Témoins Jehova
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Témoins Jehova
Article original
Mots-clés Témoins de Jéhovah, chirurgie, risque hémorragique, stratégies d’épargne sanguine, prise en charge pré- per- et post-
opératoire, hémostase, antiagrégants plaquettaires, anticoagulants, érythropoïétine, équipe médico-chirurgicale,
contexte psychologique, cadre légal 562
INTRODUCTION l’opération est dénommée alimentation IV. Le médecin qui
administre la transfusion nourrit le patient par ses veines,
Les Témoins de Jéhovah (TJ) refusent les transfusions de et le patient qui la reçoit mange par ses veines » (3).
dérives sanguins stables et labiles. La prise en charge de Les TJ perçoivent les versets bibliques comme des règles à
ces patients lors d’une chirurgie à risque de saignement suivre interdisant la transfusion de sang complet, plasma,
est un challenge médical, éthique, psychologique et légal leucocytes et plaquettes (Tableau 1).
(1) . En effet, les TJ ont plus de probabilité de mourir dans Les TJ s’opposent à la collecte anticipée de leur sang pour
ce contexte que les non TJ. Une prise en charge spécifique une utilisation différée, puisque le sang sorti du corps
doit être réalisée(2). doit être versé à la terre. Ils acceptent les dispositifs de
circulation extracorporelle s’ils sont amorcés avec des
CONVICTIONS DES TJ produits non sanguins et reliés en permanence au patient.
En urgence, il n’existe pas de produits disponibles en
Le groupe des TJ est né dans les années 1870 en alternative à la transfusion de globules rouges. Il faut
Pennsylvanie et rassemble 7.8 millions de membres dans connaître les procédures à risque de saignement afin
le monde (3). La société a été enregistrée en 1881 sous le d’anticiper.
nom de Watch Tower Society (WTS). Le Collège Central
est l’autorité suprême depuis 1975. Il fait éditer par la
WTS des publications, notamment La Tour de garde et CHIRURGIES À RISQUE DE SAIGNEMENT
Réveillez-vous ! La foi des TJ est fondée sur une lecture
littérale de la Bible. La violation d’interdits débouche sur Elles sont rappelées dans le Tableau 2. Les produits
le rejet de la communauté. La majorité des conflits légaux sanguins sont parfois difficiles d’accès et ont un coût
a abouti au renforcement des droits et de l’autonomie (Tableau 3) (4).
du patient, poussant le médecin à accepter la prise en En raison de l’intransigeance des TJ et de la rareté
charge souhaitée par le patient TJ. C’est en 1945 que la des produits sanguins, l’évolution des connaissances
WTS a considéré que les transfusions étaient contraires à médicales oriente les médecins vers des stratégies
la loi divine. Elle fondait cette conclusion sur ces passages d’épargne sanguine.
bibliques : « Vous ne devrez manger le sang d’aucune sorte
de chair ». La Tour de garde du 1/7/51 explique ce verset :
« Un patient peut être nourri par (…) les veines. Lorsque des
solutions sucrées sont administrées en intraveineuse (IV),
Autres procédés :
Hémodilution hypervolémique
Cell saver
V. Faucon, M. Momeni, P. Forget
Circuit extra-corporel
Dialyse, plasmaphérèse
Blood patch
Colles biologiques
Transplantations
563
Tableau 2 : Classification des chirurgies selon le risque de saignement (d’après Kopp G. et al.(4))
Tableau 3 : Coût au 1er janvier 2017 des produits sanguins labiles en Belgique (INAMI) (5)
Prise en charge des Témoins de Jéhovah lors des interventions chirurgicales à haut risque hémorragique
Concentré plaquettaire déleucocyté
Unité de 0,5 x 1011 plaquettes 52,75 euros par unité
Unité de minimum 4 x 1011 plaquettes 422,01 euros par unité
564
Minimiser le risque de saignement La prise en charge d’un TJ sous anticoagulant est un
véritable challenge. En cas d’urgence, on peut assurer
Une perte sanguine peropératoire de plus de 500 cc la réversibilité de l’effet anticoagulant de certains
augmente la mortalité péri-opératoire indépendamment médicaments, soit par le recours à un antidote spécifique,
du taux d’hémoglobine préopératoire (6). Il faut limiter les soit avec des facteurs de coagulation. Les caractéristiques
prélèvements sanguins. Les cathéters doivent être posés des principaux anticoagulants sont rappelées dans le
par un médecin expérimenté. tableau 5.
