Histoire Anne de Guigné

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Paroles d’Anne

« Ça brûle trop ; mais mon petit Jésus, je vous l’offre. » (Application de cataplasmes
sinapisés à 5 ans).
« Oh ! Maman, n’ayez plus de peine ! Papa chéri est infiniment heureux. Il nous voit, il
nous aime ; et puis, un jour, nous irons avec lui. Ne pleurez plus, je vous en prie. »
(Novembre 1918).
« Pour devenir meilleure, je veux faire un sacrifice. »
« On a bien des joies sur la terre, mais elles ne durent pas ; celle qui dure, c’est d’avoir
fait un sacrifice. »
« Je comprends bien qu’on souffre et qu’on ait de la peine, mais pourquoi se tourmenter,
puisque Dieu est là ? » (Automne 1921).
« Que c’est bon, Maman, que je suis heureuse ! Le petit Jésus me dit qu’il m’aime
beaucoup plus que je ne l’aime. »
« Tu n’as qu’à invoquer ton Ange Gardien ; il t’aidera. » (Conseil à son frère Jacques).

À la mère catéchiste qui lui demande : « Est-ce que le petit Jésus ne vous dit rien ? » elle
hésite par humilité à répondre et avoue : « Oui, ma Mère, quand je suis toute recueillie,
pas toujours ». Et à la question : « Et que vous dit-il, le petit Jésus ? », elle répond : « Il
me dit qu’il m’aime bien ».
À sa mère qui lui demande pourquoi elle ne souhaite plus se servir de son missel, elle
répond : « Parce que je sais par cœur les prières de mon paroissien et que je suis souvent
distraite en les disant. Tandis que lorsque je parle au petit Jésus, je ne suis pas distraite
du tout. C’est comme quand on cause avec quelqu’un, Maman, on sait bien ce qu’on dit. »
(Décembre 1919).
Mon petit Jésus, je vous aime et pour vous plaire je prends la résolution d’obéir
toujours. » (Billet déposé sur l’autel lors de sa première Communion).
« Le petit Jésus, il me semble qu’il m’a répondu dans mon cœur. Je disais que je voulais
être bien obéissante et il m’a semblé que j’entendais : oui, sois-le. » (Billet à sa mère
1917)
« Je veux que pour Jésus mon cœur soit pur comme un lis. »

« Je veux que Jésus vive et grandisse en moi. Quels moyens prendre pour cela ? »
(Notes de retraite 1920).
« Nous pouvons bien souffrir pour Jésus puisque Jésus a souffert pour nous. »
Sur une image du Calvaire qu’elle avait faite, Anne avait écrit : « Debout devant la Croix
sur laquelle son Fils était suspendu, la Mère de douleur pleurait avec résignation. Donnez-
moi la grâce de pleurer avec vous ». Elle ajoutait : « Parce que Jésus n’est pas assez
aimé. »

Une très grande âme pour une toute petite fille


Anne est née le 25 avril 1911 au château de La Cour à Annecy-le-Vieux, dans le foyer très chrétien
de Jacques et Antoinette de Guigné. Par sa mère, née Charette de la Contrie (1886-1978), son
ascendance remonte jusqu'à saint Louis, roi de France. Par son père, elle se rattache à une vieille
famille implantée en Picardie depuis la Renaissance. C'est une riche nature, dotée de belles qualités
de cœur et de droiture. Elle est éveillée et vive, nous dit sa mère. C'est une enfant aimable, qui a du
caractère, mais aussi, en contrepoint, des défauts non moins marqués et qui inquiètent son entourage
: Anne est coléreuse, très volontaire, dominatrice, portée à la désobéissance et à l'orgueil.
Une anecdote montre une fierté et un aplomb quelque peu insolents chez une petite fille de 4 ans !
Mélanie, cuisinière au château de La Cour, se reposait quelques instants sur une borne devant la
propriété. Anne, abandonnant ses jeux, s'approche d'elle et lui dit : « Ce n'est pas la place de
Mélanie, ici ! » Comme celle-ci lui répond : « Et où donc est ma place ? » L’enfant rétorque : « À la
cuisine ! ».
Une autre fois, à l'occasion d'un Noël familial, Anne convoite et dispute à sa cousine une petite
table que celle-ci a reçue en étrenne. Il faut intervenir et le père de Madame de Guigné a cette
réflexion : « Je plains sa mère quand elle aura vingt ans ! »

C'est un événement tragique survenant dans la vie familiale qui va provoquer une
véritable conversion de la petite Anne.
En 1915, un an après le début de la guerre, alors que les combats s’enlisent dans les tranchées,
toutes les familles de France savent qu’une visite d’un officier d’état civil ou d’un membre du
clergé dans un foyer signifie l’annonce d’une mort au champ d’honneur. Aussi lorsque le 29 juillet
1915, Madame de Guigné voit le curé d’Annecy-le-Vieux, Monsieur l’abbé Métral, venir frapper à
la porte de sa demeure, elle comprend que son mari, déjà blessé à trois reprises, ne reviendra plus.
« Anne, si tu veux me consoler, il faut être bonne » dit sa mère à sa fille âgée
tout juste de quatre ans et aînée de ses quatre enfants. À partir de cet instant,
l’enfant jusqu’alors volontiers désobéissante, orgueilleuse et jalouse, va
mener, avec acharnement et continuité, un combat de tous les instants pour
devenir bonne, combat de sa transformation intérieure qu’elle gagnera grâce
à sa volonté certes, mais surtout – et c’est elle qui nous le dit – par la prière et
les sacrifices qu’elle s’impose.

