A - Taillefait Déontologie Des Fonctionnaires

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Déontologie

DÉONTOLOGIE DES FONCTIONNAIRES ET


PRINCIPES DU SERVICE PUBLIC DE L'ÉDUCATION NATIONALE

Antony TAILLEFAIT
Maître de conférences à l’université d’Angers
Chargé d’enseignement à l’École supérieure de l’éducation nationale

ESEN, mars 2006

La déontologie est un concept fédérateur de la fonction publique, autour duquel se construit une communauté
d’appartenance, d’intérêts et d’objectifs. Une lecture un peu exercée de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et
obligations des fonctionnaires 1 dégage un tréfonds de principes et valeurs communes. Si d’autres éléments
externes à cette loi sont introduits, le constat est celui d’une fonction publique fondée sur un équilibre de droits
et de devoirs moins simple qu’il peut paraître. Depuis 1946 et le premier grand statut démocratique de la
fonction publique, la conception de la fonction publique est passée par la reconnaissance de la singularité de
chacun, dans son corps et cadre d’emploi d’appartenance, mais aussi par l’adhésion à des valeurs communes
sur lesquelles repose la vie professionnelle et sociale de cette collectivité humaine. Il apparaît immédiatement
que cette fonction publique ne saurait être définie à partir des seuls textes juridiques qui fixent ses droits. Elle
évoque une réalité plus hâlée et plus profonde qui touche aux racines mêmes de l’identité de fonctionnaire, à la
fois individuelle et collective. La fonction publique est certes en droit un statut, mais elle est aussi un statut à
portée déontologique en ce sens qu’elle est plus ou moins intériorisée par chacun au terme d’un processus
d’apprentissage qui fixe non seulement les modalités d’appartenance au groupe mais qui prépare au service de
la collectivité nationale.

Le sentiment d’appartenance a été abondamment étudié par la science administrative, qui a parfois décelé
dans cette communauté la forme achevée du phénomène bureaucratique 2 . La formation et la mobilisation pour
la réalisation du service au public l’a été beaucoup moins ; le phénomène bureaucratique étant censé, selon les
analyses majoritaires, travestir les objectifs professionnels de la fonction publique 3 .

L’inflexion en cours de notre modèle de fonction publique 4 et l’apparition des premiers linéaments d’une
"nouvelle fonction publique" montrent qu’une conception, ou plus modestement une vision nouvelle de notre
fonction publique, tend à apparaître, dont on croit déceler un indice capital dans le développement des
préoccupations déontologiques et leur conceptualisation. Un tel développement est indexé sur les mutations de
l’État et de la société post-modernes. Dans ce contexte, le sens du service public du fonctionnaire est interrogé
(I) et les conditions du service de l’intérêt général sont transformées (II). Dans le but de fournir des repères et
d’obtenir une forte mobilisation des fonctionnaires, les valeurs du service public sont alors avancées (III).

1
Titre I du statut général de la fonction publique.
2
v. par ex. : M. Crozier, Le phénomène bureaucratique, Seuil, 1964; N. Grandguillaume, Théorie générale de la bureaucratie, Économica
1996. Pour une critique différente : P. Bourdieu, Les juristes, gardiens de l’hypocrisie collective, dans F. Chazel et J. Commaille (Dir.),
Normes juridiques et régulation sociale, LGDJ, coll. "Droit et société", 1991, p. 95.
3
v. M. Crozier, La crise de l’intelligence. Essai sur l’impuissance des élites à se réformer, InterEditions, 1995, notamment p. 79 et s.
4
v. Conseil d’État, Perspectives pour la fonction publique, Rapport public 2003, Études et documents du Conseil d’État n° 54, Doc. Franç.
2003 ; Colloque, Perspectives pour la fonction publique, Revue administrative (Rev. adm.). 2004, n° 340, p. 415 et s.

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I – Déontologie du fonctionnaire et sens du service public

L’appréciation du sens du service public d’un fonctionnaire est effectuée par rapport à la connaissance et au
respect de ses obligations. Celles-ci sont exposées dans le titre I du statut général de la fonction publique, mais
pas seulement 5 . Elles sont de nature juridique et déterminées par rapport au droit disciplinaire de la fonction
publique. À l’expérience, cette approche est trop partielle. "L’ensemble de ces devoirs constitue plus qu’un
simple catalogue d’obligations juridiques qui s’imposent aux agents publics et dont la hiérarchie doit s’assurer
du respect" 6 . Il forme un véritable code de bonne conduite de la fonction publique, dont les valeurs servent de
guide d’action aux chefs de services quel que soit leur rang. Or, ces préoccupations déontologiques dans la
fonction publique sont aujourd’hui vivifiées pour plusieurs raisons.

A – Actualité et actualisation de la déontologie des fonctionnaires

1. La déontologie est en effet un thème d’actualité. La presse s’intéresse aux nombreux faits mettant en
cause le respect des règles déontologiques par les fonctionnaires. Précisément, ils sont pris dans la tourmente
de la crise de la représentation politique dont témoigne la prolifération des "affaires", mais aussi l’altération des
médiations entre citoyens et représentants. Ils sont ainsi au cœur de la "judiciarisation" de l’action publique qui
consiste à rechercher non seulement les responsables mais surtout les coupables de fautes ; la responsabilité,
en droit, devient moins objective et retrouve ainsi une fonction de moralisation. C’est d’ailleurs cette
"judiciarisation" qui stimule la réflexion déontologique. L’ébranlement du lien citoyen n’est pas propre à la
France. En 1999, le médiateur européen, par exemple, a proposé à la commission européenne un code de
bonne conduite administrative.

Les préoccupations déontologiques dans la fonction publique sont ensuite la traduction d’un mouvement de
fond qui met en avant le besoin d’éthique dans la société 7 et le besoin de déontologie dans l’exercice de
nombreux métiers (activités financières, d’expertise, etc.) 8 , la valeur monétaire des choses et des êtres n’ayant
jamais fait la valeur morale des individus et de leurs actes 9 . Ce besoin est aussi celui de la fonction publique. Il
trouve sa source, chez elle aussi, dans la morale républicaine confrontée au mercantilisme des sociétés post-
modernes 10 .

2. Les exigences de déontologie de la part du fonctionnaire ne s’expriment pas seulement par l’énoncé
pratique des devoirs professionnels. Elles sont plus subtiles.

Dans la fonction publique, l’utilisation du terme de déontologie est inhabituelle. Elle est le fait des ordres
professionnels, surtout, qui ont élaboré des codes de déontologie, véritables sources du droit de ces
professions. Un peu de la même façon, il est certain qu’au delà des droits et obligations définis par la loi, un
fonctionnaire doit se déterminer quotidiennement dans ses activités faites parfois d’imprévisibles et souvent
d’imprévus. Pour se situer au quotidien, pour assumer au jour le jour ses responsabilités et ses missions, il doit
pouvoir s’appuyer sur un corpus de valeurs, de principes et de règles qui vont guider son action. Cela a été dit,
s’il n’a pas à l’esprit ces valeurs, les usagers-citoyens lui demanderont certainement des comptes. Ils mettront

5
v. J.-M. Auby, J.-B. Auby, D. Jean-Pierre et A. Taillefait, Droit de la fonction publique. État. Collectivités locales. Hôpitaux, Dalloz, coll.
"Précis", 2002, p. 290 et s.
6
L. Fougère, La fonction publique. Études et choix de textes commentés, Institut International de Sciences administratives, 1966, p. 293.
7
v. J. Habermas, L’Avenir de la nature humaine ? Vers un eugénisme libéral ?, Gallimard, coll. NRF essais, 2002.
8
v. V. Cabrol, Déontologie et droit. Contribution à l’étude des rapports entre ordres normatifs, L’Harmattan, 2004.
9
Malgré ce qui peut être dit ici où là : L. Desmedt, Avoir pour être, Le Monde 18 oct. 2003, p. 15, qui écrit que "toute valeur humaine se
mesure à l’aune des rétributions reçues"…
10 e
Sur la formalisation de la morale républicaine au début de la III République : v. A. Taillefait, La déchéance des parlementaires, Revue de
droit public (RD publ.), 2001, p. 157 et s.

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probablement en œuvre les dispositions de l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui
demande que soient appréciés vertu et talent des serviteurs de la société 11 .

Le terme déontologie dérive de deux mots grecs (deon et logos) qui renvoient au discours sur le devoir et à
l’explication de ce qui convient. Dans déontologie, il y a aussi ontologie et l’étude de la déontologie des
fonctionnaires conduit effectivement à s’interroger sur la nature des missions du fonctionnaire, sur sa
philosophie professionnelle et sur les comportements que l’on attend de lui 12 . La déontologie d’un fonctionnaire,
c’est davantage que le respect d’obligations juridiques, c’est aussi, et peut être avant tout, une certaine
ontologie professionnelle, un devoir-être de praticien de et dans l’administration. Elle introduit dans la pratique
professionnelle une ontologie relationnelle et cybernétique. Le fonctionnaire prend alors en considération son
environnement pour mettre en œuvre les règles, principes et prescriptions qui s’adressent à lui. Il connaît la
logique juridique pyramidale, hiérarchique et prescriptive de son cadre d’action mais il la met en œuvre dans un
contexte. La déontologie du fonctionnaire est alors une grammaire. Elle est du droit, mais, pour certains de ses
aspects, elle est un "droit doux", c’est-à-dire un droit dépourvu d’une force juridiquement contraignante. Un droit
aussi parfois "adaptable" en fonction des contextes professionnels.

