Pareto
Pareto
Pareto
TVvZ
3 T1S3 D0D737t,3 7
TRAITE
DE
SOCIOLOGIE GÉNÉRALE
',
\
5^
VILFREDO PARETO
P^
TRAITÉ ,g_
DE
SOCIOLOGIE GÉNÉRALE
EDITION FRANÇAISE PAR
PIERRE BOVEN
REVUE PAR l'auteur
Volume II
1919
•f»HJWê EN sii»*sr
rs^^rtrit
Il est rappelé que la Table miali/iique des matières et la Table générale des auteurs
et des ouvrages cités figurent en tête du volume I.
TABLE DES AUTEURS ET DES OUVRAGES
CITÉS DANS LE SECOND VOLUME DE l'eDITION FRANÇAISE DEPUIS
LA PARUTION DU PREMIER VOLUME
DEUXIEME VOLUME
Chapitre ix. — Les dérivations . 785
Les hommes se sentiments (résidus).
laissent persuader surtout par les
— Comment les dérivations se développent. —
Les dérivations constituent le
matériel employé tant dans les recherches non logico-expérimentales que dans
les recherches logico-expérimentales mais les premières supposent aux déri-
;
vations le pouvoir d'agir directement sur la constitution sociale, tandis que' les
secondes les tiennent uniquement pour des manifestations des forces ainsi agis-
santes elles recherchent, par conséquent, les forces auxquelles correspondent,
; y,
tions? Dans quel rapport cette action se trouve-t-elle avec l'utilité sociale? —
Les raisonnements vulgaires soutiennent que les dérivations sont la cause des
actions humaines, et parfois aussi des sentiments tandis que fort souvent les
;
dérivations sont au contraire un effet des sentiments et des actions. Les rési- —
dus en rapport avec les êtres concrets auxquels ils appartiennent. Réparti- —
tion et changements dans l'ensemble d'une société. Les classes des résidus —
sont peu variables, les genres en sont beaucoup plus variables. Formes et —
oscillations du phénomène. —
Rapport entre les résidus et les conditions de
la vie. —
Action réciproque des résidus et des dérivations. Influence des — .
une logique très défectueuse, en se laissant guider par le sentiment, peut con-
'( duire à des conclusions qui se rapprochent beaucoup plus des faits. Diffé- —
rences entre la pratique et la théorie. —
Comment des dérivations indétermi-
nées s'adaptent à certaines fins (buis). —
Exemples. — Mesures prises pour
atteindre un but. —
L'action exercée sur les dérivations a d'habitude peu ou
XII TABLE DES CHAPITRES DU DEUXIEME VOLUME
Les dérivations.
1397 • Bestham-Dumont ; Tact, des assembl. legist.. Traité des sophisrnes poli-
tiques, t. II. L'auteur blâme l'ot-ateur politique qui fait usage de raisonnements
sophistiques, et ajoute: « (p. 129) Heureusement toutefois un orateur de ce caractère,
de quelque talent qu'il brille, ne figurera jamais en première ligne dans une assem-
blée il peut éblouir, il peut surprendre, il peut avoir un succès passager, mais il
;
n'inspire aucune confiance, même à ceux qu'il défend et plus on a l'expérience des
:
assemblées politiques, plus on sent comjiien Cicéron est fondé à définir l'orateur :
un homme de bien versé dans l'art de la parole Vir bonus dinendi peritus ». Si,
:
comme il le semlile, tout cela tend à affirmer que seul l'orateur sincère, loyal, hon-
nête, obtient du succès, on a une proposition mille fois démentie par l'expérience.
SOCIOLOGIE .")0
786 CHAPITRE IX § 1397
vérifié par l'expérience, dans notre monde réel. Bentham écrit un traité entier sur
les sophismes politiques, et ne s'aperçoit pas qu'à chaque instant, involontaire-
ment, il emploie celui qui consiste à donner l'expression de ses sentiments et de
ses désirs pour le fruit de l'expérience. On nous dit, dans l'introduction « (p. 3) Les
:
sophismes fournissent une présomption légitime contre ceux qui s'en servent. Ce
n'est qu'à défaut de bons argumens qu'on peut avoir recours à ceux-là ». Ici, il y
a cette proposition implicite, que les arguments de lionne logique persuadent mieux
les hommes que les arguments sophistiques. Or l'expérience est bien loin de
confirmer cette proposition. «Par rapport à de bonnes mesures ils sont inutiles;
du moins, ils ne peuvent pas être nécessaires ». Là aussi, la proposition indiquée
tout à l'heure est implicite, et là aussi on peut ol)server que l'expérience ne concorde
nullement avec celte affirmation. « Ils supposent de la part de ceux qui les em-
ploient ou qui les adoptent, un défaut de sincérité ou un défaut d'intelligence». Ici
est implicite la proposition suivant laquelle celui qui emploie un sophisme s'en
rend compte (défaut de sincérité), ou s'il ne s'en rend pas compte, c'est parce
qu'il manque d'intelligence. Au contraire, un grand nombre de sophismes qui ont
cours dans une société sont répétés avec une parfaite sincérité par des hommes très
intelligents, qui expriment de cette façon des sentiments qu'ils estiment utiles à la
société. Il y a une autre proposition implicite suggérée par l'affirmation de notre
auteur : c'est que le défaut de sincérité ou le défaut d'intelligence sont toujours
nuisibles à la société. Bien au contraire, il y a un .grand nombre de cas, ne
serait-ce que dans la diplomatie, où trop de sincérité peut nuire, et d'autres dans
lesquels l'homme très intelligent qui se trompe de route peut, en imposant certaines
actions logiqui'S, être nuisible à la société, à laquelle est au contraire utile l'ignorant
qui continue à accomplir des actions non-logiques conseillées par une longue
expérience.
§ 1898-1399 LES DÉlilVATIONS 7(S7
ainsi parce qu'on fait ainsi n ; tautologie par laquelle s'expriment sim-
plement les résidus de la sociabilité, car, en somme, on veut dire :
rimentaux, par des paroles qui excitent les sentiments, par des dis-
cours vains et inconsistants ainsi naissent les dérivations. Elles
;
font défaut aux deux extrêmes d'une part, pour les actions instinc-
:
de persuasion.
1404. Ici, à propos du rôle que nous attribuons au sentiment
dans les dérivations, nous nous trouvons en face d'un problème
analogue à celui qui a été posé et résolu au chapitre III si le rôle
:
lequel l'une des prémisses est passée sous silence. Nous acceptons
cette dernière définition on verra ensuite que les conséquences que
;
dans son sens littéral, cette proposition n'a pas de sens; car il est
évident que la colère d'un homme prend fin quand cet homme
meurt et disparaît et il est par conséquent tout à fait inutile de lui
;
l'iH"/ ' Aiiisr. : Belh.. II. •21. Ci : ntiâvarov ôçy^/v /j/) à'v^.aaae BvijTor ûiv.
;^
]40«S LES DÉRIVATIONS 798
avoir une trop longue colère ; donc l'homme ne doit pas avoir une
trop longue colère». La proposition : «un mortel ne doit pas avoir
une trop longue colère justement l'attention sur le point faible
» attire
les inclinations, dont la plus fréquente est celle qui nous pousse
dans le sens que nous désirons ; bien qu'ensuite nous puissions
accepter une conclusion agréable aussi bien qu'une conclusion
désagréable, pourvu qu'elles soient capables de susciter quelque
sentiment intense. Cette indifTérence et ces inclinations sont les
sentiments correspondant à nos résidus ; mais Mill en traite assez
mal. Il a été induit en erreur par le préjugé que seules les actions lo-
giques sont bonnes, utiles, louables, tandis que les actions non logi-
ques sont nécessairement mauvaises, nuisibles, blâmables. Il ne s'a-
perçoit pas que lui-même raisonne sous l'empire de cette inclination.
1413. Le but de la dérivation est presque toujours présent à
l'esprit de celui qui veut démontrer quelque chose mais il échappe ;
les résidus sont des axiomes ou des dogmes, et le but est simple-
ment la conclusion d'un raisonnement logique. Comme ils ne s'en-
iendent habituellement pas sur la dérivation, ils en disputent à
perdre haleine, et se figurent pouvoir modifier les faits sociaux, en
homme qui examine les choses sans préjugé, et avec les lumières nécessaires, que
la doctrine de St. Augustin et celle de Jansenius Evèque d'Ipres sont une seule et
même doctrine, qu'on ne peut voir sans indignation que la Cour de Rome se soit
vantée d'avoir condamné Jansenius, et d'avoir néanmoins conservé à Saint Augus-
tin toute sa gloire. Ce sont deux choses tout-à-fait incompatibles. Bifîn plus le :
train accoutumé; et, s'ils en demandoieut davantage, ils ne seroient pas capa))les
d'entrer en discussion leurs affaires ne leur ont pas permis d'acquérir une aussi
:
grande capaciti"' «.
compris sont rares comme les merles blancs mais les subtiles et ;
livre sera oublié, et qui sont communs tant aux marxistes qu'aux
non-marxistes.
4" Au point de vue logique, deux propositions contradictoires
ne peuvent subsister ensemble. Au point de vue des dérivations
non-scientifiques, deux propositions qui paraissent contradictoires
peuvent subsister ensemble, pour le même individu, dans le même
esprit. Par exemple, les propositions suivantes paraissent contra-
dictoires on ne doit pas tuer
:
—
on doit tuer on ne doit pas s'ap- ;
I"^ Classe
Affirmation (§ 1420-1433).
(I-a) Faits expérimentaux ou faits imaginaires (J^
1421-1427).
(I-^) Sentiments (^ 1428-1432).
(I-7) Mélange de faits et de sentiments (§ 1433).
Ile Classe
Autorité (^ 1434-1463).
IVe Classe
1425' Senec, Epist., XGIV traite de l'utilité des préceptes. Nons n'avons pas à
en parler ici mais une partie de ses observations s'applique à la nature et aux
;
effets des affirmations. Adiice nunc, quod aperta quoque apertiora fieri soient.
«Ajoutez que les choses évidentes deviennent encore plus évidentes ». On lui objecte
que si les préceptes sont douteux, on devra les démontrer, et que par conséquent
c'est la démonstration et non le précepte qui sera utile. Il répond Quid quod, :
etiam sine probationil)us, ipsa monentis auctoritas prodest? sic quomodo iuriscon-
sultorum valent responsa, etiam si ratio non redditur. Praeterea ipsa, quae praeci-
piuntur, per se multum habent ponderis, utique si aut carmini inlexta sunt, aut
prosa oratione in sententiam coarctata sicut illa Gatoniana ; « Emas, non quod
:
opus est, sed quod necesse est. Quod non opus est, asse carum est ». Qualia sunt
illa, aut reddita oraculo. aut similia «Terapori parce! Te nosci » Numquid ralio-
: !
mêmes, et produisent un effet utile par leur propre force naturelle. Dans l'esprit se
trouvent les germes de toute chose honnête, germes que l'avertissement développe
tout comme une étincelle, aidée par un souffle léger, communique son feu». On
doit dire au contraire « Ces choses ne demandent pas d'avocat elles agissent sur
: ;
les sentiments mêmes, et produisent un effet utile, par leur propre force nalurelle.
Dans l'esprit se trouvent les germes de certaines choses; b-s affirmations les déve-
loppent, tout comme une étincelle, etc.». Sénéque ajoute ensuite Praeterea ([uae-
:
dam sunt quidem in animo, sed parum prompta; quae incipiunt iii expedilo esse,
cum dicta sunt. Quaedam diversis locis iacent sparsa, quae conirahere iuexercilata
mens non potest. Itaque in unum couferenda sunt ef iungend;i, ut plus valeant,
animumque magis allevent. «En outre, certaines choses se trouvent dans Tesprit,
mais sont informes elles prennent forme quand on les dit. Certaines choses gisent
;
SOCIOLOGIE 51
802 CHAPITRE IX § 1426-1427
tandis que nous ne l'avons pas trouvée là où nous avons étudié les
démonstrations (chapitre IV). Cependant l'affirmation vraiment
pure et simple est rare, et chez les peuples civilisés, très rare il y ;
1426' Par exemple, Levit., XTX, S 'éKaaroç Tzareça avrov icaï /nTjTépa aiirov eojieiadu,
:
K.ai rà càftliaTâ fiov (pvlâ^eatie- èyo) kvçioç ô Oebç vfir.w. [Vulgata] Unusquisque patrerti
suum, et raatrem suam timeat. Sabhata mea custodite. Ego Dominas Deus "vester.
est vague, il est confus. Qu'il est confus, qu'il est vague Au dedans de lui il y a
!
des images. Qu'il est vague, qu'il est confus Au dedans de lui il y a des êtres.
!
Qu'il est profond, qu'il est obscur !» — La poésie donne toute sorte de formes
à cette affirmation de renfort. La ballade notamment fournit de nombreux exemples
dans le refrain de ses couplets. Ainsi la BalU'de que feit Villon à la requeste
de sa mère pour prier Nosfre Dame « En ceste foy je vueil vivre et mourir». Ce-
:
pendant tous les refrains de ballade ne sont pas de simples affirmations <le renfort.
Ainsi, dans la Ballnde des dames du temps jadis : « Mais où sont les neiges d'an-
tan ? », le refrain n'est pas une affirmation indépendante de l'enchaînement logique
des idées exprimées par le contexte c'est plutôt une conclusion répétée et en vue
;
En outre, celui qui entend a l'idée que ce qu'on dit beau doit lui
donner à lui-même l'impression du beau, et là intervient un résidu
de sociabilité. C'est ainsi que les hommes ont généralement les i
manière de la justifier.
1432. Au point de vue logico-expérimental, le fait qu'une affir-
mation est énoncée avec une grande sûreté peut être un indice,
fût-ce lointain, que cette affirmation n'est pas à mettre en doute. A
moins qu'il ne s'agisse d'une répétition machinale, le fait qu'une affir-
mation est exprimée en latin prouve que l'auteur a fait certaines
études, indice probable d'une autorité légitime. En général, le
cette classe, nous avons diverses dérivations, qui sont les plus sim-
806 CHAPITRE IX § 1435
1435* BenthAiM-Dumont, loc. cit., | 1397 ^ émet une opinion entièrement erronée.
« (p. 23) C'est par l'autorité que se soutiennent depuis tant de siècles les systèmes
les plus discordans, les opinions les plus monstrueuses [ces opinions se soutiennent
grâce aux résidus, et sont expliquées au moyen des dérivations, parmi lesquelles se
trouve celle de l'autorité]. Les religions (p. 24) des Brames, de Foë, de Mahomet,
n'ont pas d'autre appui [ce n'est pas du tout cela; l'autorité n'est qu'une des nom-
breuses dérivations employées pour expliquer ces persistances d'agrégats]. Si l'au-
torité a une force imprescriptible, le genre humain, dans ces vastes contrées, n'a pas
l'espoir de sortir jamais des ténèbres ». Là, il y a d'abord Terreur habituelle de sup-
poser logiques toutes les actions humaines, et d'admettre que les croyances sont
imposées par le raisonnement, tandis qu'elles sont au contraire dictées par le senti-
ment. Ensuite, il est implicitement établi une opposition entre la religion du Pro-
grès, acceptée par l'auteur, et la « superstition » de l'autorité, superstition qu'il com-
bat. Accepter cette dernière signifierait renoncer à toute espérance de progrès pour
les peuples indiqués par l'auteur et comme on ne peut renoncer à cette espérance,
;
1436 1 C'étaient là en grande partie des actions logiques, parce qu'on croyait
alors que M. Roosevelt serait de nouveau président des Etats-Unis, et l'on avait en
vue d'obtenir de lui quelques avantages. En opposition avec ces flatteries, il convient
de rappeler que le pape ne reçut pas M. Roosevelt; qu'un patricien génois lui refusa
l'accès de son palais, et que Maxiinilien Harden écrivit un article où il tournait en
dérision les adulateurs de M. Roosevelt en Allemagne.
808 CHAPITRE IX § 1436
a pour titre La forêt des erreurs. A. France affirmait que «(p. 94) l'impôt pré-
:
signalé l'erreur elle est restée intacte dans l'édition ,, corrigée", (p. 95) Obstiné-
:
ment, M. France maintient qu'une certaine jeune femme, dont le fils était le filleul
de Jeanne, ,, blasonnait celle-ci à cause de sa dévotion ": de quoi il nous donne
pour preuve le témoignage de cette femme. Or il n'y a pas un mot de cela dans le
témoignage qu'il invoque et je ne suis pas le seul à le lui avoir rappelé. C'est ainsi
;
,, Nos arbitres, ce n'est pas ce que chacun dit". Gerson écrit, à propos des faux
bruits qui courent sur la Pucelle Si multi multa loquantur pro garrulitate
:
sua et levitate, aut dolositate, aut alio sinistra favore vel odio... ; ce que M. France
f A France ne s'est pas rappelé que dans les Dicta Catonis, si connus et admirés aux
siècles passés, il est écrit, III. 2 :
interprète ainsi ,,Si plusieurs apportent divers témoignages sur le caquet de Jeanne,
:
sa légèreté, son astuce... ". Dans la phrase suivante, Gerson rappelle le mot de
l'apôtre Non oporiet servuvn dei litignre ; et M. France traduit ,,0n ne doit
: :
pas mettre en cause le serviteur de Dieu"». L'auteur cite une grave erreur
d'A. France et ajoute « (p. 102) Que M. France, en même temps qu'il découvrait
:
dans le témoignage de Dunois certaines choses qui n'y étaient point, ait négligé de
découvrir ailleurs que d'Aulon faisait partie du Conseil Royal, et avait été appelé
par le roi, avec les autres conseillers, à examiner la première requête de Jeanne,
c'est ce qui désormais doit nous paraître tout naturel. Mais que, après avoir été
averti sur ce point par ,,les louables scrupules de M. Andrew Lang", il ait répété
son invention dans son édition ,, corrigée", il y a là un procédé vraiment regret-
table ».
toûjoui's obligé de croire ces sortes de choses qui sont si extraordinaires, et qu'on
appelle visions, particulièrement quand elles n'ont pas pour garant quelque Auteur
célèbre, dont le nom seul puisse servir de preuve authentique. Mais je n'ignore
pas aussi que l'Histoire, en laissant la liberté d'en croire ce que l'on voudra, ne
peut, sans un peu trop de délicatesse, et même sans quelque sorte de malignité,
supprimer celles qui ont esté (p. 18) receûës, depuis tant de siècles, par des gens
qu'on ne sçauroit accuser de foiblesse, sans se ruiner de réputation ».
810 CHAPITRE IX § 1438
dans ledomaine expérimental (3) Nolunt enim hoc ad Omnipotentis nos referre
:
potentiam, sed aliquo exemple persuadere sibi flagitant. « Car ils [les incrédules] ne
veulent pas que nous rapportions cela à la puissance du Tout-Puissant, mais
demandent qu'on les persuade par quelque exemple». Et il se met en devoir de le
faire. Mais les incrédules sont si obstinés et pervers, qu'ils veulent avoir les preuves
de ses affirmations. «Si nous leur répondons qu'il y a des animaux certainement
corruptibles, parce que mortels, et qui néanmoins vivent au milieu du feu, et qu'il
se trouve aussi un genre de vers dans les fontaines chaudes dont personne ne peut
impunément supporter la chaleur, tandis que non seulement ces vers y vivent sans
en souffrir, mais qu'ils ne peuvent vivre ailleurs, ou bien ils [les incrédules] ne
veulent pas nous croire, si nous ne sommes pas en mesure de leur faire voir ces
choses [quels obstinés !] ou bien, si nous pouvons les leur mettre sous les yeux ou en
:
donner la preuve par des témoins dignes de foi, cela ne suffit pas à les arracher à
leur incrédulité, et ils objectent que ces animaux ne vivent pas toujours et qu'ils
vivent sans soufïrir, dans cette chaleur... ». Si vraiment cette objection a été faite
au saint, il a raison de la repousser; mais reste à prouver le fait de ces animaux !
L'autorité vient à son secours « (c. 4, 1) Donc si, comme l'ont écrit des auteurs qui
:
étudièrent plus curieusement la nature des animaux, la salamandre vit dans les
flammes,... », et si l'âme peut souffrir sans périr, on conclut qu'en vérité les
damnés peuvent souffrir éternellement dans le feu de la géhenne. On ajoute que
Dieu peut bien donner à la chair la propriété de ne pas se consumer dans le feu.
puisqu'il a donné à la chair du paon la propriété de ne pas se corrompre. Là-dessus,
le saint fit aussi une expérience Il mit de côté un morceau de la poitrine d'un paon
!
cuit. Au bout d'un certain temps, tel que toute autre chair cuite aurait été putréfiée,
ce morceau lui fut présenté, et son odorat ne fut en rien offusqué. Au bout de trente
jours, le morceau de chair fut trouvé dans le même état; de même après un an .
seulement il était alors un peu sec et ratatiné nisi quod aliquantum corpulentiae
:
siccioris et contractions fuit. Une autre merveille est celle du diamant, qui résiste
au fer, au feu, à n'importe queUe force, excepté au sang de bouc. Quand on met un
diamant auprès d'une magnetite, celle-ci n'attire plus le fer. Ensuite, l'auteur
observe que les inci-édules insistent et veulent connaître la raison des faits
miraculeux qu'il affirme (c. 5, 1) Verumtamen homines infidèles, qui cum divina
:
vel praeterita, vel futura miracula praedicamus, quae illis experienda non valemus
ostendere, rationem a noliis earum flagitant rerum quam quoniam non possumus ;
reddere (excedunt enim vires mentis humanae), existimant falsa esse quae dicimus :
ipsi de tot mirabilibus rebus, quas vel videre possumus, vel videmus, debent red-
dere rationem. Jusque là, le saint a raison. Ne pas connaître la cause d'un fait ne
prouve rien contre sa réalité. Mais reste toujours à prouver directement le fait, et
c'est en quoi Saint Augustin est en défaut. Presque tous les faits qu'il donne pour
certains sont fantaisistes. 1° Le sel d'Agrigente, en Sicile, se dissout dans le feu
comme dans l'eau; dans l'eau, il crépite comme dans le feu cum fuerit admotus :
igni, velut in aqua fluescere; cum vero ipsi aquae, velut in igné crepitare. Pline.
XXXI, 41, 2, diffère un peu Agrigentinus ignium patiens, ex aqua exsilit. 2" Chez
:
les Garamantes, il y a une fontaine dont les eaux sont si froides, de jour, qu'on ne
peut les boire, chaudes, de nuit, qu'on ne peut les toucher (Plin. V, 5. t;
si item- ; :
que Debris, afïuso fonte, a medio die ad mediam noctem aquis ferventibus, toti-
demque horis ad medium diem rigentibus) 3» En Epire, il y a une fontaine où,
.
comme dans les autres fontaines, les torches allumées s'éteignent, mais où, contrai-
rement à ce qui a lieu dans les autres fontaines, les torches s'allument si elles sont
3
c'est que presque tous les faits cités par le saint sont imaginaires ;
cles que vous citez sont aussi vrais que les faits auxquels vous les
comparez... lesquels faits sont faux 1 » Pour l'un de ces faits, soit
pour la chair de paon qui ne se corrompt pas, il y a une pseudo-
expérience ; pour les autres, la preuve est donnée par des dériva-
tions fondées sur l'autorité ".
semel, extingui nequit). 5* En Egypte, le bois d'un figuier ne flotte pas sur l'eau :
14, 2). 60 Au pays de Sodome, il y. a des fruits qui, lorsqu'ils semblent miîrs, s'éva-
nouissent en fumée et en cendres, si on les touche avec la bouche ou avec la main
(SoLTN., 38; losEPH., De hello nid., IV, 8, 4 j27). 7» En Perse, il y a une pierre qui
l)rùle si on la presse fortement avec la main, et qui, de ce fait, porte le nom à% pyrite
(Plin., XXXVII. 73, 1). 8° En Perse aussi, il y a une pierre nommée sélénite, dont
la blancheur intérieure augmente et diminue avec la lune (Plin., XXXVII. 67, 1).
9" En Gappadoce. les cavales conçoivent des œuvres du vent, mais leurs poulains ne
vivent pas plus de trois ans (| 9273) lO" L'île de Tilo, aux Indes, est préférée à toutes
.
les autres, parce que les arbres n'y perdent pas leurs feuilles. Ce dernier fait est le
seul qui ait une lointaine apparence de réalité, pourvu qu'on ne l'applique pas à une
île, mais à toute la région tropicale.
14382 Lqc. cit.. I 14381 5 j) ]N,fon itaque pergo per plurima quae mandata
; (<.,_
sunt litteris [dérivation explicite d'autorité], non gesta atque ti-ansacta sed in locis
quibusque manentia quo si quisquam ire voluerit et potuerit, utrum vera sint.
;
explorabit, sed pauca commemoro. C'est là une dérivation implicite d'autorité. Dire
que n'importe qui pouvait aller voir que ces faits étaient vrais, revient à dire que
Von eroi/aif cette vérification possible mais, en réalité, celui qui serait etfective-
;
autre que ces choses [celles dont il est question au 1 1438i] n'existent pas qu'ils n'y ;
croient pas, qu'on en parle et qu'on en écrit faussement, et, ayant recours au raison-
nement, ils ajouteront que s'il faut croire ces choses, vous devez, vous aussi, croire
ce qui est rapporté dans les mêmes ouvrages, c'est-à-dire qu'il y a eu ou qu'il y a
un certain temple de Vénus, où existe un candélabre avec une lampe à ciel ouvert,
qu'aucune tempête, aucune pluie ne peuvent éteindre ». Ainsi, on voulait placer
812 CHAPITRE IX § 1438
« Donc, ou bien cette lumière est machinée par l'art humain, avec Tasbeste, ou
bien ce qu'on voit dans le temple est l'œuvre de la magie, ou bien, sous le nom de
Vénus, un démon s'est manifesté avec tant d'efficace, que ce prodige est apparu à
tous les hommes et a duré». Il conclut (c. 6, 2) que si les magiciens ont tant de
pouvoir, on doit à plus forte raison croire que Dieu, qui est tellement plus puis-
sant qu'eux, peut faire bien d'autres miracles : — quanto magis Deus potens
est facere quae infidelibus sunt incredibilia, sed illius facilia potestati quandoqui-
;
dem ipse lapidum aliarumque vim rerum et hominum ingénia, qui ea miris utun-
tur modis, angelicasque naturas omnibus terrenis potenfiores animantibuscondidit.
— Il faut observer ici le raisonnement en cercle, qui manque rarement aux dériva-
tions concrètes du genre de celles de Saint Augustin. Opposer les Saintes Ecritures
à qui en nie l'autorité, les miracles du démon Vénus à qui nie les miracles, la puis-
sance du Dieu des chrétiens à qui nie l'existence de ce Dieu, c'est proprement
prendre la conclusion pour les prémisses.
1438* Loc. cit. % 1438^ (c. 7, 2)
; Namnec ego volo temere credi cuncta quae
posui, quia nec a me ipso ita creduntar tanquam nulla de illis sit in mea cogitatione
dubitatio, exceptis his quae vel ipse sura expertus, et cuivis facile est experiri.
Excellente intention, à laquelle malheureusement l'auteur ne reste guère fidèle.
Outre des faits en partie vrais, il excepte justement deux des récits les moins
croyables celui de la fontaine d'Epire où s'allument les torches, et celui des fruits
:
voir. Il appelle aussi comme témoins du fait du diamant les joaillers de son pays,
puis, quand l'effet désiré est produit, il émet quelque doute, pour ménager la chèvre
et le chou. De même, les admirateurs de la solidarité commencent par invoquer la
§ 1439 LES DÉRIVATIONS 813
l'incrédule Tykhiadès, laissant voir qu'il n'y ajoutait guère foi, est
considéré comme privé de bon sens, parce qu'il ne cède pas à de
semblables autorités ^ 11 suffit d'ouvrir au hasard l'un des nom-
breux livres qui racontent des faits merveilleux, pour y trouver
des observations semblables '-.
solidarité-fait, et quand ils s'en sont bien servis, ils daignent reconnaître qu'elle est
ropposé de la solidarité-devoir (|450 1).
14391 Luc; Philopseudes. L'incrédule Tykhiadès dit ironiquement «Oh, com- :
Arignôtos, qui était un savant célèbre et inspiré, avait dit cela, il n'y eut personne
de la compagnie qui ne me traitât de fou, parce que je ne croyais pas à ces choses,
dites par un Arignôtos. Mais moi, sans respect pour sa grande chevelure ni sa grande
renommée ,, Et comment, Arignôtos, lui dis-je, toi aussi tu es un homme qui fais
:
14392 Après avoir cité une infinité d'exemples d'hommes devenus loups et rede-
venus hommes, Bodin s'étonne qu'on puisse douter d'une chose qui a pour elle le
consentement universel. Bodin; De la démonomanie des sorciers, II, 6 « (p. 99) :
...Nous lisons aussi en l'histoire de lan Tritesme, que l'an neuf-cens LXX. il y
auoit vn Juif nommé Baian, fils de Simeon, qui se transformoit en loup, quand il
vouloit, et se rendoit inuisible quand il vouloit. Or c'est chose bien estrange :
1
«(p. 33) pour être bien portant, il faut ne jamais boire d'alcool, ni
de boissons alcooliques. Il ne faut jamais avaler une seule goutte
d'eau-de-vie, de liqueur, d'absinthe ou d'apéritif». Rien ne nous
permet de croire que l'auteur ne pensait pas ce qu'il affirme et, ;
Mais ie trouue eiicores plus estrange, que plusieurs ne le peuuent croire, veu que
tous peuples de la terre, et toute l'antiquité en demeure d'accord. Car non seule-
ment Hérodote Ta escript il y a deux mil deux cens ans, et quatre cens ans au
parauant Homère ains aussi Pompnnius Mela, Solin, Strabo, Dionysius Afer,
:
Marc Vari-on, Virgile, Ouide, et inlinis autres ». Le Père Le Brun veut se tenir dans
un juste milieu entre la crédulité et l'incrédulité. Certes, on ne doit pas tout croire,
«(p. 118) mais une obstination à ne croire, vient ordinairement d'un orgueil exces-
sif qui porte à se mettre au-dessus des autorités les plus respectables et à préférer
ses lumières à celles des plus grands hommes et des Philosophes les plus judicieux »
(Le Brun ; Hist. crû. des prat. superst., t. I). Dom Calmet, suivant ces principes,
observe que « (p. 63) Plutarque dont on connoît la gravité et la sagesse, parle sou-
vent de Spectres et d'apparitions, il dit par exemple que dans la fameuse bataille
de Marathon contre les Perses, plusieurs soldats virent le phantome de Thésée qui
combattoit pour les Grecs contre les ennemis » (Dom Calmet; Dissert, sur les appa-
ritions).
14402 Journal de Genève, 29 avril 1909 «En collaboration avec plus de cent
:
enfant, et cette faculté est irrémédiablement perdue pour les générations suivantes
§ 1441 LES DÉRIVATIONS 815
il ne peut avoir connaissance du passé, mais peut-être connaît-il l'avenir par une
somnambule]. De même chez les buveurs modérés (moins d'un litre de vin ou deux
litres de bière par jour) l'alcoolisation du père est la cause principale de l'impuis-
sance de la femme à allaiter ses enfants"». En Allemagne, les femmes qui
peuvent allaiter doivent être bien rares, car peu nombreux sont les hommes des
classes aisées qui ne boivent pas au moins deux litres de bière par jour.
Comme d'habitude, les dérivations servent à démontrer aussi bien le pour que
le contre. Quand on veut engager les mères à allaiter leurs bébés, le discours
change, et la statistique complaisante démontre également bien que les mères ont
ou qu'elles n'ont pas la faculté d'allaiter. — Journal de Genève, 27 octobre 1910 :
1441 Le Journal de Genève rapporte en ces termes une conférence faite par un
•
était faux, tandis que chacun peut faire des expériences ou des
observations qui démontrent la fausseté des affirmations miracu-
leuses rapportées tout à l'heure ^
1443. Le résidu de l'autorité apparaît aussi dans les artifices
14412 Bosch.; Les tném,. de Bis^n., t. I, p. 4-i «Il y avait sur la table du
:
sommation excessive d^^ bière est déplorable à tous les points de vue. Gela rend les
hommes stupides, paresseux et propres à rien. C'est la bière qui est responsable
de toutes les idioties démocratiques que Ton débite autour des tables de cabaret.
Croyez-moi, un bon verre d'eau-de-vie vaut bien mieux "». T. II, p. 307. Tombé ! —
du pouvoir, Bismarck se retire à Friedrichsruh. Il charge Busch d'y transporter ses
effets « ,, Tenez", fit-il, ,, ce sont des cartes de géographie. Mettez les lettres entre
:
les cartes et roulez le tout... Cela partira avec le reste dans le déménagement. J'ai
prés de 800 caisses ou malles et plus de 13 000 bouteilles de vin ". Il me raconta
qu'il avait beaucoup de bon sherry qu'il avait acheté quand il était riche...». —
Palamenghi-Crispi Cnrteggi,.. di Francesco Crispi : «(p. 446) Ottone di Bis-
;
marck a Crispi. Friedrichsruh, le 7 janvier 1890. Cher ami et collègue. J'ai été
vivement touché de la nouvelle preuve de Votre amitié en apprenant que Vous
m'avez fait expédier une caisse de Votre excellent vin d'Italie, que j'apprécie d'au-
tant plus que la qualité supérieure du vin de l'année dernière m'en fait anticiper
les avantages. Les bons vins ne sont jamais sans influence sur la qualité de la poli-
tique du buveur ». Pauvre Bismarck, com])ien peu de capacité de «travail intellec-
tuel» il devait avoir !
SOCIOLOGIE 52
818 CHAPITRE IX ^ 1448-1451
vant. Nous avons vu (| 1200^) qu'Ovide rapporte les usages suivis pour les puiili-
cations, aux fêtes veut trouver leur «origine», les expliquer; c'est-
Palilies. Il
à-dire qu'il cherche des dérivations, et il n'en trouve pas moins de sept (Fast., IV,
783-806). En peu de mots, elles sont les suivantes «lo Le feu purifie tout. 2» L'eau
:
et le feu sont les principes contraires de toutes les choses. S» Les principes de la
vie sont dans ces l'iéments. 4» Le feu et l'eau rappellent Phaéton et le déluge de
Deucalion. S» Les bergers découvrirent le feu grâce à la pierre à feu. 6" Enée s'enfuit
à travers les flammes, qui ne le brûlèrent pas. 7o Un souvenir de la fondation de
Rome, quand les cabanes où les Romains habitaient primitivement furent brûlées.
Et Ovide préfère cette dernière explication. Les trois premières dérivations puisent
leur force dans certains sentiments métaphysiques (genre Ill-e) les quatre der- ;
nières, dans la tradition (genre II-/3). Il est évident qu'on pourrait encore trouver
d'autres dérivations analogues c'est la partie variable du phénomène. Le besoin de
:
dus, constitués par (a) des résidus principaux (purification), [b] des résidus secon-
daires (combinaisons) 2» les dérivations qui visent à expliquer cet ensemble de
;
dernière phrase, qui revient avec insistance dans les polémiques actuelles La :
critique, dit-on, ,, attaque et ruine l'autorité des Ecritures ". J'ai déjà eu l'occa-
sion de dire qu'il s'agit avant tout de s'entendre sur le sens du mot ,, autorité ".
S'il est question de l'autorité extérieure [euphémisme pour indiquer des proposi-
tions objectives] l'assertion ci-dessus est fondée mais si l'autorité en cause est
:
une tautologie n'est jamais fausse]. Le tout c'est d'être au clair sur ce point fon-
damental l'autorité en matière religieuse, c'est celle de Dieu, et sur le terrain plus
:
spécial de la vérité évangélique, c'est celle du Christ [très juste mais il faut nous ;
par des critères qui nous sont extrinsèques, elles peuvent être indépendantes de
nous si nous ne les connaissons que par des critères qui nous sont intrinsèques,
;
nous baptisons notre volonté du nom de volonté divine']. Cette autorité s'exerce
sur le cœur et sur la conscience, tout en faisant appel à l'ensemble de nos facultés,
en vertu même de l'unité de notre être. Elle est au-dessus des discussions de l'ordre
littéraire et historique elle ne saurait être ébranlée, ni consolidée, par des argu-
;
ments purement intellectuels [très juste, mais seulement dans ce sens que les rési-
dus sont indépendants de la logique resterait ensuite à démontrer que ces résidus
;
tiques?]. Elle n'est point atteinte par le fait que, sur des questions d'authenticité et
d'historicité, on aboutit à des solutions, autres que les données traditionnelles».
820 CHAPITRE IX § 1455-1458
peut y obéir par simple respect, sans subtiliser trop sur les motifs
de cette obéissance, en donnant simplement pour motif de ses
actions la volonté divine, ou en y ajoutant un petit nombre
de considérations sur le devoir qu'on a de la respecter. C'est
ainsi qu'on a le présent genre. 2"^^ L'homme peut obéir à cette
tique mais pour qui prétend cultiver uniquement la science expérimentale, le fait de
;
Jeanne d'Arc est un fait historique semblable à tant d'autres, et les problèmes
posés à propos des plus menus détails ont une importance minime. •
§ 1459 LES DÉRIVATIONS 821
l-iS9. Gomme
nous l'avons dit souvent, nous séparons par
l'analyse, problème abstrait, ce qui est uni dans la synthèse
dans le
1459 Sumin. Theol., Suppl., quaes., J, :] Sed aLLriLionis priucipium est limor
1 :
servilis, contritionis autem limor ûUalis.— Can. et dec)-. Conc. Tridentini, sessio XIV,
c. IV :(lonlritio... animi dolor ac detestatio est de peccato commisso, cum propo-
sito non peccandi de cetero... Illam vero contritionem imperfectam, quae attritio
dicitur, quoniam vel ex turpitudinis peccati consideratione yel ex gehennae et
poenarum metu communiter concipitur, si voluntatem peccandi excludat cum spe
veniae, déclarât non solum non facere liominem hypocritam et magis peccatorem,
verum etiara donum Dei esse et Spiritus sancti impulsum,... (juo poenitens adiutus
viam sibi ad iustitiam parât. — Gury Casus consc, II
; (p. 182)
: Albertus.
peraeta confessione, interrogatur a Gonfessario quonam motivo ad dolendum de
peccatis moveatur. Respondet poenitens : «Doleo de peccatis, quia timeo ne Deus
me puniat in liac vita aerumnis, vel morte subitanea, et post mortem aeternis cru-
ciatibus. —
Numquid, mi bone, ait Confessarius, eodem modo doluisti de peccatis
in antecessum, quando ad confitendum accedelias ? » Affirmât Albertus. Quapropter
iudicat Confessarius invalidas fuisse illius confessiones. utpote amore divino desti-
tutas et solo timoré peractas... Hinc Qiiaer. 1° An attritio sufficiat ?... (p. 183).
:
livre exprès pour prouver que nous n'étions point obligez d'aimer Dieu, et que ceux
qui soûtenoient le contraire, avoient tort et imposoient un joug insupportable au
Chrétien, dont Dieu l'avoit atTranclii par la nouvelle Loi. Gomme la dispute sur ce
sujet s'écliauffoit, M. Despréaux qui avoit gardé jusqu'alors un profond silence :
ment, lorsque notre Seigneur dira à ses Elus Venez, les bien-aimez de mon Père,
:
parce que vous ne m'avez jamais aimé de votre vie, que vous avez toujours défendu
de m'aimer, et que vous vous êtes toujours fortement opposez à ces hérétiques,
qui vouloient obliger les Chrétiens de m'aimer. Et vous au contraire, allez au Diable
et en Enfer, vous les maudits de mon Père, parce que vous m'avez aimé de tout
votre cœur, et que vous avez sollicité et pressé tout le monde de m'aimer...... —
BoiLEAU Epître, s. XII, Sur l'amour de Dieu.
;
14621 Tacit. : Genn., 14 : Si civitas in qua orti sunt longa pace et otio tor-
peat, plerique nobilium adolescentium petunt ultro eas nationes quae turn bellum
aliquod gerunt. —
Michaud Hist, des Crois.,
; t. I : « (p. 117) L'assurance de
l'impunité, l'espoir d'un meilleur sort, l'amour même
de la licence et l'envie de
secouer les chaînes les plus sacrées, firent accourir la multitude sous les ban-
nières de la croisade, (p. 119) L'ambition ne fut peut-être pas étrangère à leur
dévouement pour la cause de Jésus-Clirist. Si la religion promettait ses récom-
§ 14(33 LES DÉRIVATIONS 823
donné le nom d'(( intérêts vitaux» elle préside aux relations inter-
;
est versé dans la casuistique des dérivations voit aussitôt entre les
deux brigandages une énorme différence. Pour le moment, les
« intérêts vitaux » ne sont pas encore invoqués par les brigands
penses à ceux qui allaient combattre pour elle, la fortune leur promettait [aux
chevaliers] aussi les richesses et les trônes de la t^rre. Ceux qui revenaient
d'Orient parlaient avec entliousiasme des merveilles qu'ils avaient vues, des (p. 120)
riches provinces qu'ils avaient traversées. On savait que deux ou trois cents pèle-
rins normands avaient conquis la Fouille et la Sicile sur les Sarrasins ». En note :
vaisseaux, et j'irai conquérir un état ciiez les Sarrasins d'Espagne". Cette inter-
pellation se rencontre souvent dans les romans du moyen-âge. expression fidèle des
mœurs contemporaines : ,,Beau sire, baillez-moi hommes suffisans, pour me faire
téat ou royaume. — Beau fils, aurez ce que vous demandez " ».
824 CHAPITRE IX § 1463
car elle est employée surtout par les gens riches ou, pour le moins,
aisés, et tue bon nombre d'enfants de prolétaires, et même quelques
prolétaires adultes ; elle empêche aux enfants des pauvres de
jouer dans la rue, remplit de poussière les maisons des pauvres
paj^sans et des habitants des villages \ Tout cela est toléré, grâce à
la protection du dieu Progrès ; du moins en apparence car, en
réalité, y a aussi l'intérêt des hôteliers et des fabricants d'auto-
il
mobiles ". On va jusqu'à traiter ceux qui n'admirent pas les auto-
mobiles comme on traitait autrefois les hérétiques. Voici, par
exemple, en Suisse, canton des Grisons, qui ne veut pas laisser
le
passer les automobiles sur les routes construites avec son argent.
Aussitôt les prêtres du dieu Progrès se récrient et
et les frdèles
condamnent avec une colère vraiment comique cet acte hérétique
et coupable de lèse-majesté divine ils demandent que la Confédé- ;
populaire.
Notez, en ce cas, une dérivation qu'on rencontre habituellement
dans les autres religions, et qui consiste à rendre l'individu fautif
de ce qui est proprement une conséquence de la règle générale.
Quand il se produit quelque accident qui, en vérité, a pour cause
la grande vitesse qu'on permet aux automobiles, on en rejette
pèche contre le type admis de civilisation il encourt un blâme plus sérieux que
;
celui de ses collègues qui nie, en pleine école, la Patrie. Mais l'écraseur qui, au
mépris du piéton négligeable, cultive le cent-quarante, ne commet qu'une peccadille ;
on absout, ou peu s'en faut, l'auto dont les péchés ne sont mortels que pour les
braves gens qu'ils tuent. J'ai noté l'exploit d'un terrible autobus qui zigzaguait
comme un pochard, rue Notre-Dame-de- Victoires, et malmena deux gamins des ;
1463 2 Le Parlement italien a le plus grand soin des intérêts des industriels et
des trusts; c'est pourquoi, en 1912, il approuva une loi qui supprime le peu de pro-
tection accordée jusqu'alors aux piétons contre les conducteurs et les propriétaires
d'automobiles.
§ 1464-1467 LES DÉRIVATIONS 825
1464. III'^ Classe. Accord avec des sentiments ou avec des prin-
cipes. Souvent l'accord existe seulement avec les sentiments de
servé une idée plus ou moins distincte de l'unité de Dieu. ,,I1 faut, dit Bergier, ou
que cette idée ait été gravée dans tous les esprits par le Créateur lui-même, ou que
ce soit un reste de tradition qui remonte jusqu'à l'origine du genre humain, puis-
qu'on la trouve dans tous les temps aussi bien que dans tous les pays du monde"
(Dictionnaire de Théologie, art. Dieu) ». —
Idem. Ibidem : « (p. 309) Les pro-
pliéties sont possibles... les juifs et les chrétiens ont toujours cru aux propliéties :
les patriarches et les gentils ont eu la même croyance tous les peuples ont con-
;
servé quelque souvenir des prédictions qui annonijaient un Libérateur, qui a été
l'attente des nations... Il faut donc admettre la possibilité des prophéties. lien est
<:les prophéties comme des miracles jamais les peuples ne se seraient accordés
;
;'i
les croire possibles, si cette croyance n'était fondée sur la tradition, sur l'expérience,
et sur la raison ». — Idem, Ibidem, t. I « (p. 342) La croyance de l'immortalité de
:
pays lointains, ils n'ont trouvé aucune nation qui fût privée de la notion d'un état à
venir».
1470 2 Sext. Emp. : IX, Ado. phi/s.,
505 (60) ol roiuvv âeovç à^iovvreç eh>ai
p. :
l'absurde dans lequel tombent ceux qui suppriment les dieux la quatrième et der- ;
nière, la réfutation de ceux qui soutiennent l'opinion contraire. (61) Et ils arguent
de l'opinion commune que tous les liorames, Hellènes ou
Barbares, estiment que
les dieux existent... ». La seconde raison a pour fondement un résidu de la
II» classe (Persistance des agrégats). —
Plat. De leg.. X, p. 886. Les preuves de
;
l'existence des dieux sont «D'abord, la terre, le soleil et toutes les étoiles, le l)el
:
828 CHAPITRE IX § 1471
(5) dans un si grand désaccord, tous sont d'avis qu'il est un dieu
unique, souverain et père de toute chose, auquel viennent s'ajouter
d'autres dieux, ses lils et collègues. «C'est ce que disent l'Hellène
et le Barbare, le continental et l'insulaire, le sage et l'ignorant... »
C'est là un bel exemple d'un auteur donnant pour objective une
théorie subjective, qui est la sienne. Combien de gens étaient loin
de penser comme Maxime de Tyr ^ !
ordre des saisons, la distinction des années et des mois; et puis, que tous, Hel-
lènes et Barbares, estiment qu'il y a des dieux ». II faut remarquer qu'en un grand
nombre d'autres passages des œuvres attribuées à Platon, on trouve au contraire
exprimé que l'opinion du plus grand nombre a peu ou point de valeur par exemple, ;
dans Alcib., I, p. 110-111; Lach., p. 184; Sograte 'Eiriar^/xij -yâç, olfzat, 6el
:
Kçiveadai. àlX oh 7v7.fjdEi to fik'/Jkov Ko'kCôi; Kçt-dfjGEcdai. «Car c'est par la science, je
pense, et non par le nombre, qu'il convient de juger ce qui doit être correctement
jugé». —
Melesias « Certainement». — Gicébon met dans la bouche de Balbus,
:
De nat. deor., II, 2,i et sv., des arguments semblables à ceux des Lois. — Artemid. ;
àvdçùwuv àdsov, àaneç ovôè hliaaiXevTov. « Voici des coutumes générales vénérer :
et honoi-er les dieux, car aucune nation n'est athée, de même qu'aucune n'est
sans gouvernement». Il met cette coutume sur le même pied que la suivante éle- :
ver ses enfants, aimer les femmes, être éveillé de jour et dormir la nuit, se nourrir,
etc. —Saint Augustin est amusant il écrit contre les donatistes, et s'imagine que
:
le monde entier a son opinion sur l'efficacité du baptême. Cet eminent docteur
ignorait que le plus grand nombre des hommes qui vivaient sur la terre ne soup-
çonnaient môme pas l'existence de cette question théologique. D. August. — ;
1470^ Max. ïyr. ; Dissert., XVII. Suivant Plutaro.; De plac. philo soph., I, G,
9, nous tenons de trois sources la notion du culte des dieux des philosophes par
:
la nature, des poètes par la poésie, du consentement des lois des cités.
de braves gens non dans une seule religion mais dans différentes, et chez tous la vie
était basée sur la doctrine du Christ». Reste à savoir ce que Tolstoï entend par le
terme « braves gens ». S'il lui donne le sens qu'il a ordinairement, il ne peut ignorer
(ju'il y a des «braves gens» qui ne pensent pas du tout comme lui, et qui, par
il que tous ceux qui ne sont pas des gens de rien parta-
est évident
gent son avis. « Que si, dans le cours des temps, il a existé deux ou
trois athées abjects et stupides, que leurs yeux trompent, qui sont
induits en erreur par leur ouïe, eunuques quant à l'àme, sots,
stériles, inutiles comme des lions sans courage, des bœufs sans
cornes, des oiseaux sans ailes, cependant même par ceux-là tu
connaîtras le divin...» ^ Injurier ses adversaires n'a aucune valeur
au point de vue logico-expérimental, mais peut en avoir beaucoup
sous le rapport des sentiments ^
de ne pas « résister au mal », qu'on laisse le champ libre aux malfaiteurs. Gomme il
prétend que ses idées ont pour fondement la doctrine du Christ, il devient
évident qu'on ne peut affirmer que tous ceux qui portent le nom de « braves
gens » vivent selon la doctrine du Christ. Il faut donc changer le sens de
ce terme, si l'on veut conserver la proposition de Tolstoï. Pour qu'elle ait un
sens, il faut qu'on nous donne la définition de cette catégorie qui porte le nom
de « braves gens», et, en outre, il est nécessaire que cette définition soit indé-
pendante de l'acceptation ou du rejet de cette doctrine; parce que si l'on fait entrer
dans la définition, d'une manière ou d'une autre, même implicitement, la condition
que les « braves gens» sont ceux qui vivent selon la doctrine du Christ, telle que.
l'interprète Tolstoï, il est vrai qu'il ne sera pas difficile de démontrer que tous ceux
qui rentrent dans la catégorie des « braves gens» vivent suivant cette doctrine; mais
il n'est pas moins vrai que ce sera là une simple tautologie. En réalité, Tolstoï el
ses admirateurs ne se soucient pas de tout cela chez eux, le sentiment supplée : ;'i
l'observation des faits et à la logique. Ils ont certaines conceptions de ce qui leur
paraît «bon». D'une part, ils excluent naturellement de la catégorie des «braves
gens » ceux qui ont des conceptions différentes, lesquelles leur paraissent nécessai-
rement «mauvaises ». D'autre part, ils croient, ils s'imaginent tenir ces conceptions
de la doctrine d'un homme qu'ils révèrent, aiment, admirent tandis qu'en réalité ;
ils façonnent celte doctrine suivant leurs propres conceptions. Dans le cas de Tols-
toï et de ses adeptes, cet homme est le Christ mais ce pourrait être un autre, sans
;
de Tolstoï signifie donc simplement «J'appelle braves gens ceux qui suivent des
:
tâche d'amener la discussion sur ces individus corrompus par la volupté et privés
d'intelligence : to'iç ovtu rf/v Parmi cette maudite
ôiâvotav âi£(pdaç/iévoiç (p. 888).
engeance, il y a (p. 886) ceux qui disent que
ne sont pas divins, mais sont
les astres
de? la terre et de la pierre C'est là un bel exemple de la différence qui existe entre
!
Comp. de Platon et d'Aristote, ch. dernier, n. 11, p. m. 425, qui dit « Ce consen-
:
tement général de tous les peuples, dont il ne s'est jamais trouvé aucun sans la
si
créance d'un Dieu, est un instinct de la nature qui ne peut-être faux, estant si uni-
versel. Et ce seroit une sottise d'écouter sur cela le sentiment de deux ou trois liber-
tins tout au plus, qui ont nié la Divinité dans chaque siècle, f)0ur vivre plus tran-
quillement dans le désordre». Un peu plus haut il avait dit « Cette vérité... n'est
:
contestée que par des esprits corrompus par la sensualité, la présomption et l'igno-
rance... Il n'y arien de plus monstrueux dans la nature que l'athéisme c'est un
:
été, dit-on, un académicien qui eut jadis une des intelligences les plus souples elles
plus libres de son temps, et qui, en avançant en âge, est devenu à tel point sec-
taire qu'il ne voit plus dans Tolstoï qu'un malheureux ayant abouti à une faillite
morale et digne, tout au plus, de pitié». Nous sommes donc enfermés dans le
dilemme, ou d'accepter les raisonnements de Tolstoï, estimés cependant peu sensés
par beaucoup de personnes, ou d'être déclarés sectaires. Mais pourquoi se trouve-t-il
des gens pour employer cette artillerie de carton ? Evidemment parce qu'il y a des
personnes qui la craignent comme si elle était sérieuse, et qui, entendant ses coups,
dignes tout au plus de provoquer le rire, se tàtent les côtes pour savoir s'ils sont
blessés.
14721 GiG. De nat. deor., I, 23, 62. (flotta répond à Velleius qui avait donné le
;
consentement général pour preuve de l'existence des dieux Quod enim omnium
:
avait, sur la surface de la terre, aucune nation qui fît profession d'athéisme et :
c'est sur ce consentement unanime de tous les peuples, qu'une des principales
preuves de l'existence de Dieu a toujours été établie ». Le livre a été publié en
1833 — En deux passages, Str.^bon cite des peuples sans religion
! III, c. 4, 16,
:
p. 164, 250. èvLOL âè tovç Ka?i2.aiKovç àOéovç <paai. «Quelques-uns disent que les K. sont
athées ». XVII, c. 2, 3, p. 822, 1177, tûv âè -Kçhç rî) ôtaKSicav/Mvri tivèç koî àdsot
vo/iiÇovrai. « Quelques [peuples] de la zone torride sont réputés athées ». Ces deux
passages de Strabon ont été souvent cités par ceux qui voulaient contester la preuve
de l'existence des dieux, trouvée dans le consentement universel mais cette objec-
;
tion a peu ou point de valeur. D'abord, il faut observer que Strabon s'exprime
d'une manière dubitative (paai : —
vo/ucÇovrac ; et même s'il était tout à fait affirma-
tif, il resterait à savoir quelles sont ses sources. Ensuite, et c'est l'argument qui a
1473. Il parait qu'on fait aussi une difTérence entre tous les
peuples et tous les hommes, parce qu'on voudrait distinguer entre
les simples gens qui représentent l'opinion [populaire, et certains
hommes qui veulent par trop subtiliser. Parmi ces derniers, on
rangerait les athées, auxquels on pourrait ainsi légitimement
opposer le bon sens du plus grand nombre.
1474. Comme d'habitude, par les dérivations on peut prouver
le pour et le contre ; et il ne manqua pas de gens qui se préva-
lurent du défaut de consentement universel, pour contester l'exis-
tence des dieux et de la morale. Platon accuse du fait les sophistes.
14751 Cic, De nat. deor., emijloie les deux procédés. Velleius dit (I, 17, 44} :
De quo aulem omnium natura consentit, id verura esse necesse est. « Ce à quoi tout
le monde consent naturellement est vrai nécessairement». Cela pourrait suffire et :
puisqu'il a commencé par dire que tous les hommes ont la notion des dieux, il en
résulte la conclusion Esse igitur Deos confitendum est. « Il faut donc recon-
que :
naître qu'il y a des dieux Mais Velleius n'est pas satisfait il veut encore expli-
». :
quer comment et pourquoi les hommes ont cette notion. Il loue Epicure d'avoir
démontré l'existence des dieux par un moyen expérimental, opposé aux vains songes
des autres philosophes (I, IG, 43) Solus enim vidit primum esse Deos, quod in
:
omnium animis eorum notionem irapressisset ipsa natura. Notez qu'il exprimerait la
même chose, en disant simplement que cette notion est dans tous les esprits mais ;
il appelle à sou aide madame Nature, parce que cette entité métaphysique confère
de l'autorité au raisonnement. Gela ne suffit pas cette notion est même une préno-
;
tion : (I, 16, 43) Quae est enim gens, aut quod genus hominum, quod non habeat
sine doctrina anticipationem quamdam Deorum ? quam appellat irçôTi-riipiv Epicu-
rus, id est, anteceptam animo rei quamdam informationem, sine qua nec intelligi
quidquam, nec quaeri, nec disputari potest. De là, et grâce au principe d'après
lequel ce qui est consacré par le consentement univei'sel est vrai, Velleius déduit
aussi que les dieux sont immortels et bienheureux. Il pourrait encore d(''duire bien
des merveilles, s'il voulait (I, 17, 45)
: Ilanc igitur habemus, ut Deos beatos et
immortales putemus. Quae enim nobis natura informationem Deorum ipsorum dédit
[on fait parler cette dame Nature comme on veut], eadem insculpsit in mentibus,
ut eos aeternos et beatos halierenius. —
Balbus répète (II, 4, 12) que «parmi tous
832 CHAPITRE IX § 1476-1478
les hommes de toutes les nations, il est admis qu'il existe des dieux, car c'est inné
chez tout le monde, et presque imprimé dans l'esprit » il dit que l'existence des
;
dieux est tout à fait évidente (II, 2, 4) et que personne ne la nie (II, 5, 13) Quales
:
sint, varium est :esse nemo negat; cependant il se laisse entraîner à la démontrer,
et observe (II, 9, 23) Sed quoniam coepi secus agere, atque initio dixeram
:
:
negaram enim hanc primam partem egere oratione, quod esset omnibus perspi-
cuum, Deos esse tamen id ipsum rationibus physicis confirmari volo.
: Gotta —
remarque, et c'est une observation à répéter dans tous les cas semblables, que Bal-
bus apporte tant de preuves nouvelles, parce qu'il voyait que sa démonstration
était incertaine. (III, 4, 9)Sed quia non confidebas, tam esse id perspicuum, quam
tuvelis; propterea multis argumentis'Deos esse docere voluisti. Puis il nie carré-
ment qu'il faille accepter l'opinion du "plus grand nombre ou de tout le monde:
(III, 4, 11) Placet igitur, tantas res opinione stultorum iudicari, vobis praesertim,
qui illos insanos esse dicatis ? Cet exemple est important, parce qu'il a une portée
générale, et sert à un grand nombre d'autres cas semblables.
§ 1479-1480 LES DÉRIVATIONS 833
sanction; elle consiste dans blâme qui frappe celui qui les trans-
le
d'une grande importance dans les sociétés humaines, car elles ser-
vent surtout à faire disparaître le contraste qui pourrait exister
entre l'intérêt individuel et l'intérêt de la collectivité ; et l'un des
procédés employés pour atteindre ce but consiste à con-
les plus
fondre les deux intérêts, grâce aux dérivations, à affirmer qu'ils
sont identiques, et que l'individu, en pourvoyant au bien de sa
collectivité, pourvoit aussi au sien propre (§ 1903 à 1998). Paimi les
nombreuses dérivations qu'on emploie dans ce but, il y a justement
celles que nous examinons maintenant. L'identité indiquée des
deux intérêts s'obtient spontanément par le 4'^ et le Q)" procédés, ou
grâce à l'intervention d'une puissance irréelle, par le 5^ procédé.
1480. Au chapitre III (§ 325 et sv.), nous avons classé les
préceptes et les sanctions, eu égard surtout à la transformation des
actions non-logiques en actions logiques (§ 1400). Voyons la corres-
pondance des deux classifications. Les classes du chapitre III sont
1479' Ici, nous envisageons exclusivement sous l'aspect des dérivations un cas
particulier d'une théorie générale qui sera exposée plus loin (| 1897 et sv.).
SOCIOLOGIE 53
834 CHAPITRE IX § 1481
imposée par une puissance réelle nous ; sommes donc dans le cas
du 2c procédé. En (d), ou la puissance, ou la sanction, ou toutes
les deux sont irréelles par conséquent, cette;
classe correspond au
5^ procédé. Voyons maintenant séparément le 4^, le 5" et le 6« pro-
cédés.
1481. procédé. Démonstration pseudo-expérimentale. Le type
'i^"^
est letabou avec sanction. Nous avons déjà parlé du tabou sans
sanction (§ 321 et sv.). On admet que la transgression du tabou
expose à de funestes conséquences, semblables à celles qui affligent
celui qui transgresse la prescription de ne pas faire usage d'une
boisson vénéneuse. Dans l'un et l'autre cas, il y a des remèdes pour
se soustraire à ces conséquences. Pour le tabou, les conséquences
et lesremèdes sont pseudo-expérimentaux {¥ procédé), et pour la
prescription concernant le poison, ils sont expérimentaux (P' pro-
cédé). En parlant des résidus, nous avons vu (§ 1252 ^j quels
remèdes on emploie, à l'île Tonga, pour faire disparaître les consé-
quences fâcheuses d'une transgression du tabou. Nous traitions
alors du rétablissement de l'intégrité de l'individu et, à ce point ;
seconde concerne les maux d'une vie future, par conséquent irréels,
et des remèdes spirituels, tels que la contrition et l'attrition du
pécheur. De nouvelles dérivations viennent s'ajouter au simple
tabou. Là où existe le concept d'un être surnaturel, on le met en
rapport avec le tabou, de même qu'avec toute autre opération im-
portante ^ Puis l'action spontanée du tabou se change en une
1'j81 >-Les Européens soni souvent induits en erreur, el prennent le ialiou pour
.
une conséquence de l'intervention divine, tandis qu'au contraire, c'est celle-ci qui
est la conséquence de celui-là. —
De Rienzi Océanie, t. I « (p. 53) Plus que tout
; :
est convaincu que tout objet, soit être vivant, soit matière inanimée, frappé d'un
tapou par un prêtre, se trouve dès loi's au pouvoir immédiat de la divinité, et par
là même interdit à tout profane contact». Là apparaît le préjugé religieux de l'Eu-
ropéen il parle d'un prêtre, et peu après nous apprend que tout chef peut imposer
;
le tabou « (p. 54) On sent bien que le tapou sera d'autant plus solennel et plus
:
arikis, ou prêtres, savent toujours se concerter ensemble pour assurer aux tapous
toute leur inviolabilité. D'ailleurs les chefs sont le plus souvent arikis eux-mêmes,
ou du moins les arikis tiennent de très près aux cliefs par les liens du sang ou des
alliances »
il faut aimer tous les hommes. Mais avant tout il faut aimer ses parents». Notez
bien que c'est une morale laïque et scientifique, qu'on dit très supérieure à la
morale religieuse et notez aussi que la morale de ce bon M. Aulard ne plagie
;
Tabou " Mais Rio-Rio, ne tenant nul compte de leurs cris continua à manger. I^es
!
victoires d'Héraclée «(p. 55) Quoique l'Empire romain eût relevé l'honneur de ses
:
armes et reconquis son territoire, il y eut une chose qu'il ne put reconquérir. La
foi religieuse était irréparablement perdue. Le magisme avait insulté le christia-
nisme à la face du monde, en profanant ses sanctuaires - Bethléem, Gethsémani,
le calvaire — en brûlant la sépulture du Christ... en enlevant, au milieu de cris de
triomphe, la croix du Sauveur. Les miracles avaient autrefois abondé en Syrie,
en Egypte, en Asie Mineure. Il s'en était fait dans les occasions les moins impor-
tantes et pour les objets les plus insignifiants ; et pourtant, dans ce moment
suprême, aucun miracle ne s'était accompli ! Les populations chrétiennes de
l'Orient furent remplies d'étonnement quand elles virent les sacrilèges des Perses,
perpétrés avec impunité... Dans la terre classique du miracle, l'étonnement fut suivi
de la consternation et la consternation s'éteignit dans le doute».
§ 1485-1488 LES DÉRIVATIONS 887
d'un effet physique mais elle n'aurait pu avoir avoir lieu si l'effet
;
est absurde de raisonner sur le bonheur des hommes autrement que par leurs pro-
pres désirs et par leurs propres sensations il est absurde de vouloir démontrer
:
par des calculs, qu'un homme doit se trouver heureux, lorsqu'il se trouve malheu-
reux... Et pourtant c'est justement ce que fait l'auteur. — Bentham-Laroche
^> ;
Déontologie, t. Il «(p. 14-3) Chacun est le meilleur juofe de la valeur de ses plai-
:
posé à se venger il faut encore pouvoir. L'auteur ramène les deux choses à une
;
seule. 2» Qui lui a dit que « la somme de peine » que peuvent infliger ceux que nous
avons offensés, sera « égale ou supérieure » à la « somme de plaisir que nous
aurions goûtée ?». Que fait-il du cas où cette somme serait moindre? S" Et si quel-
qu'un disait « Le plaisir présent que me procure l'acte que vous voulez me per-
:
suader de ne pas accomplir est, à mon avis, plus grand que la peine future et seu-
lement probable qui en sera la conséquence donc, suivant votre principe même,
;
il est absurde de vouloir m'en priver, en raisonnant sur mon bonheur autrement
que par mes propres désirs et mes propres sensations ». Que pourrait opposer Ben-
tham, sans tomber en contradiction avec lui-même ?
1488 2 Bentham-Laroghe Déontologie, t. I
; « (p. 143) Timothée et Walter
:
sont deux apprentis. Le premier est imprudent et étourdi; l'autre est prudent et
sage Le premier se livre au vice de l'ivrognerie
. le second s'en abstient. Voyons
;
ouvrage a cessé d'être pour lui une source de satisfaction ». Au contraire, W., dont
la santé était faible, la fortifie; il est heureux «2° Sanction sociale. T. a une
:
sœur qui prend un vif intérêt à son bonheur. Elle lui fait d'abord des reproches,
puis le néglige, puis l'abandonne. Elle était pour lui une source de bonheur. Cette
source, il la perd ». Et s'il n'avait pas de sœur? Et si, ayant .une sœur, elle restait
avec lui ? Et si c'était une de ces personnes qu'il vaut mieux perdre que trouver ?
W. a, au contraire, un frère qui d'abord s'occupait peu de lui, et qui devient
ensuite son meilleur ami. « (p. 144) 3° Sanction populaire. T. était membre d'un
§ 1489 LES DÉRIVATIONS 839
et qui est justement un de ces récits qu'on fait aux enfants quand
on les menace de l'ogre. La meilleure réfutation est celle qu'a faite
Mark Twain ^ dans ses deux récits humoristiques du bon petit
garçon et du méchant petit garçon.
1489. Ce premier procédé de démonstration n'est donc pas très
efficace, et il semble que le défaut n'en a pas complètement échappé
à Bentham il a recours à un second procédé de
\ C'est pourquoi
démonstration, invoque un autre principe celui «du plus grand
et :
taire, et est expulsé par un vote unanime. Les habitudes régulières de W. avaient
attiré l'attention de son maître. Il dit un jour à son banquier Ce jeune homme :
est fait pour quelque chose de plus élevé. Le banquier s'en (p. 145) souvient, et
à la première occasion, il remploie dans sa maison. Son avancement est rapide :
même plus vrai, sied mal à un moraliste... ». Donc, même s'il est vrai, il ne faut
pas le dire. Gela peut être mais il faut que Bentham choisisse son but. Veut- il faire
;
nombreux cas, s'oppose manifestement au premier. « (p. 379) Ce fut en 1882 dans
son Projet de codification, que Bentham fit usage pour la première fois de cette for-
mule ., Le plus grand bonheur du plus grand nombre ". Tout ce qui est proposé
dans cet ouvrage y est subordonné à une nécessité fondamentale, ,,le plus grand
bonheur du plus grand nombre " ». C'est très bien mais, dans ce cas, pourquoi ;
vient-on nous dire que chaque homme est seul juge de son bonheur, ou bien:
« (II, p. 16) Qu'on fasse retentir tant qu'on voudra des mots sonores et vides
de sens, ils n'auront (p. 17) aucune action sur l'esprit de l'homme, rien ne
saurait agir sur lui, si ce n'est l'appréhension du plaisir et de la peine »? Pour-
tant, il semble que Bentham n'était pas entièrement satisfait de sa formule « (I, :
840 CHAPITRE IX § 1490
p. 388) Bentham, dansles dernières années de sa vie, après avoir soumis à un exa-
men plus approfondi cette formule ,, Le plus grand bonheur du plus grand nombre ",
:
crut ne pas y trouver cette clarté et cette exactitude qui l'avaient d'abord recom-
mandée à son attention... (p. 391) Bien que cette formule ,, Le plus grand bonheur :
du plus grand nombre" ne satisfît pas Bentham, on peut douter cependant qu'il y
ait réellement des raisons suffisantes pour la rejeter ».
cependant elle a joui d'un grand crédit. Comment cela esl-il pos-
sible? Pour le même motif que celui en vertu duquel d'autres
théories semblables ont obtenu un tel succès ; c'est-à-dire parce
qu'elles unissaient les résidus de l'intégrité personnelle et ceux de
la sociabilité. Cela suffit : les gens ne regardent pas de si près à la
manière dont les résidus sont unis, c'est-à-dire à la dérivation.
Bentham inclinerait à faire rentrer les animaux dans « le plus
grand nombre » de sa formule. De même aussi John Stuart Mill,
qui estime que « le principe général auquel toutes les règles de la
pratique [de la morale] doivent être conformes et le critérium
par lequel elles doivent être éprouvées, est ce qui tend à pro-
curer le bonheur du genre humain, ou plutôt de tous les êtres sen-
sibles... ')).
et les exclut.
nes praestantius ad suum esse conservandum optare possunt, quam quod omnes in
omnibus ita conveniant... ex quibus sequitur, homines, qui Ratione gubernantur.
hoc est homines, qui ex ductu Rationis suum utile quaerunt, nihil sibi appetere.
842 CHAPITRE IX § 1494
gent ainsi de forme, mais le fond est toujours que pour faire son
propre bien, il faut faire celui d'autrui ^ et nous retrovivons ce
principe dans la doctrine moderne de la solidarité.
quod reliquis hominibus non cupiant, atque adeo eosdem iustos. fidos. atque hones-
tos esse.
le vice ne sont point fondés sur des conventions, mais sur les rapports qui sont
entre les êtres de l'espèce humaine. Les devoirs des hommes entre eux dérivent de
la nécessité d'employer les moyens qui tendent à la fin que leur nature se propose.
C'est en concourant au bonheur d'autrui, que nous l'engageons à faire le nôtre».
résulte le principe d'après lequel les erreurs des hommes sur ce qui
constitue le bien sont l'origine de tout mal ^
remarque que l'on peut faire... c'est que l'observation exacte des lois naturelles
est ordinairement accompagnée de plusieurs avantages très-considérables, tels
que sont la force et la santé du corps, la perfection et la tranquillité de l'esprit,
l'amour et la bienveillance des autres hommes. Au contraire, la violation de ces
mêmes lois est pour (p. 323) l'ordinaire suivie de plusieurs maux, comme le sont
la faiblesse, les maladies, les préjugés, les erreurs, le mépris et la haine des
hommes. Cependant ces peines et ces récompenses naturelles ne paraissent pas
suffisantes pour bien établir la sanction des lois naturelles car 1° les maux qui;
donc que tout ce que nous connaissons de la nature de l'homme, delà nature de Dieu,
et des vues qu'il s'est proposées en créant le genre humain [qui donc a révélé ces vues
à notre auteur?], concourt (p. 328) également à prouver la réalité des lois natu-
relles, leur sanction et la certitude d'une vie à venir, dans laquelle cette sanction se
manifestera par des peines et des récompenses ».
14951 Novicow La morale et V intérêt : <i(ç. 20) La base fondamentale de la
;
morale est le respect absolu des droits du prochain. Mais ce n'est nullement par
amour du prochain qu'il faut respecter ses droits, c'est uniquement par amour de
soi ». L'auteur dit « (p. 49) L'idée qu'on s'enrichit plus vite en spoliant le voisin
:
qu'en travaillant, idée qui parait vraie n'est pas vraie en réalité. Le fait justement
opposé, qu'on s'enrichit le plus vite possible, en respectant scrupuleusement les
droits du voisin, est seul conforme à la réalité des choses». Donc, on n'a jamais
vu quelqu'un s'enrichir par des moyens qui ne fussent tout à fait moraux « (p. 50) !
844 CHAPITRE IX § 1496
Toutes les fois qu'un ouvrier use de la violence pour se faire payer un salaire
supérieur au prix naturel du marché [que peut bien être ce prix naturel ?], il se
vole lui-même. Toutes les fois qu'un patron emploie la violence pour payer à
l'ouvrier un salaire inférieur au prix naturel du marché, il se vole lui-même,
(p. 51) Essayons de nous représenter ce que serait le monde si les hommes, ne
trouvant plus conforme à leurs intérêts de spolier le voisin, s'abstenaient de le
l'aire sous n'importe quelle forme. Immédiatement il n'y aurait plus ni serrures, ni
l)0ur les causes civiles, car les crimes passionnels continueraient à se produire »].
Dans cette société, il ne se ferait ni procès, ni grèves, ni sabotages, ni lock-outs, ni
spéculations véreuses... (p. 51) En un mot, dans la société antispolialrice, la produc-
tion serait la plus grande et la plus rapide qui (p. 52) puisse se réaliser sur le
globe; donc la richesse atteindrait son point culminant. Maintenant, richesse, bien-
être, bonheur et intérêt sont des termes synonymes. D'autre part, i-espect absolu des
droits du prochain et morale sont aussi des notions identiques. Lors donc que
notre intérêt sera le mieux satisfait lorsque nous nous conduirons de la façon la
plus morale, comment peut-on contester l'identité de la morale et de Fintérêt ? » Le
sophisme du raisonnement général apparaît mieux encore en un cas particulier.
« (p. 56) Un juge a-t-il véritablement intérêt à se vendre? Certes non, et, quand il
se vend, c'est faute de comprendre qu'il n'a aucun avantage à le faire... l'expé-
rience montre que les juges ont les traitements les plus élevés, précisément dans
les pays où ils ne vendent pas leur conscience. L'incorruptibilité des juges contri-
bue, dans une forte mesure, à augmenter la richesse sociale, et, plus la richesse
sociale est considérable, mieux peuvent être payés les fonctionnaires publics.
Ainsi un juge mal informé croit qu'il aura plus de revenu en vendant la justice;
un juge bien informé sait que c'est le contraire. Mais un juge qui sait qu'il
gagnera plus en restant incorruptible comprend qu'il est conforme à son intérêt
de rester incorruptible». Supposons vraie l'affirmation quelque peu arbitraire sui-
vant laquelle les juges sont mieux payés quand ils sont incorruptibles, et occupons-
nous uniquement des erreurs de logique. 1» Le dilemme posé par l'auteur n'existe
pas il n'y a pas à choisir uniquement entre un état où tous les juges sont cor-
:
ruptibles, et un autre état où ils sont tous incorruptibles. Il y a les états inter-
médiaires. Par exemple, si tous sont incorruptibles moins un, celui-ci jouit de
Tavantage général supposé par l'auteur, et en outre, de l'utilité particulière qu'il
obtient en se laissant corrompre. Si tous sont corruptibles moins un, celui-ci
souffre du mal général, et il a en plus son mal particulier, en refusant les avan-
tages de la corruption. 2» Il ne suffit pas de prouver que les juges incorruptibles
sont mieux payés que les juges corruptibles il faut encore démontrer que quan-
;
ment serait que celui qui fait A ne désire pas du tout que les
autres fassent de même mais on ne peut la donner, pour ne pas
;
gagne rien. Mais si les autres usuriers étaient dissuadés d'exercer leur métier,
c'est à moi que reviendraient tous leurs gains " ».
846 CHAPITRE IX § 1497-1499
exemple, le loup qui mange les moutons, le maître qui exploite ses
esclaves ^ Le raisonnement dont nous avons parlé tout à l'heure est
puéril et ne peut être accepté que par des personnes déjà persuadées.
1498. (lll-y) Intérêt coltectif. Si cet intérêt est réel, et si l'indi-
existe des résidus (IV'' classe) qui poussent cet individu à exécuter
ces actions. Mais, le plus souvent, le but objectif diffère du but sub-
1497 ' Pour plus de d(''lai!s, voir Systènies socialistes, t. II, p. '2'2Ô et sv.
§ 1500-1501 LES DÉRIVATIONS 847
1501» Diet. Saglio, s. r. JSoxalis actio « (p. 114). Le propriétaire est, dans
:
certains cas, responsable du dommage causé par ses animaux. D'après les Douze
Tables, il faut que l'animal soit un quadrupède... La jurisprudence étendit plus
tard cette règle aux dommages causés par les bipèdes. La victime est autorisée à
poursuivre le propriétaire de l'animal par une action spéciale appelée de pauperie.
Le propriétaire a le choix entre deux partis faire l'abandon de l'animal ou réparer
:
Man. él. de dr. rom., remarque excellemment comment, au moyen des dérivations,
les jurisconsulles se sont efforcés de remédier à certaines conséquences, tenues pour
nuisibles, de cette persistance d'agrégats « (p. 395, note 1) Il est piquant de rele-
:
5^
1501 LES DERIVATIONS 849
genre, nous ne pourrions affirmer que des actions juridiques ont été
étendues aux animaux. Mais voici qu'à Athènes, apparait l'action
contre les animaux, indépendamment de leur propriétaire et J
ver les efforts infructueux faits par les jurisconsultes de la fin de la République
pour accommoder ces vieilles actions à la notion moderne de l'imputabilité, en déci-
dant que le dommage doit avoir été causé par l'animal contra naturarn... et en
appliquant aux. batailles des animaux le principe de la légitime défense». L'aban-
don de l'animal se trouve aussi dans la Lex Burgundionum, XVIII, 1 Ita ut si :
de animalibus subito caballus caballum occident, aut bos bovem percusserit, aut
canis momorderit, ut debilitetur, ipsum animal aut canis, per quem damnum videtur
admissum, tradatur illi, qui damnum pertulit.
15012 BKA.UGHET Hist. du dr. pr. de la rép. ath., t. IV
; « (p. 391) ... à Athènes, :
l'action[0'kâBrjç, qui correspond à l'action de pauperie des XII tables] paraît plutôt
donnée contre l'animal que contre le maître, et dans le but de permettre à la vic-
time du dommage l'exercice de la vindicta privata sur l'animal lui-même ». Les
Athéniens attribuaient à Solon la loi qui prescrivait de consigner à la partie lésée
l'animal coupable. —
Plutarch. Soi., 24, 3, où il est parlé d'un chien qui mord.
;
1.501^ Dem.: c. AristO'^i'., 76, p. 645 : El roivw tùv àtpvxuv koi fitj [lerexàvTuv tov
ççovEiv oiiâév lad' bciov, Toiamrjv èxov alrlav, èàv àKçiTov. « Si donc les choses inani-
mées et ne jouissant pas de la raison sont sujettes à cette accusation [d'homicide],
il n'est pas permis de priver d'un jugement... »
SOCIOLOGIE 54
850 CHAPITRE IX § 1501
tomba sur lui et le tua. « Les fils du mort ouvrirent une action en
homicide contre la statue. Les Thasiens jetèrent la statue à la mer,
suivant une loi de Dracon... » Mais ensuite leur pays devint stérile,
et l'oracle de Delphes en donna pour cause qu'ils avaient oublié le
des agrégats, en vertu desquels nous voyons une statue avoir des
rapports juridiques analogues à ceux d'un homme. Enfin, nous
avons, à Athènes, pour le meurtre du bœuf ^; où l'on
le procès fictif
1501 ' C'était une cérémonie appelée Bov<p6vta. Sur ce sujet, nous avons d'abon'
dants renseignements dans Porphyr. De abstinentia ab esu anùnalium, II,
;
29-30. D'autres auteurs en parlent aussi. En peu de mots, un bœuf mangeait des
offrandes déposées sur l'autel. On tuait le bœuf, puis l'on faisait un procès devant
le tribunal qui jugeait les homicides occasionnés par des objets inanimés. Chacun
des acteurs du drame rejetait successivement sur un autre la faute du fait, jusqu'à
ce qu'il ne restât plus que la hache avec laquelle le bœuf avait été tué. Cette hache
était condamnée et jetée à la mer. Paus.-vnias, I, 24, dit qu'il ne rapportera pas
quelle cause on attribue à ce fait. On a voulu deviner cette cause, et plusieurs expli-
cations ont vu le jour, parmi lesquelles celle du totémisme. A vrai dire, on ne peut
rien savoir de certain ou môme seulement de très probable. Chercher à deviner les
combinaisons qui ont donné naissance à une dérivation est une entreprise sans
espoir de succès, quand des renseignements directs font défaut, et très difficile
encore, si l'on en possède quelques-uns. Pour nous, il suffit ici de remarquer le
procès que l'on faisait autrefois à des hommes et à une hache.
15018 Plin. yat. hist., VIII, 18,2
: Polybius Aemiliani comes, in senecta
:
hominem appeti ab ils refert... Tune obsidere Afrieae urbes eaque de causa cruci- :
lixos vidisse se cum Scipione, quia caeteri metu poenae similis absterrerentur eadem
noxa.
1501'* Gen., IX, 5. {Vulg.) Sanguinem enim aniraarum vestrarum requiram de
manu cunctarum bestiarum ; et de manu hominis, de manu viri et fratris eius,
requiram animam hominis. {Sept.) koI ynp to vfiérsçov aifia tùv ipvxijv vfiùv, èk x^^Çoç
rvâvTuv Tùv dijçiuv eK^T/r^ao) avrô. Ex., XXI, 28. L'inculpation de l'animal est entière-
ment séparée de celle du maître l'animal homicide est coupable et puni comme
:
tel ; maître est innocent. {Vulg.) Si bos cornu perçussent virum aut mulierem,
le
et mortui fuerint, lapidibus obruetur, et non comedentur carnes eius, dominus
<Iuoque bovis innocens erit. —
Zev., XX, 15 {Vulg.) Qui cum iumento et pécore
coierit, morte moriatur pecus quoque occidite. {Sept.) koi ôç àv âû Koiraacav abrov
;
§ 1Ô02 LES DÉRIVATIONS 851
eorum sit super eos. (Seg.) « leur sang retombera sur eux ». Donc, sur la femme et
sur l'animal. —
Cot excellent Philon le Juif a trouvé une belle dérivation. Il
s'imagine qu'on tue l'animal pour qu'il n'en naisse pas une progéniture mons-
trueuse, comme il en naquit une de l'union de Pasiphaé avec le taureau De spec, !
leg., 8, p. 73-74, t. 5,Rich., p. 783-784. P. (p. 784) Proinde sive vir ineat quadrupe-
dem, sive mulier eam admittat, necabuntur et homines et quadrupèdes illi quia :
1501 w Gregorovius ; Storia délia città di Roma (GescliicMe der Stadt Rom im
Mittelalter). t. III.
(SÔ2 CHAPITRE IX ^ 15(»'2
Une partie eurent lieu devant les tribunaux laïques, une partie
devant les tribunaux ecclésiastiques. La procédure devant le tri-
bunal civil était la même que si l'accusé avait été un être humain-.
ment et la fin :
1690
.
;i
1002 LKS DÉRIVATIONS 85.')
Mahomet lui rcpomlit qu'il ne pouvait s'arroger le droit de destruciion qu'à la troi-
sième désobéissance de l'insecto. c'est-à-dire après les trois sommations d'avoir à se
retirer »
muniés. (I 304, p. 255) Item audivi quod in ecclesia Sancti Vincencii Matisconensis...
multi passeres solebant intrare et (p. 256) ecclesiam fedare et officium impedire.
C-um autem non possent exçludi, episcopus illius loci... eas excommunicavit, mor-
tem comminans si ecclesiam ulterius intrarent que, ab ecclesia recedentes, nun-
;
quam postea eamdem ecclesiam intraverunt. [Ainsi, les pauvres petits moineaux
furent, sans procès, frappés d'excommunication et comme témoin oculaire de
;
l'efficacité de cette condamnation, nous avons l'auteur]. Ego auteia vidi multitudi-
nem earum circa ecclesiam nidilicantes, et super dictam ecclesiam volantes et
manentes nuUam autem earum vidi in dicta ecclesia. Est eciam ibi communis
;
étant eux syndics, prêts à relâcher à ces mêmes animaux, au nom de la Com-
mune, un local où ils aient à l'avenir pâture suffisante... ». La cause suit son
cours; les avocats présentent leurs mémoires; il y a répliques et dupliques;
enfin, « (p. 19 M) il fallait que les syndics de St. Julien n'eussent pas grande con-
fiance en la bonté de la cause qu'ils poursuivaient, puisqu'ils jugèrent à propos
d'adopter d'une manière principale le mezza termine qu'ils n'avaient proposé au
commencement de l'instance que par mode (p. 20 M) subsidiaire ». Ils convoquent
les habitants de la Commune, « à l'effet de réaliser les oftVes précédemment faites,
en relâchant aux amlilevins un local où ces bestioles pussent trouver à subsister...
Chacun des assistants ayant manifesté son opinion, tous furent d'avis d'offrir aux
amblevins une pièce de terre située au-dessus du village de Claret... contenant
environ cinquante sétérées, et de la quelle les sieurs advocat et procureur d'iceulr
animaulx se veuillent co'mptenter... ladicte pièce de terre peuplée de plusieurs
espesses de hoès, plantes et feuillages, comme fouir, allagniers. cyrisiers.
.
«(p. 100) Une procédure faite en 1451... dans le but d'expulser les
chesnes... oultre Verbe et pasture qui y est en assez (p. 21 M) bonne quantité...
En habitants de St. Julien crurent devoir se réserver le
faisant cette offre, les
droit de passer par la localité dont il s'agit, tant pour parvenir sur des fonds
plus éloignés, sans causer touttefoys aulcung préjudice à la pasture desdictz
animaulx, que pour l'exploitation de certaines mynes de colleur, c'est-à-dire
d'ocre, qui existaient non loin de là. Et parce que, ajoutent-ils, ce lieu est une
seure retraicte en temps de guerre, vu qu'il est garny de fontaynes qui aussi
serviront aux animaulx susdicts, ils se réservent encore la faculté de s'y réfugier
en cas de nécessité, promettant à ces conditions, de faire dresser en faveur des
insectes ci-dessus nommés, contrat de la pièce de terre en question, en bonne
forme et vallable à perpetuyté. Le 34 juillet, Petremand Bertrand, procureur
des demandeurs, produisit une expédition du procès-verbal de la délibération prise...».
Il demande que, si les défendeurs n'acceptent pas, « il plût au révérend juge
lui adjuger ses conclusions, tendantes à ce que lesdits défendeurs soient déclarés
tenus de déguerpir les vignobles de la Commune, avec inhibition de s'y intro-
duire à l'avenir, sous les peines du droit». Le procès continue, et, le 3 sep-
tembre, « (p. 32 M] Antoine Filiiol, procureur des insectes, déclara ne pas vou-
loir accepter au nom de ses clients l'offre faite par les demandeurs, attendu que
la localité offerte était stérile et ne produisait absolument rien, cum sit locus ste
rilis et nullius redditus... (p 23 M) De son côté, Petremand Bertrand ht observer,
que, loin d'être de nul produit, le lieu en question abondait en buissons et en
petits arbres très propres à la nourriture des défendeurs... Sur quoi l'Official
ordonne le dépôt des pièces. Une portion du feuillet sur lequel se trouvait écrite la
sentence... est devenue la proie du temps... ce qui en reste sufht néanmoins pour
faire voir que l'Official, avant de prononcer en définitive, nomma des experts aux
fins de vérifier l'état du local offert aux insectes... » L'idée d'abandonner aux insectes
un lieu où ils puissent vivre n'est pas particulière au présent procès. On en a
d'autres exemples. Hemmerlein, cité par Menabrea, raconte comment, après un
procès régulier, les habitants de Goire pourvurent certaines cantharides d'un lieu
où elles pussent vivre. « (p. 93) Et aujourd'hui encore, ajoute Hemmerlein, les
habitants de ce canton passent chaque année un bon contrat avec les cantharides
susdites, et abandonnent à ces insectes une certaine étendue de terrain si bien :
que les scarabées s'en contentent, et ne cherchent point à sortir des limites con-
venues »
856 CHAPITRE IX § 1503
cause intéressant tous les rats, ils devaient tous être appelés. Ayant
gagné ce point, il entreprit de démontrer que le délai qu'on leur
avait donné était insuffisant ; qu'il eût fallu tenir compte non-
seulement de la distance des lieux, mais encore de la difficulté du
1503. Tout cela nous semble ridicule; mais qui sait si, dans
quelques siècles, les élucubrations de notre temps sur la solidarité
1503 1 D. ÏHOM.; Summ. theol., II» II'S q. 76, art. 2 Conchisio. Creaturis irra-
:
hoc otiosum et vanum. — Corp. iuris can. ; deer. Grat., pars sec, caus. XV,
q. 1, c. 4: Non propter culpam, sed propter inemoriam facti pecus oceiditur,
ad cjiiod mulier accesserit. XJnde Augustinus super Leviticwn ad c. 20, q. 74....
i^
1. Quaeritur, quomodo sit reum pecus cura sit irrationale, née ullo modo
:
legis capax. Et infra : Pecora inde credendum est iussa interfici, quia tali Ûagitio
contaminata indignam l'efricant facti memoriam. Menabrea a reproduit, dans son
livre, le Discours des Monitoires, avec un plaidoyer contre les insectes, de
l'avocat Gaspard Bally de Ghambéry, qui vivait dans la seconde moitié du
XVII* siècle. On y peut lire des modèles de plaidoyers contre les insectes et en
leur faveur, ainsi que des conclusions du procureur de l'évèque et de la sentence
du juge ecclésiastique. Le procureur des insectes produit de nombreuses citations
de textes divins et légaux, et conclut « (p. 138) Par les quelles raisons on voit, que
:
ces animaux sont en nous absolutoii'es, et doivent estre mis hors de Gour et de
Procès, à quoy on conclud ». Mais le procureur des habitants réplique « (p. 138) :
Le principal motif qu'on a rapporté pour la deflfense de ces animaux, est qu'estans
privés de l'usage de la raison, ils ne sont soumis, à aucunes Loix, ainsi que le
dit le Ghapitre cum, mulier 1, 5, q. 1. la l. congruit in fin. et la Loix suivante.
ff. de off. Praesid. sensu enim carens non siibiicitur rigori Iuris Civilis. Tou-
tesfois, on fera voir que telles Loys ne peuvent militer au fait qui se présente
maintenant à juger; car on ne dispute pas de la punition d'un delict commis;
§ 1504-1505 LKS DÉRIVATIONS 857
détruisans les fruits qui servent à son soutient, et nourriture. Mais à quoy, nous
arrestons-nous depuis qu'on voit par des exemples intinis que quantité de saints
Personnages, ont Excommunié des animaux apportans du dommage aux Hommes...».
La sentence du juge ecclésiastique conclut « (p. 147) In nomine, et virtute Dei
:
mais, ainsi qu'il arrive d'habitude avec les dérivations, l'un de ces
auteurs aboutit à une conclusion opposée à celle de l'autre. Aujour-
d'hui, c'est la théorie de Rousseau qui est en vogue, parce que nous
vivons à une époque démocratique; demain, la théorie de Hobbes
pourrait prévaloir, si des temps favorables au pouvoir absolu reve-
naient ; et quand viendrait un temps favorable à une autre organi-
sation sociale, on aurait bientôt fait de trouver la dérivation qui,
toujours en partant de l'hypothèse du contrat social, aboutirait à
des conclusions s'adaptant à cette organisation. Le point de départ
et le point auquel on doit arriver sont fixes, parce qu'ils correspon-
dent à certains résidus qui forment la partie constante du phéno-
mène avec un peu
; d'imagination, on trouve facilement une déri-
vation qui unisse ces points. Si une dérivation ne plaît pas, on en
trouve d'autres, et pourvu qu'elles s'accordent avec certains rési-
fut aux temps passés, elle aurait pu conquérir la Prusse ayant été ;
1508» Les fidèles du dieu Progrès voulaient nous faire croire que les temps
étaient désormais passés, où, comme en 1815, les congrès europf^ens disposaient du
sort des peuples. Précisément, en 1913, un congrès à Londres dispose du sort des
peuples balkaniques, interdit à la Serbie l'accès de l'Adriatique, oblige le Monténé-
gro à abandonner Scutari qu'il avait conquis, dispose du sort des malheureux habi-
tants des îles de l'Egée, et ainsi de suite. Si le Monténégro avait été plus fort que
l'Autriche, c'eût été non pas celle-ci qui eût obligé le Monténégro d'abandonner
des territoires, mais le Monténégro qui eût obligé l'Autriche. Quelle règle peut-on
imaginer, qui puisse également bien démontrer que l'Autriche a le « droit » d'occu-
per la Bosnie et l'Erzégovine, et que le Monténégro n'a pas le droit d'occuper Scu-
tari ? La vénérable théorie de 1' « équilibre », invoquée jadis pour maintenir l'Italie
même à la nouvelle Italie, avec la complicité de l'ancien
divisée et sujette, sert de
oppresseur, pour maintenir divisés et sujets les peuples des Balkans. Par quel
miraculeux sophisme peut-on démontrer que l'Italie a aujourd'hui le « droit», pour
860 CHAPITRE IX § 1509-1510
tition idéale pour lui principe qui souvent n'est que l'expression
:
force. Si la Grèce avait été plus forte que l'Italie et que les Etats qui protégeaient le
nouveau royaume, elle aurait maintenu à son avantage « l'équilibre » de l'Adriati-
que, de même que l'Italie, étant aujourd'hui plus forte que la Grèce, maintient cet équi-
libre à son avantage. Parce qu'un souverain puissant entendit « le cri de douleur qui
arrive vers nous de toute l'Italie * », et parce que la fortune favorisa ses armes,
l'Italie fut délivrée du joug autricliien et ce n'est pas à cause d'une différence de
;
" droit » mais seulement parce qu'aucun souverain puissant n'entendit le cri de
;
douleur des Balkans et de l'Egée, qu'il ne fut pas donné à ces nations d'avoir un sort
semblable à celui de l'Italie. Le poète Leopardi a chanté, dans la langue de Dante,
.les hauts faits des «crabes» autrichiens occupés à maintenir «l'équilibre» en
Italie " ; et maintenant, un poète grec pourrait chanter, dans la langue d'Homère,
les hauts faits non moins admirables des « crabes » austro-italiens occupés à main-
tenir « l'équilibre » de l'Adriatique et d'autres régions. Celui qui juge les faits avec
dçs sentiments nationalistes dit, s'il est Italien, que l'Italie a «raison» et que la
G^rèce a « tort» s'il est Grec, il retourne ce jugement. Celui qui juge les faits avec
;
des sentiments internationalistes ou pacifistes donne tort à celui qu'il estime être
l'agresseur, raison à celui qu'il croit être l'attaqué. Celui qui, au contraire, veut
rester dans le domaine objectif, voit simplement, dans les faits, de nouveaux
exemples de ces conflits qui se produisirent toujours entre les peuples et il voit ;
dans les jugements la manière habituelle de traduire par l'expression «il a raison»,
le fait que certaines choses s'accordent avec le sentiment de celui qui juge, et par
l'expression «il a tort», le fait que certaines choses répugnent à ce sentiment.
C'est-à-dire qu'il y a là uniquement des résidus et des dérivations.
"
Paroles de l'empereur Napoléon III.
Paralipomeni délia BcUroxomiomaclàa, II, st. 30 à 39.
^ 1Ô11-151H LES DÉRIVATIONS 861
poussée à l'extrême. Par exemple, on pourrait définir la Christian Science (| 1695 ')
un héyélianisme biblique.
1511 1 A. Weber ; L'enseignement de la prévoyance, Paris, 1911. Parlant de
certaines gens qui s'occupent de sociétés de secours, de coopératives, de caisses
muluelles, il dit «(p. 101) ...pour eux
:
—
comme pour l'immense majoi-ité de
leurs affiliés —
la Mutualité et la Prévoyance sont des dogmes qu'on ne doit même
pas chercher à comprendre, des choses qui ont des vertus spéciales, des vertus
en soi et qui sont douées d'un pouvoir mystérieux pour la guérison des misères
humaines Ils estiment, en quelque sorte, qu'il importe surtout à leur sujet d'être
!
off"i'ande, une maigre contribution personnelle pour obtenir des résultats extraor-
dinaires la Retraite gratuite ou l'Assurance à un taux dérisoire, par exemple».
:
862 CHAPITRE IX § 1514
par Kant admirée encore par tant de gens. Elle s'appelle Impé-
et
en général, je ne sais pas encore ce qu'il contiendra, jusqu'à (p. 60) ce que la condition
me soit donnée. Mais si je conçois un impératif catégorique, je sais ce qu'il contient
[et si f imagine un hippogriphe, je sais comment il est fait]. Car l'impératif ne ren-
ferme, outre la loi, que la nécessité de la maxime d'être conforme à cette loi. Mais la
loi ne contient aucune condition à laquelle elle soit subordonnée en sorte qu'il ne ;
reste que l'universalité d'une loi en général, à laquelle doit être conforme la maxime
de l'action. Or cette conformité seule présente l'impératif proprement comme néces-
saire. Il n'y a donc qu'un seul impératif catégorique, celui-ci N'agis que cVaprès:
une m.axi')ne telle que tu puisses vouloir en même temps qu'elle devienne une loi
universelle ». Texte allemand : k Zwehens ist hei diesem kategorischen Imperativ
oder Gesetze der Sittlichkeit der Grund der Schwierigkeit (die Môglichkeit dessel-
ben einzusehen) auch sehr gross. Er ist ein synthetisch-praktischer Satz a priori,
und da die Môglichkeit der Sâtze dieser Art einzusehen so viel Schwierigkeit im
theoretischen Erkentnisse hat, so lâsst sich leicht abnehmen, dass sie im praktischen
nicht weniger haben werde. Bei dieser Aufgabe woUen wir zuerst versuchen, ob
nicht vielleicht der blosse Begrifi" eines kategorischen Imperativs auch die Formel
desselben an die Hand gebe, die den Satz enthâlt, der allein ein kategorischer
Imperativ sein kann denn wie ein solches absolutes Gebot môglich sei, wird
:
noch besondere und schwere Bemûhung erfordern, die wir aber zum letzten Abschnitte
''
aussetzen.
Wenn mir einen hypothetischen Imperativ ûberhaupt denke, so weiss ich
ich
nicht zum voraus was er enthalten werde bis mir die Bedingung gegeben ist.
:
Denke ich mir aber einen kategorischen Imperativ, so weiss ich sofort, was er
enthalte. Denn da der Imperativ ausser dem Gesetze nur die Nothwendigkeit
der Maxime enthâlt, diesem Gesetze gemâss zu sein, das Gesetz aber keine
Bedingung enthâlt, auf die es eingeschrânkt war, so bleibt nichts, als die Allge-
meinheit eines Gesetzes ûberhaupt ûbrig. welchem die Maxime der Handlung
gemâss sein soil, und welche Gemâssheit allein den Imperativ eigentlich als
nothwendig vorstellt. Der kategorische Imperativ ist also ein einziger, und zwar
dieser handle nur nach derjenigen Maxime, durch die du zugleich wollen
:
«(p. 60) N'agis que d'après une maxime telle que tu puisses vouloir en
même temps qu'elle devienne une loi universelle ». Le caractère habi-
tuel de ces formules est d'être si indéterminées qu'on peut en tirer
tout ce qu'on veut aussi aurait-on plus vite fait de dire
; Agis : ce
homme, quels que soient ses caractères, doit agir d'une certaine
façon ?
1516. première façon de s'exprimer, la loi
Si l'on accepte la
ne signifie rien, maintenant à fixer les
et la difficulté consiste
caractères M
qu'il convient d'envisager car si l'on s'en remet à ;
à celui qui possède davantage, peut fort bien être une loi univer-
selle. S'il veut tuer son ennemi, il dira que la vendetta peut très
15171 E. Kant; loc. cit., % 1514 « (p. 61) Un homme réduit au désespoir et
1 :
au dégoût de la vie par une série d'infortunes, possède encore assez de raison pour
pouvoir se demander s'il n'est pas contraire au devoir de s'ôter l'existence. Or, il
8(34 CHAPITRE IX § 15KS
examine si la maxime de son action peut être une loi universelle de la nature».
Texte allemand «Einer, der durch eine Reihe von Uebeln, die bis zur Holfnungs-
:
gesetz werden kônne ». Si l'on admet des conditions, la réponse devrait être affir-
mative. On dirait en eftet « Tous ceux des hommes
: —
et c'est de beaucoup le
plus grand nomlire —
qui préfèrent la vie à la mort, s'efforceront de rester en vie
aussi longtemps qu'ils le pourront et le petit nombre de ceux qui préfèrent la mort à
;
la vie se tueront. Qu'est-ce qui empêche que ce soit une loi universelle ? Si peu de
chose, que c'est ce qui arrive et ce qui est toujours arrivé. Kaut résout négati-
vement la question, parce qu'il ne sépare pas ces deux classes d'hommes. Il continue :
« Mais sa maxime est de se faire, par amour pour soi, un principe d'abréger sa vie.
si elle est menacée, dans sa courte durée, de plus de maux qu'elle ne promet de
biens. Il s'agit donc uniquement de savoir si ce principe de l'amour de soi peut être
une loi universelle de la nature. Or on aperçoit bientôt qu'une nature dont la loi
serait d'inciter par la sensation même, dont la destination est l'utilité et la durée de
la vie, à la destruction de la vie même, serait contradictoire, et ne subsisterait par
conséquent pas comme nature qu'en conséquence, la maxime en question n'est
;
point possible comme loi universelle de la nature, entièrement opposée qu'elle est au
principe suprême de tout devoir ». Texte allemand : « Seine Maxime aber ist ich :
mâche es mir aus Selbstliebe zum Prinzip, vvenn das Leben bei seiner lângern
Frist mehr Uebel droht, als es Annehmlichkeit verspricht, es mir abzukùrzen. Es
fragt sich nur noch, ob dieses Prinzip der Selbstliebe ein allgemeines Naturgesetz
werden kônne. Da sieht man aber bald, dass eine Natur, deren Gesetz es ware,
durch dieselbe Empfindung, deren Bestimmung es ist, zur Befôrderung des Lebens
anzutreiben, das Leben selbst zu zerstôren, ihr selbst widersprechen und also nich1
als Natur bestehen wûrde, mithin jene Maxime unmôglich als allgemeines Natur-
gesetz stattfinden kônne, und folglich dem obersten Prinzip gilnzlich widerstreite ».
Il y a lieu de remarquer d'abord cette manière impersonnelle de s'exprimer, habi-
tuelle à qui veut engendrer la confusion. De plus, pour celui qui veut se suicider,
il ne s'agit pas de la vie en général, mais de sa vie en particulier. Ensuite, on voit
que pour rendre valable ce raisonnement, il faut supprimer toute condition car ce ;
tempérament tel que pour lui la vie est souffrance et non bonheur?)
qui peut, au moyen de quelque culture, le rendre un homme propre
à toutes sortes d'emplois. Mais il se trouve dans des circonstances
honorables, et préfère s'adonner au plaisir, au lieu de prendre la
peine d'étendre et de perfectionner ses heureuses dispositions S).
Il veut savoir si cela peut être une loi naturelle. La réponse est
affirmative, au moins sous un certain aspect, «(p. 63) Il aperçoit
alors qu'à la vérité une nature est compatible encore avec une telle
loi, fût-elle universelle, bien que l'homme (comme les habitants
1519* Texte alletnand : « Eiû Dritter findet in sich ein Talent, welches vei-
mittelst einiger Kultur ilm zu einem in allerlei Absiclit brauchbaren Menschen
maclien konnte. Er sieht sich abei' in bequemen Umstanden, und zieht vor, lieber
dem Vergnùgen naclizuhiingen, als sich mit Erweiterung und Verbesserung seiner
glûcklichen Naturanlagen zu bemilhen ».
1519 2 Texte allemand: « Da sieht er nun, dass zwar eine Natur nach einem
solchen allgemeinen Gesetze immei* noch bestehen kônne, obgleich der Mensch
(sowie der Sùdsee-Einwohner) sein Talent rosten liesse und sein Leben bloss auf
SOCIOLOGIE 55
866 CHAPITRE IX § 1520
cîiose pouvant être une loi universelle, est licite. Mais, au contraire,
il n'en est pas ainsi «(p. 64) ...mais il est impossible qu'il puisse
:
15193 Texte nlleni'iiid « ...allein er kann unmooWch xooUen, dass dieses ein
.
allgemeines Naturgeselz werde oder als ein solclies in uns durch Naturinstinkt
gelegt sei. Denn als ein vernùnftiges Wesen will er nothwendig, dass aile Vermôgen
in ilim entwickelt werden, weil sie ihm doch zu allerlei niôglichen Absichten dien-
lich vind gegeben sind ».
§ 1521 LKS DERIVATIONS 867
ment, car cet état de choses met aussi un frein au caprice, comme
le ferait la Kant mais cette utilité n'est pas très grande,
règle de ;
même les deux sur les agressions commises par les grévistes au
détriment des «renards».
En Italie, avant la guerre de 1911, on laissait insulter impuné-
ment les officiers. Un député put diffamer un officier, pour des
motifs exclusivement d'ordre privé, qui n'avaient rien de politique,
et, bien que condamné par les tribunaux, il ne fit jamais un jour
de prison, pas même après son échec aux nouvelles élections. La
guerre venue, on sauta de l'autre côté de la selle. Des personnes
1521 * Quand
métaphysiciens éprouvent le besoin de disserter sur les sciences
les
naturelles, ils devraient se souvenir du proverbe la parole est d'argent, mais le
:
silence est d'or, et ils feraient bien de rester dans leur domaine, sans envahir celui
d'autrui. Yves Delage La stnict. du prot. et les théor. de l'héréd., p. 827, note
; :
« Il est probable que bon nombre des dispositions qui nous paraissent inutiles ou
mauvaises ne nous semblent telles que par noire ignorance de leur utilité mais il ;
est probable aussi que leur inutilité ou leurs inconvénients sont quelquefois réels.
En tout cas, c'est à ceux qui sont d'avis contraire à prouver leur dire ». Bien
entendu, s'ils sont naturalistes, parce que les métaphysiciens ont le privilège d'affir-
mer sans preuve. « (p. 830) C'est ainsi [tant bien que mal], en éifet, que vivent la
plupart des espèces, bien loin d'être, comme on le dit, un rouage admirablement
travaillé et adapté à sa place dans le grand mécanisme de la nature. Les unes ont
la chance que les variations qui les ont formées leur ont créé peu d'embarras. Telle
est la Mouche, par exemple, qui n'a qu'à voler, se reposer, se brosser les ailes et
8G8 CHAPITRE IX ^ 1521
les antennes, et trouve partout les résidus sans nom où elle pompe aisément le peu
qu'il lui faut pour vivre. Aux autres, ces mêmes variations aveugles ont créé une
vie hérissée de difficultés telle est l'Araignée, toujours aux prises avec ces terribles
:
dilemmes, pas d'aliment sans toile et pas de toile sans aliments, aller à la lumière
que recherche l'Insecte, fuir la lumière par peur de l'Oiseau. Gomment s'étonner
que, dans de pareilles conditions, soit ne chez elle l'instinct absurde qui pousse la
femelle à dévorer son mâle après l'accouplement, sinon même avant [excellente
Nature kantienne, quelles erreurs commets-tu donc ?], instinct que, par parenthèse,
la Sélection de l'utile à l'espèce serait fort embarrassée d'expliquer». Gel excellent
Saint Augustin aussi, se mêlant de parler d'entomologie, dit, après plusieurs autrets
philosophes, que beaucoup d'insectes naissent de la putréfaction Nam pleraque :
eorum aut de vivorum corporum viliis, vel purgamentis, exhalationihus, aut cada-
verum tabe gignuntur quaedam etiam de corruptione lignorum et herbarum... et
;
;
il recherche comment ils ont bien pu être créés (23) Getera vero quae de anima-
:
actions qu'elle exécuterait dans cette intention et toutes les règles de sa conduite ne
vaudraient certainement pas l'instinct [Kant le sait mais il ne nous apprend pas
;
qui lui plaît; l'autre est fausse]». Texte allemand : Denn aile Ilandlungen, die es in
dieser Absicht auszuûben bat, und die ganze Regel seines Verhaltens wûrden ihm
weit genauer durch Instinkt vorgezeichnet und jener Zweck weit sicherer dadurch
haben erhalten werden kdnnen, als es jemals durch Vernunft geschehen kann und ;
sollte dièse ja obcnein dem begûnstigten Geschopf ertlieilt vvorden sein, so wûrde sie
ihm nur dazu haben dienen mûssen. um ûber die "lûckliche Anlage seiner Natur
«^ 1522 LES DÉRIVATIONS 869
ne peuvent être mues que par des sentiments que cette poésie
métaphysique excite agréablement. Gela confirme, une fois de
plus, l'importance des dérivations cette importance n'est pas du
;
domaine de l'accord d'une théorie avec les faits, mais bien de celui
de l'accord de cette théorie avec les sentiments.
1522. D'une façon générale, ainsi que nous l'avons souvent
répété, il ne faut pas s'arrêter à la forme des dérivations, mais
rechercher dans le fond qu'elles recouvrent s'il y a des résidus qui
ont quelque importance pour l'équilibre social. Aux nombreux
exemples déjà donnés, nous ajoutons le suivant, et ce ne sera pas
le dernier.
Betiachtungen anzustellen, sie zu bewundern. sich ihrer zu erfreuen und der wohl-
thiitigen Ursache dafùr dankbar zu sein... mit einem Worte, sie [die Natur] wûrde
verhûtet haben, dass Y ernnnît nicht in j)raktischen Gehnmch ausschlûge... In der
That finden wir auch, dass, jemehr eine kultivirte Vernunft sich mit der Absicht auf
den Genuss des Lebens und der Giùckseligkeit abgiebt. desto weiter der Mensch
von der wahren Zufriodenhcit abkomme .. » L'auteur nous apprend ensuite que si
ceux qui font le plus usage de la raison calculent les avantages des arts et même
des sciences, « (p. 16) ils trouvent, en effet, qu'ils ont eu par là plus d'embarras et
de peine que de bonheur, et sont enfin plus portés à envier qu'à mépriser cette
manière de vivre toute commune des hommes qui se l'approche davantage de la
direction purement instinctive de la nature, et qui donne peu d'influence à la raison
sur l'inconduite ». Texte allemand : « ...den noch finden, dass sie sich in der That
nur mehr Miihseligkeit auf den Hais gezogen, als an Giùckseligkeit gewonnen
haben, und darùber endlich den gemeineren Schlag der Menschen, welcher der
Leitung des blossen Naturinstinkts nâher ist und der seiner Vernunft nicht viel
Einfluss auf sein Thun und Lassen verstattet, cher beneiden, als geringschàtzen ».
Comment Kant a-t-il jamais pu faire cette statistique ? Cette partie de la dérivation
sert à contenter les nombreuses personnes qui, au temps où écrivait Kant, admiraient
Vhomme naturel et déclamaient contre la civilisation. Les dérivations visent le sen-
timent, non pas les faits et la logique. « <p. 16) En effet, bien que la raison ne soit
pas assez habile pour guider plus sûrement la volonté, par rapport à ses objets et à
la satisfaction de tous nos besoins..., que ne pourrait le faire l'instinct mis en nous
par la nature pour cette fin ; cependant, comme faculté pratique, c'est-à-dire, en
tant qu'elle doit avoir de l'influence sur la volonté, et puisqu'elle nous a été don-
née en partage, sa véritable destination [remarquez l'épithète véritable. Il y a une
fausse destination, qui est celle qui ne plaît pas à Kant] doit être de produire une
volonté bonne en soi, et non une volonté bonne comme moyen par rapport à
d'autres fins ». Texte allemand : « Denn da die Vernunft dazu nicht tauglich genug
ist, um den Willen in Ansehung der Gegenstânde desselben und der Befriedigung
aller unserer Bedùrfnisse... sicher zu leiten, als zu welchem Zwecke ein einge-
pflanzter Naturinstinkt viel gewisser gefùhrt haben wùrde, gleichwohl aber uns
Vernunft aïs praktisches Vermogen, d. i. als ein solches, das Einfluss auf den
Willen haben soil, dennoch zugetheilt ist so muss die wahre Bestimmung dersel-
;
ben sein, einen nicht etwa in anderer Absieht als Mittel. sondern an sich selbst
giiten Willen hervorzubringen ».
870 CHAPITRE IX § 1523
prime pas l'idée sous cette forme, pour ne pas en diminuer la force.
Cette majorité est presque toujours une nouvelle abstraction. Géné-
ralement, on désigne par ce terme la majorité des hommes adultes,
les femmes étant exclues. De plus, même en ces termes restreints,
très souvent on ne sait pas ce que veut précisément cette majorité.
On s'approche de la solution du problème dans les pays où existe
lereferendum mais dans ce cas encore, comme une partie souvent
;
semblable.
Essayons de traduire aussi dans le langage de la science expéri-
mentale les discours des adversaires de l'empereur. Parmi ces per-
sonnes, les plus logiques sont les socialistes, qui considèrent comme
nuisible l'œuvre de Bismarck. Elles sont opposées aux intérêts que
défendait Bismarck en 1862, et restent logiquement opposées aux'
par conséquent, tous les jours on peut devoir modifier les conclu-
sions tirées des faits jusqu'alors connus. Qui se livre à des études
scientifiques est semblable à un tailleur qui, chaque année, fait
des habits pour un enfant. Celui-ci grandit, et chaque année le
tailleur doit faireun habit à une mesure différente. Soit A, B, C,...
P, la série des connus jusqu'à présent, en une science donnée,
faits
expérimentaux ;
pseudo-expérimentaux 3° abstrac-
2» principes ;
153i. Nous savons déjà que l'évolution ne suit pas une ligne
unique, et que par conséquent l'hypothèse d'une population qui, de
l'état (c) passerait à l'état (b), puis à l'état (a) (§ 1536), serait en
qu'à l'avenir,
il y ait un plus grand nombre de personnes qui attei-
gnent entièrement cet état.
sont plus nombreuses. Pour donner une forme tangible à ces con-
sidérations, soient A, B, C, D,... différentes couches d'une popula-
tion. Une certaine évolution porte l'état A à une position m, ce qui
influe sur B, outre l'action générale de l'évolution, et porte cet état
en n. Mais la résistance de B agit aussi sur A, de manière que la
position m n'est pas donnée seulement par le sens général de l'évo-
lution, mais aussi par la résistance de B. On peut faire de sem-
blables considérations, en envisageant plusieurs couches A, B,C,...
au deux seules que nous venons d'indiquer. En conclusion,
lieu des
l'état de la la ligne m, n, p, q,... qui
population sera représenté par
passe par les points m, n, p, q,... auxquels sont parvenues les
diverses couches, par l'action générale de l'évolution et par les
actions et réactions réciproques des différentes couches. Si, au lieu
des nombreuses couches, on en considère une seule, par exemple
A, on représente le résultat général de l'évolution, l'état général de
la population par la ligne mx, qui peut différer beaucoup de l'état
{A), (fig. 17), mais avec les restrictions que nous allons voir. Avec le
Cours de Philosophie positive, il tombe en plein dans l'erreur que
nous avons indiquée au n» 5. L'évolution des explications des phé-
nomènes naturels est pour lui l'évolution de l'état social. Plus tard,
il corrigea en partie cette erreur, dans le Système de Politique posi-
cela il tomba dans des erreurs plus grandes (§ 284 et sv.). Comte
était très éloigné du scepticisme expérimental, qu'il haïssait même
profondément. C'étaitun dogmatique aussi exposa-t-il sa théorie,
;
une seule, qui est celle que veut l'auteur. C'est aussi un procédé
général que d'employer une suite d'affirmations (I« classe) substi-
tuées aux démonstrations logico-expérimentales, en dissimulant
sous l'abondance des mots la pauvreté du raisonnement ".
1536 2 j^Qc^ cit., I 1536 passage suivant, c'est nous qui soulignons
>. Dans le :
très supérieure dans le système mental de presque tous les hommes [mais si c'est
justement ce qu'il faut démontrer!], mais aussi chez les philosophes eux-mêmes,
par suite de leur position rationnelle à l'extrémité de la vraie hiérarchie encyclo-
pédique, établie au début de ce traité ».
1,5371 A. Comte; Cours de phil. posit., t. J. Dans le passage suivant, c'est A.
Comte qui souligne Avertissement, «(p. XIII) Je me bornerai donc... à déclarer
:
que j'emploie le mot philosophie, dans l'acception que lui donnaient les anciens,
et particulièrement Aristote, comme désignant le système général des conceptions
humaines et, en ajoutant le mot positive, j'annonce que je considère cette manière
;
spéciale de philosopher qui consiste à envisager les théories, dans quelque ordre d'idées
que ce soit, comme ayant pour objet la coordination des faits observés [ce serait
donc proprement la méthode logieo-expérimentale], ce qui constitue le troisième
et dernier état de la philosophie générale, primitivement théologique et ensuite meta-
physique». Qu'on y ajoute les passages suivants « (p. 3) Enfin, dans l'état positif,
:
et il serait bon de biffer l'épithète d' « invariables » aux relations. Mais si c'est là le
point de départ, le point où l'on arrive, dans le même Cours, pour ne pas parler
des autres ouvrages, est celui d'une foi qui, au fond, diffère peu ou pas du tout des
autres croyances. Voir, par exemple, t. YI «(p. 530) Une saine appréciation de
:
range dans l'ordre suivant, en commençant par celle qui s'en éloi-
gne le moins les théories qui s'écartent du domaine expérimental :
des sentiments abstraits de l'évidence et de l'harmonie, (p. 287) quelque limité qu'en
dût être d'abord le domaine, suffit pour déterminer une importante réaction philo-
sophique, qui, immédiatement favorable à la seule métaphysique, n'en devait pas
moins annoncer de loin Yinévitable avènement de la philosophie positive, en assu-
rant la prochaine élimination de la théologie prépondérante ». Ici l'auteur pense évi-
demment à Newton et à ses continuateurs il oublie l'époque de scepticisme reli-
:
faits. D'où l'auteur a-t-il tiré que 1' « avènement » de la philosophie positive était
« inévitable » ? Si cela n'est pas une simple tautologie pour exprimer que ce qui
arrive devait arriver, c'est-à-dire du pur déterminisme, cela veut dire que l'auteur
soumet les faits à certains dogmes. Il continue «(p. 287) Par là se trouve irrévo-
:
quelle « coordination de faits » l'auteur peut-il déduire que la rupture de cette unifor-
mité est irrévocable ? Lucrèce aussi le croyait, et il attribuait le mérite de la des-
truction de la religion à Epicure. Pourtant la religion ressuscita —
à supposer, par
hypothèse invraisemblable, qu'elle fût morte — et elle recommença à prospérer.
Pourquoi A. Comte doit-il être meilleur prophète que Lucrèce ? Et puis la distinc-
tion que A. Comte essaie de faire entre la foi théologique et la foi positiviste est
884 CHAPITRE IX § 1538-1539
imaginaire « (p. SOI) La foi théologique, toujours liée :i une révélation quelconque
:
soui les conditions déterminées par elle], quoique l'un et l'autre résultent égale-
ment de cette universelle aptitude à la confiance [autorit' A. Comte veut substituer
;
la sienne à celle du pape, tout simplement] sans laquelle aucune société réelle ne
saurait subsister». G'est bien; pourtant cela doit uniquement s'entendre en ce sens
que les actions non-logiques dont est issue l'autorité sont utiles, indispensaliles dans
une société mais il n'est nullement démontré qu'elles dounent des théories en
;
accord avec les faits. La foi positiviste peut être plus ou moins utile à la société
que l'autre foi, à laquelle seule A. Comte octroie le nom de théologique ; c'est une
chose à voir mais toutes deux sont en dehors du domaine logico-expérimental.
;
lofîS '
Iliad., I, 5 et passim.
v^ 1540-1542 LHS DÉRIVATIONS 885
affirmaient, en elïet, que les eaux, par leur nature, ne peuvent être
sur le ciel sidéral »; et ii blâme la réponse qui s'en remet à l'omni-
potence divine : « Il ne faut pas réfuter ceux-ci, en disant qu'en
présence de l'omnipotence de Dieu, à qui toute chose est possible,
nous devons croire que l'eau, bien que tellement pesante, comme
nous le savons et le sentons, est au-dessus du corps céleste où sont
les astres». Et pourtant il eût été plus prudent de suivre cette
voie, et de ne pas s'embarrasser dans les explications physiques,
quelque peu fantaisistes, qu'il estime opportun de donner.
1542. Comme d'habitude, par de semblables dérivations, on
peut toujours prouver également bien le pour et le contre. Le prin-
cipe que Dieu agit comme un homme de bon sens sert à démontrer
15'il 1 1). Aug. ; De Genesi ad litleram, II, 1, •>.
886 CHAPITRE IX § 1542
néant les espèces vivantes en pleine activité, avec leurs organismes actuels, demeurés
essentiellement invariables, la création a dû être foudroyante et complète du premier
coup [on ne sait pas ce qu'est la création, et l'on sait comment elle doit avoir
eu lieu !] Dixit et facta sunt. Detts creavit onDiia simul. On ne conçoit pas [il y a
:
tant de choses qu'on ne conçoit pas !] que le Tout Puissant se soit d'abord timide-
ment essayé [qui lui dit qu'il y eut de timides essais, et non pas l'exécution d'un
sage dessein ? Notre auteur était donc présent à la création ?] à construire de simples
ébauches très humbles d'aspect et de structure, et qu'il ait procédé par une suite
ininterrompue de brusques coups de force, remettant sans cesse son œuvre sur le
métier, s'y reprenant mille et mille fois pour la perfectionner au jour le jour, tel
un ouvrier malhabile à réaliser ses conceptions, —
créant et recréant à jet continu
jusqu'à 600000 types divers, pour le seul règne animal, l'un après l'autre, pendant
(p. 144) des siècles et des siècles. Ce système enfantin porte en lui-même sa propre
réfutation».
quent, le soleil doit avoir été créé avant toutes les autres étoiles. Cela peut bien être,
mais qui le lui a dit? Toutefois, supposons qu'en nommant le soleil, il ait entendu
nommer toutes les étoiles, tous les corps lumineux. Il semble, en effet, naturel qu'il
y ait eu d'abord les corps lumineux et qu'ensuite soit venue la lumière mais, à ;
vrai dire,nous n'en savons absolument rien. Nous ignorons ce que sont les « corps »
et ce qu'est la «lumière», et nous connaissons encore moins le rapport qui peut
avoir existé à 1' « origine » entre ces deux entités. La « science » chrétienne donne
une solution; la «science» socialiste en donne une autre, à ce qu'il paraît: la
science logico-expérimentale ignore l'une et l'autre.
CHAPITRE X
Les dérivations.
(Suite.)
nements logiques éprouvé par les hommes (résidus I-e). Mais cette
partie est presque toujours accessoire elle ne détermine pas le
:
conforme à nos tendances (ce qui nous est naturel), de ce que nous
faisons uniquement par contrainte (ce qui nous est étranger, déplai-
sant, hostile), et le sentiment approuve la proposition «On vil :
que ce n'est que par abstraction que nous pouvons isoler les déri-
vations simples qui composent les dérivations complexes qu'on
observe dans l'usage courant.
lo4H. Dans les genres de la IV'" classe, les dérivations revêtent
deux formes sous la première, on va de la chose au terme sous
; ;
sous-entendues.
1S49. (IV-a) Terme indéterminé désignant une chose réelle, et
ajoutez un autre vous n'avez pas non plus un tas de grains; conti-
:
trant ainsi que le dernier grain qui reste est un tas. De ce genre est
le sophisme de l'homme auquel on enlève, un à un, tous ses che-
au terme long, mais dame Nature n'a pas daigné nous faire connaître
quelles sont les limites du long, et par conséquent nous autres, mal-
heureux, ne pouvons le distinguer du court. Et si, au lieu de
choses, il y avait seulement des sentiments qui correspondent à
ces termes? Dame Nature serait innocente de toute faute, et ce
serait nous qui aurions le tort de ne pas savoir exprimer nos
sentiments avec une précision suffisante. Chrysippe avait inventé
une méthode dite du repos, pour se soustraire au sophisme. Il dit
que, lorsqu'on vous demande si trois c'est peu ou beaucoup,
avant d'arriver à ce terme beaucoup, il faut vous reposer. A quoi
Carnéade objecte que cela n'empêchera pas qu'on ne revienne vous
demander si, en ajoutant un au nombre auquel vous vous êtes
arrêté,on obtient un grand nombre De plus, voici les sceptiques '.
1550' Sext. Empir. Pyrrh. hypot., II, c. 22, | 253 «Donc, quand on nous pro-
:
1550* Sext. Emp. : Adv. math., IX {adv. physicos), 190, (p. 593).
892 CHAPITRE X § 1552
nuent chez celui qui écoute, sans que celui-ci s'en aperçoive.
Dans sa Rhétorique, Aristote donne de bons conseils à ce propos \
« (10) Si l'on veut favoriser une chose, on doit prendre la méta-
phore de ce qu'il y a de meilleur si l'on veut nuire, de ce qu'il y a
;
qui était une exécution. On fait une interversion analogue entre les
termes expropriation et vol 'K
mand " ce qui lui est utile, ce qui peut être profitahle à son intérêt
de parti, et l'on varie, suivant le besoin, la signification du mot.
De là vient qu'à certaines époques ce qui s'appelle ,, allemand"
c'est de faire de l'opposition à la Diète, tandis qu'en d'autres temps,
on dit qu'il est ,, allemand" de prendre parti pour la Diète deve-
nue progressiste ». Aujourd'hui, celui qui veut favoriser quelque
chose doit l'appeler moderne, démocratique, humain, et mieux
1552 - Dans la guerre italo- turque de 1912, les Arabes qui fournissaient aux Italiens
des renseignements du camp turco-arabe étaient appelés informateurs ; ceux qui
fournissaient aux Turco-Arabes des renseignements du camp italien étaient appelés
espions. Bentham-Dumont; Tact, desass. lég. suivie d'un traité des soph, polit..
t. II : « (p. 178) Le mot persi'cution n'est pas dans le dictionnaire des persécuteurs. Ils
ne parlent que de sèle pour la religion. Lorsque Tabbé Terray faisait une banque-
route aux créanciers publics, il lui donnait le nom de retenue ». En Italie, la réduc-
tion au 4 o/o de l'intérêt du 5 "/o de la dette publique fut dissimulée sous le nom
(Ximpôt de la richesse mobilière. « (p. 163) Dans la nomenclature des êtres moraux,
il est des dénominations qui présentent l'objet pur et simple, sans y ajouter aucun
sition, habitude... J'appelle ces termes, neutres. Il en est d'autres qui, à l'idée
principale, joignent une idée générale d'approbation Honneur, piété... D'autres
:
avarice, luxe... (p. 165) En parlant de la conduite, ou des penchans, ou (p. 166)
des motifs de tel individu, vous est-il indifférent? vous employez le terme neutre.
Voulez-vous lui concilier la faveur de ceux qui vous écoutent? vous avez recours
au terme qui emporte un accessoire d'approbation. Voulez-vous le rendre mépri-
sable ou odieux ? vous usez de celui qui emporte un accessoire de blâme ». « (p. 175)
C;elui qui parle du bon ordre, qu'entend-il par là? rien de plus qu'un arrangement
de choses auquel il donne son approbation et dont il se déclare le partisan ». Mais
après que tant d'auteurs, d'Aristote à Bentham, ont mis en lumière les erreurs do
ces sophismes, comment se peut-il qu'on persiste à en faire un si abondant usage ?
Parce que — vérité banale — leur force ne réside pas dans le raisonnement, mais dans
les sentiments qu'ils suscitent. Si l'on démontre qu'un théorème de géométrie est
faux, la question est tranchée, on n'en parle plus. Au contraire, si l'on démontre
qu'un raisonnement portant sur des matières sociales est absurde, cela n'a aucun
effet on continue à s'en servir abondamment. Le motif de cette différence con-
:
siste en ce que, dans le premier cas, c'est la raison qui agit, tandis que dans le
second, c'est le sentiment, auquel s'ajoutent presque toujours différents intérêts. Par
conséquent, au point de vue social, ces sophismes doivent être jugés, non pas
d'après leur valeur logique, mais suivant les effets probables des, sentiments et des
intérêts qu'ils recouvi'ent.
de cette façon détourne le mot libre de son sens usuel et lui fait
signifier à peu près le contraire de ce sens.
1553. De même, lorsqu'on parle de liberté et des liens qui
l'entravent, souvent on laisse exprès indéterminée la nature de ces
liens, et l'on ne distingue pas s'ils sont acceptés volontairement, ou
s'ils sont imposés par une puissance extérieure, bien que cette dif-
international de progrès et de justice [c'est là une foi elle est peut-être bonne et
;
les autres mauvaises, mais c'est toujours une foi, qui n'a rien à faire avec la liberté
de la pensée] invite toutes les sociétés de libre pensée à réclamer constamment
l'application intégrale des conventions internationales signées à la Haye [quel
rapport peuvent bien avoir ces conventions avec la liberté de la pensée? Une
pensée libre devrait pouvoir être favorable ou opposée à ces conventions, suivant
ce qu'elle juge le mieux]. Les sociétés de libre pensée devront inviter les élus répu-
blicains à demander au gouvernement de la République de prendre l'initiative de
négociations tendant à la conclusion de conventions nouvelles pour limiter les bud-
jets militaires et navals et assurer le désarmement». En attendant, voilà un beau
lien imposé au nom de la liberté. Celui dont la pensée est libre doit vouloir le
désarmement et si, au contraire, il croit le désarmement nuisible à son pays, son
;
esprit est esclave. Ce sont là de telles absurdités qu'elles dispensent de toute réfuta-
tion. Et pourtant, il y a des gens qui s'y laissent prendre. Comment cela? Simple,
ment parce qu'on a changé le sens des mots, qui agissent non par leur sens propre,
mais par les sentiments qu'ils suscitent. Les mots libre pensée suscitent les senti-
ments d'une pensée liée à une foi humanitaire et anticatholique c'est pourquoi ils
;
blâma vertement les femmes qui s'habillaient d'une façon qu'il jugeait immodeste et
effrontée, annonça qu'il ne les admettrait pas à tenir les enfants sur les fonts baptis-
maux, ni à la communion et, en effet, il repoussa de celle-ci une dame qui se pré-
;
sentait avec une robe qu'il jugea trop décolletée. Il y eut alors des journaux qui le
comparèrent au sénateur Bérenger. Au contraire, les cas sont entièrement différents,
et font partie de catégories qui ne peuvent être confondues. Pour que la confusion
soit possible, il faudrait que les pouvoirs publics obligeassent les femmes à exercer
les fonctions i-eligieuses auxquelles préside le patriarche de Venise. Mais il n'en est
rien. Y prend part qui veut, et le patriarche n'a pas le moindre pouvoir sur qui ne
se soucie pas de lui. Au contraire, le sénateur Bérenger faitmettre en prison ou condam-
ner à l'amende, ou fait saisir les livres et les journaux des gens qui ne se soucient pas
de lui. En somme, ce sont deux choses différentes que dire « Si vous voulez que je :
fasse A, vous devez faire B, ou bien « Que vous le vouliez ou non, je vous oblige
:
1553 - En
Allemagne, le pasteur Jatho, qui professe un christianisme tout à fait
spécial, a sur Goethe une série de sermons qui ont scandalisé les croyants. Le
fait
consistoire de la province du Ehin et le conseil supérieur de l'Eglise évangélique
sont intervenus. Journal de Genève, 23 février 1911 « Le Consistoire a demandé à
:
896 CHAPITRE x i^ 1554
libéral » celui qui veut augmenter ces liens. Alors, le parti « libéral »
voulait réduire les impôts ; aujourd'hui, il les augmente. En France
jetaient feu et flamme contre la « tyrannie des rois et des prêtres » qui
l'obligeaient à chômer aux jours de fête ^ En France, au temps de
M. Jatho de déclarer que ses sermons iacriminés ont été inexactement rapportés et
de prendre l'engagement qu'il ne songeait pas à en faire entendre à l'avenir de
semblables. Le pasteur a refusé cette double déclaration. Il affirme être la victime
d'une dénonciation anonyme et se retranche derrière l'incorrection de ce procédé
pour se dérober à toute concession. A la suite de ces faits une procédure a été
introduite contre lui devant le Conseil supérieur de 1" Eglise Evangélique...Une coïn-
cidence, malheureusement, encore complique le cas. Tous les protestants ont cru
devoir prendre vigoureusement parti contre le serment antiraoderniste. M. Jatho et
ses organes n'ont pas manqué de dire qu'on exigeait de lui un serment antimoder-
niste, et ils ont voulu obtenir de la presse évangélique qu'elle décprnât au pasteur de
Cologne les mêmes éloges démesurés dont elle couvre la demi-douzaine de prêtres
réfractaires au serment moderniste. Il va sans dire que les journaux protestants se
sont dérobés qu'ils ont cherché et trouvé des différences ». Qui cherche trouve et, en
;
des cas semblables, trouve toujours toutes les différences qu'il peut désirer.
1554 ' La. Fontaine: VIII, 2, Le savetier et le financier. Le pauvre savetier se
plaint qu'on l'oblige à ne pas travailler :
les associations de divers genres qui l'imposent et, aux jours de chômage impo-
;
sés par la loi s'ajoutent ceux qui sont imposés par la force aux renards, les
grèves politiques, «de protestation», de «solidarité» et autres. Il y a cette dif-
§ 1554 LES DÉRIVATIONS <S97
haïssent tant le travail du dimanche veulent des traitements, envoient des gavni-
saires, augmentent le ])udget. Nous devons chaque année, selon eux. payer plus et
travailler moins ».
<run tel raisonnement, on pourrait observer qu'il s'applique dans tous les cas où les
facultés qu'ont plusieurs individus de faire quelque cliose sont en conflit. Par exem-
ple, «l'Etat devrait obliger les professeurs de violon à donner des leçons gratis,
)>
parce qu'en se faisant payer, ils « lèsent » la liberté de ceux qui. veulent apprendre
à jouer du violon et n'ont pas de quoi payer les leçons. (Test donc à l'Etat qu'il
appartient de créer cette liberté d'apprendre à jouer du violon. De même, si
une femme refuse de se donner à celui qui l'en sollicite, elle enlève la faculté de
faire l'amour avec elle à cet homme dont elle lèse la « li))erté » et il faut, pour
:
errer la liberté des amoureux, que l'Etat s'empresse d'obliger la femme de se donner
socior.OGiK 57
898 CHAPITRE X ^ lôô.'y
transporte sur le premier sens ce qui est valable pour le sens (2-b),
à celui qui la désire. Mais, objectera-t-on, de telles «libertés » ne sont pas respec-
tables comme de ceux qui ne veulent pas travailler certains jours, et qui
celle
devraient le faire si d'autres travaillaient. Très bien mais cette réponse nous
;
entraîne à examiner s'il est utile, en vue de certaines fins déterminées, ou si nou.s^
voulons, pour un motif quelconque, favoriser la faculté de faire ou de ne pas —
faire —
des uns ou des autres et nous sortons entièrement du domaine où se
;
HiEROGL. Comm. in aur. car., XXVII, Didot, p. 483, place la perfection. Stob.
;
;
Eglog., 11,8, p. 66, rapporte comme étant une parole de Pythagore «'Enov Oeù
: :
sieurs des opinions qui avaient cours au sujet des dieux il blâme les récits de
:
certains faits, contenus dans Homère, et conclut « (p. 388) Si donc, ami Adimante.
:
les ieunes gens écoutaient attentivement de tels faits et ne s'en moquaient pas,
comme de choses dites d'une manière indigne, quelqu'un d'entre eux, étant homme,
les estimera difficilement indignes de lui et les blâmera ». Puis, dans le livre IV des
Lois. p. vKi. il dit que le semljlable plaît à son semblable, et que par conséquent,
pour se faire aimer de dieu, il faut que l'homme s'efforce de lui ressembler: «et
selon cette maxime, l'homme tempérantest ami de dieu, parce qu'il lui est sem-
i)lable ;
intempérant ne lui est pas semblajile. et il est injuste)-. Mais à
Ihomme
quel dieu l'homme doit-il être semblable Pas au dieu d'Homère mais au dieu tel
:>
;
qu'il plaît à Platon de se le façonner. Le Zeus d'Homère n'est certes pas tempérant
lorsque, au chant XIV de VIliade, il veut avoir commerce avec Héra, sur le
mont Ida, sans se retirer dans sou palais. C'est uniquement parce que Platon
rejette, condamne le récit de ces aventures et d'autres semljlables de Zeus. qu'il
peut dire ce dieu tempérant. En sorte que son raisonnement est du type suivant :
« L'homme doit faire cela, parce qu'il doit être semblable au dieu que j'imagine
faire cela». La valeur logico-expérimentale de ce raisonnement n"est pas du tout
supérieure à la simple affirmation « L"iiomme: doit faire cela ». Il n'en est pas
ainsi au point de vue du sentiment, pour lequel il est utile d'allonger autant que
possible la dérivation, atin déveiller un grand nombre de sentiments de même que :
dans une œuvre musicale on fait de nombreuses variations sur un même motif.
Voici, par exemple, Stobée loc. cit., p. GO. qui, après avoir cité Homère qu'il est
;
bon d'avoir de son côté, quand on peut, ajoute « Ainsi. Pythagore aussi a dit
: :
.<;mî5 dieu: évidemment pas avec la vue et comme guide, mais avec l'esprit et en
harmonie avec la belle ordonnance du monde. Cela est exposé par Platon, selon les
trois parties de la philosophie dans le Timée physiquement,... dans la Républiqtw
:
daires», lorsque les modilications subies par l'une d'entre elles ont
leur contre-coup sur les autres » *. A mettre ensemble deux choses
très différentes, l'auteur se trompe. Deux individus également sol-
aujourd'hui les moralistes et lt?3 politiques est une chose assez différente, ou du
moins c'est une chose plus complexe ». Ces malins le disent maintenant, mais pen-
dant un certain temps, ils ont cherché à maintenir la confusion. A présent que cela
ne leur réussit plus, ils changent l'air de la chanson. « (p. vu) Lorsqu'on parle, comme
M. Léon Bourgeois, de la dette sociale des individus, il ne s'agit pas d'une dette com-
mune envers un délîiteur étranger, mais d'une dette r/'ciproque des associés, ce qui
est tout dilïé rent ». Parfait: mais longtemps messieurs les solidaristes voulaient nous
faire croire que les deux choses étaient identiques. « Et lorsqu'on invoque l'exemple
de la solidarité biologique, on se garde d'en conclure que, dans la société, les indi-
vidus sont soumis, comme les cellules d'un organisme vivant, à une sorte de fatalité
extérieure et natui-elle qu'il suflise de constater [mais que deviennent, ainsi, ces beaux
discours sur la solidarité universelle des animaux avec les végétaux, et de ceux-ci avec
les minéraux ?] Enn'^alite, ou envisage l'idée de solidarité comme un principe d'action,
et d'action morale comme un moyen de provoquer chez les individus le souci d'une
;
justice plus haute [Dieu sait comment on mesure, en mètres et centimètres, la hau-
teur de la justice ?], et comme une règle propre à leur permettre d'y atteindre». Que
de choses, dans ce seul mot de solidarité C'est vraiment un terme magique et
! ;
encore M. Groiset a-t-il oublié une partie de son contenu, car en celui-ci se trouve
aussi le désir des politiciens d'acquérir des partisans, et les adulations des méta-
physiciens démocrates à la plèbe. L'auteur conclut, et il a bien raison « Il est donc
:
évident que le mot de solidarité a pris ici un sens tout nouveau, et que la solidarité
morale diffère profondément, malgré l'identité des termes, de la solidarité biologique
ou juridique ». Lesquelles, nous venons de le voir, sont des choses différentes.
902 CHAPITRE X ^ § 1558-1559
pénétré dans le langage courant [il y a un autre motif; c'est qu'avec altruisme il
n'est pas possible de faire prendre des vessies pour des lanternes, (-"est-à-dire de
faire passer la lliéorie de la solidarité pour une théorie scientifique]. Gomme le
terme de « solidarité » était d'ailleurs assez vague, étant transporté d'un domaine
où il avait un sens précis à un autre domaine où il s'agissait justement de l'ac-
climater, on restait libre de faire entrer peu à peu dans sa signification toutes les
idées encore flottantes que les vieux mots, rendus trop iirécis par l'usage, se prê-
laienl mal à exprimer».
§ 1559 LES DKUIVAllONS 9(Ki
autre pays quelconque, A', s'était trouvé dans le même cas que
l'Italie, plusieurs pacifistes du pays A' auraient dit exactement ce
qu'ont dit les pacifistes italiens, tandis que ceux ci auraient désap-
prouvé le gouvernement du pays A'^ De tels pacifistes, qui se mon-
trent favorables à la guerre, paraissent donc avoir la formule :
îieau jour, ils tournèrent casaque, et voulurent qu'on admirât comme des héros
d'autres conquérants, qu'on acceptât comme «justes» des guerres de conquête ;
cela sans nous apprendre comment on peut et l'on doit distinguer les conquérants
•et les guerres blâmables, des conquérants et des guerres louables. Au lieu d'ins-
truire les dissidents, ils les injurient. Au moins notre Sainte Mère l'Eglise catholique
instruisait-elle les hérétiques par le catéchisme, avant de les brûler. Les pacifistes-
belliqueux italiens s'indignèrent contre leurs concitoyens pacifistes-pacifistes â
tel point que, s'ils l'avaient pu, ils leur auraient fait une guerre à mort. Ils fai-
saient cela, disaient-ils, pour défendre Vhonneur de leur pays. Mais n'est-ce pas là
justement la cause d'un très grand nombre des guerres qu'ils blâmaient auparavant?
— Emile Ollivier écrit, pour justifier la guerre de 1870 (L'Enip. lib., t. XIV) «Pla-
:
cés entre une guerre douteuse et une j^aix déshonorée, bellum anceps an pax
inhonesta. nous étions ol)ligés de nous prononcer pour la guerre iiec dubitatum
:
de hello. ,, Pour les peuples comme pour les individus, il y a des circonstances où
îa voix de l'honneur doit parler plus liant que celle de la prudence " (Cavour à
Arese, '}8 février I860]. ...Les gouvei-nements ne succombent pas seulement aux
n^vers le déshonneur les détruit aussi... (p. 559) Un désastre militaire est un acci-
:
dent qui se répare... La perte acceptée de l'honneur est une mort dont on ne revient
pas». Pourquoi cet auteur, si haï des pacifistes, avait-il tort? et pourquoi ceux-ci
ont-ils raison, quand leur devient avantageux de répéter exactement ses paroles ?
il
En somme, peut-on savoir si Rome avait tort ou raison de faire la guerre aux
nations qui occupaient les rives africaines de la Méditerranée, et de conquérir ces
contrées ? Si elle avait raison, qu'en est-il de la belle doctrine du pacifisme, et com-
ment est-il désormais possible de la distinguer de celle qui n'est pas pacifiste? Si
elle avait tort, comment donc se peut-il qu'aujourd'hui ceux qui essaient de faire
précisément la même chose aient raison? Répondre par des vivats ou en injuriant
ses adversaires est peut-être un bon moyen d'exciter les sentiments, mais n'a pas
moindre valeur logique, ni même vaguement raisonnable
9()4 CHAPITRE X § 1560-15()2
différence entre ces deux choses peut aller jusqu'à les rendre oppo-
sées. De par exemple, on fait disparaître la contradic-
cette façon,
tion que nous avons relevée (§ 1554) pour le terme liberté on dis- :
solidarité.
IHGi. Chacune des sectes chrétiennes a eu ses martyrs, et cha-
cune a cru que seuls les siens étaient de vrais martyrs. Saint Au-
gustin dit clairement et sans ambages « (4) Tous les hérétiques
:
aussi peuvent souffrir pour l'erreur, non pour la vérité, parce cju'ils
mentent contre le Christ lui-même. Tous les païens et les impies
(jui souffrent, soutirent pour l'erreur » '. Bien entendu, la « vérité »
1.562' GicÊRON déjà, Acad. quaesf.. II. 40, 14'2. noie plusieurs sens du terme
vrai, depuis ce temps-là, le nombre de ces sens est allé toujours croissant. Aliud
et,
iudiciuni Prolagorae est. qui putet id cuique verum esse, quod cuique videatur :
aliud Cyrenaicorum, qui praeter permotiones intimas, nihil putant esse iudicii ::
etiam pro falsitate patiuntur, non pro veritate quia mentiuntur contra ipsum
:
ostenderunt, quando pro veritate etiam mori voiuerunt. De cette manière, les mar-
tyrs prouvent la vérité de la foi. ils en sont les témoins et la foi prouve la vérité
;
des martyrs.
Bayle; Cornm. philosoph., t. II
1.564- «(p. 85) On ne fait Mal, quand on
:
que quand on force ceux qui sont dans la Vérité à, passer dans l'Erreur.
force,
Or nous n'avons pas forcé ceux qui étaient dans la Vérité à passer dans l'Erreur ;
906 CHAPITRE X § 1564
que le Père Scheil enseigne (§ 618^); mais l'Empire avait tort, parce
qu'il était dans « l'erreur », et la République a raison, parce qu'elle
est dans le «vrai ». Beaucoup de personnes, en Italie aussi, font le
raisonnement suivant « Les catholiques n'ont pas le droit d'en-
:
<car, nous, qui sommes Orthodoxes, vous avons forcez, vous, qui étiez Schisiaa-
tiques, ou Hérétiques, à passer dans notre Parti). Donc, nous n'avons pas mal
fait. Et ce seroit vous seulement qui feriez Mal, si vous nous forciez. N'est-ce
point là le Sophisme qu'on appelle Petitio Principii auquel en cette rencontre,
'<
tive en Affirmative, et de conclure directement contre celui qui s'en est servi ».
ceux qui ne se conforment pas à la doctrine du parti. En vérité cela leur est indis-
pensable, comme à toutes les personnes qui veulent constituer un parti. Mais ensuite
I en est parmi eux qui veulent exclure de l'enseignement les prêtres catholiques,
parce qu'ils ne sont pas « libres » de penser ce qu'ils croient, mais «doivent» suivre
Ses enseignements de l'Eglise. Ce «devoir » du prêtre catholique est identique à celui
du socialiste. Tous deux « doivent » suivre la doctrine de la collectivité à laquelle
ils appartiennent, sous peine d'être exclus de cette collectivité. Si donc ce «devoir»
est en opposition avec l'efficacité de l'enseignement, pour accroître cette efficacité, il
tïst utile d'exclure à la fois le prêtre opposition n'existe
et le socialiste ; et si cette
pas, il est utile d'admettre à la fois le prêtre et le socialiste. Mais
le sentiment fait
une distinction. Ceux qui sont amis des prêtres et ennemis des socialistes, disent
qu'on doit admettre les premiers, exclure les seconds. C'est ce qui arrive plus ou
moins en Allemagne. Ceux qui sont ennemis des prêtres et amis des socialistes
disent qu'on doit exclure les premiers, admettre les seconds. C'est ce qu'on veut
faire en France. Aux naïfs, aux niais, aux pauvres d'esprit, on raconte que tout cela
se fait par amour de « TEtat étliique» ou de dame « Liberté ».
^ 1565-15H7 LKS DÉUIN'ATIONS 907
15671 Les personnes qui onl la loi religieuse ou métaphysique disent que la
« vérité » qui se trouve à cet extrême est « supérieure » à celle qui se trouve à l'autre.
C'est une conséquence logique de leur croyance que la religion, la métaphysique, la
.<science» des Hégéliens (| 19 et sv.) sont «supérieures» à l'expérience. Les maté-
rialistes invertissent cette proposition mais leur « expérience » n'est qu'un genre de
;
Reformation, Genève, 1860, t. I «(p. 17) Le monde (a), affaibli, chancelait sur ses
:
908 CHAPITRE X § 1567
l)ases quand le cliristiaiiisiiie parut (/>). Les religions iialionales, qui avaient sufti
aux pères, ne satisfaisaient plus les entants... ic). Les dieux de toutes les nations,
transportés dans Rome, y avaient perdu leurs oracles (ri), comme les peuples y
avaient perdu leur liberté... {e). (p. 18) Bientôt les étroites nationalités tombèrent avec
leurs dieux. Les peuples se fondirent les uns dans les autres (/"). En Europe, en
Asie, en Afrique, il n'y eut plus qu'un empire [g). Le genre liumain (/i) commença à
sentir son universalité et son unité». Si l'on fixe son attention sur la réalité histo-
rique, les observations suivantes surgissent spontanément {a) Qu'entend cet auteur :
par le terme tout le monde ^ Parfois il semble qu'il entende le monde romain.
c'est-à-dire la région mé<literranéonne parfois il semble qu'il fas.se allusion au
;
globe terrestre. Quand il dit que le monde était affaibli, il est probable qu'il pense
au monde romain, car il ne semble pas possible quil pense à la Chine, au .Japon, à
la (iermanie et à tant d'autres pays. \b) Affaibli, pourquoi ? Le christianisme parut
en un tenqis où l'empire romain (''tait prospère et 1res fort. C'est plutôt aj^rès le
triomphe du christianisme que l'empire s'alfaiblit. Nombre d'empereurs païens
imposèrent par le fer la paix aux Barbares nombre d'empereurs chrétiens î'ache-
:
èrent à prix d'or, (c) L'auteur oublie que si le christianisme voulait, en effet, ne pas
être une religion nationale, en fait, il l'est devenu. Au contraire, l'islamisme est
])roprement sans nalionalilé, même de noln' temps. De lui. mieux que du christia-
nisme, on peut dire (ju'il parut quand le monde (romain) était affaibli, {d) L'oracle
de Delphes était très célèbre dans l'antiquité. Mais a-t-il vraiment disparu, parce que
son dieu avait été transporté à Home? Où l'auteur peut-il bien avoir trouvé men-
tion de ce transport ? [e] L'auteur veut faire une belle phrase, litlérairement parlant.
en mettant d'un côté les oracles des dieux et de l'autre la liberté des peuples. Il ne
se soucie pas plus (|ue cela de la réalité historique. (/) Quels peuples? L'auteur ne
pense pi-obable7uent qu'aux peuples vaincus et subjugués par les llomains il ;
oublie les Barbares, les Chinois, les Japonais, les Hindous, les Africains, les Améri-
cains une misère, quoi (g) Ici, l'auteur nomme ciM-tainement la partie pour le
: !
tout il ne peut ignorer que l'empire romain était bien loin de s'étendre sur toute
:
l'Europe, toute l'Asie, toute l'Afrique. (A) Mais si l'observation précédente est exacte,
comment peut-il bien lui venir maintenant à l'idée de nommer le genre humain f
Et si ce que nous avons supposi'' dans l'observation précédente n'est pas exact,
c'est-à-dire si l'auteur a vraiment voulu faire allusion à toute l'Europe, à toute
l'Asie, à toute l'Afrique. —
négligeons l'Amérique et l'Océanie il est vrai qu'à la —
rigueur il peut tant bien que mal parler du « genre humain ». mais il est non moins
vrai qu'il a dit une chose l'antaisisle. Celui qui lit celle histoire et partage la foi de
l'auteur, n'aperçoit pas ces llagranlos contradictions avec la réalité de même que :
l'amoureux n'aperçoit pas les défauts de la femme qu'il aime. A'ieur sujet, I^ucHiici:.
(TV. ll."')G. 1130, 1160, selon les éditions) écrivait déjà :
Molière a imité ces vers. Le misant lirope, acte II, scène VI. 11 dit des amou-
ix :
etc.
>^ 1568-1570 LES DÉRIVATIONS 909
I'diiii. Ainsi que nous l'avons déjà dit (^ 645), celui qui répète
un récil lait par autrui emploie souvent des termes quelque peu
dilTérenls de ceux qu'il a entendus ; mais il estime dire la vérité, en
<'e sens que ses termes lui font éprouver la même impression que
ceux qu'il a entendus. Il n'est pas possible de se rappeler les termes
précis d'un long discours. La mémoire n'a gardé que le souvenir de
l'impression éprouvée. C'est cette impression qu'on s'elforce de
reproduire, lorsqu'on veut rapporter le discours; et ce taisant, on
croit de parfaite bonne loi avoir dit la vérité. En pratique, devant
ies tribunaux, cette reproduction approximative des faits suflit
Pourtant il l)làme (XII, 25 m) l'usage trop abondani que ïimée fait des
l,")»)!:) '
et, au fond (XII. 25 n], il semble que pour lui cet usage soit admissible
•discours,
uniquement corami' moyen de faire connaître les sentiments et les mœurs. Gomp.
Thucud : I, 22.
Jean Réville; Le quatr. Evany, .'«(p. 114 note). ...M. Loisy, à la fin de
1.Ô70'
i3on étude suv Le Prologue du IV« évangile, p. 266 {Rev. d'Jiist. et de litt. rel.. 1897),
•dit de révangéliste ,,I1 n'écrit pas une histoire de Jésus, mais plutôt un traité
:
der par ma fenêtre, je découvre les voies du ciel. Plus l'on s'éloigne et moins l'on
apprend. C'est pourquoi le sage arrive (où il veut) sans marclier il nomme les :
qu'il paraît, une quantité plus ou moins grande dans « chaque phé-
nomène ». Annibal a passé avec son armée en Italie.
historique
C'est là un fait historique. Mais qui dira combien il renferme de
« vérité éternelle »? De tels propos sont vides de sens.
1^71. Ainsi, après avoir rappelé les doutes qui existent au sujet
de la réalité historique du déluge biblique, A. Loisy ajoute ^
:
Religions, 1892. —
On trouve une dérivation semblable dans un autre ouvrage de
notre auteur. A. Loisy Etudes bibliques : « (p. 131) Il ne faut pas dire néanmoins
;
que la Bible contient des erreurs astronomiques. Ce serait à la fois une injustice et
une naïveté. Pour qu'on fût en droit de reprocher à la Bible une erreur de ce genre,
il faudrait que, dans un passage quelconque, un auteur inspiré manifestât l'inten-
tion d'imposer à son lecteur, comme vérité certaine [autre genre de vérité qu'ils !
sont donc nombreux !], telle ou telle conception sur le système du monde. Mais aucun
des écrivains (p. 132) sacrés n'a laissé entrevoir la volonté d'écrire une leçon d'as-
tronomie». L'auteur ne veut pas que les sentiments défavorables entraînés par le
mot erreur, puissent être éveillés, quand on parle de l'Ecriture Sainte. C'est pour-
quoi il fait une dérivation, en confondant Verreur objective et Verreur subjective,
et en donnant un seul nom à ces choses diffi'rentes. S'il avait voulu s'exprimer clai-
rement, il aurait dû dire « Parce qu'il y a dans la Bible des affirmations qui ne
:
correspondent pas aux faits, c'est-à-dire des erreurs objectives, il n'est pas permis
d'en conclure queTécrivain ait voulu nous faire croire que ces affirmations corres-
pondissent aux faits, ni qu'il en fût lui-même persuadé (erreur subjective)». Mais
ainsi on admet l'existence des erreurs objectives, ce qu'au fond A. Loisy ne veut pas
nier ;
pourtant il ne veut pas non plus se servir du terme erreur. La proposition
de A. Loisy, laquelle est en somme celle de nombreux exégètes modernes, n'est, en
vérité, pas très probable mais si l'on veut être très rigoureux, on ne peut la con-
;
tester. Supposez un naturaliste qui discute avec sa femme du menu d'un dîner, et
qui dise «Comme poisson, au lieu de rouget, je propose de mettre une langouste ».
