Histoires de Dire: Petit Glossaire Des Marqueurs Formés Sur Le Verbe
Histoires de Dire: Petit Glossaire Des Marqueurs Formés Sur Le Verbe
Histoires de Dire: Petit Glossaire Des Marqueurs Formés Sur Le Verbe
Histoires de dire
Les étudiants de langue de niveau supérieur (écoles d’interprétariat et/ou de
langues) trouveront d’utiles renseignements dans la partie descriptive, et les
linguistes confirmés pourront consulter la partie proprement théorique. Une
introduction et la liste alphabétique des marqueurs formés sur le verbe dire
Petit glossaire des marqueurs formés
complètent l’ensemble. sur le verbe dire
Peter Lang
ISBN 978-3-0343-2098-6
Peter Lang
www.peterlang.com
119
Cet ouvrage se propose de fournir à la fois un recensement et une étude lin-
guistique des expressions du français formés sur le verbe dire, ainsi que à ce
qu’on dit, cela va sans dire, si on peut dire, comme on dit, etc. Ces marqueurs
discursifs se caractérisent par une fonction épilinguistique : ils servent en bref à
indiquer l’attitude adoptée face à une représentation de la réalité. Ce premier
volume en étudie une quarantaine (il en existe plus de cent trente), chaque
auteur se chargeant de l’analyse de deux à cinq marqueurs. Il s’agit donc à la
fois d’un dictionnaire comportant une présentation des différentes valeurs
identifiées pour chaque marqueur, au travers d’exemples tirés de corpus oraux
et écrits, et d’autre part d’un ouvrage théorique abordant les propriétés syn-
taxiques, sémantiques et pragmatiques propres à chacun d’entre eux.
Histoires de dire
Histoires de dire
Les étudiants de langue de niveau supérieur (écoles d’interprétariat et/ou de
langues) trouveront d’utiles renseignements dans la partie descriptive, et les
linguistes confirmés pourront consulter la partie proprement théorique. Une
introduction et la liste alphabétique des marqueurs formés sur le verbe dire
Petit glossaire des marqueurs formés
complètent l’ensemble. sur le verbe dire
Peter Lang
ISBN 978-3-0343-2098-6
Peter Lang
www.peterlang.com
Histoires de dire
Sciences pour la communication
Vol. 119
Comité scientifique
Histoires de dire
Petit glossaire des marqueurs formés
sur le verbe dire
PETER LANG
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Imprimé en Suisse
Table des matières
Introduction
1. Le but du projet
Un tel volume peut donc à la fois être utilisé par des étudiants de langue
de niveau supérieur (écoles d’interprétariat et/ou de langues) – qui trou-
veront d’utiles renseignements dans la partie descriptive – et par des
linguistes confirmés qui pourront se pencher sur la partie proprement
théorique. L’ensemble est complété par la présente introduction d’une
part, et d’autre part, par la liste alphabétique des marqueurs formés sur
le verbe dire,
2 Tamba (2005 : 63 sq.) distingue en fait les mots lexicaux (notionnels), les mots in-
dexicaux (renvoyant au contexte d’énonciation), et enfin les mots grammaticaux (mor-
phèmes ou relateurs).
4 Laurence Rouanne & Jean-Claude Anscombre
3 On pourra consulter Schourup (1999), pour les avatars successifs de ces notions.
4 C’est pourquoi dans le volume Opérateurs discursifs du français. Eléments de description
sémantique et pragmatique (2013), c’est ce terme d’opérateur qui a été préféré, car cette
étiquette permet de faire référence à la fonction commune à toutes ces unités : celle
d’instruire des opérations sémantico-pragmatiques ayant pour but la construction
du sens de l’énoncé et guidant de ce fait son interprétation dans le discours.
5 Dénomination qui recouvre grosso modo les adverbiaux d’énoncé et d’énonciation de Nølke
(1990), et les disjonctifs d’attitude de Molinier-Lévrier (2000).
Histoires de dire. Petit glossaire des marqueurs formés sur le verbe dire 5
moins complète par rapport aux emplois non parenthétiques, très souvent
une complétive en que. Il y a par exemple une nette différence de sens
entre tu sais que c’est difficile et c’est difficile, tu sais. ; g) est très généralement
non-compositionnel, au moins partiellement. Ainsi, même une excellente
connaissance du lexique français de base ne suffit pas à comprendre le
sens d’une expression comme tu m’en diras tant ou comme va-t’en savoir.
