Argent Et Temps

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Argent et temps

Historiquement, la monnaie possède trois fonctions répertoriées dans les manuels d’économie: d’abord
unité de mesure de la valeur des produits voués à l’échange et ensuite moyen de paiement lors des
échanges. Par ces deux fonctions la monnaie n’est pas liée au temps.
La monnaie s’est vue conférer ensuite une troisième fonction de réserve de valeur : entre deux
échanges qui ont lieu à des moments différents la monnaie garde sa valeur. Un producteur qui reçoit
une quantité de monnaie lors de la vente de sa marchandise, va pouvoir garder cet argent et l’utiliser à
un moment ultérieur pour acheter un produit qui n’était pas disponible au moment ou le premier
échange à eu lieu (par exemple des habits). De cette manière il devient possible de différer dans le
temps les échanges.
Par cette fonction de réserve de valeur, la monnaie se lie au temps.
Nos économies modernes ont vécu des périodes ou les prix des produits sont restés stables alternées à
des périodes de forte hausse des prix.
Si nous nous plaçons dans le premier cas la monnaie garde donc sa valeur dans le temps. Elle devient
alors un concurrent déloyal par rapport aux marchandises qui perdent leur valeur dans le temps, car
elles se dégradent. La monnaie se soustrait ainsi à la loi du temps en vertu de laquelle toute matière et
tout être vieilli. C’est comme si une aspiration de vie éternelle dans ce monde soumis à la mort la
caractérisait alors. Dans ce sens elle concentre, en la détournant l’aspiration de tout être humain vers
une vie éternelle, qui ne peut-être que spirituelle. Elle le rassure en lui donnant l’illusion de l’existence
de quelque chose d’éternel de nature matérielle, en lui épargnant la quête de son propre être spirituel.
Cette tentation est à la base du refus d’accepter la perte de valeur de la monnaie, correspondant à la
perte de valeur (réelle) des marchandises.
Ainsi les conditions sont créées pour que chacun se demande si l’argent est pour lui un moyen ou un
but en soi.
Par sa fonction de réserve de valeur, la monnaie permet une appropriation du temps par celui qui la
possède et qui peut donc la prêter. « Au Moyen Age celui qui prêtait était vu comme un vendeur de
temps. Le temps était quelque chose qui ne lui appartenait pas mais appartenait à Dieu. Car c’était
attribuer à l’argent un pouvoir sur le temps qui n’appartenait qu’à Dieu »1. Le temps, dimension de la
vie humaine était ressenti à l’époque comme sacré.
Plus récemment, le fameux « time is money » de l’homme d’affaire parle de transformer le temps en
argent. L’esprit d’une époque se traduit dans cette phrase. Notre conscience et donc notre lien au
temps a changé. Pas de sacralité mais de la rentabilité. L’avoir et non pas l’être.
L’intérêt et donc l’argent qui se multiplie selon la loi des intérêts composés ou simples, s’auto-créent
dans le temps. L’argent a été laissé acquérir un pouvoir sur le temps.
Est-ce que la vie, qui a besoin de temps, de rythmes pour se déployer peut encore être respectée si le
temps est transformé en argent ? Qu’est ce qui va empêcher que tout notre temps soit aspiré dans ce
processus? Quel lien existe entre l’argent, la survie et la vie ?
Dorénavant nous avons le choix d’utiliser l’ingrédient principal de notre devenir qui est le temps, pour
« avoir de l’argent » ou pour « devenir nous-mêmes ». Si dans le capitalisme des débuts, faire de
l’argent permettait de se construire soi-même, et a été même un critère de réussite sociale dans les
pays anglo-saxons, aujourd’hui « faire de l’argent » devient l’opposé du « devenir soi-même ».
Transformer le temps en argent a comme conséquence le basculement de l’être vers l’avoir.