:
II y a, dans celle proposition, une erreur objective, parce que la langouste n'est
pas un poisson il n'y a pas d'erreur subjective, parce que le naturaliste le sait
;
fort bien mais il ferait rire sa femme s'il disait en pédant « Comme plat de pois-
; :
d'un récit qui est vrai, bien qiiil ne contienne pas d'histoire, d'élé-
ments historiques nmtériellemenl exacts. Pourquoi matériellement?
entend le mot vrai dans le sens de en accord avec les faits, com-
Si l'on
ment un récit peut-il bien être historique et ne pas être matériellement
exact? Il pourrait être historique dans l'ensemble et ne pas être
exact partiellement; mais il ne semble pas que ce soit ce que l'au-
teur entend ; et s'il avait jamais entendu cela, il ne devait pas parler
de récits vrais à leur manière. Jules César a été ou n'a pas été dicta-
teur. Dans le premier cas, la dictature de César est un fait histori-
dire. Il se peut qu'il ait voulu exprimer qu'il y a des récits qui ne cor-
respondent pas à la réalité historique, à la réalité expérimentale,
mais qui correspondent à certaines choses étrangères au monde
de l'expérience, choses que le sentiment de certains hommes croit
connaître. Si c'était effectivement de cette idée qu'il s'agit, il eût été
plus précis de l'énoncer d'une façon analogue à celle que nous avons
indiquée mais, au point de vue des dérivations, il était bon de s'en
;
15712 X. RoussELOT ; Etude sur la philo soph, dans le nioyen-aye. IJ : « (p. 14)
les âmes, et fit résonner la (p. 15) corde religieuse devant laquelle se turent les
deux autres mais le vrai ne pouvant être que dans une réalité complète [proposi-
;
plus liante et plus digne [pourquoi plus haute ? quant à la dignité, qui en est juge?],
mais également exclusive, et qui. par conséquent, ne pouvait pas donner une for-
anule exacte de la vérité, car celle-ci veut riiariiionie, cl il n'y avait alors qu'antago-
nisme ». Mais quand et où la vénérable dame Vérité a-t-elle exprimé qu'elle voulait
l'harmonie ? Et que peut Inen signifier cela ?
§ 1578 LES DÉRIVATIONS OIS
SOCIOLOGIE 58
914 CHAPITRE X 5^ 1574
tâche. Sous Louis XIV, dans les Cévennes, les dragons aussi s'em-
ployaient activement à réaliser « l'unité de la foi».
1375. Les vérités qu'on trouve en ce monde sont si nombreuses,
qu'il peut bien y en avoir une qui soit conforme au rapport existant
entre le récit de Mgr. Duchesne et les faits tels qu'ils sont racontés
par Saint Augustin, avec les commentaires dont celui-ci les accom-
pagne. Mais il est certain que cette vérité n'est pas la vérité histori-
que, et que le texte du saint fait une tout autre impression que la
prose de l'auteur moderne.
En vérité. Saint Augustin vise à quelque chose de plus et de
mieux qu'à réprimer « une contravention aux lois », Le bon saint
nous donne une théorie complète de la persécution. Il compare le
schismatique au frénétiques et veut employer la force pour guérir
aussi bien l'un que l'autre. Il n'admet pas qu'on ne doive pas être
forcé à la justices et il le prouve par un grand nombre de beaux
exemples bibliques. Cet excellent homme veut employer l'exil et les
cela, en vérité, je l'ai dit de tous les donatistes et de tous les héré-
tiques qui, devenus chrétiens par les sacrements, s'éloignent de la
IG) ...sed quale sit illud quo cogitur, utrum bonum an malum. C'est toujours la
même histoire. Je veux vous contraindre à faire ce qui me plaît j'appelle bien ce :
qui me plaît, mal ce qui vous plaît, et je dis ensuite que vous ne devez pas vous
plaindre si je vous contrains au bien. — Gfr. Epist., 175, 185. Il est plaisant de lire
que Saint Augustin, après avoir exposé un grand nombre de consid('rntions théolo-
giques sur le baptême, ajoute {Epist., 89, 6). Et tamen cum tam perspicua verilas
:
[c'est ainsi que le saint homme appelle ses divagations] aures et corda hominum
feriat, lanta quosdam malae consuetudinis vorago submersit, ut omnibus auctoritati-
bus rationibusque resistere, quam consentire malint. Resistunt autem duobus
modis, aut saeviendo aut pigrescendo. C'est pourtant bien clair et cependant on ;
916 CHAPITRE X § 1576
veut nous faire croire que les catholiques ne faisaient que se défendre Il faut un !
certain courage pour pi-étendre que celui qui résiste « pigrescendo », attaque autrui !
1575 ''
Bayle ; II: « (p. 11) Examinons donc les deux
Comment, philosoph., t.
Lettres de cePère [de SaintAugustin], que l'Archevêque de Paris a fait imprimer à part,
selon la nouvelle Version Françoise... (p. 12) Tout le Livre est intitulé. Conformité
fie la Conduite de l'Eglise de France, pour ramener les protestans, avec celle de
illi qui liberandi sunt liberentur [c'est-à-dire pour nous empêcher de persécuter les
autres]... Quid agit ergo fraterna dilectio utrum dum paucis transitorios ignés
;
metuit caminorum, diraittit omnes aeternis ignibus gehennarum. Ces quelques mots
contiennent tout le programme de l'Inquisition. Cfr. Contra Gaudentium, 1. I,
c. 24 et sv.
sus Ghristianum, qui abstulit labores eius, quando idolorum exspoliata vel diruta
sunt templa sed stabit Christianus adversus paganum, qui abstulit labores
;
mons erroné. Par conséquent, tout est licite pour vous amener de
cette croyance, que nous estimons mauvaise, à la nôtre, que nous
estimons bonne; et vous ne pouvez vous plaindre de rien, puis-
qu'en vous convertissant, vous avez un moyen d'éviter tout dom-
mage ». Mais sous cette forme, le raisonnement a beaucoup moins
de force persuasive que sous la forme employée par Saint Augustin,
Sed hoc non sciunt, inquit, alienarum rerum incubatores... Dans sa réponse, le saint
ne nie pas le fait, mais insiste seulement sur ce point que les donatistes ne sont
:
pas les justes de l'Ecriture. Il dit (c. 38. 51) De iustitia certamen est, non de pecu-
:
nia. Oui, mais en attendant ils leur prenaient leur argent et il parait que les dona-
!
tistes devaient en être contents, parce qu'il est écrit :Labores impiorum iusti edent
{Sap., X, 19), et parce que les catholiques étaient poussés par le désir de dissiper
l'erreur, et non par la cupidité. In talibus quippe omnibus factis, non rapina concu-
piscitur, sed error evertitur. Ensuite, les catholiques ont pris les biens des héré-
tiques, pour les leur restituer... lorsqu'ils seront convertis.
tionibus liberos contractus habei'etis, et vobis dividere quod Christus emit vendi-
tus auderetis...
918 CHAPITRE X § 1577-1078
tin ne puisse admettre que les termes rappelés plus liant sont
subjectifs. Mais s'il voulait qu'ils fussent objectifs, il pourrait
aussi admettre, sans nuire à sa foi, que leur o5/ec//y//e est difTérente
de celle qu'on trouve dans une expérience de chimie ou de physi-
que ; et cela suffirait pour éviter toute contestation avec la science
expérimentale, qui s'occupe uniquement de faits de ce dernier
genre.
1578. D'autres fois, la confusion entre les nombreuses espèces
de vérités a lieu sans aucune intention préconçue d'en tirer avan-
tage. Elle reproduit seulement une confusion analogue qui existe
dans l'esprit de l'auteur. Celui-ci voit les faits à travers un verre
coloré, et les décrit tels qu'il les voit. Il dit ce qui lui paraît bien,
et ne se soucie guère de rechercher dans quel rapport est ce bien
avec la réalité expérimentale. Quand Renan parle de 1' « ineffable
anciennes, même dans celles qui sont bien moins légendaires que celles-ci, le détail
prête à des doutes intinis. Quand nous avons deux récits d'un même fait, il est
extrêmement rare que les deux récits soient d'accord. N'est-ce p^s une raison, quand
on n'en a qu'un seul, de concevoir bien des perplexités ? On peut dire que parmi les
anecdotes, les discours, les mots célèbres rapportés par les historiens, il n'y en a
pas un de rigoureusement authentique. Y avait-il des sténographes pour fixer ces
paroles rapides? Y avait-il un annaliste toujours présent pour noter les gestes, les
allures, les sentiments des acteurs ? Qu'on essaye d'arriver au vrai sur la manière dont
s'est passé tel ou tel fait contemporain on n'y i-éussira pas. Deux récits d'un même
;
événement faits par des témoins oculaires diffèrent (p. xlviii) essentiellement. Faut-il
pour cela renoncer à toute la couleur des récits et se borner à l'énoncé des faits d'en-
semble ? Ce serait supprimer l'histoire ».
^ 157<S LKS OERIVAl'IONS 919
en tout cas, qu'il doit y avoir quelque différence entre les paroles
dites par P. Cornelius, et celles que rapporte Polybe. II est presque
certain — pour ne pas dire certain, au sens vulgaire que Jules —
César a existé il est très douteux, pour ne pas dire plus, que
;
15788 Jl y a tant d'autres belles vérités .'Par exemple, Antonio Fogazzaro. dans
le Carrière délia Sera, 21 novembre 1910, parlant de Tolstoï, dit « Il créa des
:
deux choses sont différentes ni quelle serait cette diff"érence. Dame Vérité possède
une voix et une flamme, ce qui doit lui être bien agréable, mais est quelque peu
obscur pour nous. Il existe une certaine vérité morale « resplendissant dans la con-
1)20 CHAPITRE X § 1579
sens, que ce sens doit être clair, qu'il doit être celui que les Pro-
phètes et leurs contemporains ont compris. Il n'admet d'accomplis-
sement de prophétie que quand les événements sont conformes au
sens ainsi fixTÎ ». Tel est, en effet, le sens des raisonnements objec-
tifs de la critique historique, et, en général, de la science logico-
expérimentale '.
L'abbé de Broglie oppose à Kuenen certains
raisonnements subjectifs qu'on peut parfaitement accepter, pourvu
qu'on les distingue des précédents. C'est là le point essentiel, si l'on
ne veut pas divaguer. L'abbé de Broglie écrit : « (p. 194) Tout
autre est la vraie notion de la prophétie». Et comme d'habitude,
ce terme urai nous conduit à l'amphibologie. Cela n'arriverait
pas, si, au lieu de vraie notion, l'abbé de Broglie disait «ma no-
tion», ou bien «la notion des catholiques», ou s'il usait d'une
autre expression équivalente mais il ne le fait pas, parce que la
;
critique n'a d'autre but que de démontrer cette dernière proposition. Des écrits de
ce genre sont ridicules, au point de vue logico-expérimental, tandis qu'ils peuvent
être très eflicaces pour que gît la valeur des dériva-
éveiller les sentiments. C'est là
tions.
15792 Gousset: Théol. dog., t. I, commence par dire «(p. 312) Mais pour :
qu'une prophétie fasse preuve, il faut, premièrement, qu'elle ait désigné l'événe-
ment prédit d'une manière nette et précise en sorte que l'application de la prophé.
:
tie ne soit pas arbitraire». Parfait; c'est raisonner suivant la méthode logico-expé-
rimentale. Mais, hélas, on ne tardera pas à nous retirer la concession qu'on nous
avait faite, «(p. 313) Toutefois il n'est pas nécessaire que la prophétie soit de la
plus grande clarté il suffit qu'elle soit assez claire pour exciter l'attention des
;
comte Rollon durerait longtemps « (p. 313) Il ne voulut rien répondre, et se mit
:
seulement à tracer des espèces de sillons sur les cendres du foyer avec un petit mor-
ceau de bois qu'il tenait à la main. L'hôte alors ayant voulu très obstinément lui
faire dire ce qui arriverait après la septième génération, l'autre, avec le petit morceau
de bois qu'il tenait toujours à la main, se mit à eiï'acer les sillons qu'il avait faits
sur la cendre. Par où l'on pensa qu'après la septième génération le duché Serait
détruit, ou bien qu'il aurait à souffrir de grandes querelles et tribulations choses :
que nous voyons déjà accomplies en grande partie, nous qui avons survécu à ce roi
Henri, lequel a été, comme nous pouvons le montrer, le septième au rang dans cette
lignée». —
Paulin Papjs; Les romans de la table ronde, II. Le magicien Merlin
dit que « (p. 5(j) à l'avenir il ne fera plus que des prédictions dont on ne reconnaîtra
le sens qu'après leur accomplissement. ,, Je ne parlerai plus devant le (p. ô?) peuple ne
en cort, se obscurément non; que il ne sauront que je dirai devant que il le ver-
ront". Merlin a tenu parfaitement sa parole, et tous les devins, ses devanciers ou,
successeurs, ont imité son exemple ». En effet, c'est une excellente précaution qu'on
peut, en toute sécurité, recommander à messieurs les devins et aux prophètes.
toire depuis Henry II jusqu'à Louis le Grand, Paris, 1712. Voici, au hasard, um^
des vérifications de notre auteur (p. 115). Centurie III, Quatrin 91.
Prophétie (p. 116) mais ils ne conviennent pas du jour ni du mois qu'elle s'est
accomplie. Favin... rapporte que le lendemain de la Saint Barthelemi, 25 Août 1572.
...un vieux arbre qu'on appelloit l'Aubespine, qui étoittout sec et mort depuis long-
temps, se trouva dans l'intervale de la nuit du Dimanche au lundi tout verd le
matin... C'est ce qui justifie aujourd'hui la vérité des deux premiers Vers L'arbre :
qu'avait par longtemps mort séché; dans une nuit viendra à reverdir. Cepen-
dant,! anus Gallicus dit que cela n'arriva qu'en Septembre de la même année 1572 ..
922 CHAPITRE X § 1579
Mais il n'est pas très difficile d'accorder des prophéties avec des
faits passés. Lors même que l'erreur des faits est patente, l'abbé de
tradamus l'avoit prédit. Les deux (p. 117) Vers portent: Chron. Roi -malade;
Prince pied attaché: Craint d'ennemis fera voiles bondir. C'est encore ici les signes
ordinaires de la vérité des prédictions de Nostradamus en ce que Charles IX, quel- ;
que temps après que ce prodige fut arrivé, se trouva indisposé... d'une maladie
chronique, c'est-à-dire d'une espèce de fièvre quarte. Prince pied attaché : cela
vouloit dire que M. le Duc d'Anjou s'attacheroit, comme il fit, aussi environ ce
même temps là, au pied des murailles de la Kochelle, ...et que par la crainte des
<-nnemjs de la France, le Roi mettroit aussi une Armée Navale sur pied, suivant ce
dernier Vers Craint d'ennemis fera voiles bondir ». Voir aussi (Charles Nigou-
:
<le tous mes efforts, je n'ai pas pu découvrir plus de deux objections contre l'exac-
titude de mes prophéties de l'année dernière la première est celle d'un Français
:
à qui il a plu de faire savoir au monde, « que le cardinal de Noailles était encore en
vie, malgré la prétendue prophétie de (p. 220) M. Biquerstaffe [sic] » mais jusqu'à :
quel point un Français, un papiste et un ennemi, est croyable dans sa propre cause,
rontre un protestant anglais, fidèle au gouvernement, j'en ferai juge le lecteur can-
dide et impartial [des arguments de ce genre ont continué à être très sérieusement
employés]. L'autre objection... a trait à l'article de mes prédictions qui annonça la
mort de M. Partridge pour le 29 mars 1708. 11 lui plaît de contredire formellement
ceci dans l'almanach qu'il a publié pour la présente année... Sans entrer dans des
critiques de chronologie au sujet de l'heure de sa mort, je me bornerai à prouver que
M. Partridge n'est pas en vie
Suivent des arguments qui sont des parodies de ceux
».
en usage en pareilles occasions. Entre autres « (p. 221) Deuxièmement, la mort est
:
définie, par tous les pliilosophes, une séparation de l'âme et du corps. Or il est cer-
tain que sa pauvre femme, qui doit le savoir mieux que personne, va depuis quelque
temps de ruelle en ruelle dans son voisinage, jurant à ses commères que son mari
est un corps sans âme. C'est pourquoi, si un ignorant cadavre continue d'errer
parmi nous, et qu'il lui plaise de s'appeler Partridge, M. BickerstafiF ne s'en croit
aucunement responsable ». Aii sujet du moment précis de la mort de Partridge.
< (p. 223) plusieurs de mes amis... m'assurèrent que j'étais resté en deçà d'une demi-
heure ce qui (j'exprime ma propre opinion) est une erreur de trop peu d'impor-
:
tance pour qu'il y ait lieu à se tant récrier ». C'est à peu prés ce que dit Guynaud à
propos de l'arbre mort.
Ce fut aussi après l'évc'aiement que l'on comprit le sens de l'oracle d'Apollon :
Aio, te, Aeacida, Romanos vincere posse. Pyrrhus croyait vaincre les Romains, et.
au contraire, ce fut lui qui fut vaincu tout cela parce qu'en latin la proposition
;
inlinitive a deux accusatifs : celui du sujet et celui du complément direct. Mais ces
maudits sceptiques, qui ignorent le caractère des vrais oracles, objectent que la
Pythie n'a jamais parlé latin dans ses oracles Primum latine Apollo nunquam :
h:)cutus est. Deinde ista sors inaudita Graecis est. Praeterea Pyrrhi temporibus iani
Apollo versus faceredesierat. Postremo. quanquam semper fuit, ut apud Enniumest.
Stolidum genus Aeacidarura,
quam sapientipotentes
Bellipoteates sunt magi', :
Broglie tente encore une conciliation, et finit par dire que si l'on
n'y réussit pas, on peut suspendre son jugement à ce sujet \
lo8(). On pose souvent cette question : « Comment doit-on
écrire l'histoire ? » D'abord, il y a l'amphibologie du terme histoire,
15795 AiiBic DE Broglie: loc. oit. % 1579' : « (p. 121) Kuenen fait une consta-
tation plus étrange encore. Quand il arrive aux auteurs du Nouveau Testament de
se servir d'un texte de l'Ancien dans un sens contraire au sens naturel des termes,
ils ne craignent pas d'altérer le texte et de supprimer les phrases, les incises et
les mots qui fixaient le sens de l'original ». L'auteur cite un exemple où Saint Paul
a certainement altéré un texte biblique « (p. 122) Ce passage est extrêmement
:
étrange et embarrassant. II semble que Saint Paul déclare que Moïse ait dit une
(p. 123) chose qu'il n'a évidemment pas dite. Néanmoins en examinant la chose
avec attention, la difficulté diminue ». Suivent des explications fort subtiles, pour
prouver qu'en somme Saint Paul a raison. Pourtant, l'auteur n'est pas satisfait.
« (p. 124) Malgré ces explications il reste toujours une difficulté. La manière dont
Saint Paul cite l'Ancien Testament est certainement d'une étrange liberté et il est
clair qu'il donne un enseignement dogmatique et non un commentaire grammatical
(lu texte ». Tjoin d'être un « commentaire grammatical », c'est un texte faux qu'on
nous présente. L'auteur dit qu'on peut chercher des solutions à cette difficulté ;
cependant « (p. 124) si ces solutions nous paraissent imparfaites, nous avons une
ressource que le Pape lui-même nous indique, c'est de suspendre notre jugement
cunctandum a sententia. Nous nous demandons même si ce dernier parti n'est pas
le plus sage en présence du texte cité plus haut ».
préface, on nous donne son avis sur le but qu'il s'est proposé en écrivant cet
ouvrage. De Moltke La guerre de 1870 « (p. 11) Ce qu'on publie dans une his-
: :
924 CHAPITRE X § 1580
1" Lequel des buts précédents doit-on, faut-il choisir? 2" Ce but
choisi, quels moyens doit-on, faut-il employer pour l'atteindre?
La première de ces propositions est elliptique, comme toutes les
autres du genre ". L'indication du but spécial en vue duquel
on doit choisir ce but de l'histoire fait défaut. Par exemple, on
peut dire En vue de la prospérité matérielle, politique ou
:
autre, d'un pays, d'une classe sociale, d'un régime politique, etc.,
comment est-il bon que se comportent les divers auteurs qui écri-
vent l'histoire ? Ou bien : Quand et comment est-il bon d'em-
ployer ces compositions historiques ? Convient-il d'en employer
une seule ? ou bien de les employer toutes en proportions différen-
tes, suivant les diverses classes sociales ^ suivant les diverses
1580^ Bien que cela puisse paraître étrange, il est pourtant certain qu'en un
même pays il peut y avoir en même temps des histoires de différents genres. Par
exemple, l'histoire du Risorginiento qu'on enseigne dans les écoles italiennes diffère
sur plusieurs points de l'histoire réelle, qui est bien connue. En février 1913, l'em-
pereur allemand fit un discours, a l'Aula de l'université de Berlin, et dit « Il a été :
a dit que la Prusse perdit la foi peu ai)rès la mort de Frédéric II et que c'est pour
cette raison qu'elle fut vaincue en 1800. Il faut remarquer que le victorieux Frédé-
ric II ne fut certainement pas un héros en matière de foi, et que la Prusse fut
défaite sous le règne d'un prince très pieux. Il t^st vraiment difficile d'employer le
compas de la religion pour les faits historiques ». Au point de vue des faits expéri-
mentaux, c'est bien, mais non s'il s'agit de donner de la force aux sentiments d'un
])ays ;et c'est ce dernier but que visait exclusivement l'empereur. Au point de vue
§ 1580 LES DÉRIVATIONS 925
des faits expérimentaux, le discours impérial est si étrange, qu'il rappelle une poésie
de Fucini, dans laquelle une aurore boréale est nommée « le doigt du Tout Puissant ».
Mais quel poids aura, dans la balance, la vérité expérimentale, le jour oii les
armées iront au-devant de la mort? Il faut ajouter que là où l'on croit à tort faire
usage de cette vérité expérimentale, en réalité, on a simplement une autre religion ;
dut donner sa démission de ministre. Donc, d'une façon générale, que tout ministre
de la guerre sache qu'il peut ou non s'occuper de la défense du pays, on n'y attachera
pas beaucoup d'importance, et, de fait, le général André demeura longtemps minis-
tre ;mais il ne doit pas toucher aux dogmes sublimes de la sacro-sainte religion
dreyfusarde, ni de la religion humanitaire. En somme, l'histoire officielle de ces intel-
lectuels ne se rapproche pas beaucoup plus delà vérité expérimentale que l'histoire de
l'empereur allemand. La Liberté, 2 février 1913, écrit à propos de l'incident du Paty
de Glam (| 1749^) et de la discussion qui eut lieu, sur ce sujet, à la Chambre :
* Comment noîts nous préparons. Encore une journée de perdue... Nous défions
qu'on trouve une bonne raison pour justifier le débat d'hier qui a si fort excité la
Chambre. Il s'agissait de savoir si tel officier de la territoriale resterait affecté en
cas de guerre à la garde d'une petite gare de banlieue. Voilà à quoi nos six cents
représentants se sont amusés, tandis que restent en suspens des projets du plus
haut intérêt pour la défense nationale. Le gouvernement allemand presse l'orga-
nisation nouvelle et formidable de son armée ; chez nous on s'attarde sur le cas
infime de M. du Paty de Glam. L'affaire est pourtant bien simple. M. Millerand
l'a exposée, à la tribune, avec une entière franchise. La mesure qu'il a prise était
une simple mesure administrative préparée par son prédécesseur ; il a cru qu'il
était de son devoir de tenir un engagement pris par celui-ci. C'est tout». L'his-
toire officielle des intellectuels qui donnent en ces travers et celle de l'empereur
allemand, égales au point de vue expérimental, diffèrent uniquement en ce que
la première nuit à la défense de la patrie, et que la seconde y est utile.
926 CHAPITRE X § 1581-1584
écrit l'histoire dans le but tie l'enseigner, et, de toute manière, elle
donne lieu à des observations analogues. D'habitude, on ne fait
pas la distinction des genres que nous avons indiqués ici, et les
« Quels sont les sentiments qui, chez vous, s'accordent avec les
sentiments qu'éveillent dans votre esprit les termes : écrire, ensei-
gner l'histoire ? »
une histoire et voilà tout». Ainsi que nous l'avons souvent observé,
celui qui suit le raisonnement scientifique distingue, sépare des
choses que les personnes étrangères à ce raisonnement confondent
au moins en partie.
i."i83. Même celui qui recherche de quelle manière on doit
enseigner l'histoire, pour qu'elle soit le plus possible utile à la société,
doit ou croire ou au moins feindre de croire qu'il y a une solution
unique. Ni lui ni l'artiste qui joue dans un drame ne peuvent
s'interrompre pour avertir le public que ce qu'ils disent est de la
fiction tous deux doivent s'incarner dans leur rôle, éprouver ce
;
nous l'avons déjà remarqué tant de fois, chez l'individu qui veut
donner une forme précise et logique aux sentiments qu'il éprouve,
souverain bien ceux qui sont en désaccord avec elle sont en désaccord avec toult-
:
règle de la vie ». De telle sorte que nous voilà maintenant dans une belle situation,
si nous voulons connaître les règles de la vie! Il y a environ deux mille ans que
Gicéron exposait ses doutes, et ils ne sont pas encore dissipés Qui sait s'ils le !
seront dans deux autres mille ans ? En attendant, il faut pourtant vivre, et les
hommes vivent sans trop se soucier du souverain bien, qui demeure une belle
entité à l'usage des métaphysiciens.
1585 ' En général, les commentateurs des philosophes pourraient répéter ce que,
suivant GiGÉRON, Glitomaque disait de Carnéade. Acad. quaest., II, 45, 140 Quam- :
qui n'est que relatif, à rendre objectif ce qui n'est que subjectif.
Par conséquent, celui qui a en lui l'un des innombrables agrégats
de sentiments décrits plus haut n'exprimera pas son état en disant
simplement ce qu'il éprouve il exprimera comme absolue et
:
moi ceci paraît être le souverain bien ». Il dira, ce qui est bien
dilïérent : « Ceci est le souverain bien»; et il emploiera des dériva-
tions pour le prouver.
1S86. La dérivation sera en partie justifiée par le fait qu'outre
le phénomène subjectif indiqué tout à l'heure, il y en a d'autres
encore, qui sont objectifs, et qu'il faut considérer. Un certain agré-
gat A
de sentiments existant chez un individu, nous pouvons nous
poser les problèmes suivants. Quel sera, à un moment déterminé,
et pour un but déterminé, leflét, sur l'individu, de l'existence de /l 9
De même, quel sera cet effet sur d'autres individus déterminés, sur
des collectivités déterminées? Au fond, ces problèmes constituent
la théorie de l'équilibre social, et la difficulté de les résoudre est
très grande. C'est pourquoi, ne pouvant faire autrement, nous
devons chercher à les simplifier, en sacrifiant plus ou moins la
rigueur.
1^87. On peut obtenir une première simplification en ne tenant
pas compte des déterminations précises de l'individu, des collecti-
vités, du moment, ou bien, en d'autres termes, en considérant cer-
tains phénomènes moyens et généraux. Mais, pour ne pas tomber
en de graves erreurs, il faut se rappeler ensuite que les conclusions
de ces raisonnements seront, elles aussi, moyennes et générales. Par
exemple, on peut dire Le plaisir présent peut être compensé par
: <(
elle part ; elle y met aussi tout ce qu'elle peut des résultats
qu'elle veut obtenir. Ainsi, l'une des plus fréquentes dérivations est
SOCIOLOGIE 59
930 CHAPITRE X § 1592-1595
pas grande, mais était pourtant notable. Aristippe S pour le peu que
1594» L'Anthologie grecque contient une épigramme à laquelle Gic. ; Tusc, V, 3."),
101, fait allusion,en ajoutant Quid aliud, inquit Aristoteles, in bovis, non in regis
:
sepulcro inscriberes ? On feint que ce qui suit est l'épigramme funéraire de Sar-
danapale (Epigr. sepulcr., 325) «Je possède ce que j'ai mangé, ce que j'ai fait
:
d'excès, et les charmantes choses que j'ai connues avec les Amours. Tout le reste, y
compris les choses heureuses, est perdu ». A cela, Grates le Thébain répond [Epigr. :
sepulcr., 326) «Je possède ce que j'ai appris, ce que j'ai médité, et les vénérables
choses que j'ai connues avec les Muses. Tout le reste, y compris les choses heu-
reuses, s'est envolé en fumée». Polyarque (apud Ath., XII, c. 64, p. 545), discutant
avec Archytas, disait qu'il lui semblait que la doctrine de celui-ci s'écartait beaucoup
de la nature. «Car Is. nature, lorsqu'elle peut faire entendre sa voix, nous enjoint
de céder à la volupté, et nous dit que c'est le fait des hommes sages ».
1595 ' Il est difficile de savoir, par les différents témoignages que nous possédons,
quelle était précisément l'opinion d'Aristippe : mais il est incontestable que les
§ 1595 LES DERIVATIONS 931
II, 87, dit que suivant les cyrénaïques, « le but est une volupté particulière, le bon-
heur est l'union de plaisirs particuliers». Il ajoute que, selon Hippobotos «(88) la :
volupté est un bien même si elle tire son origine de choses très honteuses». Et
Aristippe disait «(93) Rien n'est juste, honnête ou honteux selon la nature, mais
:
'£x" ^o,tâa, a'/j' ovk ëxo/nac. Ménage subtilise en voulant entendi'e £j«v dans le sens
de viKàv «vaincre» Hoc igitur dicit Aristippus, ipsius pecunia superatam Laidem,
;
ad quam scimus fuisse aditum difficillimum... sui corporis ipsi fecisse copiam :
se vero a voluptatibus non esse superatum quod accidere solet toïç ànçaréai (aux
:
intempérants). Le sens est, au contraire, très clair. En grec, êjw veut dire possé-
der, dans le double sens que ce mot a aussi en français et en italien, d'être maître,
d'occuper, et d'avoir des rapports charnels avec une femme, de l'avoir pour épouse,
pour amante. Le passif ëxo/nai a les sens correspondants de l'actif; et Platon, De
Rep., III, p. 390, l'emploie justement au sens qu'il a dans les paroles d'Aristippe.
Platon admoneste Homère, parce qu'il nous montre Zeus, brûlant de s'unir à sa
femme, « et disant qu'il était plus possédé par la passion qu'il ne l'avait jamais été
précédemment, lorsqu'ils s'unirent ,, à l'insu de leurs chers parents"» {II., XIV,
296) KaX Tiéyovra ùç ovraç vnb ènidvfiiaç exsrat, ùç ovô' 'ore to tzçCjtov ècpoiruv Trpôr
:
à7A.ijlovç «(pclovç lijdovTe TOKtjaç^). Donc Aristippe n'était pas possédé de cette façon
par la passion pour Laïs. —
Lactange (III, 15, 15) cite le mot d'Aristippe, mais
n'y a rien compris. — Cio. Epist. ad famil., IX, 26
; Audi reliqua. Infra Eutra- :
pelum- Gytheris accubuit. In eo igitur, inquis, convivio Cicero ille... Non, meher.
cule, suspicatus sum illam affore sed tamen Aristippus quidem ille Socraticus non
:
erubuit, eum esset obiectum, habere eum Laida « Habeo, inquit, non habeor a :
« Ce n'est pas d'entrer, dit Aristippe, qui est honteux, mais de ne pas pouvoir en
sortir». —
Pers., V, appelle aussi libre l'homme qui sort de chez une courtisane
intact et n'y retourne pas :
1.5953 Diog. Laert. ; II, 93. Néanmoins, cela contredit ce qu'il répondit, dit-on, à
celui qui lui demandaitphilosophes avaient de bon « .Si toutes les lois
ce que les :
étaient supprimées, ils vivraient de la même manière» [Idem, ibidem, II, 68). Mais
ici nous ne recherchons pas ce que pensait vraiment Aristippe nous examinons ;
time des biens, ne sût pas ce que c'est » Il ajoute que les termes !
«(II, 8, 24) Je ne dirai jamais que ces gens dissolus vivent bien ou
bienheureusement ». Dans cette proposition, il induit le lecteur
en erreur, par le double sens de vivre bien ou bienheur easement,
cette expression pouvant se rapporter aux sensations des gens
dissolus ou à celles de Cicéron, lequel devrait dire, par conséquent :
voulons au contraire qu'il soit égal à C. Pour cela, nous avons deux
procédés ou bien de respecter la première proposition, et de
:
A est égal à C.
598. La dérivation s'allonge, 'parce qu'en outre de la volupté,
1
logique. Il dit (II, 4,13) que ^ôov^doii être rendu en latin par le terme tJoZwjJïas.w Dans
ce terme, tous ceux, où qu'ils soient, qui savent le latin, comprennent deux choses une :
joie dans l'âme et une sensation suave d'agrément dans le corps ». Sur ce point, il
semble effectivement qu'il a raison, et que les termes ^ôovij, en grec, voluptas, en latin,
ont cette signitication. 2° Une question concernant la manière de s'exprimer d'Epicure.
Celui-ci emploie le terme fjaovr] en un sens diffèrent de celui indiqué tout à l'heure
(II, 5, 15) ex quo efficitur, non ut nos non intelligamus. quae vis sit istius verbi,
sed ut ille suo more loquatur, nostrum negligat». Sur ce point encore, Gicéron a
raison mais il a même trop raison pour sa thèse, car le défaut d'Epicure est
;
celui de tous les métaphysiciens, y compris Gicéron, qui, lui aussi suo more loqui-
tur, nostrum negligit, lorsque par notre m,anière on entend celle des gens dis-
solus. 30 Une question de rapports de sentiments suscités chez certaines personnes
par certains termes. Les sentiments suscités par les deux termes volupté, souve-
:
rain bien, ne coïncident pas chez Gicéron sur ce point, son affirmation suffit. Ils
;
ne coïncident pas non plus chez certaines personnes c'est là un fait que l'expé-
;
rience vérifie. Donc, en cela aussi Gicéron a raison. 4° Une question de rapport de
sentiments de toiis les hommes, ou bien de choses. Gicéron passe du contingent à
l'absolu, non pas explicitement, mais implicitement, à la manière d'un grand
nombre de métaphysiciens. Pour la même raison que l'affirmation de Gicéron suf-
fit à établir qu'en lui les termes volupté et souverain bien n'éveillent pas des sen-
sations identiques, l'affirmation d'une personne qui est d'un autre avis doit suffire
pour établir qu'en elle ces deux termes suscitent des sensations égales et de la ;
même façon que l'observation nous fait connaître que beaucoup de personnes pen-
sent comme Gicéron, elle nous fait connaître aussi que bon nombre pensent diffé-
remment. Gicéron a donc tort de donner une valeur universelle, absolue, à une pro-
position qui n'a qu'une valeur particulière, contingente. 5* Une argumentation
sopliistique pour exclure les personnes d'un autre avis et revenir du contingent à
l'absolu. Là aussi, le raisonnement est plein de sous- entendus, comme c'est l'usage
général des métaphysiciens. On insinue qu'il y a des choses auxquelles on a donné
le nom de volupté, souverain bien ; nous devons les connaître par le témoignage
du plus grand nombre de gens et s'il est quelque mauvaise tête qui les nie, nous
;
n'avons pas à tenir compte de son affirmation, de même que nous ne tiendrions pas
compte de l'affirmation d'un esprit bizarre auquel il prendrait fantaisie de nier
l'existence de Garthage. En d'autres termes, on insinue 1" universalité de la proposi-
tion en recherchant ce qu'o/î dit. Ge on désigne tout le monde et quand tous ;
parlent de la même façon, la chose doit être de cette façon, comme quand tout
le monde que le soleil réchauffe. On ajoute enfin autant de considérations
dit
accessoires que la rhétorique en peut fournir. Donc, ici Gicéron a tort, mais ni
plus ni moins que les autres métaphysiciens.
934 CHAPITRE X § 1599-1600
2"% XXVII, 6 : ...quia ultimum bonum hominis consistit in hoc quod anima Deo
inhaereat...
n'y a pas de mal naturel nullum esse malum naturale pourrait être mal interpré-
:
tée par les pélagiens. Mais le terme naturel se rapportait à la nature qui a été
créée sans péché. Donc cette nature est dite vraie et propre nature de l'homme
: :
Ipsa enim vere ac proprie natura hominis dicitur. Par analogie, nous employons
aussi ce terme pour désigner la nature qu'a l'homme en naissant.
936 CHAPITRE X § 1603
1602* Très connu est le passage des Géorgiques, IV, dans lequel Viroile dit des
abeilles :
qu'il fait partie de la loi générale des êtres [il y a des gens qui com-
prennent cela Voyez Natura constitutum, I, 10; quod dicam
!
i
:
naturam esse, quo modo est natura, utilitatem a natura, I, 1^2 ^).
mette un X
quelconque, et notre raisonnement demeure également, car il ne porte
que sur la dérivation objectivement. —
Plutarch., De plac. phil., I, 1, 1, com-
mence par observer judicieusement qu'il serait absurde de disserter sur la Nature,
si l'on n'expliquait pas auparavant ce que signifie ce mot. Pour faire cela, il dit :
(2) 'EoTLv ol'v, icarà tqv àçxv Kivijaeuç /cat r/çefiiaç, èv ù ttqùtuç
'Açia-oTé'Ar/v, éhciç,
saTÏ Kal oh Kara av/j.psfi7}K6ç. «La Nature, suivant Aristote, est donc le principe du
mouvement et du repos, dans les corps où il se trouve primitivement et non par
accident». Nous voilà bien renseignés maintenant nous savons ce qu'esl ]a
:
Nature ! Mais ensuite, le même auteur, dans le même traité, nous donne d'autres
définitions. « (I, 30, 1) Empédocle dit que Nature n'est pas autre chose que
la
mélange et séparation d'éléments... (2) De même, Anaxagore dit que la Nature est
combinaison et dissolution, c'est-à-dire naissance et destruction».
ro Kara tov lôyov. Il n'est pas facile de comprendre ce que cela veut dire. Au fond,
938 CHAPITRE X § 1604
dicendum quod naturale dicitur ,,quod est secundum naturam ", ut dicitur (Physic,
lib. II, text. 4 et 5). Natura autem in homine dupliciter sumi potest. Uno modo,
prout intellectus et ratio est potissima hominis natura, quia secundum eam homo
in specie constituitur et secundum hoc naturales delectationes hominum dici pos-
;
sunt quae sunt in eo quod convenit homini secundum rationem sicut delectari in ;
contemplatione veritatis et in actibus virtutum est naturale homini [il est regrettable
que les malfaiteurs ne l'entendent pas ainsi]. Alio modo potest sumi natura in
homine secundum quod condividitur rationi, scilicet id quod est commune homini
et aliis, praecipue quod rationi non obedit... Donc natura veut dire blanc et noir ;
cela ne suffit pas encore. Des deux espèces de plaisirs, une partie sont naturels
en un sens, mais pas naturels en un autre Secundum utrasque autem delecta- :
mas, trad. Th. Bourjvrd, t. II «(p. 198) Le mot nature peut donc se comprendre
:
ses frères par nature, c'est-à-dire par l'ordre même de la naissance, et l'Apôtre dit
que ^ar nature nous sommes fils de colère, c'est-à-dire d'après la conception et la
nativité, dont nous tirons le péché 2« dans le sens de matière et de forme, ainsi
;
l'homme est dit se composer de deux natures partielles 3* dans le sens de l'es- ;
sence de la chose ainsi nous disons que la nature ou l'essence angélique est supé-
;
rieure à la nature humaine 4' enfin, en Physique, la nature est prise pour le
;
principe intrinsèque du mouvement et du repos dans les choses qui sont près de
nous... » Il ne vient à l'idée d'aucun de ces auteurs que donner le même nom à des
choses si diverses, est le meilleur moyen de ne pas se faire comprendre.
1604 3 Barthélémy Saint-Hilaire,- Physique d'Aristote, t. I. Peu avant il avait
dit : « (p. m) La théorie du mouvement est si bien l'antécédent obligé de la phy-
sique, que, quand à la fin du XVII^ siècle. Newton pose les principes mathéma-
tiques de la philosophie naturelle, il ne fait dans son livre immortel qu'une théorie
du mouvement [en note Newton le dit lui-même dans sa Préface à la première édi-
:
tion des Pruicipes...]. Descartes, dans les Principes de la Philosophie, avait éga-
lement placé l'étude du mouvement en tête de la Science de la nature. Ainsi, deux
mille ans passés avant Descartes et Newton, Aristote a procédé tout comme eux et ;
qui n'est pas vraie ?] des êtres. Il incline à penser que la forme d'une
chose est bien plutôt sa nature que ne l'est la matière car la ;
dante, conforme. Il est par conséquent quelque peu indéterminé, si l'on n'ajoute pas
la chose avec laquelle existe la convenance, l'harmonie, etc. La sentence de Zenon
serait donc vivre convenablement, harmoniquement, etc.
: et peut-être pourrait-on ;
indéterminé que, d'une part, les sentiments que fait naître ce terme
concordent avec ceux qui sont provoqués par A ; d'autre part, ils
peuvent aussi concorder avec ceux provoqués par B. De cette façon
s'établit l'égalité de X et de B. Mais comme on a déjà vu que A est
égal à X, il en résulte que A est aussi égal à B, ce que précisément
on voulait démontrer. Ce raisonnement est semblable à celui que
nous avons déjà vu (!^ 480 et sv.), et au moyen duquel on prouve
l'égalité de A et de fi par l'élimination d'une entité .Y, étrangère au
16Û(J ' DiOG. L.vEKT. : VII, 88, Irad. L. Lechi. Glémeat crAlexandrie s'imagine
que la nature des stoïciens c'est Dieu. — (^lem. Alex. ; Strotn., II, c. 19, p. 48;S,
Potter, 404 Paris 'Evrevdev koI o'i HtuïkoI to ÔKo'Àovduç ry <pvaei Çifv réXoç elvai
:
générale est toujours droite et tend toujours à l'utilité publique mais il ne s'ensuit
:
pas que les délibérations du peuple aient toujours la même rectitude. On veut
toujours son bien, mais on ne le voit pas toujours jamais on ne corrompt le
:
peuple, mais souvent on le trompe, et c'est alors seulement qu'il paraît vouloir ce
qui est mal [remarquez la modification du sens à' erreur ; nous en parlerons inces-
samment]. II y a souvent bien de la différence entre la volonté de tous [une des
formes de X], et la volonté générale [autre forme de X] celle-ci ne regarde qu'à
:
l'intérêt commun, l'autre regarde à l'intérêt privé, et n'est qu'une somme de volon-
tés particulières : [attention à la muscade, qui passe d'un gobelet dans l'autre] mais
ôtez de ces mêmes volontés les plus et les moins qui s'entredétruisent, [pour cela,
il serait nécessaire que les moins fussent égaux aux plus, sinon il reste un résidu ;
mais le divin Rousseau ne s'arrête pas à ces vétilles], reste pour la somme des dif-
férences la volonté générale ». Voilà que la muscade a passé du gobelet de droite dans
celui de gauche. Attention, vous allez voir un nouveau et plus beau tour de passe-
passe. On décrit un état réel B, pour en faire l'égal de l'une des abstractions indé-
terminées X, indiquées tout à l'heure. « Si, quand le peuple suffisamment informé
délibère, les citoyens n'avaient aucune communication entre eux [comment peuvent-
ils être informés, sans avoir de communication ? Ce doit être une communication
interne et spontanée], du grand nombre de petites différences [qui lui a dit qu'elles
étaient petites ?] résulterait toujours la volonté générale A', et la délibération serait
toujours bonne [même quand le peuple délibère de brûleries sorcières ?] Mais quand
il se fait des brigues, des associations partielles aux dépens de la grande, la volonté
de chacune de ces associations devient générale par rapport à ses membres, et par-
ticulière par rapport à l'Etat... Enfin quand une de ces associations est si grande
qu'elle l'emporte sur toutes les autres, vous n'avez plus pour résultat une somme de
petites différences, mais une différence unique alors il n'y a plus de volonté géné-
;
rale, et l'avis qui l'emporte n'est qu'un avis particulier ». Une personne sait ce qui
lui est agréable ou désagréable, mais peut se tromper par ignorance. On pourvoit à
§ 1609 LES DÉRIVATIONS 948
1" Les gens qui font partie, ou croient faire partie de la majorité,
acceptent volontiers une théorie qu'ils comprennent dans ce sens
Les habiles qui gagnent de
qu'elle consacre leur infaillibilité. 2°
l'argent au moyen des droits protecteurs et de tant d'autres façons ;
grand nombre est dans l'erreur parce qu'il est incapable de discerner le vrai. Il
suffit qu'ils soient informés pour qu'ils comprennent. Desjgens qui ne compren-
nent pas, il n'en existe pas dans la cité de Rousseau. Ayant ainsi démontré 1° que :
la volonté générale est toujours droite, 2° qu'elle est exprimée par le vote des
citoyens bien informés et sans communication entre eux, on conclut logiquement
que cette déliliération est toujours droite.
944 CHAPITRE X § 1610-1612
16121 Plutari^h.; De def. orac, 15, p. 417 : Kal fxf/v oaaç èr rs fivOocç nal v/xt^oiç
'kkyovai Koi àèovai, tovto àçirayàç, tovto 6e Tr?iâvaç deû)v, Kçvipeiç re kcI fvyàç Kal
fiiv
Aarpeiaçj ov @ei'>v elaiv, àX'Aà âaïuôvuv 7raf)^/j.aTa, Kat ri'xai /nvi/unvevôusvai ôî àçETr/v
Kal ôvvafuv aiiTÔiv' Kal ovr A'igx'l'Àoç eitev
« Et assurément tout que l'on raconte et l'on chante, dans les mythes et dans les
ce
hymnes : enlèvements, les courses errantes des dieux, le fait de se cacher et
les
d'aller en exil et d'être esclave, ne sont pas choses qui arrivèrent aux dieux, mais
aux démons et on les rapporte pour montrer la vertu et la puissance de ceux-ci.
:
dieux et les démons semblait sauver à un haut degré et la vérité des vieilles
légendes et la dignité des dieux. Elle obviait à la nécessité de prononcer ou que
les dieux étaient indignes, ou les légendes mensongères. Cependant, bien qu'ima-
ginée dans le but de satisfaire une sensibilité religieuse plus scrupuleuse, elle
fut trouvée incommode dans la suite, quand il s'éleva des adversaires contre le
paganisme en général. En effet, tandis qu'elle abandonnait comme insoutenable
une grande portion de ce qui avait été jadis une foi sincère, elle conservait encore
le même mot démotis avec une signification entièrement altérée, (p. 154) Les
écrivains chrétiens dans leurs controverses trouvaient d'abondantes raisons cliez
les anciens auteurs païens pour regarder tous les dieux comme des démons, et
des raisons non moins abondantes chez les païens postérieurs pour dénoncer les
démons en général comme des êtres méchants».
SOCIOLOGIE 60
3
croient Homère, qui met le très grand Jupiter au rang des démons,
ainsi que d'autres poètes et philosophes qui nomment de la même
manière les démons et les dieux. De ces deux noms, le premier est
vrai, le second faux ». Tatien, lui aussi, fait de Zeus le chef des
démons. Il peut avoir tort, aussi bien qu'il peut avoir raison, car
l'un et les autres nous sont également inconnus; c'est pourquoi la
science expérimentale ne saurait absolument pas décider si Tatien
dit vrai ou non *.
1614. (IV-3) Métaphores, allégories, analogies. Données comme
une simple explication, comme un moyen de se faire une idée d'une
chose inconnue, les métaphores et les analogies peuvent être em-
ployées scientifiquement pour passer du connu à l'inconnu mais, ;
16132 MiNUG. Felix. 26 ...quid Plato, qui invenire Deum negotiura credidit,
:
1613 Lagt. ; Div. instit., IV, De vera sapientia, 27 Si nobis credendum esse
:
non putant, credant Homero, qui summum illum lovera daemonibus aggregavit :
sed et aliis poetis ac philosophis, qui cosdem modo daemonas, modo deos nuncu-
pant : quorum alterum verum, alterum falsum est.
1613* Tatiani ; Orat. ad Graec, 8 : Kal j-lîj-i ye oi âai/LLOveç avrol /uerà tov
^yovjuévov avTùv /libç...
§ 1615-1616 LES DERIVATIONS 947
la forme du raison-
Cet usage n'est pas très fréquent, parce que
nement sophisme. Pour le dissimuler mieux, il faut
fait saisir le
Kéb. Il semble. — Soc. Donc nos âmes sont [après la mort aux
Enfers? — Kéb. Il me semble... ».
1617' Fleury ; Hist. EccL, 1. 69, t. 14 « (p. .jBI) (Jletle allégorie des deux glaives,
;
si célèbre dans la suite, avait déjà été marquée dans un écrit de Geoffroi abbé de
Vendôme. Saint Bernard Tétend ici davantage... ». Le passage de la lettre de —
Saint Bernard, auquel on fait allusion, est le suivant D. Bern. Epist., 256, Ad : ;
1. IV, 3,7 ...Quid tu denuo usurpare gladium tentes, quem semel iussus es reponere
:
in vaginam ? Quem tamen qui tuum negat, non satis mihi videtur attendere verbum
Domini Converte gladium tuum. in vaginam. Tuus ergo et ipse, tuo
dicentis sic :
forsitan nutu, etsi non tua manu evaginandus. Alioquin si nullo modo ad te
pertineret et is, dicentibus Apostolis Ecce gladii duo hic; non respondisset :
Dominus Satis est; sed nimis est. Uterque ergo Ecclesiae, et spiritalis scilicet
: :
gladius, et materialis sed is quidem pro Ecclesia, ille vero et ab Ecclesia exse-
;
rendus : ille sacerdotis, is militis manu, sed sane ad nutum sacerdotis, et iussum
Imperatoris.
16172 Fi.eury; Hist. EccL, 1. {>'\ t. 14, p. 76.
§ 1618 LES DÉRIVATIONS 949
tico regimini. Et quantum valet corpus, nisi regatur ab anima, tantum valet ter-
rena potestas nisi informetur et regatur Ecclesiastica disciplina. D. Thom. De — ;
reg. prùic, III, 10. Il bataille contre qui voudrait que les paroles du Christ qui
donnent à Pierre la faculté de lier et de délier, ne s'appliquassent qu'au spirituel.
Quod si dicatur ad solam referri spiritualera potestatem, hoc esse non potest, quia
corporate et temporale ex spirituali et perpetuo dependet, sicut corporis operatio ex
virtute animae.
1(>18> G. Phillips; Du dr. eccl., t. II «(p. 473) Dans ces derniers temps, on
:
seconde période. Eglise et Etat sont unis et vivent en bon accord. « (p. 474) il peut
y avoir, comme dans le mariage, des malentendus passagers ...mais, les deux con- ;
joints ayant lïntention sincère de rester unis en .Jésus-Christ, ces malentendus sont
bientôt dissipés. Enfin le pouvoir temporel se détache de la foi de l'Eglise et de
l'obéissance qu'il lui doit dans les choses divines c'est la troisième phase, c'est
;
de son époux, mais elle reste indifférente pour ce dernier, ou bien, si elle se rap-
proche de lui, elle exige la reconnaissance de l'autre au même titre ». C'est un cas
de polyandrie.
16182 Phillips; Du Droit ecclés., t. I « (p. 53)
: Cette parole Tu es Pierre, a
fait de Simon le fondement de l'Eglise, le roc qui sert de pierre angulaire à l'édifice
divin... ».Malheureusement cette métaphore a donné lieu à de nombreuses discus-
sions. 54) ...à combien d'interprétations diverses n'ont pas donné lieu les mots
« (p.
Petrus et Petra, dont s'est servie la traduction grecque pour rendre celui de
Cephas, seul employé dans l'original syriaque, ainsi que dans les traductions que
nous fournissent le persan, l'arménien et le copte Cette différence tient à ce que
!
dans le grec le mot wérça, du genre féminin, ne pouvant être appliqué à un homme,
le traducteur s'est trouvé forcé, par le génie de sa langue, à changer la physionomie
du mot pour l'approprier à l'usage qu'il était obligé d'en faire de là ttétçoç, au lieu ;
de nérça, deux fois répété. Cette explication, si plausible en elle-même, a été admise
même par les plus acharnés adversaires de la primauté de saint Pierre. Quelle
induction donc peut-on tirer d'une différence purement syllabique et matérielle ?
(p. 55) Dira-t-on, pour la faire pénétrer dans le sens même des mots, que Trérpa
signifie un gi-os roc, tandis que nérçoç n'éveille que l'idée d'une petite pierre ? Cette
interprétation, adoptée par de récents lexicographes est... dénuée de tout fonde-
ment. Nous l'admettrons cependant, si l'on veut, mais sous la réserve d'une condi-
tion que l'on ne peut nous contester c'est que si nérçoç signifie une petite pierre,
:
cette petite pierre devient, par la transmutation que lui fait subir .Tésus-Christ
en la convertissant en -rzÉTça, un roc volumineux et solide... ».
,,le livre" (al-Kitàb) est, pour les Musulmans, la loi suprême, la loi fondamen-
tale... Les principes fondamentaux du droit ont dû être déduits par les juristes
des décisions relativement peu nombreuses que renferme le Coran. Ces décisions,
toujours rendues pour un cas spécial, conduiraient souvent à des conséquences
absurdes, si la rigueur des déductions n'était éludée par toutes les subtilités de la
casuistique [dérivations]. L'on ne peut se faire une idée des bizarreries, des absur-
dités auxquelles se heurtent ceux qui s'en tiennent à la lettre du Coran, au lieu de
chercher l'esprit de tel ou tel passage... (p. 4) Le Coran n'est pas seulement un
livre inspiré par Allah c'est le livre, comme Allah lui-même, incréé et éternel, et
:
dont il n'a été révélé au Prophète qu'une copie [en note] c'est Aliàh lui-même qui
:
est réputé parler dans le Coran...]. D'où cette conséquence que non seulement le
fond, mais aussi la forme est sacrée et infaillible, et que toute critique en est inter-
dite. Cette doctrine a rencontré, il est vrai, depuis longtemps déjà des adversaires
dans l'Islam même [en note La secte des Mo'tazilites...]. Elle est, néanmoins,
:
tion que l'on veut justifier (§ 1414, 1447). Pour cela, l'interprétation
symbolique et l'interprétation allégorique nous offrent des moyens
puissants et faciles. Nous ne parlons pas ici d'interprétations
comme celles de Palaephate, dont nous nous sommes déjà occupés
ailleurs (§661).
1620. S'il y avait une règle quelconque pour déterminer quel
symbole, quelle allégorie doit nécessairement représenter une
expression donnée A, les interprétations symboliques ou allégori-
ques pourraient n'être pas vraies, c'est-à-dire ne pas correspondre
aux faits, mais elles seraient du moins déterminées. Mais cette
règle n'existant pas, il appartient à l'arbitraire de l'interprète de
choisir le symbole et l'allégorie, et ce choix se fait souvent grâce à
des ressemblances lointaines, puériles, absurdes; par conséquent,
l'interprétation devient entièrement arbitraire, indéterminée. Par
exemple, cela est maintenant manifeste pour tout le monde, dans
qu'on a données autrefois des poé-
les interprétations allégoriques
sies homériques. Aujourd'hui, il ne se trouve plus personne pour
les prendre au sérieux ; et pourtant, si grande est la force des
sentiments qui poussent à accepter certaines dérivations que, de
nos jours, les modernistes les renouvellent pour l'Evangile, et trou-
est la chambre noire une lampe sépulci-ale l'/'claire seule au centre, un sépulcre
; :
;
sur ce sépulcre un cercueil dans ce cercueil un Chev.-. dans son linceul aux pieds,
:
;
trois tètes de morts celle du milieu représentant celle du G.-. M.-. [Grand Maître]
;
,
Jacques de Molay est couronnée d'immcu-telles et de lauriers et repose sur un cous-
sin en velours noir. Celle de droite porte la couronne royale tleurdelysée de Philippe-
le-Bel, cellede gauche la tiare de Bertrand de Goth Pape Clément V. Tout cela
symbolise du despotisme civil et militaire et de l'intolérance religieuse.
les victimes
A angle droit avec le sépulcre se trouve un banc pour le candidat en face, un trans- :
parent avec les mots ., Celui qui saura surmonter les terreurs de la mort s'élèvera
:
au-dessus de la sphère terrestre et aura droit à être initié aux plus grands mys-
tères" ».
§ 1623-1624 LES DÉRIVATIONS 953
ce sens que Dieu a donné le repos en lui avec le don du Saint Esprit
à ses créatures raisonnables, parmi lesquelles se trouve l'homme ;
quand il dit (IV, 35, 57) que le premier jour que Dieu fit, c'est la
créature spirituelle et raisonnable, c'est-à-dire les anges surcé-
lestes et les vertus ; et lorsqu'en de nombreux autres endroits il
1624 2 Parmi tant d'exemples qu'on pourrait citer, le suivant suffira. Dans le
livre Le violier des histoires romaines, se trouvent mélangés des fables et des faits
que l'auteur estime historiques, et il donne l'interprétation allégorique des unes et
des autres, sous le titre L'exposition moralle sur le propos. Par exemple, c. 22, il dit
:
que, selon Saint Augustin, il advint que le cœur du cadavre d'un empereur romain
ne put être consumé par le loucher, parce que l'empereur était mort empoisonné.
« (p. 74) Lors le peuple tira le cueur du feu et mist dessus du triade. Par ce moyen
fut le poison chassé, et dès aussitost que de rechief le cueur fut mis au feu, il fut
bruslé ». Pour l'auteur, c'est un fait historique. Il continue « L'exposition moralle
:
SU)' le propos. Quant à parler morallement, les cueurs des pécheurs de péché mortel
empoisonnez ne peuvent estre du feu du Sainct Esperit esprins et illuminez, fors
que par le triade, qui est penitence ».
162.51 RocQUAiN Notes et fraçpn. d'hist.
;
—
Du style révolutionnaire. L'auteur
parle des écrits des hommes de la révolution de 1789 « (p. 128) Par les qualificatifs
qu'il ajoute ordinairement aux termes dont il se sert, il donne à ceux-ci un carac-
tère, un signe qui les représente d'une manière plus frappante à l'esprit. Parle-t-on
du devoir ? Il est sacré de l'égoïsme, il est aveugle de la perfidie, elle est noire
; ; ;
du patriotisme, il est brûlant... (p. 129) Par un effet de la même tendance, pour
§ 1626 LES DÉRIVATIONS 955
ment à ces fictions qu'il les confond avec la réalité K C'est là un cas
exprimer un état quelconque de l'esprit, on clioisit toujours les mots les plus forts...
De là à donner la vie aux mots, ou, pour mieux dire, à rendre vivantes les idées
qu'ils traduisent, il n'y a qu'un pas. Ce pas est franchi à tout instant dans les
écrits. C'est ainsi qu'en se servant de l'expression ,, corps politique, corps social'"
empruntée par la Révolution aux temps qui l'ont précédée, on ne se contente pas de
la froide dénomination que représentent ces deux termes assemblés. Le (p. 130)
corps social vit il a ,, des ai'tères, des veines ", dans lesquelles circule un sang
;
vigoureux ou impur... On fait plus que donner la vie aux idées on les personnifie. ;
Les termes abstraits, dont j'ai constaté l'usage alors si fréquent, tels que la justice,
la liberté, la raison, et d'autres termes du même genre, désignent des êtres qui
vivent, regardent, parlent et agissent... (p. 131) Ce n'est pas uniquement à des
abstractions de ce genre, et qui sont comme les emblèmes divins de la Révolution
qu'est attribuée la personnalité. A ce moment où la France, en proie à la guerre
étrangère, est encoi'e déchii'ée par les discordes civiles, la patrie est souvent évoquée
et se montre dans les écrits avec toutes les apparences de la vie... On comprend
(p. 132) d'ailleurs que, sous l'influence de tant de passions qui l'agitent, la Révolu-
tion personnifie ce qu'elle hait, aussi bien que ce qu'elle aime. ,, Le Fanatisme —
est là, écrit le Comité de salut public en parlant des prèlres réfractaires qu'il
accuse de soulever l'opinion il est là, il veille la palme du martyre à la main
;
il :
attend ses crédules victimes ". J'ajoute que le fanatisme, le fédéralisme et d'autres
objets de la haine révolutionnaire apparaissent ordinairement comme des ,, mons-
tres" ; ces monstres habitent des ,, repaires", et c'est dans ces repaires que la
Révolution, telle que l'Hercule moderne, doit aller les saisir et les abattre. De cette
propension à vivifier, à personnifier les idées, il résulte que les écrits oft'rent. non
pas seulement des talileaux. mais de véritables scènes animées ».
KVJG '
Fa voici un nxemnle. A Covite ; Synthè'^e subjecUve : <<.[\).%) Ne devant
956 CHAPITRE X § 1627
jamais aspirer aux notions absolues, nous pouvons instituer la conception relative
des corps extérieurs en douant chacun d'eux des facultés de sentir et d'agir,
pourvu que nous leur ôtions la pensée, en sorte que leurs volontés soient toujours
aveugles ». Ensuite, sous le prétexte de notre ignorance de l'absolu, mettons
ensemble la fiction et la réalité. L'auteur continue: « (p. 8) Bornée au Grand-Etre,
assisté de ses dignes serviteurs et de leurs libres auxiliaires, l'intelligence, poussée
par le sentiment, (p. 9) guide l'activité de manière à modifier graduellement une
fatalité dont tous les agents tendent constamment au bien sans pouvoir en con-
naître les conditions. En dissipant les préjugés théologiques qui représentaient la
matière comme essentiellement inerte, la science tendit à lui rendre l'activité que
le fétichisme avait spontanément consacrée ». Ainsi, la fiction se confond avec la
réalité. Pour justifier cela, l'auteur ajoute « (p. 9) On ne saurait jamais prouver
:
qu'un corps quelconque ne sent pas les impressions qu'il subit et ne veut pas les
actions qu'il exerce, quoiqu'il se montre dépourvu de la faculté de modifier sa con-
duite suivant sa situation, principal caractère de l'intelligence ». Ainsi, la métaphore
devient réalité, parce qu'on ne peut prouver qu'elle n'est pas réalité ! On ne peut
démontrer que Zeus n'existe pas donc Zeus existe. Que peuvent bien être la sensa-
;
planétaire [que peut bien être cette vie ?}, la Terre, quand elle était intelligente
[c'était peut-être au temps où les bêtes parlaient], pouvait développer son activité
physico-chimique de manière à perfectionner l'ordre astronomique en changeant
ses principaux coefficients. Notre planète put ainsi rendre son orbite moins excen-
trique, et dès lors plus habitable, en concertant une longue suite d'explosions ana-
logues à celles d'où proviennent les comètes, suivant la meilleure hypothèse. Repro-
duites avec sagesse, les mêmes secousses, secondées par la mobilité végétative [que
peut bien être cette autre merveille?], purent aussi rendre l'inclinaison de l'axe ter-
restre mieux conforme (p. 11) aux futurs besoins du Grand Etre ». Et l'auteur conti-
nue à divaguer ainsi, durant des pages et des pages.
§ 1627 LES DÉRIVATIONS 957
qu'on démontre par les allégories, par les métaphores et par d'au-
tres interprétations semblables ^ Nous en avons à profusion, en
tout temps. M. Gautier (loc. cit. § 1627 ^) les classe de la façon sui-
vante « (p. 129) 1° Allégorie politique. Ce système n'a jamais eu
- :
ques veut dire le plus beau, le plus parfait des cantiques, le cantique par excel-
lence. C'est donc un hommage rendu à la supériorité de ce poème sur les autres ».
16272 Gautier est protestant. Ecoutons aussi un auteur catholique. Diet, encycl.
de la théol. cath., s. r. Cantique des Cantiqties, t. 3 «(p. 508) ...on explique le
:
Théodoret l'en blâme, et son explication (p. 509) a été rejetée par le second concile
de Constantinople... L'interprétation typique, qui consiste à conserver le texte lit-
téral et sensible, mais à considérer et à interpréter les événements décrits comme
symboles de vérités plus hautes, n'a pas été tentée pour la première fois par Hugo
Grotius... elle se trouve déjà dans Honorius d'Autun, appliquant littéralement le
cantique à la fille de Pharaon et allégoriquement à l'Eglise chrétienne. Grotius
considère l'amour de Salomon pour la fille du roi d'Egypte comme le sujet acci-
dentel du Cantique, mais en même temps comme le type de l'amour de Dieu pour
le peuple d'Israël ». L'auteur démontre qu'on ne peut accepter cela. «(p. 509) Il ne
reste donc que le sens allégorique. Mais les défenseurs de l'interprétation allégo-
rique, suivent de leur côté des voies diverses. Les uns trouvent dans le Cantique
l'amour de Salomon pour la sagesse, les autres son amour pour le peuple d'Israël,
d'autres encore le désir d'Ezéchias de voir la réconciliation des royaumes séparés ;
les anciens interprètes juifs, l'amour de Jéhova pour Israël, et les plus anciens com-
mentateurs chrétiens, presque unanimement, l'amour du Christ pour son Eglise ». —
D. August: Spemiluni —De
Cantico Ca?!<î>or?/?n ; Restât ille liber Salomonis,
cuius inscriptio est Canticum Canticorum. Sed de illo in hoc opus quid transferre
:
possumus, cum totus amores sanctos Christi et Ecclesiae figurata locutione com-
niendet, et prophetica pronuntiet altitudine?
958 CHAPITRE X § 1627
1627^ Gautier examine aussi les interprétations qui voient dans le Cantique un
drame, et conclut: «(p. 138) ...cette reconstruction dramatique du Cantique des
Cantiques me paraît inacceptable. Je ne crois pas qu'on puisse jamais tirer de ce
poème, d'une façon quelque peu vraisemblable, ce que les partisans du drame pré-
tendent y trouver ». 11 remarque, à propos des partisans de cette interprétation :
« (p. 138) A défaut du sens allégorique, de plus en plus abandonné, ils se demandent
si l'on ne peut pas discerner dans le Cantique, interprété comme un drame, une
tendance sinon religieuse, du moins morale. Glorification de l'amour vrai, opposi-
tion aux passions sensuelles et aux jouissances vulgaires, supériorité de la mono-
gamie sur la polygamie, éloge du mariage, de la constance en amour, de la fidélité
conjugale, triomphe d'un sentiment sincère et profond sur les attraits de la richesse
et de la pompe royale, voilà autant de thèmes qui onl paru dignes d'être célébrés,
et que l'on a indiqués comme ayant inspiré le poète du Cantique ». L'auteur est
favorable à la solution qui voit dans le Cantique des cantiques une collection de
chants nuptiaux. Cette solution a pour elle un argument de grand poids, puisqu'elle
est obtenue par la méthode comparative (| 547, 548), en expliquant le passé par les
usages observés aujourd'hui. Pourtant un point demeure douteux a-t-on vraiment
:
1627* Renan Le Cant, des Cant. : « (p. xi) Je sais que plusieurs passages de
;
quà travers le voile mystique dont la conscience religieuse des siècles l'a entouré.
Ces dernières sont naturellement celles dont il me coûte le plus de froisser les
habitudes. Ce n'est jamais sans crainte que l'on porte la main sur ces textes sacrés
qui ont fondé ou soutenu les espérances de l'éternité... » Ce sont là quelque peu des
larmes de crocodile. Renan a de ces égards à profusion. Plus loin, il n'ose même
pas citer la Bible « (p. 43) Sulem ou Sunem était un village de la tribu d'Issa-
!
char, patrie d'une certaine Abisag la Sunamite, dont les aventures racontées
(Vulg., III) Reg., I, 3; II, 17 et sv., ne sont pas sans analogie avec celles qui
forment le canevas de notre poëme. Nous lisons, en effet, au premier des passages
précités, que les gens de David, dans une circonstance trop éloignée de nos mœurs
pour être rapportée ici, firent chercher dans toutes les tribus d'Israël la plus belle
jeune fille...» Nous voilà bien lotis, si les historiens ne rapportent que les cir-
constances qui ne s'écartent pas trop de nos mœurs Il est plaisant que Renan
!
taise ce que tout le monde sait. Segond n'a pas de ces scrupules de littérateur élé-
gant, et traduit « (Rois I, 1, 2) Ses serviteurs [de
: David] lui dirent Que l'on :
cherche pour mon seigneur le roi une jeune fille vierge qu'elle se tienne devant le
;
roi, qu'elle le soigne, et qu'elle couche dans ton sein et mon seigneur le roi se
;
prix d'un baiser, celui-ci devient plus amer que l'ellébore ». (267) A
un jeune homme qui dit aimer une jeune fille, et qui ne l'épouse
pas parce qu'elle n'est pas assez riche, on objecte « Tu n'aimes :
morale prêchée au public, l'auteur [du Cantique des cantiques] a voulu proscrire la
polygamie il a voulu faire l'éloge de la fidélité conjugale il a voulu faire admirer
; ;
l'antimilitarisme ? Pour une autre composition, qui fait partie de la Bible, le livre
de Ruth, notre auteur, à la suite d'autres auteurs, veut montrer qu'il doit y avoir
un but moral. Ces auteurs cherchent donc une voie pour passer du texte à ce but,
c'est-à-dire une dérivation et puisque qui cherche ces dérivations les trouve tou-
;
jours, ils découvrent aisément que le livre de Ruth tend à une religion humaine et
universelle. Piepenbring commence par dire: « (p. 606) Le vrai but du livre de
Ruth n'a été compris que de nos jours ». En note « (p. 607) Le but et le sens du
:
livre de Ruth n'ont même pas été compris par nombre d'exégètes modernes qui
suivent la méthode strictement grammaticale et historique. Reuss en particulier a
complètement fait fausse route à cet égard et appliqué à ce livre une interprétation
tout à fait artificielle. L'explication que nous en avons donnée et la date de compo-
sition que nous lui assignons, sont fort bien justifiées dans les ouvrages spécieux
déjà fréquemment cités de Kuenen, Cornill et Wildeboer ». Sans doute, ce livre
a peut-être tous les mérites possibles mais il doit lui manquer celui de la clarté,
;
s'il a fallu environ deux mille ans pour savoir ce qu'il signifiait Maintenant enfin,
!
il nous est donné de connaître le sens de cet écrit. « (p. 606) (^est en réalité un
complément fort précieux de la réforme d'Esdras. Il montre que le monde juif tout
entier ne se laissa pas entraîner par l'esprit intolérant et exclusif de ce scribe...
Nous apprenons par là que les mariages mixtes, combattus en bloc et avec achar-
nement par Esdras et ses collaborateurs, furent justifiés, non seulement du point
de vue de la passion ou des intérêts, mais aussi de celui de la justice et de l'équité.
L'auteur de notre livre plaçait au fond les liens spirituels de la religion au-dessus
de ceux du sang il accordait plus d'importance à une conduite vraiment pieuse
;
que l'on veut tirer de T. Celui qui use des dérivations veut souvent
nous faire croire que C se confond avec A. C doit être nécessaire-
ment une chose édifiante, et l'on cherche simplement la voie qui,
de T peut mener en C. Il est des gens qui suivent la voie allégorique
T m C, et démontrent que le Cantique des Cantiques exprime l'amour
de Jésus-Christ et de l'Eglise. Il est des gens qui suivent la voie
T n C, et démontrent que le Cantique j
'"•
des Cantiques chante les types de la >(!<i^---. -.t*
raison d'être et le but du livre de Ruth, il n'est donc point nécessaire de recourir à
des suppositions ingénieuses et quelque peu lointaines. Il suffit de se rappeler le
goût des Orientaux pour les histoires dramatiques, piquantes ou touchantes, qu'on
se raconte d'une génération à l'autre ». Mais c'est une chose trop simple pour
messieurs les interprètes.
SOCIOLOGIE 61
962 CHAPITRE X ^ 1629
de Sirach n'est pas exempt d'égoïsme. Ses conseils de prudence, si abondants dans
son livre, dénotent une préoccupation trop absorbante de l'intérêt personnel. Même
l'amour du plaisir trouve quelque écho dans son cœur, et il s'exprime en maints
endroits comme un disciple d'Epicure... (p. 392) Il ne faudrait pourtant pas exagérer
ces taches. Dans l'ensemble, notre livre est rempli de bon sens, de droiture, de cha-
rité et de piété» (Les livres apocryphes de l'Ancien Testament).
donc loué la joie, parce qu'il n'y a de bonheur pour l'homme sous le soleil qu'à
manger et à boire et à se réjouir »]. D. Hieronym. (t. V, p. 22) Et laudavi ego lae-
titiam, : quia non est bonuni homini sub sole nisi comedere, et bibere, et lae-
tari...'] Hoc plenius supra interprétât! sumus. et nunc sti'ictim dicimus licet bre- :
vem et cito finiendam praeferre eum vescendi et bibendi voluptatem angustiis sae-
culi, ...Verum haec interpretatio ieiunantes, esurientes, sitientes, atque liigentes
quos beatos in evangelic dominus vocat, si accipitur, ut scriptum est, miseros
approbabit. Et cibum itaque et potum spiritualiter accipiamus... Idem, ibidem, —
p. 9, m,11-13 ...Porro quia caro domini, verus est cibus, et sanguis eius, verus
:
et potus...
un temps pour tout... (5) un temps pour embrasser, et un temps pour s'éloigner des
embrassements »]. D. Hieronym. (p. 8) Tempus mnplexandi, et tempus longe:
rursus continentiae. [Puis vient une autre explication encore plus étrange] Vel
quod tempus fuerit amplexandi, quando vigebat illa sententia Crescite et multi- :
vent lui donner ces oligarchies nobiliaires, petites et décrépites, qui, en échange
d'un peu de faste, lui imposent des habitudes en contraste manifeste avec les ten-
dances du monde ? Nous comprenons cela, et nous le disons franchement. Nous
sommes las de voir l'Eglise réduite à une bureaucratie jalouse des pouvoirs qui
lui restent et avide de regagner ceux qu'elle a perdus... (p. 124) L'Eglise doit éprou-
ver la nostalgie de ces courants, encore inconsciemment religieux, qui alimentent
l'ascension de la démocratie elle doit trouver la manière de se fondre avec celle-ci,
;
pour la rendre vraiment capable de succès, par le moyen de la force des freins et
l'aiguillon de son ministère moral, qui, seul sait donner des leçons d'abnégation et
d'altruisme. L'Eglise doit reconnaître loyalement que dans la démocratie se prépare
précisément une affirmation plus haute de sa catholicité. Alors, la démocratie aussi
éprouvera la nostalgie de l'Eglise, qui contient la continuation de ce message chré-
tien dont elle, démocratie, tire ses origines reculées mais authentiques » Et l'on
.
est vrai que ce sont, comme d'habitude, les épithètes, qui permet-
tent de changer le sens des termes et de les élever de la terre aux
nues. Cette science en elle-même doit être pour le moins cousine,
sinon sœur, de la Droite Raison. Une autre belle inconnue, c'est le
travail scientifique en tant qu'émanant dan être moral. Il semblerait
que les travaux scientifiques entrepris pour trouver un théorème
de mathématique, une uniformité chimique, physique, astrono-
mique, biologique, etc., demeurent les mêmes, qu'ils émanent d'un
être moral ou d'un être immoral. Comment fait-on de les dédou-
bler? Euclide était-il ou n'était-il pas un être rnoral? Nous n'en
savons vraiment rien, et n'éprouvons nullement le besoin de le
savoir, pour juger sa géométrie. Comparée à ces phrases nébuleuses
de M. Loisy, l'Encyclique papale, à laquelle il veut répondre, appa-
raît comme un modèle de clarté'; et c'est justement à cause de
de l'affirmation, cela importe peu au philosophe ». Ainsi l'attitude de celui qui veut
demeurer dans le domaine de la science logico-expérimentale est fort bien expli-
966 CHAPITRE X § 1631
opinion, si M. Loisy ne s'explique j^as un peu plus clairement, en ôtant les voiles
qui enveloppent la « science en elle-même, le travail scientifique en tant qu'émanant
d'un être moral», et beaucoup d'autres entités semblables. L'encyclique ajoute que
la science doit être soumise à la foi. Comme cette affirmation est claire, claire aussi
peut-être la réponse de qui voulant demeurer dans le domaine de la science logico-
expérimentale, déclare ne se soucier en aucune façon de ce que voudrait lui pres-
crire, toujours dans ce domaine, la foi catholique, protestante, musulmane, humani-
taire, démocratique, ou toute autre foi, quel que soit son nom. Pourtant, cela ne
signifie pas du tout qu'en certaines circonstances, il ne puisse être utile de croire
que la science doit être subordonnée à la foi.
16311 Essai d'une philosophie de la Solidarité. M. L. Bourgeois : « (p. 65) II
instant que l'individu se doit libérer et c'est ainsi qu'à chaque instant il reconquiert
sa liberté ». Une personne désignée dans le texte par X
fut prise de la crainte que
si ses « débiteurs » se libéraient, elle n'en pourrait plus rien obtenir ce qui irait
;
directement à rencontre du but pratique de la solidarité et elle objecta « (p. 77) L'idée
; :
ainsi si la libération devait jamais être obtenue totalement et pour toujours [le lec-
teur voudra bien observer qu'il n'y a ici aucune restriction de somme, petite ou
grande]. Mais, je l'ai dit, nul être n'est définitivement libéré par cela même qu'il ;
de Gaiana haeresi vipera venenatissima doctrina sua plerosque rapuit [l'hérésie est
venimeuse ; la vipère est venimeuse ; donc l'hérétique est une vipère], imprimis
baptismum destruens. Plane secundum naturam [la femme, égalée à la vipère, agit
comme la vipère]. Nam fere viperae et aspides ipsique reguli serpentes arida et
inaquosa sectantur. [Expressions plus efficaces que s'il avait nommé la vipère seule.
Grâce aux sentiments accessoires (IV-/3), l'adjonction de l'aspic et d'autres serpents
à la vipère, suggère qu'on doit y ajouter aussi le serpent hérétique]. Sed nos pisci-
culi [pour le baptême]. Le même auteur dit. De resurr. carnis, 52 Alia caro vola- :
tilium, id est martyrum, qui ad superiora conantur, alia piscium, id est quibus
aqua baptismatis sufficit] secundum IX0Fy nostrum lesum Christum in aqua
nascimur [l'eau nous fait chrétiens, nous fait naître spirituellement], nec aliter
quam in aqua permanendo salvi sumus [autre métaphore « demeurer dans l'eau » :
veut dire demeurer dans l'état de grâce conféré par le baptême]. Itaque illa mons-
trosissima, cui nec intègre quidem docendi ius erat, optime norat pisciculos necare
de aqua auferens [conclusion des raisonnements métaphoriques].
968 CHAPITRE X § 1633-1634
16331 Tertull. De bapt., II. Plus loin, V, il revient sur le même sujet, mais
;
remarque que les eaux des Gentils n'ont pas l'efflcacité de celles des chnHiens
(I 1292). L'autorité sert donc à établir qu'en général les eaux sont efficaces, mais
qu'en particulier, toutes n'ont pas cette efficacité.
parmi les œuvres de charité le fait de donner le calice d'eau au pauvre, etc.
16333 Tertull. ; De bapt.. III.
§ 1635-1638 LES DÉRIVATIONS 969
même la copie régularisée par les lois, et il m'est pénible de voir que les juges
n'ont rien trouvé de mieux, pour châtier les larrons et les homicides, que de les
imiter [ici, il y a aussi une dérivation du genre (IV-7)] car, de bonne foi, Tour-
;
nebroche, mon fils, qu'est-ce que l'amende et la peine de mort, sinon le vol et l'assassi-
nat perpétrés avec une auguste exactitude? Et ne voyez-vous point que notre justice
ne tend, dans toute sa superbe, qu'à cette honte de venger un mal par un mal, une
misère par une misère, et de doubler, pour l'équilibre et la symétrie, les délits et les
crimes». L'auteur suppose qu'il répond au reproche qu'on lui adresse «(p. 196)
d'être du parti des voleurs et des assassins » et là commence déjà la dérivation.
;
Il importe peu au public que A. France et ses amis humanitaires veuillent être
de tel ou tel parti mais il lui importe beaucoup que les dits larrons et assassins
;
dit que « les juges n'ont rien trouvé de mieux, pour châtier les
larrons et les homicides, que de les imiter», et qu'en somme la
justice ne tend qu'à doubler leurs délits et leurs crimes. Assu-
rément, au point de vue logico-expérimental, ce verbiage vaut ceux
dont on use pour démontrer que la « Société » a le droit d'infliger
l'amende et la peine de mort. Mais, outre ces questions de méta-
phores, il en est d'autres qui portent sur les choses. Pour nous
exprimer comme A. France, donnons le même nom à ce qu'on a
appelé, jusqu'à présent, vol et amende, ou bien assassinat et exécu-
pestiféré, qu'il m'est pénible de voir que les hommes n'ont rien trouvé de mieux,
pour se mettre en sûreté, que d'imiter les chiens enragés et les rats pestiférés en don-
nant la mort à ces animaux». Ensuite il conclut «Plus je vis plus je m'aper-
:
çois qu'il n'}^ a pas d'animaux coupables et qu'il n'y a que des animaux malheu-
reux )k Appelez tant qu'il vous plaira coupables ou malheureux les chiens enragés
et les rats pestiférés, pourvu que vous nous laissiez nous en débarrasser alors
;
nous sommes d'accord. Donnez le nom que vous voudrez à messieurs les larrons et
à messieurs les assassins; dites que ce sont des innocents ; pourvu que vous nous
permettiez de ne pas vivre en compagnie de ces innocents, nous ne vous deman-
dons pas autre chose. Il suffit d'ouvrir un journal pour y trouver la description
des louables exploits de ces ^nalheureux. pour lesquels A. France a tant de bien-
veillance. Voici un exemple pris aux hasard : La Liberté, 14 janvier 1913 « Une
:
ensuite, elle se rend à l'atelier où elle travaille toute la journée enfin, elle rentre à
;
tuez votre fils, que si vous tuez le brigand qui veut tuer votre fils,
donc, il doit vous être indifférent de faire l'une ou l'autre chose »,
il est probable qu'il répondrait «A moi, le nom ne m'importe
:
16382 C'est là un cas particulier d'une autre dérivation très usitée, au moyen de
laquelle on donne à des hommes et à des choses des noms agréables, si l'on veut
Par exemple, aujourd'hui, en
les favoriser, désagréables, si l'on veut les combattre.
France, l'avocat de la défense ne parle jamais des « délits » de son client... Comme
l'a dit M"« Miropolska, dans une de ses conférences « Il y a des mots qu'un avo-
:
cat ne prononce jamais :ainsi le mot ,, crime". Un prévenu n'a à répondre que
d'un ,, acte ". Et c'est à faire approuver par le jury toutes les circonstances qui
justitient et simplifient cet ,,acte" que consiste le talent du défenseur» (La
Liberté, 19 février 1913).
972 CHAPITRE X § 1639
est facile à comprendre les auteurs de ces livres ayant procédé comme ces érudits
:
qui se jettent sur des archives pour réviser d'anciennes condamnations, et tout le
monde [ici, Sorel juge avec trop d'indulgence le bon sens de ses contemporains]
étant aujourd'hui d'accord pour reconnaître la vanité de telles entreprises. Les
juristes [pas tous] disent avec raison qu'en matière criminelle des débats oraux
conduits avec intelligence, peu de temps après les événements, peuvent seuls
engendrer des décisions fondées. L'historien n'est cependant pas totalement désarmé
en présence de vieilles affaires il peut à la lumière de la science des institutions,
;
négative il prononce qu'il y a présomption d'erreurs ». Cette voie est cependant très
dangereuse, et la probabilité de l'erreur ainsi obtenue est très petite.
1G39» Bayle, s. r. Tanaquil,IV, p. 317, cite un passage de Pline (VIII, 74, 1)
t. :
ondée qu'elle avait faite, et que Servius Tullius avait portée. C'est pour cela que les
jeunes filles qui se marient ont avec elles une quenouille garnie et un fuseau chargé.
§ 1640-1641 LES DÉRIVATIONS 973
Tanaquil trouva l'art de faire une tunique droite (tissée de haut en bas), telle que
celle que les jeunes gens et les nouvelles mariées prennent avec la toge sans bor-
dure». [Trad. Littré]. Bayle rappelle incidemment un passage de Plutarque
{Quaest. rom., XXX), qui, proposant une seconde réponse à la question «Pour- :
belle et sage ? Sa statue d'airain a été placée dans le temple de Sanlus [ce nom a
différentes orthographes] anciennement il y avait aussi ses sandales et ses fuseaux
; :
celles-là étaient le symbole de ses habitudes casanières ceux-ci, de son activité indus-
;
trieuse». Après avoir traité d'autre chose, Bayle dit «Un Auteur François, qui
:
vivoit au XVI siècle, débite une chose qu'il n'eût su prouver. Les Tarquins, dit-il, *
avaient fait ériger une statue au tnilieu de leur logis qui avait des souliers de
chambre seulement, une quenouille et son fuseau, afin que cens qui suivraient
leur famille imitassent leur assidue assiduité en mesnageant sans partir de la
m.aison. Voilà l'état où l'on a réduit ce que j'ai cité de Pline touchant la Statue de
Tanaquil. Chacun se mêle de changer quelque circonstance dans ce qu'il cite par :
ce moien les faits se gâtent, et se pervertissent bientôt entre les mains de ceux qui
les citent».
pas des preuves d'imitation voulue. Le cercle de l'imagination religieuse n'est pas
* Franc. Tillier, Tourangeois, clans son Philogame, paff. 120. Edil. de Paris, 1578.
974 CHAPITRE X § 1641
fort étendu ; les croisements s'y produisent par la force des choses ; un même
résultat peut avoir des causes tout à fait différentes. Toutes les règles monastiques
se ressemblent. Le cj'cle des créations pieuses offre peu de variété ». Ce que Renan
dit ici des institutions religieuses, on peut le répéter des autres institutions.
nent délivrer une grande bataille... contre des moulins à vent Ils ont été victimes !
d'un mystificateur, M. Loosli, qui avait déclaré gravement, dans un long article de
revue, que le véritable auteur des œuvres de Jérémias Gotthelf n'était pas Albert
Bitzius, mais son ami J.-U. Geissbûhler. Cette affirmation avait causé une vive agi-
tation parmi les critiques les plus autorisés, et la « question Gotthelf» était deve-
nue un sujet de discussions passionnées dans les journaux. Dans le dernier numéro
de Heimat und Fremde, M. Loosli raconte que l'idée de sa supercherie lui est venue
au cours d'une conversation avec un ami. L'entretien avait roulé sur l'hypothèse
Bacon Shakespeare, et M. Loosli avait fait remarquer à son compagnon combien il
était facile de contester l'authenticité de l'œuvre littéraire de n'importe quel écrivain
mort depuis cimjuante ans. Il suffisait de lancer d'un air d'augure n'importe quelle
affirmation absurde pour que le monde de pontifes littéraires s'en emparât et la discu-
tât avec une gravité imperturbable. Gomme l'interlocuteur de M. Loosli restait scep-
tique, celui-ci fit la gageure de mettre son idée à exécution et envoya, en plein carna-
val, à la revue bernoise, l'article qui a mis en branle toute la presse suisse. Il prit la
précaution, avant de publier son article, de déposer chez un notaire, sous enve-
loppe scellée, la déclaration suivante ,, Bûmplitz, le 4 janvier 191o. Sous le titre
:
Jérémias Gotthelf, une énigme littéraire, j'ai rédigé aujourd'hui une esquisse que
j'ai l'intention de publier, et dans laquelle je fais la preuve que le véritable auteur
des œuvres de Jérémias Gotthelf n'est pas Albert Bitzius, mais son contemporain
et ami J.-U. Geissbûhler. J'ai agi dans l'intention de prouver, par un exemple pra-
tique, combien il est facile, dans le domaine de la philologie, de faire des hypo-
thèses qui sont invraisemblables, et afin de me procurer le plaisir de rire aux
dépens des savants qui attaqueront mon article. Je veux donner une leçon aux phi-
lologues, parce que j'estime qu'ils trahissent l'art et la poésie. Je dépose aujour-
d'hui cette explication chez M. le notaire GfeUer, à Bûmplitz, et la publierai quand
le temps en sera venu. Je le fais afin d'éviter que ma façon d'agir soit mal com-
prise, et pour protéger la mémoire d'Albert Bitzius contre des philologues trop
zélés. G. -A. Loosli ". A en est jointe une autre, que voici ,, Le soussi-
cette pièce :
gné certifie que consigné sous scellé dans mon bureau, du 4 jan-
cet écrit est resté
vier 1913 jusqu'à aujourd'hui. Bûmplitz, 15 février 1913, Bureau du notaire Gfeller:
LuTHi, notaire". L'iiypothèse émise par l'un des mystifiés, que M. Loosli s'était
trompé et avait, après coup, afin de masquer sa défaite, prétendu qu'il n'avait voulu
faire qu'une farce, doit donc être écartée. Dans son nouvel article, l'auteur de la
mystification s'ébaudit aux dépens de ses victimes :,,Mon article humoristique,
écrit-il, contenait autant d'absurdités que de mots. Il est incapable de supporter
l'examen et d'être pris au sérieux par un homme sensé. Toute personne qui n'est
pas complètement bornée devait reconnaître de suite qu'il s'agissait d'une mystifica-
tion. En dépit de tout cela, j'ai devant moi des articles contenant les appréciations
§ 1642-1644 LES DÉRIVATIONS 975
1642. A
chronologiquement antérieur à B, beaucoup
Si est
d'auteurs admettent sans autre que B est une imitation de A. Nous
avons vu des cas (§ 733 et sv.) où il apparaît clairement que cette
déduction peut être entièrement erronée. Par conséquent, du seul
fait que A est antérieur et semblable à B, on ne peut rien déduire
suivantes : —
L'auteui- émet l'hypothèse, qui n'est pas invraisemblable... etc.
{Gazette de Francfort). Peut-être Bitzius comme homme ne sera-t-il pas atteint par
les assertions de M. Loosli le poète le sera certainement, car de même qu'Homère
;
n'était pas celui qui..., etc. [National Zeitung). — La Nouvelle Gazette de Zurich
et le Bund, poursuit M. Loosli, ont naturellement consacré des feuilletons entiers
à cette fai'ce et la question a été longuement commentée dans toute la presse suisse
et même à l'étranger. Le public en a eu pour ses besoins sensationnels et le nom
de Gotthelf, dont en temps ordinaire il se soucie comme d'une guigne, est aujour-
d'hui dans toutes les bouches. Gomme je l'avais prévu, la vanité nationale s'est
rebiffée et un nombre imposant de connaisseurs tout spéciaux de Gotthelf ont eu
l'occasion de montrer leur profond savoir dans cette bataille contre un fantôme" ».
matical du mot. Ces entités une fois créées avec des sexes diffé-
rents, on les accouple, et elles donnent naissance à de nouvelles
entités ne se distinguant pas des mots qui leur servent de nom.
d'humbles origines, a pris peu à peu des proportions alarmantes, dans un milieu
aussi favorable que l'atmosphère intellectuelle romaine du II" et du III» siècles. Il
est par conséquent inutile de le fractionner, de le sectionner, de l'analyser dans ses
éléments c'est un phénomène complexe, qui tire ses éléments de mille sources, qui
:
l'histoire d'une doctrine. — Amélineau ; Les traités gnostiques d'Oxford « (p. 39)
:
La publication de ces deux traités me semble donc de tout point importante nous :
pouvons y étudier le gnosticisme sur lui-même, contrôler les assertions des Pères,
voir qu'ils ont été le plus souvent des abréviateurs intelligents et toujours de bonne
foi ;mais que souvent aussi ils n'ont pas saisi les idées des gnostiques et les ont
parfois dr'tournees de leur sens, sans parti pris, par simple erreur de jugement...».
On peut remarquer que les Pères ont donné un aspect plus raisonnable, ou mieux
moins absurde, aux divagations qu'on lit dans les documents publiés par Améli-
neau. Par exemple « (p. 9) Or de quoi s'agit-il dans tout ce second traité ? Il s'agit
:
tout d'abord de l'initiation que .Jésus donne à ses disciples pour les rendre parfaits
dans la possession de la Gnose, et des mots de passe qu'il leur apprend pour pou-
voir traverser chaque monde et arriver au dernier, où réside le Père de toute Pater-
nité, le Dieu de vérité. Le mot mystère doit ici s'entendre soit des mystères de l'ini-
tiation, soit de chaque ^Jion qui est composé de plusieurs régions mystérieuses,
lesquelles sont eUes-mèmes habitées par une foule de puissances, toutes plus mys-
térieuses les unes que les autres... ici le mot Z,o^os doit s'entendre, non pas de WEon
Logos, mais des mots de passe, des grands et mystérieux mots de passe que le
Verbe donne aux gnostiques pour arriver jusqu'au séjour du Dieu de vérité, après
avoir passé à travers tous les aeons, sans avoir eu le moins du monde à souffrir
de la conduite de leurs habitants. Il y a tout simplement dans le titre de ce second
traité un de ces jeux de mots si chers aux Egyptiens ».
§ 1645 LES DÉRIVATIONS 977
Puis la légende croît et se développe. Les entités ont tous les carac-
àir' alùvoç, «depuis les temps les plus reculés». Platon, dans le Timée, dit que —
Dieu créa le ciel pour en faire une image mobile de l'éternité (p. 37) ekw â' èmvoeî :
KcvTjTÔv Tiva alCjvoç KoiTjaac. «Il décida de faire une image mobile de l'éternité ».
Arist. De caelo, I, 9, 11 (p. 279)
; ...aïùv èariv, àirb tov àeï elvai sûiTi<f)0)ç tîjv
:
ÈTTuvvjj.iav «...il est aeon, aj^ant pris ce nom du fait d'e7re toujours». On trouve
.
des sens abstraits analogues à des expressions signifiant de longs espaces de temps,
d'un siècle, de la vie de l'homme. Dans un chapitre ireQÎ alù>voç, .Saint .Jean Damas.
GÈNE note ces divers sens. On trouve une légère trace de personnification, dans
Euripide, Heraclid., 895 (900), oh aïûv est appelé «fils de Saturne»; et l'on peut
aussi entendre «la suite des âges qui naissent du temps
: (898) IIoTJià yàç tIxtel :
(899) Molça Te?.saatâÛTeiç' (900) Alùv te Kçàvov -rraïç. « Car la Parque qui-mène-à-la-
fin — et l'âge, fils de Kronos, enfantent beaucoup de choses ». C'est là une personni-
fication poétique, semblable à celles dont use Glaudien, dans V Eloge de Stilicon,
II :
Sous le nom d'aeon, Arrien semble entendre un être immortel Epicteii disserta-
tiones, II, 5, 13 : Oh yàç el/xt aiùv, hXk' àvdQunoç. « Car je ne suis pas un immortel,
mais je suis un homme —
Tatien mentionne les alûveç de telle façon qu'on ne
».
sait pas bien de quoi veut parler mais en tout cas, il semble que ce soit des
il ;
mondes, des régions. Orat. ad Graecos, 20, p. 35 « Car le ciel n'est pas infini, ô :
homme, mais fini et circonscrit. Au-dessus de lui sont les ^ons, meilleurs, n'ayant
pas les changements de saison, changements qui engendrent les diverses maladies,
jouissant entièrement d'un climat agréablement, tempéré, ayant des jours perpétuels:
et une lumière inaccessible aux hommes d'ici ». Nous avons deux types de tra-
duction. Par exemple A. Puegh Le dise, de Tatien... «(p. 134) Le ciel n'est pas
: ; :
infini, ô homme, il est fini et a des limites. Au-dessus de lui, ce sont les mondes [en
note Le mot dont se sert Tatien alïôVEç (siècles, mondes) est un de ceux qu'il a en com-
:
mun avec les Gnosliques...]». — L'autre type de traduction accepte le sens de siècles ;
par exemple, Otto (p. 91) Non enim infinitum est coelum, o homo, sed finitura et
:
Dans l'édition Migne, on traduit aussi saecula praestantiora, et l'on ajoute en note :
Agit enim hic de paradiso, quem in terra longe praestantiore, quam haec nostra
est, situm fuisse pronuntiat. C'est pourquoi, même si l'on traduit saecula, on peut
entendre une région. Chez les gnostiques, les aeons deviennent des personnes et des
régions, et sont aussi considérés sous divers aspects. Tertull. Adversus — ;
Valentinianos, 7 (édit. Oehler, II, p. 389), dit du dieu des valentiniens Hune :
SOCIOLOGIE 62
978 CHAPITRE X § 1646
suivant que le mot grec est masculin ou féminin ^ « Ils disent qu'à
leprincipe, et abîme, nom qui ne convenait nullement à qui habitait des régions
sublimes». —
Amélineau Les traités gnostiques d'Oxford. Jésus enseigne à ses
;
disciples comment, après la mort, ils traverseront les aeons « (p. 23) Ici... nous :
avons les chiffres qui correspondent à chaque monde des sceaux, c'est-à-dire les amu-
lettes qu'il faut avoir et connaître pour entrer dans chaque aeon. ...Nous avons en
outre les apologies que l'on devait réciter, c'est-à-dire les mots de passe qu'il fallait
prononcer pour convaincre les aeons que la possession du chiffre et du sceau n'était
pas subreptice... L'emploi de ce chiffre, de ce talisman avait un effet merveilleux :
lorsque l'âme se prosentait dans un monde, aussitôt accouraient à elle tous les
Archons de l'aeon, toutes les Puissances, tous les habitants en un mot, prêts à lui
faire tout le mal qu'aurait encouru sa témérité elle disait le chiffre, montrait le talis-
:
man, récitait la formule, et tout d'un coup, Archons, Puissances, habitants de l'aeon,
tous lui faisaient place et s'enfuj^aient à l'Occident». Amélineau; Notice sur le —
papyrus gnostique de Bruce, texte et traduction... « (p. 194) Jésus dit à ses disci- :
ples « Je vous donnerai Vapologie de tous ces lieux dont je vous ai donné le mystère
:
et les baptêmes... (p. 195) Lorsque vous serez sortis du corps et que vous ferez ces
mystères à tous les aeons et à tous ceux qui sont en eux, ils s'écarteront (devant vous)
jusqu'à ce que vous arriviez à ces six grands aeons. Ils s'enfuiront à l'Occident, à
gauche, avec tous leurs archons et tous ceux qui sont en eux». En conclusion, chez
les gnostiques, ce terme d'fleoHS paraît avoir trois significations 1° une significa- :
tion métaphysique concernant l'éternité 2° une signification qui les fait ressembler
;
à des personnes S" une signification qui les fait ressembler à des lieux. Mais ces
;
sonnes et aux lieux les personnes ressemblent aux lieux, et les lieux agissent comme
;
des personnes.
Les caractères vagues et flottants du terme aeons sont analogues à ceux des
termes justice (celle-ci a été aussi personnifiée, comme les aeons), vérité, liberté,
bien, mal, etc. L'analogie n'est pas fortuite elle provient de ce que tous ces termes
;
sont des créations du sentiment. C'est ce qui, d'une part, éloigne ces termes de la
réalité expérimentale, et, de l'autre, assure leur influence sur l'esprit humain.
1646' Irenaeus ; Contra Haereses, I, 1, p. 5, éd. Massuet. yléyovai. yàç nva eJvai
èv hoçaTotç koI aKarovojuaaTOLc vtpùfiaai,, teKelov a'iûva nçoôvTa' tovtov ôè koI [lacune]
-TvçonàToça nal BvOov Ka?Mvacv [lacune] vwâçxovTa ô' avrbv axôtQîjTov koL àôçarov, htâiàv.
TE nal àyÉvvTjTov , èv Tjovxi-o- TroÀ?iTi yEyovévat. èv (meinoiç alùiai xQàvuv. avvv-
nal riçefiia
TvàçxEi-v 6' ai'TÙ kol 'Evvoiav, fjvô^ koX Xâçcv Koi Uiyr/v bvofiâÇovac. koI èvvoiiOrjval wore
àip' éavTov TTçofiaMadai rbv Bvdov tovtov àçxV'" '^^'^ wâvTuv. nal KadânEo aireçfia ttjv ttqo-
KadéuÔai, ùç èv jiT/Tça, tù avvviraçxovari ÈavT(3
(io'k^v TavT7jv {ijv TvnojiaTiEadaL èvEVOTjdjj) kol
£iyy. TavTTjv ôè vwoâe^a/xévriv to anéçfia tovto, Kaï èyKVfiova yEvojikvriv ànoKVTjaai JSovv,
ofiolôv TE, Kaï laov tù nQolia'KôvTi, Kaï fiôvov x^ÇovvTa to jxtyEdoc tov Karçôç. tov âè Novv
TOVTOV Koi MovoyEvi] KaAovai, Kaï naTÉça Kaï açxV'^ '^'^ TvâvTuv. av[j,Tîçofie(D7Sjadai âè avrù
'A'AijdeLav. Kaï eîvac Tav-Tjv irçCnov Kaï ÙQxèyovov IIvOayoçLKf/v TETpaKTvv î] Kaï çiÇav tûv
TrnvTuv KaAovGiv. ècTi yàç> Bvdoç Kaï ^tyf/, èneiTa Novç Kaï 'A/J/dsia. — Grabe note :
§ 1646 LES DÉRIVATIONS 979
Abîme (m) et Silence (f), ensuite Esprit (m) et Vérité (/) ». Après cette
première tétrade en vient une autre, constituée par le Verbe (m) avec
la Vie (f), et par l'Homme (m) avec ÏEglise (/"). Avec la première
tétrade,on a ainsi une ogdoade qui est, paraît-il, une fort
(oyâociç),
Deo Patri attribuit. Sic Hymne, II, 27 Bvdbç TtaTçùoç, Profundurn paternum.
:
Hymno, III, 47 JIçonâTuç, àwâTCôç, Primus pater, sine pâtre. Hymno IV, 69
: :
Bvdiov nâlloç, Immensa pulchritudo. II est bon de comparer cette description avec
celle du papyrus de Bruce. Amélineau Notice sur le papyrus gnostique de
;
Bruce... : « (p. 89) C'est le premier père de toutes choses, c'est le premier éternel (?),
c'est le roi de ceux que l'on ne peut toucher,... (p. 90) c'est l'abîme de toutes choses...
ils ne l'ont point nommé parce qu'il est innommable et qu'on ne peut le penser...
Le second lieu est celui qu'on appelle Démiurge, Père, Logos, Source, Nous, Homme,
Eternel, Infini. C'est la colonne; c'est le surveillant, c'est le père de toutes choses...
(p. 91) C'est l'Ennéade qui est sortie du Père, sans commencement, qui seul a été
son propre (p. 92) père et sa mère, celui dont le Plérôme entoure les douze abîmes.
Le premier abîme, c'est la Source universelle, dont toutes les sources sont sor-
ties. Le second abîme, c'est la Sagesse universelle, dont toutes les sagesses sont
sorties... ». Et ainsi de suite, on nomme les autres abîmes le Mystère universel,
:
16462 Dans les manuscrits de Bruce, Amélineau croit pouvoir reconnaître ti'ois
plérômes différents. Les traités gnostiques d'Oxford « (p. 24) Ce mot Plérôme a.
:
980 CHAPITRE X § 1646
je crois, trois sens fort différentsil en a tout au moins deux qui sont certains.
:
Je crois tout d'abord qu'il désigne l'ensemble des mondes y compris notre terre,
mais que seulement il s'applique sur notre terre aux psychiques qui peuvent être
admis à jouir d'une partie des prérogatives du vrai gnostique et aux pneumatiques
qui jouissent de toutes ces prérogatives par essence les hyliques n'en font pas
:
elle semble bien ressortir des textes, surtout de ces deux traités. Quoi qu'il en
soit, il est certain (p. 25) que le mot Plérôme désigne le monde du milieu et le
monde supérieur dans leur ensemble, c'est-à-dire tous les aeons intermédiaires
entre notre terre et le Plérôme supérieur, avec les aeons de ce Plérôme lui-même.
Enfin le mot Plérôme est souvent employé pour désigner seulement le monde supé-
rieur. Or ce monde supérieur est appelé ici Vaeon du Trésor, et ce trésor, comme
tous les trésors, contient plusieurs pièces précieuses dans l'espèce il contient
:
soixante aeons».
1646 3 Philosophumena ; VI, 2, 30. C'était le dernier des 28 Aeons, «étant du
genre féminin et dénommé Sophia ». —
Bfj'kvQ hv nal Ka'Àov/ievoç So<j>la. Ici l'attribu-
atteindre son but, elle se consumait et aurait disparu si la Limite [hçoç] ne l'avait
arrêtée. Quelques valentiniens disent que dans cette recherche pénible elle enfanta
la Réflexion (ou la Passion évdvfj.7iaiç).
: D'autres lui font mettre au monde la
matière informe, qui est un être féminin (Iraen. I, 2, 3).
:
((
(p. 176) Savez-vous pourquoi nous souffrons et sommes mauvais si souvent? m'a
dit l'Apôtre ;le Démiurge — non pas Dieu lui-même —
créa le monde ce Démiurge, :
mauvais ouvrier au service de la Sophia, l'âme de l'univers déchue par son noble
désir de trop connaître, nous fabriqua à sa propre image trop peu belle mais ;
Sophia eut pitié. Par sa volonté, une larme d'elle-même et du ciel habita notre
argile. Démiurge s'en vengea en liant l'homme à la chair, dont il ne se délivi-era que
par la connaissance de sa destinée, par la Gnose ».
1646» Philosophum.i VI, 2, 30.
§ 1647-1648 LES DÉRIVATIONS 981
«(p. 91) La lumière de ses yeux pénètre jusqu'aux lieux du Plérôme extérieur et le
Verbe sort de sa bouche... Les clieveux de sa tète sont en nombre égal aux mondes
cachés les traits (?) de son visage sont le type des aeons, les poils de sa barbe
;
sont en nombre égal à celui des mondes extérieurs... ». Tous les noms deviennent
des choses. « (p. 97) Il y a aussi un autre lieu que l'on nomme abîme, où il y a trois
Paternités... dans la seconde Paternité il y a cinq arbres, au milieu desquels est
une table. Un verbe Monogénès se tient sur cette table, ayant les douze visages du
Nous de toutes choses; et les prières de tous les êtres, on les place devant lui...
(p. 99) Et ce Christ porte douze visages... Chaque Paternité a trois visages... »
— Cfr. BooNAïUTi; Lo GnosUcismo,-ç. 211.
1648 L'une des théogonies orphiques a quelques points de ressemblance avec
>
celles des gnostiques; mais cela ne suffit pas pour savoir si et jusqu'à quel point
elle fut imitée. Diet. Daremb. Saglio s. r. Orphici, p. 249
;
« La rédaction défini-
:
tive de cet ouvrage [la Théogonie des PJiapsodes] paraît être d'époque assez basse.
Mais les éléments essentiels du système peuvent être fort anciens et remonter en
partie jusqu'au Vie siècle. Voici l'analyse sommaire de la Théogonie des Rhapsodes...
982 CHAPITRE X § 1649
il contenait le 'germe de tout. Ce dieu était Phanès mais on lui donne aussi ;
d'autres noms Protogonos, Ericapaeos, Métis, Éros. Quand le dieu fut né, la partie
:
1648Aristobule, philosophe hébreux, cité par Euseb., Praep. evang., XIII, Vi,
2
dit que Platon a évidemment suivi les livres de la loi hébraïque. — Justin, ^4^50^.,
I, 59, 60, cite lesenseignements que Platon tira de la Bible. Iust., Cohort., 14, croit
que, par l'intermédiaire des Egyptiens, Orphée, Homère, Solon, Pythagore et Pla-
ton tirèrent parti des histoires de Moïse. Cet Aristobule était un grand faussaire. Il
cite les auteurs à sa façon, et pousse l'impudence jusqu'à altérer un vers d'Homère.
Ce poète, dans l'Odyssée, V, raconte comment les préparatifs d'Ulysse pour quit-
ter l'île de Calypso furent terminés le quatrième jour :
mélange impérissable» '.aai aw^saav éavroïç à^dàçT(j) fii^ei, kuI àyTiçàru avyKçàaec. Peu
avant, parlant d'une autre union, il dit kiù avrrj uvtù [uyelaa : « et celle-ci s'unit
:
avec lui ». Le verbe juiyvvfii. est celui (|u'ou emploie pour exprimer que l'homme a
§ 1650 LES DÉRIVATIONS 983
qu'à tort on supposa être de TertuIIien, on lit, c. 1 Hic [Nicolaus] dicit tenebras
:
pudor est dicere quae foetida et immunda. Sunt et cetera obscoena. Aeones enim
refert quosdara turpitudinis natos, et complexus et permixtiones exsecrabiles
obscoenasque coniunctas, et quaedam ex ipsis adhuc turpiora.
1649 2 Daremb-SaCtLIO s. r. Orphici, p. 250
Diet. ; «Non contents de transfor- :
mosyne, Phanès. Il suffit de considérer l'étymologie de tous ces noms, pour s'aper-
cevoir que ce sont de purs symboles, sans consistance ni réalité concrète. On a
simplement divinisé des termes de métaphysique ».
1650* Philosophumena, V, 4, 26. « Il y a trois principes de tout, non engendrés,
deux mâles et un qui est femelle. Des mâles, l'un est appelé Bon ; lui seul est ainsi
nommé et prescient de tout. L'autre, père de toutes les choses engendrées, lequel ne
prévoit pas [est imprévoyant] ne sait pas, ne voit pas. La femelle est imprévoyante,
irascible, trompeuse [double], de corps biforme, en tout semblable au monstre d'Héro-
dote f, fille comme le dit Justin. Cette jeune fille
jusqu'au pubis, serpent au-dessous,
est appelée Edem Tels sont, dit-il, les principes de tout, racine et source,
et Israël.
dont naquirent toutes les choses il n'y a rien d'autre. Le Père itnprévoyant voyant
;
troisième des anges maternels. Eloïm et Edem produisirent toute chose les :
hommes sont nés de la partie humaine de Edem, au-dessus de l'aine les animaux ;
1650^ Hesiod. Theog., 116 et sv. « Donc d'abard fut le Chaos, ensuite la Terre
; :
à la large poitrine, toujours siège sûr de tout f f, et le Tartare ténébreux, dans les
profondeurs de la Terre spacieuse, et l'Amour qui est très beau parmi les dieux
immortels, qui dissipe les soucis [ou délie les membres], et qui dompte dans la
poitrine l'esprit de tous les dieux et des hommes... Du Chaos et de l'Érèbe naquit
tt Un vers interpolé ajoute : « des immortels qui possèdent les cimes neigeuses de
l'Olympe >
984 CHAPITRE X § 1650
la Nuit noire puis, de la Nuit l'Éther et le Jour sont nés, enfantés par la Nuit
;
enceinte après s'être unie avec l'Érèbe. Certes, la Terre enfanta d'abord, afin qu'il
l'enveloppât, Ouranos [le Ciel] étoile, égal à elle... S'étant unie avec Ouranos, elle
enfanta l'Océan aux gouffres profonds, et Kœos, Kreios, Hyperion, lapétos, Théia,
Rhéa, Thémis et Mnèmosynè, Phœbè à la couronne d'or, et l'aimable Thétis...».
Ces vers ont taillé beaucoup d'ouvrage aux interprètes d'Hésiode et aux philo-
sophes. Diogène Laërce nous dit (X, 2) qu'Epicure s'appliqua à la philosophie parce
que ni les sophistes ni les grammairiens n'avaient su lui expliquer ce qu'était le
chaos d'Hésiode. Sextus Empiricus [adv. math.], X, 18, p. 636) rapporte le même
fait, en ajoutant quelques détails. Selon lui, Hésiode nomme chaos le lieu qui con-
tient toute chose. L'ancien scoliaste d'Hésiode rapporte plusieurs opinions à propos
de ce chaos: entre autres une interprétation étymologique qui le fait dériver de
Xeïadai (s'amasser, s'accumuler, se répandre) naçà to xsîf^dai xàoç y-évero. Une inter-
:
prétation, donnée comme étant de Zénodote, suppose que le chaos est l'atmosphère
(à^ç). Venons à des commentateurs plus récents. Guietus note :« xà-oç yéver'JHoc
est coelum, aer, aeris vastitas, immensitas quaqua versum, spatium universum.
Deux autres auteurs, qui ont la manie de lire Hésiode la Bible à la main, ont un
débat à propos de ce chaos. A-t-il été créé, ou est-il incréé? Glericus penche pour la
seconde opinion, car, si l'on adoptait la première, on pourrait demander au poète :
par qui le chaos a-t-il été créé? « Clementinarum Homiliarum Scriptor interpreta-
tur quidem éyéveTo, quasi dixisset Hesiodus syevvrjdT], genitum est Chaos, sed est
inanis argutia. Allato hoc He s iodi loco, ita loquitur Homil. VI, | 3 factum fuit
clarum est significare elementa, ut genita, ortum hahuisse, non semper fuisse
ut ingenita" Sed si hoc cogitasset Poeta, causam aliquam commentus esset, a
.
qua genitum Chaos dixisset. Dicenti enim factum est, illico obiicitur, a quo ? Nihil
enim lit, sine factore ». Mais Th. Robinson est d'un avis contraire. Il note h^'Htol
:
—
yever'^ Verte, Primum quidem Chaos genitum, est, ut infra 137, 930. Ita enim Vete-
res hune locum intellexerunt, non ut Glericus, fuitn. Là-dessus il cite des auteurs
et conclut : « En de telles ténèbres s'agitent ceux qui, la cause de toute chose étant
été produit? " jusqu'à ce qu'on arrive à quelque cause suprême et incréée». Nous
rions de ces vaines subtilités, dissipées maintenant par les sciences expérimen-
tales. Si jamais le domaine de ces sciences vient à s'étendre sur la «Sociologie»
et r« Economie politique», on rira de même de bien des élucubrations métaphy-
siques, éthiques, humanitaires, patriotiques, etc., que l'on trouve actuellement en ces
genres de littérature.
1650' Gii. Fourier Traité de l'association domestique-agricole, \. I « (p. 521)
; :
Les planètes étant androgynes comme les plantes, copulent avec elles-mêmes et
avec les autres planètes. Ainsi la terre, par copulation avec elle-même, par fusion
de ses deux arômes typiques, le masculin versé du pôle nord, et le féminin versé du
pôle sud, engendra le Cerisier, fruit sous-pivotal des fruits rouges, et accompagné
de 5 fruits de gamme savoir
; : La terre copulant avec Mercure, son iirincipal et
5« satellite, engendra la fraise, — avec Pallas, son 4« satellite, la groseille noire
ou cassis — avec Gérés, son 3= satellite, la groseille éjnneuse... » Voici les qualités
de ces créations, «(p. 525) La cerise, fruit sous-pivotal de cette modulation est créée
par la terre copulant avec elle-même — de pôle nord, en arôme masculin — avec
pôle sud, en arôme féminin. La cerise, image des goûts de l'enfance, est le premier
fruit de la belle saison. Elle est dans l'ordre des récoltes ce que l'enfance est dans
§ 1651 LES DÉRIVATIONS 985
l'ordre des âges... (p. 5"2G) ha. fraise, donnée par Mercure, est le plus précieux des
fruits rouges, elle nous peint l'enfant élevé dans l'Harmonie, dans les groupes indus-
triels... La groseille épineuse à fruits isolés, est un produit de Cérès. Elle dépeint
aux études...
l'enfant contraint, privé de plaisir, harceli'- de morale, et élevé isolément
(p. 527) La groseille donnée par Pallas ou Esculape, qui module
noire, dite cassis, est
toujours en arômes amers. La plante représente les enfans pauvres et grossiers ;
aussi son fruit noir, emblématique de la pauvreté, est-il d'une saveur anière et
désagréable... ».
D'autres supposent des essences universelles qu'ils croient exister toutes essentielle-
ment chez les divers individus». C'est la doctrine des universaux, dont sont for-
més les individus, «(p. 524) Chaque individu est composé de matière et de forme,
comme Socrate, de la matière liomme et de la forme socratite ainsi Platon est ;
théories qui ne concordent pas avec les faits. Par conséquent, l'ex-
périence du passé nous enseigne quelle est la voie que nous devons
suivre, si nous voulons avoir des théories qui concordent avec les
faits.
Ghampeaux au nombre des docteurs scolastiques qui ont manifesté le goût le plus
§ 1653 LES DÉRIVATIONS 987
vif pour les abstractions réalisées. Alors même que Ton pose au-delà des êtres vrais
un ou plusieurs êtres problématiques, (p. 235) ou fictifs, on peut n'être encore qu'un
réaliste modéré ; mais ce qui est l'excès le plus grave, la thèse la plus absolue,
la plus intempérante du réalisme, c'est de refuser les conditions de l'être à tout
ce qui est, pour lesuniquement à ce qui n'est pas. Et Guillaume de
attribuer
Ghampeaux n'a fait, à notre avis, rien moins que cela... (p. 243) Au dire des nomi-
nalistes, les universaux in re ne sont que les attributs plus ou moins généraux
des choses individuelles ce qu'il y a de semblable entre les substances est la
:
sur la phil. dans le m,, âge, t. 1 « (p. 253) Rappelons, en deux mots, la thèse du
:
nomiaalisme. Roscelin avait dit Les individus seuls sont des réalités, et consti-
:
tuent l'essence des choses, le reste n'est qu'une abstraction, un jeu de langage, un
son de voix, flatus vocis. Choqué, à bon droit, de cette proposition, Guillaume de
Ghampeaux... combat cette doctrine, et lui en substitue une autre entièrement oppo-
sée et tout aussi exclusive. ...(p. 255) L'universel par excellence, l'universel absolu
[qu'est-ce que cela peut bien être ?], qu'on me permette cette expression, est une
réalité substantielle [qu'on trouve dans le monde comme le monstre moitié jeune
fille, moitié serpent, de .Justin], car, avec Guillaume de Ghampeaux, il ne faut pas
séparer l'idée de substance de celle de réalité [avant de savoir si elles sont unies ou
séparées, il serait nécessaire de savoir ce qu'elles sont], et c'est du haut de ce prin-
cipe ontologique qu'il proclame la réalité des universaux, et qu'il nie celle de l'indi-
vidu ». Il y a aujourd'hui encore des gens qui raisonnent de cette manière.
16522 DioG.L.<^ERc. VI, 53 ; «Platon discutant des idées et nommant la
:
Sur ce, Platon ,, Avec raison, dit-il, car tu as les yeux avec lesquels on voit la
:
table et la tasse, mais tu n'as pas ceux avec lesquels on voit la rçanei^ÔTriç et la
KvaOÔTTjç" ». Tous deux avaient raison. Que les disciples de Platon voient ce qu'ils
veulent : leurs discours seront utiles comme dérivations ; ils sont vains et absurdes
pour tout ce qui concerne la science expérimentale.
988 CHAPITRE X § 1654-1655
frir. Il se peut que, parfois, un de ces récits ait été copié sur un
autre, au moins partiellement ; mais ils peuvent aussi être sem-
^
blables sans qu'il y ait imitation.
1654. Les croyants diront que la ressemblance de ces récits a
pour but de reproduire un fait unique, dont le souvenir a été trans-
mis diversement. Cela peut être mais cette question dépasse le
;
et par qui le monde a-t-il été fait? Les diverses cosmogonies répondent à cette
question. L'on reconnaît dans chacune d'elles l'influence du milieu où elle a pris
naissance. L'intervention de la divinité est revêtue de traits plus ou moins mys-
tiques qui servent à fixer la conception théologique dans les imaginations popu-
laires [en vérité, c'est le contraire]. Le Poème de la création qui ouvre la série de
nos textes est, à ce point de vue, d'intérêt majeur. Non content de rechercher la
genèse du ciel et de la terre, il remonte au moment où ,, aucun des dieux n'était
créé " et nous fait assister à une véritable théogonie. Par couples successifs [la per-
sonnification mâle et femelle fait rarement défaut] les dieux sortiront d'un couple
primitif constitué par Apsou, l'océan qui entoure notre sol, et Tiàmat, la mer
,, tumultueuse", dont ,, les eaux se confondaient en un
". (p. xi) ...si le ,, Poème de
la création " est tout imprégné d'idées mythologiques et populaires, la,. Cosmogo-
nie chaldéenne " présente un récit de la création plus abstrait et théologique. Le
monde sort encore de la mer, mais nous n'assistons pas à la naissance des dieux...
(p. xii) Si, pour les Babyloniens, le dieu national Mardouk, est considéré comme
l'auteur du monde et des hommes, il est tout naturel que les Assyriens aient confié
ce rôle à Assour, leur dieu... Qu'il existât d'autres légendes relatives à la création,
c'est ce que prouve le fragment sur la ,, Création des êtres animés ", où nous
voyons les dieux collaborer ensemble à la formation du ciel et de la terre. A côté
de ces cosmogonies savantes et traditionnelles circulaient d'autres hypothèses sur
les origines du monde. Il en est qui rentrent dans le folklore général... ».
§ 1656-1659 LES DÉRIVATIONS 989
En réalité, il est demeuré entre ces deux extrêmes. Pour lui, les
faits existent, mais les mots par lesquels il les exprime sont la
preuve de leur existence, à cause des sentiments que font naître les
métaphores produites par ces mêmes mots (IV-/3).
1658. C'est pourquoi, s'il nous arrive de trouver par hasard
une théorie analogue, nous pourrons, faute de preuves contraires
directes, admettre du moins comme possible que cette théorie a été
constituée d'une façon semblable à celle de Fourier.
1659. Voici un autre exemple. Enfantin, Père Suprême de la
religion saint-simonienne, découvre une nouvelle trinité, et, avec
l'enthousiasme d'un néophyte, il en célèbre les beautés sublimes \
1656 1 Fourier Théor. des quatre mouv. : « (p. 57) C'est pour Dieu une jouis-
;
les temps de conception, gestation et enfantement d'un homme, emploient une durée
de neuf mois. Dieu dut employer un espace de temps proportionnel pour créer les
trois règnes ». Suit un récit arbitraire « La théorie évalue ce temps à lacent quatre-
:
végétaux 2° avec un autre astre par versements tirés de pôles contrastés 3° avec
; ;
Nord et Soleil-Sud"]. Une planète est un être qui a deux âmes et deux sexes, et
qui procrée comme l'animal ou végétal par la réunion de deux substances généra-
trices. Le procédé est le même dans toute la nature... »
père RoDRiGUES était le seul qui nous répétât sans cesse que ce livre renfermait
l'enseignement le plus élevé qu'il fût donné à l'homme de recevoir. Et nous, con-
duits par nos travaux à faire des recherches sur la constitution scientifique du
dogme trinaire chrétien, sur celle des dogmes anciens, nous justifiâmes bientôt à
nos propres yeux ce problème de la trinité, comme étant le plus élevé que Thomme
puisse se poser. L'un de nous laissa échapper cette phrase, qui fut depuis répétée
dans les Lettres d'Eugène Qui ne comprend pas la Trinité ne comprend pas
:
Dieu. Ce mot fut une vraie révélation pour la doctrine. Tous ceux qui l'entendirent,
et en particulier votre père Rességuiee, eurent peine à en comprendre la portée.
C'est alors seulement qu'en relisant le Nouveau Christianisme, nous reconnûmes
que l'idée de la Trinité y était reproduite à toutes les pages, sous une foule de
formes différentes, telles que celles-ci Morale, Dogtne, Culte
: Beaux-Arts, ;
pas (p. 70) frappés à l'époque du Producteur, nous affermissaient, Eugène et moi.
dans la croyance que notre formule du dogme panthéiste trinaire était la vraie
formule Saint Simonienne ». Les termes soulignés le sont ainsi dans le texte.
16601 Einhardi /u'5to;'('a translationis beoAorum Christi martyruyn Marcellini
et Petri, c. IV. Eginhard raconte comment, parti de la basilique où reposaient les
cendres des saints Marcellin et Pierre, il se mit en route pour se rendre à la Cour.
Parvenu en un certain lieu, près du Rhin, il lui arriva l'aventure suivante: «(44)
Après le souper, qui avait pris une partie de la nuit, je m'étais retiré avec mes
gens dans la chambre où je devais me reposer, lorsque le serviteur qui nous versait
habituellement à boire, entra tout à coup, comme s'il avait à raconter quelque nou-
velle. L'ayant regardé ,. Qu'as-tu à raconter,
: dis-je ? car tu me semblés avoir, je ne
sais quoi à nous annonaer ". —
Alors ,, Deux
: miracles dit-il— —
ont été faits
devant nous c'est pour vous les rapporter que je suis venu ". Et comme jeluideman-
;
§ 1660 LES DÉRIVATIONS 991
ver de même
pour les interprétations allégoriques du quatrième
Evangile. Pourquoi donc si, dans cet Evangile, l'eau changée en
daide dire ce qu'il voulait: ,, Lorsqu'ayant quitté le repas, dit-il, tu entras dans la
chambre, moi, je descendis avec mes compagnons au garde-manger qui est sous la
salle à manger. Là, tandis que nous nous mettions à donner de la bière aux serviteurs
qui nous en demandaient, survint un serviteur envoyé par l'un de nos compagnons, et
apportant une cruche qu'il priait de remplir. Quand ce fut fait, il demanda qu'on lui
donnât, à lui aussi, un peu de cette bière, pour la boire. On lui en donna dans un
vase qui se trouvait, par hasard, vide, sur le tonneau où était la bière. Mais comme
il l'approchait de ses lèvres pour boire, il s'écria, avec une grande surprise, que
c'était du vin et non de la bière. Et comme celui qui avait rempli la cruche et qui
avait tiré du même robinet ce qui avait été donné au domestique, se mit à l'accuser
de mensonge ,, Prends, dit-il, et goûte tu verras alors que je n'ai pas dit ce qui est
: ;
faux, mais bien ce qui est vrai. " L'autre prit alors, goûta et témoigna de même que
ce liquide avait le goût de vin, non de bière. Alors un troisième et un quatrième et les
autres qui étaient là chacun goûtant et s'étonnant, ils burent tout ce qui était dans le
tonneau. Chacun de ceux qui goûtèrent attesta que le goût était celui du vin et non
de la bière " ». Suit le récit d'un autre miracle celui d'un cierge qui, tombé d'abord
:
« (45) .J'ordonnai à celui qui m'avait raconté ces choses de se retirer dans sa chambre.
Quant à moi, m'étant mis au lit pour me reposer, je commençai, en roulant une
foule de pensées dans ma tète, à rechercher tout en m'émerveillant, ce que signi-
fiait ou pouvait présager cette transformation de bière en vin, c'est-à-dire d"un
liquide inférieur en un autre, meilleur ou bien pourquoi ce prodige s'était accom-
;
pli de cette façon, en ce lieu, c'est-à-dire dans une maison royale, plutôt que là où
reposaient les très saints corps des saints martyrs qui avaient opéré ces miracles
par la vertu du Christ. Mais bien que je le recherchasse longuement et soigneusement,
il ne me fut pas donné de résoudre la question avec certitude toutefois je tins, et
;
je tiendrai toujours pour certain, que cette divine et suprême vertu, grâce à laquelle,
on l'admet, ces miracles et d'auti-es semblables se produisent, ne fait jamais rien ou
qu'elle ne permet pas qu'il se produise quoi que ce soit sans cause, dans les créa-
tures qui, je n'en doute pas, sont confiées à sa providence et à son gouvernement ».
992 CHAPITRE X § 1661-1663
consortium nosse, cum générant simul filios edere, cum commeant volatibus
invicem cohaerere, etc. —
D. August. De symbolo, sermo ad catechumenos, X,
;
20 Ita et Spiritus in columba apparuit, sed non columba erat Spiritus. Ainsi, on
:
peut pousser plus avant, et voir dans la colombe une simple allégorie.
SOCIOLOGIE 63
994 CHAPITRE X § 1667-1669
femelle. Mais si nous portons notre attention sur les termes nord,
variées que l'on veut. De même, dans les fables qui font parler les
animaux, l'arbitraire n'est pas moindre que dans les romans mo-
dernes. Le Roman de Renart est un bel exemple de la très grande
variété de semblables fables. Dans la Théogonie d'Hésiode, l'arbi-
traire est moindre, bien que toujours important. On comprend que
le sentiment accepte volontiers que le Chaos existait tout d'abord,
du désir qui existe chez les hommes de connaître ce qui est au-delà
de l'expérience. L'analogie fait comprendre comment les larmes
conviennent à la matière humide, le rire à la lumière et ainsi de
suite (§ 1670). Les analogies avec la perfection pythagoricienne des
nombres ou avec la valeur numérique des lettres, bien que très su-
perficielles et arbitraires, ont des rapports avec certains sentiments
existant dans l'esprit humain. Dans la mythologie d'A. Comte, l'ar-
bitraire n'est pas très différent de ce qu'il est dans les théories gnos-
tiques ; mais il ne s'affirme pas si clairement. Dans la théorie de la
solidarité, l'arbitraire n'est pas très différent de celui des deux types
précédents. En somme, le but est de persuader aux gens qui ont
de l'argent de le partager avec la clientèle de ceitains politiciens.
C'est pourquoi on recourt à la solidarité, à la dette qui, à chaque
instant, s'éteint et renaît. On aurait pu tout aussi bien avoir
recours à des entités différentes, telles que la plns-nalue de Marx,
ou à d'autres semblables. L'arbitraire diminue, quand nous passons
996 CHAPITRE X § 1670-1671
1670 1 Le texte grec est donné dans la note 1646 '. L'ancien traducteur latin l'inter-
prète ainsi (Iraen., I, 1) Prolationem hanc praemilti voiunt, et earn deposuisse
:
quasi in vulva eius quae cum eo erat Sige. Hanc autem suscepisse semen hoc, et
praegnantem [comment donc une abstraction pourrait-elle bien devenir enceinte ?
Tous ces termes se rapportent à la femme] lactam générasse Nun... — Tertull. ;
Adv. Valent., VII Hoc vice seminis in Sigae suae veluti genitalibus vulvae locis
:
collocat, Suscipit illa statim et praegnans efficitur et parit... Il paraît que tousles
valentiniens n'étaient pas tous du même avis. —
Philosoph. ; VI, 2, 29 On trouve
:
beaucoup de difl'érences entre eux. Afin de conserver intact en toutes ses parties le
dogme pythagoricien de Valentin, quelques-uns d'entre eux estiment que le Père
est sans sexe, sans conjoint et seul. D'autres, estimant impossible que toutes les
choses engendrées tirent leur origine d'un mâle seul, donnent nécessairement Sigè
(le Silence, f) comme épouse au Père de toute chose, afin qu'il puisse engendrer».
§ 1672 LES DÉRIVATIONS 997
Dieu révélé est identifié avec la gloire, le nom ou la face de Dieu, il l'est également
avec le maleach, c'est-à-dire, d'après la traduction ordinaire, avec l'ange de Dieu
ou de Jéhova. ...Il est facile de se convaincre qu'il existe une grande analogie entre
le maleach de Dieu et sa face... (p. 120) L'analogie qui existe entre le maleach de
Dieu et sa face explique parfaitement l'identification du maleach avec Dieu lui-
même... Il existe pourtant des passages où Dieu et son maleach sont distingués
l'un de l'autre, comme s'ils étaient deux personnes différentes. L'identification et la
distinction se trouvent une fois dans le même récit. Un ange de Jéhova, appelé
aussi homme de Dieu, apparaît aux parents de Samson {Jug., 13, 3, 6 et sv.) il est
;
nettement distingué de Jéhova (V, 8 et sv., 16, 18 et sv.) et cependant, après sa dis-
;
parition, Manoha dit à sa femme Nous allons mourir, car nous avons vu Dieu
:
(V, 22). Les théologiens se sont beaucoup occupés de la question de savoir ce qu'est
en réalité le maleach de Dieu mais ils sont arrivés cà des résultats très divergents. »
;
ainsi qu'Homère dit, la force herculéenne, pit] 'HçaKkridri pour Hercule. Cette tour-
nure est fréquente dans Homère. Plusieurs autres poètes l'ont imitée de lui... Les
Latins ont des tournures analogues c'est-à-dire qu'ils employaient une qualité
;
terme que j'ai retenu et qui exprime admirablement ce qui est dans notre pensée,
les notions que nous avons tirées de la constatation de l'interdépendance entre les
hommes, remplissent —
c'est le mot employé par M. Darlu —
remplissent d'un
contenu tout nouveau l'idée morale». Donc, on ne change rien aux principes géné-
raux de la morale, et cependant l'idée morale est remplie d'un contenu tout
nouveau. S'il est nouveau, il semblerait que l'ancien doit avoir été changé et s'il :
n'est pas changé, comment peut-il être nouveau ? Bien malin qui y comprend quel-
que chose. L'auteur explique ensuite « Il y a dans ces faits quelque chose qui pré-
:
cise et qui étend les anciennes notions du droit, du devoir, de la justice ». Donc
on dit que rien n'y a été changé, et voilà un changement, qui consiste justement
dans la dite extension.
§ 1675-1676 LES DÉRIVATIONS 999
sons est surtout satisfait par le premier. Chez les enfants et chez
beaucoup d'hommes, le second type le satisfait aussi mais chez ;
qu'ils n'atteignirent leur but qu'en petite partie, car ils durèrent peu
et n'eurent pas beaucoup de croyants. Au contraire, les religions
qui durèrent longtemps et eurent de nombreux croyants atteignirent
mieux ce but. L'ancienne religion romaine fut supplantée par celle
de la Grèce, parce qu'elle ^ ne satisfaisait en aucune façon l'instinct
16761 Ce parce que et les suivants doivent s'entendre comme désignant des
1000 CHAPITRE X § 1677-1678
mais elles ne peuvent jamais être très précises. On ne court pas le danger de tom-
ber dans Terreur, si l'on garde toujours présent à l'esprit le fait de la mutuelle
dépendance'des phénomènes sociaux.
§ 1679-1681 LES DÉRIVATIONS 1001
leur dignité, ils s'efforcent de toute façon de les faire paraître réelles
ou supérieures à la réalité (§2340). C'est là une nouvelle erreur qui,
à son tour, offusque les sentiments de ceux qui vivent dans la pra-
tique et dans démontre une fois de plus la vanité
la réalité. Elle
logico-expérimentale de l'affirmation qu'on oppose à ces personnes.
Ainsi apparaît une des causes qui font naître et se perpétuer les
oscillations qu'on observe depuis tant de siècles entre le scepti-
cisme et la foi, entre le matérialisme et l'idéalisme, entre la science
logico-expérimentale métaphysique (§ 2341).
et la
1682. Si nous voulons ne fixer notre attention que sur les faits,
1683 1 Pourtant il en reste encore quelques traces, dues à ce que les personnes qui
s'occupent des sciences naturelles, vivant dans le même milieu que les autres hom-
mes, ne peuvent se soustraire entièrement à l'influence des oscillations qui agitent
ce milieu. Ainsi, actuellement, on observe, dans les tli(''ories de la mécanique, un
retour offensif de la métaphj'sique. La théorie dite du principe de relativité en est
entachée. Elle peut être un instrument de recherches, elle n'est certes pas un moyen
de démonstration. Voir, par exemple, Lémeray Le principe de relativité, Paris,
;
ce que nous venons de conclure pour les pigeons, le principe se refuse de Tadmetti-e
pour la lumière [il ne reste donc qu'à se soumettre à la volonté de monsieur le prin-
cipe]. En effet, les deux relations (1) nous font connaître T, et T^ en fonction de T
et de V ; nous pourrions décider lequel des observateurs serait en repos par rapport
à l'espace, ce qui n'aurait aucun sens [c'est précisément ce qu'on disait autrefois de
plusieurs phénomènes qu'on connaît aujourd'hui], de même que dans le cas des
pigeons, les relations (1) nous font savoir quel est l'observateur immobile par rap-
port à la terre... » Ce raisonnement est du même genre que celui de bien d'autres
raisonnements métaphysiques dont nous avons cité quelques exemples (| 492 à 506) ;
1403).
1684. Peut-être le lecteur a-t-il trouvé superflue l'exposition que
nous avons faite du gnosticisme, et s'est-il dit « Qu'est-ce que ces
:
1684' Sinnett; Le bouddh. ésot. : «(p. 71) Quel instinct prophétique inspirait
Shakespeare, lorsqu'il prit le nombre sept comme celui qui convenait le -mieux à sa
fantastique classification des âges de l'homme ? C'est, en effet, par périodes de sept
que se partage l'Evolution des races humaines, et le nombre actuel de mondes, qui
constitue notre système, est également de sept. N'oublions pas que la Science
occulte est aussi sûre de ce fait, que la science physique est sûre des sept couleurs
du Spectre solaire et des sept notes ou tons de la gamme. Il y a sept règnes dans
la nature, et non pas iroz's, comme l'enseigne à tort la science moderne... (p. 72)
...il faut sept rondes pour que les destinées de notre monde soient accomialies. La
Ronde dont nous faisons partie actuellement est la quatrième... Une monade indi-
viduelle, arrivant pour la première fois, sur une planète, pendant le coui-s d'une
Ronde, doit travailler à la rude besogne de la Vie, dans sept races, sur cette même
planète, avant de passer sur une planète voisine, et chacune de ces races dure un
temps considérable ». Que ces messieurs savent de belles choses Mais les néo-hégé-
!
liens nous disent qu'il « n'existe pas de pensée qui soit une erreur » (| 1686 ') ;
elle n'en conserverait pas moins une importance que l'on reconnaî-
tra devoir être assez grande, si l'on remarque que, par exemple, la
religion chrétienne a été pendant des siècles l'expression de l'état
psychique de millions et de millions d'hommes. Mais nous avons
vu que les résidus qui existaient au temps du paganisme, ceux que
nous trouvons au moyen âge chrétien, ceux que nous observons
actuellement, sont, en grande partie, d'une même nature, et que
seules les dérivations ont beaucoup changé d'aspect, tout en con-
servant des développements analogues notre étude n'est donc pas
;
avons assez souvent dit et répété que nous n'avions pas la moindre
intention de rechercher ici des recettes pour résoudre les problè-
mes concrets qui se présentent à l'homme pratique.
1685. Après avoir rapporté les fantasmagories des gnostiques
et la passion de Sophia, Renan, qui, comme d'habitude, veut mé-
nager la chèvre et le chou, exprime mal une idée, vraie sous cer-
tains aspects, en louant la partie de ces fantaisies qui exalte cer-
1006 CHAPITRE X § 1686
16851 Renan; L'Egl. chr. .'«(p. 175) Il y a sûrement quelque chose de grand
dans ces mythes étranges [au lieu de cette assertion objective, on devait dire il y a :
des gens qui trouvent quelque chose de grand dans ces mythes, et ceux qui les tien-
nent pour de vaines absurdités doivent pourtant tenir compte de cette opinion].
Quand il s'agit de l'infini, de choses qu'on ne peut savoir que partiellement et à la
dérobée, qu'on ne peut exprimer sans les fausser [divagation pour faire semblant
de revenir au domaine expérimental, tandis qu'on demeure en dehors], le pathos
même a son charme [oui pour certaines personnes non pour d'autres] on s'y plaît
; ;
comme à ces poésies un peu malsaines, dont on blâme le goût, mais qu'on ne
peut se défendre d'aimer [c'est peut-être vrai pour Renan et pour qui pense comme
lui ;c'est faux pour Lucien, par exemple, et pour qui pense comme lui c'est l'er- ;
reur habituelle de donner pour objectif ce qui est subjectif]. L'histoire du monde,
conçue comme l'agitation d'un embryon qui cherche la vie, qui atteint péniblement
la conscience, qui trouble tout par ses agitations, ces agitations elles-mêmes devenant
la cause du progrès et aboutissant à la pleine réalisation des vagues instincts de
l'idéal, voilà des images peu éloignées de celles que nous choisissons par moments
pour exprimer nos vues sur le développement de l'infini ». Qui est ce 7ious ? (Certai-
nement pas tous les hommes il y en a tant qui ne se soucient pas du « dévelop-
:
pement de l'infini » tant d'autres qui ne savent pas ce que peut bien être ce
;
philosophie [de Gentile] est une philosophie vivante c'est une vision éthique du ;
monde ; c'est pourquoi il n'a pas même éprouvé le besoin d'éclaircir cette significa-
tion de l'identité de l'histoire et de la philosophie. La philosophie qui est identique
à l'histoire est la philosophie qui est vie, et la vie est la vie éthique, et la vie éthique
est la réalisation de la liberté, et la liberté est l'affirmation du réel comme auto-
conscience, (p. 42) La thèse fondamentale, en cette nouvelle histoire, est que la pen-
sée est acte, c'est-à-dire concrétisation, et que par ce fait il n'existe pas une pensée
qui soit erreur ni une nature qui ne soit pas pensée. La pensée acte, actualité de la
pensée, idéalisme actuel, sont désormais des termes que chacun croit comprendre
facilement [oh non! il y a tant de gens auxquels il semble vraiment impossible de
rien comprendre à tous ces termes mis ensemble], mais qui malheureusement se
trouventépars et privés de sens dans le monde philosophique d'aujourd'hui. Lafaci-
lité^avec laquelle on croit les avoir critiqués en est un signe ».
§ 1686 LES DÉRIVATIONS 1007
n'en avons déjà rapporté que trop dans ce livre c'est pourquoi il;
ment cela. S'il n'y a pas réussi, cela ne veut pas dire que l'entreprise soit à abandon-
ner cela signifie simplement qu'il faut y travailler encore. Et nous devons y travailler,
;
nous autres Italiens». Ici apparaît le caractère habituel des dérivations métaphy-
siques on connaît le point auquel la démonstration doit aboutir, et l'on ne cherche
;
que cette démonstration. On ne voit pas bien comment l'auteur fait pour savoir
que sa proposition subsiste, si ni Hegel ni d'autres ne l'ont démontrée jusqu'à pré-
sent. Serait-ce un article de foi ?
1686* Dans La Voce, 19 décembre 1912, G. Natoli écrit « (p. 963) Peu d'au-
:
teurs ont autant que Groce provoqué, si tôt après la publication de leurs ouvrages,
en même temps que fadmiration, un sentiment indéfini de mécontentement et une
vague, une presque abstraite volonté de dépassement (superamento) Et en faveur de
.
savent plus que dire. En effet, que voulez-vous répondre à qui vous
objecte que votre théorie est dépassée {superatd)! Veuille le dieu de
la métaphysique que le théorème du carré de l'hypothénuse ne soit
,, (p. 153*) Nous avons introduit la notion de la Vie dans l'histoire et cette simple
introduction de la Vie dans l'Histoire la socialise dans toutes les directions, fait
d'elle une pJdlosophie, une inorale, une religion [encore une chose qui n'a pas de
"
sens], la base par excellence de l'éducation individuelle et de l'éducation politique;
ou encore ,, (p. 156*)
: Nous sommes de la Vérité, de la Vie, de la Révélation,
ou : ,, (p. 159*) L'Eglise nous avait parlé de la tradition et de sa valeur dans
l'enseignement religieux ;la vie nous en découvre la puissance dans tous les
domaines et, en nous montrant ce que nous sommes, nous suggère ce que nous
;
devons et ce que nous pouvons devenir". Que M. Sabatier s'exalte, nous n'y trou-
vons pas à redire c'est de l'esthétisme Qu'il prétende faire ,, de l'histoire une phi-
: !
losophie, une morale, une l'eligion", c'est une autre affaire, et c'est justement la
question qui s'agite entre lui et la papauté. La thèse (p. 86) de cette dernière c'est
justement que c'est l'histoire qui a besoin d'une philosophie, d'une morale, d'une
religion, pour être une histoire acceptable ; une histoire digne de l'homme et de
l'humanité». La science logico-expérimentale demeure entièrement étrangère à cette
controverse, ne serait-ce que parce qu'il manque un juge qui la tranche (| 17 et sv.).
Outre les deux genres d'histoire indiqués tout à l'heure, il en est un troisième,
dont la science expérimentale s'occupe uniquement, et qui a pour but exclusif de
décrire les faits et d'en rechercher les uniformités. Prenons bien garde que notre
but est de séparer, non pas de comparer. Nous ne disons nullement que ce troi-
sième genre soit meilleur que les deux autres pour nous, cette proposition n'aurait
;
même aucun sens. Nous disons seulement qu'il nous plaît de nous occuper de ce
troisième genre. Si quelqu'un d'autre a aussi ce dessein, il peut faire route avec nous,
et s'il n'a pas ce dessein, qu'il cherche une autre compagnie, et allons chacun de
notre côté. Le lecteur observera que Vie est écrit avec une lettre parfois majus-
cule, parfois minuscule. Les choses auxquelles correspondent ces deux termes pour-
raient donc être différentes. Mais quelle est cette différence, je ne saurais le dire...
et peut-être l'auteur qui emploie ces termes ne le sait-il pas non plus. Mais je
suppose que la Vie à laquelle on fait l'honneur d'une majuscule, doit être meil-
leure que la vie qui est privée de cette majuscule. Peut-être y a-t-il une différence
analogue entre Histoire et histoire. Quant à la Vérité, c'est pour nous une vieille
connaissance nous l'avons souvent rencontrée en ces dernières pages. C'est une
;
entité qui n'a rien de commun avec la vérité expérimentale, mais qui est d'une
nature si sublime que sa beauté surpasse toute chose.
* Les nombres indiqués avec cet astérisque sont ceux des pages du livre de Sabatier, cité
dans le texte de {Indépendance.
§ 1686 LES DÉRIVATIONS 1009
SOCIOLOGIE C4
CHAPITRE XI
1687. L'étude que nous venons de faire des résidus et des déri-
vations nous a fait connaître les manifestations de certaines forces
qui agissent sur la société, et par conséquent ces forces mêmes
aussi. Ainsi, peu à peu nous approchons de notre but, qui est de
nous rendre compte de la forme que prend la société, sous l'empire
des forces qui agissent sur elle. La voie est longue mais, voulant ;
nous laisser guider exclusivement par les faits, nous n'avons trouvé
aucun moyen de l'abréger. Nous avons reconnu et classifié les rési-
dus et les dérivations. Cela faisant, nous avons aussi découvert
certaines de leurs propriétés. Maintenant, il convient que nous étu-
diions ces dernières en détail. Pour connaître la forme que revêt la
société, il est manifeste que nous devrons considérer ensemble tous
les éléments qui déterminent cette forme. Mais avant de pouvoir le
faire, il est nécessaire que nous étudiions séparément ces éléments
et certaines de leurs combinaisons. C'est ce que nous ferons dans le
présent chapitre, pour étudier dans le suivant l'ensemble social.
Nous commencerons par considérer ces éléments d'une manière
intrinsèque, abstraction faite de leur rapport avec l'utilité sociale.
« droit des gens ». Dans l'esprit d'un très grand nombre de per-
sonnes, les notions de certains rapports entre les hommes sont
acceptées favorablement, les notions de certains autres repoussées
avec défaveur. En outre, les premières notions s'unissent à d'autres
auxquelles on donne habituellement les noms de bon, honnête,
juste, etc., et se heurtent à d'autres auxquelles on donne habituel-
lement des noms contraires mal, malhonnête, injuste, coupable,
:
Etats font donc ce qu'ils veulent du « droit des gens », mais ils ne
pourraient pas faire ce qu'ils veulent des réactions chimiques ; et
avec toute leur puissance, ne pourraient pas empêcher que le
ils
tion de Scutari est en majorité albanaise et cette ville est le siège d'un évèché catho-
lique. Il faut remarquer aussi à ce propos que les Monténégrins ont été incapables
d'assimiler plusieurs milliers d'Albanais catholiques ou musulmans qui sont établis
sur les frontières du Monténégro ». Remplacez, dans ce raisonnement, Monténégro
1014 CHAPITRE XI § 1689
par Russie, Albanie par Pologne, et il conservera toute sa valeur. La Russie est
orthodoxe, la Pologne catholique. La Russie a éti' incapable de s'assimiler les Polo-
nais. Mais bien que le raisonnement soit identique, les conclusions changent le :
la Pologne.
16892 C'est cela seul que nous voulons exprimer, quand nous disons que le
« droit naturel», n'existe pas.En d'autres termes, nous voulons dire que cette entité
ne peut pas faire partie de raisonnements d'une façon semblable à celle dont en font
partie le chlorure de sodium ou d'autres choses analogues. Mais nous n'entendons
nullement faire nôtres, comme étant équivalentes à cette assertion, ou comme en
étant la conséquence, les propositions suivantes La notion de droit naturel n existe
:
pas dans l'esprit de certains hommes. Cette notion ne joue aucun rôle dans la déter-
mination de la forme de la société. Il serait utile aux hommes de s'en débarrasser,
parce que c'est une notion de chose vaine et insaisissable. Nous estimons, au con-
traire, que des propositions opposées à celles-ci concordent avec les faits. C'est-à-dire :
la notion de droit naturel existe (se trouve), bien qu'indéterminée, dans l'esprit de
certains hommes. Cette notion (ou mieux le fait que cette notion se trouve dans
:
gorie des choses dont nous pouvons faire usage pour connaître ce
que l'on observe en réalité. Pour le même motif, nous avons recher-
ché, dans les chapitres IX et X, les voiles dont ces choses sont
recouvertes, les formes sous lesquelles elles se présentent. Ainsi
nous avons procédé d'une manière analogue à celle de l'homme de
science qui recherche d'abord la composition d'un corps chimique,
et ensuite la forme sous laquelle il cristallise.
sible de le prendre en faute. C'est bien ainsi que les économistes littéraires, les mora-
listes, les métaphysiciens, énoncent des « lois ». dont ils font ensuite ce qu'ils veulent,
les pliant à leur volonté et à leur caprice, grâce à l'indétermination des termes, aux
exceptions et à d'autres subterfuges. ^lalheureusement pour leur thèse, de cette
façon ils ont même trop raison une loi de ce genre ne signifie rien, et il est inu-
:
tile de la connaître. Quelqu'un peut dire qu'il pleut seulement les jours de date
paire, et olijecter aux observations contraires que ce sont des exceptions. Quelqu'un
d'autre peut affirmer quil ne pleut, au contraire, que les jours de date impaire, et
répondre de la même manière aux objections. En raisonnant de cette façon, tous
deux ont raison, et aucun d'eux ne nous apprend quoi que ce soit. Pour que nous
apprenions quelque chose, il faut qu'il y ait quelque obstacle, quelque restriction à
la libre adaptation de ces «lois» qu'on affirme, par exemple, que les faits contraires
;
sont en beaucoup plus petit nombre que les faits favorables que l'énoncé ait quelque
:
précision, en sorte qu'il puisse être interprété par d'autres personnes que par l'au-
teur ;
que les conditions réputées nécessaires à la vérification de la loi soient au
moins mentionnées, et ainsi de suite.
1016 CHAPITRE XI § 1690
1690 2 Entre les expressions D et les actes A, il peut y avoir un rapport direct
DA, et c'est même le seulque supposent ceux qui réduisent tout phénomène social à
1018 CHAPITRE XI § 1690
revanche, quand elles sont constituées, cela peut arriver quelquefois par le
fait' des
grammairiens ou des hommes de science. En général, les mots sont nés spontanément
dans le peuple, et la mêmeforce qui les produisait faisait naître en même temps
les racines ; qu'on avait effectivement le rapport 0.4, OD. Parfois, comme
c'est-à-dire
dans le cas des onomatopées, nous réussissons à avoir quelque idée de l'origine O
d'une famille de mots A et de sa racine D ; mais, dans le plus grand nombre
des
cas, cette origine nous est parfaitement inconnue nous
connaissons seulement la
;
tant que les actes sont des conséquences des croj^ances, et en substi-
tuant les actions logiques aux actions non-logiques. Cette dernière
manière de s'exprimer est usuelle, mais induit facilement en erreur,
même si l'on a dans l'esprit que c'est uniquement une forme de la
première. On peut employer la seconde manière de s'exprimer,
pourvu qu'on ait présent à l'esprit que, rigoureusement, nous
devons toujours nous en rapporter à la première. Nous avons fait
et ferons un abondant usage de cette seconde manière de s'ex-
primer, spécialement sous la forme équivalente qui met en rapport
les actes et les résidus. On peut emploj^er la troisième manière,
mais toujours avec la précaution de s'en rapporter à la première,
et en se tenant sur ses gardes contre le danger de tirer des consé-
quences logiques du terme parce que qui y est employé. Les
termes sentiments, résidus, sont commodes en sociologie, de
:
être constitués scientifiquement si, pour ce faire, on avait voulu attendre de con-
naître les «origines». De même, en sociologie, il peut y avoir des cas où nous
acquérons une connaissance, peut-être lointaine et imparfaite, de l'origine O, tant
des résidus D que des dérivations ou des actes .-l ; mais, dans le plus grand nombre des
cas, nos connaissances sont semblables à celles du philologue nous ne connaissons
:
que les dérivations ou les actes A. Théoriquement, nous en déduisons les résidus
D puis, récipi'oquement, des résidus D nous déduisons les dérivations et les actes
; ;
c'est-à-dire que nous attachons notre esprit aux rapports AD et DA ; mais, effective-
ment, le rapport est OA, OD. Un très grand nombre d'(''tudes de sociologie sont sem-
blables à celles qui ont été faites pour déceler les « origines» des langues, c'est-à-dire
qu'elles eurent en vue de trouver r<( origine » des phénomènes sociaux, et profitèrent
peu à la science. Tâchons maintenant de constituer celle-ci, en nous arrêtant aux rési-
dus, de même que le philologue s'arrête aux racines, de même que le chimiste s'arrête
aux corps simples; de même que celui qui étudie la mécanique céleste s'arrête à
l'attraction universelle, etc. Quant à la manière de nous exprimer, lorsque nous
disons elliptiquement que les résidus déterminent les actes, nous substituons, pour
faciliter l'exposi'', le rapport DJ, qui n'est que théorique, au rapport pratique OA, OD.
Nous opérons comme le philologue quand il dit qu'une famille de mots A tire son
origine d'une racine D, ou quand il dit que certains temps des verbes se forment
du radical de l'indicatif, certains autres du radical de l'aoriste, etc. Personne n'a
jamais entendu cela au sens que les Grecs s'étaient assemblés, un jour, pour fixer
certains radicaux des aoristes, et avaient ensuite déduit de ces radicaux les formes
verbales des aoristes. On ne doit pas davantage tirer une conséquence semblable de
la proposition suivant laquelle les résidus déterminent les actes.
Si l'on avait suivi la voie deductive, la matière traitée en cette note aurait dû
faire partie du texte et se trouver au commencement de l'ouvrage. Mais à cette place,
elle aurait été difficilement comprise, à cause de sa nouveauté. La voie deductive
convient spécialement à des doctrines déjà en partie vulgarisées et connues lors- ;
qu'il s'agit de sujets entièrement nouveaux, seule la voie inductive permet de prépa-
rer le lecteur à les bien saisir et comprendre. C'est pour cela que Ton trouve la voie
inductive employée en des traités tels que la Politique d'Aristote, les œuvres politiques
de Machiavelli, An inquD'y into the nature and causes of the icealth of nations
de Adam Smith, et autres ouvrages analogues de tous genres.
1020 CHAPITRE XI § 1691-1693
nous les avons séparés des êtres concrets auxquels ils appartien-
nent. Il faut maintenant tenir compte de toutes ces circonstances.
Parlons d'abord de l'intensité. Il faut distinguer entre l'intensité
propre au résidu, et celle qui lui vient de la tendance générale de
l'individu à être plus ou moins énergique. Par exemple, celui qui a
un fort peu de courage, combattra avec
sentiment de patriotisme et
1691 ' La difficulté provient de lambiguité du terme fort, qui peut qualifier l'in-
tensitë d'un résidu, chez individu, comparée à celle des autres résidus du même
un
individu, ou bien comparée à l'intensité du même résidu, chez d'autres individus.
1694-1695 PROPRIÉTÉS des hésidus et des dérivations 1021
phénomènes se produit.
1 694. En outre, il faut prendre garde au mouvement rythmique
que l'on observe en tous phénomènes sociaux (§ 2329). Un phéno-
les
mène à peu près constant est représenté, non pas par une droite mn.
