Les Fabliaux Études de (... ) Bédier Joseph bpt6k5849313g
Les Fabliaux Études de (... ) Bédier Joseph bpt6k5849313g
Les Fabliaux Études de (... ) Bédier Joseph bpt6k5849313g
littérature populaire et
d'histoire littéraire du Moyen
âge (4e éd.) / par Joseph
Bédier
FABLIAUX
ÉTUDES
De l'Académie française
- "PARIS
LIBRAIRIE ANCIENNE HONORÉ CHAMPION
Librairie de la Société de VHistoive de France
el de,1a Société des'Anciens Textes
5, QUAI MALAQUA1S
1925 ^ v '
FABLIAUX
ETUDES
PARIS
LIBRAIRIE ANCIENNE EDOUARD CHAMPION
Librairie de la Société de l'Histoire de France
et de la Société des Anciens Textes
5, QUAI MALAQUAIS
1925
Tous droits réservés
A M. GASTON PARIS
HOMMAGE
DE RECONNAISSANCE ET D'AFFECTION
AVANT-PROPOS
DE LA SECONDE ÉDITION
1. V. le chapitre VIII.
BÉDIEB. — Les Fabliaux. 2
18 LES FABLIAUX
l'orient au couchant.
Quelle aurait été la seconde partie de ce livre si. nous
avions admis la théorie indianiste ? Considérant les fabliaux
comme une matière non proprement française, mais étran-
gère, il aurait fallu étudier comment l'imagination orien-
tale s'était réfractée dans l'esprit de nos trouvères. Là
aurait dû être l'effort du travail : mais, si l'hypothèse
orientaliste est vaine, cette recherche eût porté à faux. Si
nous avions admis que les contes orientaux se sont trans-
formés en fabliaux, les fabliaux en farces françaises d'une
part, d'autre part eh nouvelles italiennes, nous aurions
dû étudier les transformations que les novellistes italiens
ou les auteurs comiques du xve siècle ont fait subir à leurs
modèles supposés. Or notre conception de l'origine des
fabliaux écartait les recherches de ce genre : les auteurs
de farces françaises et les novellistes italiens ont pris
leurs sujets non dans les fabliaux que, sauf Boccace peut-
être, ils ignoraient aussi bien que Ptolémée ignorait
l'existence de l'Amérique, mais dans la tradition orale.
Fabliaux, farces, nouvelles italiennes ne sont que les acci-
dents littéraires de l'incessante vie populaire des Contes.
Il est peut-être utile de comparer entre elles ces diverses
manifestations littéraires (v. notre chapitre IX). Mais il
est permis aussi de considérer les fabliaux comme des
oeuvres non pas adoptives, mais exclusivement françaises ;
et de même les nouvelles de Sercambi ou de Bandello,
sans se préoccuper de leurs sources, comme des oeuvres
exclusivement italiennes. — Cette conception est fausse
peut-être, — négative, non pas.
20 LES FABLIAUX
Celui qui écrit ces lignes doit à M. Gaston Paris plus qu'il
ne saurait dire. Il ya sept ans, parmi les disciples qui entou-
raient sa chaire, M. Gaston Paris distinguait le plus jeune,
le plus an myme, encore sur les bancs de l'École normale.
22 LES TFJLBUrATJX
CHAPITRE PRÉLIMINAIRE
QU'EST-CE QU'UN FABLIAU ? DÉNOMBREMENT,
—
RÉPARTITION CHRONOLOGIQUE ET GÉOGRAPHIQUE
DES FABLIAUX.
I
En intitulant ce livre Les Fabliaux, je ne me dissimule pas
l'excès de ma témérité \ Toute la jeune école romaniste dit
fableau, comme elle dit trouveur. Quiconque ose écrire encore
fabliau, trouvère, fait oeuvre de réaction. Il est un profane, un
schismatique tout au moins.
Certes, la seule forme française du mot est, en effet, fableau :
cela n'est point discutable. Le représentant d'un diminutif de
fabula (fabula -f ellus) doit donner fableau, comme bellus donne
beau 2.
1. Elle m'a déjà été reprochée par le savant M. A. Tobler, dans VArchiv
de Herrig, t. LXXXVII, p. 441.
2. On sait comment se sont comportés tous les mots analogues : e devant
U + s a dégagé un a parasite [beats) ; Il s'est réduite à l, et devant une con-
sonne, l s'est vocalisée [beaus). On déclinait donc en vieux français :
Sing. sujet : li fableaus Pluriel. sujet : li fablel
rég. : le fablel re'g. : les fableaus.
La forme du pluriel a réagi sur le singulier : le fableau.]
26 LES FABLIAUX
D'où rient donc la forme fabliau ? Elle appartient aux dialectes
-du Nord-Est 1. Les savants des derniers siècles., le président Fau-
chet, le comte de Caylûs, ont trouvé cette forme dans des manu-
scrits picards et l'ont adoptée, sans se douter qu'elle fût dialec-
tale. Leur erreur, déplorable, s'est perpétuée jusqu'à nos jours.
Nous ne devrions pas plus dire fabliau que nous ne disons : biau,
châliau, tabliau. Fabliau est un provincialisme.
Les défenseurs de fableau ont donc pour eux la phonétique et
la logique, comme tous-les puristes. Mais ils ont contre eux, pré-
cisément, d'être des puristes. Nous pouvons déplorer qu'une
forme inexacte ait ainsi fait fortune. Nous pouvons regretter
d'être venus trop tard dans un monde trop vieux, et qui, depuis
les temps lointains du président Claude Fâuchet* et de Huet,
évêque d'Avranckes 8, dit fabliau:, — ou trop tôt, dans un monde
trop jeune, qui ne dit pas encore fableau. Mais eeux qui sou-
tiennent fableau ne doivent pas se dissimuler que, s'ils méritent
peut-être la reconnaissance future de nos petits-neveux, ils
affrontent assurément l'imperceptible sourire de nos contempo-
rains. J'avoue n'avoir pas ce courage, pour défendre une cause
si indifférente.
Il y a, d'ailleurs, ici, outre cette question de bon goût, une
menue question de principe. Ayons-nous donc le droit de réfor-
mer les mots mal constitués de notre langue ? Il nous déplaît de
•dire trouvère, alors que nous ne disons pas emperere ; mais nous
ne sommes pas plus autorisés à dire trouveur que sereur, au
lieu de soeur. De même pour notre mot ; les anciens érudits l'ont
p>ris à. des manuscrits picards et n'ont pas
eu tout à fait tort : la
.forme fabliau est en effet plus fréquente dans les manuscrits que
sa concurrente, parce que la Picardie est la province qui paraît
avoir le plus richement développé ce genre, et il est juste, en un
sens, que la forme du mot conserve pour nous la marque de ce
1. Fabliaus était un dissyllabe : (Cis fabliausaus maris MR,
promet
III, 57). — [Par les initiales MR, je désigne l'édition des fabliaux
.
de MM. de
Montaiglon et Raynaud).
2 « Nos trouverr.es... alloyent
par les cours resjouîr les princes, meslant
•quelquefois des fabliaux : qui estaient comptes faicts plaisir. Fauehet
OEuwes, 1610, f3 551, r°. a l »
'
3 Huet, Traité de l'origine des romans,
p. ISS de l'édition de 1711 :« Les
jongleurs et les trouverres coururent la France, débitant leurs
_
Jabliaux. romans et
»
LA FORME DU MOT : ÏÀBLÏAU OU FABLEAU ? 27
•fait littéraire. — Vous dites que nous devons parler français eu
français, et non picard ? Mais il est aussi illogique ée 'parler
aujourd'hui vieux-français que'' vieux-picard ; si nous voulons
^parler français, ne disons ni fabliau m fableau, mais conte à
rire'", de même, ne disons ni trouvère ni trouveur, mais poète.
Qu'est-ce donc, •d'ailleurs, parler français, sinon suivre l'usage du
'grand nombre, quand il est approuvé par nos écrivains ? Les
savants ont le droit, entre eux, de refaire un mot technique, un
mot d'érudits, non connu du public, et qui ne fasse point partie
-du trésor commun de notre vocabulaire. Mais il n'en va pas ainsi
pour le mot fabliau. Pas un lettré qui ne le connaisse ; pas un
écrivain de notre siècle qui ne l'ait employé. C'est sous cette forme
qu'on le connaît à l'étranger, et sous cette forme que Victor Hugo
lui a fait l'honneur d'une rime :
Ici,. sous chaque porte,
S'assied le fabliau,
Nain du foyer qui porte
Perruque in-folio'...
." C'est donc l'un de ces mille et un mots à moitié réguliers dont
'
.toute langue foisonne, et contre lesquels il sied mal de se dresser
«n réformateurs. Telles, les expressions consacrées : l'esprit
gaulois, le style gothique. Si impropres soient-elles, on ne peut
s'en passer sans quelque gêne, partant sans quelque pédantisme.
J'aime mieux Philippe le Bel que Philippe le Beau, Mwitaigm
-que Montagne, et je ne cesserai de prononcer- violoncelle- à la
française que lorsque j'aurai entendu prononcer à l'italienne le
mot vermicelle. Employer la forme fabliau, ce n'est pas, dites-
II
Qu'est-ce qu'un fabliau ?
La notion n'en est pas très constante en dehors du cercle des
purs médiévistes, et plus d'un lecteur, — et des plus lettrés, —
attiré par le titre de ce livre, sera déçu, peut-être, à l'ouvrir. Il
attend que je le ravisse au sein du beau monde romantique : car,
dans l'usage courant de la langue, fabliau se dit de toute légende
du moyen âge, gracieuse ou terrible, fantastique, plaisante ou
sentimentale. Michelet, notamment, lui attribue sans cesse cette
très générale acception. Cet abus du mot est ancien, puisqu'il
remonte au président Claude Fauchet, qui écrivait en 1581.
Depuis, les éditeurs successifs des poèmes du moyen âge l'ont
accrédité : Barbazan en 1756x, Legrand d'Aussy en 1779 et en
1789 ", Méon en 1808 3 et 1824l, Jubinal en 1839 et 1842 ont \
réuni pêle-mêle, sous le même titre générique de Fabliaux, les
poèmes les plus hétéroclites. « Miracles et contes dévots, chro-
niques historiques rimé es, lais, petits romans d'aventure, débats,
(Le Prêtre comporté], — Sur cette singulière mobilité de VI, voy. W. Foerster,.
-Jahrbuçh f. rom. u. engl. Phil., N. F., I, 286.
2. Le mot dit, comme son sens étymologique le laisse prévoir, est evtrê^
mement comprébensif. Aussi s'emploie-t-il comme synonyme non teehuique-
de fabliau, en tant que le fabliau est une espèce du genre narratif. Les trou-
vères appellent communément leurs fabliaux des dits :
Mètre vneil m'entente et ma cure
A fere un dit d'une aventure;..
A.tant aï mon fablel fine.
(Lee Braies du cordelier, ni, 88.)
Cf. III, 62, III, 80, etc. — Tout fabliau est un dit ; mais la réciproque
n'est pas vraie. Un poème sans récit est un dit et n'est pas un fabliau. C'est
pourquoi nous effaçons de la liste de MM. de Montaiglon et Raynaud les dits-
dialogues des Troveors ribaus (I, 1) et de la Contregengle (II, 53) ; les dits
des Marcheanz (II, 37) ; des Vins d'Ouan (IL 41) ; de VOusiiïlement au vilain
(II, 43), des Estais du siècle (II, 54), du Fai-eon lanier (III, 66) ; de Grognet et
de Petit (III, 56) ; Une branche d'armes (II, 38), la palrenoslre farsie (II, 42).
3. L'auteur du Valet qui d'aise a malaise se met appelle son poème un
"fabliau (v. 376)'. Mais M. Pilz (p. 21) lui refuse celte qualité.
4. La Châtelaine de Saint-Gilles, MR, I, 11. :- '•• .
'
-
5. V. Jeanroy, Les origines de la poésie lyrique en France, 1-889; ch; IV. '-
32, LES FABLIAUX
Faut-il donc en exclure, pour la même raison, le Prêtre qui
fut mis au lardier 1 ? Cette spirituelle piécette est rimée sous
forme strophique, et le poète l'appelle lui-même « une chansona ».
Mais nous serions fort en peine de lui trouver sa place parmi des
poèmes similaires, dans un genre lyrique quelconque. Au rebours
de la Châtelaine de Saint- Gilles, elle ne rentre dans aucun groupe
de chansons connu, mais procède, par contre, de la même inspi-
ration que les fabliaux. — Accueillons-la donc comme l'unique
spécimen d'une variété rare du genre : le fabliau chanté. Un
jongleur s'est amusé à chanter sur sa vielle, peut-être sur un
mode parodique et bouffon, un fabliau ; c'est une fantaisie qui a
dû se renouveler plus d'une fois.
Les fabliaux sont des contes : ce qui implique une certaine
brièveté : le plus court a 18 vers 3 ; le plus long, près de 1.2004.
En général, ils comptent de 300 à 400 vers octosyllabiques. Par
cette brièveté, ils s'opposent, dans la terminologie du xme siècle,
aux romans 6. Mais combien faut-il de vers pour qu'un long
fabliau devienne un court roman, ou pour qu'un court roman
devienne un long fabliau ? Comme il est malaisé d'en juger, les
critiques disputent s'il faut dire le roman de Trubert ou le
fabliau de Trubert. Pourtant, une différence plus interne sépare
le fabliau du roman. Le fabliau n'a point, comme le roman,
l'allure biographique. Il prend ses héros au début de l'unique
aventure qui les met en scène et les abandonne au moment où cette
aventure finit. Par là, il semble donc bien qu'il y ait quelque
inexactitude à ranger Richeut et Trubert parmi les fabliaux.
Nous recevrons cependant ces poèmes dans notre liste, non
comme des fabliaux proprement dits, mais comme les uniques
représentants d'un sous-genre très voisin et plus prochement
apparenté aux fabliaux qu'à tout autre genre.
2° Les fabliaux sont des contes à rire.
Comme tels, ils ont comme synonymes non techniques dans la
Le dit dela-Dent- (I,, 12); est bien.une. pièce morale, et le petit apologue-
1...
qu'il renfermen'a de valeur et d'agrément qu'autant.que le poète en tire une
moralité, qui, seule, lui importe. Je sais que ce petit conte' du fèvre arracheur 1
dé d'ents peut vivre indépendant, sans aiicune idée d'application morale-.. II.
est, par exemple,, narré pour lui-même dans lés Contes en vers de Félix Noga-
ret, Paris,, 1.810, liv. VI,. p. 108 : ' '
III
La liste que nous dressons comprend, au total, 147 fabliaux.
C'est peu pour représenter le genre. Mais nous en avons assuré-
ment perdu un très grand nombre.
Pour se figurer l'importance de ce naufrage qu'on se rappelle
l'histoire du recueil de farces dit du British Muséum*. Dans un
grenier de Berlin, vers 1840, on a retrouvé un vieux volume
Comparez encore ce passage :
Or reviendrai a mon trefcié
D'une aventure qu'emprise ai,
Dont la matière moût prisai
Quant je oi la nouvelle oïe,
Qui bien doit estre desploïe
Et dite par rime et retraite.
(V, 137, v. 38.)
Une fois « retraite par rimé », l'aventure qui a fourni cette matière devient
un fabliau.
1. Mais ils ne sont pas, comme le voudrait M. Pilz, tous les contes à rire
en vers. Il faut considérer à part les contes à rire des grands recueils
traduits
de-langues orientales, le Chasliemenl d'un père àson fils, le Roman des sept
sages, etc., et ceux des recueils de fables de Marie de France, des Ysopets,
etc. Destinés à la lecture plutôt qu'à la récitation, distincts des fabliaux
par leur origine littéraire, savante, et par d'autres caractères qui seront
marqués plus loin, ces contes à rire forment un groupe qui complète celui
que nous étudions, sans se confondre avec lui.
2. V. L. Petit de Julleville, Répertoire du théâtre comique en France au
moyen âge, 1886.
38 LES Ï'ABLIAUX
relié en parchemin, imprimé en caractères -gothiques. C'était-un
recueil factice de soixante et -une -farces ou moralités françaises'
du xv-r* siècle. Or, einquante-rsept de «B pièces ne no-us sont
-cet unique -exemplaire..Ainsi,<un siècle environ
connues que par
après l'invention de l'imprimerie, notre répertoire comique était,
si peu à l'abri de la destruction -que ce qui nous -en reste serait
diminué du quart, s'il n'avait plu -:à quelque amateur, à -un boa
Brandebourgeois peut-être, de passage à Paris vers 1548, de
collectionner des farces françaises. Et les manuscrits-du xnïe siècle
sont presque aussi rares que les plaquettes gothiques -du xviB 1
Une observation très simple et plus directe nous donnera -une
juste idée du grand nombre de fabliaux -qui ont disparu. Sur
nos 1-47 fabliaux:, 92 -sont anonymes ; les 55 autres portent le
nom de trente auteurs différents, -ou -environ-1, -ce -qui -attribue
à chacun deux- pièces -en moyenne. On peut donc conjecturer,
par analogie, que les 92 fabliaux anonymes sont l'oeuvre de 45
autres poètes. Notre recueil de fabliaux représenterait donc une
part de .l'oeuvre collective de 75 poètes environ. Remarquons
que la plupart d'entre eux étaient des jongleurs de profession,
qui vivaient des contes qu'ils composaient et récitaient. En sup-
posant que chacun ait, pendant tout le cours de sa vie, composé
12 fabliaux seulement, l'oeuvre des 75 trouvères comprendrait
un millier de pièces.; et voilà notre collection sextuplée. Or, il
faudrait considérer non pas seulement 75 trouvères, mais, au
moins, le double.
Il a donc péri un nombre de fabliaux difficilement appré-
ciable, mais très grand. Un trouvère, Henri d'Andeli, nous donne
un renseignement curieux : écrivant -un grave. dit historique, il
nous fait remarquer que — ce poème n'étant pas un fabliau —
il l'écrit sur du parchemin, et non sur des tablettes de cire \
Aussi n'avons-nous conservé d'Henri d'Andeli qu'.un :s,eui
fabliau, charmant d'ailleurs, et s'il nous est
parvenu, c'est
miracle. Onn"estimaitpas que ces .amusettes valussent feuillet
.un
de parchemin.
1. En voici wie pourtant (MR, V, p. .166). -Un .mari bat un prêtre si fort
Conques li foons vilains Mados
Qui le tenoit por Ouroln
2Je -ferî rtant. aor JBanuoïn
Quant il traist Drian de la fosse.
Qui sont ces Madot, Curoïn, Baudoin, Drian ? Sans doute les personnages
-de quelque fabliau perdu.
2. Dans -le ^prologue -du fabliau des Meux-chevaux, MR, I, 13.
3. Édition f. Michel, <v. 298.
4. MR, IV, 97.
5. MR, I, i, De deus iroveors ribaus.
6. T>eh sont ; la Bourgeoise-â"Qrléans, Berm&er, .les Braies au CorMiert
.Qomberi et ïes deux ..cieres, âes Tresses, ,1a Mousse partie, la Maie honte, &R
Longue nuit, etc.
40 LES FABLIAUX - :
compilés au hasard, mais de véritables collections d'amateurs, à
la formation desquelles un certain choix a présidé. Il convient
pourtant de faire cette importante réserve : ces collections repré-
sentent excellemment le genre,.mais à un moment déjà tardif de
son développement. On n'a songé qu'assez tard à réunir des
fabliaux, tout comme les contes qui couraient sur Renard et'
Ysengrin : les plus archaïques ont péri presque tous.
IV
'
' "V
1. V. l'appendice I.
2. Sauf pour les fabliaux anglo-normands. Les traits linguistiques du
français parlé en Angleterre sont si apparents que les six fabliaux attribués
par nous à ce dialecte sont assurément les seuls de notre collection qui
aient été rimes sur le sol anglais.
PREMIÈRE PARTIE
La Question de l'origine et de la propagation des Fabliaux
CHAPITRE PREMIER
IDÉE GÉNÉRALE DES PRINCIPAUX SYSTÈMES
EN PRÉSENCE
' 'I
aucune des théories en présence ne peut la négliger : car, vraie, elle
lui eût dit que sa plaisante histoire n'était point née dans son
village,, et que les belles filles des Iles d'Or n'y étaient primiti-
vement pour rien :. que,, le même jour, peut-être, un paysan de
l'Argonne2', un paysan gascon.3,, un. paysan de l'Agenais 4 la
redisaient de la même façon que lui ; que, bien loin de la Pro-
vence, elle amusait, toute semblable, les Allemands B: ; qu'il y a
plus de trois cents ans,,àStamboul, elle faisait déjà rire les Turcs'.
trois qui travaillent, deux qui ne font rien, et la poule qui boit.-
C'est le papier, l'encre, la main qui écrit et la plume. »:OnIa
— du xve siècle, dans
trouve dans de vieux recueils de foyeusetés
des collections d'indovinelli italiennes, en Sicile, en Angleterre,',
:
Lithuanie, dans la Dordogne, dans le Forez, -en Serbie'8.
en
Ainsi, l'on constate que chaque peuple, chaque province,,
chaque village possède-un trésor de traditions populaires,—
-une collection de proverbes, de. devinettes, — des 'traditions
météorologiques, médicales, — une faune, une flore poétiques,
des contes plaisants, — des contes d'animaux, —-
des
—
légendes historiques-ou fantastiques, — des -chants populaires ;
et l'on remarque en même temps ce second fait qu'il n'existe
—
qu'un très petit nombre de ces chansons, de ces légendes, de ces
contes, de ces proverbes, qui appartiennent en propre à ce
village, à cette province, à ce pays.
On constate, au contraire,que chacune de ces traditions pos-
sède une force merveilleuse de survivance dans le temps, de
diffusion dans l'espace, si bien qu'on peut dire avec le plus
extraordinaire collecteur de contes de notre temps, M. Reinhold
Koéhler : « Le nombre des contes'localisés en deux ou'trois points
est.relativement petit, et serait encore bien moindre, si on les '
avait recueillis partout avec le même zèle... On peut dire que
celui qui a lu la collection de Grimm ou celle d'Asbjcernsen et
Moe n'a plus rien à trouver d'essentiel et de nouveau dans les
autres collections 5 ; » — ou bien, avec M. Luzël : « Nous
retrouvons dans nos chaumières bretonnes des versions de
presque toutes lesiables connues en Europe* ; » — ou encore,
avec M. James Darmesteter : « Tout ce qui est dans le folk-lore
français se retrouve dans tous les autres ; il n'y a pas, à propre-
ment parler, de folk-lore français, ou allemand, ou italien, mais
1. Cf. Jeanroy, Les origines de la poésie lyrique
en France,
—' p. 70.
2 Cf. le Recueil de devinettes de E. Rolland, n° 250
col 200 et col. 254.
Mélusînet I
>•.>
_'3 Reinhold Koehler, Weimarische Beitrâge zur Literalur und KunsL
Weimar, 1879.
4. Contes populaires delà Basse-Bretagne, préface.
LE PROBLEME DE L'ORIGINE DES CONTES 51
Tin seul folk-lore européen ; et telle croyance ou.telle légende qui
^paraît isolée dans un coin isolé d'une province de France est
soudain rapportéepar un voyageur dans des termes analogues ou
'identiques de chez quelque peuplade d'Afrique ou d'Australiea. »
Tel est le fait dominant, et voici le problème : d'où viennent
*és traditions populaires ? Commentse propagent-elles ? Il s'agit
Jde déterminer, pour chacun de ces groupes de traditions, le
dieu, la date de sa naissance, les lois de son développement
.interne, de ses migrations dans l'espace, dans la durée.
Des brigades de travailleurs se sont mises à l'oeuvre, et les
cthéoriès ont germé. ;
II
D'où viennent ces légendes populaires ? En myriades de
molécules, il flotte, épars dans l'air, le pollen des contes. D'où
est issue cette poussière féconde ? S'est-elle détachée de diffé-
rentes souches .? ou de la même, unique et puissante ? En ce
•cas,,sur quel sol, en quel temps, s'est épanouie la .fleur-mère ?
Si la.question se posait pour les seuls fabliaux, elle n'offrirait
qu'un intérêt médiocre et de simple curiosité. Quelle est l'origine
de ces. amusettes qui, depuis des siècles, réjouissent les esprits
peu compliqués ? C'est un problème, divertissant peut-être, sans
.grande portée à coup sur.
Mais il n'en va pas ainsi des contes merveilleux : ces humbles
et étranges histoires de paysans, ces nursery taies, ces Màhrchen
des -vieilles femmes de la Westphalie et de la'Foret-Noire, ce
sontles matériaux de toute, recherche mythologique. Il n'y a plus
déplace aujourd'hui pour un,système qui considérerait unique-
ment le Panthéon classique d'un peuple, ses dieux et ses héros
hiérarchiquement groupés dans TOlympe ou la Walhalla offi-
ciels, sa cosmogonie expliquée, épurée par la spéculation
consciente des poètes, des philosophes, des artistes. Plus de
mythologie qui,ne tienne compte des traditions populaires, dont
les.contesiont partie intégrante : car ton sait aujourd'hui que
-souvent les racines des contes et des fictions populaires
1. Romania, t. X, p. 286.
52 LES FABLIAUX
III
THEORIE ARYENNE
patois de la- mythologie. On peut souvent, dans nos contes, en; -'
lavant l'uniforme badigeon des idées chrétiennes, retrouver,
presque effacée, la primitive peinture païenne, et sous l'image
actuelle de la Vierge- Marie ou des saints, découvrir quelque
vieille-divinité germanique r les fées, les ogres, les mille lutins' -
qur jouent ou se 'combattent dans nos contes merveilleux, sont
tes représentants, df'anciens héros légendaires; qui, euix-mêmes,,
incarnaient primitivement les puissances delà Nature et.leurs'
luttes.
Ainsi, par de graduelles altérations, Tes mythes primitifs se-
^ transformés en légendes, et .l'es Légendes en contes. «Le \\
sont
s premier ^travail à entreprendre est donc de~. faire remonter
1
THÉORIE DE L'ORIGINE ARYENNE DES CONTES 55
« chaque conte à une légende plus ancienne, et chaque légende
s( à. un mythe primitif 1: » '
IV
LA THÉORIE ANTHROPOLOGIQUE
On sait quelle belle guerre est menée depuis quinze ans contre
l'école de M. Max Mûller. On lui a contesté ses résultats, ses
méthodes, ses principes. Depuis Mannhardt jusqu'à M. James
Darmesteter, combien de savants l'ont abandonnée, brûlant ce
qu'ils avaient adoré ! Combien, depuis Bergaigne jusqu'à M. Barth,
ont fait effort pour dissiper l'ivresse linguistique qui nous grisait,
pour dépouiller les Védas de leur autorité sacrée, pour démontrer
1. Ibid.,-p. 283.
58 L'ES FABLIAUX '
V
•THÉORIE DES;COÏNCIDENCES ACCIDENTELLES
Grimm, qui n'était pas sans connaître des contes africains ana-
logues à seg contes allemands, s'obstina pourtant à soutenir que,
sauf quelques pas isolés, les contes ne se propageaient jamais par
"emprunts; et c'est alors qu'il exprima l'idée que ces ressemblances
pouvaient s'expliquer par des coïncidences : « Il y a des situations
si simples et si naturelles qu'elles réapparaissent partout,comme
ces mots qui se reproduisent sous des formes toutes semblables
en des langues qui n'ont aucun l'apport entre elles, parce que des
peuples divers ont imité de manière identique des bruits de la
\
nature »
Aujourd'hui je doute qu'il se trouve encore des folk-loristes
pour défendre cette position devenue intenable. Il a semblé pour-
tant à plusieurs que M. Andrew Lang était de ceux-là. M. Cos-
quin 2, M. Krohn 3, M. Sudre 4, M. Jacobs 5, d'autres encore, dont
je fus, avaient noté dans ses livres nombre de passages inquié-
tants ; tel celui-ci : « Nous croyons impossible, pour le moment,
de déterminer jusqu'à quel point il est vrai de dire que les contes
ont été transmis de peuple à peuple et transportés de place en
place dans le passé incommensurable de l'espèce humaine, ou jus-
1. Oui certes ; mais ces coïncidencesqui ont pu faire réinventer des contes
très simples ont précisément la même importance que les onomatopées pour
la comparaison de deux langues. C'est-à-dire que, comme les onomatopées,
elles sont très rares et négligeables.
2. E. Cosquin, L'origine des contes populaires européens et les théories
de M. Lang, 1891, p. 6.
3. Kaarle Krohn, Bàr und Fuclw, Helsingfors, 1891.
4. L. Sudre, Les Sources du roman de Renart, Paris, 1893, p. 8.
.5. J. Jacobs, Cinderella in Brilain, dans le numéro de. septembre 1893
de-la revue Folk-lore.
BÉDIEF. — Les Fabliaux. 5
66 •
LES FABLIAUX
qu'à quel point ils peuvent être dus à l'identité de l'imagination
humaine en tous lieux... Comment les contes se sont-ils répan-
dus ? c'est ce qui demeure incertain. Beaucoup peut être dû à
l'identité de l'imagination dans les premiers âges ; quelque
chose à la transmission x. »
.
VI
LA THEORIE/miENTALISTE
VII
CHAPITRE II
HISTORIQUE DE LA THÉORIE
Elle est française par ses plus lointaines origines, et l'on peut
dire que, déjà, elle existait en puissance aux temps reculés où
La Fontaine fit connaissance avec le sage Bidpaï.
Dès 1670, le savant évêque d'Avranches, Daniel Huet, disait
expressément : « Il faut chercher la première origine des romans
dans la nature de l'homme, inventif, amateur des nouveautez et
des fictions... et cette inclination est commune à tous les hommes
;
mais les Orientaux en ont toujours paru plus fortement possédez
que les autres ; et leur exemple à fait une telle impression sur les
nations de l'Occident les plus polies, qu'on peut avec justice leur
HISTORIQUE DE LA THEORIE ORIENTALISTE 73
en attribuer l'invention. Quand je dis les Orientaux, j'entends
\
les Égyptiens, les Arabes, les Perses, les Indiens et les Syriens »
Huet plaçait donc l'origine des fictions dans un Orient vague
et indéterminé, et cela pour des raisons plus vagues encore et
plus indéterminées.
Au commencement du xvme siècle, cet Orient se limita.
Égyptiens, Perses, Indiens et Syriens furent
un peu sacrifiés, au
profit des seuls Arabes. C'est le grand succès des Mille et une
Nuits qui.créa ce préjugé. Grâce aux Galland, aux Cardonne,
aux d'Herbelot, l'imagination des peuples de l'Islam passa pour
la toute-puissante créatrice des fictions. De même que les Arabes
avaient introduit en Europe l'aubergine et l'estragon, ils y
avaient importé, un beau jour, la rime et les contes.
Ainsi, dès le xvin 6 siècle, l'idée du système Orientaliste avait
germé. Et comment ? Dans l'esprit d'érudits excellents, à qui
manquait simplement le sens do ce qui est primitif et populaire,
et persuadés qu'on pouvait se poser ces questions : « qui a inventé
les contes ? quel jour fut découvertela rime ? » au même titre que
celles-ci : « quel jour a été inventée l'imprimerie ? qui a décou-
vert les propriétés de l'aiguille aimantée ? » Ils commettaient
innocemment un sophisme d'humanistes et de rhéteurs, analogue
à celui des Grecs qui cherchaient, étymologistes naïvement ambi-
tieux, quel rapport unissait dans les mots le sens au son, et pour-
quoi ces deux syllabes : 'iniroç, et non d'autres, servaient à dési-
gner le cheval. Les Grecs oubliaient qu'à l'époque où ils se
posaient ce problème, leurs mots étaient déjà fort vieux, et fort
vieille leur civilisation. De même, nos anciens orientalistes
oubliaient que l'humanité était bien vieille déjà, lorsqu'elle pro-
duisit les premiers romans que nous connaissons, et que chercher
« l'origine des fictions », c'était se poser un problème identique
à celui des origines de l'esprit humain. Les plus anciennes qu'ils
connussent étaient arabes, persanes, indiennes : ils proclamaient
donc que les Orientaux avaient inventé les fictions. Mais ce n'est
là que la période embryonnaire de la théorie, qui devait encore
subir, pendant la première moitié de ce siècle, une lente incuba-
tion.
En 1816, parut le célèbre ouvrage de Silvestre de Sacy : Calila
1. Traité de l'origine des romans, p. 12 de l'éd. de 1711.
74 LES FABLIAUX
Dimna-ou les Fables de Bidpaï en arabe. Appliquant son esprit
et
à l'examen des diverses rédactions de ce livre, le plus
sagace
vaste et le plus répandu des recueils de contes orientaux; il prou-
vait que la plus ancienne forme n'en était ni arabe, ni persane,
mais indienne.
Parce que c'est lui-qui établit ce .fait considérable, on se
-
réflexion que n'eût pas faite l'auteur des travaux originaux, mais
qu'on croit pouvoir légitimement faire. On avance une généralité
que l'investigateur primitif ne se fût pas formulée de la même
manière. Un écrivain de troisième main procédera ainsi sur son
modèle, et ainsi, à moins de se retremper continuellement aux
sources, la science historique est toujours inexacte et suspecte 1. »
Mais que l'autorité de Silvestre de Sacy ait été justement ou
témérairement invoquée, toujours est-il que la théorie allait se
précisant depuis le commencement du xixe siècle.
Théorie bien inoffensive encore. N'était l'habitude livresque de
croire nécessairement plagiée par Boccace toute nouvelle qui se
retrouvait à la fois dans le Décaméron et dans le Calila, n'était
cette tendance à regarder les races orientales comme prédesti-
nées, par décret spécial, à inventer les fictions, — les opinions de
ces savants étaient aussi justes que modérées. Ils se bornaient à
constater l'immense succès des deux romans de Calila et de Sen-
dabar, et avançaient que les novellistes ou fabulistes' européens
leur avaient beaucoup emprunté, depuis le moyen âge. Vérités si
peu contestables qu'elles ressemblent à des truismes.
C'est pourtant d'une simple généralisation de ces modestes
propositions que devait sortir, quelques années plus tard, un
système envahissant, impérieux.
Non seulement les, deux grands recueils indiens, le Calila et le
Sendabar, avaient fourni cent ou deux cents contes à des novel-
listes italiens, français, espagnols, à court d'invention ; mais
c'était presque tout le trésor de nos littératures populaires euro-
péennes qui s'était formé dans l'Inde. Dans l'Inde prenait sa
source un immense fleuve charriant des fables, une sorte de
fabulosus Ilydaspes, qui avait inondé le monde.
C'est un orientaliste de Goettingue, Théo dore Benfey, qui cons-
truisit ce système.
En 1859, parut cette introduction de 600 pages à la traduction
allemande du Pantchatantra *, monument d'une prodigieuse éru-
dition, digne d'un Scaliger et d'un Estienne. Dans le premier
1. Max Mûller, comme nous l'avons vu, admet les théories de Benfey
pour les nouvelles et les fables. Voyez différents de ses essays et, notamment,
l'étude intitulée La migration des fables, Essais de mythologie comparée,
trad. Perrot, 1873.
2. Le savant bibliothécaire de Weimar, M. R. Koehler, été enlevé à la
science depuis que ces lignes ont été écrites. a
3. Reliques scientifiques, II, p. 17. Leçon d'ouverture
en Sorbonne (1878).
SA FORME ACTUELLE 79
On les voit, portés par des traductions pehlvies, arabes, syriaques,
hébraïques, latines, marcher de l'Inde jusqu'en France, où l'art
de nos conteurs du moyen âge les rajeunit et les rappelle à une
vie nouvelle. » Voici quelques lignes de la belle. Histoire de la
littérature anglaise de Ten Brink : « C'est de l'Inde que vient le
gros (die Haaptmasse) des nouvelles du moyen âge. Elles se sont
répandues, soit isolément, par voie orale ou par voie littéraire,
soit, et plus souvent, par l'intermédiaire de grandes collec-
tions, où des contes isolés sont subordonnés à un récit plus
général, qui les environne comme d'un cadre.-Ces collections
indiennes, en passant par le persan, l'arabe, la littérature rabbi-
nique, sont parvenues en Europe, où, par l'intermédiaire du grec
ou par quelque autre canal, elles ont trouvé accès dans la littéra-
ture du moyen âge. Souvent modifiés, renouvelés, contaminés
par d'autres récits, ces cycles de nouvelles et de contes merveil-
leux conservent pourtant, dans leurs dernières transformations
européennes, les traces de leur origine orientale 1. »
Tant il est vrai que la théorie s'est lentement infiltrée partout,
universellement populaire, admise, par une sorte de jugement
d'habitude, de ceux-là même qui n'en ont jamais vérifié les titres !
II
ARGUMENTS DE LA THÉORIE INDIANISTE SOUS SA FORME ACTUELLE
livre en livre.
Par exemple, partant d'un conte français du xme siècle, nous
BÉDIER. — Les Fabliaux.
s
|F;82" '- r;".V-irvLÉS, FABLiA-UXs
' "
.
dont l'exode est exposé par le tableau synoptique, ci-joint 1:
..Nous ayons donc constaté une tradition littéraire qui portait
.....
ce conte d'Orient en Occident. ,.,,;.. f{
Mais un caractère essentiel des contes populaires est de se-
.
..
transmettre, non pas seulement délivre en livre, niais de-bouche
eh bouche. Les livres sont-donc un véhicule puissant, mais non
unique. .,,.-.
Livrés à la transmission orale, les contes isolés ont-ils suivi la
..-
,."<.-
même route que les contes des recueils littéraires ?";" 'V "'_..;.
On né saurait le dire a priori.': mais la route quéies recueils
J littéraires ont suivie, pour venir de Bénarès à Paris,'nous four-
le ïalmud qui les aura conservés chez les Juifs, et ce sont eux'qui, éh les
-écrivant eh:latin, en ont donné à l'Europe le thème et la matière. » ;;. .-.„ y ,
84 LES FABLIAUX
leurs ouvrages les sujets des récits que leur ont empruntés à
leur tour les conteurs italiens et français du moyen âge et de la
Renaissance. »
De plus (mais cette opinion de Benfey n'est pas universelle-
ment admise dans l'école), les Mogols, à la faveur de leur domi-
nation, du xine au xve siècle, dans l'Europe orientale, ont pu
également ouvrir un débouché nouveau aux contes indiens.
En troisième lieu,— et c'est là l'argument le plus puissant, —
les contes européens portent souvent en eux-mêmes le témoi-
gnage de leur origine orientale. Souvent, même dans des ver-
sions modernes, on relève des traits qui, altérés ou non, sont
indiens ; parfois même, — malgré le remaniement, brahmanique
très anciennement subi par la plupart des recueils indiens,
on y trouve des traits de moeurs spécifiquement boud-
—
dhiques.
Ces observations provoquent une méthode comparative souvent
employée par les orientalistes,, supérieurement, maniée par M.
G. Paris, en de trop rares monographies de.contes.. Il s'agit de
comparer les différentes formes conservées d'un récit. Elles se
classent en deux séries qui s'opposent : ici un groupe oriental,
là un groupe occidental. Or, si l'on considère les traits qui
diffèrent de l'une à l'autre série, cette comparaison doit ou peut
conduire aux observations suivantes : les traits présentés par le
groupe occidental en désaccord avec le groupe oriental sont
d'ordinaire gauches et maladroits. Ils se trahissent donc comme
des adaptations. Sous la forme orientale, au contraire, les traits
correspondants et différents sont naturels, logiques, conformes
aux moeurs du pays et à l'esprit du conte. Les formes orientales
sont donc des formes-mères.
En résumé, l'école indianiste a réponse aux deux questions :
d'où viennent les contes ? comment se propagent-ils ?
Mais, tandis que tous les partisans de Benfey sont sensible-
ment d'accord sur le problème de la propagation des contes, ils
sont-plus ou moins réservés sur la question d'origine.
•Pour expliquer l'origine des contes, la théorie la plus affir-
mative et la plus hardie est à peu près celle-ci : l'immense majo-
rité des contes populaires sont nés dans l'Inde. La plupart ont
été inventés par les premiers apôtres du Bouddha pour répondre
SA FORME ACTUELLE 85
à un besoin spécial de sa religion, qui est d'envelopper sa morale
du manteau des apologues.
