PDF of Le Triangle Et L Hexagone Maboula Soumahoro Full Chapter Ebook

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Le Triangle et l Hexagone Maboula

Soumahoro
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Maboula Soumahoro

Le Triangle
et l’Hexagone
Réflexions sur une identité noire
Présentation
Le Triangle et l’Hexagone est un ouvrage hybride : le récit
autobiographique d’une chercheuse. Au gré de multiples va-et-vient,
l’autrice converse avec la grande et les petites histoires, mais
également avec la tradition intellectuelle, artistique et politique de la
diaspora noire/africaine. Quels sens et significations donner au
corps, à l’histoire, aux arts, à la politique ? À travers une écriture
lumineuse, Maboula Soumahoro pose son regard sur sa vie, ses
pérégrinations transatlantiques entre la Côte d’Ivoire des origines, la
France et les États-Unis, et ses expériences les plus révélatrices afin
de réfléchir à son identité de femme noire en ce début de XXIe siècle.
Ce parcours, quelque peu atypique, se déploie également dans la
narration d’une transfuge de classe, le récit d’une ascension sociale
juchée d’embûches et d’obstacles à surmonter au sein de
l’université. Cette expérience individuelle fait écho à l’expérience
collective, en mettant en lumière la banalité du racisme aujourd’hui
en France, dans les domaines personnel, professionnel, intellectuel
et médiatique. La violence surgit à chaque étape. Elle est parfois
explicite. D’autres fois, elle se fait plus insidieuse. Alors, comment la
dire ? Comment se dire ?

L’auteur
Maboula Soumahoro est docteure en civilisations du monde
anglophone et spécialiste en études africaines-américaines et de la
diaspora noire/africaine. Elle est maîtresse de conférences à
l’université de Tours et présidente de l’association Black History
Month, dédiée à la célébration de l’histoire et des cultures noires.
Collection
Cahiers libres
Copyright
Création graphique de la couverture : Valérie Gautier
Composé par Facompo à Lisieux
Dépôt légal : février 2020

© Éditions La Découverte, Paris, 2020


9 bis, rue Abel-Hovelacque, 75013 Paris.

ISBN papier : 978-2-348-04195-2


ISBN numérique : 978-2-348-05849-3

Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement


réservée à l’usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion au
profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cette
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Nous suivre sur


Je dédie ce livre au regretté Dr Colin
A. Palmer (1944-2019), maître de la
diaspora, H.N.I.C. qui n’a pas son deux. Au-
delà de l’inestimable savoir transmis, il m’a
proclamée « Miss France » dès 1999.
D’abord étonnée et perplexe, je n’ai été en
mesure de saisir la portée symbolique de
cette parole que des années plus tard. Je
conserve et prends soin de la précieuse
couronne depuis. Pour cela, il me tient à
cœur de lui témoigner mon éternelle
gratitude.
Avec Naïma Yahi. Ensemble, à l’intersection. Tête haute.
« If it was up to me…
It is up to me. »
Saul WILLIAMS, Slam, 1998.
Table

Introduction - Parole noire/Noire parole


De la diaspora
Quel est ce « je » ?

1 - Le triangle - Circularités oxymoriques


Chronotope
Des implications scientifiques et personnelles
Une tradition intellectuelle
La question du retour

2 - Parcours universitaire - Pérégrinations transatlantiques


Orbite noire
Étudier en France
Étudier outre-Atlantique

3 - L’Hexagone - Une aventure ambiguë


« Aux grands MCs, la banlieue sera toujours reconnaissante »
2005 : « Par tous les moyens nécessaires, réparer l’offense »
Parole publique
Black History Month (BHM)/Journées Africana
Pour en finir avec la charge raciale

Conclusion - Noires sont les orbes ou ce que la beauté doit


au chaos

Remerciements
Introduction

Parole noire/Noire parole

« I’m Blak with 7 k. »


Chi Ching Ching, One Knock, 2011.

Fille de l’Hexagone et de l’Atlantique, mon ascendance, mes


origines, mes trajectoires et ma propre histoire m’inscrivent dans
l’immensité culturelle, politique et intellectuelle de l’Atlantique noir,
un espace géographique profondément façonné par l’Histoire.
J’évoque cet espace, qualifié de triangulaire, qui a mis en relation de
manière inédite et pérenne trois continents : l’Europe, l’Afrique et les
Amériques. Il englobe donc la Côte d’Ivoire et l’Afrique de mes
parents, de même que l’Hexagone, mon lieu de naissance et de
résidence actuelle après de nombreuses années passées outre-
Atlantique, où je me suis construite intellectuellement. Chaque
espace possède néanmoins sa lecture particulière du corps et de
l’expérience noirs. Je propose la mienne. En conversant avec la
grande et les petites histoires, mais également avec la tradition
intellectuelle, artistique et politique de la diaspora noire/africaine.

De la diaspora
Il est important de poser un cadre, de délimiter. Car on veut savoir
de quoi l’on parle. Il faut, d’ailleurs, savoir de quoi l’on parle. Les
mots, les termes ont un sens. Et, parfois, il est bon de revenir à leur
définition première. Précisément afin de savoir exactement ce dont il
est question.
Concernant les populations africaines dispersées à travers le
monde, on parle aujourd’hui de diaspora. Cette diaspora est
généralement décrite comme « noire » ou « africaine », selon la
perspective que l’on veut mettre en avant. Ainsi, parler de « diaspora
noire » place au cœur des préoccupations la couleur de la peau et le
phénotype noirs, c’est-à-dire le corps noir, sa construction et sa
signification depuis que le continent africain et l’Europe occidentale
sont tous deux entrés dans ce que les historiens nomment l’ère
moderne, il y a un peu plus de cinq siècles à présent. Si cette entrée
a eu lieu de manière simultanée, elle ne s’est pas déroulée de façon
égalitaire. Je fais référence au projet colonial de l’Europe occidentale
qui s’est développé à partir de la fin du XVe siècle et qui a donné lieu
à des explorations, des conquêtes et à l’asservissement de
populations jugées barbares et envisagées uniquement à travers le
prisme d’une altérité radicale décrétée, que ces populations se soient
trouvées sur place, comme les Amérindiens, ou qu’elles aient été
acheminées vers les nouveaux territoires conquis dans le cadre de la
traite esclavagiste transatlantique. Dans un tel contexte, l’histoire, la
culture, la religion, l’enseignement, la loi ont chacun façonné le
corps et les vies noirs. Ceux-ci évoluent dans des sociétés
grandement hiérarchisées au sein desquelles ils occupent le bas de
l’échelle sociale, politique et économique. Le corps et la vie noirs
doivent donc être entendus comme synonymes d’infériorité. En
conséquence, on parle de « diaspora noire » lorsque l’on veut
insister sur l’importance de la couleur de la peau, du phénotype et
du poids des constructions sociales, politiques et culturelles. Il ne
s’agit pas d’essence ou de biologie, mais de fabrication et de
construction.
Lorsque l’on parle de « diaspora africaine », on met l’accent sur
l’origine des populations englobées par cette appellation. L’Afrique,
en tant que continent, mais surtout en tant que point de départ et
parfois de retour espéré, concrétisé ou fantasmé, est placée au
centre des préoccupations identitaires. L’association à ce continent
infériorisé à travers l’histoire sous-tend les liens qui existent entre les
Africains et les Afrodescendants dans le monde entier. Dans une
perspective panafricaine, le sort de la diaspora est intimement lié à
celui du continent. Nul ne saurait s’éloigner du continent d’origine, le
nier ou ne pas s’en réclamer : cela ne changerait rien au sort
individuel ou collectif. La marque de l’Afrique est gravée dans les
corps, les cultures et l’histoire des Africains et des Afrodescendants.
Il faudra faire avec. Car le monde fait avec.
Parler de diaspora équivaut à parler de dispersions, d’éclatements,
d’éloignements, de mondialisation. Mais parler de diaspora équivaut
également à parler de connexions, de reconnexions, de mélanges,
d’inventions, de créativités et de stratégies de résistance.
Effectivement, la notion de diaspora, telle qu’elle fut appliquée à
Israël, le peuple juif, implique l’idée d’une dispersion faisant suite à
une catastrophe. Nous ne connaissons que trop bien la catastrophe
qui est à l’origine de la dispersion des Bambara, Wolofs, Peuls, Igbo,
Yoruba et autres groupes ethniques : un commerce légal d’êtres
humains exclusivement originaires du continent africain. Ces êtres
furent d’abord déplacés vers les terres européennes, avant d’être
massivement acheminés vers les Amériques pour y remplacer les
populations amérindiennes décimées ou disparues. Il fallait bien que,
dans cet endroit nommé Nouveau Monde par les Européens, cette
abondance de terres soit exploitée au maximum. Il fallait bien que
de colossales richesses soient produites et que celles-ci bénéficient à
des particuliers, à des compagnies privées, à des nations entières.
Au bas mot, il s’agit de 12 millions de personnes africaines déplacées
dans le contexte de ce commerce triangulaire qui s’est déroulé du
e e
XVI au XIX siècle, faisant se rencontrer trois continents de manière
fondamentalement violente : l’Europe, l’Afrique et les Amériques. Ce
chiffre de 12 millions ne prend pas en compte les individus ayant
trouvé la mort lors des razzias menées à l’intérieur des terres, sur les
côtes africaines, au sein des forts dans lesquels étaient parqués les
esclaves dans l’attente des bateaux négriers en partance pour le
terrible Passage du milieu, ou à l’arrivée dans les Amériques. Là est
la question : comment comptabiliser le nombre de personnes ayant
été affectées directement ou indirectement par cette traite
esclavagiste ? Je parle d’un commerce inédit dans l’histoire de
l’humanité. Car si l’esclavage a été pratiqué depuis longtemps par de
nombreux groupes humains et a existé presque partout sur la
planète (et existe encore), l’esclavage colonial est le seul qui ait
inscrit dans les corps un nouvel ordre sociopolitique. C’est cet ordre
que révèlent les identités noires et blanches, créées simultanément
et en opposition maximale.
À présent que le cadre est posé, nous pouvons nous intéresser à
la façon dont les personnes qui ont été construites comme
inférieures ont cheminé à travers ces sociétés fondées sur l’inégalité.
Nous savons que tout système de domination, parce qu’il implique
des êtres humains, que ceux-là soient infériorisés, minorisés ou
déshumanisés, est inévitablement amené à faire face à des
stratégies de résistance mises en œuvre par les populations les plus
asservies, les plus marginalisées, les plus violemment touchées par
un tel système. Cette résistance a toujours existé et se déploie de
manière directe ou indirecte. Ces actes de résistance ont cours dans
tous les domaines de la société. Cette contestation constitue
l’affirmation radicale de l’humanité de ces populations. Pour les
groupes et les personnes qui la mettent en œuvre, cette
contestation est une revendication implacable d’égalité. Ces
résistances et contestations jalonnent l’histoire de l’ensemble de la
diaspora et inclut celle du continent africain lui-même. Qu’il s’agisse
de la défiance de la reine Njinga face aux autorités portugaises ;
qu’il s’agisse de l’écho de l’explosion décidée et dirigée par le colonel
Delgrès au fort de Matouba en Guadeloupe, entendu par toutes les
Amériques noires, lesquelles en ont préservé la mémoire ; qu’il
s’agisse de la lumineuse révolte d’esclaves de Saint-Domingue qui a
accouché de la première république noire du monde. Une république
qui a, juste un instant, donné véritablement corps aux idéaux
prétendument universels de la révolution française de 1789. Qu’il
s’agisse encore des deux victoires de l’Éthiopie impériale face aux
assauts colonialistes de l’Italie, du réveil rasta de la Jamaïque qui a
produit la musique reggae dont le succès international nous rappelle
sans cesse l’importance de la vérité ancrée ; qu’il s’agisse en outre
des sœurs martiniquaises Paulette et Jeanne Nardal, diplômées de la
Sorbonne, traductrices à la tête d’un fameux salon littéraire, qui ont
posé les premiers jalons du monumental mouvement de la négritude
à éclore. Ou qu’il s’agisse enfin d’un psychiatre français et
martiniquais, éclairé, rejoignant la résistance anticoloniale
algérienne, la victoire de cette même Algérie face à une France
arrogante et dans le déni, un Diên Biên Phu, une coordination de
femmes qui se savaient noires, une marche antiraciste traversant la
France de part en part en 1983, des textes de rap en langue
française dont un, en particulier, décrit la France comme une terre
où « les fachos sont fâchés et les négros pas fichus de les
chauffer », des documentaires qui s’acharnent à chercher la
tendresse là où on la présuppose absente ou à ouvrir la voix, à
projeter des Mariannes noires sur des écrans blancs. Les actes de
résistance ont été ininterrompus.

