Cours de Philosophie Sur La Raison
Cours de Philosophie Sur La Raison
Cours de Philosophie Sur La Raison
La raison nous vient du latin “ratio” qui signifie “calcul”. Aristote définit la faculté de raisonner de
l’homme par les termes “zoon logikon”, l’animal raisonnable. La raison est la “puissance de bien
juger et de distinguer le vrai d’avec le faux ». Selon Descartes, la raison est “naturellement égale en
tous les hommes”.
Si au siècle des Lumières, la raison est l’instrument du progrès, elle se met à être critiquée dès le
début du XIXe siècle :
Qu’est-ce que la raison ? Est-elle le propre de l’homme ? A-t-elle des limites ? Comment bien
raisonner ? Partons à la découverte de ce concept philosophique.
Logos est un terme qui nous vient du grec classique. Ce terme signifie à la fois la “raison” et la
“parole”. Ce qui pourrait être considéré comme une polysémie* pour nous, ne l’était pas pour les
Grecques puisque la raison et la parole étaient, pour eux, deux termes englobés dans un même
concept : la parole relève de la raison et cette dernière revêt la forme de la parole.
En l’assimilant à la sagesse et à la vérité, les platoniciens ont donné une dimension supérieure à ce
terme. Le logos est le lien entre l’esprit et l’âme, entre la raison en l’homme et la loi divine. Par
extension, le “logos” est ce qui a trait à la « rationalité« , l’intelligence, la connaissance de la vérité.
Il permet de percevoir un sens dans la confusion du monde.
Le logos grec n’est pas une faculté propre à l’individu, mais renvoie à un principe universel.
* polysémie : caractère d’un signe qui possède plusieurs contenus, plusieurs sens. (Dictionnaires Le
Robert).
Pour les Grecs, la raison est une faculté universelle permettant à l’individu de percevoir le monde.
Dans le Discours de la Méthode, Descartes précise que : “Le bon sens est la chose du monde la
mieux partagée ; car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles
à contenter en toute autre chose n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils en ont. En quoi il n’est
pas vraisemblable que tous se trompent : mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger et
distinguer le vrai d’avec le faux, qui est proprement ce qu’on nomme le bon sens ou la raison, est
naturellement égale en tous les hommes ; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce
que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos
pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce n’est pas assez d’avoir
l’esprit bon, mais le principal est de l’appliquer bien. Les plus grandes âmes sont capables des plus
grands vices aussi bien que des plus grandes vertus ; et ceux qui ne marchent que fort lentement
peuvent avancer beaucoup davantage, s’ils suivent toujours le droit chemin, que ne font ceux qui
courent et qui s’en éloignent.”
Dès la première phrase de la première partie de son ouvrage, Descartes use d’ironie pour expliquer
l’idée selon laquelle tous les hommes sont universellement égaux lorsqu’il s’agit de disposer du bon
sens. Sur le plan moral, “le bon sens” donne à l’homme la faculté de discerner le bien du mal, le vrai
du faux.
Le cerveau, en tant qu’appareil biologique, fonctionne de la même façon d’un individu à l’autre. Ce
qui amène Descartes à se demander pourquoi certains individus se trompent ? Selon lui, ce n’est pas
un problème lié à la capacité cognitive de l’individu, mais plutôt à la manière dont ce dernier
mobilise cette faculté.
Étant une faculté universelle chez l’être humain, la raison répond forcément à un certain nombre de
critères.
Le principe d’identité affirme le fait que tous les raisonnements étant identifiés comme
rationnelle partent du principe qu’une chose est ce qu’elle est. “Ce qui est est”, “ce qui n’est
pas n’est pas”. Le mot “feuille” désigne une feuille et ne peut désigner un arbre, de même que
le mot “arbre” ne peut être utilisé pour désigner une feuille. “Ce qui est vrai est vrai” et ne
peut être changé.
Le principe de non-contradiction est défini par Aristote dans Métaphysique comme
l’impossibilité “qu’un même attribut appartienne et n’appartienne pas en même temps et sous
le même rapport à une même chose.”. Ce principe rejette catégoriquement la contradiction
d’une proposition (p) et de sa négation (non-p) : on ne peut pas affirmer à la fois que “tous les
hommes sont des menteurs” (p) et “seuls quelques hommes sont des menteurs” (non-p).
Toutefois, si “tous les hommes sont des menteurs” aujourd’hui, la phrase “seuls quelques
hommes sont des menteurs” peut être vraie dans un futur proche ou éloigné.
