Andréae Jean Valentin - Les Noces Chymiques de Christian Rosencreutz
Andréae Jean Valentin - Les Noces Chymiques de Christian Rosencreutz
Andréae Jean Valentin - Les Noces Chymiques de Christian Rosencreutz
JEAN-VALENTIN ANDREAE
ANNÉE 1489
On conçoit sans peine que l'œuvre de Valentin Andréae ait donné lieu
à de passionnées controverses car d'une première lecture superficielle on
ne garde que l'impression d'une malicieuse moquerie à l'adresse des
nombreux alchimistes de son époque, d'un "Lubridium" visiblement écrit
dans le but d'égarer les chercheurs d'or ; mais en relisant avec attention,
on découvre aisément plusieurs broderies sur une même trame. Ceci me
remet en l'esprit les images superposées imprimées en vert et en rouge que
l'on trouvait autrefois dans les boites de jouets, et dont les dessins
incohérents à première vue, révélaient à l'œil des curieux deux scènes de
nature totalement différente suivant que l'on appliquait dessus une feuille
de gélatine colorée en vert ou en rouge. Je crois qu'il faudrait appliquer à
la lecture des "Noces Chymiques" ce système d'écrans colorés, pour
distinguer non point deux, mais trois ouvrages dans le même texte : Un
conte allégorique, un traité sur l'Initiation des Frères de la Rose-Croix, un
traité d'alchimie dont le sens est d'autant moins apparent qu'il est
embrouillé dans les deux précédents, et que sans doute volontairement,
pour le rendre plus inextricable, l'ordre des opérations est quelconque.
AURIGER.
JEAN-VALENTIN ANDRÉAE
(Note bibliographique de PAUL CHACORNAC)
Tous les auteurs qui se sont spécialisés dans l'étude des écrits
Rosicruciens sont d'accord pour attribuer à Jean-Valentin Andréae la
paternité des "Noces Chymiques" et à le considérer comme un missionné
de l'Ordre des Rose Croix.
V. Andréae venait d'atteindre cinq ans quand son père fut nommé abbé
de Königsbronn. C'est dans ce couvent, qu'il reçut sa première éducation.
Vivant dans un milieu intellectuel, il se fit remarquer par une sensibilité
extrême et une grande douceur ; la vivacité de son esprit était un sujet
d'étonnement pour son entourage. Si bien que parmi les amis de son père,
Marc Beumler s'intéressa à lui et éveilla dans son jeune esprit le goût pour
les sciences et les arts ; il apprit en même temps quelques langues 4 .
1
Les armes de la famille d'Andréae contiennent une croix de Saint-André et quatre roses.
2
WETZER et WELTE. Dictionnaire encyclopédique de Théologie catholique. Trad. de Pall. par J.
GOSCHLER. Paris, Gaume, 1864, 25 vol. in-8 : T. 1, page 303.
3
Le théologien Jacob Andréae est l'auteur d'un pamphlet contre les Calvinistes : Kurtze Antwort
auff Joh. Sturmij buch Antipappus Quartus genant. Tubingue, G. Gruppenbach, 1581, in-4, 36 pp.
4
BEUMLER (Marc) Philologue suisse... mort en 1611.
Tubingue était à cette époque une université célèbre 5. Durant six
années, V. Andréae y travailla avec passion, afin d'étendre ses
connaissances, consacrant le jour aux sciences, la nuit aux lettres. S'il lut
passionnément les auteurs anciens, il ne négligea pas les latinistes
modernes ; de même, les mathématiques et le droit eurent le don de
l'intéresser. Le savant mathématicien, Maestlin, le maître de Képler, fut
aussi le sien 6, et l'avocat Christophe Besold, son professeur de droit,
devint son ami 7.
5
L'université de Tubingue fut fondée en 1477.
6
MAESTLIN mourut à Heidelberg en 1650.
7
BESOLD (Chr.), savant jurisconsulte, né à Tubingue en 1577, est mort à Ingelstadt en 1638, après
avoir abjuré la religion protestante. Les œuvres de Besold sont remarquables. Citons :
Considération politique sur la vie et la mort (1623), Histoire de la ville et du royaume de Jérusalem
(1636), et Synthèse des faits et gestes du Monde occulte, œuvre posthume publiée en 1639.
Alors commença pour lui une série de tribulations qui, loin de le
décourager, lui apprirent bien des choses qu'il n'eut pas connues, s'il était
demeuré simple Magister à Tubingue.
8
Lauingen, ville forte de Souabe, près du Danube, est le lieu de naissance du savant dominicain et
alchimiste Albert le Grand (1193).
9
Dillingen est situé non loin de Lauingen, sur la même rive du Danube.
10
Summa doctrines Christianæ (1614).
Cependant l'humeur instable de V. Andréae n'était pas satisfaite. Son
ami Ch. Besold lui ayant appris l'italien ; il résolut de se rendre au pays des
Doges. Il traverse l'Autriche, séjourne quelques temps à Venise, puis à
Rome.
Quel fut l'Initié qui jugeant V. Andréae apte à devenir le porte parole
des Rosicruciens, lui donna les moyens, de se faire reconnaître d'eux ? nul
ne le sait. Il est certain qu'il lui fut ordonné de rompre le silence qui,
jusqu'alors, enveloppait la Fraternité, et à participer à l'accomplissement du
Magnum opus.
11
V. Andréae fit faire de grands progrès à l'instruction publique dans le Wurtemberg.
12
Signalons que V. Andréae fit partie du Chapitre Rosicrucien de Cassel, et du Palmbaum (le
Palmier), société secrète de Weimar.
l'exposé de la Réforme générale de l'Humanité que préconisaient les Initiés
Rosicruciens. Il contient le récit allégorique de la vie de Christian
Rosencreutz, et de la découverte de son tombeau, allégorie sous laquelle
on présente les desseins et les bons effets de la Fraternité mystérieuse.
13
Fama Fraternitatis et Confessio Fratrurn Rosæ-Crucis. Ratisbonne, 1614, in-4. D'après V.
Andréae, cet écrit aurait été rédigé par trente théosophes anonymes réunis dans le Wurtemberg par
les soins de Christoph Hirsch, dit Joseph Stellatus, prédicateur à Eisleben à qui V. Andréae avait
manifesté ses désirs. Ch. Hirsch est l'auteur de : Le Pégase du Firmament, ou brève introduction à
la vraie sagesse. S. L. 1618, in-12. Cependant, d'après Herder, la Fama était connu en manuscrit dès
1610. D'autre part J. Sperber dit que cet écrit circulait 19 ans avant sa parution et Kazauer prétend
qu'il existait en 1570. Ajoutons que Michaud avance que l'auteur de la Fama serait J. Jung, célèbre
philosophe allemand. La première édition française, anonyme, fut éditée à Francfort, chez Jean
Bringer, en 1615, in-12. Une nouvelle traduction de La Fama faite par E. Çoro, parut en 1921.
14
La première édition de : Reformation des gantzen weiten Welt fut publiée sans indication de lieu.
La deuxième édition,in-8, parut peu après à Cassel, chez Wilhelm Wessel augmentée de la
traduction allemande de la Fama et d'une courte réponse de M. Haselmeyer : D'après Gardner, la
thèse de la Réformation serait empruntée à l'alinéa 77 de la première partie de l'ouvrage de Trajano
BOCCALINI, Nouvelle du Parnasse. Trois Centuries. Venise, 1612, in 4. Ce dernier ouvrage fut
traduit en allemand par Chr. Besoid, ami de- V. Andréae, en 1617. La première traduction française
de la Reformatio, anonyme, est de 1614 (S. L.) in-72 :
Noces Chymiques de Christian Rosencreutz 15. On a prétendu que cet
ouvrage aurait été rédigé par l'auteur à l'âge de 15 ans. Lui-même l'écrit
dans son autobiographie 16. Nous pensons qu'il faut lire 15 ans après son
initiation. S'il qualifie son œuvre de futile, il ajoute "Elle a été pour
certains un objet d'estime et une "occasion de recherches subtiles". Cette
phrase montre combien V. Andréae attachait peu d'importance aux dires de
ses contemporains, sachant très bien la valeur de son œuvre.
Les Noces Chymiques furent écrites par un artiste préparé et non par
un étudiant. Pour ceux qui sont au courant des allégories hermétiques,
cette importante publication contient des allusions d'une signification
grave et occulte. Ils reconnaîtront que les incidents comiques font partie
d'un plan sérieux, et que l'ensemble de l'ouvrage est en concordance avec
les traditions générales de l'Alchimie.
15
Chymische Hochzeit : Christiani Rosencreutz, anno 1459. Strasbourg, L. Zetzner, 1616 ; in-8.
L'édition originale fut suivie de trois autres éditions dans la même année. La première traduction
anglaise parut en 1690,
16
J. V. ANDRÉAE. Vita ab ipso conscripta, ex autographo primum édité à F. H. RHEINWALD.
Berlin, 1849, in-8 :
17
Une comparaison bien curieuse s'impose. Ne croirait-on pas voir au lieu et place de V. Andréae le
mystique Sédir, qui comme lui se sépara de ses Frères pour fonder les Amitiés spirituelles. Autre
détail : le principal personnage des lettres Magiques et d'Initiations, œuvres de Sédir, s'appelle
Andréas. Ajoutons que Sédir tout comme son aîné, ne renia jamais ses premières études.
Esprit noble, anxieux de faire le bien, V. Andréae ne pouvait être
qu'un véritable mystique. Il employa toutes ses forces à ramener ses
contemporains dans la voie du Christ, selon la Bible. Il visait au
christianisme pratique par la prédication de l'amour fraternel et de l'union :
C'est alors que V. Andréae, loin des soucis et des agitations du dehors,
dans le calme et le recueillement fit paraître, de 1616 à 1619, nombre
d'ouvrages, soit sous son nom, soit sous un pseudonyme.
V. Andréae publia sous son nom : Menippe, miroir des vanités de nos
contemporains 22. Cette satire vise le défaut de toutes les conditions
18
Jean Arndt naquit à Ballenstadt dans le duché d'Anhalt, en 1555 et mourut à Zell en 1621.
D'abord étudiant en médecine, puis théologien. Persécuté pour ses doctrines qu'il avait puisé chez
les mystiques catholiques, il se retira à Eisleben, où Georges, duc de Lunebourg, lui donna en 1611,
la surintendance des églises de son duché. Son principal ouvrage : Du vrai Christianisme fut traduit
en latin, Londres 1708, 2 vol. in-8 et en français par Samuel de Beauval, Amsterdam, 1723, in-8.
On dit que L. Cl. de saint Martin puisa dans cette œuvre la substance de ses sublimes méditations. J.
Arndt fut aussi un alchimiste (voir sa lettre dans le tome III de l'ouvrage de Christian Hoburg :
Theologia Mystica, Francfort, 1656, et son explication de l'Amphithéâtre de l'Eternel Sapience,
dans De Igne Magorum, de H. KUNRATH, Leipzig, 1783). Enfin Arndt était au mieux avec Chr.
Hirsch, l'ami de V. Andréae, et tous deux demeuraient à Eisleben (Saxe).
19
Turbo, sive moleste et frustra per euncta divagans ingenium. Helicone, justa Parnassum 1616 in-
12.
20
Invitatio ad Fraternitatem Christi Roses Florescens Argentorati, 1617, in-18.
21
Une seconde partie de l'Invitatio parue en 1618.
22
Menippus, save dialogorum satyricor. Centuria inanitatem nostratium Speculum : Helicone, Juxta
Parnassum 1617, in-12
sociales. Elle se compose de cent dialogues écrits avec une vivacité, un
esprit digne des colloques d'Erasme.
23
Mythologiæ Christianæ sive virtutum et vitiorum vitæ humanæ imaginum.. Libri III. Argentorati,
Zetzner, 1618, in-4.
24
Civis Christianus, 1619.
25
Christianopolis, 1619.
