Nicole Masson-Le Langage Secret Des Couleurs-Jericho
Nicole Masson-Le Langage Secret Des Couleurs-Jericho
Nicole Masson-Le Langage Secret Des Couleurs-Jericho
Chaque civilisation et chaque religion ont donné aux couleurs des sens
profonds liés aux croyances les plus intimes. Si le bouddhisme consacre la
couleur orangée, l’islam met à l’honneur le vert. En associant certaines
entités spirituelles à des couleurs bien précises, les cultures ont fait des
couleurs le support de valeurs qui influencent beaucoup nos
comportements. Les théories ésotériques se sont aussi emparées des
couleurs pour leur associer des valeurs et imaginer des réseaux de
correspondances avec les planètes, les pierres précieuses ou les types
humains. Ce livre vous aidera à vous repérer dans cette symbolique parfois
complexe, qui explique parfois les superstitions liées aux couleurs.
Cet ouvrage est construit en chapitres centrés sur les couleurs majeures
pour en repérer les valeurs et les symboles, pour analyser les faits culturels
qui leur sont liés et pour en comprendre les ressorts psychologiques. Mais il
ne faut pas négliger que chaque couleur existe aussi par rapport aux autres
et forme même le plus souvent un ensemble cohérent dans un système.
Ainsi reliées entre elles par un réseau complexe d’interactions et de
significations, les couleurs se dévoilent parfaitement lorsqu’on les examine
ensemble. Aussi, entre chaque chapitre, nous avons conçu des
« intermèdes » qui permettent d’observer les couleurs entre elles
lorsqu’elles composent un langage secret.
Il est maintenant temps de partir avec nous à la découverte d’un monde
foisonnant, fascinant, bariolé qui vous en apprendra beaucoup sur vous-
même.
LE BLANC
Le blanc est-il une couleur ? La question peut sembler saugrenue, mais le
blanc a toujours connu un curieux destin. Tantôt il est considéré comme une
non-couleur, une forme de neutralité absolue, tantôt il représente au
contraire la somme de toutes les couleurs confondues. Au fond, les deux
extrêmes se rejoignent et, toujours gouverné par l’ambivalence, il exprime à
la fois l’origine et la fin, la naissance et la mort.
La robe blanche des mariées est une tradition somme toute récente, qui
date seulement de la fin du XVIIIe siècle. Auparavant, on n’utilisait pas la
couleur de la tenue de la promise pour afficher sa virginité. Elle se devait
avant tout de revêtir sa plus belle robe, traditionnellement rouge à cause de
l’éclat de cette teinture, réputée inaltérable et coûteuse.
C’est seulement à partir du XXe siècle que les tenues de mariées devinrent
immanquablement blanches. Cette coutume a la vie dure et, hormis le jour
de son mariage, aucune femme aujourd’hui n’ose s’habiller en blanc de
pied en cap, sous peine d’être un peu ridicule… Seule exception notable
dans l’histoire du costume moderne : la période de la Révolution française
et de l’Empire, où le néoclassicisme triomphait. Le blanc cassé est alors
devenu à la mode pour les robes des femmes élégantes, en référence aux
tenues grecques et latines. Ces femmes qui dévoilaient beaucoup leur corps
par transparence dans des tenues blanches fluides et peu corsetées furent
appelées « Merveilleuses ».
Jusqu’au XIXe siècle, les sous-vêtements pour hommes comme pour
femmes furent toujours blancs dans un souci d’hygiène, puisqu’on pouvait
les faire bouillir pour les laver. On utilisait beaucoup le lin blanc. La
lingerie n’arbora d’autres couleurs qu’à partir de 1850, lorsqu’on connut
des pigments capables de résister à la lessive. Il en était de même pour les
draps et autres éléments du trousseau. Des colporteurs récupéraient ensuite
les pièces de tissu usées pour les revendre à des moulins qui en faisaient de
la pâte à papier : ils proposaient aux particuliers d’échanger leurs draps
effilochés contre des articles neufs impropres au recyclage dans l’industrie
papetière. Une opération gagnant-gagnant !
Dans les fourrures, une place toute particulière est réservée à l’hermine.
En effet, c’est la plus noble et la plus recherchée. Elle symbolise la pureté et
la droiture et on la retrouve encore sur les épitoges (sorte d’écharpe portée
sur la toge) de certains magistrats et avocats.
Le pape immaculé
Le pape n’a pas toujours été habillé de blanc. Le premier à
choisir cette couleur est Pie V. Élu en 1566, il faisait à l’origine
partie de l’ordre des dominicains, qui portent une soutane
blanche. Il a conservé cet habit une fois devenu pontife.
Chez les religieux, plusieurs ordres portent des habits blancs : les
dominicains, mais aussi les prémontrés et les chartreux, ainsi que
les missionnaires envoyés dans des pays chauds. Mais le pape
est le seul à arborer une calotte blanche et une petite cape
blanche (appelée camail) sur sa soutane immaculée. Sa ceinture
moirée est aussi de la même couleur, avec ses armoiries brodées
sur chacun des deux pans. Lorsque le pape s’est doté d’un
véhicule appelé familièrement la « papamobile », c’est
naturellement le blanc qui a été choisi, comme tous les
accessoires du Saint-Père.
La couleur des néophytes et des débutants
Le blanc du marketing
La puissance du blanc
La Maison-Blanche
La Maison-Blanche est le siège du pouvoir fédéral des États-
Unis, où demeure le président et d’où il exerce le pouvoir.
George Washington a décidé en 1791 de faire construire cette
résidence au bord du fleuve Potomac, selon les plans de
l’architecte James Hoban. Achevée en 1800, sa construction en
pierre blanche détonait parmi les autres bâtisses en briques
rouges. Détruite en 1814, mais reconstruite trois ans plus tard,
elle fut alors flanquée de terrasses et d’une façade semi-circulaire
qui la rend aujourd’hui célèbre. Depuis Theodore Roosevelt
(1901), elle porte officiellement et définitivement le nom de
Maison-Blanche.
Il est amusant de noter que ce nom a aussi été donné, sans
doute comme symbole de puissance, au bâtiment au centre de
Moscou qui est le siège du gouvernement russe, dont la
construction a commencé en 1965 et qui s’est achevé au tout
début des années 1980. Notons encore que le bâtiment
présidentiel du Kirghizistan se nomme aussi la Maison-Blanche.
En effet, cette imposante construction de type stalinien de sept
étages, copiée sur le bâtiment russe, est doublée de marbre à
l’extérieur.
Blanche-Neige
« II était une fois, en plein hiver, quand les flocons descendaient
du ciel comme des plumes et du duvet, une reine qui était assise
et cousait devant une fenêtre qui avait un encadrement de bois
d’ébène, noir et profond. Et tandis qu’elle cousait négligemment
tout en regardant la belle neige au-dehors, la reine se piqua le
doigt avec une aiguille et trois petites gouttes de sang tombèrent
sur la neige ; c’était si beau, ce rouge sur cette neige, qu’en le
voyant la reine songea : Oh ! si je pouvais avoir un enfant aussi
blanc que la neige, aussi vermeil que le sang et aussi noir de
cheveux que l’ébène de cette fenêtre ! »
Voilà le début du conte de Grimm. L’enfant naîtra, mais la reine
mourra en couches et une horrible marâtre viendra prendre sa
place auprès du roi pour le plus grand malheur de Blanche-
Neige. Toute son histoire est marquée par cette opposition entre
le blanc et le rouge, comme l’explique Bruno Bettelheim dans son
ouvrage Psychanalyse des contes de fées. Le rouge des gouttes
de sang, de la pomme empoisonnée qu’offre la marâtre
déguisée, symbolise la sexualité. Le blanc, renforcé par l’inertie
que représente la neige et la longue léthargie que subit la jeune
fille, signifie l’innocence. Le conte retrace le cheminement
complexe qui permet de sortir de l’enfance et de traverser
l’épreuve de la puberté. Comme quoi il faut faire attention aux
lectures enfantines, beaucoup moins innocentes qu’il n’y paraît…
TRAITÉS ET THÉORIES DE LA
COULEUR
Nous ne ferons pas ici l’inventaire de tous les traités qui ont été
consacrés à la couleur. La question qui s’est posée aux savants a surtout
été de comprendre d’où venaient les phénomènes colorés. Qu’est-ce qui
dans un corps quelconque lui donnait sa couleur ? Peut-on même dire
qu’un objet a une couleur, puisque dans l’obscurité, tous les corps sont
invisibles et sans teinte ? C’est Isaac Newton qui le premier a compris
comment se faisait le lien entre lumière et couleur, ainsi que le caractère
vibratoire du phénomène.
Après lui, l’homme de lettres allemand Johann Wolfgang Goethe, dans
son Traité des couleurs, et le philosophe Arthur Schopenhauer, dans son
livre Sur la vue et les couleurs, se sont un peu détachés du champ strict
de la physique, ont mis l’accent sur l’importance de la perception
humaine dans le processus et ont mieux intégré dans leurs systèmes
l’interaction entre les couleurs. Ils ouvrirent le champ aux réflexions
dans le domaine de la neurophysiologie.
Gris souris, gris des cendres, le gris est la couleur triste et neutre par
excellence. Imprécis mélange du noir et du blanc, il se tient à l’écart de la
violence de chacun d’eux. Avec le gris, rien n’est tranché, vif, assuré.
Tout se dilue. La nuit, tous les chats sont gris, tout s’efface et
s’indifférencie. Le gris devient la couleur de ceux qui veulent passer
inaperçus, qui agissent dans les coulisses.
Ainsi, celui qui est présenté comme l’éminence grise d’un dirigeant est
une sorte d’ambassadeur officieux, un personnage trouble dont l’influence
est considérable, mais qui ne se montre pas au grand jour.
Le terme a été utilisé pour la première fois au XVIIe siècle à propos du père
Joseph, le conseiller de Richelieu qui, en tant que membre de l’ordre des
capucins, portait une aube en bure grise, mais qui était pratiquement aussi
puissant que le cardinal – Son Éminence.
Le gris est une couleur qui peut ainsi devenir inquiétante. Le loup des
steppes, le loup gris, est très présent dans la mythologie turque et mongole,
empreinte de chamanisme : sous le nom de Loup-Bleu, le loup céleste
époux de Biche-Fauve, qui représente la terre, il est réputé avoir engendré
Gengis Khan.
Le peuple turc est censé trouver son origine dans l’un des derniers
guerriers à avoir survécu à l’invasion mongole, qui, soigné par une louve, la
prit pour épouse. Leur descendance, conduite par un loup gris, arriva sur la
terre de l’actuelle Turquie et s’y installa. C’est pourquoi les groupes
ultranationalistes turcs ont repris le nom de « Loups gris » pour qualifier
leur mouvement.
Le dieu Oupouaout
Chez les Égyptiens, parmi les dieux gardiens qui ont l’apparence
d’un Canidé, Oupouaout est représenté en tête des cortèges, car
c’est celui qui ouvre le chemin. Il a l’apparence d’un loup gris ou
d’un lycaon, ce qui le différencie du dieu Anubis, qui est de
couleur noire.
