre le Sultan au moment
décisif.

§ 2. — Pays jeune, en pleine formation, encore sans


industrie, la Bulgarie fait venir du dehors et surtout d'Au-
triche les objets fabriqués qu elle consomme. Elle lui vend
par contre la majeure partie de ses récoltes et de son bétail.
Les deux pays, clients réciproques, bénéficient ainsi de
l'état de choses actuel. Les Bulgares ont encore d'autres
raisons très puissantes de chercher à le conserver. En oppo-
sition constante avec les Roumains que soutient la chancel-
lerie de Berlin, ils voient leur gouvernement de Sofia exposé
sans relâche aux attaques et aux calomnies de la presse tri-
plicienne. Il en résulte que les Bulgares n'ont aucune sym-
pathie pour les Allemands de l'empire et comme ils forment
sur la route de Constantinople le même obstacle que les
Tchèques sur la route de Trieste, toute extension de l'Alle-
magne vers le sud menacerait leur indépendance.
On a donc, semble-t-il, des raisons d'admettre que le
concours des Bulgares est virtuellement acquis à tout grou-
pement de puissances, établi dans le but de faire obstacle à
cette extension, à une condition toutefois : c'est que la
Russie fasse partie de la combinaison. Cette réserve doit
être faite. La politique du prince Ferdinand semble défini-
tivement fixée. Dans les plus humbles cafés de Sofia, les
portraits de la famille impériale de Russie témoignent des
sentiments des Bulgares pour leurs libérateurs. Si le Tsar
fait un signe, les sujets du prince Ferdinand marcheront;
s'il se tait, il leur faudra bien, impuissants par eux-mêmes,
voir les Allemands accaparer les forces qui leur permettront
d'écraser un jour le peuple bulgare.
§ 3. — En Serbie, les dernières années ont montré que
des princes sans scrupules pouvaient séparer les intérêts de
la dynastie de ceux de la nation, car l'on a vu le roi Milan
faire une politique allemande et antirusse dans un pays
slave et russophile. Pendant une longue période, le peuple
serbe a dû vivre ainsi et se résigner à voir son gouverne-
ment agir en opposition absolue avec ses intérêts comme
avec ses sentiments. Le coup d'État du roi Alexandre
venant de solidariser à nouveau la fortune des Obrenovitch
avec celle du peuple qu'ils gouvernent, il y a lieu de croire
qu'en cas de conflagration en Europe centrale, le souverain
de Belgrade se déciderait uniquement d'après les intérêts
serbes. La Serbie, journal paraissant à Genève pendant la
dictature du roi Milan, les a dégagés très heureusement :
«
La lutte que le peuple tchèque soutient au Parlement
autrichien intéresse au plus haut degré tous les cercles
politiques en Serbie. Le gouvernement et ses amis voient
dans cette lutte un grand danger pour la politique de Milan
et de son fils. La victoire que les Tchèques peuvent rem-
porter sur les tendances pangermanistes des Allemands
autrichiens serait sans aucun doute un coup terrible pour
les derniers Obrenovitch.
c
Il n'y a pas à s'y tromper ; sous l'apparence d'une victoire
purement intérieure, cette victoire signifierait, en réalité,
un changement ou tout au moins un déplacement des ten-
dances extérieures de la monarchie des Habsbourg, ten-
dances qui, telles qu'elles existent aujourd'hui, fournissent à
Milan les moyens d'existence et le soutiennent dans la
guerre acharnée qu'il mène contre le peuple serbe. Les
jeunes Tchèques, avec leur idéal d'une vaste solidarité
morale de tous les peuples slaves, effraient nécessairement
les Obrenovitch, qui sont les fidèles serviteurs de la poli-
tique opposée.
»
Par contre, le peuple serbe est enthousiasmé de cette
lutte et il saluerait la victoire tchèque comme l'aurore d'un
avenir meilleur, d'une délivrance prochaine de la Serbie de
l'influence allemande et magyare. La politique germano-
phile du gouvernement austro-hongrois est la cause de tous
les malheurs qui écrasent aujourd'hui notre patrie. Le Drang
i
acli Osten (poussée vers l'est), qui est la devise suprême
des Allemands et dont la diplomatie viennoise est l'instru-
ment aveugle, étouffe notre développement politique et éco-
nomique Notre avenir national est compromis par cet
envahissement germanique. Les provinces serbes devien-
nent la proie des insatiables Allemands qui nous écrasent
d'abord de leurs capitaux et s'établissent ensuite en maîtres
politiques dans nos foyers. La Bosnie et l'Herzégovine ne
sont qu'une étape dans cette pénétration vers l'Orient. En
Macédoine, on sent déjà partout la main des grands jésuites
politiques de Vienne, qui s'efforcent d'ouvrir aux alliés de
Berlin le chemin du port de Salonique. La Serbie même, à
peine affranchie de la domination turque, est envahie par
les agents germaniques qui minent son avenir en la sépa-
rant complètement des autres Slaves du sud et du nord.
L' invasion germanique, toujours plus puissante, plus irré-
(1

sistible dans les pays slaves de la péninsule balkanique,


n'aurait point de limites, les Tchèques une fois vaincus et
écrasés. L'Autriche-Hongrie, déjà aujourd'hui le satellite
fidèle des tendances allemandes, engagerait alors toutes ses
forces et toute son existence à faire valoir les intérêts enva-
IÚssanÍs de l'Allemagne dans le sud-est de l'Europe. Les (1

« autres peuples de l'Autriche n'auraient qu'à payer l'impôt


(1 en argent et en sang pour assurer la collectivité et la su-
«
prématie allemande chez nous. C'est sous ce jour que le
IJ

Trgovinski Glasnik, organe des commerçants serbes, voit


la politique extérieure de l'Autriche après la défaite tchèque.
Dans son jugement, l'honorable journal se fait l'écho de
l'opinion de la grande majorité du peuple serbe.
Toute la Serbie est convaincue aujourd'hui que la vic-
(1

toire de Wolf et de ses amis de la gauche allemande présa-


gerait une nouvelle et énergique pénétration de l'élément
et de l'esprit allemands dans les petits pays de la presqu'île
balkanique et que cette victoire serait le commencement
de l'occupation définitive du sud de l'Europe par une
Grande-Allemagne.
«
Le peuple serbe voit une certaine ressemblance entre la
lutte que les Tchèques soutiennent pour leur autonomie el
la lutte qu'il a soutenue lui-même pour son indépendance.
En défendant son pays, le Serbe a servi de rempart à la
civilisation européenne ; de même, le courageux Tchèque,
en luttant pour son autonomie, sert aujourd'hui de rempart
à tous les Slaves, à toute l'Europe peut-être, contre l'inva-
sion germanique, non moins dangereuse, non moins détes-
tée. La masse du peuple serbe est dans l'impossibilité
d'exprimer ses sympathies aux courageux défenseurs de la
solidarité slave ; les Obrenovitch sont aujourd'hui les
maîtres absolus du pays et ils sont ennemis de toute mani-
festation populaire. Mais les frères tchèques peuvent être
convaincus que le peuple serbe leur souhaite de tout cœur
une victoire prochaine, pour le bien de tous les pays slaves,
en leur disant : « En avant, toujours en avant! Les sym-
pathies de tout le monde civilisé vous sont acquises, car
vous défendez une juste cause (1). »
Le coup d'Etat du roi Alexandre, postérieur de quelques
jours à ces appréciations, en a confirmé la justesse. En bri-
sant le joug de la politique allemande, le souverain serbe
s'est placé résolument sous la protection du tsar Nicolas,
qui lui a témoigné aussitôt les sentiments les plus affec-
tueux. Si cet état de choses heureux pour la Serbie se
maintient, on peut admettre que, relativement aux affaires
de l'Europe centrale, on suivra à Belgrade les «directions
»
qui viendront de Pétersbourg; mais, comme les revire-
ments du roi Alexandre ont été déjà trop nombreux, il se-

(1) Cité par la Pensée slave, de Trieste, du 2 juin 1900.


rait prématuré de compter sur la fixité de sa nouvelle poli-
tique.

§ 4.
— Les points de vue auxquels peuvent se placer les
Roumains sont très différents de ceux des Serbes et des
Bulgares. Producteurs de grains, les Roumains doivent
pouvoir les écouler au dehors. La Russie, pays agricole, ne
saurait être leur débouché. L'Allemagne, au contraire, a
an avantage évident à tirer une partie des céréales qui lui
font défaut de la Roumanie qui, de son côté, sans autre
industrie que celle, encore naissante, des pétroles, se trouve
amenée à acheter en Allemagne la plupart des produits
fabriqués qui lui manquent. Les deux États ont ainsi des
intérêts économiques concordants, solidarité que renforce
encore celle des intérêts politiques. On ne saurait l'oublier,
le roi Carol Ier est un Hohenzollern. Lorsqu'en 18G6, il fut
élu prince de Roumanie, il servait comme sous-lieutenant
au 3e régiment de dragons prussiens. Son inclination natu-
relle le portait donc vers l'empire allemand. Les événe-
ments de son règne l'ont amené à y prendre définitivement
son point d'appui.
Après la guerre turco-russe, la Roumanie a dû céder à la
Russie sa part de la Bessarabie et accepter en compensation
les marécages de la Dobroudja. Le traité de Berlin a ainsi
laissé aux Roumains un souvenir pénible et un ressentiment
si profond contre Pétersbourg, qu'on s'est habitué à Buca-
rest à considérer la Russie comme l'adversaire éventuel. On
a fait venir de Belgique le général Brialmont pour fortifier
toute la région qui s'étend au sud de la Moldavie, entre les
Carpathes et les régions impraticables de la Dobroudja.
Cette barrière, formée de coupoles cuirassées, dont les
principaux groupes sont à Focsani et à Namolosa, est jugée
capable, en cas d'attaque, de donner aux soldats de la Tri-
plice le temps de venir à l'aide des Roumains. La précau-
tion n'a point encore paru suffisante; la capitale a été entou-
rée de forts qui en font un véritable camp retranché dont
l'investissement exigerait, assure-t-on, près de quatre cent
mille hommes.
La position prise contre la Russie est donc très nette. 1

Une prévision d'avenir rend encore le gouvernement de •

Bucarest étroitement solidaire de la politique de Guil- >

laume II. Les cartes, que les jeunes sujets du roi Carol ont
à consulter dans les écoles, montrent que l'idéal territorial
des Roumains est loin d'être satisfait. On y trouve nette-
ment marquées les limites de la Roumanie irredenta, cons-
tituée de trois fractions distinctes. La première est naturel-
lement la Bessarabie; mais, comme elle se trouve sous la
domination russe, on n'espère la récupérer que dans un
avenir lointain. Par contre, tout bon Roumain estime que,
dans un temps peut-être rapproché, il sera possible de réu-
nir à la Roumanie le sud de la Bukovine et surtout la Tran-
sylvanie, actuellement soumise aux Magyars, acquisitions
qui feraient rentrer dans le royaume plus de trois millions
de frères roumains. Or, pour devenir une réalité, ce rêve
suppose nécessairement le démembrement de l'empire des
Habsbourg. C'est pourquoi l'action dissolvante exercée en
Autriche par les Pangermanistes trouve à Bucarest tout le
contraire de la réprobation. On y sait fort bien que ce mou-
vement, s'il réussit, est susceptible de faire naître les
circonstances qui permettraient au gouvernement de Berlin
d'intervenir, ce qui, par voie de conséquences, détermine-
rait le démembrement d'abord de l'Autriche et ensuite celui
de la Hongrie, démembrement indispensable pour s'em-
parer de la Transylvanie.
Ces constatations suffisent amplement à établir qu'aucune
puissance de second ordre n'est aussi complètement que la
Roumanie sous la dépendance de Berlin. On en doit con-
clure que, selon toute probabilité, si la "question d'Autriche"
venait à se poser, le gouvernement du roi Carol obéirait
docilement aux suggestions de la Wilhelmstrasse.

§ 5.
— Un fait :
la divergence de plus en plus grande des
intérêts du peuple et de ceux de la dynastie domine actuel-
lement toute la politique de l'Italie. Les dernières élections
ont établi le progrès des idées républicaines dans toute la
péninsule et même dans le Piémont, berceau de la maison
de Savoie. Il apparaît ainsi clairement que le fils du roi
Humbert se soutiendra au pouvoir surtout grâce à l'appui
énergique qu'il reçoit des Hohcnzollern. Ce système lui
permettra peut-être de prolonger la durée d'un trône com-
promis, mais non de regagner les sympathies de son peuple
qui commence à s'émouvoir des empiétements incessants
des alliés de Berlin.
Dans la haute Italie, les Allemands colonisent avec la
même méthode qu'ils emploient en Autriche et dans les
Bal V ans. Il n'y a guère de semaine où une compagnie de
navigation allemande ne transporte de Gênes en Amérique
des centaines d'Italiens qui, convaincus par les fallacieuses
promesses d'agents recruteurs, abandonnent en masse leurs
villages.
A peine sont-ils partis, que des paysans venus de Bade
ou de Bavière arrivent pour les remplacer. Dans bien des
endroits déjà, le Germain cultive la vigne que le Latin a
plantée. A Turin, à Gênes, les Allemands sont les maîtres, et
dans le reste du pays, ils expulsent les Italiens des meil-
leures situations commerciales.
On conçoit donc que la seule pensée de voir Trieste,
fraction de litalia irredenta, reine de cette mer Adriatique
dont Venise est la perle, tomber aux mains de Guillaume II,
suffirait à exaspérer les sujets de Victor-Emmanuel. Mal-
heureusement, ils connaissent encore fort mal le danger
pangermaniste et se rassurent un peu naïvement par les
manifestations platoniques que fait parfois le conseil muni-
cipal de Trieste. Ainsi, le 13 mars 1899, il a voté, à l'unani-
mité, la pose dans la salle de réunions d'une pierre commé-
morative portant l'inscription suivante :
ci
Le 15 janvier 1899, les députés et les maires de l'Istrie
et du Frioul oriental, réunis dans cette salle, ont affirmé, à
l'encontre des récentes prétentions d'autres races, le carac-
tère italien, indélébile depuis mille ans, de la région com-
prise entre les Alpes Juliennes et la mer. »
Ces déclarations sont sincères, mais elles ont le grave
inconvénient de dissimuler à la plupart des Italiens le
véritable péril ; aussi sont-ils encore convaincus que si
l'Istrie ne reste pas à l'Autriche, elle appartiendra à l'Italie.
Les Pangermanistes qui bénéficient de cette quiétude
sont cependant bien résolus à s'emparerde Trieste. Comme ils
font peu de cas des Italiens, ils ne considèrent pas que leur
opposition puisse être un obstacle redoutable. L'Italie est
(1

trop pauvre, manque trop de population, est trop inhabile


à la guerre pour pouvoir être considérée comme une rivale;
l'essayerait-elle, qu'elle n'éviterait pas un échec analogue à
ceux qu'elle a trouvés en Afrique et en Chine (1). » "L'Italie
et l'Autriche ne sont plus de véritables alliées pour nous;
elles n'existent que sur le papier (2). o
Cette opinion donne aux Pangermanistes une liberté d'es-
prit qui les met fort à l'aise pour aborder la question de
Trieste au point de vue italien. Ils admettent bien que
l'Italie doit voir, avec des yeux envieux, les progrès de
toute grande puissance vers l'Adriatique... (3). Mais ils n'hé-
sitent pas à dire qu'un emploi judicieux de la force aura
raison des difficultés susceptibles de naître au dernier
moment. « En cas de démembrement de l'Autriche, l'Italie
fera tous ses efforts pour s'emparer de Trieste. Mats,
si l'Italie est convaincue que la possession de Trieste et de
Pola constitue pour la puissante Allemagne une question de
vie ou de mort, elle comprendra qu'il vaut mieux s'entendre
avec elle amiablement et elle se contentera de la cession du
Trentin (4). »
En réalité, tout le problème consiste à faire que la maison
de Savoie consente à renoncer à Trieste, ce que le peuple
italien, s'il était consulté, n'accepterait certainement pas.

(1) «
Italien ist zu arm, zu gering an Bevolkerungszahl, zu wenig krie-
gerisch tiichtig, um als Mitbewerher auftreten zu konnen ; versucht es das,
Deutschland
so bleibt der Misserfolg nicht aus, wie in Afrika und China. »
bei Beginn des 20. Jahrhunderts, p. 53. Militâr-Verlag. R. Félix, 1900.
(2) « Italien und Oesterreich sind keine wirklicken Bundesgenossen fur
uns mehr, sie stehen nur au dem Papier! » Alldeutsche Blatter, 1898,
p. 285.
(3) Denn Italien hat ohne Zweifel ein Interesse daran, jedes Vordrin-
(c

gen einer anderen Grossmacht am Adriatischen Meere mit


scheelen Augen
auzusehen... » Dr R. MEHRMANN, Deutsche Welt-und Wirtschafts-Politik,
p. 63. Deutschvolkischer Verlag « Odin ,, Munich, 1900.
(4) « Fur Italien wird allerdings in dem Zusammembruch Oesterreichs
eine Versuchung liegen, an der Adria selbst zuzugreifen. Wenn aber Italien
sich überzeugen wird, dass das machtige Deutschland den Besitz von Triest
und Pola als eine Lebensfrage behandelt, dann wird es sich zweckmàssiger
mit ihm im Voraus in Glite verstàndigen und sich mit der Abtretung des
Gebietes von Trient zufrieden geben. « Oesterreichs Zusammenbruch und
Wiederaufbau, p. 13. Lehmann, Munich, 1899.
Oh! cette renonciation serait indirecte; on s'ingénierait
même à la masquer avec art. On a déjà parlé d'un vague
projet de condominium qui permettrait « en principe »
aux Italiens d'occuper Trieste de concert avec les Allemands.
Mais c'est surtout par des compensations qu'on espère régler
finalement les choses. En quoi pourraient-elles consister?
Ce serait d'abord le Trentin, peut-être plus tard la partie
italienne de la Suisse, enfin et surtout les dépouilles fran-
çaises, la Corse, la Tunisie, et même, s'il le fallait, on y
ajouterait la Tripolitaine. Il y aurait là, espère-t-on, de
quoi donner à Victor-Emmanuel les moyens de faire illu-
sion à ses sujets. Un tel calcul est-il exact? Le gouverne-
ment de Rome. se prêterait-il à donner cette solution à la
crise en formation en Europe centrale ? C'est encore le
mystère de sa chancellerie. On peut toutefois relever cer-
tains préparatifs militaires italiens qui paraissent en par-
faite concordance avec ceux des Allemands en Alsace-Lor-
raine et sur la frontière russe.
En 1897,— c'est la date du début dela campagne panger-
maniste en Cisleithanie, — une commission italienne a été
nommée dans le but de faire les études nécessaires pour la
mise en état de défense complète de la frontière autri-
chienne. L'état-major de François-Joseph semble avoir pris
ombrage de cette mesure; en 1898, il a fait remettre à neuf
le vieux fort qui commande la route de Pontebba et depuis,
il fait exécuter d'importants travaux à Trieste, à Pola et aux
bouches du Cattaro. Si l'on tient compte de ces indices,
et surtout des raisons qui subordonnent de plus en plus le
sort de la dynastie de Savoie aux volontés de la cour de
Berlin, on peut admettre que, dans une guerre contre l'Au-
triche, l'Italie marcherait d'accord avec l'Allemagne.

§ 6. — Les États-Unis d'Amérique viennent d'entrer


résolument en concurrence avec les grandes puissances
européennes. Dès lors, ils constituent un facteur de force
qu'on ne saurait se dispenser d'introduire dans l'équation
de tous les grands problèmes politiques. Le dénouement de
la « question d'Autriche » est d'ailleurs susceptible de léser
très directement les intérêts américains.
Les États-Unis et l'empire allemand se trouvent de plus
en plus en état de perpétuel antagonisme. Mille incidents
trahissent la tension de leurs relations. Devant Manille, les
officiers de marine de Guillaume II ont tout fait pour gêner
l'action de l'amiral Dewey. Le capitaine Coglan, comman-
dant du croiseur des États-Unis, le Raleigh, l'a fait savoir
avec une rare indépendance, et la première parole de
l'amiral Dewey, lui-même, débarquant à Trieste, fut pour
dire :
C'est avec l'Allemagne que nous aurons notre
première guerre. »
Depuis cette époque, l'hostilité entre les citoyens de
l'Union et les sujets de l'empereur allemand n'a fait que
s'accroître ; elle se manifeste dans toutes les parties du
monde. Le 4 juillet 1899, jour de la fête nationale améri-
caine, M. Carl Klemme, sujet allemand, propriétaire de
l'Orpheum-Hôtel à Honolulu, ayant décoré sa porte à l'aide
de drapeaux allemands qui cachaient ceux de l'Union, un
nommé West, sujet américain, vint lui enjoindre d'enlever
le drapeau germanique. L'Allemand refusa. West, aidé de
plusieurs soldats américains du transport Sheridan qui se
trouvait dans le port, envahit la maison de M. Klemme,
arracha et piétina les drapeaux allemands. Les incidents de
cette nature se sont multipliés au point qu'obéissant aux
suggestions des autorités de l'empire, et surtout de YAlldeuts-
clier Verband, les Allemands des États-Unis, fort nombreux
comme on sait, se sont organisés pour la défense de leur
nationalité particulière, jusqu'à former dans l 'Union un
véritable État dans l'État. Le message du président Mac-
Kinley, après son élection, a reflété si évidemment la froideur
des relations qui existent avec Berlin que le Tageblatt était
amené à reconnaître qu'il n'était pas l'ami de l Allemagne.
La cause essentielle de cette froideur réside dans la riva-
lité commerciale des deux pays.
Après 1870, l'Allemagne a trouvé aux États-Unis le pre-
mier grand débouché qui a permis l'essor prodigieux de
son industrie. Alors l'Union, ayant besoin de produits fabri-
qués, se procurait ceux du jeune empire allemand à meilleur
marché que ceux de la vieille Angleterre. Puis une révo-
lution économique profonde, dont les causes sont multiples,
s'est produite aux États-Unis. Interprétant exactement la
situation nouvelle, le bill Mac-Kinley et le tarif Dingley ont
fermé résolument le marché américain à un grand nombre
d'importations étrangères. A la faveur de cette protection
énergique, l'industrie de l'Union s'est développée à un point
tel que la situation de jadis s'est renversée. Aujourd'hui,
non seulement l'Allemagne, qui croyait posséder dans les
États-Unis un débouché indéfiniment extensible, voit dé-
croître chaque année ses exportations, mais encore les pro-
duits américains, d'un bon marché fabuleux, viennent con-
currencer les produits allemands jusqu'au cœur même de
Berlin.
Le tableau ci-dessous résume l'évolution des dix der-
nières années :

EXPORTATIONS DE L'EMPIRE ALLEMAND EXPORTATIONS DES ÉTATS-UNIS

AUX ÉTATS-UNIS EN ALLEMAGNE

Commerce spécial en millions de marks. Commerce spécial en millions de marks.

1890. 416 1890 405


189 1 357 1891 456
1892
189 3
................. 346
354
1892
1893
612
458
1894 271 1894 '*
532
189 5 368 1895 *
511
1896
189 7
383
397
1896
1897
................. 584
658
1898
1899
................. 334
377
1898
................. 877
-
1899
................. 907
La concurrence américaine est devenue si dangereuse
que même les puissants industriels de la Westphalie
rhénane en sont réduits à former une ligue dans le but de
lutter plus efficacement (1). En somme, les citoyens de
l'Union sont les adversaires des Allemands à un double
point de vue : ils leur ferment un débouché immense et
sont des concurrents redoutables dans le monde entier.
Le Dr Hasse et ses amis tirent de cette situation très
certaine des arguments nouveaux, qu'ils ajoutent aux autres
avec beaucoup d'efficacité, pour préconiser l'extension du
Zollverein à l'Autriche.
Le résultat de cette extension, disent-ils, serait de
réserver toute l'Europe centrale aux produits allemands,
d'interdire par conséquent aux produits américains l'accès
de ce vaste territoire et d'améliorer les conditions de la
fabrication allemande de telle sorte que ses objets manu-
facturés pourraient lutter plus efficacement contre ceux des
Américains dans toutes les autres régions du globe. Ce
raisonnement paraît incontestablement fondé. Il en ressort
clairement que l'extension du Zollverein allemand à l'Au-
triche lèserait gravement les intérêts américains, et que le
gouvernement de Washington doit tout faire pour l'empê-
cher, s'il veut sauvegarder les intérêts de ses exporta-
teurs.
Au cours d'un banquet qui a eu lieu à New-York il y a
quelques mois, le sénateur Free a dit fortjustement : it Les
États-Unis ont plus à craindre de l'Allemagne que de toute
autre nation ; l'Allemagne f era notre rivale la plus dangereuse
comme elle est sur le terrain commercial l'ennemie la plus
formidable, la plus persistante, la plus agressive et la plus
indomptable. » Ces paroles comportent toute une politique.
De toute nécessité, les États-Unis doivent avoir pour objec-
tif d'arrêter l'expansion allemande. Sans doute, ils ne
(1) V. Exporters and importers journal, 4 août 1900, 17 State Street,
New-York.
peuvent pas empêcher par la force l'Allemagne de s'agran-
dir aux dépens de l'Autriche, mais ils disposent de moyens
d'action qui, pour être moins apparents que les armes, sont
peut-être aussi efficaces. C'est à l'homme d'État qui gou-
verne à la Maison-Blanche de savoir s'en servir avant qu'il
.

soit trop tard.

II
ÉTATS SUSCEPTIBLES D'ASSURER LE RESPECT
DE L'INTÉGRITÉ DE L'AUTRICHE

Trois puissances, en dehors de l'Allemagne, dont on


connaît déjà les tendances et les intérêts, peuvent exercer
une influence décisive sur la solution des affaires de
l'Europe centrale : l'Angleterre, la Russie et la France.

