Quand La Mort Éclaire La Vie 9782378803384

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QUAND LA MORT ÉCLAIRE

LA VIE
Sauf mention contraire,
toutes les photos présentes dans cet ouvrage sont de Matthieu Ricard.

© L’Iconoclaste, Paris, 2022


Tous droits réservés pour tous pays.

26 rue Jacob, 75006 Paris


Tél. : 01 42 17 47 80
[email protected]
www.editions-iconoclaste.fr
À toutes les personnes qui, dans le temps de vie qui leur est donné, participent à
semer
dans ce monde plus de beauté,
de bonté et de justice.
« L’éventualité de la mort est intégrée à ma vie ; regarder la mort en face
et l’accepter comme partie intégrante de la vie, c’est élargir cette vie.
À l’inverse, sacri er dès maintenant à la mort un morceau de cette vie,
par peur de la mort et refus de l’accepter, c’est le meilleur moyen
de ne garder qu’un pauvre petit bout de vie mutilée, méritant à peine le
nom de vie. Cela semble un paradoxe : en excluant la mort de sa vie, on
se prive d’une vie complète,
et en l’accueillant on élargit et on enrichit sa vie. »
Etty Hillesum,
Une vie bouleversée
INTRODUCTION

P arce qu’elle est souvent associée à la souffrance ou à la peur, la mort


est un sujet que l’on évite. Par pudeur, par crainte ou par déni. Aussi
parce qu’on n’a pas appris à en parler.
Pourtant, s’il est bien une certitude concernant notre existence, c’est qu’elle
prendra n, tôt ou tard. Savoir que cette issue est certaine et son heure
incertaine pourrait-il nous amener à conduire notre existence plus en
adéquation avec nos intentions ? Serait-il possible que, dans nos vies au
rythme parfois effréné, nous donnions à chaque instant qui passe toute sa
valeur ?
L’inéluctabilité de la mort peut ainsi devenir une incitation à célébrer la
vie, à travers toutes ses manifestations, et une invitation à ne pas gaspiller le
temps comme « une poudre d’or » qu’on laisserait « ler entre nos doigts »,
comme le dit Matthieu Ricard.
Parler de la mort, la nommer, c’est déjà la reconnaître comme partie
intégrante de la vie. Et l’accepter, l’accepter vraiment, est le premier pas
pour vivre pleinement le moment présent.
Pour apprendre non seulement à vivre avec la mort, mais à mieux vivre
tout court, nous avons voulu croiser les regards de la philosophie, de la
psychologie, de la sagesse et de la science. Deux psychiatres, dont l’un
accompagnant en soins palliatifs, deux neuroscienti ques, un moine
bouddhiste, un psychologue et un philosophe sont ici réunis pour donner
leur point de vue et leur éclairage sur cette expérience qui fonde notre
condition.
Dans le premier chapitre de ce livre, nous parlerons des rites de la mort.
Nous comprendrons que, d’un point de vue psychologique, penser à la mort
est tantôt aidant, tantôt menaçant. Nous nous intéresserons ensuite à la
mort d’un point de vue philosophique et neuroscienti que dans les
chapitres II et III, avant d’aborder le thème des expériences de mort
imminente telles que la science les étudie aujourd’hui. Le chapitre V nous
emmènera dans une perspective bouddhiste de la mort. Dans les deux
chapitres suivants, nous verrons ce que la consolation peut nous apporter, et
ce que les personnes en n de vie peuvent nous apprendre.
À travers le prisme de ces différents regards, cet ouvrage explore la
question de la mort pour nous inciter à mieux aimer et à mieux vivre la vie.
© FRÉDÉRIC THÉRY
1.
PSYCHOLOGIE DE LA MORT
Ilios Kotsou & Caroline Lesire

ILIOS KOTSOU EST DOCTEUR EN PSYCHOLOGIE, CHERCHEUR ET AUTEUR CAROLINE LESIRE


COORDONNE L’ASSOCIATION ÉMERGENCES, ELLE EST DIPLÔMÉE EN SCIENCES POLITIQUES ET EN
ÉTUDES DE GENRE.

T out est amené à disparaître. Tout ce qui naît meurt un jour. Une
eur, un arbre, une étoile, rien ne fait exception. Pas même nous.
Cette évidence, dans son apparente simplicité, n’en est pas moins une
vérité qu’il est parfois difficile d’accepter, surtout si elle nous concerne ou si
elle implique celles et ceux que nous aimons.
Est-il possible de penser la mort a n que cette confrontation devienne le
terreau fertile d’une vie plus riche ? Pouvons-nous faire en sorte que
nos pensées sur la mort nous permettent d’apprécier pleinement notre vie
tant qu’elle est là ? « Tout ce qu’on fait nit par se défaire, je sais. Et dès
l’heure où l’on naît, on commence à mourir. Mais entre la naissance et la
mort, il y a la vie », disait Simone de Beauvoir1.
Dans ce chapitre, nous verrons s’il est possible, bien que la mort soit
souvent associée à la peur et aux émotions difficiles, d’en transformer la
perspective a n qu’elle nous aide à vivre mieux. Pour cela, nous nous
intéresserons à notre relation personnelle et à celle de l’Occident avec l’idée
de la nitude, en passant par l’histoire des rites funéraires et les études en
psychologie et neurosciences qui se sont intéressées au sujet.
« Souviens-toi
qu’il existe deux types de fous :
ceux qui ne savent pas qu’ils vont
mourir, ceux
qui oublient
qu’ils sont en vie. »
PATRICK DECLERCK
Les rites funéraires signent
le passage à la civilisation
L’attitude de l’humanité face à la mort en général et à notre mort en
particulier occupe une place importante dans l’évolution de notre espèce.
D’un point de vue anthropologique, les rites funéraires sont considérés
comme l’un des fondements du passage à la civilisation. Le fait de devoir
affronter notre impermanence est peut-être à l’origine de la structuration de
nos groupes sociaux. Nos ancêtres se posaient probablement les questions
qui nous taraudent aujourd’hui face à l’évidence implacable de la mort :
comment donner un sens à l’existence ? Que se passe-t-il après ?
Comme le rappelle le philosophe Michel Hulin : « Aucune évidence n’est
plus écrasante que la mort. […] au point que la pratique de l’inhumation, la
seule à laisser des traces durables, passe aux yeux de beaucoup – plus que
l’outil et le langage –, […] pour le signe même de l’avènement de la
condition humaine en tant que telle2. »
Les rites funéraires sont un élément essentiel de la culture, intimement lié
à l’histoire de l’humanité. Évoluant tout au long des siècles suivant
l’in uence des modes de vie et des croyances, ils racontent nos besoins de
faire face à l’inconnu, à la douleur de la séparation. Dans de nombreuses
traditions, ils aident à franchir ce passage et à faire perdurer le lien avec l’au-
delà. L’ethnologue Jean-Didier Urbain souligne que « les rites sont un acte
essentiel de représentation pour rendre le mystère de la mort supportable3 ».

Les rites funéraires chez les animaux


Il semblerait que nous ne soyons pas la seule espèce à observer des rites
funéraires. Une équipe de chercheurs a montré que les chimpanzés
réagissaient à la mort de leurs proches de manière très similaire aux
humains4. James Anderson, un chercheur de l’université de Stirling, a
documenté la n de vie de Pansy, une vieille femelle chimpanzé. Comme
elle était devenue trop faible pour bouger, trois autres chimpanzés restèrent
près d’elle pendant les dix minutes précédant sa mort, la toilettant et la
caressant. Ce comportement s’arrêta au décès de Pansy. Les survivants ont
été décrits comme étant beaucoup plus calmes que d’habitude. Ils ont perdu
l’appétit. Durant les semaines qui ont suivi, les soigneurs ont noté des signes
de troubles du sommeil et de tristesse chez les chimpanzés qui étaient
proches d’elle.
Nos cousins primates comprennent la mort de leurs congénères et ils en
souffrent : face au décès d’un proche, ils montrent des réactions de tristesse,
de recueillement et d’empathie qui ressemblent aux nôtres.

On retrouve aussi des comportements évoquant des rites funéraires chez


les éléphants : il peut leur arriver de recouvrir de feuillages et de poussière
les corps de leurs morts après s’être tenus autour d’eux. On a même pu voir
des semblants de rites funéraires chez les pies : on les a observées déposer de
l’herbe autour d’une dépouille et la veiller pendant plusieurs minutes.
Il semblerait qu’il y ait donc une vraie interrogation face à la mort chez
différentes espèces animales, même s’il faut se mé er de la tendance à
l’anthropomorphisme, c’est-à-dire à interpréter les comportements des
autres animaux par le prisme de notre regard d’animal humain.

Les rites de la mort dans le monde5


Les pratiques funéraires chez les animaux humains que nous sommes
peuvent être retracées jusqu’à la préhistoire, notamment au paléolithique
moyen. Une des plus anciennes sépultures, celle de la grotte de Qafzeh en
Israël, date de près de cent mille ans. Déjà à cette époque, nos ancêtres
accordaient un soin particulier aux dépouilles de leurs défunts. Au long de
l’histoire, ces rites se sont structurés et modi és au gré des époques, des
lieux et des environnements culturels.
Cette diversité d’attitudes et de rites face à la mort perdure toujours.
Partout sur la planète, il existe encore aujourd’hui des traditions très variées.
Dans de nombreuses contrées, le monde des morts et celui des vivants
communiquent, et les rites servent de passage, de pont, entre les deux
dimensions.
Un des exemples les plus frappants est celui du Mexique avec le dia de los
Muertos, la fête des Morts, qui a lieu chaque année du 31 octobre au
2 novembre. C’est un moment très populaire et joyeux où l’on fait la fête
avec et pour les morts. Pendant toute la durée des festivités, leur présence
est convoquée, attendue. Ils font partie de l’événement. C’est leur fête.
Pendant trois jours, les vivants honorent les défunts en usant de mille
attentions et en consacrant beaucoup de temps aux autels, aux costumes et
autres éléments.
Dans la tradition de la famadihana de Madagascar, la mort conduit à un
changement de statut : en mourant, on devient un ancêtre. Comme la
communauté veut s’assurer que cet ancêtre se sente bien, elle prend grand
soin de lui, faute de quoi il pourrait se mettre en colère. L’ancêtre est déterré
plusieurs fois, et son linceul est changé, a n que son voyage se passe bien.
En Bolivie, les ñatitas sont un autre exemple fascinant d’une tradition qui
intègre le monde des morts à celui des vivants. Les ñatitas sont des crânes
humains décorés qui protègent le foyer et sont même considérés à l’origine
de miracles. De très nombreuses familles accueillent une ñatita chez elles, la
baptisent, la décorent et la mettent parfois sur un autel. Le crâne « adopté »
est parfois un crâne familial, celui d’un cousin ou d’une tante, mais il est
possible d’adopter un crâne d’une origine inconnue. La ñatita devient alors
membre à part entière de la famille. Elle trouve sa place dans la maison, et
tout le monde en prend soin, même si parfois elle se fâche. Certains placent
du coton dans ses orbites, lui mettent des lunettes, ou un chapeau en hiver
pour qu’elle n’ait pas froid. On lui donne même parfois une cigarette !
Dans le sous-continent indien, les rites obéissent à une logique différente.
La vie et la mort ne sont pas opposées, et sûrement pas de manière aussi
binaire qu’en Occident : elles s’inscrivent dans un cycle qui intègre la
naissance, la mort et la réincarnation, dans une perspective circulaire plutôt
que linéaire.
La sagesse hindoue voit dans la mort une possibilité de sortir du cycle des
réincarnations, qui sont caractérisées par la souffrance. À Bénarès, sur les
rives du Gange, le Manikarnika Ghat est un lieu sacré et emblématique
dédié aux crémations. Y mourir ou y être incinéré est la promesse de sortir
du cycle de la souffrance terrestre. On trouve dans cette ville des sortes de
« maisons de mourance » : des personnes de toute l’Inde y viennent pour
être sûres de mourir en ce lieu saint près du Gange, pour y être incinérées et
que leurs cendres y soient répandues. Il faut s’imaginer la volonté de ces
personnes, souvent âgées, parfois malades, qui se mettent en route dans des
conditions incertaines et difficiles pour achever leur vie en cohérence avec
leurs croyances.
Toujours en Orient, on peut aussi citer la tradition tibétaine du djator. Le
corps n’étant qu’un véhicule, il est logique pour les croyants, à la mort, de le
rendre à la nature pour la nourrir. On le découpe, on pile les os, on les
mélange avec de la farine d’orge grillée pour nourrir les vautours. Cette
tradition nous pose à sa manière la question des frontières entre la mort et la
vie : ne suis-je que mon corps ? n’est-il qu’un véhicule ? Une forme de
conscience perdure-t-elle après la mort ?
Quelle que soit la tradition, quel que soit le pays, les rites semblent avoir
au moins un point commun : chaque geste est conçu et posé avec amour et
respect. Amour pour le disparu, amour de la vie à travers l’acceptation de
son départ. C’est donc bien de la vie que nous parlons quand nous nous
penchons ainsi sur la mort.

La mort en Occident
Aujourd’hui, en Occident, la mort est dissimulée. Comme l’a brillamment
montré l’historien des mentalités Philippe Ariès6, nous sommes
progressivement passés de la mort familière, « apprivoisée », au Moyen Âge,
à la mort refoulée, maudite, voire « interdite » dans les sociétés occidentales
contemporaines.
Au Moyen Âge, la mort fait partie de la vie. On voit ses enfants mourir,
on sait qu’un accouchement peut être fatal. Les maladies comme la peste,
une mauvaise récolte, les pillages invitent la mort au quotidien, et il est rare
d’atteindre un âge avancé.
Aujourd’hui, nous voulons, au mieux, fuir la mort, au pire la faire
disparaître. Certes, elle est omniprésente dans les médias, dans une
débauche d’images qui la rendent à la fois banale et irréelle, surtout quand
elle est lointaine. Mais sur un plan intime, la mort ne fait que peu partie de
nos vies. Trop peu, peut-être ?
Quand elle s’invite au plus près de nous, comme lors de l’épidémie de
Covid avec son macabre décompte quotidien, elle peut être très anxiogène et
affecter négativement notre santé mentale. Peut-être parce que dans notre
culture matérialiste qui rime avec possession et accumulation, la mort
signi e la n de tout, une forme d’effacement que nous voulons à tout prix
éviter.
Nos sociétés cherchent à occulter l’idée de la mort. Nous ne voulons pas
voir ni penser que nous allons toutes et tous y passer. La mort, qui faisait
partie de la vie, est aujourd’hui invisible, tout comme la vieillesse. Quoi de
plus facile que de nier l’évidence et de continuer comme si de rien n’était ?
On embaume, on maquille nos défunts pour effacer les traces de la mort.
Lors des enterrements, il est de bon ton de ne pas embarrasser les autres par
une tristesse trop expressive. On en vient même à cryogéniser les morts en
espérant qu’un jour la science les ressuscite.
Certains parents refusent d’adopter un animal de compagnie a n de ne
pas confronter leur enfant à la mort et au deuil inévitables. Mais quelles
sont les conséquences de ce déni, si ce n’est une augmentation de l’intensité
de la peur autour de la question de la mort ?
Dans la suite de ce chapitre, nous allons examiner les conséquences de la
peur et du déni de la mort avant de voir comment penser la mort peut
éclairer notre vie.

La peur de la mort est normale et utile, mais


dangereuse
Pour de nombreux chercheurs, la peur de la mort semble être à la base de
notre fonctionnement. En termes évolutifs, on dit qu’elle a une fonction de
survie : c’est parce que nous sommes naturellement conscients des menaces
qui pèsent sur notre existence que nous veillons à la préserver. Certaines
personnes parviennent à gérer cette angoisse de manière positive, alors que,
pour d’autres, l’incapacité à y faire face peut mener à la paralysie ou à des
comportements malsains.
Il existe depuis une trentaine d’années un domaine de recherche
scienti que, la théorie de la gestion de la terreur (TMT)7, qui étudie les
effets produits par la peur de la mort. On y explique que notre sens de la
survie, inné et instinctif, couplé à la conscience que la mort est inévitable,
est susceptible de mener à des sentiments de terreur intense.
Des scienti ques ont même
découvert un mécanisme
neurocognitif qui intervient dans le
déni de notre propre mort.
Un grand nombre d’études dans ce domaine ont montré que les pensées
associées à la mort pouvaient pousser à des comportements négatifs, tels que
des agressions envers les personnes extérieures à notre groupe
d’appartenance, des troubles obsessionnels compulsifs comme le lavage
maladif des mains ou la tendance irrépressible à dépenser son argent.
La peur de la mort est aussi liée à de nombreuses difficultés
psychologiques : attaques de panique, hypocondrie. Être prisonnier de la
peur de la mort nous expose donc à de nombreuses conséquences
indésirables. Mais la solution est-elle le déni ? Que se passe-t-il lorsque
nous tentons d’échapper à cette peur ?

Le déni de la mort
Comme l’ont montré les études scienti ques de la théorie de la gestion de
la terreur, l’idée de notre nitude est menaçante et nous amène à essayer par
tous les moyens d’éviter d’y penser. Nous tentons non seulement d’échapper
à la peur de la mort, mais nous tentons aussi de ne pas la montrer aux
autres.
Un mécanisme neurocognitif a même été découvert, qui intervient dans le
déni de notre propre mort. Une étude en neurosciences a montré comment
notre cerveau réagit à l’idée de la mort8. Confrontées à l’évocation de la
mort d’une autre personne, les zones de notre cerveau impliquées dans la
prédiction des événements futurs (notamment l’insula) s’activent, nous
permettant d’imaginer cette mort. En revanche, ce système de prédiction ne
s’active pas lorsque c’est notre propre visage qui est présenté, nous
permettant d’éviter une information jugée trop menaçante !

Les conséquences psychologiques


et comportementales du déni
Quelles sont les conséquences potentielles de ce déni ? Comment
in uence-t-il nos manières de penser et nos comportements ? Ne pas être à
l’aise avec l’idée de la mort rend difficile le fait d’en parler. Lors d’un décès,
une forme de tabou pèse sur l’entourage et affecte la santé mentale de
chacun, tout comme les relations et la capacité à aborder avec lucidité les
enjeux affectifs, sociaux et administratifs qui découlent souvent d’un décès.
Les attitudes discriminantes
L’idée de la mort met en jeu notre estime de soi, l’idée de notre propre
valeur : nous ne sommes plus rien lorsque nous mourons. C’est ce que dit
cette phrase de la Bible : « Souviens-toi que tu es né poussière et que tu
redeviendras poussière. »
Une manière de nous protéger de cette menace est de nous convaincre que
nous faisons partie d’un groupe important, supérieur aux autres, ce qui nous
permet d’affirmer notre valeur, au moins pour nous-même. Cette attitude
nourrit les préjugés et la discrimination envers les groupes dans lesquels
nous ne nous reconnaissons pas.
Le mort kilométrique
Nous ne réagissons pas à toutes les morts de la même manière, et
certainement pas avec la même intensité. Des études sur le phénomène du
« mort kilométrique » se sont intéressées à l’importance que les médias
accordent aux victimes d’un drame en fonction de la distance qui nous
(téléspectateur, lecteur) sépare d’elles9. Elles ont montré que nous prêterons
des sentiments plus humains aux personnes plus proches de nous, et
sommes donc moins sensibles aux personnes plus éloignées. Ce n’est peut-
être pas seulement la distance kilométrique, mais aussi sociale et culturelle,
qui produit cet effet. Il y a des morts que nous pleurons plus facilement que
d’autres.
Le culte de la célébrité
Nos efforts pour échapper à la peur de la mort se manifestent aussi dans la
culture de la célébrité. Transmettre notre nom est une manière de rester
vivant, et comme nous n’aurons pas toutes et tous cette possibilité, les
personnes célèbres auxquelles nous nous identi ons nous permettent
d’envisager une certaine immortalité par procuration. Cette perspective
éclaire de manière très intéressante toute l’industrie people, magazines,
téléréalité, émissions télévisées, qui engrangent des sommes folles en surfant
sur la vague de la célébrité instantanée.
Le manque de discernement
L’évitement de la peur de la mort affecte considérablement nos capacités à
raisonner et nous pousse à sélectionner l’information, à fuir ce qui nous
paraît menaçant. Dans le cas de la crise environnementale par exemple, il
est moins effrayant, à court terme, de nier les changements climatiques, au
risque, pourtant, de voir ce déni accélérer la disparition de toute notre
espèce. C’est l’une des explications avancées à la difficulté qu’ont nos sociétés
à faire face au dé climatique. Pour les politiques, la pression des élections
et le pouvoir sont par ailleurs des moteurs plus puissants que les enjeux
globaux à long terme.
Nous évitons aussi les pensées qui nous demandent de changer nos
comportements : prendre conscience de l’impact des débris plastiques sur la
biodiversité sous-marine demande de s’adapter et de changer des habitudes,
et cela a un coût de production important pour les groupes industriels qui
produisent et utilisent le plastique. L’évitement permet de ne pas se faire de
souci, mais l’effet sur la collectivité, avec le risque d’une augmentation de la
pollution, est catastrophique.
À un niveau plus personnel, les études10 ont aussi montré comment nous
évitons les check-up médicaux quand nous avons peur d’un mauvais
résultat, mettant par là même notre vie en péril.

Nous ne pouvons pas échapper à la mort et ne le savons que trop bien.


Mais nous ne pouvons pas non plus échapper à la peur de la mort, sous
peine de souffrir de conséquences bien plus terribles que la peur elle-même.
Face à la mort,
un processus émotionnel universel
La psychiatre suisse Elisabeth Kübler-Ross a étudié la mort de près. Elle a montré comment cette
épreuve ultime consistait en un apprivoisement du réel qui passe par un processus émotionnel
universel. Elle a ainsi mis en évidence ses différentes étapes :
• Le choc dû à la très forte intensité émotionnelle de cette nouvelle : « Je vais mourir », « Il ou elle va
mourir », « Il est mort ou elle est morte ». Il arrive que ce choc nous submerge, brouillant nos facultés.
• Le déni ou refus du réel : « Non, ce n’est pas possible ! »
• Le marchandage : une culpabilité mêlée à de la colère et de la tristesse apparaît dans cette phase :
« Qu’aurais-je pu ou dû faire pour éviter le drame ? »
• La révolte ou colère : « Pourquoi moi ? »
• La dépression ou la tristesse.
• Enfin l’acceptation : contrairement à la non-acceptation, qui est un état de résistance au réel
générant un mal-être, voire une violence, à l’intérieur de soi, accepter suppose de regarder les choses
en face, telles qu’elles sont.

Les aspects positifs de la confrontation à la mort


Être conscient de la mort n’est pas obligatoirement un facteur d’anxiété
aux conséquences négatives. Si nous nous libérons de la prison du déni, si
nous pouvons faire face à l’idée de notre n, cette conscience peut, avec le
temps, devenir un facteur positif dans nos existences. Comme nous le
verrons, des études scienti ques ont montré qu’être conscient de notre
mortalité peut nous motiver à l’entraide, nous aider à mieux prioriser nos
valeurs et nos objectifs et même améliorer notre santé.
Être en lien avec la mort, même sans y penser consciemment – par
exemple en marchant près d’un cimetière –, peut nous conduire à des
changements positifs et nous motiver à être plus altruiste. Dans une étude11,
on a comparé l’attitude de personnes qui passaient à côté d’un cimetière et
celle de personnes qui passaient un pâté de maisons plus loin, hors de vue
du cimetière. Un complice de l’expérience laissait tomber un objet par terre,
et on évaluait les comportements d’entraide. Dans le cas où les valeurs
altruistes étaient sollicitées (par le discours d’un acteur qui interpellait les
personnes présentes), le nombre de participants qui aidaient « l’inconnu » à
ramasser ce qui était tombé était 40 % plus élevé ! Dans ce cas d’espèce, la
conscience de notre nitude nous reconnecte à ce qui nous est essentiel et
nous motive à agir avec plus de cohérence.
D’autres études12 ont étendu ces résultats et montré que la conscience de la
mort pouvait conduire à plus de tolérance, de compassion, d’égalitarisme, de
paci sme et de gestes pro-environnementaux.
Dans ce cas également, les effets positifs se retrouvent lorsque des normes
positives, en lien avec l’environnement ou les valeurs prosociales, sont
privilégiées.
Être conscient de la mort peut aussi avoir un effet positif sur notre santé.
Cela peut nous amener à faire de meilleurs choix (par exemple, faire plus
d’exercice, ou fumer moins, etc.) lorsque cette conscience est accompagnée
d’informations13 qui lient le nouveau comportement à un sentiment
d’efficacité personnelle. Ces études sont évidemment à relativiser au regard
de l’accès à une nourriture saine ou à la possibilité de faire du sport, que
beaucoup n’ont pas.
Les vanités ou le rappel
de notre fin certaine
La mort a inspiré les philosophes, mais aussi les artistes. Dans la peinture, cette thématique a donné
lieu à un genre particulier, les « vanités ». Il s’agit d’une expression allégorique de la brièveté de la vie et
de la nature vaine des distractions et des plaisirs. Ce nom vient de la phrase d’ouverture de
l’Ecclésiaste, dans l’Ancien Testament : « Vanité des vanités, tout est vanité. » Parmi les objets que l’on
retrouve sur ces peintures figurent souvent un crâne humain, des éléments de nature morte ou des
fleurs comme la tulipe.
Parfois, ce thème se décline plutôt sous la formule « memento mori » (en latin « souviens-toi que tu
vas mourir »), là aussi un rappel de la fragilité et de la brièveté de l’existence. Contrairement aux
vanités, dont le caractère pouvait être moralisateur, le memento mori met en avant l’idée du « carpe
diem » (« cueille le jour ») : la vie étant éphémère et incertaine, il nous faut la savourer maintenant.
La fameuse tête de mort sur le drapeau des pirates obéissait à la même symbolique : plutôt qu’une
représentation macabre pour terroriser l’ennemi, c’était pour les pirates un rappel du fait que
« puisque nous allons mourir, hâtons-nous de vivre et, surtout, de vivre bien14 ! ».
Ces études soulignent une fois de plus l’importance des valeurs que nous
mettons en avant en tant que société. Si des valeurs d’altruisme, de
coopération, de générosité, d’empathie sont prioritaires, alors une plus
grande conscience de la mort augmentera les comportements qui honorent
ces valeurs.

La proximité de la mort peut nous être utile, si nous mettons en lumière


ce qui donne profondément du sens à la vie. C’est peut-être dans ce sens que
Montaigne disait : « Qui apprendrait aux hommes à mourir, leur
apprendrait à vivre. » La même préoccupation se retrouve dans la
philosophie antique : si pour Épicure la mort n’est rien, pour Socrate en
revanche, philosopher, c’est apprendre à mourir. Ce à quoi les philosophes
s’exercent toute leur vie.

La mort est non seulement une donnée indéniable de la vie, mais c’est
aussi un sujet essentiel, pour nos sociétés comme pour chacun et chacune
d’entre nous. Notre rapport à la mort in uence profondément notre rapport
à la vie, à nous-même, aux autres et à la nature.
Dans les prochains chapitres de ce livre, nous explorerons différentes
facettes de la mort comme autant de chemins pour apprivoiser cette grande
question, et transformer la menace de mort en invitation à soigner, savourer
et célébrer la vie.
TROIS QUESTIONS PERSONNELLES
1. Une personne
dont la mort a été inspirante

Ilios
Nombreuses sont les personnes dont la mort a été une inspiration dans ma
vie. Je pense à une amie médecin qui m’était très chère, Véronique. Son
attitude d’acceptation, de générosité et d’ouverture lors de sa n de vie a été
un modèle pour tous ses proches. Malgré l’intense douleur, elle parlait avec
lucidité et avait une présence aux autres incroyable jusqu’au bout. Les
derniers moments passés auprès d’elle à l’hôpital restent inscrits en moi
comme un exemple de la joie et de la générosité que l’on peut transmettre
dans ces moments. La veillée funèbre, organisée chez elle avec beaucoup
d’amour, a été à l’image de cette n de vie : un moment de tendresse, de
lien, de larmes et de rires partagés autour de son cercueil ouvert.

Caroline
Je pense à ma chère amie Mara, qui était mon enseignante de yoga et dont
j’ai accompagné le départ. Une n de vie qui fut hélas très brève en raison
de l’avancée rapide de sa maladie. Je me rappelle nos promenades à tout
petits pas, nos belles discussions à l’hôpital et chez elle.
Mère de deux jeunes lles, elle a tout tenté pour rester le plus longtemps
avec elles. Elle était d’un grand courage et en même temps d’une grande
tranquillité.
Je sens très souvent sa présence à mes côtés, comme une force inspirante
pour donner du sens à mon existence.

2. Une expérience personnelle

Ilios
La naissance de notre lle a été pour moi une expérience fondamentale,
mais elle a également changé mon rapport à la mort. Je suis davantage
conscient de la fragilité et donc du caractère précieux. Vivre au quotidien
avec elle et ma compagne est un rappel simultané de la vulnérabilité et de
l’importance des liens et de l’amour. Mais cela reste pour moi un chemin :
garder à l’esprit que je ne suis pas immortel, éviter de me perdre dans le
super u ou la débauche de projets, me recentrer sur l’essentiel.

Caroline
Sans hésiter, c’est mon voyage en Pologne, et plus particulièrement les
moments intenses partagés lors de la visite du mémorial d’Auschwitz-
Birkenau dans le cadre de Mémoire pour la paix, une magni que initiative
menée par le père Shoufani. C’était en 2003, et je me souviens comme si
c’était hier du tourbillon d’émotions qui ne cessaient de me parcourir. J’ai été
touchée en plein cœur par la présence remplie d’amour et le regard sans
haine de Schlomo, Magda, Irène et des autres rescapés qui nous
accompagnaient.

3. Une lecture,
une ressource qui m’aide face à la mort

Ilios
J’aime beaucoup ce dessin de Charles M. Schulz dans lequel Charlie
Brown dit : « Un jour, nous allons tous mourir, Snoopy. » Snoopy lui
répond : « Oui, mais tous les autres jours, nous allons vivre ! » Puisque je ne
connais pas l’heure de ma mort, puis-je faire autre chose que vivre ma vie de
manière quelque peu joyeuse, aimante, solidaire, et totalement imparfaite ?

Caroline
Les récits graphiques de L’Homme étoilé15, qui parlent de la mort d’une
façon lumineuse et grâce auxquels nous avons eu de très belles discussions
sur la mort à la maison.

