Nicole Masson-Le Langage Secret Des Couleurs-Jericho

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Le langage secret des couleurs

YANN CAUDAL ET NICOLE MASSON


© IDEO 2022, un département de City Éditions
Couverture : Shutterstock/Studio City
ISBN : 9782824636122
Code Hachette : 18 1373 3
Collection dirigée par Christian English & Frédéric Thibaud
Catalogues et manuscrits : city-editions.com/IDEO
Conformément au Code de la Propriété Intellectuelle, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent
ouvrage, et ce, par quelque moyen que ce soit, sans l’autorisation préalable de l’éditeur.
Dépôt légal : Février 2022
INTRODUCTION
Les couleurs nous entourent et nous transmettent leur énergie, qu’elle soit
ressentie comme positive ou au contraire comme néfaste. Suivant les lieux
et les circonstances, nous avons intégré dans notre culture quelles couleurs
sont les plus appropriées, car elles répondent à des codes complexes que
nous vous invitons à découvrir dans cet ouvrage.

Tout un monde de symboles

Chaque civilisation et chaque religion ont donné aux couleurs des sens
profonds liés aux croyances les plus intimes. Si le bouddhisme consacre la
couleur orangée, l’islam met à l’honneur le vert. En associant certaines
entités spirituelles à des couleurs bien précises, les cultures ont fait des
couleurs le support de valeurs qui influencent beaucoup nos
comportements. Les théories ésotériques se sont aussi emparées des
couleurs pour leur associer des valeurs et imaginer des réseaux de
correspondances avec les planètes, les pierres précieuses ou les types
humains. Ce livre vous aidera à vous repérer dans cette symbolique parfois
complexe, qui explique parfois les superstitions liées aux couleurs.

À chaque culture sa couleur majeure

Une enquête toute simple demandant « Quelle est votre couleur


préférée ? » donne des réponses massivement semblables dans une même
aire géographique. Dans les pays occidentaux, plus de la moitié des
réponses donnent le bleu, par exemple, alors qu’au Japon, le rouge est
plébiscité.
On peut y voir la preuve que nos goûts les plus personnels sont en réalité
dictés par notre culture, et les couleurs n’échappent pas à la règle. Chacune
correspond à un réseau de significations précises, élaboré au fil des siècles,
voire des millénaires. Si depuis le Moyen Âge, le bleu illustre en Occident
l’infini, le rêve, elle se trouve investie d’une puissance considérable. Nous
sommes donc en partie conditionnés par les représentations de ceux qui
nous ont précédés depuis des siècles.

Des codes sociaux assez stricts


Figées par nos codes sociaux, les couleurs sont-elles à jamais prisonnières
de leur image ? Sans doute pas, mais ce domaine connaît à l’évidence des
évolutions très lentes. Ainsi, les circonstances les plus marquantes d’une vie
se retrouvent liées à des couleurs auxquelles on échappe difficilement.
La robe de mariée en Occident est aujourd’hui blanche, le deuil se porte
en noir. Sous d’autres latitudes, c’est le blanc ou le jaune qui seront associés
au deuil. Les sociétés restent très conservatrices sur ces usages, qui sont
autant de repères. Les historiens sont formels, les phénomènes de mode –
très ponctuels – disparaissent souvent sans laisser de traces. Les vrais
renversements de tendance sont beaucoup plus lents, mais plus inexorables
aussi.

Les couleurs nous parlent

Chaque couleur possède des significations précises et nos choix en la


matière en disent long sur nous-mêmes et ceux qui nous entourent. Si nous
nous y intéressons de plus près, nous pouvons aisément commencer à en
jouer. Une chambre peinte en bleu ou en vert, teintes sereines et reposantes,
favorise la relaxation. En revanche, quelques touches d’un rouge tonique
dans une cuisine ou un bureau, lieux d’activités par excellence, participent à
la vitalité familiale ou professionnelle.
De même, la signalétique associe spontanément certaines couleurs au
danger, comme le rouge, d’autres à la santé, comme le vert et le blanc. Les
spécialistes de l’image, les sémiologues, sont ainsi capables de conseiller
sur le choix des couleurs d’un logo ou de la dominante d’une campagne de
communication. Les professionnels du marketing, eux, jonglent avec les
couleurs, mais ne prennent guère le risque de détourner les codes, sous
peine de faire baisser les ventes. Aujourd’hui encore, la plupart des marques
préfèrent ancrer leur image en reprenant strictement les codes des couleurs.

Et nous nous révélons par la couleur

Deux domaines sont particulièrement attentifs à l’emploi des couleurs : la


mode et la décoration. Chaque saison voit apparaître de nouvelles
tendances, mais il s’agit souvent de jeu sur les nuances. La valeur majeure
des couleurs peut être décryptée. Les couleurs dévoilent également bien des
traits de personnalité. Apprendre à déchiffrer ce langage offre de nombreux
atouts. Lorsqu’on choisit quelle pièce de sa garde-robe on va arborer pour
une soirée ou un rendez-vous, on se met déjà dans un état d’esprit et une
humeur que les autres, s’ils sont un peu attentifs, pourront observer. Si on
enfile une robe rouge écarlate, on affirme haut et fort qu’on possède
beaucoup d’énergie, voire un soupçon d’autorité. On envoie ainsi un
message à son entourage. De même, les couleurs dont on s’entoure dans son
environnement familier disent aussi quel rapport on entretient avec le
monde extérieur.

Des palettes inoubliables


Ce sont sans conteste les peintres qui sont les virtuoses de la couleur,
spécialistes des pigments et de leur mélange. Les artistes savent jouer sur
des palettes de couleurs particulières. Ils perçoivent sans doute encore
mieux que le commun des mortels la vibration secrète de chacune d’elle.
Impressionnistes et pointillistes en particulier savent mettre à l’unisson des
coloris complémentaires pour créer l’émotion chez le spectateur du tableau.
Certains artistes comme Kandinsky ont même théorisé leurs conceptions.
D’autres encore ont su trouver leur couleur « signature », comme Klein
avec le bleu ou Soulages avec le noir.
Les couleurs forment des systèmes

Cet ouvrage est construit en chapitres centrés sur les couleurs majeures
pour en repérer les valeurs et les symboles, pour analyser les faits culturels
qui leur sont liés et pour en comprendre les ressorts psychologiques. Mais il
ne faut pas négliger que chaque couleur existe aussi par rapport aux autres
et forme même le plus souvent un ensemble cohérent dans un système.
Ainsi reliées entre elles par un réseau complexe d’interactions et de
significations, les couleurs se dévoilent parfaitement lorsqu’on les examine
ensemble. Aussi, entre chaque chapitre, nous avons conçu des
« intermèdes » qui permettent d’observer les couleurs entre elles
lorsqu’elles composent un langage secret.
Il est maintenant temps de partir avec nous à la découverte d’un monde
foisonnant, fascinant, bariolé qui vous en apprendra beaucoup sur vous-
même.
LE BLANC
Le blanc est-il une couleur ? La question peut sembler saugrenue, mais le
blanc a toujours connu un curieux destin. Tantôt il est considéré comme une
non-couleur, une forme de neutralité absolue, tantôt il représente au
contraire la somme de toutes les couleurs confondues. Au fond, les deux
extrêmes se rejoignent et, toujours gouverné par l’ambivalence, il exprime à
la fois l’origine et la fin, la naissance et la mort.

Au commencement était le blanc

Le soleil ne perce pas encore. Une pâle lumière enveloppe la campagne…


Pour la plupart des peuples, le blanc est avant tout la couleur de l’aube,
quand la lumière, même encore un peu blafarde, triomphe de l’obscurité. Et
c’est à partir de cette observation de la nature que s’est fondée une grande
partie de sa valeur symbolique. Le premier matin, empli des promesses du
jour, réunit ces instants magiques où rien n’est encore accompli, où tout
reste à créer, comme se plaît à le rappeler le peintre russe
Vassily Kandinsky : « Le blanc regorge de possibilités vivantes. C’est un
rien, plein de joie juvénile… Un rien avant toute naissance, avant tout
commencement. » Le blanc est donc d’abord lumineux et brillant, lié aux
notions de pureté et d’innocence, à la virginité de tout ce qui n’a pas encore
été réalisé.
La plupart des utilisations du blanc témoignent d’ailleurs de ce potentiel,
de cette énergie en devenir. Ainsi le blanc se veut le symbole des premiers
jours de la vie, à l’image de la blancheur du lait maternel. Dans le même
esprit, il demeure également la couleur traditionnelle des robes de celles qui
vont vers le mariage, en signe d’innocence et de pureté. Car une fois l’union
consommée, l’usage du blanc disparaît.
La couronne blanche de l’Égypte
La couronne de la Haute-Égypte se nomme Hedjet, qu’on peut
traduire par « la Blanche » ou « la Brillante », sorte de bonnet
rétréci en pointe avec un renflement au sommet. Elle est en lien
avec la déesse vautour Nekhbet, qui l’a choisie comme emblème.
Cette couleur à la fois blanche et brillante (hedj) symbolise la
puissance, mais aussi la joie. Elle est associée à la pureté, car
elle rappelle la blancheur de l’aube qui triomphe de la nuit. Dans
l’Égypte antique, elle représente aussi l’or blanc, qui est la
matière dont les dieux sont faits.

Oser porter du blanc

La robe blanche des mariées est une tradition somme toute récente, qui
date seulement de la fin du XVIIIe siècle. Auparavant, on n’utilisait pas la
couleur de la tenue de la promise pour afficher sa virginité. Elle se devait
avant tout de revêtir sa plus belle robe, traditionnellement rouge à cause de
l’éclat de cette teinture, réputée inaltérable et coûteuse.
C’est seulement à partir du XXe siècle que les tenues de mariées devinrent
immanquablement blanches. Cette coutume a la vie dure et, hormis le jour
de son mariage, aucune femme aujourd’hui n’ose s’habiller en blanc de
pied en cap, sous peine d’être un peu ridicule… Seule exception notable
dans l’histoire du costume moderne : la période de la Révolution française
et de l’Empire, où le néoclassicisme triomphait. Le blanc cassé est alors
devenu à la mode pour les robes des femmes élégantes, en référence aux
tenues grecques et latines. Ces femmes qui dévoilaient beaucoup leur corps
par transparence dans des tenues blanches fluides et peu corsetées furent
appelées « Merveilleuses ».
Jusqu’au XIXe siècle, les sous-vêtements pour hommes comme pour
femmes furent toujours blancs dans un souci d’hygiène, puisqu’on pouvait
les faire bouillir pour les laver. On utilisait beaucoup le lin blanc. La
lingerie n’arbora d’autres couleurs qu’à partir de 1850, lorsqu’on connut
des pigments capables de résister à la lessive. Il en était de même pour les
draps et autres éléments du trousseau. Des colporteurs récupéraient ensuite
les pièces de tissu usées pour les revendre à des moulins qui en faisaient de
la pâte à papier : ils proposaient aux particuliers d’échanger leurs draps
effilochés contre des articles neufs impropres au recyclage dans l’industrie
papetière. Une opération gagnant-gagnant !
Dans les fourrures, une place toute particulière est réservée à l’hermine.
En effet, c’est la plus noble et la plus recherchée. Elle symbolise la pureté et
la droiture et on la retrouve encore sur les épitoges (sorte d’écharpe portée
sur la toge) de certains magistrats et avocats.

La couleur religieuse par excellence

Symbole de l’initiation par excellence, le blanc est indissociable de la


dimension religieuse. Depuis les premières heures du christianisme, il reste
ainsi la couleur dévolue aux baptêmes et aux communions.
L’Antiquité associait déjà le blanc aux moments mystiques. Si les prêtres
égyptiens sont revêtus de lin blanc, les Grecs et les Latins font aussi un
usage particulier des vêtements blancs dans l’initiation aux mystères et dans
la pratique du culte, mais aussi dans la vie publique en général. Ainsi les
vestales, les prêtresses de la déesse Vesta, qui faisaient vœu de chasteté
pour se consacrer à la protection du feu sacré de Rome, étaient toutes vêtues
de lin blanc, tunique, châle et voile. Chez les Romains, le blanc est aussi la
couleur de Jupiter, le roi des dieux, et au premier jour de janvier, mois qui
était consacré à cette divinité, le consul, vêtu d’une tunique blanche,
chevauchait un cheval blanc et montait au Capitole pour célébrer le
triomphe du dieu de la lumière sur les forces des ténèbres. Autre exemple,
les Romains arboraient deux sortes de toges : la toge dite « prétexte », que
portaient certains magistrats et les jeunes garçons de 7 à 17 ans. Elle était
blanche avec des bords pourpres. La toge dite « virile », que portaient les
hommes de manière générale, était toute blanche. Lorsque quelqu’un
postulait pour une charge publique, il devait adopter une tenue blanche –
candidus en latin – qui nous a donné en français les mots « candidat » ou
« candidature ». Elle était le symbole de la pureté de ses intentions et de sa
probité.
On notera aussi quelques mythes où le blanc apparaît comme une couleur
rare, lumineuse et séduisante. Ainsi, c’est sous la forme d’un taureau blanc
que Zeus-Jupiter choisit de séduire et d’enlever la belle Europe. Une
légende veut aussi que la déesse de la pleine lune, Séléné, ait été séduite par
le dieu Pan, qui lui offrit un troupeau de bœufs blancs.
Au fil de l’Antiquité, le blanc est toujours davantage valorisé parmi les
élites et quand le christianisme émerge, il s’impose comme couleur pure et
non mélangée, symbole de la sainteté.

Le pape immaculé
Le pape n’a pas toujours été habillé de blanc. Le premier à
choisir cette couleur est Pie V. Élu en 1566, il faisait à l’origine
partie de l’ordre des dominicains, qui portent une soutane
blanche. Il a conservé cet habit une fois devenu pontife.
Chez les religieux, plusieurs ordres portent des habits blancs : les
dominicains, mais aussi les prémontrés et les chartreux, ainsi que
les missionnaires envoyés dans des pays chauds. Mais le pape
est le seul à arborer une calotte blanche et une petite cape
blanche (appelée camail) sur sa soutane immaculée. Sa ceinture
moirée est aussi de la même couleur, avec ses armoiries brodées
sur chacun des deux pans. Lorsque le pape s’est doté d’un
véhicule appelé familièrement la « papamobile », c’est
naturellement le blanc qui a été choisi, comme tous les
accessoires du Saint-Père.
La couleur des néophytes et des débutants

Initiatrice, la couleur blanche devient naturellement la couleur de la


révélation. La robe des bébés qu’on baptise et l’aube blanche des
communiants symbolisent l’initiation et l’entrée dans la communauté
religieuse. Mais si aujourd’hui encore le blanc reste empreint d’un caractère
religieux, son usage s’est sécularisé dans notre quotidien et conserve surtout
la notion d’apprentissage. Ainsi, la piste blanche pour le ski comme la
ceinture blanche au judo sont réservées aux néophytes. Mais il faut noter
que le douzième dan de la ceinture noire, ultime échelon, porte à nouveau
une ceinture blanche. Toutefois, seul Jigoro Kano (le fondateur du judo)
s’est vu attribuer ce grade à titre posthume. Les extrêmes se rejoignent…
La page blanche permet de commencer n’importe quel texte et le blanc
apparaît comme le point de départ d’où peuvent s’organiser les choses.
L’image traditionnelle de l’initiation offre également de nombreux
prolongements, même dans le marketing, faisant alors référence à la culture
et à l’intelligence. Ainsi, selon une enquête effectuée par plusieurs maisons
d’édition, les collections privilégiant les couvertures blanches connaissent
davantage de succès que les autres, pour les mêmes œuvres évidemment.
Le héros de Voltaire qui symbolise le mieux l’entrée dans la vie, y
compris avec ses désillusions, c’est Candide, personnage éponyme du conte
philosophique paru en 1759. L’adjectif latin candidus (blanc) nous a donné
en français toute la famille du mot « candeur ». L’œuvre de Voltaire
appartient au genre du roman d’apprentissage. En effet, Candide est un tout
jeune homme qui va traverser de multiples épreuves pour devenir un
homme. L’expérience de la vie lui fera reconsidérer les leçons de son
précepteur Pangloss, et lui permettra de se faire sa propre conception de
l’existence. Ce néophyte un peu naïf finit par devenir un philosophe au sens
où l’entendent les Lumières.

L’une des couleurs du deuil et de la mort


Replongeons-nous dans un univers plus symbolique en rappelant que dans
toute pensée mystique, chaque naissance est une renaissance, la mort
précédant la vie. Voilà pourquoi le blanc possède intrinsèquement une
valeur plus néfaste. En Occident, durant tout le Moyen Âge, le blanc
symbolisa le deuil et la mort. Bien des exemples viennent le rappeler,
comme le lin brut non traité et non teint des linceuls ou la chemise
immaculée des condamnés à mort, exécutés dans la blancheur de l’aube –
mot qui vient d’albus, un autre adjectif latin pour désigner le blanc et qui
nous a donné le mot « albinos ».
Cette relation du blanc avec la mort est aussi présente en Asie, où le blanc
demeure aujourd’hui encore la représentation du deuil. Au Japon, un
kimono blanc est mis avec le défunt dans sa tombe pour l’accompagner
dans son dernier voyage. En Chine, on place parfois de petits sacs contenant
de la chaux autour du corps défunt pour le protéger dans l’au-delà.
En Afrique, le blanc est traditionnellement la couleur des morts, et lorsque
les Bantous, habitants du sud du Cameroun, virent un homme blanc pour la
première fois, ils s’enfuirent, totalement effrayés. Une fois rassurés sur ses
intentions pacifiques, ils s’en approchèrent peu à peu, en demandant des
nouvelles de leurs ancêtres puisque, bien sûr, il arrivait tout droit du
royaume des morts ! Quant aux veuves africaines de Nouvelle-Guinée ou
du Congo, la coutume veut qu’elles se couvrent le visage d’un blanc mat
durant plusieurs mois après la disparition de leurs époux.
Dans le monde occidental, les fantômes sont représentés depuis le
XIII siècle par une forme vague enveloppée d’un linceul blanc : on
e

imaginait que l’âme du défunt, en sortant de sa sépulture, soulevait le suaire


qui enveloppait le cadavre. Les dames blanches, femmes malheureuses
victimes de meurtres le plus souvent, reviennent selon les légendes hanter
les lieux où elles ont vécu. Rappelons que si seulement 15 % des Français
croient aux revenants, c’est la moitié de la population qui y souscrit au
Royaume-Uni et aux États-Unis, et pratiquement la totalité des
Thaïlandais…
Valeur à la fois positive et négative, la symbolique du blanc s’ancre au
plus profond de toutes les cultures. Lumière primordiale opposée au noir
des ténèbres, comme lorsque la magie blanche tente de contrecarrer la
magie noire, mais aussi pâleur cadavérique du corps dont s’est retiré le
rouge du sang et la force vitale, le blanc cultive toutes les ambiguïtés.

Albinos de mauvais augure ?


L’albinisme (déficit total de pigmentation de la peau) et le
leucisme (manque partiel) sont le résultat de mutations
génétiques que la science a pu expliquer. Mais la rareté et la
bizarrerie ont créé autrefois dans les populations une méfiance
considérable envers les albinos. Selon les cultures, ils sont
considérés comme des êtres particuliers en relation avec les
dieux. Mais hélas, le plus souvent, ils ont été méprisés et
malmenés au fil des siècles, car on pensait qu’ils portaient
malheur.

Le blanc et les artistes

Longtemps, les sculptures ont été peintes de multiples couleurs. On en


trouve des traces sur les œuvres antiques et c’est assez surprenant. La
statuaire du Moyen Âge reste souvent colorée et les œuvres populaires ont
perpétué cette tradition. Mais à partir de la Renaissance, alors qu’on
redécouvre l’art antique et que les effets du temps ont fait perdre toute
couleur aux œuvres exhumées, les sculpteurs conservent la pureté du
marbre blanc qui met en valeur les formes.
En ce qui concerne la peinture, plus fragile, on sait simplement que dans
la Grèce antique, les peintres n’utilisaient que quatre couleurs : le blanc, le
rouge, le jaune et le noir. Le pigment blanc était obtenu difficilement à
partir du plomb. Le blanc n’est guère utilisé tel quel à l’âge classique. Il est
d’abord un rehausseur de tons et constitue le plus souvent la couleur du
support, celle sur laquelle l’artiste va venir poser les nuances de sa palette.
Le blanc est la valeur la plus lumineuse de la gamme des gris et s’il est
légèrement nuancé de bleu, il n’en est perçu que plus blanc encore.
À l’ère moderne, les premiers apôtres du blanc intégral furent les
impressionnistes tels que Sisley ou Whistler, qui ont largement utilisé cette
gamme chromatique pour exprimer toute la douceur et la sérénité d’un
paysage de neige. Un peu plus tard, le peintre cubiste Piet Mondrian eut
également recours aux qualités du blanc pour rehausser un choix de
couleurs primaires. Le premier monochrome de l’histoire de la peinture
contemporaine est justement le Carré blanc sur fond blanc (titre original
complet : Composition suprématiste : carré blanc sur fond blanc), une huile
sur toile peinte par Kasimir Malevitch en 1918. Cette œuvre provocatrice
n’a pas manqué de susciter des réactions diverses.
Dans le même temps, l’architecte français Le Corbusier participa à
l’entrée du blanc dans le monde de la décoration intérieure, en prônant
l’usage du lait de chaux pour créer une atmosphère de calme et de bien-être.
Cet usage a été largement repris par le grand architecte autrichien du début
du XXe siècle Adolf Loos.
Ces nouvelles tendances continuent d’influencer les designers et les
décorateurs d’aujourd’hui, qui privilégient les formes aux couleurs et
s’appuient sur toutes les nuances du blanc pour mettre en valeur les lignes
les plus épurées.

Blanc sur blanc


L’histoire du monochrome s’écrit entre canulars et recherches
formelles. En effet, lors de la première Exposition des Arts
incohérents en 1882, le peintre Paul Bilhaud exposait un tableau
entièrement noir intitulé Combat de nègres dans une cave
pendant la nuit. L’humoriste Alphonse Allais poursuivit le canular
en exposant l’année suivante un bristol blanc au titre ironique :
Première communion de jeunes filles chlorotiques par un temps
de neige, puis en 1884, un tableau monochrome rouge, Récolte
de tomates sur le bord de la mer Rouge par des cardinaux
apoplectiques. Ces pochades faisaient déjà suite à une longue
tradition de caricatures de l’art depuis au moins le XVIIe siècle, qui
faisaient la satire de l’art sérieux et de la représentation figurative.
L’œuvre de Malevitch Carré blanc sur fond blanc appartient à un
mouvement qu’on appelle le suprématisme (à ne pas confondre
avec le mouvement raciste du suprémacisme blanc), qui est né
en Russie au début du XXe siècle. Il prône la suprématie de
l’homme sur la nature par le biais des machines ; il s’inscrit dans
la lignée du cubisme et du futurisme, s’attachant aux formes
géométriques et aux couleurs franches. Il a peint un carré blanc
dans une nuance froide et légèrement bleutée sur un fond plus
chaud et imperceptiblement ocre. Le tableau est exposé au
Museum of Modern Art (MoMA) à New York.

« J’ai troué l’abat-jour bleu des limitations colorées, je suis sorti


dans le blanc, voguez à ma suite, camarades aviateurs, dans
l’abîme, j’ai établi les sémaphores du Suprématisme. […]
Voguez ! L’abîme libre blanc, l’infini sont devant vous. » Kasimir
Malevitch, Du cubisme et du futurisme au suprématisme. Le
nouveau réalisme pictural, catalogue d’exposition, 1919.

Le blanc du marketing

Aujourd’hui, l’usage du blanc a largement dépassé le strict champ


artistique et déborde dans de nombreux domaines de la vie quotidienne.
Ainsi, le blanc recouvre tous les murs de nos hôpitaux, offrant un sentiment
réconfortant d’hygiène et de pureté. Les laboratoires pharmaceutiques ne
s’y sont pas trompés. Après de nombreuses études de marché, tous se sont
accordés pour produire des médicaments essentiellement blancs, munis
d’un emballage de la même teinte.
Dans notre monde contemporain, le blanc a complètement perdu son
aspect néfaste et symbolise davantage le calme et la pureté. Dans les
grandes occasions, les femmes du parti démocrate américain arborent ainsi
volontiers un « total look » en blanc pour rappeler les suffragettes qui en
avaient fait une de leurs couleurs fétiches. Ce fut le cas en février 2019, au
Congrès, pour célébrer le centenaire de ce mouvement d’émancipation
politique, mais aussi le 7 novembre 2020, quand Kamala Harris apparut
pour son premier discours de vice-présidente élue avec chemisier perle et
tailleur-pantalon blanc.
Pureté et bien-être sont autant de valeurs sûres dont les spécialistes du
marketing se sont empressés de tirer parti… Eh oui, le blanc fait vendre !
Forts de cette certitude, nos experts rivalisent d’imagination. Des yaourts
blancs « nature » à la lessive « qui lave plus blanc que blanc » en passant
par les pastilles de menthe, la blancheur permet, semble-t-il, d’oublier les
apports généreux de colorants et autres composants chimiques en affichant
l’image d’une pureté sans tache…

Saint-Valentin et White Day


Depuis la fin des années 1970, la Saint-Valentin s’est imposée au
pays du Soleil levant. En effet, les Japonaises offrent ce jour-là
des cadeaux en chocolat aux hommes qu’elles apprécient, sans
qu’il s’agisse forcément de leur amoureux ou fiancé. Il s’agit de
« chocolats de l’amour » ou de « chocolat de courtoisie ». En
retour, une autre fête a été instituée un mois plus tard, le
14 mars, appelée le White Day. Les hommes qui ont reçu un
présent à la Saint-Valentin doivent à leur tour donner des
cadeaux aux femmes qui les ont honorés, mais cette fois la
couleur doit en être blanche, qu’il s’agisse de guimauve, de
chocolat blanc ou de… lingerie pour les plus intimes !

La puissance du blanc

Si le blanc peut parfois symboliser la défaite et la reddition, comme


lorsqu’on brandit un drapeau blanc pour demander la fin des combats ou
quand on fait chou blanc, le blanc lumineux semble plutôt contenir des
valeurs de force et de puissance. Lorsqu’on vous donne carte blanche ou
qu’on vous signe un chèque en blanc, vous disposez de toutes les latitudes
pour exercer votre bon vouloir. La page blanche peut angoisser l’écrivain
débutant, mais elle est aussi le symbole de la toute-puissance de l’écrit, qui
fait naître un texte du « rien » primordial. Si on montre patte blanche, on
peut rentrer n’importe où. Toutes ces expressions marquent la valeur plutôt
positive de cette couleur. Au jeu d’échecs, depuis les années 1880, il est
inscrit dans la règle que celui qui possède les pièces blanches joue en
premier, et on s’accorde à penser qu’entre deux adversaires de même force,
il s’agit d’un avantage.