§ 1. — Il n'est pas douteux qu'une hostilité profonde


existe entre Anglais et Allemands. Elle se manifeste parfois
avec une rare intensité.
Un exemple entre mille : au commencement de 1899,
l'explorateurallemand, M. Waldkirch, se trouva, en Afrique,
éloigné de la côte à la suite d'une grande chasse, et sur le
pointde mourir de faim. Il atteignit, au prix des plus pénibles
efforts, le territoire anglais situé au delà de Witu et se mit
aussitôt en mesure d'acheter aux indigènes les vivres néces-
saires à sa caravane. Le résident anglais, M. Rogers, apprit
ces négociations; il donna sur-le-champ aux chefs de tous
les villages l'ordre de ne pas vendre de vivres aux Alle-
mands, même contre payement comptant et à quelque prix
que ce fût. Cette volonté fut si formellement imposée que
M. Waldkirch dut se replier à marches forcées vers la côte,
d'où il adressa une protestation véhémente au consul alle-
mand de Zanzibar. La guerre du Transvaal a fourni aux
Allemands l'occasion de témoigner aux Anglais des senti-
ments correspondants.
La lutte pour la suprématie commerciale, en multipliant
sans cesse les contacts gênants entre les deux peuples, est
encore la raison d'être de cette hostilité réciproque. Plus
travailleur et plus souple, le trafiquant sujet de l'empereur
Guillaume a eu partout raison du trafiquant sujet de la
reine Victoria. J'ai indiqué déjà (V. page 74) comment
M. Williams d'abord, les autorités officielles après lui, ont
constaté avec terreur les conséquences de cette infériorité ;
comment la fédération des territoires britanniques en une
seule union douanière a paru le remède souverain à ce mal
grandissant; comment, en attendant le fonctionnement utile
de cette grande machine de guerre, les Anglais, avec leur
réalisme habituel, cherchent à entraver indirectement le
développement du trafic allemand dans les possessions bri-
tanniques. C'est ainsi, par exemple, qu'au Natal, où le com-
merce est toujours libre théoriquement, les représentants
de maisons étrangères sont frappés de taxes très élevées
qui absorbent le plus clair de leurs bénéfices. Or, comme
tous ces étrangers se trouvent être des Allemands, agents
de maisons allemandes, c'est en réalité le commerce alle-
mand qui est atteint. L'aversion, pour la Grande-Bretagne,
des fabricants allemands qui voient généraliser l'application
de ce système hypocrite, a donc un constant aliment;
mais, d'autre part, comme ils n'en restent pas moins les
plus dangereux adversaires des Anglais, on conçoit que
ceux-ci ne soient guère disposés à concéder à l'Allemagne
un nouvel accroissement de puissance.
Il est indubitable, en effet, que l'établissement du grand
Zollverein de l'Europe centrale serait aussi dangereux
pour le commerce anglais, et pour les mêmes raisons,
que pour le commerce des États-Unis. Sans même parler
des effets de sa radiation lointaine qui ne sauraient être
évalués, il est très certain que les exportations anglaises en
Autriche-Hongrie, en Roumanie, en Bulgarie, en Turquie
qui, en 1899, s'élevaient à un total de 230 millions de
francs environ, se trouveraient gravement compromises (1).
L'anxiété avec laquelle les Anglais suivent la pénétration
de l'Orient par les Allemands s'explique donc. Il a suffi que
la diplomatie de Berlin fît lancer en avril 1899, à titre de
ballon d'essai, la nouvelle que l'Allemagne préparait, pour
un avenir peu éloigné, la déclaration de son protectorat
sur une partie de l'Asie Mineure, pour qu'une vive émotion
se produisît à Londres. Au Parlement, sir Ashmead Bartlett
a interrogé M. Brodrick, dont la réponse diplomatique n'a
naturellement rien éclairci; mais la presse a protesté avec
énergie : Si la vallée de l'Euphrate, disait un journal lon-
CI

donien, se trouvait entre les mains d'une puissance peu


amicale, le chemin des Indes serait sérieusement menacé.
Une convention, conclue entre le sultan et l'empereur, en
vertu de laquelle l'Allemagne prendrait pied sur les bords
dé l'Euphrate, entraînerait des conséquences tellement
graves qu'il est difficile de croire qu'elles soient seulement
possibles. Pourtant cette éventualité cause déjà de l'inquié-
tude dans les chancelleries européennes (2). » Si les Anglais
veulent éviter cette éventualité redoutable, il semble bien
que le plus sûr moyen qui s'offre à eux serait de s'opposer
à toute mainmise de l'Allemagne sur l'Autriche. Il est
évident, en effet, que le jour où une puissante marine ger-
manique serait constituée dans la Méditerranée, les Alle-
mands pourraient tirer complètement parti du chemin de
fer de Bagdad, sans compter que ce serait s'exposer à la
perte de cette suprématie navale qui donne à la Grande-
Bretagne la sécurité de son existence. Les Anglais ne
peuvent pas s'y tromper. Du jour où les Allemands se sen-

(1) V. Annales du commerce extérieur publiées par le ministère du com-


merce fi ançais. 1900, x* fascicule.
(2) Cité par G. BLONDEL, l'Essor industriel et commercial du peuple
allemand, p. 356. Larose, Paris, 1899.
tiraient les maîtres incontestés du continent, il est certain
qu'aucune considération ne les empêcherait de tourner
les forces concentrées en leurs mains contre la puissance
britannique. Les auteurs pangermanistes ne se font pas
faute de le dire : « après l'anéantissement de la supré-
matie maritime de l'Angleterre (1). » Tel est le rêve qu'ils
se flattent de réaliser aussitôtque la France aura été réduite
au rang de puissance de second ordre.
A Londres, on ne paraît d'ailleurs se faire aucune illusion
sur les intentions de l'empereur Guillaume. « La triplice
a duré assez longtemps, — disait au début de 1900 le Globe,
dont les attaches officieuses avec le cabinet de Saint-
James sont connues. — Elle est sans force parce que la
situation des puissances alliées s'est changée et se modifie
continuellement. Seule, l'Italie se trouve dans le même état
où elle était à l'époque de la conclusion de l'alliance. En
Autriche et en Allemagne, il en est tout autrement. L'Au-
triche a maintenant des désordres intérieurs qui en font
alliée. L'Allemagne passe par une période de
une pauvre
transformation. Elle a des plans ambitieux et ne se conten
tera plus longtemps d'être la principale puissance de l'Eu-
centrale. Elle rêve d une flotte et d une grande
rope
armée, projets grandioses à la réalisation desquels l'Au-
triche ne peut l'aider et qui créent des obligations qu'elle
doit remplir elle-même...
D'après la constitution actuelle, la Triplice ne sera pas
«
dissoute par l'un des alliés, mais l'empereur Guillaume
attend que les Allemands d'Autriche, lorsque la crise éclatera
devant l'Europe, demandent l'incorporation de l'Autriche
dans l'empire allemand. Avec son habituelle prévoyance,
l'Allemagne se prépare drjà pour ce moment. "
Rationnellement tout indique donc que l'Angleterre,

(1) « nach Niederringung der maritimen Uehermacht Englands... -


Dr K. MEHRMAKN, Deutsche Welt-Ulzd Wirtschafts-Politik, p. 60.
Deutsch
volkischer Verlag " Odin » , Munich, 1900.
consciente du danger, ne peut souscrire à l'extension de
l'Allemagne vers le sud. Seule, en effet une politique d'oppo-
sition aux projets pangermanistes serait conforme aux pré-
cédents historiques. A Vienne, en 1815, Castlereagh, pré-
voyant déjà la marche vers l'Adriatique, ne voulait pas que
la Prusse s'agrandît sur les frontières de Bohême; aujour-
d'hui', l'Angleterre a au moins autant de raisons d'empêcher
l'Allemagne de prendre Trieste qu'elle en a eu jadis de
s'opposer à l'installation de la France à Anvers. Mais le
gouvernement d'Édouard VII, aussi bien que celui de l'em-
pereur allemand, paraît s'engager dans des voies nouvelles.
La présenee simultanée au pouvoir des deux plus grands
audacieux de cette époque : M. Chamberlain et Guillaume II,
pourrait bien modifier l'orientation normale de la politique
britannique. J'ai indiqué plus haut (page 297) les vraisem-
blances de cette hypothèse.
M. Chamberlain n'est-il pas l'homme du chemin de fer du
Cap au Caire et de la guerre du Transvaal? Il a commis dans
l'Afrique du sud une première faute grave ; il est maître
d'en faire une seconde. Ne peut-on d'ailleurs concevoir
qu'aux yeux du député de Birmingham, tout disparaisse de-
vant la séduisante idée de concentrer progressivement sur
l'immense Afrique toutes les forces britanniques? Son point
de vue, dans ce cas, est facile à imaginer. D'un même coup
l'Angleterre satisferait ses rancunes antifrançaises et sous-
trairait à l'amiable son territoire économique, pour de lon-
gues années, aux entreprises du jeune et avide rival, l'em-
pire allemand. L'entente pourrait ensuite être durable
entre Londres et Berlin. Le commun « Germanisme » des
deux peuples en serait la base. Une telle conception n'est-
elle pas de nature à flatter les idées saxonnes du petit-fils de
la reine Victoria? Elle lui fournit tout au moins une chance
de plus de réaliser l'extension continentale de l'empire qui
le hante. Il est vrai que, si la disparition de la fièvre
(1
khaki « venait à rendre aux Anglais leur sang-froid ordi-
naire, ils refuseraient de laisser plus longtemps l'homme
de la guerre sud-africaine conduire leurs affaires; ils revien-
draient aux traditions politiques, dont ils on éprouvé i

l'excellence, et cela seul suffirait à les rendre partisans


déterminés de l'intégrité de l'Autriche. Mais une semblable
évolution de l'opinion publique anglaise ne s'indique point
encore. Les dernières élections ont montré que M. Cham-
berlain était bien le chef incontesté de l'impérialisme bri-
tannique. C'est un fait. Les événements récents, qui tendent
si nettement à indiquer la conclusion d'un accord durable
entre l'Angleterre et l'Allemagne, ne font qu'en confirmer
la portée.
S'il est rationnellement certain que l'Angleterre ne devrait
pas permettre à l'Allemagne de s'étendre jusqu'à l'Adria-
tique, il n'en existe pas moins des indices tendant à établir
que le cabinet de Saint-James accepte cette solution. Le
doute sur l'orientation prise par l'Angleterre est, en tout
cas, suffisant pour qu'il soit impossible de conclure.

§ 2. La Russie a-t-elle intérêt à procéder au partage



de l'Autriche de concert avec l'Allemagne, en vertu d'un
accord analogue à celui qui a réglé jadis le sort de la
Pologne?
Les Pangermanistes le prétendent. Afin d amener l 'opi-
nion russe à conclure dans ce sens, ils ont consacré plusieurs
brochures tendancieuses à développer les avantages de la
combinaison. Dans ses Considérations sur l'Autriche en
l'an 2000 (1), l'Allemand, M. Hofmann, professeur d'his-
toire moderne à l'Université de Varsovie, s'est proposé ce
but avec beaucoup d'évidence. L auteur de ces pages, qui
d'abord avant d'être publiées en alle-
ont paru en russe
mand, développe avec une extrême insistance sous prétexte
de parler de l'Autriche future, ce qu'il convient de faire
(1) PROBUS-HOFMAriZZ, Rückblick auf Oesteri-eich im Jahre 2000. Wigand,
Leipzig, 1898.
actuellement. La thèse est des plus simples : les Autrichiens
travaillent pour le roi de Prusse. La dissolution de l'empire
des Habsbourg est inévitable. Les gouvernements de Berlin
et de Pétersbourg ne peuvent que s'entendre pour un par-
tage avantageux. Il est facile d'en trouver les bases. Les
Polonais d'Autriche n'ont rien à craindre des Allemands,
qui doivent éviter, dans la mesure du possible, les annexions
de territoires slaves; au contraire, la Russie, État autocra-
tique, peut assimiler facilement les éléments étrangers (1).
Qu'un traité secret entre l'Allemagne et la Russie règle
donc le sort de l'Autriche! La Russie recevrait la Galicie et
peut-être, sous certaines conditions, Constantinople et la
partie turque de la Roumélie; l'Allemagne prendrait
possession du reste (2).
Cette volonté des Pangermanistes d'amener l'Allemagne
et la Russie à une entente amicale sur la situation future de
l'Europe centrale apparaît ici très nettement. Les Russes la
connaissent d'ailleurs bien. " Les Allemands sont pratiques !

Que de fois n'ont-ils pas fait comprendre qu'ils désiraient


s'arranger avec la Russie relativement à l'Autriche (3) » !

Cette tactique se conçoit. Si l'entente pouvait se faire


entre Berlin et Pétersbourg, le problème de l'extension
allemande vers le sud serait à peu près résolu. Il s'agit donc
de connaître les chances de succès d'un tel accord. J'ai
exposé, dans la première partie du chapitre IV, pour quelles
raisons le Il Panslavisme politique était depuis longtemps
IJ

une théorie morte en ce qui concerne les Slaves d'Autriche.


La Gazette de Moscou, à une époque (novembre 1867) où
cependant le Il Panslavisme » était infiniment plus justifiable
qu'aujourd'hui, a expliqué avec une sagesse évidente que la
Russie devait renoncer à l'absorption des Slaves du centre

(1) Op. cit., p. 23.


(2) Op. cit., p. 45.
(3) V. DE GORLOF, la Question d'Orient au vingtième siècle. Ventre,
Nice, 1899.
du continent. nDans ce monde slave qui tend vers la Russie
par un mouvement d'attraction irrésistible, la Russie sera
d'autant plus puissante que sa politique sera étrangère à
tout dessein de domination. Plus la Russie donnera à ces
nations, plus elle pourra en obtenir. Ce n'est pas l'acqui-
sition, l'oppression et l'annexion de ces nationalités qui
peuvent assura- la situation de la Russie en Europe et son
développement intérieur; mais, au contraire, c'est l'existence
aussi indépendante que possible de ces nations. Ces quelques
1)

lignes résument toute la politique de la Russie à l'égard de


l'Autriche; on va voir qu'elles expriment, en effet, une
vérité durable.
Sur quinze millions de Slaves cisleithans, quatorze et
demi ne sont pas orthodoxes; leur acquisition totale ou
partielle par la Russie ne saurait donc avoir lieu sans sou-
lever de graves difficultés religieuses. Comment, d'ailleurs,
cette acquisition peut-elle se concevoir géographiquement?
Il existe des obstacles matériels à peu près invincibles. Je
les ai déjà indiqués (V. page 156); la simple vue de la
carte de l'Autriche vraie suffit à les remémorer. Seule la
Galicie pourrait être facilement annexée par la Russie;
comme c'est précisément la part que les Pangermanistes lui
assignent dans leur pensée, l'examen de la valeur de cette
offre présente un sérieux intérêt.
La Galicie est habitée presque exclusivement par des
Slaves. Sa frontière du nord est artificielle. Elle est formée
par la rive droite de la Vistule, prolongée par une ligne
conventionnelle qui court dans la plaine en se recourbant
pour former la frontière de l'est. Au sud, au contraire, les
Carpathes constituent une magnifique frontière naturelle.
Il est ainsi indubitable que, physiquement, la Galicie
semble dépendre de l'empire des Tsars. Si les Russes se
basaient sur ces seules données extérieures, l'on doit donc
admettre qu'ils pourraient être tentés de réaliser une sem-
blable acquisition.
Des considérations très fortes sont de nature toutefois à
leur conseiller la plus grande réserve.
Comme la Russie, la Galicie est un pays agricole. Sa
seule industrie est celle des pétroles, dont la Russie est
abondamment pourvue. Il en résulte qu'au point de vue
économique, l'acquisition de la Galicie ne présente aucun
intérêt. Au point de vue territorial, l'avantage de sa pos-
session serait bien médiocre. Par rapport à l'immense
empire des Tsars, la Galicie n'est qu'une parcelle de ter-
rain; mais, dans sa forme actuelle, cette parcelle remplit
un rôle bienfaisant qu'elle perdrait par le seul fait de son
incorporation aux États de Nicolas II. Maîtres de la Galicie,
les Russes deviendraient voisins immédiats de la Hongrie.
Certes, ce contact serait pour eux sans aucun danger, mais
il susciterait inévitablement de multiples incidents de fron-
tières, qu'il serait préférable d'éviter, en laissant la Galicie
former un État-tampon entre, les deux pays. Cette sagesse
aurait sa récompense. Elle éviterait aux Russes une faute
politique qu'on comprendrait difficilement qu'ils puissent
faire.
Si les populations de la Galicie sont slaves, il ne s'ensuit
point qu'elles soient russophiles, comme le sont les Tchèques
et les Slovènes. On sait déjà (1) les raisons très fondées qui
déterminent les Polonais, sujets de François-Joseph, à dé-
sirer le maintien du statu quo. Les Russes ont des motifs
différents, mais aussi déterminants, de les respecter. Il est
hors de doute, en effet, que l'acclimatation de quatre mil-
lions de Polonais de Galicie, habitués à une entière liberté,
à l'observance, souvent stricte, des nombreux règlements
qui régissent la partie russe de la Pologne, ne s'obtiendrait
pas sans une longue période de compression. Il serait d'au-
tant plus fâcheux de la rendre inévitable, qu'elle compro-
mettrait, selon toute vraisemblance, le relâchement sensible

(1) V. p 149 et suiv.


qui s'observe dans la tension des rapports entre Polonais et
Russes à Varsovie.
Avec les Ruthènes, les difficultés seraient encore plus con-
sidérables. Catholiques, mais de rite grec uni, c'est-à-dire
observant en fait à peu près les mêmes formes religieuses que
les orthodoxes (y compris le mariage des prêtres), tout en
reconnaissant le pouvoir de Rome, les Ruthènes se trouve-
raient avoir dans l'empire une situation religieuse que les
Russes ne consentent pas toujours à reconnaître et qui dé-
termine, dans le plus grand nombre de cas, d'inextricables
complications.
Enfin, si les Ruthènes sont ethnographiquement iden-
tiques aux Petits-Russiens de la région de Kiev, ils ne dé-
sirent nullement être absorbés par les Russes. Quoi qu'en
dise M. Markoff, dans son Galitchanine, les Ruthènes ne sont
plus « moscanophiles ", comme l'ont été jadis les généra-
tions en train de disparaître. Tous les groupes politiques
ruthènes, qui croissent et ont de l'avenir, sont, en général,
anti-russes, fortement imbus de socialisme et désireux sur-
tout d'accroître leur indépendance nationale. Si l'on sup-
pose les 3,250,000 Ruthènes de Galicie brusquement intro-
duits dans la masse des Petits-Russiens de la région de
Kiev, on comprend que le gouvernement du Tsar ne ferait
que semer, dans un terrain favorable, un. germe de parti-
cularisme déjà en plein développement.
Ces diverses raisons permettent de conclure qu'au point
de vue de leurs intérêts stricts, les Russes commettraient
une lourde faute en annexant la Galicie, ce qui explique
d'ailleurs encore plus complètement l'insistance que mettent
les Allemands à leur offrir la partie autrichienne de la
Pologne.
Mais, si l'on suppose que le gouvernement de Pétersbourg
passe outre sur les considérations qui précèdent et accepte
de discuter sur la base de la cession de la Galicie, cette
cession constituerait-elle une compensation suffisante à
l'énorme extension qui, en échange, serait permise à l'em-
pire allemand?
L'insuffisance de ce morceau de terre est si notoire,
que des Pangermanistes comme M. Hofmann parlent d'y
adjoindre Gonstgntinople. L'activité mise par l'Allemagne à
s'installer en Turquie par tous les moyens établit le peu de
sérieux de telles propositions. Il n'y a donc pas lieu de les
discuter. En réalité, pour décider la Russie au partage de
l'Autriche, l'Allemagne ne saurait lui offrir que la Galicie.
Tout ce que le Tsar peut souhaiter de terres ou d'influence
en Asie et en Afrique, il est le maître de l'acquérir par lui-
même ou avec le concours de la France.
Or, l'annexion de la Galicie offrant des avantages très
médiocres en regard d'inconvénients considérables et cer-
tains, on peut finalement en déduire que la Russie n'a au-
cun intérêt évident à prendre part au partage de l'Autriche.
Le gouvernement de Pétersbourg a, au contraire, les
plus sérieuses raisons de vouloir l'intégrité et l'indépendance
de l'Autriche.
L'extension allemande, jusqu'à Trieste, comporte le sacri-
fice de 6,000,000 de Tchèques et de 1,350,000 Slovènes. Si
ces Slaves ne sont pas orthodoxes et ne veulent point s'ab-
sorber dans l'empire des Tsars, leur c slavisme » et leurs
sympathies pour la Russie n'en subsistent pas moins. La
Russie ne peut pas les laisser écraser par les Allemands. La
Gazette de Moscou l'a résolument déclaré, par la plume de
Katkof, probablement : « Nous laissons de côté toutes les
sympathies nationales et toutes les théories panslavistes,
mais nous posons simplement la question de savoir si la
Russie peut rester indifférente vis-à-vis de ce mouvement
chaotique, au-dessus duquel plane l'esprit de haine et de
destruction. Est-ce qu'elle peut et doit refuser son appui à
ceux qui veulent sortir du chaos et cherchent la lumière et
la vie? Est-ce qu'elle peut et doit oublier sa mission histo-
rique en Orient, en refusant son appui aux Slaves d'Autriche
qui sont encore plus opprimes que ceux de la Turquie (1). x
La réponse est nette. La Russie peut d'autant moins
manquer à ses devoirs moraux, qu'en le faisant elle com-
mettrait une faute d'une incalculable portée. Permettre aux
Allemands la marche vers Trieste serait leur donner le droit
de couper la Russie de l'Occident ; ce serait donner aux
escadres allemandes, appuyées sur Pola et sur Cattaro, les
moyens d'interdire aux navires russes le séjour de la Médi-
terranée; ce serait se condamner à ne plus agir qu'en Asie.
La Russie peut-elle s'y laisser enfermer? Avec Port-Arthur
et la Mandchourie, elle vient d'acquérir pour toujours l'ac-
cès à une mer libre. La période de la mise en valeur de ses
territoires d'Extrême-Orient commence, mais, en réalité, le
succès de cette immense entreprise est subordonné à la
bonne situation des 120 millions de Russes de la Russie
d'Europe. Cette situation est étroitement liée à l'état du
centre et de l'ouest du continent. C'est en partant de ce
point de vue qu'un écrivain russe, M. de Gorlof, demande
que la Russie se préoccupe un peu plus des choses d'Eu-
rope. Il estime d'ailleurs que ce revirement est fatal. « On
peut hardiment prédire que cet engouement pourl'Extrême-
Orient passera bientôt comme toutes les choses artificielles.
La Russie reviendra à ses traditions dix fois séculaires (2). »
Un auteur pangermaniste est exactement du même avis :

«
On se trompe fort, si l'on croit les articles de journaux
qui prétendent que les principaux intérêts russes sont en
Asie orientale. Ceux-ci sont, par rapport à ses intérêts euro-
péens, comme 1 est à 20 (3). » Cette vérité apparaît plus clai-
rement encore si l'on considère qu'une fois à Trieste les
Allemands pourraient tirer tous les avantages du chemin de

(1) Novembre 1867.


(2) V. DE GORLOF, la Question d'Orient au vingtième siècle, p. 6. Ventre,
Nice, 1899.
(3) Deutschland bei Beginn des 20. Jahrhunderts, p. 93, Militâr-Verla
R. Félix, Berlin, 1900.
fer de Bagdad qui est bien la plus dangereuse entreprise qui
ait été dirigée depuis longtemps contre l'empire des Tsars.
On ne s'y trompe pas à Pétersbourg. A peine le firman de con-
cession du Sultan était-il connu que les Novosti écrivaient :
«
Il s'agit d'une guerre déjà engagée et constante, d'une
conquête pacifique de la Turquie, non pas par la force des
armes, mais par la construction de chemins de fer et
l'extension de colonies. Si, avec le temps, l'Allemagne
atteint son but final et prend possession de Trieste, alors la
question d'Orient prendra une direction qui sera toute
différente de celle qu'elle a eue jusqu'ici. »
Le Novoié Vrémia a montré mieux encore l'étendue du
danger :
CI
Notre opinion publique semble tout à fait endormie :
c'est notre devoir de la réveiller avant qu'il soit trop tard.
Nous voyons qu'on ne se rend pas chez nous suffisamment
compte de la portée d'une pareille ligne ferrée entre les
mains des Allemands. Essayons donc d'éclairer nos conci-
toyens. Le chemin de fer de la Mésopotamie, une fois relié
aux chemins de fer de l'Anatolie, deviendra un concurrent
excessivement dangereux du chemin de fer transsibérien
qui, lorsqu'il sera achevé, aura coûté des centaines de mil-
lions à la Russie. Certes, le trajet entre l'Europe occidentale
et l'Extrême-Orient se fera plus vite par la Sibérie que par
l'Asie Mineure et la Mésopotamie, mais il sera de beaucoup
plus coûteux puisqu'il s'effectuera exclusivement en wagon,
tandis que les marchandises qui seront dirigées vers l'Ex-
trême-Orient par la Mésopotamie pourront être prélevées
sur les navires qui passent le canal de Suez ; la nouvelle
route pourra même faire concurrence à ce dernier. Mais il
y a autre chose à remarquer : la Mésopotamie est un des
pays les plus riches du globe ; les richesses naturelles iné-
puisables de ces vastes contrées n'ont été jusqu'ici que fort
peu exploitées, les communications faisant presque complè-
tement défaut. Tout changera comme par un coup de ba-
guette du moment où la ligne ferrée reliera le golfe Per-
sique aux côtes de la Méditerranée. L'Asie Mineure et la
Mésopotamie pourront ainsi inonder de céréales les mar-
chés de l'Europe, ce qui revient à dire que la Russie en
sera exclue, ou à peu près. Les superbes cotons de ces deux
provinces trouveront leur chemin vers les fabriques alle-
mandes et autres d'où ils retourneront manufacturés jusqu'en
Perse et en Afghanistan, pays où les manufactures russes
viennent seulement de trouver un débouché. La Russie
sera cruellement atteinte dans ses intérêts économiques, et
sa prépondérance politique dans l'Asie centrale recevra un
coup dont elle ne se relèvera que difficilement. Voilà ce que
nous réserve un avenir peu éloigné, si nous ne signifions
pas aux Allemands Rands off pendant qu'il en est temps
encore. Il faut que nos chers voisins sachent que la Russie ne
tolérera jamais qu'on touche au statu quo de l'Asie Mineure
et de la Mésopotamie. ii
La diplomatie du Tsar a bien cherché à restreindre les
effets possibles du chemin de fer de Bagdad en faisant
octroyer à la Russie, par la Perse, d'importantes concessions
de chemins de fer; mais si bien étudié que soit leur tracé, il
sera toujours infiniment moins favocable, au point de vue
du trafic international, que celui de la ligne Constantinople-
Berlin-Hambourg ; il sera loin surtout d'avoir la valeur
militaire des chemins de fer allemands d'Asie Mineure. On
sait que ceux-ci ont été étudiés de façon à pouvoir concen-
trer au sud du Caucase de grandes quantités de troupes
turques avec lesquelles la Russie aurait évidemment à
compter très sérieusement, si, dans le cas d'une conflagra-
tion générale, l'empereur allemand parvenait à faire mo-
biliser le Sultan contre le Tsar. C'est une éventualité qu'il
faut prévoir. « Il est probable que tôt ou tard une lutte
entre l'Allemagne et la Russie se produira (1). » La force

(1) -
- es vermutlich früher oder spater noch
einmal zu einem Kampfe
des choses le veut ainsi. La Russie ne peut donc pas laisser
le gouvernement de Berlin grouper sous sa direction des
forces considérables que lui seul pourra mettre en mouve-
ment contre elle à la fois en Europe et en Asie. La Russie
serait-elle certaine de résister à une attaque où elle aurait
affaire aux Allemands, aux Roumains, aux Turcs et peut-
?
être aux Suédois Ferait-elle face à une coalition qui l'atta-
querait au nord-ouest, à l'ouest, au sud-ouest, au sud et au
sud-est? Rien n'est moins sûr. S'il est vrai que la Russie est
un réservoir immense de soldats admirables, il n'en est pas
moins certain que, pour des raisons financières qui subsis-
teront longtemps encore, elle ne peut mettre en ligne qu'une
partie relativement faible de ses ressources en hommes. Il
y a là une considération économique d'une portée capitale
qui en détermine une autre non moins essentielle.
La Russie manque notoirement de capitaux. De toute
nécessité, elle doit faire des emprunts considérables à
l'étranger. Cette obligation est encore accrue par les der-
nières acquisitions en Extrême-Orient qui obligent le gou-
vernement de Pétersbourg à consacrer la majeure partie
de ses fonds à des travaux dont l'immensité s'accroît sans
cesse. De toute évidence, la Russie est contrainte de se
ménager les marchés étrangers sur lesquels elle peut trouver
des capitaux. Or, l'expérience a prouvé que la France est le
seul pays du monde où la Russie ait obtenu et puisse obtenir
— d'ailleurs à l'avantage des Français quand ils savent
traiter sérieusement — les sommes énormes encore indis-
pensables à son développement. Il en résulte que les inté-
rêts matériels des deux pays sont liés pour une période indé-
finie. Tout ce qui affaiblit la Russie diminue la valeur de la
créance des porteurs français et toute évolution de la politique
générale qui appauvrit la France menace l avenir de la Russie.
Or, je le montrerai plus loin, la simple extension du Zollve-
zwischen Russland und Deutschland kommen wird... »
Die deutsche Politik
der Zukunft, p. 5. Deutschvolkischer Verlag Odin
(C ,, 1900.
rein à l'Autriche porterait un coup terrible au commerce et
à l'industrie français, dont la prospérité règle les possibilités
d'épargne des Français. La Russie a, par suite, une raison
de plus de vouloir le maintien du statu quo.
En définitive, l'ensemble de ces considérations détermine
cette forte conviction : sans commettre la plus inexcusable
des fautes, la Russie ne peut pas permettre à l'empire alle-
mand de porter atteinte, de quelque façon que ce soit, à
l'intégrité de l'Autriche.

