PDF of L Epouse de Cristo Ravelli Indompable Milliardaire 1 1St Edition Lynne Graham Full Chapter Ebook

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L épouse de Cristo Ravelli Indompable

milliardaire 1 1st Edition Lynne Graham


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1.

Malgré l’atmosphère feutrée qui régnait dans le bureau de Robert Ludlow,


l’avocat de la famille, Cristo Ravelli eut le sentiment qu’une bombe venait
d’exploser à ses oreilles. Abasourdi, il avait peine à reprendre ses esprits.
— Ecoutez, si c’est une plaisanterie, elle est de très mauvais goût, finit-il par
dire d’un ton sec.
Robert Ludlow — associé principal du cabinet Ludlow et Ludlow — le fixa
avec un air grave. Mais Cristo crut discerner une lueur d’amusement dans ses
yeux. Son sang ne fit qu’un tour : il était connu pour son génie de la finance et
pour son immense fortune — pas pour son sens de l’humour. Et il tenait à ce que
son avocat ne se méprenne pas sur son compte : il n’avait rien d’un plaisantin et
entendait qu’on le traite avec le même sérieux que celui qu’on accordait à son
père, feu Gaetano Rivelli.
— Je crains pourtant que ce ne soit la stricte vérité : votre père a eu cinq
enfants avec une femme en Irlande, répondit Robert sans ciller.
Cristo soutint son regard. Bon sang, il n’était donc pas en train de rêver !
— Vous voulez dire que… toutes ces années où il s’est rendu en Irlande, soi-
disant pour pêcher le saumon…
— J’en ai bien peur. Le plus âgé des enfants a quinze ans.
— Quinze ans ? Mais ça veut dire…
Cristo s’interrompit, tentant de ravaler sa colère. Pourquoi s’étonnait-il
encore, à son âge, des frasques de son père ? Gaetano avait laissé derrière lui une
ribambelle d’ex-femmes désespérées et furieuses ainsi que trois enfants
légitimes. Une maîtresse et quelques bâtards de plus ne déparaient pas ce tableau
tragi-comique.
Mais l’ampleur de cette révélation ébranlait Cristo. Que son père ait eu un
enfant illégitime avec cette femme, passe encore. Mais cinq ! C’était d’autant
moins compréhensible que son père ne lui avait jamais manifesté le moindre
intérêt, pas davantage qu’à ses deux frères. Nik et Zarif allaient tomber de haut
quand il leur annoncerait la nouvelle.
Il savait cependant qu’au bout du compte, c’était sur ses épaules que le
fardeau retomberait. Le mariage de Nik partait à vau-l’eau et Zarif, qui venait de
prendre la tête d’un Etat du Moyen-Orient, ne méritait pas qu’un tel scandale
vînt ternir ses premières années au pouvoir. Non, c’était à lui de régler cette
affaire, et vite.
— Quinze ans, répéta-t-il, songeur.
Un rapide calcul lui apprit que c’était la mère de Zarif qui avait fait les frais
des infidélités de Gaetano. Il était presque difficile à croire qu’une telle duplicité
ait pu passer inaperçue.
— Pardonnez ma réaction, Robert. Ce… développement est quelque peu
inattendu. La mère des enfants, que sait-on d’elle ?
L’avocat leva un sourcil grisonnant, esquissant une moue songeuse.
— J’ai contacté Daniel Petrie, le régisseur en charge de la propriété de feu
votre père en Irlande. Selon lui, Mary Brophy, la femme en question, est connue
pour ses mœurs légères… du moins c’est ce que pensent les habitants de son
village.
— La traînée du coin, en somme. C’est du Gaetano tout craché.
Cristo regretta presque aussitôt ce jugement expéditif sur quelqu’un qu’il ne
connaissait même pas. Mais son père avait manifesté toute sa vie une attirance
pour les femmes séductrices et volages. Cette Mary Brophy ne devait pas
échapper à la règle…
— Quelles dispositions a-t-il prises vis-à-vis des enfants ?
— C’est bien la raison de votre présence ici, fit Robert après s’être éclairci la
gorge. Il n’en a pris aucune.
— Aucune ?
Décidément, songea Cristo, cette journée était celle des mauvaises
surprises…
— Il a eu cinq enfants et il ne leur a rien laissé ?
— Pas un sou, pas même un bibelot, confirma Robert, mal à l’aise. J’ai reçu
une requête de leur mère concernant les frais de scolarité des enfants. Comme
vous le savez, votre père vivait dans le présent et s’imaginait sans doute qu’il
vivrait éternellement. Ou en tout cas assez vieux pour s’occuper de tout ça plus
tard.
— Sauf qu’il est mort à soixante-deux ans et que ça me retombe dessus,
gronda Cristo, dont la patience s’amenuisait d’instant en instant. Il va falloir que
je m’en occupe personnellement. Je ne veux pas que les journaux aient vent de
cette affaire.
— Bien sûr que non. Ils s’en donneraient à cœur joie sinon.
Cristo serra les poings, envahi d’une rage sourde à cette idée. Son père les
avait assez embarrassés de son vivant. Allait-il continuer une fois mort ?
— J’espère que les enfants pourront être placés dans des foyers d’adoption et
que cette histoire sera vite oubliée, déclara-t-il.
Cristo nota qu’à ces paroles, Robert ne put dissimuler une expression de
dépit. Mais il reprit bien vite son air habituel : impénétrable et professionnel.
— Vous pensez que la mère sera d’accord ?
— Si elle ressemble aux autres maîtresses de mon père, et si nous lui offrons
un dédommagement conséquent, elle sautera sur l’occasion.
Cristo, déjà stressé par un récent voyage d’affaires en Suisse, soupira et tira
son téléphone de sa poche. Il demanda à son assistante, Emily, de le mettre sur le
premier vol pour Dublin et raccrocha.
Plus vite il réglerait cette répugnante affaire, plus vite il pourrait reprendre le
cours de sa vie.

* * *

— Je les déteste ! s’écria Belle, son joli visage froissé par la colère. Je
déteste tous les Ravelli !
— Dans ce cas, il te faudrait haïr tes frères et sœurs, lui rappela sa grand-
mère. Et je sais que ce n’est pas le cas.
Non sans difficulté, Belle domina sa mauvaise humeur et dévisagea sa
grand-mère d’un air penaud. Isa Kelly était une femme menue aux cheveux gris
foncé et aux yeux vert profond — les mêmes que les siens.
— Ce maudit avocat n’a pas répondu à la lettre de maman concernant les
frais de scolarité, maugréa-t-elle. Je ne vois pas pourquoi nous devrions les
supplier pour ce qui nous revient de droit.
— C’est désagréable, concéda Isa avec un hochement de tête. Mais le seul
responsable de cette situation, c’est Gaetano Ravelli…
— Comme si je risquais de l’oublier !
Bouillonnant de rage, Belle bondit de son fauteuil et arpenta la pièce. Elle
s’arrêta enfin devant la fenêtre qui donnait sur le minuscule jardin à l’arrière de
la maison.
Non, elle n’oublierait jamais le nom de Gaetano Ravelli. C’était à cause de
lui que les autres enfants s’étaient moqués d’elle à l’école, ironisant sur la
relation illégitime de sa mère avec le célèbre milliardaire. La plupart des
habitants du village s’étaient offusqués d’une attitude aussi libérale. Mary avait
été mise au ban de la communauté, et Belle forcée de partager le fardeau de
celle-ci. Belle était née d’une précédente union, mais elle avait accepté le nouvel
amour de sa mère. Et elle s’était occupée avec dévouement de ses cinq demi-
frères et sœurs.
— Il est mort, maintenant, lui rappela Isa avec son équanimité habituelle. Et
malheureusement, ta mère aussi.
Un élancement douloureux perça le cœur de Belle. Cela ne faisait qu’un
mois que Mary avait succombé à une crise cardiaque mais elle ne s’était toujours
pas habituée à son absence. La chaleur et l’affection de sa mère lui manquaient.
Son médecin l’avait bien mise en garde après avoir détecté une faiblesse
cardiaque, mais qui pouvait s’imaginer qu’elle partirait si jeune, à quarante ans à
peine ?
Quoi qu’aient pu en dire les habitants du village — et nombreux étaient ceux
qui avaient, d’une façon ou d’une autre, jalousé Mary Brophy — sa mère avait
été une femme généreuse, travailleuse, toujours disponible quand on avait besoin
d’elle. Certains de ses détracteurs les plus virulents s’étaient même laissé séduire
par ses qualités et étaient devenus de bons amis.
Comme s’il avait perçu la tension qui régnait dans la pièce, Tag s’agita aux
pieds de Belle. La jeune femme se baissa machinalement pour gratter le ventre
du jack russel noir et blanc qui la fixait de ses grands yeux bruns. Lorsqu’elle se
redressa, elle repoussa avec impatience une boucle qui lui tombait dans les yeux.
Elle avait besoin d’aller chez le coiffeur mais quand trouverait-elle le temps ?
Sans parler de l’argent, une denrée de plus en plus rare ces derniers temps…
La loge de gardien de Mayhill House, au moins, leur appartenait. Gaetano
l’avait cédée à sa mère des années plus tôt pour lui donner une illusion de
sécurité. Même si Belle peinait à payer les factures, c’était mieux que de ne rien
avoir du tout. Mais il lui faudrait sans doute vendre la maisonnette et trouver un
logement plus petit et moins cher, une tâche qui s’annonçait ardue. Elle allait
devoir se battre bec et ongles pour protéger ses cinq demi-frères et sœurs, trop
jeunes pour revendiquer la part d’héritage qui leur revenait de droit.
— Il faut que tu me laisses m’occuper des enfants, reprit Isa. Mary était ma
fille, ce n’est pas à toi de payer le prix de ses erreurs.
— Non. Ce serait trop dur pour toi.
Sa grand-mère avait beau être en pleine santé et solide comme un chêne, elle
n’en avait pas moins soixante-dix ans. Belle se voyait mal lui abandonner une
telle responsabilité.
— Tu es délibérément partie faire des études loin d’ici pour fuir la situation
dans laquelle ta mère s’était mise, lui rappela Isa. Tu voulais aller à Londres sitôt
ton diplôme en poche…
— On ne fait pas toujours ce qu’on veut dans la vie. Les enfants ont perdu
leurs deux parents en l’espace de quelques mois, ils ont besoin de stabilité. Je ne
peux pas me permettre de disparaître.
— Bruno et Donetta sont en pension, ce n’est donc pas un problème hors
périodes de vacances, insista sa grand-mère. Les jumeaux sont en primaire. Il
n’y a que Franco à la maison, parce qu’il a deux ans, mais il partira lui aussi
bientôt à l’école. Ils peuvent se passer de toi.
Peu après la mort de sa mère, Belle s’était autorisé le même raisonnement.
Devoir s’occuper de cinq enfants était la dernière chose qu’elle voulait et dont
elle se sentait capable… Lorsque sa grand-mère avait généreusement proposé de
prendre les choses en main, Belle avait songé à accepter. Mais c’était avant de
constater par elle-même l’énergie que requéraient ses frères et sœurs. A vingt-
trois ans, Belle avait déjà du mal à s’en sortir. Sa grand-mère ne tiendrait pas six
mois ! Belle ne pouvait décemment pas se défiler. Elle se devait d’être présente
pour sa famille.
Les deux femmes sursautèrent en entendant frapper énergiquement à la
porte. Qui pouvait bien leur rendre visite ? Belle alla ouvrir et se détendit
immédiatement lorsqu’elle vit qu’il s’agissait de son vieil ami d’enfance Mark
Petrie.
— Oh ! c’est toi. Entre. Tu veux un café ?
— Avec plaisir.
— Comment vas-tu, Mark ? demanda Isa en embrassant le jeune homme.
— Très bien. C’est pour votre petite-fille que je m’inquiète, répondit
l’intéressé.
Il posa sur Belle un regard chaleureux, empreint d’une réelle admiration
pour elle, puis enchaîna :
— J’ai surpris une conversation téléphonique de mon père, ce matin.
D’après ce que j’ai compris, il parlait à quelqu’un de la famille de Gaetano
Ravelli. Son fils Cristo, sans doute.
Belle se crispa instinctivement à la mention de ces noms. Puis elle se
composa une mine aimable pour demander :
— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
— Cristo est l’exécuteur testamentaire de Gaetano. Mon père répondait à des
questions sur ta mère. De manière erronée, puisqu’il n’est pas au courant de son
décès. Il rendait visite à mon oncle en Australie quand c’est arrivé, et personne
n’a pris la peine de lui annoncer la nouvelle depuis son retour.
— Ton père et ma mère n’étaient pas exactement amis, lui rappela Belle en
s’assombrissant. Pas étonnant que personne ne l’ait prévenu.
De fait, une franche hostilité avait toujours régné entre Daniel Petrie, le
régisseur de Mayhill House, et Mary Brophy, la gouvernante. Cela n’était un
mystère pour personne.
Belle se représenta Cristo, le célèbre et séduisant financier, l’homme qui ne
souriait jamais. Elle avait fait tant de recherches sur les Ravelli au fil des années,
dans l’espoir de répondre aux questions que sa mère n’osait pas poser à Gaetano,
qu’elle avait l’impression de les connaître intimement. Elle savait en tout cas que
Gaetano était un bourreau des cœurs, un séducteur impénitent qui enchaînait les
maîtresses et, surtout, qui n’épousait que des femmes richissimes. Mary n’avait
jamais eu la moindre chance de le voir officialiser leur liaison — ce qui ne
l’avait jamais empêchée de continuer à espérer.
— Bref, reprit Mark, ce que j’ai compris en entendant leur discussion, c’est
que Cristo veut faire adopter tes frères et sœurs.
Belle le dévisagea, muette de stupéfaction.
— Les faire adopter ? balbutia-t-elle d’une voix rauque.
— Il veut enterrer toute l’affaire, confirma Mark avec une grimace. C’est le
meilleur moyen pour lui de la faire disparaître.
— Mais ce sont des enfants ! Une famille ! Il ne peut pas les séparer juste
parce qu’il en a envie !
Mark s’agita sur son siège, visiblement mal à l’aise. Puis il se racla la gorge
et demanda :
— Es-tu le tuteur légal des enfants ?
— Qui d’autre pourrait l’être ? interrogea la jeune femme.
— Mais est-ce écrit noir sur blanc sur un document officiel ?
Belle resta silencieuse. Fallait-il un document officiel pour cela ? En ce cas,
elle n’en avait jamais pris connaissance.
— Non, c’est ce que je craignais, reprit Mark en réponse au regard dérouté
de Belle. Tu devrais aller voir un avocat et rassembler tous les moyens à ta
disposition pour réclamer la tutelle des enfants. Sans quoi ce sont les Ravelli qui
auront le dernier mot, que ça te plaise ou non.
— C’est complètement ridicule ! Gaetano ne s’est jamais occupé des enfants
même quand il était là !
— La loi est la loi. Il a payé leur scolarité et a donné la loge à ta mère,
énuméra Mark avec le bon sens d’un étudiant en droit. C’était peut-être un piètre
père mais il a pris soin de l’essentiel. Cristo a sans doute plus de droits sur eux
que tu n’en as toi-même.
— Mais Gaetano ne les a pas inclus dans son testament ! fit valoir Belle,
désespérée.
— Ça ne change rien. Pas aux yeux de la loi.
La jeune femme se laissa tomber dans le fauteuil le plus proche, atterrée.
— L’adoption… C’est complètement dément. Ils n’auraient pas osé faire une
chose pareille du vivant de ma mère.
— Malheureusement, Mary n’avait pris aucune disposition pour éviter cela,
murmura Isa. Mais en tant que grand-mère des enfants, n’ai-je pas mon mot à
dire ?
Mark secoua la tête, la mine grave.
— J’en doute. Les enfants n’avaient jamais vécu avec vous avant le décès de
votre fille.
— Je pourrais peut-être me faire passer pour ma mère ? suggéra soudain
Belle.
Isa se tourna vers elle, éberluée.
— Ne sois pas ridicule, Belle.
— Pourquoi pas ? Cristo Ravelli ne sait pas qu’elle est morte. Il réfléchira à
deux fois avant de faire adopter les enfants s’il s’imagine qu’ils ont une mère.
— Tu n’as pas l’air d’une femme de quarante ans, fit valoir Mark.
Belle le dévisagea, songeuse. Son esprit tournait à cent à l’heure.
— Je n’ai pas besoin de ressembler à une femme de quarante ans. Ravelli ne
connaît sûrement pas l’âge exact de maman. Je dois juste le persuader que je
pourrais avoir un fils de quinze ans.
— Non, c’est perdu d’avance, intervint Isa. Ravelli va te démasquer.
— Comment ? Qui va le lui dire ? Il n’aura aucune raison de douter de mon
identité. Et je suis sûre qu’un type tel que lui a mieux à faire que d’aller poser
des questions aux gens du village. Je me maquillerai un peu plus et je mettrai les
vêtements de Mary.
Mais sa détermination ne parut pas convaincre Mark. Le regard qu’il posait
sur elle, en cet instant, était bienveillant, mais sans illusions.
— Belle, je sais que tu n’as peur de rien… Mais réfléchis à ce que tu
suggères.
La porte de la cuisine s’ouvrit au même instant sur un bambin de deux ans à
l’épaisse tignasse noire. Il tituba vers Belle en suçant son pouce et prit appui de
tout son poids contre sa jambe. Puis il grimpa sur les genoux de sa sœur et
marmonna :
— Sommeil… Câlin…
Attendrie, Belle serra Franco dans ses bras. Il se blottit contre elle avec un
soupir d’aise, les yeux mi-clos.
— Je vais le monter dans sa chambre, murmura-t-elle. C’est l’heure de sa
sieste.
Après avoir mis Franco au lit, Belle s’attarda quelques instants pour étudier
la vue depuis la fenêtre de la chambre qu’ils partageaient. Non loin de là,
Mayhill House dressait sa silhouette élégante sur une colline dominant des
hectares de bois et de prairies. Belle avait huit ans quand sa mère, veuve depuis
peu, avait commencé à travailler comme gouvernante pour Gaetano Ravelli.
Belle n’avait jamais pleuré la disparition de son père, un homme aussi
violent physiquement que verbalement et porté sur la boisson. Il avait été
renversé par une voiture un soir de beuverie. Mère et fille avaient cru qu’une
nouvelle vie s’offrait à elles quand Mary avait été embauchée à Mayhill.
Malheureusement, Mary était presque aussitôt tombée amoureuse de son
employeur. La naissance de leur premier fils, Bruno, avait fait d’elle une paria
dans le village.
Cristo Ravelli ignorait sans doute tout de la vie des gens normaux — de
leurs peurs, de leurs rêves, de leurs combats. Belle le savait à force de s’être
secrètement renseignée sur lui. La nature l’avait fait beau comme un dieu, le
destin l’avait fait riche à milliards. Il avait grandi avec une cuillère d’argent dans
la bouche, fils d’une princesse italienne, élevé par son beau-père — un banquier
hongrois — dans un palais vénitien. Il était sorti des écoles qu’il avait
fréquentées, les plus prestigieuses bien sûr, avec les honneurs. La vie lui avait
toujours souri. Il ne savait pas ce que c’était que d’être humilié, rabaissé, et
n’avait jamais eu à rougir de ses parents.
Bruno, pour sa part, n’avait pas eu cette chance. Gaetano l’avait suspecté
d’être homosexuel lorsque, à l’âge de treize ans, il avait manifesté ses premières
inclinations artistiques. Le petit frère de Belle, alors si désireux d’impressionner
le monstre qui lui servait de père, avait été profondément ébranlé. A tel point
qu’il avait fait une tentative de suicide. Belle avait mal au ventre chaque fois
qu’elle y pensait. Oui, Bruno et les autres avaient besoin d’elle. Elle ne les
laisserait pas tomber.
Mark prenait congé lorsqu’elle redescendit enfin, quelques minutes plus
tard.
— Tu ne songes pas sérieusement à te faire passer pour ta mère, n’est-ce
pas ? lui demanda-t-il depuis le seuil.
Belle redressa le menton, déterminée.
— Si c’est le seul moyen de protéger ma famille, je le ferai sans hésiter.