Une bonne gestion pluridisciplinaire (cardiologues, Les héparines sont relativement simples à antagoniser.
anesthésistes, chirurgiens) préopératoire des traitements Un milligramme de protamine neutralise 1 milligramme
augmentant le risque de saignement (anticoagulants/ d’héparine non fractionnée (100 UI). La protamine est un
antiagrégants plaquettaires (AAP)/ anti-inflammatoires antagoniste partiel des héparines de bas poids moléculaire.
non stéroïdiens/ phytothérapie (ail, gingembre)) est
Les AVK sont antagonisés par la vitamine K hors contexte
nécessaire (7). d’urgence. En urgence, les facteurs de coagulation vitamine
Selon leurs caractéristiques (Tableau 4), la gestion des K-dépendants peuvent également être remplacés par un
AAP est la suivante (5) . Dans la mesure du possible, il faut concentré de complexe prothrombinique (PCC : facteurs
poursuivre l’aspirine. Le délai d’arrêt est de 5 jours pour II, VII, IX, X), PPSB®, Octaplex® ou Cofact® en Belgique,
l’aspirine (si arrêt impératif), 7 jours pour le clopidogrel recommandé chez les TJ à la dose de 20 UI FIX /kg en
et le ticagrelor, 10 jours pour le prasugrel ; sans relais. intraveineux administré en 15 min (2). La valeur de l’INR
La reprise post-interventionnelle doit être rapide. Les cible doit être déterminée au préalable (9).
recommandations sont cependant différentes chez les Le tableau 6 résume la gestion périopératoire des nouveaux
patients TJ porteurs d’un stent intracoronaire (8). anticoagulants oraux (NACO). Les NACO ont une demi-
En cas d’urgence, il n’y a pas d’antagoniste direct, la vie courte ; plus on attend, plus le risque de saignement
transfusion de plaquettes est possible, il faut surveiller la diminue. En cas d’urgence ou d’hémorragie persistante,
fonction plaquettaire et tout préparer pour l’éventualité on peut recourir à une réversion non-spécifique, après
d’hémorragies. s’être assuré que la calcémie, l’équilibre acido-basique
Dans le cas des TJ hémophiles, les concentrés de facteurs et la température du malade sont normaux (5). Les PCC
VIII et IX recombinants sont utilisés (1-2). Ces traitements permettent la réversion partielle des xabans (rivaroxaban,
doivent être gérés en concertation pluridisciplinaire par Xarelto®, apixaban, Eliquis®) in vitro, mais sont inefficaces
des médecins hématologues. La dose administrée est 30- sur le dabigatran (Pradaxa®) (10).