Le spleen et l’ivresse
Ventre-saint-gris !
Cet ancien juron un peu étrange est l’équivalent d’une sorte de
« Par le bas-ventre de saint François ». Comment saint François
d’Assise s’est-il retrouvé affublé du surnom de saint Gris ?
L’explication en est simple : quand les franciscains, moines qui
décidèrent de suivre sa règle, choisirent leur vêtement, ils
optèrent pour une toile écrue, non teinte, pour se démarquer des
bénédictins en noir et des cisterciens en blanc. Cette couleur
naturelle fut alors perçue par le public comme un gris sale. On les
appela donc les « frères gris », et leur fondateur devint… saint
Gris !
Intermédiaire entre le noir infernal et le blanc divin, le gris est aussi dans
la religion chrétienne la couleur de la résurrection des morts. Le manteau de
Jésus dans les représentations du Jugement dernier au Moyen Âge est
souvent de cette teinte. C’est en quelque sorte la couleur de la condition
humaine : ni ange ni bête, l’homme est marqué par ce gris moyen qui lui
assigne sa place dans la Création.
Couleur sans éclat, sans prestige, le gris qualifie parfois des objets
purement utilitaires. Ainsi, on appelle « littérature grise » l’ensemble des
documents imprimés qui circulent hors des circuits commerciaux, comme
les rapports, les recueils de normes, les modes d’emploi, etc.
Indispensables, mais impossibles à quantifier et très peu valorisés…
C’est aussi le sort de la « grisette », nom donné au XIXe siècle aux jeunes
filles de basse condition, filles de boutique, brodeuses, couturières, obligées
de travailler pour vivre. La grisette va toutefois accéder à la célébrité à
travers la littérature, qui en fait un personnage pittoresque. Ce type féminin
est attirant, avec sa naïveté charmante et sa débrouillardise : la grisette se
retrouve au cœur d’intrigues amoureuses multiples, dans le roman, la
chanson ou le vaudeville.
Vert-de-gris
Le produit de la corrosion du cuivre est appelé le vert-de-gris, non
pas en référence à la couleur grise, mais à l’acide qui déclenche
la réaction chimique : en ancien français, on parle du « verte-
grez », du vert produit par l’aigre. La couleur vert-de-gris, un vert
grisâtre, est associée depuis la Seconde Guerre mondiale à la
couleur des uniformes de l’armée allemande. Et les auxiliaires
féminines sont surnommées sous l’Occupation les « souris
grises ».
L’Earl Grey
Les amateurs connaissent bien ce thé parfumé à la bergamote et
aux écorces d’agrumes. Si on traduit son nom en français, il
s’appelle le « comte gris ». En réalité, rien à voir avec la couleur !
Il tire son nom d’une famille britannique célèbre, les comtes de
Grey, qui ont donné à l’Angleterre quelques secrétaires et
ministres au XIXe siècle.
LE NUANCIER
Anthracite
Ardoise
Argent
Argile
Bis
Bistre
Bitume
Bleu ardoise
Céladon
Châtaigne
Étain
Grège
Gris acier
Gris de Payne
Gris fer
Gris perle
Lin
Mastic
Plomb
Rose Mountbatten
Souris
Taupe
Tourterelle
Vert-de-gris
INTERMÈDE
Blanc : c’est une couleur yang qui ouvre l’espace. Mais elle peut
aussi induire l’isolement dans un sentiment de vide. Elle peut
doper la détermination et la prise de décision.
Gris : couleur sous le signe du yin, le gris invite à la
contemplation, à la recherche de perfection, en particulier sous la
forme de reflets argentés. Mais sur un autre versant, elle peut
générer l’ennui et un excès de neutralité.
Vert : le vert se situe au passage entre yin et yang, marqué par
une symbolique de renouveau de la nature. Il instille une
dynamique qui pousse à agir et donne confiance. Il peut doper la
créativité.
Brun : couleur de la terre et de l’enracinement, le brun est du
côté du yin. Il rassure par un sentiment de permanence, mais peut
décourager et inspirer un sentiment de nostalgie. Attention à
l’immobilisme.
Jaune : c’est la couleur de la joie de vivre, mais aussi de la
reconnaissance sociale. Le jaune est une couleur yang tonique qui
pousse à la communication. Elle favorise la prise de décision.
Orange : couleur yang très positive, l’orange est du côté du
changement sans susciter d’agressivité. Elle évoque aussi désir et
plaisir.
Rouge : le rouge pousse à l’action et se place du côté de la
matérialisation. Sous le signe du yang, le rouge donne un
sentiment de protection, mais peut induire trop d’excitation. Il va
donner davantage de force à l’expression.
Rose : comme le vert, le rose permet de passer du yin au yang.
Inspirant la tendresse et l’amour de soi, il permet de s’ouvrir aux
autres et incarne l’espoir. Il reste fragile et léger, mais surtout
profondément joyeux.
Bleu : le bleu profond relève du yin, il pousse à l’introspection et
génère de l’apaisement. Il pousse à la créativité dans les
domaines les plus complexes. Il est même censé aider à la
convalescence.
Violet : le violet se situe du côté des activités intellectuelles et
des aspirations spirituelles. Il est une couleur yin plutôt
mystérieuse, qui favorise le développement des intuitions. Trop
sombre, il peut conduire à la confusion et à la perte des repères.
Noir : couleur yin, le noir connecte avec la transformation
intérieure et l’introspection. Il favorise l’attention soutenue. Mais
attention : la sensation de perte ou de tristesse peut aussi surgir en
cas d’excès.
LE VERT
Le vert est la couleur de la fortune, mais aussi celle de toutes les
superstitions… Longtemps délaissé, car il pouvait porter malheur, le vert
accomplit aujourd’hui un véritable retour en force en symbolisant le combat
pour une nature préservée.
L’Homme vert
Appelé aussi l’Homme feuillu, ce personnage se caractérise
surtout par un visage orné de branchages, que l’on voit sculpté
comme décoration architecturale. Il appartient au folklore et à la
littérature populaire de plusieurs peuples, qu’il s’agisse des Grecs
et des Romains avec leur cortège de divinités sylvestres, ou
encore des Celtes. En France, les légendes font de lui le maître
des oiseaux. Il est puissant, lié à la nature et à son énergie
régénératrice. En Angleterre, beaucoup de pubs ont choisi
comme enseigne The Green Man. Dans le cycle des légendes
arthuriennes apparaît un Chevalier vert énigmatique que
rencontre Gauvain lors de ses aventures. Certains critiques y ont
décelé la résurgence et la transformation du mythe celte de
l’Homme feuillu.
Cet archétype n’est peut-être pas sans rapport avec des figures
mythiques contemporaines telles que le superhéros Hulk,
surnommé le Titan vert, ou encore le Colosse de jade. On pense
aussi à Shrek, l’ogre vert un peu dégoûtant, mais
fondamentalement gentil, ou encore à la mascotte de la marque
Géant Vert, géant débonnaire qui figure depuis 1928 sur les
boîtes de conserve de la firme. Ils sont tous dotés d’une force
impressionnante.
Fraîcheur et écologie
Les défenseurs de l’environnement adoptent le vert dans leur
communication. Et les partis écologistes français et allemands l’ont intégré
pour l’ensemble de leurs sigles et dans le nom même de leurs partis.
L’utilisation de cette teinte en politique n’est pourtant pas si récente. En
effet, on ne le sait pas toujours, mais la cocarde bleu-blanc-rouge de la
Révolution française a failli être verte ! Quand le 12 juillet 1789,
Camille Desmoulins harangue la foule au Palais-Royal pour qu’elle prenne
les armes, il se saisit d’une feuille de tilleul pour s’en faire une cocarde en
l’accrochant à son chapeau. Mais très vite, les émeutiers vont se souvenir
que le vert est justement la couleur de la livrée des hommes du frère du roi
(le futur Charles X) et ils rangeront bien vite au placard la cocarde verte de
l’espérance et de la révolution.
Le vert, c’est aussi la fraîcheur. Les parfumeurs parlent de « notes vertes »
quand ils veulent caractériser des senteurs proches de l’herbe coupée ou des
feuilles froissées. La plante emblématique de cette tonalité est le galbanum,
pour la première fois utilisée majoritairement par Balmain dans Vent Vert en
1947.
Cette valeur très naturelle et rafraîchissante est exploitée par les
spécialistes de marketing depuis longtemps pour les chewing-gums aux
parfums de menthe et de chlorophylle. Plus largement, le code couleur du
bio est devenu le vert, ce qui permet au premier coup d’œil de distinguer
dans un rayon les produits qui répondent à cette norme.
Harmonieux, reposant pour l’œil, le vert a toujours occupé une large place
dans la décoration intérieure. Traditionnellement employé pour les lambris,
les boiseries et les tissus d’ameublement, le vert se décline en une large
gamme de nuances : olive, pomme, citron, sapin, prairie. Les camaïeux de
verts peuvent assortir harmonieusement certaines teintes : vert sapin et vert
d’eau, gris-vert et émeraude…
Le mélange du blanc et du vert est assez rustique, idéal pour dynamiser un
intérieur campagnard. Les imprimés à carreaux sont très appréciés dans les
pays scandinaves quand ils allient le vert sombre et le jaune vif. Enfin,
l’association un peu audacieuse d’un vert menthe et d’un bleu très lumineux
charge une pièce d’une atmosphère toute méditerranéenne. L’utilisation du
vert pour les portes extérieures et les volets est une tradition en France.
Véronèse et le vert
La luminosité du vert tant admiré dans la toile du peintre
Véronèse Les Noces de Cana vient, semble-t-il, d’un soupçon
d’arsenic mélangé aux pigments. Toutefois, l’appellation « vert
Véronèse » apparaît dans les nuanciers seulement deux siècles
après la mort du peintre : ce pigment à base d’arséniate de cuivre
est commercialisé par les marchands de couleurs avec la
promesse pour le peintre débutant de se rapprocher de la palette
magistrale du maître…
Le vert n’est pas une couleur de tout repos. Les dragons sont souvent
imaginés de cette couleur. Lucifer lui-même, ange déchu, portait une
émeraude lorsqu’il atterrit sur terre. Sur l’un des vitraux de la cathédrale de
Chartres, le diable est très inquiétant avec ses yeux verts ! Durant tout le
Moyen Âge, les femmes évitaient de porter une robe verte, facilement
associée à la sorcellerie. On attribuait des vêtements de cette teinte aux fous
et aux criminels. Dans les représentations théâtrales de la Passion du Christ
qui se donnaient avant Pâques, Judas portait un costume vert qui figurait
son rôle de traître.