* * *

La lumière du soir déclinait rapidement lorsque Cristo remonta l’allée qui


conduisait à Mayhill. Il voyait la demeure irlandaise de Gaetano pour la
première fois, puisque ce dernier ne l’y avait jamais invité. Son père, d’ailleurs,
ne l’avait jamais invité nulle part.
Il aperçut une femme qui traversait la pelouse principale, suivie d’un petit
chien. Un accès de mauvaise humeur crispa les traits de son visage — il n’aimait
pas les intrus. Mais le soleil couchant enflamma la chevelure de l’inconnue et il
se surprit à admirer sa jolie silhouette. De loin, il put distinguer son visage en
forme de cœur et ses jambes interminables. La jeune femme portait un short en
jean, qui révélait le galbe de ses fesses, et sa poitrine ronde tendait doucement le
tissu de son T-shirt. Elle était terriblement séduisante. Cristo ne parvint pas à
détacher ses yeux d’elle — et son sexe se gonfla de manière incontrôlable.
Surpris par ce brusque désir, Cristo essaya de se rappeler la dernière fois qu’il
avait fait l’amour à une femme — en vain. Cela faisait bien longtemps que cette
activité n’entrait plus dans son agenda. Cette trop longue abstinence expliquait
sans doute sa réaction inattendue à la vue d’une inconnue. Voilà ce que c’était
que de se consacrer exclusivement à son travail.
La voiture se gara devant le perron de l’imposante demeure géorgienne. Son
père avait toujours fait les choses en grand, pensa Cristo en descendant du
véhicule — bien vite rejoint par ses gardes du corps, Rafe et John. Ensemble, ils
entreprirent de faire le tour de la propriété. Cristo déverrouilla la porte d’entrée
massive, enjamba un tas de courrier et pénétra dans un hall caverneux, dallé de
marbre noir et blanc. Il regarda curieusement autour de lui, tandis que ses
compagnons inspectaient les alentours. Une fine pellicule de poussière
recouvrait tous les meubles et il ne fut guère surpris lorsque Rafe vint lui
annoncer que la maison était déserte. Au moins, Mary Brophy et ses cinq enfants
ne squattaient pas Mayhill.
Il traversa plusieurs pièces désertes et termina sa visite par la cuisine. Le
réfrigérateur, ouvert, était vide. Quelque part, un robinet gouttait. Stupéfait, il
aperçut un combiné téléphonique mural, orné d’une plaque en métal annonçant :
« Gouvernante ». Il décrocha et appuya sur l’unique bouton du téléphone avec
plus de force que nécessaire.
— Oui ? fit une voix désincarnée, après un temps si long qu’il était sur le
point de raccrocher.
— Ici Cristo Ravelli. Je suis à la maison. Pourquoi n’a-t-elle pas été préparée
pour mon arrivée ?
— Sans doute parce que la gouvernante n’a plus reçu de salaire depuis le
jour où M. Ravelli s’est tué dans un accident d’hélicoptère, lui répondit une voix
pleine de colère contenue.
Cristo resta silencieux quelques secondes — il n’était pas habitué à ce qu’on
lui réponde sur ce ton.
— Je n’ai jamais donné l’ordre de stopper les versements.
— Peu importe qui l’a donné. Le fait est que l’argent n’arrive plus.
Cristo réprima un soupir agacé. Il était fatigué, il était affamé, et il n’avait
pas la moindre envie de se lancer dans une joute verbale. C’était sans doute une
mauvaise idée de réembaucher une gouvernante aussi insolente. Mais il n’aurait
à la supporter que deux jours, songea-t-il pour se rassurer. Et cette femme
s’avérerait peut-être une source d’information précieuse.
— J’en déduis que vous êtes la gouvernante ?

* * *

C’était le moment de vérité, songea Belle. L’espace d’une seconde, elle


hésita. Puis elle imagina ses frères et sœurs à l’orphelinat, dans l’attente d’une
famille d’adoption, et murmura :
— Euh… oui.
— Dans ce cas, venez tout de suite et faites votre travail. Je peux vous
assurer que vous allez être payée tout ce qui vous est dû. J’ai besoin de
provisions et de draps propres.
— Il y a des magasins dans le village. Vous avez dû passer devant en
chemin, rétorqua Belle, hérissée par le ton impérieux et plein d’arrogance que
Cristo employait.
— Je serai ravi de vous verser un supplément pour que vous vous en
occupiez vous-même, répondit-il avant de raccrocher.
Belle était prise de vertige. Elle devait agir pour le mieux et au plus vite.
C’était maintenant ou jamais. Elle ne pouvait pas se présenter comme la fille de
Mary et changer d’avis après coup. Soit elle annonçait à Cristo Ravelli que la
maîtresse de son père était décédée, soit elle se faisait passer pour sa mère.
Elle songea alors au pouvoir que cette mascarade lui donnerait dans les
négociations à venir. Si Cristo apprenait que Mary était décédée, cela
renforcerait sa volonté de confier les enfants à une famille d’accueil. Il évincerait
sans difficulté Belle et Isa. Mais les choses seraient beaucoup moins simples
pour lui s’il pensait avoir affaire à la mère de cinq enfants ! La décision
s’imposait d’elle-même. Belle se ferait passer pour Mary. Restait à trouver la
meilleure façon de prendre dix ans en quelques minutes. Rien de plus simple, se
dit-elle avec ironie.
La première chose qu’elle fit fut de retirer son short et son T-shirt, qu’elle
remplaça par l’unique jupe qu’elle trouva dans ses affaires. Elle prit ensuite un
haut à manches longues et une paire d’escarpins dans le placard de sa mère avant
de se rendre dans la salle de bains pour inspecter son visage.
L’image que lui renvoya le miroir lui arracha une grimace de dépit. Sa peau
lisse et son teint de porcelaine la faisaient paraître plus jeune que son âge réel —
elle n’aurait jamais cru s’en plaindre un jour !
Après quelques instants de réflexion, elle appliqua une dose généreuse de
fard à paupières et de mascara, fit de même avec le fond de teint et souligna ses
lèvres de brillant rose vif. De nouveau, elle interrogea son miroir — il y avait du
progrès. Elle paracheva sa transformation en remontant ses cheveux en un
chignon un peu brouillon et sourit, surprise de sa ressemblance avec sa mère.
Elle paraissait plus sensuelle, plus féminine. Restait à savoir si Cristo Ravelli se
laisserait abuser par cette transformation.
— Je m’apprêtais à t’appeler pour le dîner, déclara Isa quand elle entra dans
la cuisine. Mon Dieu, qu’est-ce qui t’arrive ?
Belle se raidit, alarmée.
— Pourquoi ? J’ai l’air bizarre ?
— Bizarre ? Non. Différente. Qu’est-ce que c’est que cet accoutrement ?
Un silence gêné s’installa, bientôt interrompu par le claquement de la porte
qui donnait sur le jardin. Des éclats de voix se firent entendre, précédant de peu
l’apparition d’un garçon et d’une fillette de huit ans qui s’insultaient
copieusement.
— Si vous n’arrêtez pas tout de suite de vous disputer, intervint Belle, je
vous envoie tout droit au lit sans passer par la case dîner.
Les jumeaux, Pietro et Lucia, se turent aussitôt. Ils dépassèrent leur sœur,
penauds, et montèrent l’escalier quatre à quatre.
— Tu vas me dire pourquoi tu t’es habillée et maquillée de la sorte ? s’enquit
Isa.
— Cristo Ravelli a appelé. Il est à Mayhill et il a besoin de la gouvernante.
J’essaie de paraître plus âgée.
Sa grand-mère, tandis qu’elle parlait, l’étudia avec consternation.
— Tu n’envisages pas vraiment de te faire passer pour Mary ? C’est une idée
complètement folle. Ça ne marchera jamais. Cette jupe et ce maquillage te
rendent plus féminine, mais tu n’as pas l’air plus âgée.
Belle redressa le menton, décidée à ne pas se laisser intimider.
— Qui ne risque rien n’a rien. Cristo Ravelli ignore tout de maman. Il n’a
même pas l’air de savoir qu’elle était la gouvernante de Gaetano.
— Es-tu sûre de cela ? C’est peut-être une manœuvre de sa part. Et je ne
veux pas que tu ailles là-haut faire son lit et préparer ses repas, surtout habillée
comme ça.
— Pourquoi pas ? demanda Belle, baissant les yeux sur sa tenue.
— Il pourrait se faire des idées.
— Ça m’étonnerait. D’après ce que je sais de lui, ce n’est pas un obsédé
sexuel comme ce satyre de Gaetano.
— Ce que tu dis là est très irrespectueux.
— Mais c’est la vérité.
— Malgré tous ses défauts, Gaetano était le père des enfants. Tu ne devrais
pas parler de lui de cette façon, surtout là où on pourrait t’entendre.
Belle reconnut à contrecœur que sa grand-mère avait raison. Embarrassée,
elle sentit le feu lui monter aux joues.
— Je peux emprunter ta voiture ? marmonna-t-elle pour changer de sujet.
— Bien sûr, répondit machinalement Isa.
Puis, comme si elle se rappelait soudain leur discussion, elle plaqua sa main
sur la porte au moment où Belle s’apprêtait à l’ouvrir.
— Attends, Belle ! Réfléchis à ce que tu vas faire… Si tu mens à Cristo
Ravelli, il sera furieux quand il apprendra la vérité. Et que tu le veuilles ou non,
c’est ce qui finira par se passer.
— Cristo est un Ravelli — un monstre impitoyable. Et mon seul espoir de
lui tenir tête, c’est de me faire passer pour ma mère. Je ne vois pas d’autre
solution.
2.

Belle fit quelques courses à la station-service à l’entrée du village, le seul


commerce encore ouvert à cette heure de la journée. Le montant de la facture la
fit frémir mais l’argent, pour une fois, n’était pas le premier de ses soucis.
Si Cristo Ravelli s’attendait à ce qu’elle lui prépare de bons petits plats, il
allait tomber de haut. Ses talents de cuisinière se limitaient à l’utilisation de
l’ouvre-boîtes et du four à micro-ondes. Qu’allait-elle lui préparer ? se demanda-
t-elle en étudiant les ingrédients qu’elle transportait. Une omelette, une salade et
du pain à l’ail, décida-t-elle enfin. Elle était tout de même capable de mélanger
quelques œufs, non ? Elle avait vu sa mère et sa grand-mère le faire à de
nombreuses reprises.
Tremblant presque de nervosité, elle se gara derrière la maison et remarqua
avec étonnement que les lumières étaient éteintes. La porte de service n’avait pas
été déverrouillée. Titubant sous le poids de ses courses, elle contourna le vieux
manoir pour aller sonner à la porte principale.

