Communication CRASC
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Résumé
La réalité linguistique en Algérie repose sur la pratique quotidienne des deux langues
nationales : le Tamazight (avec toutes ses variantes) et l'arabe (classique et dialectal). Ces deux
langues coexistent depuis des siècles et se caractérisent par leur utilisation à travers tout le
territoire national. En parallèle, la langue française occupe une place importante, notamment
dans l'enseignement et l'administration, tout en étant également pratiquée par certaines élites du
pays.
Cette communication abordera les situations réelles de coexistence des deux langues nationales
en Algérie et l'importance de la traduction entre ces deux langues pour renforcer le vivre-
ensemble linguistique dans notre pays. Nous appuierons notre argumentation sur des travaux
récents réalisés par des chercheurs en linguistique, mettant en lumière les similitudes qui
existent entre les deux langues nationales en Algérie, tant sur le plan lexical, sémantique que
morphosyntaxique.
Mots-clés : La traduction en Algérie, Les langues nationales en Algérie, Vivre-ensemble
linguistique.
Abstract
The linguistic reality in Algeria is based on the daily practice of the two national languages:
Tamazight (with all its variants) and Arabic (both classical and dialectal). These two languages,
which have coexisted for centuries, are characterized by their usage across the entire national
territory. Alongside these two national languages, the French language has also gained
significant importance, particularly in education and administration, and is practiced by certain
elites in the country.This communication will address the real situations of coexistence between
the two national languages in Algeria and the importance of translation between these languages
to strengthen linguistic coexistence in our country. We support our argument with recent
research conducted by linguists highlighting the similarities that exist between the two national
languages in Algeria, in terms of vocabulary, semantics, and morphosyntax.
Keywords: Translation in Algeria, National languages in Algeria, Linguistic coexistence.
Le premier contact entre les deux langues, l'arabe et le tamazight, remonte à l'époque de l'arrivée
de l'Islam au Maghreb. À cette époque, le besoin de diffuser les textes sacrés et les autres lois
religieuses a donné naissance à des traductions en tamazight du Coran et d’autre ouvrages
religieux. (Aziri, B, 2014 : 27). Salih ben Tarif, le fondateur du royaume amazigh de
Berreghwata, fut l'un des premiers à adapter le Coran en tamazight. On apprend également que
le fondateur de la dynastie Almohade, Ibn Toumert, a écrit en tamazight ses ouvrages religieux.
Selon le témoignage d’un historien contemporain de l’époque alomohade (Ibn Neqqach al-
Misri ), parmi les livres d’Ibn Toumart « al-Murchida », il l’a d’abord rédigé en tamazight puis
il l’a traduit en arabe. « Plusieurs textes rapportent des témoignages sur la pratique de l’écriture de
tamazight […], tel est le cas du texte d’Ibn Naqqach al-Misri (m. 599h/1202), sur l’ouvrage al-Murchida
d’Ibn Tumert (m. 524 H./1129), qui affirme que le texte original du maître a été écrit en langue berbère
en dialecte Masmuda. » (Mechehed, 2016 : 317).
Selon Ghouirgat. M (2015), la langue utilisée par les almowahads pour diffuser leur doctrine politique
et religieuse est désignée par l’appellation al lissan al gharbi (la langue occidentale), ils ont fait le choix
de ne pas utiliser l’appellation « langue berbère » pour nommer leur langue, car cette appellation
péjorative se rattachait aux hérésies longtemps prégnantes au sein du peuple amazigh au moyen Age.
« C’est dans cette langue occidentale qu’Ibn Toumert composa trois ouvrages intitulés l’unicité divine
(al tawhid), l’imama (al imama) et les règles (al-qawaâid). A ce titre, la langue occidentale bénéficie
d’une égalité de statut avec l’arabe en jouissant d’un support écrit en tant que langue d’expression du
sacré. » (Ghouirgat .M, 2015 : 592). Cette dénomination (langue occidentale), est probablement
moins connoté par rapport à d’autres dénominations en l’occurrence (el barbariyya), c’est ce
qui explique son usage par Ibn Toumer et son successeur Abdelmoumene dans le souci de
mettre en valeur le statut de la langue amazigh au côté de la langue arabe. « Cette dénomination
qui est probablement moins connoté, on la retrouve dans plusieurs passages, aussi bien dans
les mémoires d’Al Baudeq que dans le fragment généalogique (livre anonyme kitab al ansab fi
maârifat al aḥsab. » (Ouahmi, 2019 : 160).