On la voit devenir rouge et serrer ses petits poings pour maîtriser son caractère devant les
contrariétés qu’elle rencontre ; puis, petit à petit, les crises s’espacent et son entourage a bientôt
l’impression que tout lui est agréable. Son amour pour sa mère qu’elle veut consoler va ainsi
devenir son chemin vers son Dieu.
Ce chemin est balisé par les nombreuses réflexions d’Anne qui nous montrent l’intensité de sa vie
spirituelle, et par la multitude de témoignages de son entourage rapportant les efforts continuels
qu’elle faisait pour progresser dans sa conversion. Pour Anne de Guigné, le phare qui éclaire son
chemin de conversion est sa première communion à laquelle elle aspire de tout son être et de toute
son âme et qu’elle prépare avec joie.
Le moment venu, son jeune âge nécessitant une dispense, l’évêque lui imposera un examen
qu’elle franchira avec une facilité déconcertante. « Je souhaite que nous soyons toujours au niveau
d’instruction religieuse de cette enfant-là » dira l’examinateur.
La suite de sa courte vie traduit la paix d’un grand bonheur intime, alimenté par l’amour de son
Dieu, qui s’applique, au fur et à mesure qu’elle grandit, à un cercle de personnes de plus en plus
vaste : ses parents, sa famille, son entourage, les malades, les pauvres, les incroyants.
Elle vit, elle prie, elle souffre pour les autres. Atteinte très tôt de rhumatismes, elle sait ce qu’est la
souffrance et y répond par une offrande : « Jésus, je vous l’offre » ou encore : « Oh ! non, je ne
souffre pas ; j’apprends à souffrir ». Mais en décembre 1921, elle est frappée d’une maladie
cérébrale – sans doute une méningite – qui la force à s’aliter. Elle répète sans cesse : « Mon Dieu, je
veux tout ce que vous voulez » et ajoute systématiquement aux prières qui sont faites pour son
rétablissement : « et guérissez aussi les autres malades ».
Anne de Guigné meurt à l’aube du 14 janvier 1922 après ce dernier échange avec la religieuse qui
la veille : « Ma sœur, puis-je aller avec les anges ? – Oui, ma belle petite fille – Merci, ma sœur, ô
merci ! »

Cette petite fille est une “sainte”, tel est alors le verdict général. Les
témoignages affluent, des articles paraissent et l’évêque d’Annecy ouvre en
1932 le procès de béatification. Mais l’Église n’avait encore jamais eu à juger
de la sainteté d’une enfant qui ne fut pas martyre. Les études menées à Rome
sur la possibilité de l’héroïcité des vertus de l’enfance furent conclues
positivement en 1981 et le 3 mars 1990, le décret reconnaissant l’héroïcité des
vertus d’Anne de Guigné et la proclamant “vénérable” était signé par le Pape
Jean-Paul II.

On se souvient de cet épisode fameux de la vie de sainte Thérèse d’Avila où, petite fille,
elle avait entraîné son frère Rodrigue, de quatre ans son ainé. Ils avaient le dessein de se
faire couper la tête au pays des Maures et, par le martyre, de gagner le bonheur du Ciel.
Un oncle les rencontrant non loin d’Avila les ramène à la maison et l’aventure se termine
par une semonce. Teresita, chef de l’expédition, se défend : « Je veux voir Dieu, et pour
voir Dieu, il faut mourir ! » Admirable logique enfantine que nous retrouvons en écho dans
un dialogue d’Anne avec sa maman. Anne a huit ans et demi. Madame de Guigné a
consigné dans ces souvenirs sur Anne cet échange émouvant :