Le principe de la causalité stipule que tout effet à une cause. Comme rien ne se produit sans
cause : les mêmes causes auront forcément les mêmes effets.
Définition de la raison
d’un point de vue cognitif, la raison est à la fois l’art de penser, mais également une faculté
précise (la rationalité) ;
d’un point de vue moral, l’individu maîtrise ses impulsions ainsi que ses passions grâce à la
raison (raisonnable).
Lorsqu’on tente de raisonner un individu qui se laisse entraîner par ses impulsions et/ou ses
passions, on dit qu’on cherche à lui “faire entendre raison”. Quand un individu “suit le chemin de la
raison” ou “écoute la voix de la raison”, cette “voix” et ce “chemin” amène l’individu à maîtriser ses
passions. On dit de lui qu’il est “raisonnable”. Lorsque les sentiments sont soumis à la raison lors
d’une union entre deux personnes, on parle de “mariage de raison”.
Descartes est le premier à utiliser le terme d’”animal-machine”. Dans la Lettre à Morus, Descartes
énonce clairement son idée :
“La principale raison, selon moi, qui peut nous persuader que les bêtes sont privées de raison, est
que, bien que parmi celles d’une même espèce les unes soient plus parfaites que les autres, comme
dans les hommes, ce qui se remarque particulièrement dans les chevaux et dans les chiens, dont les
uns ont plus de dispositions que les autres à retenir ce qu’on leur apprend, et bien qu’elles nous
fassent toutes connaître clairement leurs mouvements naturels de colère, de crainte, de faim, et
d’autres semblables, ou par la voix, ou par d’autres mouvements du corps, on n’a point cependant
encore observé qu’aucun animal fût parvenu à ce degré de perfection d’user d’un véritable langage,
c’est-à-dire qui nous marquât par la voix, ou par d’autres signes, quelque chose qui pût se rapporter
plutôt à la seule pensée qu’à un mouvement naturel. Car la parole est l’unique signe et la seule
marque assurée de la pensée cachée et renfermée dans les corps; or tous les hommes les plus
stupides et les plus insensés, ceux mêmes qui sont privés des organes de la langue et de la parole, se
servent de signes, au lieu que les bêtes ne font rien de semblable, ce que l’on peut prendre pour la
véritable différence entre l’homme et la bête.
Je passe, pour abréger, les autres raisons qui ôtent la pensée aux bêtes. Il faut pourtant remarquer
que je parle de la pensée, non de la vie, ou du sentiment; car je n’ôte la vie à aucun animal, ne la
faisant consister que dans la seule chaleur de cœur. Je ne leur refuse pas même le sentiment autant
qu’il dépend des organes du corps. Ainsi, mon opinion n’est pas si cruelle aux animaux qu’elle est
favorable aux hommes,[…]”
Pour Descartes, les mouvements ainsi que les actions des animaux sont comparables à celles d’un
automate. Les animaux sont donc simplement soumis à des lois mécaniques. Si l’animal dispose
d’une sensibilité, il n’est pas doté de la raison comme l’est l’être humain.
Descartes distingue :
Pour prouver ses idées, Descartes s’appuie sur l’incapacité de l’animal à user de la parole, or cette
dernière est la manifestation extérieure de la présence d’une raison. Les animaux ne sont donc pas
dotés de raison selon le philosophe.
La raison animale
Aujourd’hui, la théorie de l’animal-machine est de plus en plus contestée, car elle ôte à l’animal
toute intelligence.
Dans les Essais, II, XII “Apologie de Raymond Sebond”, Montaigne tente de prouver que l’animal
dispose d’une raison en prenant l’exemple du chien à la recherche de son maître.
Lorsque le chien tombe sur un carrefour comportant trois voies différentes, il utilise son flair sur les
deux premiers chemins. Pour la troisième route, le chien n’a pas besoin de faire appel à son flair, il
“s’y laisse emporter par la force de la raison”. En arpentant les deux premiers chemins, le chien en
est arrivé à la conclusion logique que son maître n’avait pu emprunter que la troisième voie. Cette
rationalité animale, démontrée par Montaigne, constitue la première humiliation de la raison
humaine. La seconde humiliation concerne les faiblesses de la raison humaine.
