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Note du HCR sur le projet de loi

pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif

Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) s’est vu confier par la communauté
internationale le mandat d’assumer les fonctions de protection internationale et de rechercher des
solutions durables au problème des réfugiés.1 Le paragraphe 8 du Statut du HCR de 1950, et l’article
35 de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après la Convention de Genève de 1951)
lui reconnaissent un rôle de surveillance de l’application des dispositions de la Convention de Genève
de 1951.
C’est dans ce cadre que la Représentation du HCR auprès de la France et de Monaco souhaite soumettre
ses commentaires sur le projet de loi « pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif » en
date du 21 février 2018 en écho à ses recommandations pour renforcer la protection et l’intégration des
réfugiés en France de juillet 20172.
S’agissant des modifications législatives envisagées par les autorités françaises, le HCR formule
plusieurs observations portant notamment, sur le statut des personnes protégées et apatrides,
l’importance des garanties attachées à la procédure d’asile pour assurer son effectivité, la question de
l’ordre public, l’accueil ainsi que l’usage de la rétention administrative, en particulier au regard de la
mise en œuvre du Règlement Dublin. Le HCR souhaite également présenter des recommandations en
ce qui concerne la procédure de reconnaissance du statut d’apatride.

I. Droit au séjour des personnes protégées et apatrides, intégration et réunification familiale


1 Instauration d’une carte de séjour pluriannuelle
Le HCR note tout d’abord avec satisfaction l’instauration d’une carte de séjour pluriannuelle d’une
durée de quatre ans, tant pour les personnes bénéficiaires de la protection subsidiaire que celles
apatrides. Au titre de la protection de la vie familiale, les membres de famille en bénéficient également
sous certaines conditions (art. 1 du projet de loi et nouveaux articles L 313-25 et L. 313-26 du Code de
l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ci-après CESEDA). Le HCR considère qu’il est
en effet essentiel d’assurer aux personnes bénéficiant d’une protection internationale une véritable
stabilité de leur statut juridique et des droits au séjour qui en résultent, afin d’assurer leur intégration
sociale et économique. Le HCR se félicite de cette avancée importante qui servira de modèle pour la
pratique d’autres Etats membres de l’Union européenne et encourage la France à aligner le droit au
séjour des apatrides sur celui des réfugiés. Le HCR invite par ailleurs la France à œuvrer davantage en
faveur de l’intégration des personnes protégées et apatrides au regard, notamment des propositions du
rapport « pour une politique ambitieuse d’intégration des étrangers arrivant en France » de février 20183.
Parmi les propositions énoncées, plusieurs mesures faciliteraient l’intégration des personnes protégées
et apatrides, notamment le doublement ou le triplement du nombre d’heures d’apprentissage du français,

1
Résolution No. 428 (V) de l’Assemblée générale des Nations Unies du 14 décembre 1950 à laquelle est annexé
le Statut du HCR.
2
Recommandations du HCR pour renforcer la protection et l’intégration des réfugiés en France, juillet 2017
http://www.unhcr.org/fr-fr/59b697494.html
3
Rapport au Premier ministre, Pour une politique ambitieuse d’intégration des étrangers arrivant en France,
Aurélien Taché, Député du Val d’Oise, Parlementaire en mission auprès du ministre de l’intérieur, février 2018
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/184000099/index.shtml

1
un bilan de compétences intégré au contrat d’intégration républicain (CIR) et l’orientation en particulier
des moins de 25 ans vers des dispositifs de formation professionnelle4.
2. Réunification familiale
Le bénéfice de la réunification familiale aux parents d’un mineur protégé, accompagnés de leurs enfants
mineurs à charge et non mariés, constitue un point positif qui permettra de mettre ainsi fin à la séparation
des familles liée à l’exil (art. 3 du projet de loi et article L. 752-1 modifié du CESEDA).
Le HCR recommande de saisir l’occasion du projet de loi pour poursuivre l’amélioration de la
procédure de la réunification familiale initiée en 2015 en prévoyant l’accompagnement des personnes
protégées dans leurs démarches de réunification familiale et en explorant les possibilités de
simplification de la procédure et d’élargissement à d’autres membres de famille incluant les personnes
dépendantes afin de tenir compte de la réalité du principe d’unité de famille5.