26
Reipublicæ Christianopolitanæ descriptio. Argentorati, Zetzner, 1619 in-1.
27
Geistliche Kurzweil Strasbourg, 1619. Ces poésies sont tirées d'un recueil édité par Tobias
Adami, imprimeur, lequel connu Campanella quand celui-ci était prisonnier à Naples.
28
Ces sociétés persistèrent après la mort de V. Andréae.
29
Turis Babel, sive, Judiciorum de Fraternitat Rosaceæ Crucis Chaos, Argentorati.- Zetzner, 1619.
in-8.
Aussitôt après la publication de ce dernier ouvrage, afin d'assurer sa
tranquillité et d'éloigner ses persécuteurs, il partit pour Kalw
(Wurtemberg), où il venait d'être nommé surintendant, fin 1620.
Dans son infortune, les dévouements ne lui manquèrent pas. Ses amis
de Nuremberg lui offrirent un asile, mais fidèle à son prince, le duc
Eberhard III, V. Andréae se rendit à Stuttgart. Là, par l'entremise du
théologien Melchior Nicolaï, très puissant à la cour, il obtint la charge de
conseiller consistorial. Il devint même le prédicateur attitré du roi ;
fonction qu'il remplit de 1639 à 1650. Pendant ces dix années qu'il passa à
Stuttgart, il ne prêcha pas moins de mille sermons ; dont la plupart sur le
texte de Saint Paul : première Lettre aux Corinthiens. Malgré son zèle
infatigable pour ses semblables, il eut à souffrir de cruels déboires, de la
part de théologiens luthériens.
30
SCHWAH (Gust.). Piper Jahrbuch pour 1851, p. 220 et suiv.
prescriptions très détaillées sur les devoirs des pasteurs, devint la règle
dans tout le Wurtemberg.
31
A écrit en allemand sous le nom de GUSTAVE TELENUS. V. Andreae lui dédia : Les Pivoines
( ?) Augustales (Seleniana Augustalis). Ulma, 1649, in-12.
32
Le monastère d'Adelsberg est situé près du col du même nom dans les Alpes d'Algau, en Souabe
(Wurtemberg).
33
Le dernier ouvrage de V. Andréae est un hommage au duc de Brunswick. Il s'intitule : Exemple
sans égal de piété ; d'érudition et d'affabilité ; du Prince de la jeunesse des deux sexes. Ulmæ ;1654.
in-18.
Quoiqu'on en dise, le rôle assigné à V. Andréae fut suivi par lui de
point en point. Ses œuvres furent écrites pour éclairer les esprits et
ramener les âmes égarées à la paix, à la vérité, à la raison.
PAUL CHACORNAC.
[1]
JEAN-VALENTIN ANDREAE
ANNÉE 1489
PREMIER JOUR
Dès que j'eus aperçu ce signe je repris confiance car ce sceau n'aurait
pas plu au diable qui certes n'en faisait pas usage. Je décachetai donc
vivement la lettre et je lus les vers suivants, écrits en lettres d'or sur champ
bleu :
[5]
Après avoir subi ces peines pendant assez longtemps, nous traitant
réciproquement d'aveugles et de prisonniers, nous entendîmes enfin sonner
de nombreuses trompettes et battre le tambour avec un tel art que nous en
fûmes apaisés et réjouis dans notre croix. Pendant que nous écoutions, le
toit de la tour fut soulevé et un peu de lumière put pénétrer jusqu'à nous.
C'est alors que l'on put nous voir tomber les uns sur les autres, car tout ce
monde remuait en désordre, de sorte que celui qui nous dominait tantôt
était maintenant sous nos pieds. Quant à moi, je ne restai pas inactif non
plus mais je me glissai parmi mes compagnons et, malgré mes liens
pesants, je grimpai sur une pierre dont j'avais réussi à m'emparer [7] mais
là aussi je fus attaqué par les autres et je les repoussai en me défendant de
mon mieux des mains et des pieds. Nous étions convaincus que nous
serions tous libérés mais il en fut autrement.
Lorsque les Seigneurs qui nous regardaient d'en haut par l'orifice de la
tour se furent égayés quelque peu de cette agitation et de ces
gémissements, un vieillard tout blanc nous ordonna de nous taire, et, dès
qu'il eut obtenu le silence, il parla, si ma mémoire est fidèle, en ces
termes :
Oh, Dieu ! que ne puis-je décrire avec plus de force l'angoisse qui
nous étreignit alors, car nous cherchions tous à nous emparer de la corde et
par cela même [8] nous nous en empêchions mutuellement. Sept minutes
s'écoulèrent, puis une clochette tinta ; à ce signal les serviteurs ramenèrent
la corde pour la première fois avec quatre des nôtres. A ce moment j'étais
bien loin de pouvoir saisir la corde, puisque, pour mon grand malheur,
j'étais monté sur une pierre contre la paroi de la tour, comme je l'ai dit ; de
cet endroit je ne pouvais saisir la corde qui descendait au milieu.
La corde nous fut tendue une seconde fois ; mais beaucoup parmi nous
avaient des chaînes trop lourdes et des mains trop délicates pour y rester
accrochés, et, en tombant ils en entraînaient beaucoup d'autres qui se
seraient peut-être maintenus. Hélas ! j'en vis qui, ne pouvant se saisir de la
corde en arrachaient d'autres, tant nous fûmes envieux dans notre grande
misère. Mais je plaignis surtout ceux qui étaient tellement lourds que leurs
mains s'arrachèrent de leurs corps sans qu'ils parvinssent à monter.
Il arriva donc qu'en cinq allées et venues, bien peu furent délivrés ; car
à l'instant même où le signal était donné, les serviteurs ramenaient la corde
avec une telle rapidité que la plupart de ceux qui l'avaient saisie tombaient
les uns sur les autres. La cinquième fois notamment la corde fut retirée à
vide de sorte que beaucoup d'entre nous, dont moi-même désespéraient de
leur délivrance ; nous implorâmes donc Dieu pour qu'il eût pitié de nous et
nous sortit de cette ténèbre puisque les circonstances étaient propices ; et
quelques-uns ont été exaucés.
Chers enfants
Qui êtes là-bas,
Voici terminé
Ce qui était prévu depuis longtemps.
Ce que la grâce de ma mère
A accordé à vos frères
Ne leur enviez point.
Des temps joyeux viendront bientôt,
Où tous seront égaux ;
Il n'y aura plus ni pauvre ni riche.
Celui à qui on a commandé beaucoup
Devra apporter beaucoup,
Celui à qui on a confié beaucoup
Devra rendre des comptes sévères.
Cessez donc vos plaintes amères ;
Qu'est-ce que quelques jours.
Dés qu'il eût achevé ce discours, la toiture fut replacée sur la tour.
Alors l'appel des trompettes et des tambours retentit de nouveau, mais leur
éclat ne parvenait pas à dominer les gémissements des prisonniers de la
tour qui s'adressaient à tous ceux qui étaient dehors ; et cela me fit venir
les larmes aux yeux.
La vieille dame prit place à côté de son fils sur le siège disposé à son
intention et fit compter les délivrés. Quand elle en eut appris le nombre et
l'eut marqué sur une tablette en or, elle demanda le nom de chacun qui fut
noté par un page. Elle nous regarda ensuite, soupira et dit à son fils (ce que
j'entendis fort bien) : "Ah ! que je plains les pauvres hommes dans la tour ;
puisse Dieu me permettre de les délivrer tous". Le fils répondit : "Mère,
Dieu [10] l'a ordonné ainsi et nous ne devons pas lui désobéir. Si nous
étions tous seigneurs et possesseurs des biens de la terre, qui donc nous
servirait quand nous sommes à table ?" A cela, sa mère ne répliqua rien.
34
Deus Lux Solis vel Laus Semper : Dieu lumière du Soleil ou A Dieu louange toujours.
quotidiennement mon cœur de sagesse et d'intelligence et de me conduire
enfin, par sa grâce, jusqu'au but désiré, malgré mon peu de mérite.
COMMENTAIRE
DEUXIÈME JOUR
A peine étais-je entré dans la forêt qu'il me sembla que le ciel entier et
tous les éléments s'étaient déjà parés pour les noces ; je crus entendre les
oiseaux chanter plus agréablement et je vis les jeunes cerfs sauter si
joyeusement qu'ils réjouirent mon cœur et l'incitèrent à chanter. Je chantai
donc à haute voix :
35
Hospes salve : si quid tibi forsitan de nuptiis Regis auditum, Verba haec perpende. Quatuor
viarum optionem per nos tibi sponsus offert, per quas omnes, modo non in devias delabaris, ad
Regiam ejus aulam pervenire possis. Prima brevis est, sed periculosa, et quae te in varios scopulos
deducet, ex quibus vix te expedire licebit. Altera longior, quae circumducet te, non abducet, plana
ea est, et facilis, si te Magnetis auxilio, heque ad dextrum, neque finistrum abduci patieris.
Tertia vere Regia est, quae per varias Regisnostri delicias et spectacula viam tibi reddet jucundam.
Sed quod vii millesimo hactenus obtigit. Per quartam nemini hominum licebit ad Regiam pervenire,
ut pote, quae consumens, et non nisi corporibus incorruptibilibus conveniens est. Elige nunc ex
tribus quam velis, et in ea constans permane. Scito autem quamcunque ingressus fueris : ab
immutabili Fato tibi ita destinatum, nec nisi cum maximo vitae periculo regredi fas esse.
Haec sunt quae te scivisse volvimus : sed heus cave ignores, quanto cum periculo te huic viae
commiseris : nam si te vel minimi delicti contra Regis nostri leges nosti obnoxium : quaeso dum
adhuc licet per eandem-viam, qua accessisti : domum te confer quant citissime.
Mais un corbeau noir, son ennemi, nous aperçut ; il s'abattit sur la
colombe pour s'emparer de sa part de nourriture, sans prêter la moindre
attention à ma présence. La colombe n'eut d'autre ressource que de fuir et
ils s'envolèrent tous deux vers le midi. J'en fus tellement irrité et affligé
que je poursuivis étourdiment le corbeau insolent et je parcourus ainsi,
sans y prendre garde, presque la longueur d'un champ dans cette direction ;
je chassai le corbeau et je délivrai la colombe.
Je m'en approchai, dis-je, avec la plus grande hâte et quand j'y parvins
les dernières lueurs du crépuscule me permirent encore d'en distinguer
l'ensemble.
36
Procul hinc, procul ite prophani
37
Sanctitate constantia, Sponsus Charus, Spes Charitas : Constance par la sainteté ; Fiancé par
amour ; Espoir par la charité.
Enfin l'entretien prit fin et après avoir reçu les instructions utiles je
pris congé du premier gardien. Tout en cheminant je fus pris du désir de
savoir ce que contenait la lettre ; mais comme je ne pouvais croire à une
mauvaise intention du gardien je résistai à la tentation.
[20]
Un lion féroce, enchaîné sous cette porte, se dressa dès qu'il m'aperçut
et tenta de bondir sur moi en rugissant ; il réveilla ainsi le second gardien
qui était couché sur une dalle en marbre ; celui-ci me pria d'approcher sans
crainte. Il chassa le lion, prit la lettre que je lui tendis en tremblant et me
dit en s'inclinant profondément : "Bienvenu en Dieu soit l'homme que je
désirais voir depuis longtemps" : Ensuite il me présenta un insigne et me
demanda si je pouvais l'échanger. Comme je ne possédais plus rien que
mon sel, je lui offris et il accepta en me remerciant. Cet insigne ne portait
encore que deux lettres : S. M. 39
38
Date et dabitur vobis.
39
Studio merentis ; Sal memor ; Sponso mittendus ; Sal mineralis ; Sal menstrualis : Désir de
mériter ; Sel du souvenir ; Produit par le fiancé ; Sel minéral ; Sel des menstrues.
qui appelaient à ce moment au dehors, ne pûmes obtenir du gardien de la
porte qu'il l'ouvrît de nouveau ; il prétendit avoir remis les clefs à la vierge,
qui les aurait emportées dans la cour.