Le vert est donc très ambivalent et inspire aussi de la défiance, voire de la
crainte. Il peut évoquer aussi la moisissure, le pourrissement, la maladie,
voire la mort. Certaines expressions s’en font l’écho, comme être vert de
peur ou de froid…
Au XIIe siècle, en Angleterre, dans le petit village de Woolpit, on découvrit
un jour deux enfants très étranges, parlant une langue inconnue et surtout
ayant la peau verte. Après quelque temps d’acclimatation et l’adoption de la
même nourriture que les enfants du village, ils perdirent cette couleur
étonnante, mais ils restèrent au centre de la légende des « enfants verts de
Woolpit », racontant qu’ils venaient d’un pays mystérieux où le soleil ne
brillait jamais et où tout était de couleur verte. Ils étaient peut-être
simplement malades et souffraient de carences… Plus près de nous, au
XIX siècle, les jeunes héroïnes romantiques ont souvent un teint pâle, un
e
La fée verte
Surnommée la fée verte, l’absinthe est une boisson alcoolisée
élaborée comme un élixir presque magique, mais dont la
consommation au XIXe siècle mena à la folie et à l’intoxication
ceux qui abusaient de ce spiritueux titrant à près de 70°… Elle
connut une vogue extraordinaire, devenant vers 1870 l’apéritif le
plus consommé dans les cafés. Diluée avec six à sept fois son
volume d’eau, préparée selon un véritable rituel, avec verre à
pied idoine et petite cuillère trouée sur laquelle on posait un sucre
où l’on faisait couler goutte à goutte l’eau, elle figure dans
nombre de toiles de maître de cette époque, par exemple en
1875 Dans un café (ou L’Absinthe), huile sur toile de Degas, ou
encore en 1893 le portrait de Monsieur Boileau au café de
Toulouse-Lautrec, et même en 1903 la toile Le Buveur d’absinthe
de Pablo Picasso. Au début du XXe siècle, les ligues
antialcooliques s’unirent pour la proscrire et elle disparut au tout
début de la Première Guerre mondiale.
LE NUANCIER
Absinthe
Amande
Anis
Avocat
Émeraude
Givré
Glauque
Hooker
Jade
Kaki
Menthe
Menthe à l’eau
Olive
Pistache
Sinople
Tilleul
Turquoise
Vert anglais
Vert bouteille
Vert chartreuse
Vert de chrome
Vert-de-gris
Vert de vessie
Vert d’eau
Vert empire
Vert épinard
Vert gazon
Vert impérial
Vert lichen
Vert lime
Vert malachite
Vert mélèze
Vert militaire
Vert mousse
Vert Nil
Vert opaline
Vert perroquet
Vert pin
Vert poireau
Vert pomme
Vert prairie
Vert prasin
Vert printemps
Vert sapin
Vert sauge
Vert smaragdin
Vert Véronèse
Vert viride
INTERMÈDE
Le brun est sans doute la teinte qui nous rattache le plus profondément à
la terre. Tout autant qu’une couleur, c’est finalement peut-être aussi une
matière. On note d’ailleurs avec curiosité que dans la plupart des
civilisations d’Afrique noire, le vocabulaire qui établit la gamme des bruns
prend en compte avant tout des modalités comme sec/humide, lisse/rugueux
ou encore tendre/dur. C’est dire combien cette couleur est associée à une
texture.
Les mots qui en français donnent toutes les nuances du brun sont presque
toujours des images. Il suffit de farfouiller dans un rayon de bas et collants
d’un grand magasin pour constater l’imagination des publicitaires (et des
consommatrices…) pour distinguer les moindres variations d’intensité, du
sable au bronze en passant par le tabac !
Dans beaucoup de langues, c’est la référence au thé, au café, voire au
chocolat qui est privilégiée pour caractériser la couleur brune.
Brut ou brutal ?
Les teintes brunes sont aussi associées aux uniformes et aux armées. En
1848, sir Harry Lumsden, qui dirigeait en Inde un régiment anglais, se
désespérait de voir les uniformes blancs sans cesse souillés par la poussière.
Il eut l’idée de faire teindre les tenues de ses hommes avec un mélange de
café, de curry et de jus de mûres. Les Indiens baptisèrent la couleur obtenue
khaki, qui signifie « couleur de poussière, de terre » en hindi.
Cette couleur est vraiment connotée comme celle des tenues de campagne
ou de camouflage. Dans l’usage ordinaire, on ne l’utilise vraiment dans la
mode qu’en association avec des couleurs chaudes et gaies qui en
contrebalancent les effets négatifs.
Le brun de Bismarck
L’appellation brun de Bismarck, ou brun Bismarck, apparaît en
France vers 1863, quand Otto von Bismarck accède aux
fonctions de ministre prussien des Affaires étrangères. Elle
caractérise d’abord un colorant industriel utilisé en médecine.
Mais la couleur finit par être aussi utilisée dans le domaine de la
mode, avec des variantes amusantes comme « Bismarck
malade » quand le brun tire sur le jaune ou « Bismarck en
colère » quand elle vire au rouge foncé.
L’ombre et la lumière
Le soleil donne…
Le blond vénitien
Parmi les multiples nuances pour caractériser la couleur des
cheveux, le blond vénitien fait rêver : la dénomination nous
transporte à la Renaissance italienne, quand la Sérénissime
étendait son pouvoir sur la Méditerranée. Cependant, il ne s’agit
pas d’une couleur naturelle. Et le procédé n’est pas aussi
poétique que son nom le laisserait espérer… La femme qui
souhaitait obtenir ce blond chaleureux tirant sur le roux devait
d’abord décolorer sa chevelure avec un bain d’urine de chat ou
de cheval, puis user d’une coloration à base de jus de citron, de
rhubarbe et de safran. L’exposition au soleil achevait de faire
réagir les pigments.
Dans bien des religions, l’éternité divine est représentée par le jaune : du
Vishnu des hindous au Huitzilopochtli des Aztèques, du perse Mithra à
l’Apollon grec, les dieux portent volontiers des vêtements d’un jaune doré.
Les cultes les plus anciens reposent sur l’adoration de l’astre solaire, et la
chair même des dieux est souvent représentée dans une couleur dorée ou
jaune. C’est le cas dans l’Égypte antique où, grâce aux pigments issus de
l’oxyde de fer, on représentait ainsi les corps divins et immortels. Quant au
char solaire d’Apollon, il lui confère un halo doré qui coïncide avec la
promesse d’immortalité que porte ce dieu.
Autre exemple, le drapeau du Vatican mêle le blanc de la pureté et de la
foi au jaune de la vie éternelle. Liée à la puissance des dieux, cette couleur
est aussi l’attribut des rois et des empereurs, qui marquent ainsi l’origine
divine de leur pouvoir. C’est d’ailleurs par des costumes jaunes qu’on
reconnaît ces personnages dans le théâtre de Pékin.
La veuve jaune
Quand Cory Aquino entra en politique aux Philippines pour
poursuivre le combat de son mari assassiné, les Occidentaux
s’étonnèrent de la voir toujours paraître en public dans des robes
d’un jaune vif. L’image de la veuve, fidèle au souvenir de son
époux, cadrait mal avec cette couleur éclatante. La raison en était
cependant fort simple : le jaune, dans le système symbolique de
cette région du monde, se trouve être la couleur du deuil.
Capteur d’attention
Le jaune a toujours été une couleur facile à obtenir pour les teinturiers :
elle est très répandue dans la Rome antique, pour les vêtements de femme
en particulier. Son usage dans la vie quotidienne reflète surtout sa capacité à
attirer l’attention.
Des boîtes aux lettres aux balles de tennis en passant par les affiches
promotionnelles des soldes des magasins, tout ce qui doit être repéré du
premier coup d’œil est en jaune. Le premier service de courrier en Europe
fut organisé au tout début du XVIe siècle à la demande des Habsbourg, dont
les couleurs étaient le jaune et le noir. Ce service leur emprunta tout
spécialement le jaune, très visible.
En France, c’est en 1962 que Citroën crée spécialement pour la poste un
modèle de 2 CV arborant la couleur AC 311, un jaune bien reconnaissable
qui permettait aussi à ses véhicules d’être repérés par tous les temps.
Beaucoup de pays ont adopté cette couleur. L’exception la plus connue est
la Grande-Bretagne, avec son rouge brillant bien caractéristique.
La mode au XXe siècle s’est emparée des couleurs fluo, que l’industrie
chimique a parfaitement stabilisées : le jaune translucide et lumineux a alors
triomphé, depuis les vêtements et les accessoires de toute une génération
« techno » jusqu’aux feutres surligneurs de nos bureaux… On peut
difficilement trouver mieux pour attirer l’attention. Couleur violente, trop
violente pour qu’on l’adopte comme couleur de vêtements en toute
circonstance, elle est cependant un catalyseur d’énergie, un rehausseur de
ton indispensable.
Les taxis
Beaucoup de compagnies de taxis de par le monde ont choisi le
jaune pour permettre aux clients de les repérer facilement dans le
flux de la circulation. À Paris, dès le XIXe siècle, les fiacres
arboraient cette couleur. Mais c’est surtout à New York que la
couleur s’est imposée à tous les taxis agréés. Il faut consacrer
quelques mots à la plus célèbre des compagnies de taxis, la
Yellow Cab Company, fondée à Chicago en 1907 par
John D. Hertz. Impliquée dans des trafics au moment où la ville
était le terrain de jeu des bandes rivales de la pègre, la société a
changé de propriétaire dans les années 1920. Et Monsieur Hertz
s’est consacré à la location de voiture en gardant la couleur jaune
pour son logo !
On constate que le jaune est l’une des couleurs les plus répandues dans la
nature. Tous les jardiniers savent que nombre d’espèces végétales
fleurissent au printemps dans toutes les nuances de jaune, depuis les
forsythias jusqu’aux jonquilles et aux crocus. Le jaune est ainsi associé au
renouveau du printemps, à sa fraîcheur. Il est aussi la couleur des blés mûrs,
de la paille ; il se répand sur toute la végétation, en taches plus ou moins
intenses à l’automne.
Ses qualités naturelles lui confèrent un rôle important et fort apprécié dans
la décoration. Quelques touches éclairent une soupente ou font ressortir des
tons plus sombres, dans les bruns comme dans les bleus. Le jaune permet
ainsi à la nature d’envahir nos intérieurs.
La plus belle réussite en cette matière est sans conteste la maison du
peintre Claude Monet, à Giverny. Dans cette demeure campagnarde où
l’artiste passa près de vingt-cinq ans, recevant ses amis, peignant et
s’adonnant à sa passion pour le jardinage, la vaste salle à manger est peinte
en jaune de chrome. Les chaises et les meubles sont de la même couleur.
Harmonie claire et dynamique que le peintre et son épouse faisaient
ressortir lors des déjeuners en disposant des nappes du même ton et en
employant des services de table marqués de bleu. Le décor en a été
reconstitué aujourd’hui par le musée qu’abrite cette maison.