1. Tous les hommes sont mortels, Folio, 1974.


2. Michel Hulin, « L’homme et son double », in Frédéric Lenoir, Jean-Philippe de Tonnac, La Mort
et l’Immortalité, Bayard, 2004, p. 57.
3. Jean-Didier Urbain, L’Archipel des morts. Le sentiment de la mort et les dérives de la mémoire dans les
cimetières d’Occident, Payot et Rivages, 1989.
4. James Anderson et al., « Pan thanatology », Current Biology, vol. 20, no8, 2010, p. 349-351.
5. Cette section a été écrite sur la base d’informations généreusement transmises par la thanatologue
Juliette Cazes. Qu’elle soit ici profondément remerciée pour son passionnant travail de recherche.
6. Essai sur l’histoire de la mort en Occident du Moyen Âge à nos jours, Seuil, « Points Histoire », 2014.
7. Jeffrey Greenberg, Jamie Arndt, « Terror management theory », in Paul A.M. Van Lange et al.,
Handbook of eories of Social Psychology, vol. 1, Los Angeles, SAGE, 2012.
8. Yair Dor-Ziderman et al., « Prediction-based neural mechanisms for shielding the self from
existential threat », NeuroImage, vol. 202, 2019.
9. foreignpolicy.com/2013/04/22/is-it-wrong-to-care-more-about-4-
deaths-in-boston-than-80-in-syria
10. J. Hua & J. L. Howell, « Coping self-efficacy in uences health information avoidance », Journal
of Health Psychology, 27(3), 2022, p. 713-725.
11. M. T. Gailliot, T. F. Stillman, B. J. Schmeichel, J. K. Maner & E. A. Plant, « Mortality salience
increases adherence to salient norms and values », Personality and Social Psychology Bulletin, 34(7),
2008, p. 993-1003.
12. K. E. Vail III, J. Juhl, J. Arndt, M. Vess, C. Routledge & B. T. Rutjens, « When death is good
for life: Considering the positive trajectories of terror management », Personality and Social Psychology
Review, 16(4), 2012, p. 303-329.
13. D. P. Cooper, J. L. Goldenberg & J. Arndt, « Examining the terror management health model:
the interactive effect of conscious death thought and health-coping variables on decisions in
potentially fatal health domains », Personality and Social Psychology Bulletin, 36(7), 2010, p. 937-946.
14. Gilbert Buti et Philippe Hrodej, Dictionnaire des corsaires et des pirates, CNRS Éditions, 2013.
15. L’Homme étoilé, À la vie ! et Je serai là, Calmann-Lévy, 2020 et 2021.
© DR
2.
LA PHILOSOPHIE OCCIDENTALE
NE PEUT PENSER LA MORT
Michel Gergeay

PHILOSOPHE, IL A CONSACRÉ SA VIE À L’ENSEIGNEMENT, EN AFRIQUE, EN BELGIQUE, EN ITALIE.


PROFESSEUR DE MORALE ICI, DE PHILOSOPHIE LÀ, IL EST PROFONDÉMENT CONVAINCU DU POUVOIR
LIBÉRATEUR ET DÉMOCRATIQUE DE LA CONNAISSANCE CRITIQUE.

Un triple paradoxe
Le souci de tout philosophe occidental, depuis les origines de la discipline,
est de dé nir les mots qu’il emploie, de préciser ses concepts. Or
le problème avec la mort, c’est qu’il s’agit d’un concept « vide ». Plus
exactement, c’est un concept « sans expérience », une réalité par intuition, et
je dirais même que cette intuition est aveugle. « La mort est une surprise
que fait l’inconcevable au concevable », disait Paul Valéry.
Même en s’accrochant au grand wagon des sciences, en leur empruntant
une dé nition « scienti que », donc objective, ce concept de la mort ne
résonne pas dans la pensée subjective. Aborder la mort clinique comme on
aborde la réfraction ou la gravitation, donc dans une perspective universelle,
ne rend pas compte de l’essentiel pour le sujet vivant.
Le concept même de la mort, c’est la première difficulté.

Une autre vient de ce que la philosophie occidentale est une philosophie


de la connaissance et non une philosophie de la sagesse, alors qu’à l’origine,
philosophia veut bien dire « amour de la sagesse », et qu’il y avait une
tradition de la sagesse essentiellement avant l’époque chrétienne. Mais elle
est devenue une philosophie de la connaissance, une discipline qui travaille
sur l’être, l’ontologie, l’épistémologie, et pas vraiment sur le bonheur, l’amour
ou la sagesse.
Or la mort supprime à la fois l’objet et le sujet de toute connaissance.
Ainsi la philosophie occidentale est-elle relativement pauvre sur la question
du « comment vivre ? » ou du « comment mourir ? ». Relativement, parce
qu’il y a tout de même de belles pages là-dessus, celles des stoïciens et des
épicuriens, par exemple.
Il n’empêche : lorsqu’on évoque la sagesse dans notre monde occidental,
c’est l’image d’un sage hindou, chinois, africain ou amérindien qui otte
dans l’air.

Même le christianisme, qui, lui, ne se préoccupe pas du savoir, de la


connaissance, ni même de la sagesse – le christianisme s’occupe du « salut »,
ce qui est bien autre chose –, fait l’impasse. Tout se passe en Occident
comme si notre pensée européenne avait botté la mort en touche. Je ne parle
pas des masques ou occultations, parce que les rites d’évitement se
retrouvent dans toutes les cultures, je parle du refus même du concept de
mort, refus qui s’exprime dans la croyance en l’immortalité de l’âme, par
exemple.
Et si un scienti que rétorquait que ce qui est immortel, c’est la matière,
que notre corps n’est au fond que l’organisation temporaire d’atomes issus
des étoiles, ce serait encore une façon de nier la mort comme disparition.
Cette vision atomiste, corpusculaire, était celle de Diderot : « La seule
différence entre la mort et la vie, c’est qu’à présent vous vivez en masse
(c’est-à-dire réuni) alors que, dans vingt ans, dissous, épars en molécules,
vous vivrez… en détail1. » Bien sûr, cette seconde négation de la disparition
est moins consolante que la première (l’âme immortelle).
Nous ne pouvons pas penser notre propre mort. Comment imaginer un
monde où tout à la fois nous serions et ne serions pas ? « La mort ne peut
être pensée car elle est absence de pensée2 », a écrit André Maurois.

En n, un troisième élément du paradoxe touche au sublime, si l’on songe


que la naissance de la philosophie, c’est la mort de Socrate. Il faut rendre
justice à tous ceux qui l’ont précédé (Parménide, Héraclite, Anaxagore, etc.,
qu’on a rebaptisés « présocratiques », ce qui montre bien le jalon que
représente Socrate).
Or Socrate – rappelez-vous vos cours de philosophie et d’histoire – est
amené devant le tribunal d’Athènes pour impiété, et il y risque la peine de
mort. Que dit-il dans son apologie, relatée par Platon ? Il dit d’abord que, la
mort, personne n’en connaît rien. Puis il ajoute : « De toute façon, c’est
certainement moins grave que les souffrances que nous apporte la vieillesse.
Alors, messieurs les juges, si vous pouviez me condamner à mort, vous
m’épargneriez toutes ces souffrances, et je vous en remercierais à l’avance. »
Magni que.
Mais que disent, malgré tout, les philosophes occidentaux de ce paradoxe,
de la mort ?

Quatre penseurs éclairants


Il faudrait bien plus qu’un chapitre pour évoquer, même en survol, des
penseurs éclairants comme Marc-Aurèle et les stoïciens, Montaigne,
Descartes, Pascal, Nietzsche, Kierkegaard, Sartre, sans parler de Cioran. Je
n’en évoquerai ici, très brièvement, que quatre : Épicure, Spinoza,
Schopenhauer, Heidegger.
Épicure
Un siècle après Socrate, Épicure est encore de ces philosophes de sagesse.
Il nous dit que la mort ne nous concerne en rien : quand nous sommes là
(vivants), la mort n’est pas ; quand la mort est présente, nous ne sommes
plus. Même la peur de la mort est vaine, puisque ce qui ne nous troublera
pas par sa présence ne doit pas nous troubler par son attente.
Voilà qui ne règle pas la question de la dé nition, mais au moins nous
apprend comment « vivre la mort ».
Épicure : Lettre à Ménécée
« Ainsi celui de tous les maux qui nous donne le plus d’horreur, la mort, n’est rien pour nous, puisque,
tant que nous existons nous-mêmes, la mort n’est pas, et que, quand la mort existe, nous ne sommes
plus. Donc la mort n’existe ni pour les vivants ni pour les morts, puisqu’elle n’a rien à faire avec les
premiers, et que les seconds ne sont plus. Mais la multitude tantôt fuit la mort comme le pire des
maux, tantôt l’appelle comme le terme des maux de la vie. Le sage, au contraire, ne fait pas fi de la vie et
il n’a pas peur non plus de ne plus vivre : car la vie ne lui est pas à charge, et il n’estime pas non plus qu’il
y ait le moindre mal à ne plus vivre3. »
Nous ne pouvons pas penser notre
propre mort.
Comment imaginer un monde
où tout à la fois nous serions
et ne serions pas ?
Spinoza
Dans la même lumière mais suivant une autre ré exion, Spinoza nous dit
qu’un homme vraiment libre ne doit pas penser à la mort, que la sagesse est
une méditation, non de la mort, mais de la vie.
Pourquoi ? Vous connaissez Spinoza et son deus sive natura, « Dieu,
autrement dit la Nature ». Profondément logique et mathématique, la vision
de Spinoza nous rappelle que, puisque Dieu est par dé nition « in ni » et
que l’on ne peut rien ajouter à l’in ni, Dieu n’a pu créer le monde hors de
lui-même, il n’a pu le créer qu’« en lui », donc si Dieu est tout, tout est
Dieu. Il n’y a donc rien à craindre et rien à espérer (pensons au fameux « Je
n’espère rien, je ne crains rien, je suis libre4 » de Nikos Kazantzakis), et au
sein de cet être in ni (dieu-nature), nous sentons, nous expérimentons que
nous sommes éternels.
Mais attention, il ne faut pas entretenir l’illusion de notre éternité tout en
vivant dans l’angoisse de notre « être-pour-la-mort » (comme le dit
Heidegger), au contraire, pour Spinoza il faut se libérer de toute crainte
pour parvenir durant notre vie à la béatitude.
Car si la mort est la n de notre vie, c’est au sens de « terme » et non de
« destination » !
Schopenhauer
Un mot sur Schopenhauer, qui introduit dans le débat la notion d’espèce
et donc la notion de « commun » dans la mort. La mort ne vainc pas
vraiment, pas dé nitivement, tant que dure l’espèce… Il réintroduit une
notion, qui, effectivement, est intéressante dans la mesure où, très souvent,
la ré exion sur la mort est une ré exion tout à fait individuelle et
individualiste, si ce n’est égoïste.
D’ailleurs, le système de Schopenhauer fait le procès de cet égoïsme avec
des accents qui font un peu penser à la philosophie orientale, dans la mesure
où Schopenhauer est le philosophe du monde comme « représentation »,
comme représentation subjective d’un monde. Le monde n’est plus un
« être » mais un monde de phénomènes, rejoignant en cela la pensée
asiatique, brahmanique, selon laquelle nous ne connaissons pas la vérité des
choses, mais nous ne percevons les choses qu’à travers le « voile de Maya »,
c’est-à-dire un brouillard d’illusions.
Schopenhauer va ajouter à ce monde comme représentation le monde
comme « volonté ». Mon intelligence qui me permet de représenter le
monde n’est qu’un instrument de mon vouloir-vivre. Le vouloir-vivre,
analogue à ce que Spinoza appelait « la tendance de chaque être à persévérer
dans son être ». Malheureusement, si le vouloir-vivre est partout,
fondamentalement identique à lui-même, je vois les individus multiples
dans l’espace et se succédant dans le temps…
Cette illusion de la multiplicité des individus est le péché originel de notre
représentation, celle d’un monde réfracté par les prismes subjectifs du temps
et de l’espace. Cette illusion crée en nous l’« égoïsme », qui pousse à nous
prendre pour le vouloir-vivre tout entier et à ne prendre en compte ni
l’ensemble ni les autres. Nous devenons ainsi les esclaves du « désir », source
de la souffrance. On est proche là encore du brahmanisme et du
bouddhisme.
Heidegger
Au contraire de ces philosophes qui réduisent la mort à une illusion, un
« rien », bref qui mènent à penser la mort sans crainte, à la vider de toute
réalité signi ante pour les vivants, Heidegger fait, lui, de la mort la
condition d’humanité même : « La mort, c’est que soit possible la radicale
impossibilité d’une réalité humaine5», écrit-il. Voilà qui ressemble tout de
suite à du charabia philosophique. Mais la philo, c’est simple si l’on précise
les mots.
Vous connaissez l’anecdote de Bombard qui a traversé l’Atlantique sur un
canot pneumatique à la rame, il y a de cela très longtemps déjà : Bombard
avait décidé de prendre avec lui l’Éthique de Spinoza. Il disait qu’il n’avait
jamais réussi à comprendre ce livre, mais que, comme la traversée allait
durer des mois, il aurait le temps de le lire et de le comprendre. Il a traversé
l’Atlantique à la rame et il n’a rien compris à Spinoza pour une raison très
simple : il n’avait tout simplement pas la clé du lexique de Spinoza. Quand
Spinoza vous parle de « Dieu », de « substance » ou d’« attribut », et que
vous ne prenez pas la peine d’apprendre ce qu’il a voulu dire par « Dieu »,
par « substance » et par « attribut », vous ne comprenez rien, et c’est un peu
aussi le problème avec Heidegger.
Je vais vous expliquer très simplement la phrase de Heidegger : la
certitude que nous allons mourir ne peut pas être calculée comme un
résultat de statistiques énumérant les cas de décès survenus. Ce n’est pas
parce que les autres hommes meurent que je vais mourir. Vous voyez là le
problème de causalité ? Nous avons pris l’habitude de considérer la mort
comme quelque chose de normal. On meurt tous, mais… pourquoi moi ?
Apparaît là quelque chose de fondamental, c’est que la certitude de ma mort
ne relève pas d’une vérité qui serait celle d’une réalité donnée. La mort se
dévoile comme une possibilité absolument propre, inconditionnelle,
indépassable. Selon Heidegger, l’homme est un « être-pour-la-mort », sa
conscience d’une mort inévitable (cette possibilité-indépassable) mène
l’homme inauthentique à la fuir, alors qu’elle mène l’humain authentique à
« se rendre libre pour elle ». Devenir, par l’anticipation, libre pour sa propre
mort, c’est se libérer de toutes les possibilités qui s’entrechoquent au
hasard… si bien qu’alors les possibilités effectives, toutes celles qui se situent
en deçà de cette possibilité-indépassable, peuvent être soumises à un choix
et à une compréhension authentiques.
« Dès qu’un homme est né, il est assez vieux pour mourir6»… Et
l’anticipation de sa propre mort est une authentique libération.
On voit qu’avec Heidegger on est dans une autre approche que celle des
trois premiers. Pour les trois premiers, il est clair que la ré exion était
essentiellement celle de « comment vivre la mort ». Pour Heidegger, c’est
« comment vivre avec la mort », ce qui n’est pas la même chose.

Je vous ai proposé ici un très bref survol de quelques philosophes


européens à propos de la mort. Ce survol est absolument subjectif et pas du
tout exhaustif.

C’est tellement incomplet et super ciel que j’aimerais, pour nir ce


chapitre, mais sans conclure, inscrire tout ça dans une structure et une
question. La structure sera celle d’un des plus grands penseurs de
l’Occident, Emmanuel Kant. Je ne vais rien vous dire de sa philosophie ici,
ce n’est pas le sujet, seulement partir de ses trois fameuses questions
philosophiques : qui suis-je, que puis-je savoir, que dois-je faire ? Vous avez
là l’interrogation sur l’être, sur la connaissance (certains diront la vérité), sur
le devoir (certains diront la morale).

Que/qui suis-je face à la mort ?


La mort qui interpelle l’être est une vieille compagne de l’humanité, une
vieille compagne de la pensée chez nous en Europe. Rappelez-vous la
phrase de Nietzsche qui disait : « La philosophie parle grec et marche
devant nous. » La philosophie occidentale est en effet née non seulement de
la Grèce, mais surtout de la langue grecque elle-même. To on signi e à la
fois « l’un » et « l’être ». Parménide, l’un des premiers penseurs de la
rationalité, est parti de là. Il nous dit que l’être est et que le non-être n’est
pas. C’est logique, direz-vous. Mais il faut aller plus loin : si l’un est, il est
tout, l’être est un, etc.
À partir d’une démonstration purement rationnelle, on a un système
philosophique qui commence à se développer. Tout cela, c’est très occidental
évidemment, mais cette raison occidentale, qui s’est dès l’origine penchée sur
la notion d’être, ne s’est jamais penchée sur l’origine de l’être – ou très peu –
et encore moins sur son absence ou sa n.
Donc la mort reste la question philosophique sur laquelle butera toujours
la ré exion humaine, en tout cas la ré exion rationnelle, la philosophie
occidentale. Peut-être simplement parce que, je l’ai dit au début de cet
exposé, le concept de mort est vide pour la rationalité et ses exigences.

Que sais-je de ma mort ?


Tout nous échappe dans la mort : le quand, le comment, et même le
pourquoi, car la mort, on l’a vu, n’est pas conceptualisable. L’Occident a
développé une capacité in nie, technologique entre autres, mais aussi
médicale et scienti que pour « dé nir » la mort, par exemple la mort
cérébrale. C’est un formidable progrès dans le domaine des sciences – nous
sommes tous d’accord là-dessus –, mais, en même temps, cela ne répond pas
à notre inquiétude ni à notre question fondamentale subjective. « On ne
pense pas la mort, et mort on ne pense plus. »

Enfin, que dois-je faire face à la mort ?


Là encore, l’Occident a développé une immense bibliothèque en matière
d’éthique et de politique, allant parfois jusqu’à « interdire le suicide » ou à
légiférer (donc à la majorité, ce qui exclut la démarche du champ
philosophique comme du champ scienti que, puisqu’on ne vote ni en
sciences ni en philosophie) sur la peine de mort, l’euthanasie, jusque sur les
emplacements des cimetières, les funérailles (inhumation, crémation,
humusation), etc.
Mais l’homme reste seul devant la sienne, de mort. Le devoir face à la
mort reste absolument propre à chacun de nous. Même lorsque l’on meurt
pour les autres : mourir pour une cause plaide-t-il pour cette cause ?
Pensons aux attentats-suicides…

J’en termine avec une question, que je vous pose comme je me la pose
depuis longtemps sans y avoir trouvé de réponse satisfaisante : si l’on sait
qu’on va mourir, on ne le croit pas. Pourquoi ? La croyance, quelle qu’elle
soit, peut-elle apporter une réponse acceptable à une question
philosophique ?
Et vous m’objecterez à raison que, si la mort n’apporte aucune réponse, elle
emporte… toutes les questions.
Offrandes de lampes, le soir qui suivit la crémation du grand maître tibétain Dilgo Khyentsé Rinpoché
(1910-1991), en 1992, au Bhoutan. Il mourut en 1991, mais son corps fut conservé pendant un an pour
permettre à ses disciples du monde entier de venir lui rendre hommage.
TROIS QUESTIONS PERSONNELLES
1. Une histoire qui m’inspire :
la mort de Louis Le Sage

C’était un homme connu et important, pour plusieurs milliers d’autres en


tout cas, dont moi. Il se savait condamné à échéance de quelques mois. Il
avait choisi la date de sa n, que cet homme sans fantasme d’immortalité ne
voyait pas comme un départ. Il mourut dans la dignité et la sérénité, entouré
de ses proches. À sa demande, le faire-part de son décès ne portait, sous son
nom, Louis D., que le mot : INSTITUTEUR, avec une majuscule. Son premier
métier, dont le sens profond du terme avait orienté sa vie jusque bien loin de
l’estrade, et toujours pour les autres, jusqu’à la n.

2. Une confrontation avec la mort

Je suis mort deux fois, en n… presque. Bon, je sais que c’est d’une
banalité absolue, au moins pour la seconde fois : un carrefour peu avant le
paradis. Avec mon épouse et deux de mes petits-enfants, nous étions
en voiture sur une route de campagne. Des chemins creux puis un carrefour
sans visibilité, aucune autre voiture rencontrée, juste l’espoir de ne pas
croiser un tracteur sur ces routes étroites. Pourquoi me suis-je arrêté ? Un
bolide a surgi sur la gauche et coupé notre route à une vitesse folle, sans
souci du carrefour. Mon épouse et moi nous nous sommes regardés, livides.
Mais c’est banal en effet…
Alors il me faut évoquer la première fois. J’étais encore jeune et j’avais
emmené mes enfants (pourquoi ai-je besoin d’associer la mort à ceux que
j’aime et au plaisir ?) dans un parc d’attractions aquatique. Emporté par
l’enthousiasme des petits, je les accompagnais tout en haut d’un
interminable toboggan-tunnel d’eau qu’il fallait dévaler assis sur une bouée.
La descente infernale m’a paru très longue, mais l’arrivée n’a été qu’un
éclair : j’ai vu en une fraction de seconde un maître-nageur, chargé sans
doute d’évacuer les arrivants dans la piscine de réception avant les suivants,
écarter les bras pour arrêter mon vol. Car je volais : la bouée s’était pliée sous
mon poids et le choc de l’arrivée, et s’étant muée en catapulte m’avait projeté
horizontalement. Je suis passé à côté du Christ sauveur et suis allé me
fracasser la tête sur l’escalier de la piscine. J’ai survécu, à mon grand
étonnement et à l’admiration des enfants présents devant mon immense
bosse sur le front. Mourir en slip dans un parc aquatique, ça l’aurait fait, sur
le faire-part d’un philosophe. Je ne suis pas sûr de faire aussi bien la bonne
fois (pour toutes).

3. Une lecture qui m’aide face à la mort

Cioran le désespéré fascine et trouble les optimistes de la volonté comme


moi. Mais Cioran ne m’aide pas face à la mort, lui qui conseille de vivre sa
vie comme une « agonie longue ». Alors, je m’accroche plutôt à Jacques
Monod, dont le livre Le Hasard et la Nécessité accompagne ma vie depuis un
demi-siècle. Notre vie naît des hasards biologique et social (la loterie
génétique après celle des rencontres parentales) et se frotte aux nécessités de
toute survie : c’est assez simple avec des pluriels. Mais quand Masika la
petite lycéenne des collines du Kivu meurt, violée et massacrée par des
soldats ivres et errants, quand Stavros l’employé grec, viré de sa banque
athénienne par la crise nancière, se jette sous le métro à la station
éséion, ou quand Ida la jeune Allemande sportive se noie dans un
accident de plongée au bord du lac Majeur, où sont les parts du hasard et
celles de la nécessité dans ces morts ? Un viol mortel de guerre, un suicide
économique, un accident sportif ont-ils le même sens alors que tout les
différencie sauf le résultat ?
Savoir, ou à tout le moins penser, que notre vie naît d’un hasard nié et que
la mort vient d’une nécessité reniée, en quoi cela peut-il m’aider ? Peut-être
à me sortir de la négation, pour qu’entre ma naissance improbable et ma
mort certaine je trouve du sens à vivre l’imprévisibilité du moment. La vie et
la mort sont deux parenthèses nées de surprises dans le temps, la vie comme
elle est, la mort comme elle vient.

1. Lettre du 15 octobre 1759, Corr., II, 283-284.


2. Ce que je crois, Grasset, 1952.
3. Traduction d’Octave Hamelin (1910).
4. La Liberté ou la mort, Pocket, 1979.
5. Qu’est-ce que la métaphysique ? suivi de Extraits sur L’Être et le Temps et de Une conférence sur
Hölderlin, Gallimard, 1951.
6. Martin Heidegger, Être et Temps, Gallimard, 1992.
© MICHEL HOUET
3.
UNE PERSPECTIVE
NEUROSCIENTIFIQUE SUR LA MORT
Steven Laureys

NEUROLOGUE, NEUROSCIENTIFIQUE, AUTEUR ET CONFÉRENCIER, MEMBRE DE L’ACADÉMIE ROYALE


DE MÉDECINE, IL A FONDÉ LE CENTRE DU CERVEAU AU CHU DE LIÈGE ET L’UNITÉ DE RECHERCHE
GIGA-CONSCIOUSNESS À L’UNIVERSITÉ DE LIÈGE.

C omment dé nir la mort, la vie et la conscience d’un point de vue


médical et scienti que ? Quand déclarer, pour le soignant, qu’une
personne est irréversiblement morte ? Ces questions paraissent
simples, elles ont pourtant été longtemps débattues et continuent à faire
l’objet d’intenses controverses.
Aborder la question de la mort d’un point de vue médical et
neuroscienti que est plus complexe qu’il n’y paraît. Et en tant que médecin,
je peux vous dire que l’on n’a pas tellement envie de se retrouver avec un
cadavre qui se met à parler ou avec une personne qui, a contrario, affirme
être morte.
Quand on déclare la mort d’un patient, on a donc tout intérêt à ne pas se
tromper. De tout temps, les personnes se sont mé ées de ce risque de
diagnostic prématuré. En 1896, le comte Michel de Karnice-Karnicki,
chambellan du tsar de Russie Nicolas II, imagine un système constitué d’un
tube traversant le couvercle du cercueil et relié à un drapeau et une cloche.
Au moindre mouvement, le mécanisme est censé se déclencher, provoquer
l’arrivée de l’air, faire bouger le drapeau et sonner la cloche en cas de réveil !
L’image ci-dessous est un autre exemple de ces cercueils sécurisés pensés
pour ne pas mourir d’avoir été enterré vivant.
Cercueil doté d’un mécanisme de secours en cas d’enterrement prématuré, 1843.1

Cette peur n’est pas complètement irrationnelle : elle se base sur


l’incertitude qui a longtemps régné quant aux signes physiques du décès.
Comment s’assurer qu’une personne a vraiment « rendu l’âme », selon cette
expression très parlante, et qu’elle n’est pas seulement dans un état
léthargique ou de coma ? En dépit des avancées de la médecine, le principe
des cercueils sécurisés a survécu jusqu’à nos jours, et les brevets d’inventions
censées parer aux inhumations prématurées ont continué à être déposés. Les
légendes relatives aux personnes enterrées vivantes ont depuis toujours une
place dans la culture populaire, même si aujourd’hui les procédures
médicales et légales, ainsi que le délai administratif d’au moins un jour entre
le constat de décès et les obsèques, font que les rares cas connus de « réveil à
la vie » ont eu lieu avant l’enterrement.

Mais il n’y a pas qu’au moment du diagnostic qu’on peut se tromper sur
cette question : il m’est arrivé de me retrouver face à un patient convaincu
d’être mort, et c’est tout aussi étrange, je vous l’assure.
Je me souviens de ce cas : un homme persuadé d’être mort m’avait été
envoyé d’Angleterre. Il souffrait doublement d’une dépression majeure et du
syndrome de Cotard, qu’on appelle aussi le syndrome du zombie. Nous
avons étudié son cerveau, et les résultats ont fait l’objet d’une publication
scienti que2. L’étude a montré que les perturbations de l’expérience du
patient étaient liées à des altérations au niveau cérébral.

Quels critères permettent de définir la mort ?


Pour savoir ce qu’est la mort, il faut connaître les critères qui la dé nissent.
Or ceux-ci ont évolué au cours du temps. Certains sont établis depuis très
longtemps, par exemple chez mes collègues de l’ancienne Égypte. À
l’époque, le cerveau n’avait pas grande importance. Ainsi vous pouvez voir
sur l’illustration du Livre des morts, ci-dessous, que l’âme se trouve dans le
cœur – que l’on pèse pour déterminer si vous avez droit à une entrée dans
l’au-delà.
Aujourd’hui, pour établir l’état de mort avec certitude, différents critères
entrent en jeu :
• des critères cliniques,
• des critères cérébraux,
• et des critères au niveau neuroanatomique.

On considère que la mort survient quand le cœur s’arrête, que notre


souffle s’éteint et quand notre cerveau ne fonctionne plus. En termes
médicaux, on parle de l’arrêt irréversible des trois fonctions vitales assurées
principalement par ces trois organes : cœur, poumons et cerveau.
Jusqu’au début des années 1950, les scienti ques pensaient que, si une
fonction s’arrêtait, les deux autres suivaient. En cas d’arrêt cardiaque, le
cerveau et la respiration cessent de fonctionner. Une crise d’asthme extrême
stoppe le fonctionnement du système respiratoire, et on assiste à l’arrêt des
fonctions cérébrales et du cœur. Si notre cerveau est atteint, il n’y a plus de
contrôle, donc plus de fonctionnement cardiaque ni pulmonaire.
La respiration arti cielle va fondamentalement changer la donne. C’est en
1952 que le docteur Bjorn Ibsen invente cet appareil dont on a tant parlé,
récemment, avec la crise sanitaire. Cette date marque une étape, la
médecine redé nit la mort, et notre métier connaît une véritable révolution.
Cette innovation, qui conduit à la création d’une nouvelle spécialité – les
soins intensifs –, permet de maintenir la respiration et donc la circulation
sanguine des « cadavres », qui sans cela, seraient morts. Grâce à cette
machine, on peut s’assurer que des patients affectés de blessures cérébrales
extrêmement graves, comme un traumatisme crânien massif à la suite d’un
accident de la route, continuent de respirer. Mais la conséquence, ce sont ces
personnes dont les organes sont maintenus arti ciellement fonctionnels
alors même qu’elles n’ont plus d’activité cérébrale.

Cette possibilité technologique de prolongation arti cielle de la « vie » a


par la suite conduit à tous les débats que l’on connaît au sujet de
l’acharnement thérapeutique. Que faire – ou ne pas faire – pour des êtres
humains en soins intensifs, plongés dans le coma ? Face à des cas dits
désespérés, la famille, l’entourage, l’équipe médicale, tout le monde se pose
la même question : « D’un point de vue moral, est-ce que l’on peut arrêter
cette machine ? »
Dans les années 1950, une délégation de spécialistes va même voir le pape
Pie XII pour lui poser cette question. Il leur répond qu’on peut arrêter les
respirateurs arti ciels des patients inconscients pour qui ne subsisterait
aucun espoir de récupération3. Quant à savoir quand déclarer la mort, il
aurait dit en substance que la réponse n’appartenait pas aux compétences de
l’Église mais à la médecine.
Le 5 août 1968 paraît dans le Journal of the American Medical Association
une communication d’un comité ad hoc de l’école de médecine de Harvard,
qui avait été chargée d’examiner la dé nition de la mort du cerveau. Cette
publication, qui aura une in uence énorme jusqu’à aujourd’hui, intitulée
« Une dé nition du coma irréversible », assimile la mort cérébrale à la mort
de l’individu4.

Quels sont les critères de la mort cérébrale ? Ils sont au nombre de trois :
1.l’absence de réponse à la douleur,
2.l’absence de ré exes du tronc cérébral,
3.l’absence de respiration (test d’apnée)5.

Peut-on vaincre la mort ?


