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Tréma

51 | 2019
Usages didactiques de la bande dessinée

Quand l’élève devient auteur.e : analyse didactique


d’ateliers BD-sciences
Cécile de Hosson, Laurence Bordenave, Pierre-Laurent Daures, Nicolas
Décamp, Christophe Hache, Julie Horoks et Isabelle Kermen

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/trema/4895
DOI : 10.4000/trema.4895
ISSN : 2107-0997

Éditeur
Faculté d'Éducation de l'université de Montpellier

Édition imprimée
ISBN : 979-10-96627-07-3
ISSN : 1167-315X

Référence électronique
Cécile de Hosson, Laurence Bordenave, Pierre-Laurent Daures, Nicolas Décamp, Christophe Hache,
Julie Horoks et Isabelle Kermen, « Quand l’élève devient auteur.e : analyse didactique d’ateliers BD-
sciences », Tréma [En ligne], 51 | 2019, mis en ligne le 01 mars 2019, consulté le 10 décembre 2020.
URL : http://journals.openedition.org/trema/4895 ; DOI : https://doi.org/10.4000/trema.4895

Ce document a été généré automatiquement le 10 décembre 2020.

Trema
Quand l’élève devient auteur.e : analyse didactique d’ateliers BD-sciences 1

Quand l’élève devient auteur.e :


analyse didactique d’ateliers BD-
sciences
Cécile de Hosson, Laurence Bordenave, Pierre-Laurent Daures, Nicolas
Décamp, Christophe Hache, Julie Horoks et Isabelle Kermen

Les auteurs et auteures de cet article tiennent à remercier les dessinateurs et dessinatrices :
Guillaume Boutanox, Barbara Govin, Louna, Morgane Parisi, Céline Penot ; les doctorants et
doctorantes : Mélanie Chevance, Ilaria Chillotti, Claire Pancrace, Victor Reville, Olivier
Schiettekatte, Vincent Vong, ainsi que Gaëlle Couvreur et Thomas Gaudisson.

Introduction
1 La plupart des recherches qui traitent de l'interaction entre les bandes dessinées et
l'enseignement des sciences se concentrent sur l'utilisation en classe d’œuvres existantes
(Chevalier, 2013 ; Hosler & Boomer, 2011 ; Arguel et al., 2017). Dans cette perspective, les
élèves sont lecteurs et leur activité engage la plupart du temps l'identification et la
mémorisation d’informations scientifiques dont l’accessibilité repose fortement sur les
choix (textes, dessins, narratifs, mise en page, etc.) faits par les auteurs des supports
utilisés. L'enseignant quant à lui joue le rôle de guide qui facilite l'identification et
l'obtention des informations pertinentes. Les expériences pédagogiques de cette nature
sont nombreuses et s’appuient sur l’usage de bandes dessinées de natures variées qui
relèvent pour certaines d’entre elles spécifiquement de la vulgarisation scientifique
(Hosler & Boomer, 2011 ; Arguel et al., 2017), et d’autres pas. C’est ainsi que certains
albums bien connus de Tintin ou d’Astérix ont fait leur entrée dans la classe de sciences
(Chevalier, 2013 ; Blanquet 2016) en devenant support du travail de mise au jour des
phénomènes et des savoirs cachés derrière les mots, les images et leur organisation.
2 En contrepoint de cet usage, plusieurs recherches promeuvent la création, par les élèves,
d’une planche ou d’une bande dessinée au sein même de la classe (Wright & Sherman,
1999 ; Morrison et al., 2002, Gonzalez-Espada, 2003 ; Iacono & de Paula, 2011 ; Albrecht &

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Voelzke, 2012 ; Arregui & Otegui, 2016) et c’est également dans cette perspective que
s’inscrit notre travail. Dans la plupart de ces travaux, la création de bandes dessinées
apparaît comme un moyen efficace pour susciter ou accroître la motivation des élèves
pour les sciences. Mais au-delà de cet aspect, ces recherches ne fournissent que très peu
d'informations sur la façon dont la science est représentée par les élèves, et plus
précisément sur le processus à travers lequel les élèves à sélectionnent et à transforment
les savoirs qu’ils mettent en scène. Encore plus rares sont les études qui analysent ce que
les élèves apprennent effectivement à travers ces activités de production de bande
dessinée, tant sur le plan scientifique que sur les plans artistiques et narratifs (Tatalovic,
2009).
3 Ces angles-mort motivent pour partie la recherche que nous présentons ici. Précisément,
notre travail étudie le processus de création de planches de bande dessinée produites
chacune par l’un des 48 élèves engagés dans des ateliers BD-sciences (Bordenave, 2012) et
mis en contact avec un discours savant délivré par un.e jeune chercheur.e en sciences
exactes ou naturelles (mathématiques, biologie, physique et chimie).
4 Dans la première partie de cet article, nous présenterons le dispositif “atelier BD-
sciences” au sein duquel les bandes dessinées se créent. L’approche instrumentale,
exposée dans une deuxième partie, nous servira d’environnement théorique et
méthodologique pour l’analyse des processus de création des 48 planches (troisième
partie). Nous montrerons comment la création d’une planche dans le contexte d’un
atelier BD-sciences engage un ensemble de tâches contraintes par des nécessités
artistiques, narratives, médiatives et scientifiques dont la réalisation, propre à chaque
élève, peut être révélatrice d’apprentissages.

Les ateliers BD-sciences


5 Les “ateliers BD-Sciences”, créés en 2011 par l’association Stimuli1, ont pour objectif de
permettre à des collégiens et lycéens de devenir, hors temps scolaire, auteurs d’une
planche de bande dessinée mettant en scène un ou des savoirs de sciences (Bordenave,
2012).
6 Concrètement, un dessinateur, une dessinatrice professionnel.le, un.e jeune chercheur.e
et un médiateur ou une médiatrice scientifique accompagnent une dizaine d’adolescents
volontaires, de classe d’âge homogène, dans la création de récits de bande dessinée
traitant d’une thématique de science découverte pendant l’atelier. La mission incombant
à chaque adolescent est d’être l’auteur d’une planche de bande dessinée, destinée à être
lue et comprise par des personnes n’ayant pas assisté à l’atelier et montrant un lien
explicite avec le thème scientifique traité. L’histoire et les contenus sélectionnés par
l’élève sont laissés à son libre choix. Le contenu de l’atelier est préparé en amont par
l’équipe encadrante afin de définir les éléments de savoirs à présenter au sein de la
thématique choisie, en fonction de l’âge et du niveau scolaire des élèves et des conditions
de réalisation de l’atelier. La validation du contenu scientifique est décidée conjointement
par le chercheur et la personne en charge de la médiation. L’atelier comprend les
composantes suivantes :
• artistiques : (techniques de dessin et d’écriture d’un scénario, réalisation d’un storyboard,
encrage, mise en couleur