Quel est ce « je » ?
Il me faut faire simple. Débuter par une tentative de réponse à la
question existentielle fondamentale : qui suis-je ? Pourra alors suivre
un développement consacré à la façon dont je me situe au sein de la
nation française et du monde au vu d’une histoire féconde qui a
façonné les sociétés, les esprits et les corps. L’enjeu est celui de ma
capacité à m’exprimer en langue française, de la manière la plus
apte à définir et décrire les espaces qui nous intéressent : le monde
atlantique et hexagonal. Les difficultés sont nombreuses et peuvent
paraître insurmontables.
« Je n’ai qu’une langue et ce n’est pas la mienne. » Cette citation
de Derrida est le titre choisi par l’autrice et sociologue française
Kaoutar Harchi pour son analyse du parcours de cinq écrivains
algériens qui ont fait le choix d’écrire en langue française. Dans cet
essai, Harchi explore les liens entre littérature et politique. Ce titre
m’intéresse au-delà de la question coloniale. En effet, la question se
pose également dans le contexte postcolonial.
« Je n’ai qu’une langue et ce n’est pas la mienne. »
Cette question de la langue, je me la pose, moi aussi. Étant née à
Paris, issue de parents ayant migré en France depuis la Côte d’Ivoire
dans les années 1960, ma langue principale, celle que j’utilise et que
je pratique le plus, celle que je connais le mieux est le français. Je
devrais alors pouvoir décrire cette langue française comme étant la
mienne, ma langue maternelle, ma langue première ou naturelle. Ce
n’est pourtant pas le cas : cette langue française n’est pas ma
langue maternelle. Elle n’est ni la première langue dans laquelle je
me suis exprimée ni ma langue naturelle. Bien au contraire, pour
moi, cette langue française serait plutôt une langue que j’ai acquise
très tôt. En cela, elle n’est nullement une langue qui m’a été
transmise « naturellement » par ma famille, par le biais de ma mère.
Car le français n’est pas la langue de ma mère. C’est pour cette
raison qu’il m’est difficile d’identifier clairement ma langue
maternelle. J’utilise ici l’adjectif « maternel » dans son sens premier
puisque je parle d’une langue qui n’est pas celle de ma mère, que je
pratique depuis mon plus jeune âge, qui est celle d’un pays qui n’est
pas toujours le mien. La langue d’un pays qui s’est déployé partout
dans le monde. Un pays fort. Un pays dominant. Un pays dont je
suis l’un des fruits de l’histoire. De ce fait, entre ma mère et la
France, il y a l’histoire. Entre ma mère et moi-même, il y a l’histoire.
Entre la langue française et moi-même, il y a l’histoire. Une histoire
ancienne, à la fois riche et complexe, internationale, splendide et
douloureuse, silencieuse, oubliée, ou tout simplement niée.
Pourtant, j’existe.
Et la France n’est pas ma mère.
Le français n’est donc pas ma langue maternelle. Je suis pourtant
aussi française et je parle cette langue. C’est d’ailleurs la langue que
je connais et maîtrise le mieux.
Mais cette langue française me pose problème. En premier lieu
parce qu’elle n’est pas totalement mienne. Ensuite parce qu’elle ne
me permet pas de tout exprimer. D’exprimer tout ce que je
souhaiterais. Dans ces silences de la langue française, je retrouve les
silences lourds qui existent parfois entre ma mère et moi, lorsque
nous conversons en français. Ces silences qui existent entre nous
seraient moins fréquents, j’en ai la certitude, si je pouvais
m’exprimer en dioula. Le dioula est la langue de ma mère. Cette
langue dioula ne m’appartient pas non plus. Je ne parle pas la
langue de ma mère. Je parle une langue qui n’est pas celle de ma
mère. Qu’est-ce que tout cela signifie pour moi ? Quel est l’impact
sur ce que je peux dire ? Ce que je m’autorise à dire ? Ce que je
parviens à exprimer pleinement ? Ou non. La solution trouvée à
cette situation et ces questionnements incessants : je parle l’anglais.
Cela autorise la distance. La langue anglaise ne m’appartient pas,
elle ne me doit rien et je ne lui dois rien en retour. Les choses sont
alors tellement plus simples. J’ai aimé cette langue dès mon plus
jeune âge, je l’ai acquise par étapes, année après année, pour finir
par la maîtriser après de nombreux efforts et de longues années
d’études. La langue anglaise m’a été si pratique. Pour moi, elle ne
contient aucune des charges émotionnelles qui se trouvent dans le
français et le dioula. En anglais, je suis libre. Je peux m’exprimer
sans entraves. Je peux me réinventer. Mais ce faisant, je crée et
instaure de nouveaux silences entre la France, la Côte d’Ivoire et
moi. Il m’est si difficile de m’exprimer sur les sujets qui seront
abordés tout au long de cet ouvrage en langue française et depuis la
France. Cependant, c’est précisément cette difficulté que je souhaite
sonder et surmonter. Cela passe inévitablement par une affirmation
de mon individualité prise dans un ensemble immense. Il me faut
donc oser dire « je ».
Assumer l’utilisation du pronom « je » en s’appuyant sur la magie
de la dérogation équivaut à faire fi de toutes les injonctions
classiques de la recherche scientifique. Dans un espoir
d’émancipation et de libération, l’utilisation consciente du pronom
« je » signifie également assumer pleinement son individualité et ne
pas respecter les recommandations nombreuses et très sérieuses
concernant la distance critique qu’il s’agirait de maintenir à tout prix.
En cela, je renonce à cette distance dite critique et à l’illusion de la
scientificité neutre et objective tout en laissant de côté les
accusations de non-rationalité et d’incapacité à raisonner et analyser.
Le pronom « je », si l’on est chercheur, est à proscrire absolument.
La personne, l’individu doit s’effacer de manière totale et ainsi laisser
place à l’esprit pur, détaché, désintéressé, désincarné. C’est bien ce
dernier point que je souhaite interroger. Car mon « je » est celui
d’une femme noire évoluant principalement entre l’Hexagone et
d’autres terres du Triangle Atlantique. Pour ces raisons, mon corps
ne saurait se voir effacé de l’équation. Comment pourrait-il en être
autrement ? Les espaces dont il est ici question sont ceux qui ont
façonné ce corps qui est mien et qui, quel que soit le lieu, est perçu
comme noir. Et cette perception a des conséquences concrètes qui,
elles-mêmes, ne peuvent qu’entrer en contradiction directe avec la
posture intellectuelle prônée de distance critique. La distance m’est
impossible. Je ne la désire même pas. Je lui préfère le point de vue,
l’approche, l’analyse situés. Car, en vérité, nous le sommes toutes et
tous. Personnellement, je n’ai tout simplement pas le loisir de
pouvoir me désincarner et penser de façon complètement détachée
le monde, les sociétés, les populations.
Cette utilisation assumée du pronom « je » nécessite en outre une
forme de courage et d’audace. Le courage et l’audace d’oser enfin
dire « je » lorsque l’on se penche sur sa propre famille, sa propre
vie, sa trajectoire personnelle et, de ce fait, de faire interagir ce qui
relève de la recherche scientifique et ce qui relève de la sphère
personnelle, voire intime. Le courage et l’audace dont je parle ici,
c’est agir de la sorte dans un contexte universitaire français et en
langue française. Car je parle de trajectoire et d’ascendance qui
s’inscrivent dans des périodes historiques, des contextes et des aires
géographiques particuliers qui nous plongent inévitablement et
irrémédiablement dans une histoire française précise : celle de
l’histoire impérialiste ou coloniale de la France, celle d’une France
racialisée et racialisante et celle d’une France actuelle dont le statut
de république postcoloniale peut aisément être admis, au contraire
de son statut néocolonial qui, pour sa part, perdure.
C’est de cet ensemble d’éléments que provient le titre de cet
ouvrage : Le Triangle et l’Hexagone. Il s’agit pour moi de tout
simplement rédiger, publier, dire et assumer en France et en langue
française, alors qu’il m’a longtemps été plus aisé, voire pratique de
mener cette réflexion afrodiasporique hors de France et en langue
anglaise. En effet, depuis d’autres espaces eux aussi situés dans