Un essai de dé nition de la mort entraîne presque automatiquement une
autre question qui agite depuis toujours les cercles scienti ques : la science
peut-elle vaincre la mort, assurer la vie éternelle, transplanter la conscience
humaine ?
Le fait que cette question se pose, qu’elle donne lieu à tant de débats
en ammés, vient en tout cas con rmer que l’être humain rencontre bien des
difficultés à accepter sa mortalité. Saviez-vous que des entreprises exploitent
cela en commercialisant l’idée de la vie éternelle, par exemple par la
cryopréservation du cerveau – et, d’après elles, de la conscience ? Vous
pouvez payer pour qu’on vous congèle dans de l’azote liquide en espérant
qu’un jour on puisse vous décongeler.
En fonction des moyens nanciers dont on dispose, on peut simplement
demander à être décapité pour ne garder que la tête, ce qui mène à la
deuxième possibilité de rêve d’éternité : la transplantation de cerveau.
Comme on le voit ci-dessous pour un singe, des équipes de recherche ont
expérimenté la transplantation de tête sur des animaux depuis des
décennies. Un chirurgien italien a même déniché un premier candidat
humain : un patient russe en chaise roulante prêt à recevoir un nouveau
corps. Mais il serait plus juste, dans ce cas, de parler de transplantation de
corps. Et le donneur risque hélas d’être un prisonnier politique chinois.
Imaginez un peu le débat éthique.
Transplantation par échange céphalique chez le singe.
Source : R.J. White et al., « Cephalic exchange transplantation
in the monkey », Surgery, vol. 70, no 1, 1971, p. 135-139.

Autre piste : pourrait-on transférer notre conscience dans un ordinateur ?


Cette question fait l’objet d’études en cours, notamment avec notre équipe à
l’université de Liège, dans le cadre du Human Brain Project. Mais lorsque
l’on essaie de modéliser le cerveau, on se rend compte que l’on est très loin
d’avoir compris l’esprit, les perceptions, les pensées et les émotions. Il y a
une énorme différence entre notre cerveau, notre corps, et ce qui se passe
dans les ordinateurs, même les plus puissants.

Y a-t-il une vie après la mort ?


La quête de la vie éternelle nous mène à une autre question : celle de la vie
après la mort. Le sujet est abordé par ma collègue Charlotte Martial, qui
explore les expériences de mort imminente (voir chapitre IV, page 79). Se
demander s’il y a une vie après la mort nous oblige à être précis dans le
choix des mots. Personnellement, au lieu de parler d’« âme », je préfère
parler de « conscience ».
En 1907, le médecin écossais Duncan MacDougall fait le raisonnement
suivant : si l’âme existe et qu’elle quitte notre corps au moment de la mort –
c’est une vision très matérialiste –, alors on devrait perdre du poids quand on
meurt. À l’aide d’un lit équipé d’une balance à poutre, il teste son hypothèse
sur six personnes en phase terminale et constate une perte de 21 grammes.
Un article est publié dans le New York Times. Bien que le résultat de cette
expérience n’ait jamais été reproduit, il ne cesse de faire parler de lui jusqu’à
aujourd’hui, notamment dans la culture populaire. Films, chansons, tout le
monde ou presque a entendu parler de ce poids de l’âme de 21 grammes.

Si l’on veut adopter une perspective à la fois pragmatique et altruiste, la


seule preuve scienti que de la vie après la mort, c’est le don d’organes. Nous
allons toutes et tous mourir un jour, et nos organes pourraient permettre à
une ou plusieurs autres personnes de continuer à vivre. On peut aujourd’hui
donner ses organes en toute sécurité. Lors de la mort cérébrale, des milliers
de milliards de connexions cérébrales qui ne consomment plus d’énergie
« s’éteignent », comme on peut le voir sur la gure page 86.
Il y a toujours beaucoup de craintes et de fantasmes autour de ce
processus. Pourtant, comme nous l’avons déjà dit, il n’y a pas de risque
d’erreur : depuis les années 1950, aucun sujet en état de mort cérébrale
(correctement diagnostiquée) n’a recouvré sa conscience. Et vous pouvez
sauver jusqu’à sept vies après votre mort avec le don de vos organes. C’est
une question vitale : chaque année, des centaines de personnes meurent en
liste d’attente de transplantation d’organes.

Ces quelques ré exions au sujet de la mort ont certainement levé plus de


questions qu’elles n’ont apporté de réponses. C’est le cœur de la démarche
scienti que : s’interroger, tester des hypothèses et essayer de réduire un peu
notre ignorance quand on parle de la vie, de la n de vie, de la mort, et de ce
grand mystère qu’est notre conscience.
La seule preuve scienti que de la vie
après la mort,
c’est le don d’organes.
TROIS QUESTIONS PERSONNELLES
1. Une personne dont la mort
a été inspirante

La mort de mon père, à la suite d’un cancer du poumon causé par son
travail dans la poussière d’amiante. Il a travaillé dur toute sa vie en rêvant de
sa retraite bien méritée, et il n’a pas pu en pro ter. Carpe diem. Saisissons
chaque jour, pro tons de la vie.

2. Une expérience personnelle

Dans mon poste de neurologue travaillant avec l’équipe des soins intensifs
et en neuro-revalidation, la n de vie et la mort sont omniprésentes. Je reste
marqué à vie par une multitude d’expériences personnelles. Un exemple qui
a frappé toute l’équipe est celui d’un jeune homme dans un coma après
intoxication, qui a évolué vers un « état végétatif persistant » (actuellement
appelé « éveil non répondant »). Alors que tout le monde attendait sa mort,
il a recouvré sa conscience. Par la suite, il m’a même raconté son expérience
de mort imminente. Nous avons pu étudier son activité cérébrale avec nos
scanners, depuis son coma jusqu’à sa guérison, ce qui nous a permis de
mieux comprendre la capacité de neuroplasticité cérébrale et la possibilité de
refaire des connexions dans le cerveau sévèrement blessé. Son histoire a
changé notre vision et notre connaissance médicale, et nous a permis de
développer de nouveaux traitements6.

3. Une lecture,
une ressource qui m’aide face à la mort

Ce qui m’aide le plus à accepter et à préparer ma propre mort, ce ne sont


pas nécessairement les lectures ni les connaissances scienti ques ou
théoriques, mais plutôt l’expérience de la vie : je m’efforce de vivre tous les
jours en pleine conscience, émerveillé et avec gratitude devant le miracle de
la vie.
Et face à la mort, ma ressource consiste à aimer, à me rendre souvent en
pleine nature et à ressentir l’amour de mes proches et de mes amies et amis.

1. https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/c5/Eisenbrandt_coffin.jpg
2. V. Charland-Verville, M. A. Bruno, M. A. Bahri, A. Demertzi, M. Desseilles, C. Chatelle, … &
A. Zeman, « Brain dead yet mind alive: a positron emission tomography case study of brain
metabolism in Cotard’s syndrome », Cortex, 49(7), 2013, p. 1997-1999.
3. Steven Laureys, « Science and society : death, unconsciousness and the brain », Nature Reviews
Neuroscience, vol. 6, no 11, 2005, p. 899-909.
4. Voir Steven Laureys, Joseph J. Fins, « Are we equal in death ? : Avoiding diagnostic error in brain
death », Neurology, vol. 70, no 4, 2008.
5. E.F. Wijdicks, « e diagnosis of brain death », New England Journal of Medicine, vol. 344, no 16,
2001, p. 1215-1221.
6. Voir Steven Laureys et al., « Restoration of thalamocortical connectivity after recovery from
persistent vegetative state » e Lancet, vol. 355, no 9217, 2000, p. 1790-1791 ; A. ibaut et al.,
« erapeutic interventions in patients with prolonged disorders of consciousness », e Lancet
Neurology, vol. 18, no 6, 2019, p. 600-614.
© MICHEL HOUET
4.
LA SCIENCE DES EXPÉRIENCES
DE MORT IMMINENTE
Charlotte Martial

NEUROPSYCHOLOGUE, ELLE DIRIGE DES PROJETS DE RECHERCHE SUR LE PHÉNOMÈNE DES


EXPÉRIENCES DE MORT IMMINENTE (EMI) ET EXPLORE LES AUTRES ÉTATS DE CONSCIENCE ALTÉRÉS
OU MODIFIÉS (TRANSE ET HYPNOSE).

P our la plupart d’entre nous, la question de la vie et de la mort est


assez binaire : soit nous sommes en vie, soit nous sommes morts.
Mais qu’en est-il alors des personnes qui ont séjourné aux frontières
de la mort et qui en sont revenues ? Aujourd’hui, de plus en plus de
chercheuses et de chercheurs s’intéressent au phénomène des expériences de
mort imminente. Dans ce chapitre, nous vous proposons un tour d’horizon
de ce que dit actuellement la science de ces expériences si fascinantes.
Qu’est-ce qu’une EMI ?
Les EMI sont des expériences subjectives vécues à la suite d’un contexte critique où la personne a été
proche de la mort, ou a cru l’être. Nous décrivons cette expérience comme un état de conscience
« déconnecté », c’est-à-dire que la personne a connu une expérience mentale alors qu’elle n’était pas,
ou peu, consciente et/ou répondante vis-à-vis de son environnement. Les EMI ont cela de particulier
qu’elles contiennent des dimensions typiques récurrentes, telles que :
• avoir la sensation de sortir de son corps,
• voir un tunnel et/ou une lumière brillante,
• rencontrer des personnes décédées.

Flash-back
Depuis quand parle-t-on des expériences de mort imminente ? C’est un
phénomène assez récent pour le grand public, et encore plus nouveau pour
la recherche scienti que, mais cela fait très longtemps que des EMI sont
relatées. Platon, notamment, rapporte les propos d’un guerrier qui a frôlé la
mort et qui raconte avoir voyagé dans un autre monde. On pense également
à cette fameuse toile de Jérôme Bosch, Visions de l’au-delà. Montée des
bienheureux vers l’empyrée, qui représente clairement une EMI, alors qu’elle a
été peinte au début du XVIe siècle.
Toutefois, c’est seulement en 1975, grâce au best-seller La Vie après la vie,
écrit par le Dr Moody1, un intensiviste américain, que les EMI ont été
popularisées, générant un large intérêt du grand public. Dans son ouvrage,
le Dr Moody relate des centaines de témoignages recueillis au chevet de
patients en unités de soins intensifs. À la suite de cette publication, des
milliers d’ouvrages sortent les uns après les autres. Certains recueillent la
parole de personnes ayant vécu une expérience de ce type, d’autres discutent
de ces EMI et de ce qu’elles peuvent représenter.
Pour certains, les EMI sont une preuve de vie après la mort, ce qui suscite
de nombreux débats au sujet de la relation entre cerveau et conscience.
Cependant, à l’heure actuelle, il n’existe aucune preuve scienti que d’une vie
après la mort. En fait, ce ne sont probablement pas les EMI qui nous
aideront à répondre à cette question, étant donné que les personnes qui
témoignent de ces expériences n’ont pas été dans un état de mort cérébrale.
Ce qui est assez particulier et excitant pour la recherche scienti que, c’est
que, bien qu’il existe des milliers d’ouvrages sur les EMI, peu d’études ont
été effectuées sur le sujet. Trois cent cinquante-deux publications seulement
apparaissent dans le moteur de recherche Pubmed, l’outil de référence pour
les articles scienti ques, avec le mot « near-death experience » (« expérience
de mort imminente », en anglais).
Cependant, depuis 2014, un réel engouement se fait jour : de plus en plus
de chercheuses et de chercheurs étudient le sujet, dans le monde entier.
Popularisation de l’expression « expérience de mort imminente » dans la littérature scientifique au cours
des dernières décennies. Source : adapté de A. Barra et al., « From unconscious to conscious : a spectrum
of states », in M. Overgaard et al., Beyond Neural Correlates of Consciousness, Londres, Routledge, 2021.

Les EMI sont moins rares que ce que l’on pourrait imaginer. Quelques
chiffres pour mieux comprendre le phénomène : environ 10 à 12 % des
patients qui ont vécu un arrêt cardiaque rapportent une EMI. Dans la
population générale, cela signi e que 4 à 5 % de personnes en témoignent.
Il est donc probable qu’une partie des lectrices et lecteurs de cet ouvrage,
peut-être vous, ont vécu une expérience qui s’y rapporte.

Comment définir une EMI ?


Comment faire pour étudier scienti quement un phénomène par nature
subjectif comme celui-ci ? Avec l’équipe du Coma Science Group (GIGA-
Consciousness), nous avons récolté près de mille huit cents témoignages qui
proviennent d’un peu partout dans le monde. Ce travail est le fruit de
dix ans de recherche sur le sujet. C’est grâce à cette base de données
précieuse et à une méthode scienti que rigoureuse que nous étudions ces
expériences. Notre but est de les décrire le plus objectivement possible et de
les comprendre un peu mieux.
Une équipe de recherche
pas comme les autres
L’unité du GIGA-Consciousness est une équipe de recherche multidisciplinaire qui vise à comprendre
les corrélats neuronaux de la conscience humaine, qui pour chacun de nous reste l’un des plus grands
mystères à résoudre. L’équipe est composée de plusieurs chercheuses et chercheurs, cliniciennes et
cliniciens travaillant sur différents états de conscience altérés ou modifiés par des effets
physiologiques (par exemple, l’hypnose et la transe), pharmacologiques (par exemple, l’anesthésie)
ou pathologiques (par exemple, les troubles de la conscience survenant à la suite d’un coma).
Environ
10 à 12 % des patients qui ont vécu
un arrêt cardiaque rapportent
une EMI.
À l’heure actuelle, il n’y a pas de dé nition communément acceptée d’une
EMI. Les scienti ques utilisent une échelle standardisée contenant
différentes questions permettant d’établir que l’expérience vécue par le
témoin est « suffisamment riche en perceptions » pour qu’on considère celle-
ci comme une EMI. Bien sûr, ce questionnaire est, par dé nition, limité car
il contient un score seuil xe, mais encore une fois, si l’on veut avoir une
approche rigoureuse, on a besoin de mesures standardisées pour quanti er le
phénomène.

Comprendre les EMI


Il est essentiel de bien faire la distinction entre « mort clinique » et « mort
cérébrale ». Il semble qu’il y ait aujourd’hui une grande confusion sur ce
point, tant dans le grand public que parfois encore dans le monde médical.

L’activité cérébrale en fonction de l’état du patient. Source : adapté de Steven Laureys, « Traumatic brain
damage : severe brain damage : coma and disorders of consciousness », in Donald Pfaff, Nora Volkow (éd.),
Neuroscience in the 21st Century : from Basic to Clinical, New York, Springer, 2016.

Sur l’image ci-dessus, on voit, à gauche, le cerveau d’une personne éveillée


et consciente, dite « normale », qui a été placée dans un PET-scan. Le
PET-scan est un appareil de neuro-imagerie qui permet d’observer la
consommation en glucose du cerveau, ce qui signale les zones cérébrales qui
s’activent. Les couleurs plus chaudes – rouges et jaunes qu’on ne peut
malheureusement pas voir sur cette image en noir et blanc – représentent
une consommation en glucose plus élevée, donc une activité plus intense
dans le cerveau.
Grâce à cette technique, le cerveau d’une personne en état de mort
cérébrale peut également être observé, comme à droite ici. Il s’agit ici d’une
personne décédée qui n’a plus aucune activité cérébrale, comme l’indique
l’absence de consommation en glucose. Cet état est irréversible. Même si ce
n’est pas toujours connu et retenu, il est important de noter que depuis les
années 1950, moment où les médecins et scienti ques ont établi les critères
de mort cérébrale, aucun patient qui a été correctement diagnostiqué avec
ces critères n’a survécu. Les personnes qui rapportent les EMI sont donc des
personnes qui étaient en état de mort clinique et non en état de mort
cérébrale. Ces personnes ont un cerveau en grande souffrance, ayant une
activité cérébrale diminuée mais toujours un minimum présente, comme
l’illustre le cerveau du milieu de l’image, qui contient plutôt des couleurs
froides (mauve). Cet état se dé nit par la cessation potentiellement
réversible de la respiration et de la circulation du sang.

Parallèlement à ces cas d’EMI vécus dans un contexte critique où la vie


des personnes était menacée, il existe de plus en plus de témoignages
d’expériences qui surviennent dans des situations où il n’y avait pas de
danger de mort, par exemple lors d’une forte èvre ou d’une méditation. On
les appelle les « near-death-like experiences » en anglais. D’un point de vue
phénoménologique, elles comportent les mêmes dimensions typiques que
les EMI (sortir de son corps, voir une lumière au bout d’un tunnel, etc.).
Cela soulève donc des questions quant à la nécessité d’une certaine
proximité avec la mort dans l’apparition des EMI.
Pour identi er les types d’EMI et mesurer les différentes dimensions
vécues par les témoins, nous avons élaboré un questionnaire, l’« Échelle de
contenu des expériences de mort imminente2 » (voir p. 94). L’échelle
contient vingt items, chacun d’entre eux se rapportant à une dimension qui
peut être vécue durant une EMI. Les données recueillies au l du temps
montrent que les éléments les plus fréquemment présents sont la sensation
de paix et de bien-être, l’expérience de décorporation et l’impression de voir
et/ou d’être entouré d’une lumière brillante.
Les expériences les moins souvent rapportées sont des visions de
précognition et la « revue de vie », c’est-à-dire le fait de revoir certaines
scènes de notre vie. Il est amusant de constater que celle-ci est en fait un
phénomène rare, alors que, dans les lms ou les livres, c’est l’un de ceux qui
reviennent le plus souvent. C’est en cela que l’on voit aussi l’intérêt d’une
approche scienti que : en étudiant des centaines ou des milliers de
personnes, on tombe sur quelques surprises, et l’on constate que la réalité ne
correspond pas aux stéréotypes répandus dans la culture populaire.

Deux courants d’explications


Comment la science explique-t-elle les EMI ? Deux grands courants
théoriques s’opposent. Nous avons, d’un côté, les théories de la conscience
non locale, qui supposent une approche dualiste de la relation esprit-
cerveau, et de l’autre, les théories neurobiologiques, suggérant que des
mécanismes neurophysiologiques sous-tendent les EMI.

• Les premières font l’hypothèse que la conscience ne proviendrait pas de la


matière cérébrale ; le cerveau ne serait qu’un récepteur.
• Les secondes, incompatibles avec le premier courant, suggèrent une
signature neurophysiologique à la base des EMI.

À l’heure actuelle, la science ne dispose pas encore de preuves empiriques


pour étayer les théories de la conscience non locale. Nous n’avons peut-être
tout simplement pas encore les outils pour pouvoir tester correctement cette
hypothèse. En tant que scienti ques, les résultats que nous mettons en
évidence sont en partie dépendants des outils que nous utilisons. À l’opposé,
les théories neurobiologiques se précisent de plus en plus, et la recherche
accumule des preuves étayant une signature neurophysiologique particulière
aux EMI.
Ce que l’on sait des potentiels mécanismes neurophysiologiques sous-
jacents aux EMI, c’est qu’un stress physiologique peut déclencher une
diminution de la concentration en oxygène dans notre corps, menant
potentiellement à une libération de neurotransmetteurs endogènes comme
les endorphines. De plus, certaines régions du cerveau seraient impliquées
dans l’apparition de phénomènes subjectifs particuliers, comme la région
temporo-pariétale et le lobe temporal médian, qui semblent être des zones
clés dans cette matière. On sait qu’en stimulant la zone particulière de la
jonction temporo-pariétale, on peut provoquer des expériences de
décorporation.

Comment étudier les EMI en laboratoire ?


Pour tester ces hypothèses neurophysiologiques, et puisque nous ne
sommes pas aux côtés de la personne qui vit une EMI « authentique », nous
utilisons différentes techniques pour tenter de reproduire ces expériences en
laboratoire et ainsi étudier les changements neurophysiologiques associés.
Les substances psychédéliques
La première technique consiste à utiliser des drogues psychédéliques.
Nous savons par exemple que l’ingestion de kétamine (récréative) ou de
diméthyltryptamine (DMT) peut provoquer des expériences assez similaires
à ce qu’on vit durant une EMI. Dans une étude réalisée avec nos collègues
de l’Imperial College à Londres, nous avons administré de la DMT à des
sujets sains a n d’observer ce qu’ils vivaient subjectivement. Nous avons
ensuite comparé la phénoménologie rapportée par ces participants à celle
des personnes ayant vécu une EMI authentique, et nous avons trouvé un
chevauchement important en termes de dimensions vécues.
L’hypnose
Une autre manière de procéder est l’hypnose. À l’université de Liège, nous
avons la chance de coopérer avec le Dr Faymonville, anesthésiste, pionnière
de l’hypnose tant en recherche qu’en clinique. Dans une étude que nous
avons menée ensemble, nous avons invité des personnes ayant vécu une
EMI à réaliser une session d’hypnose accompagnée par le Dr Faymonville
pour ramener à leur conscience ce moment si particulier. L’hypnose permet
de se mettre dans un état de conscience modi é incluant une dissociation
entre le corps et l’esprit. Ce faisant, les personnes peuvent ressentir des
sensations qu’elles ont vécues au moment de leur EMI.
Nous les avons donc équipées avec un casque à électroencéphalogramme
(EEG) haute densité permettant d’enregistrer l’activité électrique du
cerveau. Cela nous a permis d’observer des corrélations entre les données
acquises par l’EEG et le vécu subjectif de chacun.
La méditation
Parmi les autres techniques employées gure la méditation. Nombre de
méditants rapportent des dimensions typiques des EMI. Une étude de
neuro-imagerie a ainsi été menée dans le but d’accompagner en laboratoire
des sorties de corps chez des experts méditants. La technique de neuro-
imagerie a permis de mettre en évidence certaines régions du cerveau qui
pourraient être corrélées avec leur vécu subjectif de décorporation.
Une autre similarité entre les EMI et la méditation est une orientation
commune dans les changements personnels consécutifs à ces expériences :
les personnes rapportent souvent être devenues moins matérialistes, avoir
moins peur de la mort et être plus sereines, plus tournées vers le spirituel et
les autres.

Les EMI et les émotions négatives


Pour conclure, il est important de mentionner que toutes les EMI ne sont
pas associées à des émotions positives. En effet, on rapporte environ 8 à
10 % d’EMI fortement associées à des émotions négatives. Dans celles-ci,
différents scénarios sont possibles, tels que des perceptions et images d’un
monde infernal ou la rencontre avec des monstres.
Par ailleurs, les personnes qui ont vécu une EMI ont parfois énormément
de difficultés à intégrer à leur vie cette expérience qui peut s’avérer délicate à
comprendre et à interpréter. Elles ont également souvent peur du jugement
des autres lorsqu’elles décrivent leur vécu. Encore aujourd’hui, trop peu de
suivi (clinique) est mis en place pour aider les individus à vivre avec ces
expériences intenses et intrigantes. À mon sens, la méditation pourrait être
l’un des outils précieux pour aider les sujets ayant du mal à accepter ce genre
d’expérience extraordinaire.

Si vous avez vécu une EMI et que vous souhaitez témoigner, n’hésitez pas
à nous écrire à cette adresse : [email protected]
L’Échelle de contenu des expériences de mort
imminente (C-EMI)
Nous vous invitons à répondre à chacune des vingt propositions ci-dessous selon vos émotions et vos
pensées au moment de l’expérience (ni avant ni après), en choisissant la réponse qui vous semble la
plus appropriée (UNE SEULE réponse par proposition est admise).

Toute expérience ou sensation étant vécue plus ou moins intensément, nous vous invitons à préciser
l’intensité ressentie à l’aide de quatre choix de réponses (allant de 1 à 4) à chacune des propositions.
Si, au contraire, vous n’avez pas fait l’expérience du phénomène présenté dans la proposition, veuillez
cocher « 0 – Pas du tout ; absence ». Si vous avez vécu un même phénomène à plusieurs reprises
durant l’expérience, nous vous invitons à répondre selon le phénomène le plus marquant.

Choix de réponse :
0 – Pas du tout ; absence
1 – Légèrement
2 – Moyennement
3 – Intensément ; équivalent à toute autre expérience intense vécue jusqu’à présent
4 – Extrêmement ; plus qu’à tout autre moment de ma vie et plus intense que 3
0 1 2 3 4

1. Votre perception du temps était modifiée     

2. Vos pensées étaient accélérées     


3. Vous avez entendu une ou des voix ne possédant pas d’incarnation matérielle     
4. Vous avez eu l’impression de soudainement tout comprendre sur vous-même,
    
les autres et/ou l’univers

5. Vous avez eu un sentiment de paix et/ou de bien-être     

6. Vous avez eu une sensation d’harmonie ou d’unité, comme si vous faisiez partie d’un
    
tout

7. Vous avez vu ou avez été entouré par une lumière brillante sans origine matérielle
    
déterminée

8. Vous avez eu des capacités sensorielles inhabituelles (vue, ouïe, odorat, toucher
    
et/ou goût)
9. Vous étiez conscient de choses au-delà de ce que vos sens peuvent habituellement
    
percevoir
10. Vous avez acquis des connaissances sur l’avenir     

11. Vous avez eu la sensation d’être « en dehors » ou séparé de votre corps     

12. Vous avez eu la sensation de quitter le monde terrestre ou d’intégrer une nouvelle
    
dimension et/ou un nouvel environnement

13. Vous avez revu ou revécu un ou des événements de votre passé     

14. Vous avez fait la rencontre d’une présence et/ou d’une entité (il peut s’agir d’une
    
personne décédée)

15. Vous avez eu un sentiment de non-existence, de vide absolu


    
et/ou de peur

16. Vous avez fait l’expérience d’une frontière et/ou d’un point de non-retour     
17. Vous avez pris la décision ou avez été contraint de revenir de l’expérience que vous
    
viviez

18. Vous avez eu l’impression de mourir et/ou d’être mort     

19. Vous avez vu ou êtes entré dans une zone de passage (par exemple, un tunnel ou
    
une porte)

20. Vous avez l’impression de ne pas disposer des mots adéquats pour décrire votre
    
expérience
TROIS QUESTIONS PERSONNELLES
1. Une personne dont la mort
a été inspirante

Pour moi, toute personne se sacri ant pour une cause (politique) noble est
inspirante.

2. Une expérience personnelle


qui m’a mise en lien avec ma propre mort

La première fois que j’ai rencontré un patient cérébro-lésé souffrant d’un


trouble grave de la conscience (un patient en état d’éveil non répondant, ne
montrant plus aucun signe de conscience, seulement des mouvements
ré exes), cela m’a rappelé à quel point la vie ne tenait qu’à un l.

3. Un tableau qui m’aide face à la mort

Le tableau de Jérôme Bosch Montée des bienheureux vers l’empyrée illustre


avec beaucoup de justesse ce que les personnes racontent de leurs EMI.

1. La Vie après la vie. Ils sont revenus de l’au-delà, trad. de Paul Misraki, J’ai lu, 2003.
2. Charlotte Martial et al., « e Near-Death Experience Content (NDE-C) scale : development and
psychometric validation », Consciousness and Cognition, vol. 86, 2020.
© JEAN-PIERRE DEVORSINE
5.
S’INSPIRER DE LA MORT POUR UNE VIE
PLUS PRÉCIEUSE
Matthieu Ricard

MOINE BOUDDHISTE, PHOTOGRAPHE, AUTEUR ET TRADUCTEUR, MATTHIEU RICARD A FONDÉ


L’ASSOCIATION KARUNA-SHECHEN ET A CONSACRÉ SA VIE À CE PROJET HUMANITAIRE.

D ans le bouddhisme, la ré exion sur la mort et l’impermanence est


centrale. La mort est certaine, inévitable, mais son heure est
imprévisible. Qu’elle puisse frapper à n’importe quel moment est un
rappel qui permet de donner toute sa valeur à chaque instant qui passe, en
progressant sur la voie de la liberté intérieure, de la sagesse et de
la compassion, même si cet instant consiste à contempler le ciel ou à
regarder des oiseaux voleter sur un arbre en eur. Cette prise de conscience
n’a rien de morbide : elle nous permet de mieux vivre et nous évite de
gaspiller ce temps si précieux. Comme disait Sénèque : « Ce n’est pas que
nous ayons peu de temps, c’est que nous en perdons beaucoup. »

La vie est précieuse et fragile


On se sert également de gestes quotidiens pour se rappeler de la fragilité
de la vie : un pratiquant se demandera par exemple, en allumant un feu, s’il
sera encore là pour allumer ce feu le lendemain.
Au Tibet, lorsque quelqu’un meurt, souvent, on retourne sa tasse. Pour
garder en mémoire le côté imprévisible de la mort, les méditants retournent
leur bol le soir venu en disant : « Qui, de ma mort ou de l’aube, viendra la
première ? » Ce rappel constant n’est pas du fatalisme qui entraîne une façon
morbide de vivre son existence, mais, bien au contraire, une attitude qui
permet d’apprécier pleinement la valeur inestimable du temps, notre bien le
plus précieux. Cela rejoint aussi ce que disaient les philosophes comme
Sénèque, cité plus haut.
S’émerveiller de pouvoir respirer
Nagarjuna, grand philosophe du Ier siècle après Jésus-Christ, nous dit : « Cette vie que bat le vent de
mille maux est aussi fragile qu’une bulle d’eau. Qu’il est merveilleux, après avoir expiré, d’inspirer de
nouveau. »
Autrement dit, on doit s’émerveiller à chaque expiration de pouvoir inspirer de nouveau. Cela ne veut
pas dire qu’il faille se frapper la poitrine toute la journée en se lamentant : « Je vais mourir, je vais
mourir ! » Il faut simplement donner sa pleine valeur au temps, en l’employant pour progresser vers la
libération de la souffrance. Il ne faut pas non plus être obsédé par l’idée de faire un maximum de
choses dans le minimum de temps. Ce qui compte c’est de vivre pleinement chaque instant de notre
vie, y compris lorsqu’on ne fait rien. L’un de mes amis disait : « La méditation consiste à ne rien faire,
mais bien. »
On retrouve ce genre de phrase ou d’image dans de nombreux textes
bouddhistes. On dit par exemple que si nous ne savons pas extraire la
quintessence de cette précieuse vie humaine en progressant vers l’Éveil, c’est
comme si, au moment de notre mort, nous revenions les mains vides de l’Île
au trésor.
Dans le contexte de la philosophie bouddhiste, on parle de toutes sortes
d’états d’existence, et on dit que la vie humaine, parmi toutes ces possibilités,
est aussi rare qu’une étoile qui brille en plein jour, ou que le nombre de
grains de poussière qu’il y a sur la surface d’un ongle. Pour apprécier
pleinement sa valeur, il est crucial de donner de l’importance au temps qui
passe et de ne pas le dilapider en vain comme de l’eau qui s’échappe entre
nos doigts.