§ 3. — Les événements de Cisleithanie présentent pour


la République française un intérêt extrême ; son existence,
en tant que grande puissance, est en effet étroitement subor-
donnée à l'indépendance de l'Autriche.
Un grand nombre de Français sont loin d'attacher une
pareille gravité aux conséquences possibles du démembre-
ment de l'Autriche. Certains même l'envisagent avec satis-
faction; ils estiment que l'empire de François-Joseph con-
tient tous les éléments d'une transaction avec l'Allemagne
sur la question d'Alsace-Lorraine. M. Paul Fauchille, par
exemple, le donne à entendre : c... Un temps peut venir
où, à la suite d'événements plus ou moins proches, la confi-
guration de l'Europe se trouvera bouleversée, et dans ce
bouleversement rien ne dit que certaines compensations
territoriales, à ses yeux plus importantes, ne déterminent
pas l'Allemagne 'à nous rendre nos provinces perdues (1)! #
Cette façon d'envisager la situation de l'Europe centrale
semble être fort répandue en France. Le Dr Hérold, l'un des
leaders du peuple tchèque, en a été si frappé, au cours d'un de
ses récents voyages à Paris, qu'à son retour à Prague, il a
cru devoir mettre ses compatriotes en garde contre toute
espérance ayant pour base la clairvoyance politique des
Français.

(1) Europe nouvelle, n° 63, avril 1899.


Il n'est point douteux, en tout cas, que cette conception
de l'Autriche, objet d'échange éventuel, a pu s'acclimater
facilement en France, la plupart des Français étant con-
vaincus que l'entente une fois faite relativement à l'Alsace-
Lorraine, il n'existerait plus de cause de dissentiment entre
l'Allemagne et leur pays. Il y a là, comme on va voir, une
erreur fondamentale.
Tout d'abord, l'idée d'une transaction possible aux dépens
de la Cisleithanie repose-t-elle sur des données sérieuses?
Les Allemands considèrent-ils la qualité de leurs relations
avec la France comme nécessaire au point qu'ils soient
disposés à faire des sacrifices réels pour les améliorer? Les
lignes suivantes paraissent résumer excellemment l'opinion
moyenne des sujets de Guillaume II à l'égard de la France :
Il
Dans les derniers temps, on préconise une alliance entre
l'Allemagne et la France. Certes, il est très satisfaisant qu'en
France les sentiments soient devenus plus bienveillants à
l'égard de l'Allemagne, dans les dernières années. Tous les
Allemands ont le devoir d'entretenir ces sentiments et d'y
répondre. Mais cela ne doit pas détourner le politique réflé-
chi de ce fait : l'Allemagne ne saurait marcher avec la France
la main dans la main; l'Allemagne a un avenir et la France
n'a qu'un passé. Dans aucune circonstance, le peuple qui
regarde l'avenir ne doit lier son sort à celui d'une nation
qui meurt lentement mais sûrement (1). Il Telle est l'opi-
nion des Allemands sages et modérés. Quant aux chauvins,

(1) In den allerneuesten Zeiten tauchen Befürworter eines Biindnisses


zwischen Deutschland und Frankreicli auf. Es istgewiss sehr erfreulich, dass
in Frankreich die Gefühle gegen Deutschland in den letzten Jahren immer
liebenswiïrdiger geworden sind ; und es ist Pflicht aller Deutschen, diese
Gefiihle zu pflegen und zu erwiedern. Aber den nuchternen Politiker darf das
nicht über die Thatsache hinwegtiillchen, dass Deutschland nicht mit Fran-
kreich Hand in Hand gehen kann, weil Deutschland noch eine Zukunft
Frankreich nur eine Vergangenheit hat. Wer seine Ziele in der Zukunft
sucht, darf sein Schiksal unter keinen Umstanden mit einer langsam aber
sicher absterbenden Nation verknüpfen. Die Gegenwart, n° 10, 20 mai 1899,
p. 306-307.
enfiévrés par la folie pangermaniste, ils ne demandent que
l'épuisement de la France et la prise de ses colonies.
Relativement à l'Alsace-Lorraine, l'opinion allemande ne
présente même plus cette divergence; on la trouve d'une
unanimité absolue. Le 1er février 1899, la Strasburger Post
constatait l'existence d'intérêts communs à la France et à
l'Allemagne. Elle en déduisait la nécessité d'une entente,
mais elle ajoutait : Il Est-ce que ces intérêts, si la France se
résignait à reconnaître solennellement la réunion irrévocable
de l'Alsace-Lorraine à la mère-patrie allemande, etc. » Les
enquêtes faites par certaines revues françaises, qui avaient
estimé la diversité des opinions suffisante pour donner lieu
à discussion, ont abouti à démontrer que tous les Allemands
ayant quelques titres à être pris en considération exigent
bien cette reconnaissance solennelle de la réunion irrévocable
de l'Alsace-Lorraine. Le baron Carl von Stengel, professeur
à l'université de Munich, deuxième délégué de l'empire
allemand à la conférence de la Haye, par conséquent très
qualifié pour donner une opinion autorisée, a répondu : « La
France doit bien se pénétrer de l'idée que l'Allemagne,
quoique partisan déclaré de l'apaisement, ne renoncera
jamais aux résultats de la guerre de 1870-1871. » M. Schô-
lank, député au Reichstag, précisa encore davantage :
«
Sans l'acceptation absolue de la part de la France des
conséquences du traité de Francfort, c'est-à-dire sans le
renoncement à la revanche et à la reddition de l'Alsace-
Lorraine, il est impossible, à mon avis, d'effectuer un rap-
prochement fécond. » A fortiori, cette opinion est celle des
Pangermanistes. « Une rétrocession de l'Alsace-Lorraine à
la France est aussi peu discutable que le droit des Français
de souffrir de cette perte. Aucun empereur allemand ne
peut prêter ni ne prêtera l'oreille à une telle idée; jamais
le peuple allemand ne souffrira un semblable affront (1). »

(1) Alldeutsche Bliitter, p. 38, 1899.


« La possession de l'Alsace-Lorraine est une question vitale
pour l'Allemagne (1). » Sur ce terrain, l'unanimité est si
parfaite parmi les Allemands que les socialistes-marxistes
eux-mêmes ont déclaré en 1893, à Mulhouse et à Berlin,
par l'entremise de leurs chefs, MM. Bebel et Liebknecht,
qu'ils étaient prêts à prendre les armes pour maintenir
l'Alsace-Lorraine sous la domination allemande. 11 est donc
permis d'affirmer que jamais l'opinion allemande n'a été
moins disposée qu'aujourd'hui à rendre un pouce du terri-
toire acquis en 1871.
Le gouvernement de Berlin partage absolument ce senti-
ment. Il vient d'en donner une preuve convaincante. S'il
envisageait dans un but politique quelconque la nécessité
de rétrocéder à la France au moins une partie du Reichs-
land, cette partie serait évidemment constituée par la ré-
gion de Metz. Or, c'est précisément là que, depuis trois an-
nées, l'empereur allemand accumule les fortifications. Le
1" mars 1900, en inaugurant les travaux du fort du mont
Saint-Blaise, Guillaume II a dit : Il Je te baptise fort Haese-
ler. Tu seras appelé à défendre les conquêtes de l'Allemagne
contre les ennemis de [ouest. » Il y a là, on en convien-
dra, un ensemble de faits et de paroles importantes qui
interdit à tout homme réfléchi de se bercer du rêve,
sans
doute séduisant, d'une transaction sur la question d'Alsace-
Lorraine.
Persisterait-on d'ailleurs à la croire possible, qu'un Fran-
çais ne saurait trouver en Autriche les éléments d'un échange.
Il existe un obstacle d'ordre moral qui interdit à tout
gou-
vernement républicain, même de discuter cette hypothèse.
On a vu plus haut que l'Allemagne
ne saurait s'étendre
jusqu 'à Trieste sans contraindre, par un régime de fer,
6,030,000 de Tchèques et 1,350,000 Slovènes.
Or, la France a toujours défendu les droits des peuples;

(1) Alldeutsche Blàtter, p. 39, 1899.


c'est au nom de ce principe qu'elle a protesté légitimement
contre l'annexion de l'Alsace-Lorraine ; c'est en l'invoquant
qu'elle a reçu le président Krüger, luttant pour l'existence
du Transvaal et de l'Orange. La France pourrait-elle recou-
vrer même la totalité de ses provinces perdues au prix d'un
acte infâme qui serait la négation de toute son histoire ? Les
Français peuvent-ils oublier que le 8 décembre 1870, alors
que l'Europe se taisait devant le vainqueur, seul le peuple
tchèque, oublieux du danger, a protesté auprès du comte
de Beust contre le bombardement de Paris et l'annexion de
l'Alsace-Lorraine dans une déclaration où l'on pouvait lire :

Il
A cette heure solennelle et grave, la Bohême se voit em-
pêchée, par des raisons majeures, d'élever la voix en tant
que nation politique, en faveur des principes supérieurs
qu'elle considère comme sacrés et qu'elle est décidée à
défendre constamment et de toutes ses forces; elle tient
cependant à faire connaître ses sentiments.
Il
Indubitablement, la nation allemande a le droit de
repousser par les armes les attaques contre ses États ou
contre sa liberté. Mais si elle préméditait d'imposer à la na-
tion française une certaine forme de gouvernement ou de
lui arracher une partie de son territoire dont les populations
se sentent françaises, elle violerait à l'égard de ces popula-
tions leur droit de disposer librement d'elles-mêmes et elle
subordonnerait le droit à la force.
Il
La Bohême ne peut pas refuser ses plus franches sym-
pathies à cette noble et glorieuse nation française, qui ne.,
combat plus aujourd'hui que pour sa liberté nationale et^
pour la défense de sa patrie, à cette nation qui s'est acquis
de si grands titres à la reconnaissance de la civilisation pour
le progrès des principes humains et libres. »
Les Français peuvent-ils méconnaître qu'après la guerre,.
les Tchèques n'ont pas cessé de croire en leur force, en
leurjustice et en leur sens politique? Les paroles du député
tchèque Horitza, répondant au Reichsrath, le 26 décem-
bre 1899, aux attaques du pangermaniste Türk, le prouvent.
(1
Nous lutterons jusqu'à la dernière goutte de notre sang
pour l'existence de la monarchie, quoique, selon toute appa-
rence, le gouvernement autrichien ne voie pas clairement
les dangers qui le menacent. A la vérité, nous souhaitons
que la Russie, grâce à son alliance avec la France, rende à
l'Autriche contre la Prusse le même service qu'en 1849 elle
a rendu à la monarchie contre les Hongrois. Cette espérance
est malheureusement enfermée dans l'avenir. En France,
cependant, on connaît la situation de l'Autriche. Si on lit
le discours que l'honorable et généreux président de la
Chambre des députés français a prononcé lors de sa récep-
tion à l'Académie, le 1" février, on constate qu'il voudrait
voir donner à la question de l'existence de l'Autriche la
même solution que nous-mêmes. Nous lui en sommes très
reconnaissants. Notre existence est liée à celle de l'Au-
triche... Si en Autriche les autorités compétentes ne nous
comprennent pas, nous sommes au moins compris des
Français, ce peuple à la vaste intelligence et au sens diplo-
matique... (1). »
(1) Diesen Kampf um die Existenz der Monarchie werden wir kämpfen
11

bis zum letzten Blutstropfen, obwohl sich Oesterreich fortwährend den An-
schein gibt, als ob es diese Dinge nicht sehe. Wir haben zwar gehofft, dass
Russland durch den Bund mit Frankreich Oesterreich einmal denselben
Liebesdienst gegen Preussen erweisen werde, wie es ihn Oesterreich im
Jahre 1849 gegen die Ungarn erwiesen hat. Diese Hoffnung ist aber leider
in weite Ferne gerückt. In Frankreich ist man sich dieser diplomatischen
Situation bewusst. Wenn man die Rede des sehr verehrten, hochherzigen
Präsidenten der französischen Deputirtenkammer liest, welche er am 1. Fe-
bruar bei seinem Eintritte in die Akademie gehalten hat, so sieht man,
dass er diese Frage, die Frage von dem Bestande Oesterreichs, genau in
unSITem Sinne gelöst wissen will.
Wir s;nd ihm dafür zu Dank verbunden. Wir sind mit unserer Existenz an
Oesterreich gebunden... Wenn wir in Oesterreich bei den massgebenden
Personen kein Verständnis finden, so finden wir es wenigstens bei den
Französen, diesem Volke von grossartiger Intelligenz und seinem diploma-
tischem Gefühl. »
Stenographisches Protokoll.
Haus der Abgeordneten. XVI. Session, 36. Sitzung am 26. Februar 1900,
r. 2338.
Les délégués de la ville de Prague dans une adresse remise
au Conseil municipal de Paris, en juillet 1900, à l'occasion
de l'Exposition universelle, ont établi que ces sentiments
étaient bien ceux du peuple tchèque tout entier : ci
Les
représentants de la capitale royale du royaume de Bohême
désirent témoigner ainsi, en leur nom et au nom de leurs
compatriotes, leur vive admiration et leur enthousiasme
pour la métropole de la France, et ils saisissent cette occa-
sion solennelle de rappeler la solidarité des intérêts publics,
civilisateurs et économiques, unissant la nation tchèque à
la France éclairée et laborieuse, qui répandit toujours dans
le monde, avec désintéressement, les idées généreuses du
progrès et de la civilisation en luttant pour la liberté et les
droits de l'humanité entière. «
C'est encore aux Français que les Tchèques, impuis-
sants à agir par eux-mêmes, se sont adressés pour faire
transmettre au président KrÜger l'hommage de leur respect
et le tribut de leur admiration. K Convaincus que tous les
peuples qui se défendent sont sûrs de trouver un écho dans
les cœurs lorsqu'ils s'adressent à la France, les citoyens
tchèques s'associent avec une patriotique émotion aux
manifestations de sympathie du conseil municipal de Paris,
pour le vaillant peuple boër et pour le vénérable représen
tant du Droit méconnu. "
Non, les Français n'ont pas le droit d'oublier le passé ni
de trahir la morale supérieure dont ils se prétendent les
gardiens. Sans un éternel déshonneur, ils ne peuvent laisser
écraser les huit millions de Slaves cisleithans menacés par
le Germanisme » .
(1

Ce côté moral de la question d'Autriche suffirait à dicter


devoirs gouvernement de la République française. Mais
ses au
point de n'existàt-il point, la France ne pourrait per-
ce vue
mettre l'extension de l'Allemagne vers le sud sans s exposer
épouvantable désastre. Envisagée en fonction des in-
à un
térêts français, la question d Autriche présente trois aspects .
Elle est politique.
c(
Quelle perspective pour les Français que de voir une
Allemagne de soixante millions d'habitants réunis sous la
même main, et pouvant mettre en mouvement, sur un
signe parti de Berlin, une armée de 1,500,000 hommes! "
Édouard Hervé parlait ainsi il y a plus de trente ans. Au-
jourd'hui, c'est soixante-dix millions d'habitants et cinq
millions de soldats qu'il faudrait dire. Une telle dispropor-
tion dans les rapports des forces rendrait évidemment la
vie de la France essentiellement précaire. Comment le
gouvernement de Paris résisterait-il aux sollicitations pres-
santes qu'il plairait à la cour de Berlin de faire? Comment
maintiendrait-il l'influence et le commerce que la France
conserve encore en Orient? Comment, si l'entente anglo-
allemande est vraiment une réalité durable, assurerait-il les
relations de la France avec ses possessions d'Afrique? Le
simple bon sens suffit pour répondre.
Laisser se constituer une Grande-Allemagne, ne serait-ce
pas encore donner à l'empereur allemand les moyens d'uti
liser contre la France les forces de l'Autriche? Actuelle-
ment, l'Autriche entretient les meilleures relations avec la
France; ses intérêts ne sont nulle part en contradiction avec
les siens. N'y a-t-il pas là un état de choses que la France
doit conserver? Très certainement oui, et, pour y parvenir,
la politique que préconisait le Dr Rieger dans son mémoire
à Napoléon III semble encore être la vraie : Si la France
et

veut maintenir l'empire d'Autriche à l'état de grande puis-


sance européenne, elle ne saurait s'unir aux dualistes ger-
mano magyars qui amèneront fatalement sa destruction; si
la France ne désire pas l'agrandissement de la Prusse, elle
.

ne peut pas non plus souhaiter la domination exclusive du


parti allemand en Bohême.
et
Une fois germanisée, la Bohême deviendrait certaine-
ment la proie de l'Allemagne prussienne, tandis qu'une
Bohême slave ne sera jamais la proie de la Russie, car elle
est trop jalouse de son individualité historique et de son
indépendance nationale.
CI
Le Pangermanisme est redoutable; le Panslavisme
politique ne l'est pas, et, le serait-il, la France ne saurait
en souffrir. La France peut donc accorder ses sympathies
aux Slaves d'Autriche qui n'ont pas encore renoncé à la
pensée de garantir leur individualité historique et natio-
nale par la création d'une Autriche fédérale. Seule une
fédération est capable d'assurer à ses peuples, aux Slaves
comme aux Allemands, leur autonomie administrative et
une véritable liberté politique, impossibles à réaliser tant
qu'une seule nation dominera en Autriche. »
La question d'Autriche est économique.
Jusqu'à présent, l'agriculture française a trouvé en Alle-
magne un important débouché, mais c'est uniquement
parce que l'Allemagne est dépendante de l'étranger pour
les produits de consommation. Du jour où les riches régions
agricoles de l'Autriche seraient comprises dans les frontières
de l'empire allemand, celui-ci, ayant un intérêt certain à
s'affranchir de toute dépendance extérieure, pourrait, en
favorisant l'élevage et la culture dans sa nouvelle acquisi-
tion, se passer dans une large mesure des produits français.
Ces conséquences pour l'agriculture française de la réunion
de l'Autriche à l'Allemagne, qui d'ailleurs ne se produi-
raient point brusquement, seraient relativement peu de
chose en comparaison de celles qu'auraient à subir l'indus-
trie et le commerce français dont les conditions fondamen-
tales seraient certainement bouleversées par la simple ex-
tension du Zollverein à la Cisleithanie.
L'empire allemand est de plus en plus l'adversaire com-
.
mercial de la France. Déjà les industriels français ont une
grande peine à lutter contre les produits d'outre-Rhin. Or,
la création du Zollverein de l'Europe centrale devant amé-
liorer, dans des proportions considérables, les conditions
de la fabrication allemande, de ce seul fait les conditions
delà fabrication française deviendraient plus mauvaises par
comparaison, et comme la puissance de l'outillage et le
champ d'action commercial de l'empire allemand s'accroî-
traient formidablement, il n'est pas douteux que sa supé-
riorité actuelle deviendrait une suprématie dont le com-
merce français serait le premier à ressentir les funestes
effets.
Une fois l'union douanière de l'Europe centrale établie,
la France ne pourrait que choisir entre deux alternatives :

ou bien elle resterait en dehors du nouveau Zollverein, ou


bien elle demanderait à y entrer.
Dans le premier cas, la France serait bien moins en
mesure qu'actuellement de s'opposer à l'envahissement des
marchandises allemandes et à les concurrencer l'étranger,
puisque,par hypothèse, ces produits bénéficieraient de con-
à
ditions de fabrication beaucoup plus favorables.
Dans le second cas, le danger serait plus grand encore.
Mais, avant de le préciser, il est bon de noter que les Alle-
mands désireraient vivement amener la France à cette
solution, c'est-à-dire à entrer dans le Zollverein de l'Europe
centrale. L'officieuse Strasburger Post, du 1er février 1899,
a publié sur ce point un article édifiant. On y invitait la
France à reconnaître que sa politique protectionniste, loin
d'avoir développé ses richesses, a tourné tout à fait au
désavantage du commerce et de l'industrie français. On
concluait qne la France et l'Allemagne se complètent
CI

économiquement de la façon la plus utile », et que lors- CI

que la politique des douanes frontières aura disparu, les


échanges économiques atteindront une extension tout à fait
nouvelle et plus considérable qu'auparavant (1) )
.

(1) Cette thèse reçoit l'approbation de quelques Français. Dans une lettre
ouverte adressée par l'Europe nouvelle, novembre 1900, à YAllgemeine
Zeitung de Munich, on peut lire : - L'Allemagne est avant tout un pays
d'industrie, la France un pays agricole. Leurs productions réciproques loin
de se contrarier se complètent. La France vendrait à l'Allemagne ses vins
On conçoit volontiers que la Strasburger Post préconise
une entente sur de pareilles bases. Il est clair, en effet, que
le jour où la France- serait entrée dans le Zollverein., le
prix des articles allemands, qui ne seraient plus arrêtés par
la ligne douanière, deviendrait si bas, que les Français
seraient contraints de les consommer de préférence à ceux
de leur industrie propre. Par ce seul fait, celle-ci serait mor-
tellement et généralement atteinte.
Dans les deux cas, l'industrie et le commerce français
subiraient donc un désastre dont l'intensité seule varierait.
La question d'Autriche est enfin sociale.
Les effets économiques de l'extension du Zollverein à
l'Autriche atteindraient en effet individuellement la masse
la plus intéressante des Français.
Les trois millions de patrons chefs d'industries et les
huit cent mille commerçants ne seraient pas les seuls
atteints dans leur fortune. Les six millions et demi de Fran-
çais qui vivent des salaires payés par les premiers et les
trois millions de Français dont les traitements servis par les
seconds sont l'aliment quotidien, auraient à supporter par
la force même des choses le poids du désastre économique.
Tous ces ouvriers et tous ces employés verraient soit leurs
salaires menacés de réduction, soit le chômage se généra-
liser. Or, la prospérité des individus qui vivent du commerce
et de l'industrie déterminant celle de ceux qui vivent de

et ses objets d'art et de luxe; l'Allemagne vendrait à la France ses machines


et ses objets manufacturés.
« Ces échanges auraient pour
conséquence nécessaire un abaissement
notable des tarifs douaniers. Beaucoup d'économistes affirment même que
l'accord commercial devrait aller beaucoup plus loin, et qu'il faudrait éta-
blir entre la France et l'Allemagne réconciliées un véritable lollverein. "
Puisque l'Europe nouvelle s'enthousiasme pour un pareil projet, 'feux
remarques ne sont pas inutiles : 1° Les vins, les objets d'art et de luxe sont
des produits dont la vente s'impose généralement à peu près en dehors de
toute considération douanière; 2° Que deviendraient les millions d'ouvriers
français qui vivent présentement de la fabrication des machines et des objets
manufacturés que l'Allemagne fournirait ?
l'agriculture, les dix-sept millions de Français occupés aux
travaux de la terre auraient eux aussi à subir le contre-coup
de la détresse du commerce et de l'industrie. On est par
suite en droit de dire que les agriculteurs, les ouvriers, les
commerçants et les industriels, soit donc l'immense majorité
des Français, ont un intérêt personnel et certain à ce que
le Zollverein allemand ne s'étende pas à l'Autriche.
Il faut en outre remarquer que toute l'étendue du terri-
toire de la République, tant colonial que métropolitain,
ressentirait les terribles effets de la création d'un seul ter-
ritoire économique entre la Baltique et l'Adriatique. Le
directeur du comptoir colonial français à Madagascar ou au
Tonkin ne serait pas mieux placê pour s'y soustraire que le
commerçant de Bayonne, l'industriel du Nord, l'ouvrier de
l'arsenal de Brest et le débardeur du port de Marseille.
Envisagée sous sa triple forme, politique, économique et
sociale, la " question d'Autriche » apparaît pour la France
comme une question majeure. M. Alfred Rambaud, ancien
ministre de l'instruction publique, n'exagérait donc rien
lorsqu'il écrivait : L'éventualité du partage de l'Autriche
CI

ne tient qu'à un fil, c'est-à-dire à la vie d'un monarque


âgé de 70 ans. Si elle se réalise, il ne s'agira pas de dire
que la France est en face du plus grand danger qu'elle ait
jamais couru depuis mille ans : non, il s'agira pour elle, à
une date très rapprochée, d'être ou de ne plus être (1). »
En définitive, la France a un intérêt vital à s'opposer à
une extension quelconque de l'Allemagne aux dépens de
l'Autriche.
C'est en somme la conclusion à laquelle sont arrivés ceux
qui ont étudié l'hypothèse de la question d'Autriche 1).
CI

CI
Si donc l'Autriche n'existait pas, dit M. Ch. Benoist, l'Eu-
rope devrait l'inventer, et puisque l'Autriche existe, l'Europe
doit tout faire pour la conserver (2). Déjà avant 1870,
)y

(1) Matin, octobre 1899.