Le passeport jaune
Dans la Russie des tsars, la prostitution était interdite, mais
comme il était impossible d’éliminer le plus vieux métier du
monde (ou réputé tel), Nicolas Ier mit plutôt en place une
législation encadrant cette pratique. Un Comité fut instauré en
1843 pour suivre les prostituées sur le plan médical et éviter les
troubles à l’ordre public. La femme était alors dotée d’un
passeport d’identification de couleur jaune, appelé « ticket
jaune » ou « carte jaune », qui rappelait la réglementation des
maisons closes, mais faisait aussi office de carnet de santé
individuel. En russe, la périphrase « porteuse de billet jaune » est
devenue courante pour désigner une prostituée.
Procédés chromatiques
Le maillot jaune
Tous les cyclistes rêvent de porter un jour le fameux maillot jaune
qui permet de repérer dans le peloton le coureur en tête du Tour
de France. Pourquoi le choix de cette couleur ? La raison, qu’on
a souvent oubliée aujourd’hui – au point que l’expression
s’applique bien au-delà du domaine de la Petite Reine – est liée à
la publicité déjà à l’œuvre au début du siècle. En effet, le jaune
était la couleur du papier du journal L’Auto, qui organisait la
course à l’origine. Ce jaune était une couleur plutôt terne,
destinée aux publications populaires, mais qui, transposée sur la
matière textile du maillot en 1919, est devenue le jaune éclatant
de la victoire.
Les pigments d’ocre jaune sont sans doute parmi les premiers que les
hommes préhistoriques puisèrent dans la nature : dans la grotte de Lascaux,
un cheval jaune frappe les regards. Mais à côté des coloris offerts par la
nature, la chimie a su aussi gâter les artistes plus proches de nous.
Les critiques d’art mettent l’accent sur la palette riche, claire et vive des
impressionnistes. Certes, le choix de ces couleurs correspondait pour les
artistes à des partis pris esthétiques, mais on oublie parfois l’influence
beaucoup plus concrète des progrès de la technologie et de la chimie au
XIX
e
siècle. Il faut d’abord souligner l’invention par l’Américain
John G. Rand en 1841 des tubes métalliques souples qui permirent aux
peintres de transporter leurs couleurs et de peindre en plein air, sans
craindre l’oxydation qui ne manquait pas de se produire dans les anciennes
outres de cuir. N’oublions pas non plus que la chimie inventa et stabilisa à
cette époque bien des couleurs chimiques que les artistes purent directement
utiliser, sans avoir à les broyer, en les mélangeant à des liants. Les jaunes,
notamment, se multiplièrent en offrant de nouvelles nuances : on découvrit
le jaune de chrome en 1810, le jaune de baryum vers 1845, le jaune de
cadmium à la fin des années 1840 et le jaune de cobalt en 1852. Des
marchands de couleurs, comme Tasset et Lhote, devinrent les fournisseurs
attitrés de grands peintres tels que Degas ou Van Gogh.
LES COULEURS EN
CORRESPONDANCE
Les couleurs entre elles forment déjà un système harmonieux. C’est ce
qui a toujours frappé les hommes en admirant un arc-en-ciel.
Richesse et sacré
Dans les édifices sacrés de toutes les religions, on retrouve des ornements
et des objets en or, seule offrande digne des dieux. Dans les temples
hindouistes, même les plus pauvres achètent de petites feuilles d’or, qu’ils
appliquent en signe de dévotion sur les statues des dieux qu’ils vénèrent.
Dans la religion catholique, Jésus et les saints sont représentés avec un
cercle doré et lumineux qui nimbe leur tête, une aureola corona (couronne
dorée) devenue en français une auréole.
Peut-on multiplier les décorations dorées dans son propre intérieur ? Une
règle simple et de bon sens s’impose aux particuliers : il faut, chez soi,
éviter un étalage trop ostentatoire d’objets dorés qui trahirait le nouveau
riche ; des touches discrètes seules relèvent du bon goût.
La couleur orange semble être un or retombé sur terre. Son nom fait
directement référence à l’agrume, qui, par sa couleur chaude et sa forme
ronde, était d’ailleurs appelée « pomme d’or » à Rome. Il faut aussi dire que
l’orange, avec ses multiples pépins, est un symbole de fécondité : elle est
donc associée à l’amour et à Vénus depuis l’Antiquité. C’est pourquoi la
couronne de fleurs d’oranger, blanches au pistil doré, est traditionnellement
posée sur la tête des jeunes mariées en France, en Angleterre et en Espagne.
Ce fruit est un trésor pour la santé avec sa vitamine C, et son arôme est l’un
des plus complexes : on dénombre pas moins de quatre-vingt-dix
substances le composant !
Dans la nature, cette teinte orangée est souvent associée aux fruits :
abricot, chair du melon, de la goyave, de la papaye. Là encore, notre
imagination est sollicitée : c’est toute la profusion de la nature et de l’été
que cette couleur nous suggère. L’orange se retrouve d’ailleurs, de façon
saugrenue, associé comme l’or au rayonnement du soleil : le carotène,
pigment orange qu’on retrouve notamment dans la carotte, est bien connu
pour faciliter le bronzage !
Le Golden Gate
Le Golden Gate Bridge, qu’on pourrait traduire en français par le
pont de la Porte d’Or, est le plus célèbre des ponts suspendus
américains et le symbole de la ville de San Francisco. Il enjambe
le Golden Gate, le détroit qui relie la fameuse baie à l’océan
Pacifique. Sa construction a duré quatre ans, de 1933 à 1937.
Dès l’origine, il a été peint en orange, dans la nuance dite
« international orange ». Le choix de cette teinte par l’architecte
Irving Morrow a donné lieu à quelques polémiques, mais elle
s’est imposée et est devenue la véritable marque de fabrique de
l’édifice.
Divin safran
Une couleur existe concrètement à travers les pigments que les hommes
ont au fil du temps sélectionnés et choisis. En ce qui concerne le rouge, les
matières sont nombreuses et connues depuis longtemps. Il suffit d’évoquer
quelques noms pour en comprendre tout le prestige. Parfois, ces pigments
sont utilisés sur toute la planète depuis des millénaires.
C’est le cas du cinabre, qu’on trouve dès le Néolithique sur des peintures
murales et dans le cadre de rituels thérapeutiques ou funéraires. Cette
poudre d’une couleur intense est connue aussi bien à Byzance qu’en Chine,
mais aussi au Pérou ou au Mexique d’avant la conquête. Il s’agit d’un
dérivé du sulfure de mercure. Substance naturelle d’abord, le cinabre donne
par exemple tout leur éclat aux fresques de Pompéi. Grecs et Romains le
font venir sous forme de minerai brut de mines situées en Espagne ou en
Colchide et le traitent (broyage et lavage) avant de l’utiliser. Il est précieux
et cher, et parfois choisi pour orner les statues des dieux les jours de fête.
Chinois et peuples précolombiens le réservent plutôt pour les rites
funéraires.
Plus tard, les alchimistes vont chercher à le produire de manière
artificielle et lui donneront le nom de vermillon. Dès lors, il apparaît dans
les encres qui permettent de mettre en exergue des mots ou des phrases dans
les manuscrits et pour rehausser les enluminures. Dans toutes les cultures, le
cinabre est lié à la vie, à la mort et à toutes les manifestations de la plus
haute majesté.
Selon les sphères géographiques, certaines matières sont privilégiées.
L’un des premiers foyers d’utilisation des teintes rouges se trouve autour du
Bassin méditerranéen, en Anatolie et en Égypte, où triomphent plusieurs
pigments spécifiques.
L’andrinople, ou rouge turc, par exemple, porte le nom d’une ville d’Asie
mineure. Il est d’un rouge soutenu tirant sur la couleur de la rouille. À base
de chromate et d’oxyde de plomb, fortement toxique, il est utilisé par les
teinturiers. Sa formule est restée secrète jusqu’au Moyen Âge, et les
chimistes allemands parvinrent à la synthétiser à la fin du XVIIIe siècle.
Le carmin est obtenu à partir de deux espèces d’insectes séchés puis
broyés. Le premier, le kermès, est un parasite du chêne. Par dérivation, il a
donné l’adjectif « cramoisi ». On le nomme aussi kermès vermilium (petit
ver) qui s’est transformé dans la langue française en « vermeil ». Ce carmin
écarlate sert depuis l’Égypte antique à teindre les tissus et le cuir.
Cet insecte a pratiquement disparu. L’autre source de carmin est la
cochenille d’Amérique, découverte par les conquistadors. Son pouvoir
colorant est presque dix fois supérieur à celui du kermès. Les Aztèques
pratiquaient l’élevage de cet insecte parasite des cactus pour teindre le
coton et l’alpaga. Son commerce vers l’Europe fut extrêmement florissant.
Enfin, la pourpre à elle seule permet de comprendre toutes les
connotations de puissance qui entourent la couleur rouge. Obtenue à partir
du suc d’un coquillage, le murex, cette teinture animale est l’un des
éléments culturels majeurs du Bassin méditerranéen.
Les Phéniciens en faisaient déjà grand cas à Tyr et à Sidon. Sa production
résulte d’un travail long et complexe, et donc fort coûteux, mais la teinte
obtenue au bout du processus est définitive et ne s’altère pas au fil du
temps. La couleur pourpre est donc rapidement devenue l’apanage des
vêtements d’exception. Les empereurs romains étaient les seuls habilités à
être entièrement vêtus de pourpre, les autres citoyens devant se contenter
d’une bande de couleur sur leur toge, plus ou moins large en fonction de
leur statut social. Le code élaboré par l’empereur Justinien interdisait même
sous peine de mort la vente et le port d’un vêtement pourpre. Symbole de
pouvoir, la couleur est réservée plus tard aux cardinaux de la chrétienté.
L’expression « pourpre romaine » est une métaphore pour évoquer leur
dignité.
Garance
La garance est une plante qui fut cultivée en Flandres dès le
Moyen Âge pour teindre les vêtements. Elle se répandit dans
d’autres régions européennes comme l’Alsace et Avignon. En
France, elle est utilisée de 1829 à la Première Guerre mondiale
pour les pantalons de l’infanterie. Trop visible par l’ennemi, elle
est abandonnée au profit du bleu horizon après bien des
réticences. Garance est aussi le surnom insolite du personnage
inoubliable qu’incarne Arletty dans Les Enfants du Paradis (1945)
film de Marcel Carné sur un scénario de Jacques Prévert.
À feu et à sang
La peur rouge
À deux reprises aux États-Unis, on a évoqué la peur rouge, ou la
peur des rouges, Red Scare en anglais, une première fois, juste
après la Révolution d’octobre 1917 en Russie et jusqu’à 1920,
puis dans les années 1950, durant la période du maccarthysme,
pendant la Guerre froide. Les idées communistes ont alors été
criminalisées par crainte de la contagion et de l’infiltration de
révolutionnaires communistes sur le sol américain.
C’est sans doute parce que le rouge est symbole de puissance qu’il finit
par faire peur, car la force non contrôlée devient dangereuse. Par extension,
le rouge symbolise ainsi certains instincts de l’homme comme l’agressivité,
le goût pour la destruction, mais aussi les pulsions sexuelles, et l’on
retrouve par exemple cette connotation dans les lanternes rouges jadis
destinées à repérer les maisons closes.
