1 - Rappels Sur L'histoire de L'algérie Coloniale

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Rappels sur l’histoire de l’Algérie coloniale

Dominique Lejeune

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Dominique Lejeune. Rappels sur l’histoire de l’Algérie coloniale : Cours n°1 du cycle “ Notes sur
l’histoire de l’Algérie ”. Licence. cycle “ Notes sur l’histoire de l’Algérie ”, Maison des Sciences de
l’Homme et de l’Environnement de Besançon, 1 rue Charles Nodier, dans le cadre de l’Université
ouverte, France. 2022, pp.24. �halshs-03814045�

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D.Lejeune, RAPPELS SUR L’HISTOIRE DE L’ALGERIE COLONIALE 1

Présentation générale des « Notes sur l’histoire de l’Algérie » et cours n° 1 :


Rappels sur l’histoire de l’Algérie coloniale
Université de Besançon, 10 octobre 2022, de 16h30 à 18h
par Dominique Lejeune, Prof Dr Dr

Je ne serai pas exhaustif !


et… priorité à la connaissance historique, à l’histoire plutôt qu’à la mémoire
Une bibliographie simplement indicative : tous les ouvrages de Charles-Robert Ageron
(1923-2008), Guy Pervillé (né en 1948), dont : G.Pervillé, Pour une histoire de la guerre
d'Algérie, Picard, 2002, 356 p., Benjamin Stora (né en 1950), Sylvie Thénault (née en
1969)
… et l’ouvrage récent d’Emmanuel Alcaraz, Histoire de l’Algérie et de ses mémoires, des
origines au Hirak, Karthala, 2021, 288 p.

Après un retour en arrière sur l’histoire de la conquête de l’Algérie par la France,


il sera traité de la place de l’Algérie dans l’empire colonial du Second Empire et de la
Troisième République, du rôle des Algériens dans la Première Guerre mondiale. Que
devient l’Algérie dans l’entre-deux-guerres, spécialement lors de la célébration du
centenaire de 1830 ? et dans la Seconde Guerre mondiale ? D’autre part, on tentera de
délivrer de nombreuses notes sur l’histoire de la guerre d’indépendance de l’Algérie,
alors que sont commémorés pour la 60e fois les Accords d’Évian et l’indépendance de
l’Algérie. La guerre constituera un peu plus de la moitié des heures de ce cours.

carte générale (Denis Bouche)

Plan des 4 cours :


1. Rappels sur l’histoire de l’Algérie coloniale (aujourd’hui 10 octobre)
2. L’Algérie coloniale de l’entre-deux-guerres mondiales et 1954 (demain)
3. La guerre d’Algérie est la guerre d’indépendance de l’Algérie (mercredi 12, M.)
4. Quelques thèmes historiques sur la guerre d’indépendance de l’Algérie (12, S.)

Plan de ce premier cours :


I. L'expédition d'Alger et ses suites (1830-1840)
II. La conquête effective de l'Algérie (1840-1857) et l’organisation de l’Algérie (sous la
monarchie de Juillet, la Deuxième République et le Second Empire)
III. La IIIe République (avant 1914) et l’Algérie coloniale
IV. 40 ans d’Algérie coloniale : 1914-1954
I. L'expédition d'Alger et ses suites (1830-1840)
D.Lejeune, RAPPELS SUR L’HISTOIRE DE L’ALGERIE COLONIALE 2

gros commerçants :
- les milieux éco. marseillais sont les seuls favorables à l'expédition d'Alger, encore
n'avaient-ils pas invoqué d'autre argument que la nécessité d'assurer contre les
corsaires du Dey la sécurité de la navigation en Méditerr. : ils ne paraissent pas
songer que la prise d'Alger pourrait être le prélude à une œuvre de colo.
- une fois Alger prise, les Marseillais ont souvent agi X idée de limitation ou
d'abandon de la conquête. De plus, désir du régime de détourner les énergies de
Marseille et de sa région (politiquement assez hostiles à la monarchie de Juillet) vers
l'Algérie
les saint-simoniens :
- forte propagande pour l'Algérie, par ex.
- imp. pour tout monde arabe, d'une manière générale
- Enfantin :
* expression de "la communication des deux mers" et de "la jonction des deux mers"
(pour canal de Suez)
* "apostolat princier" auprès du duc d'Orléans : lettres adressées d'Algérie (par deux
intermédiaires)
- de toutes façons, sans qu'on puisse à proprement parler trouver chez eux une
doctrine systématique de l'expansion outre-mer, la plupart des premiers socialistes fr.
se montrèrent fav. aux principes généraux d'une colo. nouvelle
imp. des saint-simoniens :
- un saint-simonisme idéologique : union de l'Orient et de l'Occident : installations,
écrits, etc.
- puis un "saint-simonisme pratique", avec diff. moyens d'action :
- des Sociétés d'Études, comme la Soc. d'études pour le canal de Suez (1846), dont la
concession (obtenue en 1854) fut en quelque sorte "confisquée" par de Lesseps, qui,
après, ignora superbement les saint-sim. !
- subventions à des explorations, c. celles de Henri Duveyrier, fils de saint-sim.
(Charles D.), cf. l'obsession saint-simonienne de la jonction Algérie-Afrique
subsaharienne
- des influences personnelles, la plus imp. étant celles sur Napoléon III
- influence intellectuelle très large dans vaste sphère d'opinion : quasi-vacuité de la
planète >>> espoir d'exp. pacifique !
expédition décidée dans but redonner lustre au régime (la rive g. du Rhin étant
impossible…), avant les élections 1830 :
- conseil des ministres décide 31 janvier de s'occuper des vieilles affaires algériennes :
D.Lejeune, RAPPELS SUR L’HISTOIRE DE L’ALGERIE COLONIALE 3

* la régence turque d’Alger est un état « barbaresque » (corruption de Berbérie, le pays


des Berbères). Depuis François Ier, la France prétend avoir des relations privilégiées
avec les États musulmans… Environ 3 millions d’habitants
* dey d'Alger (la "régence d'Alger"), vassal lointain du sultan de Constant., contrôle
surtout la côte. Pauvreté agricole, commerce aux mains des étrangers. État de révolte
endémique depuis début du siècle (facilite écroulement de la Régence, mais n'est pas
entrée dans calculs du gouv. fr.)
* "course", surtout aux dépens des états ital., interdite officiellement depuis Congrès
Vienne. Revenus en baisse. Des démonstrations de force britannique et anglo-française
devant Alger en 1816 et en 1819
* affaire de fourniture de blé 1796, très embrouillée
* la flotte française est disponible après la victoire anglo-franco-russe sur les Turcs de
Navarin (1827)
* en 1827, démonstration navale pour demander des excuses pour une insulte faite au
consul de France
* en 1829, le gouvernement avait pensé à un blocus d'Alger, fait par Méhémet-Ali
(pacha d'Égypte), moyennant 8 M F !
* ignorance des réalités algériennes
* il s’agit de « châtier » le dey, pas de détruire son état ; il s’agit aussi pour Charles X
d’obtenir un succès extérieur faisant oublier les difficultés intérieures !
une préparation très rapide :
- expédition annoncée par discours du trône du 3 mars
- pronostics très pessimistes dans presse. Idem en Angleterre, de toutes façons
empêtrée dans des difficultés politiques internes
- exp. mise en route fin mai. Réunion à Toulon et Marseille troupes venues de toute la
France (37 000 h), 103 bât. de g., 305 de commerce. Discorde marine-armée…
- le min. de la Guerre, le comte de Bourmont, Louis de Ghaisne de Bourmont, maréchal
de France, commande en personne. N'avait pour seul fait d'armes que sa désertion à
la veille de Waterloo ! 1773-1846
débarquement à l'Ouest d'Alger, dans baie de Sidi-Ferruch. Par méfiance des cartes,
pourtant exactes, l'armée manque de perdre son chemin en marchant sur Alger ! Alger
est une ville en déclin (presque 100 000 hab. au XVIIe siècle, 30 000 en 1830)
prise d'Alger (deux illustrations) 5 juillet 1830. Prise Bône (concession française
détruite par le dey en 1827) et Oran (abandonnée par les Espagnols depuis la fin du
XVIIIe siècle) quelques jours plus tard.
conséquences :
- inquiétude Grande-Bretagne. Le gouvernement Polignac a d'ailleurs envisagé de se
faire rendre, par un incroyable syst. d'échanges de territoires, la rive gauche du Rhin !
D.Lejeune, RAPPELS SUR L’HISTOIRE DE L’ALGERIE COLONIALE 4