Les partisans les plus hardis de cette théorie vont si loin dans
cette voie, ils sont si bien persuadés que les Indiens ont jadis
possédé un don créateur particulier, qu'ils attribuent une valeur
supérieure aux versions modernes, orales, des contes qui sont
aujourd'hui recueillies dans l'Inde : s'étant transmises de géné-
ration en génération dans l'intérieur de la race créatrice, ces
formes seraient plus pures que les versions nomades, erra-
tiques.
Au contraire, d'autres savants se montrent infiniment plus
réservés sur la question d'origine. Ils admettent que les prédi-
cateurs bouddhistes n'ont été que des collecteurs et des arran-
geurs de récits oraux, comme un Etienne de Bourbon au moyen
b
âge ; —- que les contes pouvaient vivre depuis longtemps déjà,
dans l'Inde et s'y transmettre oralement, quand, pour la première
fois, ils servirent à la propagande religieuse ; — que, peut-être
même, ils ne sont point nés dans l'Inde, mais y ont été importés.
Cependant, pour ces savants, ces contes, non indiens-, seraient
pourtant orientaux. Ils croient, eux aussi, à une source unique,
et cette source est orientale. Mais où jaillissait-elle ? En Assyrie ?
En Perse ? C'est une question sur laquelle ils se prononcent
avec aussi peu d'assurance que sur l'emplacement du Paradis
Terrestre.
Mais tous les partisans de l'école indianiste sont d'accord
du moins sur la question de la propagation des contes. Ils
reconnaissent une importance presque identique à la transmis-
sion par les livres et à la transmission orale. Les contes
passent des livres à la tradition orale, de la tradition orale aux
livres, etc., indéfiniment. Ils croient à l'influence de Byzance,
des Croisades, des Juifs. Les contes se sont propagés, orale-
ment et littérairement, sensiblement par les mêmes voies, qui
partent de l'Inde.
Bref l'attitude des indianistes peut se résumer par cette
phrase de R. Koehler :
« Le point de vue de Benfey sur l'origine et
l'histoire des
contes populaires européens est, comme il le dit lui-même, une
question de fait, qui sera complètement résolue-le jour seule-
86 LES FABLIAUX
les contes, tous, auront été ramenés
ment où tous ou presque
à leur original indien. Ces résultats sont à prévoir ; d'ores et
déjà, on a ramené tant et tant de contes à des sources indiennes,
devons jamais admettre, sinon sous les plus
que nous ne
prudentes réserves, que tel d'entre eux puisse être, en tel
autre pays, d'origine autochtone. » • ..
'...:.-/.
.
III
PLAN GÉNÉRAL D'UNE CRITIQUE DE. LA
THÉORIE INDIANISTE ,,;
4860, -:/''
qu%nûvoït-qûëlqutefoisiùn^^.^raitieX^UÇnt'ct^iitliénî.iqueconservé dans une
'VersiônT.qHi'd^'lleurs.^
'-';~1r--'
Revue critique, 22- mai '
-- '
88 LES FABLIAUX
contes modernes, qui, par, une méthode d'investigation ascen-
dante, se seraient lentement trouvés conduits vers l'Inde ;
mais les constructeurs-dûsystème furent au contraire, des éditeurs
ou des commentateurs du Calila et Dimna ou du Sendabad. Par-
tant de ces vastes collections, ils recueillaient les versions plus
récentes des cent ou cent cinquante contes,du Sendabad et du
Calila, et les retrouvaient presque tous sous des formes plus
modernes. S'ils étaient partis du Décaméron, peut-être n'est-il
pas téméraire de croire que, ne trouvant chez Boccace qu'une-
quinzaine de contes attestés dans l'Inde, ils n'eussent point-
construit leur théorie. Mais rien de plus explicable que leur-
tendance, rien de plus naturel 1, ni de plus faux, que leur rai-
sonnement.
Ce raisonnement est, au fond, celui même des arabisants des-
xvne et xvme siècles, de Galland, par exemple : les plus anciennes-
formes qu'ils connaissaient des contes étaient arabes ; aussi l'ima-
gination- arabe fut-elle considérée comme la génératrice pre-
mière des contes, jusqu'au jour où l'on découvrit des formes-
plus anciennes.
Les Arabes furent, au xvnie siècle, les grands inventeurs de-
contes ; au xixe siècle, ce sont les Indiens. Qui sera-ce, au
xxe siècle ?
.
—
Serée 32, La Fontaine, les Rémois, etc.
» — Grâce au même très simple-
raisonnement, on lit plus loin :
« Nuit III, fable IV. Marcel Vercelois
fui amoureux d'Eliennelte, laquelle le fit venir maison, et cependant qu'elle-
en sa
conjuroit son mari, il se sauve secrètement. ORIGINES
: Boccace, VII, 1,
Ce conte rappelle celui du mari borgne,
conte qui, parti de l'Inde, a trouvé-
place dans la Disciplina clericalis, dans les fabliaux,
217,
etc. V. l'Hilopadésa,.
p. ss., etc. »
_
PLAN D'UNE CRITIQUE .DE CETTE THÉORIE 89
Après cette observation préliminaire, destinée à nous mettre
en garde contre un sophisme évident, quel sera le plan général
de notre critique de la théorie orientaliste ?
Le fait est le suivant : de grands recueils indiens existent.
Ils nous fournissent la forme la plus ancienne de beaucoup de
contes. Ils ont été souvent traduits ; ils ont beaucoup voyagé.
Quelle a été leur influence ?
1° Est-il vrai de dire qu'il n'ait pas existé en Europe de
contes populaires antérieurement à la propagation des recueils
indiens, antérieurement aux rapports plus intimes, aux échanges
plus réguliers de traditions que Byzance, les pèlerinages, les
Croisades auraient établis entre l'Orient et l'Occident ?
2° Quelle est l'influence des recueils orientaux sur la tradi-
tion orale ? Beaucoup de contes sont-ils tombés du cadre de ces
recueils pour vivre de la vie populaire ?
3° Est-il vrai de dire que l'on retrouve souvent, dans nos
contes populaires européens, des traits de moeurs indiennes,
voire spécifiquement bouddhiques ?
4° Comparant un à un les contes sous leurs formes orientales
et occidentales, est-il vrai que les versions occidentales se tra-.
hissent comme remaniées, gâtées, adaptées, partant comme
issues des pures formes orientales ?
•90(ï- ; •- .; :
;-LES FABLIAUX;
II. Les Fables dans l'antiquité. Résumé des théories émises sur leur ori-
gine, destiné à mettre en relief cette vérité, trop souvent mécoimu.e
par les indianistes, que, lorsqu'on a fixé les.dates des diverses ver-
sions, d'un conte, on n'a rien fait encore pour dé terminer l'origine du
conte lui-même. '•'-
III. Exemples de contes merveilleux dans l'antiquité : â) en Egypte : b) en
Grèce et à Rome : Midas, Psyché, les contes de l'Odyssée, Mélàmpos,.
Jean de l'Ours, le Dragon à sept têtes, le fils du Pêcheur, Glau-
cos, etc.
IV. Exemples de nouvelles et de fabliaux dans l'antiquité : Zariadrês. Les
.
II
LES CONTES D'ANIMAUX DANS. L'ANTIQUITÉ GRECO-LATINE
col. 554.
•V, 2. Benfey, Pantchatantra, I, 325.
p.
..-'
332, Jacobs, op.
cit., p. 102; Barth, La littérature des contes dans l'Inde, Mélusine, III
LES FABLES DANS L'ANTIQUITE 97
trahirait comme une forme dégénérée, on devrait accorder le
bénéfice de la priorité. »
c) Théorie.de Benfey.
— C'est à l'épreuve de ce critérium que
Benfey soumet à son tour les fables. Il en examine soixante envi-
ron. Dans une cinquantaine de cas, les formes indiennes lui
paraissent soit plus déterminées que leurs parallèles grecs, soit
dégénérées : il soutient donc que ces cinquante fables sont nées
en Grèce. Pour six fables seulement, il admet une origine
indienne '. Voici sa conclusion d'ensemble : « La grande majo-
rité des contes d'animaux sont originaires de l'Occident et ne sont
que des fables ésopiques plus ou moins remaniées. Pourtant,
quelques-uns portent l'empreinte d'une origine indienne 2. »
d) Théorie de Keller. — Le principe de Benfey a paru à
O. Keller 3 arbitraire et faux. Il en applique un autre qu'il
nomme (p. 335) le principe de naïveté. « Entre plusieurs ver-
'« sions d'une même fable, je considère comme source des autres
« celle qui renferme les traits de moeurs animales les plus con-
« formes à la réalité,, à la nature, les plus naïfs. » Il s'ensuit,
comme bien l'on pense, qu'il attribue à l'Inde des fables que
Benfey croyait grecques d'origine, et inversement. Mais,
s'il répartit autrement que Benfey le trésor des apologues entre
les deux races contestantes, néanmoins il croit comme lui à
la réciprocité des emprunts. Non, pourtant, à .leur simulta-
1. C'est M. Jacobs, op. cit., qui a établi cette statistique. Voici les six fables
que Benfey attribue à l'Inde : Le chacal et le lion, § 29, p. 104 ; Le lion et
la souris, § 130, p. 329 ; Le lion et l'éléphant, § 143, p. 348 ; L'homme et le
serpent, § 150, p. 360 ; La montagne qui accouche d'une souris, § 158, p. 375 ;
enfin, § 200, p. 478.
Voici, par contre, quelques exemples des jugements de Benfey en faveur
de la Grèce : § 105, p. 293, « la fable du Makasa-Jâlaka n'est,qu'une exagé-
ration de Phèdre, V, 3. » — § 164, p. -384, « On peut conjecturer que la fabJe
grecque des Grenouilles qui demandent un roi a donné naissance à la fable
correspondante du Pantchatantra. » — § 84, p. 241 : « La fable ésopique
de l'Aigle et la Tortue est incontestablement la source première du récit du
Pantchatantra. » — § 191, p. 468, Cf. § 17, p. 79 : « La fable du Chien çui
laisse la proie pour l'ombre est visiblement une forme secondaire et défor-
mée de la belle fable grecque de Babrius, 79. » Comparez les §§ 50, 84, 121,
144 (où Benfey reste indécis), 188, etc.
2. Préface, p.- xxu.
98 LES FABLIAUX
néité. D'après Keller, les premiers inventeurs de l'apologue
sont, bien les Indiens ; mais, plus tard,- dégénérés, ils ont,
à leur tour, subi l'influence occidentale. « Le stock primi-
tif des anciens apologues ésopiques est venu de l'Inde et
s'esf répandu en Occident avant Babrius l. Puis, après la mort
de Jésus-Christ, lorsque les invasions étrangères eurent ouvert
les portes du monde oriental aux littératures d'Europe, nombre
d'apologues grecs, de formation relativement récente, pénétrèrent
dans l'Inde. La gloire d'avoir inventé les contes d'animaux les
plus beaux et les plus anciens reste aux Indiens, et les Grecs, à
l'époque la plus brillante de leur littérature, n'ont été que leurs
tributaires. Mais, lorsque,.les jours dé l'automne finissant, ceux
de l'hiver furent venus pour la littérature indienne, l'Orient
accueillit à son tour les belles collections de fables grecques 2. »
e) Théorie de M. Rhys-Davids. — Enfin, en ces. dernières
années, de nouveaux faits ont été apportés au débat, et M. Rhys-
Davids a comme renouvelé le problème 3.
Il a mis en relief la haute antiquité des Jâtakas, qui racontent
les diverses incarnations du Bouddha, et qui remonteraient
peut-être à, l'époque même de Çakyamouni, soit, sans doute, au
ve siècle avant Jésus-Christ. On y trouve parfois les mêmes
fables que dans l'antiquité grecque, et les contes des Jâtakas
seraient le stratum archaïque du.Pantchatantra. Les Jâtakas ne
seraient-ils point aussi la matrice des apologues ? Benfey ne les
connaissait qu'imparfaitement. Il admettait, pour la composi-
tion des grands recueils de fables, la série chronologique sui-
vante, en procédant du plus ancien au plus récent : Babrius —
Phèdre — Jâtakas — Pantchatantra. C'est pourquoi il crut
devoir admettre l'origine grecque des contes d'animaux et la
belle simplicité de son système général s'en trouva compromise.
Aujourd'hui, on admet plus communément la série inverse :
Jâtakas — Phèdre — Pantchatantra
— Babrius, qui donne l'an-
tériorité aux fables indiennes. M. Jacobs conjecture spirituelle-
1. Plat. Rép. 377 [jiavOivîi;... Ô'TI itpwtov T<H; itaiôiot; [JI-J6O'J; XÉfjfUv ;
: où
v., pour d'autres textes, Weber, op. cit., p. 383.
2. Les Guêpes, v. 566 : <A OÈ \k'(ouai IX'JOOOÇ 'ôfVïv, ol o' Alerto-itou TI -f^-oiovi
3. Arist., Rhéi., II, XX. Aristote y rapporte deux fables ^ju'il attribue,
l'une à Stésichore, l'autre à Esope.
.4. Les Oiseaux, 652.. Comparez les Guêpes, 1182 ; la Paix, 128-134.
5. Strattis, Meineke, 441. .
6. Eschyle, Myrm., fr. 135.
7. Soph., Anu, 712.
8. Les Guêpes, v. 1258.
.
9. Cratyle, 411 a, — Phédon, p. 61. Dans le Premier Alcibiade, Platon rap-
.
1. Julien, dise. VII, 227 a. âXÀ' ô JJLÏV ^j.ùGô<; ia-i -àXcuos o-xzp oT;iat
Ê'.ciflaa'.v ol T?I T0OTt'./-?j yptiuiEvo; TÛJV
vor,[.IXTUJV Y.Tixr/.s\jf\. DoXù? OÈ lv TO'Jxot;
ô nàpiôq (Archiloque) Itm ironjTvjç. (Cité par Bergk, Poet. lyr,, II,
p. 408,
note.)
2. On trouvera le relevé de ces fables archaïques, soit chez Wagener
(p. 10, ss.), soit chez Keller (p. 381-3), soit chez M. Jacobs, soit chez M. Denis,
De la fable dans Vantiquité classique, Caen, 1883, qui
nous donne la liste la
plus complète que je connaisse et la plus critique,
p. 28-30. Je crois qu'il
faudrait supprimer de ces listes plus d'un rapprochement. En voici
exemple : Bergk, Jacobs, etc., croient reconnaître dans un
un .fragment de
Théognis la fable de l'homme qui réchauffe un serpent. Voici le (Bergk,
passage
v. 602). Qu'on juge si cette induction n'est pas forcée :
tppt, OEOÏJLV x' iyfipï y.x\ à'/GpwTto'.a'.v aiuatE,
tyyyjjôv S; h -/.oArtm TOI/.ÎXOV tXy_i^
otp:v..
C'est ainsi que Bergk cherche, bien vainement, à
lade ou un autre apologue dans
reconnaître le lion ma-
ce vers d'Archiloque (fr. 131) : yoXrv -f»?
oùx eyj.it: Eco' TJTUKTI...
— On pourrait multiplier ces critiques.
3. V. Jacobs, Msop, p. 57.
4. V. les deux textes rapprochés
par Wagener, op. cit., p. 114-6.
LES FABLES DANS L'ANTIQUITÉ 105
« gémis-tu ? Tu es la proie d'un plus fort que toi. Tu vas où je te
« conduis, bien que tu sois un aède. Je te mangerai, s'il me
« plaît, ou je te renverrai. Malheur a qui veut lutter contre un
« plus puissant que soi ! Il est privé de la victoire et accablé de
«
honte- et de douleur. Ainsi parla l'épervier rapide aux ailes
« étendues. »
Cette fable est extraite, comme on sait, des Travaux et des
Jours 1. A l'époque d'Hésiode, que savait-on de l'Inde en Grèce ?
C'est seulement plusieurs siècles plus tard qu'on trouve la plus
ancienne mention de ces contrées, chez Hécatée. Le jour où
Hésiode versifia la fable de l'Épervier et du Rossignol, où étaient
le Mahâbhârata, les Jâtakas ? où Çakyamouni ? Il n'était alors
qu'un informe aspirant bouddha, un vague bôdhisat, qui devait
accomplir encore, pendant des siècles, de nombreux avatars.
Tels sont les faits que nous voulions retenir. Pourquoi avons-
nous insisté ainsi sur les plus anciennes fables grecques ?
Pour conclure à leur priorité sur les fables indiennes corres-
pondantes ? Nous n'en aurions garde. Mais pour en tirer à peu
près la même conclusion que M. Jacobs, dans son beau libre sur
Ésope 2, à savoir : qu'il existait en Grèce un véritable folk-lore.
Le vieil Archiloque, à la fin du vme siècle avant J.-C, en était
déjà conscient, lorsqu'il appelait l'une de ses fables un aTvoç
owOpcûjrcov 3. Les apologues ésopiques s'offrent à nous avec le véri-
table caractère des traditions populaires, l'anonymat. Il suffit
d'un mot, d'une allusion rapide, au théâtre, à l'agora, pour que
toute une foule retrouve la fable dans sa mémoire. Ces apologues
sont si nombreux, si familiers à tous, que le peuple imagine un
être fictif pour les lui attribuer, Ésope, analogue à l'Arlotto de
Florence, au Till l'Espiègle allemand, au Hodja de Turquie.
Quand Démétrius de Phalère, vers l'an 300 av. J.-C, composa
ses ata(»7ÇE!tov ),o-/cov amiyujai.4-, il dut vraiment agir comme Jacob
• l.
V. 185.
2. The fables of Msop, now agaih ediled and induced by Joseph Jacobs,
2 vol., Londres, 1889.
3. Bergk, Poet. lyr. gr., II, Archil., fr. 86.
aïvéî lie. àvOptÛTtiyv oot
ibç 3b' àXtimi-i -/.ài£TÔ; J'JVOJVÎTV
>' > '
Eu.tçav,.,
Comparez les fragments 87, 88.
4. Diog. LaerC, V, 80.
106 LES FABLIAUX
Grimm, en folk-loriste, se baissant vers la tradition des petites
gens, ramassant des contes dans les dèmes del'Attique, au mar-.
ché aux herbes. Aussi loin que nous remontions dans l'histoire
de la Grèce, nous y trouvons des fables ; aussi loin que nous
remontions dans l'histoire de l'Inde, nous y trouvons des fables.
Si nous pouvions remonter de mille ans plus haut dans l'histoire
de l'humanité, nous y trouverions aussi des fables, souvent, sans
.
doute, les mêmes.
Et tout ce que nous voulons retenir de cette discussion;, c'est
cette vérité, que nous avons surabondamment démontrée : quand
on a prouvé que Phèdre et B^rius sont plus anciens que le Sin-
dibad, que les fables citées par Aristophane sont antérieures au
Kalilah, que les Travauxet les Jours d'Hésiode préexistaient aux
Jâtakas ou aux Upanishads, personne ne croit avoir démontré par
là que la Grèce soit la mère des fables et que l'Inde l'ait plagiée.
Pourquoi donc attribuer tant d'importance à la préexistence
en Orient de certains contes à rire, de certains contes merveil-
leux ? Quand on a fixé les dates respectives de deux recueils de
contes, ou de deux versions d'un même conte, on n'a rien fait
encore pour déterminer la patrie de ce conte : le problème n'est
pas encore résolu ; il n'est pas même posé !
III
LES CONTES MERVEILLEUX DANS L'ANTIQUITE
P- 4-
...
2. Voir l'introduction de M. Maspéro aux Contes de l'ancienne Egypte^
».
de pierre. Mais voici -qu'un autre serpent survient, qui porte
une herbe ; il la dépose sur le corps de la bête tuée, et la rap-
pelle ainsi à la vie. Polyidos approche la même herbe du corps
de Glaucos et le ranime aussi.
La légende de Glaucos avait déjà été poétisée par Pindare et
par Eschyle, dans son rW/.oç DÔVT-.OÇ. Une ancienne légende
lydienne nous disait aussi que, grâce au même sortilège, Tylo
avait été ressuscité par sa soeur Moriè. M. Rohdes cite une
quinzaine de parallèles anciens et modernes de ce conte, et
R. Koehler, avec son extraordinaire érudition, énumère encore
un grand nombre de légendes similaires i.
Il ne serait pas malaisé de multiplier ces comparaisons.
;
Un conte albanais moderne de la collection de von Hahn repro-
-
duit certains traits de la légende de Persée combinée avec celle
d'OEdipe 1. Rohde 2 reconnaît, dans un épisode du roman
d'Achilles Tatius, Leucippe et Clitophon, la légende de la forêt
qui marche de Macbeth. — Qu'on lise Rohde 3, ou la belle
« enquête » de MM. Gaidoz, Psicbari, Karlowicz, sur les
Arbres'entrelacés * : la légende qui faisait germer de la tombe de
Tristan un cep de-noble vigne, de celle d'Yseult un buisson de
roses, a, dans l'antiquité grecque, de nombreux parallèles. Qu'on
feuillette le. rectieil dé Contes grecs modernes de M. E. Legrand :
si peu copieuse que soit sa collection, il relève jusqu'à sept
contes qui se retrouvent dans l'antiquité classique 5.
Jamais un folk-loriste n'a encore dépouillé, d'une manière
.systématique, les légendes antiques, le trésor de ces contes
réunis par des hommes comme Pausanias, qui parcouraient la
Grèce, demandant aux serviteurs des. temples, aux exégètes, aux
mystagogues, les créations de la fantaisie populaire. Il faudrait
compulser Ëlien, Strabon, Parthénius, Héliodore... Le travail
n'est pas commencé. Peut-être sera-t-il aussi fécond que celui de
Mannhardt, lorsqu'il fondait son beau livre, les Cultes des bois et
des champs, sur l'étude comparative du folk-lore germanique et
-du folk-lore gréco-romain. Ici, il suffira d'avoir groupé cette
petite troupe « d'hirondelles ».
IV
i.
Athénée, XIII, 35. Sur les rapports de ce conte avec la légende massi-
liote du Phocéen Euxène et de nombreuses légendes -orientales occiden- '
taîes, v. Rohde, op. laud., p. 44, ss.
et
2. On sait que, chez le vieux Stésichore,
on trouvé déjà des nouvelles-
d'amour [Bergk, fragm. 43, 44).
3. La comédie grecque, Paris, 1886, t. II,
p. 387.
NOUVELLES ET FABLIAUX DANS L ANTIQUITÉ 115
Tetrouver dans leurs intrigues, dans le Miles, Gloriosus par
exemple, de véritables contes traditionnels. :— Où sont, de même,
les légendes erotiques alexandrines de Philétas, d'Hermésianax
de Colophon 1 ? Où sont les contes sybaritiques 2 ? Où, les fables
milésiennes ? Elle est perdue, cette collection de contes d'Aris-
tide de Milet que L. Cornélius Sisenna avait traduite s. Il est
perdu, ce recueil de contes milésiens que le Suréna découvrait
dans les bagages d'un officier romaintué à la bataille de Carrhes.
Si nous pouvions le lire, comme le Suréna lé fit lire au sénat de
Séleucie, nous n'y rechercherions pas," comme lui, des témoi-
gnages de la corruption et de la frivolité romaines, mais les
folk-loristes y reconnaîtraient les fabliaux de l'antiquité.
Ici encore, il suffira de quelques rapprochements.
Voici l'une des sèches narrations que Parthénius adressait à
Cornélius Gallus, pour qu'elles lui fournissent des canevas de
poèmes. OEnone 4, séduite par Paris' sur l'Ida, lui prédit son
sort : un jour, il la délaissera ; il sera blessé dans un combat,
et, seule, elle pourra le guérir. En effet, après des années,
alors que depuis longtemps OEnone a été abandonnée pour
Hélène, Paris est blessé par Philoctète. Il se souvient alors de
la jeune fille qui l'a aimé sur l'Ida, et de sa prédiction. Il
envoie un messager pour la rechercher et la supplier de venir à
son aide. Elle répond par de violentes paroles : que Paris
demande plutôt à" Hélène de le guérir ! .Mais, à peine le messa-
ger parti, elle regrette sa cruauté et se met en route vers celui
qu'elle aime encore. Hélas ! elle a trop tardé. Sa dure réponse
a déjà été rapportée à Paris, qui, en apprenant qu'elle ne vien-
drait point, est mort. Elle arrive aussitôt après et se tue sur son
corps.
J'ignore si l'on a déjà remarqué la ressemblance de cette
légende d'amour et de celle de Tristan. Thomas, Eilhart
d'Oberg, un manuscrit du roman en prose, nous racontent
ainsi la mort des deux amants : Tristan, blessé d'un coup de
lance envenimée, songe, que seule, son amie Yseult de Cor-
bûcher pour les deux amants. Mais une pluie miraculeuse éteint
les flammes qui les environnent, et Sithon renonce enfin à son
cruel amour '.
tion. Mais il est évident, à lire son conte, qu'elle connaissait des données
plus violentes, qu'elle a adoucies. Parlant de l'amour infini du père pour sa
fille, elle dit (éd. Warnke, v. 29) :
1. Berlin, 1872.
2. Traduction Lancereau, p. 55.
3. Décam., IV, 2. Je ne sais si ce rapprochement déjà été indiqué Ben-
a :
fey ne mentionne pas le Técit grec, non plus que Landau (Quellen des Dekg,-
mei-on, p. 293, ss."). Naturellement, pour Benfey, le conte doit être consi-
déré, unbedenklich (p. 159), comme issu de.
sources bouddhiques. Pourtant
le récit du Décaméron diffère autant de la version du Pantchatantra .que" de
celle d'Eschine.
— Eschine est-il bien l'auteur de ces lettres ? ou sont-elles,
comme il faut plutôt le croire, l'oeuvre de quelque Alexandrin ? Peu nous
importe ici. Nous n'en sommes pas à 200 ans près ! (Voir, sur la question :
Castets, Eschine l'orateur, appendice.)
NOUVELLES ET FABLIAUX DA^NS L'ANTIQUITÉ 11-9
1882, p. 54, ss.) qu'il faudrait pourtant, selon von der Hagen (op. cit.',
p. xxxn), considérer « als die Grundlage » de notre fabliau (v. notre appen-
dice II). -
1. Appendix, XVI. Il est acquis à la science que cet appendice est légiti-
.
V
CONTES POPULAIRES DANS LE MOYEN AGE ANTÉRIEUR
AUX CROISADES
Ainsi les fabliaux se retrouvent presque aussi nombreux dans
l'antiquité que dans l'Orient.
Mais voici une autre assertion de l'école orientaliste : dans te-
nant moyen âge, il n'y a pas trace de ces contes. Au xne siècle
seulement, sont traduits dans des langues occidentales des
recueils orientaux. Aussitôt le goût des contes se répand en
Europe, et nous assistons à la floraison littéraire des fabliaux.
C'est donc sous l'influence des croisades, grâce à ces deux faits
concomitants ..et- étroitement enchaînés, à savoir : — que, d'une
part, des contes ont été entendus eii- Orient, et oralement rappor-
tés par des croisés et des pèlerins ; que, d'autre' part, les livres
orientaux ont été traduits en latin, en espagnol, en français, —
c'est grâce à ces deux faits que les contes ont pénétré d'Orient en
Occident.
Nous aurons à déterminer, au chapitre suivant, quelle a été,
sur la tradition orale et sur les fabliaux, l'influence de ces recueils
traduits. Pour le moment, montrons que le moyen âge antérieur
aux croisades n'a pas plus que l'antiquité ignoré des contes.
Je nomme à peine les contes de Renart : car, seul, sans doute,
Robert 2 a jamais cru que le Roman de Renart dût sa naissance
au Kalïlah et Dimndh.
1. Sur un épisode d'un roman d'Achille Tatius, où l'héroïne se tire à son
honneur de l'épreuve du Styx par le même serment avec réserve mentale
qu'Yseult, v. Rohde, op. laud., p. 484. — V., sur tout ce cycle, le remar-
quable travail de M. Giuseppe Rua, Novelle del Mambriano del Cieco da-
Férrara, Turin, 1888, p. 73, ss.
2. Robert, Fables inédiles des XIIe, XIIIe, XIVe siècles, I, CXXIII,
V. sur cette importante question le beau livre de M. Léopold Sudre, Les:
Sources du roman de Renart, Paris, Bouillon, 1893.
122 LES: FABLIAUX
collection, R". -
;
• . .
a) Les numéros 6, 64, 77, 118 (doublets de fables de Phèdre),'
126
(remaniement d'une fable contenue dans Adhémar)
;
h) Les numéros 41, 48, 49, 57, 63, 78, 119, 127, 128, 129, « qui portent le'
« caractère de l'apologue antique, ou qui se retrouvent dans des collections
« de fables ésopiques ». Ajoutons le n° 43
;
c) Le numéro 135 (apologue biblique), les
numéros 75, 113, 131, « sentences
« sans récit ». -...-....
CONTES ANTÉRIEURS AU DOUZIÈME SIÈCLE 123
âge 1 », 4 des contes de Renart 2, 2 des « moralités 3 », les autres
des contes proprement dits, dont nous allons spécialement nous
occuper. En voici le dénombrement.':
N° 36. —De muliere et procosuo. G'est le conte des Gesammta-
benieuer, XXVI, Frauehlist.
-
N° 37. — Iterum de muliere et proco suo. Le titre du recueil
de Marie de France donne une idée du conte : « De la femme qui
dist qu'elle morroit parce que ses maris vit aler son dru o li au
bois. »
N°. 38. — De equo vendito. Deux hommes, en contestation sur
la valeur d'un cheval, conviennent de prendre comme arbitre le
premier passant qu'ils rencontreront. Ce passant est un borgne,
qui évalue le cheval à un demi-marc. — « Mais, dit le marchand,
c'est qu'il n'a vu qu'un demi-cheval. S'il avait eu ses deux yeux,
il l'aurait estimé un marc entier. »
" N° 39.—- De fure et Saihana, Bon tour joué par Satan à: un
second. Sur les entrefaites, son unique cheval lui est volé. Il
modifie ainsi sa prière'- « Mon Dieu, si tu me rendais mon che-
val volé, je te tiendrais bien quitte du reste !»
N° 45. — De homine qui tarde venit ad ecclesiam. Conte moral
et plaisant.
N° 46. —: De urbano et monedula sua. Vaguement analogue
au Testament de VAne.
N° 47. — De villano_ et nano. C'est une forme du fabliau des":
.
Quatre souhaits saint Martin. V. plus loin (chap. VII) notre étude
sur ce conte.
N° 68. — De pictore et uxore sua. Historiette morale.
N° 73. — Dé homine et uxore litigiosa. C'est le fabliau du Pré
tondu. '' !
1. Ce sont :
Les numéros 40, 52, 53, 55, 59, 61, 62, 65, 67, 69, 72, 116, 117, 119,. 120».
121,122, 123,. 124,.126,.132, 134v136.
2. Contes de Renart : les n°s 50, 51, 60, 66.
. .
3. Moralités : les n°fl 54, 130.
124' LES FABLIAUX
dans les littératures populaires. Un mari a une femme contre-,
disante et acariâtre. Comme il fait un jour dériver un cours d'eau,
le conduire dans une piscine, ses- ouvriers lui demandent,
pour
de leur faire apporter leur.repas sur le chantier. Le mari les
adresse à sa femme : mais qu'ils disent bien qu'il a refusé ; c'est,
le seul moyen qu'elle consente. ' Naturellement, la femme s'em-
presse d'accorder, et apporte elle-même des vivres aux ouvriers.
Son mari veut s'asseoir auprès d'elle, pour manger aussi. Mais
elle s'éloigne de lui, à mesure qu'il se rapproche, si bien qu'elle
tombe dans l'eau. Les ouvriers veulent la repêcher .: «Cherchez
à la source du torrent, dit le mari ; car, par esprit de contradic-
tion, elle l'a certainement remonté 1. »
N° 114. —De divile qui sanguinem minuit.
M. G. Paris insiste avec raison sur la haute ancienneté de ce
recueil : « La traduction anglo-saxonne du Romulus anglo-latin,
sur laquelle a travaillé Marie de France et qui était, au xne
siècle, attribuée à Alfred le Grand, ne peut être plus récente que
le XIe siècle 2. C'est donc à ce siècle tout au moins, et sans doute
au commencement, que remonte la collection latine, r.
Voilà donc des contes, presque tous populaires, qui sont de:
vénérables contemporains de la Chanson de Roland, peut-être du:
Saint Alexis !
M. G. Paris ajoute : « On est surpris de trouver à pareille
époque une oeuvre-aussi originale que l'est la partie nouvelle du,
Romulus anglo-latin. Elle doit certainement tenir désormais une
place importante dans l'histoire de la production et de la trans-
mission des contes et des fables en Europe. »
On peut être surpris en effet de trouver ces contes en Europe,
.
dans l'hypothèse indianiste, qu'ils démentent. Mais, en dehors:
de cette hypothèse, le fait n'a rien que de naturel.
Il existait donc en Europe, antérieurement aux croisades,
antérieurement aux dates où l'on prétend que les contes sont'.
CHAPITRE IV
•
L'INFLUENCE DES RECUEILS DE CONTES ORIENTAUX
RÉDUITE A SA JUSTE VALEUR.
voudrais déterminer.
Comment cela est-il possible ?
III
ANALYSE DES RECUEILS ORIENTAUX TRADUITS AU MOYEN AGE EN
DES LANGUES OCCIDENTALES
1° Disciplina clericalis.
2° Discipline de clergie.
3° Chastiement cVun père a son fils.
Pierre Alphonse, le juif compilateur de ce recueil, était né en
1062, et fut baptisé en 1106. Son livre n'a été composé qu'après
sa conversion, et ses sources sont le plus souvent arabes :
Libellum compegi, nous dit-il, partim ex proverbiis philoso-
«
phorum et suis castigationibus arabicis, partim ex animalium et
volucrum similitudinibus ».
1. Canis
2. Gaza
.....
. -
3. Filius ..,
4. Le marchand de Venise
5. Le fils du roi qui tue la poule d'une pau-
vresse
6. Les trois voleurs qui racontent :
a. Polyphème ,.
h Les sorcières
d Le voleur traîné par les sorcières.
7. Les sept cygnes Le Chevalier au cygne.
8. Inclusa
9. Ptrteus
Le Ronian des Sept Sages Version denmee (la BistoriaseptemBapien-Soala coeli 'Liber de D.Anc0Ila rt ia mBS La
i"= dans l'édition de tium, traduction p. 7 sap.) Orient und de-la B. N. eroUide °y' bd, 8' Maie Marastre
(Keller iS3,1.
"
11 ' M. G Paris, 1876). p. G. Paris (1876). Ocddent, III, 397.
Ier jour. Reg. Arbor. /?. Arbor. il. Arbor. 1. Sap. Canis. R. Arbor. R. Arbor. Arbor,
1. Sap. Canis. 1. Sap. Canis. I.
Sap. Canis. R. Aper. I. Sap. Canis. I. Sap. Canis. Canis.
2° jour. R. Senescalcus. R. Senescalcus. R. Aper. 2. Sap. Medicus. R. Aper. R. Aper. Aper.
2. S. Medicus. 2. Sap. Medicus. 2. Sap. Puteus. R. Gaza. 2. Sap. Medicus. 2. Sap. Medicus. Medicus.
3° jour. R. Aper. R. Aper. R. Gaza. 3. Sap. Tentàmina. R. Gaza. R. Gaza. Gaza.
3. S. Puteus. .3. Sap. Puteus. 3.'Sap. Avis. R. Senescalcus. 3. Sap. Puteus. 3. Sap. Puteus. Avis.
li" jour. R. lloma. R. Sapientes. R. Sapientes. à. Sap. Puteus. R. Senescalcus. R. Senescalcus. Noverca.
4. S. Tentàmina h. Sap. Tentàmina U. Sap. Tentàmina R. Virgilius. à. S"p. Tentàmina. 4. Sap. Tentàmina. Vidua.
5" jour. R. Gaza. R. Roma. R. Virgilius. 5. Sap. Avis R. Virgilius. R. Virgilius. Nutris..
5. S. Avis. 5. Sap. Avis. 5. Sap. Medicus. R. Sapientes. 5. Sap. Avis. 5. Sap. Avis. Alhenor.
6e jour. R. Sapientes. R. Gaza. R. Senescalcus- 6. Sap. Vidua. R. Sapientes. :~ R. Sapientes. Spurius.
,
et Roma.
6. S. Vidua. 6. Sap. Vidua. G. Sap. Amatores. R. Filia. b'. Sap. Vidua. 6. Sap. Noverca. Cardamum.
7° jour. R. Virgilius. R. Virgilius. R. Inclusa. 7. Sap. Noverca. R. Roma. R. Filia. Hakesim.
7. S. Inclusa 7. Sap. Inclusa. 7. Sap. Vidua. 7.. Sap. Inclusa. Inclusa.
L'Enjanl. Yaticinium. Valicinium -(- le Vaticinium -f- Ami- Vaticinium. Vaticinium. Valicinium.
combatsingulier et eus. Il
la loise. |
Pages I36-Ï37.
.',...
4° Les contes da Roman des Sept Sages.
— Groupe oriental'.
Sindban, version syriaque, Xe siècle, p. p.
1nts^sK^.^ducS£^ M:^T»;r^?^D
Baéthgen, 1879.
'
™^ **.(«*« ***,,. «^^p^. — *,
J.«r~l *"• ™»le, A*«to <i84ij.
^âz^^p^6* ^v,^^,^^,
..... „ . e
Schall, 1820.
„ . ^
8Hmt.
de Sengelmann, .8/,a. V de Sungélmànn, ,84»
.Cendùbete, - . .
Libro de 16s. Engànn'os; 1111e .
siècle, p p. Goroparetti,iStig. •.
...
;,
3e jour.\a) Le chasseurà;là ruche. 3..-<z. Ganis... 3. a] Le chasseur à la ruche. 3. a) Canis. 3. a) Le chasseur à la ruche. 3° L'éléphant de pain.
b)La poussière passée'•au/.,.crible a).;A'uberée. 6) La poussière--au crible. b) La chienne..qul.ph},ure. è). La poussièreau crible.
..
[manque dans Gendubele].
/,) La source qui métamorphose. ./) Le .lion chevauché. /) La source qui métamorphose, fj Aper. /) La source qui métamorphose.
4e jour, àj Senescalcus. ;'/ 4. ai L'e's pains de calaplasme. 4. a; Senescalcus. 4- a) Senescalcus. 4. «) Senescalcus seulement dans les ^ Le livre des ruses féminines.
'.-' textes de-Bonlaq et de Scott.
• .
6) La chienne qui pleure. b) La poussière au crible. i) La cliiennequi pleure. b) Ganis (deux parties). 6) La chienne qui pleure.
f) Aper.. /) Aper.
.
fj Le joaillier. /) Le lion chevauché. /).....
5e jour, a) Canis. .' 5. a).Senescalcus. 5. a) L'hommequi ne rit plus. rit plus.
5. a) Le livré des ruses .féminines. 5. a) L'homme qui ne
5e La poussière au crible.
Auberée.
b) L'Epervier. 6) b) b) .1. .i b).........
...i.....
.... /) L'amant au coffre. ........ ;.,......
/) Le lion chevauché, . f) Absaloh. J) L'amant au coffre. /) La source qui métamorphose.
6e Jour, a) Le grenier du pîgecii. 6. a), Rfponse à Absalon. 6. a) Les quatre amants. 6. a) Les souhaitsde saint Martin. 6. a) La nuit al-Kader. 6e Le beau-père.
.
b) L'éléphant de pain. b, Les souhaitsde Saint Martin, 6) Les souhaits de saint Martin. b)..i &)
i •
La pie voleuse. Les deux pi-
geons. L'amazone.
1. /) La pie voleuse.
2. La femme qui combat ses pré-
tendants.
^'etifarit déguisé en/femnie. 7. a) Auberée.
...
7e "jour. :a) Les souhaits dé -saint 7.'^ ,7. a) 7. Auberée. .....
Martin;
.'0) Le livré des yruses féminines; i) .Les'trois bofsiis. 'b) Lîarineau. 'b\
(Syritipas.intercalé, les Poissons.) ,
S8 jour. Le prince Les hôtes.érnijôi- &
: 8. Le bois de santal. 8. Les hôtes empoisonnés. 8. Les hôtes empoisonnés. '
:sq'nnès. ' ' "'
L'enfant
. de trois ans; L'enfant de trois ans. L'enfant de trois ans. Le bois de santal.