Certains auteurs distinguent l’éthique de la déontologie, d’autres ne le font pas 13 . Peut-être peut-on proposer,
par commodité, de distinguer l’éthique personnelle de la déontologie professionnelle 14 .

La première est constituée par l’ensemble des valeurs auquel croit un individu ; valeurs que lui ont inculqué son
éducation familiale, son enseignement religieux et son parcours scolaire. À ce titre, l’éthique religieuse
s’enseigne. Il y a des écoles pour cela. Mais du point de vue du fonctionnaire, il lui appartient d’effectuer une
mesure des rapports entre son éthique personnelle et sa déontologie professionnelle 15 .

La déontologie, elle, est l’ensemble des règles qui régissent une profession, qui guident la conduite de ceux qui
l’exercent. Dans la fonction publique, ces règles résultent de la loi et du règlement, des instructions
ministérielles ou des chefs de service. Elles s’inspirent des valeurs du service public. Bien que très largement
communes à l’ensemble de la fonction publique 16 , elles peuvent être dans la pratique sensiblement différentes
d’un service à l’autre.

Dans une certaine mesure, il existe des déontologies des fonctionnaires. En effet, s’il faut dégager un socle
commun de principes déontologiques, d’autres principes, d’autres formes de mise en œuvre caractérisent
souvent chaque administration. Cela n’est que la traduction du jeu des sous-systèmes de l’État, de plus en plus
différenciés par les politiques publiques, évolutifs dans des conditions qui leur sont propres (économie, marchés
financiers, milieu scolaire, domaine de la santé publique, etc.). Chaque sous-système ainsi isolé produit sa
rationalité spécifique. Avant de fixer une norme (modalités du port du foulard religieux dans les écoles, par ex.),

11
Il dispose : "la société a le droit de demander des comptes à tout agent de son administration". L’obligation de rendre des comptes est
aussi une obligation de rendre des comptes aux élus ; ce qui caractérise le service public. L’obligation est personnelle, on parlera
d’accountability chez les anglo-saxons.
12
v. R.V., Pour une philosophie de l’administration, Rev. adm. 2003, n° 312, p. 624 ; R. Catherine et G. Thuillier, Introduction à une
philosophie de l’administration, A. Colin, 1969.
13
Sur ce point v. D. Jean-Pierre, L’éthique du fonctionnaire civil. Son contrôle dans les jurisprudences administrative et constitutionnelle
françaises, Dalloz, Biblio. Droit public, T. 202 ; A. Garapon, dans Ch. Join-Lambert (dir.), L’État moderne et l'administration, éd. LGDJ
1994, coll. "Système".
14
Pour sa part, D. Jean-Pierre (précité, p. 25) préfère utiliser le terme d’éthique professionnelle. La déontologie est essentiellement
élaborée par les professionnels du milieu concerné alors que l’éthique professionnelle, appliquée, "repose avant tout sur des principes,
dont la vocation est générale, et n’est pas pour autant l’affaire de spécialistes". Elle "traduit, incontestablement, une recherche de repères
et tend à définir les valeurs qui s’imposent au professionnel".
15
Un fonctionnaire, à titre d’illustration, peut appartenir à des réseaux d’entraide et de connivence : réseaux religieux, culturels, politiques,
syndicaux. Si on confronte la déontologie du fonctionnaire avec son appartenance à ces réseaux, on constate parfois des conflits
d’intérêt. "Or, c’est [parfois] la pire des choses, écrit A. Garapon, (précité, revue Esprit, 1999, p. 100), car on prétend à l’universel alors
qu’on est sous influence". v. L. Helmlinger, L’appartenance d’un fonctionnaire de l’Éducation nationale à un mouvement réputé sectaire
est-il constitutif d’une faute susceptible de poursuites disciplinaires ?, Lettre d'information juridique du ministère de l’Éducation nationale
(LIJMEN) 45/2000, p. 33. Sur la "maçonnerie affairiste" : v. Le Monde du 9 oct. 1999 ; CE, 6 nov. 2002, Wargniez, req. n° 225341,
Recueil des décisions du Conseil d’État (Rec. CE), revue Actualité juridiques droit administratif (AJDA) 2002, p. 1443, chron. F. Donnat et
D. Casas. Sur l’Opus dei : v. Le Monde, 3 nov. 2000 et H. Tincq, Opus Dei, l’avant-garde de Dieu, Le Monde, vendredi 4 oct. 2002, p. 13.
16
J. Rivero, Une déontologie de la fonction publique, revue Projet 1989, n° 220, p. 33.

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une concertation est menée. Dans l’application de la norme, des objectifs propres sont recherchés. Ainsi, le
droit du monde scolaire ne s’alimente plus au foyer unique de l’État démocratique, mais s’abreuve à des
sources multiples (règlement intérieur des écoles, "contractualisation" des rapports élèves-écoles ; contrat de
sécurité 17 , etc.). Ce droit du système éducatif est de plus en plus autorégulé, sous l’effet de la décentralisation,
de la déconcentration, de la contractualisation. Si le contrat (vrai ou faux au sens où l'entendent les juristes
positivistes) est l’instrument par excellence de cette autorégulation, la déontologie est une autre forme de celle-
ci. Un "ordre régulatoire" spécifique à la fonction publique scolaire se met alors en place.

L’appréciation des qualités du fonctionnaire à la base de la déontologie est alors indispensable.

B – Spécificité et spécification de la déontologie des fonctionnaires

L’appréciation de la vertu et du talent du fonctionnaire à la base de la déontologie exige de se pencher sur sa


spécificité.

1. Il faut rappeler qu’il est dans une situation particulière 18 .

Il est au service d’un pouvoir exécutif à qui il doit obéissance et loyauté, l’axe essentiel du fonctionnement de
l’administration étant le principe hiérarchique. Mais il faut constater que l’obéissance a ses limites – le droit de
retrait, la prohibition du harcèlement, ou encore la légalité et l’intérêt public, etc. 19 –, limites qui ne sont pas
exclusivement juridiques – introduction d’une dose de contractualisation dans les relations administrations-
fonctionnaires (projet de service, lettre de mission, etc.).

Un fonctionnaire est aussi un serviteur de la République. Il est au service des exigences de la démocratie et
notamment il doit être à l’écoute des citoyens, prêter une attention particulière aux apprentis citoyens que sont
les élèves et les étudiants, par exemple. En ce sens, il est une interface essentielle pour l’exercice des libertés
publiques et la protection des droits fondamentaux.

Du point de vue des moyens qui lui sont confiés, il est à la source de normes. Il est créateur d’obligations,
surtout s’il a la qualité de cadre. Or son pouvoir de création normative est en voie d’accroissement à mesure
que la loi ou le règlement se font moins prescriptifs. En même temps, les obligations qu’il impose aux usagers
ou à ses collaborateurs sont de plus en plus "négociées" avec leur destinataire 20 ; l’unilatéralité de l’action
publique cède la place de plus en plus à l’action publique concertée. L’élaboration de la loi sur le port de signes
religieux à l’école illustre cela. La force de la règle juridique ne tient plus à la force obligatoire qui lui serait
intrinsèque. Elle dépend aujourd’hui du consensus dont elle est entourée, consensus qui implique que les
destinataires soient associés à son élaboration. C’est ce phénomène qu’illustre aussi la multiplication des
colloques et débats sur l’école avant l’élaboration d’un texte relatif au système éducatif. J. Habermas 21 qualifie
ce phénomène de "politique délibérative" qui marie la communication, la discussion et la négociation. Non
seulement les différents groupes d’intérêt sont associés, mais la participation directe du public est sollicitée ;
étant entendu que cette concertation, dans une société médiatique, est aussi une formidable mise en scène de
l’action publique (la construction du droit devient spectacle). À cela s’ajoute que la "loi concertée", souvent,
indiquera des objectifs qu’il faudrait atteindre et proposera des directives que chaque service et agent sont
invités à suivre. La règle devient recommandation et ouvre ainsi un espace d’initiative et de responsabilisation,
le droit applicable est alors non prescriptif 22 . Il promeut, sensibilise, incite, planifie ou décourage certaines
conduites.

17
v. aussi : A. Taillefait, Les conventions relatives à la gestion mutualisée de certaines catégories d’agents de l’Éducation nationale, dans J.
Fialaire (Dir.), Les contrats et le système éducatif, L’Harmattan, 2004.
18
On reprend ici la trame de la démonstration faite sur ce point dans La déontologie des fonctionnaires, Cah. fonct. publ., suppl. annuel,
déc. 1997.
19
v. J. Mekhantar, Le devoir de résistance du fonctionnaire depuis 1946, AJDA 2004, p. 1681.
20
v. F. Ost, Le rôle du droit : de la vérité révélée à la réalité négociée dans Les administrations qui changent, PUF, 1996, p. 73.
21
Après l’État-nation. Une nouvelle constellation politique, Fayard, 1998.
22
v. J.-B. Auby, Prescription juridique et production juridique, RD publ. 1988, n° 3, p. 673.

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2. Serviteur à la fois de l’exécutif et des citoyens, et au surplus producteur de normes, la situation


particulière de ce fonctionnaire a de nombreuses conséquences, dont deux d’entre elles sont particulièrement
importantes. Son recrutement est soumis à des règles spécifiques et ses modalités d’avancement également,
règles parmi lesquelles le concours joue un rôle primordial. Ses actes et ses fonctions font l’objet d’une
régulation spécifique. Elle est assurée par un arsenal d’obligations : de loyauté, de réserve, de discrétion, de
dignité, etc. Leur cohérence prend forme au point que "la déontologie devient un véritable mode de régulation
qui permet de créer un autocontrôle collectif" 23 au sein de l’administration, entre les fonctionnaires eux-mêmes,
entre les fonctionnaires et les usagers.