En passant sous la porte il m'avait fallu dire mon nom, qui fut inscrit
le dernier sur le parchemin destiné au futur époux. Alors seulement le
véritable insigne de convive me fut donné ; il était un peu plus petit que les
autres mais beaucoup plus pesant. Les trois lettres suivantes y étaient
gravées : S. P. N.42 ; ensuite on me chaussa d'une paire de souliers neufs,
car le sol entier du château était dallé de marbre clair. Comme il m'était
loisible de donner mes vieux souliers à l'un des pauvres qui s'asseyaient
fréquemment mais très décemment sous la porte, j'en fis présent à un
vieillard.
40
Congratulor
41
Condoleo.
42
Salus per naturam ; Sponsi præsentandus nuptiis : Santé par la nature ; offert aux noces du
fiancé.
tout en restant invisible, me coupa adroitement les cheveux sur le sommet
de la tête ; il respecta cependant mes longs cheveux blanchis par l'âge sur
mon front et sur mes tempes.
Lorsque ces gens-là furent rassasiés et que le vin leur eût ôté la honte
du cœur, ils se vantèrent tous et prônèrent leur puissance. L'un paria
d'essayer ceci, l'autre cela, et les plus sots crièrent les plus fort ; maintenant
encore je ne puis m'empêcher de m'irriter, quand je me rappelle les actes
surnaturels et impossibles que j'ai entendu raconter. Pour finir ils
changèrent de place ; çà et là un courtisan se glissa entre deux seigneurs, et
alors ceux-ci projetaient des actions d'éclat telles que la force de Samson
ou d'Hercule n'eût pas suffi pour les accomplir. Tel voulait délivrer Atlas
de son fardeau, tel autre parlait de retirer le Cerbère tricéphale des enfers ;
bref chacun divaguait à sa manière. La folie des grands seigneurs était telle
qu'ils finissaient par croire à leurs propres mensonges et l'audace des
méchants ne connut plus de bornes, de sorte qu'ils ne tinrent aucun compte
des coups qu'ils reçurent sur les doigts comme avertissement. Enfin,
comme l'un d'eux se vanta de s'être emparé d'une chaîne d'or, les autres
continuèrent tous dans ce sens. J'en vis un qui prétendait entendre bruisser
les cieux ; un autre pouvait voir les Idées Platoniciennes ; un troisième
voulait [24] compter les Atomes de Démocrite et bien d'autres
connaissaient le mouvement perpétuel.
A mon avis, plusieurs avaient une bonne intelligence, mais, pour leur
malheur, ils avaient trop bonne opinion d'eux-mêmes. Pour finir, il y en
avait un qui voulait tout simplement nous persuader qu'il voyait les valets
qui nous servaient, et il aurait discuté longtemps encore, si l'un de ces
serveurs invisibles ne lui avait appliqué un soufflet sur sa bouche
menteuse, de sorte que, non seulement lui, mais encore bon nombre de ses
voisins, devinrent muets comme des souris.
Comme j'ignorais qu'il y eût encore une porte par laquelle nous
devions passer, je m'imaginais que je resterais ainsi en butte aux railleries
et au mépris pendant toute la durée des noces ; je ne pensais cependant pas
avoir tellement démérité du fiancé ou de la fiancée et j'estimais qu'ils
auraient pu trouver quelqu'un d'autre pour tenir l'emploi de bouffon à leurs
noces. Hélas ! c'est à ce manque de résignation que l'inégalité du monde
pousse les cœurs simples ; et, c'est précisément cette impatience que mon
rêve m'avait montrée, sous le symbole de la claudication.
Elle s'inclina devant nous et après avoir reçu nos hommages, elle
commença d'une voix adorable le discours suivant :
Une heure passa sans que notre lumière nous quittât ; alors l'un des,
pages déjà nommés arriva, chargé de gros paquets de cordes et nous
demanda d'abord si nous étions décidés à rester là. Comme nous
répondîmes affirmativement en soupirant, il conduisit chacun de nous à un
endroit désigné, nous lia puis se retira avec notre petite lumière, nous
laissant, pauvres abandonnés, dans la nuit profonde. C'est à ce moment
surtout que l'angoisse étreignit [29] plusieurs d'entre nous ; moi-même je
ne pus empêcher mes larmes de couler. Accablés de douleur et d'affliction
nous gardâmes un profond silence quoique personne ne nous eût défendu
de converser. Par surcroît, les cordes étaient tressées avec un tel art que
personne ne put les couper et moins encore les dénouer et les retirer de ses
pieds. Je me consolais néanmoins en pensant qu'une juste rétribution et une
grande honte attendaient beaucoup de ceux qui goûtaient le repos tandis
qu'il nous était permis d'expier notre témérité en une seule nuit.
COMMENTAIRE
"Que celui qui veut devenir savant voyage vers le Midi, que celui qui
veut devenir riche voyage vers le Septentrion". (Babha Bathra, Fol. 5, Col.
2). Le mythe de la blanche colombe se retrouve en maints auteurs et on ne
peut s'empêcher de songer à un passage de L'Arcanum Hermeticae
Philosophiae Opus où D'Espagnet, employant la même allégorie, dit que
l'entrée du Jardin des Hespérides est gardée par des bêtes féroces qu'on ne
peut adoucir qu'avec les attributs de Diane et les colombes de Vénus.
Philalèthe, dans son traité : Introïtus apertus ad occlusum Regis palatium,
fait de fréquentes allusions à ces colombes, et ce sont encore ces gracieux
oiseaux, que le doux Virgile nous décrit volants vers Enée, puis vers l'arbre
double où il cueillera le rameau d'or qui doit lui permettre l'accès des
Enfers [32] et qu'il rapporte à l'antre de la Sybille. Rappelons à ce propos
que les enfers et tout l'Empire souterrain est soumis à Pluton qui est aussi
le Dieu des Richesses.
43
Jean DÉE. La Monade Hiéroglyphique. Traduite du latin pour la première fois par GRILLOT DE
GIVRY. Paris, 1925, in-8.
P. N. Là encore, de multiples interprétations sont possibles, je n'en
retiendrai que Sal Pater Naturæ qui s'apparente ainsi aux multiples
hypothèses et théories plaçant la Mer salée à l'origine de toutes choses.
Dès ce moment notre héros prend contact avec les êtres invisibles des
plans supérieurs. Ils ne sont pas encore perceptibles à sa vue, cependant on
le chausse de souliers neufs, et on le tonsure. Ce rite [34] rappelle celui de
l'Eglise catholique par lequel l'Evêque introduit un laïc dans l'état
ecclésiastique et lui donne le premier degré de la cléricature en lui coupant
en croix quatre mèches de cheveux sur le sommet de la tête. Il le revêt
ensuite du surplis, symbole de l'homme nouveau, créé pur et sain. Ici se
place au sens alchimique une première purification de la matière première,
qu'il faut bien se garder de confondre avec la première matière ; l'une sert à
préparer l'autre par une sorte de putréfaction ainsi qu'opère la Nature.
Ce n'est pas en effet parmi les pierres les plus précieuses ou les plus
rares que l'artiste fait son choix non plus que parmi les plus parfaites,
puisque la pierre symbolisée par notre héros reconnaît bénévolement son
imperfection ; il est encore sujet à l'envie et à la colère puisqu'il voit avec
amertume combler d'honneur les gens insolents et légers. Au cours du
concert qui suit le dîner, et dont l'Harmonie tient sous le charme Chr.
Rosencreutz, apparaît une Vierge que nous avons déjà vue au Premier jour
à l'heure du crépuscule allumant puis éteignant les lumières. Cette fois sa
tunique est blanche comme la neige et d'un tel éclat que la vue le peut à
peine soutenir. Nous retrouvons là un procédé fréquemment employé par
les auteurs de textes hermétiques où les qualités et perfections progressives
de la matière passent sans cesse d'un héros à l'autre de la fiction pour
mieux désemparer le lecteur qui se croit sur le chemin d'un grand arcane.
TROISIÈME JOUR
Sur ce, elle fit délier nos cordes, puis elle ordonna de nous attacher
deux par deux et de nous conduire à l'emplacement qui nous était réservé
d'où nous pourrions facilement voir la balance ; puis elle ajouta : "Il se
pourrait que le sort de ceux-ci fût préférable à celui de plusieurs des
audacieux qui sont encore libres".
Cependant la balance, tout en or, fut suspendue au centre de la salle ; à
côté d'elle on disposa une petite table portant sept poids. Le premier était
assez gros ; sur ce poids on en avait posé quatre plus petits ; enfin deux
gros poids étaient placés à part. Relativement à leur volume, les poids
étaient si lourds qu'aucun esprit humain ne pourrait le croire ou le
comprendre.
Puis la vierge se tourna vers les hommes armés, dont chacun portait
une corde à côté de son épée et les divisa en sept sections conformément
au nombre des poids ; elle choisit un homme dans chaque section pour
poser les poids sur la balance, puis elle retourna à son trône surélevé.
Dès que la vierge eut achevé, l'un des pages invita ceux qui devaient
tenter l'épreuve à se placer suivant leur rang et à monter l'un après l'autre
sur le plateau de la balance. Aussitôt l'un des empereurs vêtu d'un habit
luxueux, se décida ; il s'inclina d'abord devant la vierge et monta. Alors
chaque préposé posa son poids dans l'autre plateau et l'empereur résista à
l'étonnement de tous. Toutefois le dernier poids fut trop lourd pour lui et le
souleva, ce qui l'affligea au point que la vierge même parut en avoir pitié ;
aussi fit-elle signe aux siens de se taire. Puis le bon empereur fut lié et
remis à la sixième section.
Quand tous eurent passé par cette épreuve, sauf nous, pauvres chiens
enchaînés deux par deux, un capitaine s'avança et dit ; "Madame, s'il
plaisait à votre Honneur, on pourrait peser ces pauvres gens qui avouent
leur inaptitude, sans risque pour eux, mais pour notre plaisir seulement ;
peut-être trouverait-on quelque juste parmi eux".
"C'est lui".
La première opinion émise fut de les punir tous de mort, les uns plus
durement que les autres, attendu qu'ils avaient eu l'audace de se présenter
malgré qu'ils connussent les conditions requises, clairement énoncées.
Puis, des mains du second page, elle prit le parchemin ; il était divisé
en deux parties. S'adressant alors au premier groupe de prisonniers, la
vierge lut à peu près ce qui suit : Les prisonniers devaient confesser qu'ils
avaient ajouté foi trop aisément aux enseignements mensongers des faux
livres, qu'ils s'étaient cru beaucoup trop méritants ; de sorte, qu'ils avaient
osé se présenter dans ce palais où ils n'avaient jamais été conviés ; que,
peut-être, la plupart comptaient y trouver de quoi vivre ensuite avec plus
de pompe et d'ostentation ; en outre, qu'ils s'étaient excités mutuellement
pour s'enfoncer dans cette honte et qu'ils méritaient une punition sévère
pour tout cela.
Mais on leur répondit que Sa Majesté Royale était décidée à les punir
tous ; toutefois avec plus ou moins de sévérité ; car les raisons qu'ils
invoquaient étaient en effet véridiques en partie, c'est pourquoi les
seigneurs ne resteraient point sans punition. Mais ceux qui, de leur propre
[45] initiative, avaient proposé leurs services, et ceux qui avaient
circonvenu et entraîné des ignorants malgré leur volonté, devaient se
préparer à mourir. Le même sort serait réservé à ceux qui avaient lésé Sa
Majesté Royale par leurs mensonges, ce dont ils pouvaient se convaincre
eux-mêmes par leurs écrits et leurs livres.