50 UI FVIII ou FIX/kg, répétée si nécessaire en fonction de Concernant les aPCC (a pour activés) et le facteur VII
la nature du geste. recombinant activé (rFVIIa), même si certaines guidelines
Orale une fois par Orale une fois par Orale une fois par Orale deux fois par
Voie d’administration
jour jour jour jour
Pic de concentration
30-40min 1h 30min 1,5h
plasmatique
Recommandation
durée d’arrêt avant 0-5 jours 7 jours 10 jours 7 jours
une chirurgie
565
Tableau 5 : Caractéristiques des principaux anticoagulants (d’après Koenig – Oberhuber V. et al.(6))
parentéral
Caractéristiques Oral
(sous-cutané ou intra-veineux)
Héparine Héparine de
Warfarine Dabigatran Apixaban Rivaroxaban non bas poids Fondaparinux
fractionnée moléculaire
Biodisponibilité
80 6 66 80 30 90 100
(80%)
Demi vie
20-60h 12-14h 8-15h 7-10h 1h 4h 17h
plasmatique
Pic de concentration
variable 2h 2,5-4h 1-3h 4h 3h 2h
plasmatique
Métabolisme
métabolisme 50% rénale Système hépatique,
25%
Elimination hépatique et 80% rénale 50% réticulo- 10% rénale
rénale
rénal hépatique endothélial élimination
rénale
Tableau 6 : Gestion périopératoire des nouveaux anticoagulants oraux (NACO) (d’après Koenig – Oberhuber V. et al. (6))
Prise en charge des Témoins de Jéhovah lors des interventions chirurgicales à haut risque hémorragique
Médicament Débit de Risque de Durée d’arrêt Recommandation
filtration saignement avant une avant de reprendre
glomérulaire chirurgie
(ml/min) (heure)
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Tableau 7 : Moyens visant à limiter le risque de saignement (d’après Lawson T. et al. (2))
Facteurs VIII et IX
Fibrinogène 1 à 2g IV
Cryoprécipité 1 unité/10kg
mentionnent le recours au FEIBA® (aPCC, Factor Eight en traumatologie comme facteur de réduction de la
Inhibitor Bypassing Activity) ou au rFVIIa, classiquement mortalité par saignement. Puis son utilisation a été
réservées aux patients hémophiles avec inhibiteur, il s’agit étendue à d’autres indications très différentes. L’acide
d’options qui n’ont jamais été validées et ne sont pas tranexamique est actuellement recommandé dans les
dénuées de risque thrombotiques. protocoles de prise en charge des hémorragies majeures
L’ordre d’efficacité croissant des diverses stratégies chez les TJ (2,9). L’administration de 500 à 1000 mg en IV
permettant de corriger l’effet anticoagulant du ou de 10 mg/kg/6 heures jusqu’à maximum 100 mg/min a
rivaroxaban est : PCC < aPCC < rFVIIa ; toutefois l’effet ne montré son efficacité (2).
dépasse pas 50 % de correction. Les aPCC et le facteur rVIIa Le tableau 7 regroupe tous ces différents moyens visant à
peuvent occasionner des thromboses artérielles dans 1 à limiter le risque de saignement lors de la prise en charge
11% des cas. Le PCC est donc un agent de premier choix d’un patient TJ.
dans les circonstances graves. Ces traitements sont basés
sur le jugement clinique et les tests de coagulation (TP, Augmenter l’érythropoïèse
aPTT, TT, thromboélastographie, anti-Xa) (5). En l’absence
d’héparine, une valeur anti-Xa < 0.1 U/mL suggère que Une hémoglobinémie inférieure à 5 g/dl représente
l’effet a disparu. Le thromboélastomètre (Low TF Rotem ® un facteur indépendant de risque de mortalité (1). La
pour apixaban et rivaroxaban) est un test très instructif. Des stratégie actuelle consiste à limiter la transfusion. Dans
dosages spécifiques des concentrations circulantes des l’étude TRICC (Transfusion Requirements In Critical Care), la
nouveaux anticoagulants sont actuellement disponibles mortalité à 30 jours était diminuée dans 2 sous-groupes
dans plusieurs institutions et permettent d’identifier de patients (seuil transfusionnel < 7g/dl) (12). En situation
un éventuel surdosage ou une activité résiduelle aiguë, selon la tolérance clinique, la transfusion est parfois
anticoagulante avant un geste invasif. Leur utilisation doit recommandée sous 10 g/dl (2) particulièrement chez les
être privilégiée. patients aux antécédents cardiovasculaires (14), indiquée
De nouveaux antidotes contre les NACO sont disponibles sous 8 g/dl ou 25% d’hématocrite (5, 13), toujours
ou en cours d’étude : l’idarucizumab (Praxbind ®) constitue indiquée sous 7 g/dl (2, 9, 13 14). Les patients TJ présentant
l’agent de choix pour neutraliser spécifiquement et une anémie et devant bénéficier d’une chirurgie à risque
rapidement l’effet anticoagulant du dabigatran (Pradaxa ®) de saignement ont un risque plus élevé d’être transfusés
à la dose de 5g en IV lente, à renouveler si besoin. (15). Il est donc primordial d’élever le taux d’hémoglobine
L’andexanet alpha, un facteur Xa recombinant modifié, par l’utilisation d’érythropoïétine (EPO), de fer, d’acide
est un antidote en cours d’étude pour la réversion de folique et de vitamine B12. Il faut vérifier les constituants
l’apixaban et du rivaroxaban. L’aripazine est le troisième de l’EPO car certaines préparations peuvent contenir de
V. Faucon, M. Momeni, P. Forget
antidote en cours de développement, destiné à inhiber l’albumine humaine, non acceptée par tous les TJ (1, 2).