Il convient cependant d’être prudent à l’heure de conclure ipso facto à un
figement sous une forme ou une autre, l’hypothèse inverse d’un emploi
parfaitement régulier n’étant la plupart du temps guère plus soutenable, au
vu en particulier des données diachroniques.
dites dans la diversité de leurs constructions (disons, disons-le, disons que ; dis,
dis-moi), de leurs environnements pris en compte d’un point de vue distri-
butionnel et de leurs valeurs sémantiques. L’analyse proposée consiste à
rapporter les emplois des formes impératives de dire dans toute leur diver-
sité à un fonctionnement général du verbe dire d’un côté, et des formes de
l’impératif de l’autre.
Gómez-Jordana Ferary, Sonia (Maître de conférences, Université
Complutense de Madrid) : “A qui le dis-tu, c’est toi qui le dis, comme qui dirait :
marqueurs d’un même groupe ?”. L’auteur se fixe comme objectif non
pas une description sémantique ou syntaxique en profondeur de chacun
des marqueurs, mais de caractériser leurs principales propriétés morpho-
syntaxiques, distributionnelles et sémantiques. Ce travail a pour but de
déterminer, sur ce cas particulier, si la similitude des formes va de pair
avec une ressemblance de fonctionnement qui pourrait les faire rattacher
à un même groupe de marqueurs.
Hermoso Mellado-Delmas, Adelaida (Maître de conférences, Uni-
versité de Séville) : “Soit dit en passant et soit dit entre nous : deux marqueurs
d’attitude énonciative”. Le but de cet article est de montrer, en se fondant
sur des critères objectifs, que, malgré les similitudes formelles que pré-
sentent soit dit en passant et soit dit entre nous, ces deux constructions ne pos-
sèdent pas les mêmes propriétés sémantico-pragmatiques, et ne manifestent
pas non plus le même comportement dans un contexte/cotexte donné. On
se proposera entre autres de répondre aux deux questions fondamentales
suivantes, à savoir : a) les deux locutions soit dit en passant et soit dit entre
nous peuvent-elles être considérées comme des marqueurs discursifs d’atti-
tude ? ; et si tel est le cas, b) en quoi consiste exactement l’attitude énoncia-
tive exprimée par chacune de ces deux unités ?
M arque-Pucheu, Christiane (Maître de conférences HDR, Université
de Paris IV-La Sorbonne) : “Entre syntaxe et interprétation de dire : les ex-
clamatives et dire que ! ; que n’a-t-on pas dit ! ; qu’est-ce que tu veux que je te dise ! ;
qu’est-ce que je te disais ! ; quand je te le disais ! ”. Cette étude part du constat que
les exclamatives comme Il a un culot ! possèdent une prosodie spécifique qui
rend acceptable une séquence qui sinon serait syntaxiquement anomale.
De façon générale, le caractère exclamatif semble aller de pair avec une
anomalie syntaxique, une incomplétude morphologique, sémantique ou
Histoires de dire. Petit glossaire des marqueurs formés sur le verbe dire 9
Indications bibliographiques
1. Introduction
Les marqueurs examinés ici sont pour la plupart d’un emploi très courant,
tant à l’oral qu’à l’écrit, bien que les variétés dirait-on et dit-on semblent d’un
registre plus relevé, ce qui est pratiquement toujours le cas en français
quand il y a inversion du sujet. Faute de place, l’étude se limitera aux em-
plois en incise, sans préjuger d’un lien ou d’une absence de lien avec les
mêmes formes dans d’autres constructions. Ces quatre marqueurs ont en
commun la présence du verbe dire qui commente une parole, ce qui pose
le problème de la nature exacte de ce commentaire. Et du pronom ‘indéfi-
ni’ on, qui renvoie à une source qu’il convient de caractériser.
les voient comme une vérité objective et indiscutable. Il s’agit donc d’une
voix collective ou ON-locuteur en termes de polyphonie, là où la médiati-
vité parlerait d’une source collective anonyme. Bien entendu, ces voix
collectives anonymes sont construites de toutes pièces. Un tel concept
intervient dans divers phénomènes comme la présupposition2 ou les pro-
verbes3, entre autres. Il existe d’ailleurs des procédés linguistiques ‘dédiés’
à l’intervention d’un ON-locuteur dans un énoncé, et possédant des pro-
priétés spécifiques4. Parmi de tels procédés, figurent certaines utilisations
du pronom on. C’est le cas dans certaines des expressions étudiées ici.
une complétive en que 11 ; f) une grande mobilité de position, qui peut être
initiale, médiane ou finale. La position initiale n’est cependant pas tou-
jours possible, ce qui oppose tu vois et je crois. Nous ne retiendrons pas en
revanche le critère de figement, dont on a usé et abusé, et qu’on a parfois
confondu avec l’existence d’une matrice lexicale12 .