II. Garanties attachées à une procédure d’asile effective


Plusieurs dispositions du projet de loi visent à accélérer le traitement de la demande d’asile :
- durcissement des conditions de mise en œuvre d’une procédure accélérée en cas de demande
tardive, le délai passant de 120 à 90 jours (art. 5 du projet de loi et article L. 723-2 III 3° modifié
du CESEDA).
- raccourcissement du délai de recours devant la Cour nationale du droit d’asile d’un mois à 15
jours à compter de la notification de la décision de l’Office français de protection des réfugiés
et apatrides (OFPRA), y compris en Outre-mer ; notification de la décision de l’OFPRA
pouvant s’effectuer « par tout moyen garantissant la confidentialité » (arts. 5 et 6 du projet de
loi et articles modifiés L. 731-2 et L. 723-8 du CESEDA).
- ajout de nouvelles exceptions au droit de rester sur le territoire dans l’attente de la décision de
la CNDA pour les cas de réexamen, les cas des personnes provenant de pays considérés
d’origine sûrs, et ceux présentant une menace grave pour l’ordre public, avec obligation de
saisir le juge de l’éloignement pour solliciter le droit au maintien sur le territoire (art. 9 du projet
de loi et article modifié L. 743-3 du CESEDA).
- ajout d’un cas de clôture d’examen de la demande en cas de non introduction de celle-ci auprès
de l’OFPRA, sans recours suspensif.
- extension du recours à la vidéo-audience même sans le consentement de l’intéressé.

Le HCR partage les préoccupations du gouvernement s’agissant des délais d’examen des demandes
d’asile encore trop longs et l’insuffisance de la mise en œuvre des retours des personnes déboutées.
Toutefois, par définition, les personnes en demande d’asile ont fui des craintes de persécutions et ont
pu être exposées dans leur pays d’origine ainsi qu’au cours de leur exil à de graves violences ainsi qu’à
divers traumatismes impactant leur capacité à mener à bien des démarches d’asile. S’il est entendu
qu’un système d’asile crédible implique son efficacité, le HCR rappelle que la qualité du traitement
d’une demande d’asile suppose également que les personnes éligibles à la protection internationale
bénéficient tout au long de leurs démarches d’asile, de plus en plus complexes, d’un accompagnement
à la fois juridique, social et médical afin d’assurer l’effectivité de la liberté fondamentale du droit
d’asile. Pour le HCR, la réponse à l’augmentation importante du nombre de demandes d’asile ne doit

4
Voir le rapport du HCR Vers un nouveau départ : l’intégration des réfugiés en France, septembre 2013,
http://www.refworld.org/pdfid/523aefec4.pdf
5
Voir le document de recherche de Frances Nicholson, consultante pour le HCR « The Essential Right to Family
Unity of Refugees and Others in Need of International Protection », décembre 2017
http://www.refworld.org/docid/5a3cebbe4.html

2
pas avoir pour conséquence d’affaiblir les garanties procédurales inhérentes à toute procédure
administrative ou contentieuse, particulièrement lorsqu’il s’agit d’identifier des besoins de protection.
Conjuguées entre elles et à d’autres facteurs, certaines dispositions du projet de loi pourraient
notamment conduire à une réduction des garanties à l’accès à une procédure d’asile juste et équitable.
En effet en pratique, les personnes en demande d’asile peuvent se heurter en France à plusieurs
difficultés de nature à compromettre l’exercice effectif de leurs droits : difficultés pour faire enregistrer
leur demande d’asile auprès des guichets uniques des préfectures dans le délai légal de trois jours en
raison de la saturation de certains dispositifs ; difficulté d’accès à une assistance effective, notamment
en plateforme d’accueil dont la mission d’accompagnement social se réduit ; insuffisance de structures
de soins spécialisées et du manque d’interprètes pour la prise en charge des traumatismes et des
vulnérabilités ; accroissement des décisions prises par la CNDA par ordonnance sans accès à une
procédure transparente et en audience publique.
De surcroit, toutes les personnes sollicitant une demande de protection internationale ne bénéficient pas
d’un hébergement au sein du dispositif national d’accueil dédié aux demandeurs d’asile et de
l’accompagnement qu’il inclut et ce, malgré les efforts importants réalisés depuis 2012 avec le
doublement des places en centre d’accueil pour demandeurs d’asile et les engagements présidentiels.
Ces personnes doivent pouvoir bénéficier d’un accompagnement adéquat qui permette l’accès à une
procédure à la fois plus rapide et plus technique.
Pour ces raisons, le HCR recommande de :
- prévoir dans la réforme envisagée l’assistance juridique des personnes en demande d’asile dès
l’initiation de leur demande et veiller à ce que le droit à l’aide juridictionnelle reste effectif au
stade du recours.
- maintenir une procédure de qualité, y compris dans les procédures accélérées, qui permette
également un traitement adéquat des cas les plus complexes.
- garantir l’accès au juge en maintenant le délai de recours d’un mois.
- prévoir des mesures garantissant la possibilité pour le requérant de faire valoir tout élément de
sa demande, y compris jusqu’au jour de l’audience.