Dans les Pensées de Blaise Pascal, ce dernier explique que, du fait de sa finitude, l’homme n’a accès
qu’à une petite partie de la nature, sa raison est donc limitée. L’homme est une créature finie créé
par une puissance divine infinie. Pour Pascal, l’homme, doit se contenter de comprendre le monde
en acceptant les limites qui sont les siennes. Les reconnaître permettra à l’être humain, non pas
d’arrêter de rechercher la vérité, mais de la chercher dans la petite partie à laquelle il a accès.
L’être humain ne peut donc pas saisir le monde dans son entièreté.
“Que l’homme contemple donc la nature entière dans sa haute et pleine majesté, qu’il éloigne sa vue
des objets bas qui l’environnent. Qu’il regarde cette éclatante lumière, mise comme une lampe
éternelle pour éclairer l’univers, que la terre lui paraisse comme un point au prix du vaste tour que
cet astre décrit et qu’il s’étonne de ce que ce vaste tour lui-même n’est qu’une pointe très délicate à
l’égard de celui que les astres qui roulent dans le firmament embrassent. Mais si notre vue s’arrête
là, que l’imagination passe outre; elle se lassera plutôt de concevoir, que la nature de fournir. Tout
ce monde visible n’est qu’un trait imperceptible dans l’ample sein de la nature. Nulle idée n’en
approche. Nous avons beau enfler nos conceptions au-delà des espaces imaginables, nous
n’enfantons que des atomes, au prix de la réalité des choses. C’est une sphère dont le centre est
partout, la circonférence nulle part. Enfin, c’est le plus grand caractère sensible de la toute
puissance de Dieu, que notre imagination se perde dans cette pensée.
Que l’homme, étant revenu à soi, considère ce qu’il est au prix de ce qui est; qu’il se regarde comme
égaré dans ce canton détourné de la nature; et que de ce petit cachot où il se trouve logé, j’entends
l’univers, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les villes et soi-même son juste prix.”
Pour Blaise Pascal, la finitude de l’homme est donc l’une des premières limites de la raison humaine.
Kant délimite l’usage de la raison au domaine sensible. Les questions métaphysiques, ne concernant
pas le sensible, la raison n’est pas en mesure de produire un jugement objectif sur ces
questionnements : “Le cœur a ses raisons que la raison ignore”.
L’expression “perdre la raison” montre que même si l’homme est un être rationnel, la raison peut lui
être enlevé et/ou lui faire défaut.
Les dieux ont le pouvoir de retirer la raison à l’être humain et le contraindre à commettre des actes
irrationnels comme dans la pièce La Folie d’Héraclès d’Euripide où Héraclès devient fou à cause
d’Héra et finit par tuer sa femme ainsi que ses enfants. De même que les croyances, lorsqu’elles sont
extrêmes, poussent l’être humain à commettre des actes insensés comme le terrorisme par exemple.
Même la raison est censée maîtriser les sentiments de l’homme, il peut arriver que ces derniers
soient si forts qu’ils plonge l’être humain dans la folie comme l’illustre la pièce d’Othello de
Shakespeare où un roi, rongé par la jalousie, assassine sa femme, Desdémone.
Ce qui échappe à la raison humaine, comme le surnaturel, peut pousser un individu à “perdre la
raison”. Cette thématique est abordée dans le Horla de Guy de Maupassant, Le Tour d’Écrou de
Henry James ou dans des films comme Shining de Stanley Kubrick.
Enfin, les raisons médicales peuvent également expliquer la perte de la raison chez un individu. La
raison humaine peut donc défaillir.
Trouver des vérités ne signifie pas que l’on est doué de raison, mais que nous sommes en mesure de
faire bon usage de notre raison pour parvenir à des vérités.
“Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée.”, avec cette citation, Descartes stipule que
tous les hommes sont dotés de raison et par conséquent, nous avons tous la possibilité d’accéder à la
vérité. Toutefois, l’homme est capable de se tromper. Si les humains font des erreurs, c’est qu’ils
n’ont pas su faire le bon usage de la raison. Pour le faire, il faut suivre une méthode, du grec
methodos, qui signifie “poursuite ou recherche d’une voie”. Ainsi, comme le souligne Descartes dans
le Discours de la méthode, il s’agit de “chercher la vraie méthode pour parvenir à la connaissance de
toutes les choses dont mon esprit serait capable.”