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• scientifiques : (discours du chercheur, diaporama comprenant visuels et mots-clefs,


discussion collective ou dialogue individuel avec les participants
• médiatiques : (facilitation des échanges, accompagnement de l’écriture du scénario, analyse
du choix des représentations
7 Une description plus précise du contexte et du déroulement des ateliers est proposée au
paragraphe 5.1.
8 L’encadrement est donc interdisciplinaire et conjugue les savoirs et savoir-faire issus de
la bande dessinée, de la recherche scientifique et de la médiation. La présence d’un
dessinateur, outre son enseignement technique indispensable, permet aux participants de
rencontrer un artiste, avec son expérience de la création et ses choix artistiques. Cette
rencontre est un des éléments moteurs de l’implication des jeunes. Les savoirs
scientifiques sont apportés par un chercheur, généralement un doctorant dans la
discipline scientifique définie. Au-delà de l’incarnation du travail de recherche que
représente le doctorant, sa présence lors de l’atelier permet d’instituer le dialogue avec
les jeunes participants sur son expérience, sa pratique de laboratoire et bien sûr ses
connaissances scientifiques. Enfin, le médiateur scientifique permet de faire le lien entre
les savoirs délivrés par le chercheur et ceux des participants, mais aussi de guider le
dialogue entre toutes les personnes impliquées dans le dispositif. A l’issue de l’atelier, les
planches des jeunes sont présentées à leurs proches (parents, amis) lors d’une exposition.
Cette forme de restitution est un élément de motivation pour aboutir à l’implication des
participants. C’est aussi pour eux un moment important de retour d’expérience, partagé
avec leurs proches.

Cadre théorique et méthodologique : l’approche instrumentale

9 Dans l’atelier BD-sciences, les élèves sont auteurs d’une planche se donnant pour finalité
la restitution d’éléments d’un discours savant. Le matériau initial mis à la disposition des
élèves relève à la fois du discours scientifique « savant » lui-même, et de la sémiotique de
la bande dessinée (codes et des règles qui en soutiennent l’élaboration graphique et
narrative, voir Peeters, 2002, Robert, 2014) qu’il s’agit de coordonner. Nous nous
intéressons aux conséquences de cette coordination par les élèves-auteurs sur leur
développement cognitif. Autrement dit, nous cherchons à caractériser la manière dont les
élèves-auteurs s’approprient l’arsenal sémiotique de la bande dessinée pour créer une
planche de BD-sciences qui intègre des éléments d’un discours savant.
10 D’un point de vue théorique, nous choisissons d’examiner ce processus de création via la
mobilisation de l’approche instrumentale telle que définie par Rabardel (1995). Dans les
lignes qui suivent, nous en rappelons quelques principes fondateurs, principes que nous
contextualisons ensuite à notre objet d’étude afin d’en montrer la pertinence.
11 L’approche instrumentale repose deux concepts fondamentaux : la distinction artefact/
instrument et la genèse instrumentale. Un artefact (ou référent artefactuel) peut être
considéré comme un objet (matériel ou symbolique) conçu pour répondre à un (ou des)
objectif(s) spécifique(s) auquel il est possible d’associer un certain nombre de fonctions.
Un instrument est défini quant à lui comme un artefact inscrit en situation d’utilisation
auquel se voient associés un certain nombre de schèmes d’action2. Le concept de genèse
instrumentale renvoie au processus d’élaboration de l’instrument à partir de l’artefact
par un individu lors d’une activité. Au cours de ce processus, un même artefact peut, pour
différents individus, se voir attribuer diverses fonctions, caractéristiques de l’élaboration

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d’instruments. S’intéresser à la genèse instrumentale permet de saisir à la fois l’évolution


des artefacts liée à l’activité de l’individu et aux schèmes qui soutiennent cette évolution,
et par voie de conséquence, à certaines dimensions du développement cognitif des
individus. C’est pour cette potentialité heuristique que nous avons choisi d’emprunter
cette voie théorique.
12 Considérer la planche de BD-sciences créée lors des ateliers comme un « instrument »
permet de saisir d’une part les caractéristiques de l’objet « bande dessinée »
(organisation chronologique d’un récit en cases incluant des dessins, des symboles et du
texte) et de l’objet « narration courte » (présence d’un héros, d’une mise en intrigue,
d’une chute) sélectionnés et traités par les élèves-auteurs. Cela permet également
d’identifier les schèmes d’action à l’œuvre dans l’activité d’élaboration de la chaque
planche, et d’apprécier la manière dont les élèves-auteurs assimilent et accommodent les
règles et les codes spécifiques de la bande dessinée et de la narration courte, mais aussi
les raisons pour lesquelles ils font ce qu’ils font (voir figure 1). Ces codes et ces règles
constituent donc un référent artefactuel, un système ayant ses spécificités et fonctions
propres et adaptables aux fonctions que lui assigneront les élèves-auteurs (restituer un
savoir scientifique, faire rire, effrayer, etc.). L’élaboration de la planche de BD-sciences
repose donc sur la nécessité pour l’élève-auteur de se construire un « lecteur-modèle »
(Eco, 2014), c’est-à-dire, un lecteur « capable de coopérer à l'actualisation textuelle de la
façon dont lui, l'auteur, le pensait et capable aussi d'agir interprétativement comme lui a
agi générativement » (Ibid., p. 68). L'élève-auteur présuppose donc « la compétence de
son lecteur-modèle et en même temps il l'institue » (Ibid.). Dans l’environnement atelier
BD-sciences, ce processus se voit travaillé par le médiateur et le dessinateur, notamment
pendant l’étape de scénarisation de la bande. Par voie de conséquence, et compte-tenu de
la variété des appropriations et des fonctions possibles, chaque atelier BD-sciences
devient potentiellement générateur d’instruments variés et différents, résultats
d’élaborations instrumentales non univoques.

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Figure 1 : Schématisation du processus genèse instrumentale contextualisé aux ateliers-BD


sciences. Au cours de l’atelier, l’élève-auteur assimile un certain nombre d’éléments (sémiotiques et
narratifs) et de fonctions possibles spécifique de l’objet bande dessinée en tant qu’artefact (ie :
l'artefact est neutre en ce qu'il ne privilégie a priori aucune de ces fonctions). Un travail de tri, de
choix, piloté par la consigne de l’atelier d’une part (ie : la planche doit rendre compte d’un élément
du discours du doctorant) et la fonction (plus ou moins consciente) que l’élève-auteur assigne à sa
planche d’autre part, conduit à l’élaboration d’un artefact contextualisé (non neutre), un instrument
qui inclut certaines caractéristiques de l’artefact et les schèmes ayant conduit à sa création.
L’identification de ces schèmes permet de remonter à certaines dimensions de l’activité cognitive
de l’élève-auteur.