(2) Revue des Deux Mondes, 15 novembre 1899, p. 260.
Victor Cherbuliez exprimait identiquement la même idée.
f Livrer le centre de l'Europe à une ambition obscure,
tortueuse et sophistique, qui refuse de se lier, qui s'applique
à ne rassurer personne, et dont le rêve est peut-être de
s'étendre de la Baltique à l'Adriatique, voilà ce que le bon
sens français ne saurait admettre (1). » L'existence de
cc

l'Autriche est un intérêt européen. La France le sait bien,


elle sait aussi que tout ce qui menace l'Autriche la menace
elle-même, elle sait aussi que son gouvernement s'est abusé
dans ses calculs (en 1866), elle l'approuve d'en avoir pris
philosophiquement son parti, d'avoir fait bonne mine à
mauvais jeu, parce qu'après tout, erreur n'est pas compte,
mais elle désire qu'il ne se trompe pas deux fois (2). x
C'est ce que demandait récemment M. Camille Pelletan :
«
Oui, il y a une grosse question chinoise; mais elle pour-
rait bien se compliquer à bref délai d'une question autri-
chienne plus grosse encore... Une crise et une liquidation
qui pourraient ajouter à l'empire de Berlin toutes les pro
vinces allemandes de l'empire austro-hongrois créeraient
éviàemment dans l'Europe centrale une puissance dispro.
portionnée qui constituerait un péril considérable pour ses
voisins. Il y aurait là un vaste remaniement de la carte du
monde... Ce sont là de terribles problèmes : ils risquent de
se poser à bref délai. Et l'heure où ils se poseront ne sera
pas gaie. Souhaitons qu'on la prévoie, et qu'on agisse en
conséquence, soit pour la retarder indéfiniment, soit pour
n'être pas pris au dépourvu. Il y a au delà du Rhin un sou-
verain fort aventureux... Il serait naïf de compter sur lui
pour préserver la paix de l'Europe (3). »
Les dernières pages de ce travail montreront, j'espère,
que le vœu de M. Pelletan peut être accompli.
(1) Victor CHERBULIEZ, l'Allemagne politique depuis la paix de Prague,
p. 386. Hachette, Paris, 1870
(2) Op, cit., p. 385.
(3) Éclair, 16 septembre 1900,
La phrase de von Moltke : « Nous sommes assez forts
pour assurer la paix de l'Europe, » ne reste vraie qu'autant
que la politique du gouvernement de Berlin ne menace pas
l'existence des grandes nations. Ce serait le cas s'il préten-
dait intervenir en Autriche. La revue qui vient d'être faite
des divers points de vue de chaque État, relativement à
l'avenir de l'Europe centrale, a permis de discerner les
intérêts, et, par suite, le groupement éventuel des puis-
sances.
Si on laisse en dehors de tout classement les États comme
l'Angleterre, la Turquie et la Serbie, dont l'orientation est
douteuse pour des raisons diverses, on constate que l'Italie
et la Roumanie doivent être considérées comme solidaires
de l'empire allemand, et qu'au contraire la France, la
Russie, les États-Unis et la Bulgarie ont des raisons excep-
tionnellement graves de vouloir la conservation de l'Au-
triche.
CONCLUSION

Toute atteinte à l'intégrité de l'Autriche menaçant la paix


européenne, l'objectif d'une politique sage doit être de faire
en sorte qu'une telle éventualité n'arrive jamais.
Or, il est possible d'empêcher la question d'Autriche de
se poser.
Pourquoi et comment?
Pourquoi ? Parce que l'agrandissement de l'Allemagne aux
dépens de l'Autriche ne s'indique point comme un résultat
inévitable de la force des choses. La création de l'empire
allemand après la guerre contre la France en était un. Il
s'agissait alors de réunir des Allemands de u mentalité »
analogue, ayant des intérêts économiques concordants et
parfaitement groupés géographiquement. Il n'en est pas de
même en Cisleithanie. Les intérêts commerciaux de l'Au-
triche sont opposés à ceux de l'Allemagne. Des frontières
naturelles séparent les deux pays. Vienne est une capitale
qui ne veut point se soumettre à Berlin et l'on n'a pas le droit
de parler d'une Autriche allemande quand cette expression
désigne un territoire qui contient neuf millions d'Allemands,
pour le plus grand nombre antiprussiens, et huit millions de
Slaves résolus à défendre leur liberté jusqu à la mort.
Le caractère artificiel de la campagne pangermaniste éta-
blit la vérité de ces assertions. Bien qu'aux dernières élec-
tions le nombre des députés prussophiles soit passé de
sept à vingt-deux, ils ne représentent encore en Autriche
qu'une minorité dont l'action est en opposition complète
avec les intérêts et avec les sentiments de l'immense majorité
des Autrichiens. En Allemagne, seule, la folie des gran-
deurs, suscitée par la Weltpolitik de l'empereur Guillaume,
a permis à l'idée d'une extension de l'empire vers le sud de
naître et de se développer. Mais, il faut bien le remarquer,
si les idées pangermanistes font de l'autre côté du Rhin d'in-
cessants progrès, elles n'ont encore gagné que les classes
moyennes, les plus influentes sans doute, mais non les plus
nombreuses de la population. La masse du peuple allemand
n'est point encore conquise. Si l'on parvenait à lui donner
le sentiment précis que la politique de Guillaume II la mène
à la guerre, son besoin de paix est encore si grand que cette
masse pourrait exercer une influence modératrice sur la poli-
tique du gouvernement de Berlin. Même à l'heure actuelle,
un grand nombre des Pangermanistes de l'empire ne vou-
draient pas contribuer à causer un conflit général. M. Nau-
mann, par exemple, le dit nettement : « Au point de vue
allemand de l'empire, il serait injustifiable, afin de déter-
miner le démembrement de l'Autriche, de risquer la plus
meurtrière guerre que l'histoire ait jamais connue (1). Il
Il est donc encore possible d'arrêter en Allemagne le cou-
rant établi par le Dr Hasse ; mais il n'y a pas un instant à
perdre ; chaque jour, le Pangermanisme, puissamment favo-
risé par la Weltpolitik, fait de nouveaux progrès.
Comment atteindre cet inappréciable résultat?
Simplement, en faisant porter à l'alliance de la France et
de la Russie toutes ses conséquences.
Ces deux pays disposent en effet des moyens nécessaires
pour rendre inefficace toute démarche de l'Allemagne, dan-
gereuse pour la paix. Pour la maintenir, il suffit aux gou-

(1) «Es wâre vom reichsdeutschen, Standpunkt ausunverantwortlich, um


des osterreichischen Erbanfalles willen den inorderischsten Massenkricr: zu
riskieren, den die Gescliichte kennen wird. » F. Naumann, Deutschlandund
Oesterreich, D. 6. Verlag der Hilfe. Berlin, 1900.
vernements de Paris et de Pétcrsbourg de ne pas commettre
une erreur qui serait décisive.
La combinaison permettant d'empêcher les affaires
d'Autriche de troubler l'ordre européen comporte la mise
en action de deux éléments. L'un est représenté par l'opi-
nion publique en France et en Russie, l'autre par des
mesures diverses que les gouvernements de la République
et du Tsar doivent savoir prendre.
La guerre du Transvaal a établi avec éclat. l'influence
grandissante de l'opinion publique en matière de politique
étrangère. Il est hors de doute que si les manifestations en
faveur des Boërs avaient été organisées avant la guerre,
l'Angleterre n'aurait point poussé les choses à bout et que la
volonté dominante des peuples aurait probablement rendu
aux Boërs l'inappréciable service de conserver la paix et
à la Grande-Bretagne d'éviter les charges d'une guerre oné-
reuse et sans gloire.
Cette leçon de choses ne doit pas être perdue. Les Slaves
d'Autriche sont les Boërs de demain. Si l'opinion universelle
élève la voix en leur faveur, elle peut les protéger. Il suffit
d'ailleurs qu'une telle manifestation ait lieu en France et en
Russie. On va voir d'abord qu'elle est possible et ensuite
qu'elle serait efficace.
En Russie, l'influence de « l'intelligence sur les déci-
)J

sions du pouvoir est infiniment plus considérable que ne


veulent l'admettre les contempteurs mal informés de l'em-
pire des Tsars. C'est l'opinion publique de Moscou, de
Pétersbourg, de Kiev qui a convaincu Alexandre II de la
nécessité pour la Russie de délivrer les Bulgares opprimés
par les Turcs. Ce rôle bienfaisant, l'opinion russe peut le
jouer encore. La perspective de voir les Slaves d'Autriche,
sacrifiés au « Germanisme » et la claire compréhension des
dangers qui en résulteraient pour la Russie suffiront à con-
vaincre les sujets du Tsar de la grandeur de leurs obliga-
tions présentes. Pour s'en persuader, il suffit de suivre les
phases de l'évolution par laquelle vient de passer l'opinion
russe.
Après les manifestations chaleureuses du congrès ethno-
graphique de Moscou en 1867 et surtout après la guerre de
1870, les Russes ont eu pour les Slaves d'Autriche une indif-
férence croissante. La diplomatie officielle de Pétersbourg
les abandonna même ouvertement. Le mot terrible du
chancelier Gortchakoff : «Ces pauvres Tchèques! Ils tra-
vaillent pour le roi de Prusse, » fut comme la condamna-
tion sans appel de tous les Slaves cisleithans. Cet état d'es-
prit fâcheux est en voie de se modifier complètement.
L'action méthodique du gouvernement de Berlin péné-
trant les Balkans, la Turquie poussant ses chemins de fer
jusqu'au golfe Persique,ontdonné aux Russes un sentiment
sans cesse plus net du danger pangermaniste.
Les Novosti (avril 1899) ont accusé YAlldeutscher Verband
de travailler ouvertement à l'union de l'Asie Mineure avec
l'Allemagne. Le lien existant entre l'action orientale de
Guillaume II et les événements de Cisleithanie apparut
bientôt. it Le combat des nationalités en Autriche-Hongrie,
dit la Rossia (décembre 1899), est entré dans une phase
extraordinairement grave. De tout temps il a présenté pour
nous un grand intérêt; il s'agit de l'indépendance des Slaves
de l'ouest. Le moment actuel est particulièrement critique. »
Le Novoié Vrémia (avril 1900) a constaté que le succès des
efforts du parti pangermaniste pour établir une alliance orga-
nique entre l'Autriche et l'Allemagne équivaudrait à un sui-
cide pour le premier de ces États, qu'une telle Allemagne
modifierait considérablement la carte politique de l'Europe
et déterminerait de nombreuses complications même en
dehors de l'Autriche. Ces complications, le grand organe
russe les avait déjà envisagées : « La propagande de l'Union
pangermanique menace d'abord la paix de l'Autriche et
ensuite celle de la Russie. Son agitation est dangereuse pour
la Russie parce que cette société veut éveiller dans tout le
peuple allemand l'idée que toute terre est allemande où se
trouve un seul Allemand. D'après ce principe, les Panger-
manistes peuvent élever des prétentions sur la plus grande
partie de la Russie : grâce à notre ancienne politique, il y a
peu d'endroits en Russie où l'on ne trouve des Allemands.
Les Russes suivent maintenant avec une grande attention la
lutte entre les Slaves et les Allemands d'Autriche. Ils crai-
gnent que si ces derniers étaient vainqueurs, leur chauvi-
nisme ne connaisse plus de bornes (1). »
C'est ce qui se produit déjà. A la réunion de VAllge-
meiner Deutscher Schulverein qui s'est tenue à Darmstadt
en 1900, le professeur Dr 0. Harnack a posé résolument la
question du « Germanisme » dans les provinces baltiquesde
la Russie. Les Russes ont donc raison de prendre très au
sérieux les cartes comme celle de Y Atlas colonial de Lang-
hans, intitulée la Colonisation allemande à l'est en pays
:

slave (2), où l'on constate que tous les centres allemands en


Russie ont été relevés avec un soin minutieux. Quand on
l'a bien considérée, on s'explique la colère qui a inspiré aux
Moskow"ki Viedémosti ces lignes indignées : « Les Allemands
s'emparent de la Russie. Dans les quatre gouvernements
d'Ékatérinoslav, de Cherson, de Bessarabie et de Tauride,
les Allemands possèdent 3 millions et demi de déciatines
de terres. Le danger est d'autant plus grand que la plu-
part de ces latifundia ont été achetées à la noblesse... Par
leur accaparement systématique de la terre, les Allemands
modifient le caractère de l'empire... Le gouvernement doit
prêter la plus grande attention à cette question. Il faut
mettre des entraves à la colonisation allemande. » Un autre
publiciste russe envisage le problème dans toute son am-
pleur : « L'Allemagne s'efforce d'acquérir la suprématie sur
le monde. La France et l'Angleterre ne peuvent plusi'arré-

(1) Cité par le journal polonais Lech, 24 mai 1899.


— Auf slavischem Boden.
(2) Deutsche Kolonisation in Osten.
ter dans sa marche. Une seule puissance, le " Slavisme »,
peut encore faire obstacle à la poussée du « Germanisme Il.
La lutte entre les Slaves et les Allemands en Autriche est
le prélude de futurs événements. Cette lutte se produira
en Russie quand l'élément allemand s'y sentira assez fort...
En pays slave, les Allemands ne sont étrangers que le temps
nécessaire pour s'y consolider ; ils élèvent ensuite leurs
prétentions à la domination. L'Allemand supplante le Russe
partout... Dans toutes les grandes villes, surtout dans celles
du sud, il y a des colonies qui sans doute se conduisent
loyalement et paisiblement; mais nous ne pouvons plus
compter sur la russification des dernières générations de ces
colonies allemandes. Pour renoncer à cet espoir, il suffit
de penser aux nombreux abonnements des journaux alle-
mands de Moscou et d'Odessa et d'observer quelle langue
on parle dans les wagons de première et de seconde classe
sur certaines lignes russes. Inévitablement le vingtième
siècle amènera en Russie un conflit entre l'élément alle-
mand et l'élément russe (1). »
Cette pénétration de leur propre pays par les Allemands
aide singulièrement les Russes à comprendre la véritable
nature du danger autrichien. Aussi, les grands organes de
Moscou et de Pétersbourg tiennent-ils maintenant un lan-
gage qui est l'inverse de celui de Gortchakoff.
Les Novosti, envisageant la situation en Cisleithanie, en
juin 1900, concluaient : « Il est indispensable de transformer
complètement l'organisation de l'État autrichien... Le pre-
mier pas dans cette voie serait la restauration des droits du
royaume de Bohême, carla Bohême, la Moravie et la Silésie
forment un tout indivisible. Le deuxième pas serait l'attri-
bution aux diètes locales d'un nombre considérable d'af-
faires qui actuellement sont de la compétence du Reichs-
rath... Pour qu'un tel programme se réalise, les Tchèques

(1) V. Politik. Prague, 14 février 1900.


devront peut-être lutter et souffrir longtemps encore, mais
ils peuvent être convaincus de la justice de leur cause...
Quant aux Allemands d'Autriche, tôt ou tard, ils devront *

s'arranger avec la majorité slave en Autriche, comme ils l'ont


fait en Hongrie avec les Magyars. »
Cette opinion est devenue celle des Russes, qui, même il
y a peu d'années, absorbés parla question d'Orient, admet-
taient de laisser l'Allemagne s'étendre jusqu'à l'Adriatique.
CI
Quand on médite attentivement sur ce qui se dit et ce qui
se fait en Allemagne, on se demande comment il y a des
gens assez fous en Autriche-Hongrie pour ne pas voir que la
seule chance pour la conservation de leur nationalité —
même non slave — est dans le « fédéralisme (1). » M. de
Gorlof, l'auteur de ces lignes, collaborateur très distingué
du Novoié Vrémia et du Sviet, a très nettement exposé la na-
ture du danger qui s'approche : " L'Allemagne cherche à
englober progressivement tout ce qui l'entoure. Elle s'em-
pare peu à peu de l'Europe centrale, du Cattégat au Bos-
phore, et continue son chemin vers l'Asie et l'Afrique par
l'Asie Mineure et la Palestine. En résumé, l'Europe devient
sa base d'opérations contre le restant du monde (2). o M. de
Gorlof en déduit la politique à suivre : Les sympathies
CI

de vingt-cinq millions de Slaves en Autriche-Hongrie et en


Turquie sont acquises à la France et à la Russie. Il s'agit
de convertir ces sympathies en quelque chose dé pal-
pable (3). » La grande erreur de la France, comme de la
CI

Russie, comme de l'Angleterre, est de ne pas tenir assez


compte de l'élément local. Seule l'Allemagne l'apprécie à
sa juste valeur, mais elle a beau faire, il lui est hostile. Cet
élément, il ne convient pas de s'en occuper au moment de
partir en guerre. Il serait trop tard, et les services qu'il ren-

(1) V. DE GORLOF, Pensée slave, 12 janvier 1901. Trieste.


(2) V. DE GORLOF, la Question d'Orient au vingtième siècle, p. 7.
Ventre. Nice, 1899. 1
1
(3) Op. cit., p. 15. Il.1
-1

, .
lirait seraient presque nuls. A l'instar de l'Allemagne, c'est
maintenant, c'est tous les jours, c'est en pleine paix qu'il faut
s'en occuper (1). » Il faut donc aider à la fédération morale
des Slaves de l'Europe centrale. « Il y aurait là une barrière
de vingt-cinq millions de Slaves appuyés aux deux bouts par
la France et la Russie, voire même par l'Italie. Cette bar-
rière serait inexpugnable. On aurait dit à l'Allemagne : Tu (1

« peux
aller jusque là et pas plus loin. x D'ailleurs, hors de
l'Europe, l'Allemagne aurait plus que jamais un champ ou-
vert à son activité, et l'intérêt des autres nations du continent
serait de l'y engager, et même de la seconder au besoin (2)<"
«
La Russie voudrait voir François-Joseph régnant sur une
Autriche fédéralisée, amie de la France et dela Russie (3)."
Voilà ce que souhaitent les Russes dans les hypothèses
de paix. Leurs idées dans les hypothèses de guerre ne sont
pas moins fixées.
Lorsque le député Türk menaça les Tchèques des troupes
de Guillaume II (voir p. 136), les Moskowski Viedémosti dé-
clarèrent : « Versera-t-on le sang tchèque en Autriche ? Les
Allemands sont déjà prêts à appeler en Bohême les régi-
ments allemands. Croient-ils donc que la Russie verrait
détruire avec impassibilité des millions de Slaves pour la plus
grande gloire de [Allema_qne ! » Plus récemment enfin, un
publiciste russe a précisé encore davantage : « Nous savons
que l'Allemagne se prépare à annexer à la première occa-
sion favorable les Allemands d'Autriche et à faire un saut
jusqu'à Vienne et jusqu'à la mer Adriatique. Si l'Allemagne
ne visait que les Allemands d'Autriche, cela ne nous
regarderait pas, puisque l'Allemagne, même plus puissante
qu'aujourd'hui, ne serait pas dangereuse pour la Russie...
Mais il reste un cas où la Russie pourrait être obligee d'ac-
r
courir encore une fois à raide de Autriche pour la défendre

(t.) Idem.
(2) Op. cit., p. 19.
(3) Op. cit., p. 22. 1
.
contre VAllemagne : c'est celui où ïAllemagne se déciderait à
vouloir arracher à l'Autriche les Allemands qui s'y trouvent,
car il faudrait par conséquent qu'elle attaquât beaucoup de
Slaves et beaucoup de provinces slaves puisqu'on ne peut arri-
ver au Danube et à l'Adriatique qu en passant sur des cadavres
slaves ; c'est justement ce que la Russie ne permettra ja-
mais (1). »
Ces opinions empruntées à la plupart des grands organes
russes établissent que l'opinion des sujets du Tsar est par-
faitement préparée à comprendre la grandeur du rôle qu'il
lui appartient de remplir.
En France, pour des raisons différentes, il en est de
même. Sans doute les Français sont moins disposés que les
Russes à se passionner pour les questions extérieures, mais
ils n'ont plus l'indifférence de jadis pour la politique de
l'au-delà des frontières; ils ont éprouvé trop durement les
conséquences terribles de l'abstention. La presse sincère-
ment dévouée aux intérêts du pays — c'est celle formée
de presque tous les journaux à grand tirage — pourrait
donc exercer une heureuse influence en vulgarisant rapide-
ment la connaissance du danger allemand. Il lui suffirait
de rappeler les cas si nombreux où la France a été trompée
par la Prusse, et d'insister surtout sur celui de 1866. Alors
«
la Prusse a consommé son travail séculaire grâce à la neu-
tralité bienveillante de la France. Ce qui fermentait sourde-
ment dans la tête de ses électeurs et de ses rois, ce qu'ils
osaient à peine entrevoir dans leurs plus audacieuses rêve-
ries, s'est accompli (2) Il faudrait rappeler sans cesse aux
1)
.
Français que l'imprévoyance seule a causé Sadowa, dont
Sedan a été la conséquence; que seule une imprévoyance
nouvelle peut rendre possible la réalisation des ambitions
actuelles des Allemands. Il faut surtout expliquer aux Fran-

(1) Cité par la Pensée slave de Trieste, décembre 1900.


(2) Victor CUERBULIEZ, l'Allemagne politique depuis la paix de Prague,
p. 368. Hachette, Paris, 1870.
çais que la simple extension du Zollverein allemand à
l'Autriche troublerait profondément leur commerce, leur
industrie, leurs salaires dans toute l'étendue du territoire
français ; que l'intervention allemande en Autriche, c'est
fatalement la guerre, puisque l'Allemagne en absorbant
l'Autriche deviendrait une puissance Il napoléonienne Il et
que tout empire de conception CInapoléonienne" ne peut
se soutenir que par la guerre.
Si les grands organes de la presse française le veulent, ils
peuvent rendre à la République le plus signalé des services.
Sans doute, les Français sont divisés par leurs querelles
intérieures, mais, par un curieux effet de la force des choses,
les principaux groupements qui englobent la presque tota-
lité des Français ont des raisons faciles à concevoir d'adop-
ter la même ligne de conduite à l'égard des événements
qui se préparent en Europe centrale.
Puisque gouverner, c'est prévoir, les gouvernementaux
ne peuvent évidemment pas se refuser à envisager une
situation qui met en jeu l'avenir du pays tout entier ; l'his-
toire serait sans pitié pour une semblable inconscience. Les
républicains libéraux de la nuance Méline, qui, eux, n'ont
jamais séparé la défense de la France de celle de la Répu-
blique, veulent très certainement garantir leur pays contre
tout danger extérieur. Le concours des nationalistes n'est
pas douteux, puisqu'ils mettent au-dessus de toutes choses
la défense des intérêts généraux de la Patrie française. Les
socialistes non nationalistes, quelles que soient leurs sympa-
thies ou leur école, ne peuvent pas davantage se soustraire à
l'obligation d'assurer la masse des ouvriers français contre
les suites funestes de l'extension du Zollverein à l'Autriche;
sinon, ils démontreraient, avec un éclat dangereux pour
leur cause, la vanité de leurs théories. Les antimilitaristes
eux-mêmes, groupe peu nombreux, mais disposant de grands
moyens, ont, s'ils sont logiques, les raisons les plus fondées
de prévenir, par un emploi judicieux des forces armées
encore existantes, la création en Europe centrale d'une
puissance militaire qui, de toute nécessité, contraindrait le
vieux monde à entrer dans une période de militarisme bien
plus pénible encore que celle en cours actuellement. Aucune
question ne se pose pour le groupe politique représenté par
la ligue dite des Droits de l'Homme i,. Il a déjà pris parti
(1

dans la proclamation éloquente qu'il adressa à ses membres


lors du passage du président Krüger à Paris : (t Nous avons
doublement qualité comme Français pour rappeler, à cet
égard, une nation amie au respect d'un principe de raison
et d'humanité. C'est d'abord la Révolution française qui la
première a proclamé ce principe, que nous avons plus tard
remis en honneur, au moment de l'annexion de Nice et de
la Savoie; c'est ensuite sa violation barbare qui a noyé
contre leur gré, dans le sein d'une nationalité étrangère,
quinze cent mille de nos concitoyens.
(t
La déclaration des Droits de l'homme ne s'explique
point, en termes exprès, sur ce droit impérissable d'un peuple
à conserver son indépendance; mais, si elle ne définit que
les conditions de la liberté individuelle, elle s'applique, par
identité de raison, à la vie sociale des collectivités.
(t
Nous serions autorisés, s'il en était besoin, à y ajouter
cet article complémentaire : Le consentement d'un peuple
civilisé est indispensable pour changer sa nationalité. » Cette
déclaration si formelle constitue un encouragement pour
les Slaves cisleithans et leur garantit un sérieux concours
contre les ambitions allemandes.
De même que les partis politiques, les groupes religieux
français n'ont aucune raison d'avoir une divergence de vues
importante relativement à la (t question d'Autriche ,.
Sans justifier enfin l'accusation tant de fois portée contre
eux de pactiser avec l'étranger, les catholiques ultramon-
tains ne peuvent pas se solidariser avec les catholiques