Si on enseigne l’éthique ou les éthiques dans les écoles religieuses ou philosophiques, peut-on enseigner la
déontologie, inculquer les préceptes déontologiques de la fonction publique ? Pour répondre à cette question, il
est indispensable de concilier la nécessité de respecter une certaine morale et la difficulté de l’intérioriser et de
l’enseigner. Concrètement, il faut porter une attention constante aux candidats fonctionnaires, aux
fonctionnaires élèves ou stagiaires et aux fonctionnaires placés sous l’autorité d’un chef de service. Le but de
cet enseignement est d’inculquer le sens du service public. Il peut le faire à plusieurs niveaux.

Au niveau du concours tout d’abord. Les emplois publics sont ouverts à tous les citoyens et il est ainsi possible
de faire la part de l’excellence. En revanche, il est très difficile de faire le départ entre les candidats ayant le
sens du service public et ceux attirés par l’appât du prestige supposé de la fonction ou ceux tentés par la
stabilité de l’emploi. C’est certainement au niveau des oraux, et notamment du "grand oral" des concours, que
l’on peut développer cette préoccupation. Cela dit, si on admet une hybridation entre les valeurs de l’entreprise
et celle du service public (v. plus bas), il est alors possible d’établir un critère de recrutement fondé sur la
nécessité de lutter contre l’exclusion comme les pouvoirs publics souhaitent le faire avec le PACTE (parcours
d’accès aux carrières territoriales et de l’État), ou encore de prévoir des voies de recrutement ad hoc pour les
"seniors" dont le secteur privé n’a plus besoin 24 .

La déontologie est aujourd’hui enseignée dans quelques écoles de fonctionnaires. Elle fut enseignée à l’E.N.A.
par le conseiller d’État Christian Vigouroux afin d’identifier les pièges liés aux rapports entre les sphères
publiques et privées. À côté de la formation initiale, elle fait l’objet de formations continues qui visent à opérer
une prise de conscience des agents et une définition des règles de conduite afin qu’ils puissent, en contrepartie,
être mieux protégés (ministère de l'Éducation nationale, préfecture, communauté urbaine de Strasbourg 25 , etc.).
Parce que l’importance et l’évolution de la déontologie dans l’administration sont aux prises avec les mutations
de l’État, elle est ré-interrogée à la lumière de la démarche managériale (v. plus bas). Le rapport de la
commission présidée par Yves Cannac sur "La qualité dans les services publics" 26 préconise à son tour une
réflexion approfondie des services et des établissements publics sur les "valeurs professionnelles de chacun". Il
suggère alors de revoir la fonction managériale et de créer un "institut du management public" dans lequel les
valeurs professionnelles seraient enseignées.

Après le concours et la période de formation, à un troisième niveau, celui du service administratif, il revient au
chef de service de s’assurer du respect des préceptes déontologiques et de développer le sens du service
public, notamment dans le cadre des projets de services ou encore au moment de la notation-évaluation. Bien
qu’en voie d’élargissement, la marge de manœuvre est réduite. Au quotidien, la responsabilité des supérieurs
hiérarchiques dans l’apprentissage de la déontologie s’exprime simplement. Elle s’exprime en termes de
confiance, en termes d’organisation ; toute dégradation des conditions de travail provoque de fortes
démobilisations du personnel. Elle s’exprime aussi en termes d’exemplarité. Un chef de service est exemplaire
dans son comportement, par sa ponctualité, par son refus d’utiliser les moyens du service à des fins
personnelles, par son souci de l’équité et une réelle perception de l’égalité, etc.

23
L. Engel et A. Garapon, La fonction publique saisie par le droit, Esprit 1999, p. 106.
24
v. J.-P. Jourdain, Le Pacte : un nouveau mode d’accès à la fonction publique pour favoriser l’intégration sociale, Cahiers de la fonction
publique (Cah. fonct. publ.) n° 237, sept. 2004, p. 21 ; v. aussi revue Actualités juridiques droit administratif (AJDA) 2004, p. 1005 et
1388.
25
v. Cah. fonct. publ. sept. 2002, p. 24 : l’apprentissage de la déontologie est un enjeu majeur pour les agents de catégorie C et D et la
façon de le mettre en place est au cœur d’une véritable réflexion, notamment méthodologique et pédagogique.
26
Doc. franç. 2004.

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Les qualités, le sens du service public, devraient être appréciés dans les concours et dans la carrière. Mais
pour cela, il est indispensable de tenter de déterminer la teneur de la déontologie du fonctionnaire. Cela peut
être fait en confrontant cette déontologie aux principes du service public, notamment celui de l’Éducation
nationale.

3. Les principes traditionnels du service public ont été mis en place, depuis longtemps, par la doctrine du
service public 27 : égalité, continuité et adaptabilité. Pour l’Éducation nationale, ils sont complétés ou illustrés
par d’autres principes tels par exemple la neutralité ou encore la gratuité. Les obligations du fonctionnaire sont
aussi précisément énumérées par la loi : neutralité, obligation de réserve, exercice à temps complet de la
fonction, probité, etc. Cependant, cet équilibre juridiquement effectué a été renouvelé. L’État a complété sa
fonction régalienne traditionnelle par une fonction régulatrice au plan social et économique, fonction aujourd’hui
travaillée par la globalisation. Le service public a alors évolué : après avoir étendu son empire, il marque
aujourd’hui le pas. Les règles déontologiques des agents du service public ont dans une certaine mesure suivi
ce mouvement de flux et de reflux. Les relations de l’entreprise avec le service public, notamment de
l’Éducation nationale, sont des exemples (cf. le rôle des organisations professionnelles dans la détermination
des programmes, le développement du principe de neutralité commerciale de l’école, etc.). Les mutations des
fonctions assignées à l’école est un autre exemple. L’école de Jules Ferry avait confié au système éducatif une
fonction de transmission du savoir à une certaine élite. L’école aujourd’hui doit non seulement enseigner mais
éduquer tous les enfants. Elle est à la fois un vecteur de transmission des valeurs de la République (laïcité,
civisme, respect d’autrui, …) mais aussi un lieu de socialisation, parfois unique. Un substitut à la famille par
exemple. Face à ces nouvelles attentes sociales, les comportements attendus des agents publics sont devenus
différents.

L’évolution des objectifs dévolus au service public bouleverse les devoirs des fonctionnaires. Reste que,
comme le rappelle Ch. Vigouroux 28 , le premier devoir de celui-ci est d’assurer la primauté de l’intérêt général.
Primauté de l’intérêt général sur les intérêts particuliers, sur les intérêts corporatistes, sur l’intérêt personnel. En
effet, comme toutes les organisations, le fonctionnement de l’État implique des valeurs de référence. La
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen affichée dans les mairies, les commissariats ou certaines
classes, la devise de la République inscrite aux frontons des édifices publics et notamment de certaines écoles,
ont pour fonction de rappeler le devoir de civisme. Dans la fonction publique, la première des valeurs
républicaines, la première de ces références est l’intérêt général. Aussi le fonctionnaire a-t-il l’obligation de
respecter et de mettre en œuvre l’intérêt général. Mais la façon dont il le fait est vivement critiquée.

II – Déontologie du fonctionnaire et primauté du service public

Le fonctionnaire a la charge d’un service public, il est au service de l’intérêt général. On sait, en effet, que le
critère juridique essentiel du service public est l’intérêt général 29 . C’est ce qui explique que les éléments
constitutifs de la déontologie administrative sont à la fois définis et appliqués en référence à lui. Cette finalité
distingue la déontologie de l’action administrative et des fonctionnaires des activités privées en général et des
activités réglementées en particulier (professions libérales, officiers publics, etc.) dont la finalité est pour les
premières la poursuite (éthique ?) du profit et pour les secondes le service du client ou du patient ainsi que les
relations avec les confrères. C’est pourtant par rapport à cette dernière référence, l’entreprise, que la direction
indiquée aux fonctionnaires par l’intérêt général est l’objet de vives critiques.

27
v. J. Chevallier, La place du service public dans l’univers juridique contemporain, dans L. Rouban (Dir.), Le service public en devenir,
L’Harmattan, 2000.
28
Déontologie des fonctions publiques, Dalloz, "Connaissance du droit", 1995, p. 71 et s.
29
v. le Chapitre 1 de l’ouvrage Grands services publics de J.-F. Lachaume et de C. Boiteau et H. Pauliat, Armand Colin, 2000 qui est intitulé
"Le service public est une activité d’intérêt général", p. 15.

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A – La recherche du service public 30

1. Un fonctionnaire pourrait dire que l’intérêt général est pour lui une notion vague, une notion réservée
aux philosophes et aux idéologues. Il aura raison dans une certaine mesure. Une approche marxiste, par
exemple, montrerait sans trop de difficultés que l’intérêt général est défini par une oligarchie qui d’abord fait
primer ses intérêts avant ceux du plus grand nombre. L’intérêt général se réduit alors à une simple tentative de
"justification idéologique" des politiques publiques. Cette question intéresse le citoyen qu’est aussi un
fonctionnaire. Mais, et pour faire vite, elle ne concerne pas le fonctionnaire es qualité. Le juriste dira que l’intérêt
général est une véritable notion juridique, c'est-à-dire "un point de rencontre entre une réalité sociale et un
régime juridique" 31 . Une fois devenu une notion juridique, l’intérêt général s’impose au fonctionnaire et il
s’impose à lui à plus d’un titre.