l’aire Atlantique, principalement les États-Unis, mais également la
Caraïbe anglophone, je me suis longtemps sentie plus libre, moins
paralysée à l’idée de penser, formuler, développer, rédiger ce projet.
Ce sentiment de liberté a découlé de mon parcours universitaire
jalonné de rencontres salvatrices qui m’ont permis une approche
plus globale de ce monde Atlantique. À ce titre, je dois mentionner
la centralité des cours d’un Édouard Glissant ou d’une Maryse Condé
qui, n’ayant pourtant jamais été titularisés au sein de l’université
française, ont tous deux mené de grandes carrières universitaires
aux États-Unis. Je m’aperçois aujourd’hui que cette aisance et cette
liberté sont en vérité intimement liées au silence assourdissant
imposé par la France et à l’impossibilité, voire à l’illégalité, de dire,
nommer, penser, sonder les sujets, questions et thématiques qui
fâchent aujourd’hui encore. Ces sujets, questions et thématiques
sont pourtant étroitement mêlés à la grande histoire qui a
transformé l’espace Atlantique et le reste du monde depuis la fin du
e
XV siècle. Cette grande histoire a, en outre, produit la mondialisation
dans laquelle nous continuons d’évoluer.
Dans un tel contexte, le personnel et l’intime s’entrelacent au
politique, au public. Ainsi, d’ascendance africaine, née noire en
France à la fin du XXe siècle, mon histoire et mon parcours, de fait,
s’inscrivent dans une histoire et des géographies bien plus vastes
que ma propre personne. Cela étant, cette histoire et ces
géographies pèsent et modèlent ma propre vie. Ainsi, en les
explorant, en les étudiant, je m’explore et je m’étudie moi-même. Je
constitue donc mon objet d’étude. La question qui se pose alors est
de savoir que faire de cet état des choses. De quelle manière se
positionner ? Je pense que la réponse implique un « coming out »,
soit ce que les études sur le genre ont défini comme le préalable
indispensable à partir duquel l’individu se situe politiquement et de
manière pleinement assumée au sein de la société dans laquelle il
évolue. Pour ma part, je suis une femme noire française. Cette partie
de mon identité compte et ne saurait être rendue invisible ni dans la
société ni dans la recherche françaises. Cette identité noire, parce
qu’elle est fondamentalement politique dans le sens où elle découle
d’un large éventail de processus historiques, a bien évidemment fait
l’objet de considérations intellectuelles, politiques, religieuses,
culturelles, économiques et sociales depuis plusieurs siècles.
Précisément depuis l’ère moderne que j’ai évoquée précédemment.
Mais au-delà de tout ce que je viens de mentionner, cette identité
noire a des implications ainsi que des conséquences.
Je suis née à Paris de parents dioula, donc musulmans, qui ont
quitté la Côte d’Ivoire, une ancienne colonie française, durant les
années 1960. Les raisons qui ont poussé mes parents à quitter leur
pays natal sont à la fois banales et semblables à celles des
populations qui arrivent aujourd’hui en France, mais que l’opinion
publique et les médias ont renommées les « réfugiés » et les
« migrants ». Ces raisons incluent la recherche d’une vie meilleure
par le biais de l’obtention de diplômes et d’un « bon travail ». J’ai
grandi en France, où j’ai par la suite entrepris des études
universitaires que j’ai rapidement poursuivies aux États-Unis pendant
près d’une décennie. Là-bas, j’ai pleinement pris conscience de
l’espace Atlantique et de la diaspora historique dans laquelle mon
corps m’inscrivait. Dans une ville-monde telle que New York, c’est au
contact de populations africaines-américaines, afro-caribéennes,
afro-latinas, africaines et afropéennes que mon identité noire,
transnationale, diasporique s’est forgée. Sans heurts, en toute liberté
et sérénité. C’est aux États-Unis que des réponses m’ont été
apportées. C’est aux États-Unis et dans la Caraïbe anglophone que je
me suis déclarée française et que l’on m’a crue. C’est enfin depuis
les États-Unis que j’ai porté un regard différent sur la Côte d’Ivoire
et l’Afrique. N’allez surtout pas penser qu’il s’agirait pour moi de
dresser ici un portrait idyllique des États-Unis et des Amériques en
général, loin de moi cette intention. L’histoire de ce pays et de ce
continent nous a enseigné à tous que rien n’y est idyllique.
Cependant, les Amériques constituant le lieu du crime originel et
l’espace racialisé par excellence, les sociétés qui y ont été élaborées
mettent en présence toutes les populations ayant joué un rôle dans
cette histoire moderne, toutes les identités raciales et sociales
fabriquées par l’histoire, fussent-elles dominantes ou dominées. En
cela, nul évitement n’est possible ni même envisageable. Le cas de
la France apparaît donc comme bien différent avec sa dichotomie qui
sépare l’Hexagone de ses nombreux territoires « d’outre-mer », que
ceux-là soient actuels ou anciens.
J’ai grandi en France dans une famille dioula extrêmement
traditionnelle qui considérait que la France n’était qu’un lieu de
résidence temporaire. J’ai été élevée dans le mythe du retour qui,
malgré ses spécificités liées à l’époque et au contexte français, me
paraît semblable, au fond, à un grand nombre de projets de retour
en Afrique élaborés par les populations d’ascendance africaine des
Amériques violemment dispersées et déplacées dans le cadre de la
traite négrière transatlantique et de l’esclavage. Je dois ajouter que
ce mythe du retour n’était pas du seul fait de mes parents. Il était
également entretenu par la République qui, dans la période qui a
suivi le choc pétrolier de 1973 ayant mis un terme aux Trente
Glorieuses, s’est prise à espérer le départ de ceux qui étaient perçus
comme des « travailleurs immigrés », des étrangers qui ne résidaient
en France que temporairement. Ni immigrée ni travailleuse au cours
des années 1970-1980, je n’aurais jamais dû être concernée par ce
mythe du retour, que ce dernier fût formulé par mes parents ou par
la République. Mais ces deux parties s’accordaient sur un même
point : je n’étais pas française. D’ailleurs, il est vrai que je ne suis
pas née française. Ce n’est qu’à la fin des années 1980 que j’ai
obtenu ma première carte nationale d’identité. On m’a alors parlé de
mon « droit » à la nationalité française par voie de ce que
l’administration appelle la « réintégration ». Ce jargon administratif
fait référence au fait que mes parents sont nés en Côte d’Ivoire à
une époque où le pays faisait encore partie de l’Empire colonial
français. Ce facteur ajouté au fait que j’étais née et avais grandi en
France me donnait le droit de prétendre à la nationalité française. Je
pouvais donc être « réintégrée » à la nation française, comme si un
ordre ancien, voire naturel, pouvait enfin être rétabli. Comme si
l’indépendance ivoirienne n’était qu’une parenthèse exceptionnelle.
Mais, peut-être plus important, ces considérations géopolitiques
fournissent, à mes yeux, un exemple concret de construction
identitaire. En effet, mon accès à la citoyenneté française est ancré
dans l’histoire coloniale de la France. Dans mon cas précis, et cela
est vrai pour tant d’autres, le personnel est politique.
En ce qui concerne la façon dont j’ai été traitée en France au
cours de mon enfance, je peux dire qu’elle variait considérablement
au gré de la vision que la France portait sur la race, le phénotype, la
couleur de la peau, les noms et prénoms, la religion, l’appartenance
sociale et la nationalité. Dans cet espace français, j’ai été perçue
tour à tour comme noire, africaine, et parfois ivoirienne. Mes nom et
prénom étaient exotiques. L’islam, religion reçue de mes parents,
semblait aux antipodes du christianisme, de l’athéisme et de la
laïcité que la République dit chérir, mais seulement de temps en
temps. Il me semble également que les identités noire et
musulmane sont mutuellement exclusives. Comme si on ne pouvait
être les deux en même temps. En tant que femme noire et
musulmane non voilée, je n’ai jamais été considérée comme
musulmane dans l’espace public français. Me déclarer comme telle a
d’ailleurs éveillé bien des soupçons. L’islam m’a pourtant permis de
tisser des liens avec de nombreuses autres communautés africaines