L'enfant de quatre ans. .
L'enfant de cinq ans. L'enfant de cinq ans. L'enfant de cinq ans.
L'assiettéé.de puces.
.-.".
Le ms. lleSindban-,incomplètes'arrête
ici.
Syntipàs a en plus :
Le Renard, (Cendubele :
,
L-'assicléeJle.,puces. È'àssiôtiée de çiices.
Le Sindiôad jyàmf/i.ajpûle(intro
Le Renard. Le Renard.
manque.) ' duction)»: le singe, le chameau,
L'enfant voleur. CQendubele : l'éléphant, le roi dés singes, la I
manque.) . rnèrë étourdie, lés quatre frères j
„Cetidu^elejeul: L'abbé. , I
' Ahmed (Scott, li.'f vizir).
• ,. .
LE DIRECTORIUM HTJMANiE V1TM 137
que par la traduction espagnole 1. On peut se demander si cette
traduction a jamais été lue par une autre personne que le prince
castillan à qui elle était dédiée, et si ce groupe oriental n'est pas
resté aussi inconnu aux poètes français et allemands que s'il leur
avait fallu lire directement le texte syriaque ou le texte hébreu.
— Mais, admettant que cette traduction espagnole ait été fort
répandue, voici ceux des contes qu'elle renferme et qui vivent
aussi d'une vie indépendante : ce sont 3 fabliaux (l'Épervier,
Auberée, les Quatre souhaits saint Martin) et 1 exemple (la
Chienne qui pleure, Jacques de Vitry, CCL).
5° Le Directorium humanae vitae.
Passons à une autre collection de contes orientaux, accessibles
.
roman. Mais, sauf pour quelques contes comme les Oies du frère
Philippe (exemple LXXXII) et' le lai de F Oiselet (exemple
XXVIII), il ne semble pas,que'nous ayons affaire à des contes
qui aient vraiment vécu dans la tradition Orale. Les prédicateurs
sont ici conscients d'emprunter leurs récits à ce livre pieux : ut
legitur in Barlaam i, disent-ils en les annonçant. — Ces para-
boles ne doivent donc pas être plus considérées que celles qu'ils
empruntent à Boèce, ou à Sénèque le philosophe, ou aux Vies
des Pères.
1. Nous écartons en effet les nos 72-90, qui sont des contes dévots ; 91-100,
qui sont des romans historiques ou d'aventures (Constantin, Eracle, Sala-
Ain, etc.).— Les nos 24, 25, 26 ont leurs parallèles soit dans les Fables,-
soit dans les Lais de Marie de France. — Von der Hagcn eite des formes
orientales des nos 2, 16, 41, 45, 62, 63, 71, mais elles sont tirées soit de
recueils inconnus en Europe au moyen âge, soit de contes orientaux
142 : ,-;. LES FABLIAUX
,
3. Le lai de VÉpervhér... Sept Sages orientaux.
4. Auberée. .'d<. Sept Sages orientaux.
• >
5. Les Quatre souhaits saint Martin Sept Sages .orientaux.
( Gesammtabenteuer, Montai-
glon-Raynaud).
-6. £es Tresses (Gesammtabenteuer, Directorium humanae vitae.
Montaiglon-Raynaud).
Ce sont, ensuite, 2 contes français que nous ne considérons
pas comme des fabliaux, et qui se retrouvent aussi dans les
exemples des prédicateurs :
modernes. Les n™ 1; ^ 6, 8, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 18, 19, 20, 21, 23,38, 29,
52, 33,^ 34, 36, 38,_ 40, 42, 44, 46, 49, 50, 52, 56, 5«, 60, 64, 65, 66, 69, 70
n'ont, à ma connaissance, d'équivalents ni dans l'Orient, s. une époque quel'
conque^ ni parmi les faliliaux français.
FAIBLE INFLUENCE DÉS RECUEILS ORIENTAUX 143
Voilà donc cet «océan des rivières des histoires » qui aurait
inondé l'Europe au moyen âge !
En opposant au grand nombre de cont«s que les hommes
du moyen âge pouvaient puiser dans les livres le nombre
vraiment dérisoire de eeux -qu'ils paraissent y avoir pris (car
nous démontrerons que cela même n'est qu'une apparence),
— nous avons réduit à sa juste valeur l'influence des livres
asiatiques traduits au moyen âge.
Cet argument paraissait très frappant que la vogue des
fabliaux coïncidât avec l'apparition de ces livres en Europe.
Maintenant nous .sommes en droit de nous demander si ces
traductions ne sont pas "un effet plutôt qu'une cause. A
l'exception de la Disciplina clericalis 1, elles ne sont pas anté-
rieures à la vogue des fabliaux, mais leur sont contemporaines
-ou plutôt postérieures 2. Si donc nous pouvons trouver — ce qui
sera fait d^s la seconde partie, de ce livre — des raisons histo-
xiques, locales, qui, sans que nous sortions de France, nous per-
mettent d'expliquer la production littéraire des fabliaux, nous
-comprendrons qu'à la faveur de ce goût pour les contes,.on ait
aussi traduit des recueils arabes ou hébreux. Quant aux exemples,
il est trop évident que les grands fondateurs des ordres religieux
populaires, saint François et saint Dominique, n'ont pas attendu,
pour en recommander l'usage aux prédicateurs, la traduction du
Kalilah et Dimnah.
IV
Certes, ne nom méprenons ni sur la nouveauté, ni sur la
portée de la démonstration qui précède.
Elle n'est pas nouvelle pour quelques romanistes, qui se
seraient passés de cette statistique et nous en auraient volon-
tiers concédé sans discussion les résultats. M. G. Paris le dit
très nettement : « Les fabliaux sont, sauf exception, étrangers
à ces grands recueils traduits intégralement d'une langue dans
une autre ; ils proviennent de la transmission orale, et non des
livres 3. ».
1. Elle est du milieu du xue siècle.
2. Le Directorium a été écrit vers 1270.
3. G.' PariSj La littérature française au moyen âge, 2e éd., p. 142.
144 •
LES FABLIAUX
Cette démonstration, que je me suis attaché à donner plus
nette qu'elle n'avait été faite jusqu'ici, n'est point superflue
pourtant. Je crois qu'inutile aux romanistes, elle sera précieuse
à la majorité des folk-loristes.
En effet, l'existence au moyen âge de ces grandes traductions
de recueils indiens a cruellement embarrassé les savants qui,
n'étant pas spécialement médiévistes, en étaient arrivés, par
diverses voies, à douter de la théorie de Benfey. S'exagérant
l'influence de ces livres, ils concédaient qu'à vrai dire un flot
de nouvelles et d'apologues s'était répandu, au xme siècle, sur
le monde occidental, quitte à négliger ensuite, dès qu'il les
gênait, ce fait accordé : « La théorie orientaliste est dans le
vrai, — dit, par exemple, un des partisans de la théorie
aryenne % — quand elle reconnaît dans nos vieux fabliaux du
moyen âge ou dans les conteurs français et étrangers de la
Renaissance les récits du Pantchatantra et -les apologues de
Sendabad. La littérature indienne a en effet pris racine en
Europe à la suite des croisades et des événements du moyen
âge. » — On trouverait la même concession bénévole chez les
libres esprits qui s'attachent à la théorie anthropologique, chez
M. Gaidoz lui-même, chez M. Andrew Lang. M. Lang, par
exemple, après avoir raconté l'exode occidental du Kalilah et
Dimnah et du Roman des Sept Sages, conclut ainsi : « La
théorie indianiste prouve bien que beaucoup de contes ont été
introduits de l'Inde en Europe, au moyen âge 2. » Lui aussi,
il rappelle les invasions des Tartares, les croisades, la propa-
gande bouddhiste, les traductions de recueils indiens, et con-
clut : « Des contes sont certainement sortis de l'Inde au moyen
âge, et sont parvenus en abondance dans l'Asie et l'Europe à
cette époque 3. »
Oui certes, leur dirons-nous, des contes sont venus de
l'Inde au moyen âge, comme à n'importe quelle autre époque
et comme de partout .ailleurs. Mais, après une étude conscien-
cieuse des contes du moyen âge, j'en ai pu découvrir jusqu'à
treize qui se retrouvent dans les livres indiens.
- 1. Le Pliçon.
2. Les Quatre souhaits saint Martin.
.b) Ceux de ces fabliaux dont la plus ancienne forme est orientale :
3. L'Epervier.
4. Auberée.
BÉDIEB. - Les Fabliaux. 10
146 LES FABLIAUX
5. Les Tresses.
6." Les Trois Bossus ménestrels.
Ces onze fabliaux sont les seuls dont je connaisse des formes
orientales. Peut-être est-ce peu pour édifier la théorie, si l'on con-
sidère le grand nombre de fabliaux qui n'ont aucun similaire en
Orient. C'est l'erreur du prêtre de Neptune : « Vois, mon fils,
disait-il, tous ces tableaux votifs promis au dieu pendant la tem-
pête par des marins, qu'il a en effet sauvés, et honore Neptune !'
Mais où sont, père, les tableaux de ceux qui ont fait le même
—
voeu, et ont péri noyés ?»
Les orientalistes avançaient comme preuves de l'origine-
indienne des contes :
1° Que l'antiquité ne les a pas connus. — Nous avons montré
qu'elle les connaissait aussi bien que l'Inde.
2° Que le moyen âge ne les a connus qu'à la faveur.de rap-
ports plus intimes avec l'Orient, spécialement .grâce aux Croi-
sades. —- Nous avons analysé un copieux recueil de contes du.
moyen âge antérieur aux Croisades.
3° Que le. moyen âge a emprunté nombre de ses. contes à des-
traductions de recueils orientaux. — Nous avons fait voir que-
.l'influence de ces traductions a été médiocre, et nous prouverons
plus tard qu'elle n'a pas été seulement médiocre, mais, peut-être,,
nulle.
Par cette triple démonstration, nous avons enlevé à la théorie
orientaliste le bénéfice du sophisme qui prend pour des rapports
de cause à effet de simples rapports de succession chronologique..
Achevons enfin de lui ravir cette ressource.
1. Nous nous refusons d'ores et déjà à faire entrer dans cette liste des.
contes comme le dit des Perdrix ou la Bourse, pleine de sens qui ne se retrou-
vent que dans l'Inde actuelle, dans la tradition orale du six" siècle. Nous,
donnons plus loin (au début du chapitre vu) la raison de cette exclusion.
FAIBLE INFLUENCE DES RECUEILS ORIENTAUX 147
Ces contes a formes orientales, de quel droit les dire orien-
taux d'origine ? ou même simplement orientaux pour s'être
propagés à partir -de l'Inde ? — Parce -que les formes indiennes
conservés sont les plus anciennes ?
En ce cas, no,us dirons que le fabliau de Constant du Hmnel,
qui est du xnre -siècle, est la source de la Nuit Al-Kader des Mille
et une Nuits, qrd est du xv« siècle. Car, si les contes des Mille- -et
une Nuits remontent parfois à des recueils sanscrits, il est cer-
tain pourtant que la Nuit Al-K-ader ne faisait point partie du
roman primitif de Smdîbad, que ce conte n'y est qu'un intrus,
mal à propos introduit, à une époque récente, par un remanieur
arabe. — En ce -cas, nous dirons encore que le dit du Pliçon
(Aristophane) et les Quatre souhaits saint Martin (Phèdre )
sont venus d'Athènes et de Rome dans l'Inde.
Pourquoi attribuez-vous aux formes indiennes une valeur
supérieure ? Parce que vous tenez pour assuré que l'Inde est
« la mère des contes ». Et vous le croyez, parce -que les formes
indiennes sont souvent les plus anciennes. Mais ici c'est l'inverse.
Vous ne pouvez donc plus, en aucun cas, alléguer l'antériorité
des formes orientales. Cet argument se retourne contre vous,
car, pour la majorité des contes, vous ne trouvez point de
similaire oriental ; — et, pour le petit nombre de contes con-
servés sous des formes orientales, les formes européennes sont
souvent plus anciennes.
Vous n'admettez pas, sans plus de discussion, que la Matrone
d'Ephèse soit venue de Rome à l'Inde, et vous avez raison
de ne pas l'admettre ; — ni que le dit des Perdrix, qui n'est
attesté dans l'Inde que sous des formes toutes modernes, soit
venu de la Gascogne ou du Portugal à l'Inde, et vous avez
raison de ne point l'admettre ; mais souffrez aussi que nous
n'admettions pas que le conte de. l'Épervier ou celui des Tresses
soit venu de l'Inde à nos conteurs, par cette seule raison que la
forme indienne est la plus ancienne conservée.
-
Et laissons là, de part et d'autre, une fois pour toutes, le
misérable argument : Post hoc,.ergo propter hoc.
Vous ne possédez réellement qu'un seul moyen de démontrer
que les contes sont indiens. Laissant enfin de côté la question
de savoir où et quand apparaît pour la première fois chacun
148 LES FABLIAUX
d'eux, il faut étudier en elles-mêmes les formes orientales et
occidentales de chaque conte. S'il existe des raisons logiques,
intrinsèques, de considérer les formes orientales comme primi-
tives, le conte est indien.
Cela de deux manières :
D'abord, si ces contes sont indiens, si c'est pour les besoins
de la prédication bouddhiste qu'ils ont été imaginés, si c'est, du
moins, parce qu'ils convenaient excellemment à la morale de cette
religion qu'ils ont été recueillis dans l'Inde pour s'en écouler
ensuite comme d'un vaste réservoir, —ils doivent avoir conservé
quelque trace de leur destination première, des survivances des
moeurs bouddhiques, de l'esprit indien. Relevez ces traits boud-
dhiques, indiens, — et vous nous aurez convaincus.
En second lieu, si ces contes sont indiens, si partout ailleurs
ils ne sont que des hôtes, ils ont dû, pour s'accommoder à des
milieux nouveaux, souffrir certaines adaptations ; montrez que
les formes indiennes sont les plus logiques, non remaniées, donc
les formes-mères. Appliquez cette méthode de l'examen des traits
correspondants et différents, que nous avons définie d'après
vous, — et vous nous aurez convaincus.
C'est, en effet, la double nécessité qu'a sentie l'école orienta- '
liste. Voyons à quoi ont abouti ses efforts.
TRAITS PRÉTENDUMENT INDIENS DANS LES CONTES 149
CHAPITRE V
en sait aussi long que ses maîtres, il retourne chez son père, et
se métamorphose en cheval. « Des diables viendront m'acheter
dit-il à son père. Tu peux me vendre, mais aie bien soin de gar-?
der le licol. Tant que tu le conserveras, je pourrai m'échapper et
revenir auprès de toi. » Son père le vend en effet aux diables ;
mais, comme il a gardé son licol, le fils peut rentrer à la maison
paternelle ; ce trafic avantageux se renouvelle plusieurs fois. Un
jour enfin, les diables s'aperçoivent de la ruse et, comme le che-
val détale, ils le poursuivent. Il se transforme en lièvre, les
diables en chiens ; — en pomme, les diables en derviches qui
s'apprêtent à la cueillir ; — en millet, les diables en poules ; —
en renard, qui mange les diables sous leur forme de poules 1.
Benfej voit dans ce récit des données bouddhiques * : « Cette
1"
procédé de Benfey, ne peut-on pas dire que le nom Ivi, qui signifie côte dans
la langue de Samoa, prouve que c'est en Polynésie qu'est né le nom d'Eve,
et, par suite, que la légende de Samoa est la source du chapitre de la Genèse ?
1. Contes albanais, p. p. Aug. Dozon, Paris, Leroux, 1881, n° XVI.
2. Panlcluilantra, I, p. 411.
3. Décaméron, V, 9.
154 LES FABLIAUX
je crois que je serai promptement. guéri. » Elle se résout à luj
faire visite. Frederigo degli Alberighi veut la traiter honorable-
ment ; mais, dans son dénûment, il ne trouve aucun mets digne
de lui être offert. Il prend donc son bon faucon, lui tord le cou,
et le fait servir à la dame. Après le repas, Monna expose la
requête de son fils ; mais Frederigo ne peut, plus que lui montrer
les plumes, les pattes, le bec de son oiseau favori, qu'il a tué
pour elle. — A quelque temps de là, le petit malade étant mort,
Monna épousa Frederigo.
Voici les rapprochements que M. Marcus Landau 1 imagine à
ce sujet. Dans une légende bouddhique (p. p. Stanislas Julien,
Mémoires, II, 61), le Bouddha se transforme en-pigeon et se
-laisse rôtir pour apaiser la faim de la famille d'un oiseleur. Dans
le Pantchatantra (liv. III, conte VII) et dans le Mahâbhârata
(XII, v. 546, 2), un oiseleur a pris dans ses filets la femelle d'un
pigeon et l'emporté dans, une cage. Un orage terrible ayant éclatéj
il se réfugie sous l'arbre où l'oiseau qu'il tenait prisonnier avait
établi son nid. Il réussit à allumer du feu et invoque la protec-
tion des habitants de I'arbre,pour qu'ils l'aident à trouver quelque
nourriture. La femelle captive, émue de cette prière, exhorte son
mâle à remplir les devoirs de l'hospitalité invoqués par le chas-
seur et le pigeon se jette de lui-même dans le feu pour servir au
repas de son ennemi.
Et M. Landau énumère d'autres légendes où Indra prend la
forme d'une colombe, où le Bouddha se métamorphose,pour se
sacrifier, en pigeon et en divers autres animaux. « On montrait
dans l'Inde, on montre peut-être encore aujourd'hui, les lieux où
le Bouddha s'était- sacrifié pour sauver un. pigeon ou avait offert
son propre corps en nourriture à une tigresse et à ses petits
affamés, ceux où il avait donné en aumône ses yeux ou sa tête.
« Dans Boccace, ajoute M. Landau, Frederigo degli Alberi-
ghi n'a rien à offrir à la dame aimée qui le visite il
: se trouve
•donc dans la même situation que le pigeon du Pantchatantra.
Il sacrifie non pas son propre corps, mais son trésor le plus
cher, son unique faucon, et reçoit en récompense le plus grand
des biens,.— l'amour de celle qu'il aime,
— de même que,, dans
II
Mais il existe, par contre, réellement, dans ces mêmes recueils
orientaux qui ont parcouru l'Occident et oùles indianistes voient
la source de nos.contes, des récits vraiment empreints d'idées
indiennes. — Une femme d'esprit, après avoir lu le Voyage tn
Espagne où Théophile Gautier se montrait plus coloriste que
psychologue, et. plus habile aux « transpositions d'arts » qu'à
l'observation des moeurs, lui demandait : « Mais n'y a-t-il donc
pas d'Espagnols en Espagne. ? » — De même, à voir les orienta-
listes chercher dans nos contes des atomes d'indianisme, on
serait -vraiment tenté de leur demander : « Mais n'y a-t-il point
d'apologues bouddhiques dans le bouddhisme ? n'y a-t-il point
de contes indiens dans ITnde ?»
Oui certes, il y en a,, et nous les trouvons dans
ces mêmes
recueils d'où l'on prétend que seraient issues
nos contes. Le Pant-
chatantra, malgré son revêtement brahmanique,
en conserve
encore un grand nombre. Seulement, ee qu'on, néglige de remar-
.
quer, et ce qui est grave,
— ces contes-là ne voyagent pas,
ils restent dans ces recueils.
Voici le lai d'Aristole il
: se trouve dans le PantchataiOra:
.TRAITS PRÉTENDUMENT INDIENS DANS LES CONTES 159'
avec toute la. bonne volonté possible, on ne saurait y découvrir
aucun trait indien ; aussi est-ce un conte populaire qui se retrouve
dans tous les pays.
Voici au contraire, un antre conte : le brahmane, le voleur et
le rakchâsa. Il se trouve dans le PaMchatantra mais il est- \
vraiment empreint d'un caractère religieux indien. Cherchez-le
parmi les contes populaires européens : vous ne l'y trouverez,
pas 2. Ce conte est resté dans le Pantchatantra, et ce recueil
serait-ii traduit encore en vingt langues nouvelles, le conte n'en,
sortirait pas.
Il y aurait une curieuse analyse à faire du Pantchatantra ou:
d'un recueil indien quelconque : il s'agirait de relever tous les-
contes qui portent la marque de moeurs indiennes, et de montrer
qu'ils n'ont aucun similaire en Occident. Cherchez, par exemple,
celui-ci dans nos recueils populairesa :
1. PanlchalaiUra, I, § 321-323.
2. Burnouf, Introduction à l'histoire du bouddhisme indien, 1876, 130j
p.
TRAITS PRÉTENDUMENT INDIENS' DANS LES CONTES 161
cinq cents purânas. Aussi la courtisane s'imagina-t-elle que, s'il la refu-
sait, c'était qu'il ne pouvait donner les 500 purânas. C'est pourquoi elle
envoya encore sa servante, afin de lui dire : « Je ne demande pas au fils,
de mon maître un seul kârchâpana : je désire seulement l'aimer. La
vante s'acquitta encore.de la commission ; mais Upagupta lui »répondit ser-
de même : « Ma soeur, il n'est pas encore temps pour toi de
me voir. »
Cependant, quelque temps après, la courtisane assassina de ses
amants. Elle fut condamnée et les bourreaux lui coupèrent les mains,- un
les pieds, les oreilles et le ne7 et la laissèrent dans le cimetière.
Upagupta entendit parler du supplice qui avait été infligé à celte
femme, et aussitôt cette réflexion lui vint à l'esprit : cette femme désiré
a
me voir jadis dans un but sensuel-: mais aujourd'hui que les mains, les'
pieds, le nez et les oreilles lui ont été coupés, il est temps qu'elle me voie,
et il prononça ces stances :
c Quand son corps était couvert de belles parures, qu'elle brillait
d'ornements de diverses espèces, le mieux, pour ceux qui aspirent à
l'affranchissement et qui veulent échapper à la loi de la renaissance,
était de. ne pas aller voir cette femme.
« Aujourd'hui qu'elle a perdu son orgueil, son amour et sa joie, qu'elle
a été mutilée par le tranchant du glaive, que son corps est réduit à sa
nature propre, il est temps de.la voir. »
Alors, abrité sous un parasol porté par un jeune homme qui le suivait en
qualité de serviteur, il se rendit au cimetière avec une attitude recueillie.
La servante de Vâsavadattâ était restée auprès de sa maîtresse, et elle
empêchait les corbeaux d'approcher de son corps. En voyant Upagupta,
elle lui dit": « Celui vers qui tu m'a" envoyée à plusieurs reprises, Upa-
gupta, vient de ce côté. Il vient sans doute attiré par l'amour du plaisir. »
Mais Vâsavadattâ lui répondit : « Quand il me verra privée de ma
beauté, déchirée par la douleur, jetée à terre, toute souillée de sang,
comment pourra-t-il éprouver l'amour du plaisir ? »
Puis elle dit à sa servante : « Amie, ramasse les membres qui ont été
.
séparés de mon corps. « La servante les réunit aussitôt et les cacha sous
un morceau de toile. En ce moment, Upagupta survint et il se plaça
devant Vâsavadattâ. La courtisane, 1<V voyant ainsi debout devant elle,
lui dit : « Fils de mon maître, quand mon corps était entier, qu'il était
l'ait pour:le plaisir, j'ai envoyé à plusieurs reprises ma servante vers toi,
et tu m'as répondu : Ma soeur, il n'est pas temps pour toi de me voir.
Aujourd'hui que le glaive m'a enlevé les mains, lespieds, le nez et les
oreilles, que je suis jetée dans la boue et dans le sang, pourquoi viens tu ?1
.1
« Aujourd'hui, pourquoi viens-tu .contempler un corps que
les yeux
ne peuvent plus supporter de regarder, qu'ont abandonné les jeux, le
plaisir, la îoie et la beauté, qui inspire l'épouvante et qui est souillé de
sang et de boue ?»
Upagupta répondit : « Je ne suis pas venu auprès de toi, ma soeur,
attiré par l'amour- du plaisir :. mais je suis venu pour voir la véritable
nature des misérables objets des jouissances de l'homme. > '
Upagupta ajouta ensuite quelques maximes sur la vanité des plaisirs
. . .
CHAPITRE VI
vertu, mon nez est redevenu tel qu'il était. » Puis le tisserand prit un
tison, et comme il regardait, le nez était tel qu'auparavant, et il y avait-
une grande mare de sang, à terre. Saisi d'étonnement, il délia sa femme,
l'enleva, la mit sur le lit et chercha à l'apaiser par cent cajoleries.
Le religieux mendiant, témoin de toute cette conduite, passa la nuit
très péhibiement. L'entremetteuse, avec son nez coupé, alla à sa maison,
et sur le matin, son mari, pressé de sortir, lui dit : « Ma. chère, apporte
168 LES FABLIAUX
vite la boîte à rasoirs, que j'aille faire mes affaires à la ville » Mais la
femme, avec son nez coupé, resta debout au milieu de la maison, tira un
seul rasoir de la boîte et le jeta devant lui. Le mari, saisi de colère, le
rejeta. Dans cette action réciproque, la coquine leva les bras en l'air et
sortit de la maison pour crie* en sanglotant : « Ah ! voyez ! ce méchant
m'a coupé le nez. à moi dont la conduite est honnête ! » Les hommes du
roi arrivèrent, lièrent le barbier et le conduisirent aux juges qui le con-
damnèrent à être empalé. Mais Devasarman, le religieux mendiant, lors-
qu'il le vit conduire au supplice,, alla raconter aux juges tout ce dont il
avait été témoin et le barbier lut remis en liberté.
b) Le même récit dans différents remaniements du Kalilah et
Dimnah.
.
Voilà donc la forme que le Pantchatantra donne à notre conte,
.
1. Directorium, éd.
J. Derenbourg, 72" fasc. de la Bibliothèque de l'École
des Hautes Etudes, 1887, cliap. II,
p. 54-6.
FABLIAUX ATTESTÉS DANS L'ORIENT : LES TRESSES 169
les variantes de deux autres versions, que je choisis arbitraire-
ment : VAnwâr-i Souhailî (A) qui est un texte persan de l'an
1494 * et le Livre des lumières (L), traduction du précédent
ouvrage et- qui est le livre où La Fontaine apprenait à connaître
les fables de Bidpaï*. Voici donc ci-dessous trois textes bien
éloignés dans le temps et dans l'espace : un texte latin du
xme siècle, un texte persan du xve, un texte français du xvne ;
j'y ajoute (H) les variantes de l'Hitopadésas qui devrait a priori
en différer bien davantage, puisque VHitopadésa est un rema-
niement d'une forme relativement moderne du Pantchatantra, et
n'a, comme lui, de commun avec les versions du Kalilah que
le très ancien original sanscrit perdu. Et pourtant tous ces textes,
si distants les uns des autres, se ressemblent infiniment entre
eux, comme il est aisé d'en juger :
Un religieux reçut l'hospitalité chez un de ses amis (AL un cordonnier
H un vacher ; Benfey fait remarquer * que, dans l'original bouddhique, le
mari devait être un cordonnier ; les brahmanes remanieurs du Pantchatan-
tra ont fait de lui un tisserand ou un vacher, parce que le métier de cordon-
nier était considéré comme impur, et que le religieux se serait souillé, s'il
eût passé la nuit chez Un homme de cette caste). Cet ami ordonne à sa
femme de le recevoir avec honneur ; quant à lui, des amis l'ont invité, et il
ne pourra revenir de la nuit (H le mari va à ses. pâturages). La femme avait
un amant ; unevoisine, la femme d'un barbier, lui servait d'entremetteuse;
elle pria donc celle-ci d'aller demander à son amant de venir la trouver
cette nuit et d'attendre à la porte qu'elle vînt lui ouvrir. Il fut ainsi fait, et
l'amant attendait à la porte {L heurtait à la porte) quand le mari revint ;
(H comme dans le Pantchatantra, l'amant n'intervient pas en personne ; le
mari voit simplement à son retour sa femme causer avec l'entremetteuse).
Comme il avait déjà des soupçons antérieurs, il entra chez lui (LU il battit
sa femme), attacha sa femme à un pilier et s'en alla dormir (A le religieux,
témoin de la scène, donne en lui-même tort au mari brutal). L'amoureux,
las d'attendre, dépêcha la femme du barbier à son amante (LAH l'entre-
metteuse vient d'elle-même), qui lui dit : « Que veux-tu que devienne cet
homme qui se morfond à ta porte ? » Elle lui répondit : « Fais-moi cette
grâce de me délier et de te laisser attacher à ma place, j'irai le trouver et
jereviendrai au plus vite»(dans H comme dans le Pantchatantra,cette sub-
stitution est proposée par l'entremetteuse elle-même). La femme du bar-
bier consentit, et se fit attacher au pilier. Cependant le marî^eTéveijla
mon nez ! » — Au jour, ses parents et ses frères se réunissent (ALT ce-
détail manque) ; on fait prendre le mari ; interrogé par le juge, il ne sait,
que répondre ; il est condamné à être promené à travers la ville enchaîné
et battu. Mais le religieux survient, qui explique toute la scène dont il
a été témoin {H met tout le récit dans la bouche du religieux).
c) .Le même récit plagié du Kalilah par différents conteurs-
modernes. '
.
Le lecteur qui a eu la patience de lire ces deux formes de-
notre réordonnées chacune presque in extenso, pourra se deman-
.
der s'il n'a point perdu sa peine. On lui a fait lire deux fois le-
même conte, avec un appareil compliqué de variantes qui ne
variaient rien \ Il savait de reste que nous avions affaire à un
seul et même ouvrage cent fois traduit. On lui a prouvé longue-
ment que les remanieurs persans, arabes ou juifs, qui se sont
succédé pendant quinze cents ans, ont été, sauf quelques menues
trahisons, de consciencieux traducteurs : le fait est. intéressant,
1. Tausend und eine Nacht, texte de Breslau, 554e et 555e Nuits, t. XIII,
p. 57, ss.
2. A. Campeggi, Noveïte due esposle netto slile ai G. Boccacio, Venise,
1630 ; réimprimées dans le Nopcïïiero italiano, Venise, 1754, t. IV, p. 275,
II
LES VERSIONS OCCIDENTALES
Soit, dira-t-on peut-être ; le conte du Vetâla n'est point la source
du conte des Tresses. Mais nous nous réservons une arme autre-
ment puissante. Si nous n'avons pu découvrir le germe du Pant-
chatantra, sa préhistoire ; si nous ne connaissons pas le mystère
de sa naissance, du moins connaissons-nous sa lignée ; et cette
lignée, ce sont toutes les versions occidentales modernes. Compa-
rons, par exemple, le fabliau français avec le Pantchatantra : nous
verrons que la version sanscrite est la plus archaïque, si bien
que les traits du fabliau ne peuvent s'expliquer que comme des
déformations des traits correspondants du Pantchatantra ; et,
pour expliquer le fabliau, si le. Pantchatantra n'existait pas, il
faudrait l'inventer. — Comparons donc.
1. Livre des Lumières, 1644, p. 86.
1£2 LES FABLIAUX
a) Le fabliau comparé aux formes orientales. Supériorité logique-,
du récit français..
Voici le récit de l'un de nos fabliaux 1 :
Les deux hommes luttent dans l'obscurité et le mari pousse, son adver-
saire, qu'il prend pour un voleur, jusqu'à la porte d'une salie voisine de sa
chambre, où il mettait son cheval favori et sa mule. Il renverse son ennemi
dans une cuve qui se trouvait là et l'y maintient : « Alumez chandoile ! »
crie-1-il à sa femme. Mais celle-ci se garde bien d'obéir ; elle proteste,
qu'elle ne pourra jamais trouver dans l'obscurité la porte de la cuisine ;
elle préfère garder ce voleur pendant que son mari ira chercher de la.
lumière. Comme le mari s'éloigne en lui confiant son prisonnier, vite, elle
le laisse échapper, et quand le bonhomme revient, une chandelle dans une
main, une épée nue dans l'autre, il voit que sa femme maintient dans la
cuve, avec le plus grand sérieux du monde, la tête de sa mule. Il en con-
clut avec un certain bon sens qu'il a pris un « lecheor » pour un voleur et
jette sa femme à la porte. Elle se réfugie dans la maison amie, où elle re-
trouve son amant, puis s'avise d'un engin : « jamais n'orrez parler de tel » !
Elle s'en va réveiller une bourgeoise qui lui est dévouée et la fait consentir
à entrer dans la chambre de son mari, où elle s'occupera à pleurer tant
et. plus. En effet, l'amie complaisante mène grand deuil auprès du mari
qui, n'y tenant plus, se lève, arme d'éperons ses pieds nus, prend par les
cheveux celle qu'il croit être sa femme et la met en sang à coups d'épe-
rons ; cependant sa vraie femme a rejoint le galant :
Slolt pot ore la dame atendre
JDe son ami greignor soulaz
Que celle qui est prise as iaz I
Enfin le mari, las de frapper, prend son couteau, coupe les deux tresses
de la malheureuse et la renvoie. Elle court conter sa mésaventure à. son
amie ; celle-ci la console de son mieux et va se rasseoir sans bruit sur le
ht de son mari, qui s'est rendormi. Elle trouve sous l'oreiller les tresses
1. Nouvelle XXXII.
2. Gesammtabenteuer, II, p. XLV.
3. M. des Granges, à une conférence de M. G. Paris, m'a objecté que-
telle n'était point nécessairement l'intention primitive du conte et que le but
des conteurs indiens n'était pas, comme il arrive dans les fabliaux, de nous-
faire rire aux dépens du mari. — Soit ; mais leur but était, en tout cas, de-
nous mettre en garde contre la. méchanceté rusée des femmes. C'est la
morale que tire expressément le bon Devasarman, témoin invisible des ruses
de notre entremetteuse, en ces slokas attristés : « Ce que Vrihaspati sait de.
science ne l'emporterait pas sur l'intelligence d'une femme;, comment donc-
se défendre contre elles ? Elles qui appellent le mensonge vérité et la vérité
mensonge, comment les hommes sages peuvent-ils se défendre contre elles
ici-bas ?
« Les lions à la gueule redoutable et à la crinière éparse, les éléphants sur
qui brillent les raies tracées par la chaleur du rut, les hommes intelligents
et les héros dans les batailles, deviennent auprès des femmes de bien misé-
rables créatures.
« Elles sont tout poison à l'intérieur, et à l'extérieur elles sont charmantes ;
les femmes ressemblent, dit-on, au fruit du goundjâ.
»
Le conteur était donc singulièrement malavisé qui, voulant manifester-
l'habileté féminine, met en scène un couple de commères qui réussissent,
effet, à duper deux heures un mari, mais deux heures seulement, qui, l'une-. en
et
et l'autre, expieront cruellement ce succès éphémère.
FABLIAUX ATTESTES DANS L'ORIENT : LES TRESSES 185
tapage. Que fait, en l'apprenant, l'autre mari, celui qui se rap-
pelle avoir coupé le nez de quelqu'un dans l'obscurité ? Le Pant-
chatantra se tait prudemment là-dessus. Il est évident que, dupé
une heure, il a reconnu dès le matin la fraude et l'erreur : la
ruse de sa femme se retourne contre elle. Dans le fabliau, tout
au contraire, l'entremetteuse n'est jamais gênante ; elle a perdu
ses cheveux ? elle en sera quitte pour porter de fausses nattes
sous- son couvre-chef 1 ; nul ne se doutera de son malheur ; le
mari pourra faire en toute conscience son pèlerinage à la Sainte
Larme de Vendôme, et nous pourrons rire du bon tour qu'on lui
a joué. Il est bien probable que, dans la forme primitive du
conte, l'entremetteuse en était quitte pour une mutilation légère,
et le fabliau est plus voisin que le Pantchatantra de cette forme
primitive.
Mais la rédaction sanscrite souffre d'une infériorité plus carac-
téristique. La femme adultère n'y est, à aucun moment, une
rusée' qui combine un plan ; c'est le hasard qui mène tous les
événements. C'est par hasard que l'entremetteuse vient lui por-
ter un message. C'est cette entremetteuse qui lui propose de
prendre sa place au pilier : quant à elle, elle reste constamment
passive ; et, lorsque le mari se réveille, elle n'a vraiment pas
grand mérite à s'écrier : « Que les dieux me rendent mon nez » !
« Ne )a douter ne li estuet
Des tresces, se trouver les puet,
Que si bien ne li mette el chief,
Que ja n'en savra le meschief
N'ome ne feme qui la Toie. »
186 LES FABLIAUX '
.
-
Cette histoire est assez mal venue, car enfin il n'y a aucune
apparence que le mari se laisse prendre à la ruse et croie réelle-
ment qu'il a pu confondre un homme avec une mule, un âne ou
un veau. Ce n'est pas sous cette forme qu'a dû être inventé le
1. Fabliau de la Dame qui fisl intendant son mari qu'il sonfoil, MR, t. V,
121.
2. Der verkehrte Wirth, Gesammtabenteuer, t. II, XLIII, p. 337.
3. Keller, Enâhlungen aus o.lid. ITss., der Pfafj mil der Snuer, p. 310.
4. Hans Sachs, Schwanck, Der Baver mil dem zopft, t. Î25 de la Biblio-
thek des liierarischen Verrins in Stuttgart, t. IX de l'édition de Hans Sschs,
p. 279, « Quand le mari arrive avec sa lumière et s'aperçoit que <-'eô< un âné
que sa femme tient prisonnier, la femme éclate de rire et dit : • Tu n'es pas
bien malin ! Tu t'en prends à ce doux anima] qui nous a longtemps servis, toi
et moi, qui nous porte du bois et de l'eau, et voici que tu veux le faire pendre
a une potence comme un voleur.' — Cet âne avait des pieds et des mains
d'homme ! — "Va, cher mari, tu es encore tout saoul de sommeil ! »
1. MR, 1,15.
2. Rudtschenko, Sudrûssische Voïksmârchen, Kiew, 1865, p. 165. Etudié
par Liebrecht, Germania, t. XXI, 1886, p. 385, ss.
3. Surveillant de cent âmes.
4. 38e des Cent nouvelles. Ce récit des Cent nouvelles est mis en vers dans
un recueil du xVme siècle, le Singe de La Fontaine ou Contes el nouvelles en
vers, à Florence, aux dépens des héritiers de Boccace, 2e vol., 1773, p. 8.
LE FABLIAU DES «
TRESSES »
Q
PRÉSENTE, PASSÉE OU A VENIR
ENSEMBLE DgS TRAITS QUE BOIT NÉCESSAIREMENT RENFERMER TOUTE VERSION
Un soir, un mari a des raisons d'en vouloir à sa f^mme, Qellerci trouve moyen ds s'évader de la chambre conjugalesans qye son
mari s'en aperçoive. A Ja faveur de l'obscurité, une nmie se substitue à la coupable et c'est cette amie qui reçoit une dure
çprre.etion. L.e mari lui fait en outre subir pne mutilation corporelle (il \u\ coupe le ne? oji les tresses). La vraie coupable
retourne le matin dajis sa chambre ej; peut montrer à son mari son corps intact, sans blessure, ni mutilatipn d'aucune sorte.
Le bon mari se laisse donc persuader qu'il a rêvé eu que les dieux ont réparé )'jnjure faite à une innocente.
FABLIAUX ATTESTÉS DANS L'OBIENT : LES TRESSES 199
indienne du fabliau des Tresses, met en relief un phénomène
curieux : c'est l'immutabilité des contes, lorsqu'ils passent d'un
livre à un autre livre ; leur puissance de transformation, au
contraire, lorsqu'ils se répètent oralement:
Tout conteur livresque copie son modèle, le modifiant le
moins possible, par paresse ou. par indifférence. Les invraisem-
blances ne le choquent pas. La Fontaine, imitant Boccace,
s'applique à marquer la physionomie de ses héros, à écrire de
jolis vers ; les données du récit lui importent médiocrement.
Pour les narrateurs lettrés, ces menues intrigues, sont sacrées^
comme les livres saints, car personne n'y tomche; Mais: on ne
touche pas aux livres saints, parce qu'on les respecte- trop ; on
ne touche pas aux contes, parce qu'on ne les prend pas assez
au sérieux pour leur faire l'honneur de modifications réfléchies.
A travers les versions orales, au contraire, la vie circule : c'est
que l'oubli, l'usure des épisodes et Nécessité l'ingénieuse les
transforment incessamment.