Bien entendu, l’étude des propriétés de ces marqueurs se fera moyen-
nant la mise en évidence de caractéristiques linguistiques repérables, et en
évitant le recours très à la mode à des notions aussi floues et mal maîtri-
sées que la dimension cognitive, les verbes de dire, ainsi qu’à l’utilisation discu-
table de la notion de fréquence.
Outre des exemples lus ou entendus, nous avons utilisés deux corpus, à sa-
voir Frantext et Le Monde (2007–2013). La comparaison entre les deux four-
nit les répartitions suivantes, par fréquences décroissantes : Frantext – on
dirait > dit-on > comme on dit > on dit que > dirait-on > à ce qu’on dit ; Le Monde –
on dit que > on dirait > comme on dit > dit-on > dirait-on > à ce qu’on dit13. En-
fin, dirait-on et à ce qu’on dit n’apparaissent pas dans le corpus du Monde, qui
n’offre de plus qu’un seule occurrence de dit-on. C’est conforme à la tonalité
de chacun des corpus : soutenu voire littéraire pour Frantext, français de té-
lévision pour Le Monde, très riche en incises et en marqueurs. On notera que
11 Anscombre (2013) oppose bien sûr et bien sûr que de ce point de vue. Et Delahaie
(2014) heureusement et heureusement que. L’existence des deux constructions n’implique
pas que l’une soit dérivée de l’autre.
12 Anscombre (2011).
13 En nombre d’occurrences : a) Frantext : on dirait (181), dit-on (136), comme on dit ((69),
on dit que (61), dirait-on (13), à ce qu’on dit (3+1) ; b) le Monde : on dit que (9280), on dirait
(2881), comme on dit (2600), dit-on (45), dirait-on (1), à ce qu’on dit (0). Par ailleurs, un
examen mené dans Frantext montre une lente érosion depuis 1850 de l’usage à
l’écrit de à ce qu’on dit/à ce que l’on dit.
18 Jean-Claude Anscombre
comme on dit apparaît à la même place dans les deux listes, à ce qu’on dit est en
dernière position dans Frantext, et n’est pas présent dans le corpus du Monde.
Il est sans doute jugé trop populaire, et peut-être en voie de disparition. Une
étude menée sur Frantext montre, depuis 1850, une décroissance régulière
d’environ 8% tous les cinquante ans.
15 Certaines formes sont cependant plus courantes que d’autres à l’oral, ainsi si l’on veut.
16 La possibilité de ce l’ devant on vient de l’origine substantivale hom ‘homme’ de on.
20 Jean-Claude Anscombre
18 Anscombre (2010b).
19 Anscombre (2006a, 2010a). Si l’on convient d’appeler marqueur médiatif générique
les indications spécifiques de renvoi à une communauté linguistique, la notion de
ON-locuteur est sa transposition dans le cadre d’une théorie de la polyphonie.
22 Jean-Claude Anscombre
(20b) A ce qu’on dit un peu partout dans la presse, il s’agit d’un homicide déguisé en
suicide.
Pour ce qui est de on dirait et de dirait-on, on est tenté d’y voir un condi-
tionnel de distanciation. En fait, il ne s’agit pas du conditionnel d’altérité
énonciative de Haillet (2002), qu’on trouve par exemple dans :
(21) Selon des sources officielles, il y aurait des survivants.
(22b) L a pluie redouble, (on dirait + dirait-on + *on dirait un peu partout + *dirait- on un
peu partout).
(23b) Mlle Demachy a eu le bon goût de disparaître, (on dirait + dirait-on + *on dirait dans
mon village + *dirait-on dans mon village).
c) une des gloses les plus naturelles de on dirait et dirait-on est leur subs-
titution par j’ai l’impression :
(22c) La pluie redouble, (on dirait + j’ai l’impression).
(23c) Melle Demachy a eu le bon goût de disparaîre, (dirait-on + j’ai l’impression).