Une incitation à la pratique spirituelle


Ainsi, la pensée de l’impermanence est comme un éperon pour notre
diligence. C’est elle qui nous incite à extraire la quintessence de l’existence,
c’est-à-dire à progresser vers le chemin de l’Éveil. Elle nous aide à sortir de
la confusion, de l’égarement, du manque de discernement, à aller de
l’inconnaissance à la connaissance et à combler le fossé entre les apparences
et la réalité. Elle nous aide aussi à actualiser le potentiel qui est en nous – on
parle de la nature de Bouddha, qui est la nature fondamentale de la
conscience. À défaut, celle-ci reste comme l’or qui est caché sous la cabane
d’une personne se croyant pauvre car elle ne sait pas qu’elle détient ce trésor.
Le bouddhisme nous encourage à pro ter de chaque moment de l’existence
pour actualiser ce potentiel et faire briller cette pépite d’or.
Pour cela, il faut éviter d’oublier le fait que la mort viendra inévitablement.
On dit que si, jour après jour, on tombe dans l’insouciance, c’est comme si
on tenait dans ses mains de la poudre d’or et qu’on la laissait ler entre nos
doigts. En d’autres mots, une vie passée dans l’inutilité et la futilité, dans ce
qui est vain, risque de s’effriter rapidement.
La mort et les graines de moutarde
Un jour, une villageoise qui venait de perdre son enfant vint trouver le Bouddha et lui dit, désespérée :
« Vous êtes l’Éveillé, s’il vous plaît, ramenez mon enfant à la vie ! » Après l’avoir accueillie avec bonté, le
Bouddha lui dit : « Pour ce faire, j’ai besoin de cendres et de graines de moutarde provenant d’un foyer
du village où personne n’est mort. » La femme alla de maison en maison, puis revint le soir vers le
Bouddha en lui disant : « Je n’ai pas trouvé de graines de moutarde, mais j’ai compris. Personne
n’échappe à la mort : elle fait partie de la vie. »
Le bouddhisme tente de prévenir la recherche des huit dharmas
mondains :
• vouloir à tout prix le gain ou éviter la perte,
• rechercher d’incessantes sensations de plaisir et craindre le déplaisir,
• aspirer aux louanges et redouter le blâme et la critique,
• rechercher la renommée et craindre l’anonymat, avec un esprit sans arrêt
préoccupé par les affaires du monde.
Danseurs à la coiffe noire, shanak, pendant le festival annuel de danses sacrées au monastère de Shéchèn
au Népal. Cette coiffe symbolise à elle seule l’ensemble du mandala de l’Univers. La petite tête de mort
symbolise la mort de l’ego et de l’ignorance.
Dans une vie qui va passer comme un geste de la main, il ne faut pas
attendre le seuil de la mort pour commencer à pratiquer ce chemin de
transformation qui mène à l’Éveil. Cette pensée est véritablement une
incitation à la pratique spirituelle.

Accueillir la mort comme une amie


Au départ, lorsque nous pensons à la mort, nous sommes comme un cerf
pris au piège. Elle nous effraie, nous nous débattons, nous voudrions
échapper à cette pensée qui nous terrorise. Et puis, à mesure qu’on progresse
dans la pratique spirituelle, on devient comme un paysan qui a bien labouré
son champ, qui a pris soin de ses récoltes et enlevé les mauvaises herbes, qui
a fait tout ce qu’il pouvait et n’a pas de regrets. Il y a certaines choses dont il
n’est pas maître : il peut y avoir de la grêle, des sauterelles, des parasites,
mais il a fait de son mieux. Celle ou celui qui est comme ce paysan meurt
l’esprit en paix.
Finalement, celui qui a progressé plus encore, qui est parfaitement serein
et a maîtrisé et libéré son esprit, accueille la mort comme une amie. Non pas
qu’il soit content de mourir, mais il est affranchi de toute peur, il repose
dans la nature ultime de son esprit, et sa réalisation spirituelle transcende les
notions de naissance et de mort. Qui plus est, il est intimement conscient de
l’impermanence de toute chose, et la mort n’est pour lui ni un choc ni une
surprise.
Le grand ermite et poète du XIIe siècle Milarepa disait : « Effrayé par la
mort, je suis parti dans les montagnes. À force de méditer sur mon heure
incertaine, j’ai conquis la citadelle de l’immuable. À présent, j’ai dépassé la
peur de la mort. » C’est cette sérénité qui vient et que l’on voit chez certains
sages qui meurent de manière totalement équanime et consciente.

L’esprit clair dans la mort


On entend souvent dire qu’une belle mort est le couronnement d’une belle
vie. Dans cet esprit, l’idéal pour un pratiquant est de mourir dans la sérénité
avec l’esprit clair. Sengdrak Rinpoché, l’un des plus proches disciples de
mon maître spirituel Dilgo Khyentsé Rinpoché, était un grand pratiquant.
Pendant des années, il a vécu en retraite dans les montagnes, au Tibet et au
Népal. Il avait aussi fondé un centre d’une cinquantaine d’ermitages à la
frontière entre ces deux pays, où des douzaines d’hommes et de femmes
venaient faire des retraites contemplatives, certains pour la vie.
À l’âge de 56 ans, on lui a diagnostiqué une leucémie. Sengdrak Rinpoché
souhaitait mourir dans son ermitage. Ses disciples l’ont prié de venir à
Katmandou dans un hôpital, et un médecin américain, moine lui aussi, l’a
accompagné dans ses derniers moments. Lorsque Sengdrak Rinpoché a vu
que ses forces déclinaient – il était allongé avec de petits oreillers qui le
soulevaient un peu –, il a demandé à ce médecin de le prévenir dès que les
signes vitaux indiqueraient une mort imminente. Lorsque le moment est
venu, on l’a aidé à s’asseoir et à croiser ses jambes dans la position du lotus.
Il a regardé dans l’espace droit devant lui et a prononcé trois fois la lettre a,
qui symbolise la vacuité, la potentialité et la manifestation. Il a rendu son
dernier souffle.
Il avait demandé que son corps soit transporté dans le monastère de
Shéchèn, où j’habite. Je n’étais pas présent, mais l’abbé du monastère,
Rabjam Rinpoché, m’a raconté qu’aucune odeur n’avait émané de sa
dépouille durant près de dix jours, si ce n’est un léger parfum qui ressemblait
à de la eur d’oranger, et ce alors que nous étions au mois de mai et qu’il
faisait déjà très chaud. Son corps est resté souple, il n’a pas manifesté de
raideur cadavérique. On pouvait presque croire qu’il était en méditation ou
endormi.
C’est un phénomène qu’on observe parfois chez de grands méditants,
qu’on appelle la méditation post-mortem, toukdam. Au bout de dix jours, les
humeurs se sont écoulées par le nez, la tête s’est affaissée : on avait alors
l’impression d’être face à un cadavre.

Comment se familiariser avec l’impermanence


Pour se préparer à la mort, il importe de se familiariser avec la notion
d’impermanence. Celle-ci se manifeste à différents niveaux. À un niveau
global, c’est le changement des saisons, du temps, des nuages, et le temps
qui passe. À un niveau subtil, on peut la percevoir à travers le fait que deux
choses ne sont jamais identiques à elles-mêmes à deux instants consécutifs,
même in niment rapprochés. C’est ce que signi e le vieillissement : rien
n’est jamais gé dans la nature même des choses, tous les phénomènes sont
un ot dynamique et interdépendant en constant changement.
Il faut donc pro ter pleinement du temps qui est le nôtre en cette vie pour
donner un sens à notre existence. Nous devrions nous dire chaque matin :
« Si aujourd’hui était ma dernière journée, que pourrais-je faire de mieux
pour la vivre pleinement ? » Vais-je me distraire, me préoccuper du gain et
de la perte, de la louange et de la critique, de la renommée ou de
l’anonymat, ou vais-je essayer de poursuivre mon chemin spirituel, d’être en
présence d’êtres chers, de jouir de la simplicité du moment présent dans un
lieu naturel, de trouver en moi cette sérénité, cette sagesse, et d’entamer la
préparation de la rencontre avec la mort, que le bouddhisme voit comme un
passage ?
On dit qu’au moment de la mort brille la lumière de la vérité absolue, le
dharmakaya, et que, si l’on peut saisir ce moment, la probabilité de
progresser est beaucoup plus grande que dans les moments ordinaires.
Lorsque le Bouddha était sur le point de mourir, il a dit que c’était là son
ultime enseignement sur l’impermanence de toute chose. Dans l’un de ses
sermons, il dit que la pensée de la mort et de l’impermanence est comme
l’empreinte du pied de l’éléphant dans la forêt. C’est la plus grande
empreinte de tous les animaux, et cette pensée est la force motrice la plus
importante pour nous inciter à la pratique, à chaque instant, de sorte que
nous ne succombions pas à la paresse.
On distingue trois types de paresse :
• La première, c’est celle qui consiste à en faire le moins possible.
• La deuxième consiste à se dire : « Cette tâche n’est pas pour moi. Cela
dépasse mes capacités et je n’ai pas très envie de faire des efforts, sur le
chemin spirituel notamment. » Cela revient à renoncer à la course avant
d’avoir franchi la ligne de départ.
Si aujourd’hui était ma dernière
journée, que pourrais-je faire
de mieux pour la vivre pleinement ?
• La troisième forme de paresse, c’est de ne pas prendre conscience de ce qui
est vraiment important. Par exemple, ne pas se rendre compte qu’il est
essentiel de donner un sens à son existence, et se dire qu’il y a cent petites
tâches à terminer avant de se consacrer à ce qui compte vraiment dans la
vie.

Évidemment, ces tâches ne cesseront de se succéder, comme les vagues de


l’océan. On peut espérer que les vagues cesseront un jour, mais, à moins de
laisser tomber ses activités, même inachevées, il n’y aura jamais de n. Le
risque alors est de ne jamais se préoccuper de ce qui compte vraiment. C’est
pour cela que cette pensée de l’impermanence est si importante, car elle
aiguillonne notre détermination et notre diligence à nous consacrer à la vie
spirituelle.

La conscience de la mort
et le rapport au temps
Tout cela n’a rien de morbide. Le philosophe Patrick Declerck écrivait :
« Souviens-toi qu’il existe deux types de fous : ceux qui ne savent pas qu’ils
vont mourir, ceux qui oublient qu’ils sont en vie. » Il est vrai que, s’il ne me
restait que trois jours à vivre, je ne repriserais pas mes chaussettes. Quand
on a la chance de pouvoir pratiquer, de faire des retraites dans un ermitage
ou ailleurs, le temps prend une tout autre valeur. On a presque l’impression
qu’il s’écoule comme une rivière d’or fondu : chaque moment est
éminemment précieux.

C’est une solitude bienheureuse qui est consacrée à la transformation de


notre pensée, de notre être, pour mieux nous mettre au service des autres.
Cette solitude désirée et bienheureuse contraste singulièrement avec la
solitude pénible et subie qui est, d’après les recherches en psychologie, l’une
des situations les plus délétères qui soient pour la santé physique et mentale.
On sait que ceux qui souffrent de cette solitude, qui perdent le sentiment
d’appartenance à la famille humaine, ont une espérance de vie moindre et
ont une plus forte tendance à tomber dans différentes formes d’addiction ou
dans la dépression. Ils perdent ce sentiment d’affiliation, d’appartenance,
qui est si important pour les êtres humains. La richesse des relations
humaines leur fait défaut. Cette solitude-là est extrêmement difficile à vivre,
c’est pourquoi il faut essayer d’y remédier le mieux possible.
Il y a aussi ceux qui creusent eux-mêmes la solitude autour d’eux en étant
entièrement centrés sur eux-mêmes, en étant démesurément exigeants à
l’égard de leurs amis et en faisant preuve d’animosité en lieu et place de
gratitude.
Mais il y a une autre solitude, bienheureuse et choisie, qui consiste à se
consacrer à la pratique spirituelle dans un ermitage retiré, encouragé par la
pensée de l’incertitude et de la mort.
Grands-parents meurent
On raconte que le grand sage tibétain Drukpa Kunley, qui vécut quelques années au royaume du
Bhoutan, fut invité à faire des souhaits de bon augure pour les habitants d’une maison. Il prononça les
paroles suivantes : « Grands-parents meurent, parents meurent, enfants meurent. »
Cette déclaration fut accueillie par un silence respectueux, mais un peu gêné. Après quelques instants,
le maître s’expliqua : « Eh bien, s’ils meurent dans cet ordre-là, d’abord les grands-parents, ensuite les
parents, puis les enfants, il n’y aura pas de drame déchirant dans la famille. »
Finalement, seul l’amour compte au moment de la mort : le recevoir et le
donner. Dans les textes bouddhistes, on dit que même un général qui
dispose d’une immense armée ne peut arrêter la mort. Même celui qui
possède une fortune considérable ne peut la soudoyer. Il n’y a nalement
que ce que nous sommes, le résultat de nos actes positifs, de notre amour, de
notre compassion, qui nous suit comme notre ombre. C’est aussi cela qui, au
moment de la mort, nous permet de mourir libres de tout attachement, et
de ne pas, au contraire, quitter le monde en freinant des quatre fers, entravé
par l’attachement pour nos biens, nos possessions, nos proches. C’est pour
cela que ce sentiment de liberté est si important, et c’est sûrement l’amour
qui peut permettre ainsi de se laisser partir avec l’esprit serein.
Mais, au fait, qu’est-ce que la mort ? Nous pourrions nous demander si la
mort est comme une amme qui s’éteint, comme une goutte d’eau qui est
absorbée par la terre sèche ou plutôt comme un euve qui continue après la
séparation de notre corps et de notre conscience.

En lien avec ce que nous a dit Charlotte Martial dans le chapitre IV, peut-
être certains d’entre vous connaissent-ils le témoignage de Yongey
Mingyour Rinpoché, qui est parti pendant plusieurs années d’errance dans
les montagnes de l’Himalaya en Inde. Au tout début de son errance, il arrive
à Kushinagar, le lieu où le Bouddha est passé dans le parinirvana (c’est ainsi
que l’on nomme la mort du Bouddha). Yongey Mingyour Rinpoché
mendiait sa nourriture dans les restaurants et, en mangeant des aliments
avariés, il est tombé extrêmement malade. Il est parti dans un parc et, là, il
s’est vu mourir.
Même un général qui dispose
d’une immense armée ne peut
arrêter la mort.
Même celui qui possède une fortune
considérable ne peut la soudoyer.
Étant un pratiquant avancé, il avait connaissance de tous les textes qui
parlent du bardo, cet état intermédiaire entre la mort et la renaissance. Il a
donc vécu très clairement et consciemment les différentes étapes de
dissolution qui se produisent au moment de la mort. On dit par exemple
que lorsque l’élément Terre se résorbe, le corps ne peut plus bouger. Lorsque
l’élément Air se résorbe, la respiration cesse. Il a vécu toutes ces étapes et est
resté pendant une partie de la nuit dans cet état intermédiaire de mort
imminente. À un moment donné lui est venue l’idée de revenir à cette vie. Il
en a fait l’expérience et a très clairement décrit la succession en ordre inverse
de tous ces états de dissolution. Il s’est réveillé. Quelqu’un a pris soin de lui,
et il a survécu.

Quelle est la nature de la conscience ?


La mort est pour nous un grand mystère. Quand on demande au dalaï-
lama ce qu’il va lui arriver au moment de la mort, il répond : « Je suis très
curieux. » Tout se résume nalement à la question : « Quelle est la nature de
la conscience ? » Nous avons beaucoup discuté de cette question lors des
rencontres de l’institut Mind & Life, organisées autour du dalaï-lama, avec
Christof Koch, neuroscienti que et réductionniste convaincu, le philosophe
et phénoménologue Michel Bitbol1 et moi-même2.
En substance, il y a deux façons principales d’aborder la conscience : de
l’extérieur (la perspective de la troisième personne) ou de l’intérieur (la
perspective de la première personne). La perspective « à la troisième
personne » correspond à l’étude des corrélats des phénomènes conscients
dans le cerveau, le système nerveux et notre comportement tels qu’ils
peuvent être observés par une tierce personne. La perspective « à la première
personne » est l’expérience réelle de l’esprit se connaissant lui-même.
Même si l’entreprise gigantesque consistant à cartographier les trois cents
milliards de neurones du cerveau aboutissait et que l’on pouvait décrire dans
tous les détails possibles ce qui se passe dans le cerveau lorsqu’une personne
voit la couleur rouge, quand elle ressent de l’amour ou de la haine, la
description précise de ce que font ces neurones ne nous donnerait pas le
moindre indice sur ce qu’est l’expérience de voir du rouge, de ressentir de
l’amour ou de goûter du miel sauvage, sans en faire l’expérience directe. Sans
cette expérience vécue, on ne peut pas du tout parler de conscience. Qui
plus est, on ne peut pas sortir de la conscience pour étudier la conscience,
pour étudier le cerveau ou quoi que ce soit d’autre.
C’est ce que le philosophe David Chalmers a nommé le « problème
difficile », auquel sont confrontés ceux qui veulent expliquer la conscience de
manière purement réductionniste, en termes d’organisation complexe de la
matière. (Le problème « facile », qui est déjà assez difficile mais qui peut
éventuellement être résolu, consistant à connaître parfaitement le
fonctionnement du cerveau jusque dans ses moindres détails.)
Dans un dialogue que j’ai eu il y a quelques années avec le philosophe
Daniel Dennett, un représentant prééminent de l’une des versions les plus
extrêmes du matérialisme, « l’éliminativisme », Dennett a résumé crûment
son point de vue : « Il n’y a pas de problème difficile à propos de la
conscience, car la conscience n’existe pas », espérant ainsi se débarrasser par
cette pirouette du « problème difficile ». Mais comment quelque chose qui
n’existe pas pourrait-il sonder sa propre existence ou non-existence ?
Au début de son livre Confessions d’un réductionniste romantique3, Christof
Koch écrit : « Sans conscience, il n’y a rien. » Il est bienvenu d’entendre une
telle déclaration de la part d’un réductionniste très intelligent. En fait, sans
conscience, nous ne pourrions même pas prétendre que le monde existe, car
cette affirmation implique déjà la présence d’une conscience.
Lorsque je regarde dans mon esprit avec mon esprit, je remarque certaines
pensées, certaines perceptions du monde extérieur et des réactions
intérieures à ces perceptions ; je me rappelle des souvenirs ; je passe par des
émotions et des raisonnements ; je ressens de l’attraction et de la répulsion,
des joies et des peines, et ainsi de suite. Derrière tous ces mouvements de
pensées, il y a une faculté fondamentale de connaître. Si je m’y enfonce de
plus en plus, je n’atteins rien d’autre que la pure conscience, l’état le plus
fondamental de l’expérience, ce qui revient à atteindre les quarks ou le vide
quantique lorsque l’on étudie l’aspect fondamental de la matière. Si
j’applique ensuite la question de Leibniz à la conscience – « Pourquoi y a-t-
il la conscience plutôt que rien4 ? » –, tout ce que je peux faire, c’est
reconnaître la présence de l’expérience pure. Par conséquent, nous pouvons
dire que la conscience est un fait premier.
Il faut aussi souligner que la conception du bouddhisme est radicalement
différente du dualisme cartésien, qui postule d’un côté une réalité matérielle
solide existant réellement et, de l’autre côté, une conscience totalement
immatérielle, qui ne peut avoir aucun lien réel avec la matière. L’analyse
bouddhique des phénomènes reconnaît l’absence de réalité intrinsèque de
tous les phénomènes : qu’ils soient animés ou inanimés, ils sont également
dépourvus d’existence autonome et ultime. Par conséquent, pour le
bouddhisme, la dualité apparemment irréconciliable entre le monde
matériel et une conscience immatérielle est un faux problème, étant donné
qu’aucun des deux n’a d’existence intrinsèque et indépendante.

Dans l’état actuel de nos connaissances, comme me le disait mon regretté


ami Francisco Varela, l’un des fondateurs de la neurophénoménologie, « la
question reste ouverte »…
TROIS QUESTIONS PERSONNELLES
1. Une personne dont la mort
a été inspirante

Mon ami Francisco Varela, qui a fondé l’institut Mind & Life, a souffert
d’un cancer très grave. J’ai pu le rencontrer peu de temps avant sa mort, et,
lors de notre discussion, il me disait que ce qu’il craignait le plus, c’était
d’avoir un esprit confus et brumeux au moment de la mort et de ne pas
pouvoir être lucide pour sa pratique spirituelle. Son épouse Amy m’a con é
plus tard qu’il avait pu mourir en parfaite lucidité. Il était assis en
méditation, et elle-même était placée derrière lui pour le tenir. Jusqu’au
dernier moment, il a préservé cette présence ouverte, cette clarté de la
conscience éveillée. C’est ce qu’on peut souhaiter de mieux pour celui qui est
engagé sur le chemin spirituel : mourir en pleine conscience.

2. Une expérience personnelle

La mort fait partie de ma pratique quotidienne. Tout ce que je souhaite,


c’est d’être suffisamment conscient, au moment de la mort, pour mêler mon
esprit limité avec l’immense espace de sagesse et de compassion de mes
principaux maîtres spirituels, Kangyour Rinpoché et Dilgo Khyentsé
Rinpoché.

3. Une lecture qui m’aide face à la mort

Le Trésor de précieuses qualités, de Jigmé Lingpa et Kangyour Rinpoché,


publié en 2009 aux éditions Padmakara.

1. Voir Michel Bitbol, La conscience a-t-elle une origine ? Des neurosciences à la pleine conscience : une
nouvelle approche de l’esprit, Flammarion, 2014.
2. Voir la quatrième session des XXVIes rencontres Mind & Life, « Mind, Brain and Matter »
(visionnable à l’adresse mindandlife.org), ainsi que la transcription de ces entretiens : Wendy
Hasenkamp, Janna R. White (éd.), e Monastery and the Microscope : Conversations with the Dalai
Lama on Mind, Mindfulness, and the Nature of Reality, New Haven, Yale University Press, 2017.
3. Christoph Koch, Consciousness : Confessions of a Romantic Reductionist, Cambridge, MIT Press,
2017.
4. La question fondamentale que le philosophe Leibniz pose dans son livre Principes de la nature et de
la grâce (1740) est : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? »
© CÉLINE NIESZAWER
6.
LA VIE EST LA SEULE CONSOLATION
FACE À LA MORT
Christophe André

MÉDECIN PSYCHIATRE, CHRISTOPHE ANDRÉ EST L’UN DES PREMIERS PRATICIENS À AVOIR INTRODUIT
LA MÉDITATION À L’HÔPITAL. IL EST ÉGALEMENT AUTEUR ET CHRONIQUEUR À FRANCE INTER.

L a mort ? Voici ce que Pascal, dans ses Pensées (fragment 405), propose
à notre ré exion : « Qu’on s’imagine un nombre d’hommes dans les
chaînes, et tous condamnés à la mort, dont les uns étant chaque jour
égorgés à la vue des autres, ceux qui restent voient leur propre condition
dans celle de leurs semblables, et, se regardant les uns les autres avec douleur
et sans espérance, attendent à leur tour. C’est l’image de la condition des
hommes. »

La condition humaine
La vision que Pascal veut dresser de la condition humaine est tranchante
et impitoyable. Se savoir mortel et voir régulièrement nombre de ses
semblables quitter ce bas monde serait une condition effroyable, une
situation sans solution autre que Dieu. Trois siècles plus tard, Camus écrit,
dès les premières lignes du Mythe de Sisyphe1 : « Il n’y a qu’un problème
philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne
vaut pas d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de toute la
philosophie. »
Pour moi qui ne suis pas philosophe, il me semble qu’il y a un autre
problème, encore plus délicat : comment vivre en sachant qu’on va mourir ?
Je veux dire : comment vivre heureux ? À cette question, il n’est pas de
réponse dé nitivement satisfaisante et sécurisante, il n’est pas de solution.
Juste des consolations. Qui ne peuvent sans doute pas être généralisées : la
mort est universelle, mais ce qui nous en console est bien souvent personnel.
Voici donc, dans les lignes qui suivent, quelques éléments de ce qui, pour
ma part, m’a souvent aidé et consolé…

Déjà mort plusieurs fois


Je suis déjà mort plusieurs fois. Au moins en imagination, en anticipation.
Je ne vous parlerai ici que de la fois la plus sérieuse, quand on m’a annoncé
que mon corps, ce traître (ou ce malheureux sonneur d’alerte), était en train
de me fabriquer un cancer. Il semble que, pour beaucoup de patients, le
moment de l’annonce d’un tel diagnostic représente un choc traumatique.
Pour ma part, je me souviens effectivement de manière très claire et
distincte de cet instant. Le cancérologue qui examine sur son écran
d’ordinateur les images de mon scanner, en bavardant avec moi ; son visage
qui se ge, ses mots qui s’arrêtent, ses manœuvres répétées sur la souris pour
zoomer, revenir, véri er ; puis ce moment où je comprends qu’il commence
à peser ses mots pour m’annoncer ce qu’il a trouvé : un adénocarcinome
pulmonaire. Il est bienveillant, pédagogue. Mais à partir de cet instant, je
n’entends plus rien de ce qu’il me dit. Juste qu’il va y avoir un programme
thérapeutique chargé…
Je quitte la consultation bien secoué, l’esprit en grand désordre. Vite, me
poser et digérer ce qui m’arrive… Je m’assieds un long moment sur un banc
de pierre à l’écart, dans la cour du vieil hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Je
prends un temps de pleine conscience : juste respirer, ressentir, écouter les
oiseaux, la rumeur de la ville qui arrive par-dessus les murs. Laisser à mes
pensées le temps de décanter, désaffoler mes émotions. Bizarrement, je
ressens plus de tristesse que de peur. Je n’ai pas, à cet instant du moins,
d’anxiété ni de crainte de la mort. Je me sens seulement triste à l’idée que je
vais peut-être devoir quitter cette vie, dans laquelle je me suis plu. Je me
souviens m’être fait l’inutile ré exion que ce ressenti était inattendu et
intéressant.
« Les mois qui nous restent à vivre
sont peut-être plus importants que
toutes les années vécues ; il importe
de bien les vivre. »
LÉON TOLSTOÏ
Ne plus gaspiller sa vie
Finalement, je suis toujours là. La mort, qui me tenait dans sa main
comme on garde un oiseau, n’a pas resserré son poing, mais m’a relâché dans
la vie. Bien entendu, j’ai toujours aussi peu envie de mourir. J’ai toujours
conscience que la mort viendra, peut-être bien plus tôt que je ne le voudrais,
plus tôt que les statistiques ne me permettent de l’espérer. Sur son espérance
personnelle de vie, chacun peut faire le compte, les abaques disponibles sur
Internet en offrent un calcul facile : pour moi, à l’instant où j’écris ces lignes,
c’est 84 ans. Il me reste donc, du moins en théorie, environ dix-huit années
à vivre. Je ne suis pas sûr de bien les vivre (je peux retomber malade, vivre un
déclin cognitif ) ni même de les vivre tout court. Mais je suis décidé à les
savourer, de toutes mes forces.
La traversée d’une maladie potentiellement mortelle, et quelques autres
ennuis, m’ont conduit à plus de lucidité, et il m’est désormais impossible de
me conformer à la remarque de Paul Valéry, dans Tel quel : « L’homme est
adossé à sa mort comme le causeur à la cheminée. » La cheminée,
maintenant, je ne lui tourne plus le dos, je la surveille, au moins de temps en
temps. Lucidité donc, ou efforts constants de lucidité, mais lucidité associée
à plus de joie de vivre. J’ai décidé d’arrêter de gaspiller ma vie.

Il me semble que ce genre de décision touche à peu près tous les humains
qui ont échappé, sans savoir comment, à une adversité extrême. L’histoire
incroyable de l’écrivain Dostoïevski en est l’une des illustrations les plus
connues : en raison d’écrits jugés politiquement criminels par le pouvoir
absolu du régime impérial russe, il fut condamné à mort, puis gracié au tout
dernier moment, alors qu’il se trouvait déjà devant le peloton d’exécution, et
envoyé au bagne en Sibérie. Il rapporte ces instants dans son roman L’Idiot,
par la voix d’un de ses héros, le prince Mychkine : « Mais je préfère vous
raconter l’histoire d’une autre rencontre que je s l’année passée. Il s’agit
d’un cas fort curieux par sa rareté. L’homme dont je vous parle fut un jour
conduit à l’échafaud avec d’autres condamnés et on lui lut la sentence qui le
condamnait à être fusillé pour un crime politique. Vingt minutes plus tard,
on lui noti a sa grâce et la commutation de sa peine. Pendant les quinze ou
vingt minutes qui s’écoulèrent entre les deux lectures, cet homme vécut dans
la conviction absolue qu’il allait mourir dans quelques instants. » Et le
prince continue : « Cet homme me déclara que ces minutes lui avaient paru
sans n et d’un prix inestimable (…) il déclarait que rien ne lui avait été
alors plus pénible que cette pensée : “Si je pouvais ne pas mourir ! Si la vie
m’était rendue ! Quelle éternité s’ouvrirait devant moi ! Je transformerais
chaque minute en un siècle de vie…”2 »
Sans avoir traversé semblable épreuve, voici ce qu’écrit à ce propos Léon
Tolstoï dans une lettre à son épouse, en octobre 1910, alors qu’à 82 ans,
sentant la mort venir, il vient de renoncer à tous ses biens et de s’enfuir de
chez lui : « La vie n’est pas une plaisanterie et nous n’avons pas le droit de la
traverser ainsi. Il est irraisonnable de la mesurer suivant la durée du temps ;
les mois qui nous restent à vivre sont peut-être plus importants que toutes
les années vécues ; il importe de bien les vivre3. »

Consolation
Le risque, dans les prises de conscience radicales de cette dimension de la
vie humaine, c’est le « tragique inadéquat », la peur constante de la mort, le
sentiment de dépression, la conviction de l’inutile et du dérisoire de toute
action. Cela ne nous aide en rien, pas plus que le déni, et cela fait même
plutôt moins bien que le déni ; à tout prendre, mieux vaut adopter l’attitude
du causeur de Valéry, inconscient, adossé à sa cheminée, et prenant plaisir à
la soirée, plutôt que celle du cynisme et de l’amertume.
Notre plus grand théoricien du tragique, le philosophe André Comte-
Sponville, le dit de manière limpide : « Le tragique, c’est la vie telle qu’elle
est, sans justi cation, sans providence, sans pardon ; c’est la volonté de
l’affirmer toute, de l’accepter toute, avec la souffrance dedans, avec la joie
dedans, sans ressentiment, sans mauvaise conscience, sans nihilisme4. »
Retrouver la joie, donc, après la révélation charnelle de notre mort à venir.
Comme dans ce clin d’œil de l’humoriste Pierre Desproges, qui proposait ce
programme dans son spectacle Vivons heureux en attendant la mort5.

La vie est tragique et la vie est belle. Qu’elle soit belle n’est pas une
solution au problème de la mort, mais cela apporte une consolation. La
consolation, c’est la petite lumière d’amour, d’espérance et de soulagement
qui nous est offerte dans la nuit du chagrin et du malheur. Elle ne répare pas
ce qui est cassé ni ne fait revenir ce qui est perdu, elle ne supprime pas
l’adversité, mais elle nous aide à faire face, à tenir bon, à ne pas désespérer.
Dans son bel essai L’Inconsolable, André Comte-Sponville, encore lui,
écrit : « Philosophie de la consolation, toujours nécessaire et toujours
insuffisante… » C’est exactement ça : sans la consolation, la peine, la peur, le
désespoir peuvent nous submerger ; avec la consolation, nos détresses sont
toujours là, mais elles ne nous submergent pas, on sent qu’on va – peut-
être – tenir le coup. La vie est la seule consolation à la mort. À condition de
la vivre en pleine conscience.