III. Refus, fin du statut de réfugié et ordre public


Le HCR prend note du projet d’étendre la faculté pour l’OFPRA de refuser ou de mettre fin au statut
de réfugié aux cas de condamnations pour des faits graves, notamment de terrorisme, prononcées dans
un autre Etat de l’Union européenne. Le HCR partage les préoccupations légitimes des Etats de
s’assurer qu’il n’y ait aucune possibilité, pour ceux qui commettent des actes de terrorisme ou y
apportent leur soutien, de trouver refuge, d’éviter les poursuites, ou de mettre en œuvre de nouvelles
attaques. Le HCR reconnaît que des mécanismes appropriés doivent être mis en place dans le cadre de
l’asile aussi bien que dans les autres domaines. Parallèlement, le HCR considère qu’une attention
particulière doit être portée à ces questions afin d’assurer le juste équilibre avec les principes de
protection des réfugiés qui sont en jeu.
A ce titre, le HCR reste préoccupé par l’ambiguïté qui résulte de la rédaction actuelle de l’article L 711-
6 du CESEDA, qui pourrait conduire à assimiler les exceptions au principe du non-refoulement du
réfugié permises en matière de protection de l’ordre public du pays d’accueil en vertu de l’article 33 §
2 aux clauses d’exclusion de l’article 1 F, ce qui serait incompatible avec la Convention de 19519.
L’article L 711-6 ne saurait ainsi trouver application que dans les limites définies par l’article 33§2 de
la convention de Genève qui ne s’applique qu’à des réfugiés10. En ce sens, le HCR invite la France à

9 UNHCR, Note du HCR sur le projet de loi relatif à la réforme de l'asile (Addendum), juin
2015, http://www.refworld.org/docid/55793e4a4.html;
10 Commentaires annotés du HCR sur la directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes

3
compléter la transposition des paragraphes 4 et 5 de l’article 14 de la directive dite « qualification » par
celle du paragraphe 6 du même article11.

IV. Accueil
Le HCR relève qu’il est envisagé une répartition des demandeurs d’asile vers les régions selon un
schéma national d’accueil fixant à chaque région une part prévisionnelle de demandeurs à accueillir au
sein des différents hébergements qui leur sont dédiés (art.9 du projet de loi et arts. L.744-2 et L.744-7
modifiés du CESEDA). Cette distribution équitable des demandeurs d’asile sur l’ensemble du territoire
national rejoint les préconisations du HCR qui interprète toutefois cette disposition comme incluant
nécessairement une offre d’hébergement effective vers la région où la personne sera orientée et tenant
compte de ses besoins spécifiques, notamment sa situation familiale ou ses besoins médicaux aux fins
d’adaptation des conditions d’accueil. Le HCR s’interroge par ailleurs sur les motifs pour lesquels une
autorisation de quitter la région d’orientation pourrait être refusée par l’OFII entraînant la suspension
immédiate des conditions matérielles d’accueil, outre le délai de réponse, le texte étant silencieux sur
ces points alors que les critères précis devraient être établis par la loi.
Par ailleurs, l’importance de permettre l’apprentissage de la langue officielle le plus en amont possible
à l’instar d’autres pays européens constitue un levier essentiel pour l’intégration et rejoint les demandes
des personnes elles-mêmes. Le HCR recommande que l’apprentissage du français puisse être proposé
aux personnes en demande d’asile dans le cadre d’une politique d’accueil organisant cet apprentissage.
De même l’accès au marché du travail durant la procédure d’asile devrait être rendu possible dans les
six mois de l’introduction de la demande d’asile.

V. Rétention administrative et transferts dans le cadre du Règlement Dublin


Le HCR a déjà eu l’occasion de présenter des observations sur les conditions d’exercice
particulièrement contraignantes du droit d’asile dans un lieu de privation de liberté 12. Le projet de loi
prévoit une durée totale de 90 jours, voire 135 jours en cas de dépôt d’une demande d’asile au lieu
actuellement de 45 jours alors qu’elle était, avant la loi du 16 juin 2011, de 32 jours. Si le HCR reconnaît
que cet allongement de la durée de privation de liberté reste en deçà de ce que peut prévoir le droit
européen, le HCR rappelle qu’eu égard à la situation particulière des demandeurs d’asile, la norme reste
une procédure en milieu ouvert 13 et qu’en cas de recours à une mesure privative de liberté, des
alternatives doivent être avant tout recherchées. Le seul dépôt d’une demande d’asile ne doit pas
constituer en soi un motif de prorogation d’une privation de liberté.
Le HCR regrette par ailleurs que le projet de loi n’envisage pas de simplifier le mécanisme
particulièrement complexe d’annulation du maintien en rétention en cas d’introduction d’une demande
d’asile, introduit par la réforme de 2015.