13 L’approche instrumentale définit ainsi un certain nombre de questions et de lignes


d’analyse qui seront développées dans la suite de cet article. Mais il convient toutefois de
préciser que les élaborations instrumentales à l’étude sont des créations (et non des
utilisations d’artefacts existants) à partir d’un artefact idéel (au sens où il n’y a pas de BD
type) de nature sémiotique (Mariotti & Maracci, 2010). L’instrument créé est lui-même de
nature sémiotique dans la mesure où il s’agit d’un système de signes langagiers et
graphiques, sélectionnés, organisés, traités de manière à accueillir, à mettre en scène et à
donner à voir et à lire, des éléments d’un discours savant.

Problématique et questions de recherche

14 L’ensemble des planches créées est considéré comme le résultat d'un processus
d'évolution d’un artefact engageant un jeu dialectique entre des éléments de discours
savant à mettre en scène, laissés au libre choix de chaque élève, et la planche à créer
selon des règles précises (choix des personnages, des organisations spatiale et
chronologique, de mise en récit, choix d’intrigue, de chute, de graphisme, de plans, etc.).
Dans ce contexte notre travail vise l’analyse des genèses instrumentales à l’œuvre dans
les ateliers BD-sciences et se donne pour objectif d’explorer les questions de recherche
(QR) suivantes :
15 QR1 : Quels codes narratifs et graphiques spécifiques de l’artefact « planche de BD l’élève-
auteur » l’élève s’approprie-t-il et comment les adapte-t-il ? Avec quelles intentions ?
Quelle place pour le savoir scientifique ?

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16 QR2 : Quelle est la validité scientifique des éléments de connaissance contenus dans la
bande dessinée créée ? Quels sont les écarts entre les savoirs scientifiques présentés par
le chercheur et ceux présents dans la planche de BD ?
17 Ces deux questions de recherche sont soutenues par deux postulats. D’abord, l’élaboration
instrumentale à l’œuvre ne garantit pas nécessairement la préservation de l’intégrité des
éléments du discours savant. Les règles sémiotiques de l’artefact bande dessinée risquent
en effet de contraindre la manière dont les éléments de discours savant se disent et se
dessinent, portant ainsi atteinte à leur conformité (voire à leur présence). Il serait pour
autant inexact d'interpréter de telles distorsions uniquement en termes de connaissances
incorrectes des élèves-auteurs (postulat 1). Autrement dit, la figuration d’un savoir
scientifique erroné dans une planche de BD-sciences n’est pas nécessairement le signe
d’un apprentissage manqué à l’occasion de l’atelier. De fait, les planches de BD-sciences
vont contenir des traces de discours savant, plus ou moins saillantes, explicites,
repérables, plus ou moins fidèles, plus ou moins correctes dont la figuration dépend de
plusieurs facteurs : les buts que les élèves-auteurs assignent à leur planche, les types de
schèmes d’action stimulés par l’artefact mais également par les éléments du discours
savant, par les échanges avec les acteurs de l’environnement atelier-BD sciences, etc. La
place et la forme prises par ces éléments de discours au sein de la planche, en particulier,
leur lien avec l’intrigue narrative, le contexte choisi pour les mettre en scène (plus ou
moins proche de celui du discours savant) forment autant d’indicateurs pertinents pour
inférer certains types de schèmes activés (assimilation des codes sémiotiques et narratifs,
des éléments de discours savant, accommodation de ces éléments et des éléments
sémiotiques et narratifs) pendant l’élaboration instrumentale (postulat 2).

Méthodologie de recueil et d’analyse des données


Recueil des données - constitution du corpus

18 Entre janvier 2014 et avril 2017 nous avons organisé sept ateliers BD-sciences d’une durée
moyenne de 14h/atelier. Les ateliers étaient organisés hors temps scolaire, soit au sein
d’établissements (collège, lycée), soit en centre de loisir. Aucun enseignant n’a pris part
au déroulement des ateliers. Nous avons retenu quatre thématiques disciplinaires
distinctes (en mathématiques, en physique, en chimie et en biologie - voir tableau 1).
Notre corpus est constitué comme suit :
19 Les 48 planches produites par les élèves au cours des ateliers (données D1)
20 Les transcriptions des échanges verbaux entre les différents acteurs et actrices des
ateliers extraits des enregistrements audios et vidéos des ateliers. Nous n’avons transcrit
que les échanges permettant de comprendre les choix des élèves auteurs des planches et
extraits de planches auxquels nous avons choisi de nous intéresser (données D2).
21 Les transcriptions d'une sélection des 48 enregistrements audio post-atelier, dans
lesquels les élèves ont présenté leurs travaux et expliqué leurs choix en termes de
science, de dessins, de narration, d'intentions, etc. (données D3).

Tableau 1 : Présentation des thématiques des ateliers BD-sciences

Principaux éléments du discours savant

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Mathématiques
Physique (PHY) Biologie (BIO) Chimie (CHIM)
(MATH)

Éléments de savoir savant

Présentation générale
et historique du champ
Vue d’ensemble du de la cryptographie. Notion de cellule dans le Synthèse de
système solaire Explicitation de monde vivant ; différentes matériaux
incluant une techniques de catégories de micro- inorganiques :
description des cryptographie et de organismes (bactéries, formation de
propriétés cryptanalyse, des champignons et virus) ; cristaux et notion de
physiques et difficultés de ces éléments d’écologie réseau cristallin,
chimiques du techniques (enjeu du microbienne ; éléments de nanoparticules
Soleil et au-delà temps de décryptage), virologie ; exploitation des injectables,
avec mention des ainsi que de leurs propriétés microbiennes élaboration de
exoplanètes. usages pratiques. (production de nanoaimants et
Quelques éléments Présentation de médicaments, fabrication de
d’histoire des quelques questions biodégradation) ; les céramique. Principe
sciences ouvertes du champ de cyanobactéries (écologie) ; de l’analyse par
(découverte de la cryptographie les bactériophages microscopie
Cassini) (ordinateur quantique, (principes et histoire) électronique.
liens avec
l’arithmétique).

Méthodes

Description de
quelques méthodes
d’encodage (César,
Vigenère, cryptage
asymétrique) et de
Présentation des
décodage (systèmes de Techniques
instruments et Montage à reflux,
clés, fréquences des d’échantillonnage dans
dispositifs de séparations par
lettre). Les élèves l’environnement ;
détection et distillation, par
devaient crypter une techniques d’observation
d’analyse des centrifugation.
phrase en utilisant microscopique
rayonnements.
différentes méthodes,
puis tenter de
déchiffrer un texte en
utilisant un logiciel de
codage-décodage.

