Scheuuer - Le Cas Ramakrishna

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Le cas Ramakrishna à la lumière de la tradition hindoue

Jacques Scheuer
Dans Topique 2008/4 (n° 105), pages 63 à 75
Éditions Association Internationale Interactions de la Psychanalyse (A2IP)
ISSN 0040-9375
ISBN 9782847951318
DOI 10.3917/top.105.0063
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Le cas Ramakrishna
à la lumière de la tradition hindoue
Jacques Scheuer
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Ramakrishna (1836-1886) : plusieurs études récentes ont repris l’examen de
ce personnage singulier, le soumettant notamment à des éclairages de type psy-
chologique ou psychanalytique et mettant en relief ce qu’elles présentent comme
de nettes tendances homosexuelles. De ce point de vue, Ramakrishna, consi-
déré par nombre d’hindous comme un spirituel de grand format, voire une
incarnation divine, a toute sa place dans une réflexion sur les rapports entre psy-
chologie, sexualité et mystique. Le dossier est cependant complexe et délicat.

1 - LE « CAS » RAMAKRISHNA

Complexe, car une étude approfondie demanderait non seulement beaucoup


de temps et d’enquête, mais supposerait des compétences qu’on ne peut voir
réunies chez un seul chercheur. Il faudrait être historien et philologue, avec une
maîtrise du bengali et du sanskrit ainsi qu’une familiarité avec bien des tradi-
tions culturelles et religieuses de l’Inde, tant populaires que savantes ; il faudrait
une solide formation en anthropologie et en psychologie ; il faudrait être doué
d’imagination et de rigueur ; il serait souhaitable, en outre, d’avoir une certaine
pratique et expérience de l’analyse des phénomènes psychiques, d’une part, de
la vie intérieure ou mystique, d’autre part.
Dossier complexe donc, mais aussi dossier délicat. Des études récentes, j’y
reviendrai, n’ont pas manqué de soulever protestations et critiques qui, par delà
le débat académique, révèlent des susceptibilités offensées et rouvrent de vieil-
les blessures. Aux relations parfois tendues entre le psychologue et le spirituel
ou le théologien s’ajoutent les malentendus, reproches ou rancœurs, les préju-

Topique, 2008, 105, 63-75.


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gés et sous-entendus qui encombrent les rapports interculturels – entre Asie et


Occident, entre colonisés et colonisateurs de naguère, entre civilisations « hin-
doue » et « chrétienne » – dans le maquis des controverses en cours autour des
études « post-coloniales », mais aussi « subalternes », sans oublier les études fémi-
nistes, gay et autres gender studies.

Une brassée d’études récentes


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Signé par un Indien enseignant aux États-Unis, un premier ouvrage se pré-
sentait comme un essai de « psycho-biographie » ou de « psycho-histoire »1.
Distribués selon un plan thématique, les différents chapitres accordaient une
place considérable à la sexualité de Ramakrishna, en particulier à son profil
« androgyne ». En même temps que de la misogynie, l’auteur lui reconnaît une
forte tendance à adopter une disposition féminine dans son rapport à la Divinité ;
cette pratique, nous le verrons, est cependant conforme à certaines traditions
spirituelles hindoues et ne doit pas faire conclure à de l’homosexualité. Dans
la conclusion, la personnalité de son héros (ou anti-héros) apparaît comme « a
curious combination of erotic and polemicist, sentimental and irrational and spi-
ritual, of childlike innocence and saintlike bonhomie » (163).
Deux ans plus tard, paraissait un livre issu d’entretiens entre un psychana-
lyste indien et une philosophe française 2. Leurs études croisées et leurs
conversations tracent un parallèle entre deux figures presque contemporaines :
Ramakrishna à Calcutta et, à Paris, Madeleine, longuement observée et analy-
sée par Pierre Janet. Qu’est-ce qui fait que, comparables à plus d’un titre, l’un
soit considéré comme un saint et l’autre traitée comme une folle ?
Deux années encore : une dissertation doctorale présentée à Chicago et publiée
cette fois par un chercheur américain 3. Tout en suivant, depuis l’enfance, le par-
cours biographique de Ramakrishna, l’ouvrage, avec une élégance un peu
recherchée, s’organise autour de motifs empruntés aux images de la déesse Kâlî:
l’épée, les seins, le pied, la langue… Le livre déclenche une vive controverse.
Je résume à l’extrême et ne retiens qu’une petite partie des analyses et interpré-
tations de l’auteur.

