Cuisinier Pons 2011 Les Emotions Soulign
Cuisinier Pons 2011 Les Emotions Soulign
Cuisinier Pons 2011 Les Emotions Soulign
Frédérique Cuisinier*,
&
Francisco Pons**,
Résumé
Ce chapitre souligne l’intérêt d’explorer les émotions de l’élève et de l’enseignant et de
comprendre leur impact sur les processus d’apprentissage et d’enseignement. Une première
partie, consacrée au ressenti des élèves et des enseignants, montre que les émotions
constituent la face cachée du triangle didactique. Une deuxième partie examine l’effet des
relations affectives entre enfants lors d’apprentissages à plusieurs. Une dernière partie montre
que les émotions constituent des objets de connaissance que l’enfant apprend progressivement
à connaitre. L’ensemble de cette revue argumente en faveur de l’intégration des émotions
dans l’étude de la construction des savoirs en contextes scolaires.
L’étude scientifique des émotions dans le contexte de l’école est étonnement très récente. En
effet, l’école représente un lieu à forte potentialité émotionnelle et il suffit de se référer
simplement à l’imagerie « populaire » ou que chacun questionne ses propres souvenirs pour
que surgissent de nombreuses illustrations. Une analyse de la littérature des années 1974-2000
montre que les quelques études sur les émotions à l’école investiguent essentiellement
l'anxiété. Or le répertoire émotionnel est bien plus diversifié puisque toutes les émotions, mis
à part le dégoût, sont déclarées être éprouvées dans le cadre de la scolarité (populations
d’étudiants et de lycéens, Pekrun, Goetz & Titz, 2002). La nature des activités scolaires, le
sens que l’enfant leur confère en fonction de facteurs sociologiques, culturels ou
biographiques, la dimension sociale de l’école (relations interpersonnelles nombreuses avec
des acteurs très différents), les difficultés que ces activités soulèvent, au moins
provisoirement, représentent des éléments décisifs dans la genèse des émotions.
La recherche explore depuis peu le répertoire émotionnel des élèves (enfants, adolescents et
jeunes adultes) ainsi que celui des enseignants. Ces travaux visent à décrire l’expérience
1
Ce texte a été écrit en novembre 2011 à la demande Jean Ribalet, Co-directeur de la recherche « Philosophie et médecines
de l'âme », Nouvelles Pratiques philosophiques, Philolab UNESCO et Président de DEPHI, Développement de la Philosophie
pour l'Enfance, l'Ecole et la Cité.
émotionnelle (que ressent-on ?), à l’expliquer en repérant les facteurs déclenchants (pourquoi
telle émotion ?) et à identifier les conséquences des émotions éprouvées dans le cadre des
apprentissages ou des pratiques d’enseignement (perturbation, stimulation …). Cette
problématique émergente articule des questions théoriques et pragmatiques (Pons, Hancock,
Lafortune & Doudin, 2005 ; Schutz & Pekrun, 2007). Sur le plan théorique, l’épineuse
question des relations émotion/cognition est ici posée dans toute sa complexité puisqu’elle est
déclinée dans le contexte naturel de l’école et non le cadre épuré du laboratoire. La
philosophie explore depuis l’antiquité la nature des émotions et de la pensée, leurs relations et
leur contribution au développement et au fonctionnement de l’individu. L’étude scientifique
des émotions, plus récente puisqu’elle a été initiée par les travaux de C. Darwin en 1871 a
permis de mieux cerner ces phénomènes aussi importants que difficiles à saisir et dont la
compréhension relève d’enjeux pragmatiques et théoriques.
Au plan pragmatique, l’enjeu concerne la formation des enseignants et la prise en compte des
émotions dans le processus didactique. Connaître le rôle fonctionnel des émotions dans les
activités scolaires contribue à préciser la compréhension des processus d'apprentissage et peut
permettre le développement de dispositifs d'accompagnements scolaires. Cette question fait
écho à des représentations et croyances concernant l’impact des émotions sur les activités
intellectuelles. Les émotions « positives » ou agréables sont réputées faciliter les
apprentissages contrairement aux émotions « négatives » ou désagréables qui entraveraient
plutôt ces derniers. Or non seulement les résultats empiriques obtenus auprès d’adultes sont
plus nuancés (Blanchette & Richards, 2010), mais rien ne permet de penser que l’influence
des émotions s’exerce de la même manière chez l’enfant.