Contexte de la recherche

Élaboration de
Le contexte et le
Description des Partage des connaissances nouveaux aimants
contenu de la
activités (participation à des sans élément
recherche menée par le
quotidiennes d’un colloques, publication chimique Terre Rare
doctorant sont très peu
astrophysicien. scientifique) pour des raisons
évoqués.
économiques

14h 14h 12h 12h

20 planches 9 planches 12 planches 7 planches

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Age des adolescents

11-14 ans 11-16 ans 11-13 ans 14-15 ans

22 Quatre sujets (physique du Soleil/ cryptographie/ micro-organismes/ fabrication des


nano-aimants) ont été sélectionnés par les auteurs de la présente recherche. Ce choix a
été guidé par des considérations variées : attractivité supposée et accessibilité du sujet
pour les élèves, proximité avec la vie quotidienne, et disponibilité des doctorants.

Méthode d’analyse des données

23 Notre analyse s’est déroulée en deux temps :


24 Dans les 48 planches élaborées par les élèves-auteurs (données D1) nous avons pointé les
éléments de discours savant mis en scène et leurs contextes d’émergence. Nous en avons
caractérisé la forme sémiotique (texte, image) puis nous l’avons examiné à la lumière de
leurs référents savants (considérés d’une part du point de vue du discours du doctorant,
de la doctorante, et d’autre part, du point de vue des savoirs et des processus scientifiques
en jeu). Nous avons ensuite cherché à catégoriser la part prise par les éléments de
discours savant et plus généralement par les savoirs scientifiques, selon qu’ils participent
(catégorie 2) ou non (catégorie 1) à l’intrigue. L’ensemble de ces analyses a été réalisé par
trois binômes de chercheurs (auteurs de cet article) de manière indépendante.
25 Pour les planches les plus représentatives de ces catégories, le corpus complet de l’élève a
alors été analysé : sa première ébauche et sa planche finale, toutes ses interactions avec
l'ensemble des acteurs de l'atelier, ainsi que ses commentaires après l'atelier. L'objectif
était de suivre, étape par étape, la dynamique du processus de création et de saisir les
éléments de la présentation du doctorant, de la doctorante à travers les choix de l'élève.
D'un point de vue méthodologique, il s'agissait de reconstituer l'histoire complète du
processus d'émergence d'une planche à partir des différentes tâches réalisées au cours de
l'atelier (un dessin, un texte, un scénario, etc. et d’éventuelles tâches scientifiques
proposées par le doctorant lui-même). Nous avons utilisé pour cela les transcriptions des
échanges associées à ces tâches (données D2 et D3). Les résultats présentés ci-dessous
émergent d’une analyse consensuelle négociée et sans désaccord notable à partir des
analyses des trois binômes indépendants.

Analyse des données


26 Nous allons nous intéresser dans une première partie à la part prise par les éléments de
discours savant et plus généralement par les savoirs scientifiques dans la construction de
l’intrigue et dans la narration dans les planches. Nous remonterons dans une seconde
partie aux formes sémiotiques mobilisées par les élèves-auteurs pour figurer les éléments
de discours savant et les savoirs scientifiques en nous attardant sur la proximité de ces
éléments figurés avec leurs référents savants.

La place du savoir scientifique dans la narration

27 D'une manière générale, les éléments de la présentation du doctorant, de la doctorante


(informations scientifiques sur les concepts et/ou les processus) remplissent des rôles

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différents dans les planches et se trouvent à différents endroits dans le récit. Nous les
classons dans les catégories exposées ci-dessus, selon que les éléments savants participent
ou non de la narration :
28 Catégorie 1 (51 % de la totalité des planches produites) : Un ou plusieurs éléments du
discours du doctorant sont présents dans la planche mais apparaissent comme des
propositions contingentes (ie : non nécessaires et non problématisés dans la planche).
Cette première catégorie peut se subdiviser en deux groupes : nous distinguons d’abord
les planches dans lesquelles un aspect singulier et caractéristique de la présentation peut
être reconnu dans le dessin, mais il paraît difficile d’y voir un apport réel d’information
scientifique (catégorie 1a - 18 %).
29 Par exemple, l'énergie du Soleil décrite dans l'atelier de physique devient une source
d'énergie qui transforme un " géant " en super-héros dans la planche d'Amin P (figure 2).
Dans la planche d’Amélie (figure 3), le promeneur se retrouve encerclé par des voitures
attirées par l’aimant qu’il a avalé et se transforme en super héros. De la présentation du
doctorant ne subsiste que le terme “aimant” et sa capacité d’attraction. Le processus de
création incarne un processus de désyncrétisation où des connaissances partielles
(souvent réduites à des mots ou à des copies exactes des images utilisées par le doctorant)
sont extraites pour s'insérer dans un récit autonome très différent de la présentation
originale. Si cette connaissance partielle fait partie d'un argumentaire scientifique
cohérent, elle devient un élément singulier et indépendant utilisé par l’élève-auteur
(catégorie 1a - 18 % de la totalité des planches).

Figure 2 : Extrait de la planche d’Amin P. (atelier PHY)

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Figure 3 : Extrait de la planche d’Amélie (atelier CHIM)

30 Ce premier groupe de planches de la catégorie 1 se distingue de celles dans lesquelles un


ou plusieurs savoirs scientifiques sont explicitement énoncés (catégorie 1b - 33 % de la
totalité des planches) : la durée de vie, la masse, la distance par rapport à la Terre et la
composition chimique du Soleil ; ce que sont les micro-organismes ; le processus de
phagothérapie ; et même la vie quotidienne d'un chercheur travaillant dans un
laboratoire et les contraintes (institutionnelles, économiques) auquel il doit faire face.
Dans les planches de ce groupe (1b) des savoirs sont énoncés, en générale par la voix
d’une instance « savante », mais ils ne prennent pas part au déroulement de l’intrigue.
Par exemple, dans la figure 4, le monologue de Tom le chat est une représentation
archétypique du savant donnant une conférence ; dans la figure 5, c’est la Terre qui tient
le rôle d’énonciatrice savante : “Eh, le Soleil, tu veux des infos sur toi ?” demande-t-elle
au Soleil. ?.

Figure 4 : Extrait de la planche de Dos Reis (atelier physique)

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Figure 5 : Extrait de la planche de Bastien (atelier PHY)

31 Catégorie 2 (49 % de la totalité des planches produites) : l'information scientifique est


énoncée et participe à la narration. En d'autres termes, la bande dessinée tire son sens de
l'information scientifique qui lui est fournie. Dans certains cas, l'information scientifique
doit être connue pour comprendre le but du récit ou doit être découverte. La planche
d’Amin M. (figure 6) est un exemple remarquable de ce type de planche : ici, la notion de
“cryptage asymétrique” se dévoile à travers le récit suivant : Bob l’éponge envoie une
boîte cadenassée à Patrick l’étoile de mer ; Patrick renvoie la boîte scellée par un
deuxième cadenas à Bob qui ôte le premier cadenas dont il a conservé la clé puis il
renvoie la boîte à Patrick qui a son tour ouvre la boite avec la clé de son propre cadenas.
Dans la planche de Teddy (figure 7) le lecteur doit connaître le principe de la distillation
pour comprendre que ce procédé de séparation de mélanges homogènes de corps pur est
approprié pour séparer le mélange fait par erreur par le savant. Dans ces planches, le
savoir scientifique n’est plus contingent mais revêt un caractère de “nécessité” (Fabre &
Orange, 1997), il s’inscrit en tant que réponse à un problème posé dans et par la planche.
32 A noter, l’une des planches ne comportait aucun élément du discours savant initial. Nous
l’avons considéré comme “hors catégorie” (planche de Mounir – voir paragraphe
« interprétation »).