* * *

Cristo était au téléphone quand le carillon résonna dans les pièces vides de
Mayhill. Il alla ouvrir, prêt à congédier l’importun, lorsqu’une rousse perchée sur
des hauts talons le dépassa en coup de vent. La gouvernante ? Si c’était le cas,
elle ne ressemblait pas du tout à l’idée qu’il s’en était faite !
Il mit fin à son appel et observa la visiteuse. Sa silhouette longiligne et ses
courbes parfaites lui rappelèrent quelque chose. Etait-ce elle qu’il avait vue un
peu plus tôt sur la pelouse ?
Il étudia son visage. Elle avait des yeux d’un vert étonnant, presque perdus
sous une couche de maquillage appliqué à la truelle. Ses lèvres étaient d’un rose
vif et vulgaire — mais étonnamment, ce détail ne le rebuta pas. Au contraire, il
fut soudain tenté d’y mordre comme dans un fruit mûr. Cette fille n’était
pourtant pas son genre. Jolie, certes, mais trop rousse, trop sensuelle… sans
distinction. Cristo avait appris à ses dépens qu’il n’était attiré que par les blondes
glaciales et sophistiquées.
Aussitôt son cœur se serra lorsqu’il pensa à sa précédente maîtresse. Il se
l’était depuis longtemps interdit et délibérément il reporta son regard sur les
seins voluptueux de la nouvelle venue.
Belle supporta cet examen sans tressaillir, tristement habituée à l’effet que sa
poitrine généreuse provoquait sur les hommes. A la différence des autres,
pourtant, Cristo paraissait la regarder sans vraiment la voir, comme s’il était
ailleurs, et elle en profita pour le détailler à son tour. Selon les standards en
vigueur, il avait un physique proche de la perfection. Ses cheveux et ses yeux —
du même noir de jais — lui donnaient l’allure d’un ange déchu. Il émanait de son
visage une douceur envoûtante, malgré ses traits anguleux et l’éclat déterminé de
son regard. Mal rasé, la mâchoire puissante, il paraissait incroyablement viril —
même si sa bouche pleine lui apportait une touche de sensualité. Enfin, il était
très grand, carré d’épaules. Du haut de son mètre soixante-dix, Belle n’avait
jamais eu l’impression d’être une petite chose fragile — jusqu’à aujourd’hui.
Elle détourna les yeux, soudain troublée par Cristo. Le fait de le regarder
provoquait d’étranges frissons au creux de son estomac. Simple effet de la
nervosité, songea-t-elle. Après tout, elle s’apprêtait à relever un énorme défi. Il
était normal qu’elle se sente intimidée.
— Je vais porter tout ça dans la cuisine et commencer à préparer le dîner,
marmonna-t-elle, désignant les sacs qu’elle tenait.
Cristo eut du mal à ne pas laisser son regard dériver de nouveau vers les
seins de la jeune femme, qui semblaient palpiter sous le tissu de son chemisier.
— Vous êtes la gouvernante de mon père ? demanda-t-il, médusé par cette
femme qui ressemblait si peu à la matrone gironde qu’il avait imaginée.
Avec un soupir, Belle déposa ses courses.
— Oui, confirma-t-elle en redressant le menton. Je suis Mary Brophy.
Un mélange de stupeur et d’incrédulité envahit Cristo Ravelli. Il eut grand-
peine à conserver son expression impassible, et parvint tout juste à articuler :
— Vous êtes… la maîtresse de mon père ?
Belle se mordit la lèvre, hésitante. Elle voyait mal comment décrire
autrement le rôle pour le moins controversé que sa mère avait occupé dans la vie
de Gaetano Ravelli. Elle acquiesça, les joues en feu.
— Oui.
Cristo, occupé à la déshabiller du regard quelques secondes plus tôt, eut un
mouvement de recul. L’idée d’avoir désiré la même femme que son père le
révoltait. C’était… inapproprié.
Une chose était sûre, il comprenait à présent comment elle était parvenue à
conserver l’intérêt de Gaetano, un homme connu pour son caractère volage. Il
était évident que Mary Brophy prenait grand soin d’elle-même. Même après
avoir donné naissance à cinq enfants, elle avait une silhouette de jeune fille. Et
sous le maquillage qu’elle avait appliqué sans discernement, il devinait une peau
diaphane et sans rides. Non, elle ne ressemblait pas du tout à l’image qu’il s’était
faite d’elle.
— Vous étiez aussi sa gouvernante ?
— Oui.
L’air déterminé, Belle se pencha pour ramasser ses sacs.
— Si l’interrogatoire est terminé, est-ce qu’une omelette et une salade vous
conviennent ?
Elle se dirigea vers la cuisine sans attendre sa réponse. Cristo lui emboîta le
pas, se demandant toujours comment elle avait pu avoir cinq enfants. Cinq !
— Vous avez dû rencontrer mon père très jeune, observa-t-il depuis le seuil.
Belle, occupée à ranger les denrées périssables dans le réfrigérateur, se
raidit.
— Pas tant que ça, répondit-elle évasivement.
Elle aurait voulu lui dire de se mêler de ses affaires mais elle redoutait de le
vexer. Après tout, elle n’avait pas intérêt à s’en faire un ennemi si elle voulait
protéger sa fratrie.
— Je pensais que vous habiteriez dans la maison, reprit-il au même moment.
— Je… j’y vivais quand Gaetano était là, improvisa Belle.
— Et le reste du temps ? Je sais que mon père ne venait que trois ou quatre
fois par an, et qu’il ne restait jamais plus de quinze jours.
— J’habite la loge à l’entrée du domaine, lui apprit la jeune femme,
déposant une laitue et des œufs sur le plan de travail.
La nouvelle déplut à Cristo. Elle allait devoir déménager, car il ne pouvait
pas vendre Mayhill tant que la loge était habitée. Mais le moment était peut-être
mal choisi pour le lui annoncer.
Elle avait entrepris de casser des œufs avec une concentration presque
comique, et il en profita pour la détailler. Ses cheveux passaient du roux à l’or en
fonction de l’éclairage et des mouvements de sa tête. Leurs boucles formaient un
halo autour de son visage, qui était d’une incroyable beauté. Cristo se demanda
pourquoi elle éprouvait le besoin de le tartiner d’une telle couche de maquillage.
Elle devait être plus vieille qu’elle n’en avait l’air, supposa-t-il, pour être la mère
d’un adolescent. Peut-être Gaetano lui avait-il offert quelques séances de
chirurgie esthétique ?
Belle, pendant ce temps-là, sortit le pain à l’ail de son emballage et le mit au
four. Pourquoi ce type ne la laissait-il pas travailler en paix ? Sa présence la
troublait et la rendait gauche et hésitante.
Elle se mit à fouiller dans les placards, à la recherche des ustensiles dont elle
avait besoin. Elle était rarement venue dans la demeure de Mayhill et connaissait
mal l’endroit. Lorsque Gaetano venait en visite, Mary emmenait ses enfants chez
leur grand-mère, au village, afin de se préparer à sa guise à la venue de l’homme
qu’elle adulait !
Avec un pincement au cœur, Belle se remémora l’excitation qui précédait les
séjours du milliardaire — la façon dont sa mère se mettait à faire de l’exercice,
ses rendez-vous chez l’esthéticienne et chez le coiffeur. Témoin de ce spectacle
avilissant, Belle s’était juré que jamais elle ne dépendrait d’un homme. Mary
avait fait preuve d’une dévotion aveugle envers Gaetano — mais qu’avait-elle
gagné en échange ?
Elle lava rapidement la salade, toujours plongée dans ses souvenirs, puis
prépara la vinaigrette préférée de sa mère, tentant de se rappeler les proportions
de chaque ingrédient. Cristo avait disparu et ce fut avec un soupir de
soulagement qu’elle entreprit de mettre la table dans le salon.
Dieu merci, il avait accepté sans sourciller sa fausse identité. Daniel Petrie,
le régisseur, finirait bien par apprendre que Mary Brophy était morte mais Belle
était sûre qu’il garderait le secret. Il aurait l’air ridicule de dévoiler à Cristo son
ignorance de la situation — et serait trop honteux d’avouer qu’il l’avait mal
informé !
Rassurée par ces considérations, elle se pencha sur le fourneau à gaz et tenta
d’en comprendre le fonctionnement — un mystère pour une étudiante habituée à
cuisiner sur une unique plaque électrique.

* * *

Lorsqu’il avisa le dîner disposé devant lui, Cristo sentit son appétit
s’envoler. Avec une moue dubitative, il piqua dans son omelette du bout de sa
fourchette. Elle avait la consistance d’un vieux matelas, la souplesse en moins.
La salade qui l’accompagnait nageait dans l’huile et le pain à l’ail était
carbonisé, même si la cuisinière avait fait un effort louable pour en ôter les
morceaux les plus calcinés. Elle n’était pas douée, c’était sûr, mais il supposait
que ce n’était pas le genre de talent que son père avait recherché chez ses
maîtresses.
Il repoussa son assiette avec un soupir et se leva. Il n’avait aucune envie
d’être là, à devoir gérer les conséquences des frasques de son père. Mais il savait
qu’il n’avait pas le choix. Il devait cependant gérer le problème que
représentaient Mary Brophy et sa marmaille. Si ce n’était pas lui, qui s’en
occuperait ?
Belle fouillait dans un placard à linge du premier étage lorsqu’elle entendit
du bruit derrière elle. Elle se retourna et fixa avec étonnement un homme appuyé
contre la rambarde de l’escalier. Il semblait assez jeune, et pourtant, il avait une
carrure si massive que Belle en fut presque effrayée.
— Voilà donc où vous cachez les draps, observa-t-il.
— Qui… qui êtes-vous ?
— Rafe est l’un de mes gardes du corps, expliqua Cristo, émergeant à son
tour de l’escalier. John et lui veillent à ma sécurité. Ils vont résider ici.
— Rassurez-vous, intervint le dénommé Rafe en s’approchant pour regarder
dans le placard, nous allons nous débrouiller.
Avec un haussement d’épaules, Belle prit les draps qu’elle destinait à Cristo
Ravelli et se dirigea vers la chambre principale. Alors qu’elle s’éloignait, elle
sentit le regard du propriétaire des lieux lui brûler le dos. Pourquoi diable la
fixait-il ainsi ? Et pourquoi ne lui avait-il pas dit qu’il était accompagné ? Elle
n’avait pas acheté de quoi manger pour trois. Ce qui lui faisait penser que leur
visiteur lui devait de l’argent.
Elle déposa les draps sur le lit et tira le ticket de caisse de sa poche. Elle ne
fut pas surprise, en se retournant, de voir que Cristo l’avait suivie.
— Voici ce que vous me devez, annonça-t-elle.
Tout en regardant autour de lui d’un air réprobateur, il prit son portefeuille
dans sa veste et en sortit un billet qu’il lui tendit.
— C’est la chambre de mon père ? demanda-t-il avec un froncement de nez.
— Oui.
— Je dormirai dans une autre pièce si vous voulez bien. Cette décoration de
bordel victorien n’est pas trop mon genre.
Belle était la première à reconnaître que le décor, avec ses épaisses draperies
et ses couleurs sombres, avait quelque chose de vulgaire… et de sinistre. Elle
récupéra les draps et conduisit Cristo dans l’une des nombreuses chambres de la
maison. La décoration n’était pas beaucoup plus sobre, et commençait à se
défraîchir — la propriété tout entière avait bien besoin d’être rénovée.
— Quand j’ai parlé de bordel victorien, fit son compagnon depuis la fenêtre
où il s’était posté, j’espère que je ne vous ai pas insultée.
— Pas le moins du monde. Je ne suis pas responsable des choix esthétiques
de Mayhill. Gaetano a engagé un décorateur il y a dix ans, avec le résultat que
vous voyez.
Belle se rappelait encore à quel point sa mère avait été blessée de ne pas se
voir confier cette tâche. Le résultat aurait sans doute été pire encore — Mary
Brophy adorait le rose dans toutes les déclinaisons possibles.
Cristo étudia Belle à la dérobée pendant qu’elle faisait le lit. Elle avait des
fesses parfaites, des seins magnifiques, un visage d’une délicatesse étonnante.
De nouveau, son propre corps réagit de manière embarrassante. Aussitôt, il
détourna le regard en tentant de dissiper les marques de son désir. Il refusait de
se laisser charmer par la même femme que son père mais était-ce sa faute si elle
était si séduisante ? Il n’était pas fait de pierre.
Tout en s’affairant, Belle jeta un regard discret en direction de Cristo. Son
détachement et son air de supériorité méprisante n’auguraient rien de bon. Elle
regretta soudain d’avoir accepté ce rôle de gouvernante, qui la mettait par
définition en position d’infériorité.
Elle secoua la couette avec plus de force que nécessaire, puis se rendit dans
la salle de bains pour y disposer des serviettes fraîches. Malgré sa mine
dédaigneuse, Cristo était un très bel homme — elle devait en convenir. Elle
n’était pas insensible au magnétisme de ses yeux noirs comme l’onyx, et à la
sensualité de ses lèvres pleines… Elle aimait également la manière dont il
bougeait — avec virilité et distinction. Sans s’en rendre compte, Belle imagina le
torse nu de Cristo et tenta de se rappeler le détail de ses mains. Au creux de ses
cuisses, elle sentit son sexe palpiter, et ses seins se tendirent, comme sous l’effet
de caresses. Il était impossible de se méprendre sur la nature de cette réaction :
elle le désirait. Pas consciemment, pas intentionnellement, mais de façon
instinctive. Devait-elle en déduire qu’elle ne valait guère mieux que sa mère ?
Etait-ce l’effet que Gaetano avait produit sur Mary ?
— J’aimerais vous voir demain matin pour discuter de certains détails,
déclara Cristo quand elle ressortit de la salle de bains. 10 heures, cela vous
conviendrait ?
Belle se contenta d’acquiescer, puis demanda :
— Quand voulez-vous rencontrer les enfants ?
A cette question, les traits du milliardaire se durcirent.
— Je ne veux pas les rencontrer, déclara-t-il d’une voix glaciale.
Belle pâlit, se demandant comment interpréter sa réponse. Son absence totale
d’intérêt pour sa famille était-elle inquiétante ou au contraire encourageante ?
Elle pouvait signifier que cette histoire d’adoption n’était qu’une rumeur
infondée. Ou, au contraire, qu’il l’envisageait sérieusement…
Belle scruta son visage, atterrée par la réserve glaciale et le manque
d’humanité de son regard. Comment pouvait-il à ce point se moquer de ses
demi-frères et sœurs ? La plupart des gens auraient accepté de les rencontrer, ne
serait-ce que par politesse. Apparemment, Cristo Ravelli ne se sentait pas tenu
par ce genre d’obligation.
Le vague mépris qu’elle éprouvait pour lui se transforma en animosité,
soudaine et brutale. Les enfants de Mary Brophy, c’était évident, n’étaient pas
dignes de la famille Ravelli. Pourquoi s’en étonner, quand Mary elle-même
n’avait jamais été considérée autrement que comme la maîtresse de Gaetano ? Sa
gorge se serra et elle prit congé abruptement, prétextant son ménage à terminer.
Elle descendit l’escalier quatre à quatre et s’activa à débarrasser les restes du
repas de Cristo. Elle espérait que celui-ci ne lui demanderait pas de revenir
cuisiner pour lui. Mais elle eut bientôt la certitude qu’il n’en ferait rien quand
elle ouvrit la poubelle et y trouva son dîner. Son visage s’enflamma sous le coup
de l’humiliation. Elle se reprit pourtant bien vite. Quel goujat ! Tant pis si
l’omelette ne lui avait pas plu. Il ne méritait pas mieux. Et il était temps pour elle
de rentrer, de fuir ce lieu détestable !
Tremblant sous l’effet de ses émotions conflictuelles, elle enfila son
manteau, monta en voiture et reprit le chemin de la loge. Quel gâchis…
Comment sa mère avait-elle pu consacrer sa vie à un mufle tel que Gaetano ? Il
lui avait confié à plusieurs reprises qu’il était malheureux avec sa femme et
Mary s’était imaginé qu’il finirait par divorcer pour l’épouser. Non seulement il
n’avait jamais divorcé, mais il était de notoriété publique qu’il avait une
maîtresse dans chaque port. Belle avait eu beau montrer divers articles dénichés
sur internet à sa mère, cette dernière avait toujours trouvé des excuses à son
amant.
— Tu ne comprends pas, Belle. Il ne peut pas quitter sa femme, j’ai fini par
l’accepter. D’abord, c’est une princesse de je ne sais quel pays du Moyen-Orient,
et ce serait très mal vu pour elle. Et je sais que si Gaetano n’est pas amoureux
d’elle, ils sont quand même amis. Il ne l’a épousée que parce qu’il avait besoin
de quelqu’un à son bras, d’une hôtesse pour recevoir ses amis de la haute
société. Je ne pourrais jamais la remplacer, je me suis fait une raison. Mais c’est
moi qu’il aime.
Mary était tombée amoureuse de Gaetano dès l’instant où elle avait posé les
yeux sur lui et, depuis ce jour, n’avait jamais prêté l’oreille à la moindre critique
le concernant. Sa mort, de manière bien compréhensible, lui avait brisé le cœur.
— Il n’était pas parfait, j’en ai bien conscience, avait-elle confié à sa fille.
Mais quand tu aimes quelqu’un, Belle, tu l’aimes tel qu’il est, avec ses qualités
et ses défauts. J’ai déjà eu de la chance qu’un tel homme s’intéresse à une
femme comme moi.
Une femme comme moi… Mariée précipitamment à dix-sept ans, veuve
moins de dix ans plus tard, Mary était presque aussitôt devenue la maîtresse d’un
homme marié — l’une de ses maîtresses, plus exactement. La vie n’avait pas été
tendre avec elle. Mais comme ne manquait pas de le rappeler Isa, Mary avait fait
les mauvais choix. Personne ne lui avait forcé la main.
Lorsqu’elle ouvrit la porte de la loge, sa grand-mère l’attendait.
— Alors ? Il a gobé que tu avais quarante ans ?
— Je n’ai pas essayé de lui faire croire que j’avais quarante ans, juste que
j’avais un fils de quinze ans. Apparemment, il ne l’a pas mis en doute. Il m’a
demandé de revenir demain à 10 heures. Je suppose qu’il veut parler de l’avenir
des enfants.
Isa laissa échapper un soupir de dépit.
— J’ai un mauvais pressentiment, Belle. L’honnêteté est toujours la
meilleure stratégie.
— A ceci près que Cristo Ravelli n’est pas un homme bon et honnête.
— Tu détestais Gaetano, mais il est inutile de faire payer son fils.
Belle pinça les lèvres, irritée par ces conseils qu’elle n’avait pas sollicités.
— Il ne veut même pas rencontrer les enfants !
— La faute en incombe à ta mère. Si seulement elle avait réfléchi aux
conséquences de ses actions, nous n’en serions pas là aujourd’hui.