Dès qu'ils furent sortis, la vierge descendit de son trône et nous invita
à nous asseoir sur les marches afin de paraître au jugement. Nous obéîmes
sans tarder en abandonnant tout sur la table, hormis la coupe que la vierge
confia à un page. Alors le trône se souleva tout entier et s'avança avec une
telle douceur qu'il nous sembla planer dans l'air ; nous arrivâmes ainsi dans
le jardin et nous nous levâmes.
Lorsque nous fûmes près de cet édifice, la vierge s'inclina très bas ;
nous en fûmes très impressionnés, car cela signifiait clairement que le Roi
et la Reine n'étaient pas loin. Nous saluâmes donc également. Puis la
vierge nous conduisit par l'escalier au second gradin, où elle prit la
première place, les autres conservant leur ordre.
Sa Majesté Royale, Mon Seigneur, aurait désiré de tout son cœur que
tous ici présents eussent parus seulement sur Son invitation, pourvus de
qualités suffisantes, pour assister en grand nombre, en Son honneur, à la
fête nuptiale. Mais, comme Dieu tout-puissant en avait disposé autrement,
Sa Majesté ne devait pas murmurer, mais continuer à se conformer aux
usages antiques et louables de ce royaume, quelque fussent les désirs de Sa
Majesté. Mais, afin que Sa clémence naturelle soit célébrée dans le monde
entier, Elle est parvenue, avec l'aide de Ses conseillers et des représentants
du royaume, à mitiger sensiblement la sentence habituelle. Ainsi, Elle
voulait, premièrement, que les seigneurs et gouvernants n'eussent [47] pas
seulement la vie sauve, mais même que la liberté leur fut rendue. Sa
Majesté leur transmettait Sa prière amicale de se résigner sans aucune
colère à ne pouvoir assister à la fête en Son honneur, de réfléchir que Dieu
tout puissant leur avait déjà confié sans cela une charge qu'ils étaient
incapables de porter avec calme et soumission et que, d'ailleurs, le Tout-
puissant partageait ses biens suivant une loi incompréhensible. De même,
leur réputation ne serait pas atteinte par le fait d'avoir été exclus de notre
Ordre, car il n'est pas donné à tous d'accomplir toutes choses. D'ailleurs les
courtisans pervers qui les avaient trompés ne resteraient pas impunis. En
outre, Sa Majesté était désireuse de leur communiquer sous peu un
Catalogue des Hérétiques et un Index expurgatorium, afin qu'ils pussent
discerner dorénavant le bien du mal avec plus de facilités. De plus, comme
Sa Majesté avait l'intention d'opérer un classement dans leur bibliothèque
et de sacrifier à Vulcain les écrits trompeurs, Elle les priait de lui prêter
leur aide amicale à cet effet. Sa Majesté leur recommandait également de
gouverner leurs sujets de manière à réprimer tout mal et toute impureté.
Elle les exhortait de même à résister au désir de revenir inconsidérément,
afin que l'excuse d'avoir été dupés ne fut reconnue comme mensongère et
qu'ils ne fussent en buttes à la risée et au mépris de tous. Enfin, si les
soldats leur demandaient une rançon, Sa Majesté espérait que personne ne
songerait à s'en plaindre et ne refuserait de se racheter, soit avec une
chaîne, soit avec tout autre objet qu'il aurait sous la main ; puis il leur
serait loisible de prendre congé de nous, amicalement, et de s'en retourner
vers les leurs, accompagnés de nos vœux.
Les seconds qui n'avaient pu résister aux poids, un, trois et quatre, n'en
seraient pas quittes à si bon compte, mais afin que la clémence de Sa
Majesté leur fut sensible également, leur punition serait d'être dévêtus
entièrement et renvoyés ensuite. [48]
Ceux qui avaient été plus légers que les poids deux et cinq, seraient
dévêtus et marqués d'un, de deux ou de plusieurs stigmates suivant qu'ils
avaient été plus ou moins lourds.
Ceux qui avaient été soulevés par les poids six et sept et non par les
autres, seraient traités avec moins de rigueur.
Les modestes, qui hier avaient renoncé à l'épreuve de leur plein gré
seraient délivrés sans aucune punition.
Alors notre vierge rompit le bâton ; puis la seconde vierge, celle qui
avait lu la sentence, sonna de sa trompette et, s'approchant du rideau blanc,
fit une profonde révérence.
Et c'est ainsi que j'ai pu les compter et les noter soigneusement sur ma
tablette tandis qu'ils se présentaient un à un. Or, chose étrange, tous ceux
qui avaient pesé quelque chose étaient dans des conditions différentes.[49]
Ainsi ceux qui pesaient trois poids étaient bien au nombre de trente-cinq,
mais l'un avait pesé 1, 2, 3, l'autre 3, 4, 5, le troisième 5, 6, 7 et ainsi de
suite ; de sorte que par le plus grand miracle il n'y avait pas deux
semblables parmi les cent vingt-six qui avaient pesé quelque chose ; et je
les nommerai bien tous, chacun avec ses poids si cela ne m'était défendu
pour l'instant. Mais j'espère que ce secret sera révélé dans l'avenir avec son
interprétation.
Ils furent suivis par ceux qui s'étaient rétractés avant l'épreuve ; on
laissa passer ces derniers sans encombre, à cause de leur franchise et de
leur honnêteté ; mais on leur ordonna de ne jamais revenir dans d'aussi
déplorables conditions. Toutefois si une révélation plus profonde les y
invitait, ils seraient, comme les autres, des convives bienvenus.
Après ces événements il se fit un silence qui dura cinq minutes. Alors
une belle licorne, blanche comme la neige, portant un collier en or signé de
quelques caractères, s'approcha de la fontaine, et, ployant ses jambes de
devant, s'agenouilla comme si elle voulait honorer le lion qui se tenait
debout sur la fontaine. Ce lion, qui en raison de son immobilité complète
m'avait semblé en pierre ou en airain, saisit aussitôt une épée nue qu'il
tenait sous ses griffes et la brisa au milieu ; je crois que les deux fragments
tombèrent dans la fontaine. Puis il ne cessa de rugir jusqu'à ce qu'une
colombe blanche, tenant un rameau d'olivier dans son bec, volât vers lui à
tire d'ailes ; elle donna ce rameau au lion qui l'avala, ce qui lui rendit de
nouveau le calme. Alors, en quelques bonds joyeux, la licorne revint à sa
place.
Dès qu'elle nous eût quittés, chacun de nous chercha à s'occuper selon
ses goûts. Les uns contemplèrent les belles inscriptions, les copièrent, et
méditèrent sur la signification des caractères étranges ; d'autres se
réconfortèrent en buvant et en mangeant. Quant à moi, je me fis conduire
par mon page par-ci, par-là, dans le château et je me réjouirai toute ma vie
d'avoir fait cette promenade. Car, sans parler de maintes antiquités
admirables, on me montra les caveaux des rois, auprès desquels j'ai appris
plus que ce qu'enseignent tous les livres. C'est là que se trouve le
merveilleux phénix, sur lequel j'ai fait paraître un petit traité il y a deux
ans. J'ai l'intention de continuer à publier des traités spéciaux conçus sur le
même plan et comportant le même développement, sur le lion, l'aigle, le
griffon, le faucon et autres sujets.
Quand nous eûmes terminé cette visite, sur le seuil même de la porte,
un autre page arriva en courant ; il dit quelques mots tout bas à l'oreille de
notre page, prit les clefs qu'il lui tendait et disparut par l'escalier. Voyant
que notre page avait affreusement pâli, nous l'interrogeâmes et, comme
nous insistâmes, il nous informa que Sa Majesté défendait que quiconque
visitât ni la bibliothèque ni les tombeaux et il nous supplia de garder cette
[53] visite absolument secrète, afin de lui sauver la vie parce qu'il avait
déjà nié notre passage dans ces endroits. A ces mots nous fûmes saisis de
frayeur et aussi de joie ; mais le secret en fut gardé strictement ; personne
d'ailleurs ne s'en soucia, quoique nous eussions passé trois heures dans les
deux salles.
Enfin je parvins à une salle spacieuse qui avait déjà été visitée par les
autres ; elle renfermait un Globe terrestre dont le diamètre mesurait trente
pieds. Presque la moitié de cette sphère était sous le sol à l'exception d'une
petite bande entourée de marches. Ce Globe était mobile et deux hommes
le tournaient aisément de telle manière que l'on ne pouvait jamais
apercevoir que ce qui était au-dessus de l'Horizon. Quoique j'eusse deviné
qu'il devait être affecté à un usage particulier, je n'arrivais cependant pas à
comprendre la signification de certains petits anneaux en or qui y étaient
fixés çà et là. Cela fit sourire mon page, qui m'invita à les regarder plus
attentivement. A la fin, je découvris que ma patrie était marquée d'un
anneau d'or ; alors mon compagnon y chercha la sienne et trouva une
marque semblable, et, comme cette constatation se vérifia encore pour
d'autres qui avaient réussi [54] dans l'épreuve, le page nous donna
l'explication suivante qu'il nous certifia être véridique.
Cette question que la vierge nous posa par modestie, piqua notre
curiosité, et chacun aurait bien voulu en trouver la solution. Mais tous les
regards se dirigèrent vers moi, et l'on me pria d'émettre mon avis le
premier ; j'en fus tellement troublé que je ne pus répondre qu'en posant le
même problème d'une manière différente et je dis :
"Madame, une seule difficulté s'oppose à la solution de la
question qui serait facile à résoudre sans cela. J'avais
deux compagnons qui m'étaient profondément attachés ;
mais comme ils ignoraient auquel des deux j'accordais
ma préférence, ils décidèrent de courir aussitôt vers moi,
dans la conviction que celui que j'accueillirais le premier
avait ma prédilection. Cependant, comme l'un d'eux ne
pouvait suivre l'autre, il resta en arrière et pleura ; je
reçus l'autre avec étonnement. Quand ils m'eurent
expliqué le but de leur course, je ne pus me déterminer à
donner une solution à leur question et je dus remettre ma
décision, jusqu'à ce que je fusse éclairé sur mes propres
sentiments".
Puis elle demanda l'avis des autres. Mon récit les avait déjà éclairés ;
celui qui me succéda parla donc ainsi :
"Dans ma ville une vierge fut condamnée à mort
dernièrement ; mais comme son juge en eut pitié, il fit
proclamer que celui qui voudrait entrer en lice pour elle,
afin de prouver son innocence par un combat serait
admis à faire cette preuve. Or elle avait deux galants,
dont l'un s'arma aussitôt et se présenta dans le champ
clos pour y attendre un adversaire. Bientôt après, l'autre y
pénétra également ; mais comme il était arrivé trop tard,
il prit le parti de combattre, et de se laisser vaincre, afin
que la vierge eût la vie sauve. Lorsque le combat fut
terminé, ils réclamèrent la vierge tous les deux. Et dites-
moi maintenant, messeigneurs, à qui la donnez-vous ?"
[57]
Le septième répondit :
"Lorsqu'on a le choix c'est encore acceptable ; mais il en
était autrement dans mon cas. Dans ma jeunesse, j'aimais
une belle et honnête jeune fille du fond de mon cœur et
elle me rendait mon amour ; cependant nous ne pouvions
nous unir à cause d'obstacles élevés par ses amis. Elle fut
donc donnée en mariage à un autre jeune homme, qui
était également droit et honnête. Il l'entoura d'affection
jusqu'à ce qu'elle fit ses couches ; mais alors elle tomba
dans un évanouissement si profond que tout le [59]
monde la crut morte ; et on l'enterra au milieu d'une
grande affliction. Je pensai alors, qu'après sa mort je
pouvais embrasser cette femme qui n'avait pu être
mienne durant sa vie. Je la déterrai donc à la tombée de
la nuit, avec l'aide de mon serviteur. Or, quand j'eus
ouvert le cercueil et que je l'eusse serrée dans mes bras,
je m'aperçus que son cœur battait encore, d'abord
faiblement puis de plus en plus fort au fur et à mesure
que je la réchauffais. Lorsque j'eus la certitude qu'elle
vivait encore, je la portai subrepticement chez moi ; je
ranimai son corps par un précieux bain d'herbes et je la
remis aux soins de ma mère. Elle mit au monde un beau
garçon,... que je fis soigner avec autant de conscience
que la mère. Deux jours après je lui racontai, à son grand
étonnement, ce qui avait eu lieu et je la priai de rester
dorénavant chez moi comme mon épouse. Elle en eut un
grand chagrin, disant que son époux, qui l'avait toujours
aimée fidèlement, en serait très affligé, mais que par ces
événements, l'amour la donnait autant à l'un qu'à l'autre.