originaires des deux côtés du Sahara. Et, pour finir, la question de la
classe sociale a elle aussi joué son rôle dans la mesure où, en tant
que famille pauvre, nous vivions en cité HLM de banlieue parisienne
et avions droit à l’aide sociale, à l’instar d’autres familles dites
« immigrées », récemment ou plus anciennement installées en
France. Je parle de familles italiennes, polonaises, yougoslaves,
espagnoles, portugaises, algériennes, marocaines, tunisiennes,
haïtiennes, indiennes, vietnamiennes, sénégalaises, maliennes,
congolaises ou camerounaises. À ces familles venaient s’ajouter des
familles françaises blanches et d’autres originaires des « outre-
mer ». Étrangement, nous vivions tous dans le même type d’endroit.
Et, jusqu’à un certain point, nos vécus étaient les mêmes.
Jusqu’à un certain point seulement.
En 2016, un cas de violence policière m’a particulièrement
interpellée. Il s’agit de l’arrestation musclée du jeune Théo Luhaka,
survenue dans la commune d’Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-
Denis. La rencontre fatidique entre le jeune homme et la police
municipale a conduit le premier à une hospitalisation d’urgence due
à une blessure d’une obscénité indicible et qui reste à ce jour
inexpliquée. Au-delà de ce triste, mais banal cas de brutalité
policière, j’ai été frappée par son traitement médiatique. En effet, au
cours de l’un des débats télévisés qui a suivi l’interpellation violente
de Théo Luhaka, on a pu entendre le représentant d’un syndicat de
police déclarer que si les policiers impliqués dans l’affaire avaient bel
et bien traité le jeune homme de « bamboula », comme ce dernier
l’avait rapporté, le terme, selon le syndicaliste, « passait encore ».
Comment ne pas réagir à la non-interrogation, sur le plateau télé,
des origines coloniales du terme « bamboula » ? Il est primordial de
relever le caractère spécifique, la connotation de l’insulte proférée.
Dans ce cas précis, du fait d’une telle insulte, il ne s’agit plus
uniquement d’un « simple » cas de violence policière, mais bel et
bien d’un cas de violence policière raciste. Cette affaire Théo et le
débat autour de « bamboula » m’ont particulièrement interpellée
parce que mon propre prénom est Maboula. En langue dioula, la
langue de mes parents, le prénom féminin Maboula signifie : « celle
qui ouvre la voie » ou encore « celle qui montre le chemin ». Je
porte le prénom d’une tante paternelle décédée peu avant ma venue
au monde. Aux yeux de mes parents, comme pour tant d’autres à
travers le monde et l’histoire, il s’agissait de faire perdurer la lignée,
la généalogie se fondant sur la répétition et l’homonymie.
Cette affaire Théo Luhaka et le débat qui s’est ensuivi m’ont
renvoyée à mon enfance française au cours de laquelle la
ressemblance sonore entre Maboula et bamboula faisait de moi –
aux yeux de Français ou d’étrangers, de Noirs ou de Blancs –
l’incarnation inattendue de la sauvagerie africaine. Car, malgré la
prégnance de l’imaginaire façonné par la période coloniale, alors
même que cette dernière est supposément éloignée, chez la plupart
des personnes, un doute pouvait s’installer. Peut-être qu’après tout
cette figure du « bamboula » n’était pas réelle. Il s’agissait d’un
fantasme drôle et amusant, mais peut-être pas réel. Cela dit, à ma
rencontre, ce doute subtil disparaissait. À moi seule, j’incarnais de
manière concrète et tangible l’Afrique et l’être-noir, la négritude, la
noirceur. Le mythe devenait réalité à partir de mon propre corps. À
partir de mon propre corps noir. C’est bien mon corps et mon
phénotype qui donnaient tout son poids, son sens et sa réalité à la
ressemblance sonore entre bamboula et Maboula. Nulle
échappatoire n’était possible. Cela, c’est aujourd’hui que je le
comprends. Cela explique pourquoi le type de débats que je viens de
mentionner, qu’ils soient intellectuels ou politiques, peuvent parfois
résonner en moi, dans ma chair, dans mon corps, dans ma psyché et
mon vécu personnel et ainsi finir dans ma recherche. Car il s’agit
toujours de faire sens.
Mais ces mêmes prénom et corps ont revêtu des significations
différentes au gré de ma géolocalisation au sein de l’aire Atlantique.
Ainsi, des années après mon enfance et la mode passée des biscuits
industriels Bamboula ou du jeu pour enfants Dr Maboul, une
responsable des ressources humaines africaine-américaine de la
bibliothèque dans laquelle je travaillais à l’université de la Ville de
New York m’a fait part de l’admiration qu’elle vouait à mon prénom
qu’elle trouvait tout simplement « magnifique ». Chez les Dioula,
Maboula est un prénom plutôt désuet aujourd’hui. Pour d’autres
populations du continent africain, il sonne « authentiquement »
africain. On pourrait traduire, de la langue arabe, mon prénom par
« la folle », même si de fins linguistes pourraient trouver à redire. Et
puisque certains mots arabes sont passés dans la langue française
du fait de siècles d’échanges apaisés et violents, en français,
« maboul » existe également et, à en croire nos dictionnaires
nationaux, le terme désigne familièrement un fou ou une folle. À
travers le prisme éthiopianiste des Rastafari de Jamaïque, Maboula
fait de moi une reine africaine non déracinée et aux origines pures.
Aux oubliettes la ville de Paris, mon lieu de naissance. Les
Bushinenge de Guyane française appellent « maboula » un petit
animal poilu et mignon qu’ils aiment domestiquer comme animal de
compagnie. Enfin, à Paris, dans un amphithéâtre de la Sorbonne, au
cours d’un colloque consacré à la diaspora noire/africaine, une
spécialiste belge et blanche de la négritude a transformé devant une
salle comble mon prénom en « Mamadou », effaçant d’un trait à la
fois soudain et violent jusqu’à mon sexe et mon genre,
probablement aveuglée par sa lecture à la fois si logique et ancienne
de mon corps et de mon phénotype. À chaque endroit de l’Atlantique
sa vision et sa compréhension de mon corps et de ma personne
pourtant inchangés.
Voilà donc pour l’autobiographie. Celle-ci importe parce qu’elle
permet de situer, de se situer et de dévoiler sa perspective. Elle
devrait être obligatoire car elle permet de faire tomber les masques
et, dans l’idéal, de converser et d’échanger sur la base de la vérité,
de la réalité et de la bonne foi.
L’universalisme n’existe pas. Il est lui-même situé.
L’Hexagone est mon lieu de naissance. Le français est ma langue
maternelle sans pourtant être celle de ma mère. La France serait-elle
ma mère ? Est-ce pour cela qu’il me paraît si compliqué d’exprimer
choses et idées qui sont précisément liées à ma véritable mère ? En
d’autres termes, ce fossé linguistique, produit d’un déplacement,
d’une migration, faisant eux-mêmes écho à une histoire de
déplacements et de migrations largement plus ancienne, a-t-il
quelque chose à révéler d’une vision du monde et d’une histoire
globale qui s’incarneraient toutes deux dans mon corps noir évoluant
dans une société se proclamant aveugle à la race ? Une telle vision
du monde et de l’histoire font de moi une Noire au sein d’une société
constitutionnellement aveugle à la race. Le problème, cependant, est
que les identités noire et blanche sont nées au même moment
historique. L’une n’a jamais existé sans l’autre.
En guise de conclusion à cette entrée en matière, je propose une
citation tirée du roman No Home (Homegoing en anglais) de Yaa
Gyasi qui illustre adéquatement l’intention de l’ouvrage que je
propose. Le roman de la jeune prodige ghanéenne-américaine
couvre la période historique qui s’étend du XVIIIe siècle à nos jours.
Vers la fin du roman, l’un des personnages, nommé Marcus, dans un
geste que la chercheuse noire américaine VèVè Clark a appelé
« diasporic literacy », c’est-à-dire le fait de savoir lire, déchiffrer et
écrire la diaspora noire/africaine, se lance dans la rédaction d’une
thèse d’histoire. Il peine à mener à bien son projet. Il ne parvient
pas non plus à trouver les mots pour le décrire à sa petite amie
Marjorie dont il est également, sans en avoir connaissance, un
parent très éloigné. Au cours d’une conversation autour de sa thèse,
Marcus se met à penser :