Al Baydeq (1096- 1160)1 qui est l’historien de la dynastie almohade, dans son ouvrage sur
l’histoire d’Ibn Toumert et les Almohades 2, cite plusieurs toponymes et anthroponymes de
l’époque et on peut trouver également dans son ouvrage l’usage des expression en tamazight et
en arabe dialectale « Autre signe distinctif de l’ouvrage, c’est de renfermer tout un stock de
toponymes et d’anthroponymes qu’on ne trouve nulle part ailleurs pour certains. Outre le
berbère, assez présent comme nous venons de le voir, ce qui est surprenant c’est l’utilisation
dans le récit d’Al Baydeq de l’arabe dialectale ou arabe moyen dans le parler du Maghreb
Occidental. » (Ouahmi,2019 : 160). Pendant le règne du premier calife almohade
Abelmoumene Ben Ali (1130- 1163), le royaume a pris son extension dans tous le Maghreb et
l’Andalous, le tamazight est pratiqué au côté de l’arabe dans les prêches religieux dans les
mosquées et dans les assemblés politiques ou religieuses. Abdelmoumene fut adressé dans une
lettre au population de l’empire depuis Bejaia une lettre dans laquelle il insista sur le rôle imparti
à la langue occidentale (tamazight) et sur l’obligation pour tous ses habitants de l’apprendre. «
Et je commence par les principes de l’islam. Il faut apprendre aux gens la science de l’unicité
divine (al-tawhid), qui est l’affirmation de l’un et la négation de tout ce qui est en dehors de
lui. Nous ordonnons à ce qui comprennent la langue occidentale (al lissan algharbi) et qui la
parle de lire le Tawhid dans cette langue, du début jusqu’à la fin. » 3
Avec cette injonction
« Abdelmoumene exigea que tous les imams et prédicateurs de l’empire soient en mesure de
retenir par cœur le (crédo almohade) Tawhid en berbère. « C’est en vertu de ce statut que les
discours énoncés en langue occidentale avaient préséance sur ceux qui l’étaient en arabe, y
compris au palais almohade de Séville (Andalous). » (Guouirgate, 2015 : 593). La promotion
de tamazight au côté de l’arabe au 12eme siècle, permettait aux almohades de se différencier
radicalement de leurs prédécesseurs : almoravides et des fouqahas andalous, mais aussi des
pouvoirs orientaux. (Ghouirgate, 2015 : 592).
À la même époque, au XIIe siècle, un érudit originaire de Kelaâ de Beni Hammad à M’sila a
donné naissance au premier lexique bilingue Arabe-Tamazight. Il s'agit du "Kitab al asma'a"
1
مجلة الحوار، الكتابة التاريخية عند البيدق من خالل كتابه أخبار المهدي إبن تومرت و بداية دولة الموحدين، بن معمر محمد، عواد المنور
71 ص، )2020 (مارس1 ، 11 مجلد،المتوسطي
2
Livre de l’histoire du Mahdi Ibn Toumert et le début de l’Etat Almohade ( Kitab axbar al-Mahdi Ibn Tumart wa
ibtida’ dawlatu al muwahhidin), manuscrit découvert par l’orientaliste français Lévi-Provençal en 1924 à la
bibiothèque de l’Escorial de Madrid ( Ouahmi, 2019 : 150-151).
3
Extrait de la lettre de Abdelmoumene au habitant du royaume depuis la ville de béjaia citée par Ahmed
Azzaoui in10 ص2010 ، الرباط، نشر ربانية ديار الجامع،قضايا تاريخية خالل العصرين الموحدي و الماريني
Extrait cité et traduit par Mahdi Ghouirgate(2015), p 592 -593.
(le livre des noms) rédigé par Ibn Tunart 4. On trouve ce lexique sous forme de manuscrits et
deux versions de celui-ci sont conservées au musée de l'université de Leyde aux Pays-Bas,
tandis qu'une autre version se trouve à l'université d'Aix-en-Provence en France.