Aujourd’hui « la finance veille à ce que les seuls choix et les seules décisions possibles soient ceux,
de la tautologie de l’argent qui génère de l’argent, de la production pour la production. Alors que,
dans les sociétés industrielles, subsistait encore un temps ouvert – sous la forme du progrès ou sous
celle de la révolution - aujourd’hui, l’avenir et ses possibles, écrasés, sous les sommes faramineuses
mobilisées par la finance, et destinées à reproduire les rapports de pouvoir capitaliste, semblent

1
Jacques Legoff : La bourse et la vie Économie et religion au Moyen Âge. Hachette 1986, p.42.

1
bloqués; car la dette neutralise le temps, le temps comme création de nouvelles possibilités, c’est-à-
dire la matière première de tout changement politique, social ou esthétique. » 2.
Est-ce que l’argent peut-être « dompté » pour servir la vie et l’humanité ?

Intérêts et conscience des liens


L’apparition de l'intérêt accompagne la rupture des liens humains et le phénomène d’individualisation.
L'intérêt s’interpose entre êtres humains, en supprimant l’obligation (morale) de réciprocité qui
existait de tous temps.
Le préteur ne pense plus qu’il a besoin de l’emprunteur mais il pense qu’il augmente sa fortune grâce à
son propre argent. Le service rendu est devenu une marchandise. Il se crée un rapport de force entre
propriétaires et non-propriétaires du capital. Comment en sortir ? Le domaine juridique pourrait
intervenir pour équilibrer ce rapport en infligeant des contraintes au prêteur. Parfois le prêteur rejoint
de lui-même ce point de vue juridique dans lequel l’égalité prévaut (c’est-à-dire qu’il s’élève au-
dessus de ses propres intérêts) en trouvant un accord avec l’emprunteur.
Cette capacité à dialoguer tout en dépassant ces propres intérêts, en élargissant son égoïsme et en
s’intéressant sincèrement à l’autre induit en plus du lien économique ou financier un nouveau lien,
humain. Cette volonté de création de ce lien humain devrait laisser la place à une économie
« associative » (ou « associante ») aux dépends d’une économie concurrentielle.
Exemple : fin 2011, l’Allemagne a enregistré un excédent commercial important3. On remarque que des
pays du sud de l’Europe se sont fortement endettés pour acheter ses produits. Pourtant l’Allemagne
demande à ces pays de mettre en place des mesures de restriction budgétaire qui entraîneront une
baisse d’achat des produits allemands. Les décideurs allemands vont s’ériger en donneurs de leçon vis-
à-vis de leurs propres acheteurs étrangers.
Nous avons ici un exemple d’absence de conscience entre acheteurs et vendeurs. Pour s’en sortir, il
sera nécessaire que les dirigeants allemands prennent conscience qu’ils ont réalisé ces excédents en
partie grâce à ces pays du sud.
L’individualisme, si nécessaire pour prendre conscience d’une réalité, doit laisser la place à la volonté
de créer du lien, à la volonté de mettre en évidence, en conscience, tous les liens qui existent déjà et
qui constituent notre vie, sans lesquels nous ne pouvons pas être ce que nous sommes aujourd’hui.
Une économie gouvernée par la concertation est appelé à prendre la place de notre économie
gouvernée par la concurrence.

Intérêts et remise de dette


Quand je suis offensé par une personne, j’aurais instinctivement tendance à lui en vouloir.
Si chacun pense à se venger, l’escalade des offenses se développera dans un cercle vicieux. La seule
façon de sortir de cette impasse est de pardonner et ainsi dépasser la loi du Talion.
Le pardon devient le geste créateur permettant que quelque chose de nouveau puisse émerger et
qu’une nouvelle réalité devienne possible.

La nature de l’argent est d’être liquide, c'est-à-dire de circuler aisément.


Si on regarde la société humaine comme un corps social, l’argent est là pour irriguer ce corps social qui
est un corps vivant. Dans ce sens, l’argent est un bien commun. Il doit pouvoir circuler de façon à
permettre à chaque organe de se nourrir.
Si quelqu’un s’approprie une part du bien commun supérieure à ses besoins, il ne peut le faire qu’au
détriment des autres, en s’appropriant les biens indispensables à leur survie. Il offense la collectivité
Le lien humain avec celle-ci est brisé et devient rapport de force.