La Maison-Blanche
La Maison-Blanche est le siège du pouvoir fédéral des États-
Unis, où demeure le président et d’où il exerce le pouvoir.
George Washington a décidé en 1791 de faire construire cette
résidence au bord du fleuve Potomac, selon les plans de
l’architecte James Hoban. Achevée en 1800, sa construction en
pierre blanche détonait parmi les autres bâtisses en briques
rouges. Détruite en 1814, mais reconstruite trois ans plus tard,
elle fut alors flanquée de terrasses et d’une façade semi-circulaire
qui la rend aujourd’hui célèbre. Depuis Theodore Roosevelt
(1901), elle porte officiellement et définitivement le nom de
Maison-Blanche.
Il est amusant de noter que ce nom a aussi été donné, sans
doute comme symbole de puissance, au bâtiment au centre de
Moscou qui est le siège du gouvernement russe, dont la
construction a commencé en 1965 et qui s’est achevé au tout
début des années 1980. Notons encore que le bâtiment
présidentiel du Kirghizistan se nomme aussi la Maison-Blanche.
En effet, cette imposante construction de type stalinien de sept
étages, copiée sur le bâtiment russe, est doublée de marbre à
l’extérieur.

Blanc comme neige

Fourrure blanche sur la blanche banquise, le bébé phoque s’appelle


« blanchon » au Canada. Tous les symboles fondamentaux du blanc se
rattachent à son image : il incarne l’innocence, la pureté et l’enfance,
puisqu’il perdra cette fourrure immaculée en passant à l’âge adulte. Il vit
dans un monde qu’on aimerait vierge de toute présence humaine,
menaçante ou polluante, un monde froid et glacé, silencieux, inviolé…
Notre petit blanchon, sans défense, d’une touchante maladresse, est l’une
des figures privilégiées de l’art inuit et presque un emblème national.
La neige est l’élément qu’on identifie le plus à la couleur blanche, et tout
particulièrement les sommets enneigés et les neiges éternelles. Le toit de
l’Europe, avant de porter le nom de mont Blanc qu’on lui connaît
aujourd’hui, s’appelait le mont Maudit. Mais l’imaginaire est sans doute
plus fort que les craintes et les superstitions, et le nom de mont Blanc s’est
imposé pour tout le massif au XVIIIe siècle, le mont Maudit n’étant plus que
l’appellation de l’un des sommets.
Le Grand Nord est la patrie du blanc. Les vastes étendues de glace et de
neige semblent avoir banni toute couleur sous ces latitudes. Même les
animaux adoptent des pelages blancs leur permettant de se fondre dans le
milieu polaire, qu’il s’agisse des loups, des ours ou des petits rongeurs.
Pour un habitant des régions tempérées, l’uniformité du blanc a tout
submergé. Les Inuits ont une perception des choses bien plus fine : ils n’ont
pas moins de sept mots pour distinguer les différentes modulations de la
couleur blanche…

Blanche-Neige
« II était une fois, en plein hiver, quand les flocons descendaient
du ciel comme des plumes et du duvet, une reine qui était assise
et cousait devant une fenêtre qui avait un encadrement de bois
d’ébène, noir et profond. Et tandis qu’elle cousait négligemment
tout en regardant la belle neige au-dehors, la reine se piqua le
doigt avec une aiguille et trois petites gouttes de sang tombèrent
sur la neige ; c’était si beau, ce rouge sur cette neige, qu’en le
voyant la reine songea : Oh ! si je pouvais avoir un enfant aussi
blanc que la neige, aussi vermeil que le sang et aussi noir de
cheveux que l’ébène de cette fenêtre ! »
Voilà le début du conte de Grimm. L’enfant naîtra, mais la reine
mourra en couches et une horrible marâtre viendra prendre sa
place auprès du roi pour le plus grand malheur de Blanche-
Neige. Toute son histoire est marquée par cette opposition entre
le blanc et le rouge, comme l’explique Bruno Bettelheim dans son
ouvrage Psychanalyse des contes de fées. Le rouge des gouttes
de sang, de la pomme empoisonnée qu’offre la marâtre
déguisée, symbolise la sexualité. Le blanc, renforcé par l’inertie
que représente la neige et la longue léthargie que subit la jeune
fille, signifie l’innocence. Le conte retrace le cheminement
complexe qui permet de sortir de l’enfance et de traverser
l’épreuve de la puberté. Comme quoi il faut faire attention aux
lectures enfantines, beaucoup moins innocentes qu’il n’y paraît…

Le langage des fleurs blanches

Le lys, selon la mythologie antique, est né d’une goutte de lait de la


déesse Junon tombée au sol alors qu’elle allaitait Hercule. Il représente la
fécondité féminine. Il est ensuite devenu l’un des attributs de l’allégorie de
la Pudeur, jeune femme voilée, vêtue de blanc, qui tient un lys dans sa main
droite. Dans la représentation traditionnelle chrétienne, il figure auprès de la
Vierge Marie et de l’archange Gabriel, en particulier au moment de
l’Annonciation. En héraldique, il est connu comme l’emblème de la ville de
Florence, mais surtout celui des rois de France.
Le muguet est l’une des premières fleurs printanières et son ancien nom
latin en botanique signifie « lys des vallées ». Ses corolles se tournant vers
le bas, on a associé au muguet la vertu d’humilité. Fleurissant en mai, il est
aussi associé à la Vierge Marie, dont c’est le mois consacré.
La rose blanche représente un message d’amour, comme les autres roses,
mais il s’agit plutôt d’un amour platonique, très respectueux, un
attachement qui s’affirme dans les débuts d’une relation.
Dans l’Angleterre victorienne, les bouquets blancs ont été
particulièrement à l’honneur dans la décoration des intérieurs de la bonne
société. Composés parfois d’œillets, de lilas ou de bruyère blanche, ils
illuminaient les salons et les boudoirs.
N’oublions pas sous d’autres latitudes la fleur du lotus blanc, qui surgit du
marécage boueux et qui symbolise l’épanouissement spirituel, aussi bien
chez les anciens Égyptiens que dans le bouddhisme.
LE NUANCIER
Albâtre
Argile
Azur brume
Beige clair
Blanc cassé
Blanc céruse
Blanc crème
Blanc d’argent
Blanc de lait
Blanc de lin
Blanc de platine
Blanc de plomb
Blanc de saturne
Blanc de Troyes
Blanc de zinc
Blanc d’Espagne
Blanc d’ivoire
Blanc écru
Blanc lunaire
Blanc neige
Blanc opalin
Blanc-bleu
Coquille d’œuf
Cuisse de nymphe
INTERMÈDE

TRAITÉS ET THÉORIES DE LA
COULEUR
Nous ne ferons pas ici l’inventaire de tous les traités qui ont été
consacrés à la couleur. La question qui s’est posée aux savants a surtout
été de comprendre d’où venaient les phénomènes colorés. Qu’est-ce qui
dans un corps quelconque lui donnait sa couleur ? Peut-on même dire
qu’un objet a une couleur, puisque dans l’obscurité, tous les corps sont
invisibles et sans teinte ? C’est Isaac Newton qui le premier a compris
comment se faisait le lien entre lumière et couleur, ainsi que le caractère
vibratoire du phénomène.
Après lui, l’homme de lettres allemand Johann Wolfgang Goethe, dans
son Traité des couleurs, et le philosophe Arthur Schopenhauer, dans son
livre Sur la vue et les couleurs, se sont un peu détachés du champ strict
de la physique, ont mis l’accent sur l’importance de la perception
humaine dans le processus et ont mieux intégré dans leurs systèmes
l’interaction entre les couleurs. Ils ouvrirent le champ aux réflexions
dans le domaine de la neurophysiologie.

Newton ou la révolution des couleurs

Qui ne connaît pas la fameuse pomme de Newton ? En tombant, elle lui


suggéra la célèbre loi de la gravitation universelle. On connaît en
revanche beaucoup moins bien le rôle fondamental que ce savant anglais
de la fin du XVIIe siècle a joué dans l’élaboration de la théorie moderne
des couleurs. Et pourtant, Newton a bien manqué de s’aveugler en
conduisant ses expériences d’optique ! Avec deux prismes achetés à la
foire de Cambridge, il développa la notion de réfraction de la lumière : il
établit ainsi que le blanc n’est qu’une sensation causée par un mélange
hétérogène de rayons.
Ses observations réalisées grâce aux prismes montrent que la lumière se
décompose en diverses couleurs. Elles correspondent à des radiations
qui ont chacune leur longueur d’onde. Elles s’échelonnent depuis les
infrarouges jusqu’aux ultraviolets, mais leur nombre a été arbitrairement
fixé à sept, par analogie avec les notes de musique : rouge, orangé,
jaune, vert, bleu, indigo, violet. On parle ainsi de gamme chromatique.
L’ensemble des couleurs forme une suite sans variation brusque, le
passage de l’une à l’autre se faisant insensiblement. Ce qui surprit le
plus les contemporains de Newton, c’est qu’on pouvait non seulement
dissocier les différentes composantes de la lumière blanche, mais qu’il
était possible de la reconstituer ensuite en inversant le processus.
Ainsi, les expériences de ce savant ont constitué une véritable révolution
dans la compréhension des couleurs. Mais ses conceptions scientifiques
ont aussi puissamment rejailli sur l’imaginaire et la symbolique. Ainsi,
le blanc est devenu une sorte de non-couleur au statut très particulier,
puisqu’elle contient toutes les couleurs à la fois. Valeur stable, absolue,
elle symbolise l’hygiène.
En construisant toutes les couleurs à partir des fondamentales (rouge,
jaune, bleu) pour obtenir les secondaires (orangé, violet, vert), la
classification moderne a créé de nouveaux réseaux d’opposition que ne
connaissaient pas nos ancêtres. La société industrielle les a largement
employés comme symboles ou emblèmes : l’opposition entre rouge et
vert comporte ainsi de multiples applications pratiques, notamment avec
les feux tricolores. Quant au rouge (ou rosé), il est souvent considéré
comme le « contraire » du bleu, par exemple pour distinguer le chaud du
froid, ou la layette traditionnelle des filles de celle des garçons. Les
découvertes de la physique ont ainsi enrichi notre perception des
couleurs et des valeurs que nous y attachons.
LE GRIS ET L’ARGENT
Entre le blanc et le noir s’échelonnent tous les gris, du plus clair au plus
foncé. Teinte effacée, assourdie, indécise, elle reste foncièrement triste.
L’argent, lui, en est comme le reflet éclatant, mais sa luminosité reste aussi
froide dans la gamme des métallisés que la valeur du gris dans les couleurs
mates.

Froideur du gris et de l’argent

Gris souris, gris des cendres, le gris est la couleur triste et neutre par
excellence. Imprécis mélange du noir et du blanc, il se tient à l’écart de la
violence de chacun d’eux. Avec le gris, rien n’est tranché, vif, assuré.
Tout se dilue. La nuit, tous les chats sont gris, tout s’efface et
s’indifférencie. Le gris devient la couleur de ceux qui veulent passer
inaperçus, qui agissent dans les coulisses.
Ainsi, celui qui est présenté comme l’éminence grise d’un dirigeant est
une sorte d’ambassadeur officieux, un personnage trouble dont l’influence
est considérable, mais qui ne se montre pas au grand jour.
Le terme a été utilisé pour la première fois au XVIIe siècle à propos du père
Joseph, le conseiller de Richelieu qui, en tant que membre de l’ordre des
capucins, portait une aube en bure grise, mais qui était pratiquement aussi
puissant que le cardinal – Son Éminence.
Le gris est une couleur qui peut ainsi devenir inquiétante. Le loup des
steppes, le loup gris, est très présent dans la mythologie turque et mongole,
empreinte de chamanisme : sous le nom de Loup-Bleu, le loup céleste
époux de Biche-Fauve, qui représente la terre, il est réputé avoir engendré
Gengis Khan.
Le peuple turc est censé trouver son origine dans l’un des derniers
guerriers à avoir survécu à l’invasion mongole, qui, soigné par une louve, la
prit pour épouse. Leur descendance, conduite par un loup gris, arriva sur la
terre de l’actuelle Turquie et s’y installa. C’est pourquoi les groupes
ultranationalistes turcs ont repris le nom de « Loups gris » pour qualifier
leur mouvement.

Le dieu Oupouaout
Chez les Égyptiens, parmi les dieux gardiens qui ont l’apparence
d’un Canidé, Oupouaout est représenté en tête des cortèges, car
c’est celui qui ouvre le chemin. Il a l’apparence d’un loup gris ou
d’un lycaon, ce qui le différencie du dieu Anubis, qui est de
couleur noire.

Le spleen et l’ivresse

Le gris peut aussi devenir le signe du demi-deuil, c’est-à-dire d’une


douleur, certes, mais supportable et comme domestiquée.
C’est la tristesse des cendres éteintes, d’une sorte de poussière qui se
dépose et endort la souffrance. Ainsi, un temps gris est propice à la
mélancolie.
Quand le poète Verlaine cherche une image pour rendre compte de la
petite musique en sourdine qu’il veut faire passer dans ses vers, il choisit
l’expression la « chanson grise », marquant par là son parti pris de nuance
et d’imprécision. Et il la valorise, car elle rend compte de ses états d’âme.
« Rien de plus cher que la chanson grise / Où l’Indécis au Précis se joint. »
Pourtant la couleur grise est souvent dévalorisée, associée à la tristesse et
à la mauvaise humeur. Ainsi, celui qui fait grise mine à quelqu’un lui
réserve un accueil froid et désagréable. Une vieille expression populaire,
« avoir la grise », serait aujourd’hui traduite par avoir le blues ou le cafard.
Le gris, c’est aussi la perte de conscience : ainsi, on se grise pour trouver
l’oubli dans l’ivresse. L’étourdissement n’est pas loin sous l’effet d’un
parfum grisant. On se grise aussi si l’on rencontre enfin le succès et la
réussite : on perd le sens commun, on entre dans un état d’exaltation et
d’oubli des réalités.

Ventre-saint-gris !
Cet ancien juron un peu étrange est l’équivalent d’une sorte de
« Par le bas-ventre de saint François ». Comment saint François
d’Assise s’est-il retrouvé affublé du surnom de saint Gris ?
L’explication en est simple : quand les franciscains, moines qui
décidèrent de suivre sa règle, choisirent leur vêtement, ils
optèrent pour une toile écrue, non teinte, pour se démarquer des
bénédictins en noir et des cisterciens en blanc. Cette couleur
naturelle fut alors perçue par le public comme un gris sale. On les
appela donc les « frères gris », et leur fondateur devint… saint
Gris !

L’allégorie de la condition humaine

Intermédiaire entre le noir infernal et le blanc divin, le gris est aussi dans
la religion chrétienne la couleur de la résurrection des morts. Le manteau de
Jésus dans les représentations du Jugement dernier au Moyen Âge est
souvent de cette teinte. C’est en quelque sorte la couleur de la condition
humaine : ni ange ni bête, l’homme est marqué par ce gris moyen qui lui
assigne sa place dans la Création.
Couleur sans éclat, sans prestige, le gris qualifie parfois des objets
purement utilitaires. Ainsi, on appelle « littérature grise » l’ensemble des
documents imprimés qui circulent hors des circuits commerciaux, comme
les rapports, les recueils de normes, les modes d’emploi, etc.
Indispensables, mais impossibles à quantifier et très peu valorisés…
C’est aussi le sort de la « grisette », nom donné au XIXe siècle aux jeunes
filles de basse condition, filles de boutique, brodeuses, couturières, obligées
de travailler pour vivre. La grisette va toutefois accéder à la célébrité à
travers la littérature, qui en fait un personnage pittoresque. Ce type féminin
est attirant, avec sa naïveté charmante et sa débrouillardise : la grisette se
retrouve au cœur d’intrigues amoureuses multiples, dans le roman, la
chanson ou le vaudeville.

Vert-de-gris
Le produit de la corrosion du cuivre est appelé le vert-de-gris, non
pas en référence à la couleur grise, mais à l’acide qui déclenche
la réaction chimique : en ancien français, on parle du « verte-
grez », du vert produit par l’aigre. La couleur vert-de-gris, un vert
grisâtre, est associée depuis la Seconde Guerre mondiale à la
couleur des uniformes de l’armée allemande. Et les auxiliaires
féminines sont surnommées sous l’Occupation les « souris
grises ».

L’éclat froid de la lune

L’argent peut sembler à première vue comme le contraire du gris terne et


triste. Son étymologie renvoie à un blanc minéral : argunas en sanskrit
signifie « brillant et clair ». Il est travaillé en bijou et en monnaie depuis
l’Antiquité. On en retrouve dans des tombeaux datant de plus de six mille
ans.
Cependant, à bien y regarder, l’argent n’est plutôt qu’un éclat métallique
qui partage avec le gris une fondamentale froideur. En effet, autant l’or tire
du soleil sa chaleureuse lumière, autant l’argent est associé à la clarté
glaciale de la lune. Les reflets de l’eau, des écailles de poissons, évoquent
aussi la froideur de l’élément liquide.
Depuis l’Antiquité, les bijoux d’argent sont plutôt perçus comme des
amulettes pour préserver des mauvais sorts. Ils n’ont pas les valeurs
positives de l’or, associé à la richesse et à la longévité. L’éclat de l’argent
rappelle celui des armes blanches, des casques et des boucliers. Notons
cependant que si selon la tradition, l’arc et les flèches de Cupidon sont en
argent, ce petit dieu en fait un charmant usage qui nous réconcilie avec le
terrible métal…

Le jaune d’argent et la grisaille


La légende raconte qu’un maître verrier aurait laissé tomber un
bouton de culotte sur son vitrail avant de le passer au feu.
L’argent se combinant avec le verre aurait alors produit une tache
d’un jaune d’or éclatant. Quelle belle allégorie de l’alchimie :
l’argent qui se transmute en or ! C’est en réalité une technique
particulière qui permet à partir du XIVe siècle non plus de teinter le
verre seulement dans la masse, mais de réaliser un dessin à la
surface externe, qui n’a pas la pesanteur du plomb et qui permet
la retouche. Les verriers troyens en sont passés maîtres.
La grisaille est une technique complémentaire dans l’art du
vitrail : elle consiste à peindre ton sur ton, cette fois sur la surface
interne, avec différents niveaux de gris. On utilise des brosses de
poils de putois ou de blaireau pour créer des dégradés subtils et
modeler des drapés.

L’Earl Grey
Les amateurs connaissent bien ce thé parfumé à la bergamote et
aux écorces d’agrumes. Si on traduit son nom en français, il
s’appelle le « comte gris ». En réalité, rien à voir avec la couleur !
Il tire son nom d’une famille britannique célèbre, les comtes de
Grey, qui ont donné à l’Angleterre quelques secrétaires et
ministres au XIXe siècle.
LE NUANCIER
Anthracite
Ardoise
Argent
Argile
Bis
Bistre
Bitume
Bleu ardoise
Céladon
Châtaigne
Étain
Grège
Gris acier
Gris de Payne
Gris fer
Gris perle
Lin
Mastic
Plomb
Rose Mountbatten
Souris
Taupe
Tourterelle
Vert-de-gris
INTERMÈDE

LES COULEURS SELON LE FENG


SHUI
Le feng shui est un art de vivre qui puise ses racines dans la Chine
millénaire. Il s’appuie sur les principes du taoïsme pour trouver un
équilibre entre l’individu et son environnement. Il cherche en particulier
à aménager les habitations pour prendre en compte les flux d’énergie
(qi) plus ou moins visibles et subtils. Il s’appuie sur la distinction entre
les deux principes majeurs des activités humaines, le yin et le yang. Le
yin est le principe féminin, statique, obscur, humide, alors que le yang
est masculin, lumineux, chaud et animé. Dans ce cadre, le feng shui
donne des recommandations dans l’usage des couleurs dans la maison
pour atteindre l’harmonie.

Blanc : c’est une couleur yang qui ouvre l’espace. Mais elle peut
aussi induire l’isolement dans un sentiment de vide. Elle peut
doper la détermination et la prise de décision.
Gris : couleur sous le signe du yin, le gris invite à la
contemplation, à la recherche de perfection, en particulier sous la
forme de reflets argentés. Mais sur un autre versant, elle peut
générer l’ennui et un excès de neutralité.
Vert : le vert se situe au passage entre yin et yang, marqué par
une symbolique de renouveau de la nature. Il instille une
dynamique qui pousse à agir et donne confiance. Il peut doper la
créativité.
Brun : couleur de la terre et de l’enracinement, le brun est du
côté du yin. Il rassure par un sentiment de permanence, mais peut
décourager et inspirer un sentiment de nostalgie. Attention à
l’immobilisme.
Jaune : c’est la couleur de la joie de vivre, mais aussi de la
reconnaissance sociale. Le jaune est une couleur yang tonique qui
pousse à la communication. Elle favorise la prise de décision.
Orange : couleur yang très positive, l’orange est du côté du
changement sans susciter d’agressivité. Elle évoque aussi désir et
plaisir.
Rouge : le rouge pousse à l’action et se place du côté de la
matérialisation. Sous le signe du yang, le rouge donne un
sentiment de protection, mais peut induire trop d’excitation. Il va
donner davantage de force à l’expression.
Rose : comme le vert, le rose permet de passer du yin au yang.
Inspirant la tendresse et l’amour de soi, il permet de s’ouvrir aux
autres et incarne l’espoir. Il reste fragile et léger, mais surtout
profondément joyeux.
Bleu : le bleu profond relève du yin, il pousse à l’introspection et
génère de l’apaisement. Il pousse à la créativité dans les
domaines les plus complexes. Il est même censé aider à la
convalescence.
Violet : le violet se situe du côté des activités intellectuelles et
des aspirations spirituelles. Il est une couleur yin plutôt
mystérieuse, qui favorise le développement des intuitions. Trop
sombre, il peut conduire à la confusion et à la perte des repères.
Noir : couleur yin, le noir connecte avec la transformation
intérieure et l’introspection. Il favorise l’attention soutenue. Mais
attention : la sensation de perte ou de tristesse peut aussi surgir en
cas d’excès.
LE VERT
Le vert est la couleur de la fortune, mais aussi celle de toutes les
superstitions… Longtemps délaissé, car il pouvait porter malheur, le vert
accomplit aujourd’hui un véritable retour en force en symbolisant le combat
pour une nature préservée.

Le vert de la renaissance et de l’espérance


Largement représenté dans la nature grâce à la chlorophylle, le vert
symbolise le renouveau des feuillages, le printemps, la jeunesse. Dans le
monde végétal, le vert se décline en mille nuances : bourgeon, sapin, olive
ou pistache, menthe, pomme ou kiwi, épinard ou mousse des arbres… La
promesse de belles récoltes, qu’il s’agisse de blé en herbe ou de fruits
encore verts, est sous-jacente dans la symbolique de cette couleur. On
comprend dès lors comment la couleur du renouveau saisonnier de la nature
devient celle de l’espoir.
En latin, l’adjectif viridis, vert, a la même racine que virilis, viril,
masculin. C’est sans doute de là que vient le surnom de Vert-Galant donné à
Henri IV, célèbre pour ses amours tumultueuses, ou encore l’origine de
l’expression « un vieillard encore vert » pour dire que celui-ci ne manque
pas de vigueur. Ne voyons pas une allusion humoristique dans l’habit vert
des académiciens, souvent d’un âge plus que respectable : c’est sous le
Consulat que leur tenue a été dessinée. En réalité noir, mais brodé de soie
verte avec des ornements de branches d’olivier, cet uniforme traduit plutôt
le triomphe du récipiendaire.
L’Égypte antique n’utilise qu’un seul et même hiéroglyphe pour dire la
couleur verte ou le papyrus. C’est dire l’importance qu’elle lui accorde.
Cette couleur est celle de la vie, car elle rappelle l’oasis, synonyme de
prospérité et de santé. Osiris, dieu de la renaissance et de la végétation, est
souvent représenté avec un visage fardé de vert.
Dans la tradition chrétienne, la vertu théologale de l’espérance se pare de
vert, qui illustre aussi la résurrection, la charité et la sagesse. L’évêque est
habillé de vert, marque de sa souveraineté dans son diocèse. Au Moyen
Âge, on peignait parfois le bois de la croix en vert, pour dire que même ce
bois mort, cet instrument de supplice, était amené à se vivifier. Symbole
d’amour et de sacrifice, le Graal est parfois représenté comme un vase
d’émeraude. Dans la liturgie, le vert est la couleur du « temps ordinaire »,
période sans fête particulière.

L’Homme vert
Appelé aussi l’Homme feuillu, ce personnage se caractérise
surtout par un visage orné de branchages, que l’on voit sculpté
comme décoration architecturale. Il appartient au folklore et à la
littérature populaire de plusieurs peuples, qu’il s’agisse des Grecs
et des Romains avec leur cortège de divinités sylvestres, ou
encore des Celtes. En France, les légendes font de lui le maître
des oiseaux. Il est puissant, lié à la nature et à son énergie
régénératrice. En Angleterre, beaucoup de pubs ont choisi
comme enseigne The Green Man. Dans le cycle des légendes
arthuriennes apparaît un Chevalier vert énigmatique que
rencontre Gauvain lors de ses aventures. Certains critiques y ont
décelé la résurgence et la transformation du mythe celte de
l’Homme feuillu.
Cet archétype n’est peut-être pas sans rapport avec des figures
mythiques contemporaines telles que le superhéros Hulk,
surnommé le Titan vert, ou encore le Colosse de jade. On pense
aussi à Shrek, l’ogre vert un peu dégoûtant, mais
fondamentalement gentil, ou encore à la mascotte de la marque
Géant Vert, géant débonnaire qui figure depuis 1928 sur les
boîtes de conserve de la firme. Ils sont tous dotés d’une force
impressionnante.

Fraîcheur et écologie
Les défenseurs de l’environnement adoptent le vert dans leur
communication. Et les partis écologistes français et allemands l’ont intégré
pour l’ensemble de leurs sigles et dans le nom même de leurs partis.
L’utilisation de cette teinte en politique n’est pourtant pas si récente. En
effet, on ne le sait pas toujours, mais la cocarde bleu-blanc-rouge de la
Révolution française a failli être verte ! Quand le 12 juillet 1789,
Camille Desmoulins harangue la foule au Palais-Royal pour qu’elle prenne
les armes, il se saisit d’une feuille de tilleul pour s’en faire une cocarde en
l’accrochant à son chapeau. Mais très vite, les émeutiers vont se souvenir
que le vert est justement la couleur de la livrée des hommes du frère du roi
(le futur Charles X) et ils rangeront bien vite au placard la cocarde verte de
l’espérance et de la révolution.
Le vert, c’est aussi la fraîcheur. Les parfumeurs parlent de « notes vertes »
quand ils veulent caractériser des senteurs proches de l’herbe coupée ou des
feuilles froissées. La plante emblématique de cette tonalité est le galbanum,
pour la première fois utilisée majoritairement par Balmain dans Vent Vert en
1947.
Cette valeur très naturelle et rafraîchissante est exploitée par les
spécialistes de marketing depuis longtemps pour les chewing-gums aux
parfums de menthe et de chlorophylle. Plus largement, le code couleur du
bio est devenu le vert, ce qui permet au premier coup d’œil de distinguer
dans un rayon les produits qui répondent à cette norme.