* * *

Cristo dormit mal. Il rêva qu’il poursuivait une femme aux jambes
interminables sur la lande embrumée. Chaque fois qu’il allait la rattraper, elle lui
échappait avec un éclat de rire cristallin. Sa résistance ne faisait qu’exciter son
ardeur, un désir explosif lui emplissait le corps. Il parvint enfin à la saisir mais,
lorsqu’elle se retourna, il s’agissait d’une autre — une blonde aux grands yeux
bleus inquisiteurs. Il la relâcha dans un mouvement de dégoût.
Il se réveilla en sueur, le cœur lourd de culpabilité. La femme blonde, c’était
Betsy, la femme de Nik. Même en rêve, elle le narguait. Le ventre noué, Cristo
bondit de son lit et alla prendre une douche.
Il resta un long moment immobile sous le jet d’eau, assailli par un flot de
souvenirs. Il n’avait jamais eu l’intention de briser le mariage de son frère. Betsy
était simplement venue se confier à lui, bouleversée par des révélations que Zarif
lui avait faites. Le hic, c’était que Zarif tenait ces révélations de Cristo lui-même.
Il avait beau tourner et retourner le problème dans sa tête, il savait qu’il était
responsable de l’échec de la relation de Nik et de sa femme. Cristo avait trahi la
confiance de son frère. Mais tout cela résultait d’un enchevêtrement de
quiproquos et de maladresses. Il n’avait jamais eu l’intention de séduire Betsy.
Comme chaque fois qu’il se sentait coupable, Cristo ne put s’empêcher de
dresser la liste de ses erreurs. Oui, il avait pensé que Nik ne méritait pas une
femme telle que Betsy. Et oui, il avait assisté à la lente dissolution de son
mariage sans lever le petit doigt. Pour couronner le tout, sa loyauté était allée à
Betsy, pas à son frère.
Voilà pourquoi il lui incombait de régler le problème que leur avait légué
leur père. Nik avait déjà bien assez à faire et Zarif, quant à lui, souffrait toujours
des retombées de son indiscrétion. Comment s’étonner, après cela, que les trois
frères ne se fussent pas parlé depuis une éternité ?

* * *

— Ça fait très mémère, observa Isa le lendemain matin, quand elle découvrit
la tenue de Belle. Ce sont les affaires de ta mère ?
— Oui. J’en ai gardé quelques-unes en souvenir. La jupe est un peu grande
mais avec la ceinture, ça passe.
— On ne peut pas en dire autant de ce vieux gilet, de ce collier de perles et
de cette chemise, maugréa Isa. Tu ressembles à une jeune femme déguisée en
vieille dame.
— C’est parce que tu connais mon âge. Cristo va me voir en plein jour et je
dois faire attention à ce genre de détail si je ne veux pas me trahir.
— Rassure-toi, même la lumière du jour ne pourrait pas pénétrer une telle
couche de maquillage ! Mais tu as raison sur un point : ça te vieillit.
— Je sais bien que Cristo s’apercevra tôt ou tard de la supercherie.
L’essentiel, c’est que je parvienne à le faire renoncer à cette idée d’adoption
avant que ça n’arrive.
— S’il est comme son père, il sera très en colère quand il s’apercevra que tu
lui as menti.
— Tant pis. Je survivrai.
— Justement, j’en doute. Tu ne pèses pas lourd face à son pouvoir et à sa
fortune.
Belle quitta la loge d’humeur massacrante pour se diriger vers sa voiture,
titubant sur ses hauts talons. Elle n’était pas si vulnérable que sa grand-mère le
croyait. D’accord, elle n’avait pas le sou. Mais elle était sans doute aussi rusée
que Cristo Ravelli — n’avait-elle pas un doctorat en économie ? Et puis, elle
bénéficiait de l’effet de surprise. Cristo pensait qu’elle était Mary Brophy, ce qui
lui donnerait un avantage dans leur duel à venir. Car c’était bien d’un combat
qu’il s’agissait. Contrairement à sa mère, Belle n’avait pas l’intention de faire le
dos rond avec les Ravelli.
Cristo la vit approcher de Mayhill depuis une fenêtre du salon. Elle était
vêtue de manière moins provocante que la veille mais, même à distance, il
ressentit de nouveau le désir insensé de la veille. Il le réprima aussitôt, serrant les
poings dans ses poches — comme s’il était prêt à batailler avec lui-même.
D’accord, elle était attirante. Et alors ? Les maîtresses de son père l’avaient
toujours été, à l’inverse de ses épouses, plus communes. Gaetano avait fait
passer la classe sociale et la richesse avant l’apparence toutes les fois qu’il s’était
agi de se marier.
Cristo soupira, se demandant combien il lui faudrait dépenser pour
convaincre Mary Brophy d’accepter son plan. Tout le monde avait un prix, il le
savait. De plus, Gaetano n’avait pas été généreux avec sa maîtresse puisqu’il
n’avait pris aucune disposition à son égard. Et puis, elle ne devait pas être
particulièrement maligne pour avoir laissé un homme lui faire cinq enfants sans
rien exiger en retour. Non, il n’attendait pas vraiment de résistance de sa part.
Un sentiment de miséricorde dont il n’était pas coutumier l’envahit. Nul
besoin de sortir tout son arsenal de guerre pour vaincre Mary Brophy. Il résolut
de lui imposer son plan avec le plus de douceur et de diplomatie possible.
Avec un peu de chance, elle reconnaîtrait bien vite que sa solution était dans
l’intérêt de tout le monde.
3.

— M. Ravelli vous attend dans le salon, l’informa Rafe en lui ouvrant la


porte.
Belle prit une profonde inspiration et pénétra dans une pièce sombre, à la
décoration chargée. Lorsque Cristo se retourna pour la regarder approcher, elle
se sentit électrisée de la tête aux pieds. Si seulement cet homme n’était pas aussi
séduisant ! Elle redressa le buste, releva le menton et s’approcha de lui avec le
plus d’assurance et de détachement possible.
Cristo réprima une moue moqueuse en la voyant. Elle portait une robe
plissée et un gilet de laine qui n’auraient pas détonné sur une vieille dame.
Pourtant, en parfait contraste avec ses choix vestimentaires, elle arborait un
maquillage outrancier, presque caricatural…
Il se rendit soudain compte que quelque chose ne collait pas. La liaison de
cette femme avec son père n’avait aucun sens. Quels qu’eussent été les défauts
de Gaetano, il avait été amateur de beauté féminine et de sophistication. La
personne qui se tenait devant lui ne pouvait être la raison de ses fréquents
voyages en Irlande.
— Monsieur Ravelli…, murmura-t-elle.
A ce moment, le soleil accrocha sa chevelure rousse et la fit flamboyer,
soulignant la délicatesse de son visage de poupée, ses lèvres pleines et ses yeux
verts comme les landes irlandaises.
Un désir brutal lui meurtrit le bas-ventre. Il devait admettre qu’elle possédait
cette qualité inexplicable qui faisait perdre la tête aux hommes. Durant une
fraction de seconde, il fut presque tenté de la prendre dans ses bras et de plaquer
le corps divin qu’elle cachait sous ces oripeaux contre le sien. Cette image,
même fugitive, faillit lui faire perdre la tête. Il fut obligé de se mordre les joues
pour reprendre le contrôle de lui-même. Cette femme produisait sur lui un effet
incroyable, qu’il ne parvenait pas à comprendre. Tandis qu’il tentait de
rassembler ses pensées, il s’aperçut qu’il continuait de la regarder intensément
— ses yeux semblaient aimantés à cette femme.
Belle, qui faisait de son mieux pour éviter son regard, sentit le feu lui monter
aux joues de manière inexplicable. Elle eut soudain très chaud, comme si
quelqu’un avait subitement monté le thermostat de la pièce. Elle ne put
s’empêcher d’accrocher son regard et de détailler la façon dont ses pommettes
saillantes soulignaient ses yeux, le profil arrogant et aquilin de son nez, la force
de sa mâchoire.
L’atmosphère parut se charger de tension, et Belle se demanda si elle n’allait
pas se mettre à crier. De rage, d’impuissance, ou de frustration sexuelle… elle
n’aurait su le dire. Elle eut cependant la sensation qu’ils entraient dans une
forme de duel. Seuls au monde, dans une arène sèche et aride. L’image de leurs
corps brûlants lui traversa l’esprit. Comme la veille, elle sentit la pointe de ses
seins durcir et son sexe frémir.
Au prix d’un effort incroyable, Cristo détacha ses yeux d’elle et s’éclaircit la
gorge. Il cessa de se demander quel goût, quel parfum avait la peau de cette
femme. Il ne comprenait pas comment elle pouvait l’attirer contre sa propre
volonté, et contre toute logique.
— Mademoiselle Brophy…
— Mme Brophy, corrigea-t-elle aussitôt.
Cristo fronça les sourcils, intrigué.
— Vous êtes mariée ?
— Je suis veuve depuis de nombreuses années, répliqua Belle.
Puis elle se dirigea vers la fenêtre pour s’éloigner de lui et calmer ses sens.
La supercherie requérait toute sa concentration. Elle était Mary Brophy, ex-
maîtresse de Gaetano Ravelli et mère de ses cinq enfants, se répéta-t-elle tel un
mantra.
— Si je vous ai fait venir aujourd’hui, reprit Cristo d’une voix suave, c’est
pour discuter de l’avenir des enfants.
Belle acquiesça, s’efforçant d’arborer une mine impassible.
— Oui. Gaetano nous a laissés dans une position délicate.
— Vous faites allusion à votre situation financière, je suppose. Mon père a
fait preuve d’un manque évident de clairvoyance en ne prenant pas la moindre
disposition pour vous protéger.
— Il a tout de même mis la maison à mon nom, fit valoir Belle, soucieuse de
feindre la même loyauté que sa mère envers le défunt.
A ces mots, Cristo se figea. Il fronça les sourcils.
— Quelle maison ?
— La loge du gardien. Il me l’a donnée il y a quelques années, afin que nous
ayons un toit quoi qu’il arrive.
Cristo parut contrarié et une vague inquiétude s’empara de Belle. En tant
qu’exécuteur testamentaire de son père, comment pouvait-il ignorer un fait aussi
important ?
— Mais avec les coûts d’entretien et les frais de scolarité des enfants, se
força-t-elle à reprendre, je vais sans doute être obligée de vendre.
— Veuillez m’excuser un instant.
Sans lui laisser le loisir de répondre, Cristo sortit de la pièce et composa le
numéro de Robert Ludlow. L’avocat répondit aussitôt et Cristo lui demanda sans
aménité pourquoi personne ne l’avait informé du fait que Mary Brophy était
propriétaire de la loge.
Robert, aussi déconcerté que lui par la nouvelle, alla fouiller dans un dossier
et finit par trouver un accord hâtivement rédigé quinze ans plus tôt par son frère
aîné juste avant qu’il ne prenne sa retraite. Il s’excusa platement de cette
omission et rassura Cristo après avoir pris connaissance des termes exacts de
l’accord.
Belle, pendant ce temps, arpentait le salon en se rongeant les ongles. Elle se
rappela non sans angoisse que le notaire qui s’était occupé de la succession de sa
mère n’avait pas trouvé de document relatif à la cession de la loge. Pourtant,
Mary Brophy n’était pas une affabulatrice. Sur le moment, Belle avait supposé
que le papier se trouvait quelque part dans les affaires de sa mère. Elle s’était
promis de le chercher plus tard mais n’avait pas eu le temps de le faire, débordée
par les besoins des enfants.
Cristo revint dans la pièce de la démarche assurée d’un homme qui se savait
en position de force.
— J’ai bien peur que vous ne soyez pas propriétaire de la loge, annonça-t-il
sans chercher à adoucir la brutalité de la nouvelle.
— C’est impossible, riposta Belle. Votre père m’a dit qu’elle m’appartenait.
— Vous en avez l’usufruit jusqu’à votre mort. Mais j’en ai la nue-propriété.
Belle eut l’impression que le sol venait de s’ouvrir sous ses pieds. Malgré
tous ses efforts pour ne pas trahir son désarroi, elle pâlit et bredouilla :
— Ce… ce n’est pas ce que Gaetano m’a laissée croire.
— Mon père était un beau parleur. Il vous a peut-être dit que vous possédiez
la maison mais ce n’est pas le cas. Vous pouvez simplement l’utiliser à votre
guise jusqu’à votre décès. Notez que c’est déjà beaucoup.
La stupeur passée, une bouffée de colère s’empara de Belle. Vraiment,
Gaetano s’était moqué de sa mère sur toute la ligne. Comment avait-il pu la
tromper sur un sujet aussi important ? Un frisson de rage lui parcourut l’échine.
— Et ce droit d’usufruit, s’étend-il aux… à mes enfants ? interrogea-t-elle,
nauséeuse.
— J’ai bien peur que non.
Cristo lui adressa un sourire de sympathie qui, même si elle avait été de
bonne humeur, ne l’aurait pas trompée un seul instant. Dans l’état où elle était,
cette marque d’hypocrisie ne fit qu’enflammer son courroux.
— Mais le fait est que pour le moment, la loge vous appartient, reprit le
milliardaire. Bien sûr, vous ne pouvez pas la vendre, l’hypothéquer ou procéder
à des travaux qui en modifieraient l’apparence.
Belle avait perdu le peu de forces qu’il lui restait lorsqu’il se tut enfin.
C’était la pire nouvelle qu’elle avait reçue depuis longtemps. Mary Brophy était
morte, l’usufruit de la loge était donc terminé. Techniquement, ses frères et
sœurs étaient sans domicile fixe. L’idée de se faire passer pour sa mère risquait
de prendre une tournure pénale, avec des conséquences qu’elle préférait ne pas
explorer pour le moment.
— Mon père était très doué pour les affaires, murmura Cristo. Mais je suis
prêt à vous reloger et à vous offrir une propriété à votre nom.
Belle tressaillit, puis fronça les sourcils.
— Pourquoi feriez-vous ça ?
— Je vais être honnête avec vous : il me sera plus facile de vendre Mayhill si
la maison de gardien est inoccupée.
Mais Belle l’écoutait à peine. La colère qui bouillonnait en elle tel du
magma menaçait d’exploser à tout instant.
— Ce salopard… Comment a-t-il pu faire une chose pareille à ses propres
enfants ?
— Mon père n’était pas du genre sentimental. Il nous a légué à tous une
situation particulièrement délicate. Mais j’ai une proposition à vous faire, qui je
crois nous apportera mutuellement satisfaction.
Belle s’en voulait d’avoir insulté Gaetano devant son fils, mais elle n’avait
pu se retenir… Elle était soufflée par le manque de scrupules, de sens de
responsabilités et d’humanité qui caractérisait Gaetano… et sans doute toute la
famille Ravelli !
Cristo la vit prendre une inspiration sifflante, ses yeux couleur émeraude
embrasés par une violente colère. Elle semblait être ce genre de femme
impétueuse, bouillonnante, incapable de contenir ses émotions… tout ce qu’il
détestait ! Mais sa fierté blessée la rendait aussi terriblement séduisante. Et ce,
malgré son gilet de grand-mère.
— Une… une proposition ? répéta-t-elle d’une voix tremblante.
Belle fixa Cristo sans ciller, déterminée à ne pas se laisser intimider par cet
homme au regard supérieur.
— J’aimerais que vous considériez la possibilité de faire adopter les enfants,
reprit-il enfin. Je pense qu’il est préférable pour eux d’abandonner un héritage
pesant et de refaire leur vie dans un cadre plus stable.
— Je n’arrive pas à croire que vous osiez me faire une telle proposition,
murmura Belle en secouant la tête.
— Bien sûr, je ferai en sorte que vous receviez une compensation pour ce
sacrifice, poursuivit Cristo du ton qu’il aurait employé pour discuter de la vente
d’une voiture. Mon père aurait dû veiller à vous offrir un toit et un revenu. Je
m’engage à vous fournir les deux.
— Quelle mère abandonnerait ses enfants contre de l’argent ? Quel genre de
femme fréquentez-vous habituellement ?
— Cela ne vous regarde pas. Sachez juste que je ne suis pas comme mon
père et que, contrairement à lui, je ne laisse pas d’enfants dans mon sillage.
— Dieu merci, parce que vous n’en méritez pas ! Vous vous rendez compte
que c’est de vos frères et sœurs que nous parlons ? Que vous voulez faire
adopter ?
— Je ne les reconnaîtrai jamais comme tels, riposta Cristo d’un ton glacial.
— Pourquoi ? Ils ne sont pas dignes des Ravelli, c’est ça ? Les enfants de la
gouvernante, ça fait mauvais effet ? Pas assez chic pour vous, je suppose ? Eh
bien laissez-moi vous dire une chose…
— Non. Je n’ai pas l’intention d’écouter des élucubrations dictées par la
colère.
— C’est vrai, vous êtes un véritable iceberg, reprit Belle avec un rictus de
mépris. Pour ma part, je n’ai pas honte de montrer mes émotions. Et je suis prête
à me battre pour que justice soit faite !
— Par pitié, si vraiment vous avez quelque chose à dire, allez droit au but au
lieu de faire des déclarations grandiloquentes, répondit Cristo avec un soupir las.
Belle serra les poings, hors d’elle. Jamais de sa vie elle n’avait éprouvé une
telle envie de frapper quelqu’un. Comment pouvait-il considérer des êtres
vivants, sa propre chair, comme un problème à régler ? Comment osait-il
suggérer de faire adopter ses frères et sœurs ? Ne se rendait-il pas compte qu’ils
avaient besoin, plus que jamais, de stabilité et d’amour après la perte de leurs
parents ?
— Ce que j’essaie de vous dire, fit-elle d’une voix rageuse, c’est que ma
mère était peut-être la maîtresse de votre père, mais qu’elle était aussi une
femme généreuse, une mère aimante, et que pour rien au monde elle n’aurait
abandonné ses enfants !
— Votre mère ? répéta Cristo d’une voix coupante. Vous êtes la fille de Mary
Brophy ?
Belle se figea, en nage et pourtant comme refroidie par un vent glacial. Dans
l’emportement, elle avait complètement oublié son rôle.
— Si vous n’êtes pas Mary Brophy… où est-elle ? Et qu’est-ce que vous
faites là ? s’enquit Cristo, furieux d’avoir été abusé.
Belle sut que le moment était venu de jouer franc jeu. Trahie par ses
émotions, elle n’avait plus le moindre espoir de rattraper une telle gaffe.
— Je suis Belle Brophy. Ma mère est morte environ un mois après votre
père, d’une attaque cardiaque.
— Je vois. Vous avez voulu dissimuler la mort de votre mère dans l’espoir
de conserver la loge.
— Non ! protesta-t-elle, d’autant plus désespérée qu’elle comprenait
comment il en était parvenu à une telle conclusion. J’ignorais complètement que
la loge ne nous appartenait pas. Ma mère m’avait dit que Gaetano la lui avait
cédée. Si je vous ai caché sa mort, c’était parce que je redoutais que vous ne
m’écoutiez pas en apprenant que j’étais la sœur des enfants.
Cristo eut un rictus narquois — il n’avait pas la moindre patience vis-à-vis
des gens qui essayaient de le tromper. Il repensa à la rousse qu’il avait vue
traverser la pelouse, le premier soir, et en déduisit qu’il s’agissait de Belle
Brophy.
Un mélange de rage et de désir lui traversa le corps. Il fixa la jeune femme
d’un air si menaçant qu’elle fit un pas en arrière.
— Vous avez essayé de vous faire passer pour votre mère, répéta-t-il
lentement. Vous êtes folle ? Ou juste stupide ?
A la vue de la fureur qui déformait les traits de Cristo, Belle n’hésita pas une
seconde — elle partit en courant vers la sortie. Si son père lui avait appris une
chose, c’était qu’il valait mieux ne pas s’attarder trop longtemps à proximité
d’un homme en colère.
Vif comme l’éclair, Cristo la saisit par le bras au moment où elle ouvrait la
porte.
— Cette discussion n’est pas terminée !
— Lâchez-moi ! cria Belle en le repoussant de toutes ses forces. J’ai fait une
erreur mais ça ne vous donne pas le droit de me brutaliser !
— Je n’ai aucune intention de vous brutaliser, riposta Cristo avec agacement.
Mais j’ai droit à des explications.
Le regard brûlant, la jeune femme s’arracha d’un mouvement brusque à son
étreinte.
— Vous êtes un Ravelli ! Je vous devrai des explications quand les poules
auront des dents !
Cristo la regarda s’éloigner comme une furie, le menton relevé, les talons
martelant le sol de marbre. Quelques boucles rousses tombaient de son chignon
et caressaient sa nuque pâle.
— Revenez ici ! rugit-il, à bout de patience.
Belle se retourna, comme si elle avait une armée à ses trousses. En le voyant
fondre sur elle, elle agrippa un vase posé près de la porte d’entrée sur une
console et le brandit telle une arme.
— N’approchez pas !
— Vous vous rendez compte que vous vous comportez comme une cinglée ?
demanda Cristo, contenant avec effort son exaspération.
— Je vais vous traîner en justice ! Je vais vous forcer à reconnaître les
enfants ! cria Belle, incapable de contrôler sa colère. Ils ont droit à leur part
d’héritage et je ferai tout pour qu’ils la reçoivent !
Le sang de Cristo se glaça dans ses veines à cette menace. La perspective
d’un procès où les sordides secrets des Ravelli ne manqueraient pas d’être étalés
en public n’était pas pour le réjouir.
— Calmez-vous, conseilla-t-il. Après quoi nous parlerons.
— Je n’ai pas envie de vous parler ! Si vous faites un pas de plus, je vous
lance ce vase à la figure.
Cristo soutint son regard. Il était évident que Belle Brophy était dans un état
de nervosité extrême, et que tout espoir de la raisonner était vain tant qu’elle ne
se serait pas calmée. Cependant, il n’écouta pas ses menaces.
Belle lança le vase de toutes ses forces quand il continua d’avancer — et
manqua largement sa cible. Elle hoqueta en avisant la mine furieuse de Cristo,
ouvrit la porte en grand, dévala les marches du perron et prit ses jambes à son
cou.
— Techniquement, c’était un attentat contre votre personne, remarqua Rafe
depuis l’escalier, pendant que Cristo chassait les éclats de porcelaine qui avaient
atterri sur ses chaussures.
— Vu la façon dont elle vise, je ne risquais pas grand-chose, maugréa-t-il.
La prochaine fois, je ne prendrai même pas la peine de me baisser.
Par la porte ouverte, il vit la jeune femme monter dans sa voiture et démarrer
en trombe. Elle était folle à lier, c’était certain. Comment pouvait-il négocier
avec une telle furie ? Il lui faudrait pourtant trouver un moyen de le faire s’il
voulait éviter un procès embarrassant.
— Parce qu’il y aura une prochaine fois ? s’enquit Rafe sans chercher à
cacher sa surprise.
Cristo se tourna vers lui, un sourire carnassier aux lèvres.
— Oh oui. Et plus tôt que cette fille ne l’imagine.
4.