l’apixaban, le rivaroxaban et l’enoxaparine. Un taux optimal d’hémoglobine peut être obtenu en 2 à
À défaut de réverser, on peut freiner l’absorption digestive 4 semaines. Il est préférable d’évaluer la réticulocytose à
du produit avec du charbon actif si la dernière prise un intervalle de 72 heures. La supplémentation en fer est
remonte à moins de 2-6 heures, ou éliminer la substance bénéfique même en cas de concentration normale (16).
par filtration (5). En Belgique, l’utilisation de l’EPO en préopératoire
Le potentiel hémostatique de l’acide tranexamique a été est recommandée pour la chirurgie orthopédique
au départ révélé par l’étude CRASH-2 (11) spécifiquement hémorragique chez les patients modérément anémiques.
567
Tableau 8 : Médicaments favorisant l’érythropoïèse (d’après Lawson T. et al. (2))
Il s’agit des epoetines alfa : l’Eprex ® et Binocrit ® . Ces EPO • le plan d’anesthésie : préférer les anesthésies
sont incluses dans le forfait hospitalier depuis le 1er juillet locorégionales (15), un monitoring invasif, optimiser le
2012. Le forfait hospitalier couvre 75 % des médicaments débit cardiaque, adapter le remplissage, les inotropes
remboursés forfaitarisés administrés au cours de et la FiO2 ;
l’hospitalisation du patient, quelle qu’en soit la durée ou • la ventilation : éviter l’hypercapnie, limiter la pression
la cause. positive (2) ;
La dose recommandée (16) est 600 UI/kg en sous-cutané, • l’hémodilution hypervolémique : remplir avec des
une fois par semaine aux J-21, J-14 et J-7, ainsi que le cristalloïdes ou des colloïdes (9) (intéressants dans ce
jour J. Lorsque le délai pré-interventionnel doit être contexte, controversés dans le remplissage vasculaire
réduit à moins de 3 semaines, l’EPO doit être administrée chez les patients en état critique (18)) afin de diminuer
quotidiennement à la dose de 300 UI/kg pendant 10 l’hématocrite. À volume de sang perdu équivalent, la
jours consécutifs avant l’intervention, ainsi que le jour J et perte d’hémoglobine est plus basse ;
pendant les 4 jours suivant. Lors du bilan préopératoire, si
• le Cell saver (9): circuit extracorporel. Le sang perdu
l’hémoglobine atteint 15 g/dl, l’EPO doit être interrompue.
est aspiré, anticoagulé, collecté, centrifugé, lavé et
Elle est contre-indiquée en cas d’hypertension artérielle
retransfusé (2). L’appareil ne récupère ni les plaquettes
non contrôlée ou d’antécédents d’accidents vasculaires
ni les facteurs de coagulation, et contient un chélateur
cérébraux. Aucune thrombose secondaire à l’EPO n’a été
de calcium. Il faut corriger une hypocalcémie (9) et
observée chez les futurs opérés (15). Tous les patients TJ
Prise en charge des Témoins de Jéhovah lors des interventions chirurgicales à haut risque hémorragique
toute coagulopathie (16) ;
sous EPO doivent recevoir un complément de fer. Il faut
apporter un complément en B12 et folate si un déficit • l’hypothermie relative contrôlée : entre 33 et 36°C,
préopératoire est identifié (1, 2) (Tableau 8). l’hypothermie altère l’agrégation plaquettaire. Sous
33°C, l’hypothermie altère la fonction plaquettaire
et la cascade de coagulation. Une température
Stratégies peropératoires sous 35°C peut entraîner une augmentation des
pertes sanguines et des besoins transfusionnels. Le
maintien d’une normothermie permet d’éviter une
Mesures chirurgicales coagulopathie et de limiter les pertes sanguines (9).