La croix verte de la pharmacie : le symbole de


l’assistance
Depuis le Moyen Âge, le vert est associé aux soins et à la santé,
puisque l’essentiel des médicaments était alors produit à partir de
plantes. C’est donc très logiquement que les pharmaciens ont
choisi cette couleur quand, au XIXe siècle, l’État leur demanda de
signaler leur officine par une enseigne. Le choix de la croix
rappelle, quant à lui, la tradition d’assistance et de soins des
congrégations religieuses. Celui de la couleur est aussi une
manière de se distinguer après la création de la Croix-Rouge en
1864.

Harmonieux, reposant pour l’œil, le vert a toujours occupé une large place
dans la décoration intérieure. Traditionnellement employé pour les lambris,
les boiseries et les tissus d’ameublement, le vert se décline en une large
gamme de nuances : olive, pomme, citron, sapin, prairie. Les camaïeux de
verts peuvent assortir harmonieusement certaines teintes : vert sapin et vert
d’eau, gris-vert et émeraude…
Le mélange du blanc et du vert est assez rustique, idéal pour dynamiser un
intérieur campagnard. Les imprimés à carreaux sont très appréciés dans les
pays scandinaves quand ils allient le vert sombre et le jaune vif. Enfin,
l’association un peu audacieuse d’un vert menthe et d’un bleu très lumineux
charge une pièce d’une atmosphère toute méditerranéenne. L’utilisation du
vert pour les portes extérieures et les volets est une tradition en France.

Le destin se joue en vert

Le vert est d’abord un symbole de chance. Couleur du hasard et donc du


destin, le vert revêt également une forte connotation religieuse, en
particulier dans le monde musulman. Dans le Coran, cette teinte
fondamentale est l’emblème de l’initiation à la connaissance de Dieu. Les
saints sont donc souvent vêtus de vert.
Elle serait la couleur préférée de Mahomet, qui arborait, dit-on, un
manteau et un turban de cette couleur. De fait, les exemplaires du Coran
sont souvent reliés de vert, cette couleur est aussi utilisée pour le décor des
mosquées et elle figure en bonne place dans la communication politique, et
ce depuis l’époque des croisades, quand les combattants musulmans
adoptèrent cette couleur pour se reconnaître facilement dans les combats.
En terre d’islam, offrir à une personne amie un objet vert est bénéfique, et
la coutume veut que l’on jette de l’herbe bien verte en direction de la
nouvelle lune pour rendre fertile le mois à venir. Le personnage d’Al-Khidr
(le Verdoyant), vêtu d’un manteau vert, est censé protéger du feu, des
serpents et autres scorpions. Il est présent dans la dix-huitième sourate et
incarne la connaissance révélée par la grâce divine. Immortel, ayant bu
l’eau de l’éternelle jeunesse dans une source qu’il découvrit au milieu du
désert, il est présenté parfois comme le premier des prophètes.

Les jeux sont faits !

Associé à la jeunesse et à la fortune, le vert est surtout considéré en


Occident comme la couleur de l’argent, du jeu et du sport.
Dès le Moyen Âge, le vert était déployé pour décorer les tribunes des
tournois féodaux. Les changeurs d’argent comptaient les pièces sur des
tapis verts, comme on le voit sur les peintures anciennes.
Pour le sport, les pelouses sur lesquelles se jouent golf, tennis ou football
envahissent les écrans de diffusion des événements sportifs.
Qu’il s’agisse de poker ou de jeux de casino traditionnels, les tapis verts
sont de mise. Traditionnellement, le feutre qui recouvre les tables de billard
tout comme les tables de jeu de bridge est d’une couleur verte assez
soutenue. Sans doute s’exprime là encore toute la force du hasard et de la
fortune.
Puissance du jade
Le jade est une gemme très dure qui fait l’objet de toutes les
attentions depuis des millénaires. Deux civilisations, pourtant très
éloignées géographiquement, lui ont réservé une place
particulière en l’associant à des pratiques magiques : les peuples
précolombiens et la Chine. Les Indiens pensaient qu’une pierre
de jade pouvait soigner les reins. Olmèques et Mayas ont laissé
de magnifiques objets polis. Quant aux Chinois, ils en ont fait un
usage cérémoniel, en particulier dans les rites funéraires, en
plaçant un morceau de jade façonné en forme de cigale, par
exemple, dans la bouche du défunt comme symbole de la vie
éternelle. Le jade était aussi la pierre fine attachée à la puissance
impériale et son sceptre était taillé dans cette matière.

Le vert, interdit de théâtre

Lorsque la chance tourne, le vert porte-chance peut se mettre à porter


malheur ! Ainsi, aucun acteur de théâtre ne porte de vert sur scène. L’une
des légendes explique que le soir de sa mort, Molière portait du vert… Mais
on dit aussi que certains costumes verts, teints avec des dérivés d’arsenic,
auraient aussi empoisonné des comédiens.
Cependant, les acteurs ne sont pas les seuls à nourrir une telle superstition.
Le vert est également redouté dans le monde maritime et les bateaux sont
rarement peints en vert. En Angleterre, la coutume veut que l’on évite de
porter du vert le jour où l’on a des démarches importantes à effectuer ainsi
que le jour de ses noces.
Quels que soient les domaines, le vert semble très versatile et ambivalent,
symbolisant suivant les cas la fortune ou la malchance, l’espoir ou le coup
du sort.
Les hommes aux rubans verts
Dans la littérature, deux personnages sont ridiculisés par le port
de rubans verts. Le premier, c’est Don Quichotte, qui se retrouve
avec une cuirasse et un casque dont il a le plus grand mal à se
défaire. Ne parvenant pas à dénouer les rubans verts qui
retiennent son casque, une « salade » plus précisément, il en est
réduit à dormir avec, ce qui lui donne une étrange apparence !
Le second personnage, c’est Alceste, dans Le Misanthrope.
Célimène, la coquette, se moque de ses rubans verts démodés et
extravagants. « Pour l’homme aux rubans verts, il me divertit
quelquefois, avec ses brusqueries, et son chagrin bourru ; mais il
est cent moments où je le trouve le plus fâcheux du monde »,
déclare-t-elle à son propos.

Une teinte impossible à reproduire durant des siècles

Dans l’histoire de la teinture et des pigments, on retient que la couleur


verte a longtemps été très instable. Les teintures végétales ne restaient pas
longtemps de couleur vive et passaient très vite. Durant plusieurs siècles,
les pigments verts étaient pratiquement impossibles à fixer et supportaient
très mal l’exposition à la lumière. C’est peut-être la raison pour laquelle
cette teinte a été associée au caractère éphémère et versatile de tout ce
qu’on peut désirer : la jeunesse, l’argent, la réussite, qui peuvent apparaître
ou disparaître tout aussi brusquement.
En réalité, bleu et vert ne sont pas toujours faciles à distinguer et dans
plusieurs langues, le même mot désigne les deux teintes, en particulier en
Asie. Si le japonais moderne s’est doté d’un adjectif pour exprimer le vert,
autrefois un même mot couvrait le spectre du bleu et du vert et pouvait
caractériser la couleur des feuilles, par exemple. Il en est de même en
breton. En persan, le noir, le sombre et le vert peuvent se dire avec le même
mot. La perception de la teinte verte reste assez fluctuante.
Si on connaît le goût de Véronèse pour la couleur verte ou encore la
variété de cette gamme chromatique chez les impressionnistes, tous les
peintres ne partagent pas ce même goût. Kandinsky en particulier ne se sent
aucune affinité avec elle : pour lui, elle distille l’ennui et la passivité, en
même temps que la satisfaction de soi, et incarne donc l’immobilisme de la
bourgeoisie.

Véronèse et le vert
La luminosité du vert tant admiré dans la toile du peintre
Véronèse Les Noces de Cana vient, semble-t-il, d’un soupçon
d’arsenic mélangé aux pigments. Toutefois, l’appellation « vert
Véronèse » apparaît dans les nuanciers seulement deux siècles
après la mort du peintre : ce pigment à base d’arséniate de cuivre
est commercialisé par les marchands de couleurs avec la
promesse pour le peintre débutant de se rapprocher de la palette
magistrale du maître…

La couleur des fous, des sorciers… et des extraterrestres !

Le vert n’est pas une couleur de tout repos. Les dragons sont souvent
imaginés de cette couleur. Lucifer lui-même, ange déchu, portait une
émeraude lorsqu’il atterrit sur terre. Sur l’un des vitraux de la cathédrale de
Chartres, le diable est très inquiétant avec ses yeux verts ! Durant tout le
Moyen Âge, les femmes évitaient de porter une robe verte, facilement
associée à la sorcellerie. On attribuait des vêtements de cette teinte aux fous
et aux criminels. Dans les représentations théâtrales de la Passion du Christ
qui se donnaient avant Pâques, Judas portait un costume vert qui figurait
son rôle de traître.
Le vert est donc très ambivalent et inspire aussi de la défiance, voire de la
crainte. Il peut évoquer aussi la moisissure, le pourrissement, la maladie,
voire la mort. Certaines expressions s’en font l’écho, comme être vert de
peur ou de froid…
Au XIIe siècle, en Angleterre, dans le petit village de Woolpit, on découvrit
un jour deux enfants très étranges, parlant une langue inconnue et surtout
ayant la peau verte. Après quelque temps d’acclimatation et l’adoption de la
même nourriture que les enfants du village, ils perdirent cette couleur
étonnante, mais ils restèrent au centre de la légende des « enfants verts de
Woolpit », racontant qu’ils venaient d’un pays mystérieux où le soleil ne
brillait jamais et où tout était de couleur verte. Ils étaient peut-être
simplement malades et souffraient de carences… Plus près de nous, au
XIX siècle, les jeunes héroïnes romantiques ont souvent un teint pâle, un
e

peu verdâtre ; d’une apparence fragile, alanguie, maladive, atteintes de


chlorose (en anglais green sickness), sorte d’anémie qui les fait se pâmer à
la première occasion, elles connaissent toutes les affres du spleen de leurs
homologues masculins.
Quant aux Martiens, appelés parfois « les petits gris » (little grey men), ils
sont le plus souvent dénommés « les petits hommes verts » (little green
men), depuis les récits des années 1950 de rencontres du troisième type aux
États-Unis, en particulier au Kentucky, qui décrivaient ainsi les
extraterrestres. L’expression s’est imposée dans l’imaginaire collectif.

La fée verte
Surnommée la fée verte, l’absinthe est une boisson alcoolisée
élaborée comme un élixir presque magique, mais dont la
consommation au XIXe siècle mena à la folie et à l’intoxication
ceux qui abusaient de ce spiritueux titrant à près de 70°… Elle
connut une vogue extraordinaire, devenant vers 1870 l’apéritif le
plus consommé dans les cafés. Diluée avec six à sept fois son
volume d’eau, préparée selon un véritable rituel, avec verre à
pied idoine et petite cuillère trouée sur laquelle on posait un sucre
où l’on faisait couler goutte à goutte l’eau, elle figure dans
nombre de toiles de maître de cette époque, par exemple en
1875 Dans un café (ou L’Absinthe), huile sur toile de Degas, ou
encore en 1893 le portrait de Monsieur Boileau au café de
Toulouse-Lautrec, et même en 1903 la toile Le Buveur d’absinthe
de Pablo Picasso. Au début du XXe siècle, les ligues
antialcooliques s’unirent pour la proscrire et elle disparut au tout
début de la Première Guerre mondiale.
LE NUANCIER
Absinthe
Amande
Anis
Avocat
Émeraude
Givré
Glauque
Hooker
Jade
Kaki
Menthe
Menthe à l’eau
Olive
Pistache
Sinople
Tilleul
Turquoise
Vert anglais
Vert bouteille
Vert chartreuse
Vert de chrome
Vert-de-gris
Vert de vessie
Vert d’eau
Vert empire
Vert épinard
Vert gazon
Vert impérial
Vert lichen
Vert lime
Vert malachite
Vert mélèze
Vert militaire
Vert mousse
Vert Nil
Vert opaline
Vert perroquet
Vert pin
Vert poireau
Vert pomme
Vert prairie
Vert prasin
Vert printemps
Vert sapin
Vert sauge
Vert smaragdin
Vert Véronèse
Vert viride
INTERMÈDE

LA PERCEPTION DES COULEURS


Les couleurs sont nos principaux repères visuels. Luminosité, contraste,
saturation des couleurs : tous ces éléments créent des harmonies ou au
contraire heurtent notre sensibilité. La juxtaposition et la superposition,
la disposition dans l’espace et la répartition des surfaces jouent
également sur notre sens de la vue et peuvent même générer des
illusions d’optique.
Très récemment, des recherches ont d’ailleurs été entreprises sur des
matières particulières dont la structure même induit une coloration.
L’observation des plumes de paon ou des écailles de papillon révèle que
la surface est composée de microstructures très fines qui interfèrent avec
la lumière. Des recherches sont entreprises pour obtenir artificiellement
des colorations structurelles qui auraient des applications industrielles
ou militaires, notamment dans le domaine du camouflage.
Véritable champion des couleurs, l’homme parvient à discerner plus de
250 teintes pures et 17 000 couleurs mêlées. Si notre vision reste l’une
des plus performantes du monde vivant, certaines personnes présentent
des troubles visuels qui peuvent altérer leur perception des couleurs.
Ainsi, les hespéranopes ou personnes atteintes d'hespéranopie ne
peuvent s’orienter que grâce aux lumières artificielles ; en revanche, ils
sont incapables de se repérer dans la pénombre. Tragique, cette maladie
entraîne inexorablement un rétrécissement du champ visuel qui conduit
à la cécité. À l’inverse, les nyctalopes voient mieux la nuit que le jour.
Les malades se sentent mieux lorsqu’ils sont dans une lumière très
faible. Ils n’ont quasiment aucune perception des couleurs, leur univers
se déclinant dans toutes les nuances de gris. Cette affection, rarissime,
n’évolue généralement pas.
Les daltoniens, quant à eux, se divisent en deux catégories. Certains ne
distinguent aucune couleur, percevant le monde uniquement en gris.
D’autres encore voient mal le rouge, le vert ou le bleu, et ne peuvent
repérer aucune nuance aux confins de ces couleurs. Dans tous les cas, la
vision demeure tout à fait normale en dehors de ce trouble particulier.
Cette maladie héréditaire, mais non évolutive, s’avère relativement
fréquente puisqu’on estime à plus de deux millions la population
touchée. Décrite pour la première fois au début du XIXe siècle par le
chimiste anglais John Dalton, lui-même atteint de ce trouble, la maladie
se caractérise par de mauvaises connexions avec certaines fibres du nerf
optique. Il n’existe pas encore de traitement pour cette affection, qui ne
revêt aucun caractère de gravité. Cependant, l’exercice de certaines
professions est interdit aux personnes atteintes. Celles-ci doivent en
outre élaborer de multiples correspondances pour intégrer les différents
signes codifiés par des couleurs. Ainsi, les feux rouges et verts
deviennent les feux bas et hauts…
Dans le monde animal, les perceptions des couleurs s’effectuent de
façon très disparate, mais le rouge semble l’une des tonalités les mieux
perçues. Ainsi les taupes ne voient que le rouge et le jaune, la civette le
rouge et le vert. Les abeilles, elles, perçoivent seulement le rouge et le
noir. Quelques exceptions confirment tout de même la règle. Ainsi, les
singes ne voient pas le rouge. Quant aux ratons laveurs, hamsters dorés,
mulots et autres sarigues, les pauvres ne perçoivent aucune couleur !
LE BRUN
Marron, miel, acajou, caramel, chocolat, terre de Sienne brûlée, les mots
et les images ne manquent pas pour rendre compte de la richesse de la
palette des bruns. Couleur des cheveux, des yeux, du pelage des animaux,
du bois, de la terre, le brun est comme une source de vie qui se cache sous
des apparences neutres et adopte une tenue de camouflage.

Tous les bruns de la terre

Le brun est sans doute la teinte qui nous rattache le plus profondément à
la terre. Tout autant qu’une couleur, c’est finalement peut-être aussi une
matière. On note d’ailleurs avec curiosité que dans la plupart des
civilisations d’Afrique noire, le vocabulaire qui établit la gamme des bruns
prend en compte avant tout des modalités comme sec/humide, lisse/rugueux
ou encore tendre/dur. C’est dire combien cette couleur est associée à une
texture.
Les mots qui en français donnent toutes les nuances du brun sont presque
toujours des images. Il suffit de farfouiller dans un rayon de bas et collants
d’un grand magasin pour constater l’imagination des publicitaires (et des
consommatrices…) pour distinguer les moindres variations d’intensité, du
sable au bronze en passant par le tabac !
Dans beaucoup de langues, c’est la référence au thé, au café, voire au
chocolat qui est privilégiée pour caractériser la couleur brune.

Marron aux sens multiples


Le mot « marron » fait référence au fruit du marronnier. Comme
adjectif, on l’utilise pour la couleur brune, mais on ne l’utilise pas
en français pour caractériser les fourrures et les chevelures pour
lesquelles on garde l’adjectif « brun ».
Il faut noter un autre usage de l’adjectif marron, qui désignait
autrefois aux Antilles les esclaves en fuite qui trouvaient refuge
dans la montagne. L’origine n’a sans doute rien à voir avec l’arbre
et son fruit, mais il s’agit plutôt d’une abréviation du mot espagnol
qui caractérise le même phénomène, cimarron, qui veut dire
sauvage, mais d’abord montagnard.
On peut encore noter que l’expression « être marron » signifie
être dupé, attrapé, être perdant dans une affaire. Faut-il y voir le
souvenir des esclaves marrons repris et durement châtiés ? Et
l’expression « être chocolat » – qui est son synonyme – ne serait
alors qu’un glissement à partir de la couleur suggérée ? Toujours
est-il que le mot marron suggère l’idée de clandestinité et qu’on
parle aussi d’un avocat marron lorsque celui-ci exerce sans en
avoir vraiment le titre, ou encore on dira d’un ouvrage imprimé
clandestinement qu’il s’agit d’un marron.

Les couleurs du monde rural sont le brun et le vert et elles structurent


l’espace : vert des plantes et des arbres, brun de la terre, du bois, des
feuillages d’automne. Mais, finalement, vert et brun sont comme les deux
faces d’un même principe, celui de l’énergie vitale.
Si le vert est éclatant, le marron est aussi riche de potentiel caché : la terre
nourricière, épaisse, dense, traduit par sa couleur la masse de ses
composants nutritifs. Le marron, c’est la couleur de l’humus, la couleur
dans laquelle viennent se confondre en pourrissant toutes les autres
couleurs, une sorte de fusion de tous les principes de la nature.

Blonde, brune ou rousse ?


Les préférences en cette matière touchent aussi bien les femmes
que… les bières ! Les nuances de coloration viennent des
composants que l’on fait fermenter. Ainsi, la stout, bière brune
irlandaise presque noire, tire sa couleur du malt torréfié, alors que
la bière blanche de Louvain est fabriquée à partir d’orge et de
froment. Des sucres caramélisés sont parfois ajoutés pour
renforcer couleur et arôme.

Brut ou brutal ?

De la glèbe, la motte de terre qu’on cultive, à la plèbe, le bas peuple, il n’y


a qu’une lettre initiale de différence.
Depuis l’Antiquité, les vêtements des pauvres et des miséreux sont
marqués par cette teinte sombre et brune qui les rattache à la terre. Les
Romains en bas de l’échelle sociale étaient nommés les pullati, ce qui
signifie littéralement « ceux qui sont habillés de brun ».
Entre l’accès difficile à l’hygiène et les travaux salissants, on comprend
que ces teintes aient été choisies par les travailleurs les plus misérables.
Le monde de la décoration se méfie de la fadeur et de la tristesse du brun,
de son manque de vibration et de lumière. Seuls les matériaux bruts comme
le bois, dans toutes ses nuances de coloration, ou le cuir, tirent leur épingle
du jeu et sont mis en avant pour renforcer l’impression de confort classique.
Les créateurs de mode réservent plutôt toutes les nuances de marron aux
accessoires de maroquinerie et aux chaussures, car le brun exerce sur nous
une sorte de répulsion et de fascination tout à la fois.
Certaines nuances chaudes sont notamment appréciées dans la mode :
rehaussées par un bijou, une teinte plus vive, jaune ou orange, elles mettent
en valeur un teint clair, un maquillage lumineux. Cependant, d’autres
variations ternes semblent sales et rappellent désagréablement les ordures et
excrétions : le fameux caca d’oie n’est pas vraiment seyant !
Pantone 448C, la couleur repoussoir
Quand il s’est agi de choisir un emballage neutre pour tous les
paquets de cigarettes et autres emballages de tabac, il a bien
fallu choisir une couleur. C’est l’Australie, en 2011, qui a testé en
premier ce dispositif censé dégoûter les fumeurs. Une agence de
marketing a fait une enquête pour déterminer la couleur la plus
repoussante et c’est le brun sale correspondant à la référence
Pantone 448C qui a été choisi. Une sorte de kaki brun verdâtre,
qu’on a d’abord qualifié de « vert olive », mais qui a perdu cette
dénomination après la levée de boucliers de l’Australian
Olive Association (Association australienne des producteurs
d’olives) !

Quand l’armée annonce la couleur

Les teintes brunes sont aussi associées aux uniformes et aux armées. En
1848, sir Harry Lumsden, qui dirigeait en Inde un régiment anglais, se
désespérait de voir les uniformes blancs sans cesse souillés par la poussière.
Il eut l’idée de faire teindre les tenues de ses hommes avec un mélange de
café, de curry et de jus de mûres. Les Indiens baptisèrent la couleur obtenue
khaki, qui signifie « couleur de poussière, de terre » en hindi.
Cette couleur est vraiment connotée comme celle des tenues de campagne
ou de camouflage. Dans l’usage ordinaire, on ne l’utilise vraiment dans la
mode qu’en association avec des couleurs chaudes et gaies qui en
contrebalancent les effets négatifs.

Le brun de Bismarck
L’appellation brun de Bismarck, ou brun Bismarck, apparaît en
France vers 1863, quand Otto von Bismarck accède aux
fonctions de ministre prussien des Affaires étrangères. Elle
caractérise d’abord un colorant industriel utilisé en médecine.
Mais la couleur finit par être aussi utilisée dans le domaine de la
mode, avec des variantes amusantes comme « Bismarck
malade » quand le brun tire sur le jaune ou « Bismarck en
colère » quand elle vire au rouge foncé.

L’ombre et la lumière

Dans l’art, les pigments foncés apparaissent en peinture à partir de la


Renaissance dans la peinture à l’huile. Leur provenance est italienne, terre
d’ombre (argile sombre provenant d’Ombrie) et terre de Sienne, avec leurs
variantes les plus sombres, ombre brûlée ou Sienne brûlée. Ces coloris
permettent à des artistes comme le Caravage d’obtenir des effets de clair-
obscur, faisant ressortir les rais de lumière sur des fonds ténébreux.
Rembrandt a ajouté à sa palette le pigment terre de Cassel, ou terre de
Cologne, issu de matières organiques comme la tourbe. Rubens et surtout
Van Dyck y ont aussi eu recours, et cette teinte est devenue célèbre sous le
nom de brun Van Dyck.
N’oublions pas non plus le charme du sépia. Cette matière colorante que
l’on tire de la seiche est utilisée depuis l’Antiquité, et elle a trouvé un usage
particulier dans le dessin et le lavis. Léonard de Vinci et Raphaël, pour ne
citer qu’eux, l’ont employée.
Elle donne des résultats raffinés, et dans notre esprit, elle est associée au
passé et à la nostalgie. En photographie, un tirage sépia est une sorte de
variante du noir et blanc, avec les valeurs sombres marquées par le brun.
C’est ainsi que nous imaginons les photos jaunies par le temps, les
souvenirs anciens.
Le cinéma a parfois recours au sépia pour marquer un retour en arrière, un
flash-back. L’élégance du sépia vient du sens de la nuance qu’il introduit :
le noir n’est plus noir, le blanc devient crème, plus rien n’est tranché, dur,
blessant.
C’est comme si le temps estompait la cruauté des souvenirs. Le brun est
ainsi une sorte de couleur de deuil, triste, mais doucement et délicieusement
triste, une réconciliation avec la mort.
LE NUANCIER
Acajou
Alezan
Auburn
Ambre
Basané
Beige
Bismarck
Bistre
Bitume
Brique
Bronze
Brou de noix
Bureau
Caca d’oie
Cacao
Cachou
Café
Café au lait
Cannelle
Caramel
Châtaigne
Châtain
Chaudron
Chocolat
Citrouille
Fauve
Feuille-morte
Grège
Lavallière
Marron
Noisette
Ocre
Puce
Rouge tomette
Rouille
Sépia
Tabac
Terracotta
Terre d’ombre
Terre de Sienne
INTERMÈDE

BLEU CERISE ET AUTRES


BIZARRERIES
Anecdotes, expressions, bizarreries diverses… voici un joyeux fatras
divertissant !
Les chasseurs alpins ont un problème avec les noms de couleur. Quand
on a voulu leur imposer, à la fin du XIXe siècle, un pantalon rouge, très
exactement garance, ils protestèrent. Pour eux, on ne peut appeler rouge
que l’une des couleurs du drapeau français, ainsi que le ruban de la
Légion d’honneur. Ils ont alors inventé le bleu cerise. Interdit aussi chez
eux de prononcer le mot « jaune » : toutes les garnitures, qu’il s’agisse
de passepoils, de galons ou de fanions, sont « jonquille » ! Quant au
sang des chasseurs alpins, il n’est ni rouge comme tout un chacun, ni
bleu comme les aristocrates, mais vert… En effet, dans leur hymne, La
Protestation des chasseurs, on chante au troisième couplet : « Si vous
tenez au drap garance/Qui coûte autant sans valoir mieux/Notre sang
versé pour la France/Rougira nos pantalons bleus. » Les chasseurs alpins
veulent y entendre « Notre sang vert, c’est pour la France ! »
Nos romans policiers sont appelés romans noirs. En Italie, ce sont des
romans jaunes.
En Italie toujours, les derniers d’une course sont désignés comme les
lanternes noires. Dans l’Hexagone, ce sont les lanternes rouges.
Un petit verre de trop et nous voilà noirs… Les Allemands, eux,
deviennent bleus dans ce genre de circonstances.
« La terre est bleue comme une orange »… Lorsque Paul Éluard écrivit
ce vers en 1929, il ne pouvait deviner que vue de l’espace par les
premiers astronautes, notre planète ressemblerait véritablement à une
grosse orange bleue. Le film Tintin et les oranges bleues, tourné en
1964, s’est peut-être souvenu du vers d’Éluard… Difficile à dire.
En arabe, une mort bleue est une mort violente, et une page blanche est
une page très soigneusement écrite.
Si un coquard sur l’œil se dit en français avoir l’œil au beurre noir,
l’expression allemande parle elle d’un œil bleu.
Un purple passage (passage violet), en anglais, est le morceau de
bravoure d’un discours.
LE JAUNE
Le jaune est sans doute la couleur la plus paradoxale. Reflet du soleil, de
la lumière, de la puissance divine, elle représente aussi sa dégradation
terrestre et symbolise alors trahison et mensonge. Son histoire est celle
d’une récente réhabilitation, à la faveur de découvertes techniques et
chimiques. Ambiguë, inspirant une sorte de méfiance, elle est pourtant très
appréciée par les décorateurs, qui savent tirer parti de son vibrant éclat.