Cette contribution se propose de montrer l’intérêt d’explorer le champ des émotions et de
comprendre leur impact dans les processus d’apprentissage et d’enseignement. Après une
présentation rapide de la modélisation actuelle des émotions, une première partie, consacrée
au ressenti des élèves et des enseignants, montrera que les émotions constituent la face cachée
du triangle didactique liant enseignant, élève et savoir. Une deuxième partie examinera l’effet
des relations affectives entre enfants sur les modalités et les bénéfices des apprentissages à
plusieurs (à l’école élémentaire). Enfin, la question des émotions comme objets de
connaissance sera examinée à partir des travaux récents sur le développement de la
compréhension des émotions, lesquels montrent que cette compréhension a un impact (direct
et indirect) sur les apprentissages scolaires.
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L’humeur (mood) se distingue de l’émotion par l’absence d’élément déclencheur, un
caractère diffus et une durée assez longue. Il s’agit d’une tendance générale à percevoir les
situations selon une tonalité particulière (gaie, triste, grincheuse…).
Ces études mettent exergue que l’état émotionnel de l’enfant intervient dans la confrontation à
l’activité d’apprentissage et colore sa relation à cette activité. Elles pointent également que le
ressenti évolue dans le cadre même de cette confrontation. Elles impliquent de sonder
l’expérience émotionnelle de l’enfant au plus près des situations d’apprentissage. Ceci
suppose par exemple de créer les conditions du recueil du discours de l’enfant, notamment en
référence au développement de la compréhension des émotions (cf. ci-après « Les émotions
comme objet de connaissance »). D’autres recherches se centrent plus spécifiquement sur les
émotions de l’enseignant.
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La notion « d’émotion d’accomplissement » (« achievement emotion ») se substitue
celle « d’émotion académique » antérieurement utilisée par les auteurs.
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Un documentaire scientifique réalisé sur ce thème « Petite réflexion entre amis, La Planète des enfants (2001) est disponible
auprès du CERIMES : http://www.emagister.fr/formation_reflexions_entre_amis-ec1095178.htm)
Conclusion
Cette rapide revue sur les émotions, les relations amicales et le développement de la
compréhension des émotions conduit à intégrer l’étude des émotions dans le contexte de
l’école en lien avec le développement psychologique (cognitif, émotionnel et social). En effet,
les savoirs s’élaborent dans la confrontation avec un objet de connaissance, confrontation,
médiatisée, éventuellement en situation d’interactions par un ou plusieurs tiers (adultes ou
pairs présentant des niveaux d’expertise variés dans la tutelle). Le contexte de l’apprentissage
(contenu, déroulement, enjeux) est évalué par l’apprenant notamment en termes d’agréabilité,
de pertinence, de ressources pour y faire face. Ce processus d’analyse de la situation, génère
des émotions et s’accompagne de régulations (inhibition ou contrôle plus ou moins
importants) susceptibles d’infléchir le processus émotionnel et d’orienter l’activité
d’apprentissage. De fait, les émotions constituent des processus intrinsèques à l’apprentissage
car elles signalent à l’individu la nature de sa relation à la situation, laquelle se transforme du
fait de ces expériences émotionnelles. Cette relation varie en fonction des contenus de
connaissances (les mathématiques, le français, la musique, par exemple) mais aussi, semble-t-
il, en fonction des activités réalisées (activités numériques, résolution de problèmes, lecture,
production écrite, etc.). Le discours des enfants sur leurs émotions en fonction du contexte
témoigne de connaissances précises dont le rôle fonctionnel dans la régulation des conduites
d’apprentissage reste à explorer (Cuisinier, Clavel, de Rosnay & Pons, 2010). Par ailleurs, une
relation robuste est maintenant établie entre le développement de la compréhension des
émotions et la qualité des relations sociales dans le contexte scolaire. Une telle relation n’est
pas sans conséquence sur le développement intellectuel de l’enfant et les performances
académiques. Les enfants ayant une faible compréhension des émotions sont académiquement
moins réceptifs, ce qui peut être à l’origine de comportements inadaptés voire perturbateurs.
Quelques études récentes suggèrent également des liens entre compréhension, régulation des
émotions et réussite scolaire (Govaerts & Grégoire, 2004; Laforturne & Pons, 2005).
L’étude du développement des compétences émotionnelles pourrait être contextualisée au
domaine spécifique de la construction de savoirs. Comment les enfants se représentent-ils les
émotions des uns et des autres, de leurs camarades comme celles des enseignants ? Comment
ces représentations s’élaborent-elles ? Résultent-elles d’apprentissages par observation, et ou
d’apprentissages par l’action ? Peut-on envisager des contextes favorables à la construction de
tels savoirs et compétences ?