On aura ainsi difficilement Il fait beau, comme on dit face Il fait un temps de rêve,
comme on dit 21. Et le ON-locuteur auquel renvoie comme on dit est, de façon
claire, la communauté linguistique dans son ensemble ou à tout le moins,
une partie de cette communauté. Dans le cas particulier des proverbes, la
communauté linguistique évoquée est celle qui a trait à la ‘sagesse popu-
laire’ : Nous raisonnerons sur l’exemple :
(24) Comme on dit, à la Sainte Catherine, tout prend racine.
(26) Comme on dit dans le Nord, à la Sainte Catherine tout bois prend racine.
(27) Comme on dit dans les banlieues, il est grave relou..
(28) Comme on dit en anglais, il vaut mieux un oiseau dans la main que deux dans le buisson.
Or (26) peut par exemple être dit par quelqu’un qui n’est pas du Nord, et
qui de plus utilise la formulation proposée dans (24). Nous proposerons
donc pour comme on dit, p le mécanisme suivant, repris avec certaines mo-
difications de Anscombre (2010a) :
21 C’est sans doute pourquoi, dans ce type d’emplois, on n’a pas comme on dit littéralement.
22 Je prends ici des communautés ‘réelles’ ou estimées telles, pour ne pas compliquer
les choses. Il est clair que ces communautés relèvent fondamentalement de l’imagi-
naire linguistique.
26 Jean-Claude Anscombre
23 On dit est rare seul en incise, mais l’est moins accompagné d’un circonstant : on dit
dans la presse, on dit parfois.
24 Cf. de ce point de vue la notion d’hypermarqueur dans (Anscombre : 1981).
Comme on dit, on dirait, on dit, à ce qu’on dit : communauté(s) linguistique(s) 27
(29) Il se serait réfugié en Amazonie, on dit, dans les faits divers. Mais c’est ce qu’on dit. Pour
ma part, j’attends des preuves.
(30) “…Beaucoup de mes codétenus pratiquent avec la même ferveur. On entre
dans son propre silence, on dit, et la flèche nous prolonge, elle tisse le lien
entre nous et la cible, entre nous et là-bas…” (Luc Lang, Les Indiens, 2001).
Dans (29), le circonstant dans les faits divers, l’usage du conditionnel journa-
listique et l’enchaînement mais c’est ce qu’on dit… montrent que L n’appar-
tient pas au ON-locuteur. Dans (30), les éléments de cotexte mes co-détenus
et le lien entre nous induisent la possibilité de voir L comme faisant partie
du ON-locuteur. L peut donc appartenir ou non au ON-locuteur convo-
qué par le on de on dit. Qu’en est-il de dit-on ? Simple variante de on dit ou
non ? En fait, les propriétés de dit-on corroborent l’intuition des sujets
parlants que L n’appartient jamais dans ce cas au ON-locuteur. Plusieurs
arguments appuient cette position : a) dans les exemples de corpus, p,
dit-on est toujours suivi d’une dénégation de L sur son appartenance au
ON-locuteur :
(31) “…Déjà, dit-on – ça, c’est la rue qui le prétend –, le bâtiment principal
a été visité, cette nuit ; on a vu des groupes fourrager parmi les ruines…”
(Lionel-Édouard Martin, Le Tremblement : Haïti, 12 janvier 2010, 2010).
e) Enfin, nous + on dit est possible, alors que nous + dit-on ne l’est pas si
L appartient au ON-locuteur : Il fait beau, nous, on dit versus *Il fait
beau, nous, dit-on.
pas à un auteur anonyme désigné par on. En d’autres termes, L n’est pas un
des x qui déduit p à partir des indices invoqués par L. Nous montrerons ce
dernier point à l’aide des propriétés de à mon avis. Coltier-Dendale (2004)
montrent qu’une de ses caractéristiques est de permettre à son locuteur de
‘recatégoriser’ un élément du monde, de résoudre l’énigme de la nature de
cet élément en proposant une solution par ailleurs hypothétique. D’où une
opposition comme :
(34) A : – C’est quoi cette couleur ? – B : – A mon avis, (c’est du blanc + *tu vois bien, c’est
du blanc)
Il va pleuvoir peut être l’avis de L, mais le rapport d’un dire par L n’est pas
un avis. On dirait fonctionne au niveau des indices – du dit, alors que dit-on
30 Jean-Claude Anscombre
fonctionne au niveau d’un dire auquel L n’adhère pas. Notons enfin que
L peut dégager sa responsabilité de façon explicite :
(30) Il va pleuvoir, (on dirait + dirait-on), mais (ça n’est pas certain + je peux me
tromper).
qui sont souvent considérées comme étant le savoir partagé par excellence
d’une langue donnée.