allemands qui, à la suite de Mgr Kopp, favorisent la politique
mondiale de Guillaume II. Ils ont donc un motif puissant de
se montrer Français d'abord, de même que les sujets catho-
liques de l'empereur allemand se montrent Allemands avant
tout.
Le cas des protestants est un peu différent. La fraction
de ceux-ci, qui se conduit toujours d'une façon exclusive-
ment nationale, se décidera d'après les seuls intérêts fran-
çais. Quant à ceux qui suivent spécialement les etdirectionsJI
du Journal de Genève, ils s'inspireront évidemment des
notes sympathiques publiées par cet organe en faveur de la
Bohême. l' Il est utile que, de temps à autre, cette preuve
...
soit faite, qu'un peuple ayant conscience de sa valeur arrive
toujours par lui-même, et quels que soient les obstacles
qu'il ait à surmonter, à se reprendre et à s'affirmer. Il porte
en lui la force morale qui lui assurera le triomphe final; il
est celui qui ne veut pas mourir, comme aurait dit Barbey
d'Aurevilly. La Bohême nous offre ce spectacle d'une
nation qu'au milieu des pires détresses, l'espérance n'a
pas abandonnée, et qui lentement, par un effort opiniâtre
et constant, se reconquiert et s'épanouit (1). » Le Signal,
organe protestant de Paris, a d'ailleurs formulé très nette-
ment son opinion lors de la lettre retentissante de Mommsen :
(t
Abstraction faite de l'inconvenance, M. Mommsen ne
voit-il pas que François-Joseph, empereur d'Autriche, roi
de Bohême, roi de Hongrie, doit une sollicitude égale à
tous ses sujets et que rien ne l'autorise à se faire l'apôtre
de la culture germanique, à opprimer au nom de dix mil-
lions d'Allemands une vingtaine de millions de Slaves?
Mais tous ces raisonnements ne font aucun effet sur des
savants de cette espèce, à la fois esprits théoriques et tem-
péraments violents, qui cherchent dans la science des argu-
ments pour leur patriotisme agressif (2). »
Quant aux Israélites, ils se prononceront sans doute contre
toute intervention de l'Allemagne en Autriche. Agir autre-
(1) Journal de Genève, supplément, 15 août 1897.
1
(2) Le Signal, novembre 1897.
ment, serait établir leur solidarité avec les Israélites de
l'Europe centrale, qui travaillent, comme on sait, à la réa-
lisation du Pangermanisme. Or, les Israélites français ne
peuvent guère commettre une faute aussi grave, au moment
où l'on conteste en France la qualité de leurs sentiments
nationaux. Aussi, tout incline à croire qu'ils saisiront au
contraire avec satisfaction l'occasion remarquable qui s'offre
à eux de démontrer la fausseté des accusations dont ils se
plaignent.
Si l'on suppose donc que chacun des grands groupements
français conforme son attitude aux principes qu'il invoque,
aux idées qui lui sont chères et à ses intérêts les plus évi-
dents, il apparaît clairement que le danger naissant en
Europe centrale peut devenir l'occasion d'une action com-
mune entre un nombre considérable de Français que les
événements récents ont séparés. En politique, il est vrai,
les hommes se laissent guider moins par la logique que par
leurs passions; aussi est-il évident que l'unanimité d'opinion
qui se laisse théoriquement concevoir ne se réalisera
jamais en pratique. Cela, d'ailleurs, importe peu. Les élé-
ments français, disposés à se prononcer nettement en faveur
d'une cause qui implique à la fois la défense des intérêts
nationaux, de la paix et de la justice, sont de beaucoup les
plus nombreux; par suite, la possibilité de dégager rapi-
dement en France, relativement aux affaires d'Autriche,
un très puissant courant d'opinion est certaine.
Une fois créé, ce courant d'opinion se rencontrerait infail-
liblement avec celui qu'on constate déjà chez les Russes,
chez les quinze millions de Slaves d'Autriche et même
chez la majorité des sujets allemands de François-Joseph.
On voit donc qu'une incomparable puissance d'opinion
existe à l'état latent en France, en Autriche et en Russie.
Ce qui vient de se passer en faveur des Boërs montre ce que
pourrait être l'influence d'une opinion publique ainsi orga-
nisée. Il est, par exemple, évident que si la majorité de
l'opinion européenne se prononçait contre toute violation
des droits des peuples de l'Autriche, une pareille manifes-
tation donnerait une autorité considérable à cette grande
quantité de sujets de Guillaume II, qui s'oppose encore à
sa dangereuse politique mondiale. Certes, il ne faut pas
se faire d'illusions. La presse allemande est à peu près entiè-
rement entre les mains du gouvernement de Berlin. (On l'a
bien vu lors du voyage du président Kruger à Cologne.) Si
elle recevait l'ordre de faire le silence, le peuple allemand
ne connaîtrait que très imparfaitement la réprobation qui
atteint à l'étranger les projets inadmissibles de son souve-
rain. Mais si, pour cette cause, le résultat du courant d'opi-
nion franco-austro-russe restait douteux, il est un autre ré-
sultat qui, celui-là, serait absolument certain.
En effet, dès que l'opinion dominante aurait manifesté
son opposition à une nouvelle extension continentale de
l'Allemagne, le gouvernement de Berlin se trouverait dans
l'obligation absolue de dévoiler ses véritables intentions; il
devrait choisir entre deux alternatives : ou bien, voulant
témoigner de sa correction et détruire toutes les défiances,
il dissoudrait les associations dangereuses pour la paix et il
arrêterait net, par les puissants moyens dont il dispose, la
propagande pangermaniste sur son territoire et, par suite,
en Autriche; ou bien, il conserverait son attitude actuelle,
et il démontrerait d'une façon indubitable que toutes les
craintes sont fondées, que le péril est imminent. Ce serait
alors aux gouvernements, qui ont des raisons vitales de vou-
loir le maintien du statu quo continental, à entrer en scène.
Or, il suffit aux deux gouvernements de Paris et de Péters-
bourg d'envisager à leur point de vue le problème autrichien
et de se rappeler ce mot du prince de Bismarck : Il Qui sera
maître de la Bohême sera maître de l'Europe, « pour que
l'évidence et la grandeur des intérêts en présence dé-
terminent entre eux un accord décisif; il permettrait,
en effet, comme on va voir, de faire face victorieuse-
ment à toutes les éventualités, quelles qu'elles soient.
Avant d'exposer ce point de vue, il faut au préalable
remarquer que la France et la Russie ne doivent pas cher-
cher à faire accepter leur politique même à celles des grandes
puissances dont les intérêts sont identiques aux leurs. De
telles démarches causeraient une perte de temps précieux
que ne compenserait pas l'avantage de leur succès. Ce
serait, par exemple, une erreur des diplomates français de
vouloir amener l'Angleterre à une entente avec la France
et la Russie, relativement à la question d'Autriche. Sans
doute, une pareille conduite serait, à certains égards, dans
la logique des choses, mais une semblable orientation frois-
serait violemment les sentiments de la majorité des Fran-
çais. La France est un pays démocratique. Quoi qu'on
fasse, sa politique étrangère doit être en harmonie avec les
tendances de l'opinion. Dans les dernières années, les
Anglais ont fâcheusement réveillé toutes les préventions des
Français contre eux. Il en résulte qu'une politique anglo-
française purement rationnelle n'est pas actuellement pos-
sible. C'est là un fait contre lequel les volontés indivi-
duelles sont impuissantes. Comme les Russes se trouvent
en général dans le même état d'esprit que les Français à
l'égard des Anglais, c'est donc bien restreindre les difficultés
du problème que de limiter à l'entente de la France et de
la Russie l'accord des grandes puissances décidées à assurer
le maintien du statu quo en Europe centrale.
Quelle serait maintenant la formule de l'accord des ca-
binets de Paris et de Pétersbourg, relativement aux affaires
d'Autriche? Elle se dégage de la situation même.
On a vu que des mesures successives, telles que la Son-
derstellung de la Galicie et l'entrée de l'Autriche dans le
Zollverein allemand, supposent une intervention déguisée
de l'Allemagne dans les affaires de l'Autriche, et que ces
mesures aboutissent à la mainmise finale de l'empire alle-
mand sur la plus grande partie de la Cisleithanie. L'entente
de la France et de la Russie doit donc viser tous les cas
susceptibles de porter atteinte à l'intégrité de l'Autriche,
lentement ou soudainement, dans la paix ou dans la guerre.
S'ils veulent obtenir ce résultat, les gouvernements français
et russe n'ont qu'à tenir fermement ce langage identique :

«
Il existe des difficultés en Autriche, mais elles sont pure-
ment internes. Tenant à la paix, nous voulons éviter toutes
les causes de guerre. Nous n'interviendrons donc pas, mais
nous entendons qu'aucune autre puissance n'intervienne en
Cisleithanie sous une forme quelconque. » Il est à noter que
cette ligne de conduite, visiblement inspirée par la volonté
d'assurer le calme du continent, ne pourrait pas être consi-
dérée comme peu amicale par le gouvernement de Berlin,
car elle est exactement en harmonie avec la déclaration faite
par M. de Bulow au Reichstag en 1897 : « Nous ne désirons
pas, dit-il, voir les gouvernements ni les Parlements étran-
gers se mêler de nos affaires intérieures. Mais précisément
parce que nous exigeons de l'étranger une attitude correcte
à notre égard, nous sommes les premiers obligés à en faire
autant, et ceci tout particulièrement en ce qui concerne
l'Autriche-Hongrie, car nous sommes alliés et étroitement
amis avec cet État, à la tête duquel se trouve un souverain
dont la sagesse est le phare de tous les peuples (1). » Ces
paroles, il est vrai, datent de 1897 ; alors Guillaume II n'était
pas encore engagé à fond dans la Weltpolitik et ses vues sur
l'Autriche ne comportaient qu'une réalisation lointaine. Les

(1) Wir wunschen nicht, dass fremde Regierungen oder fremde Parla-
«
meute sich in unsere inneren Verhàltnisse einmischen und in der Partei-
kampfe, an denen es ab und zu auch bei uns nicht fehlen soll. Aber gerade
weil wir vom Ausland uns gegenüber ein ganz korrektes Verlialten verlan-
gen, sind wir selbst zu einem solchen verpflichtet, und diese Pflicht besteht
ganz besonders gegen'iiber dem verbundeten und eng befreundeten oester-
reicliisch-ungarisclien Reiche, an dessen Spitze ein Herrscher stebt, zu dessen
Weisheit alle seine Volker mitgleiehem Vertrauen empor blicken konnen. »
StenographischeBerichte über die Verhalldlullgell des Reichstags, IXe légis-
lature, Ve session, 1897-1898, 1er volume. Séance du 14 décembre 1897,
p. 235.
déclarations de son ministre n'en subsistent pas moins et
peuvent maintenant être utilement invoquées.
La non-intervention générale et absolue : telle doit donc être
la formule de l'accord de la France et de la Russie relative-
ment à l'Europe centrale. Ce point posé, on conçoit logique-
ment ce qu'il reste à faire.
Le gouvernement de Berlin travaille politiquement à
détruire l'Autriche; la France et la Russie doivent travailler
politiquement à la consolider. Ces deux États peuvent y
parvenir sans avoir à vaincre de grandes difficultés.
La première nécessité pour les deux gouvernements est
d'être exactement renseignés sur l'état de la propagande
pangermaniste. Or, il n'est pas démontré que l'organisation
officielle des ambassades qui fonctionne actuellement à
Vienne soit suffisante. Ce n'est point dans les salons officiels
de la Hofburg, ni dans ceux de l'aristocratie viennoise qu'on
peut ¡¡apprendreIJ l'Autriche. Prague, Léopol, Cracovie,
Innsbruck, Brünn, Graz, Trieste, sont des centres ayant
chacun leurs points de vue différents. C'est seulement en les
connaissant tous qu'on peut avoir politiquement une vue
panoramique de la Cisleithanie. Il y aurait donc lieu, pour
la diplomatie franco-russe, de développer son service de
it
renseignements ) A côté de cette tâche commune aux
.
deux gouvernements, il en est une autre qui incombe plus
particulièrement à celui du Tsar.
Si, depuis 1867, François-Joseph a toujours reculé au
,
moment d'établir le « fédéralisme , c'est qu'il s'est senti
constamment isolé et exposé aux coups du Hohenzollern de
Berlin. Mais si le rapprochement déjà commencé entre
Vienne et Pétersbourg devenait plus étroit, si le Tsar faisait
comprendre à la Burg que, d'accord avec la France, il est
résolu à garantir l'Autriche contre toute immixtion berli-
noise, la situation ancienne n'existerait plus et le souve-
rain autrichien pourrait enfin agir avec une liberté qui lui
est inconnue depuis Sadowa.
Ces mesures d'ordre diplomatique, si importantes soient-
elles, ne constituent encore que la partie accessoire de ce,
qu'il convient de faire.
Dès 1842, Bismarck a voulu l'annexion de l'Alsace; von
Moltke a rédigé son plan d'attaque contre le Danemark en
décembre 1862, et en ISGO, donc six années avant l'action,
il a préparé militairement toutes les hypothèses suscep-
tibles de naître d'une guerre avec l'Autriche (1).
Ces précédents, joints aux enseignements si nets de la
campagne pangermaniste, autorisent à considérer comme
certain que tous les plans d'invasion de la Cisleithanie exis-
tent actuellement à Berlin dans les bureaux du grand état-
major. On doit donc, à Paris et à Pétersbourg, s'inspirer
du sage conseil donné aux députés du Reichstag par le
général von Gossler, ministre de la guerre prussien : « Ni la
grandeur des États, ni l'improvisation, ni l'enthousiasme,
ni le fanatisme, ne peuvent remplacer les préparatifs soi-
gneusement faits pendant la paix (2). »
Ceci revient à dire que toutes les hypothèses stratégiques
auxquelles peuvent donner lieu les événements d'Europe
centrale doivent être minutieusement prévues par les états-
majors français et russe, de telle sorte qu'au moment dé-
cisif, l'on puisse éviter cette perte de temps dont j'ai signalé
plus haut les irrémédiables conséquences. Alors, aucune
hésitation ne serait possible, et l'ordre de mobiliser l'armée
allemande, lancé par Guillaume II, mobiliserait, en quelque
sorte automatiquement, l'armée russe et l'armée française.
Cette prévision de toutes les opérations militaires suscep-
tibles de devenir nécessaires est d'ailleurs le plus sûr moyen

(1) COLMAR VON DER GOLTZ, De la Conduite de la guerre, p. 184 et 244.


Westhausser, Paris, 1900.
(2) "... weder die Grosse der Staaten, noch Improvisation, noch Begeiste-
runp, oder Fanatismus im Stande sein, die sorgfâltige Friedensvorbereitung
zu ersetzen. » Stenographische Berichte ûber die
Verliaitdlungeii des
Beichstags. Xe législature, 1" session 1898-1900, 1er volume. Séance dti
12 janvier 1899, p. 186.
de n'avoir pas à les exécuter. C'est ce qu'établit l'évaluation
des forces pouvant être mises en ligne par les États dont
l'action, pour ou contre l'Autriche, doit être considérée
comme certaine.
On a vu dans le chapitre précédent que les plus grandes
vraisemblances permettent d'admettre que l'Allemagne
entraînerait l'Italie et la Roumanie avec elle, et que, d'autre
part, dans ces conditions, il serait on ne peut plus facile à
la France et à la Russie de décider la Bulgarie à mobiliser.
Cette coopération ne doit pas être dédaignée : l'armée
bulgare présente les plus sérieuses qualités militaires et sa ,
mission tout indiquée seraitde neutraliserl'armée roumaine.
On conçoit donc l'existence de deux groupes d'États.
L'un, formé de l'Allemagne, de l'Italie et de la Roumanie,
aurait pour objectif la destruction de l'Autriche; l'autre,
constitué par la France, la Russie et la Bulgarie, voudrait
assurer le respect de l'intégrité de l'Autriche. Le tableau
de la page 418 résume les effectifs susceptibles d'être mo-
bilisés par ces diverses puissances.
Tous les chiffres de ce tableau ont été empruntés aux
recueils militaires considérés comme les plus autorisés; ils
ne tiennent pas compte des troupes des dépôts qui sont de
moindre valeur.
De ce tableau, il résulte que le groupe franco-russo-
bulgare disposerait avec certitude d'une sérieuse supériorité
d'effectifs sur la coalition germano-italo-roumaine, dont la
situation militaire serait par suite évidemment défavorable.
D'autres circonstances viendraient encore l'aggraver.
Ou peut bien admettre qu'approuvant les dangereuses
conceptions de M. Chamberlain (V. p. 297), l'Angleterre
puisse consentir à l'extension de l'Allemagne vers le sud,
mais on ne conçoit pas volontiers que la Grande-Bretagne
favorise de ses armes une telle extension. La neutralité
bienveillante du cabinet de Saint-James, tel est, semble-t-il,
le maximum de ce que peut espérer le cabinet de Berlin.
Mais, même si les Anglais prêtaient à l'empire allemand
le concours de leurs flottes contre la France et la Russie,
il n'en est pas moins certain que les Allemands n'en tire-
raient qu'un profit relativement faible. Un fait, en effet,
domine à ce point de vue le problème militaire : l'armée
anglaise a fondu dans la guerre du Transvaal et, quoi qu'elle

Ier GROUPE IIe GROUPE

1
Allemagne (1) Italie (2) Roumanie(3) France (4) Russie (5) Bulgarie (6)

Fusils ... 1.863.000 907.000 207.000 1.250.000 1.792.000 188.000


Sabres... 105.000 22.000 8.000 70.000 195.000 8.000
Canons de
campagne 5.604 1.710 384 5.000 5.348 375

TOTAUX : TOTAUX :

Fusils... 2.977.000 Fusils 3.230.000


Sabres
.. 135.000 Sabres.... 273.000
Canons.. 7.698 Canons... 10.723

Excédent en faveur du groupe franco-russo-bulgare :


Fusils 253.000
Sabres
Canons
................ 138.000
3.025

(1) J. LAUTH, l'État militaire des principales puissances étrangères,


p. 84, 90, 95. Berger-Levrault, Paris, 1900.
(2) Op. cit., p. 507, 509, 513.
(3) Le Lôbell's Jahresberichte de 1899 renvoie au Lobell's Jahresberichte
de 1895. A la page 181 on trouve : fusils, 108,000; sabres, 8,000; canons,
384. Mais ces chiffres ne concernent que l'armée de première ligne (quatre
corps mobilisés). D'après le Russky Invalid (mars 1899), l'armée roumaine
a créé des cadres de bataillons de milice, permettant de porter l'infanterie
à 207,000 fusils.
(4) En l'absence de chiffres officiels, ceux-ci Ont été obtenus par le pro-
cédé suivant : d'après une « Étude comparative des ressources de la France
et de l'Allemagne au commencement de 1879", publiée parle Journal des
sciences militaires en janvier 1879, l'effectif de guerre de la France était
fasse, la Grande-Bretagne est condamnée à ne plus avoir
avant longtemps de troupes de débarquement. Conséquem-
ment, durant une période dont il est encore impossible
de prévoir le terme, sa flotte sera réduite à faire la po-
lice des mers et des bombardements, dont l'effet moral
est peut-être important, mais dont l'inefficacité stratégique
est notoire. Si les colonies françaises sont convenablement
armées, pourvues de matériel, d'hommes et de munitions;
si les points essentiels des côtes françaises sont bien défen-
dus (et il dépend uniquement du gouvernement de la Répu-
blique qu'il en soit ainsi), la flotte anglaise sera impuis-
sante à exercer une action décisive sur le sort final des
opérations. Les Allemands qui réfléchissent de sang-froid
s'en rendent bien compte : L'Allemagne, disaient les
(1

Nouvelles de Hambourg en décembre 1900, si elle s'allie


avec l'Angleterre, a contre elle la Russie et la France. Elle
s'expose, par conséquent, à l'éventualité d'une guerre sur
les deux fronts et, dans ce cas, la flotte anglaise ne lui
serait pas d'un grand secours, en admettant même que
l'Angleterre voulût lui venir en aide (1). "

de 2,423,164 hommes, se décomposant en 1,266,500 fusils, 70,650 sabres,


2,898 canons. Il y avait en outre vingt classes de dispensés, soit :
1,330,000 hommes. — Total : 3,753,164 hommes.
On peut admettre qu'actuellement le nombre des combattants est le même,
malgré la diminution du nombre des dispensés et la prolongation du ser-
vice militaire jusqu'à quarante-cinq ans ; en effet, le surplus d'hommes ainsi
obtenu a surtout servi à former tous les services de l'intérieur.
On peut donc compter sur 2,400,000 combattants (une plus grande pré-
cision serait illusoire), dont 1,250,000 fusils. La proportion de la cavalerie
est restée la même ; on admettra donc 70,000 sabres.
Quant à la proportion d'artillerie, elle a considérablement varié. L'ar-
tillerie a augmenté de 1/3; en outre, les troupes de deuxième ligne, qui, en
1879, ou bien n'avaient pas de matériel, ou bien avaient du matériel de
5 et 7, sont actuellement armées du 90. On peut donc admettre
que le
nombre des bouches à feu est d'environ 5,000.
(5) LAUTH, op. cit., p. 624, 631, 638.
(6) Lobefl's Jahresberichte, 1899, p. 63.

(1) Cette opinion offre d'autant plus d'intérêt que les Nouvelles de Ham-
bourg sont inspirées, comme on sait, par le prince Herbert de Bismarck,
Au contraire, le groupe franco-russo-bulgare, disposant
déjà d'effectifs supérieurs, serait à peu près certain de rece-
voir des renforts d'une importance considérable.
Les Allemands de l'empire ne se font pas d'illusions sur la
solidité des troupes autrichiennes. «Les démonstrations des
Tchèques et des Magyars pour les Français, des Slaves du
sud pour les Russes doivent être considérées par leurs alliés
comme des symptômes périlleux dans le cas d'une guerre
de l'État du Danube avec un pays quelconque (1). » "S.j
l'Autriche devait combattre de concert avec l'Allemagne, on
peut penser avec quel enthousiasme et quelle hâte les régi-
ments tchèques, pleins de haine pour tout ce qui est alle-
mand, se porteraient au secours de leurs camarades alle-
mands (2). » Ces appréciations peu suspectes, jointes à ce
que l'on sait déjà (V. p. 308), permettent de prévoir ce qui
pourrait arriver, si l'Autriche avait à combattre non plus de
concert avec l'Allemagne, mais si l'Autriche était attaquée
par elle.
L'armée de François-Joseph est composée :
Pour les 4/10 de Slaves,
Pour les 3/10 d'Allemands,
Pour les 2/10 de Magyars (3).
Or, pour des raisons déjà exposées (4), les Magyars ne
qui, fidèle aux traditions de son père, est opposé à la politique pangerma-
niste de Guillaume II et par suite à sa conséquence : l'alliance avec l'An-
gleterre.
(1) « Die Kundgebungen der Tschechen und Magyaren für die Franzosen,
der Südslaven fur Russland wiirden im Fall einesKrieges des Donaustaates
mitjenen Landern als bedenkliche Erschcinungen, besonders vom Stand-
punkte der Bundesgenossen anzusehen sein. » SCHWARZENDERG, Katin sich
die osterreichisch-ungarische Armée den Einjlüssen der Nationalitaten
kàmpfe entziehen??? p. 23. Lehmann, Munich, 1898.
(2) « Man denke sich die Begeisterung, mit welcher im Fall eines Kampfes
Schulter an Schulter mit Deutschland heute tschechische Regimenter mit
dem an der Mutterbrust eingesogenen Hass gegen alles was deutsch, dem
deutschen Kamaraden zu Hilfe eilen wiirden! ! » Op. cit., p. 24.
(3) Un dixième de l'armée austro-hongroise est formé par des Latins,
Roumains et Italiens.
(4) V. p. 182 et suiv.
peuvent pas aider les Hohenzollern à s'étendre jusqu'à
Trieste. Il serait difficile aux 3/10 d'Allemands, qui, en majo-
rité, sont antiprussiens, de se joindre aux Allemands de
l'empire qui viendraient les attaquer, et, même si on l'admet
contre toute vraisemblance, dans ce cas, les troupes slaves
de François-Joseph, soit les 4/10, aideraient certainement
de tout leur pouvoir les adversaires des Allemands de l'em-
pire. Sans doute ces troupes slaves n'ont, en général, que
des officiers allemands, mais si les Russes avaient la pré-
voyance de surpeupler les cadres de leur armée de Kiev,
les officiers qui seraient en excédent pourraient, en venant
à la rencontre des régiments de Guillaume II entrés en
Bohême, encadrer rapidement les troupes slaves de François-
Joseph, heureuses de lutter avec les soldats du Tsar contre
l'ennemi commun. La valeur de ce renfort serait considé-
rable; autant il est vrai de dire qu'une armée autrichienne
seule aux prises avec l'armée allemande est vouée à une
destruction inévitable, autant il est exact d'admettre que sa
valeur militaire serait des plus sérieuses, si son action
s'ajoutait à celle des armées russes et françaises.
Ainsi, dans cette hypothèse (et il dépend des états-majors
français et russe de la faire naître), non seulement l'Alle-
magne attaquant l'Autriche pourrait être prise à l'est et à
l'ouest, mais elle se heurterait encore au sud à une résis-
tance opiniâtre. L'empire allemand serait conséquemment
enserré dans la plus formidable des étreintes. Cette éven-
tualité, techniquement possible, entraîne p':Jr son évidence
même d'autres conséquences. Tout d'abord, elle est de na-
ture à inspirer une sage circonspection aux alliés éventuels
de l'Allemagne, la Roumanie et l'Italie, circonspection qui
pourrait avoir ses effets avant ou après la déclaration de
guerre. Il importe d'ailleurs de remarquer que si ces États
n observaient pas la réserve justifiée par les circonstances si
dangereuses de la lutte où voudrait les entraîner l'Allema-
gne, la coopération militaire de l'Italie et de la Roumanie
ne serait pas pour l'empire allemand d'une très sérieuse
efficacité. L'armée roumaine peut être immobilisée par
l'armée bulgare, qui est excellente, et par un corps d'armée
russe posté en Bessarabie. Quant à l'armée italienne, elle
ne peut que contraindre la France à maintenir un certain
nombre de corps d'armée dans le sud-est du territoire de la
République ; des techniciens fort autorisés soutiennent même
que, depuis l'achèvement du système défensif des Alpes,
des troupes françaises relativement peu nombreuses suffi-
raient à faire obstacle à toute invasion italienne. Cette situa-
tion si nettement avantageuse de la coalition franco-russo-
bulgare aurait en outre un autre résultat militaire : celui
d'encourager à prendre une attitude offensive les États
hésitants qui, comme le Danemark et la Serbie, ont tant de
raisons de se ranger du côté de la France et de la Russie.
Il est incontestable que cet ensemble d'éventualités graves
et cependant à peu près certaines compliquerait singuliè-
rement la tâche de l'empereur allemand. Une fois les hos-
tilités ouvertes, comment maintiendrait-il en bon état le
moral de son peuple si nécessaire au succès final? Le pro-
blème paraît difficilement soluble.
Ce n'est pas tout.
La guerre moderne est soumise, de plus en plus, à des
exigences économiques d'une extrême complexité. Le sort
des armes peut dépendre du bon ou du mauvais ravitaille-
ment des armées d'opération. Or, une Allemagne attaquant
l'Autriche, ayant à faire front contre la France et la Russie,
éprouverait pour nourrir ses troupes et sa population civile
les plus grandes difficultés. Un écrivain militaire français
ne faisant allusion qu'à une guerre de la Triplice contre
la Duplice, par conséquent à une hypothèse moins désavan-
tageuse, estime que le ravitaillement de l'empire allemand
serait déjà des plus pénibles : « L'Allemagne importe chaque
année pour plus d'un milliard et demi de produits de con-
sommation et pour plus d'un milliard et demi de matières
nécessaires à son industrie. Son commerce avec la Russie
et la France disparaissant au moment des hostilités, elle
serait obligée d'avoir recours, pour la subsistance de sa
population et l'approvisionnement de ses usines, aux pays
d'outre-mer. Les petits États neutres dont elle est entourée,
Danemark, Belgique, Hollande, ne paraissent pas en me-
sure de combler le déficit dans une guerre de quelque
durée. » C'est ce que reconnaît le Dr Hasse. « Si nos rivaux
de l'est et de l'ouest s'unissaient pour nous boycotter, il
s'agirait vraiment alors d'un combat pour la vie (1). » Or, le
boycottage économique serait une conséquence inéluctable
de la guerre. Dans le cas envisagé, l'Allemagne n'aurait en
effet, pour se ravitailler, que la mer du Nord où la flotte
française pourrait tout au moins gêner considérablement
l'arrivée des convois de vivres. Par contre, au point de vue
des subsistances, la situation de la France et de la Russie
serait excellente. La Russie a pour s'alimenter tous les
pays d'Asie. La France vit presque sur elle-même. Elle n'a
besoin que de faibles excédents et même si les Anglais
parvenaient à bloquer toutes ses côtes, opération gigan-
tesque, la France pourrait encore recevoir d'Espagne les
subsistances nécessaires.
En définitive, toute tentative d'action de l'empire alle-
mand contre l'Autriche peut se heurter à des difficultés
militaires, politiques et économiques telles qu'une pareille
entreprise aboutirait presque fatalement à un désastre. Or,
si un coup de force allemand contre l'Autriche prèsente
actuellement les chances si sérieuses de succès que j'ai ex-
posées au chapitre V, c'est uniquement parce que les élé-
ments d'opposition à une extension continentale de l'Alle-
f
magne qui existent latents sur le sol de Europe ne sont pas
encore conscients de leurs forces et fédérés entre eux. C'est à
l'opinion publique des Français et des Russes à se pénétrer

(1) HASSE, Deutsche Weltpolitik, p. 7. Lehmann, Munich, 1897.