Le soleil donne…

Couleur stridente, violente, aiguë, le jaune est à la fois la couleur la plus


chaude et la plus ardente. Cette couleur lumineuse est celle que l’œil
humain perçoit le mieux. Plus simplement, lorsqu’on interroge un enfant
pour connaître sa couleur préférée, il répond bien souvent le jaune et
l’utilise abondamment dans ses dessins et peintures, notamment pour
représenter la lumière.
Le jaune est en effet perçu comme une couleur chaude et dynamique, liée
au soleil et à l’or. Chez les Grecs, l’adjectif qu’on traduit par jaune, xanthós,
recouvre une palette de couleurs allant du rougeoiement du feu à la couleur
blonde des blés, et peut-être même jusqu’à une sorte de vert-de-gris.

Le blond vénitien
Parmi les multiples nuances pour caractériser la couleur des
cheveux, le blond vénitien fait rêver : la dénomination nous
transporte à la Renaissance italienne, quand la Sérénissime
étendait son pouvoir sur la Méditerranée. Cependant, il ne s’agit
pas d’une couleur naturelle. Et le procédé n’est pas aussi
poétique que son nom le laisserait espérer… La femme qui
souhaitait obtenir ce blond chaleureux tirant sur le roux devait
d’abord décolorer sa chevelure avec un bain d’urine de chat ou
de cheval, puis user d’une coloration à base de jus de citron, de
rhubarbe et de safran. L’exposition au soleil achevait de faire
réagir les pigments.

Dans bien des religions, l’éternité divine est représentée par le jaune : du
Vishnu des hindous au Huitzilopochtli des Aztèques, du perse Mithra à
l’Apollon grec, les dieux portent volontiers des vêtements d’un jaune doré.
Les cultes les plus anciens reposent sur l’adoration de l’astre solaire, et la
chair même des dieux est souvent représentée dans une couleur dorée ou
jaune. C’est le cas dans l’Égypte antique où, grâce aux pigments issus de
l’oxyde de fer, on représentait ainsi les corps divins et immortels. Quant au
char solaire d’Apollon, il lui confère un halo doré qui coïncide avec la
promesse d’immortalité que porte ce dieu.
Autre exemple, le drapeau du Vatican mêle le blanc de la pureté et de la
foi au jaune de la vie éternelle. Liée à la puissance des dieux, cette couleur
est aussi l’attribut des rois et des empereurs, qui marquent ainsi l’origine
divine de leur pouvoir. C’est d’ailleurs par des costumes jaunes qu’on
reconnaît ces personnages dans le théâtre de Pékin.

La veuve jaune
Quand Cory Aquino entra en politique aux Philippines pour
poursuivre le combat de son mari assassiné, les Occidentaux
s’étonnèrent de la voir toujours paraître en public dans des robes
d’un jaune vif. L’image de la veuve, fidèle au souvenir de son
époux, cadrait mal avec cette couleur éclatante. La raison en était
cependant fort simple : le jaune, dans le système symbolique de
cette région du monde, se trouve être la couleur du deuil.

Capteur d’attention

Le jaune a toujours été une couleur facile à obtenir pour les teinturiers :
elle est très répandue dans la Rome antique, pour les vêtements de femme
en particulier. Son usage dans la vie quotidienne reflète surtout sa capacité à
attirer l’attention.
Des boîtes aux lettres aux balles de tennis en passant par les affiches
promotionnelles des soldes des magasins, tout ce qui doit être repéré du
premier coup d’œil est en jaune. Le premier service de courrier en Europe
fut organisé au tout début du XVIe siècle à la demande des Habsbourg, dont
les couleurs étaient le jaune et le noir. Ce service leur emprunta tout
spécialement le jaune, très visible.
En France, c’est en 1962 que Citroën crée spécialement pour la poste un
modèle de 2 CV arborant la couleur AC 311, un jaune bien reconnaissable
qui permettait aussi à ses véhicules d’être repérés par tous les temps.
Beaucoup de pays ont adopté cette couleur. L’exception la plus connue est
la Grande-Bretagne, avec son rouge brillant bien caractéristique.
La mode au XXe siècle s’est emparée des couleurs fluo, que l’industrie
chimique a parfaitement stabilisées : le jaune translucide et lumineux a alors
triomphé, depuis les vêtements et les accessoires de toute une génération
« techno » jusqu’aux feutres surligneurs de nos bureaux… On peut
difficilement trouver mieux pour attirer l’attention. Couleur violente, trop
violente pour qu’on l’adopte comme couleur de vêtements en toute
circonstance, elle est cependant un catalyseur d’énergie, un rehausseur de
ton indispensable.

Les taxis
Beaucoup de compagnies de taxis de par le monde ont choisi le
jaune pour permettre aux clients de les repérer facilement dans le
flux de la circulation. À Paris, dès le XIXe siècle, les fiacres
arboraient cette couleur. Mais c’est surtout à New York que la
couleur s’est imposée à tous les taxis agréés. Il faut consacrer
quelques mots à la plus célèbre des compagnies de taxis, la
Yellow Cab Company, fondée à Chicago en 1907 par
John D. Hertz. Impliquée dans des trafics au moment où la ville
était le terrain de jeu des bandes rivales de la pègre, la société a
changé de propriétaire dans les années 1920. Et Monsieur Hertz
s’est consacré à la location de voiture en gardant la couleur jaune
pour son logo !

Tout l’éclat de la nature

On constate que le jaune est l’une des couleurs les plus répandues dans la
nature. Tous les jardiniers savent que nombre d’espèces végétales
fleurissent au printemps dans toutes les nuances de jaune, depuis les
forsythias jusqu’aux jonquilles et aux crocus. Le jaune est ainsi associé au
renouveau du printemps, à sa fraîcheur. Il est aussi la couleur des blés mûrs,
de la paille ; il se répand sur toute la végétation, en taches plus ou moins
intenses à l’automne.
Ses qualités naturelles lui confèrent un rôle important et fort apprécié dans
la décoration. Quelques touches éclairent une soupente ou font ressortir des
tons plus sombres, dans les bruns comme dans les bleus. Le jaune permet
ainsi à la nature d’envahir nos intérieurs.
La plus belle réussite en cette matière est sans conteste la maison du
peintre Claude Monet, à Giverny. Dans cette demeure campagnarde où
l’artiste passa près de vingt-cinq ans, recevant ses amis, peignant et
s’adonnant à sa passion pour le jardinage, la vaste salle à manger est peinte
en jaune de chrome. Les chaises et les meubles sont de la même couleur.
Harmonie claire et dynamique que le peintre et son épouse faisaient
ressortir lors des déjeuners en disposant des nappes du même ton et en
employant des services de table marqués de bleu. Le décor en a été
reconstitué aujourd’hui par le musée qu’abrite cette maison.

La couleur de Judas le traître

Cependant, aux côtés du jaune vif et chaleureux existe une forme


dégradée de jaune, pâle, terne, tirant parfois sur le vert.
Cette nuance est perçue comme le repoussoir de l’or, une teinte terrestre,
imparfaite, maléfique à l’image du soufre. Ce qui explique peut-être qu’au
fil des siècles, la couleur jaune n’a pas cessé de se dévaloriser jusqu’à
apparaître aujourd’hui comme l’une des couleurs les moins aimées dans les
sondages d’opinion.
Dès le Moyen Âge, le jaune a pris des connotations négatives : il
symbolise plus particulièrement la trahison et le mensonge. C’est ainsi
qu’on peint en jaune les maisons des faussaires et des parjures. Même en
Chine, les maquillages des traîtres dans le théâtre traditionnel ont une
dominante jaune !

Les briseurs de grève


Pourquoi traite-t-on de « jaune » l’ouvrier qui ne fait pas grève ?
On serait tenté de penser que ce sont les valeurs négatives de
trahison et de mensonge attachées à cette couleur qui ressortent
à cette occasion. Cet aspect est très accessoire. La référence est
historique. Par opposition aux syndicats « rouges » de la fin du
XIX siècle, liés aux théories socialistes de la lutte des classes, se
e

créent en 1899 des syndicats qui prônent la collaboration avec la


classe dirigeante. Ils choisissent pour emblème un gland jaune et
un brin de genêt : les syndicats « jaunes » sont ainsi créés et
l’expression injurieuse « un jaune » entrera en 1935 dans le
dictionnaire de l’Académie.

Ce mauvais jaune est également associé à l’adultère : la fleur de souci


symbolise la trahison conjugale dans le langage des fleurs.
Associé au vert, et plus particulièrement dans des vêtements rayés, le
jaune figure traditionnellement depuis le Moyen Âge sur les costumes des
bouffons en symbolisant le plus grand désordre et la folie.
Enfin, l’un des symboles négatifs les plus forts et les plus anciens de la
tradition occidentale est sans doute l’étoile jaune. Couleur traditionnelle des
vêtements de Judas le traître dans l’iconographie médiévale, le jaune fut
très tôt associé au peuple juif, mais aussi aux musulmans ou aux lépreux.
Les nazis au XXe siècle ont repris cet ancien signe d’infamie pour l’imposer
aux juifs de toute l’Europe.

Le passeport jaune
Dans la Russie des tsars, la prostitution était interdite, mais
comme il était impossible d’éliminer le plus vieux métier du
monde (ou réputé tel), Nicolas Ier mit plutôt en place une
législation encadrant cette pratique. Un Comité fut instauré en
1843 pour suivre les prostituées sur le plan médical et éviter les
troubles à l’ordre public. La femme était alors dotée d’un
passeport d’identification de couleur jaune, appelé « ticket
jaune » ou « carte jaune », qui rappelait la réglementation des
maisons closes, mais faisait aussi office de carnet de santé
individuel. En russe, la périphrase « porteuse de billet jaune » est
devenue courante pour désigner une prostituée.

Procédés chromatiques

Dans le domaine technique et grâce à l’imprimerie, le jaune va pourtant


avoir sa revanche et connaître une lente réhabilitation. En effet, dans la
droite ligne des travaux de Newton, on se préoccupe au XVIIIe siècle de
découvrir des procédés pour créer des estampes en couleur. Le peintre et
graveur Jacob Christoph Le Blon invente alors la trichromie : on tire la
même gravure selon trois planches de couleur différente, en rouge, en bleu
et en jaune, puis on les superpose pour recomposer toutes les nuances de la
gamme chromatique. Ainsi, le jaune devient l’une des trois couleurs de base
dans l’industrie naissante des arts graphiques.
Cette promotion relègue le vert au second plan : il n’est plus qu’un
mélange de jaune et de bleu. Notons toutefois qu’en matière de procédé
télévisuel, le vert reprendra sa place : c’est par le système RVB (qui
décompose les images en trois lumières colorées de rouge, vert et bleu)
qu’on obtient la restitution des couleurs sur un écran.
La presse va aussi utiliser l’impression en couleur pour rendre plus
attractifs certains contenus et pour se faire remarquer.
À la fin du XIXe siècle, à New York, la presse à sensation a abondamment
utilisé le jaune, au point qu’on a parlé de « journalisme jaune », ou yellow
journalism, pour caractériser les publications populaires à fort tirage. Le
déchaînement des rivalités sur ce créneau, notamment entre le New York
World et le New York Journal, publications à succès au tirage
impressionnant, mais au prix dérisoire, s’est incarné dans les disputes entre
les deux magnats, Joseph Pulitzer et William R. Hearst.
La situation les amena à rivaliser d’imagination pour séduire le public. La
première bande dessinée fut ainsi introduite en 1896 dans l’édition du
dimanche du New York World. Intitulée Hogan’s Alley, du nom d’un
quartier populaire new-yorkais, elle fut rapidement surnommée The Yellow
Kid, l’enfant jaune, à cause de son héros, gamin chauve arborant une
chemise de nuit de cette même couleur.
Elle fut ensuite publiée dans le journal rival, qui avait débauché son
créateur, Richard F. Outcault, mais elle fut cependant continuée par un autre
dessinateur dans le quotidien d’origine : la rivalité entre les deux Yellow
Kids symbolisa celle entre les deux journaux !

Le maillot jaune
Tous les cyclistes rêvent de porter un jour le fameux maillot jaune
qui permet de repérer dans le peloton le coureur en tête du Tour
de France. Pourquoi le choix de cette couleur ? La raison, qu’on
a souvent oubliée aujourd’hui – au point que l’expression
s’applique bien au-delà du domaine de la Petite Reine – est liée à
la publicité déjà à l’œuvre au début du siècle. En effet, le jaune
était la couleur du papier du journal L’Auto, qui organisait la
course à l’origine. Ce jaune était une couleur plutôt terne,
destinée aux publications populaires, mais qui, transposée sur la
matière textile du maillot en 1919, est devenue le jaune éclatant
de la victoire.

Une palette naturelle, mais aussi chimique !

Les pigments d’ocre jaune sont sans doute parmi les premiers que les
hommes préhistoriques puisèrent dans la nature : dans la grotte de Lascaux,
un cheval jaune frappe les regards. Mais à côté des coloris offerts par la
nature, la chimie a su aussi gâter les artistes plus proches de nous.
Les critiques d’art mettent l’accent sur la palette riche, claire et vive des
impressionnistes. Certes, le choix de ces couleurs correspondait pour les
artistes à des partis pris esthétiques, mais on oublie parfois l’influence
beaucoup plus concrète des progrès de la technologie et de la chimie au
XIX
e
siècle. Il faut d’abord souligner l’invention par l’Américain
John G. Rand en 1841 des tubes métalliques souples qui permirent aux
peintres de transporter leurs couleurs et de peindre en plein air, sans
craindre l’oxydation qui ne manquait pas de se produire dans les anciennes
outres de cuir. N’oublions pas non plus que la chimie inventa et stabilisa à
cette époque bien des couleurs chimiques que les artistes purent directement
utiliser, sans avoir à les broyer, en les mélangeant à des liants. Les jaunes,
notamment, se multiplièrent en offrant de nouvelles nuances : on découvrit
le jaune de chrome en 1810, le jaune de baryum vers 1845, le jaune de
cadmium à la fin des années 1840 et le jaune de cobalt en 1852. Des
marchands de couleurs, comme Tasset et Lhote, devinrent les fournisseurs
attitrés de grands peintres tels que Degas ou Van Gogh.

Van Gogh et le jaune


La couleur la plus caractéristique de la manière de Van Gogh est
sans conteste le jaune, qu’il évoque dans une lettre comme « la
clarté suprême de l’amour ». Souvent utilisées en contraste avec
le bleu, qui évoque quant à lui l’infini, ces teintes sont violentes,
excessives dans l’esprit du peintre. Elles doivent irradier de la
lumière. Il mélange au jaune de chrome un peu de sulfate de
baryum blanc pour accentuer sa luminosité et le faire « hurler ».
On pense évidemment au jaune des fameux Tournesols.
Cependant, Van Gogh est trahi par les réactions chimiques. Des
études ont prouvé qu’à la lumière, sous l’effet des ultraviolets, le
chrome, le soufre et le baryum brunissent considérablement.
Hélas, l’assombrissement de certaines de ses toiles est
inéluctable.
LE NUANCIER
Ambre
Aurore
Beurre
Beurre frais
Blé
Blond
Bouton-d’or
Bulle
Caca d’oie
Chamois
Champagne
Chrome
Citron
Fauve
Flave
Fleur de soufre
Gomme-gutte
Jaune auréolin
Jaune banane
Jaune canari
Jaune chartreuse
Jaune de cobalt
Jaune de Naples
Jaune d’or
Jaune impérial
Jaune mimosa
Jaune moutarde
Jaune nankin
Jaune paille
Jaune poussin
Maïs
Mars
Mastic
Miel
Ocre jaune
Ocre rouge
Orpiment
Poil de chameau
Queue de vache
Sable
Safran
Soufre
Topaze
Vanille
Vénitien
INTERMÈDE

LES COULEURS EN
CORRESPONDANCE
Les couleurs entre elles forment déjà un système harmonieux. C’est ce
qui a toujours frappé les hommes en admirant un arc-en-ciel.

L’arc-en-ciel est d’abord un phénomène physique spectaculaire. Il peut


s’observer en général après une averse, dès que le soleil revient.
L’atmosphère est encore chargée de gouttes d’eau en suspension qui
jouent le rôle de multiples prismes. Lorsqu’un rayon du soleil heurte ces
gouttes, il se trouve réfracté et décomposé en divers rayons colorés. Il se
dessine alors dans le ciel, à l’opposé du soleil, un très grand arc
lumineux où se succèdent de manière continue les couleurs du spectre :
rouge, orangé, jaune, vert, bleu, indigo, violet. Les molécules d’eau
produisent spontanément les expériences d’optique que Newton avait
patiemment reconstituées dans son laboratoire en étudiant le spectre de
la lumière blanche.

Ce phénomène a toujours fasciné les hommes et donné lieu à de


multiples légendes. Cet arc coloré et éphémère, qui rappelle la forme
d’un pont, est perçu dans toutes les civilisations comme une
communication établie entre la terre et le ciel, les vivants et les morts,
les humains et les dieux. Pour les Grecs, cette frange lumineuse est
l’écharpe d’Iris, la messagère des dieux, qui apporte les bonnes
nouvelles. Dans la mythologie scandinave, c’est par l’arc-en-ciel que les
héros morts au combat rejoignent le Valhalla où les attendent les
Walkyries, légende que Wagner a reprise à la fin de L’Or du Rhin. Au
Japon, on l’appelle « le pont flottant du ciel » et pour les bouddhistes, il
est l’escalier aux sept marches colorées qui permet à Bouddha de
redescendre sur terre.

Observer un arc-en-ciel est en général interprété comme un bon présage,


et certaines superstitions laissent croire qu’à l’endroit où l’arc-en-ciel
touche la terre se cache un trésor tombé du ciel ou apporté par les fées.
Mais bien des croyances folkloriques recommandent de ne pas le
montrer du doigt : on risque alors de faire revenir la pluie ou même
d’être foudroyé !

De là à imaginer qu’on puisse associer les couleurs à d’autres


sensations, il n’y a qu’un pas que plusieurs penseurs et poètes ont
franchi. Newton pensait déjà que les couleurs et les sons se répondaient
dans des harmonies secrètes. Ayant identifié que dans ces deux
domaines tout était une question de vibration et de longueur d’onde,
voire de mathématiques et de nombres, il en déduisait des rapports
analogiques complexes entre les couleurs et les notes de la gamme. Le
père Louis Bertrand Castel (1688-1757) chercha quant à lui toute sa vie
à construire un « clavecin oculaire » pour « peindre les sons » et ainsi
jeter un pont entre peinture et musique.

Comment mettre en relation les couleurs avec d’autres impressions


sensuelles, tactiles, olfactives ou auditives ? Le lien poétique est sans
aucun doute celui qui parle le mieux à l’âme. Charles Baudelaire est l’un
des premiers à chanter la synesthésie, c’est-à-dire l’harmonie des
sensations. C’est ce qu’il évoque de manière presque mystique dans son
poème Correspondances :

La Nature est un temple où de vivants piliers


Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
— Et d’autres, corrompus, riches et triomphants,
Ayant l’expansion des choses infinies,
Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,
Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.
Mais le poète le plus emblématique de ces harmonies secrètes est sans
aucun doute Arthur Rimbaud, lorsqu’il compose son sonnet intitulé
Voyelles :
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu, voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes.
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombillent autour des puanteurs cruelles,
Golfe d’ombre ; E, candeur des vapeurs et des tentes,
Lance des glaciers fiers, rois blancs, frissons d’ombelles
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;
U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides
Que l’alchimie imprime aux grands fronts studieux ;
O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
— O l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux !
OR ET ORANGÉ
Riche, précieux, sacré, l’or est le métal roi. Depuis les plus anciennes
civilisations, son éclat, sa beauté ont fait de lui la base des échanges
commerciaux et la matière des ornements les plus recherchés. Il rehausse
les couleurs de son aura métallique. L’orangé en est comme une variante
plus accessible : même chaleur, même énergie, sous une apparence plus
humaine…

Richesse et sacré

L’or fut toujours l’objet de convoitise par excellence. Conquistadors partis


chercher dans le Nouveau Monde les mines et les filons, chercheurs d’or
lancés sur les routes de l’Ouest américain avec carrioles et familles,
orpailleurs solitaires armés d’un seul tamis pour chercher les pépites au sein
des rivières, tous les hommes ont associé or et désir. Les femmes ne s’y
trompent pas, qui conjuguent ensemble bijoux et séduction… Les robes de
soirée se parent volontiers d’accessoires de ce précieux métal, quand le
tissu lui-même n’est pas en partie composé de fils dorés, comme pour
placer le corps de la femme dans un écrin qui rehausse sa beauté et suscite
les désirs.
L’or, sans être à proprement parler une couleur, transmet son éclat à ce qui
l’environne. Il est le symbole du soleil, de la richesse et de l’opulence.

Qu’est-ce qu’un carat ?


Carat vient d’un mot arabe qui signifie « poids ». C’est l’unité de
mesure qui indique la proportion de métal précieux dans un
alliage. Un carat correspond à 1/24e du poids total. Ainsi, un
alliage d’or à 18 carats est composé d’or aux 18/24e, soit aux 3/4,
d’or. L’or à 24 carats est pur.

Dans les édifices sacrés de toutes les religions, on retrouve des ornements
et des objets en or, seule offrande digne des dieux. Dans les temples
hindouistes, même les plus pauvres achètent de petites feuilles d’or, qu’ils
appliquent en signe de dévotion sur les statues des dieux qu’ils vénèrent.
Dans la religion catholique, Jésus et les saints sont représentés avec un
cercle doré et lumineux qui nimbe leur tête, une aureola corona (couronne
dorée) devenue en français une auréole.
Peut-on multiplier les décorations dorées dans son propre intérieur ? Une
règle simple et de bon sens s’impose aux particuliers : il faut, chez soi,
éviter un étalage trop ostentatoire d’objets dorés qui trahirait le nouveau
riche ; des touches discrètes seules relèvent du bon goût.

La pomme d’or des Romains

La couleur orange semble être un or retombé sur terre. Son nom fait
directement référence à l’agrume, qui, par sa couleur chaude et sa forme
ronde, était d’ailleurs appelée « pomme d’or » à Rome. Il faut aussi dire que
l’orange, avec ses multiples pépins, est un symbole de fécondité : elle est
donc associée à l’amour et à Vénus depuis l’Antiquité. C’est pourquoi la
couronne de fleurs d’oranger, blanches au pistil doré, est traditionnellement
posée sur la tête des jeunes mariées en France, en Angleterre et en Espagne.
Ce fruit est un trésor pour la santé avec sa vitamine C, et son arôme est l’un
des plus complexes : on dénombre pas moins de quatre-vingt-dix
substances le composant !
Dans la nature, cette teinte orangée est souvent associée aux fruits :
abricot, chair du melon, de la goyave, de la papaye. Là encore, notre
imagination est sollicitée : c’est toute la profusion de la nature et de l’été
que cette couleur nous suggère. L’orange se retrouve d’ailleurs, de façon
saugrenue, associé comme l’or au rayonnement du soleil : le carotène,
pigment orange qu’on retrouve notamment dans la carotte, est bien connu
pour faciliter le bronzage !

Le Golden Gate
Le Golden Gate Bridge, qu’on pourrait traduire en français par le
pont de la Porte d’Or, est le plus célèbre des ponts suspendus
américains et le symbole de la ville de San Francisco. Il enjambe
le Golden Gate, le détroit qui relie la fameuse baie à l’océan
Pacifique. Sa construction a duré quatre ans, de 1933 à 1937.
Dès l’origine, il a été peint en orange, dans la nuance dite
« international orange ». Le choix de cette teinte par l’architecte
Irving Morrow a donné lieu à quelques polémiques, mais elle
s’est imposée et est devenue la véritable marque de fabrique de
l’édifice.

Une déco so seventies…

Couleur pleine de vitalité, symbole de jeunesse et d’énergie positive,


l’orange a été la couleur fétiche des années 1970. En décoration, elle a
envahi tous les tissus d’ameublement, coussins, canapés, avec notamment
de gros motifs géométriques ou floraux, mais elle a aussi marqué les lampes
et la vaisselle. Très décalée dans des environnements rétro, elle peut
toujours être dominante dans certains intérieurs.
Quand elle est utilisée par petites touches, c’est différent : elle dynamise
et donne un sentiment de convivialité et de confort. La décoration de type
ethnique en fait aussi usage, en la mêlant aux différents bruns et ocres, pour
créer en particulier une ambiance d’inspiration africaine.
Dans l’univers de la mode, l’orange était également très répandu dans les
seventies, pratiquement en « total look ». Cette teinte est devenue
aujourd’hui plus discrète, utilisée en association avec des teintes plus
sombres. Seule exception notable : la combinaison orange des détenus
américains, qui est tout d’un coup devenue célèbre suite à la série télé
Orange is the new black.
En américain, l’expression is the new black signifie être du dernier chic,
tendance. Or dans cette série, le personnage féminin central se retrouve en
prison et passe tout son temps dans la tenue de prisonnière : la salopette
orange est alors devenue un vrai phénomène de mode, au point qu’on a été
obligé de faire revenir les détenus de certaines prisons à l’uniforme rayé
noir et blanc pour qu’il n’y ait pas de confusion !

