Regards D'un Professeur de Droit Allemand Sur Le Juge D'instruction

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Regards d’un professeur de droit allemand sur le juge

d’instruction et la littérature
Entretien avec le professeur Heike Jung, Par Annie Bottiau, Nicolas Dissaux
Dans Revue Droit & Littérature 2018/1 (N° 2), pages 339 à 347
Éditions Lextenso
ISSN 2552-8831
ISBN 9782275056067
DOI 10.3917/rdl.002.0339
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L’ENTRETIEN

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Regards d’un professeur
de droit allemand sur le juge
d’instruction et la littérature
Entretien avec le professeur Heike Jung
Par Annie Bottiau, Maître de conférences à l’Université de Lille
et Nicolas Dissaux, Professeur à l’Université de Lille, Rédacteur en chef

Madame Annie Bottiau, maître de conférences à l’Université de Lille 2, et


­Madame Julie Alix, professeur à l’Université de Lille 2, ont invité le 28 no-
vembre 2017 à Lille, Monsieur le professeur Heike Jung pour y donner une
conférence intitulée : « Le juge d’instruction dans la littérature et au ci-
néma ». Monsieur Jung est professeur émérite de l’Universität des ­Saarlandes
à Sarrebruck en Allemagne, ancien juge à temps partiel à Sarrebruck
(1980‑1994)1. Avant de donner sa conférence, il s’est entretenu avec Annie
Bottiau et Nicolas Dissaux au sujet des rapports entre Droit et Littérature.
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Comment un professeur de particulier. La littérature française © Lextenso | Téléchargé le 08/06/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.240.126.90)
droit pénal en vient à réfléchir me passionne. Ce n’est toutefois qu’à
à la littérature ? la faveur d’une occasion très spéciale
que j’en suis venu à étudier les rap-
C’est vrai : je suis professeur de droit ports entre Droit et Littérature. Un
pénal et de procédure pénale. Je éminent collègue, Monsieur le profes-
touche un peu aussi à la responsabilité seur Heinz Müller-Dietz, qui a beau-
médicale. Cela étant, j’ai toujours eu coup publié en la matière, ne pouvait
se rendre à un colloque auquel il était
un goût prononcé pour le droit com-
invité. Il m’a demandé de le rempla-
paré en général, et pour la France en cer. J’ai donc fait une communication
sur L’Étranger d’Albert Camus. Et ce
1. Une brève bibliographie sélective est reproduite petit voyage en dehors des terres du
à la fin de cet entretien. Elle recense les principaux
travaux de Monsieur Jung au sujet des rapports positivisme m’a tellement plu que,
entre droit et arts. quelques années plus tard, j’en suis