Le doute cartésien
L’expérience du doute
Dans le Discours de la méthode, Descartes explique qu’au cours de sa vie, il a rencontré le doute
plusieurs fois. Déjà lors de ses études, il s’est aperçu que plus il apprenait, plus il se rendait compte
de son ignorance. En effet, en se remettant sans cesse en question, il n’arrive pas à trouver de
certitude. Ainsi, il se rapproche de ce que disait Socrate plusieurs siècles avant lui : “Ce que je sais,
c’est que je ne sais rien.”.
Par ailleurs, Descartes s’est aperçu durant ses voyages que les opinions varient d’un pays à un
autre. Ainsi, ce qui est ridiculisé par un peuple, ne l’est pas pour un autre. La vérité n’existe pas
vraiment, il n’y a que des opinions contradictoires.
Lorsque nous sommes enfants, nous avons besoin de préjugés. Ces derniers lui permettent de
disposer de principes pour guider ses actions. Toutefois, lorsque la raison est formée et qu’un
individu est capable de réfléchir par lui-même, il est important pour Descartes de balayer tous ses
préjugés, faire table rase de toutes les opinions que nous avons reçues afin de les examiner une par
une via le prisme de notre raison. “Pour examiner la vérité, il est besoin, une fois dans sa vie, de
mettre toutes choses en doute autant qu’il se peut.”, c’est une nécessité que Descartes définit
comme le premier principe dans son ouvrage Principes de la philosophie. Le doute méthodique est le
fait de douter systématiquement de toutes les idées que nous n’avons pas examinées. Ce doute nous
permet alors de vérifier si cette idée est une certitude ou non. Descartes oppose le doute
méthodique, ou cartésien, au doute sceptique. Le premier est provisoire quand le second ne cesse
jamais.
Quelles sont les quatre étapes de la méthode ?
“La connaissance sur laquelle on peut établir un jugement clair et indubitable doit être non
seulement claire, mais aussi distincte. J’appelle clair celle qui est présente et manifeste à un esprit
attentif ; de même que ce que nous disons voir assez fort, et que nos yeux sont disposés à les
regarder ; et distincte, celle qui est tellement précise et différente de toutes les autres, qu’elle ne
comprend en soi que ce qui paraît manifestement à celui qui la considère comme il faut.”. À travers
ces lignes des Principes de la Philosophie, Descartes nous parle :
des idées claires qui sont des idées compréhensibles immédiatement par tous ;
des idées distinctes que l’on ne peut confondre avec d’autres, dans le sens où elles se
détachent des autres idées.
La vérité pour Descartes c’est lorsque l’idée nous apparaît à la fois claire et distincte.
Dans son Discours de la méthode, Descartes recense les quatre étapes de la méthode :
la première étape permet de ne pas juger par la précipitation (jugé avant que la raison ne
puisse avoir terminé son analyse) ou par la prévention (jugé à partir de la coutume et de
l’influence) ;
la deuxième étape est une opération mathématique de la division qui consiste à réduire le
composé en éléments simples ;
la troisième étape consiste à partir des éléments simples vers des degrés de plus en plus
complexes ;
la quatrième étape permet à l’individu de vérifier qu’il n’a rien oublié.
Cet exercice de l’esprit permet donc à l’individu de faire bon usage de sa raison afin de parvenir à
trouver la vérité.
Conclusion
Grâce à la raison, l’homme est capable de connaître le monde et de guider ses actions. Toutefois, la
raison seule ne permet pas à l’homme de connaître le monde dans sa globalité. Du fait de sa finitude,
l’être humain n’est pas en mesure de disposer des connaissances auxquelles il n’a pas accès. On
peut illustrer cette idée à une fourmi qui serait dotée d’une raison similaire à celle de l’homme ; du
fait de sa petite taille, elle ne serait pas en mesure d’avoir des connaissances sur l’univers.
Cependant, bien que Descartes puisse considérer l’animal à un automate (animal-machine), ces
derniers ont une raison qui leur est propre. Ce qui fait que l’être humain n’est pas le seul animal à
disposer d’une raison. Une faculté qui dispose de nombreuses limites : “le coeur a ses raisons que la
raison ignore”.
Descartes, “La raison est la seule chose qui nous rend hommes.”
Kant, “La raison pure est pratique par elle seule et donne à l’homme une loi universelle que nous
nommons la loi morale.”
Montaigne, Essais “Nos raisons et nos discours humains, c’est comme la matière lourde et stérile : la
grâce de Dieu en est la forme ; c’est elle qui y donne la façon et le prix.”
Pascal, Pensées sur la religion “Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point.”