Comment expliquer à Marjorie que ce qu’il voulait capter avec


son projet était la sensation du temps, l’impression d’être une
part de quelque chose qui remontait si loin en arrière, qui était
si désespérément vaste qu’il était facile d’oublier qu’elle, lui,
chacun d’entre nous, en faisait partie – non pas isolément, mais
fondamentalement1.

1. No Home, traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne Damour, Calmann-Lévy,


Paris, 2017. Dans la version originale : « How could he explain to Marjorie that
what he wanted to capture with his project was the feeling of time, of having been
a part of something that stretched so far back, was so impossibly large, that it was
easy to forget that she, and he, and everyone else, existed in it – not apart from
it, but inside of it. » Yaa Gyasi, Homegoing, Alfred A. Knopf, New York, 2016.
1

Le triangle

Circularités oxymoriques

« Mais si tout venait par le commencement ? »


Édouard GLISSANT,
Le Quatrième Siècle, 1964.

Chronotope
L’Hexagone est pourtant mon lieu de naissance. La France
constitue mon pays natal ambigu. D’ailleurs, le terme Hexagone
pose problème car il a le tort de ne renvoyer qu’à la partie
européenne de la France. Ce terme rend ainsi invisibles des
territoires qui peinent ou parfois refusent eux-mêmes d’en faire
partie intégrante. Disséminé à travers le monde, notamment dans
les océans Indien, Pacifique et Atlantique, cet ensemble de
territoires désignés comme d’outre-mer est la preuve matérielle que
la République ne saurait être confinée à sa seule partie européenne,
continentale, donc hexagonale. En effet, cet Hexagone français
s’inscrit de fait dans un espace historique et culturel bien plus vaste :
le Triangle Atlantique. La France, lorsqu’elle est appréhendée dans
sa réelle globalité, s’inscrit pleinement dans le commerce
triangulaire, dans une histoire coloniale et impérialiste. Qu’a donc
mis en place et en œuvre cette histoire moderne si ce n’est la
catégorisation raciale ancrée dans les corps ?
Il y a quelque chose de paradoxal, presque une pointe d’ironie,
dans le fait de recourir aux mathématiques, à la géométrie en
particulier, pour penser les deux espaces géographiques que je viens
de désigner : le Triangle et l’Hexagone. Comme si l’on se retrouvait
sans autre alternative que d’injecter une forte dose de rationalité
précisément dans le but de déceler quelque logique dans ces deux
espaces tant géographiques qu’historiques. Comme si, pour que
l’esprit se sente en sécurité, seule une forme pure de rationalité
pouvait agir efficacement. Ce désir de sécurité et la recherche
constante de cette dernière constituent en réalité une tentative
vaine, mais somme toute humaine, de compenser, contrer ou lutter
contre le mouvement inhérent et fondamental, les généalogies
insondables, la datation et les histoires à la fois troubles et
chaotiques de la diaspora noire/africaine.
En réalité, cette diaspora transatlantique à laquelle je m’intéresse
est maîtresse de sa propre signification, de sa propre logique, de ses
propres orientations, de son propre fonctionnement et de sa propre
splendeur. En conséquence, l’étudier ne nécessite aucunement le
recours à la géométrie. Mais je fais avec les moyens qui sont à ma
disposition, même si cela me mène à faire usage de ce qui pourrait
être interprété – à tort – comme ce qu’Audre Lorde a appelé les
« outils du maître ». Car rappelons qu’à travers l’histoire l’Occident
n’a jamais été l’unique producteur de savoir scientifique et rationnel.
Pour ma part, j’espère œuvrer au démantèlement de la « maison du
maître » dont l’existence ne saurait être niée. Quant à l’existence du
maître, c’est-à-dire la figure du dominant, elle doit être reconnue
comme telle. Que l’on utilise les termes « maître », « blanc »,
« mâle », « riche », « chrétien », « civilisé », « hétérosexuel »,
« valide », « métarécit » ou encore « discours dominant », chacun
renvoie aux mêmes structures politiques hiérarchisées mises en
place par l’Occident depuis son entrée dans l’ère moderne.
Alors, le point de départ se doit d’être le chaos et son acceptation
totale. Il est question du chaos de l’histoire, le chaos des dispersions
séculaires. Ce chaos a occupé l’esprit de si nombreux intellectuels,
universitaires, croyants, artistes, activistes et anonymes. Mais ce
chaos ne s’est pas contenté d’occuper les esprits, il a également
façonné les pratiques de tous les groupes que je viens de
mentionner. Ce chaos s’est aussi immiscé dans les parties les plus
secrètes, les plus intimes de ma vie. En effet, bien que l’on s’échine
à concentrer tous nos efforts à l’élaboration et à la conceptualisation
de nouveaux outils, méthodes et méthodologies de recherche dans
le but d’expliquer, expliciter ou rationaliser ce chaos que nous
étudions, il ne s’estompe pas. Il perdure. Et bien que nous
persévérions ardemment dans cette tentative vaine d’élucidation,
dans ce désir si banalement humain de percer enfin à jour l’opacité,
la solution se trouve peut-être ailleurs. Peut-être faudrait-il
reconnaître et accepter la permanence ainsi que la légitimité de ce
chaos. Celui-ci se fonde sur la rupture, l’invisible, l’indicible,
l’inaudible, le silence, le mouvement incessant. Il se fonde sur
l’inconnu et ce qui est impossible de connaître ou de savoir, le
mystère, les histoires, petites ou grandes. Ce chaos se fonde en
outre sur les racines et généalogies complexes des récits produits et
pour lesquels nombreuses ont été les batailles. Pour ma part, je
m’efforce d’y trouver un sens, une signification profonde.
La diaspora à laquelle je m’intéresse se déploie à travers le
Triangle Atlantique que le Britannique Paul Gilroy a nommé
l’Atlantique noir. Cette appellation a été contestée, tout comme l’est
encore l’épithète la plus adéquate pour décrire la diaspora.
Africaine ? Noire ? D’une part, décrire cette diaspora comme
« africaine » démontre la volonté de placer le continent africain au
centre de toutes les préoccupations. L’Afrique est ainsi reconnue
comme le lieu de tous les départs et de tous les retours, réalisés ou
non. D’autre part, décrire cette diaspora comme « noire » témoigne
d’une mise en exergue des constructions raciales de même que des
processus que celles-ci sous-tendent, sur la base de la couleur de la
peau et du phénotype, qui ont eu cours principalement dans la
diaspora, mais également au sein du continent. L’idée est alors de se
concentrer sur les trajectoires et cheminements plutôt que sur les
racines et points de départ et d’arrivée. Un autre niveau de
contestation de l’utilisation du terme « diaspora » a trait à sa
légitimité et son applicabilité aux populations africaines ou
afrodescendantes qui, contrairement à d’autres, ne réuniraient pas
les caractéristiques qui seraient requises pour accéder à ce qui
apparaît alors comme le cercle très fermé de populations méritantes
de ce statut. Mais la diaspora n’est pas un cercle ni même un statut :
elle est la simple description d’une réalité. Celle d’une dispersion de
populations qui se sont déployées à travers le monde, même si les
travaux consacrés à ce sujet révèlent une surreprésentation des
études relatives à l’histoire, la mémoire et les cultures issues des
Amériques noires, au détriment de l’étude de l’espace proprement
africain, ainsi que celles des continents asiatique ou européen.
Néanmoins, la situation est actuellement en pleine évolution, avec
un nombre croissant de travaux consacrés à ces espaces longtemps
négligés.
Depuis la première utilisation du terme « diaspora » par l’historien
George Shepperson en 1966, la réflexion autour de ce qui constitue
la diaspora noire/africaine s’est grandement enrichie. On compte,
parmi le large éventail de conceptions du phénomène diasporique,
l’étude systématique et l’analyse comparative des populations
d’ascendance africaine proche ou lointaine géographiquement et
historiquement. Les débats qui ont eu lieu au sein de cette discipline
ont porté sur l’appellation la plus adéquate de cette diaspora – noire
ou africaine –, mais également sur son utilisation au pluriel ou au
singulier. Ceux qui se sont opposés à l’utilisation du terme pour
désigner les expériences des populations d’ascendance africaine
disséminées à travers le monde ont argué que ces dernières ne
présentaient pas d’unité culturelle et historique cohérente,
contrairement aux juifs, aux Chinois ou aux Arméniens, des
populations dont le statut diasporique est largement reconnu. La
grande diversité des espaces occupés, des cultures pratiquées et des
langues parlées par les populations d’ascendance africaine
disqualifierait leur inclusion dans la catégorie diasporique. Ce à quoi
les spécialistes de la diaspora noire/africaine ont répondu d’une
seule voix : la diversité des espaces, des langues, des cultures est
précisément ce qui constitue l’unité des populations concernées.