Divin safran

La couleur orangée trouve aussi sa place dans la symbolique religieuse, en


particulier dans le bouddhisme. Fragile et très coûteux, le safran, épice et
pigment que l’on tire des fleurs d’une variété de crocus, permet de teindre
les étoffes d’une magnifique couleur éclatante, quoiqu’assez instable.
Ses vertus sont connues depuis l’Antiquité, et les moines bouddhistes les
plus dévots se reconnaissent à l’étoffe non cousue, ainsi teinte, qu’ils
portent comme un vêtement enroulé autour de leur corps.
Les Grecs connaissaient aussi cette fleur et son pouvoir colorant : une
légende raconte que Crocus était un beau jeune homme qui séduisit la
nymphe Smilax.
Mais cette dernière se lassa de ses avances et le métamorphosa en fleur,
avec au cœur de son pistil des stigmates d’un orange très vif, pour rappeler
l’amour fougueux de Crocus.
Or et orange forment ainsi comme un couple éclatant, métallique ou
simplement lumineux, symbole de puissance et de vitalité, rappelant tout ce
que l’homme puise dans l’énergie solaire.
Tout ce qui est orange n’est pas forcément…
orange !
La ville d’Orange, en France, n’a rien à voir ni avec le fruit ni avec
la couleur. L’étymologie de son nom serait plutôt gauloise et on
n’en connaît pas vraiment le sens. Elle est la capitale de la
principauté d’Orange, créée en 1181.
Au XVIe siècle, les princes d’Orange prennent la tête des
Provinces-Unies (Hollande, Belgique, Luxembourg) et la lignée
des princes d’Orange-Nassau va s’illustrer durant des siècles.
C’est ainsi que par un retournement symbolique, la couleur
orange va être choisie aux Pays-Bas pour le maillot de l’équipe
nationale de football, en hommage au nom de la famille royale.
LE NUANCIER
Abricot
Aurore
Carotte
Citrouille
Corail
Cuivre
Golden
Gomme-gutte
Jaune-orange
Mandarine
Melon
Or
Orange
Orange brûlé
Rouge-orange
Roux
Saumon
Safran
Tangerine
INTERMÈDE

LA COULEUR DES AURAS


Une aura est une sorte de halo de lumière colorée qui flotte autour du
corps humain, et de la tête en particulier. Les médiums seraient capables
de percevoir ces vibrations colorées qui correspondraient à des champs
d’énergie ou de force vitale. Le théosophiste Charles Leadbeater (1854-
1934) a été le premier à tenter de classer les auras en fonction de leur
couleur. Des correspondances ont été imaginées entre ces couleurs et les
notes de musique ou les planètes. Le fondateur de l’anthroposophie,
Rudolf Steiner (1861-1925), a théorisé le lien que l’aura peut établir
entre monde matériel et monde spirituel. Certains adeptes des médecines
parallèles ont aussi tenté de voir se refléter dans l’aura les problèmes de
santé du sujet. La contre-culture hippie puis les tendances new age des
années 1990 ont remis les auras à l’honneur. L’aura est une
manifestation visible de la force vitale qui dynamise notre être total et
elle atteste également notre immortalité en tant qu’être spirituel.
Comment pouvons-nous approcher le phénomène ? L’un des exercices
généralement proposés consiste à regarder fixement sa propre main
posée sur une surface blanche en pleine lumière sans essayer de faire le
point, mais au contraire en gardant une perception la plus floue possible,
sans cligner du tout des yeux. Petit à petit, un halo coloré se crée autour
de la forme de la main, le plus souvent légèrement bleuté. Mais pour
aller plus loin, le secours d’un médium est nécessaire. Si l’on y croit,
bien entendu.
Les spécialistes discernent des auras d’une couleur dominante selon les
individus et les interprètent ainsi :
Blanc : personnalité parfaitement intégrée, ouverte sur les autres.
Vert : individu équilibré. Si le vert est clair, il peut traduire des
aptitudes de guérisseur.
Jaune : personne à l’activité intellectuelle intense qui sait manier
la ruse.
Orange : personnalité débordant d’énergie avec un risque
d’égocentrisme.
Rouge : individu plein de vitalité qui peut tourner à la révolte et
aux émotions incontrôlées.
Bleu : personne tournée vers la religion, dotée d’une grande
intuition.
Violet : personnalité imprégnée de spiritualité.
LE ROUGE
Couleur chaleureuse et tonique par excellence, le rouge se plaît à
multiplier les paradoxes. Il évoque les flammes de l’amour, mais aussi la
force de l’interdit, la puissance de l’érotisme et la douleur du sang versé.
Séducteur en diable, mais aussi révolutionnaire, porteur d’ivresse avec le
vin et marque de pouvoir couverte de pourpre, il symbolise le sang et la
passion.

Faut-il revenir à Adam pour dérouler l’histoire du rouge dans les


civilisations qui se sont succédé ? Sans aucun doute, puisque ce nom lui-
même signifie « rouge » ! Le principe vital apparaît aussi lié à cette couleur
dans les langues slaves, où rouge veut dire aussi « vivant » et « beau ».
C’est dire à quel point le rouge est à l’origine même de la vie.

Des pigments mythiques

Une couleur existe concrètement à travers les pigments que les hommes
ont au fil du temps sélectionnés et choisis. En ce qui concerne le rouge, les
matières sont nombreuses et connues depuis longtemps. Il suffit d’évoquer
quelques noms pour en comprendre tout le prestige. Parfois, ces pigments
sont utilisés sur toute la planète depuis des millénaires.
C’est le cas du cinabre, qu’on trouve dès le Néolithique sur des peintures
murales et dans le cadre de rituels thérapeutiques ou funéraires. Cette
poudre d’une couleur intense est connue aussi bien à Byzance qu’en Chine,
mais aussi au Pérou ou au Mexique d’avant la conquête. Il s’agit d’un
dérivé du sulfure de mercure. Substance naturelle d’abord, le cinabre donne
par exemple tout leur éclat aux fresques de Pompéi. Grecs et Romains le
font venir sous forme de minerai brut de mines situées en Espagne ou en
Colchide et le traitent (broyage et lavage) avant de l’utiliser. Il est précieux
et cher, et parfois choisi pour orner les statues des dieux les jours de fête.
Chinois et peuples précolombiens le réservent plutôt pour les rites
funéraires.
Plus tard, les alchimistes vont chercher à le produire de manière
artificielle et lui donneront le nom de vermillon. Dès lors, il apparaît dans
les encres qui permettent de mettre en exergue des mots ou des phrases dans
les manuscrits et pour rehausser les enluminures. Dans toutes les cultures, le
cinabre est lié à la vie, à la mort et à toutes les manifestations de la plus
haute majesté.
Selon les sphères géographiques, certaines matières sont privilégiées.
L’un des premiers foyers d’utilisation des teintes rouges se trouve autour du
Bassin méditerranéen, en Anatolie et en Égypte, où triomphent plusieurs
pigments spécifiques.
L’andrinople, ou rouge turc, par exemple, porte le nom d’une ville d’Asie
mineure. Il est d’un rouge soutenu tirant sur la couleur de la rouille. À base
de chromate et d’oxyde de plomb, fortement toxique, il est utilisé par les
teinturiers. Sa formule est restée secrète jusqu’au Moyen Âge, et les
chimistes allemands parvinrent à la synthétiser à la fin du XVIIIe siècle.
Le carmin est obtenu à partir de deux espèces d’insectes séchés puis
broyés. Le premier, le kermès, est un parasite du chêne. Par dérivation, il a
donné l’adjectif « cramoisi ». On le nomme aussi kermès vermilium (petit
ver) qui s’est transformé dans la langue française en « vermeil ». Ce carmin
écarlate sert depuis l’Égypte antique à teindre les tissus et le cuir.
Cet insecte a pratiquement disparu. L’autre source de carmin est la
cochenille d’Amérique, découverte par les conquistadors. Son pouvoir
colorant est presque dix fois supérieur à celui du kermès. Les Aztèques
pratiquaient l’élevage de cet insecte parasite des cactus pour teindre le
coton et l’alpaga. Son commerce vers l’Europe fut extrêmement florissant.
Enfin, la pourpre à elle seule permet de comprendre toutes les
connotations de puissance qui entourent la couleur rouge. Obtenue à partir
du suc d’un coquillage, le murex, cette teinture animale est l’un des
éléments culturels majeurs du Bassin méditerranéen.
Les Phéniciens en faisaient déjà grand cas à Tyr et à Sidon. Sa production
résulte d’un travail long et complexe, et donc fort coûteux, mais la teinte
obtenue au bout du processus est définitive et ne s’altère pas au fil du
temps. La couleur pourpre est donc rapidement devenue l’apanage des
vêtements d’exception. Les empereurs romains étaient les seuls habilités à
être entièrement vêtus de pourpre, les autres citoyens devant se contenter
d’une bande de couleur sur leur toge, plus ou moins large en fonction de
leur statut social. Le code élaboré par l’empereur Justinien interdisait même
sous peine de mort la vente et le port d’un vêtement pourpre. Symbole de
pouvoir, la couleur est réservée plus tard aux cardinaux de la chrétienté.
L’expression « pourpre romaine » est une métaphore pour évoquer leur
dignité.

Garance
La garance est une plante qui fut cultivée en Flandres dès le
Moyen Âge pour teindre les vêtements. Elle se répandit dans
d’autres régions européennes comme l’Alsace et Avignon. En
France, elle est utilisée de 1829 à la Première Guerre mondiale
pour les pantalons de l’infanterie. Trop visible par l’ennemi, elle
est abandonnée au profit du bleu horizon après bien des
réticences. Garance est aussi le surnom insolite du personnage
inoubliable qu’incarne Arletty dans Les Enfants du Paradis (1945)
film de Marcel Carné sur un scénario de Jacques Prévert.

À feu et à sang

Le rouge est la tonalité des éléments fondamentaux de la vie : le feu et le


sang. Ces caractéristiques le rattachent logiquement à la force et donc à la
conquête. S’il est intimement lié à l’origine de la vie, le sang répandu est
aussi symbole de mort.
Au Moyen Âge, les bourreaux étaient habillés de rouge. Et c’est dans le
même esprit que certaines cultures imposent aux femmes de s’éloigner de la
société des hommes au moment de leurs règles… Haine et passion, énergie
vitale et pulsions de mort, le rouge illustre les émotions les plus violentes de
la nature humaine : dangereuses et destructrices, pétries d’amour et de désir.
Comme la langue française se plaît à le rappeler, nous sommes tour à tour
rouges de colère, de honte, ou de plaisir… Le point commun est une
certaine forme de violence.
Lors des batailles navales de l’Ancien Régime, lorsqu’un navire hissait le
pavillon rouge, il indiquait qu’il ne ferait pas de quartier à son ennemi et
que le sang allait couler. De même, une loi du 21 octobre 1789 stipula
pendant la Révolution française qu’en guise d’avertissement, les autorités
agiteraient un fanion rouge devant une foule menaçante qui ne voulait pas
mettre fin à un attroupement séditieux pour lui indiquer que la répression
allait être sanglante.
Par une sorte de retournement symbolique, ce signal de déchaînement de
la violence répressive fut ensuite choisi comme signe de ralliement par les
forces populaires. Le drapeau rouge révolutionnaire est né, ponctuellement
sans doute dès 1792, plus généralement à partir de la révolution de 1848. Il
est alors proposé comme drapeau de la République française, mais on lui
préfère le drapeau bleu, blanc, rouge.
À partir de la Commune de Paris, en 1871, le drapeau rouge devient le
symbole du socialisme, du communisme, de l’internationalisme ouvrier et
des mouvements révolutionnaires. La couleur rouge figure dans la
communication politique de la gauche radicale dans pratiquement tous les
pays. L’Armée rouge est le nom que prend l’armée soviétique de 1917 à
1946. Le drapeau de l’URSS était rouge avec une étoile pour symboliser
l’armée, et une faucille et un marteau pour représenter l’union des paysans
et des ouvriers. Quant à ceux qu’on appelait les gardes rouges, en Chine, ils
constituaient sous Mao une jeune milice très active pendant la Révolution
culturelle.

La peur rouge
À deux reprises aux États-Unis, on a évoqué la peur rouge, ou la
peur des rouges, Red Scare en anglais, une première fois, juste
après la Révolution d’octobre 1917 en Russie et jusqu’à 1920,
puis dans les années 1950, durant la période du maccarthysme,
pendant la Guerre froide. Les idées communistes ont alors été
criminalisées par crainte de la contagion et de l’infiltration de
révolutionnaires communistes sur le sol américain.

Les feux rouges ou la force de l’interdit

C’est sans doute parce que le rouge est symbole de puissance qu’il finit
par faire peur, car la force non contrôlée devient dangereuse. Par extension,
le rouge symbolise ainsi certains instincts de l’homme comme l’agressivité,
le goût pour la destruction, mais aussi les pulsions sexuelles, et l’on
retrouve par exemple cette connotation dans les lanternes rouges jadis
destinées à repérer les maisons closes.
C’est le tapis déroulé pour les personnages officiels tout en étant aussi la
couleur favorite des sex-shops ! Le rouge illustre l’énergie vitale et le
courage, mais possède aussi une face cachée. Exprimant la transgression, il
évoque également son contraire, l’interdit. Là encore, les illustrations sont
nombreuses dans notre vie quotidienne : feux rouges, panneaux de
circulation ou barres rouges destinées à prévenir du caractère dangereux
d’un médicament.
Dans les codes d’alerte, le niveau rouge est toujours maximal. Le carton
rouge, inventé après la Coupe du monde de football de 1966, vient
sanctionner la faute sportive la plus grave, entraînant l’expulsion du fautif.
Si la planète rouge, la seule qui apparaît de cette couleur lors des
observations astronomiques du fait de l’abondance de l’oxyde de fer à sa
surface, porte le nom de Mars depuis l’Antiquité, c’est parce que cette
couleur rouge est associée à la violence du dieu de la guerre chez les
Romains.
En communication, le rouge est utilisé quand il y a des connotations de
danger, pour avertir ou interdire, pour combattre le feu. Il permet d’exalter
également une forme de virilité conquérante dans le sport ou l’automobile.
Dans les années 1950 et 1960, les voitures se déclinaient surtout en bleu
marine et noir, excepté les bolides comme les Ferrari. Mais le rouge a su
séduire par la suite les conducteurs de toutes classes sociales, même si
blanc, gris et noir restent encore aujourd’hui prédominants.

Le Baron rouge
Alors que les pionniers du combat aérien cherchaient à se cacher
de l’ennemi en adoptant pour leurs carlingues des couleurs de
camouflage, l’as des as allemand, Manfred von Richthofen (1892-
1918) se distingua en faisant peindre son avion en rouge vif, ce
qui lui valut le surnom de Baron rouge. C’était cependant un
choix stratégique : pendant que les ennemis se focalisaient sur
un avion très visible, apparemment solitaire, le reste de
l’escadrille restait caché dans les nuages et pouvait fondre d’un
coup sur les appareils du camp adverse. Ce grand téméraire
succomba cependant à la suite d’un combat en avril 1918.

Croix rouge et talismans


Symbole de la vie, le rouge se plaît même à jouer les remèdes universels.
Au Moyen Âge, porter un vêtement rouge mettait à l’abri de la scarlatine,
de la rougeole et même de la peste !
Aujourd’hui encore, au pays de Galles, un morceau de flanelle rouge est
censé faire baisser les fièvres et venir à bout des rhumatismes les plus
tenaces. Outre-Manche toujours, on recommande de porter un foulard rouge
pour endiguer les maux de gorge, et les bébés portent traditionnellement un
morceau de soie rouge pour apaiser les poussées dentaires toujours
douloureuses. Dans ce domaine, la France ne fait pas exception à la règle,
puisque dans le Sud-Ouest, les foulures se soignent plus vite avec un
bandage rouge. Les médecins eux-mêmes accordent à cette couleur une
influence certaine sur le corps : il provoque l’accélération du pouls et celui
du rythme respiratoire.
Plus tragiquement, c’est après avoir vu la détresse des soldats blessés
après la bataille de Solférino (1859) que Henry Dunant nourrit l’idée de
créer une organisation de secours internationale faisant respecter les droits
humains.
Cet homme d’affaires genevois vit son projet aboutir en 1864, avec pour
emblème une croix rouge sur fond blanc, sorte de drapeau suisse aux
couleurs inversées, mais aussi emblème très visible et rappelant le soin
nécessaire à apporter, de manière neutre, à tous les belligérants qui avaient
donné leur sang dans le conflit.

Dans certains pays, c’est un croissant rouge qui a été choisi. En France,
certaines pharmacies ont eu jusque dans les années 1950 une enseigne en
forme de croix rouge, mais la loi leur a imposé d’adopter une croix verte.

Le père Noël
Mais d’où vient la couleur du manteau du brave père Noël ? Est-il
là pour soigner les enfants sages ? Jusqu’au XIXe siècle, ce gros
bonhomme est adopté dans les pays anglo-saxons comme une
sorte d’avatar de saint Nicolas. Il syncrétise aussi des traditions
de la mythologie nordique et se retrouve vêtu dans l’imagerie
américaine comme un vieillard des Flandres, avec sa pipe au
coin de la bouche. Vêtu d’un bon manteau, froid oblige, il n’est
pas toujours rouge au début, il peut être vert ou même bleu. Mais
dans les années 1930, aux États-Unis, la marque Coca-Cola
popularise son image et tend à en figer la couleur dominante, qui
fait partie de l’identité visuelle de la boisson. La marche en avant
du père Noël rouge est lancée.

Mode et déco : l’antidote contre l’ennui

Côté mode, le ton a surtout été donné par le couturier Christian Lacroix,
originaire d’Arles et passionné de tauromachie. Grâce à lui, manteaux et
pulls se déclinent dans une large palette de rouges, de l’écarlate au
vermillon et du carmin au grenat. Voilà de quoi lutter contre l’ennui et la
grisaille ! L’univers de la déco n’échappe pas à la règle, et les salons
d’architecture intérieure mettent régulièrement en valeur sièges et tissus
pourpres ou cramoisis, écarlates ou sang de bœuf…
En décoration, on estime souvent qu’il faut jouer sur le rouge par petites
touches pour réveiller un ensemble un peu fade. Ainsi, une couverture
piquée de rouge jetée sur un divan, un abat-jour couleur feu ou un tapis
vermillon donneront du relief à une pièce. Les spécialistes tentent aussi des
associations avec d’autres tonalités : le cramoisi, sans doute le plus excitant
des rouges, tranche encore mieux s’il se trouve à côté d’un vert sombre, un
peu à la manière des tartans, les fameux tissus écossais. Le blanc, lui,
apprivoise le rouge, donnant un caractère de raffinement à l’ensemble,
comme en témoignent les célèbres toiles de Jouy. Enfin, les tissus rouges
orientaux s’accommoderont particulièrement bien du voisinage des bleu-
vert ou des reflets dorés. Au voisinage d’un feu de cheminée, c’est une
réussite garantie.

Talons, semelles, gilets, bonnets…


Dans l’histoire de la mode, les accessoires de couleur rouge sont
toujours choisis pour se distinguer, voire choquer. On raconte que
le frère du Roi-Soleil, Philippe d’Orléans, au retour d’une soirée
de carnaval agitée à Paris, traversa le quartier des abattoirs et de
la boucherie. Quand il réapparut à la cour le lendemain, il ne se
rendit pas compte que ses hauts talons étaient teints de rouge
par le sang des bêtes : la mode des talons rouges était dès lors
lancée parmi l’aristocratie, au point qu’elle sera prohibée après la
chute de l’Ancien Régime. Louboutin a repris l’idée d’une fragile
semelle rouge comme marque de distinction pour ses fameux
escarpins.
À peu près à la même époque, ce sont des bonnets rouges qui
font parler d’eux en 1675, en Bretagne : lors d’une révolte contre
la fiscalité, les insurgés arboraient un bonnet rouge comme un
code vestimentaire pour se reconnaître.
Quant au gilet rouge arboré fièrement par Théophile Gautier en
1830 pour la première de la pièce de Victor Hugo, Hernani, qui fut
si agitée qu’on l’appela la bataille d’Hernani, il devint par la suite
un signe de ralliement des auteurs romantiques.

Le rouge en Chine, depuis toujours

En Chine, les vêtements rouges sont dévolus aux fêtes : naissance,


mariage… La layette des nourrissons n’est pas constituée de teintes pastel,
mais au contraire de rouge censé porter chance à l’enfant et le protéger.
C’est aussi la couleur des robes de mariées comme symbole de joie et de
fidélité. Le rouge est lié aussi à la cour impériale, étant présent dans toutes
les cérémonies officielles, en particulier sous les Ming. Un recueil de
règlements assez stricts en réglait tous les usages depuis les expéditions
militaires jusqu’aux cérémonies familiales.
Le Recueil des citations du président Mao – que tous les Chinois se
devaient de brandir lors des manifestations publiques pendant la Révolution
culturelle – se trouve être le livre le plus diffusé depuis 1964 après la Bible,
ayant donné lieu à l’impression de plusieurs millions d’exemplaires. On le
surnomme familièrement en Occident le Petit Livre rouge, du fait de la
couleur de sa couverture en vinyle dans l’édition la plus populaire. Mais on
ne le nomme jamais ainsi en Chine. La couleur est ici faite pour rappeler la
signification politique du mouvement maoïste dont le livre fait la
propagande. Il n’est plus vraiment diffusé depuis 1979.

Le Rêve dans le pavillon rouge


Ce roman écrit au XVIIIe siècle est l’une des quatre œuvres
majeures de la littérature classique chinoise universellement
admirées, même par Mao ! L’étude critique de ce livre constitue
un pan entier de la recherche littéraire qu’on appelle la
rougeologie, ou les études rouges. Le livre relate une suite de
songes. Le cadre du Pavillon rouge traduit à la fois l’ambiance
d’opulence qui présidait dans les hautes sphères sous la dynastie
Qing, puisqu’on peignait en rouge les plus riches demeures. Mais
le terme désigne aussi le gynécée où se tiennent les femmes. La
structure complexe du livre, qui comporte plus de quatre cents
personnages, en fait une œuvre fascinante.

Passion et érotisme
Quelles que soient les cultures et les époques, le rouge illustre la passion
et l’Éros triomphant. Les Indiens d’Amérique se passent sur le corps des
pigments rouges dilués dans l’huile afin de stimuler leurs forces et
d’éveiller le désir. C’est aussi la couleur de l’amour divin absolu, aussi bien
chez les Égyptiens que les Hébreux. Quand arrive la crue du Nil, les eaux
qui charrient des limons ferrugineux prennent une couleur rouge qui devient
dès lors le symbole de la fertilité. Dans la culture arabe, le rouge est
fortement érotisé et évoque l’afflux du sang sous l’effet du désir. « Le rouge
gagne toujours » est un dicton très populaire…
Offrir un rubis à une femme, c’est lui déclarer sa flamme. Depuis
l’Antiquité, il passe pour être la plus précieuse des pierres que Dieu a
créées. Symbole d’amour et de loyauté, il unit les époux, leur apportant la
promesse d’un bonheur indéfectible. Dans la symbolique des pierres
précieuses, le rubis exprime aussi le courage, la joie, la prospérité et garantit
la santé à son possesseur. Au Proche-Orient, il est censé cicatriser les plaies
et empêcher les fausses couches.
Quant au langage des fleurs rouges, il est très facile à décoder. Les
variétés sont nombreuses et on trouve toujours une espèce à chaque saison,
même si la rose rouge est indéniablement la reine des déclarations d’amour
quand on veut signifier qu’il ne s’agit pas de sentiments platoniques, mais
au contraire d’une passion ardente. Du coup de foudre à l’idylle passionnée,
toute la gamme des sentiments vifs peut ainsi se révéler. Tulipes, amaryllis,
hibiscus ou encore gerberas, le choix est vaste : il suffit de se faire
conseiller par le fleuriste !

Le petit Chaperon rouge ou le royaume de


l’inconscient
« La grand-mère avait fait coudre pour sa petite-fille une pèlerine
qui lui allait si bien, que partout on l’appelait le petit Chaperon
rouge… » Dès les premières lignes du conte, le décor est campé
et l’importance de la couleur rouge soulignée. Cette teinte n’est
bien sûr pas choisie au hasard… Si l’on considère que les contes
de fées sont l’expression symbolique des expériences les plus
importantes de la vie, le rouge prend là une part prépondérante. Il
évoque la transgression de l’interdit, les émotions violentes et
particulièrement celles qui relèvent de la sexualité.
Il est vrai que pour les psychanalystes comme Bruno Bettelheim,
le petit Chaperon rouge aborde bien des problèmes que doivent
résoudre les petites filles. On y retrouve tout d’abord le conflit
entre ce que l’on aime faire et ce que l’on doit faire (les fameux
principes de plaisir et de réalité), avec la scène de la forêt où le
Chaperon rouge se plaît à musarder au lieu de rejoindre la
maison de sa grand-mère. Le loup, lui, se charge de représenter
les tendances négatives du séducteur : son égoïsme, sa violence
et son pouvoir de destruction. Le petit Chaperon rouge
succombera, mais sera heureusement sauvé par un chasseur qui
le sortira du ventre du loup. Morale du conte ? Bon et vertueux, le
petit Chaperon rouge n’en est pas moins exposé à la tentation…

L’art moderne russe sous le signe du rouge

En russe ancien, l’adjectif rouge (krasny/aïa) signifie d’abord la beauté.


Ainsi la place Rouge, qui marque le centre de Moscou, devrait plutôt être
appelée la Belle place. Quand les Russes parlent d’un « été rouge », c’est un
été agréable, pas un été de révolution ! Dans chaque isba, maison
traditionnelle, il existait au sud-est un « coin rouge », c’est-à-dire un bel
espace où on disposait les icônes et où la famille pouvait se recueillir.
On comprend dès lors la place particulière de la couleur rouge dans l’art
russe. Chez Kandinsky, par exemple, on peut lire : « La couleur rouge peut
provoquer une vibration de l’âme semblable à celle produite par une
flamme. Le rouge chaud est excitant, cette excitation pouvant être
douloureuse ou pénible, peut-être parce qu’il ressemble au sang qui coule. »
Dans son livre Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier,
qui paraît en 1911, il détaille tous les effets des nuances de rouge et met en
évidence le lien de cette couleur avec l’art populaire russe. Autre peintre
russe à peu près de la même époque, Philippe Maliavine peint lui aussi des
tourbillons rouges de jeunes danseuses qui exaltent l’exubérance de l’âme
slave. Enfin, Kasimir Malevitch, avant-gardiste, peint en 1915 un fameux
Carré rouge sur fond blanc aux formes un peu flottantes et à la surface
vibrante.
LE NUANCIER
Alizarine
Amarante
Andrinople
Bordeaux
Brique
Capucine
Cardinal
Carmin
Cerise
Cinabre
Coquelicot
Corail
Cramoisi
Écarlate
Falun
Feu
Fraise
Fraise écrasée
Framboise
Garance
Grenadine
Grenat
Groseille
Incarnat
Mars
Nacarat
Passe-velours
Ponceau
Pourpre
Rouge anglais
Rosso Corsa
Rouge-orange
Rouge turc
Rouille
Rubis
Sang de bœuf
Tomate
Tomette
Vermeil
Vermillon
INTERMÈDE

LES COULEURS DANS LE SPORT


Avant de passer en revue l’usage spécifique des couleurs dans quelques
disciplines sportives, il faut préciser un point étonnant. Il semblerait que
la couleur du maillot ou de la tenue puisse influer sur les résultats des
sportifs ! En effet, de sérieuses études statistiques du Journal of Sports
Science and Medecine (2015) ont montré que les équipes de football qui
avaient un maillot rouge l’emportaient davantage que les autres, et que
si elles étaient obligées de porter un maillot d’une autre couleur pour des
raisons diplomatiques (en fonction de leur adversaire), leurs
performances chutaient. De même, dans les sports de combat, une autre
étude a montré que celui qui porte une tenue à dominante rouge a un
léger avantage sur celui qui est en bleu.

Cyclisme

Le maillot jaune que porte le leader du classement a été choisi en


fonction de la couleur des pages du quotidien sportif L’Auto, qui
organisait à l’origine le Tour de France. De même, le premier du Giro,
c’est-à-dire du Tour d’Italie, porte un maillot rose comme la couleur des
pages de la Gazzetta dello Sport qui l’organise.
Sur le Tour de France, le maillot vert, apparu en 1953, correspond au
meilleur sprinter, en hommage à l’un des sponsors de l’époque, la
chaîne de magasins La Belle Jardinière. Quant au maillot blanc à pois
rouges, c’est celui du meilleur grimpeur qui s’est illustré dans les
épreuves de montagne. Il apparaît en 1975 et rend hommage par ses
couleurs au chocolat Poulain !
Rugby

Aujourd’hui, on les surnomme les All Blacks, mais les joueurs de


l’équipe de Nouvelle-Zélande n’ont pas toujours joué en noir. À
l’origine, leur maillot était bleu et blanc. Mais en 1893, le capitaine de
l’équipe Thomas Rangiwahia Ellison a demandé à ce que l’équipe
arbore un maillot noir qui représente pour les Maoris la vie et le succès.
La fédération a accepté et les résultats ont été au rendez-vous.