- envoi de troupes a facilité rév. Juillet 1830 (plus absence du min. de la Guerre)
- legs onéreux de la Restauration pour la monarchie de Juillet. Impossible
d'abandonner cette conquête de la Restauration sans porter atteinte au prestige du
nouveau régime >>> instructions à Bertrand Clauzel (1772-1842), successeur de
Bourmont, parlent de la formation d'un "importante colo." (malgré la fureur de l'opp.
libérale, qui insiste sur le coût de l'opération), celles des Établissements français en
Afrique (sic).
mais politique d'attente 1830-1834 (Pierre Berthezène, René Savary, Jean-Baptiste
Drouet d'Erlon) : l' "occupation restreinte" :
- rappels de troupes (troubles intérieurs)
- désir de ménager l'Angleterre est essentiel
- un parti "anticoloniste" à la Chambre, mené par l'éco. Hippolyte Passy, dénonçant
inlassablement le coût excessif de la colo.
l'initiative décisive vient de l'émir Abd el-Kader (1807-1883, est donc alors très
jeune) :
- famille de marabouts de Mascara (Oranie)
- appui / confrérie relig. des Quadria
- quiproquo / accord 1834 passé avec le général (Louis Alexis Desmichels, 1779-1845)
cdt la div. d'Oran : titre d'émir et armes. D. a cru s'en faire un allié, alors qu'Abd el-
Kader s'est servi des armes pour éliminer ses rivaux
- Abd el-Kader bat les Français à la bataille de La Macta (juin 1835) >>> Clauzel nommé
Gouverneur général des Possessions françaises du Nord de l'Afrique
Clauzel pénètre dans l'int., mais gouv. fr. le soutient mollement >>> défaite de
Constantine (fin 1836) >>> on en revient à la "politique d'occupation restreinte" (1837-
fin 1839). Mais prise de Constantine le 13 octobre 1837.
en plus, le général Bugeaud conclut avec Abd el-Kader traité de La Tafna (mai 1837),
qui accorde à l'émir la majeure partie de l'Oranie et de l'Algérois, contre une vague
reconnaissance de la suz. fr. Obscurités de rédaction
novembre 1839 : Abd el-Kader, à la tête d’un État théocratique, proclame la "guerre
sainte" >>> phase décisive s'ouvre et l'année 1840 est une année charnière. En 1839
d'ailleurs, décision gouv. : "le pays occupé par les Français dans le nord de l'Afrique
sera à l'avenir désigné sous le nom d'Algérie".

Le mot décolonisation est attesté en France dès 1836, dans un


manifeste [d’Henri (Boyer-)Fonfrède (1788-1841)] « intitulé Décolonisation d’Alger,
lequel recommandait l’évacuation de l’Algérie. Le mot figure ensuite avec ses
dérivés (décolonisateur, décolonisés) dans un dictionnaire des néologismes :
L’Enrichissement de la langue française [.Dictionnaire de mots nouveaux] (1845) dû
D.Lejeune, RAPPELS SUR L’HISTOIRE DE L’ALGERIE COLONIALE 5

à [Jean-Baptiste] Richard de Radonvilliers. Il semble avoir été d’usage chez les seuls
adversaires de la colonisation, les "anticolonistes" comme on disait alors, et avoir
disparu avec eux pendant toute la période d’expansion coloniale. Le mot
décolonisation fut repris après la Révolution soviétique par le leader communiste
indien Manabendra Nath Roy [1887-1954] […] ». 1

II. La conquête effective de l'Algérie (1840-1857) et l’organisation


de l’Algérie (sous la monarchie de Juillet, la Deuxième République
et le Second Empire)

Carte des étapes de l’occupation française

1°) Abd el-Kader


novembre 1839 : Abd el-Kader proclame la "guerre sainte" >>> phase décisive
s'ouvre et l'année 1840 est une année charnière. Il espère dégoûter définitivement
Louis Philippe de l'Alg., mais en 1840 la monarchie de Juillet essuie un grave échec de
politique ext. au Proche-Orient >>> va chercher possibilités de rétablir prestige
compromis
le général Bugeaud (1784-1849) est nommé gouv. gal de l'Alg. en décembre 1840 :
- décidé à la conquête totale de l'A.
- de nouvelles méthodes de conq. (élaborées en un an) : colonnes mobiles, razzias et
terre brûlée (souv. de la G. d'Esp.), etc.
- des effectifs considérables (> 100 000 h, soit le 1/4 de l'armée fr. !)
- parmi les chefs, beaucoup de futurs maréchaux de l'Emp.
- chefs rudes entraîneurs d'hommes
- chefs souvent inhumains. Ex. : Pélissier, qui enfume des centaines d'Arabes réfugiés
dans grottes du Dahra
Abd el-Kader n'est jamais parvenu à faire l'unanimité des Arabes et des Berbères
autour de lui (confrérie des Taïbia lui fut toujours hostile)
prise de la Smala d'Abd el-Kader 16 mai 1843 par duc d'Aumale (4e fils de LP), en
l'absence d'Abd el-Kader
Abd el-Kader se réfugie auprès du sultan du Maroc début 1844 :
- or, souverain totalement indépendant
- bataille de l'Isly 14 août 1844

1
Charles-Robert Ageron, p. 331 de J.-Fr.Sirinelli dir., Dictionnaire historique de la vie politique française au XXe
siècle, PUF, 1995, 1 068 p., réédition, 2003, coll. « Quadrige », 1 254 p.
D.Lejeune, RAPPELS SUR L’HISTOIRE DE L’ALGERIE COLONIALE 6

- escadre du prince de Joinville bombarde Tanger et occupe Modagor


- mais la Grande-Bretagne réagit vivement devant perspective d'une installation fr. au
Maroc >>> traité de paix de Lalla-Marnia (ou Maghnia) en septembre 1844
- ultime guérilla menée par Abd el-Kader :
* contre lui, Bugeaud utilise les divisions
* et il s'oppose habilement au prosélytisme de Mgr Antoine-Adolphe Dupuch (1800-
1856), premier évêque d'Alger (1838>>>), pour éviter Croisade X Guerre sainte
- Abd el-Kader se rend en novembre 1847 au duc d'Aumale qui (en juin) a remplacé
Bugeaud (ardeur belliqueuse excessive de ce dernier, nommé maréchal en 1843, mais
démissionnaire en mai 1847, car n'a plus l'oreille du gouv.).
- Nap. III le libère, l'autorise à se retirer à Damas (avec une pension). En 1860, AEK ouvre
sa maison aux chrétiens de Syrie menacés par les Druzes >>> augm. de sa pension et
Grand Cordon de la Légion d'Honneur !

2°) Les dernières étapes de la conquête


- "pacification" de la Petite Kabylie sous la Deuxième République par Saint-Arnaud,
fidèle de Louis Napoléon Bonaparte, pour qu'il se mette en valeur. Il est nommé min.
de la Guerre et joue grand rôle dans coup d'État. Mais il faut nouv. campagne en 1853-
1854.
- Grande Kabylie "soumise" par le général Jacques Louis Randon (1857)
- exp. milit. bordure Nord du Sahara contre la confrérie fondée par Si Mohammed Ben
Ali es Senoussi (1792-1859) : oasis de Laghouat 1852 et Touggourt 1854
- la conquête est alors à peu près achevée, mais soumission trop récente pour ne pas
laisser un rôle considérable à l'armée
Carte Sahara (D.Bouche)

3°) La question démographique de la population de l'Algérie


En 1830, la France était au moins dix fois plus peuplée que l'Algérie : plus de 32
millions d'habitants, contre environ 3 millions. La première, qui venait d'entamer sa
révolution industrielle, paraissait encore surpeuplée dans ses campagnes et dans ses
villes. La seconde semblait aux yeux des Français un semi-désert, parcouru par des
tribus nomades peu nombreuses et en voie de disparition, comme les peuplades
« barbares » ou « sauvages » du Nouveau Monde. « La population musulmane tend
sans cesse à décroître, tandis que la population chrétienne se développe sans cesse »,
écrivait Tocqueville en 1841. Ainsi, Bugeaud et Guizot pouvaient-ils croire qu'avec le
temps les colons deviendraient majoritaires dans le pays.
D.Lejeune, RAPPELS SUR L’HISTOIRE DE L’ALGERIE COLONIALE 7