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L’ENTRETIEN

à réfléchir à compiler l’ensemble de vaux à l’intendant du château. Seu-


mes travaux sur Droit et Littérature lement il découvre un peu plus tard
ou, plus généralement, sur Droit et qu’il a été joué. Cette taxe n’était pas
Arts. Je pense aussi à quelque chose due et il doit récupérer ses chevaux
sur le grand roman de Flaubert : laissés en gage. Fort de cette infor-
L’Éducation sentimentale, qui décrit no- mation, il revient chez l’intendant
tamment votre fameux concours de du château, exige la restitution de
l’agrégation. son bien. Mais ses chevaux ont bien
souffert : ils sont décharnés, abîmés.
À quel type de littérature vous Kohlhaas exige leur remise sur pied.
intéressez-vous ? On le lui refuse. Michael Kohlhaas
entame alors des procédures auprès
Oh un peu tout bien sûr. Même si de la Cour de Dresde. Mais l’inten-
j’avoue que les livres trop noirs me dant est influent. Et Kohlhaas est dé-
rebutent. bouté. C’est alors la métamorphose.
De petit bourgeois respectueux des
Shakespeare ? lois, notre héros se transforme en un
fou de vengeance. Il vend tous ses
Certes ! Mais il y a ici un immense biens pour recruter quelques mer-
spécialiste : François Ost. Pour moi, cenaires et semer le trouble dans la
j’ai plutôt travaillé sur la littérature contrée…
française ou disons francophone.
Mais, allemand que je suis, je me suis Et Ferdinand von Schirach ?
aussi intéressé au récit de Kleist : Mi-
chael Kohlhaas (1805). Il n’est pas très J’ai lu ses premiers recueils de nou-
connu en France, me semble-t‑il. velles, notamment son deuxième2,
C’est pourtant une source inépui- paru en 2010 aux éditions Piper :
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sable de réflexions pour un juriste. Schuld (littéralement, La faute), que
Ce court roman situé au xvie siècle les éditions Gallimard ont publié sous
met en scène la lutte d’un marchand le titre Coupables. Ce fut un très grand
de chevaux contre les institutions succès de librairie. Mais personnel-
de son temps. Kohlhaas est un sujet lement, cela me laisse un peu froid.
brandebourgeois qui se rend en Saxe Ferdinand von Schirach est avo-
afin d’y vendre quelques uns de ses cat, pénaliste. Il est donc un juriste-­
plus beaux chevaux. Il est toutefois écrivain. Or je préfère les non-juristes
arrêté à quelques verstes de la fron- qui écrivent sur ou autour du droit.
tière. De manière totalement inédite, Je comprends parfaitement le succès
on exige de lui le paiement de droits de cet auteur auprès du grand pu-
de douane. Il est surpris, ayant passé blic, toujours fasciné par le crime et
la frontière maintes fois auparavant
sans avoir à payer quoi que ce soit. Le 2. NDLR : Le premier livre de Ferdinand von
conflit s’envenime avec les serviteurs Schirach, Verbrechen, a été publié en août 2009 aux
de l’autorité. Mais dans le doute, une éditions Piper. Les éditions Gallimard l’ont publié
en 2011 sous le titre Crimes. Il a connu un grand
nouvelle règle ayant pu en effet être succès, caracolant en tête du palmarès de l’hebdo-
édictée, il laisse en otage deux che- madaire Der Spiegel 54 semaines.

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le milieu judiciaire. Pour moi, c’est auparavant. L’écrivain traite ici de la


toutefois un peu trop juridique. Je question de la responsabilité. Pour un
préfère que les considérations juri- juriste, la réponse est claire : le com-
diques restent en arrière-plan ou, du manditaire est responsable. Mais le
moins, qu’une question juridique ne roman déstabilise les certitudes : cette
soit pas traitée de manière juridique. responsabilité n’est-elle pas quelque
Mon sentiment est peut-être naïf et peu dissipée par la chaîne des per-
je sais bien par exemple que certains sonnes ayant concouru au crime ?
écrivains qui me passionnent ont fait De manière plus générale, c’est le
du droit. Balzac par exemple. Mais problème des rapports entre compré-
en général je préfère les écrivains qui hension et justice. Madame de Sévi-
abordent la justice de biais si l’on peut gné avait un très beau mot là-dessus
dire. La raison en est d’ailleurs bien je crois : tout comprendre, c’est déjà
simple : la littérature représente une tout pardonner.
espèce de contre-pouvoir, de sorte
que l’écrivain m’intéresse surtout
lorsqu’il exerce un contrôle extérieur Après la littérature allemande
sur le travail et sur le monde du droit. et la littérature espagnole, voici
Lorsqu’un écrivain est également ju- donc la France !
riste, il me semble que ce contrôle est J’avoue… Je vous l’ai déjà dit : j’ai
moins efficace. un faible pour la littérature française.
Ainsi Camus me passionne. Ses livres
Un exemple ? ont généralement beaucoup moins
Difficile de choisir… Mais quand vieilli que ceux de Sartre, dont la
même : prenez Javier Marias, un dimension existentialiste s’avère,
auteur espagnol contemporain dont me semble-t‑il, beaucoup trop doc-
j’aime beaucoup le travail. Le péna- trinaire et très datée. À cet égard,
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liste y trouvera des idées très proches L’Étranger est d’ailleurs peut-être
de celles défendues par Hart s’agis- le roman de Camus qui me paraît
sant de la complicité par instigation. le plus difficile à comprendre au-
Marias a dû croiser l’esprit de Hart jourd’hui, précisément en raison de
lors de son passage à Oxford… Quoi ses touches existentialistes. Cette his-
qu’il en soit, je recommande son pre- toire d’un meurtre pour rien, sans
mier livre, publié en français sous le cause, qui s’y retrouve vraiment ? En
titre Un cœur si blanc (Rivages, 1993). revanche, Caligula est d’une éternelle
Il faut lire aussi Los enamoramientos actualité. Et Le premier homme est un
(2011), publié aux éditions Gallimard, chef d’œuvre.
collection du Monde entier, en 2013,
sous le titre Comme les amours. C’est Vous disiez ne pas aimer le noir…
un roman important. Une femme Camus n’est pas spécialement
tombe amoureuse d’un homme dont drôle, si ?
elle apprend qu’il a commandité, par
une série de personnes interposées, C’est vrai. Mais si je m’en tiens aux
l’assassinat d’une personne dont elle Français, il y a aussi, il y a surtout
avait croisé le destin quelque temps La farce de Maître Pathelin. Mon petit