2
Le monde diplomatique, février 2012
3
En 2011, les exportations s’ élèvent à EUR 1 060 milliards (soit + 11,4 % par rapport à 2010). L’Allemagne
devient
alors le 2e exportateur mondial, derrière la Chine mais devant les États-Unis. Les importations ont dépassé le record
de
2008 et montent à EUR 902 milliards.

2
S’il décide de mettre son argent à disposition de la collectivité en demandant à celle-ci de lui payer ce
service par des intérêts, il amplifiera son offense. Plus il demande d’intérêts, plus son offense grandit:
d’une façon exponentielle selon la loi des intérêts composés 4 M = M0 (1 + i)n qui est à la base de
notre système financier. .
En temps de forte croissance économique, la collectivité voit quand même sa richesse augmenter,
même si un écart important la sépare du riche qui « aspire » l’argent.
Si l’inflation est nulle ou très petite, à partir d’un certain moment l’écart entre celui qui aspire l’argent
grâce aux intérêts et la collectivité deviendra insoutenable pour la collectivité.
En temps de décroissance la situation devient explosive. La meilleure illustration est la situation des
pays d’Afrique et de la Grèce actuellement.
Les intérêts tels que pratiqués aujourd’hui (loi des intérêts composés) portent en eux de façon
objective un cercle vicieux qui a comme conséquence l’enrichissement excessif de certains et
l’appauvrissement excessif de la collectivité. Elle accentue le déséquilibre, créant ainsi une forte
instabilité et par conséquent des tensions sociales.
Si celui qui offense la collectivité en revendiquant une certaine somme d’argent comme sa propriété,
décide de casser ce cercle vicieux, alors il va transformer le cercle vicieux en cercle vertueux en
transposant socialement le geste intérieur contenu dans la prière « Remets-nous nos dettes comme
nous remettons à nos débiteurs » ou « Pardonnes nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à
ceux qui nous ont offensé ». Car il comprend que son offense ne peut-être pardonnée que si lui-même
pardonne les offenses des autres ou, autrement dit, si lui-même accepte de remettre les dettes des
autres envers lui. Pour agir dans ce sens, il donnera son argent sans rien attendre en échange, au lieu
de le prêter avec intérêts. De cette façon, il entame le début de la guérison sociale. Les blessures
engendrées dans l’organisme social sont guéries, car le lien avec la communauté est recréé. L’argent
peut mieux irriguer l’organisme social. Donner c’est casser le pouvoir que, au préalable, l’argent
exercait sur le temps. C’est soustraire le temps de l’emprise du pouvoir de l’argent.
Par le geste du don, l’argent meurt pour son détenteur, et nait pour un autre. Celui qui fait un don, va
privilégier l’être sur l’avoir pas seulement pour lui mais pour la communauté, l’argent étant ainsi
porteur de la force de l’être triomphant sur l’avoir. L’avoir est ainsi mis au service de l’être.
Mettre l’avoir au service de lui-même le sépare de la communauté alors que le mettre au service de
l’être le relie.
Au final, même si le détenteur de l’argent (le créancier) refuse d’effectuer des remises de dette, tôt ou
tard ces dettes ne pourraient être remboursées. Le créancier a le choix d’accepter cette remise ou de
profiter des rapports de force en sa faveur en tant que créancier.
Ainsi, pour quelqu’un qui aura tendance à posséder plus d’argent qu’il n’en a besoin, il existe deux
directions diamétralement opposées: faire un prêt avec intérêt, ou faire un don dépourvu de tout
intérêt, avec comme seul interêt l’intérêt pour l’autre!. Entre les deux, il existe le prêt sans intérêt, le
prêt avec intérêt négatif, le don de petites sommes.