1 - Narasingha P. SIL, Râmakrsna Paramahamsa : A Psychological Profile, Leiden, Brill,


1991 (Brill’s Indological Library, 4). Une nouvelle version parut en 1998 : Ramakrishna
Revisited : A New Biography, Lanham, University Press of America.
2 - Catherine CLÉMENT & Sudhir KAKAR, La folle et le saint, Paris, Seuil, 1993 (Champ
freudien).
3 - Jeffrey J. KRIPAL, Kâlî’s Child : The Mystical and the Erotic in the Life and Teachings
of Ramakrishna, Chicago, Univ. of Chicago Press, 1995. Une 2e édition, où l’auteur répond à
certaines critiques, parut en 1998. Voir aussi son site : http ://www.ruf.rice.edu/~kalischi/.
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À LA LUMIÈRE DE LA TRADITION HINDOUE

L’enfant de Kâlî

Gadadhar, le futur Ramakrishna, naît en 1836 dans une famille villageoise


de brahmanes pauvres. Orphelin de père à sept ans, l’enfant demeure étroite-
ment lié à sa mère. Dès l’âge de huit ou dix ans, il connaît des « transes extatiques »
au cours desquelles il semble inconscient du monde extérieur. Ces étranges phé-
nomènes attirent sur lui l’attention et les soins empressés de femmes du village.
Il passe du temps en leur compagnie, prend plaisir à imiter leurs comportements,
parfois même à s’habiller comme une fille. À moins que ? Ces transes, se demande
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l’auteur, ne seraient-elles pas une manière pour l’enfant d’échapper aux atten-
tions envahissantes des femmes ? Le jeune brahmane est bientôt engagé, dans
la banlieue de Calcutta, au service d’un temple dédié à la déesse Kâlî 4. Le beau-
fils de la propriétaire le prend sous son aile ; dans la relation qui se noue, Kripal
discerne de forts accents homosexuels. Cherchant désespérément à obtenir la
vision (darshana) de Kâlî, Ramakrishna est sur le point de se trancher la gorge
avec l’épée de la Déesse. À l’instant fatidique, celle-ci se révèle enfin, déclen-
chant une expérience mystique qui le marquera pour toujours.
Dans ce « désir anxieux » et quelque peu torturé de rencontrer Kâlî, notre
auteur identifie une puissante pulsion érotique. Le sous-titre de l’ouvrage le sug-
gère : l’érotique et le mystique se croisent et s’associent dans l’expérience de
Ramakrishna au point de paraître s’identifier. La quête de la Déesse, de la Mère,
s’impose comme l’axe central autour duquel s’organise l’existence de
Ramakrishna ; elle manifeste la tonalité foncièrement tantrique de sa vision du
monde et de sa spiritualité. Contrairement à l’image que Vivekananda et l’or-
dre monastique construiront après sa mort, le message abstrait et aseptisé de la
non-dualité de tradition védantine paraît à Ramakrishna profondément
ennuyeux. Ce sont les images fortes, les passions violentes et les pratiques cho-
quantes du tantrisme qui animent sa quête mystique et fournissent la clef de sa
personnalité.
Les conduites transgressives préconisées par le tantrisme « de main gauche »
s’arrêtent cependant pour lui au seuil de relations sexuelles avec des partenai-
res féminines. Son rapport à la Mère n’est pas celui du « héros » tantrique dont
la puissance érotique conquiert la Déesse de haute lutte ; Ramakrishna adopte
plutôt les sentiments et comportements d’un enfant à l’égard de cette Mère : il
est, selon le titre de l’ouvrage, « Kâlî’s Child ». Sa vie durant, ses réactions spon-
tanées, vives, parfois violentes, ainsi que ses entretiens avec ses disciples – il
n’a rien écrit – trahissent une véritable terreur à l’égard de la femme en tant que
partenaire sexuelle. Avec sa propre épouse, bien plus jeune que lui, cette dimen-

4 - La littérature sur les « déesses » de l’hindouisme, en particulier Kâlî, abonde. On trouve