— Au moins, il n’y a plus de cachotteries ni de mensonges, commenta Isa


avec satisfaction. Les cartes sont sur la table.
Belle repoussa une mèche rebelle d’un revers de la main. Depuis son retour
du manoir, elle s’était lancée dans un nettoyage frénétique qui avait servi
d’exutoire à la pression accumulée en elle. Avec un soupir, elle reposa le torchon
avec lequel elle venait d’essuyer le plan de travail de la cuisine.
Comme elle enviait l’humeur égale de sa grand-mère ! Cette dernière
accueillait toujours les mauvaises nouvelles avec un calme impressionnant.
Quand Belle lui avait expliqué que la maison ne leur appartenait pas, elle s’était
contentée de hausser les épaules et de lui rappeler que Bruno et Donetta ne
reviendraient pas de l’école avant plusieurs semaines, ce qui leur laissait
amplement le temps de trouver un nouveau logement. Belle avait ravalé la
question qui lui brûlait les lèvres : qui allait payer ? Car ni Isa ni elle ne
pouvaient assumer une telle charge financière.
Tag se mit soudain à aboyer, avant même que le carillon ne retentisse. Belle
se dirigea vers la porte, le jack russell sur ses talons.
Elle ne put cacher son mécontentement quand elle ouvrit et vit Cristo Ravelli
sur le perron. Il la dominait de deux bonnes têtes et elle se sentit écrasée par
l’autorité et la force qui émanaient de lui.
— Mademoiselle Brophy.
— Belle, corrigea-t-elle machinalement.
Cristo marqua une pause et admira une fois de plus la chevelure rousse de la
jeune femme, son visage de porcelaine et ses yeux émeraude. C’était la première
fois qu’il la voyait dans ses vêtements à elle, un jean et un T-shirt qui lui
donnaient l’air gracile et ingénu d’une très jeune fille. Ses courbes, en revanche,
étaient bien celles d’une femme.
Belle devint cramoisie — de colère ou d’embarras, il n’aurait su dire — et
recula d’un pas, laissant le champ libre à un petit jack russell, qui sortit en
aboyant et s’en prit avec hargne à ses chevilles.
— Tag ! s’exclama-t-elle. Non !
Elle s’agenouilla aussitôt pour le tirer en arrière. Cristo secoua la jambe dans
l’espoir de se débarrasser du roquet qui mordait le bas de son pantalon — en
vain. Après quelques instants de lutte, Belle parvint à lui faire lâcher prise. Elle
se redressa, le chien dans les bras, échevelée et la mine confuse.
— Je suis désolée. Il n’aime pas les hommes.
Une femme plus âgée apparut soudain derrière elle et sourit.
— Monsieur Ravelli ? Je suis Isa Kelly, la grand-mère de Belle. Entrez.
Belle se tourna vers elle, sourcils froncés.
— Je ne comptais pas proposer…
— M. Ravelli est notre invité, coupa la vieille dame d’un ton péremptoire.
Nous allons lui offrir un café et vous allez discuter comme deux personnes
civilisées.
Malgré la politesse d’Isa Kelly, Cristo crut deviner une certaine hostilité
dans son regard. Depuis les bras de Belle, Tag lui confirma la sienne d’un
grognement menaçant.
— Mon père lui donnait des coups de pied, expliqua Belle. Le vôtre aussi
d’ailleurs. Ça ne lui a pas laissé une très bonne image des hommes. Suivez-moi.
Cristo remercia les deux femmes d’un signe de tête et pénétra dans le salon
le plus hideux qu’il eût jamais vu. Les murs étaient roses, à l’instar du canapé et
des coussins brodés qui le recouvraient. De faux arrangements floraux
achevaient de prêter à l’endroit l’apparence d’une maison de poupée grandeur
nature.
— Je n’ai jamais aimé les chiens…, commença Cristo.
Un bambin aux cheveux bouclés déboula soudain dans la pièce et lui
enveloppa la jambe de ses petits bras.
— Non, Franco ! le gronda Belle.
— … ni les enfants, acheva-t-il.
Il étudia le petit garçon, dont les yeux ressemblaient tant à ceux de Gaetano
qu’il en eut le souffle coupé. Cristo se laissa tomber sur le canapé, l’enfant
toujours accroché à sa jambe.
— Monsieur ! prononça Franco d’un air de profonde satisfaction.
— Il est en manque d’affection masculine, déclara Belle, déposant le chien
dans un coin. Franco, viens ici.
Elle entraîna le garçonnet vers la cuisine, ignorant ses protestations. Resté
seul, Cristo fixa le jack russell d’un air méfiant et remarqua pour la première fois
les poils blancs qui garnissaient son museau. Il n’était plus de première jeunesse
et n’était sans doute pas aussi redoutable que ses grognements le laissaient
supposer.
Son véritable ennemi dans cette maison, songea-t-il, était la rousse au
tempérament explosif qui ressortit de la cuisine quelques secondes plus tard pour
se planter au milieu du salon. Mains sur les hanches, elle le dévisagea d’un air de
défi.
— Bon, qu’est-ce que vous voulez ?
Cristo, qui commençait à suffoquer au milieu de ce décor criard, se redressa
brusquement.
— Je suis venu vous dire que je ne voulais pas entendre parler de procès.
Belle, à ce stade, n’avait plus rien à perdre. Même le regard noir de Cristo
Ravelli ne l’intimidait plus.
— Dommage pour vous, répliqua-t-elle. Mes frères et sœurs n’ont jamais eu
la moindre reconnaissance et je compte bien y remédier.
— Sachez une chose : il y a quelques années, Gaetano a liquidé tous ses
avoirs pour les placer dans divers paradis fiscaux, hors de la juridiction des
tribunaux irlandais. A l’exception du produit de la vente de Mayhill, vous ne
tirerez pas beaucoup d’argent d’une telle opération.
— Les enfants n’ont pas besoin de beaucoup d’argent. Juste de quoi vivre,
aller à l’école et s’habiller.
— J’ai une meilleure idée.
— Je n’en doute pas, ricana Belle, s’adossant au mur du salon, les bras
croisés.
Son T-shirt échancré révélait la bretelle d’un soutien-gorge noir, et Cristo
oublia momentanément le but de sa visite pour savourer ce spectacle. Sa peau,
par contraste avec ses cheveux flamboyants et ses yeux vifs, était d’une
blancheur d’albâtre. Il imagina soudain que le tissu de son T-shirt glissait et
dévoilait davantage de cette peau éclatante, de ces courbes affolantes. Mais il
regretta amèrement son égarement lorsqu’il sentit son sexe se durcir
brusquement. Il enfouit ses mains dans ses poches pour dissimuler le renflement
de son pantalon.
— Je vous propose un dédommagement substantiel si vos frères et sœurs
renoncent à toute action judiciaire contre ma famille, annonça-t-il.
— Nous ne voulons pas de la charité des Ravelli.
— Mais ce ne serait pas de la charité. Comme vous l’avez souligné, Gaetano
était leur père. Et un procès embarrasserait ma famille, reconnut Cristo, la
mâchoire serrée.
— Pourquoi m’en soucierais-je ? demanda Belle sans manifester la moindre
émotion.
— Ce genre de publicité est à double tranchant, vous savez. Les médias
adorent les détails sordides et votre mère ne sortira pas grandie de cette histoire.
Belle secoua presque aussitôt la tête.
— Personne ne peut plus faire souffrir ma mère, dorénavant. Je dois penser à
l’avenir des enfants. Ils ont le droit de porter le nom de Ravelli.
— Aucune cour de ma connaissance n’aura le pouvoir de vous accorder une
telle requête, vu que votre mère et mon père n’étaient pas mariés, riposta Cristo,
exaspéré par son obstination. Vous êtes déraisonnable. Si vous renoncez à cette
idée de procès, je suis prêt à me montrer généreux. Vous n’aurez jamais de
meilleure offre.
— Excusez-moi si je suis dubitative, surtout après avoir appris que ma mère
n’était pas propriétaire de cette loge ! Gaetano était un menteur, je n’ai donc
aucune raison de vous faire confiance !
— Peu importe que vous me fassiez confiance ou pas. Je ne vous laisserai
pas déballer votre linge sale dans un tribunal. Et si vous vous obstinez, je vous
combattrai pied à pied. Croyez-moi, vous ne voulez pas d’un type comme moi
comme ennemi.
— Nous n’avons rien à perdre et tout à gagner, répéta la jeune femme. Je
vous verrai au tribunal.
Cristo serra les poings, plus inquiet qu’il ne voulait l’admettre des retombées
probables d’un procès. Il pensait particulièrement à son frère Zarif. Celui-ci avait
un Etat à gérer depuis peu. Il avait de grandes responsabilités. La dernière chose
dont il avait besoin était d’un scandale qui le discréditerait aux yeux de son
peuple, très conservateur.
— Qu’est-ce qui vous ferait renoncer à cette idée de procès ? soupira-t-il.
— Je vais sûrement demander l’impossible, mais je veux que les enfants
aient droit au style de vie qu’ils auraient eu si Gaetano avait épousé ma mère.
— Vous êtes irrationnelle, décréta Cristo en se dirigeant vers la porte. Vous
ne pouvez pas changer le passé.
— Je n’ai pas l’intention de changer le passé. Je veux juste redresser les torts
qui ont été faits.
— Vous feriez mieux de regarder vers l’avenir.
— C’est facile à dire, ricana Belle en lui emboîtant le pas. Mais pas si
évident à mettre en pratique. Et je ne suis pas irrationnelle !
Cristo, sur le point de sortir, se retourna avec vivacité.
— Vous plaisantez ? Vous êtes la femme la plus irrationnelle que je
connaisse.
Belle se pétrifia, clouée sur place par l’intensité de son regard. Le temps
parut s’arrêter. Elle se rendit compte qu’elle avait du mal à respirer. A quel
moment s’étaient-ils rapprochés de la sorte ? Elle se trouvait si près de lui
qu’elle pouvait respirer son odeur. Cristo continuait de la regarder, mais quelque
chose avait fait chavirer son expression.
— Et pour une raison que j’ignore, reprit-il d’une voix sourde, je trouve ça
très sexy…
Tout en parlant, il approcha sa main d’elle et remonta doucement son T-shirt,
qui avait glissé de son épaule. La gorge nouée et la bouche sèche, elle retrouva
pourtant miraculeusement son sens de la repartie.
— Vous perdez votre temps. Je ne suis pas aussi naïve que ma mère. Vous
n’allez pas m’endormir avec de belles paroles.
— Ouvrez les yeux, cara. Vous êtes une enfant qui essaie de jouer dans la
cour des grands, répliqua Cristo. Vous allez finir par vous faire mal si vous ne
faites pas attention.
— Une enfant ? railla Belle. C’est la pire insulte que vous ayez trouvée ?
— Je n’essayais pas de vous insulter.
De si près, Belle remarqua les inclusions dorées qui piquetaient les iris de
Cristo. Elle réalisa que celui-ci n’avait pas retiré sa main de son épaule. Pire, elle
sentait la chaleur de sa paume contre sa peau. Ce contact la brûlait presque, et
bientôt, ce fut comme si une coulée de lave la traversait, irradiant son bas-ventre.
Elle voulut se dégager, mais elle constata qu’elle en était incapable. C’était
comme si ses pieds étaient coulés dans du ciment.
Avec une lenteur calculée, Cristo se pencha vers elle et posa ses lèvres sur
les siennes, très légèrement. Belle, interdite, voulut protester mais son corps ne
lui obéissait plus. Pire, il semblait animé par une force étrange, contraire à sa
raison. Leur baiser lui arracha un soupir et elle s’affaissa contre Cristo. Son torse
était large, dur comme un bloc de granit, et lui offrait un support bienvenu. Les
lèvres de Cristo se firent plus fermes, plus insistantes. Il lui prit la bouche avec
ardeur et délicatesse. Jamais personne ne l’avait embrassée ainsi. Sa langue
enveloppa la sienne, puis il mordit gentiment sa lèvre inférieure. Belle sentit
qu’il posait ses mains dans son dos, descendant doucement vers ses reins, puis
vers ses fesses. D’une poigne ferme, il plaqua son bassin contre son sexe tendu
et dur, et se mit à onduler contre elle — provoquant une onde de désir telle
qu’elle gémit.
Soudain, elle prit conscience de ce qu’elle était en train de faire. Ce fut
comme si sa raison, victorieuse, avait jeté sur son corps bouillonnant un seau
d’eau glacée. Elle s’arracha à leur étreinte avec un cri rageur et stupéfait.
— Non ! Laissez-moi tranquille !
Cristo fit un pas en arrière, vaguement étourdi, et prit une longue inspiration.
Maledizione ! En temps normal, le plaisir que lui avait procuré ce baiser l’aurait
réjoui. Malheureusement, l’identité de la femme qui en était responsable
l’empêchait d’en profiter.
— Comme vous voudrez. Je crois me souvenir que j’essayais de vous
persuader d’abandonner cette idée de procès.
Belle lui jeta un regard déconcerté. Comment pouvait-il se montrer si calme
après le baiser qu’ils venaient d’échanger ? La passion, apparemment, n’était pas
inscrite au patrimoine génétique de Cristo Ravelli. Son indifférence était une
insulte et Belle fut mortifiée de s’être abandonnée à ce baiser — même pour un
instant.
Elle devait reconnaître qu’il embrassait comme un dieu… Belle avait sans
doute moins d’expérience que lui mais elle n’en était pas pour autant à son
premier baiser. Elle avait tenté plusieurs fois — et en vain — de ressentir cette
étincelle dont parlaient les livres. A présent, le destin se moquait d’elle : son
ennemi juré, en personne, venait de lui faire connaître son premier vrai moment
de plaisir sensuel. Pourtant, pouvait-on imaginer paire plus dissemblable qu’eux
deux ? Elle était chaleureuse et exubérante, Cristo était froid et dénué de toute
humanité. Elle était une étudiante modeste et pleine de rêves, alors qu’il était un
milliardaire froid et désabusé.
— Je suis désolée. Je me battrai jusqu’au bout pour mes frères et sœurs. Je
vais vous poursuivre en justice.
— Réfléchissez, repartit le milliardaire. Beaucoup de gens vont souffrir dans
cette affaire. Les enfants et vous n’êtes pas les seuls concernés.
— Je me moque des autres, reconnut Belle. Je veux que les enfants puissent
vivre la tête haute et porter le nom qui leur revient.
— Vous me demandez l’impossible.
— Non. Je vous demande la justice.
La justice ? songea Cristo avec irritation. Cette situation commençait à lui
taper sur les nerfs. Il ne reculait jamais devant un défi et était connu pour trouver
une solution à tous les problèmes. Où était la justice si un scandale ébranlait la
position de Zarif et le discréditait aux yeux de son pays, lui qui était une force de
progrès ? « Tel père, tel fils » ne manqueraient pas de ricaner ses adversaires.
Et puis, un déballage public n’arrangerait les affaires de personne, surtout
pas celles des enfants. La presse ne manquerait pas de représenter leurs parents
sous un jour qui ne leur vaudrait qu’un surcroît d’opprobre — bref, tout ce que la
jeune femme prétendait vouloir éviter. Aucun de ses héritiers n’avait jamais été
fier de Gaetano, un homme bien trop égoïste pour mériter la moindre affection.
C’était ironique, mais Cristo avait toujours cru, en grandissant, qu’il serait
différent de son père, qu’il deviendrait un homme meilleur. Qu’était-il advenu de
ce rêve ? A quel moment le cynisme avait-il eu raison de lui ? Etait-il possible
qu’il soit devenu un homme aussi égoïste et peu scrupuleux que son père ? Il
fallait bien admettre que depuis son arrivée à Mayhill House, il ne s’était pas
montré particulièrement altruiste. Pas un instant il n’avait considéré la situation
de Mary Brophy autrement que de son propre point de vue. Cristo prit soudain
conscience du fait que les enfants de celle-ci, de l’adolescent de quinze ans au
petit dernier — celui qui avait les yeux de Gaetano — étaient ses frères et sœurs.
Et pour cette raison, il avait un devoir envers eux. Mais comment honorer son
sens de la famille sans jeter l’opprobre sur le nom des Ravelli ?
C’est alors qu’il eut une révélation. La solution était évidente — même si
elle semblait folle ! Les pensées de Cristo fusaient : il allait réparer les erreurs de
son père et réhabiliter ses enfants illégitimes… mais pas de la manière dont
Belle l’entendait ! Oui, tout était simple et limpide !
Il eut un instant d’hésitation. La voix de la raison lui sommait d’arrêter ses
élucubrations. Mais son esprit vif eut tôt fait de peser les tenants et aboutissants
de la situation : d’un côté il fallait éviter à tout prix un scandale médiatique. De
l’autre, il devait donner aux enfants de Mary Brophy un patronyme qui leur
revenait de droit. L’équation était insoluble ! Sauf s’il mettait son plan à
exécution…
Qu’avait-il à perdre, après tout ?
Les yeux dans le vague, plongé dans ses pensées, il continuait de scruter le
visage de Belle. Celle-ci, qui lui avait lancé des regards venimeux tout au long
de leur échange, le regardait désormais avec un air interrogateur — presque
inquiet.
— Vous allez bien ? Si vous comptez faire un malaise, prévenez-moi !
— Tout va bien, rassurez-vous, répondit-il en se retenant presque de rire. Je
retourne à Mayhill. Nous poursuivrons cette discussion sous de meilleurs
auspices.