Rentrant d'un voyage de deux jours, j'invitai son époux et
je lui demandai incidemment s'il ferait de nouveau bon
accueil à son épouse défunte si elle revenait. Quand il
m'eut répondu affirmativement en pleurant amèrement, je
lui amenai enfin sa femme et son fils ; Je lui contai tout
ce qui s'était passé et je la priai de ratifier par son
consentement mon union avec elle. Après une longue
dispute, il dut renoncer à contester mes droits sur la
femme ; nous nous querellâmes ensuite pour le fils".
Les énigmes proposées ensuite par les autres furent un peu plus
embrouillées de sorte que je ne pus les retenir toutes ; cependant je me
souviens encore de l'histoire suivante racontée par l'un de mes
compagnons : Quelques années auparavant un médecin lui avait acheté du
bois dont il s'était chauffé pendant tout l'hiver ; mais quand le printemps
était revenu il lui avait revendu ce même bois de sorte qu'il en avait usé
sans faire la moindre dépense.
"Cela s'est fait par acte, sans doute ?" dit la vierge, "mais
l'heure passe et nous voici arrivés à la fin du repas". –
"En effet" répondit mon compagnon ; "Que celui qui ne
trouve pas la solution de ces énigmes la fasse demander à
chacun ; je ne pense pas qu'on la lui refusera".
Ensuite nous vîmes deux autres vierges parées plus richement ; elles
nous saluèrent. La première portait une robe toute bleue semée d'étoiles
d'or ; la seconde était vêtue de vert avec des raies rouges et blanches ;
toutes deux avaient dans leurs cheveux des rubans flottants qui leur
seyaient admirablement.
Mais voici, toute seule, la septième vierge ; elle portait une petite
couronne et, néanmoins ses regards allaient [62] plus souvent vers le ciel
que vers la terre. Nous crûmes qu'elle était la fiancée ; en cela nous étions
loin de la vérité ; cependant elle était plus noble que la fiancée par les
honneurs, la richesse et le rang. Ce fut elle qui, maintes fois, régla le cours
entier des noces. Nous imitâmes notre vierge et nous nous prosternâmes au
pied de cette reine malgré qu'elle se montrât très humble et pieuse, Elle
tendit la main à chacun de nous tout en nous disant de ne point trop nous
étonner de cette faveur car ce n'était là qu'un de ses moindres dons. Elle
nous exhorta à lever nos yeux vers notre Créateur, à reconnaître sa toute
puissance en tout ceci, à persévérer dans la voie où nous nous étions
engagés et à employer ces dons à la gloire de Dieu et pour le bien des
hommes. Ces paroles, si différentes de celles de notre vierge, encore un
peu plus mondaine, m'allaient droit au cœur. Puis s'adressant à moi :
"Toi," dit-elle, "tu as reçu plus que les autres, tâche donc
de donner plus également".
Cependant les poids dont nous parlions plus haut étaient encore à leur
place ; la reine – j'ignore qui elle était – invita chaque vierge à prendre l'un
des poids, puis elle donna le sien qui était le dernier et le plus lourd à notre
vierge et nous ordonna de nous mettre à leur suite. C'est ainsi que notre
gloire majestueuse se trouva un peu rabaissée ; car je m'aperçus facilement
que notre vierge n'avait été que trop bonne pour nous et que nous
n'inspirions point une si haute estime, que nous commencions presque à
nous l'imaginer.
Nous suivîmes donc en ordre et l'on nous conduisit dans une première
salle. Là, notre vierge suspendit le poids de la reine le premier ; tandis
qu'on chanta un beau cantique. Dans cette salle, il n'y avait de précieux que
quelques beaux livres de prières qu'il nous était impossible [63] d'atteindre.
Au milieu de la salle se trouvait un prie dieu ; la reine s'y agenouilla et
nous nous prosternâmes tous autour d'elle et répétâmes la prière que la
vierge lisait dans l'un des livres ; nous demandâmes avec ferveur que ces
noces s'accomplissent à la gloire de Dieu et pour notre bien.
Nos pages, qui avaient reçu des ordres, nous conduisirent dans nos
chambres respectives, et afin que nous puissions nous faire servir en cas de
besoin, notre page reposait dans un second lit installé dans la même
chambre. Je ne sais comment étaient les chambres de mes compagnons,
mais la mienne était meublée royalement et garnie de tapis et de tableaux
merveilleux. Cependant je préférais à tout cela la compagnie de mon page
qui était si éloquent et si versé dans les arts que je pris plaisir à l'écouter
pendant une heure encore, de sorte que je ne m'endormis que vers trois
heures et demie.
COMMENTAIRE
Lorsque la balance d'or est en place, on dispose une petite table dans
son voisinage. Celle-ci porte sept poids pour peser les mérites des
candidats. Le nombre de ces poids peut s'entendre de maintes façons. S'il
rappelle le nombre des jours consacrés aux Noces Chymiques ainsi que les
sept étages de la Tour où s'accomplit l'Œuvre de résurrection du Roi et de
la Reine, on peut aussi attribuer à chacun des poids un des sept péchés
capitaux pour mesurer la vertu de chaque aspirant. Il serait puéril
d'évoquer ici les sept couleurs du spectre solaire, les sept notes de la
gamme, les sept planètes auxquelles les sept jours de la semaine
(septimania) empruntent leur nom. Ce nombre, que Pythagore appelait
vierge, est l'expression du temps critique, correspondant aux périodes de
développement. Le symbolisme des sept jours de la Genèse, du Sepher
Ietzirah, est extrêmement remarquable. Dieu, étant parfait par essence du
seul fait qu'il est Dieu, ne peut accomplir que des choses parfaites, pleines
de rythmes et d'harmonie, pour ceux qui en jouissent. N'y a-t-il point une
perfection manifeste dans le rapport entre le rayon du cercle et le côté de
l'hexagone qu'on lui inscrit ? Le centre du cercle est le point de parfait
équilibre où Il existe en puissance. Il se manifesta six fois, à intervalles
égaux, du centre à la circonférence et ce furent les six jours de la Création.
Voyant que l'Œuvre était parfaite, Il se replia sur [65] lui-même et au
septième jour, jour du repos, la Puissance créatrice a rejoint le centre du
cercle sur lequel s'était exercée son action. Cette digression nous éloigne
du sujet et, sans espoir de ménager une transition habile, j'insiste encore
sur le sens occulte du mot ( שבעScheba) qui dans la langue hébraïque
signifie sept et en même temps, "faire serment". Il est aisé d'en dégager le
double sens, car d'une part l'adepte sera admis après serment aux
cérémonies qui suivent, mais en hébreu םשהou shabbath signifie aussi "le
repos de Dieu".
Passons sur le procès des prisonniers qui avaient écrit des fourberies et
trompé leur prochain. Nous n'en devons retenir que la Science hermétique
n'a point besoin de Livres pour être enseignée et que la Connaissance vient
toujours à celui qui la désire comme le fer vient à l'aimant. Quelques pages
plus loin, Sa Majesté leur promet un catalogue des hérétiques et un Index
Expurgatorium. Il faut en effet que les Puissants mettent les faibles en
garde contre la littérature spéciale, qui puise ses moyens dans la
compilation de mauvais auteurs, la fourberie et l'exploitation de la
crédulité, en un mot, contre les cacochymistes. Le passage où sont détaillés
les poids des 126 prisonniers représentant neuf fois deux séries mérite que
l'étudiant réfléchisse. Leur dénombrement donne la suite des nombres : 7-
21-35-35-21-7-1 ; soit 7 × 1, 7 × 3, 7 × 5. Que celui qui veut comprendre
cherche, et réfléchisse à ce que nous avons dit plus loin.
Les différentes peines appliquées aux imposeurs n'ont à nos yeux
qu'une importance très secondaire, mais il n'en est pas de même des [66]
épisodes suivants, notamment de la scène entre le Lion et la Licorne, celle
du globe terrestre du vieil Atlas, des sept propositions énigmatiques, et le
nom de la vierge, qui guide les convives. La Licorne, symbole de pureté ne
pouvait, selon la tradition du Moyen Age, ne se soumettre qu'à une Vierge
et sa corne était noire, blanche, et rouge, trois couleurs traditionnelles de
l'Œuvre. Le Lion qu'elle honore en s'agenouillant est la matière vierge et
l'épée nue qu'il brise en deux fragments évoque le glaive de Mars ou
d'Arès. Ces fragments tombent dans la fontaine et une colombe blanche
calme le Lion en lui apportant un rameau d'olivier. Tout le grand Œuvre
est inclus dans cette courte allégorie. Ceux qui déjà en ont pénétré les
arcanes me comprennent. Il m'est défendu de parler pour les autres, mais je
ne doute point que par le travail ils n'arrivent à la Connaissance, je ne puis
qu'éclairer la route et non les prendre par la main. Pour satisfaire toutefois,
la curiosité des inquisiteurs de Science, je dirai que le globe du Vieil Atlas
et les anneaux d'or marquant la patrie des élus n'était rien moins qu'une
admirable carte minéralogique. Voici pourquoi l'Auteur écrit "Que le
Lecteur tâche cependant de trouver pourquoi toutes les villes ne possèdent
pas un philosophe !" On ne peut, évidemment, trouver partout la matière
première.
QUATRIÈME JOUR
PRINCE HERMÈS,
APRES TOUT LE DOMMAGE
FAIT AU GENRE HUMAIN,
RÉSOLU PAR DIEU :
PAR LE SECOURS DE L'ART,
JE SUIS DEVENU REMÈDE SALUBRE ;
JE COULE ICI.
Boive qui peut de mes eaux ; s'en lave qui veut ;
les trouble qui l'ose.
BUVEZ, FRÈRES, ET VIVEZ 44.
Après nous être lavés d'abord à cette fontaine, nous bûmes dans une
coupe tout en or. Puis nous retournâmes avec la vierge dans la salle pour y
revêtir des habits neufs. Ces habits avaient des parements dorés et brodés
de fleurs ; en outre chacun reçut une deuxième Toison d'or garnie de
brillants, et de toutes ces Toisons se dégageaient des influences selon leur
puissance opérante particulière. Une lourde médaille en or y était fixée ;
sur la face on voyait le soleil et la lune face à face ; le revers portait ces
mots : Le rayonnement de la Lune égalera le rayonnement du Soleil ; et le
rayonnement du Soleil deviendra sept fois plus éclatant. Nos anciens
ornements furent déposés dans des cassettes et confiés à la garde [70] de
l'un des serviteurs. Puis notre vierge nous fit sortir dans l'ordre.
La vierge nous fit entrer avec les musiciens et monter trois cent
soixante-cinq marches. Dans cet escalier de précieux travaux artistiques
étaient réunis ; plus nous montions, plus les décorations étaient
admirables ; nous atteignîmes enfin une salle voûtée embellie de fresques.
44
Hermes Princeps, post tot illata generi humano damna, Dei consilio ; Artisque adminiculo,
medecina salubris factus ; heic fluo. Bibat ex me qui potest. ; lavet qui vult ; bibite Fratres, et
vivite.
Alors, au son d'une petite clochette, une belle vierge parut et donna
une couronne de laurier à chacun de nous ; mais à notre vierge elle en
remit une branche. Puis un rideau se souleva et j'aperçus le Roi et la Reine.