1695' Nous en avons déjà cité de nombreux exemples. En voici un autre, qui
peut servir de type à une classe très étendue et dans lequel nous voyons emploj'er
des dérivations qui s'appliquent à une inlinité de cas, en général. En Suisse, l'usage
de l'absinthe a été prohibé. Les fanatiques de la tempérance récriminaient parce
que les magistrats ne se montraient pas très sévères dans la répression des contra-
ventions. Un journal écrit à ce propos « Sous le régime de la monarchie absolue,
:
la volonté d'un seul est imposée à une nation tout entière. Cette volonté unique peut
froisser le sentiment du peuple; elle peut heurter des traditions et des habitudes légi-
1022 CHAPITRE XI § 1695
même. Et, sous le régime de démocratie directe, qui est le nôtre, les citoyens
la
décident eux-mêmes les principes constitutionnels qui régissent le pays. La Cons-
titution ne peut-être modifiée sans l'assentiment de la majorité des électeurs, qui
sont toujours consultés à ce sujet. Les lois elles-mêmes, élaborées par les corps
législatifs après des débats publics et dans les limites de la Constitution, ne devien-
nent obligatoires que si le peuple les a approuvées, tacitement ou formellement il :
peut user de son droit de referendum. Il possède même le droit d'initiative législa-
tive. Toutes les dispositions de droit qui règlent les conditions de la vie sociale sont
ainsi soumises au crible de la discussion publique. Seules prennent force de loi
celles qui répondent à la volonté du peuple à l'époque où elles sont proposées. Les
conceptions vieillies sont écartées; les réformes prématurées sont différées seuls ;
sont imposés au respect de tous les principes constitutionnels et les lois qui ont
trouvé grâce devant la majorité des électeurs ». Il faut observer ici différentes
choses. 1° La négligence habituelle avec laquelle les religions considèrent les faits
expérimentaux. Acceptons, pour un moment, la comparaison que l'on établit entre
les mauvaises lois, c'est-à-dire les lois qui « froissent les sentiments du peuple, qui
heurtent les traditions, etc. », qui sont propres aux monarchies absolues, à ce qu'il
paraît, et les bonnes lois, c'est-à-dire les lois qui ne froissent pas les sentiments,
qui ne heurtent pas les traditions, etc., qui, suivant l'auteur de cet article, sont pro-
pres aux démocraties. Il suit de là que le droit romain, tel qu'on le trouve dans les
constitutions impériales, doit être très inférieur au droit athénien. Mais en est-il
vraiment ainsi ? En France, la loi de 1790, établissant la constitution civile du clergé,
ne pouvait donc pas froisser les sentiments du « peuple », ni heurter des traditions
et des habitudes (légitimes), ni être en avance sur son époque. On apprend tous les
jours quelque chose; mais la révolte qui, sur une partie considérable du territoire,
accueillit cette loi demeure inexplicable. Il faut pourtant remarquer que traditions et
habitudes sont caractérisées par l'épithète légitimes. Celle-ci, comme celle de vrai
:
(I 1562), sert de parachute. Si on ne peut nier que des traditions et des habitudes
ont été heurtées, on en est quitte pour déclarer qu'elles ne sont pas légitimes et il ;
est alors évident que les traditions et les habitudes légitimes ne peuvent pas être
«heurtées». 2° Le sophisme très usité, qui confond le « peuple» avec la « majorité du
peuple », et pis encore avec la « majorité des votants ». En fait, la prohibition de l'ab-
sinthe n'a pas été votée par la majorité du peuple suisse, mais bien par la majorité
d'une petite fraction de ce peuple, qui seule prit part à la votation. Comment ce nom-
bre, bien moindre que la majorité du «peuple », devient-il égal à cette majorité, c'est là'
un mystère qui peut aller de pair avec celui de la très sainte Trinité. Comment la
volonté de ce petit nombre se confond-elle avec la «volonté» du «peuple» entier, c'est
là un autre mystère qui, tout en étant moins insondable que le précédent, demeure pour-
tant remarquable. On peut dire que ceux qui n'ont pas pris part à la votation ont eu
tort. Cela se peut; mais ce n'est pas la question. Qu'ils soient coupables tant qu'on
voudra, et qu'il y ait d'excellentes raisons légales pour qu'on ne tienne pas compte
de leur volonté tout cela ne change pas une minorité du « peuple » en une majorité,
:
et ne nous fait pas connaître non plus quel était efl'ectivement la volonté de ceux
qui ne l'ont pas exprimée, quel que fût leur tort. 3° La dérivation qui suppose que
celui qui fait partie d'une collectivité peut être opprimé uniquement par un souve-
rain absolu, et jamais par une majorité à laquelle il n'appartient pas. On ne peut
§ 1695 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1023
notés n'y existent pas. Vi-aiment? Dans la république athénienne et dans la répu-
blique romaine, l'histoire nous dit au contraire que de seml>lables maux ont été
oliservés. C'est peut-être l'histoire qui a tort, de même que c'était la géologie qui
avait tort contre la Bible. « Le souverain c'est le peuple». Ne serait-ce pas plutôt —
sans parler des abtis — la majorité des votants ? « Ses magistrats ne lui sont pas
imposés :il les choisit lui-môme ». Dans l'article, ce pronom il se rapporte
au peuple dans la réalité
;
—
toujours sans parler des abus —
à la majo-
rité, souvent assez faible, des votants. 4° La dérivation d'après laquelle celui qui est
contraint d'agir selon la volonté de la majorité —
si toutefois nous admettons que
c'est elle qui fait les lois — agit selon sa volonté à lui, parce que cette volonté est
celle du peuple dont il fait partie. Soit une collectivité de 21 individus 11 d'entre ;
eux décident de manger les 10 autres. (Il s'est passé des faits semblables dans les
naufrages.) Dirons-nous que cette décision « répond à la volonté du peuple » ? que
le peuple est autophage, et que chacun des individus mangés devra aussi dire cela
avant d'être mis à mort, et devra penser que la «volonté » du peuple est sa « propre
volonté»? 5° Dans le cas que nous examinons, et plus encore en un grand nombre
d'autres, on voit apparaître une théorie semblable à celle de la contrition et de l'at-
trition (% 1459) c'est-à-dire qu'il ne suffit pas que le citoyen se soumette à la volonté
:
de la majorité, par crainte des châtiments que celle-ci peut lui infliger il doit aussi:
chrétienne : «(p. 22) Nous avons tous affaire à trois ennemis principaux le péché., :
et tout puissant ? Toutes les hypothèses auxquelles on a recouru pour n'^soudre cet
angoissant problème montrent l'embarras des penseurs plus qu'elles ne satisfont
l'intelligence. Survient M"'« Eddy qui. d'un seul coup d'épée, tranche le nœud gor-
dien. Ces adversaires formidables sont des fantômes. Pour les voir disparaître
comme un nuage, il suffit de leur arracher leur masque effrayant, de dire à chacun
d'eux ,,Tu n'existes pas"». Suit une longue divagation théologique. Passons et
:
voyons ce qui a lieu dans le monde réel. « (p. 26) Les guérisons de la Christian
Science se comptent par centaines ou par milliers, pour ne pas dire par dizaines de
mille... Leur authenticité a d'ailleurs pour elle toutes les garanties qu'on peut rai-
sonnablement demander. [Tout aussi nombreuses et authentiques étaient les œuvres
des sorcières, de la magie, des fantômes, etc.] Aussi ne provoquent-elles, dans les
pays anglo-saxons, ni la raillerie, ni l'incrédulité... Cependant, depuis le troisième
siècle, la chrétienté a négligé son droit et son devoir à l'égard de la maladie. Il s'agit
de nous réveiller. Aussi Science and Health [le chef d'œuvre de cette dame Eddy]
porte-t-il sur sa couverture l'inscription suivante autour d'une couronne que traverse
une croix ,, Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, chas-
:
sez les démons ". M"" Eddy a pris au sérieux cet ordre surprenant et se voit récom-
pensée de sa fidélité. Elle guérit, à l'instar de son Maître, ,, toute sorte de maladies
et d'infirmités ", et ses (p. 27) étudiants ont appris à faire de même». Pourtant elle
n'apprit pas bien cet art pour elle-même, et mourut bel et bien ! Medice, cura te
ipsitm. Certains de ses disciples, plus naïfs ou plus logiques que d'autres, dirent
qu'elle ne pouvait pas être moi'te, car cela eût été un démenti à sa doctrine, qui nie
l'existence de la mort. Ils attendaient donc qu'elle ressuscitât. Inutile d'ajouter qu'ils
attendent encore. Peut-être par crainte de la concurrence, William James n'était pas
favorable à M™" Eddy. Notre auteur le reprend « (p. 35) Je suis fâché de le dire, le
:
la fausse croyance du malade, doit donc être purement mental, en partie silencieux,
et il peut même se faire à distance (en note : On cite le cas de malades qui ont été
guéris sans même se douter qu'ils étaient en traitement)... (p. 124) Mais le guérisseur
n'évoque la maladie que pour la nier, n'a d'autre but que de réaliser son irréalité...
<p. 126) [citation de ce qu'écrit M"" Eddy] tumeurs, ulcères, inflammations, tuber-
cules, articulations déformées, souffrances de toutes espèces ne sont que de sombres
images créées par l'esprit de mort et dissipées par l'Esprit divin»... Autre citation :
« (p. 127) Appelé pour la naissance d'un enfant, c'est-à-dire d'une idée (p. 128) divine,
on s'efforcera d'écarter les notions matérielles, afin que tout se passe d'une manière
naturelle... Né de l'Esprit, né de Dieu, l'enfant ne peut faire souffrir sa mère ». M™' Eddy
donne largement des idées. Voyons ce qu'elle reçoit, «(p. 224) Tous ces ouvrages se
vendent à des prix qui sembleront d'autant plus élevés que les frais de publication sont
réduits à leur minimum, ...(p. 225) la presse [qui auparavant n'était pas favorable] a
d'ailleurs changé de ton et se montre en général pleine de déférence pour la Mère des
§ 1696 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1025
Scientistes, qui sait de son côté récompenser les services qu'on lui rend... (p. 2-28) ...le
produit brut de la vente du Livre ,, donné aux aft'amés" [c"est ainsi que M""= Eddy
appelle ses dupes] peutêtre évalué actuellement à 10,000,000 de francs environ, le béné-
fice de l'auteur à 5,000,000, celui de l'Eglise à 3 ou 4,000,000... (p. 229) il n'est sans doute
pas d'auteur qui ait réalisé des bénéfices aussi élevés que la Prophétesse de l'ascé-
tisme idéaliste». Elle a plus d'habileté ou plus de chance que tant de somnambules
qui guéi'issent aussi toutes sortes de maladies, plus de chance que le pauvre Caglios-
tro et que tant d'autres aventuriers. Bien des siècles se sont écoulés depuis que
Lucien a écrit son Faux Prophète; pourtant c'est une histoire toujours actuelle,
toujours vraie, bien que les fidèles du dieu Progrès veuillent nous faire croire que
leur divinité a détruit la « superstition».
1696 1 Nous ne pouvons parler de toutes : il suffira d'en rappeler une encore.
La Liberté, 27 octobre 1913 : « Ze culte Antoiniste. Le ,,Père" Antoine était un
,,guérisseur " dans le genre du zouave Jacob. Il opérait des cures prodigieuses. Il
mourut l'an dernier à Jemmapes-lez-Liége, en Belgique. De ses cendres est née une
religion. Le culte ,, Antoiniste " a ses desservants et ses adeptes, de plus en plus
nombreux. La ,,Mère'-, veuve du ,,Père" Antoine, a hérité des vertus curatives
de son mari et continue son commerce, secondée par uru homme chevelu et barbu
qui s'est fait une tête de prophète. C'est le père. Il est chargé d'évangéliser les
masses, car la ,,Mère" se contente de faire des gestes. Les Antoinistes ont cons-
truit à Paris, à l'angle des rues Vergniaud et Wurtz, quartier de la Maison-Blanche,
un iDetit temple. Les vitraux y sont remplacés par des carreaux blancs. Il n'v a
ni croix, ni statues, ni tableaux, ni symboles religieux d'aucune sorte. A l'extérieur
comme à l'intérieur, les murs sont nus. On y lit des inscriptions comme celles-ci. Sur la
façade :,,1913. Culte Antoiniste ". Dans le temple, à l'entrée, et mise là comme une
enseigne, cette autre « Le père Antoine, le grand guérisseur de l'humanité, pour celui
:
qui a la foi". Dans le fond, cette pensée philosophique ,.Un seul remède peut :
guérir l'humanité la foi. C'est de la foi que naît l'amour. L'amour qui nous monti'e
:
dans nos ennemis Dieu lui-même. Ne pas aimer ses ennemis, c'est ne pas aimer
Dieu, car c'est l'amour que nous avons pour nos ennemis qui nous rend dignes de
le servir c'est le seul amour qui nous fait vraiment aimer, parce qu'il est pur et
;
de vérité". Il n'y a point d'autels dans ce temple. Au fond, s'élève une chaire en bois
très simple. Cloué au panneau de face, un cadre renferme sous vitrine, peint en
blanc, un petit arbre semblable à un arbre japonais. Une inscription en lettres
blanches avertit que c'est ,. l'arbre de la science de la vie et du mal", unique sym-
SOCIOLOGIE 65
102(3 CHAPITRE XI § 1696
Mais il faut aller plus loin, et ajouter encore les traitements que
l'on opérait autrefois, en très grand nombre, par la magie, par les
bole du culte antoiniste. Cet arbre reparaît, dt'coupé sur une plaque d'acier ajus-
tée à une hampe que tientà deux mains un desservant, faisant office de bedeau.
Les desservants ont un uniforme complètement noir longue redingote austè-
:
normale, la Mère descend l'escalier de la chaire et sort. Suivie du père qui, pen-
dant cette consultation mystique, s"était immobilisé auprès de la chaire dans une
attitude inspirée, elle va s'enfermer dans une baraque en planches placée derrière
le temple et pareille à ces baraques où les terrassiers de la Ville rangent leurs
outils. La malade s'est levée dans un effort de toute sa volonté. Mais cette ardeur
s'est éteinte aussitôt et elle part comme elle est venue, soutenue par ses compagnes.
Une jeune femme prend sa place. Elle tient dans ses bras une lillette de 4 à 5 ans,
d'une maigreur douloureuse. Toute la vie semble s'être réfugiée dans les yeux. Ses
bras et ses jambes pendent inertes. Le corps, plié sur le bras gauche de la mère, a
la souplesse d'une étoffe. Indifférente à ce qui se passe autour d'elle, elle tient
ses regards fixés vers le cintre. Le trouble de la jeune femme apparaît à la pâleur
cireuse du visage. A tous moments, elle essuie avec son mouchoir la sueur froide
qui perle à son front. La même cérémonie se reproduit coups de sonnette du des-
:
servant, apparition de la vieille dame, même jeu de scène sans la moindre modifi-
cation. Il s'applique à tous les cas. La mère remporte son enfant qui a gardé son
aspect de loque vivante. Dans l'assistance, pas la moindre manifestation. On
regarde tout cela avec stupeur. L'impression d'angoisse qu'on éprouve de ce spec-
tacle arrête l'ironie. Dehors, des groupes se forment. J'écoute un gros homme dont
l'haleine fleure le rhum dire à un desservant ,, Pourquoi qu'on n'irait pas, si
: on a
la foi?". Passant son bras sous le sien il ajoute ,, Allons prendre un
: verre, ça
nous remettra ". Séris ». De temps à autre se produit quelque cas qui montre la
vanité de ces croyances. Par exemple, en décembre 1913, mourut à Berlin l'actrice
Nuscha Butze-Beermann. Corriere délia Sera, 13 décembre 1913 : « La Nuscha
souffrait de diabète depuis l'été dernier. Elle suivit le traitement d'un médecin, et
observait le régime prescrit; puis elle tomba entre les mains d'une gesundbeterin,
c'est-à-dire d'une de ces guérisseuses qui traitent les maladies par la prière. L'ac-
trice négligea le traitement médical, et s'en remit à la force de la volonté et de la
prière. Ainsi, le mal alla en s'aggravant, et quelques jours plus tard la Nuscha se
sentit si faible qu'elle ne put se rendre au théâtre. Néanmoins, la guérisseuse lui dit
dene pas se laisser abattre ainsi, et de penser toujours que l'intelligence ne connaît
pas de douleurs. Elle devait simplement prier et aller à la représentation. L'actrice
y alla, mais elle perdit connaissance sur la scène et ne revint plus à elle ».
§ 1697 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1027
1697 ' Il y avait et il y a toujours des prêtres, de même que des médecins, dignes
de toute estime, de toute considération et de tout respect. Ils sont parmi ceux qui
donnent leurs conseils à qui les leur demandent, et qui ne cherchent pas à imposer
leur volonté, par la force ou des artifices, à ceux qui ne sont pas de leur avis. Ce
que nous disons des morticoles ne doit en aucune façon être appliqué aux bons et
braves docteurs qui, modestement, avec science, diligence et honnêteté, soignent les
malades et atténuent les maux de l'humanité souffrante.
16972 Voir, par exemple D' Bourget, prof, à l'Univ. de Lausanne; Quelques
:
maturges. Ceux-ci se feront payer ainsi une visite chaque fois que le malade aura
])esoin de refaire usage de l'ordonnance. Pour gagner de l'argent, il n'est sorte de
malice qu'ils n'inventent. En Italie, une loi de 1913 permet aux pharmaciens d'exploi-
ter les malades ; et ce fut un ministre qui eut le front de dire qu'on faisait cela afin
d'assurer aux malades des remèdes de bonne qualité, entre autres les « spécialités
étrangères », qui sont mauvaises, paraît-il, si elles sont vendues par les droguistes,
excellentes, si elles sont vendues par les pharmaciens. N'importe qui peut s'assurer
qu'à Genève, par exemple, le coût des produits pharmaceutiques est de '20 à 50 0/0
plus bas qu'en Italie et à qui fera-t-on croire que la qualité en est moins bonne ?
;
De telles affirmations si évidemment contraires à la vérité sont bien à leur place dans
la bouche d'un ministre, chef de « spéculateurs » elles sont dignes d'être crues par
;
un vuigaii-e superstitieux; mais à A'rai dire, en tout cela on voit renaître, sous des
dehors nouveaux, de vieilles superstitions au moyen desquelles on soutii-e de l'argent
aux naïfs.
ment est accepté par les lidèles, mais aussi toléré par les indifférents.
!^ 1698 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1029
encore venu, et aucun Molière n'a encore écrit le Tartufe de l'anti-alcoolisme]. Gela
ne veut pas dire qu'aux Etats-Unis on ne boit pas de produits alcooliques. Bien au
contraire. On y boit, et l'on y boit beaucoup plus que cela n'est à conseiller, même
à qui ne saurait admettre que l'alcool soit un poison. Mais ceux qui boivent s'en-
tendent toujours appeler à donner des explications et presque à présenter des excuses,
quand ils se préparent à perpétrer l'acte criminel. Il n'est pas un individu sur mille,
hors de l'intimité des clubs où, entre quatre murs amis, on commet nombre de
choses qu'on n'ose pas commettre au grand jour, il n'est pas un individu sur mille
— disais-je — qui ait le courage de dire franchement comme Anacréon ,, Que:
les amis ne m'ennuient pas qu'ils fassent ce qu'ils veulent moi, je bois ". Il y a
: ;
des gens qui boivent parce que ,, le médecin le leur a ordonné " de ceux qui ne ;
refusent pas un petit verre, ,, pour tenir compagnie ", et de ceux qui boivent ,, une
gorgée de sept en quatorze" mais apparemment il n'est personne qui trinque pour
;
16981 Les théosophes sont assez nombreux en Europe ils ont une abondante
;
« (p. 93) Le corps de l'homme comporte une sorte d'enveloppe subtile, dénommée
périsprit par les spii'ites et fluide aithérique par les occultistes, lequel fluide relie
pendant la vie le corps à l'àme. Après la mort, (p. 94) quand le corps matériel, le
corps physique est dissous, désagrégé, oxydé, l'individualité possède un corps
aithéré que les occultistes dénomment double aithérique. C'est aussi la force exté-
riorisée. Quand nous dormons d'un profond sommeil, notre astral (le fluide aithé-
rique) se dégage et va où le pousse notre désir, notre volonté. Ce dégagement s'ac-
complit chez tous les hommes d'une façon inconsciente seulement certains hommes
;
ne s'en doutent point et ne se le rappellent pas, par conséquent, tandis que certains
se le rappellent et considèrent comme un rêve les scènes, les travaux ou les prome-
nades accomplis en astral, car l'homme vit sur le plan astral comme sur le plan
physique Des sensitifs, des médiums avancés, des psychomètres, des occul-
,
tistes, nous dit Ernest (p. 95) Bosc (dans Dictionnaire d'orientalisme, d'occultistne
et de psychologie), peuvent même éveillés, dégager leur astral (leur double aithé-
rique) de leur corps physique et ceux, parmi les adeptes ou initiés de l'occultisme,
qui sont avancés, peuvent même à l'aide du fluide aithérique, matérialiser leur corps
physique (passer du plan sthulique au plan astral) et se montrer fort loin de leur
corps à des amis, à des connaissances, à des étrangers" ». Ajoutons un brin d'ex-
plication pour ceux qui ignorent ce que sont ces plans : « (p. 220) Sthula ou
Sthule —
La matière —
Le Plan Sthulique est le Plan Physique, (p. 192) Le Kos-
mos se compose de sept Plans, divisés chacun en sept sous-plans ». Il serait trop
long de les indiquer tous le lecteur qui voudra les connaître peut recourir aux
;
des désirs, c'est sur ce plan que va l'homme, après sa mort il correspond au pur-
:
presque toute la journée. Partout où la fillette passait, des cailloux toujours chauds
tombaient autour d'elle, sans toutefois la frapper. Durant plusieurs jours le phéno-
mène se répéta... et même diverses personnes étaient accourues pour constater le
phénomène parmi elles, le conseiller communal de Vezzano Ligure, M. Luigi
:
rical], mais sans résultat [pauvre démon, quelle décadence !] et la famille ne savait
plus à quel saint se vouer, lorsqu'un habitant de l'endroit [c'était peut-être un anti-
clérical, ou tout au moins une personne qui avait le sens de la modernité'] conseilla
§ 1699-1700 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1031
geux mais au point de vue du rôle que les résidus jouent dans
;
classe dans son ensemble, on verra qu'au fond elle varie peu et
lentement.
î 700. On peut émettre des considérations semblables pour les
autres classes. Voyons, par exemple, la IP classe (persistance des
agrégats). On y trouve un genre (II-/3) qui n'a pas disparu. Au con-
traire, c'est contemporains qu'au
grâce à l'observation des faits
de tenir une assemblée dans la maison de Dal Padulo. Le conseil fut suivi,
spirite,
son langage, exigeant le sacrifice de deux chats et leur
et la table aurait parlé en
enfouissement en un lieu indiqué ce qui fut fait, et alors le phénomène cessa ».
;
1032 CHAPITRE XI ^ 1701-1702
leur tour, ils furent dépossédés par les divinités et parles saints du
christianisme ^ Au XVP siècle, la Réforme fit une guerre implacable
au culte des reliques, et surtout à celui que l'Eglise romaine vouait
à l'allégement des châtiments des morts; mais, au fond, elle y
substitua d'autres persistances d'agrégats. Sous la domination de
Calvin, on jouissait de beaucoup moins de
on était soumis à
liberté,
beaucoup plus de règles dictées par des considérations ultra-expéri-
mentales, à Genève qu'à Rome sous la domination des papes et, ;
de gens à se prosterner devant les socialistes et à les aduler. Mais on ne peut Tad-
mettre comme cause unique, surtout si l'on prend garde à l'approbation avec
laquelle un grand nombre de personnes accueillirent cette mesure. Un correspon-
dant de Bale écrit à son journal ((Ce qui caractérisera le Congrès socialiste de
:
vations absurdes qu'il nous est arrivé de remarquer, celle-ci ne tient certainement
pas le dernier rang. Les Arméniens chrétiens, qui subirent d'abord les massacres
d'Abdul-Hamid, puis ceux des «Jeunes Turcs», trouveront peut-être que la paix
des Turcs, prèchée dans la cathédrale encore chrétienne de Bale, ne diffère pas
beaucoup de celle des Romains, dont Galgacus disait utai solitudinem faciunt,
:
fussent les seuls partis capables de s'opposer au socialisme, et vice versa ; le choix
serait alors restreint à ces partis ».
1702 3 Par ce terme, il faut entendre la doctrine de l'ancien parti libéral, qui
visait à restreindre le nombre des liens de l'individu, et non celle du parti libéral
moderne, qui veut l'augmenter, et qui, sous l'ancien nom, professe une doctrine
entièrement nouvelle, en comparaison de celle qui, naguère, se disait libérale.
1702* On peut lire, en quatrième page des journaux, de coûteux avis de magi-
1034 CHAPITRE XI § 1703
veur décroissante pour une autre partie, sont un indice certain des
différences d'intensité des résidus auxquels elles correspondent.
Vers 1913, on vit cela clairement en Italie, où la rapide montée de
la marée nationaliste alla de pair avec un déclin non moins rapide
de la foi socialiste. Le mouvement se produisit en France aussi la ;
ciens, d'astrologues, et de gens qui pnHendent être en mesure d'indiquer les numéros
<jui sortiront au tirage de la loterie, en Italie. Gomme il est d'ailleurs certain que
ces personnes ne continueraient pas à faire de tels frais, si elles n'en retiraient
un bénéfice, il apparaît clairement que Ijeaucoup de gens mordent à l'hameçon. On
publie des catalogues spéciaux de livres de magie et d'astrologie, et chaque jour de
nouveaux livres de ce genre s'ajoutent aux anciens. Voici, parmi tant d'autres, un
exemple de publication psychique « Conseils infaillibles à la portée de tous pour
:
lecteurs et nos lectrices savent déjà de quelle importance il est pour eux de faire
usage du parfum même de l'astre qui a sur leur destinée une influence dominante.
Le temps n'est plus oîi la science astrologique était dédaignée et méprisée. Notre
époque a vu se produire dans cette branche de la connaissance de l'occulte, comme
dans toutes les autres, une magnifique renaissance. Personne à présent ne s'avise-
rait de (p. 3) mettre en doute l'influence des planètes sur la terre, sur ses habitants,
sur tout ce qu'elle porte et sur tout ce qu'elle contient ». Cette dérivation est sem-
blable à celle de Hegel, qui voulait que les comètes eussent une influence sur la
vendange (| ôlO). « Qu'il soit question de la reproduction des animaux, de la florai-
son des plantes ou de certaines maladies de l'homme, on est forcé de reconnaître
l'influence du soleil. Qui songerait à mettre en doute le pouvoir de la lune sur les
marées [ce brave homme doit avoir là-dessus une notion semblable à celle des Chi-
nois et de Hegel], sur les indispositions périodiques de la femme, sur certaines mala-
dies mentales, et l'effet néfaste de la lune rousse sur les pousses des jeunes
plantes ?» C'est là le raisonnement habituel des métaphysiciens, qui cherchent dans
le « moi » les rapports expérimentaux des faits. « Nous entendons souvent des per-
sonnes attribuer au hasard leurs préf-rences. Elles diront par exemple C'est sin- :
gulier, mais pourquoi je déteste la couleur blanche. Pourquoi la fleur que je pré-
fère est-elle la rose ? Pourquoi mon parfum de prédilection est-il la verveine ? Il
n'y a là aucun hasard, c'est que ces personnes se rendent compte d'une façon obscure
et instinctive de ce qui leur convient le mieux. Une voix mystérieuse les avertit de
ce qui leur convient le mieux». Ce raisonnement semble imité de ceux par lesquels
Bergson veut retrouver le « moi instinctif » il parle d'une manière plus obscure,
;
mais expérimentalement identique à celle de notre auteur. « (p. 7) Ce que nous avons
dit au sujet des parfums s'applique également aux pierres précieuses. De toutes les
substances terrestres il n'en est pas qui aient plus de sympathies pour les subs-
tances sidérales que les véritables pierres précieuses. Tout le monde sait que la
pierre aimantée est despotiquement influencée par l'étoile polaire». Voilà Hegel
«dépassé» {% 1686) dans ses divagations sur le diamant (| 504). —
Les pratiques
magiques de la magicienne de Théocrite se reproduisent jusqu'à nos jours. Voir,
par exemple, Papus Peut-on envoiiter? Paris, 1893.
;
§ 1703 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1035
femmes. Cela remplira d'un orgueil légitime les féministes, mais enthousiasme assez
pou la Direction du parti, laquelle ne trouve ainsi parmi ces nouveaux prosélytes,
que deux mille individus d'utilisables, du moins au sens électoral du mot. En beau-
coup de districts —
plus de cent — le nombre des inscrits a nettement diminué. Le
phénomène s'est manifesté dans toute l'Allemagne, mais particulièrement en
Prusse. Les chefs socialistes cherchent à donner des explications réconfortantes de
ce phénomène très grave, et disent qu'il est peut-être attribuable à la crise écono-
mique traversée cette année par l'Allemagne. Mais le raisonnement est un peu tiré
par les cheveux, car, tout à l'opposé, l'histoire du parti socialiste prouve exactement
le contraire c'est-à-dire qu'en temps de crises économiques, le nombre des socia-
;
,, La propagande de la presse du parti est négligée". Mais vice versa, dans une
autre partie du même rapport, on affirme que les frais de propagande ont été cette
année bien plus élevés que les années précédentes. En ce qui concerne les journaux
socialistes, il se manifeste un autre phénomène, qui est en parfaite harmonie avec
la stagnation dans l'inscription des membres :les abonnés diminuent sensiblement.
A lui seul, le Vorwaerts en a perdu 8400, dans les neuf derniers mois. Les jour-
naux de moindre importance en ont perdu plus de 5000. Un autre phénomène com-
plète la démonstration du recul du parti socialiste allemand le nombre des votes
:
pour ses candidats aux élections politiques a sensiblement diminué. Tandis que
dans les années passées le nombre de ces votes était en augmentation continue
{jusqu'à atteindre presque le chiffre fabuleux de quatre millions votes de sympa-
:
thie, car le parti compte moins d'un million de membres inscrits), dans les treize
élections partielles de cette année-ci, les socialistes ont eu, sauf un cas isolé, beau-
coup moins de suffrages que les années passées. En effet, ils ont été presque tou-
jours battus. Déduire de tout cela que le parti socialiste allemand soit en décompo-
sition, serait sans doute une grave erreur mais on peut affirmer avec assurance
;
tion plus évidente du niveau élevé atteint actuellement par l'esprit national allemand
et de la situation du parti socialiste, qui sent que même en des circonstances excep-
tionnellement favorables, il ne pourrait, dans un nouveau conflit, maintenir la
position conquise aux dernières élections générales, grâce à un concours de circons-
tances qui ne se représenteront jamais plus». C'est ce qu'on ne peut savoir; tout
dépendra des circonstances de l'évolution sociale.
1036 CHAPITRE XI § 1704
c'est parce que, ce mouvement ayant eu lieu sous nos yeux, nous
tard, en se tuant ensuite de la mort du Mikado, le général Nogi ajoutait une nou-
velle confirmation à ces o))servations.
§ 1705 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1037
«les hommes savent très rarement être tout bons ou tout mauvais ».
1705. La transformation de la religiosité pacifiste en religiosité
belliqueuse fut très remarquable, à cause du contraste qu'elle pré-
sentait.
Ne fussent les conditions sanitaires de l'Italie, qui empêchèrent
les pacifistes étrangers de venir à Rome au congrès de la paix que
leurs coreligionnaires italiens s'obstinaient à vouloir assembler, tan-
dis qu'on préparait l'expédition de Tripoli, ce congrès de la paix au-
rait eu pour principal thème les louanges que les pacifistes italiens S
17041 Carrière délia Sera. 25 février 1912 : « A l'appel nominal, il y eut 38 votes
contraires, dont exactement 33 des socialistes, deux des constitutionnels... trois des
républicains... Au scrutin secret, il y eut seulement 9 votes conti'aires, bien qu'y
eussent participé, d'après ce qui résulte du compte-vendu officiel de la séance, 22 des
députés qui, à l'appel nominal, s'étaient prononcés conti-e le projet. On ne connaît
naturellement pas les noms des neuf qui ont voté contre mais il est évident que ;
treize de ceux qui s'étaient d'abord montrés opposés, ont changé d'opinion, et ont
approuvé le projet, dans le secret de Turne. libres de tout contrôle de groupe qui liât
leur conscience ». Ailleurs, dans le même journal « Le fait est singulier, sans précé-
:
dent ; il est l'indice d'un état d'esprit extraordinairement significatif. Il est évident
que ces pas le courage d'exprimer leur véritable opinion... Le groupe
treize n'eurent
exigeait qu'ils montrassent contraires, et, en apparence, ils sacrifièrent leurs
se
convictions. Dans le secret de l'urne, ils pouvaient être sincères, et alors seulement
ils furent sincères [qui sait ? ils auraient pu aussi ne pas prendre part à la votation ;
en réalité ils tournaient comme des girouettes] le masque maintenu sur le visage
:
par un artifice fut levé. Mais que d'humiliation, dans ce courage caché Quel aveu !
de faiblesse, dans cet acte de sincérité » Après les élections de 1913, une vague
!
compte : « Les Romains fermaient le temple de Janus, seulement quand les enne-
mis étaient vaincus [peut-être le ministre est-il ici quelque peu ironique ? il rappelle
la phrase de Tacite ubi solitudinem faciunt, pucem ap'pellant'] nous célébrerons
:
de nouveau la fête de la paix, dès que le sang de nos soldats, fleur de la jeunesse
d'Italie, aura apporté à la patrie la reconnaissance de son bon droit et le respect de
tout le monde. Ce sera une fête sincère et sentie par tous ». Dépouillée de ses fiori-
tures de rhétorique, l'idée du ministre est, au fond, qu'on louera la paix quand la
guerre aura rapporté tout ce qu'on en désire et qu'on en espère. C'est une idée
d'ailleurs très juste mais elle est vieille comme le monde, familière même à des
;
peuples très belliqueux, et il était vraiment inutile d'invoquer les belles théories du
pacifisme pour nous la révéler.
17052 Parmi ceux qui gardèrent fidélité à leur doctrine et ne se laissèrent pas
emporter comme la feuille au vent, par la bourrasque des enthousiasmes belli-
queux, il faut rappeler, à leur honneur, le prof. Napoleone Colajanni, l'avocat
Edoardo Giretti et le prof. Arcangelo Ghisleri.
§ 1708 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1039
1708 On pourrait encore remonter plus haut. Dans la Grèce ancienne, on disait
'
que les Hellènes ne devaient pas se faire la guerre entre eux, mais la faire seule-
ment aux Barbares.
1040 CHAPITRE XI § 1709
cienne, car enfin il est facile de savoir si une nation est chrétienne
ou non, au moins dans la forme. Mais comment faire pour savoir
si elle est civilisée, et surtout si elle atteint le point de civilisation
nécessaire pour avoir la paix et non la guerre? La Post de Berlin
voudrait que l'Allemagne s'emparât des colonies du Portugal, pour
y substituer la civilisation germanique saine à la civilisation latine
corrompue. Beaucoup d'Allemands croient fermement qu'il existe
une seule civilisation, la germanique, et que le reste est barbarie.
Devons-nous accepter cette théorie? Qui tranchera cette question
ardue ? Elle n'est nouvelle que de forme. Le fond se trouve déjà
dans la demande qu'en une nouvelle de Boccace, Saladin adresse
au Juif Melchisédeck «J'aimerais assez que tu me dises laquelle
:
aucun sens.
7° On
ne découvre pas beaucoup plus de sens à cette belle trou-
vaille des pacifistes, quinous présentent leur paix comme devant
exister seulement entre les nations européennes et, supposons-nous,
aussi entre les nations américaines. Cette épithète d'européennes
se rapporte-t-elle à la race ou au territoire ? Si elle se rapporte à la
race, la guerre de l'Italie contre laTurquie se justifie, il est vrai ;
ne soit pas pacifiste car enfin, qui est assez dénué de bon sens
;
pour dire: «Je désire la guerre, parce que je crois qu'elle sera funeste
à ma patrie?» Et qui dira pourquoi, si les nationalistes du pays A ont
le droit de faire la guerre, ceux du pays B n'auraient pas également
comme nous n'avons pas de preuves de ce dernier fait, nous ne devons pas en tenir
compte. Arrêtons-nous seulement aux raisons que, pour justifier le refus de Veoce-
quatur, le ministre Finocchiaro-Aprile donna à la séance de la Ghambre, le
10 février 1913. Il fit allusion à des journaux qui étaient favorables au pouvoir tem-
porel du pape, accusa, mais sans trop en donner des preuves, Mgr. Garon d'être leur
complice, et conclut qu' « en présence de circonstances comme celles dont on a parlé
aujourd'hui, ce qui devait prévaloir sur tout et sur tous, c'était la suprême raison
d'Etat, en vertu de laquelle l'Etat ne peut accorder une autorisation civile à qui,
espérant des restaurations impossibles, ne rend pas à l'Etat l'hommage qui est dû à
l'Etat ». Voilà un principe général, et si on l'avait entendu de la bouche d'un
ministre prussien, il n'y aurait rien à ajouter, car en Prusse, le gouvernement
exclut des fonctions publiques, y compris celles de professeur d'université, tous
ceux qui «ne rendent pas à l'Etat l'hommage qui est dû à l'Etat». Mais il est
impossible qu'un ministre italien ignore que l'Etat italien a, parmi ses employés,
des socialistes qui déclarent et répètent publiquement qu'ils veulent détruire l'Etat
bourgeois et s'ils ne « rêvent pas des restaurations », ils rêvent au contraire des
;
destructions. Le ministre a donc dit une chose qui n'est pas très véridique, en affir-
mant que ses actes étaient déterminés par ce principe général. Quand ce principe
lui est politiquement utile, il s'en souvient quand il lui est nuisible, il l'oublie.
;
§ 1711-1712 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1043
les libres-penseurs dans les réunions des spirites, tandis que les
Anglais et les Américains psalmodient à qui mieux mieux. Pour
beaucoup de ceux qui s'écartent de la religion chrétienne, l'enthou-
siasme chrétien s'est changé en enthousiasme «social», ou «huma-
nitaire», ou «patriotique», ou «nationaliste»; il y en a pour tous
les goûts. Le dieu Peuple n'a plus un athée. On peut, de même
que pour tout autre dieu, différer sur la manière de l'adorer, mais
non sur le devoir de l'adorer. Et qui donc n'éprouve pas le besoin de
proclamer qu'on doit tout sacrifier au bien du peuple ? En paroles.
1044 CHAPITRE XI § 1713
cela s'entend, car pour les actes, souvent il en est autrement. Tous
les partis rivalisent pour se prosterner devant le Peuple, et les Che-
valiers d'Aristophane figurent également bien les faits d'Athènes et
y donc. C'est nous qui vous détrairons ». Le Dieu des chrétiens a des blasphéma-
teurs parmi ses fidèles le dieu du Peuple n'a aucun l^lasphémateur, non seulement
;
parmi ses fidèles, mais encore parmi ceux qui n'ont pas foi en lui. L'Humanité
a ses misanthropes. Le peuple n'a pas de /j-iaoa/^juoc il n'a personne qui ose mani-
;
Italie (1892), hommes et femmes avaient dans les chefs du (p. 44) mouvement une
foi presque surnaturelle. Confondant, dans leur naïveté, la question sociale avec les
coutumes religieuses, ils portaient souvent dans leurs cortèges le crucifix à côté du
drapeau rouge et de pancartes sur lesquelles étaient inscrites des sentences emprun-
tées aux ouvrages de Marx... (p. 45) En Hollande, l'honorable Domela Nieuwenhuis,
en sortant de prison, reçut du peuple, d'après ce qu'il raconte lui-même, des hon-
neurs comme jamais souverain n'en avait reçu de pareils... Et une pareille attitude
de la masse ne s'observe pas seulement dans les pays dits ,, arriérés "... Nous n'en
voulons pour preuve que l'idolâtrie dont la personne du prophète marxiste Jules
Guesde est l'objet dans le Nord, c'est-à-dire dans la région la plus industrielle de la
France. Même dans les districts ouvriers de l'Angleterre, il arrive encore de nos
jours que les masses font à leurs chefs un accueil qui rappelle le temps de Lassalle.
La vénération des chefs persiste après leur mort. Les plus grands d'entre eux sont
tout simplement sanctifiés... Karl Marx lui-même n'a pas échappé à cette sorte de
canonisation socialiste, et le zèle fanatique avec lequel certains marxistes le défen-
dent encore aujourd'hui (p. 46) se rapproche beaucoup de l'idolâtrie dont Lassalle a
été l'objet dans le passé ».
prendrons volontiers à notre compte tout ce qu'a dit l'orateur sur les auteurs res-
ponsables de la présente crise scolaire. ,, Ces groupements d'instituteurs (déclara-t-il)
sont nés non seulement sous la surveillance du pouvoir, mais avec sa pleine appro-
bation et l'époque n'est pas loin où leurs fêtes annuelles se déroulaient sous la
;
présidence des plus hautes personnalités républicaines ". Bien de plus rigoureuse-
ment exact. Et ces hautes personnalités républicaines non seulement toléraient, non
seulement encourageaient la transformation du vieux et brave maître d'école en
courtier politique, mais elles le faisaient encore en des termes qui excusent dans
une certaine mesure, on doit le reconnaître, les pires aberrations et les plus
absurdes désordres des pauvres gens qu'on voudrait aujourd'hui ramener au bon
sens et à la discipline. Jamais souverains des plus lointaines régions de l'ancienne
Asie n'ont été flattés, courtisés, encensés, flagornés comme le furent les malheureux
garçons qui, pour le plus grand dommage de leur hygiène cérébrale, avaient choisi
l'honorable profession d'éducateurs des enfants, et devant lesquels s'aplatissaient
en permanence les innombrables politiciens ou aspirants politiciens. Pour gagner
leurs services électoraux, on a littéralement rampé à leurs pieds remarquez du :
instituteurs ont servi le parti radical, vous les avez couverts de fleurs. Aujourd'hui
qu'ils vous abandonnent, vous les traitez en ennemis (bruit, applaudissements) ».
En Italie, le gouvernement paie par des faveurs pécuniaires aux coopératives
socialistes les votes de plusieurs députés de ce parti et à Rome, un député socia-
;
liste est élu grâce aux votes des employés de la Maison Royale. Journal des —
Concourt, t. VIII « (p. 22) Je lis ce soir [28 février 1889] dans le Temps, cette
:
1046 CHAPITRE XI § 1713
phrase adressée aux ouvriers parle président Garnot... ,,Je vous remercie pro-
fondément de l'accueil que vous venez de faire à ma personne, mes chers amis, car
vous êtes des amis puisque vous êtes des ouvriers" [on sait que Garnot fut
assassiné par un « ouvrier )>, qui n'était pas un « ami », à ce qu'il paraît]. Je
demande, s'il existe en aucun temps de ce monde, une phrase de courtisan de roi
ou d'empereur qui ait l'humilité de cette phrase de courtisan du peuple».
1713 3 Paul Louis Courier; Simple discours... à l'occasion d'une souscription...
pour l'acquisition de Chambord : « (p. 49) ...La Ghamhre, l'antichambre et la gale-
rie répétèrent Maître, tout est à vous, qui, dans la langue des courtisans, voulait
:
dire tout est pour nous, car la cour donne tout aux princes, comme les prêtres tout
à Dieu... » Aujourd'hui, les politiciens, descendants légitimes des courtisans, disent
au Peuple les mêmes choses que le roi a jadis entendues et l'on peut dire avec Cou-
;
dans la langue des politiciens, voulait dire tout est pour nous, car les politiciens
donnent tout au Peuple, comme les anciens courtisans tout aux pririces et
comme les prêtres tout à Dieu ».
1713* Montecitorio. Noterelle di uno che c'è stato [E. Giggotti] « (p. 56) Mais
:
parlô Fabroni. L'auteur raconte comment Naples fut livrée aux camorristes par le
gouvernement « (p. 10) ...dans le but d'empêcher que le collège de Vicaria ne con-
:
firmât dans (p. 11) sa charge de député Ettore Giccotti... Un grand nombre de
camorristes furent autorisés à ne pas se conformer aux obligations qui leur étaient
§ 1713 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1047
les rues et sur les places et chargea les électeurs suspects... (p. 13) Une ,, camorra
d'Etat" est certainement une chose originale, et un Etat qui s'associe aux délin-
quants par un contrat régulier, et leur ordonne... une partie de délits [c'est l'auteur
qui souligne], est certainement un phénomène qui cause la stupéfaction ». L'auteur
conclut « (p. 283) .J'avoue avoir voulu dénoncer la situation actuelle du pays, en
:
être exacte et bonne, au moins en grande partie S" la cause des faits, qu'il trouve
;
dans le « système capitaliste » c'est là une affirmation qui n'est pas appuyée par
;
des preuves scientifiques, et qui ne peut prendre place que dans la théologie socia-
liste.— Innombrables sont les faits qui montrent comment, pour un grand nombre
de gens de la classe gouvernante, la politique est simplement l'art de pourvoir aux
intérêts de certains électeurs et de leurs élus. Les résidus de la I» classe prédomi-
nent absolument, et ceux de la II« s'affaiblissent. Beaucoup de députés se disent
anticléricaux et se font élire par les votes des cléricaux. Voici un fait qui peut ser-
vir de type d'une nombreuse catégorie. En février 1913, un député fit un discours
férocement anticlérical, à la Chambre italienne, et l'on di''Couvrit qu'il avait été élu
par les votes des cléricaux. A ce propos, le Giornale d' Italia, 18 février 1913, écrit :
liques et la faveur de l'évèque, faisait à Rome l'anticlérical, par des accords spéciaux
précisément avec Ernest Nathan, et, en homme de bon sens qu'il est, le comte Genti-
loni avertissait l'évèque de mettre plus de diligence à surveiller la conduite de son
député. Cette semonce du Comte Gentiloni a provoqué, entre cléricaux, une dispute
dont il est inutile de s'occuper. Ce qui intéresse, c'est le fait du député de ****, parce
qu'il n'est autre chose qu'un des épisodes quotidiens auxquels nous fait assister
l'attitude politique de quelques députés changeant de personnalité dans le train qui
les conduit du chef-lieu de leur collège à Rome. Ces gens sont, en province, tout ce
qu'il y a déplus obséquieux envers les catholiques, les programmes catholiques et
les autorités catholiques. Mais à peine débouchent-ils de la gare de Rome sur la
Piazza Termini, qu'ils se sentent enflammés du plus pur anticléricalisme, et, tout en
continuant à recommander, s'il le faut, au Ministère tous les curés du collège qui
ont quelque chose à demander à l'Administration des cultes ou à la Minerva [ministère
de l'instruction publique], ils s'associent politiquement à toute manifestation anticléri-
cale, surtout — cela s'entend— si elle n'est qu'oratoire... Car une autre spécialité des
anticléricaux de profession est exactement la suivante d'exterminer les cléricaux...
:
en paroles; mais de bien se garder de faire quelque chose qui puisse vraiment
nuire à leur œuvre et à leur propagande. Par exemple, Tanticléricalisme de l'hono-
rable Finocchiaro est aussi fait de la sorte :ses discours sont nombreux, impé-
tueux et féroces mais des faits administratifs — et législatifs, en particulier
;
— on
n'en voit point à moins que se présente la bonne occasion de faire de l'anticléri-
;
scrutin! Ainsi, elle n'est pas capable en huit mois de bâcler un mauvais budget? Il
est vrai qu'il s'agit du budget des dépenses, celui des recettes n'étant même pas
encore alîordé, et que, pour les députés d'arrondissement, réclamer encore et tou-
jours plus de dépenses afin de gaver leur clientèle, c'est toute la politique... Cepen-
dant, l'essentielle et permanente raison d'être du Parlement, n'est-ce pas celle des-
anciens Etats-Généraux, qui avaient, eux, le mandat intermittent de défendre les
contribuables contre les exigences d'argent du Prince ? Or, par suite de l'étrange et
lamentable confusion des pouvoirs que consacre le présent régime, les députés sont
devenus les princes. Aussi ont-ils le constant souci de desserrer les cordons de notre
bourse pour y puiser mieux. Le maintien de leurs principautés étant au contraire,
grâce aux mœurs du scrutin pourri, lié aux plus saines traditions du pillage orga-
nisé, ils travaillent infatigablement à piller. C'est ainsi que, depuis l'été dernier, le
gouvernement ayant pris la précaution de déposer son budget de très bonne heure,
les hommes des mares siègent pour dépecer la France. Et comme presque tous en
veulent un morceau pour leur meute particulière, comme il faut à chacun des che-
valiers bannerets de la féodalité électorale de quoi alimenter son ban, tous, intermi-
nablement, défilent à la triljune afin de participer à la curée de cinq milliards et
demi». L'ouvrage de M. Cicgotti serait à transcrire presque en entier, tant il est
plein d'observations qui sont excellentes pour la science expérimentale. Les limites
de cet ouvrage nous obligent à nous borner aux passages suivants : « (p. 58) Mais
à travers ces crises ministérielles plus fréquentes, on trouve l'homme le plus rusé,
le plus énergique ou le plus fourbe, qui met à profit les inépuisables ressources du
gouvernement; qui se crée de plus fortes attaches dans la presse, avec un plus
savant emploi des fonds secrets qui se montre plus arrangeant et plus expert pour
;
lèges électoraux, enregistre, collectionne, forme des dossiers des tares (p. 59) d'adver-
saires et d'amis, de manière à pouvoir les dominer et même les faire chanter à l'oc-
casion qui plante des jalons à la Cour
; ; et qui réussit ainsi à se montrer habile,
omnipotent, indispensable, et à se constituer une raison de domination presque
absolue, laquelle, sous une forme de dictature plus ou moins dissimulée, se pro-
longe pendant des années, sous son nom et sous celui de ses substituts... En atten-
dant, tout ce qui peut et doit venir à la lumière dans ce jeu de combinaisons et d'ex-
pédients, la forme visible que doivent prendre ces démêlés et ces embûches pour se
concrétiser, s'expliquer et se dissimuler, la façon dont les divers intérêts doivent se
colorer, se combattre et s'accorder aux yeux du public, tout cela est donné par le
débat parlementaire, par l'usage qu'on y fait de la parole... La parole est le moyen
de capter la faveur du public [d'une façon générale, la dérivation est le moyen
d'émouvoir les sentiments] et d'attirer comme de distraire l'attention, et encore plus
le moyen de simuler et de dissimuler, de blesser et de défendre. Tout cela, avec la
conscience ou la semi-conscience que ce tournoi est au fond comme une cérémonie
et une représentation. A les interroger, tous disent que les discours ne changeront
pas une situation [ils reconnaissent praizçwfmen; ce que nous avons exposé f/ié?o?'z-
quement dans le présent ouvrage], et qu'ils ne déplaceront pas un vote et ne tire-
ront pas de l'huile d'un mur. Pourtant on fait des discours et parfois des discours
intéressants [depuis que le monde existe, on fait usage des dérivations]. Les naïfs
peuvent, quelquefois aussi, se faire illusion sur leur effet immédiat, tandis que les
hommes de foi s'illusionnent ou se réconfortent en pensant que tout finit, dans la forme
§ 1713 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1049
à l'historien futur pour répéter le mot sur Rome que Salluste met
dans la bouche de Jugurtha \ De temps en temps éclate un « scan-
dale», comme celui des banques en Italie, du Panama en France.
On fait une enquête qui, à défaut d'autre chose, sert à faire croire
au public que c'est une exception, alors qu'au contraire c'est la
règle puis les eaux agitées reprennent leur tranquillité accoutu-
;
ajoutent que cela n'ôte rien à l'utilité qu'il y a à ce que leurs amis
où il se manifeste (p. 60) mais en définitive, rien ne se perd... Mais la grande majorité
;
des orateurs parlementaires sentent, consciemment ou non, qu'ils font leurs discours
à la Chambre, comme l'acteur joue son rôle au théâtre... » N'oublions pas le ministre
Rouvier qui, aux accusations qu'on lui adressait, à propos de l'argent extorqué à la
compagnie du Panama pour un usage politique, répondit aux députés « Si je n'avais :
pas fait cela, vous ne seriez pas ici ». On sait assez qu'en France, les grandes ban-
ques sont obligées de contribuer aux dépenses électorales du parti qui est au pou-
voir. Quelques-unes donnent aussi de l'argent au parti d'opposition qu'on estime
près d'arriver au pouvoir. Elles ont pour cela certains fonds secrets, ce qui leur
permet de nier quand les journaux dénoncent les faits.
1713^ Sallust. ; Bell. lugurth., 35 : Urbem venalem, et mature perituram, si
emptorem invenerit. — La Liberté, 16 février 1913 : « M. GoUy, qui ne mâche pas
ses mots, disait hier à ses collègues de la Chambre ,, Ah nous ne sommes guère
: !
bien notés dans le pays. Mais quand les électeurs me disent que la Chambre est
pourrie et que les députés sont des viveurs et des jouisseurs, je leur réponds Si :
les députés ne valent rien, c'est que les électeurs qui les nomment ne valent pas
davantage"». Ainsi que nous l'avons souvent remarqué, ces formules littéraires
employées pour décrire un phénomène ont l'avantage d'en donner une image vive,
qui toutefois n'est pas précise et dépasse les limites de la vérité expérimentale.
1713 6 Voir, par exemple Tommaso Palamenghi-Grispi Giolitti. Saggio storico-
: ;
assises de l'Yonne jette un jour lamentable sur nos mœurs politiques départemen-
tales... Dans le petit chef-lieu de canton de Goursons-les-Garrières, deux listes sont
en présence à l'occasion des dernières élections municipales celle du maire sortant,
;
ment fidèles à leurs devoirs professionnels. Ce n'est pas exact. Le placement des
enfants assistés est un procédé connu, cyniquement pratiqué, souvent avoué, de
pression électorale et l'Assistance publique, dirigée par un des grands francs-
:
maçons de l'époque, est devenue une simple officine politique... Ce jeune homme a
agi dans l'un de ces moments où l'on ne discute pas, où on laisse parler l'instinct,
dans ce qu'il a parfois de plus spontané et de plus respectable. Dans une circons-
tance analogue, je crois bien que tout le monde aurait agi comme lui. Mais ce n'est
pas de cela qu'il s'agit, et il y a des conclusions à tirer de ce drame. Les débats
ont révélé que les passions politiques étaient poussées jusqu'à leur paroxysme. Il a
été établi que les partisans du conseiller général chantaient des chansons dans les-
quelles le père Jobier était traité de choléra, que plusieurs d'entre eux ne se gênaient
pas pour dire ,, Il faut tuer les Jobier
:
". D'autre part, le procureur de la Répu-
blique a représenté le chef de cette dynastie comme un assez vilain merle, comme
un vieillard tyrannique et dévoré d'ambition. Pourquoi donc tous ces gens-là lut-
taient-ils avec tant d'acharnement? Pour des opinions? Pas du tout; ils avaient la
même Ils étaient radicaux-socialistes les uns et les autres, et il paraît même que
!
le plus à gauche était le conservateur... des hypothèques. Ils luttaient tout sim-
plement pour la possession du pouvoir, pour la possession de lar mairie. Mais c'est
une corvi'^e, la mairie C'est entendu mais, dans un régime qui a été façonné de
! ;
telle sorte qu'il faut être tyran ou tyrannisé, la mairie, c'est aussi la forteresse
d'où l'on exerce avec sécurité ses déprédations. C'est le burg féodal où l'on case
ses vassaux et où l'on entasse ses rapines. C'est l'arche sainte du clan et de la
tribu. L'avoir ou ne pas l'avoir, c'est être ou ne pas être ». Ces deux faits ne sont
que des types de milliers et de milliers d'autres semblables, qu'on observe en
France et en Italie.
17142 Le Giornale d'Italia, 10 octobre 1913, donne la liste des revenus profes-
sionnels des députés, empruntée à la Riforma Sociale. Il y a 22 avocats avec un
revenu de 10000 fr. et plus; le plus gros revenu est de 30 000 fr... Viennent ensuite
42 avocats, qui gagnent de 5000 à 9000 fr. 42 autres avocats gagnent de 2000 à
4800 fr. 21 autres avocats ne gagnent que 700 à 1900 fr. (pauvres gens !). 7 autres ne
figurent pas aux rôles de la fortune mobilière. Il y a 17 médecins. « Les autres
revenus n'y sont pas représentés. Un seul touche 10 000 fr. trois autres atteignent
;
6000 et plus. De là, on descend tout à coup au-dessous de 4000, jusqu'à un mini-
1052 CHAPITRE XI § 1715
mum de 1000 fr. ». Ingénieurs et architectes « Ils sont peu nombreux, et parmi
:
eux un seul a un revenu important (25 000 fr.) ». Plusieurs des députés mentionnés
dans la liste sont très connus, et tout le monde sait qu'ils retirent de leur profession
beaucoup plus que la somme déclarée le double, le triple et peut-être même le
:
quintuple. On peut faire des observations analogues pour les sénateurs. Comment
se fait-il donc que les parlementaires puissent faire accepter la déclaration de
ces revenus pour le paiement de l'impôt? Un correspondant du même journal
(12 ocbre 1918) va nous le dire : « A propos de la reproduction que nous avons don-
née des résultats de l'intéressante enquête que la Ri forma sociale publiera dans
son prochain numéro, M. Antonio Gorvini, président du Comité provincial de Rome
des employés aux contributions directes, écrit une lettre dont nous donnons les
passages importants. La voici : ,, Les agents des contributions, dans l'accomplisse-
ment de leur tâche difficile, n'ont eu et n'ont pas de faiblesses ou de craintes révé-
rencielles pour les députés et les sénateurs. Si donc, pour beaucoup d'entre eux, il
faut regretter une taxation trop basse, c'est en divers systèmes et chez d'autres per-
sonnes qu'il faut rechercher et déplorer la faute. Il faut savoir, en efiet, que si l'agent
propose la détermination du revenu dans une mesure donnée, le contribuable peut
recourir à des commissions spéciales, qui sont les juges de la controverse, les-
quels ne sont pas toujours d(''pourvus de passions ni désintéressés. Malheureuse-
ment, en Italie, ces commissions communales et provinciales émanent directement
des partis locaux, lesquels, à leur tour, ne sont que l'expression de monsieur le
député, ou de monsieur le sénateur, qui, parce fait, même sans l'angélique bonté de
l'agent des contributions, obtiennent tout ce qu'ils veulent ou croient être justice à
leur égard. C'est là un défaut commun à toute l'organisation administrative de notre
pays l'autorité politique qui s'impose et se
: superpose aux organes du pouvoir exé-
cutif"...». A la Chambre, dans la séance du
25 juin 1914, l'honorable E. Chiesa
rappela que plusieurs députés payaient l'impôt de fortune mobilière sur un revenu
évidemment inférieur à la vérité. On lui répondit par des propos malveillants ou
des observations entièrement étrangères au sujet, mais personne n'osa nier, ou
seulement mettre en doute la vérité des faits.
^ 1715 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1053
tions sont différents, c'est d'abord que les temps se sont faits plus
doux pour la répression de tous les délits, et que, si le désir ne
manque pas aux inquisiteurs modernes, le pouvoir leur fait défaut,
au moins en partie \ D'autre part, la police est aujourd'hui mieux
d'exercer une influence calmante sur le public, au lieu d'en être le modérateur, le
journal spécule sur l'émotivité des lecteurs. Ainsi, il me semble qu'il donne un
relief excessif à tout ce qui est dramatique, passionnel, romantique, aux procès, aux
assassinats, même s'ils ont lieu à l'intérieur de la Chine ou de la Patagonie ». On
pourrait observer qu'une hirondelle ne fait pas le printemps, et qu'il n'y a pas lieu
de faire cas des fantaisies qui peuvent passer par la tête d'un esprit bizarre. Mais à
l'occasion de ces plaisantes inventions du commandeur Galabrese, une enquête fut
faite par le Carrière d'Italia, et beaucoup de personnes d'autorité, tout en diver-
geant d'opinion d'avec le commandeur Galabrese sur les moyens, partageaient son
avis sur le but à atteindre. Les hirondelles étaient donc tout un vol. Pour ne pas trop
allonger cette note, nous nous bornerons à citer l'opinion du sénateur Filomussi-
Guelfi, professeur de philosophie du droit « Mon œuvre de philosophe et de juriste
:
pour nous l'Espagne et le régime espagnol en un mot, elle a une efficacité toujours
;
dont vraiment la vie appartient maintenant à l'histoire. Si l'on prenait l'article pour
ce qu'il était, c'est-à-dire politique, on ne pouvait saisir le journal et si on voulait ;
analyse, quoique fort incomplète sous le double rapport des incidents et des détails
scandaleux qui animent l'action, suffira néanmoins pour indiquer tout ce que cette
pièce a de choquant au point de vue de la morale et de la pudeur publiques. C'est
un tableau dans lequel le choix des personnages et la crudité des couleurs dépassent
les limites les plus avancées de la tolérance théâtrale». Et pourtant, aujourd'hui, on
joue ce drame partout sans le moindre inconvénient. L'histoire de la Dame aux
Camélias est un exemple remarquable des efforts que tentent parfois les gouverne-
ments pour agir sur les mœurs en s'attaquant aux dérivations, et de la parfaite ina-
nité de cette œuvre (| 1888). Hallays-Dabot ; lac. cit. % 1749' : «(p. 15) La Dame
aux Camélias longtemps interdite. Elle ne put être représentée qu'à la faveur
fut
d'une révolution. Le coup d'Etat du 2 décembre et l'avènement de M. de Morny au
ministère décidèrent de son sort. Aujourd'hui [en 1871] le public est familiarisé avec
le spectacle du monde interlope qui, depuis dix-huit ans, a envahi et, pour ainsi dire,
absorbé le théâtre... Mais il y a vingt ans le vice avait des allures moins effrontées
et plus casanières il gardait jusqu'à un certain point la pudeur de sa dégradation.
;
Les réhabilitations sans nombre du drame et du roman ne lui avaient point fait
un piédestal ». Il faudrait dire, en intervertissant les termes, que les changements
des mœurs avaient provoqué l'éclosion des drames et des romans. L'auteur nous en
donne lui-même des preuves dans son ouvage cité | 1747 '. Après thermidor
« (p. 196) la censure laisse s'opérer dans les spectacles un mouvement de réaction
des plus prononcé. Le théâtre, suivant toutes les fluctuations de l'opinion et tous les
revirements de la politique, sera tantôt royaliste, tantôt républicain, selon le parti
qui tiendra le pouvoir. » « (p. 220) La censure, sous l'Empire [de Napoléon l"],
était secondée par le public dans son travail d'épuration morale des théâtres. Il
s'était fait une singulière réaction. Après toutes les débauches d'imagination, après
§ 1715 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1055
tous les dévergondages d'esprit qui s'étaient produits sur les théâtres parisiens
pendant plus de dix années, la lassitude et le dégoût s'étaient emparés des specta-
teurs se laissant emporter rapidement sur une pente contraire, ils en étaient arri-
;
vés à une pudibonderie intolérante [comme les vertuistes de nos jours]. Les gens
éclairés gardaient toutes leurs admirations pour les grandes douleurs tragiques, le
peuple n'avait d'oreilles que pour les lourds et larmoyants mélodrames. On ne vou-
lait plus rire. Il est curieux de voir les censeurs s'inquiéter de cette pruderie des
spectateurs ». La Dame aux Camélias a été la laète noire de bon nombre d'auteurs,
qui s'imaginent que la morale peut être imposée par la suppression de certaines
dérivations. — Mémoires du comte Horace de Viel Gastel, t. II, mercredi
11 février [1852] : « (p. 34) .J'ai assisté hier à la représentation d'un drame d'Alexandre
Dumas joué au Vaudeville. Les théâtres sont soumis à la censure établie pour
fils,
les forcer à respecter la morale, la pudeur publitjue, les bonnes mœurs [dans ses
mémoires, Viel Gastel décrit ces bonnes >nœurs de son temps comme fort
mauvaises]. La Dame aux Camélias, le drame d'Alexandre Dumas fils, est une
insulte à tout ce que la censure devrait faire respecter, (^ette pièce est une honte
pour l'époque qui la supporte [c'est ce que répètent, pour d'autres productions, nos
vertuistes contemporains], (p. 35) pour le gouvernement qui la tolère, pour le public
qui l'applaudit [on a dit cela aussi du publie qui applaudit le Phalène et d'autres
semblables productions dramatiques] ...Toute cette pièce sue le vice et la débauche •
tous les acteurs en sont monstrueux, ceux-mêmes sur lesquels l'auteur a voulu
répandre de l'intérêt sont ignobles... Il n'y a pas à analyser une telle turpitude,
c'est ignoble, mais le spectacle que présente la salle l'est encore plus... (p. 36) La
police, le gouvernement tolèrent tous ces scandales, ils semblent ignorer que c'est
ainsi qu'on achève la démoralisation d'un peuple». En 1913, l'Académie française
refusa de prendre part à la fête du bicentenaire de Diderot. Rendons-lui grâce de
ce qu'elle ne réclame pas qu'on brûle les œuvres de cet écrivain, et qu'on mette en
prison quiconque les préfère aux ouvrages insipides de plusieurs académiciens.
17153 II est les hommes pratiques, lorsqu'il ne s'agit pas de
remarquable que
leur propre voient à l'occasion très clairement ces phénomènes. Bismarck Pe)i-
foi, ;
foi religieuse, il ne peut jamais être opposé d'autre (p. 184) argument par le conser-
vateur au libéral, par le royaliste au républicain, par le croyant à l'incrédule que ce
thème rebattu dans les mille variations de l'éloquence [il y a, dans cette observation,
le germe de toute la théorie des résidus et des dérivations] ,,Mes convictions poli-
tiques sont justes et les tiennes sont fausses ma croyance est agréable à Dieu, ton
;
incrédulité mène à la damnation ". Il est donc explicable que des guerres de reli-
gion sortent des divergences d'opinions religieuses et que les luttes politiques des
1056 CHAPITRE XI § 1716
en trouvera un très grand nombre qui cherchent le moj'en d'être utiles aux délin-
quants, de réaliser leur «relèvement moral », d'inventer de nouvelles mesures en
leur faveur, telles que la «loi du pardon», la condamnation conditionnelle, la libéra-
tion conditionnelle, la non-inscription de la condamnation au casier judiciaire, et
ainsi de suite. Qu'on cherche ensuite les livres et les opuscules ayant pour but de
sauvegarder les honnêtes gens des assassinats, des vols et d'autres délits, et l'on
n'en trouvera que peu, très peu. La non-inscription de la condamnation au casier
judiciaire est un excellent moyen d'induire en erreur l'honnête homme, qui prendra
chez lui l'honorable malfaiteur ou l'emploiera d'une façon quelconque, et lui permettra
ainsi de renouveler ses louables exploits. Mais cela importe peu le désir d'être :
utile au malfaiteur, d'en protéger Tintégrité personnelle, domine toute autre considé-
ration. — Union Suisse pour la sauvegarde des Crédits, à Genève. Rapport du
'^3 février 1910 « (p. 34) Nous avons eu plusieurs fois déjà à signaler dans nos
:
rapports la position difficile qui nous est faite au sujet des antécédents judiciaires.
Les négociants qui sont sur le point d'entrer en relations avec quelqu'un pour de
l'emploi ou pour autre chose exigeant qu'on puisse avoir entière confiance, veulent
savoir à qui ils ont affaire. D'autre part, les juristes écrivant sur la question pré-
tendent que les méfaits ne doivent plus leur être rappelés, et leur point de vue est
admis aussi par des personnes généralement en dehors des affaires, qui s'occupent
de sociologie et de patronage. Il n'y a guère moyen de s'entendre, les uns, les com-
merçants, étant exposés à souffrir en donnant sans le savoir la préférence au candi-
dat qui a des antécédents tandis que les autres, généralement des gens de profes-
:
sion libérale, ne sont jamais appelés à prendre les intéressés à leur propre service».
1710 2 A. Bayet Leçons de Morale, dans la collection Aulard «(p. 114) Certaines
; :
personnes prétendent qu'il est permis de voler les gens très riches qui possèdent
une grande fortune, bien qu'ils n'aient jamais travaillé... Ceux qui parlent ainsi
ont tort. Sans doute il n'est pas juste [ces termes et les suivants sont soulignés
par l'auteur] qu'on puisse être riche sans travailler il n'est pas juste non plus que
;
ceux qui travaillent soient pauvres, et tout le monde doit désirer que cela change.
Mais pour que cela change, il suffit d'élire des députés et des sénateurs qui soient
les amis des travailleurs pauvres et ces déiiutés feront des lois pour que chacun
;
soit plus ou moins riche, selon son travail. En attendant, il ne faut pas voler les
gens riches ». On prendra bien garde que le motif qui doit détourner de faire cela
SOCIOLOGIE 67
1058 CHAPITRE XI ï^ 1716
ment ce qu'on pourra bientôt obtenir de la loi. L'opinion exprimée dans le manuel
de Bayet est importante, parce que ce manuel est généralement en usage dans les
écoles primaires, en France, et parce qu'on a proposé une loi pour punir d'une
peine de six jours à un mois de prison et d'une amende de 16 fr. à 300 fr. ceux qui
oseraient blAmer trop ouvertement l'enseignement de l'école laïque. G. Berthou- —
LAT, dans La Liberté, 10 novembre 1912, dit en parlant de cette loi proposée par le
ministre Viviani « En somme, M. Viviani, fougueux libertaire, supprime froide-
:
« Suivez-la un peu dans son jeune âge son enfance n'a été éclairée par aucune
:
affection de famille, par aucune éducation, par aucun sentiment élevé. Le profes-
seur P. a dit que le sens moral lui fait défaut. Et comment l'aurait-elle ? Elle
ne peut posséder ce sens, si elle manque de tous les éléments qui sont nécessaires
à le développer et aie faire évoluer. Dans la vie, elle a trouvé toujours des obstacles
h tout ce qui était ses sentiments intimes mais non encore développés, et par con-
séquent elle n'a connu que l'idéal (sic) de la société, mais non l'amour. Elle est
tombée comme tombent toutes les femmes et tous les hommes qui ont vécu comme
elle. Il existe en elle un grand nombre de signes anthropologiques de dégénéres-
cence ; ils ont une valeur limitée. Il est très probable cependant, qu'ils ont une
part dans le genre de vie de la Villespreux et son impulsivité est précisément en
;
rapport avec ce faible développement du sens moral, qui est la meilleure expression du
sentiment {sic). Le sens moral implique pourtant un grand respect envers la société
et un grand amour. Quel respect et quel amour pouvait avoir la Villespreux pour la
société? Qu'avait-elle eu de celle-ci? Généralement, le sens moral tait défaut tou-
jours [sic] par la faute de la société, c'est-à-dire par un effet biologique. On sent
en elle aussi l'hystérie, et précisément en ce sens large, comme dit le professeur P.,
§ 1716 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1059
qu'elle la rend cliangeante en toutes ses idées, parce qu'il n'y a pas d'organisation, et
que ses produits mentaux sont précisément le résultat de cette désorganisation ». Donc,
c'est entendu chaque fois que le sens moral fait défaut à quelque délinquant, c'est
:
la «faute» de dame «Société» :mais est-ce aussi sa faute, si le sens scientifique fait
défaut dans les discours des experts? (| 1766 '). L'expert de l'accusation, lui aussi,
parlait de tout autre chose que de science médicale, tant et si bien qu'il fut remis
à l'ordre par le président :«J'aurais voulu ne pas prendre part à cette discussion ;
mais puisque je n'ai pu obtenir d'en être dispensé, je suis contraint de vous faire
préalablement un tableau qui fasse ressortir la ligure morale de celte malheureuse,
et qui mette dans sa vraie lumière l'ambiance dans laquelle elle a vécu. Vous avez
entendu comment elle a été élevée par une certaine Giordano, qui la gardait en sa
maison et lui tenait lieu de marâtre. Cette femme n'avait aucune des tendresses
maternelles, et souvent, la pauvre Farneris souffrait de jeûnes et de mauvais traite-
ments de tout genre, sentant la honte ignominieuse de n'être qu'une bâtarde. — Pré-
sident. Mais, prof. P., vous ne pouvez continuer ainsi, parce que vous devez nous
dii-e de quelles preuves vous avez tiré ces éléments. —Prof. P. Mais, monsieur le
Président... — Prés. Non, non, vous ne pouvez continuer ainsi. Vous devez nous
dire sur quels faits vous vous fondez. — Prof. P. Mais ces faits sont résultés des
débats. Il m'importe que vous ayez un tableau complet de l'accusée. — Prés. Mais
cela ne peut être permis que sur la base de faits assurés. —
Prof. P. Bien, laissons
de côté les premières années. Nous savons qu'à treize ans, elle se trouva désempa-
rée, et tout secours et tout guide lui fit défaut sur le chemin de la vie. Elle se
trouva ainsi seule au milieu de la société, et dès le premier jour, elle se recom-
manda à une amie, pour qu'elle la fît aller en France, à la recherche d'un oncle
maternel. Mais cela, elle ne put l'obtenir. Elle se rendit, au contraire, à Turin, où
elle trouva de l'emploi comme temme de chambre. Mais la Farneris n'avait rien de
la femme de chambre. — Prés. Mais "ces choses, qui vous les a dites ? — Prof. P.
La Farneris. — Prés. Bien. — Prof. P. (continuant). La patronne était très vio-
lente. Un jour, elle jeta un chandelier contre la Farneris. Celle-ci s'échappa de la
maison, et rencontra un homme dans l'escalier. —Prés. Mais cela, vous ne pou-
vez pas le dire. Comment continuer ainsi? » — Reste ensuite à savoir pourquoi il doit
être permis à ces gens, auxquels, par la «faute» de la «Société», le sens moral fait
défaut, de se promener librement par le monde, et de tuer qui bon leur semble, fai-
sant ainsi payer à un seul la «faute» qui est celle de tous les membres de la
«Société». Si du moins messieurs les humanitaires voulaient permettre que ces
excellentes personnes, auxquelles, par la « faute» de la «Société», le sens moral fait
défaut, fussent contraintes de porter quelque insigne bien visible sur leur vêtement,
les gens pourraient les éviter, quand ils les verraient venir. Le fait raconté tout à
l'heure a un épilogue. La « Société » si coupable envers la Farneris, racheta sa
faute, au moins en partie, en la pourvoyant d'experts qui surent si bien la défendre,
et de jurés qui, pour faire justice, l'acquittèrent entièrement. De plus, le président
du tribunal lui fit, après l'acquittement, une belle allocution paternelle, l'exhortant
à se « racheter par le travail». Afin de lui donner le moyen de le faire, d'excellentes
dames du beau monde vinrent la prendre en automobile, pour la conduire dans un
refuge. Il est de pauvres mères de famille qui préfèrent élever honnêtement leurs
enfants, au lieu de s'adonner à la vie joyeuse en accusant la « Société». Si quel-
qu'une d'entre elles a entendu et vu tout cela, elle a peut-être pensé que dans les
«fautes» de la «Société», à quelque chose malheur est bon et si elle a entendu et
:
en poussant des cris éperdus de Allah ou Allah ou ! Dans un délai plus ou moins
: !
long, ceux qui se livrent à ces exercices rotatifs et tumultueux tombent en un pieux
délire; ils voient les jardins et les sources fraîches du paradis de Mahomet et les
houris qui attendent les fidèles. Chacun peut se rendre compte, en effet, que, après
avoir suffisamment tourné et hurlé, on doit voir à peu près tout ce qu'on veut. De
même, quand on a abondamment trépidé et crié à propos d'un procès quelconque,
sur lequel on ne possède que des iiolions vagues, il semble infiniment probable
qu'on se trouve dans un état de béatitude où toutes les hallucinations sont possibles :
c'est la forme laïque de l'extase, la seule qui convienne à des esprits scientifiques
et émancipés de toutes superstitions surannées. L'unique question intéressante serait
maintenant de savoir si M""= Lafarge constitue un bon sujet pour la culture des
crises extatiques. Nous n'en sommes pas sûrs. D'abord, elle est morte depuis long-
temps on possède d'elle à peine quelques portraits qui nous la montrent habillée
;
selon des modes désuètes et puis, il sera difficile de déchaîner, à proi30s de ses
;
vations contradictoires qu'on fait usage des deux que nous venons de
citer; il doit y avoir quelque motif; ce motif ne peut être que d'agir
sur les sentiments de celui qui écoute la dérivation. 11 est vrai
qu'elle manifeste certains sentiments, mais elle a aussi pour but
d'agir sur certains autres. Ici, il n'y a pas de doute quant aux sen-
timents sur lesquels on veut agir. Pour la première dérivation, ce
sont ceux qui correspondent aux intérêts de la partie pauvre de la
population, et dans ceux-là déjà, il y a une notable proportion de
sentiments d'intégrité individuelle. Pour la seconde dérivation, il
peut y avoir, chez certains politiciens, le désir d'obtenir la faveur
de quelques délinquants ' qui sont d'excellents agents électoraux,
de son affaire aurait pu (''veiller l'attention de ceux qui s'intéj-essent à l'histoire des
mœurs et aux études de psychologie. C'était déjà là un groupe restreint. La revision
de son procès, menée à coups de meetings, n'attirera plus que quelques intellec-
tuels de l'anarchisme, — mince phalange d'autant plus mince que ces intellectuels
:
ont vraiment, dans les faits de notre vie quotidienne, d'autres occasions autrement
palpitantes d'exercer leurs facultés et de s'échauffer le tempérament. En ce moment
même, (juelques-uns d'entre eux ont déjà fondé une association qui a pour l)ut d'ac-
corder à tout citoyen le droit de transformer son habitation en lieu d'asile pour les
assassins et les cambrioleurs, dès l'instant où ceux-ci font profession d'anarchie.
Par le temps qui court, avec la parfaite sécurité dans les rues que nous a value l'éner-
vement de la répression pénale, il n'y a évidemment pas d'idée plus opportune il ;
est excellent que les protecteurs et amis des plus redoutables escarpes sachent que
la loi les protège et qu'ils ne peuvent être incjuietes par la police. Et, comme un de
ces philanthropes au moins se trouve actuellement sur les bancs de la cour d'as-
sises, sous prévention de complicité dans un assassinat, on comprend, si le jury le
déclare coupable, à quel point ce sera une besogne plus urgente de réhabiliter ce
sympathique personnage, que de s'occuper de M""= Lafarge et de discuter la quan-
tité d'arsenic contenue dans les viscères de son mari » !
1716 Les faits qu'on pourrait citer sont en nombre infini. En voici deux comme
1»
rétréci le cercle des sévérités pénales autour de quelques têtes qui avaient surgi en
trop évidente clarté dans la flambée des châteaux et des celliers, il lui restait à
sauver les derniers soldats de l'émeute condamnés par les tribunaux de la Marne et
la Cour d'Assises de Douai. G'est fait. Plus un éventreur de tonneaux, plus un pil-
lard n'est enfermé dans les geôles de la Répul)lique. M. le sénateur *** a payé aux
émeutiers la dette de sa reconnaissance politique... Ge fut un douloureux calvaire
judiciaire que l'instruction de ces troubles et de ces crimes. Par ordre, la procédure
fut communiquée le 20 mai 1911 à M. le garde des sceaux, qui était alors M. Per-
rier les pièces ne retournèrent au parquet que huit ou dix jours après, puisque l'or-
;
donnance du juge d'instruction n'a été rendue que le 3 juin. En quel état le dossier
fit-il retour au greffe du parquet de Reims? Le gouvernement, qui avait empêché
et jette à l'intérieur des sarments enflatumês [c'est l'auteur qui souligne ce passage
et les suivants]. Le feu s'est déclaré aussitôt et la maison a été consumée. Le second
est accusé du crime de pillage dans les maisons... Le drapeau rouge à la main, il
guide les émeutiers vers les portes de ces maisons qui sont enfoncées. Le troi-
sième s'acharna pendant deux heures à la destruction du coft're-fort de la maison
Bissinger. Après l'avoir défoncé à l'aide d'une pince en fer, il b)-icla les titres, les
pièces de comptabilité et tous les papiers de commerce. Le quatrième a également
pris part au sac de la maison Bissinger. Le cinquième sonne le tocsin pour donner
§ 1716 PUOPRIÉTÉS DES RÉSIDUS KT DES DÉRIVATIONS 1063
sont commis à Hautvilliers, à Gumières, etc. ». C'est là la monnaie dont les politi-
ciens paient leurs électeurs, précisément comme autrefois les chefs de bandes
payaient leurs hommes.
1716 6 Laissons de côté certains procès comme celui de la Sleinheil, où l'accusée
jouit de hautes protections ou de complicités politiques. Ceux-là sont étrangers aux
sujets. Mais en d'autres procès, oîi ces protections ou complicités n'existent pas, ou
voit l'accusé le prendre de haut avec le président de la Cour d'assises. Parmi beau-
coup d'exemples, le suivant suffira. En février 1913, eut lieu, devant la Cour d'as-
sises de la Seine, le procès de la bande de malfaiteurs connue sous le nom de
bande Bonnot et Garnier. Voici quelques fragments de l'interrogatoire des accusés :
« D. (Président) Vous êtes poursuivi dans votre pays à l'occasion de vos idées.
— R. (Callemin, dit Raymond la Science). Vous avez dit qu'il ne s'agissait pas ici
d'un procès politique, et vous ne parlez que de politique et d'anarchie. — D. Vous
voulez dire que je manque de logique. Cela m'est égal. Je conduis mon interroga-
toire comme il me plaît. —
R. Eh bien, je ne vous répondrai pas, quand cela me
plaira, voilà tout —
D. C'est votre affaire.
! —
En fait, Callemin laisse passer quel-
ques questions sans fournir de réponse». Suivent d'autres demandes, auxquelles
l'accusé répond avec l'insolence habituelle, et après l'une d'elles, « comme le prési-
dent conteste la véracité de cette explication, Callemin s'emporte. Le Président.
Je fais mon devoir! —
Calletnin. Pas de la bonne façon. Un individu a écrit:
,, un chat un chat et Rollet un fripon". Vous agissez, vous, avec la plus
J'appelle
entière mauvaise foi. — Président. Vos injures ne m'atteignent pas. Continuons».
En d'autres temps, on aurait procédé séance tenante à la répression des injures aux
magistrats. A un certain point de l'interrogatoire d'un autre accusé, l'avocat inter-
vient aussi pour remettre à l'ordre ce pauvre président. « Comme dans la salle se
font entendre quelques rumeurs dont il est impossible de préciser le sens, M. le
président Coninaud s'élève contre cette manifestation: ,,Je ne veux pas qu'on
manifeste contre les accusés". —
,, C'est contre vous qu'on manifeste", réplique
M. de Moro-Giaiïeri. Nous avons un public d'une générosité [sic, non pas imbécil-
lité] admirable. — ,,Je ne veux pas", reprend M. Coninaud, ,, qu'on manifeste
ni pour moi, ni pour ni contre vous"». La vérité nous oblige d'ajouter que le
président ne fut pas conduit en prison par les gendarmes.
1064 CHAPITRE XI § 1717-1718
bilité).
les dérivations. Une figure fera mieux comprendre les rapports en-
tre les classes et les genres de résidus. Le mouvement, dans le
Fig. 24.
2° que cette ligne oscille, à son tour, autour de la ligne AB. En d'autres termes, il y
A '^
la statistique, on observe, en général, que les courbes simples qu'on obtient succes-
sivement ne vont pas en se rapprochant d'une manière uniforme de la courbe réelle.
Imprécision commence d'abord par augmenter rapidement; ensuite il y a une période
1066 CHAPITRE XI § 1719-1719 bis
voit que les indices de précision croissent rapidement jusqu'à celui qui correspond à
A3 ensuite ils croissent beaucoup plus lentement. Dans le cas que nous examinons,
;
on trouve donc que sur la population agit un premier groupe de forces, qui donnent
au phénomène la forme indiquée par. les quatre premiers termes de la formule (2);
les autres termes représentent des perturbations, des irrégularités ». On trouvera
d'autres exemples dans la suite (% 2213 et sv.).
1719 bis 1Ces sentences ont donné lieu à beaucoup de paradoxes et de fantaisies
littéraires ; souvent elles ont été entendues dans le sens qu'il n'y a pas de faits nou-
§ 1719 bis PKOPRIKTKS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1067
est oublié». Parmi les nombreux exemples qu'on pourrait citer, de fantaisies litté-
raires, le suivant suffira. Emile Bergerat Théophile Gautier. Entretiens, souve-
;
et la voix du cœur est la même dans tous les temps. Il en est ainsi de tous les
poètes. Lorsque Racine imite Homère, il suit aussi le même mouvement de phrase,
quoique sa poésie soit empreinte (p. 71) des mœurs de son siècle, et qu'on y
retrouve toutes les idées d'une société différente ». A propos des vers 11(3-117 du
V« chant, l'auteur cite des imitations de Virgile et de Boileau, et il ajoute « (p. 230) :
Virgile et Boileau ne parlent point des cuisses des brebis et des chèvres, ni de la
graisse qui les recouvre; leurs idées sont celles de leur siècle. Mais ils prennent à
Homère tout ce qui tient à l'expression de l'âme ; voilà la véritable imitation, la
1068 CHAPITRE XI § 1720-1721
pour y développer leurs rêveries. Mais ils atteignent ce but à peu près comme
l'homme qui s'imagine que le soleil se plonge chaque soir dans l'Océan, arrive à se
rendre compte du mouvement des corps célestes.
§ 1722 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1069
que chez deux peuples les résidus de la P classe (instinct des com-
binaisons) soient d'égale force, et les résidus de la IP classe (per-
sistance des agrégats) de force inégale. Pour innover, le peuple
chez lequel les résidus de la IP classe sont le moins forts fait
table rase du fond et des noms des agrégats P, Q, R,..., et y substi-
tue d'autres agrégats et d'autres noms le peuple chez lequel les
;
tance.
1070 CHAPITRE XI 5^ 1723-1726
dividu).
1724. Diviser la société en deux couches, dont l'une est appelée
inférieure, l'autre supérieure, nous rapproche un peu plus de la
réalité,que considérer la société comme homogène toutefois, nous ;
l'étude que nous avons en vue, nous devons remettre à plus tard
cette recherche (§ 2025 et sv.).
de la cité, un brave agriculteur. « (918) Il n'est pas de belle apparence, mais c'est un
homme viril (919), qui fréquente peu la ville et le cercle de la place publique, (920)
un de ces paysans qui seuls sauvent leur pays... ». Aristote aussi parle longuement
d'un semblable sujet.
§ 1727-1728 FROPRIKTÉS DES MKSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1071
1728 X) Cyrill.
1 Coiitra Iulianum, 1. IV
; «(p. 143) (l'est pourquoi nous
:
disions donc que si Dieu n'avait pas assigné à chaque peuple un gouverneur qui
fût son sujet [à Dieu], ange ou démon, préposé à la réglementation et à la protection
d'un genre particulier d'âmes, de façon à pouvoir établir des différences dans les
lois et les mœurs, en ce cas il faudrait nous expliquer de quelle autre cause cela
peut tirer son origine». L'empereur discute avec ceux qui voulaient expliquer par
1072 CHAPITRE XI § 1729-1730
Libyens et des Ethiopiens, peut-on attribuer cela à un simple ordre, sans que ni
l'air, ni la situation de la terre et les dispositions du ciel y aient part?» Saint
Cyrille répond que les chrétiens attribuent comme causes à la différence de la vie
et des mœurs, des tendances de la volonté et les enseignements des ancêtres.
§ 1731 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1078
même quand on dit que le change des monnaies d'un pays dépend
de l'état des dettes et des créances de ce pays avec l'étranger, on met
en rapport deux entités abstraites, qui n'ont pas d'existence con-
crète. Il n'y a pas un change, il y a une infinité de changes, parfois
même un change différent à chaque contrat réel. Il n'y a pas un
état des dettes et des créances il y a une infinité de dettes et de
;
Mais ici il faut se garder d'une nouvelle erreur que l'on fait faci-
lement de nos jours. La seconde manière de considérer les phéno-
mènes ne doit pas nous faire négliger la première, car toutes deux
peuvent concourir à augmenter la somme de nos connaissances.
Parce que le phénomène décrit par l'arpentage est plus concret que
celui décrit par la topographie, lequel à son tour est plus concret
que celui dont s'occupe la géodésie, nous ne devons pas négliger,
Abolir la géodésie, pour y substituer la topographie, qui devrait à son
tour céder la place à l'arpentage. Parce que la théorie empirique
des marées nous rapproche plus du concret que la pure théorie
astronomique, nous ne devons pas jeter celle-ci par dessus bord ^
précise de la cause des marées les considérations qu'il a développées sont de deux
:
accomplir des oscillations régies par les lois de la dynamique. Le problème des
marées exige donc l'intervention de la théorie du mouvement des liquides sur
laquelle repose l'analyse de Laplace [c'est ainsi qu'en économie mathématique, on
est passé de la théorie de Gournot aux théories modernes, et qu'on passera de
celles-ci aux théories futures]. Le livre IV de la Mécanique Céleste est tout entier
consacré à l'étude théorique, et pratique des oscillations de la mer, et l'on peut dire
que la théorie pure n'a pas subi de modifications sensibles depuis qu'elle a été éta-
blie sur ses bases par le grand analyste la (p. 11) solution générale de ce difficile
;
problème est encore à découvrir. Malgré tous les efforts des géomètres, la théorie a
été jusqu'à présent impuissante non seulement à se plier à l'infinie variété des con-
ditions terrestres, mais même à aborder la question autrement que dans les condi-
tions très simples d'un sphéroïde entièrement recouvert d'eau. Mais si nous envisa-
geons le point de vue pratique, l'analyse a été d'une extraordinaire fécondité. Le
principe général de correspondance entre les forces périodiques et le mouvement de
la mer qu'il a mis en lumière [en économie mathématique :le principe de la mutuelle
dépendance, que nous étendons ici aux phénomènes sociologiques] a servi de point
de départ pour l'étude des marées de Brest, à laquelle est consacrée la fin du qua-
trième livre et la presque totalité du treizième livre de Mécanique Céleste. C'est sur
ce même principe qu'a été fondée en Angleterre, par sir William Thomson, la
méthode de l'analyse harmonique, aussi remarquable par sa simplicité que par son
inflexible logique, et qui paraît devoir servir de couronnement à l'édifice de l'étude
empirique de la marée, en offrant le plus puissant moyen d'investigation pour la
décomposition en ses éléments du mouvement complexe de la mer ».
17312 Un même auteur peut développer la théorie dans les deux sens. Laplace;
Traité de mécanique céleste, Paris, an VII — t. II, 1. IV. Après avoir établi la
formule abstraite des marées, en de certaines hypothèses, l'auteur fait la remarque
suivante à propos d'une des conséquences de cette formule : « (p. 216) ...or nous
verrons dans la suite, que ce résultat est contraire aux observations ainsi quel-
;
que étendue que soit la formule précédente, elle ne satisfait pas encore à tous les
phénomènes observés. L'irrégularité de la profondeur de l'océan, la manière dont il
est répandu sur la terre, la position et la pente des rivages, leurs rapports avec les
côtes qui les avoisinent, les résistances que les eaux éprouvent, toutes ces causes
1076 CHAPITRE XI § 1732
furent continuées chaque jour à Brest, pendant six années consécutives, et quoi-
qu'elles laissent à désirer encore, elles forment par leur nombre, et par la grandeur
et la régularité des marées dans ce port, le recueil le plus complet et le plus utile
que nous ayons en ce genre. C'est aux observations de ce recueil, que nous allons
comparer nos formules». Nous avons là un exemple de la méthode à suivre:
ajouter, perfectionner, et non détruire (| 1732).
de vue objectif de la recherche des rapports qu'ont entre eux les faits.
1732 1 Très souvent, l'ordre chronologique des trois procédés est diff"érent de
celui indiqué tout à l'heure, dans lequel, partant du plus erroné on va au plus
§ 1732 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1077
chée de graves erreurs. Si, au contraire, instruit par les résultats de l'économie
mathématique {2b), on raisonne néanmoins en se servant de considérations de cause
à efïet, mais en tenant compte de la mutuelle dépendance, grâce à l'étude des
actions et des réactions, et en séparant les principales des secondaires, on a une
étude suivant le procédé (2a), étude qui peut se rapprocher beaucoup de la réalité.
17322 Manuel, III, 217, 218, p. 233-234. Plusieurs économistes sont tombés dans
l'erreur desupposer que les théories de l'économie pure pouvaient s'appliquer direc-
tement au phénomène concret, et Walras croyait pouvoir réformer ainsi la société.
A ce propos, voir P. Boven Les applications mathématiques à l'économie poli-
: ;
tique.
17323 Manuel, III, 228 «(p. 247) La principale utilité que l'on retire des théo-
:
ries de l'économie pure est qu'elle nous donne une notion synthétique de l'équilibre
économique, et pour le moment nous n'avons pas d'autre moyen pour arriver à cette
fin. Mais le phénomène qu'étudie l'économie pure diffère parfois un peu, parfois
beaucoup du phénomène concret c'est à l'économie appliquée à étudier ces diver-
;
nous pour cela que ce procédé est inutile? Non, parce que nous en
tirons notamment deux grands avantages. 1° Il donne à notre esprit
une image des phénomènes, image que nous ne pourrions obtenir
d'aucune autre façon. Assurément la surface de la terre n'a pas la
forme d'une sphère géométrique, et pourtant le fait de considérer
cette forme sert à nous donner une idée de ce qu'est la terre. 2° Il
nous indique la voie que nous devons suivre pour éviter les erreurs
du procédé (1), et pour nous rapprocher de la réalité. Même un si-
gnal qu'il est impossible d'atteindre peut servir à indiquer un che-
min. Nous pouvons, par analogie, transporter en sociologie les
résultats que nous donne l'économie mathématique, laquelle nous
fournit ainsi des notions que nous ne pourrions obtenir d'une autre
manière, que nous éprouverons ensuite avec l'expérience, pour
et
décider nous devons les accepter ou les rejeter. 3" Enfin, la no-
si
cédé (2/?) est donc moins directe qu'indirecte il nous éclaire, nous
;
guide et nous fait éviter les erreurs du procédé (1) ainsi, il nous
;
cher comment il était déterminé. Remarquons d'ailleurs que cette détermination n'a
nullement pour but d'arriver à ua calcul numérique des prix. Faisons l'hypothèse
la plus favorable à un tel calcul supposons que nous aj'ons triomphé de toutes
;
les difficultés pour arriver à connaître les données du problème... C'est là déjà une
hypothèse absurde, et pourtant elle ne nous donne pas encore la possibilité pratique
de résoudre ce problème... si Ton pouvait vraiment connaître toutes ces équations
[de l'équilibre], le seul moyen accessible aux forces humaines pour les résoudre, ce
serait d'observer la solution pratique que donne le marché ».
Comme nous l'avons fait voir (Encyclopédie des sciences mathémathiquesj une ,
infinité de fonctions-indices sont propres à faire voir comment est déterminé l'équi-
libre économique. Le choix qu'on en fait est une simple question d'opportunité. En
particulier, le choix des lignes d'indifférence n'a pas le moins du monde pour but
de mesurer pratiquement l'ophélimité son but est seulement de mettre en rapport,
;
avec les conditions de l'équilibre et les prix, certaines quantités, que l'on peut sup-
poser théoriquement mesurables.
Des observations analogues doivent être faites au sujet de la sociologie. Celle-ci
n'a nullement pour but de nous dévoiler le détail des événements futurs; elle n'a pas
repris la suite des affaires de l'oracle de Delphes et ne fait aucune concurrence aux
prophètes, sibylles, devins et voyantes; elle vise seulement à connaître, en général,
les uniformités qui ont existé par le passé, et celles qui ont quelque probabilité
d'exister dans l'avenir, ainsi que les caractères généraux et les rapports de toutes
ces uniformités.
1732* Ces erreurs sont très l)ien mises en lumière dans l'ouvrage de G. Sensini :
vons en déduire avec une certaine probabilité que dans les diverses
couches sociales, l'échelle de variabilité croissante mentionnée au
§ 1718 peut subsister, soit : V les classes des résidus ;
2° les genres
de ces classes ;
3" les dérivations.
Mais la variabilité est plus grande
pour les couches sociales que pour la société entière, car, pour
1732 5j|V. Pareto; Le mie idee, dans II Divenire Sociale, 16 juillet 1910 « p^l95 ) :
(
ment parlé jusqu'à présent; et nous avons fait voir que, contraire-
ment à l'opinion générale, les résidus agissent puissamment sur
les dérivations, et les dérivations faiblement sur les résidus. C'est
1737* Bayle Diet, hist., s. r. Luhienietzki, rem. (E). L'auteur parle d'une per-
;
sécution religieuse. « Je ne sai s'il y eut jamais de matière plus féconde que celle-ci
en répliques et en dupliques on la peut tourner plusieurs fois de chaque sens et
: ;
de là vient qu'un même Auteur vous soutiendra aujourd'hui que la vérité n'a qu'à
se montrer pour confondre l'Hérésie, et demain que si l'on souffroit à l'Hérésie
1082 CHAPITRE XI S 1738-1739
dira qu'il ne faut point la commettre au hazard de la Dispute, et que c'est un choc
oil elle se briseroit par rapport aux auditeurs».
s 1740-1742 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1088
collectivité très nombreuse, cet effet est souvent lent et peu impor-
tant, car, ainsi que nous l'avons vu, le total d'une classe de résidus
varie lentement et peu. Pour un individu particulier il peut être
plus rapide et plus fort. Tel est le cas cité (§ 1416) des personnes
qui, aux Indes, se convertissent au christianisme, et qui perdent la
moralité de l'ancienne religion sans acquérir celle de la nouvelle.
C'est aussi ce qu'on a pu observer en Grèce pour les sophistes
dégénérés, en d'autres cas analogues. Chez eux, certains résidus
et
vertu du post hoc propter hoc, on peut croire que c'est le fait de a
devenu A qui est la « cause » des changements de b en B, de c en C,
etc. ; et l'on arrive ainsi à supposer un rapport direct entre a et
b, c,...
faire, parce qu'il sait que Dieu punit les mauvaises actions donc ;
17441 Cette erreur était coutumière chez les gouvernements du passé, et Ton peut
encore la remarquer en des temps plus rapprochés des nôtres, en France, comme
propre au gouvernement de la Restauration et à celui du Second Empire. A cette
erreur s'en joint habituellement une autre celle de croire qu'en usant de la force
:
faisant croître une de ces religions, on agit peu sur les autres,
tandis qu'en faisant croître les sentiments de persistance des agré-
gats P, dont elles sont issues, on agit puissamment sur toutes.
Habituellement, on croit le contraire, et l'on estime que faire croître
une de ces religions est un moyen efficace d'accroître les autres.
Nous traiterons de ce sujet plus loin (§ 1850 et sv.).
1745. Mais le fait qu'une démonstration donnée de l'action
d'un résidu sur les autres est erronée, n'empêche nullement qu'il
puisse y avoir des cas où cette action existe réellement, et nous
devons la rechercher directement dans les faits. Il n'est pas facile
de la trouver, et souvent, quand on croit l'observer, il est possible
aussi de l'interpréter comme une action selon le premier procédé ;
des mœurs et la fidélité des sujets. Gela n'empêche pas que, lorsque ce sentiment
religieux est une manifestation spontanée de l'honnêteté des mœurs et de la fidélité
des sujets, il convient de ne pas l'offusquer, si l'on veut favoriser cette honnêteté et
cette fidélité (| 1753). Les gouvernements modernes qui suivent la religion du Progrès
repoussent dédaigneusement tout appui de l'ancienne religion a, pour régler la vie
civile ;mais ils lui substituent d'autres religions. Beaucoup d'entre eux sont portés à
faire jouer ce rôle à la religion sexuelle f, renouvelant ainsi une erreur commise aussi
par les gouvernements passés. On peut remarquer, en effet, que celui qui est honnête
et modéré dans les diverses manifestations de son activité, l'est aussi en celles de
l'activité sexuelle;
par conséquent, il n'est pas difficile de montrer qu'en général, pour
le plus grand nombre, l'observation des règles de la religion sexuelle f est liée à
l'observation des règles d'une religion a, de l'honnêteté b, des bonnes mœurs c, de
l'honorabilité d, etc. De là provient l'erreur de considérer f comme la cause, au
moins partielle, de a, b, c, d... C'est justement parce que cette erreur est très com-
mune, que nous avons nombre de fois apporté des preuves pour démontrer que f
n'est nullement la cause, même partielle, de a, b, c, d... A cette erreur, on en ajoute
une autre, plus grande, et qui en est proprement la conséquence. On admet
qu'en
agissant sur f, on agit de ce fait aussi sur a, b, c, d..., et l'on atteint un extrême
où, lorsqu'on s'imagine qu'en imposant par la loi l'hypocrisie sexuelle, on atteint le
but d'avoir de bons, d'honnêtes et sages citoyens. Les très nombreux et très évi-
dents démentis donnés par l'expérience historique sont impuissants à ôter aux sec-
taires et au vulgaire cette opinion entièrement fausse.
1086 CHAPITRE XI § 1746-1747
dus. C'est seulement grâce à cette action que les dérivations ont
une efficacité importante pour la détermination de l'équilibre so-
cial. Une dérivation qui donne uniquement libre cours au besoin
de logique éprouvé par l'homme, et qui ne se transforme pas en
sentiments, ou qui ne renforce pas des sentiments, agit peu ou
point sur l'équilibre social. Ce n'est qu'une dérivation de plus; elle
satisfait certains sentiments, et voilà tout. On peut dire brièvement,
mais aussi sans beaucoup de rigueur, que, pour agir sur la société,
les raisonnements doivent se transformer en sentiments, les déri-
vations en résidus. Il faut pourtant faire attention que cela est vrai
seulement pour les actions non-logiques, et pas pour les actions
logiques.
1747. En général, une dérivation est acceptée, moins parce
qu'elle persuade les gens, que parce qu'elle exprime sous une forme
claire des idées que ces gens ont déjà d'une manière confuse. C'est
là généralement le phénomène principal. Une fois la dérivation
1747 1 On
peut trouver des exemples tant qu'on en veut. En voici un typique.
Une même La Partie de chasse de Henri IV, de Collé, fut inter-
pièce de théâtre,
prétée, selon les époques, par les sentiments, en des sens directement contraires.
VicT«iR Hallays-Dabot Histoire de la censure théâtrale en France, Paris, 1862
; :
« (p. 85) Il est une mesure rigoureuse que l'on ne saurait comprendre, si l'on ne se
pénétrait bien de l'état des esprits à la fin du règne de Louis XV et de la marche
pénible du gouvernement c'est l'interdiction de la Partie de chasse de Henri IV.
:
La pièce de Collé est inoffensive entre toutes... Cette comédie, à peine soumise à
l'examen, devient une alTaire des plus graves. Chacun s'en préoccupe on trouve
;
on opposera ses idées aux idées du jour, et l'enthousiasme pour le B:''arnais ne sera
qu'une machine de guerre de l'opposition. Là seulement il faut chercher la vraie
cause du grand succès de la Partie de chasse, et en même temps le motif de son
interdiction». Sous l'Empire, « (p. 222) maintes fois (p. 223) on voulut reprendre
Edouard, et surtout la Partie de chasse de Henri IV. Henri IV, pendant les der-
nières années du régne de Louis XV, servait, nous l'avons vu, de masque monar-
chique aux philosophes, qui méditaient le renversement de la monarchie. Aujour-
d'hui, Henri IV, sur une scène de Paris, c'aurait été le drapeau blanc, autour
duquel se seraient pressés tous les mécontents ». H. Welschinger La censure sous
;
le premier Empire. —
Paris, 1882 « (p. 226) De près comme de loin, Napoléon
:
l'observation (§ 1834). Il n'en est pas ainsi au point de vue des sen-
timents et pour les actions non-logiques. Les raisonnements et les
observations expérimentales ont peu d'influence sur les sentiments
et les actions non-logiques; les dispositions naturelles de l'individu
en ont beaucoup et sont presque seules à en avoir. C'est pourquoi,
aux sentiments il convient d'opposer d'autres sentiments. Une déri-
vation absurde peut être un bon moyen de une autre déri-
réfuter
vation absurde, tandis que tel ne serait pas le cas au point de vue
logico-expérimental. Enfin, le silence peut être un bon moyen
doter sa force à une affirmation A, tandis que la réfuter, même
victorieusement au point de vue logico-expérimental, peut lui pro-
fiter au lieu de lui nuire (| 1834) '.
été mis au théâtre. Tous les soirs, il paraissait sur quelque scène. De la Comédie-
Française à Franconi, c'était un concert d'adulations, dont les événements nous ont
déjà révélé le secret. Henri IV, c'était le drapeau de la monarchie; de plus, il avait
eu à subir les rigueurs du précédent gouvernement». Ensuite le public se fatigue.
« (p. 239) le 30 mai 1814, avait lieu la représentation des Etafs de BLois. La tragédie
de Raynouard n'obtint qu'un demi-succès... On en était déjà à une période moins
enthousiaste. Les lois sur la presse se préparaient; de plus le public commençait à
se fatiguer des dithyrambes qui, depuis le mois d'avril, se déclamaient, se chan-
taient, se dansaient, se mimaient sur tous les théâtres de Paris ». (| 1749). Voici le
règne de Louis-Philippe « (p. 291) Napoléon devient pour les théâtres ce qu Henri IV
:
tragédie qu'une peinture assez ennuyeuse des mœurs indiennes. On n'avait pas
cherché les prêtres catholiques sous le masque des brahmines. Maintenant que les
esprits surexcités so;it à l'affût de chaque mot, de chaque trait qu'ils puissent saisir,
tout devient allusion. Le clergé s'émeut et M. de Beaumont va trouver le roi... »
1748» Victor Hallays-Dabot loc. cit., % llil ^. «(p. 275) De cette époque [vers
;
1827] date une suppression [faite par la censure] que, d'année en année, on voit
maintes petites feuilles raconter avec bonheur, comme le modèle de l'ineptie innée
des censeurs. Il paraîtrait que dans un vaudeville où il était question de salade en
vogue, l'auteur avait mis de la barbe de capucin la censure aurait demandé qu'il
:
fût question de toute autre salade et aurait impitoyablement rayé la barbe de capu-
cin. L'histoire est plaisante mais si minutieuse que soit cette coupure, nous avoue-
;
rons ne l'avoir jamais trouvée aussi ridicule que l'on se plaît à le dire. Voyons ce
qu'est (p. 276) la guerre d'épigrammes, de mots à double entente, de piqûres d'ai-
guilles, de plaisanteries niaises, qui s'engage à certains jours entre l'autorité et
l'opposition et dont cette époque de la Restauration est restée comme un des
exemples les plus complets; songeons que chaque matin dix journaux déclamaient
contre les capucinades de la cour de Charles X, c'était le mot en usage, et deman-
dons-nous si l'auieur était aussi innocent que l'on veut bien le dire, de toute pensée
hostile en citant la barbe de capucin, comme la salade à la mode; demandons-nous
si le ministre, en approuvant cette coupure, qui, vue en soi, est puérile, avait tort
§ 1749 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1089
de se métier d'un pul)lic, (}ui, dans le simple énoncô du quai Voltaire, trouvait le
prétexte d'une manifestation bruyante». L'auteur parvient ainsi à justifier le ministre
du reproche d'imbécillité; reste celui de défaut d'habileté; et l'auteur aurait dû se
rappeler ce que, précisément à propos du quai Voltaire, il disait sur l'effet de sem-
blables prohibitions. Las Casks ;Mémorial de Sainte -Hélène —
Paris 1840, t. II:
« (p. 107) En parlant des ouvrages cartonnés ou défendus par la police, sous son
règne, l'Empereur disait que, n'ayant rien à faire à l'île d'Elbe, il s'y était amusé à
parcourir quelques-uns de ces ouvrages, et souvent il ne concevait pas les motifs
que la police avait eus dans la plupart des prohibitions qu'elle avait ordonnées. De
là il est passé à discuter la li])erté ou la limitation de la presse. C'est, selon lui, une
question interminable et qui n'admet point de demi-mesures. Ce n'est pas le prin-
cipe en lui-même, dit-il, qui apporte la grande difficullé, mais bien les circonstances
sur lesquelles on aura à l'aire l'applicalion de ce principe pris dans le sens abstrait.
L'Empereur serait même par nature, disait-il. pour la liberté illimitée». Ce n'est
pas un fait isolé. Beaucoup d'hommes i)ratiques, quand ils regardent les choses
d'un peu haut, s'aperçoivent de la vanité de la chasse aux dérivations, ce qui ne les
empêche pas de la pratiquer lorsqu'ils sont entraînés par la passion du moment.
Welschinger loc. cit., % 1747 i « (p. 235) Il est curieux de constater que le théâtre
; :
Ghénier, dans lesquels Tacite est nommé, dit «(p. 149) Tacite !... Ce nom avait, en
:
il supprime l'hémistiche: ,, Que Dieu voit et nous juge" et le remplace par cet
hémistiche de sa composition : ,,Je connais votre attente"; de telle sorte qu'A-
thalie peut s'écrier au vers suivant :
SOCIOLOGIE 69
1090 CHAPITRE XI § 174^)
position, s'il l'a déjà^ Bien plus, il est remarquable que pour beau-
Plus loin : «(p. 233) Vingt-cinq vers [acte IV, se. III] tombent sous les ciseaux liu
censeur. Mais comme il n'y a plus de rime pour marcher avec ce vers :
de gouverner consiste à savoir employer les résidus existants, et non à les vouloir
changer. Si, écartant leurs préjugés, ils daignaient tenir compte de l'histoire, ils ver-
raient qu'à donner la chasse aux dérivations pour modifier les résidus, les gouver-
nements ont dépensé des sommes énormes d'énergie, infligé de grandes souffrances
à leurs sujets, compromis leur puissance, le tout pour n'obtenir que des résultats
fort insignifiants.
1749
1 E. Ollivier VEmp. lib., t. VI. L'auteur parle des vives attaques du
;
clergé contre la Vie de Jésus, de Renan « (p. 346) L'effet qu'ils obtinrent [les
:
évèques] ne fut pas celui qu'ils souhaitaient. Lesseps m'a raconté que le chiffre le
plus élevé de la note des frais de sa propagande [c'est là un euphémisme] en Angle-
terre en faveur du Canal de Suez était celui des sommes payées pour se faire atta-
quer [c'est Ollivier qui souligne]. Il se récria. ,, Vous avez — tort", lui répondit-on,
,,les attaques seules sollicitent l'attention; on les oublie et il n'en reste que le sou-
venir du nom ou de l'acte attaqué". —
Chaque mandement [des évèques] augmenta
la diffusion de l'ouvrage et plus d'un, qui n'y eût pris garde, de dire Décidément, :
(p. 70) l'on excite au plus haut point la curiosité publique On voudrait effacer !
des traits qu'on regarde comme injurieux, et, de passagers qu'ils étaient par leur
nature, on les rend éternels comme l'histoire à laquelle on les associe... Si l'on pou-
vait en douter, il serait facile d'interroger l'expérience elle attesterait que toutes
:
les poursuites de ce genre ont produit un résultat contraire à celui qu'on s'en était
promis. M. de Lauraguais écrivait au Parlement de Paris Honneur aux livres :
brûlés! H aurait An ajouter, profits aux auteurs et aux libraires! Un seul trait
suffira pour le prouver. En 1775, on avait publié contre le chancelier Maupeou des
couplets satiriques... (7(3) Faire une chanson contre un chancelier, ou même contre
un garde-des-sceaux, c'est un fait grave. Maupeou, piqué au vif, fulminait contre
l'auteur, et le menaçait de tout son courroux s'il était découvert. Pour se mettre à
l'abri de la colère ministérielle, le rimeur se retira en Angleterre, et de là il écrivit à
M. de Maupeou, en lui envoyant une nouvelle pièce de vers: ,, Monseigneur, je n'ai
jamais désiré que 3000 francs de revenu ma première chanson, qui vous a tant
.
déplu, m'a procuré, uniquement parce qu'elle vous avait déplu, un capital de
30 000 francs, qui, placé à cinq pour cent, fait la moitié de ma somme. De grâce,
montrez le même courroux contre la nouvelle satire que je vous envoie; cela com-
plétera le revenu auquel j'aspire, et je vous promets que je n'écrirai plus."» J. P. Biî-
lin; Le commerce des livres proliibés à Paris de 1750 à 1789 Paris, 1913 — ;
« (p. 109) Il était facile de constater que prosciùre un ,, ouvrage, c'était le faire con-
naître, que la défense réveillait la curiosité et ne servait qu'à multiplier les éditions
furtives, dangereuses par les conséquences qu'on tirait du mystère". Ainsi, une
*^ 1749 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1091
petite brochure intitulée Tant mieux pour elle, que Ghoiseul iiésila quelques jours
à condamner, se vendit sous le manteau à quatre mille exemplaires pendant les pre-
miers quinze jours, mais cessa de faire du bruit dès qu'on eut permis de l'exposeï'
publiquement en vente (Favart à Durazzo, 1760, I, 99). De même les Mémoires
secrets disaient en 1780 ,,0n recherche beaucoup une brochure intitulée Essai sur
:
le jugement qu'on peut porter sur Voltaire depuis qu'elle a été supprimée par
arrêt du Conseil" (XVI, 4). Voltaire avait bien raison de dire ,. Une censure de :
ces messieurs fait seulement acheter un livre. Les libraires devraient les payer pour
faire brûler tout ce qu'on imprime. " (A Voisenon, 24 juillet 1756). ,, La brûlure
était pour un livre ce qu'était le titre d'académicien pour un homme de lettres ••
(Extrait du Pot pourri. Etrennes aux gens de lettres, cité par Métra, IV, 293).
,,Plus la proscription était sévère, plus elle (p. 110) haussait le prix du livre,
plus elle excitait la curiosité de le lire, plus il était acheté, plus il était lu,
...Combien de fois le libraire et l'auteur d'un ouvrage privilégié, s'ils l'avaient
osé, n'auraient-ils pas dit aux magistrats Messieurs, de grâce, un petit arrêt
:
qui me condamne à être lacéré et brûlé au pied de votre grand escalier? Quand
on cri;iit la sentence d'un livre, les ouvriers de l'imprimerie disaient Bon, encore :
Les Gueux, Fauteur dit «... (p. 61) La censure jugea le drame inoffensif. Cette
:
pièce, autour de laquelle une partie de la presse avait fait grand bruit à l'avance,
dut donc se présenter devant le public sans être entourée de la sympathie préven-
tive qui accompagne les victimes de la censure. D'ailleurs elle réussit peu». Il a
suffi de la suppression de quelques vers de Marion Delorme pour rendre popu-
laires des vers qu'on supposait les résumer. Nous disons «qu'on supposait», parce :
critde l'auteur quatre vers qui ont été supprimés à la représentation, et que nous
croyons devoir reproduire ici ; Marion, aux odieuses propositions de Laffemas, se
tournait sans lui répondre vers la prison de Didier.
probable que,
Il est si l'on n'avait pas supprimé ces vers, personne ne s'en serait
souvenu.
17492 Par exemple, aux siècles passés, beaucoup de libertins étaient plus exci-
tés, s'ils avaient des relations avec une religieuse qu'avec une femme laïque si ;
bien qu'il arrivait parfois que l'amant faisait porter à la femme laïque, sa maîtresse,
des habits de religieuse. Aujourd'hui, en Angleterre, on cite des faits singuliers, où
la perversité est un puissant stimulant pour se soustraire à certaines règles que la
loi veut imposer, et qui seraient peut-être respectées, en l'absence de la prohibition.
1092 CHAPITRE XI ^ 1749
1749 3 En beaucoup de religions, on a pour règle de taire les faits qui pourraient
provoquer un scandale. Inutile d'en donner des exemples pour les religious chré-
tiennes et autres semblables, parce qu'ils sont trop connus. En voici un pour la reli-
gion dreyfusarde de certains intellectuels. Au sujet de Du Paty de Clara, réintégré
par le ministre Millerand dans l'armée territoriale (| 1580 3), le correspondant de la
Gazette de Lausanne, 3 février 1913, écrit «...la vérité est qu'on avait brocanté la
:
comme vous l'entendrez " Distinguons Qu'il ne fallût pas faire celte négociation,
! :
c'est très possible, et le trafic auquel on s'est livré n'avait rien de reluisant mais qu'il ;
fallût laisser à M. Du Paty le soin de ,, faire sa preuve ", non, non etnon Il suffisait !
d'une minute pour savoir si oui ou non M. Du Paty avait été frappé grâce à la pro-
duction d'un document falsifié et si c'était oui, — et c'était oui
; —
il fallait lui faire
rendre justice. L'esprit se refuse à admettre que les hommes qui se sont honorés par
leur attitude dans une campagne tragique n'aient pas compris qu'il n'était pas plus
tolerable que M. Du Paty de Clam fût victime de la production d'une pièce falsifiée,
qu'il n'avait été tolerable que le cai^itaine Dreyfus eût été victime de la production
secrète de documents apocryphes et criminels ». Qu'on lise aujourd'hui les corres-
pondances faites en ce temps là par un grand nombre de journaux appartenant à la
foi dreyfusarde ou humanitaire, et l'on verra qu'en général elles passent scrupuleu-
sement sous silence le fait du document falsifié. Elles pouvaient contester qu'il le
fût ;elles pouvaient le déclarer parfaitement autheniique pour défendre sa foi,
:
tout est permis elles préférèrent se taire. Voici, en un genre entièrement différent,
;
un exemple qui est le type d'un très grand nombre de faits. Dans les années 1912 et
1918, on estima patriotique, en Italie, de faire apparaître au budget un excédent qui,
en réalité, n'existait pas. Plusieurs grands journaux étrangers reproduisirent avec
soin les assertions des ministres, au sujet de cet excédent, et les illustrèrent copieu-
sement par des correspondances de gens de bourse, qui chantaient les louanges de
finances si prospères. Ces journaux gardèrent le silence, lorsque des savants comme
MM. Gireiti et Einaudi (| 2306 ') démontrèrent que cet excédent était fictif, et firent voir
qu'il y avait au contraire un déficit. Jusque-là, passe encore ces études pouvaient
:
avoir échappé aux journalistes. Mais, suit en raison de l'autorité de l'homme, soit
en raison du lieu où elles étaient exprimées, les critiques convaincantes faites à la
Chambre par le député Sonnino ne pouvaient leur échapper et pourtant, même !
celles-là furent passées sous silence. Mais voyez donc quelle étrange coïncidence! on
dit qu'à ces journaux sont intéressés des « spéculateurs» qui avaient au>si un intérêt
lie Bourse à ce que le silence fùt,gardé.
§ 1749 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1093
1749* E. Ollivier L'emp. libéral, t. V « (p. 138) Le rabâchage doit être un des
; :
démons familiers de l'homme qui veut agir sur une foule distraite ou indifférente.
Une idée ne commence, je ne dis pas à être comprise, mais perçue, que lorsqu'elle
a été répétée des milliers de fois. Alors un jour arrive où le bon Panurge démocra-
tique, ayant enfin entendu et compris, exulte, vous félicite d'avoir si bien deviné,
exprimé ce qu'il pense, et vous voilà populaire. Le journaliste qui connaît son mé-
tier refait pendant des années le même article; l'orateur de parti doit agir de
même».
1749^ Cela a lieu aussi pour les critiques d'ouvrages de science sociale ou écono-
mique, écrites par des personnes qui ignorent entièrement les éléments de ces
sciences, et dont bon nombre ont aussi usurpé la réputation d'y être compétents.
Elles usent de certains types de dérivations, toujours les mêmes, qui convieunent
bien à leur ignorance et à celle des gens qu'elles peuvent persuader. Voici quelques-
uns de ces types 1° L'otiorage est mal écrit. Il est facile de trouver, en toute
:
langue, un cas douteux de l'emploi d'un mot, et de le baptiser erreur. Même si c'est
manifestement vrai^ quel rapport cela a-t-il avec la valeur logico-expérimentale
d'une proposition? Un théorème d'Euclide écrit en langue barbare cesse t-il peut-
être d'être vi'ai? Non, mais pour l'attaquer, il faut connaître la géométrie, et pour
dire que la langue est barbare, il suffit... d'être un pauvre en esprit. 2" L'ouvrage
ne contient rien de nouveau. Dans la forme extrême de la dérivation, on accuse
l'auteur de plagiat. Il serait difficile de trouver un auteur de quelque mérite et de
quelque renommée contre lequel on n'ait pas porté cette accusation. Même Dante a
été accusé d'avoir imité, d'un acteur très obscur, son immortel poème. Dans la nou-
velle de Boccace, messire Erminio de' Grimaldi voudrait que Guglielmo Borsiere
lui enseignât «une chose qui n'eût jamais été vue» et qu'il pût faire peindre. A
quoi Borsiere répond : « Une chose qui n'eût jamais été vue, je ne crois pas que
je pourrais vous l'enseigner, à moins que ce ne fût des étei'nûments ou des choses
semblables à celles-là mais si vous le désirez, je vous en enseignerai bien une. que
;
1094 CHAPITHE XI § 1750
de faits et de témoignages assemblés par Taine reste entier. Ce qu'il raconte est
vrai». M. Aulard se tait, dans l'espoir que les sectaires ne liront pas le livre de
M. Cochin, et que, même parmi ceux qui ne sont pas sectaires, beaucoup ne pren-
dront pas garde à ce livre. 4*> Attaques personnelles à l'auteur, critiqties de cho-
ses qui n'ont rien à voir avec la question qu'on examine, autres divaga-
et
tions semblables. ô° Intromission, en matière scientifique, de considérations
sentimentales d'ordre politique, ou d'autres du même genre. Un tel, qui se
croit «économiste», se montrait adversaire de l'économie mathématique, parce
qu'il était convaincu qu'elle ne pourrait jamais devenir «démocratique». Un autre
repoussait une certaine manière de l'exposer, parce que, de cette manière, elle n'était
pas en mesure d'apporter «un peu plus de justice dans le monde». Un autre, qui
semble passablement étranger à la matière dont il traite, invente une école d'écono-
mie mathématique, qui part de considérations «individuelles» [c'est le démon, pour
ces gens-là], et l'oppose à une autre, qu'il imagine, el qui part de considérations
«collectives», ii" L'auteur n'a pas tout dit: il a omis de citer certains ouvrages,
certains faits. Comme nous l'avons déjà observé, la critique serait excellente, si
ces ouvrages ot ces faits étaient de nature à modifier les conclusions ; vaine
elle est
lorsqu'ils sont peu ou pas du tout importants pour les conclusions. Les gens qui
n'ont pas Fhabitude des recherches scientifiques n'arrivent pas à comprendre
qu'une grande (juantité de détails peut nuire, au lieu d'être utile, pour trouver la
forme générale, moyenne, des phénomènes, qui est la seule dont s'occupent les
sciences sociales (| 587 et sv.). 7» On fait dire à l'auteur ce qu'il n'a jamais eu
Vidée de dire, parce qu'on interprète dans un sens sentimental, de parti poli-
tique, de prêche éthique, etc., ce qu'il a dit seulement dans îtn sens^ scienti-
fique. Chacun est porté à juger les autres par soi-même, et celui qui n'a pas
l'habitude des raisonnements scientifiques n'arrive pas à comprendre que d'autres
nersonnes puissent en tenir.
i^ 1751 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1095
ï7o2. Tant pour le silence que pour les réfutations et les per-
sécutions nous avons donc un effet direct et un effet indirect
,
Hol ' On
en a un très grand nombre d'exemples en tout temps. TAtsrrE déjà,
Ann., XIV, en cite un. F. Veientus avait composé une satire contre les sénateurs
50,
et les pontifes. Il fut jugé par Néron « et Veientus, convaincu fut exilé d'Italie, et
l'on ordonna que ses livres fussent brûlés ceux-ci, recherchés et lus souvent, lors-
;
qu'il y avait du danger à les acquérir, tombèrent dans l'oubli, sitôt qu'on eut la per-
mission de les posséder». (| 1380 i). Victor Hallays-Dabot loc. cit. | 1747i. Sous ;
habile. Qu'arriva-t-il ? On avait passé quatre années à surveiller avec grand soin
l'ennemi signalé, on avait couru sus à la moindre allusion. Un jour à l'Odéon. en
1826, on laisse ces mots dans la bouche d'un valet traçant un itinéraire :
poudres. Le parterre tapageur bondit: la pièce est interrompue par des salves iFrip-
plaudissements ».
France contient, dit V Almanack impérial, trente-six millions de sujets, sans comp-
ter les sujets de mécontentement ». Ce calembour devint populaire, et fut répété en
France par tout le monde. Aujourd'hui, qui prendrait garde à une plaisanterie sem-
blable lancée contre le gouvernement français ? On sait que La Lanterne avait des
admirateurs même parmi les gens de l'entourage du souverain. — De Gongourt ;
Journal, année 1878 «(p. 11) Flaubert, parlant de l'engouement de tout le monde
:
médiocre, mais je serais désolé qu'on m'entendît, on me croirait jaloux de lui " !
^ 1753-1754 PROPRIÉTÉS des résidus et des dérivations 1097
la société était une masse homogène. Mais puisque tel n'est pas le
cas, ce que nous avons dit peut uniquement s'appliquer, et même
seulement d'une manière approximative, à une couche de la popu-
lation, telle qu'on puisse, sans erreur grave, la considérer comme
1098 CHAPITRE XI § 1755
17552 Bismarck était fort habile en l'art de se servir des journaux nationaux el
étrangers. — Emile Ollivier L'ernp. lib., t. XIV. L'auteur veut justifier son mi-
;
nistère de n'avoir pas su se servir des journaux « (p. 49) Bismarck y avait bien
:
tème de Bismarck était des plus ingénieux le gouvernement français avait eu par-
;
l'intermédiaire des financiers qui détiennent les actions de la société anonyme pos-
sédant le journal], ou, à défaut, un simple rédacteur dont nul ne soupçjonnait les
attaches. Ce vendu se signalait par le caraclère farouche (p. 305) de son patriotisme
[remarquez ce fait il est l'équivalent de l'opposition du journal, dans la politique
:
mique... .Je connais les noms des malheureux employés par eux [des agents de Bis-
marck], je préfère ne pas les divulguer». Ces opérations parle moyen des journaux
continuèrent aussi après 1870. —
M. Busch Les Mêm. de Bismarck, t. II « (p. 57)
; :
jamais fait mention au cours des débats judiciaires, que certaines sommes desti-
nées à faire défendre notre politique dans la presse française, et qui s'élevaient à
<iO0O ou 7000 thalers, étaient employées par lui à attaquer notre politique et ma
situation dans la presse allemande». Celle-ci apparaît aussi vénale qu'une partie
de la presse française. Ces aveux d'hommes politiques éminents sont précieux, parce
qu'ils confirment des faits qui, autrement, demeurent toujours douteux tant qu'ils
ne sont connus que sous forme de bruits qui courent. Par exemple, en 1913-1914,
on disait avec insistance que le gouvernement allemand payait largement certaines
attaques des journaux français contre les lois militaires de leur pays: mais nous
n'avons aucun moyen de savoir ce qu'il y a là de vrai. Peut-être le saura-t-on,
dans plusieurs années, s'il se fait des publications semblables à celles que nous
possédons maintenant d'Ollivier et de Bismarck, et quand on les aura. Busch—
nous donne des détails sur la manière dont Bismarck savait se servir de la presse.
Busch loc. cit., t. II. Bismarck parle Aa. journal àe l'empereur Frédéric « (p. 209)
; :
qui dort, qu'il pousse ses lecteurs à faire éclater leur colère par des
moyens qui soient moins que d'autres dangereux pour le gouverne-
ment. Ensuite, y a des moments où une forte agitation s'empare
il
17553 M. Busr.H Les Mém. de Bismarck, t. II. L'auteur cite une lettre (8 a\ril
;
été écrite sous mon inspiration, parce que si je n'ai aucune influence sur la Gazette de
la Croix pour empêcher de passer certains entrefilets qui me déplaisent, j'en ai
assez pour faire insérer certains articles qui me conviennent». En France, le—
Siècle, qui était l'un des deux journaux républicains tolérés après le coup d'Etat
de 1851, obtenait protection et subsides de l'empereur Napoléon III. E. Olliviek :
mais il constituait une affaire importante donnant de gros bénéfices. Gela imposait
à son directeur le souci perpétuel, en faisant une opposition qui était sa raison
d'être, d'éviter la suspension qui serait la ruine de ses actionnaires». Aujourd'hui,
les journaux ne craignent pas la suspension, mais bien la suppression des sub-
sides indirects et directs qu'ils reçoivent des puissances financières, et la diminu-
tion de la vente, s'ils vont contre les passions du public. L'auteur continue :
«M. Havin était créé pour cette manœuvre difficile..., nullement irréconciliable
avec l'empire... ». En 1858, « (t. IV, p. 69) le Siècle ne fut sauvé que par une
démarche d'Havin auprès de l'empereur, (t. XI, p. 122) Havin était un esprit très
avisé... en rapports presque amicaux avec les ministres, ne faisant l'anticlérical que
pour se dispenser d'être antidynastique... » (1755*).
1755* Je préfère des exemples du passé, parce qu'ils sont moins aptes que ceuv
du présent à émouvoir les sentiments des lecteurs contemporains. — E, Ollivier ;
législatif]curent moins beau jeu pour réfuter l'accusation portée contre les agio-
tages que, d'accord avec le (Jrrdit mobilier, la Compagnie du Midi avait open'^s sur
ses propres actions». Vient ensuite la description de cette fraude, qu'il n'y a pas
lieu de rapporter ici. « (p. 213) Je dénonçai ce coup de Jarnac financier... Le com-
missaire du gouvernement, Dubois, fort honnête homme, se noya dans des explica-
tions confuses qui n'expliquèrent rien et continrent, au contraire, l'aveu de la plu-
part des faits révélés... Les administrateurs de la Compagnie du Midi eurent le
crédit d'empêcher tous les journaux de Paris, sans exception, de reproduire le
compte rendu analytique de cette séance».
17555 Henry DE Brugh^rd [1896-1901]; Petits mémoires du temps de la Ligne.
L'auteur parle de certains journaux démocrates, défenseurs de Dreyfus. Nous sup-
primons les noms, pai-ce que nous traitons ici de phénomènes sociaux et non de
personnes. L'une des plus grandes erreurs, en cette matière, consiste justement à
accuser certaines personnes de ce qui est un fait général. L'auteur dit donc de ceux
qui, de bonne foi, écrivaient dans ces journaux « (p. 209) Je pense qu'ils ont aussi
:
le sentiment de la façon dont ils furent dupes et de leur imprudence. Ils ont pu
en tout cas éprouver, ces mandarins de lettres, ce que la dignité de leur condition
pesait peu auprès de leurs maîtres anonymes. A ces tiers indépendanis demandez
qui dirigeait [le journal], et pourquoi ils s'avisèrent si tard que le directeur en
était toujours choisi sans qu'ils aient connaissance de ceux qui faisaient ce choix.
Ils savent aujourd'hui que le (p. 210) fondateur et bailleur de fonds était M. L.,
ancien chef de la sûreté, et organisateur de la ligue de défense des juifs. Et
dire que certains se prétendaient encore révolutionnaires Mais ils avaient là leur
!
pain d'autres éprouvaient le besoin d'écrire, la maladie de mettre leur nom au bas
;
nistres ou en promettant de les défendre. Celui qui veut avoir un journal dans sa
manche doit supporter d'énormes dépenses, qui constitueraient une perte brute, s'il
n'obtenait ensuite des compensations : en honneurs seulement, comme c'est le cas
d'un très petit nombre d'hommes politiques ; en argent plus les honneurs, comme
c'est le cas de la plupart des politiciens, des financiers politiques, des membres des
trusts, des avocats politiques, des « spéculnteurs ». —
T. Palamenghi-Crispi ;
Qiolitti :«(p. 7i5 note) Grispi fut siagulier parmi les hommes politiques de son
temps, en ceci aussi Attribuant au journal la grande importance qu'il a dans la
vie moderne, il voulut toujours en avoir un où il pût manifester ses idées mais ;
au lieu d'en faire payer les frais à des hommes d'affaires, (p. 77) comme tant d'au-
tres ont fait (il serait facile de citer des noms), il paya toujours de sa poche rare-
;
ment un ami l'aida. Il arriva ainsi que souvent il se trouva en présence de dettes
qu'il avait peine à payer, et qu'ainsi il dut parfois recourir à l'escompte en banque
d'effets de chanu;e, qu'il acquitta cependant toujours. Tout le monde sait ce que
coulent les journaux exclusivement politiques. La Bi forma seule, journal de la
Gauche historique, qui défendit les idées et les hommes du parti libéral durant une
1102 CHAPITRE XI §1755
trentaine d'années, absorba environ un million deux cent mille francs des revenus
du labeur acharné de Crispi [celte épithète est pput-être exagérée] ». Giornale —
d'italia, 23 novembre 1913 « Une autre nomination [en qualité de sénateur] dont
:
on parle, — nous ne savons sur quels fondements et si elle ferait plaisir aux réfor-
mistes, — serait celle du banquier milanais Delia Torre, lequel fut et reste magna
pars finanziaria de journaux socialiste'^ ou di'^raocraliques, à la manière réformiste.
Delia Torre est en somme le dieu de la haute banque biocarde, et pourra se dire un
jour un précurseur, lorsque la haute banque, ayant pris le vent, se mettra du côté
du bloc, à l'instar de ce que fit sa sœur aînée française ». Delia Torre fut effective-
ment nommé sénateur, avec deux autres socialisles, et le Carrière délia Sera,
25 novembre 1913, écrit « L'honorable Giolilti ouvre aujourd'hui les portes du
:
Sénat à Karl Marx, qui faisait un peu trop de tapage au grenier [Giolitti avait dit
à la Chambre que désormais les socialistes «avaient relégué Marx au grenier»], et
devenait menaçant pourra tranquillité de ceux qui croyaient avoir opéré un judi-
cieux séquestre de personnes... Trois socialistes ne sont, au fond, pas un groupe
puissant... et ne causeront pas de gros ennuis au gouvernement, envers lequel ils
ont de si grandes obligations de reconnaissance [et vice versa], ni à la bourgeoisie...
Le Sénat étant une institution législative, doit avoir, lui aussi, des repri ''sentants
de tous les courants politiques et il n'est pas dommage que, les radicaux y étant
;
déjà suffisamment nombreux, Ips socialistes y aiont aussi leur place au moins les ;
socialistes de cette fraction qui connaît déjà les marches du Quirinal, et qui se
montre en pratique disposée à « traiter». Il est vraiment regrettable qu'on ne puisse
aussi introduire au Sénat un brin de république; mais heureusement les républi-
cains ne font pas peur, et malheureusement il s sont obstinés dans leur chasteté préjudi-
cielle -f [et c'est pourquoi ils ne réussissent pas à avoir un journal: parce qu'ils veu-
lent le payer eux-mêmes]... Il faut rajeunir le S"nat. Disons plus clairement il faut :
se servir aussi du Sénat; ce qui est l'expression la plus juste, celle qui répond le
mieux à la réalité des choses [très vrai] Si l'on voulait vraiment, d'une conscience
honnêtement démocratique, donner au Sénat aussi le caractère de représentant des
courants d'idées nationales, il n'v aurait qu'une conséquence logique affronter le :
problème du Sénat électif... Il est vrai qu'en ce cas l'entrée des socialisles au Palais
Madame [siège du Sénnt] serait plus large, et que la munificence du gouvernement
n'aurait plus à affirmer ses sympathies intéressées pour les partis extrêmes ».
grès, reconnaissant qu'il faut à tout prix paralyser la mobilisalion, déclare qu'il
est nécessaire d'essayer les moyens les plus efficaces pour atteindre ce but. Le Con-
grès décide ...3o Pour empêcher le travail nocif de la presse bourgeoise, il engage
:
les imprimeurs et les ouvriers à détruire les rotatives des journaux, à moins
qu'elles ne puissent être utilisées pour notre cause ».
1755 7 En mai 1913, un journal de Florence, qui cessait ses publications, raconta
comment en trente-trois ans de vie il avait élé soutenu par les dillVrents gouverne-
ments qui s'étaient alors succ'dé. Presque tous les grands journaux italiens gar-
dent à riiameçon, ce qui n'est pas fait pour étonner, mais de gros
poissons rusés s'y laissent prendre aussi, ce quiest moins facile à
comprendre. Il est vrai que ces derniers feignent souvent de croire
ce qui tourne à leur profit.
1756. y a un petit nombre de dérivations très en usage pour
Il
agir sur les gens ignorants, et que nous trouvons dans les haran-
gues au peuple d'Athènes, à celui de Rome, et bien davantage dans
nos journaux. L'une des plus fréquentes a pour but de mettre en
œuvre les sentiments d'autorité (IV-e 2). Si l'on voulait donner une
forme logique à la dérivation, on devrait dire « Une certaine pro- :
position A ne peut être bonne que si elle est faite par un homme
honnête; je démontre que celui qui fait cette proposition n'est pas
honnête, ou qu'il est payé pour la faire donc j ai démontré que la ;
dèrent un silence pudique et sacré sur ce fait, qui aurait pu cependant intéresser les
lecteurs beaucoup plus qu'un grand nombre de faits divers insignifiants. Mais
peut-être plusieurs de ces journaux se sont-ils souvenus opportunément de la parole ;
de te fabula narratur. —
Le gouvernement belge [a publié une liste des journaux
qui reçurent un subside du roi Leopold, pour louer son administration au Congo.
ou du moins en taire les méfaits. L'historien futur qui étudiera le régime ploutocra-
tique présent des peuples civilisés pourra en tirer d'utiles renseignements.
17558 En on s'en rendit fort bien compte pour la presse étrangère qui
Italie,
était contraire à mais naturellement, on ne mentionna pas celle qui était
l'Italie;
favorable. Les motifs d'agir étaient pourtant identiques dans les deux cas.
1756* Souvent, on dit aussi «Un tel, qui aujourd'hui adopte la proposition A.
:
y naguère opposé »
était et l'on croit ainsi avoir démontré qu'il ne faut pas accc])-
;
ter la proposition A. Négligeons le fait que l'homme peut honnêtement changer sui-
vant les circonstances. A ce propos, Bonghi avait coutume de remarquer que seul
l'animal ne change jamais. Mais encore s"il était démontré que le changement de
1104 CHAPITRli XI i^ 1767
celui qui pi"opose .4 a lieu, non en vertu de la valeur intrinsèque de .4, mais seu-
lement pour quelque avantage qu'en peut espérer celui qui le propose, on n'en pour-
rait rien conclure contre A et l'on reviendrait simplement à la dérivation indiquée
;
dans le texte. Le fait que ces dérivations ne sont d'aucune importance pour le juge-
ment qu'on doit porter sur A, constitue ce qu'il y avait de vrai dans la défense de
Caillaux, faite par ses amis, contre les attaques du Figaro. Il est certain que l'uti-
Uté ou le dommage, pour une société donnée, de l'impôt sur le revenu, n'a rien,
absolument rien à faire avec les qualités familiales, morales, ni même politiques de
celui qui propose cet impôt. Mais il faut ajouter qu'infliger la peine de mort à qui
emploie ces dérivations erronées, semble quelque peu excessif et si cela devenait
;
une règle générale qu'il serait permis à chaque citoyen de mettre en pratique, peu de
journalistes et même peu d'autres écrivains resteraient en vie.
17571 Sorberiana : «(p. 18) Anabaptistes. On raconte des Anabaptistes, qui sont
<p. 19)pourtant de bonnes gens, mile choses extravagantes, même dans la Hol-
lande, comme entre autres qu'il y en a qui s'assemblent de nuit et à la faveur des
ténèbres se mêlent indiferemment. Ce qui est entièrement faux, et n'a de fonde-
ment que sur l'histoire de Jean de Leyde, Roi de Munster, et sur la folie de quel-
ques-uns, qui cent ans y a s'imaginèrent qu'il faloit pour être sauvé, aler tout nud.
§ 1758-1759 PHOPRIKTKS DES KRSIDIIS KT DES DÉRIVATIONS 1105
nocturnes où il assistoit, il avoit joui de la fille de son liôte, qui lui refusa après à
la maison ce qu'alors elle lui avoit accordé charitablement. Ce n'est pas merveille
qu'il se trouvent quelques personnes qui mentent impudemment mais il y a de
:
fausseté ».
SOCIOLOGIE 70
1106 CHAPITRE XI § 1760
il contenait quelques articles peu ou point payés, pas de dépêches, pas d'informa-
tions coûteuses, pas d'illustrations. Il coûtait cinq sous. Aujourd'hui la plupart
des journaux paraissent sur six, huit, dix et douze pages. Ils sont illustrés de cli-
(;hés onéreux ;ils publient les articles chèrement payés ou de personnalités en
renom, des colonnes de dépèches dont certaines au tarif de plusieurs francs le mot
— et ils sont vendus trois centimes et demi aux entrepositaires. Comment vivent-
ils donc? Ils vivent de leur publicité —
à moins, bien entendu, qu'ils ne vivent de
leurs trafics. Un journal peut se passer de journalistes, il peut même se passer do
paraître [paradoxe expliqué dans une note: ,, 11 existe quelque part une nécropole des
journaux qui ne paraissent plus. Un industriel ingénieux, qui en détient les titres,
les fait inscrire de temps en temps en tète des colonnes d'une autre feuille et touche-
le montant d'anciens traités de publicité. Son industrie prospère"]. Il ne peut se
passer de publicité. ...(p. 205) Avant de prendre une détermination quelconque, le
directeur responsable d'un journal —
fût-il un saint —
est contraint d'envisager ces
§ 1761-1763 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1107
sidus qui se manifestent par les dérivations (§1747, 1751). Nous som-
mes facilement induits en cette erreur par la manière dont les
phénomènes sociaux nous sont connus. Nous en avons connaisance
surtout par la littérature; aussi nous est-il facile de prendre l'effet
entrer cette conception dans l'esprit des hommes. Cela peut parfois
arriver; mais le cas inverse est beaucoup plus fréquent : ce sont
les sentiments existant dans l'esprit des hommes, qui ont tait
n'y a pas d'autre moyen d'expliquer ces faits et tant d'autres sembla-
deux termes : 1» Ne pas froisser ceux qui détiennent les informations, c'est-à-dire
toutes les puissances politiques et administratives ; 2° Ne pas heurter ceux qui
détiennent la publicité, c'est-à-dire toutes les puissances commerciales et finan-
«ières [pas toutes, à vrai dire, mais seulement celles dont dépend le journal}
...(p. 209) On appelle les journaux gouvernementaux quand ils sont servîtes. On les
appelle indépendants quand ils ne sont que gouvernementaux. On appelle journaux
d'opposition ceux qui sont en coquetterie avec le pouvoir. Il existe encore quelques
rares organes qui ne sont reliés au Gouvernement par rien, par personne. Mais il
est entendu qu'on ne doit pas les prendre au sérieux ».
1108 CHAPITRE XI § 1764
1766 1
y a quelques siècles, presque toutes les dérivations en matière sociale
II
ou pseudo-scientifique, étaient unies à des considérations de théologie chrétienne.
Aujourd'hui, elles se lient avec des considérations de théologie humanitaire. Les
considérations de théologie chrétienne nous semblent souvent absurdes celles de ;
la théologie humanitaire le sembleront aux hommes des temps futurs, où une autre
théologie aura pris la place de la théologie humanitaire. Il y a quelques siècles, on
expliquait tout par « le péché originel » aujourd'hui, on l'explique par la « faute de
;
lasoci''té)) (I 1716 3); dans l'avenir, on aura quelque autre explication, également
théologique et vide de sens, au point de vue expérimental.
1110 CHAPITRE XI ^ 1767
pondance entre les théories et les faits sociaux. Si, pour chaque indi-
vidu, la correspondance entre A et S était parfaite, elle le serait
aussi pour une collectivité composée d'individus semblables, et de
S, on pourrait déduire logiquement les actions de cette collectivité.
La connaissance des formes politiques et sociales deviendrait aisée.
En elTet, il n'est pas difficile de connaître les dérivations qui ont
cours dans une société; et si de ces dérivations on pouvait tirer
logiquement la connaissance des faits politiques et sociaux, la
science sociale ne rencontrerait pas, pour se constituer, des difficultés
ni plus grandes ni autres que celles rencontrées par la géométrie.
On sait assez qu'il n'en est pas ainsi, et que ces raisonnements
géométriques nous écartent toujours, peu ou prou, de la réalité.
Mais c'est une erreur que d'en accuser la nature du raisonnement :
reste-t-ilJuif? C'est ce qu'il serait assez difficile de dire, s'il n'était notoire que,
dans ces questions de religion maternelle, le cœur a dessophismes touchants pour
concilier des choses qui n'ont aucun rapport entre elles [ce n'est pas un cas parti-
culier, ainsi que l'auteur semble le croire cela se produit d'une façon générale:
:
laissons touchants de côté] Platon aime à éclairer ses philosophèmes par les mythes
les plus gracieux du génie grec, Proclus et Malebranche se croient dans la religion
de leurs pères, le premier en faisant des hymnes philosophiques à Vénus, le second
en disant la messe. La contradiction, en pareille matière, est un acte de piété. Plu-
tôt que de renoncer à des croyances chères, il n'y a pas de fausse identification,
dfe biais complaisant qu'on n'admette. Moïse Maimonide, au XII« siècle, pratiquera
1112 CHAPITRE XI ^ 1768-1769
sont les seuls qu'on emploie dans la vie sociale, et que, s'ils con-
duisaient à des résultats ne concordant pas en général avec les
faits, il y a longtemps que toutes les sociétés auraient été détruites,
anéanties. Comment peut bien se produire cet accord avecles faits,
des dérivations de résidus hétérogènes]. Après avoir obstinément nié les résultats do
la science, quand on est forcé par l'évidence, on fait volle-face et l'on dit avec désin-;
voiture : Nous le savions avant vous w.
§ 1770 PROPRIKTKS DES HKSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1113
quelles vivent les êtres et les sociétés. Mais quelle est précisément
cette dépendance, nous ne le savons pas, après avoir dû écarter la
solution darwinienne qui nous l'aurait enseigné. Pourtant si nous
ne pouvons résoudre complètement le problème, nous pouvons du
moins connaître certaines propriétés des formes et des résidus.
Tout d'abord, il est évident que ces formes et ces résidus ne peuvent
être en contradiction trop flagrante avec les conditions dans les-
quelles ils sont produits c'est ce qu'il y a de vrai dans la solution
;
cas indiqué plus haut, ils sont corrigés par les seconds, qui conseil-
lent l'usage de dérivations sophistiques, pour se rapprocher de la
réalité.
est utile que la moitié plus un des hommes d'une société puissent
décider de tuer et de manger l'autre moitié moins un. Mais il est pro-
bable aussi que l'on répondrait affirmativement à qui demanderait
s'il est utile que la moitié plus un puisse décréter une loi pour la
17751 Un
ensemble de dérivations a la pn'tention de pouvoir résoudre celle ques-
tion en la transformant en un problème des « droits » de l'individu, en rapport avec
les «droits» de 1' « Etat ». Cette solution ressemble à celle qui expliquait Tuscen-
sion de l'eau dans les pompes par l'horreur de la Nature pour le vide, (rest-à-dire
qu'elle explique les faits, non par d'autres faits, mais par des entiles fantaisistps.
Ce qu'est cet « Etat », personne ne peut le dire avec précision moins encore ce que
;
peuvent bien être ses «droits» et ceux de l'individu. L'obscurité et le mystère aug-
mentent, si l'on recherche le rapport de ces «droits» avec les diverses utilités.
Enfin, la question supposée résolue dans les termes indiqués, personne ne peut dire
comment on pourra appliquer la solution théorique dans le domaine concret. Cette
solution théorique apparaît donc seulement comme l'expression d'un pieux désir de
son auteur, qui pouvait vraiment nous la donner immédiatement, sans faire tant
de détours et invoquer ces belles mais fort obscures entités.
1118 CHAPITRE XI .^5 nn-m^
disaient que le Péloponèse avait la forme d'une de platane ^
feuille
rience. Viennent ensuite ceux qui se laissent guider par les résidus
et par lesdérivations ils ressemblent à celui qui sait que le Pélo-
;
Naxos par une feuille de vigne; le Péloponèse par une feuille de platane; la Sar-
daigne par la trace d'un pied humain Chypre par une peau de mouton
; la Libye ;
meilleur des éléments », et que, par conséquent, elle doit être pri-
aussi parce que, dans le langage vulgaire, les dérivations sont expri-
mées d'une manière peu ou pas rigoureuse. On énoncerait peut-
être plus clairement la dernière des conditions posées tout à l'heure,
en disant que le raisonnement sur les dérivations doit être plus de
forme que de tond, et qu'en réalité il convient de se laisser guider
par le sentiment des résidus, plutôt que par la simple logique'.
tuent seuls la «réalité», l/adepte des sciences expérimentales n'attend de cette opéra-
tion que l'apparition de choses et de faits existant dans le lieu où la plaque a été
expsée. 2° Knsuite, il y a la divergence ha))ituelle entre l'absolu mi'taphysique et
le relatif expérimental. Le métaphysicien estime que ses opérations intuitives le con-
duisent à la «vérité absolue»; l'adepte des sciences expérimentales les accepte seule-
ment comme un indice de ce que peut être la réalité; indice qu'il appartient à l'expé-
rience seule de confirmer ou de rejeter. Pour revenir l'image dont nous nous sommes
.-i
tres, plus sp'''ciales par exemple si un être vivant a bougé, si une feuille a été agi-
:
tée par le vent, tandis que la plaque était découverte. Notons comme coïncidence
tout à fait singulière, qu'il y a un fait réel correspondant précisément à la compa-
raison que nous avons établie uuiqaemeut pour nous faire comprendre. Plusieurs
personnes crurent avoir photographié le «double astral» d'hommes et d'animaux.
Ils montraient la photographie d'un homme avec une tache à côté, celle d'un faisan
$ 1779-1780 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1121
#
avec une autre tache, et disaient « Voilà le double astral de l'homme et du faisan».
:
Le prof. Kronecker, de Zurich, remarqua (îue ces photographies sont celles que
font tous les commençants, lorsqu'ils ne savent pas encore reproduire et développer
sans taches le sujet qu'ils veulent photographier. Combien de ces taches ont été
prises pour réalilé par les métaphysiciens et par les théologiens !
.SOCIOLOGIE 71
1122 CHAPITRE XI § 1781-17<S3
personnes qui s'imaginent que raison et logique sont les guides des
sociétés humaines et pourtant ces personnes admettenl sans s'en
;
énergique.
787. Nous avons vu que, dans les prévisions politico-sociales,
i
ily a un grand nombre de cas où l'on aboutit plus facilement à des
résultats en accord avec les faits, en prenant pour guides les rési-
dus plutôt que les dérivations. C'est pourquoi, dans les cas indi-
qués, les prévisions seront d'autant meilleures que les dérivations
se mêleront moins aux résidus. Tout au contraire, lorsqu'on veut
obtenir des propositions scientifiques, connaître les rapports des
choses et des faits, abstraire de cas concrets un phénomène donné
pour l'étudier, on atteindra le but d'autant mieux que les résidus
nous guideront moins dans le raisonnement, que celui-ci sera
exclusivement logico-expérimental, et que les résidus seront uni-
quement considérés comme faits externes, jamais subis comme
dominant notre pensée. En d'autres termes, les déductions prati-
ques ont avantage à être essentiellement synthétiques et inspirées
par les résidus ; les déductions scientifiques, à être essentiellement
analytiques, et de pure observation (expérience) appuyée de déduc-
tions logiques.
1788. Si nous voulons nous servir des termes vulgaires de « pra-
§1789-1792 PROPRIÉTÉS des résidus et des dérivations 1125
aucun rapport avec les faits, tandis que les théories économiques
trouvent au moins un appui dans les faits, et ne pèchent que parce
qu'elles sont incomplètes et qu'elles ne peuvent faire la synthèse
des phénomènes sociaux concrets. Ces dernières théories sont
imparfaites ; les premières sont erronées et souvent fantaisistes.
I 792. Remarquez la contradiction de ces prétendus historiens.
1126 CHAPITKE XI ^ 1792
D'un côté, ils affirment qu'il n'existe pas de lois, c'est-à-dire d'uni-
formités, en économie politique ni en sociologie. D'un autre côté,
ilsraisonnent d'une façon qui présuppose nécessairement l'exis-
tence de ces lois. D'abord, à quoi peut bien servir leur étude de
l'histoire, s'il n'existe pas d'uniformités, et si, par conséquent,
l'avenir n'a aucun rapport avec le passé ? C'est une pure perte de
temps, et il vaudrait mieux lire des contes de fées ou des romans
qu'étudier l'histoire. Celui qui, au contraire, estime que l'on peut
tirer du passé des règles pour l'avenir, admet par cela même qu'il
existe des uniformités.
Ensuite, si l'on s'attache au fond du sujet, on ne tarde pas à
voir que l'erreur de ces braves gens provient de ce qu'ils ne sont
jamais arrivés à comprendre qu'une loi scientifique n'est autre
chose qu'une uniformité. L'esprit faussé par les divagations de leur
métaphysique et de leur éthique, brûlant du désir de trouver des
dérivations qui puissent justifier certains courants sentimentaux,
et plaire à un public ignorant autant qu'eux de toute règle du rai-
gion différente de celle à laquelle ils s'opposent ; ils nient les lois,
mier emploie des principes qui, ne fût-ce qu'en une faible mesure, résument l'expé-
rience le second, de propos délibéré (| 821'), les maintient étrangers à l'expérience.
;
Il suit de l-À que les déductions qu'on peut tirer des principes dont s'est servi Adam
Smith, ont avec l'expérience une partie, petite ou grande, qui est commune: et les
déductions que l'on tire des principes de Rousseau appartiennent à de nébuleuses
régions sentimentales, éloignées du domaine de l'expérience. On doit faire une
observation identique pour d'autres principes que certains auteurs veulent faire
passer pour expérimentaux, tandis qu'ils ne le sont pas.
§1795-1798 PROPRIÉTÉS des résidus et des dérivations 1129
théorie est fausse, parce qu'il prend l'effet pour la cause, ou mieux
parce qu'elle ne tient pas compte de la mutuelle dépendance des
faits.
somme toute, est inù par l'intuition que, pour se rapprocher des
faits, il convient de raisonner sur les résidus plutôt que sur les
dérivations. De ce genre est l'assertion qu'en toute chose il faut
s'en tenir au « juste milieu » ; ou celle-ci, que les prescriptions
(dérivations) doivent être interprétées suivant « l'esprit» et non
suivant la lettre ; ce qui toutefois signifie souvent qu'on doit les
interpréter dans le sens qui plaît à celui qui fait cette observation.
1797. Dérivations indéterminées; comment elles s'adaptent
A certaines fins. Ainsi que nous l'avons déjà remarqué (§ 1772),
les dérivations vont habituellement au delà des limites de la réalité.
science expérimentale ^
(§ 1910 et sv.).
i799. Les religions sont idéalistes; elles ne pourraient être
autrement, sans cesser d'être des religions, et sans perdre toute
efficacité et toute utilité sociale. Elles dépassent la réalité, et pour-
tant elles doivent vivre et se développer dans la réalité. Il est donc
nécessaire qu'elles trouvent moyen de concorder idéalisme et
faire
réalité. Pour cela, les actions non-logiques viennent à l'aide, et,
pour justifier ces actions non-logiques, on a recours aux dérivations
et à la casuistique. Il arrive souvent que ce fait est amèrement repro-
ché à une religion donnée par ses adversaires, qui devraient, au con-
17981 Ils objectenl parfois à leurs adversaires que ceux-ci ne raisonnent pas
suivant les règles de la métaphysique. De la même façon, les astrologues pourraienl
objecter aux astronomes qu'ils ne raisonnent pas suivant les règles de l'astrologie.
Celui qui admet l'existence d'une science donnée (S, et veut seulement en changer
certaines conclusions, doit évidemment raisonner suivant les règles de cette
science S. Mais celui qui, au contraire, l'estime non-concluante, vaine, fantaisiste,
doit non moins évidemment s'abstenir de raisonner suivant les règles qu'il a ainsi
repoussées et il est puéril de l'accuser de les ignorer, parce qu'il ne s'en sert pas.
;
On comprend que celui qui défend des théories fantaisistes ait avantage à pré-
tendre qu'on ne peut les combattre si l'on n'en accepte pas les règles et les prin-
cipes, parce qu'ainsi, il se met dans une position inexpugnable. Mais le choix des
moyens de combattre appartient à qui les emploie, et non pas à celui contre lequel
ils sont dirigés. Evidemment, il conviendrait à messieurs les astrologues qu'on ne
paisse les combattre qu'en employant les règles et les principes de l'astrologie; mais
il est nécessaire qu'ils se résignent à ce qu'on fasse voir la vanité de leur pseudo-
expérience, de ses règles, de ses principes, en en comparant les résultats avec les
faits expérimentaux.