C’est le tapis déroulé pour les personnages officiels tout en étant aussi la
couleur favorite des sex-shops ! Le rouge illustre l’énergie vitale et le
courage, mais possède aussi une face cachée. Exprimant la transgression, il
évoque également son contraire, l’interdit. Là encore, les illustrations sont
nombreuses dans notre vie quotidienne : feux rouges, panneaux de
circulation ou barres rouges destinées à prévenir du caractère dangereux
d’un médicament.
Dans les codes d’alerte, le niveau rouge est toujours maximal. Le carton
rouge, inventé après la Coupe du monde de football de 1966, vient
sanctionner la faute sportive la plus grave, entraînant l’expulsion du fautif.
Si la planète rouge, la seule qui apparaît de cette couleur lors des
observations astronomiques du fait de l’abondance de l’oxyde de fer à sa
surface, porte le nom de Mars depuis l’Antiquité, c’est parce que cette
couleur rouge est associée à la violence du dieu de la guerre chez les
Romains.
En communication, le rouge est utilisé quand il y a des connotations de
danger, pour avertir ou interdire, pour combattre le feu. Il permet d’exalter
également une forme de virilité conquérante dans le sport ou l’automobile.
Dans les années 1950 et 1960, les voitures se déclinaient surtout en bleu
marine et noir, excepté les bolides comme les Ferrari. Mais le rouge a su
séduire par la suite les conducteurs de toutes classes sociales, même si
blanc, gris et noir restent encore aujourd’hui prédominants.
Le Baron rouge
Alors que les pionniers du combat aérien cherchaient à se cacher
de l’ennemi en adoptant pour leurs carlingues des couleurs de
camouflage, l’as des as allemand, Manfred von Richthofen (1892-
1918) se distingua en faisant peindre son avion en rouge vif, ce
qui lui valut le surnom de Baron rouge. C’était cependant un
choix stratégique : pendant que les ennemis se focalisaient sur
un avion très visible, apparemment solitaire, le reste de
l’escadrille restait caché dans les nuages et pouvait fondre d’un
coup sur les appareils du camp adverse. Ce grand téméraire
succomba cependant à la suite d’un combat en avril 1918.
Dans certains pays, c’est un croissant rouge qui a été choisi. En France,
certaines pharmacies ont eu jusque dans les années 1950 une enseigne en
forme de croix rouge, mais la loi leur a imposé d’adopter une croix verte.
Le père Noël
Mais d’où vient la couleur du manteau du brave père Noël ? Est-il
là pour soigner les enfants sages ? Jusqu’au XIXe siècle, ce gros
bonhomme est adopté dans les pays anglo-saxons comme une
sorte d’avatar de saint Nicolas. Il syncrétise aussi des traditions
de la mythologie nordique et se retrouve vêtu dans l’imagerie
américaine comme un vieillard des Flandres, avec sa pipe au
coin de la bouche. Vêtu d’un bon manteau, froid oblige, il n’est
pas toujours rouge au début, il peut être vert ou même bleu. Mais
dans les années 1930, aux États-Unis, la marque Coca-Cola
popularise son image et tend à en figer la couleur dominante, qui
fait partie de l’identité visuelle de la boisson. La marche en avant
du père Noël rouge est lancée.
Côté mode, le ton a surtout été donné par le couturier Christian Lacroix,
originaire d’Arles et passionné de tauromachie. Grâce à lui, manteaux et
pulls se déclinent dans une large palette de rouges, de l’écarlate au
vermillon et du carmin au grenat. Voilà de quoi lutter contre l’ennui et la
grisaille ! L’univers de la déco n’échappe pas à la règle, et les salons
d’architecture intérieure mettent régulièrement en valeur sièges et tissus
pourpres ou cramoisis, écarlates ou sang de bœuf…
En décoration, on estime souvent qu’il faut jouer sur le rouge par petites
touches pour réveiller un ensemble un peu fade. Ainsi, une couverture
piquée de rouge jetée sur un divan, un abat-jour couleur feu ou un tapis
vermillon donneront du relief à une pièce. Les spécialistes tentent aussi des
associations avec d’autres tonalités : le cramoisi, sans doute le plus excitant
des rouges, tranche encore mieux s’il se trouve à côté d’un vert sombre, un
peu à la manière des tartans, les fameux tissus écossais. Le blanc, lui,
apprivoise le rouge, donnant un caractère de raffinement à l’ensemble,
comme en témoignent les célèbres toiles de Jouy. Enfin, les tissus rouges
orientaux s’accommoderont particulièrement bien du voisinage des bleu-
vert ou des reflets dorés. Au voisinage d’un feu de cheminée, c’est une
réussite garantie.
Passion et érotisme
Quelles que soient les cultures et les époques, le rouge illustre la passion
et l’Éros triomphant. Les Indiens d’Amérique se passent sur le corps des
pigments rouges dilués dans l’huile afin de stimuler leurs forces et
d’éveiller le désir. C’est aussi la couleur de l’amour divin absolu, aussi bien
chez les Égyptiens que les Hébreux. Quand arrive la crue du Nil, les eaux
qui charrient des limons ferrugineux prennent une couleur rouge qui devient
dès lors le symbole de la fertilité. Dans la culture arabe, le rouge est
fortement érotisé et évoque l’afflux du sang sous l’effet du désir. « Le rouge
gagne toujours » est un dicton très populaire…
Offrir un rubis à une femme, c’est lui déclarer sa flamme. Depuis
l’Antiquité, il passe pour être la plus précieuse des pierres que Dieu a
créées. Symbole d’amour et de loyauté, il unit les époux, leur apportant la
promesse d’un bonheur indéfectible. Dans la symbolique des pierres
précieuses, le rubis exprime aussi le courage, la joie, la prospérité et garantit
la santé à son possesseur. Au Proche-Orient, il est censé cicatriser les plaies
et empêcher les fausses couches.
Quant au langage des fleurs rouges, il est très facile à décoder. Les
variétés sont nombreuses et on trouve toujours une espèce à chaque saison,
même si la rose rouge est indéniablement la reine des déclarations d’amour
quand on veut signifier qu’il ne s’agit pas de sentiments platoniques, mais
au contraire d’une passion ardente. Du coup de foudre à l’idylle passionnée,
toute la gamme des sentiments vifs peut ainsi se révéler. Tulipes, amaryllis,
hibiscus ou encore gerberas, le choix est vaste : il suffit de se faire
conseiller par le fleuriste !
Cyclisme
Tennis
Les tenues blanches étaient la règle au XIXe siècle pour pratiquer le sport
dans les classes supérieures, afin d’éviter toute marque de transpiration,
particulièrement chez les dames. C’est pourquoi quand le tournoi de
Wimbledon a été créé en 1877, le règlement a fixé un code
vestimentaire assez strict avec la règle n° 9 : « Predominantly in white. »
En 2014, on a revu les prescriptions, qui se sont même durcies en
proscrivant le blanc cassé ou la couleur crème. Seules de très fines
bandes de couleur sont tolérées à l’encolure et au bord des manches.
Golf
Fragile et tendre
C’est peut-être la limite de cette teinte qui est vite taxée de mièvre : un
roman « à l’eau de rose », expression qui apparaît au XIXe siècle, renvoie à
des sentiments un peu fades.
Quand on a commencé à différencier les vêtements des nourrissons et des
enfants selon leur sexe, on s’est mis à réserver le bleu aux garçons (alors
que c’était autrefois la couleur de la Vierge Marie) et les filles se sont
retrouvées habillées de rose.
Pour les teintures des tissus, c’est la découverte du bois de brésil
(brasileum), ou pernambouc, qui a permis d’obtenir des teintures fragiles,
mais belles et délicates, qui ont progressivement revalorisé le rose depuis le
XVIe siècle.
Discret érotisme
Depuis les dernières décennies du XXe siècle, la couleur rose s’est trouvée
associée aux moyens d’entrer en contact pour des rencontres coquines. On
parle ainsi de téléphone rose ou de messageries roses. Quant à une série de
téléfilms audacieux, elle a pris le titre de « Série rose ». Il ne s’agit pas là de
pornographie, mais d’un érotisme plus discret. Du coup, cette couleur
tendre n’est plus considérée comme fade, bien au contraire, et depuis la
chanson La Vie en rose, qui a fait le tour du monde, elle est synonyme
d’amour et de tendresse.
Le rose entretient une relation particulière avec les bijoux. En effet, avant
d’être l’énigmatique et mythique personnage de dessin animé figurant au
générique du film de Blake Edwards du même nom (1963), « Panthère rose
» est le nom d’un bijou sur lequel doit enquêter l’inspecteur Clouseau. Ce
diamant est détenu par la princesse Dala, et la protection de ce joyau ne
s’avère pas de tout repos !
Plus sérieusement, il existe des diamants de couleur rose, et un certain
nombre d’entre eux sont célèbres. Le plus ancien est sans doute le Daryā-e
nour, l’un des plus gros et des plus rares. Il fait partie des joyaux de la
couronne iranienne et les chercheurs pensent qu’il est issu du Diamanta
Grande Table décrit en 1642 par le voyageur Jean-Baptiste Tavernier. Il
pèse 182 carats. On peut dire un mot également du Grand Mazarin, du nom
de son premier propriétaire, qui l’a légué à la monarchie française. Martian
Pink, Pink Legacy et Pink Star sont les noms de trois autres diamants roses
plus modernes, découverts au XXe siècle. D’une qualité exceptionnelle, le
Pink Star a fait l’objet de toutes les attentions après une taille délicate, et a
été exposé en 2003 à Monaco.
Girly !
Des diamants aux femmes, il n’y a qu’un pas à franchir : les aventurières
ne sont-elles pas présentées parfois comme des croqueuses de diamants ?
C’est la devise en tout cas de Marilyn Monroe dans le film d’Howard
Hawks Les hommes préfèrent les blondes (1953), avec sa célèbre chanson
Diamonds are a girl’s best friend ! Pour entonner ce refrain, elle arbore une
merveilleuse robe fourreau d’un rose vif, créée par William Travilla. Cette
tenue mythique a été reprise en hommage par bien des femmes célèbres.
Ainsi Madonna, dans le clip de son hit Material Girl, se présente dans la
même tenue provocatrice. Le rose devient alors shocking et plus du tout
mièvre !
Depuis un siècle, on peut dire que le rose est devenu emblématique des
femmes, très girly, tout en représentant par ses nuances la gamme de toutes
les attitudes possibles. On a vu la provocation avec Marilyn, mais on peut
aussi évoquer l’attitude de « Mamie » Eisenhower, première dame des
États-Unis de 1953 à 1961, qui semble vouée aux tenues de cette couleur
qui incarne pour elle la femme dévouée et serviable. On pense aussi au rose
de la célèbre poupée Barbie, bien vif : rares sont les petites filles qui y
échappent !