Des implications scientifiques et personnelles


Pour ma part, je m’intéresse aux trajectoires transatlantiques qui
ont façonné l’Afrique, l’Europe et les Amériques depuis le
commencement de ce que l’histoire a nommé l’ère moderne. Le
Triangle fait référence à l’Atlantique, cet espace géographique
parsemé de migrations tant volontaires que semi-involontaires et
absolument involontaires qui ont produit la diaspora noire/africaine.
Cet intérêt à la fois personnel et professionnel pour les études de
cette diaspora a pour fondement la volonté de faire sens. Faire sens
de ce qui est insensé ou difficile à cerner et expliquer. Cela englobe
tant le chaos et la douleur indescriptibles que les phénomènes de
résistance et de résilience. Mes recherches portent sur l’analyse et la
compréhension des dispersions, des propagations, des diffusions,
des croisements et des projets de retour – qu’ils soient réels,
imaginés, désirés, volontaires ou involontaires, réussis et
matérialisés ou non – qui se sont produits au sein de la diaspora
noire/africaine. Je m’intéresse au Triangle. Je m’intéresse à l’espace
Atlantique qui, au début de l’ère moderne, a été le vecteur de la
mise en relation inédite de trois continents : l’Europe, l’Afrique et les
Amériques.
Mon intérêt et mes interrogations portent également sur mon
rapport à cette spécialisation. Dans ce sens, l’introduction de
l’ouvrage collectif Toward an Intellectual History of Black Women,
dirigé par Mia Bay, Farah Griffin, Martha Jones et Barbara Savage,
pose une question fondamentale : « Quel est le rapport entre le
vécu et la production d’idées ? » Plus précisément, dans le contexte
des études africaines-américaines ou afrodiasporiques, quel sens
donner à la production des savoirs lorsque l’on est à la fois
chercheur et objet d’étude ? Les féministes de tout ordre se sont
déjà emparées de cette question, notamment dans la réflexion
qu’elles ont menée autour de la place du corps. Les discussions
autour du triptyque race-classe-genre ont débuté il y a déjà plusieurs
décennies. Depuis s’est également greffée la prise en compte de la
sexualité. Les analyses réellement intersectionnelles constituent un
défi aujourd’hui encore. Le niveau de complexité peut décourager
plus d’une personne. But Some of Us Are Brave1. Nous nous
retrouvons face à un impératif inévitable, celui d’avoir recours à des
sources et des modes de travail alternatifs. L’identité et le vécu se
situent au cœur de ces analyses puisque les objets de nos études se
situent à la marge des champs d’étude conventionnels et légitimes.
Au vu de cela, il nous revient de « remettre en cause, redéfinir et
parfois voire inventer des catégories d’analyse ». À ces
considérations, je souhaite ajouter les questions suivantes : à quel
moment et dans quelles circonstances le vécu personnel peut-il
devenir l’objet intellectuel digne d’intérêt scientifique ?
« Quel est le rapport entre le vécu et la production d’idées ? »
Suis-je une intellectuelle ? Suis-je une femme ? Suis-je noire ?
Suis-je capable de produire des idées ? J’appartiens effectivement à
toutes les catégories que je viens d’énumérer. Mon vécu, ma
recherche scientifique, les enseignements que je dispense de même
que bien d’autres activités que je mène nourrissent mes réflexions,
ma recherche et mes pratiques politiques. Prenant continuellement
part à la conversation intellectuelle afrodiasporique, il me semble
pertinent de me pencher sur la façon dont cet ensemble est perçu
dans le contexte hexagonal d’aveuglement à la race et sur la
discussion autour de la citoyenneté qui en résulte. Je parle de
l’espace de la République française, de son espace hexagonal, soit
un État-nation qui à l’ère moderne s’est lancé dans des projets
impérialistes à l’instar de toutes les autres puissances occidentales
qui se sont déployées à travers le monde. Le Triangle dont il est
question ici englobe l’Hexagone et place ce dernier dans le contexte
élargi d’une identité noire mondialisée qui pèse sur mon vécu
personnel et façonne ma recherche. À ce sujet, je suis très redevable
à la théorie développée par Stuart Hall, en particulier la réflexion que
celui-ci a menée autour des « sociétés structurées dans la
domination ». Partant de cette idée, ma vision de la société française
hexagonale contemporaine est la suivante : à la fois post- et
néocoloniale, la République fonctionne sur un ensemble de
hiérarchies qui s’entremêlent au niveau de la classe sociale, de la
catégorisation raciale et du genre. En son sein sont à l’œuvre de
nombreux processus de racialisation qui ont un effet sur l’ensemble
de la société. Qu’ils touchent de manière visible ou invisible,
favorablement ou défavorablement, ces processus concernent tous
les groupes en présence, même si, parmi ceux-ci, celui qui domine
possède le privilège de l’invisibilité et de la normativité. J’ajoute
également que depuis plusieurs siècles les êtres humains que nous
sommes avons tous été forcés de manière organisée à habituer le
regard que nous portons sur nous-mêmes et sur les autres à
reconnaître la race et le phénotype. Sans aucune valeur biologique,
ces catégorisations sont toutefois d’une puissance extrêmement
importante. Elles opèrent de manière concrète au niveau social,
politique et économique. Les individus, populations et communautés
dites « de couleur » existent. Nier l’existence et les injustices vécues
par ces derniers fait partie du problème français actuel.
L’outil théorique et analytique qu’offre la diaspora noire/africaine,
puisque je l’étudie tout en en étant membre, m’a également permis
de donner sens à ma propre trajectoire afrodiasporique. À propos de
celle-ci, la question de ma citoyenneté, de mon appartenance pleine
et entière à la nation française m’est apparue avec vigueur.
Cependant, que signifient les sentiments d’appartenance et de non-
appartenance ? Que signifie l’appartenance à une catégorie raciale
ou à un groupe donné ? Comment ces sentiments se traduisent-ils
dans ma volonté de combattre pour de plus grandes justice et
égalité également au sein du monde de la recherche ? Qu’ai-je le
droit de dire et d’écrire à ce sujet ? Sur quelle base ? Sous quelle
forme ? En réponse à ces questions, je propose un aperçu des
thématiques que je travaille autant qu’elles me travaillent et qui
doivent être reliées à ma propre trajectoire transatlantique entre
l’Afrique, l’Europe et les Amériques. Du départ originel de mes
parents qui ont quitté la Côte d’Ivoire, à ma naissance à Paris et mes
multiples séjours dans les Amériques, quelles peuvent être ma vision
et mon expérience des notions de terre d’origine, en tant que point
de départ, d’appartenance et de filiation ? Il me paraît alors impératif
de repartir du chaos originel et fondamental.