§ 1799 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1131
gens qui prennent part au gouvernement de la chose publique savent très bien con-
cilier ces dogmes avec les nécessités de la pratique. Aussi bien que les princes
catholiques, les papes se firent prêter de l'argent et en payèrent l'intérêt et aujour-
;
d'hui, dans les pays oii les socialistes prennent une part petite ou grande au gou-
vernement de la chose publique, ils ne s'opposent nullement à des augmentations
souvent énormes de la dette publique. Il ne manque pas de communes administrées
par des socialistes, et qui contractent des dettes dont elles paient l'intérêt. Dans l'un
et l'autre cas, les dérivations viennent à l'aide, pour justifier les transgressions des
dogmes. Les catholiques ont imaginé la très ingénieuse dérivation des trois contrats.
Les socialistes, moins ingénieux ou plus modestes, se contentent de dire qu'ils ne
peuvent renoncer aux emprunts, tant que l'abolition de l'intérêt de l'argent n'est
pas générale; et, avec cette excuse commode, ils peuvent aller jusqu'au jugement
dernier. La religion humanitaire amènerait directement la destruction des sociétés
humaines, si ses dogmes étaient suivis à la lettre mais lorsque messieurs les
;
humanitaires prennent part au gouvernement, ils savent les oublier d'une manière
opportune. Par exemple, ils détruisent sans le moindre scrupule les peuples qu'ils
appellent barbares, ou les tiennent dans un dur servage, plus dur souvent que
celui qui porta le nom d'esclavage. Mais le dieu Progrès veut ses victimes, comme
les voulurent déjà les dieux qui le précédèrent dans le panthéon des peuples civilisés.
Si l'égalité, qui est un dogme de la moderne religion démocratique, était effective, il
est probable que les sociétés humaines retourneraient à l'état sauvage. Mais l'égalité
demeure parmi les dérivations, oii elle règne, tandis que, dans la pratique, il y a
des inégalités très grandes et non moindres, fût-ce sous une autre forme, que celles
qu'on a observées dans le passé.
1182 CHAPITRE XI ^179^)
qui les exalte. Mais ce contraste peut tenir plus de forme que du la
1800 1
y a plusieurs variantes, mais qui ne changent pas foncièrement
MA.TTH. Il
le sens. «Trad. (VI, 19) Ne vous amassez pas des trésorsf sur la terre, où
Segond
la teigne et la rouille-j-f détruisent, et où les voleurs percent et dérobent... (25) C'est
pourquoi je vous dis Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous man-
:
gerez, ni pour votre corps de quoi vous serez vêtus. La vie n'est-elle pas plus que
la nourriture, et le corps plus que le vêtement? (26) Regardez les oiseaux du ciel :
ils ne sèment ni ne moissonnent, et ils n'amassent rien dans des greniers, et votre
Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas beaucoup plus qu'eux?... (28) Et pour-
quoi vous inquiéter au sujet du vêtement? Considérez comment croissent les lis des
champs ils ne travaillent ni ne lilent... (31) Ne vous inquiétez donc point, et ne
:
(32) Car toutes ces choses, ce sont les païens qui les recherchent. Votre Père céleste
sait que vous en avez besoin... (34) Ne vous inquiétez donc pas du lendemain car :
f Le terme 6ftGavç)îi,u a un sens plus large que thésauriser, en français. Il signifie propre-
ment amasser pour conserver. Théophraste l'emploie pour le blé, Hisl. plant., VIII, 11,6. On
pourrait citer d'autres exemples semblables.
f f biTOv ayç K.al (Sçùaiç a^aviÇei. Proprement, c^ç est la teigne qui détruit les habits.
Hesych. s. r. Quant à (içCoacç, presque tout le monde traduit par rouille. Cela peut aller
pourvu qu'on prenne ce terme, nou au sens restreint de la rouille du fer, mais comme signifiant
tout ce qui ronge et qui consume. Rilliet, Les livres du Nouveau Testament, traduit «(p. 19) :
1800 2 [Note du traducteur] Les fiction.'^ juridiques ont précisément pour but
1134 CHAPITRE XI § 1801
de corriger par des interprétations certaines régies légales. Au fur et à mesure que
de nouvelles nécessités écartent la pratique de la théorie, le législateur éprouve le
besoin d'opérer un raccordement, pour maintenir la correspondance entre le fait et
la lettre. La jurisprudence tout entière est une adaptation perpétuelle et mobile d'un
texte qui demeure à des circonstances et des sentiments qui changent. On sait assez
que, fréquemment, d'un même texte, les juristes tirent des conclusions très diffé-
rentes, quelquefois opposées, suivant le temps et les lieux. Tandis que les uns décla-
rent s'en tenir strictement à la lettre, les autres soutiennent, chacun pour leur
compte, que leurs thèses sont conformes à l'espynt de la loi. Ce que l'on entend par
esprit de la loi, c'est tantôt l'intention présumée du législateur, tantôt l'opinion
courante ou celle de qui l'invoque mais le but est toujours le même atténuer la
; ;
rigueur du précepte juridique par rapport à certaines fins que poursuit l'interprète.
Pour cela, il est bon d'avoir recours à des dérivations quelque peu indéterminées,
afin de laisser du jeu à l'interprétation et de ménager une certaine réserve d'argu-
ments nouveaux. (Voir | 229 et 834 à 83(3.)
18011 D. HiKRONY. In Matlh., c. VI, t. VI
: «(p. 9) Nolite thesaurizare vobis
:
thesauros in terra ubi aerugo et tinea demolitur, et ubi fures effodiunt et furan-
:
tur... Ideoa) dico vobis Ne solicit! sitis animae vestrae, quid manducetis neque
: :
corpori vestro, quid induaraini. Nonne h) anima plus est quam esca, et corpus plus est
quam vestimentum ? Respicitec) volatilia coeli quoniam non serunt, neque metunt,
:
neque congregant in horrea, et pater vester coelestis pascit illa. Nonne vos magis
pluris estis illis rf) ...Considerate lilia agri quo modo crescunt non laborant :
neque nent. ...Nolite e] ergo soliciti esse dicentes, quid manducabimus, aut quid
bibemus, aut quo operiemur ? Haec enim omnia gentes inquirunt. Scit enim pater
vester, quia his omnibus indigetis... Nolite ergo soliciti esse in crastinum. Grasti-
nus enim dies solicitus erit sibi ipsi. Sufâcit/") diei malitia sua».
a) In uonnuUis codicibus additum est neque quid bibatis. Ergo quod omnibus natura tii-
:
buit, et iumentis ac bestiis, hominibusque commune est, buius cura non penitus liberamur. Sed
praecipitur nobis ne soliciti simus quid comedamus quia in sudore vultus praeparamus nobis
:
panem. Labor exercendus est solicitude tollenda. Hoc quod dicitur Ne soliciti sitis animae
: :
vestrae quid comedatis : neque corpori vestro quid induamini, de carnali cibo et vestimenio
accipiamus. Gaeterum de spiritualibus cibis et vestimentis semper debemus esse soliciti.
b) Quod dicit istiusmodi est Qui maiora praestitit utiqae et miuora praestabit.
: ,
c) Apostolus praecipit, ne plus sapiamus, quam oportet sapere. Istud testimonium et in prae-
senti capltulo conservandum est. Sunt enim quidam, qui volujit terminos patrum excedeie, et ad
alla volitare,in ima merguntur volatilia dicentes caeli angelos esse, caeterasque in Dei minis-
:
terio fortitudines, quae absque cura sui.Dei alanturprovidentia. Si boc ita est, ut intelligi volunt,
quo modo sequitur dictum ad bomines Nonne vos magis pluris estis illis ? Simpliciter ergo acci-
:
piendum quod si volatilia absque cura et aerumnis, Dei aluntur providentia quae bodie sunt,
: :
et eras non erunt : quorum anima mortalis est, et cum esse cessaverint, semper non erunt :
relinquamus.
j5
1802-1803 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1135
Matthieu dans ce sens que nous devons, il est vrai, travailler pour
nous procurer le pain quotidien, mais que nous ne devons nous
soucier de l'avenir en aucune façon.
1802. Le pur ascétisme, qu'on trouve non seulement dans la
religion chrétienne, mais en d'autres, fuit le travail, et de tout
temps il y eut des hommes qui vécurent oisifs, en parasites de la
société. Cette attitude est la conséquence de certains sentiments,
et non de raisonnements, qui interviennent seulement a posteriori
servare praeceptum Domini, quo ait « Respicite volatilia coeli. quoniam non
:
quomodo creseunt, non laborant neque nent ». Gum istis praecipit ut laborent,
opérantes manibus suis, ita ut habeant quod etiam aliis possint tribuere (I Thess.,
II, 9). Et quod saepe de seipso dicit, quod manibus suis operatus sit, ne quem
gravaret (II Thess III, 8), et de illo scriptum est, quod coniunxerit se Aquilae
:
locis, satis apparet Dorainum nostrum non hoc improbare, si quis huraano more
ista procuret sed si quis propter ista Deo militet, ut in operibus suis non regnum
:
par ces passages et par d'autres semblables des Ecritures que notre Seigneur ne
réprouve pas cida, si quelqu'un recherche ces choses par des moyens humains mais ;
bien si quelqu'un sert Dieu en vue de ces choses, de telle sorte qu'il tende par ses
œuvres, non au résine de Dieu, mais à l'acquisition de ces choses». Si Saint Mat-
thieu a vraiment voulu dire cela, il faut reconnaître, que tout en ayant de beaux
talents, il n'avait pas celui d'exprimer clairement sa pensée.
3
tredit B ? Eh bien non, cela prouve que l'on doit entendre B d'une
façon différente du sens littéral». La conception de Saint Augustin
est évidemment que les Saintes Ecritures constituent un ensemble
dont ne peuvent jamais se contredire. C'est pourquoi il
les parties
n'y a en elles aucune contradiction, parce qu'z7 ne peut pas y en
avoir. Saint Augustin' dit qu'il a dû écrire le livre Du travail des
moines, parce que, parmi ceux-ci, il en était qui ne voulaient pas
travailler, croyant ainsi obéir à l'Evangile. Le Saint montre leur
erreur et leur contradiction, du fait qu'effectivement ils ne suivent
pas le précepte évangélique à la lettre. A la vérité, il démontre
ainsi uniquement que le suivre à la lettre est très difficile, ou pour
mieux dire impossible mais il ne démontre nullement que le
;
sens soit autre que celui des termes employés. Pour se sortir d'em-
barras, le Saint change entièrement le sens des paroles de l'Evan-
gile. Il dit ^ « Tout le précepte se réduit donc à la règle que, même
:
Dîi travail des moines, parce que lorsque les monastères commencèrent à exister
à Carthage, les uns se subvenaient par les travaux manuels, obéissant à Tapôtre,
les autres voulaient vivre des oblations des gens religieux, en ne faisant rien pour
se procurer ou compléter leur nécessaire, estimant mieux pratiquer, et s'en vantant,
le précepte évangélique où le Seigneur dit [Matth., VJ, 26) Respicite volatilia
:
coeli et lilia agri. C'est pourquoi, même parmi les simples laïques, mais qui étaient
animés d'une des disputes tumultueuses commencèrent à se produire,
foi fervente,
qui troublaient l'Eglise...» —
D. Ausust. I)e opère monachorum. 28, 27. Le saint
;
dit «En vérité, ils invoquent maintenant l'Evangile du Christ contre l'apôtre du
:
Christ. Elles sont surprenantes les actions de ces paresseux, qui veulent faire au
nom de l'Evangile un obstacle de ce que Tapùtre prescrivit et lit précisément afin
que l'Evangile même n'eût pas d'obstacles. Et pourtant, si nous voulions les con-
traindre à vivre suivant les paroles mêmes de l'Evangile, telles qu'ils les compren-
nent, ils seraient les premiers à tâcher de nous persuader qu'elles ne doivent pas
être comprises comme ils les comprennent. Ils disent, en effet, ne pas devoir tra-
vailler parce que les oiseaux du ciel ne sèment ni ne moissonnent, eux que le Sei-
gneur nous donna comme exemple, afin que nous ne nous inquiétions pas de ces choses
nécessaires. Pourquoi ne font-ils pas attention à ce qui suit ? car il n'est pas dit seu-
lement parce qu',, ils ne sèment ni ne moissonnent, " mais il est ajouté ,, et ils
:
n'amassent pas dans les greniers". Ces greniers peuvent être des greniers propre-
ment dits ou des credences. Pourquoi donc ces gens veulent-ils avoir les mains
oisives et les credences pleines? Pourquoi ce qu'ils recueillent grâce au travail d"au-
trui l'amassent-ils et le conservent-ils pour leurs besoins journaliers ? Pourquoi
moulent-ils et cuisent-ils? Vraiment, les oiseaux ne font pas cela».
passage (Jean, XII), d'où il appert que le Christ avait une bourse,
confiée à Judas, et cet autre (AcL, IV, 34, 35), où il est dit que les
apôtres gardaient le prix des terres qui était déposé à leurs pieds.
« Il est donc permis d'avoir le souci de l'avenir. Mais ce que
Non te deserit, qui te praerogatorem conslituit. Ipsius est enim vox in Evangelio
arguentis incredulos et dicentis «Considerate volatilia caeli, quoniam non semi-
:
narit neque metunt», quibus non sunt cellaria; «et Pater vester caelestis pascit illa».
C'est possible, mais quand la neige recouvre la terre, les pauvres oiseaux souffreni
de la faim, et beaucoup meurent. Ceux qui vivent près des habitations des hommes
sont bien contents d'être nourris de ce que la prévoyance humaine a mis en réserve.
1803* D. Ansrlmi Enarrationum in Eonngelium Mntthaei, e. VI [Ideo dico
; :
vohis : Ne soLiciti sitis, ete.] Et quia non potestis Deo servire et mammonae, ideo
nolite esse soliciti de divitiis temporalibus causa victus et veslitus. Duae enim
sunt sollicitudines, alia est rerum, alia vitio hominum. Ex rebus ipsis oritur
sollicitude, quia pauem habere non possumus nisi seminemus, laboremus et simi-
lia. Hanc soUicitudinera non prohibet quia Dominus ait In sudore vultus tui
:
vesceris pane tuo. — Cela prouve qu'il y a des passages contradictoires dans l'an-
cien et dans le nouveau Testament, mais ils ne détruisent pas le sens de Saint-
Matthieu. —Conceditur ergo nobis providentia et labor. Sed estquaedam sollici-
tude ex vitio hominum superflua, quando ipsi desperantes de bonitate Dei frumen-
tum plusquam est necessarium, et pecuniam reservant, et dimissis spirituali])us,
illis intnnti sunt hoc proliibetur. — Saiat Anselme fait cette distinction mais on ;
n'nn voit pas trace dans les paroles de Matthieu. — Saint Jean Chrysostôme s'en lire
aussi d'une manière semblable. D. Ioann. Chrys. hom. XXI in c. Matth., VI.
;
Après avoir rappelé que le Seigneur dit des oiseaux qu'ils ne sèment ni ne mois-
sonnent. Saint Jean (Jlhrysostôme ajoute «(3) Quoi donc ? Dit-il qu'on ne doit pas
:
semer ? Il ne dit pas qu'on ne doit pas semer, mais qu'on ne doit pas s'inquiéter,
ni qu'on ne doit pas travailler, mais qu'il ne faut pas se décourager ni se rendre
malheureux en se tourmentant».
1803* D. Thom. Summa theol.. Il» II»^ q. 55, art. 7. Conclusio. Oportet horai-
;
nem tempore congruent! atque opportune, non autem extra illud tempus, de futu-
ris esse sollicitum.
SOCIOLOGIE 72
1138 CHAPITRE XI ^ 1804-180&
et que, par ce fait, elle nous est donnée comme devant être imitée ».
ôvTEç... «mais étant seulement des Grecs». (2) Ensuite, ils prirent le nom de chré-
tiens.
Euchitae opinari, monachis non licere sustentandae vitae suae causa aliquid ope-
rari, atque ita se ipsos monachos proliteri, ut omnino ab operibus vacent.
§1807 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1189
gélique, et que Jésus et les apôtres s'y sont conformés; que par conséquent non
seulement les Frères mineurs, mais tous les chrétiens qui doivent faire de l'Evan-
gile la règle de leur vie, devraient s'y conformer; ce qui revient à dire que non seu-
lement le clergé, mais toute la chrétienté devrait se transformer en un vaste couvent
franciscain »
t^ 1810 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1141
inférieures de la société.
1812. Innocent III voyait l'absurdité de la règle de Saint Fran-
çois, et hésitait à lapprouver ou à la rejeter Il ne pouvait ^ « (p. 428)
certainement pas repousser ces forces nouvelles, qui venaient à son
aide d'une manière inattendue pour combattre l'hérésie et, l'on ;
18121 F. Tocr.o ; Veresia nel medio evo. — Fleury; Hist, eccl., t. XX. L'au-
teur dit des franciscains : « (p. xii) Il eût été, ce semble, plus utile à l'église que les
évèques papes se fassent appliquez sérieusement à réformer le clergé séculier,
et les
et le rétablir sur le pied des quati'e premiers siècles, sans appeller au secours ces
troupes étrangères en sorte qu'il n'y eût que deux genres de personnes consacrées
;
à Dieu, des clercs destinez à l'instruction et à la conduite des (p. xrri) fidèles et par-
faitement soumis aux évêques et des moines entièrement séparez du monde, et
;
des ennemis de la papauté. Frédéric II, lui-même, s'en servit. F. Tocco Veres, nel ;
ric II n'est pas différent de celui des franciscains intransigeants. Voyez la lettre au
roi d'Angleterre, dans Bréholles, III, 37-.38, p. 50 In paupertate quidem et sim- :
plicitate fundata erat Ecclesia primitiva, cum sanctos, quos catalogus sanctorum
commémorât, fecundaparturiret sed (p. 448) olim fundamentum nemo potest ponerc
:
praeter illud quod positum est a Domino et slabilitum. Porro quia in divitiis navi-
gant, in divitiis volutantur, in divitiis aedificant, limendum ne paries inclinetur
,^
1814 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1143
occuper.
1814. Aussitôt après la mort de Saint François, et peut-être pré-
cédemment aussi, se manifesta dans l'Ordre la dissension entre
ceux qui voulaient s'en tenir strictement à la Règle, ou si l'on veut
aux paroles de l'Evangile, et ceux qui voulaient concilier la pre-
mière et les autres avec les nécessités de la vie des gens civilisés K
Plus tard, l'Ordre se divisa en trois : les Petits Frères et les Spiri-
tuels, observateurs rigides de la Règle, mais différents par leurs
conceptions théologiques, et les Conventuels, qui interprétaient la
Règle avec quelque liberté ^ Le pape Célestin V permit que l'on
détachât de l'ordre des Mineurs un autre ordre, sous le nom de
Frères du pape Célestin ou pauvres ermites. Ces gens étaient intran-
sigeants sur l'observation de la Règle. Ce pape, qui ne demeura
pas sur le trône de Saint Pierre, était un homme simple et très reli-
motifs politiques. Nous avons dit déjà que celui-ci était également bien vu de Grégoire
et de Frédéric, et Salimbene nous dit qu'il jouait souvent le rôle de médiateur entre
eux. Peut-être, dans ces négociations se montra-t-il plus favorable à la cause impé-
riale... Pour ces raisons, Grégoire déclara cette cause liée à celle du parti intransi-
geant, et non seulement il déposa le malencontreux (p. 446) général, mais l'ayant
fait expulser de l'ordre, il l'excommunia solennellement et il lui serait certaine-
;
ment arrivé pis, si Frédéric ne l'eût pris sous sa protection. L'avisé empereur, accusé
d'hérésie, tirait grand avantage d'avoir de son côté le compagnon de saint François,
qui, peu d'années auparavant, jouissait d'un grand respect de la part du pape lui-
même ».
18141 Plus tard, en 1;311, on trouve définie une différence analogue, dans une
bulle de Clément V. Clement., V, 11, De verboruni significutione, 1, Exivi de
paradiso... Ex praemissis autem succrevit non parum scrupulosa quaestio inter
fratres videlicet utrum ex suae professione regulae obligentur ad arctum, et tenuem.
:
sicut quoad dominium rerum liabent ex voto abdicationem arctissimam ita ipsis ;
quoad usum arctitudo maxima, et exilitas est indicta. Aliis in contrarium asseren-
tibus, quod ex professione sua ad nullum usum pauperem, qui non exprimatur in
régula, obligantur licet teneantur ad usum moderatum temperantiae, sicut et magis
:
tholos., p. 326 Dixit tamen quod audivit ab aliquibus fratribus minoribus de illis
:
vocatis spiritualibus de Narbona et ita fore credidit quod ordo frairum minorum
debebat dividi in très partes, scilicet in communitate ordinis, quae vult habere gra-
naria et cellaria, et in fratissellis et fratribus, qui sunt in Sicilia sub fratre Henrico
4e Geva, et fratribus vocatis spiritualibus vel pauperibus et etiam beguinis. Et dice-
bant quod prime due partes, quia non observant regulam beati Francisci debebant
cadere et cassari, sed tercia pars quia observabat regulam evangelicam debebat
remanere usque ad finem mundi...
1 144 CHAPITRE XI § 1815-181&
acheter ou vendre ? D'une façon très simple. Une personne qui n'est
pas tenue d'observer la Règle reçoit l'argent et le dépense pour les
besoins des Frères. Les Frères ne doivent rien posséder en propre.
Comment donc avoir des immeubles et des meubles ? Il n'y a là
aucune difficulté. La nue propriété demeurera à d'autres personnes,
et les Frères en auront l'usufruit. Ainsi, il est de même exclu que
n'importe qui puisse s'approprier ce dont les Frères ont l'usage. Ils
qui se pretendoient les plus zélés pour l'étroite observance, ne manquèrent pas
de profiter de la disposition favorable du pape (p. 536) Gélestin pour l'austérité et
la réforme. Ils lui envoyèrent donc frère Libérât et frère Pierre de Macérata... Ils
vinrent le trouver... et lui demandèrent que sous son autorité, à laquelle personne
n'oseroit s'opposer, il leur fût permis de vivre selon la pureté de leur règle et l'in-
tention de saint François ce qu'ils obtinrent facilement. Mais de plus le pape leur
:
blement sans l'usage des livres. Il ressort de tout cela que la Règle
permet aux Frères l'usage des choses nécessaires à l'alimentation, à
l'habillement, au culte divin, à l'étude savante». Qui veut donner
aux Frères veut donner à Dieu. « Et il n'est personne à qui, au lieu
de Dieu, on puisse transférer cette propriété plus convenablement
qu'au Saint-Siège, et à la personne du Pontife romain, vicaire du
Christ, père de tous et spécialement des Minorites ))^ Avec la cons-
titution Exivi de paradiso, du pape Clément V, on revient pour
quelque temps à l'interprétation littérale, et l'on voit de nouveau
apparaître les très respectables oiseaux, nourris par la divine Pro-
vidence -. Vint ensuite le pape Jean XXII, qui comprenait beaucoup
mieux les nécessités de la vie pratique. Comme il avait à se plaindre
des Frères Mineurs dissidents, il se tourna contre eux. Il n'eut pas
beaucoup de peine à relever l'absurdité de la dérivation grégorienne,
et ce qu'il y avait de ridicule à séparer la propriété de l'usufruit,
1817' Sexti décret., V, 12, l)e verborwm significatione, 3, Exiit qui seminat.
Il continue ainsi Ne talium rerum sub incerto videatur esse dominium, cum patri
:
filius suo modo, servus domino, et monachus monasterio res sibi oblatas, concas-
sas, vel donatas acquirant, omnium ustensilium, et librorum, ac eorum mobilium
praesentium, et l'uturorum, quae, et quorum usumfructum scilicet Ordinibus, vel fra-
tribus ipsis licet habere, proprietatem, et dominium (quod et fel. record. Innoc.
Papa lY praedec. noster fecisse dignoscitur) in nos, et Romanara Ecclesiam plene,
et libère pertinere bac praesenti constitutione in perpetuum valitura sancimus.
pour les choses qui se consomment, car c'est vraiment une singu-
lière dérivation que celle qui conserve la propriété d'une bouchée
de pain à d'autres personnes qu'à celle qui le mange. Comme la
ter contre la volonté du pape, qui, de cette façon, fut poussé à déve-
lopper sa dérivation ^ 11 révoqua la bulle de Nicolas III. Ensuite,
exigit. La constitution fut rêpiVe c'est pourquoi elle a différentes dates postérieures à
:
maximum, si custodiatur illaesa nam prima rebus, secunda carni, tertia vero menti
:
dominatur, et animo, quos velut efiraenes, et liberos ditioni alterius, humilis iugo
propriae voluntatis adstringit.
En 1318, à Marseille, quatre frères Mineurs préférèrent se laisser brûler, plu-
1817*
tôt que d'obéir au pape. Dans la sentence de condamnation, il est dit de ces Frères :
Asseruerunt quod sanctissimus Pater lohannes XXII non habuit nec habet potesta-
tem faeiendi quosdam declarationes, commissiones et praecepta contenta in quadam
constitutione sive décrétai!... quae incipit Quorundam, et quod ipsi Domino Papae
non tenebantur obedire. Et insuper coram nol)is constituti protestati sunt verbo
et in scriptis quod stabant et stare intendunt usque in diem iudicii in prolestatio-
nibus... videlicet quod illud quod est contra regulae fratrum minorum observan-
tiam et intelligentiam est per consequens contra evangelium et tidem, alias non
esset penitus quod régula evangelica, et quod nullus mortalis potest eos cogère ad
deponendum ipsos babitos curtos et strictos (Citât, de ïor.co, loc. cit., p. 516).
— Exiravag loann. XXII, XIV, I)e verborum significatione, 5 Quia quorun- :
dam mentes. Le pape réprouve et condamne l'opinion de ceux qui n'acceptaient pas
sa constitution Quorundam exigit, et dit des Mineurs: Ad irapugnandasautem consti-
tutiones praedictas suprascripta ratione, tam verbo, quam scripto usi sunt publiée,
sicut fertur illud, inquiunt, quod per clavom scientiae in fide. ac moribus semel
:
nihil in hoc mundo habet propriuru, vol commune sed in rebus, quibus utuntur. ;
habent simplicem usum facti his addere praesumentes praefatos sumraos Ponti-
;
usum facti et statuit, quod de cetero nullum ius, nullumque dominium habeat
:
sanae mentis credere poterit quod intentio fuerit tanti patris unius ovi. seu casei,
aut frusti panis, et aliorum usu consumtibilium, quae saepe fratribus ipsis ad
consumendura e vestigio conferuntur, dominium Romanae Ecclesiae, et usum fra-
tribus retinere ?
1817 "5 Extravag. loan. XXII, XIV, 3. Ad conditorem canonum. Le pape dit
qu'il veut revenir à la vérit('' des
de côté les simulations, qui pour-
faits, et laisser
raient obscurcir la gloire de l'Eglise. Il conclut, par conséquent De fratrum, nos- :
trorum consilio hoc edicto in perpetuum valituro sancimus, quod in bonis, quae in
posterum conferentur, vel offerentur, aut alias quomodolibet obvenire continget
fratribus, seu ordini supradicti (exceptis Ecclesiis, oratoriis, officinis, et habitatio-
nibus, ac vasis, libris. et vestimentis divinis officiis dedicatis, vel dedicandis, quae
ad ipsos obvenient in futurum. ad quae se non extendunt adeo inconvenentia supra-
dicta, propter quod constitutionem istam ad illa extendi nolumus) nullum ius, seu
dominium aliquod occasione ordinationis praedictae, seu cuiusvis alterius a quo-
cumque praedecessorum nostrorum super hoc specialiter editae, Romanae Ecclesiae
acquiratur sed quoad hoc habeantur prorsus ordinationes huiusmodi pro non
:
factis. Il y eut, sur ce point, une longue et âpre polémique entre le pape et les fran-
ciscains, soutenus par Louis de Bavière; car, sous les dérivations, se dissimulait,
comme d'habitude, une discussion de fond qui, dans le présent cas, était celle divi-
sant la papauté et l'Empire. Le pape d('>posa Michel de Clesena, général des francis-
cains, et l'excommunia. Il publia ensuite la célèbre bulle Quia vir 7^eprobus, où il
réfute longuement et subtilement les critiques de Michel de Gesena. Cette bulle appa-
raît comme un traité complet de la matière. Il est remarquable que le pape ait vu
la vanité du droit naturel ou des gens, comme fondement du droit mais comme il ;
mano, sed solum divino dominium rerum temporalium potuit dari hominibus. patet;
1148 CHAPITRE XI § 1818-1819
l'on possède contre qui veut s'en emparer, se montre ensuite, dans
les faits, impitoyable avec ses débiteurs, et ne permet à aucun d'eux
de lui prendre la moindre chose \ Il trouve, quand c'est nécessaire,
constat enim, quod rem aliquam aliquis dare non potest nisi cuius est, vel alias eius
voluntate : necdubium quin Deus omnium temporalium vel iurecreationis, quia illa
de nihilo creaverat, vel iure factionis, quia de sua materia illa fecerat, dominus esset.
Ergo nu' lus Rex deillarum dominio,nisi de voluntate Dei potuitordinare. Si l'on admet
les prémisses, le syllogisme est parfait et si la logique pouvait avoir sa place en
:
seu dirigit ad aliqua omnibus animantibus communia facienda. Nec iure gentium,
nee iure Regum, seu Imperatorum fuit dominium rerum temporalium introduc-
turn; sed per Deum, qui est et erat earum rerum dominus. fuit collatum primis
parentibus...
usage —
pour soigner leur santé, disent-ils de l'élher, de la mor- —
phine, de la cocaïne, ou boivent tant de thé qu'ils se donnent
une maladie à laquelle on a donné le nom de théisme et combien ;
fraude des esclaves, la lui révéla; aussi le brave homme eut-il soin
que Dieu lui doit He retour, que la Religion est blessée en sa personne, et que ses
fureurs sont divines ».
1820» Ensh-Bii; Evang. praep., XIV, 7 (p. 736).
veut point principalement aux femmes ce n'est que par accident et fort indirecte-
;
ment qu'il les maltraite: son principal but est de tourner en ridicule le Système des
Sociniens, et leur méthode de se jouer des textes les plus formels de la parole
de Dieu touchant la Divinité du Verbe. Il y a long-temps qu'un journaliste l'a
remarqué. Voici ses paroles ,, Pourquoi ne pas permettre à tout le monde
: de se
convaincre que les Sociniens ne payent que de chicaneries si méchantes, qu'on leur a
fait voir qu'avec leurs Gloses on éluderoit tous les passages de l'Ecriture qui prou-
vent que les femmes sont des creatures humaines, je veux dire de même espèce que
les hommes. Ce fut le sujet d'un petit livre qui parut sur la fin du dernier siècle :
mulieres homines non esse, auquel un nommé Simon Gediccus, Ministre du païs
de Brandebourg repondit fort sérieusement, n'ayant pas pris garde au but de l'Au-
teur, qui étoit de faire une Satire violente contre les Sociniens car en effet que ;
peut imaginer déplus propre aies tourner en ridicule, ou de plus morlifiant, que
de leur montrer, que les Gloses, avec lesquelles ils combattent la consubstantialité
du Plis de Dieu, sont capables d'empêcher qu'on ne prouve par l'Ecriture que les
femmes sont des creatures humaines?" a). Gochleus employa la même machine,
mais fort inutilement contre Luther; il fit des livres où en se servant de la méthode
Luthérienne, il prouvoit par des passages de 1" Ecriture que Jésus-Christ n'est point
Dieu, que Dieu doit obéir au Diable, et que la Sainte Vierge ne garda point sa vir-
ginité ». Bayle ajoute que Theoph. Raynaudus « venoit de donner un grand
:
certains Censeurs, le Symbole des Apôtres ne contenoit aucun article que l'on ne
pût fulminer ».
1823 Martello dans le Journal des Economistes, mai 1913 «(p. 491) J'ai
1 T. ; :
dit que jeu du loto est le jeu de la spoliation. Je ne l'ai pas dit par métaphore.
le
Il en est réellement ainsi. C'est un jeu de spoliation, parce qu'il ne règle pas les numé-
ros sortants comme le fait la roulette (jeu de pur hasard), mais qu'il garde à son
foi, n'ont aucune parole de reproche pour les gens qui, dans le
Midi de la France, font voter les absents et les morts, tandis que
ces mêmes personnes entrent en fureur à la seule idée que
les jésuites pouvaient admettre que la lin justifie les moyens.
Parmi ceux qui, en Italie, ont toléré les abus de confiance révélés
par banques, » et par d'autres analogues, et qui
« l'enquête sur les
continuent à en tolérer de semblables, il y a des honnêtes gens
convaincus de suivre rigoureusement les principes de la morale
théorique. Parmi les personnes qui, en France, approuvent le pro-
cureur général Bulot, lorsqu'il déclare que les magistrats doivent
s'incliner devant la « raison d'Etat, le fait du prince », sous peine
propre avantaj<e 85 numéros sur 90 qu'il met dans l'urne. A la roulette, celui qui
met un écu sur une couleur, gagne un écu; sur 6 numéros, il en gagne 5 et retire le
sien; sur la douzaine ou la colonne (12 numéros) il en gagne 11 et retire le sien,
(jelui qui joue un i''cu en plein, ou qui met un écu sur l'un quelconque des £6 numé-
ros, en g:tgne 35 el retire le sien. Celui qui veut faire le jeu de la banque met sur
zéro. Au contraire, le loto royal paie 10 fois et demi la mise à celui qui gagne Vex-
trait simple. S'il procédait comme la roulette, il devrait en payer 18, soit autant de
mises en plus qu'il y a de probabilités favorables en plus (17 -|- 1) A celui qui
gagne Vextrait déterminé, le loto royal paie 52 fois et demi sa mise, au lieu de
90 fois (spoliation 41,67 *'/o). Ensuite, la spoliation continue en proportions énormes.
A celui qui gagne ïambe, il paie 250 fois sa mise au lieu de 400, .50 {spoliation 87,.58o/o) ;
au gagnant du terne, il paie 4250 fois sa mise, au lieu de 11748 (spoliation 68,82 o/o) ;
il paie GOOiiO fois la mise au gagnant du quaterne (p. 492) au lieu de 511038 (spolia-
tion 88,26 "/o)... Mais on remarquera encore que, quelle que puisse être la mise du jeu
(terne, quaterne, quine), le loto royal ne paie pas plus de 400 000 francs au même
billet. Ainsi celui qui mettrait 100 francs sur un quaterne devrait avoir 511 038 fois
sa mise, soit 51103 800; mais le quaterne n'étant payé qu'à raison de 60000 fois la
mise, il devrait avoir 6 000000 de francs; et, au contraire, à cause de la limite sus-
indiquée, il ne retirerait que 400 000 francs, et la spoliation atteindrait, par consé-
quent, 93,83 "/o. Ce n'est pas tout : le loto royal ne paie pas plus de six mil-
lions de francs pour chaque tirage sur tous les jeux de tous les bureaux du
royaume; et si, au total, les jeux gagnants emportaient, pour le loto royal, une
dépense supérieure aux six millions, le gain de tous les jeux serait réduit en propor-
tion correspondante, et, en ce cas, la spoliation n'a pas de pour cent fixe, mais
oscille au delà des pour cent susindiqués, suivant le chiffre plus ou moins haut,
au delà delà limite des six raillions. Par ces artifices, l'Etat prélève sur les maigres
ressources des gens les plus nombreux et les moins fortunés du royaume, plus de
quatre-vingt-dix millions de francs par an...». C'est là r«Etat éthique» ou de
« droit» des théoriciens.
1152 CHAPITRE XI § 1825-1826
blique, la loi est égale pour tous. Cette foi n'est nullement ébranlée
par des procès comme ceux de Rochette ou de Mme Caillaux. Nous ne
vouions que relever l'écart entre la pratique et la morale théori-
ici
18241 Manuale, p. 75 « Sembat. Vous avez parlé, vous aussi, monsieur le pro-
:
cureur général, de l'intérêt supérieur. Il y a donc une raison d'Etat devant laquelle
un magistrat est obligé de s'incliner ? —
Bulot. Sous peine d'être révoqué, évidem-
ment (rires) ». En 1914, une commission d'enquête parlementaire révéla qu'un pro-
cureur général et un président de Cour d'appel s'étaient inclinés devant « la raison
d'Etat», à eux manifestée par le ministre Monis, et avaient, contre leur volonté,
favorisé Rochette. Il y eut alors un grand nombre de gens qui s'étonnèrent, d'autres
qui s'indignèrent de voir mettre ainsi en pratique une théorie formulée tant d'an-
nées auparavant par Bulot, théorie bien connue d'eux, et qui est appliquée à chaque
instant par les partis qui sont au gouvernement.
§ 1827-1829 PROPRIÉTÉS des résidus et des dérivations 1153
ensuite un autre effet en sens contraire, qui naît par réaction contre
la violence que subit l'individu et cet effet peut, en certains cas,
;
qu'ils soient offusqués, peut souvent être très utile. C'est là un cas
particulier du fait général que celui qui gouverne peut mieux et
plus facilement se servir des résidus existants que les modifier
(§ 1843).
1833. Le motif pour lequel les sentiments forts sont renforcés,
est qu'en réalité on ne supprime pas la manifestation (/•) on :
tifie à cause des obstacles mêmes qui sont mis à ce que les gens
1833* [Note du traducteur]. Exode, I, 11-12 « Et Ton établit sur lui [Israël] des
chefs de corvées, afin de l'accabler de travaux pénibles. C'est ainsi qu'il bâtit les
villes de Pithom de Ramsès, pour servir de magasins à Pharaon. Mais plus on
et
l'accablait, plus il aversion les enfants
[multipliait et s'accroissait, et l'on prit en
d'Israël ». Il est facile de trouver un grand nombre d'exemples analogues il suffit :
raisse parce qu'elle est repoussée par le public, ou parce qu'elle est
réprouvée par l'autorité, il semble à beaucoup de personnes que
c'est la même chose au point de vue de l'équilibre social. Au con-
traire, ces deux cas diffèrent du tout au tout. Dans le premier cas,
la disparition de la dérivation est l'indice d'un changement qui a
lieu dans les conditions de l'équilibre social dans le second cas,
;
suit que s, t, ... sont aussi renforcés; c'est-à-dire qu'il y a des cas
dans lesquels l'affaiblissement ou la destruction d'une manifesta-
tion fait croître les autres manifestations s,t, .... Cet effet est sem-
/•
ce fut une invasion d'hommes qui apportaient avec eux les résidus
qui se manifestèrent par des dérivations. Les anciens peuples de
Rome, du Latium et de l'Italie, avaient certains résidus auxquels
correspondait une certaine religion. Les peuples orientaux
avaient divers résidus auxquels correspondait une religion diffé-
rente. Rome vainquit ces peuples par les armes et les asservit ;
mais ensuite, elle en tira ses affranchis, qui devinrent ses citoj^ens,
et permit que les peuples vaincus affluassent à Rome, des provinces
sujettes, voire de la Judée méprisée. C'est pourquoi ce n'est pas la
Grèce seule, mais bien aussi l'Asie, l'Afrique et d'autres contrées
barbares, qui apportèrent à Rome leurs sentiments et les concep-
tions ou les dérivations correspondantes. Non seulement vers la fin
de l'Empire, mais aussi au beau milieu de son existence, les
Romains n'avaient que le nom de commun avec les populations
qui conquirent le bassin de la Méditerranée.
1841. Pour supprimer (a), beaucoup de personnes croient
qu'on peut recourir à un changement de l'éducation. Ce procédé
peut être efficace, du changement d'éducation est conti-
si l'action
nuée durant le reste de la vie. Autrement, il a peu ou point d'effi-
cacité. Les futurs chrétiens furent instruits dans les écoles païennes ;
Dans lepremier de ces pays, en 1911, le plus grand nombre de ceux qui étaient
adultes, au temps de la guerre de 1870, avaient disparu. Gela fut, au moins en
partie, la cause du réveil de nationalisme en France. Dans le second de ces pays,
en 1913, la plus grande partie de ceux qui avaient souffert au temps de la domination
autrichienne sur l'Italie avaient disparu. Gela rendit plus facile l'œuvre du gouver-
nement, qui traitait de « rebelles » les Arabes défendant leur pays, et qui, pour main-
tenir «l'équilibre de l'Adriatique», voulaient que les Grecs de l'Epiro fussent soumis
à la domination albanaise, exactement comme les Italiens du Lomliard- Vénitien
étaient soumis jadis à la domination autrichienne.
§1842-1843 PROPRIÉTÉS des résidus et des dérivations 1159
catholiques d'Allemagne... (p. 48) Dès 1874, c'est-à-dire avant la fin de la troisième an-
née où avait commencé la campagne contre Rome, les observateurs attentifs prévoyaient
que le résultat de cette campagne devenait douteux, et on constatait que le prince
de Bismarck marquait moins de zèle pour soutenir l'idée d'une Eglise nationale
allemande... (p. 51) Cette situation violente [le conflit entre le gouvernement alle-
mand et Rome] devait durer plusieurs années, et il fallut des circonstances que
n'avaient pas prévues les nationaux-liljéraux pour détacher complètement le prince
de Bismarck d'un programme qui avait d'abord séduit son esprit, mais dont l'in-
succès était devenu certain depuis que les populations catholiques de l'Empire
avaient répondu aux menaces dont elles étaient l'objet en se faisant représenter au
Reichstag par une minorité qui avait pris, sous le nom de fraction du centre, une
grande importance, tandis qu'au contraire les nationaux-libéraux étaient chaque
jour combattus avec plus d'ardeur par les progressistes et les socialistes». Bis- —
marck Pensées et souvenirs, t. II « (p. 3t)G) Qu'on se rappelle l'époque où le Centre,
; :
fort de l'appui des jésuites plus que de celui du pape, soutenu par les Guelfes (et
pas uniquement par ceux de Hanovre), par les Polonais, les Alsaciens francophilrs.
le parti démocratique radical, les démocrates socialistes, les libéraux et les particu-
laristes, tous unis dans un seul et même sentiment d'hostilité contre l'empire et sa
dynastie, possédait, sous la direction de ce même Windthorst. qui avant et après
sa mort est devenu un saint national, une majorité sûre et impérieuse faisant échec
à l'empereur et aux gouvernements confédérés ».
1843- A vrai dire, l'erreur de Bismarck paraît avoir été de tactique politique plu-
tôt que d'évaluation de la force des résidus ou de l'art de s'en servir. En effet, avant
et après le Kulturkampf, il fit voir qu'il savait se servir des résidus sans le
moindre scrupule. Les « intellectuels » fanatiques du Kulturkampf croyaient que
Bismarck était partisan de leurs croyances, tandis qu'il se servait de ces
bonnes gens, uniquement comme d'instruments. —
Busgh Les niém. de Bism., ;
bizarre, mais, après tout, pas si inexplicable Et quel profit Nous montrerions aux
! !
catholiques que nous sommes les seuls capables de protéger le chef de leur Eglise.
Stofflet et Charette, avec leurs zouaves, pourraient retourner à leurs affaires. Nous
aurions pour nous les Polonais l'opposition des ultramontains cesserait aussitôt en
;
Bavière [Voilà l'homme d"Etat qui sait se servir des résidus]... Seulement il y a le
roi Il ne voudra jamais y consentir. Il a une peur du diable Il croit que toute la
! !
Il faut remarquer cette opinion d'un homme pratique elle est rigoureusement scienti-
:
fique! (1851) « Et, après s'être égayé encore quelque temps à la pensée de l'émigration
du pape et de ses cardinaux vers Fulda, M. de Bismai'ck conclut Evidemment le roi :
Pologne est tout à fait typique. Un pays a été partagé en trois. Dans
les territoires soumis à la domination russe ou prussienne, le gou-
vernement veut combattre ou modifier les sentiments il fait une :
début du Kulturkampf « (p. 25) L'heure n'était-elle pas propice pour commencer à
:
Berlin le Gulturcampf, dont les premières lignes venaient d'être tracées par M. Lutz?
Kome ainsi avertie n'allait-elle pas reculer ? Tout porte à croire que tel était, au
début de l'année 1872, l'espoir du prince de Bismarck. Cette pensée se fit jour dans
les discours qu'il prononça les 30 et 31 janvier à la Chambre des députés de Prusse
lors des débats sur le budget du ministère des cultes. A côté du reproche adressé au
parti clérical d'avoir travaillé à la mobilisation du groupe du centre en vue de
mieux faire la guerre au nouvel état de choses [voilà le motif réel de la guerre que
Bismarck est sur le point de faire] à côté aussi des anathèmes habituels à l'adresse
de l'ancienne confédération du Rhin, certaines paroles du chancelier purent être
interprétées comme l'indice d'une disposition à entrer en pourparlers avec le Vati-
can». Le pape ne se montra pas assez conciliant, et Bismarck essaya de le com-
battre. Mais, en homme sage et pratique, il ne tarda pas à s'apercevoir qu'il avait
mieux à faire que de se perdre en absurdes disputes théologiques. En 1885, il défé-
rait au pape l'arbitrage, dans le conflit avec l'Espagne, au sujet des îles Carolines.
« (p. 198) Le 21 mai 1886, le roi de Prusse décrétait une loi en quinze articles qui
le chancelier, du plaisir qu'ils [les Polonais] éprouvent à voir qu'on connaît leur
langue maternelle. Dernièrement à l'hôpital, j'ai rencontré comme cela quelques
pauvres diables. Lorsque je leur ai parlé polonais, j'ai vu immédiatement
leur face blême s'éclairer d'un sourire. C'est dommage que leur général en
chef ne connaisse pas leur langue. Ce reproche indirect s'adressait au Kron-
prinz (p. 238) en personne qui avait les troupes polonaises sous ses ordres. Il
releva, en riant, la pointe du chancelier: ,,.Jevous reconnais bien là, Bismarck,
fit-il, vous en revenez toujours au même point. Mais je crois vous avoir dit pour-
tant plusieurs fois que je n'aime pas cette langue et que je ne veux pas l'apprendre ".
— ,,Les Polonais sont pourtant de bons soldats. Monseigneur, répliqua M. de Bis-
marck, et de bons garçons..."». Les grands capitaines, par exemple César etNapo-
léon, étaient passés maîtres dans l'art d'utiliser les sentiments de leurs soldats.
1162 CHAPITRE XI § 1844
dre effet sur celles-ci ; à tel point que si l'on ne se mettait pas en
garde contre le raisonnement post hoc propter hoc, on inclinerait à
dire qu'au contraire, là où les mesures prises contre les mauvaises
mœurs sont le plus rigoureuses, c'est là que celles-ci sont le plus
mauvaises. Nous pouvons voir autour de nous que les mesures qui
répriment une manifestation /• servent uniquement à renforcer les
autres manifestations s, t, .... Là où l'on fait la guerre à Cythère, la
puissance de Sodome, de Lesbos et d'Onan s'accroît. Là où, sous
prétexte de réprimer la « traite des blanches », on fait la chasse
aux femmes légères, là fleurissent l'adultère et les mariages annuels
ments que je désire voir chez les bons citoyens donc je dois m 'ef- ;
forcer de faire que tout le monde ait la religion X, que j'ai déter-
minée et que je Laissons de côté la question de
protégerai ».
a les sentiments que je désire voir chez les bons citoyens mais on ;
toutes les sectes chrétiennes ont une liberté très large, avec l'état
de cette même religion, en France, lorsque, comme sous Napo-
léon III, par exemple, elle jouissait de la protection du gouverne-
ment, et l'on apercevra aussitôt combien cette protection est ineffi-
cace pour renforcer les résidus religieux. Qu'on y ajoute l'exemple
1168 CHAPITRE XI § 1852-1853
propre foi ; il est par conséquent aussi un indice que l'on obtiendra
les effets désirés de
la religiosité. Elliptiquement, on pourrait dire
qu'il est bon que celui qui doit agir ait cet attachement et cette
aversion, pourvu qu'on entende par là, non les dérivations par
lesquelles ces deux sentiments se manifestent, mais les sentiments
qui renforcent la foi (§ 1744). Si quelqu'un disait qu'il serait bien
que les hommes fussent tolérants envers ceux qui ont une foi diffé-
rente, il n'y aurait rien à objecter, sinon que celui qui affirme cela
suppose inexistante une liaison (^ 126) qu'on observe habituelle-
ment. Il est de même utile que celui qui se sert de la religiosité des
autres à des fins sociales, ne s'adonne pas à certaines manifesta-
tions extrêmes de cette religiosité. Celui qui a une foi vive la mani-
feste parfois d'une manière nullement raisonnable, et qui peut être
parfaitement ridicule ^ De quelqu'un disait — et
même aussi, si
18531 C'est là unphénomène dépendant des résidus de la Ille classe. Les hom-
mes, comme animaux, éprouvent le besoin de manifester leurs sentiments par
les
<les actes qu'il est impossible d'unir par un lien logique ou raisonnable aux senti-
ments mêmes. Le chien qui retrouve son maître remue la queue mais il est impos- ;
sible de fixer un lien logique entre ces mouvements de queue et l'affection du chien
pour son maître. Si les chiens avaient des moralistes, ceux-ci démontreraient peut-
être par de belles homélies que ces mouvements de queue sont ridicules mais les ;
SOCIOLOGIE 74
1170 CHAPITRE XI § ISSé-lSÔ.'V
La dilYérence relevée ici entre celui qui fait agir et celui qui
agit est d'ordre général ; nous en verrons un grand nombre d'autres
exemples.
18S4. Pour faciliter l'exposition, nous avons employé tout à
l'heure le terme religion, qui n'est et ne peut être défini avec préci-
sion ; c'est pourquoi il faut être en garde contre les erreurs qui
pourraient provenir de son indétermination. Les ensembles appelés
religions sont constitués par des résidus et des dérivations. Il y a
des résidus communs à ces différents ensembles; il y en a de diffé-
là une erreur digne de ces personnes qui se montrent à chaque instant igno-
rantes des rapports entre les faits sociaux. Il est certes permis de désirer que
les sentiments puissants ne s'accompagnent pas de manifestations non rigoureu-
sement raisonnables, et que par conséquent les sentiments manifestés par les
résidus de la IIP classe s'affaiblissent; mais tant que ces sentiments conservent
la même force, celui qui veut les sentiments doit se résigner à accueillir aussi
les manifestations. Il est vrai qu'un grand nombre de ces moralistes sont aussi des
liumanitaires qui ne veulent pas ces sentiments. Ils n'osent pas le dire, parce qu'ils
craignent le blâme du public, mais dans leur for intérieur ils repoussent le patrio-
tisme, parfois consciemment, parfois sans trop s'en apercevoir, et ils rêvent à la
fraternité universelle. Ne pouvant combattre trop ouvertement les sentiments de
patriotisme, ils se contentent; d'en combattre les manifestations.
î^ 1856-1857 PROPRIÉTÉS des résidus et des dérivai ions 1171
En Italie, ces résidus sont faibles ; en Prusse, ils sont très forts.
C'est là un des si nombreux cas où un groupe de résidus se fortifie
au détriment des groupes analogues.
18o7. Lorsqu'on fixe son attention principalement ou unique-
ment sur les dérivations, on désigne souvent par le même nom des
choses ditïérentes. Par exemple, un ensemble où il y a unité de
dérivations nous apparaît comme une religion unique tandis ,
qu'elle peut être divisée en plusieurs, si l'on fait attention aux rési-
dus différents, grâce auxquels elle est acceptée par des classes di-
verses de personnes. Voyons, par exemple, le socialisme. Les clas-
ses inférieures, qui attendent de cette religion l'amélioration dé leur
sort, acceptent le socialisme surtout grâce aux résidus d'intégrité
personnelle, et en outre grâce aux intérêts. Dans les classes supé-
rieures, nous avons d'abord ceux qui se servent du socialisme à
leurs fins. Leurs actions sont principalement logiques par consé- ;
quent nous n'en parlons pas. Puis nous avons des gens qui accep-
tent le socialisme, mus surtout par des résidus de sociabilité, parmi
lesquels ceux de l'ascétisme jouent souvent un grand rôle. La reli-
gion socialiste de ces gens, envisagée au point de vue des résidus,
est donc entièrement difïérente de celle des classes inférieures. Des
considérations analogues s'appliquent aux autres religions par ;
(§ 1843).
18o8. Au point de vue de leur valeur sociale, les résidus de
l'ascétisme sont en général inutiles et même nuisibles. Par consé-
quent, il est assez probable que la religion socialiste des classes
inférieures est socialement utile, tandis que la religion ascétique
des classes supérieures est nuisible. En somme, la première peut
être révolutionnaire, mais elle n'est pas du tout contraire à la hié-
par une hypothèse qui n'est pas du tout probable, elle avait cette
valeur, cela ne servirait à rien pour pousser les hommes à des ac-
tions utiles, car ils sont guidés principalement par le sentiment. De
semblables observations servent à juger l'action des « intellectuels )>.
raisonnent pas sur les faits, mais sur les dérivations, dont ils tirent
avec une rigueur logique inopportune des conséquences qui diver-
gent entièrement des faits (§ 1782). Les considérations que nous
venons de présenter s'appliquent à la religion démocratique en
général. Les nombreuses variétés de socialisme, de syndicalisme,
de radicalisme, de solidarisme, de tolstoïsme, de pacifisme, d'hu-
manitarisme, forment un ensemble que l'on peut rattacher
etc.,
ne les ont pas, il n'y aura pas r, mais s, t,... n'y seront pas non
plus.
1861. Supposons, par exemple, qu'on veuille supprimer les
peines r pour les délits de pensée et les délits d'hérésie des diffé-
rentes religions, et conserver des peines très graves pour le s, t,...
les peines s'est modifié dans le sens d'un accroissement des senti-
18591 G. BoissiER La fin du paganisme, t. II. L'auteur observe que l'on demeure
:
18611 Xous avons cité 1716 c) l'un des si nombreux cas où les sentiments d'hu-
(i^
manitarisme permettent aux malfaiteurs d'injurier les magistrats qui les jugent, et
à leurs défenseurs d'admonester le président de la cour d'assises. Voici le contre-
pied, en un temps où ces sentiments n'agissaient pas sur les magistrats. De Gon-
couRT, Journal, t. I, rapporte comment son frère et lui furent accusés et traduits
devant le tribunal, pour avoir reproduit dans un journal des vers imprimés impu-
nément dans un livre couronné par l'Académie « (p. 42) Enfin on appela notre
:
cause. Le président dit un passez au banc qui fit une certaine impression dans le
public. Le banc c'était le banc des voleurs. .Jamais un procès de presse, même en
Cour d'assises, n'avait valu à un journaliste de passer au banc... (p. 4C) Le subs-
titut prit la parole... pris d'une espèce de furie d'éloquence, nous représenta comme
des gens sans foi ni loi, comme des sacripants sans famille, sans mère, sans sœur,
sans respect pour la femme, et, pour péroraison dernière de son réquisitoire —
comme des apôtres de l'amour physique». Les vers qui excitaient pareillement la
furie de ce personnage étaient les suivants (p. 35) :
Alors notre avocat se leva. Il fut complètement le défenseur que nous attendions. Il se
garda bien de répéter ce qu'avait osé dire Paillard de Villeneuve, l'avocat de Karr
[autre prévenu d'un délit de presse] demandant au tribunal comment on osait requé-
rir contre nous, à propos d'un ai-ticle non incriminé, et dont l'auteur n'était pas avec
nous sur le banc des accusés. Il gémit, il pleura sur notre crime, nous peignit
comme de bons jeunes gens, un peu faibles d'esprit, un peu toqués... » La conclusion
fut que le tribunal blâma l'article, mais acquitta les prévenus, parce qu'ils n'avaient
pas eu «(p. 45) l'intention d'outrager la morale publique et les bonnes mœurs». De
Goncourt ajoute « (p. 45) En dépit de tout ce qu'on écrira, de tout ce qu'on dira, il
:
est indéniable que nous avons été poursuivis en police correctionnelle, assis entre les
gendarmes, pour une citation de cinq vers de Tahureau imprimés dans le Tableau
historique et critique de la poésie fra>içaise par Sainte Beuve, couronné par l'Aca-
démie». Les personnes du genre de celles qui se réunissent dans les sociétés pour
le relèvement de la morale peuvent tenir la publication de ces vers ou le meurtre
et le pillage pour des crimes d'égale gravité, mais on ne peut vraiment l'admettre
au point de vue de l'utilité sociale. Voici maintenant un exemple en matière poli-
tique Emile Ollivier; L'Empire libéral, t. IV. L'auteur défend Vacherot, accusé
:
d'avoir excité la haine et le mépris contre le gouvernement, dans son livre La Dé-
mocratie :«(p. 373) Je commençai ma réponse [au ministère public] par ces mots:
,, Messieurs, dans les affaires de cette nature, la première condition est une modé-
ration extrême. Aussi ne répondrai-je pas aux parties irritantes du réquisitoire.
Cet appel aux passions est mauvais. En entrant dans cette enceinte, vous qui nous
1178 CHAPITRE XI § 1862-1864
(§ 1825), mais aussi l'autre, plus général, des effets indirects des me-
sures prises, soit de la composition des forces sociales (§2087). Pour
accomplir cette œuvre, à supposer même que le législateur raisonne
suivant les méthodes de la science logico-expérimentale, il lui
manque encore les éléments scientifiques avec lesquels il pourrait
résoudre son problème. On peut d'ailleurs raisonnablement espérer
qu'en progressant la sociologie pourra un jour fournir ces éléments.
1864. Mais ce n'est pas tout : il faut ensuite mettre en pratique
cette législation. On ne peut le faire qu'en agissant sur les intérêts
jugez, comme nous qui avons à défendre le livre à juger, nous devons nous
rappeler que nous ne sommes que les organes, les interprètes de la loi". Li'
président m'interrompt ,, Maître Ollivier,
: vous venez de dire une inconvenance,
rétractez-la". Je répondis du ton le plus calme et le plus surpris ,, Monsieur :
dit que le ministère public a fait un appel aux passions. C'est une inconvenance,
réti-actez-la... ". Le tribunal se retira et revint quelques instants après...» On rede^
mande à Maître Ollivier de rétracter ce qu'il a dit. Il refuse, et alors « Sans même :
important, il avantageux
serait de posséder une théorie absurde,
qui affirmerait que dans la machine à vapeur on ne perd pas la
plus petite partie de l'énergie produite (§1868 et sv.).
Pour faire accepter la machine, il convient que quelqu'un se
préoccupe d'y parvenir ; il convient encore beaucoup plus, il est
même indispensable que, de même, pour faire accepter une mesure
sociale, il y ait quelqu'un qui la patronne. Dans un cas comme
dans l'autre, l'intérêt individuel est un puissant moteur mais pour ;
18681 G. Sorel; Réflexions sur la violence : «(p. 1B4) L'expérience nous prouve
que des constructions d'un avenir indéterminé dans les temps peuvent avoir une
grande efficacité et n'avoir que bien peu d'inconvénients, lorsqu'elles sont d'une
certaine nature cela a lieu quand il s'agit de mythes dans lesquels se retrouvent
;
les tendances les plus fortes d'un peuple, d'un parti ou d'une classe, tendances qui
viennent se présenter à l'esprit avec l'insistance d'instincts dans toutes les circons-
I 1869 PROPRIETES DES RESIDUS ET DES DERIVATIONS 1181
fois déjà, nous dirons que la valeur sociale de ces doctrines (ou
<les sentiments qu'elles expriment) ne doit pas être jugée par leur
l'orme mythique, qui n'est qu'un moyen d'action, mais bien intrin-
sèquement, par l'effet produit.
1869. Cette matière n'étant pas facile, il sera peut-être bon, pour
l'expliquer, d'avoir recours à l'intuition visuelle en mettant sous
les yeux du lecteur une image grossière, peut-être même erronée
si l'on y regarde de trop près, mais capable d'éclairer la notion
tances de la vie et qui donnent un aspect de pleine réalité à des espoirs d'action
prochaine sur lesquels se fonde la réforme de la volonté. Nous savons que
l'es mythes sociaux (p. 165) n'empêchent d'ailleurs nullement l'homme de savoir
tirer profit de toutes les observations qu'il fait au cours de sa vie et ne font point
obstacle à ce qu'il remplisse ses occupations normales [composition des forces
sociales]. C'est ce qu'on peut montrer par de nombreux exemples. Les premiers chré-
tiens attendaient le retour du Christ et la ruine totale du monde païen, avec l'ins-
tauration du royaume des saints, pour la fin de la première génération. La catas-
trophe ne se produisit pas, mais la pensée chrétienne tira un tel parti du mythe
apocalyptique que certains savants contemporains voudraient que toute la prédica-
tion de Jésus eût porté sur ce sujet unique... Ou peut reconnaître facilement (p. 166)
que les vrais développements de la Révolution ne ressemblent nullement aux tableaux
enchanteurs qui avaient enthousiasmé ses premiers adeptes mais sans ces tableaux
:
la Révolution aurait-elle pu vaincre?... (p. 167) Il faut juger les mythes comme des
moyens d'agir sur le présent et toute discussion sur la manière de les appliquer
.matériellement sur le cours de l'histoire est dépourvue de sens ».
1182 CHAPITRE XI § 1870-187a
(l'autre part il ne serait peut-être jamais allé, s'il n'avait pas été
sollicité par la force tangentielle selon hT.
1870. Il que pour connaître les conditions dans
est évident
lesquelles l'individu se trouvera en m, il n'y a pas lieu de se préoc-
cuper de T. L'indice iT est en somme arbitraire, et n'a aucun rap-
port avec l'indice réel mq, excepté celui-ci que le déplacement
:
utilité, laquelle, au lieu de l'indice ph, finit par avoir l'indice plus
§ 1874 PROPRIÉTKS DKS UKSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 11 (S3
le but T auquel elles tendent, est exprimé par des dérivations théo-
§ 1869, les faits observés démontrent qu'il doit y avoir eu, dans les
sociétés humaines, un grand nombre de cas où les phénomènes se
sont produits d'une manière analogue à celle qui est indiquée par
cette figurec'est-à-dire qu'en se portant vers T, les hommes doi-
;
1876 1 Ces problèmes seront considérés ici qualitativement (^ 144 '). Les considéra-
tions quantitatives seront introduites au chapitre suivant {% 2121 et sv.). C'est aussi
dans ce chapitre-là que se trouvera la définition du terme tctilité, qu'il suffira en
attendant, de considérer comme indiquant une cei-taine entité en rapport avec les
autres faits sociaux, et qui peut croître et diminuer. Si l'on voulait suivre la voie
deductive et passer du général au particulier, on devrait commencer par les considéra-
tions du chapitre XII, pour traiter ensuite les sujets que nous allons exposer. Mais
cette voie n'est pas la meilleure pour bien comprendre la matière. Dans le monde
concret, ce sont les problèmes qualitatifs qui, en celte matière, se présentent à nous,
et ce sont même les seuls qui furent envisagés par le passé, et qui continuent à l'être
chez presque tous les auteurs. De même, la notion d'utilité se présente à nous d'une
manière quelque peu incertaine et confuse, ainsi qu'il arrive pour toutes les notions
de ce genre; et, jusqu'à il y a peu de temps, les auteurs n'éprouvaient pas le besoin
d'une précision plus grande. Pour une utilité spéciale, celle que considère l'écono-
mie politique, ce besoin fut ressenti il n'y a qu'un petit nombre d'années, et donna
naissance aux théories de l'économie pure. Nous étendons ici une précision ana-
logue aux autres utilités, et nous le faisons d'une manière semblable à celle adop-
tée pour l'économie, c'est-à-dire en passant du plus connu au moins connu, du plus
imparfait au moins imparfait, du moins défini au plus défini. Cette exposition est
§ 1876 FROPRIKTKS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1185
rapports de ces actions avec les diverses utilités (§ 2115 et sv.). Deux
problèmes se posent aussitôt. 1° Comment les faits sont-ils en
réalité? 2^ Comment sont-ils vus par ceux qui s'en occupent, et
vent-ils être vus pour que cela soit utile aux individus, à la société,
interprètent les faits a-t-il été vu par les gens, et spécialement par
les auteurs ? On a fait allusion souvent déjà aux 3e et 4^ problèmes,
d'étude suivants :
moins ('légante que celle de la déduction, qui parcourt la voie en sens inverse mais ;
«Ue est beaucoup plus aisée, facile, avantageuse à qui veut s'initier à la matière.
SOCIOLOGIE 75
1186 CHAPITRE XI § 1877
IV. Nature des voies qui conduisent au but T'(§ 1894 et 1895) ;
différentes utilités.
II - 1" La solution du problème objectif résulte de l'ensemble des
études auxquelles nous nous livrons en partie pour y ici. C'est
arriver que nous avons dû traiter longuement des résidus et des
dérivations, afin de retrouver le fond sous la forme. En résumé,
on peut dire que le fait de viser à une fin imaginaire T, pour attein-
dre une fin réelle m, est un moyen souvent indispensable, mais
aussi toujours imparfait, d'atteindre cette fin. L'emploi de ce moyen
est analogue à celui d'une machine qui transforme en énergie utile
une partie seulement de l'énergie totale qu'elle consomme (§ 1864
et sv.). Par conséquent, si l'on affirme que le tait de substituer la
avec les siècles. Il n'y a donc pas là de difficulté qui nous entrave ;
1881 1 Un chimiste ou un physicien riraient d'un amateur qui, sans avoir jamais
spécialement étudié la chimie ou la physique, voudrait porter des jugements sur
l'une de ces sciences. Pourtant, sans avoir jamais étudié les sciences sociales, de
tels savants entreprennent d'en trancher les questions les plus difficiles (| 143-") et
sv.). En voici un, par exemple, qui proclame avec une grande assurance que ce
serait un malheur extrême pour l'iiumanité, si l'Allemagne ne dominait pas sur l'Eu-
rope, en faisant prévaloir sa «civilisation» sur la barbarie «russe». Ce brave
homme ne paraît pas même soupçonner que connaître les efTets de la domination
de l'Allemagne ou de la Russie sur l'évolution de l'humanité est aussi difficile
que connaître la constitution de la matière. Cette attitude provient du fait que le
savant, qui emploie la méthode objective en chimie ou en physique, se laisse
inconsciemment entraîner par la méthode subjective dans les sciences sociales.
Lorsqu'il nous parle de la constitution de l'atome, il nous rappoi'te ce que l'expé-
rience lui a enseigné, et fait abstraction de ses sentiments. Lorsqu'il tranche des
questions sur le socialisme, sur l'impérialisme, sur la «civilisation» germanique et
la « barbarie » russe, il exprime seulement les sentiments que lui font épi"Ouver ces
concepts, et il se soucie peu ou point de l'expérience (observation historique et
autre) qu'en réalité il ignore presque toujours. Ce contraste apparaît encore davan-
tage, quand on voit des littérateurs, des poètes et des dramaturges prononcer des
jugements avec une grande autorité, sur les matières économiques et sociales qu'ils
ignorent absolument. Quel rapport peut-il bien y avoir entre le fait d'avoir écrit
des drames ou des comédies qui obtiennent la faveur du public, et le fait de résou-
dre objectivement des questions de sciences sociales ? Mais le rapport existe au
point de vue des sentiments, car on exprime sur ces sciences des notions expérimen-
talement absurdes, stupides et vaines, lesquelles néanmoins plairont au public
admirateur des pièces de théâtre. Ce public est la plupart du temps incapable de
comprendre des raisonnements logico-expérimentaux, et se repaît de discours senti-
mentaux convenant à sa mentalité. Le monde est ainsi fait, et l'on ne voit pas
comment ni quand il pourrait changer.
1190 CHAPITRE XI § 1883
s'agit, et voir dans quels rapports elles se trouvent avec les autres
faits sociaux. Il faut faire cette distinction, non seulement qualita-
tivement, mais aussi quantitativement (| 2142 et sv.). En outre, il
18831 Voyons un exemple, qui peut servir de type à un très grand nombre de
ces raisonnements. Le 20 janvier 1914, le ministère français proposait aux Chambres
et faisait approuver un crédit de 20000 francs pour les funérailles nationales du
général Picquart. Un sénateur demanda quels services ce général avait rendus au
pays. A quoi le président du Conseil, Doumergue, répondit « Vous avez demandé :
tant d'espèces de vérités, que parmi elles peut bien se trouver une belle vérité imma-
nente. Ne nous arrêtons pas à ces questions subtiles. Admettons sans autre l'exis-
tence des respectables entités qui portent le nom de « justice et de vérité immanentes »,
et voyons les sens que comporte l'aflirmation du ministre Doumergue. Nous pouvons
les classer à peu près comme suit. («) Il existe implicitement un principe dont on
peut déduire que l'on obtiendra une utilité réelle, soit la prospérité de la nation. —
(a-I) L'utilité consiste à remporter la victoire en cas de guerre. (a-1 1) Un général —
qui croit à la «justice et à la vérité immanentes» est plus capable qu'un autre d'exer-
cer sa fonction, qui est de conduire ses soldats à la victoire. Le général Picquart
avait cette croyance par conséquent il aurait contribué à assurer la victoire à sa
;
une croyance du domaine de la rhétorique des littérateurs. En tout cas. ce n'est cer-
tainement pas ce que voulait dire Doumergue. Ne pouvant obtenir une démonstra-
tion d'une utilité pour remporter la victoire, cherchons une autre utilité. (a-II) L'uti-
lité qu'obtient le pays est autre que l'utilité guerrière. (a-II 1) Il est plus utile de
suivre certains principes « moraux » que de tendre à la prospérité matérielle. (a-II 2)
Utilité d'une certaine forme de gouvernement, supérieure à l'utilité de la victoire à
la guerre. Ces deux principes peuvent avoir trouvé place dans l'esprit du ministre
1192 CHAPITRE XI §188a
autre genre d'utilité, {fi 1) Nous ne devons nous occuper que de satisfaire « la jus-
tice et la vérité immanentes ». Fais ce que dois, advienne que pourra. En somme,
c'est la règle de toute foi très vive
; c'était la règle des martyrs chrétiens; mais il ne
semble pas que le ministre Doumergue et ses amis leur ressemblent beaucoup.
(/8 2) Nous ne devons pas nous occuper de la guerre, qui ne viendra pas de si tôt ;
par conséquent, il importe peu d'avoir des généraux qui soient de bons capitaines ;
il importe au contraire d'en avoir qui suivent les principes «moraux» du parti domi-
François d'Assise du parti radical. Quelque conception semblable peut avoir trouvé
place dans l'esprit des amis du ministre Doumergue. Il faut, en efifet, rappeler qu'ils
voulurent comme ministre de la guerre le général André, et comme ministre de la
marine M. Pelletan,qui désorganisèrent entièrement la défense nationale. En outre, le
parti du ministre Doumergue s'opposait à la loi dont le butétait de prolonger le service
militaire jusqu'à trois ans, et en tout cas, il se montrait opposé à l'armée. Ainsi, nous
nous approchons des réalités recouvertes par la dérivation que nous examinons (y) La :
justice et la vérité immanentes sont un simple euphémisme pour désigner les intérêts
d'une collectivité de politiciens et de « spéculateurs» (|223.")). Ceux-ci trouvèrent dans
l'affaire Dreyfus un moyen d'acquérir pouvoir, argent, honneurs, aidés par un petit
nombre «d'intellectuels» qui mordirent à l'hameçon qu'on leur tendait, et qui prirent
pour des réalités les euphémismes employés. Ainsi la dérivation indiquée doit
se traduire de la façon suivante « Le général Picquart a servi nos intérêts. Nous
:
18841 Au X1X« siècle, nous avons eu une abondante moisson de ces dérivations,
nres du conflit entre les «travailleurs » et les « capitalistes » qui, en réalité, sont des
entrepreneurs. La partie fondamentale du phénomène est la lutte habituelle qu'on
observe entre deux concurrents, en matière économique c'est-à-dire que chacun tàclie
;
d'amener Teau à son moulin, chacun s'efforce d'agrandir sa part. Tels sont les buts m
auxquels on vise. Mais en apparence on a dit, on dit encore, et beaucoup de gens ont
cru et croient encore viser à des buts idéaux T. Du côté des entrepreneurs, il n'y eut
pas trop de raisonnements subtils. Ces personnes invoquèrent le soin qu'elles prenaient
du bien-être des ouvriers, la l'émunération «légitime» due à qui, par l'art des combinai-
sons, faisait prospérer l'entreprise, l'utilité de la liberté économique, dont elles se sou-
venaient pour fixer les salaires, et qu'elles oubliaient pour fixer les prix des pi-oduits.
Du côté des ouvriers, il y eut un débordement de théories subtiles, produites par
les « intellectuels », et acceptées, sans les bien comprendre, par les ouvriers, avec
une foi aveugle. Des utopies socialistes au marxisme, au radicalisme démocra-
tique ou socialiste, on a des doctrines en très grand nombre, qui toutes revêtent
de voiles aux couleurs variées cette conception très simple « Nous voulons avoir
:
une part plus grande à la production économique». Mais dire cela sans autre affai-
blit les demandes, parce que cela leur enlève la force qui vient de l'idéalité de la
fin, et les prive de l'alliance des braves gens qui se laissent prendre à la glu de ces
théories. —
Dans les dérivations, comme d'habitude, nous ferons appel aux senti-
ments. Nous nommerons donc « revendications » les demandes des ouvriers, afin
d'insinuer qu'ils demandent uniquement ce qui leur appartient. Ainsi nous profite-
rons de l'appoint des résidus de la V« classe. Pourtant, une suggestion si simple
ne suffit pas. Il conviendra d'utiliser les résidus (le). Aussi ferons-nous des théo-
ries sur le «produit intégral du travail», sur la « plus value», sur la nécessité
d'avoir « un peu plus de justice dans le monde», et d'autres semblables. Plus toutes
ces théories seront longues et abstruses, plus nous conférerons d'idéalité à la fin
—
que nous disons vouloir atteindre. Mais si, voulant comprendre les faits, on néglige
la forme vide de sens des raisonnements pour s'attacher au fond, on ne tardera pas
à s'apercevoir qu'il a été avantageux aux ouvriers de viser ainsi à des lins imagi-
naires car, grâce à l'œuvre tenace qu'autrement ils n'auraient peut-être pas accom-
;
plie, et grâce à l'appui efficace des auxiliaires que leur a procurés l'idéalité des fins,
les ouvriers ont obtenu, au XIX= siècle, de grandes améliorations de leur sort. Quant
à la nation entière, il est beaucoup plus difficile de dire si cette œuvre a été avanta-
geuse ou non. Une réponse affirmative paraît plus probable : mais pour la démon-
1194 CHAPITRE XI ^1885-1887
des personnes qui sont alléchées par la beauté du but idéal T, tan-
dis qu'elles se soucieraient assez peu, peu ou pas du tout, du but
humble et terre à terre m. C'est pourquoi ils se mettent en quête de
théories capables d'atteindre le but. Ils en trouvent aisément; et les
théoriciens de la théologie, de l'éthique, de la sociabilité, ainsi
que d'autres personnages, leur en fournissent beaucoup. Tous réa-
lisent parfois aussi leur propre avantage, en vendant une marchan-
dise recherchée sur le marché, tandis qu'ils semblent n'être en quête
teur. On confond très souvent ce cas avec les précédents, parce que
les auteurs n'admettent habituellement pas la division des fins ima-
ginaires ou même seulement idéales T'en deux genres (T/i) et (Tk).
Pour eux le genre {T h) existe seul, et les fins (T h) sont les seules
existantes ;
par conséquent elles sont « réelles », « vraies », tandis
que les fins (T k) sont inexistantes, « irréelles », « fausses ». De la
sorte, les fins (T h) étant les seules existantes suivant les théories
de ces auteurs, elles prennent la place de la catégorie (T) dont il
1890 1 On sait assez qu'il y a des femmes mariées, jouissant de gros revenus,
qui se vendent pourtant, afin d'ajouter au luxe dont elles jouissent déjà. On répond
que la misère et l'opulence, produites par le capitalisme, ont le même effet. Gela
pourrait être. Voyons un peu. Si cette explication est valable, le phénomène ne
devrait pas se produire chez les gens qui jouissent seulement d'une modeste
aisance. Malheureusement il n'en est pas ainsi. La petite bourgeoise se vend pour
avoir un chapeau à la mode, comme la grande dame se vend pour avoir un splen-
dide collier de perles; mais elles se vendent également. Il est donc probable que si
toutes les personnes d'une collectivité avaient exactement les mêmes revenus, il y
aurait encore des femmes qui consentiraient à être les maîtresses des hommes dis-
posés à leur donner ce qu'elles peuvent bien désirer. Il est vrai qu'on objecte que
notre société est corrompue, parce que le capitalisme y existe. A cela, on ne peut
rien répondre, parce que c'est un article de foi, et que la foi dépasse l'expérience.
D'autres fanatiques, comme ceux qui s'assemblent dans les ligues contre la porno-
graphie, contre la «traite des blanches», pour «le relèvement moral», ferment
volontairement les yeux à la lumière de semblables faits. Par exemple, pour ces
braves gens, c'est un article de foi que seul l'homme séduit la femme, qui doit donc
être seule protégée. Pourtant, quiconque veut bien pi-endre la peine de lire les faits
divers des journaux, et de suivre les procès qui se déroulent devant les tribunaux,
trouvera plus nombreux les cas dans lesquels c'est la femme qui séduit l'homme.
Partout, dans les cas de l'employé infidèle, du caissier qui dérobe, du financier qui
escroque, de l'officier qui espionne, et ainsi de suite, on trouve la femme, et l'on
vérifie la règle donnée par un magistrat : «Cherchez la femme». Les besoins de ces
femmes ne sont nullement ceux d'une vie lionnète et modeste, mais bien ceux du luxe
et du faste; et c'est pour satisfaire ces besoins que beaucoup d'hommes voient, tra-
hissent, et parfois tuent. Si l'on a la manie de protéger, pourquoi s'occuper unique-
ment des femmes séduites, et négliger les hommes séduits? Pourquoi u'invente-t-on
'^ 1891-1892 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1197
paresse qui leur fait préférer ce métier; et dans la haute prostitution, il ne manque
pas de femmes qui aiment leur métier comme le chasseur aime la chasse, et le
pêcheur la pêche. Là encore, les faits ne manquent pas à qui veut bien les voir.
Combien de prostituées que de bons naïfs avaient voulu relever, et auxquelles ils
assuraient une vie honnête et aisée, n'ont pas tardé à abandonner leurs protecteurs,
pour reprendre le métier accoutumé, dont elles avaient la nostalgie? Mais un grand
nombre de gens ne veulent pas voir ces faits-là ni d'autres semblables, parce qu'ils
ne disent pas la vérité lorsqu'ils affirment vouloir combattre la prostitution afin
d'être utiles aux femmes, afin de détruire la « traite des blanches », afin d'être utiles
aux « blanches ». En réalité, ils ne sont animés que d'une haine théologique
'Contre les plaisirs des sens.
1198 CHAPITRE XI § 1892
en la confusion que l'on cherche à établir entre les fins et les utili-
tés. Mais ce n'est pas la seule, soit parce qu'on peut lier les fins et
les intérêts d'une autre manière que par cette confusion, soit parce
qu'outre les intérêts, les hommes ont des passions, des sentiments,
auxquels on peut lier les fins. Quant aux moyens d'obtenir
l'union des fins à d'autres faits, nous avons, non seulement la per-
suasion, mais aussi la contrainte. Celle-ci apparaît dans l'hostilité
que subit celui qui viole des usages, des coutumes, des règles, en
usage dans la société où il vit. Elle est mise en pratique dans les
lois pénales. Nous ne nous en occupons pas ici. Pour la persua-
entités dont les hommes ont peuplé leurs Olympes divins, méta-
physiques, sociaux. Nous pouvons donc prévoir que les fins T se-
ront liées à ces entités. C'est précisément ce qu'on observe dans les
morales théologiques, métaphysiques, et dans celles qui se fondent
sur la vénération pour la tradition, pour la sagesse des ancêtres, à
laquelle correspond aujourd'hui l'excellence du Progrès, pour les
us et coutumes de la tribu, de la cité, de la nation, des gens. Dans
les us et coutumes, les résidus de la sociabilité jouent un rôle re-
marquable; et l'un des genres de ces résidus, le genre IV-Ç, joue un
rôle principal dans les morales de l'ascétisme.
Pour rester dans la réalité, il faut prendre garde qu'un grand
nombre de fins ^exprimant des règles de vie sont données, sinon
dans la forme, du moins dans le fond. Elles sont un produit de la
société où on les observe, et non la conséquence de recherches théo-
riques. Par conséquent on recherche non pas la fin T, mais bien,
T étant donnée, avec quoi et comment il faut la lier (§ 636, 1628).
Dans le temps, le but auquel on veut persuader à l'individu qu'il
doit tendre varie peu, au moins quant au fond. Les résidus avec
lesquels on le lie varient un peu plus. Les dérivations et les raison-
§ 1893-1895 PROPRIÉTÉS des résidus et des dérivations 1199
nous avons trouvé d'autres voies, quand nous avons étudié les dé-
rivations en général. Ces voies nous sont apparues alors comme
des cas particuliers de faits généraux. Nous verrons tout à l'heure
d'autres cas particuliers (§ 1902 etsv.). Ici, nous n'avons pas à nous
étendre sur ce sujet.
1895. IV-2- Nous n'avons pas non plus à nous arrêter sur la
manière dont ces voies sont considérées dans les doctrines, parce
que nous avons souvent exposé, et nous avons récemment rappelé
1200 CHAPITRE XI § 1896
par exemple, que seul est utile ce qui est vrai, juste, moral, etc. En
outre, la théologie de 1' « égalité », qui fait aujourd'hui partie de celle
du Progrès, repousse avec horreur l'idée qu'il peut être «/i/e que les
individus aient des doctrines différentes, qu'ils tendent à des fins
différentes, suivant leur rôle social.
Les autres solutions sont de moindre importance. Il n'est pas
nécessaire de nous y arrêter maintenant. Nous ne pouvons pour-
suivre ces études, parce que les notions précises des différentes
utilités nous font défaut (§2115 et sv.). Nous reviendrons sur ce
sujet au chapitre suivant. En attendant, afin de mieux comprendre
les théories générales exposées tout à l'heure, et qui sont très im-
portantes pour la sociologie, il sera bon d'examiner un cas particu-
lier.
1897 > Il faut répéter ici les considérations de la note 1876 '.
qu'on ne veut pas que le devoir flotte ainsi en l'air, sans aucun rapport avec le
monde réel. Les solutions (5 5), (B 3), {B4) du | 1902 ont précisément pour but de
faire naître cette confusion.
SOCIOLOGIE 76
1202 CHAPITRE XI § 1898-1899
tradition ou d'une autre façon semblable, ainsi que des fins senti-
(§ 1919 1929).
à 1994).
(B 4) On ne réussit pas à trouver une interprétation. Les voies
du Seigneur sont insondables (§ 1995 à 1998).
1905 1 DiOG. Laert. ; VII, 101-102 : Tùv ôè ôvtuv (fia'al rà fièv àyadà elvai. rà âè
KUKâ' rà ôè ovâérepa. 'Ayadà ovv râç re açeràç, (pçôvTjGiv, ôiKaioavvrjv, àvâçsiav, au(^QO-
fièv
avvT]v, KOL rà Tioiwâ' kokù âè rà Evavria, à(pQQCvvrjv , àÔLKinv, kol rà Àoinâ. ovâéreça âè oca
fiTjTs ù^elel [j.7]Te jS^ânTsi. ohv Çurj, vyisin, rjâovrj, KoKXoq, 'loxvç, ttIovtoç, evâofia, shyévsca.
Kaï rà TovToiç évavna, dâvaroç, vôaoç, irôvoç, alaxoç, àadéveta, nevia, hâo^la, âvoyévsia,
rà TovToiç nacanlrjOLa.
icaï — Gic, De fin. bon. et mal., III, 8, 27, expose la doctrine
des stoïciens comme suit :
Quod est
Concluduntur igitur eorum argumenta sic :
bonum, omne laudabile est: quod autem laudabile est, omne honestum est. Bonum
igilur quod est, honestum est. Satisne hoc conclusum videtur ?... (28) Deinde quaero,
quis aut de misera vita possit gloriari, aut non de beata ? De sola igitur beata. Ex
quo efficitur, gloratione, ut ita dicam, dignam esse beatamvitam quod non possit :
({uidem nisi honestae vitae iure contingere. lia fit, ut honesta vita beata vita sit.
— Tacit. Hist. ,1Y, 5 [Helvidius Priscus] doctores sapientiae secutus est, qui sola
; :
bona quae honesta, mala tantum quae turpia potentiam, nobilitatem, ceteraque
;
corum repug)iantis, XIII, 11. II cite Chrysippe, qui dit « Le bon est dési- :
rable; le désirable est agréable; l'agréable est louable; le louable est beau [hon-
nête]». Tb àyadov, aiçETÔv to â'alçerov, àçsarôv to ô'àçeoTov, ÉTraiveTÔv. to â'ènaive-ov,
KaÀôv. Le raisonnement tire sa force des nombreux sens du terme Kalâv, qui
signifie en même temps beau, noble, honnête, honorable, glorieux. Plutarque
:
ajoute une autre citation, qui se rapporte aux solutions verbales (A). Il dit :
« Le bien est réjouissant, le réjouissant est digne d'honneur, ce qui est digne d'hon-
neur est beau ». Ta hyaObv, xaçTÔV to âè japrôv, as/avôv t'o âè as/xvàv, Kalôv Là encore
les sens accessoires des termes qu'on emploie servent au raisonnement. ;i;afirdi' est
tout ce dont on est ou l'on doit être content; et l'on suppose que personne n'osera
nier qu'on doive être content du bien ; aejuvôv a un sens qui, de vénérable, hono-
'
rable, digne d'honneur, passe à magnifique, très beau. Qui serait assez insensé
pour nier que ce qui est magnifique, célèbre (aefivôv) est beau (Ka'Àôv) ?
1206 CHAPITRE XI § 1906-1907
rifier d'une vie misérable, et non d'une vie heureuse » ? Ainsi, l'on
1907 1 Athen. ; III, p. 104. C'est un dialogue où l'un des interlocuteurs dit que les
richesses ne sont rien, et l'autre le plaint d'avoir de telles idées, et lui dit entre autres :
polissons te tirent la barbe, si tu ne les chasses pas avec ton bâton, ils t'assaillent
en t'entourant, et comme un malheureux, tu pousses des cris et des hurlements,
ô très grand parmi les rois!» Il ajoute qu'il va se baigner pour le vil prix d'un
quart d'as.
§ 1908-1910 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1207
vant les rapports de ces concepts avec ce que nous appelons des
faits historiques (§1798). Si un Polonais ignore l'histoire du partage
de sa patrie, il peut s'imaginer qu'elle constitue encore un royaume
1208 CHAPITRE XI ^1911-1912
celui-ci dans une maison de santé, et s'il ne revient pas à l'état que
nous appelons vulgairement celui de l'homme sain. Mais s'il revient
à cet état, voici que de nouveaux concepts entrent en lutte avec
celui qu'il avait jusqu'alors admis, et les chassent de son esprit.
Ce fait d'observation vulgaire nous suffit, et nous laissons à autrui
le soin de disserter sur la non-existence du monde extérieur.
1911. Un autre raisonnement du genre (A 1) est celui d'Epictète.
Il commence par diviser les choses en deux catégories (I, 1) celles *
qui sont en notre pouvoir et celles qui n'y sont pas. Sont en
notre pouvoir : les opinions, l'impulsion, le désir [les appétits],
l'aversion et, en peu de mots, n'importe laquelle de nos actions.
Ne sont pas en notre pouvoir : le corps, les biens, la renom-
mée, les magistratures et, en peu de mots, tout ce qui n'est pas
notre œuvre. (2) Celles qui sont en notre pouvoir sont, de leur
nature, libres, dégagées, déliées ; celles qui ne sont pas en notre
pouvoir sont inermes, esclaves, liées, étrangères [au pouvoir
d'autrui] ». Cela posé, la suite du raisonnement ne fait pas un pli :
succès du christianisme.
1913. (A2) Changement du sens des préceptes on des règles, d'objec-
tif en subjectif. Dans le genre (A 1), la tautologie provenait du chan-
gement de sens des termes bien, bonheur, malheur. Dans le présent
genre elle provient du changement de sens des préceptes. En effet,
si l'on considère uniquement les règles que l'individu observe avec
lOlô*^ GiG.
; De fin., II, 16, 51 Itaque, Torquate, cum diceres. clamare Epicu-
:
rum, non posse iucande vivi, nisi honesle et sapienter et iuste viveretur, tu ipse
mihi gloriari, videbare. Tanta vis inerat in verbis, propter earum rerura, quae
significabantur his verbis, dignitatem, ut altior fieres... (53) Sunt enira levia et
perinfirma, quae dicebantur a te, animi conscientia improbos excruciari, tum etiam
poenae timoré; qua aut afficiantur, aut semper sint in metu ne afticiantur ali-
quando. Non oportet timidum, aut imbecillo animo fmgi non bonum ilium virum,
;
qui, quidquid tecerit, ipse se cruciet, omuiaque formidet sed omnia callide referen-
:
gresser du déplaisir. S'il n'en était pas ainsi, ces préceptes n'expri-
meraient pas des résidus existant chez le plus grand nombre des
individus, ils n'auraient pas cours dans la société considérée. Le
problème à résoudre est différent. Au point de vue du plaisir indi-
viduel (ophélimité), il consiste à rechercher quel effet ont les pré-
ceptes sur les personnes qui ne possèdent pas les résidus exprimés
par ces préceptes, et de quelle manière on peut persuader aux dissi-
dents qu'ils éprouveront un plaisir ou une peine qu'ils ne ressen-
tent pas directement. Au point de vue de l'utilité, nous avons à
rechercher si le fait d'observer ces préceptes est avantageux à l'in-
ciété ;mais il se peut aussi qu'elle lui soit utile. Ce sont là les cas
qu'il convient d'examiner.
1919. (A 3) Casuistique. Interprétation des préceptes et desrègles.
Précisément afin d'éviter ces sentiments de malaise, afin de les
remplacer par les sentiments agréables que suscite le fait de suivre
§ 1919 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1211
des préceptes, tandis qu'en même temps l'utilité qui résulte de leur
transgression est réalisée, on recourt à la casuistique et aux inter-
prétations. Cela est même nécessaire pour satisfaire certains senti-
ments et ne pas s'écarter, du moins en apparence, des conséquences
logiques des dérivations. De la sorte, on obtient en outre l'avan-
tage, petit ou grand, d'être sans paraître, de travailler dans son
propre intérêt, et de sembler rigide observateur de la morale et de
l'honnêteté, digne, par conséquent, de la bienveillance du public,
aux gens qui parfois se laissent persuader par les sophismes,
et le plus souvent ne demandent qu'un prétexte pour être persua-
piili suprema lex esto transparaît souvent. Si l'on afïirmait cela sans
autre, ce serait un bon motif logique, et l'on aurait ainsi une des
solutions D ; mais comme on ne veut pas choquer les personnes
qui croient aux solutions affirmatives, on s'efforce de concilier
l'inconciliable, en confondant ces solutions avec la solution D.
D'autre part, ceux qui accusent et blâment les gouvernements et
les Etats d'avoir transgressé certains préceptes, expriment bien
rarement d'une manière claire quelle solution du problème ils ac-
ceptent. C'est-à-dire qu'ils ne disent pas si, niant que la salas popali
consiste à transgresser les règles, ils admettent l'une des solutions
afïirmatives ou bien si, admettant la solution D et repoussant la
;
sains popnli dans le fait d'observer une solution telle que (A 2),
(B 2), (B 3). Ils s'efforcent de persuader par un simple et indistinct
accord de sentiments.
Moyennant l'appui efficace de la casuistique et des interpréta-
tions, on peut affirmer que le fait de suivre certains préceptes et
rante, et juge qu'elles ne s'appliquent pas au cas qui le gêne, Tome I, p, 219 :
vrir la route l'épée au poing, ou à conclure la paix aux conditions dictées aujour-
d'hui par l'ennemi. Le consul était un honnête homme, faible de caractère et de nom
obscur heureusement ïiberius Gracchus était questeur à l'armée. Digne héritier
;
sont épargnés; Mancinus qui, malheureusement pour lui, ne tenait point à la haute
aristocratie, est seul désigné et paye pour .'îa faute et pour la faute commune. On
vit en ce jour un consulaire romain dépouillé de ses insignes et traîné jusqu'aux
avant-postes ennemis et comme (p. 304) les Numantins ne voulaient pas le recevoir
;
(c'eût été admettre la nullité du traité), le général dégradé resta tout un jour, nu et les
mains attachées derrière le dos, devant les portes de la ville ». — Rappelant les
Numantins, qui pouvaient détruire l'armée romaine, Florus dit, II, 18 : Foedus tamen
maluerunt, cum debellare potuissent. Ilostilium deinde Mancinum hune quoque :
assiduis caedibus ita subegerunt, ut ne oculos quidem aut vocem Numantini viri
quisquam sustineret. Tamen cum hoc quoque foedus maluere, contenli armorum
nianubiis, cum ad internecionem saevire potuissent. Sed non minus Numantini,
quam Gaudini illius foederis llagrans ignominia ac pudore populus Romanus,
dedecus quidem praesentis tlagitii deditione Mancini expiavit... L'auteur est telle-
ment persuadé de l'honnêteté de ce procédé, qu'il ajoute .aussitôt (19) Hactenus .
populus Romanus pulcher, egregius, plus, sanctus, atque magniflcus... En vérité, s'il
est permis d'interpréter de façon semblable les règles du juste et de l'honnête, il est
évident que jamais on ne pourra causer le moindre préjudice à la prospérité maté-
j-ielle d'un peuple en les observant. —
Vell. Paterg. II, 1 Haec urbs [Numanlia]...
; :
vel ferocia ingenii, vel inscitia nostrorum ducum, vel fortunae indulgentia, cum
alios duces, turn Pompeium, magni nominis virum, ad turpissima deduxit foedera
(hic primus e Pompeiis consul fuit), nec minus turpia ac detestabilia Mancinum
Tlostilium consulem. Sed Pompeium gratia impunitum habuit, Mancinum verecun-
dia ;
quippe non recusando perduxit hue, ut per Feciales nudus, ac post tergum
§ 1921 PROPRIÉTÉS Dt;S RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1213
tumius et des tribuns livrés aux Samnites. «...dediti sunt, ut pax Saranitium repu-
diaretur. Atque huius deditionis ipse Postumius, qui dedebatur, suasor et auctor
fuit. Quod idem multis annis post G. Mancinus qui, ut Numantinis, quibuscum
:
sine senatus auctoritate foedus fecerat, dederetur, rogationem suasit eam, quam
P. Furius, Sex. Atilius ex senatus consulto ferebant qua accepta est hostibus :
deditus. Honestius hic, quam Q Pompeius, quo, cum in eadem causa esset, depre-
cante accepta lex non est. On croyait pouvoir justifier cette interprétation par des
analogies juridiques. —
Gic. Pro A. Caec, 34, 99; Ut religione civitas solvatur,
:
civis Romanus traditur qui cum est acceptus, est eorum, quibus est deditus: si
:
avait raté, on en eût trouvé un autre! " (p. 121) Bénie soit, dit Hans Delbrùck, la
main qui a falsifié la dépèche d'Ems » ! —
De Hohenlohe Mémoires, t. II, G mai ;
1874 « (p. 267) A table, Bismarck rappela des souvenirs de 1870, sa discussion avec
:
19231 Parmi ces personnes, il faut noter le grand nombre de celles qui croient,
implicitement peut-être, que les dieux de l'éthique vengent les injures comme les
dieux de la théologie. Pour autant que les dérivations peuvent produire quelque
effet, l'influence de ces personnes est nuisible à leur parti, à leur nation, dans la
mesure où les dites personnes entravent une préparation convenable à l'usage de
1216 CHAPITRE XI § 1924-1926
est aussi ancienne que toute littérature à nous connue. C'est l'une
des interprétations par lesquelles on s'efforçait d'accorder la théorie
et la pratique. Agésilas parlait fort bien de la justice et, en paroles,
^
la force, laquelle, en fin de compte, est loujours Vultima ratio, dans ces luttes, et pour
autant qu'elles gaspillent en bavardages l'énergie qui devrait être dépensée en action.
Malheur au parti qui compte sur l'éthique pour être respecté de ses adversaires !
Malheur surtout à la nation qui se fie au droit des gens plus qu'à ses armes pour
défendre son indépendance Persuader aux gens que dans les luttes civiles ou inter-
!
nationales on l'emporte seulement par la vertu et non par le dol, c'est les entraîner à
la ruine, en les empêchant de se mettre à l'abri du dol et de pourvoir à la longue et
laborieuse préparation qui seule peut mener à la victoire. En un mot, c'est une œuvre
semblable à celle de celui qui persuaderait à une armée d'employer des canons de
l)ois peints, au lieu de canons d'acier. Mais les « intellectuels » se complaisent à ces
vains discours, parce qu'ils ne sont producteurs que de canons de bois peints, et
noa de canons d'acier.
1925' Aeneid., II :
il la plaçait mais en
au-dessus de l'utilité, fait il intervertissait les
termes. Judith aussi estimait que, pour faire disparaître Holo-
pherne, la fin justifiait les moyens ; et c'est un peu pour cela que
les protestants ont exclu son livre de leur Bible y est ; mais il
que si quelqu'un faisait une chose qui fût nuisible à Lacédémone, il serait con-
damné à juste litre et que, si cette chose était bonne [pour Lacédémone], c'était une
;
loi des ancêtres qu'il la lit spontam'ment ». Et pourtant, le même auteur dit —
qu'Agésilas était le type de l'homme vertueux. Xknoph. AgesiL, le, 2 ...Kalbv àv ; :
/ioc ôonel fj 'Ayrjai'Aâov àçiST?) Trapâéeiy/ia yevEadu toîç ài'é()aya6l i,v àtJKeïv (Jov'Ào/uévoiç. Tiç
yà() àv fj Oeuasfitj fiL/Luiv/iievoç. àvôa/oç yévoiro ?) ôÎKaiov àâiKoç.... «Il me semble que la
vertu d'Agésilas est un excellent modèle pour ceux qui veulent être vertueux car, ;
qui, imilaut l'homme pieux, serait impie, [imitant] le juste, [serait] injusle...? » —
Dans les affaires privées aussi, Agésilas faisait bon marché des scrupules. Plu-
T.\ROH. AgesiL, 13 (Trad. Talbot) « Dans tout le resle, en effet, il se montrait scru-
; :
puleux et esclave de la loi; mais il pensait que, dans les relations amicales, trop de
justice n'est qu'un prétexte. On cite, à ce propos, un billet adressé par lui à Hidriée
de Carie le voici ,, Si Nicias n'est point coupable, relâche-le
; : s'il est coupable, ;
relàche-le pour l'amour de nous dans tous les cas, relâche-le " » ; !
19262 Judith, IX. Elle prie Dieu : ...(10) nâra^'ov âovÀov è/c ;j;«Aéui' ànaTîjç /lov
lèvres l'esclave avec le maître, le chef avec son serviteur... » (13) kù ôoç Myov fiov
naï hnàrriv eïç TQavfia nal (Kôluma avrwv, ...« et donne à mon discours de tromper
pour les blesser et leur nuire». Pourquoi ce livre ne doit-il pas avoir sa place parmi
ceux où se trouve Vexpérie?ice du chrétien ? Il y a tant de gens qui, en guerre,
pensent de cette façon !
1927' Récits de Conon (dans Photius), narr. XXXIX. — Voir aussi Scholia in
Acharnenses, 146. '4TraTovQia. Harpocr. s. r.
Scholia in Pacem, 890. Suidas; s. r. :
'AnaTovnia. Polyaen. Strateg., I, 19. Paus., Il, 33, parle d'un temple A'Athéna
;
—
trompeuse, érigé par Etra qui, trompée par la déesse, eut commerce avec Poséi-
don. —
Strab. XI, p. 495, fait allusion à un temple A' Aphrodite Trompeuse. Les
;
géants voulaient faire violence à la déesse. Celle-ci appela à son aide Héraclès ; elle
SOCIOLOGIE 77
1218 CHAPITRE XI i^ 1928
iiiens, craignant ce duel, céda son royaume à qui voudrait bien s'ex-
le cacha dans une grotte où elle promit aux géants de se donner à eux, tour à tour,
et au fur et à mesure que l'un entrait dans la grotte, Héraclès le tuait par fraude
(êf àTrâTT/ç).
19281 Odyss., XIII, 291-299.
19282 Montaigne; Essais. II, 12: « (p. 2(J2) Les uns font accroire au monde
qu'ils croyent ce qu'ils ne croyent pas; les aultres, en plus grand nombre, se le
font accroire à eux-mesmes, ne sçachants pas pénétrer que c'est que croire et nous
:
trouvons estrange si, aux guerres qui pressent à cette heure nostra estât, nous
voyons flotter les événements et diversifier d'une manière commune et ordinaire;
c'est que nous n'y apportons (p. 2&^) rien que le nostre. La iustice, qui est en l'un des
partis, elle n'y est que pour ornement et couverture :elle y est bien alléguée mais ;
elle n'y est ni receue, ni logée ni espousee : elle y est comme en la bouche de
l'advocat, non comme dans le cœur et affection de la partie... Geulx qui l'ont prinse
[la religion] à gauche, ceulx qui l'ont prinse à droicte, ceulx qui en disent le noir,
^ 1929 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS KT DES DÉRIVATIONS 1219
ait fait quelquefois acquérir des Etats et une couronne, ainsi que je
selon que la fortune nous a changé de place en ces orages publicques. Cette proposi-
tion si solenne, ,, S'il est permis au subiect de se rebeller et armer contre son
prince pour la deffense de la religion" souvienne vous en quelles bouches, cette
:
année passée, l'affirmative d'icelle estoit l'arc boutant (p. 264} d'un party; la nega-
tive, de quel autre party c'estoit l'arc boutant et oyez à present de quel quartier
:
pour cette cause que pour celle là. Et nous bruslons les gens qui disent qu'il fault
faire souffrir à la Vérité le ioug de notre besoing et de combien faict la France pis
:
que de le dire ? »
1929 1 MAGH1.A.VEL : Discours sur la première décade de Tite-Live, I. III,
Gfr. 119752.
1929 2 Aujourd'hui, on peut le dire des Allemands.
1220 CHAPITRE XI § 1930-1931
qu'il les connaissait. — Maïmonide; Le guide des égarés, trad. S. Munk, III" part,
c. XVII, t. III « (p. 125) Voici donc le résumé succinct de ces difTérentes opinions
: :
volonlé (divine) les Mo'tazales, l'effet de la sagesse (divine), et nous auti'es (Israé-
;
lites), nous y voyons l'effet de ce que l'individu a mérité selon ses œuvres. C'est
pourquoi il se pourrait, selon les Ascharites, que Dieu fît souffrir l'homme bon et
vertueux dans ce bas monde et le condamnât pour toujours à ce leu qu'on dit être
dans l'autre monde car, dirait-on. Dieu l'a voulu ainsi. Mais les Mo'tazales pen-
;
sent que ce serait là une injustice, et que l'être qui a souffert, fût-ce même une
fourmi, comme je l'ai dit [voir citation 1967 i], aura une compensation car c'est la ;
sagesse divine qui a fait qu'il souffrît, afin qu'il eût une compensation. Nous autres
enfin, etc. » [voir la suite § 917 ']. La théorie des causes finales entreprend de faire
disparaître de telles contradictions. Appliquée aux actions de l'individu, elle affirme
que ces actions ont toujours pour but, que l'individu s'en rende compte ou non, le
« bien » de l'individu, ou de la communauté et par des raisonnements parfois
;
dencede la société '. Les personnes qui ont porté leur attention sur
ce sujet ne se sont donc pas trompées, depuis les temps les plus
reculés où nous connaissions leurs idées, lorsqu'elles ont résolu le
4« problème en ce sens qu'il est utile que les hommes voient les faits,
non tels qu'ils sont en réalité, mais tels que les représente la considé-
ration des fins idéales; par conséquent, pour employer la terminolo-
gie courante, lorsqu'elles ont attribué une très grande importance à
la «morale» et à la «religion», généralement celles qui existaient
alors; tandis qu'un petit nombre de personnes très avisées et d'une
grande perspicacité attribuaient cette importance aux « morales» et
aux « religions » en général, se rapprochant ainsi de la réalité, où
cette importance revient à certaines persistances d'agrégats et aux
actions non-logiques qui en sont une conséquence implicite ou expli-
cite. Mais précisément parce qu'il y avait un écart plus ou moins
gion spéciales par quoi ; l'on attribue aux dérivations une impor-
tance qui revient uniquement aux résidus. De là provinrent, lorsque
les adeptes de ces théories trouvèrent le champ libre, un énorme
gaspillage d'énergie dépensée pour produire des eftets peu ou point
importants, et des souffrances souvent considérables, infligées aux
hommes Quand les adeptes des théories que
sans aucun avantage.
nous venons de rappeler rencontrèrent de la résistance, il naquit
aussi, chez leurs adversaires, une idée erronée celle d'étendre à :
19321 II convient de prendre garde que le problème n'est ici résolu que qualitati-
vement {% 1876', 1897'). Les considérations quantitatives seront introduites au cha-
pitre XII.
1224 CHAPITRE XI ^ 1933-1934
le fait que par là nous n'entendions point inlirmer l'utilité sociale des résidus dont
elles étaient la manifestation. Cette utilité demeure intacte, lorsqu'on fait voir l'in-
convénient qu'il y a à vouloir imposer certaines dérivations. Par exemple, ce que nous
avons dit de la vanité expérimentale des dérivations de certaines religions et des
inconvénients qu'il y a à vouloir imposer certaines de ces dérivations, ne doit nul-
lement être entendu, comme c'est ordinairement le cas, en ce sens que les persis-
tances d'agrégats qui se trouvent dans ces religions seraient, non pas utiles, mais
nuisibles. Parmi ces religions, nous rangeons aussi la religion sexuelle, dont nous
avons dû souvent nous occuper, à propos de dérivations absurdes et nuisibles.
1934 1 Maïmonide ; trad. S. Munk, III" part., c. XVII,
Le guide des égarés,
t. III : «(p. 125) Nous
autres [les Israélites] enfin, nous admettons que tout ce qui
arrive à l'homme est l'effet (p. 126) de ce qu'il a mérité, que Dieu est au-dessus de
l'injustice et qu'il ne châtie que celui d'entre nous qui a mérité le châtiment. C'est
§ 1935 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1225
là ce que dit textuellement la loi de Moïse, notre maître, (à savoir) que tout dépend
du mérite et c'est aussi conformément à cette opinion que s'expriment généralement
;
nos docteurs. Ceux-ci, en etïet, disent expressément ,, Pas de mort sans péché, pas
:
de châtiment sans crime "•]-; et ils disent encore :,, On mesure à Thomme selon
la mesure qu'il a employée lui-même ", ce qui est le texte de la Mischnâ.
Partout ils disent clairement que, pour Dieu, la justice est une chose absolument
nécessaire, c'est-à-dire qu'il récompense l'homme pieux pour tous ses actes de
piété et de droiture, quand même ils ne lui auraient pas été commandés par un
prophète, et qu'il (p. 127) punit chaque mauvaise action qu'un individu a commise,
quand même elle ne lui aurait pas été défendue par un prophète... ». — Iusti Lirsrr.
Poiiticorum, 1. I, c. 3, p. 35. L'auteur cite en l'approuvant un passage de Tite-Live,
qui dit Omnia prospéra eveniunt colentibus deos, adversa spernentibus. On trouve
;
de semblables idées chez un très grand nombre d'auteurs du passé. Que ce fût là ou
non leur opinion, ils estimaient opportun et utile de la manifester. Le passage de
TiTE-LivE se trouve V, 51 une vérification expérimentale y est ajoutée. Lipsius l'a
: :
passée sous silence. Camille parle aux Romains et dit Intuemini enim horum :
deinceps annorum vel secundas res, vel adversas invenietis omnia prospère eve-
;
nisse sequentibus deos, adversa spernentibus. «Considérez donc ensuite les événe-
ments favorables ou contraires de ces années-ci. Vous trouverez que tout a été
prospère, quand on ol)éissait aux dieux, contraire qurind on les négligeait ». Il conti-
nue en citant la guerre de Véies et l'invasion des Gaulois, et il dit que la première
tut heureuse, parce que les Romains furent attentifs aux enseignements des dieux,
la seconde malheureuse, parce qu'ils négligèrent ces enseignements.
cette opinion au même endroit par le Talmud lui-même, et qu'il s'agit ici d'une
est réfutée
doctrine populaire enseignée au vulgaire, mais que les Talniudistes ne préteTidaient pas don-
ner pour une vérité incontestable...».
1226 CHAPITRK XI § 1936
font plus d'impression que les biens. 2^ Les confusions des deux
genres de problèmes indiqués au | 1898 sont habituelles. A la
rigueur, on pourrait affirmer que quiconque agit suivant les pré-
ceptes de la morale et de la religion, en réalisant son propre bon-
heur, ne peut en aucune façon porter préjudice à ceux qui sont
confiés à ses soins ou qui sont en rapport avec lui d'une manière
ou d'une autre. Mais on le fait rarement; on le sous-entend plus
qu'on ne le dit; on le laisse sous une forme implicite et nébuleuse.
Très souvent on parle de châtiments et de récompenses, sans dire
s'ils seront le lot de l'individu qui a fait l'action mauvaise, ou la
1937' Nous avons d'jà cité un grand nombre d'exemples de semblables disserta-
tions. Ajoutuns-en encore un, qui se rattache à un type extrêmement répandu.
Les Grandes Chroniques de France, publiées par Paiilis Paris, Paris 1837V
t. II. On y rapporte une légende au sujet de Charlemaines (Charlemagne). Un cer-
tain Agoulant vient chez (Charlemaines pour se faire baptiser. « (p. 232) Lendemain,
en droit IVure de tierce, vint Agoulant à (Charlemaines pour recevoir baptesme. A
l'eure qu'il vint estoit (Charlemaines assis a mangier luy et sa gent... ,,r.eulx - dit
Charlemaines - que tu vois vestus de drap de soie et d'une couleur sont les évesques
et les prestres de notre loy qui nous preschent et exposent les commands nostra
Seigneur ceux nous absolvent de nos péchiés et nous donnent la bénéicons nostre
:
Seigneur. Ceulx que tu vois en noir habit, ce sont moines et abbés... Geulx que tu
vois après qui sont en blanc habit, il sont appelles chanoines réglés... " Entre autre
chose regarda Agoulant d'autre pari, et vit trèze povres vestus de povres draps, qui
mengeoient à terre sans nappe et sans table, si avoientpou à manger et pou à lioire.
Lors demanda à Charlemaines quels gens c'estoient. ,, Ce sont dist-il —
les gens —
Dieu, messages nostre sire Jhésu-Oist, que nous paissons chaque jour en l'onneur
des douze apostres. " Lors respondit Agoulant ,, (Ceulx
: qui sont autour toy
sont beneurés, et largement (p. 233) mengent et boivent, et sont bien vestus et
noblement et ceulx que tu dis qui sont messages de ton Dieu, pourquoy soutîres-tu
;
qu'ils aient faim et mesaise, et qu'ils soient si povrement vestus et si loing de toy
assis né si laidement traitiés ? Mauvaisement sert son Seigneur qui ses messages
reçoit si laidement. Cirant honte fait à son Seigneur qui ainsi ses messages sert. Ta
loy que tu disoies qui estoit si bonne monstre bien, par ce, qu'elle soit faulse. "
Après ces paroles se départit de (Jlharlemaines, et s'en retourna à sa gent, et refusa
le saint baptesme qu'il vouloit recevoir. Lendemain manda bataille à Charlemaines.
Lors entendit bien l'empereur qu'il eut baptesmes refusé pour les povres qu'il vit si
laidement trailii's. Pour ce commanda (Charlemaiues que les povres de l'est feussent
honnourablement vestus et suffisamment repeus de vins et de viandes».
Du contraste entre la pureté évangélique et les mauvaises mœurs de la Cour de
Rome, Boccace (I, 2) tire la conclusion que la foi chrétienne doit être vraiment
divine, puisqu'elle résiste à ces causes de dissolution. Le juif qui était allé à Rome
et qui avait observé ces contradictions entre la foi chrétienne et les mœurs, prend
un parti contraire à celui qu'avait adopté Agoulant, et demande le saint baptême.
§ 1ÎK57 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1229
Ce sont là des légendes et des contes; mais celui qui serait tenté de croire que le
fond révélé par ces formes n'existe plus de nos jours, n'a qu'à regarder autour de
lui, et il trouvera aisément des contradictions de ce genre. Les noms seuls ont
changé. Du crépuscule des dieux anciens surgissent les nouvelles divinités le:
qu'elle apparaît dans les conséquences que l'on peut tirer de diffé-
rents passages.
1 1>42. Nous avons des exemples de contradictions explicites dans
le poème qui a pour titre Les travaux et les jours. Il est un grand
nombre de passages où exprime que celui qui fait le mal
l'auteur
est toujours puni. Ainsi (265-266) «L'homme qui machine du mal :
hommes, ni mon lils non plus, puisqu'il est mal d'être un homme
juste, l'homme injuste a plus de droits ».
si ^
19'5'i. Comme
exemple de contradictions implicites, celui des
anciens Israélites suffira. D'une part, ils étaient persuadés que
laveh récompensait toujours par des biens terrestres l'homme
juste et pieux, et qu'il châtiait l'homme injuste et impie, en le pri-
vant des biens terrestres ^ D'autre part, ils croyaient que le pauvre
19421 Op. et dies. Vient un vers qui paraît être une glose introduite dans le texte
et qui dit « (273) Mais je ne pense pas que ce soit la volonté de Zeus fulminant».
:
Que ce soit ou non la volonté de Zeus, le fait relevé par l'auteur subsiste toujours.
D'autres vers se contredisent. En de nombreux endroits, l'auteur insiste en disant
que celui qui commet une injustice n'échappe pas au châtiment mérité, et que celui
qui est juste est récompensé; tandis qu'en décrivant l'âge de fer où nous vivons, il
dit «(190-193) L'homme fidèle à son serment, ni le juste, ni le bon ne trouveront
:
tude de la sagesse appartient à ceux qui craignent le Seigneur elle les rassasie (litt. ;
les enivre; les, ce sont ceux qui craignent le Seigneur). 17. Elle remplit toute —
leur maison de choses désirables et leurs greniers de ses produits». «(p. 434), —
XT, 1. La sagesse du pauvre [de l'humble, c'est-à-dire de celui qui est d'humble
condition) le relève (litt. relève sa tète) et le fait asseoir parmi les grands. Le
:
texte grec dit : So(pia rmreivov àvvipcjae KerpaX^v, Kal kv /uécifi fieyiaravuv nadlaEi. avTÔv.
qui précède et de tous les documents des deux premières périodes que les Israélites
ne croyaient qu'à une rémunération terrestre des actions humaines. Il n'y a pas la
moindre trace chez les prophètes, où le châtiment du péché, d'un côté, et l'espérance
du salut futur, de l'autre, jouent un si grand rôle, de l'idée que le péché pourrait
^ 1945-1946 PROPRIÉTÉS des résidus et des dérivations 1233
être châtié et la vertu récompensée dans une autre vie. D'après l'opinion générale
des Hébreux, Dieu récompense le bien et punit le mal dans ce monde tout mal- ;
heur est un châtiment divin, attiré par l'intidélité, et toute bénédiction une récom-
pense divine, méritée par la fidélité en un mot, il y a une relation exacte entre le
;
19442 Re>[a.n Vie de Jésus : «(p. 180) Les prophètes, vrais tribuns (p. 181) et
;
en un sens les plus hardis tribuns, avaient tonné sans cesse contre les grands et
établi une étroite relation d'une part pntre les mots de riche, impie, violent, mé-
chant, de l'autre entre les mots de pauvre, doux, humble, pieux».
19442 B\yle; Diet, hist.; s. r. Malherbe, rem. (C). L'auteur cite Racan Vie de ;
Malherbe, p. 15 « Quand les pauvres luy disoient qu'ils prieroient Dieu pour luy,
:
il leur répondoit qu'il ne croyoit pas qu'ils eussent grand credit au Ciel, veu le
mauvais estât auquel il les laissoit en ce monde; et qu'il eust mieux aimé que Mon-
sieur de Luyne, ou quelqu'autre favory, luy eust fait la mesme promesse ».
'
SOCIOLOGIE 78
1234 CHAPITRE XI § 1947-1948
cause —
dit-on —
de leurs péchés. Il parait que sa colère dure tou-
jours, car le sépulcre du Christ continue à être au pouvoir des
infidèles ^
19471 Guillaume de Tyr, dans Guizot, Collection de mém., t. III: « (p. 10)
...Il semblait en effet que la ville ne put manquer de tomber promptement au pou-
voir du peuple chrétien, moyennant la protection de la Divinité. Mais celui qui est
terrible (p. 11) dani ses desseins sur les fils des hommes {Psaume 65, 4) en avait
autrement décidé. Je viens de dire que la ville était serrée de très prés, et que les
citoyens avaient perdu tout espoir de défense et de salut... lorsqu'en punition de
nos péché:i ils eu vinrent à fonder quelque espérance sur la cupidité des noires...
(p. 17) Cependant l'empereur (Jonrad, voyant que le Seigneur lui avait retiré sa
grâce et qu'il était hors d état de rien faire pour l'avantage de notre royaume, fit
préparer ses navires, prit congé de Jérusalem et retourna dans ses propres États».
Du côté des musulmans, le Livre des Jardins dit « (p. 59) La population musul-
:
mane témoigna une joie très vive du succès que Dieu venait de lui accorder; elle
rendit de nombreuses actions de grâce au ciel qui avait accueilli avec faveur les
prières qu'elle lui avait adressées durant ces jours d'épreuves. Dieu soit loué et
béni! Peu de temps après cette marque de la protection divine, Nour ed-Dîn vint
au secours de Mo'în ed-Dîn et le rejoignit dans un bourg des environs de Damas ».
1948 Draper
• Les ronfl. de la se. et de la rel. Parlant de la conquête de
;
Jérusalem, faite par Kosroès, l'auteur dit « (p. 55) Le magisme avait insulté le
:
sant ses églises, en jetant ses reliques au vent, en enlevant, au milieu de cris de
triomphe, la croix du Sauveur. Les miracles avaient autrefois abondé en Syrie, en
Egypte, en Asie Mineure. Il s'en était fait dans les occasions les moins impor-
tantes et pour les objets les plus insignifiants; et pourtant, dans ce moment
suprême, aucun miracle ne s'était accompli Les populations chrétiennes de l'Orient
!
furent remplies d'étonnement quand elles virent les sacrilèges des Perses, perpétrés
avec impunité. Le soleil aurait dû rebrousser sa marche, la terre entr'ouvrir s^^es
abîmes, l'épée du Tout-Puissant lancer ses éclairs et le sort de Sennacherib eût dû
être celui de l'envahisseur. Cependant il n'en avait rien été». Plus loin, parlant de
la conquête de Jérusalem, faite par les Sarrasins : «(p. 65) La chute de Jérusalem !
la perte de la métropole chrétienne! Dans les idées du temps, les deux religions
avaient passé par l'ordalie des armes; elles avaient subi le jugement de Dieu! La
victoire avait adjugé au mahométisme Jérusalem le prix du combat! Et malgré les
succès temporaires des croisés, après mille ans écoulés, elle est encore dans ses
mains!» L'auteur se trompe en croyant qu'on ait conclu de cette victoire que le
mahométisme fut jugé meilleur que le christianisme, parce qu'il avait remporté la
victoire. Jamais, jamais les hommes n'ont tait usage de tant de logique. — Bayle;
Diet, hist, s. T. Mahomet, rem. (P) : «Ils [Bellarmin et d'autres controversisies]
ont eu même l'imprudence de metire la prospérité entre les marques de la vraie
Eglise. Il étoit facile de prévoir qu'on leur répondroit, qu'à ces deux marques
l'Eglise Mahométane passera plus justement que la Chrétienne pour la vr^ie Eglise ».
— A. Bavet ; Collect. Aulnrd; Morale. Probablement pour discréditer la religion
chrétienne, l'auteur cite des données statistiques qui ont vraiment peu de rapports
avec un traité de morale, «(p. 156) La religion qui a le plus grand nombre de
fidèles est le bouddhisme : il y a environ 5UU millions de bouddhistes. [Vraiment?
M. Bayet les at-il pu compter?] Puis vient le christianisme qui est divisé en trois
branches... il y a 217 millions de catholiques et VS/ millions de protestants; enfin,
il y a 12U millions d'hommes qui font partie de l'église russe ». — Baylk ; Dicf. hist.,
s. r. Mahomet II, rem. (D) : «J'ai marqué qu'en matière de triomphes l'étoile du
Mahométisme a prévalu sur l'étoile du Christianisme [aujourd'hui on ne pourrait
plus dire cela], et que s'il taloit juger de la bonié de ces Relifçions par la gloire des
bons succès temporels, la Mahométane passeroit pour la meilleure. Les Mahome-
tans sont si certains de cela, qu'ils n'alifguent point de plus forte preuve de la jus-
tice de leur cause, que les prospérilez éclatantes dont Dieu l'a favorisée... ». L'au-
teur cite ensuite Huttinoeb, Hist. Oriental, p.3e8, qui dit : « L'heureux succès des
armes de ces Infidèles est un autre argument dont ils se servent pour appuyer la
vérité de leur Religion. Car comme ils ctoyent que Dieu est l'auteur de tous les
bons événement, ils concluent, que plus ils réussissent dans leurs guerres, et plus
aussi Dieu fait paroître qu'il approuve leur zèle et leur Religion ».
1236 CHAPITRE XI § 1950-1951
I HoO. De nos jours, on ne croit plus que Dieu manifeste par les
duels des particuliers de quel côté est le bon droit; mais on continue
à croire plus ou moins qu'il le manifeste dans les guerres entre les
nations. Une guerre juste doit, pour un grand nombre de personnes,
être une guerre victorieuse. Vice versa, une guerre victorieuse est
nécessairement une guerre juste. Beaucoup d'Allemands furent et
demeurent persuadés que la guerre de 1870 fut victorieuse parce
que le Seigneur voulut donner la victoire aux vertus germaniques
contre la corruption latine \ Cela se peut mais il se pourrait que ;
le génie des Bismarck, des Moltke, des Roon, ainsi que l'huma-
19491 B.vylk; Bict. hist., s. r. Guise (Charles de Lorraine, duc de), rem. (F).
19iî0i M. BuscH ; Les mémoires de Bismarck, édit. franc., t. I, p. 64 ; «Le
comte de Waldersee, lui, souhaita de ,, voir cette Babel [Paris] entièrement
dptruite". Le Chancelier intervint Cela ne serait, en effet, pas une mauvaise
:
chose du tout, mais cela est impossible pour beaucoup de raisons. La principale est
qu'uu trop grand nombre d'Allemands de Cologne et de Francfort y ont placé des
fonds considérables!)). «(p.G?) Un peu après Saint-Aubin, je [Busch] remarquai
sur le bord une borne kilométrique avec ces mots ,, Paris, 241 kilomètres". Nous
:
n'étions donc déjà plus qu'à cette distance de la Babel gigantesque ». « (p. 172) Elle !
dût payer ces prix sous la forme des cinq milliards d'indemnité de
guerre à l'Allemagne]. L'ingratitude, a dit Cavour, est le plus odieux
des péchés. C'est aussi le plus maladroit des calculs ^ [affirmation
19511 Emile Ollivier; L'Emp. lib., t. I. On remarquera que cet ouvrage fait
partie d'une iiistoire en seize [ensuite dix-sept] volumes, qui a la prétention d'être
scientifique, et qui est par conséquent d'un genre entièrement différent de celui des
proclamations mentionnées tout à l'heure, de Guillaume I'"' et de Napoléon III, ou
d'autres semblables écrits qui visent, non pas à une étude scientifique, mais seule-
ment à émouvoir les sentiments populaires et à les diriger dans la voie qu'on estime
convenable.
1951 Bismarck part d'autres principes pour juger les actions de Napoléon III.
BusGH ; Les mém. de Bismarck, t. I « (p. 30) Sa politique [de Napoléon III] a
:
1238 CHAPITRE XI § 1951
toujours été stupide. La guerre de Crimée était diamétralement opposée aux inté-
rêts de la France, qui réclamait une alliance ou, tout au moins, une bonne
entente avec la Russie. Il en (p. 31) est de même de la guerre pour l'Italie. Il s'est
créé là un rival dans la Méditerranée, le nord de l'Afrique, la Tunisie, etc. [oa
remarquera qu'il disait cela en 1870: Bismarck voyait loin et juste], qui, un jour,
sera peut-être dangereux. La guerre du Mexique et l'attitude qu'a prise la France
en 186G sont encore des fautes, et nul doute que, dans la tempête qui éclate aujour-
d'hui, les Français ne sentent eux-mêmes qu'ils sont en train de commettre une
dernière faute ». Bismarck avait raison, mais il négligeait certaines circonstances
qui peuvent expliquer ces faits et les atténuer. Il est très juste que la guerre de
Crimée était une erreur de politique extérieure, mais elle était très avantageuse à la
politique intérieure elle donnait au gouvernement de Napoléon III l'auréole de
:
obtenir.
1951 •'
n. Welschinger; La guerre de 1870. t. II.
§ 1952-1954 PROPRIÉTÉS des résidus et des dérivations 1239
combat mais Grote observe avec justesse ^ «(p. 7) tandis que les
; :
1955 ' PiEPENBRiNG IHst. du peuple d'Isr. : « (p. 245) Jahvé fait en réalité
;
grâce ou miséricorde à qui il veut, par suite de son pouvoir suprême, à la manière
des anciens souverains despotiques de l'Orient, qui se plaisaient aussi à manifester
leur pouvoir... »
19561 A. Maury; Hist, des relig. de la Gr. ant., t. III. Les vers 1621-1622 du
Chœur d'Ion s'expriment ainsi « Car à la fin les bons obtiennent ce dont ils sont
:
dignes; les méchants, comme il est naturel, ne peuvent jamais être heureux».
Maury cite aussi les vers 882-887 du Chœur des Bacchantes « La force des dieux
:
vient, lente mais sûre; elle châtie les hommes qui honorent l'iniquité et qui, en
insensés, ne vénèrent pas les dieux». La encore, il s'agit en somme de ceux qui
savent obtenir la faveur des dieux ou qui tombent sous leur colère mais on ne voit
;
VHercule furiiiix, le chœur dit que les bons n'ont pas un meilleur
sort que les méchants. *
1959. Ensuite, plus particulièrement si l'on considère la tragé-
die Ion, citée par Maury, on trouve peu judicieuse la conclusion du
chœur. Apollon fait violence à la vierge Creuse, et la rend mère
d'Ion. Pour cacher sa faute involontaire, la jeune fille expose l'en-
fant. Ensuite, Apollon ment et trompe Xouthos, mari de Creuse, en
lui faisant croire qu'Ion est son fils, à lui Xouthos, et Apollon dit
naïvement qu'il fait cela pour introduire Ion dans une famille
riche et illustre. Creuse ne sait pas qu'Ion est son fils, et celui-ci
ne sait pas qu'elle est sa mère. Croyant qu'il est, comme l'a dit
Apollon, un fils bâtard de son mari, elle veut l'empoisonner, et
lui, pour se venger, veut la tuer. Grâce à une certaine corbeille,
elle reconnaît son fils, et Athéna survient pour dissiper tous les
doutes et pour confirmer cette descendance.
19581 Helen., 1137-1143 « Lequel des mortels, ayant scruté l'ultime fin des évé-
:
nements, peut affirmer y avoir trouvé quelque chose qui soit dieu, non-dieu ou être
intermédiaire [démon], en considérant que les desseins des dieux s'orientent tantôt
ici, tantôt là, et sont de nouveau contraires, apparaissant dans des événements
inespérés ? »
1960. En tout cela, on ne voit pas où sont « les bons qui trou-
vent enfin la récompense de la vertu». Ne parlons pas d'Apollon,
qui est un beau tj'pe de malfaiteur mais on ne voit pas que Creuse
;
ait été plus vertueuse que d'autres personnes, et l'on ne peut certes
pas appeler vertu la tentative d'empoisonner Ion son unique ;
même chez des auteurs qui sont loin d'avoir une telle conception.
Il importe de noter de semblables faits, parce qu'ils nous font voir
combien, même de nos jours, les résidus de la II« classe sont puis-
sants. Un savant qui étudie l'histoire des us et coutumes d'un
peuple ne sait pas et ne veut pas se borner à la recherche des uni-
formités : il éprouve le besoin irrésistible de louer sa morale, sa
Où Schœmann a-til trouvé chez les auteurs grecs que pour nous
rendre les dieux «propices», il suffit «d'accomplir en leur hon-
neur les cérémonies» et de «remplir nos devoirs»? Quelles céré-
monies en l'honneur des dieux la fille d'Agamemnon avait-elle
négligé d'accomplir? A quels devoirs envers ses semblables avait-
elle manqué, pour mériter que les dieux imposassent à son père de
la sacrifier? Et Mégara, femme d'Héraclès, et leurs enfants, pour
quelle négligence de cérémonies ou de devoirs méritèrent-ils d'être
tués par Héraclès? Euripide nous montre la Furie que, sur l'ordre
d'Hèra, Iris charge de troubler la raison d'Héraclès. La Furie
chons qu'aux faits. Est-il bien vrai qu'on trouve de telles conceptions
dans les tragédies d'Eschyle, au lieu de celles de la religion popu-
laire? A vrai dire, il importerait peu de résoudre ce problème, si
l'on recherchait uniquement les opinions d'Eschyle mais en trou- ;
vant les opinions exprimées dans ses tragédies, qui furent accueil-
lies favorablement par le peuple athénien, nous découvrons les
car il nourrit dans nos cœurs une cupidité sanguinaire. Avant que
la calamité ancienne ait pris fin, voici du nouveau sang». Ensuite,
nous avons les passages": «Y a-t-il expiation pour le sang tombé à
terre?» —
«L'homicide doit payer sa dette ^». Electre demande au
chœur ce qu'il doit souhaiter aux assassins de son père*. «Le
chœur ,, Qu'un démon ou un mortel vienne vers lui. "
: Electre : —
,, Un juge ou un vengeur, dis-tu." Le chœur ,,Prie simple- — :
ment que quelqu'un les tue à leur tour». Enfin, la fatalité qui pèse
sur les Atrides est une dérivation de l'idée qu'il existe un lien
nécessaire entre le délit et ses conséquences. Comme toutes les
dérivations de ce genre, celle-ci est peu précise et peu logique. De
là les difficultés que nous rencontrons quand nous voulons con-
naître aoec précision la doctrine de l'auteur, et pis encore, d'une
façon générale, ce que les hommes du temps comprenaient par le
mot destin. Nous cherchons ce qui n'existe pas : une doctrine pré-
cise ; et au contraire,
cette doctrine ne l'est pas. Il faut prendre garde
que pas
ce n'est nécessairement le bien qui naît du bien, le mal du
l'enfant celui qui l'engendre véritablement, c'est le père. Apollon donne pour
;
preuve de cette affirmation un argument mythologique qu'on peut être père sans :
avoir besoin d'une femme, puisqu'Athéua est née de Zeus sans avoir été nourrie
dans une matrice.
1966 1 Aesch. ; Àgam., 1475-1480.
demeure pas stérile mais d'un sort prospère naît une inextin-
;
guible misère. Mon sentiment est dilTérent de celui des autres, car,
au bout de quelque temps, l'impiété engendre une descendance
semblable à elle-même mais une maison vraiment juste a tou-
;
jours dans son sort une belle descendance». Egisthe rappelle les
crimes successifs, engendrés l'un par l'autre, et qui pèsent sur les
Atrides. En tout cas l'homicide a pour conséquence nécessaire, iné-
vitable, de souiller le meurtrier, qu'il soit ou non coupable, qu'il
soit homicide volontaire ou involontaire (§ 1253). D'ailleurs Eschyle
a des doutes à cet égard. Le chœur des Euménides dit qu'Athéna
ne peut juger Oreste, car celui-ci, souillé d'homicide, ne peut jurer;
mais Athéna répond " «Préfères-tu entendre correctement qu'agir
:
1966 7 Eum. :
«Je ne suis pas souillé d'un délit ; mes mains ne sont pas tachées,
tandis que je suis-
assis auprès de ta statue»; «Je te donnerai un témoignage
et il le prouve : (447)
important de ces choses ». En somme, ce témoignage est le suivant (4'i8-452) La :
loi impose le silence à qui ne s'est pas purifié, et lui a été puritié par le sang et par
l'eau. Il s'agit exclusivement d'une action mécanique des victimes expiatoires et de
l'eau.
-. « Notre fureur ne
glorifient d'être les dispensatrices de la justice
se déchaîne pas sur celui qui étend les mains il passe sa vie sain et :
1968 2 Dans un fragment de la Niobé d'EscHYLE (Naugk, 151), il est dit que :
«Dieu met de mauvaises peasées dans l'esprit des hommes, quand il veut détruire
entièrement une maison ».
1969' Aesch.; Agam., 946-947.
dieux de leurs maux, tandis qu'en réalité ils se les attirent eux-mê-
mes ^ La théorie est évidente : du délit vient le châtiment, et Zeus
est seulement témoin des événements qui ont lieu. Athéna réplique
et expose une autre théorie ^ Les maux des hommes deuraient être
le seul châtiment de leurs mauvaises actions. Egisthe a été juste-
ment puni mais Ulysse, qui
; n'a pas mal agi, ne devrait pas subir
le châtiment de l'exil loin de sa patrie. Zeus reprend la parole ^ Il
a déjà oublié son affirmation d'après laquelle les hommes accusent
à tort de leurs maux les dieux; il dit que les maux d'Ulysse ont
pour origine la colère de Poséidon, qui persécute Ulysse, parce
qu'il a aveuglé le Cyclope. Pourtant, en agissant ainsi, Ulysse n'a
nullement péché contre les règles de la justice. Nous avons donc
une troisième théorie. Les maux des hommes leur viennent en
partie de ce qu'ils agissent follement, en partie de ce qu'ils sont
frappés par quelque dieu, sans aucune faute de leur part. Les
autres dieux entravent, de Poséidon à l'égard
il est vrai, l'œuvre
d'Ulysse; mais ils n'essaient même pas de porter secours aux
malheureux Phéaciens que Poséidon punit, non pas pour quelque
mauvaise action, mais au contraire pour avoir accompli la bonne
action de ramener Ulysse dans sa patrie, pour avoir obéi au pré-
19701 Odyss., I, 32-41 : «Car ils disent que les maux viennent de nous; et
d'autre part eux-mêmes, par leur folie, ont des maux contrairement au destin.
Ainsi, maintenant encore Egisthe, contrairement au destin, s'est uni à la femme
légitime de l'Atride [Agamemnon]
a tué celui-ci de retour; tout en connaissant
et
la terrible ruine [qui l'attendait]. Pourtant, lui ayant envoyé Hermès, le clairvoyant
meurtrier d'Argus, nous l'avions averti de ne pas tuer Agamemnon et de ne pas
rechercher l'épouse de celui-ci, car il se serait ainsi exposé à la vengeance de l'Atride
Oreste, quand celui-ci, devenu adulte, aurait désiré revoir son pays ». Dans ce dis-
cours, y a une contradiction formelle mais elle disparaît, si l'on adopte le sens
il : :
« Car ils disent que tous les maux viennent de nous tandis qu'eux aussi, par leur
;
folie, ont des maux contrairement au destin ». Ainsi disparaît la contradiction entre
celte affirmation et celle qui attribue l'origine des malheurs d'Ulysse à la colère de
Poséidon; mais elle subsiste quant au fond car enfin, même si ce n'est qu'une par-
;
tie des maux des hommes qui viennent des dieux, cela n'empêche pas que, pour
cette partie, leshommes aient raison de se plaindre des dieux. Cfr. Iliad., XXIV.
.527-53"4*, observations de Platon à ce sujet. De Rep., II, p. 379. Cet auteur
et les
conclut (p. 380) qu'on ne doit pas laisser dire que Zeus est l'auteur des maux qui
accablent les mortels; que s'il en est l'auteur, il n'a rien fait que de juste et de bon.
corrigeant les hommes pour leur faire du bien on ne doit permettre à aucun poète
:
de dire que quiconque est ainsi puni est malheureux. Chez Platon, la métaphysique
se superpose à la théologie, et Zeus n'est que l'exécuteur des sentences de la méta-
physique.
1970 2 Odyss.. I, 45-62.
cepte divin qui veut (jue les étrangers soient considérés comme
venant de Zeus.
1971. Avec ces passages et d'autres sous les yeux, on ne com-
prend pas comment .1. Girard peut dire que, dans VOdyssée \
« (p. 97) s'il est une idée d'où dépende visiblement toute la suite
des faits, c'est d'une part, que les hommes par leur obstination
:
dans le mal attirent sur eux le châtiment, et, de l'autre, qu'un prix
éclatant est réservé à la vertu énergique et patiente ». Une belle
récompense, en vérité, fut réservée aux pauvres et vertueux Phéa-
ciens ! Les contradictions relevées tout à l'heure dans le premier
chant de ÏOdyssée ne semblent pas avoir été aperçues par leur
auteur. Plus tard, des doutes se manifestèrent sur ces sujets, et
l'onchercha à résoudre les problèmes auxquels ils donnèrent nais-
sance. Dans son commentaire, Eustathe^ attribue, comme origine
aux maux des hommes, d'une part Zeus et le destin, qu'il met
«iisembled'autre part, l'imprudence, ou mieux le manque de
;
littéraire est vaine, et cela pour le motit que dans ces cas, il n'y a
pas une idée unique (>; 541), ni chez l'auteur, ni chez celui qui
l'écoute. L'un et l'autre se laissent guider par le sentiment, qui
laisse les propositions indéterminées, et parfois les accepte même
si elles sont contradictoires. 11 y a, chez les hommes, deux senti-
ments qui naissent, l'un des infortunes « méritées », l'autre des
frit injustement des maux par le fait de Cypris Héraclès persécuté par la colère
:
rent à eux-mêmes des maux, il cite Egisthe, les compagnons d'Ulysse, qui se
nourrirent des bœufs du Soleil Achille, qui avait le choix entre vieillira Phthia ou
:
mourir jeune devant Ti'oie Alexandre (Paris), qui négligea Oenone pour enlever
;
Hélène Elpénor qui, gorgé de vin, se tua [en tombant du toit de la demeure de
;
Gircé]. Tous ces gens souffrirent par leur imprudence ou leur folie èï oiKsîaç :
qui se fâche pour des motifs futiles; mais il oublie que les dieux
du paganisme étaient tout aussi faciles à irriter \ En réalité, les
hommes ont l'habitude d'attribuer à leurs dieux les caractères des
hommes puissants.
1974. Dans le petit livre de Bayet, que nous citons souvent,
parce qu'il est généralement en usage dans les écoles laïques fran-
1973* IuLiANUS apud Gyrill. ; V (p. 160) : 7ï Kovipôreçov Ttjç alrlaç, âi' fjv 6 0ebç
(içycaBeïç ovK à'krjdùç vtto rov yçâipavToç Tavra Trenoi^Tac ; «Quoi de plus futile que la
cause pour laquelle Dieu se met en colère, ainsi que le rapporte faussement Técri-
vain? » Il s'agit du fait raconté, Nombr., 25, où Dieu fait mourir plusieurs milliers
d'Israélites, parce que quelques-uns d'entre eux s'étaient unis aux femmes moabites,
et avaient adoré les dieux de ces femmes.
règne dans leur pays. Ils n'ont pas à supporter les maux effroyables de la guerre
[donc aucun peuple ynoral n'a jamais subi l'agression d'un autre état]... la terre
leur fournit une nourriture abondante ; miel les mou-
les abeilles leur donnent le ;
tons leur donnent la laine ils sont toujours riches et sans chagrins [il semble
:
vraiment que la Sainte Science fait ici une concurrence déloyale à l'ancienne supers-
tition (I 1984)]. Mais quand les hommes n'écoutent pas la morale, le malheur vient
les frapper... ». Plus loin, p. 103. il décrit les malheurs des protestants sous le règne
de Louis XIV. Si l'on admet que « ceux qui écoutent ce que dit la morale ?,OTiitoujours
heureux », il en résulte nécessairement que les protestants, qui étaient malheureux,
n'avaient pas écouté ce que dit la morale. Les contradictions formelles ne man-
quent pas non plus. Ainsi, on lit dans la même page « (p. 146) On sr dévoue lors- :
qu'on accepte d'être malheureux pour que les autres soient heureux... En se
dévouant, on ne rend pas seulement les autres hommes heureux on se rend heu- :
par exemple, que nous avons le devoir de ne pas mentir cela veut .
d'un certain parti (| 1716 ^). Mais si cela est nécessaire et suffisant
pour donner plus de bonheur aux pauvres, pourquoi l'auteur a-t-il
commencé par dire qu'on obtenait cet effet en observant les règles
de la morale? Il pourrait, il est vrai, répondre que, pour lui, élire
des députés et des sénateurs dun certain parti, c'est une règle
de morale. Ainsi nous revenons au genre (A-1). Si l'on appelle
moral tout ce qui, suivant un auteur, peut procurer le bonheur, il
est très certain qu'on peut conclure, toujours selon cet auteur, que
la morale procure le bonheur. Toute pétition de principe donne
toujours une conclusion incontestable. La Science de M. Bayet est
probablement la respectable entité qui, de nos jours, a été divini-
sée mais elle n'a vraiment rien à faire avec la science logico-
;
server dans l'histoire que les noms des bons Princes, et laisser (p. ix) mourir
à-jamais ceux des autres, avec leur indolence, leurs injustices et leurs crimes. Les
livres d'histoire diminueroient à la vérité de beaucoup, mais l'iiumanité y profiteroit,
et l'honneur de vivre dans l'histoire, de voir son nom passer des siècles futurs jus-
qu'à l'éternité, ne seroit que la recompense de la vertu Le Livre de Machiavel
:
n'infecteroit plus les Ecoles de Politique, on mépriseroit les contradictions dans les-
quelles il est toujours avec lui-même et le monde se persuaderoit que la véritable
;
politique des Rois, fondée uniquement sur la justice, la prudence et la bonté, est
préférable en tout sens au sistème décousu et plein d'horreur que Machiavel a eu
l'impudence de présenter au Publicq ». En effet, supprimer la connaissance des faits
contraires à une thèse est un bon moyen de la défendre. —
Bvvlk; Diet, hist., s. r.
Machiavel, t. III. note E ; «(p.24()) Boccalin prétend, que puis qu'on permet, et
qu'on recommande la lecture de l'Histoire, on a tort de condamner la lecture de
Machiavel. C'est dire que l'on apprend dans l'Histoire les mêmes Maximes que dans
le Prince de cet Auteur. On les voit là mises en pratique elles ne sont ici que con-
:
seillées. C'est peut-être sur ce fondement que des personnes d'esprit jugent, qu'il
seroit à souhaiter qu'on n'écrivit point d'Histoire [Voiez Mascardi, de Arte Histo-
^ 1975 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1258
rica) ».En effet, si l'on supprime le terme de comparaison de la rralité avec la théo-
rie, on peut construire celle-ci à volonté. « Prenez garde qu'on accuse notre Floren-
tin de s'être enrichi des dépouilles d'Aristote... Gentillet l'accuse d"ètre le Plagiaire
de Bartole. Je m'étonne qu'on ne dise pas qu'il a dérobé ses Maximes au Docteur
Angélique le grand Saint Thomas d'Aquin. Voiez dans les (Joups d'Etat de Naudé
un long passage du commentaire de Thomas d'Aquin sur le V Livre de la Poli-
tique d'Aristote. Mgr Amelot prouve que Machiavel n'est que le Disciple ou l'In-
terprète de Tacite... ».
19752 Parmi les nombreux passages qui se rapportent à notre cas, rappelons
tout d'abord les deux fragments de Machiavel, cités au 1 192D. Voir aussi IArioste
dans le Roland furieux :
vent rarement d'une basse fortune au premier rang, si cela même est arrivé quelque-
fois, sans employer la force ou la fourberie, à moins que ce rang, auquel un autre
est parvenu, ne leur soit donné ou laissé par héritage. Je ne crois pas que jamais la
force seule ait suffi, tandis que la seule fraude a cent fois réussi... Les actions auxquelles
les princes sont contraints dans les commencements de leur élévation sont également
imposées aux républiques, jusqu'à ce qu'elles soient devenues puissantes et que la
force leur suffise ...On voit donc que les Romains eux-mêmes, dès les premiers
:
degrés de leur élévation, ne s'abstinrent pas de la fourberie elle fut toujours indis- :
pensable à ceux qui, du plus bas degré, veulent monter au rang le plus élevé mais :
plus cette fraude se dérobe aux regards, comme celle qu'employèrent les Romains,
moins elle mérite le Idàme». —
Le Prince, c. 15 (trad. Périès) «Mais, dans le :
dessein que j'ai d'écrire des choses utiles pour celui qui me lira, il m'a paru qu'il
valait mieux m'arrêter à la réalité des choses que de me livrer à de vaines spécula-
tions. Bien des gens ont imaginé des républiques et des principautés telles qu'on
n'en a jamais vu ni connu. Mais à quoi servent ces imaginations ? Il y a si loin de
la manière dont on vit à celle dont on devrait vivre, qu'en n'étudiant que cette der-
nière on apprend plutôt à se ruiner qu'à se conserver et celui qui veut en tout et;
avance qu'il n'est pas possible d'être tout à fait bon dans ce monde, aussi scélérat
et aussi corrompu que l'est le genre humain, sans que l'on périsse. Et moi je dis.
que pour ne point périr il faut êlre bon et prudent. Les hommes ne sont d'ordinaire
ni tout à fait bons, ni tout à fait méchants [l'auteur ignore ou feint d'ignorer que
c'est précisément ce que dit Machiavel Discours sur la première décade de
;
1254 CHAPITRE XI !^ 1975
Tite-Live, 1. I, c.« Les hommes savent très rarement être ou tout mauvais ou
27 :
finiment que Machiavel est un ennemi de la liberté du peuple, et qu'il donne des
préceptes aux despotes pour la détruire. A ce titre, on pourrait dire aussi que les
chimistes donnent des préceptes aux empoisonneurs.
§ 1975 l'HOPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1255
un effort long et puissant, dont le succès était incertain pour venir à bout du soulé-
1256 CHAPITRE XI § 1975
vement des députés du Landtag. L'Empereur, au contraire, sans grande peine pou-
vait mater le mauvais vouloir du Corps législatif il eût crié, mais fini par voter.
:
Cependant, tandis que le Régent de Prusse se jetait tète baissée, à tout risque
dans le combat parlementaire, l'Empereur s'arrêta tout court devant la seule pers-
pective de s'engager. Le pourquoi de cette différence de conduite contient le secret
des événements futurs». Ces événements futurs furent incontestablement favorables
à la Prusse, nuisibles au plus haut point a la France. Il est donc évident qu'il eût
été avantageux à la France que les nMes fussent intervertis, c'est-à-dire que ses
gouvernants eussent agi comme le R'''gpnt de Prusse, et les gouvernants prussiens
comme l'Empereur des Français. OUivier nous apprend ensuite quelles furent,
selon lui, les causes de cette différence dans la manière d'agir. «(p.Oô) Guillaume
préparait la guerre qu'il désirait pour établir la suprématie de la Prusse en Alle-
magne. Napoléon III ne cro,yait pas qu'une guerre nouvelle lui fût nécessaire pour
maintenir en Europe sa suprématie morale [sic], la seule qu'il désirât». Ce fut
vraiment un malheur pour la France que son souverain oubliât à tel point la force
pour ne penser qu'à la «morale», «(p. 65) De quelque côté qu'il regardât, l'Empe-
reur n'entrevoyait pas de cause de guerre... (p.6C>) L'Allemagne élait malveillante
mais impuissante [bel homme d'Etat, qui ne sait pas qu'il faut se fier, non à la fai-
blesse présumée de ses ennemis, mais à sa propre force !] Lui seul pouvait créer
une cause de guerre en essayant de prendre la Belgique ou le Rhin. S'il avait .
veux sincèrement la paix et ne négligerai rien pour la maintenir " ». Quel dommage
qu'un député ne l'ait pas alors interrompu eu lui criant Si vis pacem, para bel-
:
lum Dans son exposé, Ollivier se montre homme privé excellent et homme d'Etat
!
« (p.2r)7) Aucun motif ambitieux non plus ». Pas même l'infiuence de l'impératrice :
« (p. 257) L'influence de l'Impératrice a été plus spécieusement alléguée... (p. 258) Son
imagination tournée au chevaleresque s'enflamma à ces perspectives de gloire et
d'honneur; elle employa sa force d'éloquence et de séduction à convaincre l'Empe-
reur. Celui ci. d'autant plus accessible à son ascendant qu'il avait des torts intimes
à se faire pardonner [ce remords est louable; ce qui l'est moins, c'est de faire payer
le rachat de ses fautes à son pays. Henri IV aimait aussi les femmes, mais cela ne
l'empêchait pas d'être un bon politi([ue et un bon général], ne le subissait toute-
fois pas aveuglement, pas plus que celui de qui que ce soit ». Mais voici enfin, sui-
vant Ollivier. le pourquoi de l'expédition. « (p. 2-58) Son véritable motif est autre.
Inconsolable de n'avoir pas réalisé son programme ,,des Alpes à l'Adriatique " et
de n'avoir pas effacé de l'histoire de sa race la tache de (]lampo-Formio [(luelle
conscience timorée ! 11 ne lui suffit pas d'avoir du remords à cause de ses propres
fautes ;il en a aussi à cause des fautes de ses ancêtres, et en fait pénitence, ou plu-
tôt non, il en fait faire pénitence au pays sur lequel il règne], résolu cej)endant à ne
plus (p. 259) redescendre en Italie, il était en quête de moyens pour obtenir ce qu'il
ne songeait plus à arracher [quel homme bon et doux, mais quel imbécile !]. Il
§1975 PROPRIKTÉS DHS RKSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1257
sait l'art très profitable, pour les peuples qu'il gouvernait, de conjurer ces sortes de
spectres, (^ela ne suftit pas encore. Survient la guerre de 18(36, et Napoléon III y reste
neutre de la sorte il laisse la puissance prussienne devenir formidable. Il avait oublié
;
aux désirs du roi mais ses conseillers lui persuadèrent, à ce qu'on dit, de demeu-
:
rer neutre, et lui firent voir que ce parti seul promettait la victoire, parce qu'il était
de l'intérêt de l'Eglise de n'avoir pour maître en Italie ni le roi ni les Suisses mais
;
que, s'il voulait rendre à cette contrée son antique liberté, il était nécessaire de la
délivrer et de l'un et de l'autre... Il était impossible de trouver une occasion plus
favorable que celle qui se présentait les deux rivaux étaient en campagne: le pape,
:
et il convient d'y mettre un terme. Plus loin (| 2o74 et sv.), nous reti'ouverons
les faits mentionnés ici, et nous les étudierons sous un autre aspect.
1258 CHAPITRE XI § 1976
avantage, il agissait en sens contraire, mù par les sentiments existant chez lui, et
qui correspondaient aux résidus de la II" classe (| 2o70*).
19761 Piepenbring; Théol. de l'anc. Test. Suite de la citation faite au | 1944*
« (p. 208) Pendant longtemps, ces conceptions semblent n'avoir soulevé aucune
objection sérieuse; car on n'en rencontre pas dans les plus anciens documents.
Mais, à mesure qu'on observait mieux les événements de la vie individuelle et de
l'histoire et qu'on y réfléchissait davantage [c'est moins l'observation dos faits que
la réflexion, qui faisait défaut ; l'auteur ne devrait pas employer le pronom indéfini
on ceux qui réfléchissaient et ceux qui ne réfléchissaient pas étaient difïérentsj, on
:
de la citation dans la note 1979 '. Après avoir cité de nombreux exemples, Cic, De
nat. deor., III, 32, 81, ajoute Dies deficiat, si velim nuraerare quibus bonis maie
:
evenerit nec minus, si commemorem, quibus improbis optime. Dans son traité
:
§ 1977 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1259
avec beaucoup plus d'efficacité, ils les cherchèrent dans les expres-
sions déjà existantes de certains résidus. Par exemple la persis-
tance des agrégats pousse les hommes à considérer comme une
unité une certaine collectivité, et le théoricien peut tirer parti de
ce pour expliquer comment une personne appartenant à cette
fait
reux ?
«(p. 209) Peut-être que plus ancieunement déjà on avait entrevu la difficulté et
qu'on cherchait à la lever en disant que Dieu punit les fautes des pères sur les
«nfants et qu'il récompense les enfants pour la fidélité des ancêtres». Remarquons
la tentative de justification qui suit « Il faut dire que ce principe est en partie
:
cient de leurs vertus ». Piepenbring ne s'aperçoit pas que ce qu'il démontre n'est
pas du tout ce qu'il voudrait démontrer. Il démontre qu'il existe un rapport
entre TiHat de l'enfant et les actes du père, tandis qu'il voudrait démontrer que ce
rapport est d'un certain genre déterminé. Nous pouvons admettre que les vices et
lus vertus des pères ont des conséquences pour les enfants, mais il n'est nullement
vrai que les vices des pères aient toujours des conséquences fâcheuses pour leurs
«nfants. Par exemple, un père usurier ou délinquant peut laisser son enfant dans
la richesse. Il n'est pas vrai non plus que les vertus des pères aient des consé-
quences heureuses pour leurs enfants. Par exemple, un père bienveillant, qui se
sacrifie pour le l>ien d'autrui, peut laisser son enfant dans la misère. Pour démon-
trer que les fautes des pères sont punies sur les enfants, les vertus récompensées
de même, il faudrait exclure ces derniers cas, ce dont notre auteur n"a cure. Il
donne ainsi un nouvel exemple du défaut de logique en ces matières. 11 continue :
«(p. 209) Mais ce principe, relativement ancien, soulevait lui aussi des objections et
donnait lieu au proverbe sarcastique, ,,les pères ont mangé du verjus et les dents
des fils ont été agacées" {Jér., 31, 29; Ez., 18, 2). On lui opposait la pensée que
chacun portait la peine de son propre péché (Jér., 31, 30: Es., 18, 3 ss ). C'était
maintenir le point de vue traditionnel et écarter une explication qui atténuait au
moins la difficulté qu'il soulève. Mais comment dès lors résoudre cette difticullé?
On faisait entendre que l'homme n'a pas le droit de contester avec Dieu, la créa-
ture avec le créateur, l'ouvrage avec celui qui l'a fait (Es., 29, 10: 45, 9 s. Jér., 18,
0) [B 4] on déclarait que loin d'être juste, l'homme est en réalité coupable {Ez., 18,
;
Deut., 8, 2-5; Lam., 3. 27-30) [B 2]; dans le second Esaïe, enfin, se trouve la pensée
que les justes peuvent être appelés à souffrir pour les coupables et à leur épargner
ainsi les châtiments mérités [Es.. 53) [B 2]... Le problème dont nous parlons préoc-
cupait et embarrassait tellement les penseurs Israélites que l'un d'eux sentit le
besoin de le traiter à fond et d'en faire le sujet de tout un livre, celui de Job [/i 4]».
Dans une si grande diversité de dérivations, on voit un cas de la recherche d'une
voie permettant d'arriver à un point préventivement fixé (| 1414, 1028).
1262 CHAPITRE XI § 1980
contre les hommes. Il dit : « Le sort fixé par le destin ne peut pas
être évité, même
par un dieu. Crésus a été frappé à cause de la
faute de son cinquième ascendant...» Hérodote S qui rapporte cette
légende, n'y trouve rien à redire. Denys l'Ancien, tyran de Syra-
cuse, commettait toutes sortes de crimes et de sacrilèges, et en
riait allègrement. Après avoir saccagé le temple de Proserpine à
redundet in posteros, capiat, seu certe inhumanitatis piaculum eius filios laedat,
aut, ne longum putaret, etiam ipsum delicti subiturum poenas minatur. Un autre
scoliasle. Porphyrion, dit Neglegis immeritis nocituram. Ordo est neglegis frau-
: :
esse putas atqui haec expetet in eos, qui ex te nati sunt, id est in filios tuos. Il
;
n'y aucun doute sur le fait que le châtiment peut frapper les enfants.
amisit, nec ea res aut militiam eius, et acerrimam virtutem in hostes civesque
contudit, aut effecit, ut cognomen illud usurpasse salvo videretur, quod amisso
filio assumpsit nec odia hominum veritus, quorum malis illius nimis secundae
:
res constabant nec invidiam deorum, quorum illud crimen erat, Sulla tam felix.