une douzaine d’études sur divers aspects de cette dernière dans : Rachel Fell McDERMOTT &
Jeffrey J. KRIPAL (eds), Encountering Kâlî: In the Margins, at the Center, in the West,
Berkeley, Univ. of California Press, 2003.
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sion est soigneusement neutralisée. Kâlî elle-même est l’objet d’une opération
de découpe ou de clivage : l’Amante ne doit pas interférer avec la Mère. Adulte,
Ramakrishna persiste à s’enfermer dans la relation totalisante qui soude l’en-
fant à sa Mère divine.
Avec l’âge cependant, et conformément à la dialectique du tantrisme, il
esquisse un mouvement de retour vers la réalité concrète et multiple, vers le
monde des formes irrigué par les énergies brûlantes de la Déesse. Au plan doc-
trinal, ce mouvement prépare la reconnaissance progressive de Ramakrishna
comme avatâra ou « descente » de la Divinité. Chronologiquement et psycho-
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logiquement, Kripal rattache ce mouvement de « descente » à la venue de
disciples : désormais – cela s’exprime dans de nouvelles visions – Ramakrishna
« trouve ses délices en Dieu dans les formes de l’homme » ; il apprend à recon-
naître les jeux de la Divinité dans le monde des hommes, en particulier dans
l’« intense désir » qu’il éprouve pour de jeunes disciples, des garçons adoles-
cents en qui brillent encore les pures énergies de la Déesse. Kripal relève avec
minutie tout ce qu’il considère comme des manifestations (évidentes, discrè-
tes, ou réprimées) d’une passion dont les versants sexuel et mystique sont
indissociables. Si Ramakrishna dans son ascèse se faisait femme pour se déro-
ber à l’amour des femmes, Ramakrishna dans son éros se fait femme, s’identifiant
à l’énergie (shakti) de la Déesse, pour conquérir de jeunes hommes.
Cependant, son attitude à l’égard du Tantra demeure ambivalente : chemin
vers le divin, c’est un chemin impur, « sale ». Du récit des derniers mois de
Ramakrishna, Kripal remonte à l’enfance : bien des choses, suggère-t-il, s’éclai-
rent par l’hypothèse d’abus sexuels dont le petit garçon aurait été victime lorsqu’il
fréquentait des ascètes de passage au village.

Le « mystique » & l’« érotique »

Kripal se défend de tout réductionnisme. Il s’efforce de conjoindre une appro-


che phénoménologique, telle qu’on peut la pratiquer en histoire des religions,
et une approche psychanalytique, notamment dans sa dimension génétique (6-
7). Réduire le mystique au sexuel serait en toute hypothèse dénué de sens dans
la perspective du Tantra. Kripal entend démontrer certes que les expériences
mystiques de Ramakrishna sont, de manière « provocante, scandaleuse », « pro-
fondément érotiques » (2). Ou encore, qu’elles « consistent en énergies
mystico-érotiques » que notre sage ne put « ni pleinement accepter ni pleine-
ment comprendre » (4). Mais sa lecture est – nous dit-il – plus proche de Lacan
que de Freud. La configuration érotique de l’expérience mystique s’opérerait
chez Ramakrishna par recours à des symboliques traditionnelles : le Héros tan-
trique, la Mère, la Compagne et servante de Râdhâ (la bergère amante de Krishna),
etc. Loin de représenter une pure régression, ce « mouvement progressif de pen-
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À LA LUMIÈRE DE LA TRADITION HINDOUE

sées inconscientes comporte la transformation des motivations archaïques de


l’enfance en symboles orientés vers la résolution de conflit et, par delà, vers la
nature du sacré ou du numineux » (324). À « sublimation », l’auteur préfère « réa-
lisation » : chez Ramakrishna, l’expérience mystique est « autant réalisation d’un
eros divin que sublimation d’énergies sexuelles » (326).

Acclamations et protestations
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L’ouvrage connut un large succès aux États-Unis. Il fit aussi scandale, notam-
ment en Inde. De la controverse qui suivit, je ne retiens qu’un document : 80
grandes pages publiées sur le web par un moine indien de la Ramakrishna
Mission, aumônier (chaplain) hindou à Harvard 5. Un ton mesuré, courtois, mais
une critique qui se veut dévastatrice de la méthode et des qualifications de Kripal.
Kâlî’s Child entendait déconstruire l’image de Ramakrishna. Le projet com-
portait une série de défis : remonter de traductions anglaises édulcorées aux textes
bengalis originaux ; comprendre pourquoi quelque cinq volumes de notes pri-
ses lors d’entretiens de Ramakrishna avec ses disciples ne furent pas publiés
dans l’ordre chronologique ; contourner la censure qui interdit l’accès à une par-
tie des sources sur sa vie et ses enseignements ; distinguer ce qui provient d’une
part, de disciples adultes et mariés, plus sensibles aux valeurs tantriques, et d’au-
tre part, de jeunes moines célibataires rassemblés autour de Vivekananda, lequel
aurait édité une version aseptisée, purement védantine, du message du maître 6;
décoder enfin le sens de « paroles secrètes » dissimulées dans une masse d’anec-
dotes plus anodines.
Procédant point par point, Swami Tyagananda se montre intraitable dans sa
« réponse ». Loin d’améliorer les traductions existantes, Kripal trahirait une
médiocre connaissance de la langue bengalie. Peu familier de la société et de
la culture bengalies ainsi que des traditions hindoues, il multiplie les contre-
sens. Ce qu’il appelle « Tantra » se réduit à quelques images et pratiques extrêmes
peu représentatives d’un courant beaucoup plus large. Son parti-pris de lecture
dans le registre sexuel, plus précisément homosexuel, lui suggère à chaque page
des interprétations qui, même lorsqu’elles portent sur des détails, ont un effet
cumulatif néfaste : ce qu’il croit comprendre ou ce qu’il propose d’abord à titre
d’hypothèse le conduit bientôt à d’autres lectures et hypothèses tout aussi aven-