Cependant, l’hypothermie relative (> 35°C) a été
L’équipe chirurgicale doit être expérimentée, préférer appliquée avec succès chez des TJ afin de réduire la
des procédures mini-invasives ou fonctionner par étapes consommation totale d’oxygène et d’augmenter la
(16). Les chirurgiens ont un accès direct aux sources de proportion d’oxygène dissout sans altérer l’extraction
saignement, et des outils adaptés comme les bistouris d’oxygène (2) ;
électriques diathermiques, la colle de fibrine etc...(1)
• l’hypotension relative contrôlée : sous anesthésie :
pression artérielle systolique de 80-90 mmHg, pression
Mesures anesthésiologiques artérielle moyenne de 50-65 mmHg, ou baisse de 30%
de la pression artérielle moyenne basale. Le seuil de
Une équipe d’anesthésie expérimentée connaissant le pression artérielle moyenne est basé sur la limite
contexte médical, psychologique, éthique et légal du cas inférieure du seuil d’autorégulation du débit sanguin
du patient TJ doit être rassemblée. cérébral. Le maintien d’une hypotension contrôlée
adaptée au patient permettrait de réduire le risque de
Les stratégies sont les suivantes : transfusion allogénique. Cette technique est contre-
indiquée en cas d’hypertension artérielle mal contrôlée
• le positionnement et le monitoring : site chirurgical
ou d’artériopathie cliniquement significative ;
au-dessus du coeur, garrots (2), NIRS (Near-infrared
spectroscopy) pour identifier une hypoperfusion • la correction d’une coagulopathie : selon les tests :
cérébrale (17) ; thromboélastographie, thromboélastométrie, analyse
568
de la fonction plaquettaire, autres. La supplémentation professionnel moyennant information préalable. Le
en calcium, facteurs de coagulation, antifibrinolytique, patient a droit de refuser ou de retirer son consentement.
fibrinogène ou cryoprécipité si disponible (fraction Le consentement se doit donc d’être éclairé, libre et
de plasma contenant du fibrinogène, du facteur spécifique du traitement concerné. Le refus de consentir à
Willebrand et du facteur VIII) doit être réalisée si un geste médical doit être fixé par écrit et ajouté au dossier
nécessaire. Le traitement de première intention est médical. Le médecin est obligé de respecter le refus d’une
le fibrinogène (9). La dose initiale recommandée est transfusion sanguine de nécessité vitale, même si cela
de 1 à 2 g (2). Les cryoprécipités (non disponibles en signifie le décès du patient.
Europe) ne sont pas toujours acceptés chez les TJ. La L’information doit être fournie au patient. Le colloque
dose est de 1 à 2 unités/10 kg ou 2 pools (équivalent singulier fait partie intégrante de toute relation médecin /
à 10 unités). Cette dose augmente la concentration de patient sous le principe général de conscience / confiance.
fibrinogène d’1g/L ; Le patient doit donc bénéficier d’un colloque singulier
• les médicaments hémostatiques : l’acide avec le médecin et doit maintenir expressément son refus
tranexamique est indiqué (1, 11). après avoir été informé des conséquences. Le médecin
doit faire signer au patient une décharge, il doit ajouter
cette décharge au dossier médical. Après avoir pris acte
Stratégies post-opératoires du refus de la transfusion sanguine de nécessité vitale, le
médecin peut appliquer une clause de conscience, c’est-à-
Il est nécessaire de surveiller les pertes sanguines, de dire refuser de traiter le patient et l’adresser à un confrère
les limiter, d’anticiper une supplémentation. Plus de excepté le cas où l’état de santé du patient ne le permet
30% des transfusions de sang en réanimation sont pas. Le médecin est tenu de communiquer le dossier
liées aux prélèvements sanguins. Les prélèvements médical au confrère qui a accepté la prise en charge dudit
sanguins doivent être limités et réalisés dans des tubes patient.