Comme on dit, on dirait, on dit, à ce qu’on dit : communauté(s) linguistique(s) 31
Cette distance peut-être stigmatisée par du moins : ‘du moins à ce qu’on dit’.
Notons la présence obligatoire du pronom de rappel avec on dit et dit-on
combinés avec du moins : du moins on le dit/*du moins on dit, du moins le dit-on/*du
moins dit-on, obligation due au renvoi à un énoncé effectif. C’est le rôle joué
par ce dans à ce qu’on dit : il renvoie bien à un énoncé présenté comme effectif.
Le cas de (32a) illustre parfaitement notre description. Comme on dit
commente Il y a anguille sous roche en tant que forme mise à la disposition
de la communauté linguistique à laquelle appartient L pour caractériser
une situation donnée et choisie par lui à la place de par exemple Il se prépare
quelque chose. A ce qu’on dit est également possible : il attribue l’énoncé Il y a
anguille sous roche à un ON-locuteur. Si dans (32b), à ce qu’on dit n’est pas pos-
sible, c’est en vertu d’une règle générale qui veut que les incises formées sur
des verbes de dire ne peuvent figurer dans une subordonnée, en particulier
conditionnelle :
32 Jean-Claude Anscombre
(35a) Max soupçonne qu’on dit qu’il a tort/#Max soupçonne que dit-on, il a tort.
(35b) L ia sait que Max i a répondu qu’il i ne cèderait pas/#Lia sait que Max i ne céderait pas,
a-t-il i répondu.
Si Liai s’est étonnée que je j ne vienne pas, des explications s’imposent /#Si je j ne viens pas,
(35c)
s’est étonnée Liai , des explications s’imposent.
Rappelons que nous ne considérons ici que les usages parenthétiques des
expressions considérées. Un des problèmes les plus ardus est de déter-
miner avec précision le statut exact de marqueur d’une entité, problème
compliqué par l’existence éventuelle de nombreuses variantes. On a sou-
vent pensé résoudre un tel problème en usant et abusant de la notion
de figement. Nous pensons à l’inverse que nombre de ces marqueurs se
forment ou sont en train de se former sur la base d’une matrice lexicale, i.e.
d’un schéma de production comportant des entités grammaticales fixes et
des unités lexicales variables, et dont le sens global n’est pas déductible à
partir des seuls composants25. La présence d’une matrice lexicale permet
25 Cette idée apparaît chez différents auteurs et sous différentes formes : construction
(Fillmore, 1988 ; Goldberg, 1995) ; schéma d’événement (Anscombre, 1990b), puis ma-
trice lexicale (Anscombre, 2011) ; phrasème (Mel’čuk, 1995), entre autres. Ces approches
Comme on dit, on dirait, on dit, à ce qu’on dit : communauté(s) linguistique(s) 33
considèrent qu’il peut y avoir non compositionnalité simultanément avec une rela-
tion régulière entre forme et sens.
26 Anscombre, 2014b.
27 Les dates fournies sont les premières attestations trouvées dans Frantext.
34 Jean-Claude Anscombre
incise on dit n’est attestée qu’en 1745. Dit-on, spécialisé dans l’exclusion de
L, semble peu à peu s’effacer au profit de on dit, même si ce dernier, bien
que déjà ancien, tarde à s’imposer. Ce déclin de l’inversion complexe est
d’ailleurs général en français contemporain. Les analogues on sait, on voit,
on remarque, on raconte, semblent indiquer la présence d’une matrice lexicale
dont le paradigme lexical serait des verbes médiatifs i.e. indiquant la façon
dont une entité a accès à un savoir.
Le cas de on dirait/dirait-on semble tout à fait parallèle au précédent.
On dirait que apparaît dès 1633, on dirait en incise seulement en 1881, alors
que dirait-on en incise est courant dès 1747. Il y a plus : on trouve en 1768
un Inutilement dirait-on que… qui montre la provenance de dirait-on. Il s’agit
là encore, de deux formations différentes à partir de deux parenthétisa-
tions et là encore, il y a perte de référentialité.