;
génération [voilà une belle uniformité que l'auteur oublie de prouver]. C'est trente
ans plus tard [après la mort de Sulla], à Pharsale, que la noblesse expia les pros-
criptions de Sylla». Ces déclamations éthiques continuent à porter le nom d'his-
toire. Duruy se préoccupe aussi des remords que Sulla aurait dû avoir, mais que.
paraît- il, il n'eut pas. Duruy observe que pour les Romains le succès justifiait
tout, et il ajoute « (p. 715) Voilà pourquoi le terrible dictateur mourait sans
:
remords il en sera ainsi de tous ceux qui, entre leur conscience et leurs actes,
;
Sitius, et Publius SiiUa, son neveu, fut lun des complices de Cati-
lina. Dînant chez un vétéran, à Bologne, Auguste lui demanda s'il
était vrai que celui qui, en Arménie, avait le premier enlevé la
statue de la déesse Anaïtis, était mort frappé de cécité et de
paralysie*. Le vétéran répondit que c'était précisément grâce
à la jambe de la déesse qu'Auguste dînait; que lui, le vétéran,
avait le premier frappé la statue, et que toute sa fortune provenait
de ce butin. Si nous connaissions l'histoire de tous les descendants
de ce vétéran, aucun doute que nous n'en trouvions un auquel il
sera arrivé quelque malheur, et nous pourrions admettre qu'il
subissait la peine du crime de son ancêtre. De même, lorsque
Crésus perdit le trône et la liberté, la Pythie découvrit aisément
qu'il était puni pour le crime de son cinquième ascendant et si '";
actions, il peut être heureux, laissant payer le prix de ses fautes à d'autres per-
sonnes de sa famille, de sa caste, de sa nation, peut-être même à l'humanité entière.
1980* Plin. ; Nat. Hist., XXXIII, 24.
vation de Cicéron {De nat. deor., III, 38) Dicitis earn vim Deorum esse, ut etiam
:
si quis morte poenas sceleris effugerit, expetantur eae poenae a liberis, a nepoti-
bus, a posteris. miram ae(}uilatem Deorum ferretne civitas ulla latorem istius-
!
modi legis, ut condemnaretur filius aut nepos, si pater aut avus deliquisset? Lar-
cher ajoute « Le philosophe Bion (Plutarch. De sera num. vind.) avait mieux aimé
: ;
tourner cela en ridicule ,,Le dieu, dit-il, qui puniroit les enfans pour les crimes
:
de leur père, seroit plus ridicule qu'un médecin qui donneroit un remède à quel-
qu'un pour la maladie de son père ou de son grand-père. " On n'avait pas encore
du temps de notre Historien, des idées saines de la divinité. On n'en trouve que
chez les Juifs». Il cite Dent., XXIV, 16; Esee/i., XVIII, 20, mais oublie un
grand nombre d'autres passages en sens contraire par exemple Exod., XX, 5
;
: :
« ...car moi, l'Eternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, qui punis l'iniquité des
pères sur les enfants jusqu'à la troisième et à la quatrième génération de ceux qui
me haïssent... » Voilà un nouvel exemple de la façon dont un sentiment prédomi-
nant induit en erreur les auteurs. Larcher connaissait certainement ce passage et
d'autres semblables de la Bible, mais, égaré par le sentiment, il les néglige.
19881 Glotz La solidar. de la fam. ...en Grèce «(p. 56;!) Qu'une ville soit
; :
châtiée sans retard pour la faute d'un citoyen ou d'un roi, cela n'est que juste et se
•conçoit aisément. L'Etat, responsable devant les dieux, n'avait qu'à se libérer
<p.564) par une mesure de salut public, un abandon noxal par la mort ou l'exil».
.
s'ils sont gouvernés par un roi injuste. Chez lui se mêle l'idée que
cède, cette pensée est relevée par le sacrifice que fait Agamemnon, puisqu'il ne con-
sent à renvoyer sa captive qu'en faveur de son peuple. .Je ne crois point qu'on
doive souscrire à la critique de Zénodote, qui n'est admise par aucun des éditeurs
modernes». Ces considérations d'idées trop communes ou d'idées élevées sont
étrancrères aux temps homériques. Agamemnon ne pouvait pas parler autrement :
1983 3 SopiT. Oed. rex, 96-98 « Le roi Phoibos nous ordonne de repousser et de
; :
ne pas conserver, tant qu'elle est inexpiable, une souillure {julaajua) que cette terre
recèle »
dans une poudrière peut causer la mort de toutes les personnes qui
s'y trouvent. On suppose qu'il en est de même en d'autres cas, où il
n'existe pas de preuve expérimentale. Se trouvant sur un navire, au
milieu de la tempête, et accusé d'être la cause du malheur commun
à tous ses compagnons, Diagoras répondit en montrant d'autres
navires également en danger par le fait de la même tempête, et il
que le roi grec était comme le roi nègre, qui, par des opérations magiques, pro-
cure à ses sujets la pluie et toute sorte de biens. Il dit « (p. 271) Les hommes ne :
demanderaient [selon certains auteurs anciens] qu'à se vautrer dans les excès et à
rouler dans le crime, n'étaient les monarques pour réprimer cupidités et violences,
pour imposer aux nations le frein des lois. Dans ces conceptions-là, il n'est pas tou-
jours facile de distinguer entre le dieu qui délègue ses pouvoirs à l'homme, et
l'homme qui reçoit du dieu ses pouvoirs. Voilà pourquoi la doctrine indoue ensei-
gnait qu'Indra ne pleut point dans un royaume qui a perdu son roi. Ulysse, le
prudent Ulysse, expliquait à la sage Pénélope ., Sous un prince vertueux, la terre
:
porte orge et froment en abondance, les arbres se chargent de fruits, les brebis
ont plusieurs portées, et la mer s'emplit de poissons. Un l)on dirigeant nous vaut
tout (p. 272) cela (Odyssée, XIX, 108) " ». [Les Primitifs). Si notre auteur avait
regardé, ou compris, le texte qu'il cite, il aurait vu qu'il ne dit pas « un bon
dirigeant nous vaut tout cela», mais qu'il attribue pour origine à ces biens: èf
EvriyeaiTjç, ce (\\n. veut dire incontestablement :« grâce à un bon gouvernement».
D'abord le texte explique que ce roi «gouverne avec justice» evôiKalaç nvé;(ri(n ; et :
c'est pourquoi «les peuples prospèrent sous lui» àperuoi âè 'Àaol vn'avTov.:
multas alias laborantes quaesivitque, num etiam lis navibus Diagoram vehi
;
crederent. —
Horat. Carm., III, 2
; :
les vieux préjugés, d'après lesquels les vices du père pèsent sur son
fils. Ils ne s'aperçoivent pas qu'il existe un phénomène semblable
dans notre société, du père profitent au fils
en ce sens que les vices
Paul-Emile parlant au peuple romain après avoir exposé comment la fortune leur
avait été extrêmement favorable, à lui et à l'armée, dans la guerre contre Persée, et
jusqu'à leur retour dans leur patrie, il ajouta « (36) J'arrive cependant sain et sauf
:
parmi vous, je vois la ville remplie de joie, de fêtes et de sacrifices mais je n'en
;
soupçonne pas moins la fortune, sachant qu'elle n'accorde aux hommes aucune
grande faveur qui soit sincère et sans arrière-pensée. Mon àme n'a donc été délivrée
de cette crainte, qui la faisait souffrir et envisager avec terreur l'avenir de Kome,
que quand ce coup de foudre est venu frapper ma maison, lorsque deux fils, ma
plus belle espérance, que je m'étais gardés pour uniques héritiers, ont été, l'un
après l'autre, ensevelis de mes mains durant ces jours sacrés».
1987» Gomme
d'habitude (| 587), par les dérivations, on prouve également bien
le pour Chez Plut.arque, De se num. vind., XVI, p. 559, les vices du
et le contre.
père nuisent au fils dont ils justifient la punition, parce que dit l'auteur —
les —
1268 CHAPITRE XI § 1988-1990
présumée^.
1 1)88. La notion de solidarité, en vertu de laquelle les bons
subissent la peine des méchants, apparaît aussi çà et là dans l'anti-
19872 Le cas classique est celui de l'affamé qui dérobe un pain. On comprend
qu'on l'acquitte, mais on comprend moins bien pourquoi la dette delà «société»,
qui a le devoir de ne pas laisser mourir de faim ce malheureux, doit être payée par
un boulanger pris au hasard, et non par la société entière. La solution logique sem-
blerait devoir être que l'affamé soit acquitté, et que la société paye le pain dérobé
au boulanger. Il est arrivé parfois qu'une femme ait tiré sur son amant, lequel n'a
pas été atteint, tandis qu un tiers, totalement étranger à ce conflit, était frappé: et
la femme a été acquittée par des jurés pitoyables. Admettons qu'on la juge excu-
sable parce qu'elle aurait été poussée au crime par les mauvaises actions de son
amant. Mais pourquoi le tribut de ces mauvaises actions doit il être payé par un
tiers tout à fait innocent? Afin de satisfaire des sentiments de pitié absurdes, des
législateurs humanitaires approuvent la «loi du pardon », grâce à laquelle celui qui
a commis un premier vol est aussitôt mis en mesure d'en commettre un second.
Pourquoi ce luxe de pitié humanitaire doit-il être payé précisément par la malheu-
reuse victime du second vol, et non par la société entière? D'une manière générale,
à supposer que le crime soit le fait de la société plus que du criminel, comme le
prétendent certaines personnes, il est compréhensible qu'on en tire pour consé-
quence l'acquittement du criminel, ou sa condamnation à une peine très légère ;
mais le même raisonnement a aussi pour conséquence que la victime du crime doit
êtredédommagée, dans les limites du possible, par la société. Au contraire, on ne
songe qu'au criminel, et personne ne se soucie de la victime du crime.
§ 1991-1993 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1269
formes métaphysiques,
littéraires, pseudo-scientiliques ils ne :
les ont pas inventées ils ont façonné une matière déjà
;
existante,
et, comme les hommes pratiques, ils s'en sont servis ensuite à
leurs fins.
1991. Maïmonide nous fait connaître la théorie de la secte
est heureux, mais il aurait pu l'être davantage cet autre est mal- ;
voyait des gens qui vivaient mal avoir beaucoup de biens, et d'au-
tres qui vivaient bien, souffrir beaucoup de maux. Un ange sur-
vint, et le conduisit en un lieu où demeurait un autre ermite, qui,
après une longue pénitence, voulait retourner parmi les tentations
du monde. L'ange jeta le second ermite dans un précipice. La
mort, qui contrastait en apparence avec la bonne vie de cet ermite,
1991» Maïmonide; Le guide des égarés, t. III « (p. 122) Si un homme est
:
infirme de naissance, quoiqu'il n'ait pas encore péclié, ils disent que cela est l'eftet
de la sagesse divine et qu'il vaut mieux pour cet individu d'être ainsi fait plutôt
que d'être bien constitué [B 2, | 19G8]. Nous ignorons en quoi consiste ce bienfait
[i? 4], quoique cela lui soit arrivé, non pas pour le punir, mais pour lui faire
le bien [B 2]. Ils répondent de même, lorsque l'homme vertueux périt, que c'est
afin que sa récompense soit d'autant plus grande dans l'autre monde [B 3]. Ils sont
môme allés plus loin quand on leur a demandé pourquoi Dieu est juste envers
:
l'homme sans l'être aussi envers d'autres créatures, et pour quel péché tel animal
est égorgé, ils ont eu recours à cette réponse absurde, (p. 123) que cela vaut mieux
pour lui (l'animal), afin que Dieu le récompense dans une autre vie [B 3]. Oui
(disent-ils), même la puce et le pou qui ont été tués doivent trouver pour cela une
récompense auprès de Dieu et de même, si cette souris qui est innocente, a été
;
déchirée par un chat ou par un milan, c'est la sagesse divine, disent-ils, qui a exigé
qu'il en fût ainsi de cette souris, et Dieu la récompensera dans une autre vie pour ce
qui lui est arrivé » (| 1934 ').
1270 CHAPITRE XI § 1994-1995
d'bommes parvenus à un grand âge, d'autres très forts dans les tra-
vaux matériels ou intellectuels, bien qu'ils aient bu du vin et d'au-
tres boissons alcooliques, ils répondent que s'ils s'en étaient abste-
nus, ils auraient vécu encore plus longtemps, ils auraient été encore
plus remarquables, matériellement et intellectuellement. Un beau
type de dominicain de dans une conférence « On
la vertu a dit, :
19931 Etienne de Bourbon; Anecd. hist., % S%, p. 346-349. L'éditeur (A. Legoy
DE LA. Marche) note « (p. 349) Une variante de cet apologue célèbre a été publiée
:
par Thomas Wright d'après des manuscrits anglais {Latin stories, etc., n. 7. On
le retrouve encore dans les Gesta Romanorum. recueil du XIV» siècle (chap. 80),
dans les Fabliaux et contes édités par Méon (II, 216), dans les sermons d'Albert
de Padoue, orateur du XIV siècle, dans les poésies anglaises de Thomas Parnell,
et dans le Magnum speculum exeinplorum, édité à Douai en 1605 (I, 152). Il a
fourni le sujet d'un épisode de Zadig, conte de Voltaire, qui a remplacé l'ange par
un hermite. M. Victor Le Clerc croit pouvoir en rattacher l'origine aux anciennes
vies des Pères du désert (Hist, litt., XXIII. 128 et sv.). Il paraît en effet venu de
l'Orient, car ou le rencontre dans plusieurs recueils orientaux, et jusque dans le
Koran (XVII. I, 64). V. aussi Luzel, Légendes chrétiennes de la Bretagne (Saint-
Brieuc, 1874), p. 14 ».
19952 Maïmonide; Le guide des égarés, trad. S. Munk, III« partie, c. XVII,
t. III : Les gens de cette secte [la secte musulmane des Ascharites] pré-
« (p. 121)
tendent qu'il a plu à Dieu d'envoyer des prophètes, d'ordonner, de défendre, d'ins-
pirer la terreur, de faire espérer ou craindre, quoique nous n'ayons aucun pouvoir
d'agir il peut donc nous imposer même des choses impossibles, et il se peut que,
;
en cela aucune injustice car, selon eux, il est permis à Dieu d'infliger des peines à
;
19953 Dans toutes les œuvres de Saint Augustin, c'est un perpétuel louvoiement
entre l'affirmation que les voies du Seigneur sont insondables, et la prétention de
les connaître. D. Aufl. ; Contra adversarium legis et profetarum, I, 21, 45 Apos- :
tolus clamât [Rom. XI, 33-34) altitudo divitiarum sapientiae et scientiae Dei,
quam inscrutabilia sunt indicia eius, et investigabiles viae eius. Quis enim cognovit
sensum Domini, aut quis consiliarius eius fuit? De civ. dei, XX, 2. Tout le cha-
pitre expose que les voies du Seigneur sont insondables. Le saint commence par
observer que les bons comme les méchants participent aux biens terrestres. Il
ajoute que «nous ignorons vraiment par quel jugement de Dieu ce bon-ci est
pauvre, et ce méchant-là est riche, celui-ci est heureux, alors qu'il nous semblerait
devoir être tourmenté, à cause de ses mœurs débauchées, celui-là est affligé, alors qu'il
semblerait devoir être heureux, à cause de sa vie louable... » Il continue en citant
un grand nombre d'autres cas semblables. Il dit que si cela arrivait toujours, et que
tous les méchants fussent heureux, et tous les bons malheureux, on pourrait sup-
poser que la cause en est un juste jugement de Dieu, qui compense les biens et
les maux terrestres par les biens et les maux éternels mais comme il arrive aussi
;
que les bons ont des biens terrestres, et les méchants des maux, «les jugements de
Dieu sont plus inscrutables encore, et ses voies plus insondables». Cela dit, ce
devrait être suffisant, et le saint ne devrait plus chercher à connaître les desseins
de Dieu. Au contraire, dans tout l'ouvrage, il les scrute et les sonde, comme s'il
pouvait les connaître. Déjà à la lin du chapitre cité, il fait sienne l'une des solu-
tions (B 3), et dit qu'au jour du jugement dernier, nous reconnaîtrons combien
justes sont les jugements de Dieu, même ceux dont la justice nous échappe aujour-
d'hui. —
Remarquables sont les efforts de Saint Augustin pour trouver des justifi-
cations au fait que les invasions barbares avaient frappé les bons comme les mé-
chants. D'abord il recourt à l'une des solutions (B 2) il dit (I, 1) que les maux
;
la guerre les mœurs corrompues des hommes ». Aussitôt après, il ajoute une autre
solution (B 3), en disant que Providence afflige parfois les justes, afin de les faire
la
passer dans un monde meilleur, ou bien afin de les faire demeurer sur la terre et de
les garder pour un autre usage. (B 4). Il expose longuement que les temples [laïens
ne sauvèrent pas leurs fidèles, tandis qu'au contraire les temples chrétiens sauvè-
rent les leurs. Ainsi nous sortons complètement des rapports entre les bonnes ou les
mauvaises actions et les récompenses ou les châtiments les temples semblent pro-
:
duire un effet par leur vertu propre, comme le feraient des paratonnerres, dont les
uns ne sont pas et les autres sont efficaces. Ensuite il revient au problème difficile
des biens aux méchants et des maux aux bons, et il dit « (I, 8) Il plut à la divine
:
Providence de préparer dans l'avenir aux bons des biens dont ne jouiront pas les
impies, et aux impies des maux dont les justes seront exempts (Bo). Il n'abandonne
pas entièrement les solutions (B 1), et dit qu'enfin les bons ne sont pas exempts de
tout péché; «Ils sont frappés avec les méchants, non parce qu'ils mènent égale-
ment une mauvaise vie, mais parce qu'ils aiment également la vie temporelle». Il
montre, en outre, (I, 10) que les saints ne perdent rien à perdre les biens temporels
[A 1), et que les bons chrétiens ne peuvent se plaindre de cette perte, sans manifester
la tendance au péché. Les païens observaient que même des femmes consacrées à
Dieu avaient été violées par les barbares. Le saint en traite longuement, louvoyant,
comme d'habitude, entre les différentes solutions de notre problème. Il distingue
(I, 26) entre la virginité matérielle et la virginité spirituelle [A 1). La première seule
a pu être affectée par les barbares la seconde non. Saint Augustin se demande
;
(I, 28) pourquoi Dieu a permis un tel outrage des saintes femmes. Il commence par
une solution [B 4), et dit que les «jugements de Dieu sont inscrutables, et ses voies
insondables». Cela ne l'empêche d'ailleurs nullement de scruter et de sonder. En
cherchant, il trouve aussitôt une solution (ii 1). Il demande aux saintes femmes si
elles n'ont pas péché par orgueil de leur virginité. Verumtamen interrogate fideliter
animas vestras, ne forte de isto integritatis et continentiae vel pudicitiae bono vos
inflatius extulistis, et humanis laudibus delectatae in hoc etiani aliquibus invidistis.
Ensuite, que celles qui n'ont pas péché considèrent que parfois Dieu permet le mal
pour le punir au jour du jugement universel {B 8). Mais peut-être n'est-il pas entiè-
rement persuadé par cette réponse, car il revient à l'une des solutions {B 1), et dit
que peut-être les femmes qui se glorifiaient de leur chasteté ont eu quelque faiblesse
secrète dont aurait pu naître de la vaine gloire, si, dans les calamilés, elles avaient
échappé à l'humiliation qu'elles éprouvèrent. En louvoyant ainsi entre diverses solu-
tions, sans jamais trouver moyen de s'attacher à quelque notion, si peu précise soit-
elle. Saint Augustin nous présente un modèle dont nous trouvons une infinité
de copies, jusqu'à notre temps. D'autres copies ne feront certainement pas défaut à
l'avenir.— Nous avons donné (| 1951) une citation d'E. Oluvier, qui veut que tôt
ou tard l'ingratitude soit punie. Cette théorie est claire et précise tu ne dois pas
:
être ingrat, parce que tu seras puni. Si, nonobstant l'ingratitude, tu as aujourd'hui
du succès, ne t'y fie pas; Dieu — ou quelque entité métaphysique —
te l'accorde
pour te punir demain. Nous avons ainsi une solution du genre (B 2). A part les dif-
férences existant entre celui qui est récompensé pour ses propres aciions, et celui
qui est puni pour les actions d'autrui (| 1975), cette solution a le mérite de justifier
des divergences éventuelles entre les bonnes actions et la réalisation du bonheur.
Mais plus tard, l'auteur change de solution. Il dit, t. III « (p. 590) De même que le
:
mal est quelquefois couronné d'un succès insultant à la justice, parfois aussi le bien
^ 1997-1999 PROPRIÉTÉS des résidus et des dérivations 1273
le constate pas, c'est une illusion, parce qu'en réalité, d'une ma-
vation qui est vraie, mais seulement pour les raisonnements faits
par le sentiment. Mais comment s'expliquer que jusqu'au XV*^ siè-
cle, à peu près, la physique, la chimie et d'autres sciences sembla-
bles n'ont pas fait plus de progrès que l'éthique? Pourquoi la plus
grande facilité supposée à leur étude n'eut-elle aucune influence ?
Ces sciences vont de pair avec l'éthique, si même elles ne restent en
arrière, tant qu'on emploie dans les unes et les autres la même mé-
thode théologique, métaphysique ou sentimentale. Elles s'en déta-
chent et progressent rapidement, quand les méthodes sont diffé-
rentes, et que les sciences naturelles font usage de la méthode expé-
rimentale. Il est donc évident que c'est de cette différence des mé-
thodes que provient la difTérence de progrès de l'éthique et des
sciences naturelles.
Nous ne sommes pas encore arrivés au terme des points d'in-
Nous devons nous demander pourquoi cette diffé-
terrogation. :
ne fut pas un suicide passionnel... Ce qui estarrivé à cette occasion mérite vraiment
l'attention de ceux qui étudient la psychologie des foules. Au début, tout le monde
fut pris d'une pitié profonde, autant envers la femme qui avait ainsi brisé tragi-
quement son existence, qu'envers l'homme qui restait pour la pleurer. Le drame
intime exhalait un parfum de poésie qui excitait l'âme sensible du public, et susci-
tait son émotivité. Puis, le bruit courut que X [le dernier amant] s'était montré
indifférent au départ violent de l'objet aimé, et un véritable revirement se mani-
festa dans l'opinion publique : toutes les sympathies se concentrèrent sur la femme,
tous les soupçons tombèrent sur le jeune homme. On commença à se demander
pourquoi Z [la femme qui s'était suicidée] s'était donné la mort, et l'on en accusa
X qui, par sa cruelle indifférence, l'aui'kit poussée au suicide, peut-être pour se
débarrasser d'elle. Puis on alla plus loin, et l'on insinua, fût-ce sous une forme
voilée, qu'il avait exploité la pauvre défunte, et l'on se livra aux conjectures les
plus étranges et les plus inattendues. Pour augmenter la confusion, survint l'inter-
vention du représentant de la famille Z. Il jouit pendant quelques jours d'une véri-
table popularité, et fut l'objet de chaleureuses démonstrations de sympathie, dont
lui-même se montra surpris. Mais la vérité commença à se faire jour les lettres
:
de Z qu'on découvrit tirent voir que la cause du suicide n'avait pas été l'amour,
parce que peu de jours avant de se décider à faire le pas fatal, elle-même déclarait
n'aimer personne. On pensa alors qu'il s'agissait de questions d'intérêt mais des ;
renseignements positifs donnés par la famille X et l'accord conclu avec [le repré-
sentant de la famille Z] ont encore démontré l'inanité de cette hypothèse. De quoi
s'agit-il donc? Du caprice d'une femme hystérique, avide de plaisirs, de luxe et
d'une vie changeante et aventureuse, qui n'a pas su résister à un moment de
découragement non fondé. Toutes les recherches de l'autorité judiciaire n'aboutiront
à rien, et il restera seulement à la charge de X cet acte de faiblesse : de n'avoir
pas enlevé à temps l'arme homicide des mains de cette femme qui avait l'âme et
l'intelligence d'une fillette».
§ 2006-2007 PROPRIÉTÉS des résidus et des dérivations 1279
2008' Nous avons tenu compte de cette observation dans le Manuel, en considé-
rant pour cliaque phénomène un aspect objectif et un aspect subjectif.
^2011 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1281
grecs sur Véconomie : deux qui portent le nom d'Aristote, bien qu'un
au moins de ceux-ci ne soit pas de cet auteur, et un de Xénophon.
Ce sont des considérations pratiques sur l'art du ménage des citoyens
ou de la cité. De ces considérations, par une infinité de degrés, on
est descendu jusqu'aux abstractions de l'économie pure; il s'agit
maintenant de remonter jusqu'à l'étude des phénomènes concrets ;
sique, sur la chute des corps dans le vide. Elle lui ressemble par s^
qualités et par ses défauts, par son utilité et par son inutilité. Une
SOCIOLOGIE 81
1282 CHAPITRE XI P012-2014
plume qui tombe dans l'air ne suit pas mieux la loi de la chute des
corps dansle vide, que certains échanges pratiques ne suivent les
ment et pourquoi ils ont existé, il faut faire appel à d'autres consî-
§ 2015 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1283
2015. Les gens qui, d'une part, entendaient dire que les théo-
ries économiques démontraient que le protectionnisme avait pour
effet une destruction de richesse, et qui, d'autre part, voyaient
tance des agrégats (11^ classe) contre les sentiments de l'instinct des
combinaisons (P classe). Sa partie éthique donna naissance au
socialisme de la chaire, qui satisfit les désirs de certains nationa-
listes bourgeois, lesquels ne voulaient pas aller jusqu'aux doctrines
cosmopolites de Marx. Mais elle eut aussi des effets en rapport avec
la science logico-expérimentale, bien qu'elle y demeurât étrangère.
En opposant une autre erreur à celle de l'économie classique,
elle les décela toutes les deux.
Directement, par suite de ses tendances éthiques, elle était
différente. Cela suffit pour mettre sur la voie qui mène à la connais-
sance de leur erreur commune.
2022. Sous un grand nombre d'autres formes qu'il serait trop
long de rappeler ici, le besoin se manifesta, pour se rapprocher de
la réalité, d'ajouter de nouvelles considérations à celles qui étaient
usitées en certaines théories économiques. Nous avons déjà dit un
mot de l'une de ces formes (>^38, 1592) en faisant allusion au dessein
d'introduire ces considérations grâce à l'indétermination du terme
valeur. En moins le but que le moj^en. Celui-
ce cas, l'erreur affecte
ci est si indirect, et conduit par une voie si longue, avec une telle
abondance de détours souvent inextricables et bordés de précipices,
qu'il n'est pas possible d'atteindre le but. Ce moyen ressemble à
celui qu'emploierait une personne qui se proposerait d'étudier toute
la grammaire latine en partant de l'étude de la conjonction et. 11 est
vrai que tout chemin mené à Rome mais celui-ci est vraiment bien
;
(ainsi que nous les nommons dans le texte) entre A, B, C,... nous sont donnés par
certaines équations :
Toutes ces quantités x, y,... peuvent être fonction du temps t, lequel peut en outre
figurer explicitement dans le système d'équations (1). Ce système, si nous suppo-
sons le temps variable, représente les rapports de A, B, C...., et l'évolution de ces
rapports. Ce n'est que la connaissance, même très vague, très imparfaite, du sys-
tème (1) d'équations qui nous permet d'avoir une connaissance quelconque des rap-
ports et de leur évolution. La plupart des auteurs ne s'en rendent pas compte, ignorent
jusqu'à l'existence de ce système, mais cela n'empêche pas que leurs raisonne-
ments aient ce système comme prémisses, sans qu'ils en aient conscience.
Si l'on suppose que les équations du système (1) soient en nombre égal à celui
des inconnues, celles-ci sont toutes déterminées. Si l'on suppose qu'elles soient en
moindre nombre, ce qui revient à supprimer par hypothèse quelques-unes des con-
.
rai des rapports au cas particulier d'un rapport de cause à effet entre
A et B, C. Il est bien évident que toute science sociale qui se pro-
pose d étudier les effets de l'intervention de la cause A doit être en
mesure d'en connaître les effets B, C... Ce problème ne diffère du
ditions {% 130) qui existent réellement, on peut prendre comme variables indépen-
dantes s, u, V,..., en nombre égal à celui des équations supprimées, et supposer que
X, y,... sont fonction de ces variables indépendantes. Si nous diflérentions les
équations (1) par rapport aux variables indépendantes, nous aurons le système :
!d(j) dé:
dx
do, + -±^dy + =0
dy
i = \,2,
Les différentielles totales dx, dy,... représentent
des moMoemen^.'; tJiriMf?^^, lesquels
ont lieu lorsqu'on suppose que les variables indépendantes s, u, v,... se changent
en s + ds, ii -\- du,... Ces mouvements virtuels sont déterminés par les équa-
tions (2).
(4) —d<j)A
ds
L ds -\
dét
àx
dx = 0.
déi)
—ds1 ds -f
dé.-)
_r
dy
dy = 0, . .
Ces deux systèmes d'équations sont bien plus faciles à traiter que les systèmes (1)
et (2), soit par le langage vulgaire, soit même par les mathématiques (| 2092'). Il
est donc bon, toutes les fois que cela est possible, de les substituer aux systèmes
(1) et (2). Il est des cas où l'on a ainsi une solution au moins grossièrement appro-
chée du problème que l'on s'est posé il en est d'autres où cela est impossible, et
;
alors la substitution des systèmes (3) et (4) aux systèmes (1) et (2) ne peut pas
s'effectuer, car elle ne donnerait que des résultats n'ayant rien à voir avec la réalité.
Au point de vue mathématique, on sait que l'intégration du système (2; ne
reproduit pas seulement le système (1), mais qu'elle donne des solutions beaucoup
plus étendues, parmi lesquelles se trouve compris le système (1). Pour déterminer
entièrement celui-ci, il faut donc ajouter d'autres considérations. De même l'inté-
gration du système (4) ne reproduit pas seulement le système (3), mais elle introduit
des constantes arbitraires, qu'il faut déterminer par d'autres considérations. C'est
d'ailleurs un fait très général dans l'application des mathématiques aux faits con-
crets. Même dans les tout premiers éléments de l'algèbre, quand la solution d'un
problème est donnée par une équation du second degré, il y a fort souvent une
racine qui convient au problème, et l'autre qui n'y convient pas et qui doit être
rejetée. Cetteobservation est faite ici à cause de l'objection inepte d'un auteur qui
s'imagine que des équations du tj'pe (2) ne peuvent pas représenter la solution d'un
1290 CHAPITRE XI Î5 2022
problème économique parce qu'elles donnent des solutions multiples, tandis que la
solution réelle ne peut être qu'unique.
Pour mieux comprendre la théorie très t^i'^nérale que nous venons d'exposer, on
peut en étudier un cas particulier, qui est celui de la détermination de l'équilibre
économique, au moyen d'un sj'stème du tj'pe (2). On le trouvera exposé dans l'Ap-
pendice du Manuel et dans l'article déjà cité de YEncifclopédie des sciences )na-
thérnatiques.
Au point de vue exclusivement mathématique, on peut changer la variable indé-
pendante en (o) et (4), et prendre, par exemple, pour variable indépendante x au
lieu de ,9. En ce cas, la terminologie du langage vulgaire ferait correspondre s à
l'effet et x à la cause. Un tel changement parfois est admissible et parfois ne l'est
pas, car cause, dans le langage vulgaire, a d'autres caractères outre celui d'être
variable indépendante par exemple, elle doit nécessairement être antérieure à son
;
elt'et. Ainsi on peut considérer le prix de vente comme effet, et le coût de pro-
duction comme cdtise ; ou bien invertir ce rapport et considérer le coîit de produc-
tion comme effet, et le prix de vente comme cause ; car en ce cas il y a une suite
d'actions (tt de réactions, qui permettent de supposer, à volonté, que l'offre du pro-
duit précède la demande, ou que la demande précède l'ofifre (| ^002'). En réalité il y
a une mutuelle dépendance entre l'offre et la demande; et celte mutuelle dépen-
dance peut, à un certain point de vue théorique, être exprimée par les équations de
réconomie pure. On ne pourrait pas, au point de vue de la terminologie, invertir
d'une manière analogue le rapport selon lequ(^l on nomme cause le gel de l'eau et
effet la rupture du tuyau qui la renferme, et dire que cette rupture est la cause du
gel. Mais si, mettant à part la terminologie, on s'occupe seulement du rapport expé-
rimental entre ces deux faits, supposés isolés de tous les autres, on peut parfaite-
ment déduire l'existence de la rupture, de celle du gel, ou vice versa. I*]n réalité, il y
a une mutuelle dépendance entre la température qui fait passer l'eau à l'état solide,
€t la résistance du vase qui la contient. La thermodynamique, grâce au langage
mathématique, exprime cette mutuelle dépendance d'une manière rigoureuse; le
langage vulgaire l'exprime d'une manière imparfaite.
2(122 2. Si de nombreux « économistes » ont reproduit et reproduisent encore la
théorie de la monnaie signe (Cours, % 27()), ce n'est pas tant à cause de leur igno-
rance de la science économi(iue, que pan-e iju'ils sont eniraînés par le désir de plaire
^ 2022 PROPRIÉTÉS DES RÉSIDUS ET DES DÉRIVATIONS 1291
pas de politique ! »
2022 * L'auteur de ces lignes est tombé autrefois en cette erreur et doit réciter
son mea culpa; mais au moins il a tâché de ne pas persévérer errare humanurn .•
qui est actuellement une des erreurs les plus nuisibles au progrès
expérimental des sciences sociales.
2023. Pour résoudre des questions semblables que nous à celle
avons posée au 2014, il est nécessaire de considérer, non pas le
1^
sance de cet état A' suffise pour connaître l'état social complexe X'
qui suit ce changement, nous admettons par là même que A et B
sont indépendants, que l'on peut faire varier A sans faire varier B,
et vice-versa. Si, au contraire, nous n'admettons pas cela, nous ne
traitions spécialement.
On pourrait étudier séparément l'hétérogénéité de la société et la
circulation entre les différents groupes sociaux mais comme, dans
;
sociales ne sont pas entièrement séparées, pas même dans les pays
où existent les castes, et que, dans les nations civilisées modernes,
il se produit une circulation intense entre les difïérentes classes. Il
2025 2 Même si l'on pouvait faire cela, il serait bon de ne pas étendre les recher-
ches au-delà d'une certaine limite: cela pour les motifs indiqués déjà (§540).
Quand plusieurs éléments A, B, (.',... P, Q. R, S,., agissent sur un phénomène, il
faut d'abord avoir une idée, fût-elle grossièrement approximative, de l'action quantita-
tive de ces éléments, puis considérer uniquement les éléments A, B,... P dont l'action
est considérable, en négligeant les autres éléments Q, R,... On a ainsi une première
approximation, à laquelle d'autres peuvent faire suite, s'il est quelqu'un qui veuille,
qui sache, qui puisse les réaliser. C'est ce que beaucoup de personnes ne comprennent
pas. Leur ignorance a plusieurs causes, parmi lesquelles il est utile de noter les
suivantes. 1° L'habitude de considérations absolues, métaphysiques, de dériva-
tions verbales semblables à celles mentionnées, dans le cours de cet ouvrage, à propos
du droit naturel ou d'autres matières similaires. Ces considérations et ces dérivations
sont entièrement étrangères aux notions quantitatives des sciences expérimentales.
3° La tendance à rechercher dans l'histoire surtout l'anecdote et le jugement éthique.
Un élément Q, qui a un effet presque nul sur le phi'^nomene que l'on veut étudier, peut
avoir un indice quantitatif considérable, au point de vue anecdotique ou éthique. Par
exemple, à l'origine, le protestantisme a des indices anecdotiques, moraux, théologi-
ques, considérables mais il eut, sur l'élite gouvernementale, un efïet presque nul en
:
France, et considérable en Prusse. On doit donc le laisser de cnté, dans une étude sur
l'élite gouvernementale en France, tandis qu'on en devrait tenir compte dans une
étude de cette classe en Prusse. Il est des gens qui vont plus loin dans cette voie
erronée, et qui font aller de pair, dans une étude de science historique ou sociale,
une aventure scandaleuse de César et sa campagne des Gaules, les mauvaises mœurs,
prétendues ou réelles, de Napoléon !" et son génie militaire. Ces gens sont précisé-
ment ceux qui, durant tant de siècles, ont voulu faire croire que les grands et pro-
fonds changements sociaux avaient souvent pour origine le caprice d'un souverain,
d'une favorite, ou autres semblables futilités presque ou entièrement dépourvues
d'importance. Au XIX« siècle, il seml^lait que ces gens eussent perdu leur crédit. Au-
jourd'hui, ils recommencent à se manifester et sous leur grandiloquence, ils dissi-
;
mulent le vide de leurs dérivations. 3° Le préjugé d'après lequel, pour avoir la théorie
d'un phénomène, il est nécessaire d'eu connaître tous les détails les plus infimes. Si
cela était vrai, il n'y aurait pas lieu de faire des distinctions dans la série A, B,...
P, Q,... et ces éléments devraient tous être mis au même niveau. Une autre consé-
;
quence serait qu'aucune science naturelle n'existerait, car toutes sont dans un per-
pétuel devenir, et se sont constituées alors qu'on ignorait une infinité de termes de
la série établie, dont tousles termes ne sont pas connus aujourd'hui et ne le seront
jamais. On peut admettre ce préjugé chez les hégéliens, qui refusent le nom de
science à l'astronomie de Newton : au contraire ce préjugé devient quelque peu
ridicule chez ceux qui reconnaissent la qualité de science à l'astronomie, et qui
devraient savoir, ou qui devraient apprendre avant d'en parler, s'ils l'ignorent,
que Newton fonda l'astronomie moderne précisément en un temps où, parmi un
très grand nombre de choses alors inconnues et aujourd'liui connues, il n'y avait
rien de moins que l'existence d'une grande planète, Neptune, et de beaucoup de petites.
Mais les gens qui ignorent ou qui oublient les principes des sciences expérimen-
tales lorsqu'ils traitent de sciences sociales, ont beaucoup de difficulté à com-
prendre ces considérations. Ainsi que nous l'avons annoncé déjà (| 20), notre but est
ici de constituer la sociologie sur le modèle des sciences expérimentales, et non sur
§ 2026 FKOIMUÉTKS DES HKSiDUS ET DES DÉRIVATIONS 1295
2025^ On trouvera une théorie générale, dont celle-ci n'est qu'un cas particulier,
dans GuiDO Sensini Teoria deW equilibrio di composizione délie classi sociali,
;
principale du terme élite est celle de supériorité; c'est la seule que je retiens; je
laisse entièrement de côté les notions accessoires d'appréciation et d'utilité de cette
supériorité. ne recherche pas ici ce qui est désirable; je fais une simple étude de
.Je
ce qui existe. Eu un sens large j'entends par élite d'une société les gens qui ont à
un degré remarquable des qualités d'intelligence, de caractère, d'adresse, de capacité
de tout genre... Par contre j'exclus entièrement toute appréciation sur les mérites et
l'utilité de ces classes».
1296 CHAPITRE XI ^ 2027-2028
2028 Prenons garde que nous traitons d'un état de fait, et non
d'un état virtuel. Si quelqu'un se présente à l'examen d'anglais en
disant « Si je voulais, je pourrais savoir très bien l'anglais. Je ne
:
même, on disait : « Cet homme ne vole pas, non parce qu'il ne sau-
lait pas, mais parce qu'il est un honnête homme», nous répon-
drons «Très bien, nous l'en louons, mais comme voleur nous lui
:
donnons 0».
2029. Il est des gens qui vénèrent Napoléon I^^ comme un dieu ;
sujet tout à fait différent. Bon ou mauvais, il est certain que Napo-
léon V' n'était pas un crétin, ni même un homme insignifiant,
comme y en a des millions. Il avait des qualités exceptionnelles,
il
et cela suffit pour que nous le placions à un degré élevé. Mais par
là nous ne voulons nullement préjuger des questions qu'on pour-
rait poser sur l'éthique de ces qualités ou sur leur utilité sociale.
2030. En somme, comme d'habitude, nous faisons ici usage de
l'analyse scientifique, qui sépare les sujets et les étudie l'un après
l'autre. Toujours comme d'habitude, à la rigueur qu'on obtiendrait
en considérant des variations insensibles de nombres donnés, il
tant substituer l'approximation des variations brusques de grandes
classes. Ainsi dans les examens, on distingue les candidats reçus
de ceux qui ne le sont pas ainsi, au point de vue de l'àge, on dis-
;
203 1. Formons donc une classe de ceux qui ont les indices les
plus élevés dans la branche où ils déploient leur activité, et don-
nons à cette classe le nom d'élite. Tout autre nom et même une
simple lettre de l'alphabet, seraient également propres au but que
2032 'M. KoLABiNSKA. loe. cit. % 2026» ; «(p. 6) Nous venons d'énumérer diffé-
:
rentes catégories des individus composant l'élite on peut encore les classer de
;
bie^n d'autres manières. Pour le but que je me propose en cette étude, il convient de
diviser l'élite en deux parties une, que j'appellerai M, contiendra les individus de
:
l'élitequi ont part au gouvernement de l'Elat, qui constituent ce que l'on nomme
plus ou moins vaguement ,,la classe gouvernante" l'autre partie sera constituée ; N
par ce qui reste de l'élite, lorsqu'on en a séparé la partie ». M
SOCIOLOGIE 82
1298 CHAPITRE XI ^ 2034-2036.
sait qu'il est des personnes qui possèdent ces diplômes sans les
mériter; mais enfin l'expérience montre que dans l'ensemble on
peut ne pas tenir compte de ce fait.
2039. On pourrait encore, au moins sous certains aspects,
négliger ces déviations, si elles demeuraient presque constantes ;
2040. Mais il n'en est pas ainsi ; les cas réels que nous devons
considérer dans nos sociétés diffèrent de ces deux-là. Les déviations
sont trop nombreuses pour être négligées. Leur nombre est va-
riable de cette variation résultent des phénomènes d'une grande
; et
haut degré les qualités requises pour ces genres d'activité est
exubérante. Le commerce et l'industrie se développent cette pro- :
de l'élite ne résulte pas d'une simple proportion numérique entre le nombre des
membres nouveaux et celui des anciens mais il faut faire entrer en ligne de
;
compte le nombre de personnes ayant les qualités requises pour faire partie de l'élile
i^ouvernementale et qui en sont repoussées; ou bien, en un sens opposé, le nombre
<le nouveaux membres dont aurait besoin l'élite et qui lui font défaut. Par exemple,
l'empire romain. Celui qui devenait riche entrait dans l'ordre des
curiales mais très peu de personnes devenaient riches.
;
2048 1 Plusieurs auteurs, faute d'avoir cette conception générale, tombent souvent
en des contradictions tantôt l'évidence des faits s'impose à eux; tantôt des préju-
:
gés obscurcissent leur vue. Voyez, par exemple, Tainb. Dans L'ancien régime, il
note très bien (chap. Ill) comment l'esprit du peuple est dominé par les préjugés ;
en d'autres termes, comment il est sous l'empire des résidus de la II« classe, (^ela
posé, il n'y a qu'à conclure que la Révolution française n'a été qu'un cas particulier
des révolutions religieuses, lesquelles nous montrent la foi populaii-e submergeant
le scepticisme des hautes classes. Mais, soit volontairement, soit à son insu, Taine
cède à l'influence du principe qui fait des hommes des hautes classes les éducateurs
1302 CHAPITRE XI §2049
du peuple. 11 met donc l'incrédulité, l'impiété des nobles, du tiers et du haut clergé,
parmi les causes principales de la Révolution. Il note, à ce sujet, la différence entre
la France et l'Angleterre, et ne paraît pas loin d'attribuer, au moins en partie, à
cette circonstance, le fait que la révolution qui s'est produite en France n'a pu avoir
lieu en Angleterre. « (p. 8G3) En Angleterre, elle [la haute classe] s'aperçoit très vite
du danger. La philosophie a beau y être précoce et indigène elle ne s'y acclimate
;
pas. En 1729, Montesquieu écrivait sur son carnet de voyage ,, Point de religion
:
en Angleterre... Si quelqu'un parle de religion, tout le monde se met à rire... " Cin-
quante ans plus tard, l'esprit public s'est retourné ,, tous ceux qui ont sur leur lête
;
un bon sur leur dos un bon habit " [en note Mot de Macaulay] ont vu la
toit et :
portée des nouvelles doctrines. En tout cas, ils sentent que des spéculations de
cabinet ne doivent pas devenir des prédications de carrefour [donc eux et notre
auteur croient à l'efficacité de ces prédications]. L'impiété leur semble une indiscré-
tion ils considèrent la religion comme le ciment de l'ordre public. C'est qu'ils sont
;
eux-mêmes des hommes publics, engagés dans l'action, ayant part au gouvernement,
instruits par l'expérience quotidienne et personnelle». Pourtant, quelques lignes
plus haut, Taine s'était réfuté lui-même. « (p. 362) Quand vous parlez à des hommes
de religion ou de politique, presque toujours leur opinion est faite leurs préjugés, :
leurs intérêts, leur situation les ont engagés d'avance ils ne vous écoutent que si
;
vous leur dites tout haut ce qu'ils pensent tout bas». S'il en est ainsi, les «prédica-
tions de carrefour» dont parle Taine ne doivent pas avoir beaucoup d'efficacité; et
si elles en ont, on ne peut pas dire que les gens « ne vous écoutent que si vous leur
dites tout haut ce qu'ils pensent tout bas ». En réalité, ce sont précisément ces hypo-
thèses qui se rapprochent le plus de l'expérience. L'état d'esprit du peuple français a
été très peu atteint, vers la fin du XVIII« siècle, par l'impiété des hautes classes, pas
plus que l'état d'esprit romain n'avait été atteint par l'impiété des contemporains de
Lucrèce, de Gicéron, de César; pas plus que l'état d'esprit des peuples européens, au
temps de Réforme, n'avait été atteint par l'impiété du haut clergé et d'une partie
la
de la noblesse. J. P. Belin Le commerce des livres prohibés, à Paris de 1750 à
;
1789: «(p. 104) Mais on peut affirmer que les ouvrages philosophiques n'atteigni-
rent pas directement le peuple ni la petite bourgeoisie. Les artisans, les ouvriers ne
connurent Voltaire et Rousseau qu'au moment de la Révolution, quand leurs tribuns
les leur commentèrent dans des discours enflammés ou réduisirent leurs maximes
en textes de lois. Au moment de leur apparition, ils ignorèrent certainement les
grands ouvrages du siècle, encore qu'ils n'aient pas pu être complètement indifl'é-
rents au bruit des querelles littéraires les plus retentissantes. Mais les véritables
disciples des philosophes, les clients fidèles des colporleurs^clandestins, ce furent les
nobles, les abbés, les privilégiés, mondains désœuvrés qui, en quête de distractions
pour tromper leur ennui implacable, se jetèrent avec passion dans les discussions
philosophiques et se laissèrent vite gagner par l'esprit nouveau [tout cela concorde
avec l'expérience, ce qui suit, moins], sans voir les conséquences dernières des
prémisses qu'ils adoptaient avec tant d'enthousiasme». Notre auteur observe avec
raison que « (p. 105) Ils [les privilégiés] étaient d'ailleurs les seuls à pouvoir se
:
permettre les dépenses excessives auxquelles était contraint tout amateur de livres
prohibés».
§ 2050-2052 l'KOPHiKTÉs des résidus et des dérivations 130H
M (p. 206) Une nouvelle i-eligion ne peut naître que dans les masses, qui l'imposent
:\ l'élite du lendemain ».
1304 CHAPITRE XI !^ 2053-2056
3" des éléments intérieurs, dont les principaux sont la race, les rési-
dus ou les sentiments qu'ils manifestent, les tendances, les inté-
rêts, l'aptitude au raisonnement, à l'observation, l'état des connais-
Les dérivations aussi figurent parmi ces éléments.
sances, etc.
2061. Les éléments que nous avons mentionnés ne sont pas
indépendants; la plupart sont mutuellement dépendants. En
outre, parmi les éléments, il faut ranger les forces qui s'opposent à
la dissolution, à la destruction des sociétés durables. C'est pour-
quoi, lorsqu'une de celles-ci est constituée sous une certaine forme
déterminée par les autres éléments, elle agit à son tour sur ces, élé-
ments. Ceux-ci, en ce sens, doivent aussi être considérés comme
étant en état de mutuelle dépendance avec la société dont nous par-
lons. On observe quelque chose de semblable pour les organismes
des animaux. Par exemple, la forme des organes détermine le
genre de vie ; mais celui-ci, à son tour, agit sur les organes (^ 2088
et sv.).
2062. Pour déterminer entièrement la forme sociale, il serait
nécessaire d'abord de connaître tous ces innombrables éléments,
§ 20(58-2064 fohmk générale de la société 1H07
nous substituons la connaissance que nous pouvons avoir de leur nature et des rap-
ports^qu'elles établissent entre les éléments du système social.
130.S CHAPITRE MI i^ 2065-2067
2066. En tout cas, que le nombre des éléments que nous consi-
dérons soit petit ou grand, nous supposons qu'ils constituent un
système, que nous appellerons système social (§ 119), et nous nous
proposons d'en étudier la nature et les propriétés.
Ce système change de forme et de caractère avec le temps et ;
changements accidentels d'un élément qui surgit, agit pour peu de temps sur un
système, y produisant une légère déviation de l'état d'équilibre, puis disparaît. Par
<3xemple, les guerres courtes pour un pays riche, les épidémies, les inondations, les
tremblements de terre et autres semblables calamités, etc. Les statisticiens avaient
déjà remarqué que ces événements interrompaient pour peu de temps seulement le
cours de la vie économique et sociale mais nombre de savants auxquels faisait
:
X est en a. A la fin, il a la
M i 3 4à
quantité bX de vin; il est
en X^. Chaque jour, la
dividu est en a, en s, en r, en d,
en a, ..., et à la fin, en A'^, en Fig. 33.
20G91 (l'est le cas du troc entre deux individus dont i'un possède zéro de vin et
une quantité donnée de pain, tandis que l'autre a zéro de pain et une quantité donnée-
de vin. Ce problème élémentaire a donné naissance aux théories de l'économie pure.
Nous le considérons ici uniquement pour faciliter l'exposé mais ce que nous ;
disons peut facilement être étendu aux problèmes lieaucoup plus complexes qu'étu-
die l'économie pure.
20692 Plusieurs des économistes qui commencèrent l'étude de l'économie pure se-
préoccupèrent seulement de déterminer la ligne aX^ sans même avertir qu'elle ne ,
devait être considérée que dans l'unité de temps. Il ne faut pas leur en faire un
reproche, parce que c'est un phénomène général dans l'évolution de toute science,
que l'on commence par considérer les parties principales du phénomène, et qu'en-
suite on complète les raisonnements et on leur donne plus de rigueur.
§ 2070 FORME GÉNÉRALE UE LA SOCIÉTÉ 131 1
choses
Maintenant voyons le cas le plus général. Dans la ligure précé-
dente, ab, bc, cd, ... ne sont plus égaux entre eux, mais représentent
divers espaces de temps, supposés par nous pour étudier un phéno-
mène au terme de ces espaces de temps, dans lesquels un élément
exerce l'action propre que nous voulons considérer. Les points
a, s, r, d, u, ... représentent l'état de l'individu, au début de cette
action; X^, A'.,, A^, ... l'état de l'individu, quand elle est accomplie.
la ligne aX^ ;
2» en portant cette société en un point m de aX Dans .
'2(J69^ Dans l'exemple choisi, l'individu parcourt successivement les espaces aX^
bX^ , •••. mais on pourrait trouver d'autres exemples où il parcourrait effectivement
les espaces GX^ , X^ X2 , X2 X-^ , de la ligne MP. Celle-ci serait alors, non plus
la ligne qui unit les pointsextrêmes X^ X2 X3 ,..., qu'atteint l'individu au
, ,
terme de chaque unité de temps, mais bien la ligne effectivement parcourue par l'in-
dividu. Mais, en matière économique et sociale, les phénomènes ont généralement
lieu d'une manière analogue à celle des exemples indiqués dans le texte.
1312 CHAi'iTHi: XH §2071-2072
^
points A^, A^, A^, ..., le système
parcourait d'un mouvement con-
tinu la ligne A^A^A^, ..., [il n'y au-
rait rien changer aux définitions données tout à l'heure. On
à
devrait dire seulement que si le système s'écartait artificiellement
de la ligne A'^^A^^..., il tendrait bientôt à y revenir, et que si les élé-
ments accomplissent leur action propre lorsqu'on leur fait par-
courir cette ligne, ils n'accompliraient pas la même action, si le
2072' C'est ce que n'a pas compris ce brave homme qui, on ne sait trop pour-
quoi, s'imagina que l'équilibre économique était un état d'immobilité, par consé-
quent condamnable pour tout fidèle du dieu Progrès. Nombre de gens dissertent de
même au hasard, lorsqu'ils se mettent en tête déjuger les théories de l'économie
pure. Le motif en est qu'ils ne se donnent pas la peine d'étudier la matière dont ils
veulent traiter, et qu'ils croient pouvoir la comprendre, rien qu'en lisant à la hâte
^ 2073-2074 forme générale de la société 1313
et négligemment des livres qu'ils comprennent à rebours, parce qu'ils ont l'esprit
bourré de préjugés, et parce qu'ils n'appliquent pas leur attention aux froides
recherches scientifiques, mais n'ont souci que de favoriser leur foi sociale. De cette
façon, ils perdent d'excellentes occasions de se taire, et de ne pas révéler leur
iusuffisance. Plusieurs livres, opuscules, préfaces, articles, publiés depuis un cer-
tain temps sur l'économie pure, ne méritent même pas d'être lus.
20722 Cet équilibre est évidemment un équilibre dynamique. Si' la biologie était
aussi arriérée que les sciences sociales, quelque savant personnage pourrait écrire
un traité de biologie positive, où il exprimerait son élonnement et sa désapprobation,
parce que l'on considère un état d'équilibre, c'est-à-dire d'immobilité, alors que la
vie est mouvement.
2073* Cette matière n'est pas facile. Je crois donc devoir ajouter que j'estime
indispensable au lecteur désireux d'acquérir une idée claire des états sociolo-
giques X| Xo .... et des façons possibles de les déterminer, qu'il étudie d'abord
, ,
le phénomène semblable considéré par les théories de l'économie pure. Il faut procé-
der toujours du moins difficile au plus difficile, du plus connu au moins connu.
SOCIOLOGIE 83
1314 CHAPITRE XII ^ 2075-2078
qu'elles sont très variables, mais que nous traitons d'un équilibre
statistique, dans lequel les variations se compensent de telle sorte
qu'il en résulte une consommation totale croissante que celle-ci ;
nions pas du tout que les éléments auxquels nous nous arrêtons ne
soient pas réductibles à un plus petit nombre, ou même, par
exemple, à une unité. De même, le^'chimiste n'affirme pas que le
nombre des corps simples soit irréductible, et que, par exemple,
on ne puisse, un jour, y reconnaître différentes manifestations d'un
seul élément ^
2079. Organisation du système social. Le système économique
est composé de certaines molécules mues par les goûts, et retenues
par les liaisons des obstacles qui s'opposent à l'obtention des biens
seulement l'étude de l'économie, mais aussi celle de toute autre branche de l'activité
liumaine est une étude psychologique, et les faits de toutes ces branches d'activité
sont des faits psychologiques. La distinction que l'on veut faire pour le troc écono-
mique, entre le fait «individuel» et le fait « collectif », est puérile. Chaque être
humain consomme du^pain pour son propre compte, et il- est ridicule d'imaginer
que cent individus mangent « collectivement » du pain et s'en rassasient, tandis
qu'aucun d'eux ne mange de pain et ne s'en rassasie «individuellement». D'autre
part, toutes les études de l'activité humaine, qu'on les appelle psychologiques ou non,
sont des études de faits, puisque seuls les faits nous sont connus et la psychologie
:
d'un être humain nous demeure inconnue tant qu'elle ne se manifeste pas par des
faits. Les principes de la psychologie économique, ou de n'importe quelle autre
psychologie, ne peuvent qu'être déduits des faits, comme en sont également déduits
les principes de la physique, de la chimie, de l'attraction universelle, etc. Les prin-
cipes une fois obtenus de cette manière, ou aussi seulement par voie d'hypothèses,
on cherche leurs conséquences; et si elles sont vérifiées par les faits, les principes
sont confirmés (§ 2397 et sv.). Une vue très générale de faits usuels et communs a
donné aux auteurs anglais la notion du degré final d'utilité, et à Walras celle de
la rareté. Les conséquences tirées de ces principes se sont trouvées concorder à peu
près avec les faits, en de certaines circonstances par conséquent les principes ont
;
2079 1 C'est précisément pour démontrer cela que nous avons dii nous livrer à
une longue étude des résidus et des dérivations. Peut-être, en la lisant, quelqu'un
l'a-t-il trouvée superflue? Elle était, au contraire, indispensable, parce que la con-
attribue aux dérivations les effets qui sont le propre des rési-
dus manifestés par ces dérivations. Pour acquérir une efficacité
notable, les dérivations doivent d'abord se transformer en senti-
ments (I 1746) ce qui, d'ailleurs, n'est pas si facile.
;
sont poussés à une action énergique par les sentiments qui s'ex-
priment par ces dérivations (§ 1869). En de nombreux cas, il est
indifférent d'employer la première ou la seconde proposition. Ce
sont surtout ceux où l'on remarque une correspondance entre les
§ 2086-2087 foume gknkralk de la société 1319
dus J5 qui, beaucoup plus que les dérivations, déterminent cette forme
<§ 1844 et sv.) 3» mais le fait que celui qui doit agir estime, ou
;
Deux propositions qui sont telles se détruisent il n'en est pas ainsi ;
outre, nous avons les divers faits qui se produisent dans cette
société. Si nous considérons ensemble le premier de ces faits et les
seconds, nous dirons qu'ils sont tous mutuellement dépendants
(§ 2204). Si nous les séparons, nous dirons que les derniers sont
mutuellement dépendants entre eux (mutuelle dépendance du pre-
mier genre), et qu'en outre, ils sont mutuellement dépendants avec
le premier fait (mutuelle dépendance du second genre). De plus,
(2) q = 9 + 0,2 X.
(3) p = q.
q-^ ^ 11, '^5. On peut donc continuer ainsi indéfiniment, et l'on obtiendra pour p et
pour œ les valeurs successives suivantes :
Ces valeurs vont toujours en se rapprochant des valeurs obtenues par la résolution
directe des équations (1) et (2), c'est-à-dire par le mode |2 b). Ces dernières —
valeurs sont :•
ib) p —n X = 10.
= pi =
(6) a'j 5 Ç| — 45 15 — 0,4 x
Commençons par l'une des valeurs trouvées précédemment, soita?^ = 7,5, et fai-
sons le calcul de la même manière que tout à l'heure. Nous trouverons les valeurs
successives suivantes :
p =: 12 9 15 3
X = 7,5 15 30.
Ces valeurs, au lieu de se rapprocher des valeurs (5) obtenues par la résolution des
équations (1) et (2), vont toujours en s'en éloignant. Par conséquent, en suivant
cette voie, on ne peut substituer ce mode (2 a) au mode (2 — b). 11 est inutile que —
quelque économiste littéraire cherche la raison de ce fait en ce que, selon le pro-
cédé I, on commence par la vente, tandis que, selon le procédé II, on commence par
la production, et qu'il dise, par exemple, qu'il faut produire avant de vendre, qu'il
n'y a donc pas lieu de s'étonner si le premier procédé rapproche de la solution du
problème, et que le second en éloigne. La cause de ce fait est tout autre. Soient, en
général, deux équations :
Les deux procédés employés ont ceci de commun que l'on donne une valeur arbi-
traire à l'une des variables, dans une équation on tire la valeur de l'autre variable; ;
on la substitue à cette variable dans l'autre équation, et ainsi de suite. Ils diffèrent
suivant la variable que l'on a en fonction de l'autre. Des équations (7) on peut tirer :
tuons à y, dans la première, une valeur arbitraire ?/j yj -|- &| On obtiendra = .
approximativement :
^2 = ^1 /'(.'/o ) f'i^-o h
Afin que les valeurs successives de //, H par conséquent celles de x aussi, aillent en se
§ 2094-2095 forme générale de la société 1325
y ,
aux conditions
j/ç,, ...
économiques, certains autres z^, r,,, ... aux
coutumes, aux lois, aux religions, d'autres encore ii u^, ... aux ,
dirons que les états X^, X_^, X.^, .... définis au §2069, sont déter-
minés.
2094. En outre, considérant la dynamique du système, nous
appellerons aussi déterminé le mouvement qui, si les circonstan-
ces indiquées par les paramètres des équations ne variaient pas,
porterait le système successivement aux positions X^, Z,,, X.^, ....
rapprochant des valeurs qui vérifient les équations (7), il faut qu'en valeur absolue
que b^ c'est-à-dire que l'on ait
&2 soit plus petit , :
f ( -^0 '
= TTT
r (,V
'v'
)
•*'
'"^
*^0 <p' (.roi
par conséquent, la valeur du premier membre de (10) est égale à 1 divisé par la
valeur du premier membre (9). C'est pourquoi, si ce dernier est plus petit que un,
en valeur absolue, le second est plus grand c'est-à-dire que si le premier procédé :
presque constante, elle varie peu quand y varie notablement, dans la première
équation, et y varie peu quand x varie notablement, dans la seconde tandis qu'on :
doit éviter les relations dans lesquelles c'est le contraire qui a lieu. On peut encore
espérer obtenir la solution du pi-obième en employant le procédé (2 a), si l'une —
des relations, par exemple la seconde équation (7), est de très peu d'importance en
comparaison de la première, c'est-à-dire si [xq] est très petite. (j>'
lement un autre, qui est celui de modifier les manifestations de résidus existants.
Soit une collectivité profondément mécontente de son gouvernement mais le mécon- :
de lois qu'on n'exécute pas, parce que la résistance qu'elles rencontrent est plus forte
que la volonté de la faire exécuter. A ce point de vue, un despote a souvent beau-
coup moins de pouvoir qu'un gouvernement libre, car les mesures édictées par
celui-ci sont, habituellement, l'expression de la volonté d'un parti et par consé- ;
parce que c'est une œuvre qui dé'passe de beaucoup les forces d'un seul homme.
C'est pourquoi, autour de lui, les gens s'inclinent, mais n'obéissent pas, et ses
prescriptions demeurent lettre morte. C'est aussi ce qui arrive, en de beaucoup
moindres proportions, dans les relations d'un ministre et de ses fonctionnaires. Voici
un exemple qui peut servir de type. Di Persano Diario, 3« partie. Nous sommes
;
en octobre 18(10. Persano est reçu en audience par Cavour. Le dialogue suivant a
lieu « (p. 88) [Cavour] Je voudrais que vous vinssiez aujourd'hui à la Chambre. Il
:
pourrait y avoir des interpellations, et il serait bon que vous y fussiez; mais par
§2097-2099 forme générale de la société 1327
votre promotion, vous avez cessé d'être député. C'est là un contretemps qui m'en-
nuie. —[PersanoJ Quelle promotion, Excellence ! —
Celle à vice-amiral. Mais je —
n'en ai jamais été inform(''. —
Jamais ? —
Non, jamais, Excellence. Nous ne pou- —
vions vraiment pas nous expliquer votre silence à cet égard, et le fait que vous
signiez toujours contre-amiral. Mais comment les choses se sont-elles passées
depuis que nous vous avons annoilcé votre promotion, lorsque vous étiez encore à
Naples? —Eh! Excellence. Ce sont les manèges habituels des subalternes».
Gavour sut tirer parti du contretemps: ce qui est précisément le fait d'un homme
d'Etat avisé et habile. « (p. 90) [Cavour] .J'ai écrit à Lanza [le président de la Cham-
bre] du ne pas annoncer votre promotion, puisque vous ne l'avez pas reçue ainsi ;
seule et unique l'état des connaissances et leurs conséquences logiques. Ils s'ima-
:
ginent donc que c'est par le raisonnement que se déterminent les modes et les
formes de la société, ce qui plaît beaucoup aux intellectuels, car ils sont produc-
teurs de raisonnements, et tout producteur vante et loue sa marchandise. Ils tom-
bent ainsi dans une erreur vraiment puérile. Négligeons le fait que d'habitude ces
raisonnements sont des dérivations, et que, de ce fait, le peu d'efficacité qu'ils peu-
vent avoir est dû exclusivement aux résidus qui servent à dériver. Mais, quand
bien même ces di'-rivations seraient de bons raisonnements logico-expérimentaux^
elles seraient presque ou tout à fait impuissantes à modifier les formes sociales, qui
sont en rapport avec bien d'autres faits beaucoup plus importants.
20971 C'est ce que font implicitement les réformateurs qui imaginent des utopies.
Celui qui peut disposer à son gré des sentiments humains, peut aussi, entre les-
limites déterminées par les autres conditions, disposer de la forme de la société.
1328 CHAPITRE XII ^2100-2103
comme constants pour une durée moins longue, mais toujours pas
courte d'autres comme variables, etc. Nous ajouterons que, au
;
per de cela.
2104. On comprend aisément qu'au lieu d'un groupe de deux
éléments, on puisse considérer un groupe d'un plus grand nombre
d'éléments, puis divers groupes, chacun constitué de plusieurs
éléments. C'est là le seul procédé dont nous disposons pour obtenir
des solutions approximatives, qui s'amélioreront à mesure qu'aug-
mentera le nombre des éléments et des groupes considérés (§ 2203
et sv.).
2105. Les propriétés du système social. Un système d'ato-
mes et de molécules matérielles possède certaines propriétés ther-
miques, électriques et autres. D'une manière analogue, un système
constitué par des molécules sociales a, lui aussi, certaines pro-
beaucoup plus légères sont perçues et évaluées tant bien que mal.
C'est pourquoi, si la précision des nombres nous fait défaut, nous
avons cependant toujours du phénomène une idée pas trop éloignée
de la vérité. On peut ensuite descendre aux détails et considérer
les différentes parties de cet ensemble.
21 10. Pour avoir une idée plus précise, il est nécessaire d'énon-
cer les normes, en partie arbitraires, que l'on entend suivre pour
déterminer les entités que l'on veut définir. L'économie pure a pu
§2110 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1331
Aristote s'aperçut fort bien qu'il y avait là de tels problèmes à r(''Soudre. Polit.,
VII, 3, 1 « Il nous reste à savoir si l'on doit attribuer la même félicité à un
:
homme qu'à la Cité, ou non. Mais évidemment chaque homme avoue qu'elle est la
même. Quiconque veut qu'un particulier soit heureux, s'il est riche, admet aussi
que la Cité soit heureuse, quand elle est opulente; et celui qui vante comme heu-
reuse la vie tyrannique, tiendra de même pour bienheureuse la Cité qui règne sur
le plus grand nombre de peuples et s'il est quelqu'un qui veuille dire heureux un
;
seul homme, s'il est vertueux, le même dira extrêmement heureuse la Cité, si elle
est vertueuse». Nous nous arrêtons sur ce point, c'est-à-dire que nous notons ces
opinions et d'autres semblables, touchant l'état vers lequel on veut acheminer la
cité, et que nous étudions des caractères communs à tous ces états. Aristote va
plus loin il détermine l'état qu'on doit préférer (VII, 1, 1) Jleçl noXirsiaç ôçIott/ç
: :
Tov fiéÀ'Àovra TTOi^aaadai ryv Trcoaijuovaav (^tjttjglv àvâyKj] ÔLoçiaaaOacTTçîjTov riç alçerÙTaroç
fiioç. « Qui veut se mettre à rechercher convenablement quelle est la meilleure répu-
blique doit d'abord déterminer quelle est la meilleure vie». Ainsi, l'on sort du
domaine du relatif expérimental, pour aller vagabonder dans le domaine de l'ab-
solu métaphysique. En réalité, Aristote ne détermine pas cet absolu, parce que c'est
impossible. Il ne trouve d'autre solution au problème que celle qui concorde le
mieux avec ses sentiments et avec ceux des gens qui pensent comme lui cela avec ;
l'adjonction habituelle, plus ou moins implicite dans les dérivations, que tout le
monde pense comme lui, ou du moins devrait penser de cette façon, et de plus la tauto-
logie suivant laquelle un homme respectable pense ainsi, car celui qui ne pense pas
ainsi n'est pas respectable. Mais chez Aristote, outre le métaphysicien, il y a aussi
l'homme de science qui tient compte de l'expérience. Aussi, au livre IV, revient-il
du domaine de l'absolu dans celui du relatif. Il remarque (IV, 1, 2) que la plupart
des peuples ne peuvent pas s'organiser selon la meilleure ri>publique, et qu'il est
nécessaire de trouver la forme de gouvernement adaptée aux peuples qui existent
en réalité. Ensuite il ajoute excellemment (IV, 1, '6) Ov yàç jnôvov t>}v àçiaT-rjv ôel
:
s'imagine qu'un législateur peut modeler une république à son gré. Toutefois
ensuite la pratique qu'il avait delà vie politique l'oblige à ajouter «que corriger
une république n'est pas une œuvre moins importante qu'en fonder une nouvelle »
(IV, 1, 4).
1332 CHAPITRE XII § 2111-2112
nom est déduit d'une simple analogie, Viitilité ainsi définie peut
parfois concorder tant bien que mal avec l'utilité du langage vul-
gaire ; mais, d'autres fois, elle peut ne pas concorder, tant et si bien
qu'elle peut être exactement le contraire. Par exemple, si nous
fixons comme pour un peuple celui de la prospérité
état limite
matérielle, notre peu de l'entité à laquelle les hommes
utilité diffère
que l'ascète a en vue. Vice versa, si nous fixons comme état limite
celui du parfait ascétisme, notre utilité coïncidera avec l'entité que
2111 ' pouvait savoir ce que les métaphysiciens veulent désigner, lors-
Si l'on
humain, on pourrait prendre cette « fin » pour
qu'ils parlent de la « fin » d'un être
l'un des états X. Ensuite, toujours par analogie, on pourrait substituer à la lettre
X le nom de afin», et dire que l'état X
est la « lin » vers laquelle tendent ou « doi-
vent » tendre les individus et les collectivités. Cette « fin» peut être absolue,
comme l'estiment habituellement les métaphysiciens mais elle pourrait aussi être
;
2113 ï L'auteur a peut-être eutort. Il se peut que toute conciliation soit impos-
sible entre la manière littéraire et la manière scientifique d'étudier la sociologie. Du
moment que l'on se propose d'éditier celle-ci sur le modèle de la physique, de la
chimie et d'autres sciences semblables, il vaut peut-être mieux accepter franchement
la terminologie que l'expérience a démontrée nécessaire en de telles sciences. Toute
personne qui veut se livrer à leur étude doit se familiariser avec une foule de néo-
logismes. Par exemple, elle doit connaître le système de mesures qui s'y emploie, et
savoir ce que sont les unités nommées dyne, barye, erg, Joule, Gauss, Poncelet,
:
etc.; ce qui est bien autrement compliqué que de se rappeler en ([uel sens on
emploie les termes résidus et dérivations. Même en de simples études littéraires,
:
il est sage de ne pas imiter les auteurs dont parle Boileau, lesquels blâment
le bon sens et l'étymologie des termes ne sert absolument de rien. C'est malheureux,
mais il en est ainsi. La race des chimistes littéraires n'existe pas. Pour ('tudier la
1334 CHAPITRE XII §2114-2115
d'une collectivité ;
(a-3) Utilité d'un individu, en rapport avec les utilités des autres
individus ;
objectivement.
2118. Afin de donner une forme beaucoup plus concrète au
raisonnement, considérons spécialement une des utilités, celle qui
est en rapport avec la prospérité matérielle. Dans la mesure où les
actions humaines sont logiques, on peut, à la rigueur, observer
que l'homme qui va à la guerre et qui ignore s'il restera sur un
champ de bataille ou s'il reviendra chez lui, agit poussé par des
considérations d'utilité individuelle, directe ou indirecte, puisqu'il
compare l'utilité probable, au cas où il reviendrait sain et sauf,
avec le dommage probable, au cas où il mourrait ou serait blessé.
Mais ce raisonnement ne s'applique plus à l'homme qui va à une
mort certaine pour la défense de sa patrie. Il sacrifie délibérément
son utilité individuelle à l'utilité de sa nation. Nous sommes ici
dans le cas de l'utilité subjective indiquée au § 2117.
2119. La plupart du temps, l'homme accomplit ce sacrifice
par une action non-logique, et les considérations subjectives d'uti-
lité ne se font pas il ne reste que les considérations objectives
;
que peut faire celui qui observe les phénomènes. Tel est le cas
pour les animaux, dont beaucoup, poussés par l'instinct, se sacri-
1336 CHAPITRE XII § 2120-2122
instinct, ils sacrifient leur vie pour l'utilité de leur espèce. Les
espèces animales très prolifiques l'emportent en sacrifiant les indi-
vidus. On tue les souris par milliers, et il en reste toujours. Le
phylloxéra a vaincu fhomme et s'est rendu maître de la vigne.
ments sont possibles aussi. Ces derniers sont de deux genres bien
distincts. Dans le premier genre, que nous nommerons P, les mou-
vements sont tels qu'en agissant dans l'intérêt de certains individus,
on nuit nécessairement à d'autres. Dans le second genre, que nous
nommerons Q, les mouvements sont tels que l'on agit dans l'intérêt,
ou au détriment de tous les individus, sans exception. Les points P
sont déterminés lorsqu'on égale à zéro une certaine somme de
quantités homogènes dépendant des ophélimités hétérogènes
21281 Y Pareto Il massimo di iiiilitù per una collettività ùi Sociologie.
;
Giornale degli Econornisti, aprile 1913: «(p. 337)... Commençons par rappeler
le problème économique. Si l'on a les individus 1, 2, 3...., pour lesquels les ophéli-
mités élémentaires de la marchandise A sont é., à-, .... et si les variations des
ophélimités totales dont chacun jouit sont fî^j J^, .... on considère l'expression
,
Los points déterminés par les équations (2), auxquelles s'ajoutent les équations
§ 2129 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1339
des liaisons, sont des points d'équilibre du système; et pour eux l'on a: d 0. U=
Si l'on supprime quelques-unes de ces liaisons, on pourra considérer d'autres varia-
tions â, et pour (p. ;]38) elles, é U pourra être ou non zéro. Appelons points du genre
P ceux où â U est zéro, et point du genre Q ceux où â U n'est pas zéro. Les points
du genre P jouissent d'une propriété importante. Puisque les ophélimités élémen-
taires <p^^. ^.,„. ..., sont essentiellement positives, pour que l'équation
soit satisfaite, il faut nécessairement qu'une partie des ophélimités totales ôé^ ,
rî^^ ...
soient positives, et une partie négatives ne peuvent pas être toutes positives
; elles
ni toutes négatives. On peut encore exprimer cette propriété de la façon suivante.
Les points du genre P sont tels que nous ne pouvons pas nous en éloigner, à l'avan-
tage ou au détriment de tous les membres de la collectivité, mais que nous pouvons
uniquement nous en éloigner à l'avantage d'une partie de ces individus et au détri-
ment d'autres individus ».
2129 1 Le fait d'avoir confondu le maximum d'ophélimité pour la collectivité
avec le maximum d'ophélimité de chaque individu de la collectivité, a été la cause
de l'accusation de raisonnement en cercle, portée contre les démonstrations des
théorèmes sur le maximum d'ophélimité pour la collectivité. En effet, dans le cas
de la libre concurrence, les équations de l'équilibre économique s'obtiennent en
posant la condition que chaque individu obtienne le maximum d'oph(''limité par ;
conséquent, si, après cela, on voulait déduire de ces équations que chaque individu
obtient le maximum d'ophélimité, on ferait évidemment un raisonnement en cercle.
Mais au contraire, si l'on affirme que l'équilibre déterminé par ces équations jouit
de la propriété de correspondre à un point d'équilibre pour la collectivité, c'est-à-
dii'e à l'un des points que nous avons désignés tout à l'heure par P, on énonce un
1340 CHAPITRE XII § 2130
théorème qui doit être d(''montré. Nous avons donné cette démonstration d'abord
dans le Cours, puis dans le Manuel. Il faut reconnaître que l'erreur de ceux qui
supposaient un raisonnement en cercle a sa source dans les œuvres de Walras, qui,
en efïet, n'a jamais parlé du maximum d'ophélimité pour la collectivité, mais a
toujours considéré exclusivement le maximum d'ophélimité pour chaque individu.
— Pierre Boven Les applications mathématiques à l'économie politique
;
:
« (p. 111) ...Walras développe ce qu'il appelle le Théorème de l'utilité maxim,a des
somme totale de besoins possibles, il est certain que pa étant donné, da est
déterminé par la condition que l'ensemble des deux surfaces... soit maximum. Et
cette condition est que le rapport des intensités r^,, r^,, des derniers besoins satis-
faits par les quantités da et y, ou des raretés après l'échange, soit égal au prix
Pa. Supposons-la remplie..." Etc. (p. 77, Walras, Eléments). S'il est certain que
cette équation s'impose, et si on l'admet comme hj^pothèse, il est parfaitement inu-
tile de couvrir quatre pages de calculs, pour découvrir que ,, Deux marchandises
:
il est extraordinaire que Walras ait été dupe d'une pareille illusion. On serait tenté
de croire que c'est par inadvertance. Il n'en est rien. La tautologie que nous rele-
vons a été signalée plusieurs fois à son auteur, et par les critiques les plus bien-
veillants mais Walras n'a jamais rien voulu entendre. Nous touchons ici à un fait
;
cher une doctrine pratique. Il voulait à tout prix que Tintérèt de la société fût
démontré mathématiquement. Il tenait à prouver que la libre concurrence était
lionne et le monopole mauvais... » Ces observations n'enlèvent rien au grand mérite
qu'eut Walras d'avoir, le premier, donné les équations de l'équilibre économique en
un cas particulier; de même que les critiques que l'on peut faire quant à la théorie
de la lumière de Newton, ou mieux encore, à ses commentaires sur l'Apocalypse,
n'enlèvent rien à l'admiration que l'on doit à l'immortel créateur de la mécanique
céleste. C'est ce que ne comprennent pas ceux qui confondent le prophète avec
l'homme de science. Bien entendu, les dogmes d'une religion étant réput(''S absolus,
ils ne changent pas avec le cours des années. Au contraire, les doctrines scientifi-
<iues sont dans un perpétuel devenir, et parfois leur auteur lui-même, ensuite tou-
jours d'autres auteurs, les modiiient, les augmentent, leur donnent une forme nou-
velle et même un fond nouveau. Ceux qui croient à l'Apocalypse peuvent vouloir
accorder une place parmi eux à Newton ceux qui croient à la religion humani-
;
taire ou socialiste peuvent se démener pour faire leur profit du nom de Walras. Ces
prétentions n'atteignent ni l'un ni l'autre de ces savants.
^ 2131 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1341
tant qu'on ne nous dit pas de quelle façon on peut comparer les
ophéli mités de A et de Zî et c'est précisément parce qu'on ne peut
;
hétérogènes elles ne peuvent donc être sommées, parce que cette somme n'aurait
;
pas de sens. Mais supposons pour un moment qu'il n'en soit pas ainsi, et que la
somme
(ô) ôH = +fJf, +...
â<l>^
on a pour but d'éviter la difficulté qui naît de ce que les ophélimités J0 j, oé^,.. sonl
hétérogènes, et d'obtenir qu'étant homogènes, on puisse les sommer. Telles sont les
quantités (G), parce qu'en vertu des équations de l'équilibre, toutes représentent des
quantités d'une unique marchandise A. Si nous avions un autre moyen de rendre
homogènes les quantités hétérogènes â<p ,, â(p^,... en les multipliant, par exemple, par
certaines quantités positives «j, a, il est évident que considérer la somme
(7) c5F = = a, Jçij + a^ J0, +....
trouve. Supposons un individu i qui se propose d'agir de telle sorte que tous ses
concitoyens ol)tiennent le (p. 340) plus grand bien possible, sans que personne soit
1342 CHAPITRE XII §2131
résulte pour les honnêtes gens, et elle estime grosso modo que cette
sacrifié. L'expression (7) existe subjectivement pour lui c'est-à-dire qu'il essaie- ;
directement la variation o^j et se figure les variations J^ g, é(j)^... Les coefficients a^,.
Cj,... servent précisément à etrectuer le passage, des quantités âcpç^, (î^j,.., objectives-
'
= a'j é(p^ -\- a\ èé^ + «'3 oçig +....
et l'hétérogénéité, chassée des quantités d'ane équation, l'éapparaît parmi les quan-
titésd'équations diflérentes. Pour rendre homogènes ces quantités, il faut de nou-
veau les multiplier par certains coefficients ^' j, /S",, /î"',,.-- déterminés en vue
d'un but objectif, qui peut être, par exemple, la prospérité de la collectivité. Sup-
posons un gouvernement qui estime nécessaire à la prospérité de la collectivité de
détruire les malfaiteurs. De ce fait, il se résignera à faire souff'rir messieurs les-
humanitaires c'est-à-dire qu'il assignera à leurs souffrances des coefficients /3'j
;
&" 1
/î'^i . très petits, tandis qu'il en assignera de considérables /Svii^ jSviii^ ,.., aux
1 ,
souffrances des victimes des malfaiteurs. Maintenant que, grâce à ces coefficients,
les quantités correspondant aux équations (8) sont rendues comparables, nous pou-
vons les additionner, après les avoir multipliées par /î', , 0\ ,... et nous aurons
(9) = Mj â<p^ + M^ ô<j>,^ + M3 J03 +...
L'équation (9) déterminera des points de genre P, analogues aux points P, dé-
terminés par l'équation (4). Le gouvernement qui a fixé l'équation (9) devra faire-
continuer le mouvement de la coileclivité jusqu'à l'un de ces poinis P, et là s'arrêter,,
parce que, s'il allait au delà, il se mettrait en contradiction avec lui-môme, en sacri-
fiant ceux qu'il estime ne pas devoir être sacrifiés ».
§ 2132-2133 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1343
rait courir levoleur ^ Pour abréger, nous n'avons comparé ici que
deux utilités mais il va sans dire que, tant bien que mal, et sou-
;
vent plutôt mal que bien, l'autorité compare toutes les utilités dont
elle peut avoir connaissance. En somme, elle accomplit grossière-
néglige, en somme, les souffrances des honnêtes t^ens, en assignant à ces soutîrances-
un coefficient voisin de zéro, et l'on fait prévaloir, au moyen d'un coefficient élevé,,
les souffrances du délinquant. On peut traduire d'une manière analogue un trè&
grand nombre de dérivations dont on fait habituellement usage, en traitant de ma-
tières sociales.
1344 CHAPITRE XII § 2134
•2134 1 [Note du traducteur] Le fait n'a pas échappé à Malthus, et c'est l'un des
motifs pour lesquels beaucoup de personnes ont porté contre lui des accusations
analogues à celles dont Machiavel a été l'objet. Bien que Malthus n'eût pas encore
une vue gén(''rale du problème de VutiWé en sociologie, il se rendit assez bien
«ompte de la distinction à établir entre l'utilité de et l'utilité pour la collectivité.
Une des idées maîtresses de ÏEssai sur le -principe de population est précisément
la distinction, et parfois l'opposition de ces deux genres d'utilité, en ce qui concerne
le problème de la population. Malthus s'est efforcé de montrer qu'une augmenta-
tion de la population n'est pas utile d'une façon absolue, mais qu'il y a différents
points de vue à considérer, ot qu'en certains cas une diminution de population peut
être utile pour la collectivité.
^ 2135-2137 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1345
«Qui a raison? Qui a tort?» parce que ces termes n'ont pas de
sens, tant qu'on n'a pas choisi un critère pour établir la comparai-
son entre ces deux décisions (§ 17).
2137. De là nous devons conclure, non pas qu'il est impos-
sible de résoudre des problèmes qui considèrent en même temps
différentes utilités hétérogènes, mais bien que, pour traiter de ces
utilités hétérogènes, il faut admettre quelque hypothèse qui les
SOCIOLOGIE 85
1346 CHAPITRE XII § 2138-213^
menls, sur lesquels seuls, par conséquent, nous devrons fixer notre
attention, sans tropnous soucier de leur enveloppe.
2138. Même dans les cas où l'utilité de l'individu n'est pas en
opposition avec celle de la collectivité, les points de maximum de
la première et les points de maximum de la seconde ne coïncident
habituellement pas. Revenons, pour un moment, au cas particu-
lier étudié aux | 1897 et sv. Soit, pour un individu donné, A le
point extrême qui représente l'observation très stricte de tout pré-
cepte existant dans la société, B un autre point extrême qui repré-
sente la transgression des préceptes qui ne sont pas reconnus
comme proprement indispensables, mnp
la courbe de d'utilité
21381 Dans les cas de transgressions aux règles de la morale, si les transgres-
sions sont le fait des gouvernants, il peut se présenter de nombreux cas où, pour la
position des points q, t, la réalité ressemble à la figure. Si les transgressions sont
le fait des gouvernés, nombreux sont les cas où la position des points q, t, est
inverse de celle de la figure, c'est-à-dire que le point q est plus proche de B que le-
'
point t.
j^
2140-2141 1 OKME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1347
pour adresser un blâme sévère à l'ouvrage. L'observation est juste, le blâme est
mérité, tout autant que celui qu'on pourrait adresser à Paul Tannery, pour ne pas
avoir mis un traité de mécanique céleste dans son livre que nous venons de citer.
L'imperfection des Systèmes socialistes est d'un tout autre genre que celui
visé par ce blâme elle est surtout la conséquence du fait que l'auteur ne possédait
;
pas alors la théorie des dérivations, théorie qu'il a développée dans le présent
Traité ; il l'a appliquée par anticipation, sans en avoir encore une conception bien
rigoureuse, et il en est résulté un certain flottement. On devrait maintenant refondre
cette étude, en tenant compte des théories plus précises que nous venons d'exposer.
Il serait très utile d'avoir d'autres études de ce genre, sur les doctrines p olitiques.
philosophiques et autres, en somme sur les diverses manifestations de l'activité
intellectuelle des hommes, lesquelles, avec les doctrines des systèmes socialistes,
constituent le vaste ensemble des doctrines sociales. Ici, c'est de propos délibéré
que nous ne nous en sommes pas occupé.
De ce fait, il ne faudrait pas tirer la conclusion que nous avons l'absurde pré-
somption de ne rien devoir à ces doctrines telles qu'on les a exposées jusqu'à pré-
sent (I 41) autant vaudrait dire qu'un homme de l'âge de la pierre était en
;
m esure
de disserter sur un sujet scientilique, tout aussi bien qu'un homme cultivé vivant
dans une société intellectuellement aussi avancée que la nôtre. L'influence d'une
doctrine sur une autre ne se fait pas seulement sentir dans les concordances, elle
apparaît aussi dans les divergences. Aristole doit quelque chose à Platon, même
lorsqu'il le critique sans la géométrie euclidienne, nous n'aurions probablement-
;
autres pour fuir les pièges de l'homme, mais qui soient en même
temps d'une moindre fécondité. pourra qu'échappant aux
Il se
pièges, elles se substituent à d'autres souris, puis qu'en raison de
leur moindre fécondité l'espèce disparaisse.
2143. Dans le cas du 'I" type, la forme de la société n'est pas du
tout déterminée lorsqu'on donne les circonstances extérieures il ;
tredit.Quelle a été sur l'esprit de Newton l'influence de ces théories, et quelle a ('•té
cellede l'expérience directe ? Nous l'ignorons, et Ne^^ton n'en savait pas plus que
nous peut-être en savait-il moins. Bien fin serait celui qui saurait faire la part
;
même et surtout celui-ci ne s'en rend pas bien compte. Ce sont là d'ailleurs des
recherches qui peuvent être intéressantes au point de vue psychologique ou anec-
dotique, mais qui n'ont que peu d'importance pour l'étude logico-expérimentale
des lois des phénomènes sociaux.
4
valeur que pour ces personnes et pour leurs adeptes, tandis que
les autres hommes demeurent d'un avis différent.
21 o. Même les réformateurs de la société ne remarquent
habituellement pas et négligent le fait de la diversité d'opinions
des hommes, au sujet de l'utilité. C'est parce qu'ils tirent impli-
citement de leurs propres sentiments données dont ils ont
les
besoin. Ils disent et croient résoudre un problème objectif, qui est
celui-ci: « Quelle est la meilleure forme sociale?» tandis qu'ils ;
parmi tous ceux que désigne A' au | 2111. L'équivoque signalée tout à l'heure, des
réformateurs, et un grand nombre d'autres semblables proviennent du fait que l'on
croit à l'existence d'un état.unique X, tandis qu'il y en a un nombre infini.
^ 2147 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ l.'i51
les hommes sont mus beaucoup plus par les sentiments que par les
raisonnements. Un certain nombre de personnes savent tirer profit
de cette circonstance et s'en servir pour satisfaire leurs intérêts ce ;
emprunte, et, en échange de ce «service», consent à lui donner l'une des planches
t'ai tes avec le rabot.
« (p. 119)Voilà un homme qui veut faire des planches. Il n'en fera pas une dans l'an-
née, car il n'a que ses dix doigts. Je lui prête une scie et un rabot, —
deux instru-
ments, ne le perdez pas de vue, qui sont le fruit de mon travail et dont je pourrais
tirer parti pour moi-même. —
Au lieu d'une planclie, il en fait cent et m'en donne
cinq. Je l'ai donc mis à même, en me privant de ma chose, d'avoir (p. 120) quatre-
vingt-quinze planches au lieu d'une, —
et vous venez dire que je l'opprime et le
vole Quoi grâce à une scie et à un rabot que j'ai fabriqués à la sueur de mon front,
! !
une production centuple est, pour ainsi dire, sortie du néant, la société entre en
possession d'une jouissance centuple, un ouvrier qui ne pouvait pas faire une planche
en a fait cent et parce qu'il me cède librement et volontairement, un vingtième do
:
Vous demandez ,, L'intérêt du capital est-il légitime oui ou non? Répondez à cela,
:
sans antinomie et sans antithèse". Je réponds ,, Distinguons, s'il vous plaît. Oui,
:
elle n'en est que le point de départ, l'aphorisme. Mais elle suffit pour expliquer la
Révolution dans son actualité et son immédiateté elle nous autorise, par consé- ;
quent, [cette conséquence vaut un Pérou], à dire que la R(''Volution n'est et ne peut
être autre chose que cela ».
2147s Loc. cit. I 2147*. Proudhonà Bastiat : «(p. 125) D'un côté, il est très vrai,
ainsi que vous l'établissez vous-même péremptoirement, que le prêt est un service.
Et comme tout service est une valeur [que veut dire cela ?], conséquemment
comme il est de la nature [affirmation gratuite] de tout service d'être rémunéré, il
s'ensuit que le prêt doit avoir son p/'w;, ou. pour employer le mot technique, qu'il
doit porter intérêt)).
§ 2147 FOIIME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1353
iVil^ Gela se voit bien dans tous les ouvrages, tant de Bastiat que de Proudhon.
Pour le premier, la citation suivante suffira. Bastiat Œuvr. compl., t. VI. Bar-
;
Dionies économiques. Richesse : «(p. 201) Il faut d'abord reconnaître que le mobile
qui nous pousse vers elle [vers la richesse] est dans la nature [bravo Et le motif !
tjui pousse au crime n'est-il pas aussi dans la nature'^'] il est de création providen-
;
tout.
2147'' C'est le but de toute l'œuvre de Bastiat. Il y vise surtout dans les Harmo-
nies économiques. Beaucoup d'autres auteurs ont aussi écrit pour démontrerl'iden-
tilé des conclusions de l'économie et de la « morale ». Proudhon démontre que ses
conceptions économiques sont une conséquence delà «justice». Chez presque tous
les auteurs, cette identité s'établit non entre l'économie et la morale du monde
réel, mais entre une économie et une morale futures, telles qu'elles se réaliseront
suivant les idées de l'auteur, ou telles qu'elles seront d(Herminées par l'évolution et
au terme, fort peu connu, il est vrai, de cette évolution. Habituellement, l'identité
obtenue de cette façon paraît évidente, car on suppose implicitement que l'économie
et la morale doivent être ou seront des conséquences logiques de certaines prémisses,
et il est incontestable que les diverses conséquences logiques des mômes prémisses
ne peuvent être en désaccord. Les théories de l'organisation providentielle de la
société, des causes finales, du darwinisme social et autres semblables, aboutissent
aux mômes conclusions.
1354 CHAPITRE XII ^ 2147
utilise les planches, deux qui les produisent, dont l'un n'a que ses
deux mains pour travailler, et l'autre a la scie et le rabot. Cette
petite modification de l'hypothèse suffit à changer entièrement les
conclusions de Bastiat, même en acceptant sa façon de les tirer.
2147 8 Loc. cit. 12147' «(p.4()) J'affirme d'abord que le Sac de blé [autre
:
exemple analogue à celui du rabot] et le rabot sont ici le type, le modèle, la repré-
sentation fidèle, le sj^mbole de tout Capital, comme les cinq litres de blè et la
planche sont le type, le modèle, la représentation, le symbole de tout intérêt ».
§ 2147 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1355
ne pas dilapider leur patrimoine ». Même si l'on accepte cette affirmation à titre
1356 CHAPITRE XII § 2147
mes qui se posent par le fait qu'on envisage les effets économiques
des différents modes de circulation entre les classes sociales, il faut
examiner les solutions de ces problèmes, et faire connaître ce qu'on
en pense. Les difficultés qui naissent de cette indétermination sont
habituellement évitées de la manière indiquée plus haut, c'est-à-
dire en séparant entièrement les problèmes économiques des autres
problèmes sociaux, sans d'ailleurs qu'on explique clairement quels
seront les effets réciproques des différentes solutions. En pré-
sence de l'affirmation explicite signalée tout à fheure, on trouve
dans raisonnement de Bastiat un grand nombre de propositions
le
d'hypothèse, lu problème
est résolu qualitativement et non (juantitalivemeut. Il
reste, en effet,considérer toutes les autres utilités, et à voir quelle est la résul-
à
tante. De plus, en pratique, les droits liscaux toujours plus lourds que l'on impose
aux successions vont à rencontre du principe énoncé tout à l'heure. Et là nous nous
trouvons en présence d'une autre séparation de phénomènes, que veulent effectuer
un grand nombre d'économistes, en mettant à part et en dehors de leur raisonne-
ment les droits fiscaux par quoi l'on aboutit à une simple question de mots. Pourvu
;
parce que cela pourrait aussi ne pas être quand, de fait, cela ne
; et
ques, fiscales, la partie économique des phénomènes: et, en cela, ils se rapprochent
de la réalité plus que les économistes mentionnés tout à l'heure.
2147 10 nécessaire de rappeler ici l'observation faite au § 75. Dans un écrit
II est
où l'on faitusage de dérivations, on peut bien supposer implicites les propositions
•qui s'y trouvent habituellement sous cette forme c'est pourquoi si l'auteur démontre
;
<[u'il est absurde de tirer une conclusion Q des prémisses P, il est permis, en de très
nombreux cas, d'admettre qu'il juge absurde aussi la conclusion Q. Il n'en est pas
ainsi dans un écrit qui vise à être exclusivement scientifique il n'y a rien à sup-
:
poser il n'y a pas à aller au-delà de l'affirmation que le raisonnement qui unit
;
mesure avec son diamètre, parce qu'elle n'a pas d'angles», et si quelqu'un d'autre
observait que celle démonstration ne tient pas debout, il ne faudrait nullement croire
que celle personne affirme ainsi que la circonférence a une commune mesure avec
son diamètre. On peut donner une démonstration fausse d'un théorème vrai.
1358 CHAPITRE XII § 2147
tant tous les journaux dreyfusards, d'un commun accord, se montrèrent hostiles aux.
autorités militaires allemandes. Cela prouve avec évidence qu'outre le sentiment qui
pouvait exister chez quelques-uns d'entre eux, à l'égard de Dreyfus en tant que sémite^
il y avait aussi d'autres sentiments, d'autres intérêts, communs à eux tous, et qui
les poussaient à prendre le parti de Dreyfus, de même qu'ils les poussèrent à se-
montrer hostiles aux autorités militaires, dans les faits de Saverne. C'est là ce qu'il
y a de commun entre l'affaire Dreyfus et les faits de Saverne. Voyons maintenant
les différences, qui proviennent surtout des diverses organisations sociales et politi-^
([ues de la France et de l'Allemagne. Ces difïérences sont bien exprimées dans l'ar-
ticle suivant de la Gazette de Lausanne, 26 janvier 1914 «Quand éclata l'affaire-
:
de Saverne, il se trouva dans toute l'Europe des journaux libéraux pour annoncer
que l'Allemagne allait avoir son ,, affaire Dreyfus". C'était bien mal connaître
l'Allemagne. De longtemps, une ,, affaire Dreyfus" est impossible en Allemagne.,
bien que le militarisme y soit autrement puissant et envahissant qu'il n'était eU'
France dans les dernières années du siècle dernier. C'est la Chambre des députés-
française qui naguère amorça l'a^'am^ Or, le Reichstag le voudrait-il que les pou-
voirs lui manquent pour provoquer autour des jugements de Strasbourg Tagitation
révisionniste qui naguère aboutit si complètement en France. Au surplus, la majo-
rité du Reichstag paraît déjà fatiguée de son attitude opposante. Nationaux-libé-
raux et membres du centre ne demandent qu'à revenir du côté du manche. Demain,,
ce sera chose faite. Devant la débandade des partis boui-geois jetant leurs fusils, le-
Vorwœrts écrivait très justement samedi dernier ,, Force
: et lutte, voilà deux
mots qui n'existent pas dans le dictionnaire de la bourgeoisie allemande ". Cette-
classe, docile entre toutes, respectueuse et timide, ne demande au fond qu'à se lais-
ser mener par les dépositaires de la force, par ceux que Guillaume II appelle ,,Ies-
meilleurs de la nation". Telle la femme de Sganarelle, la bourgeoisie d'outre-Rhin
trouve douces les violences qui lui viennent de son supérieur hiérarchique. Il faut la
funeste puissance d'illusion d'un Jaurès, il faut se repaître de chimères comme
fait le directeur de l'Humanité, cet internationaliste aveuglé sur les questions^
•internationales, pour croire à la mission du Reichstag, à son influence sur les desti-
nées allemandes. Saluer dans les événements dont l'Allemagne vient d'être le
théâtre un gage do paix entre la France et l'Allemagne, c'est sacrifier à une dange-
reuse erreur. Nombre de socialistes français, encore imbus de l'esprit de la Révolu-
tion de quarante-huit, partagent cette illusion. Elle peut devenir funeste non seule-
ment à la France, mais à toute l'Europe ». Au contraire, un bon dreyfusard écrivait de
Paris à son journal « Naturellement on suit ici avec un intérêt extrêmement vif les
:
fus continue à donner lieu. Les dreyfusards accusent leurs adversaires d'avoir été
mus exclusivement par le désir de faire condamner un innocent. A leur tour les
anti-dreyfusards accusent leurs adversaires d'avoir été mus exclusivement par 1&
désir de sauver un traître. Passons sur le fait que, d'une manière implicite, on sup-
pose ainsi résolue précisément la question sur laquelle on discute. En effet, parmi
les anti-dreyfusards, il y avait certainement des personnes qui tenaient Dreyfus
]»our un traître, et l'on pouvait bien les accuser d'avoir une opinion fausse, mais-
non de vouloir faire condamner un innocent; et vice versa pour les dreyfusards.
Mais, dans ces accusations, on néglige un fait beaucoup plus important, au point de
vue scientifique on ignore ou l'on feint d'ignorer que, tant parmi les dreyfusards
:
que parmi les anti-dreyfusards, il y avait des personnes qui laissaient de côté la
question de savoir si Dreyfus était innocent ou coupable. Elles raisonnaient à peu
près ainsi « Le procès Dreyfus est désormais devenu une bannière, laquelle guide
:
vers un but qui, si on l'atteint, sera nuisible, disaient les anti-dreyfusards, utile, —
disaient les dreyfusards, — au pays, ou seulement à notre parti. S'opposer à ces rai-
sonnements au nom de la légalité, du respect de la chose jugée ou de quelque autre
principe, suppose résolus les très graves problèmes auxquels il est fait allusion,
!?1876 et sv. Les croire résolus, seulement par l'indignation que provoque la condam-
nation d'un «innocent» est puéril, à moins que l'on ne veuille atteindre à l'extrême
de l'ascétisme, et se refuser à toute défense de sa patrie, parce que la guerre envoie
à la mort des milliers et des milliers d' « innocents».
2147 Bismarck tourne fort bien en dérision l'usage de semblables entités en,
'3
peser sur le vieil empereur elle lui écrivait une lettre qu'elle lui faisait remettre
:
par Augusta; elle m'écrivait à moi [Bismarck], deux lettres coup sur coup pour me
conjurer d'intervenir. JJhumamté, \sipaix, la liberté, voilà les mots qu'ils ont à la
bouche et qui leur servent de prétextes quand ils n'ont pas afTaire à des peuplades
sauvages et qu'ils ne peuvent pas invoquer les bienfaits de la civilisation. [C'est pour
avoir ajouté foi à ces belles phrases que Napoléon III, E. OUivier, J. Favre,
T. Simon, etc., ont causé la ruine de leur pays c'est pour n'y avoir prêté aucune-
;
attention que Bismarck a rendu le sien grand et puissant.] C'est au nom de l'huma-
1360 CHAPITRE XII § 2147
le pas sur toute autorité civile ^*. En l'état de choses latin, on veut
que si la force révolutionnaire, ou même
seulement populaire, se
trouve en opposition avec la force militaire du gouvernement, la
première ait tous les droits et la seconde tous les devoirs, et sur-
tout celui de tout soufïrir avant de faire usage des armes injures,
:
nité que la reine Victoria voulait nous faire prendre en main les intérêts de l'Angle-
terre, qui n'avaient rien de commun avec les nôtres. C'est au nom de la paix qu'elle
cherchait à nous brouiller avec la Russie ! »
observer que, lorsque les officiers saluaient notre voiture, je n'avais pas, moi
[Busch], à leur rendre leur salut, (p. 79) Moi-même, ce n'est pas comme ministre
ou comme chancelier qu'on me salue, mais bien comme officier général. Sachez donc
que des soldats pourraient s'offenser à bon droit qu'un civil prenne leur salut
pour lui ».
214715On peut voir cela aux dérivations dont on fait usage dans les parlements
latins, en toute occasion où a éclaté un conflit entre la force publique et des
grévistes ou des manifestants (| 2147^8); c'est le vrai moyen de ceux qui veulent
faire et ne pas dire. Au contraire, les syndicalistes mettent d'accord les faits et les
paroles, et se rapprochent ainsi beaucoup plus de la réalité. Ils disent qu'ils veulent
faire emploi de la force, parce qu'ils sont en guerre avec la bourgeoisie. En vérité, à
§ 2147 FOHME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1361
et soldats savent que s'ils portent des armes, c'est pour s'en servir
ne le sont pas, lequel des deux états de choses leur est le plus
favorable? Ces problèmes ne sont pas parmi les principaux sur
lesquels portent les dérivations favorables à l'état de choses latin;
cet emploi de la force, il n'y a qu'à opposer un autre emploi de la force en sens
inverse, et non des argumentations vaines et non concluantes comme font les « spé-
culateurs ». Ceux-ci, du domaine où l'on fait usage de la force et où ils savent être
ou craignent d'être inférieurs à leurs adversaires, s'obstinent à vouloir les attirer
dans le domaine où l'on fait usage de la ruse, et dans lequel ils savent de toute cer-
titude que personne ne peut se mesurer avec eux.
214716 Après les incidents de Saverne et les discussions auxquelles ils donnè-
rent lieu au Reichstag, une ligue se constitua, à Berlin, pour défendre l'organisa-
tion prussienne. Journal de Genève, 21 janvier 1914 La nouvelle Ligue prussienne
:
SOCIOLOGIE 86
1362 .
CHAPITRE XII § 2147
discours prononcés à l'assemblée d'hier méritent d'être lus avec attention. Ils sont
fort caractéristiques, dit le Temps, d'un certain état d'esprit qui règne à cette heure
dans les plus hautes sphères du pouvoir ". M. Rocke, président de la chambre
de commerce de Hanovre, prononça l'allocution d'ouverture ,, La Prusse, dit-il, :
est le rempart de l'empire. Cet empire ne doit donc pas se développer aux dépens
de la Prusse ". M. de Hej'debrandt prit ensuite la parole ,, Bien des gens, dit-il,
:
rôle du colonel de Reuter a été pour tous un réconfort. Il s'est conduit en Prussien
de vieille roche. Nous aurons de tels hommes tant que l'armée continuera d'être
monarchiste. Le jugement du 10 janvier fut un soufflet bien mérité à ceux qui
avaient parlé trop haut". Le général de Rogge lui succéda à la tribune. Il déplora
les tendances démocratiques de l'empire ,, La mission de la Prusse, dit-il, n'est
:
pas terminée. Il est nécessaire d'infuser au sang allemand une bonne dose de fer
prussien ". Un surintendant ecclésiastique, M. de Rodenbeck, a déclaré que la mis-
sion de la Prusse comme tutrice de l'Allemagne était voulue par la Providence. Il s'est
répandu ensuite en reproches contre les gens du bord du Rhin, ,, à qui le vin donne
trop d'esprit ". A la fin de la séance, l'assemblée accepta à l'unanimité la résolution
suivante ,, La première assemblée de la Ligue prussienne estime que certaines ten-
:
dances de notre temps cherchent à affaiblir par une démocratisation croissante de nos
institutions les fondements de la monarchie. La Prusse ne peut accomplir sa mis-
sion allemande que si elle est forte et que si elle est libre de toutes entraves que
pourrait lui imposer une trop étroite union avec l'empire. On doit repousser avec
énergie tous les assauts de la démocratie contre la Prusse et contre l'indépendance
des Etats confédérés. Il est donc impérieusement nécessaire que tous ceux qui veu-
lent défendre la Prusse contre les attaques de la démocratie s'unissent et travaillent
d'un commun accord " ».
21471' Le 4 décembre 1913, le Reichstag, après discussion sur les incidents de
§ 2147 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1863
ser de la logique : les mêmes Français qui déplorent les maux des
Alsaciens-Lorrains conquis par l'Allemagne, s'efforcent, sans s'en
apercevoir, de détruire la puissance militaire de leur propre pays,
c'est-à-dire de provoquer de nouvelles conquêtes allemandes. Ils
se plaignent d'un mal et veulent l'étendre. Le défaut de logique
disparaîtrait si, dans les dérivations, on devait sous-entendre cette
proposition : qu'elles visent non à l'utilité présente, mais à celle
de l'avenir, et cette autre proposition, que la conquête peut être
un mal temporaire et un bienfait futur. On a vu des exemples de
ce fait dans les conquêtes romaines ; il n'est donc pas impossible.
Reste à démontrer qu'il se produira effectivement. On pourrait
considérer aussi d'autres utilités, par exemple celles de certaines
Saverne, approuvait par :293 voix contre 5 un ordre du jour de blâme au chancelier
de l'Empire. Celui-ci ne se le tint nullement pour dit et resta à son poste l'orga- ;
comment la Gazette de Lausanne, 3 décembre 1913, résume les opinions des jour-
naux français, à ce sujet « I^a Petite République écrit
: ,, En saluant le départ
:
des ministres du cri de A bas les trois ans ! M. Vaillant a souligné d'une façon
bien humiliante pour plusieurs la signification du vote". —
L'fîc^azr dit qu'une
partie de la Chambre a voulu se venger du vote de la loi de trois ans en refusant
l'argent sans lequel l'effort de reconstitution militaire est irréalisable. Le Matin —
dit que les adversaires de M. Barthou lui rendront cette justice que sur la question
du crédit de la France, il est tombé avec honneur. Le Matin prévoit que le nouveau
cabinet sera un ministère d'entente et d'union républicaine. —
Le Gaulois dit que
la victoire de M. Caillaux, c'est la revanche du bloc sur le congrès de Versailles.
Demain peut-être ce sera sa revanche contre l'élu de ce congrès. —
La République
française réprouve le cri de A bas les trois ans ! Mais, dit-elle, il est logique que
ci.iux qui n'ont pas craint d'exposer la France à la ruine, la désarment devant l'in-
,, Toute faute se paie. Une longue série de défaillances politiques a causé des diffi-
cultés financières qui ne peuvent être résolues que si tous les républicains revien-
nent à la discipline et à l'abnégation " ». La conséquence fut que l'armée et la ma-
rine retombèrent sous la direction de ministres qui cherchaient beaucoup plus à
contenter une clientèle démagogique qu'à préparer la défense de la patrie.
1364 CHAPITRE XII § 2147
2147 18 Un autre exemple de dérivations très usitées est le suivant. Le but de cha-
cun des partis aux prises est d'obtenir des avantages et de soigner ses intérêts,
même en agissant à rencontre des règles généralement acceptées, que l'on veut fein-
dre de respecter. Voici comment on s'y prend. —
Du côté des révolutionnaires :
Premier acte. Tandis que se produit le conflit entre eux et la force publique.
Gelle-ci ne doit pas faire usage de ses armes elle doit laisser faire le «peuple», les
;
chose. En tout cas, ces délits, ou du moins la majeure partie d'entre eux, ne méritent
certainement pas la peine de mort, laquelle serait, au contraire, infligée à celui qui
aurait été frappé par les armes de la force publique. A qui jette des pierres, on ne
peut opposer des coups de fusil. [On a vu, en Italie, des gendarmes auxquels il était
défendu de faire usage de leurs armes, ramasser les pierres que leur avaient jetées
les grévistes, et s'en servir pour se défendre de la lapidation.] En somme, la force
publique ne peut qu'opposer une résistance patiente et passive. Avec de telles dériva-
tions s'affaiblissent les sentiments de ceux qui supporteraient difficilement l'impunité
totale des grévistes ou d'autres révolutionnaires qui frappent, parfois tuent et sacca-
gent. Deuxième acte. Après le conflit. Désormais, ce qui est fait, est fait. Une am-
nistie est nécessaire (la grâce est trop peu de chose), pour effacer tout souvenir de
discordes civiles, pour pacifier les esprits, par amour pour la patrie. La mémoire du
§2147 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1365
public n'est pas longue; il a bientôt oublié les crimes commis; celui qui est mort,
est mort, et celui qui est vivant fait à sa guise ; tàcbe d'avoir la paix, et mieux
il
pourra les renouveler quand bon lui semblera. Tel était le but des dérivations. — Le
lecteur prendra garde, pourtant, que dans ce cas comme dans le précédent, les déri-
vations ne sont pas la cause principale des phénomènes, mais qu'elles ne sont en très
grande partie que le voile sous lequel agissent les forces qui produisent les phéno-
mènes.
1366 CHAPITRE XII §2147
Aussi bien ceux qui préconisent l'état de choses latin que ceux qui
préconisent l'état de choses germanique, négligent entièrement le
détruite, dans une guerre avec ses ennemis. A cette effrayante catastroplie, nous
préférons le petit mal qui consiste à laisser impunis quelques actes arbitraires de
certains militaires. Nous ne voulons pas entrer dans une voie qui mène aux désas-
tres : principiis obsta ». Le point faible de ce raisonnement ne peut se trouver que
dans l'affirmation inévitablement, très probablement. En d'autres termes, il faut
que les adversaires démontrent par de bonnes raisons que l'analogie entre un mou-
vement possible en Allemagne et les mouvements effectivement observés, en Angle-
terre et en France, n'existe pas, et que l'Allemagne, entrée dans la voie de l'omni-
potence du Reisehstag, ne continuera pas jusqu'à l'état de choses latin, mais s'arrê-
tera en un point intermédiaire entre le présent état de choses latin et le présent
état de choses germanique. Mais opposer à ce raisonnement des principes abstraits
d'une foi quelconque est, au point de vue scientifiquo, aussi vain que recourir à
l'oracle de Delphes.
§ 2148-2149 FORME GENERALE DE LA SOCIETE 1367
dividu est donc représenté par le point h, et si l'on fait une section
verticale qui passe par h, on obtient la droite gl, qui est la section
du plan horizontal de projection, la
lions A, B, C,..., mus par les forces u, ,9, y,... La section verticale
est supposée faite selon hBT. La force /?, selon hB, provient de ce
que les hommes visent à un but imaginaire T ; et si cette force
cette croyance, est ensuite corrigé par les autres croyances qui
existent aussi dans la société^ (§ 1772, 2153). 4° Si d'une manière
en un troupeau de moutons dont ils seraient les bergers bien payés et très vénérés.
Les oppositions raisonnées à cette oppression et à cette exploitation demeurent sou-
vent vaines, parce que les gens s'effraient des discours absurdes de certains méde-
cins, comme le Malade imaginaire de Molière tremblait aux menaces du docteur
Purgon. On peut, au contraire, parfois opposer avec efficacité à ces discours absurdes
d'autres discours absurdes, tels que ceux de la christian science ou de la tnédecine
naturelle. En 1913, afin de ramener à l'obéissance les cantons suisses qui s'obsti-
naient à faire preuve d'indépendance, les médecins et leurs partisans proposèrent
une adjonction à la constitution fédérale, pour donner à l'autorité fédérale le pouvoir
d'édicter des lois sur un très grand nombre de maladies, même non contagieuses. A
la votation populaire, la presque unique opposition efficace fut celle des fidèles de la
!^ 2155 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1371
sur les ,, maladies fédérales" s'est heurté de même que dans la Suisse orientale à
une opposition silencieuse mais décidée. Deux ou trois districts du canton de Zurich
l'ont rejeté. C'est que le nombre est grand, dans cette région de notre pays, des par-
tisans des méthodes thérapeutiques naturelles, auxquels la science médicale officielle
ne dit rien qui vaille et qui en redoutent les empiétements. Ils craignent que la nou-
velle modification constitutionnelle n'ouvre la porte à des contraintes dont ils ne veu-
lent pas entendre parler, telles que la vaccination obligatoire ». Il se peut que ceux
qui sont opposés à la vaccination aient tort; mais lorsqu'on voit, en Italie, les parti-
sans de la vaccination aller jusqu'à faire un procès à un homme de science qui
expose honnêtement sur ce sujet une opinion scientifique, on est tenté de conclure
que les antivaccinistes accomplissent une œuvre sociale utile, en s'opposant à
l'œuvre de ceux qui voudraient imposer par le code pénal une science officielle.
1372 CHAPITRE XII ^ 2156-2160
tiennent sans détour la tlièse opposée : Il est faux [abus habituel des termes faux,
orai, dont on ne comprend pas la signification] dit M. de Giesebrecht, que la science
n'ait point de patrie et qu'elle plane au-dessus des frontières la science ne doit pas
:
être cosmopolite [autre abus du terme doit; que signifie-t-il? et si quelqu'un fait fi
§ 2161 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1373
c'est le Vaterland, la terra patrum, la terre des ancêtres, c'est le pays tel que les
ancêtres l'ont eu et l'ont fait. Ils n'en parlent que comme on parle d'une chose
sainte». C'est ainsi que les Athéniens parlaient du soleil, et ils furent pris d'une
grande indignation contre l'impiété d'Anaxagore, qui disait que le soleil était une
pierre incandescente. « (p. 9) L'érudition en France est libérale en Allemagne, elle
;
est patriote ». L'une et l'autre peuvent être utiles ou nuisibles au pays, mais elles
sont également différentes d'une érudition qui serait exclusivement expérimentale.
Sous l'impression de la guerre de 1870, Fustel de Coulanges écrit « (p. 16) Mais :
nous vivonsaujourd'hui dans une époque de guerre. Il est presque impossible que
la science conserve sa sérénité d'autrefois». Heureusement pour l'histoire scien-
tifique, Fustel de Coulanges fit preuve de cette sérénité dans beaucoup de ses
ouvrages, qui, de cette façon, se rapprochent assez de l'histoire expérimentale; et
nonobstant l'émotion qu'il éprouve, il a assez de force de caractère pour s'écrier :
«(p. 16) Nous continuons à professer, en dépit des Allemands, que l'érudition n'a
pas de patrie». Du reste, pour être exact, il faudrait dire «l'érudition scientifique»,
afin de faire bien ressortir la différence entre cette érudition et celle qui a un but
d'utilité sociale.
1374 CHAPITRE XII § 2162
imprimés par Dieu dans l'esprit de l'iiomme, peut sans autre les
d'énoncer cela, ni celui qui fait exclusivement une étude des phé-
nomènes sociaux sans établir une dépendance entre eux et les cas
de conscience. Mais celui qui mélange les deux études doit expri-
mer dans quel rapport il veut les placer quel pont il entend :
qui lui donna le pouvoir. Cela peut être ou non, suivant le sens
qu'on donnera au terme crime. Dans les rapports entre particuliers,
il est défini par le code pénal, par les lois, par la jurisprudence ;
observe que l'on se demande l'empereur Pierre fut tué par Orlof ou par Tieplof
si :
« (p. 190) Orlof ou Tieplof, la question peut paraître secondaire et de mince impor-
tance. Elle ne l'est pas. Si Tieplof a été l'instigateur du crime, c'est que Catherine
en a été la suprême inspiratrice. Car, comment admettre qu'il ait agi sans son con-
sentement? Il en va autrement pour Orlof. Lui et son frère Grégoire étaient, devaient
resterquelque temps encore maîtres jusqu'à un certain point d'une situation qu'ils
avaient faite... Ils n'avaient pas pris l'avis de Catherine pour commencer le coup
d'Etat ils peuvent bien ne pas l'avoir consulté cette fois encore ». Il importe beaucoup
;
cle résoudre ce problème pour porter un jugement éthique sur Catherine. Gela n'im-
porte pas le moins du monde, pour porter un jugement sur l'utilité sociale des
faits. Que le problème soit résolu dans un sens ou dans un autre, on ne voit pas
que cela puisse avoir le moindre rapport avec la prospérité de la Russie.
§ 2164 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1377
jugement; qu'on porte qui agit sur les événements, mais bien les
événements sur ce jugement, lequel est bienveillant ou sévère, selon
les sentiments que l'on éprouve, d'autre part, envers les personnes
sur plus de 55U références données dans les 140 pages de ï Anarchie spontanée,
M. Aulard relève 28 erreurs matérielles, qu'il faut réduire à 15, 6 erreurs de copie,
4 erreurs de pnge, 2 de dates et 3 coquilles d'impi'imerie —
moyenne honorable, en
somme, et que M. Aulard lui-même, au moins dans son livre sur Taine, est fort
loin d'atteindre, puisqu'il se trompe, dans ses rectifications, à peu près une fois
sur deux... (p. 17) Il [Taine] ouvrit le premier les cartons des archives, setrouvadans
une forêt vierge, prit à brassée les faits et les textes. Il n'eut pas le temps d'être
pédant, ni d'être complet. — Eut-il celui d'être exact? Ses amis n'osaient trop en
jurer. Ses adversaires le niaient d'abondance, par exemple M. Seignobos [lequel ne
sait pas distinguer de l'histoire scientifique les divagations de sa théologie démo-
cratique] ,, Taine,
: dit-il, est probablement le plus inexact des historiens de ce
lard. (Chaque fait avancé par Taine aura désormais deux garants la science de
:
SOCIOLOGIE 87
1378 CHAPITRE XII ^ 2165-2166
tis en lutte, et quelles seront les conséquences des différentes solutions que l'on
peut donner à la discussion, eu égard à l'organisation sociale et aux diverses utilités.
La force publique est employée dans tous les pays, pour imposer des mesures que
l'on peut diviser en deux catégories {A) Mesures favorables ou au moins indiffé-
:
({ue la résistance à la force publique est toujours nuisible à la collectivité, admet par ce
fait que l'un des deux cas suivants se réalise 1° que (A) ne peut jamais être séparé
:
de (B), et que l'utilité de (A) l'emporte sur le dommage de [B] 2° que (.4) peut tou-
;
jours être séparé de (Zi) autrement que par la résistance à la force publique. Cette der-
nière proposition est contredite par l'histoire. Un grand nombre de transformations
utiles ou très utiles aux sociétés humaines ont été obtenues seulement par la résis-
tance à la force publique, à laquelle on a opposé une autre force. Vice versa, qui-
conque envisage favorablement, dans tous les cas, la résistance à la force publique,
admet 1° que (.4) ne peut être en aucune façon séparé de {B), et que le dommage de
:
(B) l'emporte sur l'utilité de (.4) 2o que (A) ne peut jamais être séparé de {B) autre-
;
ment que par la résistance à la force publique. Même cette dernière proposition est
contredite par l'histoire, qui nous montre qu'un grand nombre de transformations
utiles ou très utiles aux sociétés humaines ont été obtenues autrement que par la
résistance à la force publique. Il suit donc de là que ces problèmes ne peuvent être
résolus a priori en un sens ou en l'autre, mais qu'il est nécessaire d'examiner quan-
titativement, en chaque cas particulier, de quel côté se trouve l'utilité ou le dom-
mage. C'est précisément un caractère des dérivations éthiques, de substituer à
priori, en ces cas, une solution unique et qualitative aux solutions multiples et
quantitatives que l'expérience donne à posteriori. C'est pourquoi les solutions éthi-
ques ont, auprès du vulgaire, plus de succès que celles de l'expérience, car elles sont
plus simples et plus faciles à comprendre sans une longue et fatigante étude d'un
grand nombre de faits (§ 214718).
1380 CHAPITRE XII i:i
2167-2169
d'y voir le fait général des différences entre les dérivations et les
résidus, ont recours à un jugement éthique sur ces hommes,
ils
par le joaillier qui lui vend un diamant faux, en lui faisant croire
qu'il est authentique? Cette, thèse est insoutenable. En réalité,
2169 Beaucoup de personnes ont dit et répété ce qu'exprime Barras dans ses
*
Mémoires, II « (p. 44(3) ...telle est l'illusion des passions, qu'en s'occupant le plus
:
d'un intérêt particulier, elles s'imaginent souvent qu'elles ne travaillent que pour
l'intérêt pujilic ».
1382 CHAPITRE XII P171-2173
2171. Il est évident que si le besoin d'uniformité (IV-/9) était
chaque individu irait pour son propre compte, comme font les
grands félins, les oiseaux de proie et d'autres animaux. Les socié-
tés qui vivent et qui changent ont donc un état intermédiaire entre
ces deux extrêmes.
2172. On peut concevoir une société homogène, où le besoin
d'uniformité est le même et correspond à
chez tous les individus,
l'état intermédiaire mentionné tout à l'heure mais l'observation ;
démontre que ce n'est pas le cas des sociétés humaines. Elles sont
essentiellement hétérogènes, et l'état intermédiaire dont nous
parlions existe parce que, chez certains individus, le besoin d'uni-
formité est très grand ; modéré, chez d'autres
chez d'autres il est
très petit, chez quelques-uns il peut même faire presque entière-
ment défaut, et la moyenne se trouve, non pas chez chaque indi-
vidu, mais dans la collectivité de tous ces individus. On peut ajou-
ter, comme donnée de lait, que le nombre des individus chez
dis qu'au contraire, pour l'utilité sociale, il est souvent bon que
ceux qui sont dans la classe dirigée et qui ont à agir, acceptent,
selon les cas, une des théologies celle qui impose de conserver les
:
mule qui donne l'image générale des faits que l'on observe. Si nous
traitions d'un passé très récent, nous devrions mettre ensemble les
transgressions des règles d'uniformité intellectuelles et celles de
l'ordre matériel. Le temps n'est pas éloigné où elles étaient mises
sur le même ou bien les premières estimées plus graves
pied,
que les secondes. Mais aujourd'hui, hormis certaines exceptions, ce
rapport est renversé, et les règles d'uniformité intellectuelles que
§2177 FORME GÉNÉKALK DE LA SOCIÉTÉ 1385
pas de celte loi, les réductions de peine, les grâces, les amnisties,
viennent à leur secours, de telle sorte qu'ils ont peu ou rien à
craindre des tribunaux (§ 2147 ''). Enfin, d'une façon à vrai dire
très indistincte, confuse, nébuleuse, l'idée apparaît qu'un gouver-
nement existant peut bien opposer une certaine force à ses adver-
saires, mais pas trop grande, et qu'il est toujours condamnable, si
l'emploi de la force est poussé au point de donner la mort à un
1386 CHAPITRE XII §2178
renards sont appelés à faire partie, tandis que les lions sont
repoussés (§ 2227). Celui qui connaît le mieux l'art d'affaiblir ses
adversaires par la corruption, de reprendre par la fraude et la
ont les mêmes dons, savent employer les mêmes artifices, et pour-
raient par conséquent être les chefs de ceux qui sont disposés à
faire usage de la violence. La classe gouvernée qui, de cette ma-
nière, demeure sans guide, sans habileté, sans organisation, est
presque toujours impuissante à instituer quoi que ce soit de
durable. 3" Ainsi, dans la classe gouvernée, les résidus de l'instinct
1388 CHAPITRE XII ^2179
21801 Les exemples du passé sont trop nombreux et trop connus, pour être cités
ici.Relevons seulement un exemple tout récent. En 1913, à Orgosolo, en Sardaigne,
certains citoyens subslituèrent leur action à celle de la justice, laquelle faisait
défaut. Le fait mérite d'être rapporté, parce qu'il est typique pour le passé, et
démontre comment, avec d'autres moyens et sous d'autres formes, il peut en être à
1390 CHAPITRE XII ^ 2180
au fur et à mesure que s'acharnent contre lui les efforts des soldats et des gendar-
mes lancés à sa poursuite, il donne une nouvelle preuve de sa force et de sa ven-
geance. Le crime d'aujourd'hui était prévu dans le pays dans l'une de mes entre-
:
vues avec Piredda Egidio, l'un des principaux persécutés, celui-ci m'avouait en
tremblant que chacun d'eux se levait le matin avec la frayeur de ne pas voir le soir :
vivres aux bandits par une arrestation en masse de la faction Gorraine, traîna
aux prisons de Nuoro tous les représentants les plus en vue de cette faction.
Et quand, devant la maison des Cossu, Medda Gorraine, la plus belle enfant d'Or-
gosolo, passait menottée entre les gendarmes, son imprécation contenait l'avertisse-
ment féroce et tragique qui a aujourd'hui son épilogue sanglant ,, Dieu vous mau- :
dira pour le mal que vous faites à notre famille, et il ne vous permettra pas de
jouir de cette vie d'infamie... " Et elle agitait, dans un geste inhumain d'impréca-
tion, ses poignets serrés par les menottes. Aujourd'hui, son frère recueille cette im-
précation et tue. Les assassins d'aujourd'hui sont les deux frères Giuseppe et Gio-
vanni Succu, de cette malheureuse famille qui peuple de dizaines de croix funéraires
le petit cimetière tranquille d'Orgosolo. Ils disparurent tous un à un, sous le plomb
infaillible des bandits. Le pays regarde en silence le carnage, et continue à envoyer
du pain, des munitions et de l'argent aux abili, comme "on les appelle, à ceux
qui vivent en sauvages dans le bois, respirant la vengeance». Peu de temps après,
le même journal (9 octobre 1913) publie une conversation avec un « haut person-
nage» elle explique bien le phénomène « La haine profonde qui divise les familles
;
:
§ 2180 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1891
connues d'Orgosolo, et qui fut iléjà cause de tant de crimes, provient d'un ensemble
de causes. Pour être clair, commençons par spécifier que les familles « menacées »
sont les familles Cossu, Pinedda, Podda et Pisano, et que celles auxquelles appar-
tiennent et que favorisent les défaillants, sont les familles Succo, Corraine, Moro, De
Vaddis. [Ces noms ne correspondent pas précisément à ceux qui sont indiqués plus
haut, mais cela n'a que faire avec le fond des faits, qui seul nous importe.] Et les causes
qui ont vraiment et immédiatement déterminé les crimes ? — Voici. La cause pre-
mière et la plus reculée doit être cherchée dans une obscure question d'héritage, au
sujet de. laquelle il est désormais trop difficile de se retrouver. Mais une cause grave
et moins lointaine fut la suivante. Une demande en mariage faite au nom d'une
jeune fille des Cossu fut refusée par les Corraine. Peu de temps après, l'affront était
rendu un jeune homme du ,, second groupe" de familles, lequel avait demandé la
;
main d'une jeune fille du ,, premier groupe ", fut également refusé. La haine com-
mença à s'allumer violente. Mais peu de temps après, ce fut pis l'un des Corraine
:
fut trouvé noyé dans un puits. Ensuite d'une instruction dans les formes, la police
secrète et la police judiciaire admirent d'une manière concordante que Corraine
s'était suicidé mais les Corraine et leurs partisans estimèrent et estiment encore
;
que leur parent avait été assassiné par leurs ennemis, et que l'autorité, pour proté-
ger les Cossu, avait inventé la petite histoire du suicide. — Tristes suggestions de
la passion ! —
Mais il est une autre suggestion, je ne dis pas plus triste, mais
encore plus étrange. Dans un conflit entre les gendarmes et les défaillants, un De
Vaddis fut tué. Eh bien, les De Vaddis et leurs partisans estimèrent et estiment
encore que leur parent fut tué par le ,, groupe " des Cossu, et que Tautorité, tou-
jours pour protéger les Cossu, avait inventé cette fois le conflit avec les gendarmes.
— Mais pourquoi, même dans l'idée erronnée des Corraine et des autres, l'autorité
protégerait-elle les Cossu ? —
Parce que les Cossu étaient la plus vieille et la plus riche
famille d'Orgosolo. Je dis « étaient », parce que maintenant la famille est détruite, hom-
mes et biens, et que le vieil Antonio Cossu a dû se réfugier à Nuoro où, pour le pro-
téger, sa maison est constamment gardée par des gendarmes de planton. Continuons.
Le ,. groupe " des Corraine avait donc désormais à venger, outre les olïenses
anciennes, deux offenses nouvelles ses deux morts; car aucune force de persua-
:
sion n'arrivera jamais à ôter de la tète aux Corraine que leurs deux parents n'ont
pas été assassinés par leurs ennemis. Alors commença la terrible œuvre de ven-
geance les écuries et les bois brûlés, le bétail dérobé et coupé aux jarrets, les
:
nes. Le groupe des Corraine frémit, et crut à une nouvelle machination de l'auto-
rité, parce que tous les gens arrêtés étaient des siens. Et en cela non plus, personne
ne réussit à les persuader que les complices des méfaits commis par eux ne pou-
vaient certainement pas être recherchés dans le groupe des familles ennemies, qui,
désormais terrorisées, n'osaient plus sortir de chez elles. —
Et les arrestations
furent-elles maintenues ? —
Oui. L'autorité judiciaire, après une longue et minu-
lieuse instruction, conclut à les renvoyer en jugement pour « association en vue de
commettre un crime». Ce fut le coup final qui déchaîna la fureur. Les deux mois
que dura l'instruction furent deux mois de trêve on n'entendit pas parler des
:
défaillants, aucun attentat ni aucun vol ne furent commis dans la campagne. Evi-
demment, le groupe qui était à la tête des gens arrêtés espérait que les arresta-
tions ne seraient pas maintenues, et ne voulait pas indisposer les juges. Mais à
peine eut-on connaissance du renvoi en tribunal, que la tempête éclata... — Et mal-
1392 CHAPITRE Xll §2180
pays eut subi le meurtre, les rapines et les pillages des Européens,
durent, pour comble, leur payer une indemnité, tandis que les
Japonais, vainqueurs des Russes, se font respecter de tout le
monde. Il y a quelques siècles, l'habileté diplomatique consommée
giano poursuit ainsi son rapport sur le déni de justice. L'histoire enseigne que le
défaut et la faiblesse des organes juridictionnels est un retour, lent peut-être, à des
époques reculées de barljarie que la teppa, la camorra, la maffia, le brigandage,
:
directement la dignité de notre ordre :si une partie du publie est capable de
<;oraprendre que ce n'est pas par incapacité ou par inactivité des juges que se
développe le germe funeste du déni de justice, la majorité n'hésite pas à l'attribuer
généralement à la paresse, à l'incompétence ou au mauvais vouloir des personnes».
Le public croit aussi, et avec raison, que souvent l'intromission des politiciens et
du gouvernement qui les protège, enlève aux sentences des tribunaux tout caractère
de droit et de justice. Dans les cas très graves, les fiers et énergiques habitants de
la Sardaigne et de la Sicile s'arment d'un fusil, tandis qu'en des cas semblables,
les populations plus doyces du continent courbent la tête. C'est ainsi que même
parmi des populations très civilisées, la justice privée commence à se substituer à la
justice publique. — La
Liberté, 3 novembre 1913 « Le geste fatal. C'était à pré-
:
ses deux fils d'avoir tué leur mère, dont on avait trouvé le cadavre dans un puits
avec une corde au cou le jury venait de déclarer l'accusé non coupable et la cour
;
de prononcer son acquittement, lorsque le plus jeune des fils accusateurs se préci-
pite vers son père et le blesse d'un coup de revolver en s'écriant ,, La Justice peut
:
acquitter ce coquin, moi, jamais! " Cris, tumulte; les assistants se jettent sur le
Justicier volontaire et s'appi'êtent à le lyncher; les gardes parviennent à l'arracher
aux mains de la foule et le conduisent en prison, tandis que l'acquitté, dont la bles-
sure est légère, va signer la levée d'écrou et est remis en liberté. ...En plein pré-
§2180 FORME GÉNÉUALE DE LA SOCIÉTÉ 1393
rer l'attention de tous les honnêtes gens qui s'imaginent encore vivre dans une
société organisée. N'hésitons pas à le dire: si de pareils faits sont possibles, la
faute en est sans contestation aux innombrables acquittements que prononce le jury
dans des cas où une répression s'impose. Nombre de ces acquittements ont fait
scandale et donné une singulière valeur à la parole de cet avocat qui, résumant une
longue expérience, déclarait que, ,, coupable, il ne voudrait pas d'autre juridiction
que le jury"». L'auteur n'a raison qu'en partie. La «faute» — nous dirons mieux
la cause — de ces faits ne doit pas être recherchée uniquement dans le jury. Sou-
vent les magistrats font encore pis. Elle ne doit pas non plus être recherchée exclu-
sivement dans l'organisation judiciaire, laquelle vaut ce que valent les hommes qui
la mettent en œuvre. Elle dépend principalement de ce que, par un concours de
nombreuses circonstances, l'autorité publique abandonne son office d'assurer la
justice.
21802 Appiani de bellis civiL., 104, raconte qu'après avoir abdiqué la dic-
lib. I,
tature, respecté encore par tout le monde, à cause de la crainte qu'il continuait à
inspirer, Sulla ne fut insulté que par un jeune homme auquel il dit « que cet
:
SOCIOLOGIE 88
1394 CHAPITRE XII ^ 2181-2182
qui, par son veto, croyait pouvoir arrêter la Révolution : c'était l'il-
avec des baïonnettes, excepté s'asseoir dessus » mais ils ne nous disent pas si,
;
2180* Aulard; Hist. pol. de la rêv. franc. : «(p. 177) Le 29 novembre [1791],
l'Assemblée législative décréta, entre autres mesures, que les ecclésiastiques qui
avaient refusé d'accepter la constitution civile seraient tenus de prêter, dans la hui-
taine, le serment de tidélité à la nation, à la loi et au roi, ou serment civique...
Le roi ne voulut pas donner sa sanction à ce déci'et... De même, le veto royal s'était
opposé à un décret du 9 novembre, par lequel étaient menacés de la peine de
mort les émigrés qui ne rentreraient pas et continueraient à conspirer contre la
patrie... Une subtile politique d'attente, d'intrigue au dedans et au dehors, était
masquée par un ministère sans cohésion, sans programme, où il y (p. 178) avait des
intrigants, des contre-révolutionnaires décidés... (p. 179) Le roi se résigna à licen-
cier sa garde, mais il refusa sa sanction aux décrets sur les prêtres et sur le
camp... ». Sulla avait une autre politique. Il se souciait peu d'offenser les dieux
des temples, qu'il dépouillait pour entretenir ses soldats, et n'obéissait pas au
Sénat, qui voulait lui enlever les légions. Duruy observe avec justesse que lorsque
Sulla marcha sur Rome, « (t. II, p. 576) du moment qu'il se décidait à tirer l'épée
contre des gens qui n'avaient qu'un plébiscite pour se défendre, le succès était cer-
tain ». Plus tard, Jules César aussi s'en remit à l'épée contre les décrets du Sénat,
et eut la victoire. M. Aulard, qui certes ne peut être suspecté de favoriser la monar-
chie, avoue qu'après la manifestation du 20 juin 1792, «(p. 187) il y eut dans la
classe bourgeoise et dans une partie de la France une recrudescence de royalisme.
Vingt mille pétitionnaires et un grand nombre d'administrations départementales
protestèrent contre l'insulte faite à la majesté royale, insulte que l'on présenta
comme une tentative d'assassinat ». Il fallait autre chose que des pétitions! C'était
des armes qui étaient nécessaires. Mais messieurs les humanitaires ont-ils donc
l'esprit si obtus qu'ils ne comprennent rien à Ihistoire? Puis M. Aulard nous rap-
porte l'histoire du célèbre «baiser Lamourette » (7 juillet 1792), et conclut
« (p. 188) Ainsi tous les défenseurs du système bourgeois se trouvaient groupés
battre, le courage de tomber dans la bataille, les armes à la main... rien d'autre.
« (p. 189) On a vu qu'elle [l'assemblée législative] avait dissous la garde du roi, et le
roi avait sanctionné ce décret. Après avoir ôté au roi ses moyens de défense contre
une insurrection populaire, elle avait elle-même cherché à former une force mili-
taire pour déjouer les projets du roi ou de la cour». Ensuite il arriva ce qui est
toujours arrivé celui qui savait faire usage de la force vainquit celui qui ne savait
:
pas s'en servir et ce fut alors un bonheur pour la France, ainsi qu'il en avait été
:
pour d'autres pays par le passé car la domination des forts, est généralement
;
corruption.
2184. En somme, ces dérivations expriment surtout le senti-
ment de ceux qui, cramponnés au pouvoir, veulent le conserver,
et aussi le sentiment beaucoup plus général de l'utilité de la stabi-
lité sociale. Si, dès qu'une collectivité, petite ou grande, n'était pas
mais ces théories, ou bien n'ont aucun effet, ou bien n'ont que
celui d'affaiblir la résistance des gouvernants, laissant le champ
libre à la violence des gouvernés ; aussi pouvons-nous nous
borner à considérer d'une façon générale le phénomène sous la
première forme.
§ 2186-2187 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1397
pas la peine de mort (§ 2147 "). Les jugements des tribunaux sont
flétris comme étant des «jugements de classe»; en tout cas, ils
l'effet des règles existant dans une société, et, en général, son
que les B ont bien le courage et les instruments, mais l'art de s'en
servir leur fait défaut. Si les B viennent à trouver des chefs qui
possèdent cet nous enseigne qu'habituellement ils
art, et l'histoire
leur viennent de dissidents des A, ils ont tout ce qu'il faut pour
remporter la victoire et chasser du pouvoir les A. Nous en avons
des exemples innombrables dans l'histoire, depuis les temps les
plus reculés jusqu'aux nôtres *.
2190' Presque toujours, le fait d'avoir étudié ces phénomènes au point de vue
éthique a empoché les auteurs de voir les uniformités que ces phénomènes présen-
tent pourtant d'une manière évidente. Quand un historien raconte une révolution,
son principal souci est de rechercher si elle est « juste » ou « injuste» et comme ces
;
termes ne sont pas définis, cette recherche se confond avec celle de l'impression que
l'auteur éprouve de la connaissance des faits. Dans l'hypothèse la plus favorable, si
l'auteur n'a aucun préjugé auquel il subordonne délibérément l'histoire, il se
laisse guider par certaines conceptions métaphysiques au sujet du «juste» et
de r «injuste», et il décide suivant ces conceptions. Mais plus souvent, il a une
foi qui ne laisse aucune place au doute. S'il est favorable à la monarchie ou à l'oli-
garchie, il donne toujours « tort » au peuple qui s'insurge et vice versa, s'il est
;
tuent plusieurs et, à vrai dire, ils accomplissent ainsi une œuvre
;
aussi utile que celle qui consiste à détruire des animaux nuisi-
bles. Les B apportent avec eux, au gouvernement de la société, une
grande somme de persistance des agrégats. Il importe peu ou point
que ces persistances d'agrégats soient différentes des anciennes:
il importe seulement qu'elles existent (§ 1744, 1850), et que, grâce à
dira que celui-ci est poussé à s'insurger par les machinations des démagogues s'il ;
est favorable au peuple, il dira qu'il est mu par l'oppression intolérable de la classe
gouvernante. Que de papier et d'encre n'a-t-on pas employés à répéter sans fin ces
inutiles billevesées !
1402 CHAPITRE XII §2191
•2191 ' Les détracteurs de la révolution française l'accusent d'avoir fait largement
emploi de la force; ses admirateurs s'efforcent d'excuser cet emploi. Les uns et les
autres ont raison, s'ils cherchent à trouver des dérivations, lesquelles agissent sur
les gens qui éprouvent une répugnance instinctive, et non raisonnée, pour les
souffrances (résidus IV-y 2). Ils se trompent, s'ils ont objectivement en vue les
conditions de l'utilité de la société et, à ce point de vue, il faut reconnaître que
;
21931 Q SoREL, Réflexions sur la violence, a fort bien montré la vanité de ces
dérivations « (p. 91) On éprouve beaucoup de peine à comprendre la violence proléta-
:
rienne quand on essaie de raisonner au moyen des idées que la philosophie bour-
geoise a répandues dans le monde suivant cette philosophie, la violence serait un
:
reste de la barbarie et elle serait appelée à disparaître sous l'influence du progrès des
1404 CHAPITRE XII § 2194
lumières... (p.9'^) Les socialistes parlementaires ne peuvent comprendre les fins que
poursuit la nouvelle école ; ils se figurent que tout le socialisme se ramène à la
recherche des moyens d'arriver au pouvoir ». Ces socialistes-là sont en train de
s'assimiler à la classe gouvernante, et le nom de transformistes qu'ils prennent
quelquefois correspond assez bien au fond du phénomène. « (p. 93) Une agitation,
savamment canalisée, est extrêmement utile aux socialistes parlementaires, qui
se vantent, auprès du gouvernement et de la riche bourgeoisie, de savoir modérer
la révolution ;ils peuvent ainsi faire réussir les affaires financières auxquelles
ils (p. 94) s'intéressent, faire obtenir de menues faveurs à beaucoup d'électeurs
influents [et en Italie, faire distribuer de l'argent aux coopératives]... (p. 271) La
férocité ancienne tend à être remplacée par la ruse, et beaucoup de sociologues esti-
ment que c'est là un progrès sérieux quelques philosophes qui n'ont pas l'habi-
;
tude de suivre les opinions du troupeau, ne voient pas très bien en quoi cela cons-
titue un progrès au point de vue de la morale, (p. 83) Il ne manque pas d'ouvriers qui
comprennent parfaitement que tout le fatras de la littérature parlementaire ne sert qu'à
dissimuler les véritables motifs qui dirigent les gouvernements [ce sont des dériva-
tions]. Les protectionnistes réussissent en subventionnant quelques gros chefs de
parti [et môme des petits, non seulement avec de l'argent, mais aussi eu leur pro-
curant des satisfactions d'amour propre, des éloges dans les journaux, des hon-
neurs, le pouvoir] en entretenant des journaux qui soutiennent la politique de ces
chefs de parti les ouvriers n'ont pas d'argent, mais ils ont à leur disposition un
:
qu'elle fut chassée du pouvoir par une autre classe, qui savait et
nus, mais aussi parce qu'il semble très probable que les dérivations
françaises ont été plus nombreuses. Si Octave avait continué à être
le défenseur du Sénat, peut-être aurait-il fait une consommation
blable se produisit en France, pour Napoléon P"" mais avant lui, les
;
2200 1 Ces trois hommes étaient ennemis, mais chacun d'eux disposait de légions ;
le Sénat n'en avait pas. Par conséquent les triumvirs se persuadèrent facilement qu'il
leur était avantageux de se mettre d'accord, et de faire payer les frais de l'accord
aux partisans du Sénat. A ce propos, Duruy remarque Duruy Hist, des Rom.,
: ;
t. III :« (p. 458) Par cette inexorable fatalité des expiations historiques que nous
avons si souvent signalée dans le cours de ces récits, le parti sénatorial allait subir
la loi qu'il avait faite au parti contraire [l'auteur passe prudemment sous silence les
proscriptions de Marins]. Les proscriptions et les confiscations de Sylla vont recom-
mencer mais c'est la noblesse qui payera de sa tête et de sa fortune le crime des
,
ides de mars et le souvenir des tlots de sang dont, quarante années auparavant,
l'oligarchie avait inondé Rome et l'Italie». Si Duruy était un fidèle de luppiter
optimus maximus on comprendrait facilement à qui il confie le soin de réaliser
,
cette «inexorable fatalité »: mais comme il ne recourt pas à des considérations théo-
logiques de cette sorte, il faut croire que cette «fatalité » est une entité métaphy-
sique, laquelle, à vrai dire, semble fort mystérieuse, en elle-même et dans ses mani-
festations. Toutefois, les personnes qui désireraient en avoir quelque notion la
trouveront chez les auteurs anciens qui racontent les faits dont parle Duruy.
Appian. De bellis civ., IV, 3. Après avoir conclu le pacte entre eux, les triumvirs
;
décidèrent « de promettre aux soldats, comme prix de la victoire, outre les cadeaux,
dix-huit villes italiennes à occuper comme colonies, qui seraient excellentes par
leur opulence, leur sol, leurs édifices, et qui seraient partagées entre les soldats,
fonds ruraux et édifices, comme si elles avaient été conquises à la guerre ». Gfr. D(o
Cass. ; XLVI, 56. — Tac; Ann., I, 10. — Paterg. II, 64.
;
— Flor. IV, 6. Ne
;
serait-ce pas le cas d'expliquer ainsi quelle est la belle entité de Duruy : payer,
acheter ceux qui constituent la force, et s'en servir à son propre avantage ? Cette
entité doit avoir enfanté, car celle qui protège nos politiciens, lorsqu'ils s'assurent
le pouvoir en achetant les électeurs, semble bien être une de ses descendantes.
1408 CHAPITRE XII ^2201
parte, rendu fort par ses troupes victorieuses. A son tour, le pou-
voir de Bonaparte dura jusqu'à ce qu'il fût écrasé par la force plus
grande des armées coalisées. De nouveau, voici que se succèdent,
en France, des gouvernements, qui tombent parce qu'ils ne veu-
lent pas, ne savent pas, ne peuvent pas se servir de la force S
2201" E. Ollivier; L'emp. lib., t, XVI : «(p. 1) L'étude des faits dans l'His-
§ 2202-2203 forme générale de la société 1409
toire m'a amené à cette conviction expérimentale qu'aucun gouvernement n'a été
anéanti par ses ennemis les ennemis sont comme les arcs-boutants des églises
;
gothiques ils soutiennent l'édifice. Il n'y a pour les gouvernements qu'une ma-
:
nière de périr le suicide ». C'est un peu trop absolu. Il y a des gouvernements qui
:
peuvent succomber en présence d'une force qui l'emporte. C'est ce qui arriva à
Pompée, à Charles I^^ d'Angleterre, à tant d'autres qu'il est inutile de rappeler.
« Depuis 1789. tous les pouvoirs se sont détruits eux-mêmes les Constituants
:
s'excluent de leur œuvre; les Girondins se livrent; les Jacobins s'anéantissent entre
eux; les principaux Directeurs mettent leur République aux enchères Napoléon I" ;
SOCIOLOGIE 89
1410 CHAPITRE XII § 2204-2206
sur (a), (b), (c). D'après ce que nous avons exposé aux chapitres
précédents, on voit que la combinaison (I) donne une partie très
importante du phénomène social et peut-être en avaient-ils quel-
;
combinaison (1), par laquelle (a) agit de nouveau sur (d), et ainsi de
suite. Par conséquent, une variation de (a), en vertu de la combi-
naison (I), fait varier les autres éléments (b), (c), {d). Uniquement
afin de nous entendre (§ 119), nous donnerons le nom d'effets immé-
diats à ces variations de (a), (b), (c), (d), provoquées par la com-
société est une conséquence de tous ces effets, de toutes ces actions
et réactions. Il est donc différent d'un état d'équilibre théorique
22071 Nombre
d'économistes littéraires sont portés à considérer exclusivement
le cycle (b), (c
(c), )
—
b). De l'étude des intérêts (b), dont s'occupe leur science,
(
ils tirent certaines conclusions {c), et croient ensuite que par la diffusion des doc-
trines (c), on pourra modifier l'activité économique (b). Un exemple très important
est celui du libre échange. De l'étude du phénomène économique (b), on tire la
démonstration {c) de l'utilité du libre échange. Cette docti'ine (c), étant ensuite
répandue, doit modifier le phénomène économique {b). et faire instituer réellement
le libre écliange. En général, quand les économistes se trouvent en présence de
quelque sentiment (a) qu'ils doivent considérer, ils ont coutume de supposer que ce
sentiment existe par vertu propre, sans rapport avec {b). Par exemple le « juste » et
r« injuste» sont absolus, et non en rapport avec {b). Marx se rapprocha beaucoup
de la science logico-expérimentale, en remarquant le rapport entre (a) et (b) mais ;
il se trompa en croyant que ce rapport était entre la cause (b) et Ve/fet (a), tandis
que si (b) agit sur (a), cet élément réagit, à son tour, sur {b). Parmi les nombreuses
causes pour lesquelles la combinaison IV est très souvent négligée, il faut ranger
celle-ci on considère des sentiments, des intérêts, des dérivations, d'une manière
:
les bas prix comme un bien pour la population, tandis que ceux
avaient toutes les deux peu ou point de valeur, car elles partaient
d'une analyse incomplète du phénomène ^ On fit un grand pas en
avant dans la voie scientifique, lorsque, grâce aux théories de l'éco-
nomie mathématique, on put démontrer qu'en général la protec-
tion a pour conséquence directe une destruction de richesse ". Si
l'on pouvait ajouter la proposition, admise implicitement par un
grand nombre d'économistes, suivant laquelle toute destruction de
richesse est un « mal », on pourrait logiquement conclure que la
protection est un « mal » ^ Mais pour admettre cette proposition, il
22081 Les dérivations suivantes ont aussi été très en usage. Se plaçant dans le
domaine de l'éthique, les libre-échangistes disaient la protection est un mal, parce
:
qu'elle dépouille les non-protégés en faveur des protégés. Les protectionnistes répli-
quaient On peut supprimer le mal en protégeant également tout le monde. A quoi
:
par conséquent, vous vous contredisez, si vous parlez de protection égale pour tout
le monde. Si elle était possible, la cause pour laquelle vous êtes protectionnistes
disparaîtrait. Quand vous parlez de protection égale pour tout le monde, vous entendez,
bien que vous ne le disiez pas, une protection égale, non pas pour tous les citoyens,
parmi lesquels se trouvent les simples possesseurs d'épargne, mais pour toute une
classe de citoyens, laquelle sera composée d'un nombre plus ou moins considérable de
producteurs industriels et agricoles. C'est précisément cela que nous estimons nuisible
au pays». A quoi les protectionnistes auraient dû répliquer: « Les faits sont bien tels
que vous les décrivez nous visons pi-écisément à transporter la richesse, d'une partie
:
des citoyens à une autre partie. Nous savons que cette opération coûte une certaine
destruction de richesse cependant nous l'estimons utile au pays ». Après cela, l'ex-
;
on lit «(p. Vil) .. Il se trouve par-ci pai'-là dans le Cours des procédés erronés.
:
Ces erreurs proviennent de deux sources principales. La première est une synthèse
incomplète, ayant pour but de revenir de l'analyse scientifique à la doctrine con-
crète [c'est précisément pour avoir reconnu la nécessité d'une synthèse moins
incomplète, que l'auteur a été amené à entreprendre le long travail dont les résul-
tats sont exposés dans le présent ouvrage]. L'auteur a remarqué la nécessité de
cette synthèse complète mais ensuite, sans s'en apercevoir, il l'a parfois négligée
;
faut prendre garde à d'autres conséquences sociales de cette organisation [mais pour
cela, il était nécessaire d'avoir une théorie du genre de celle que nous exposons ici],
et ne se décider qu'après avoir accompli cette étude. Je crois que l'auteur du Cours
aurait aussi donné cette réponse. L'erreur n'est donc pas proprement explicite mais ;
l'auteur s'exprime souvent comme si, en réalité, le libre-échange était bon dans tous
les cas, et la protection dans tous les cas mauvaise. Ces affirmations supposent
que l'on part de quelque proposition entachée de l'erreur indiquée ».
§ 2209 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1415
traire, l'effet statique est moins considérable pour les gains des
industriels que pour ceux des agriculteurs il accroît les rentes de
;
sur les résidus, peu sur les intérêts, un peu sur l'hétérogénéité
sociale (d), parce que dans toute société, les gens habiles à louer
les puissants peuvent s'introduire dans la classe gouvernante.
Schmoller n'aurait peut-être pas été nommé à la Chambre des Sei-
gneurs de Prusse, s'il avait été libre-échangiste. Vice versa, les
libre-échangistes anglais ont obtenu les faveurs du gouvernement
§2212-2215 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1417
dit «libéral». Nous avons ainsi des effets indirects en dehors des
catégories. Les intérêts (b) ont agi sur les dérivations (c), et celles-ci
agissent sur l'hétérogénéité sociale (d).
22 1 2. Combinaison IV. Ici, nous avons de nouveau des effets très
nous remarquons le fait suivant. Une fois que, grâce à cette protec-
tion, les intérêts ont porté dans la classe gouvernante des hommes
largement pourvus de résidus de la h classe, ces hommes agissent
à leur tour sur les intérêts, et poussent la nation entière vers les
occupations économiques, vers l'industrialisme. Le phénomène est
si remarquable qu'il n'a pas échappé, même à des observateurs
son tour, agit sur les intérêts. Ainsi, par une suite d'actions et de
réactions, il s'établit un équilibre où deviennent plus intenses la
production économique et la circulation des élites. La composition
de la classe gouvernante se trouve ainsi profondément modifiée.
2217. L'augmentation delà production économique peut être
telle qu'elle surpasse la destruction de richesse produite par la
analogues, qui se sont en tout cas beaucoup évanouis, en même temps que s'éva-
nouissait la cause dans le nouveau royaume. Il suit de là que la protection agricole
favorable à ces classes de propriétaires, a des effets bien différents en Allemagne et
en Italie, car il manque, en Italie, une classe correspondant à celle des Junker
prussiens.
1420 CHAPITRE XII § 2220-2221
comme mode normal d'ahrogation des Constitutions « (p. 108) C'est en vérité plus
:
qu'une tradition française, c'est une tradition latine. Chacun songe à l'Espagne,
terre classique des pronunciamentos au Portugal, où la dictature vient périodi-
,
^ 2222-2223 forme générale de la société 1421
des fruits qui, une fois mûrs, sont cueillis par la main de l'homme
ou tombent naturellement à terre de toute façon ils sont détachés
:
quement rétablir Tordre compromis par l'application même d'une Constitution mal
adaptée au tempérament national, aux Républiques sud-américaines enfin, où l'on
pouvait, en 1894, sur dix-sept Présidents, en compter onze issus d'une révolution
ou d'un coup d'Etat ».
1422 CHAPITRE XII §2224-2225
est en grande
très partie belliqueux meurt de consomption. Un cas
exceptionnel fut celui de la Rome antique, où, durant de longues
années, on put observer les effets médiats des guerres de conquête.