* * *

Cristo s’éloigna d’un pas leste. Un frisson d’excitation le parcourut. Il savait


exactement ce qu’il allait faire. Certes, il allait devoir donner de sa personne —
mais cela détournerait de manière certaine l’attention de la presse à scandale. La
liaison de Gaetano et Mary n’aurait pas à être révélée. L’honneur des Ravelli
serait sauf. Quant à Belle, elle serait parfaite dans le rôle qu’il envisageait de lui
confier — et qui consistait essentiellement à être nue dans ses bras. Car, il devait
bien l’admettre, depuis qu’il avait posé les yeux sur elle la première fois, il ne
rêvait que de cela !

* * *

Belle ne ferma presque pas l’œil de la nuit. Sa conversation avec Cristo la


hantait… ainsi que leur baiser passionné. Elle ne put s’empêcher d’en revivre les
moindres détails, se retournant dans son lit encore et encore — rongée par la
culpabilité d’avoir cédé aux avances de cet homme… et par son désir inavouable
de recommencer.
Le lendemain matin, elle prépara le petit déjeuner des enfants avec des
gestes mécaniques et l’esprit embrumé. Procès ou pas procès ? se demanda-t-elle
pour la énième fois. Puis elle fit taire ses scrupules. Elle n’avait pas le choix.
Elle ne pouvait pas faire confiance à Cristo — il était sans doute aussi
malhonnête que son père. Elle allait obtenir pour eux ce que leur mère n’avait
jamais eu le cran de demander : de la reconnaissance officielle.
Epuisée par les angoisses des dernières heures, elle emmena les jumeaux à
l’école, puis annonça à sa grand-mère qu’elle allait se promener au bord de la
mer avec Franco.

* * *

Lorsqu’il arriva sur la plage, Cristo eut le plaisir de voir Belle décontractée
pour la première fois. La brise soulevait sa lourde chevelure rousse et plaquait
son T-shirt contre son corps, soulignant la perfection de ses formes. Elle faisait
une démonstration de ricochets, au grand ravissement du petit garçon qui s’était
accroché à la jambe de Cristo la veille. Son roquet courait autour d’elle en
aboyant frénétiquement.
Le jack russell ne tarda pas à le repérer et se mit à lui foncer dessus, tous
crocs dehors. Mais cette fois, Cristo ne comptait pas se laisser impressionner. Il
s’approcha de l’animal et prit son air le plus autoritaire.
— Couché ! cria-t-il.
Tag tressaillit et roula aussitôt sur le dos, les quatre pattes en l’air, une
expression terrorisée dans ses yeux noirs.
— Ce n’était pas la peine de lui hurler dessus ! protesta Belle en courant
auprès de l’animal. Regardez, vous lui avez fait peur. Il est très sensible.
— Moi aussi je suis sensible : aux morsures, par exemple !
Le petit garçon, pendant ce temps-là, s’était pendu au bras de Cristo.
— Monsieur !
Cristo se figea, se demandant tout à coup s’il était capable de mettre son plan
à exécution sans risquer de devenir fou. Il ne connaissait rien aux enfants, il ne
savait pas comment une famille normale fonctionnait — et il n’avait pas
particulièrement envie d’apprendre.
Belle le dévisageait d’un air intrigué, son charmant minois empreint d’une
expression presque timide. Dans la lumière de la mi-journée, ses yeux étaient
d’un vert pastel. Sa beauté balaya les derniers doutes de Cristo.
— C’est ma grand-mère qui vous a dit où j’étais, je suppose ? lui demanda-t-
elle.
— Pourquoi, je n’ai pas le droit de venir me promener sur la plage ?
Belle dévisagea Cristo. Que faisait-il ici ? Sa présence était incongrue et ne
lui inspirait pas particulièrement confiance… même s’il lui parut extrêmement
séduisant. L’air matinal lui donnait bonne mine. Elle ne l’avait jamais vu qu’en
costume, tiré à quatre épingles, mais sa silhouette athlétique indiquait clairement
qu’il ne passait pas sa vie derrière un bureau. Ses épaules étaient larges, sa taille
étroite et ses cuisses puissantes. Il était manifestement sportif, et Belle se plut à
l’imaginer courir sur la plage dans une tenue appropriée. Elle se morigéna et
reporta son attention sur les souliers vernis et couverts de sable du milliardaire.
— Ça m’étonnerait que vous soyez venu vous promener dans une telle
tenue, dit-elle d’un ton grinçant.
Cristo secoua la tête.
— Non, en effet.
L’heure n’était pas aux badineries. Il baissa la tête et observa le bambin qui
s’accrochait à lui. Il est en manque d’affection masculine, avait dit Belle la
veille. Pour une fois, c’était un concept qu’il comprenait parfaitement. Jamais
Gaetano ne lui avait manifesté la moindre affection quand il était enfant, jamais
il ne l’avait touché ou ne lui avait adressé un mot gentil.
— Nous devons parler, déclara-t-il laconiquement.
— Tout ce que nous avions à nous dire, nous nous le sommes dit la nuit
dernière.
Puis Belle tourna les talons et s’éloigna, la main tendue vers son petit frère.
— Franco ! On rentre à la maison.
— Non ! protesta fermement le bambin.
Il s’était désormais agrippé au pantalon de Cristo d’un poing ferme,
entravant ses mouvements. Le milliardaire retint de justesse un soupir exaspéré
et s’avança tant bien que mal à la suite de Belle.
— J’ai mis Mayhill sur le marché ! lança-t-il, s’adressant à son dos.
La jeune femme s’arrêta, saisie d’une panique irrépressible à la perspective
de se retrouver à la rue. Il n’y avait évidemment pas la place d’entasser cinq
enfants dans le studio qu’occupait Isa au village. Elle tourna son regard vers la
mer mais le bruit du ressac ne parvint pas à calmer ses nerfs.
— Ça n’aurait pas pu attendre quelques semaines ? demanda-t-elle en se
retournant, le regard flamboyant.
Cristo la rejoignit enfin, Franco toujours accroché à son pantalon.
— Non. Je veux vendre le plus vite possible, afin que le secret de Gaetano
ne soit pas éventé.
— Et nous ? demanda Belle, qui sentait la colère lui monter au nez. Que
sommes-nous censés faire ? Ça prend du temps de se reloger.
— Vous aurez au moins un mois pour trouver quelque chose, répondit Cristo
d’un air distrait.
Tout en parlant, il étudiait sans vergogne la façon dont le T-shirt de Belle
moulait ses seins, lesquels pointaient sous l’effet de la fraîcheur matinale. Une
érection malvenue fit enfler son sexe et il inspira profondément pour reprendre le
contrôle de son corps.
— Un mois, ce n’est pas assez ! Bruno et Donetta vont bientôt revenir de
pension pour les vacances d’été. Cinq enfants, ça prend de la place ! Et ce sont
aussi vos frères et sœurs, même si vous faites semblant de l’ignorer !
— Je ne l’ignore pas. C’est pour ça que je suis venu vous proposer un
marché. Nous allons nous marier.
— P-Pardon ?
— Vous allez m’épouser, ce qui permettra aux enfants d’avoir un foyer.
Pour la première fois de sa vie, Cristo se demanda s’il savait ce qu’il était en
train de faire. Dans les affaires, il avait pris des décisions audacieuses… qui lui
avaient toujours réussi. Mais concernant sa vie personnelle, c’était autre chose !
Peut-être était-il en train de faire une erreur monumentale. L’expression ahurie
de Belle ne fit que renforcer son malaise.
— Vous épouser ? répéta-t-elle. Vous avez perdu la tête ?
— Vous avez dit que vous vouliez que vos frères et sœurs bénéficient du
nom et du style de vie des Ravelli. C’est ce qui se passera si nous nous marions
et que je les adopte.
Belle fit un pas en arrière, l’air consterné et presque effrayé.
— Vous êtes en train de vous jouer de moi, n’est-ce pas ?
— Non. Pourquoi plaisanterais-je sur un sujet pareil ?
— Qu’est-ce que j’en sais ? Hier, vous pensiez qu’il était raisonnable de
suggérer à une mère de faire adopter ses enfants ! Maintenant vous revenez avec
cette proposition ahurissante !
— Réfléchissez, Belle. Je suis sérieux. Et je vous garantis qu’en vous
proposant cela, je ne fais que penser au bien de nos familles respectives.
Belle, sous le choc, ne savait pas comment réagir. Devait-elle tourner les
talons et refuser de lui parler sans son avocat ? Etait-il fou ou machiavélique ?
Ou devait-elle considérer cette proposition de mariage arrangé — qui serait un
sacrifice pour tous deux, mais garantirait la sérénité et la prospérité de leurs
familles ? Un rayon de soleil perça les nuages et vint caresser le visage de Cristo.
Sous ses airs durs et ténébreux, elle voyait une certaine douceur. De nouveau,
Belle se représenta un ange déchu. Il avait des yeux remarquables, noir et or —
fiers et tendres à la fois. Belle fut prise de vertiges… Elle eut de nouveau du mal
à respirer.
— Je suis un homme pratique, enchaîna-t-il. Un mariage résoudrait tous nos
problèmes. Vous savez que je ne veux pas d’un procès. Je souhaite éviter que la
nouvelle de la double vie de Gaetano se répande. Tout ce que vous aurez à faire,
c’est de promettre de ne jamais parler des parents des enfants. Je ne vous
demande pas de mentir, juste de ne rien dire si l’on ne vous demande rien. Aux
yeux du monde, vous aurez adopté vos frères et sœurs orphelins — et vous aurez
fait un beau mariage avec l’un des héritiers Ravelli. Les enfants de Mary et
Gaetano ne manqueront de rien. Jamais.
Belle inspira profondément pour s’éclaircir les idées — en vain. Une brume
épaisse l’empêchait d’aligner deux pensées cohérentes.
— Je n’arrive pas à croire que vous suggériez une chose pareille.
— Vous ne m’avez pas laissé le choix, n’est-ce pas ? Vous êtes prête à
trouver un arrangement financier en dehors des tribunaux ?
— Non, répondit Belle sans hésiter.
— Dans ce cas, nous n’avons pas d’autre option que de nous marier, n’est-ce
pas ?
— Cette idée est ridicule.
— Pourquoi ? Ça répond à toutes vos exigences.
Belle secoua vigoureusement la tête.
— Mes exigences pour mes frères et sœurs ne vont tout de même pas jusqu’à
m’obliger à me marier avec… avec vous !
Elle avait prononcé ces mots avec un mépris si évident que Cristo ne put
s’empêcher de se sentir offensé. C’était la première fois qu’il demandait une
femme en mariage et, même s’il s’agissait d’une alliance de pure forme, la
réaction de Belle avait de quoi le vexer. Sans prétention, il se savait séduisant,
riche, et très recherché par toutes les croqueuses de diamants du monde entier.
Alors pourquoi cette fille faisait-elle la fine bouche ?
— J-je dois rentrer, dit Belle en balbutiant. Je ne manquerai pas de réfléchir
à votre proposition.
Le ton de Belle se voulait ironique, mais Cristo fit mine de l’ignorer. Et son
agacement était tel qu’il ne résista pas à poursuivre, du ton le plus mordant qu’il
pouvait :
— Pas de problème, prenez votre temps. Au fait, il est important de préciser
que je veux un vrai mariage.
— Un vrai mariage ?
Belle se figea. Qu’était-il en train de lui dire ? Il n’avait tout de même pas
l’outrecuidance de… Une telle grossièreté la souffla littéralement.
— Vous me demandez de… de coucher avec vous ? murmura-t-elle, la voix
étouffée par la colère.
— Bien sûr, murmura Cristo d’un air nonchalant, comme s’il s’agissait de la
chose la plus naturelle du monde. Sachez que je n’ai pas la moindre intention
d’imiter mon père et de prendre des maîtresses. Je serai un mari exemplaire. En
retour, j’attends de ma femme qu’elle me soit fidèle. Je veux que nous soyons un
modèle de stabilité pour les enfants. Ça les changera.
Belle fit tout ce qui était en son pouvoir pour ne pas perdre contenance. Les
propos de Cristo lui semblaient si indécents qu’elle ne parvenait pas encore à les
intégrer totalement. Cette situation la mettait en rage, mais l’embarrassait tout
autant. A tort ou à raison, Mary Brophy avait eu l’image d’une femme dissolue,
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The young man listened to Cope’s words, frowning a little, the
blood slowly mounting into his cheeks.
“They seem determined to make as much trouble for me as
possible,” he said. “I have a feeling that Hutchinson doesn’t like me
too much, and there is another individual in town who is doing his
prettiest to stir things up. Benton King is the chap I mean. He has
sent for a photograph of Paul Hazelton.”
“Has he? Well, what d’ye think o’ that? See here, Bent’s ruther
smashed on the parson’s daughter. You ain’t been cuttin’ in on his
preserves, have ye?”
“I scarcely know the girl,” answered Locke; but the flush in his
cheeks deepened. “Mr. Cope, consider that I’ve been in this town
only a few days.”
“I know that, but some o’ you baseball fellers are pretty swift with
the gals. They generally git their pick in towns like this, for the gals
go smashed on ’em right off. Still, Janet Harting ain’t just that kind;
she’s a fine little lady, and she wouldn’t pick up with no stranger in a
hurry, whether he played baseball or not.”
“I’d scarcely fancy her foolish or forward. She appears to be a very
nice girl, indeed.”
“They don’t grow none better, boy. She’s all right, though her
father’d put an everlastin’ end to baseball, if he could have his way.
You’re dead sure this man Riley ain’t got nothin’ on ye?”
“I’m practically sure of it. He’s bluffing, Mr. Cope, and he’ll lay
down when he finds he can’t drive you.”
There was something in the way this was said, however, that left a
vague uneasiness in the grocer’s mind. “Practically sure,” he
muttered, as he sat on the bleachers, scarcely paying any attention
to the run of the game. “Why ain’t he dead sure? It’s mighty odd that
he should be at all onsartin on that p’int.”
CHAPTER XXVII
THE ITEM IN THE NEWS