Il s’impose à lui en premier lieu parce que l’État est le garant de l’intérêt général, défini par le législateur et que
sa mise en œuvre échoit à l'administration, sous l’autorité du gouvernement et sous le contrôle du juge.

L’intérêt général, en second lieu, est souvent formalisé et institutionnalisé en service public. Il est alors capital
pour un fonctionnaire de savoir pourquoi et comment est engagé un tel processus. À certains égards, il s’agit de
la sorte de définir les missions assignées au service public. Par exemple, il est d’intérêt général que nos enfants
soient éduqués et formés. Mais est-il de la mission de l’enseignement d’éduquer et d’enseigner ? Doit-il faire
l’un ou l’autre ou doit-il faire les deux ? Ces deux missions relèvent de l’intérêt général mais sont-elles toutes les
deux des missions du service public ? Pour l’instant c’est moins la réponse à la question qui nous intéresse que
la façon d’y répondre. Autrement dit, après avoir identifié l’intérêt général, il faut qualifier le service public.

2. L’identification de l’intérêt général est un processus démocratique révélateur de l’évolution de nos


sociétés. Sa représentation est en corrélation étroite avec les mutations de l’État contemporain.

Selon notre droit, afin qu’une activité soit placée sous le régime du service public, elle doit correspondre à un
intérêt général. Cela dit, "intérêt général" n’est pas a priori une notion très juridique ni très opérationnelle,
puisqu’elle implique un jugement de valeur ou, tout au moins, une évaluation de caractère sociologique ou
même politique. Elle est variable dans le temps et l’espace. Un économiste dirait que toute activité
professionnelle non délictueuse est une activité d’intérêt général. Lorsqu’elle rencontre une demande solvable,
elle correspond à un besoin de la population. Une entreprise, par exemple, en développant ses activités,
poursuit des intérêts qui lui sont propres mais, en s’enrichissant, elle assure le niveau de vie de notre société.
Dans ce sens, on peut se demander si l’intérêt général n'a jamais été le monopole de l’État. Celui-ci a
davantage été caractérisé, et continue à être caractérisé, par la poursuite d’un intérêt général sacralisé qui est
avant tout l’activité de service public. Autrement dit, une fois l’intérêt général identifié, il n’y a pas
nécessairement un service public. En effet, dans une démocratie, il revient aux élus de trancher, parmi tous les
besoins sociaux, quels sont ceux dont la satisfaction mérite de se voir reconnaître la dignité de "service public".
32
La puissance publique, face à l’intérêt général, a trois possibilités .

Première possibilité, elle peut considérer que l’intérêt général est convenablement satisfait par l’initiative privée
et dans ce cas elle la laisse s’exercer, elle n’intervient pas. Cette posture est depuis quelques années au cœur
des débats politiques sur les missions de l’État. La réflexion sur le périmètre de l’État est en pleine
effervescence. Les condamnations du "trop d’État" 33 , les diatribes sur "le rejet de l’État" 34 sont aujourd’hui des
questions de premier plan. Elles animent le débat sur l’activité financière de l’État. La problématique de la

30
Sur ce point : v. J.-M. Pontier, L’intérêt général existe-t-il encore ?, revue Dalloz 1998, chron. pp. 327-333.
31
Conseil d’État, Rapport public 1999, L’intérêt général, Doc. franç., 1999, p. 271.
32
ce raisonnement est emprunté à M. Rougevin-Baville, R. Denoix de Saint-Marc et D. Labetoulle, Leçons de droit administratif, Hachette
supérieur, 1989, p. 216.
33
v. pour une étude récente : Claudius Brosse (ancien préfet), L’État dinosaure, Albin Michel, 2000 où l’auteur écrit qu’"il est urgent de
réformer un État devenu pléthorique".
34
v. par ex. J.-F. Revel, Le rejet de l’État, Plon, 2001.

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Déontologie

réduction des impôts et des dépenses publiques 35 renvoie notamment à la stigmatisation du "mammouth" de
l'Éducation nationale. La "marchandisation" de la validation des acquis de l’expérience est aujourd’hui une
question débattue. Il y a quelques années, elle n’aurait même pas été soulevée.

À cela s’ajoute que la légitimité de l’État à satisfaire l’intérêt général est contestée. L’intérêt général a été
suppléé par le thème de l’efficacité. L’État est-il efficace lorsqu’il fait ? Inefficace, il devient illégitime pour faire.
L’administration n’est plus légitime en soi. Elle doit être jugée comme telle par les destinataires de ses actions.
Une des questions alors à résoudre est de savoir si elle est la plus efficace pour réaliser l’intérêt général.
L’administration est en effet confrontée à des problèmes identiques à ceux des entreprises : accélération des
mutations technologiques ; concurrence d’autres systèmes ; recherche de gain de productivité ; exigences plus
grandes des usagers-clients ; aspiration des personnels à davantage d’initiative et de responsabilités sous le
double effet de l’individualisme et du consumérisme. La question du nombre des fonctionnaires est mise au
regard de l’efficacité du service. Dans ce contexte, les résultats scolaires des élèves sont mesurés en fonction
des dépenses publiques engagées et la comparaison avec d’autres États n’est pas à l’avantage du système
éducatif français. Mais il faudra y revenir, l’efficacité de l’administration et de ses agents s’apprécie par rapport
36
au niveau de réalisation des objectifs fixés par les élus . Reste que, comme dans de nombreux secteurs, les
principes du service public sont redimensionnés à l’aune des impératifs de gestion 37 .

Face à l’intérêt général, la puissance publique dispose d’une deuxième possibilité. Elle peut considérer que
l’initiative privée est satisfaisante, mais qu’elle doit être sérieusement encadrée et réglementée. Par exemple,
l’exercice de la profession doit être soumis à la possession d’un diplôme (pour les médecins, pour les
architectes, pour les enseignants), à certaines restrictions de temps et de lieu (les débits de boisson), à un
contrôle des nuisances (établissements classés), etc. Au nom de l’intérêt général, la puissance publique
interviendra par la réglementation, par le recours au procédé de la police administrative, le mot "police" étant
pris dans un sens extrêmement large. Mais sur ce plan aussi des évolutions rapides sont en cours.

D’une part, les collectivités publiques sont accusées de trop réglementer. Un questionnement sur la
déréglementation a été diffusé 38 . Certes, on constate depuis longtemps que déréglementer est souvent une
façon de reréglementer différemment et ailleurs, mais cela est effectué, le plus souvent, selon d’autres
méthodes et avec d’autres objectifs. C’est ainsi que sous l’influence de la construction européenne, la
déréglementation concerne surtout les activités économiques et conduit à déterminer à partir de quel moment
l’activité éducative est une activité économique ; étant entendu que selon la Cour de justice des communautés
européennes, la responsabilité du service public de l’enseignement relève, en droit, de la matière civile ou
commerciale 39 .

D’autre part, même s’il est nécessaire d’organiser des échanges sociaux, il est fait de moins en moins confiance
à l’État. La réglementation est alors suppléée par la régulation. Appliquée au système éducatif, celle-ci pourrait
vouloir exprimer une certaine autonomie normative. Ce qui autorise une plus grande flexibilité et un contrôle de
proximité de cette production de normes. Cela permet au système de s’adapter à une conjoncture sociale
particulière, spécialisée et instable 40 . D’où la diffusion d’une régulation interne des sous-systèmes

35
v. parmi les nombreux ex. : M. Emmerikh (Haut fonctionnaire), La République prodigue. Argent public, argent irresponsable, Plon 2000 où
l’auteur explique que l’État gère mal car "La maximisation de la dépense demeure la règle, le souci de l’efficacité l’exception, la fonction
publique un tabou et les fonctionnaires un groupe de pression redouté".
36
Cela se traduit de façon très pragmatique. Comme l’indique, Ch. Vigouroux, précité, p. 71, "obtenir qu’il soit répondu à l’usager dès la
deuxième sonnerie de l’appel téléphonique est une valeur d’efficacité".
37
Par ex., et pour les biens des collectivités publiques : v. notre thèse : L’évolution du droit et de la gestion des biens des collectivités
locales, Thèse Paris II, 1996.
38
V. J. Chevallier, Les enjeux de la déréglementation, RD publ. 1987, n° 2, p. 281.
39
CJCE, 21 avr. 1993, Volker Sonntag c/ Waidmann, aff. N° C-172/91, Recueil des décisions de la Cour de justice des communautés
européenne (Rec. CJCE) 1993, I, p. 1963. À cela s'ajoutent les perspectives de la fin du monopole des universités à délivrer notamment
les diplômes de droit sous le double effet de la revendication des grandes écoles à préparer à ces diplômes et de la liberté
d’établissement et de l’équivalence des diplômes dans l’Union européenne. Dans ce dernier cas, en effet, on sait dorénavant que ces
diplômes peuvent être délivrés en France par des établissements d’enseignement privés unis par convention à des universités
étrangères : v. CJCE, 13 nov. 2003, Valentina Neri, AJDA 2004, p. 722, note Y. Jegouzo.
40
v. J. Chevallier, De quelques usages du concept de régulation, dans La régulation entre droit et politique, sous la dir. M. Miaille,
L’Harmattan, 1995, p. 71 ; G. Timsit, La régulation. La notion et le phénomène, revue française d’administration publique (RFAP) 2004 n°
109, p. 5.