' de ce fait capital et à décider leurs gouvernements à prendre
au plus tôt les mesures préservatrices.
Du jour où les cabinets de Paris et de Pétersbourg auront
su grouper toutes les forces qui s'offrent à eux, du jour où
ils seront prêts à tirer parti de tous les avantages que le
temps leur a ménagés, ils auront protégé l'Europe contre
tout éclat de la dangereuse politique de Guillaume II, et si,
contre toute sagesse, l'ambition pangermaniste l'emportait,
ce ne serait alors ni la France ni la Russie qui auraient à
supporter les terribles conséquences des batailles perdues.
Il suffit d'ailleurs que ce résultat apparaisse comme à
peu près certain pour que les éventualités belliqueuses de-
viennent le moins probables. Du moment où il serait notoire
que les troupes du Tsar et de la République auraient à com-
battre avec le maximum de chances de succès, il est certain
que le peuple allemand lui-même exercerait sur son empe-
reur une forte pression en faveur de la paix; la folie des
grandeurs qui règne à Berlin s'apaiserait graduellement; la
sécurité reviendrait en Europe et l'évolution naturelle de
l'Autriche pourrait se terminer.
En effet, les Prussophiles, cessant de trouver à Berlin le
soutien qui les a fait vivre, deviendraient impuissants en
Cisleithanie. Cela ne fait aucun doute. Les auteurs du
mouvement pangermaniste le reconnaissent implicitement :
«
En fait, si les Allemands d'Autriche ne peuvent compter
que sur eux, ils auront à supporter bien des années encore les
peines de leur misère (1). » «... Je crois que la compres-
sion des Tchèques par les Autrichiens n'est guère possible
sans une aide étrangère (2). Certes, le calme intérieur ne
1,

(1) Aber zur That werden sich die Deutschen aus sich selbst heraus
1<

noch lang nicht erheben, dazu mussen sie noch viele Jahre in dem Feuer
osterreichischer Misswirthschaftgepeinigt und getautert werden... » Deutsch-
land bei Beginn des 20. Jahrhunderts, p. 102. Militiir-Verlag, Berlin, 1900.
(2) « ich glaube, dass die Niederkiimpfung des Tchechenvolkes den
...
Oesterreichern ohne fremde Hilfe kaum gelingen wird. » Oesterreichs
Zusàmmenbruch und Wiederaufbau, p. 9. Lehmann, Munich, 1899.
se fera pas immédiatement en Cisleithanie. De même que
l'Autriche a été troublée de .1859 à 1867 en passant du
/égime absolutiste au régime dualiste, de même il y aurait
bien des difficultés à résoudre avant de réaliser le « fédéra-
lisme » Mais peu importe. L'avantage d'avoir rendu les
.
crises internes de la Cisleithanie inoffensives pour la paix
européenne serait suffisant. Finalement, d'ailleurs, la force
des choses amènerait la solution fédérale. L'Autriche serait
alors cristallisée sous une forme moderne.
Tout esprit droit doit souhaiter cet aboutissement des évé-
nements de Cisleithanie. C'est l'intérêt de la liberté, puisque
le Il fédéralisme » est la seule forme d'Etat qui assure le
respect des droits des peuples autrichiens; c'est l'intérêt de
l'humanité, car la Prusse montre actuellement, en Pos-
nanie, comment elle traite les peuples qu'elle a conquis ;
c'est l'intérêt de la justice, car c'est en son nom que les
Slaves cisleithans font leurs revendications. Aucun d'entre
eux ne veut «porter atteinte aux droits légitimes de la natio-
nalité allemande... Mais la majorité des peuples de l'Autri-
che ne veut plus de privilèges pour la minorité » Ils se bor-
.
nent à dire :
Pas de nation privilégiée, l'Autriche à tous
cc

ses peuples (1). » C'est enfin l'intérêt de la paix. L'Autriche


est un État pacifique, mais l'influence mauvaise de la cour
de Berlin sur la cour de Vienne peut encore la pousser dans
des complications orientales. Le Il fédéralisme i) mettrait
obstacle à ce dernier danger. Les peuples de Cisleithanie se
neutralisant les uns par les autres, ayant surtout à s'occuper
sur leur propre sol de questions économiques et sociales,
pourraient témoigner efficacement de leur répugnance pour
les grandes acquisitions territoriales. L'Autriche deviendrait
alors un modérateur des ambitions allemandes d'une puis-
sance extrême et, avec une force encore plus grande que par
le passé, elle resterait la clef de voûte de l'édifice européen.

(1) DR KRAMARSCH, L'Avenir de l'Autriche. Revue de Paris, lor février


1899, p. 587 et 600.
Or, que faut-il pour assurer au monde tous ces bénéfices?
Simplement la volonté de prévoir à temps.
S'il est vrai qu'actuellement un danger redoutable me-
nace l'Europe, tous les moyens existent d'y parer.
C'est aux Français et aux Russes, au Tsar et au gouverne-
ment de la République, qu'il appartient d'empêcher la
«
question d'Autriche » de jamais se poser. Il dépend d'eux
d'assurer aux peuples, pour une période nouvelle, ce bien
suprême : la paix.

FIN
REMARQUES
RELATIVES A LA CARTE DE L'AUTRICHE VRAIE

Les chiffres du tableau de droite sont officiels. Etablis par l'administra-


tion allemande de Vienne, ils ont pour base la Umgangssprache ou langue
usuelle de conversation et non la langue maternelle. Cette base est évidem-
ment très défavorable aux Slaves, car, par suite de son adoption, on a dû
compter comme allemand tout sujet autrichien parlant allemand dans la vie
courante. Or, il existe beaucoup de Slaves à Vienne ou sur les limites des
groupes ethnographiques qui, employés par des Allemands, sont dans l'obli-
gation pratique de parler l'allemand tout en ayant des sentiments de Slaves.
Les chiffres ci-contre, fort au-dessous de la vérité au détriment des Slaves,
donnent donc une très grande force aux déductions qui en résultent en leur
faveur.
II
Evidemment, les populations ne sont pas, en fait, aussi nettement séparées
que semblent l'indiquer les couleurs de cette carte. Le mélange des nationa-
lités existe sur les frontières des groupes ethnographiques, sur certains points
déterminés formant îlots, et aussi dans les grandes villes.
A Prague (faubourgs de Karlin, Vinhorady, Zizkow et Smichow compris',
sur 305,000 âmes, on compte 264,000 Tchèques et 40,000 Allemands, dont
21,000 Israélites. (Chiffres du recensement de 1890.)
A Vienne, au centre du groupe allemand le plus dense, on trouve environ
300,000 Tchèques, soit plus de 20 pour cent. Le recensement de 1890 n'en
accuse que 63,000, mais ce chiffre est notoirement faux par suite du choix
de la langue de conversation au lieu de la langue maternelle comme base
de la statistique. Quoiqu'il ne soit pas officiel, le chiffre de 300,000 Tchè-
ques est considéré comme étant encore fort au-dessous de la vérité. (V. la
note 2, p. 48.)
Pour Trieste, les chiffres officiels ont été conservés en l'absence de rensei-
gnements suffisamment sérieux permettant de les remplacer par d'autres.
La proportion de 83 pour cent d'Italiens contre 14 pour cent de Slovènes
est cependant inexacte. On affirme que les Italiens sont seulement 60,000
et les Slovènes 160,000. Ce chiffre paraît vraisemblable, si l'on considère
les statistiques d'un ouvrage allemand remarquablement documenté sur
l'ethnographie de l'Istrie : Die Volksstâmme im Gebiete von Triest und
in Istrien, par le Dr P. Tomasin. Schimpff, Trieste, 1890.

III
TABLE ALPHABÉTIQUE ET ANALYTIQUE

DES PRINCIPAUX NOMS PROPRES ET DOCUMENTS

A Extension du Zollverein à l'Au-


triche, 163 et 180 ; — Commerce
ABDUL-HAMID. Conférence de la -
autrichien, 165; Trieste' et les
Haye, 338 ; — Allemands, 344. Magyars, 194 ; — Impérialisme,
Abrogation des ordonnances du 300 ; — Dispositions offensives
comte Badeni, 33. contre l'Autriche, 306 ; — Asie
ADAM (VIme), 268. Mineure, 335, 360 ; — Exporta-
Adamello, 98. tions aux États-Unis,367; — Rela-
Adriatique. Importance économique tions États-Unis, 368 ; — An-
pour les Allemands et pour les gleterre, 370; — Opinion russe,
Autrichiens, 167. 382; — Armée mobilisée, 418.
Afghanistan, 382. Allemands. Adversaires des Polonais,
Afrique, 364. 153 ; — Intérêts en Autriche,
Agram, Centre national des Slovènes, 157 ; — Sujets de Guillaume II à
5; — Commerce allemand, 332. l'Université de Prague, 223 ; —
Akadamische Blâtter, 223. dans l'armée austro-hongroise,
Alep, 339. 309 ; — Chemins de fer de l'Asie
ALEXANDRE II. Guerre turco-russe, Mineure, 339; — de Cisleitha-
40, 401. nie, 169 ; — à Laybach, 23 ; —de
ALEXANDRE III, rival de Guillaume II, Berlin, 157 ; — de l'empire en
255. Autriche, 109 ; — de Vienne,
ALEXANDRE (de Serbie), 357-359. 157 ; — Alliance française, 385 ;
Alexandrette, 339. — Armée austro-hongroise, 420 ;
Alldeutsche Blâtter, 68. — Italie, 362; — Russie, 383.
Alldeutscher Verband. Historique, Allgemeine Zeitung, 393.
67 ; — Action en Hongrie, 186 ; Allgemeiner Deutscher Handels und
— Mouvement pangermaniste en Gewerbeverein, 209.
Allemagne, 197 ; — Organisation Allgemeiner Deutscher Verband,67.
en Autriche, 203 ; — Guil- Allgemeiner Deutscher Schulverein,
laume II, 260. 210 ; — M. de Bulow, 278 ; Rus-
Allemagne. Autrichiens, 158; — sie, 403,
Allgemeiner Deutscher Sprachve- Armée roumaine mobilisée, 418
rein, 210 et 221. Armée russe mobilisée, 418.
Alliance austro-allemande, 37. Arméniens, 304.
Alliance franco-russe, 275. ARNDT, 65.
Alpes, 92. ARNDI-MUSKAU (VON), 67, 216.
Alsace-Lorraine. Fortifications nou- Article XIX de la Constitution de
velles, 266 et 268 ;
— Récents pré- 1867, 16.
paratifs militaires, 268 ;
— Stras- Article XI de la Constitution de
burger Post, 315. l'empire allemand sur la déclara-
Alsaciens-Lorrains. Union panger- tion de guerre, 315.
manique, 68. Artillerie comparée de la France et
Altenbourg (Allemagne), 67. de l'Allemagne, 265.
Altenbourg (Hongrie), 183. Asch, 117, 138, 144.
Amberg, 263. Asie Mineure, 89 et 165 ; Che-
Amérique. Emigration italienne, 363. —
mins de fer, 338 ; Opinion
Amérique du Sud. Débouché des —
russe sur les Allemands, 381.
Etats-Unis, 299. Assyrie, 335.
Anatolie. Chemins de fer, 336 ; Atlas pangermanique, 229, 286.
— Ligne de Bagdad, 340 et 343. ATTILA, 182.
Ancy (Fort d'), 266 et 269. AUERBACH, 18.
ANDERSEN, 231. Augsbourg, 208.
ANDRASSY. Bismarck, 170. AUGUSTA-VICTORIA, 345.
ANDRÉ (Général), 293, 294. Aurore, 294.
Anglais. Chemin de fer de l'Asie Aussig, 43, 134, 217.
Mineure, 339; — Entente conti- Autriche. Loyalisme, 138
; — Inté-
nentale, 272 ; — Conséquences rêt économique général, 162;
d'une guerre avec la France, 296 ; Entrée dans le Zollverein, 165- —
— Accord avec l'Allemagne, 297 ; 168 ; — Séparation d'avec la Hon-
— Impérialisme, 300 ; — Expor- grie, 172 ; — Expansion économi-
tations allemandes, 75. que de l'Allemagne, 301 ; — Ac-
Angleterre. Entente anglo alle- tion militaire allemande, 318, 352;
-
mande, 297.
— Alliance avec l'Allemagne, 364.
Angora, 336, 339, 343. Auxerre, 293.
Annonciation de Bourbon-Sicile,
284. B
Anvers, 67 ; — Allemands, 350.
Arbres de Noël de l'empire alle- Babylonie, 335.
mand, 113. BACSANY, 3.
Arcona, 340. Bade, 103, 363.
Ardennes, 97. BADENI. Ordonnances, 31; Presse
Armée Allemande mobilisée, 328; —
de l'empire allemand, 112 ;
Accroissement récent —
— des effec- Duel Wolf, 114.
tifs, 306. Bagdad. Chemin de fer, 339, 342.
Armée austro-hongroise. Etat moral, BALCER, 218.
308; mobilisée, 328. Balkans. Débouché pour l'Autriche,
Armée bulgare mobilisée, 418. 167 ; — Débouché pour l'Alle-
Armée française mobilisée, 418.
magne, 301.
Armée italienne mobilisée, 418. Ballplatz, 159.
Banat, 185. Bessarabie, 233, 360, 361.
BAREUTHER. Slaves d'Autriche, 123 ; Bethlehemplatz, 130.
134 ; — BEUST (Comte DE). Mémoires de
— Union pangermanique,
Eger, 136 ; — Annexion de l'Au- Rieger, préface ; — Dualisme, 14.
triche à l'Allemagne, 144 ; — Bielitz, 134.
Sonderstellung, 149. Bi ESTER, 202.
Barmen. Discours de Guillaume II, BINDER, 202.
275. Birmingham, 373.
BARTH (N.), 190. BISMARCK. Préface; — Obstacle au
BARY (DE), 67. fédéralisme en Autriche en 1871,
BARTLETT(ElHS Ashmead), À46,371. 29;— Pangermanisme,62;— Équi-
Basse-Autriche. Allemands, 48. libre économique, 73 ; — List, 78;
Bassorah, 341.
Batilly, 266.

Schonerer, 108 ; - Rues Bis-
marck en Autriche, 133, 134,
BAUMANN, 224. 159; — Sadowa, 161; — Ma-
BAUMBACU, 67. gyars, 170; —Union pangerma-
Bavière. Autriche, 102; — Route nique, 199; — Lehr, 201; —
de pénétration en Autriche, 306, trouvé trop modéré par les Pan-
363. germanistes, 203; — Étudiants
BAXA (Dr K.), 43, 44, 311. pangermanistes, 224 ; — Plan
BEAUMONT, 81, 260. politique à l'égard de la France
BEBEL. Alsace-Lorraine, 387. et de l'Angleterre, 276; — Mo-
BEKSICS, 171. dèle de M. de Bulow, 278; —
Bellova, 342. sincérité, 279; — Choix des mo-
Belfort, 104. ments d'action politique, 289; —
Belgique. Allemagne, 84 ; — Pan- Modèle de Guillaume II, 304; —
germanistes, 86, 87 ; — Zollve- Question d'Orient, 337 ; — Im-
rein, 89, 99; — Indépendance, portance de la Bohème, 412 ; —
95, 160; Allemands, 97. Vues sur l'Alsace, 416.
Belgrade. Allemands, 331. BLEY (F.), 72, 85, 109.
BENOIST (Charles), 395. BLONDEL (G.), 371.
BERDROW, 247. Boërs. Guillaume II, 304.
Bergen. Guillaume II, 272. Bodenbach, 44.
Berlin. Pangermanisme, 208 ; — Bohême. Population allemande, 48 ;
État-major, 313 ; — Traité de — Plan pangermaniste, 102; —
Berlin, 360; — Alsace-Lorraine, Paul de Lagarde, 109; — K.
487. Proll, 113; —Division, 123; —
Berliner Bôrsen-Kurier, 213. Inséparable de l'Autriche, 147 ;
Berliner Deutsche Zeitung, 251. — Revue mensuelle hongroise,
Berliner Tageblatt, 213, 273. 171; — Charles IV, 260; —
BERNHARDI (Dortmund), 67. Situation, 306; — Politique an-
BERNHARDI (Colonel DE). Extension glaise en 1815, 373.
continentale de l'Allemagne, 219, Bohemia, 129.
239, 261 ; — Rapidité opérations Bosnie. Zollverein, 89; — Alle-
militaires, 268, 314 ; — Socialisme mands et Hongrois, 193.
et armée, 293. -Bosnie et Herzégovine. Population,
Bernina, 98. 328.
BERNSTOFF, 70, 226,246. Bourguignon (Journal le), 294.
Brandebourg, 37, 235, 160. Bund der Deutschen in Westbôh-
BRANDL, 210. men, 130.
Braunschweig, 119. Bund der Deutschen in Nordmiih-
BRAUNHCH, 259. rens, 130.
Brême, 207.
Brenta, 98. C
Breslau, 79-80, 224, 267.
Bretagne, 87. Caire, 299.
BRIALMONT, 360. Canal Empereur-Guillaume, 209.
Brno, 34. Canon allemand, 262.
Rromberg, 67. Canon français, 262.
BRODRIGK, 371. Cap, 299.
BROSS!N (DE), 269. CAPRIVI (DE). Armée autrichienne,
BRUCK, 165. 312.
Brun, 34, 44, 109; — Presse pan- CAROL Ier, 360.
germaniste, 129 ; — Université, Carinthie. Slovènes, 22; — Alle-
133. mands, 48; — Plan pangerma-
BRUST (G.), 247. niste, 102.
Bruxelles, 67. Carniole. Allemands, 48; — Plan
Bucarest. Colonie allemande, 331, pangermaniste, 102.
360. Carpathes. Fonction économique,
Buda-Pesth. Dr Zoepfl, 179. 150 ; — Fonction politique, 152,
Budapesti Hirlap, 189, 191. 360.
Bug, 90. Caspienne, 233.
Bukovine. Allemands, 48; — Plan Cassaba, 343.
pangermaniste, 98 , — Sonderstel- Cassel, 208.
lung, 103, 108, 144, 183, 287; Cassoubes, 324.
— Superficie, 323; — Popula- CASTLEREAGH, 373.
tion, 328. Cattaro, 103, 365, 380.
Bulgarie. Allemands, 331, 356; — Caucase, 383.
Armée mobilisée, 418 ; — Com- CELAKOVSKY, 6.
merce anglais, 371. Centralverein fur Handelsgeogra-
BULOW (DE). Goluchowski, 33; — phie und Forderung deutsche»
Allemagne enclume ou marteau, Interessen im Ailsland, 211.
242; — Consul de Prague, 252; Centralverein fur Hebung der deut-
schen Fluss und Kanalschiffahrt,
— Sincérité, 277 ; — Politique
d'intérêt, 304; — Allgemeiner 209.
Deutscher Schulverein, 278; — Châlons. Nicolas II, 292.
Promesse de non-intervention en CHAMBERLAIN. Fédération britan-
Autriche, 414. nique, 74, 298; — Guillaume II,
Bund der Deutschen in Bohmen, 301 ; — Fautes politiques, 373.
130. Chan-Toung, 347, 349.
Bund der Deutschen in Egerkreis, CHARLEMAGNE. Guillaume II, 261.
130. CHARLES IV. Guillaume II, 260.
Bund der Deutschen in Nordwest- CHARLES-FERDINAND-JOSEPH (Archi-
bôhmen, 130. duc), 284-285.
Bund der Deutschen in Ostbôhmen, CHARLES-LOUIS (Archiduc), 284.
130. Cherbourg. Hambourg - America-
Linie, 268; — Infanterie de ma- 144,183,287; ; — Superficie, 323 ;
rine, 294. — Population, 328.
CHERBULIEZ (V.), 396, 407. Damas. Toast de Guillaume II, 346-
Chine. Allemagne, 75, 89, 253, 347.
297, 315, 344; — Italie, 364. Danemark. Allemagne, 91.
CHOTEK (Comtesse Sophie),284-286. Danois. Union pangermanique, 68;
Cilj. Collège slovène, 22, 109; — — Plan pangermaniste, 97 ; —
tribunal, 23; — Pangermanisme, Tchèques, 231; — en Allemagne,
139. 324.
Cisleithanie. Zollverein allemand, Danzig, 258, 263.
168; — Séparation d'avec la Hon-
grie, 174; — Restriction, 287.
Club industriel autrichien, 169.
209, 288; -
Danube. Canal à l'Oder, 84, 180,

DARESTE. Préface.
Zollverein, 89.

Coglan, 366. Darmstadt, 208.


Colmar, 266. DEAK, 4, 6.
Cologne, 260. DEBAINS, 309.
Congrès slave de Prague (1848), 9. DEBIDOUR, 82, 279.
CONRADT, 346, 352. Debreczen, 12.
Constantinople. Plan pangermaniste, Déclaration des Tchèques en 1868,
86., 375; — Chemins de fer, 342. 25.
Conseil d'Etat renforcé (Vienne), Déclaration polonaise de 1868, 18
13. DEIR'\BURG, 347.
Constitution autrichienne de 1861, DESCHANEL (Paul). Préface, 276;
14. Tchèques, 389.
Constitution autrichienne de 1867, Dessau, 245.
14. Deutsche Bank. Chemins de fer
CORKU (Mme). Préface. turcs, 336, 341, 343; — Tur-
Correspondance tchèque, 156. quie, 345.
Corse. Plan pangermaniste, 101, Deutsche Kolonialgesellschaft, 211.
365. Deutsche Michel, 212.
Cosne, 294. Deutsche national Handlungsgehiil-
Courlande, 99. jen Verband, 221.
Couronne de saint Etienne, 2. Deutsche national Verein fur Oes-
Couronne de saint Venceslas, 2. terreich, 131.
Cracovie. République, 5; — Élec- Deutsche Verein Nord Schlesivig,
tions, 262. 221.
Crcditbank Scherrebek, 211. e
Deutsch Volkszeitung, 129.
Crimée, 233. Deutsche Zeitschrift, 213.
Croates, 5. Deutsche Zeitung, 213, 227, 343.
Croatie. Plan pangermaniste, 98; — Deutscher BohrmerwaldlJlLlld, 130.
Allemands, 332. Deutsche-evangelis. Waisenhaus in
Kobissau b. Danzig, 212.
D Deutscher Flotlenverein, 211.
Deutscher Schulverein, 331, 319.
DACH!NSKI, 262. Deutscher Verein fur das nordliche
Daily Telegraph, 63, 139. Scheswig, 211.
Dalmatie. Allemands, 48; — Plan Deutscher Volksbote, 130.
pangermaniste,98, 102, 103,108, DEWEY (Amiral), 366.
Diarbekir, 339. avec l'Allemagne, 74, 178 ; —
Diète hongroise de 1825, 4. Orientation économique générale,
Diète hongroise de 1833, 6. 299, 300; — Zollverein de l'Eu-
Diète de Vienne (1848), 9. rope centrale, 365.
DILKE (Sir Charles), 80. EULENBOURG (Comte D'), 173
Dingley (Tarif), 74, 297, 367. Euphrate, 339, 344.
DIPAULI, 40. Europe nouvelle, 394.
Disconto Gesellschaft. Roumanie, Evangelischer Bund. Formation,pro-
331.
Dobroudja, 36.
-
gramme, action, 205; Collabo.
ration avec l'Alldeutscher Ver-
Dolomites, 98. band, 221 ; — Propagande pan-
Dortmund, 67. germaniste, 243, 259.
Dresde. Schonerer, 107; — Confé- Evangelischer Verein für Waisenp-
rences de 1851, 166; — Union flege in Province Posen, 212.
pangermanique, 198 ; — Mouve- EVERLIJSG (Pasteur), 119, 132, 207
ment Los von Rom, 206; —Pan- Exportations allemandes aux États-
germanisme, 208, 245. Unis, 367.
Dualisme (1867), 176. Exportations des États-Unis en Alle-
Dubenetz, 44. magne, 367.
Duckov, 131. Exposition 1900, 233.
DUISKER, 246. Extrême-Orient. Empire allemand,
DBRTJY (V). Préface. 274; — Russie, 383.
Dux, 131.
E F

EBEISHocH, 40, 49. Fachoda, 87, 271, 296.