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­réviaire. J’y reviens très souvent.


b enserrent le réel. Or ils ont besoin
C’est la première pièce de théâtre co- de se libérer d’un tel corset. La litté-
mique en français. Et le milieu de la rature peut les y aider. Évidemment,
justice y est merveilleusement dépeint. chacun peut avoir une approche diffé-
Avec une très grande leçon pour le ju- rente. Mon collègue Müller-Dietz, par
riste. Dans cette farce, les conflits sont exemple, envisage les rapports entre
en effet le plus souvent résolus par la Droit et Littérature sous un angle plus
ruse, presque en dehors du droit. La littéraire. D’autres ont une approche
solution est en outre toujours compré- plus historique. Pour moi, c’est un peu
hensible par tous. Il faut d’ailleurs le l’anarchie de la méthode. Je ne peux
rappeler : cette pièce a attiré des foules jamais savoir quel sera mon point
sur les marchés à l’époque, c’est-à-dire d’accroche. Mais je trouve toujours
la fin du Moyen Âge, au xve siècle. La matière à réflexion et la littérature
ruse vaudrait-elle plus que le droit ? m’aide à mieux comprendre le droit.
Serait-elle finalement plus efficace ?
Ces questions méritent d’être posées. Pensez-vous que la littérature vé-
hicule une certaine manière de
En dehors des œuvres sur faire du droit ? La narration ne
la justice à strictement parler, favorise-t‑elle pas une approche
la littérature policière vous in- plus inductive que déductive ?
téresse-t‑elle ?
D’un certain point de vue, vous avez
De nombreux juristes ont investigué la raison. C’est peut-être ce qui a permis
matière. Pour ce qui me concerne, ce aux américains de se livrer bien avant
n’est pas ce que je préfère. Il y a une nous à des études consacrées aux rap-
seule exception : Georges Simenon. ports entre droit et littérature. Les
Mais peut-être cette préférence s’ex- juges américains utilisent d’ailleurs
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plique-t‑elle parce que Simenon est souvent des exemples littéraires afin
avant tout un grand écrivain. Ses ro- de renforcer leur motivation, ce que
mans ne peuvent évidemment pas être je n’ai jamais vu en Allemagne ou en
réduits à leur dimension policière. De France. Dans nos pays, les références
fait, les deux articles que j’ai commis littéraires peuvent agrémenter tel ou
sur Simenon restaient en lien avec le tel discours de rentrée solennelle,
milieu de la justice, son rituel notam- mais pas une décision de justice.
ment. Là encore, il me semble que la
littérature permet de mieux saisir les Vous-même avez été juge. Étiez-
ressorts d’un système juridique. vous parfois tenté d’utiliser la
littérature dans vos décisions ?
L’essentiel tient ainsi à la dimen-
sion critique de la littérature ? Jamais. Le style des jugements m’a
préoccupé et j’avais toujours à l’esprit
Exactement ! Pour moi, la littérature un souci didactique. Les jugements
offre une autre voie. Les juristes ré- doivent expliquer les raisons qui les ont
fléchissent avec leurs catégories, leurs justifiés. Mais les références littéraires
distinctions et sous-distinctions qui ne me paraissaient pas utiles à cet effet.