Au regard des transferts dans le cadre du Règlement Dublin, le recours à la rétention administrative dès
l’initiation de la procédure de détermination de l’Etat responsable, comme prévue dans la proposition

minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour
pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d'autres raisons, ont besoin d'une protection
internationale, et relatives au contenu de ces statuts, http://www.refworld.org/cgi-
bin/texis/vtx/rwmain/opendocpdf.pdf?reldoc=y&docid=48d200902, p. 32.
11
Article 14 par. 6 de la directive « qualification » : « Les personnes auxquelles les paragraphes 4 et 5 s’appliquent
ont le droit de jouir des droits prévus aux articles 3, 4, 16, 22, 31, 32 et 33 de la convention de Genève ».
12
Observations écrites du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés devant la Cour européenne
des droits de l’homme dans l’affaire I.M. c/France, requête no. 9152/09,
http://www.refworld.org/docid/4abb61992.html
13
UNHCR Annotated Comments to Directive 2013/33/EU of the European Parliament and Council of 26 June
2013 laying down standards for the reception of applicants for international protection (recast),
http://www.refworld.org/docid/5541d4f24.html

4
parlementaire adoptée le 15 février 2018 dans douze situations,14 risque de conduire à de nombreuses
mesures privatives de liberté avant toute mesure d’éloignement. Le HCR invite la France à revenir sur
la formulation adoptée en la circonscrivant à la définition précise et encadrée du risque non négligeable
de fuite15 afin de tenir dûment compte de la différence notable voulue par le Règlement Dublin entre le
risque de fuite et le risque non négligeable de fuite. De surcroît, les décisions retenant le risque non
négligeable de fuite devraient dans leur motivation clairement exprimer la nécessité et la
proportionnalité d’une mesure de placement en rétention au lieu et place de mesures alternatives en
prenant en considération les éléments « à charge » et « à décharge » et éviter en tout état de cause des
motivations stéréotypées tout en préservant un recours effectif.

S’agissant des enfants, le HCR a clairement précisé sa position en indiquant que les enfants ne peuvent
être privés de liberté pour des raisons migratoires et que la privation de liberté ne peut en aucun cas être
considérée comme étant dans leur intérêt supérieur16. Le HCR encourage les autorités françaises à saisir
l’occasion de ce projet de loi pour mettre un terme à la rétention des enfants en prévoyant les dispositifs
appropriés de prise en charge17. Le HCR est prêt à offrir son assistance aux autorités françaises pour la
mise en place de telles mesures.

VI. Renforcer la procédure de reconnaissance du statut d’apatride.


Le HCR a eu l’occasion de saluer l’introduction par la loi du 29 juillet 2015 d’un titre spécifiquement
consacré aux apatrides dans le CESEDA. Le HCR recommande de poursuivre la consolidation de la
procédure de détermination du statut d’apatride, notamment en ce qui concerne les conditions
d'enregistrement de la demande, et en prévoyant, d'une part, que le demandeur a le droit d'être entendu
par l'office en présence d'un tiers avant que la décision ne soit rendue et, d'autre part, que le recours
contre la décision rejetant la demande soit suspensif de l’éloignement du territoire dans l’attente de la
décision du juge administratif compétent19.

Représentation du HCR pour la France


5 mars 2018

14
Proposition de loi permettant une bonne application du régime d’asile européen, adoptée le 15 février 2018.
15
UNHCR, Note du HCR sur le projet de loi relatif à la réforme de l'asile (Addendum), Juin
2015, http://www.refworld.org/docid/55793e4a4.html
16
UNHCR's position regarding the detention of refugee and migrant children in the migration context, January
2017, http://www.refworld.org/docid/5885c2434.html
17
Voir UNHCR, Options for governments on care arrangements and alternatives to detention for children and
families, 2015, http://www.unhcr.org/57ff43d24
19
UNHCR Document de bonnes pratiques Instaurer une procédure de détermination de l’apatridie pour
protéger les apatrides, Paper Action 6 http://www.refworld.org/cgi-
bin/texis/vtx/rwmain/opendocpdf.pdf?reldoc=y&docid=5a0ab0a74, p. 9

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