pédiatriques (16). Concernant le TJ majeur incapable : il faut distinguer
Chez les patients TJ présentant une anémie aiguë deux situations : l’incapacité permanente et l’incapacité
postopératoire, il faut minimiser la consommation temporaire. Pour le majeur incapable de manière
d’oxygène et augmenter sa délivrance; c’est-à- permanente, le médecin peut respecter le refus d’une
dire augmenter le débit cardiaque, maintenir le transfusion sanguine de nécessité vitale s’il existe une
volume sanguin périphérique, mettre en place une déclaration anticipée de volonté rédigée par le patient
oxygénothérapie, maintenir le patient au repos, contrôler en toute conscience et signée par lui. Toute déclaration
la température. Chez les patients TJ sous ventilation anticipée sera recherchée de principe. Si une personne de
mécanique ou en hypothermie, il faut augmenter confiance a été désignée par le patient, le médecin doit
l’hématocrite par du fer et de l’EPO. Le protocole l’entendre et tenir compte de ses déclarations. A défaut,
d’administration d’EPO proposé en post-opératoire la volonté des proches ou de la famille n’est pas suffisante.
est le suivant : 600 UI/kg à 24 et 48 heures après une Pour l’incapable de manière temporaire, l’article 14 prévoit
chirurgie, puis trois doses de 300 UI/kg respectivement à la possibilité de désigner une personne qui se substituera
J3, J4 et J5(2). Le cell-saver peut être utilisé. Les traitements au patient pour autant et aussi longtemps qu’il n’est pas
antihypertenseurs, anticoagulants et AAP doivent être en mesure d’exercer ses droits lui-même. La désignation
adaptés. se fait par un mandat écrit spécifique signé et daté par le
Soigner un patient TJ signifie également respecter le cadre patient et la personne elle-même. En absence de mandant
légal et psychologique. désigné, le législateur énonce un ordre subséquent de
personnes pouvant exercer ce rôle. À défaut ou lors de
conflits entre ces personnes, il revient alors au médecin
LOI BELGE ET CONTEXTE PSYCHOLOGIQUE concerné, le cas échéant dans le cadre d’une concertation
pluridisciplinaire, de veiller aux intérêts de la personne
Dans la prise en charge médicale du témoin de Jéhovah, le malade.
médecin se voit confronté à un dilemme légal, éthique et
Concernant le TJ mineur : l’article 2 énonce que le
moral : d’une part il se doit de tout mettre en œuvre pour
patient mineur est associé à l’exercice de ses droits selon
sauver le patient, d’autre part il est contraint de respecter
son âge et sa maturité. Cela signifie qu’au minimum le
ses croyances religieuses.
mineur reçoit toute information concernant son état de
La loi du 22 aout 2002 relative aux droits du patient santé et les soins qui lui seront prodigués. Si le mineur
V. Faucon, M. Momeni, P. Forget
et les recommandations du Comité de Bioéthique (19) est considéré par le médecin qui en a la charge comme
s’appliquant aux transfusions sanguines de nécessité détenteur de la capacité de discernement compris comme
vitale doivent être prises en compte. Le médecin doit la possibilité du mineur à être apte à estimer et apprécier
prendre toutes les précautions nécessaires et verser au ses intérêts, alors il exerce ses droits de manière autonome.