Pour se moquer de cette vision stéréotypée et contester les propos les plus
machistes de Donald Trump, les participantes de la première marche
féministe qui eut lieu après son élection à la tête des États-Unis, la Women’s
March de Washington, s’étaient tricoté des bonnets à oreilles de chat (pussy
en anglais) et bien entendu roses !
Renversement de valeurs
COULEURS ET PSYCHOLOGIE
La psychologie s’intéresse depuis déjà de nombreuses années à
l’influence des couleurs sur la psyché humaine. Elle s’attache à
comprendre ce que nous percevons symboliquement d’une couleur, qu’il
s’agisse d’une interaction spontanée ou au contraire du résultat d’une
connaissance acquise. Par exemple, les stimuli induits par des couleurs
très vives relèvent plutôt d’une réaction instinctive. Par contre,
l’identification d’une tenue noire comme un signe de deuil dépend
vraiment de la culture du sujet.
Au moment où l’individu perçoit un signal coloré, il en fait une
évaluation qui va exercer sur lui une influence. Une lumière rouge,
surtout clignotante, va l’alerter sur un danger potentiel et l’amener à
stopper son mouvement, voire à s’enfuir. Mais c’est souvent le contexte
qui lui en donnera véritablement la clef. On sait que les soigneurs des
bêtes sauvages dans les zoos évitent de porter des vêtements de couleur
rouge, que les animaux pourraient percevoir comme une agression ou
une menace.
La psychophysique, ou psychologie expérimentale, relève plutôt des
disciplines scientifiques et médicales en observant les impacts sur
l’activité cérébrale, alors que la psychologie des couleurs se situe plutôt
dans le champ des sciences humaines et des études culturelles. En
s’appuyant sur ces études, la sémiologie (étude des signes et de leur
signification) apporte son expertise aux publicitaires et aux architectes
d’intérieur pour les conseiller efficacement.
Il y a des domaines où les études se poursuivent sans être pour le
moment très concluantes. On se demande par exemple si la couleur des
pilules et autres médicaments influe sur leur efficacité. Les urbanistes se
demandent aussi si la couleur de l’éclairage dans les villes pourrait
diminuer la criminalité ou les taux de suicide sur une population. Pour le
moment, rien de déterminant ne ressort de ces investigations.
La répartition des couleurs selon les genres a été très fluctuante en
fonction des époques. Le rose pour les filles et le bleu pour les garçons
n’a aucune origine « naturelle » ! Au Moyen Âge, le rouge pâle est un
symbole de virilité alors que le bleu, associé à la Vierge Marie, est plutôt
destiné aux filles. C’est Madame de Pompadour qui, en s’entichant du
nouveau rose mis au point par la Manufacture de Sèvres, va vouloir en
faire la couleur dominante de son environnement et qui va installer pour
longtemps la valeur de fragilité et de féminité dont se pare cette couleur.
Le marketing au XXe siècle accentue la dichotomie bleu/rose, mais les
dernières années voient ces clichés battus en brèche, et aujourd’hui, leur
signification liée au genre s’est complètement brouillée.
Disons enfin un mot de la couleur des uniformes dans les prisons.
Pendant des siècles, les prisonniers gardaient leurs vêtements de misère
et finissaient en haillons. Puis la société a voulu faire des prisons un
instrument de réhabilitation des hommes, tout en maintenant un haut
niveau de sécurité pour la société. En imposant un uniforme aux
détenus, on pouvait plus aisément les repérer en cas d’évasion ou de
comportement suspect. En même temps, on leur signifiait qu’ils étaient
dans un processus de changement. Il ne faut pas non plus négliger
l’humiliation que ressent le détenu obligé chaque jour d’évoluer dans
une tenue qu’il n’a pas choisie, qu’elle soit rayée noir et blanc ou orange
vif. Parfois, au sein de la prison, les couleurs des uniformes permettent
d’identifier si le détenu est un nouveau venu, s’il travaille à l’extérieur
ou dans quel bâtiment il réside. Certains établissements en profitent pour
casser le moral des détenus : ainsi en Caroline du Nord, une prison les
habille en T-shirt rose avec un pantalon rayé jaune et blanc ! Pas facile
de faire bonne figure et d’avoir l’air d’un caïd…
LE BLEU
Existe-t-il une seule civilisation où le bleu se trouve porteur de valeurs
négatives ? Il semblerait bien que non. Cela s’explique sans doute par la
couleur même d’un ciel serein et sans nuage : le bleu évoque spontanément
à tous les êtres humains le calme, la clarté, la paix. Azuréen, le bleu nous
porte vers l’infini. Il est même la couleur préférée des Occidentaux. C’est
dire comme il n’en finit pas de marquer notre univers de son empreinte.
Divin bleu
De la voûte céleste au paradis, il n’y a qu’un pas, si l’on peut dire. Et dans
bien des religions, le bleu est associé aux plus hautes valeurs spirituelles et
aux divinités principales. C’est ainsi que la peau de Krishna, le divin joueur
de flûte de l’Inde, est bleue. Ce dieu populaire, présenté sous les traits d’un
enfant séduisant, est aussi un maître de sagesse qui distille le secret des
cœurs purs. Il est le huitième avatar de Vishnu, qu’on représente aussi
comme un homme de couleur bleue avec une parure royale et quatre bras.
Bleue aussi la teinte associée à Osiris, le dieu de la religion égyptienne
capable de triompher de la mort. On pense que c’est là l’origine d’une
tradition, celle de peindre en bleu les murs des nécropoles dans toute
l’Égypte. L’autre grande divinité égyptienne qu’est Amon, liée à l’air et au
souffle, est aussi représentée comme un pharaon, mais avec des chairs
bleues.
La tradition juive fait état d’une cité bleue, noyau symbolique présent en
chaque humain, siège de l’immortalité, où l’ange de la mort n’aurait nulle
prise.
Dans tout l’Orient, le bleu agit comme un talisman, quelle que soit la
religion professée : on arbore des amulettes bleues, figurant parfois un œil
en verre. Dans les Cyclades, les Grecs ont pris l’habitude de badigeonner
leurs maisons de peinture bleue pour protéger leur famille contre les
mauvaises influences. Le bleu apparaît donc comme la couleur qui protège
contre les agressions extérieures. Peut-être est-ce la raison pour laquelle
l’ONU a choisi cette couleur symbolique pour les soldats de la paix que
sont les Casques bleus.
Bleu de l’Occident
Précieux et rare
De même que pour les matières textiles, le bleu fut longtemps difficile à
fixer durablement pour les poteries. En effet, la température de cuisson des
porcelaines est très haute et rares sont les pigments qui supportent de telles
chaleurs.
Dans les arts décoratifs, cette couleur est ainsi devenue précieuse. On peut
encore noter les fonds bleus qu’utilise le créateur britannique Josiah
Wedgwood au XVIIIe siècle : ses porcelaines non vernissées sont juste
rehaussées de figures en camée blanc s’inspirant des vases romains de
l’Antiquité.
Le bleu de Chartres
L’obtention du bleu dans les vitraux est le résultat de techniques
très précises. Au XIIe siècle, pour la basilique de Saint-Denis, on
élabore un fondant sodique à partir de cobalt très coûteux
importé de Russie, d’antimoine, de cuivre et de fer. C’est le secret
du bleu de Chartres, qui triomphe dans le vitrail de Notre-Dame
de la Belle Verrière, une Vierge à l’enfant enveloppée d’un
manteau d’un bleu clair très lumineux. À partir du XIIIe siècle, la
composition de la pâte de verre change : le potassium remplace
le sodium et on utilise de la cendre de hêtre. Les vitraux
présentent alors un bleu plus sombre et moins éclatant.
Royal Blue en anglais, bleu roi en français, les noms de couleurs associent
volontiers le bleu à la monarchie. Et sous la Révolution, le régiment des
Gardes françaises voit la couleur de son uniforme rebaptisée : de bleu roi,
elle devient bleu national ! Ce bleu oscille entre le bleu azur soutenu et le
bleu marine. On l’appelle aussi bleu de France, ou gros bleu. Toutes ces
appellations font aussi référence à des techniques de teinture développées
par les drapiers. L’uniforme de l’infanterie française se compose jusqu’à la
Première Guerre mondiale d’un manteau bleu sur un pantalon rouge
garance. Il peut sembler cocasse que le bleu de Prusse, ou bleu de Berlin,
découvert au XVIIIe siècle par le marchand de couleurs allemand Johann
Jacob Diesbach et adopté pour l’uniforme de l’armée prussienne à l’époque,
soit ensuite devenu le bleu de Paris, quand son secret fut divulgué auprès
des chimistes français. Quoi qu’il en soit, le bleu foncé est associé aux
militaires et aux forces de l’ordre. Il s’agit presque d’une variante du noir,
en moins austère, qu’on retrouve aussi avec les blasers chics, les jupes
plissées traditionnelles ou bien les vêtements ouvriers et même les blue-
jeans. Jugée moins triste que le noir, cette couleur est assez passe-partout.
N’oublions pas que le bleu est aussi la couleur du maillot de l’équipe de
France dans les sports les plus populaires. L’expression « Allez les Bleus ! »
est l’encouragement le plus couramment crié au bord des terrains de
football à ces héros des temps modernes. Mais ce ne fut pas toujours le cas.
La France jouait initialement en blanc. C’est en 1908, face à l’Angleterre
dans un match amical que l’équipe de France arbore le maillot bleu pour la
première fois. On peut dire que les sportifs français ne sont pas
superstitieux, car, malgré la sévère défaite par 12 buts à 0, ils ne
renonceront pas à cette couleur ! La tenue française, avec bleu uni pour le
maillot, short blanc et bas rouges est définitivement adoptée à partir de
1919.
Le sang bleu
D’où vient l’expression « avoir le sang bleu », qui veut dire être
un aristocrate ? Il semblerait que l’expression ait pris son origine
en Espagne. Les nobles dans toute l’Europe se protégeaient du
soleil pour éviter de présenter des visages burinés comme ceux
des paysans exposés dehors en tout temps. Sous leur peau
blanche et fine, on pouvait donc voir se dessiner tout le réseau de
leurs veines qui semblaient alors délicatement bleutées…
La vie en bleu
Mystère résolu !
Pourquoi le homard qui arbore de son vivant une teinte d’un bleu
assez profond devient-il rouge à la cuisson ? En mangeant le
plancton, il accumule une protéine, la crustacyanine, qui se lie
avec les pigments de sa carapace et qui la teinte en bleu. Cette
apparence lui confère une certaine capacité de camouflage dans
la mer. Par contre, lorsqu’il est ébouillanté, cette protéine se
décompose et le pigment orange de sa carapace, riche en
caroténoïdes, reprend le dessus.
Dans les tableaux classiques, pour représenter les différents plans jusqu’à
l’horizon, les peintres jouaient sur des dégradés de vert pâle et de bleu. Les
couleurs se noient dans le bleu lorsqu’elles s’éloignent de nous. Phénomène
plus étonnant, au-dessus de certaines montagnes se dévoile une sorte de
halo bleu qui viendrait des aérosols libérés par certaines espèces d’arbres.