Quelques voies de guérison


Dans le cadre du paragraphe précédent nous nous sommes placés dans l’hypothèse d’’un créancier qui
prête son argent en demandant des intérêts et que l’autorité émettrice de monnaie fournit cette monnaie
à des taux positifs. En nous plaçant au-delà de ces suppositions, est-ce que à part le don existe-t-il
d’autres moyens de guérison?
Supposons maintenant une situation d’inflation aussi importante voire supérieure à la dégradation des
marchandises. L’argent ne se retrouve plus favorisé par rapport aux marchandises. On voudra s’en
défaire aussi vite ou plus vite qu’on ne se défait de certaines marchandises. Ainsi la tentation de
vouloir posséder l’argent sera moindre.

4
avec M0 = montant prêté initialement, à un taux d’intérêts i, pour un nombre d’années n, et M =
montant total
que le préteur reçoit.

3
Si on laisse s’installer une inflation modérée (bien que cette notion soit devenue relativement impopulaire),
elle aura comme conséquence qu’à terme ceux qui ont de l’argent en auront moins, alors que ceux qui
n’en ont pas mais qui travaillent verront leurs situation se rééquilibrer par rapport aux riches.
L’inflation agira comme une ponction sur la fortune des riches ou sur l’épargne des ménages en jouant
un rôle de redistribution de l’argent dans le temps alors qu’un impôt effectuerait une redistribution rapide.
Ainsi l’inflation maitrisée agirait de manière non consciente vers la guérison de notre société en
diminuant la valeur de l’argent.

Comme nous avons évoqué, il existe déjà la possibilité d’agir individuellement de façon consciente
pour la guérison de notre société. Une solution consiste - dans un système à taux d’intérêts positifs et à
intérêts composés - à faire des dons et en même temps à garder pour soi le strict nécessaire ; cette
solution devrait aller de pair avec la résolution du problème des prix, prix qui devra être issu
uniquement de concertations économiques entre producteurs, distributeurs et consommateurs
(« économie associante »). Aujourd’hui, les prix ont un caractère sauvage, de par les actions de
prédation des capitaux spéculatifs qui « s’adossent » aux marchandises, perturbant ainsi
l’établissement de leur prix.

Une autre solution consisterait à avoir une monnaie qui perd de sa valeur (dite « fondante »), ou une
deuxième monnaie, complémentaire à l’euro, et qui elle perdrait de sa valeur si l’euro n’en perdait pas.
Développons maintenant un peu ces points.
Aujourd’hui, une somme placée en banque rapporte environ 2% par an (taux fixé par la banque, appelé
taux nominal). Si l’inflation est par exemple de 2,7% par an on peut dire que l’on perd environ 2 % -
2,7% = 0,7% par an. Le taux ainsi obtenu s’appelle taux réel. On remarque que si l’inflation est très
faible le taux réel est presque identique au taux nominal, alors que si l’inflation est très importante le
taux réel est très inférieur. Dans notre exemple le taux nominal est positif (2%) et le taux réel est
négatif (-0,7%).
Supposons maintenant que la monnaie placée en banque ne rapporte pas 2% mais qu’elle coûte 1%.
Pour un placement de 100 on ne récupèrerait au bout d’un an que 99. Si on tient compte de l’inflation
constatée de 2,7%, on perdra environ 3,7% de la somme. Cette situation va placer la monnaie dans une
toute autre relation avec la marchandise que dans le cas précédent.
Cette monnaie qui perd sa valeur à cause d’un taux d’intérêts négatif décidé par l’autorité émettrice de
monnaie et non pas du fait de l’inflation s’appelle monnaie fondante. Certaines des monnaies
complémentaires qui sont émises par des associations et qui existent dans le monde sont fondantes. A
ma connaissance aucune monnaie émise par une banque centrale n’est émise à ce jour à taux négatif.
On peut, par contre, remarquer que les taux des monnaies émises par les banques centrales des pays
industrialisés se rapprochent en ce moment de 0.
La différence entre la perte de la valeur de la monnaie par inflation et la perte de valeur de la monnaie
par la loi des intérêts composés, mais négatifs, (monnaie fondante) est la suivante : le taux d’intérêt est
directement maîtrisable par celui qui octroie le prêt et il est fixé avant que le prêt ne soit entériné, alors
que l’inflation est mesurée après coup sur une certaine période et pour une monnaie donnée, donc sur
un très large périmètre. Des mesures peuvent être prises pour réduire ou augmenter l’inflation, mais
avec des effets qui ne seront connus que dans le futur.