200 LES FABLIAUX
CHAPITRE VII
pure superstition.
.Passons- donc, aux fabliaux dont, la forme orientale- peut,,
comme pour le; conte des Trêves, prétendre; à, quelque anté-
riorité- logiqiue-. o.u historiqiue. "
II
Le Lai d'Aristote.
Le lai d'Aristote est l'un de ces contes qui, s'ils sont venus
de l'Inde en Europe, n'ont pu y parvenir, au xiné siècle, que
par la seule tradition orale, car on ne le retrouve au moyen
âge dans aucun recueil traduit d'une langue orientale : [le
Directorium humanae vitae 'l'a laissé! tombera du cadre du
Pantchatantra. Quand Henri d'Andeli nous affirme —'.comme
presque tous les auteurs de fabliaux, ses confrères,— qu'il a
« ouï la nouvele » ;de son ;lai n, nous "devons, donc l'en
croire ; mais, qui plus est, ceux qui le lui ont rapporté ne
dépendaient pas davantage, immédiatement ni indirectement,
d'un livre oriental traduit dans une langue européenne. \*
Lors donc qu'on prétend que ce joli conte est d'origine
indienne, on entend que, [seule, la tradition parlée l'a porté
du Kachemir ou du "Népal au clerc [Henri d'Andeli.,-'Quelle
raison a-t-on de croire à la réalité de cet 'exode ? Il en faut une
pour satisfaire, je ne dis pas seulement les sceptiques, mais, sim-
plement, ceux qui, par probité intellectuelle, exigent que celui
qui affirme se soit au moins préoccupé de savoir pourquoi il
affirme. Pourtant, il est curieux que les nombreux illustrateurs
du lai d'Aristote aient admis cette origine, sans plus ample dis-
1. Vers 40-41.
FABLIAUX ATTESTES DANS L ORIENT I LE LAI D'ARISTOTE 205
cussion, à l'ombre de la reposante [théorie orientaliste. Tous les
contes viennent de l'Inde, même ceux dont nous ne connaissons
aucune forme indienne ; or celui-ci est conservé sous des formes
sanscrites ; donc, il vient de l'Inde, nécessairement. Cela s'entend
de soi.
Il [y faut ('pourtant une démonstration, et il n'y en a pas
deux possibles. Si l'hypothèse de l'origine orientale n'est point
un simple préjugé, il faudra que les formes françaises supposent
à leur base les formes indiennes. Comparons-les donc.
Le lai d'Aristote est universellement connu. Mais, comme
il est un des joyaux de notre collection, on ne nous en voudra
pas de le raconter d'après Henri' d'Andeli, 'pour égayer un
instant la sécheresse de ces discussions.
Alexandre, le, bon roi de Grèce et ':d'Egypte, '[a* subjugué
les Indes, et, honteusement, « se tient coi 1» dans sa conquête.
Amour a franche seigneurie sur les rois comme sur les vilains,
et le vainqueur s'est épris d'une de ses nouvelles sujettes.
Son maître Aristote, qui sait toute clergie, le reprend au nom
de ses barons et de ses chevaliers, qu'il néglige pour muser
avec elle. Le roi lui promet débonnairement de s'amender. Mais
peut-il oublier la beauté de l'Indienne, son «front poli, plus
,
clair que cristal» ? Son amie s'aperçoit de sa tristesse, lui en
arrache le secret. -Elle promet de se venger du vieux.« maître
chenu et pâle » : avant le lendemain, à l'beure de none', elle lui
aurait fait perdre sa dialectique et sa grammaire. Qu'Alexandre
se tienne seulement aux aguets, à l'aube, derrière une fenêtre de
la tour qui donne sur le jardin.
En effet, au point du jour, elle descend au verger, pieds
nus, sans'avoir lié sa guimpe, sa belle tresse blonde abandonnée
sur son dos ; elle va„à travers les fleurs, relevant par coquetterie
un pan de son bliaul, et fredonnant une chansonnette :
Or la voi, la voi, m'amie,
La fontaine i sort série...
la chanteuse
- Au cuer li met un souvenir
Tel que son livre li fet clore.
206 LES .EAB-L'IAUX
H -consent ;
« J'irai plus honorablement. ».
voilà le meilleur clerc du inonde sellé comme
-un roussîn, et la mesehïne -qui rit -et 'chante clair sur son dos.
Alexandre "paraît à îa fenêtre 'de la tour. Le philosophe hri'dé et
sellé se tire spirituellement de 'l'aventure et retrouve •soudain
toute sa dialectique : « 'Sire, voyez si J'avais raison de craindre
T-amour pour vous, qui -êtes dans toute l'ardenr dn jeune âge,
puisqu'il a pu m'accoutrer ainsi, ïftoi qui suis plein-de vieillesse.
J'ai joint l'exemple au précepte ; -sachez en profiter ! »
D'ores et -déjà, a priori, avant -toute comparaison avec les ver-
sions indiennes, il est évident que cette forme se 'suffit à elle-
même. Rien qui décèle un remaniement. Nulle trace de rhabillage,
de replâtrage. Remarquez-vous un seul trait maladroit, nécessité
par l'adaptation à nos moeurs de données orientales ? Sous sa
forme .française, le. comte est accompli. Nous pouvons d'avance
l'affirmer: l'Inde nous livrera peut-être des versions-aussibonneB ;
de supérieures, non pas.
Or ces versions indiennes, loin/d'être.plus logiques, plus artis-
FABLIAUX ATTESTÉS DANS L'.0&H;NT ; LE LAI D'ARISTOTE 20.7
tem-ent motivées et agencées que le .fabliau, loin même de le
valoir, ne lui sont-elles pas misérablement inférieures ?
\
Voici -ceMe /du Pantchatantra — « Un ministre très sage,
Vararoutchi, à la ,suite .d'.une querelle conjugale, n'obtient son
par-don -qu'à la (condition de le demander à ,geno.wx,.la tête jasée.
— Pareillement, son souverain, le roi très puissant Nanda, après
s'être querellé, to.ut comme son ministre, avec .sa femme, n'obtient
«a .grâce que s'il se laisse mettre un mors dans la .bouche et
chevaucher nar elle, tandis qu'il hennira comme un cheval. Au
matin, comme le iai siège dans l'Assemblée, Var.arou.tchi arrive,
et le axai, quand.il le voit, lui demande : « Hé ! Vararoutchi, pour-
quoi ta tête est-elle rasée, sans que ce soit .jour consacré î — Le
ministre répond : « Là où ceux qui ne sont pas des chevaux
hennissent, on se rase -la tête sans que ce soit le jour. »
11 est Inutile d'insister sur la .médiocrité de ce conte.
— -Je
connais une seconde forme indienne 2, moins .sommaire et moins
insignifiante, que mes, devanciers paraissent avoir .ignorée.
Bharata, ministre d'un roi puissant, a dompté le peuple des
Pandavas. Parmi les captifs se trouve une jeune, fille, dont le
corps est recouvert d'ulcères .repoussants. Le roi, visitant le
butin, la voit et demande à Bharata : « Est-il possible que jamais
îin homme consente à_s'unir à une telle .fille ? — 0 roi, non seule-
ment cela est possible, mais je gage qu'elle forcera un homme
à la porter sur son do,s et à hennir en la portant. »
En effet, le .ministre fait soigner .et guérir Tara, sa captive. Elle
devient fort belle. Un jour il la'fait se baigner,, se parfumer,.separer
à merveille et convie le roi à dîner» Soudain, comme il s'entre-
tient &vec son maître, la jeune fille, jouant dans h. salle voisine,
lance par mégar-de par-dessus un rideau sa balle, qui vient tom-
ber au milieu des convives. Elle .entr'onvre le rideau .: « Père,
rends-moi ma balle 1.» Le roi, ébloui de sa beauté, s'émerveille :
« Bharata, de qui est-elle la fille ? — Je suis son père.
—Est-elle
déjà promise ? — Non, xoi. — Alors, Bharata, pourquoi ne me
la donnerais-tu pas ? — 0 roi, je te la donnerai donc, .»
1. Le récit prend, à partir d'ici, une direction qui ne nous intéresse plus.
LE LAI D'ARISTOTE 2J9
Bharata triomphe, c'est qu'il a tri-
-et si l'ingénieux ministre
ché au jeu. Le récit est un conte pharmaceutique, qui prouve
seulement l'excellence des drogues indiennes. — Puis, lorsque
la jeune reine demande à son époux de souffrir qu'elle le che- '"
vauche, il est bien étrange qu'il ne se souvienne pas du pari '
tenu par lui contre son ministre. Il est non moins invraisemblable "
qu'il croie au voeu stupide formé par sa femme. Mais cet oubli '
et cet aveuglement, mettons-les sur le compte des ravages de
•l'amour, et admettons ces données. Il reste encore que ce conte
ne signifie rien, car il se résume en ceci : un jeune prince, dans
toute la force de la jeunesse et des passions, trouve sa femme
tourmentée d'un scrupule religieux ; elle a fait, jeune fille, un
voeu que son mari l'aurait aidée à accomplir, s'il n'avait été
-qu'un modeste kchatriya. Hélas ! elle a épousé un roi, qui ne se
prêtera pas à l'épreuve ! Si le jeune prince lui montre qu'elle a eu
tort de douter de lui, qu'il saura apaiser le trouble de sa con-
science et lui prouver sa tendresse aussi bien que l'eût fait le
•moindre de ses sujets, il fait preuve, non pas de stupide passion,
•comme Aristote, mais de galanterie. Henri IV en eût fait tout
autant pour Gabrielle.
Comparez cette forme au Pantchatantra : elle est mieux racon-
tée, mais moins significative. — Comparez le Pantchatantra au
lai d'Aristote : la forme du Pantchatantra se résume en cette
médiocre historiette : « Deux maris, l'un très puissant, l'autre
très sage, supportent, pour apaiser leurs femmes, des épreuves
diverses et ridicules, et se raillent l'un l'autre. » Où est notre
vieil Aristote du conte français, si habile à démontrer à son
élève les dangers de la passion, et qui tombe dans le piège même
•que sa dialectique enseignait si merveilleusement à éviter ?
L'avantage reste manifestement à la forme occidentale du
conte. On peut assurer que ni l'un ni l'autre des conteurs indiens
ne la connaissait : sans quoi, ils l'eussent préférée. Il y a donc
présomption que l'Inde l'ignorait.
Mais, nous dira-t-on, le conte indien a subi, en voyageant,
une habile revision. Le lai d'Aristote n'est qu'un heureux déve-
loppement des données du Pantchatantra, — La théorie orienta-
liste manie en effet une arme à double tranchant, qu'il nous faut
émousser l'un après l'autre. Les formes orientales d'un conte
^SERIEE. — Les FaiHaux. **
210 LES- FAB-LIATOC
.
natee. oonte n'.ésfe que cetï-B:- métaphore^ grossi eue,, réinilJégséeh en- .
sons sens matériel.--. Uneidée aussipeui compliquée ai pn .naii-ne-un.
1,
îïoïïïbeei indéfini de fois,.. et. ik est-, p© ssiMè; que le- grange oriental!
-.
1. Voici les études que je connais sur les Souhaits saint Martin :
1° Grimm, Kinder- ùnd Hausmàrchen, notes du conte 87 ;
2° Von der Hagen, Gesammtabenteuer, II, xxxvn ;
3° Benfey, Pantchatantra, I, p. 495 ;
4° Lang, Perraull's popular laies, Oxford, 1888, p. XLII. —- L'étude de
M. Lang est conçue à peu près dans le même esprit que celle-ci, que j'avais
préparée avant de connaître son édition des contes de Perrault. La'mienne
ne fait pas double emploi pourtant avec celle du savant anglais. Ce n'est pas
que je tire vanité des quelques versions du conte que j'ajoute à sa collection :
je profite de son travail, et le premier venu pourrait allonger notre double
liste. Mais là où M. A. Lang n'a voulu montrer que la difficulté des pro-
blèmes qui se posent, je prétends faire voir qu'ils ne sont pas seulement
difficiles, mais insolubles.
21.4 -LES :EABLIAU;X
:de faire saillir aies traits ;distittctifs dcchacune. d?.o.ur .la plus
grande::eiai;té,>de:l^eàp:osition,ï3e.îr4:ette,eh.noterons des détails.
Voici.-qm-el-les-sont:ces;formes, en prkeédant :'d,esïflusnsimples
aux plus complexes : .
éiïet,-et par.TGoonîîaîBsauceilt'EBprit!-'luhaceorde-un-sojïb.ait-,à.'safantaisie.'en
31
consulte-sa =femme, -malgré l'opposition -4%n:baÊbier tde
ses ;amis. "Elle "lui
donne son -sot .-coas-eil, ~-â'fm qu'il puisse 'travailler,'.double.,à
' son >ané"tier de
-tisserand, grâce à,-sa-double-paire?de-bras.
-~. -Phe'dre,. Appendix, 'XV. 'Benfey ---rapp-r-oclie un oonite .du J PeiUaminmie
éd. de Basile (Liebreclit, II, 156),
que je ne connaisrpas.
LES QUATRE -SrjUHAlTS-S-AINT MARTIN 215
elle ^pburrà'continuer tout -le jo ur l'o ccup afion çune-fois-'oommerH
-cée. "Le.€ieu parti, elle^aune de <'la•toile. l!La toile -s'àllonge^ous
ses doigts, et elle-continue ainsi jusqù'-au'coucher -du 'soleil, si
bien queïsa;raaison.:s?enTp1lit.d?.êto'ffes1.
— ïUne .voisine ravare,
riche -et galouse, ohtient >du .dieu E.ô,la;anêmelavem',.;!mais,,au
'momentiâ,'imiter;fe:pàuva>esse,elleïS.e<dit::-«.Si j'anne de;la toile
tout le ..jour., des i'bêt.es---dB-,ma'basse-cour auront ;faim-.et soif,;,je
vais, leur doiiner,au.ni@ins'.de:il'eau. ». E±,.\k.ajournée^entière,-elle
.leur verse de l'eau, sans fpoùvniîr ss?vai'reter, stant -..qu'elle linonde
tout „-le-pays.
-Glest ain'rconie chinois 2. -On;.l'a.jPetTO.uvé,©n Poméranie, ^dans
la jrlesse, ailleurs encoies. -.Je îRaL:entendu .naoi?même conter .à
Gaen, tsous icette dorme bientgauloiae.:''Sâint.,Pierr,era.octroyé.à
deux femmes la même faveur que le dieu Fô ; l'unercompte des
-écus .tout le jour.; Jlautre,- comme -.dans le conte ..chinois, inonde
aussi le pays jusqu'au coucher du soleil, mais à la façon de Gar-
gantua monté sur les tours de .Notre-Dame4.
J). .QUAIREÈME FARÎIE. — M est nceorM .trois souhaits^chacun
à une,personne .différente.
Un conte populaire français nous raconte .comment .les fées,
p>our remercier .tr-ois.frères'de;les avoir fait .danser, leur accordent
un souhait à chacun. L'aîné,,qui est-.en.possession-.de.lihéritage
paternel, ne trouve aucun voeu à exprimer ; mais, comme il doit
s'exécuter, il demande que. son veau _guérisse la colique de qui-
-eonque le saisira par .la queue-—'LejpluSjjeune-ifi'ère, irrité.,de
sa sottise, «ouhaite q,ue;Iesi.'eoraes-de-ce weau-passent sur•'lastéte
'1. -Berifoy Tapp-eîle (p.'-'WS) sm-'conte^tliibétéun'où-'aes'vo'leurs'voient-auss-i
s'allonger -indéfiniment- entre leurs -maïiis -=une pièce- d*étô@e qu'ils 'veulent
'faire-passer par une ïeriêtre.
'-2. îl--est-.anaîysé-par Grimai, ïïUrider--urid>H'W'sm&rchen,Hoc.,cil.Oompa-
Tezun-coirte-?dea'Amiéiiôis,--p.-'p. M.^Oamqy.'MéZusme,;I, col,''24:0.
S.'C-'est'Beriîey (foc. cfcj^qui-rappë'lle ees--veT«ions-et je n'-aï-pas-vcriÊe-ses
indications.
:4. JOn sent, Sans-tous ces--Téeits, 3e'-voïsinage de«faMes,-anàlogues, comme
celle du paysan qui redemanxle a. 3upiter sa-»cognëe -perdue. (Cf., 'outre Là
Fontaine, 'Rabelais, "2e yrôlogue- du -quart -livré;) -ïïe -ae 'les fais-pourtant-pas
^entrer-«n:-îigne-xie'Compte,'parce que la^domree ^essentielle demotre fabliau
y disparaît : 'il-ne^'agit-plas ïci< d'-un-'don^accordé -aux Iicros-du conte avec
faculté fe^^ppiliquer délibérément à tel usage-qtfïl leuT-plaïra/mais d'une
-prièreJdétermmëe qu'ils «dressent^ la divinité, ce qui leur attire, -selon-leurs
mérites ou leurs torts, profit ou dommage.
216 LES FABLIAUX
de son aîné. Le cadet, fâché à son tour, demande qu'une tête-
— frère. Les-
de chien pousse sur les épaules de son plus jeune —
fées compatissantes'annulent les trois souhaits 1. .
2. Le mari riposte :
Plût à Dieu, maudite pécore,
Qu'il te pendît au bout du nez !
.
d) .l.iEIle,demande à.ideveniriajplusAétteid-es.femmes;.;
.
-X ie jmari,jjalo.UiÇ, souhaite qu'elle soit .-^langée, en chienne
,
;
3, Statu quo ante.
C'est un conte arabe \ et, avec des divergences «omhreuses,
un conte de l'Inde musulmane 2.
sième souhait ; mais, on s'en souvient, la fée a imposé cette condition qu'il
serait formé d'un commun accord p.ar'»le«marivet'Ia -femme réunis. iLe^vieux
supplieidbncisà:compag;ne.:âeyse:résigirer.à .-.vivre .'a^'ecisen incommode- app.en-
-dice nasal. Riche, il lui fera faire un bel étui en or pour l'y enfermer. Comme
son :élaqu6nee;-ne;Ia persuade-pas,vil fautsbien. qu'ïlise--résigne'à xiemander,
par son troisiènïecso.uhait,_le.sï«l!!*.-gito.aaïe,:f.IaL'fé,e-For-.tunée--vieii!tle Tétâblir
et.tirer la raoraleiide.llavenlure.
î. Freyta.g.,.jAi:àbumcprop.er.bia, il, i-687. JJe'toadtiis du-la-tin-le ïtexte assez
-court '.donné -par ÎLiebrecht, •-.Oraeai.sund Occident, QHI, -p. s376,.-ià propos *du
co-Dite.lÙLdËSiDeutsche.'Mâhrcken'de-Simrock : «.îLeïmarl'.diu-ne 'femme ijùive,
nommée tBasnsa, iavart.'obtemi rde :D.ieu;le droit -d'exprimer trois souhaits,
-qui-seraientiîexaucés..Basusa :lurîarnacha-la:-grâce-y-'eii-fformer-run---elle-même,
,
importune Dieu de ses prières. L'Ange du mari lui est dépêché pour lui
annoncer que ses requêtes sont vaines, car il a obtenu déjà toute la part de
bonheur qui lui revenait. Pourtant, comme l'homme insiste, l'ange lui
accorde trois souhaits : qu'il ne s'en prenne qu'à lui-même, s'ils tournent à
son désavantage. (Bemarquez ce curieux trait de fatalisme populaire.) -—• La
femme souhaite une belle robe, et il est curieux que le mari ne trouve à lui
reprocher que son égoïsme : car, dit-il, tu aurais pu, du même coup, obtenir
de belles robes pour toutes les femmes de la terre. (Ce mari est un médiocre
psychologue, car, si la femme avait fait ainsi, où aurait été son plaisir ?) —
Quand, en vertu du second souhait, la robe est entrée au corps de la femme,
qui pousse des cris de douleur, les voisins s'assemblent et menacent de tuer
le mari, s'il n'emploie son troisième souhait à délivrer la coquette. — Ce
dénouement rappelle celui des Arabum proverbia. Notez comme les conteurs
se sont ingéniés à sortir de cette difficulté : dans toutes ces versions, le mari
n'a aucune raison (sauf la pitié) d'employer son troisième souhait à réparer
le dommage que lui-même a voulu faire à sa femme. La plus jolie imagina-
tion est celle de Fernan Caballero, qui suppose que le troisième souhait,
doit être le résultat d'une délibération commune des deux époux. — Mais le-
nombre des combinaisons possibles n'est pas infini, et il est concevable que
deux conteurs indépendants (celui des Arabum proverbia et le Slricker)
aient recouru à peu près au même procédé, c'est-à-dire à l'intervention des
voisins ou des parents.
1. -C'est le premier récit du septième sage dans le Sindbad syriaque (éd.
Baethgen), dans le Syntipas grec (éd. Boissonnade), dans le Libro de los
engannos (éd. Comparetti) ; le deuxième récit du sixième sage dans le Sanda-
bar hébreu (éd. Sengelmann). Il se trouve aussi dans le Sindibad-Nameh.
-persan, du xiv«> siècle (Asiatic Journal, 1841, t. XXXVI, p. 16). — Dans les
Mille el une Nuits, c'est le 1er récit du sixième vizir (l'homme qui désirait
connaître la nuit Al-Kader.) ~~ Je ne connais pas la version du texte de,
Breslau, que les éditeurs n'ont pas voulu traduire, trop indécente.
comme
Mais on peut prendre connaissance du texte de Boulak, grâce à la traduction
française donnée dans. \a-Fleur lascive orientale, Oxford, 1882,
p. 132. Le
Pages 220-22 1
LES DIFFÉRENTESVERSIONSDU FARLIAUDES « SOUHAITS SAINT MARTIN »
UN ÊTRE SURNATUREL ACCORDE A UN OU PLUSIEURS MORTELS LE DON D'EXPRIMER UN OU PLUSIEURS SOUHAITS, QUI SERONT EXAUCÉS. CES SOUHAITS SE RÉALISENT, EN EFFET. MAIS, CONTRE TOUTE ATTENTE, ET PAR LA FAUTE
DE CEUX QUI LES FORMENT, ILS N'APPORTENTAPRÈS EUX AUCUN AVANTAGE, QUAND ILS N'ENTRAINENT PAS QUELQUE DOMMAGE.
LES QUATRE SOUHAITS SAINT MARTIN 221
E*. — Formes redoublées et contrastées du conte. — Un per-
sonnage surnaturel, en voyage sur la terre, accorde à des hôtes
pauvres et' accueillants trois souhaits qui leur apportent le. bon-
heur. Des voisins avares et jaloux, qui ont mal reçu le même
voyageur, obtiennent de lui la même faveur : ils veulent imiter
leurs voisins ; mais leurs souhaits se retournent contre eux..
Dans un conte allemand du xivé siècle 1, les hôtes qui ont bien
accueilli saint Pierre et saint Paul souhaitent :
1) que leur vieille maison brûle ;
2) qu'elle soit remplacée par une belle maison neuve ;
3) qu'ils obtiennent le royaume de Dieu.
récit des Mille el une Nuits est très supérieur à notre fabliau et aux autres
versions du roman des Sept Sages.
Je puis parler, sinon du conte lui-même qui est indécent, du moins de
l'être surnaturel qui accorde les souhaits. Dans les Mille el une Nuits, c'est
l'ange Ezracl ; dans le Libro de los Engannos, c'est une diablesse. Peu nous
importe ici ; mais, dans les autres versions des Sept Sages, c'est un démon
familier qui habite dans le corps d'un homme (le Syntipas Yap-peWe bizarre-
ment l'Esprit du Python), C'est, dans toutes les versions, un génie bienfai-
sant, qui, après être longtemps demeuré dans le corps de l'homme, est forcé,
par un autre génie, dont il dépend, d'élire une demeure différente. « Le roi
des démons m'a ordonné, dit-il dans le Mischle Sandabar, .d'aller dans un
autre pays » ; et c'est au moment de cette pénible séparation qu'il accorde
trois souhaits à son ancien hôte. — On reconnaît, à tous, ces traits, le début
de la fable de La Fontaine :
Il est au Mogol des follets,
Qui font office de Talets...
L'un d'eux, après avoir longtemps servi les mêmes maîtres, est envoyé en
Norvège « par le chef de la république des Follets ». -— Or M. Régnier (éd.
des Grands écrivains, fable VII, 6) a montré que La Fontaine a dû connaître
les Paraboles de Sandabar, traduites plusieurs fois aux xvie et xvne siècles.
La Fontaine a donc emprunté son récit au livre hébreu. A cette époque, il
n'écrivait plus des contes grivois, mais des fables : il a reculé devant l'obscé-
nité du récit. Il a donc seulement conservé le cadre de son modèle et inventé
d'abord l'abondance (les époux s'en dégoûtent, comme le savetier enrichi
par le financier) ; ils demandent alors la médiocrité et la sagesse :
C'est un trésor qui n'embarrasse point.
Je suis donc autorisé à considérer la version de La Fontaine comme une
simple copie remaniée des Sept Sages. C'est pourquoi je ne la rappelle qu'en
note. —• On voit combien est inexacte la supposition de Liebrecht (Germania,
I, 262) : « La nouvelle de Philippe de Vigneulles peut être considérée comme
intermédiaire entre le récit de Marie de France et celui de La Fontaine. »
1. Wendunmulh, éd. Kirchhof,n°218,1,p. 219. — Cf. K. Goedeke, Schwânke
des XVI. Jarh., Leipzig, 1879, n'° 34-, p. 54.
222 SES EABMAUX
.
1° L'éternité bienheureuse;
2o: Le pain- quotidien;
3° Une belle maison.
Le mauvais riche, apprenant la bonne aubaine -échue-à'son-voisin-, monté à;-
cheval, rejoint le bon Dieu qui s'en-va^. obtient.deiluides trois souhaits':
1° En route, son cheval bronche* : « Puisses^tu, s'écrie-t-il, te rompre'He-
cou ! » Ce souhait est aussitôt exaucé
2° IIp,oursuit.;sa,route, portant'la sellé-dii cheval,,et.pense tout a coup.que;..
pendant: qu^il sue. sang et eau. sur: la; grande Toute, sa.femme prend lé-frais,-
commodément:assise dans sa chambre, : .Je voudrais, dïïkil, là voir assise-,
<c
sur une. selle; ,sans pouvoir se lever !'.'» drrentre, et là trouve chevauchant,,,
en;effet,; une.selle,;..
3° D la délivre.
2. Notre: classement repose, uniquement,sur. l'examen des souhaits exprtr
més, et non sur les récits qui' servent de cadre à l'histoire. Peu. importe( en
effet, que l'être surnaturel qui "accordé les souhaits soit tantôt un voyageur-
céleste et qu'il s'appelle Mereuce; letdieav.EôvsSamt: Pierre-, et saint Paul ou
le. bon Dieu ; — tantôt un génie bienfaisant et reconnaissant, démon fami-
lier, diablesse, Esprit du Python, fées danseuses,, fées, des montagnes, Anna
Fritze,.esprit d'un, arbre siiisapâ, etc. ;, ou bien une divinité sage et'-pré-
voyante,. Allah, l'a fée.Fortunée. ; — ou encore un. génie ironique_et taqnin„'
saint Martin,..le follet, le nain des.montagnes, etc. Les groupements, qu'on,
obtient à considérer, ces détails sont superficiels,. factices," séparent "dès
formes voisines, réunissent dés versions, divergentes.
— IL nous .faut; donc
nous en tenir à notre classement.'
LES QUATRE" SOUffAÏTS? SAINT MARTIN 22$
Ce- tableau,. dressé- en-, tonte- patience- et- conscience; irrtièrro^
gmns4e,.- ayec:- scr-up-ulfe-:-
L'exemple choisi favorable:' :• sauf" quelques-' cas' nefl 1
est-'-
gsaHfes* toutes> nos? variantes, représentent des-momenfe dis-
tincts-de lai-foa-dMompaïdêiï. lïes'4iwimdk-notre eonte^no-us^ont
fourni', uns elassBmentfe'--ijKès? net:,
(S'è-- tahflèau peuftilï nous-renseigner-' sur. l£e -fërmg- et! la-' patrie
primitivecfoeoretè ?fsur,-lés lois«dé;soB'-.développement--?
Iiitèrrogeons-lè:,' en ' par-t-àïif • dès groupes de3 versions lés- plhs
>
- -
détérminétepour-immxmtfer-- a^nx? moins compléter;' c'éstnl-dire-
1
1. Les formes B, C,E", où un dieu voyageur accorde à ses hôtes des sou-
haits bénis oumaudits, paraissent plus intimement associées. Mais combien
de dieux païens, de saints chrétiens, se sont assis
au foyer d'hôtes qu'ils
récompensaient ou punissaient, depuis le temps de Philémon et de Baucis !
2. En admettant que le conte des Sept Sages fût issu du Pantchatantra,
comment toutes les autres formes seraient-elles issues de ces deux-là ? C'est
ce que Benfey n'explique pas.
LES QUATRE SOUHAITS SAINT MARTIN 227
"Faut-il aller plus loin encore et abstraire la quintessence du
-conte ? La forme initiale, est-elle celle qui raille l'inintelligence
foncière des femmes (A), — ou leurs vices, futilité, coquetterie,
sensualité (E') ? — ou celle qui exprime la vanité de nos désirs,
ceux de l'homme comme ceux de la femme (conte de Châdjihân-
pour) ? — ou celle où le conteur n'a voulu que s'amuser de
la déconvenue comique d'un distrait (c) ? -^- ou celle où il a
exprimé,' d'une manière populaire, le conflit de la prescience
-divine et de la liberté humaine, en ces versions où un dieu
ironique accorde des souhaits dont il sait par avance que rien de
bon ne peut sortir ? (Phèdre, le dieu Fô, E" ?)
Laquelle de toutes ces versions est la primitive î Pour en
Juger, il nous manque l'instrument.judicatoire.
En résumé, que pouvons-nous savoir de l'origine de ce conte,
-de sa forme et de sa patrie premières ?
— Rien.
De sa propagation ? Nous arrivons à constater simplement
que nos vingt-trois versions se groupent deux à deux, trois à
trois, etc., en des pays qui s'étonnent de se voir associés.
Mais la raison de ces groupements étranges nous échappe.
C'est, dira-t-on, que vous ne connaissez que vingt des
moments de l'évolution d'un conte un million de fois répété.
— Soit, je suppose que nous possédons ce million de variantes.
Qu'arrivera-t-il ? Le tableau synoptique ci-dessus comprendra
quelques familles et sous-familles de plus sous lesquelles
continueront à s'aligner les versions des provenances les plus
hétéroclites ; mais, si nous voulons, les classer selon leur succes-
sion géographique et chronologique, le pouvoir induçtif d'un
Cuvier n'y suffira point. Il faudrait que l'ange Ezraèl ou le
dieu Fô de nos contes vînt, en personne, nous dérouler l'his-
toire de ce million de variantes. Quel serait son récit ? Le début
en serait intéressant. Il nous dirait peut-être que le premier
inventeur du conte fut Enoch, fils de Seth ; que Thubal-Gaïn,
père des forgerons, a créé la forme G, et quelque Hittite la
.forme D. Mais la suite de son récit serait fort ennuyeuse : le
même hasard, qui distribue en quelques groupes nos 23
variantes, en distribuerait en quelques groupes de plus, avec la
.même indifférence, 999.977 autres. Nous verrions que le Sué-
dois Pierre a conté les Souhaits ridicules à l'Allemand Paul qui
228 ' LES FABLIAUX
les à contés à l'Italien JaequeSj et ainsi de suite un million
de fois, sans que l'ange Ezraël ni le dieu Fô fussent capables de
dire pourquoi ce n'est pas l'Italien Jacques qui l'a, le pre-
nous
mier, conté au Suédois Pierre.
En résumé, — me demandera le lecteur, — n'aurait-il pas
mieux valu, au lieu de vos subtiles classifications, prendre les
fiches où les folk-lônstes réunissent les variantes des Souhaits-
ridicules, les battre comme un jeu de cartes, et les énumérèr
hasard ? D'accord. N'aurait-il pas mieux valu encore
au — —
ne les recueillir point ? — Il se peut.
Le Lai de TÉpervier
Dans les contes étudiés jusqu'ici, nous avons admis ce prin-
cipe : si deux versions d'un même récit présentent au même
endroit le même trait accessoire, elles sont associées indisso-
lublement par un rapport de filiation, dont il ne reste plus qu'à
déterminer la direction.
Ce principe paraît, en effet, très sûr : si nous trouvons, par
exemple, deux versions de la Matrone d'Éphèse, où la veuve
inconsolable, pour complaire à son nouvel amant, retire du
cercueil le cadavre de son mari, lui brise trois dents et le sus-..
pend à une potence ; si, dans deux autres versions, au contraire,
elle se borne, comme fait la Matrone du pays de Song, à ouvrir
le cercueil et à fendre le crâne de son époux d'un coup dé
hache, il est évident que les deux premières versions forment
un groupe indissoluble qui s'oppose à un second groupe, non
moins indissoluble. -
Ce principe — qui procède d'une observation de simple boii
sens — est précisément celui sur lequel se fonde la méthode
employée pour l'établissement des textes : de même que deux
copistes indépendants ne font pas la même faute au même
endroit, de même deux conteurs indépendants ne racontent pas
le même épisode accessoire au même endroit.
Mais ce principe comporte, dans la méthode de la critique
des textes, un corollaire restrictif : deux copistes indépendants ne
font pas la même faute au même endroit, à inouïs que cette
faute ne soit si naturelle, si facile, qu'elle ait pu se présenter
d'elle-même sous la plume de deux copistes. -Quiconque eu
a
LE LAI DE L'ÉPERVIER 229
l'occasion de classer des manuscrits sait combien ces cas sont
fréquents, combien de fois le critique est obligé d'admettre que
la même faute a pu être suggérée à deux scribes indépendants,
bien qu'ils aient eu sous les yeux deux manuscrits corrects l'un
et l'autre.
Ce corollaire doit aussi nécessairement s'appliquer lorsqu'on
veut comparer des variantes de contes, et il ne semble pas
qu'on y attache communément une importance suffisante.
Il reste, dans tout classement de manuscrits, un élément
de critique subjective : il ne suffit pas, pour grouper deux
manuscrits en une famille, de noter, par une opération purement
mécanique, que tous deux présentent, en tel passage, la même
faute ; il faut encore décider si cette faute n'a pu être commise
deux, trois, dix fois par des copistes étrangers les uns aux
autres. -
De même, il ne suffit pas de marquer qu'un trait accessoire
commun reparaît dans deux versions d'un conte : il faut de
plus montrer que ce trait procède d'une fantaisie si particulière,
si individuelle, qu'il n'ait pu être réinventé deux fois indépen-
damment 1.
Distinguer quels sont les traits qui peuvent être ainsi plu-
sieurs fois réinventés, et qui, par conséquent, n'établissent
pas fatalement un lien entre deux versions, c'est une tâche
nécessaire.
Appliquons ces considérations au Lai de VÉpervier.
Ce fabliau, l'un des plus jolis qui nous soient parvenus, a eu
Ja bonne fortune d'être découvert, publié et illustré par M. G.
1, Si l'on nous permet d'employer encore ces formules, qui ne sont qu'en
apparence compliquées, soit trois versions d'un conte :
1° w + a, b, c.
2° io + a, A,e.
3°w+ x, y, z.
On est d'ordinaire fondé à dire que les deux premières sont associées,
puisqu'elles offrent toutes deux le même trait a.
Il arrive pourtant souvent que c'est là une illusion, et que le rapport de
;ces trois versions doit être ainsi établi :
Le conte, raconté d'abord sous la forme w + a, b, c, est parvenu à un
conteur qui l'a modifié ainsi : w + x, y, z, et un troisième conteur, partant
-
-de cette forme d'où ont disparu tous les traits accessoires primitifs, retrouve
l'un des traits a d'une version qu'il n'a jamais connue ; d'où...to + a, d, e.
230 LES FABLIAUX
Paris. Si le lecteur veut bien se reporter à sa très savante étude \
nous serons dispensé de reproduire longuement ici le texte "dés
différêhtes versions. Réduit à sa forme organique, il se résume
ainsi :
« Une femme a
deux amants. Un jour qu'en l'absence de
son mari elle a reçu l'un d'eux, l'autre survient. Le premier
amant se dissimule devant le nouvel arrivant.
« Tandis qu'elle s'entretient avec celui-ci, le mari revient.
Elle s'en aperçoit ù temps. Elle fait jouer à Vamant qui lui
.
7°) deux contes allemands du moyen âge, l'un sous forme narra-
tive, les Trois moines de Colmar ", l'autre sous forme de com-
plainte, la Femme du pêcheur'' ; 8°) une nouvelle de Sercambi 8 ;
1. Éd. Sengelmann, 1842.
2. Orient und Occident, II, 373.
3. Deux rédactions en prose du roman des Sept Sages, publiées par G, Paris.
4. MR I, 2.
5. MB. I, 19.
6. Gesammlabenteuer, III, LXII.
' 7. Keller, Erzâhlungen aus altdeutschen Hss., p. 347. Ain lied von ainer
uiscJierin.
g. Sercambi, éd. Renier, Arrcndicc 2, De'vïlio lussurie in prelalis.
238 LES FABLIAUX
9°) un des récits des Facétieuses Nuits de Straparole l ; —
—
10°) une farce française du théâtre de la foire 2 ; — 11°) une
farce italienne 3 - — 12°) un conte français en vers, du xvnr3
siècle 4; 13° et 14°) deux contes recueillis à Vais, par M. E.,
Rolland 5. •
„
Gomment classer ces quatorze variantes ?
Je prends- l'un quelconque des récits de ma collection, pour
en extraire, antérieurement à toute comparaison, la forme orga-
nique (co). C'est le lied de la Femme du pêcheur que le hasard a
amené sous ma main, En voici donc l'analyse.
encore étendu à la même place I — C'est donc qu'il est ravenu! » Étonné,
mais résigné, il reprend le chemin du Danube,, le second clerc sur son des,
•et, le prenant par les cheveux, l'enfonce consciencieusement dans l'eau.
II retourne à la maison, où la femme lui montre le cadavre du troisième
étudiant. « Quoi ! il est encore revenu ! » La même scène se reproduit et
pour la troisième fois il jette dans le fleuve le mort récalcitrant. — En re-
venant, il rencontre sur le chemin un prêtre, bien vivant, qui s'en va con-
fesser un malade. « Cette fois, lui dit-il, tu ne reviendras pas ! »Et, malgré
ses raisonnements, il l'envoie dans le Danube rejoindre ses confrères.
Le conte, sous sa forme nécessaire et substantielle, se réduit
aux données que voici :
Par suite de circonstances variables, trois cadavres (plus ou
moins, mais deux au minimum), se trouvent réunis dans une
maison; il s'agit de s'en débarrasser. La personne que leur pré-
sence compromet appelle un portefaix quelconque et lui montre
l'un des trois cadavres, comme s'il était le seul. Qu'il l'emporte et
le fasse disparaître ! — Ainsi fait. — Quand il revient pour rendre
compte de sa mission, on lui fait voir, à la même place, un second
cadavre, semblable au précédent. « C'est donc qu'il est revenu ! »
Il emporte ce second corps et la même scène se reproduit pour
le troisième cadavre. A la fin, le portefaix rencontre un homme
qui ressemble à son revenant, mais bien vivant. Il le tue, pour
qu'il ne revienne plus.
Cette forme est telle qu'il est hors du pouvoir de l'homme
d'en supprimer un iota. Ce n'est donc pas là communauté "de
ces traits qui groupera les versions, puisqu'ils s'imposent à tous
les conteurs, passés et futurs. Mais, comme le conte n'a jamais
vécu réduit à sa forme substantielle, il arrive, comme toujours,
que plusieurs versions reproduisent les mêmes traits accessoires ;
s'il apparaît que tel de ces traits n'a pu être inventé qu'une seule
fois, les versions qui le reproduiront seront associées en une
même famille.