À la fin de la Monarchie de Juillet, la crise agricole et industrielle commencée en 1846


renforça encore l'idée que l'Algérie pourrait servir d'exutoire à l'excédent de population
française et régler la question sociale en évacuant les « classes dangereuses ».
La Deuxième République tenta d'appliquer ce programme. Après avoir supprimé les
ateliers nationaux et réprimé l'insurrection ouvrière de juin 1848 à Paris, l'Assemblée
nationale vota un crédit pour établir en Algérie les volontaires pour la colonisation.
Près de 100 000 candidatures arrivèrent des régions urbaines les plus touchées par le
chômage ; 20 000 émigrants (dont 15 000 Parisiens) partirent pour aller fonder 42
villages en Algérie ;
Pourtant, en 1851, le nombre de Français établis en Algérie dépassait à peine celui
des étrangers venus spontanément d'Espagne, d'Italie, de Malte, même de Suisse ou
d'Allemagne du Sud. En 1856, le nombre des naissances dépassa celui des décès dans
la population immigrée.
Mais la population « indigène », recensée en même temps en 1856 pour la première
fois, restait très largement majoritaire (2,3 millions sur 2,5 environ).

4°) La question de l’organisation de l’Algérie


que faire des indigènes ? impossible de les refouler et de ne rien faire >>> idée
d’assimilation, ce qui va de pair avec « colonisation » européenne. 100 000 Européens
en 1847, 580 000 en 1901, soit 13 % de la population totale. Mais en fait, pendant
longtemps, la France va combiner plusieurs politiques, sans en choisir une seule…
une double controverse :
- entre partisans et adv. de l' "administration directe"
- entre partisans de l'administration civile et ceux de l'adm. militaire
* organisation 1844>>> des "bureaux arabes" (officiers, dt certains fort brillants)
* ordonnance 1845 met l'Alg. sous la compétence exclusive du ministère de la Guerre
* >>> l'adm. militaire est donc d'abord favorisée
- mais la France favorise aussi l'installation de colons européens :
* des civils, car très peu de militaires s'installent
* Europ. pauvres c. riches capitalistes
* 110 000 Europ. fin de la monarchie de Juillet (dont à peu près 40 % à Alger) >>>
la 2e Rép. suit une politique strictement civile :
- div. de l'A. en 3 dép., dirigés par des préfets (Oran, Alger, Constantine). A nouveau
carte générale de Denis Bouche.
- colons (et eux seuls) deviennent citoyens et peuvent élire des représentants à
l'Assemblée const. puis à la Législative
- après juin 1848, exp. de colo. massive (pauvres des villes) avec crédits très imp. :
10 000 installations réelles / 20 000 colons envoyés
D.Lejeune, RAPPELS SUR L’HISTOIRE DE L’ALGERIE COLONIALE 8

- 130 000 Europ. en 1851 (pour la première fois, Français > autres Europ.)
les hésitations et revirements du Second Empire :
- d'abord retour à l'adm. milit., celle du général Randon, qui règne en maître / A. >>>
1858 :
* méthode du "cantonnement" : terres de parcours enlevées aux tribus pour les
attribuer aux colons
* concession de vastes domaines à de grandes compagnies de colonisation, c. la
Compagnie genevoise (20 000 ha en 1853, près de Sétif)
- puis un éphémère ministère de l'Alg. & des Colo. (1858-1860) :
* confié au prince Jérôme puis à Chasseloup-Laubat
* l'Algérie est administrée depuis Paris, c. les départements fr.
* l'autorité milit. est subordonnée au pouvoir civil
* maintien du "cantonnement", mais suppression des concessions
* = expérience d'assimilation, qui donne satisfaction à la minorité européenne, mais
menace gravement cohésion des cadres éco. et soc. de la population musulmane
- 3e phase, le "royaume arabe" :
* régime plus proche du protectorat que de la colonie
* sous l'influence d'un voyage de Napoléon III en Alg. et d'un saint-simonien qui s'était
converti à l'Islam (Ismaël Urbain)
* Napoléon III : "Je suis l'empereur des Arabes aussi bien que des Français". N III fut le
premier homme d’État français à préconiser une politique d’association entre les
peuples « arabe » et européen en Algérie, tout en évoquant l’assimilation et la « fusion
des races » comme une lointaine et incertaine éventualité.
* s'associe à une politique fav. aux grandes entreprises capitalistes. Ex. : dans province
de Constantine 400 000 ha sont partagés entre 110 personnes, ailleurs : 100 000 ha
pour la Société alg. !
* s'associe à un régime militaire, celui du maréchal Aimable Pélissier, 1794-1864 (>>>
1864), limitant strictement l'adm. civile à la côte et limitant le cantonnement (et même :
des terres sont rendues aux tribus !)
* cette politique a été la seule politique clairvoyante et généreuse que la France ait
tenté en Alg.
les autres éléments :
- une révolte localisée (ouest) en 1864-1865
- des catastrophes naturelles (vols de sauterelles, sécheresses) entraînèrent famines et
épidémies à partie de 1866 >>> le recensement de 1872 ne compte que 2 125 000
indigènes, soit une diminution d’un quart
- pop. europ. est de 290 000 en 1860, dont seulement un peu plus de la 1/2 sont des
Français !
D.Lejeune, RAPPELS SUR L’HISTOIRE DE L’ALGERIE COLONIALE 9

- naissance (enquêtes, études, etc.) d'une anthropologie colonialiste raciste >>>


préjugés et mythes :
* cf. "Le musulman n'est-il pas, en effet, le démenti le plus formel donné à cette
proposition que l'homme a été créé pour travailler soit de ses mains, soit de son esprit ?
Ce qu'il chérit par-dessus toutes choses, n'est-ce pas la position horizontale ou le dos
de sa monture ?"
* importance du passage en Algérie, au cours de leur carrière, des officiers fr. Cf.
Faidherbe qui dénonce au Sénégal le danger représenté par "les forces fanatisées de
l'Islam" !

Conclusion du II :
pertes militaires françaises 1830-1857 : plus de 100 000 morts, en grande majorité à
l’hôpital
des bases nouvelles, pour un nouvel empire colo., grâce à des considérations
politiques, au jeu des personnalités, aux questions de prestige, qui ont compté bien
davantage que les impératifs éco.
mais la colo. n’est pas une grande cause nationale !
mais dév. au sein d’un vaste scepticisme au sujet de la « vocation » colo. fr. :
- on parle de « notre incapacité éprouvée à coloniser » (Valland, intendant en chef de
l’armée d’Afrique, en 1830)
- Tocqueville : « le commerce maritime n’est qu’un appendice de [l’] existence de la
France »
- Lucien Anatole Prévost-Paradol (1829-1870), journaliste qui publie en 1868 La France
nouvelle, livre au gros succès, déplore l’attachement obstiné des Français au sol natal,
incompatible avec la colo. Prévost-Paradol voit dans l'Alg. un prolongement de la
métropole et la véritable chance de survie fr. au XXe siècle
- toutefois, dès la fin du Second Empire, l’indiff. de l’op., tout au – éclairée, est sans
doute – forte qu’on ne l’affirme généralement
D.Lejeune, RAPPELS SUR L’HISTOIRE DE L’ALGERIE COLONIALE 10