Une tradition intellectuelle


Étroitement liées à ce chaos, cette dispersion et cet éclatement
originels dont est issue la diaspora noire/africaine, les idées de terre
d’origine et de retour me fascinent. À ce sujet, les publications de
Maryse Condé et de Saidiya Hartman, de même que celles, plus
récentes, de Léonora Miano, Ta-Nehisi Coates et Yaa Gyasi ont,
chacune dans un style propre, traité des notions de terre d’origine et
de retour. En effet, dès les années 1980, on trouve dans le roman le
plus connu de la Guadeloupéenne Maryse Condé, Ségou, une
exploration méticuleuse et assumée de la dispersion diasporique. On
se demande si l’écrivaine, dont les origines se situent sur l’une des
rives de l’Atlantique, cherchait à faire sens du point de départ
originel que constitue le continent africain. Véritable saga, Ségou se
penche sur les tout premiers temps de la dispersion en narrant la
destinée individuelle et collective des membres d’une famille
bambara d’Afrique de l’Ouest. La généalogie passe par la lignée
masculine.
Près de trois décennies plus tard, Yaa Gyasi, avec son premier
roman No Home, offre, à partir d’une lignée de sœurs, une belle
actualisation à la fois thématique et chronologique de Ségou. En tant
que Ghanéenne-Américaine, issue et emblématique du mouvement
migratoire africain à destination des États-Unis depuis 1965, la jeune
autrice propose une nouvelle perspective sur la diaspora. Elle met en
lumière l’évolution de la définition de l’identité africaine-américaine
aux États-Unis puisque les « nouveaux » Africains-Américains, dont
Gyasi fait partie, de par leur proximité plus récente et plus concrète
à l’Afrique, soulèvent la question du sens que revêt le terme
« africain » dans l’appellation « Africain-Américain ». Le roman de
Yaa Gyasi traite de thématiques liées à la généalogie, l’identité, au
temps et à la chronologie, à l’histoire et à la possibilité et
l’impossibilité de dire et narrer. En effet, comment tracer et retracer
des trajectoires si profondément ancrées dans une combinaison
complexe alliant l’histoire à la géographie, chacune
incommensurablement vaste et indissociable de l’autre ? Et que faire
de la question du positionnement ? C’est-à-dire quel peut-être le
rapport de chaque individu à cette histoire, à l’ensemble de ces
espaces, dans le temps présent ?
Entre les parutions respectives de Ségou de Condé et No Home de
Gyasi, qui ont fait date, Saidiya Hartman, une universitaire africaine-
américaine aux origines caribéennes, s’est interrogée dans Lose Your
Mother : A Journey along the Atlantic Slave Route, sur la possibilité,
improbable à ses yeux, de réellement retrouver le continent africain,
perçu comme la terre d’origine ou ancestrale de ceux dont
l’ascendance renvoie irrémédiablement à la traite négrière
transatlantique. L’ouvrage a été très largement débattu et a causé
de nombreuses controverses. Chez le journaliste et écrivain africain-
américain Ta-Nehisi Coates, en dépit du fort intérêt que celui-ci
manifeste pour l’histoire et les cultures africaines et panafricaines
dans Between the World and Me2, la terre d’origine des Africains-
Américains se situe bien sur le sol étatsunien. En particulier dans les
enclaves culturelles et éducatives que constituent les universités
noires depuis leur création à partir de la seconde moitié du
e
XIX siècle. Parmi ces dernières, l’université Howard, érigée dans la
capitale des États-Unis, est certainement l’une des plus
prestigieuses. L’auteur considère Howard comme sa « Mecque »
personnelle.
Enfin, à la fois écrivaine, essayiste et dramaturge, la femme de
lettres franco-camerounaise Léonora Miano, dans La Saison de
l’ombre, roman qui lui a valu le prix Femina 2013, jusqu’alors jamais
décerné à un auteur noir, ancre de manière profonde sa parole et
ses écrits non pas dans la diaspora, mais dans le continent africain.
Ce dernier est mis à l’honneur. Il a la parole et doit s’exprimer sur un
sujet douloureux, à la fois actuel et ancien. La Saison de l’ombre
s’adresse tant à la diaspora qu’au continent africain : la première
doit entendre et comprendre la douleur vécue, tandis que le second
se doit de ne pas oublier ni taire les disparitions inquiétantes et
mystérieuses dont les raisons ont été dévoilées depuis. Si le
continent africain demeure au centre des préoccupations de Miano,
c’est parce que c’est à lui qu’il revient de regarder en face les
premières douleurs de l’arrachement et du déracinement sur
lesquelles s’est fondée la diaspora noire/africaine. Ce faisant, Miano
fait pourtant montre d’une riche connaissance de l’histoire et des
cultures afrodiasporiques. Cependant, l’écrivaine insiste, la diaspora,
en ce qu’elle comprend de mélanges et créativité, a commencé sur
le continent, bien avant le grand départ vers ce que les Européens
conquérants ont nommé le Nouveau Monde. Par son adroit
maniement de figures de femmes mises au ban de leur communauté
et du mystère entourant la disparition de jeunes garçons, les enfants
de ces femmes, comme point de départ et de bascule, ce sont les
notions de généalogie et de filiation, de pouvoir et d’autorité, de
silence, de mémoire et les processus de créolisation et
d’acculturation que l’autrice travaille en profondeur. Imbriqués dans
cette histoire, ces notions et processus racontent la véritable
Histoire, celle qui s’écrit avec un « h » majuscule.
La question que soulève l’ensemble des intellectuels que je viens
de présenter est celle du commencement. Le commencement de la
diaspora. Où débute-t-elle ? Où et à quel moment le déplacement
originel s’est-il produit ? À l’intérieur du continent ? En dehors ? Au
sein de ces deux espaces ? Ces questionnements légitimes nous
forcent à appréhender de manière nouvelle les frontières fuyantes,
ainsi que les datations troubles et problématiques. Edward Saïd
n’avait-il pas déjà annoncé que « le problème du commencement est
le commencement du problème3 » ? Apparaît alors un oxymore de
taille : la dimension circulaire du Triangle Atlantique.
La difficulté de raconter des histoires s’ajoute à celle d’écrire
l’histoire. Sur ce point, penchons-nous davantage sur l’ouvrage de
Saidiya Hartman, paru en 2007. La structure de Lose Your Mother : A
Journey along the Atlantic Slave Coast est hybride. L’ouvrage est à la
fois mémoires, travail ethnographique et fruit de réflexions menées
par une universitaire africaine-américaine d’origine antillaise. Celle-ci
raconte l’un de ses voyages au Ghana. Le voyage entrepris est une
exploration. Hartman explore l’histoire autant qu’elle s’explore elle-
même. Formée en littérature et en histoire, la chercheuse ressent le
besoin impératif de sonder et de vivre la traite négrière
transatlantique de manière plus directe. Les archives ne suffisent
pas : il faut être sur place et engager tant son propre corps que son
esprit dans une expérience qui ne saurait se limiter à la seule
recherche scientifique conventionnelle. De ce fait, les visites de forts
ghanéens dans lesquels étaient parqués les esclaves capturés et en
partance pour les Amériques, de même que le cheminement des
routes empruntées par les esclaves kidnappés à l’intérieur des terres
avant d’être dirigés vers les côtes où étaient érigés les forts
d’esclaves, ont été effectués par l’historienne dans l’espoir de réunir
les corps et les esprits de ceux qui avaient été réduits en esclavage,
ceux qui avaient été déplacés et dispersés, ceux qui avaient traversé
l’Atlantique, ceux qui avaient perdu la vie en chemin, volontairement
ou involontairement, que ce fût en terre africaine ou au cours du
Passage du milieu. Aux yeux d’Hartman, la recherche scientifique,
froide, distanciée, prétendument objective, s’est avérée insuffisante.
Car, parmi les archives historiques consacrées à la traite négrière
transatlantique, rares sont celles qui proviennent directement des
enfants, des femmes et des hommes qui ont été réduits en
esclavage. Les histoires et l’histoire rédigées sur la base de ces
archives dont la valeur scientifique est reconnue et acceptée comme
socle constitutif de la discipline académique ne peuvent que refléter
les versions des groupes dominants. Le vécu, la voix, les histoires de
ceux qui ont été vaincus, conquis, dominés manquent à l’appel4. Par
conséquent, comment serait-il possible de véritablement témoigner
de cette histoire traumatique sur plusieurs générations et à l’échelle
mondiale si certaines des preuves et des archives ne sont tout
simplement pas accessibles ? Cette question est primordiale en ce
qu’elle remet en cause les fondements mêmes de la discipline
scientifique qu’est l’histoire. En effet, lorsqu’il s’agit de la diaspora
noire/africaine, l’approche scientifique traditionnelle se révèle – de
facto – tout à fait insuffisante et incomplète. Dénuée d’archives
émanant des principaux concernés et sans recours possible à
l’histoire orale du fait des siècles écoulés, cette histoire particulière
se transformerait donc en simple « mémoire », c’est-à-dire en une
sorte d’histoire en demi-teinte. Une sous-histoire, une histoire
polluée par les émotions. En d’autres termes, une histoire non
scientifique. Cela dit, face à un tel ordre des choses, la parade
trouvée par Saidiya Hartman prend la forme de la localisation des
preuves et archives manquantes précisément dans les corps – voire
les déjections – des descendants de ces populations africaines
réduites en esclavage et dispersées. Ainsi, le corps et la couleur de
la peau constituent les seules traces, les seuls indices, les seules
preuves et les seules archives accessibles à notre époque. Cela
explique dans quelle mesure le « retour » à la terre d’origine et la
reconnexion avec la terre ancestrale se révèlent quasiment
impossibles aux yeux de l’universitaire. Le témoignage complet,
intégral, ne peut émerger. À ce propos, Hartman déclare :

Je faisais, moi aussi, partie des témoins qui manquaient à


l’appel. La prise en compte de ce dont j’avais hérité m’avait
menée à ce cachot, mais à présent tout cela me paraissait hors
de portée. Je m’évertuais à établir des liens entre le passé et le
présent ainsi qu’à cartographier l’itinéraire Côte-de-l’Or-
Curaçao-Montgomery-Brooklyn. Mais mes fouilles étaient sans
fin.
Je pouvais énumérer l’ensemble des débats portant sur les
conséquences catastrophiques que constitue le fait d’avoir été
un bien meuble, de s’être vu refuser la protection de la
citoyenneté et d’avoir été privé du droit à l’égalité. La réalité
était que nous vivions encore dans un monde dans lequel le
racisme fait le tri entre les riches et les pauvres et décide de qui
vit et qui meurt. Le racisme, selon Michel Foucault, c’est la
répartition sociale de la mort ; à la façon d’un tableau actuariel,
il prédit qui prospérera et qui ne prospérera pas. À chaque
étape de la vie, les Noirs courent deux fois plus de risques de
mourir que les Blancs et leur espérance de vie est plus courte.
Dans la ville où je réside, l’espérance de vie des hommes noirs
est de vingt ans plus courte que celle des hommes blancs. Le
taux de mortalité infantile chez les femmes noires rivalise avec
celui d’un pays du tiers monde. Les Noirs courent un risque cinq
fois plus élevé d’être assassinés et ils risquent dix fois plus de
contracter le virus du Sida. La moitié des enfants noirs
grandissent dans la pauvreté et un tiers de l’ensemble des
Africains-Américains vivent dans la pauvreté. Presque la moitié
des hommes noirs âgés de dix-huit à vingt-cinq ans sont en
prison, en liberté conditionnelle ou sous contrôle judiciaire. Ils
risquent quatre fois plus que les Blancs d’être condamnés à
mort. Les femmes noires courent huit fois plus de risques d’être
incarcérées que les femmes blanches.
La répartition des richesses n’est pas moins désespérante.
Quarante ans après l’adoption de la législation sur les droits
civiques, les foyers noirs possèdent un dixième de la fortune
des familles blanches. Pour chaque dollar possédé par les
Blancs, les Noirs possèdent sept cents.
Cela expliquait en partie ma présence dans ce cachot. Mais il y
avait également quelque chose de l’ordre de l’intime. Traîner
dans cette pièce vide était ma façon à moi d’essayer de
comprendre de quelle manière ce souterrain m’avait créée et
marquée. L’origine de mon désespoir remontait-elle à la
première génération arrachée à son pays ? Était-ce la raison
pour laquelle je pouvais parfois ressentir une telle lassitude vis-
à-vis de l’Amérique, comme si j’avais moi aussi débarqué en
Caroline du Sud en 1525 ou à Jamestown en 1619 ? S’agissait-il
de la pression exercée par toutes les mères perdues ou bien de
celle des enfants devenus orphelins ? Ou était-ce lié au fait que,
pour chaque génération, le joug d’une vie abîmée et le désarroi
de ne pas être reconnu, d’être considéré comme un perpétuel
étranger se faisaient de nouveau ressentir ?
Je traînais dans ce cachot d’esclaves non parce que j’espérais y
découvrir ce qui s’était réellement passé, mais plutôt à cause de
ce qui avait perduré de cette histoire. Pour quelle autre raison
commencer une autobiographie dans un cimetière5 ?