Mais cela se produisit d'abord parce qu'il fallut longtemps pour
que la matière qui alimentait les conquêtes vînt à manquer; ensuite
parce que celles-ci n'étaient pas seules à faire la prospérité maté-
rielle de Rome : des commerces et des industries n'y contribuaient
pas peu. De la sorte, on atteignit le maximum de prospérité vers la
fin de la République et le commencement de l'Empire; puis vinrent
à manquer en même temps les peuples riches à conquérir et à ex-
d'hui, ils procurent le luxe à la démocratie ; souvent ils peuvent être utiles à tout
et
le pays. Les premiers effets de leur arrivée au pouvoir sont donc utiles à un grand
nombre de gens, et renforcent la classe gouvernante mais ensuite, peu à peu, ils
;
agissent comme des vers rongeurs, détruisant dans cette classe les éléments riches
en résidus de la persistance des agrégats et capables d'user de la force. C'est ainsi
que les « spéculateurs » (| 2235), en France, pr(''parèrent le triomphe de la monarchie
absolue, puis sa ruine (|2383')- Aujourd'hui, en plusieurs pays, ils ont contribué au
triomphe du régime qu'on appelle u démocratique », et qui s'appellerait plus propre-
ment régime de ploutocratie démagogique maintenant, ils sont en train de préparer
;
la ruine de ce régime.
§ 2228 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1425
ils vainquent par l'or, et non par le fer. C'est pourquoi ces peuples,
trouve pas dans son propre pays, elle doit le chercher à l'étranger,
comme c'est le cas des Etats-Unis d'Amérique, qui font une si abon-
dante consommation de l'épargne européenne. La classe gouver-
nante française trouve dans son propre pays l'épargne dont elle a
besoin, et qui est produite en grande quantité surtout par la
femme, chez laquelle les résidus de la persistance des agrégats sont
encore prépondérants. Mais si les femmes françaises deviennent
semblables aux américaines, et s'il n'y a pas quelque compensation,
ilpourra se produire une diminution considérable de la quantité
d'épargne que la France fournit à sa classe gouvernante et à d'au-
tres pays (§2312 et sv).
2229. Nous devons remarquer ensuite qu'en l'état actuel des
sciences sociales, non encore parvenues à l'état de sciences logico-
expérimentales, la prédominance des résidus de la I^ classe est pro-
prement la prédominance, non seulement des intérêts, mais aussi
de dérivations, de religions intellectuelles, et non de raisonnements
scientifiques. Souvent ces dérivations s'écartent de la réalité beau-
coup plus que les actions non-logiques du simple empirique. Quand
la chimie n'existait pas encore, un empirique connaissait mieux la
teinturerie qu'une personne dominée par les élucubrations théori-
ques qui se manifestent par la magie et autres semblables billeve-
sées. Comme les mandarins chinois, les « intellectuels » européens
sont les pires des gouvernants; et le fait que les «intellectuels »
européens ont joué un rôle moins important que les mandarins,
dans le gouvernement de la chose publique, est une des si nom-
breuses causes pour lesquelles le sort des peuples européens fut
différent de celui du peuple chinois. C'est aussi l'une des raisons
pour lesquelles le peuple japonais, guidé par ses chefs féodaux, a
tellement dépassé en puissance le peuple chinois. Il est certain que
les « intellectuels » peuvent être éloignés du gouvernement, même
là où, dans la classe gouvernante, les résidus de l'instinct des com-
binaisons sont prépondérants. Venise eut ce bonheur singulier;
mais, en général, la prédominance des résidus de l'instinct des
combinaisons, dans la classe gouvernante, porte celle-ci à faire
largement appel aux « intellectuels », qui sont, au contraire,
repoussés des classes où prédominent les résidus de la persistance
des agrégats : les « préjugés », pour parler le jargon de nos huma-
nitaires.
2230. Nous avons indiqué (§ 2026 et sv.) une classification gé-
§2231 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1427
nérale des couches sociales, et nous avons aussi fait allusion (§2052)
aux rapports entre cette classification et celle des aristocraties. Le
sujet n'est pas épuisé ; il peut donner lieu à un grand nombre
d'autres considérations, parmi lesquelles il en est une d'ordre éco-
nomique, très importante.
2231. On a confondu, et l'on continue à confondre, sous le nom
de capitalistes^, d'une part les personnes qui tirent un revenu de
leurs terres et de leurs épargnes, d'autre part les entrepreneurs. Cela
nuit beaucoup à la connaissance du phénomène économique, et en-
core plus à celle du phénomène social. En réalité, ces deux catégo-
ries de capitalistes ont des intérêts souvent différents, parfois oppo-
sés. Ils s'opposent même plus que ceux des classes dites des « capi-
talistes » et des (( prolétaires » ^. Au point de vue économique, il est
avantageux pour l'entrepreneur que le revenu de l'épargne et des
autres capitaux qu'il loue à leurs possesseurs soit minimum ; il est,
au contraire, avantageux à ces producteurs qu'il soit maximum.
Un renchérissement de la marchandise qu'il produit est avanta-
geux à lentrepreneur. Peu lui importe un renchérissement des
autres marchandises, s'il trouve compensation dans les avantages
de sa propre production; tandis que tous ces renchérissements
nuisent au possesseur de la simple épargne. Quant à l'entrepre-
neur, les droits fiscaux sur la marchandise qu'il produit lui nuisent
peu parfois ils lui profitent, en éloignant la concurrence. Ils nui-
;
appelés à en faire les frais (§ 2214). Le goût pour une vie aventu-
reuse et dépensière, comme le goût pour une vie tranquille et vouée
à l'épargne, sont en grande partie l'effet d'instincts, et bien peu du
raisonnements Ils sont semblables aux autres caractères des hom-
2232 1 ne s'en sont pas aperçus, cela tient au fait qu'ils ont
Si plusieurs économistes
été induits en erreur désir de trouver un principe dont on put logiquement déduire
par le
la théorie de l'épargne, et aussi au fait que, lancés sur cette voie, ils ont aban-
donné le domaine des observations expérimentales, pour errer dans celui des spé-
culations théoriques. Il serait utile à la théorie que la quantité d'épargne produite
dans l'unité de temps fût fonction, exclusivement, ou au moins principalement, du
revenu qu'on peut obtenir de cette épargne. Mais malheureusement il n'en est pas
ainsi, et l'on ne peut, par amour pour la théorie, fermer les yeux sur l'évidence des
faits, ni substituer à l'observation directe que chacun peut faire, des divagations
théoriques sur les statistiques. Les statistiques de l'épargne sont très imparfaites.
Non seulement elles ne peuvent pas tenir compte de la somme, au total assez considé-
rable, que les petits industriels, les petits commerçants, les petits agriculteurs, em-
ploient dans leur propre entreprise mais encore elles ne peuvent apporter aucun ren-
;
seignement quelque peu précis sur l'épargne nouvelle qu'on emploie en titres d'Etat
ou en d'autres. Enfin, et c'est là le motif principal pour lequel des théories de ce genre
§ 2232 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1429
peuvent induire en erreur sur le sujet dont nous traitons, elles se rapportent à un
phénomène très compliqué, dans lequel de nombreuses causes agissent, outre la ten-
dance des hommes à épargner. Quelle part avait en cette tendance le revenu qu'on
aurait pu retirer de l'épargne, quand les gens épargnaient des monnaies d'or et d'ar-
gent, et les cachaient chez eux? Quelle était cette part, au temps où, en France, on
parlait toujours du bas de laine à propos de l'épargne des paysans ? Et aujourd'hui,
interrogez les bonnes ménagères qui épargnent sou par sou le petit magot qu'elles
porteront à la caisse d'épargne, et demandez-leur si elles épargneraient davantage, au
cas où l'intérêt servi par la caisse d'épargne serait plus élevé. Si vous arrivez à vous
faire compi'endre, ce sera déjà beaucoup et si, par hasard, vous y arrivez, la bonne
;
avec certitude si les Athéniens mangeaient, buvaient et se vêtaient mais cela sem-
;
ble probable, de même que l'existence, parmi eux, de gens prévoyants et d'impré-
voyants et les descriptions d'un excellent observateur tel que Théophraste valent
:
22322 Deux savants d'une renommée aussi grande que méritée, Bodio, en Italie,
et De Foville, en France, ont fait voir
opportunément avec quelle prudence, quelle
discrétion, et quelles précautions il faut faire usage des statistiques. Leurs ensei-
gnements ne doivent jamais être perdus de vue.
2232 3 Parmi les faits les plus certains, où les actions logiques interviennent pour
déterminer l'épargne, il y a celui de personnes qui cessent d'exercer leur profession,
lorsqu'elles ont épargné ce qui est nécessaire pour pourvoir convenablement à leurs
besoins pendant les années qui leur restent à vivre. Il est remarquable qu'en ce cas
l'action logique est contraire à celle que l'on aurait si la quantité d'épargne croissait
avec le revenu qu'on en peut retirer. On remarquera encore qu'en ce cas très simple
aussi, le phénomène est compliqué. La somme d'épargne nécessaire pour pouvoir
se retirer des affaires dépend non seulement de l'intérêt de l'épargne, mais aussi du
prix de ce qui est nécessaire à la vie, et aussi du genre de vie eu usage au moment
où l'on abandonne sa profession. Viennent s'ajouter un grand nombre d autres cir-
constances, qui se rapportent à l'état de famille, aux us et coutumes du temps. Enfin,
tout cela se superpose aux actions non-logiques, et ne s'y substitue pas. L'impré-
voyant n'a pas à se soucier de l'intérêt de l'épargne, parce qu'il n'en possède point.
L'avare ne s'en soucie pas non plus, parce qu'il amasse tant qu'il peut. Aux degrés
intermédiaires c'est en partie l'instinct et en partie le raisonneraeut qui agissent.
22331 Elle a été mentionnée pour la première fois dans V. Pareto : Rentiers et
spéculateurs. (Voir V Indépendance, l"" mai 19n.)
§ 2234 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1481
2234* Des monographies du genre de celles de Le Plaj^ seraient fort utiles pour
bien connaître la nature des personnes appartenant à la catégorie (S), et celle des per-
sonnes appartenant à la catégorie (R). En voici une qui nous est fournie par Giu-
seppe Prezzolini La Francia ed i Francesi del secolo
; osservati da un ita- XX
liano, Milano, 1913. Nous la trouvons citée par E. Gesari, dans La vita italiana,
15 octobre 1917, p. 367-37U. Il s'agit d'un parlementaire très connu. Gomme d'habi-
tude, nous supprimons les noms propres ce n'est pas d'une personne, c'est d'un :
type qu'il s'agit. Les chiffres que donne M. Prezzolini sont ceux que le parlemen-
taire en question a lui-même avoués publiquement.
Ses rentes fixes donnent un total de 17 500 francs soit indemnité parlementaire ; : :
raires d'agent général de la maison *** 12 000 fr., plus un tant pour cent sur les
:
du budget de la guerre, y inscrit lOOOOO fr. pour des fournitures qui sont passées
au même M. X, agent général de la maison *** », ce qui procure à M. X un tant
pour cent. Enfin, notre parlementaire, grâce à l'influence dont il jouit, est appointé
par un journal, et de ce chef il touche 18000 fr. En tout, ces revenus, qui appartien-
nent manifestement à la catégorie (S), donnent un total de 50000 fr. M. Prezzolini
ajoute que ce parlementaire n'est «ni le seul ni le moindre» de son espèce, mais
qu'il en est uniquement un type «mieux connu et plus sincère».
2235 ' Beaucoup de personnes jugent que de tels faits suffisent pour condamner
notre organisation sociale et lui attribuer la plupart des maux dont nous souffrons.
D'autres personnes croient ne pouvoir défendre cette organisation qu'en niant les
faits ou en leur enlevant toute importance. Les uns et les autres ont raison au
point de vue éthique (i^| 2162, 2262), tort au point de vue expérimental de l'utilité
sociale (| 2115).
évident que si l'on pose comme axiome que les hommes doivent, quoi qu'il
II. est
arrive, suivre certaines régies, il s'en suit nécessairement qu'il faut condamner
ceux qui ne les suivent pas. Un tel raisonnement, si on veut lui donner une forme
logique, a pour prémisses quelques propositions du genre de celles que nous avons
déjà notées (|^ 1886, 1896, 1897). Si l'on ajoute que l'organisation condamnée est en
somme nuisible à la société, il faut logiquement avoir recours à quelques prémisses
du genre de celles qui confondent la morale et l'utilité (%% 1495, 1903 à 1998). En
revanche, si l'on admet de semblables prémisses et que l'on veuille néanmoins
défendre, approuver l'organisation de nos sociétés, on n'a d'autre ressource que
de nier les faits ou, du moins, deles supposer négligeables.
Le point de vue expérimental est entièrement différent. Qui s'y place n'admet pas
d'axiomes indépendants de l'expérience, et se trouve, par conséquent, dans la néces-
sité de discuter les prémisses des raisonnements précédents. Ce faisant, il est con-
duit à reconnaître qu'il se trouve en présence d& deux phénomènes, lesquels ont cer-
tains points communs, mais ne coïncident pas entièrement (Si2001), et qu'il faut
en chaque cas particulier demander à l'expérience de décider s'il s'agit d'un point
de contact ou d'un point de divergence.
La moindre réflexion suffit à faire voir que celui qui accepte certaines conclu-
sions adopte, par là même, les prémisses auxquelles elles sont liées indissoluble-
ment. Mais la force du sentiment et l'influence d'une manière habituelle de raisonner
sont telles que l'on néglige entièrement la force de la logique, et que l'on établit les
conclusions sans se soucier des prémisses, ou que, tout au plus, on les admet comme
des axiomes qui sont soustraits à toute discussion. Cette puissance et cette influence
ont aussi pour conséquence que, malgré l'avis donné et maintes fois répété (table
IlI-III-m), il se trouvera presque certainement des personnes pour étendre au delà
du sens rigoureusement limité les observations que l'on va lire au sujet des classes
(R) et (S) pour interpréter tout ce qui est signalé à la charge d'une de ces classes
:
comme impliquant le jugement que Taetion de cette classe est, dans son ensemble,
nuisible à la société, et la classe elle-même « condamnable » tout ce qui est dit en sa
:
faveur, comme preuve que l'action de cette classe est, en générai, utile à la société.
^ 2235 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1433
peu près ce que nous avons dit précédemment (| 2197) des posses-
seurs de simple épargne et des entrepreneurs, et les deux nouvelles
catégories auront des conflits économiques et sociaux analogues à
ceux des précédentes. Dans la première des catégories dont nous
nous occupons maintenant, ce sont les résidus de la I^ classe qui
prédominent dans la seconde, ce sont ceux de la IP classe. Il est
;
gorie (S) à la catégorie (/?). Mais en bien des cas, la meilleure spé-
culation du fondateur de l'industrie est celle qu'il fait en la trans-
formant en société anonyme, qui bientôt périclite, et comme d'ha-
bitude, ce sont les (R) qui paient les pots cassés. Il n'est guère
d'industrie plus avantageuse que celle qui consiste à exploiter
l'inexpérience, la naïveté, les passions des (R). Dans nos sociétés, la
richesse d'un grand nombre de personnes n'a pas d'autre source *.
22352 Gomme d'habitude, il faut se rappeler qu'il n'y a rien à déduire du sens
vulgaire ou de l'étymologie de ces noms, et que nous les emploierons exclusive-
ment dans le sens défini aux | 2233-2234, auxquels il conviendra toujours de se
reporter, chaque fois que l'on rencontrera ces noms dans la suite de l'ouvrage.
1 2237-2238 forme générale de la société 1435
social est si important, comment que les gens ne s'en soient pas aperçus
se peut-il
jusqu'à présent?» Gomme d'habitude aussi, la réponse est que les gens s'en sont
aperçus, mais qu'ils l'ont recouvert du voile des dérivations. L'antisémitisme a pour
substratum un mouvement contre les « spéculateurs». On dit que les Sémites sont
plus spéculateurs que les Ariens c'est pourquoi ils passent pour réprésenter la
;
classe entière des spéculateurs. Qu'on prête attention, par exemple, à ce qui se passe
avec les grands magasins, les bazars. Ils sont attaqués, spécialement en Allemagne,
par les antisémites. Il est vrai que beaucoup de ces commerces sont dirigés par
des Sémites mais ceux qui sont dirigés par des chrétiens ne font pas défaut. Les
;
premiers comme les seconds sont nuisibles au petit commerce, que veulent proté-
ger les antisémites, qui, en ce cas, sont simplement anti-spéculateurs Il en est .
de même des syndicats financiers et des autres formes que prend la spéculation.
Les socialistes s'en prennent aux «capitalistes», et théoriquement il est vrai que
ceux-ci ne se confondent pas avec les « spéculateurs ». Mais pratiquement, les
foules qui suivent les chefs socialistes n'ont jamais rien compris aux belles théo-
ries de Marx sur la plus-value. Elles sont mues exclusivement par l'instinct de
s'approprier une partie au moins des l'ichesses qui appartiennent aux « spécula-
teurs». Même les théoriciens, lorsqu'ils parlent du «capitalisme» dans l'histoire, le
confondent, au moins en partie, avec le domaine des «spéculateurs». Enfin, qui-
conque voudrait remonter plus haut dans l'histoire trouverait des traces abon-
dantes d'observations et de doctrines où apparaît le conflit entre les « spéculateurs »
et le reste de la population. A Athènes, les hommes du Pirée sont en conflit avec
les agriculteurs, et Platon veut placer sa République loin de la mer, précisément
afin de la soustraire à l'influence des « spéculateurs ». En cela, il est le précurseur
de nos antisémites contemporains. Dans toute l'histoire, en tout temps, se mani-
feste l'influence des «spéculateurs». Les formes sous lesquelles elle se manifeste
varient; les noms qu'on lui donne varient encore plus, ainsi que les dérivations
qu'elle provoque mais le fond demeure.
;
1436 CHAPITRE XII §2239
tandis que, pour les raisonnements subjectifs que l'on fait habituel-
lement, il une terminologie subjective, qui est la terminologie
faut
vulgaire. Par exemple, chacun reconnaît qu'aujourd'hui la « démo-
cratie » tend à devenir le régime politique de tous les peuples civi-
lisés. Mais quelle est la signification précise de ce terme « démo-
2240 Le meilleur gouvernement qui existe aujourd'hui, meilleur même que tous
'
nement « démocratique » mais il n'a que le nom de commun avec les gouverne-
;
ments qui se disent aussi « démocratiques », dans d'autres pays. Tels ceux de la
France et des Etats-Unis d'Amérique.
1438 CHAPITRE XII § 2243-2245
cessaire. Cet extrême ne s'est jamais vu. Un autre extrême est repré-
senté par quelques cas concrets. C'est celui d'un despote qui, grâce
à ses soldats, se maintient au pouvoir contre une population hos-
§ 2246-2247 forme générale de la société 143&
2247" Souvent les hommes pratiques saisissent cela par intuition, mais ils sont
empêchés de l'appliquer à cause de raisonnements pseudo-théoriques, ou bien
par des obstacles qu'ils rencontrent sur leur chemin. — Busch; Les mém. de
Bismarck, t. I. Il s'agit des territoires qu'il pouvait être avantageux à l'Alle-
magne de se faire céder par la France «(p. 64) D'Alvensleben, lui, voulait
:
qu'on gardât tout le pays jusqu'à la Marne. M. de Bismarck dit qu'il avait une
autre idée, mais que, malheureusement, elle était impossible à réaliser. — Mon
idéal aurait été, fit-il, une sorte de colonie allemande, un Etat neutre de huit ou dix
millions d'habitants, exonérés de tout service militaire, mais dont les impôts, dès.
qu'ils n'auraient pas été appliqués aux besoins locaux, auraient été payés à l'Aile-
1440 CHAPITRE XII § 2248-2249
magne. La France aurait de la sorte perdu une province dont elle tirait ses meil-
leurs soldats et aurait été rendue inoffensive». Que l'on compare cette vue large à
l'oppression actuelle, tendant à changer à propos de futilités souvent insignifiantes
Jes sentiments de la population sujette.
§ 2250-2252 forme générale de la société 1441
sentiments, lorsqu'il s'agit d'agir sur les gens chez lesquels prédo-
minent les résidus delà persistance des agrégats, et par conséquent
sur le plus grand nombre des membres de la classe gouvernée. En
général, on peut dire, très en gros, que la classe gouvernante voit
mieux ses intérêts, parce que chez elle les voiles du sentiment sont
moins épais, et que la classe gouvernée les voit moins bien, parce
que chez elle ces voiles sont plus épais. On peut dire aussi qu'il en
résulte que la classe gouvernante peut tromper la classe gouvernée,
et l'amener à servir ses intérêts, à elle classe gouvernante. Ces inté-
les unes aussi bien que les autres agissent beaucoup moins sur
l'équilibre social que les sentiments et les intérêts dont elles pro-
viennent. Beaucoup de savants s'en sont doutés. Pourtant, ils allè-
rent un peu trop loin, en affirmant que la forme du gouvernement
est indifférente.
2253. Il existe partout une classe gouvernante, même là où il y
a un desposte; mais les formes sous lesquelles elle apparaît sont
diverses. Dans les gouvernements absolus, seul un souverain
paraît en scène; dans les gouvernements démocratiques, c'est un
parlement. Mais dans la coulisse se trouvent ceux qui jouent un
rôle important au gouvernement effectif. Sans doute, ils doi-
vent parfois s'incliner devant les caprices de souverains ou de par-
lements ignorants et tyranniques mais ils ne tardent pas à
;
probablement à cause d'une vieille tournure d'esprit, à (p. 57) avoir des
s'obstine,
programmes, mais on tient rarement à les faire aboutir... Et cela tient à ce que les
programmes ne sont pas faits pour aboutir. Les principes de la bourgeoisie répu-
l)licaine datent de 1789. Le socialisme de Marx date de 1848. Le programme radical
date de 1869. Soyez assurés qu'ils serviront longtemps encore. La lutte entre ces
diverses conceptions de tout repos n'en constitue pas moins ce qu'on appelle ,,la :
politique moderne ". (p. 58) Un programme qui aboutit cesse parla même d'exis-
ter... (p. 59) Presque toutes les lois importantes ont été soumises aux discussions du
^ 2253 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1443
voir pour la nation, il faut remarquer celle qui affirme que le peuple
est plus capable de juger les questions générales que les questions
spéciales. En réalité, c'est exactement l'inverse. Il suffit de raison-
ner quelque peu avec des personnes qui ne sont pas cultivées, pour
constater qu'elles comprennent beaucoup mieux les questions spé-
ciales, qui sont habituellement concrètes, que les questions géné-
rales, qui sont habituellement abstraites. Mais les questions abs-
traites présentent cet avantage pour les gouvernants, que quelle que
Parlement par des ministres qui n'y croyaient pas, ou qui même s'en étaient pro-
clamés les adversaires irréductibles». Mais comme ce sont aussi des gens intelli-
gents et rusés, on est obligé de reconnaître qu'il doit y avoir une force puissante
qui les pousse dans cette voie. On ne peut trouver cette force que dans l'organisa-
tion sociale qui a donné le gouvernement aux «spéculateurs». L'auteur continue :
de l'Etat l'a rendue inévitable. Un autre l'a signée qui ne l'avait jamais voulue. La
plupart des radicaux aujourd'hui sénateurs ont jadis lutté pour la suppression du
Sénat et beaucoup de députas coloniaux se sont prononcés dans leur jeunesse contre
la représentation coloniale. Le Sénat, qui fut à peu près tout entier hostile au rachat
de l'Ouest et à l'impôt sur le revenu, a voté le rachat de l'Ouest et volera l'impôt
sur le revenu». C'est ainsi que l'on paie aux sentiments populaires la rançon des
opérations lucratives qu'effectuent en attendant des financiers retors, des entrepre-
neurs et d'autres spéculateurs. En Italie, une Chambre qui était contraire à l'exten-
sion du droit de vote, qui repoussa la proposition très modérée du ministre Luzzatli,
approuva la proposition beaucoup plus hardie de Giolitti, parce que cette Chambre
ne pouvait s'opposer à qui était si expert dans l'art de protéger les trusts et les intri-
gues électorales. Quant à Giolitti, il voulut l'extension du droit de vote, afin de
payer ainsi l'appui des socialistes transformistes et d'autres démocrates, et pour
atténuer delà sorte l'opposition qu'ils auraient pu faire à ses entreprises, parmi
lesquelles il faut ranger la guerre de Libye. Il ne la voulut pas, au début, mais
elle lui fut imposée par les sentiments d'un grand nombre de citoyens.
1444 CHAPITRE XII ^ 2254
soit la solution donnée par le peuple, ils sauront en tirer les con-
séquences qu'ils voudront. Par exemple, le peuple élit des hommes
qui veulent abolir l'intérêt du capital, la plus-value des industries,
et réfréner Vavidité des spéculateurs (questions générales) ; et ces
hommes, directement ou indirectement, en soutiennent d'autres ;
2254 1 Le phénomène est très bien décrit dans le discours que fit le ministre Briand
à Saint-Etienne, le 20 décembre 1913. « Il y a dans notre démocratie des impatiences
fébriles, il y a des ploutocrates démagogues qui courent vers le progrès d'une course
si frénétique que nous nous essoufflons à vouloir les suivre. Ils veulent, ceux-là, le
tout ouïe rien. Dans le moment même où ils s'enrichissent avec une facilité scanda-
leuse, dans ce moment même, ils ont le poing tourné vers la richesse, dans un geste
si menaçant, si désordonné, si excessif, que nous avons le droit de nous demander
si c'est bien pour l'atteindre, si ce n'est pas plutôt pour la prot(''ger ». Mais les
financiers auxquels le ministre Briand fait allusion laissent dire et continuent à
gagner de l'argent.
Le phénomène est de tous les temps et de tous les pays où dominent les « spé-
culateurs». —
La Liberté, 14 avril 1913 «.Le banquier Carbonneau et ses amis
:
politiques. Chaque fois que la police met la main au collet d'un financier véreux,
elle fait sûrement de la peine à un député bloquard, qui, c'est une fatalité, est
l'ami et l'avocat-conseil de tous les lanceurs d'affaires qui tournent mal. Ils sont
un certain nombre qui ont cette spécialité. Un surtout, dont le nom vient spon-
tanément à l'esprit dès qu'on arrête un Carbonneau quelconque. Lorsque les
Duez, les Martin-Gauthier, les Rochetle, les Carbonneau ont besoin d'un bon
avocat-conseil, c'est au député X..., qu'ils s'adressent spontanément, parce qu'ils
sont assurés d'avance que comme conseilleur il ne les empêchera pas de tondre
les payeurs et que, comme député, jouissant d'une grosse influence au Parle-
;
ment et dans les Loges, il couvrira le bateau et les pilotes de son pavillon»
(I 2256 1).
§ 2254 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1445
2256' Les descriptions faites par des hommes du métier qui suivent les mé-
thodes empiriques, sans s'embarrasser de théories, sont très utiles pour l)ien con-
naître les faits, car elles échappent au danger, toujours menaçant, de plier, même
involontairement, la description des faits à la théorie. C'est pourquoi nous citons
ici la description que The Financial Tiines, 27"" March 1914, donne des phéno-
mènes auxquels nous faisons allusion. Nous rappelons que cette description s'ap-
plique non seulement à la France, mais aussi à d'autres pays où dominent les
«spéculateurs». Par exemple, pour les Etats-Unis d'Amérique, il y aurait beat-
coup à ajouter, plutôt que de retrancher quoi que ce soit à cette description :
« Paris, 24''» March. — We have heard a good deal of late about ,, plutocratic
democrats" and ,, democratic plutocrats, ,,by which is meant either a wealthy
linancier who becomes a demagogue for the sake of political influence rather than
from any real conviction, or —and this is more widely the case in France a —
demagogue w'ho has no objection to become a wealthy financier if circumstances
permit. M. Barthou, M. Briand and their friends have freely used the expression
in connection with M. Gaillaux, to whom they are politically opposed, and it is a
fact that certain prominent Republican politicians belonging to all sections of the
Republican party have of late years turned their political influence to considerable
personal advantage». Suit un long récit d'exploits accomplis par des hommes
d'Etat d'accord avec les financiers. Nous le laissons de coté, non seulement en rai-
1452 CHAPITRE XII § 2256
son de son étendue, mais aussi parce que nous proférons ne pas citer des noms
propres, car, en les citant, on détourne facilement l'attention des uniformités
générales, pour l'amener à s'arrêter sur des considérations éthiques, de parti, de
bienveillance ou de malveillance particulière. La conclusion de l'article nous ramène
aux faits généraux, qui importent davantage à une étude scientifique. « Need of a
political protector. —
As a matter of fact, it has long been the fashion with French
financial and other companies to provide themselves with a ,, paratonnerre " or
,, lightning rod
" in the shape of a person of political influence who can act more or
less as a mediator in high places, and who, on occasion, can help to shield finan-
ciers Avho maj' be liable to get into trouble or protect interests that may be in
danger from threatened legislation. As a rule politicians are very chary of being
openly connected with any but concerns of very high reputation but there are
;
others. Thus, there are many barristers who are both clever pleaders and brilliant
policians. Many are the concerns which willingly pay huge annual fees to a poli-
tical barrister in order to secure his services as ,, legal adviser". The legal adviser
is paid quite as much for his political influence as for his legal advice, and he runs
no risk, not being openly connected with the concern. It his natural, perhaps, in a
country where kissing goes by favour — ad show me the country in which it does
not ! —
that people interested in important business schemes should endeavour to
obtain a liearing with the powers that be by securing as influential a political
intermediary as they can get, but the practice undoubtedly has its drawbacks »
(?i 22541).
225(52 GuGLiEMo Emanuel; dans le Carrière délia Sera, 9 février 1914 : «L'épi-
sode suivant est caractéristique du système [en Angleterre]. Je l'ai entendu raconter
un soir, dans une conférence politique, par un homme du parti libéral. Etant
décoré et député, il en savait certainement long. Avant les élections de 1906, qui
donnèrent aux libéraux la majorité et le gouvernement, il discutait avec un ami,
devenu ministre par la suite, le scandale de la « vente » de titres honorifiques à
laquelle se livrait le ministère unioniste d'alors. Encore ingénu et ignorant des
,, Quand nous serons
intrigues politiques, il soutenait chaudement : au pouvoir,
nous devrons mettre fin à cette indécence ". — —
,, En vérité, répondit avec calme
le futur ministre, —
je crois, au contraire, que lorsque nous serons au pouvoir, il
faudra vendre autant de titres honorifiques que possible, pour remplir le cofifre-
fort du parti. " A en croire ce qu'affirment les journaux d'opposition, il paraît que
le projet du ministre en herbe a été réalisé sans réticences. Les mauvaises langues
disent qu'on a établi un tarif. On ne payerait pas moins de 125000 francs, pour obte-
nir un knighthood, titre qui correspond à celui de chevalier. Une donation de
625000 francs serait nécessaire pour posséder un baronetey, soit le titre de baron-
net. Quant au titre de lord, ou pair du royaume, on ne payerait pas moins d'un
million et demi... L'argent produit parles «ventes », est versé au « trésor de guerre ».
C'est le Chiefiohip qui l'administre». Telle est l'origine du gouvernement d'«un
Etat éthique ou de droit», admiré par les naïfs. Dans d'autres pays, il se produit
des faits analogues. En Autriche-Hongrie, le trafic des décorations et des titres nobi-
liaires est très actif. Dans tous les pays civilisés, le gouvernement dispose de sub-
ventions considérables, qui servent à des fins électorales. La Liberté, 10 mai 1914 :
« Les naïfs s'imaginent que le gouvernement n'a, pour ,, faire " les élections,
que la maigre ressource des douze cent mille francs inscrits au chapitre des fonds
secrets. La caisse noire est infiniment plus abondante que cela. On cite un ministre
de l'agriculture blocard qui disait : ,,Je dispose de yO millions par an que je puis
§ 2257 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1453
jusque sur les marches du trône mais la caste militaire leur dis-
;
l'idée delà corruption électorale que nous ne pouvons même concevoir [sic ! remarque
la personne qui cite cette prose), c'est un fait que les élections générales mettent en
circulation beaucoup d'argent [ce n'est pas de la corruption, mais c'est tout comme].
Et quand l'argent circule, il circule pour tout le monde. C'est pourquoi on veut faire
durer le plaisir. Nous le comprenons, ce sont des sacrifices, et des sacrifices très
lourds, parce qu'ils ont un caractère financier. Mais la noble ambition de servir son
pays doit bien impliquer quelque sacrifice. D'autre part, aucune loi n'oblige nos
hommes politiques à courir la chance des élections. S'ils n'ont pas (p. 284) d'argent
et ne savent pas en trouver, s'ils en ont et ne veulent pas faire de dépenses, qu'ils
restent chez eux. Nous le répétons, personne ne les oblige à se mettre sur les
rangs. L'honorable Giolitti, d'accord avec le chef de l'Etat, fixera les nouvelles élec-
tions quand il le jugera opportun, et quoi qu'il fasse, il fera bien. Pour notre
§2257 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1455
compte, interprètes sûrs de l'immense majorité [des habitants] du pays, nous dési-
rons que la campagne électorale soit longue, très longue. On glosera beaucoup,
mais beaucoup d'argent circulera aussi il descendra jusqu'aux dernières couche*
;
sociales. En sorte que, — pour conclure, —que les candidats anciens et nouveaux
ne se préoccupent pas de la date précise des élections, mais qu'ils se souviennent
de l'avertissement du Seigneur Estate parati. Qu'ils soient prêts, car ils ne savent
:
ni le jour ni l'heure du fameux décret. Qu'ils soient prêts, c'est-à-dire munis de tout,
spécialement de viatique». Le journal aurait pu ajouter que ce viatique est fourni à
ses maîtres par les contribuables, tandis que les adversaires doivent le tirer de leur
poche. Un honnête homme, comme il en est encore plusieurs, fait cette dépense, et
voilà tout. Un autre homme, moins honnête, et il en est un très grand nombre, con-
sidère cette dépense comme un capital qu'il fait fructifier, lorsqu'il est élu. Et par-
fois, dans ce but, il pactise avec ses adversaires de naguère.
2257^ Toutes ne se font pas avec de l'argent; les plus économiques sont celles
que l'on fait en accordant des faveurs honorifiques ou autres. Elles rapportent par-
fois même de l'argent, que l'on peut ensuite employer à d'autres corruptions. Un
exemple qui peut servir de type est celui dont on eut connaissance en Autriche, en
1913, et que le correspondant du journal La Liberté décrit très bien. La Liberté,
26 décembre 1913 : « M. Stapinski, chef du parti populaire polonais, a reçu de
M. de Dlugosz, membre du cabinet en qualité de ministre pour la Galicie, des som-
mes importantes pour la presse et pour les opérations électorales du parti. C'est
M. de Dlugosz lui-même qui le lui a reproché. Mais il se trouve que M. Stapinski est
infiniment moins blâmable qu'on ne le crut tout d'abord. M. de Dlugosz, qui est
polonais comme lui, est ami politique de son parti et possesseur d'une fortune con-
sidérable. En s'adressant à lui pour les besoins du parti, le député agissait correc-
tement, et les sommes qu'il a reçues, il a cru les recevoir du coreligionnaire poli-
tique, du Polonais riche, généreux et dévoué à la cause. Or, il n'en était pas ainsi,
M. de Dlugosz a mis à profit sa situation de membre du cabinet pour se faire accor-
der ces sommes par le président du conseil. L'argent provenait des fonds secrets.
M. Stapinski ne le savait pas, et il n'a pas su non plus que M. de Dlugosz lui ver-
sait moins qu'il ne se faisait donner par la caisse des fonds secrets... Le cas du
président du conseil, bien que très limpide au point de vue de l'honorabilité per-
sonnelle, n'est guère moins fâcheux au point de vue de l'exercice correct de sa
fonction il a disposé des fonds secrets dans un but de coi-ruption parlementaire. A
:
vrai dire, on sait bien que le gouvernement a des disponibilités pour influer sur les
députés ou sur des groupes, mais on le sait sans le savoir tant pis pour le ministre
:
qui laisse saisir manifestement sa main dans une opération de ce genre. Il ne lui
reste qu'à disparaître. Cette affaire a donné lieu à de longs débats au cours des-
quels la Chami)re a entendu de belles vérités. M. Daszynski, par exemple, certifie
que, depuis sept ans, les élections de Galicie ont coûté quatre millions aux fonds
secrets de l'intérieur. Or, l'intérieur ne dispose, sous ce titre, que de 200 000 cou-
ronnes par an, soit en sept ans 1400 000 couronnes. Où a-t-il trouvé le surplus de
2G00000? Un interrupteur a répondu — Et les dons pour but humanitaire? —
Voici ce que signifie cette observation : Dans les heures critiques de l'ancienne
Rome, on nommait un dictateur ici, on crée des barons ce sont des financiers et
; ;
disproportion qui existe entre les lil^éralités de la caisse des fonds secrets, soit du
ministère de Tintérieur, soit des affaires étrangères, et la modicité de la dotation
régulière de ces deux départements pour leurs opérations discrètes. N'a-t-on pas
établi qu'un seul journal, la R., [nous supprimons le nomj coûtait à l'intérieur près
de cent mille francs par an de plus que l'allocation totale des fonds secrets ? Je ne
parle que de l'intérieur. Si nous nous occupions des opérations de l'autre départe-
ment, la chose nous mènerait trop loin, puisqu'elle nous engagerait dans des excur-
sions à l'intérieur [il faut proljablement lire extérieur]. Le député Tusar a fait
remarquer avec beaucoup d'à-propos que, depuis quelque temps, on ne sortait pas
des affaires vilaines c'est vrai. Nous avons eu l'affaire Prohazka, l'affaire de la
:
Société des jeux en Hongrie et maintes autres, mais surtout celle du (Canadian
Pacific, qui est un des scandales les plus surprenants dont on ait jamais eu le spec-
tacle. Là, je dois le dire, le fonctionnarisme autrichien apparaît dans un rôle sym-
pathique, honorable et presque touchant. Le ministère du commerce voit le port de
Trieste boycotté et la navigation nationale étranglée par le puissant syndicat des
compagnies allemandes qui travaillent pour Brème et Hambourg, et opèrent avec un
sans-gène aussi brutal que celui du sous-lieutenant Forstner et de son colonel. En
conséquence, et afin de briser ce monopole, il s'entend avec une compagnie anglaise
assez puissante pour soutenir la lutte, le Canadian Pacific, qui favorisera le port de
Trieste en y dirigeant l'émigration. J'estime, disait avec émotion à la commission d'en-
quête un chef de division de ce ministère, j'estime que le fonctionnarisme autrichien a
bien le droit de servir les intérêts de l'Autriche! Mais le puissant syndicat allemand
met en mouvement un journal, la Reichspost, et des émissaires qui obtiennent l'aide
de l'autorité militaire, et par ordre de celle-ci, tout le personnel du Canadian Paci-
fic est arrêté, ses bureaux sont fermés et ses' services suspendus. On a vu par con-
séquent des intérêts étrangers triompher des intérêts nationaux, et la direction de
l'armée autrichienne se faire, à son insu sans doute, l'agent instrumentaire du syn-
dicat allemand contre le gouvernement autrichien. Il a fallu Tintervention de la
Chambre et l'enquête parlementaire pour ramener dans le droit chemin l'autorité
militaire dévoyée par la Reichspost et les autres agents du grand syndicat alle-
mand. Quelle fut dans ces rôles divers la part de l'inintelligence et celle de la véna-
lité ? Que ceux-là le disent qui le savent, mais tout n'est pas imputable à la mala-
dresse ni à la simplicité, car le cas du candide député Stapinski, vendu sans le
savoir, doit être une exception assez rare à notre époque peu naïve » (Achille Plista).
— En Angleterre, les élections faites par le ministre Asquilh pour déposséder la
Chambre des Lords coûtèrent des sommes énormes, fournies en grande partie par
de riches industriels et commerçants. En Italie, et plus encore en France, la distri-
bution des décorations est un moyen de gouvernement qui a le mérite de ne pas
coûter de l'argent. L'invention du «mérite agricole», souvent décerné à qui ne sait
pas même distinguer l'orge du froment, celle des «palmes a.cadémiques », souvent
données à qui est en guerre avec la grammaire, et d'autres titres honorifiques, ont
fait épargner des millions et des millions au pays. En Italie, le gouvernement se
sert aussi de son pouvoir d'accorder ou de refuser le port d'armes. Il l'accorde à ses
partisans, le refuse à ses adversaires. Surtout en temps d'élections, il arrive que là
où la lutte est le plus vive, il l'accorde à la clique enrôlée, qui soutient le candidat
du gouvernement par des procédés qui ne sont pas toujours licites, tandis qu'il le
refuse au parfait honnête homme qui se montre favorable au candidat d'opposition.
Depuis le temps où Aristophane étalait au grand jour, sur la scène, la corruption
des politiciens athéniens, jusqu'au temps où l'enquête du Panama et d'autres sem-
blables dévoilaient la corruption des politiciens contemporains, bien des siècles se
?; 2258-2259 forme générale de la société 1457
tôt ils les repoussent comme chose importune, et les oublient. Ces deux courants
coulent parallèlement, sans mêler leurs eaux, et sont, au moins en partie, indépen-
dants.
SOCIOLOGIE 92
1458 CHAPITRE xii §2259'
2259 ' Plusieurs gros volumes ne suffiraient pas pour ciler ne fût-ce qu'une par-
tie des faits très nombreux, observés à diverses époques et dans tous les pays. En
Italie, parmi tant d'autres exemples, on peut citer celui de la construction du
Palais de Justice, à Eome. Pour les détails, voir Eugenio Ghiksa :La corruzione
politica. L'inchiesta sul Palazzo di Giustizia, avec préface de Napoleone Gola.-
JANNi. Entre autres conclusions, la Commission d'enquête tire celle-ci : « 4; L'in-
tromission de l'autorité politique dans la construction du Palais, très intense
et nuisible même dans la période des travaux en régie, pour lesquels on dépensa
937 328 francs, nominalement pour des travaux de conservation et de prépara-
tion, en fait pour donner de l'ouvrage à 400 ouvriers appelés les tailleurs de pierre-
d'Etat, à cause de leur immutabilité et de leur maigre productivité. Il est intéressant
de remarquer que cela est écrit sous un gouvernement dont c'était un artifice habituel
que d'accorder des subsides à certaines coopératives, pour se concilier les bonnes
grâces des socialistes. Aussi bien que les tailleurs de pierre, ces coopératives méri-
taient le nom de coopératives d'Etat (| 22(51 1) ». L'œuvre du ministre Branca avait
été blâmée par la Commission. La veuve du ministre écrivit très justement au Gior-
nale d'Italia (30 avril 1913) : «...permettez-moi... de protester vivement contre ce
ijue la dite Commission reproche à mon défunt mari. Ascanio Branca. Je me sou-
viens très bien que lorsqu'il fut ministre des Travaux Publics, il dut donner suite
à la convention en question sur les injonctions du ministre de l'intérieur d'aloi's.
le marquis Di Rudini, lequel, préoccupé de responsabilités d'ordre public [quand
on ne peut employer la force, il faut avoir l'ecours à l'artifice], pour éviter une grève
très grave, crut devoir régler de cette manière sa conduite politique». De même,
c'est en toute justice que le fils du défunt ministre Ferraris défendit efficacement
son père, en citant et en prouvant les nombreuses pressions exercées sur celui-ci,
qui était garde des sceaux, dans l'aiïaire du Palais de Justice. Entre autres lettres,
remarquable est celle que le garde des sceaux écrivait le 11 juillet au Président du
Conseil [Giornale d'Italia, 3 mai 1913) «Avant de céder, comme vous dites
: — et
c'est la vérité — qu'il me soit permis de dire ce que je pense de la question des
travaux publics de Rome. Depuis 1879, le Gouvernement et la Commune se sont
fait illusion ou ont voulu se faire illusion ils ont certainement fait illusion au
:
Parlement, au Pays [à vrai dire, ce ne fut pas une illusion, mais une conséquence
d'un certain procédé de gouvernement]. Au lieu de prendre résolument sur lui aussi
bien les frais que la direction des travaux nécessaires à la transformation de la capi-
tale,... l'Etat les céda ou feignit d'en abandonner la charge à la Commune. Celle-ci
s'en chargea, en partie sans savoir ce qui se faisait, et peut-être encore plus parce
qu'elle acceptait, en attendant, le concours de l'Etat, sauf à régler les comptes plus
tard. En tout cas, la Commune accepta le subside. Le Gouvernement, complice ou
impuissant, la laissa faire... En attendant, la Commune fit tout de travers, et sera
toujours dans l'impossibilité de bien faire, parce qu'elle n'a pas de traditions,
parce que la politique s'en mêle [et dans le gouvernement? La politique fait plus
que de s'en mêler elle y domine!], parce que dans les élections ce ne sont pas les
!
véritables intérêts communaux qui prédominent; enfin parce qu'elle est entraînée ou
par connivence, ou par faiblesse, ou par incapacité [c'est exactement, pi'écisément
ce que l'Enquête a démontré être arrivé pour le gouvernement]. Le comble des
erreurs fut la loi du 20 juillet 1890. Maintenant je vois que les mêmes erreurs se
produisent avec cette loi par dessus le marché. Le Gouvernement veut se ménager
la bienveillance de la Commune; il veut éviter la crise municipale. Il n'a ni système
ni courage pour trancher la question ouvrière [c'est toujours l'artifice qui remplace
la force]. 11 en résulte par conséquent que tous sont comme l'homme qui s'enfonce
§ 2260-2261 FORME générale de la société 1459
en ait une, —
sans clientèles ni brigues ni coteries, n'existe qu'à
l'état de pieux désirs de théoriciens, mais ne s'observe en réa-
mes politiques peuvent bien être différents, mais que, dans l'en-
semble, on ne peut affirmer que certains genres de ces régimes dif-
fèrent beaucoup des autres, à ce point de vue ^ Les reproches
dans la fange [c'est dans la fange que les anguilles et les politiciens se trouvent
bien] plus il s'agite, pjus il s'enfonce. Pendant ce temps, Commune, Entreprise,
;
agitateurs en profitent... Gela dit, moi qui suis d'une opinion contraire à celle que
je vois l'emporter au Cabinet, je cède pour beaucoup, et même pour toutes les rai-
sons ; mais vouloir que je choisisse comme représentant un magistrat romain, c'en
est trop.Au sujet de la pression qu'on avait exercée sur moi [n'oublions pas que c'est
le ministre chef de la magistrature qui écrit, et sur lequel on exerce des pressions;
mais alors quelles pressions doit-on exercer sur les simples magistrats, quand on veut
obtenir d'eux des services politiques !], j'avais déjàdonné des instructions au conseil-
ler Gargiulo. Je le relèverai de cette fonction. Mais il ne fera pas d'autre désignation.
A vous de m'indiquer qui je dois nommer, et je ferai la nomination en sachant que
du moins je n'aurai aucune responsabilité de ce que fera ou ne fera pas mon délégué».
(La minute de la lettre est tout entière de la main de Ferraris.) Il est regrettable que
nous n'ayons pas toutes les lettres que se sont écrites les ministres, en France et en
Angleterre, à propos d'affaires il y en aurait certainement de semblables. Il ne
:
manque d'honnêtes gens dans aucun pays mais ils sont impuissants à résister aux
;
artifices des politiciens. Ils sont broyés par cette puissante machine du régime poli-
tique. Parmi tant de documents qu'on pourrait citer, voir Atti délia Commissione
d Inchiesta parlamentare siille Banche, Roma 1894. Interrogatorii. Interrogatoire
de Pietro Antonelli, p. 8 à 11. Interrogatoire de Carlo Cantoni, p. 38 à 39. En général,
on voit les hommes politiques et les journalistes tournoyer autour des banques comme
les mouches autour du miel.
22r)l '
A ce point de vue, il existe une différence de
entre beaucoup de partis
force plutôt y en a des exemples à foison. L' Iniziativa,
que de programme. Il
19 avril 1913 «Qui a oublié le concert de protestations qui s'élevèrent du camp
:
socialiste —
en première ligne celles de VAvanti —
lorsque quelqu'un éleva la voix
contre la dégénérescence du mouvement ouvrier coopératiste socialiste? On nia
même ce qui était une vérité évidente à savoir que grâce aux concessions des tra-
:
1460 CHAPITRE XII §2261
et sv., 2454).
2262. Les de
partis ont l'habitude d'envisager ces faits au point
vue éthique, et de s'en servir pour se combattre mutuellement. Le
point de vue éthique est celui qui impressionne le plus le peuple.
Aussi l'ennemi religieux ou politique est-il généralement accusé, à
tort ou à raison, de violer les règles de la morale. Souvent on a en
vue la morale sexuelle (§ 1757 et sv.), qui impressionne beaucoup
un grand nombre de personnes. Ce genre d'accusation fut très usité
contre les hommes puissants, dans les siècles passés. Il sert encore
parfois aujourd'hui, dans la politique, en Angleterre. C'est ainsi que
dans ce pays-là la carrière politique de Sir Charles Dilke fut brisée.
Dans l'histoire, on ne trouve aucun rapport entre des fautes sem-
blables ou plus grandes d'un homme et sa valeur politique. Le
rapport semble plus probable quand les fautes se rattachent à l'ap-
propriation du bien d'autrui et aux corruptions. Cependant, dans
ce domaine aussi, les hommes qui occupent une place éminente
politique qui, sous le prétexte de remédier au chômage, fait une culture intensive du
chômage même (approbations très vives sur les bancs de la majorité ; très vio-
lentes protestations des socialistes) ». Peu avant, une séance tumultueuse avait eu
lieu à la Chambre. Il s'agissait desavoir si le gouvernement était ou non engagé
par la promesse du ministre Sacchi, d'accorder les «bonifications» de l'Italie
Septentrionale, à raison de 30 à 40 millions par année, somme tirée de la Caisse de
Dépôts et Prêts. Les dépenses pour les dites «bonifications» ont principalement
pour but de bien payer les coopératives, et d'apprivoiser leurs protecteurs. En
France, les dépenses faites dans des buts politiques analogues portent différents
noms, mais ne sont pas moindres; au contraire, elles sont plus grandes. Il suffira
de rappeler l'exemple de l'exploitation des chemins de fer de l'Ouest-Etat elle a ;
en d'autres pays; —
du régime politique —
les monarchies et les républiques sont
sur le même pied — des partis
: —
ils n'agissent pas très différemment — des hommes ;
— je déclare que pour moi les dates importent peu, le fait seul importe [réponse
aux dérivations qui, en discutant l'accessoire, voulaient faire oublier le principal]
— M. Monis, ministi-e de l'intérieur et président du conseil a, sur la demande de
son collègue, M. Gaillaux, fait appeler M. le procureur général Fabre. M. Monis,
président du conseil et ministre de l'intérieur, étranger aux choses de la justice par
la constitution même du ministère auquel il appartenait, a donné, appelez cela des
ordres, appelez cela des instructions, appelez cela l'expression d'un désir, les
nuances importent peu [réponse à une autre dérivation du genre de la précédente],
il a donné à M. Fabre des indications lui faisant connaître que le Gouvernement
voulait arriver à obtenir la remise de l'affaire Rochette, affaire qui durait déjà depuis
quatre ans [durant lesquels, grâce à la protection dos politiciens, Rochette conti-
nuait à constituer des sociétés fictives et à empocher de l'argent, dont la majeure
partie allait d'ailleurs à la presse et aux politiciens]... En 1911. qu'est-ce qu'on
attaquait? Qu'est-ce que l'on critiquait? L'on blâmait la mainmise brutale et excès-'
sive de la police sur la personne de Rochette, à l'aide d'un témoin payé et fictif [les
A contre les R dans le second acte du drame, on voit les B contre les A], (p. 2283}
;
§ 2262 FORME généralp: de la société 1463
au moment oîi celui-ci avait déjà les affaires de liquidation des congrégations reli-
gieuses, celle du crédit foncier et autres du même genre [ce genre consiste simple-
ment à s'approprier l'argent du public, grâce à l'appui bien rétribué des politi-
ciens et de la presse]. Le président du conseil me donna l'ordre d'obtenir du prési-
dent de la chambre correctionnelle la remise de cette affaire après les vacances
judiciaires d'aoùt-septembre. J'ai protesté avec énergie... Le président du conseil
maintient ses ordres... Je sentais bien que c'étaient les amis de Rochette qui avaient
monté ce coup invraisemblalde... J'ai fait venir M. le pi'ésident Bidault de l'Isle. Je
lui ai exposé avec émotion la situation oîi je me trouvais. Finalement, M. Bidault
de risle a consenti, par affection pour moi, à la remise demandée. Le soir même, le
jeudi 30 mars, je suis allé chez M. le président du conseil et je lui ai dit ce que
j'avais fait. Il a paru fort content... Dans l'antichambre, j'avais vu M. du Mesnil,
directeur du Rappel, journal favorable à Rochette et m'outrageant fréquemment :
la situation; et j'ai le droit de dire que, quand on lit ce document, quand on voit les
sentiments qui ont animé le procureur général lorsqu'il l'a rédigé, on a la pensée
inévitable qu'il y a là un document exact, reproduisant les faits tels qu'ils se sont
passés... M. Bidault de l'Isle... a cédé. Il a accordé la remise, et tout ce que vous
savez s"en est suivi. Rochette a pu continuer ses opérations, il a pu exploiter
répargne... depuis avril 1911 jusqu'à février 1912 et, plus généralement, jusqu'à
l'époque de sa fuite à l'étranger. Voilà le fait brutal, le fait matériel qu'on a nié
pendant si longtemps, quand on n'en avait pas encore la preuve, mais qui est
aujourd'hui éclatant comme la lumière qui nous éclaire... A mes yeux, l'œuvre répu-
blicaine qui s'impose impérieusement à Flieure actuelle, je le dis nettement, moi
républicain de gauche, c'est de rétablir l'indépendance de la magistrature». C'est
précisément ce qu'on n'a pas fait, pas môme dans une mesure minime, parce qu'on
ne peut le faire sans altérer profondément l'organisation sociale. Depuis le temps où
le procureur général Baudoin proclamait que le magistrat devait s'incliner devant
le «fait du prince» (| 1824), on n'a rien, absolument rien fait pour que le ma-
gistrat puisse au contraire demeurer indépendant. Gela montre la puissance des
forces qui s'y opposent. Briand disait très justement «(p. 2288) Ah! la magistra-
:
ture manque d'indépendance !... Mais d'où vient le mal, messieurs, comment voulez-
vous qu'ils soient pleinement indépendants ces magistrats? Leur nomination, leur
avancement, leur déplacement, leur carrière, leur vie, tout cela est entre nos mains !
les B ne sont pas meilleurs que les AI ». Le rapporteur indique les motifs pour les-
quels la magistrature devait obéir aux politiciens poussés par les financiers.
« (p. 2282) Mais voilà tous les magistrats ne sont pas des héros
:
J'ajoute même,
!
pour être juste, que tous ne sont pas tenus de l'être et que certains, chargés de
Camille, peuvent se trouver dans la situation de ne pouvoir faire de l'héro'isme.
1464 CHAPITRE XII § 2262
de camaraderie qui existe partout...» Nous avons ainsi l'une des dérivations
cette
habituelles, où, pour faire dévier l'attention, on parle de l'accessoire et l'on passe
sous silence le principal.
2262 2 Parfois il se trouve quelqu'un pour faire un pas dans la voie qui conduirait
à une solution scientifique, mais aussitôt il s'arrête, retenu par la crainte de heur-
ter certains principes ou certains dogmes. Journal officiel, loc. cit., | 2262 1.
« (p. 2308) M. le président de la commission [Jaurès] ...j'ai le droit de dénoncer pour
eux aussi les puissances financières]. Eh bien, messieurs, je dis que l'heure est
venue, pour le pays, de sortir de ce régime des intrigues des groupes et des clien-
tèles... l'heure est venue pour nous de voir en face le grand et formidable péril qui
le menace une puissance non pas nouvelle, mais grandissante plane sur lui, la
;
puissance de cette finance haute et basse [il faut ajouter les entrepreneurs, et
prendre garde que cette puissance a de solides fondements dans les œuvres socia-
listes] ». Après avoir comparé cette puissance à celle de la féodalité, .Jaurès dit :
«La nouvelle puissance, elle est aussi subtile que formidable, elle conquiert sans
faire de bruit [jusqu'à la presse et aux associations socialistes], elle entre dans le&
intérêts, dans les consciences [sans exclure celles des socialistes], et il arrive une
heure où une nation qui se croit souveraine, et qui accomplit avec solennité le rite
du vote [voici l'un des dogmes qui barrent la route à l'orateur] est soudainement
menée en captivité par les puissances d'argent. Cette puissance, elle triomphe dans
la décomposition des partis [observation contredite par les faits] elle triomphe ;
par le pullulement de cette presse qui, n'étant pas rattachée à des centres d'idées,-
ne peut vivre que par des subventions occultes [la presse de partis bien déterminés
estime elle aussi utile et agréable d'avoir sa part des bénéfices des puissances finan-
cières et des politiciens]...» Ici, Jaurès s'arrête dans la recherche des causes expéri-
mentales du phénomène il quitte la terre et s'envole dans les nuées
: «Non! l'or- :
î^ 22(52 lOUMIi GKNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1465
cale delà magistrature, dans un Congrès auquel assistaient 400 dél''gués représen-
tant 1900 membres participants, a adopté un certain nombre de vœux, parmi les-
quels il faut signaler ceux qui ont rapport à la situation morale et matérielle du
magistrat, et à la nécessité de protéger les magistrats contre les ingérences des politi-
ciens dans l'administration de la justice. Au banquet qui clôtura le Congi'ès,
'200 magistrats prirent part, groupés autour de MM. Bienvenu-Martin, garde des
tion amicale des magistrats, s'est écrié M. Braibant, a été fondée justement dans le
but d'assurer à nos collègues des garanties contre cette ingérence et du pouvoir exé-
cutif et du pouvoir législatif". M. Willm, député de la Seine, a rappelé lui aussi les
incidents qui coûtèrent à M. Fabre son poste de procureur général ,, 11 est parti,
:
être hors de toute atteinte, en dehors et au-dessus de tous les partis, et le meilleur
moyen de sauver la République, c'est encore de donner aux justiciables l'impres-
sion que la justice ne connaît aucune défaillance " ». — Robert de Jouvenel La ;
texte assez anodin, qui se bornait à ,,pi"endre acte des constatations" de la commis-
sion, et à réprouver l'intervention de la politique dans la justice, intervention qui
a été l'une des principales industries de la majorité qui éprouvait le besoin de la
«réprouver» avant de s'en aller. Ce texte avait l'avantage de mettre hors de cause
MM. Briand et Barthou, et de n'atteindre MM. Monis et CaiUauxque dans les termes
les plus impersonnels et les plus généraux. C'est ici que M. Sembat est intervenu
avec une habileté supérieure. M. Sembat s6 rendait parfaitement compte du discré-
dit auquel s'exposait le parti socialiste en s'associant à la politique ,,épongiste" de
M. .Jaurès. 11 a donc réclamé des poursuites judiciaires. Seulement, il les a récla-
mées à la fois contre MM. Caillaux, Monis, Briand et Barthou. C'était un moyen
très sûr de ne les obtenir contre personne, et de pouvoir dire ensuite que le parti
socialiste avait été seul à les vouloir. M. Sembat est un homme ingénieux et su)y-
til ». En Angleterre, Lloyd George et lord Muray furent sauvés par l'indulgence des
chefs du parti opposé, lesquels comptent naturelftment sur une indulgence analogue
-on faveur de leurs amis.
^ 2202 FORME GKNKIIALE DE LA SOCIÉTÉ 1467
2262* Journal officiel, loc cit 2262 1 «(p. 2291) M. Maurice Barrés... Il y
, §; :
avait [dans la commission d'enquête de l'affaire Rochette] des hommes attachés, liés,
dominés, commandés par leur amitié, par leur fidélité dans le malheur. Sur ceux-là je
ne ferai aucun commentaire. D'autres jugeaient que M. Gaillaux, en se faisant l'in-
terprète du désir d'un avocat son ami... avait voulu être obligeant, avait donné un
témoignage de bienveillance naturelle, une preuve de camaraderie, que M. Monis,
d'autre part, en cédant au désir de M. Gaillaux, était entré dans le même esprit de
bienveillance, de camaraderie, de facilité. Mais les mêmes commissaires trouvaient,
au contraire, que c'étaient de grands coupables, les Briand et les Barthou, que
•c'étaient eux les méchants qui s'acharnaient sur ces hornmes véritablement bons
et tombés dans l'embarras à cause de leur bonté même, les Gaillaux et les Monis
[dérivation de la contre-attaque des A contre les B]. Facilitons-nous la vie aux uns
les autres, voilà le sentiment qui dominait les esprits dans la commission [non
pas dans la commission seule, non pas dans un pays plus que dans un autre, mais
chez tous ceux qui composent l'état-major de la spéculation, et partout où celle-ci
^st souveraine], et cela s'accorde singulièrement à la définition qu'Anatole France
donne de notre régime, quand il écrit ,, C'est le régime de la facilité"... Le pro-
:
blème n'est pas un problème restreint, médiocre, vous n'aurez pas à juger des défail-
lances individuelles, vous aurez à vous prononcer et à dire si vous acceptez la défail-
lance même du régime. — M. Jules Guesde. Pas celle du régime républicain, puisque
les mêmes faits se passent dans l'Angleterre monarchiste et dans l'Allemagne impé-
rialiste. G'est le régime capitaliste qui en est cause ». Il y a du vrai dans cette obser-
vation de M. Guesde, pourvu qu'à l'organisation « capitaliste» on substitue l'orga-
nisation dans laquelle ce sont les « spéculateurs » qui gouvernent. Geux-ci pourraient
encore gouverner avec un régime socialiste ils agissent même déjà puissamment
;
qu'on masque le fait visé par l'accusation. On dit que les A ont
été de bons patriotes, qu'ils ont bien servi leur parti, et l'on exhibe
quantité d'autres choses semblables, entièrement étrangères à l'ac-
tence et les dommages des faits dont ils sont accusés, on démontre
que les A ont peu ou point de valeur morale ce qui est un pro- ;
boucq. Quand vous Irailez, avez-vous un prorata établi d'avance pour chaque jour-
nal? — M. Rouselle. Oui. — M. Leboucq. Dans les affaires Rochette avez-vous
forcé le pourcentage d'un journal quelconque? — M. Rousselle. Les prix ont été
dans l'enserable les mêmes que ceux que je donnais pour îles affaires qui n'étaient
pas des affaires Rochette. — M. Leboucq. Quel est le pourcentage des distributions
que vous avez faites eu égard au chiffre global des affaires ? — M. Rousselle. Cela
représente 3 ^jo. —
M. Belahaye. On a dit 10 0/0. —
M. Rousselle. A côté de la
publication dans les journaux, Rochette dépensait beaucoup d'argent en circulaires
et en publications de journaux spéciaux. — M. Leboucq. Ne trouvez-vous pas que
ce complément de 7 0/0 est exagéré? — M. Rousselle. Il faudrait voir les comptes.
Rochette dans sa façon de placer le papier employait le procédé de publicité par
lettres. —
M. de Follemlle. Avait-il beaucoup de démarcheurs? —M. Rousselle.
Je le crois. Il avait des succursales en province. Il avait à côté des banques qui tra-
vaillaient pour lui». Le bon public paie tout cela, admire et encense ceux qui le
tondent ainsi, accorde créance aux journaux qui les défendent, appelle «éthique»
l'Etat qui les favorise.
,,que si le renvoi était refusé, il [l'avocat] ferait une plaidoirie retentissante fai-
sant allusion à des émissions ayant entraîné des pertes pour l'épargne qui n'avaient
jamais été poursuivies"». Par conséquent, il y a un certain nombre de pirates, et
celui qui devrait les détruire tous en sauve un, pour que les autres demeu-
rent impunis. —
Journal officiel. Chambre des députés, 2« séance du 3 avril
1914 « (p. 2288) M. Aristide Briand ... L'affaire Rochette une fois terminée, mon
:
intention était de faire venir le procureur général je l'aurais prié d'apporter l'origi-
;
1470 CHAPITRE XII §226a
procédés qui sont plutôt des artifices que des dérivations. On s'en
sertpour étendre autant que possible à un grand nombre de per-
sonnes les accusations portant sur des faits analogues à ceux qui
sont dénoncés. Cela est facile, car ce sont des faits usuels en cer-
tains régimes, et ces procédés sont très efficaces, attendu que,
écrit déjà MachiaveP, «quand une chose importe à beaucoup de
gens, beaucoup de gens doivent en prendre soin ». Parfois, on
nal du document j'en aurais pris la copie et j'aurais brûlé les deux pièces sous mes
;
yeux. Voilà On me dira Vous auriez ainsi empêché la nation de connaître la vérité
! :
sur une affaire grave. Messieurs, cette affaire qui n'avait pas entraîn('' les consé-
quences juridiques que je redoutais, mais qui pouvait très bien, sans sanction pos-
sible, prendre les proportions d'un scandale, je me félicite de ne l'avoir pas éveillée
{très bien! très bien! au centre et sur divers bancs à gauche). Je m'en félicite, et
comme homme de gouvernement, et comme Français, et comme républicain. Je m'en
félicite d'autant plus que, depuis j'ai lu les journaux de l'extérieur, et j'ai vu le cas
qu'on peut faire au dehors de semblables affaires ». Ces sentiments étant ceux d'un
grand nombre de personnes, nous pouvons conclure que seule une petite partie de
faits analogues nous est connue, et que nous connaissons uniquement quelques,
types d'une classe nombreuse.
2262' Machiav. ; La Mandragola. acte IV, scène VI.
§2264 FORME (iHNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1471
Les grands voleurs mènent [en prison] le petit [voleur] ». Il est certain
que si la justice consiste à «donner à chacun le sien», un grand
nombre de ces condamnations ne sont pas «justes», parce que ceux.
qui sont frappés ont reçu plus qu'il ne leur revenait -.
2264' Diog. Laert., VI, 2, 45 : Osaaâ/xevôç tvots tovç 'isçn/xvf/,uovaç rùv ra/uùv riva
(pLaTiTiv i(p7j()r//itÉvov àirâyovraç £(f)ri, v.qI fisyâXoi KTiémaù tov /uikçôv anâyovaL y>. Les
ieQOfivrjfioveç étaient certains magistrats dont il est souvent fait mention, sous des
noms différents.
peu correct [si la Commission ne savait pas que ce plan est celui que suivent et
doivent suivre presque toutes les entreprises qui ont affaire avec l'Etat, elle faisait
preuve d'une grande ignorance si elle le savait, elle témoignait une belle hypocri-
;
sie]. C'était le moins qu'elle pouvait dire [non elle devait ajouter que la faute n'en
:
était pas à qui écrivait dans ce plan des choses connues de tout le monde, mais aux
institutions dont elle provenait nécessairement]. Mais dans sa jjropre défense, l'ho-
norable Abignente affirma, avec un rare courage, qu'il suffit de le lire [le plan] pour
en comprendre l'esprit et la corruption. Cette affirmation, nous le répétons, prouve
la grande audace de son auteur [simplement audace de répéter publiquement ce que
tout le monde dit en particulier]. Il est d'ailleurs dans le vrai, lorsqu'ayant terminé
sa lecture, il ajoute Ce trait est l'histoire de toutes les entreprises de travaux
:
publics de notre Etat [c'est la vérité, toute la vérité, rien que la vérité], toutes me-
nées ainsi par la faute des institutions; institutions dont le député Abignente
dénonça la défectuosité à la Chambre, ainsi qu'il l'affirma, le 5 juin 1905». Il faut
d'ailleurs ajouter qu'on ne peut changer ces institutions sans les remplacer par
d'autres semblables, parce qu'elles sont nécessaires aux politiciens et à leurs parti-
sans pour qu'ils en fassent leur profit. Les électeurs du député Abignente compri-
rent bien qu'on ne pouvait rejeter sur un homme la faute qui provient des institu-
tions. Comme il avait donné sa démission, ensuite du blâme de la Commission
d'enquête et de la Chambre, ils le réélurent non seulement pour la même législature,
mais encore pour la suivante, lorsqu'eurent lieu les élections générales de 1913.
2265 1 En septembre 1913, recherchant comment et pourquoi de semblables faits
se produisaient, Ylnizialiva écrivait « Ce ne sont pas les députés qui sont mauvais
:
;
«e sont les électeurs, et spécialement les grands électeurs, qui sont très mauvais.
C'est la façon dont on choisit et dont on élit les députés qui est défei-tueuse. Un
article de VAvanti s'arrête quelque peu sur les critères d'après lesquels les candi-
§ 2266 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1473
En effet, même si le député assumant la représentation d'un collège avait des inten-
tions de correction et d'indépendance, il est obligé, au bout de quelque temps, de se
livrer pieds et poings liés au gouvernement, dont ses électeurs eux-mêmes le
rendent vassal, par la demande à jet continu d'appui et de recommandations. Je
pourrais citer —
dit l'auteur de l'article les noms, très connus dans l'entourage
•
que dans la deputation politique d'une région, qui recrute par ces procédés un grand
nombre de ses représentants, il s'insinue des hommes sans scrupules et même de
vulgaires forbans Mais on n'a pas le di'oit de s'en étonner et de s'en plaindre, sur-
!
tout si l'on n"a rien fait pour l'empêcher, et si, au contraire, on a soi-même contri-
bué volontairement à produire et à perpétuer le hideux phénomène" ».
SOCIOLOGIE 93
1474 CHAPITRE XII §2267
liers, que parfois ne distinguent pas bien des gains et des avan-
ils
de vue, il n'y aura pas grande différence entre les diverses formes
de régime. Les différences résident dans le fond, c'est-à-dire dans
les sentiments de la population là où celle-ci est plus honnête
:
2267
> La corruption de la police de New-York est en partie la conséquence du
fait qu'on veut stupidement imposer la vertu par la loi. Sans la bienveillance ache-
tée d'une police qui sait fermer les yeux, la vie à New- York deviendrait impossible.
Ce célèbre Gaynor, qui fit tant parler de lui, et certes pas à son avantage, ne vou-
lait même plus laisser danser les habitants. La Liberté, 6 avril 1913 « Une orgie :
ser prendre leurs chapeaux et pardessus, qu'on leur apporta sur le trottoir. Les
soupers devenus impossibles, les Américains —
les Américaines surtout se —
rabattent sur les five-o'clock. De cinq à sept, dans les établissements en vogue, on
ferme soigneusement les rideaux, on allume l'électricité et, cet artifice donnant l'illu-
sion de la nuit, on se livre aux douceurs du turkey trot ou du grizzly-hear.
Mr. Gaynor a fait surveiller ces établissements par ses agents, et les rapports de
police lui ont révélé, paraît-il, d'horribles détails. Estimant que cette désinvolture
des mœurs n'est pas compatible avec le régime d'austérité démocratique inauguré
par Mr. Wilson à la Maison-Blanche, ]\Ir. Gaynor a présenté hier au corps législatif
de l'Etat de New- York un jjrojet de loi qui doit porter aux danses excentriques un
coup mortel. A l'avenir, la danse sera formellement interdite dans tous les établis-
sements publics. L'infortuné maire cependant n'est pas au bout de ses peines. Il est
un dernier rempart où se réfugie le tango : le salon privé. Et on vient de lancer
dans le plus mondain des salons de Washington une mode qui va le mettre au déses-
poir. L'électricité éteinte, on danse dans l'obscurité complète les couples, pour se
;
guider, n'ont que la lueur d'une petite lampe de poche que tient le cavalier. C'est
d'un effet très curieux, et c'est le tout dernier cri ».
2267 2 Vers la fin de l'année 1913. Huerta était président du Mexique. Le gouver-
1476 CHAPITRE XII §2268
nement des Etats-Unis faisait preuve d'une grande hostilité à son égard, tandis
que le gouvernement anglais avait commencé par le favoriser, puis l'avait aban-
donné, uniquement pour n'avoir pas de conflit avec les Etats-Unis. En somme, le
conflit était d'ordre exclusivement financier. Porfirio Diaz, président du Mexique en
1900, avait alors accordé à Henry Clay Pierce des droits sur un grand territoire
pour en extraire le pétrole. Ensuite il les vendit à la très puissante Standard OU
Cy. Mais surgit une société anglaise, la Eagle Oil Cy {Compania Mexicana de Pe-
troleo Aguila], qui se mit à faire concurrence à la première. Le président Madeiro,
qui avait succédé à Porfirio Diaz, favorisait, non sans profit, la société américaine,
et avait médité de décréter que les concessions à la société anglaise étaient nulles.
Huerta, au contraire, les confirma. C'est de là que naquit contre Huerta la colère de
la Standard OU, de ses clients et de ses amis. D'autres sociétés ou trusts améri-
cains s'unirent à eux, désireux d'exploiter le Mexique, avec l'aide du gouvernement
des Etats-Unis. Le président des Etats-Unis, Wilson, ne souffla mot de tout cela,
mais dit qu'il ne pouvait reconnaître Huerta, parce qu'il n'avait pas été ,, régulière-
ment " élu, et témoigna d'une grande indignation, parce qu'il s'était emparé du pou-
voir ensuite d'une révolution, foulant ainsi aux pieds le dogme sacré de l'élection
populaire. En somme, de cette façon, le président Wilson défendait les trusts à
l'étranger, et dans le pays il disait en être l'adversaire. Ajoutons qu'en voulant
intervenir au Mexique, lui qui s'était fait élire comme pacifiste et anti-impérialiste, il
entrait dans la voie qui conduit à la guerre et à l'impérialisme. Il est impossible de
savoir s'il était ou non conscient de la contradiction. D'une part, il est impossible
d'admettre que lui seul ignore ce que tout le monde sait des visées cupides des trusts
américains, au Mexique et si ce n'est pas de l'impérialisme que de vouloir impo-
;
ser, à un état indépendant comme le Mexique, le gouvernement qui plaît aux Etats-
Unis, on ne sait vraiment pas ce que peut bien être l'impérialisme. D'autre part,
nous avons déjà vu qu'il peut y avoir des pacificistes-belliqueux (| 170,5 et sv.) et ;
assez grande pour leur faire fermer les yeux à la lumière de faits tout à fait évi-
dents, et accepter des conceptions plus qu'absurdes et de véritables billevesées. Il
se peut que le président Wilson soit l'une de ces personnes, mais le moyen de nous
en assurer nous fait défaut. On remarquera d'ailleurs que ce problème peut bien
présenter de l'importance pour les éthiques, mais qu'il n'en a vraiment aucune pour
la recherche des uniformités des faits sociaux.
§ 2268 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1477
matériels ;
(B —
jS) des hommes qui recherchent pour eux-mêmes et
de ne pas les laisser découvrir et, pour atteindre leur but, ils sont
capables de nier même la lumière du soleil. D'habitude, les (D a) —
coûtent au pays beaucoup plus que les {B—p) car sous leur vernis ;
vue auquel on les considère. Chez les (B), ce sont les résidus de la
le classe qui prédominent c'est pourquoi ces personnes sont plus
;
ministres qui se croient des lionnètes gens, parce qu'ils n'ont jamais détourné un
sou pour eux-mêmes, et qui ont pillé le budget au profit de leurs familles et de leurs
familiers [il faut ajouter de leurs électeurs, de la presse et des financiers leurs
:
amis]. Circonstance touchante, la sympathie du (p. 136) public est le plus souvent
avec eux. On leur sait presque également gré de n'avoir point volé personnellement
et d'avoir prodigué la joie dans leur entourage. Cette indulgence a de fâcheuses con-
séquences car les besoins des politiciens ont, malgré tout, des limites et nous con-
:
naissons, en Gascogne, des familles qui n'en ont pas. Ce serait une assez bonne loi
que celle qui aurait pour conséquence de substituer d'une manière régulière la pré-
varication au népotisme... ».
1478 CHAPITRE XII § 2268
quelle est pour eux un luxe. Cela paraît bizarre, mais c'est pour-
tant vrai, que ces gens sont, après les (A), les plus honnêtes des
politiciens. Ils sont en petit nombre, parce que les dépenses néces-
saires pour acheter les électeurs sont énormes ; et celui qui les fait
de ses propres deniers veut ensuite s'en récupérer par des gains ;
politique". Les naïfs croient que pour faire cela il suffit de n'être
pas honnête. Ils se trompent : il faut de rares qualités de finesse,
d'habileté dans tous les genres de combinaisons. Les ministres ne
disposent pas de cofïres dont ils puissent tirer l'argent à la poignée,
pour le Il faut, avec un art subtil,
distribuer à leurs partisans.
trouver dans domaine économique des combinaisons de protec-
le
tion arabe est organisée d'une manière oligarchique, et même patriarcale. Elle
obéit d(''votement, presque superstitieusement à certains chefs... Les chefs prêtent
main forte à leurs subordonnés, les soutiennent dans leurs rapports avec les autori-
tés, leur accordent l'hospitalité, les présentent, en cas de voyage, par des lettres aux
autres chefs, et reçoivent en échange hommage et obéissance aveugle". Un peu plus
loin, il ajoute ,.Les choses les plus simples, que l'on obtenait sous les Turcs par
:
l'on veut prêter attention à la proportion des (A) et des (B), on trou-
vera certains cas où les (A) prédominent certainement, et où, par
conséquent, on peut dire que le parti est « honnête)). Mais en un
grand nombre d'autres cas, on ne sait vraiment pas si, chez les di-
vers partis qui se disputent le gouvernement, il existe une grande
difïérence entre les proportions des (A) et des (B). On peut dire
seulement que les (A) sont assez rares. Dans couches inférieures
les
de la population, les résidus de la 11^ en
classe existent encore
grande quantité ; par conséquent, les gouvernements qui, en réa-
lité, sont mus par de simples intérêts matériels, doivent au moins
feindre de viser à des fins idéales ; et les politiciens doivent se recou-
vrir d'un voile d'honnêteté, à vrai dire souvent assez ténu. Quand
l'un d'eux est pris la main dans le sac, le parti adverse fait grand
tapage, tâchant de tirer parti du fait comme d'une arme utile à ses
fins. Le parti auquel appartient le présumé coupable s'efforce tout
il faut ajouter que celui-ci n'a pas été choisi comme on fait d'habi-
tude, mais que le patron est allé le chercher parmi les personnes
qui ont le plus la tendance de se sauver en emportant la caisse, et
qui présentent le plus d'aptitudes à commettre cet acte, grâce à des
qualités de ruse et d'autres analogues ^
2268^ Parfois les (B) se divisent en partis qui entrent en conflit. Quand cela se
produit, leurs contestations jettent un jour sur quelques-uns de leurs artifices qui,
autrement, demeureraient cachés. Chez nos contemporains, le nationalisme a produit
l'une de ces divisions. G. Preziosi ;La Gerrnania alla conquista delV Italia.
L'auteur décrit sous une forme particulière un phi'nomène qui est général. Après
avoir fait allusion au grand nombre de sociétés industrielles qui, en Italie, dépendent
de la Banque Commerciale, l'auteur dit ,, (p. 66) Si, outre la question économique,
:
on considère aussi la question politique, on voit que toutes les sociétés sus indi-
quées et d'autres encore — dans lesquelles des établissements plus ou moins impor-
tants, éparpillés dans toute l'Italie, donnent du travail à des dizaines de mille
ouvriers et employés — sont effectivement de colossales agences électorales, dont
l'action se déroule en même temps que celle, indiquée déjà, des multiples agences dissé-
minées dans tout le pays par les compagnies de navigation. Il est manifeste que l'in-
fluence de telles sociétés, sur les élections politiques et administratives, s'exerce con-
formément à leurs propres intérêts. Cela explique pourquoi un grand nombre d'hom-
mes politiques et de représentants italiens peuvent, directement ou non, avoir des
attaches avec la ,, Commerciale" et indirectement avec la politique germanique. En
Italie, comme en toute autre nation à régime parlementaire, les députés sont, sauf
quelques exceptions, les très humbles serviteurs de leurs électeurs, et ne peu-
vent se soustraire aux influences locales. Il est facile d'en déduire, par conséquent,
quels efforts doivent faire, et à quels compromis doivent se prêter ces députés dont
l'élection dépend de semblables institutions. Celles-ci, sachant que l'argent est aujour-
d'hui plus que jamais le nerf des luttes politiques, participent aux dépenses électo-
rales, et se garantissent de la sorte la reconnaissance déférente des hommes parle-
mentaires gratifiés ". L'auteur cite ensuite un passage du livre Rivelazioni
:
dent. C'est une chose trop connue pour que de longues démonstrations soient néces-
saires à cet égard. Qui ne sait que l'organe constamment fidèle à tous les gouverne-
ments de toute couleur qui se succèdent au pouvoir, est à ce point inspiré par un
avocat-prince [c'est ainsi qu'on appelle en Italie les avocats très renommés et très
puissants] très connu, lequel est lié à la ,, Commerciale'-, aux sociétés de naviga-
tion et au (p. 82) trust ternaire...? Ah uno disce omnes " La méthode de la ,, Com-
:
1482 CHAPITRE XII § 2269-2270
merciale " est en définitive toujours la même. Chacune des sociétés dépendantes doit
souscrire une part du capital d'un journal ou périodique déterminé. Celui-ci se
trouve en conséquence lié, tant à l'égard de l'établissement qui est l'un de ses co-
propriétaires, qu'à l'égard de ceux qui ont une communauté d'intérêts avec Tétablis-
ment. Les journaux reçoivent en outre des subventions sous diverses formes, le
plus souvent sous forme de contrats pour avis ut insertions, en faveur des indus-
tries existant dans les régions où ils sont publiés et répandus... Quelques industries
ont leurs journaux propres... " Cfr. | 1755.
§ 2271 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1483
ils durent aussi admettre, d'abord, que l'individu est seul juge de
la question de savoir si cette utilité subjective existe ou non, ensuite
qu'il est seul juge de l'intensité de cette utilité. Tout cela ne pour-
rait avoir collectivité, que si l'on pouvait la con-
un sens pour une
sidérer comme une
personne unique (§ 2130), ayant une unité de
sensation, de conscience, de raisonnement. Mais comme cela ne
concorde pas avec les faits, les déductions qu'on tire de cette hypo-
thèse ne peuvent concorder non plus avec eux. La notion des « be-
soins » collectifs est employée pour faire disparaître artificiellement
les difficultés qui naissent du fait que l'on doit considérer les di-
et qu'on peut dire, par exemple, qu'une circulation des élites, d'une
besoin des « honnêtes gens », des « patriotes », de ceux qui ont une
certaine foi, etc. ;
3°un besoin que la majorité effective de la collec-
Par exemple, si A et B sont deux partis d'un même pays, proclament simple- ils
ment qu'on ne peut admettre des lois différentes en A et en donner la S ; cela sans
raison de cette affirmation, et sans dire si on peut l'étendre à des pays différents,
ce qui conduirait à une législation uniforme sur tout le globe terrestre. Actuelle-
ment, ils ont trouvé une autre belle dérivation; ils disent ,, Aujourd'hui on vise :
principalement à l'économie des forces donc il ne faut pas parler aux citoyens de
;
nouveaux devoirs politiques ; il faut mettre lin à toutes les complications politiques
existant encore, et réduire l'Etat à un simple Etat commercial régi par des règles
uniformes". On
croirait assister à une réunion de cambrioleurs de coffres-forts, où
l'on dirait : Aujourd'hui on vise principalement à l'économie des forces; donc il
,,
ne faut pas entretenir des gardes ni des chiens pour surveiller les coffres-forts.
Ceux-ci doivent être tous du même type, afin d'épargner de la fatigue aux pauvres
1486 CHAPITRE XII §2273
bien, on veut les appliquer au quatrième, qui n'est autre chose que
la manifestation de la volonté des gouvernants ; ou encore à quelque
autre besoin de ce genre.
2273. Souvent, dans la matière qu'on appelle la science des
finances, nous avons donc deux genres de dérivations 1" des déri- :
tion, dans les ministères des différents pays, il s'est établi certaines
règles qui permettent de soutirer de l'argent en suivant la ligne de
moindre résistance. On sait tirer avantage des fortes commotions
qui peuvent se produire dans un pays ; on sait évaluer la force né-
cessaire pour pousser aux dépenses, force qui provient des per-
sonnes qui en retireront profits et bénéfices, et la force de résis-
tance aux nouveaux impôts, qui provient des personnes sur les-
quelles ils pèseront. On connaît les artifices capables d'accroître la
première et de diminuer la seconde. C'est après avoir tenu compte
de toutes ces circonstances que l'on décide les nouvelles dépenses
et les nouveaux impôts. Il n'y a pas grand mal si l'on recouvre en-
suite ces visées d'un vernis de dérivations qui les fasse apparaître
comme une conséquence logique de certains sentiments. Au con-
traire, cela peut être utile, car il est un grand nombre de personnes
sur lesquelles n'agissent pas, ou agissent faiblement les intérêts qui
poussent à désirer les nouvelles dépenses ou à résister aux nou-
diables qui veulent les forcer. De la sorte, quiconque a appris à en forcer U7i sait
les forcer tous. "
§ 2274 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1487
vent toujours des théoriciens qui se mettent à leur service pour leur
en fournira Mais il faut prendre garde que les dérivations sont
les conséquences des visées du gouvernement, non pas celles-ci
de celles-là.
2274. Si nous voulons résoudre le problème posé au § 2258,
nous devons tout d'abord écarter les dérivations dont nous avons
vu quelques exemples puis, ayant présente à l'esprit la complexité
;
prendre toujours la même, ou encore, comme il est facile de dire quel en sera le
montant total maximum tant que les organes ne changeront pas, capitalisons cette
annuité, c'est-à-dire créons autant de rentes publiques qu'il en faut pour que (p. 263)
le coupon annuel rapporte exactement cette annuit('. L'annuité est alors consoli-
dée ". Vient ensuite le troisième acte ,, Vendons cette rente;
: le produit servira
à des chemins de fer, à des routes, à des ports, à des fortifications, à retirer
des bons du trésor qui, à leur tour, ont servi à cent choses diverses, et reportons
l'annuité à la page des recettes ordinaires du budget, soit à leur poste naturel. ".
Les trois actes de la comédie nécessitent, on le comprend, un certain espace de
temps. Ce n'est pas le même gouvernement qui les joue, ni la même Chambre et la ;
presse qui vantait naguère comme un financier eminent celui qui consolida l'annuité,
vante aujourd'hui comme un financier plus grand encore celui qui fait l'opération
inverse. —
Mais ces opérations peuvent-elles vraiment se faire sans tous les faux
frais que nécessitent les chemins détournés et secrets? Il semble que non. Mundus
vult decipi».
1488 CHAPITRE XII §2274
trop peu connue pour que nous puissions l'affumer. (lib) Si l'ar-
tifice et la ruse sont surtout employés pour agir sur les intérêts —
ce qui d'ailleurs ne veut pas dire qu'on néglige les sentiments — on
a des gouvernements comme ceux des démagogues à Athènes, de
l'aristocratie romaine à diverses époques de la République, de
nombreuses républiques du moyen-àge, et enfin le type très impor-
tant du gouvernement des «spéculateurs» de notre temps.
2276. Les gouvernements de tout le genre II, même ceux qui
agissent sur les sentiments, possèdent une classe gouvernante chez
laquelle les résidus de la I"' classe prédominent sur ceux de la IP.
En effet, pour agir efficacement par l'artifice et par la ruse, tant sur
les intérêts que sur les sentiments, il faut posséder l'instinct des
combinaisons à un haut degré, et ne pas être retenu par trop de
scrupules. La circulation des élites est habituellement lente dans le
sous-genre (Il-a); elle est au contraire rapide, et parfois très rapide,
dans le sous-genre (H-t). Dans le gouvernement de nos « spécula-
teurs», elle atteint un maximum. Les gouvernements du sous-genre
(Il-a) sont habituellement peu coûteux, mais aussi peu produc-
teurs plus que d'autres, ils endorment les populations et ôtent
;
proie des voisins qui savent user de la force par conséquent, ils
;
les dépenses, tel qu'il assure une grande prospérité au pays mais ;
parce qu'ils ont une certaine force pour se défendre, tandis qu'ils
acquièrent une importante prospérité économique. Ils courent le
risque de la dégénérescence de (U-b), et en outre s'exposent à ce
que proportion qu'ils renferment du type (I) se réduise par trop,
la
ce qui les met presque certainement en danger d'invasion étran-
gère. Ce phénomène a joué un rôle dans la destruction de Carthage
et dans conquête de la Grèce par les Romains.
la
2282 1 On trouvera sur ce sujet une excellente étude dans Rigcatîdo Baghi Metodi ;
2282 3 On doit faire des o))servations analogues au sujet des prix des mar-
chandises qui sont l'objet du commerce international. Négligeons le fait que
l'évaluation de ces prix est imparfaite et incertaine. Si même elle était parfaite,
on ne devrait pas diviser les totaux du commerce des marchandises par le prix
de ces marchandises, lorsqu'on a en vue d'obtenir un indice de la prospérité
économique. On sait assez que les périodes de prospérité industrielle sont aussi
des périodes de prix élevés, et que vice-versa, dans les dépressions économiques,
les prix sont bas. Il se présente des cas particuliers où ce rapport devient encore
plus évident. Par exemple, si nous voulons avoir un indice de la prospérité du
Brésil, il faut porter notre attention sur le prix total du café exporté. Si l'on divisait
ce total par le prix de l'unité de poids du café, on aurait les quantités de café exporté,
qui sont bien loin d'être, avec la prospérité du pays, dans le même rapport que le
prix total du café exporté. De même, pour la prospérité des mines de diamant du
Gap, il importe beaucoup plus de vendre des diamants à un prix total élevé, que de
vendre beaucoup de diamants à un prix total bas. C'est pourquoi ces mines se sont
groupées en un syndicat, et s'efforcent de vendre les diamants à un prix tel qu'il
donne un total élevé. Il est à présumer qu'elles connaissent mieux les critères de
leur prospérité économique que certains auteurs disposant des statistiques d'une
manière peu judicieuse.
1494 CHAPITRE XII § 2284-2285
catégorie {b) qui agit sur les cycles, et que les phénomènes rappelés
tout-à-l'heure, dépendant de l'alfluence des métaux précieux, ne
constituent qu'une partie de cet ensemble. C'est pourquoi les con-
séquences de ces phénomènes peuvent être partiellement annulées
par les conséquences en sens contraire d'autres phénomènes ou ;
quelle, d'ailleurs, bien que notable, a peu d'influence sur les événe-
ments.
2290. Depuis le milieu du XVII'^ siècle jusque vers l'an 1720,
avec une grossière approximation, nous avons une période de
calme pour la prospérité économique, et une période dans laquelle
la production des métaux précieux ne varie pas beaucoup. Mais
après 1720 et jusque vers 1810, toujours d'une manière grossière-
ment approchée, on a une période de rapide augmentation de la
production des métaux précieux, et une période de prospérité éco-
nomique, qui se manifeste principalement en Angleterre, tandis
que, sur le continent, elle est troublée par les guerres de la révolu-
tion française. Celle-ci apparaît tout à fait comme un phénomène
de la combinaison (IV), c'est-à-dire un phénomène dépendant de la
circulation des élites. Après 1810, nous sommes aidés par des sta-
tistiques, d'abord peu parfaites, puis toujours meilleures aussi ;
22921 Cette étude est ici reproduite en partie de V. Pareto Alcune relazioni
;
mais sans aucun doute, elle a été aussi un effet de cette prospérité.
Aujourd'hui, la majeure partie de l'or n'est plus extrait des allu-
vions, comme c'était le cas au début, en Californie et en Australie.
On l'extrait de mines, où il faut des travaux souterrains très coû-
teux, et des machines très chères. C'est pourquoi la production de
l'or n'est aujourd'hui possible que moyennant des capitaux im-
les prix, mais que ceux-ci, à leur tour, réagissent sur cette produc-
tion, en faisant croître le coût de l'extraction. Il existe actuellement
un grand nombre de mines à minerai pauvre, qui ne peuvent être
exploitées avec les prix actuels de la main-d'œuvre et des installa-
tions. Elles pourraient être exploitées, sitôt que ces prix diminue-
raient, même d'une petite quantité. Cela pourra se produire au fur
et à mesure que l'on exploitera le minerai riche.
2298. Ces rapports appartiennent à la catégorie économique
désignée par (b) au §nous font voir comment cet ensemble
2205. Ils
(b) se constitue de ses différentes parties mais nous ne devons pas
;
nous arrêter sur ce point il faut examiner les actions et les réac-
:
tions entre cette catégorie et les autres. Nous l'avons déjà fait, sans
tenir compte des ondulations, dans le cas particulier de la protec-
tion douanière. Nous sommes partis de là pour traiter de la protec-
tion économique, et aussi, plus généralement, des cycles d'actions
et de réactions entre les différentes catégories d'éléments (§ 2208 et
sv.). Ce que nous avons dit alors pourra, avec des adjonctions et
des modifications légères, nous faire connaître le phénomène, même
dans le cas des ondulations.
2299. Occupons-nous maintenant de l'état économique et social
des peuples civilisés, depuis le début du XIX^ siècle jusqu'à nos
tandis que le politicien qui ne prend rien pour lui-même, mais qui
fait cadeau, aux frais du public, de plusieurs millions, et même de
plusieurs centaines de millions de francs à ses troupes, celui-là con-
serve le pouvoir et gagne en bonne réputation et en honneurs
(§ 2268).
2301. La circulation des élites d'aujourd'hui fait donc entrer
dans la classe gouvernante un grand nombre de personnes qui dé-
truisent la richesse, mais elle y en fait entrer un plus grand nom-
bre encore qui la produisent. Nous avons là une preuve très cer-
taine que l'action de ces dernières l'emporte sur celle des premières,
puisque la prospérité économique des peuples civilisés s'est énor-
mément accrue. En France, après 1854, au temps de la fièvre des
constructions de chemins de fer, plusieurs financiers peu hon-
nêtes, plusieurs politiciens, se sont enrichis et ont détruit de grandes
sommes de richesse mais des sommes incomparablement plus
;
eu lieu et ce qui a lieu, nous ne voulons pas aller plus loin. Le lec-
teur voudra bien se souvenir de cette observation dans toute la
suite de cet ouvrage.
2302. Dans les périodes où la prospérité économique croît ra-
pidement (§ 2294), il est beaucoup plus facile de gouverner que
lorsqu'elle est stagnante. On peut constater ce fait d'une manière
empirique, en comparant les états politiques et sociaux des périodes
économiques indiquées au § 2293. On peut dire qu'en France, les
succès du second Empire coïncident avec la période de prospérité
économique qui commence en 1854. Plus tard, surgissent des diffi-
cultés, et peut-être, même sans la guerre de 1870, l'Empire aurait-il
couru de très graves dangers dans la période 1873-1896. Ces dan-
gers ne manquèrent pas aux gouvernements de cette période, non
seulement en France, mais ailleurs aussi. Un peu partout en Eu-
rope, c'est le temps héroïque du socialisme et de l'anarchie. Bis-
marck lui-même, pourtant si puissant, a besoin, pour gouverner,
des lois exceptionnelles contre les socialistes. En Italie, cette pé-
riode aboutit à la révolte de 1898, domptée uniquement par la
§ 2302 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1503
« Pauvres diables, il est vrai qu'ils ont fait de beaux bénéfices mais ;
assez grand pour qu'en outre des grosses tranches que se taillent
1504 CHAPITRE XII § 2303-2305
comme la faim fait sortir le loup du bois ; mais le rapport entre les
conditions économiques et l'humeur de la population est bien au-
trement compliqué chez les peuples économiquement très dévelop-
pés, comme le sont les peuples modernes.
2305. Pour ceux-ci, comme nous l'avons déjà dit (§2299), il faut
que nous considérions principalement le cycle restreint dans le-
quel {b) agit sur (d), et vice versa. En un mot, on peut dire que,
pour se maintenir en place, les gouvernements modernes emploient
toujours moins la force et toujours plus un art très coûteux, et
qu'ils ont grandement besoin que la prospérité économique seconde
leur action qu'en outre, ils ressentent beaucoup plus les varia-
;
tends pas agiter des questions de légalité ou d'illégalité je n'entends pas non plus
;
Aujourd'hui, par une série d'articles qu'on a fait voter dans une quantité de lois
spéciales disparates, et grâce à une interprétation de plus en plus élastique, en fait
on en est arrivé à laisser à l'absolue discrétion du ministre du Trésor le soin d'en-
gager de très nombreuses dépenses effectives, en les faisant figurer dans un exer-
cice quelconque, et souvent même dans la catégorie qu'il préfère, et même de ne pas
les porter en compte tels que le ministre les expose à la Chambre, dans le budget
où ils ont été alloués. Dans son rapport financier, le ministre ne tient pas compte
de ces dépenses, aux premières évaluations des résultats de l'exercice. Il peut ainsi
toujours proclamer l'existence d'un gros boni effectif; après cela il obère ce boni
iipparent d'une série d'autres dépenses nouvelles ou d'augmentations de dépenses ;
et souvent même les unes et les autres sont déjà engagées et payées. Il arrive
ainsi qu'au moyen d'un budget de l'exercice écoulé, lequel budget présente un déficit
de 257 millions dans la catégorie I, et où l'on fait abstraction'icomplète de tout chiffre
pour la Libye, soit de plus de 7 millions, on continue à répandre dans le pays
SOCIOLOGIE 95
1506 CHAPITRE .\II §2306
mettre à la charge d'un futur et éventuel boni du budget, une dépense déjà engagée et
parfois même payée, au lieu de l'inscrire dans le budget de l'année où elle est engagée
ou faite? Que signifie le fait d'inscrire aux recettes de 1914-1915 une somme provenant
d'un budget antérieur? Et de la contrebalancer, aux dépenses, par une somme égale,
provenant d'une avance fictive du Trésor, c'est-à-dire, en réalité, d'un déficit dissi-
mulé ou d'un moindre boni réel d'un compte antérieur? Absolument rien, étant
données les conceptions qui sont à la base de nos institutions budgétaires. Ce sont
des formes vides, des artifices capables seulement de troubler toute clarté d'écriture
et de calcul. Le ministre Magliani inventa en son temps les dépenses ultra-extraor-
dinaires pour les travaux publics, auxquelles on devait pourvoir par une augmenta-
tion de dettes. De cette manière, il soustrayait ces dépenses au compte des bonis et
des déficits effectifs. Aujourd'hui tout cela semble primitif et suranné on recourt à des
;
méthodes plus spécieuses et raffinées. On fait voter, dans une loi quelconque, voire bud-
gétaire, ou bien l'on dispose par un décret-loi un article qui dise plus ou moins expli-
citement que l'on fera face à telles ou telles dépenses par prélèvements sur la Caisse,
ou bien par les moyens ordinaires de la Trésorerie, ou moyennant un compte-courant
avec la Caisse des Dépôts. Dès ce moment, on peut, si l'on veut, faire toutes ces dépen-
ses sans en porter le chift're en compte dans les résultats du budget d'après lequel elles
sont engagées, telles qu'elles sont données dans les rapports financiers. On se met ainsi
en mesure de déclarer un boni au budget, et puis, sur ce boni, on attribue à volonté une
somme, soit à d'autres dépenses nouvelles, soit au remboursement du Trésor pour
d'autres anticipations faites sous diverses formes. On rend ainsi plus ais»^ le jeu du
boni rotatif. Qu'on suppose une série d'exercices pour lesquels on autorise une
dépense extraordinaire, par exemple de boO millions pour des constructions navales.
i^
2306 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1507
porter du tout en compte, dans le prochain rapport financier, cette dépense au pré-
judice du boni effectif, cela en argumentant spécieusement qu'il s'agit simplement
d'une anticipation d'allocation; 3" de pouvoir faire apparaître l'année suivante le
poste correspondant, comme un remboursement au Trésor dans la catégorie III,
c'est-à-dire comme une augmentation du patrimoine de l'Etat. En somme, cette
dépense n'est jamais donnée pour ce qu'elle est, ni avant ni après, dans la mise en
scène parlementaire... J'ai fini. Que l'on ne cherche pas more solito à fermer la
bouche à toute critique, aussi pondérée soit-elle, en l'accusant de nuire au crédit de
l'Etat à l'étranger... » Le ministre Tedesgo répondit, non pas en niant les faits, qui, à
vrai dire, sont indéniables, mais en observant que depuis 1910, on avait employé des
procédés analogues aux siens en quoi il n'avait pas tort
; : on ne pouvait discuter
que du plus ou moins. Pour les parlementaires, le fait est important il fournit un
:
motif d'accuser ou d'encenser tels ou tels hommes. Gela importe peu ou point à la
recherche des uniformités, que seules nous avons maintenant en vue. En somme, la
défense du ministre confirme l'existence de l'uniformité relevée. Parlant au Sénat
français, le député Ribot lit des reproches analogues au budget de son pays, et les
ministres ne purent pas lui prouver le contraire. Mais tout cela est inutile, parce
que ces faits ne sont pas uniquement le résultat de la faute de certains hommes poli-
tiques, mais surtout la conséquence des institutions ploutocratiques et démagogiques
auxquelles on donne aujourd'hui le nom de démocraties. Le député Ribot a cultivé
avec amour et fait croître vivace la plante qui porte les fruits dont il s'étonne ensuite,
on ne sait trop pourquoi.
1508 CHAPITRE XII ^ 2307
fixe, gens qui ont généralement plus puissants les résidus de la per-
pas permis à l'actionnaire qui refuse de faire partie de la nouvelle société, de récla-
mer simplement sa part de l'actif de la société ancienne. Il y a des sociétés qui se
,, reconstruisent" plusieurs fois de la sorte. Le conseil d'administration amène
certains compères qui ,. garantissent " underwriting l'oT^èrsitioD.. Autrement dit,
recevant en paiement une somme, souvent considérable, ils prennent l'engagement
de retirer pour leur compte les nouvelles actions qui n'auraient pas été acceptées
par les anciens actionnaires. Il existe des sociétés qui n'ont jamais payé un sou de
dividende à leurs actionnaires, et qui, tous les deux ou trois ans, procurent de
cette façon de respectables bénéfices à leurs administrateurs. Dans un petit nombre
de cas, l'opération peut être avantageuse pour les actionnaires aussi mais il ne ;
leur est pas donné de distinguer ces cas des autres, car la loi n'accorde pas à cha-
que actionnaire en particulier le droit de se retirer en recevant sa part de l'actif. En
Italie, le législateur avait commis 1',, erreur" d'accorder ce droit. Mais il la corri-
gea pour complaire à certains rois de la finance, amis des politiciens. Avanti, —
13 mars 1915 Gi^osses spéculations de banques. Nous sommes informés que trois
:
grandes banques ont fusionné ces jours derniers... Pour faciliter l'afTaii-e, le
gouvernement a fait, comme nous l'avons signalé, un accroc au code civil et au
code commercial, en présentant un projet de loi qui suspend pour une année le droit
de se retirer appartenant aux actionnaires des sociétés anonymes". Il faut ajouter
que, même quand les actionnaires ont ce droit, les difficultés et les dépenses néces-
saires pour l'exercer sont si grandes, qu'il demeure presque toujours lettre morte.
De cette façon, on s'efforce de barrer tous les chemins par lesquels le simple pro-
ducteur ou possesseur d'égargne pourrait échapper à la poursuite des ,, spécula-
teurs ". Le projet de loi auquel V Avanti fait allusion fut approuvé par le Parlement
1512 CHAPITRE XII ï^
2313
modeste épargneur, et je demande quel usage vous avez fait de mes épargnes...
Quand on parla de fusion entre des Instituts —
dit [l'orateur] —
il eut la grande
et qu'ils les aidaient à distraire de leurs exploits l'attention du public. Depuis tant
d'années que les antisémites combattent avec acharnement, qu'ont-ils obtenu ? Rien,
absolument rien. Qu"ont obtenu leurs adversaires? Pouvoir, argent, honneurs. —
Parfois Tanticléricalisme n'est que le prétexte des bénéfices et des vengeances des
politiciens. La Liberté, 13 mars 1915 « ,, Brimades, injustices, vexations, injures,
:
souft'rances !" M. Barrés résume ainsi le tableau des scandales auxquels donne lieu
dans toute la France l'allocation des indemnités aux familles des mobilisés. Les
haines locales, les rancunes politiques et les combinaisons électorales inspirent la
plupart des fonctionnaires ou des délégués de la préfecture. ,, La commission ",
écrit une femme du département du .Jura, ,,m'a fait savoir que je ne recevrai rien
parce que mon mari était un catholique pratiquant". — ,, On a rejeté ma demande
parce que mon mari n'est pas du parti du maire ", écrit une femme de l'Ariège.
,, Vous êtes pour les curés", m'a-t-on répondu, écrit une femme du Lot. De son
côté, un journal révolutionnaire publie ce matin des réclamations du même genre
avec cette conclusion : ,, Des libres-penseurs souffrent par la volonté des fonction-
naires cléricaux". Gela prouve, en tout cas, que la distribution des allocations est,
de tous côtés, l'occasion de scandales et de vives protestations».
^ 2313 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1513
demain ils seront anarchistes, pour peu que les anarchistes soient
près de s'emparer du pouvoir ^ Mais ils savent n'être pas tout
entiers d'une couleur, car il convient de se concilier l'amitié de
tous les partis quelque peu importants. Sur la scène, on voit lutter
les uns contre les autres des spéculateurs catholiques et sémites *,
manque de courage, ils ne pouvaient pas et ne voulaient pas faire un coup d'Etat ;
aussi allaient-ils à tâtons dans l'obscurité. Ils ne surent pas non plus dépenser les
raillions des congrégations, et les gardèrent précieusement pour en faire profiter
leurs ennemis. Les gens craintifs et respectueux de la légalité ne se lancent pas
dans de semblables aventures. On voit bien l'influence de la persistance des agrégats
chez ceux qui croyaient Dreyfus coupable, et qui, ne voulant rien entendre d'autre,
affrontaient tous les dangers pour le faire demeurer en prison, sans penser que
lorsque tant de coupables savent se soustraire au danger, il importe peu qu'un
de plus ou de moins soit parmi ceux qui échappent. Chez leurs adversaires, il y
avait aussi des personnes qui ne voyaient autre chose que l'innocence présumée de
Dreyfus, et qui sacrifiaient tout pour sauver un innocent. La différence entre les deux
partis consistait en ce que l'un d'eux savait mettre à profit cette innocence présumée-
Du côté des anti-dreyfusards, on manquait de toute direction habile. Celle qu'ils
avaient était bien loin de pouvoir aller de pair avec la direction très avisée dont les
spéculateurs dotaient le parti dreyfusard. Pour citer un seul exemple, quel est le
chef du parti anti-dreyfusard qui puisse être comparé en habileté à Waldeck-Rous-
seau ? Avocat retors auquel les moyens de se rendre utile à son client étaient
inditFérents, il donna la victoire au parti dreyfusard. Il est vraiment un type de
chef des spéculateurs Il avait toujours été l'adversaire des socialistes, et se fit
.
leur allié. Il avait toujours été patriote, et confia l'armée de son pays à un
André, et la marine à un Pelletan. Il avait toujours défendu la propriété, et livra
comme butin à ses troupes le milliard des congrégations. Il avait toujours été
conservateur, et se fit le chef des plus audacieux révolutionnaires. En vérité, ni
les sentiments ni les scrupules ne l'embarrassaient, et ils ne l'empêchaient pas de
travailler à son profit.
bien se battre, mais l'on n'aime pas à se faire de mal. Si fort qu'on soit fâché, on
ne peut oublier qu'on est fâché contre un collègue [qui est souvent un complice].
Même lorsque la discussion cesse d'être courtoise, elle ne cesse point pour cela
d'être confraternelle. Les circonstances qui vous mettent aux prises aujourd'hui
passeront et l'on sait (p. 54) bien que demain on aura encore besoin les uns des
autres; alors, pourquoi prononcer des paroles irréparables? ». Ailleurs l'auteur
décrit les relations entre ministres et députés. Sa description s'applique à l'Italie
comme à la France, comme à tout pays possédant un gouvernement parlemen-
taire, «(p. 45) Lorsqu'un député a passé sa matinée à faire des démarches dans les
cabinets ministériels, il emploie son après-midi à contrôler les actes des ministres.
Pendant la moitié de la journée, il a demandé des services pendant l'autre moitié, ;
il demande des garanties. S'il a obtenu beaucoup de garanties, il ne demande (p. 46)
pas pour cela moins de services, mais quand il a obtenu, beaucoup de services, il
se montre quelquefois moins sévère pour les garanties — et c'est très humain». —
Avanti, 12 mars 1915 « Le budget électoral. Il est naturellement du même genre
:
que celui des Postes et que celui des Travaux publics. L'un des députés veut un
pont, l'autre une route, un autre un chemin de fer, un autre encore une route à
automobiles..., sauf à se plaindre plus tard parce que les dépenses croissent ainsi
que les travaux inutiles, et cela sans avoir jamais la sincérité d'avouer que les
profits de leur député croissent aussi aux yeux des électeurs naïfs. Ce député peut
être un malfaiteur, mais il ne néglige pas les intérêts locaux » (| 2562 i).
2314 ' Parfois même ils s'en réjouissent. Tous ceux qui vendent des marchan-
dises se plaignent si le prix de vente diminue. La seule exception est celle des pro-
ducteurs d'épargne, qui se réjouissent si l'intérêt de l'argent diminue, c'est-à-dire
le prix de l'usage de la marchandise qu'ils produisent. Les ouvriers dont on vou-
drait réduire le salaire de 4 fr. à 3 fr. 50 pousseraient les hauts cris, feraient grève,
se défendraient. Au contraire, les possesseurs d'épargne auxquels, grâce à la con-
version de la rente, l'Etat paie seulement 3 fr. 50 au lieu de 4 fr., ne lèvent pas le
petit doigt pour se défendre, et peu s'en faut qu'ils ne remercient celui qui les
§ 2315 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1515
toute petite fraction, tant par le nombre que par la somme d'épargne.
23lî>. On trouve un autre exemple de moindre importance,
dépouille. Il faut relever encore une étrange illusion des producteurs d'épargne, les-
quels se réjouissent quand haussent les prix des titres de la dette publique qu'ils
achètent avec leur épargne, et se lamentent s'ils baissent tandis que celui qui
;
achète les titres doit désirer les acheter au plus bas prix possible. Parmi les causes
de cette illusion, il y a peut-être la suivante. Soit un producteur d'épargne qui pos-
sède déjà 20 000 fr. de titres de la dette publique, et qui épargne chaque année
2000 fr., avec lesquels il achète d'autres titres. Si le prix en Ijourse des titres de la
dette publique monte de 10 o/o, les 20 000 fr. de notre individu deviennent 22000 fr.,
et il s'imagine s'être enrichi de 2000 fr. Ce serait le cas, seulement s'il vendait les
titres; s'il les conserve, il n'a pas un sou de plus, et il reçoit la même rente annuelle.
D'autre part, les 2000 fr. qu'il épargne chaque année, et qu'il emploie à acheter des
de la dette publique, lui rapportent moins il reçoit le 10 "/o de moins que ce
titres :
qu'il aurait touché, si le prix des titres de la dette publique n'était pas monté. En
conclusion, il est dans une moins bonne position qu'avant.
151G CHAPITRE XII §2316
^3161 Boughé-Leglergq Hist, de la div., t. III. Vers 590 av. J.-C, « (p. 158)
;
server, on inspirait à ceux qui auraient été tentés de voler le dieu une terreur
superstitieuse. Il était arrivé qu'un malfaiteur de cette espèce avsit été indiqué
aux prophètes — d'autres disaient dévoré — par un loup dont on montrait la sta-
tue à Delphes ». L'histoire des déprédations du temple commence par des légendes
qui, probablement, ainsi que cela arrive d'habitude, projettent dans le passé des
^ 2316 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1517
av'Aàv Tjde'Àc. «...et il commença à piller le temple». Une légende, rapportée par le
scholiaste de Tlliade (XIII, 302), d'après Phérécyde, nous montre les Phlegyes,
{'P'À.eyvaL] incendiant le temple de Delphes, et, pour ce méfait, détruits par Apollon.
Dans les temps historiques, la série des guerres sacrées, entreprises pour punir
les atteintes au temple et aux propriétés du dieu, s'ouvre par la guerre contre les
Griséens (600 à .590 avant J.-C). La seconde guerre sacrée (3.5-5 à 346 av. J.-G.) fut
dirigée contre les Phokiens. Leur chef, Philomelos, à la tête d'une troupe de mer-
cenaires ricliement payés (Diod. XVI, 28 et 30), s'empara de Delphes. Il commen<'a
;
à mettre à contribution les plus riches Delphiens ensuite, ces ressources ne lui
;
suffisant plus, il étendit ses déprédations aux trésors du temple mais, peut-être de
;
bonne foi, il prétendit que ce n'était là qu'un emprunt. Il se peut que, semblable-
ment à ce qui s'observe de nos jours, il y ait eu des gens naïfs qui ont cru alors à
ces belles promesses A ce propos, Grote observe (XVII) « (p. 68 note 2)... Une pro-
:
position semblable avait été émise par les envoyés corinthiens dans le congrès à
Sparte, peu de temps avant la guerre du Péloponèse ils suggérèrent comme l'un
;
proposition dans l'assemblée athénienne ,, dans des vues de sécurité ", on pouvait
:
employer les richesses des temples pour défrayer les dépenses de la guerre, sous
condition de rendre le tout après (...Thugyd. II, 13). Après le désastre subi devant
;
Syracuse, et pendant les années de lutte qui s'écoulèrent depuis cet événement
jusqu'à la fin de la guerre, les Athéniens furent forcés par des embarras financiers
de s'approprier pour des desseins publics beaucoup de riches offrandes renfermées
dans le Parthenon, objets qu'ils ne furent jamais plus tard en état de remettre ».
La promesse faite par le gouvernement français de rembourser ses assignats,
et une infinité d'autres promesses analogues, faites par d'autres gouvernements,
eurent un sort semblable. Gurtius t. V, c. 1, observe que la force de Philomélos
;
reposait sur des mercenaires, «(p. 66) Dans ces circonstances, c'eût été un miracle
si Philomélos avait pu observer la modération dont il s'était fait une loi publique-
ment proclamée. [Il en est de même pour les gouvernements modernes dont la force
repose sur les avantages qu'ils procurent à leurs partisans.] La tentation était trop
grande. On était le maître absolu du Trésor le plus riche de la Grèce devait-on, faute
:
d'argent, abandonner le pays à ses ennemis les plus acharnés ? A vrai dire, après
être allé si loin, on n'avait plus le choix. On créa donc une Trésorerie (Diod. XVI. ;
influents, comme
Dinicha, l'épouse du roi de Sparte Archidamos (Théopompe,
frag. 258, ap. Paus. III, 3, accuse Archidamos et Dinicha de s'être laissé corrompre),
et pour modifier favorablement l'opinion dans le camp des ennemis ».
Onomarchos et ensuite Phaylos, qui succédèrent à Philomélos, firent pis encore.
Enfin les Phokiens, vaincus par Philippe de Macédoine, furent condamnés à payer
annuellement une amende très considérable. La compensation entre le pillage et sa
punition était ainsi établie au point de vue éthique, mais elle n'existait pas au point
de vue économique car les mercenaires ne restituèrent pas l'argent de leur haute
;
paye, et l'amende fut payée, en petite partie par des restitutions, mais en grande
partie par de nouvelles atteintes à la propriété privée.
La troisième guerre sacrée (o39-3o8 av. .J.-G.) est en dehors de notre sujet. Nous
n'avons guère de renseignements sur l'occupation de Delphes par les Locriens et les
Etoliens, en 290 av. .I.-G. En 278 av. .J.-G. les Gaulois attaquèrent Delphes, en vain
disait la tradition grecque, le dieu s'étant chargé de défendre son sanctuaire; avec
succès disait une autre tradition, rapportée par ïite-Live (XXXVIII, 48) etiam :
coup d'argent pour la guerre, il viola les asiles sacrés de la Grèce et envoya chercher,
à Epidaure et à Olympic, les plus belles et les plus riches offrandes. (5) Il écrivit
aux Amphictyons, à Delphes, qu'on ferait bien de mettre en lieu sûr, auprès de lui,
les trésors du dieu; car il les garderait très sûrement, ou, s'il les employait, il les
rendrait intégralement». C'est ce que disent généralement les puissants quand ils
font des emprunts, de gré ou de force. Parfois ils tiennent leurs promesses, parfois
ils les oublient, ou bien ils payent en monnaie de singe. Sulla fit peut-être un peu
mieux, mais pas beaucoup. Après la bataille de Ghéronée, « (19) il mit à part
la moitié du territoire [des Thébains] et la consacra à Apollon Pythien et à Zeus
Olympien, ordonnant d'employer les revenus pour rendre à ces dieux l'argent dont
il s'était emparé ». Boughé-Leglergq, loc. cit., observe à ce propos « (p. 197) Apol- :
lon savait ce que vaudrait, Sulla une fois parti, sa créance sur les Thébains». Ges
spoliations successives et continuelles finirent par appauvrir entièrement le temple.
Strabon IX, 3, 8, p. 420. Le texte est corrompu. De la Porte du Theil (p. 458)
;
entend «Objet de la cupidité, les richesses, même les plus sacrées, sont difficiles à
:
conserver aussi le temple de Delphes est-il maintenant fort pauvre car si le plus
: ;
grand nombre des objets que l'on y avait successivement consacrés s'y trouve encore,
tous ceux qui avaient une valeur réelle ont été enlevés. Mais jadis il (p. Abd) futtrès
riche». Dans la collection Didot, on traduit Geterum divitiae, quia invidiae sunt
:
qu'au retour de l'ordre l'histoire des banqueroutes partielles, pratiquées chaque semes-
^2316 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1519
1789 par laquelle ,, l'assemblée déclare que la dette publique ayant été mise sous la
garde de l'honneur et de la loyauté française, nul pouvoir n'a le droit de prononcer
l'infâme mot banqueroute, nul pouvoir n'a le droit de manquer à la foi publique,
sous quelque forme et quelque dénomination que ce puisse être "... (p. 341) La loi du
30 septembre 1797 (9 vendémiaire an VI), connue sous le nom de loi du tiers consolidé^
votée par les deux conseils, raya définitivement du grand-livre les deux tiers des
rentes. Elle stipula leur remboursement en bons des deux tiers mobilisés et main-
tint seulement un tiers du (p. 342) montant de chaque inscription. Rappelons que les
arrérages de ce dernier tiers furent eux-mêmes payés en papier-monnaie jusqu'en
1801 ». C'est d'ailleurs là une pratique suivie par un grand nombre d'Etats modernes.
On vous doit 100 fr., on vous donne un morceau de papier avec de jolies vignettes,
sur lequel est inscrite cette somme qu'avez-vous à réclamer? Les puissants aiment,
;
tout en violant les lois de leur éthique, paraître les respecter, et il ne manque
jamais d'auteurs complaisants qui leur fournissent, et enseignent du haut de la
chaire, autant de dérivations que ces puissants en peuvent désirer pour leur justifi-
cation.
2316 2 Cours, %% 449 à 4.53, p. 324 à 332. L'auteur a eu le tort de ne pas se dégager
entièrement des considérations éthiques. Par exemple «(450) Il faut se débarrasser
:
du préjugé qui porte à croire qu'un vol n'est plus un vol quand il s'exécute dans les
formes légales». (Dérivation I-/3). Il s'était, au contraire, résolument écarté de telles
considérations, lorsqu'il écrivait «(441) Il n'est presque pas d'économiste qui
:
n'éprouve le besoin de décider si ,, l'intérêt " (le loj'er de l'épargne) est juste, équi-
table, légitime, moral, naturel. Ce sont là des questions qui sortent du domaine de
1520 CHAPITRE XII § 2316
l'économie politique, et qui, d'ailleurs, n'ont aucune chance d'être résolues si l'on ne
daigne pas auparavant définir les termes qu'on emploie». En ces observations se
trouve le germe du présent Traité de Sociologie.
23in3 Diet, encycl. de la théol. cath., s. r. Biens ecclésiastiques : « (p. 124) Les
Judéo-Chrétiens... ne voulaient pas, en tant que chrétiens, rester au-dessous de ce
qu'ils faisaient autrefois par devoir comme Juifs. Ils vendirent ce qu'ils possédaient
et en déposèrent le prix aux pieds des Apôtres. Les Pagano-Chrétiens s'empressaient
d'imiter ce zèle dévoué, d'autant plus que les religions païennes elles-mêmes fai-
saient à leurs adeptes une loi d'olMr des sacrifices aux dieux et des présents aux
prêtres; et, comme parmi les nouveaux convertis il y en avait beaucoup de riches,
des sommes considérables furent versées dans cette communauté de Ijiens volon-
taire formée par les premiers chrétiens». Maintenant ce sont les fidèles des diffé-
rentes sectes humanitaires, impérialistes, patriotiques, qui imitent les adeptes des
religions païennes et des chrétiennes.
inscriptum esset, honorum deorum, uti se eorum bonitate velle dicebat. Selon .Jus-
tin, XXIV, 6, le chef des Gaulois justifiait le pillage du temple de Delphes en
disant « Il est bon que les dieux, étant riches, donnent aux hommes», et aussi
:
:
« Les dieux n'ont pas besoin de ])iens, puisqu'ils les prodiguent aux hommes». Les
spoliateurs modernes pensent probablement de même, mais, sauf exception, ils
s'expriment avec moins de cynisme.
§ 2316 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1521
2316 6 Ainsi, par exemple, depuis les temps légendaires jusqu'au temps présent,
les spoliations des biens sacrés des païens se continuent très régulièrement par les
spoliations des biens sacrés des chrétiens ; il est impossible de ne
pas voir en ces
phénomènes les effets d'une seule et même force, qui opère depuis les temps les
plus reculés jusqu'à nos jours. Diet, encycl. de la théol. cath., s. r. Biens ecclé-
siastiques: «(p. 126) ...il est certain que l'Eglise possédait des propriétés immobi-
lières vers l'an 300 car, en 302, Dioctétien s'en empara, et cinq ans après Maxence
;
les restitua... L'édit de Licinius, promulgué d'accord avec Constantin, qui accorda
toute liberté à la religion nouvelle (313), ordonna en même temps la restitution de
tous les biens enlevés aux communautés chrétiennes. Les biens des temples païens
furent attribués à l'Eglise en même temps que certaines contributions du lise... Ce
système bienveillant de l'empereur fut à plusieurs reprises interrompu ou troublé,
notamment sous Julien l'Apostat, qui enleva tout à l'Eglise, jusqu'à ses vases
sacrés mais le zèle des successeurs de .Julien dédommagea l'Eglise des pertes
;
qu'elle venait de faire». Depuis lors, on trouve dans l'histoire une suite indéfinie
de ces flux et reflux des biens ecclésiastiques, comme on voit se succéder les flux et
reflux des marées de l'Océan.
MuRATORi; Antiq. ital., diss. LXXIII : De Monasteriis in beneficium con-
cessis. (p. 301) Ad Ecclesias, sive ad eorum Prtesules ac Rectores, multam, ut supra
vidimus, facultatum affluentiam detulit Ghristianorum pietas atque Religio reli- :
quum opum atque potentiœ ipsi Ecclesiastici viri quantis potuere viribus ac studiis
in sacrorura locorum sibi commendatorum utilitatem, simulque propriam intenti
sensim sibi peperere. Nunc addendum, contra fuisse et aliam Ghristifidelium par-
tem, unoquoque Sfeculo, cui nihil antiquius fuit, quam Ecclesiarum patrimonia aut
expilare aut quibus poterant artibus sua etflcere. Metebant iugi labore in Siecula-
rium campis Glerici, ac prœcipue Monachi vicissim vero et Sœculares nihil inten-
,
licet Regum impiam cousuetudinem, qui ut Magnatum animos in sua fide ac dilec-
tione contirraarent, sive ut remuneratione quapiara Militares viros ad maiores in
bello labores sustinendos accenderent, terras Eeclesiœ, ac pnecipue Monasteriorum,
SOCIOLOGIE 96
1522 CHAPITRE XII §2316
iis in Beneficium largieliantur, liberalitatis et grati animi famam facili rei aliense
profusione captantes. C'est exactement ce que l'on voit encore de nos jours.
Les biens ecclésiastiques s'accroissent non seulement par la piété des fidèles,
mais aussi par l'espoir que ceux-ci nourrissent d'être récompensés de leurs dons,
dans cette vie ou dans une autre. Ce sentiment d'une sorte de contrat avec la divi-
nité
: do ut des, prépondérant chez les Komains, ne disparaît pas avec l'avènement
du christianisme. Fustel de Coulanges La monarchie franque : « (p. 566) Tout
;
homme, à cette époque, était un croyant. La croyance, pour la masse des laïques,
n'était ni très étendue ni très élevée, peu réfléchie, nullement abstraite ni méta-
physique; elle n'en avait que plus de force sur l'esprit et la volonté [des résidus
et des intérêts, avec un minimum de dérivations]. Elle se résumait en ceci, que la
plus grande affaire de chacun en ce monde était de se préparer une place dans un
autre monde. Intérêts privés et intérêts publics, personnalité, famille, cité.
Etat, tout s'inclinait et cédait devant cette conception de l'esprit [il y avait
pourtant alors des exceptions, comme de nos jours pour la foi humanitaire ou
patriotique de tout temps de rusés compères ont su tirer parti de la foi d'autrui] ».
;
« (p. 598) La crédulité n'avait pas de limites. C'était trop peu de croire à Dieu et au
Christ, on voulait croire aux saints... C'était une religion fort grossière et maté-
rielle. Un jour, saint Colomban apprend qu'on a volé son bien dans le moment
même où il était en prières au tombeau de saint Martin il retourne à ce tombeau
;
à te dire, sainte Colombe si tu ne fais pas rapporter ici ce qui a été volé, je ferai
;
fermer la porte du ton église avec des tas d'épines, et il n'y aura plus de culte pour
toi. " Le lendemain, les objets volés étaient rapportés». (| 1321). De nos jours, c'est
la «justice immanente», ou autre entité de ce genre, qui se charge de besognes
analogues. « (p. 574) Les donations furent nombreuses. Elles avaient leur source dans
l'état des esprits et des âmes... (p. .575) Dès que l'homme croyait fermement à un
bonheur à venir qui devait être une récompense, l'idée lui venait spontanément
d'employer tout ou partie de ses biens à se procurer ce bonheur. Le mourant calcu-
lait que le salut de son âme valait bien une terre. Il supputait ses fautes, et les
payait d'une partie de sa fortune... Regardez en quel style sont rédigées presque
toutes ces donations. Le donateur déclare qu'il veut ,, racheter son âme", qu'il
donne une terre ,, en vue de son salut ", ,, pour la rémission de ses péchés ", ,, pour
obtenir Téternelle rétribution ". On voit par là que, dans la pensée de ces hommes,
la donation n'était pas gratuite. Elle était un échange, un don contre un don ; don-
nez, était-il dit, et il vous sera donné, date et dabitum. C'est ce que de nos jours
pensent les souscripteurs à de chanceux emprunts publics.
Les fidèles donnaient, et les puissants prenaient. Cela commença dès les temps
où la foi était profonde. D. Greg.; Hist. eccl. franc, IV, 2, (trad Bordier). « Le roi
Ghlothachaire avait récemment ordonné que toutes les églises de son royaume paye-
raient au fisc le tiers de leurs revenus tous les évêques avaient, bien contre leur
:
vadere, periculosa aut sua infestatione praesumpserit, nisi se citissime per Ecclesiae,
de qua agitur, satisfactionem correxerit, anathemate feriatur. Similiter et hi qui
Ecclesiae, iussu, vel largitione principum, vel quorumdam potentum, aut quadam
invasione, aut tyrannica potestate retinuerint, et filiis vel haeredibus suis quasi hœre-
ditarias relinquerint, nisi cito res Dei, admoniti a Pontifice, agnita veritate reddi-
derint, perpetuo anathemate feriantur. La malice des usurpateurs était grande ;
ils avaient imaginé de se mettre en possession des biens de l'Eglise, sous prétexte
de les conserver pendant les interrègnes. Le Concile les condamne. Les patrons
aussi se servaient des biens ecclésiastiques, les abbayes étaient usurpées. En l'an
9U9 fut tenu un Concile à Troslé près de Soissons. Fleury Hist. eccL, t. XL Dans
;
la préface des décrets de ce Concile on dit « (p. 615) Les villes sont dépeuplées, les
:
dont il reste quelques vestiges ne gardent plus aucune forme de vie régulière...
(p. 617) Le Concile s'étend ensuite sur le respect dû aux personnes ecclésiastiques,
les mépris et les outrages auxquels ils étaient alors exposés, et le pillage des biens
consacrés à Dieu ». Plus loin, t. XII, an 956 « (p. 115) Nous avons encore un traité
:
en nature, on vend les fruits à recueillir sous le nom de l'évêque futur, on diffère
son ordination jusqu'à ce que l'on ait tout consumé et enfin on donne l'évêché à celui
;
qui en offre le plus. En sorte qu'il n'y a point de terres si souvent pillées et ven-
dues que celles de l'église». L'Eglise d'Orient n'était pas mieux partagée que celle
d'Occident. Ibidem, X.^Y, (an 1115) (p. 17) ....l'empereur Manuel Comnène fit une
:
constitution par laquelle il renouvela la défense que son père avait faite de prendre les
biens des évêchés vacans. Nous avons appris, dit-il, qu'à la mort des évêques,
quelquefois même avant qu'ils soient enterrés, les officiers des lieux entrent dans
leurs maisons, dont ils emportent tout ce qu'ils y trouvent, et se mettent en pos-
session des immeubles de leurs églises... »
Si ce n'était pas seulement la piété qui poussait aux dons, ce n'était pas non
plus la seule impiété qui poussait à la spoliation. Le besoin d'argent était souvent
la cause principale. Il est fort probable que Sulla croyait en Apollon tout en dépouil-
laut le temple. De pieux monarques chrétiens n'agirent pas différemment. De nos
jours, de sincères humanitaires savent s'enrichir grâce à leur religion. Charles Mar-
tel était certes un prince pieux pourtant on l'accuse d'avoir dépouillé l'Eglise.
;
donc les premiers vassaux et le nouveau fisc qu'il créa, si l'on peut parler ainsi, fut
;
formé des biens des églises dont il leur livra la dépouille... Non seulement les biens
des églises, mais les églises même, les monastères, les chaires, furent la proie de sa
libéralité sacrilège. Il livra, ditun contemporain, les sièges épiscopaux aux laïcs et
ne laissa aucun pouvoir aux évêques. Un de ses capitaines, après la victoire, reçut à
lui seul pour récompense les sièges de Reims et de Trêves. Les monastères furent
envahis, ruinés ou détruits ; les moines chassés, vivant sans discipline, et
cherchant des asiles où ils pouvaient. Charles, dit un autre, détruisit par toute la
France les petits tyrans qui s'arrogeaient l'empire après quoi voulant récompenser
;
ses soldats, il attribua au fisc les biens des églises et leur en fit le partage. Cette vio-
lente usurpation du patrimoine ecclésiastique eut lieu danstoute la suite de ses longues
guerres. ,, Enfin, dit la chronique de Verdun, Charles dispensa avec une mons-
trueuse profusion, le patrimoine public à ses guerriers que l'on commença à appeler
1524 CHAPITRE XII § 2316
du nom de soldats ou (p. 456) soudoyés, et qui accouraient vers lui de toutes les par-
ties du monde, attirés par l'appât du gain... Le pillage du trésor royal, le sac des
villes, le ravage des royaumes étrangers, la spoliation des églises et des monastères,
les tributs des provinces, suffirent à peine à sa convoitise. Ces ressources épuisées,
il s'empara des terres des églises. Il donna évèchés à ses capitaines, soit clercs,
les
soit laïcs, et des sièges se virent plusieurs années sans pasteurs ».
La légende, qui s'était déjà chargée de la punition des spoliateurs du temple
de Delphes, se chargea aussi de la punition de Charles. Les spoliateurs de Delphes
eurent des peines terrestres, Charles, des peines en l'autre monde. Saint Eucher
d'Orléans vit aux enfers l'âme de Charles Martel. Les évèques signalent le fait en
une lettre adressée à Louis le Pieux. Bec. Grat., pars, sec, ca. 16, qu. 1, can. 59 :
Quia vero Carolus Princeps, Pipini Regis Pater, qui primus inter omnes Franco-
rum Reges, ac Principes res Ecclesiarum ab eis separavit, atque divisit, pro hoc
solo maxime est aeternaliter perditus. Nam s. Eucherius Aurelianensis Episcopus,
...in oratione positus, ad alterum seculum rap tus, et inter cetera, quae Domino sibi
ostendente conspexit, vidit illum in inferno inferior! torqueri. L'ange qui le guidait
en cette excursion lui dit que Charles souffrait cette peine à cause de ses rapines, et
qu'il fallait distribuer ses biens aux églises et aux pauvres. Qui [s. Eucherius] iii se
reversus s. Bonifacium, et Fuldradum Abbatem monasterii s. Dionysii... ad se
vocavit, eisque talia dicens insignum dédit, ut ad sepulcrum illius irent, et si Crorpus
eius ibidem non reperissent, ea, quae dicebat, vera esse concrederent. Ipsi autem
pergentes ad praedictum monasterium, ubi corpus ipsius Garoli humatum fuerat,
sepulcrumque ipsius aperientes, visus est subito exiisse Draco, et totum illud sepul-
crum interius inventum est denigratum, ac si fuisset exustum. Nos autem illos vidi-
mus, qui usque ad nostram aetatem duraverunt, qui huic rei interfuerunt, et nobis
viva voce veraciter sunt testati quae audierunt, atque viderunt. Quod cognoscens
filius eius Pipinus, synodum apud Liptinas congregari fecit... Nam et synodum
ipsam habemus, et quantumcumque de rebus Ecclesiasticis, quas pater suus abstu-
lerat, potuit, Ecclesiis reddere procuravit. Gratien ajoute Huius historiae mentio
:
etiam est in vita beati Eucherii... Qualis vero esset huiusmodi Ecclesiasticorum
bonorum divisio, quam Carolus Martellus induxit, Pipinus aulem, et Carolus Im-
perator prohibuerunt, eod. lib. primo Capitularium ante capitulum istud 83 sic
exponitur ,,...in Aquis fuit factum istud capitulum, propter hoc, quia Laici homi-
:
temps les grands, déclarant qu'ils étaient les asiles de la piété, de la religion. Puis
il s'engagea à ne plus frapper son peuple d'impôts nouveaux, même en cas de
guerres légitimes, à condition que les dépouilles des monastères lui seraient attri-
buées. Prévoyant la tempête, les moines avaient loué leurs terres par baux à long
terme, de sorte qu'une grosse part du butin ne lui revint que plus tard, mais les
trésors accumulés pendant des siècles tombèrent dans ses griffes. Une longue file de
chariots emporta l'or, l'argent et les pierres précieuses, que quatre siècles avaient
amassés autour de la châsse de Becket, le sanctuaire le plus riche de l'Angleterre,
peut-être de la chrétienté. Mais Wincester, Westminster, cent autres lieux consa-
crés étaient presque aussi riches... leurs trésors équivalaient probablement à toute
lamonnaie en circulation à l'époque et les terres des couvents occupaient, dit-on, le
tiers de la superficie du royaume. Le tout s'évanouit comme neige (p. 47) en été...
Après ces exploits, il semble n'avoir plus osé demander d'argent à son peuple. Tou-
tefois il s'avisa d'un moyen sûr de s'attaquer à sa bourse et se mit à émettre de la
monnaie altérée... »
Il de continuer, pour d'autres pays, cette analyse qui ne ferait que
est inutile
reproduire des faits analogues à ceux que nous venons de rappeler. En Allemagne,
la guerre des Investitures, la Réforme, la sécularisation des principautés ecclésias-
tiques, au temps de la Révolution française en France les abbayes distribuées, aux
;
[conducteur du peuple] voleur; quand il est gorgé, je le frappe, lorsqu'il est porté
en haut. ...(1147-1149)... je les force [les démagogues voleurs] à vomir ce qu'ils
m'ont volé ». A Rome, vers la fin de la République, les provinces étaient livrées à
des « spéculateurs », qui, par des largesses faites au peuple romain, acquéraient le
droit de les pressurer. Les despotes asiatiques et les africains faisaient dépouiller
leurs sujets par des agents qu'ils dépouillaient à leur tour. Les rois chrétiens lais-
saient les juifs, les usuriers, les banquiers s'enrichir, et'ensuite s'appropriaient leur
argent. En France, la Régence laissa bon nombre de personnes s'enrichir par de
scandaleuses spéculations qu'elle avait créées et favorisées, puis les força à rendre
gorge, avec des exceptions plus scandaleuses encore. Voir sur la spéculation à
laquelle donna lieu le système de Law :Ferrara Delia Moneta e dei suoi
:
1526 CHAPITRE XII §2316
surrogati — Raccolta délie prefazioni... vol. II, parte I. Cet auteur conclut :
Esurientes implevit bonis, et de l'autre côté était celui du roi Louis XV, avec ces
mots au bas Divites dimisit inanes. Plus loin, t. II, à propos du visa de 1721
: :
«(p. 273) ,,Ne parlez point de taxe, reprit le prince [le Duc de Bourbon]: on sait
trop les malversations qui se sont faites dans la dernière chambre de justice: ainsi
dans celle que l'on prétend créer de nouveau, il arrivera le même inconvénient. La
moindre femme obtiendra ce qu'elle voudra de M. le duc d'Orléans, pour faire
décharger ceux dont elle espérera récompense, afin de les favoriser. Ne croyez pas
que je dise ceci parce qu'il n'est pas ici présent, je le soutiendrais à lui-même " ».
H. MARxrN, Hist, de Fr., t. XVII «(p. 228) On établit des catégories qui per-
:
dirent du sixième aux dix-neuf vingtièmes [opération analogue à celle des impôts
progressifs, de nos jours], immense travail par lequel on tâcha, comme en 1716,
d'observer dans la (p. 229) violation de la foi publique une sorte de justice relative.
Cinq cent onze mille personnes déposèrent pour deux milliards cinq cent vingt-et-
un millions de papiers, qu'on réduisit de cinq cent-vingt-et-un millions restaient ;
environ dix-sept cents millions, qu'on admit comme capital de rentes viagères et
perpétuelles... Une très petite partie de la dette (quatre-vingt-deux millions et demi)
fut acquittée en argent ». Cette banqueroute avait été précédée par une autre ana-
logue, en 1715. H. Martin observe, à ce propos « (p. 161) L'histoire financière de
:
pouvait sortir». Il est singulier qu'un historien de valeur, comme l'était H. Martin,
n'ait pas vu qu'il ne s'agissait là, en somme, que d'un cas particulier d'un ph(''nomèiie
général.
Les hommes pratiques ont souvent des vues plus justes que les théoriciens.
Saint-Simon a bien vu que, pour interrompre le cycle des spoliations, il faudrait
empêcher de se produire le flux d'argent qui fournit la matière des appropriations ;
mais il s'est trompé sur l'efficacité des moj'ens. Saint-Simon Mémoires, édition ;
in-18, t. VII, p. 403 à 407. Il propose la banqueroute pure et simple, et y voit l'avan-
tage qu'on ne prêtera plus au gouvernement, et que celui-ci sera bien obligé de mo-
dérer ses dépenses, «(p. 404) Plus il [l'édit de la banqueroute] excitera de plaintes,
de cris, de désespoirs par la ruine de tant de gens et de tant de familles, tant direc-
tement que par cascade, conséquemment de désordres et d'embarras dans les
affaires de tant de particuliers, plus il rendra sage chaque particulier pour l'avenir ».
Saint-Simon se trompe. L'expérience faite en un grand nombre de siècles a démon-
tré que la naïveté des épargneurs est tout aussi tenace que la passion du jeu. « De
^ 2316 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1527
aux mains de qui les exploite mieux. Mais le plus souvent, les biens
provenant de la spoliation sont dissipés à l'instar de ceux que pro-
cure le jeu, et le résultat final est une destruction de richesse. Les
vétérans enrichis par Sulla, au bout de peu de temps étaient retom-
bés dans le besoin (§ 2577 ^). Nos contemporains peuvent voir le
là deux d'un merveilleux avantage impossibilité au roi de (p. 405) tirer ces
effets :
sommes immenses pour exécuter tout ce qui lui plaît, et beaucoup plus souvent qu'il
plaît à d'autres de lui mettre dans la tête pour leur intérêt particulier impossibilité ;
qui le force à un gouvernement sage et modéré, qui ne fait pas de son règne un
règne de sang et de brigandages et de guerres perpétuelles contre toute l'Europe
bandée sans cesse contre lui, armée par la nécessité de se défendre... L'autre effet de
cette impossibilité délivre la France d'un peuple ennemi, sans cesse appliqué à la
dévorer par toutes les inventions que l'avarice peut imaginer et tourner en science
fatale [ce qui est devenu la science des finances de notre époque] par cette foule de
différents impôts [encore plus nombreux de nos jours], dont la régie, la perception
et la diversité, plus funeste que le taux des impôts mêmes, pour ce peuple nom-
breux dérobé à toutes les fonctions utiles de la société, qui n'est occupé qu'à la
détruire, à piller tous les particuliers, à intervertir commerce de toute espèce...»
C'est un «rentier» qui parle il voit une des faces de la médaille, un « sp(^culateur »
:
richesse qui existe sur notre globe. On arrive ainsi, pour la répar-
tition de la richesse, à des résultats tout aussi absurdes que ceux
que l'on obtiendrait pour le total de la richesse.
En présence de tels faits, solidement établis, on s'est arrêté à la
conclusion que la théorie et les calculs des intérêts composés ne
peuvent pas s'appliquer à une partie notable de la population, pen-
dant un temps fort long conclusion qui, à vrai dire, reproduit
;
peut nous fournir des considérations utiles pour l'étude des phénomènes sociaux.
L'auteur du Cours ayant insisté longuement sur la nécessité de tenir compte de
la mutuelle dépendance des phénomènes, on ne saurait voir en un oubli général de
cette mutuelle dépendance la source principale de son erreur. Pourtant on peut dire
que, en particulier, la mutuelle dépendance des phénomènes économiques et des
phénomènes sociaux est parfois un peu négligée par lui. Mais son erreur a surtout
pour cause le fait qu'il ne tâche de soumettre que les phénomènes économiques à
une rigoureuse analyse scientifique. Quand il s'agit des phénomènes sociaux, il
accepte souvent les théories toutes faites que lui fournissent l'éthique courante et les
jugements a priori de la société et du temps où il vit. C'est d'ailleurs là un prin-
cipe qui a guidé et qui continue à guider le plus grand nombre des économistes, et
c'est pour cela qu'il est utile d'en signaler l'erreur.
L'auteur du Cows paraît croire, au moins implicitement, que ce qui est contraire
à l'éthique est nuisible à la société, et que ce qui est déclaré blâmable par les opi-
nions courantes, qu'il fait siennes, doit être évité. On voit là d'abord l'influence des
résidus et principalement de ceux du genre Il-f. Les résidus du genre IV-e 3 inter-
viennent aussi. L'auteur a étudié avec tout le soin possible les phénomènes écono-
miques; il croit, à tort ou à raison, avoir obtenu des démonstrations scientifiques, il
a l'impression, lorsqu'il traite de ces phénomènes, d'être sur un terrain solide, ne
se soucie nullement du blâme que peut lui infliger le sentiment, et n'a cure des opi-
nions régnantes si elles ne sont pas justifiées par l'expérience. Mais, arrivé sur le
terrain des phénomènes sociologiques, il comprend qu'il ne les a pas encore étudiés
avec une rigoureuse analyse expérimentale, et qu'il se trouve sur un terrain mou-
vant il hésite à rompre en visière avec certaines opinions dont il ne se sent pas encore
;
genre Ill-a, et probablement aussi du genre Ille. Au point de vue de la seule logique,
il y trouve d'ailleurs, à juste titre, une incontestable réfutation des rêveries des adu-
lateurs de l'Etat éthique. C'est encore là un phénomène général une dérivation erro-
:
née appelle une réfutation qui, parfaitement fondée sous l'aspect de la pure logique,
paraît l'être aussi sous l'aspect expérimental. Marx donne une théorie absurde de la
valeur, théorie qui exagère fortement l'erreur de celle de Ricardo on la réfute et on
;
croit, par là, avoir réfuté son socialisme. C'est une erreur. La polémique au sujet
des dérivations n'atteint pas la nature expérimentale des phénomènes.
Le changement qui s'observe dans la Sociologie provient principalement de ce
que l'auteur a étendu la méthode expérimentale aux phénomènes sociaux qu'il a ;
1530 CHAPITRE XII § 2316
sait Athènes jusqu'à nos jours, le taux de l'intérêt a subi des varia-
tions successives, le faisant augmenter et diminuer tour à tour, et
qu'il est loin d'être tombé à zéro en notre temps. Il faut donc écarter
l'hypothèse d'un taux d'intérêt se réduisant, à la longue, à zéro ; et
alorson est forcé d'admettre que si l'accumulation qui serait la
conséquence des taux réels d'intérêt ne se produit pas, c'est parce
tâché, pour autant que sa connaissance et ses forces le lui permettaient, de ne plus
rien admettre a priori, ou en se soumettant à l'autorité, aussi respectable fût-elle,
de ne plus se fier en aucune manière au sentiment, que ce fût le sien propre ou celui
d'autrui, de pourchasser, autant que faire se pourrait, toute intrusion de la métaphy-
sique et des différentes théologies, et en somme de tout soumettre au critérium
exclusif de l'expérience.
2316" Cours, %% 4G6, 471 1. La description du phénomène est telle que nous pou-
vions la donner alors que nous n'avions pas encore la théorie générale de la forme
ondulée des phénomènes sociaux (is^ij 1718, 2293, 2330). Elle a pourtant le mérite
d'être opposée à la théorie optimiste de la diminution du taux de l'intérêt théorie
;
qui régnait en ce temps, et que les faits qui se sont vérifiés depuis lors se sont char-
gés de réfuter.
§ 2316 FORME GÉNÉIRALE DE LA S0CIP:TÉ 1531
cas particulier d'un phénomène très général (§§ 2293, 2330), et les
oscillations révèlent et manifestent les différentes forces qui agis-
sent sur l'agrégat social.
D'autres effets ont une importance tout aussi considérable que
les effets économiques. Si nous nous plaçons au point de vue de la
circulation des élites, les mesures ayant les caractères de catastro-
phes, de violence, ou même simplement d'une application très
pesant sur l'épargne déjà existante, l'épargne future acquiert une plus grande
valeur. Par exemple, en 1913, on parlait d'établir un impôt sur la rente fran-
çaise, ce qui fit baisser en bourse le prix de la rente. Dans un phénomène si
compliqué, il est impossible de trouver un rapport précis entre le taux de l'impôt
et le cours de la rente. Mais faisons une hypothèse, uniquement pour donner
une forme concrète à des considérations abstraites. Supposons que l'impôt soit
du 5 "/o sur le coupon, lequel par conséquent, au lieu de 3 fr. pour 100 de capital,
sera seulement de 2,85 fr. Si le prix de la rente baisse précisément de 5 "/o
comme le coupon, et si, du prix de 92, par exemple, elle descend à 87,40, les
anciens possesseurs d'épargne perdent une certaine somme les nouveaux produc-
;
intérêt qu'ils auraient, si la rente était demeurée à 92, sans impôt sur le coupon. II
y a deux autres cas 1° si la rente demeure au-dessus de 87,40, les anciens possesseurs
:
d'épargne perdent moins et les nouveaux quelque peu il y a une baisse générale de
;
1° ils s'approprient une partie de l'argent enlevé aux anciens possesseurs d'épargne;
2° ils reçoivent un intérêt du capital supérieur pour leurs épargnes, lesquelles sont
faciles à amasser grâce à l'augmentation des bénéfices. Ce mouvement ne peut con-
tinuer indéfiniment, non par suite de la résistance de ceux auxquels on enlève leurs
biens, mais à cause de la réduction de la production, par suite de l'accroissement de
l'intérêt des capitaux en outre, parce que la facilité de gagner qu'ont les spécula-
;
teurs induit les gens à dépenser plus qu'à épargner. Il est facile de comprendre
qu'avec la somme totale de 850 milliards de francs d'épargne existant dans le monde,
cet effet ne peut être que très lent. Avant qu'il modifie profondément le phénomène,
des forces d'un effet plus prompt peuvent intervenir, comme celle que produit la
concurrence internationale, celle de l'usage que l'on fait de l'épargne, et celle de
remploi de la force pour arracher leur proie aux spéculateurs;
§ 2321 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1535
sur les résidus (o) et sur leurs dérivations (c). La seconde action est
facile à connaître, parce qu'elle nous est révélée par la lecture et
par un très grand nombre de faits. 11 n'en est pas ainsi de la pre-
mière, qu'il faut découvrir sous ces manifestations. En général, on
se trompe parce qu'on la suppose beaucoup plus grande qu'elle
n'est en réalité. Par exemple, il y a quelques années, on aurait pu
croire que le cycle (b) (d)-(d) (b) avait modifié beaucoup les résidus
(rt), en ce sens qu'il n'avait laissé subsister chez les hommes que
23201 Le phénomène est très connu, et les ouvrages qui le décrivent sont innom-
brables mais il ne doit pas être disjoint des autres phénomènes du régime poli-
:
tique actuel. Depuis une centaine d'années, on n'entend que lamentations sur l'ac-
croissement de la bureaucratie, en nombre et en pouvoir et celle-ci, d'un mouve-
;
« ...Savez-vous que le budget des colonies, 1915-1916, prévoit 7 577 900 fr. pour payer
les employés L'éléphantiasis bureaucratique trouve aux colonies son paradis. [Sic]
:
Gela explique bien des choses, entre autres l'indulgence démocratique pour l'impé-
rialisme, sauveur, bienfaiteur des classes misérables de la petite bourgeoisie intellec-
tuelle, satellite du gros capitalisme financier, auquel il procure des prébendes hono-
rifiques, et qu'il empêche d'aller s'unir au prolétariat des usines ». On n'a qu'à
généraliser ces observations, limitées aux intérêts d'un parti, et l'on aura la des-
cription du phénomène que l'on observe aujourd'hui dans presque tous les pays
civilisés.
153b CHAPITRE XII ^2322-2324
raison, tandis que toutes les traditions sont tenues pour de vieux
préjugés. Que l'on parcoure la littérature à Rome, au temps des
:
2326 1 Au sujet de certains motifs sociaux qui attirent dans le parti socialiste ou
dans le parti « démocratique» plusieurs personnes qui ne sont pas des spéculateurs,
SOCIOLOGIE 97
1538 CHAPITRE XII § 232(5
dans les livres, dans les journaux, dans les productions théâtrales,
dans les discussions parlementaires, toutes les personnes aisées
déclarent vouloir le bien des prolétaires. Entre elles, il n'y a de
discussion que sur la manière de réaliser ce bien, et c'est d'après
ces diverses manières que se constituent les différents partis. Mais
toute la bourgeoisie aisée ou riche de notre temps est-elle vraiment
devenue si soucieuse du bien d'autrui et si négligente du sien
propre? Qui donc croirait que nous vivons au milieu de tant de
saints et d'ascèles? Ne serait-ce pas que quelque Tartufe, conscient
ou inconscient, se fauffle parmi eux? Lorsque certains riches per-
sonnages, tels que Caillaux, se donnent tant de mal pour établir
l'impôt progressif, sont-ils vraiment mus uniquement par le désir
de partager leurs biens avec autrui, sans qu'il y ait même un brin
voir RoBKRT Mrr.HELs: Les partis politiques : «(p. 186) Il est des personnes bonnes
et charitables qui, pourvues en abondance de tout ce dont elles ont (p. 187) besoin,
éprouvent parfois le besoin de se livrer à une propagande en rapport à leur situa-
tion spéciale... Dans les cerveaux malades de quelques personnes, dont la richesse
n'égale que leur amour du paradoxe, est née cette croyance fantastique que, vu
l'imminence de la révolution, elles ne pourront préserver leur fortune qu'en adhé-
rant préventivement au parti ouvrier et en gagnant ainsi la puissante et utile amitié
de ses chefs [ces personnes suivent, sans avantage direct, la même voie que parcou-
rent les spi'Tulateurs avec un gros avantage pour eux-mêmes]. D'autres encore,
parmi les riches, crurent devoir s'inscrire au parti socialiste, parce qu'ils le consi-
dèrent comme un refuge contre l'exaspération des pauvres. Très souvent encore,
l'homme riche est amené à se rapprocher du socialisme, parce qu'il éprouve la plus
grande difficulté... à se procurer dorénavant de nouvelles jouissances... (p. 188) Mais
il existe, parmi les socialistes d'origine bourgeoise, d'autres éléments .. H y a avant
tout la phalange de ceux qui sont mécontents ,, par principe "... Plus nombreux
encore sont ceux dont le mécontentement tient à des raisons personnelles... Beau-
coup détestent, consciemment ou non, l'autorité de l'Etat, parce qu'elle leur est
inaccessible... 11 existe encore d'autres types qui se rapprochent de ceux que nous
avons énumérps. Les excentriques d'abord... Mais il est des gens qui sont en haut et
éprouvent un besoin irrésistible de descendre en bas... Qu'on ajoute encore à toutes
ces catégories celle des déçus et des désenchantés...»
§ 2327 FORME GIÎNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1539
du désir opposé, de les accroître? Tout est possible, maisil est des
mais ils sont au contraire fort avisés, car, tandis que d'autres
bavardent, eux accroissent leur fortune. Les spéculaleiirs semblent
de même dépourvus de sagesse, lorsqu'ils se montrent favorables à
l'impôt progressif, ou qu'ils le décrètent; ils sont au contraire très
sagaces quand, grâce à ce jeu, ils peuvent effectuer des opérations
dont ils retirent beaucoup plus que ne leur enlève l'impôt ".
2327. Les industriels croyaient aussi, il y a un certain temps,
que toute augmentation de salaire de leurs ouvriers devait faire di-
minuer le profit de l'industrie. Mais l'expérience leur a aujourd'hui
appris qu'il n'en était pas ainsi que les salaires des ouvriers elles
:
«En France, les «progressistes» sont contraires à l'impôt progressif sur le revenu
parce qu'ils savent que ce n'est p^is à eux qu'ira le produit de cet impôt; à Milan,
les « libéraux» ont établi cet impôt, parce que, ayant le pouvoir, ce sont eux qui en
dépensent le produit; et que ce produit ira à eux et à leurs troupes. Les «libéraux »
milanais ont un état-major composé principalement de personnes de la deuxième
cali'gorie [spéculateurs]; les «radicaux» s'appuient, en partie, sur des électeurs de
la première catégorie [rentiers]; il est donc naturel que, dans ces condilions, les
«libéraux» soient favorables, et les « radicaux » contraires à un impôt progressif.
Eu d'autres circonstances, par exemple, pour un impôt d'Etat, il pourrait ne pas en
être de même ».
1540 CHAPITRE XII ^ 2328
2328 • Il faut se rappeler ce que nous avons dit au § 2254 que les spéculateurs
:
ne doivent pas être considérés comme une seule et unique personne accomplissant
des actions logiques en vue de desseins prémédités {% 2542). Les faits sont une con-
séquence de l'organisation plus que de certaines volontés délibérées. En 1912, la
guerre des Balkans n'était pas voulue par la plupart des financiers européens, mais
eUe avait été préparée par leur action qui, épuisant les forces de la Turquie, devait
nécessairement faire de ce pays la proie de ceux qui l'attaqueraient. Parmi ceux-ci,
les financiers italiens furent alors les premiers en poussant à la guerre de Libye,
:
ils préparèrent directement la guerre des Balkans, préparée indirectement par l'ac-
tion de tous les financiers et spéculateurs européens. Ensuite, ils s'occupèrent et
s'occupent encore (en 1918), de se partager économiquement la Turquie d'Asie. Ils
préparent ainsi, indirectement peut-être et sans la vouloir, une nouvelle guerre dont
le but sera de transformer le partage économique en un partage politique. Il se peut
que cette guerre n'ait pas lieu mais si elle se produit, elle aura été préparée par
;
§ 2329 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1541
par conséquent aussi dans le conflit entre les actions logiques et les
actions non-logiques. C'est pourquoi il est très général et domine,
sous diverses formes, toute l'histoire des sociétés humaines. Il n'y
les spéculateurs, bien qu'au moment où elle éclatera, un petit ou un grand nombre
d'entre eux y soient peut-être opposés.