5 - Swami TYAGANANDA, Kali’s Child Revisited, or Didn’t Anyone Check the


Documentation ? (accessible à l’adresse :
http ://www.infinityfoundation.com/mandala/s_rv/s_rv_tyaga_kali1.htm ).
6 - Outre les écrits de Kripal, voir par ex. « Shame, Disgust, and Fear : Tantra in the
Ramakrishna-Vivekananda Tradition », section du chap. 4 de Hugh B. URBAN, Tantra : Sex,
Secrecy Politics, and Power in the Study of Religions, Berkeley, Univ. of California Press, 2003,
pp. 147-164.
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tureuses, dans une dérive qui écarte de plus en plus de la vérité du personnage.
Quant aux « paroles secrètes », il s’agit simplement de « paroles profondes »,
prononcées souvent en présence de nombreux disciples et même de simples
visiteurs…
La controverse allait connaître bien des rebondissements. Peut-on conclure ?
Bien des critiques du Swami semblent faire mouche. Suffisent-elles à invalider
l’interprétation de Kripal dans son ensemble ? Celui-ci n’avait-il pas anticipé,
dans son introduction, une partie des reproches qui lui seraient faits ? Plus d’une
fois, les corrections apportées, éclairantes dans le détail, contournent des tex-
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tes plus décisifs. Kripal, me semble-t-il, dispose encore de pas mal de munitions.
Et surtout, par-delà d’éventuelles inexactitudes à propos de points techniques,
nous sommes confrontés à des modes de lecture et d’interprétation qui ne se
rencontrent pas vraiment.

2 - LUMIÈRES DE LA TRADITION HINDOUE

Il semble donc préférable de prendre quelque recul. Sans abandonner le « cas »


Ramakrishna, mais sans me centrer exclusivement sur lui, je souhaiterais atti-
rer l’attention sur des traits spécifiques du monde hindou susceptibles de jeter
quelque lumière sur les relations entre religion et psychologie et, plus précisé-
ment, entre spiritualité et sexualité. Plusieurs caractéristiques donnent à penser
que cet univers social et culturel, philosophique et spirituel offre des ressour-
ces particulièrement riches et diversifiées : le fidèle et le pratiquant disposent
d’une large gamme de langages et de moyens d’expression ainsi que d’outils
de travail sur soi, de méthodes de transformation et de réalisation de soi.

L’Un & le multiple

On observe d’abord, dans la tradition brahmanique et hindoue, une perpé-


tuelle oscillation du multiple à l’Un, de l’Un au multiple. L’imaginaire, la réflexion
et le culte ne cessent de se déplacer sur l’axe unité/dispersion. Des titres, des
épithètes, des traits descriptifs ou fonctionnels appartenant à telle figure divine
revendiquent en quelque sorte leur indépendance et se transforment en indivi-
dualités divines autonomes. En sens inverse, de modestes puissances locales se
rattachent à des figures divines prestigieuses ou, captées par elles, se réduisent
à une titulature, une variante dans le récit, un nom parmi d’autres dans les lita-
nies d’invocation.
Dans ce cadre, la notion d’« avatâra » ou « descente » divine pourra se déployer
librement : c’est le mouvement par lequel la divinité « traverse en descendant »
l’espace qui sépare son séjour céleste de notre monde terrestre et souffrant, afin
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À LA LUMIÈRE DE LA TRADITION HINDOUE

d’apporter guérison ou salut, de restaurer ordre et hiérarchie, de rétablir abon-