Ce long extrait tiré de l’ouvrage de Hartman illustre très justement


l’ensemble du projet qu’elle a mené. Tout y est : passé et présent,
histoire et mémoire, vie et mort, richesse et pauvreté, santé et
maladie, liberté et chaînes, hommes et femmes, adultes et enfants.
Mais s’y trouvent également le général et le particulier, l’intérieur et
l’extérieur, ce qui relève de la sphère publique et de la sphère privée,
voire intime, le commencement et la fin, la lumière et l’obscurité, la
mort et la renaissance, le départ et le retour, la quête et les
questionnements sans fin, auxquels nulle réponse satisfaisante ne
peut être apportée, la quête, le trouble mental, la quête, la perte, les
réponses impossibles, la quête – la diaspora.
Dans son ouvrage, Saidiya Hartman fait le récit d’un retour
difficile, voire tout simplement impossible vers la terre dite
ancestrale. Elle en identifie les multiples points de tension. Parmi
eux, on compte des « Africains » qui ont vendu d’autres « Africains »
à une époque où nul ne se définissait de la sorte. Les Africains
d’aujourd’hui qui cherchent à oublier ce passé douloureux. Mais ces
mêmes Africains qui se révèlent prêts à se souvenir de ce passé
douloureux si celui-ci peut être transformé en une entreprise
lucrative fondée sur le tourisme mémoriel afrodiasporique. Des
Africains qui sont prêts à tirer tous les bénéfices de cette diaspora si
désireuse de revenir sur sa terre d’origine et de se confronter à ce
passé à la fois lourd et fondamental, quand bien même elle n’y
retrouvera que « de la terre et de la merde ». Les Africains
d’aujourd’hui, enfermés dans une situation géopolitique désastreuse
et d’innombrables difficultés structurelles, qui ne peuvent faire
autrement qu’envier les Africains-Américains qui incarnent, à
l’inverse, des États-Unis et un Occident prospères. En écrivant et
décrivant tout cela, Hartman puise elle aussi dans une langue et une
culture afrodiasporiques, diasporic literacy, composée de figures,
lieux et événements qui résonnent à travers la diaspora et le monde,
évoquant ainsi Kwame Nkrumah, James Baldwin, Bob Marley,
l’empire Ashanti, Samory Touré, Mary Prince, Walter Rodney et tant
d’autres. L’écriture et la voix de Hartman proviennent de la diaspora.
Les deux se situent en dehors du continent d’origine lointaine, un
espace si souvent imaginé, idéalisé, désiré et fantasmé comme lieu
de réconfort. Or nul réconfort n’est trouvé. Seule la fin de l’ouvrage
offre quelque répit. En effet, on y retrouve Hartman face à un
groupe de petites filles ghanéennes, en cercle, qui jouent en
chantant et tapant des mains. Probablement parce qu’il fait écho à
sa propre enfance étatsunienne, ce moment de connexion tant
attendu, bien qu’immatériel, contraste grandement avec les effets
très concrets de la réalité contemporaine. C’est pourtant tout ce qui
reste. C’est tout ce qui est tangible.
En comparaison avec le constat amer dressé par Saidiya Hartman,
une lueur d’espoir semble poindre chez Léonora Miano. La Franco-
Camerounaise prône la communication transatlantique,
afrodiasporique, ainsi que la nécessité de reconnaître au continent
africain le statut, non pas de seule, mais de première victime de la
traite négrière transatlantique. Paru en 2013, La Saison de l’ombre
donne la parole à l’Afrique. Le continent doit s’exprimer sur le sujet
en son nom propre. Par ce biais, il peut prendre pleine part à une
conversation qui, jusqu’alors, s’était tenue presque uniquement au
sein de la diaspora. Que s’était-il passé à l’époque ? En réponse à
cette question et aux doutes lancinants qu’elle implique, Miano
propose un récit fictif qui se construit autour du clan Mulongo,
confronté à la disparition de douze de ses jeunes garçons. Ces
derniers avaient temporairement quitté leur village pour suivre le
rituel d’initiation traditionnel qui doit avoir lieu à leur âge. Ces
disparus étaient encadrés par deux adultes respectés dont on a
également perdu la trace. Immédiatement, parce qu’elles sont
inexpliquées et inexplicables, ces disparitions d’enfants et d’adultes
sont jugées mystérieuses, dangereuses et potentiellement de
mauvais augure pour le reste du clan. Les femmes, plus
spécifiquement les mères des enfants, seront les premières mises au
ban de la communauté. Il s’agit de prendre toutes les précautions
nécessaires. Il faut prévenir. Il faut protéger la communauté. Même
au prix de la marginalisation de celles qui auraient également pu
être reconnues comme les premières victimes de ce drame collectif.
L’entreprise menée par Léonora Miano dans La Saison de l’ombre
est celle d’une réhumanisation de l’histoire de la traite négrière
transatlantique. Littéralement, Miano donne vie et âme aux
protagonistes d’un pan de l’histoire transatlantique à la recherche
desquels Saidiya Hartman s’est lancée – en vain – dans Lose Your
Mother. Ici, c’est la littérature qui permet d’apporter une sorte de
soulagement au récit historique douloureux et inévitablement
incomplet. Miano tente de répondre à la question suivante : quel(s)
souvenir(s) l’Afrique garde-t-elle de l’histoire de la traite négrière
transatlantique et de l’esclavage ? Selon l’autrice, il est indéniable
que le poids des pertes et des disparitions mystérieuses a pesé sur
les épaules des mères, des parents et des communautés d’Afrique
en tout premier lieu. Seules quelques personnes, membres d’une
puissante élite, avaient une vision globale et une connaissance
parfaite de ce qui se produisait réellement. Seule cette élite tirait
profit de ce commerce inédit de chair humaine. Cependant, nul
n’avait alors pleinement conscience des conséquences de ce
commerce sur le long terme. Car, en définitive, ces mêmes élites en
ont ressenti les effets néfastes et irréversibles. Pour Miano, l’Afrique
a gardé en mémoire les pertes inexpliquées, les sépultures vides
faute de corps, causant ainsi des deuils impossibles à faire ; les
cosmogonies annihilées et réinventées. L’Afrique a conservé la
mémoire de tout cela dans les chansons inventées, transmises et
chantées par les jeunes filles et les femmes.

La question du retour
Les idées de terre d’origine et de retour qui jalonnent la tradition
intellectuelle, politique et artistique de la diaspora noire/africaine me
sont d’un intérêt particulier du fait de ma naissance à Paris et de
mes parents ivoiriens, dioula et musulmans. Il me faut cependant
admettre que mon intérêt a pris de l’ampleur lorsque j’ai entamé ma
propre navigation à travers le Triangle Atlantique en me rendant aux
États-Unis. Le regard que j’ai alors porté sur les deux sociétés,
française et étatsunienne, a pris un tournant heureux et salvateur.
Par exemple, lorsque, dans le contexte hexagonal, je m’attelle à
explorer l’imbrication entre l’identité noire et la religion à travers
l’islam, j’ai pleinement conscience de l’existence de la diversité de
nombreuses communautés musulmanes disséminées dans le reste
du Triangle Atlantique. Dans le cas spécifique des États-Unis, il est
primordial de faire la distinction entre, d’une part, les populations
africaines déplacées vers ce territoire et qui étaient issues de zones
géographiques déjà sous influence musulmane au moment de la
traite négrière transatlantique et, d’autre part, les communautés
africaines-américaines musulmanes qui ont émergé au début du
e
XX siècle dans le but précis de contrer et faire front à l’identité
chrétienne, blanche et dominante des États-Unis. À l’image du
Moorish Science Temple of America de Noble Drew Ali ou de la
Nation d’Islam, il est question d’individus, groupes et communautés
qui ont fait le choix conscient de devenir des musulmans noirs. C’est-
à-dire qui ont fait de l’identité noire une religion et, ce faisant, ont
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