1542 CHAPITRE XII §2330
23301 Cours, t. II, | 925 «(p. 277) Les molécules dont l'ensemble représente
:
l'agrégat social oscillent perpétuellement. Nous pouvons bien, dans un but d'ana-
lyse, considérer certains étatséconomiques moyens, de la même manière que nous
considérons le niveau moyen de l'Océan mais ce ne sont là que de simples concep-
;
tions, qui, pas plus l'une que l'autre, n'ont d'existence réelle».
23302 Depuis le songe du Pharaon [Gen., 41), qui vit sept vaches grasses et sept
vaches maigres, sept épis gras et beaux et sept épis maigres et brûl(''S, jusqu'à la
théorie de Jevons mettant en rapport les crises économiques avec les périodes de
stérilité aux Indes, on a une infinité de conceptions semblables. Il faut remarquer
que le Pharaon voit les vaches maigres manger les grasses, les sept épis maigres
manger les pleins, et non vice versa. De même, encore de nos jours, un grand
nombre d'économistes réservent le nom de crise à la période descendante de
l'ondulation économique, et ne paraissent pas se rendre compte que la période
ascendante amène la période descendante, et vice versa.
§ 2330 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1543
logue pour les familles, les cités, les peuples, les nations, l'huma-
nité entière, naît spontanément lorsque, la tradition ou l'histoire
embrassant un assez grand nombre d'années, des hommes intelli-
gents et curieux portent leur attention sur ce sujet. D'autre part, le
eu une semblable conception, et cela résulte sûrement de passages tels que ceux
d'AnisTOTE, De coelo, I, 10, 2 Phys., I, 1 Dioo. Laert., IX, 8. Ce dernier auteur
; ;
est incendié, selon certaines périodes, alternativement chaque siècle [ou espace de :
temps]. Gela est déterminé parle destin». Euseb. Praep. evang., XIII, 13, p. 676.
Les Stoïciens, qu'ils l'aient ou non empruntée à des philosophes antérieurs, avaient
une doctrine analogue. Euseb.; Praep. evang., XV, 18; Gic. De nat. deor.. II, ;
46, 118. On a ainsi l'un des extrêmes que nous avons indiqués dans le texte; l'autre
est fourni par Herbert Spencer. Dans la 2"^ partie des Premiers principes, l'au-
teur a tout un chapitre intitulé Rythme du 'mouvement. Après avoir noté plusieurs
:
leporte à rechercher ce qui est absolu, nécessaire, et il conclut «(p. 291) Ainsi :
donc le rythme est une propriété nécessaire de tout mouvement. Etant donnée la
coexistence universelle de forces antagonistes, postulat nécessité comme nous l'avons
vu par la forme de notre expérience, le rythme est un corollaire forcé de la persis-
tance de la force ».
1544 CHAPITRE XII § 2330
contenu dans l'expression même des théories, dans les écrits qu'on
examine. Nous avons déjà cité assez d'exemples de telles dériva-
tions, pour pouvoir ici n'en traiter que très brièvement.
Platon avait la conception d'une cité parfaite, et il ne pouvait
se dissimuler que les cités 'existantes dont il avait connaissance
§ 2330 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1545
2330* PLA.T. De rep., VIII, p. 54(3 « Il est difficile que la cité [celle qu'il a
: :
imaginée] ainsi constituée change. Mais puisque toutes les choses qui naissent
dépérissent, cette constitution ne pourra pas toujours durer elle se dissoudra. La
:
dissolution se fera ainsi. Non seulement pour les plantes qui naissent de la terre,
mais aussi pour Tâme et le corps des animaux qui haliitent la terre, il y a des
périodes de fertilité, et de stérilité, lorsque les révolutions de chaque cercle s'ac-
complissent ces périodes sont courtes pour les espèces dont la vie est courte,
;
longues pour celles dont la vie est longue ». Ensuite vient la phrase citée dans le
texte.
qu'on peut lever facilement pour toutes les théories de ce genre, en substituant les
variations continues réelles aux variations discontinues que considèrent les auteurs
pour faciliter l'exposé de leurs doctrines. Il faut seulement tenir compte du fait, et
ne pas prendre cet exposé à la lettre. Fr. P.^ulhan (Le nouveau mysticisme —
Paris, 1891) parlant des transformations de sentiments qu'il avait sous les yeux,
dit :« (p. 51) Ce dernier esprit n'en sera pas moins une combinaison des dernières
état antérieur, pas plus dans la vie intellectuelle des sociétés que dans leur vie
politique. L'enfance des vieillards ne ressemble pas à l'enfance des enfants, la res-
tauration n'a pas été semblable à l'ancien régime, en même temps qu'une réaction
se produisait contre l'œuvre révolutionnaire, une grande part de cette œuvre se con-
solidait et tirait une force nouvelle des anciennes idées auxquelles elle était asso-
ciée». Ces considérations conduisent à abandonner la conception des révolutions
en cercle, à périodes discontinues, et nous rapprochent de la forme ondulée, à varia-
tions continues, que l'expérience nous révèle en certains phénomènes. G. Ferrari
[Teoria dei periodi politici) ne se dissimule pas la difficulté «(p. 15) de séparer
une génération de celle qui la précède » mais il croit pouvoir résoudre ce problème
;
qu'il ait cru reproduire ainsi des faits d'expérience, et que son
erreur consiste principalement en une généralisation hâtive, qui l'a
entraîné hors de la réalité. Lorsqu'il veut comparer les différentes
formes des républiques, il exclut celle de Platon, reconnaissant son
caractère purement imaginaire. Dans le traité De la production et de
la destruction des choses attribué à Aristote, on trouve la conception
de la théorie de Platon.
Bon nombre d'auteurs ont travaillé sur ce fonds commun, en par-
tie expérimental, des oscillations ininterrompues. G. B. Vico a une
théorie, dite des retours (ricorsi), qui, principalement métaphysi-
que, dépasse presque autant que la théorie de Platon les bornes
de la réalité. 11 avoue que la conclusion de son ouvrage
d'ailleurs
est en parfait accord avec celle du philosophe grec \ Il conserve
2330 6 PoLYB.VI, fr. III, 5. Plus loin, fr. VII, 57, il observe, pour expliquer
;
les changements des républiques, que « toutes les choses qui existent sont sujettes
à la corruption et au changement» mais il n'a pas nécessairement pris cette con-
;
ception de Platon, car elle est générale et traduit les impressions que nous rece-
vons des changements du monde où nous vivons.
ViGO Principi di Scienza Nuova, UApe. Milano, per Gaspare
2330'' G. B. ;
Truffi. Les volumes de cette édition seront indiqués par I et II, les pages par p.
G. B. Vico; La Scienza Nuova... a cura di Fausto Nicolini, Bari. 1911-1916. Les
volumes seront indiqués par I*, II*, III*, les pages par p*. Le style de l'auteur
n'est pas toujours clair et facile. Michelet a donné de cet ouvrage une traduction ou
paraphrase française, dans laquelle la clarté est parfois achetée aux dépens de la
fidélité. Au commencement du IV" livre, Vico résume la matière exposée daus les
livres précédents, sur r« histoire idéale éternelle » [nouveau genre d'histoire à ajouter
aux très nombreux genres existants, dont nous avons noté une partie]. Il dit « (II, :
i^ 2330 FORME gp:nérale dk la société 1547
p. 225— III*, p. 785) ...Nous ajouterons le cours que font les nations ; toutes leurs
coutumes [«cuslumi» on peut traduire aussi mœurs], tellement variées et diverses,
;
procédant avec une constante uniformité sur la division des trois âges que les
Egyptiens disaient s'èlre écoulés (p. 226) avant, dans (III, p.* 786) leur Monde :
[c'est-à-dire] des Dieux, des Héros et des Hommes, car sur elle [,,essa". Ce
pronom se rapporte probablement à la division des trois âges. Vient ensuite
l'expression ,, si vedranno
: reggere", dans laquelle le verbe demande un sujet
au pluriel. Si l'auteur écrivait franchement en latin, on pourrait peut-être trouver
ce sujet, mais dans le texte italien, on en est réduit aux hypothèses. Il est
probable qu'il faut entendre les trois âges] seront vus dominer avec un ordre
constant et jamais interrompu de causes et d'elTfets, toujoui's allant [,, andante ""\
dans les Nations, par trois espèces de Natures ; et [l'on verra que] de ces
Natures sont issues trois espèces de coutumes [ou de mœurs] de ces coutumes ont
;
été pratiquées trois espèces de Droits Naturels des Gens, et, en conséquence de ces
Droits, ont été organisées trois espèces d'Etats Civilisés ou de Républiques [Ensuite
.
on verra que], pour que les hommes venus à la Société Humaine pussent se com-
muniquer ces dites trois espèces de choses éminentes [,, massime "], se sont formées
trois espèces de Langues et autant de Caractères ; et pour les justifier [les choses
éminentes], [se sont formées] trois espèces de Jurisprudences assistées par trois
,
sent dans tout le Cours de leur vie les Nations. Ces trois unités spéciales, avec
beaucoup d'autres qui viennent à leur suite, et qui seront aussi dénombrées en ce
livre, aboutissent toutes à une Unité générale, qui est V Unité de la Religion
d'une Divinité Providentielle [,, P7''ovvedente"], laquelle [Unité] est V unité de
l'esprit qui donne la forme [,, che informa "] et qui donne la vie à ce Monde
des Nations. Ayant déjà parlé de ces choses séparément, on fait voir ici l'Ordre
de leur Cours ». Les termes soulignés le sont par notre auteur. Mighelet;
Principes de la Philosophie de l'Histoire traduits de la Scienza Nuova de
J. B. Vice, Bruxelles, 1835 « (p. 317) ...nous allons dans ce quatrième livre esquis-
:
ser Vhistoire idéale indiquée dans les axiomes et exposer la marche que suivent
éternellemoit les nations. Nous les verrons, malgré la variété infinie de leurs
mœurs, tourner, sans en sortir jamais, dans ce cercle des trois âges, divin,
héroïque et humain. Dans cet ordre immuable, qui nous offre un étroit enchaîne-
ment de causes et d'effets, nous distinguerons trois sortes de natures, desquelles
dérivent trois sortes (p. 318) de 'mœurs; de ces mœurs elles-mêmes découlent
trois espèces de droits naturels, qui donnent lieu à autant de gouvernements. Pour
que les hommes déjà entrés dans la société pussent se communiquer les mœurs,
droits et gouvernements dont nous venons de parler, il se forma trois sortes de
langues et de caractères. Aux trois âges répondirent encore trois espèces de juris-
prudences, appuyées d'autant d'autorités et de raisons diverses, donnant lieu à
autant d'espèces de jugements, et suivies dans trois périodes {sectae temporum).
Ces trois unités d'espèces, avec beaucoup d'autres qui en sont une suite, se ras-
semblent elles-mêmes dans une unité générale, celle de la religion honorant une
Providence ; c'est là l'unité d'esprit q\x\ donne Informe et la vie au monde social ».
Notons en passant les trois espèces de mœurs ou de coutumes. «(1. IV-p.* 789-
p. 228) Les prem,ières coutumes [furent] toutes aspergées [,, aspersi'''] de religion
1548 CHAPITRE XII §2330
phes, dont, à leur origine, se servirent toutes les nations. 2» Les caractères héroï-
ques. 3° Les caractères vulgaires, qui appartiennent aux langues vulgaires. Nous
ferons grâce au lecteur d'autres élucubrations semblables, mais il sei-ait regrettable
d'omettre toute mention de la foi robuste qu'a notre auteur en l'histoire du déluge uni-
versel et en l'existence des géants. Il a même (1. II, Del diluvio universale e dei
giganti) des preuves expérimentales de cette dernière, et il les trouve dans le fait« (I,
p. 212-1*, p.* 208) des armes d'une grandeur démesurée des vieux héros, qu'Auguste,
d'après Suétone, conservait dans son musée, avec les os et les crânes des anciens
géants». A vrai dire, Suétone (Oct., 72) s'exprime un peu différemment. Il parle des
villas d'Auguste sua vero, quamvis modica, non tam statuarum tabularumque picto-
;
quae dicuntur Gigantura ossa, et arma heroum. « ...tels que sont les ossements
énormes des animaux féroces et des animaux sauvages que l'on trouve à Gaprée
et que l'on appelle des os de géants et des armes de héros ».
En fait de dérivations, il y a lieu de remarquer l'usage du nombre ternaire el ce
qui se rapporte aux propriétés mystiques des nombres, chères aux métaphysiciens
et aux théologiens (| 1659 1).
Dans le V<= livre, Vico traite des «retours» [,,ricorsi"] des choses humaines,
dans la « résurrection des nations ». Résumant et complétant ce qu'il en a dit dans
les livres précédents, « (p. .S21-p* 959) pour éclairer d'une plus vive lumière les Temps
de la seconde barbarie [le moyen âge] qui gisaient plus obscurs que ceux de la
première barbarie [de l'antiquité]... et pour démontrer aussi comment V Excel-
lent Très-Grand Dieu [ce doit être une réminiscence de luppiter optimus maximus]
(p. 322) a fait servir les conseils de sa Providence, avec lesquels il a conduit les
choses humaines de toutes les Nations,, aux ineffables décrets de sa Grâce, (p.* 960)
Car ayant par des voies surhumaines éclairé et établi la Vérité de la Religion
Chrétienne, avec la Vertu des Martyrs, (p.* 961) contre la Puissance Rom.aine. et
avec la doctrine {',dottrina"'\ des Pères et avec les 'miracles, contre la vaine
Science Grecque, des nations arm.ées devant ensuite surgir pour cowibattre de tous
côtés la. vraie Divinité de son Auteur; [Dieu] permit la naissance d'un Nouvel
Ordre d' Humanité parmi les nations, pour que, selon le Cours Naturel des mêmes
choses humaines, elle [,,essa"; probablement la Vérité déjà nommée de la religion
chrétienne] fût fermement établie. Par ce Conseil Eternel, il [Dieu] ramena les
Temps vraiment Divins, dans lesquels, partout, les Rois Catholiques, pour défen-
dre la Religion Chrétienne, dont ils sont les Protecteurs revêtirent la dalmatique
,
des Diacres (p.* 962) et consacrèrent leurs Personnes Royales... » On arrive enlin
à la conclusion. « (p. 358-p.* 1036) Concluons donc cet ouvrage avec Platon, qui
établit une quatrième espèce de République, dans laquelle les hommes honnêtes et
sages sont les suprém,es seigneurs, et qui serait la vraie Aristocratie Naturelle.
Cette République, qui fut comprise par Platon, fut ainsi guidée par la Providence
§ 2330 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1549
du moins hommage aux faits en tâchant de les faire rentrer dans les
cadres qu'il a tracés. Ainsi que d'autres auteurs, il a pour cela la
grande ressource des exceptions (§ 1689^). Il attribue deux vies pen-
santes à certains hommes, que Voltaire, Gœthe, Aristophane,
tels
Sophocle, Rossini, etc. ; il admet des retards et des accélérations
des générations pensantes et des périodes politiques ; il trouve chez
les différentes nations des «traductions» des périodes, note leur
«vitesse comparée», et, en somme, détruit en partie lui-même les
fondements de sa théorie ^ Il a pourtant, en comparaison des mé-
Donc sont en fait [,, di fatto "] réfutés Epicure, qui abandonne le monde au hasard,
et ses disciples Hobbes et Machiavel... Au contraire, il est de fait confirmé, en
faveur des Philosophes Politiques dont est Prince le Divin Platon, que les choses
,
précurseurs (p. 113), les générations «révolutionnaires» (p. 134), les «réaction-
naires » (p. 150), les « résolutives » (p. 167). Les périodes politiques ont lieu en quatre
temps. « (p. 113) Chaque nouveau principe se sert de quatre générations qu'il
domine en sorte de former un seul drame et puisque les principes succèdent fou-
;
1550 CHAPITRE XII § 2331-2332
avons déjà vus (§ 252, 253, 2214), en lesquels on retrouve une vision
des faits, sous les voiles de la métaphysique et d'une pseudo-expé-
rience.
233 1. Habituellement, les petites oscillations ne paraissent pas
jours aux principes, les générations se suivent quatre à quatre, à des intervalles
d'une durée moyenne de l'Jôans. (^est pourquoi le christianisme s'établit en 115 ans,
de l'avènement de Dioclétien, qui dégrade Rome, jusqu'à la mort de Théodose, qui
contirme pour toujours la chute du monde païen. La France accorde quatre temps à
la réforme religieuse, de 1514 à 1(J20; quatre à rendre moderne l'aristocratie, de l(i20
à l'/ôO; quatre à la révolution proprement dite, qui s'épuise (p. 114) de nos jours».
§ 2333-2336 forme générale de la société 1551
phénomène, mais que l'on croit que celle ligne moyenne coïncide
avec celle d'une des périodes ascendantes du phénomène. Jamais,
ou presque jamais, on ne la fait coïncider avec la ligne d'une
période descendante. Nous exposerons plus loin un cas particulier
du présent sujet et du précédent (2391 et sv.).
2334. [B-l.) On sait que, dans le passé, le phénomène apparaît
sous forme d'oscillations, mais on admet implicitement que le cours
normal est celui, favorable à la société, d'un bien toujours crois-
sant ou bien, comme concession extrême, qu'il est constant et ne
;
nom [de crise]à la période descendante de l'oscillation, quand les prix diminuent,
mais, en réalité, cette période est étroitement liée à la période ascendante, quand
les prix augmentent; lune ne peut subsister sans l'autre, et c'est à leur ensemble
qu'il convient de réserver le nom de crise ».
1552 CHAPITRE XII § 2337-2338
2337' Manuel, IX, 82: «(p. 532) Les faits concomitants des crises ont été consi-
dérés comme les causes des crises. Pendant la période ascendante, quand tout est
en voie de prospérité, la consommation augmente, les entrepreneurs accroissent la
production ; pour cela ils trans fonnetit Vépargne en capitaux mobiliers et immo-
biliers, et ils font un large appel au crédit la circulation est plus rapide. Chacun
;
tion. S'il en était ainsi, il devrait y avoir quelque part, comme nous l'avons déjà
dit, des dépôts toujours croissants des marchandises dont la production dépasse la
consommation c'est ce qu"on ne constate nullement».
:
î^ 2339-2340 forme générale de la société 1553
23381 Cours, t. II, | 926 «(p. 278) Il ne faut pas se figurer une crise comme
:
grande loi du rythme, laquelle domine tous les phénomènes sociaux (Systèmes, 1. 1,
p. 30). L'organisation sociale donne sa forme à la crise, mais n'agit pas sur le fond,
qui dépend de la nature de l'homme et des problèmes économiques. Il y a des crises
non seulement dans le commerce et dans l'industrie privée, mais aussi dans les
entreprises publiques ».
"°
SOCIOLOGIE
1554 CHAPITRE XII § 2340
indéfiniment à osciller.
2341. On peut décrire ces mêmes phénomènes sous d'autres
formes, qui en font ressortir des aspects remarquables. Nous arrê-
1556 CHAPITRE XII ^ 2341
tant à la surface, nous pouvons dire que dans l'histoire on voit une
époque de foi suivie d'une époque de scepticisme, à laquelle fait
suite une autre époque de foi, et de nouveau, une autre époque de
scepticisme, et ainsi de suite (§ 1681). La description n'est pas
^
men; 3. âge de foi 4. âge de raison 5. âge de décrépitude... » L'auteur a saisi par
; ;
intuition l'existence d'une ample oscillation; mais il n'a pas vu qu'il y en a une
suite indéfinie, ni que les plus grandes oscillations coexistent avec d'autres plus
petites, en très grand nombre. Il s'est laissé induire en erreur par une analogie
fausse entre la vie des nations et celle des individus. En outre, il est singulier
qu'il fasse commencer à Socrate l'âge de la ,,foi" en Grèce, qui ferait suite à
l'âge de i' ,, examen", «(p. 209) Les sophistes avaient causé une véritable anarchie
intellectuelle. Il n'est point dans la nature humaine de pouvoir se contenter d'un tel
état de choses ;aussi, dé^u dans les espérances qu'il avait mises en l'étude de la
nature matérielle, l'esprit grec se tourna vers la morale. Dans le progrès de la vie,
il n'y a qu'un pas de l'âge d'examen à l'âge de foi. Socrate, qui le premier s'avança
dans cette voie, était né en 469 avant .I.-G.... » Les auteurs qui rangent Socrate
parmi les sophistes se rapprochent beaucoup plus de la réalité.
§ 2342-2843 forme générale de la société 1557
tant pour la théorie des doctrines, mais non pour la théorie des
mouvements sociaux. Ceux-ci ne sont pas une conséquence de
1558 CHAPITRE XII ^2344-2345
des ouvrages d'un Lucien, qui apparaît comme une île de scepti-
cisme au milieu d'un océan de croyances, a une valeur presque
nulle, tandisque le fait des ouvrages d'un Voltaire, à cause du
grand crédit dont ils jouirent, apparaît comme un continent de
scepticisme, et mérite par conséquent d'être tenu pour un indice
important. Tous ces moyens sont imparfaits, même plus imparfaits
que ceux dont on peut se servir pour évaluer
écono- les oscillations
miques, lorsque des statistiques précises font défaut; mais nous
devons nous en contenter, puisque nous ne pouvons obtenir mieux,
au moins pour le moment.
2345. Athènes. Si nous portons notre attention sur l'état
.5 4
Fis. 40.
profugit. Castra referta regalis opulentiae capta unde primum Graecos, diviso
:
23455 Plutarch. PericL, 6. L'auteur dit que parmi les avantages qu'il retira
;
de ses relations avec Anaxagore, il y eut ,, celui-ci aussi qu'il [Périclès] semble
:
temps. Elle frappe ceux qui ,, ne reconnaissent pas les dieux ou qui raisonnent des
phénomènes célestes". Elle apparaît comme la manifestation du sentiment popu-
laire hostile à la prédominance des instincts des combinaisons qui poussaient à
l'étude de la nature.
à s'en abstenir. On a dit que c'était à cause des dispositions légales qui empêchaient
d'attaquer sur scène les magistrats ou les citoyens mais cela n'est vrai qu'en par-
;
tie, car l'auteur pouvait bel et bien parler de politique sans citer des noms d'hom-
temps de Thucydide jusqu'au nôtre, elle continue à être contestée par un grand
nombre de dérivations, c'est parce que, comme nous l'avons tant de fois rappelé, on
accepte des dérivations contredites absolument par l'expérience, si elles concordent
§ 2345 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1561
coup de gens, en leur faisant espi^rer un avenir meilleur et en les faisant vivre en
pensée dans un monde ,, meilleur-' que le monde expérimental; ensuite, parce que
le fait d'exprimer les sentiments par les dérivations sert à les renforcer. Les
sentiments dits de ,, justice" peuvent quelquefois pousser les hommes à atténuer,
ne fût-ce que légèrement, les maux occasionnés par 1' ,, injustice ", bien que les
premiers de ces sentiments soient facilement neutralisés par les intérêts et par d'au-
tres sentiments tels, dans les circonstances dont nous parlons, les sentiments
;
aussi nous avons une observation expérimentale, vraie en tout lieu et en tout temps,
depuis celui de la conférence des Méliens jusqu'à celui du traité de Gampo-Formio,
observation qui s'applique non seulement aux conflits internationaux, mais aussi et
surtout aux conflits civils. Nombreuses sont les dérivations qui la contredisent.
Elles sont acceptées pour des motifs semblables à ceux que nous avons exposés
tout à l'heure, mais sont habituellement nuisibles et souvent cause de ruine com-
plète pour les Etats et pour les classes sociales, parce qu'elles écartent les uns et les
autres de la seule chance de salut préparer ses armes et savoir, vouloir, pouvoir
:
23459 Le procès de Socrate est le plus connu d'une série qui eurent lieu vers ce
temps, et qui indiquent une réaction populaire contre l'irréligion des classes intel-
lectuelles. P. Decharme La crit. des trad, relig. : « (p. 140) Aussi voit-on, à la
;
fin du y" siècle, se multiplier les procès d'impiéti'' dont les âges précédents offrent à
peine quelques traces. Ces procès, qui témoignent des progrès nouveaux de l'incré-
dulité, méritent que nous nous y arrêtions...» Ils ne témoignent pas seulement du
progrès de l'incrédulité, mais aussi de l'intensité des sentiments populaires qui s'y
opposent. Il faut noter que, dans ces procès, l'accusation d'impiété n'est pas la
seule: il s'y ajoute des accusations politiques, privées, et généralement d'immoralité.
Dans le livre des vertus et des vices, sur lequel on met le nom d'ARiSTOTE, l'im-
piété, àaé(isia est définie de la façon suivante (p. 1251 Didot II, p. 246, Vil, 2)
:
—
'Acéfieia /uèv 7 irepl deoiiç TrlTHJ.fiè'AEia kol tteçI ôaifxovaç f/ koï iveçi roiiç Karoixo/^évovç,
Kal TTEçi yovsïç Kal Tzeçi irarpiôa. « 'Aaé^eia est le fait d'être coupable envers les dieux,
envers démons, ou aussi envers les morts, les parents, la patrie». On pourrait
les
donc dire que ce terme signifie l'offense aux principales persistances d'agrégats.
:
ir)62 CHAPITRE XII ^346-2348
2346. Pour la classe intellectuelle, la descente continue ; elle
reçu une forte teinte éthique. Comme nous ne traitons pas ici
d'éthique, il ne peut pas nous servir. Il ne nous importe vraiment
pas du tout de distinguer les gens qui se faisaient payer pour don-
ner des leçons de raisonnement, de ceux qui les donnaient gratis.
Il nous importe, au contraire, de distinguer les gens qui visaient à
2349 1 Un long passage de cette tragédie, dans lequel Sisyphe parle, nous a été
conservé par Sextus Empirigus Adversus physicos. IX, 54, p. 563-564. Il en
:
résume bien le sens en ces termes « Grillas, l'un des tyrans d'Athènes, semble
:
appartenir à la classe des athées, en disant que les anciens législateurs imaginèrent
le dieu comme surveillant des œuvres vertueuses et des œuvres coupables des hom-
mes, afin que personne n'offensât en secret son prochain, par crainte du châtiment
des dieux». Les deux derniers vers du discours de Sisyphe sont (N\ugk Trag. ;
graec. frag.. p. 599) «Ainsi, à l'origine, je crois que quelqu'un persuada aux
:
hommes de croire à la race des démons [dieux]». Et avant « (v. 24-26) En tenant
:
ces discours, il enseigna très agréablement des règles, dissimulant la vérité sous le
faux». Maintenant écoutons Platon; De reyubl., II « (p. 377) Adimante
: Mais . . .
je ne comprends pas quelles sont les plus grandes [fables] que tu dis. Socrate.
Celles qu'Hésiode et Homère nous racontaient, et aussi les autres poètes car, ;
composant des mythes mensongers, ils les racontaient et les racontent encore aux
hommes ». Mais, puisque la mythologie de ces poètes est aussi la mythologie popu-
laire, le Socrate de la République est d'accord avec le Sisyphe de Critias, en la
tenant pour fabuleuse. Il est d'accord aussi sur le but, qui est de faire en sorte que
la mythologie soit utile aux hommes. Platon reprend les vers de l'Iliade où l'on dit
que Zeus est dispensateur du bien et du mal (p. 379). H veut qu'on dise que Zeus
fait uniquement le bien, et que les maux qu'il inflige aux hommes sont pour leur
bien. De cette façon il expose l'une des réponses affirmatives que nous avons rele-
vées aux I 1903 et sv. (cfr. | 1970) mais, en bon métaphysicien, il s'abstient avec le
:
plus grand soin d'apporter la moindre preuve de son affirmation, à laquelle nous
devons donc croire seulement parce que les interlocuteurs dont Platon imagine les
discours l'acceptent. En somme, il la tire de son « expérience du métaphysicien»,
comme nos contemporains tirent tant d'autres belles propositions de leur « expé-
rience du chrétien». Pourquoi « l'expérience de l'athée » ne peut-elle pas prendre
place en si bonne compagnie ? Cela demeure un mystère impénétrable.
1564 CHAPiTHK XII i;^
2350
leurs. Ce procédé est à relever, parce qu'il est général. Nos moder-
nistes ont tendance à s'en servir; les protestants libéraux en
usent nettement, en l'açonnanl à leur manière le Christ de la tradi-
23j0 > Jl faut so t^arderde l'erreur cjuo l'on commoUrait en supposant que la con-
duite cruelle des Athéniens envers les Méliens fût en rapport avec la prédominance,
chez les Athéniens, des résidus de la I" classe. Au conlraire, en un grand nombre
d'autres occasions, les Athéniens se montrèrent plus humains que les Spartiates,
chez les(]uels prédominaient les résidus de la II» classe. La dill'érence réside surtout
dans l'usage des dérivations, qui sont plus développées et mieux composées par les
Athéniens, plus brèves et moins bien ordonnées, parfois même elï'rontément trom-
peuses, lorsqu'elles sont employées par les S{)artiates. A ce point do vue, le massacre
des habitants de Platée, raconté par Thucydide, est un fait remarquable. I.,es Pla-
téens se rendirent aux Lacédémonicns qui leur promettaient que «(III, .'îS) qui.
conque était coupable serait puni personne d'autre contrairement
; la justice». ;'i
Voici quelle fut la «justice» des Lacédémonicns. Ils demandèrent aux Platéens « si,
dans la présente guerre, ils avaient fait (juelque chose en faveur des Lacédémoniens
etde leurs alliés». Les Platéens s'élonnèrent de cette question, substituée au juge-
ment promis. Ils discoururent longuement, furent réfutés non moins longuement
par les 'l'hébains, après quoi les Lacédémoniens (TII. .V>1 n''pé|èrenl chaque Pla- ;'t
§ 2351-2352 formk généhalk de la société 1565
probable que ces causes aient agi sur un Critias ou sur un Alci-
tôen la même question, et comme ceux-ci ne pouvaient y répondre par oui, ils les
égorgèrent sans autre. On peut ajouter C(!t exemple à une inlinilé d'autres qui
montrent qu'en s'engageant à agir selon la «justice», on ne s'engage vraiment à rien,
car la «justice» est comme le caoutciiouc on l'étiré comme on veut. :
dp
plutôt que :
dt
dp
= '
m-
dt
= 'p {q\
Ou bien, pour ne pas attribuer à cette matière une rigueur qu'elle ne comporte pas,
on peut dire que —dp— depend beaucoup
beaui plus de —do— que de q. Voir un cas ana-
biade, pour ne pas parler des Athéniens qui discutaient avec les
Méliens(§2345«).
2353. Rome. Il ne nous est pas donné de connaître avec préci-
sion quel fut l'état de Rome
la seconde guerre punique. Des
avant
faits innombrables démontrent qu'il faut faire peu de cas des
déclamations des auteurs sur le « bon vieux temps ». Il y a eu pro-
bablement alors des vices à Rome, comme il y en eut ensuite ;
2354 1 Polybe est notre meilleure autorité à ce propos, pourvu que nous nous
arrêtions aux faits qu'il raconte, sans nous soucier des causes qu'il leur attribue.
On peut résumer ces faits de la façon suivante. 1° Au temps où vivait Polybe, les
persistances d'agrégats étaient encore beaucoup plus grandes à Rome qu'en Grèce.
PoLYB. VI, 56, passage capital déjà cité, | 239; VI, 46; XX, 6; XVIII, 37; XXIV.
,
10, après le sac de Syracuse, an de Rome 542, 212 av. J.-G. XXXII, 11, après la ;
Punici finis, et Philippus rex Macedoniae devictus, licentioris vitae fiduciam dédit
(an de Rome 558, 196 av. J.-G.). —
Plin. Nat. hist., XVII, 38 (25). L'auteur rappelle
;
le cens de Tan 600 de Rome, et ajoute A quo tempore pudicitiam subversam Pisa
:
L. Scipion dans son triomphe fit montre de mille quatre cent cinquante livres
pesant d'argent ciselé et de quinze cents en vases d'or, l'an de Rome 565. Mais ce qui
porta un coup encore plus rude aux mœurs, ce fut la donation qu'Attale fit de l'Asie :
le legs de ce prince mort fut plus funeste que la victoire de Scipion car dès lors il ;
n'y eut plus de retenue à Rome pour l'achat des objets de prix qui se vendirent à
l'encan d'Attale. C'était l'an 622; et pendant les cinquante-sept années intermédiaires
la ville s'était instruite à admirer, que dis-je ? à aimer les richesses étrangères. Les
, mœurs reçurent aussi un choc violent de la conquête de l'Achaïe, qui dans cet inter-
valle même, l'an de Rome 608, amena, afin que rien ne manquât, les statues et les
tableaux. La même époque vit naître le luxe et périr Garthage et, par une coïnci-;
sancti, pii, et, ut diximus, aurei, sine flagitio, sine scelere, dum sincera adhuc et
innoxia pastoriae iUius sectae integritas.... Il ajoute que les cent années suivantes
I 2355 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1567
furent celles d'une grande prospérité militaire, mais aussi celles de grands maux inté-
rieurs, et il émet des doutes sur l'utilité des conquêtes pour la république Quaî enim :
res alia furores civiles peperit, quam nimia félicitas ? Syria prima nos victa corrupit,
mox Asiatica Pergameni regis hereditas. lUae opes alque diviliae afflixere saeculi
mores, mersamque vitiis suis, quasi senlina rempublicam pessumdedere (12548^).
...Unde regnaret iudiciariis legibus divulsus a senatu, eques, nisi ex avaritia, ut vecti-
galia reipublicae, atque ipsa iudicia in quaestu haberentur? Vell. Paterg. — ;
II, 1 Potentiae Romanorum prior Scipio viara aperuerat, luxuriae posterior aperuit.
:
Quippe remoto (Jarthaginis metu, sublataque imperii aemula, non gradu, sed prse-
cipiti cursu, a virtute descitum, ad vitia transcursum vêtus disciplina déserta,
;
rum lacta, cum opibus suis vitia quoque Romam transmisit. Gfr. | 2548.
1568 CHAPITRE XII § 2356
s'il inonde subitement, il dévaste ; (p. 225) s'il arrive par mille
canaux où il circule lentement, il porte partout la vie ^ ». Donc,
23563 Duruy continue « (p. 225) L'Europe, à partir de la seconde moitié du dix-
:
ment, car enfin, de son temps, peu, très peu d' « économistes» commettaient encore
l'erreur du système mercantile, qui confond l'or avec la richesse, et l'or avec les
capitaux. La plupart des « économistes » se rapprochaient un peu plus de la réalité.
Mais un grand nombre d'historiens ignorent tout de la science économique, et con-
naissent assez peu l'économie littéraire qu'on enseigne usuellement. Ils croient sup-
pléer à leur ignorance par des considérations éthiques aussi, lorsqu'ils veulent ;
disserter en cette matière, ils se mettent à débiter les plus lourdes absurdités qu'on
puisse imaginer. Duruy continue « (p. 225) Ce fut, au contraire, par la guerre, le
:
pillages?
2357. Il faut donc ôter tous ces voiles dont les historiens enve-
loppent leurs récits, et s'efforcer de parvenir jusqu'aux faits eux-
mêmes. Ce faisant, on ne peut nier les deux faits relevés au
§ 2354, et qui sont semblables à d'autres, observés déjà pour
Athènes. Comme nous en trouverons encore d'autres semblables,
nous devrons rechercher si, au lieu de simples coïncidences, il
peut y avoir un rapport de mutuelle dépendance.
2358. A Rome comme à Athènes (§ 2345 etsv.), plusieurs réac-
tions se produisirent contre f affaiblissement de la persistance des
agrégats. Elles changèrent momentanément la direction générale
du mouvement. Celle qui eut lieu à Rome, au temps de Caton le
Censeur, fut remarquable. Elle fut de courte durée, et bientôt le
SOCIOLOGIE yy
1570 CHAPITRE XII §2360-2361
•23(301 Friedl^ender; Civilis. et mœurs rom., t. IV: «(p. 150) Nous avons, pour
la connaissance de la situation religieuse de l'antiquité, dans les premiers siècles
de notre ère, deux sources, de nature très différente et souvent (p. 157) même contra-
dictoires à bien des égards, l'une dans la littérature, l'autre dans les monuments,
notamment dans les pierres portant des inscriptions». La contradiction disparaît
si l'on fait attention que la première de ces sources nous fait connaître spéciale-
ment les conceptions de la classe cultivée la plus élevée, et la seconde les senti-
ments de l'ensemble de la population; par conséquent, surtout de la partie la plus
nombreuse, qui est celle du peuple. « La littérature est principalement issue de car-
des gagnés par l'incrédulité et l'inditïérence, ou dans lesquels on s'appliquait à spi-
ritualiser, à épurer et à transformer les croyances populaires, par la réflexion et
l'interprétation. Les monuments, au contraire, proviennent, en grande partie du
moins, des couches de la société le moins influencées par la littérature et les ten-
dances qui y dominaient, d'un milieu dans lequel on n'éprouvait pas le besoin et
l'on n'était souvent même pas en état de bien exprimer ses convictions en pareille
matière aussi témoignent-ils, en majeure partie, d'une croyance positive aux divi-
;
nités du polythéisme, d'une foi exempte de doute ainsi que de subtilité, c'est-à-dire
toute naïve et irréfléchie ».
236P Friedlaender Civilis. et rnœurs rom., t. IV « (p. 166) Ainsi, pas même
; :
au premier siècle, les personnes (p. 167) ayant reçu une éducation philosophique
n'avaient pris une attitude absolument hostile à la religion nationale. Et, bien que
dans la littérature de ce temps, comme dans celle du dix-huitième siècle, les dispo-
sitions et les tendances hostiles à la foi prédominent, elles ne conservèrent, en
§ 2362-2364 forme générale de la société 1571
réalité bien plus grand, que chez Tertullien, qui vivait au Illesiècle,
que chez Saint Augustin, qui vivait au IV^ siècle, et que chez d'au-
tres semblables auteurs.
2364. Déjà chez Polybe, et davantage au temps de Pline et de
Strabon, on voit que les gens cultivés avaient quelque idée de la
possibilité d'un état intermédiaire, ainsi que nous l'avons indiqué
au §2341. A ce point de vue, les auteurs de ce temps se rappro-
chaient beaucoup plus de la réalité expérimentale qu'un grand
nombre de nos auteurs contemporains, qui vont à l'un ou à l'autre
extrême, où il n'est pas possible de s'arrêter. Il se peut qu'une cer-
aucun cas, leur empire au-delà de la limite du premier siècle de notre ère. De même
que le flux des tendances antichrétiennes du siècle dernier baissa rapidement,
après avoir atteint son maximum d'élévation, et fut suivi d'un puissant reflux, qui
entraîna, irrésistiblement aussi, une grande partie de la socit'té instruite, de même
nous voyons dans le monde gréco-romain, après les tendances qui avaient prédo-
miné dans la littérature du premier siècle, une forte réaction vers la foi positive
prendre le dessus et s'emparer, là aussi, des mêmes cercles, ainsi que la foi dégé-
nérer, sous des rapports multiples, en superstition grossière, soit de miracles, pié-
tisme et mysticisme». La description des phénomènes est bonne. Il faut seulement
ajouter que ce mouvement général n'a pas lieu d'une manière uniforme, mais qu'il
est ondulatoire. •
1572 CHAPITRE XII §2365-2366
lectuel de la Gaule au IV« et V^ siècle, nous y avons trouvé deux littératures, l'une
sacrée, l'autre profane. La distinction se marquait dans les personnes et dans les
choses; des laïques et (p. 2) des ecclésiastiques étudiaient, méditaient, écrivaient, et
ils étudiaient, ils écrivaient, ils méditaient sur des sujets laïques et sur des sujets
religieux. La littérature sacrée dominait de plus en plus, mais elle n'était pas seule :
§ 2367 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1573
la littr rature profane vivait encore. Du VI* au VIII« siècle, il n'y a plus de littéra-
ture profane, la littérature sacrée est seule; les clercs seuls étudient' ou écrivent;
et ils n'étudient, ils n'écrivent plus, sauf quelques exceptions rares, que sur des
sujets religieux. Le caractère général de l'époque est la concentration du développe-
ment intellectuel dans la sphère religieuse».
2367 Saint Bei'nard a bien vu cette invasion de l'instinct des combinaisons.
1
ineunte aetate sua in arte dialectica lusit, et nunc in Scripturis Sanctis insanit.
Olim damnata et sopita dogmata, tam sua videlicet, quam aliéna, suscitare conatur,
insuperet nova addit. Qui dum omnium quae sunt in coelo sursum, et quae in
deorsum, nihil, praeter solum ,.Nescio" nescire dignatur... «Nous avons eu
[erra
en France un homme qui, d'ancien magister, est devenu théologien nouveau.
Dans sa jeunesse, il jouait à l'art de la dialectique, et maintenant, il dél)ite des
insanités sur les Saintes Ecritures. Il ose préconiser des doctrines condamnées jadis
et oubliées, à savoir des siennes ou de celles d'autrui, et en plus, il en ajoute de
nouvelles. Tandis que de toutes les choses qui sont en haut dans le ciel, et qui sont
en bas sur estime indigne d'en ignorer une seule excepté ,, j'ignore '•.. »
la terre, il
ne dispute pas moralement des vertus et des vices, ni fidèlement des Sacrements, ni
simplement et modérément du mystère de la sainte Trinité, mais contrairement à
ce que nous admettons ». En somme, sous une autre forme, c'est précisément ce que
l'on reprochait à Socrate.
1574 CHAPITRE XII §2368-2370
peut entendre dans ce sens qu'il ne faut tenir aucun compte des
abstractions, ni des persistances d'agrégats qu'elles expriment. Si
nous continuons dans cette voie, nous atteindrons l'extrême où les
résidus de ces persistances sont considérés comme de « vieux pré-
jugés » (§ 616, 2340), que l'homme raisonnable ne doit tenir que pour
de vaines fables.
2369. De même, en partant du réalisme indéfini, on peut,
mais plus difficilement, arriver à la considération des actions non-
logiques, ce qui nous rapprocherait de la réalité et d'autre part ;
(§ l<3ôl).
2368 1 D. Anselm. ; éd. Gerberon (p. 41) lUi ulique nostri tempoi-is dialectici,
:
imo dialectiee haeretici. qui non nisi flatura vocis putantesse universales subslanlins.
§ 2371-2372 forme générale de la société 1575
qui se trouve entre les extrêmes des oscillations, est celle du « con-
ceptualisme », qui reconnaît 1' « existence » de l'espèce et du genre,
sous forme de concepts.
2371. Victor Cousin^ affirme que le conceptualisme d'Abélard
est un simple nominalisme. Il se peut qu'il ait raison dans le
domaine de la métaphysique, où nous ne voulons pas entrer. Nous
ne nous soucions pas plus de discuter sur 1' « existence » du
genre, de l'espèce, de l'individu, que nous ne songeons à discuter
sur les belles formes du sphinx de Tlièbes. Les métaphysiciens —
bien heureux sont-ils! - savent ce que veut dire ce terme exister. :
rience.
2372. Au point de vue expérimental, la solution du concep-
tualisme contient un peu plus — à la vérité pas beaucoup plus —
de parties réelles que le nominalisme, mais beaucoup plus que le
réalisme. V. Cousin dit « (p. clxxx) ...examinons le conceptua-
:
pas autre chose qu'un nominalisme plus sage [que peut bien être
une théorie plus sag-e qu'une autre?' et plus conséquent. D'abord,
le nominalisme renferme nécessairement le conceptualisme.
Abélard argumente ainsi contre son ancien maître [Roxelin^ Si :
les universaux ne sont que des mots, ils ne sont rien du tout; car
les mots ne sont rien mais les universaux sont quelque chose ce
;
:
dans mon langage, les mots sont les opposés des choses voilà pré-
2371 ' V. Cousin ; Ouvrages inédits d'Abélard.
1576 CHAPITRE XII § 2373
cisément son erreur les mots manifestent aussi des états psychi-
;
ques qui sont des choses pour qui les observe de l'extérieur^ et,
n'admettant pas que les universaux soient des choses, j'ai dû en
faire des mots. Je n'ai rien voulu dire de plus ; rejetant le réalisme,
j'ai conclu au nominalisme, en sous-entendant le conceptualisme».
C'est possible; mais, par malheur, ce qu'il sous-entendait était tout
aussi important que ce qu'il exprimait.
2373. En effet, si au lieu de rester dans les régions nébuleuses
de la métaphysique, V. Cousin avait daigné descendre dans le
l'antiquité. Dans les deux cas, Bacchus n'est qu'un mot; mais il
manifeste des concepts ou des sentiments essentiellement diffé-
rents. Donc, nous nous rapprochons de la réalité, en ne nous arrê-
d'un liquide; la seconde, de l'état psychique de certains hommes. Ces indices difîerent
en ce que le premier est précis, semblable à un noyau défini, et que le second est
en partie indéterminé, semblable à une nébuleuse. Le premier peut fournir des pré-
misses à des raisonnements rigoureux le second ne s'y prête pas. Si, au lieu de la
;
•28771 Saint-Bernard est délégué par le pape Innocent pour corriger les déborde-
ments des citoyens de Milan, de Pavie et de Crémone. Ayant obtenu peu ou point
d'effet, il écrit au pape « Les gens de Crémone se sont endurcis, et leur prospérité
:
les perd. Les Milanais sont arrogants, et leur présomption les séduit. Mettant leur
espérance dans les chars et les chevaux, ils ont trompé la mienne et rendu vain
mon labeur». D. Bernardi opera, epist. 314 Cremonenses induruerunt, et pros-
:
ser la force des patarins pour rendre vains ses efforts. Arnaud de
Brescia et les cathares faisaient directement la guerre au pape ;
cil eos. Hi in curribus et in equis spem sua ponentes. nieam fi'ustraverunt et labo-
rem meum exinanierunt.
2379 • Décret. Grat. Fars prim., distinct., XXXII, c. 5 Xon audiatur Misse
; :
ensuite condamnée par l'Eglise chez les vaudois. On sait que par
les dérivations on démontre également bien le pour et le contre. De
même, aujourd'hui, bon nombre de députés socialistes s'élèvent
contre le «capitalisme», pour entrer dans les bonnes grâces des
électeurs, tandis qu'ils défendent les ploutocrates capitalistes, pour
jouir de leurs faveurs.
2,'i80. Les réformateurs avaient besoin d'un vernis de dériva-
tions pour manifester leurs sentiments, et l'on sait qu'on trouve
toujours très semble que les cathares
facilement ce vernis. Il
mais qu'il nous soutient et nous aide, nous ne nions pas que ses « opérations» soient
bonnes et louables. Moneta Adversus Catharos et Valdenses, 1. V^, c. III
; :
que les hérétiques croyaient pouvoir tirer de l'Ecriture Sainte; on arrive ainsi au
chap. IV (p. 436) Hic incipit pars quarta, inqua ostenditur, quod Praelati. quam-
:
pravitatis. Il dit des Cathares (p. 242) Item, confessionem factam sacerdotibus Ecch:--
:
sie Piomane dicunt nichil valere, quod cum sint peccatores, non possunt solvere nec
ligare, et cum sint immundi, nullum alium possunt mundare.
23811 Baronii annales ecclesiastici, t. XVIII (p..584) Secl haud ingratum erit
:
vocibus aures. Nil proprium Cleri fundos et praedia, nullo lure sequi monachos,
|| ||
tenda viris popularibus atque regenda. Illis primitias, et quae devotio plebis
|| i|
tus mores, monachosque super))Os. L'auteur cite Otto Frisingensis qui dit (p. 583)
||
quidem naturae non hebelis plus tamen verborum profluvio, quam sentenliarum
1580 CHAPITRE XII § 2382-2383
2384' Dans son histoire de la Kéforme en Allemagne, Janssen voit les fails
colorés par sa foi ; mais au fond il ne les décrit pas mal. Il résume l'état de
l'Allemagne, protestantisme était sur le point de naître. I. Janssen
lorsque le :
L'Allemagne et la Réforme, t. I; V
Allemagne à la fin du moyen âge : « (p. 571)
L'état florissant de la culture des champs, des bois, des vignes l'essor extraor- ;
père, dominant celui de presque toutes les nations chrétiennes [ici l'on va au delà
de la vérité l'auteur oublie l'Italie] tout avait contribué à faire de l'Allemagne le
;
pays le plus riche de l'Europe. Les journaliers cultivateurs et industriels des villes
et des campagnes sont pour la plupart, au commencement du seizième siècle, dans
une excellente situation matérielle. Mais, peu à peu, l'équilibre et l'action mutuelle
des principaux groupes de travail s'ébranlent. Le commerce étouffe le travail pro-
ductif de valeur [dérivation éthique qui exprime l'importance croissante des spécula-
teurs]. Les enchérissements, les accaparements, se produisent de toutes parts mal-
gré les mesures prises par le gouvernement, et donnent lieu, sur une large échelle,
à l'exploitation de la classe laborieuse par le capital [autre dérivation semblable à
celle de tout-à-l'heure]. Des plaintes sur les monopoleurs, sur les accapareurs, sur
les grands entrepreneurs et capitalistes [description au moyen de dérivations de la
prédominance des spéculateurs], sur ,, renchérissement de l'argent", la hausse de
prix des denrées de nécessité première [phénomènes que nous voyous se repro-
duire tous aujourd'hui], la falsification des produits alimentaires, en un mot la
tyrannie exercée par ceux qui possèdent sur ceux qui ne possèdent pas [une des nom-
breuses formes sous lesquelles on exprime la prédominance des spéculateurs], se
font entendre de tous côtés. Ces abus produisent un etîet d'autant plus désastreux,
que les riches étalent sous les yeux des malheureux un luxe eff"réné... D'autre part,
les ouvriers, les cultivateurs, subissent l'influence mauvaise du luxe qui règne
autour d'eux, (p. 572) La prospérité matérielle avait engendré le luxe et la vcdupté,
le luxe et la volupté, à leur tour, développent une soif toujours plus ardente d'ac-
quérir des bénéfices toujours plus beaux, et alimentent dans toutes les conditions
la passion de posséder, de jouir [on croirait lire la description de ce que nous
voyons se produire sous nos yeux en somme, c'est le débordement de la spécula-
:
tion]». On observe les mêmes faits en France. Imbart de la Tour Les origines ;
agrandie par lui, comme l'autre s'est affermie par elle... Ils s'attachèrent (p. 462)
d'autant plus à l'absolutisme [aujourd'hui à la démocratie], qu'en le servant, ils se
servaient eux-mêmes [les Oaillaux de ce temps-là]». Les souverains qui donnèrent
ce pouvoir aux spéculateurs préparèrent la révolution de 1789, et par conséquent la
ruine de la monarchie (| 2227 i).
23851 j. A. PoRRET, pasteur ; Le réveil religieux du XVIIP siècle e)i Angle-
terre. Sous de nombreuses dérivations théologiques et éthiques, les faits
le voile
sont assez bien décrits, «(p. 11) Vers la fin du XVII= siècle, le Christianisme raison-
nable du philosophe Locke, déiste en théologie, et sensualiste en psychologie,
§ 238(5 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1Ô83
T'^ classe, et cette prospérité était à son tour favorisée par cette pré-
dominance. La marée de la prospérité économique monta tout
d'abord en Angleterre ; c'est pourquoi ce fut d'abord dans ce pays
que redescendit la courbe de la proportion entre les résidus de la
Ileclasse et ceux de la I'''. Ce fut aussi pour cela que la réaction s'y
produisit en premier lieu, et que la courbe se releva, à cause du
mouvement ondulatoire qui est propre à cette courbe, même quand
les conditions économiques demeurent presque constantes ^ De la
régnait en Ans^leterre. L'Evangile n'était pris que comme une morale, et cette morale
était abâtardie... L'évèque Koadly professait ouvertement le déisme. Selon le juge
Blakstone, il n'y avait pas plus de christianisme dans les discours des prédicateurs
les plus renommés de Londres, que dans les oraisons de Gicéron. Bien rentes, et
dès lors ne tenant pas, comme certains de leurs prédécesseurs, de tavernes pour
vivre, les pasteurs qui s'enivraient. ,,sans scandale " n'étaient point de rares excep-
tions. D'autres étaient simplement gens de plaisirs d'autres encore se vouaient à la
;
culture des lettres, de la poésie surtout... Avec plus de décence, les églises séparées
ne possédaient guère plus de sève... (p. 12) Au témoignage d'Addison (171'2), ,, l'appa-
rence même du christianisme avait disparu". Selon Leibniz (1715), même ,,la reli-
gion naturelle s'affaiblissait en Angleterre"... La haute société était pourrie. L'in-
crédulité s'y aftichait, allant du rationalisme le plus radical à l'athéisme effronté. A
l'incrédulité appartenaient les succès de librairie, puisque les discours contre les
miracles, de Woolston, se vendirent à trente mille exemplaires. Le matérialisme
de Hobbes comptait de nombreux adhérents...».
dans toute l'Europe, peu après 1815, et la forme était presque par-
tout chrétienne.
2387. Mais ces mouvements sont essentiellement ondulatoires;
par conséquent, on eut de nouveau un mouvement descendant de
la courbe. Il fut rapide, parce qu'il correspondait à une nouvelle
mieux un ensemble de faits, un mouvement puissant [très juste], qui, entraînant les
âmes en grand nombre, les a comme arrachées à elles-mêmes, et enfantées à une
vie nouvelle [dérivation éthique et théologique], celles qui demeuraient réfractaires
ayant été, à défaut d'amour, obligées au respect. Cette transformation ne s'explique
que par une action exercée dans la conscience religieuse et la conscience morale,
centre de la personnalité humaine [dérivation éthique et théologique]. ...Elle ne
s'explique que par une œuvre du Dieu puissant et miséricordieux [dérivation de
pure théologie] ». Il est remarquable que cet auteur ait perçu, sous les voiles de ses
dérivations éthiques et théologiques, la puissance des actions non-logiques, dont
proviennent les mouvements ondulatoires que nous avons observés.
§ 2388-2390 forme générale de la société 1585
n'avais pas eu une haute idée du sentiment national des dynasties, que j'en avais
eu une trop haute du sentiment national des électeurs allemands ou pour le moins
du Reichstag, cette conviction n'avait pas encore pu s'imposer à moi, quelque grande
que fût la mauvaise volonté que j'eus à combattre au Reichstag, à la cour, dans
conservateur et chez ses
le parti ,, déclarants ". Aujourd'hui je dois faire amende
honorable aux dynasties... «
SOCIOLOGIE 100
1586 CHAPITRE XII § 2391-2392
des lois : « (p. 968) On se demande ce qa'il y a de plus remarquable dans les révo-
lutions l'intensité du bouleversement législatif, ou la médiocrité des transforma-
:
qu'ils ont sous les yeux. Il suit de là que les personnes qui se trou-
vent, par exemple, sur le segment descendant s / de la courbe,
s'imaginent qu'il correspond au cours moyen, que le reste de la
courbe continuera indéfiniment à descendre comme le segment s t,
qu'il ne se redressera jamais plus. En d'autres termes, elles ne pré
voient pas qu'on observera le segment ascendant t r. Vice-versa,
lespersonnes qui se trouvent sur ce segment ascendant t r ne pré-
voient pas le segment descendant v. Cela arrive plus rarement, /•
Progrès, les bienfaits de I'm évolution », l'âge d'or placé dans l'ave-
nir. Presque tous les auteurs des siècles passés tenaient pour assuré
que les hommes, leurs contemporains, étaient physiquement des
nains, en comparaison des hommes géants de temps plus reculés.
Aujourd'hui, bon nombre d'auteurs substituent le moral au physi-
que, et intervertissent les termes ils tiennent pour assuré que les
:
rapport aux forces qui agissent effectivement sur cet ensemble so-
cial, mais aussi par rapport à l'apparence que présentent ces forces,
point, car elle tire toute sa valeur, non pas du procédé par lequel
elle a été trouvée, mais des vérifications subséquentes.
théorie qui, crue un moment fausse, avait ensuite été reconnue vraie, l'auteur écrit :
§ 2400 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1591
« (p. 173) J'ai compris par là combien est au fond limité le crédit que nous accor-
dons aux théories, et que nous y voyons des instruments de découvertes plutôt
que de véritables démonstrations». C'est précisément ainsi que nous considérons
les théories que nous avons exposées dans ce traité. c
W. OsTWALD L'évolution d'une science. La Chimie, Paris, 1916 « (p. 147) En
; :
suivant jusqu'à nos jours le sort des théories chimiques, voici ce qu'on observe
régulièrement. D'abord une théorie se développe pour représenter par des modifica-
tions d'un certain schéma la variété des combinaisons existantes. Naturellement on
choisit un schéma qui s'accorde avec les faits connus, aussi toutes ces théories
expriment-elles plus ou moins complètement l'état de la science à leur époque [cela
est bon pour les sciences qui sont étudiées expérimentalement. Pour les sciences
sociales, qui, jusqu'à présent, ont été étudiées surtout avec le sentiment, il faut dire :
« L'étatdes sentiments et des intérêts, avec une adjonction plus ou moins grande
d'expérience «]. Mais la science s'accroît sans cesse [pour les sciences sociales :
« mais l'expérience gagne plus ou moins de terrain »], il se produit tôt ou tard un
désaccord entre la multiplicité réelle des faits observés et la multiplicité artificielle de
la tliéorie [pour les sciences sociales le désaccord apparaît surtout entre les faits et
les déductions des sentiments]. La plupart du temps, on essaie d'abord de plier les
faits si la théorie, dont il est plus facile d'embrasser d'un coup d'œil toutes les
possibilités, ne peut plus rien céder. Mais les faits sont plus duraliles et plus résis-
tants que toutes les théories, ou, tout au moins, que les hommes qui les défendent.
Et ainsi, il devient nécessaire d'élargir convenablement la vieille doctrine ou de la
remplacer par de nouvelles idées mieux adaptées ».
Plusieurs catégories de personnes ne peuvent pas comprendre ces choses entre ;
autres les personnes qui créent ou adoptent des théories pour défendre leurs inté-
:
rêts auro suadente, nil potest or at to : les très nombreuses personnes qui se lais-
:
sent guider par le sentiment, la foi, les croyances; les «intellectuels» qui ensei-
gnent une « science sociale », en ne sachant que peu ou point ce qu'est au juste une
science expérimentale. Toutes ces personnes et d'autres encore peuvent être utiles
au point de vue social: elles ne comptent pas, lorsqu'il s'agit uniquement de la
recherche de la réalité expérimentale (§ 2113 1).
2400"^ Jean Perrin loc. cit. 2400 '. Après avoir noté la concordance des résultats
;
obtenus pour déterminer, en des circonstances très différentes, le nombre d' Avogadro
A'', l'auteur ajoute :« (p. 290) Pourtant, et si fortement que s'impose l'existence des
molécules ou des atomes, nous devons toujours être en état d'exprimer la réalité
visible sans faire appel à des éléments invisibles. Et cela est en effet très facile. Il
nous suffirait d'éliminer l'invariant i\' entre les 13 équations qui ont servi à le
déterminer pour obtenir 12 équations où ne figurent que des réalités sensibles, qui
expriment des connexions profondes entre des phénomènes de prime abord aussi
complètement indépendants que la viscosité des gaz, le mouvement brownien, le
bleu du ciel, le spectre du corps noir ou la radioactivité... Mais, sous prétexte de
rigueur, nous n'aurons pas la maladresse d'éviter l'intervention des éléments molé-
culaires dans l'énoncé des lois que (p. 291) nous n'aurions pas obtenues sans leur
aide. Ce ne serait pas arracher un tuteur devenu inutile à une plante vivace, ce serait
couper les racines qui la nourrissent et la font croître ».
Nous pouvons répéter des considérations semblables pour la théorie des résidus.
Ceux-ci représentent une partie constante de phénomènes très nombreux et variés.
Pourtant —
dirons-nous —
nous devons toujours être en état d'exprimer la réalité
concrète sans faire appel à des abstractions. C'est ce que nous pouvons faire, en
éliminant les invariants nommés r(55u/M.ç entre les très nombreuses équations qui
1592 CHAPITRE XII ^ 2400
que la courbe de ces états ait une asymptote (§ 2392). C'est ce qui a
lieu pour les sciences logico-expérimentales. La force, sinon unique
du moins principale, qui agit actuellement sur ces sciences, est la
recherche de la correspondance des théories avec l'expérience les ;
sont du moins en petit nombre, il est des cas où nous pouvons décou-
vrir une telle expression. On peut, par exemple, reconnaître des
mouvements oscillatoires autour d'une certaine position, soit qu'ils
tendent à un équilibre en cette position, soit qu'ils se continuent
indéfiniment sans manifester clairement aucune tendance de ce
genre. Ce sont desmouvements d'une telle nature que nous avons
vus se produire sous l'empire de deux forces principales, qui sont la
correspondance avec la réalité expérimentale et l'utilité sociale
(§ 1683, 2329, 2391).
Ce n'est que par une première approximation qu'on peut
réduire à deux les très nombreuses forces qui agissent dans les cas
concrets. Si, pour pousser plus loin l'étude des phénomènes, nous
mettons en ligne de compte de nouvelles forces, en les ajoutant aux
deux principales que nous avons considérées, nous trouverons des
mouvements de plus en plus compliqués et ditficiles à étudier
(I 2339, 238<S). Ici, nous avons pu faire quelques pas dans cette voie
(§ 2343 et sv.), mais les obstacles dont elle est hérissée ne nous
ont servi à les obtenir, et où ne figurent plus que des réalités concrètes. Mais nous
n'aurons pas la maladresse d'éviter, sous prétexte de rigueur, l'intervention d'élé-
ments abstraits dans l'énoncé de lois que nous avons obtenues grâce à leur aide.
Il convient de ne pas renoncer aux services importants qu'ils peuvent encore nous
rendre, jusqu'à ce que les progrès de la science les remplacent par d'autres, qui, à
leur tour, devront être conservés tant qu'ils rendent des services; et ainsi de suite,
indéfiniment.
§ 2401-2404 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1593
ont pas permis de nous y avancer autant que nous l'aurions désiré.
Si nous avions suivi la voie deductive, l'exposé que nous venons
de faire aurait dû trouver sa place au commencement de l'ouvrage ;
la courbe parcourue par Mars n'était pas une ellipse, elle ne sen
écartait d'ailleurs pas beaucoup. Il aurait pu faire l'hypothèse que
considérait le soleil et Mars séparément des autres planètes,
si l'on
lacourbe devait être une ellipse, et que si elle ne l'était pas, c'était
parce que le soleil et Mars n'étaient pas séparés des autres pla-
nètes.
2403. Beaucoup plus grave, peut-être insurmontable aurait
2°
rien qui (p. 543) corresponde à l'ophélimité, ou aux indices d'opliélimité toute Ja :
théorie de l'équilibre économique est donc indépendante des notions d'utilité (éco-
nomique), de valeur d'usage, d'ophélimité, elle n'a besoin que d'une chose, c'est-à-
dire de connaître les limites des rapports
J y '
TT '
...On pourrait donc écrire tout un traité d'économie pure, en partant de l'équation
(9) et d'autres équations analogues, et il se peut même qu'il convienne un jour de
le faire. [En note ,, C'est une des nombreuses raisons pour lesquelles nos théories
:
grande, l'impossibilité même, qu'on peut trouver à réaliser pratiquement ces expé-
riences, importe peu; leur seule possibilité théorique suffit pour prouver, dans les
cas que nous avons examinés, l'existence des indices de l'opliélimité, et pour nous
en faire connaître certains caractères». De la sorte, les indices d'ophélimité et les
lois de l'offre et de la demande sont liés ensemble on peut aller des uns aux autres,
;
ou vice versa « (p. .571) On pouri'ait, des expériences qui viennent d'être indiquées,
:
24U9' V. Pareto L'écon. et la soc. au point de vue scient. : « (p. 13) Cet équi-
;
libre [l'équilibreéconomique] ayant d'abord été étudié dans le cas de la libre con-
currence, beaucoup de personnes se sont imaginé que l'économie pure ne considé-
rait que ce cas. Cette erreur est du genre de celle que pourrait faire une personne
qui, ayant commencé par étudier, en dynamique, le mouvement d'un point matériel,
s'imaginerait que la dynamique ne peut pas étudier les mouvements d'un système
de points assujettis Jà des liaisons. L'économie pure peut étudier, et étudie, toutes
sortes d'états économiques outre celui de la libre concurrence et par la rigueur de ses
;
méthodes, elle donne une signification précise aux termes libre concurrence, mo-
:
nopole, etc., employés jusqu'à présent d'une manière plus ou moins vague. Parmi
les groupes d'équations qui déterminent l'équilibre économique, il en est un en lequel
se trouvent les ophélimités des marchandises consommées. Cette circonstance a été
l'origine d'une autre erreur. On s'est imaginé que les théories de l'économie pure
étaient étroitement liées à la conception de l'ophélimité [rareté,marginal utility,
etc.), etque par conséquent, celles-là ne pouvaient subsister sans celles-ci. Il n'en
est rien. Si nous le désirons, nous pouvons, entre les équations données, éliminer
les ophélimités, et nous aurons un nouveau système, qui déterminera également bien
l'équilibre économique. Dans ce nouveau système, il y aura un groupe d'équations
qui exprimera d'une manière précise la conception autrefois vague et parfois erronée,
à laquelle on donnait le nom de loi de l'offre et de la demande».
2409^ Manuale, IV, 11 «(p. 253) Quelques-uns des auteurs qui ont constitué
:
l'économie iture ont été amenés, pour rendre plus simples les problèmes qu'ils vou-
laient étudier, à admettre que l'ophélimité d'une marchandise ne dépendait que de la
quantité de la marchandise à la disposition de l'individu. On ne peut pas les blâmer,
parce qu'en somme il faut résoudre les questions les unes après les autres, et qu'il
vaut mieux ne jamais se hâter. Mais il est temps maintenant de faire un pas en
avant et de considérer aussi le cas dans lequel l'ophélimité d'une marchandise
dépend des consommations de toutes les autres». Le chapitre indiqué plus haut et
l'Appendice mathématique traitent longuement de ce sujet. L'édition italienne du
Manuel a été publiée en 190B déjà. Le lecteur s'imaginera-t-il qu'un auteur repro-
cha aux théories de l'économie pure de ne considérer que les consommations indé-
pendantes des marchandises? Telle est la passion qui aveugle certaines personnes,
telle est l'ignorance dont elles font preuve. — Au point de vue théorique, il faut
[irendre garde aussi à l'ordre des consommations. Une observation juste et avisée
du prof. ViTO VôLTERR.A. uous a déterminé à faire, sur ce sujet, une étude, publiée
dans le Giornale degli Economiste, juillet 190t;, et résumée dans le Manuel,
p. 546-556.
§ 2410 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1597
ments moins variables, plus constants, dans les résidus et les déri-
vations. On pourrait également chercher ailleurs. Cela importe
moins que de prendre garde qu'en ces recherches il ne s'introduise
des éléments et des formes qui éloignent de la réalité objective. Il
prendre une autre et nouvelle forme, dans laquelle, parmi les éléments déterminants
des phénomènes sociaux, les démonstrations occuperaient la place que tiennent
aujourd'hui les sentiments et les intérêts. Les ouvrages des auteurs qui considèrent
surtout ou exclusivement les actions logiques, et ceux des auteurs qui voient les
faits à travers leur éthique absolue, prennent une forme analogue d'études histo-
riques, qui écartent de la réalité, et parfois en éloignent beaucoup. En effet, cette
éthique et la logique étant constantes, les dérivations auxquelles elles donnent nais-
sance doivent aussi être considérées comme telles, et la variabilité des phénomènes
devient presque ou entièrement dépendante de la variabilité supposée des résidus,
et de celle des arts et des sciences, vérifiée par l'expérience (| 356). Pourtant, on
place d'habitude cette dernière variabilité dans la dépendance des résidus parmi les-
quels se trouvent les sentiments qui empêchent l'homme de faire un usage conve-
nable de sa raison.
1598 CHAPITRE XII i; 2410
des uniformités sociologiques, les détails trop menus, les faits trop
nombreux, peuvent nuire au lieu d'être utiles^; car celui qui
s'arrête à toutes les moindres circonstances des faits s'égare facile-
ment comme dans une épaisse forêt. Il est empêché d'attribuer des
indices convenables aux divers éléments; il intervertit les rôles de
ceux qui sont principaux et de ceux qui sont secondaires, de ceux
exerce une grande influence sur la partie principale du phénomène dont vous
recherchez les uniformités, ni de ces détails qui ont le même caractère». En outre,
eu égard au fond, il serait nécessaire de donner une démonstration adéquate de ces
affirmations. Mais tout cela ne peut être compris que de ceux qui apportent dans
les sciences sociales les méthodes qui ont été si utiles aux sciences expérimentales.
§ 2411 FORME GÉNÉRALE DE LA SOCIÉTÉ 1599
scientifique.
2411. Dans les sciences sociales, il faut surtout se tenir sur
ses gardes contre l'intromission des sentiments de l'auteur, lequel
incline à rechercher, non pas simplement ce qui existe, mais ce qui
devrait exister pour concorder avec ses sentiments religieux, moraux,
patriotiques, humanitaires ou autres ^ La recherche des uniformi-
remarquable pour Auguste Comte il s'observe aussi pour Herbert Spencer et pour le
;
très grand nombre de sociologies humanitaires que chaque jour voit éclore [% 6]. On
tâche parfois de le dissimuler sous un vernis scientifique, mais ce vernis est trans-
parent et laisse facilement apercevoir le dogme qu'on voulait dissimuler. ...Les
sociologues qui n'en arrivent pas jusqu'à constituer un système religieux, veulent au
moins tirer de leur ,, science" des applications pratiques immédiates. Des applica-
tions pratiques seront possibles un jour, mais ce jour est encore loin. Nous com-
mençons à peine à entrevoir les uniformités que présente la mutuelle dépendance
des phénomènes sociaux une somme énorme de travail est encore nécessaire avant
;
que nous ayons acquis une connaissance de ces uniformités assez étendue pour nous
permettre de prévoir, avec quelque probabilité, les effets sur les faits sociaux d'une
moditication api)ortée (p. 22) à une catégorie de ces faits. Jusqu'à ce que ce jour
soit venu, l'empirisme synthétique des hommes d'Etats se trouve encore très supé-
rieur, quant aux résultats pratiques, à la plus savante analyse sociologique qui soit
à notre portée». Ce qui précède était écrit en 1907; eh bien, il y a encore des per-
sonnes qui s'imaginent que les recherches scientifiques auxquelles nous nous livrons
ont pour but de prophétiser, et de faire une concurrence déloyale à M""= de Thèbes.
De même, dans le passé, il y avait des personnes qui supposaient que l'économie
politique pouvait prédire le prix des marchandises. Une opinion analogue se mani-
festa de nouveau lorsqu'apparut l'économie mathématique. Il y eut alors des gens
qui demandèrent «Avec tous vos calculs, pouvez-vous prévoir le prix du blé l'an-
:
née prochaine ?» Ces gens ne savent pas distinguer les mouvements virtuels des
mouvements réels, un raisonnement logico-expérimental d'une dérivation, une pro-
position scientifique d'une prophétie. La forme d'un raisonnement logico-expérimen-
tal sur les mouvements virtuels est la suivante «Si les circonstances A. B, C,... se
:
liomme pratique, elle peut acquérir une probabilité notable en sa faveur. Si elle est
la prophétie d'un croyant qui vit dans les nuages, ou d'une personne qui exploite la
crédulité d'autrui, il est bonde ne pas s'y fier beaucoup il faut l'envoyer tenir cora-
:
paonie aux prévisions de ces hommes remarquables qui devinent les numéros du
loto. Si au prix de 81, la demande de titres de la dette publique est plus grande que
l'offre, l'économiste peut vous dire que le prix montera. C'est là un cas particulier
d'une uniformité étudiée par sa science. Si aous voulez savoir quel prix auront ces
titres dans 15 jours, ne vous adressez pas à l'économiste il ne peut rien vous dire
:
à ce sujet. Adressez-vous à un homme d'Etat qui consente à vous faire part de ren-
seignements ignorés du public, dont vous pourrez déduire, avec une probabilité
plus ou moins grande, que la demande croîtra ou diminuera en regard de l'ofTre.
Ou bien demandez conseil à un homme de bourse rompu aux affaires. Il se peut
qu'il devine il se peut aussi qu'il se trompe. S'il a souvent gagné de Targent en spé-
;
culant à la Bourse, la probabilité du premier cas est plus grande que celle du
second; mais en tout cas c'est une probabilité qui n'a rien à voir avec la science
économique. Si vous vous adressez ensuite à une personne « confiante dans les des-
tinées de la patrie», et qui en conclut que le prix des titres de la dette publique'
doit «nécessairement» monter, demandez-lui aussi les numéros du loto qu'elle a rêvé
el qui vous porteront bonheur, et souvenez-vous que ces prophéties occupent un
rang honorable parmi celles de Nostradamus et de M"'« de Thèbes. Les affirmations
d'un grand nombre de « sociologues » sont semblables à celles-là. Ils s'imaginent naï-
vement énoncer une uniformité sociologique en manifestant leurs désirs, leurs sen
timents, les visions de leur religion humanitaire, patriotique, ou autre.
CHAPITRE XIII
24151 Paul Bosq Souvenirs de l'Assemblée nationale : «(p. 389, note) Dans le
;
train qui,pour la dernière fois, ramenait à Paris les membres de l'Assemblée natio-
nale, M. Laurier prononçait... l'oraison funèbre de cette majorité... ,,Nous sommes
flambés! Ces gredins de républicains prendront nos sièges. Voilà ce que c'est
de s'être toujours demandé au moment de prendre une décision Qu'en dira la :
duchesse ""? Et nous faisions une sottise". Il aurait fallu répondre Zut! à la :
duchesse, et faire de la bonne politique, (p. 340) Nous n'en serions pas où nous som-
mes si nous nous étions moins préoccupés de l'opinion des salons». On sait assez
que les classes supérieures françaises préparèrent dans leurs salons la première
Révolution, qui devait les détruire.
1604 CHAPITRE XIII § 2417-2418
--H
C tion varie parfois assez rapi-
dement, nous pourrons en
distinguer les effets de ceux
C" d'autres phénomènes. Pour-
--H-"- /
tant cette variation étant
43.
Fis>-.
étroitement liée à celle de la
c/
circulation des élites, très
souvent on ne pourra connaître que les eftets d'ensemble, sans
qu'il soit possible de bien distinguer la part qui revient à chacune
de ces deux causes.
2418. En outre, l'indice de
l'utilité sociale ne dépend pas
seulement de la proportion des
différentes catégories de rési-
dus dans la classe gouvernante,
mais aussi de cette proportion
dans la classe gouvernée. Il
faut par conséquent représen-
ter le phénomène dans un es-
pace à trois dimensions (fig.
43). Le plan x y, supposé hori-
zontal, est celui de la figure ;
s" c", ...., nous en trouverons un c" qui sera plus grand que les
cipal désavantage est de pousser à des actions qui sont une consé-
quence logique de ces sentiments, mais qui nuisent à la société.
Pour remplir la première fonction, il faut que ces sentiments aient
une force considérable. Quand celle-ci diminue beaucoup, ils ne
peuvent plus résister à des intérêts puissants et à des passions vio-
24-20 1 E. GuRTius ; t. IV
Hist, grecq., « (p. 68) La santé morale d'une cité hellé-
:
nique tenait avant tout la fidélité avec laquelle la génération présente s'attachait
rà
à la tradition du passé, à sa foi aux dieux de ses pères, à son dévouement à la chose
publique, et à l'observation scrupuleuse de ce que la coutume et la législation
avaient établi comme règle de la vie sociale ». Gela est vrai, pourvu qu'on l'entende,
non pas des gouvernants et des gouvernés, mais principalement des gouvernés ;
lentes ; ils ne produisent que les seconds effets, qui sont nuisibles à
la société.
estimèrent, à tort peut-être, que son concours ne leur était plus né-
cessaire, et quand ils le soupçonnèrent de les avoir trahis. Comme
on sait, lorsque la flotte était sur le point de quitter Athènes, un
matin, on s'aperçut que les hermès placés dans les rues d'Athènes
avaient été mutilés. La cité fut atterrée du terrible sacrilège. Elle
manifestait ainsi des sentiments de persistance des agrégats, comme
on en aurait observé dans d'autres cités helléniques ^ Mais quelle
que fût leur puissance, elle ne suffit pas à vaincre l'instinct des
combinaisons, et le peuple athénien maintint au commande-
ment de la flotte Alcibiade, sur lequel pesait l'accusation de ce
en Grèce, —
que son premier, son impérieux devoir était d'en découvrir les auteurs
et de les punir. Tant que ces derniers allaient librement inconnus et impunis, les
temples étaient souillés par leur présence, et toute la ville regardée comme étant
sous le coup du mécontentement des dieux, qui la frapperaient de graves malheurs
publics». C'est bien; si ces sentiments avaient été assez puissants chez le peuple
athénien, il aurait renvoyé la discussion sur l'expédition en Sicile, ce qui l'aurait
sauvé de terribles aventures.
§ 2422 l'équilibre social dans l'histoire 1607
2421 ^ Thugyd. ; VI, 29, 2 : kuî 'ôti au<pçovéGTenov elr] [if/ fiera Toiavrrjç alriaç, ivçlv
éiayvCxjiv, TvefXTCEiv ahràv èm ToaovTG) arçiaTevfxaTi.
2421^ GuRTius; Hïst. gt^ecq., t. III «(p. 382) Ils [les Athéniens] se lancent dans
:
une entreprise hasardeuse qui demandait un chef sans scrupules, déterminé, habile,
et ils font du seul homme qui eût ces qualités un ennemi de la cité, acharné à la
ruine de son pi'opre ouvrage ils confient la continuation de la guerre à un général
;
malade [un honnête homme, comme Napoléon III à Sedan], timoré et agissant à con-
tre-cœur, et ils vont affronter un ennemi plus dangereux que tous les précédents... »
des navires de l'escadre n'ont pas le stock nécessaire pour trois heures de combat».
Le gouvernement de ploutocrates démagogues qui avait réduit la marine à cet état
n'entreprit pas d'augmenter les munitions, mais mit à disposition l'amiral Germinet.
1608 CHAPITRE XIII §2423
une injonction parce que l'armée française n'avait pas plus de 700 coups par pièce.
Il y a des économies qui coûtent cher. Si nous avions eu une armée et une marine
répondant à notre politique étrangère, nous n'aurions pas été' amenés à la situation
où nous sommes ». Le président du Conseil. Caillaux, dit : « Il est malheureusement
vrai qu'on n'a pas toujours fait l'eftbrt qu'il fallait accomplir, et qu'il a fallu rattraper
le temps perdu». A propos de ce discours de Lefèvre, Georges Berthoulat écrit
dans la Liberté, 30 novembre 1913 « M. André Lefèvre n'est certes pas de nos amis
:
politiques. Mais l'impartialité nous oblige à reconnaître que, lorsqu'il parle, c'est
toujours pour dire quelque chose, compliment bien rare avec les parlementaires
d'aujourd'hui. M. Lefèvre avait prononcé dans la discussion de la réforme militaire
un discours hors de pair celui d'hier n'est pas moins décisif, et il était aussi non
:
s'en tira alors, parce qu'il n'y avait pas en Allemagne un autre Bis-
marck qui jouât la partie qu'avait jouée déjà Philippe de Macédoine
contre Athènes. Comme nous le verrons mieux plus loin (^ 2449 et
sv., 2434), ces leçons ont peu ou point d'effet pour empêcher de
commettre de semblables erreuî-s. Cest une nouvelle preuve de la
clairvoyance.
2426. Le fait raconté par Hérodote, au sujet d'Amopharétès,
caractérise bien la mentalité spartiate \ A Platée, Amopharétès
économies furent réalisées au détriment de l'armée, c'est-à-dire celles qu'il n'aurait
jamais dû faire et dont l'addition constitua en grande partie le présent déficit».
Cfr. I 2463 1.
'2420' Herod. IX, 52. Get auteur dit qu'Amopliarétès était le chef de la localité
;
de Pitana. Parlant des erreurs historiques qui sont usuelles, Thucydide (1,20) observe
qu'il n"a jamais existé une localité du nom de Pitana. Cela pourrait mettre en doute
1610 CHAPITRE XIII §2427
nous sont le mieux connus. Déjà sans aller chercher bien loin, en
parlant de la conduite d'Alcibiade à l'égard des Spartiates, nous
avons trouvé un fait remarquable qui montre combien il est utile
que l'instinct des combinaisons soit prédominant chez les chefs,
et celui de la persistance des agrégats chez les subordonnés \ En
somme, c'est précisément parce qu'Alcibiade eut pour exécuter ses
combinaisons des hommes comme les Spartiates, qu'il put être utile
à ces derniers, beaucoup plus qu'il ne fut utile à ses concitoyens
athéniens. Cette observation nous amène à reconnailreque la pre-
tout le récit d'Hérodote. Mais quand bien mêiriL' il serait légendaire, en tout ou
partie, cela importerait peu au but que nous nous proposons, lequel est uniquement de
rechercher les sentiments des Spartiates. Il est en effet évident qu'une légende
acceptée comme histoire doit concorder avec les sentiments qu'elle manifeste.
2427* Sans avoir le moins du monde en vue notre théorie, Gurtius, Hist, grecq.,
t.IV, nous donne un autre exemple, qui nous reporte aux Dix Mille guidés par
Xénophon : «(p. 170). Chez ces hommes, l'inquiétude du présent entretenait une
effervescence exaltée et avait détruit en eux l'amour de la terre natale [voilà certains
résidus qui font défaut, mais d'autres les compensent] mais avec quelle fermeté
;
ne restaient-ils pas attachés à leurs plus vieilles traditions Des (p. 171) rêves et des
!
présages envoyés par les dieux dictent, comme dans le camp homérique, les plus
graves résolutions (| 24401) c'est avec un zèle pieux qu'on chante les péans, qu'on
;
allume le feu des sacrifices, qu'on dresse des autels aux dieux sauveurs et qu'on
célèbre un tournoi quand à la fin l'aspect de la mer, de la mer tant désirée, vient
ranimer les forces et le courage... La rivalité des tribus y est sensible, mais le senti-
ment de la communauté, la conscience de l'unité nationale garde la haute main, et
la masse possède assez de raison [disons au contraire de résidus de la II' classe]
:
leur intelligence [voilà les résidus de la I^ classe] et leur force morale désignent
comme propres au commandement. Et, chose merveilleuse [point merveilleuse du
tout; c'est la conséquence de l'existence des résidus remarquée par l'auteur] dans
cette multitude bigarrée de Grecs, c'est un Athénien qui, par ses capacités, les dépasse
tous et devient le véritable sauveur de l'armée entière [exactement comme Périclès
à Athènes, Epaminondas à Thèbes, Philippe en Macédoine]. L'Athénien avait seul cette
supériorité de culture nécessaire pour donner de l'ordre et de la tenue à ces colonnes de
soldats assauvagis par l'égoïsme, pour leur servir, dans les circonstances les plus
diverses, d'orateur, de général et de (p. 172) négociateur; c'est à lui surtout quil
faut savoir gré si, en dépit d'indicibles souffrances, au milieu de peuplades hostiles
et de montagnes couvertes de neiges et désolées, huit mille Grecs pourtant touchèrent
enfin à la côte, après avoir erré par de nombreux détours ». Plus précisément, on
doit cela, ainsi qu'il ressort de l'exposé même de Gurtius, à l'instinct des combinai-
sons de Xénophon, combiné avec l'existence, chez ses soldats, des sentiments de
persistance des agrégats, fort bien not(''S par Gurtius.
§2428-2429 l'équilibre social dans l'histoire 1611
plus efficace encore qu'une autre dans laquelle c'est un Nicias qui
gouverne, et où ceux qui l'élisent et acceptent son gouvernement
sont des hommes chez lesquels l'instinct des combinaisons est
puissant. Nous allons voir de nouveaux et meilleurs exemples de
tout cela.
2428. A la bataille de Leuctres, la formation tactique des
Spartiates était encore celle qu'ils employaient au temps des guer-
res médiques S tandis que le progrès de la formation tactique des
Athéniens était immense, au temps de Miltiade et à celui d'Iphi-
crate. Mais cela profitait peu à Athènes les Spartiates ne savaient :
2428' (ÎUBTius; Hist, grecq., t. IV «(p. 379) L'art militaire des Spartiates, en
:
dépit de quelques réformes isolées, avait toujours pour base l'ancienne disposition
en lignes; ils avaient leur ancienne phalange, c'est-à-dire la ligne de bataille rangée
en profondeur égale, avec laquelle ils (p. 380) s'avançaient contre l'ennemi ».
2429 1 II paraît qu'à la bataille de Cannes, Annibal aurait été un précurseur des
tacticiens allemands modernes. Voir Sghlteffen ; Cannae. Les Romains inventaient
peu, mais savaient se servir de l'expérience d'autrui
ils ; c'est ce qu'ils firent pour
l'art naval des Carthaginois.
.
et cela mieux pour la Macédoine que pour Thébes, parce que, pré-
cisément à cause de l'intensité différente des résidus de la
IP classe, les Macédoniens demeuraient plus fidèles à leurs chefs
que les Thébains.
2430. Le fait de la puissance thébaine, qui naquit et disparut
dans une courte période, est remarquable en ce qu'il dura précisé-
ment le temps pendant lequel les conditions indiquées au § 242&
subsistèrent. Lorsque, par la mort de Pélopidas ou d'Epaminondas,
lapremière de ces conditions vint à disparaître, la puissance de
Thèbes s'évanouit. Il sera donc bon que nous examinions quelque
peu les circonstances particulières de ce fait.
2431. La naissance de la puissance thébaine fut absolument
imprévue. Lorsqu'à l'assemblée réunie à Sparte la paix fut conclue
entre tous les états de la Grèce moins Thèbes, en constatant cette
exclusion des Thébains \ nous dit Xénophon, « les Athéniens
eurent l'opinion que, ainsi qu'on le disait, il était à prévoir que les
Thébains étaient décimés de leur coté, les Thébains eux-mêmes se
;
vvv Orjjiaiovç to "keyôfievov ây âsKarevOf/val sATriç elrj, avTol âè ol 07](ialoi navreTiùç àôv/uuç
ëxovTsç àw^'AOov. —
DiOD. XV, 51. « Les Lacédémouiens, donc, décidèrent d'attaquer
:
degré de talent militaire rare dans les commandants Spartiates, déjoua tous les cal-
culs thébains. Au lieu de marcher par la route régulière de Phokis en Bœôtia, il
tourna au sud par un chemin dans la montagne jugé à peine praticable, défit la divi-
sion thêbaiae sous Ghereas qui le gardait, et traversa la chaîne de l'Helikôn pour
gagner le port bœôtien de Kreusis, sur le golfe Krissœen. Arrivant sur cette place
par surprise, il l'enleva d'assaut, et captura douze [trirèmes thèbaines qui se trou-
vaient dans le port ».
non tam magnitadine rerum gestarum, quam disciplina militari nobilitatus est.
Fuit enim talis dux, ut non solum aetatis suae cum primis compararelur, sed ne de
maioribus natu quidem quisquam anteponeretur. Multum vero in bello est versa-
tus saepe exercitibus praefuit; nusquam culpa sua maie rem gessit; semjier con-
;
silio vicit, tantamque eo valuit, ut multa in re militari partim nova attulerit, partim
meliora fecerit... —
Grote, Hist, de la Gr., t. XIV, cl, croit pouvoir tirer de Gorn.
Nep. de Diod. Sic. la description suivante des perfectionnements introduits par
et
Iphicrate «(i3.67) Il allongea de moitié et la légère javeline et la courte épée, que
:
mais aussi chez tous les autres peuples de la Grèce. Il futle précur-
seur de Napoléon l^^', suivant lequel il faut s'efforcer d'être supé-
rieur à l'ennemi, à un moment donné et sur un point donné.
Les Grecs avaient l'habitude d'engager la bataille, autant que possi-
ble, sur tout le front de l'armée. Au contraire, Epaminondas ran-
gea l'armée obliquement, de telle sorte que la gauche, avec le
au moyen de traits, soit corps à corps, — et une retraite liabile en cas de besoin».
Par consf'quent « (p. G8) les succès de (p. 69) ses troupes légères furent remarquables.
Attaquant Phlionte, il fit tomber les Phliasiens dans une embuscade, et leur infligea
une défaite si destructive qu'ils furent obligés d'invoquer l'aide d'une garnison lacé-
dœmonienne pour protéger leur cité. Il remporta une victoire près de Sikyôn, et
poussa ses incursions sur toute l'Arkadia, jusqu'aux portes mêmes des villes fai- ;
saut tant de mal aux hoplites arkadiens, qu'ils finirent par craindre de le rencontrer
en rase campagne».
24342 Xenoph Hell., VI, 4, 12. Les Lacédémoniens avaient rangé les énomoties
;
[compagnies de 25, 32 ou S6 hommes, selon les auteurs] sur trois files; ce qui don-
nait au maximum douze hommes de profondeur, tandis que les ïhébains avaient
une profondeur d'au moins cinquante boucliers. —
En un temps très postérieur,
Végèce décrit, en le louant, un semblable ordre de bataille. Ve'".. III, 20 Depugna- ; :
tionum septem sunt genera vel modi, cum infesta ex utraque parte signa confligunt.
Una depugnatio est fronte longa, quadro exercitu, sicut eliam nunc et prope semper
solet proelium fieri. Sed hoc genus depugnationis perili armorum non optimum
indicant... Secunda depugnatio est obliqua, quae plurimis melior in qua si pau- :
cos strenuos loco idoneo ordinaveris, etiamsi multitudine hostium et virtute turberis,.
taraen poteris reporlare victoriam. Huius talis est modus (jum instructae acies ad
:
congressum veniunt, tune tu sinistram alam tuam a dextra adversarii longius sepa-
rabis, ne vel missilia ad earn, vel sagillae perveniant dextram autem alam tuam
:
sinistrae alae illius iunge, et ibi primum inchoa proelium lia, ut cum equilibus
:
MavTÎvstav rfjv ^èv è/j.(paai.v ëxsi iTOïK'ûirjv Koi arçarriyiKijv... «la bataille de Mantinée
où l'on vit tant de variété et de science de commandement... ».
2436 1 DiOD. Sic. ; XV, .52.
quod ex hasta eius ornaraentum [circonstance un peu différente de celle que rap-
porte Diodore], infulae more dépendons, ventus ablatnm in sepulcrum Lacedaemo-
nii cuiusdam depulerat Nolite, inquit, milites, trepidare Lacedaemoniis significa-
: ;
2436^ Xenoph. ; Hell.. VI, 4, 7 : Oi fih' ôfj riveç 'Aéyovaiv ùç ravra irâvra re^vâcr/xara
yv Tù)v 7tçoea~r]KÔTuv.
2436'' L'inverse se produisit pour le peuple athénien. On voit bien là combien est
impoi'tante la considération de la quantité des résidus. D'abord, il fut nuisible au
peuple athénien de posséder des résidus de la II" classe en quantité trop petite pour
qu'il fût attentif aux prudents conseils de Nicias, et qu'il s'abstînt de l'entreprise
de Syracuse; tandis qu'ils étaient en assez grande quantité pour faire de Nicias un
des chefs de l'entreprise. Pour n'avoir pas fait cette distinction, Grote, Hist, de la
Grèce, t. X, commet une grave erreur. Après avoir rappelé le jugement bienveillant
de Thucydide sur Nicias, il dit «(p. 347) Thucydide est ici d'autant plus instructif
:
conseillait au peuple de ne pas faire cette expédition, et qu'on n'y fut pas attentif,
«(p. 348) Non seulement on considérait les qualités privées de Nikias comme lui
donnant droit à l'explication la plus indulgente de ses fautes publiques [parmi celles-
ci n'était certainement pas le conseil de s'abstenir d'aller en Sicile !J, mais elles lui
assuraient pour sa capacité politique et militaire un crédit complètement dispropor-
tionné à ses mérites [oui, si l'on ne s'attache qu'au commandement de l'expédition
1
en Sicile ; non, si l'on envisage le conseil de ne pas la faire]... Jamais dans l'histoire
politique d'Athènes le peuple ne se trompa aussi fatalement en plaçant sa confiance
[il faut répéter ici l'observation précédente]». Grote saisit l'occasion de ce fait pour
justifier les démagogues «(p. 349) Les artifices ou l'éloquence démagogiques n'au-
:
raient jamais créé dans le peuple une illusion aussi profondément établie que le
caractère respectable et imposant de Nikias [Pourtant lui-même se dément, en
racontant comment les artifices et l'éloquence d'Alcibiade créèrent précisément dans
le peuple l'illusion de l'utilité de l'expédition de Sicile, contrairement à l'opinion de
Nicias, qui la prévoyait malheureuse]. Or, c'était contre le présomptueux ascendant
de cette incompétence bienséante et pieuse, aidée par la richesse et des avantages
(p. 350) de famille, que l'éloquence des accusateurs démagogiques aurait dû servir
comme obstacle et correctif naturel». Il eût certainement été très utile que cela se
produisît pour la seconde partie de l'activité de Nicias mais ce fut un grand mal-
;
heur pour Athènes que cela soit, au contraire, arrivé pour la première. Le même
Grote dit « (p. 117) La position de Nikias. par rapport à la mesure, est remar-
:
quable, (p. 118) Gomme conseiller disposé à avertir et à dissuader, il s'en fit une
idée juste; mais en cette qualité il ne put entraîner le peuple avec lui». Il est vrai
que Grote affirme que l'expédition de Sicile aurait été utile à Athènes si elle avait
été bien conduite mais les preuves de ces hypothèses font défaut. Ensuite, en ce qui
;
concerne la foi aux présages, elle peut être avantageuse si elle sert à un chef avisé
pour déterminer le vulgaire à accomplir une action utile; elle peut être nuisible, si
le chef a les mêmes préjugés que le vulgaire, et si les présages sont acceptés en
vertu d'un prétendu mérite intrinsèque, au lieu d'être employés comme moyen. Les
présages furent favoral^les, quand on préparait l'expédition de Sicile. Les Athéniens
le déplorèrent amèrement, lorsque celle-ci tourna mal. Thug. VIII, 1. —
Eurip. ;
— ;
bon conseil sont le meilleur présage». Nicias ne put peut-être pas, il ne voulut cer-
tainement pas tourner, par une interprétation opportune, ces oracles et ces prophé-
ties en faveur du conseil qu'il donnait, de s'abstenir de l'expédition. Il l'aurait fait,
s'il avait été comme Epaminondas et les Athéniens auraient pu lui accorder
;
créance, s'ils avaient été comme les Thébains. De nouveau se manifestent les pré-
sages, lorsqu'il s'agit de décider si la flotte athénienne quitterait le port de Syracuse
(I 2440 '), et de nouveau se manifeste le désavantage de la foi que Nicias avait en eux.
dit que Thébains étaient effrayés, il ajoute 'Ewa/icvùvâaç daççsïv ahrohç èneiae
les :
aval rex'^àafj.aai.. « Epaminondas leur donna du courage par deux artifices». Il parle
d'un message de Trophônios, qui promettait la victoire à qui commencerait la bataille,
et il raconte qu'Epaminondas alla avec ses soldats dans le temple d'Héraclès où,
suivant l'ordre qu'il avait donné, le prêtre avait fourbi les armes et laissé le temple
ouvert, ce qui passa pour un présage de victoire. Cfr. Front. I, 11, 16. :
SOCIOLOGIE 102
1618 CHAPITRE XIII § 2437
sement que le peuple ne comprenait pas bien et qui laissait des doutes sur le lieu.
Il y a, en effet, dans la Laconic, près de la mer, une petite ville nommée Leuctres,
et près de Megalopolis, en Arcadie, un autre endroit du même nom... (21) Pélopidas
dormait dans le camp, lorsqu'il croit voir les filles de Skédasus se lamenter autour
de leurs tombeaux, en lançant des imprécations contre les Spartiates, puis Skédasus,
qui lui ordonne d'immoler à ses filles une vierge rousse s'il veut vaincre les enne-
mis». Il communiqua les choses aux devins et aux chefs. Une partie d'entre eux
voulaient que la prescription fût exécutée à la lettre, et rappelaient de nombreux
exemples de tels sacrifices. « Ceux d'un avis opposé soutenaient qu'un sacrifice aussi
barbare, aussi contraire aux lois de l'humanité, ne pouvait être agréable à aucun
des êtres supérieurs qui nous gouvernent... (22) Tandis que ces conversations ont
lieu entre les chefs et que Pélopidas, surtout, est dans le plus grand embarras, une
jeune cavale, échappée d'un troupeau, passe en galopant à travers les armes, arrive
auprès d'eux et s'arrête tout court. Tous les regards sont attirés par la couleur de
sa crinière, d'un rouge très-vif,... Le devin Théocrite, par une heureuse conjecture,
crie à Pélopidas : ,, Voici votre victime, heureux mortel! N'attendons pas d'autre
vierge, mais prenez et immolez celle que le dieu nous donne ". On saisit la cavale,
on la conduit aux tombeaux des jeunes lilies, on invoque les dieux après l'avoir
couronnée de guirlandes, on immole joyeusement la victime, et l'on répand ensuite
dans le camp le bruit de la vision de Pélopidas et la nouvelle du sacrifice». Pausa-
nias (IX, 13) sait le nom des jeunes filles elles s'appelaient Molpia et Ippo. En toute
;
bes, des démagogues ignorants obtinrent pleine et entière confiance de leurs conci-
toyens. Mais ensuite Curtius se rapproche de la vérité expéi'imentalc «(p. 477) :
Nous découvrons donc aussi à Thèbes, au sein d'un régime démocratique, une direc-
tion tout aristocratique [ici l'on fait allusion, sous d'autres termes, à la combinai-
son que nous avons indiquée dans le texte], un pouvoir personnel aux mains de
l'homme qui est le premier par (p. 478) l'intelligence [ou mieux l'instinct des combi-
naisons]. Epaminondas aussi gouverne son pays, comme l'homme de confiance du
peuple [qui ne comprend pas grand' chose, et qui, en ne le réélisant pas béotarque,
met en danger le sort de la patrie], à titre de stratège réélu d'année en année [très
grave dommage de la combinaison intrinsèquement avantageuse]. Dans cette posi-
tion, il eut à éprouver l'inconstance de ses concitoyens et l'hostilité d'une opposi-
tion qui considère l'égalité garantie par la Constitution comme violée. Des hommes
comme Ménéclidas jouent le rôle de Gléon [les termes de la combinaison sont inter-
vertis : ceux qui ont les qualités pour obéir gouvernent ceux qui ont les qualités
pour commander, ce qui détruit Athènes et fait courir un grave danger à Thèbes ;
la Macédoine s'en tire parce qu'elle n'est pas atteinte de cette maladie]. Epaminondas
aussi supporta avec le calme des grandes âmes toutes les attaques et les humiliations. .
A la guerre, il fut, comme Périclès, toujours heureux dans toutes les entreprises
impoi'tantes, parce qu'il savait également unir à la plus haute prudence la plus
entière énergie, et surtout parce qu'il s'entendait à élever l'âme de ses soldats et à
les animer de son esprit [mais beaucoup plus parce qu'il savait se servir de leurs
préjugés]. Il leur apprit, comme fit Périclès à l'égard des Athéniens, à surmonter'
les préjugés superstitieux... ». Ici, l'auteur cite Diodore, XV, 53, qui raconte des
faits arrivés avant la bataille de Leuctres (| 2437). Mais ce récit ne montre nulle-
ment qu'Epaminondas enseignait aux Thébains de ne pas se laisser aller à leurs
préjugés; au contraire, il les encouragea et s'en servit à ses fins. Il ne dit nulle-
ment à ses soldats que les oracles étaient de vaines fables mais aux oracles défa-
;
£<pûiOTifieïTo ôià T^ç lâîaç kinvoiaç aal GTçaTTjyiaç [ici, c'est proprement des artifices de
guerre] fisTaôelvai. ràç rov Tc'Xijdovç eiOa^eiaç. L'auteur continue en rapportant préci-
1620 CHAPITRE XIII § 2440
sèment les artifices employés par Epaminondas. L'erreur d'un historien aussi emi-
nent que Curtius est remarquable, parce qu'elle procède de la manie qu'ont les his-
toriens de vouloir, non seulement décrire des faits et des rapports entre les faits,
mais encore faire œuvre éthique. Souvent, même sans s'en apercevoir, l'historien est
persuadé qu'il doit montrer l'excellence du savoir comparé à l'ignorance, de la vertu
comparée au vice. Aussi Curtius exalte-t-il sans autre le savoir d'Epaminondas, et
sans prendre garde qu'il produisit un effet favorable, précisément à cause de l'igno-
rance des gens persuadés et commandés par ce capitaine. —
Grote, t. XV, raconte
le désespoir des soldats après la mort d'Epaminondas, à Mantinée «(p. 209) Toutes
:
contre une défaite, avaient leur source dans l'idée qu'ils agissaient sous ses ordres ;
tout leur pouvoir, même celui d'abattre un ennemi défait, parut disparaître lorsque
ces ordres cessèrent. Nous ne devons pas, il est vrai, parler d'une pareille conduite
avec éloge». Et nous voilà retombés dans l'éthique! Laissons de côté la louange ou
le blâme, qui n'ont pas grand'chose ou rien à faire ici, et relevons seulement le fait
que ces sentiments des soldats montrent combien puissante était en eux la persis-
tance des agrégats; en ce cas particulier, elle prenait la forme d'une confiance illi-
mitée dans le chef, presque d'un culte pour lui. Nous verrons alors se confirmer la
proposition suivant laquelle on obtient l'effet utile maximum, lorsque le chef a l'ins-
tinct des combinaisons, utile pour commander, et que les soldats ont les sentiments
et les préjugés grâce auxquels l'obéissance devient une religion.
s'éclipsa. C'est pourquoi Nicias, rendu plus craintif par scrupule superstitieux et à
cause de la peste [qui sévissait] dans l'armée, convoqua les devins. La réponse de
ceux-ci fut que, suivant l'usage, on devait attendre trois jours avant de mettre à la
voile. Démosthène, [qui était favorable au départ] et ceux qui étaient avec lui
durent donner leur consentement, par crainte des dieux ». —Thug. VII. 50, 4
; :
«...la plupart des Athéniens exhortaient les stratèges à surseoir [au départ], pous-
sés par un scrupule de conscience. Nicias (il était aussi trop superstitieux et adonné
à ces choses), dit qu'on ne devait pas délibérer sur le départ, avant davoir attendu,
comme le disaient les devins, trois fois neuf jours». Cfr. Polyb. IX, 19. ; Si —
Nicias avait été dépourvu de préjugés comme Epaminondas ou Pélopidas, il aurait
trouvé facilement les dérivations capables de persuader à l'armée que l'éclipsé était
un signe favorable au départ. On les trouva après l'événement, pour sauver le cré-
dit des prophéties.— Plutarch. Nicias, 23 (trad. Talbot) « Car ce phénomène,
; :
comme le dit Philochorus, n'était point mauvais pour des gens qui voulaient fuir;
§2440 l'équilibre social dans l'histoire 1621
nous montrent par conséquent que les oracles sont utiles s'ils sont
employés pour persuader les gouvernés, par des gouvernants qui
n'y ont peut-être pas foi, et qu'ils sont nuisibles, s'ils sont tenus
pour vrais par des gouvernants qui les considèrent comme un but,
et non comme un moyen de persuasion. Si l'on veut généraliser
il leur était même Et de fait, les actes qu'on accomplit avec crainte
très favorable.
ont besoin d'obscurité, lumière en est ennemie ». En de semblables circons-
et la
tances, Dion et Alexandre le Grand surent interpréter les éclipses favorablement
à|leurs desseins. Plutarque Dion, 24 (trad. Talbot). Tandis que Dion est sur
;
le point de marcher contre Denys, «après les libations et les prières d'usage, la
lune s'éclipse. Gela n'a rien d'étonnant pour Dion, qui connaît les périodes éclipti-
ques, et qui sait que l'ombre est causée par la rencontre de la terre avec la lune et
son interposition entre elle et le soleil. Mais les soldats troublés ont besoin d'une
explication, et le devin Miltas, se plaçant au milieu d'eux, les engage à prendre
courage et à s'attendre au plus grand succès. La divinité montre par ce signe qu'il y
aura éclipse d'un objet éclatant. Or, il n'y a rien de plus éclatant que la tyrannie de
Denys, et c'est son éclat qu'ils vont éclipser en mettant le pied en Sicile». Tandis
qu'Alexandre marchait contre Darius, il y eut une éclipse de lune. Mais Alexandre
sacrifia aussitôt à la lune, au soleil, à la terre, et trouva, ou imagina un présage
qui lui était favorable. —
Arr. De exp. Alex., III, 7, 6 « Il sembla à Aristandre
: :
que cet accident de la lune était favorable aux Maci'doniens et à Alexandre, et qu'en
ce mois aurait lieu la bataille, pour laquelle les sacrifices présageaient la victoire à
Alexandre. —
Q. Curt. IV, 10. Effrayés par l'éclipsé de lune, les soldats murmu-
;
raient lam pro seditioneres erat, cum ad omnia interritus, duces principesque mili-
:
tum fréquentes adesse praetorio, Aegyptiosque vates, quos coeli ac siderum peritis-
simos esse credebat, quid sentirent, expromere iubet. At illi, qui satis scirent, tempo-
rum orbes implere destinatas vices, lunamque deficere, cum aut terram subiret, aut
sole premeretur, rationem quidem ipsis perceptam non edocent vulgus ceterum :
affirmant, solem Graecorum, lunam esse Persarum quoties illa deficiat, ruinam
:
quos adversis diis pugnasse lunae ostendisset defectio. Nulla res efticacius multitu-
dinem regit quam superstitio alioquin impotens, saeva, mutabilis, ubi vana reli-
:
gione capta est... Nos intellectuels oublient cette fonction séculaire de l'expérience.
Aujourd'hui on ne croit plus que les éclipses lunaires ou solaires aient le moindre
pouvoir sur les événements d'une guerre mais beaucoup de gens croient que ce
;
sante que celle des rois Spartiates. Si Epaminondas n'avait pas été
tué à Mantinée, et avait encore vécu plusieurs années, il aurait
peut-être pu s'opposer heureusement à la puissance naissante de
Philippe. C'est là le rôle du hasard dans les événements humains.
Il est certaines forces qui persistent longtemps, d'autres qui sont
accidentelles et de courte durée ; mais enfin les premières finissent
par l'emporter.
2442. A un autre extrême, Athènes eut en ce temps des géné-
raux éminents. Elle ne sut ni les conserver ni s'en servir. Timothée
et Iphicra te ne semblent avoir été en rien inférieurs à Philippe; mais
ils avaient le malheur d'avoir à faire avec le peuple athénien, enti-
ché de nouveautés et de procès, incapable de cette sérieuse dis-
cipline que donne la persistance des agrégats. Un procès éloigna
en même temps Timothée et Iphicrate, et laissa Athènes sans
défense contre la puissance naissante et formidable de la Macé-
doine '.
lippe, frère du roi, avec trente autres enfants des plus illustres familles, et les con-
duit à Thèbes... Ce Philippe était celui qui fit plus tard la guerre aux Grecs pour les
assujettir. Ce n'était alors qu'un enfant, vivant à Thèbes dans la maison de Pam-
ménès. Cette circonstance fit croire qu'il avait pris Epaminondas pour modèle. Sans
doute il avait compris son activité à la guerre et à. la tète des armées, mais ce
n'était là qu'une faible partie de la vertu de ce grand homme quant à sa tempé- :
rance, sa justice, sa grandeur d'àme et sa bonté, qui l'ont fait réellement grand,
Philippe n'en eut jamais rien ni de sa nature, ni par imitation ». —
Gbote, Hist, de
la G)\, t. XVn, cl, dit avec justesse de Philippe « (p. 16) Son esprit fut enrichi
:
de bonne heure des idées stratégiques les plus avancées de l'époque, et jeté dans la
voie delà réflexion, de la compai-aison et de l'invention, sur l'art de la guerre».
dement destitués par le peuple athénien « (p. 39} La perte d'un citoyen tel que Timo-
:
theos [parti pour l'exil] était un nouveau malheur pour elle. Il avait conduit ses armées
avec un succès signalé, maintenu l'honneur de son nom dans les mers orientales et
occidentales, et grandement étendu la liste de ses alliés étrangers. Elle [Athènes]
avait récemment perdu Chabrias dans une bataille un second général, Timotheos,
;
kiôn, quoique brave et méritant, ne fut à comparer avec aucun d'eux. D'autre part,
Gharès, homme d'un grand courage personnel, mais n'ayant pas d'autre mérite,
était alors en plein essor de réputation. La récente
lutte judiciaire entre les trois
amiraux athéniens avait été doublement funeste pour Athènes, d'abord en ce
(p. 40)
qu'elle avait décrédité Iphikratês et Timotheos, ensuite en ce qu'elle avait élevé
Chares, auquel le commandement fut maintenant confié sans partage».
1624 CHAPITRE XIII §2446
2446 ' Parmi les dérivations employées pour défendre le régime monarchique, il
en est une remarquaiile. En réponse à l'objection de certains dommages incontesta-
bles survenus en certains faits historiques, elle répond que ces dommages n'auraient
pas eu lieu si le souverain avait été bon, capable, apte au commandement. A cet
égard, il n'y a en effet aucun doute; mais l'objection est tout autre et consiste en ce
qu'avec le régime monarchique, on n'est pas sûr d'avoir un monarque possédant ces
qualités, ni que, s'il les a possédées un cei*tain temps, il les conservera toujours.
Par exemple, Dugué de la Fauconnerie, Souv. d'un vieil homrrie, veut innocenter
le régime impérial des terribles défaites de 1870. Voici comment il raisonne « (p. 178)
:
Pour faire acte d'Empex-eur, il eût fallu que l'Empereur fût encore Empereur comme
il l'était du temps de la Constitution de 1852 ou que du moins il fût resté ce qu'il
était en 1863... (p. 179) Malheureusement nous n'en étions plus là! Peu à peu le
pauvre Empereur avait cédé aux, exigences du Parlement et cela pour arriver fina-
lement à abdiquer entre les mains, non jias seulement d'Ollivier, mais d'orléanistes
comme Buffet et comme Daru, l'autorité qu'il tenait de la nation Il n'y avait plus
!
rien à faire » Ne nous arrêtons pas à examiner les faits. Acceptons les yeux fermés
!
conserver, et qui se laisse déposst''der par des politiciens parlementaires. Si, comme
leveut cet auteur, les maux arrivés furent causés par ces parlementaires, la première
origine doit en être recherchée dans la faiblesse du souverain qui donna le pouvoir
à ces parlementaires et puisque le régime impérial ne nous garantit nullement
;
qu'il n'y aura pas de temps à autre un empereur de ce genre, l'origine des maux
remonte encore plus haut et va jusqu'à ce régime. Tout cela doit être entendu
comme une hypothèse fondée uniquement sur les affirmations de Dugué de la Fau-
connerie. Les excuses qu'Emile OUivier cherche pour son ministère sont d'un genre
analogue : mauvaise foi des Hohenzollern et de Bismarck, comme si
tout d'abord la
la fonction principale d'un ministre n'était pas précisément de pourvoir à ce que la
mauvaise foi des ennemis ne cause aucun dommage à son pays; puis l'opposition de
la droite, qui Tempècha de connaître les véritables conditions de la santé de l'Empe-
reur, et qui par conséquent le détermina, lui Ollivier, à consentira ce que l'Empereur
se rendît au camp et prît le commandement en chef de l'armée; comme si ce n'était
pas le rôle d'un ministre de s'informer de faits si essentiels, et comme si ce n'étaitpas
son devoir de se retirer, lorsqu'on le met dans l'impossibilité d'accomplir ce qui est
nécessaire pourla défense du pays. De même, ni les excuses de Lamarmora ni celles de
Baratieri ne sont dignes d'être prises en considération. Un chef doit savoir et pré-
voir. Celui qui ne sait pas et ne prévoit pas fait mieux de remettre le commande-
ment à un autre et de rentrer chez lui. Emile Ollivier a montré les graves dommages
subis par le pays, du fait de la régence de l'impératrice, au temps de la guerre de
1870. Sous le gouvernement de la République, personne ne songerait à confier le
sort du pays à une telle femme. Dans la La>iterne du 8 août 1868, Roghefort écri-
vait «(p. 34) Sa Majesté l'Impératrice des Français a présidé hier le conseil des
:
24462 Liv. ; XXII, 61 : Ouo in tempore ipso, adeo magno animo civitas fuit, ut
consuli, ex tanla clade, cuius ipse causa magna fuisset, redeunti, obviam itura
et
frequenter ab omnibus ordinibus sit, et gratiae actae, quod de republica non des-
perasset; cui, si Garthaginiensium ductor fuisset, nihil recusandum supplicii foret.
24471 Baron Golmar von der Goltz: Rosbach et léna.
1626 CHAPITRE XIII ^ 2448-2450
2450* G. SoREL La rév. dreyf. «(p. 35) Pour pouvoir se maintenir jusqu'à
; :
fallut donner cette satisfaction aux députés socialistes parce que ceux-ci avaient
grand'peur d'être accusés de trahison par leurs comités électoraux et que les voix
de ces députés étaient nécessaires pour former une majorité gouvernementale dans
certains jours difficiles. Après la démission de Gallifiét, Waldeck-Rousseau voulait
§ 2451-2452 l'équilibre social dans l'histoire 1627
se retirer et il ne demeura sans doute que dans l'espoir de tirer une vengeance écla-
tante de ses ennemis à l'heure des élections il était certainement fixé sur la nullité
;
militaire d'André, qui n'était devenu général que par la protection de Brisson il ;
coup de corruption pour conserver cette majorité provisoire, en attendant les élec-
tions. Waldeck-Rousseau avait pris pour secrétaire général de son ministère un
homme qui ne pouvait être arrêté par aucun scrupule... Il y eut une prodigieuse
curée, dans laquelle les socialistes parlementaires ne furent pas les moins cyni-
ques...» Pourtant y a encore des gens qui, de bonne foi, croient que le ministère
il
24521 Gazette de Laus., 3 août 1911. A propos d'une réforme destinée à donner
la haute main à l'élément civil dans le « conseil supérieur de la défense nationale »,
l'auteur dit « ...dans le conseil supérieur de la défense nationale, il fallait, non pas
:
admettre sur un strapontin les commandants des forces de terre et de mer, mais
faire entrer, toutes portes ouvertes, tous les membres des conseils supérieurs de la
guerre et de la marine. ,, Tendance à la réaction, s'exclame M. Messimy. Elle vou-
drait noj^er le gouvernement sous un flot de généraux et d'amiraux " Peut-être !
nous sera-t-il permis, à notre tour, de dénoncer cette incurable défiance qui hypno-
tise les hommes du bloc devant les périls que font courir les militaires au malheu-
reux pouvoir civil perpétuellement menacé. Quand cette défiance se borne à empêcher
de dormir ceux qu'elle possède, il n'y a pas grand mal C'est plus grave quand
!
elle conduit à des mesures qui peuvent affaiblir la défense nationale. Est-ce encore
à ce soupçon démocratique que M. Messimy a voulu faire une part, quand il a
supprimé le titre, non pas de généralissime, puisqu'il n'a jamais existé légalement,
mais de vice-président du conseil supérieur de la guerre... Il est bien entendu, au
surplus, qu'en pareille matière, les questions de personnes priment toutes les
autres. Avec le général Pau, l'armée aurait accepté n'importe quelle cacophonie de
titres ou quelle combinaison de préséances. Avec le général Jofïre, elle aurait pu y
regarder d'un peu plus près. Il n'est pas douteux aujourd'hui —
je vous l'avais fait
pressentir immédiatement — que ce sont les pires raisons politiques qui ont déter-
miné le refus du général Pau. Il paraît que ce soldat énergique et eminent avait
revendiqué un droit de contrôle sur la nomination des commandants des corps, non
seulement pour l'avenir mais pour le passé et il n'avait pas caché qu'il méditait
;
que ceux qui lui sont utiles gravement et avec autorité ». Il conti- ^
tique change et viennent des ministres de la guerre qui s'appellent le général André et
le général Picquart. C'est à partir do ce moment que tous les besoins de l'armée sont
systématiquement réduits et que l'armée allemande prend une avance accrue d'an-
née en année.
2453' IsoGR. ; Antidos., 26-7.
2454 1 En gouvernements de « spéculateurs » non seulement souffrent
gén('ral les
du défaut de certains résidus de la II* classe, mais encore ne savent pas se ser-
vir opportun('ment de ceux qui sont intenses chez leurs gouvernés. Gela vient de ce
que l'homme a la tendance de juger autrui selon sa propre mentalité, et comprend
mal des sentiments qu'il n'éprouve pas. On eut un exemple remarquable de ce fait
dans la guerre de Libye, entreprise par l'Italie. Giolitti, chef d'un gouvernement de
« spéculateurs », ne la voulait pas. Pouss(' irrésistiblement à la faire, par l'intensité
des sentiments correspondant aux résidus de la IP classe qui se manifestaient dans
le pays, il sut la préparer politiquement (non pas militairement) avec un art con-
sommé, vraiment digne d'un maître en l'art des combinaisons (I" classe). Mais il
1630 CHAPITRE XIII § 2454
l'auraient peut-être accru. Il n'est pas rare, en effet, dans des circonstances sem-
blables que les peuples aiment leur patrie en proportion des sacrifices qu'ils accom-
plissent pour elle. Cela demeure inconcevable pour les «spéculateurs». Ils ne
peuvent se persuader qu'il y ait des gens qui jugent une opération autrement qu'en
faisant le compte du doit et de l'avoir. C'est pourquoi, préoccupés uniquement de ce
fait, les « spéculateurs » furent convaincus que le seul moyen de pousser le peuple
italien à la guerre de Libye était de le persuader que cette guerre constituait une
e7-cellente opération économique qu'on la ferait sans lever de nouveaux impôts,
;
sans que diminuassent les dépenses pour les travaux publics, sans écorner le moins
du monde le budget. Dans ce but, ils recoururent à divers artifices, présentant
même des budgets truqués de telle sorte qu'un boni figurait là où il y avait, en réa-
lité, un déficit (|2306>)- Us furent aussi poussés par un autre caractère de leur
effet, ces artifices réussirent quelque temps, mais ils furent d'autant plus nuisibles,
lorsqu'on ne put finalement plus cacher la vérité. En agissant ainsi, les spécula-
teurs ne surent pas utiliser, comme c'eût été possible, la grande force de l'enthou-
siasme existant dans le pays aussi, négligée de la sorte, elle s'éteignit peu à peu.
;
pas au point d'expliquer comment il se fait que, pour résister aux Perses, les Athé-
niens affrontèrent volontiers les énormes sacrifices conseillés par Thémistocle, tan-
dis (jue, pour résister à Philippe de Macédoine, ils n'acceptaient en aucune façon les
sacrifices bien moindres conseillés par Démosthène. On ne peut trouver l'expli-
cation que dans la différence de proportions des résidus de la II" classe chez les
Athéniens.
§ 2454 l'équilibre social dans l'histoire 1631
24543 Chaque par exemple, qu'un peuple A, chez lequel les résidus de la
fois,
II" classe sont affaiblis, et chez lequel,par conséquent, les intérêts matériels et tem-
poraires prédominent, se trouvera menacé par les armements d'un peuple B, chez
lequelles résidus de la II« classe sont puissants, et chez lequel, par conséquent, il
existe des tendances à sacrifier les intérêts matériels et temporaires à d'autres inté-
rêts de nature plus alistraite et à des intérêts futurs, chaque fois l'on pourra adres-
ser au peuple A les avertissements qu'en des circonstances analogues Démosthène
adressait au peuple athénien. Celui-ci, pour sauver Tinlégrité du fond théorique et
s'amuser dans les fêtes, négligeait les armements contre Philippe, et préparait la
défaite de Ghéronée. Pour sauvegarder les dépenses en faveur des «réformes socia-
les » et d'autres qui procurent aux clientèles des politiciens leurs aises et des jouis-
sances matérielles, les peuples modernes négligent les dépenses qui seraient indis-
pensables pour sauvegarder l'indépendance de la patrie. —
Demosth In Phil., II : :
« (3) ...tous ceux qui sont poussés par la soif de dominer doivent être repoussés par
les actes et par les faits, non par les discours et d'abord, nous autres orateurs,
;
nous nous abstenons de les proposer et de les conseiller, craignant votre colère
contre nous ». In Phil., IV « (55) ...s'il arrive qu'on parle des agissements de Phi-
:
lippe, aussitôt quelqu'un se lève. Il dit qu'il ne faut pas déraisonner et proposer la
guerre. Là-dessus il continue en représentant combien il est doux de vivre en paix,
et combien il est pénible d'entretenir une armée puissante. Il ajoute ,, Il en est qui
:
t. XVII « (p. 111) ...Dêmos au logis en était venu à croire que la cité marcherait
:
sûrement toute seule sans aucun sacrifice de sa part, et qu'il était libre de s'absor-
ber dans ses biens, sa famille, sa religion et ses divertissements. Et Athènes aurait
en réalité pu marcher ainsi, en jouissant de la liberté, de la fortune, des raffine-
ments et de la sécuriti' individuelle, si le monde grec avait pu être garanti contre
1632 CHAPITRE XIII ^ 2455
logue, si, dans un avenir très prochain, les mêmes causes agissant, des effets ana-
logues se produisaient.
§ 2456 l'équilibre social dans l'histoire 1633
(p. 359) Votre Majesté est dans la nécessité de lutter. Vous ne pou-
vez pas capituler, vous devez vous opposer à la violence qui vous
est faite, dût votre personne être endanger". Plus je parlais dans
ce sens, plus le roi s'animait et entrait d'esprit dans le rôle de l'ofïi-
sans regrets, sans crainte, avec le simple mot: " Oui, mon com-
mandant " par contre, quand il doit agir sous sa propre responsa-
;
éclairé fut qu'il envisagea le rôle que lui créait la situation plutôt
au point de vue de l'officier. Il redevenait avant tout militaire et
envisageait sa situation comme étant celle d'un officier chargé de
défendre jusqu'à la mort le poste qui lui est assigné, advienne que
pourra ». Si Charles X, Louis-Philippe, Mac Mahon, en France,
avaient pensé et agi de la sorte, ils n'auraient pas si facilement
perdu le pouvoir.
*24o6. En 1859, la guerre d'Italie avait montré, d'une part aux
24551 Prince de Bismarck ; Pensées et souvenirs, trad, franc., t. I.
SOCIOLOGIE 103
1634 CHAPITRE XIII § 2457-2458
2458* BusGH Les mêni. de Bism., t. I, p. 240 «La conversation est tomlîée à
: :
table sur Napoléon III, et le chef [Bismarck] a déclaré que c'était un homme mé-
diocre. ,, Il est meilleur qu"on ne le croit ", nous a-t-il dit, ,, mais il est moins fort
qu'on ne le suppose". ,,Oui", dit Lehndorfif, ,, un brave homme, mais un imbé-
cile". ,,Non", répliqua le chef sérieusement, ,, malgré tout ce qu'on peut penser de
son coup d'Etat, c'est un homme bon, sensible, sentimental, mais son intelligence
ne va guère plus loin que son instruction"». Dans ce jugement sur l'instruction,
Bismarck s'est trompé ou a voulu se tromper. Napoléon III était très instruit, beau-
coup plus que Bismarck mais il était humanitaire, rêveur, l'instrument d'un ramas-
;
sis de gens qui s'enrichissaient par des spéculations. A quoi sert d'être intelligent,
si l'on emploie son intelligence à son propre détriment? Ainsi lorsque vint à Napo-
léon III l'idée stupéliante d'aider les nationalités à se constituer en Europe ce qui ;
était le meilleur moj'en de préparer la ruine de son pays. Un souverain moins intel-
ligent serait demeuré attaché à la tradition (résidus de la II« classe), et aurait usé
de tout son pouvoir pour que les voisins de la France, unie depuis des siècles,
demeurassent désunis. On serait peut-être tenté de conclure que si Bismarck avait eu
la mentalité de Napoléon III, et vice-versa, les sorts de la Prusse et de la France
§ 2459-2461 l'équilibre social dans l'histoire 1635
auraient aussi élé intervertis. Ce serait une erreur, parce que sur la mentalité du
pays, un Napoléon III, mis à la place d'un Bismarck, aurait eu peu ou point d'action
en Prusse, et vice-versa en France, un Bismarck mis à. la place d'un Napoléon III.
2461
* Maupas: Mém. sur le sec. emp., t: II. Au temps de Sadowa « (p. 188) On :
saità quel point il [l'Empereur] était obsédé par la pensée que nous aurions inévitable-
ment, un jour, la guerre sur le Rhin ».
24612 E. Ollivier; VEmp. X. L'auteur a un chapitre entier (p. 264-279)
lib., t.
qu'à jouir des bienfaits du repos, à nous enrichir, et à n'avoir plus d'autre ennemi
I 2463 l'équilibre social dans l'histoire 1637
résidus de la IP classe, qui sont parmi les forces les plus capables de
déterminer les hommes au
sacrifice. De nouveau, nous constatons
ce défaut lorsqu'un gouvernement radical-socialiste accorda à ses
fidèles la réduction à deux ans du service militaire; puis quand,
en 1913, une forte opposition se manifesta contre le projet de le
ramener à trois ans; ce qui était absolument indispensable en pré-
sence de l'accroissement formidable de l'armée allemande; et
quand, enfin, le ministre Barthou fut renversé au cri de : « A bas
que cette tuberculose, produit des vices de la paix, dans une année, fait
qui,
plus de victimes que des mois de guerre. Aucun
sous aucune forme
idéal !
montagnes ont fait leur temps. La vraie frontière c'est le patriotisme, (p. 352) Tous
ces thèmes furent repris, amplifiés dans la discussion, et ce fut à qui déclamerait le
plus éloquemment contre les armées permanentes dont la fin était proche (Magnin,
20 et 21 septembre 1867), qui créent au milieu de nous une race d'hommes séparée
du reste de leurs concitoyens (.Jules Simon, 19 décembre 1867) ce fut à qui maudi- ;
rait la paix armée, pire, avec ses énervements et ses sacrifices, que la guerre, ,,car
elle ne finit pas et elle ne donne pas la seule chose qui puisse consoler des batailles,
cette énergie, cette virilité des peuples qui se retrempent dans le sang versé "(.Jules
Simon, 23 décembre 1867) »... « (p. 353) Selon Garnier-Pagès, il ne fallait ni soldats,
ni matériel, la levée en masse suffisait à tout ,, Lorsque nous avons fait la levée
:
en masse ", disait-il, ,, nous avons vaincu la Prusse et nous sommes allés à Berlin;
lorsque les Prussiens ont fait la levée en masse, ils sont venus à Paris" (discours
du 24 décembre 1867)»... Jules Favre disait «(p. 558) ,,Vous parlez de frontières,
:
mais elles ont été renversées, les frontières Savez-vous qui les abaissées ? C'est la
!
main de nos ingénieurs, c'est le ruban de fer qui circule autour de ces vallées, c'est
la civilisation !" »... Quand cet eminent phraseur s'en vint larmoyer devant Bis-
marck, à Versailles, il s'est peut-être aperçu qu'outre la civilisation, il y avait une
autre chose, appelée la force, qui avait quelque influence sur la fixation des fron-
tières. Bismarck riait de semblables bouffonneries. —
Busgh Les mêm. de Bism., ;
«Trop d'éloquence... C'est comme Jules Favre il est deux ou trois fois monté avec
:
moi sur ses grands chevaux mais quand il a vu que je le blaguais, il a aussitôt
;
mis pied à terre» (| 2387 1). Jules Favre a pu gouverner le pays qu'il avait contri-
bué à faire marcher à sa ruine. On a de nouveau entendu les mêmes absurdités en
1913, contre les mesures de défense, rendues nécessaires par les armements alle-
mands. De nouveau l'on a entendu prêcher que c'était non par les armes, mais par
les principes humanitaires et pacifistes qu'on résiste à l'ennemi. Par concession
extrême, on parlait de la «nation armée », exactement comme au moment où la
guerre de 1870 était imminente, tandis qu'il y avait aussi des Français, toujours
comme avant la guerre de 1870, qui prêchaient le désarmement et la paix à leur pays.
Cependant l'ennemi armait et se préparait à la guerre d'une manière formidable.
Nous ne devons pas nous étonner de tout cela les dérivations sont et demeurent de
:
la nature qui convient le mieux au vulgaire qui les écoute et les admire. Les char-
latans modernes usent des mêmes moyens que les charlatans de la Grèce antique et
de la Rome antique, et nos démagogues ressemblent aussi aux démagogues grecs et
romains.
1638 CHAPITRE XIII §2464-2465
la loi des trois ans ! », loi que le ministre Vaillant eut du moins
le courage de promulguer, tout en faisant le contraire de ce qu'il
disait.
2404. Sans beaucoup de succès, le maréchal Niel suppliait les
« ^
(p. 565) Si vous me faites exagérer le nombre des hommes en
congé, nous aurons des régiments sans effectifs suffisants, les offi-
n'avaient cessé de l'entourer depuis son passage au ministère des travaux pulilics.
Ces hommes, chez lesquels la passion des affaires paralysait le sentiment du patrio-
tisme, voyaient, dans l'envoi d'un corps d'observation sur le Rhin, ce qui était la
conséquence évidente de la mobilisation de notre armée, l'essor des affaires pour
longtemps compromis, et ils avaient réussi à persuader à M. Rouher que le véritable
intérêt du pays, c'était la neutralité absolue, c'était l'inaction ». Un phénomène ana-
logue se produisit en 1905, lorsque Rouvier, digne représentant des brasseurs
d'affaires, renvoya Delcassé, pour obéir à une injonction de l'Allemagne. C'était
aussi l'un des motifs pour lesquels Giolitti ne voulait pas la guerre de Libye.
§ 2466 l'équilibre social dans l'histoirk 1639
leshonneurs, tous les avantages, toutes les faveurs sont pour l'ar-
mée ou ceux qui ont servi. Celui qui pour une cause quelconque
n'a pas été soldat n'arrive à aucun emploi ; dans les villes et les
B
L'une des plus grandes pour acquérir cette connaissance, consiste en
difficultés,
ce qu'il ne suffit pas de savoir, par exemple, que l'indice B s'est accru, pour pou-
voir en conclure que q s'est aussi accru parce que si l'indice A s'est aussi accru, cette
;
que q s'accroisse; ou encore qu'il diminue. Il faut donc prêter attention aux varia-
tions, non pas d'un seul des indices, mais de tous les deux, et s'efforcer de les éva-
luer tant bien que mal. L'un des cas les plus favorables à ces recherches se présente
lorsqu'on peut trouver des phénomènes qui dépendent directement de q, et qui, de
ce fait, nous permettent d'avoir quelque idée delà manière dont varie q.
witz, " elle voulait observer les règles d'une sage prudence ". Elle
se consolait en pensant que si elle voulait mettre enjeu tous ses
moyens dans une campagne sérieuse, elle triompherait facilement
de France nouvelle». Avant 1870, la France avait les informa-
la
2469' Baron Colmar von der Goltz ; Rosbach et Jéna, trad, franc^.
rer la guerre, il est nécessaire de renoncer aux dépenses des lois sociales. Nous
n'en voulons rien. Concluons donc une alliance avec l'Allemagne, en quittant toute
rancune pour la perte de 1" Alsace-Lorraine ». Ces éminentes personnes oublient que
dans l'histoire on voit à chaque instant se vérifier le proverbe « Qui se fait:
comme si, dans les territoires occupés par l'ennemi, le menu peuple n'était pas
exposé à perdre, outre ses salaires, la vie, car il n'a pas d'argent pour se mettre en
lieu sûr. Mais ces propos sont simplement des dérivations qui recouvrent le désir
de jouissances obtenues aux frais d'autrui.
24701 Journal des Goncourt, t. V, p. 59 «Je déjeune, à Munich, avec de Ring,
:
premier secrétaire d'ambassade à Vienne. C'est lui qui a été le cornac diplomatique
de Jules Favre, à Ferrières. Il nous entretient de la naïveté de l'avocat, de la con-
viction qu'il avait de subjuguer Bismarck, avec le discours qu'il préparait sur le
chemin. 11 se vantait, l'innocent du Palais, de faire du Prussien un adepte de la
fraternité des peuples, en lui faisant luire, en récompense de sa modération, la
popularité qu'il s'acquerrait près des générations futures, réunies dans un embras-
sement universel. L'ironie du chancelier allemand souffla vite sur cette enfantine
illusion» (I 2380 1). Maintenant, il y a de nouveau des gens qui se repaissent de
semblables sornettes. Elles atteignent le comble de l'absurde dans les discours de
d'Estournelle de Constant. Cet auteur a du moins le mérite de manifester claire-
ment sa pensée, tandis que le doute subsiste au sujet de la sincérité d'un grand
nombre d'autres auteurs qui usent de dérivations analogues.
2472 l'équilibre social dans l'hstoire 1643
I
tiesen décadence, et la lâcheté, en partie naturelle, mais aussi en partie voulue, des
gouvernements de spéculateurs (i^ 2480'), visant à des gains matériels. L'humanita-
risme rentre dans les résidus de la II* classe; mais, comme nous l'avons déjà expli-
qué (I 1859), il est parmi les plus faibles et les moins efficaces. C'est proprement
une maladie des hommes manquant d'énergie et possédant en quantité certains rési-
dus de la I» classe, auxquels ils donnent un vernis sentimental.
§ 2475-2478 l'kquilibue social dans l'histoire 1645
pour éliminer le citoyen devenu trop influent par sa force, ses ver-
tus ou son génie.
2479. 2o Les persécutions qui ne vont pas jusqu'à la peine capi-
•24801 En juin. 1914, eurent lieu, un peu partout en Italie, mais surtout en
Romagne, des troubles révolutionnaires qui nous offrent un excellent exemple, bien
que dans une proportion très réduite, des faits rappelés' dans le texte. Au moment
où la révolte atteignait sa plus grande intensité, le 10 juin, le président du Conseil,
Salandra, envoyait aux préfets la circulaire suivante « Des faits regrettables se
:
sont passés dans quelques villes du Eoyaume. Les esprits en sont attristés. Il
importe avant tout d'éviter qu'ils ne se répètent. Vous voudrez bien y employer
tous vos efforts, tout votre zèle. Le Gouvernement n'est pas un ennemi; il a des
devoirs à remplir, dont le premier est le maintien de l'ordre public. Mais il faut
qu'en le maintenant, si l'usage de la force est indispensable, il soit appliqué
avec la plus grande prudence. Le Gouvernement compte avoir, dans le rétablis-
sement de la paix, l'appui de tous les citoyens patriotes, qui attendent de bons
effets du respect commun de la loi et des libertés publiques ». A ce discours si
humble et soumis du chef du gouvernement, qui semble presque s'excuser auprès
de ses adversaires d'oser leur résister, comparons l'article que VAvanti, journal
officiel des socialistes, imprimait le 12 juin «.Trêve d'armes. La grève générale,
:
qui a pris fin hier soir, est le mouvement populaire le plus grave qui ait secoué un
tiers de l'Italie depuis 1870 à aujourd'hui. En comparaison de 1898, il y a eu un
plus petit nombre de morts mais la grève d'aujourd'hui dépasse en étendue et en
;
elle est inefficace, mais encore elle peut être utile, parfois très
utile aux adversaires. Le meilleur exemple est celui de la révolu-
tion française de 1789, dans laquelle la résistance du pouvoir royal
durait tant qu'elle était utile pour accroître la force des adversaires»
a qu'une seule page sombre dans ces journées de feu et de sang. C'est la Confédé-
ration générale du Travail qui a voulu l'écrire, en décrétant inopinément et arbitrai-
rement, à l'insu de la direction du parti, la cessation de la grève. Une autre page
sombre est celle des cheminaux, auxquels il a fallu trois jours pour s'apercevoir de
la grève; et ils s'en sont aperçus pour... s'abstenir de faire grève. Mais tout cela
n'efface pas la beauté du mouvement dans ses lignes grandioses. Nous comprenons,
en présence d'une situation qui deviendra toujours plus difficile, les peines et les
terreurs du r(''formisme et de la démocratie. L'honorable Salandra, libéral-conserva-
teur, et l'honorable Sacchi, qui vote contre lui. sont pour nous exactement sur le
même pied. Nous le constatons avec un peu de cette joie légitime que met l'artiste à
contempler son œuvre. Nous revendiquons certainement notre part de responsabi-
lité dans les événements et dans la situation politique qui se dessine. Si, le cas
échéant, au lieu de l'honorable Salandra, c'eût été l'honorable Bissolati qui fût à la
présidence du Conseil, nous aurions cherché à rendre la grève générale de protesta-
tion encore plus violente et nettement insurrectionnelle. Depuis hier soir, une autre
période de trêve sociale a commencé. Quelle sera sa durée? Nous l'ignorons. Nous
en profiterons pour continuer noire activité socialiste multiforme, pour consolider
nos organismes politiques, pour recruter de nouveaux ouvriers dans les organisa-
tions économiques, pour obtenir d'autres positions dans les communes et dans les
provinces, pour préparer, en somme, un nombre-toujours plus grand de conditions
morales et matérielles favorables à notre mouvement; de sorte que, quand retentira
de nouveau la diane rouge, le prohHariat soit (''veillé, prêt et décidé au plus grand
sacrifice, à la plus grande et la plus décisive des batailles». Ce langage de VAva/iti
est confirmé par d'autres journaux socialistes. Par exemple, la Scintilla, 18 juin
1914 « Les cataractes des sentiments humanitaires se sont ouvertes. Tous les cœurs
:
lité de ceux qui s'imaginent pouvoir affronter avec des pierres les fusils ,, dernier
modèle". C'est donc une question purement pratique de mesure entre l'offense et la
réaction, que nous soulevons contre la révolte frondeuse... ». On assiste tout à fait à
la lutte du renard et du lion. D'un côté, on ne fait allusion qu'à la ruse pour vaincre
:
pas un mot où l'on voie l'esprit viril, courageux, de qui a une foi. De l'autre côté,
des caractères opposés. Au Gouvernement qui ne veut pas être appelé l'ennemi de
ses adversaires, ceux-ci répondent qu'ils sont et demeureront ses ennemis, à lui et
à tout autre gouvernement semblable et vraiment, pour ne pas comprendre cela,
;
il faut être aveugle et sourd. De la sorte, les hommes del'Avanti font preuve des
qualités de virilité et de loyauté qui tôt ou tard assurent la victoire, et qui, en fin
de compte, sont utiles à la nation entière. Le renard, usant de ses artifices, pourra
échapper assez longtemps; mais il viendra peut-être un jour où le lion atteindra le
renard d'un coup de griffe bien ajusté, et la lutte sera terminée. En attendant, une
partie des socialistes, spécialement les réformistes, s'en remettent encore à la pitié
1648 CHAPITRE XIII § 2480
minorité restreinte au Parlement. Le ministre Salandra avait fait siennes les mesures
fiscales déjà proposées par Giolitti. Grâce à l'obstruction, une trentaine de députés
socialistes tint en échec une majorité de plus de quatre cents députés. Les premiers
étaient soutenus par le courage et par un idéal; les seconds se préoccupaient surtout
des affaires de leurs clients. Le Gouvernement dut entrer en composition avec la poi-
gnée d'hommes qui faisait l'obstruction. Le traité de paix fut favorable aux deux
camps. Les spéculateurs, représentés par le Gouvernement, obtenaient de pouvoir
établir temporairement les impôts c'était tout ce qui leur importait
: ils ne se
;
parmi les gendarmes, dix-sept blessés. Ce fut le point de départ d'une série de
mouvements insurrectionnels, dans lesquels il y eut plusieurs morts et de nom-
breux blessés. Le Gouvernement ne sut et ne voulut pas les réprimer. Par consé-
quent, il s'opposa à une promenade qui pouvait être inoffensive, ou tout au plus
occasionner quelques désordres et il ne s'opposa pas efficacement à des actes de
;
§ 2480 l'équilibre soclvl dans l'hlstoire 1649
fices publics. Il faut croire que le fait de « troubler » une fête est un plus grand
«rime que le sac et l'incendie.
2480* Le Carrière délia Sera,Vo jnin 1014, disait très justement « Et alors il nous
:
reste à demander si cette lâcheté bourgeoise est un moyen, un système, une ressource,
une tactique, ou seulement une humiliante disposition à laisser les destins de l'Italie
sous la coupe d'une infime minorité [elle n'est pas beaucoup plus petite que celle
qui gouverne] rendue très forte par son audace et par la balourdise innée de ses
adversaires [en réalité on devrait dire par l'artifice dont ils usent pour gouverner
;
lienne contre les gouvernements passés, il surgit des criminels qui cherchent à
pêcher en eau trouble]. On a fendu le crâne à un commissaire qui parlementait, qui
voulait recommander le calme. On s"est acharné sur ceux qui étaient tombés. On a
mis le feu à des églises monumentales [dans les révolutions, comme dans les guerres,
.on endommage les monuments]... Un général et deux officiers ont été —
disons le
mot — faits prisonniers [ces faits n'arrivent pas en Prusse ;
pourquoi ? Parce qu'il y
a un gouvernement différent de ceux qui existent en Italie et en France. Il n'y a pas
de raison pour que les révoltés s'abstiennent de faire prisonniers leurs adversaires].
On a fait largement usage des revolvers, en outre des traditionnels poignards [mais
avec quoi doit-on faire la guerre, si ce n'est avec les armes "1]. C'est là pour les
hymnes socialistes un sujet de gloire. A leur point de vue, ils ont raison observa- |
tion très juste, qui suffit à elle seule à donner un caractère de réalité à l'article] qui :
veut la fin veut les moyens, et les révolutions ne se déchaînent pas en Arcadie [mais
en Arcadie, on écrit des circulaires comme celle du ministre Salandra, citée au
I 2280']. Seulement, quand il s'agit, en particulier, d'établir qui a tiré, ce n'est
jamais le manifestant qui a frappé. Cela aussi est naturel. Le héros révolutionnaire
.alterne avec l'avocat retors [tandis que chez les adversaires, il y a seulement 1' « avo-
SOCIOLOGIK 104
1650 CHAPITRE XIII § 2480
sente les «spéculateurs» lui ferme toute autre voie. Les « spécula-
teurs » veulent surtout la tranquillité, qui leur permet d'efïectutr
des opérations lucratives. Ils sont disposés à acheter à tout prix
cette tranquillité. Ils se préoccupent du présent, se soucient peu de
cat retors » et que le héros fait défaut]. Mais pourquoi devons-nous instituer en
Arcadie la défense de notre existence?... Sachons bien qu'on ne peut prononcer de
semblables paroles sans entendre les adversaires, surtout ce parti de la l^ourgeoisie
qui veut faire son petit commerce [et aussi les spéculations moyennes, grandes, très
grandes] jusque dans les crises les plus douloureuses de la patrie et ultra, parler
de réaction, de captation, de nostalgie de 98, et ainsi de suite». Il parait que le
«parti de la bourgeoisie » a été de nouveau entendu, car, deux jours après, le même
journal fait volte-face et justifie la faiblesse du Gouvernement. — Carrière délia
Sera, 1.5 juin 1914 « L'iionorable Salandra n'a pas contesté que, par des mesures plus
:
rale, plus violente que celle que nous avons surmontée? [précisément ce qu'il impor-
tait d'épargner à la bourgeoisie qui veut faire son petit commerce, et à laquelle on
fait allusion dans le premier article.] Aurions-nous évité une grève des chemineaux
beaucoup plus étendue, plus intense, et plus désastreuse pour l'économie nationale
[et pour celle des spéculateurs] que celle qui a eu lieu?» Ce sont là les raisons habi-
tuelles de ceux qui veulent s'arrêter à mi-chemin, et qui craignent, comme le plus
grand malheur, de devoir aller jusqu'au bout. C'est ainsi que raisonne toujours le
renard, mais non le lion et c'est le principal motif pour lequel le lion finit par tuer
;
œuvre. Elles sont bien exposées par le Giornale d'Italia, 16 juin 1914 « Le but a
:
été une révolution politique, une véritable révolution, et, ce qui est plus grave, une
révolution qui a réussi pendant vingt-quatre ou quarante-huit heures, et non sans
quelque ridicule. En effet, on peut appeler réussi ce mouvement qui bouleverse et met
sens dessus dessous villes et campagnes, qui veut changer la forme de gouvernement,
qui eliace et annihile l'autorité existante, et y substitue une autorité de fortune dans le
commandement et dans le- symbole extérieur. Ajoutons que cela a été prémédité, et
non sans une certaine science technique. Elle commença par l'isolement de chaque
ville ou village, par la destruction des moyens de transport ferroviaire des troupes,
par l'interruption des téléphones et des télégraphes. On réussit ainsi à créer le terrain
apte à la propagation des plus fausses et des plus absurdes nouvelles. L'assaut des
armureries, l'invasion des marchés, la séquestration des automobiles et la confisca-
tion de la benzine complétaient l'exploit révolutionnaire. La composition des comités
exécutifs particuliers, tous choisis avec représentation simultanée d'un républicain,
d'un socialiste, d'un syndicaliste, d'un anarchiste, dit l'accord concerté des groupes
subversifs. La force publique était paralysée, peu nombreuse, prise à l'improviste,
contrainte de laisser passer la tourmente, obligée de livrer les culasses des fusils et de
se confiner dans les casernes. Aussi la révolution triomphante a-t-elle pu aussitôt
abattre les armoiries royales, hisser des drapeaux rouges, interdire la circulations
§ 2480 l'kquilibre social dans l'histoire 1651
qui n'avait pas le visa du Comité révolutionnaire, confisquer des denrées, élaborer des
listes de gens désignés pour verser des contributions en argent ou en nature, fermer
des églises, brûler des gares et des bureaux d'octroi, et, en certains lieux, recruter
même une espèce de garde nationale révolutionnaire, milice embryonnaire du nouvel
état de choses». Cette fois, ce ne fut qu'une tentative de révolution. Une autre fois,
cela pourra être une révolution complète et peut-être sera-t-elle utile au pays. Le jour-
;
nal continue en remarquant qu'on ne doit pas, comme certains l'ont fait, négliger de
prendre au sérieux ces faits, « Songez quel grand dommage représente pour notre
:
vie nationale cette parenthèse rouge, cette tourmente de folie qui, pendant quelques
jours, a tenu différentes cités de l'Italie centrale dans un enfer, et les a séparées du
monde. Et quelle stupeur, que de débordements, que d'équivoques, fruits d'une
longue période de transactions, de compromis et de dissolution, qui ont mortifié,
avili, ralenti tous les organes du gouvernement Nous avons soif d'ordre, et l'ordre
!
est au contraire représenté comme étant la réaction, et cela non seulement par les
subversifs. Nous invoquons la protection raisonnable de la liberté pour tous de la
part de la force publique, et la présence des soldats est au contraire représentée
par des tribuns rhéteurs comme une provocation! On se met à l'abri, hésitant et
tremblant, tandis que cet abri apparaît urgent et sûr; de telle sorte qu'il semble
presque que dans les conditions où ont été réduits —
depuis nombre d'années le —
prestige de la loi et l'autorité de l'Etat, ce qui paraît une prudence superflue est
désormais une inéluctal)le nécessité. Par conséquent, le tort moral, le coup violent
porté à l'esprit pu])lic, la lianqueroule de toute confiance en l'autorité de l'Etat, sont
non moins ruineux que les dommages matériels, dont peu à peu les traces appa-
raîtraient dans quelques jours... Aujourd'hui, on n'attend pas l'injonction de la loi,
mais celle des comités, des ligues, des fédérations, des chambres de travail, des
syndicats. En somme, lorsque nous entendons des députés se féliciter à la Chambre
de l'ordre rétabli —
nous ne savons par quel eminent comité de salut public —
parce que le mouvement subversif cesse, et que le pays rentre dans l'ordre, invo-
lontairement se fait jour dans notre esprit la conviction que, par une dégénéres-
cence fatale, aujourd'hui, au-dessus du pouvoir exécutif, au-dessus du pouvoir
législatif, nous avons laissé prendre racine à un pouvoir impératif supérieur de la
démagogie, qui est le suprême arbitre des destinées nationales». Dei)uis que le
monde existe, ce sont toujours les forts et les courageux qui commandent, les faibles
et les lâches qui obéissent; et, comme d'habitude, il est utile à la nation qu'il en
soit ainsi. « Maintenant, quelles sont les conséquences de cette nouvelle façon de
considérer le néo-droit constitutionnel italien? Les populations des Marches et de la
Romagne le savent, elles sur qui s'est faite, dans ces jours, l'expérience pratique
des finalités subversives. Si nous réfléchissons que les difficultés fiscales et interna-
tionales exigeront bientôt du pays des preuves amères de sacrifice et d'abnégation,
nous sommes amenés à douter que l'on surmonte ces difficultés si, en même temps,
on ne restaure pas le prestige de l'Etat, en renforçant le principe d'autorité, et en
préférant le rétablissement de la loi, simplement de la loi, à une popularité artifi-
cieuse qui a été, pendant tant d'années, le porro unum ministériel ». Mais cela est
absolument impossible, si l'on ne veut pas faire usage de la force. Faire respecter
la loi sans faire usage des armes contre qui veut la violer est un rêve humanitaire
qui ne correspond à rien dans le monde réel. Les difficultés fiscales auxquelles on
fait allusion sont dues en grande partie au gouvernement des «spéculateurs», qui
extorquent autant d'argent que possible. Ils sont passés maîtres en fait d'astuce,
mais il leur manque la volonté et le courage de se défendre par la force.
2480 s S'ils se souciaient de l'avenir, ils trouveraient facilement dans l'histoire
où aboutissent de semblables voies. A la longue, les agents d'un gouvernement, ses
1652 CHAPITRE XIII §2480
ont reçus. Il envoie des soldats s'opposer aux révoltés, avec l'ordre
de ne pas faire usage de leurs armes ", cherchant ainsi à sauver la
troupes, se lassent d'être toujours sacrifiés. C'est pourquoi ils le défendent molle-
ment ou même ne le défendent plus du tout. Parfois une partie d'entre eux trouve
avantageux de se tourner contre lui et de s'unir à ses adversaires. Telle est la
manière dont se sont produites un grand nombre de révolutions, et telle pourrait
être aussi la manière dont prendrait fin la domination de la classe gouvernante qui
règne aujourd'hui dans presque tous les pays civilisés. Mais comme cela n'arrivera
certainement pas de sitôt, nos « spéculateurs» s'en soucient peu ou point; de même
que celui qui spécule à la Bourse se préoccupe bien de la prochaine liquidation, et tout
au plus de quelques autres qui suivront mais il se soucie peu ou point des prix
;
pierres et de feu, auxquels ils répondirent par des décharges en l'air». Celles-ci,
naturellement, n'étaient pas prises au sérieux. Arriva la troupe, et, comme d'habi-
tude, elle tire en l'air, ce qui ne produit aucun effet « La troupe et les agents avan-
:
çaient, recevant toujours des insultes, des coups de revolver... ». La règle était pré-
cisément que soldats et gendarmes ne devaient pas faire usage de leurs armes, et
que, lorsqu'ils étaient contraints d'y recourir, ils devaient tirer en l'air. En plu-
sieurs endroits, ils perdirent patience, et comme il leur était défendu de faire usage
de leurs armes, ils ramassèrent les pierres qu'on leur avait jetées et les renvoyèrent
à leurs agresseurs. A ce qu'il paraît, ce duel à armes égales n'est pas interdit. Au Sénat,
le sénateur Garofalo observa que « en Italie, l'usage s'est désormais implanté de laisser
la troupe sans défense contre la violence des malfaiteurs » et le sénateur Santini dit
;
que «lorsqu'on doit donner pour consigne à l'armée de se faire malmener et de s'ex-
poser aux insultes... il vaut mieux la laisser dans ses casernes» (Carrière délia
Sera, 11 juin). Mais, à la Chambre, aucun député n'osa parler dans ce sens. Au
contraire, un député conservateur — notez bien ce caractère —
raconta divers épi-
sodes dans lesquels les soldats avaient fait preuve d'une patience vraiment angé-
lique. Il ajouta « On a parlé des officiers
: eh bien, j'ai entendu raconter par
;
ont été admirables de longanimité, d'altruisme et d'esprit de sacrifice ». Tous les audi-
teurs présents, y compris les ministres, applaudissent. Il n'y a pas d'exemple d'une
scène même très vaguement semblable au Reichstag allemand. Aucun ministre de la
guerre, en Allemagne, n'aurait toléré de semblables louanges, bonnes pour des
ascètes ou pour des moines, mais qui constituent des offenses, quand elles sont adres-
sées à des officiers et à des soldats. Cette différence entre le gouvernement italien et
le gouvernement allemand dépend surtout du fait que les « spéculateurs » ont beau-
coup plus de pouvoir dans le premier que dans le second. Le cas du général
Agliardi est très connu. Voici comment le raconta au Sénat le ministre de la guerre.
§ 2480 l'équilibre social dans l'histoire 1653
Agliardi et les officiers qui étaient avec lui se rendaient, le matin du 11, de Ravenne
à Servia pour une manœuvre avec les cadres (manœuvre qui, étant données les cir-
constances, aurait dû être suspendue, et dont nous ne supportons pas la responsabi-
lité). Ils furent gardés pendant cinq heures en otage, et ce qui est pis, le général et
les autres officiers livrèrent leurs sabres à ceux qui les avaient faits prisonniers ».
Il faut remarquer que le général Agliardi avait fait preuve de valeur à la guerre, ce
qui exclut qu'il ait déposé les armes par manque de courage. Il fut mis en disponi-
bilité. S'il s'était défendu à main armée contre ses agresseurs, il aurait facilement
pu en tuer quelques-uns; et, en ce cas, il eût été encore plus puni
; en sorte qu'il ne
pouvait échapper en aucune manière à l'infortune qui le menaçait. Il semble quïl y
ait quelque contradiction chez un gouvernement qui ne veut pas qu'on fasse usage
de ses armes contre ses agresseurs, et qui ne veut pas non plus qu'on les leur livre ;
pourtant, l'unique moyen de ne pas les livrer est de s'en servir. Mais en somme, la
contradiction disparaît, lorsqu'on remarque que le seul but du gouvernement est de
vivre en paix, et qu'à ce but il sacrifie tout. Le ministre de la guerre répondit à l'in-
terpellation qui lui avait été faite au Sénat sur le cas du général Agliardi, parce qu'il
savait que, dans cette assemblée, il ne risquait pas de vifs débats. Le ministre
Salandra ne voulut pas qu'on répondît, à la Chambre, à une interpellation analogue,
parce qu'il craiguait précisément ces vifs débats.
2480' Il se manifeste déjà quelques signes à peine perceptibles, qui montrent
que plusieurs de ces défenseurs commencent à vouloir se soustraire à ces inconvé-
nients. Dans le Giornale d'Italia, 15 juin 1914, M.\rio Missiroli écrit « Cet épi-
:
sode [du général Agliardi] m'en rappelle un autre analogue. Il y a un an, durant la
grève des fonderies de Imola, les grévistes furent remplacés par des travailleurs
libres, qui devaient être protégés et défendus par les soldats. Ceux-ci, pour remplir
leur devoir, ne trouvèrent rien de mieux à faire que de conseiller aux travailleurs
libres de s'en aller, en les menaçant pendant la nuit, pour le cas où ils refuseraient.
Les travailleurs libres s'en allèrent. Aujourd'hui il arrive souvent, dans les cas de
grève générale, que les agents de police conseillent, forcent les commerçants à obéir
aux grévistes et à fermer leurs magasins».
1654 CHAPITRE XIII §2481-2484
en remontant jusqu'à 750 av. J.-C. Depuis ce temps, avec une for-
tune variable, la domination de l'oligarchie Spartiate dura jusqu'en
l'an 227 av. J.-C, où Cléomène III détruisit les éphores. Ainsi l'oli-
garchie domina pendant cinq siècles. Les moyens qui lui permirent
d'y arriver ont quelques points de ressemblance avec les moyens
dont se servit l'oligarchie vénitienne. Un pouvoir occulte et terrible
prévenait et réprimait chez la classe inférieure toute tentative, même
seulement supposée, d'améliorer son sort.