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Déontologie

administratifs, notamment en substituant au commandement unilatéral une décision décentralisée, adaptée et


souvent négociée – la régulation servant alors assez souvent à panser les déficiences de la hiérarchie –. Les
acteurs du système éducatif sont ainsi amenés à penser des procédures destinées à maintenir ou restaurer, par
touches successives, l’équilibre du système menacé par le communautarisme, par le développement de la
violence, etc. Le droit n’étant pas une pharmacie, la régulation juridique est insuffisante en elle-même pour
assurer cet équilibre, et la régulation au sens large implique l’utilisation d’un ensemble de moyens d’action, qui
ne sont pas tous juridiques : le droit n’est alors plus qu’un instrument de "pilotage" parmi d’autres 41 . Souvent,
cette régulation est confiée à des autorités administratives indépendantes, car on estime que dans de
nombreux secteurs l’État n’est ni impartial, ni capable de réglementer. Seuls les professionnels du secteur ou
des "experts" sont aptes à le faire. D’où la prolifération des autorités dite de régulation dans le secteur de
l’économie, dans le domaine de la protection des libertés et droits fondamentaux 42 . En définitive, on observera
que cette complication de la production normative reste dans des limites qui ne sapent pas véritablement la
hiérarchie des normes, consubstantielle à l’État de droit. Les espaces de construction de la norme négociée
restent délimités par le producteur de la norme à valeur juridique supérieure. "L’État scolaire", comme "l’État
solaire" avatar du centralisme dont parlent N. Belloubet-Frier et G. Timsit 43 , a vécu, mais la réalité négociée
n’est jamais sans cadres, sans procédures et sans valeurs.

Dans la même veine, rien n’empêche cette réglementation repensée d’être de plus en plus contestée et la
résolution des conflits impliquant l’administration n’est plus seulement soumise au juge, mais fait l’objet d’un
mouvement de "justicialisation" comprise comme un renforcement et une diversification des différents modes de
solution de ces conflits. La diffusion des modèles juridiques de la transaction, de l’arbitrage ou encore de la
médiation en sont les signes. Sur ce plan, le développement par exemple d’une administration de médiation au
sein de l’Éducation nationale va dans ce sens.

La troisième possibilité pour la puissance publique est de prendre en mains elle-même l’activité d’intérêt général
ou de la confier à un organisme public ou privé étroitement contrôlé par elle, bénéficiant de privilèges et soumis
à des obligations spécifiques (on pense aux établissements d’enseignement privés sous contrat d’association).
C’est alors que nous sommes en face d’un service public. Pour qu’une activité d’intérêt général devienne un
service public, il faut un acte d’investiture, de création ou de reconnaissance émanant d’une personne publique.
Il faut une "onction de la puissance publique" – cette sacralité est en voie rapide d’affaiblissement sous l’effet de
la réflexion sur le redimensionnement de l’État, du droit communautaire et de la globalisation juridique 44 –. Il ne
faut cependant pas en conclure que le service public serait en voie d’éradication. Il se recentre et donne peut
être davantage de cohérence et de stabilité à la doctrine du service public autour de ces objectifs : porter la
cohésion sociale ; favoriser l’intégration républicaine ; organiser la solidarité humaine 45 .

L’exigence déontologique va être différente selon que l’activité d’intérêt général est une activité de service
public ou non. Elle va être différente non pas dans son contenu, mais dans sa mise en œuvre. Dans ses
activités de réglementation, l’action de la personne publique est plus directe. Dans l’activité de service public,
l’action est souvent médiate. Elle la met en relation le plus souvent avec des agents économiques privés sous
des formes contractuelles notamment (délégation de service public, marché public, etc.). Les situations à risque
deviennent plus nombreuses. Les exigences déontologiques plus sévères. C’est ainsi, et à titre d’illustration,
que le fonctionnaire est l’objet d’une sorte de traitement lobbyiste. Les lobbyistes tentent de déterminer le bon
service, le bon responsable administratif susceptible d’accueillir leurs demandes 46 .

41
v. par ex. : A. Taillefait, Le droit, outil de pilotage de l’établissement scolaire, dactylographié, École supérieure des personnels
d’encadrement du ministère de l’Éducation nationale (ESPEMEN), Paris, 1997.
42
Pour une illustration : v. A. Taillefait, Services postaux, Juris-Classeur administratif, fasc. n° 152.
43
L’administration transfigurée : un nouveau modèle d’administration ? Rev. Internatio. Sciences Administratives, vol. 59, déc. 1993, p. 667.
44
Le choix des élus est sous influence, notamment celle des effets de la globalisation, notamment juridique : v. J.-B. Auby, La globalisation,
le droit et l’État, Monchrestien, Clefs, 2003, notamment "La 'chose publique' dans la globalisation juridique", p. 122.
45
Cette doctrine du service public est aujourd’hui adossée à la redéfinition de l’État (la crise de l’État-providence). Elle devient plus
cohérente et davantage opératoire. Les principes du service public sont réévalués (égalité, continuité, etc.) et cela n’est pas sans effets
sur la teneur de la déontologie des fonctionnaires.
46
La façon d’aborder le fonctionnaire de la part du lobbyiste est enseignée dans les grandes écoles de commerce. Un ouvrage rédigé par
un polytechnicien comporte un chapitre consacré aux lobbying des administrations qui s’intitule : "L’approche des fonctionnaires : dans la
peau des technocrates" avec § 1° L’attachement à la règle ; § 2° Le dévouement à la structure ; § 3° L’appartenance à un corps ; § 4°
Une bonne culture générale mais peu de connaissances techniques (M. Clamen, Le lobbying et ses secrets, Dunod 2000).

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Déontologie

Cette situation est aujourd’hui compliquée par une remise en cause des modalités de définition et de
formalisation de l’intérêt général. L’onction de la puissance publique qui fait qu’une activité d’intérêt général
atteint le stade suprême de l’intérêt public qu’est précisément le service public, est aujourd’hui très critiquée.
Comme est très critiquée parfois la façon dont les fonctionnaires défendent l’intérêt général.

B – La critique de l’intérêt général

Aujourd’hui, et pour faire bref, un courant (hétérogène) de pensée "managerialiste" essaie de mettre en avant
une philosophie de l'administration qui stigmatise les dérives bureaucratiques et qui promeut le modèle de
l’entreprise tant dans ses valeurs que dans ses méthodes. Il reprend ou porte en partie certains éléments qui
viennent d’être évoqués. Il insiste sur d’autres aspects.

Les "managers" procèdent à une critique du droit administratif, qui est considéré comme le droit de l’intérêt
général. Ce droit spécifique, ce droit ad hoc à l'administration, est l’objet de vives dénégations 47 et les
fonctionnaires peuvent se trouver désorientés dans la mise en œuvre des valeurs du service public.

Ils accusent le droit administratif de favoriser les pires comportements bureaucratiques. Ils constatent que
l’intérêt général est programmé par le droit administratif et qu’il n’est accessible qu’au terme de cheminements
complexes tracés par et dans ce droit. On lui reproche surtout d’être intrinsèquement un droit d’inégalité et de
privilège et de fait, l'administration ne se prive pas d’exploiter la légitimation de son action que lui offrent les
trois concepts majeurs du droit administratif que sont le service public, la puissance publique et l’intérêt général.
Or, pour le "managérialisme", ce triptyque forme un système de pensée qui va servir de base à de nombreuses
pratiques bureaucratiques. Pire, selon eux, cette trilogie contribue à détourner les organisations publiques de
toutes préoccupations d’efficacité, de rentabilité et de rendement. Pour le dire autrement, l'administration
considèrerait que le souci de la performance et de la compétitivité est une affaire purement privée qui sert à
qualifier un autre monde, celui où le service public se trouve soustrait par la vertu de l’intérêt général. Cette
critique, à juste titre d’ailleurs, invoque au titre des travers bureaucratiques de nombreux autres éléments.

L’inflation juridique et la prolifération des textes de toutes sortes, parfois contradictoires, sont dénoncées 48 . En
matière éducative, les onze volumes du recueil des lois et règlements applicables à l’Éducation nationale ou
encore l’épaisseur accrue du code de l’éducation sous l’effet de la codification de sa partie réglementaire sont à
ce titre presque caricaturaux 49 . À l’Éducation nationale aussi cette inflation normative s’exprime par une
floraison de textes de valeur juridique inférieure (circulaires, instructions, notes de services, etc.). Pire, ce
bouillonnement textuel n’est pas toujours compensé par la disparition concomitante des textes antérieurs. Les
textes eux-mêmes ont tendance à enfler et à être de plus en plus longs, allant souvent dans le détail et oubliant
parfois l’essentiel. À cela s’ajoute que précisions et détails tendent à frapper les textes d’une rapide
obsolescence. La sédimentation rapide des textes est aussi la conséquence de la dictature de l’urgence. Par
nature, l’exercice des missions des agents publics connaît une surcharge du présent mais celle-ci est
désormais alourdie par les textes eux-mêmes qui, tout au moins très peu clairement, n’inscrivent pas l’action
quotidienne dans une perspective 50 . Comme la communauté éducative a toujours du mal à prendre en charge
l’enfant hyperactif, elle est aussi troublée par l’hyperactivité normative.