T he match did not progress favorably for Kingsbridge. For five


innings, Skillings fought hard to hold his own, but the “Lakers,” as
the Lakeport team was called, seemed to have his measure, and
Hutchinson notified Stark to substitute Deever in the sixth, the score
standing 7 to 5 in favor of the visitors when the change was made.
Deever took it up with reluctance, for his sore arm would not
permit him to throw anything but a “lob ball.” That slow teaser,
however, bothered the Lakers for a while; but in the eighth they
began to time it right, and drove in three more tallies, which clinched
the game. Cope heard a man near him complaining.
“Lefty could have saved it if Hutch had put him in,” declared the
dissatisfied one. “He’s the only real pitcher we’ve got. Skillings
belongs in the discards, and Deever hasn’t got anything left in his
sleeve.”
“But we can’t pitch Lefty all the time,” returned another man. “We’d
be fools to work him too much. We’re holding him back for the
Bullies. He’s got that bunch measured, and they’re pie for him.”
When the game was over and the regretful crowd was passing
slowly out through the gates, Cope sought Hutchinson.
“We’ve got to have another pitcher,” he said.
“Is that so?” said the manager. “I saw you talking with Lefty. Is he
frightened out? Is he going to quit the league, or will he go to
Bancroft?”
“He won’t do neither!” rasped Cope. “And he ain’t frightened. I say
we’ve got to have another pitcher because it’s plain that Lefty’s the
only real first-class twirler we own.”
“Skillings will be all right when he rounds into shape,” asserted
Hutch. “I didn’t sign Deever.”
“Well, I did—and he’s as good as Skillings. Neither one of them
ain’t got the goods. Do you know of any good pitcher we can get
hold of in a hurry?”
“Such a man will be hard to find late in June.”
“But we’ve got to find him!” came grimly from Cope’s lips. “No
matter what price we have to pay, we’ve got to have another top-
notch slabman. If you can’t find him—”
“I presume,” cut in Hutchinson coldly, “that I can find him if he is to
be found.”
“Then git busy. Make the wires hot! This town is out to win this
year, if it goes bankrupt, and we ain’t goin’ to be held down by tricks,
lack of pitchers, or anything else.”
“No doubt it will be wise to get a line on another man right away,
as we’ll be in a hole if Bancroft can back up her claim to Lefty. How
did he take it when you told him what was going on?”
“Never turned a hair. He ain’t worried.”
“Isn’t he? Well, I’d be if I were in his place—that is, if I wanted to
pitch college baseball any more. This rumpus over him is bound to
be his finish in that line. It isn’t my funeral, but I think he’s a fool not
to hush it up if he can. It’s sure to get into the newspapers, and then
the Princeton nine will bid good-by to Lefty Hazelton. They’ll have no
more use for him.”
Shortly after breakfast, Saturday, Bob Hutchinson rapped on the
door of Tom Locke’s room, and was invited to come in. He entered,
bearing a newspaper in his hand, and found Locke writing at a small
desk furnished by the hotel proprietor on particular request.
“Good morning,” said Tom, evincing a shade of surprise at the call.
“Have a chair.” He put aside the pen, and turned his own chair from
the desk.
“This unfortunate contention over you,” Hutchinson said, “seems to
be creating considerable disturbance. To say the least, it’s
annoying.”
“I quite agree on that point,” nodded the pitcher, “and it is far more
annoying to me than it can possibly be to any one else.”
“I should think it might be, although I wish to state that it has jarred
me some. I’d like to know whether we have a good claim to you or
not. Have you seen the Bancroft News this morning?”
“No.”
“Here it is. You’ll find something of interest concerning you here in
the sporting department.”
He handed over the newspaper, indicating the article mentioned,
and sat down. Not once did he take his cold eyes off Locke’s face as
the latter read the piece pointed out.

The News has learned that a warm controversy is in


progress over a certain remarkable young left-handed
pitcher who has created a decided sensation by his
phenomenal slabwork for one of Bancroft’s strong
rivals in the Northern League. The man in question is
said to be a college pitcher who is playing under an
assumed name, this discovery being made by our
astute manager, Mr. Riley, who is certainly on the job
every minute. To put one over on Michael Riley it is
necessary to catch him napping, and the sleepless-
eyed sleuth of yellow fiction is a Rip Van Winkle
compared with Mike.
In ferreting out the identity of this young southpaw
wizard, our manager found that the dangerous twirler
who has twice humbled the hard-hitting “Bans”—we
prefer this abbreviated familiar name for the team,
although it is commonly known by another—is a
prominent college star with whom Riley was
negotiating as long ago as last December, and, as
there is a league rule forbidding any team in the
organization to dicker with a player who has made
overtures to, or entered into correspondence with,
another team, Mike lost no time in asserting his claim
to this man. The team that has the coveted man,
however, is naturally quite reluctant to give him up, and
it seems now that the case must be settled by a
meeting of the league directors, which will probably be
called some time next week.
Doubtless the publicity which this contention must
produce will be very annoying to the young pitcher, and
it may have a disastrous effect upon his standing as a
college athlete; for the college man who is known to
compete for money in baseball or any other sport
becomes rated as a professional and is barred from
college games. Nevertheless, more sympathy would
be felt for the man had he not played the management
of one Northern League team against another to his
own advantage in the matter of salary. Should
exposure and disbarment from amateur sports follow,
there are some who must feel that he has only himself
to blame.

Locke made no effort to hide his annoyance. “I doubted if Riley


would carry it this far,” he said warmly.
“Why not?” questioned Hutchinson unemotionally. “You couldn’t
expect him to hold back on account of what might happen to you at
college. Any bush-league manager will give a college player every
protection possible under ordinary circumstances, but there is
nothing ordinary about this case, and you’ve certainly put yourself in
bad by the course you have pursued. If I had a claim on a coveted
player, similar to that which Riley professes to hold on you, I’d surely
push it to the limit.”
“I don’t know whether or not I have made the statement to you
personally,” said Lefty grimly, “but I will tell you now that Mike Riley
has no claim whatever upon me.”
“How about the letter he says you wrote him last December, in
response to his offer?”
“If such a letter was written him, it was a declination of the offer,
and therefore put an end to negotiations. A man can’t be bound to a
manager by any rule simply because he writes refusing the offer.”
“Not unless that refusal is, on its face, a suggestion or a
proposition that a higher offer might be considered. In the latter case,
negotiations would still be pending. Do you assert that your letter to
Riley gave him to understand distinctly that you would not take any
offer from him into consideration, Hazelton?”
“I have not said that I ever wrote Riley a letter, or ever received
one from him; and while I am in Kingsbridge I prefer to be called
Locke, not Hazelton.”
“Oh,” said Hutchinson, “of course we’ll humor you in that whim,
although you must know that your real identity cannot be kept secret
after this. I don’t suppose you’ll deny that Hazelton is your proper
name?”
“I have said that I prefer to be called Locke.”
CHAPTER XXVIII
THE GAGE FLUNG DOWN

H utchinson laughed in a mirthless manner, no sound escaping his


thin lips. The young man had refused a direct answer, and
nimbly made his escape from the corner in which Hutch had tried to
pin him, but it seemed that he might as well have owned up without
squirming.
“It’s a peculiar affair,” said the manager, after a few moments,
during which Lefty sat frowning at the newspaper he still held in his
hand. “Riley proposes to protest against the counting of any games
we may win with you pitching. It seems that old man Cope is getting
cold feet, for he has instructed me to fish up another pitcher or two
without delay, and I’ve got some lines out already.”
The pitcher lifted his eyes and gazed steadily at Hutchinson, as if
looking straight and deep into the hidden chambers of the man’s
mind, there to read his secret thoughts and purposes. In spite of
himself, Hutch felt his icy self-control melting; in spite of himself, he
betrayed resentment; and there was—amazingly—a touch of warmth
in the question he fired at Tom Locke:
“Well, what’s the matter? I don’t suppose you have an idea that
we’re going to drift along and do nothing, in the face of the possibility
of losing you and having the games you’ve pitched thrown out?”
“I was wondering,” said Tom quietly, “just how deeply you were
interested in the baseball welfare of Kingsbridge. Somehow, I can’t
help fancying that it wouldn’t disturb you much if I got it in the neck,
and had to quit or go to Bancroft.”
Hutchinson sneered.
“Haven’t you got a touch of the swelled nut? Do you think you’re
the only pitcher in the business? Winning those two games from
Bancroft must have puffed you up aplenty.”
“I have won games before I ever came here, or I couldn’t have
won those games,” was the retort. “I know you are only a hired
manager; but, as long as you are taking Kingsbridge money for your
services, it’s up to you to give Kingsbridge your very best interest
and effort.”
The manager rose, the blaze that had flared strangely a moment
before having sunken to cold ashes of resentment. He had not liked
this young fellow from the first; now that Locke had dared speak out
in such a fearless manner, indicating the ease with which he had
plumbed the shallow depth of Hutchinson’s loyalty, the man’s hatred
became intense. Nevertheless, he sought to resume his habitual
mask of cold indifference.
“I’ve seen plenty of young cubs like you,” he said in his usual level,
colorless voice. “They always have to have it hammered out of them,
and you’ll have to swallow the regular medicine if you play much
professional baseball.”
The gage had been flung down between them; henceforth,
although they might dissemble before others, they would make no
effort to deceive each other regarding their feelings. If Lefty were
really ambitious to get on professionally, it would seem that he had
perpetrated a shortsighted piece of folly in incurring the enmity of his
manager. Nevertheless, rising to his full height to face Hutchinson,
he had something further to say:
“Doubtless, sir, there are other managers like you; but, for the
good of the game, I hope there are not many.”
For something like thirty seconds, Hutch did not stir or move his
eyes from Tom Locke’s face; but he was confronted by a pose
equally statue-like and a gaze even steadier and unflinching, and
presently, struggle against it though he did, his lids drooped.
“You shall regret those words,” he declared, without altering his
tone a particle. “Your baseball career in the Northern League will be
short; at Princeton it is ended.”
He went out, leaving behind him the paper he had brought.
When he was alone, Lefty took a long breath.
“You are right,” he muttered; “at Princeton, it is ended.” And he
laughed queerly.
Hutchinson left the hotel to get the air, which he seemed to need.
A man who had never known what it meant to feel deep and lasting
affection for any human being, he could hate with an intensity as
deep and dark as the Plutonic pit. Seeking a private booth at the
central telephone station, he called up Mike Riley, with whom he
made an appointment to “talk over business,” guarding his words,
lest the girl at the switchboard, listening, should hear something her
tongue could not refrain from tattling. This done, Hutch walked a
while, and felt better.
He was, of course, not the only one who had read the disturbing
piece in the Bancroft News; already numerous people in Kingsbridge
were discussing that item, which provoked no small amount of alarm,
and caused Henry Cope to be bombarded all that forenoon with
questions he could not, or would not, answer, putting him before
midday into such a reek of perspiration that he felt as if he had taken
a plunge in the river.
With a copy of the paper in his pocket, Benton King lingered a few
minutes at the post office, and was rewarded by the appearance of
Janet. He showed her the paper, and saw her cheek pale as she
read the brief article.
“That ought to convince you,” he said.
“It does not!” she exclaimed, handing back the paper. “It is a
wretched slur, such as might be expected from Bancroft.”
“Where there’s smoke, you know.”
“I’m truly ashamed of you, Bent. I thought better of you.”
He flushed under the stinging remark, but stood his ground.
“You will be forced to believe, in the end, Janet.”
“As long as Mr. Locke has denied that he is Paul Hazelton, I shall
believe him. He has the eyes of an honest man. He has the face of a
man who cannot lie.”
“I confess that he is an excellent actor, able to assume a most
deceiving air of innocence and veracity.”
“Benton King, I refuse to talk with you about him. Where’s your
proof that he is not what he claims to be? You have only your unjust
suspicions to back you up. I should hate to think you were concerned
in the spreading of this preposterous story printed in the Bancroft
News. Why, if I thought that—”
“I am not concerned in it, to my knowledge; I give you my word of
honor on that. When I first suspected that he was Hazelton, of
Princeton, I made some inquiries concerning him; but I have carried
nothing to Riley. Since he denied in your presence that he was
Hazelton, I have not spoken of him to any one save you.”
He was very desirous that, though she knew him to be determined
to expose Locke as an impostor, she should not get the impression
that he, King, would resort to the smallest underhanded device to
overthrow a rival. He had told the man plainly that he had sent for a
picture of Paul Hazelton. It was to be a fair and open fight to the
finish.
“Very well,” said Janet, “I believe you. But do not come to me with
any more hearsay gossip about Tom Locke. When you have proof I
will listen.”
CHAPTER XXIX
THE FRAME-UP