III. La IIIe République (avant 1914) et l’Algérie coloniale

1°) Expansion et événementiel


la soi-disant « période de recueillement » (duc de Broglie) des débuts de la IIIe
République ne résiste pas à l’examen. Des actes très importants à court et long terme
pour Alg. et Afrique subsaharienne. Il n’y a pas de solution de continuité entre l’exp.
colo. sous le Second Empire et celle poursuivie sous la IIIe Rép.
L’économiste Paul Leroy-Beaulieu (1843-1916), publia une première
fois en 1874 son ouvrage De la colonisation chez les peuples modernes, sans attirer
l’attention, mais il eut beaucoup plus d’influence lors de la réédition de 1882, qui
garda le même titre (2). Pour désigner l’ensemble imposant formé par la métropole
et l’outre-mer, l’expression de « la plus grande France » apparaîtra pour la
première fois, en 1903, sous la plume de Jacques Léotard (1869-1940), secrétaire
général de la Société de géographie de Marseille (3), car « notre drapeau
civilisateur flotte […] sur des territoires dont la superficie atteint près de vingt fois
celle de la métropole, avec une population qui dépasse d’un cinquième celle de
notre pays. » Dans la même note, Léotard proteste contre la velléité de déclarer
close l’ère des conquêtes et il réclame l’occupation du Maroc, ainsi que celle du
Siam.
une expansion sous la Troisième République (cf. carte Colonisation française vers
1898), mais :
- concerne d’abord la fin du Second Empire
- Dans le débat politique sur la colonisation on a constaté, d’après l’historien Jacques
Binoche, « un entraînement colonial plutôt qu’une volonté d’expansion ».
- aussi une organisation et une mise en valeur
- >>> un bilan des responsabilités s'impose.
Pour désigner l’ensemble imposant formé par la métropole et l’outre-
mer, l’expression de « la plus grande France » apparut pour la première fois sous
la plume de Jacques Léotard (1869-1940), secrétaire général de la Société de
Géographie de Marseille, en 1903. Le « drapeau civilisateur » de la France flotte
alors, à ses yeux, « sur des territoires dont la superficie atteint près de vingt fois
celle de la métropole, avec une population qui dépasse d’un cinquième celle de
notre pays. » Un « deuxième empire colonial » français naquit en effet. L’empire

2 Quatre autres rééditions jusqu'en 1908.


3 Bulletin de la Société de Géographie de Marseille, 1903, p. 105. Jacques Léotard, rédacteur au Sémaphore de
Marseille, secrétaire adjoint de la Société de Géographie de Marseille, devint secrétaire général à la mort, en 1894,
de Paul Armand. Il publiera une « histoire de la Société » à l'occasion du Congrès national des Sociétés françaises
de Géographie, quatre ans plus tard et il était encore secrétaire général lors de la Grande Guerre (Bulletin de la
Société de Géographie de Marseille, 1894, p. 468 & 1898, in fine).
D.Lejeune, RAPPELS SUR L’HISTOIRE DE L’ALGERIE COLONIALE 11

colonial passa de 900 000 kilomètres carrés en 1876 à plus de 10 millions à la Belle
Époque et de 6 à 55 millions d’habitants.
Cartes 1898 et 1911
Un grand nombre de communards condamnés furent déportés en Algérie et en
Nouvelle-Calédonie
insurrection de 1871 :
- cause essentielle : fin du régime militaire paraît aux musulmans être la fin de leurs
garanties
- insurrection violente janvier-octobre 1871 dans toute Kabylie (sous la conduite de
Mohammed el-Hadj-el-Mokrani)
- puissante répression, dont nombreuses condamnations à la déportation en Guyane
et à la Nlle-Calédonie
conséquences :
- crainte du banditisme pousse les colons à réclamer toujours davantage de sévérité à
l'égard des Alg. musulmans
- nombreuses juridiction spéciales, dont le code de l'indigénat, qui dresse liste
abondante des infractions spéciales aux indigènes (vol, désobéissance, vagabondage,
absence de plus de trois jours pour aller au marché, etc.)
- de nouvelles terres de colonisation sont trouvées dans les 500 000 ha séquestrés au
détriment des révoltés de 1871
Revenons sur ces points. L’Algérie connut donc l’insurrection de 1871,
provoquée par l’abolition du régime militaire qui parut aux chefs musulmans être
la fin de leurs garanties et de leurs privilèges. Par contre, le décret Crémieux ne
joua pas du tout, contrairement à ce que l’on affirma — point innocemment — par
la suite en métropole. Ce fut une insurrection violente (janvier-octobre 1871) dans
toute la Kabylie, sous la conduite du grand seigneur (ayant le titre de bachagha)
Mohammed el-Hadj el-Mokrani (1815-1871), écrasée par une puissante
répression, dont de nombreuses condamnations à la déportation en Guyane et à
la Nouvelle-Calédonie. La conséquence directe fut la confiscation de près d’un
demi-million d’hectares de bonnes terres, confiées surtout à des Alsaciens ayant
opté pour la France. Les conséquences lointaines furent la haine soulevée chez les
Algériens dépossédés, la crainte du « banditisme » chez les colons, qui les poussa
à réclamer toujours davantage de sévérité à l’égard des Algériens musulmans et la
mise sur pied de nombreuses juridictions spéciales, dont le code de l’indigénat, qui
dressait la liste abondante des infractions spéciales aux indigènes. La pénétration
vers le Sud fut reprise, avec l’espoir de la construction d’un chemin de fer
D.Lejeune, RAPPELS SUR L’HISTOIRE DE L’ALGERIE COLONIALE 12

transsaharien, des réussites (El Goléa fut atteint) et des échecs (massacre de la
mission Flatters en 1881) 4.

2°) Les débats : association ou assimilation ?


Les débats furent constants entre association ou assimilation.
politique impériale du "royaume arabe" vise à l'association, d'autant plus que
l'Algérie se trouve immergée dans le libre-échange à la française (1860) : loi du 17
juillet 1867 règle dans sens libre-échangiste les relations de l'A. avec la France et les
pays étrangers (liberté absolue). Même tendance libre-échangiste dans les autres
colonies, d'ailleurs.
vise au total une sorte d'État multinational, sans prohibition de l'installation des
Europ. toutefois
en misant sur une partition équilibrée du pays : aux Algériens, désormais rassurés
pour leurs propriétés, la culture et l'élevage, aux colons, confortés par les capitaux
investis, l'ind. et le commerce.
mais les dernières années du Second Empire marquent beaucoup d'hésitations,
d'autant plus que révoltes 1864-1865 et famines et épidémies 1866>>> (pour causes
naturelles)
IIIe République : Les départements algériens dépendent du ministère de l’Intérieur
L’Algérie fut dans les débuts de la IIIe République assimilée à la
métropole, « erreur fondamentale » selon Jules Ferry. C’était une réaction contre la
politique impériale du « royaume arabe », la récompense de la bravoure de l’armée
d’Afrique en 1870-1871, la suite logique de l’hostilité au pouvoir militaire ; c’était
témoigner à la fois d’un état d’esprit « jacobin » et d’une croyance dans les vertus
de la démocratie républicaine. La France procéda en Algérie à une assimilation
simple (avec de multiples textes) en 1870-1871 ; puis fut institué le système des
« rattachements » (1881) : chacune des administrations algériennes était rattachée
au ministère métropolitain correspondant. Le système éparpillait donc les
responsabilités entre sept ou huit ministères parisiens. Une réforme capitale (le
« dé-rattachement ») détachera en 1896 une bonne partie des services civils des
ministères parisiens en les plaçant sous l’autorité du gouverneur. Mais il y aura
toujours au ministère de l’Intérieur un service chargé de centraliser toutes les
affaires algériennes…
D’une manière générale, on a de toute façon longtemps hésité pour
l’empire colonial entre l’assimilation — centralisation, gouvernement direct par la
France, utilisation des lois françaises — et l’association — maintien des autorités et

