Psychologie de L Argent G. Simmel
Psychologie de L Argent G. Simmel
Psychologie de L Argent G. Simmel
Nous présentons ici un compte-rendu de lecture d’un petit ouvrage publié aux
éditions Allia (2019, 80 pages, 6 €). Il contient 2 textes de Georg Simmel : « Psychologie
de l’argent » et « L’argent dans la culture moderne ». Ces 2 textes datent
respectivement de 1889 et 1896, c’est-à-dire qu’ils précèdent la publication du gros
volume intitulé « L’argent », paru en 1900. Il s’agit de textes très courts, d’une grande
fluidité, ce dont nous remercions leur traducteur Alain Deneault.
Cette approche téléologique peut s’appliquer à tout objet puisque les fins et les
moyens peuvent apparaître en tous domaines. Relative à l’argent, elle définit la fin
comme la volonté d’avoir quelque chose, un quelconque objet en possession de
quelqu’un d’autre. Cette appropriation nécessite un échange, mais cet échange est
difficile tant que l’argent n’intervient pas. L’argent en tant que moyen. Moyen de
faciliter l’échange. Moyen qui aussitôt devient une fin car les moyens ont cette tendance
à occuper pleinement notre conscience. A cela s’ajoute le fait que l’argent n’est pas un
moyen comme les autres. C’est un « super-moyen ». Un moyen commun à de très
nombreuses chaînes téléologiques ayant pour fin l’appropriation d’objets. Sa tendance
à devenir une fin en soi est donc beaucoup plus forte, à tel point que la valeur
s’autonomise en lui au détriment de l’objet. Puisque tout peut s’échanger par son
intermédiaire, tout se ramène à lui. C’est ainsi que les qualités propres à chaque objet
tendent à s’estomper à travers leur équivalence en argent. C’est désormais le règne de
la quantité
Le blasé est celui qui, toute sa vie durant, adhère pleinement à l’argent comme
fin en soi et l’accumule sans commune mesure. Or cet argent n’est qu’un moyen. Il ne
peut rien satisfaire en tant que fin en soi. Le blasé finit par rencontrer un sentiment de
vacuité devant l’équivalence de tant d’objets. Il finit sa vie dans la dernière phase, au
cœur de l’ennui, de la mélancolie.
Il est assez facile, et même ludique, de positionner certains types sur la chaîne
téléologique. Le prodigue s’absorbe entièrement dans la deuxième phase en déplaçant
la jouissance dans l’acte de dépenser. Le cynique se situe lui aussi sur la deuxième phase
et jouit de ramener les valeurs les plus hautes au niveau des plus viles, valeurs dont
l’argent permet en quelque sorte l’équivalence par le biais de l’échange. Le sobre
déploie son énergie à refuser la chaîne dans son ensemble.
Pour conclure sur ce point, notons que Georg Simmel concentre son attention
sur les types engendrés par le sentiment de l’équivalence de toutes choses. Ce sont les
types du cynique et du blasé, caractères propres à la modernité, à la vie urbaine et
désenchantée. Cette psychologie de la modernité se retrouvera dans d’autres thèmes
de son œuvre : la ville, la mode, la recherche de jouissances plus fortes, voire illicites,
dans l’anonymat des grandes métropoles.
L’analogie entre l’argent et Dieu est des plus banales. Georg Simmel la reprend à
son compte et l’explique par la ressemblance psychologique de leurs représentations
respectives. En effet, « L’idée de Dieu a son essence profonde en ce que toutes les
diversités du monde trouvent en lui leur unité ». Toutes les choses sont en lui, même les
plus contradictoires. Il en va de même pour l’argent puisqu’il permet de posséder à peu
près tout et n’importe quoi.
De par leur aptitude à tout contenir en eux, l’argent et Dieu semblent s’élever
au-dessus du particulier qui caractérise toutes les choses. Ils semblent contenir et
dominer toutes ces choses : « Tout autant que Dieu sous la forme de la croyance,
l’argent est sous la forme du concret l’abstraction la plus élevée à laquelle se soit hissée
la raison pratique. » Cette abstraction tend à s’élever au plus haut des cieux, bien au-
dessus de la vie matérielle.
Enfin, l’auteur convoque le christianisme et l’avènement d’une disposition
permanente de l’âme à la présence de Dieu. Il souligne le fait que cette disposition est
tout aussi constante concernant l’argent.
4 / Changeons de paradigmes !
Toutes ces pathologies relevées par Georg Simmel sont encore à l’œuvre
aujourd’hui, et même plus encore si nous considérons l’évolution de la création
monétaire durant le 20ème siècle, notamment la fin des accords de Bretton Woods en
1971. Depuis cette époque, la planche à billets ne connait plus aucune limite ! La masse
monétaire en circulation est sans commune mesure avec la valeur que nous produisons
par notre travail. Certes, cette immense masse de monnaie circule en dehors de
l’économie réelle, mais elle vient s’y renflouer dès qu’une bulle éclate. Le premier
paradigme à changer consiste donc à interdire la spéculation car la masse monétaire en
circulation doit toujours correspondre à la somme des valeurs que nous produisons.
Ce point est de première urgence. Il répond précisément à l’un des slogans diffusé par
notre association : seul le travail produit de la valeur.
Nous percevons d’emblée que les types de l’avare et du sobre procèdent de ces
2 qualités de la monnaie capitaliste. Le blasé, le cynique et le prodigue procèdent
uniquement de la seconde.
Le mode de création monétaire qu’il nous faut instituer devra donc changer ces
2 paradigmes et créer une monnaie dont personne ne peut jamais manquer et qui ne
peut pas s’accumuler. C’est ainsi que les types de Georg Simmel révèleront leur
caractère pathologique et pourront enfin disparaître.
Le droit politique au salaire (ou « salaire à vie ») défendu par notre association
est un paradigme propre à effacer la peur de manquer. Quel que soit notre parcours
dans la production, nous percevons chaque mois notre salaire.
5 / Changeons de philosophie !
Et Dieu dans tout ça ? N’est-il pas le grand générateur de ces pathologies ? A bien
y réfléchir, l’annonce de sa mort est prématurée. Il perdure encore sous la forme
grossière de l’accumulation du capital. Ce Dieu-profit domine le monde et refuse toute
limite. Il s’élève toujours plus haut vers les cieux délétères de la toute-puissance. Le cas
singulier des traders en est la figure la plus explicite. Son caractère pathologique est
manifeste. Le trading haute fréquence est le dernier avatar du deus ex machina. C’est le
Prométhée moderne. Il est grand temps de le débrancher !
Nous pensons avec Marx que l’Histoire a un sens et que la fin recherchée, sans
cesse plus élevée, est l’épanouissement optimal de toutes les personnes.
7bre 2020
Xavier Morin