Existe-t-il aujourd’hui des taux nominaux négatifs ?


A ce jour, certains taux nominaux sont à 0% ou sont négatifs. Par exemple, pour se financer, certains
pays non seulement ne paient pas, mais leurs investisseurs paient pour acheter leur dette. On a pu ainsi
avoir des taux négatifs sur la dette à court terme hollandaise, suisse, etc.
Exemple : en septembre 2011, la Suisse a reçu (et non pas payé!) un taux de 1% pour son emprunt à 6
mois (les investisseurs achètent des titres pour 100 et au bout de 6 mois l’état Suisse leur rembourse
99). En janvier 2012, l’Allemagne a reçu 0,0122% pour des taux d’intérêts à 6 mois. Explication : les
placements étant de moins en moins sûrs, et les taux formés en fonction de l’offre et de la demande
beaucoup d’investisseurs ayant peur de perdre beaucoup plus que 1% ou 2%, ont donc accepté de

4
perdre, dans le cas de l’Allemagne 0,0122% et dans le cas de la Suisse 1%.Il est donc intéressant que
cette situation puisse apparaître maintenant. Depuis juillet certains bon du trésor français (dette de
l’état français) sont placés à des taux légèrement négatifs. Comment expliquer le comportement des
investisseurs? Alors qu’ils risquent de perdre beaucoup plus ils préfèrent donc la sécurité en
transférant les capitaux auparavant investis dans des placements jugés risqués vers des placements
jugés moins risqués qui sont la dette de quelques états européens.

Dette et futur
La capacité de remboursement d’une dette dépend du développement de l’activité et de la croissance
futures. Ce futur est supposé apporter suffisamment de revenus pour pouvoir rembourser cette dette.
Or la finance centrée sur le court terme néglige le futur à long terme.
Si nous nous plaçons dans les années 80-90 et nous regardons vers 2010-2012, alors cette dernière
époque était un futur à long terme. Nous vivons aujourd’hui ce futur à long terme auquel on a refusé
de penser lors des décisions importantes des années 80-90. Les fonctionnements mis en place pendant
ces années, imprégnés des pensées à court terme, incapables de saisir leurs propres conséquences à
long terme, nous font ressentir fortement que rien ne peut continuer comme c’est aujourd’hui.
La crise actuelle peut être vue comme une impossibilité ou un refus de notre société de penser
sérieusement son futur et de le construire. Elle nous interpelle sur des choix de société que nous
devons faire en toute conscience : formuler ce que nous souhaitons devenir, vers quelle « image de
l’homme » nous voulons aller. Elle nous invite ainsi à continuer de créer et à organiser les secteurs de
l’enseignement, de l’éducation, de la recherche, de la culture, de la santé- secteurs dans lesquels la
liberté de penser ainsi que la possibilité de faire des choix sont fondamentales-, de manière à les rendre
libres de toute pression de lobby ou de tout intérêt économique, financier, politique.
La vitesse grandissante de notre époque, la hâte à gagner de l’argent ont précipité le futur dans le
présent, court-circuitant les moments nécessaires à une construction harmonieuse.

Comme une ancienne maison dont les tuyaux commencent à se percer, notre vieux système actuel
colmate ses dysfonctionnements, qui ne tardent pas à ressortir à d’autres endroits.
Dorénavant, il sera nécessaire de construire un nouveau système, mais cette construction risque de se
faire dans un contexte difficile, et d’urgence, non propice aux réflexions de fond.

Derrière la crise … le nouveau ?