Chaque conteur devra en effet se préoccuper de répondre à
une série de questions, dont voici les principales : Comment les
cadavres peuvent-ils être pris les uns pour les autres et ressem-
bler en même temps à l'homme bien vivant qui est, à la fin du
conte, victime de cette fatale ressemblance ? — Quel est l'homme
qui se charge de la lugubre tâche de faire maison nette ? — Où
240 LES FABLIAUX
et comment se débarrasse-t-il des cadavres ? etc. La rencontre
de deux conteurs sur l'un de ces épisodes pourrait entraîner
le groupement de leurs deux récits. En fait, ces questions se
subordonnent toutes à celles-ci : comment les trois cadavres se
trouvent-ils réunis dans la même maison ? de quelle mort ont '
1. En effet, l'on verra par la suite que la première de ces difficultés (com-
ment les cadavres se ressemblent-ils ?) dépend de la manière dont on explique
la rencontre des trois hommes dans la même maison. —• La seconde question
(quel est l'homme qui se charge de les emporter ?) ne fournit pas de classe-
ment utile : ce sera nécessairement un homme un peu simple, soit un porte-
faix de profession, soit un serviteur très dévoué à ses maîtres, soit un homme
prêt à tout [un Ethiopien (Sandabar), — un champion, frère de la dame [His-
toria Septem Sapienlum), — un portefaix (Trois Bossus, Sercambi, Vais 2), un
niais, neveu de la femme (Eslormi), — un soldat (Vais, I), un porte-morts
(Slraparole), —• un clerc errant ivre (Trois moines de Colmar),-
—
—• le niais
Gratelard (farce française), — un manant (Contes nouveaux), un valet niais
(Keller), — un faquin ivre (farce italienne)}.
—
— Quant à la troisième diffi-
culté (comment l'homme se débarrasse-t-il des cadavres?), il n'y a pas lieu
d'en tenir compte. Douze conteurs les jettent à l'eau ; ce qui est, en effet, le
procédé le plus naturel et dont s'accommode le mieux la rapidité du conte.
Les deux autres moyens imaginables,
— la mise en terre, la crémation, —
plus bizarres, pourraient servir à classer des versions : mais ils ne sont em-
ployés qu'une fois chacun (Historia Septem Sapienlum, Eslormi).
2. -J'appelle celte version : Vais 1. Il .ne s'agit ici,
comme dans. Straparola
LES' TROIS BOSSUS MÉNESTRELS 241"
aimable pour les moines. Il en tua un jour deux. » La femme
ne
joue ici aucun rôle actif..
a 1) Tous les autres conteurs supposent, au contraire, que les
-amants ont été attirés et tués par deux époux complices.
a2) Tantôt il s'agit d'un odieux guet-apens. Les deux époux,
pauvres, complotent de s'enrichir à peu de frais. La femme, qui
a une voix merveilleuse, se tient « sur les loges et galeries de la
maison du chemin public » et, « pour se monstrer et faire regar-
der », chante. Trois chevaliers se prennent à ses appeaux elle
;
leur donne, pour le même soir, moyennant promesse de nombreux
florins, trois rendez-vous successifs. Ils arrivent l'un après
l'autre ; le mari, caché derrière la porte, les occit. — Plus tard,
-à la suite d'une querelle avec son vieux mari, elle le dénonce à
l'empereur, qui les fait traîner tous deux à la queue des chevaux
et pendre.
C'est la version de VHistoria septem Sapientium 1, et, sans
doute, du roman arménien des Sept Sages 2.
a3) Tantôt au contraire, ce sont les amants qui sont odieux et
non leur meurtriers. C'est, en effet, une femme pauvre et sage
que trois moines ont persécutée de leurs vaines obsessions. De
..guerre lasse, elle s'en plaint à son mari, qui en tire vengeance et
•et les Contes nouveaux, que de deux cadavres. — Le mari confie les corps
des amiables moines à un soldat, qu'on appelle le Diable. Il passe deux fois,
avec son précieux fardeau, devant un couvent. Le veilleur l'interroge : « C'est
le Diable, ^répond-il les deux fois, qui emporte le moine du couvent. » Le
veilleur donne l'alarme dans le cloître, où l'on s'aperçoit qu'il manque, en
effet, deux .moines. Les autres s'enfuient, épouvantés. Le Diable rencontre
l'un d'eux, monté sur un âne : « Je ne m'étonne pas, lui dit-il, que tu arrives
toujours avant moi, puisque tu as quatre pattes et moi deux » ; et il le jette
à l'eau avec son âne.
1. Tandis que le champion, gardien de la cité et frère de la dame, est en
train de brûler dans un bois le corps du dernier chevalier, il en survient un
quatrième, qui venait à la ville pour jouter le jour suivant, et qui s'approche
du feu pour se chauffer. Le champion l'y jette, avec son cheval. — Je ne
•crois pas qu'il faille associer plus intimement cette version et celle de Vais 1,
en raison de ce détail minuscule : un cheval et un âne y périssent avec leurs
maîtres. —• C'est un trait réinventé par deux conteurs indépendants.
2. Je ne connais cette version que par l'insuffisante analyse donnée par
Lerch, Orient und Occident, toc. cit., et que je traduis in extenso : « Le sixième
sage raconte l'histoire de la jeune femme qui, aidée de son vieux mari et
par cupidité, fait tomber dans un piège trois braves chevaliers, attirés par
ses charmes. Les deux époux sont pendus. »
BÉDIER. Les Fabliaux, le
—
242 LES FABLIAUX
profit à la fois, leur fait assigner par sa femme trois rendez-vous,
successifs et les assomme, dès qu'ils ont payé. On le recon-
naît, -c'-est le début du fabliau de €<mstant du Hamel.
Cette version est représentée par le fabliau d'Estormi, par le;
conte allemand des- Trois moines de Calmar et par la nouvelle^
de Sercambi^.
B. Les bossus.
Les versions de ce second groupe -se diversifient de deux-
manières :
c) Les bossus sont frères ûa mari. Un 'bossu a -épousé unie-
femme riche, jeune et belle, -qu'il-surveille j'afeusement et dure-
ment. B a trois frères, bossus, comme lui, qui sont gueux, <et qu'il
défend à 'sa femme de recevoir jamais. Un j'osir, par pitié, 'en
l'absence d-fe son mari, elle les reçoit «t les héberge. Au retenir du:
jaloux, elle les cache. Quand elle veut les délivrer, ils sont,
morts, soit de peur, 'suit par asphyxie, soit parce qu'ils étaient,
ivres. Elle s'en débarrasse .comme dans les autres versions.
Après avoir expédié le troisième magot, le 'portefaix -rencontre
10 mari, bossu comme ses frères : c'est lui qu'il tue.
•Cette famille est représentée par cinq'versions le "second conte'
.•
i. Je -note, par scmtpule d'exactitude;, plutôt (que par utilité, les quelques,
divergences de eës trois «ontes allemand,, français, italien. JJ).aais tous les
trois, la victime .innocente -tuée à. -la fin du conte est un rmoiae ,(ou^un prêtre)
qui passe par hasard* — Dans Je conte allemand, la scène de séduction .a feu
au confessionnal, successivement dans trois couvents, de -Frères prêcheurs,
de Carmes déchaussés et d'Augustins. — Chez Sercambi, -ce sont .trois .moines:
de l'église Saint-Nicolas -à Pise, qui importunent, l'innocente Madonna JNîece,
l'un sous le porche, le second au bénitier, le troisième près de l'autel. —
Dans Eslormi, le lieu de -la soène reste indéterminé. ^- Dans le fabliau, le
mari assomme les trois 'amants dès leur arrivée. —• Dans les Gesammlaien-
teu.tr, les -amants, 'effrayés .successivement par le -bruit -que mène le mari
caché, se précipitent dans -une .cuve d'eau .-bouillaiïte. — Dans .Sercambi, les
trois amants, .sans qu'on s'explique .pourquoi, sont arrivés à la même heure
et, après savoir dîné ensemble, ise sont .mis au bain ; au retour du mari, ils se
réfu ien-t datas .un déduit, où l'homme, qui est tanmeui-, renferme ses jpeaux.
11 les tue en .versant sur eux un Chaudron .plein d'-eau bouillante-et de Chaux.
2. Voici l'analyse de -ces cinq versions :
Straparola : Long préambule sur les aventturEs 'des trois Jrères JJOSSUS ;
jusqu'au jjour «m l'.un d'aux,, «Zambù, é,p'otise à .Usine la fille da marchand de
drap, son patron. — Mauvais ménage •qtie ,-font .les époux.
— Zambù jart
LES TROIS BOSSUS MÉNESTRELS 243
û) Enfin, dans les Bossus ménestrels, il s'agit aussi de la
jeune femme d'un affreux bossu jaloux, qui héberge trois autres
bossus ; mais ce ne sont plus ses beaux-frères ; ce sont des .ménes-
trels qu'elle a fait venir pour se distraire. Le conte se poursuit
tout comme dans laprécédente version et c'est le mari lui-même
qui va rejoindre dans la rivière les bossus ses confrères.
C'est le fabliau des Trois bossus ménestrels et le récit du
Mischle Sandabar 1.
pour Bologne, après avoir, averti sa femme de se méfier de ses deux frères,
iqui lui ressemblent à s'y méprendre. Au retour imprévu du mari, ils -sont
cachés dans une ange c pour eschauder -et plumer les poureeaux » ; la peur,
la chaleur et l'odeur les tuent.
La farre irançaise se résume ainsi : Scène I : Horace donne au niais Gra-
telard une lettre pour la femme du vieux bossu Trostole. — Se. II. Trostole,
.appelé au palais par une assignation, recommande en partant à sa femme de
ne pas laisser entrer ses trois frères, bossus comme lui. — Se. III. Les trois
^frères bossus, affamés, viennent -mendier et la femme les héberge par pitié.
— Se. IV. Retour du mari. Les frères sont cachés, ivres. Trostole s'en va. —
Se. V. Les bossus sont morts d'avoir trop bu. Gratelard les emporte à la
rivière. -*— Se. VI. Retour de Trostole, que Gratelard envoie rejoindre ses
frères. — Se. VII. Gratelard vient .chercher son salaire : « C'est fait ! il m',a
fallu m'y reprendre à quatre fois. — Quatre fois ? n'y aurait-d pas mon .mari
avec les autres ? — Le dernier parlait, ma foi 1 » La femme épouse Horace.
Trostole et ses trois frères reviennent et se battent.
La fane italienne, que je n'ai pas lue, doit se rattacher à ce type, puisqu'il
s'y agit d'une « couvée de hossus ».
Contes nouveaux : Le récit est placé dans « une ville d'Asie », et l'on y
parle de « cadis » et de « caravansérails » ; mais cette lurquerie paraît être
de l'imagination du .conteur français. 11 y a, comme dan' Straparola, un long
préambule sur les aventures antérieures des trois frères bossus. -— Ceux-ci
meurent d'avoir trop hu. •— L'histoire se termine par une assez sotte inven-
tion : le bon calife Harouan-Arracchfd,se promenant par les rues, fait rele-
ver par son vizir les filets tendus dans la rivière. Les trois bossus sont ainsi
repêchés. Le mari revient à la vie, et le calife le tance pour sa fierté et sa
dureté à l'égard de ses frères.
Le conte de Vais * est très court et assez mal motivé. « Il était trois frères
bossus, dont l'un aubergiste et marié. Un jour qu'il était absent, ses deux
frères "burent tant dans sa cave qyCils en moururent. » On ne voit pas ici
pourquoi la femme se débarrasse subrepticement de 'leurs cadavres.
1. Dans le fabliau, trois bossus ménestrels s'invitent le soir de la Noël
chez leur jaloux confrère, qui les héberge volontiers, leur donne un bon
dîner, et .les renvoie avec vingt sous parisïs pour chacun, à condition qu'ils
jae remettront plus les pieds chez lui :
Car, s'il "i
-estoient repris,
.11 aTTOÎcnt un .baing cruel
T>e la ti-dide eve du .chane].
La dame, qui a entendu les bossus «.chanter et solacier^ profite du départ
244 LES FABLIAUX
Je résume ce classement de versions 1 par le tableau synop-
tique ci-contre.
II. Histoire probable du conte.
Ces différents groupes de versions se valent-ils, si bien qu'ils
doivent s'aligner pour nous sur un même plan ? Nous sera-t-il
impossible d'établir entre eux certains rapports de filiation ? —
Non : ici, comme en un certain nombre d'autres cas, quelques
observations très simples nous permettent, je crois, de saisir cer-
tains moments de l'évolution du conte.
1° Des deux formes principales — les amants tués par Te mari
(A), les bossus morts par accident (B), — laquelle est née la
première ?
Je crois que c'est la forme B.
Les versions du groupe A, — où c'est le mari qui tue les trois
galants, — sont marquées, en effet, d'une véritable infériorité. A
de son grotesque mari pour les rappeler, et leur fait chanter leurs chan-
sons. Au retour du jaloux, elle les cache dans trois escrins, où ils périssent
étouffés, etc. — Le conte du Mischle Sandabar est étrangement défiguré
et si sottement conté qu'il ne serait pas intelligible, si nous ne connaissions
pas le fabliau et les autres formes du conte. Qu'on en juge : une jolie,femme
est mariée à un vieillard (il n'est pas dit qu'il soit bossu) qui lui défend de
sortir dans la rue. Elle envoie un jour sa servante chercher quelqu'un pour
la distraire. Celle-ci rencontre un bossu qui joue des cymbales et de la flûte
et danse. Elle le conduit à sa maîtresse, qu'il amuse.; la femme lui donne
de beaux habits et un présent. Le bossu fait part de cette bonne aubaine à
deux de ses compagnons bossus, qu'il obtient la permission d'amener avec
lui. Ils boivent tant qu'ils tombent de leurs sièges, et que la jeune femme et
la servante sont obligées de les transporter dans un logement voisin, où ils
se disputent et s'étranglent les uns les autres. — Voici, textuellement, la fin
inintelligible du récit : « Elle fit appeler un Éthiopien, lui donna une pré-
cieuse récompense et lui dit : Prends ce sac, jette-le dans le fleuve et re-
viens ; je te donnerai tout ce dont tu auras besoin, L'Éthiopien le fit jus-
qu'à ce qu'il eût jeté à l'eau, l'un après l'autre, tous les bossus. » —• Nous
surprenons ici le conte dans un état si maladif qu'il n'a jamais pu, sans
doute, tel qu'il est, en provigner aucun autre. Mais il avait été conté sous
une forme saine, à l'auteur du Mischle Sandabar ou à son modèle arabe, et
cette forme était nécessairement celle des Trois bossus ménestrels. C'est ici
le même cas que pour les Quatre souhaits saint Martin: v.
p. 224, note 1.
1. Il reste le lied de la Femme du pêcheur, ci-dessus analysé, qui se classe
malaisément, car il participe à la fois des deux formes, A, B, du conte.
•— Il
se rapproche pourtant davantage de la sous-famille d, puisque les clercs'
errants y jouent le même rôle d'amuseurs que les bossus du fabliau. Mais
l'omission de cette circonstance qu'ils étaient bossus force le
conteur à faire
occire à la fin du conte, au lieu du mari, un prêtre innocent (comme
en A).
LES TROIS BOSSUS MÉNESTRELS 245
1. Je ne veux pas retenir le fait que les formes-mères ne sont pas repré-
sentées seulement par le fabliau et le Sandabar (d\, mais aussi par les ver-
sions où les bossus sont frères (c). Cette forme c, nous l'avons dit, est peut-
être la primitive, auquel cas les versions logiquement antérieures seraient
représentées par Straparola, les Contes nouveaux, les farces italienne et
française, l'un des contes de Vais, donc par un groupe où n'entre aucune
forme orientale. Mais faisons cette concession, toute gratuite, que la forme
première est en effet celle du fabliau et du Sandabar.
250 LES FABLIAUX
San, ou hébraïque. Si d'ordinaire, par une rencontre- constante- et
vingt fois observée, les formes-mères étaient en effet attestées
-dans l'Orient, toute objection devrait tomber devant, ce fait con-
sidérable-. Mais il n'en va pas ainsi et ce phénomène- se- produit
pour le seul fabliau des Trois bossus. C'est donc le hasard qui
associe en à le Sandabar et un fabliau, comme il groupe en c
.Straparole et Tabarih, en #a des nouvelles allemande, italienne,
française. Ce groupement du Sandabar et d'un fabliau nra pas
jplus de valeur que l'un des mille autres groupements étranges
que peut présenter chaque- classement des formes diverses d'un
conte.
Et, par une rencontre piquante, les deux formes principales
A, B, de notre conte, séparées du tronc commun, depuis quand ?
depuis mille ans peut-être, — en quel lieu ? au Kamtchatkapeut-
être, — sont recueillies coexistantes, à quelques jours de dis-
tance, par le même foik-loriste, au même lieu, dans le même
bourg de l'Ardèche, à Vais.
A quoi nous sert le joli château de cartes du classement des
"versions ? Sur quel sable avons-nous bâti ?
CHAPITRE VIII
I
Les contes populaires ne nous viennent pas de l'Inde. Mais
où sont-ils nés ? Leur chercherons-nous quelque autre foyer-
originaire ? La Grèce ? L'Assyrie peut-être 1 ? Non ; les critiques
•qui vont suivre ne porteront plus sur la seule théorie orienta-
liste, mais plus haut. Y a-t-il apparence que les contes pro-
cèdent d'une patrie commune ? Au cas contraire, si l'un d''eux
est né ici, et l'autre là, et le troisième ailleurs encore, sous
quelles conditions pouvons-nous déterminer leurs patries res-
pectives et les lois de leurs migrations ?
1. Je sais tel savant qui serait disposé à croire à l'origine assyrienne des
•contes.. -— Ba-brius- y croyait déjà :
M51of fiÊv, & izzi (3a<Tt);Éco<; 'AXEçavopou,
;
Z'jpcov itaXairâ èativ Eopîu/ àvôp(i~ojv
o'( T.piv TLOT' TJaav ÈTI! Nîvou TÎ y.aî Biî.X^u.
(2e prologue des Fables.)
252 -
LES FABLIAUX
Depuis les frères Grimm, une fièvre de collectionneurs s'est
emparée de l'Europe. Pas un recueil de contes ancien qui n'ait
été dépouillé, .pas un conte moderne qui n'ait été traqué de
pays en pays, de village en village. Pas une isba russe, pas une
cabane de Norvège, où n'aient fureté des savants. Pas un récit
polynésien que n'ait épingle quelque missionnaire. Bienheureuse
contagion, quand il s'agit de dresser le bilan des croyances et
des imaginations du peuple, d'en décrire la psychologie, de
sonder ces couches profondes de l'humanité ! Bienheureuse
contagion, quand elle atteint Mannhardt, Andrew Lang, Gaido.z !
Mais épidémie néfaste, quand l'effort de tant de travailleurs
se confine dans cette question dcl'origine
des contes et s'y
épuise !
. .
Je vois bien qu'on a réuni de tous les points de l'horizon des
versions de tel conte. Pas une fois seulement, mais souvent.
Partant des fabliaux des Trois aveugles de Compiègne, J.-V. Le
Clerc recueille dix formes de ce conte ; partant des Facétieuses
Nuits de Straparole, M. Giuseppe Rua en recueille dix autres ;
partant d'un conte portugais, M. Braga allonge encore cette
double liste ; et je puis, à mon tour, à ces collections, ajouter
quelques références. Et l'on me démontrera aisément que je
suis un ignorant, que j'ai négligé une version thibét'aine ou une
version espagnole. Soit. Je crois volontiers que la collection de
M. Reinhold Kôhler est plus riche de vingt, de cinquante
parallèles. J'admire son zèle. J'admire que son cabinet de la
bibliothèque de Weimar soit assez vaste pour contenir ses casiers
de fiches. Une version nouvelle d'un conte est-elle publiée
quelque part ? Vite, un savant collectionneur court à son dossier
de ce conte : c'est une cinquantaine de bouts de carton où, depuis
vingt ans, au hasard des lectures les plus imprévues, il a résumé
le récit en des abrégés qui ont enlevé à chaque version toute,
saveur locale. Ces cinquante rapprochements, il les énumère
dans une revue, et le lecteur, qui saute brusquement du
Liedersaal de Lassberg aux récits norvégiens d'Asbjôrnsen ou
aux fables siciliennes de Pitre, de la Petite-Russie au pays de-
Galles, de Sansovino à Somadeva, de Giambattista Basile à
Cervantes et à un conteur araméen, confondu de cette vision
de kaléidoscope, brisé par ce voyage de rêve à travers les civili-
RÉFLEXIONS SUR LA MÉTHODE 253
sations les plus contradictoires, admire. Mais le numéro suivant
de la revue paraît, où un savant mieux outillé montre qu'il
possédait quelques fiches de plus : voici encore une forme
islandaise" ; voici Malespini, Molina, et les Comptes du monde
adventureux. Et son voisin en connaît d'autres ; mais ce voisin
lui-même est incomplet et se désespère que la science soit si peu
avancée.
Que veulent-ils prouver ainsi ? Que ces contes voyagent par
le temps et l'espace ? qu'ils se trouvent partout ?
— Soit ! la
preuve est donnée, surabondante jusqu'à la satiété. Maintenant,
grâce !
Mais puisque c'est aussi l'origine et les lois de la propagation
des contes qu'ils prétendent établir, que concluent-ils de ces
mille rapprochements, de ces monographies toujours recom-
mencées ?
Ceux-ci se croient en possession d'une idée directrice, qu'ils
considèrent comme déjà démontrée. Ils poursuivent leurs col-
lections à l'abri de cette croyance : les contes viennent de l'Inde.
Pour ceux qu'on retrouve en Orient, c'est la forme orientale qui
est primitive ; pour les autres, on trouvera quelque jour cette
forme ; elle a existé, ou existe ; et l'on a prouvé, disent-ils, l'origine,
indienne de tant de contes que nous pouvons dès maintenant
admettre la même origine pour les autres. — Cette foi est un
mol oreiller d'incuriosité, qui permet de se livrer plus longtemps
aux joies du collectionneur.
Pour d'autres, la réponse à la question de l'origine des contes
n'est pas encore donnée, mais les méthodes de recherche sont
les bonnes. L'origine des contes n'est pas indienne, ou du
moins nous ignorons encore si elle l'est. Étudions.davantage :.
peut-être prouverons-nous qu'elle est assyrienne, grecque ou
égyptienne ; peut-être prouverons-nous, au contraire, que les
contes ne procèdent pas d'un foyer commun, mais on pourra
sans doute établir que celui-ci est né dans l'Inde, celui-ci en
Grèce, tel autre en Egypte. EtT'on amasse toujours des variantes
et quand on en a réuni cent, on en cherche fiévreusement une
cent unième.
Dans quel espoir ? — Certes il serait singulièrement injuste et
inintelligent de railler, fût-ce du plus imperceptible sourire,, ce
254 LES FABLIAUX
grand effort poursuivi depuis .soixante aas, par toute l'Europe,
avec une si noble ténacité, pour recueillir et fixer la -tradition
orale. Nous devons à ce labeur d'inestimables -collections ; elles,
nous ont donné le sens de ce -qui est primitif et spontané ; -elles-
nous ont révélé toute la belle flore inexplorée de l'âme populaire..
Elles nous offrent les matériaux nécessaires pour de nobles
systèmes mythologiques ou pour des études — à peine ébau-
-chées encore — de psychologie populaire. Mais puisque tant de
savants s'obstinent à ne les interroger que w l'unique problème
de l'origine et de -la propagation des contes, .n'est-il pas temps
enfin de se demander si ce qu'on cherche, on aura jamais quelque
moyen de le trouver ; si l'on était même en droit de le chercher ?'
'AvâYJnQ vtr^ai.
Or, je le crois, le problème de l'origine et de la propagation,
des contes est insoluble et vain.
II
Commençons par poser, au début de cette discussion, un fait-
qui paraîtra d'abord trop simple pour être marqué, -— si les
notions les plus Glaires n'étaient souvent obscurcies par l'esprit
de système.
Il existe un très grand nombre de contes dont l'origine peut
être sûrement établie et dont on peut aisément étudier la-
propagation.
Il y a des -contes antiques, et qui ne sont -qu'antiques.
Plutarque nous raconte 1, par exemple, la touchante légende
-
diverses;.
Les! données morales, qu'impliquent,ces-,nouvelles .sont étery, •
:
nelles;; accessibles- à .tout, homme venant, en. ce monde); et
vivront aussi,longtemps'qu'il y aura,partout:où,ihy aura.-des
maris, et des-femmes-, des amants,, venant à.ia traverse,- des
jaloux, des.amis-,-, des..brus:et des-, rivales;: L'imagination,,popu-,
laire. enferme-des sentiments très, généraux- dans, le, cadre étroit
de situations,très, particulières,: et ne- crée, jamais de, caractères-.-.
Le premier moment de l'observation, qui, est celui où.le peuple
en reste, est peu individuel. La.psychologie personnelle, l'idée
qu'un homme, est, un. microcosme, différent des, microcosmes
qui, l'entourent-, est., une, conception; supérieure. Les.,persom;
,
nages des contes populaires ne sont jamais,, des individus/
'toujours, des types. : c'est le. jaloux,, 2'amant,-. le, rival, placés
dans une condition spéciale. Cette condition étant; donnée, de.
jaloux, l'amant^ le rival se comporteront fatalement,de,même.
RÉFLEXIONS SUA;, LA MÉTHODE 250
-Que.-'Bo6cac.e:.sjemp.aEed',uïi.,de. cesvcont.es, populaires efeapplique
àilemai-rei}; ses,:;facuités de psychologue,, dôlié,.,:ces personnages
quasi abstEaits!pr.endront.un.e figure individuelle.,,et,complexe/,:
oe seront des Italiens, de- ,1a. première Renaissance^nés. dans
fine civjhsation,:affinée*, spirituelle,, corrompue. Que le domi-
nicain BandeUo reprenne le même-conte, ces personnages
vivront d'une vie: cruelle.,-, sanglante. Ils deviendront,;sceptiques
et légers,avec La.Fontaine.,Ils;seront,tour- àî.tour-bo.uddhisteSj
chrétiens, .musulmans.. • Ils, seront des: croisés, des vizirsj. des
kchâtri-yas, des .clercs, des mignons.;, Mais,, sous.rla>:fo]jme orâte^où
le, conte, continue de ,se perpétuer sur les lèvres du peuplès,ils
restent, des -types,., le- Mensclu..
De .même pour les,,contes d'.animaux:.:.ih.s:a'p^o&ent, en plus
des nouvelles, cette convention, acceptable de tout homme, que
les., animaux partent, et un sjmibohsme très, peu- caractérisé,
qui .fait, de chacun d'eux le type, de certaines passions hu-
maines.,
Ainsi; qu'il existe des nouvelles localisables, comme!® Chevalier
au Chainse, si elles supposent^sous leur 'forme organique des
données.sociales, morales ou sentimentales: particulières, de 1
III
1. Dans la Germania, t. XXI, p. 385, ss., et dans son livre Zur VoVts*
kunde, 1879, p. 124-141.
2. Novelle del « Mambriano i del Cieco da Ferrara, Turin, 1888, p. 104-
119.
3. Romania, t. X.
266 "LES TABLIAUX
mort) ; —,cetteitroisième^qu'ilest-revêtu;de vêtements'-miervéil-
1
férents, mais qu?au, contraire le 'même récit reparaît dans' six- ver-
sions différentes ^(l'auberge)'voire- dans-onze:versions -'(fe'Titoine)
o.u:rnêmedaffs'.treize,(/e mort) ; comme plusieurs versions ont en
commun deux récits et parfois trois, il est constant que les
diverses,.formes, du conte- sont unies'par eertainesi,relatïons de
dépendance, dont on a tenté de découvrir la nature.
1. Chacune de ces nouvelles-vit aussi-sous-forme indépendante, en'dehors
du cadre des Trois dames à l'anneau. J'indique à l'appendice II certain
un
nombre de parallèles pour «elles' qui--se'trouvent dans notre collection- de
fabliaux : le Prêtre et la dame,
— le Vilain de Bailleul, — le Preslre qui aie^.
vêle.
RÉFLEXIONS:.SUR; LAV.MÉTHODE ,'267
,Si,l?on.peut déterminer ces «apports; c'est à Conditiondeu-èu-
•nir.le, plus? possible 'de matériaux.
0.r:Féhx Liebr.e'G"ht-.-'a,'recueilli etvclassé,treize'versions-demotre
conte ; M. Giuseppe Rua en a retrouvé trois-de plus; et: g ei suis
moi-même'-assez.heureux(bonheur.'dont-jejfais-ipeude cas;!)pour
a}Outer':siE,':autres-iormes auxf.colleBtions»de,:ces".savants:*
Soit 32. versions-aujourd'hui; connues, entre lesquellesseîrépar-
tissent, apparaissant et disparaissant tOur-"à: tour, M «nouvelles
qui peuvent-servir à un-classement.
..Ge-classementiétaitilebut;de mes savants-devanciers. J'ai-joint
mes -humbles ^efforts faux leurs.. A'-quels résultats ,-avons-iro.us -
abouti ?
Il ne sera pas long de les rrapporter.
1° Le- fabliau anonyme des- Trois dames qui. trouvèrent Vanneau (MR, I,
15): ; — xme siècle.
2° Keller, Erzâhlungewaus'altd. ':Hss.,'p. 210 (BïbliêiheK"des lit. Vereins
zu Stuttgart, 1855) ; -—-.xive-.siècle.
3e- Hans Folz (von dreyen Weyben die einen porlen:junden),..-Zls. de Haupt,
VIII,'524 * reproduit dans lès Facéliae Bébelianae ; — xvie siècle.
•4°' Conte''islandais (Collection-de Jon Arnason) ; — moderne.
5° Conte'norvégien (Collection Àeb.jôrnsen); moderne.
6° Conte de Borghetto près Palerme (communiqué à F. Liebr.eclit. par
Pitre) ; — moderne.
7° Conte de Cerda (Pitre, Racconti siciliani, t. III, p. 255) ; — moderne.
' 8°-,Conte de-Palerme (-Pitre, ,iiid.,.-ç. 2fi5> ;— moderne.
9°. Là-. 'Fontaine, La Gageure-des trois-commèr-es ; — sxvir6 siècle.
10° Conte de la Russie méridionale (collection Rudtschenko, n° 59).;:-—
moderne;
11° Liedersaal de Lassberg, III, 5 ; — xive siècle.
Dans son 'livre -Zur Volkskunde,. .Liebreeht ajoute ' les deux w-ersiôns.-:que
-voici :
12° Conte danois (collection Grundtvig, n° 19) ; — moderne;.
13° Tirso-dé Molina (Tresorode novelislas espaiio'ies, Paris,.1*847,;I,:p. 234) ;.
— xvne siècle.
B) Versions-, recueillies par M.^ Giuseppe-Rua :
14° Une nouvelle du Mambriano de l'Aveugle-derferrare-et la 'transcrip-
tion en, prose démette -nouvelie-par Malespjni ;—-fin du x--ve siècle;
15° lie.fabliau: d<Haisel (MR, VI, .138) ;—,xine-siècle.
.16°-Uni ,versione.rimala.deiSetwSavi (p.;p. '.Pic Rajna,' Remania, X, 1«) ;
—' x-ve -siècle.
C) Versions que j'ai recueillies- :
17° -Jacques-'de Vitty, :GCXLVlIIv éd.,,Grane, ;-
,xme,siècle. —, (Le.cadre
dans d'autres
est tombé les deu%- épisodes de cet exempt, qui se trouvent
;.
268 LES FABLIAUX
Liebrecht s'est borné à énumérer et à résumer les treize ver-
sions qu'il connaissait. Ce dénombrement terminé, il l'a envoyé
à l'imprimeur. Ne cherchez pas dans son travail une conclusion
quelconque : il n'y en a pas.
M. Pio Rajna, qui vint après lui, a fait une remarque intéres-
sante : il a noté que deux contes populaires siciliens reproduisent
les mêmes épisodes qu'une nouvelle littéraire du Mambriano,
écrit à la fin du xvé siècle (l'auberge, la dent, le moine). Il a
émis la conjecture vraisemblable que la nouvelle du Mam-
briano, mise à la portée de tous en Italie par de nombreuses
réimpressions, a pu exercer quelque influence sur la tradition
orale en Sicile 1.
M. Giuseppe Rua a démontré que le conteur espagnol Tirso de
Molina avait simplement plagié Malespini, metteur en prose de
la nouvelle du Mambriano 1.
De même il est aisé de remarquer que, parmi les versions
que j'ajoute à la collection, celle de Verboquet n'est qu'un pla-
giat des Comptes du Monde advenlureux.
C'est-à-dire que l'on recueille ces deux résultats :
1° Nos 22 versions se réduisent en réalité à 19, puisque
Molina a copié l'Aveugle de Ferrare et que Verboquet a copié
les Comptes du monde adventureux. Ce sont des faits intéres-
sants pour les historiens des littératures espagnole et française,
versions (le mort-—la dent arrachée) n'en montrent pas moins par leur juxta-
position que Jacques de Yitry connaissait une forme des Trois dames à l'an-
neau.
18° Les Comptes du monde advenlureux, p. p. Félix Frank, Paris, 1878,
n° XL1 ; — xvne siècle.
19° Le Sieur d'OuviUe, éd. Ristelliuber, p. 146 ;
-— xvne siècle.
20° Verboquet le Généreux(éd. de 1630, réimpr. par Cb. Louandre, Con-
teurs p: du XVII* siècle, II, 31) ; — xvnc siècle.
21° Conte écossais, collection Campbell, n° 48. (Cf. R. Koehler, Orient
und Occident, II, 686) ; moderne.
22° Nouveaux contes à rire ou récréations françaises, Amsterdam, 1741,
t. II, p. 142 ; — xvme siècle.
1. M. Rua a fait effort pour démontrer que la nouvelle espagnole de Tirso
aurait pu influer à son tour sur la nouvelle sicilienne recueillie à Cerda.
2. Tirso de Molina a, il est vrai, substitué conte (le moine) à un récit
un
de son modèle (la dent arrachée). Sa version, dit M. Rua,
« est une imitation
générale ». Soit ; mais une imitation.
— Quant aux tentatives de M. Rua pour
retrouver les sources du Mambriano, M. Rua sait bien qu'elles n'ont pas
abouti.
RÉFLEXIONS SUR LA METHODE 269
mais jusqu'à quel point le sont-ils ? Car, si Tirso de Molina est
un digne émule de son contemporain Lope de Vega, quelle place
occupe Verboquet le Généreux dans l'histoire du siècle de
Louis XIV ? S'il me plaisait de tourner en vers latins le récit
de Verboquet, et en prose allemande la nouvelle de Molina, les
futurs historiens de notre conte auraient à considérer 24 versions
et non plus 22. Mais quand ils auraient découvert la source
de mes vers latins et de ma prose allemande, qu'auraient-ils
ajouté à la science des traditions populaires ? — Rien.
2° En second lieu, M. Rajna a montré que des contes popu-
laires siciliens pouvaient dépendre de la nouvelle littéraire du
Mambriano. Ce résultat est plus intéressant : il montre que les
livres peuvent agir sur la tradition orale. Mais c'est un fait bien
connu, que nul n'a jamais songé à discuter. Si un paysan con-
naît la parabole de l'Enfant prodigue, c'est apparemment que
lui ou son voisin l'a lue dans l'Évangile. Pourtant, soit : nous
avons ici un exemple de plus du mélange des courants litté-
raires et oraux dans la transmission des contes populaires. Il
est surabondant ? n'importe ! qu'il soit le bienvenu !
Voilà donc les deux conquêtes de mes devanciers. Mais, nos
22 versions une fois réduites à 19, et en négligeant les deux
nouvelles siciliennes, comment les autres formes se classent-
elles ?
Quelle est la forme originelle ? Où, quand, par qui a-t-elle été
imaginée ? Comment, dans quel ordre les autres versions en
ont-elles été dérivées ? Par quels intermédiaires ? Suivant quelles
lois le conte s'est-il propagé de peuple à peuple ?
Nous l'ignorons.
Ce sont ces questions pourtant que se posaient Liebrecht et
M. Rua, au début de leurs recherches. C'est pour y répondre
qu'ils ont analysé ces contes, amoncelé ces variantes, disposé
ces tableaux synoptiques.
J'en ai établi un à mon tour, où j'ai tâché de rapprocher les
versions qui se ressemblent le plus. Je l'ai médité et retourné
en tous sens. Que signifie-t-il ?
Peut-on découvrir la forme première du conte ? Il en est
une, qui est la mieux construite : celle où les trois récits
sont enchaînés les uns aux autres, où le mari, revêtu de
270' LES FABLIAUX
vêtementsjinvisibles,- assiste, nu, à la.-messe'chantée'.'par.-.le
mari fait moine pour le'repos-de l?:âme du mari, qui: se; croit
mort -(Relier, HansFolz). Gestla-piuslogique, la.plus mnémo*
technique \ Il est heureux-' qu?il ne's'en- trouve aucune, forme '
indienne, car-nous serions obligés de soutenir, à. grandc.renïort
d'arguments, que la- forme' la plus-logique-n'ost:p&S' néflessair,e-
meiït la primitive.
Dansmotreimpuissanice àlsrouver la forme premièreducon-ce^
pouvons-nous du moins savoir comment.'il. s-'est [propagé: ?
1
r.r
•
1 2 3 l, 5 6 7 ' ' 8 9 10 11, 12, i3, I'I, i5, 16, 17, 18, 19
Versionsconservées
Le moine Le mort Le nu Les poissons L'auberge La Trois L'arbre La maladie La chandelle Contes qui ne se trouvent chacun
dent arrachée l'un sur l'autre enchanté que dans une seule des versions.
3
Altd. Erzàhlungen
.2 HansFolz
Conte norvégien
4 Conte islandais
5 Conte écossais
Le moine (1)
Le moine (2)
Le mort (2)
Le mort (1)
Le m'ôrt (1)
Le mort (2)
Le mort (1)
Le nu (3)
Le nu (3)
Le nu (2)
Le nu (1)
Le nu (2)
'." L'homme qui n'est pas lui-
même (3)
.
..'".-'
.
10 Fabliau de Ilaisel Le moine (2) Les poissons (1) La chandelle (3)
1,1 Liedersaal de Lassberg Les poissons ( 1 ) La chandelle (3) La sorcière (2)
12 D'Ouville ' Le moine (3) Le mort ( r) L'auberge (s)
i3 Tirso de Molina Le moine (3) Le mort (1) L'auberge (2)
.
i4 Cieco da Ferrara et Maies- Le moine (3) L'auberge (2) La dent (1.)
pini
i5 Jacques de Vilry Le mort (1) La dent (2)
16 Conte de Païenne Le moine (3) L'auberge (2) La dent (1)
17 Conte de Cerda +
Le moine le L'auberge (2) La dent (1)
.
(Les poissons dans le sillon (1 )
mort ( 3) ^La
'. ' femme qu'on porte (2)
iS Conte russe . _ (3)
Le ...mort
19 Selle Savi -' ' L'auberge (3) Trois l'un sur L'arbre (2) La maladie (1
l'autre (1) [bis)
20 Conte de Borghetto Trois, l'un sur L'arbre (1) La maladie (2)
... . •
l'autre (3)
21 Conte de La Fontaine ',,
L arbre
, , .
(2
'
'
(La ficelle (3)
;
/La bourgeoise. d,,„
Orléans
, (1)
22 Nouveaux contes à rire. " Trois l'un sur L'arbre (1) La chandelle (0)
l'autre (2) j
•
REFLEXIONS :SUR: LA., .MÉTHODE 2H'A
l'avoir employé, moi chétif,. mieux que ces savants, car,, ayant
appliqué leurs méthodes, j'ai le courage de conclure qu'elles sont
stériles.-
-La.-jour même,où .ce; conte.; à itiroirs-' ou-nn autre quelconque,
a, été. inventé^ comprenant trois, récits -a, &,' c, ce conte, pourvu
qu'il,,ait été,raconté'une:seule fois, apuprendre^ dans la bouche
du second, narrateur, Runesdes iformesosuivantes :
272 LES FABLIAUX
Supposons que le conte ait été inventé par le contemporain
de Rhamsès II, que nous imaginions plus haut, et qu'il l'ait
conté à deux de ses amis de Memphis, on peut établir, comme
aussi vraisemblable et aussi indémontrable que toute autre, la
filiation plaisante que voici :
IV
Donc, où les contes populaires pour lesquels on édifie des
théories sont-ils nés ?
Chacun d'eux en un lieu. Mais lequel ? Nous ne le saurons
jamais, puisqu'ils n'ont aucune raison d'être nés ici plutôt que
là.