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L’ENTRETIEN

Pourtant la littérature peut Et dans vos cours de droit, utili-


avoir une véritable force per- siez-vous la littérature ?
suasive.
Pas systématiquement non. Mais j’es-
Incontestablement. Encore que le ci- sayais, autant que faire se pouvait.
néma m’apparaisse encore plus fort. De toute façon, je ne fais plus vrai-
Cela me fait penser à une anecdote. ment cours aujourd’hui, étant pro-
Un jour j’ai lu dans un quotidien fesseur émérite. Je donne maintenant
régional une page préparée par de des conférences dans des contextes
jeunes écoliers sur la peine de mort. très particuliers. Et j’avoue que ces
Immédiatement, je me suis dit qu’il contextes particuliers sont plus pro-
fallait les inviter à la faculté pour pices à des échappées littéraires ou
discuter. Je voulais essayer de les cinématographiques. Ce qui me
convaincre de l’absurdité de cette convient parfaitement. Cela m’amuse
peine. Le directeur de cette école même. Avec une collègue romaniste,
a refusé mais m’a convié dans son Madame Oster-Stierle, j’ai pu faire
école pour en parler. Malgré tous un cours sur la littérature et le cinéma
mes efforts dialectiques, je ne suis français, dans lequel nous avions pris
pas sûr d’avoir convaincu mon au- à titre de comparaison La cruche cassée
ditoire. De retour chez moi, j’étais de Kleist (1803), une pièce assez peu
plein d’amertume. J’avais un goût de connue de ce grand auteur allemand,
défaite. Je m’y étais mal pris et me qui met en scène, dans une petite
suis dit qu’une prochaine fois, j’irai bourgade hollandaise, un juge chargé
avec un film ! Dans un processus d’instruire une plainte contre X, cet
de socialisation, les images s’impri- X n’étant autre que lui-même… Pas-
ment beaucoup plus facilement que sionnant. J’ai aussi eu la chance de
les mots. De manière générale, les codiriger un volume intitulé Justiz und
films me semblent souvent bien plus Komödie, paru en 2014 à Baden-Baden
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convaincants que les livres. Prenez aux éditions Nomos. Et me voilà au-
Les âmes grises de Philippe Claudel. jourd’hui invité à Lille pour parler du
Le film, auquel Philippe Claudel a juge d’instruction dans la littérature
directement participé, est bien plus et le cinéma !
convaincant que le livre. Même
si elles nivellent l’imagination, les Si vous aviez un livre à recom-
images s’imposent ; elles ont plus de mander aux juristes, lequel
poids que les mots. Je ne dis pas qu’il choisiriez-vous ?
y a là un échec de la littérature, pas
du tout. Simplement les images s’ins- Un seul ? C’est trop peu. Mieux
crivent sur un autre plan de l’esprit vaudrait un décalogue ! La littéra-
humain. Les livres, il faut y revenir. ture permet d’étendre les perspec-
Les livres demandent un effort ; ils tives, je ne voudrais donc pas les
sont plus stimulants d’un point de réduire à un seul titre ! À vrai dire,
vue intellectuel. Mais il faut parfois je pense d’abord à des films, dont la
une certaine réduction de la com- force évocatrice, je me répète, me
plexité pour faire passer un message, paraît très grande. Ainsi je recom-
une émotion. manderais en droit pénal Claude