« Deux ans après sa première communion, vers la fin de 1919, la piété de


Nénette se transforma et s’éleva très sensiblement. Un jour, elle me dit :
– Maman, voulez-vous me permettre de prier sans livre pendant la messe ?
– Pourquoi me demandes-tu cela, ma chérie ?
– Parce que je sais par cœur les prières de mon paroissien et que je suis souvent
distraite en les disant, tandis que lorsque je parle au Petit Jésus, je ne suis pas distraite du
tout ; c’est comme quand on cause avec quelqu’un, Maman, on sait très bien ce qu’on dit.
– Et de quoi parles-tu au Petit Jésus ?
– Je lui dis que je l’aime, puis je lui parle de vous, des autres (ses frère et sœurs) pour
que Jésus les rende très bons, puis je lui parle surtout beaucoup des pécheurs. Puis,
rougissant un peu, elle ajouta : et puis je lui dis que je voudrais le voir.
– Alors, le cœur étreint par l’angoisse, j’ajoutais : tu ne penses donc pas à mon chagrin si
tu allais voir le Petit Jésus, ma chérie ?
– Oh ! si, Maman, j’y pense et je voudrais bien ne pas vous faire de peine, mais Papa est
au déjà au Ciel, vous irez, les autres aussi, puisque c’est notre but ! »
Anne a parfaitement compris que pour voir Dieu, il faut mourir, et c’est une des raisons
de cette émotion qu’elle manifeste à sa mère en lui disant : « Et puis je lui dis que je
voudrais le voir ». Une autre raison pourrait être qu’Anne hésite à révéler, même à sa
maman, l’intimité de son cœur à cœur avec Jésus, présent sur l’autel au cours de la
messe.
Mère Saint-Raymond, des Sœurs Auxiliatrices des Âmes du Purgatoire, a été la
catéchiste d’Anne de 1916 à 1920. Elle a laissé, en 1927, un témoignage de première
importance sur la vie et les vertus d’Anne. Elle écrit au sujet de son goût des choses de
Dieu :
« Je suis intimement persuadée qu’elle a demandé à aller en Paradis : cela se sentait,
tout trahissait cette impatience du ciel. Le bon Dieu l’appelait, elle en avait le sentiment :
elle répondait à cet appel avec joie. Elle n’en parlait pas à sa mère, pour ne point l’attrister,
pour lui éviter cet immense chagrin, mais elle avait une certitude intime qu’elle mourrait
bientôt : c’était frappant à la fin. Rien plus ne la retenait sur terre, je sentais que la mort ne
lui coûterait qu’un sacrifice : celui de sa mère. »

Bien petite encore, Anne perd sa première dent. Le soir même arrive un
cadeau, un gros paquet à son nom : une ravissante toilette de poupée qui
permet immédiatement de laver le visage des filles de Nénette et de ses
sœurs... avec de la “vraie eau”. Le plaisir ne dura pas longtemps ! Le pauvre
Jojo a poussé la table de toilette, le petit tonneau réservoir est brisé... c’est
navrant ! Nénette, voyant son petit frère désolé, ne pleure pas et me dit : « Ça
ne fait rien, tant mieux même, je ferai le sacrifice d’Abraham ! » Elle venait,
en effet, d’apprendre comment Dieu avait demandé au saint Patriarche de lui
offrir son fils en holocauste et avec quelle rapidité il s’était soumis en tout
abandon.
Mère Saint-Raymond avait dit à ses élèves : « Vous possédez tant de beaux jouets. Ne
voudriez-vous pas faire un plaisir à Jésus et m’apporter quelques cadeaux pour les
enfants pauvres ? Chacune donnera ce qu’elle voudra. » Les petites sœurs d’Anne lui
objectaient : « Si tu veux donner tes choses aux autres, tu n’as pas besoin de choisir
justement ce que tu aimes le mieux. » Mais, a noté Mlle Basset..., « Quand il s’agissait de
donner des jouets pour eux, elle choisissait toujours “les moins abîmés” et ceux qu’elle
aimait “le mieux”, “sans quoi, disait-elle, je ne ferais pas mon sacrifice.” »
Ces exemples, et tant d'autres, montrent à l'évidence l'étonnant détachement d'Anne.
L'enfant est naturellement attaché à ses “petites affaires” et bien des parents savent les
efforts qu'exige l'apprentissage d'un commencement de détachement pour amener l'enfant
à prêter ou donner. Comme le dit si bien Mère Saint-Raymond, au moment de son départ
pour le Ciel, Anne était prête.

Le Père Lajeunie écrivait, en janvier 1955, dans une lettre livrant son analyse
de l’évolution spirituelle d’Anne :
« On peut distinguer une troisième phase très courte dans la vie d’Anne. Sa mère m’a
diverses fois parlé de cette période d’envol : son enfant lui échappait ; elle se voyait
incapable de la diriger. Elle n’eût pu dire, alors, en quoi elle ne la trouvait point parfaite. »
Mademoiselle Basset fait commencer cette période d'ascension spirituelle au printemps
1921. Ce qui frappa le plus l’institutrice, ce fut la charité de son élève : « J’ai l’impression
d’une ascension rapide, d’une union à Dieu très intime. Elle usait des choses de la terre,
mais n’y avait plus d’attache. Sans doute éprouvait-elle encore la douleur des sacrifices à
faire mais il n’y paraissait plus. C’était dans l’âme d’Anne, un calme paisible d’où découlait
un rayonnement bienfaisant. Avec cela, effacée, oublieuse d’elle-même, persuadée de son
néant, ne comptant que sur le secours du ciel. » Anne lui confia quelques semaines avant
sa mort : « On a bien des joies sur la terre, mais elles ne durent pas. Celle qui dure, c’est
d’avoir fait un sacrifice. » Le ton de cette confidence donna à Mademoiselle Basset la
conviction qu’Anne faisait allusion au sacrifice de sa mère. En effet, Anne se doutait bien
que le cœur de cette mère très aimée serait transpercé par ce nouveau deuil, après celui
de son mari en 1915.

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