Tennis

Les tenues blanches étaient la règle au XIXe siècle pour pratiquer le sport
dans les classes supérieures, afin d’éviter toute marque de transpiration,
particulièrement chez les dames. C’est pourquoi quand le tournoi de
Wimbledon a été créé en 1877, le règlement a fixé un code
vestimentaire assez strict avec la règle n° 9 : « Predominantly in white. »
En 2014, on a revu les prescriptions, qui se sont même durcies en
proscrivant le blanc cassé ou la couleur crème. Seules de très fines
bandes de couleur sont tolérées à l’encolure et au bord des manches.

Golf

Depuis 1949, au Tournoi des Maîtres, qu’on appelle aussi le Masters,


une veste verte est offerte au champion, qui doit la rendre au bout d’un
an pour qu’elle soit stockée avec les autres dans un vestiaire spécial.
Cette veste est le vêtement officiel de l’Augusta National Golf Club,
dont le champion devient membre d’honneur. C’est le vainqueur de
l’année précédente qui présente sa veste au nouveau champion.
LE ROSE
Le rose est-il une couleur à part entière ? Pendant l’Antiquité et le Moyen
Âge, on n’a vu en cette teinte qu’une simple nuance du rouge, pâle, non
saturée, finalement peu appréciée. Aujourd’hui, elle tient une place
importante et controversée.

Fragile et tendre

Au départ était l’incarnat. En effet, de quelle couleur pouvait-on nommer


la nuance de l’incarnation d’une peau dite « blanche » ? Le rose est donc
d’abord le teint d’une peau occidentale.
Mais en même temps, l’œil perçoit dans la nature de nombreuses taches
de rose plus ou moins soutenu : les fleurs en offrent toutes les nuances.
L’aubépine à l’état sauvage, tout comme le cognassier du Japon, le laurier
rose, l’hortensia, l’azalée, le prunus ou le cerisier sont des arbres et arbustes
à floraison abondante dans des nuances rosées, plus ou moins marquées ou
tendres. Le fuchsia, les pois de senteur, le rhododendron et l’althéa décorent
nos jardins. Dahlias, pivoines, renoncules offrent plutôt des bouquets
charmants, sans oublier, bien évidemment, la rose elle-même ! Les fleurs
roses évoquent la jeunesse, des sentiments délicats et souvent une forme de
romantisme. Les fleurs de cette teinte sont si nombreuses qu’elles ont des
significations assez variées. Ainsi, offrir des pivoines correspond à une
attitude protectrice, alors que l’hortensia exprime plutôt les remerciements
ou l’amour filial. Une rose de couleur rose est parfaite pour la Saint-
Valentin quand on est timide et qu’on ne veut pas brusquer l’être aimé…

Le rose Pompadour et la porcelaine


La marquise de Pompadour, favorite de Louis XV, a marqué son
époque en soutenant les arts et en s’intéressant tout
particulièrement à l’artisanat du luxe. Elle participa au
développement de la Manufacture royale de Sèvres et sous son
impulsion, de nouvelles couleurs apparurent, le jaune jonquille, le
bleu dit de Sèvres, mais surtout le rose Pompadour – « très frais
et fort agréable » est-il écrit dans le registre de la Manufacture –
qui resta à la mode à Versailles durant près d’une décennie à
partir de 1758.

C’est peut-être la limite de cette teinte qui est vite taxée de mièvre : un
roman « à l’eau de rose », expression qui apparaît au XIXe siècle, renvoie à
des sentiments un peu fades.
Quand on a commencé à différencier les vêtements des nourrissons et des
enfants selon leur sexe, on s’est mis à réserver le bleu aux garçons (alors
que c’était autrefois la couleur de la Vierge Marie) et les filles se sont
retrouvées habillées de rose.
Pour les teintures des tissus, c’est la découverte du bois de brésil
(brasileum), ou pernambouc, qui a permis d’obtenir des teintures fragiles,
mais belles et délicates, qui ont progressivement revalorisé le rose depuis le
XVIe siècle.

Discret érotisme

Depuis les dernières décennies du XXe siècle, la couleur rose s’est trouvée
associée aux moyens d’entrer en contact pour des rencontres coquines. On
parle ainsi de téléphone rose ou de messageries roses. Quant à une série de
téléfilms audacieux, elle a pris le titre de « Série rose ». Il ne s’agit pas là de
pornographie, mais d’un érotisme plus discret. Du coup, cette couleur
tendre n’est plus considérée comme fade, bien au contraire, et depuis la
chanson La Vie en rose, qui a fait le tour du monde, elle est synonyme
d’amour et de tendresse.
Le rose entretient une relation particulière avec les bijoux. En effet, avant
d’être l’énigmatique et mythique personnage de dessin animé figurant au
générique du film de Blake Edwards du même nom (1963), « Panthère rose
» est le nom d’un bijou sur lequel doit enquêter l’inspecteur Clouseau. Ce
diamant est détenu par la princesse Dala, et la protection de ce joyau ne
s’avère pas de tout repos !
Plus sérieusement, il existe des diamants de couleur rose, et un certain
nombre d’entre eux sont célèbres. Le plus ancien est sans doute le Daryā-e
nour, l’un des plus gros et des plus rares. Il fait partie des joyaux de la
couronne iranienne et les chercheurs pensent qu’il est issu du Diamanta
Grande Table décrit en 1642 par le voyageur Jean-Baptiste Tavernier. Il
pèse 182 carats. On peut dire un mot également du Grand Mazarin, du nom
de son premier propriétaire, qui l’a légué à la monarchie française. Martian
Pink, Pink Legacy et Pink Star sont les noms de trois autres diamants roses
plus modernes, découverts au XXe siècle. D’une qualité exceptionnelle, le
Pink Star a fait l’objet de toutes les attentions après une taille délicate, et a
été exposé en 2003 à Monaco.

Girly !

Des diamants aux femmes, il n’y a qu’un pas à franchir : les aventurières
ne sont-elles pas présentées parfois comme des croqueuses de diamants ?
C’est la devise en tout cas de Marilyn Monroe dans le film d’Howard
Hawks Les hommes préfèrent les blondes (1953), avec sa célèbre chanson
Diamonds are a girl’s best friend ! Pour entonner ce refrain, elle arbore une
merveilleuse robe fourreau d’un rose vif, créée par William Travilla. Cette
tenue mythique a été reprise en hommage par bien des femmes célèbres.
Ainsi Madonna, dans le clip de son hit Material Girl, se présente dans la
même tenue provocatrice. Le rose devient alors shocking et plus du tout
mièvre !
Depuis un siècle, on peut dire que le rose est devenu emblématique des
femmes, très girly, tout en représentant par ses nuances la gamme de toutes
les attitudes possibles. On a vu la provocation avec Marilyn, mais on peut
aussi évoquer l’attitude de « Mamie » Eisenhower, première dame des
États-Unis de 1953 à 1961, qui semble vouée aux tenues de cette couleur
qui incarne pour elle la femme dévouée et serviable. On pense aussi au rose
de la célèbre poupée Barbie, bien vif : rares sont les petites filles qui y
échappent !
Pour se moquer de cette vision stéréotypée et contester les propos les plus
machistes de Donald Trump, les participantes de la première marche
féministe qui eut lieu après son élection à la tête des États-Unis, la Women’s
March de Washington, s’étaient tricoté des bonnets à oreilles de chat (pussy
en anglais) et bien entendu roses !

Renversement de valeurs

Aujourd’hui, en cette période de déconstruction des symboles, le rose


strictement féminin a été totalement remis en question. Le mouvement
queer s’en est emparé pour brouiller les codes des genres et on a vu émerger
un autre rose, dégagé des conventions. On l’appelle le rose Millénial ou
Millenial Pink en anglais. Il ne s’agit pas vraiment d’une nuance, car il peut
être saturé ou pâle, voire saumoné. Il se définit comme une contre-
proposition « dégenrée » pour les féministes, hommes ou femmes
d’ailleurs, refusant de voir l’idéal féminin entravé par des modèles, qu’il
s’agisse de poupées mannequin ou de princesses !
Désormais hommes et femmes peuvent arborer des vêtements roses sans
préjugé. Plus personne ne conteste le choix de cette couleur pour l’équipe
de rugby du Stade français et ne remettrait en cause pour cette raison leur
virilité ! De même, une femme a le droit d’aimer le rose sans être
cataloguée parmi les rétrogrades ou les traditionalistes. Le rose a changé de
statut symbolique en quelques années.
LE NUANCIER
Barbie
Bisque
Bonbon
Bubblegum
Chair
Cherry
Coquille d’œuf
Cuisse de nymphe émue
Framboise
Framboise écrasée
Fuchsia
Incarnat
Hollywood
Millenial Pink
Misty Rose
Pelure d’oignon
Pompadour
Rose dragée
Rose Mountbatten
Rose persan
Rose shocking
Rose vif
Saumon
INTERMÈDE

COULEURS ET PSYCHOLOGIE
La psychologie s’intéresse depuis déjà de nombreuses années à
l’influence des couleurs sur la psyché humaine. Elle s’attache à
comprendre ce que nous percevons symboliquement d’une couleur, qu’il
s’agisse d’une interaction spontanée ou au contraire du résultat d’une
connaissance acquise. Par exemple, les stimuli induits par des couleurs
très vives relèvent plutôt d’une réaction instinctive. Par contre,
l’identification d’une tenue noire comme un signe de deuil dépend
vraiment de la culture du sujet.
Au moment où l’individu perçoit un signal coloré, il en fait une
évaluation qui va exercer sur lui une influence. Une lumière rouge,
surtout clignotante, va l’alerter sur un danger potentiel et l’amener à
stopper son mouvement, voire à s’enfuir. Mais c’est souvent le contexte
qui lui en donnera véritablement la clef. On sait que les soigneurs des
bêtes sauvages dans les zoos évitent de porter des vêtements de couleur
rouge, que les animaux pourraient percevoir comme une agression ou
une menace.
La psychophysique, ou psychologie expérimentale, relève plutôt des
disciplines scientifiques et médicales en observant les impacts sur
l’activité cérébrale, alors que la psychologie des couleurs se situe plutôt
dans le champ des sciences humaines et des études culturelles. En
s’appuyant sur ces études, la sémiologie (étude des signes et de leur
signification) apporte son expertise aux publicitaires et aux architectes
d’intérieur pour les conseiller efficacement.
Il y a des domaines où les études se poursuivent sans être pour le
moment très concluantes. On se demande par exemple si la couleur des
pilules et autres médicaments influe sur leur efficacité. Les urbanistes se
demandent aussi si la couleur de l’éclairage dans les villes pourrait
diminuer la criminalité ou les taux de suicide sur une population. Pour le
moment, rien de déterminant ne ressort de ces investigations.
La répartition des couleurs selon les genres a été très fluctuante en
fonction des époques. Le rose pour les filles et le bleu pour les garçons
n’a aucune origine « naturelle » ! Au Moyen Âge, le rouge pâle est un
symbole de virilité alors que le bleu, associé à la Vierge Marie, est plutôt
destiné aux filles. C’est Madame de Pompadour qui, en s’entichant du
nouveau rose mis au point par la Manufacture de Sèvres, va vouloir en
faire la couleur dominante de son environnement et qui va installer pour
longtemps la valeur de fragilité et de féminité dont se pare cette couleur.
Le marketing au XXe siècle accentue la dichotomie bleu/rose, mais les
dernières années voient ces clichés battus en brèche, et aujourd’hui, leur
signification liée au genre s’est complètement brouillée.
Disons enfin un mot de la couleur des uniformes dans les prisons.
Pendant des siècles, les prisonniers gardaient leurs vêtements de misère
et finissaient en haillons. Puis la société a voulu faire des prisons un
instrument de réhabilitation des hommes, tout en maintenant un haut
niveau de sécurité pour la société. En imposant un uniforme aux
détenus, on pouvait plus aisément les repérer en cas d’évasion ou de
comportement suspect. En même temps, on leur signifiait qu’ils étaient
dans un processus de changement. Il ne faut pas non plus négliger
l’humiliation que ressent le détenu obligé chaque jour d’évoluer dans
une tenue qu’il n’a pas choisie, qu’elle soit rayée noir et blanc ou orange
vif. Parfois, au sein de la prison, les couleurs des uniformes permettent
d’identifier si le détenu est un nouveau venu, s’il travaille à l’extérieur
ou dans quel bâtiment il réside. Certains établissements en profitent pour
casser le moral des détenus : ainsi en Caroline du Nord, une prison les
habille en T-shirt rose avec un pantalon rayé jaune et blanc ! Pas facile
de faire bonne figure et d’avoir l’air d’un caïd…
LE BLEU
Existe-t-il une seule civilisation où le bleu se trouve porteur de valeurs
négatives ? Il semblerait bien que non. Cela s’explique sans doute par la
couleur même d’un ciel serein et sans nuage : le bleu évoque spontanément
à tous les êtres humains le calme, la clarté, la paix. Azuréen, le bleu nous
porte vers l’infini. Il est même la couleur préférée des Occidentaux. C’est
dire comme il n’en finit pas de marquer notre univers de son empreinte.

Divin bleu

De la voûte céleste au paradis, il n’y a qu’un pas, si l’on peut dire. Et dans
bien des religions, le bleu est associé aux plus hautes valeurs spirituelles et
aux divinités principales. C’est ainsi que la peau de Krishna, le divin joueur
de flûte de l’Inde, est bleue. Ce dieu populaire, présenté sous les traits d’un
enfant séduisant, est aussi un maître de sagesse qui distille le secret des
cœurs purs. Il est le huitième avatar de Vishnu, qu’on représente aussi
comme un homme de couleur bleue avec une parure royale et quatre bras.
Bleue aussi la teinte associée à Osiris, le dieu de la religion égyptienne
capable de triompher de la mort. On pense que c’est là l’origine d’une
tradition, celle de peindre en bleu les murs des nécropoles dans toute
l’Égypte. L’autre grande divinité égyptienne qu’est Amon, liée à l’air et au
souffle, est aussi représentée comme un pharaon, mais avec des chairs
bleues.

La tradition juive fait état d’une cité bleue, noyau symbolique présent en
chaque humain, siège de l’immortalité, où l’ange de la mort n’aurait nulle
prise.

Dans tout l’Orient, le bleu agit comme un talisman, quelle que soit la
religion professée : on arbore des amulettes bleues, figurant parfois un œil
en verre. Dans les Cyclades, les Grecs ont pris l’habitude de badigeonner
leurs maisons de peinture bleue pour protéger leur famille contre les
mauvaises influences. Le bleu apparaît donc comme la couleur qui protège
contre les agressions extérieures. Peut-être est-ce la raison pour laquelle
l’ONU a choisi cette couleur symbolique pour les soldats de la paix que
sont les Casques bleus.

Marc Chagall, « Moi je suis bleu »


Dans Ma Vie, Marc Chagall écrit : « Mon art est peut-être un art
insensé, un mercure flamboyant, une âme bleue jaillissant sur
mes toiles. » Très inspiré par le message biblique et ayant
élaboré sa propre foi en faisant le lien entre le judaïsme et le
christianisme, l’artiste fait baigner son œuvre dans une teinte
bleue très frappante, créant une sorte d’aura mystique. Cette
prédominance de la teinte céleste est visible dans les titres qu’il
choisit, aussi bien Les Amants bleus, Le Violoniste bleu, Le
Cirque bleu, Le Visage bleu que Paysage bleu. Lorsqu’il
s’exprime dans la mosaïque ou dans l’art du vitrail, la splendeur
du bleu se révèle pleinement. Et dans son Autoportrait au
chevalet, le bleu irradie jusqu’à teinter ses yeux ! Chagall aurait
dit un jour : « Pourquoi bleu ? Mais moi je suis bleu comme
Rembrandt était brun. »

Bleu de l’Occident

Dans la plupart des pays occidentaux, les sondages d’opinion aboutissent


tous au même résultat : le bleu est la couleur préférée de plus de la moitié
des adultes, loin devant le vert (20 %), puis le blanc et le rouge (chacun
10 %). Pourquoi le bleu a-t-il obtenu cette adhésion de tous les
Occidentaux, au point d’être la couleur du drapeau européen ou de celui de
l’ONU ? Il faut revenir bien loin en arrière, à la période où s’est cristallisé
l’imaginaire collectif, vers les XIIIe-XVe siècles.
Avant cette époque, le bleu est une teinte peu présente dans l’art. Les
enluminures, par exemple, lui laissent peu de place. Il faut dire que les
pigments bleus sont extrêmement fragiles et il est très difficile de tirer des
végétaux, fleurs ou petits fruits, une belle teinte bleue capable de resplendir
sur la page.
Certes, la violette, la myrtille, le cassis ou le bleuet donnent des sucs
colorés, mais le mélange avec les onguents habituels, alun ou gomme, ne
présente aucune stabilité quant au rendu de la couleur. On pense alors que le
bleu est fait pour être surtout admiré dans la nature. Il faut aussi noter que
dans l’Antiquité gréco-romaine, il n’existe pas vraiment de mot pour
qualifier la couleur bleue. Les Anciens sont plus sensibles à la brillance ou
la luminosité d’une teinte qu’à sa valeur colorimétrique : ainsi un bleu
brillant leur semble plus proche d’un rouge brillant que d’un bleu mat.
Dans toute l’Odyssée, ce long poème attribué à Homère, on ne trouve pas
une seule mention de la couleur bleue. L’adjectif kyaneos – qui a donné
« cyan » – qualifie aussi bien des objets bleus que noirs. Les cheveux
d’Ulysse sont comparés à la fleur de la jacinthe, or il ne s’agit pas de
couleur, mais de boucles et de reflets dans ses cheveux noirs. Dans la Bible
non plus, il n’est pratiquement jamais question de bleu. Seuls les Égyptiens,
qui, eux, étaient capables de produire des pigments bleus, l’ont intégré à
leur vocabulaire.
Cependant, on découvre durant le Moyen Âge une plante qui devient
indispensable, la guède, appelée encore le pastel des teinturiers. Cultivée
d’abord en Picardie, en particulier vers Amiens, elle permet d’obtenir de
magnifiques pigments tirés du broyage de ses feuilles. Elle est la seule
source fiable de pigments bleus jusqu’au XVIIe siècle, qui découvre ensuite
l’indigotier d’Extrême-Orient.
C’est donc cette découverte technique qui influence l’imaginaire
médiéval. Le bleu prend un essor considérable. Jusque-là, le rouge tiré de la
garance était la couleur par excellence, profonde et saturée. Mais le bleu
pastel finit par s’imposer, en particulier dans les domaines les plus sacrés.
Dans la religion chrétienne, depuis cette époque, le blanc et le bleu sont les
couleurs de la Vierge et symbolisent le détachement vis-à-vis des choses
matérielles. Pour mettre sous la protection de Marie le royaume de France,
les rois capétiens adoptent un écu d’azur semé de fleurs de lys d’or. La
valeur protectrice de la couleur se voit aussi dans une tradition populaire.
Ainsi plaçait-on autrefois sous le patronage de la Vierge les enfants fragiles
en les « vouant au bleu » : ils devaient toujours porter des vêtements de
cette couleur pour être préservés des accidents et des maladies.

Des Pictes aux Schtroumpfs


Dans La Guerre des Gaules, Jules César évoque l’une des tribus
que les armées romaines affrontent. Il écrit : « Les Bretons se
teignent le corps d’une couleur bleue artificielle pour être encore
plus effrayants dans les combats. » Il s’agit sans doute de ceux
que les auteurs antiques vont appeler les Pictes, c’est-à-dire les
hommes peints, issus d’une confédération de plusieurs groupes
vivant notamment en Écosse. La tradition les imagine de petite
taille. Pour compenser cette fragile apparence, pratiquaient-ils
seulement des tatouages ou des peintures rituelles plus larges ?
Sur tout le corps ou seulement sur leurs visages ? Difficile de
trancher.
On appelle aussi les Touaregs les « hommes bleus », du fait de
leurs vêtements teints d’un sombre indigo qui parfois déteint sur
leur peau.
Beaucoup plus fantaisistes sont les Schtroumpfs, d’autres petits
hommes bleus inventés par le dessinateur Peyo ! C’est son
épouse, qui était aussi sa coloriste, qui lui a suggéré cette
couleur de peau, tranchant bien sur l’univers végétal où ils
habitent. La valeur de franchise attachée au bleu a fini d’emporter
l’assentiment de l’auteur de la BD pour ce choix judicieux.

Précieux et rare

De même que pour les matières textiles, le bleu fut longtemps difficile à
fixer durablement pour les poteries. En effet, la température de cuisson des
porcelaines est très haute et rares sont les pigments qui supportent de telles
chaleurs.

Au XIVe siècle, les Chinois s’aperçoivent que l’oxyde de cobalt remplit


parfaitement ces conditions. Après en avoir importé d’Iran, ils en
découvrent en Chine. Les porcelaines de l’époque Ming (entre 1400 et 1600
environ) bénéficient de cette technique et leur bleu rare a conquis le monde
entier. Les artisans de Delft reprendront aussi ce secret de fabrication.

Dans les arts décoratifs, cette couleur est ainsi devenue précieuse. On peut
encore noter les fonds bleus qu’utilise le créateur britannique Josiah
Wedgwood au XVIIIe siècle : ses porcelaines non vernissées sont juste
rehaussées de figures en camée blanc s’inspirant des vases romains de
l’Antiquité.

Aujourd’hui encore, les vases bleus représentent une touche de


raffinement dans un intérieur contemporain.

Le bleu de Chartres
L’obtention du bleu dans les vitraux est le résultat de techniques
très précises. Au XIIe siècle, pour la basilique de Saint-Denis, on
élabore un fondant sodique à partir de cobalt très coûteux
importé de Russie, d’antimoine, de cuivre et de fer. C’est le secret
du bleu de Chartres, qui triomphe dans le vitrail de Notre-Dame
de la Belle Verrière, une Vierge à l’enfant enveloppée d’un
manteau d’un bleu clair très lumineux. À partir du XIIIe siècle, la
composition de la pâte de verre change : le potassium remplace
le sodium et on utilise de la cendre de hêtre. Les vitraux
présentent alors un bleu plus sombre et moins éclatant.

La magie des pierres bleues

Lorsqu’elles présentent une couleur bleue, les pierres précieuses ou semi-


précieuses se chargent d’une valeur symbolique particulière. Le saphir est la
plus belle de toutes, pierre divine qui pousse à la méditation. La tradition
veut d’ailleurs que les Tables de la Loi remises par Dieu à Moïse aient été
gravées sur du saphir. La turquoise jouit aussi d’une vénération très
répandue, aussi bien chez les Aztèques ou les Navajos que dans les pays
arabes. Dans une vision spirituelle, elle symbolise l’âme de celui qui la
porte. Plus prosaïquement, elle attire l’amitié des personnages puissants. En
Égypte, elle est liée à l’univers aquatique du Nil, source de vie. Le lapis-
lazuli, littéralement « pierre d’azur », représente en Amérique du Sud
l’image de la voûte céleste. Enfin l’aigue-marine, aux reflets d’eau tirant sur
le vert, est plutôt considérée comme un talisman pour les navigateurs et les
voyageurs, et on l’offre à l’être aimé comme un gage de fidélité.
Il faut dire un mot du diamant bleu le plus célèbre au monde, connu sous
divers noms : Bleu de Tavernier, Bleu de France ou encore Diamant Hope.
Il fut rapporté d’Inde par le voyageur Jean-Baptiste Tavernier en 1668, qui
le vendit au roi Louis XIV avec 46 autres diamants pour une somme
considérable. Fut-il dérobé dans un temple comme le disait la rumeur ? Y
avait-il une malédiction attachée à cette pierre ? Toujours est-il que
Louis XIV l’exposa d’abord en son château de Saint-Germain-en-Laye,
dans son cabinet de curiosité, puis Louis XV le fit tailler et sertir sur son
insigne de l’ordre de la Toison d’Or. En 1792, pendant la Révolution
française, il fut volé et disparut de la circulation. Vingt ans plus tard
réapparut en Angleterre un diamant bleu tout aussi extraordinaire, dont le
collectionneur Thomas Hope fit l’acquisition : il lui donna son nom. Tout
porte à croire qu’il s’agissait du diamant bleu de Tavernier. Après de
nombreuses transactions qui l’ont fait passer entre plusieurs mains, il se
trouve aujourd’hui au National Museum of Natural History à Washington,
où une pièce entière lui est réservée.

Le bleu des rois et des héros

Royal Blue en anglais, bleu roi en français, les noms de couleurs associent
volontiers le bleu à la monarchie. Et sous la Révolution, le régiment des
Gardes françaises voit la couleur de son uniforme rebaptisée : de bleu roi,
elle devient bleu national ! Ce bleu oscille entre le bleu azur soutenu et le
bleu marine. On l’appelle aussi bleu de France, ou gros bleu. Toutes ces
appellations font aussi référence à des techniques de teinture développées
par les drapiers. L’uniforme de l’infanterie française se compose jusqu’à la
Première Guerre mondiale d’un manteau bleu sur un pantalon rouge
garance. Il peut sembler cocasse que le bleu de Prusse, ou bleu de Berlin,
découvert au XVIIIe siècle par le marchand de couleurs allemand Johann
Jacob Diesbach et adopté pour l’uniforme de l’armée prussienne à l’époque,
soit ensuite devenu le bleu de Paris, quand son secret fut divulgué auprès
des chimistes français. Quoi qu’il en soit, le bleu foncé est associé aux
militaires et aux forces de l’ordre. Il s’agit presque d’une variante du noir,
en moins austère, qu’on retrouve aussi avec les blasers chics, les jupes
plissées traditionnelles ou bien les vêtements ouvriers et même les blue-
jeans. Jugée moins triste que le noir, cette couleur est assez passe-partout.
N’oublions pas que le bleu est aussi la couleur du maillot de l’équipe de
France dans les sports les plus populaires. L’expression « Allez les Bleus ! »
est l’encouragement le plus couramment crié au bord des terrains de
football à ces héros des temps modernes. Mais ce ne fut pas toujours le cas.
La France jouait initialement en blanc. C’est en 1908, face à l’Angleterre
dans un match amical que l’équipe de France arbore le maillot bleu pour la
première fois. On peut dire que les sportifs français ne sont pas
superstitieux, car, malgré la sévère défaite par 12 buts à 0, ils ne
renonceront pas à cette couleur ! La tenue française, avec bleu uni pour le
maillot, short blanc et bas rouges est définitivement adoptée à partir de
1919.