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Figure 6 : Planche complète de Amin M (atelier MATH). On trouve ici une présentation de la
problématique et du principe du cryptage asymétrique (ce type de situation a été abordé par le
doctorant dans son exposé en introduction des systèmes de cryptages asymétrique).

Figure 7 : Extrait de la planche de Teddy (Atelier CHIM).

La validité de l’information scientifique donnée à lire et à voir

33 En ce qui concerne la validité de l'information scientifique traduite, plusieurs aspects


peuvent être distingués. La plupart des informations écrites présentées dans les bandes
dessinées des catégories 1b et 2 sont scientifiquement valides. Par exemple, certaines
planches des ateliers BIO sont illustrées par des dessins de micro-organismes qui
reprennent les images présentées par le doctorant (figure 8).

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Figure 8 : Extrait de la planche d’Arthur G. (atelier BIO).

34 Les noms des processus de décryptage et de cryptage sont cohérents avec les
informations cryptographiques fournies (figure 9).

Figure 9 : Extrait de la planche de Yara (atelier MATH). L’information scientifique est lisible dans la
2e case de cet extrait : “(...) C’est crypté à la César avec le décalage de 4 lettres”.

35 Lorsqu'ils ont besoin de mettre en scène différentes échelles de temps et de distance, les
élèves-auteurs utilisent les astuces de dessin habituelles (un télescope, un microscope,
etc.) afin de présenter des effets visuels impossibles et de fournir au lecteur les
perspectives de distance et de temps nécessaires (voir figure 10).

Figure 10 : Extrait de la planche de Carla (atelier BIO)

36 Dans certains cas, des informations scientifiques valides sont incorrectement traduites en
image. Deux de ces cas sont illustrés à la figure 5 (voir plus haut) et 12 ci-dessous : dans le
dessin de Bastien, le pèse-personne est une représentation conventionnelle d'un

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instrument de mesure du poids ; dans celui d'Aymen la déviation du vaisseau spatial


semble le fait d’une force gravitationnelle “répulsive” (et non attractive).

Figure 11 : Extrait de la planche de Aymen (atelier PHY)

37 Mais comme nous l’indiquions dans la section 4, la figuration d’un savoir scientifique
erroné dans une planche de BD-sciences n’est pas nécessairement le signe d’un
apprentissage manqué dans la mesure où l’élaboration instrumentale ne repose pas
uniquement sur une exigence d’authenticité scientifique comme nous allons le montrer
dans la section suivante.

Interprétation
38 Le processus d’élaboration instrumentale engage l’élève-auteur dans la reconnaissance et
l'exploitation d'un certain nombre de règles et de codes spécifiques à la narration
graphique mais aussi dans une activité de sélection d'éléments d'un discours scientifique.
Cet ensemble devient le matériau à partir duquel la planche est construite. Selon les buts
que l’élève-auteur assigne à sa planche, la dialectique entre les propriétés de l'artefact et
les éléments scientifiques en jeu est déclinée selon différentes modalités qui dépendent
des schèmes activés.
39 La proximité entre l’artefact et certains schèmes du « sens commun » (Viennot, 1996)
semble favoriser l’élaboration instrumentale. Par exemple, la bande dessinée (sous sa
forme classique) est organisée selon la flèche du temps (lecture de gauche à droite et de
haut en bas), ce qui peut favoriser l’exposition de savoirs et/ou de processus scientifiques
eux-mêmes organisés dans le temps. Dans ce cas, on peut s'attendre à ce que les schèmes
d’action mobilisés par l’élève-auteur génèrent un contenu scientifiquement non
corrompu (du point de vue de son organisation dans l'espace et dans le temps) dans la
mesure où le sens commun organise les événements de manière chronologique. Les
planches consacrées à la cryptographie mobilisent cette propriété et valorisent des
histoires dans lesquelles le temps de décryptage d'un message codé correspond au temps
de lecture de la planche. En l’occurrence, la cryptographie est fondée sur le fait qu'un
message codé ne doit pas pouvoir être décodé trop rapidement par quelqu'un qui n'a pas
la clé de codage. C'est ce qu'a déclaré le doctorant au début de l'atelier de mathématiques.
La nécessité narrative d'une chute et la dimension humoristique recherchée par de
nombreux élèves-auteurs conduisent par exemple à l'élaboration d'une planche où des
protagonistes déçus décodent trop tard un message crypté (voir figure 10). Ainsi, la
parenté entre la narration BD et certains traits du sens commun permet aux élèves-
auteurs d'affirmer clairement que la notion de "longue durée" est un principe fondateur
du processus cryptographique. En d'autres termes, l'organisation temporelle de la

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Quand l’élève devient auteur.e : analyse didactique d’ateliers BD-sciences 15

contrainte des cases, intrinsèque au séquençage du récit, structure l'action des élèves-
auteurs. Cette fonction est également à l’œuvre lorsque les événements ne doivent pas
être simultanés (par exemple, un message codé ne doit pas être envoyé avec la clé de
décryptage, ce que certains élèves-auteurs ont à la fois compris et mis en scène de
manière appropriée, voir figure 6). Elle s’accompagne de l’activation de schèmes d’action
propices à une élaboration instrumentale qui aboutit à une imbrication forte entre
savoirs scientifiques et narration (planches de catégorie 2). Cette imbrication est
probablement également favorisée par le fait qu’en mathématiques les élèves-auteurs ont
été mis en situation de coder et de décoder des messages pendant l’atelier.
40 Dans une perspective similaire, le fait que la narration soit fondée sur des moments et des
actions qui ne sont pas montrés (ellipses) permet à certains élèves-auteurs d'accélérer le
temps et de déplacer le lecteur d'un endroit à l'autre, d'une échelle à l'autre. Par exemple,
les changements d'échelle (effets de zoom) permettent de préserver et de montrer
l'apparence réelle de certains virus ou bactéries (ce que produit l'imagerie microscopique
en laboratoire, voir figure 10).
41 De même, la présence de bulles permet une narration scientifique presque linéaire,
proche du discours des doctorants. Il devient alors facile pour l’élève-auteur de produire
une bande dessinée à caractère informatif où l'intention est de "faire apprendre aux
lecteurs" (voir figure 4 et 5). A cet égard, si les planches de physique relèvent pour une
grande part de la catégorie 1b (des éléments de savoir scientifique sont présents mais ne
sont pas partie-prenante de l’intrigue) c’est sans doute parce que le discours des
doctorants était structuré autour de l’énonciation de propriétés physiques du Soleil. Les
élèves-auteurs se sont saisis de ces éléments (qu’ils ont mémorisés) pour les installer sous
une forme énonciative (correcte la plupart du temps) favorisée par la mise en texte sous
forme de bulles.
42 A l’inverse, certaines caractéristiques de l’artefact peuvent rendre difficile la préservation
d'une intégrité totale d’un contenu scientifique donné. L’exagération, le
surdimensionnement permettent de mettre en scène des scénarios “catastrophes” très
efficaces pour des narrations courtes et dessinées. Pour autant, ces exagérations sont
souvent faites en conscience comme l’indique ce commentaire de Lily-Rose à propos de sa
planche (voir figure 12) pendant la restitution de l’atelier :
• Interviewer : Comment est-ce possible qu’il y ait autant de matière à partir de si peu là ?
• Lily-Rose : Ben dans mon histoire en fait c’est juste un petit ingrédient que la fille elle s’est
trompée entre deux ingrédients // elle a mis le mauvais et du coup c’est disproportionné (..).
Oui je sais que réellement c’est pas aussi gros mais je me suis dit que pour la BD c’était bien
d’exagérer un peu, sur la taille et tout ça.