La crise peut-être vue aussi comme le retour ou l’irruption de la réalité dans un monde d’illusion,
caractérisé par la toute-puissance de l’argent, acceptée si largement et sans révolte par notre société.
Elle est la crise d’un mode de pensée « court-termiste », matérialiste, voire dogmatique qui ne suit, ne
comprend et ne peut engendrer la vie. Cette pensée engendre donc de l’inhumain. Dans ce sens la crise
a d’abord une origine épistémologique :
« La force de cette idée d’efficience du marché est considérable. Il est assez rare de voir un corps de
doctrines aussi fortement constitué se tromper de manière si radicale dans sa globalité. Là, il y a un
problème pour les épistémologues, pour tous ceux qui s'intéressent à la pensée. »5 ou bien
« La crise a mis en évidence l’incapacité de la plupart des économistes de la prévoir, et une fois
produite d'en expliquer les mécanismes. Avec la crise nous sommes dans un monde hors modèle. Pour
les décisions publiques on se remet à des modèles potentiellement périmés entraînant des ajustements
brutaux pour les peuples. » 6 enfin pour finir
« Ce n’est pas par accident que ceux qui avaient préconisé les règles responsables de la catastrophe
(nda : crise financière de 2008) ont été si aveuglés par leur foi dans les marchés libres qu’ils n’ont pas
pu voir les problèmes qu’elles créaient. Plus que les économistes ne sont sans doute prêts à l’admettre,
l’économie était passée du statut de discipline scientifique à celui de supporter le plus enthousiaste du

5
A. Orléan, économiste, Colloque des économistes atterrés, 9 oct 2010
6
P. Askenasy, économiste, idem

5
capitalisme de libre marché. Pour réussir à reformer leur économie, peut-être les Etats-Unis devraient-
ils commencer par reformer leur science économique. »7 .
La crise est une crise morale, de sens, de civilisation et non pas uniquement une crise économique ou
financière : « Avec la crise des subprimes, les pratiques transgressives de l’ordre social et juridique ne
se diffusent plus seulement dans des secteurs circonscrits, mêmes vastes, elles sont logées au cœur de
la matrice financière. Elles n’ont plus pour origine des individus ou des groupes marginaux qui
cherchent leur place au soleil, (...) elles émanent des «élites» et sont devenus leur mode de gestion de
l’économie et de la finance. (...) Ce qui distingue fondamentalement la « fraude de système » de toutes
les sortes de délinquance ou de criminalités connues jusqu’à présent c’est le caractère impersonnel de
ce type de prédation, qui n’est pas imputable à des individus en particulier, mais qui est devenu une
modalité à part entière de l’économie et de la finance »8 .
En même temps, le nouveau essaye d’émerger à travers cette grande faille qu’est la crise. On peut dire
que la crise est aussi le symptôme de ce phénomène et qu’il est nécessaire de l’écouter sans préjugés.
Les impulsions nouvelles venant du futur émergent, tout en montrant que le futur ne peut pas être
deviné ni configuré à partir du passé comme le mode actuel de pensée en finance et en économie le
fait.
La crise donne à l’être humain l’opportunité de s’affirmer au-delà des lois mécanistes qui gouvernent
l’économie et la finance et qui ne sont qu’une perpétuelle répétition du passé. L’humanité de chaque
être humain est d’ailleurs la seule à pouvoir vraiment créer du nouveau au service de l’homme.
C’est le moment de se demander si par nos pensées, ressentis et actions de tous les jours nous
construisons le monde dans lequel nous avons envie de vivre.
C’est aussi une formidable opportunité de remettre le système économique, financier à plat en
intégrant la perception de notre propre humanité, le rendant ainsi apte à servir l’aspiration profonde de
l’être humain né sur terre qui est de vivre son humanité.

Cornélia Constantinescu
En collaboration avec le « Groupe monnaie » de l’associationLa NEF et le « Cercle Europe (Chatou) »

7
J. Stiglitz, Prix Nobel d’économie, Le triomphe de la cupidité
8
Jean de Maillard (magistrat, vice-président du tribunal de grande instance d’Orléans), L’arnaque, la
finance au-dessus des lois et des règles

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