Le sang bleu
D’où vient l’expression « avoir le sang bleu », qui veut dire être
un aristocrate ? Il semblerait que l’expression ait pris son origine
en Espagne. Les nobles dans toute l’Europe se protégeaient du
soleil pour éviter de présenter des visages burinés comme ceux
des paysans exposés dehors en tout temps. Sous leur peau
blanche et fine, on pouvait donc voir se dessiner tout le réseau de
leurs veines qui semblaient alors délicatement bleutées…

La vie en bleu

Revenons au bleu qui porte à la rêverie, au bleu des vagues, de l’infini à


l’horizon… En 1988, toute une génération a adoré le film de Luc Besson,
Le Grand Bleu. Le titre fait bien sûr allusion à la mer, la « grande bleue »
qui est le lieu de la compétition entre les plongeurs protagonistes du film.
Mais au-delà, le réalisateur met en scène l’appel de l’idéal, qui rend les
personnages peut-être inadaptés au monde réel et aux relations humaines.
Pour suivre les dauphins, atteindre une sorte de communion avec l’élément
marin – devenir dauphin lui-même, qui sait ? – Jacques Mayol, incarné par
Jean-Marc Barr, se détache de tous les liens terrestres, même celui de
l’amour. Le bleu incarne aussi cela, entre fascination du vide et ivresse des
profondeurs…

Mystère résolu !
Pourquoi le homard qui arbore de son vivant une teinte d’un bleu
assez profond devient-il rouge à la cuisson ? En mangeant le
plancton, il accumule une protéine, la crustacyanine, qui se lie
avec les pigments de sa carapace et qui la teinte en bleu. Cette
apparence lui confère une certaine capacité de camouflage dans
la mer. Par contre, lorsqu’il est ébouillanté, cette protéine se
décompose et le pigment orange de sa carapace, riche en
caroténoïdes, reprend le dessus.

Le bleu des artistes

Dans les tableaux classiques, pour représenter les différents plans jusqu’à
l’horizon, les peintres jouaient sur des dégradés de vert pâle et de bleu. Les
couleurs se noient dans le bleu lorsqu’elles s’éloignent de nous. Phénomène
plus étonnant, au-dessus de certaines montagnes se dévoile une sorte de
halo bleu qui viendrait des aérosols libérés par certaines espèces d’arbres.
C’est ce qui a donné son nom aux montagnes Blue Ridge de Virginie, aux
États-Unis, et peut-être aussi à la fameuse expression de Jules Ferry « la
ligne bleue des Vosges », pour évoquer la frontière franco-allemande après
la guerre de 1870.

Pourquoi le ciel est-il bleu ?


« Le ciel est par-dessus le toit.
Si bleu, si calme,
Un arbre par-dessus le toit
Berce sa palme… »
Paul Verlaine
Pourquoi cette teinte bleue qui caractérise le ciel ? Si l’on voulait
être un peu provocateur, on dirait que le ciel n’existe pas.
L’homme, lorsqu’il lève la tête, voit simplement comment
l’atmosphère terrestre interagit avec la lumière du soleil. En effet,
notre planète est entourée de molécules d’air qui dispersent les
radiations solaires. Ce phénomène concerne tout
particulièrement les longueurs d’onde qui correspondent au bleu.
C’est pourquoi cette couleur domine dans notre perception du
ciel.

D’autres nuances très vives ont au contraire caractérisé certains artistes.


C’est le cas de Yves Klein, qui a même réussi à déposer une nuance
particulière de bleu outremer synthétique associée à un liant spécifique.
Il est interdit de déposer une couleur (ce qui interdirait à d’autres peintres
de l’utiliser !), mais l’alliance d’un fond et d’un pigment est possible. Pour
cet artiste plasticien, le dépôt même du IKB (International Klein Blue) est
un geste artistique.
La maison américaine de produits de luxe Tiffany & Co, elle, a eu une
approche plus commerciale : en déposant dans le domaine publicitaire le
bleu Tiffany, variante de turquoise, elle empêche toute autre entreprise
d’utiliser ce code couleur pour sa promotion dans des domaines d’activités
proche du sien. Tous les bijoux Tiffany sont d’ailleurs présentés dans une
boîte bleue qui a donné son nom au très élégant Blue Box Coffee, à New
York.
En communication, le bleu est certes une couleur froide, car dans les
teintes soutenues, il donne surtout une impression de sérieux et de sécurité,
mais dans les nuances claires, il évoque la rêverie et la jeunesse. Le poète
romantique allemand Novalis raconte l’histoire d’un poète à la recherche de
son idéal poétique qu’il nomme la fleur bleue. L’expression « être fleur
bleue » est restée pour signifier un sentimentalisme un peu naïf.

Blues
En anglais, l’expression « to get to blues » signifie avoir des idées
noires, et les blue devils correspondent à ce que nous appelons
dépression. Aussi, en 1903, quand pour la première fois le
musicien William Christopher Handy entend sur le quai d’une
petite gare du Mississipi un homme d’une infinie tristesse chanter
en grattant sa guitare, le mot « blues » s’impose à lui pour
qualifier ce qu’il entend. L’homme noir presse un couteau sur les
cordes de son instrument comme le font les Hawaïens et il en tire
des sons déchirants. Il adaptera plus tard cette mélodie sous le
titre de Yellow dog blues, chanté par Bessie Smith.
Techniquement, le blues se caractérise par l’altération des
troisième et septième notes de la gamme, qui passent ainsi des
tons majeurs aux tons mineurs. Ces blue notes seront ensuite
adoptées par tous les musiciens de jazz. L’expression blue notes
est restée célèbre et c’est le nom choisi par plusieurs boîtes de
jazz des deux côtés de l’Atlantique. C’est aussi le nom d’un label
mythique fondé en 1939 par Alfred Lion et Max Margulis qui
perdure encore. Claude Nougaro y enregistra son dernier album
en 2004, intitulé comme il se doit La Note bleue.

Élégance suédoise et fraîcheur marine

Il ne faut pas croire qu’en décoration, le bleu soit réservé aux salles d’eau,
aux douches et aux cuisines, même si le bleu très clair et lumineux semble
particulièrement donner un sentiment de propre et de frais. Transparent et
rafraîchissant, le bleu est censé aussi éloigner les mouches ! Les décorateurs
envisagent un emploi beaucoup plus large de cette teinte, notamment car la
gamme en est extrêmement étendue.
Il faut réserver une mention spéciale au bleu-gris que les Suédois ont
traditionnellement associé au jaune dans le style dit « gustavien ». Le roi
Gustave III monta sur le trône en 1771 et s’inspira de l’art décoratif français
qu’il appréciait particulièrement. Le choix se porta alors sur des teintes très
adoucies, pastel, des gris, des bleus, des verts à peine teintés et rehaussés de
jaune pâle ou de rose poudré. La céruse, la lasure ou la patine à la cire sont
préférées à la laque ou aux vernis brillants. Ces associations créent une
parfaite harmonie, accrochent le moindre rayon de soleil et recréent une
atmosphère sobre et élégante.
N’oublions pas non plus la place d’un bleu franc dans la décoration des
cabines de bateau ou des maisons de bord de mer. Cette fois, c’est au blanc
que le bleu est associé. Même si les rayures rappellent un peu trop la
traditionnelle marinière bretonne, l’alliance des deux teintes est une valeur
sûre qui évite toutes les fautes de goût. Elle crée une ambiance de vacances
et d’évasion.
LE NUANCIER
Aigue-marine
Azur
Azurin
Bleu ardoise
Bleu barbeau
Bleu bleuet
Bleu bondi
Bleu céleste
Bleu céruléen
Bleu charrette
Bleu charron
Bleu ciel
Bleu cobalt
Bleu de Berlin
Bleu de France
Bleu de minuit
Bleu de Prusse
Bleu denim
Mers du sud
Bleu dragée
Bleu égyptien
Bleu électrique
Bleu guède
Bleu horizon
Bleu Majorelle
Bleu marine
Bleu maya
Bleu minéral
Bleu nuit
Bleu outremer
Bleu paon
Bleu persan
Bleu pétrole
Bleu roi
Bleu saphir
Bleu sarcelle
Bleu smalt
Bleu Tiffany
Bleu turquin
Canard
Cérulé
Cyan
Fumée
Givré
Indigo
Klein
Lapis-lazuli
Lavande
Pastel
Pervenche
Turquoise
INTERMÈDE

AFFICHEZ VOS COULEURS !


Les couleurs forment parfois un véritable système au langage secret que
seuls les spécialistes sont capables de décrypter.

Sept couleurs pour un écu

Arborer ses couleurs, voilà la fierté de tout noble depuis le XIIe siècle.
Les armoiries reflètent en réalité un système complexe d’emblèmes qui
s’est constitué au fil des siècles. À l’origine, l’usage des blasons est
dicté par des considérations pratiques : il s’agit de reconnaître les
groupes en présence au combat ou les champions qui s’affrontent lors
des tournois. Mais petit à petit, leur diffusion s’est amplifiée jusqu’à
marquer les objets précieux de la vie quotidienne, livres, vaisselle,
carrosses, livrées des serviteurs.
Le blason devient une sorte de carte d’identité, une marque de
reconnaissance qui n’est d’ailleurs pas, contrairement aux idées reçues,
réservée à l’aristocratie. Chacun peut s’inventer un blason, en respectant
quelques règles.
Les armoiries sont constituées de divers éléments, comme des lions, des
aigles, des fleurs de lys ou des tours, mais c’est la répartition des
couleurs qui en codifie définitivement la composition. Seules sept
couleurs sont employées et elles sont rebaptisées par l’héraldique :

Argent : le blanc
Or : le jaune
Gueules : le rouge
Sable : le noir
Azur : le bleu
Sinople : le vert
Pourpre : le gris violacé

Il faut d’emblée dire que ces couleurs sont en quelque sorte abstraites :
peu importent les nuances, l’azur peut être représenté par un bleu ciel ou
un bleu marine, c’est l’idée de bleu qui est utilisée comme emblème.
Argent et or appartiennent à un premier groupe, les autres couleurs à un
second. La règle interdit de superposer ou de juxtaposer des couleurs du
même groupe. On voit bien là comment les couleurs assurent une
structure fixe et contraignante, et constituent ensemble un véritable
système symbolique. Ajoutons que si de nos jours les blasons sont
tombés en désuétude, nous pouvons voir chaque jour des avatars de ces
emblèmes dans les couleurs des clubs de football, les casaques des
jockeys, les logos de certaines firmes ou encore les drapeaux nationaux.

Hissez les couleurs !

Emblème national, symbole d’un État, le drapeau est saturé de sens.


Chaque couleur, chaque motif semble de toute évidence symbolique. On
apprend d’ailleurs à tous les enfants comment reconnaître le drapeau de
leur pays. Cependant, comme l’explique Michel Pastoureau dans son
Dictionnaire des couleurs de notre temps, l’origine des drapeaux relève
souvent d’interprétations qui varient selon les époques, qui intègrent les
péripéties de l’histoire et qui fondent finalement une sorte de
mythologie.
Ainsi, même l’origine du drapeau tricolore français reste controversée.
On a longtemps dit que la cocarde apparue en juillet 1789 reprenait le
blanc, couleur du Roi et le couple rouge et bleu, couleurs de Paris. Il
faut cependant noter que bleu, blanc et rouge sont déjà les couleurs de la
Révolution américaine de 1774-1775 qui fit figure de répétition générale
pour la Révolution française. Et ces couleurs avaient été choisies en
fonction du drapeau anglais, contre lequel luttaient les insurgés
américains…
Si les pays musulmans arborent souvent le vert par référence à la
bannière de Mahomet, et si le rouge porte généralement une valeur
révolutionnaire évoquant alors le sang versé pour la patrie, il n’empêche
que bien des drapeaux tirent simplement leurs couleurs des traditions
héraldiques des familles qui ont autrefois gouverné le pays, et que toute
autre explication relève de la mythologie. C’est sans doute le cas du vert
du drapeau du Brésil, directement hérité de la maison impériale de
Bragance et réinterprété depuis comme la couleur de la forêt
amazonienne…
Le drapeau olympique fut conçu par Pierre de Coubertin en 1913, quand
il voulut lancer les Jeux olympiques modernes. Sur un fond blanc, on y
voit les cinq anneaux, bleu, noir, rouge, jaune et vert qui représentent
l’universalité. Il s’agit en effet des cinq continents unis par un même
idéal sportif. Habituellement, on associe un continent à chaque couleur :
le vert représenterait l’Océanie, le noir l’Afrique, le jaune l’Asie, le bleu
l’Europe et le rouge l’Amérique. Mais en réalité, le Comité international
olympique explique plutôt les couleurs des anneaux par les couleurs des
drapeaux qu’on trouve utilisées sur les cinq continents.
Quant au drapeau arc-en-ciel, qui signifie dans diverses cultures la paix
et l’harmonie, en particulier chez les peuples précolombiens, il est
brandi depuis 1978 comme l’emblème de la communauté LGBT. Le
premier drapeau a en effet été réalisé à la main par le jeune graphiste et
militant américain Gilbert Baker, le 25 juin 1978, pour la Gay and
Lesbian Freedom Day Parade de San Francisco. Pour lui, le rose
correspondait à la sexualité, le rouge à la guérison, l’orange à la fierté, le
jaune à la lumière du soleil, le vert à la nature, le turquoise à l’art, le
bleu à l’harmonie et le violet à la spiritualité.
LE VIOLET
De l’indigo au pourpre en passant par toutes les teintes mauves, le violet
se définit par son mélange de bleu et de rouge. Fortement connoté par la
religion et le deuil dans notre société, symbole d’équilibre et de tempérance,
le violet est sans doute la plus solennelle des couleurs.

Marques d’encre

Poussière de craie, sergent-major, encre violette… Nos souvenirs


d’enfance s’égrènent sur ces trois notes. Et tous les écoliers ont eu sur les
doigts ces marques indélébiles qui trahissaient leur apprentissage
douloureux de l’écriture. Dans notre imaginaire, le violet est peut-être
d’abord cette couleur de l’encre, de l’empreinte, du tatouage.
Certaines tribus féroces que combattait César en Gaule se peignaient ainsi
le corps en un violet sombre pour effrayer les soldats romains qui croyaient
voir, comme le rapporte Tacite, des « armées de spectres ». Plus
pacifiquement, des tribus primitives aux marins, bien des groupes sociaux
ont pratiqué et pratiquent encore les tatouages pour donner au corps une
nouvelle identité, des marques distinctives qui renforcent l’appartenance au
clan. Même si les réalisations en ce domaine sont parfois de véritables
œuvres d’art polychromes, le violet tirant vers le bleu reste la couleur de
base de cette technique.

Les Schtroumpfs : noirs ou violets ?


Dans l’un des albums des Schtroumpfs de Peyo paru en 1963 et
intitulé Les Schtroumpfs noirs, l’un de ces petits êtres se fait
piquer par une mouche, sa peau devient noire et il ne peut plus
articuler que « gnap ! ». Ses seules interactions avec les autres
se résument à chercher à les mordre pour les transformer à leur
tour en Schtroumpfs noirs ! Il s’agit d’une sorte d’expérience
zombie assez effrayante. Du fait des tensions raciales aux États-
Unis, toujours sous-jacentes, l’album n’a pas été traduit en
anglais, mais seulement adapté en dessin animé par Hanna
Barbera, et les personnages sont devenus violets (The Purple
Smurfs) sans que rien d’autre n’ait eu besoin d’être modifié,
puisqu’il n’y avait aucun contenu raciste dans le travail de Peyo,
mais plutôt une inspiration venue des films d’horreur mettant en
scène des morts-vivants.

Dans l’Antiquité, le violet n’est pas du tout perçu comme un mélange de


bleu et de rouge. Il est avant tout une modalité sombre du bleu, une sorte
d’avatar du noir.
Le latin médiéval appelle le violet subniger, c’est-à-dire « sous-noir ».
C’est peut-être la première raison qui explique que cette teinte soit l’une des
couleurs du deuil en Occident, ou plus exactement du demi-deuil, période
qui succède au grand deuil et traduit le retour progressif à la vie normale.
Ce fut un privilège des rois de France à partir d’Henri III que d’arborer des
vêtements de couleur violette en cas de deuil, au lieu du noir plus banal, et
de faire changer toutes les tentures de leurs appartements en cette même
teinte.

L’heure solennelle

Le violet trouve surtout son expression dans la vie religieuse. Dans le


christianisme, il symbolise la Passion du Christ, où Jésus allie ses deux
natures, l’humaine et la divine. En mariant ainsi le rouge terrestre et le bleu
céleste dans l’iconographie classique, on revêt le Christ d’une robe violette
pendant sa Passion. C’est aussi pourquoi on tend des draperies de cette
même couleur dans le chœur des églises pour le Vendredi saint. Durant le
Moyen Âge, pour la même raison, certains livres liturgiques sont écrits en
lettres d’or sur un vélin violet. On comprend mieux dès lors que les martyrs
soient eux aussi représentés avec des tenues violettes, par référence au
sacrifice du Christ dont ils témoignent au péril de leur vie.
Le violet est à l’époque bien perçu comme un mélange équilibré entre le
rouge et le bleu. Il devient ainsi très naturellement la couleur de la
tempérance, de la réflexion et de la prière dans la religion chrétienne. Les
évêques l’ont adopté pour marquer leur tâche de pasteurs : ils doivent
guider les croyants sur une voie médiane qui sait fuir les tentations
terrestres, mais aussi se garder des excès de la passion fanatique.
Ce symbole d’équilibre attribué au violet dépasse largement le cadre de la
civilisation judéo-chrétienne, puisque la même valeur se retrouve dans
l’ésotérisme du tarot. L’arcane XIV, c’est-à-dire la carte nommée
Tempérance, porte une figure énigmatique : une sorte d’ange tient dans
chaque main un vase, l’un bleu, l’autre rouge, et verse leur contenu l’un
dans l’autre. C’est l’eau vitale qui se crée à partir de ce mélange, formé en
parts égales d’esprit et de sens, d’intelligence et de passion, de sagesse et
d’amour. On considère cette carte comme le symbole de l’alchimie, de
l’échange perpétuel entre le ciel et la terre, et donc du cycle des
réincarnations. Cette convergence des symboles autour du violet en fait une
couleur solennelle et mystérieuse.

Le violet et les ordres honorifiques


En France, ce sont les Palmes académiques qui sont associées à
un ruban moiré violet qui soutient l’insigne métallique sur lequel
figurent rameau de laurier et branche d’olivier entrecroisés. On
parle parfois de cette distinction comme de la Légion violette, par
analogie avec la Légion d’honneur.
La Purple Heart (cœur violet) est la plus ancienne décoration des
États-Unis. Cette médaille militaire créée en 1782 se compose
d’un morceau de soie violette en forme de cœur sur lequel se
détache en or le profil de George Washington.

Des coupes d’améthyste pour prévenir l’ivresse


On retrouve toutes les valeurs d’équilibre, de mystère et de sacré dans la
signification attachée traditionnellement aux pierres précieuses violettes.
Ainsi l’améthyste, pierre des évêques, est synonyme de tempérance : son
nom vient du grec et signifie « qui n’est pas ivre », par référence peut-être à
sa teinte proche de celle du vin. Les Grecs et les Romains buvaient
d’ailleurs dans des coupes d’améthyste pour prévenir l’ivresse. Cette pierre
orne également les couronnes des rois chrétiens, comme symbole de justice
et d’autorité. Dans les traditions populaires de diverses civilisations, elle est
toujours perçue comme un porte-bonheur. Ainsi, à Bruxelles, au début du
XXe siècle, les jeunes filles portaient des petits cœurs d’améthyste comme
signe de leur sincérité – qualité qui ne pouvait qu’être récompensée par la
chance en retour ! Enfin, les sorciers de maintes tribus, en Haute-Égypte
notamment, ont souvent attribué des pouvoirs magiques à cette gemme.
Le porphyre est une roche proche du marbre, de couleur rouge tirant vers
le pourpre, qui symbolise la puissance de l’empereur. En effet, au Grand
Palais de Constantinople, la chambre où accouchaient les impératrices était
décorée de porphyre et les descendants du monarque prenaient le titre de
« porphyrogénètes », car ils étaient nés dans la pourpre, au plus près du
pouvoir impérial.

La couleur d’un prince


Le purple, le violet en anglais, est devenu la couleur
emblématique de Prince depuis son film et son album du même
nom, Purple Rain (1984). À cette époque, il notait toutes ses
idées dans un calepin violet et il a insisté pour que la couleur
figure au titre de cette création qui va connaître un succès
planétaire. Il la jouera presque dans chaque tournée, et elle est la
dernière chanson live jouée par Prince au piano à Atlanta
le 14 avril 2016. Le soir de sa mort, de nombreux monuments
s’illuminèrent d’un halo violet pour lui rendre hommage, comme
les hôtels de ville de San Francisco et de Los Angeles, ou encore
le stade du Superdome à La Nouvelle-Orléans, ainsi que les
ponts de Minneapolis, sa ville de naissance.

Le langage des fleurs

C’est par les bouquets que le violet reparaît dans notre univers quotidien,
dans toute la richesse de ses nuances. En effet, combien de variétés de
fleurs déclinent la gamme des violets, tirant davantage sur le rouge-rose ou
sur le bleu ? Il suffit de citer, pêle-mêle, les bougainvillées, le pétunia, le
lilas, la mauve, l’iris, la jacinthe, l’hortensia, le chrysanthème, le fuchsia ou
la pensée… Les parfums associés à ces fleurs contribuent à créer une
atmosphère de secret autour de cette couleur.
La fleur qui en est la plus indissociable est évidemment la violette. Petite
fleur à cinq pétales, elle est traditionnellement le symbole de la modestie,
sans doute parce qu’elle pousse en sous-bois et se dissimule dans son
feuillage. Elle est aussi une fleur funéraire, celle que Proserpine cueillait
lorsqu’elle fut envoyée aux Enfers, et elle se trouve, du coup, marquée par
de nombreuses superstitions populaires, négatives (elle annoncerait les
décès), ou positives (elle protégerait contre les fièvres)… Retenons plutôt
son délicat parfum, léger et frais, qui en fait l’une des fragrances préférées
des toutes jeunes filles.
Aux États-Unis, le lilas violet a été choisi par le New Hampshire comme
emblème national. Quant à la violette des bois, elle est celui du Wisconsin,
région où il n’en pousse pas moins d’une vingtaine de variétés !
Dignité ou rébellion ?

Depuis le début du XXe siècle, les féministes ont cherché à sortir des
images stéréotypées. Le rose bonbon ou les couleurs pastel ne leur
convenaient guère, pas plus que l’image faussement masculine qu’on
voulait plaquer sur elles. Dès 1908, Emmeline Pethick-Lawrence,
journaliste très active parmi les suffragettes du WSPU (Women’s Social and
Political Union) a cherché une palette de couleurs pour représenter le
combat des femmes pour leurs droits.

Si le blanc fut choisi pour la pureté de leurs intentions, le vert le


complétait pour l’espoir d’un changement. Quant au violet, il venait dire la
dignité de ces femmes. Les boutiques de mode se mirent à vendre des
accessoires tricolores plus ou moins discrets pour permettre d’afficher ses
convictions. Finalement, c’est plutôt la couleur violette qui s’est imposée au
fil du militantisme, surtout à partir des années 1970. Elle devient la couleur
de la revendication pour l’égalité des droits.

Des infrarouges aux ultraviolets

Si on se place sur un plan scientifique, nous appelons couleurs les


radiations lumineuses que l’œil humain est capable de percevoir. Leurs
longueurs d’onde s’échelonnent de 400 nanomètres (dix-millionièmes de
mètre !) pour le rouge à 780 pour le violet. Les radiations directement
inférieures au rouge extrême sont les infrarouges, et au-delà du violet
extrême, on trouve les ultraviolets, puis les rayons X. Tout le monde connaît
les UV, essentiels pour la bonne santé des êtres vivants : en irradiant la
peau, ils permettent la production de vitamine D, celle qui combat le
rachitisme. Hélas, ils sont aussi les responsables des coups de soleil et des
lésions cutanées dues aux trop fortes expositions solaires !
Les ultraviolets à l’état naturel sont essentiellement produits par le soleil,
mais la haute atmosphère en absorbe une grande partie avant qu’ils
n’atteignent la surface de la Terre. Des lampes à arc électrique peuvent en
produire artificiellement et offrir en institut de beauté ou chez soi un
substitut au bronzage naturel.
Ainsi, le violet produit peut-être sur nous des vibrations mystérieuses,
c’est une invitation au secret, à la spiritualité, au sacré. Il reste à la fois
puissant et discret, très présent sans ostentation ; il est une sorte d’appel à
déchiffrer les arcanes du grand livre de l’univers.

Bon appétit !
On s’est étonné – voire scandalisé – de la couleur mauve dont
les fabricants de bonbons avaient teinté certaines friandises
gélatineuses qui semblaient peu appétissantes aux adultes. Ces
mêmes bonbons en sont venus à colorer le Purple Drank, cocktail
psychotrope à base de codéine, très dangereux, devenu à la
mode dans les années 1990 dans le milieu hip-hop américain et
qui a produit des drames.
Mais si on y réfléchit bien, la nature, d’elle-même, a paré bien des
aliments d’une teinte violette bien tentante pour nos papilles.
Bord violacé des feuilles d’artichaut, violet sombre des
aubergines ou des figues, curieuse teinte vineuse des choux
qu’on dit rouges, mais qui sont plutôt violets… Et surtout, les
baies si savoureuses : cassis, mûres, myrtilles ! Ne font-elles pas
venir l’eau à la bouche ? Mystérieux stimuli de l’appétit…
LE NUANCIER
Améthyste
Aubergine
Bleu-violet
Glycine
Héliotrope
Indigo
Lavande
Lilas
Mauve
Orchidée
Parme
Prune
Violet d’évêque
Violet minéral
Violine
Zinzolin
INTERMÈDE

MYSTIQUE ET ÉSOTÉRISME
Les grands textes mystiques parent volontiers les phénomènes
surnaturels de diverses couleurs. Dans le récit de l’Apocalypse de saint
Jean, les quatre cavaliers se distinguent par leur couleur. Ils apparaissent
lorsque la fin du monde se déclenche, à l’ouverture des quatre premiers
sceaux. Le cavalier blanc est un conquérant muni d’un arc, le rouge,
porteur de l’épée, apporte le conflit et répand le sang, le cavalier noir
avec sa balance va répandre le manque et la famine, enfin le vert répand
la peur et la mort.
Le récit de l’Éveil du Bouddha est aussi marqué par des auras de
couleurs différentes qui se dégagent et qui signifient les cinq sources de
perfectionnement du bouddhisme : le bleu pour la méditation, le jaune
pour la pensée juste, le rouge pour l’énergie spirituelle, le blanc pour la
foi et l’orange, couleur la plus parfaite qui est la combinaison des autres,
pour l’intelligence.
Toutes les théories ésotériques ont aussi cherché à faire correspondre les
valeurs, les couleurs, les pierres, les métaux et les planètes dans des
systèmes souvent complexes.
Les alchimistes distinguent d’abord dans leur travail sur la matière
plusieurs étapes auxquelles ils attribuent des couleurs. Ainsi la première
phase est l’œuvre au noir, qui en chauffant divers ingrédients, minerai,
métal et acide, obtient un liquide bleu-noir. Ensuite, par l’œuvre au
blanc se produit une purification qui aboutit théoriquement à l’élixir de
longue vie, à la Pierre Blanche et au parachèvement du Petit Œuvre.
Dans l’œuvre au jaune, l’alchimiste cherche à recombiner autrement les
éléments et à les sublimer. Enfin, l’œuvre au rouge réalise l’union du
mercure et du soufre, obtient la Pierre Rouge appelée aussi Pierre
philosophale, et achève le Grand Œuvre. Ce sont évidemment les étapes
idéales d’un projet toujours en devenir.
Les Mésopotamiens associaient chaque corps céleste à une couleur et à
un métal, ce que reprennent les tenants de l’hermétisme. Ainsi, le soleil
est jaune et associé à l’or, la lune blanche liée à l’argent, Mars est rouge
et tient de la rouille, Mercure orange correspond au mercure,
évidemment, Vénus est verte et associée au cuivre, Jupiter bleu est lié à
l’étain, et enfin Saturne est noir et associé au plomb. Les adeptes de
l’ésotérisme ont ensuite parfois complexifié et revu ces réseaux de
correspondances.
Voici, par exemple, le tableau un peu simplifié que propose Papus (de
son vrai nom Gérard Anaclet Vincent Encausse), fondateur de l’ordre
martiniste, occultiste très célèbre de la Belle Époque :
Couleur Corps céleste Pierre Vertu
Rouge Mars Rubis Audacieux
Vert Vénus Émeraude Ingénieux
Jaune Mercure Chrysoprase Joueur
Bleu clair Lune Chrysolithe Vagabond
Orange Soleil Topaze Grande âme
Violet Jupiter Améthyste Colérique
Noir Saturne Onyx Ambitieux
Bleu foncé Saturne Aigue-marine Marchand
Gris Jupiter Jaspe Fécond
LE NOIR
Nous posions une question pour le blanc : s’agit-il d’une couleur ? Nous
pouvons être saisi par le même doute en ce qui concerne le noir. On oppose
bien en photographie le noir et blanc à la couleur. Il n’empêche que le noir,
entre deuil, ténèbres et élégance raffinée est à part entière une couleur, au
cœur même de la mystique et de l’esthétique.