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Figure 12 : Extrait de la planche de Lily-Rose (atelier CHIM).

43 Selon une perspective proche, la bande dessinée encourage en général


l'anthropomorphisme, favorisant ainsi une autre tendance du sens commun à prêter vie,
intentions, parole, à des objets dépourvus de ces propriétés (Kallery & Psillos, 2004).
L’auteur d’un récit graphique de fiction mettant en scène les objets du savoir scientifique
doit transposer ces éléments de connaissances au coeur de la sphère narrative et leur
dessiner les contours de personnages capables de soutenir le récit, en d’autres termes,
êtres doués de paroles, de sentiments et d’émotions (Bordenave, 2016). La plupart des
planches des élèves-auteurs mettent en scène des objets inertes personnifiés, des êtres
vivants non-humains dotés de parole, etc. Ces choix se révèlent, dans la plupart des cas
d’une grande efficacité scénaristique. Dans la planche de Marc (figure 13), c’est à
l’occasion d’un monologue prononcé par le Soleil chez le psychiatre (qui a pris soin de
chausser des lunettes de Soleil) que le lecteur apprend que le Soleil est né il y a 4,5
milliards d’années, qu’il est à la moitié de sa vie (raison de la consultation psychiatrique).

Figure 13 : Extrait de la planche de Marc (atelier PHY)

44 Dans la planche de Noah (figure 14), les démangeaisons du personnage barbu sont
expliquées par une déclaration de guerre entre bactéries et virus3.

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Figure 14 : Extrait de la planche de Noah (atelier BIO)

45 Enfin, dans la planche d’Antoine (figure 15) monsieur Sirop et madame Eau fraîchement
“unis par les liens du mélange” se voit séparés par un chercheur qui vient d’opérer une
distillation, technique utilisée en laboratoire pour séparer les mélanges homogènes
liquides de deux corps purs. Là encore, le savoir mis en scène est quelque peu malmené,
non seulement parce que la représentation de l’appareil à distiller est incomplète (il
manque les tuyaux de circulation d’eau) mais également parce que la distillation effective
du sirop de menthe ne conduirait pas à la séparation de l’eau et du sirop dans la mesure
où le sirop n’est pas un corps pur.

Figure 15 : Extrait de la planche d’Antoine (atelier CHIM)

46 Encore une fois, il semble y avoir une relation entre ce que l'artefact encourage et le sens
commun. Cette parenté porte l’élaboration instrumentale mais n’en limite pas
nécessairement la portée strictement scientifique. A titre d’exemple, la prise en compte
de la rationalité biologique dans l'action créative oriente l’activité de l’élève-auteur vers
des récits qui se détournent de l'anthropomorphisme incontrôlé. Dans la bande dessinée
d'Arthur M. (figure 16) les virus se comportent comme des virus tant qu'ils continuent à
contaminer la poule-hôte, quelles qu'en soient les conséquences pour cette dernière, mais
ils prennent aussi en compte la possibilité que la poule soit la dernière, ce qu'ils ne
"savent pas" (notre vision humaine nous dit qu'ils pourraient en être conscients). Le
principe du parasitisme est ici préservé malgré l'anthropomorphisme à l’œuvre : les virus
“se fichent” de contaminer la dernière poule. Ce qui est intéressant ici, c’est que cette
planche est l’aboutissement d’un long échange entre Arthur M. et la médiatrice de

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l’atelier BIO, échange qui a conduit à l’enrichissement du savoir scientifique mis en scène
et à la modification du scénario initialement imaginé par Arthur M.

Figure 16 : Planche complète d’Arthur M. (atelier BIO).

Médiatrice : Ce qui me gêne un peu avec le roi des virus c’est que ça donne l’idée
que les virus veulent attaquer les oiseaux pour leur faire du mal. En fait dans la
réalité, c’est pas ça. Dans la réalité, les virus ils n’ont pas d’autres moyens de se
développer que d’infecter une cellule. Et comme ils sont spécialisés par cellule, ceux
qui sont obligés d’attaquer les oiseaux, ils attaquent les oiseaux. Ils ne le font pas
parce qu’ils n’aiment pas les oiseaux, parce que les virus c’est de toutes petites
entités qui sont vivantes et qui n’ont pas de volonté, qui ne raisonnent pas comme
nous. Ils ne sont pas volontaires. Ils le font pour survivre. Ici ça montrerait qu’il y a
une sorte de volonté, de complot viral qui attaquerait les oiseaux puis l’être
humain. Tu vois ? Ce qui n’est pas exactement ce qu’on a vu avec Claire [la
doctorante de l’atelier BIO, NDLR]. Je suis pas contre la SF…mais…
47 Dans le scénario initial, Arthur prévoyait la destruction de la vie sur terre par l'épidémie
virale qu’il imaginait suivie d’un “débarquement de virus spatiaux qui envahiraient la
Terre”. Cette fin, qui aurait fait basculer la fiction scientifique dans le domaine de la
science-fiction, n'a finalement pas été retenue. On voit là le signe d’une modification des
schèmes d’action de l’élève-auteur, modification que nous n’aurions pas pu saisir à partir
de la planche seule.
48 En outre, il convient de souligner que l'humour occupe une place particulière dans les
planches créées et soutient en grande partie l’élaboration instrumentale (le lecteur
attentif sourira certainement en case 2 de la planche figure 5 lorsque le Soleil demande à
Mercure de lui “passer le thermomètre”). L'ironie est également souvent mobilisée pour
se moquer à la fois des scientifiques et de leurs connaissances. Les codes utilisés dans la
bande dessinée permettent à l’élève-auteur de briser les règles qui régissent les espaces
habituels de transmission des connaissances scientifiques (l'école, par exemple, voir