dossier médical les éléments qui motivent sa décision. Aucune notion ou limite d’âge n’est fixée par la loi. Cette
Concernant le TJ majeur capable : le patient a le droit capacité de discernement est laissée à l’appréciation du
de consentir librement à toute intervention du praticien médecin. Rien n’empêche ce dernier à recourir à l’avis
569
d’un confrère psychologue ou psychiatre pour déterminer Cependant, il ressort de déclarations d’ex-TJ que le
cette aptitude. Cette capacité (dite de fait) n’est octroyée caractère libre et volontaire de leur choix n’est souvent
par le législateur qu’en matière de soins de santé. En cas pas rempli. Ce manque d’autonomie réside dans le fort
de doute, le médecin doit prendre les mêmes mesures investissement de la relation médecin/malade par des
que dans le cas du mineur incapable de discernement. Ses proches très interventionnistes, souvent TJ eux-mêmes,
droits sont exercés par les parents ou le tuteur légal. En et dont les objectifs seraient moins de soutenir le patient
absence des parents ou s’il le juge nécessaire pour l’intérêt dans l’expression de sa volonté, que de défendre à
exclusif de l’enfant ou si son abstention thérapeutique tout prix leurs propres convictions. Ce problème n’est
engendre un risque vital pour l’enfant, il est laissé à la qu’en partie résolu par le « colloque singulier ». En effet,
discrétion du médecin prescripteur la mise en œuvre du l’opposition collective des TJ contre les transfusions
traitement. Dans ce cas, le médecin devra justifier son sanguines est si forte et constante qu’il est à craindre qu’en
acte et singulièrement prouver le processus informatif, cas d’administration d’une transfusion à l’encontre de la
préalable à tout acte médical. Enfin, si l’intérêt du mineur volonté du patient, ils seront amenés à exclure ce TJ, avec
est menacé, le médecin peut recourir au tribunal de la les répercutions psychologiques qui en résultent ; et à
jeunesse afin d’imposer des mesures d’aide contraignante. refuser complètement les aides spécialisées de deuxième
En cas d’incertitude concernant l’existence ou non et troisième lignes. Ne pas respecter le refus peut donc
d’une volonté exprimée au préalable par le patient créer une situation dans laquelle la tentative de réduire
ou son représentant, toute intervention est pratiquée le nombre de victimes aura pour résultat d’augmenter ce
immédiatement par le praticien professionnel toujours nombre.
dans l’intérêt du patient. C’est le cas lorsqu’une personne C’est pourquoi, tenant compte de ces difficultés, le Comité
inconsciente est amenée aux urgences et qu’aucun de Bioéthique reste d’avis qu’il convient de collaborer
membre de la famille n’est joignable. avec les TJ dans la mesure du possible. Les représentants
D’un point de vue pénal : le médecin qui outrepasse la de la Congrégation chrétienne des TJ en Belgique ont
volonté du témoin de Jéhovah de ne pas être transfusé fait expressément savoir qu’ils désirent collaborer avec le
ne sera pas pénalement responsable par l’application corps médical et ne recherchent pas les conflits.
de « l’état de nécessité ». Pour être applicable, « l’état de Tenant compte de ces subtilités sociologiques complexes,
nécessité » implique la rencontre de quatre conditions le fait que les TJ disposent d’une certaine marge de
strictes et cumulatives : manœuvre pour juger s’ils peuvent accepter ou non tel
- il faut être en présence de 2 valeurs ou intérêts dont ou tel produit ouvre petit un espace de négociations dans
l’une semble plus importante que l’autre (principe de lequel pourra être réalisé, en connaissance de cause par
proportionnalité). Le médecin choisit volontairement les deux partis, un accord sur une stratégie de soins.