Une forme d’absolu négatif

Sans lumière, tout est noir… même les chats ne peuvent sembler gris
qu’avec un minimum d’éclairage ! Le noir suggère donc avant tout les
ténèbres, l’absolu d’un vide et d’une absence. Le peintre Kandinsky
l’évoque ainsi : « Comme un rien sans possibilité, un rien après la mort du
soleil, comme un silence éternel, sans avenir, sans l’espérance même d’un
avenir, résonne intérieurement le noir. »
Plus encore que la nuit qui revient et repart, le noir évoque les ténèbres
originelles. Dans certaines cultures, une divinité les incarne et combat le
dieu soleil. Ainsi, dans la mythologie slave, Tchernobog, dieu de
l’obscurité, s’oppose à Belobog, divinité solaire. Au moment de la
christianisation de ces territoires, cette sombre divinité a été identifiée à
Satan et au diable, seigneur de la noirceur absolue, entité dont il faut se
protéger.
De même, dans la Bible, avant la création du monde par le Verbe, les
ténèbres règnent partout : « [Avant que] la lumière soit, la terre était
informe et vide, les ténèbres recouvraient la face de l’abîme. »
Silence, profondeur abyssale : les premières valeurs du noir sont
angoissantes. Selon la mythologie gréco-romaine, la nuit, qui est capable
d’engendrer le sommeil, mais aussi la mort, est finalement à l’origine du
cortège désolant de la misère, de la maladie et de la vieillesse.
Dans les récits mythiques de la féodalité, le chevalier noir représente
toujours le noble en rupture de ban, celui qui a refusé de prêter allégeance et
dont les armoiries restent inconnues. Combattant sans bannière, sans écuyer
et sans page pour le servir, le chevalier noir, visage masqué par son heaume,
inspire toutes les inquiétudes. Son anonymat le place en marge de la société
médiévale, mais permet aussi d’imaginer toutes les ruses ou les
travestissements d’identité, ce qui fait de lui un personnage important des
contes et légendes.
Sur les mers aussi, le pavillon noir des pirates du XVIIIe siècle répond en
quelque sorte à la même logique. En effet, les corsaires engagés pour servir
un pays arboraient le drapeau de la nation qui les payait. Par contre, le
flibustier à son compte n’a pas d’autre couleur à faire valoir que le drapeau
noir à tête de mort et fémurs (ou sabres) croisés : destiné à impressionner
l’adversaire en lui rappelant qu’il n’a plus guère de temps à vivre, cet
étendard traduit aussi une mise à l’écart du système de valeur de la marine
régulière. Souvent, au moment même de l’attaque, les pirates hissaient
ensuite un pavillon rouge signifiant qu’il n’y aurait pas de quartier. On
appelle parfois le pavillon des pirates Jolly Roger. L’origine en serait
française, car les boucaniers parlaient du « joli rouge » pour désigner le
pavillon écarlate. Cette expression, prononcée par des anglophones, se
serait transformée en Jolly Roger et serait restée utilisée pour le drapeau
pirate noir à tête de mort.

Le drapeau noir de l’anarchie


Dans les manifestations revendicatives, on voit parfois le drapeau
noir arboré par les anarchistes. C’est Louise Michel, l’ancienne
communarde condamnée d’abord à la déportation en Nouvelle-
Calédonie, puis revenue en métropole à partir de 1880, qui le
brandit en public pour la première fois, semble-t-il, en mars 1883,
lors d’une manifestation de chômeurs aux Invalides à Paris.
Elle improvise cet étendard à partir d’un bout de jupon noir
accroché à un manche à balai. Il faut dire que le drapeau rouge
est interdit depuis l’écrasement de la Commune, alors les
mouvements anarchistes qui se développent en cette fin de
XIX siècle choisissent le noir comme couleur emblématique de
e

leur combat. L’un de leurs premiers journaux en France porte


d’ailleurs pour nom Le Drapeau noir. Un autre symbole de la lutte
anarcho-syndicaliste apparaît aux États-Unis : c’est le wild cat, le
chat noir très maigre, le poil hérissé et prêt à mordre et griffer.
Impossible à domestiquer, lui aussi est noir et représente une
lutte radicale.

L’aboutissement de toutes les autres couleurs

Comme pour beaucoup de couleurs, la symbolique du noir est assez


ambivalente dans certaines civilisations. En Égypte ancienne, le nom du
pays est kemet, la terre noire.
C’est une allusion au limon du Nil, qui évoque la fertilité et la
renaissance. En effet, après chaque crue du fleuve, ce dépôt s’avère vital
pour l’agriculture et est source de prospérité. Cette valeur positive permet
de figurer aussi l’ambiguïté des divinités telles qu’Osiris ou Anubis, liées à
la fois à la mort et à la renaissance : elles sont souvent représentées avec
une peau noire ou une peau bleue.
En Orient et en Afrique du Nord, le noir reste lié au chaos originel, mais il
revêt comme en Égypte une connotation positive liée à la fertilité, à l’image
des nuages noirs annonçant la pluie bénéfique. C’est aussi sa valeur pour le
peuple Massaï, qui guette les orages dans lesquels il voit une bénédiction
redonnant sa fertilité à la terre.
Pour un musulman, le noir représente l’étape ultime de son engagement
spirituel, le blanc étant traditionnellement la couleur des novices. Considéré
comme la couleur absolue, il constitue l’aboutissement de toutes les autres
couleurs. Témoin de cette gradation mystique, la pierre noire de La Mecque
est insérée dans l’un des angles de la Kaaba, monument sacré de l’islam.
Elle serait un vestige de l’époque d’Adam et Ève, tombée du ciel pour leur
montrer où construire le premier temple sur la terre. De fait, son origine est
inconnue, elle se présente comme une pierre noire enchâssée dans un cadre
d’argent, avec des reflets rougeâtres, et c’est Mahomet lui-même qui
l’aurait déposée là. Les pèlerins qui tournent autour de la Kaaba cherchent à
la toucher ou à l’embrasser à la fin de leur parcours. C’est pourquoi elle est
polie par les attouchements innombrables qu’elle a reçus depuis qu’elle est
vénérée.

L’obsidienne
L’obsidienne est une roche noire d’origine volcanique qui revêt
une importance considérable dans toute l’Amérique centrale.
Très dure, elle permet en effet de réaliser des objets
particulièrement tranchants à partir de l’arête de ses cassures.
L’obsidienne est présente pratiquement sur tous les sites
archéologiques à travers des objets utilitaires ou des armes,
parfois aussi sous forme de statuettes. Cependant, elle est aussi
le matériau de prédilection pour confectionner les objets rituels
que sont les poignards destinés au sacrifice, les peuples
précolombiens associant cette pierre au sang versé. Dans les
rituels d’autosacrifice, le sang ne peut être versé que par un
couteau en obsidienne.

Le noir en majesté
En Occident, le noir a parfois aussi tout l’éclat du sacré. Pensons aux
mystérieuses Vierges noires, statues féminines qui figurent la Vierge Marie,
mais parfois aussi sainte Anne ou Sara la Noire, personnage révéré par la
communauté des gens du voyage, en particulier lors du pèlerinage des
Saintes-Maries-de-la-Mer. Ces effigies, qu’on retrouve en particulier dans le
sud de la France, utilisent des matériaux variés.
Parfois il s’agit du bois noir de l’ébène, parfois d’un bois local noirci par
des pigments qui se sont oxydés avec le temps, comme le blanc de plomb.
Mais qu’il s’agisse d’une intention première ou d’un effet du temps, leur
couleur noire est devenue un symbole de sacré et de mystère.
Elle les relie aussi à une très ancienne tradition, celle des déesses mères
des religions antiques, égyptiennes ou coptes, auxquelles on demande
souvent leur intercession pour favoriser la grossesse. Mais ces objets sont
souvent d’abord des reliquaires de la Madone, sans doute rapportés de Terre
sainte pour les plus anciennes, comme on a pu le voir à partir d’analyse de
fragments permettant d’identifier des essences d’arbres du Proche-Orient.
Les icônes byzantines ou syriennes représentent aussi souvent des Vierges à
l’enfant de couleur noire.
Ces statuettes sont en tout cas au cœur de légendes locales. Ainsi, la
Vierge noire de Rocamadour aurait été sculptée par saint Amadour lui-
même, converti par Jésus et venu ensuite en Gaule, ce qui lui conférerait un
pouvoir d’intercession : le pèlerinage vers le sanctuaire, attesté depuis une
époque très ancienne, est célèbre depuis le XIIe siècle. Celle du Puy-en-Velay
aurait une origine orientale. Rapportée de croisade par le roi Louis IX selon
la légende, on la connaît par une gravure qui la représente, mais elle a été
brûlée à la Révolution.

La Forêt-Noire
Le nom du massif montagneux de la Forêt-Noire (Schwarzwald
en allemand) évoque les divinités gauloises et celtes que ces
peuples imaginaient vivre dans les bois et qu’ils représentaient
comme des sylves noires. Abnoba ou encore Arduinna, latinisée
en Diane Arduenna, ou encore Vosegus : toutes ces appellations
renvoient à ces entités divines sombres attachées aux lieux
sylvestres. On y retrouve l’origine aussi du nom de la forêt des
Ardennes ou du massif des Vosges.

Deuil, mort et sorcellerie

La dimension négative du noir reste prédominante dans la symbolique


occidentale. Aujourd’hui encore, le deuil se porte en noir, couleur
qu’arborent les prêtres pour prononcer la messe des défunts. Les
expressions courantes ne manquent pas pour rappeler cette connotation de
tristesse. Nous avons les « idées noires », nous « broyons du noir » et la
mélancolie, étymologiquement parlant, est le fait d’avoir la bile noire…
Un jour funeste se trouve marqué d’une « pierre noire » depuis
l’Antiquité. Les pires jours du krach boursier de 1929 sont ainsi appelés le
« jeudi noir » (Black Thursday), le « lundi noir » (Black Monday) et le
« mardi noir » (Black Tuesday). En effet, le jeudi 24 octobre 1929, c’est le
début de la panique qui génère des émeutes dans l’enceinte de la bourse de
New York. Le lundi suivant, le 28 octobre, tout s’emballe sans que les
banques n’interviennent, et le mardi la perte est considérable : les
spéculateurs auraient perdu l’équivalent de dix fois le budget de l’État
fédéral américain…
La couleur noire peut aussi induire un jugement moral négatif lorsqu’on
évoque la noirceur de l’âme d’un individu. L’opacité de leurs projets et leur
élaboration dans l’ombre justifient aussi l’appellation de « chambre noire »
ou de « cabinet noir » qui s’applique à des officines politiques aux vues
secrètes, se livrant en particulier à l’espionnage des adversaires et à une
fouille sans scrupule de leur vie privée et de leur courrier. La reine
Élisabeth Ire d’Angleterre, Louis XIII et Napoléon Ier, pour prendre des
exemples historiques, y ont eu recours.
On appelle encore « veuve noire » des femmes qui se sont illustrées dans
l’histoire du crime. À l’origine, le terme désigne une espèce d’araignée dont
la femelle a pour réputation de tuer son partenaire mâle après
l’accouplement. Ainsi, la presse a volontiers donné le surnom de veuve
noire aux femmes qui avaient tué leur époux ou leur amant, et par extension
aux femmes tueuses en série comme Marie Alexine Becker, arrêtée en
Belgique en 1936 juste avant qu’elle ne commette son dix-septième
empoisonnement… Un film américain de Bob Rafelson de 1987 a même
repris cette expression pour en faire son titre, Black Widow.

La peste noire
La grande épidémie de peste bubonique qui a si tragiquement
frappé l’Europe au milieu du XIVe siècle en tuant plus de vingt
millions d’individus en seulement quatre à cinq ans est connue
sous le nom de « peste noire », ou « mort noire » depuis les
historiens du XVIe siècle. Le terme ne se réfère pas à des raisons
cliniques ou médicales, cet adjectif traduit plutôt le deuil continu
qui frappait les familles et l’horreur de cette pandémie.

Qu’il s’agisse de magie noire ou de messes noires, la présence du diable


se fait sentir quand on affiche cette couleur. La magie noire englobe toutes
les pratiques rituelles qui sont animées de mauvaises intentions, qu’il
s’agisse de porter malheur, d’entrer en contact avec des entités diaboliques,
ou d’invoquer des esprits à des fins égoïstes et personnelles. Bref, d’avoir
de mauvaises intentions et de prier plutôt Satan que Dieu pour arriver à ses
fins. Quant aux messes noires, elles font partie des cérémonies les plus
sacrilèges, consistant à inverser les usages traditionnels de la messe, à
profaner les rites pour nouer un pacte avec le diable au lieu de rendre grâce
à Dieu. La plupart des mages et des sorcières sont accusés de tels
agissements lors de leurs procès. Par opposition, la magie blanche, même si
elle est réprouvée en tant que superstition, cherche à agir pour répandre le
bien. Parfois, la limite est ténue et ne tient qu’à des nuances dans
l’intention…
Il en est resté certaines superstitions comme celle liée aux chats noirs qui
porteraient malheur. Le petit félin est censé être l’animal domestique de
prédilection des sorcières et la forme qu’elles affectionneraient
particulièrement quand elles ont recours à une métamorphose. Dans
certaines légendes locales, bretonnes ou occitanes, le chat d’argent, appelé
aussi matagot ou mandragot, est un chat noir qui sort chaque nuit chercher
des pièces d’argent pour le sorcier qui a obtenu ce service du Malin en
échange de son âme…

Le noir des polars

Film noir, roman noir… Ce sont les termes qui correspondent à la


classification des polars et des thrillers, en particulier américains. Ces
œuvres, traversées par des femmes fatales, des détectives sans scrupule et
volontiers alcooliques, mettent en scène un décor urbain assez glauque et
souvent nocturne. La violence et la menace en sont les ingrédients
principaux. Découvrant en particulier beaucoup de films de cette veine dans
la production hollywoodienne des années 1940, les critiques français
inventèrent l’expression de « film noir », qui passa ensuite dans la langue
anglaise. On peut penser à des films comme Le Faucon maltais (1941), de
John Huston, avec Humphrey Bogart, ou encore Le Grand Sommeil (1946),
de Howard Hawks, La Dame de Shanghai (1948), d’Orson Welles… Les
Européens ne sont pas en reste cependant, si on pense à Ascenseur pour
l’échafaud (1958), de Louis Malle, ou encore aux films de Jean-
Pierre Melville. Le film noir a conservé ses lettres de noblesse de part et
d’autre de l’Atlantique. Les titres sont innombrables, mais on peut tout de
même citer Le Dahlia noir (2006) de Brian de Palma, Brooklyn Affairs
(2019) de Edward Norton ou encore pour la France pratiquement toute
l’œuvre de Claude Chabrol. Atmosphère sombre, personnages mal
intentionnés, tout est noir…

La « Série Noire » ou la machine à fabriquer


des best-sellers
C’est en 1948 que commence l’épopée de la « Série Noire »,
collection éditoriale toujours active chez Gallimard. Amateurs de
romans policiers américains, comme ceux de Dashiell Hammett
ou de Raymond Chandler, Jacques Prévert et Marcel Duhamel
persuadèrent Claude Gallimard de se lancer dans l’aventure.
Prévert trouva le nom de la collection et l’ex-surréaliste
Marcel Duhamel traduisit les premiers titres. Depuis maintenant
plus de soixante-dix ans, avec presque trois mille titres parus, le
succès ne s’est jamais démenti, même si l’éditeur a pratiqué
régulièrement des refontes de maquette et plus récemment un
changement de format. Si la « Série Noire » reste fidèle aux
auteurs anglo-saxons, elle accueille également de nombreux
auteurs d’autres nationalités qui participent au renouveau du
genre, y compris français, bien entendu.

Le meilleur garant d’une morale austère

Paradoxalement, une longue tradition relie la couleur noire à la vertu et à


une forme de rigorisme. À la sortie du Moyen Âge, une révolution
culturelle met à l’honneur le noir : c’est l’extraordinaire invention de
l’imprimerie. Livres et gravures déterminent chez les lettrés un imaginaire
en noir et blanc, même si les enluminures peuvent rehausser les ouvrages
les plus précieux. Au même moment ou presque émerge une nouvelle
rigueur morale chrétienne, celle de la Réforme, initiée par Luther et Calvin.
Toute la symbolique de la religion protestante se construit autour du blanc,
du noir et du gris. Les autres couleurs, en particulier le rouge, trop sensuel,
se retrouvent bannies. La morale empreinte d’austérité se complaît dans les
couleurs sombres. Suite à la révolution industrielle qui se répand à partir de
pays protestants, l’essor de la bourgeoisie est aussi marqué par l’adoption
pour les hommes de tenues sombres, sans fantaisie. Costumes foncés,
chemises blanches, voilà les goûts des premiers capitalistes ! Plus tard, cette
tendance touche les véhicules à moteur : Henri Ford, créateur de la célèbre
marque américaine, refuse de produire sur ses chaînes de montage des
voitures d’une teinte autre que noire… C’est aussi une question d’élégance,
pour donner plus de valeur et une touche de sobriété raffinée à des créations
technologiques modernes. Ainsi, les premières machines à écrire, les
premiers téléphones, le matériel hi-fi se sont d’abord déclinés uniquement
en noir. Quant aux fameux stylos Mont-Blanc, symboles d’élégance sobre,
ils sont noirs avec une simple étoile blanche sur le capuchon.
Dans le vêtement, toute l’ambiguïté du noir se révèle : à côté des
smokings et tuxedos qui confèrent le plus grand prestige, on voit aussi les
blousons noirs représenter le signe de reconnaissance des loubards. Si
punks et gothiques arborent des tenues entièrement noires, leur pratique
cohabite avec les « petites robes noires » des créateurs de mode, depuis
Coco Chanel jusqu’à Sonia Rykiel, la plus célèbre étant celle que porte
Audrey Hepburn dans le film Breakfast at Tiffany (Diamants sur canapé),
dessinée pour elle par Hubert de Givenchy en 1961. Cette pièce unique,
vendue aux enchères en 2006, a dépassé les quatre cent mille livres sterling.
Sobriété et luxe font peuvent parfois faire le meilleur des ménages…
La morale peut toutefois devenir trop envahissante, en particulier en
matière d’éducation. Ainsi, la pédagogie noire est une forme très coercitive
d’apprentissage. Le père de cette méthode, Moritz Schreber, éducateur
allemand du XIXe siècle, avait mis au point de véritables appareils de torture
pour contraindre les enfants, et appliquait des bains d’eaux glacés aux
élèves récalcitrants… Mauvaises pratiques et morale austère se
conjuguèrent alors pour le pire. L’aîné de ses fils se suicida ; le troisième,
auteur d’un livre intitulé Mémoires d’un névropathe, fut étudié par Freud et
Lacan.

Les moines en noir ou en blanc ?


Selon les ordres, les moines arborent des vêtements de
différentes couleurs. Une querelle surgit au XIIe siècle entre les
bénédictins, qui portaient du noir en signe d’humilité et de
pénitence, et qui reprochaient aux cisterciens d’arborer une tenue
trop voyante d’un blanc immaculé. Ceux-ci répliquèrent que le
noir était la couleur de la mort et du péché, alors que le blanc
représentait la vertu et l’innocence. La controverse en resta là.

Malevitch et Soulages : le noir réinventé dans l’art

Le noir fait partie des pigments utilisés dès les temps préhistoriques dans
l’art rupestre. Brillant ou mat, il est présent dans toute l’histoire de la
peinture. Cependant, deux peintres en ont fait un usage très particulier.
D’origine ukrainienne, né à Kiev en 1879, Kasimir Malevitch est un
peintre et un sculpteur qui a marqué l’art moderne en créant un courant
intitulé le suprématisme (voir le chapitre sur le blanc). Intéressé par la
recherche sur les tableaux monochromes, il a peint en 1915 son œuvre
intitulée Quadrangle, un carré noir qui a fait couler beaucoup d’encre. Entre
spiritualité et canular, l’œuvre a suscité bien des réactions. Pas tout à fait
carrée, pas purement noire, est-elle le fruit du hasard lors d’un repentir du
peintre qui aurait barbouillé de noir une autre œuvre ? Ou au contraire
répond-elle à la fonction d’une icône ? Il s’agit en tout cas d’un geste
artistique de provocation futuriste. Lors de ses obsèques, selon les volontés
de l’artiste, une reproduction du tableau a accompagné Malevitch sur son
corbillard.
Mais pour le noir, c’est sans conteste Pierre Soulages (né en 1919) qui est
le peintre le plus célèbre. La légende dit qu’en 1931, le petit garçon de
douze ans rêve devant les grilles très sombres de l’abbaye romane de
Conques, grilles qui ont été forgées à partir de chaînes de bagnards évadés.
Pour lui, c’est désormais clair : art et liberté sont indissociables et le noir
devient sa couleur préférée à tout jamais. Il l’appelle volontiers « noir-
lumière », ou encore, à partir de 1990, « outrenoir » : « Au-delà du noir une
lumière reflétée, transmutée par le noir. Outrenoir : noir qui cessant de l’être
devient émetteur de clarté, de lumière secrète. Outrenoir : un autre champ
mental que celui du simple noir. » Pour lui, la couleur noire contient en elle
toutes les autres et détient ainsi une force de vie inépuisable. Il l’emploie
pour faire resplendir la lumière. Sa première toile noire monochrome est
Peinture 162 × 127 cm, 14 avril 1979, conservée au musée de Montpellier.
Dès lors, il ne travaille plus avec d’autres pigments, en jouant seulement
avec des effets de lumière. À la fin des années 1980, des commandes
publiques viennent marquer sa consécration : il fournit des cartons pour des
tapisseries, mais surtout, il s’attèle à la conception de 104 vitraux pour
l’abbaye de Conques, renouant ainsi avec ses premières émotions
esthétiques d’enfant.

De la naissance à la mort d’une étoile : la


théorie des trous noirs
En 1967, une jeune chercheuse anglaise, Jocelyn Bell, découvre
l’existence d’objets célestes émettant des ondes radio
discontinues. Lors de son séminaire, elle évoque même la
possibilité d’une entrée en contact avec une autre planète :
s’agirait-il de messages extraterrestres ? L’observation était juste,
mais pas l’interprétation, qui extrapolait trop. Cette découverte
connut cependant un grand retentissement, car elle renforçait la
thèse de l’existence de trous noirs (black holes) au sein de notre
galaxie.
Selon cette théorie, les étoiles naissent grâce à l’attraction
réciproque de molécules de gaz (principalement de l’hydrogène).
Ces molécules s’agrègent, provoquant une élévation de la
température. Sous l’effet de la chaleur, elles se déplacent de plus
en plus vite, s’entrechoquant violemment. Ces chocs provoquent
une réaction nucléaire, ce qui fait briller l’étoile. Mais cette
lumière n’est pas éternelle. Une fois la totalité de l’hydrogène
consommée, l’étoile se refroidit et sa matière se contracte peu à
peu. Son pouvoir d’attraction devient alors si puissant qu’elle est
capable d’absorber tous les rayons lumineux qui lui parviennent.
À cause de son extrême densité, l’étoile en fin de cycle ne
renvoie pas ces rayons. Comme aucune lumière ne peut plus
s’échapper, il s’agit désormais d’un trou noir.
Puisque les trous noirs échappent pratiquement à l’observation,
comment peut-on apporter la preuve de leur existence ? Les
astrophysiciens observent fréquemment deux étoiles tournant
l’une autour de l’autre sous l’effet de la gravité. Mais ils repèrent
parfois une seule étoile qui suit un mouvement identique, avec un
compagnon invisible : ils supposent alors qu’il se trouve un trou
noir. En 2019, les chercheurs ont cependant pu publier la
première image d’un trou noir, celui qui se trouve au cœur de la
galaxie Messier 87.
LE NUANCIER
Aile de corbeau
Aubergine
Bistre
Brou de noix
Café
Cassis
Charbon
Dorian
Ébène
Jais
Noir
Noir animal
Noiraud
Noir d’aniline
Noir de carbone
Noir d’encre
Noir d’ivoire
Réglisse
CONCLUSION
Les couleurs font le sel de la vie et nous ne pouvons imaginer un monde
où tout serait uniforme. Parfois, on vous pose la question : est-ce que vous
rêvez en couleurs ? La vraie réponse à faire est bien plutôt : mais comment
pourrais-je rêver sans les couleurs ?
Même si nous avons nos préférences, nous savons bien que notre humeur
conditionne aussi notre manière d’appréhender les couleurs. Nous espérons
que ce livre vous permettra de faire des choix en pleine connaissance de
cause et d’adopter les couleurs qui vous apportent le plus de bien-être, qui
s’harmonisent le mieux avec vos états d’âme et votre caractère, pour vous
aider à exprimer grâce à leur langage secret toute la force de votre
personnalité.
Sommaire
1. Introduction
2. Le blanc
3. Le nuancier
4. Intermède
5. Le gris et l’argent
6. Le nuancier
7. Intermède
8. Le vert
9. Le nuancier
10. Intermède
11. Le brun
12. Le nuancier
13. Intermède
14. Le jaune
15. Le nuancier
16. Intermède
17. Or et orangé
18. Le nuancier
19. Intermède
20. Le rouge
21. Le nuancier
22. Intermède
23. Le rose
24. Le nuancier
25. Intermède
26. Le bleu
27. Le nuancier
28. Intermède
29. Le violet
30. Le nuancier
31. Intermède
32. Le noir
33. Le nuancier
34. Conclusion
Landmarks
1. Cover

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