Méditer
Lorsqu’on médite en pleine conscience, il arrive que l’on rencontre
spontanément des ressentis imprévus, comme ces expériences étranges et
assez fréquentes de dissolution de soi, accompagnées de sentiments de paix,
de sécurité, de certitude étonnante, d’autant plus que les repères habituels
(les mots pour les décrire) ne sont plus là ; nous les avons laissés derrière
nous au fur et à mesure que l’exercice avançait…
La vie est tragique et la vie est belle.
Qu’elle soit belle n’est pas une
solution au problème de la mort,
mais cela apporte une consolation.
Souvent, nous éprouvons aussi un sentiment d’appartenance au monde
environnant, plutôt que la conscience de nos différences, de ce qui nous
sépare de lui, cette conscience de ce que nous appelons notre
« personnalité », notre « individualité ». Dans ces instants très particuliers,
nous n’avons plus peur, de rien. Nous ne comprenons pas tout de suite que
c’est notre peur la plus profonde, celle de notre disparition même, qui a
disparu, et qui provoque en nous cette paix immense, sans nuages. Et que si
nous ne craignons pas de disparaître, c’est peut-être parce que nous avons
déjà disparu ? Du moins parce que notre ego a disparu ? Et que le meilleur
de nous-même, ou de notre humanité, est toujours là…
Ainsi, tout exercice méditatif permet de se familiariser avec ce qui nous
fait peur au lieu de l’éviter, puisque la règle de la pleine conscience est de
tout accueillir, de tout observer, de tout laisser vivre en nous, avant même de
vouloir l’analyser, le comprendre, le modi er. Lorsque ce qui nous vient est
angoissant ou même effrayant – au sens où l’effroi est la peur de ce qui est
inévitable – comme l’est la peur de la mort, alors l’expérience est, au début,
très pénible et douloureuse.

Mais en méditant, on reste avec cette expérience, attentif à rester aussi


dans l’expérience du souffle, des sons, du monde et de la vie qui nous
entourent. Et plutôt que de se dire « N’aie pas peur », on se dit « Voilà, c’est
la peur qui s’installe, je la reconnais », et, de son mieux, on demeure dans la
situation assez longtemps pour que la peur recule doucement, par ennui, par
désafférentation de pensées, d’émotions, d’agitations…
La peur de la mort se nourrit de nos cogitations (toujours penser à elle) et
de nos fuites (s’efforcer de ne jamais penser à elle). Si nous cessons de
l’alimenter, cette peur, si nous cessons de la fuir, elle disparaît. Quand la
peur s’est retirée vient une deuxième phase, d’apaisement relatif. Puis une
modi cation du paysage émotionnel, avec l’émergence d’une simple
tristesse, une tristesse apaisée de savoir que l’on devra quitter un jour cette
vie qu’on aime, malgré tous ses défauts ; une tristesse qui permet, après des
exercices semblables régulièrement répétés (une fois ne suffit pas),
l’émergence du goût de la vie, comme le retour du soleil après l’orage ou la
pluie.

Vivre et savourer
Aucun de nos efforts ne nous rendra l’idée de la mort bénigne ou agréable.
Ce n’est ni le but à atteindre ni la conséquence à attendre. Face à la mort, on
vise simplement à remplacer la peur non par l’indifférence mais par
l’intelligence : l’intelligence de la vie telle qu’elle est, avec un début et une
n, et ses insondables mystères de l’avant et de l’après.
Il ne nous reste plus alors qu’à vivre comme un équilibriste sur sa corde
raide. Pour éviter la bascule dans le vide, il ne doit jamais oublier qu’il est en
danger, mais il ne doit pas non plus se focaliser sur le risque de chute. Ainsi
en est-il pour nous, les vivants : ne jamais oublier la mort possible à tout
instant, mais ne jamais nous focaliser sur elle.
Et nous souvenir de cette phrase attribuée à Spinoza : « L’idée de cercle
n’est pas ronde, et l’idée de chien n’aboie pas. » De même, l’idée de mort ne
tue pas : à cet instant, nous sommes bien vivants…
TROIS QUESTIONS PERSONNELLES
1. Une personne qui m’a inspiré
face à la mort

J’ai côtoyé beaucoup d’humains exceptionnels et discrets, comme Pierre,


mon beau-père. Il fut mon maître de bonheur. Je n’ai jamais rencontré un
humain doué comme lui pour savourer la vie. Mais il ne s’agissait pas que
d’un don ; les années passées à ses côtés m’ont aussi montré ses efforts pour
ne saisir que le côté lumineux de la vie et des êtres, son désir de ne pas
s’encombrer du négatif, du sombre, du problématique. Il disposait d’une
capacité hors du commun à tirer de toute situation un motif pour se réjouir :
une maladie était pour lui l’occasion de béné cier de la compétence des
médecins, un accident, de celle des pompiers, etc. Avec le temps, j’ai
compris qu’il n’y avait rien de naïf là-dedans, mais que c’était juste une
question de foi. Cet homme croyait dur comme fer que la vie était belle. Et
quand les preuves lui manquaient, sa foi lui permettait d’attendre qu’elles
viennent, et que le vent tourne. Le vent tourne toujours. Lorsqu’il a senti la
mort venir, je l’ai vu rester exemplaire : accomplissant toutes les démarches
permettant à ses proches de n’avoir pas, en plus de leur chagrin, à être
préoccupés par des complications matérielles, recevant chacun de ses
proches avec affection et intérêt, s’efforçant de ne pas faire peser sur eux ses
souffrances et ses in rmités des derniers temps.
Lors des dernières visites à ce maître, avec Pauline, mon épouse et donc sa
lle, il nous demanda de lui faire la lecture à voix haute de La Mort de
Guillaume le Maréchal, un texte médiéval consacré à un preux Anglais que
ses contemporains, tel le roi de France Philippe Auguste, appelaient « le
meilleur chevalier du monde ». Trop affaibli pour le lire lui-même, il nous
écoutait les yeux fermés, sans doute en s’endormant parfois, car il était
épuisé par les visites mais ne voulait pas en perdre une minute… Nous
avions les larmes aux yeux et des sanglots dans la gorge, mais nous étions
heureux de voir que cela lui procurait un grand et mystérieux plaisir.
Je me souviens de son sourire lorsque nous en sommes arrivés à ce passage,
où Guillaume, ayant réuni ses proches, leur détaille ce qu’il s’apprête à leur
léguer : « Seigneurs, grâce à Dieu, qu’il me faille vivre ou mourir, je puis me
vanter d’être maintenant délivré d’un lourd fardeau. Il serait bon que je
nisse mon testament et que je prisse soin de mon âme, car le corps est en
aventure. C’est le moment de me débarrasser de toutes choses terrestres et
de penser aux choses célestes. » Au moment de s’envoler lui aussi vers les
choses célestes, Pierre fut incontestablement à la hauteur de Guillaume.

2. Une expérience de confrontation


avec la mort

Dans les maladies sévères, il n’y a pas seulement la peur de la mort, mais
aussi les souffrances, les handicaps ; ces « menus maux », comme l’écrit
Montaigne, peuvent provenir de la maladie, de ses traitements ou des
examens. Parmi les menus maux liés à mon cancer, je me souviens d’une
scintigraphie – on vous injecte une substance radioactive qui se xe sur le
squelette, permettant de révéler d’éventuelles métastases osseuses. L’examen
se passait dans le sous-sol d’un hôpital. Je commence à descendre le petit
escalier, et j’aperçois en bas un panneau indiquant deux services : la èche
de gauche dirige les visiteurs vers la « Médecine nucléaire », celle de droite
signale la « Chambre mortuaire ». Première onde de détresse et
d’inquiétude. Et début de rigolade : quelle bonne idée d’associer ainsi les
deux services ! Quel bel accueil, à même de remonter le moral des patients !
Puis, la salle d’attente de ladite médecine nucléaire : ambiance très triste, les
visages des personnes présentes sont tendus, une dame se tient le visage
dans les mains, comme effondrée. Et, bien sûr, je ne parle pas de
l’inquiétude causée par l’attente des résultats.
Dans ces moments, on se sent entre deux mondes : pas encore mort, bien
sûr, mais plus tout à fait comme les autres vivants. On se sent morituri :
destiné à mourir, comme on le disait des gladiateurs romains saluant
l’empereur et la foule avant leurs combats…
On comprend que la vie ne nous est pas due, que la longévité et la santé
ne sont que des cadeaux, des options, pas des obligations. Puis, quand on
s’en est sorti, on n’oublie jamais (en tout cas en ce qui me concerne) : 1) que
la mort n’est jamais loin, 2) que la vie est belle. On comprend
instantanément ce que veut dire Christian Bobin, le poète, quand il écrit
(dans Une bibliothèque de nuages6) : « La mort est à côté de la vie quotidienne
comme une bougie à côté d’une meule de paille. Cette proximité terrible fait
la vie merveilleuse. » Comme le t la proximité, moins élégante, des deux
panneaux de l’hôpital…

3. Une ressource face à la mort

L’une de mes ressources face à la mort à venir est un livre, recommandé


par mon ami David Servan-Schreiber, quelque temps avant sa propre
disparition : La Mort d’Ivan Ilitch, du grand Léon Tolstoï.
Ce court et bouleversant récit raconte les derniers jours d’un homme,
bureaucrate russe à l’esprit étroit. Prenant conscience qu’il va mourir, il est
d’abord angoissé, bouleversé. Puis, contraint à rester alité, il fait durant de
longs jours le bilan amer de son existence médiocre, et commence par
sombrer dans la désolation : il comprend qu’il va mal mourir parce qu’il a
mal vécu. Soudain, sans qu’il sache clairement pourquoi, survient une
trans guration brutale, incompréhensible, quelques instants avant sa mort.
Un sentiment obscur et vague, mais puissant au-delà de tout, s’installe en
lui : le souffle du pardon et de l’amour, pour lui et ses proches.
Voici ce qu’en écrit Tolstoï : « “J’ai pitié d’eux, je voudrais les voir moins
souffrir, les délivrer de moi, me délivrer moi-même de ces souffrances.
Comme c’est bien et comme c’est simple, pensa-t-il. Et mon mal, où est-il ?
Où es-tu, mon mal ?”
« Il devint toute attention. “Ah ! le voilà ! Eh bien, tant pis ! Et la mort !
Où est-elle ?” Il chercha sa peur accoutumée et ne la trouva pas. “Où est-
elle la mort ?” Il n’avait plus peur car il n’y avait plus de mort. Au lieu de la
mort, il voyait la lumière. “Ah ! voilà donc ce que c’est”, prononça-t-il à
haute voix. “Quelle joie !”
« Tout cela ne dura qu’un instant. Mais l’importance de cet instant fut
dé nitive. Pour son entourage son agonie se prolongea encore deux heures.
Quelque chose râlait dans sa poitrine, son corps ruiné tressautait. Puis, peu
à peu, le râle et les secousses diminuèrent.
« – C’est ni ! dit quelqu’un derrière son chevet.
« Il entendit ces paroles et se les répéta : “Finie la mort… La mort n’existe
plus !” se dit-il. Il t un mouvement d’aspiration, qui demeura inachevé, se
raidit et mourut7. »
Pourquoi ce texte apparemment sombre m’aide-t-il, et pourquoi m’est-il
une ressource ? Parce que justement, il est violent, intransigeant ; sans cette
violence, on oublie volontiers la certitude de la mort, on oublie volontiers
que notre temps de vie est d’autant plus sacré qu’il nous est compté. Et
parce que, même aux tout derniers instants, il nous montre que la
rédemption est possible : il n’est jamais trop tard pour ouvrir les yeux…

1. Gallimard, 1942.
2. Traduction d’Albert Mousset.
3. Extrait d’une lettre à sa femme, Sophie Andréïvna, d’octobre 1910.
4. André Comte-Sponville, Dictionnaire philosophique, PUF, 2021 (3e éd.), p. 1322.
5. Texte disponible dans la collection « Points », 2018.
6. Lettres Vives, 2006.
7. Traduction de Jean-Wladimir Bienstock, Œuvres complètes, Stock, 1912.
© ASTRID DI CROLLALANZA
7.
CE QUE L’ON APPREND AU BORD DE LA
MORT
Christophe Fauré

CHRISTOPHE FAURÉ EST PSYCHIATRE ET PSYCHOTHÉRAPEUTE, SPÉCIALISÉ DANS


L’ACCOMPAGNEMENT DES RUPTURES DE L’EXISTENCE : DEUIL, MALADIE GRAVE, FIN DE VIE OU
SÉQUELLES POST-TRAUMATIQUES.

Mon parcours,
entre médecine et spiritualité
Le besoin de soulager la souffrance s’inscrit très tôt dans mon existence.
Lorsque mes parents se séparent, j’ai 7 ans. Je suis bouleversé, je sombre
dans la dépression. Je veux comprendre l’expérience humaine, je me pose
toutes sortes de questions, je souhaiterais saisir le sens de la vie. À 13 ans,
je dévore le livre du Dr Moody, La Vie après la vie, le premier ouvrage publié
sur les expériences de mort imminente. C’est un deuxième choc : cette fois,
je m’interroge sur l’essence même de la conscience et de la réalité.
Ma dépression infantile, mon désir d’aider les autres et les interrogations
sur la vie me conduisent à entamer des études pour devenir médecin
psychiatre. À l’époque, l’épidémie de sida fait rage. Je m’engage comme
bénévole dans l’association AIDES et, pendant dix ans, j’accompagne les
malades, souvent stigmatisés, pour lesquels aucun traitement n’existe encore.
Cette expérience me connecte avec une profondeur et une humanité que je
n’avais pas trouvées sur les bancs de la faculté de médecine.
« Quand on souffre, on s’ouvre » : une autre dépression, identi ée comme
telle et traitée, représente un nouveau tournant dans ma vie, un moteur pour
chercher d’autres chemins. Je me tourne vers la spiritualité et rencontre le
bouddhisme. Je passerai trois ans dans un monastère.
L’art sera une autre manière de me connecter avec le moment présent.
Quand je peins, tout s’arrête. Le dessin et la peinture sont des temps très
riches de connexion avec l’éternité de l’instant présent.
Ce que j’ai vécu avec mes patients, je l’ai partagé au l des années dans
mes livres. Ces êtres humains en rupture, en deuil et en n de vie sont en
quelque sorte mes premiers enseignants. J’ai eu la grande chance de les
accompagner en n de vie. Et quand on prend le temps de s’asseoir auprès
de ces personnes et de les écouter, on s’aperçoit qu’un certain nombre d’entre
elles ont beaucoup à nous apprendre sur cette vie qui va se terminer.
Bien évidemment, les gens en soins palliatifs n’ont pas tous la capacité
d’échanger avec leur entourage, parfois à cause de douleurs trop
importantes, parfois en raison de troubles neurologiques ou d’autres
symptômes de n de vie. Mais lorsque ce partage et cette con ance sont
possibles, alors on peut faire l’expérience de moments extrêmement précieux
dont j’aimerais vous livrer ici quelques enseignements.
Ce chapitre aborde plusieurs dimensions : d’abord les leçons de vie que j’ai
puisées auprès de ces personnes qui étaient sur le point de partir. Ensuite ce
qu’elles nous disent de « l’après » tel qu’elles le perçoivent. En n, je voudrais
vous guider dans vos échanges avec elles ; beaucoup d’entre vous êtes
démunis et ne savez pas quoi dire ou ne pas dire au seuil de la séparation.
Voici ce que mes patients m’ont appris.
Cérémonie de crémation de Khandro Lhamo (1913-2003), l’épouse de Dilgo Khyentsé Rinpoché, au
monastère de Shéchèn, au Népal.
Les leçons de vie de celles
et ceux qui s’en vont
Au moment de quitter cette vie, on va à l’essentiel : l’inutile et le super u
n’ont pas leur place. Dans l’urgence de la situation, six enseignements
émergent, souvent issus de constats, de regrets ou de prises de conscience.
Ce sont ces clés, si utiles à une vie plus pleine, plus riche, plus accomplie,
que j’aimerais partager avec vous.
Ayez une vie en phase avec vous-même
La première clé pour guider notre existence consiste à être aligné sur soi-
même : soyez profondément intègre avec vous-même et dans votre vie. Que
signi e « être intègre dans sa vie » ? Cela veut tout simplement dire qu’il
vous faut essayer de vivre en accord avec ce que vous pensez être juste et bon
pour vous.
Chacun possède sa dé nition de ce qui est juste et bon, et il n’y a donc pas
de norme en la matière, mais il nous faut essayer d’être clair sur le type de
boussole qui va indiquer le nord de notre vie pour ne pas nous perdre en
chemin.
Combien de personnes ne m’ont-elles pas dit en n de vie : « J’ai peur de
la mort », ou « Comment lutter contre la peur de la mort ? » Au bout du
compte, par-delà la souffrance physique, bien souvent plus forte encore que
la peur d’être séparé des proches ou des gens qu’on aime, il y a une prise de
conscience : « Je n’ai pas vécu ma vie », « Je n’ai pas choisi ma vie », ou « On
a choisi la vie qu’on voulait pour moi. »
De nombreux patients en soins palliatifs font ce douloureux constat : « Je
n’ai pas eu la vie que je souhaitais au fond de moi », « J’ai vécu la vie que les
autres voulaient pour moi ». Ils se rendent compte de ce décalage :
« Finalement, j’ai répondu aux attentes des autres en négligeant mes propres
besoins et mes propres aspirations. Je n’ai pas réalisé mon accomplissement
personnel, en négligeant ce qui était bon pour moi. » « J’ai vécu une vie où je
croyais que, pour être aimé des autres, je devais adopter tel comportement
ou telles habitudes. » Comment garder son identité et son intégrité dans ces
situations où l’on pourrait se perdre complètement soi-même ?
Vivre une vie en accord et en intégrité avec soi est fondamental. De cela,
nous pouvons tirer une leçon essentielle pour notre vie aujourd’hui, et nous
ajuster à nous-même avant qu’il ne soit trop tard pour le faire.
Ne vous mettez pas en situation de regretter
De nombreuses personnes en n de vie m’ont interpellé pour me dire :
« Monsieur, les regrets sont terribles. Ne regrettez rien. » J’ai eu un jour une
conversation avec un homme qui m’a dit : « Ne vous exposez pas au fait de
regretter ce que vous dites ou ce que vous ne dites pas, ce que vous avez fait
ou ce que vous n’avez pas fait. »
Pour mener une vie sans regret, il faut donner de la valeur à la façon dont
nous incarnons nos actes, sans nous trahir. Combien de fois ne nous
trahissons-nous pas ? Parfois nos regrets concernent des choses que nous
n’avons pas accomplies, parfois nous regrettons d’avoir trop travaillé, de ne
pas avoir consacré suffisamment de temps à nos proches. Certains regrettent
de ne pas avoir pris plus de temps pour eux-mêmes.
Cette clé semble très simple. Mais sommes-nous certains que, dans la vie
que nous menons, nous ne faisons pas le lit d’un futur regret, en remettant
les choses à plus tard ? Un jour, « plus tard » deviendra « trop tard ».
Lorsque l’on est en n de vie et qu’il ne reste que deux ou trois semaines
devant soi, il est fréquent de regretter de ne pas avoir dit telle parole ou fait
telle chose. Beaucoup m’ont con é : « Pourquoi ai-je attendu, alors que
c’était certainement la chose ou la relation la plus importante de ma vie ? »,
« Je n’ai pas osé dire à cette personne que je l’aimais ». Et maintenant que
c’est ni, il reste tous ces regrets, qui sont source d’immenses souffrances.
Vivez dans le présent
La troisième clé est une invitation à vivre l’instant présent. Cela aussi peut
sembler évident, mais mettons-nous vraiment en œuvre cette proposition ?
S’il est une vertu à la maladie, c’est de contraindre les individus à ralentir, à
se poser, à regarder ce qui se passe en elles lorsqu’elles sont juste là. Pour une
fois dans la vie, on s’arrête, on se pose et on observe. Il ne s’agit pas
seulement d’être là, mais également de se poser la question suivante : « Ce
temps où je suis présent, qu’est-ce que j’en fais ? »
Le verre d’eau
Connaissez-vous la métaphore du verre d’eau ? Lorsqu’on regarde un verre rempli d’eau, il est clair,
limpide. Mais si l’on verse de la terre et que l’on remue avec un bâton, l’eau devient opaque ; on ne voit
plus au travers. Il suffit de poser le verre, d’attendre, et les particules en suspension se déposent peu à
peu au fond du récipient. L’eau redevient claire. La terre ne disparaît pas, mais elle reste au fond.
De la même façon, on a parfois l’impression que notre vie est sombre, opaque. Mais si l’on s’arrête et
que l’on attend, les pensées et les tourments se déposent et révèlent la clarté naturelle de notre esprit.
Cette clarté naturelle, qui est tout le temps présente, ne peut se révéler que si l’on se pose.
Pour mener une vie sans regret,
il nous faut donner de la valeur
à la façon dont nous incarnons
nos actes, sans nous trahir.
Nous passons notre temps à nous demander qui nous sommes, cherchant
généralement la réponse à l’extérieur, alors qu’il suffit de se poser et de
laisser décanter les émotions et les pensées. On ne les fait pas disparaître,
mais on les regarde, et, spontanément, cette limpidité naturelle de notre
esprit apparaît. Là est l’invitation : vivre l’instant présent, c’est ne pas
gaspiller notre temps à chercher le bonheur dans le monde extérieur : il est
déjà présent en nous.
Parfois, les patients en n de vie ne découvrent cette ressource qu’une ou
deux semaines avant de mourir. Ce qui leur apparaît, c’est que tout était déjà
là. N’est-il pas dommage de ne s’en rendre compte qu’à la n de nos jours,
justement parce que la maladie nous a contraint à nous poser ?
Apprenez à aimer
Le quatrième enseignement peut paraître simpliste tant il est évident mais
puissant : apprendre à aimer. Les gens qui sont en n de vie me disent :
« Apprends à aimer. » Ce qui est intéressant, c’est que l’on trouve dans ces
témoignages de n de vie les mêmes éléments que l’on retrouve dans les
expériences de mort imminente (EMI), qui ont été explorées au chapitre IV
avec Charlotte Martial : la décorporation, la lumière et la vie qui dé le.
Et souvent, les questions qui émergent à ce moment-là sont de deux
ordres :
• De quelle façon as-tu aimé ?
• Qu’est-ce que tu as appris du monde, de toi, de la réalité ?

Il y a là autant la dimension d’amour que celle de sagesse et de


connaissance. Dans la tradition bouddhiste, on retrouve dans la notion
d’éveil cette reconnaissance de la nature profonde de l’esprit, et la rencontre,
la jonction, de la sagesse et de la compassion. Cet enseignement est essentiel
et subtil. Il ne s’agit pas juste d’être « bon » d’un point de vue moral. Cela va
bien au-delà.
Les personnes qui ont vécu une EMI, tout comme celles qui sont en n de
vie, disent : « Je n’ai pas assez aimé. » Quand elles voient dé ler leur vie,
cette pensée ne leur vient pas comme une condamnation du type : « Tu n’as
pas aimé », mais plutôt comme un questionnement : « Comment as-tu
aimé ? » Personne ne m’a jamais dit : « Ma vie a eu un sens parce que j’ai été
aimé. » En revanche, beaucoup m’ont con é : « Ma vie a eu un sens parce
que j’ai aimé. » Ce qui signi e que la quête désespérée qui nous anime
parfois : « Je veux être aimé, je veux être aimé, je veux être aimé », est peut-
être une impasse. La ré exion devrait être inversée : « Aime et peut-être
ainsi seras-tu aimé. »
Si vous pensez à quelqu’un que vous n’avez pas assez aimé, cela vous
inspirera peut-être.
L’élévation et le pouvoir de l’inspiration
Un concept que j’aime beaucoup dans la psychologie positive, c’est celui d’élévation. Qu’est-ce que
l’élévation ? Il s’agit de mettre en œuvre quelque chose en étant inspiré par autrui. Et comment être
inspiré, comment inspirer ? On peut devenir une personne inspirante en manifestant de l’amour, en
prodiguant quelque chose de bon qui fait du bien aux autres. Et à soi-même. On est inspiré par
quelqu’un pour être aspiré vers ce quelque chose qui vous inspire. Et on s’élève. Inspiré par pour être
aspiré à. Le chercheur américain Jonathan Haidt1 a étudié ce sentiment d’élévation et montré que,
lorsque l’admiration porte sur des comportements comme l’altruisme ou l’amour et non sur des
performances sportives ou intellectuelles, elle stimule notre système nerveux parasympathique, ce
qui nous détend et nous apaise.
Là encore, les discours des personnes en fin de vie sont éclairants : « Est-ce que tu ne pourrais pas être
inspirant ou inspirante par ce que tu mets en œuvre dans ta capacité à aimer, à être bénéfique pour
toi-même et pour autrui ? » Ces deux bienfaits vont de pair dans le bouddhisme : le bienfait pour autrui
et le bienfait pour soi. Ne veux-tu pas être inspirant ou inspirante pour ces gens, pour qu’ils puissent
également développer quelque chose d’extrêmement bénéfique pour leur existence ?
Donnez plus que vous ne recevez
Le cinquième enseignement de celles et ceux qui vont partir représente
une déclinaison de l’amour. Peu de gens ont formulé ces mots, mais, lorsque
ce fut le cas, le message était puissant : « Essayez de donner plus que ce que
vous avez reçu. » Selon une étude scienti que, il semblerait que les
personnes qui ont le sentiment d’accomplissement le plus profond dans leur
existence soient également celles qui se sont vouées à une cause plus grande
qu’elles-mêmes, à une entreprise béné que pour les autres.
Au bout du compte, la question est : « Qu’est-ce que j’ai donné de moi ? »
Cette question n’invite pas à se mettre à la recherche de quelque chose
d’extraordinaire. L’important, c’est comment, là où je suis, avec ce que je
suis, avec les limites de ma vie telles qu’elles sont, comment je peux donner
plus que ce que l’on m’a donné.
Cette attitude génère une forme de reconnaissance envers la vie, la
conscience d’un ux et d’un re ux, une forme de gratitude fondamentale. Et
cette reconnaissance est déjà extraordinaire en elle-même.
Vous pourriez vous poser cette question : « On m’a – peut-être – beaucoup
donné d’amour et de bonheur, mais qu’est-ce que je donne au quotidien en
retour ? » Je me souviens d’un homme qui avait beaucoup reçu : la richesse,
les honneurs. Il avait vécu craint de tous, tyrannique. Et là, il était un pauvre
petit monsieur en train de mourir dans son lit. Sa souffrance était immense,
il prenait conscience de tout cela : « Je n’ai rien donné. Je n’ai rien donné de
moi, vraiment, sincèrement. » Lorsque l’on assiste à une scène pareille et
que l’on sort de la chambre, on comprend à quel point c’est un enseignement
précieux.
On retrouve ici l’idée de transmission, étymologiquement trans-mittere, en
latin. Trans : « au-delà », et mittere : « envoyer ». Envoyer au-delà… La
transmission, c’est donner plus que ce qu’on a reçu, mais c’est aussi envoyer
quelque chose au-delà de ma vie, au-delà de ce que je vis, pour un héritage
émotionnel et spirituel dédié à ceux qui viendront après moi.
Donnez du sens à votre vie
Il y a un sixième élément, tellement simple que l’on peut oublier de
l’appliquer au cours de notre vie. « Quel sens donner à mon existence ? » Si
l’on essaie de vivre en intégrité, de vivre l’instant présent, d’œuvrer à ne pas
s’exposer aux regrets, d’aimer en conscience et de donner plus que ce qu’on
reçoit, et qu’au bout du compte on s’aperçoit des bienfaits pour soi-même et
pour les autres de cette expérience, alors on a un début de réponse à cette
question fondamentale : Quel sens donner à ma vie ?
Cette dimension de sagesse, ce discernement, est ce qui nous permet de
trouver ce qui compte véritablement et que nous révèlent celles et ceux qui
regardent dans le rétroviseur de leur vie.

Trois enseignements
sur la conscience de « l’après »
Les personnes en n de vie nous révèlent parfois des choses troublantes
sur l’après. J’aimerais évoquer ici trois situations qui nous parlent de la
conscience et de ses énigmes.
Premièrement, nombre d’entre elles en soins palliatifs restent dans le coma
sans mourir, comme si elles attendaient le moment, un signal peut-être…
Ainsi, cette femme plongée dans un coma profond. On lui annonce que son
ls va venir de Sidney, et qu’il sera là dans deux jours. Le ls arrive et dit :
« Maman, je suis là. » Quinze minutes plus tard, elle meurt. Il y a de très
nombreux exemples comme celui-là. Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qui,
dans cette personne, a conscience de ce moment ? Qu’est-ce que cela nous
dit de l’après ?

Deuxième événement interpellant : la lucidité terminale. Le phénomène


est régulièrement constaté dans les unités de soins palliatifs. Une personne
est dans le coma depuis plusieurs jours, avec des fonctions cérébrales très
altérées, comme l’ont montré les PET-scan et autres examens. Il peut aussi
s’agir d’un patient qui se trouve dans un état très avancé d’Alzheimer.
Quelques jours ou quelques heures avant la n, elle a subitement un
moment de lucidité et interagit, communique, comme si elle était dans un
état de conscience hyper aigu et précis : elle parle avec ses proches, les
reconnaît, en contraste total avec la dégradation que son cerveau pouvait
laisser entrevoir.
D’où vient cette lucidité terminale, alors que les fonctions neurologiques
observées sont insuffisantes pour rendre possibles ces échanges et cette
clarté ? Qu’est-ce que cela dit de la conscience ?

Le troisième phénomène est le plus troublant : c’est ce qu’on appelle les


états de conscience accrus au seuil de la mort, near-death awareness en
anglais. Ce sont des moments de n de vie où des personnes tout à fait
lucides font part d’expériences proches des EMI. Il s’agit bien souvent de
perceptions : beaucoup disent percevoir quelque chose de ce qui va advenir.
C’est parfois la perception d’un proche décédé. Je raconte fréquemment
cette histoire d’une dame, tout à fait lucide, ancrée dans l’ici et maintenant,
et tenant une conversation tout à fait normale. À la n de notre échange,
elle me demande :
« Est-ce que je suis claire dans ma tête ?
–Oui, pourquoi posez-vous la question ?
–Au bout de mon lit, je perçois mon mari décédé. »
Je me retourne, ne le vois pas et lui dis :
« OK, qu’est-ce que vous ressentez ?
–Je suis juste apaisée, tranquille, heureuse. Je n’ai plus peur de mourir
parce que je sais qu’il m’attend. »
Il pourrait s’agir d’une hallucination liée à des troubles, des métastases, ou
liée aux effets secondaires d’un médicament. Il semblerait cependant qu’il y
ait quelque chose de différent : en effet, il s’agit chaque fois de mots et de
descriptions très précises à propos d’une relation et d’un individu. Aucun
signe ne montre qu’il s’agit d’un dysfonctionnement neurologique.
Il est fréquent que les gens parlent de proches décédés. Dans certains cas,
ils ne sont pas au courant que cette personne est morte parce que l’on a
voulu les préserver. Comment peuvent-ils percevoir qu’elle a disparu alors
qu’ils n’en ont pas été informés ?