A t nine o’clock on Saturday evening, two men sat talking in


confidential tones in the Bancroft office of Lawyer Rufus Kilgore.
The lawyer himself was not present; he had not even seen Bob
Hutchinson follow Mike Riley into that office. But he had loaned Riley
the key, with the full knowledge that some sort of a secret conclave
was to be held there.
Riley was paid to manage a winning team, and he was at liberty to
negotiate what conspiracies he chose for Bancroft’s advantage; but,
for the ease of his conscience, Kilgore wished to know as little as
possible about such plots.
On this occasion, Hutchinson had made the appointment with
Riley, specifically stating that no third party was to be present during
the interview. In his heart bitter rancor toward Tom Locke gnawed
like canker; his hatred for the man who had indiscreetly told him the
fearless truth concerning his own treacherous character was like a
wound that would not heal. Alone with Riley in that office, with the
door locked, he unhesitatingly announced his determination to “put
the knife into Lefty.” Mike listened, grinning his satisfaction.
“What’s happened?” he asked, leaning back in the creaking swivel
chair and elevating his big, flat feet on the open, littered desk. “You
and him been havin’ some sort of a diff’runce?”
“The cub dared to shoot his face off to me,” explained Hutchinson.
“I told him his baseball career at college was ended, and that it
would be mighty short in this league. I shall notify the proper
authorities at Princeton, and furnish proof that he is a professional,
and I propose to put him on the blink here so that no team in the
Northern League can use him.”
Riley suddenly looked doubtful.
“Now, look here, Hutch,” he said. “Why not put him on the blink as
far as Kingsbridge is concerned, and let us have him, if we can get
him? As long as you get your dough for managing, you don’t care a
rap whether the Kinks win or not. If he can keep up the pace he’s
set, he’d be a mighty valuable man fer Bancroft.”
“No,” returned Hutchinson coldly and grimly; “after what he’s said
to me, I’ll not give him the satisfaction of holding a job anywhere in
this league. Don’t you see, Riley, if he were to come over to you and
be used successfully against Kingsbridge, he might think that he was
getting back at me? I’ve made up my mind to put him down and out,
and when it is done I intend to let him know I did it. It will benefit you
if he is barred entirely, and that should be sufficient to make you
ready to help put him to the mat. You don’t really need him, anyhow.”
“Mebbe not,” agreed Mike. “I’m out after a southpaw right now that
can make this college lefty look like a frappéd lemon, and I’ve got my
left-hand hitters practicing against a kid left-hander with speed and
curves, so that they can pound that kind of pitchin’. Didn’t know but
my claims to him might fall through, y’see.”
“Then,” questioned the treacherous Kingsbridge manager, “you
haven’t any real claim? You haven’t a letter from him speaking of
terms, or anything like that?”
“I haven’t,” confessed Riley. “I writ him twict, but I never got no
answer. It made me sore to think that old doughhead, Cope, should
beat me to it, and I made up my mind to bluff the thing through as fur
as possible. Didn’t calc’late the youngster, knowin’ how it would
bump him at college, would relish the advertisin’ he was bound to
get, and thought mebbe, to hush it, he might give in, admit I did have
a claim, and come over to us.”
“Not in a thousand years,” said Hutchinson; “not unless you’ve
really got a claim. He’s just bull-headed enough to fight it out. I saw
that by the way he met me when I showed him the piece in the
News. He wouldn’t admit that his name was Hazelton.”
Suddenly Riley let his feet fall with a thud to the floor, the swivel
chair swinging forward with his huge body, and brought his clenched
fist down on the desk.
“By thunder!” he exclaimed.
Hutchinson looked at him expectantly.
“By thunder!” repeated Mike. “Perhaps it ain’t!”
“Isn’t what?”
“Perhaps it isn’t Hazelton. I have private information that, being
cornered fair and square, he has denied it flat.”
For a fleeting moment Hutchinson seemed startled out of his usual
cold indifference, but he quickly recovered.
“Preposterous,” he said. “The fellow must be Hazelton.”
“I dunno. I reckoned so myself, but—”
“Look here, Mike, if he isn’t, why should he let this controversy
over him go on? Then, there’s Cope, who thinks—”
“Nobody in the Northern League knows Hazelton. Even Cope may
be fooled.”
“How? He signed Hazelton to pitch.”
“But even he had never see the man. He made arrangements
entirely by letter. What if Hazelton, not caring to come himself, sent a
substitute? Jupiter! If that’s how the land lays, this Locke would have
the laugh on ev’rybody when the truth came out. We’d all feel like a
man caught tryin’ to spend plugged money.”
Hutchinson pondered. The possibility suggested by Riley was
something that had not occurred to him, but, although he could
perceive that such a thing might be true, a brief bit of meditation led
him to reject it as improbable.
“You’re wrong,” he said. “I’ll stake my life that he is Hazelton.”
“We’ve got t’ be sure,” growled the Bancroft manager. “It won’t do
to go ahead until we are. Say, I wouldn’t have him put one like that
over on me for a cool thousan’. I’d be guyed aplenty. Think of us
howlin’ about Hazelton and claimin’ that Locke was him, only to have
it pan out that we’d been makin’ a lot o’ jacks of ourselves. I wouldn’t
hear the last of it in a year.”
“Then I’ll find a way to get the proof that he is Hazelton,” promised
Hutch. “But when we’ve got it, what are we going to do? I thought
you had some semblance of a claim which would give us an excuse
to get together and sign an agreement not to use him, either one of
us.”
“And have him go over to Fryeburg or Lakeport?”
“No. We could fix that by faking up a claim that, on account of
crookedness on his part, he was suspended. A man suspended can’t
be taken up by another team in the same league; they’ve got to wait
for his release, and we’d both refuse to release him. Settlement of
the matter could be hung up until the season was over.”
Riley thumped the desk again, grinning at his worthy associate in
conspiracy.
“You’ve got a head, Hutch,” he complimented. “You alwus was
clever at framin’ up jobs, and I reckon, together, we could put it
through. If I knowed f’r sure Locke was Hazelton, and had some of
his handwritin’—well, I cal’late I could get a letter faked that would
cook his goose. I know a clever guy who’d do the pen-work. You
bring me proof that he’s Hazelton, together with a workin’ sample of
his penmanship, and we’ll put him down, both shoulders to the
carpet. I’ll have old Cope weepin’ briny tears for his lost wizard.”
“It’s a bargain,” said Hutchinson, rising. “But it must be agreed that
we simply hang him up so that no team in the league can use him.
Leave it to me; I’ll settle the question regarding his identity, and get
the sample of penmanship you want. He’s practically a dead one this
minute.”
“If I land that new southpaw, I won’t need him, anyhow,” said the
Bancroft manager. “But don’t lose no time, Hutch.”
“I won’t. I’m too eager to fix him to dally.”
It was late before Hutchinson retired that night, but still he lay
awake a long time, and finally a method by which he could possibly
get hold of some of Tom Locke’s handwriting flashed through his
mind.
“Ah!” he breathed. “Now I can sleep. He attended church last
Sunday; if he does so to-morrow, I’ll see if I can’t find a way to look
over the contents of that writing desk in his room. It’s possible I may
find something more than a mere specimen of his chirography.”
With this comforting thought, he soon drifted off into slumber as
peaceful and unbroken as that of a healthy man who has no reason
for a single troubled qualm.
CHAPTER XXX
THE LETTER IN THE DESK

S hortly after Sunday morning breakfast, Hutch had a private talk


in his room with one of the two bell hops of the hotel, following
which he complacently strolled down to the veranda, where, lounging
in a comfortable chair, he presently saw Tom Locke come forth and
depart on his way to church. When the pitcher had vanished, the
man rose and returned to his room.
In less than fifteen minutes there came a light, nervous tap on the
door, and, at Hutchinson’s invitation to enter, the bell boy, looking a
trifle pale, glided in.
“Well, did you get the pass-key?” questioned the manager.
“Yes, sir,” answered the boy; “I slipped it off the hook when the
clerk wasn’t looking, but if I’m caught I’ll be in a peck of trouble. I
wouldn’t do this, only—”
“Only you need the tenner I offered. Here it is.”
He passed over a ten-dollar bill, which the boy took with a hand
that was a trifle unsteady.
“Now, go ahead down the corridor, and open the door when
nobody’s looking, but don’t act so sneaky that you’ll be suspected if
some guest should see you,” ordered Hutchinson. “Leave the door
ajar a bit. The chambermaid for this floor is working at the front of the
house, isn’t she?”
“Yep; she was in Number Eleven when I come up. If I’m caught—”
“Quit that, and get a move on. When I come out, I’ll close the door.
You can lock it afterward. Stir yourself now.”
A few minutes later, stepping almost as lightly as a cat, Hutchinson
left his own room, and moved down the corridor until, at the far end,
he saw the door of Number Twenty-two, which was Tom Locke’s
room, standing the least bit ajar. In a moment he had passed inside,
closed the door quietly, and shot the safety bolt.
The room had not been made up, but it was the maid’s rule to take
care of the front of the house first, and Hutch was not particularly
fearful of interruption. If she should come, she would find the door
bolted, and, unless she had seen him go out, doubtless she would
think Locke still there.
Hutchinson wasted no time. Testing the desk, he found it locked,
whereupon he produced a huge bunch of keys, muttering:
“If one of these won’t do it, I’ll have to break it open. I’m going into
it now, anyhow.”
Selecting the keys most likely to fit such a lock, he found that the
fourth one tried served his purpose. The bolt clicked, and he opened
the lid. Although he was moving swiftly, apparently he was still as
cool and unagitated as Locke might have been himself while opening
the desk with the proper key, which the pitcher carried in his pocket.
Immediately on lowering the lid of the desk, Hutchinson’s eyes
discovered something that gave him a feeling of satisfaction. It was
an unfinished letter, written on the paper of the hotel, pushed back
and left lying under the pigeonholes.
“This ought to tell me something,” muttered the man. “It’s a letter
the fellow hasn’t found time to finish, and, at least, it will furnish the
needed specimen of his handwriting.”
In the most informal way, without giving the full name and address
of the person for whom it was intended, the letter began: “My dear
Grandall;” and went on to give an account of the experiences of the
writer since his arrival in Kingsbridge.
The chirography was strong and manly, and extremely easy to
read, although not at all of the “copper-plate” variety.
Hutchinson, running through the letter swiftly in search of the proof
he desired, gave little heed to the quaintly humorous description of
the pulp-mill town, “baseball batty”; and he skimmed through the
somewhat graphic, self-chaffing account of the first game pitched by
the writer, in which, as he laughingly confessed, he began with “a
combination attack of stage fright and buck fever.” These
paragraphs, however, he perused without missing a word:

As I say, we have a good team, and I think it should


be a winning one if our manager is on the square and
wants it to win. For some reason I do not trust the man.
At our first meeting I was seized by a powerful
instinctive feeling of dislike and distrust. He is cold as a
fish and bloodless as a stone, with a voice as flat and
monotonous as the Desert of Sahara, and his frosty,
unfeeling eye is not the eye of an honest man.
He does not belong in Kingsbridge, but has been
hired, like the players on the team, and I should say
that he is a person who stands ready to sell himself at
any time for a price.
If it should happen that, near the close of the
season, Kingsbridge stands between Bancroft and
championship honors, Bancroft will cop the pennant
easily enough by dickering on the “q. t.” with Mr.
Robert Hutchinson—or I’m away off my trolley.

It was characteristic of the man reading the letter that he did not
show his rage by flushing. His nose, however, became a livid, sickly
white, and his thin lips were pressed somewhat more closely
together, causing his mouth to resemble a straight, colorless scar.
His face was that of a most dangerous man who would strike at an
enemy’s back in the dark.
There were other paragraphs that Hutchinson read without
skipping a line:

Oh, by the way, old fellow, I have met the most


charming girl it has ever been my good luck to run
across. I’m not going to try to describe her, because I
simply lack command of language to do so, and by this
confession alone you can see that she has me going
some.
Her name is Janet Harting, and she is the daughter
of a hard-shell parson whose pet aversion is baseball
—a man who, according to report, believes all baseball
players must be either children, fools, or ruffians.
Janet, however, has attended boarding school, and
she’s a thoroughbred fan, though her father raises
such a rumpus about it that she doesn’t get out to
many games.
Benton King, son of the man who has
metamorphosed Kingsbridge from a four-corners
settlement into a hustling, rip-roaring young city-to-be,
is mightily interested in Miss Janet. Judging by
appearances, she is not exactly averse to his
attentions, which, considering his prospects and the
fact that he seems to have anything around here in the
eligible-young-man line left at the post, is no source for
wonderment.
Sometimes I think I’d like to see if I couldn’t give him
a run for his money, but—well, you know how I’m
situated, and—what’s the use!

“Not a bit of use, young man—not a bit,” muttered Bob


Hutchinson. “When I get through with you, it isn’t likely you’ll have a
reputation that’ll make you particularly attractive to a discriminating
young lady.”
Hutchinson was much disappointed when he came to the abrupt
breaking off of the unfinished letter in the middle of the last page,
and failed to find anything in it that would prove that Locke and
Hazelton of Princeton were one and the same.
He decided at once to purloin the final page, leaving the others as
he had found them. He would relock the desk when he departed
from the room, and Locke, missing the final sheet, might fancy that
somehow it had slipped from the others and been tossed into the
near-by wastebasket, to be carried off by the maid.
In one of the pigeonholes were two letters. Both were addressed
on the envelopes to “Mr. Tom Locke.” The first one opened contained
only the post-card picture of a strikingly pretty young girl, who was
laughingly exhibiting some fetching dimples. Across the bottom of
the picture was written: “To ‘Big Bub,’ with love, from ‘Tid.’”
A look of understanding drifted across Hutchinson’s face as he
gazed at the picture, and, returning it to the envelope, he observed:
“So that’s how you’re ‘situated,’ Mr. Tom Locke; that’s the reason
why you are refraining from trying to give King a run for his money
with the parson’s daughter. If you were going to hang around this
town long enough, I’ll guarantee you would forget about ‘Tid’ and
make an effort to get into the running, just the same. It may be lucky
for King that you’ll be going away very soon.”
He returned the picture to the pigeonhole, and investigated the
contents of the other letter, consisting of a single sheet of paper, on
which a brief note had apparently been scrawled with much haste.
The handwriting was masculine, and there was no date line to tell
from whence it had come, but the first two words were enough to
give Hutchinson considerable satisfaction. They were: “Dear
Hazelton.” With some trouble, the manager deciphered what
followed:

Don’t worry any more about the Kernell case. Wyloft


& Pettengall have informed me that it will surely be
settled out of court. I’ll have further information from
them in a few days, but I’m sure there’ll be no
necessity for you to come back here until you get
through with your baseball job.
Hope you make good up there in the bush, though
you were afraid when you left that your arm had lost
some of its cunning. Let me know what success you
are having.

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