Les troubles du langage juridique sont aussi soulignés. Les notions employées par le droit administratif
deviennent floues à force de complication : service public, établissement public, etc. Le droit de l’éducation

47
v. J. Caillosse, Le manager entre dénégation et dramatisation du droit, revue Politique et management public, déc. 1993, p. 85. Pour un
autre registre critique du système bureaucratique, on ne convoquera pas ici les réflexions critiques de Pierre Bourdieu sur la violence
symbolique du droit. V. notamment Les juristes, gardien de l’hypocrisie collective, dans F. Chazel et J. Commaille (dir.), Normes
juridiques et régulation sociale, LGDJ, revue "Droit et société", 1991, p. 95.
48
Dans un autre contexte, J. Carbonnier (Flexible droit, éd. LGDJ, 1971, p. 11) a écrit que la loi "n’est plus dans beaucoup de cas cette
maxime de conduite universelle qui était solennellement proclamée à l’intention des générations futures, mais un simple procédé de
gouvernement".
49
v. décrets n° 2004-701, 702 et 703 du 13 juillet 2004 relatifs à certaines dispositions réglementaires du code de l’éducation, J.O. du 17
juill., p. 12819, 12822 et 12824.
50
v. Z. Laïdi, L’urgence ou la dévalorisation culturelle de l’avenir, Esprit, févr. 1998, p. 8 et Le sacre du présent, Flammarion, 2001. Les
entreprises aussi ont les symptômes des "pathologies de l’urgence" : N. Aubert, Le Culte de l’urgence, Flammarion, 2003.

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Déontologie

existe-t-il ? S’il existe, dispose-t-il alors d’une certaine autonomie par rapport aux autres branches du droit ?
Retravaille-t-il les notions de ces autres branches du droit pour les adapter au système éducatif ?

Les déficiences du contrôle juridictionnel qui favorise l’insécurité juridique sont mis en avant. Le droit
administratif est un droit surtout jurisprudentiel, donc difficilement accessible et sujet à des évolutions rapides
(revirements jurisprudentiels, différences d’appréciation entre les niveaux et les ordres de juridiction, etc.).

La dépréciation du savoir juridique est regrettée, car en se compliquant, le droit administratif se subdivise en
branches avec chacune ses spécialistes au détriment d’une cohérence d’ensemble. On constatera avec la
critique manageriale que le droit en général et le droit public en particulier deviennent alors un marché avec ses
professionnels, la "classe juridique" dont parlait Jean Carbonnier, qui pousse à l’extension de l’empire du droit
et donc de sa complication.

Ces avatars bureaucratiques sont désormais amplifiés par un autre phénomène. De fait, la part du droit en
général est en pleine extension dans nos sociétés contemporaines. Elle l’est aussi dans la communauté
éducative. Il apparaît que l’on assiste à une "juridicisation" croissante de conduites. À l’école, la juridicité du
règlement intérieur des établissements s’est fortement accrue. La juridictionnalisation de la discipline des élèves
en est un autre signe. Cette dilatation du droit s’est traduite, à l’école aussi, par une dilatation du droit
jurisprudentiel. La jurisprudence sur le port du "foulard religieux" ou encore la prolifération des décisions
juridictionnelles relatives aux accidents scolaires ou aux décisions d’orientation en témoignent. En d’autres
termes, les règles formulées par le législateur n’intègrent effectivement le système juridique qu’interprétées et
appliquées par les juges. Cela révèle un questionnement démesuré du droit et soulève la question du traitement
des tumeurs juridiques que sont par exemple la "victimisation" des rapports sociaux ou encore le rejet du
risque.

De cette identité juridique de l’administration et des fonctionnaires, la critique manageriale en tire la


conséquence que pour satisfaire les exigences de rendement et d’efficacité, l'administration doit s’émanciper du
droit public. Autrement dit, elle préconise un déclin du droit public, une réduction du champ du droit de l’intérêt
général. Ce processus de dé-différentiation de l’État et de la société qu'ils accompagnent les conduit à
participer à la mise au point d’une idéologie du droit commun. Le droit privé, anglo-saxon avant tout 51 , a de
meilleures vertus et elle prône une banalisation du droit public ; celle-ci est en cours mais a ses limites 52 . Plus
avant, ils s’emploient à dire la nécessité d’une démarche qui ne serait plus commandée par le seul respect de la
règle juridique.

On peut comprendre que face aux accusations des "managers", le fonctionnaire puisse légitimement
s’interroger sur les valeurs qu’il va défendre. Le brouillage des signes distinctifs qui ont marqué la spécificité du
secteur public est probablement une bonne thérapie du travers bureaucratique – qui n’est pas propre à
l’administration publique. Cela signifie aussi que malgré ce "floutage", au sens des photographes, la fonction
publique n’est pas hypostasiée par la critique "managerialiste". Entendez plutôt qu’elle est contrainte à repenser
sa spécificité. Cette œuvre de "re-présentation" se heurte aujourd’hui à un des nouveaux travers de l’action
administrative qui est parfois la perte de sens donnée à l’action. L'in-détermination des responsables de
l’appareil étatique est troublante et souvent embarrassante. Il est donc crucial, pour satisfaire l’exigence
déontologique, de perfectionner notamment les valeurs juridiques que doivent protéger et mettre en œuvre les
fonctionnaires dans la réalisation de leurs tâches professionnelles.

51
v. E. Rosenfeld et J. Veil, Le droit, vecteur de la puissance américaine, Le Monde, 14 févr. 2004. Pour une critique : A. Garapon, Bâtir
une stratégie de défense de notre droit, revue Les petites affiches, n° 87, 30 avr. 2004, p. 3 ; J.-B. Auby, Quand la common law perd du
terrain devant le droit continental, revue Droit administratif (Dr. adm.) avr. 2004, repères n° 4.
52
v. J.-B. Auby, Le mouvement de banalisation du droit des personnes publiques et ses limites, Mélanges J.-M. Auby, Dalloz 1992, p. 3 et
s.

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Déontologie

III – Déontologie du fonctionnaire et "valeurs" du service public

Les débats sur la création du service public, les interrogations sur ses limites sont dorénavant complétés par
une réinvestigation de ses valeurs. Elle est légitime car l’intérêt général implique l’affirmation des valeurs du
service public qu’un fonctionnaire doit utiliser comme points d’appui de ses décisions d’action. Elle est
opérationnelle car le service de l’intérêt général est mobilisateur.

A – Les "valeurs", système de références

1. Les valeurs sont un système. Pour ce qui nous préoccupe, elles sont des points d’ancrage pour l’action.
Elles justifient les comportements. On retiendra cependant que les philosophes peuvent parfois en faire les
derniers avatars de l’aliénation 53 et que les sociologues peuvent expliquer le polythéisme qui les caractérise 54 .
Sauf à être nihiliste au plan collectif ou suicidaire au plan individuel, il subsiste qu’un minimum de valeurs est
indispensable pour notre mobilisation 55 . Si l’on admet cela, le constat peut être fait de l’existence d’un certain
nombre de principes cardinaux encadrant l’action du fonctionnaire et notamment celle des fonctionnaires de
l’Éducation nationale.

2. Chaque fonctionnaire (et en particulier les cadres de l’administration publique) est amené à se référer à
des orientations d’ensemble, à des principes directeurs qui donnent sens aux règles et prescriptions qu’il est
chargé d’appliquer, de faire appliquer, voire de créer. Dans la mesure où ces principes renvoient à des valeurs
transversales qui transcendent les administrations (égalité, continuité, etc.), ils sont alors l’instrument de la
cohésion d’ensemble de l’action publique. Les principes sont des règles fixes, des ponts normatifs qui relient
entre eux les agents et surtout le personnel d’encadrement de chaque administration. L’action de l’agent au
quotidien a alors un sens qui est précisément l’intérêt général. La difficulté pour celui-ci tient à ce l’intervention
publique devient très (trop ?) modeste et moins ambitieuse (étriquée ?). Très souvent, l’État et ses gouvernants
sont incapables de donner une épaisseur aux missions de chacun, de fournir cohérence et reconnaissance à
l’action de chaque responsable administratif. Ils ne parviennent pas fréquemment à faire de l’action du
personnel d’encadrement autre chose qu’un entrelacs d’actions multiples dont la cohérence est loin d’être
manifeste et dont la compatibilité avec les missions professionnelles reste à démontrer. Le pragmatisme et
l’utilitarisme étroit ont toujours des difficultés à constituer une politique à long terme et n’ont jamais permis une
motivante mobilisation des énergies. Chez les agents, ce trouble provoque souvent une anomie nourrie par
l’individualisme. Chez les cadres, l’anomie est proscrite. Il leur revient de donner du sens au service public pour
mobiliser leurs agents et répondre aux besoins sociaux des usagers.

Dans cette perspective juridique, il reste à interroger les valeurs du service public, à évaluer quelques pistes
d’évolution de leur champ d’application, à en faire une typologie opérationnelle 56 .

B – Les "valeurs", ensemble à bâtir

Un tréfonds de principes, à portée pas essentiellement juridique, guident la production des normes et l’action
publique. Ils sont parmi les bases de l’orientation d’ensemble du service public. Pour l’Éducation nationale, on
propose de retenir quatre de ces "valeurs" d’action qui donnent à la juridicité une fonction "humanisante". Les

53
G. Deleuze, Nietzsche, PUF, 1965, notamment p. 22.
54
J. Rawls, Théorie de la justice, Le Seuil, 1987.
55
Même si le concept de mobilisation peut le cas échéant lui aussi être déconstruit afin de montrer son inutilité contemporaine : v. P.
Sloterdijk, La mobilisation infinie, Christian Bourgois éditeur, 2000, surtout p. 41 et s.
56
v. R. Catherine et G. Thuillier, Introduction à une philosophie de l’administration, A. Colin, 1969.

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Déontologie

deux premières sont communes à l’ensemble des services publics. Les deux autres caractérisent le service
public de l’éducation.

1. La doctrine du service public a mis en exergue des valeurs communes à l’ensemble des services
publics : égalité devant le service public et continuité du service public.