Il ne s’agit pas ici de verser dans le fantastique, mais d’être à l’écoute de ce


qui, dans ces moments-là, nous interroge sur la nature de la conscience
humaine. Les personnes en n de vie nous livrent des enseignements sur
l’existence, et elles laissent également entrevoir quelque chose de ce qui se
passe après, et donc sur ce que pourrait être la nature de la conscience. Peut-
être existe-t-elle au-delà de notre cerveau ? Peut-être faut-il remettre en
question l’idée que la conscience n’est que le produit du cerveau ?

Que dire aux personnes en fin de vie ?


Je ne peux parler de la mort et de la n de vie sans explorer les paroles et
les messages que nous pouvons délivrer à celles et ceux qui vont nous
quitter. C’est là aussi d’une simplicité incroyable, mais, comme tout ce qui
est simple, c’est souvent difficile ; et au moment où l’on accompagne une
personne qui est en train de mourir, on oublie parfois les choses les plus
élémentaires.
Un jour, une de mes patientes m’a appelé à minuit : sa mère était en train
de mourir et elle m’a demandé : « Qu’est-ce que je lui dis ? » C’était une
femme extrêmement intelligente, mais la situation l’angoissait tellement
qu’elle n’arrivait pas à trouver les mots les plus simples.
Notez dans votre tête ces quatre paroles essentielles. Notez-les car elles
sont tellement évidentes que vous risquez de les oublier.
« Je t’aime »
La première parole, si le cœur y est, et si ces mots ne sont pas bloqués par
trop de con its, c’est tout simplement : « Je t’aime. » Juste ces trois mots.
« Merci »
Ensuite, si le cœur le permet, là encore, dites : « Merci. » Simplement de
la gratitude. « Merci pour ce que tu as fait pour moi, pour la personne que je
suis devenue par le simple fait de t’aimer et d’avoir été aimé de toi. »
« Merci de m’avoir aimé de cette manière. »
« Ne t’inquiète pas »
Troisième message. Beaucoup de gens en n de vie craignent que leurs
proches, qui vont rester, ne s’en sortent pas. Il me semble important de dire
à la personne, même si elle est dans le coma, de ne pas s’inquiéter. Si l’on
perd sa mère, par exemple, dire : « Je vais me faire aider, je vais m’occuper de
papa, on va lui trouver un logement à côté, ne t’inquiète pas. »
« Tu es libre de partir »
Et pour nir : « Si tu as besoin de partir, alors tu es libre de partir. »
Parfois, on se rend compte que des patients dans le coma qui semblent ne
plus du tout être en lien avec ce qui se passe peuvent entendre ces mots-là :
« Si tu restes à cause de moi, ce n’est pas la peine. Tu peux partir. J’accepte le
fait que tu puisses décider de t’en aller sans moi. »
Il peut s’agir d’une personne très pudique qui ne veut pas être entourée
quand elle va partir. On peut l’aider en disant : « OK. Si tu veux partir, tu
pars. »

« Je t’aime », « Merci », « Ne t’inquiète pas » et « Tu peux partir, si tu le


veux ». Voilà des paroles précieuses pour sceller dans la vie cette belle
relation qu’on a partagée avec nos proches.
TROIS QUESTIONS PERSONNELLES
1. Une personne dont la mort
a été inspirante

Je pense à une patiente nommée Martine. Ancienne toxicomane, elle a


consacré sa vie à l’aide aux personnes souffrant de dépendances. Elle est
décédée paisiblement dans une unité de soins palliatifs. À ses obsèques, la
foule de ceux qu’elle avait accompagnés était une preuve tangible que seuls
l’amour et l’attention à l’autre comptent véritablement dans une existence.
Tout le reste n’est que bavardage.

2. Une expérience personnelle

Être conscient que la mort peut survenir d’un instant à l’autre est mon
plus grand moteur de vie pour me pousser sans cesse à aller à l’essentiel et à
ne pas perdre ce précieux temps de vie dans de vaines errances. C’est un
rappel constant à l’amour, la joie, le partage, la quête de la sagesse.

3. Une lecture, une ressource


qui m’aide face à la mort

Ce qui m’aide, ce sont les enseignements sur la non-dualité transmis par


Rupert Spira et, parmi ses nombreux ouvrages, Être conscient d’être conscient2.
On trouve nombre de ses conférences sur YouTube – malheureusement,
uniquement en anglais pour le moment. Ces enseignements sont d’une
inestimable profondeur.

1. J. Haidt et S. Kesebir, « Morality », Handbook of Social Psychology, 2010, p. 797-832.


2. Saint-Geours-de-Maremne, Accarias L’Originel, 2020.
« Les vivants ferment les yeux des
morts,
les morts ouvrent ceux des vivants. »
PROVERBE AFRICAIN
Un matin sur les hautes terres de l'Islande, Matthieu Ricard, émerveillé prend une photo.
L'émerveillement engendre le respect envers la nature.
DOUZE TEXTES INSPIRANTS POUR
ÉCLAIRER LA VIE
NI MORT NI PEUR
ich Nhat Hanh
(1926-2022)
est l’un des plus célèbres maîtres bouddhistes.
Artisan de paix, il milite dès les années 1960
pour la n de la guerre au Vietnam, voyageant à travers le monde, notamment
aux États-Unis. Auteur de nombreux livres, il a fondé
le Village des Pruniers en Dordogne,
le plus grand monastère bouddhiste en Europe.
Le jour où ma mère est morte, j’ai écrit dans mon journal : « Un très grand
malheur s’est produit dans ma vie. » J’ai souffert pendant plus d’un an après
son décès. Mais un jour, tandis que je dormais dans la hutte de mon
ermitage sur les hauts plateaux du Vietnam, j’ai rêvé d’elle. Je me voyais assis
en train de lui parler, et c’était merveilleux. Elle avait l’air jeune et elle était
très belle avec ses cheveux ondoyants. C’était un réel plaisir d’être assis avec
elle et de lui parler comme si elle n’était jamais morte. Quand je me suis
réveillé, il était deux heures du matin et j’ai eu la sensation très forte que je
n’avais jamais perdu ma mère. L’impression qu’elle était toujours en moi
était très claire. J’ai compris alors que l’idée d’avoir perdu ma mère n’était
qu’une idée. Il était évident à cet instant que ma mère était toujours vivante
en moi.
J’ai ouvert la porte de ma hutte pour aller marcher un peu. Ma hutte était
située derrière le temple, à mi-hauteur des collines qui baignaient dans la
lumière du matin, couvertes de plants de thé. Éclairé par la lune, je me suis
mis à marcher lentement à travers les plantations et j’ai remarqué que ma
mère était toujours en moi. Elle était le clair de lune me caressant comme
elle l’avait fait souvent, très tendrement, très doucement…
C’était merveilleux ! Chaque fois que mes pieds touchaient la terre, je
savais que ma mère était là avec moi. Je savais que ce corps n’était pas
uniquement moi, mais qu’il était aussi une continuation de ma mère et de
mon père, de mes grands-parents et de mes arrière-grands-parents. De tous
mes ancêtres. Ces pieds que je voyais comme étant « mes » pieds étaient en
fait « nos » pieds. Ma mère et moi laissions ainsi l’empreinte de nos pas sur
le sol mouillé.
Dès lors, l’idée que j’avais perdu ma mère a cessé d’exister. Il me suffit de
regarder la paume de ma main, de sentir la brise sur mon visage ou la terre
sous mes pieds pour me souvenir que ma mère est toujours en moi et que je
peux la contacter à tout moment.
ich Nhat Hanh,
Il n’y a ni mort ni peur1

1. Traduction Marianne Coulin, Pocket, 2005.


DE CHASSEUR, LA MORT DEVIENDRA MON ÉCLAIREUR
Kamel Daoud
est un écrivain et journaliste franco-algérien. En octobre 2013, il écrit cette
chronique pour Le Quotidien d’Oran. La nouvelle de la disparition de son
voisin l’entraîne dans une ré exion fascinante sur la mort et sur la nécessité
d’une vie plus consciente.
Hier un vieux voisin est mort. J’ai discuté avec lui un jour avant. On a
parlé du monde et de notre vieille rue. On les partageait. Puis, il est mort
parce que son cœur s’est arrêté. Ce fut invraisemblable : il y a entre la mort
et la vie un manque de mesure juste, de proportions. L’une a la taille du
cosmique, la seconde a le volume d’une petite et dernière expiration. Il y a
quelque chose qui ne colle pas. Après, j’ai longtemps ré échi. Je me suis dit
que cet homme ne savait pas qu’hier était son dernier jour. Le monde était
« plein », durait depuis si longtemps que l’on s’y oubliait, le vieux voisin avait
des milliers de vies devant lui et il cédait comme moi à l’insigni ance et à
l’insouciance et au soliloque fondamental qui est l’illusion de toute vie sur
elle-même. Je ne sais pas comment le dire, mais cette certitude du vieux
voisin « qui ne savait pas » est aussi la mienne. Mon monde est atteint par la
même éternité et la même brièveté et le même aveuglement. Je veux dire
qu’à chaque instant je suis aussi idiot que ce mort et je peux être aussi
surpris que lui. La même possibilité d’interruption est derrière chaque
souffle. Je vois le monde et je fais le constat de sa monstruosité : il va
continuer sans moi. Ce que disait Arthur Rimbaud, je crois, à l’agonie :
« Vous êtes au soleil et je serai sous terre. » Il a dû le dire avec un peu de
colère comme un homme escroqué ou avec étonnement. Le monde, la ville,
ces feuillages, le rideau et le bout de la rue vont continuer à tourner autour
d’autres personnes, et toute mon emprise, bâtie et cumulée depuis des ans,
ne peut rien pour le faire revenir et le garder autour de moi. Je pense à ce
vieux voisin parce ce fut invraisemblable. Il a éclairé mon univers par sa
disparition parce qu’elle était un simple trébuchement. C’est difficile à
comprendre, mais je jure qu’il est mort à ma place et que je mourrai à la
place des autres et ainsi de suite.
Ce n’est pas une angoisse religieuse. L’au-delà est en soi et selon les peurs
de chacun. Je parle d’un sursaut. Je n’en suis que plus passionné de ma vie. Je
veux juste parler d’une sourde envie ténue de la corriger pour que la mort n’y
soit pas un tapis qu’on me retire de sous le pied. Je veux ma vie pleine,
défendue, je ne la donnerai à personne et à aucune croyance, je ne
l’échangerai pas contre la foi et j’en défendrai la liberté parce que je suis le
seul à en payer le ravissement à la n.
Je veux dire que j’étais étonné par la fragilité du monde, sa consistance,
tout à la fois plein, lourd et obtus et constant et en même temps son
épuisement sans n, sa gratuité. Le vieux voisin est mort alors qu’il avait
l’éternité devant lui. Me comprends-tu ? Je tourne donc plus souvent le cou
pour regarder derrière moi, je fouille le jour avec soupçon, je surveille mes
frontières mouvantes parce que je sais qu’il y a tout le temps une brèche
dans la pierre du monde. Une fêlure qui lui donne à la fois toute sa valeur et
se moque de tout l’or qu’il peut contenir et offrir ou ravir. Ce que je veux
dire, c’est que le vieux voisin était un idiot, il n’avait pas saisi qu’il ne lui
restait qu’un seul jour quand il me parlait. Je ne veux pas être aussi idiot, j’en
suis angoissé. Je veux mourir en regardant la mort, pas en la subissant, je
veux la comprendre et y glisser avec mon corps et pas être capturé comme
un animal par le croc. La mort me prouve que l’au-delà est secondaire et
qu’il ne sert à rien de l’anticiper ou de s’y soumettre pour croire l’éviter ou
d’y élever des maisons mortes et d’y loger les dieux. La mort de l’autre est le
début de ma vie si je le veux. Mon sursaut sur le dos de l’immense bête
cosmique.
La seule possibilité de ne pas être surpris par la mort est de la surprendre à
chaque moment par une vie plus intense et plus consciente, assumant la
peur mais aussi la dignité. Le voisin est mort bêtement, je ne le veux pas. Je
vivrai donc intensément, aux aguets de chaque instant, échangeant chaque
seconde au plus haut de son prix. De chasseur, la mort deviendra mon
éclaireur, portant la lampe au-devant, déterrant la terre entière sous mon
pas.
Kamel Daoud, « Ré exions sur la mort d’un voisin1 »

1. In Mes indépendances. Chroniques 2010-2016, éditions Barzakh, Alger, 2017 ; Actes Sud, 2017.
SOUFFLES
Birago Diop
(1906-1989)
est un écrivain et poète sénégalais qui a retranscrit de nombreux contes de la
tradition orale africaine, notamment d’après les récits du griot Amadou.
Écoute plus souvent
Les Choses que les Êtres
La Voix du Feu s’entend,
Entends la Voix de l’Eau.
Écoute dans le Vent
Le Buisson en sanglots :
C’est le Souffle des ancêtres.

Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :


Ils sont dans l’Ombre qui s’éclaire
Et dans l’ombre qui s’épaissit.
Les Morts ne sont pas sous la Terre :
Ils sont dans l’Arbre qui frémit,
Ils sont dans le Bois qui gémit,
Ils sont dans l’Eau qui coule,
Ils sont dans l’Eau qui dort,
Ils sont dans la Case, ils sont dans la Foule :
Les Morts ne sont pas morts.

Écoute plus souvent


Les Choses que les Êtres
La Voix du Feu s’entend,
Entends la Voix de l’Eau.
Écoute dans le Vent
Le Buisson en sanglots :
C’est le Souffle des Ancêtres morts,
Qui ne sont pas partis
Qui ne sont pas sous la Terre
Qui ne sont pas morts.

Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :


Ils sont dans le Sein de la Femme,
Ils sont dans l’Enfant qui vagit
Et dans le Tison qui s’en amme.
Les Morts ne sont pas sous la Terre :
Ils sont dans le Feu qui s’éteint,
Ils sont dans les Herbes qui pleurent,
Ils sont dans le Rocher qui geint,
Ils sont dans la Forêt, ils sont dans la Demeure, Les Morts ne sont pas
morts.

Écoute plus souvent


Les Choses que les Êtres,
La Voix du Feu s’entend,
Entends la Voix de l’Eau
Écoute dans le Vent
Le Buisson en sanglots,
C’est le Souffle des Ancêtres.

Il redit chaque jour le Pacte,


Le grand Pacte qui lie,
Qui lie à la Loi notre Sort,
Aux Actes des Souffles plus forts
Le Sort de nos Morts qui ne sont pas morts,
Le lourd Pacte qui nous lie à la Vie.
La lourde Loi qui nous lie aux Actes
Des Souffles qui se meurent
Dans le lit et sur les rives du Fleuve,
Des Souffles qui se meuvent
Dans le Rocher qui geint et dans l’Herbe qui pleure.
Des Souffles qui demeurent
Dans l’Ombre qui s’éclaire et s’épaissit,
Dans l’Arbre qui frémit, dans le Bois qui gémit
Et dans l’Eau qui coule et dans l’Eau qui dort,
Des Souffles plus forts qui ont pris
Le Souffle des Morts qui ne sont pas morts,
Des Morts qui ne sont pas partis,
Des Morts qui ne sont plus sous la Terre.

Écoute plus souvent


Les Choses que les Êtres
La Voix du Feu s’entend
Entends la Voix de l’Eau
Écoute dans le Vent
Le Buisson en sanglots,
C’est le Souffle des Ancêtres.
Birago Diop, « Souffles1 », 1960

1. In Leurres et lueurs, Présence africaine, 2000.


LE TRIOMPHE DE LA VIE
François Cheng
est un écrivain et poète d’origine chinoise, né à Nanchang en 1929. D’une santé
fragile, il est persuadé qu’il mourra jeune, ce que la réalité va démentir. Inspiré
par les pensées taoïste et chrétienne, il propose d’« inverser notre regard : au lieu
de dévisager la mort à partir de ce côté-ci de la vie, nous pourrions envisager la
vie à partir de notre mort conçue non comme une n absurde mais comme le fruit
de notre être ».
La mort n’est point notre issue,
Car plus grand que nous
Est notre désir, lequel rejoint
Celui du Commencement,
Désir de Vie.

La mort n’est point notre issue,


Mais elle rend unique tout d’ici :
Ces rosées qui ouvrent les eurs du jour,
Ce coup de soleil qui sublime le paysage,
Cette fulgurance d’un regard croisé,
Et la amboyance d’un automne tardif,
Ce parfum qui assaille et qui passe insaisi,
Ces murmures qui ressuscitent les mots natifs,
Ces heures irradiées de vivats, d’alléluias,
Ces heures envahies de silence, d’absence,
Cette soif qui jamais ne sera étanchée,
Et la faim qui n’a pour terme que l’in ni…

Fidèle compagne, la mort nous contraint


À creuser sans cesse en nous

Pour y loger songe et mémoire ;


À toujours creuser en nous
Le tunnel qui mène à l’air libre.
Elle n’est point notre issue.
Posant la limite,
Elle nous signi e l’extrême
Exigence de la Vie,
Celle qui donne, élève,
Déborde et dépasse.
François Cheng, La vraie gloire est ici1

1. Gallimard, 2015.
CAR LA VIE ET LA MORT
NE FONT QU’UN
Khalil Gibran
(1883-1931)
est un poète libanais. En 1923, il publie Le Prophète. Ce livre, traduit dans
quarante langues, a inspiré des générations de lecteurs et de lectrices. On y
découvre un sage,
Al-Mustapha, qui, avant de repartir vers sa terre natale, répond aux grandes
questions du peuple d’Orphalèse sur la conduite de l’existence. La voyante et
prêtresse Al-Mitra l’interroge sur la mort.
Alors Al-Mitra reprit la parole, en disant : « À présent nous aimerions
t’interroger sur la Mort. »
Et il répondit :
« Vous voudriez percer le secret de la mort,
Mais comment y parvenir sans aller le chercher au cœur de la vie ?
Le hibou qui vit à l’orée de la nuit est aveugle au jour ; ses yeux ne peuvent
dévoiler le mystère de la lumière.
Si vous brûlez de voir l’esprit de la mort, ouvrez grand votre cœur dans le
corps de la vie.
Car la vie et la mort ne font qu’un, comme ne font qu’un la rivière et la
mer.

Dans les profondeurs de vos espoirs et de vos désirs sommeille votre


silencieuse connaissance de l’au-delà ;
De même que la semence rêve sous la neige, votre cœur rêve des
épousailles du printemps.
Ayez con ance en vos rêves, car en eux sont cachées les clés de l’éternité.
Votre effroi face à la mort n’est que ce tremblement du berger lorsque le
roi lui fait l’honneur de le recevoir et s’apprête à poser sa main sur sa tête.
Or, en allant recevoir l’insigne du roi, le berger ne sait-il pas qu’un frisson
de joie s’éveille déjà sous sa frayeur ?
Et pourtant n’est-il pas encore plus conscient de sa peur ?
Qu’est-ce donc que mourir, si ce n’est s’offrir nu au vent et s’évaporer au
soleil ?
Et cesser de respirer, n’est-ce pas libérer le souffle de ses perpétuelles
marées, a n de s’élever sans le poids de la chair et de s’exhaler à la recherche
de Dieu ?

Quand vous aurez bu à la rivière du silence, alors seulement vous pourrez


véritablement chanter.
Et lorsque vous aurez atteint le sommet de la montagne, vous
commencerez à monter.
Et dès lors que la terre aura réclamé votre corps, vous saurez en n
danser. »
Khalil Gibran, Le Prophète1, 1923

1. Traduction Jean-Pierre Dahdah, J’ai lu, 2021.


LE POUVOIR TRANSFORMATEUR DES EXPÉRIENCES
DE MORT IMMINENTE
Elisabeth Kübler-Ross
(1926-2004)
est une psychiatre zurichoise, l’une des plus importantes gures de son domaine,
pionnière des soins palliatifs et autrice de nombreux ouvrages sur la n de vie.
Elle a changé notre regard sur la mort, et son apport pour l’aide aux mourants
est considérable.
À ce moment-là, l’organisateur du groupe me glissa un mot contenant un
message urgent d’un homme se trouvant dans un asile pour clochards. Il
demandait à raconter son expérience du seuil de la mort. J’interrompis la
conférence et lui envoyai un messager. Quelques minutes plus tard, après
une course rapide en taxi, l’homme t son apparition devant le public. Mais
au lieu d’un clochard négligé auquel je m’attendais compte tenu du
domicile, un homme correctement vêtu et à l’allure sophistiquée monta sur
l’estrade suite à mon invitation à partager avec les auditeurs ce qu’il avait
envie de partager.
Il raconta que, s’étant réjoui d’avance de passer ce week-end avec toute sa
famille, et celle-ci étant en route pour le prendre, il arriva le tragique
accident au cours duquel tous périrent par le feu. Il parla de son choc initial
et de son hébétude et dit qu’au début, il n’avait pu croire qu’il était tout à
coup un homme seul, lui qui avait eu des enfants et qui n’en aurait plus, car
il avait perdu toute sa famille dans un seul accident. Il nous décrivit
comment, ne pouvant surmonter cette épreuve, le mari et père de famille
bourgeois qu’il était devint un clochard dépravé, ivre en permanence,
essayant toujours en vain de se suicider. Son dernier souvenir de cette vie,
qu’il menait depuis deux ans, fut le suivant : il était couché, ivre et drogué,
sur une route sale longeant une forêt. Il ne pensait qu’à une chose : n’avoir
plus à vivre et se trouver à nouveau réuni avec sa famille. Lorsqu’il vit
s’approcher un camion, il n’eut plus la force de s’éloigner, de sorte que le
camion l’écrasa.
Il raconta qu’au même moment, il se trouva à quelques mètres au-dessus
du lieu de l’accident, regardant son corps dangereusement mutilé qui gisait
sur la route. À ce moment-là, sa famille apparut devant lui, rayonnante de
luminosité et d’amour, un sourire heureux sur chaque visage. Elle
communiqua avec lui, sans se servir de la bouche, par transmission de
pensée. Elle lui t savoir la joie et le bonheur que cette rencontre lui
procurait. L’homme ne fut pas en mesure de nous dire combien de temps
dura cette rencontre avec les membres de sa famille. Mais il fut si bouleversé
par leur santé, leur beauté, leur rayonnement, leur acceptation de sa vie
actuelle et leur amour inconditionnel qu’il prêta serment de ne pas les
toucher ni de les suivre, mais de retourner dans son corps terrestre pour faire
savoir au monde ce qu’il venait de vivre et réparer ainsi ses vaines tentatives
de suicide.
Ensuite il se retrouva sur le lieu de l’accident et observa à distance
comment le chauffeur allongea son corps à l’intérieur du camion. Il vit
l’arrivée de l’ambulance, son transport aux urgences d’un hôpital où on
l’attacha sur un lit. C’est là qu’il retourna dans son corps et se réveilla,
arrachant les courroies avec lesquelles on l’avait attaché. Il se leva et quitta
les urgences sans avoir par la suite le moindre symptôme de delirium
tremens habituellement causé par les abus de drogues et d’alcool.
Tout à coup, il se sut guéri et rétabli.
Il se jura de ne pas mourir tant qu’il n’aurait pas eu l’occasion de partager
l’expérience d’une vie après la mort avec le plus de gens possible disposés à
l’écouter. Ayant lu dans un journal local un article sur ma présence à Santa
Barbara, il s’était décidé à me faire parvenir un message dans la salle de
conférences. En partageant son expérience avec l’auditoire, il put s’acquitter
de la promesse qu’il avait faite lors de sa brève et heureuse rencontre avec sa
famille.
Nous ne savons pas ce que cet homme est devenu depuis. Mais je
n’oublierai jamais la lueur dans ses yeux, sa joie, sa gratitude d’avoir été
guidé à un endroit où il lui fut permis, sans qu’on doutât ou qu’on se moquât
de lui, d’être sur une tribune pour faire part à des centaines de membres du
personnel hospitalier de sa conviction profonde que notre corps physique
n’est qu’une enveloppe passagère qui entoure notre MOI immortel.
Elisabeth Kübler-Ross, La Mort est un nouveau soleil1
1. Traduction Renate Prym-Kohshkish, éditions du Rocher, 1988.
L’IMPERMANENCE NOUS GUIDE
Dilgo Khyentsé Rinpoché
(1910-1991)
est l’un des plus grands maîtres contemporains du bouddhisme tibétain. Il
commente ici un manuel de formation composé au XIVe siècle par Ngulchu
ogmé Zangpo. Ce classique constitue l’un des enseignements les plus
importants sur la pratique du mahayana.
La vie est aussi éphémère qu’une goutte de rosée à la pointe d’un brin
d’herbe. On ne peut arrêter la mort, de même qu’on ne peut empêcher les
ombres de s’étirer au soleil couchant. Vous pouvez être extrêmement beau,
vous ne séduirez pas la mort. Vous pouvez être très puissant, vous ne
l’in uencerez pas davantage. Même les richesses les plus fabuleuses ne vous
achèteront pas quelques minutes de vie supplémentaires. La mort est aussi
certaine pour vous que pour celui qui a le cœur transpercé d’un poignard.
Un jour, un rude Tibétain du Khampa vint offrir une pièce de tissu à
Droubthop Tcheuyoung, l’un des plus éminents disciples de Gampopa, pour
lui demander des enseignements. À plusieurs reprises Droubthop
Tcheuyoung renvoya le Khampa en dépit de ses multiples supplications.
Comme celui-ci insistait, le maître prit nalement les mains de l’homme
dans les siennes et lui répéta trois fois :
–Je mourrai ; tu mourras.
Puis il ajouta :
–Voilà tout ce que mon maître m’a enseigné. C’est tout ce que je pratique.
Médite simplement là-dessus. Je te promets qu’il n’y a rien de plus grand.
L’idée de la mort tourne l’esprit vers le Dharma, elle nourrit l’assiduité, et
elle permet, pour nir, de reconnaître la radieuse clarté de la dimension
absolue. La mort devrait toujours être l’un des sujets essentiels de vos
méditations.
Lorsque la véritable compréhension de l’impermanence aura commencé à
poindre dans votre esprit, vous ne vous laisserez plus emporter par la
discrimination entre ami et ennemi, vous serez à même de déchirer l’épais
enchevêtrement des activités distrayantes et futiles, vous serez capable de
puissants efforts, tout ce que vous ferez prendra la direction du Dharma, et
vos qualités s’épanouiront comme jamais auparavant.
Khyentsé Rinpoché, Au cœur de la compassion.
Commentaire des trente-sept stances sur la pratique des bodhisattvas1

1. Traduction Comité de traduction Padmakara, Éditions Padmakara, 2008.


ANTIDOTES À LA PEUR DE LA MORT
Rebecca Elson
(1960-1999)
est une astrophysicienne et écrivaine canadienne.
À 29 ans, on lui diagnostique un lymphome. Traitée puis en rémission, elle mène
ses études sur les amas globulaires et les galaxies tout en écrivant des poèmes. Elle
meurt à l’âge de 39 ans.
Quelquefois en antidote
À la peur de la mort
Je mange les étoiles.

Ces nuits-là, couchée sur le dos,


Je les aspire de l’anéantissante noirceur
Pour les ramener toutes, toutes en moi
Brûlantes et mordantes comme le piment

Quelquefois, sinon, me secouant


Je deviens tout un univers, jeune encore,
Tiède encore, comme le sang ;

Pas un espace in ni, juste un espace,


Lumière d’avant que les étoiles ne soient
S’exhalant en brume brillante,
Et tous les êtres, toutes les choses
Sont déjà là
Mais sans forme pour les contraindre.

Et quelquefois il me suffit
D’être couchée ici sur la terre
Près de nos vénérables ossements :

De marcher à travers le pavement


De tous nos crânes laissés là,
Chacun d’eux un trésor, une chrysalide,
Et je songe : à tout ce qui de ces enveloppes
S’est envolé à tire d’ailes brillantes.
Rebecca Elson, Devant l’immense1

1. Traduction Sika Fakambi, Bruxelles, L’Arbre de Diane, 2021.


LA MAISON DES VIVANTS
Cette oraison a été prononcée par la rabbine Delphine Horvilleur lors des
funérailles de Chantal Akerman, le 13 octobre 2015 à Paris.
Nous sommes réunis pour accompagner Chantal Akerman dans ce lieu
qu’on appelle en hébreu bet hashayim (« maison des vivants »), nom qui peut
sembler paradoxal pour un cimetière.
Pourtant, il ne s’agit pas ici d’un euphémisme, d’un refus de parler de la
mort ni d’une volonté de faire comme si elle n’était pas là. Il s’agit au
contraire de la conscience qu’il nous faut parler ici de la vie de ceux qui nous
quittent, qu’il nous faut aussi reconnaître ici, tout particulièrement, que la
vie et la mort n’habitent pas des lieux séparés.
Voilà qui peut paraître contre-intuitif : nous sommes si habitués à parler
de la vie et de la mort comme si l’une devait à tout prix éviter d’entrer en
contact avec l’autre, comme s’il fallait les tenir bien à distance,
hermétiquement séparées l’une de l’autre. Mais la réalité est tout autre. Et
dans ce lieu, chacun d’entre nous prend conscience que la vie et la mort
opèrent parfois une étrange cohabitation.
Et puis certains êtres n’ont pas besoin des cimetières, et le savent comme
instinctivement, presque de naissance. Comme si, depuis toujours, la vie et
la mort, le vivace et le morbide menaient entre eux un dialogue, au cœur de
leur être.
Il me semble que Chantal était de ces êtres, de ceux qui savent, si vivants
soient-ils, que la mort a parfois, en eux, la parole, qu’elle hante leurs rêves,
leurs projets, et qu’elle laisse sa marque.