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figure 9). Le jonglage entre rigueur scientifique et fantaisie iconico-narrative pourrait


être notamment influencé par des pratiques de lecture et des représentations qui
associent fortement la bande dessinée à l’humour. Majoritairement choisie par les élèves-
auteurs, la mise en récit de fiction, plus ou moins réaliste dans les planches BD-sciences,
s’avère être un mode narratif adapté aux exigences de respect d’une certaine validité
scientifique, comme le suggère l’étude sur une bande dessinée de fiction sur la gravitation
(Maron et al., dans ce numéro) dans laquelle les élèves-lecteurs adoptent sans difficulté
les libertés prises par les auteurs de représenter monde réel et monde fictionnel
conjointement. Même s'ils sont encouragés au respect de la validité scientifique, les
élèves-auteurs sont libres de faire ce qu'ils jugent nécessaire pour le bien-être de la
narration et celui des intentions qu’ils lui assignent. De la gestion de ce processus presque
paradoxal émerge la création d'un instrument dont la dimension scientifique est parfois
faible voire absente, ce que Mounir (atelier PHY) assume et justifie parfaitement : « C'est
une bande dessinée ! On ne peut pas aller trop loin avec la science (....). Je ne suis pas en
train de faire des calculs et des chiffres ! Pour moi, une bande dessinée n'est pas un
documentaire ! ». C’est lorsque l’élaboration instrumentale est pilotée par l’intention
unique de “faire de la BD” (et non “faire de la BD scientifique”) que les planches relèvent
de la catégorie 1a. L’exagération, les chutes catastrophistes sont autant de moteurs pour
ce type d’élaborations. On les retrouve d’ailleurs fréquemment dans les planches liées aux
ateliers CHIM et BIO certainement parce que, dans les deux cas, virus et produits
chimiques peuvent susciter inquiétude et dangers.
49 Finalement, les schèmes d’action à l’œuvre dans les élaborations instrumentales semblent
dépendre notamment :
• de la proximité des codes de l’artefact BD avec certains schèmes du sens commun
(organisation temporelle des événements, anthropomorphisme, etc.)
• de la nature de la discipline scientifique en jeu, de la nature du discours du doctorant (s’agit-
il d’un exposé de savoirs déclaratifs ? de savoirs problématisés, dont la résolution peut être
dévolue aux élèves-auteurs ?)
• du lecteur-modèle que l’élève-auteur s’est imaginé.

Conclusion
50 L’ensemble de ces éléments nous permettent de revenir sur les questions de recherche
que nous formulions au début de cet article et que nous rappelons ici :
QR1 : Quels codes narratifs et graphiques spécifiques de l’artefact « planche de BD »
l’élève-auteur s’approprie-t-il et comment les adapte-t-il ? Avec quelles intentions ?
Quelle place pour le savoir scientifique ?
51 Toutes les planches que nous avons analysées se conforment aux codes et aux règles de la
sémiotique de la bande dessinée. Les dessins et les textes associés (dans des bulles, des
appendices, des récitatifs, des onomatopées, etc.) se distribuent dans des cases qui se
succèdent chronologiquement selon une lecture de gauche à droite et de bas en haut. Les
jeux d’échelles, de zoom, apparaissent largement mobilisés, pour faire dialoguer des
planètes entre-elles, pour donner à voir l’invisible (des micro-organismes, des molécules,
etc.). La séquentialisation et les effets d’ellipses servent de support à des histoires pour
lesquelles l’écoulement du temps joue un rôle clé : pour décoder un message crypté, pour
rendre compte de la croissance démesurée d’une substance chimie, etc., pour projeter le
lecteur dans un futur plus ou moins proche, etc. Les idéographies permettant, par

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exemple, de rendre compte du mouvement sont également très présentes (lorsque le


Soleil « monte » sur sa balance, ou que les voitures s’agrègent entre-elles pour fabriquer
le « transformer », par exemple). Du point de vue narratif, toutes les planches sont
scénarisées et la plupart d’entre-elles reposent sur la présence d’un élément déclencheur
et d’une chute. L’information scientifique (présente dans plus de 80 % des planches) se
retrouve, quant à elle, sous des formes variées et participe à des degrés divers à la
structuration du récit. Sur ce point, les résultats de notre étude montrent que plus le
savoir scientifique est partie prenante de l’intrigue et plus il apparaît transposé voire
caché, et il appartient dans ce cas au lecteur de mobiliser ses propres connaissances pour
comprendre l’histoire. L’intention première de l’élève-auteur n’étant pas d’informer son
lecteur (ou de restituer un savoir) mais plutôt de le divertir (faire rire, effrayer, etc.),
l’information scientifique ne se trouve pratiquement jamais mise en texte. A l’inverse, si
le récit se déroule indépendamment du savoir pris pour cible, ce dernier se trouve la
plupart du temps énoncé sous forme textuelle (dans les bulles ou les récitatifs).
QR2 : Quelle est la validité scientifique des éléments de connaissance contenus dans
la bande dessinée créée ? Quels sont les écarts entre les savoirs scientifiques
présentés par le chercheur et ceux présents dans la planche de BD ?
52 Le savoir scientifique, tel qu’il se voit mis en scène, est la plupart du temps valide. De
même, toutes les planches font écho au contenu du discours du doctorant mais à des
degrés divers. La description des propriétés physico-chimiques du Soleil (atelier PHY), des
micro-organismes (atelier BIO), peut se retrouver énoncée à l’identique et de manière
factuelle dans les bulles ou dans les dessins, en particulier lorsque le savoir scientifique
ne prend pas part à l’intrigue. L’anthropomorphisation des corps célestes, des virus, des
bactéries, des molécules (relevant de la seule initiative de l’élève-auteur) constitue
d’ailleurs un des leviers de cette énonciation. De même, en est-il des processus
d’encodage ou de décodage (atelier MATH), des processus de contamination (atelier BIO)
ou des techniques chimiques de cristallogenèse ou de séparation des mélanges (atelier
CHIM) qui se voient assez fidèlement repris dans les planches. Mais dans ce cas (et
contrairement aux intentions des doctorants), le récit ne se donne pas pour but de faire
comprendre le processus au lecteur ; il est au contraire nécessaire pour le lecteur de
savoir des choses sur les processus en jeu pour comprendre l’histoire. Et c’est alors que
certaines distorsions avec le savoir scientifique apparaissent, distorsions souvent faites
en conscience et par souci de préservation de l’efficacité scénaristique.
53 De fait, il revient finalement à la charge de l’élève-auteur d’opérer un certain nombre
d’arbitrages qui peuvent aller jusqu’au rejet pur et simple de toute formalisation
scientifique dans la planche finale, et qui peuvent également avoir pour conséquence de
donner à voir ou à lire une information scientifique partiellement ou totalement
incorrecte. Considérés sous l’angle de l’approche instrumentale, ces écarts avec la norme
scientifique deviennent des « détournements », des moyens d’accès à l’activité du sujet et
non plus (seulement) des instances de validation des connaissances scientifiques des
élèves-auteurs. Comme le souligne Rabardel, « un des intérêts de l’approche en termes de
genèse instrumentale est qu’elle permet de réinterpréter en termes d’activité du sujet de
nombreux faits habituellement qualifiés de façon principalement négative » (Rabardel,
1995, p. 12). En outre, le fait que les élèves-auteurs soient impliqués dans le processus
créatif devrait leur permettre de comprendre les raisons de certains choix d'illustration
ou de narration dans leurs bandes dessinées scientifiques. Nous soutenons que cette