La salle était rectangulaire à l'avant, cinq fois aussi large que longue,
mais, au bout, elle prenait la forme d'un hémicycle, complétant ainsi, en
plan, l'image d'un porche ; dans l'hémicycle, on avait disposé suivant la
circonférence du cercle trois admirables sièges royaux ; celui du milieu
était un peu surélevé.
Le premier siège était occupé par un vieux roi à barbe grise, dont
l'épouse était par contre très jeune et admirablement belle.
Un roi noir, dans la force de l'âge, était assis sur le troisième siège ; à
son côté on voyait une vieille petite mère, non couronnée, mais voilée.
Quand nous fûmes de retour dans notre salle, l'une des vierges
s'exclama :
"Ma sœur, je suis étonnée que tu aies osé te mêler à tant
de monde".
"Chère sœur", répondit notre présidente, "celui-ci m'a
fait plus de peur qu'aucun autre".
Mais bientôt notre présidente revint et nous annonça que les artistes et
les étudiants s'étaient mis à la disposition de Sa Majesté Royale pour
donner, avant Son départ, une comédie joyeuse en Son honneur et pour
Son plaisir ; [76] il serait agréable à Sa Majesté Royale et Elle nous serait
gracieusement reconnaissante si nous voulions bien assister à la
représentation et accompagner Sa Majesté à la Maison Solaire. En
remerciant très respectueusement pour l'honneur qu'on nous faisait, nous
offrîmes bien humblement nos faibles services, non seulement dans le cas
présent mais en toutes circonstances. La vierge se chargea de cette réponse
et revint bientôt avec l'ordre de nous ranger sur le passage de Sa Majesté
Royale. On nous y conduisit bientôt et nous n'attendîmes pas la procession
royale car elle y était déjà ; les musiciens ne l'accompagnaient pas.
PREMIER ACTE
Or, le roi avait fait le projet d'unir son fils à la fille de sa cousine ; il
jure donc une inimitié éternelle au nègre et à ses complices et décide de se
venger. Il ordonne ensuite que l'on élève l'enfant avec soin et que l'on fasse
des préparatifs de guerre contre le nègre.
Entr'acte
Combat d'un lion et d'un griffon ; nous vîmes parfaitement que le lion
fut vainqueur.
DEUXIÈME ACTE
TROISIÈME ACTE
Le roi réunit une grande armée et la met sous les ordres d'un vieux
chevalier valeureux. Ce dernier fait irruption dans le royaume du nègre,
délivre la jeune fille de sa prison et l'habille richement. On élève ensuite
rapidement une estrade admirable et on y fait monter la vierge. Bientôt
arrivent douze envoyés du roi. Alors le vieux chevalier prend la parole et
apprend à la vierge comment son très gracieux Seigneur, le Roi, ne l'avait
pas seulement délivrée une seconde fois de la mort, après lui avoir donné
une éducation royale – et ceci quoiqu'elle ne se soit pas toujours conduite
comme elle l'aurait dû – mais encore que Sa Majesté Royale l'avait choisie
comme épouse pour son jeune seigneur et fils et donnait ordre de préparer
les fiançailles ; celles-ci devaient avoir lieu dans certaines conditions. Puis,
dépliant un parchemin, il donne lecture de ces conditions, qui seraient bien
dignes d'être relatées ici si cela ne nous entraînait trop loin.
Entr'acte [79]
On nous montra les quatre animaux de Daniel tels qu'ils lui apparurent
dans sa vision et tels qu'il les décrit minutieusement. Tout cela a une
signification bien déterminée.
QUATRIÈME ACTE
Tout cela était si pénible à voir que les larmes vinrent aux yeux à
beaucoup des nôtres.
Ensuite la vierge est jetée toute nue dans une prison pour y attendre la
mort par le poison. Or ce poison ne la tue pas mais la rend lépreuse. [80]
Entr'acte
CINQUIÈME ACTE
SIXIÈME ACTE
C'est ainsi que, par cette comédie, les artistes fêtaient d'une manière
superbe le Roi et la Reine, et – je m'en aperçus aisément – ils y étaient très
sensibles.
Ce jour nous apporte une bien grande joie avec les noces du Roi ;
chantez donc tous pour que résonne : Bonheur à celui qui nous la donne.
II
La belle fiancée que nous avons attendue si longtemps lui est unie
maintenant. Nous avons lutté mais nous touchons au but. Heureux celui
qui regarde en avant.
III
Et maintenant qu'ils reçoivent nos vœux. Que votre [82] union soit
prospère ; elle fut assez longtemps en tutelle. Multipliez-vous dans cette
union loyale pour que mille rejetons naissent de votre sang.
Le jour était déjà à son déclin quand nous nous retirâmes dans l'ordre
de notre arrivée ; mais, loin d'abandonner le cortège, nous dûmes suivre les
personnes royales par l'escalier dans là salle où nous avions été présentés.
Les tables étaient déjà dressées avec art et, pour la première fois, nous
fûmes conviés à la table royale. Au milieu de la salle se trouvait le petit
autel avec les six insignes royaux que nous avions déjà vus.
Mais il n'y avait aucune joie sensible et tout se passait dans le calme.
Je pressentis un grand danger et l'absence de musique augmenta mon
appréhension, qui s'aviva encore quand on nous donna l'ordre de nous
contenter de donner une réponse courte et nette si l'on nous interrogeait.
En somme tout prenait un air si étrange que la sueur perla sur tout mon
corps et je crois que le courage aurait manqué à l'homme le plus
audacieux.
Le repas touchait presque à sa fin, quand le jeune roi ordonna qu'on lui
remit le livre placé sur l'autel et il l'ouvrit. Puis il nous fit demander encore
une fois par un vieillard si nous étions bien déterminés à rester avec lui
dans l'une et l'autre fortune. Et quand, tout tremblants, nous eûmes
répondu affirmativement, il nous fit demander tristement si nous voulions
nous lier par notre signature. Il nous était impossible de refuser ; d'ailleurs
il devait en être ainsi. Alors nous nous levâmes à tour de rôle et chacun
apposa sa signature sur ce livre.
Tout à coup une clochette tinta ; aussitôt nos hôtes royaux pâlirent si
effroyablement que nous avons failli nous évanouir de peur. Elles
changèrent leurs vêtements blancs contre des robes entièrement noires ;
puis la salle entière fut tendue de velours noir ; le sol fut couvert de
velours noir et on garnit de noir la tribune également. – Tout cela avait été
préparé à l'avance.
Les tables furent enlevées et les personnes présentes prirent place sur
le banc. Nous nous revêtîmes de robes noires. Alors notre présidente, qui
venait de sortir, revint avec six bandeaux de taffetas noir et banda les yeux
aux six personnes royales.
Dès que ces dernières furent privées de l'usage de leurs yeux, les
serviteurs apportèrent rapidement six cercueils recouverts et les
disposèrent dans la salle. Au milieu on posa un billot noir et bas.
45
Haustus silentii.
noir. Mais le sang fut recueilli dans un grand bocal en or que l'on posa près
de lui dans le cercueil. On ferma le cercueil et on le plaça à part.
Les autres subirent le même sort et je frémis à la pensée que mon tour
arriverait également. Mais il n'en fut rien ; car, dès que les six personnes
furent décapitées, l'homme noir se retira ; il fut suivi par quelqu'un qui le
décapita à son tour juste devant la porte et revint avec sa tête et la hache
que l'on déposa dans une petite caisse.
Puis elle nous pria de goûter le repos et de laisser tout souci, car ce qui
s'était passé était pour leur bien. Elle nous souhaita donc une bonne nuit et
nous annonça qu'elle veillerait les morts. Nous conformant à ses désirs
nous suivîmes nos pages dans nos logements respectifs.
Or, ma chambre donnait sur le grand lac, de sorte que de mon lit,
placé près de la fenêtre, je pus facilement en parcourir toute l'étendue du
regard. A minuit, à l'instant précis où les douze coups sonnèrent, je vis
subitement un grand feu sur le lac ; saisi de peur, j'ouvris rapidement la
fenêtre. Alors je vis au loin sept navires emplis de lumière qui
s'approchaient. Au-dessus de chaque vaisseau brillait une flamme qui
voletait çà et là et descendait même de temps en temps ; je compris
aisément que c'étaient les esprits des décapités.
Dès que les cercueils furent posés dans les navires, toutes les lumières
s'éteignirent. Et les six flammes naviguèrent par delà le lac ; dans chaque
vaisseau l'on ne voyait [86] plus qu'une petite lumière en vigie. Alors
quelque cent gardiens s'installèrent près du rivage et renvoyèrent la vierge
au château. Celle-ci mit tous les verrous avec soin ; j'en conclus aisément
qu'il n'y aurait plus d'autres événements avant le jour. Nous cherchâmes
donc le repos.
Et, de tous mes compagnons, nul que moi n'avait son appartement sur
le lac ; et seul j'avais vu cette scène. Mais j'étais tellement fatigué que je
m'endormis malgré mes multiples préoccupations.
[87]
COMMENTAIRE
Six personnes occupent par couples les sièges royaux. Il est permis
d'hésiter ici entre les six métaux n'ayant pas encore la perfection de l'Or,
ou les trois substances contenant chacune deux natures. Soulignons [88]
que l'Epouse du vieux Roi à barbe grise (qui pourrait s'appeler Jupiter) est
très jeune, et qu'une vieille petite mère est à côté du Roi noir dans la force
de l'âge. Sur le trône du milieu sont deux adolescents que Cupidon taquine
sans cesse. Bien que cela puisse paraître hors propos, rappelons dès
maintenant que Vénus est le nom donné par de nombreux hermétistes à la
matière première, car Vénus est né de la Mer Philosophique ; Cupidon, fils
de Vénus et de Mercure, représente le Sel qui en est produit. Vénus alors
symbolise le Soufre, et Mercure, le Mercure philosophique.
Les noces du Roi telles que nous les voyons dès lors se dérouler, nous
contraignent d'ouvrir ici une parenthèse pour évoquer rapidement les
ouvrages alchimiques où cette même fiction symbolise fréquemment la
Préparation de la Pierre philosophale. Il convient de citer en tête le texte,
fort admiré au moyen âge, de l'Allégorie de Merlin, ou Merlini Allegoria
profundissimum philosophiae lapidis arcanum perfecte continens (Manget.
Bibliotheca Chimica). Il exerça la sagacité de bien des adeptes et je
reconnais qu'il présente avec les Noces Chymiques de nombreux points
communs, tant dans la mort du Roi que dans le traitement que doit subir
son cadavre pour ressusciter. Un Roi intervient encore dans la description
du Magistère que nous donne Bernard le Trévisan dans son livre de La
Philosophie naturelle des Métaux. L'allégorie de la Fontaine où vient se
baigner le Roi soutient fort bien le parallélisme avec divers épisodes qui
vont se dérouler dans la Tour aux sept étages. Nous retrouvons encore ce
Roi dans le titre du traité le plus répandu de Philalèthe : L'Entrée
entrouverte au Palais fermé du Roi, et dans l'épître par laquelle Aristeus
termine le célèbre traité attribué à Morien et connu sous le nom de La
Tourbe des Philosophes. De même encore, pour l'Opuscule de Denys
Zachaire et pour les planches illustrant Les douze clefs de la Philosophie
de Basile Valentin. Nous pourrions multiplier ces exemples, mais je crois
opportun de [89] revenir au principal sujet de nos commentaires. Arrêtons-
nous à la nomenclature des objets figurant sur l'Autel de la Reine. Nous y
voyons un Livre noir et or, une lumière éternelle portée par un flambeau
d'ivoire, une sphère céleste, une horloge, une fontaine de cristal laissant
s'épancher une eau rouge, et une tête de mort servant d'abri à un serpent
blanc. Nous retrouverons dans la suite ces six objets utilisés suivant leur
nature et leur rôle, mais que conclure d'un assemblage aussi disparate ? Il y
aurait évidemment de nombreuses pages à écrire, mais nous devons nous
borner à en condenser le symbolisme en quelques lignes. Sans doute
certains lecteurs jugeront que nous donnons ici à la Vérité une légère
entorse, d'autres jugeront avec nous que celle-ci est nécessaire.