Apprendre à vous souvenir que la vie et la mort se tiennent la main


parfois, et que par-delà sa mort sa vie peut encore inspirer la vôtre, dans ce
que vous entreprendrez, ce que vous jouerez, ce que vous lmerez.
Selon les mots de notre tradition, après la disparition d’un être cher,
Nishmata Tzroura Bitzror Hachayim, sa vie est tissée à la nôtre.
Puissiez-vous tisser à vos vies les ls de la vie de Chantal Akerman, les
accrocher à vos caméras, à vos images et aux cordes de vos instruments…
Puisse-t-elle ainsi reposer en paix dans la maison des vivants.
Delphine Horvilleur
CELUI QUI RESTE
Paul Éluard
(1885-1952)
Ce poème fut inspiré à Paul Éluard par la mort brutale, en novembre 1946, de
Nusch (alias Maria Benz), sa compagne, qu’il aimait passionnément.
NOTRE VIE
Notre vie tu l’as faite elle est ensevelie
Aurore d’une ville un beau matin de mai
Sur laquelle la terre a refermé son poing
Aurore en moi dix-sept années toujours plus claires
Et la mort entre en moi comme dans un moulin
Notre vie disais-tu si contente de vivre
Et de donner la vie à ce que nous aimions
Mais la mort a rompu l’équilibre du temps
La mort qui vient la mort qui va la mort vécue
La mort visible boit et mange à mes dépens
Morte visible Nusch invisible et plus dure
Que la soif et la faim à mon corps épuisé
Masque de neige sur la terre et sous la terre
Source des larmes dans la nuit masque d’aveugle
Mon passé se dissout je fais place au silence.
Paul Éluard, « Le temps déborde », 19471

1. In Derniers Poèmes d’amour © Seghers, Paris, 1963, 1989, 2002, 2013


RIEN NE PEUT ALTÉRER
LE FAIT QUE J’AI VÉCU
Bruce Frederick Cummings
(1889-1919)
était un jeune naturaliste anglais à qui l’on avait diagnostiqué une sclérose en
plaques. Sous le pseudonyme de W.N.P. Barbellion, il a tenu un journal puissant
sur sa façon de faire face à la maladie.
Je me suis réjoui de ma petitesse et de mon irresponsabilité. Cela m’a
soulagé du désir harassant de vivre et je me sens heureux de vivre
dangereusement, indifférent à mon sort. J’ai découvert que j’étais une
mouche, que nous sommes tous des mouches, que rien ne compte. J’ai
découvert que j’étais une mouche, que nous sommes tous des mouches, que
rien n’a d’importance. C’est un grand soulagement pour ma vie, car cela ne
me dérange pas d’être un micro-organisme – pour moi, appartenir à
l’univers est un honneur suffisant – un si grand univers, un si grand schéma
de choses. Même la mort ne peut me priver de cet honneur.
Car rien ne peut altérer le fait que j’ai vécu, que j’ai été moi, même si c’est
pour un temps très court. Et quand je serai mort, la matière qui compose
mon corps sera indestructible et éternelle, de sorte que, quoi qu’il arrive à
mon « âme », ma poussière continuera d’exister, chaque atome distinct de
moi jouant son propre rôle – je ferai toujours partie d’un tout. Quand je
serai mort, vous pourrez me faire bouillir, me brûler, me noyer, me disperser
– mais vous ne pourrez pas me détruire : mes petits atomes se moqueraient
simplement d’une vengeance si brutale. La mort ne peut rien faire de plus
que vous tuer.
W.N.P. Barbellion, Journal d’un homme déçu1

1. Traduction C. Meyer.
IL N’Y A PLUS QUE L’AMOUR
Christiane Singer
(1943-2007)
est écrivaine et essayiste. En 2006, atteinte d’un cancer, son médecin lui annonce
qu’il lui reste six mois à vivre. Elle écrit le journal
de ces derniers moments.
C’est au fond de mon lit que je vous parle […]
Ma dernière aventure. Deux mois d’une vertigineuse et déchirante
descente et traversée. Avec surtout le mystère de la souffrance. J’ai encore
beaucoup de peine à en parler de sang-froid. Je veux seulement l’évoquer.
Parce que c’est cette souffrance qui m’a abrasée, rabotée jusqu’à la
transparence. Calcinée jusqu’à la dernière cellule. Et c’est peut-être grâce à
cela que j’ai été jetée pour nir dans l’inconcevable. Il y a eu une nuit
surtout où j’ai dérivé dans un espace inconnu. Ce qui est bouleversant, c’est
que quand tout est détruit, il n’y a pas la mort et le vide comme on le
croirait, pas du tout.
Je vous le jure. Quand il n’y a plus rien, il n’y a que l’Amour. Il n’y a plus
que l’Amour. Tous les barrages craquent. C’est la noyade, l’immersion.
L’amour n’est pas un sentiment. C’est la substance même de la création…
[…]
Je croyais jusqu’alors que l’amour était reliance, qu’il nous reliait les uns
aux autres. Mais cela va beaucoup plus loin ! Nous n’avons pas même à être
reliés : nous sommes à l’intérieur les uns des autres. C’est cela le plus grand
vertige… de l’autre côté du pire t’attend l’Amour. Il n’y a en vérité rien à
craindre. Oui, c’est la bonne nouvelle que je vous apporte.
Christiane Singer, Derniers Fragments d’un long voyage1

1. Éditions Albin Michel, 2007.


« Les adieux sont seulement pour ceux
qui aiment avec les yeux.
Pour ceux qui aiment avec le cœur et l’âme,
il n’y a pas de séparation. »
Rumi
DES INITIATIVES ET DES IDÉES
INSPIRANTES
ACCOMPAGNER LA FIN DE VIE

D ans cette partie, vous allez découvrir des structures et initiatives


inspirantes qui ont pour but d’aider et de soutenir les personnes en
n de vie ainsi que celles et ceux qui les accompagnent, les
entourent et restent auprès d’elles.
L’aventure des soins palliatifs
Selon la dé nition donnée par l’OMS, les soins palliatifs visent
l’amélioration de la qualité de vie des patients et de leurs proches face aux
conséquences d’une maladie potentiellement mortelle, par la prévention et
le soulagement de la souffrance, identi ée précocement et évaluée avec
précision, ainsi que par le traitement de la douleur et des autres problèmes
physiques, psychologiques et spirituels qui lui sont liés.
En France, c’est en 1999 que la place des bénévoles dans les soins palliatifs
est reconnue par la loi. Elle prend progressivement de l’ampleur avec la
possibilité pour ces bénévoles d’apporter leur collaboration à l’équipe
médicale, avec bien entendu l’accord des patients ou de leurs proches. Il est
cependant à noter que ces interventions ne doivent en aucun cas interférer
avec les soins. Concrètement, un bénévole d’accompagnement propose
gratuitement son temps aux patients en n de vie atteints de maladies
incurables. Intervenant généralement dans le cadre d’un maintien à domicile
dans le cas des consultations externes, la personne peut également proposer
ses services en établissement, notamment en Ehpad ou en milieu
hospitalier. Sa présence doit se fondre avec les efforts des proches et de
l’équipe soignante.
Quelques sites intéressants
jalmalv-federation.fr
fbsp-bfpz.org/soins-palliatifs-et-continus
soinspalliatifs.be/plates-formes-de-soins-palliatifs
parlons-fin-de-vie.fr/la-fin-de-vie-en-pratique/le-benevolat/
UN TÉMOIGNAGE EXCEPTIONNEL
Constance Yver-Elleaume est une médecin qui a développé une grande
proximité avec la mort. D’abord parce qu’elle accompagne des personnes en
n de vie. Mais aussi parce qu’elle a souvent songé à mourir et qu’elle a
souvent été confrontée à la mort.
Je suis la troisième enfant d’une fratrie de cinq. Quand j’étais petite, aussi loin
que je me souvienne, je n’avais pas envie d’être née. Ma sœur aînée, qui était
merveilleuse, a commencé ses tentatives de suicide à l’adolescence ; elle en est
décédée à 47 ans. On a appris quelques mois avant sa mort qu’elle avait été
violée dans sa prime enfance.
À l’adolescence, j’ai ni moi aussi par être suicidaire. Pendant tout ce temps, je
n’arrivais pas à mettre des mots sur cette non-envie d’être sur terre.
À 20 ans, j’ai découvert la méditation. Dans cette quête intérieure pour trouver
un sens à l’existence, je trouvais de temps en temps, grâce à l’assise, un peu
d’espace intérieur. Régulièrement, ma sœur, que j’aimais beaucoup, faisait une
tentative de suicide et tout volait en éclats. Alors, je cherchais plus en profondeur.
Cela m’a vraiment aidée, mais je ne voulais toujours pas être là.
Et puis, vers 30 ans, je me suis dit que c’était une chance extraordinaire d’être
sur Terre, et j’ai décidé d’accepter tout le frottement que cela impliquait. Quelle
chose extraordinaire de pouvoir accepter la vie sur Terre, consciemment ! J’ai
entamé des études de médecine. C’était une vocation, un rêve de petite lle. Dès
ma deuxième année d’études, j’ai su que j’allais m’occuper de soins palliatifs.
C’était alors le tout début de la discipline en France. J’ai travaillé comme aide-
soignante dans un service de cancérologie pour gagner ma vie.
J’ai beaucoup remercié ma sœur pendant mes études car, grâce à elle, j’ai pu faire
ce chemin. Chaque fois que je parle d’elle, je me dis que sa mort a été une mort
lumineuse, une n qui a éclairé ma vie et ouvert beaucoup de portes.
On m’a découvert un cancer il y a quelques années et, bizarrement, je me sentais
très curieuse et assez zen. Je n’ai pas fait d’expérience de mort imminente, mais
je me suis sentie partir, à un moment donné. C’était intérieur, une expérience
extraordinaire, merveilleuse.
Je pense que le regard qu’on porte sur la vie est essentiel. On peut porter un
regard affreux, être fâchée, se dire : « Ce n’est pas normal, j’ai une bonne hygiène
de vie, je n’ai jamais fumé, bu. » Ou se dire : « Cela vient dans ma vie, je reçois
quelque chose. » La vie ne nous fait que des cadeaux. Très souvent, les patients
me le disent.
« Ce que la chenille appelle la n du monde, le maître l’appelle un papillon »,
aurait dit Lao Tseu. Cette phrase, je l’aime énormément. Je l’ai dite pour la
première fois à un patient d’une trentaine d’années qui était en train de mourir
du sida. J’étais alors responsable d’un service de soins palliatifs. J’ai eu
l’impulsion de lui dire ces mots qui l’ont beaucoup touché. Il m’a demandé de les
lui écrire et de glisser cette feuille dans le tiroir de la table de nuit. À la toute n
de sa vie, il avait sombré dans un coma de plus en plus profond, complètement
non réactif. Je lui ai redit la phrase, et là, immense cadeau, il m’a fait un grand
sourire et il est mort dans l’heure qui a suivi. C’est comme s’il me disait : j’ai
vraiment reçu le message. Depuis, c’est une formule que j’ai transmise des
milliers de fois à des patients, des familles et des personnes confrontées à la mort.
SÉMIRAMIS,
une équipe d’accompagnement pluridisciplinaire
Sémiramis est une équipe d’accompagnement pluridisciplinaire spécialisée
en soins continus et palliatifs basée à Bruxelles, juste à côté des Jardins
d’Émergences. Son objectif est de favoriser le maintien à domicile ou dans
un autre lieu de vie des personnes qui nécessitent des soins continus et
palliatifs.
L’équipe met son expertise dans la gestion des symptômes et des autres
aspects des soins continus et palliatifs à la disposition de l’équipe de
première ligne. Elle offre aux patients et à leurs proches des conseils pour
améliorer leur bien-être, ainsi qu’une écoute et un soutien sur le plan
émotionnel, social et existentiel.
Autre initiative touchante, l’équipe propose des temps de répit et de soin
de soi aux accompagnants des personnes en soins palliatifs. Pendant que
l’aidant ou le proche reçoit un massage, des membres de Sémiramis assurent
une présence au chevet de la personne en n de vie.
semiramis-asbl.org

Les thanadoulas, ou doulas de fin de vie :


accompagner la mort comme la naissance
Dans de nombreuses cultures, depuis des milliers d’années, des femmes
expérimentées aident ou ont aidé celles qui donnent naissance à mieux vivre
cet événement. Le mot grec pour les désigner est doula, ce qui signi e
« servante ». Selon le même principe, il existe dans certains pays des femmes
qui apportent leur soutien lorsqu’une personne va mourir dans une famille.
La profession de doula de n de vie est une nouvelle activité, en plein
essor. Elle propose l’accompagnement personnalisé des mourants et de leur
famille avant, pendant et après le décès.
En Suisse, l’Institut de recherche et de formation à l’accompagnement des
personnes en situation difficile (IRFAP) forme des personnes en la matière
depuis plus de vingt ans.
Rosette Poletti, in rmière pionnière des soins palliatifs en Suisse depuis
1976, praticienne et enseignante de l’accompagnement de personnes en n
de vie et en deuil, est présidente de l’association suisse Doulas de n de vie.
Quelques sites utiles :
irfap.ch
doulasdefindevie.ch
deuils-doulasfindevie.fr
anthea-doula.com
douladefindevie-suisse.com
deathdoulas.com

Accompagner la mort et la vie


Pass-ages
Pass-ages est une maison de naissance jointe à une maison de mourance,
ouverte à toutes et à tous, au cœur d’un habitat groupé intergénérationnel.
Pass-ages accueille de façon holistique la naissance et la mourance dans un
lieu bienveillant « comme à la maison ». Ce projet citoyen et extrahospitalier
est conduit collectivement par des volontaires, des habitants et des
professionnels. Il considère la naissance et la mourance comme deux étapes
essentielles de la vie, deux itinérances en résonance, et les accueille dans un
même lieu, à Bruxelles.
La maison inscrit sa vision dans les mutations qui animent le monde et
souhaite, avec d’autres acteurs de la naissance et de la mourance, la faire
rayonner à foison.

En un espace
naître et mourir.
Comme une grande matrice
où le corps peut se faire chair
et où l’être peut laisser sa chair.
Comme une cheminée d’énergie.
Comme un lieu pour passer, se passer,
se transmettre la vie, le souffle,
reçu, donné, transmis
de corps à corps, d’âme à âme
dans une communauté de vivants.
Un lieu porteur de ces transformations,
Mutations, métamorphoses.
En maison de naissance
L’accompagnement est centré sur les rythmes, besoins et singularités de la
femme, du couple ou de la famille en émergence. La maison de naissance
souhaite cultiver la con ance :
• dans la puissance des femmes à enfanter ;
• dans la sagesse des bébés à se mettre au monde ;
• dans le monde de demain, capable de privilégier la bientraitance
obstétricale ;
• en soi et dans les autres.
La maison de naissance accorde de l’attention à chaque être dans le respect
et l’estime de ce qu’il est, et souhaite permettre un choix éclairé autour de
l’accueil de l’enfant. Elle répond à un besoin de promotion de la santé par la
salutogenèse1.
Les sages-femmes assurent en autonomie le suivi médical des femmes, en
lien avec un réseau périnatal et dans une démarche de collaboration avec un
hôpital de référence.
En maison de mourance
L’accompagnement est centré sur les rythmes, besoins et singularités de la
personne en n de vie et de son entourage. La maison de mourance souhaite
cultiver la con ance :
• dans la puissance des personnes à vivre leur n de vie ;
• dans la sagesse des proches à traverser le deuil ;
• dans le monde de demain, capable de privilégier la bientraitance
médicale ;
• en soi et dans les autres.
La maison de mourance accorde de l’attention à chaque être dans le
respect et l’estime de ce qu’il est, et souhaite permettre un choix éclairé
autour de la n de vie.
Les in rmiers et in rmières en soins palliatifs assurent en autonomie le
suivi médical des personnes en n de vie, en lien avec leurs proches et avec
un réseau de soins.

De l’aube au crépuscule de la vie, une utopie réaliste.

1. Concept développé par le sociologue de la médecine Aaron Antonovsky pour désigner une
approche qui se concentre sur les facteurs favorisant la santé et le bien-être, plutôt que sur les causes
des maladies (pathogenèse).
LE CORPS ET LA MORT
Des rituels pour le grand passage
Juliette Cazes, archéologue et anthropologue, chercheuse en thanatologie
et autrice, s’efforce de vulgariser la mort sous tous ses aspects : rites
funéraires, objets mortuaires, étude des défunts. Elle explique que la joie qui
semble émaner de certains rituels ne signi e pas qu’il n’y ait ni peine ni
tristesse : l’expression des émotions liées à la douleur de la séparation est
différente d’un endroit à un autre. La sacralité du mort, du corps, et les us et
coutumes autour de la mort varient aussi selon les cultures.
Quant à la conduite des funérailles, elle est marquée par les religions et les
codes des défunts et de leurs proches. Mais on retrouve des gestes et des
habitudes qui dépassent les croyances et traduisent une appartenance
culturelle bien plus ancienne. Souvent, l’œil non exercé jugera les rites
funéraires mouvementés ou même désordonnés, mais en travaillant sur le
sujet on se rend compte que tout est millimétré.
Dans son travail, Juliette Cazes montre que les traditions funéraires ne
sont pas gées et méritent d’être étudiées et surtout protégées, car elles ne
sont pas à l’abri de disparaître avec la culture de leurs protagonistes. En bref,
étudier les rites, c’est s’intéresser aux vivants, c’est apporter une traduction à
tous les codes tacites et explicites que l’on observe.
lebizarreum.com

La coopérative funéraire :
l’humain au centre, pas le profit
Une coopérative funéraire a pour mission de prendre soin du vivant dans
la mort et de donner une place à la mort dans nos vies, d’accompagner, de
proposer des services funéraires avec une vision dans la durée. Au-delà de la
prise en charge du corps, des aspects organisationnels et administratifs, la
démarche inclut tout service qui aide à mieux vivre le deuil. Cela prend
forme par des services avant le décès d’une personne, au moment de sa mort
et dans les mois qui suivent. La coopérative est garante d’une démarche
d’information et d’accompagnement des familles à toutes les étapes de
l’organisation des obsèques.
Quelques sites utiles :
cooperativefuneraire.be
sypres.fr
cooperative-funeraire.coop
cooperativefunerairedelille.fr

L’humusation : Rendre son corps à la terre pour prendre soin de la vie


L’humusation est un processus contrôlé de transformation des corps
humains par les micro-organismes présents dans le sol. Le compost
transforme les dépouilles mortelles en un humus sain et fertile en moins
d’une année.
Voici des sites pour en savoir plus sur cette démarche, qui n’est pas encore
autorisée par la loi dans nos pays :
Quelques sites utiles :
humusation.org
humusationfrance.org
humusation.ch
Calotte glaciaire de Penny, Nunavut, Canada, 3 juin 2022.
CÉLÉBRER AUTREMENT

Q « ue la terre lui soit légère. » Cette formule fait partie des paroles
de soutien que l’on entend ou que l’on prononce, parfois de
manière un peu automatique, lors d’une cérémonie funéraire. « Ce
n’est pas tant le chant qui est sacré, c’est le lien qu’il crée entre les êtres », dit
très justement Philippe Barraqué, créateur de la musicothérapie. Quand le
religieux est moins présent ou fait moins sens dans nos vies, ce sont aussi les
rituels qui disparaissent. Comment rendre hommage à un disparu sans les
repères habituels ? Comment se souvenir et se soutenir ? Comment trouver
un accompagnement qui fasse sens et soit peut-être plus léger qu’autrefois,
moins austère et plus humain ? Les initiatives suivantes en font le pari.
Gauthier de Pierpont :
cheminer autour du deuil autrement
Pour ce Belge qui a perdu son père à 18 ans, la mort a toujours fait partie
de la vie, un peu comme une évidence. Il faut dire qu’avec une mère et une
sœur actives dans les soins palliatifs… Pourtant, ce n’est que récemment,
après une première vie dans la formation en entreprise, que Gauthier
de Pierpont se forme pour devenir célébrant funéraire. Il constate que dans
la « tempête émotionnelle » qui survient lors du décès d’un proche, il n’est
pas facile de préparer une cérémonie. C’est alors que sa présence peut
s’inviter pour construire, pas à pas, un au revoir riche de sens.
Gauthier travaille dans un écosystème de personnes engagées avec cœur
pour soutenir les personnes qui restent et leur permettre de cheminer avec
présence autour du deuil.
gauthierdepierpont.com

Les Soupirantes : l’accompagnement pacifiant des voix humaines


Au sein de cet ensemble vocal pour cérémonies funéraires, Florence Laloy,
cheffe de chœur, et ses comparses chanteuses, toutes sensibles à l’humain et
au relationnel, se voient comme des passeuses.
Passeuses de notes, de mots et d’émotions à la fois sur scène et dans
l’intimité du réel. Ce projet des Soupirantes a vu le jour au sein du collectif
d’artistes H2Oz, spécialisé en créations théâtrales destinées au jeune public.
Il s’est créé comme une évidence pour soutenir les familles et les amis dans
le chemin du deuil.
lessoupirantes.be

Quelques sites utiles :


croque-madame.be
dignitymemorial.com/fr-ca/celebration-of-life/funeral-celebrants

Happy End :
Et si on vivait en paix avec la mort ?
Dans la même perspective laïque, Happy End se présente comme une
plateforme d’informations, de ré exion et de soutien qui parle sans tabou de
la mort et donne les informations nécessaires aux familles pour organiser un
enterrement qui leur ressemble. Lancée par Sarah Dumont, elle recense les
professionnels du secteur funéraire pour organiser sereinement les obsèques
d’un proche ou préparer sa propre n de vie, avec bienveillance et sérénité.
L’idée est d’aider les personnes à se paci er vis-à-vis de la mort.
happyend.life

Fleurs de Funérailles :
la consolation de la poésie
En Belgique « Poète national » est une institution qui valorise les échanges
littéraires et culturels entre les trois communautés linguistiques belges. En
2020, quand éclate la crise sanitaire, Carl Norac, alors poète national1,
s’interroge sur la meilleure manière d’adoucir ces instants difficiles. Il trouve
déchirant que des êtres humains soient inhumés sans cérémonies,
enterrements, ni cortèges. Découvrant De eenzame uitvaart (« l’enterrement
solitaire »), une initiative du poète hollandais Bart FM Droog, il décline
l’idée en Belgique avec le soutien de toute la profession. Les poétesses et
poètes du pays se mettent à composer des textes pour accompagner les
enterrements.
Pendant toute la période de la crise, l’objectif est d’offrir à chaque défunt
(décédé du Covid-19 ou non) dont la famille en fait le souhait un texte
d’adieu poétique. Le site du Poète national propose également, en libre
accès, des poèmes écrits spécialement pour cette action.
Plus de soixante-dix artistes belges soutiennent ce projet dont Laurence
Vielle, Yves Namur, Françoise Lison-Leroy, Colette Nys-Mazure, Lisette
Lombé, Caroline Lamarche, Vincent olomé, William Cliff, Jean-Pierre
Verheggen, Karel Logist, Luuk Gruwez, Charlotte Van den Broeck, Paul
Bogaert, Maud Vanhauwaert, Geert Van Istendael, Mustafa Kör et Peter
Holvoet-Hanssen.
www.poetenational.be/fleurs-de-funerailles

1. Le Poète national est nommé pour une période de deux ans, avec pour mission d’écrire des poèmes
sur l’histoire et la culture belges.
PARLER DE LA MORT NE TUE PAS

S ouvent, face à la mort, on manque de mots. On l’a vu dans le premier


chapitre, notre culture ne nous apprend pas à penser sereinement de
la nitude… Encore moins à en parler. Il existe néanmoins des
initiatives qui veulent mettre n à ce tabou et réintroduire ce sujet essentiel
dans nos vies.
Les Cafés mortels
Le concept de Café mortel est né en Suisse en 2004. Depuis le premier,
tenu à Neuchâtel, le sociologue valaisan Bernard Crettaz a animé des
centaines de Cafés mortels, et l’idée a été reprise autour du monde.
Des associations, mais aussi des maisons de retraite ou des paroisses
proposent des rencontres où les gens peuvent échanger librement sur
diverses questions comme :
• Comment aimerais-je mourir ?
• Comment puis-je me préparer à la mort ?
• Puis-je partager mes soucis et mes espoirs avec quelqu’un ?
• Qui peut m’aider à remplir un testament de vie ?
Les Cafés de la Mort
En Belgique, une fondation publique a été créée avec la même intention.
Elle propose différentes activités :
• La Promenade des Endeuillés : en marchant ensemble, les personnes
partagent un moment d’échange et d’accompagnement. Elles vont
rencontrer des personnes confrontées à la mort, renouer avec ce thème,
vivre un deuil en étant accompagnées.
• Le Café de la Mort : un moment passé au bistrot à se raconter des histoires.
Dans la force des témoignages, avec gravité ou humour mais toujours dans
le respect, les regards se croisent et la mort se dévoile.
• Une animation contes : des temps d’animation pour les plus petits sont
proposés aux écoles et associations. Après lecture d’un conte, un temps
d’échange est proposé.
lamortfaitpartiedelavie.com/nos-actions/cafe-de-la-mort/

Les Apéros de la Mort


La fondatrice de Happy End (voir page 222), Sarah Dumont, a
récemment créé en France un rendez-vous régulier pour les personnes qui
traversent le deuil, Les Apéros de la Mort. Ces rencontres sont organisées
au café ou en visioconférence pour échanger sur la n de vie, la mort et le
deuil. Ils permettent à chacun de s’exprimer sur ces sujets, souvent difficiles
à aborder avec ses proches. Pendant une rencontre, on peut partager ses
inquiétudes, revenir sur des moments difficiles, parler d’une personne qui
n’est plus, exposer sa vision de la mort. Les discussions sont libres et se
prolongent souvent après la réunion.
Les Apéros de la Mort rassemblent des gens d’âges très différents, entre
20 et 90 ans, qui ont été touchés par un deuil.
Les Orphelinades
Léa Scherer, devenue orpheline de ses deux parents alors qu’elle était au
tout début de sa vie d’adulte, a créé une page Instagram où elle parle du
deuil et de son vécu d’orpheline. Elle organise aussi les Orphelinades, des
rencontres-apéro en visioconférence à destination des jeunes adultes
orphelins. L’entrée dans l’âge adulte est un moment difficile lorsqu’on a
perdu ses parents. Léa Scherer partage donc des ressources et offre des lieux
de partage pour que les personnes concernées se sentent moins démunies et
isolées. « Créer @memoiresdorpheline m’a fait prendre conscience que nous
sommes loin d’être seuls à partager ce vécu particulier ! » dit-elle.
instagram.com/memoiresdorpheline

Les Petites Veuvries entre amies


Les Petites Veuvries, rencontres organisées à Lausanne, sont dédiées aux
femmes qui font face à un veuvage précoce. Le nombre de participantes est
limité à six personnes. À l’initiative de ce projet, Fanny Neuffer Dind et
Vanessa Maier. Fanny a 38 ans et a perdu son mari il y a trois ans et demi.
Elle élève seule leurs quatre enfants. Vanessa est doula de n de vie en Suisse
et fondatrice de l’association Doulas de n de vie-Suisse.
douladefindevie.ch/event/petites-veuvries-entre-amies-co-anime-par-vanessa-maier-et-
fanny-neuffer-dind/

Les Dialogues en Mortalité


Lancés par Liliane de Toledo, Erica et Patrice Mugny avec Anne-Marie
Struijk, les Dialogues en Mortalité ont pour objectif d’aborder cette étape
de la vie par différentes portes d’entrée.
Lors de chaque soirée, un intervenant livre sur le sujet un éclairage
particulier issu de son vécu, de sa pratique ou de son expertise pour inviter
les participants à partager leurs propres expériences.
dialoguesenmortalite.blogspot.com

Xavier, l’Homme étoilé


C’est d’abord pour lui-même que Xavier, alias l’Homme étoilé, a couché
sur le papier ses aventures en tant qu’in rmier en soins palliatifs. Ses récits
graphiques, publiés initialement sur Instagram, touchent le cœur de
millions de personnes. Son but, à la base, était de partager ce quotidien qui
l’a tant fait grandir comme soignant et comme homme.
La première histoire qu’il a partagée sur Instagram, c’est celle de Blanche.
C’est à elle qu’il doit son surnom.
Blanche est une petite dame de 80 ans qui fait face à l’impossibilité de la
médecine de la guérir. Elle le vit avec une grande souffrance et est plongée dans
une profonde dépression dont je n’arrive pas à la sortir. Ce n’est pas ma mission
de l’en sortir, mais je n’arrive même pas à ramener un petit peu de vie dans sa
chambre. Chaque matin, je m’occupe d’elle, je lui propose un petit peu d’aide
dans sa toilette et j’essaie de mettre de la musique qui pourrait lui plaire. On
écoute des musiques de lms, de la musique classique, un peu de variété
française. Je sens que toutes mes tentatives la traversent, que rien n’accroche. Je
le vis avec une grande frustration. Le cinquième matin, je lui dis que je veux la
faire vibrer, qu’on passe un bon moment ensemble. Du bout des lèvres, elle me
dit que quand elle était jeune, elle adorait Brel. Je lui mets Brel dans sa
chambre. En tant que Belges, Brel, c’est dans notre ADN. Je suis tellement
heureux que je fais le fou, j’utilise son pied à perfusion comme micro et je chante
avec elle. Elle en est si heureuse qu’elle sourit. Ce n’est peut-être pas grand-chose,
mais ça faisait tellement longtemps que ça ne lui était plus arrivé ! Le
lendemain, sa lle me cherche et me dit que, grâce à moi, sa maman a souri, sa
maman qui lui a dit : « L’homme étoilé m’a mis du Brel. » Elle m’appelle comme
ça à cause des étoiles tatouées sur mon bras. Je l’ai gardé comme pseudonyme pour
le petit côté super-héros et pour le symbole de toute l’énergie qu’on peut déployer
comme soignant.
Comme le dit Matthieu Ricard : « L’Homme étoilé ne se met pas à
distance de ses patients comme on le lui a appris, prétendument pour se
protéger. On peut certes comprendre cette crainte : les études menées par
Tania Singer l’ont montré, on souffre vraiment dans son corps de la
souffrance de l’autre. Et cette résonance empathique peut créer de
l’épuisement émotionnel : ce qu’on appelle aussi le burn-out. Mais si la
bienveillance et l’amour prennent leur place en nous, il n’est plus nécessaire
de mettre de la distance, car l’amour régénère nos ressources. Ce n’est pas
juste une image : le fait d’aller vers l’autre est véritablement un antidote qui
neutralise la détresse empathique. »
CE QU’IL RESTE
DE LA VIE
Le don d’organes
L’équipe du GIGA, et le Dr Steven Laureys en particulier, est très engagée
en faveur du don d’organes. Comme il aime à le dire en souriant, c’est la
seule preuve scienti que de vie après la mort.
En Belgique et en France, le principe du consentement présumé est
appliqué au don d’organes, de tissus et de cellules après la mort. Ce qui
signi e qu’aux yeux de la loi, si vous ne vous y êtes pas opposé de votre
vivant, vous êtes considéré comme donneur d’organes après votre décès.
Cultiver la mémoire
Lors d’un décès vient la tristesse, l’absence, le manque. Et tellement
d’interrogations. Pour celui ou celle qui se prépare à partir : dans quel
endroit pourrai-je reposer pour l’éternité ? Existe-t-il un lieu représentatif
du souvenir que je veux laisser à mes proches ? Pour celles et ceux qui
restent : où vais-je pouvoir me recueillir et trouver de l’apaisement ? Y a-t-il
une alternative aux columbariums, souvent trop froids, ou aux pelouses de
dispersion, trop anonymes, pour évoquer la mémoire du défunt ?
Le jardin du Souvenir
Sur le site des anciens fours à chaux de Tournai, en Belgique, la fondation
Famawiwi propose à ses membres de personnaliser un « passe-mémoire »
avant leur décès. Chaque œuvre d’art sera installée au cœur du jardin du
Souvenir, et les cendres des membres seront répandues dans cette
mnémothèque.
famawiwi.com