Procèdent-ils d'un foyer commun ? Existe-t-il une nation qui
ait été la pourvoyeuse, unique ou principale, de l'universelle
fantaisie ? C'est une hypothèse invraisemblable, et que les faits
démentent. Eh quoi ! La polygenèse des contes nous est
attestée par mille exemples : des centaines de légendes religieuses,
sentimentales, merveilleuses, sont propres à tel pays, non à tels
autres. L'Inde invente des contes indiens, la France des contes
français, l'Armorique des contes celtiques, le Zoulouland des
contes zoulous, et seuls, les contes les moins spéciaux, ceux
qui peuvent faire rire ou émouvoir à la fois des Zoulous et des
Français, les contes quelconques, nous admettrions qu'ils n'ont
pu êtçe inventés ni par des Zoulous, ni par des Français, mais
que Zoulous et Français ont dû les recevoir d'une mystérieuse
source commune ?
Pour une autre raison encore., c'est une hypothèse invrai-
semblable, et que les faits démentent : car nous trouvons, à
une époque quelconque, ces contes indifféremment répandus
sur la face de la terre, et nous constatons seulement des modes
littéraires qui les font recueillir et mettre en oeuvre par des
lettrés tantôt dans l'Inde, tantôt en Arabie, tantôt en France.
La communauté d'origine des contes est une hypothèse, en
tout cas, indémontrable. Il est impossible de savoir où ces contes
sont nés ; de plus, il est indifférent de le savoir ou de ne le
savoir pas, puisqu'ils ne sont caractéristiques d'aucune nation
spéciale.
Quand ces contes sont-ils nés ?
Chacun d'eux, un certain jour. Mais lequel ? Nous ne le
saurons jamais. Nous pouvons constater que tel conte nous
apparaît pour la première fois en 1250 après J.-C., et tel
autre en 1250 avant J.-C. Mais, n'y ayant aucune raison décou-
r.IîDir.R. — Les Fabliaux. ^
274 LES FABLIAUX
vrable pour qu'ils n'aient pas vécu l'un et l'autre en 2250 avant
J.-C, nous ne saurons jamais s'ils ne vivaient pas, effective-
ment, l'un et l'autre, à cette, date.
"Il est impossible de savoir quand ces contes sont nés ; de
plus, il est indifférent de le savoir ou de ne le savoir pas, puis-
qu'ils ne sont caractéristiques d?âueu©e époque spéciale.
:' Pourquoi ces contes vivent-ils d'une vie si dure ?''
Les nouvelles, les fabliaux, parce qu'ils sont bien charpentés,,
ingénieux, .frappants ; parce qu'ils ne mettent en action que des
sentiments universels, accessibles à tout homme,, si primitif
qu'il soit.
, . - ...
Les contes merveilleux, pourquoi vivent-ils ?'. Parce que la
. -
que tel jeu de mots, telle nouvelle à la main, tel conte à rire,
qui nous paraît aussi/général en ses données et aussi spirituel,
ne sort pas d'un unique recueil, d'un unique village ?".—. Le-
conte du Vilain Mire se perpétue depuis des siècles. Pourquoi
ce succès, alors que tel conte du sieur d'Ouville bu d'Arlotto de
Florence, aussi général en ses données, ne. s'est pas perpétué ?/
C'est un mystère, mais dont on ne saurait percer, l'obscurité..
Quia est in eis virtus ridicula quae facit ridere.
La réponse est insuffisante ? Certes. Mais n'en cherchez pas
une autre, si vous ne voyez pas de méthode pour en trouver une
autre. '"•'•
Pourquoi tel conte meurt-il ?: Il n'y a aucune raison pour que
l'oS-ctç. d'Ulysse, au lieu d'avoir été imaginé il
y'a au'moins trois
mille ans, ne l'ait pas été il y a trois jours seulement ;mais,
1 une
fois imaginé, nous ne pouvons concevoir de raison'pour qu'il
RJFLEXIO-NS SUR LA METHODE 275
meure jamais. Rien ne se perd sans cause suffisante ; aucune force
ne s'éteint que tuée par une autre force contraire et-supérieure.
Et nous ne pourrons jamais imaginer une force contraire à la
pérennité de cette facétie.
Comment les contes universels se propagent-ils ?
On a remarqué peut-être qu'il est un article de foi de la doctrine
orientaliste que nous avons négligé de discuter dans notre cri-
tique de cette école. L'école cherchait quelles sont les occa-
sions historiques qui ont pu favoriser le passage des contes
d'Orient en Occident. Elle remarquait des échanges intellectuels
.plus actifs entre l'Orient et l'Europe, d'abord à Byzance, puis
en Syrie et en Egypte, à l'époque des Croisades,, ou bien à la
faveur de la domination arabe en Espagne.
On comprend maintenant quelle médiocre importance nous
devions attacher à ces circonstances historiques.
D'abord, de telles considérations-sont trop aisées, se présentent
trop commodément, pour une époque quelconque, à qui veut y
mettre une certaine bonne volonté. S'agitril d'expliquer la flo-
raison des fabliaux à la fin du xné siècle ? C'est l'influence des
Croisades ! — La présence des contes dans le haut moyen âge ?
C'est que Byzance a mis en communication régulière l'Orient
et l'Occident ! — A-t-on besoin d'expliquer qu'Apulée connaisse
le conte de Ps3^ché ? C'est, dit M. Cosquin, qu'au premier siècle
avant notre ère, on avait découvert la mousson, et que des tou-
ristes s'en allaient chaque année, à travers la mer Rouge et
le golfe Persique, visiter l'Inde. •— Veut-on rendre compte
de l'existence des fables ésopiques en Grèce ? C'est que l'expédi-
tion d'Alexandre a relié la Grèce et l'Inde. — Tfouve-t-on des
contes grecs antérieurs à la défaite du roi Porus ? C'est que
des caravanes assyriennes, depuis les temps de Ninos et de Bel,
couvraient les routes, des vallées du Pendjab aux côtes d'Asie
Mineure !
Toutes ces considérations historiques seraient nécessaires et
valables, si les contes communs à l'Orient et à l'Occident étaient
vraiment des paraboles indiennes, qui supposassent la con-
naissance des trente-deux signes caractéristiques du Bouddha,
d'intelligence parfaite des formules de refuge, des quatre vérités
"sublimes, de la production des causes successives de l'exis-
276 LES FABLIAUX
1. Rotez, en passant, que cette échelle est précisément celle qui exprime
le rapport plus ou moins intime des littératures populaires
aux littératures
savantes. Là où elles se confondent, c'est dans l'emploi des proverbes ; elles'
-se confondent aussi dans l'usage de la nouvelle, du.conte universel, qui'peut:
être à la fois admis par un paysan et par Boccace. Là où la différence conv-
mence à se faire sentir, c'est quand il s'agit de notions scientifiques. Pour-
tant, combien de superstitions médicales chacun de nous, même le plus
cultivé, ne conserve-t-il pas ?
RÉFLEXIONS SUR LA MÉTHODE 283
mais non ce même proverbe sous cette forme : Tel maître,
tel serviteur. On pourra déterminer, sans procédés comparatifs à
la seule inspection d'une forme quelconque, que tel proverbe
est arabe, tel autre indien ; mais le proverbe « Qui trop embrasse
mal étreint », ou celui-ci : « Pierre qui roule n'amassé pas
mousse » ne sont, au point de vue de l'origine et des migrations,
susceptibles d'aucune étude scientifique *.
De même, pour les devinettes. On ne pourra jamais découvrir
d'autre date pour la naissance d'une devinette que celle où a été
inventé l'objet qui est le mot de l'énigme. La devinette sur le
filet à poissons que M. G. Paris étudie en sa préface au recueil
de M. Rolland, peut avoir été imaginée en un lieu quelconque, le
jour même, où les mailles du premier filet ont été façonnées. Il
peut être intéressant (bien que d'un intérêt infiniment restreint)
d'énumérer les différents pays où l'on compare le battant de la
cloche à un enfant qui frappe sa mère, pour distinguer les
variantes minuscules dont cette idée est susceptible. Mais, si l'on
se propose par ces rapprochements de découvrir où est née cette
•comparaison et par quelles voies elle s'est propagée, on peut
collectionner pendant des siècles.
Pour les fabliaux, quelques-uns — le plus petit nombre, —
à la seule inspection de leurs traits organiques et. sans aucun
procédé comparatif, sont localisables, d'une manière plus ou
moins vague :
1° Quelques-uns ne peuvent appartenir qu'au moyen âge
français :
a) comme fondés sur un jeu de mots français (Le Vilain au
buffet, Les deux Anglais et Panel, La maie Honte, La Vieille qui
oint la palme au chevalier 2).
CHAPITRE IX
î. Gesammla-Mnleuer, I, p. CXXV;
2. Gesam.mlabenleuer, I, XIII, Vrouwen triuwe. Le conte publié dans le
Liedersal de Lassberg, p. 117, ne diiîèrc de celui des Gesammtahenleuer
que par des variantes de forme.
LE CHEVALIER AU CHAINSE 295
une à la messe, belle entre toutes. Il la montre au bourgeois,
dont c'est précisément la femme. Le prudhomme est si confiant
en elle qu'il offre pourtant l'hospitalité au chevalier. Mais lui,
follement épris, refuse et poursuit de ses vaines obsessions la
fidèle épouse.
Rebuté, il imagine de faire crier par la ville qu'il combattra,
revêtu d'une simple chemise de soie, quiconque se présentera
contre lui, armé de pied en cap. Il est frappé d'un coup de lance,
dont le fer lui demeure dans le corps. Il veut le garder dans sa
blessure : celle-là seule l'en arrachera, pour qui il a voulu être
blessé. Bien des femmes se présentent, qu'il repousse ; seule, la
bien-aimée ne vient pas.
C'est le mari lui-même qui, sachant le secret du blessé, force
sa femme à le visiter. Elle s'y rend avec sa chambrière, et retire
le fer. — A peine la blessure du chevalier s'est-elle refermée,
qu'il ose s'introduire nuitamment dans la chambre des époux. La
dame se lève pour l'éconduire ; mais il la serre si fort entre ses
bras que sa blessure se rouvre et qu'il tombe mort.. — On
reconnaît en cette scène le conte de Girolamo et Salvestra, du
Décaméron x, supérieurement imité par Alfred de Musset. —La
femme a-la force de rapporter le cadavre du chevalier jusqu'en sa
chambre ; le lendemain, avec la permission de son mari, elle se
rend à l'église où on ensevelit le mort :
Celui dont un baiser eût conservé la vie,
Le voulant voir encore, elle s'en lut...
Ce coeur, si chaste et si sévère
Quand la fortune était prospère,
Tout à coup s'ouvrit au malheur.
A. peine dans l'église entrée,
De compassion et d'horreur
Elle se sentit pénétrée,
Et son amour s'éveilla tout entier.
Le front baissé, de son manteau voilée,
Traversant la triste assemblée,
Jusqu'à la bière il lui fallut aller.
Et là, sous le drap mortuaire
Si tôt qu'elle vit son ami,
Défaillante et poussant un cri,
Comme une soeur embrasse un frère,
Sur le cercueil elle tomba a...
1. Jemrnée IV, nouv. 8. Voyez M. Landau, Quellen des Dekameron, p. 161.
2. Poésies nouvelles, Sylvia.
296 LES FABLIAUX
Et le vieux Minnesinger ajoute ces vers très'simples, que Mus-
set eût aimé connaître :
1. Brantôme, Vies des femmes galantes, dise. VI, éd. de 1822, t. VII,
p. 461.
2. Dans sa ballade intitulée le Gant. Schiller raconte, dans une lettre à
Goethe, datée du 18 juin 1797, par quel intermédiaire il a connu le récit.des
Vies des dames galantes. -— Voyez, dans l'édition de K. Goedeke, Stuttgart,
1871, t. XI, p. 227, une curieuse variante. Schiller avait d'abord écrit: « De
Lorge rapporta le gant et Cunégonde le reçut avec un regard d'amour, qui
lui promettait son bonheur prochain. Mais le chevalier, s'inclinant profon-
dément, dit : « Dame, je ne vous demande pas de récompense, » et il la quitta
sur l'heure. Puis Schiller corrigea ainsi : « Mais le chevalier lui jeta le gant
au visage : « Dame, je ne vous demande pas de récompense. » — Comparez
une curieuse pièce de R. Browning, où la dame se justifie (éd. Tauchmtz, H,
223-9, Ihe Glove),
298 LES FABLIAUX
Haiévy. C'est un domestique qui parle : « Sous Charlernagne, un
chevalier se promenait avec sa payse au Jardin des Plantes, près
de la fosse de l'ours Martin, Elle y jeta son mouchoir ;• Va le
ramasser i dit-elle. Savez-vous ce que fit le chevalier ? Il prit sa.
belle et l'envoya rejoindre le mouchoir et l'ours Martin. C'est de
l'histoire, ça 1. »
Ainsi les différentes fortunes du Chevalier au chainse nous
montrent avec quelle précision un conte peut représenter des
âmes diverses:il convient exclusivement à un milieu chevale-
resque très particulier ; là seulement, il peut trouver sa forme-
accomplie, et vivre. Mais il passe en Allemagne, où les idées de-
la Table Ronde sont d'emprunt, imparfaitement comprises. Deux
poètes s'en emparent : l'un, Jansen Enehkel, en tire un récit
niaisement moral ; l'autre, une noble légende, qui, par ses don-
nées plus humaines, dépasse le moyen âge et peut convenir aussi
bien à Boccace, à Alfred de Musset. Enfin, le moyen âge meurt.
Les données du Chevalier au chainse révoltent les consciences
des hommes nouveaux i c'est pour l'avoir méconnu que la petite
dame d'honneur de Brantôme fut si cruellement punie. Et notre
beau conte chevaleresque s'effondre piteusement sous le soufflet
de de Lorges ou dans la fosse de l'ours Martin.
Mais nous avons choisi là, sans doute, un exemple trop favo-
rable. Cette légende du Chevalier au chainse était trop manifes-
tement médiévale, dans -son essence et ses accidents. Prenons
maintenant un conte à rire, nullement ethnique, vraiment quel-
conque, qui appartienne au trésor banal des littératures popu-
laires. Soit le fabliau de la Bourgeoise d'Orléans 2, qui fait par-
tie du cycle d'histoires qu'on peut intituler avec La Fontaine :1e
mari trompé, battu et content. Voyons, par exemple, comment
la matière du conte le plus universellement accessible à tous va
se diversifiant d'un conteur à l'autre, selon son tempérament
intellectuel et les exigences de son public.
«...Or vous dirai d'une borgeoise
Une aventure assez cortoise !... »
Que le lecteur veuille bien juger de cette courtoisie !
CHAPITRE X
-
Nous voici en présence de ces 147 poèmes, soit d'environ
quarante-cinq mille vers. Paxcourons^les.
J.-V. Le Glerc a déjà résumé presque tous ces contes. Vou-
lons-nous reprendre cette analyse, qu'il, a faite avec charme ?
Mieux vaudrait y renvoyer le lecteur, et d'ailleurs la lecture
directe des textes serait plus efficace encore. Notre but est
autre. L- V. Le Clerc cherchait une sorte de fil conducteur qui
lui permît de promener le lecteur dans ce labyrinthe de
contes. Il voulait simplement, à propos de chaque fabliau,
réunir les remarques de tout genre qu'il provoquait, observa-
tions linguistiques, morales, notes historiques, rapprochements
littéraires, etc. Comment pouvait-il passer d'un conte à l'autre
304 LES FABLIAUX
1. V. 952.
L'ESPRIT DES FABLIAUX 307
digne fils d'une telle mère, Sansonnet, nous apparaît à
son
tour, les mains belles et fines,.« lacé dans sa ceinture à longues
franges », respirant une grâce malsaine de mignon. Le poète
nous dit comment il a été élevé. Les enfances de ce San-
sonnet, dont un bourgeois, un chevalier, un prêtre et quelques
autres s'enorgueillissent paternellement, sont dignes de chacun
de ses nombreux pères putatifs : il fait, honneur au prêtre
par
sa parfaite connaissance de son psautier, de la grammaire, par
son art à chanter « les conduiz et les sozçhanz » ; il a tant
appris par son « cler sens » qu'il est bon dialecticien ;
— il est
bien aussi le fils du chevalier, si élégamment il sait « s'afichier »
sur ses étriers, composer des sonnets, des serventois et des
rotruenges, jouer de la citole et-de la harpe, dire des lais bre-
tons ; — il est le fils du bourgeois encore, car il sait compter
mieux que personne — et des vilains aussi, car il sait tricher
aux dés et boire d'autant. Voici que déjà il possède les sept arts,
et quelques autres encore ; la science de vivre, c'est-à-dire la
science d'aimer à bon profit, il croit l'avoir- apprise dans ses
livres et allègue « les bons auteurs »,
...Que moût en cuide
Sansonnez savoir par Ovide.
Mais sa mère, « maistresse de lecherie, » lui donnera le trésor
plus précieux de son expérience. Dans les nobles chansons de
geste, quand.un chevalier nouvellement adoubé quitte le château
paternel et s'en va chercher les aventures par le vaste monde,
il est d'usage que sa mère lui dicte ses nouveaux devoirs, l'en-
doctrine avant le dernier adieu et le chastie. De même Richeut
ne laissera point partir son fils sans lui enseigner sa morale
spéciale : il doit toujours « parler courtoisement, agir féroce-
ment, toujours promettre aux femmes et leur devoir toujours ».
Et le voilà parti pour les pays, levant sur les femmes qu'il
« affole » « impôts et tonlieux », courtois dans les demeures
seigneuriales, ivrogne et batailleur dans les tavernes, moine
blanc à Clairvaux, d'où il emporte les croix et les calices d'or,
prêtre et chapelain à Wincester d'où il enlève une abbesse qu'il
abandonne et qui devient jongleresse ; c'est lui qui 'porte les
messages des amants, qui fait dolentes les épouses et les jeunes
allés ; et s'il les met à mal, « peu lui chaut, mais qu'il gagne »1
308 LES FABLIAUX
N'y a-t il pas une véritable puissance poétique dans ce proto-
type de don Juan, élégant et cynique, si gracieux, si féroce ?
Ce caractère qui marque le plus ancien fabliau conservé, à
savoir la vérité effrontée de l'observation, la visite réaliste
d'un monde interlope, l'exactitude dans la peinture des moeurs,
et spécialement des mauvaises moeurs, nous verrons bientôt
qu'il restera l'un des signes distinctifs du genre au cours de son
histoire 1.
Ce qui frappe encore.à la lecture de ce poème,-c'est que l'in-
tention du poète n'est nullement satirique. On sent qu'il
1. Il s'en faut pourtant que Richeut ressemble de tout point aux poèmes
postérieurs. Il en diffère par la nature du sujet traité, ep ce qu'il n'est pas
un conte traditionnel. L'intrigue n'y est rien ; les caractères y sont tout.
Aucune des duperies qu'imagine notre vilain couple n'est un de ces bons
tours particulièrement ingénieux qui font rire par eux-mêmes : réduites à la
seule intrigue, les aventures de Richeut n'intéresseraient personne. Aussi le
fabliau de Richeut ne se retrouve-t-il dans aucune littérature et nous n'avons
à présenter à son sujet nulle remarque comparative : c'est moins un conte
qu'un tableau de moeurs. Or, — pour mentionner une dernière fois la théorie
orientaliste, — on sait que, selon elle, c'est l'invasion exotique des contes
orientaux qui aurait enseigné à nos trouvères, confinés jusqu'alors dans le
monde légendaire des héros d'épopée, l'art de peindre aussi les moeurs quoti-
diennes, les. petites gens, la vie du carrefour et de la rue. « Les contes indiens,
dit M. G. Paris (Les contes orientaux dans la littérature fr. du m. â., 1875),
nés de l'observation directe et ingénieuse des hommes dans toutes les condi-
tion sociales, retracent naïvement leur vie et leurs moeurs avec la simplicité
et l'absence d'affectation qui caractérise l'Orient. Les aventures et les senti-
ments d'un jardinier, d'un tailleur, d'un mendiant y sont exposés avec com-
plaisance et décrits avec détail. Les Occidentaux, quand ils reçurent d'Orient
cette matière nouvelle de narrations, ne connaissaient que l'épopée nationale
et le roman chevaleresque. La "poésie ne s'adressait qu'aux hautes classes,
les peignait seules, et se mouvait ainsi, dans un cercle très restreint de sen-
timents souvent conventionnels. En s'efforçant d'approprier les contes orien-
taux aux moeurs européennes, les poètes apprirent peu à peu à observer ces
moeurs pour elles-mêmes et à les retracer avec fidélité. Ils apprirent à faire
tenir- dans le cadre de la vie réelle et bourgeoise de leur temps les incidents
qu'ils avaient à raconter, et en s'y appliquant ils acquirent l'art de comprendre
et d'exprimer les sentiments, les allures, le langage de la société où ils
vivaient. Ainsi se forma peu à peu cette littérature des fabliaux, qui, par
une
singulière destinée, a fini par être le plus véritablement populaire de
nos
anciens genres poétiques, bien qu'elle ait sa cause et ses racines à l'extrême
Orient. » Richeut nous paraît apporter un argument minuscule, significatif,
pourtant, contre cette thèse. Voici que le plus ancien poème conservé qui
soit exclusivement consacré à peindre les moeurs des gens du commun n'a
d'autre intérêt que cette peinture même ; celui de l'intrigue est nul. Il
y
semble donc que l'évolution du genre ait été celle-ci d'abord le goût do
:
L'INTENTION BES CONTEURS DE FABLIAUX 309
s'amuse de ses personnages et ne leur en veut point ; qu'il est
tout joyeux de voir Richeut s'asservir un prêtre, un vieux che-
valier, un bourgeois et la fille de joie régner souverainement
sur les trois ordres, clergé, noblesse, bourgeoisie, sans comp-
ter les vilains et les pautonniers ; on sent qu'il met une gaieté
épique, une sorte d'allégresse à chanter l'odyssée de Sanson-
net qui, poursuivant, comme un héros de la Table Ronde, ses
entreprises et ses quêtes, court triomphant à travers le monde,
par l'Allemagne et la Lombardie, et de Bretagne en Irlande, et
de la Sicile à Toulouse, et de Clair-vaux à Saint-Gilles,
Et de ci qu'en Inde la grande
A il esté !
1. Les trois Chanoinesses, MR, III, 72, fin ; comparez MR, VI, 142 De
:
trois prestres, voire de quatre
— Nous dit Haiseaus, por nous esbatre...
2. La Vieillequi oint la palme au chevalier, MR, V, 129.
3. Le Prestre au lardier, MR, II, 32 : Moz sans vilonie Vous vueil
recorder — Afin qu'on s'en rie... —
4. MR, IV, 107. -
III
FABLIAUX SIMPLISTES
pour l'exorciser.
Combien de ces contes ne sont que de faciles gausseries de-
paysans !
Il suffit à ces simples, pour qu'ils s'épanouissent de joie, qu'on
leur montre par quel combat épique un vilain et un moine de
Saint-Acheul se disputèrent un méchant roussin 3. Il leur suffit,
pour qu'ils s'émerveillent comme des enfants, qu'on leur répète
les bons tours de deux larrons, Barat et Haimet : l'un d'eux
déniche à la cime d'un chêne les oeufs d'une pie.sans déranger la<
mère qui les couve, puis va les remettre en place, tandis que, le
long de l'arbre où il grimpe, son confrère, plus subtil encore,,
lui enlève ses braies, à son insu; en une nuit, Barat et Haimet-
volent, perdent, reconquièrent, perdent encore la même pièce de
lard 4. Il leur suffit, pour s'esclaffer largement, d'entendre la
sotte histoire d'un Anglais malade qui demande à son cama-
rade de-lui faire manger de l'agneau ; il prononce mal (anel pour
agnel), et son compatriote lui achète un ânon contre de bons-
estrelins ; quand il en a déjà mangé un cuissot, il s'aperçoit de
l'erreur et rit si fort qu'il en guérit 6. Nos ancêtres prenaient
un plaisir extrême à entendre fastrouiller ces Anglais : on serait
plus difficile aujourd'hui, pour les imitations de baragouin exo-
tique, dans les théâtres de" faubourg. -- Comparez ces autres-
contes, la Plenté, Brifaut, Brunain : Un tavernier, établi en
IV
1. MR, V, 117.
2. MR, III, 81.
3. V. aussi Sainte-Beuve, L'esprit de malice au bon vieux temps et un
excellent article de M. Ch.-V, Langlois dans la Revue bleue (1892).
318 LES FABLIAUX
choses, dans le grotesque ; mais dans la vision railleuse, légère-
ment outrée, du réel-. Il ne va pas sans vulgarité ; il est terre à.
terre et sans portée ; Béranger en est l'éminent représentant-
Satirique ? non, mais frondeur ; « égrillard et non voluptueux,',
friand et non gourmand ». Il est à la limite inférieure de nos
qualités nationales, à la limite supérieure de nos défauts.
Mais il manque à cette définition le trait essentiel, sans lequel
on peut dire que l'esprit gaulois ne serait pas : le goût de la
gaillardise, voire de la paillardise.
Nos poètes se sont ingéniés en mille façons à mettre en
scène les plus infortunés des mails. Ils ont imaginé ou retrouvé
des talismans révélateurs de leurs mésaventures : le manteau
enchanté qui s'allonge ou se raccourcit, s'il est revêtu par une
femme infidèle, la coupe où seuls peuvent boire les maris heu-
reux. Ils ont dépensé des trésors de finesse, d'ingéniosité, de
véritable esprit, pour aider les amants à s'évader de la chambre
conjugale. Il n'est besoin que de rappeler rapidement Auberée
ou Gombert et les deux clers 1, prototype du Meunier de Trum-
pington de Chaucer et du Berceau de La Fontaine. Je n'en veux,
ici qu'un exemple 2. Un riche vavasseur revient des plaids de
Senlis, à l'improviste. En rentrant, il trouve dans sa cour un.
palefroi tout harnaché, un épervier mué, deux petits chiens à
prendre les alouettes ; dans la chambre de sa femme, une robe
d'écarlate vermeille, fourrée d'hermine, et des éperons fraîche-
ment dorés. « Dame, à qui est ce cheval ? à qui cet épervier ? .ces-
chiens ? cette robe ? ces éperons ? — A vous-même, sire ! n'avez-
vous donc pas rencontré mon frère ? Il ne fait que sortir d'ici et
m'a laissé ces présents pour vous. » Le prudhomme accepte et
s'endort content, tandis qu'un certain chevalier, caché jusque-là,
reprend sa robe d'écarlate, chausse ses éperons d'or, remonte sur-
son palefroi, prend son épervier sur son poing et s'esquive,
suivi de ses petits chiens à prendre les alouettes.
— Le vavas-
seur s'est réveillé : « Çà qu'on m'apporte ma robe ver-
!
meille » Son écuyer lui présente son vêtement vert de tous les
!
Tels sont les premiers signes que montrent les fabliaux. Ajou-
tons peu à peu les traits plus spéciaux, plus caractéristiques du
xme siècle, qui se superposeront à ceux-là, sans les contredire.
s'évade en effet, et elle crie à son époux qui rit, tout empêtré
sous le peliçon : « Le voilà échappé ! Courez après, car il s'en
va ! » Le tour, dit le poète, fut « biaus et grascieus 7 ». — Un
mari s'aperçoit qu'il a revêtu,"s'habillant à tâtons, des braies qui
ne sont point les siennes. Il rentre chez lui, furieux ; ce sont, lui
explique sa femme, les braies de Monseigneur saint François,
qu'elle avait mises sur son lit, car c'est un bon talisman pour
avoir des enfants. Le bonhomme rapporte avec componction au
couvent des Cordeliers la précieuse relique 8i
Certes, gardons-nous d'exagérer la signification historique et
Les Fabliaux. 21
BÉDIEIi. - •
322 LES FABLIAUX
Dans la famille singulièrement réduite où ils nous intro-
\
duisent à laquelle suffisent ces trois membres : le mari, la
femme, l'amant, — les jeunes filles apparaissent peu. On les ren-
contre dans les fabliaux plus souvent que dans les chansons
d'amour, rarement pourtant. Si les conteurs les ont exclues, ce
n'est point par retenue, ni par respect, non certes. Mais, de
même que les trouvères lyriques chantent leur passion pour leur
dame plus volontiers que les amours virginales, de même les
narrateurs de fabliaux n'aiment pas plus que Louis XIV « les os
des Saints Innocents ». Les rares jeunes' filles de nos poèmes
sont des niaises ou des drôlesses. Des niaises, comme cette fille
de châtelain — la seule véritable Agnès de cette galerie — que
son père fait garder dans une tour par une duègne, et à qui son
innocence porte malheur, car « maie garde paît le loup 2 » ; ou
comme ces autres sottes, dont l'esprit s'éveille grâce aux leçons
maternelles, autour desquelles rôdent des valets et des pauto-
niers 3, des prudes, qui ont des pudeurs pires que l'impudeur,
des précieuses qui craignent le mot, et non la chose 4. —Les
autres sont des drôlesses vicieuses : telles ces jeunes filles, hâtées
de se marier, terriblement subtiles, à qui leur père propose de
bizarres jeux-partis 5 ; telle l'étrange nouvelle-mariée de la Sori-
sete des estopes 6. Celle-ci trahit sa bienfaitrice pour une cotele ' ;
cette autre cède aux prières d'un clerc pour l'anneau de fer du
landier que, dans l'obscurité, elle a pris pour un anneau d'or 8.
VI
FABLIAUX OBSCÈNES
VII
.
;
1. Coiiles scatologiques : le type en est JougUi (IV, 98). Cf. Gauieron et
Marion (III, 59) ; les trois meschines (III, 64) ; d'autres, dont on ne pourrait
dire les titres (I, 28, III, 57, VI, 148) ; Chariot le Juif (III, 83).
{i{Contes priapiques : L'anneau (III, 60)
^
; un conte publié par Barbazan et
Méon, IV, p. 194- ;
— Les trois Dames (IV, 99, V, 112) ; La Dame qui aveine-
demandait por Morel (I, 29) ; La Damoiseïle (III, 65, cf. V, 111) La Da-
;
moUelle qui sonfoit (IV, 134) cf. III, 85 ; IV, 101 IV, 107 V, 121 V, 122!;
; ; •
V, 133 ; IV, 105 ; etc.
2. S'il faut en croire l'éditeur anonyme mais
; on peut soupçonner que c'est
une bonne plaisanterie.- Ces contes ont été traduits en français dans la collec-
tion des KpoitTizoïa, Heilbronn, Henninger, 1883.
LA PORTEE SATIRIQUE DES FABLIAUX 327
J.-V. Le Clerc, qui a le premier émis cette vue, ne l'a présentée
que prudemment, nuancée comme il convient. Mais comme toute
idée, une fois entrée dans la circulation générale, tend à s'exagé-
rer, celle-là est devenue depuis, dans la plupart des livres où il est
traité des .fabliaux, une manière de dogme : les fabliaux ne sont
plus que de lâches poèmes rimes pour que les chevaliers puissent
s'ébaudir aux dépens des bourgeois et des vilains. M. Aubertin,
entre autres, s'exprime ainsi : « Protégés par les seigneurs et
vivant de leurs libéralités, les trouvères ont dû ménager des
patrons si nécessaires et si redoutables. Mais le conteur est entiè-
rement à l'aise et sur un terrain vraiment à lui, quand on conte
quelque aventure d'où sort tout déconfit et penaud un bon bour-
geois ou un vilain. Là, ni crainte ni respect ne l'arrête l... » De
ces deux propositions : l'intention des fabliaux est principale-
ment satirique, cette satire ne s'attaque qu'aux faibles, — la
première me paraît outrée, l'autre erronée.
Pour ce qui est d'abord du reproche de lâcheté, en vérité, nos
conteurs ont, par ailleurs, des torts assez graves pour qu'on leur
épargne cette accusation. Le vrai, c'est qu'ils daubent indifférem-
ment sur les uns et sûr les autres, chevaliers, bourgeois ou
vilains 2, évêques, ou modestes provoires.
Il est vrai que les hauts dignitaires ecclésiastiques et les
grands seigneurs laïques figurent plus rarement dans les fabliaux
Ils le peignent tel qu'il est, sans sympathie, mais sans haine,
tout comme les autres personnages de leur comédie humaine.
Un chevalier tournoyeur arrive dans un village et demande
—
1. C'est le cas dans la Dame qui fist trois tours, III, 79 ; dans Celui qui
bouta la pierre, IV; 102, V, 132 ; dans le Pêcheur de Pont-sur-Seine, III, 63,
dans la Sorisete, IV, 105, tous contes où le galant est à l'arrière-plan, et où
il importait fort peu qu'il fût un prêtre ou non.
2. Exceptions : Le Prestre qui abevete, III, 61, le Vilain de Bailleul IV,
109.
3. Le Prêtre et le Chevalier, II, 34. Le boucher d'Abbeville, III, 84..
4.
—
Le Prêtre et le Chevalier, MR, II, 34, passim.
5. Ibidem.
6. Le Prestre qui eut mère a force, V, 125.
7. MR, IV, 92.
' LA SATIRE DES PRETRES ET DES MOINES 337
Dès ore vueil quel sachent tuit,
Trestuit li voisin del visnage 1...
Un seul se cache à demi : pour ne pas être soupçonné,
•s por coverture de la gent », il a fait de sa prêtresse sa com-
mère 2 ; on sait que le fait d'avoir été compère et commère au
Ibaptême d'un enfant constituait un lien si puissant qu'il écar-
tait toute idée de mariage ou de vie commune. Les évêques
—
ne paraissent pas poursuivre très sévèrement ces libres unions 3.
Certes, il faut se méfier de l'autorité historique des jon-
gleurs : ils sont des moralistes suspects, de piètres censeurs
des moeurs. Mais comme, outre des textes poétiques sans
nombre 4, les actes des synodes et des conciles confirment ici
les dires des fabliaux, il nous faut bien admettre, dans le clergé
du xnie siècle, une survivance plus ou moins générale des
-anciennes tolérances ; un état moral analogue à celui que con-
naissent, encore aujourd'hui, certains diocèses de l'Amérique
du Sud. L'opinion publique acceptait ces scandales, mais les
voyait avec une défaveur croissante.
liane sacerdolum. Voyez encore les Carmvna burana, passim ; par exemple,
LXIV, p. 36 :
Ta, Sacerdos, fane responde
-Oiîjjus 'mamis srcnfc immunde,
Qui, .fréquenter .et. joeunde
Gain usore dormis, unde
"Surgens mane -miEsam dicis,
Corpus Cnrïstï benedicis,
Scire velim causam quare, etc.
"Voyez -aussi la discussion entre un clerc erramt {.logicus) et un prêtre [La-
tin poems, "p. 251, -v. 167) :
Et, prae tôt iiniuineris quae fréquentas malis,
Est tibi presbytera plus erâtâalis.
Dans le Songe d'Enfer de Kaoul d-e Houdenç, on sert à la table de^
-démons :
Bediaus bestes bien cuis en paste,
Papëlars a l'ypocrisie,
Noirs moines a la tanoisie,
"Vieilles pvestreeses au cive...
(Éd. Soheïer, T. 593).
1. Aloul, I, 24.
2. Constant du Hamel, IV- ll0€.
•
3. Le Prêtre au lardier, II, ,32.
LA SATIRE DES PRÊTRES ET OES MOINES 339
Un autre prêtre est jeté dans un piège à loups 1 ; un autre
dans une cuve pleine de teinture, où il se plonge tout entier
corr s et tête, ; quand il en sort,
Il est plus teint et plus vermeil
Qu'au matinet n'est le soleil 2.
Trois prêtres ont été attirés dans un guet-apens. Surpris, ils
se cachent dans un four : le mari fait choir la clef de voûte, les
écrase, fait jeter les cadavres dans une marnière 3. Dans un
autre fabliau, il les assomme tous trois à coups de massue et le
poète recommence par trois fois, avec une minutie joyeuse, la
description des coups qu'il donne à chacun, si bien que « h sans
et la cervelle en vole 4 ». — Un moine a été tué dans une
équipée nocturne : le conteur développe avec délices la lugubre
odyssée de son cadavre, qu'il promène toute la nuit, tantôt jus-
qu'à un tas de fumier, tantôt au fond du sac d'un voleur, ou
sur le ht de l'abbé, pour le hisser finalement sur un poulain,
l'écu au bras, le heaume en tête... Ce fabliau macabre, cinq
jongleurs l'ont remanié en cinq, poèmes distincts., dont le plus
court a 445 vers, et le plus long 1.164 : et si nous comptons les
vers de ces cinq fabliaux, nous arrivons. au total énorme de
1.144 vers 5. — Voici enfin Connebert*, le plus violent de
ces contes. Un forgeron outragé a cloué un prêtre à son
-enclume. Gomme il résiste, il lui dit :
CHAPITRE XI
Si tel est l'esprit des fabliaux, les jongleurs ont-ils su lui trou-
ver son expression accomplie ? Les fabliaux ont-ils souffert,
comme tant de genres littéraires du moyen âge, comme les
chansons de geste, comme les mystères, de cette trop fréquente
impuissance verbale des écrivains, qui met une si triste dispro-
portion entre l'image conçue par le poète et-sa notation, entre
l'idée et le mot ? Gomme oeuvres d'art, que valent les fabliaux ?
Un fabelet vous vuel conter
D'une fable que jou oï,
Dont au dire moût m'esjoï ;
Or le vous ai torné en rime
Tout sans barat et tout sans lime 1.
1, MR, V, 129.
842 LES FABLIAUX
De là une poétique très rudimentaire, dont voici la règle essfen-
.
tielle et presque unique, exprimée en vers naïfs :
1. MR, V, 118.
2. MR, V,. 112.
344 LES FABLIAUX
et explique, disions-nous, les divers défauts du style des fabliaux
et ses diverses qualités.
Et d'abord, ses défauts. La matière de ces contes étant souvent
vilaine, l'esprit des fabliaux étant souvent la dérision vulgaire et
plate, nos poèmes se distinguent aussi, toutes les fois que le
requiert le sujet, par la vilenie, la vulgarité, la platitude du style.
Nul effort, comme chez les conteurs erotiques du xvinë siècle,
pour farder, sous la coquetterie des mots, la brutalité foncière
des données. Mais, avec une entière bonne foi, la grossièreté du
style suit la grossièreté du conte. Il est pénible d'en rapporter
des exemples ; pourtant on ne saurait donner une juste idée du
style des fabliaux si l'on n'en marquait ici que les aimables qua-
lités. Voici donc, à titre d'exemple malheureusement nécessaire,
un de ces poèmes. Il est resté inédit jusqu'à ce jour ; que ce soit
notre excuse de publier ici cette pauvreté 1.
Je vous dirai, se il vous siet,
D'un castiel qui sor le mer siet
Qu'il i avint, n'a pas lonc tans :
Ja fu ensi c'uns païssians
5 En celé ville femme prist,
Biele et gente, mais tant mesprist
Qu'elle fu trop jovene a son oeus ;
Elle nel prisa pas deus oeus.
Elle le vit et noir et lait,
10 Et li vilains et honte et lait
Li reîaisoit et. rebatoit,
Com cil qui jalous en estoit.
Un an fu celle en cel mesaise,
Qu'elle n'i voit rien qui li plaise,
15 Tant c'uns biaus vallés li proia,
Et celle tout li otroia
Quanqu'il requist, moût volentiers.
Ne passa pas deus mois entiers
C'un jour vint cil veoir s'amie.
1. Il est intitulé dans leons. : « De la femme qui cunqie sen baron. Il est
»
curieux que MM. A. de Montaiglon et G. Raynaud l'aient négligé,
car il se
trouve à la dernière page du ms. B. N., f. fi\, 12603, auquel ils ont emprunté
onze copies de fabbaux. Peut-être l'ont-ils omis parce qu'il est incomplet ; la
lecture en est parfois difficile, car l'humidité a dégradé cette feuille de
chemin.
par-
V. 1. S'il uous siet.
— V. 3. Qu'il n'auint : 'n, enclise du mot en. Cf. Vie de
Si-Gilles, éd.. G. Paris, v. 1676 : Certes, fo'n sui désespérez. Mais le
vers du ms.
est trop court. — V. 14, quelle niuoit cose qil plaise. Peut-on conserver la leçon
LE STYLE DES FABLIAUX 345
20 Car li vilains n'i estoit mie ;
Si acolerént et baisierent.
dit ms. ? — V. 2!\ n'i est effacé dans le ms. — V. 22-24. Et sacbiés quil sem-
rasierent [?] — De faire entraus deus ensamble — Chepor quoi hons a femme
asanle.