C’est ce qui a donné son nom aux montagnes Blue Ridge de Virginie, aux
États-Unis, et peut-être aussi à la fameuse expression de Jules Ferry « la
ligne bleue des Vosges », pour évoquer la frontière franco-allemande après
la guerre de 1870.
Blues
En anglais, l’expression « to get to blues » signifie avoir des idées
noires, et les blue devils correspondent à ce que nous appelons
dépression. Aussi, en 1903, quand pour la première fois le
musicien William Christopher Handy entend sur le quai d’une
petite gare du Mississipi un homme d’une infinie tristesse chanter
en grattant sa guitare, le mot « blues » s’impose à lui pour
qualifier ce qu’il entend. L’homme noir presse un couteau sur les
cordes de son instrument comme le font les Hawaïens et il en tire
des sons déchirants. Il adaptera plus tard cette mélodie sous le
titre de Yellow dog blues, chanté par Bessie Smith.
Techniquement, le blues se caractérise par l’altération des
troisième et septième notes de la gamme, qui passent ainsi des
tons majeurs aux tons mineurs. Ces blue notes seront ensuite
adoptées par tous les musiciens de jazz. L’expression blue notes
est restée célèbre et c’est le nom choisi par plusieurs boîtes de
jazz des deux côtés de l’Atlantique. C’est aussi le nom d’un label
mythique fondé en 1939 par Alfred Lion et Max Margulis qui
perdure encore. Claude Nougaro y enregistra son dernier album
en 2004, intitulé comme il se doit La Note bleue.
Il ne faut pas croire qu’en décoration, le bleu soit réservé aux salles d’eau,
aux douches et aux cuisines, même si le bleu très clair et lumineux semble
particulièrement donner un sentiment de propre et de frais. Transparent et
rafraîchissant, le bleu est censé aussi éloigner les mouches ! Les décorateurs
envisagent un emploi beaucoup plus large de cette teinte, notamment car la
gamme en est extrêmement étendue.
Il faut réserver une mention spéciale au bleu-gris que les Suédois ont
traditionnellement associé au jaune dans le style dit « gustavien ». Le roi
Gustave III monta sur le trône en 1771 et s’inspira de l’art décoratif français
qu’il appréciait particulièrement. Le choix se porta alors sur des teintes très
adoucies, pastel, des gris, des bleus, des verts à peine teintés et rehaussés de
jaune pâle ou de rose poudré. La céruse, la lasure ou la patine à la cire sont
préférées à la laque ou aux vernis brillants. Ces associations créent une
parfaite harmonie, accrochent le moindre rayon de soleil et recréent une
atmosphère sobre et élégante.
N’oublions pas non plus la place d’un bleu franc dans la décoration des
cabines de bateau ou des maisons de bord de mer. Cette fois, c’est au blanc
que le bleu est associé. Même si les rayures rappellent un peu trop la
traditionnelle marinière bretonne, l’alliance des deux teintes est une valeur
sûre qui évite toutes les fautes de goût. Elle crée une ambiance de vacances
et d’évasion.
LE NUANCIER
Aigue-marine
Azur
Azurin
Bleu ardoise
Bleu barbeau
Bleu bleuet
Bleu bondi
Bleu céleste
Bleu céruléen
Bleu charrette
Bleu charron
Bleu ciel
Bleu cobalt
Bleu de Berlin
Bleu de France
Bleu de minuit
Bleu de Prusse
Bleu denim
Mers du sud
Bleu dragée
Bleu égyptien
Bleu électrique
Bleu guède
Bleu horizon
Bleu Majorelle
Bleu marine
Bleu maya
Bleu minéral
Bleu nuit
Bleu outremer
Bleu paon
Bleu persan
Bleu pétrole
Bleu roi
Bleu saphir
Bleu sarcelle
Bleu smalt
Bleu Tiffany
Bleu turquin
Canard
Cérulé
Cyan
Fumée
Givré
Indigo
Klein
Lapis-lazuli
Lavande
Pastel
Pervenche
Turquoise
INTERMÈDE
Arborer ses couleurs, voilà la fierté de tout noble depuis le XIIe siècle.
Les armoiries reflètent en réalité un système complexe d’emblèmes qui
s’est constitué au fil des siècles. À l’origine, l’usage des blasons est
dicté par des considérations pratiques : il s’agit de reconnaître les
groupes en présence au combat ou les champions qui s’affrontent lors
des tournois. Mais petit à petit, leur diffusion s’est amplifiée jusqu’à
marquer les objets précieux de la vie quotidienne, livres, vaisselle,
carrosses, livrées des serviteurs.
Le blason devient une sorte de carte d’identité, une marque de
reconnaissance qui n’est d’ailleurs pas, contrairement aux idées reçues,
réservée à l’aristocratie. Chacun peut s’inventer un blason, en respectant
quelques règles.
Les armoiries sont constituées de divers éléments, comme des lions, des
aigles, des fleurs de lys ou des tours, mais c’est la répartition des
couleurs qui en codifie définitivement la composition. Seules sept
couleurs sont employées et elles sont rebaptisées par l’héraldique :
Argent : le blanc
Or : le jaune
Gueules : le rouge
Sable : le noir
Azur : le bleu
Sinople : le vert
Pourpre : le gris violacé
Il faut d’emblée dire que ces couleurs sont en quelque sorte abstraites :
peu importent les nuances, l’azur peut être représenté par un bleu ciel ou
un bleu marine, c’est l’idée de bleu qui est utilisée comme emblème.
Argent et or appartiennent à un premier groupe, les autres couleurs à un
second. La règle interdit de superposer ou de juxtaposer des couleurs du
même groupe. On voit bien là comment les couleurs assurent une
structure fixe et contraignante, et constituent ensemble un véritable
système symbolique. Ajoutons que si de nos jours les blasons sont
tombés en désuétude, nous pouvons voir chaque jour des avatars de ces
emblèmes dans les couleurs des clubs de football, les casaques des
jockeys, les logos de certaines firmes ou encore les drapeaux nationaux.
Marques d’encre
L’heure solennelle
C’est par les bouquets que le violet reparaît dans notre univers quotidien,
dans toute la richesse de ses nuances. En effet, combien de variétés de
fleurs déclinent la gamme des violets, tirant davantage sur le rouge-rose ou
sur le bleu ? Il suffit de citer, pêle-mêle, les bougainvillées, le pétunia, le
lilas, la mauve, l’iris, la jacinthe, l’hortensia, le chrysanthème, le fuchsia ou
la pensée… Les parfums associés à ces fleurs contribuent à créer une
atmosphère de secret autour de cette couleur.
La fleur qui en est la plus indissociable est évidemment la violette. Petite
fleur à cinq pétales, elle est traditionnellement le symbole de la modestie,
sans doute parce qu’elle pousse en sous-bois et se dissimule dans son
feuillage. Elle est aussi une fleur funéraire, celle que Proserpine cueillait
lorsqu’elle fut envoyée aux Enfers, et elle se trouve, du coup, marquée par
de nombreuses superstitions populaires, négatives (elle annoncerait les
décès), ou positives (elle protégerait contre les fièvres)… Retenons plutôt
son délicat parfum, léger et frais, qui en fait l’une des fragrances préférées
des toutes jeunes filles.
Aux États-Unis, le lilas violet a été choisi par le New Hampshire comme
emblème national. Quant à la violette des bois, elle est celui du Wisconsin,
région où il n’en pousse pas moins d’une vingtaine de variétés !
Dignité ou rébellion ?
Depuis le début du XXe siècle, les féministes ont cherché à sortir des
images stéréotypées. Le rose bonbon ou les couleurs pastel ne leur
convenaient guère, pas plus que l’image faussement masculine qu’on
voulait plaquer sur elles. Dès 1908, Emmeline Pethick-Lawrence,
journaliste très active parmi les suffragettes du WSPU (Women’s Social and
Political Union) a cherché une palette de couleurs pour représenter le
combat des femmes pour leurs droits.
Bon appétit !
On s’est étonné – voire scandalisé – de la couleur mauve dont
les fabricants de bonbons avaient teinté certaines friandises
gélatineuses qui semblaient peu appétissantes aux adultes. Ces
mêmes bonbons en sont venus à colorer le Purple Drank, cocktail
psychotrope à base de codéine, très dangereux, devenu à la
mode dans les années 1990 dans le milieu hip-hop américain et
qui a produit des drames.
Mais si on y réfléchit bien, la nature, d’elle-même, a paré bien des
aliments d’une teinte violette bien tentante pour nos papilles.
Bord violacé des feuilles d’artichaut, violet sombre des
aubergines ou des figues, curieuse teinte vineuse des choux
qu’on dit rouges, mais qui sont plutôt violets… Et surtout, les
baies si savoureuses : cassis, mûres, myrtilles ! Ne font-elles pas
venir l’eau à la bouche ? Mystérieux stimuli de l’appétit…
LE NUANCIER
Améthyste
Aubergine
Bleu-violet
Glycine
Héliotrope
Indigo
Lavande
Lilas
Mauve
Orchidée
Parme
Prune
Violet d’évêque
Violet minéral
Violine
Zinzolin
INTERMÈDE
MYSTIQUE ET ÉSOTÉRISME
Les grands textes mystiques parent volontiers les phénomènes
surnaturels de diverses couleurs. Dans le récit de l’Apocalypse de saint
Jean, les quatre cavaliers se distinguent par leur couleur. Ils apparaissent
lorsque la fin du monde se déclenche, à l’ouverture des quatre premiers
sceaux. Le cavalier blanc est un conquérant muni d’un arc, le rouge,
porteur de l’épée, apporte le conflit et répand le sang, le cavalier noir
avec sa balance va répandre le manque et la famine, enfin le vert répand
la peur et la mort.
Le récit de l’Éveil du Bouddha est aussi marqué par des auras de
couleurs différentes qui se dégagent et qui signifient les cinq sources de
perfectionnement du bouddhisme : le bleu pour la méditation, le jaune
pour la pensée juste, le rouge pour l’énergie spirituelle, le blanc pour la
foi et l’orange, couleur la plus parfaite qui est la combinaison des autres,
pour l’intelligence.
Toutes les théories ésotériques ont aussi cherché à faire correspondre les
valeurs, les couleurs, les pierres, les métaux et les planètes dans des
systèmes souvent complexes.
Les alchimistes distinguent d’abord dans leur travail sur la matière
plusieurs étapes auxquelles ils attribuent des couleurs. Ainsi la première
phase est l’œuvre au noir, qui en chauffant divers ingrédients, minerai,
métal et acide, obtient un liquide bleu-noir. Ensuite, par l’œuvre au
blanc se produit une purification qui aboutit théoriquement à l’élixir de
longue vie, à la Pierre Blanche et au parachèvement du Petit Œuvre.