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L’ENTRETIEN

Chabrol. Avec deux films qui pré- pense aussi à une pièce formidable :
sentent deux figures très instructives Le prince de Hombourg, créée en 1821.
de juge d’instruction. D’abord Deux Racine mérite aussi bien entendu
et deux font quatre, sorti en 1978, le d’être évoqué : je vous renvoie ici au
meilleur épisode selon moi de la fa- bel article qu’a écrit mon collègue
meuse série télévisée Madame le Juge, Claude Witz3. Je pense encore à un
avec Simone Signoret, un modèle de roman de Philippe ­Claudel : Les âmes
juge d’instruction dont le souci de grises, paru chez Stock en 2003, dans
vérité se traduit par une recherche lequel l’auteur sonde les réactions de
constante de discussion et d’ouver- plusieurs personnes, dont un inspec-
ture à l’autre. Ensuite, L’ivresse du teur, un juge et un procureur, face
pouvoir, avec Isabelle Huppert, sorti au meurtre d’une petite fille. J’in-
en 2006, dont le titre contient une siste aussi sur Javier Marias, Camus
belle ambiguïté, renvoyant tout à la et… La farce de Maître Pathelin bien
fois à l’ivresse du pouvoir politique sûr !
– rappelons qu’il s’agit en effet d’une
adaptation de l’affaire Elf-Aquitaine Une conclusion ?
instruite par Eva Joly –, et l’ivresse
du pouvoir juridique du juge d’ins- Oui : ce qui est important, au-delà
truction, dans le droit fil du célèbre des goûts personnels à chacun,
mot de Balzac, selon lequel le juge c’est que le mouvement Droit &
d’instruction serait l’homme (ou Littérature étende son champ de
la femme ici) le plus puissant de recherche. Ce qui est tout aussi im-
France. Mais avec Balzac, j’en re- portant, c’est que nous multiplions
viens à votre question sur quelques les échanges entre les différentes
livres à choisir. littératures : tous les genres de tous
les pays doivent être examinés. Le
chantier est immense, infini, mais il
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Oui, quelques romans ou pièces vaut le détour. Enfin, je pense que
qu’un juriste doit avoir lus… la polarisation entre littérature et
film ne devrait pas exister. Ce qui
Eh bien Balzac justement ! Splendeurs
compte, c’est de dépasser le strict
et misères des courtisanes est un livre
point de vue positiviste. Vous n’au-
essentiel. Le pénaliste y retrouvera
riez d’ailleurs même pas à changer
tout du fonctionnement de la jus-
le titre de votre Revue Droit & Lit-
tice, même des considérations archi-
térature pour accueillir des consi-
tecturales sur la Conciergerie. Pour
dérations relatives au cinéma : la
le reste, on tirera toujours un grand
littérature doit être considérée au
profit de Shakespeare. C’est un in-
sens le plus large possible. Elle doit
contournable. Toutes ses pièces s’entendre uniquement comme une
valent d’être lues et étudiées. Et puis respiration, une ouverture.
il y a Kleist, quasiment un « juriste ».
J’ai déjà cité Michael ­Kohlhaas, sur les
3. Cl. Witz, « Les Plaideurs de Jean Racine », in
dérives d’une vengeance dispropor- Droit et littérature, un éclairage franco-allemand, Univer-
tionnée, et La cruche cassée. Mais je saar, 2015, p. 21 et s.

346 Droit & Littérature - Numéro 2

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L’ENTRETIEN

Brève notice bibliographique


– Betrachtungen zum Prozeß gegen den Fremden, in: U. Mölk (dir.), Litera-
tur und Recht. Literarische Rechtsfälle von der Antike bis in die Gegenwart,
Wallstein, Göttingen 1996, p. 406‑416.
– Das Recht und die schönen Künste (dir.), Nomos, Baden-Baden 1998.
– Camus “Betrachtungen über die Guillotine”, in: H. Jung (dir.), Das Recht
und die schönen Künste, op. Cit., p. 171‑181.
– La garde à vue : Ein Filmklassiker zum Ermittlungsverfahren, in: Festschrift
für Klaus Lüderssen, Nomos, Baden-Baden 2002, p. 891‑897.
– Montaigne und die Juristen, in: Das Recht und seine historischen Grundla-
gen, Festschrift für Elmar Wadle zum 70. Geburtstag, Duncker & Humblot,
Berlin 2008, p. 437‑446.
– Maigret und die Strafjustiz, in: Juristenzeitung 2010, p. 885‑890.
– Verbrechen und Strafe. Nachlese zu einer Ausstellung, in: Goltdammer´s
Archiv 2011, p. 612‑617.
– Maigret et le rituel judiciaire, in: Leblois-Happe (dir.), Les investigations
policières, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, Aix-en-Provence 2012,
p. 132‑137.
– Justiz und Komödie (dir.), Nomos, Baden-Baden 2014. Co-directeurs :
E. Müller, H. Müller-Dietz.
– Einführung, in: Justiz und Komödie,op. cit., p. 7‑9. Co-auteurs: E. Müller,
H. Müller-Dietz.
– Die Farce des Maître Pathelin, in: Justiz und Komödie, op. cit., p. 17‑35.
– Michael Kohlhaas or the Germans and Their Law, Oñati Socio-Legal Series
(online), v. 4, n. 6 (2014) – Justice in Literature. New Perspectives on
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European Legal Culture, p. 1124‑1132.
– Michael Kohlhaas ou les Allemands et leur droit, in: Droit et littéra-
ture, un éclairage franco-allemand. Recht und Literatur – deutsch-franzö-
sische Streiflichter, Universitätsreden 108, universaar, Saarbrücken 2016,
p. 11‑20.
– Der Prozess gegen Flaubert, in: Goltdammer´s Archiv 2016, p. 675‑688.

Droit & Littérature - Numéro 2 347

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