Eclair (/'), 271, 396. Fauchille, 384.
EDOUARD VII, 373. Fédéralisme, 157.
Eger. Pangermanisme, 43,125,129, FERDINAND Ier, 7, 191.
133,136, 139, 159,207-208,311. FERDtNAND-MAXiMtLiEN,empereur du
Egerer Nachrichten, 135. Mexique, 284.
.Egei,zeitu)ig, 229. Feuilles pangermaniquet, 68.
Euol (Dr), 194. Finlande, 233.
Elbe. Zollverein, 84, 89 ; — Canal Fiume, 195.
au Danube, 208, 288; — Panger- FISCHER (von), 67.
manisme, 260 ; — Bohême straté- Flamands, 350.
gique, 307. Flandres, 100.
Elections de 1901, 144. FLEMMING, 241.
Empire allemand. Superficie, 323. Flottenverein, 221.
Ems (dépêche). Préface, 289; — Focsani, 360.
Fleuve, 90. Foreign Trade Competition, 74.
ERBEN (Josef), 131-132. FORSTER, 199.
* Erfúrt, 263. FRAISS, 119, 126.
Erzeroum, 339. Français en Allemagne, 324.
Eski-Cheir, 336. France, Russie, 383 ; — Question
' Esaek, 332. d'Autriche, 384 ; — Armée mobi-
Esthonie, 99. lisée, 418; — Zollverein de l'Eu-
Etats-Uni8. Relations commerciales rope centrale, 392.
Francfort-sur-le-Mein, 61, 226. Gênes. Allemands, 363.
FRANÇOIS If, 2. Genève, 95.
FnANÇO!S-FERDtNAND D'ESTE (Archi- Géographie (Manuel de), 247.
duc), 284, 285, 291. Germania, Saaz, 125; — Brème,
FRANÇOIS-JOSEPH. Avènement, 10; 207, 254; — Berlin, 231; —
— Peuples slaves, 12; — In- Triumphans, 232.
fluence des progrès réalisés par les Gestemünde, 272.
Slaves, 35; — Tactique des prus- Globe (le), 372.
sophiles, 127, 138, 159; — Ho- Grosyeux, 269.
henzollern, 161 ; —Conception de GIRARDIN (Emile DE). Préface.
son rôle de souverain, 162; — Suc- Glasgow, 235.
cession, 284 ; — Santé, 291 ; — GOERTZ, 349.
Précautions contre l'Italie, 365. Golos, 156.
Frankfurter Zeitung, 246. GOLTZ (DE), 82.
FRÉDÉRIC LE GRAND, 85. GOLTZ (VON DER). Extension de l'Al-
FRÉDÉRIC III, 258. lemagne, 2i9 ; — Pangerma-
FnÉDERIC-GuiLLAUME, 161. nisme, 244; — Conception de la
FREE (Sénateur), 368. guerre moderne, 268 ; — Action
Fi-ee-Ti-ade, 74. en Turquie, 334.
,r,i•emdenblatt, 159. GOLUCHOWSKI. De Biilow, 33; Alle-
Friedrichsruh, 108. magne, 128.
Frioul, 363. Gorgimont, 266.
Frisons, 324. GORLOF (DE), 380, 405.
FUNKE, 199-200. GORTCHAKOFF. Slaves d'Autriche,
FÏÏRSTENBERC (Prince Egon DE), 37. 402.
Fusil allemand, 263. Gotha, 68.
Gothard, 87, 97.
G GRAMMONT (DE). Préface.
Graslitz, 138.
Galicie. Polonais, 5 ; — Allemands, Gravelotte, 266.
48 ; — Plan pangermaniste, 98, Graz. Pangermanisme, 109, 119,
103, 108, 375; — Paul de La- 122, 126, 133, 135, 138, 139,
garde, 109 ; — Sonderstellung, 223.
144, 150, 181, 183, 287; —Hon- Graxe!' Tageblatt, 110.
-
grois, 171; Population, 328 ; Grazer Volksblatt, 206.
— Superficie, 323 ; — Annexion Greiz, 74.
par la Russie, 376. Grell, 260.
GAMBETTA. Préface. GRIlIIMENSTEIN, 218.
Gastein. Convention, 161, 279. GRUNZEL, 163, 164, 167.
Gazette d'Augsbourg, 60, 333. Guatemala, 234.
Gazette de Cologne, 187. Guentrange, 266.
Gazette de la Diète, 6. Guillaume let, 64; —Tactique en-
Gazette de Francfort, 303. vers la France, 317.
Gazette de Moscou, 376, 379. Guillaume II. Polonais de Posnanie,
Gazette nationale, 349. 19; — Fédéralisme en Cisleitha-
Gazette officielle de Prague, 7. nie, 31; — Catholiques, 79;
Géants (Montagnes des), 306. —
Agriculture et industrie, 73;
Gegenwart, 32, 33, 212, 296. Weltpolitik, 80, 108; —
— Propa-
gande prussophile, 114 ; — Rela- Hambourg-America-Linie, 268.
tions avec MgrKopp,217 ; — Rela- Hanovre, 305.
tions avec Mommsen, 218 ; — Con- HARNACK, 403.
duite envers l'Autriche, 253 ; HASSE, 67 ;
Cocardes fédérales, 253;
— — Polonais de Posna-
— Diète nie, 70; — Weltpolitik, 76; —
de Brandebourg, 253; —Timbres- Schonerer, 108 ; — Organisation
poste, 254 ; — Voyages à Vien- de la propagande prussophile en
ne, 254; — Armée autrichienne, Autriche, 109; — Propagande en
254; — François-Joseph, 254; Autriche, 110, 113; — Mou-

Armée, 255, 257 ; — Dépenses mi- vement Los von Rom, 115; —
litaires, 255 ; — Mayence, 255 ; — Démembrement de l'Autriche,
Pangermanisme, 256, 259 ; — Vo- 137 ; — Succès obtenu en Au-
lonté, 257 ; — Plan politique, triche, 145; — Hongrie, 164,
257 ; — Saalbourg, 258 ;
— Anni- 168, 175, 177, 179, 181, 187;
niversaire de naissance de von
— Action en Allemagne, 197; —
Moltke, 259; — Charles IV, 260; Intervention au Reichstag, 200;
-
— Guerre, 261; — Rôle de la
marine, 263; Stumm-Halberg,
270; — Orientation de la poli-
— Dr Zœpfl, 208 ; — Organisation
pangermaniste, 216, 221, 244; —
Guillaume II, 260, 264; — Tur-
tique étrangère, 271; — Politique quie, 337, 346 ; — Expansion éco-
envers la France, 272; — Poli- nomique des États-Unis, 368.
tique envers la Russie, 274; — Haute-Autriche. Allemands, 48; —
Alliance russe, 275; — Moralebis- Plan pangermaniste, 107
marckienne, 290; — Chamber- HAVLlCEK, 7.
lain, 301, 373; — Sullivan, 302; Havrany, 44.
— Discours de Barmen, 303; — Heidelberg, 222.
Sentimentalisme, 304; — Esprit HEINEMANN, 74.
de décision, 305 ; — Mobilisation, HELFY, 26.
315; — Constantinople, 338; — IIerold (Dr), 384
Chemin de fer de Bagdad, 339, HERVÉ (Édouard). Préface, 353,
340 ; — Toast de Damas, 346 ; — 391.
Angleterre et Autriche, 372; — Herzégovine. Zollverein, 89; —
Alsace-Lorraine, 387. Plan pangermaniste, 98, 193.
-
Gustav-Adolf Verein, 119, 185, Hesse électorale, 305.
190, 205. Hilfe, 212.
H
Hirsch, 342.
Hodslavice, 5.
Habsbourg.Propagande prussophile, HOFER, 129,135.
115, 134, 137-139; — Slaves, Hofmann, 379.
157 ; — Hohenzollern, 160, 162; Hohenlohe (DE), 33.
— Magyars, 191; — Etat de la Hohenwart, 28, 29.
famille, 283; — Armée austro- Hoheszollern. Préface; — Droits
hongroise, 308. du royaume de Bohême, 27 ; —
Haeseler (Fort), 266. Plan des Pangermanistes,103,115,
Haidar-Pacha, 336, 338, 343. 134, 235, 290; — Viennois, 158;
— Habsbourg, 160-162; —
Hambourg, 100 ; — Pangermanisme, Ma-
112, 208; — Canaux Elbe-Da- gyars, 194; Roumanie, 360.
nube, 209, 261. Hollande. Plan pangermaniste, 84,
86-87, 89, 97, 99-100, 350. Italie. Pangermanisme, 362 ; —
Hommes de confiance de l'Union Question d'Autriche, 362; — Al-
pangermanique, 202. lemagne, 363; — Pangermanistes,
Ilauptverband deutscher Flottenve- 364; — Armée mobilisée, 418.
reine im Auslande, 211. Italiens. Plan pangermaniste, 101; —
Hongrie. Plan pangermaniste, 98, Fortifications d'Alsace-Lorraine,
100,109; — Sonderstellung de la 269 ; — Armée austro-hongroise,
Galicie, 150; — Polonais de Ga- 309; — Allemands, 363.
licie, 151; — Industrie autri-
chienne, 167 ; — Indépendance, J
172; — Zollverein, 177 ; — Paul
de Lagarde, 182; — Population JAMONT, 292.
allemande, 185; — Slaves d'Au- JANUSCHKE, 132.
triche, 191; — Population, 328. JELACHICH, 10, 11.
Honolulu, 366. JOHANN-SALVATOR(Archiduc), 281.
HORITZA, 34, 366. Journal de Colmar, 231, 236, 238,
Hradetz Kral, 35. 250.
HUBBE-SCHLEIDEN, 67. Journal de Geneve, 410.
Hudlice, 5. JUDET (E.), 219.
HUMBERT (Roi), 21. Jugement de la cour de cassation de
HUMBERT (Alphonse), 218, 243,253, Bohême sur les ordonnances du
302. comte Badeni, 34.
Hrss (Jean), 45, 94. Jugend, 212.
H'uttelsdorf, 132. Jugendbllnde, 223.
JUNGMAJÎN. 5.
I
Jura, 97.
Ibis, 272. JUSTUS-PERTHES, 68.
lllustrirte Zeitung, 331. Jutland, 97.
IMÉRETINSKY (Prince), 19.
Impérialisme, 300. K
Indépendance roumaine, 331.
Indes. Plan pangermaniste, 86, 344. KAERGER, 335, 349.
Indivisibilitédu royaume de Bohême, Kaïserieh, 339.
26. KALNOKY (DE), 46.
Inn, 102. KANNENBERG, 338.
Innsbruck. Pangermanisme, 133, KAPNIST, 339.
138, 139. Karbitz, 117.
Iphir,e»nie, 272. KAULLA, 336, 342.
Iro, 111, 124, 135, 136. KAUNITZ, 237.
Ischl, 33. Kerbela, 339.
Israélites. Slaves d'Autriche, 121; KETTELER, 315.
— Socialisme en Autriche, 122 ; KHTJLL, 203.

— Presse viennoise, 128, 223; — Kiao-Tcheou, 69, 274, 347.


Prague, Cracovie, 262 ; — Pan- Kiel, 264.
germanisme, 290 ; — de France Kiev, 154,233 ;— Opinion publique,
et question d'Autriche, 410. 401.
Istrie. Italiens, 21, 363; — Alle- KITTEL K., 111.
mands, 48 Klagenfurth. Slovènes, 23;
— Ar-
chevêque, 138; — Pangerma- Leipzig, 62, 135, 199, 222.
nisme, 139. Leipziger Neueste Nachrichten,213.
KLEMME K., 366. Leitha, 91, 182.
KNAPP, 336. Leitmeritz, 109, 133.
Kobelarov, 6. LENBACH, 67.
Kœniggraetz, 35. Leoben, 132, 139.
Kœnigsberg, 224, 267. Leopol, 153, 154, 201, 310.
KOLLAR, 6. Levant, 341.
Kolnische Volkszeitung, 225. LEZIUS, 239.
Kolozvar, 189. LICHTENSTEIN, 39.
Konia, 336, 343. LIEBERMANN, 216.
Komotau, 43. LIEBKNECHT. Alsace-Lorraine, 387.
Kopp(Cardinal). Pangermanisme,80, Ligue des agriculteurs allemands,
217, 244,409. 127.
KOSSUTH (François). Indépendance Linz. Pangermanisme, 109, 139,
de la Hongrie, 172; — Ugron, 307.
189. LIST (F.), 77, 168, 208.
KOSSUTH (Louis), 6;
— Debreczen, Littoral, 21.
12 ; — Droits du royaume de Livonie, 99.
Bohême, 26. Ljublania, 5, 22.
KRAMARSCH (Dr), 17, 29, 143, 425. LOBKOWICZ (Prince), 37.
Krammel, 217. LOEVENTHAL, 132.
Kreuzzeitung, 118. Loi militaire allemande du 25 mars
Kronstadt, 186. 1899, 264, 270.
KRÜGEn, 260, 276, 390. Loi électorale autrichienne, 53.
Krumau, 112. LOISEAU (Charles), 184, 193, 346.
Kufstein, 3, 77. Londres, 235.
KUHLMANN, 336. Los von Osterreich, 119.
Kulturkampf, 62, 80. Los von Rom, 116, 118, 205, 243,
Kustenland, 102. 259, 283, 290.
Kyffhauser, 130. LOTZE, 199.
LOUiS-VICTOR (Archiduc), 284.
L LOVISATI, 21.
Lubeck, 209.
LAGARDE (Paul DE). Mission de la LUEGER, 40, 42, 143, 145.
Prusse, 64; —Biographie, 83; — LUMMITZER, 117.
Trieste, 101; — Plan pangerma- LURTZ, 186.
niste, 109; — Magyars, 182-183. LUTHARDT, 217.
La Haye, 270, 386. LUTHER, 45.
LANG, 191. Luxembourg. Plan pangermaniste,
LANGE, 213. 99, 317.
LANGHAKS (Paul), 185-186, 229, M
286, 347, 403.
Lausanne, 95. MACKENSEN, 339.
LACTH, 328, 418. Mac-Kinley (Bill), 74, 366.
Laybach, 5. MAc-KINLEY, 297.
LÉGER (Louis). Préface. Ma(/e in Germany, 74.
LEUR, 201, 216. Magdebourg, 203.
Magyars. Polonais, 151 ; — Slaves Mission militaire allemande à Cons-
d'Autriche, 170;-Indépendance tantinople, 234.
de la Hongrie, 172, 174; — Alle- Mitrovitza, 332, 342.
mands à Trieste, 181 ; — Paul Modène, 6.
de Lagarde, 182 ; — Protestan- Mohacz, 5.
tisme, 184 ; — Allemands en Hon- Moldavie, 360.
grie, 187 ; Évolution des senti- Molsheim, 266.
ments prussophiles, 189 ; — MOLTKE (VON). Turquie, 333 ;
— Pré-
Fiume,193,285; —ComtesseCho- paration de la guerre contre l'Au-
tek, 285; — Armée austro-hon- triche, 416.
groise, 309. MOMMSEN, 218-219, 243-244, 261,
Magyar Hirlap, 189. 291.
Magyar Orszag, 191. Monastir, 342.
MAJARON, 23. Montagne Blanche, 5.
Malatia, 339. Monténégro, 98.
Maloya, 98. Mont Blanc, 87, 97.
Mandchourie, 380. Mont Rose, 87, 97.
MAHTEUFFEL, 161, 166. Monts Métalliques, 306.
Manille, 366. Moravie. Allemands, 48; —Plan
Manuel de géographie, 247. pangermaniste, 102,104; — Pro-
MARBEAU. Préface. pagande prussophile, 113, 115,
Marbourg. Slovènes, 23 ; — Pan- 123; — Situation militaire, 308.
germanisme, 109, 133, 139. MORGEN (Major), 339.
Marchfeldstrasse, 159. Moscou, 154, 233.
Marienbourg, 258. Moskovski Viédémosti, 403, 406.
MARIE-THÉRÈSE, 3. Most, 44.
MARKOFF, 378. MULLER, 206.
Marseillaise, 158. MULLER (Karl), 222.
Masures, 324. Mulhouse. Alsace-Lorraine, 267.
Matin, 396. Munchen Gladhach, 206.
MATLEKOVITZ (DE), 177. Miinchener Neueste Nachrichten,
MATTUSCH, 132. 207, 208, 213, 227.
Mayence, 68, 203, 221, 244. Munich, 186, 200, 206, 208, 245.
MAYR (VON), 67. MUSER, 67.
MEBMED-AFEz PACHA, 345.
MEIIflMANN, 92, 168, 372.
N
Mein, 208. NAGY, 4.
Memel, 90. Namolosa, 36.
MÊLINE, 408. NAPOLÉON I". Hongrois, 4, 94;
Mésopotamie, 337, 381. Bohême stratégique, 307.
METTERNICH, 8, 10, 161, 353. NAPOLÉON III. Rieger, préface;
Metz, 90; — Fortification, 266; — —
142, 148; — Peuples d'Autri-
Question d'Alsace-Lorraine, 387. che, 12 ; — Dr Seep, 88 ; Guil-
Mexique, 234. —
laume IER, 273, 317.
METBR, 70, 119. NAUMANN, 122, 174, 212, 400.
Michel, 114. Neisse, 79.
MICKIEWICl, 20. Nevesinje, 332.
Mikado, 302. Neu-Brisach, 266.
Neue Freie Presse. Préface; — 129; Parti allemand du droit, 226.
135, 218. Parme, 6.
Neues Wiener Tageblatt, 129. Patente du 8 avril 1848, 8.
Nellstadt, 139. Pays-Bas, 182.
New-York, 368. PELLETAN (C.), 396.
NICOLAS IER, 12. Pensée slave, 309, 359, 407.
NICOLAS II, 292, 359, 377. Perse. Russes, 382.
NIEL (Maréchal). Préface, 273. Pesti lIirfap, 171.
Noire (Mer), 233. PETERS, 67,
Nord (le), 171. Pétersbourg, 233, 302; — Opinion,
Normandie, 87. 401.
Nouvelles de Hambourg, 62, 119, Petits-Russiens, 154; — Russie, 378.
419. Petit Sou, 294.
Novéant, 268. Pfister Schwaighusen, 109.
Novoié Vrémia, 294, 381, 402. Philippopoli, 342.
Novosti, 402. Pickelhauben, 133.
Nuremberg, 179, 208. Piémont, 362.
PILLERSDORFF, 8.
0 PLANNER, 203.
OBRElXOVITCH, 357, 359. Podmokly, 44.
Odenbourg, 183. Podolie, 233.
Oder. Plan pangermaniste, 84, 89; Point-du-Jour (Fort), 266.
Pola, 90, 109, 365, 380.
— Canal de jonction avec le Da- Politik, 404.
nube, 208, 288; — Influence sur
la Bohême stratégique, 307. Pologne. Rôle de la Galicie, 152; —
Odin (Journal), 204. Vues pangermanistes, 233.
Odin Verein, 115, 126, 137, 204, Polonais. Union pangermanique, 68;
216, 277, 316. — Posnanie, 95 ; — Magyars, 151 ;
OETTIXGEN (VON), 67, 206. — Fédéralisme en Autriche, 153;
Olmutz. Manteuffel, 161;— Place — Ruthènes, 154; — Pansla-
forte, 307. visme, 156;—Théologien Lezius,
Ortler, 98. 239; — Guillaume II, 304; —
Ordonnances du comte Badeni sur Nombre en Allemagne, 324; —
l'emploi des langues, 110. Galiciens et Russie, 377.
Ostdeutsche Rundschau, 129. POLZER, 119, 126.
Ostmarkverein, 221. Pontebba, 365.
OTHON (François-Joseph, archiduc), Port-Arthur, 380.
284. Posnanie, 153.
Potsdam, 166.
P 1

Pozony, 4. ;

PALACKY. Biographie, 5; — Franc- PRADE, 112, 200, 290.


fort, 8; — Diète de Vienne, 11 ; Prager Tageblatt, 129.
— Centenaire, 20. Prague. Propagande pangermaniste,
Palatinat, 94. 109; — Rapport de la chambre
PALLFY> 37. de commerce, 163; — Universités,
Panslavisme, 156. 223 ; — Ouvrages militaires, 307.
PAPKE, préface. PRAJAK, 22.
Parlement de Francfort, 8. Presbourg. Diète, 4, 183.
Prince-Impérial (Fort), 266. Roi de Saxe à Vienne 1871, 29.
Presse (die). Vienne, 128. Rome, 258.
PRINCE RÉCENT DE BAVIÈRE. Panger- ROSCllER, 98 ; — Asie Mineure, 333.
manisme, 201. Rosenau, 107.
Proclamation du roi de Prusse aux Rossia, 402.
Tchèques en 1866, 26. Roumanie. Plan pangermaniste, 89,
Programme du parti national hon- 98; — Armée austro-hongroise,
grois de Deak, 6. 309 ; — Mouvement pangerma-
PROLL K., 67, 113, 155. niste, 349 ; — Intérèts généraux,
Prusse. Plan pangermaniste, 102; — 360; — irredenta, 361 ; — Im-
Türk, 136; — Autriche, 161; — portations anglaises, 371 ; —
Conduite politique, 318. Armée mobilisée, 418.
Q kovine, 21; — Magyars, 170;
-
Roumains. Transylvanie, 10; Bu-

Questions diplomatiques et colo- — Allemands, 187. Dr Hasse,


niales, 33. 188. Situation financière, 331 ; —
contre la Russie, 361.
R Roumélie.Vues pangermanistes, 375.
Raab, 183. Roustchouck, 331.
RADETZKY, 12. Rudolfsthal, 332.
Ragusc, 102. RUEDGISCH, 345.
Rajeunissement des cadres de l'armée Russes, 86 ; — Exportations alle-
allemande, 268. mandes, 74, 298; — Vues pan-
Raleigh, 366. gelmanistee, 91, 97 ; — Polonais,
RAMBAUD (Alfred). Préface, 395. 153; — Fournisseurs de l'Alle-
RAMIN, 242. magne, 178 ; — Galicie, 181 ; —
Reichenberg. Propagande panger- Frontière russo-allemande, 267 ;
maniste, 109, 112, 127, 139. — Politique de Guillaume II, 274;
Beichsbote, 206. — Obstacles au Pangermanisme,
Reichstag. Députés pangermanistes, 297, 313 ; — Effets de leur neutra-
69 ; — Discours du Dr Hasse, 200 ; lisation politique, 317 ; — Bulga-
rie, 356 ; — Roumanie, 360.
— Loi militaire de 1899, 264; —
M. de Bulow, 277. • Russie. Question d'Autriche, 374;
Reichswehr, 159. — Slaves d'Autriche, 375; —
République de Cracovie, 7. Annexion de la Galicie, 376; —
Rescrits de François-Joseph aux Asie et Europe, 380 ; — Asie
Tchèques (1871), 28. Mineure, 381; — France, 383;
Revue mensuelle hongroise, 171. — Armée mobilisée, 418.
Rhin. Plan pangermaniste, 84, 89 ; Ruthènes. Répartitiongéographique,
20 ; — Intérêt. divers, 155 ;
— Canal de jonction avec le Da- —
nube, 207. Russie, 378.
RiEGER(Dr). Mémoireà Napoléon III,
S
préface, 141, 391 ; — Famille, 5 ;
— Diète de Prague de 1867, 25. Saaz. Propagande prussophile, 112,

Diète de Prague de 1866, 148. 125.
ROBERTS (Lord), 302. Sudètes, 306.
RODBERTUS, 98. Sadowa. Préface, 14, 24, 161, 170,
ROGERS, 369. -
279, 291, 407.
SAFilIK. Biographie, 5. sible, 145; — Sonderstellung de
Saint-Bernard, 87. laGalicie, 149, 153, 287; — Réu-
Saint-Blaise (Fort de), 266, 268, nion d'Eger, 208 ;— Germanisme,
269, 442. 230; — Armée austro-lsongroise,
Saint Empire romain de nation ger- 310.
manique, 24. SCHONERER (Mathias), 107.
Saint-Michel, 114. SCHONERR, 203.
Saint-Raphaël-Verein zum Schutze- SCHOPENHAUER, 96.
katholisch-deutscher Auswaude- SCHOÜliER, 199.
rer, 212. Schutzvereine, 130.
Salonique, 342, 349. Schulverein, 221.
Salzbourg. Population allemande, SCHWARZENBERG, ministre autrichien,
40, 48 ; — Vues pangermanistes, 10, 161.
102 ; — Iro, 135 ; — Propagande SCHWARZENBERC (K.), publiciste, 312.
pangermaniste, 139. SECKENDORF (Baron de), 251.
SAMASSA, 203. Sedan. Pangermanistes, 200, 407.
SANDRART (VON), 67. SEEP, 88.
Savoie, 101; — (Maison de), 362, SEIGNOBOS, 12, 13.
365. Septimer, 97.
Saxe. Plan pangermaniste, 102; — Sérail (Pointe du), 343.
Frontière militaire, 306. Seraïevo, 251 ; — de Seckendorf,
Saxons. Hongrie, 185, 188 251, Allemands, 332.
SCHAFFER, 338. Serbie. Slavisme, 357 ; — Orienta-
SCHALK ANTON, 202. tion politique, 359.
SCHARNHORST, 295. Serbo-Croates. Réveil politique, 10;
SCHELE (VON), 226. — Progrès nationaux, 22 ; —Fédé-
Scherrebek, 211. ralisme, 155 ; — Panslavisme, 156.
Scherer, 130. Sheridan, 366.
Schleswig, 161. Shimonoseki, 69, 274.
Schleswig-Holstein. Persécution de Siebenburgen. Protestantisme, 118;
l'élément danois, 239; — Guil- — Population allemande, 185; —
laume I", 305. Pangermanisme, 186.
SCHMKRLING, 17. Sibérie, 381.
SCHONLANK, Alsace-Lorraine, 386. Siècle slave (le), 48.
SCHONERER (Georges). Chef de parti, Siégen, 278.
45; — Biographie, 107; — En- SIEMENROTH, 208.
tente avec le Dr Hasse, 110, 113; SIEMENS (Dr), 340.

— Propagande prussophile, 114; SIEMENS C., 342.

— Mouvement Los von Rom, 116; SIEWERT, 209.