dance et paix. Cette traversée salvifique permet de multiplier sur le terrain les
visages de la Divinité suprême. Elle permet aussi, en perspective ascendante,
de faire converger vers un unique sommet une foule de figures distinctes qui
laissaient tout d’abord l’impression d’un fouillis désordonné.
Suggérons ici l’image d’une pyramide. Tout hindou se situerait quelque part
le long de l’arête qui court de la base au sommet. Les uns, proches de la base,
sont tournés vers la multiplicité, le pullulement : une dissémination de noms,
de figures, de lieux saints, de variantes dans les mythes et les légendes. D’autres,
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plus près du sommet, tendent à rassembler sous un Nom unique la dispersion
du divin. Encore la trajectoire ne s’arrête-t-elle pas à la pointe de la pyramide :
une ligne de fuite dépasse ce point, le transcende. L’Un, s’il s’oppose au mul-
tiple, est encore un nombre parmi d’autres nombres. Au-delà de la pointe,
cependant, plus d’image, plus de représentation possible : ni titre ni épithète, ni
nom ni visage, ni masculin ni féminin.
Ramakrishna paraît avoir hésité plus d’une fois sur ce seuil : si l’on devient
sucre, peut-on encore goûter le sucre ? Le pur espace sans repères qui s’ouvre
par delà la pointe de la pyramide est celui de la stricte « non-dualité » (advaita),
au-delà de la distinction sujet/objet. Ou, si l’on préfère, en deçà du clivage entre
un pôle objectif et un pôle subjectif, en deçà de toute paire d’opposés (dvandva)
se définissant par leur différence même.
À vrai dire, en imaginant que chaque hindou est situé quelque part sur une
arête de notre pyramide, nous simplifions à outrance et figeons les choses. En
fonction des rôles sociaux, des aléas de l’existence, des âges de la vie, des sen-
timents qui l’affectent, une même personne se déplace spontanément le long de
cet axe. La faim, un souhait de guérison, la perspective d’un enrichissement…
conduisent à recourir à des divinités dont les pouvoirs s’exercent dans des domai-
nes spécialisés. À l’inverse, une capacité de recul par rapport aux souffrances
et aux joies, à l’échec ou au succès – une capacité de prendre de la hauteur –
permet de découvrir, parmi les ressources offertes par la tradition, des figures
du divin moins immédiatement liées à des besoins élémentaires.

Plasticité des images et des pratiques

Cette mobilité, cette plasticité – dont l’Inde n’a certes pas le monopole – s’y
trouvent renforcées par plusieurs facteurs. Le système complexe des castes en
est un. En outre, par delà la condition présente de chaque individu, se profilent
la chaîne indéfinie des vies antérieures et celle des renaissances futures. De nature
proprement religieuse, un troisième facteur de plasticité démultiplie les ressour-
ces de la tradition. Alors que dans les mondes biblique et coranique, par exemple,
s’impose la majesté du Dieu Un, le foisonnement des formes divines invite l’hin-
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dou à se choisir une « divinité d’élection » (ishta-devatâ) et de prédilection.


Sans doute, en pratique, ces divinités peuvent-elles se transmettre et s’héri-
ter, au sein de la famille, d’une sous-caste régionale ou d’une affiliation
« sectaire », sans que les individus éprouvent le besoin ou manifestent la volonté
d’opérer un choix propre. Il reste que cette possibilité de choix demeure en prin-
cipe ouverte, sans exclure en outre qu’une même personne, à différentes étapes
de sa vie, éprouve des préférences distinctes et manifeste des adhésions succes-
sives.
Bien qu’elles soient toutes à même d’offrir protection ou salut, les diverses
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figures divines ne sont pas interchangeables. Chacune ouvre au fidèle une pano-
plie de ressources : récits mythiques, images, rituels, lieux consacrés, calendrier
de fêtes, poèmes et chants, sentiments dominants. Nous y reviendrons.

Le jeu divin

Tout ceci était envisagé du point de vue de l’être humain. Or, l’impression
de plasticité se redouble et s’accentue dès que l’on prend en compte un autre
thème fondamental : le « jeu » divin. Dès les hymnes védiques, certaines divi-
nités apparaissent détentrices de pouvoirs mystérieux et surprenants. Elles sont
dotées de mâyâ-s : capacités quelque peu magiques de produire des apparences
merveilleuses, de transformer le monde environnant, voire de se métamorpho-
ser elles-mêmes. Devons-nous dénoncer comme illusoires et trompeuses ces
fantasmagories divines ? Ou bien ces hauts-faits invitent-ils à l’admiration et la
reconnaissance ?
Quelque chose de cette créativité merveilleuse et toujours surprenante se
retrouvera chez les Grands Dieux de la bhakti – l’hindouisme de communion
et de dévotion – en particulier chez Vishnou et Shiva, sans oublier la Mère.
D’innombrables textes décrivent le « jeu » (ou les jeux ; lîlâ) du Seigneur ou de
la Déesse. Jeux merveilleux ou terribles. Jeux de création, de séduction et de
destruction. Jeux de vie et de mort. Mais toujours, jeux manifestant l’essentielle
liberté et la pure spontanéité de la Divinité lorsqu’elle s’engage dans le monde
pour œuvrer à la délivrance de tous les êtres7. La sagesse consiste à dépasser
les apparences, à surmonter jouissance ou effroi, à reconnaître dans ces jeux
dont les règles nous échappent, l’insondable intention divine de conduire les
êtres à leur libération.
Dans un monde en perpétuel mouvement, dans le flux (samsâra : ce terme
finit par signifier « monde ») au sein duquel la Divinité une et multiple se laisse

7 - Carl OLSON eut le mérite d’explorer ce thème important, en relation avec la figure de
Ramakrishna : The Mysterious Play of Kâlî: An Interpretive Study of Râmakrishna, Atlanta,
Scholars Press, 1990 (American Academy of Religion Studies in Religion, 56).
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À LA LUMIÈRE DE LA TRADITION HINDOUE

prendre au jeu de ses propres métamorphoses, la palette des ressources, la gamme


sur laquelle les hindous peuvent jouer est d’une amplitude étonnante. Cela se
vérifie notamment dans deux domaines importants : la bhakti et le tantra. Le
second a déjà été abordé brièvement, à propos de Ramakrishna ; la première a
jusqu’ici été à peine évoquée.