Contrairement aux ouvrages rédigés en tamazight par Ibn Toumart, dont on ne trouve aucune
trace à part le témoignage d'Al-Baydaq et d'autres chroniqueurs de l'époque, d'autres traductions
sont conservées intactes sous forme de manuscrit. Il s'agit notamment de "Kitab El Barbariya",
qui est une traduction du livre de fiqh ibadite rédigé par Ibn Ghanem, et du "Kitab de Aqida
Senoussiya" de Cheikh Senoussi, dont la version amazighe du manuscrit est conservée dans la
bibliothèque de Cheikh El Mouhoub Oulahbib (Beni Ourtilane, Sétif).
Tous ces exemples que nous avons cités, nous démontrent l'intérêt que les érudits amazighs ont
accordé à la traduction de l'arabe vers le tamazight et leur souci de faire des deux langues les
langues de communication et d'échange pour permettre la communication, la compréhension et
la coexistence des deux langues.
4
Il s’agit d’Abu Abdullah Muhammad ibn Jaɛfar al-Qaysi, plus connu sous le nom de Ibn Tunart ou Ibn Tunirt. Il
naquit en 1085 à la Kalâa des Beni Ḥammad, dans le nord de l’Algérie. Il fit ses études à Bougie et à Alger, puis à
Cordoue en Andalousie ; plus tard, il exerça la profession de juge et d’enseignant à Fès où il mourut en 1172.
In : Nait Zerrad, K, Numérisation du lexique arabo-berbère d’Ibn Tunart, http://manuscrit-ibn-
tunart.centrederechercheberbere.fr/, consulté le 05/10/2023.
Dans une étude réalisée par le linguiste Moussa Imarazene, intitulée "Étude syntaxique du
substantif, comparaison entre le kabyle, l'arabe littéraire et le dialectal" (OPU, 2015), l'auteur
a démontré les ressemblances qui existent entre le kabyle (variante amazighe du nord algérien)
et l'arabe algérien dans la structure syntaxique et grammaticale. Nous citons l'exemple du
complément déterminatif (dyal, taâ = n) qui n'existe pas en arabe littéraire, ainsi que le
complément causal exprimé de la même manière et avec la même préposition (bac) dans les
deux langues (Imarazene, M, 2015 : 117).
Dans une autre étude comparative entre l’arabe algérien et le tamazight réalisée par le linguiste
Mustapha Tidjet, intitulée "Ébauche d’une comparaison linguistique amazigh/arabe algérien",
publiée dans Timsal n Tamazight n°10 en décembre 2019, l’auteur a rappelé l’origine de la
formation de l’arabe algérien ayant comme ancêtre la langue punique et le tamazight. « La
langue amazighe est, avec le punique, le substrat historique qui a permis l’émergence d’une
nouvelle variété linguistique dite arabe algérien ou arabe populaire, voire maghrébin pour
certains linguistes. » (Tidjet, M, 2019 : 27).
Tidjet M, a démontré dans son article la proximité qui existe entre les deux langues, pas
uniquement sur le plan syntaxique et grammatical, mais aussi sur le plan phonétique, lexical, et
surtout sémantique. L’auteur donne l’exemple de l’expression kabyle "Iqreḥ-iyi uqerruy-iw"
(j’ai mal à la tête), qui sera rendue en arabe algérien par l’expression "Wǧeɛni ras-i". Dans ces
deux phrases, nous remarquons une correspondance terme à terme des deux expressions.
(Tidjet, M, 2019 : 35). La correspondance terme à terme entre les expressions en tamazight et
en arabe algérien, sans doute, facilitera la traduction et le passage entre les deux langues. "La
connaissance des mots est suffisante pour constituer une phrase kabyle à partir de son
équivalent en arabe algérien, et vice versa. Ce n’est pas toujours le cas pour passer de l’une
de ces deux langues à l’arabe classique." (Tidjet, M, 2019 :36).
Cette facilité de passage entre les deux langues est remarquable dans différentes situations de
communication entre les locuteurs amazighophones et arabophones. Souvent, parmi eux, on
trouve des locuteurs unilingues. Dans une époque très récente, on peut observer dans les villages
kabyles des vieilles femmes unilingues qui communiquent aisément avec les colporteurs,
souvent arabophones.