4
B.Carrière, « Le transsaharien », Acta Geografica, n° 74, pp. 23-39.
D.Lejeune, RAPPELS SUR L’HISTOIRE DE L’ALGERIE COLONIALE 13

coutumes traditionnelles, adaptation de la législation métropolitaine —, sans


homogénéité dans la solution.
La première réponse correspondait à l’héritage de la Révolution
française et au messianisme moralisant et scientifique du colonisateur, sous-
estimant à l’évidence les obstacles ; des psychologues insistaient au contraire sur
l’impossibilité d’assimiler des races différentes, d’autres firent valoir le coût énorme
de l’assimilation, et la doctrine de l’association sera systématisée par Jules
Harmand (1845-1921), haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères en
1910 en préconisant « la plus grande somme d’indépendance administrative,
économique et financière qui soit compatible avec la plus grande dépendance
politique possible » 5.
Localement et avec empirisme, c’est l’ « administration directe »
(française) qui domine, quoiqu’il subsiste ici ou là des institutions antérieures ; dans
le domaine commercial, le principe de l’assimilation douanière est définitivement
rétabli en 1892. L’efficacité d’une telle administration n’est en réalité pas grande,
même si l’éloignement vis-à-vis de Paris impose avec bon sens de donner beaucoup
d’initiative à la colonie, et de régulariser et accepter après coup : les hauts
fonctionnaires sont de passage, les meilleurs administrateurs préfèrent la
métropole, ou limitent leurs vœux aux grandes villes des colonies, les distances
laissent le champ libre au manque de caractère, à la corruption, à l’aveuglement et
à la médiocrité dans les postes « de brousse ». Le tableau n’échappe pas à l’opinion
éclairée, en métropole et outre-mer. Une certaine scolarisation est entreprise, mais
ici comme en métropole l’État républicain est un tard venu, après l’école coranique
des pays musulmans et l’école missionnaire ; de plus, son effort fut très mesuré : la
proportion d’enfants scolarisés ne dépassera pas un dixième dans aucun territoire
colonial en 1914, ce qui est en totale contradiction avec à la fois la politique
d’assimilation et celle d’association.
Dès ses débuts, la Troisième République reprit la tradition
a s s i m i l a t i o n n i s te de la Deuxième. Réorganisée par les décrets Crémieux
d'octobre 1870, l'Algérie se vit promettre un gouverneur général civil, l'extension
des territoires civils, et restituer la représentation parlementaire que lui avait retiré
la Constitution bonapartiste de janvier 1852. Après une phase transitoire marquée
par la nomination de gouverneurs militaires en habit civil (amiral de Gueydon,
général Chanzy), la colonie fut enfin dotée de vrais gouverneurs civils à partir de

5
Voir G.Salkin, Le triple destin de Jules Harmand, médecin, explorateur, diplomate, Economica, 1992, 129 p.,
son médiocre démarquage dans la notice bio-bibliographique de Julie d’Andurain, Colonialisme ou impérialisme ?
Le parti colonial en pensée et en action, Léchelle, Zellige, 2017, 448 p., pp. 23-33. Pour aller plus loin, lire N.Broc,
Dictionnaire illustré des explorateurs français du XIXe siècle, CTHS, 1988-1999, 4 vol.
D.Lejeune, RAPPELS SUR L’HISTOIRE DE L’ALGERIE COLONIALE 14

l'installation durable des républicains au pouvoir en 1879, et rattachée plus


étroitement aux ministères parisiens par les décrets de 1881. Les droits de
représentation des citoyens français dans les assemblées locales et au Parlement
se rapprochèrent de ce qu'ils étaient en métropole.
Cependant, l'Algérie ne fut jamais entièrement assimilée à la France. Elle faisait l'objet
d'une législation particulière, fondée sur le régime des décrets tant que le Parlement
ne décidait pas de légiférer pour elle. L'assimilation ne profita qu'aux citoyens français,
mais ceux d'Algérie jouissaient en plusieurs domaines d'avantages dont ne
bénéficiaient pas les métropolitains, par exemple l'exemption de l'impôt foncier (pour
attirer les colons), ou des modalités particulières du service militaire obligatoire avant
1914.
Il naquit pourtant à la fin du XIXe siècle un mouvement autonomiste, voire
« indépendantiste », qui dénonçait la lourdeur de la tutelle métropolitaine sur le
« peuple algérien », et qui réclamait une « Algérie libre ». Après une violente agitation
(qui se confondit avec un mouvement anti-juif allié aux antidreyfusards de la
métropole), le pouvoir central abrogea les décrets de rattachement pour renforcer les
attributions du gouverneur général
« code de l'indigénat » : les indigènes sont privés des droits des citoyens, à
l'exception de quelques individus qui avaient obtenu leur naturalisation et de quelques
catégories de notables admis à élire une poignée de représentants minoritaires dans
les assemblées locales. Le code de l’indigénat est une liste d’infractions et de pénalités
spécifiques aux indigènes. Les indigènes musulmans n’étaient pourtant pas définis
comme des étrangers. En tant qu’habitants d’un territoire annexé par la France depuis
1834, ils étaient ressortissants français. Le senatus consulte du 14 juillet 1865 leur
attribua explicitement la nationalité française, tout en la distinguant de la citoyenneté.
La loi française posait comme condition nécessaire à l’octroi de la citoyenneté la
renonciation volontaire au droit coranique ou aux coutumes berbères de Kabylie. Or,
les apostats sont condamnés à l’enfer… De plus cette condition nécessaire n’était pas
suffisante parce que l’accession à la citoyenneté n’était pas un droit mais une faveur,
dont il fallait être jugé digne par les autorités françaises.
il fallait tenir compte de l’existence en Algérie des « communes mixtes », plus ou
moins adaptées au droit indigène, et des « territoires du Sud » (constitués en 1902),
militaires, ainsi que d’un « Conseil de gouvernement ».
ainsi que d’éléments représentatifs et consultatifs qui assistent le Gouverneur
général : les « délégations financières » (qui votent le budget depuis 1898) et le Conseil
de gouvernement.
Ainsi, le mythe de « l'Algérie prolongement de la métropole », profondément ancré
dans la culture politique républicaine, était resté un simple vœu, ou une « patriotique
D.Lejeune, RAPPELS SUR L’HISTOIRE DE L’ALGERIE COLONIALE 15

métaphore » qu'il ne fallait pas prendre à la lettre, selon l'expression de Jules Ferry
dans son rapport de la commission sénatoriale d'enquête de 1892. Cette situation dura
sans changement fondamental jusqu'à la fin de la Troisième République.

3°) L’économie et la culture de l’Algérie coloniale

a) L’économie
Après la chute de l'Empire et la fin du régime militaire, la Troisième République
relança vigoureusement la colonisation officielle, en séquestrant les terres des insurgés
de 1871. En dix ans, 347 268 hectares furent concédés et 197 villages furent créés. La
colonisation officielle continua jusqu'en 1928 à créer des villages, et jusqu'en 1936 à
distribuer des lots de fermes.
En même temps, de nouvelles lois favorisèrent la constitution de la propriété
individuelle et les transactions privées. Après le sénatus-consulte de 1863 (qui avait
servi à accélérer la division de la propriété tribale, contre les intentions de N III), la loi
Warnier du 26 juillet 1873 soumit l'établissement de la propriété au droit civil français,
selon lequel « nul n'est tenu de rester dans l'indivision ». Cette loi permit à l'acquéreur
d'une part de copropriété indigène d'obliger tous les copropriétaires à céder leur bien
pour un prix dérisoire. Elle fut abrogée par la loi du 22 avril 1887, qui prit la relève du
sénatus-consulte de 1863, et qui fut complétée par celles du 16 avril 1897 et du 11
août 1926.
Sous la pression des contributions de guerre et des séquestres infligés aux rebelles
de 1871, des impôts et des amendes, les indigènes furent contraints de vendre de plus
en plus de terres aux colons. Ainsi, en ajoutant le solde positif des transactions privées
aux concessions officielles, la colonisation acquit en moins de trente ans plus du double
de la superficie qu'elle avait occupée en quarante ans, de 1830 à 1870. L'expansion de
la propriété coloniale, momentanément freinée par la guerre de 1914 à 1918, reprit
ensuite et s'accéléra pendant la crise économique des années 1930.
Le colonat européen possédait 480 000 hectares en 1870, 2 345 000 en 1930, et
2 726 700 en 1950. Par comparaison, les propriétés indigènes couvraient 7 562 977
hectares en 1930 et 7 349 100 hectares en 1950. La part de la superficie agricole
appropriée par les colons (23,67 % en 1930, 27,6 % en 1950) peut sembler relativement
modérée, si l'on oublie que ceux-ci ne représentaient pas plus que 2 % de la population
agricole totale en 1950. De plus, le nombre de propriétés européennes diminua, de
34 821 en 1930 à 17 129 en 1950, alors qu'il augmentait chez les indigènes de 617 544
en 1930 à 630 732 en 1950. Ainsi, la superficie moyenne d’une propriété passa chez les
Européens de 89,69 hectares en 1930 à 123,73 hectares en 1950, et chez les musulmans
D.Lejeune, RAPPELS SUR L’HISTOIRE DE L’ALGERIE COLONIALE 16

de 12,24 hectares à 11,65 hectares : l'écart s'accrut jusqu'à dépasser le rapport de 11