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approche peut favoriser l'émergence d'un esprit critique à l'égard de la lecture d'histoires
scientifiques créées dans d'autres contextes.

Limites et perspectives
54 Pour le moment, nous avons du mal à circonscrire précisément les processus cognitifs
d'apprentissages qui émergent de l’environnement atelier BD-sciences. On voit poindre
des schèmes d'action certainement différents de ceux à l’œuvre dans un cours ordinaire
mais nos outils méthodologiques (ici, nous mobilisons l'approche instrumentale de
Rabardel) ne nous permettent pas de les apprécier pleinement et ne nous permettent pas
non plus de savoir en quoi ils sont spécifiques des ateliers BD-sciences et peut-être sous
tendus par une motivation un peu différente. En particulier, il serait intéressant de saisir
le rôle que les émotions jouent dans le processus créatif, car la première activité
d'écriture de scénario exigée de l’élève-auteur repose sur l'écriture d'une histoire qui
"suscite l'émotion". L’humour, en particulier, est fréquemment mobilisé par les élèves-
auteurs pour construire leur récit, comme il est plébiscité par les élèves-lecteurs dans
l’étude menée sur une bande dessinée numérique sur la gravitation dans laquelle
l’amusement et la surprise engendrés par la lecture de scènes humoristiques ont semblé
faire écran à la perception d’informations de portée didactique (Maron et al., dans ce
numéro). Considéré comme un support pour l'activité cognitive de mémorisation (Falk et
Gillespie, 2009), l'émotion suscitée par les ateliers (le thème scientifique choisi, le
processus créatif, les interactions entre pairs, la dimension ludique, etc.) ou souhaitée par
l’élève-auteur (celle qu'il souhaite que sa bande dessinée provoque chez son lecteur)
pourrait utilement rejoindre notre cadre conceptuel.
55 Enfin, les ateliers-BD ici à l'étude organisent la création d'une planche de bande dessinée
à partir d'un discours engageant des savoirs de nature scientifique, excluant les savoirs
relevant des arts, des humanités et des sciences sociales. Pourtant des initiatives de mise
en récit sous forme BD de ces savoirs existent4 et il pourrait être intéressant, en
prolongement de notre travail, d'examiner les points de convergences et les différences
de ces mises en récits au prisme des disciplines et des savoirs engagés.

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NOTES
1. Association Stimuli (http://www.stimuli-asso.com/), spécialisée dans les liens entre la bande
dessinée et la transmission des sciences, à travers des ateliers, des formations et la conception de
BD à portée pédagogique.
2. La notion de schème d’action désigne « la structure ou l'organisation des actions telles qu'elles
se transfèrent ou se généralisent lors de la répétition de cette action en des circonstances
semblables ou analogues » (Piaget et Inhelder, 1969, p. 11). Le développement de tels schèmes
repose sur deux mécanismes : l'assimilation et l'accommodation. L'assimilation renvoie à
l'intégration d'éléments extérieurs dans des schèmes existants. L’accommodation désigne la
création de schèmes nouveaux et développés par l’individu pour traiter de nouvelles
informations, ainsi que la modification de schèmes pré-existants.
3. Le lecteur ou la lectrice pourra se référer à l’ouvrage collectif Bande dessinée et enseignement des
humanités, de Nicolas Rouvière (2012), en particulier aux travaux de Joël Mak et ceux de Vincent
Marie sur les savoirs historiques mis en scène en bande dessinée, à ceux de Guillaume Perrier
(2010) sur l’adaptation des œuvres littéraires de Proust en bande dessinée, ou encore consulter la
lecture critique d’un tome de la collection Sociorama par Etienne Guillaud (2017.)
4. L’antropomorphisme prend ici le pas sur le respect du rapport d’échelle. Du fait le non respect
du rapport d’échelles entre les deux familles de microorganismes est un ressort de l’histoire qui
ne pourrait pas se raconter de la même manière si les échelles étaient respectées.

RÉSUMÉS
Le but de cet article est d'analyser l'impact d’un dispositif, les « ateliers BD-sciences », où des
collégiens et lycéens sont invités à créer une bande dessinée d'une page à partir d’une
présentation scientifique donnée par un chercheur doctorant. Nous caractérisons les termes du
jeu dialectique entre les attributs spécifiques d'une bande dessinée et les connaissances
scientifiques à traduire. Sept ateliers ont été organisés hors temps scolaire et analysés. Les
résultats montrent que les élèves, en tant qu’auteurs, ont suivi les codes spécifiques à la bande
dessinée et ont pris une certaine distance avec l'intégrité scientifique des savoirs mis en scène.

The aim of this paper is to analyze the impact of a program for creating "scientific" comic strips
(comics'n science workshops) where students are invited to create a one-page comic strip from a
scientific presentation given by a doctoral researcher. We characterize the terms of the

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dialectical interplay between the specific attributes of a comic strip and the scientific knowledge
to be translated. Seven workshops were organized and analysed. The results show that the
students, as authors, followed the specific codes of the comic strip and took a certain distance
with the scientific integrity of the staged knowledge.

INDEX
Mots-clés : bande dessinée, genèse instrumentale, didactique des sciences, atelier BD-sciences
Keywords : comic strip, instumental genesis, science education research, comics’n science
workshops

AUTEURS
CÉCILE DE HOSSON
Université Paris Diderot, Laboratoire de Didactique André Revuz EA 4434

LAURENCE BORDENAVE
Association STIMULI

PIERRE-LAURENT DAURES
Association STIMULI

NICOLAS DÉCAMP
Université Paris Diderot, Laboratoire de Didactique André Revuz EA 4434

CHRISTOPHE HACHE
Université Paris Diderot, Laboratoire de Didactique André Revuz EA 4434

JULIE HOROKS
Université Paris Est Créteil, Laboratoire de Didactique André Revuz EA 4434

ISABELLE KERMEN
Université d'Artois, Laboratoire de Didactique André Revuz EA 4434

Tréma, 51 | 2019

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