CINQUIÈME JOUR
"Écoutez" dit le page, "ce que j'ai entendu dire à Atlas parlant au Roi.
Quand l'arbre, a-t-il dit, sera fondu entièrement, dame Vénus se réveillera
et sera mère d'un roi".
Six cercueils étaient placés dans cette cour. Mes compagnons étaient
convaincus qu'ils renfermaient les corps des six personnes royales ; mais
moi je savais à quoi m'en tenir ; toutefois j'ignorais ce qu'allaient devenir
les autres cercueils.
a║
b║ c║ d║
e║ f║
g║
Ayant navigué ainsi par delà le lac, nous franchîmes une passe étroite
et nous parvînmes à la mer véritable. Là, des Sirènes, des Nymphes, et des
Déesses de la mer nous attendaient ; nous fûmes abordés bientôt par une
jeune nymphe, chargée de nous transmettre leur cadeau de noces ainsi que
leur souvenir. Ce dernier consistait en une grande perle précieuse sertie,
comme nous n'en avions jamais vue ni dans notre monde ni dans celui-ci ;
elle était ronde et brillante. Quand la vierge l'eut acceptée amicalement,
[98] la nymphe demanda que l'on voulût bien donner audience à ses
compagnes et s'arrêter un instant ; la vierge y consentit. Elle ordonna
d'amener les deux grands vaisseaux au milieu et de former avec les autres
un pentagone.
III
IV
VII
Cette peine,
En grande joie,
Sera transmuée pour toujours,
Y eût-il encore des souffrances sans nombre.
Quelques heures plus tard, après avoir parcouru un long chemin, tout
en nous entretenant amicalement, nous aperçûmes la tour de l'Olympe. La
vierge ordonna donc de faire divers signaux pour annoncer notre arrivée ;
ce qui fut fait. Aussitôt nous vîmes un grand drapeau blanc se déployer et
un petit vaisseau doré vint à notre rencontre. Quand il fut près de nous
accoster, nous y distinguâmes un vieillard entouré de quelques satellites
habillés de blanc ; il nous fit un accueil amical et nous conduisit à la tour.
La tour était bâtie sur une île exactement carrée et entourée d'un
rempart si solide et si épais que je comptai deux cent soixante pas en la
traversant. Derrière cette enceinte s'étendait une belle prairie agrémentée
de quelques petits jardins où fructifiaient des plantes singulières et
inconnues de moi ; elle s'arrêtait au mur protégeant la tour. Cette dernière,
en elle-même, semblait formée par la juxtaposition de sept tours rondes. ;
celle du centre était un peu plus haute. Intérieurement elles se pénétraient
mutuellement et il y avait sept étages superposés.
COMMENTAIRE
Suivez notre héros vers la Tour de l'Olympe, et lisez avec soin le récit
de sa traversée. Les deux façons différentes dont se groupent les nefs
emportant les dépouilles royales, pour naviguer de conserve, puis pour
assister au concert des Sirènes, ont un sens particulier dépendant de la
nature du chargement confié à chaque navire. La beauté de l'Hymne à
l'Amour se suffit à elle-même sans qu'il soit besoin de la souligner ici.
Toutefois, c'est à ce moment que notre héros se souvient de la piqûre que
Cupidon lui fit à la main, et de celle qu'il reçut en rêve à la tête au cours
d'un songe décrit dans le premier jour.
La tour de l'Olympe est bâtie sur une île exactement carrée, et ses sept
tours rondes superposées évoquent la figure d'une lunette [105]
télescopique. Le séjour de Christian Rosencreutz dans le laboratoire du
premier étage, ne paraît pas lui laisser un bien bon souvenir ; il broie des
herbes, des pierres, en extrait l'essence, la range dans des fioles. C'est
évidemment là, besogne d'apothicaire, et non d'Alchimiste. Trois Vierges,
cependant, lavent avec soin dans la première salle les corps des personnes
royales. Ayant terminé sa besogne, et ne pouvant goûter de repos, notre
héros va jouir du clair de Lune sur les remparts de la tour et il constate
que, cette nuit même, les planètes se présentent sous un aspect particulier
ne devant pas se reproduire avant longtemps. Il voit se fixer au sommet de
la tour les flammes qu'il avait vues survolant les mâts des sept nefs.
SIXIÈME JOUR
Bientôt nous vîmes entrer quelques pages portant des échelles, des
cordes et de grandes ailes, qu'ils déposèrent devant nous et s'en furent.
Alors le vieillard dit :
"Mes chers fils, chacun de vous doit se charger d'une de ces pièces
pendant toute la journée, vous pourrez les choisir ou les tirer au sort".
Une salle unique occupait tout cet étage de la tour. Elle était flanquée
de six belles chapelles, un peu plus hautes que la salle ; on y accédait par
trois degrés. On nous distribua dans les chapelles et on nous invita à prier
pour la vie des rois et des reines. Pendant ce temps la vierge entra et sortit
alternativement par la petite porte a et fit ainsi jusqu'à ce que nous
eussions terminé.
Dès que nous eûmes achevé notre prière, douze personnes [108] –
elles avaient fait fonction de musiciens auparavant – firent passer par cette
porte et déposèrent au centre de la salle, un objet singulier, tout en
longueur qui paraissait n'être qu'une fontaine à mes compagnons. Mais je
compris immédiatement que les corps y étaient enfermés, car la caisse
inférieure était carrée et de dimensions suffisantes pour contenir
facilement six personnes. Puis les porteurs disparurent et revinrent bientôt
avec leurs instruments pour accompagner notre vierge et ses servantes par
une harmonie délicieuse.
Notre vierge portait un petit coffret ; toutes les autres tenaient des
branches et de petites lampes et, quelques unes des torches allumées.
Aussitôt on nous mit les torches en mains et nous dûmes nous ranger
autour de la fontaine dans l'ordre suivant :
La vierge se tenait en A ; ses servantes étaient postées en cercle avec
leurs lampes et leurs branches en c ; nous étions avec nos torches en b et
les musiciens rangés en ligne droite en a ; enfin les vierges en d, également
sur une ligne droite. J'ignore d'où venaient ces dernières ; avaient-elles
habité la tour, ou y avaient-elles été conduites pendant la nuit ? Leurs
visages étaient couverts de voiles fins et blancs de sorte que je n'en
reconnu aucune.
Enfin la vierge fit recouvrir les miroirs et fermer les fenêtres afin de
laisser refroidir un peu la sphère ; et cela eut lieu à sept heures.
Dans cette salle nous vîmes une grande chaudière en cuivre remplie de
sable jaune, chauffée par un méchant petit feu. L'œuf y fut enterré afin d'y
achever de mûrir. Cette chaudière était carrée ; sur l'un de ses côtés, les
deux vers suivants étaient gravés en grandes lettres :
O . BLI . TO . BIT . MI . LI .
F.I.A.T.
CE QUI EST :
Le Feu, l'Air, l'Eau, la Terre
AUX SAINTES CENDRES DE NOS ROIS ET DE NOS REINES,
Ils ne pourront l'arracher.
LA TOURBE FIDÈLE OU CHYMIQUE
DANS CETTE URNE
EST CONTENUE
Aô 46.
46
Quod : 1gnis, Aer, Aqua, Terra : ,Sanctis Regum et Reginarum nostrum cineribus, erripere non
potuerunt. Fidelis chymicorum Turba in hanc urnam contulit. Ad.
"Maintenant", dit la vierge, "comme la vie et la plus grande perfection
ont été donnés à l'oiseau, grâce à votre application, il sied qu'avec le
consentement de notre vieillard, nous fêtions joyeusement cet événement".
Mais nous portions encore nos vêtements de deuil, ce qui, dans cette
joie, paraissait un peu ridicule ; aussi nous nous mîmes à rire les uns des
autres.
On ne nous permit pas de faire une longue sieste après notre repas ; la
vierge sortit avec l'oiseau, et la cinquième salle nous fut ouverte ; nous y
montâmes comme précédemment et nous nous apprêtâmes au travail.
On avait préparé un bain pour notre oiseau dans cette salle ; ce bain
fut teint avec une poudre blanche de sorte [115] qu'il prit l'aspect du lait.
Tout d'abord il était froid et l'oiseau qu'on y plongea s'y trouva à son aise,
en bu, et prit ses ébats. Mais quand la chaleur des lampes commença à
faire tiédir le bain, nous eûmes beaucoup de peine à y maintenir l'oiseau.
Nous posâmes donc un couvercle sur la chaudière et nous laissâmes passer
sa tête par un trou. L'oiseau perdit toutes ses plumes dans le bain de sorte
qu'il eut la peau aussi lisse qu'un homme ; mais la chaleur ne lui causa pas
d'autre dommage. Chose étonnante, les plumes se dissolvèrent entièrement
dans ce bain et le teignirent en bleu. Enfin nous laissâmes l'oiseau
s'échapper de la chaudière ; il était si lisse et si brillant qu'il faisait plaisir à
voir ; mais comme il était un peu farouche nous dûmes lui passer un collier
avec une chaîne autour du cou ; puis nous le promenâmes çà et là dans la
salle. Pendant ce temps on alluma un grand feu sous la chaudière et le bain
fut évaporé jusqu'à siccité, de sorte qu'il resta une matière bleue ; nous
dûmes la détacher de la chaudière, la concasser, la pulvériser et la préparer
sur une pierre ; puis cette peinture fut appliquée sur toute la peau de
l'oiseau. Alors ce dernier prit un aspect plus singulier encore ; car, à part la
tête qui resta blanche, il était entièrement bleu.
C'est ainsi qu'à cet étage notre travail prit fin et nous fûmes appelés
par une ouverture dans la voûte au sixième étage, après que la vierge nous
eût quittés avec son oiseau bleu ; et nous y montâmes.
Mais comme, contre mon gré, j'ai reconnu que parmi vous ces quatre –
et elle me désigna avec trois autres – sont des opérateurs paresseux et que,
dans mon amour pour tous, je ne demande cependant point à les désigner
pour leur punition bien méritée, je voudrais cependant, afin qu'une telle
paresse ne demeurât point impunie, ordonner ceci : Seuls ils seront exclus
de la septième opération, la plus admirable de toutes ; par contre on ne les
exposera à aucune autre punition plus tard, quand nous serons en face de
Sa Majesté Royale".
Que l'on songe dans quel état me mit ce discours ! La vierge parla
avec une telle gravité que les larmes inondaient nos visages et que nous
nous considérions comme les plus infortunés des hommes. Puis la vierge
fit appeler les musiciens par l'une des servantes, qui l'accompagnaient
toujours en nombre, et on nous mit à la porte en musique au milieu d'un tel
éclat de rire que les musiciens eurent de la peine à souffler dans leurs
instruments tant ils étaient secoués par le rire. Et ce qui nous affligea
particulièrement, ce fut de voir la vierge se moquer de nos pleurs, de notre
colère et de notre indignation ; en outre, quelques-uns de nos compagnons
se réjouissaient certainement de notre malheur.
"Apprenez donc par cela mes chers fils", dit-il, "que l'homme ne
connaît jamais la bonté que Dieu lui prodigue".[118]
Or voici quel fut notre travail. Il fallut humecter d'abord les cendres
avec l'eau que nous avions préparée auparavant, de manière à en faire une
pâte claire ; puis nous plaçâmes la matière sur le feu jusqu'à ce qu'elle fût
très Chaude. Alors nous la vidâmes toute chaude dans deux petits moules
qu'ensuite nous laissâmes refroidir un peu.