contre 1.
Dans ces conditions, les fellahs indigènes étaient incapables de concurrencer « à
armes égales » les colons voisins, et de subir la « contagion de l'exemple » comme
l'affirmait Émile-Félix Gautier 6, puisque leur grande majorité (69,5 %) disposait de
moins de 10 hectares. Il existait bien de grandes propriétés indigènes (de plus de 100
hectares), plus nombreuses que les propriétés européennes de même taille, mais moins
étendues. Leurs propriétaires, souvent qualifiés de « féodaux » ou de « bourgeois »
(voire de « colons ») musulmans, n'étaient qu'une infime minorité dans la société rurale
indigène, ils ne possédaient qu'une faible part du nombre de ses propriétés (1,34 % en
1954), et moins du quart de leur superficie totale. Au contraire, les grands colons
européens possédaient la grande majorité des terres européennes (87,35 % en 1950).
Il n'est pas étonnant que les colons européens, mieux dotés et mieux équipés,
bénéficiant d'un crédit beaucoup plus large et d'une instruction beaucoup plus
poussée, aient produit et commercialisé la majeure partie des produits agricoles (55 %
de la production végétale et animale, 66 % de la seule production végétale de l'Algérie
en 1950, plus de 90 % du vin).
Ainsi, le partage des terres entre les deux populations était très inégal, et
disproportionné à leurs parts respectives dans la population de la région.
La grande majorité des fellahs indigènes avait donc de plus en plus de mal à tirer sa
subsistance de ses propres terres. Aux 69,5 % des propriétaires possédant moins de 10
hectares en 1950 s'ajoutait un plus grand nombre de non-propriétaires (57 % de la
population agricole) : khammes (métayers ne gardant que le cinquième de la récolte)
et ouvriers salariés permanents ou temporaires, dont une forte proportion était sous-
employée ou inemployée (1 million de chômeurs ruraux en 1954). Cette masse de
demi-prolétaires ou de prolétaires était obligée de chercher des ressources dans les
grands domaines, dans les chantiers de travaux publics et dans les mines, ou dans les
villes (qui abritaient 10,8 % des musulmans en 1931, 11,6 % en 1936, 14,7 % en 1948,
18.9 % en 1954), et jusqu'en France, où résidaient près de 100 000 émigrés algériens
en 1931 et 300 000 en 1954.
Il est vrai que cette prolétarisation ne touchait pas l'ensemble de la société indigène,
puisque certains de ses membres avaient réussi à conserver ou à renforcer leur

6
Citons le cas particulier d'Émile-Félix Gautier (1864-1940), professeur d'allemand au collège Chaptal qui était
en même temps… répétiteur de malgache à l'École des Langues orientales et qui deviendra professeur à l'École
supérieure des lettres (puis Faculté) d'Alger. Ce personnage à la curieuse carrière avait été élève d'histoire à l'E.N.S.
mais avait échoué à l'Agrégation : un congé réparateur outre-Rhin l'autorisa à passer avec succès le concours en
allemand ; son don des langues lui permit aussi d'explorer Madagascar à partir de 1892, année qui le voit entrer à
la Société de Géographie. Il soutint d'ailleurs une thèse de… géographie sur la Grande Ile, et, une fois nommé à
Alger, il publiera une grande œuvre géographique sur l'Algérie.
D.Lejeune, RAPPELS SUR L’HISTOIRE DE L’ALGERIE COLONIALE 17

patrimoine. Mais dans une grande partie du pays, les colons possédaient la plupart des
terres fertiles, et ils étaient les principaux employeurs. Et dans les secteurs non
agricoles, les plus grandes entreprises appartenaient généralement aux Européens.
La dépossession foncière avait-elle été délibérément voulue ? Pas entièrement. Les
premiers colonisateurs avaient d'abord projeté d'implanter en Algérie une petite et
moyenne paysannerie française, soit en refoulant les indigènes vers le désert (comme
le réclamaient les colonistes les plus exaltés), soit en partageant avec eux les terres
cultivables, suffisamment vastes pour les deux populations. Les « bureaux arabes »
s'étaient efforcés de faciliter leur coexistence.
Pourtant, des colons avaient très tôt eu recours au travail des indigènes, soit comme
khammes (preuve que la colonisation ne manquait pas de terres selon Napoléon III),
soit comme journaliers pour les grands travaux de défrichement ou pour les récoltes.
Dès 1851, le ministère de la Guerre avait approuvé la généralisation de leur emploi
pour pallier la rareté et la cherté des salariés français, qui pouvaient aisément accéder
à la propriété de lots de colonisation.
Mais, dans les régions qui bénéficièrent longtemps d'un afflux d'immigrants
étrangers pauvres, tels que les Espagnols en Oranie, ceux-ci avaient la préférence des
colons. Par la suite, au contraire, la mécanisation croissante des grands domaines
réduisit fortement leurs besoins de main-d'œuvre, et les salaires qu'ils distribuaient,
aggravant d'autant le surpeuplement relatif des campagnes, et le mécontentement des
fellahs prolétarisés.
Dès 1880 avait été fondé un Crédit foncier d’Algérie et de Tunisie, dont Hubert Bonin
s’est fait l’historien 7.
L’Algérie subit le contrecoup de toutes les crises et de tous les ralentissements
économiques français ; second grave problème, les paysans ont une situation
démographique et administrative telle que leurs terres sont de moins en moins
productives. La création en 1908 des Sociétés indigènes de prévoyance et de secours
(comme en Algérie) n’atténuera qu’à peine le fléau, car elles profiteront surtout aux
gros propriétaires terriens. Le 26 avril 1901 éclate l’insurrection de Margueritte (Aïn
Torki), qui dure jusqu’au 1er mai et se solde par un procès à Montpellier en 1903 (27
condamnations, au maximum à perpétuité).

b) La culture
L’Algérie compte, en 1881, 35 000 juifs, citoyens français depuis le
décret Crémieux du 24 octobre 1870 (8), limité dans son application par le décret

7
H.Bonin, Un outre-mer bancaire méditerranéen. Histoire du Crédit foncier d’Algérie et de Tunisie (1880-1997),
Publications de la Société française d’histoire d’outre-mer, 2004, 370 p.
8
Notice par M.Abitbol, dans J.-J.Becker & A.Wieviorka dir., Les Juifs de France de la Révolution française à nos
jours, Liana Levi, 1998, 445 p., pp. 109-111.
D.Lejeune, RAPPELS SUR L’HISTOIRE DE L’ALGERIE COLONIALE 18

du 9 octobre 1871. Les débuts de la IIIe République voient la poursuite de


l’intégration, par laïcisation notamment (déjudaïsation), et diminution de l’intérêt
pour le judaïsme, à l’exception de la fondation de la Société des études juives en
1880 ; en conséquence, le recrutement des rabbins devient difficile. Une nouvelle
vague d’antisémitisme s’abat sur la France à la fin du XIXe siècle 9, soit plus tard
qu’en Europe de l’Est. Elle est notamment marquée par les succès d’Édouard
Drumont, dont le livre La France juive paraît en 1886, et qui lance le journal La Libre
Parole le 20 avril 1892. Des violences antisémites et une campagne antijuive,
soutenue par les radicaux et les francs-maçons, se développent en Algérie depuis
1881. L’antisémite Max Régis (1873-1950) est élu maire d’Alger en 1898.
L’anticléricalisme n’est pas un article d’exportation. En Algérie, cause
commune est établie entre le cardinal Lavigerie et les francs-maçons ! Dès la prise
d’Alger le gouv. fr. avait interdit tout prosélytisme religieux, tout en créant un
diocèse à Alger (1838). Charles Martial Lavigerie (1825-1892), qui arrive à Alger en
1867 :
- lance un appel aux évêques de France et du monde entier pour juguler les
conséquences de la famine
- crée ou développe des missions à destination de tout le continent africain
- restaure le « siège » de Carthage et devient « archevêque d’Alger et Carthage, primat
d’Afrique »
- lance une croisade antiesclavagiste en 1888

en matière d’école, la IIIe République fut résolument assimilatrice >>> lois Jules
Ferry sont appliquées >>> EN de La Bouzaréah avec une « section spéciale », mais :
- manque de places
- les « musulmans » envoient peu leurs enfants à l’école avant la 1ère GM, quand elle
existe à proximité
- deux types d’enseignement élémentaire, l’européen et l’ « indigène », dit plus tard
« franco-musulman »
- dans le secondaire, lycée d’Alger dès 1835, 2 autres et 7 collèges dans l’entre-deux-
guerres
- une véritable Université, à Alger, fondée en 1909 en regroupant les 4 facultés créées
en 1879
En outre, une École coloniale fonctionnait depuis le 22 novembre 1889 dans le but
de former des magistrats et des fonctionnaires, mais son recrutement n’était pas