Prise en charge des Témoins de Jéhovah lors des interventions chirurgicales à haut risque hémorragique
de réaliser une infraction (ici celle de transgresser le
refus de soins) pour sauver une vie ;
- et, il faut que la valeur considérée comme de moindre
CONCLUSION
valeur (ici le consentement) soit légalement protégée, La prise en charge des TJ dans les chirurgies à risque de
c’est-à-dire consacrée par une loi ou une règle de droit ; saignement est un challenge médical, psychologique,
- et, il faut une menace imminente (c’est-à-dire à brève éthique et légal. Les stratégies d’épargne sanguine
échéance), grave et certaine ; permettent de soigner ces patients suivant leurs
- et, il faut qu’il n’y ait pas d’autres alternatives pour convictions et en diminuant les risques opératoires ; qui
sauver cette valeur. restent cependant non négligeables (21). Ces stratégies
sont mises en place suivant le cadre légal belge : l’équipe
Il faudra donc prouver en cas de litige que la transfusion médico-chirurgicale doit respecter le refus d’une
réalisée sans le consentement du patient était absolument transfusion sanguine de nécessité vitale quand elle est
vitale et qu’aucune alternative n’était possible dans le cas formulée par un TJ majeur et capable après l’avoir informé
d’espèce. des conséquences de son refus lors d’un colloque singulier,
lui avoir fait signer un document écrit constatant son refus
Le contexte psychologique est donc particulier pour le et exposant les alternatives qu’il accepte. Ce document de
patient et pour l’équipe médicale (19,20). décharge complète le dossier médical dans l’hypothèse
La difficulté réside dans le fait que le devoir d’assistance où un tiers viendrait à accuser l’équipe médicale de non-
à personne en danger fait face au principe de recueil de assistance à personne en danger (art. 422bis du code
consentement libre et éclairé de la personne. pénal) ou d’homicide par imprudence (art. 418 du code
pénal) (20).
L’équipe médicale s’interdit tout jugement concernant
la légitimité même des croyances religieuses des TJ, et
s’engage vis-à-vis des patients TJ à tout mettre en œuvre
pour éviter le recours à la transfusion. Cela signifie que
les médecins exposent clairement le risque de décès
et demandent en retour à leur patient d’accepter de les
libérer de la charge morale d’avoir à les laisser mourir.
570
Recommandations pratiques • Travailler en équipe : médecin anesthésiste, médecin
intensiviste, chirurgien et médecin généraliste.
• Connaître les procédures chirurgicales à risque de • Respecter le contexte psychologique et le cadre légal
saignement belge
• Être conscient du challenge médical, éthique et légal • Faire signer un document de décharge devant figurer
que représente la prise en charge d’un patient témoin dans le dossier médical.
de Jéhovah
• Anticiper les risques, mettre en place les stratégies Ci-dessous une proposition de document de décharge
d’épargne sanguine le plus tôt possible et durant toute (document modifié à partir des travaux du Professeur
la prise en charge Jabbour (16) )
Physician : ________________
• I direct that no blood transfusion (including whole blood, red blood cells, white blood cells, platelets,
fresh frozen plasma) are to be given me under any circumstances, even if physicians deem such necessary
to preserve my life or health. I will accept non-blood volume expanders or other non-blood management.
• I hereby fully and unconditionnally release physicians, hospitals and their personnel from liability for
any damages, claim or liability related to my refusal of blood or blood products, despite their otherwise
competent care.
• The following are my wishes and directions regarding procedures, treatments and blood fractions (initial
ALL boxes please) :
Witness : _________________
571
1. Chand NK, Subramanya HB, Rao GV. Management 11. Shakur H, Roberts I, Bautista R, Caballero J, Coats T,
Références of patients who refuse blood transfusion. Indian J Dewan Y, et al. Effects of tranexamic acid on death,
Anaesth 2014;58(5):658. vascular occlusive events, and blood transfusion
2. Lawson T, Ralph C. Perioperative Jehovah’s Wit- in trauma patients with significant haemorrhage
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Remerciements
- Je tiens tout particulièrement à remercier le Professeur Patrice Forget qui m’a toujours encouragée et guidée dans la
conception et la réalisation de ce travail, et sans qui rien n’aurait été possible.
- Je tiens ensuite à remercier le Professeur Mona Momeni pour son soutien, son aide, l’intérêt et le temps qu’elle a
consacrés à mon travail.
- Je tiens enfin à remercier les Professeurs Hermans et Jabbour pour leurs précieux conseils.
affiliations
1 Pr. Mona Momeni, MD, PhD
Cliniques universitaires Saint Luc
Département de médecine aiguë
Service d’Anesthésiologie
Avenue Hippocrate 10
1200 Bruxelles
Correspondance
V. Faucon, M. Momeni, P. Forget
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