Nous posâmes ces adorables enfants sur deux petits coussins en satin
et nous ne cessâmes de les regarder sans pouvoir nous détacher de ce
gracieux spectacle. Mais le vieillard nous rappela à la réalité ; il nous remit
le sang de l'oiseau recueilli dans la petite coupe en or et nous ordonna de le
laisser tomber goutte à goutte et sans interruption dans la bouche des
figurines. Celles-ci grandirent dès lors à vue d'œil, et ces petites merveilles
embellirent encore en proportion de leur croissance. Je souhaitai que tous
les peintres eussent été là pour rougir de leurs œuvres devant cette création
de la nature.
Mais maintenant elles grandirent tellement qu'il fallut les enlever des
coussins et les coucher sur une longue table garnie de velours blanc ; puis
le vieillard nous ordonna de les couvrir jusqu'au-dessus de la poitrine d'un
taffetas double et blanc, très doux ; ce que nous fîmes à regret, à cause de
leur indicible beauté.
Enfin, abrégeons ; avant que nous leur eussions donné tout le sang,
elles avaient atteint la grandeur d'adultes ; elles avaient des cheveux frisés
blonds comme de l'or et, comparée à elles, l'image de Vénus que j'avais
vue auparavant, était bien peu de chose.
Ici je dois mettre le lecteur en garde, afin qu'il ne considère point ces
lumières comme indispensables, car l'intention du vieillard était d'y attirer
notre attention pour que la descente des âmes passât inaperçue. De fait,
aucun de nous ne l'aurait remarquée, si je n'avais pas vu les flammes deux
fois auparavant ; cependant je ne détrompai pas mes compagnons et je
laissai ignorer au vieillard que j'en savais plus long. [120]
Alors le vieillard nous fit prendre place sur un banc devant la table
et bientôt la vierge arriva avec ses musiciens. Elle apporta deux beaux
vêtements blancs, comme je n'en avais jamais vus dans le château et qui
défient toute description ; en effet, ils me semblaient être en pur cristal et,
néanmoins, ils étaient souples et non transparents ; il est donc impossible
de les décrire autrement. Elle posa les vêtements sur une table et, après
avoir rangé ses vierges autour du banc, elle commença la cérémonie
assistée du vieillard et cela encore n'eut lieu que pour nous égarer.
Le toit sous lequel se passèrent tous ces événements avait une forme
vraiment singulière ; à l'intérieur il était formé par sept grandes demi-
sphères voûtées, dont la plus haute, celle du centre, était percée à son
sommet d'une petite ouverture ronde, qui était obturée à ce moment et
qu'aucun de mes compagnons ne remarqua. Après de longues cérémonies,
six vierges entrèrent, portant chacune une grande trompette, enveloppée
d'une substance verte phosphorescente comme d'une couronne. Le vieillard
en prit une, retira quelques lumières du bout de la table et découvrit les
visages. Puis il plaça la trompette sur la bouche de l'un des corps, de telle
sorte que la partie évasée, tournée vers le haut, vînt juste en face de
l'ouverture du toit que je viens de désigner.
Dès que l'âme eut pénétré dans le corps, ce dernier ouvrit et ferma les
yeux, mais ne faisait guère d'autres mouvements.
COMMENTAIRE
"J'habite dans les montagnes et dans la plaine. Je suis père avant que
d'être fils. J'ai engendré ma mère et ma mère ou mon père m'a porté dans
sa matrice, en m'engendrant sans avoir besoin de nourrice. Je suis
Hermaphrodite et j'ai les deux natures. Je suis victorieux sur tous les forts
et je suis vaincu par le plus faible, et il ne se trouve rien sous le ciel de si
beau ni qui aie une figure si parfaite. Il naît de moi un oiseau admirable qui
de ses os qui sont mes os se fait un petit nid, où volant sans ailes, il se
revivifie en mourant, et l'Art surpassant les lois de la Nature, il est à la fin
changé en un Roi, qui surpasse infiniment en vertu les 6 autres".
Au sixième étage, nous retrouvons les six objets rituels déjà vus dans
la salle du Roi, et après trois conjonctions célestes signalées par les
mouvements de la sphère céleste, et de l'horloge, l'Oiseau [126]
merveilleux, posant sa tête sur le livre se laisse décapiter humblement. Son
corps est incinéré sur l'autel à l'aide du feu pris à la petite lumière. On
conserve ses cendres purifiées dans une boite de cyprès. Que l'attention du
lecteur ne se laisse pas détourner ici par l'épisode comique inséré dans ce
but.
SEPTIEME JOUR
AR . NAT . MI .47
Au revers :
TEM . NA .F .48
Nous partîmes alors par delà les mers. Or, nos vaisseaux étaient parés
admirablement ; à les voir il semblait certain que toutes les belles choses
que nous voyions ici nous avaient été envoyées.
Les vaisseaux étaient au nombre de douze, dont six des nôtres, les six
autres appartenant au vieillard. Ce dernier [128] remplit ses vaisseaux de
soldats de belle prestance puis il prit place dans le nôtre où nous étions
tous réunis. Les musiciens, dont le vieux seigneur possédait un grand
nombre, vinrent en tête de notre flottille pour nous distraire. Les pavillons
battaient les douze signes célestes ; le nôtre portait l'emblème de la
47
Ars naturae ministra : L'art est le ministre de la nature.
48
Temporis natura filia : La nature est fille du temps.
Balance. Entre autres merveilles, notre vaisseau contenait une horloge
d'une beauté admirable qui marquait toutes les minutes.
La mer était d'un calme si parfait que notre voyage était un véritable
agrément ; mais l'attrait principal était la causerie du vieillard. Il savait
nous charmer avec des histoires singulières au point que je voyagerais
avec lui ma vie durant.
Dès que nous fûmes à proximité, on tira les batteries des deux côtés, et
le son des trompettes et des tambours fit un tel vacarme que les navires en
tremblèrent. Enfin quand nous les eûmes rejoints, ils entourèrent nos
vaisseaux et stoppèrent.
On nous distribua donc tous, à tour de rôle, entre les divers seigneurs.
Mais notre vieillard et moi, indigne, nous dûmes chevaucher aux côtés du
Roi en portant une bannière blanche comme la neige avec une croix rouge.
J'avais obtenu cette place à cause de mon grand âge, car, tous deux, nous
avions de longues barbes blanches et les cheveux gris. Or, j'avais attaché
mes insignes autour de mon chapeau ; le jeune Roi les remarqua bientôt et
me demanda si c'était moi qui avait pu résoudre les signes gravés sur le
portail. Je répondis affirmativement avec les marques d'un profond respect.
Alors il rit de moi et me dit que dorénavant il n'était nullement besoin de
cérémonies : que j'étais son père. Puis il me demanda de quelle manière je
les avais dégagés ; je répondis : "Avec de l'eau et du sel". Alors il fut
étonné que je fusse si fin. M'enhardissant je lui racontai mon aventure avec
le pain, la colombe et le corbeau ; il m'écouta avec bienveillance et
m'assura [130] que c'était la preuve que Dieu m'avait destiné à un bonheur
particulier.
"Oui ; si l'on découvre quelqu'un qui ait commis un péché aussi grand
que le sien, il sera placé comme gardien à la porte et l'autre sera délivré".
Ces mots me troublèrent profondément, car ma conscience me montra
bien que j'étais moi-même ce malfaiteur ; cependant je me tus et je
transmis la supplique. Dès que le Roi en eut pris connaissance il eut un
mouvement d'effroi tellement violent que la Reine qui chevauchait derrière
nous en compagnie de ses vierges et de l'autre reine – que nous avions vue
lors de la suspension des poids – s'en aperçut et le questionna sur cette
lettre. Il ne voulut rien dire mais il serra la lettre sur lui et parla d'autre
chose jusqu'à ce que nous fussions parvenus dans la cour du château ; ce
qui eut lieu à trois heures. Là nous descendîmes de cheval et nous
accompagnâmes le Roi dans la salle que j'ai déjà dépeinte.
Aussitôt le Roi se retira avec Atlas dans un cabinet et lui fit lire la
supplique. Alors Atlas monta à cheval sans tarder afin de compléter ses
renseignements près du gardien. Puis le Roi s'assit sur son trône ; son
épouse et d'autres [131] seigneurs, dames et demoiselles l'imitèrent. Alors
notre vierge fit l'éloge de notre application, de nos peines et de nos œuvres,
et pria le Roi et la Reine de nous récompenser royalement, ainsi que de la
laisser jouir à l'avenir des fruits de sa mission. Le vieillard se leva à son
tour et certifia l'exactitude des dires de la vierge ; il affirma qu'il serait
juste que l'on donnât satisfaction aux deux demandes. Nous dûmes nous
retirer pendant un instant et l'on décida d'accorder à chacun le droit de faire
un souhait qui serait exaucé s'il était réalisable, car l'on prévoyait avec
certitude que le plus sage ferait le souhait qui lui serait le plus profitable, et
on nous invita à méditer sur ce sujet jusqu'après le repas.
Entre-temps les tables avaient été dressées dans une salle où nous
n'avions jamais pris place auparavant ; celle-ci s'appelait le Complet ; elle
était parée d'une manière si merveilleuse qu'il m'est impossible d'en
commencer seulement la description. On nous y conduisit en grande
pompe et avec des cérémonies particulières.
Cette fois-ci Cupidon était absent ; car, ainsi qu'on me l'apprit, l'insulte
faite à sa mère l'avait fortement indisposé ; voilà comment à chaque instant
mon forfait, entraînant la supplique, fut la cause d'une grande tristesse. Il
répugnait au Roi de faire une enquête parmi ses invités ; car elle aurait fait
connaître l'événement à ceux qui l'ignoraient encore. Il laissa donc au
gardien déjà arrivé le soin d'exercer une surveillance étroite et fit de son
mieux pour paraître gai.
Puis Atlas fit lire par le page les articles que voici :
II
III
Vous aiderez par vos dons tous ceux qui en seront dignes et en auront
besoin. [134]
IV
Puis nous fûmes reconduits dans la salle où l'on nous invita à prendre
des sièges et à décider vivement les souhaits que nous voudrions faire. Le
Roi et les siens s'étaient [135] retirés dans le cabinet ; puis chacun y fut
appelé pour y formuler son souhait, de sorte que j'ignore les vœux de mes
compagnons.
49
Summa Scientia nihil scire. Fr. CHRISTIANUS ROSENCREUTZ, Eques.aurei Lapidis. Anno
1459.
Le Roi et les autres seigneurs furent très étonnés de cette confession
inattendue ; ils me prièrent de me retirer un instant. Dès que l'on m'eut
rappelé, Atlas m'informa que Sa Majesté Royale était très peinée de me
voir dans cette infortune, moi, qu'Elle aimait par-dessus tous ; mais qu'il
Lui était impossible de transgresser Sa vieille coutume et Elle ne voyait
donc d'autre solution que de délivrer le gardien et de me transmettre sa
charge, tout en désirant qu'un autre fût bientôt pris afin que je pusse
rentrer. Cependant on ne pouvait espérer aucune délivrance avant les fêtes
nuptiales de son fils à venir.
Tel fut le dernier coup qui me frappa ; ce fut le plus fort et le plus
sensible.
50
Ici il manque environ deux feuillets in-4° ; croyant être gardien à la porte le lendemain, il
(l'Auteur de ceci) est rentré chez lui.
[138]
COMMENTAIRE
Notre héros s'étonne de la place d'honneur qui lui est donnée dans le
cortège, lors du débarquement. Il porte aux côtés du Roi une bannière
blanche comme neige avec une Croix-Rouge. Dois-je rappeler ici les
quelques lignes où j'évoquais la signification occulte de la croix et de la
rosette de la Légion d'Honneur ; n'en pourrions-nous point dire autant pour
cette croix rouge qui évoque la croix de Genève, le secours aux blessés,
l'assistance spagyrique de Chr. Rosencreutz à la résurrection des
Souverains... et depuis, ce symbole est resté le même !
4° Agis pour les autres comme j'agis pour toi, mais n'entreprends pas
le Magistère si ton cœur et tes intentions ne sont pas purs, ce serait courir à
ta perte certaine.
FIN DU LIVRE