9
Pierre Birnbaum, Un mythe politique, la « République juive », de Léon Blum à Pierre Mendès France, Fayard,
1988, 417 p., réédition, Gallimard, 1995, 417 p. et sa bibliographie. Aussi : P.Birnbaum, « Les juifs d'État dans
les guerres franco-françaises du boulangisme au Front populaire », Vingtième Siècle. Revue d’Histoire, janvier-
mars 1992, pp. 26-44.
D.Lejeune, RAPPELS SUR L’HISTOIRE DE L’ALGERIE COLONIALE 19

encore tel qu’elle puisse pourvoir à tous les postes ouverts. Elle restait d’ailleurs peu
prestigieuse et mal connue. Enfin, une multiplicité de textes régla le sort des
différentes colonies.

Enfin, on trouverait parmi les best sellers la dénonciation des scandales


coloniaux en Algérie (Tartarin de Tarascon) ou la critique de l’intervention française
en Tunisie (Bel-Ami de Maupassant, avec une identification Maroc-Tunisie). Ceci
pose le (vaste) problème de la crédibilité didactique de la littérature générale, ainsi
que de la littérature « coloniste » (comme on disait encore).

4°) Toujours la question de la population


4 illustrations :
- Évolution du peuplement
- Évolution des populations
- Origines du peuplement
- Courbes démographiques

On le dit, les Français n’ont jamais beaucoup émigré : en 1911, il y a quand même
1 400 000 expatriés et descendants d’expatriés — 600 000 en Algérie, 170 000 dans le
reste de l’Afrique, 279 000 en Europe, 300 000 en Amérique du Nord et du Sud —, alors
qu’habitent en France 1 160 000 étrangers, soit 2,8 % de la population totale et un peu
plus qu’en 1881 (2,6 % de la population totale).
L’Algérie est le seul territoire qui ressortisse à la catégorie de la
colonisation de peuplement et non d’exploitation : un demi-million d’Européens
l’habitent, dont une bonne partie sont des citadins et non ces propriétaires terriens
qui ont mis en valeur les céréales, les cultures maraîchères et la vigne, depuis les
temps du phylloxéra en France. Le commerce extérieur est entièrement assuré par
des bateaux français et il n’y a pas de droits de douane entre la métropole et
l’Algérie. En conséquence, celle-ci subit le contrecoup de toutes les crises et de
tous les ralentissements économiques français ; second grave problème, les
paysans ont une situation démographique et administrative telle que leurs terres
sont de moins en moins productives. Les Sociétés indigènes de prévoyance (S.I.P.)
créées en 1893 ne résolvent guère la question. Le 26 avril 1901 éclate l’insurrection
de Margueritte (Aïn Torki), qui dure jusqu’au 1er mai et se solde par un procès à
Montpellier en 1903 (27 condamnations, au maximum à perpétuité).
Le peuplement européen échoua également dans la maîtrise de l'espace algérien.
Contrairement au rêve coloniste d'enraciner dans toute l'Algérie une petite ou
D.Lejeune, RAPPELS SUR L’HISTOIRE DE L’ALGERIE COLONIALE 20

moyenne paysannerie française, la population européenne resta dans sa grande


majorité une population urbaine, à 60 % en 1871, 71,4 % en 1926, et 80 % en 1954.
La concentration de la population européenne dans les villes lui permit de rester
longtemps majoritaire dans les principales d'entre elles (particulièrement sur la côte,
et dans l'Ouest du pays), et de retarder la prise de conscience de son déclin relatif. En
1926, elle représentait encore la moitié de la population urbaine totale. En 1931, elle
restait majoritaire dans les agglomérations d'Oran (78,7 %), de Sidi-Bel-Abbès (66,4 %),
d'Alger (66,4 %) et de Bône (55,4 %).
Mais l'afflux des ruraux musulmans vers les villes, commencé après la Grande Guerre,
s'accéléra durant la crise économique des années 1930 et après la deuxième guerre
mondiale. En 1954, les Européens représentaient moins du tiers de la population
urbaine. Ils n'avaient plus qu'une faible majorité dans l'agglomération d'Oran, et
l'avaient perdue dans celle d'Alger.

Institut Pasteur d’Alger fondé en 1894

le recrutement militaire des Algériens musulmans :


- longtemps basé sur syst. engagement volontaire : zouaves, tirailleurs alg. ("turcos"),
engagés dans g. Crimée déjà, puis en Italie
- conscription envisagée dès années 1880, établie seulement en 1912 :
* trois ans de service (et non deux)
* mais faible nombre conscrits (2 000 en 1912, 5 000 en 1913)
IV. 40 ans d’Algérie coloniale : 1914-1954

1°) Les problèmes politiques 1ère GM


Au Maghreb, le bombardement des côtes algériennes par le Goeben et
le Breslau en août 1914 a eu peu de conséquences, les facteurs décisifs ont été la
mobilisation générale des Français et la mobilisation partielle des Algériens, les
engagements volontaires de Tunisiens et les difficultés économiques, comme en
métropole. À destination du Maghreb un mot d’ordre de jihad est lancé par le
sultan de Constantinople, toute une propagande ottomane se propage à partir de
Constantinople et depuis l’intérieur de la Libye, ainsi qu’une propagande
allemande à partir du Maroc espagnol. La réalité de la vie maghrébine a été la
lassitude populaire, exprimée par des chansons et des complaintes, des troubles
sporadiques dès 1914, graves dans l’Aurès en 1916, et l’agitation des régions
sahariennes à cause des Senoussistes. La confrérie senoussiste avait été fondée
dans une oasis libyque, théoriquement sous domination ottomane, au XIXe siècle.
D.Lejeune, RAPPELS SUR L’HISTOIRE DE L’ALGERIE COLONIALE 21

Les Senoussistes, installés à Koufra à partir de 1895, avait progressé vers le Tchad
(français).

2°) L’explosion démographique


la population musulmane d’Algérie passe de 4,9 millions d’habitants en 1925 à
6,2 millions d’habitants en 1936
L’excédent naturel est donc augmenté (exemple : 0,5 % en 1921-1926 en Algérie,
2,2 % en 1931-1936 !).
En Algérie même 10, où le peuplement européen est le plus important de l’empire
colonial français, l’immigration d’origine métropolitaine se ralentit et si la population
européenne passe de 700 000 à 960 000 habitants (sur 7,2 millions), c’est surtout grâce
à l’accroissement naturel.
Il se produit donc une explosion démographique
En Algérie, en 1938, 100 000 enfants, dont 17 000 filles, sont scolarisés dans des
écoles créées par la France ; le taux de scolarisation indigène est passé de 5 à 10 %.