La forêt de la paix de Hümmel


En Allemagne, le célèbre forestier Peter Wohlleben a créé dès 2002 un
cimetière de forêt de 14 hectares, où les gens peuvent déposer les urnes
funéraires de leur défunt incinéré sous de vieux arbres portant une plaque au
nom de la personne. Redevenir poussière en forêt, au pied de pierres
tombales vivantes, n’est-ce pas une belle idée de dernier repos ? Les urnes
sont inhumées au pied d’arbres et le processus est soumis au même régime
de concession que les tombes d’un cimetière classique. Les acquéreurs de la
concession ont ainsi permis de nancer la préservation de cette forêt.
ruheforst-huemmel.de

Les Arbres du Souvenir


La fondation Les Arbres du Souvenir a pour mission première d’apaiser
les personnes endeuillées, par une reconnexion à la forêt et à ce qu’elle a de
sacré. Le lieu de mémoire et de recueillement qu’elle met à disposition des
personnes endeuillées se situe à Soleilmont, en Belgique. Une jolie forêt de
11 hectares qui permet d’accueillir les cendres d’un proche disparu, ou de
cultiver autrement son souvenir, en pleine nature.
Ici, pas de stèle, de couronne funéraire ou d’ornement permanent. Pas de
chemin balisé ou de clôture. Mais des arbres, de la mousse, des plantules,
des oiseaux et des champignons sauvages. C’est un endroit où on peut se
promener, respirer, observer, écouter la forêt, en toute liberté. Et où peu à
peu se transforme le deuil, en se reconnectant à l’essentiel, en s’ouvrant à ce
qui émerge, avec sérénité.
arbresdusouvenir.com

Enfant, je n’aimais pas les cimetières. J’y accompagnais de temps en temps mes
parents. On me demandait de m’y taire, et le caveau familial, minéral et froid,
me faisait peur. Plus tard, jeune adulte, une très chère amie est décédée et a été
incinérée. Son rire éclatant a été troqué pour une boîte en métal (une urne).
Après quelques visites déprimantes devant son armoire fermée à double tour (un
columbarium), j’ai décidé de plutôt en ler mes chaussures de marche pour aller
dialoguer avec elle en forêt. Et là, la magie a opéré. J’ai pu en n réentendre le
souvenir de son rire éclatant. Il y a encore eu par la suite d’autres deuils
douloureux autour de moi, mais toujours ce même constat : c’est lors de balades en
forêt que nous arrivions le mieux à parler de la mort et de nos défunts. Comme
si la nature nous y aidait.
Les arbres pourraient-ils être un lien entre la terre et le ciel, la vie et la mort ?
Est-ce que les forêts, quand on s’y promène, nous aideraient à nous connecter à
nos défunts, à l’au-delà ?
Petit à petit a alors germé en moi le rêve d’un lieu où la mort ne serait plus
isolée de la vie. Une forêt où l’on pourrait faire de grandes promenades pour
avoir ce temps de parole en famille autour de nos défunts et de nos défuntes. Une
forêt où les enfants ne devraient plus se taire mais pourraient s’exprimer autour
de la mort, y rire et y faire des cabanes. Une forêt où la mort ne serait pas
taboue.
J’ai concrétisé ce rêve en 2015, en créant la fondation Les Arbres du Souvenir et
en faisant l’acquisition d’une jolie forêt de 11 hectares. Elle est à Soleilmont, au
centre de la Wallonie.
Depuis, j’aime y accompagner les familles en deuil. J’aime déambuler le long des
sentiers pour les aider à trouver l’arbre qui leur correspond a n d’accueillir les
cendres de l’être qui leur manque. J’aime être à l’écoute de leurs souhaits pour lui
rendre un magni que hommage. J’aime à cette occasion les entendre chanter, rire
et parfois danser. J’aime la simplicité des enfants lorsqu’ils parlent de la mort, et
qui me demandent même parfois d’inhumer ou de disperser les cendres à leur
place. J’aime voir les visages éprouvés repartir apaisés et lumineux, car la forêt
est une inépuisable source d’inspiration pour accueillir nos émotions et les
transformer. En résumé, j’aime cette forêt qui soigne, cette vie au cœur de la
mort.
Aux Arbres du Souvenir, on se souvient des défunts et on célèbre la vie.
Témoignage d’Alexia Willems, cofondatrice des Arbres du Souvenir
2 m2 d’éternité : les tombes paysagères
Les cimetières sont des espaces traditionnellement très minéraux. Après
une reconversion à 180 degrés, Laurence Gar eld et Nathalie Houdebine
proposent depuis 2012 aux familles la création de sépultures paysagères,
comme alternative à la traditionnelle pierre tombale. Elles créent des
tombes paysagères sur mesure qui, tels de petits contes euris, évoluent au
l des saisons et racontent autrement l’histoire de la personne disparue.
Leur approche ne plaît pas à tout le monde, en choque certains. Pour elles,
il est question de changer les codes et de s’inspirer d’autres pays où les
cimetières ressemblent davantage à des lieux de promenade. Les cimetières
anglais ou allemands, par exemple, sont de vrais jardins, des lieux où il fait
bon vivre… après la mort !
2m2deternite.com

La Mémoire nécropolitaine
Fondée par Anne Fuard et André Chabot, La Mémoire nécropolitaine est
une association culturelle qui se propose de donner un futur au passé en
sauvegardant le patrimoine funéraire. Ethnographe des cimetières, André
Chabot constitue un fonds iconographique en perpétuel développement –
deux cent cinquante mille photos prises à ce jour à travers le monde. À
travers l’image, l’association recueille et transmet les coutumes et les rituels
et nous parle des appartenances religieuses et philosophiques qui
soutiennent la vie des humains.
lamemoirenecropolitaine.fr
Collectif Mère Lachaise
Les allées du Père-Lachaise sont une promenade parisienne
incontournable, le cimetière du XXe arrondissement étant très populaire en
raison des hommes célèbres qui y sont enterrés.
Camille Paix, journaliste, met en avant depuis plusieurs années
maintenant des portraits de femmes illustres, écrivaines, peintres,
comédiennes, cinéastes, acrobates, mathématiciennes, résistantes ou encore
militantes féministes, qui ont pour dernière demeure le cimetière parisien.
Elle souhaite ainsi rendre visible « le matrimoine funéraire ».
instagram.com/merelachaise

Se raconter pour garder des traces


Différentes initiatives proposent de recueillir les traces de notre passage
sur terre a n de les transmettre à notre descendance ou aux générations
futures.
Écrire son autobiographie
Beaucoup ont envie d’écrire leurs mémoires pour témoigner, évoquer une
expérience, con er des souvenirs, livrer ses émotions. Mais tout le monde
n’est pas doué d’une bonne plume ou n’a pas le temps, l’énergie parfois, de
rédiger un livre. C’est pourquoi des écrivaines et écrivains biographes en ont
fait leur métier.
Aurore biographe
Passionnée par les mots, Aurore Guilhamet met sa plume au service de
toutes et tous.
Elle revisite, au rythme de la personne, les aspects clés de sa vie, ce qu’elle
souhaite laisser derrière elle. Elle con e : « Un jour, j’ai rencontré une
dame ; quand je lui ai parlé de mon métier de biographe pour particuliers,
elle m’a répondu que sa vie était d’une banalité affligeante. D’après elle, rien
ne justi ait qu’elle pense à écrire son histoire. Pourtant, après que je l’ai
interrogée sur son enfance, ses études, son travail, la rencontre avec son
mari, la naissance de ses enfants et ses voyages, elle s’est rendu compte, une
lueur de erté dans les yeux, que chaque instant de sa vie pouvait être
retranscrit dans un livre. Aucune vie n’est banale. Nous méritons tous d’avoir
notre biographie. »
aurore-biographe.fr/Biographie

Passeur de mots
Née en septembre 2007 dans le service d’onco-hématologie du centre
hospitalier Louis-Pasteur de Chartres, l’association Passeur de mots a
essaimé dans toute la France. Elle forme notamment des passeuses qui vont
récolter les récits de vie de personnes malades et les mettent en mots pour et
avec elles. « Grâce au livre, je suis éternelle et je serai toujours vivante ! »,
tels sont les propos d’une personne gravement malade qui a été
accompagnée dans cette démarche.
À partir d’épisodes de vie recueillis à la maison ou à l’hôpital, le ou la
biographe crée un très beau livre relié par un artisan d’art. C’est avant tout
une histoire de relations et de rencontres.
L’association forme et vise à faire reconnaître ce nouveau métier qu’est la
carebiographie (du mot anglais « care », ou soin, et biographie), un véritable
soin de soutien, aux yeux des passeurs, pour les personnes gravement
malades. En 2021, vingt-sept passeurs et passeuses avaient déjà été formés,
et quatre collectifs émergeaient en France, en Suisse et en Belgique.
La Mélodie des mots, un documentaire de Marie Halopeau réalisé sur ce
sujet en 2016, a été primé de nombreuses fois.
passeur-de-mots.fr

Réaliser son album de vie


Différents sites proposent de réaliser un album de vie, un livre qui
rassemble ses souvenirs, pour soi et pour les autres. On peut préparer et
collecter écrits, photos, vidéos, dessins, musiques, lettres. L’album de vie
devient un espace de mémoire interactif et sécurisé.
Après le décès, l’album de vie sera rendu accessible aux proches du défunt.
Quelques sites utiles :
welcome.storyworth.com
albumdevie.com

Au-delà des nuages


Une initiative particulière destinée aux parents ayant perdu un bébé
in utero ou à la naissance. Une photographe vient prendre des photos de
l’enfant a n que son souvenir reste présent et soutienne le processus de
deuil.
audeladesnuages.be

AQLO, la banque de la mémoire


Écoutons le fondateur de cette banque, Édouard Boulon-Cluzel : « Ce
projet est né d’une expérience personnelle. J’étais très proche de ma grand-
mère maternelle et, il y a vingt ans, je lui ai proposé de l’enregistrer pour ne
pas oublier toutes ces histoires que j’aimais l’entendre me raconter. J’ai
utilisé une cassette audio et un bon vieux magnétophone… Ma grand-mère
nous a quittés quelques années plus tard, et cette cassette est devenue mon
trésor. Simplement, en seize ans, il m’a fallu changer deux fois de supports
(CD puis MP3) pour espérer conserver sa voix. J’ai pris conscience de la
menace que représentait l’obsolescence de tous ces sons, photos, écrits,
vidéos à l’ère numérique. D’où l’idée d’AQLO, une banque de la mémoire
qui permet à chacun de déposer, conserver, valoriser et transmettre les plus
précieux documents d’une vie, tout en facilitant la rencontre des mémoires
individuelles et collectives. » AQLO signi e « Dans ton Royaume » dans la
langue des anges, selon John Dee, le Nostradamus anglais de la
Renaissance.
aqlo.fr
L’ASSOCIATION ÉMERGENCES

É mergences a pour objectif de contribuer à l’avènement d’une société


plus juste, consciente, altruiste, chaleureuse et solidaire. Co-fondée
par Ilios Kotsou, Caroline Lesire et Matthieu Ricard en 2009 avec le
soutien amical de Christophe André, l’association s’inspire de l’adage
attribué à Gandhi : « Sois le changement que tu veux voir en ce monde. »
Se changer pour mieux voir, mieux voir pour (se) changer : Émergences
nous invite à changer de regard depuis ses débuts.
Changer le monde peut paraître une tâche impossible devant l’ampleur
des dé s qui nous sont collectivement posés. Pourtant, lorsque nous
sommes nombreuses et nombreux à changer, la culture évolue. Par nos
activités, qui allient connaissance de soi, ouverture à l’autre et engagement
citoyen et écologique, nous voulons participer, un pas à la fois, à faire
apparaître davantage tous ces liens joyeux et précieux qui existent déjà.
À cette n, l’association propose des ateliers en lien avec la méditation
engagée, invitant à changer de regard sur nous-même, les autres et le
monde, dans la perspective d’un mieux-être tant individuel que collectif.
Dans une démarche engagée socialement, l’association contribue à mener
et/ou à nancer des projets solidaires en Belgique et à l’étranger.
Les activités d’Émergences
Cycles MBSR et d’approfondissement
Émergences propose différentes possibilités pour découvrir la pleine
conscience bienveillante ou approfondir votre pratique : des cycles
d’initiation de huit semaines (MBSR), mais aussi des cycles spéci ques
(préparation à la naissance et à la parentalité, pleine conscience
interpersonnelle, pleine conscience et intimité, cycle pour apprivoiser l’éco-
anxiété) ainsi que des suivis et cycles d’approfondissement. Des cycles sont
organisés en matinée et en soirée, dans différentes villes de Belgique ainsi
qu’en ligne.
Retraites et ateliers
Plusieurs fois dans l’année, nous vous proposons des temps d’arrêt pour
approfondir la pratique. Que ce soit pour une soirée ou pour plusieurs jours,
ces moments de redécouverte sont importants pour renouer avec la pratique
de la méditation, dont la régularité est si importante.
Méditation et enseignement
Conscients que l’école est un lieu d’apprentissage, nous proposons, en
collaboration avec l’association ALME, des modules pour le corps
enseignant, permettant d’appréhender la pleine conscience bienveillante et
de l’intégrer au quotidien, avec les élèves, les parents et les collègues.
Ces modules permettent de développer des compétences fondamentales
pour aborder le monde avec con ance, ouverture et bienveillance, tout en
contribuant à une ambiance de travail saine et propice aux apprentissages.
emergences.org/education

Méditation au service du vivant


Parce que nous sommes convaincus qu’une meilleure connexion avec le
vivant favorise l’épanouissement humain autant que notre capacité à
répondre aux enjeux écologiques actuels, nous proposons des activités
destinées à préserver notre lien au vivant, via des ateliers, séjours et retraites
thématiques. Parmi elles, des ateliers d’éco-psychologie pratique, inspirés
par le travail de Joanna Macy, a n de tisser des liens avec notre
environnement, renforcer notre résilience et notre capacité à répondre aux
crises actuelles et à venir.
Conférences Émergences
Chaque mois, Émergences accueille à Bruxelles un auteur, un chercheur
ou un praticien inspirant autour des thèmes qui lui sont chers tels que la
sagesse au quotidien, la pédagogie positive, les neurosciences, la transition
écologique ou l’éducation.
Pour découvrir les activités de l’association (programmes de pleine
conscience, conférences, ateliers, retraites, journées de pratique…),
consultez l’agenda en ligne sur le site d’Émergences : emergences.org.
Les projets menés et soutenus par Émergences
De la Belgique à l’Himalaya, les projets que nous soutenons visent à
apporter un mieux-être à des personnes fragilisées. Tel est le cas par
exemple de Karuna-Shechen, l’association fondée par Matthieu Ricard,
présent aux côtés d’Émergences depuis ses débuts, qui vient en aide à plus
de 250 000 personnes des régions himalayennes.
Depuis quelques années, l’association a également à cœur de concevoir et
de mener à bien des projets solidaires et engagés en interne, au plus proche
de ses missions et valeurs, et ce de plusieurs manières.
Prezens
Nous avons créé une application mobile de méditation qui permet à toute
personne, quels que soient ses revenus, d’avoir accès à un accompagnement
de méditation de grande qualité. L’application contient des parcours autour
des thèmes de l’attention, de l’autocompassion, de la gestion des émotions,
mais aussi en lien avec la nature, la famille et les enfants. Nous avons aussi
voulu y apporter une touche poétique et favoriser le sentiment de
communauté.
Ce projet est la suite logique de notre engagement à proposer des
méditations libres d’accès en direct depuis mars 2020 (premier
con nement). Depuis lors, nous avons offert plus de mille séances de
méditation en direct.
prezens.app
Art et contemplation
Émergences propose à chacun de se reconnecter à soi et de se relier aux
autres par des activités associant arts, musique et méditation.
Convaincus du rôle de la culture dans l’épanouissement humain et
l’ouverture des consciences, nous collaborons avec de nombreux artistes,
associations et institutions sensibles à ces enjeux, par des formations offertes
aux encadrants, ou en co-organisant des événements mêlant arts et pleine
conscience.
Parmi nos partenaires : la Chapelle musicale Reine-Élisabeth, les chorales
Equinox (chorales-equinox.be), mais aussi le Jardin musical, un nouveau
projet visant à décloisonner sciences, arts et méditation. Nous proposons
aussi des formations à la pleine conscience pour les enfants aux chefs de
chœur des chorales d’enfants de Singing Molenbeek (singingmolenbeek.be),
une association née au lendemain des attentats qui ont rendu la commune
tristement célèbre.
En n, des activités de méditation co-organisées avec le musée des Beaux-
Arts de Lille, le musée de Louvain-la-Neuve et le Musée royal des beaux-
arts de Bruxelles sont régulièrement proposées au public.
Sentiers méditatifs

É
Tissant des liens entre arts, nature et contemplation, Émergences
participe régulièrement à l’organisation de soirées de méditation ouvertes à
tous à l’abbaye de Villers-la-Ville, en marge du sentier méditatif inauguré
en 2018, auquel nous avons contribué.
Un sentier méditatif a été créé à Rochefort, un troisième est en
préparation à Enghien.
Formations et outils pour les associations
Nous soutenons des associations et organismes qui fournissent un travail
remarquable sur le terrain comme le SAMU social ou encore Team4Job, en
leur proposant des formations et outils inspirés de la pleine conscience.
C’est dans ce cadre que nous menons également des activités de
méditation en milieu carcéral, à destination des détenus et gardiens. Depuis
2014, nous proposons ainsi des cycles de pleine conscience à la prison de
Leuze-en-Hainaut, sur la base du volontariat. L’objectif de ces sessions est
d’aider les individus à prendre conscience de ce qui est important pour eux,
de leurs difficultés et de leurs ressources, a n de préparer une réinsertion
réussie dans la société. Parallèlement, nous sommes en train de réaliser une
plateforme de suivi a n d’accompagner les détenus dans leur pratique
quotidienne et de pérenniser les béné ces des séances.
Engagement citoyen
Émergences est membre de la Coalition Climat et, à ce titre, s’engage
pour que soient entendues les demandes de la société civile belge pour plus
de justice sociale et climatique. Parmi nos actions, des événements organisés
au béné ce d’associations ou de mouvements, tels que la projection d’un
lm pour la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés (bxlrefugees.be)
ou des activités de méditation avant les marches pour le climat.
MamanCercle
Ce projet vise à recréer la chaleur d’une communauté de village pour
soutenir les mamans, bien souvent en première ligne dans les moments de
crise. Tous les quinze jours, à chaque pleine lune et nouvelle lune,
MamanCercle propose un moment de méditation et de reconnexion en
ligne.
La prochaine saison démarre en mars 2023.
Inscriptions : mamancercle.love
Mères au front Belgique
Cette association d’inspiration écoféministe est née à l’invitation du
mouvement québécois des Mères au front. Les mères se soulèvent pour que
nos dirigeantes et dirigeants prennent en n les décisions qui s’imposent
pour faire gagner la vie. Diverses actions sont organisées, dont une chorale
écoféministe qui se réunit tous les quinze jours le mercredi matin, mais aussi
des projections, des ateliers et des activités en soutien à toutes les luttes qui
font sens.
LES AUTEURS ET AUTRICES

Christophe André
Psychiatre et psychothérapeute français spécialisé dans la prise en charge
des troubles anxieux et dépressifs, particulièrement dans le domaine de la
prévention des rechutes, Christophe André est l’un des chefs de le des
thérapies comportementales et cognitives en France. Il a également été l’un
des premiers à y introduire l’usage de la méditation en psychothérapie.
Marié et père de trois lles, il a dirigé une unité spécialisée dans le
traitement des troubles anxieux et phobiques à l’hôpital Sainte-Anne, et y a
animé des groupes de méditation de pleine conscience dans le cadre de la
prévention des rechutes dépressives. Il enseigne par ailleurs à l’université
Paris-Nanterre, et est aussi l’auteur de nombreux articles et ouvrages
scienti ques, ainsi que de livres destinés au grand public.

Christophe Fauré
Christophe Fauré est psychiatre et psychothérapeute, spécialisé dans
l’accompagnement des ruptures de vie : deuil, maladie grave et n de vie,
séquelles post-traumatiques, séparation, divorce, transition du milieu de la
vie. Que ce soit à la suite de la disparition d’un être cher ou de la perte
d’une relation d’amour, il existe un processus de deuil dont il est important
de connaître les clés pour traverser cette souffrance le mieux possible. Le
cœur de son travail se fonde sur la conviction que chacun d’entre nous porte
en lui d’insoupçonnables ressources pour se libérer de l’étau de la peine et
parvenir en n à l’apaisement. Il est l’auteur de nombreux ouvrages qui sont
devenus des références.

Michel Gergeay
Né en 1949, Michel Gergeay a vécu au Burundi jusqu’à ses 13 ans. Puis ce
furent la Belgique et les études. Licencié de philosophie de l’Université libre
de Bruxelles, il a consacré une vie itinérante à l’enseignement.
Il retourne d’abord en Afrique quelques années (Congo, Niger) pour
enseigner, apprendre et découvrir. Y accompagner, aussi, les premiers pas de
ses deux enfants.
Son amour de l’enseignement et du nomadisme le ramène en Europe, en
Belgique puis en Italie où il enseigne une dizaine d’années à l’École
européenne de Varèse.
Le reste de sa carrière est belge, dans différentes écoles secondaires ou
supérieures et comme assistant en philosophie à l’Université libre de
Bruxelles.
Il est profondément convaincu du pouvoir libérateur et démocratique de la
connaissance critique. Sa passion de la communication veut dépasser la
froide transmission, sans s’évaporer dans la chaleur d’une communion : il
s’agit d’abord de chercher les mots pour s’exprimer, d’établir avec l’autre le
lien qui permet l’écoute mutuelle. Il a tenté de formaliser cette approche
dans de nombreux articles et conférences, dans un roman aussi (Ève en avait
rêvé, Descartes, Éditions Antya, 2014), mais c’est bien l’enseignement,
fondé sur l’oralité, donc le débat, qui en est pour lui la voie privilégiée parce
que toujours ouverte et jamais gée.

Ilios Kotsou
Docteur en psychologie et maître de conférences à l’Université libre de
Bruxelles, Ilios Kotsou s’intéresse aux interactions entre science
fondamentale et pratique sur le terrain. Membre de Mind & Life Europe, il
a aussi fondé, avec Caroline Lesire et le soutien de Matthieu Ricard,
l’association Émergences, qui œuvre pour une société plus solidaire et
consciente et qui nance des projets humanitaires. Il est intervenu pendant
de nombreuses années dans le domaine des émotions et de la gestion des
con its, notamment pour Médecins sans frontières ou encore la Croix-
Rouge. Passionné par la science des émotions et par la méditation, il
consacre son travail au lien entre connaissance de soi et engagement citoyen.
Il est aussi co-créateur de l’application de méditation Prezens (prezens.app),
la première plateforme de méditation solidaire. Son dernier livre, écrit avec
Matthieu Ricard, Les Folles Histoires du sage Nasredin (Paris, L’Iconoclaste,
2021), explore le versant espiègle et paradoxal de la sagesse.

Steven Laureys
Neurologue et professeur de clinique au département de neurologie du
CHU de Liège et directeur de recherche au Fonds de la recherche
scienti que-FNRS, Steven Laureys a acquis une renommée mondiale pour
ses travaux sur la neurologie de la conscience et le coma.
Il a dirigé le Coma Science Group au sein du centre GIGA-
Consciousness, à l’université de Liège. La majeure partie de ses travaux de
recherche est consacrée à l’étude des altérations de la conscience chez les
patients sévèrement cérébro-lésés, mais aussi durant l’anesthésie, le sommeil
ou encore la méditation…
Steven Laureys est l’auteur de plus de trois cent cinquante articles
scienti ques et de plusieurs ouvrages, dont Un si brillant cerveau, les états
limites de conscience (2015) aux éditions Odile Jacob. Il est également lauréat
de nombreux prix scienti ques, dont le prix Francqui (2017), prix
scienti que belge le plus prestigieux.

Caroline Lesire
Rebelle dans l’âme, infatigable militante à l’enthousiasme contagieux,
Caroline a suivi un cursus en sciences politiques et aide humanitaire
internationale avant de se former pour transmettre la pleine conscience,
pratique qui a transformé son regard sur la vie et qui la soutient au
quotidien.
Après avoir coordonné des projets d’accès aux soins de santé dans
différents pays d’Afrique pendant sept ans, elle s’est engagée à (plus que)
plein temps dans Émergences. Partager la pleine conscience et le travail qui
relie la nourrit et la met en joie, tout comme le fait de créer du lien entre les
personnes qu’elle aime et qui l’inspirent.
Elle est l’autrice de plusieurs contributions à des ouvrages collectifs et
vient de terminer un master de spécialisation en études de genre.

Charlotte Martial
Charlotte Martial est chercheuse post-doctorale au Coma Science Group
(GIGA-Consciousness, université de Liège) et neuropsychologue au Centre
du cerveau (CHU de Liège). Dans cette équipe, elle dirige les études sur le
phénomène des expériences de mort imminente. Plus généralement, elle
s’intéresse aux épisodes de conscience « déconnectée » (vivre une expérience
subjective, sans expérimenter l’environnement extérieur). Elle explore les
conditions dans lesquelles les individus sont non-répondants à
l’environnement, comme lors d’une anesthésie générale ou d’un arrêt
cardiaque, mais faisant l’expérience d’une conscience « déconnectée »,
comme peuvent en témoigner les récits recueillis au réveil. Elle explore
également les corrélats neuronaux d’autres états altérés ou modi és tels que
les troubles de la conscience.

Matthieu Ricard
Matthieu Ricard, né en France en 1946, ls du philosophe français Jean-
François Revel et de l’artiste peintre Yahne Le Toumelin, est moine
bouddhiste, auteur, traducteur et photographe. C’est en 1967, lors d’un
premier voyage en Inde, que Matthieu rencontre plusieurs êtres inspirants,
parmi lesquels Kangyour Rinpoché, qui deviendra son premier maître
bouddhiste. De retour en France, en 1972, il achève sa thèse en génétique
cellulaire à l’Institut Pasteur sous la direction du Prix Nobel François Jacob,
avant de s’établir dans l’Himalaya, où il vit maintenant depuis plus de
quarante ans. Ordonné moine bouddhiste en 1978, il est l’interprète
français du dalaï-lama depuis 1989. Parallèlement, il photographie la vie
dans les monastères ainsi que l’art et les paysages du Tibet, du Bhoutan et
du Népal. Il est l’auteur de nombreux ouvrages et consacre l’intégralité de
ses droits d’auteur aux projets de Karuna-Shechen, qu’il a contribué à
lancer. Depuis 2000, il fait partie du Mind & Life Institute, qui facilite les
rencontres entre la science et le bouddhisme. Il participe activement à des
travaux de recherche sur l’in uence de l’entraînement de l’esprit à long
terme sur le cerveau. Matthieu a aussi contribué à créer les Journées
Émergences, auxquelles il participe depuis leur création.
REMERCIEMENTS

Nos remerciements vont tout d’abord à Sophie de Sivry, directrice des


éditions de l’Iconoclaste, pour sa con ance et son soutien indéfectible dans
la réalisation de cet ouvrage.
Un immense merci à Catherine Meyer, notre éditrice, pour son
accompagnement, sa patience et toutes nos discussions si éclairantes.
Nous avons beaucoup de gratitude pour Matthieu Ricard, qui est à
l’origine des Journées Émergences avec nous et qui y participe activement
depuis le début. C’est à lui que l’on doit le choix de ce thème profond.
Merci à Charlotte Martial, Christophe André, Christophe Fauré, Michel
Gergeay et Steven Laureys pour la richesse et la profondeur de leurs regards
croisés.
Merci à L’Homme étoilé et à Constance Yver-Elleaume pour leurs
précieux partages. Merci aussi à Juliette Cazes de nous avoir transmis un
peu de sa passion pour les rites funéraires.
Merci aux Soupirantes, à l’équipe de Pass-ages, à Alexia Willems et à
Gauthier de Pierpont pour ce nouveau souffle plein d’amour donné à la n
de vie.
Merci aux chercheuses et chercheurs dont nous avons partagé les travaux
avec grand intérêt.
Merci à Christel Hébert, qui nous a aidés dans la préparation du texte, et
à nos proches pour leur soutien pendant la rédaction.
Merci en n à toutes celles et ceux qui prennent soin avec tant de cœur des
personnes en n de vie et de leur famille.
L’exemplaire que vous tenez entre les mains
a été rendu possible grâce au travail de toute une équipe.

Édition : Catherine Meyer


Couverture et conception graphique : Sara Deux
Révision : Agnès Aubry, Isabelle Paccalet
et Vladimir Sichler
Mise en page : Soft Office
Photogravure : Point 11
Fabrication : Louise Clément
Commercial et relations libraires : Adèle Leproux et Alexandra Pro zi
Coordination éditoriale : omas Garet
Presse et communication : Lise Chaton
Communication digitale : Alice Huguet

Rue Jacob diffusion : Élise Lacaze (direction), Katia Berry (grand Sud-Est), François-Marie
Bironneau (Nord et Est), Charlotte Jeunesse (Paris et région parisienne), Christelle Guilleminot
(grand Sud-Ouest), Laure Sagot (grand Ouest), Diane Maretheu (coordination),
Charlotte Knibiehly (ventes directes) et Camille Saunier (librairies spécialisées)

Distribution : Interforum

Droits France et juridique : Bertille Comar, Geoffroy Fauchier-Magnan et Anne-Laure Stérin


Droits étrangers : Sophie Langlais
Accueil et librairie : Laurence Zarra et Lucie Martino
Envois aux journalistes et libraires : Vidal Ruiz Martinez
Comptabilité et droits d’auteur : Christelle Lemonnier, Camille Breynaert et Christine Blaise
Services généraux : Isadora Monteiro Dos Reis
ISBN papier : 978-2-37880-306-3
ISBN numérique : 978-2-37880-338-4
Dépôt légal : Octobre 2022

Cette édition électronique du livre Quand la mort éclaire la vie de Christophe André, Christophe
Fauré, Michel Gergeay, Steven Laureys, Charlotte Martial et Matthieu Ricard a été réalisée le 5
septembre 2022 par Soft Office.
Cet e-book contient un filigrane (watermark) et une identification:
ADIBPARiBD8HYVc2UWVcYVxgVmIIYwptUjZSNws0AjVRYg5iAGw
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