Dans l’œuvre au jaune, l’alchimiste cherche à recombiner autrement les
éléments et à les sublimer. Enfin, l’œuvre au rouge réalise l’union du
mercure et du soufre, obtient la Pierre Rouge appelée aussi Pierre
philosophale, et achève le Grand Œuvre. Ce sont évidemment les étapes
idéales d’un projet toujours en devenir.
Les Mésopotamiens associaient chaque corps céleste à une couleur et à
un métal, ce que reprennent les tenants de l’hermétisme. Ainsi, le soleil
est jaune et associé à l’or, la lune blanche liée à l’argent, Mars est rouge
et tient de la rouille, Mercure orange correspond au mercure,
évidemment, Vénus est verte et associée au cuivre, Jupiter bleu est lié à
l’étain, et enfin Saturne est noir et associé au plomb. Les adeptes de
l’ésotérisme ont ensuite parfois complexifié et revu ces réseaux de
correspondances.
Voici, par exemple, le tableau un peu simplifié que propose Papus (de
son vrai nom Gérard Anaclet Vincent Encausse), fondateur de l’ordre
martiniste, occultiste très célèbre de la Belle Époque :
Couleur Corps céleste Pierre Vertu
Rouge Mars Rubis Audacieux
Vert Vénus Émeraude Ingénieux
Jaune Mercure Chrysoprase Joueur
Bleu clair Lune Chrysolithe Vagabond
Orange Soleil Topaze Grande âme
Violet Jupiter Améthyste Colérique
Noir Saturne Onyx Ambitieux
Bleu foncé Saturne Aigue-marine Marchand
Gris Jupiter Jaspe Fécond
LE NOIR
Nous posions une question pour le blanc : s’agit-il d’une couleur ? Nous
pouvons être saisi par le même doute en ce qui concerne le noir. On oppose
bien en photographie le noir et blanc à la couleur. Il n’empêche que le noir,
entre deuil, ténèbres et élégance raffinée est à part entière une couleur, au
cœur même de la mystique et de l’esthétique.
Sans lumière, tout est noir… même les chats ne peuvent sembler gris
qu’avec un minimum d’éclairage ! Le noir suggère donc avant tout les
ténèbres, l’absolu d’un vide et d’une absence. Le peintre Kandinsky
l’évoque ainsi : « Comme un rien sans possibilité, un rien après la mort du
soleil, comme un silence éternel, sans avenir, sans l’espérance même d’un
avenir, résonne intérieurement le noir. »
Plus encore que la nuit qui revient et repart, le noir évoque les ténèbres
originelles. Dans certaines cultures, une divinité les incarne et combat le
dieu soleil. Ainsi, dans la mythologie slave, Tchernobog, dieu de
l’obscurité, s’oppose à Belobog, divinité solaire. Au moment de la
christianisation de ces territoires, cette sombre divinité a été identifiée à
Satan et au diable, seigneur de la noirceur absolue, entité dont il faut se
protéger.
De même, dans la Bible, avant la création du monde par le Verbe, les
ténèbres règnent partout : « [Avant que] la lumière soit, la terre était
informe et vide, les ténèbres recouvraient la face de l’abîme. »
Silence, profondeur abyssale : les premières valeurs du noir sont
angoissantes. Selon la mythologie gréco-romaine, la nuit, qui est capable
d’engendrer le sommeil, mais aussi la mort, est finalement à l’origine du
cortège désolant de la misère, de la maladie et de la vieillesse.
Dans les récits mythiques de la féodalité, le chevalier noir représente
toujours le noble en rupture de ban, celui qui a refusé de prêter allégeance et
dont les armoiries restent inconnues. Combattant sans bannière, sans écuyer
et sans page pour le servir, le chevalier noir, visage masqué par son heaume,
inspire toutes les inquiétudes. Son anonymat le place en marge de la société
médiévale, mais permet aussi d’imaginer toutes les ruses ou les
travestissements d’identité, ce qui fait de lui un personnage important des
contes et légendes.
Sur les mers aussi, le pavillon noir des pirates du XVIIIe siècle répond en
quelque sorte à la même logique. En effet, les corsaires engagés pour servir
un pays arboraient le drapeau de la nation qui les payait. Par contre, le
flibustier à son compte n’a pas d’autre couleur à faire valoir que le drapeau
noir à tête de mort et fémurs (ou sabres) croisés : destiné à impressionner
l’adversaire en lui rappelant qu’il n’a plus guère de temps à vivre, cet
étendard traduit aussi une mise à l’écart du système de valeur de la marine
régulière. Souvent, au moment même de l’attaque, les pirates hissaient
ensuite un pavillon rouge signifiant qu’il n’y aurait pas de quartier. On
appelle parfois le pavillon des pirates Jolly Roger. L’origine en serait
française, car les boucaniers parlaient du « joli rouge » pour désigner le
pavillon écarlate. Cette expression, prononcée par des anglophones, se
serait transformée en Jolly Roger et serait restée utilisée pour le drapeau
pirate noir à tête de mort.
L’obsidienne
L’obsidienne est une roche noire d’origine volcanique qui revêt
une importance considérable dans toute l’Amérique centrale.
Très dure, elle permet en effet de réaliser des objets
particulièrement tranchants à partir de l’arête de ses cassures.
L’obsidienne est présente pratiquement sur tous les sites
archéologiques à travers des objets utilitaires ou des armes,
parfois aussi sous forme de statuettes. Cependant, elle est aussi
le matériau de prédilection pour confectionner les objets rituels
que sont les poignards destinés au sacrifice, les peuples
précolombiens associant cette pierre au sang versé. Dans les
rituels d’autosacrifice, le sang ne peut être versé que par un
couteau en obsidienne.
Le noir en majesté
En Occident, le noir a parfois aussi tout l’éclat du sacré. Pensons aux
mystérieuses Vierges noires, statues féminines qui figurent la Vierge Marie,
mais parfois aussi sainte Anne ou Sara la Noire, personnage révéré par la
communauté des gens du voyage, en particulier lors du pèlerinage des
Saintes-Maries-de-la-Mer. Ces effigies, qu’on retrouve en particulier dans le
sud de la France, utilisent des matériaux variés.
Parfois il s’agit du bois noir de l’ébène, parfois d’un bois local noirci par
des pigments qui se sont oxydés avec le temps, comme le blanc de plomb.
Mais qu’il s’agisse d’une intention première ou d’un effet du temps, leur
couleur noire est devenue un symbole de sacré et de mystère.
Elle les relie aussi à une très ancienne tradition, celle des déesses mères
des religions antiques, égyptiennes ou coptes, auxquelles on demande
souvent leur intercession pour favoriser la grossesse. Mais ces objets sont
souvent d’abord des reliquaires de la Madone, sans doute rapportés de Terre
sainte pour les plus anciennes, comme on a pu le voir à partir d’analyse de
fragments permettant d’identifier des essences d’arbres du Proche-Orient.
Les icônes byzantines ou syriennes représentent aussi souvent des Vierges à
l’enfant de couleur noire.
Ces statuettes sont en tout cas au cœur de légendes locales. Ainsi, la
Vierge noire de Rocamadour aurait été sculptée par saint Amadour lui-
même, converti par Jésus et venu ensuite en Gaule, ce qui lui conférerait un
pouvoir d’intercession : le pèlerinage vers le sanctuaire, attesté depuis une
époque très ancienne, est célèbre depuis le XIIe siècle. Celle du Puy-en-Velay
aurait une origine orientale. Rapportée de croisade par le roi Louis IX selon
la légende, on la connaît par une gravure qui la représente, mais elle a été
brûlée à la Révolution.
La Forêt-Noire
Le nom du massif montagneux de la Forêt-Noire (Schwarzwald
en allemand) évoque les divinités gauloises et celtes que ces
peuples imaginaient vivre dans les bois et qu’ils représentaient
comme des sylves noires. Abnoba ou encore Arduinna, latinisée
en Diane Arduenna, ou encore Vosegus : toutes ces appellations
renvoient à ces entités divines sombres attachées aux lieux
sylvestres. On y retrouve l’origine aussi du nom de la forêt des
Ardennes ou du massif des Vosges.
La peste noire
La grande épidémie de peste bubonique qui a si tragiquement
frappé l’Europe au milieu du XIVe siècle en tuant plus de vingt
millions d’individus en seulement quatre à cinq ans est connue
sous le nom de « peste noire », ou « mort noire » depuis les
historiens du XVIe siècle. Le terme ne se réfère pas à des raisons
cliniques ou médicales, cet adjectif traduit plutôt le deuil continu
qui frappait les familles et l’horreur de cette pandémie.
Le noir fait partie des pigments utilisés dès les temps préhistoriques dans
l’art rupestre. Brillant ou mat, il est présent dans toute l’histoire de la
peinture. Cependant, deux peintres en ont fait un usage très particulier.
D’origine ukrainienne, né à Kiev en 1879, Kasimir Malevitch est un
peintre et un sculpteur qui a marqué l’art moderne en créant un courant
intitulé le suprématisme (voir le chapitre sur le blanc). Intéressé par la
recherche sur les tableaux monochromes, il a peint en 1915 son œuvre
intitulée Quadrangle, un carré noir qui a fait couler beaucoup d’encre. Entre
spiritualité et canular, l’œuvre a suscité bien des réactions. Pas tout à fait
carrée, pas purement noire, est-elle le fruit du hasard lors d’un repentir du
peintre qui aurait barbouillé de noir une autre œuvre ? Ou au contraire
répond-elle à la fonction d’une icône ? Il s’agit en tout cas d’un geste
artistique de provocation futuriste. Lors de ses obsèques, selon les volontés
de l’artiste, une reproduction du tableau a accompagné Malevitch sur son
corbillard.
Mais pour le noir, c’est sans conteste Pierre Soulages (né en 1919) qui est
le peintre le plus célèbre. La légende dit qu’en 1931, le petit garçon de
douze ans rêve devant les grilles très sombres de l’abbaye romane de
Conques, grilles qui ont été forgées à partir de chaînes de bagnards évadés.
Pour lui, c’est désormais clair : art et liberté sont indissociables et le noir
devient sa couleur préférée à tout jamais. Il l’appelle volontiers « noir-
lumière », ou encore, à partir de 1990, « outrenoir » : « Au-delà du noir une
lumière reflétée, transmutée par le noir. Outrenoir : noir qui cessant de l’être
devient émetteur de clarté, de lumière secrète. Outrenoir : un autre champ
mental que celui du simple noir. » Pour lui, la couleur noire contient en elle
toutes les autres et détient ainsi une force de vie inépuisable. Il l’emploie
pour faire resplendir la lumière. Sa première toile noire monochrome est
Peinture 162 × 127 cm, 14 avril 1979, conservée au musée de Montpellier.
Dès lors, il ne travaille plus avec d’autres pigments, en jouant seulement
avec des effets de lumière. À la fin des années 1980, des commandes
publiques viennent marquer sa consécration : il fournit des cartons pour des
tapisseries, mais surtout, il s’attèle à la conception de 104 vitraux pour
l’abbaye de Conques, renouant ainsi avec ses premières émotions
esthétiques d’enfant.