Parmi les premiers principes généraux du droit, l’égalité est, avec la liberté, l’un des premiers principes à valeur
constitutionnelle. Elle a été abondamment étudiée, notamment à l’école 57 . Aujourd’hui, d’une part les usagers
s’adressent de plus en plus au service public (et, en droit, le principe signifiera que l’on doit mettre en œuvre un
droit favorisant un égal accès au service public et respectant un traitement égal devant le service public), et
d’autre part le principe implique que le service public doit aller à la rencontre de certains usagers et prendre en
considération leurs différences (et, dans la pratique, le principe signifiera contribuer à l’égalité des chances).
Dans les deux cas, les obligations des agents de l'administration seront assez différentes.

Il existe pour les candidats usagers d’un service public un droit d’accéder au service public, notamment de
l’éducation (Code de l’éducation, art. L. 111-1), qui peut être soumis à des conditions diverses mais qui ne doit
pas être contraire au principe d’égalité devant le service public. On sait désormais que selon la jurisprudence, le
droit d’accès n’implique pas que les conditions d’utilisation du service soient identiques pour l’ensemble des
candidats usagers. Le Conseil d’État est très attentif à ce point. Les différences de traitement entre les
catégories de candidats usagers doivent résulter – à moins, comme toujours, qu’elles ne soient la conséquence
nécessaire d’une loi – d’une différence appréciable ou d’une nécessité d’intérêt général en rapport avec les
conditions d’exploitation du service. Ainsi entendu, le principe autorise certaines formes de contribution à
l’égalité des chances à l’école. Des textes successifs ont ainsi réorganisé les structures internes au service
public de l’Éducation. Les zones d’éducation prioritaires, pour ne prendre que cet exemple, existent depuis
1982 et visent notamment à "repenser l’aménagement du territoire scolaire" 58 et répartir les moyens "en
fonction de critères qualitatifs" – et pour les personnels, ils procèdent à des adaptations salariales 59 .

Variable selon les territoires scolaires, l’égalité a de nombreux prolongements déontologiques. Elle est un cap
pour l’action. Un responsable d’établissement scolaire doit certainement toujours se demander si les élèves
sont traités selon leurs besoins 60 . Alors même que la décision d’affecter un élève dans une classe est
insusceptible de recours contentieux 61 , on comprendra que les modalités de répartition des élèves dans les
divisions ne doivent pas être envisagées pour acheter une fausse paix dans l’école, avec certains enseignants.
Le principe d’égalité doit aussi guider cette mission. Dans ce sens, l’égalité est une valeur, dans le sens utilisé
par Taine, un principe d’action partagé, une référence commune.

L’égalité est aussi au confluent d’autres "valeurs" fortes, surtout à l’école.

Les actes administratifs ne peuvent être motivés par des considérations partiales, et dans l’exercice de leur
profession les fonctionnaires ne peuvent être partiaux. Selon le Littré, l’impartialité désigne la qualité ou le
comportement de celui qui "s’abstient de prendre parti pour l’un plutôt que pour l’autre". Elle se caractérise donc
à la fois par un souci d’objectivité et par une idée de neutralité. Le fonctionnaire a souvent intérêt à se
demander s’il a un intérêt personnel à l’affaire qu’il traite 62 . Lorsqu’il exprime une animosité personnelle à
l’égard du destinataire de l’acte, il est partial. Le contraire de l’impartialité est bien l’animosité 63 .

Le principe de neutralité protège efficacement les agents publics et notamment ceux qui briguent un poste pour
exercer dans les établissements d’enseignement. Dès l’instant où il implique la non-discrimination (races,

57
v. C. Durand-Prinborgne, Le principe d’égalité et l’enseignement, Revue française de droit administratif (RFD adm.) 1988, p. 584.
58
Ségolène Royal, circulaire n° 97-233 du 31 oct. 1997 relative aux zones d’éducations prioritaires, BOEN n° 40 du 13 nov. 1997, p. 2756.
59
par ex. : Art. 16 et 17 de la loi n° 94-628 du 25 juill. 1994 (J.O. du 16 juill., p. 10735) et Circulaire du 10 déc. 1996 (J.O. 4 févr. 1997, p.
1891) : priorité de mutation, avantages d’ancienneté et indemnité de "stabilité" pour les fonctionnaires en zone urbaine sensible.
60
v. J.-P. Obin, Les valeurs et l’école, revue Savoir 2004, p. 83.
61
CAA Bordeaux, 10 juin 2003, M.C. c/ min. de l’Éducation nationale, req. n° 01BX02273.
62
CE, 4 mars 1964, Dame Veuve Borderie, Rec. CE, p. 157.
63
CE, 31 déc. 1973, Dame Gille, Rec. CE, p. 605 ; CE, 13 nov. 1989, min. de l’Éducation nationale c/ Navarro, req. n° 73836.

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convictions politiques, religieuses), il se fond dans celui d’égalité. Il s’exerce avant tout à l’égard des usagers
qui sont en droit d’attendre d’un agent public qu’il fasse preuve de neutralité politique 64 , religieuse 65 et
commerciale 66 . Le principe de laïcité est aussi une dimension du principe de neutralité. Il montre que l’obligation
de neutralité ne vise pas seulement les agents, mais rejaillit sur les usagers du service public, et c’est cet
aspect qui aujourd’hui fait l’actualité du principe de neutralité dans les établissements d’enseignement public,
comme en témoigne ce qu’on continue à appeler "l’affaire des foulards islamiques".

La continuité est aussi un principe à valeur constitutionnelle soutenu par l’idée selon laquelle le service ne
s’interrompt pas sous réserve de l’exercice du droit de grève, lui-même principe à valeur constitutionnelle 67 . La
continuité est le fonctionnement ponctuel et régulier du service public qui s’apprécie par rapport à l’objet du
service. Elle sous-tend tout un ensemble d’obligations professionnelles 68 : obligation d’assurer à titre exclusif et
personnel sa fonction, obligation d’assurer le libre accès au service public, etc.

L’obligation d’accueil découle de ce principe. La déontologie du fonctionnaire consiste aussi à veiller à offrir aux
usagers le meilleur service possible. La gestion des attentes, le vouvoiement et l’amabilité, la lisibilité des
imprimés sont des indicateurs de la considération portée à l’usager et à son origine sociale et culturelle. La
qualité de l’accueil dépend très largement de la compétence des agents préposés à cette fonction. Ceux-ci
doivent être capables d’orienter les usagers, ce qui suppose une connaissance de l’organisation des services et
une bonne information sur le processus de décision administrative.

Comme l’a rappelé le médiateur de l’Éducation nationale (Le Monde, 27 mai 2000), il existe aujourd’hui un droit
pour les citoyens d’obtenir une réponse de l’administration. Le silence de l’administration, quelles qu’en soient
les raisons, est mal compris par l’usager. Le législateur (loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des
citoyens dans leurs relations avec les administrations) a pris en considération cette demande sociale. La
réponse apportée dépend cependant largement des prescriptions des chefs de services et de la qualité
professionnelle de leurs agents. Dans cette mesure, la transparence de l’action administrative implique que le
"secret administratif " n’existe plus, mais cela n’empêche pas un fonctionnaire d’être "déontologiquement hors
jeu" s’il fait preuve d’indiscrétion ; la discrétion professionnelle oblige à mesurer ses propos face à sa secrétaire,
aux journalistes, aux tiers à l’administration. Il sera pénalement répréhensible s’il viole le secret professionnel
que lui impose la loi et son statut.

2. D’autres principes, eux-aussi parfois à valeur constitutionnelle, guident l’action des acteurs du système
éducatif et impliquent des règles de comportement : gratuité du service public et bonnes mœurs dans le service
public.

La gratuité n’est pas générale dans les services publics. La législation peut l’imposer ou l’exclure de façon plus
ou moins absolue. En matière d’enseignement, la loi du 16 juin 1881 a posé le principe de la gratuité de
l’enseignement primaire public. Il n’est donc pas possible pour les communes de demander aux parents
d’élèves une contribution aux frais d’entretien et de fonctionnement des écoles du premier degré 69 . Ce principe
est d’ailleurs applicable aux écoles maternelles publiques, alors même que leurs élèves ne sont pas soumis à
l’obligation scolaire 70 . On sait que différentes lois entre 1927 et 1933, confirmées par l’ordonnance n° 45-26 du

64
CE, 8 nov. 1955, min. l’Éducation nationale c. Rudent, Rec. CE, p. 316 : le principe de neutralité permet au Conseil d’État d’annuler les
décisions d’un proviseur de lycée et d’un recteur d’académie autorisant des groupements politiques d’élèves à organiser des réunions
politiques au sein d’un établissement.
65
CE avis, 3 mai 2000, Mlle Marteaux, AJDA 2000, p. 673, chron. M. Guyomar et P. Colin ; Gazette des communes, 12 juin 2000, p. 68,
concl. R. Schwartz, Revue de la recherche juridique 2001 p. 2107, note G. Armand, Dr. adm. 2000, n° 189 ; revue Dalloz 2000, jurispr. P.
747, note G. Koubi.
66 e
Sur cette question : A. Taillefait, Gestion du patrimoine scolaire, Berger-Levrault, 2 éd., n° 152-2 et s.
67
Sur le régime juridique de la conciliation entre la continuité du service public et le droit de grève : A. Taillefait, Fonction publique de l’État :
exercice des libertés publiques, Juris-Classeur "Fonctions publiques", fasc. n° 290.
68
v. A. Taillefait, Déontologie et responsabilité disciplinaire, Juris-Classeur "Fonctions publiques", fasc. n° 300, nov. 2003.
69
CE, 10 janv. 1986, Commune de Quingey, Rec. CE, p. 3.
70
voir J.-Y. Plouvin, Les principes de continuité et de gratuité du service public de l’enseignement dans le cadre de la décentralisation,
revue Le Quotidien Jurid. 29 nov. 1986, p. 3 ; B. Toulemonde, La gratuité de l’enseignement. Passé, présent, avenir, Rapport au min. de
er
Éducation nationale, 1 trim. 2002 et L’accès à l’instruction et la gratuité de l’école publique, dans La gratuité, une question de droit ?
(Dir. G. Kouby et G. J. Guglielmi), L’Harmattan 2003.