— Tactique avec les socialistes au- Signal (le), 410.
trichiens, 120, 138; — Langue Silésie. Population allemande, 48;
d'État de l'Autriche, 124; 102; —
— Les — Plan pangermaniste,
autorités autrichiennes tentent de Indivisibilité du royaume de Bo-
contenir son action, 126; —Jour- hême, 123; — Pangermanisme,
nal, 129; — Réunion d'Aussig, 129, 136.
134; — Eger, ville libre de l'em- SILVIO PELLICO, 5.
pire, 136; — Son groupe au Simplon, 87, 97.
Reichsrath, 140; — Progrès pos- |
Sivas, 339.
SKOBELEFF. Préface. STOJALOWSKI, 262.
Slavonie, 98. STOLBERG-VERNlGERODE, 217.
Slovaques, 324. STADION, 11.
Slovènes. Réveil national, 5 ; — Strasbourg, 67, 224.
Situation actuelle, 22; —Trieste, Strasburger Post, 315 ; — Alsace-
23; —Nombre, 95; — Plan pan- Lorraine, 386 ; — Union doua-
germaniste, 98; — Fédéralisme, nière franco-allemande, 393.
155; — Panslavisme, 156. STRATIMIROVITCH, 10.
Slovenski Svet, 331. STUl\IM-HAI.BERG (DE), 270.
Smyrne, 343. Styrie. Ecoles slovènes, 22 ; — Plan
Société coloniale allemande, 211. pangermaniste, 102.
Société nationale des employés de Suddeutsche Reichskorrespondcnir
commerce allemands, 221. 227.
Société évangélique de l'orphelinat Sudmark, 130.
de Kobissau, près Dantzig, 212. Suédois. Russie, 383.
Société Saint-Raphaël pour la pro- Suez. Plan pangermaniste, 101,344,
tection des émigrants allemands 381.
catholiques, 212. Suisse. Plan pangermaniste, 87, 89,
Sofia, 331, 356. 97, 99, 365.
Sonderstellung. Programme de Linz SULLIVAN, 302.
et définition, 108 ; — Élection de SYMPHER, 209.
1901, 143; — DrBareuther, 149; Syrie. Convoitises allemandes, 237,
— Polonais de Galicie, 152; — 335, 339, 341.
Conséquences autrichiennes, 183,
286; — Procédé de réalisation, T
287 ; — Conséquences internatio-
nales, 288 ; — Accord franco- TAAFE (DE), 52.
russe, 413. Tageblatt, 366.
SOREL (Albert). Préface. Tagesbote, 129.
Souabes, 188. TAINE, 353.
SOULLIER, 215. TALLEYRAND. Préface.
Spandau, 263. Tangerm'dnde, 260.
Spielberg, 5. TASCHEK, 202.
Splungen, 97. Taunus, 258.
SPRENGER, 335. Tchèques. Réveil national, 5;

SRB (Dr), 20, 252. Nombre, 95 ; — Plan pangerma-
Stamboul, 343. niste, 98 ; — Fédéralisme, 147 ; —
Stamboul (le), 345. Panslavisme, 155; — Magyars,
Statistique des adhérents de l'Union 191 ; Université de Prague, 223;
pangermanique, 228. — Comtesse Chotek, 285 ; — dans
STEJSKAL, 131. l'empireallemand, 324 ; — Serbes,
STENGEL (Carl VON). Alsace-Lor- 357, 359. — Alsace-Lorraine,
raine, 386. 388. — Kruger, 390. — Exposi-
Stettin, 209. tion de 1900, 390.
STENN (VON), 67. Temesvar. Population allemande,
STERNKOPF, 339. 185.
Stilfser Joch, 98. Teplitz, 112, 117.
STOFFEL. Préface. Teutonia, 126.
Tessin, 101. Tubinr,en, 77, 107.
Tetschen, 112, 140. Tugendbund, 221.
Theresienstadt, 307. Tunisie, 365.
Theune, 202. Turin, 363.
THIERS. Préface. TURK (K.), 111, 136, 286, 406.
Thionville, 266. Turquie. Plan pangermaniste, 98,
Thorn, 267. 335, 346, 355 ; — Angleterre,
THUN. Ministère, 19, 31, 33, 39, 371.
72 ; — Répression de la propa-
gande pangermaniste, 126 ;
-
Tyrol. Fédéralisme, 40 ; Popula-
tion allemande, 48 ; — Plan pan-

Troubles d'août 1899, 139. germaniste, 101, 102.
THUN (JAROSLAW), 284.
TiBEUDS, 217. U
TIEDEMANN-LABISCHIN (vOJs), 67. UGRON. Triple alliance, 158, 189,
Tien-Tsin. De Seckendorf, 251. 190, 191.
Tigre, 344. Université tchèque de Prague, 30.
TILLE, 235. Uitveifâlschte Deutsche Worte, 129.
TIRPITZ (Amiral). Mouvement pan- Uskub, 342.
germaniste, 246 ; — Rôle de la Union pangermanique. Historique,
flotte allemande, 264. 67 ; — Propagande prussophile,
TITTA, 202. 198 ; — Étudiants, 223.
Tœgliche fiundschau, 213, 227. Union allemande austro-hongroise,
Traités de 1815, 2, 3. 179.
Transvaal, 297, 345, 369. Union centrale de géographie com-
Transylvanie. Plan pangermaniste, merciale et de défense des intérêts
93, 187, 349. allemands à l'étranger, 211.
Trautenau, 139. Union centrale pour l'extension de
TIIEITSCHKE (DE), 235, 239. la navigation allemande sur fleuves
Trentin, 21, 364. et sur canaux, 209.
Trgovinshi Glasiik, 358. Union évangélique pour la protec-
Trieste. Irrédentisme,21,363;— Plan tion des orphelins de la province
pangermaniste, 90, 98, 100, 101, de Posen, 2t2.
103, 104, 364, 365 ; — Organisa- Union de la Wartburg, 221.
tion pangermaniste, 139 ; — Ma- Union des agriculteurs de la marche
gyau, 193 ; — Angleterre, 373. de l'Est, 127.
Tripoli de Syrie, 339. Union des étudiants allemands, 221.
Tripoli d'Afrique, 345. Union des industriels autrichiens,
Tripolitaine, 365. 169.
Troppau. Congrès, 5 ; — Panger- Union des Sociétés navales, 221.
manisme, 129, 139. Union centrale des Sociétés navales
TROUBETZKOÏ (Princesse). Préface. allemandes à l'étranger, 211.
Troupes de communication alle- Union du Schleswig du Nord, 211,
mandes, 269. 221.
Tsar. Conférence de la Haye, 270; Union évangélique, 221.
— Campagne antirusse en France, Union évangélique des émigrants
275 ; — Question d'Autriche, allemands, 212.
415426 Union générale linguistique alle-
TSCHEBULL, 202. mande, 210, 221.
Union pour l'extension de la navi- WALDERSEE (G.), 84.
gation sur les canaux bavarois, WALDKIRCH, 369.
209. Wallons, 324, 350.
Union navale allemande, 211. Walter, 136.
Union scolaire, 221. WANGENIIEIM, 77.
Wartburgbund, 221.
V
Washington, 299, 368.
Varsovie, 374. WELKER, 199.
Vaterland, 158, 164. Welipolilik, 80,180,183, 231, 400.
VAUTIER, 178. Wendes. Population, 324.
VENCESLAS (Saint), 123. WERNER, 70, 246.
Vénétie, 162. WEST, 366.
Venise, 8, 363. Westphalie, 368.
Verdun, 266. WIED (Prince DE), 211.
Verein der Deutscllen Studenten, Wiener deutsc/ter Schulverein, 131.
133, 221. Wiener Zeitung, 165.
Verein fur Hebung der Fluss und WILLIAMS, 74, 370.
Kanalschiffahrt in Bayern, 209. WINDISCHORAETZ, 12.
VICTOR-EMMANUEL, 363, 365. Windthorst, 332.
VICTORIA, 373. WINDSOR, 301.
Vienne. Propagande prussophile, WISLICENIUS, 66-67.
109 ; — Mouvement Los von Rom, Wisselbourg, 183.
116; — Université, état d'esprit, WITTE, 217.
133; — Socialisme international, WOLF (K.), 45, 111, 114,118, 126,
138; — Situation militaire, 307- 129, 131, 133, 134, 140, 144,
308 ; — Angleterre, 373. 199, 200, 203, 208, 215, 223,
Viennois (le), 158. 244, 358.
Wurtemberg, 103.
Vilagos, 12.
Villach. Pangermanisme, 109, 139.
Vinkovce, 332.
Württembergische Vereinsbank, 336.

Vistule, 376. Y
VOGEL ^P.), 202.
Volynie, 233. Yldiz-Kiosk, 340.
Voralberg, 48, 102.
Z
Vorwaerts, 239.
Vosges, 97. Zagreb, 5.
Vossische Zeitung, 213. Zakopane, 152.
ZIMMERMANN, 199.
w ZOEPFL, 179, 180, 208-209.
WAGNER (JOS.), 202. Zwettl, 107.
WAGNEII. (Professeur), 244.
TABLE DES MATIÈRES

PRÉFACE, p. III.
APERÇU GÉNÉRAL DE L'OUVRAGE, p. XV.

CHAPITRE PREMIER
L'ÉVOLUTION POLITIQUE DE L'AUTRICHE AU XIX* SIÈCLE

I. LES "FAITS Il HISTORIQUES ET LEUR ACTION, p. 2. — § 1. Les grandes


étapes : de 1815 à 1867. Le régime absolutiste. L'idée denationalité sous
sa forme nouvelle réagit contre lui. Les mouvements nationaux se dessi- —
nent dans l'Etat autrichien; la révolution de 1848, puis l'action de Napo-
léon III, assurent leur essor. Sadowa et l'émancipation des Magyars.
1867 : le Il dualisme » Transleithanie et Cisleithanie. Esprit de la Cons-
,
titution de 1867. Pourquoi et comment elle n'est que partiellement appli-
quée, p. 3. — § 2. Les peuples non allemands de l'Autriche depuis 1867 :
Polonais, Ruthènes, Italiens, Roumains, Slovènes, Serbo-Croates, Tchè- —
ques, p. 17. — § 3. Influence du développement politique des Slaves cis-
leithans sur François-Joseph et sur les Allemands d'Autriche, p. 35.
Il. L'AUTRICHE VRAIE, p. 47. — S 1. Les deux aspects de l'Autriche :
l'Autriche de 1867, l'Autriche ethnographique, p. 49. — §2. La tendance
vers le Il fédéralisme » : A quoi se résument les affaires d'Autriche au
point de vue international. Répartition géographique des partisans et des
adversaires du « fédéralisme » Comment « fédéralisme en Cisleithanie »
.
est l'antithèse de «
démembrement de l'Autriche ,. Où est l'obstacle à la
réforme fédérale, p. 51. — § 3. Formule de l'Autriche vraie : Ses élé-
ments constitutifs, p. 58.

CHAPITRE II
LE PANGERMANISME

1. L'IDÉE PANGERMANISTE, p. 60. — § 1. Son caractère prussien : la Gazette


d'Augsbourg et les écrits de von Moltke, p. 60. — S 2. Guillaume I",
Bismarck et le Pangermanisme : le roi de Prusse et la Bohême en 1866.
Pourquoi et comment le Chancelier a toujours été opposé à la création de
la Grande-Allemagne, p. 61.
— S 3. Causes de son évolution dans un sens
toujours plus réaliste : la Weltpolitik, le progrès des Slaves en Autriche,
la nouvelle situation économique de l'empire allemand, la tactique des
<' sujets catholiques de Guillaume II, p. 63.
II. GOMMENT LES PANGERMANISTES JUSTIFIENT LEUR THÈSE, p. 81. § 1. La

«
littérature » pangermaniste : son apparente futilité, son importance
vraie. Influence de Paul de Lagarde sur le mouvement actuel, p. 81.

§ 2. Les trois grands arguments : le Pangermanisme est réalisable
; son
application serait avantageuse ; elle est même inévitable pour l'empire
allemand, p. 84. — § 3. Critique de ces arguments : leur vice fonda-
mental, p. 94.
III. LE PLAN PANGERMANISTE, p. 96. -S 1. Les lignes générales : Analyse de
la brochure-programme « La Pangermanie et l'Europe centrale en 1950 , .
A quoi se réduisent pratiquemeRt les prétentions pangermanistes suscep-
tibles d'une réalisation immédiate, p. 97. — § 2. Le morcellement de
l'Autriche : Les vues sur ce point de " l'Union pangermanique » ou All-
deutscher Verband, 101. — § 3. Les phases d'exécution du plan panger-
maniste : la mainmise sur l'Autriche, la période de radiation ultérieure
de la Grande-Allemagne, p. 104.

CHAPITRE III
LA PROPAGANDE PANGERMANISTE EN CISLEITHANIE

I. FORMATION DU PARTI PRUSSOPIIILE AUTRICHIEN, p. 107. — § 1. Les ori-


gines : M. Schonerer. Le programme de Linz. Les « cheminements » de
l'idée prussophile, p. 107. — § 2. Comment les ordonnances du comte
Badeni sur l'emploi des langues en Bohême et en Moravie ont été le
prétexte de l'agitation ouverte et violente; l'entente se fait entre M. Scho-
nerer et le Dr Hasse. Leurs lieutenants. L'Union pangermanique régula-
trice de l'action. Premiers succès, p. 110.
II. MOYENS D'ACTION ET TACTIQUE DES PANGERMANISTES, p. 113. — § 1.
Les procédés d'agitation : les arbres de Noël de l'empire allemand,
œuvre de M. Karl Proll. Les réunions publiques. Causes premières de
leur succès. La littérature prussophile, son origine. Inefficacité des ten-
tatives de répression. Les cartes postales illustrées, leur rôle, les collec-
tions de l'Odin Verein. Le mouvement Los von Rom : sa raison d'être,
action du groupe Schonerer. Son échec au point de vue religieux, son
succès au point de vue politique. Caractère véritable et portée du mou-
vement, p. 113. — § 2. La tactique : à l'égard des socialistes, des agri-
culteurs, des commerçants et des industriels. L'intransigeance des Prus-
sophiles est calculée et croissante, p. 120.
III. LES RÉSULTATS DE LA CAMPAGNE, p. 125. — § 1. Les conséquences
certaines : tension momentanée des rapports entre Vieune et Berlin.
Établissement en Autriche d'une organisation pangermaniste. Aggravation
des luttes nationales. Action de la campagne prussophile sur l'armée, les
fonctionnaires, la jeunesse. Progrès des idées prussophiles. Décroissance
des sentiments loyalistes. Les troubles d'août 1899, leur importance
réelle, 125. — § 2. Les forces pangermanistes en Cisleithanie : répartition
géographique. Évaluation numérique, p. 139.
IV. GRAVITÉ DE LA SITUATION PRÉSENTE, p. 141. — § 1. Forme du danger
_
actuel : minorité audacieuse et majorité passive. L'illusion du nombre et
la tâche des agences télégraphiques, p. 141. —§2. Prévisions d'avenir :
justesse des vues de Rieger. Le mouvement fédéraliste chez les Allemands
d'Autriche peut être momentanément enrayé. Le parti autrichien et sa
hase nécessaire. Les élections de 1900-1901. Leur importance euro-
péenne. La main étrangère, p. 141.

CHAPITRE IV
L'AUTRICHE, LA HONGRIE ET LE NOUVEL ETAT DE CHOSES

I. L'AUTRICHE A-T-ELLE INTÉRÊT A ADMETTRE, SOUS UNE FORME QUELCONQUE,


UNE APPLICATION DU PANGERMAMSME? p. 147. — § 1. Les peuples slaves : -
quelles raisons ont-ils d'être fédéralistes? Ces raisons sont-ellesfonda-
mentales et permanentes? Sont-ils Panslavistes ? Peut-on les considérer
comme sincèrement autrichiens? p. 147. — § 2. Les Allemands d'Au-
triche : l'Allemand de Vienne et l'Allemand de Berlin. Influence de la
répartition géographique des races. Le loyalisme. La pairie autrichienne,
p. 157. — §3. Les Habsbourg ont-ils intérêt à se rapprocher des Hohen-
zollern ? Les enseignements de l'histoire. Le. rôle futur du souverain
autrichien, p. 160. — § 4. L'Autriche a-t-elle un avantage économique
certain à entrer dans le Zollverein allemand? État actuel du commerce
autrichien. Ses causes et les nécessités qui en découlent. Avantages et
inconvénients qu'aurait pour l'Autriche son entrée dans l'Union. doua-
nière allemande, p. 162.
II. QUELLE PEUT ÊTRE I/ATTITUDE DE LA HONGRIE EN PRÉSENCE DU MOUVEMENT
FÉDÉRALISTE ET DE LA POUSSÉE PANGERMANISTE EN ClSLEITHANlE ? p. 170.
§ 1. L'ancienne politique hongroise : sa raison d'être. Son insuffisance
-S
actuelle, p. 170. 2. Le projet de Hongrie indépendante : la thèse de

magyars? p. 172. -
M. Kossuth. Sa portée européenne. Est-elle conforme aux intérêts
§3. Le Zollverein de l'Europe centrale et les Hon-
crois. Serait-il de nature à favoriser l'essor économique magyar, p. 177.
§ 4. Eventualités qui résulteraient pour la Hongrie d'une main-mise
-=—
de l'Allemagne sur la Cisleithanie : les nouveaux contacts et leurs dan-
gers, p. 181. — § 5 Les vues des Pangermanistes sur la Hongrie : théories,
faits, prévisions, p. 182. — § 6. Les nouvelles tendances en Hongrie : le
courant d'opinion antiallemand. Les Magyars tendent à admettre l'éta-
blissement du « fédéralisme » en Cisleithanie, p. 189.

CHAPITRE V

LE MOUVEMENT PANGERMANISTE bANS L'EMPIRE ALLEMAND

I. L'OPINION PUBLIQUE, p. 196. — § 1. Comment on l'a travaillée : les


Sociétés. L'Alldeutscher Verband pose la question d'Autriche devant les
Allemands de l'empire. L'Odin- Verein. Le Gustav-Adolf-Verein. L'Evan
(jelischer Bnnd. 1/AUgemeinrr Deulscher Sprachverein. L'Aligemei:)f?J
Schulverein. Quelques autres sociétés pangermanistes. La presse : jour-
naux, i,(,vties, agences télégraphiques. Les personnalités influentes : le
groupe ,'anw.rmaniste au Reichstag. Les pasteurs évangélistes. M. von
Stolberg-Wernigerode. Mgr Ropp. Mommsen. Le colonel de Bernliarili.
Le génér.d von der Goltz. Vue d'ensemble de l'organisation pangerma-
niste, p. 196. — § 2. Les résultats de la propagande : les professeurs, la
jeunesse et la Grande-Allemagne. Progression rapide des idées pangcrma-
nistes. La folie pangermanisme. Etat actuel de l'opinion, p. 221.
I!. LE GOUVERNEMENT DG; BERLIN, p. 243. — § 1. Facilités accordées a la
campagne pangermanisle : la bienveillance des autorités. Les événements
de Chine déterminent momentanément une nouvelle tactique. Faits indi-
quint le retour aux premières tendances, p. 243. — § 2. Propagation offi-
ciel t e de l'idée de la Grande-AHemagne : le Manuel de Géographie dfl
MM. Ili-&Lst et Herdrow, p. 247. —§3. Le consul allemand à Prague : car-
rière et succès, p. 251. — § 4. Guillaume II et la Pangermanie : indices
révélateurs et paroles à retenir, p. 253.—§5. La question d'argent : qui a
fourni les subsides nécessaires à la campagne pangermaniste? p. 261. —
6. Les nouvelles mesures militaires : armement, fortifications, loi mili-
taire du 25 mars 1899. Signification générale, p. 262. — § 7. La politique
extérieure de Guillaume II : à l'égard de l'Autriche, de l'Angleterre, de
la France et de la Russie. Tendances de l'ensemble, p. 271. — § 8. Le
disciple de
nouveau chancelier de l'empire allemand : M. de Bülow,
Bismarck, p. 277.

CHAPITRE VI
COMMENT PEUT SE POSER LA QUESTION D'AUTRICHE

I. DANS ;,A PAIX, p. 283. — § 1. Par la continuation de la propagande pan-


germaniste : son objectif est la destruction totale du loyalisme autrichien,
283. § 2. Par une action politique pins intense exercée à Vienne
p —
à la faveur des événements qui suivront l'ouverture de la succession d Au-
triche : les successeurs éventuels de François-Joseph. Les incertitudes
prolongées, p. 283. — § 3. Par application du procédé de la Sonderstel-
lung, c'est-à-dire par l'exclusion de la Galicie, de la Bukovine et de la
Dalinatie de la Cisleithanie : conséquences qui en résulteraient, p. 286
^ 4. — Par l'adoption de mesures économiques successives tendant
à
faciliter l'entrée de l'Autriche dans le Zollverein allemand : unification
de tarifs, exécution des canaux de l'Elbe et de l'Oder au Danube, etc.,
p. 287.
DANS LA GUERRE, p. 288. — § 1. Cas de la succession d'Autriche :
Il. _ cette hypothèse. Ses phases de réalisation, p. 289. — § 2.
ce que suppose
Cas de l' « occasion unique « résultant de circonstances concordantes : 1....
déchéance militaire de la France, guerre franco-anglaise, accord Cham-
berlain-Guillaume II, suites continentales d'événements extérieurs à
l'Europe. Action personnelle de Guillaume II dans cette hypothèse
291. Ç 3. Des possibilités techniques
d'exécution les préparatifs mili-
p. :

taires allemands. La Bohème au point de vue stratégique. L 'arniéç autri- -


chienne. Calcul des probabilités. Les pouvoirs militaires de l'empereur
Guillaume. L'état d'esprit du peuple allemand rend-il possible une
brusque mobilisation? p. 305 — § 4. La puissance des faits accomplis :
l'Europe après les jours décisifs, p. 318.
III. DE LA NÉCESSITÉ DE PRÉVOIR LES DIVERSES HYPOTHÈSES, p. 319. — § 1.
Les signes précurseurs y invitent : l'exemple de 1870, p. 319. — §2. Le
principe fondamental de la politique étrangère le commande : la « pré-
,
voyance , base de la méthode politique des Allemands, a causé leur
succès, p. 320.

CHAPITRE VII
CE QUE SERAIT L'ALLKMAGNE AGRANDIE DE L'AUTRICHE

I LE NOUVEAU TERRITOIRE,p. 323. — § 1. Ses dimensions : superficie et


distance à vol d'oiseau du nord au sud, p. 323. — § 2. Ses populations :
éléments constitutifs, p. 323. — §3. Inconvénients que présenteraient les
nouvelles acquisitions au point de vue allemand : les Slaves et les catho-
liques, p. 323.
II. LES CONSÉQUENCES DE L'EXTENSION, p. 326. — § 1. Militaires : évalua-
tion des forces dont disposerait la Confédération (flotte et armée), p. 327.
— § 2. Économiques : moindre dépendance de l'Allemagne de l'étranger
pour les produits de consommation. Amélioration de l'outillage national
de l'empire allemand, p. 329. — § 3. Politiques : l'Allemagne puissance
méditerranéenne. Ce qu'est déjà l'Allemagne dans les Balkans, en Tur-
quie et en Extrême-Orient. Ce que pourrait être la radiation balkanique,
orientale, extrême-orientale et pangermaniste de la Confédération. L'im-
portance réelle de la question d'Autriche, p. 330.

CHAPITRE VIII
L'INTÉGRITÉ DE L'AUTRICHE ET LES PUISSANCES

1. ËI ATS NE POUVANT QU'ACCÉDER A UNE COALITION CONTRE L'AUTRICHE OU


p. 355. — § 1. La Turquie : L'empire ottoman et le Pan-
EN SA FAVEUR,
germanisme. La Sublime-Porte pourra-t-elle revenir à sa politique tradi-
tionnelle? p. 355. — § 2. La Bulgarie : Les intérêts généraux. L'Alle-
mand politiquement et sentimentalement ennemi des Bulgares. L'in-
fluence russe à Sofia, p. 356. — § 3. La Serbie : Le peuple et les
Ohrenovitch. Les Serbes et les Slaves d'Autriche. L'action du roi
Alexandre, p. 357. — § 4. La Roumanie : Intérêts essentiels qui l'atti-
rent vers Berlin. Pouquoi elle ne peut que souhaiter le démembrement
de l'Aut,'iche-Hongrie, p. 360. — § 5. L'Italie : La Maison de Savoie et
les Italiens. Trieste allemand. Y a-t-il des compensations possibles? Quel-
ques mesures récemment prises par le gouvernement du Quirinal, p. 362.
— § 6. Les Etats-Unis d'Amérique : Caractère des relations de Uniun t
a ver. l'Allemagne. En quoi la création du grand ZoUverein de l'Europe
centrale intéresse directement et à un haut degré les Etats-Unis, p 365.
H. L'-ÏVTS SUSCEPTIBLES D'ASSURER LE RESPECT DE L'INTÉGRITÉ DE L'AUTRICHE,
p. 369. —§ 1. L'Angleterre : Les rapports anglo-allemands. L'Angle-
terre peut-elle laisser l'Allemagne s'étendre jusqu'à Trieste? Pourquoi on
' ne saurait conclure, p. 369. — § 2. La Russie : La Russie a-t-elle intérêt
à participer au partage de l'Autriche ? Raisons de nature à déterminer le
gouvernement de Pétersbourg à vouloir résolument l'indépendance de
l'Autriche, 374. — § 3. La France : La question d'Autriche renferme-
t-elle les éléments d'une transaction sur la question d'Alsace-Lori-aine?
Triple caractère politique, économique et social de la question d'Autri-
che au point de vue français. Quelques opinions autorisées, p. 384.

CONCLUSION, p. 399.
Remarques relatives à la carte de - l'Autriche vraie », p. 427. '

TABLE ALPHABÉTIQUE ET ANALYTIQUE DES PRINCIPAUX NOMS DE PERSONNES ET


DOCUMENTS, p. 429.

CARTES
Les partis nationaux en Autriche, d'après leur représentation au
Beichsrath de Vienne 54
Répartition géographique des partisans et des adversaires du " fédé-
ralisme » en Autriche 54
Les agrandissements successifs du Zollverein 78
La grande confédération germanique et l'Europe centrale en 1950.. 100
Le morcellement de l'Autriche d'après les Pangermanistes 102
Les Petits-Russiens ou Ruthènes et l'empire des Tsars 154
Les colonies allemandes en Hongrie 187
Les nouvelles fortifications allemandes 267
Les grands territoires économiques 298
Royaume de Bohême 307
Ce que serait l'Allemagne agrandie de l'Autriche 353
La Roumanie irredenta
L'Autriche officielle
...................................... 361
427
L'Autriche vraie ............................................. 427

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