2491. On a beaucoup discuté sur la xpuTzzeîa, qui, suivant Plu-
tarque, aurait été une véritable chasse aux ilotes ^ Cette opinion
semble aujourd'hui abandonnée^ ; mais les auteurs même les plus
bienveillants envers les Spartiates admettent que la krupteia était
dure et cruelle pour les ilotes. Des faits indéniables font mieux voir
la cruauté Spartiate. Par exemple, celui que raconte Thucydide,
dirigées surtout contre les Hilotes, et plus d'une fois sans doute il arriva que l'on
fît disparaître, sans forme de procès, ceux dont on redoutait les complots. Ces
patrouilles donnèrent à des écrivains postérieurs occasion de dire que tous les ans
on organisait une chasse aux Hilotes ou que l'on en faisait une boucherie, exagération
trop absurde pour mériter d'être contredite». — Diet. D.vrembiîri;, s. r. «c''—'"
(P. Girard) «...Qu'en même temps elle ait été un service de police destiné à
:
sèrent des dommages aux Thessaliens, comme aussi les ilotes aux
Lacédémoniens; car ils épient toute occasion de tirer parti des
désastres (Po/. II, 6, 2)». L'aristocratie Spartiate demeura la maî-
tresse parce qu'elle était plus forte que ses sujets et seule la guerre ;
avec d'autres Etats put briser son pouvoir. Les Messéniens furent
délivrés, non par leur propre énergie, mais par la victoire des Thé-
bains à Leuctres. Aristote remarque encore très judicieusement
que les Cretois n'eurent pas à souffrir de l'hostilité de leurs escla-
ves, car, bien que les différents Etals de l'île de Crète se fissent la
guerre, ils s'abstenaient de favoriser la rébellion des esclaves,
parce qu'ils en possédaient tous du même genre (Pol. II, 6, 3).
c'est pourquoi tantôt les uns, tantôt les autres dominaient. Vers
l'an 412 av.J.-C, les Athéniens, en guerre avec l'aristocratie qui
dominait à Chio, envahirent l'île et causèrent de graves désastres :
mesures pour se mettre à couvert de l'iiostilité des Ilotes. Alors les Lacédémoniens
proclamèrent que, parmi les Ilotes, ceux qui estimaient avoir été valeureux dans les
combats eussent à se séparer des autres, pour recevoir la liberté. Les Lacédémo-
niens visaient ainsi à les découvrir et à connaître leurs sentiments, car ils jugeaient
que ceux qui se croyaient digues de recevoir les premiers la liberté auraient été
aussi les mieux disposés à les attaquer. (4) Deux mille Ilotes ayant été ainsi ras-
semblés, ils les menèrent, couronnés comme des affranchis, autour des temples ;
mais, après peu de temps, ils les firent disparaître, et personne ne sut de quelle
manière on les avait détruits». —
Diod XII, 67, 4 AiroyçatpanÉvuv 6è ÔLax^uv,
: :
TovTovç [lÈv TîçoaÉTaçav to'iç /{çuTiaToiç ànoKTeivaL kut oIkov tiiâaTov. « Deux mille
s'étant inscrits, il fut prescrit aux plus puissants [citoyens] de les tuer, chacun
dans sa maison ». Si les Spartiates avaient été humanitaires, comme l'aristocratie
française de la fin du XVIII= siècle, c'eût été les Ilotes qui eussent tué les
Spartiates.
2'ia8> Thuc.yd., VIII, 40.
§2494-2495 l'équilibre social dans l'histoire 1659
Pylos par les Athéniens eut un effet semblable à l'égard des ilotes
cité par Strabon, est tout à fait aflirmatit. Il dit que «tous les habi-
tants voisins des Spartiates se soumirent, à condition de leur être
€gaux et de participer au droit de cité et de commandement ' ».
2495. D'ailleurs, l'accès à la classe privilégiée fut bientôt lermé.
Hérodote dit que seul Thésamène et son frère Hégias reçurent le
droit de cité Spartiate \ Nous avons donc dans l'aristocratie Spar-
tiate un type de classe fermée, ou pour mieux dire, semi-fermée,
car aucune classe ne réussit longtemps à s'enfermer d'une manière
de au danger d'une trop grande réduction du nombre des Spartiates est sus-
pai'er
pecte. Elle a probablement été imaginée après que le fait se fut produit; mais cela
n'enlève rien à la probabilité des mesures ainsi expliquées.
24942 Strab. ; VIII, f), 4, p. 364. Après une lacune, vient le passage : ...vTraicovovraç
<J' aTravTaç rohç TreçiOLKOvç X-nraçTiaTùv b/iuç tcovô/xovç slvai, neréxovTaç koi TroTiiTeîaç Kai
2495» Hérod. IX, 35 Suivant Platon (De leg., I, p. 629), ïyrtée aussi aurait
; :
reçu le droit de cité Spartiate. Il importe peu qu'il en soit vraiment ainsi. Il nous
suffit de constater que l'octroi du droit de cité était une chose tout à fait exception-
nelle. Il s'agit ici uniquement des étrangers.
1660 CHAPITRE XIII § 2495
2495- ScH(EMA.NN. Ant. grecq., l. I, décrit bien les faits « (p. 244) Il est dit
:
ment pourvu à ce que la communauté Spartiate pût se compléter avec des recrues
d'un autre sang et des forces fraîches [il est certain que cela n'est pas arrivé, puis-
qu'aux temps historiques, il est indéniable que le nombre des Spartiates va tou-
jours en diminuant]; car il pouvait se faire que même des individus qui ne prove-
naient pas d'un mariage purement dorien, des enfants de périèques ou d'hilotes,
s'ils avaient fait consciencieusement jusqu'au bout leur éducation militaire, fussent
admis dans la communauté dorienne et mis en possession des lots vacants. Mais il
fallait pour cela le consentement des rois c'est devant eux qu'avait lieu l'adoption
;
solennelle du récipiendaire par un Dorien (p. 232) pourvu de son majorat. C'est
ainsi que l'Etat recrutait de nouveaux citoyens [bien peu, en tout cas], et c'est à
cette institution que Sparte dut une bonne partie de ses plus grands hommes d'Etat
et de ses meilleurs généraux. Ainsi, c'était l'éducation, la discipline qui faisaient le
Spartiate, et non le sang des aïeux ». Comme preuve, l'auteur cite Plutarch. Inst.
Lacon.,'i2, et Xenoph., Hellen., V, 3, 9. Mais vraiment ces textes ne prouvent pas
grand' chose. Plutarque parle de temps légendaire et n'est pas trop affirmatif non
plus. "Evioi ô' è(paaav, brc kcù tûiv ^évuv ôç àv vnojieivi] ravTr^v tijv AoKiiaiv ttjç TTOAiTsiaç,
Kara TO f3ovA7j/iia toï) AvaovQyov /xerecxs t?)ç àQxv^^v aiaTeTay/xevT^i, fioiçaç. « Certains
disent que, celui des étrangers qui consentait à vivre selon l'usage de la cité était
mis à part de la répartition originaire du territoire, par une loi de Lycurgue ».
— Xenoph., Hell., V, 3, 9, raconte comment Agésilopolis fut envoyé contre Olynthe
avec trente Spartiates auxquels s'unirent volontairement des métèques et des
bâtards [vôdoi] de caractère remarquable et n'ignorant pas la discipline Spartiate. Le
fait que l'autour les nomme à part dos Spartiates, suilit pour montrer qu'ils
n'avaient pas tous les droits de ceux-ci.
n'ont pas à Sparte, comme dans la plupart des autres Etats, balayé un amas con-
fus d'organismes irrationnels, n'ayant qu'une valeur de fait, et laissé le champ libre
pour uni' poussée nouvelle». En somme, c'est le défaut de circulation des élites.
§ 2496-2498 i.'kquilibre social dans l'histoihe 1661
parce que ces besoins nouveaux n'étaient pas nécessaires pour ren-
forcer les résidus de la 11^ classe chez les gouvernants. Le mode
d'éducation de ceux-ci, la discipline militaire en temps de paix,
l'aversion pour la littérature, la philosophie et les arts libéraux ou
manuels, d'autre part les guerres continuelles, supprimaient un grand
— En l'an 227 av. J.-C, le coup d'Etat de Gléoraène eut un meilleur sort, parce qu'il
était faiten partie avec la force des mercenaires. Mais le nouvel ordre de choses dura
peu, et en Tan 221 av. J.-(l, Antigone rétablit le pouvoir de l'oligarchie à Sparte. Cléo-
mène supprima les fonctions des éphores, excepté une seule qu'il garda pour lui
(Plutarch.; Cleom., 10). Ce fait ressemble à celui des empereurs romains, qui gar-
dèrent pour eux-mêmes la tribunicia potestas Dans les deux cas, on tint compte de
.
2496 1 Xenoph. : Laced. reip., X,7 : el ôé tiç àKoéeiliâcreie rov rà vâfxcf^a âianoveiadai,
TovTov ÈKeïvoç ànéôei^e /xrjâè vofii^effdai èri tûv ô/zoiuv sîvac.
au point de vue de la police intérieure, beaucoup plus que dans les actions accom-
plies à l'extérieur... Et en effet: quelle question de gouvernement plus grave que
l'établissement d'une aristocratie d'essence héréditaire par descendance mâle, dont
l'existence soit perpétuée, et qui maintienne pure la Noblesse Dominante ?». «(p.5).
§2501-2502 l'équilibke social dans i/histoirk 1603
siteurs d'Etat extirpaient avec grand soin toute plante qui croissait
trop vigoureuse. A Sparte, seul demeurait parmi les égaux celui
qui avait assez d'énergie et de vigueur pour supporter le poids de
la discipline militaire. A Venise, la qualité de patricien était indé-
lébile, et restait même au citoyen déchu. A Sparte, par
acquise
une élimination naturelle, le citoyen déchu était exclu des ôiioîoi.
Des deux causes qui faisaient obstacle aux circulations des élites,
l'une, le manque de nouveaux éléments, était commune à Venise
et à Sparte ; l'autre, le manque d'élimination des éléments déca-
dents, avaitune influence plus grande à Venise qu'à Sparte.
2502. L'usage de la force pour maintenir le pouvoir était com
mun aux deux aristocraties. Ce fut la cause principale de leur lon-
gue durée. Elles tombèrent toutes deux, non par suite de transfor-
mations intérieures, mais par l'effet d'une force extérieure plus
grande ^ La classe gouvernante vénitienne savait que le peuple ne
Donc, le fait qu'en cette année le Conseil Majeur s'était renouvelé pour presque cin-
quante ans — on l'a déjà écrit —
avait donné l'occasion d'en méditer une réforme.
Mais ces méditations se prolongèrent jusque vers l'an 1286. On comprit alors finale-
ment que l'on ne pouvait se mettre plus sagement à l'abri delà cabale, des factions,
des autres mésaventures civiles, qu'en formant un premier Conseil toujours fixe
de citoyens d'entre les plus qualifiés, et en nombre si grand que, sans rien ùter ou
changer par un excès de nombre au dessein primitif d'avoir un gouvernement aris-
tocratique, on satisfît aux vœux communs des gens de l'époque; de telle sorte
qu'ainsi formé, ce gouvernement fût sûr, stable et permanent. Pour l'obtenir, il ne
pouvait y avoir de moyen plus sûr et plus pacifique que de le faire passer pour un
caractère et une essence primitive chez les descendants légitimes des premiers nobles,
en ligne masculine, par succession perpétuelle», «(p. 10) ...Quand enfin, au dernier
jour de février de l'année vénitienne, le doge proposa la célèbre loi de 1296, qu'on
appela vulgairement et par tradition la serrata del Consiglio tnaggiore, à laquelle
la République doit en etfet sa durée... »
de Lycurgue, les Lacédémoniens eurent une excellente république et une très grande
1664 CHAPITRE XIII § 2503
peut rien par lui-même s'il n'est dirigé par des éléments de la classe
gouvernante c'est pourquoi elle visait principalement à empêcher
;
puissance, jusqu'à la bataille de Leuctres. Depuis que la fortune leur fut défavo-
rable, leur république alla toujours de mal en pis (13). Enfin de nombreux troubles
et des séditions civiles les frappèrent; ils furent soumis à de nombreuses réparti-
tiosn nouvelles de terres et à des exils, ils subirent des servitudes très dures, jus-
qu'à la tyrannie de Nabis... ».
2503» Malamani; La satira del costume a Venezia, nel secolo XVIII. Gomme
presque tous les historiens modernes, notre auteur confond l'énergie d'une classe
sociale avec sa morale et, qui pis est, avec sa morale sexuelle, jugée selon les idées
chrétiennes. Mais il est facile- d'écarter cette erreur, et il reste de bonnes obser-
vations.
§2504-2505 l'équilibre social dans l'histoirk 1665
mière rencontre [de la bataille de Lépante], les grosses galères des Vénitiens se lan-
cèrent courageusement contre les ennemis. Grâce à leur valeur, la voie fut ouverte
à la victoire des chrétiens; en sorte que les galères des ennemis, s'avançant, serrées
les unes contre les autres, pour attaquer les nôtres, furent de cette manière fracas-
sées et détruites par les coups des artilleries des grosses galères, qui tiraient de
terribles canonnades. Mis en déroute, les Barbares de ce côté prirent presque la
fuite, car, voyant les dégâts que faisaient à elles seules six galères, ils s'en allaient,
se figurant ce que pouvaient faire les autres, chose que les Turcs ne s'étaient jamais
imaginée», «(p. 672) Mais, parmi tous les capitaines de la flotte vénitienne... seul,
Francesco Duodo, capitaine des grosses galères, obtint une louange unique et sin-
gulière... parce qu'avec les artilleries (comme je l'ai dit plus haut), il avait rompu
la formation des Turcs. Cela contribua grandement à la victoire, ainsi qu'en font
foi les patentes que lui firent Don Juan d'Autriche et Marc' Antonio Golonna... ».
L'auteur remarque ensuite que, pour réparer les navires «(p. 678) on envoya de
Venise à Pola, où les dites grosses galères avaient été mises à sec, de nombreux
maîtres de l'Arsenal, pour les radouber, en sorte que celles-ci ont une grande force
en mer. Les vieux Véaitiens furent les inventeurs de ces machines navales, eux qui
avaient une très grande pratique de la mer et de l'invention de vaisseaux maritimes.
Les Vénitiens dépassèrent toutes les nations étrangères ».
SOCIOLOGIE 105
1666 CHAPITRE XIII §2506
250.5 2 p. T>\nu\ Hist, de la rép. de Ven., t. V, p.21G «A cette époque les forces
;
dans Venise, en 1797, ils trouvèrent sur les chantiers treize vaisseaux et sept fré-
gates; il n'y avait pas de matériaux suffisants pour les terminer, et de ces treize vais-
seaux, deux étaient commencés depuis 1752, d'^ux depuis 1743, deux enfin depuis
1732, c'est-à-dire qu'avant d'être en état de sortir du chantier ils avaient déjà soixante-
cinq ans. Cet appareil de constructions navales n'était qu'un moyen d'entretenir l'il-
lusion ces vaisseaux étaient d'un faible échantillon; ils ne portaient que du canon
:
de (p. 217) vingt-quatre à leur batterie basse; ils ne pouvaient sortir du port avec
leur artillerie; on était obligé de les armer dehors. Les officiers n'avaient eu depuis
longtemps aucune occasion d'acqui'rir de l'expérience, et une marine marchande qui
n'occupait que quatre ou cinq cents vaisseaux ne pouvait fournir des marins pour
armer une escadre formidable».
- 25061 M. Macohi; Storia del Consiglio dei Dieci, t. IV «(p. 30) Malgré tant de
:
Maffeo Girardo, patriarclie de Venise, qui fit publier sub poena excomtnunica-
la
tionis, inaledictionis, siispensionis et interdicti. Ayant entendu cela, la Seigneu-
rie, avec les chefs du Conseil des Dix, auctoi-itate sua, envoya chercher le bref et
§2506 l'équilibre social dans l'histoirh: 1667
2506* Daru Hist. de larép. de Ven., t. IV «(p. 218) ...il n'y eut dans toute la
; :
(p. 219) république qu'un grand-vicaire de Padoue, qui osa dire au podestat qui
venait lui notifier ces ordres, qu'il ferait ce que le Saint-Esprit lui inspirerait à :
quoi le magistrat répondit qu'il le prévenait que le Saint-Esprit avait déjà inspiré au
conseil des Dix de faire pendre les réfractaires». Le Sénat de Venise ne dédaignait
pas les dérivations à opposer au pape, et afin d'en être pourvu, il institua l'office de
théologien consultant, auquel il nomma d'abord fra Paolo Sarpi. Même le pouvoir
de l'Inquisition fut contenu dans d'étroites limites par le gouvernement vénitien. A
ce sujet, Sarpi écrivit, par ordre du doge, le Discours sur l'origine, la forme, les
lois, et l'usage de l'office de l'Inquisition, dans la cité et puissance de Venise.
Il parle très librement de la cour de Rome «(p. 34) La Sérénissime République de
:
Venise ne put être persuadée par les instances des Souverains Pontifes Innocent,
Alexandre, Urbain et Clément, et par sept autres Papes qui les suivirent, de rece-
voir l'Office des frères inquisiteurs, institué par le Souverain Pontife. L'office sécu-
laire qu'elle avait elle-même institué avec profit pour le service de Dieu lui suffisait.
Ils [les Vénitiens] avaient devant les yeux les fréquents désordres que provoquait
le nouvel Office, dans les autres cités où il existait, parce que les frères Inquisi-
teurs excitaient souvent le peuple dans leurs prédications et quand les gens prenaient
;
la croix, ils causaient des troubles. De ce fait, un grand nombre de Ooisés exer-
çaient leurs vengeances contre leurs ennemis, qu'ils qualifiaient d'iiérétiques et ;
d'autres gens également innocents, étaient, sous ce nom, opprimés par ceux qui
voulaient les dépouiller... (p. 35) Mais, lorsque Nicolas IV monta sur le trône ponti-
fical,... il insista tellement, qu'on résolut de recevoir l'Office, toutefois dans des
conditions telles qu'il ne pourrait provoquer du scandale... (p. 36) Ici, il est néces-
saire de s'arrêter pour considérer que l'Office de l'Inquisition, dans celte Puissance,
ne dépend pas de la Cour de Rome, mais bien de la Si'rénissime République, qu'il
est indépendant, érigé et constitué par elle-même...». L'auteur continue en citant
plusieurs cas dans lesquels les papes abusèrent de leur pouvoir spirituel à des
fins temporelles. Il conclut « (p. 47) Ces choses font voir que la malice de certaines
:
personnes de cet Office s'applique à des intérêts humains et peu honnêtes qu'il est :
sieurs centaines d'années, les ecclésiasfiques n'ont d'autre but que d'usurper la
juridiction temporelle dont ils ont acquis déjà une grande partie, au grand détri-
ment des gouvernements ».
2506^ Daru; Hist. de la rép. de Ven., t. IV «(p. 174) Pour être parfaitement
:
classe.
2507. L'exemple de Venise est excellent, parce qu'il fait bien
comprendre comment se composent les forces sociales. Il montre
qu'il faut les considérer quantitativement et non pas seulement
qualitativement, en outre, que les diverses espèces d'utilités
sont hétérogènes.
L'usage du gouvernement vénitien de confier à des étrangers le
paraît peu de chose, Seigneur?" » — Sarpi; loc. cit., | 2506* « (p. 12). Chnp. XXIV.
:
Ils ne permettront pas qu'à l'Office on procède contre des Juifs pour une cause
quelconque, ni contre toute autre sorte d'infidèles, de n'importe quelle secte, sous
l'inculpation de délit commis en paroles ou en faits... ». «.Chap. XXV. Pareillement,
ils ne devront pas permettre que l'Office de l'Inquisition procède contre une per-
sonne appartenant à une nation chrétienne, laquelle vit tout entière avec ses
rites propres, différents des nôtres, et se range sous ses propres prélats, comme les
Grecs et autres peuples semblables, même si l'inculpation porte sur des articles
reconnus par les deux parties...». L'auteur explique ensuite ces chapitres « Chap. :
XXIV (p. 95) ...L'infidélité n'est pas hérésie, et les transgressions que les infidèles
commettent par offense et outrage à la foi n'ont pas besoin d'enquête ecclésias-
tique... Chap XXV. En dehors de cet Etat, l'Office de l'Inquisition prétend juger
les chrétiens orientaux sur n'importe quel article, même là où toute la nation est
d'un autre avis que la cour de Rome. Dans cette Sérénissime Puissance, eu égard à
la protection que le Prince accorde à la nation grecque, les Inquisiteurs n'étendent
pas leurs prétentions si loin. Ils disent seulement qu'on peut tolérer chez les Grecs
les trois opinions sur lesquelles ils sont en désaccord avec les Occidentaux, mais
que si l'un d'eux émet une opinion inadmissible au sujet des points capitaux sur
lesquels leur nation s'accorde avec nous, cela doit être soumis à l'Inquisition. Cette
distinction est abusive et non moins contraire à la protection du Prince, que si ces
gens étaient jugés sur les trois points où il y a divergence».
1670 CHAPITRE XIII § 2507
les angoisses, les ruines, les carnages qui accablaient les malheu-
reux habitants des pays où, grâce à l'abondance des résidus de la
II™e classe, le fanatismeopprimait les hommes. Mais cette pauvreté
fut aussi,du moins en partie, cause de la chute de la Républi-
que vénitienne. Ici, une question se pose. Est-il bon ou non d'ache-
ter le bonheur de nombre de siècles, d'un très grand nombre de
générations, par la perte de l'indépendance de l'Etat? On ne voit
pas comment y répondre, car comparaison porte sur deux utili-
la
tions que nous avons déjà étudiées d'une manière générale. Elles
en suivent les oscillations; elles en ont les avantages et les défauts,
est réellement animé, ou qu'ont ceux qui les approuvent. Elles sont
en quelque sorte un vêtement qu'il est bienséant d'endosser.
2008. A Athènes, on peut envisager de deux façons les classes
gouvernantes. Nous avons d'abord les citoyens athéniens, qui for-
ment une classe gouvernante par rapport aux esclaves, aux métè-
ques et aux sujets des territoires sur lesquels s'étend la domina-
tion athénienne. Puis dans cette même classe, nous avons une nou-
velle division et une élite qui gouverne.
2009. La première classe, celle des citoyens athéniens, demeura
fermée autant que possible. Afin d'être moins nombreux à profiter
de l'argent extorqué à leurs alliés, les Athéniens décrétèrent, sur
la proposition de Périclès, en 451 av. J.-C, que seuls seraient
ces gens fussent des éléments de choix. Chassés de leur cité, les
habitants de Platée, et plus tard les esclaves qui avaient combattu
à la bataille des Arginuses, obtinrent le droit de cité réduit. En
conclusion, il n'y eut jamais de circulation proprement dite.
affranchis faits citoyens, on peut citer, dans la première moitié du IV« siècle avant
J. G les deux banquiers célèbres par les plaidoyers de Déraosthène, Pasion et son
,
successeur Phormion... Toutefois la rareté des textes prouve que le droit de cité
devait être accordé assez difficilement aux métèques et aux affranchis».
2511 1 Aristot. ; Polit., III, 1, 10: ...nuAÀovç yàç iipvÀérEvae ^évovç kgï 6ov?.ovç
fier. iKovç. « ...car il inscrivit [parmi les citoyens] beaucoup d'étrangers et d'esclaves
métèques». Gfr. Aristot. ; De Rep. Athen., 26.
1672 CHAPITRE XIII t^ 2512-2513
25131 Grote; Hist, de la Gr., t. VIÎI. L'auteur parle du célèbre discours que
Thucydide met dans la bouche de Périclès « (p. 180) A cette indulgence réciproque
:
même avec une force accrue », l'énergie des citoyens est beaucoup
plus faible (prédominance des résidus de la P classe sur ceux de
la IP, cfui peu à peu font défaut). C'est là un cas remarquable, dans
lequel le maximun de prospérité est donné par une certaine pro-
portion entre les résidus de la I« classe et ceux de la IP, de sorte
qu'un excès des uns est aussi nuisible qu'un excès des autres.
2814. Un autre exemple remarquable est celui des Albigeois.
L'enveloppe de leurs sentiments, c'est-à-dire semble la doctrine,
coup les principaux. Paris, avec son université, était une exception.
Ainsi qu'il arrive très souvent en des cas semblables, dans le Midi
on observait, d'une part un certain manque de religion, d'autre
part un certain fanatisme religieux. D'un côté, mœurs extrêmement
faciles, de l'autre, rigueur excessive. Dans les cours d'amour, on
raisonnait aimablement de l'amour sexuel dans les réunions des ;
tous néanmoins pour la ruine des âmes contre la foi catholique (et disputaient ces Vau-
dois très subtilement contre les autres d'où vient qu'en haine de ceux-là, ceux-ci
:
étaient admis par des prêtres imbéciles) ». L'instinct des combinaisons se tournait
vers la théologie. Les croisés qui venaient du Nord ne songeaient pas à disputer
surtout cela. «(p. 206) D'abondant, les capelans [les prêtres] étaient auprès des
laïques (p. 207) en si grand mépris, que leur nom était par plusieurs employé en
jurement comme s'ils eussent été juifs. Ainsi, de même qu'on dit ,, J'aimerais :
mieux être juif" ainsi, disait-on .,.J'aimerais mieux ètrecapelan que faire telle ou
;
:
« (p. 6G) Les hautes classes de la société étaient arrivées à un degré de civilisation
unique alors dans l'Europe la vie chevaleresque y fleurissait comme nulle part
;
ailleurs, les nombreux et puissants seigneurs partageaient leurs jours entre les
chances des combats, et les luttes plus frivoles de l'amour mondain poussés plu- ;
tôt par un besoin irrésistible d'aventures extraordinaires que par une profonde
ardeur religieuse, ils se croisaient fréquemment pour la Terre-Sainte, d'où ils rap-
portaient, au lieu d'émotions plus chrétiennes, une imagination nourrie des splen-
deurs orientales... (p. 67) D'ailleurs le clergé lui-même était entraîné par cet esprit
léger et mondain qui dominait chez les nobles... Dans les villes régnaient des dis-
positions semblables. Après une lutte vive et longue pour s'aftranchir de la domi-
nation féodale, les bourgeois finirent généralement, dès la lin du douzième siècle,
par triompher de leurs anciens oppresseurs. Enrichies, les unes par leur commerce
avec les ports d'Orient, les autres par leur industrie, les villes étaient Hères de leur
aisance, et défendaient avec un succès croissant leurs libertés municipales. Les
bourgeois imitaient les mœurs des nobles; ils rivalisaient avec eux de courtoisie
et de bravoure ils étaient poètes comme eux, et devenaient chevaliers, s'ils le vou-
;
laient;... (p. 68) De tout cela était résulté un esprit de liberté et de tolérance reli-
gieuse, dont nul autre pays de la clirétienté ne donnait alors l'exemple. Toutes les
opinions pouvaient se manifester sans obstacles... ». « (p. 188) A la fin du douzième
siècle l'état social et politique du midi de la France était encore le même qu'à
l'époque où l'église cathare, sortant de son mystère, s'était publiquement organisée
dans ces contrées... Dans les villes, la prospérité croissante des habitants avait déve-
loppé de plus en plus leur esprit de liberté forts de leurs institutions municipales,
;
ils étaient décidés à défendre leur indépendance contre quiconque oserait y porter
atteinte. Aux cours des princes, dans les châteaux des nobles, aussi bien que dans
les villes, la politesse extérieure des mœurs était arrivée à un point qui remplissait
d'orgueil les méridionaux, tandis que les barons plus rudes et plus pauvres du
Nord ne jetaient que des regards d'envie sur la vie joyeuse et poétique des cheva-
liers et sur l'opulence des bourgeois de la Provence. Cette civilisation plus avancée
du Midi, jointe à la longue (p. 189) habitude de liberté civile et politique, avait
donné naissance à cet esprit de tolérance religieuse qui déjà dans la période précé-
dente avait favorisé à un si haut degré la propagation de doctrines contraires à
celles de Rome. Cet esprit avait fini par prédominer au point que non-seulement
l'Eglise cathare existait presque librement à côté de l'Eglise catholique, mais que
les Vaudois avaient pu organiser à leur tour des communautés florissantes il
y ;
avait des familles nobles, comme celle de Foix, où se rencontraient des membres
des deux sectes... La vie frivole et mondaine des laïques avait trouvé des imitateurs
dans les ministres de l'Eglise... Le pape ainsi que les synodes provinciaux ne ces-
saient de se plaindre de cette décadence mais leurs plaintes restaient sans efiet...
;
(p. 190) L'anarchie en était venue au point que les veilles des (p. 191) fêtes des saints,
le peuple se livrait dans les églises à des danses qu'il accompagnait de chants
profanes... Les plus grands scandales étaient donnés par les prélats eux-mêmes».
avaient l'esprit plus subtil que les « Frauçais », mais étaient aussi
mauvais. Mais les croisés qui vinrent du Nord conquérir les floris-
santes et riches contrées du Midi de la France se souciaient peu ou
point qu'il y eût un, deux ou plusieurs principes. Il est même assez
probable qu'ils étaient incapables de comprendre ce qu'on voulait
dire par ces raisonnements bizarres. Ils se souciaient davantage de
l'or, des belles femmes, des terres fertiles dont ils entreprenaient la
les habitudeset la manière de vivre... Du temps de la disette ils rendirent par leur
activité beaucoup plus de services que ne le faisaient d'autres races d'hommes plus
empressées à corabatlre... (p. 130) En un seul point cependant ils se livraient beau-
coup trop, et d'une manière honteuse pour eux, à leur cupidité ils vendaient aux
;
« (p. 264) Iladvint l'hiver suivant que Foucaud de Brigier, et Jean, son frère, avec
plusieurs autres chevaliers, coururent de reehef par le même pays qu'ils avaient
déjà pillé une fois (p. 265) et y firent beaucoup de bulin... Ce Foucaud était un
homme très cruel et plein d'orgueil, qui s'était, disait-on, fait une règle de mettre à
mort tout prisonnier de guerre qui ne lui paierait pas cent sous d'or, lui faisant
endurer les tortures de la faim dans une fosse souterraine, et voulant, quand on
l'apportait ou moribond ou mort, qu'il fût jeté dans un égoùt... Au demeurant, on
ne doit ni ne peut raconter à quelles infamies se livraient les serviteurs de Dieu; la
plupart avaient des concubines et les entretenaient publiquement ils enlevaient de;
vive force les femmes d'autrui, et commettaient impunément ces méfaits et mille
autres de ce genre. Or ce n'était bien sûr dans l'esprit qui les avait amenés qu'ils
en agissaient ainsi la fin ne répondait pas au commencement, et ils n'offraient pas
;
en sacrifice la queue avec la tête de la victime. Somme toute, ils n'étaient ni chauds
ni froids, mais parce qu'ils étaient tièdes, le Seigneur commença à les vomir de sa
bouche, et à les chasser du pays qu'ils avaient conquis ». Oui, mais en attendant, il
1676 CHAPITRE XIII § 2517-2519
ne savait pas les défendre, se les voyait ravir par celui qui
était pauvre, mais avait de l'énergie pour combattre et pour
vaincre.
2ol7. De même, parmi les nobles du Midi qui étaient favora-
bles à l'hérésie des Albigeois,
s'est peut-être trouvé aussi des gens
il
unde, cum eis deficiunt alia argumenta, adhuc recurrunt dicentes « Videte qualea :
sunt isti vel illi, et maxime prelati videte quomodo vivunt et incedunt, nec sicut
;
antiqui, ut Petrus et Paulus et alii, ambulantes ». Gfr. | 8i, p. 79. Ces braves gens
qui se plaignaient du clergé corrompu furent emprisonnés, torturés, brûlés par le
clergé ascète. Ils gagnèrent beaucoup au changement, en vérité !
§ 2520 l'équilikre social dans l'histoire 1677
habita pendant deux ans, avec un Parfait, l'écuyer Pons, prenant avec lui tous ses
repas. Il savait fort bien qu'il était ainsi le commensal d'un hérétique vêtu, mais
peu lui importait. Un curé servait de socius à un Parfait! Le cas n'était pas
banal ». Sans les Albigeois et la réaction qu'ils provoquèrent, peut-être aurait-on
joui de la liberté de conscience depuis ce temps-là, au moins dans l'Europe méridio-
nale. A peine l'a-t-on obtenue maintenant. —
Bruce Whyte Hist, des laiigues
;
romanes, trad, franc., t. II «(p. 193) La conduite des prélats n'était pas seulement
:
une violation flagrante de tout principe de morale elle montrait encore manifestement
;
vernement parut juger que pour rester soumis il était bon que les gens d'église
eussent besoin d'indulgence en conséquence on toléra chez eux cette liberté de
;
« (p. 181) Les religieux se permettent ces choses qui ne leur conviennent pas et qui,
dans un autre pays, ne seraient pas tolérées de leur part. Ils se soustrayent à
l'obédience des supérieurs qui ne peuvent les contraindre, et l'autorité des messages
apostoliques est sans force contre eux... Au temps des interdits [| 250G], si la répu-
blique avait eu tous ses religieux observant leur règle et obéissant à leurs supé-
rieurs, non seulement elle n'aurait pas pu les contraindre à célébrer les offices
divins, mais encore il se serait trouvé des prêtres par centaines qui, par les prédi-
cations et les harangues, auraient excité la plèbe contre elle. Mais les religions plus
haut nommées étant délaissées, tous ses frères et ses prêtres prirent le parti du
gouvernement [Relasione délia cità Repubblica di Venezia...) ».
1678 CHAPITRE XHI ^2520
sandales à la manière des apôtres dire qu'il n'était permis en aucune façon de
;
jurer ou de tuer, et, en cela, surtout, qu'ils assuraient que le premier venu d'entre
eux pouvait, en (p. 12) cas de besoin et pour urgence, consacrer le corps du
Christ sans avoir reçu les ordres de la main de l'évêque, pourvu toutefois qu'il
portât sandales ».
§2521-2522 l'équilibre social dans l'histoihk 1()79
C'est pourquoi ils furent détruits par le fer et par le feu. Il ne pou-
vait en être autrement.
2t>2l. Quand une
société s'affaiblit par défaut de résidus de la
Ile humanitarisme, parce que l'énergie qui emploie la
classe, par
force fait défaut, il arrive souvent qu'une réaction se produit, ne
fût-ce que dans une petite partie de cette société. Mais il est remar-
quable qu'au lieu de tendre à accroître les résidus qui donneraient
le plus de force à la société, comme il devrait arriver si c'était une
Isti etiam haeretici omne bellum detestantur tanquam illicitum, dicentes quod non
sit licitum se defendere,... p. 515. Obiiciunt etiara illud Matt., V, 38: «Audislis
quia dictum est oculum pro oculo et dentem pro dente. Ego autem dico vobis non
resistere malo» p. 516. Obiiciunt Matt., XXII, 7
; «Perdidit homicidas iilos »
:
;
2522 * Schmidt loc. cit. % 2515 ^ t. II. L'auteur rapporte les divagations des
;
Cathares «(p. 68) ...l'opinion la plus accréditée était que les âmes des premiers
:
hommes ont été des anges. Le démon les enferma dans des corps matériels, pour
les empêcher de s'en retourner au ciel mais il fallut aussi un moyen de les enchaî-
;
propagation du genre humain par l'union des sexes. Par Eve il se proposa de
séduire Adam il voulut les faire pécher tous les deux, afin de les rendre ainsi à
;
jamais ses esclaves, et de les ravir au monde céleste. Les ayant donc introduits dans
son faux paradis, et leur ayant défendu, pour mieux les exciter, de manger de
l'arbre de la science, il entra lui-même dans un serpent, et commença par séduire la
femme de là l'éveil (p. 69) de la mauvaise volonté, de la concupiscence charnelle et
;
ses suites. Suivant le dualisme mitigé, la pomme défendue n'a pas été autre chose
que le commerce de l'homme avec la femme... Le péché de la chair, la „ fornicatio
carnalis " est le vrai péché originel c'est le plus grand de tous, car non seulement
;
il a été commis par un effet du libre arbitre, et constitue ainsi une révolte volontaire
de l'âme contre Dieu mais il est aussi le moyen de perpétuer une race mauvaise, et
;
et Vald. : (p. Ill) Nunc videndum est, quod fuerit peccatum Adae secundum ipsos.
Ad quod melius intelligendum, scieudum est secundum eos, quod Sathan alium
Angelum inclusif in corpore muliebri facto de latere Adae dormientis, cum qua
peccavit Adam fuit autem peccatum Adae, ut asserunt, fornicatio carnalis, dicunt
;
enim, quod semper accessit ad mulierem, et cum cauda corrupit eam, et ex eius
coitu cum ipsa natura esse Gain... En note l'auteur cite Moses B\r-Gepha, qui
écrit Sunt quidam qui existiment non fuis-e arborem id, de quogustavit Adam, sed
:
venereum amplexum, quo cum uxore ille corpus miscuit... Monet.v continue: Dicunt
etiam, quod mulier in luxuria assuefncta ad Adam ivit, et qualiter cum ipsa coiret,
oslendit, et suasit, et sicut Eva suasit ei, sic Adam opère complevit, et istud esse
esum ligni scientiae boni, et mali asserunt... - On trouve aussi des dérivations
analogues chez les écrivains catholiques. Des plus étranges est celle qui attribue
pour cause à certains péchés sexuels le déluge universel et qu'on lit dans Sanohkz ;
teur exagère certainement. Son témoignage doit être retenu seulement dans ce sens
qu'il existait une grande disproportion entre le nombre des combattants de Mont-
fort et ceux des Provençaux et des Aragonnais. « (p. 2b8) Or, tous les nôtres, tant
chevaliers que servans à cheval, n'étaient plus de huit cents, tandis qu'on croyait
les ennemis monter à cent mille, outre que nous n'avions que très peu de gens de
pied et presque nuls, auxquels même le comte avait défendu de sortir pendant la
bataille ».
^ 2523-2524 l'équilibre social dans l'histoire 1681
disposé à mourir les armes à la main. Ils furent ainsi les dignes
précurseurs de ce pauvre homme de Louis XVI de France qui, lui
aussi, au lieu de combattre, se jeta dans les bras de ses ennemis,
et leur livra ses amis, de même que les comtes de Toulouse livrè-
2523 1 Collect. Guizot ; loc. cit. |2ô23 ' : « (p. 341) Au moment même où les ennemis
faisaient cette sortie, un exprès
vint trouver le comte qui... entendait la messe, le
pressant de venir sans délai au secours des siens; auquel ce dévot personnage:
,, Souffre, dit-il, que j'assiste aux divins mystères... " Il parlait encore qu'arriva
un autre courrier... ». Le comte voulut demeurer jusqu'à la fin de la messe et dit :
« (p. 842) Allons, et, s'il le faut, mourons pour celui qui a daigné mourir pour nous »_
miers auspices du règne du jeune prince, Dieu voulut à tel point lionorer son
enfance à l'occasion d'une si longue guerre avec le susdit comte, que, de plusieurs
clauses contenues au traité, chacune eût été à elle seule suffisante en guise de ran-
çon, pour le cas où le roi aurait rencontré le dit comte en champ de bataille et l'au-
rait fait prisonnier». Ce n'est pas tout «(p. 281) Le comte fut réconcilié à l'Eglise
:
la veille de Pâques (12 avril 1229) en même temps ceux qui étaient avec lui
;
SOCIOLOGIE 106
1682 CHAPITRE XIII § 2525-2527
2524 2 Paus\nia.s (IV, 14) « Accablés sous le faix, comme des ânes, ils sont dans
:
la dure nécessité d'apporter à leurs maîtres la moitié de tous les fruits produits par
leurs champs Ils se lamentent, eux et leurs femmes, lorsque la Parque funeste
atteint quelqu'un de leurs maîtres».
charges. Chacun tient à vivre pour soi, à utiliser à son profit le temps et les res-
sources dont il dispose [les résidus de la II' classe ayant disparu, ces buts restent
seuls]. Si cette vie est modeste et même étroite, on s'en consolera c'est surtout la
;
vie facile, plénière, sans aléa, qui apparaît comme désirable ». «(E. Labat) 11 est
difficile de ne voir qu'une coïncidence entre la diminution de la moralité et l'affaiblis-
sement du sentiment religieux [c'est la façion ordinaire dont on présente la considé-
ration des résidus de la 11*^ classe], à moins d'écarter les faits ou de leur faire subir
quelque violence. Les diff(''rents centres de la vie psychique, les modes divers de
l'activité de l'âme sont d'ailleurs trop étroitement solidaires pour que des change-
ments aussi importants puissent s'y produire simultanément sans être dans une
relation de dépendance. On n'a jamais été très religieux en Gascogne... Malgré tout,
jusqu'à ces dernières années, l'imprégnation religieuse était générale, profonde et
déterminante... La grossièreté et la misère de l'existence étaient soulevées, éclairées
^ 2528-2529 l'équilibre social dans l'histoire 1683
fossiles d'un temps qui n'est plus. La littérature, les arts, les
sciences florissaient en Italie, alors qu'ailleurs ils étaient encore
dans l'enfance. Les Italiens parcouraient le globe terrestre. Un
Marco Paolo visitait des régions asiatiques inconnues ; un Colomb
découvrait l'Amérique ; un Améric Vespuce lui donnait son
«(p. 124) L'Italie... a été la première à employer le système des mercenaires... Elle
s'adressa d'abord aux Allemands mais à l'époque de la Renaissance, il se forma,
;
au milieu des mercenaires étrangers, de bons soldats italiens. ... (p. 125) En somme,
les inventions nouvelles [des armes à feu] firent leur chemin, et on les utilisa de
son mieux aussi les Italiens devinrent- ils les maîtres de toute l'Europe en ce qui
;
«p. 120) Il n'y a pas ici [en Italie] de système féodal dans le genre de celui du Nord,
avec des droits fondés sur des théories respectées [dérivations des résidus de la
II» classe] mais la puissance que chacun possède, il la possède généralement, de
;
fait, tout entière. Il n'y a pas ici de noblesse domestique qui travaille à maintenir
dans l'esprit du prince l'idée du point d'honneur abstrait avec toutes ses bizarres
conséquences [autres résidus de la II'^ classe et leurs dérivations], mais les princes
et leurs conseillers sont d'accord pour admettre qu'on ne doit agir que d'après les
circonstances et d'après le liut à atteindre [seuls des résidus de la 1= classe, et leurs
dérivations]. Vis-à-vis des hommes qu'on emploie, vis-à-vis des alliés, de quelque
part qu'ils viennent, il n'y a point cet orgueil de caste qui intimide et qui tient à dis-
tance surtout l'existence de la classe des condottieri, dans laquelle l'origine est
;
tant entre ces instincts s'écartait moins de celle qui assure le maxi-
mum de puissance, devaient nécessairement vaincre et envahir
l'Italie, s'ils entraient en lutte avec elle ; il en avait précisément été
ainsi pour Rome à l'égard de la Grèce.
2532. Les maux qui venaient à l'Italie d'un défaut de l'ins-
tinct de la persistance des agrégats furent, au moins en partie,
aperçus par Machiavel, lequel, semblable à un aigle, plane au-
dessus de la multitude des historiens éthiques (§ 1975). A la vérité,
nous leur en avons une bien plus grande encore, qui est la source
de notre ruine; c'est que l'Eglise a toujours entretenu et entretient
incessamment la division dans cette malheureuse contrée ».
2537. Ici, Machiavel s'arrête à la surface des choses. Il est vrai
que la papauté entretient l'Italie divisée; mais pourquoi les Italiens
tolèrent-ils cela? Pourquoi ont-ils rappelé la papauté, qui était allée
§ 2538-2540 l'équilibre social dans l'histoire 1687
tions ont une cause commune : c'est que nous regardons les événe-
sent tant bien que mal, usent de verres légèrement colorés. La ])lu-
nécessaire de !e dire —
que dans l'Empire allemand moderne. Un
autre vernis que l'on n'aperçoit pas, bien qu'il fasse rarement
défaut, est celui qui provient de la conviction implicite que tout
«mal» dont l'histoire nous donne connaissance aurait pu être évité
grâce à des mesures judicieuses (§ 2334, 2335). De la sorte, nous
nous rapprochons de l'opinion d'après laquelle la société humaine
devrait, par vertu propre, être prospère, heureuse, parfaite, si ce
cours normal n'était pas troublé par des causes accidentelles qu'il
est possible d'éviter (| 134). Cette opinion est semblable à celle qui
trouve la cause des infortunes humaines dans le péché originel;
mais elle estmoins logique, parce que, le péché originel se perpé-
tuant, on comprend aisément que les maux dont il est la cause se
perpétuent. Au contraire, si tous les maux de la société proviennent
de causes on ne comprend pas que
qu'il est possible (§ 134) d'éviter,
parmi les très nombreuses sociétés dont nous connaissons l'his-
toire, il ne s'en soit pas trouvé au moins une qui présente une pros-
périté continue. De même, on pourrait dire que s'il est possible de
rendre l'homme immortel, il est plus qu'étrange que les hom-
mes dont nous avons eu connaissance jusqu'à présentaient été tous
mortels. En réalité, l'état normal de la prospérité des sociétés
humaines est celui d'une courbe ondulée. Celui d'une ligne qui
représenterait un état de prospérité toujours constante ou toujours
croissante ou toujours décroissante, serait anormal, tellement anor-
mal qu'on ne l'a jamais constaté (§ 2338).
2341. Quand, par exemple, les historiens mentionnés consi-
dèrent la décadence de la République romaine, ils admettent
comme un axiome qu'elle doit avoir eu une cause, qu'il reste seule-
ment à trouver dans les mesures prises par les hommes de ce
temps, et qui doit être essentiellement différente de la cause de la
prospérité de la République, ces états de choses contraires devant
nécessairement avoir des causes contraires. Il ne leur vient pas à
§2542 l'équilibhk social dans i/histoihk 1689
l'esprit que des états de choses dont l'un succède à l'autre peuvent,
bien (jue contraires, avoir une can.se commune, une même origine
(§ 2338). De même, si l'on veut faire usage de ce terme de cause,
celui qui considère l'individu peut dire que la vie est la cause de la
mort, puisqu'elle en est certainement suivie ; et qui considère l'es-
pèce peut dire que mort est la cause de la vie, car tant que
la
tion d'exprimer autre chose que ce fait, nous pouvons dire qu'alors
Rome ne voulut pas faire la guerre à la Macédoine. Si nous voulons
faire allusion,au moins en gros, aux forces composant la résul-
tante, nous ajouterons que le Sénat proposa cette guerre, et que le
Peuple la repoussa. En continuant de la sorte, on peut mentionner
d'autres forces composantes, mais il serait impossible d'exclure
d'une façon absolue toute manière analogue de s'exprimer, sans
tomber dans une pédanterie ridicule, insupportable. Il n'y a
1690 CHAPiTHK XIII ^2543
aucune erreur tant que l'on fixe son atlention uniquement sur les
choses désignées par ces noms. L'erreur commence avec la
personnification de ces choses; elle croît avec cette personnifica-
tion, et atteint le comble quand celle-ci est complète. Rome n'avait
pas une volonté unique à l'égard de la guerre contre la Macédoine,
comme un individu particulier aurait pu en avoir une. Le Sénat
n'avait pas non plus cette volonté unique, ni les spéculateurs qui
étaient poussés à cette guerre, ni divers partis qu'on pourrait nom-
mer dans leur collectivité. Au fur et à mesure que, partant de l'en-
semble Rome, nous multiplions le nombre des parties, nous nous
rapprochons de la réalité, sans jamais pouvoir l'atteindre tout à
fait. Ce sont diverses approximations. Il est indispensable de les
Ces lignes ne sont pas des lignes géométriques; pas plus d'ail-
leurs que ne le sont les lignes qui séparent de la terre ferme les
eaux de l'Océan. Il n'y a que la présomptueuse ignorance pour
exiger une rigueur qui n'appartient pas à la science du concret.
Les termes de cette science doivent correspondre à la réalité, mais
cela n'a lieu qu'en de certaines limites K On ne peut définir rigou-
reusement la terre végétale, l'argile, ni dire quel est le nombre
exact d'années, de jours, d'heures, etc., qui séparent de la jeunesse
l'âge mûr ; ce qui n'empêche pas la science expérimentale de faire
usage de ces termes, sous la réserve des approximations qu'ils
comportent. La rigueur du raisonnement est atteinte par la consi-
dération de cette approximation. Du reste, même les mathéma-
n'y correspondent en aucune manière ou, si l'on veut, les limites sont tellement
;
écartées que l'approximation devient illusoire. II existe certainement des choses qui
correspondent au terme argile, des individus qui sont jeunes, vieux, des classes
sociales, etc. Le doute ne peut porter que sur la limite à laquelle certaines matières
n'appartiennent plus à la catégorie des argiles, certains individus à la catégorie
desjeu>ies, certaines personnes à une classe sociale donnée. Mais quant à Zeus, à
la justice, au bien, etc., toute correspondance avec la réalité expérimentale fait
défaut et ce n'est plus de limites qu'il est question.
;
1692 CHAPITRE XIII §2545-2546
tiques sont obligées de suivre cette voie pour faire usage des
nombres dits irrationnels.
2345. Cherchons donc à nous faire, en gros, une première idée
des phénomènes. Nous avons précédemment reconnu que, dans les
phénomènes sociaux, la façon dont les hommes obtiennent le néces-
saire pour vivre, l'aisance, la richesse, les honneurs, le pouvoir,
est d'une grande importance, tant pour que pour les
les intérêts
sentiments, et que, sous cet aspect, il convient, dans une première
approximation, de diviser ces phénomènes en deux catégories
(§ 2233). Voyons si, en suivant cette voie, nous trouverons
quelque uniformité. Si oui, nous continuerons, sinon, nous ferons
demi-tour.
2546. Pour étudier des éléments différents, il faut commencer
par les classer. Dans la circulation des élites à Rome, nous devons
prendre en considération les éléments suivants :
mencement de l'Empire.
(B). Les qualités de caractère de la nouvelle élite.
2546 1 Ge terme est parmi les plus indéterminés de la sociologie. Nous l'em-
ployons ici exclusivement pour désigner un état de fait, sans vouloir le moins du
monde en rechercher les causes. Nous ne voulons pas résoudre ce problème Y a-t-il :
y avait des hommes qui s'appelaient eux-mêmes que d'autres appelaient Romains,
et :
Allemands, Slaves, Grecs, etc. G'est exclusivement ce fait, et aucun autre, que nous
voulons désigner, quand nous parlons de différences ethniques. Ghacun de ces noms
désigne un certain nombre d'individus qui, dans une mesure plus ou moins grande,
possèdent habituellement en commun certains caractères de sentiments, de pensée,
de langue, parfois de religion, etc. Ici, nous acceptons sans autre le fait tel quel.
Nous ne voulons nullement en rechercher les causes ou les origines. Nous répétons
cela parce qu'il est nécessaire que le lecteur l'ait toujours présent à l'esprit, afin
§ 2547 l'équilibre social dans l'histoire 1693
qu'il n'attribue pas au terme ethnique un sens différent de celui dans lequel nous
l'employons.
1694 CHAPITRE XIII §2548
parties de l'état social, c'est-à-dire des éléments (a), (b), (c), (d),
vidu de la plus basse naissance peut légalement recevoir les droits de chevalier.
Mais, dans l'usage, le cheval équestre était donné de préférence aux enfants des
vieilles familles... Le droit et le fait subsistent sans changement sous l'Empire».
2548 2 MoMMSEN Le dr. publ. rom., VI-2 « (p. 111) Uordo publicanoricm n'est
; :
jamais avec Vordo equester, et il ne peut pas l'être. Mais ils sortaient l'un
identifié
et l'autre de cette classe moyenne formée par l'exclusion des sénateurs des marchés
publies et par l'exclusion des centuries équestres du Sénat, et les chefs étaient, en
grande partie, les mêmes dans les deux. En ce sens, la direction politico-commer-
ciale des chevaliers appartenait aux publicains, et en outre leur unité les rendait
aptes par excellence à la formation de grandes compagnies de commerce». Voir la
suite I 2549'.
2548 3 La circulation commence par les esclaves elle continue par les affranchis,
;
par les peregrins, par les étrangers ; elle se poursuit par les chevaliers, par les
§ 2548 l'équilibre social dans l'histoire 1G95
conscripti, cum in spem libertatis, sexenio post simus ingressi, diutiusque servitu-
tem perpessi, quam captivi frugi et diligentes soient... Il ne faut pas prendre à la
lettre ce terme de six ans. Il était simplement commode pour Cicéron, dans son dis-
cours ; mais il ne l'aurait pas employé, si le terme au bout duquel l'esclave sobre
et laborieux obtenait la liberté avait été très long au lieu d'être court. Dans un
autre passage de Cicéron, il est fait allusion à la rapidité de la circulation en géné-
ral. Pro L. Cornelio Balbo, 7 «Avant de traiter du droit et de la cause de Cor-
:
nelius, il semble utile de rappeler brièvement notre condition commune à tous, afin
d'éloigner de la cause la malveillance. Si, juges, chacun de nous devait conserver,
de la naissance à la vieillesse, la condition dans laquelle il est né ou a été placé
par la fortune, et si tous ceux que la fortune éleva ou qui furent illustrés par leurs
labeurs et par leurs œuvres devaient être punis, cette loi ni ces conditions de vie
ne paraîtraient plus graves pour L. Cornelius que pour un grand nombre d'hommes
sages et énergiques. Si au contraire, par vertu, intelligence et connaissances, un
grand nombre se sont élevés du dernier degré des classes et de la fortune, et ont
conquis non seulement des amitiés et des richesses, mais de très grandes louanges,
des honneurs, de la gloire, de la dignité, je ne comprends pas pourquoi l'envie
pourrait offenser la vertu de Lucius Cornelius, plutôt que votre équité venir au
secours de sa modestie». —
Mommsen explique bien la nature de la noblesse. Ledr.
pub. rom., t. VI-2 «(p. 52) La nobilitas n'est pas sans doute un droit de gentilité
:
comme le patriciat mais elle est aussi héréditaire elle est acquise à la personne,
; :
cercle par droit de succession, Yhomo novus, n'est pas lui-même nobilis, et il ano-
blit ses (p. 53) descendants», «(p. 54) Depuis que les magistratures curules ordi-
naires de la cité... devinrent accessibles aux plébéiens,... le magistrat acquit avec la
magistrature pour lui et sa descendance agnatique les droits... que l'on réunit sous
le nom de nobilitas; ,, l'homme nouveau" créa dans sa postérité une nouvelle famille
de noblesse romaine». « (p. 56) L'avantage le plus important que procure la nobilitas
est aussi celui qui est le moins susceptible d'être déterminé juridiquement. Il con-
siste en ce que les descendants de 1',, homme nouveau" sont, comme apparte-
nant à la noblesse héréditaire, sur le pied d'égalité avec les nobles pour la brigue
des magistratures et des sacerdoces ».
2548* Le souvenir ne nous a été conservé que de quelques faits, mais il est pro-
1696 CHAPITRE XIII § 2548
de Sulpicius « (2). ..il vendait le droit de cité romain aux affranchis et aux étran-
:
gers, comptant publiquement le prix devant une table placée sur le forum ». — Marins
fit citoyen, en une seule fois, mille habitants de Gamerinum. Comme on le lui repro-
chait, il dit «que le bruit des armes l'avait empêché d'entendre la loi » (Plutarch.
:
;
Marins, 28, 3). — Sulla et Pompée firent citoyens ceux qui leur plaisaient. App. ;
De bell, civil. ,1,100 «[Sulla] ...fit entrer dans le peuple plus de dix mille esclaves
:
des proscrits, choisis parmi les plus jeunes et les plus vigoureux. En leur donnant
la liberté, il les fit citoyens romains. On les appela Corneliani, de son nom [qui
était celui de leur patron]». Une loi décréta «quo ceux que Pompée avait fait
citoyens en particulier, selon l'avis de son conseil, seraient citoyens romains»
<Crc. Pro L. C. Balbo, 8).
;
—
A ce propos, Cicéron insiste beaucoup sur l'utilité
pour le peuple romain d'accorder le droit de cité aux gens qui le méritaient. On
objectait à Gicéi'on que les alliés ne pouvaient être faits citoyens sans le consente-
ment de leur nation. Entre autres choses, il répond qu'il serait dur de ne pouvoir
récompenser ainsi les alliés, alors qu'on accordait le droit de cité à tant d'autres
gens. (9) Nam et stipendiarios ex Africa, Sicilia, Sardinia, ceteris provinciis, multos
civitate donatos videmus et qui hostes ad nostros imperatores perfugissent, et
:
magno usui reipublicae nostrae fuissent, scimus civitate esse donatos servos deni- :
que, quorum ius et fortunae conditio infima est, bene de republicameritos, persaepe
libertate, id est, civitate, publiée donari videmus. Cicéron cite de nombreux cas où
le droit de cité romain fut accordé. Il lui arrive même de dire incidemment (23) :
Itaque, credo, si civis romanus Archias legibus non esset, ut ab aliquo imperatore
civitate donaretur, perficere non potuit? Sulla, cum Hispanos et Gallos donaret,
credo, hune petentem repudiasset?... 10, 26 Quid? a Q. Metello Pio, familiarissimo
:
suo, qui civitate multos donavit, neque per se, neque per Lucullos impetravisset?
App. ; De bell, civil., I, 53, dit qu'à la fin de la guerre sociale, tous les alliés obtin-
rent le droit de cité, excepté les Lucaniens et les Samnites, qui le reçurent plus tard.
Plus loin (55), il remarque que les nouveaux citoyens étaient plus nombreux que les
anciens. —
Flor. III, 19, remarque avec justesse que les alliés et les Romains ne
;
formaient qu'un seul peuple quippe cura populus romanus Etruscos, Latinos,
:
vons surtout parmi les chevaliers, mais il y en a aussi dans les autres
classes. Enfin, il est une catégorie de gens timorés, souvent honnêtes,
qui croient en l'efficacité des lois contre les armes, qui perdent
toujours plus leur énergie " et creusent leur propre fosse. Dans
ce qui faisait partie de son plan de rendre à Rome ses mœurs antiques (Dio Gass. :
ne pas trop accorder la liberté aux esclaves, et de ne pas trop donner le droit de cité
romain (Dio. Gass.: LVI, 33, p. 832). Mais ces recommandations n'empêchèrent
guère que le mouvement ne continuât sous ses successeurs.
25485 Dion. Halic. Rom. ont., IV, 24
; «Ils obtenaient [anciennement] la
:
De oratore, III, 1 Ut enim [L. Grassus] Romam rediit extremo scenicorum ludo-
:
rum die, vehementer commotus ea oratione, quae ferebatur habita esse in concione
.a Philippo quem dixisse constabat, videndum sibi aliud esse consilium, illo senatu
;
SOCIOLOGIE 107
1698 CHAPITRE XIII §2548
se rempublicam gerere non posse... Les «spéculateurs» et les gens vils, contents de
leur état, s'accordent en cela qu'ils évitent l'emploi de la force.
2548 ' Vers la fin de la République, la classe des chevaliers était en très grande
partie composée de «spéculateurs». Sa puissance et ses déprédations dans les pro-
vinces sont bien connues. — Flor. III, 18 Equités Romani tanta potestate subnixi,
; :
huic homini nulla salutis esset, si publicani, hoc est, si équités romani iudicarent.
41, 94 :« Précédemment, quand l'ordre équestre jugeait, même les magistrats
parentes, aut parvi liberi militum, ut quisque potentiori confmis erat, sedibus pel-
lebantur. Ita cum potentia avaritia [dérivation éthique habituelle. Mais d'où venait
cette puissance? Elle était achetée dans les comices] sine modo modestiaque inva-
dere, polluere et vastare omnia, nihil pensi neque sancti habei-e [déclamations éthi-
ques habituellesj.'quoad semet ipsa praecipitavit [voilà finalement un fait]. — Diod. ;
XXXVI, 3. Ayant fait demander à Nicomède, roi de Bithynie, des auxiliaires pour
l'expédition contre les Gimbres, Marins reçut pour réponse que la plupart des sujets
de Nicomède avaient été réduits en servitude par les publicains. Gic. Pro lege ;
Manilia, 22, 65 Difficile est dictu, Quirites, quanto in odio simus apud exteras
:
nationes, propter eorum, quos ad eas per hos annos cum imperio misimus, iniurias
ac libidines. Quod enim fanum putatis in illis terris nostris magistratibus religio-
sum, quam civitatem sanctam, quam domum satis clausara ac munitam fuisse?
Urbes iam locupletes ac copiosae requiruntur, quibus causa belli propter diripiendi
cupiditatem inferatur. Dans ce discours, Gicéron se montre favorable à Pompée.
Dans un autre, le De provinciis consiilaribus, il veut se concilier les bonnes
grâces de César et défend les publicains opprimés — dit-il — par Gabinius mais ;
ainsi il confirme indirectement le pouvoir de ces « spéculateurs » (5, 10) Iam vero :
quo in oppido ipse esset, aut quo veuiret, ibi publicanum, aut publicani servum esse
vetuit... Gicéron conclut que le Sénat doit secourir ces bons publicains, malgré la
pauvreté du fisc —
in his angustiis aerarii. Pourtant Gicéron connaissait bien la men-
talité de ses bons amis les publicains. Dans l'une de ses lettres à Quintus, il voudrait
que, sans les heurter trop, on empêchât leur avidité de s'étendre démesurément. On
croirait entendre quelque brave homme de notre époque écrivant à l'un de ses amis
magistrats, et lui conseillant de ménager la chèvre et le chou. — Ad Quint, I, 1, 2 :
Quod ego, dum saluti sociorum consulo, dum impudentiae nonnullorum negotiato-
rum resisto... «(I, 1, 11, 25) Ta volonté et ta sollicitude rencontrent chez les publi-
cains une grande difficulté. Si nous nous tournons contre eux, nous repoussons loin
de nous et de la République un ordre qui a bien mérité de nous, et qui par nous
est attaché à la République. D'autre part, si nous sommes complaisants envers eux
en toutes choses, nous supportons qu'on ruine entièrement les gens que nous devons
sauver et proléger». {% 2300, 2268, 1713^, 2178). Illa causa publicanorum quantam
acerbitatem afferat sociis, intelleximus ex civibus... Liv. —
XLV, 18. L'auteur ;
parle des difficultés de percevoir les impôts en Macédoine, et dit de l'impôt des
mines nam neque sine publicano exerceri posse et, ut publicanus esset, ibi aut
: ;
ius publicum vanum, aut libertatem sociis nuUam esse. Il fallait de l'argent pour
1700 CHAPITRE XIII §2548
acheter les votes aux comices, et il fallait trouver une manière de s'en procurer.
On avait des dons volontaires des provinciaux, le produit des rapines par la ruse,
par les armes, par l'usure, etc. Quand on n'achetait pas les votes à Rome, c'était
une exception extraordinaire. Cicéron approuve certaines libéralités et s'il en con- ;
damne d'autres, paraît être poussé par le désir de faire voir qu'il y a des gens qui
il
s'en abstiennent, ce qui, entre autres, est son propre cas. Gic. —De officiis, II, 17,
;
58. Il commence par dire qu'il faut éviter le soupçon d'avarice. Vitanda tamen est
suspicio avaritia. En
effet, l'idéal est le spéculateur qui, gagnant beaucoup, dépense
beaucoup : aussi notre ploutocrate. Il cite Mamerciis, qui fut blackboulé aux
tel est
élections consulaires, parce qu'il n'avait pas demandé premièrement l'édilité, fonc-
tion dans laquelle les dépenses étaient plus grandes. Il dit ensuite qu'on peut aussi
faire des dépenses qui ne sont pas approuvées par les gens sages Quare et, si pos-:
économique. Plutarch. Marins, 34. Près de Misène, Marins possédait une belle
;
maison, qui avait été achetée par Gornélie pour 75000 drachmes, et revendue peu
après à Lucius LucuUus pour 2 .500 000 drachmes. Ovtuç raxéuç àvèôçauev i]
•KokvTEkEia Kaî ToaavTTjv kniôoai.v Ta KQo.yiiara tt^joç tçv^^v èÀa/3ev « Ainsi s'accrurent
:
c'est là la durée générale du service obligatoire dans la cavalerie et que les personnes
dont il s'agit servaient sans exception dans la cavalerie, peut encore s'exprimer en
disant que la carrière politique ne (p. 157) pouvait commencer qu'après qu'il avait
été satisfait au service militaire». Les dix années pouvaient n'être pas effectives.
Suivant Mommsen, « (p. 159) l'âge de quarante-six ans accomplis marquant en prin-
cipe le terme de l'obligation du service militaire, la (p. 160) preuve du temps de ser-
vice requis ne doit plus désormais être demandée, et par suite celui qui n'a pas
1702 CHAPITRE XIII § 2549
servi pendant les dix années ou qui même n'a pas servi du tout est, à partir de ce
moment, eligible». Cette condition du service militaire cesse d'être légalement obli-
gatoire vers la fin de la République, mais « (p. 162) il était encore d'usage à la fin
de la République, chez ceux qui aspiraient à la carrière politique, de ne pas se
soustraire complètement au service militaire». Voir au | 2463* la comparaison entre
cet état de choses et celui qui régna sous l'Empire.
254813 Le mouvement commence avec Marins, qui composa les légions en grande
partie de prolétaires. Sall. ; Ipse interea milites scribere, non more maio-
lug., 86 :
rum, neque ex classibus, sed uti cuiusque lubido erat, capite censos plerosque. Id
factum alii inopia bonorum, alii per ambitionem consulis memorabant quod ab ;
quisque opportunissumus; cui neque sua curae, quippe quae nulla sunt, et omnia
cum pretio bonesta videntur. « ...Certains disaient qu'il avait fait cela parce que les
gens aisés manquaient; d'autres à cause de l'ambition du consul [Marins], car il
avait été illustré et élevé aux honneurs par ces hommes. A qui recherche le pouvoir,
l'homme le plus nécessiteux convient parfaitement, parce que, ne possédant rien,
il ne se soucie pas de ses biens, et tout ce dont on lui donne un prix lui semble
honnête». Cette semence germa et produisit l'Empire. Si l'on s'arrête à ce fait que
Marins, chef des prolétaires, ouvrit les milices aux prolétaires et"fut le précurseur de
César, on a volontiers l'opinion, qui autrefois avait cours, que l'Empire a été le
triomphe du peuple luttant contre l'aristocratie. De même, si l'on s'arrête au fait
qu'Auguste enleva tout pouvoir aux comices, et qu'il voulait restaurer les coutumes
antiques, on estime que l'Empire a été une réaction contre les libertés populaires.
Mais si l'on ne s'arrête pas à la surface des choses, et si l'on pénètre un peu plus ces
phénomènes si compliqués (|2542), on voit aussitôt que les récompenses distribuées
aux prolétaires étaient des moyens, et non un but des chefs militaires qu'un ;
Marius démocrate en usa aussi bien qu'un SuUa aristocrate, qu'un César et un
Octave qui n'appartenaient ni à l'un ni à l'autre de ces partis. Les chefs militaires
se servirent à leurs fins des mercenaires, du peuple, du Sénat, des chevaliers, de
tous ceux qui pouvaient leur être utiles et qui consentaient à se mettre à leur service.
Si, au milieu d'une si grande variété de faits, nous voulons arriver à quelque chose
d'un peu constant, nous le trouverons dans la lutte entre les «spéculateurs» et
ceux qui détiennent la force, qui savent, qui veulent en faire usage. Ce sont les
« spéculateurs » qui triomphent, au temps où Cicéron réprime la révolte de Catilina.
Ce sont ceux qui font usage de la force qui triomphent, d'abord avec César, puis
avec Auguste.
1
2549 MoiiMSEN ; Le dr. publ. rom., VI-2 : « (p. 48) L'ancien système, selon lequel
toutes les fonctions publiques étaient ouvertes à tous les citoyens, fut renversé :
les magistratures et les sacerdoces furent complètement fermés à ceux qui n'appar-
tenaient pas à une des deux noblesses [la nobilitas. héréditaire, et l'ordre équestre,
personnelle: ou bien Ordo senatorius, Ordo equester. constituant Vutei^que ordo],
:
et,parmi les deux noblesses, il n'y eut qu'une moitié des magistratures et des sacer-
doces d'accessibles à chacune», «(p..36) La nobilitas devint [sous Auguste]... un
ordre sénatorial légalement fermé, une pairie héréditaire», «(p..58) L'ancienne noèi-
lifns de la république se maintient en fait à côté de l'ordre sénatorial sous la
dynastie Julio-Glaudienne. ^Nlais les vieilles familles s'éteignirent rapidement ou
furent détruites... à partir des Flaviens, la nobilitas républicaine a, dans l'Etat
romain, une place encore plus restreinte que celle occupée par le patriciat à l'époque
moderne de la République», «(p. 82 >) Les ex-tribuns militaires jouent un rôle sail-
lant dans la chevalerie des derniers temps de la République avant la réforme d'Au-
guste». —
Waltzing Etude historique sur les corporations professionnelles chez
;
gens^ Ils absorbent même une partie des énergies qu'on dépensait
précédemment dans les brigues des comices. De même, aujour-
d'hui, les occupations économiques absorbent, en Allemagne, au
moins une petite partie des énergies qui, dans d'autres pays, sont
dépensées en brigues politiques. La circulation effective de l'élite
est toujours considérable ^
(B-1). L'invasion d'éléments étrangers, déjà commencée à la fin
de la République, croît en intensité, non seulement parmi les
longtemps [du I^r au II« à fonder les collèges, même ceux dont les
siècle] seule
membres étaient au service public l'Etat intervint peu à peu, d'abord pour encou-
:
rager, ensuite pour établir lui-même les corporations [on observe des faits analo-
gues dans nos sociétés civilisées, au XIX« siècle et au commencement du XX^]... Il
faut distinguer deux périodes l'une de liberté, qui dura à peu près deux siècles.
:
entière...». « (p. 258) En résumé, ce qui distingue cette période, c'est un service libre-
ment accepté et l'absence de toute contrainte ».
25494 Marouardt ; La vie priv. des rom., t. I : «(p. 193) Dans l'ancien droit le
commerce aux sénateurs, le (p. 194) prêt à intérêt était mal famé mais
était interdit ;
Gaton l'Ancien déjà faisait le commerce maritime, et qui avait de l'argent le prêtait
à intérêt. Les gains, même les plus sordides, n'entraînèrent plus la perte de la con-
sidération on les faisait toutefois réaliser par des fermiers, des affranchis ou des
:
esclaves, et les capitaux des gens riches trouvaient, grâce à ces intermédiaires, des
débouchés jusqu'alors inconnus. Cette raison, entre tant d'autres,... peut servir à
expliquer comment sous l'Empire l'activité industrielle et commerciale se trouva
presque tout entière concentrée aux mains des esclaves et des affranchis ». En note :
« Les Grecs et les Orientaux avaient une aptitude toute particulière pour les opéra-
« (p. 636) ...des inscriptions, des enseignes de magasin, des débris parfois informes...
attestent cette transformation la société agricole de Gaton l'Ancien devenant la
:
triomphe du christianisme.
(/i-2). La manière dont les esclaves obtiennent la liberté ne
25496 Friedl^knder ; Mœurs rom., t.I : « (p. 60) Jusqu'à Vitellius, les affranchis
eurent, en quelque sorte, le monopole des offices de cour, qui avait fait passer dans
leurs mains presque tout pouvoir, depuis Caligula. Vitellius fut le premier qui
le
conféra quelques-unes de ces charges à des chevaliers ». « (p. 63) C'est dans les con-
trées de l'Orient... la Grèce, l'Asie Mineure, la Syrie et l'Egypte, que se recrutait
presque exclusivement, à cette époque, la domesticité du palais impérial, ainsi que
celle des autres grandes maisons de Rome. Tandis que le Nord et l'Occident four-
nissaient surtout les gardes du corps, auxquels les empereurs confiaient la défense
de leur personne, ce furent des Grecs et des Orientaux qu'ils choisissaient de préférence
pour leur service particulier et la gestion de leurs affaires. On vit ainsi continuelle-
ment (p. 64) reparaître au faîte du pouvoir des hommes sortis du sein des nations que
l'orgueil romain méprisait le plus profondément, entre toutes. C'est que les Orien-
taux, comme un des leurs, Hérodien (III, 8, 11), s'est complu à le faire sonner,
avaient le plus de sagacité...», «(p. 80) Les richesses qui affluaient dans leurs mains
[des affranchis], par suite de leur position privilégiée, étaient une des principales
sources de leur pouvoir. Il est certain qu'à cette époque, où l'opulence des affran-
chis était devenue proverbiale, (p. 81) très-peu de particuliers pouvaient rivaliser,
à cet égard, avec cette classe de serviteurs de la maison impériale... Indépendam-
ment de ce que leur rapportaient des postes lucratifs, les affranchis avaient dans
les provinces comme à Rome, dans les administrations fiscales comme au service
particulier de l'empereur, mille occasions d'accroître leur fortune, en profitant habi-
lement des circonstances, même sans précisément commettre des rapines et des exac-
tions... (p. 8o) Possesseurs de si énormes richesses, les afî'ranchis de la maison im-
périale éclipsaient tous les grands de Rome par leur luxe et leur magnificence».
7 MoMMSEN
2549 Le dr. publ. rom., t. VI-2 « (p. 103) Pour participer, sous l'Em-
; :
«(p. 111) Sous le Principal, la condition (p. 112) juridique des publicani est, dans
l'eusemble, restée la même ; mais leur condition pratique se transforma complète-
ment. La réorganisation monarchique de l'Etat fit de la chevalerie par ses chefs un
ordre de fonctionnaires sa réorganisation financière permit on principe à l'Etat de
;
se passer des intermédiaires pour la perception des recettes comme pour les
dépenses, et elle enleva par conséquent le terrain à la grande spéculation pratiquée
par les chevaliers sous la République ».
2549^ MoMMSEN ; Le dr. pubi. rom., t. VI-2 : « (p. 162) L'exclusion jalouse de
l'ordre sénatorial des fonctions militaires, qui caractérise le "Principal depuis les
Sévères, est étrangère au système d'Auguste».
2549'*' MoMMSEN ; Le t. VI-2 «(p. 148) Auguste a sans doute
dr. publ. rom., :
retiré aux contubernales, que rencontre encore dans les derniers temps de la
l'on
République, ce qu'il leur restait du caractère militaire». En note «Nous avons :
que le service d'un cavalier qui n'était plus dans les rangs n'était pas sérieux, mais
parce qu'il y avait, dans la cohors amicorum, de plus en plus des gens qui ne
servaient même pas nominalement...». « (p. 170) L'accomplissement du service d'of-
ficier a pendant longtemps été, sous le Principal, la seule voie donnant accès aux
fonctions équestres... (p. 171) Avec le temps, il s'ouvrit, pour entrer dans cette car-
rière, à côté de la voie militaire, une voie civile. L'existence ne peut en être établie
au premier siècle mais depuis Hadrien, le service administratif, commencé par le
;
bas de l'échelle, peut conduire, sans service d'officier, aux postes supérieurs...
(p. 172) Les objections qui étaient encore opposées du temps d'Antonin le Pieux aux
nominations de scribes et d'avocats, s'eiracent peu à peu le temps où une période ;
portance militaii'e sous l'Empire, et... s'il n'est pas une fonction nominale, il y est
cependant plutôt une fonction administrative qu'un véritable commandement». En
note « La rédaction de la loi Julia Municipalis et les dispositions rapportées
:
[divers exemples cités par l'auteur] montrent que le séjour en province près du gou-
verneur était tenu pour un service». L'auteur continue « Le lien rigoureux établi :
sous l'Empire entre le service d'officier et la carrière politique est plus apparent que
réel; quant au fond, le service et le commandement militaire ont été un élément
beaucoup plus essentiel de cette carrière sous la République, même à sa lin, que
sous l'Empire». Marquardt L'organ. tnilit. Sous l'Empire, «(p. 64) le tribunal
;
militaire était donc une sorte de fonction honorifique donnant rang de chevalier ;
on comprend que les empereurs aient conféré cette dignité à des personnes qui
n'avaient pas l'intention de se vouer à la carrière militaire elles se contentaient de ;
§ 2550 l'équilibre social dans l'histoire 1707
servir pendant un semestre [ti-ibunatus semestris), (p. 65) puis elles rentraient
dans la vie privée, en possession du titre qu'elles avaient ainsi obtenu».
25501 C'est surtout la sortie de certaines de ces castes qui est interdite; ainsi
celle des décurions et des corporations, parce qu'elles impliquent, dans l'Etat, des
charges très lourdes. Les décurions jouissent de privilèges judiciaires et d'hon-
neurs cependant, vers la fin de l'Empire, ils fuient la curie autant qu'ils peuvent.
:
decurio, duumviratu vel aliis honoribus fungi non potest, quia decurionum honori-
bus plebeii fungi prohibentur. —
Waltzing; loc. cit. | 25''j9 ' « (p. 7) Si les empe-
:
reurs rompirent avec les traditions de la république, c'est qu'ils y furent forcés.
L'administration dépend de la constitution politique [rapports de cause à effet subs-
titués à ceux de mutuelle dépendance]. Or, la révolution qui était en germe dans les
réformes d'Auguste, quoiqu'elle ait mis trois siècles pour arriver à son complet
développement, ou mieux, pour se débarrasser de ses apparences demi-républi-
caines, peut se résumer ainsi tous les pouvoirs sont concentrés dans les mains de
;
l'Empereur», «(p. 260) A Rome, l'absence de liberté économique fut une consé-
quence du manque de liberté politique. Ce fut le despotisme et la centralisation
excessive qui tuèrent la liberté du travail ». Il nestpas du tout certain que l'absence
de liberté économique soit une conséquence de ra])sence de liberté politique souvent, ;
les monopoles d'Etat qu'on institue en nombre toujours croissant sont un bien. La
cause de la différence, c'est le « despotisme » impérial. On a trouvé le bouc émis-
saire. L'auteur réfute lui-même sa thèse d'une organisation imposée par le despo-
tisme impérial, «(p. 17) Est-ce à dire que le service de ces collèges fut dès le début
1708 CHAPITRE XIII § 2550
une véritable corvée imposée et exigée comme l'impôt? Non, ce système se déve-
loppa lentement [on parcourt la courbe descendante d'une des oscillations mention-
nées au I 2553]. Dans les premiers siècles, les dignités municipales n'étaient pas
imposées non plus elles étaient recherchées, au contraire, parce que l'honneur
:
compensait la peine et la dépense [| 2607 3]. Pour les corporations aussi, les avan-
tages l'emportèrent au commencement sur les charges, et c'est sans répugnance que
leurs membres acceptèrent, soit collectivement, soit individuellement, de servir
l'Etat ou les villes, et consentirent à remplir une fonction spéciale que l'Etat aurait
pu imposer à tous les contribuables». Donc, s'ils ont «accepté» cette organisation
et s'ils ont donné leur «consentement», on ne peut pas dire que cela leur a été
imposé par le despotisme impérial. Aujourd'hui aussi, les citoyens « acceptent » ;
ils veulent même les chaînes dont la ploutocratie démagogique profite. Ce que dit
AValtzing dans le passage suivant, de l'Empire en décadence, on peut le répéter
mot pour mot de l'état de choses vers lequel s'acheminent les peuples civilisés :
« (p. 2G1) Peu à peu, cette administration si fortement organisée, qui avait ses
tout entier. La population tout entière fut soumise à des fonctionnaires sans res-
ponsabilité sérieuse. S'occupant elle-même de tout, l'administration impériale com-
mença par tuer le peu d'initiative privée que l'état social des Romains rendait pos-
sible, parce que là où le pouvoir fait tout, le citoyen ne fait plus rien et se désinté-
resse». Il continue en disant «Puis elle anéantit toute liberté, parce que personnes
:
et biens étaient à sa merci [comme ils sont à la merci des majorités parlementaires
manipulées par nos ploutocrates démagogues], et elle facilite cette épouvantable
oppression financière qui est restée célèbre [et qui peut-être sera dépassée par celle
à laquelle s'acheminent nos sociétés]». Ici, il y a une erreur. Ce n'est pas l'adminis-
tration impériale qui anéantit la liberté des citoyens. C'est plutôt parce que celle-ci
avait disparu que celle-là put exister. Tibère entrevoyait le fait quand il disait des
sénateurs : « Oh hommes disposés à la servitude »
! ! —
Memoriae proditur Tibe-
rium, quoties curia egreditur, graecis verbis in hune modum eloqui solitum « O:
compte que ceux qui sont aujourd'hui les oppresseurs demain seront les opprimés.
§ 2550 l'équilibre social dans l'histoire 1709
comme il vouloit éviter d'en venir aux mains, pour épargner le sang, il se contenta
de le tenir assiégé dans son gouvernement il se passa plus d'un mois sans qu'il
;
l'ofusé les livres d'histoire qu'ildemandoit qu'à plus forte raison on ne devoit pas
;
en accorder au prince de Tou-san, ennemi de la Chine, parce que ce seroit lui pro-
curer les moyens d'apprendre la manière de bien gouverner, et lui fournir des armes
contre l'empire. Hiuen-Tsong, arrêté par cette objection, proposa l'affaire à son con-
seil, qui fut d'avis de donner ces livres au roi Tsau-pou, afin qu'il put s'instruire
des sages maximes qu'ils l'enferment, et il décida que non-seulement il n'y avoit
point d'inconvénient, mais qu'il étoit même nécessaire de les accorder, afin que ce
prince y puisât les grands principes de droiture, de bonne foi et de vertu qu'on doit
chercher à faire connoître à tout le monde. L'empereur suivit la décision de son
conseil». Cette controverse sur la vertu des livres de morale, qu'on estime capables
de donner force et pouvoir à une nation, est digne de nos «intellectuels», qui subs-
tituent simplement les maximes de leur «droit international», ou d'autres sem-
blables, à celles des livres chinois.
25511 Waltzing; loc. cit. % 2549 ', t. II «(p. 263) Le mouvement ascensionnel,
:
tion avec leurs biens et leur famille. Ce furent probablement les curiales qui se
virent d'abord soumis à cette loi peu à peu, elle fut appliquée à toutes les condi-
;
tions [de même aujourd'hui on a commencé à exploiter les gens aisés ou riches -^
plus tard on exploitera les autres]. On naissait curiale, membre d'une corporation,,
employé d'un bureau, soldat d'une cohorte, colon d'un champ. On était forcé de
succéder aux charges de ses pères. Presque tous les haljitants de l'Empire sont
assujettis de par leur naissance à une condition déterminée obnoxii condicioni^ :
devaient pas être rares ce qui le prouve, c'est le grand nombre de lois où les princes
;
défendent de leur adresser des suppliques pour obtenir un pareil rescrit [qui dispen-
sait de la condition imposée par la loi]. C'est surtout par la protection des grands
[aujourd'hui : la protection des politiciens] que l'on parvenait à les arracher au
prince, soit que l'empereur cédât à leurs sollicitations, soit qu'il se laissât tromper
parles ruses des corporaii et de leurs protecteurs ».
§2552 l'équilibre social dans l'histoire 1711
temps assez longs. Avec cette restriction, nous pouvons dire que
nous considérons les oscillations de l'ensemble (s). Les conceptions
des états de (s) et des théories (c) qui y correspondent apparaissent
plus ou moins indistinctement sous les termes de «libre échange» ou
de ^(protectionnisme)), d' « individualisme » ou d'<( étatisme )), em-
ployés dans le langage vulgaire. Les deux premiers termes ont un sens
quelque peu précis ; à la rigueur, on peut les employer dans un rai-
2ô52 1 Après avoir tenté d'expliquer par des considérations sur les mœurs les
changements du luxe à Rome (| 2585 s), Tacite émet un doute qui le rapproche beau-
coup de la réalité. A>in., III, 55 Nisi forte rebus cunctis inest quidam velut orbis,
:
ut, quemadmodum temporum vices, ita morum vertantur nec omnia apud priores
:
meliora... «à moins que ce ne soit peut-être le propre de toutes les choses de par-
courir un cycle, de telle sorte que les mœurs changent comme les vicissitudes des-
temps; tout n'était pas meilleur chez les anciens... ».
1712 CHAPITRE XIII §2552
lui est pas permis, s'il veut raisonner avec tant soit peu de rigueur
expérimentale, de confondre (c) avec l'ensemble (a), (b), (d), que
nous désignons par (s). Nous avons séparé (c) de (s); mais cela ne
suffit pas. A la rigueur, nous pouvons savoir si une théorie (c) est
<( « étatiste », de même que nous pouvons savoir
individualiste » ou
si une autre théorie se rapproche plus du nominalisme que du
réalisme mais il est beaucoup plus difficile de savoir à quels faits
;
ou avec les intérêts, plutôt que d'après leur accord avec la réalité
expérimentale. Nous pouvons donc conclure que, dans le présent
cas, l'aspect intrinsèque de (c) est peu important.
(I-/3) Aspect intrinsèque de l'ensemble des faits sociaux. Contrai-
rement au précédent, cet aspect est très important. Une période
d'(( individualisme» (dans laquelle les liaisons sont faibles) pré-
pare une période d"(( étatisme » (dans laquelle les liaisons sont
fortes ») et vice-versa. Dans la première période, l'initiative privée
prépare les matériaux dont les institutions rigides de l'Etat se ser-
viront durant la seconde et pendant celle-ci, les inconvénients
;
Sans doute nous sommes loin encore d'un état où l'ouvrier est
définitivement attaché à son métier mais les syndicats ouvriers,
;
2553 1 Ainsi que nous l'avons dit si souvent, les faits du présent servent à com-
prendre ceux du passé, et vice- versa. C'est pourquoi il est bon de prêter attention à
l'exemple contemporain de la Suisse. Cet Etat fédéral est admirable en ce qu'il a fait
vivre en parfaite harmonie et en parfait accord trois races ailleurs hostiles :l'alle-
mande, la française, l'italienne. On le doit non seulement aux mœurs du peuple, qui
son ties meilleures d'Europe, mais surtout à l'indépendance des Gantons. Elle a sup-
primé les contrastes qui, en d'autres Etats, apparaissent entre différentes nationa-
lités ; elle a permis à chacune de vivre selon ses goûts, sans être gênée par ceux des
autres. Mais, depuis quelques années, il se dessine un mouvement qui s'accélère
toujours plus, de centralisation politique et administrative, d'affaiblissement de la
liberté des Cantons et des individus, d'entreprises et de monopoles fédéraux, de cris-
tallisation des institutions judiciaires, économiques, sociales. Ce mouvement est en
partie semblable à celui qui s'accomplit en France, en Angleterre, en Italie, sous les
auspices et en faveur de la ploutocratie démagogique. Pour le moment, on ne per-
i:oit que son premier efifet: celui d'accroître la prospérité des pays où il se produit,
en absorbant la somme d'énergies sociales et économiques accumulées par les efforts
des particuliers, dans la période de liberté. Précisément à cause de cet effet, le mou-
vement est bien accueilli, favorisé par la majorité des personnes auxquelles on impose
de nouveaux liens. Pour l'Empire romain de la décadence, on peut se demander s'il
en a vraiment été de même, et si les liens n'ont pas été imposés par les empereurs
qui gouvernaient avec la force des légions. Pour la France, l'Angleterre, l'Italie, ce
doute disparaît en partie; mais il n'est pas entièrement dissipé, car on peut objec-
ter que les parlements ne représentent pas précisément les tendances des citoyens.
Pour la Suisse, aucun doute n'est possible. On remarquera, en effet, que dans ce
pays aucun changement ne peut être apporté à la Constitution fédéi'ale, s'il n'est
approuvé par la majorité des citoyens électeurs et des Cantons. C'est donc avec le
plein consentement des uns et des autres que se désagrège l'ancienne organisation,
qui apporta tant de prospérité, tant de paix, tant d'harmonie au pays, et c'est avec
ce consentement qu'on en institue une nouvelle. Si le sens du mouvement demeu-
rait toujours le même, ce qui peut encore ne pas arriver, cette organisation nou-
velle aboutirait à un Etat centralisé, gouverné par la partie la plus nombreuse,
la partie allemande, avec des procédés de gouvernement analogues à ceux de l'Em-
pire allemand. Peut-être aussi ferait-elle surgir V irrédentisme, qui, jusqu'ici, est
parfaitement inconnu dans le pays. Ces faits, qui se passent sous nos yeux, con-
lirment la conclusion à laquelle nous a conduit l'examen direct de l'histoire de la
décadence de l'Empire romain que la cristallisation des institutions fut voulue, ou
:
sont pas syndiqués. D'autre part, ils sont bien loin de consentir à
accepter tout le monde. Les gouvernements et les communes
interviennent chaque jour davantage dans les affaires économi-
ques. Ils y sont poussés par la volonté des populations, et souvent
avec un avantage apparent pour celles-ci. En Italie, la loi sur la
« municipalisation » des services publics était voulue par la popu-
25532 L'analogie est peu frappante, mais pourtant notable, entre la façon dont
certains empereurs romains achetèrent le pouvoir des prétoriens ou des légions, et
la façon dont les politiciens acliètent le pouvoir des électeurs, dans la ploutocratrie
démagogique contemporaine. Pourtant, aujourd'hui, ces opérations se recouvrent
du moins de certains voiles à Rome, ils furent au contraire brutalement déchirés,
;
Lloyd .George ne faisait pas d'économies. Il taxait avec facilité, mais augmentait
trop l'administration et ses organismes. Ce fut lui qui permit que, des /jOO livres
sterling d'indemnité accordée à chaque membre de la Chambre des Communes,
100 livres fussent défalquées pour l'impôt sur le revenu, ce qu'on ne voulut pas
faire en Italie. Ensuite, les dépenses pour les ministres s'accrurent notablement
aussi. Au lieu d'un seul, on ajouta un second fauteuil ministériel, avec 5000 livres
sterling de traitement, etc., etc. On rapporte des cas singuliers, ressemblant un peu
aux dépenses pour la péréquation des impôts fonciers en Italie. La commission qui
évalue les revenus fonciers, dans le but de taxer ce qui n'est pas le produit du tra-
vail ou du capital, mais des circonstances favorables, coûte déjà 676 mille livres
sterling, et a recueilli jusqu'à présent un produit de 50 mille livres [On institue!
de semblables commissions pour faire gagner ses amis et pour donner une satis-
faction aux instincts démagogiques. En cela, la commission mentionnée a atteint
son but]. Le 29 juin, cette énormité fut mise en lumière à la Chambre des Com-
munes, et discutée sans aucune conclusion [parce que les loups ne se mangent pas
entre eux]. Les administrations locales imitent le gouvernement. Par exemple, —
chose excellenle, mais en des temps de paix profonde —
on crée des réseaux
complets de routes indépendantes pour les automobiles et le subside de l'Etat au
:
budget atteint presque un million et demi de livres sterling par année... >-.
1718 CHAPITRE XIII § 2553
fait le désir et apaise l'envie des gens qui cherchent à oublier, dans
les régions de l'idéal et de la fantaisie, les misères et les laideurs
de la réalité, et enlève aux organisations existantes des adversaires
militants, contribuant ainsi à maintenir (s) sans trop de change-
ments *.
(II-jS) Aspect extrinsèque. Action de (s) sur (c). On peut voir faci-
lement que les oscillations des dérivations (c) qui constituent les
théories du «libre échange» ou du «protectionnisme», et celles
des dérivations qui constituent les théories de Va individualisme »
ou de r«étatisme» suivent de près les oscillations de l'ensemble
(s). Cela conduit à dire que les oscillations de (c) correspondent à
2553* C'est à peu près ce que semble avoir compris Foscolo, lorsque, dans
/ sepolcri, il écrit que Machiavel «fait connaître aux gens les larmes et le sang dont
dégoûte le sceptre des souverains».
2553 6 [Note du traducteur] G. Le Bon; Les Opinions et les Croyances:
« (p. 136) En économie politique, par exemple, les convictions sont tellement inspi-
rées par l'intérêt personnel qu'on peut généralement savoir d'avance, suivant la
profession d'un individu, s'il est partisan ou non du libre-échange ».
D'une façon gi'-nérale, la lecture des ouvrages de G. Le Bon sur la psychologie
des collectivités sera des plus profitables, en particulier pour l'étude des résidus et
des dérivations. La méthode vraiment scientifique de cet auteur, son originalité, sa
pénétration, ainsi que la clarté et la concision de ses écrits, le placent tout à fait en
dehors de la foule des sociologues-métaphysiciens de nos temps.
^ 2554 l'équilibre social dans l'histoire 1719
même riche. Il devait donc s'y trouver une certaine proportion des
résidus de l'instinct des combinaisons et de la persistance des agré-
gats. Cette classe était en grande partie analogue à celle de l'Aréo-
page à Athènes, ou à celle de la Chambre des Lords, ou de la
Chambre des Communes en Angleterre, au temps des guerres
contre Napoléon P"". Si l'on prête attention au fait qu'au-dessous, il
y avait une classe gouvernée, chez laquelle les résidus de la persis-
tance des agrégats étaient puissants, tandis que ceux de l'instinct
des combinaisons se trouvaient en quantité suffisante pour suivre
les propositions de la classe gouvernante, on comprend facilement
que le maximum de prospérité fût atteint précisément dans la
période qui va de la seconde guerre punique à la conquête de la
Grèce et de l'Asie.
dats, « parce qu'ils voyaient que ceux qui avaient pris part à la
première guerre de Macédoine ou à celle contre Antiochus en Asie,
s'étaient enrichis ^))
2o57. Ainsi peu à peu la nature de la popula-
se transformait
tion romaine. Le nombre et la puissance de ceux auxquels les pil-
lages de la guerre et les spéculations procuraient un revenu varia-
ble croissaient d'une façon démesurée. La plèbe citadine leur
prêtait son appui, grâce à l'intérêt commun que ces deux classes
avaient à maintenir une telle organisation. En effet, la seconde
participaitaux entreprises de la première directement, ou en ven-
dant ses suffrages \ ou d'une autre façon. De même, une partie de
la plèbe campagnarde, abandonnant ses champs, trouvait dans les
armes un métier lucratif. D'autre part, la multitude croissante des
clients ne manquait pas non plus d'offrir son appui. Ensuite, il y
avait lutte entre ces différentes classes pour le partage du butin.
En attendant, cette partie de la plèbe campagnarde qui vivait du
travail de la terre, allait en diminuant. Ce ne sont pas les latifun-
dia qui perdirent l'Italie, mais bien cet ensemble de faits dont les
latifundia même provinrent en partie (§ 2355). Les guerres de la
videbant, qui priore macedonico bello, aut adversus Antiochum in Asia, stipendia
fecerant.
2557 Cioéron nous parle d'un cas dans lequel il y avait une telle concurrence
'
pour acheter les suffrages, que l'intérêt de l'argent monta du 4 au 8 "/o. Cic. Ad. — ;
Att. ; IV, 15 Sequere nunc me in campum. Ardet ambitus af/fj.a ôè toi ègéu
: tenus
; :
ex triente idibus Quinctilibus factum erat bessibus. Dices, istuc quidem non moleste
fero. virum o civem (| 2257 2, 2256 ^j.
! ! —
Plutarch.; Sulla, 5, 4: «Quand il
[Sulla] exerçait la préture, parlant avec indignation contre César, il dit qu'il userait
contre lui du pouvoir de sa fonction. César répondit en riant ,. Tu dis avec jus- :
tesse ta fonction, puisque tu l'as achetée"». — Marins fut aussi accusé d'avoir
acheté les suffrages pour obtenir la préture. Plutarch. Marins, 5, 2. App. De
: — ;
bell, civil.., II, 19 «...et le peuple lui-même était aux marchés comme une mar-
:
notaires, les ingénieurs, les médecins, etc., qui font payer grasse-
ment leur concours par les « spéculateurs», auxquels l'argent coûte
si peu ; ces spéculateurs font preuve de la munificence des anciens
patrons envers leurs clients. Ensuite, il y a quelquefois lutte par
les grèves ou autrement entre ces différentes classes, pour le par-
tagedu butin. En attendant, on se plaint toujours plus de l'aban-
don des campagnes, et l'on restreint la surface occupée par la
petite propriété. Si l'esclavage et le colonat existaient, les latifun-
dia augmenteraient. On
que bien loin de s'opposer à un
sait assez
tel mouvement, la et se montre hostile
plèbe socialiste l'invoque
de difïérentes manières à la petite propriété, et plus encore au
méta3'age. En Romagne, non seulement des grèves, mais aussi des
conflits armés se produisent pour changer l'organisation de la pro-
priété, et l'acheminer vers un état dans lequel il ne resterait que
des propriétaires et des mercenaires état analogue à celui des;
classe.
2539. D'autres auteurs accusèrent la concentration de la
première cause de la guerre fut que les Romains passèrent de la vie ordonnée, fru-
gale et continente, qui leur procura une si grande prospérité, au luxe funeste et à
l'insolence ». Gela se répète dans tous les temps où un peuple s'enrichit. C4fr. Dantk ;
Parad., XV, 97 et sv. Boccace, VI,- 10 ; « pource que les raffinements du luxe
:
d'Egypte n'étaient pas encore, sinon en petite partie, passés en Toscane, comme ils
y sont venus depuis en foule, au grand dommage de l'Italie » (Trad. F. Reynard).
25601 Duruy; Rom., t. II. Il continue «(p. 280) Voilà le grand fait de
Hist, des :
cette période cause de tous les bouleversements qui vont (p. 284) suivre [très
et la
bien, pourvu qu'on entende le changement de proportion des deux classes indi-
quées] car, avec cette classe, disparurent le patriotisme, la discipline et l'austérité
;
classe des personnes à revenu presque fixe, ils avaient passé dans
celle des «spéculateurs» ou des auxiliaires de ceux-ci] à qui Rome
avait dû sa force et sa liberté ». Il devait dire que cette prospérité
était due à une proportion favorable entre cette classe et l'autre,
où prédominaient les résidus de l'instinct des combinaisons, et
qu'elle avait disparu lorsque la proportion était devenue défavo-
rable. Il est remarquable que, sans trop de recherches, on puisse
déduire cela de ce qu'il dit lui-même un peu plus haut. «(p. 282)
Les prodiges étaient toujours aussi nombreux, aussi bizarres,
c'est-à-dire le peuple et les soldats aussi grossiers, aussi crédules
prédominance des résidus de la persistance des agrégats]. Les
généraux voulaient des temples, mais, comme Sempronius
Gracchus, pour y graver le récit de leurs exploits ou y peindre
leurs victoires. Ils immolaient avant l'action de nombreuses victi-
mes, mais pour contraindre, comme Paul Emile, l'impatience des
soldats et attendre le moment propice. Ils observaient gravement
le ciel avant et durant la tenue des comices, mais pour se réserver
qui avait les périls, mais non les profits durables de la conquête,
les moyens de les satisfaire diminuaient». De la sorte, ceux que
Duruy appelle les pauvres, et qui étaient en réalité des individus
de la classe à revenus presque fixes, étaient chassés par force
dans la classe des « spéculateurs» ou de leurs auxiliaires. On peut
constater le même phénomène à l'époque actuelle. Les parvenus et
les gains subits eurent à Rome des effets semblables à ceux qu'ils
ont eus chez tous les peuples et en tous les temps ^ Deloume se
2561 Map.quardt La vie privée des R., t. II (p. 15) Tandis que l'acquisitiûii
'
; :
des provinces causait en Italie cette crise agricole, elle imprimait en même temps
au commerce de l'argent et à la spéculation une extraordinaire impulsion. De tout
temps les Romains eurent du goût pour les profits de celle sorte ils avaient beau :
les juger indécents et odieux, ils ne pouvaient s'empêcher de les trouver abon-
dants à souhait... A plus forte raison le scrupule moral s'est-il apaisé quand les
provinces s'ouvrent à ce genre d'exploitation à peine une nouvelle province est-
:
l'ile conquise, qu'elle voit s'abattre une nuée de traitants romains... (p. 16) La
noblesse fait fortune en administrant les provinces les chevaliers, en prenant à
;
ferme les impôts et les faisant rentrer par d'atroces exactions grands et petits :
pressurent à l'envi les pays conquis. La spéculation est encore encouragée par les con-
cessions d'entreprises, ouvertes par les censeurs au nom de l'Etat, ou même par
les communes et les simples particuliers perception des impôts, construction de
:
temples, de routes et d'aqueducs, entretien des édifices publics, des ponts et des-
§2561 l'équilibre social dans l'histoire 1725
égouts, fournitures à l'usage du culte et des jeux publics, puis encore afïaires
privées de toute sorte, construction d'une maison, enlèvement d'une r('»colte, liqui-
dation d'une masse successorale ou d'une distribution entre créanciers, cérémonie
des obsèques; autant de travaux concédés à forfait et riches de profit pour le spé-
culateur qui les prend à entreprise». Ici Marquardt tombe dans l'erreur habi-
tuelle des éthiques qui s'imaginent que l'odieux spéculateur gagne toujours. Oui,
ces travaux procurent des gains et la prospérité au spéculateur expert, habile dans
les combinaisons ils provoquent des pertes et la ruine au spéculateur inexpéri-
;
menté, qui n'a pas d'aptitudes pour trouver et utiliser les combinaisons. De la
sorte, il se fait un choix. Les individus possédant des résidus de la I» classe et
une grande ingéniosité s'élèvent les autres sont éliminés.
;
2561 2 Deloume; Les manieurs d'argent à Rome : « (p. 45) ...Les chevaliers sur-
tout, qui avaient quelques avances et que les préjugés aristocratiques n'arrêtaient
pas, s'enrichissaient par les entreprises ou les fermages de l'Elat dont ils se ren-
daient adjudicataires. L'or des vaincus entrait sans mesure dans les coffres des
negotiatores et des publicains. Les patriciens de l'ace fidèles aux anciennes mœurs,
dont le nombre diminuait tous les jours, étaient réduits aux seuls bénéfices de
l'agriculture ils furent débordés de toutes parts. Ils abandonnaient, après des
;
perdaient leur valeur relative, et les droits enlevés à la naissance, la fortune les
conquérait par le fait des mœurs, autant que par celui des lois. Le siège de
l'autorité et de l'influence se déplaçait ainsi il passait...
; des patriciens aux
riches, aux homines novi. La morale de l'intérêt menaçait de n'être plus tempérée
par les traditions de famille et de race [la proportion des résidus do la I« et de
la 11° classe change]. Aussi, on a pu appliquer aux assemblées politiques de
Rome, ce que M. Guizot a écrit de celles de l'Angleterre ,,Dans un des premiers
:
patiar istos duos Nerones, ne hac quidem gloria famae frui docebimusque etiam
:
loc. cit. : Gato praetor, cum vellet de accusatoribus in consilium mittere, multique
e populo manus in accusatores intenderent, cessit imperitae multitudini, ac postero
die in consilium de calumnia accusatorum misit. De même aujourd'hui, les élec-
teurs se montrent reconnaissants envers nos pioutocrates pour les profits passés,
dans l'espérance de profits futurs (| 22G2).
§ 2564-2566 l'équilibre social dans l'histoire 1727
25661 Que l'on compare la révolte des Jacques, en 1358, et la révolution fran-
çaise de 1789. II est impossible d'admettre que les souffrances du peuple fussent
plus grandes au temps de la seconde qu'à celui de la première. Cela ne prouve pas
que ces souffrances ne soient pas l'une des forces agissantes cela montre qu'elles
:
ne sont pas la seule ni la plus efficace. On trouve une autre différence entre ces
deux révoltes, dans l'emploi de la force parla classe gouvernante. Cet emploi appa-
1728 CHAPITRE XIII ^ 2566
temps les plus anciens, on a observé que les révoltes ont souvent
lieu quand les conditions du peuple se sont améliorées. C'était
même une maxime de gouvernements anciens que les peuples sont
d'autant moins dociles qu'ils sont plus aisés ". Cela est peut-être
raît puissant et sur dans la première, faible et incertain dans la seconde. Là encore,
nous dirons qu'on n'en peut pas conclure que l'emploi de la force suffise à réprimer
les révoltes; mais on peut voir sans peine qu'étant donné ce but, cet emploi est
parmi les causes les plus efficaces. Que serait-il arrivé si les gouvernants de 1789
avaient combattu avec l'énergie dont ont fait preuve ceux de 1358? Nous ne pou-
vons le dire avec certitude (| 139), mais nous pouvons affirmer que les gouvernants
auraient eu de plus grandes probabilités de victoire qu'il ne leur en restait avec la
résignation humble et vile qu'ils manifestèrent. Toute l'histoire démontre que si
l'on peut être vainqueur ou vaincu en combattant vaillamment, on est sûrement
vaincu lorsqu'on fuit le combat; et l'on voit se vérifier toujours le proverbe Qui
:
se fait agneau, le loup le mange. Pour la Jacquerie, voir dans Simeon Luce
la description des souffrances des gouvernés et les odieuses cruautés des gou-
vernants. S. Luge ; Hist, de la Jacq. L'auteur décrit le combat de Meaux.
«(p. 141) Si l'on en croyait Froissart, depuis le commencement jusqu'à la fin du
combat, les nobles n'eurent que la peine de tuer, sans courir eux-mêmes le moindre
danger. Jamais on ne frappa plus en plein ni à la fois avec plus d'acharnement et
de mépris dans la chair humaine. Il faut lire dans le chi-oniqueur l'expressive et
vivante peinture qu'il nous a tracée de cette épouvanta))le boucherie». Suit une
citation de Froissart: puis : «(p. 142) Toutefois, la victoire dut être plus chèrement
achetée que Froissart ne semble ici le dire car les assaillants parvinrent jusqu'à la
;
barrière et au delà. Plusieurs nobles furent tués, notamment [suivent des noms de
gens tués]. Il est certain, d'autre part, que bon nombre de gens d'armes de Paris,
ainsi que beaucoup de bourgeois de Meaux, réussirent à s'échapper, comme l'attes-
tent encore aujourd'hui les nombreuses lettres de rémission qui leur furent délivrées
plus tard (p. 143) sur le fait de leur participation à l'attaque du marché de Meaux.
Quoi qu'il en soit, la vengeance que les nobles exercèrent après l'issue de la lutte ne
fut pas moins impitoyable que la lutte elle-même. Toute la ville fut mise au pillage.
Non seulement les habitations des particuliers, mais les églises elles-mêmes furent
saccagées on n'y laissa rien qui pût avoir quelque valeur. Une partie de la popula-
:
tion de Meaux fut massacrée. Ceux des habitants qui eurent la vie sauve furent
emmenés prisonniers dans la citadelle. Le maire Soûlas, pris pendant le combat, fut
pendu. Gela fait, les nobles mirent le feu à la ville. L'incendie dura quinze jours ;
unes de celles des chanoines. Tous les vilains qui y étaient enfermés périrent dans
les flammes... Dételles rigueurs auraient dû, ce semble, assouvir (p. 44) le ressenti-
ment des nobles. Il ne se trouva point encore satisfait... Les nobles se ruèrent
ensuite, comme des furieux, sur les campagnes environnantes, égorgeant tous les
villains qu'ils pouvaient atteindre et mettant le feu à leurs villages. Les désastres
furent tels, que, s'il faut en croire un chroniqueur, les nobles causèrent en cette
occasion plus de maux au royaume que les Anglais eux-mêmes, ces ennemis-nés de
la France, n'auraient pu lui en faire». Ce carnage fait par le parti alors victorieux
peut aller de pair avec les tnassacres de septembre accomplis par l'autre parti, qui
fut victorieux au temps de la Révolution française. Il faut sans doute s'abstenir du
raisonnement post hoc, propter hoc, mais on ne doit pourtant pas négliger de sem-
blables rapprochements de faits, d'autant plus que l'histoire nous en fait connaître
un grand nombre.
2566 2 Dans l'ouvrage connu sous le nom de Testament politique dti Cardinal
^§2560 l'kqliilihhe social dans i/mistoirk 1729
vrai jusqu'à un certain point, mais non au-delà. Une théorie con-
ïraire voudrait que la classe gouvernante ne puisse assurer son
pouvoir qu'en faisant le bien de la classe gouvernée. Là encore, il
y a une part, mais seulement une part de vérité. Les personnes
qui acceptent cette théorie sont entraînées, peut-être à leur insu,
par le fait qu'elles ont accepté l'une des solutions afïirmatives indi-
quées aux 1902 et sv., par le désir de montrer que celui qui fait
>^
l'intention de faire que cela ait lieu à l'avenir, s'il n'en a pas tou-
jours été ainsi dans le passé ^
•d'accord que si les Peuples étoient ti'op à leur aise, il seroit impossible de les con-
tenir dans les règles do leur devoir ».
aussi une grande part qui diffère de ce que nous enseigne l'expérience. Celle-ci nous
înaontre des gouvernants qui maintiennent leur pouvoir en opprimant les gouvernés.
De Tocqueville nous fournit lui-même des arguments qui contredisent sa thèse.
L'oiicien réffitne et la Révolution : « (p. 33) Une chose surprend au premier abord :
la Révolution, dont l'objet propre était d'abolir partout le reste des inslitutions du
moyen âge^ n'a pas éclaté dans les contrées où ces institutions, mieux conservées,
faisaient le plus sentir au peuple leur gène et leur rigueur, mais, au contraire,
dans celles où elles les lui faisaient sentir le moins de telle sorte que leur joug a
;
dividus, elle n'est plus un corps organisé». Taine oublie que précisément un «amas
d'individus» peut être facilemeat gouverne par qui dispose d'un petit nombre d'hom-
mes armés, fidèles parce que bien payés avec l'argent pris à l' « amas d'individus ».
•
{p. 109) Déjà avant l'écroulement final, la France est dissoute, et elle est dissoute
parce que les privilégiés ont oublié leur caractère d'hommes publics ». Si ce qu'expose
Taine était une uniformité expérimentale, les «.Jacques » auraient dû vaincre, car les
aobles de ce temps, beaucoup plus que les nobles du temps de la révolution de
1789, avaient négligé leurs «devoirs» envers leurs sujets. — S. Luge ; Hist, de la
Jacq. : «{p. 33) Quelle qu'en fût la source, ces revers répétés [de Gourtray et de
Grécy] eurent pour la noblesse française deux conséquences également désastreuses.
D'abord ils la dépouillèrent d'un prestige qui était la plus grande partie de sa force,
le prestige militaire [observation juste parce qu'elle concorde avec l'expérience eu
-iout pays et en tout temps]. Eu second lieu, faits prisonniers en masse dans toutes
socior.or.ir 109
1730 CHAPITRE XIII 5^2567
une solde qui était une innovation, le moment même où, par leurs fautes et leurs-
insuccès militaires, ils la méritaient le moins... (p. 36) ,, Après la bataille de Poi-
tiers", dit le second continuateur de Nangis, ,,les affaires du royaume commen-
cèrent à prendre une fâcheuse tournure l'Etat fut en proie à l'anarchie les brigands
; ;
être réprimés par les personnes qui défendent cette organisation '.
2;>7I. Quant aux principes du droit, de l'équité, de l'éthique,
<le la religion, on les invoque parce qu'on ne sait que trouver d'au-
pour juger non seulement les conflits d'ordre intérieur, mais aussi
ceux d'ordre international.
ii,S72. Les principes juridiques peuvent être quelque peu et
même très précis; ils peuvent donc donner des conclusions con-
cordant avec la réalité, ou du moins ne s'en écartant pas trop
(§ 1772 et sv.), s'ils sont employés dans les contestations entre sim-
ples particuliers, dans les sociétés où ils sont généralement accep-
tés, et dont ils manifestent par conséquent des sentiments com-
'^5701On a fait usage exactement des mômes dérivalions à l'occasion des troublés
de Romajî^ne, en juin 1914. Les « spéculateurs » et leurs satellites les jugèrent une
(!• ivre néfaste des ennemis de la patrie, ou du moins de pauvres ignorants « abusés»
par les chefs des «partis subversifs». Ces partis les proclamèrent au contraire
« une juste revendication du prolétaire opprimé ».
§2573-2574 l'éouii.ibhk social dans l histoire 1733
peu que sur une seule de ces tentatives, parce qu'elle présente
([uelques analogies avec les mouvements révolutionnaires, anar-
chistes et autres de notre temps. La conjuration de Catilina est
restée célèbre dans l'histoire. Le récit qu'en fait Salluste appa-
raît comme une amplification ridicule qu'on pourrait à grand
peine tolérer dans un drame populaire. L'auteur commence par
déclamer contre la soif de l'or, l'avarice puis il s'en prend à l'am- ;
2573' Sall. ; De bell. Cat., XIV. Puis il accuse Catilina d'avoir lue Van de ses
lils, et émet l'opinion que les remords ont peut-être hâté l'entreprise de Catilina!
(XV) Quae «juidem res mihi in primis videtur causa fuisse facinus maturandi.
Namque animus impurus, dis hominibusque infestus, neque vigiliis neque quietibus
sedari poterat : ita conscientia mentera excitam vastabat. Igitur color
ei exanguis,
foedi oculi, citus modo, modo tardus incessus; prorsusvultuque vecordia in facie
inerat. Notre auteur passe sous silence la quatrième Gatilinaire de Cicérou, et dis-
simule les attaques de Caton contre César. Appien, lui aussi, De hell, civ., II. 3,
ïtappelle l'accusation lancée contre Catilina d'avoir tué son fils. Cfr. Val. Max., IX,
1, 9; Plutarch. ; Sulla, 32.
17;i4 CHAPITRE XIII §2575-2576
des hommes ([ui lui étaient semblables. Si nous voulons les tenir
tous pour des malfaiteurs, ce qui serait peut-être d'une sévérité
excessive, nous dirons que leur conflit avec la classe gouvernante
était la lutte des brigands contre les escrocs. Cela explique pour-
quoi César avait envers les premiers cette bienveillance que l'on
témoigne habituellement à ceux qui luttent contre des gens que
l'on méprise encore davantage ou plutôt, cela explique pourquoi
;
25751 App. ; De belt, civ., 11,2 : Avrbç 6è no'AiT^iav /uèv oÀuç en àTveoTçé(j>eTo eu
Tovâs, àç ovâèv èç /uovar>x''<^'i' Taji' kuî /uéya (péçovaav, à7J^ èçiôoç kal <j)8ôvov nearijv.'lcX
TToTiiTeia doit être pris sens explique par Plutarque, De unins in rép.
dans le
de prendre part aux honneurs de la république
dotni)!., II, p. 826, et signifie l'acte ;
par conséquent l'auteur veut dire que Catilina renonça à rechercher d'autres ma-
gistratures. —
Dio Cass., XXIX, fait allusion à un décret du Sénat que Catilina
crut — et avec raison, dit Dion —
avoir été rendu contre lui, et qui le détermina à
tenter de détruire les comices par la force.
25752 Cic; Pro Flacc, XXXVIII, 95 Oppressus est C. Antonius... cuius dam-
:
sunt.
pable de tenter le renversement des lois de son paj'S par la violence mais il ne fai-' ;
I 2577 l'équilibkk social dans l'histoirk 1735
sait que suivre les exemples de Marius et de Sylla. Il rêvait une dictature révolu-
tionnaire, la ruine du parti oligarchique, et, (p. 389) comme le dit Dion-Cassius, le
changement de la constitution de la Rôpablique et le soulèvement des alliés. Son
succès néanmoins eût été un malheur; un bien durable ne peut sortir de mains
impures ». Oh qu'elles étaient pures les mains d'Octave, qui fonda l'Empire
!
2577 ^ App. ; De bell, civ., II, 2 : 'Avâ re rf/v 'IraViav iveçiéirefnrev éç tùv Ev^iXf/iuv
roîiç rà KÉçârj ttjç ...« Il envoya de ci
tôts (îiaç àva'ÀuKÔraç, uni ôçeyofj,évovç èçyuv ô/ioîuv,
de là en Italie, chez les partisans de Sulla qui avaient dilapidé les biens enlevés
par la violence, et qui aspiraient à des opérations semblables...». Sall., De bell.
Cat., XVI, confirme ce fait. Après avoir parlé des scélérats qui se groupaient autour
de Catilina, il ajoute Eis amicis sociisque confisus Catilina, simul quod aes alie-
:
num per omnis terras ingens erat, et quod plerique sullani milites, largius suo usi,
rapinarum et victoriae veteris memores, civile bellum exoptabant, opprimundae rei-
publicae consilium cepit. — Plutarch. Cic, XIV, parle aussi des anciens soldats
;
dit la même chose. Ou bien les textes n'ont plus aucune valeur, ou bien il est impos-
sible de ne pas voir en tant de semblables témoignages la trace du conflit entre la
force et la ruse en politique.
1736 CHAPITRE XIII ^2578-2579»
25772 Cic. Pro M. Coelio, IV, 10 Nam quod Catilinae farailiaritas obiecla
; .
Goelio est... quanquam multi boui adolescentes illi homini nequam atque improbo
studuerunt... Plus loin, (Jlicéron loue Gatilina de ce dont on put aussi louer César :
(V, 12) Erant apud illum illecebraelibidinum multae ; erantetiam industriae quidam
stimuli, ac laboris. Flagrabant vitia libidinis apud illum; vigebant etiam studia rei
militaris... (VI, 13) quodam tempore iucundior? Quis turpio-
Quis clarioribus viris
ribus coniuuctior?... (VI, 14) Hac ille tam varia raultiplicique natura, cum omnes-
omnibus ex terris homines improbos audacesque coUegerat tum etiam multos :
Sed confecto proelio, tum vero cerneres, quanta audacia quantaque animi vis fuis.se
in exercitu Catilinae. Nam fere quem quisque vivos pugnando locum ceperat, eurn,
amissa anima, corpora tegebat. Pauci autem, quos medios cohors praetoria disieeeral ,..
causa cum telis erant circum aedem Concordiae [où s'assemblait le Sénat], seu peri-
culi magnitudine, seu animi nobilitate impulsi, quo studium suum in rempublicam
clarius esset, egredienti ex senalu Caesari gladio minitarentur. — Suétone {Cnes.^
XIV) ajoute d'autres détails. Après avoir dit que César s'opposa à la sentence de
mort contre Catilina et ses complices, il ajoute Ac ne sic quidem irapedire rem
:
destitit, quoad usque manusequitum romanorum, quae armata praesidii causa cir-
curastabat, immoderatius pcrseveranti necem comminata est etiam strictos gladios :
usque eo intentans, ut sedentem una proximi deseruerint, vix pauci complex u loga-
que obiecta protexerint. Tune plane deterritus, non modo cessit, sed eliam in reli-
quum aimi tempus curia abstinuit. Si les clievaliers avaient continu:"' à faire ainsi usage
de la force, ils eussent été eux-mêmes vainqueurs mais leur tempérament s'y oppo-
;
sait; c'est, d'une façon générale, celui des «spéculateurs». Cfr. Pluï.\rch. Caes.^ ;
VIII. Dans son discours In toga Candida, dont nous n'avons conservé qu'un petit
nombre de fragments, Gicéron dit que Catilina ne peut demander le consulat ni
aux principaux citoyens, qui s'opposèrent à sa candidature, ni au Sénat, qui le con-
damna, ni à l'ordre des chevaliers, dont Catilina fut l'assassin ab equestri ordine? :
quem trucidasti. — Asconius note à ce propos Equester ordo pro Cinnaiiis par-
:
erant appellati multique ob eius rei invidiam post Sullanam victoriam erant inter-
:
fecti. Là, on voit bien les .(spéculateurs» qui remplirent leur sac et ne furent
réprimés que par la force. Cfr. Q. Cic. De pet. cons.. II.
:
1738 CHAPITRE .Mil i^ 2582-2584
piration et dégager une grande cause [pour l'auteur, c'est celle delà
« démocratie » contre l'oligarchie des imprudents qui la compro-
|
ler la légalit»'-, lorsque, la sociiHé courant à sa perle, un remède héroïque est indis-
pensable pour la sauver, et que le gouvernement, soutenu par la masse de la nation.
se fait le représentant de ses intérêts et de ses désirs [c'est exactement ce que Cicé-
ron pensait de la conjuration de Catilina, de même que Napoléon III de son coup
d'EtatJ. Mais,au contraire, lorsque, dans un pays divisé par les factions, le gou-
vernement ne représente que l'une d'elles, il doit, pour déjouer un complot, s'atta-
cher au respect !e plus scrupuleux de la loi... »
§ 2584 l'kquilihkk social dans l'histoire 1739
en ce qu'il était d'origine sénatoriale, tandis que nos ploutocrates et nos politiciens
sortent généralement des classes moyennes ou inférieui'es de la population. Gras-
sus, comme ceux-ci, a en abondance extraordinaire les résidus de la I" classe et
fort peu, presque pas du tout ceux de la II* classe. Crassus était d'une race de
spéculateurs; tels sont aussi plusieurs de nos ploutocrates. — Plin. Nat. hist., ;
XXXIIT. 47 (10) Postea Divites cognominati dummodo notum sit, eum qui pri-
: :
avec ses aflranchis [ils correspondent aux partisans de nos ploutocrates] dans les
sociétés et les compagnies commerciales tenant banque dans Rome et hors de
;
Rome, avec ou sans le concours de ses gens; prêtant son or à ses collègues du
Sénat [comme Berteaux faisait en France avec les députés], et entreprenant pour
leur compte et selon l'occasion, tantôt des travaux, tantôt l'achat des collèges de
justice [de nos jours des politiciens dont dépend la justice]... Attentif d'ailleurs à
:
ne point entrer en lutte ouverte avec le juge criminel, il savait vivre simplement, bour-
geoisement, en vrai homme d'argent qu'il était. G'est ainsi qu'en peu d'années on le
vit, naguère possesseur d'un patrimoine sénatorial ordinaire, amasser de monstrueux
trésors peu de temps avant sa mort, malgré des dépenses imprévues, inouïes, on
;
estimait encore son avoir à 170 000 000 sesterces (48750000 francs)... Il n'était point
de peine qu'il ne se donn.ât pour étendre ses relations... (p. 141)... La moitié des
1740 CHAPITRE XIII 5^
258.'>
mes considérables dans sa dépendance... Homme d'aliaire avant tout, il prêtait sans
distinction de partis, mettait la main dans tous les camps [exactement comme nos
ploutocrates, qui soutiennent même des ennemis acharnés de la bourgeoisie, des
financiers, des capitalistes], et donnait volontiers crédit à quiconijue était solvable,
ou pouvait devenir utile. Quant aux meneurs, même les plus hardis, quant à ceux
dont les attaques n'épargnaient personne, ils se seraient gardés d'en venir aux
mains avec Grassus... Depuis que Rome était Rome, les capitaux y avaient joué le
rôle d'une puissance dans l'Etat :au temps actuel, on arrivait à tout par l'or aussi
bien que par le fer [pour soutenir la comparaison avec notre temps, il faut suppri-
mer le fer]... (p. 142) Ce fut alors (signe trop caractéristique des temps !) que l'on
vit un Grassus, orateur et capitaine médiocre, un politique ayant l'activité et non
l'énergie [on dirait la description des ploutocrates qui gouvernent aujourd'hui les-
pays civilisés], les convoitises et non l'ambition, ne se recommandant par rien si ce
n'est sa colossale fortune et son liabileté commerciale, étendre partout ses intelli-
gences, accaparer la toute puissante influence des coteries et de l'inlrigue [pour-
nos ploutocrates il faut ajouter et des journaux], s'estimer l'égal des plus grands
:
généraux, des plus grands hommes d'Etat de son siècle, et lutter avec eux pour la
palme la plus haute qui puisse attirer les convoitises de l'ambitieux » ! — Pi.u-
TAHCii. Crass., 2, 2 «Au début, il ne possédait pas plus de trois cents talents;
; :
des maisons en mauvais état et les reconstruisait; il possédait des mines d'argent,
des fonds à la campagne donnant de gros revenus « {2, 7) toutefois cela semblerait
;
peu de chose, si on le comparait avec l'argent qu'il retirait du travail des esclaves;
il possédait une quantité de ceu.\-ci et de toute espèce des lecteurs, des copistes,
:
des experts en métaux, des administrateurs, des maîtres d'hôtel ». Oassus faisait
le démocrate comme nos ploutocrates font les socialistes; il savait capter les bon-
nes grâces des puissants, toujours comme nos ploutocrates. Quand César était sur
le point de se rendre en Espagne, Grassus le libéra de ses créanciers, en se portant sa
caution pour au moins 830 talents {loc. cit., 7,7). Après avoir remarqué qu'il y avait
à Rome trois factions, celle de Pompée, celle de César, celle de Grassus, Plutarque
ajoute ; « (7, 8) Grassus tenant le milieu [entre les deux factions] profitait de toutes
les deux, et changeant souvent dans la ville, il se mettait tantôt d'un côté, tantôt
d'un autre. Il n'était ni un ami sûr, ni un ennemi implacable, mais abandonnait
facilement la bienveillance ou la colère, suivant que cela lui était utile [exactement
comme nos ploutocrates]. Souvent on le vit en peu de temps tantôt défenseur, tantôt
adversaire des mêmes hommes ou des mêmes lois». Ainsi fut le ministre Caillaux
pour l'impôt sur le revenu et le ministre Giolilti pour le sullrage universel. Immé-
diatement après avoir repoussé comme excessive la modeste extension du sutirage,.
proposée par le ministre Luzzatti, la Chambre italienne approuva l'extension beau-
coup plus considérable voulue par le ministre Giolitti. Les ploutocrates et leurs
représentants se préoccupent de l'argent ils ne se soucient guère d'autre chose.
;
25852 Fu-sTEr, i>k Coul. : L'emp. rom. : i<[[i.219) Toutes ces distinctions sociales
iHaient héréditaires. (Uiaque homme avait de plein droit le rang dans lequel la nais-
sauce l'avait placé. Toutefois on devait déchoir si Ton devenait pauvre, et Ton pou-
vait aussi s'élever par degrés à mesure qu'on devenait riche. Monter les échelons de
cette hiérarchie était l'arahition de tout ce qui était actif et énergique. Le gouverne-
ment impérial ne s'opposa pas à cette sorte d'ascension continuelle vers laquelle
tous les efforts tendaient. Il veilla seulement à ce qu'elle ne fut pas trop rapide; il
fixa les conditions et les règles suivant lesquelles elle était permise. Il prit soin
surtout d'empêcher, autant qu'il était possii)le, qu'une famille ne franchît deux degrés
dans une seule vie d'homme. L'esclave pouvait, par l'aflranchisseraent (p. 280) com-
plet, s'élever à la plèbe mais il lui était défendu de monter au rang des curiales.
;
été parcourue tout entière, alors seulement une famille pouvait aspirer au titre de
sénateur romain. Ici la richesse était encore nécessaire, mais elle ne suffisait plus.
La règle était qu'il fallût obtenir du prince une magistrature romaine... »
2585^ Encore sous Tibère, à Rome, le luxe était extravagant. Tac.it. Ann. II, :
externis rebus annus domi suspecta severitate adversura luxum, qui iramensum
;
proruperat ad cuncta quis pecunia prodigitur. Les édiles voulaient diminuer ces
dépenses, et le Sénat demanda à Tibère de décider sur ce qu'il y avait à faire.
Tibère montra la difficulté de l'entreprise «(p..53) Que faut-il vraiment d'abord
:
interdire pour entreprendre ensuite de revenir aux mœurs antiques? Les vastes
villas, le nombre et la race des familles, la somme d'or et d'argent, les merveilles
1742 CHAPITRE XIII t^ 2585
du bronze et des tableaux, les vêtements confondus des hommes et des femmes, et
eeux qui sont bien ceux des femmes, lesquelles portent notre argent aux étrangers
ou aux ennemis, pour acqu(^rir des pierres précieuses?» Les voiles habituels des
dérivations éthiques une fois ôtés, ce que dit Tibère est juste (54) Externis victo-
:
riis aliéna, civilibus etiam nostra consumere didicimus. «Par les victoires rempor-
tées à l'extérieur, nous avons appris à dépenser les biens des étrangers par les ;
victoires des guerres civiles, nous avons aussi appris à dépenser nos biens». Tibère
conclut au laisser-faire. Tacite observe (55) que cependant le luxe diminua. Il en
attribue le mérite à l'élite qui, des provinces venait à Rome, et au bon exemple
donné par Vespasien. ]1 fait ensuite allusion au doute que nous avons rapporté au
§ 2552'. Les causes indiquées précédemment peuvent se trouver parmi les secon-
daires et non parmi les principales, parce qu'après Vespasien la première avait
produit tout son effet possible, et que la seconde disparut entièrement ; car parmi
les successeurs de Vespasien, pour ne nommer que ceux-là, ce n'est pas un Com-
mode, un Caracalla, un Eliogabale qui auront donné l'exemple de l'économie dans
leur vie. Pourtant le luxe des particuliers et la prospérité économique continuèrent
à diminuer.
2585* Marquardt De Voryanisation financière chez les Romains
; «(p. 121)
:
Les prétoriens, qui formaient neuf cohortes de 1000 hommes, touchaient par an,
sous Tibère, 720 deniers, mais sans fournitures en nature; ils les obtinrent à partir
de Néron...». La somme totale des frais pour 25 légions, les prétoriens et les cohor-
tes urbaines, suivant notre auteur, de 41)710000 deniers, soit 50 625 000 fr.
est,
...et de vobis aliquem, sed dignum vestro iudicio, principem mittite. Tacite qui était
l'-onsul, estima dangereux l'honneur fait au Sénat, et dit Nam de impcratore deli-
:
gendo ad eundem exercitum censeo esse referendum. Etenim in tali génère senten-
tiae, nisi fiat quod dicitur, et electi periculum erit, et eligentis invidia. Le Sénat
approuva cet avis; mais comme on continuait à insister des deux côtés, il finit par
nommer précisément Tacite attamen cum iterum atque iterum mitterent, ex. S.
:
C quod in Taciti vita dicemus, Tacitus factus est imperator. Dans la vie de Tacite,
notre auteur dit « (2) Ergo quod rarum et difficile fuit, S. P. Q. R. perpessus est
:
ut imperatorem per sex menses, dum bonus quaeritur, respub. non haberet. Mais il
était nécessaire que l'armée eût un chef. Le consul Gordien dit au Sénat :(3). ..Impe-
rator est deligendus exercitus sine principe recte diutius stare non potest, simul
:
quia cogit nécessitas. Nam limitem trans Rhenum Germani rupisse dicuntur... Il
ne se trouva aucun démagogue de la trempe de nos Jaurès, Gaillaux, Edward Grey,
etc., pour dire qu'on n'avait pas à se soucier des Germains belliqueux. Mais Rome
n'y gagna pas grand' chose, parce que les Pères Conscrits, en bons humanitaires,
estimèrent qu'on repoussait les ennemis par les vertus privées et civiques. Pour
tant, le pauvre Tacite, refusant l'honneur (ju'on voulait lui faire, dit avec beaucoup
de bon sens (4) ...Miror, P. G., in locum Aureliani fortissimi imperatoris senem
:
virum qui omnibus quasi pater consulat [(Clemenceau aurait dit qui sera un pur
:
nobis exhibere quam quod ipse desideravit et voluit. On dirait tout à fait une idylle.
Il ne manque que la bergère et les moutons ornés de beaux rubans. Ce brave
homme régna six mois. (13) ...Gessit autem propter brevitatem temporum nihil
magnum. Interemptus est enim insidiis militaribus, ut alii dicunt, sexto mense ut :
:vlii, morbo interiit. Tamen constat, factionibus eum opprossum, mente atque anime
defecisse.
1744 CHAPITRE XIII ^
2588-25f)0
compensé par le hasard qui faisait tomber le choix des légions sur
un empereur doué de cet instinct des combinaisons politiques. Le
second défaut n'avait pas de remède. Il fut en partie la cause pre-
mièrement de la destruction de l'élite, ensuite de celle de l'Empire.
2o88. Ce qu'on nous raconte de l'élection de Tacite nous mon-
tre qu'en ce temps déjà sévissait la maladie de l'humanitarisme^
qui a recommencé de nos jours à sévir dans nos contrées.
iioUÎ). Mus par des préjugés éthiques contre la richesse, contre
le luxe, contre le «capital», la plupart des auteurs ne s'attachent
qu'à ces circonstances, dans l'histoire de Rome ; tandis que pour
l'équilibre social, la modification des sentiments (résidus) de la
classe gouvernante est beaucoup plus importante.
2o90. Dans les premiers temps de l'Empire, les indices de la
gloriam Aeilius Sthenelus e plcbe libertina, LX iugerum [15 hectares] non amplius
vineis excuUis in Nomentano agro, alque c c c c nummum venumdatis. Magna fama
et. Vetuleno Aegialo perinde libertino fuit, in lampaniae rure Liternino, maiorque
(
etiam favore hominum, quoniam ipsum Africani colebat exsilium. Mais la renom-
mée de Remnius Palemon, le grammairien, fut plus grande encore. Avec l'aide du
même Aeilius Sthenelus, il acheta une vigne pour 600000 sesterces (126000 fr.)." Il
sut si bien l'améliorer que la vendange d'une année fut payée 400000 sesterces
(84 000 fr.). Il revendit la vigne à Ann;pus Seneca quatre fois autant qu'il l'avait
payée. —
XII, 5. On fait allusion à un affranchi très riche.
^2591 l'équilibre social dans l'histoire 1745
de nouveaux navires, plus grands, plus forts, plus heureux que les
premiers. Il y met du vin, du lard, des fèves, des parfums de
Capoue, des esclaves. Ainsi, en une seule fois, il gagna dix millions
de sesterces. Il continua à faire le commerce, toujours avec succès ;
seras estimé. C'est ainsi que votre ami, qui fut grenouille, est aujour-
dhui roi ^ ». Il veut parler philosophie et belles lettres^, mais s'y
connaît à peu près autant que nos parvenus, qui croient tout savoir
parce qu'ils ont gagné de l'argent. Trimalcion montre à ses invités
les joyaux de sa femme, et veut qu'ils en sachent le poids exact *.
Bon nombre de nos riches parvenus modernes agissent de même.
55902 Tacit. ; Ann., XI, 21.
sociologie 110
1746 CHAPITRE XIII §2592-2593
25921 Petr. Sed narra, mihi, Gai, rogo, Fortunata quare non recumisit?
: iM :
praeter summ(a)m pro bonore d(ecurionum) d(ecretoi p(ecunia) s(ua) p(osuit) ». Puis
il y a les dépenses pour les jeux. « (p. 834). A l'origine, leur activité se concentrait
sur l'organisation des spectacles...». A Narbonne, {Orelli, 2489), les sévirs sacri-
tlaient deux fois l'an, à leurs frais, et fournissaient, quatre fois l'an, de l'encens et
du vin à tous les coloiii et à tous les incolae. —
Marquardt; Organ, dé l'emp.
rom. : « (p. 304) Les attributions des seviri comprenaient, d'une part, l'accom-
plissement des sacrifices ordinaires... et de festins populaires, dont les frais étaient
couverts par l'argent qu'ils avaient payé, lorsque les décurions ne l'avaient pas
employé en bâtiments publics de toute nature ». Un hasard singulier veut que
parmi les inscriptions qui nous sont restées, il y en ait justement une d'un marmo-
rariîis qui était Augustalis. On nomme aussi des negotiatores, un argentarius,
un mercator stiarius, un vestiarius tenuiarius, purpurarius, pistor, etc. Gela
montre comment de la plus basse classe sortait l'aisance.
2593^ Petr. ;Phileronem causidicum
'Îi6 : si non didicisset, hodie
...vides :
nement.
259o. L'invasion des étrangers à Rome est bien notée aussi
par Juvénal '. « Celui qui vint un jour dans cette ville les pieds
25933 Petr. ; 38 : Keliquos aulem coUibertos eius cave conteranas. Valde sucossi
sunt. Vides illuni qui in imo imus vecumbit hodie sua octingenta possidet. De
:
nihilo crevit.
25934 Mart. :
A/in., [IV, 62, ...Atilius quidam liberlini generis, quo spectaculum gladiatorum
Ct'lebraret...
qui me tutundit, senator factus. (226) Quo tondente gravis Licinius ex tonsore :
senator factus.
2595 • Juvénal montre, d'une part les « descendants des Tro5'ens » qui, tombés
dans la misère, demandent la sportule, et de l'autre, un affranclii enrichi qui veut
aller au-devant des Romains.
I (102) Prior, inquit, ego adsum :
blanchis de gypse ne cède pas le pas au tribun sacré ». Juvénal dit des
Grecs venus à Rome (III, 92-93) « Nous aussi nous pouvons louer
:
Quirites, cette ville grecque, si peu qu'il s'j^ trouve de lie achéenne.
Il y a longtemps déjà que l'Oronte syrien versa dans le Tibre sa
s'il a quelque pudeur, ei qu'il s'en aille des degrés éauestres, celui
qui n'a pas le cens légal ; et qu'ici prennent place les fils des entre-
metteurs, nés dans quelque lupanar. Que le fils d'un crieur public
bien connu applaudisse ici parmi les élégants fils de gladiateurs,
et parmi ceux d'un maître des gladiateurs ^».
2d96. II devait aussi y avoir un grand nombre d'hommes sor-
tis de rien, dans une société qui n'estimait pas sotte et absurde la
ner par eux. Mais leur nombre fut toujours restreint, et la plupart
progressaient par leurs mérites, dans les administrations impé-
riales ou privées '^ Sénèque parle de la richesse des affranchis ^
et Tacite nous les montre envahissant toute la classe gouvernante,
2597' Belot; Hist, des ch. rotn.. t. II : « (p. 385) Mais et; fut Claude qui lit faire
le plus grand pas au pouvoir de ses' affranchis, nommés procurateurs
à Rome
(p. 386) du fisc. Dominé par une camarilla, il ordonna que les sentences de ses affran-
chis fussent respectées comme les siennes. Il leur livra ainsi la justice extraordi-
naire et personnelle que l'empereur se plaisait à substituer à l'action des tribunaux.
Ces causes de péculat, ces accusations de repetundis, pour lesquelles les partis répu-
blicains s'étaient livré tant de batailles, étaient maintenant décidées à huis-clos par
le comptable Pallas, successeur de l'affranchi Ménandre. Les armées et les provinces
se ressentirent de la faveur nouvelle des affranchis. L'affranchi Félix fut nommé tri-
bun de cohorte, et préfet d'aile de cavalerie... et, au sortir de ces commandements
militaires, il gouverner la Judée, où Claude envoyait indifféremment
fut chargé de
des procurateurs chevaliers ou des procurateurs affranchis». L'auteur note d'autres
provinces gouveimées par des procurateurs. « Tacite compte, à la mort de Néron,
entre autres provinces gouvernées par les procurateurs, les deux Mauritanies, la
Rhétie, la Norique, la Thrace. Bientôt les Alpes maritimes, la Gappadoce (p. 387),
obéirent à la juridiction pacifique des procurateurs ».
25972 Dion Cass., LXXVIII, 13. L'auteur raconte que Macrin envoj-a comme
lieutenants Agrippa en Dacie, Decius Triccianus en Pannonie. Le premier avait été
esclave. Le second avait été simple soldat et portier du gouvernement de la
Pannonie.
25973 Senec. : Ëpist., 27 : Calvisius Saliinus memoria nostra fuit dives; et palri-
monium habebat libertini, et ingenium... Idem: Epist., 8(5 : ...Et adhuc plebeias fis-
gunculis in unum speculum non sufficit illa dos, quam dédit populus romanus
Scipioni.
2597* Tacit. Ann., II, 48, parle d'une riche afiranchie morte sans avoir fait de
;
cum essent civium domini, libertorura erant servi horum consiliis, horum nutu :
regebantur per hos audiebant, per hos loquebantur, per hos praeturae etiam et
;
imperio suo non aliter usus est quam privatus quia et ipsi nunquam de eo cum
:
libertis suis per fumum aliquid vendiderunt: siquidem libertis suis severissime usus
est. Pertinax, 7. Get empereur lit vendre ceux qui avaient appartenu à Commode,
mais et de his quos vendi iussit, multi postea reducti ad ministèrium, ol)lectaverunt
senem. qui per alios principes usque ad senatoriam dignitatem pervenerunt.
25981 j)jo Gass. ; LU, L'auteur observe: ohôèv yàç oîjtuç ùç to yevvaïoi>
42, p. 693.
sv Toîç è/ii<pvÀioiç TToM/Miç (ivaMaKerai. « Puisque rien comme la noblesse ne périt dans
les guerres civiles». En Angleterre, la guerre des Deux Roses eut un effet sem-
blable.
25983 Tagit. A)in.. XI, 23. On ol)jectait ...non adeo aegram Italiam, ut sena-
; :
tum suppeditare urbi suae nequiret suffecisse olim indigenas, consanguineis popu-
:
lis; nec poenitere veteris reipublicae. Quin adhuc memorari exempla quae priscis
moribus ad virtulem et gloriam romana indoles prodiderit. An parum quod Veneti
et Insubres curiam irruperint, nisi coetus alienigenarum, velut captivitas, inferatur?
Quem ultra honorera residuis nobilium, aut si quis pauper e Latio senator, fore?
Oppleturos orania divites illos quorura avi proavique, hostilium nationum duces,
exercitus nostros ferro vique ceciderint... Mais (Claude tint bon et conclut sa réponse
au Sénat en disant (24) Omnia, patres conscripti, quae nunc vetustissiraa credun-
:
tur, nova fuere plebei raagistratus post patricios Latini post plebeios ceterarum
: : ;
§ 2599-2601 l'équilibre social dans l'histoire 1751
Italiae gentium post Latinos. Inveterascet hoc quoque, et quod hodie exemplis tue-
mur inter exempla erit. Ainsi, il décrit bien la circulation des élites.
2598* SuET. ; Vesp.,9 : Amplissimos ordines,
exhaustos caede varia, et conta-
et
iniiiatos veteri neglegentia, purgavit, supplevitque, recensoSenatu et Equité sum- ;
probrosior quisque; ac, lectis undique optimis viris, mille gentes compositae, cum
ducentas aegerrime reperisset, extinctis saevitia tyrannorum plerisque. Ainsi que
le remarqua déjà Causabon (ad Suet. Caes., 41), gentes doit être entendu dans Je
:
sens de patriciens.
•2600 » Djon.Gass. LII, 14 à 40, p. (570 à 692. Dion met simplement dans la bouche
;
de Mécène les principes idéaux de l'Empire de son temps. Il insiste (27, p. 681) sur
l'opportunité de séparer entièrement les fonctions civiles des fonctions militaires.
2600'' Dion. Gass. LXXIV, 2, p. 1243. L'auteur ajoute que ce fut la cause de la
;
perte de la jeunesse italienne, qui se livra au brigandage et aux luttes des gladia-
teurs.
gation toute formelle, mais sans que le service efYectif fût interdit.
Ensuite, absence de service effectif.
:?G02 Plin. Epist., VII, 31. Il parle d'un individu qu'il a connu lorsqu'il faisait
•
;
son service militaire Hune cum simul militaremus, non solum ut coramilito ins-
:
pexi. Praeerat alae militari ego iussus a legato consulari rationes alarum etcoiior-
:
...et Artemidorum ipsura iam tum, cum in Syria tribunus milit^jrem, arcta
larailiaritate complexus sum... D'ailleurs, ceux qui voulaient pouvaient aussi faire
autrement, et, comme Trajan, faire réellement le service militaire. Paneg., 15 :
Neque enim prospexisse castra, brevemque militiam quasi transisse contentus, ita
egisti tribunum, ut esse statim dux posses, ...Tacite loue Agricola de n'avoir pas
imité les jeunes gens qui passaient dans les plaisirs le temps du service militaire. —
Tacit.; Agric, Y Nec Agricola licenter, more iuvenum qui militiam in lasciviam
:
2603» Dion. Gass. LU. 42, p. 094. I/auteur remarque ensuite (LUI, 12, p. 703)
;
que le véritable motif de la division des provinces entre Auguste et le Sénat fut
qu'Auguste voulait être seul à avoir des soldats sous son commandement. En outre
(LUI, 13, p. 705), il défendit aux sénateurs délégués pour gouverner les provinces
de porter l'épée et le vêtement militaire, ce qu'il permit au contraire à ses gouver-
neurs.
2603 Tacit.; Ann., II, 59: ...nam Augustus, inter alia dominationis arcana,
2
2604' Herodien II, 11. L'auteur relève aussi le contraste entre les Italiens, au
;
nus AA. Isidoro pp. Si quis decurio aut subiectus curiae ausus fuerit uUam adfec-
tare militiam, nulla praescriptione temporis muniatur, sed ad condicionem propriam
retrahatur, ne ipse vel eius liberi post talem ipsius statum procreati quod patriae
debetur valeant declinare. —
D. /// non. April Constantinopoli Isidoro et Sena-
tore conss. [a. 436]. Cfr. Ibidem, XII, 33 (34), 2. —
Theod. Cod., VIII, 4, 28. Le
service militaire était aussi interdit à d'autres classes de la population. lust. —
Cod., XII, 34 (35). 1. Imp. lustinianus A. Menae pp. Eos, qui vel in hac aima
urbe vel in provinciis cuidam ergasterio praesunt, militare de cetero prohibemus.
D'ailleurs, il en excepte les banquiers, auxquels il interdit seulement d'entrer dans
la troupe armée, ainsi qu'aux armuriers, à cause de leur utilité pour l'armée. Nego-
tiantes etenim post banc sanctionem liuiusmodi militia privabuntur illis, qui ad :
dats ont leur fonction, tout comme les littérateurs. C'est pourquoi
chacun doit s'occuper de ce qu'il connaît » ^ Arrius Menander
(Dig., XLIX, 16, 1) nous dit «Se faire soldat est, de la part de
:
celui qui n'en a pas le droit, un crime grave, lequel est rendu plus
grand, comme d'autres délits, par le rang et par la dignité de
l'armée».
2606. Ainsi, l'armée de l'Empire finit par être un ramassis de
propres à rien, et il fallut recourir aux Barbares pour avoir des
soldats, ce qui était proprement installer l'ennemi chez soi. Végèce
décrit bien le phénomène « Le temps n'améliora jamais une
:
dédit, et iussit quid ad quos indices pertineret. Cours, t. II, | 803 « (p. 144) — :
D'une manière générale et sans attacher trop d'importance à des dates qui sont
assez incertaines, on peut distinguer une période d'Auguste à Alexandre Sévère,
dans laquelle les corporations autorisées par le gouvernement se recrutent libre-
^ 2608 l'équilibrk social dans l'histoire 1755
l'empire, ceux-ci étaient onéreux et il vint un moment où ils ne furent plus guère
qu'un impôt ajouté à tant d'autres... on rendit à la corporation quelques-uns des
droits qu'elle avait perdus en cessant d'être une association privée, la capacité civile
ou faculté de recevoir des legs et donations, la gestion de ses deniers et le choix de
ses comptables... C'était un moyen de rendre un peu de vie à des organes menacés
d'atrophie. Et cependant il fallut, vers la fin du 111= siècle, appliquer à ce sacerdoce
le système de l'investiture forcée au moyen duquel on maintenait au complet les con-
seils municipaux et les municipalités (G. I. L., X, 114. Gfr. II, 4514). Les décu-
rions qui nommaient les Augustales exerçaient ainsi sur d'autres la contrainte qu'ils
subissaient eux-mêmes ».
1756 CHAPITRE XIII § 2609
D'autre part, les hautes classes n'étaient plus les classes gouver-
nantes, et le fait d'y appartenir donnait plus d'honneurs que de
pouvoir. Les empereurs étaient nommés par une troupe grossière,
corrompue, dépourvue de tout sens politique. Il manquait des
révolutions non-militaires, civiles, qui auraient mélangé les classes,
produit une nouvelle circulation des élites, et élevé des hommes
abondamment pourvus de résidus de la l'e classe. Avec beaucoup
de raison, Montesquieu compare l'Empire romain de la décadence
à la régence d'Alger, en son temps. Mais il faut ajouter qu'Alger
n'avait pas une bureaucratie qui, à l'instar de la bureaucratie
romaine de la décadence, tarit toute source d'activité et d'ini-
tiative individuelle. La société romaine déclinait économiquement
et intellectuellement, tandis qu'elle subissait les dégâts d'une caste
militaire imbécile et d'une bureaucratie vile et superstitieuse.
2609. En Occident, l'invasion barbare vint briser cette société
cristallisée (| 2551 et sv.), à laquelle, avec l'anarchie, elle apporta
aussi une certaine espèce de souplesse et de liberté. Celui qui passe
sans autres des corporations de la fin de l'Empire romain, c'est-à-
dire d'un état de liaisons très
fortes ma (fig. 48), aux corpo-
2609 Guizot, en peu de mots, décril bien l'état de la société au temps de saint
•
tration en ces temps de confusion, on pourrait l'imaginer, ne le sût-on pas par les
documents. Les institutions procédant du pouvoir central se sont effacées; les insti-
tutions municipales ont été en partie conservées par les villes, à l'existence des-
quelles elles étaient nécessaires, et tolérées par leurs nouveaux maîtres. Ceux-ci ont
ramassé quelques-uns des rouages de la grande machine administrative créée par
les Romains et les ont utilisés, mais en leur laissant subir les altérations qui
devaient résulter du contact des habitudes germaines. Le désordre s'est étendu des-
institutions administratives aux circonscriptions géographiques qui leur répon-
daient... ».
§ 2610 l'équilibre social dans l'histoire 1757
quence, soit de l'absence des lois, soit — et c'est le cas le plus fré-
Attila, rencontra, dans le camp des Huns, un Grec alors riche chez
les Scythes. Cet individu lui raconta comment, l'ait prisonnier de
guerre, et échu comme part de butin à Onégèse, le premier des
Scythes après Attila, il recouvra la liberté et acquit de la fortune.
«Ensuite, ayant combattu avec valeur contre les Romains et con-
tre la nation des Acatires, et ayant donné à son maître barbare le
26102 Priscus Panites, dans Fragm. hist, graec, t. IV. p. 80-87. Si la période
ascendante de notre ploutocratie démagogique se prolonge un certain temps, et am-
plifie le mouvement dont nous voyons le début, on peut imaginer qu'un homme
ayant réussi à fuir l'oppression de ce temps-là, et réfugié chez certains X, répète
sans y changer beaucoup le discours de l'interlocuteur de Priscus. Il dira que
« ceux qui se trouvent chez les X
ont la vie tranquille, api'ès avoir travaillé pour
faire quelques épargnes chacun jouit de ses biens, et n'est molesté en aucune façon
:
par qui que ce soit; tandis que là où il était avant, de toute manière, il était
dépouillé et opprimé. De lourds impôts l'accablaient, établis par le vote du plus
grand nombre, lequel ne les payait pas c'était un nombre toujours plus restreint
;
de gens qui les payaient; et ils étaient augmentés sans mesure, pour faire face aux
dépenses énormes du gouvernement de la ploutocratie démagogique. En outre, il
subissait les vexations de ceux qui font partie de ce gouvernement ou en sont les
suppôts. Les lois ne sont pas égales pour tout le monde. Si quelque violateur de
la loi appartient d'une manière ou d'une autre à la classe dominante, son délit
n'encourt aucune peine; si c'est quelqu'un qui, comme le contrebandier, attente aux
§ 2611 l'kquilibre social dans l'histoire 1751)
ajoutait «Il n'agit donc pas justement celui qui tend des embû-
:
ches, tel un esclave malfaisant, à celui qui est meilleur que lui, et
pi'ivilèges fiscaux de cette classe, on lui applique la peine prévue par la loi. tJn sorl
meilleur n'attend pas l'innocent accusé à tort, qui ne porte préjudice à personne, et
voudrait qu'on ne lui en portât pas non plus, en traînant en longueur les procès, en
lui faisant dépenser son argent, grâce aux caprices des « bons juges », et aux menées-
de ceux qui veulent se concilier la faveur des politiciens et des avocats-princes. Il y
a, en effet, une manière absolument inique d'obtenir par protection ce qui ressortit à
la loi ;cela en se mettant au service des gouvernants, et en leur étant utile aux élec-
tions, par lesquelles ils accaparent le pouvoir».
26111 Sysksii epistolae, dans Epist. graeci (Didot), p. 708, (252-25i3) epist. CX r
Xilàç à KoçvofioaKÔç... Voir, epist. GXXVII, p. 714-71.5, (262), ce qu'on dit d'un cer-
tain Euctale, préfet d'Egypte et brigand très brave.
1760 CHAPITRE XIII § 2612
choses en sont là, messieurs, qu'une carrière rapide et parfois brillante est un
mauvais point pour un homme nous savons que derrière une belle carrière il n'y
;
a pas des talents, des mérites et des services, mais des complaisances, des complici-
tés, des protections et des faveurs (approbations à gauche et au centre). Nombre
de nominations sont un scandale public, un défi à l'opinion publique; et quand on
s'aperçoit de l'erreur, il est trop tard pour éloigner ces créatures, le prestige du
pouvoir ne le permet pas. Le nouveau gouvernement, dont la tâche est de vaincre
les Allemands, verra bien vite qu'il est plus difficile encore de vaincre la résistance
•de ses subordonnés. Le grand obstacle contre lequel sont venues se briser tant d'ini-
tiatives, c'est le personnel administratif». Un orateur socialiste avait rejeté sur le
régime « despotique » la faute du manque de préparation de la Russie. M. Markov
répondit très bien «Mr. Adjemov a dit très juslement que, dans cette affreuse
:
guerre, l'Allemagne était prête. Il nous a dit aussi, en manière de reproche, que la
France fêlait aussi. Les Français étaient encore plus mal préparés que nous, et la
guerre a montré que l'allié le plus fort c'est la Russie. A gauche, on dit que si nous
ne sommes pas prêts, c'est qu'on a enchaîné la liberté mais les gouvernements
;
français, anglais et belge ne l'ont pas enchaînée, et pourtant ils n'étaient pas prêts,
ils l'étaient moins que la Russie». (Journal de Genève, '6 septembre 1915). Ajou-
tons que, comparé au gouvernement russe actuel, le gouvernement de la grande
Catherine était plutôt plus que moins autocratique, ce qui ne l'empêcha pas d'être
victorieux en dittérentes guerres.
§2612 l'équilibre social dans l'histoirk 1761
SOCIOLOGIE 111
NOTES
AJOUTÉES PAR l'aUTEUR A L'ÉDITION FRANÇAISE
17491 Carpenteriana, Paris 1741 « (p. 337). La Mothe-le-Vayer aïant fait un Livre
:
de dur débita son Libraire vint lui en faire ses plaintes, et le prier d'y remédier par
quelque autre Ouvrage. Il lui dit de ne se point mettre en peine qu'il avoit assez ;
de pouvoir à la Cour pour faire défendre son Livre et qu'(' tant défendu, il en ven-
;
droit autant qu'il voudroit. Lorsqu'il l'eut fait défendre, ce qu'il prédît arriva; chacun
courut acheter ce Livre, et le Libraire (p. 338) fut obligé de le réimprimer prompte-
ment, pour pouvoir en fournir à tout le monde ».
1 1755. Au commencement du mois d'octobre 1918, on put lire dans les journaux la
note suivante : « Le grand organe libéral anglais le Daily Chronicle a été acheté
par sir Henry Dalziel et quelques sociétaires pour la somme de 37 millions de
francs... Le nouveau propriétaire, M. Dalziel, est un journaliste riche et député
libéral, qui est surtout connu comme l'ami intime et le fidèle appui de M. Lloyd
George tant au Parlement que dans la presse. En cela consiste principalement la
signification politique de l'achat du Daily Chronicle, lequel paraissait récemment
peu enclin à appuyer Lloyd George et penchait davantage vers les tendances du parti
libéral, qui accepte Asquith comme chef. On annonce que la politique du journal
ne changera pas, mais il est probable que sous le nouveau propriétaire il soutiendra
vigoureusement Lloyd George ».
1716 1. Un livre excellent sur le sujet traité ici a été publié après que ces lignes
ont été écrites. Voir Daniel Bellet Le mépris des
: ; lois et ses conséquences
sociales, Paris, Flammarion éditeur, 1918.
MP«mÈ CN «IIK»»^