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Déontologie

8 janvier 1945, ont étendu le principe de gratuité à l’enseignement du second degré. Le préambule de la
Constitution du 27 octobre 1946, qui fait partie intégrante du préambule de la Constitution de la Ve République,
range le principe de la gratuité de l’enseignement scolaire dans la catégorie des principes politiques,
économiques et sociaux particulièrement nécessaires à notre temps ("L’organisation de l’enseignement public
gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État"). Du point de vue du fonctionnaire de l’Éducation
nationale, dans le doute, les activités scolaires sont donc gratuites. Il appartient alors aux décideurs de prouver
que le principe de gratuité n’est pas applicable 71 .

Le respect de la pudeur et des "bonnes mœurs" concerne particulièrement les services qui sont en rapport avec
les enfants. Il peut à certains égards paraître désuet, et il est certain qu’une étude de sa prise en compte par la
jurisprudence montrerait qu’elle a accompagné l’évolution des mœurs 72 . Il n’en reste pas moins que ce principe
demeure heureusement une "valeur" du service public. À l’Éducation nationale, les dispositions de l’article 5 de
la loi du 30 octobre 1886, qui précisent que "sont incapables de tenir une école publique ou d’y être employés,
ceux qui ont subi une condamnation pour crime ou délit contraire à la probité et aux bonnes mœurs",
constituent probablement un principe général du droit, c'est-à-dire un principe de valeur législative applicable
même sans texte. La jurisprudence, depuis longtemps, a précisé que ces dispositions ne s’appliquent pas
seulement au personnel enseignant ; elles concernent tous les agents susceptibles d’exercer des fonctions
dans les écoles publiques 73 .

Les dimensions concrètes du principe sont considérables et renvoient à un arsenal important de prescriptions
déontologiques relatives par exemple à l’obligation de dénoncer les crimes et les délits (Code de procédure
pénale, art. 40-2 74 ), à l’obligation de signalement des atteintes à l’intégrité physique des enfants 75 ou plus
simplement parfois à l’obligation de correction des agents, dans leur comportement, dans leurs tenues
parfois 76 . Une obligation de dignité dans la vie privée aussi 77 .

On remarquera que même en matière de délit contraire aux mœurs, l’administration doit être attentive aux
mesures qu’elle prend. À titre d’illustration, un éducateur territorial des activités physiques et sportives
exhibitionniste sexuel a pu être recruté par une commune avant que sa responsabilité pénale ne soit engagée.
Le maire peut alors valablement sanctionner ces faits par une exclusion temporaire de trois jours. Cependant,
une fois la peine d’emprisonnement avec sursis prononcée par le tribunal correctionnel, le maire ne peut, pour
les mêmes faits délictueux, le révoquer, surtout si l’intéressé a obtenu par un jugement ultérieur l’effacement
des sanctions pénales du casier judiciaire 78 . Il n’est pas possible d’infliger deux sanctions disciplinaires pour
sanctionner des faits identiques, seraient-ils délictueux. Il est donc utile d’attendre l’appréciation du juge pénal
avant d’engager la responsabilité disciplinaire de l’intéressé.

71
v. CE, 4 févr. 2004, Solana, req. n° 253376.
72
pour un ex. particulièrement significatif : CAA Paris, 9 mai 2001, min. de l’Intérieur c/ Mme Slujka, req. n° 99PA00217, RFD adm. 2001 p.
1355.
73
v. aussi pour l’enseignement technique, l’art. 4 de la loi du 25 juillet 1919. Sur les difficultés d’application : CE, 28 juill. 1995, M. Pinault,
AJDA 1996, p. 161 ; 2 mars 1992, M. Otto-Bruc, Rec. CE, p. 101, RFD adm. 1992, p. 606.
74
M. Revert, Le juge administratif et le procureur. Contribution à l’étude du champ d’application de l’article 40, alinéa 2, du code de
procédure pénale, AJDA 2003, p. 369 ; G. Chalond, Le fonctionnaire et l’article 40 du code de procédure pénale : nature et portée de
l’obligation de dénoncer, revue Actualités juridiques fonction publique (AJFP) nov. 2003, p. 31.
75
Décret du 12 mars 1997 relatif à la coordination interministérielle en matière de lutte contre les mauvais traitements et atteintes sexuelles
envers les enfants. Pour un ex. : TGI de Nanterre, 25 mai 2000, D. c/ R., req. n° 9922500739, LIJMEN 51/2001, p. 10.
76
L’apparence physique, au sens d’apparat, est capitale pour l’accueil des usagers. Les entreprises privées le savent bien puisqu’elles
considèrent cette dimension de la profession comme un élément de leur politique de marketing. L’obligation de correction est sanctionnée
en droit administratif (TA Amiens, 3 juin 1986, Seckel, Rec. CE tables, p. 589) mais la sanction ne doit pas constituer une forme de
discrimination (Titre I du statut fonct. publ., art. 6 al. 1). Sur ce thème, dans le secteur privé, on assiste à de réelles évolutions.
L’apparence physique joue un rôle de plus en plus important dans la vie professionnelle. Il faut rappeler que le 29 mai 2003, la Chambre
sociale de la Cour de cassation a reconnu à la SAGEM le droit de licencier un salarié qui portait un bermuda (J.-F. Amadieu, Le poids
des apparences, éd. Odile Jacob, 2002 ; v. Le Monde, suppl. Economie, 17 juin 2003). Or, du "look" en particulier à "l’apparence
physique en général", il n’y a qu’un pas. La nouvelle rédaction de l’al. 2 de l’art. 6 du titre 1 du statut général qui interdit les
discriminations fondées sur l’apparence physique confirme qu’il ne doit pas être possible de licencier un agent public parce qu’il est
affecté d’une surcharge pondérale (TA Grenoble, 22 juin 2001, M.P., req. n° 992035, AJFP nov. 2001 p. 38).
77
D. Dumont, "Dignité" des fonctions et image du service, LIJMEN n° 43/2000, p. 28.
78
CAA Nancy, 5 août 2004, Pierre X, req. n° 00NC01589.

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Le respect de chacune des implications des principes ordinairement associés à la notion de service public :
neutralité, laïcité, dignité, etc., constitue une sorte de culture commune aux fonctionnaires au point d'inspirer les
comportements quotidiens comme pourrait le faire un code général de déontologie, à l’image de celui des
agents de la police nationale 79 . La codification, mais elle n’est pas la seule, tend à démontrer que la déontologie
devient alors une Raison pratique, une tentative de mise en ordre par une démonstration concrète, au jour le
jour, de son bien-fondé. Dans le même ordre d’idées, la simplification des prescriptions administratives et des
textes, l’expérimentation aussi participent à cette rationalisation. Une certaine rigueur est recherchée par le
recours aux experts. La mise en œuvre de démarches évaluatives répond à l’exigence d’efficacité. L’objectif est
l’amélioration du contenu des normes et le perfectionnement du cadre des conduites.

Conclusion

La déontologie du fonctionnaire est organisée autour de la défense de l’intérêt général. Certes, celui-ci est un
mythe 80 , et on n’ignore pas que le chercheur en science administrative est à la recherche de la (des) vérité(s) et
que dans cette recherche, il est amené à déboulonner les mythes partagés. Mais comme la politique ne peut
être exclusivement pragmatique sans être porteuse d’idéal, l’action quotidienne du fonctionnaire doit avoir un
sens capable de mobiliser les talents. Même si leurs contenus évoluent et doivent évoluer, les qualités morales
du fonctionnaire et l’existence d’un esprit de service public sont capitales 81 . Pour apprécier ce caractère central
de la déontologie des fonctionnaires, on peut faire référence à une formule de Paul Ricœur 82 selon lequel "il est
possible de se mouvoir entre les deux limites du dogmatisme et du scepticisme". C’est dans cet interstice
qu’une des commissions du Plan en 1990 expliquait qu’il fallait "réinventer l’intérêt général", tout à la fois dans
le sens de redécouvrir et de repenser. Cette réinvention est en cours. La pensée sur l’État est en
reconstruction. Le rôle de ses agents l’est en conséquence. La réflexion renouvelée sur ce dernier point est
urgente. La complexité des problèmes que doit résoudre l’administration publique, l’action en réseau qu’elle
développe et qui se propage dans la société civile, font d’elle et de ses agents le centre de la production et de
l’application des normes. La fonction publique ne peut rester insensible à sa re-présentation.

79
S. Pora et C. Paoli, Code annoté de déontologie policière, LGDJ 1991 ; B. Thomas-Tual, Le Code de déontologie de la Police nationale :
un texte passé inaperçu, RD publ. 1991, p. 1385.
80
J. Chevallier (Dir.) Variations autour de l’idéologie de l’intérêt général, PUF, 1978.
81
v. S.K. Bailey, Ethics and the Public Service, in Public Administration and Democracy: Essays in Honour of Paul H. Appleby, Syracuse
University Press, 1965.
82
Interpretation theory : discourse and the surplus of meaning, The Texas Christian University Press, 1976, p. 79.

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