3°) Les rapports entre l’Algérie et la métropole


Type parfait du phénomène qui passe complètement inaperçu : en 1921 est mis en
exploitation le gisement ferrifère de l’Ouenza, dans le Sud constantinois, près de la
frontière avec la Tunisie, qui donne un minerai très riche et d’extraction facile (à ciel
ouvert), représentant les trois quarts de la production algérienne (3,5 millions de
tonnes), elle-même un dixième de celle de la France 11.
c’est que… la métropole est très mal renseignée sur ses colonies, malgré un assez
grand nombre de publications, individuelles ou collectives, comme l’Histoire de la
colonisation française de Hanotaux & Martineau (1929-1933). La grande presse publie
de grands reportages, comme ceux d’Albert Londres (1884-1932) 12 ; le cinéma s’ouvre
un peu aux colonies, avec un petit 5 % de la production française, mais les grands films,
L’Atlandide, La Bandera, Pépé le Moko, Un de la Légion…, avec des rôles d’Arabes
presque toujours tenus par des Européens 13, sont de la décennie suivante. Il y a un
effort de propagande officielle, pour « la plus grande France », les « cent millions de
Français » ; le centenaire de l’Algérie française est préparé ; les programmes
d’enseignement sont transformés, la « formation de l’empire colonial français »

10
Un ouvrage canonique à bien connaître : Ch.-A.Julien & Ch.-R.Ageron, Histoire de l'Algérie contemporaine,
tome II, De l'insurrection de 1871 au déclenchement de la guerre de libération (1954), PUF, 1979, 648 p.
11
Qui sera même fugitivement, grâce à la grande crise américaine, la première du monde, en 1932-1933.
12
P.Assouline, Albert Londres. Vie et mort d'un grand reporter. 1884-1932, Balland, 1989, 632 p.
13
Exemple fort célèbre, celui de Lucas Gridoux (pseudonyme de Lucas Grimberg, 1896-1952), dans le rôle de
l’inspecteur Slimane de Pépé le Moko, après avoir joué Judas pour Julien Duvivier et s’être imposé comme le
« traître » du cinéma français.
D.Lejeune, RAPPELS SUR L’HISTOIRE DE L’ALGERIE COLONIALE 22

apparaissant dans les classes d’histoire du Secondaire en 1925 (14). Des lieux communs
coloniaux apparaissent dans la rhétorique politique, comme l’expression « provinces
d’outre-mer », comme l’adage « la Méditerranée traverse la France comme la Seine
travers Paris », etc. Seule la certitude d’un traitement plus élevé attire dans l’empire
quelques militaires et fonctionnaires, toujours soucieux de revenir au plus vite en
métropole ! Il y a néanmoins des exceptions, quelques passionnés d’aventure toujours,
et, caractéristique de l’entre-deux-guerres, des amoureux du Sahara 15.
Carte Sahara (D.Bouche)
Surtout, un très large public manifeste un intérêt passionné pour les
grandes randonnées automobiles, en particulier les Croisières noire (1925) et jaune
(1933). Quotidiennement, le monde colonial tient une place accrue dans la presse
et la « littérature coloniale » se développe ; les milieux catholiques connaissent
l’importance de la communauté catholique, indigène, d’Indochine (deux millions
de fidèles sur 23 millions d’habitants en 1939, soit un pourcentage considérable) ;
l’Exposition coloniale de Marseille, en 1922, la deuxième après celle de 1906,
connaît un réel succès qui tient en haleine le public quant à la préparation de celle
de Paris en 1931, largement suivie par la presse. En réalité c’est dès 1919 qu’est
envisagée une exposition coloniale à Paris, il est vrai nationale, en 1920 une loi
prévoit une exposition coloniale interalliée en 1925, elle est reportée à 1928 puis
1929. Entretemps une nouvelle loi lui avait donnée l’intitulé, définitif, d’Exposition
coloniale internationale. En 1927 Lyautey, démis de son poste au Maroc et fort
dépressif, reçoit en compensation la direction de l’exposition. Il se passionne pour
cela et demande un nouveau report, à 1931 (16).
Quelques groupes de pression anciens se renforcent, le Redressement
français de Mercier 17 et la Ligue maritime et coloniale naissent. Cependant
l’apogée du sentiment colonial, de l’idée coloniale, se situera, non pas comme il a
été souvent dit au moment de l’exposition de Vincennes, mais à la Libération…
La culture de masse des années 30 peut être symbolisée par
l’Exposition de Vincennes (1930).

14
Une copieuse géographie coloniale française sera introduite dans l'enseignement primaire (1938) et secondaire
(1937).
15
M.Roux, Le désert de sable. Le Sahara dans l'imaginaire des Français (1900-1994), L'Harmattan, 1996, 204 p.

16
D.Grandsart, Paris 1931. Revoir l’exposition coloniale, Paris, Éditions FVW, Distribution Vilo, 2010, 263 p.,
passim.
17
Notice par O.Dard, dans J.-C.Daumas dir., Dictionnaire historique des patrons français, Flammarion, 2010,
1 614 p., pp. 1211-1214, Laurence Badel, Un milieu libéral et européen. Le grand commerce français. 1925-1948,
Comité pour l'histoire économique et financière de la France, 1999, 576 p., passim, et F.Monnet, André Tardieu
et la rénovation de la République, thèse, Genève, 1990, 507 p., pp. 77 & suiv. Aussi M.Lévy-Leboyer & H.Morsel,
tome II de l'Histoire de l'électricité en France, Fayard, 1995, 1 438 p., passim.
D.Lejeune, RAPPELS SUR L’HISTOIRE DE L’ALGERIE COLONIALE 23

L’Exposition coloniale internationale et des pays d’outre-mer est inaugurée le 6


mai 1931 en présence du président de la République Gaston Doumergue ainsi que du
maréchal Lyautey, maître d’œuvre de l’entreprise. Lorsqu’elle s’achève en novembre,
six mois d’exaltation de la « plus grande France » auront définitivement fait prendre
conscience aux Français que leur territoire national ne se limite pas à l’hexagone : ils
auront découvert leur Empire colonial. L’heure est à la glorification des colonies. Le
centenaire de l’Algérie en 1930 y contribue grandement, préparant le débordement de
festivités de l’année suivante.
Les grands desseins urbanistiques de Lyautey se limitent finalement au
prolongement de la ligne 8 du métro jusqu’à Vincennes, en banlieue. À Vincennes, les
différents pavillons s’égrènent le long de la Grande Avenue des colonies françaises : le
« clou » est la reconstitution du temple khmer d’Angkor Vat, suivi en grandeur
imposante de la mosquée de Djenné et du pavillon du Maroc. Les croix de mission
soulignent le rôle des religieux missionnaires dans l’entreprise colonisatrice. Aux
quartiers français succèdent les sections étrangères où de nombreux pays sont
représentés — Italie, Pays-Bas, Portugal, Danemark et même États-Unis — mais où
l’absence de l’Espagne et surtout de la Grande-Bretagne est regrettée. L’Exposition se
conçoit comme une vaste scénographie vivante dans laquelle la présence des
indigènes — des Doudous martiniquaises aux troupes de théâtre cochinchinoises —
est indispensable à la crédibilité du spectacle.
Un franc succès populaire couronne l’entreprise. L’image de l’Empire, dont
s’empare alors le cinéma avec quelques grandes productions comme Pépé le Moko et
La Bandera, se transforme complètement : d’un univers hostile et de dégradation
morale, l’Empire est rêvé, idéalisé en terre d’aventures et de sensualité. Pourtant,
certains s’opposent à cette image fallacieuse.
À noter que dans toutes les expositions universelles et coloniales
organisées en France depuis 1855, l’Algérie a toujours tenu une place très
importante : grand nombre d’exposants, grande surface occupée et même des
zoos humains, que la mémoire collective a largement oubliés, à la différence de
ceux concernant l’Afrique subsaharienne. Et à Vincennes, elle est la « colonie
modèle ».
groupes de pression étudiés plus haut se renforcent, sauf les Soc. de Géo.
naissance du Redressement français et de la Ligue maritime et coloniale
avec la montée des périls ext. se fait jour l'idée que seul l'Empire permettrait
d'équilibrer le dynamisme des États fascistes (et d'ailleurs les pacifistes se font
anticolo.)
importance des lieux communs colo. dans la rhétorique politique : les "provinces
d'outre-mer", "la Méditerranée traverse la France comme la Seine travers Paris", etc.
D.Lejeune, RAPPELS SUR L’HISTOIRE DE L’ALGERIE COLONIALE 24

Conclusion du cours
en fait, c'est après la Libération, et non en 1931, c. il est accoutumé de le dire, que se
situe en Fr. l'apogée de l'idée colo.
Nous avons débordé de l’événementiel, et c’est tant mieux ! Et… essayé de nous en
tenir à l’histoire…

Pour avoir mon « texte long », assez en « style télégraphique » :


[email protected]
Et je signale la réédition récente de :
Années 50. France Janus, en Noir & Blanc ou en Couleurs ?, mis en ligne sur HAL-SHS
(CNRS) : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01504693.
Et de :
France et Français de « la Troisième » (République). Autour de la Belle Époque et de la
Grande Guerre, mis en ligne sur HAL-SHS (CNRS) : https://halshs.archives-
ouvertes.fr/halshs-03326301

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