L’arabe algérien est la langue utilisée très largement par une grande masse de population du
pays. Malgré son extension sur le territoire national, la production intellectuelle dans cette
langue demeure limitée. On la retrouve, par exemple, dans la production de supports oraux tels
que la chanson et le cinéma. En ce qui concerne l'écrit, l'intérêt pour l'utilisation de cette langue
est presque nul, à l'exception de quelques tentatives que l'on entend de temps en temps (nous
pouvons citer l'exemple du roman "Faḥla", écrit entièrement en arabe algérien par Rabah Sebaa
en 2021, publié chez les éditions Franz Fanon à Alger). Quant à la traduction de l'arabe algérien
vers le tamazight et vice versa, nous avons recensé deux travaux. Le premier est un ouvrage qui
existe sous forme de manuscrit, disponible à la BULAC et enregistré sous la cote : M.SARA.53.
Ce manuscrit a été rédigé à l’époque coloniale (entre 1861 et 1862) par son auteur Didouche,
dont on ignore son origine et statut social. Très probablement il est rédigé sous la
recommandation des autorités coloniales pour servir les interprètes militaires de l’époque.
L’ouvrage en question est divisé en deux parties. La première partie est un dialogue de la
conversation entre l'arabe algérien et le kabyle, ce dialogue comporte des expressions en deux
langues en plus de leurs traductions françaises reflétant la vie courante. Les expressions sont
classées par sujet : prière, offre, refus, acceptation, consentement, accord, et formules de
politesse. Pour chaque expression en arabe algérien, il est fourni son équivalent en tamazight
(variante kabyle).
La deuxième partie contient des contes en arabe algérien et leur traduction en kabyle. L'intérêt
de ce manuscrit réside dans sa capacité à servir dans l'avenir pour des travaux de comparaison
entre les deux langues. Il peut même constituer un corpus pour toute étude traductologique dans
le domaine de la traduction de l'arabe algérien vers le tamazight.
Pour la traduction dans le sens inverse, c’est-à-dire du tamazight vers l’arabe algérien, nous
citons l’ouvrage intitulé "Tamacahut n waman d usefru n waman" d'Azeddine Sadi et Allaoua
Benkhider, édité en 2013 par les éditions Gosto à Bejaia. Il s’agit d’un récit et d'un poème qui
racontent l’histoire de la source de l’eau de Toudja (Bejaia), traduit vers l’arabe algérien par
Merzouk Hamiane sous le titre « Amḥajiya ɛla lma’ ». Cette traduction peut également servir
aux études comparatives entre les deux langues, et elle peut constituer un support pour
l’enseignement de la traduction, car le récit est conçu de manière didactique dans le but de
sensibiliser les gens sur l’importance de l’eau et de l’environnement en général.
Concernant les mécanismes qui caractérisent le passage et la traduction de l’arabe algérien vers
le tamazight ou l’inverse, les locuteurs en situation de communication font souvent recours à
l’usage de l’emprunt lexical et à la modulation.
Pour l’emprunt, le tamazight au fil de l’histoire a emprunté beaucoup de son lexique à l’arabe
classique et à l’arabe algérien. Cette dernière possède également cette faculté d’emprunter des
mots au tamazight, du fait qu’elle a conservé beaucoup d’unités d’origine amazighe, comme :
claɣem (moustache), ɛeggun (muet), zebbuj (olivier sauvage), etc. (Tidjet, M, 2019 : 32).
Un autre procédé qui intervient dans l’opération de passage entre les deux langues (l’arabe
algérien et le tamazight), le procédé de modulation.
La modulation est un procédé de traduction proposé par J.P. Vinay et Jean Darbelnet (1958)
pour désigner un certain nombre de variations qui deviennent nécessaires lorsque le passage de
la langue de départ à la langue d’arrivée ne peut se faire directement. (Vinay & Darbelnet, 2007,
88). La modulation passe par le changement de point de vue au niveau de la pensée.
Il existe plusieurs types de modulation décrits par Vinay et Darbelnet, parmi ceux-ci, la
modulation géographique (Vinay & Darbelnet, 2007, 90) que l'on rencontre souvent lors du
passage du tamazight vers l’arabe algérien et vice versa. Ce type de modulation est caractérisé
par le changement du complément du nom dans les situations où ce dernier a une relation avec
le groupe de locuteurs. C’est une manière d’appropriation par chaque groupe des outils et
pratiques qui s'opposent à celles de l’étranger, souvent le français ou le colonisateur.
Des exemples :
La connissace de ces mécanisme, facilitera d’avantage le passage entre ces deux langue et
tout travail de traduction doit prendre en compte ces mécanismes et la spécificité des deux
langues, ainsi leur sémilitude pour conserver les propriètés de chacune d’elle.
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