V. 25. La première lettre du mot basse est seule lisible dans le ms. — V. 26.
Baiesse. — V, 36. Si sen est .1. celier. — V. 38. II n'existe plus dans le ms.
que les deux premiers mots du vers : Boins vins. — V. 40. On ne peut lire
dans le ms. que les deux premières lettres de so[uvinl\. — V. 42. Le scribe
a passé un vers. — On lit, entre les vers 39 et 40, celui-ci qui paraît être
une glose : por le vilain qil ne trouuasl. — V. 50. Le scribe a omis un vers.
— V. 51. Dix. — V. 57, Mais ie i sui. — V. 60. J'ai ajouté [et].
346 LES FABLIAUX
Vostre paucher qai est plus gros,
Car de chi remuer ne m'os,
Et je querr.ai la bro.q.ue la
Ou je vi que la truie ala. »
65 Lors vint avant li païsans,
L'un de ses pauchiers a mis ens,
Et celé en a le sien sachié.
Bien a le vilain atacliié
La dame, et a tout son plaisir
70 Puet elle bien avoir loissir
De son ami mettre a la voie.
Lors vint a li, si l'en envoie ;
Mais ains se sont eatrebaisié,
Car bien en furent aasié,
75 Etbienporrent, si eom moi samble,
Longement demeurer ensamble
Sans paour, qu'il n'ont, nulle garde,
Du païsant qui. son vin garde,
Qui est sains, clers et déliés.
80 Ne fust mie si bien loiiés
Li vilains, s'il fust en aniaus 1
l. MR, I, 24.
348 LES FABLIAUX
naturel et la vérité. Précisément parce qu'ils -s'effacent devant
le petit monde amusant des personnages qu'ils animent, pré-
cisément parce qu'ils ne s'attardent pas à leur prêter des sen-
timents" compliqués ni à les faire se mouvoir dans un décor
curieusement imaginé, parce qu'ils les peignent tels qu'ils les
ont sous les yeux, ils nous donnent de très véridiques pein-
tures de moeurs. Ils sont d'excellents historiographes de la vie
de chaque jour, soit qu'ils nous conduisent à la grande.foire
de Troyes, où sont amoncelées tant de richesses, hanaps d'or
et d'argent, étoffes d'écarlate et de soie, laines de Saint-Omer
et dé Bruges, et vers laquelle chevauchent d'opulents bour-
geois, portant, comme des chevaliers, écu et lance, suivis d'un
long charroi 1 ; soit qu'ils nous dépeignent la petite ville haut
perchée, endormie aux étoiles, vers laquelle monte pénible-
ment un chevalier tournoieur 2, soit qu'ils nous montrent le
vilain, sa lourde bourse à la ceinture, son long aiguillon à la
main, qui compte ses deniers au retour du marché aux boeufs 3 ;
soit qu'ils décrivent tantôt le presbytère, tantôt quelque noble
fête où le seigneur, tenant table ouverte, se plaît aux jeux des
ménestrels 4 :
1. MR, III, 73, les Trois dames de Paris. Cette beuverie finit par dégé-
nérer en une répugnante scène d'ivrognerie. Ce ton est rare dans les fabliaux.
On se rappelle, à regarder cette lourde kermesse,
que l'auteur, Watriquet
de Couvin, est un Flamand.
LE STYLE n.ES FABLIAUX : AUBEREE 353
Et la grant richece qu'il, a,
Et jure que mult s'avilla
De ce que onques crut son père...
Mult soloit estre gens et beaus
Qui ore a le vis taint et pale.
A tout prix, il faut qu'il la voie, qu'il lui parle. Une vieille
complaisante, Auberée, couturière de son état,
Qui de maint barat mult savoit,
Si verroie certainement
Se gisez ausi richement
Com faisoit la première femme. »
La maîtresse du logis consent innocemment, montra le beau
lit conjugal à la vieille rusée qui, subtilement ayant laissé une'
aiguillée de fil et son dé dans le surcot du galant, le .glisse, à'_
l'insu de la dame, sous la comte-pointe. Puis elle s'en va, tou-
jours bavardant, comme elle était venue.
Lé mari revient chez lui, fatigué et veut se coucher. Il entre'
dans sa chambre, aperçoit la bosse que fait le surcot sous la
courte-pointe. — « Qu'est cela ? » Il découvre le lit, retire l'élé-
gant vêtement.
Qui li boutast dedenz le cors
Un coutel très par mi le flanc,
N'en traisist il goûte de sanc,
Tant durement fu esbahis :
« Ha, las !
» fait-il, «ge sui trahis
Par celé qui aine ne m'ama !... »
Il tourne en tous sens le surcot suspect,
Dehors le remire et dedenz
Qu'il sanble qu'achater le vueille ;
elle l'a perdu, elle ne sait où. Voici que son client redemande son
surcot ou trente sous ! Trente sous ! Que devenir ? « Dame Aube-
rée, n'êtes-vous pas entrée ce jour-là en quelque maison ? — Oui,
un instant chez vous-même. » Le bourgeois retourne en hâte à
son logis, examine le surcot : le dé et l'aiguille y sont, en effet,
attachés 1
CHAPITRE XII
Que l'esprit des fabliaux représente l'une des faces les plus signiflcatives-
de Pesprit même du moyen âge.
I. Littérature apparentée aux fabliaux.
II, Littérature en contraste avec les fabliaux.
III. Deux- tendances contradictoires se disputent la poésie du xnie siècle ::
Gomment, concilier ces contraires ?
I
t
La moitié des oeuvres du xme siècle supposent le même état
d'esprit général que les fabliaux, les mêmes sources d'amuse-
ment et de délectation.
Par exemple, le mépris brutal des femmes est-il le' propre de
nos conteurs joyeux ? Est-ce pour les besoins de leurs contes
gras, pour se conformer à leurs lestes données, qu'ils ont été
forcés de peindre, sans y entendre malice,, leurs vicieuses
héroïnes ? Non ; mais, bien plutôt, s'ils ont extrait ces' contes
gras, et non d'autres, de la vaste mine des histoires populaires,
c'est qu'ils y voyaient d'excellentes illustrations à leurs inju-
rieuses théories, qui préexistaient. Le mépris des femmes est la
cause, non l'effet. Cet article de foi : les femmes- sont des-créa-
tures inférieures, dégradées, vicieuses, — voilà la semence,
le ferment des fabliaux.
Ce dogme inspire et anime en effet, auprès des fabliaux, des
centaines de petites pièces : le Blastenge des femmes 1, le Dit
Or se het et or se conforte,
Or fait semblant que soit marie,
Or est pencivë,' or est lie.
Or est viguereuse, or est vaine ;
Or est malade, or est saine...
Or ne vuet nul homme' veoir,
Or le vuet, or ne le vuet mie 5...
Ainsi, pendant trois cents vers.—Le Dolopathos nous dit de
même :
Famé se change en petit d'eure ;
Orendroit rit, orendroit pleure ;
Or chace, or fuit ; or het, or aime ;
Famé est li oisiaus sor la raime,
Qui or descent et or remonte 6.
Femme est cochet à vent, qui tourne comme l'écureuil au bois ;
-fuyante, et glissante, comme l'anguille et la couleuvre, graisse
pour bien oindre, serpent pour bien poindre ; le jour, mauviette,
la nuit chauve-souris.; femme est taverne sur la grand'route,
qui reçoit tout passant ; femme est lion pour dominer, colombe
par la luxure, chat qui mort çoiement, souris pour se cacher,
jour d'hiver qui est nuit, foudre pour tout brûler, autour pour
prendre sa proie, enfer qui a toujours soif et toujours boit. Sitôt
qu'elle est bien repue, qu'elle a belle robe, aumônière, ceinture
à fermail d'argent, chapel d'orfroi et lacs de soie, comme elle
méprise son mari ! C'est elle qui sépare le fils du père, l'ami de
l'ami ; elle qui brûle les châteaux et renverse les fertés ; elle qui
Eve à son tour les frappa : un loup s'élança des flots qui emporta
la brebis ; Adam frappa encore une fois : un chien se précipita
qui poursuivit le loup. Ils continuèrent ainsi, Adam faisant
naître les doux animaux domestiques, Eve les bêtes sauvages et
malfaisantes :
Les Evain assauvagissoient,
Et les Adam apprivoisoient2...
C'est ce même mépris des femmes qui, dans le Roman de la
Rose, soulève et fait avancer, par pesants bataillons, les argu-
ments de Raison, de Nature, de Genius. C'est lui qui inspire
les rudes démonstrations en baralipton de Jean de Meung,
qui devaient si fort affliger, plus d'un siècle après, l'excellente
Christine de Pisan.
Est-il besoin de continuer longuement et de montrer, par
des analyses et des rapprochements similaires, que chacun des
traits de l'esprit des fabliaux se retrouve dans des oeuvres
apparentées ?
Pour laisser de côté les rapprochements de détail,, dans ces
collections de dits moraux, de bibles satiriques, de Miroirs du
monde, ^Estats du monde, ôCEnseignemens, de ChastiemensY
n'est-ce pas, tout comme dans les fabliaux, la même vision iro-
nique, railleuse, optimiste pourtant, de ce monde ?
N'est-ce pas, dans toutes ces oeuvres, la même hostilité contre
les. prêtres et les moines,, étrange chez ces dévots, qui raille les
personnes et. non les institutions ? n'est-ce. pas la même satire
sans colère,. donc sans portée ?
La sagesse de Salomon s'exprime en hautaines maximes. Aus-
sitôt, comme un clerc à l'office, le Sancho Pança du moyen âge,
Marcoul, lui répond. Et sa voix mordante et rieuse est celle
même du bon sens réaliste des fabliaux ; elle est l'humble voix de
la sagesse des nations ; elle exprime la même vérité terre à terre,
moyenne et quotidienne.
dictionnaire de Godefroy, sous le. mot Chicliéf,ace
1.. V. le
2. Renan, éd. Martin, br. XXIV, t. II, p. 337.
LA LITTÉRATURE: APPARENTÉE AUX FABLIAUX .0©
Enfin et surtout,.— si l'on compare l'ensemble de
nos contes
à lîépopée: animale de Renart, — n'y a-t-il pas:identité intellec-
tuelle entre -les cinquante poètes qui ont rimé les fabliaux et les
cinquante poàtes qui ont rima les contes.d'animaux ? Ici et là,
éclate: le même besoinde rire, aisément contenté ici et là,.on:fait
;
appel au même public gouailleur, étranger à de plus hautes-
inspirations :
Or me convient tel chose dire
Dont je vos puisse faire rire :
Qar je sai bien, ce est la pure,
Que de sarmon n'avez vos cure,
Ne de cors saint oïr la vie 1.
Existe-t-il une qualité.des contes de Renart qui.ne soit aussi
un trait des fabliaux, si nous considérons soit ces dons de gaieté,.
de verve, de prodigieux amusement enfantin, soit l'absence de
toute émotion généreuse, soit la raillerie alerte, jamais lassée ni
irritée, soit l'aisance du mouvement, en ces narrations vivesf
hâtées, nues ?
N'apparaît-il pas clairement que des tendances semblables
animent toutes ces oeuvres ? On peut concevoir un lecteur.unique
à qui elles s'adresseraient toutes, aux besoins artistiques duquel
elles satisferaient, et dont il serait aisé'de décrire l'âme. Son
esprit parcourrait une sorte de cercle complet, qui le ramènerait
des fabliaux au Roman de Renart, en passant par tous les poèmes
que nous avons énumérés. Ce lecteur idéal des fabliaux, on pour-
rait presque dresser le catalogue de sa bibliothèque : dans un
coin réservé, pour satisfaire ses goûts les plus bas, il dissimu-
lerait les fabliaux ignominieux, le roman de Trubert, l'épopée
scatologique d'Audigier, dont le succès a duré plus d'un siècle K
Sur un autre rayon, — un peu plus en évidence, — les fabliaux
lestes, les mille poèmes contre les femmes, la Vie de saint Oison,
les miracles de saint Tortu et de saint Hareng, le martyre de
saint Bacchus, ce spirituel récit des tourments de Bacchus, fils
de la vigne, sorte de mythe dionysiaque bourgeois. A la place
d'honneur, les meilleures pièces de notre collection de fabliaux,
II
Telle est l'une des faces de la poésie du xilie siècle ; voici
l'autre.
Peut-être se souvient-on que, dans notre revue des fabliaux,
nous en avons réservé quelques-uns. On rencontre, en effet,
dans nos recueils, entre le Porcelet et le fabliau de la Dame qui
servait cent chevaliers de tout point, quelques récits d'une plus
noble essence. Le type en est le conté du Chevalier au chainse,
que nous connaissons déjà; Tels encore Guillaume au faucon 1,
le Chevalier qui recouvra F amour de sa dame 2, le Vair palefroi
qui est écrit
Pour remembrer et pour retraire
Les biens qu'on puet de femme traire,
Et la douçor et la franchise a...
Ici nous sommes transportés dans un tout autre monde, et
ces contes, imprégnés de la plus exquise sentimentalité,
s'étonnent de se rencontrer en pareille compagnie. On a eu rai-
son de les y laisser pourtant, tout isolés qu'ils s'y trouvent,
1. MR, I, 35.
.2. MR, VI, 151.
3. MR, I, 3, v. 29. Ajoutons-en d'autres encore : les uns [Le Manteau mal
taillé, III, 55, VÉpervier, V, 115) sont encore, par leurs données, des contes
à rire, mais traités avec le souci de la bienséance, de la délicatesse, le senti-
ment de ce que la forme ajoute à la matière.- D'autres [Là Pleine bourse de-
sens, III, 67, La Housè partie,!, 5 ; II, 30) révèlent même certaines préoc-
cupations morales. Ajoutons enfin les fabliaux fort honnêtes, mais un peu
de noier (I, 27).
....
niais, de la Folle Largesse (VI, 146), du Prudhomme qui rescoll son compère
'
r
POEMES QUI FONT CONTRASTE AVEC LES FABLIAUX 365
puisque les hommes du moyen âge, aussi empêchés que nous de
fixer aux genres des limites précises, les appelaient des fabliaux.
Ils sont à mi-route entre les fabliaux et les lais bretons, entre le
dit dAri-stote et Lanval. Ils sont comme étrangers dans notre
collection, mais non dans la littérature du moyen âge. Eux aussi,
ils trouvent, dans la poésie contemporaine, de nombreux simi-
laires.
Retournons, en effet, la médaille. Exprimons d'un mot le con-
traste : d'un côté, les fabliaux et Renart ; de l'autre, la Table
Ronde.
Voici que s'opposent soudain à la gauloiserie, la préciosité : à
la dérision, le rêve ; à la vilenie, la courtoisie ; au mépris nar-
quois des femmes, le culte de la dame et l'exaltation mystique
des compagnons d'Arthur ; aux railleries antimonacales,la pureté
des légendes pieuses ; à Audigier, Girard de Vienne ; à Nicolette,
Yseut ; à Auberée, Guenièvre ; à Mabile et à Alison Fenice,
Énide ; à Bôivin de Provins et à Chariot le Juif, Lancelot et
Gauvain ; à l'observation railleuse de la vie commune et fami-
lière, l'envolée à perte d'haleine vers le pays de Féerie.
Jamais, plus que dans les fabliaux et dans la poésie apparen-
tée du xme siècle, on n'a rimé de vilenies, et jamais, plus qu'en
ce même xnr9 siècle, on n'a accordé de prix aux vertus de salon,
à l'art de penser et de parler courtoisement. Qu'on se rappelle le
Lai de VOmbre, le Lai du Conseil, les Enseignements aux dames
de Robert de Blois.
Jamais, plus que dans les fabliaux, on n'a traité familièrement
le Dieu des bonnes gens, ni ironiquement son Eglise ; et jamais
pourtant foi plus ardente n'a fait germer de plus pures, de plus
compatissantes légendes de repentir et de miséricorde. Qu'on
pense à l'exquise collection des Miracles de Notre Dame de
Gautier de Coincy, le saint François de Sales du xme siècle.
Jamais, plus que dans les fabliaux, les hommes n'ont paru
concevoir un idéal de vie rassis et commun, et jamais, plus que
dans les chansons de geste contemporaines, dans les poèmes
didactiques sur la chevalerie, dans les romans d'aventure, on n'a
imaginé un idéal héroïque.
•
Jamais, plus que dans les fabliaux, on ne s'est rassasié d'une
vision réaliste du monde extérieur, et jamais, plus que dans les
366 T'ES FABtIAUX A
'
de Boccaee. Elle obéit, non par devoir, mais par une sorte d'ins-
tinct. Voilà qui eût étrangement surpris un troubadour, habitué
à donner toujours sans recevoir jamais Donc, plus de règles
1
CHAPITRE XIII
I. Les fabliaux naissent dans la classe bourgeoise, pour elle et par elle.
IL Pourtant, indistinction et confusion des publics : les cercles les plus
aristocratiques — d'où les femmes ne sont point exclues
— se
plaisent aux plus grossiers fabliaux.
III. Cette confusion des publics correspond à une confusion des genres :
l'esprit des fabliaux contamine les genres les plus nobles.
II
De ce qui précède, il paraît bien ressortir que le public qui
écoutait Percevai ou les chansons courtoises n'était pas le
même devant qui l'on disait l'aventure de la Pucelle qui abreu-
vait le poulain ou la Sornette des estoupes. Non ; mais les contes
qu'écoutaient les chevaliers, c'étaient le Vair Palefroi, le lai de
VOmbre, le dit de Folle largesse de Philippe de Beaumanoir, le
lai dAristote. Le reste était pour les bourgeois, après boire, ou
pour le menu peuple.
Pourtant, si nous interrogeons les prologues des fabliaux, un
étonnement nous saisit. A qui s'adressent nos poètes ? La plupart
de leurs contes nous laissent dans l'incertitude ; mais, dans
aucun, il n'est dit explicitement/que le jongleur récite devant des
bourgeois. De plusieurs, au contraire, il ressort clairement qu'il
parle devant un public de seigneurs.
Le plus souvent, quand, « aux fêtes et aux veillées 1 », à la
fin d'un grand repas 2, il s'adresse à la foule tumultueuse pour
implorer son attention 3, pour annoncer son sujet ou pour tirer
Nous savons, que l'art de dire des contes était fort apprécié
chez les grands seigneurs. C'est par ce talent que Gautier d'Au-
pais, qui sert comme guetteur et sonneur de trompe aux cré-
neaux d'un donjon, parvient à se rapprocher de la fille du châte-
Chez un baron
Qui moût estoit de grant renom, ,
CHAPITRE XIV
II
POÈTES PROFESSIONNELS
1. LES CLERCS ERRANTS
i. Mît, I, 15.
2. Méou.-iV, 145..
3. Voyez les pages intéressantes de Oscar Hubatsch, die Vagantenlieder,
p. 12, ss. — Mes sources sont les trois principales collections des poésies de
vagants : 1) Ed. du Méril, Poésies lai: inédiles, Paris, ! *47 ; 2) Wright, fhe
latin poelries cornmonly attributed lo Walter Mapes, Camden Society, Londres,.
1841 (cf. Wright, Histoire de la caricature, p. 143, ss.l, et surtout, 3) les Ca-
mina burana, p. p. Schmeller, dans la Bibliothekdeslillerarischen Vereins
ni Stuttgart, t. XVI, 1847. — Les deux principaux travaux que je connaisse
(sans parler de ceux qui sont plus spécialement consacrés à Gautier de Lille)
sont celui de Giesebreeht, Allgem. Monalschrift fur Wiss. u. LU., 1853, et.
celui d'O. Hubatsch, Die Meinischen Vagantenlieder des Milielakers, Gôr-
litz, 1870. Cf. Kaufmann, Geschichle der deutschen Universilâlen, t. I, 1888
p. 148. — Des chants choisis des vagants ont été publiés en de nombreuses-
petites éditions à l'usage du grand public allemand. Kaufmann, lac. cit.r
en cite quelques-unes.
LES AUT-EtUaS : CLERCS ERRANTS -3M
sorte de franc-maçonnerie •obscure et puissante \ C'était une
manière d'Internationale. Mais, comme le prouve excellem-
ment Hubatsch *, -c'est à Paris, -la ville universitaire entre
toutes, qu'ils avaient leur quartier général. G'est de France
qu'ils se sont répandus vers l'Angleterre, l'Aiemagne, le long
de la vallée du Danube. Ils étaient surtout accueillis aux tables
somptueuses du haut clergé, où ils chantaient leurs remar-
quables poésies latines. Mais nos bourgeois, nos paysans
connaissaient aussi fort bien ces hôtes errants, spirituels et
misérables. Les blasons populaires disaient : « famine de povr.e
clerc 3. » On les recevait avec indulgence et défiance, comme
des enfants terribles. Un poète loue grandement les boulangers,
dans un petit poème rimé en. l'honneur de leur corporation 4, de
donner volontiers « du pain aux pauvres clercs ». Le charmant
Aucassin aime mieux aller en enfer qu'au ciel, parce que c'est là
qu'on rencontre lés chevaliers « et les beaux clercs ». On leur
demandait souvent, comme paiement de leur éeot, des chansons
ou des contes ; un clerc quitte l'Université de Paris, chassé par
la laim :
Puis qu'il ne s'en sëust ou prendre,
Miauz valt la laissier son éprendre.
Comme il n'a « goutte d'argent » pour rentrer, dans son pays,
il demande l'hospitalité chez un vilain, qui lui dit : « En atten-
dant que le sonper cuise,
«Dan clerc, se Deus me benëie,
— Mainte chose avez ja oïe, —
Car nos dites une esçriture
Ou de chanson ou d'aventure 6. »
1. Voyez, par ex., Wright, op. laud., p. 69, Epislola cujusdam goliardi
anglici.
2. Op. cit., p. 16, ss. Cette provenance, en majeure partie française, des
Carmina burana, est généralement admise aujourd'hui. V. Burckhard, La
Civilisation en Italie, appendice I à la 3e partie de l'édition revue par
Geiger.
3. Proverbes et dictons populaires, p. p. Crapelet, Paris; 1831, p. 4i.
4. Le dit des Boulengiers {Jongleurs et trouvères), p. 141.
5. MR, V, 1.32, Le povre clerc.
392 LES FABLIAUX
Or i parra !
-./>»
p. 98.
p. 101, ss. Comparez à ces
pièces mendiantes Le ménestrel honteux, Jubinal, OEuvres de Rutebeuf t I
p. 341-4.
LES AUTEURS : JONGLEURS 401
"vie, devant une taverne ! Selon l'usage du temps \ le valet
d'auberge est là, sur le pas de la porte, qui le huche et le racole.
Il entre. Et là, d'autres ennemis l'attendent, les dés surtout :
« les dés l'occient, les dés le guettent et l'épient ; les dés
l'assaillent et défient 2... » Certes, il les déteste de maie haine.
Que d'imprécations n'a-t-il pas rimées contre eux! C'est le
-diable qui a ordonné à un sénateur de Rome, lequel lui avait
vendu son âme, de fabriquer un petit cube d'ivoire et d'or et d'y
peindre des points : la face du dé qui porte un seul point signi-
fie le mépris de Dieu ; les deux points, le mépris de Dieu et de la
Vierge ; les trois points, le mépris de la sainte Trinité ; les quatre
points^ le mépris des quatre évangélistes ; les cinq points, le
mépris des cinq plaies du Sauveur ; les six points, le mépris de
l'oeuvre des six jours 3. Mais quoi ! Les dés l'ont « engignié »,
ensorcelé, il joue ! Quand il a bien perdu, bien bu, bien acointè
Mabile, Manche-Vaire ou Porrette, il faut quitter cette taverne ;
il faut y laisser en gage sa robe^ ses chausses, ses souliers, sa
vielle, ou, faute de mieux, sa parole de jongleur... Le voici sur
la grand'route, et le A^ent souffle sur ses membres nus :
Ne voi venir avril ne mai !
Vez ci la glace !
Cf. Eslormi, MR, I, 19, v. 282, ss. ; voir une partie de Iremerel
dans le
iabliau du Preslre et des deux ribauz, MR, III, 62 ; une autre dans Saint
Pierre el le jongleur, MR, V, 117.
BÉDIEIÎ. — Les Fabliat(x.
402 LES FABLIAUX
Et toute sa vie, toute sa conception de la destinée se résume-
en ces vers macaroniques, certainement dus à quelque goliard -1 i
Femmes, dés et taverne trop libenter colo ;
Jouer après mengier cum deciis volo, .,
Et bien sai que li dé non surit sine dolo.
Una vice m'en plaing, une autre fois m'en lo... -
. ,
Omnia sunt hominum. tenui pendeiitia filo !
les âmes confiées à sa garde, depuis que Lucifer l'a chassé vers
Dieu « qui aime joie», et que tous les démons ont juré de ne
plus apporter en enfer d'âmes de jongleurs. —C'est pourquoi,
confiants en la vie éternelle, ils conservent précieusement
quelques légendes pieuses dont s'honore leur corporation,'et
1. Le texte dit des leckeors. Mais est-i) besoin de marquer qu'il ne peut
être question que de jongleurs ? Le fabliau ne signifierait rien, s'il s'agissait
de ribauds quelconques.
2. MR, V, 117, Saint Pierre et le Jongleur.
LES AUTEURS : JONGLEURS 405
qu'ils répètent, mi-crédules, mi-sceptiques : comment le saint
Vaudeleu donna son soulier à un jongleur ; quelle belle cour-
toisie la Vierge fit aux ménestrels d'Arras quand elle leur
donna la sainte Chandelle ; comment un cierge descendit de
l'autel de Notre Dame de Rocamadour pour se poser sur la vielle
de Pierre de Siglar...
Ce sont là leurs espérances pour l'autre vie. Sur cette terre,
ils n'ont d'autre rêve que de manger à leur faim et de boire à
leur soif 1.
-
Ainsi vivent les poètes du moyen âge, errants, soumis,
vicieux, résignés. Ils se confondent avec les saltimbanques, les
danseurs de corde, les prestidigitateurs, les bouffons. Dans la
société d'alors, ils occupèrent la même place que les mon-
treurs-d'ours. Pourtant, dit J.-V. Le Clerc, «chacun sait que,
sous le gouvernement de saint Louis, les jongleurs jouirent
d'un vrai privilège 2. » En effet, le même article du Livre des
métiers où il est marqué que le singe du bateleur n'est tenu
pour tout péage qu'à jouer devant le péager, dit aussi que « li
jongleur sont quite por un vers de chançon ». Voilà, en vérité,
un odieux « privilège » ! — Les jongleurs portent des noms de
guerre truculents ou. grotesques, qui sentent l'argot, la
pègre. Ils s'appellent Courtebarbe, comme l'auteur du fabliau
des Trois aveugles de Çompiègne, ou Barbefleurie 3. Ils s'ap-
pellent Humbaut, Tranchecoste, Tiecelin, Porte-Hotte, Tourne-
en-fuie, Briseverre, Bornicant, Fierabras, Tuterel, Maie-
Branche, Mal Quarrel, Songe-Feste a la grant viele, Grimoart,
Tirant, Traiant, Enbatant \ Ils s'appellent ' A envi-te-voi,
\
Malappareillié, Pelé, Quatre-oeufs Ils s'appellent Chevrete,
Brisepot, Passereau, Simple d'Amour 6. Ils sont réduits à de
ambitions
1. Voir, comme étant l'expression la plus complète de leurs
terrestres, la Devise aus lecheors, Méon, N. R., I, 301.
2. Hisl. lill., XXIII, p. 1.
du vieux jongleur qui convertit Marguet, dans le joli conte
3. C'est le nom
p. p. Jubinal, N. R., t. I, p. 317 :
Sire vilains, Barbe florie,
Savez vous mes la balerie
De Marion et de Robin ?
4. MR, I, 1, Des deus bordeors ribauz.
5. Hisl. litl., XXIII, p. 90, en note.
6. V. Ereymond, Jongleurs und Ménestrels, p. 25.
406 LES FABLIAUX
bas métiers. Les chevaliers les méprisent, les poèmes d'origine
cléricale les raillent \ l'Église les traque, le peuple les rejette.
Où donc est, pour ces poètes, la vie intérieure ? la place au
foyer de la patrie ?
-
D'autres cieux, jadis, ont vu des chanteurs publics : « Le
. .
1. Si bien qu'on peut écrire ces équations : ménestrel (v. 39, 199, etc.) ,=
trouvère (v. 182) = ribaud = bordeor = jongleur (v. 205) = chanteur (v. 65)
= lecheor (v. 28) = pautonnier (v. 19).
2. Je cite Rutebeuf d'après l'édition Kressner, 1885. Voyez sur ce trouvère
le très charmant livre de M. Clédat, dans la collection dite des Grands écri-
vains français, Hachette, 1891.
3. Voir, passim, ses pièces relatives aux croisades, que j'énumère ici,
classées, autant que possible, par ordre chronologique : la Complainte de
410 LES FABLIAUX
dication qu'il s'agit, ardente, jamais lassée. Saint-Jean-d'Acre
est menacé ? l'empire latin de Constantinople tombé ? le pape
Clément IV fait prêcher, comme une guerre sainte, l'expédition
de la Pouille ?.la croisade de Tunis se prépare ? A chacun de
ces événements, qui agitent la chrétienté, correspondent des
poèmes de Rutebeuf, cris de détresse, rudes satires, appels
passionnés. Après le désastre de Tunis encore, alors que les
i
-
Quand les tristes nouvelles arrivent d'Afrique, il s'attendrit à
la pensée des morts glorieux, à qui le Christ fait fête : « Dieu
peut s'en jouer et rire, et le Paradis s'en éclaire !»
II n'est pas seulement le dernier apôtre des Croisades. Toutes
les passions de ses contemporains, il les ressent et les exprime.
Il avait l'âme à la fois railleuse et ardente des grands sati-
riques. Il était cinglant comme Régnier, généreux comme Agrippa
d'Aubigné. Il n'avait pas seulement du satirique le don de cari-
cature ; mais, à sa verve parisienne, il associait ce qui seul
donne à la satire prix et dignité, — la colère ; car la passion,
l'indignation qui forge les beaux vers, il l'a portée dans les
grandes, querelles universitaires du temps. Lors de la grave
affaire de l'Évangile éternel, alors que les Franciscains furent
si véhémentement soupçonnés d'attendre, après le règne du
412 LES FABLIAUX
Christ, le règne de l'Esprit, c'est avec fougue qu'il s'attaque à
ceux qui rêvent « nouvelle croyance, nouveau Dieu, nouvel
Evangile * ». C'est avec une passion généreuse qu'il prend le
parti de Guillaume de Saint-Amour pour la défense de l'Univer-
sité de Paris- contre les ordres mendiants 2, et qu'il combat pour
ce docteur, même condamné, même exilé. Il porte dans cette
lutte 3 un véritable esprit laïque, anticlérical, au sens moderne,
du mot. Il hait de maie haine les « papelards », les «phari-
siens », toute la « gent hypocrite, vêtue de robes noires et
grises », qui remplace, dans les conseils royaux, les Nayme de
Bavière *. Il s'indigne de voir « Ypocrisie dame de Paris », et
pulluler et grouiller dans la ville ces moines de toutes règles,
carmes barrés, chartreux, trinitaires, sachets et sachetines, guil-
lemites, moines de saint Augustin, moines de Saint-Benoît le
Bestourné, cisterciens, prémontrés, frères de la Pie, nonnes
blanches, grises et noires, et les deux grandes familles de saint
Dominique et de saint François ; il s'irrite de savoir que le tiers-
ordre franciscain ceint de la cordelière les reins de milliers de-
laïques (à commencer par le roi), et que les béguinages ont, dans
le siècle, tant d'affiliés. A-t-il pressenti quelque chose de ces
dangereux mouvements religieux populaires, qui devaient, au
siècle suivant, couvrir la France de sectes mystiques, de flagel-
lants, d'adamites, de fraticelles, de bigots, de frères de la pauvre
vie, de serfs de la Vierge, de crucifiés, d'humiliés ? Non, sans
doute, et l'on ne doit voir, dans ces satires, que la défiance ins-
tinctive qu'ont toujours soulevée, au sein du peuple de France^ '
1. Complainte de Conslantinoble.
2. Voir la Descorde de l'Université et des Jacobins, le Dit de l'Université
de Paris, les deux Dits de Meslre Guillaume de Saint-Amour.
3. Bien qu'il défende ici des privilèges de prêtres séculiers, professeurs
en Sorbonne.
4. Voir, passim, les dçux dits des Ordres de Paris, les Dits des
Jacobins,
des Cordeliers, des Biguines, des Règles, du Pharisien, le fabliau Frère
Denise, Jcs Dits d'Ypocrisie, de Sainte Eglise, etc.
de
LES AUTEURS : RUTEBEUF 413
Il était naïvement, profondément religieux. Ce rude ennemi
des « papelards et béguins » — est-il besoin de le remarquer,
tant ce contraste est fréquent au moyen âge ?—compose ses
satires anti-monacales les plus violentes « au nom du Dieu triple
et un » et pour le salut de« sa lasse d'âme chrestienne ». L'Ave
Maria Rustebuef, le Dist de Nostre Dame sont d'exquises prières.
Nul, plus que lui, n'a excellé à tresser, comme des couronnes,
ces délicates litanies où se complaisait notre vieille poésie. Le
dévot prieur de Vicq-sur-Aisne, Gautier de Coincy lui-même, n'a
pas rimé de vers plus tendres en l'honneur de la Vierge Marie,
« soeur, épouse et amie de Dieu,... verge sèche et fleurie..., onde
purificatrice..., ancre, nef et rivage..., vierge pure comme la
verrière que le soleil traverse sans la briser..., chambre, cour-
tine, trône et lit du Roi de gloire..., olive, églantier et fleur
d'épine..., palme de victoire, violette non violée..., tourterelle
qui ses amours ne mue 1... »
II.n'a pas dédaigné non plus la gaieté des fabliaux, et ses
contes sont parmi les plus joyeux, les plus lestement troussés de
notre collection 2.
Il fut encore — presque le seul des trouvères du moyen âge —
une âme lyrique, au sens récent du mot : « Je ne suis pas ouvrier
des mains..., je vous veux découvrir mon coeur,
Car ne sai autre laborage :
Du plus parfont du cuer me vient 3. »
1. La Prière Rustebeuf.
2. Cf. ces vers de la Paiz Rustebeuf, '
v. 20 : '
S'il Tient a eort, chascuna l'en chace
Par gros irnoz et par vitupire.
3. Dans la Novele Complainte d''Outre-Mer,
v. 251,'ss. Voir ce thème orai-'
toire repris dans la Complainte d'Huede de Nevers, V. 157,
ss.
LES AUTEURS : RUTEBEUF 415-
belles aventures. Il y avait un bon chevalier, Geoffroy de Sar-
\
rines, type accompli du prudhomme qui « avait offert à Dieu
le corps et l'âme ». Joinville nous le montre dans la bataille,
défendant des coups le corps du roi, comme un bon écuyer défend
des mouches le hanap de son seigneur. Il était, pour les cheva-
liers enfermés dans Jaffa, « leur chastel, leur tour, leur éten-
dard- ». Or, Rutebeuf fait ce rêve 2 que, s'il pouvait troquer son
âme contre quelque autre, c'est celle de Geoffroy qu'il élirait.
Hélas ! où donc sontda targe et la lance de l'infime ménestrel^
qui ose songer à cette transmigration d'âmes ? Quand il a fini de
construire ce beau rêve aventureux, qu'il ne se hâte pas de ren-
trer dans « sa tanière pauvre et gaste », où il n'y a ni « bûche
de chêne, ni pain, ni pâte » :
».
Que je n'os entrer en ma porte
A vuides mains
1. La plus ancienne pièce de Jean qu'on puisse dater est de 1313 ; la plus
récente, de 1337.
2. Watriquet, XXVIII, v. 26,
ss.
3. Dit de Loiauté, p. 131.
— Jean de Condé, les Estais du Monde, t. II
p. 377 ; v. toute la tirade.
4. Jacques de Baisieux, dit des Fiez d'Amours,
p. 183.
LES AUTEURS : MÉNESTRELS 421
roi David qui harpa devant Saùl atteint du mal Sathan, n'était-
il pas un ménestrel ? la mère de Dieu n'a-t-elle pas donné à deux
ménestrels la Sainte Chandelle d'Arras, qui guérit du mal des
ardents ? Un ton inconnu de fierté anime cette profession de foi
.
du poète Jean de Condé :
Je sui des ménestrels al conte,
Car biaus mos trueve et les reconte,
Dis et contes, et Ions et cours,
En mesons, en sales, eh cours
Des grans seigneurs vers cui je vois,
Et haut et bas oient ma vois I
De mal a fere les repren
Et a bien fere leur apren !
De ce, jour et nuit, les sermon ;
On ne demande autre sermon
En plusours lieus ou je parole...
Jehan de Condé sui nommés,
Qui en maint liu sui renommés.
Que de bien dire ai aucun sens 1...
.
Poétiser, pour eux, c'est prêcher. Ils portent une vielle monoi
-corde : c'est la corde du dit moral. Ils sont vraiment des sermon-
naires dans le siècle : ils ont du prédicateur les hautes prétentions
•
morales,' le goût des distinctions, divisions et subdivisions, la
subtilité, le ton sentencieux, la. tendance au lieu commun, tout,
jusqu'au don de semer la somnolence.
Ils prétendent « enseigner, les hauts hommes », « chastoier les
jeunes bacheliers 2 ». Ils sont la lumière des princes : « Seigneur,
vous allez dans la nuit, portez ce dit en lieu de torche 3. » Ils ont
des exordes grandiloquents :
Entendez, roi et duc et conte,
Qui justice voulés tenir,
Comment vous devés maintenir,
Et pourquoi Dieus vous flst seigneurs
Des grans règnes et des honneurs â...
A écouter ces paroles dignes de quelque primat des Gaules
1. Voyez, chez Jean de Condé, les dits VI, XVI, XLVIII, LXX.
2. Dit du bon comte Guillaume, XXXII.
3. Dit des trois estais du monde, II.
4. DU de l'Aigle (XI) ; comparez le dit dou Sengler (XII), le dit de l'Oheile
(XXII) chez Watriquet, Ylraigne elleCrapol (IV), la Noix (IIÏ)-, *a Cigogne
;
(XX), etc.
5. Watriquet, le Mireoir as dames '(I).
424 LES FABLIAUX
Vigueur, par Renommée et par l'ostel de Courtoisie \ Ils dressent,
avec un soin héraldique, l'arbre généalogique de chaque vertu,
de chaque vice ; ils rapportent comment Sëurté, ayant épousé
Avis, enfanta Vigueur et Hardement, lequel, ayant épousé Lar-
gesse, engendra Prouesse, sans qu'on sache pourquoi ce n'est
pas tout au rebours Prouesse qui, ayant épousé Hardement,
enfanta Sëurté 2, ou bien encore Hardement, qui, ayant épousé
Sëurté, engendra Largesse.
Ce qui frappe surtout, c'est ce sérieux de maîtres de cérémo-
nies, cette solennité monotone, aggravée encore par la préten-
tion de la forme, par les jeux de rimes riches 3. Les ménestrels
décrivent une vertu, une passion, comme les hérauts blasonnent
un écu. Un coeur bat-il sous cette armure héraldique ?le héraut
ne s'en soucie pas, nos ménestrels non plus : cela est sensible
surtout dans les légendes chevaleresques qu'ils riment. Elles sont
belles, parfois 4, mais gâtées par le goût du décor, de la mise en
scène. Le poète n'oublie pas une passe d'armes, ni une outre-
joasse, ni un cri du héraut, ni une enseigne de lance, ni un pré-
sent fait aux ménestrels, ni un chant de carole 5 ; il oublie seule-
ment de nous montrer des âmes. C'est bien de la poésie de tour-
nois, fausse comme le faux courage de ces joutes et de ces behour-
deïs, bien faite pour la noblesse de Crécy, solennelle comme
les hautes cours, gourmée comme le cortège des princes fla-
mands et bourguignons. — Dans la décadence de l'ancienne poé-
sie du moyen âge, un seul genre est en pleine floraison, c'est le
genre moral, c'est le genre ennuyeux.