Les jeux de la bhakti


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Courant majeur de l’hindouisme, la bhakti n’a cessé de s’amplifier depuis
au moins le début de notre ère et jusqu’à nos jours. Par delà les enseignements
sur la non-dualité, la bhakti invite à redécouvrir les dimensions personnelles de
la Divinité. À l’Absolu neutre et sans visage succède en quelque sorte – sans
pour autant le supprimer – un Seigneur ou une Déesse, une Mère, avec qui se
nouent des relations denses et concrètes.
« Bhakti » connote en effet l’idée de participation : avoir part à, être du parti
de, entrer en communion avec… Si le terme se traduit fréquemment par « dévo-
tion », c’est que l’aspect abordable et imagé de la Divinité suscite une relation
de foi confiante qui s’exprime en mille dévotions populaires : chants et danses,
fleurs et encens, lumières et parfums… Tout ce déploiement dévotionnel mani-
feste une oblation plus essentielle : le fidèle ou dévot (bhakta) se voue totalement
à son Seigneur, en telle de Ses manifestations, selon telle forme d’élection, de
sorte que l’existence quotidienne entière devient un geste d’adoration confiante
et le lieu d’une intime communion.
Cette relation se décline notamment selon la diversité des rapports fami-
liaux et sociaux, en même temps qu’elle revêt une variété d’émotions et de
sentiments. Cette palette se déploie dans le culte et notamment dans les poè-
mes et chants composés dans les langues régionales ; elle se retrouve, savante
et codifiée, dans des traités de bhakti, par exemple dans les « Aphorismes sur
la bhakti » attribués au sage Nârada.
Un des derniers versets (n° 82) de ce court traité esquisse une énumération :
« Essentiellement une, la bhakti se manifeste de onze manières différentes :
l’amour qui glorifie les qualités du Seigneur ; l’amour de sa beauté ; l’amour
dans le culte rendu ; l’amour qui fait mémoire constante de lui ; l’amour s’ex-
primant en service ; l’amour que l’on éprouve pour un ami ; l’amour dont on
aime un enfant ; l’amour d’une épouse pour l’époux ; l’amour qui consiste en
consécration de soi ; l’amour de complète absorption ; l’amour vécu dans la sépa-
ration ».8 Précisant que la liste n’est pas exhaustive, un commentateur moderne

8 - Voir par ex. : Aphorisms on the Gospel of Divine Love, or Nârada Bhakti Sûtras, with…
Notes by Swâmî TYÂGÎSÂNANDA, Madras, Sri Ramakrishna Math, 1983.
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72 TOPIQUE

illustre chacun de ces onze types de bhakti : les vachères (gopî) de Vrindâvan,
par exemple, s’émerveillent de la beauté de Krishna ; le singe Hanumân, figure
héroïque du Râmâyana, est un modèle de service ; Arjuna, dans le Mahâbhârata,
illustre la relation d’amitié ; Râdhâ et ses compagnes ont vécu l’amour pour
Krishna dans les épreuves de la séparation. Une même personne peut, selon les
circonstances, éprouver ces diverses formes de bhakti : ce fut le cas de
Ramakrishna, ainsi que le rappelle le commentateur, moine de l’Ordre de
Ramakrishna9.
L’histoire de la bhakti illustre le fait que, sous l’influence probable de tra-
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ditions du Sud, du pays tamoul en particulier, la dévotion prend un tour plus
franchement émotionnel10. Les mythes de la tradition krishnaïte semblent avoir
joué un rôle décisif : l’amour fou de Râdhâ et d’autres vachères pour le jeune
dieu Krishna constitue la grande source d’inspiration. D’innombrables poésies
et chansons exploitent la gamme des émotions ou des sentiments, à commen-
cer par la passion amoureuse et ses déclinaisons : douleurs de la séparation,
ressorts de la jalousie, impatience de la rencontre, étreinte comblante…

Se faire femme

La montée en puissance du thème érotique ou amoureux ne manqua pas de


soulever, plus que d’autres, une question qui occupera les théoriciens : dans le
chant ou la danse, le théâtre ou le rituel, l’imagination ou la commémoration,
comment le fidèle (bhakta) peut-il faire siens les émotions et sentiments des
personnages évoqués ? Plus précisément, comment des hommes peuvent-ils
s’identifier à ces jeunes femmes éprises de Krishna, éprouver leur passion, par-
tager leur dévotion ? En vérité, dans la relation au Seigneur Krishna, tout être
humain – et même l’univers entier – est dans la position de la femme : « Dans
l’expérience de la rencontre face à face, la masculinité du Seigneur est à ce point
prédominante que le dévot perd sa propre nature masculine et endossera des
vêtements de femme »11.
À en croire des traditions purâniques, de grands dévots, par l’intensité du
désir qu’ils éprouvèrent au cours d’une vie antérieure, méritèrent de renaître
femmes dans la compagnie de Krishna. Le grand saint Caitanya, qui fut révéré
par Ramakrishna et qui a marqué la spiritualité du Bengale et de l’Inde du Nord,
est parfois présenté comme une incarnation de Râdhâ, la compagne préférée de
Krishna. Plus près de nous, plus près surtout de Ramakrishna, dans le Bengale
des années 1850, serait apparu un mouvement de sakhî-bhâvaka-s, d’hommes

9 - Ibid., p. 247.
10 - Voir Friedhelm HARDY, Viraha-Bhakti : The Early History of Krsna Devotion in South
India, New Delhi, Oxford Univ. Press, (1983), 2001.
11 - Ibid., p. 563.
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JACQUES SCHEUER – LE CAS RAMAKRISHNA 73


À LA LUMIÈRE DE LA TRADITION HINDOUE

voués à vivre l’expérience émotionnelle de « compagnes » de Krishna : cher-


chant à se métamorphoser en femmes, ils portaient des vêtements féminins12.
La pratique spirituelle peut cependant se limiter à une mise en scène tout inté-
rieure : se représentant par l’imagination le Vraja, le pays de Krishna, on choisit
d’y vivre en femme servant Krishna et Râdhâ, dans la jouissance de leur com-
pagnie.
Qu’il arrive à Ramakrishna de s’identifier à Râdhâ ou encore à Sîtâ, la divine
épouse de Râma, est dès lors moins surprenant. Qu’il porte, à l’occasion, des
vêtements de femme ne doit pas nécessairement s’interpréter comme transves-
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tisme. Ne lui arrive-t-il pas d’entrer dans le personnage du singe Hanumân au
point de s’affubler d’une queue postiche et de se déplacer par bonds ? La même
souplesse et versatilité, le même désir de reproduire, fût-ce pour quelques jours,
les émotions, les sentiments et l’expérience spirituelle intime de Jésus ou de
Mohammed l’amènent à modifier en conséquence son comportement, son habil-
lement, son régime alimentaire. La méthode, à elle seule, n’autorise pas qu’on
lui attribue des tendances homosexuelles prononcées. Certaines de ces prati-
ques, qui sont loin d’être exceptionnelles dans la bhakti vishnouïte, se mêleront
à l’occasion à des conduites inspirées par le tantrisme « de main gauche » : elles
peuvent alors revêtir des aspects impurs, violents ou asociaux, prenant un tour
plus franchement transgressif13.

La question du désir homosexuel

La tradition hindoue a-t-elle, plus que d’autres, fait une place positive à l’ho-
mosexualité ? Ce ne semble pas avoir été le cas au plan des structures de la
famille et de la société, ni au plan de l’éthique qui en codifie les normes et valeurs.
Le dharma (ordre socioreligieux) s’édifie notamment autour de la famille, du
couple hétérosexuel, de la procréation qui assure, au bénéfice des aînés et des
ancêtres, la continuité du tissu des générations. Que, par exemple, des hommes
s’habillent comme des femmes ou inversement, c’est là, selon des textes purâ-
niques, un trait décadent, symptôme de l’irrémédiable déclin du dharma et signe
annonciateur d’une fin du monde.
Certes, le dharma reconnaît une place, un lieu « hors lieu » pourrait-on dire,
à ceux – renonçants (sannyâsin) et autres ascètes ou moines – qui font le choix
extrême de quitter la société, ses rôles et responsabilités, ses objectifs (artha)

12 - Ibid., pp. 564-565.