Au premier coup d'oeil sur l'oeuvre de ces ménestrels, on est
frappé d'un rapprochement que la lecture prolongée fait appa-
raître plus évident encore : c'est que déjà nous sommes dans
monde des grands rhétoriqueurs.
CHAPITRE XV
CONCLUSION
1. On dit d'ordinaire que la faute en est à la langue, qui n'était pas encore
suffisamment formée, fixée. Mais la langue, était au xme siècle parfaitement
•organisée, harmonieuse' plus qu'aujourd'hui, non alourdie par les sons
nasaux, chantante et sonore comme le provençal ou. l'italien. Ce n'est pas
l'instrument qui manque aux ouvriers ; ce sont les ouvriers qui manquent. Le
style est oeuvre de volonté et-d'individualité. Qu'est-ce que l'histoire d'une
langue, sinon l'histoire des révolutions volontaires, « des coups d'État» que
quelques hommes, Pionsard, Pascal, Racine, Victor Hugo, ont tentés sur elle ?
2. On est étonné souvent de la place toute petite que les lettres tiennent
dans les préoccupations des hommes d'alors : voyez saint Louis, le grand
•artisan de la Sainte Chapelle. Je ne connais que deux textes qui nous ren-
seignent sur ses goûts poétiques : celui où il nous est dit qu'il faisait aux
festin, les jon-
-convenances mondaines le grand sacrifice, quand, à quelque
gleurs avaient été introduits, d'attendre, pour dire ses grâces, qu'ils eussent
fini de chanter l'autre, où il condamne un de ses chevaliers, surpris par lui
,
«n train de fredonner un poème lyrique, à ne chanter plus que dans^sa cha-
pelle dés hymnes pieuses :. car le roi n'aimait pas la « vanité des'chanson-
nettes ».
APPENDICE I
-.-.
72. Gombert elles deux clercs,T, 22, par JeanBedel. Artois. -
73. La. Grue, V, 126, par Garin (v. append. III). . *Artois. . , .
. .
95. Le Prêtre et Alison, II, 31, par Guillaume le
Normand ,.....;....... Normandie ou .An-
gleterre.
96. Le Prêtre et le chevalier, II, 34, par Milon
- - . . . ,
Résumé statistique
Nous avons donc conservé 147 fabliaux. A l'édition de MM. A.
de Montaiglonet G. Raynaud nous ajoutons six contes, les nos22,
26, 62, 116, 132, 147 de la liste ci-dessus. Nous en supprimons
seize pièces, savoir : deux dits dialogues (I, 1, II, 53) ; une chan-
son (1,11). deux contes dévots (I, 45, VI, 141), une patenostre
(II, 42), un débat (II, 39), neuf dits moraux ou satiriques (1,12,
II, 37, 38, 40, 41, 43, 54, III, 56, 66) \
Les fabliaux sont répartis dans 32 manuscrits.
Cinq d'entre eux nous offrent de véritables collections. Ce
sont les mss. :
B. N., 837 qui renferme 62 copies de fabliaux
Berne, 354 41
Berlin, Hamilton, C57 '; 30
B. N., 1593 ' .
:
24 —
B. N., 19.152 26 _
i. convient encore d'ajouter un fragment de fabliau, signalé par M. E.
.11
Ritter et publié par MM. de Montaiglon et Raynaud, t. IV, 154. On
p. pour-
rait l'intituler : Les trois nonnes à l'anneau. Il ne paraît avoir que le cadre
de commun avec le fabliau des Trois dames qui trouvèrent l'anneau.
LISTE DES FABLIAUX 441
Les autres nous fournissent quelques fabliaux
seulement ; ce sont :
B. N., 12.603 11 copies de fabliaux
B. N., 2.168, 1.635, 25.545, chacun 6 copies 18 —
...:
B. N., 1.55.3 5 • —
British Muséum, ms. Harl. 2.253 ; — B. N., 2.173 ;
— chacun 4 8 —
B. N., nouv. acq., 1104 ; — Ars., B.L.F., 318 ; —
Turin, L. V. 32 ; — Rome, B. Casan, — chacun 3. 12 —
Pavie, 130 E 5 2 —
B. N., 344, 375, 1.446, 1.588, 7.218, 12.483 ; —
Brit. Muséum, ms. add. 10.289, —Ars., B. L. F.,
317, — Ars., 3.524, —Ars., B. L. F., 60 ; —
Cambridge, C. C. C, 50 ; — Oxford, BodL, Dig-
- by, 86, — Turin, fr. 36, — Genève, 179 bis, —
fragm. de la B. de Troyes, chacun 1 copie 15 —
Soit, au total 254 copies.
442 LES FABLIAUX
.
APPENDICE'!!;
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
AUBERÉE
TRAITS ORGANIQUES
TRAITS ACCESSOIRES
Sindbad. Auberée.
— Siï&'p&Yola.:
nqv, p-
448 LES FABLIAUX
Piacevoli notti, XIII, 2 ; cf. Giuseppe Rua,. Intomo aile « piace-
voli notti », p. 103-4. — Liebrecht, Beitràge zur Novellenkunde,
Germania, I, 269. —Braga, Contos tradicionaes do Povo Portu-
n° 179 (ayendadas gallinhas) qui donne de nombreux
guez,
renvois, notamment à Bebelius*, II, 126. — Ajoutez enfin les
Nouv. contes à rire ou récréations françoises, Amsterdam, 1741,
p. 313.
G. BARAT ET HAIMET (IV, 97). — Ce conte, qui rappelle d'une
façon générale les bons tours joués à Calandrino par les peintres,
ses confrères (Décaméron, Journ. 8, nouv.
3, 6, etc.), paraît
avoir eu grand succès au xme siècle, puisque les noms des per-
sonnages du fabliau, Barat, Haimet, Travers, étaient devenus
ceux de voleurs célèbres, comme Cartouche ou Mandrin. V. le
roman à'Eustache le Moine, éd. F. Michel, v. 298 :
Travers, ne Baras, ne H aimés
Ne sorent onques tant d'abès.
cabinet.
e) Le receveur des impôts arrive p) Même scène que ci-dessus
porteur d'une cassette de bijoux. pour le prévôt, qui rejoint le prêtre
Elle l'affuble, toujours pour le dans le tonneau aux plumes.
mettre plus à son aise, d'une
jaquette rouge trop courte et d'un
bonnet de mousseline à pois noirs.
Il va rejoindre le cadi dans le
cabinet;
î) Les deux autres galants sont à q) De même pour le forestier.
leur tour revêtus de costumes ridicu-
les et se rejoignent dans le cabinet.
g) Scène de tendresse conjugale. r) Constant revient, porteur
d'une grande hache.
h) Le mari demande à sa femme : s) Ysabeau met alors son mari
« N'as-tu fait aucune rencontre au au courant de sa ruse, et lui con-
retour du bain ? — Si, j'ai trouvé seille de se. venger sur les trois
quatre vieilles créatures grotes- femmes du prêtre, du prévôt, du
ques, que j'enverrai chercher de- forestier.
main pour te divertir. » Comme il
insiste pour les voir sur l'heure, elle
les fait sortir du cabinet, l'un, après
l'autre.
i) Le mari force le cadi à lui t) Vengeance prise sur les trois
conter une histoire, à lui jouer du femmes, les galants voyant la scène
tambour, à danser avec des gri- de leur tonneau, et se raillant les
maces.— « Sur ma foi dit le mari,
!
uns les autres.
je croirais volontiers que c'est le
cadi Mais je sais qu'il médite ac-
!
par
l'odeur du dog manure employé pour le tannage
». (Crâne,
Jacques of Vitry, p. 211.)
Dans le fabliau français, c'est un vilain qui tombe pâmé à
l'odeur d'une boutique de parfumeur, et que ranime seule
une
pelletée de fumier.
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 475
Quel, droit de priorité peut réclamer la forme orientale, qui
peut-être n'a jamais été entendue dans l'Inde ? Pourquoi lui
attribuer plus d'importance qu'au fabliau ? Est-elle
venue d'Oc-
cident en Orient ou inversement ? Quel moyen de le savoir
jamais ? et qu'importe ?
Je. LE VILAIN DE BAILLEUL (IV, 109). On l'a vu : le conte
—
du brave homme qui, débonnairement, se laisse persuader qu'il
est mort est entré fréquemment dans le cadre des Trais dames
qui trouvèrent Vanneau. Nous avons énuméré ailleurs ces ver-
sions : deux fabliaux, un récit des Altdeutsche Erzâhlungen de
Keller, un autre de Hans Folz, une nouvelle espagnole de Tirso
de Molina, l'un des Comptes du monde adventureux, l'un de.
ceux de Verboquet, un récit de d'Ouville, des contes modernes
écossais (Campbell), norvégien (Asbjôrnsen), islandais (Jon Arna-
son), italien (Pitre), russe (Rudtschenko), danois (Gruntvig).
— Voyez là-dessus, notre chapitre VIII. — Mais le conte du
Vilain de Bailleul vit aussi d'une vie indépendante chez de nom-
breux conteurs. Voici quelques indications : Cf. Gesammtaben-
teuer, II, XLV, der begrabene Ehemann ; Bonaventure Despé-
riers, Contes et joyeux devis, nouv. LXX de l'éd. du bibliophile
Jacob et nouv. LXVIII de l'éd. L. Lacour (de maître Berthaud,
à qui on fit accroire qu'il estait mort);\a. nouvelle de Despériers
est copiée dans le Thresor des récréations contenant histoires
facétieuses et honnestes (Douai, Balthazar, Bellèse, 1616, p. 27).
-—On peut aussi rapprocher l'histoire de Ferondo dans le Déca-
meron (III, 8), imitée de La Fontaine (le Purgatoire). — Dans
les Plaisanteries de Nasr-Eddin Hodja traduites du turc par
J.-A. Decourdemanche, 1876, n° XLIX et n° LXVI, le Hodja se
persuade qu'il est mort à différents signes qu'il est malaisé de
rapporter. M. Reinhold Koehler (Orient und Occident, t. I, p. 431
et p. 765) a illustré ce plaisant récit en rapprochant de la facétie
du Hodja un conte indien, un récit talmudique, un conte saxon.
Je puis y ajouter deux formes encore : v. der neu-aramaiscke
Dialeckt par Eugen Prim und Alb. Socin, 1881, n° LXII, p. 249,-
J. Vinson, le Folk-lore du pays basque, Maisonneuve, 1883,
et
Hypocondriaque, Rotrou met en scène Clori-
p. 93, __ Dans Y
dan, « jeune seigneur de Grèce », qui devient fou parce qu'on
maîtresse est morte il prétend être mort
lui a fait croire que sa ;
476 LES. FABLIAUX
lui-même et ne revient à la raison que lorsqu'on lui a fait voir de
prétendus morts ressuscites par le son de la musique : d'où il
conclut qu'il n'est pas mort, puisqu'il ne ressuscite pas comme
eux. — M. Ristelhuber, dans les Contes- et récits <f Arlotto de
Florence, Paris, 1873, p. 90, à propos d'un rapprochement, vague
d'ailleurs, avec le "Vilain de Bailleul, donne encore quelques
renvois à divers nouvellistes. V. aussi, pour un renvoi à Soma-
déva, que je n'ai pas pu vérifier, Landau, Quellen... p. 156.
Kc. LE VILAIN QUI CONQUIST PARADIS PAR PLAID (III, 81); —
Erzâhlungen de Keller, p. 97 ; Wie der rnolner in~das hymmelrich
quam, ane unsers herren Godes holffe. Keller rapproche les-
Kinder-und Hausmàrchen, n° 81. Cf. Zeitschrift fur rom. Phi-
lologie, VI, 137.
Le. LE VILAIN MIRE (III, 74). —- Voyez, pour la bibliographie
de ce fabliau, que Molière a rendu célèbre, Dunlop-Liebrecht.
p. 207, 274 ; les OEuvres de Molière dans l'édition des Grands
écrivains (t. VI, p. 9, ss.) ; il a été étudié par Benféy, Pantcha-
tantra, § 212 ; Crâne, Exempla of Jacques de Vitry, p. 232..
Pour l'épisode du malade qui a une arête dans la gorge et que
le médecin guérit en le faisant rire, v. le Folk-lore du pays-
basque, par J. Vinson, p. 109, Paris, 1883. Le trait final (guéri-
son des malades accourus auprès du Vilain mire par la seule
menace qu'il tuera le plus malade d'entre eux et guérira les
autres en les « oignant de son sang >:) se trouve dans un poème
allemand composé vers 1240 (der Pfaffe Amis, Erzâhlungen und
Schwànke, p. p. Hans Lambel, 1872, p. 46, ss.).
NOTES SUR LES. AUTEURS DES FABLIAUX 477
APPENDICE II[
1. Trouvères qui ont été considérés à tort comme des auteurs de fabliaux.
•J.-V. Le Clerc (Hist. lia., XXIII, p. 114) a dressé une liste de 36 auteurs
de fabliaux. De cette liste, MM. de Montaiglon et Raynaud ont écarté avec
raison ces noms : Adam de Ros, Gautier de Coinci, Jean de Saint-Quentin,
Paien de Maisières, Raoul de Houdenc, Richard de l'Isle-Adam, Robert
Biket, Thibaut de Vernon. Tous ces trouvères avaient été accueillis dans
ce dénombrement par suite d'une définition trop large du mot fabliau.
MM. de Montaiglon et Rayriaud conservaient encore dans leur collection
deux noms que M. Pilz (die Verfasser der fabliaux, Leipzig et Goerlitz,
1889) a justement supprimés : Gerbert, l'auteur du « serventois » de Gro-
gna et de Petit (MR., III, 56), et Huon Archevesque, l'auteur du « dit mo-
ral » de la Dent (v. ci-dessus, p. 34). Supprimons à notre tour de la liste de
MM. de Montaiglon et Raynaud Richard Bonnier, auteur du « conte dé-
vot » du Vilain qui donna son âme au diable (MR, VI, 141), Phelipot, au-
teur du Dit des Marcheaiis (II, 37), Guiot de Vaucresson, auteur des Vins
d'Ouan (III, 41), et retranchons de la liste de M. Pilz Marie de/France et
Gautier le Loup (MR, II, 40 ; voyez ci-dessous, au nom de Gautier le
Long). Il faut encore, à notre avis, effacer de la liste de J.-V. Le Clerc le
nom de Courtois d'Arras, et de la liste de M. Pilz, le nom de Boivin de
Provins, que ce critique substitue à celui de Courtois d'Arras 1.
Il faut enfin supprimer de la liste de MM. de Montaiglon et Raynaud
Méon (t. I, p. 356) ont publié Rien qu'on puisse imaginer, sinon qu'en 1581,
?
le président Fauchet a attribué ce fabliau intitulé Boivin à Courtois d'Arras!
Pourquoi ? on l'ignore. Depuis 1585, La Croix du Maine, du Verdier, Caylus..
Legrand d'Aussy, Barbazan, Dinaux, P. Paris ont répété, comme de juste,
l'allégation de Fauchet : car une erreur une fois exprimée ne périt plus.
Pilz ne croit pas cette attribution légitime et, de fait, il est impossible de
se
figurer un seul point de contact entre ces deux poèmes, ou même d'imaginer
pourquoi Fauchet les a rapprochés, sinon par une erreur de mémoire. M. Pilz
annonce pourtant qu'il démontrera bientôt la fausseté de cette attribu-
tion par la comparaison linguistique du lai de Courtois et du fabliau, de Boi-
vin. 11 ne devrait pas suffire pourtant qu'à la fin du xvie siècle un savant
ait commis une distraction pour que les érudits du xix^ siècle fissent à ce
lapsus calami l'honneur d'une réfutation qui ne peut moins de
huit jours de travail ! pas supposer
NOTES SUR LES AUTEURS DES FABLIAUX 479
le mérite en apparaît mieux, si nous le comparons à la très médiocre
sion anonyme que nous avons conservée du même conte (MR, II, 30). Ber- ver-
nier vivait vers la fin du xme siècle, ou le commencement du xive,
le prouvent des irrégularités nombreuses dans la déclinaison (v.'notam- comme
ment v. 317, cf. Pilz, p. 17). Quant à sa patrie, elle reste incertaine. V. la
longue et peu probante étude de Pilz, p. 11-16. Il veut démontrer
Bernier est « un Picard qui écrit sous l'influence du dialecte francien que
».
-Les traits linguistiques qu'il range sous les n°s 1, 2, 4, 6, 8, 9, 10 sont plus
généraux que le picard et le francien. Le n° 3 (à nasal distingué de e nasal)
n'est pas appuyé par assez d'exemples pour qu'on sache, si ce n'est pas le
hasard qui a associé des mots en a + Nas. + cons., en les distinguant de
e + Nas. + cons. Au n° 5, on peut remarquer que le poète dit fils au cas
régime : or, presque tous les textes picards disent fil. La rime lie :
mie (n° 7) n'est pas limitée au picard. —
— Enfin, au n° 12, l'auteur aurait dû.
noter le grand nombre de rimes où s est distinguée de z (42, 56, 68, etc.),
ce qui contredit l'hypothèse picarde.
De quel pays était Bernier ? Ce fabliau est de ceux dont M. Hermann
•
Suchier a bien voulu examiner spécialement les rimes avec moi ; il croyait,
que Bernier était Parisien. Parisien ou Picard ? Les rimes de ce poème
sont peut-être trop peu nombreuses pour que nous le sachions jamais
précisément, même quand notre connaissance des anciens dialectes sera
plus avancée. D'ailleurs, ce problème ne vaut pas la grande peine qu'il
coûterait à être élucidé. Les fabliaux non localisés par quelque indice géo-
graphique ne pourront jamais l'être assez précisément pour devenir des .
Estrées, Arleux, Palluel et Oisi sont quatre communes espacées sur une
480 LES FABLIAUX
longueur d'un peu moins d'une lièue et demie entre Douai et Cambrai (cL
les notes géographiques de l'édition Raynaud). .. '_
L'oeuvre d'Enguerrand est d'une technique extrêmement primitive, et
grossière ; c'est un clerc qui rime comme un vilain illettré. Aucun fabliau
originale
ne nous est parvenu sous une forme aussi fruste, soit que la forme l'ait
fût déjà aussi négligée, soit peut-être que la transmission orale cor-
rompue. Toujours est-il que les rimes inexactes, les vers faux, les asso-
nances vagues ne s'y comptent plus. Voici quelques exemples de ces à hui* peu
près : apleié : entendez (52).; conforter : entendez (66) ; entresait.:
mais (70) ; femme : parente (80 et 124) ; cf. vers 92, 96, 98, 102, 120, 136,
152, 186, 188, 190, 200, 218, 224, 230, 248, 252, 262, 268, 288, 296,300,
304, 318, 328, 332, 354, 372, etc. -.-..-.".
Eustache d'Amiens. A rimé le Boucher d'Abbeville (III, 84), Eustâche -
d'Amiens n'est connu que par cette unique pièce, qui nous renseigne sur
sa patrie et sur l'endroit où il a composé son fabliau.
Garin, Guerin. Cette signature est celle de six fabliaux, MR, III, 61,,86,
92 ; V, 124, 126 ; VI, 147. Avons-nous affaire ici à deux noms différents,
Garin,- Guerin, et, si c'est un même nom, désigne-t-il un seul et même
trouvère ? On ne sait. Il n'y a dans ces six fabliaux aucune indication géo-
graphique, sauf dans le Chevalier qui faisait parler les muets (VI, 147),
où le héros va de Provins à 'La Haye en Touraine, ce qui ne nous ren-
seigne guère, etdansZa Grue(Y, 126), où l'auteur dit avoir entendu conter
son fabliau « à Vercelai, devant les changes ». — Sur ce Vercelai, cf. le
Congé de Baude Fastoul, Méon, I, vers 265, où on lit :
A. Le Vair palefroi.
I. Réduction de la triphthongue iée dans les mots soumis à la loi de
Bartsch : engignie : compagnie (700) ; cf. 604, 860, 1166.
IL Confusion de s -et de z. Forz : trésors (12) ; cf. 24, 112, 494, 1190.
III. Distinction constante, attestée par plus de trente rimes, de a +
nasale + cons. et de e -j- nas. -f- cons. (une seule exception, peut-être, au
v. 40). — Remarquez (v. 142) la rime : anciens : sens.
IV. C picard : bouche : douce (202), cf. S7, 362, 407, 496, 600, 668,
1337.
V. No, PO, auprès de nostre, vostre (ço terre, 468).
VI. L'e atone antétonique, sévèrement maintenu (9, 30, 118, etc.),
tombe parfois au participe passé : connu (1155) auprès de conëus (5'6).
On sait que cette caducité plus rapide de l'e atone participe est une
particularité du dialecte artésien. au
Remarquez encore les rimes siue : liue (1058), entire dire (354),
:
B. Estormi.
I. On ne trouve pas dans ce fabliau de preuves de la réduction de la.
tripthongue iée à ie : mais les rimes sont trop peu nombreuses (78 160
183, 215, 238, 274, 418, 448, 588) pour qu'on puisse prononcerai
n'est pas le seul hasard qui sépare ici constamment les rimes ce
rimes en ie. en iée des
NOTES SUR LES AUTEURS DES FABLIAUX 483
II. Confusion de s, z. Venuz : fus (350) ; cf. 366, 482, 548 etc
III Distinction de a + nos. +
tons, et de e + nas. + cons. Attestée
par plus de vingt rimes.
IV. C picard : force : porce (204 ; cf. 215.)
V. No, vo (107, 122, 442).
VI. Chute, au participe passé seulement, de -l'e atone protonique :
nonus, 389 ; aperçus (566).
Remarquez en outre les rimes surtout picardes, saus Isolidos) saus
:
isalvus), sone : essoine (104) ; encore : Grigoire (219) ; aprueche enfueclic
;
(400) ; et; la forme mêlerai (63), qui se trouve dans Huon de Bordeaux,
poème artésien.
C. Sire Hain et darne Anieuse.
I. Trois rimes seulement en ie (32, 355, 372) ne suffisent pas à iioiis
renseigner sur le phénomène I.
II. Confusion de z, s. Esperiz : requis (180, cf. 324).
III. Distinction constante de a -f nas. + cons. et de € + nas. + cons.
-
V. No, vo (121, 149, 160, 163). -
VI. Chute, au participe passé seulement, de l'e atone protonique ' il a
anuti toute nuit plut (v. -66).
Remarquez, en outre, les rimes hastiue ; tiue (tua) (120), caus : chaits
(260), ore : Grigore (340).
D. La Maie honte est, nous le savons, composée par Huon de Cambrai. ïl
est donc inutile d'énumérer les rimes caractéristiques. Remarquez pour-
tant : la maie quifu siue : n'ai mes talent que vo cortsiue (v. 128). La rime
maintenant : maternent serait unique en regard des cent rimes environ que
contiennent nos quatre fabliaux et où a nasal estséparéde e nasal. Mais c'est
une mauvaise leçon qu'ont adoptée MM. de Montaiglon et Raynaud. Il faut
lire avec le ms. B : Le rot apele isnelement : Sire, fet-il, trop malement...
Jacques de Baisieux. Auteur des Trois chevaliers et du chainse (III, 71)
et du Dit de la vescie au prestre (III, 69). Voir ci-dessus, chap. XIV.
Jean Bedel ou Jean Bodel. L'auteur du fabliau des Deux chevaux (I, 13)
nous apprend dans son prologue qu'il a déjà « trouvé » huit autres fa-
bliaux ; et, par une rencontre singulière, nous possédons tous les petits
poèmes auxquels il fait allusion.
Cil qui trova del Morteruel (TV, 95),
Et del mort vilain de Bamuel (IV, 108),
Et de Gombert et les deux clercs <I, 2T)
Que il mal a trait a son estre,
Et de Brunain, la vache au prestre (T, 10)
Que Blere amena, ce m'est vis,
Et trova le songe... (V, 131)
Et du leu que Voue déçut 'Méon-Baro., HE, p. 53)
Et des dais envieus cuivers (V, 135)
Et de Baral et de Travers
Et de lor compaignon Haimet, (IV, 97)
D'un autre £ablel s'entremet,
Qu'il ne cuida mes entreprendre.
Jean le Galois d'Aubepierre, auteur de la Pleine bourse de sens (III, 67), '
Champenois.
Le maire du Hamiel, auteur, sans doute picard, du fragment intitulé '
Dan Loussiet.
Milon d'Amiens (Le prêtre et le chevalier, II, 34). L'examen des rimes
de ce long fabliau prouve que ce jongleur écrivait dans la région même
d'où il tire son nom.
Philippe de Beaumanoir (La foie Largece, VI, 146), voir ci-dessus,
chap. XIV, p. 387, ss.
Rutebeuf, v. cbdessus, chap. XIV.
;
Watriquet Brassenel de Couvin, v. ci-dessus, chap. XIV auteur des
;
Trois chanoinesses de Cologne (III, 71), et des Trois dames de Paris (III, 72).
INDEX ALPHABÉTIQUE
DES NOMS D'AUTEURS ET DES TITRES D'OUVRAGES ET DE
CONTES CITÉS
(Nb), 474 (Gc), 474 (le), 4-76 (Le). (M), 458 (Ea), 463 (Ta), 463 (Ua),
464 (Xa).
Jâtakas, 98, 99, 102, 104, 105, 106. Livre des lumières, 169, 181.
Jean Bedel, 39, Jean Bodel, 375, Loiseleur-Deslongchamps, Fables
483-87.
indiennes, 74, 75, 95,165,473 (Zb).
Jean le Chapelain, 486. Luzel, 50, 78, 463 (Sa).
Jean de Condé, 40, 41, 381, 418-26. Mahâbhârata, 95, 154.
Jean de Journi, 388, 478. Mahaltâtfâfana, 207, 458 (Ea).
Jean de l'Ours, 64, 110. Màrchen, griechische (Schmidt), 108,.
Jeanroy, 31, 397.
Joël, 82. 112.
Jouglet, 326, 373, 464 (Va). Maignien (le), 327, 373.
Jubinal, passim. Maie honte (la), 39, 283, 311.
Jugement (le), 277, 464 (Wa). Malespini, 452 (Q), 453 (X), 461
Jiilg, v. Stddhi-Kûr. (la), 468 (Ib).
Mambriano, 121, 267, 269,460 (Ha),.
Julien (Stanislas), 154, v. Avadânas.
465 (Ab), 466 (Cb), 470 (Sb).
Keller, O. (griech. Fabel), 94-104. Mannhardt (Waldkulte), 53, 57-60,
Keller (Ad. Y on), altd. Erzâhlungen),
113.
47, 193, 237, 240,267,270,449 (L), Mantel maltaillé (le), 35, 364, 465
453 (X),453 (Z),454 (Aa),476 (Kc.
Koehler (R), 50, 68, 77, 80, 82, 85, (Ya).
Mari (le) confesseur, 284, 290.
108, 109, 112, 165, 252, 268. Marie de France, 37, 40, 47, 112,.
Kressner, v. Rutebeuf.
116, 122-25, 129, 216, 367.
KpuitxâStoe, 442 (B), 448 (H), 449 Massinger, 171-73.
(L), 451 (P), 452 (S), 459 (Ga), Matrone (la) d'Ephèse, 120, 228,.
460 (Ha), 462 (Qa), 463 (Sa), 4-68 462 (Oa).
(Ib), 468 (Jb), 473 (Zb). Mélampos, 110.
La Fontaine, 118, 195, 199, 215, Mélusine, 50, 53,60,71, 80,107,110,
266, 267, 290, 317, 449 (K), 449 111, 113, 120, 144, 152, 215, 276,
(L), 462 (Na), 463 (Sa), 469 (Nb). 460 (la), 465 (Ya), 471 (Xb).
INDEX 491
Méon, passim. Perdrix (les), 196, 202-3, 314, 398,
Mercier (le) pauvre, 284, 314-15. 466 (Db).
Méril (Ed. du), 330, 390, 393, 460 Perrault (Contes), 213-22.
(la), 469 (Nb). Petit de Julleville, 37, 346, 428,
Meschine (les trois), 326, 465 (Za). 464 (Ua).
Meunier (le) d'Arleux, 465 (Ab). Pétrone, 120.
Meyer (Paul), 300, 360, 363, 403, Phèdre, 93, 97, 98, 214, 473 (Ce).
460 (la), 464 (Va). Philippe de Vigneulles, 217, 221.
Mille et un jours, 473 (Zb). Pierre Alphonse, Pierre d'Anfol,
Mille et une Nuits, 73, 120, 147, 127, 478, cf. Disciplina.
171, 220, 454 (Aa). Pierre (saint) et le jongleur, 34, 284,
Milon d'Amiens, 486. 317, 349, 401, 471 (Vb).
Molina (Tirso de), 267-70. Pilz'(0.), 29, 30, 31, 33, 35, 37,
Montaiglon (de)et Raynaud, passim. 477, 479, 480, 481.
Morlini novellae, 446 (E), 447 (F), Pitre (raccomi siciliani), 267, ,447
451 (N), 453 (Y), 466 (Bb), (F), 469 (Mb), 470 (Nb).
468 (Ib), 474 (Gc). Planté (la), 41, 313.
Mùller (Max), 54-6,69-70,78,80, 287. PZipo/i (dit du),119,134,320,466(Fb).
Musset (Alf. de), 295-96. Pogge, 46, 232, 236, 449 (L), 451
Nasr'Eddin Hodja (Sottisier de), (N), 473 (Zb).
453 (Z), 475 (Je). ' Pré (le) tondu, 47, 125, 467 (Gb).
Neveu (le petit) de Boccace, 459
-
Prêtre (le) et Alison, 120, 325, 350,
(Ga), 463 (Ta). 468 (Hb).
Nicolas de Troyes (Parangon des Prêtre (le) et le chevalier, 330, 336,
nouvelles), 442 (B). 348-50.
Nogaret, Contes, 34, 454 (Aa), 457. Prêtre (le) crucifié, 284, 468 (Ib).
Nonnette (Za),328,462 (Na),466(Bb). Prêtre (le) et la dame, 266, 468 (Jb).
Novellino, 462 (Na). Prêtre (le) aiiZardi'e7',32,338,470(Qb).
Nouveaux contes à rire, 268,447 (F), Prêtre (le) et le loup, 339, 468 (Kb).
449 (L), 451 (O), 452 (Q), 453 Prêtre (le) et le mouton, 379, 406.
(Z), 459 (Ga), 466 (Cb), 466 (Db), Prêtre (le) aux mûres, 314, 398.
466 (Fb), 468 (Jb). I
Prêtre (le) qui abeveie, 266,-336,
Oie (F) au chapelain, 337. 469 (Nb).
Orient und Occident, 77, 151, 448 Prêtre (le) qui ditlaPassio71,314,398.
(H), 474 (le), 475 (Je). Prêtre (le) qui eut mère a force, 301,
Ouville (d'), 48, 268, 447 (F), 452 337, 469 (Lb).
(Q), 453 (Y), 453 (Z), 466 (Fb). Prêtre (le) qu'on porte, 32, 39, 339,
Pantchatantra, passim. 469 (Mb).
Paris (G.), 3, 21, 34, 41, 42, 68, 78, Prêtre (le) et les deux ribauz, 401.
79, 84, 87, 122-25. 143, 155, 156, Prêtre (le) teint, 325, 339.
200, 229-36, 237, 283, 286, 298, Prêtres (les) quatre, 339, 470 (Pb).
301, 308, 372, 378, 430, 431, 462 Prim etSocin(rf. aramâische Dial),
(Pa), 463 (Ua), 471 (Xb). 448 (G), 453 (Z), 466 (Cb).
Parthénhis, Narrations, 115, 117. Pucelle (la) qui abHuva le poulain,
Pauli, Schimpf und Ernst, 46, 124, 459 (Ga), 470 (Rb).
447 (F), 453 (X), 457, 464 (Wa), Pucelle (la) qui voulait voler, 284,
466 (Db), 466 (Eb), 473 (Zb), 474 470 (Sb).
(Gc). PsycU, 69, 108.
Pêcheur (le) de Pont-sur-Seine, 324 , Rajna (Pio), 265, 268, 269-71,466
336, 380, 466 (Eb). (Db), 469 (Nb).
492 LES FABLIAUX
Ptaynouard (Choix de poésies des Somadéva, 109, 177.
troub.), 299, 449 (L). Sorisete (la), 284, 322.
Renan, 121, 123, 259, 362, 363, Souhaits (les quatre)saintMarlin,%k,-
368, 371, 374, 398, 442 (C). 35,120,123,212-28,324,471 (Xb).
Repues franches, 316, 447 (F). Souniou Breiz-Izel (Luzel), 50.
Rhampsinit, 107, 448 (G). Straparole, 88, 238-50, 447 (F),
Rhys-Davids (voy. Jâtakas). 452 (R), 462 (Ra), 464 (Xa), 468
Richeut, 40, 41, 304-9, 325, 373. (Ib), 472 (Yb).
Roger Bontemps. 448 (H), 449 (L), Suchier, 22, 42, 389, 479.
452 (Q.),453 (Y),453 (Z),463 (Ua). Tabarin, 238-40.
Rohde (d. griech. Roman.), 109-17. Taine, 317.
Roi (le) d'Angleterre et le fongleur Ten Brink, 78.
.
AVANT-PROPOS
INTRODUCTION.
,
CHAPITRE PRELIMINAIRE
QU'EST-CE QU'UN
/
FABLIAU ? DÉNOMBREMENT, RÉPARTITION
CHRONOLOGIQUE ET GÉOGRAPHIQUE DES FABLIAUX
I. La forme du mot : fabliau ou fableau ? 25
II. Définition du genre ; Les fabliaux sont des contes à rire en
vers ; dénombrement de nos contes fondé sur cette définition :
leur opposition aux autres genres narratifs du moyen âge,
lais, dits, romans, etc 28
III. Qu'il s'est perdu beaucoup de fabliaux : mais ceux qui nous sont
parvenus représentent suffisamment le genre 37
IV. Dates entre lesquelles ont fleuri les fabliaux : 1159-1340 .
40
V. Essai de répartition géographique : que les fabliaux paraissent
avoir surtout fleuri dans la région picarde. 42
PREMIÈRE PARTIE
LA QUESTION DE L ORIGINE ET DE LA PROPAGATION DES FABLIAUX
CHAPITRE PREMIER
IDÉE GÉNÉRALE DES PRINCIPAUX SYSTÈMES EN PRÉSENCE
I. Position de la question : force singulière de persistance et de
diffusion que possèdent les fabliaux et, en général, toutes les "•
.
CHAPITRE II
EXPOSÉ DE LA THÉORIE ORIENTALISTE ET PLAN D'UNE
CRITIQUE DE CETTE THÉORIE
CHAPITRE III
LES CONTES POPULAIRES DANS L'ANTIQUITÉ ET DANS
LE HAUT MOYEN AGE
I. Qu'il est téméraire de conclure de la non-existence de collec-
e
tions de contes dans l'Antiquité à la non-existence des contes
eux-mêmes 91
II. Les fables dans l'Antiquité. Résumé des théories émises sur leur
origine, destiné à mettre en relief cette vérité, trop souvent
méconnue par les indianistes, que, lorsqu'on a fixé les dates
des diverses versions d'un conte, on n'a rien fait encore
pour
déterminer l'origine du conte lui-même 93
III. Exemples de contes merveilleux dans l'antiquité : a) en Éo-ynte
b) en Grèce et à Rome : Midas, Psyché, les contes de POdys-
sée, Mélampos, Jean de.l'Ours, le Dragon à sept têtes, le fils
du Pêcheur, Glaucos, etc. .„-
TABLE DES MATIÈRES 495
IV. Exemples de nouvelles et de fabliaux dans l'antiquité Zaria-
:
drès. Les Fables milésiaques. La comédie moyenne. Une
nar-
ration de Parthénius. Sithon et Palléné. Contes d'Apulée,
d'Athénée. Formes antiques des fabliaux du Pliçon, du Vair
palefroi, des Quatre souhaits saint Martin, de la Veuve infidèle,
etc-- 113
V. Exemples de contes dans le haut moyen âge : examen de la collec-
tion dite le Romulus Mariae Gallicae. 121
CHAPITRE IV
L'INFLUENCE DES RECUEILS DE CONTES ORIENTAUX
RÉDUITE A SA JUSTE VALEUR
v CHAPITRE V
EXAMEN DES TRAITS PRÉTENDUS INDIENS OU BOUDDHIQUES
QUI SURVIVRAIENT, SELON LA THÉORIE ORIENTALISTE,
DANS LES CONTES POPULAIRES EUROPÉENS
CHAPITRE VI
CHAPITRE VII
CHAPITRE VIII
SOUS QUELLES CONDITIONS DES RECHERCHES SUR L'ORIGINE
ET LA PROPAGATION DES CONTES POPULAIRES
SONT-ELLES POSSIBLES ?
I. L'hypothèse de l'origine indienne écartée, les contes procèdent-
ils pourtant d'un foyer commun ? Que peut-on savoir de leur
patrie, une ou diverse, et de leurs migrations ? Direction
—
incertaine et hésitante des recherches contemporaines 251
IL Que les contes dont on recherche désespérément l'origine et le
mode de propagation ne sont caractéristiques d'aucun temps,
d'aucun pajjs spécial 254
III. Pour ces contes, que peut-on espérer des méthodes de compa-
raison actuellement en honneur ? Critique de ces méthodes :
leur stérilité montrée par un dernier exemple, tiré de l'étude
du fabliau des Trois dames qui trouvèrent un anneau 261
IV. Conclusions générales 273
V. Que ces conclusions ne sont pas purement négatives 285
SECONDE PARTIE
ÉTUDE LITTÉRAIRE DES FABLIALX
CHAPITRE IX
QUE CHAQUE RECUEIL DE CONTES ET CHAQUE VERSION
D'UN CONTE RÉVÈLE UN ESPRIT DISTINCT,
SIGNIFICATIF D'UNE ÉPOQUE DISTINCTE
CHAPITRE X
L'ESPRIT DES FABLIAUX
304
I. Examen du plus ancien fabliau conservé, Richeut
.! II. L'intention des conteurs : un fabliau n'est qu' « une risée et un ,
CHAPITRE XI
Que l'esprit des fabliaux représente l'une des faces des plus signi-
ficatives de; l'esprit même du moyen âge 358
I. Littérature apparentée aux fabliaux 359
,- II. Littérature en contraste avec les fabliaux 364
III. Deux tendances contradictoires se disputent la poésie du xme
.
siècle : comment concilier ces contraires ? 368
CHAPITRE XIII
CHAPITRE XIV
LES AUTEURS DES FABLIAUX
I. Poètes amateurs : Henri d'Andeli, Philippe de Beaumanoir.. 387
II. Poètes professionnels : 1) les clercs errants 398
2) les jongleurs : Rutebeuf 399
3) les ménestrels attitrés à la cour des grands : Jean de Condé,
Watriquet de Couvin, Jacques de Baisieux 418
CHAPITRE XV
CONCLUSION 427
APPENDICE I
Liste alphabétique de tous les poèmes que nous considérons comme
des fabliaux 436
APPENDICE II
Notes bibliographiques ,...,.... 442
.::.
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MABIOROQGES,
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;Directeur;i l'École pratique des Hautes Éludes.
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12.- Les Chansons de Guilhem dé Cabestanh, éd.-par
3 _ 'Lettres françaises du XII1' siècle': Jean SsrrasiD. Lettre à Nicolas Arrode (1^49), éd.
par Alfred L. FOULET ; xt-24 pages
ê" Les Poésies de J^ausbert de Puycibot, éd. par WILLIAM P. ..,....,..., SHEPARD
'•"ô,""
; xvm 94 p. 7 , »
*, fr.
8.
ia§eka'Bodéi,£r^ ALFRED JBANROY ; xyi-93 pages. 7 fr. »
BAFFIER (Jeanl. Nos géants d'autrefois.Récits berriçlions.f Préface de
Jacques Boule'ngef. 1920, in-8, 180 p, et 7. planches ., .. .j 12 Ir..
.
BÈIMER (J.), de 'l'Académie'-'française', profeVsë'u.r/-_ja^--1GolIègë..-dfe.;?i_àiice,::
.