13 - Bien avant les récentes controverses autour de Ramakrishna, un petit essai avait proposé
de reconnaître dans la flûte de Krishna et l’épée de Kâlî les symboles de deux dimensions com-
plémentaires – séduisante et terrifiante – de la manifestation hindoue du divin : David R. KINSLEY,
The Sword and the Flute : Kâlî and Krsna, Dark Visions of the Terrible and the Sublime in Hindu
Mythology, Berkeley, Univ. of California Press, (1975), 2000.
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74 TOPIQUE

et valeurs, en quête d’absolu. Dans cette quête de l’ultime, l’exercice de la sexua-


lité, quel qu’il soit, n’a généralement plus de raison d’être. Que ce soit donc en
société ou parmi ceux qui font profession d’en être sortis, il ne semble pas que
l’homosexualité, comme pratique ou comme représentation (récits, images, sym-
boles…), ait servi de support ou de langage à un cheminement éthique ou
spirituel14.
L’exception pourrait, par hypothèse, se trouver dans les conceptions et les
pratiques – très minoritaires – du Tantra dit « de main gauche » (vâmâcâra). Encore
observe-t-on que ces pratiques transgressives, telles qu’elles sont exposées dans
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certains textes traditionnels ou plutôt transmises oralement de maître à disci-
ple, paraissent bien demeurer le plus souvent dans le registre hétérosexuel.
Il est permis de penser cependant que la plasticité des représentations et pra-
tiques religieuses a fourni à des individus, voire à de petits groupes, des ressources
qui leur permettent dans une certaine mesure d’exprimer et de vivre des ten-
dances homosexuelles marquées. Le recours à l’analyse de textes risque toutefois
de demeurer délicat et peu concluant, d’autant que peu de textes, avant l’épo-
que contemporaine (et même de nos jours), se présentent comme reflétant la
pensée et l’expérience de personnes individuelles. Une étude sur ce thème ne
pourrait se développer qu’à l’interface entre enquête anthropologique de ter-
rain et recherche de type psychanalytique15 ou apparentée.

Jacques SCHEUER
Université Catholique de Louvain
Grand-Place, 45
B - 1348 Louvain-la-Neuve
[email protected]

14 - En sens contraire, Ruth VANITA, «‘Wedding of Two Souls’: Same-Sex Marriage and
Hindu Traditions », J. of Feminist Studies in Religion 20/2 (Fall 2004) 119-135, ainsi que les
publications qu’elle cite en notes, notamment un recueil de textes traditionnels : Ruth VANITA
& Saleem KIDWAI, Same-Sex Love in India : Readings from Literature and History, Palgrave
Macmillan, 2001 (il y est question de Ramakrishna aux pp. 229-232). Les Purâna-s en particu-
lier fourmillent de récits dans lesquels toutes les formes imaginables (et quelques autres) de rap-
ports sexuels et de procréation sont évoquées. Je ne suis pas sûr cependant, qu’il faille y voir,
dans la plupart des cas, une quelconque approbation (ni désapprobation) de pratiques homo-
sexuelles.
15 - Sur Freud et l’hindouisme, sur quelques développements de la psychanalyse en Inde et
des exemples de lectures psychanalytiques de thèmes indiens, signalons les études rassemblées
par T.G. VAIDYANATHAN & Jeffrey J. KRIPAL (eds), Vishnu on Freud’s Desk : A Reader in
Psychoanalysis and Hinduism, New Delhi, Oxford Univ. Press, (1999), 2002.
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JACQUES SCHEUER – LE CAS RAMAKRISHNA 75


À LA LUMIÈRE DE LA TRADITION HINDOUE

Jacques Scheuer – Le cas Ramakrishna à la lumière de la tradition hindoue

Résumé : La vie et les enseignements de Ramakrishna (1836-1886), saint bengali hin-


dou de tradition tantrique, ont recemment fait l’objet de vives controverses relatives
notamment aux rapports entre expérience mystique et (homo)sexualité ainsi qu’entre
enseignements traditionnels et biographie individuelle. Apres une rapide évocation du
dossier de ce debat, on propose ici l’éclairage de quelques valeurs, symboles et pratiques
de la tradition hindoue : unité et multiplicité du Divin, “Jeu” de la Divinité dans le monde,
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plasticité des images et des rôles assumés dans l’expérience mystique et le travail spiri-
tuel.
Mots-clés : Ramakrishna – Tantrisme (hindou) – Deesse – Spiritualité –
(Homo)sexualité.

Jacques Scheuer – The Case of Ramakrishna in the Light of Hindu Tradition.

Summary : The life and teaching of Ramakrishna (1836-1886), a Bengali Hindu Saint
from tantric tradition, has recently been the subject of lively debate concerning the rela-
tionship between mystical experience and (homo)sexuality and that between traditional
teaching and personal biography. After a brief review of the controversy, this article will
attempt to draw light from a number of values, symbols and practices central to Hindu tra-
dition – the unity and multiplicity of the Divine, the “Role” the Divinity plays in the
world, the plasticity of images and roles adopted in mystic experience and spiritual pro-
gress.
Key-words : Ramakrishna - Tantrism (Hindu) - Goddess - Spirituality -
(Homo)sexuality.

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