En ce qui concerne à ce qu’on dit, la possibilité de flexion partielle à ce
qu’on (disait + dirait), ainsi que l’existence d’un paradigme lexical à ce qu’on
(sait + raconte + prétend + assure) suggère une formation sur une matrice lexi-
cale à ce qu’on [Vmédiatif ], sous réserve de confirmation. Il pourrait s’agir d’une
sous matrice d’une matrice plus générale comprenant des constructions
comme à première vue, au pif, au débotté, au jugé, à l’estime, etc.
Bibliographie
0. Introduction
1. Tes mains ! Dans quel état sont-elles ! Ne me dis pas que c’est ton
chantier qui les a arrangées de la sorte… (A.-M. Garat, L’enfant des
ténèbres, 2008)
2. Il n’y a presque aucun effort à faire, l’eau est chaude. Qui est-ce qui
peut se fatiguer ? Il n’y a pas moyen de se fatiguer. Ne va pas me
dire que tu es fatiguée. La Bouchère. -non, je ne suis pas fatiguée.
(P. Claudel, Le soulier de satin, 1929)
3. Les trois filles aux voix d’or sont aussi très bonnes pianistes et, cela
va sans dire, parfaites futures maîtresses de maison. (S. Weil, Chez
les Weil : André et Simone, 2009)
1. Le cadre théorique
L’expression est donc formée sur le verbe réfléchi s’en aller, qui a un sens
particulier et effectivement conforme aux définitions de l’expression don-
nées ci-dessus : « se dit aussi en parlant d’un mouvement insensible qui
aboutit à quelque fin […] » (Furetière, Dictionnaire universel, 1690).
La première attestation que l’on trouve dans Frantext est de la même
époque :
5. « moque-toi de moi, reste à Paris, aie des amants, que tout le monde
le sache, n’écris jamais, eh bien ! Je t’en aimerai 10 fois davantage. Si
ce n’est pas là folie, fièvre, délire ! ! Et je ne guérirai pas de cela (oh !
Si pardieu, j’en guérirai) ; mais ne va pas me dire que tu es malade,
n’entreprends pas de te justifier. Bon dieu ! Tu es pardonnée » (Na-
poléon Ier, Lettres à Joséphine)
FRONTIN
Voire, et les esprits y auront faict dommage de plus de vingt cinq escus.
SEVERIN
Mon Dieu ! ne me dis pas cela, tu me fais geler le sang ! Helas ! cecy
ne m’advient par ma faulte, ains par les pechez d’Urbain. Où est il, ce
meschant ?
(P. de Larivey, Les esprits, 1579)
On peut expliquer cette faible fréquence dans Frantext par le fait qu’il s’agit
d’une expression avant tout orale, nécessitant la présence d’un dialogue,
réel ou fictif. Or une grande partie des textes de cette base relève avant
tout du genre narratif. L’absence de référence à cette expression dans les
dictionnaires questionne en revanche son statut, d’autant plus que cela va
sans dire est quant à elle bien répertoriée dans les articles portant sur dire.
On peut cependant se poser la question pour nos trois expressions : s’agit-il
d’expressions figées, de marqueurs discursifs, de verbes au sens plein ? Une
analyse distributionnelle de nos formes nous donnera quelques éclaircisse-
ments sur leur fonctionnement.
7. Notre devoir est de vivre (noblement, cela va sans dire), mais rien
de plus. (G. Flaubert, Correspondance, 1860)
42 Juliette Delahaie
Comme les adverbes que l’on appelle « incidents »3, cela va sans dire a une
portée large et il est détaché prosodiquement, ce qui peut se marquer par
une virgule, mais aussi par une forme de ponctuation beaucoup plus forte
comme la parenthèse :
8. Vauvenargues, comme esprit, c’est bien plus (cela va sans dire) que
M De Séricourt ; c’ est un disciple de Pascal, le premier disciple en
mérite, un Pascal plus doux, plus optimiste, plus confiant en la nature
humaine loyale, généreuse, et qu’ il juge trop par lui : âme bien née, il
croyait à la nature. (C. Sainte-Beuve, Port-Royal : t.1, 1840)
A l’instar d’un certain nombre d’adverbes de phrase, cela va sans dire semble
en fait répondre aux propriétés propres aux marqueurs discursifs, telles
qu’elles ont été énoncées par Dostie & Pusch (2007) ou Rodríguez So-
molinos (2009) – et dont on retrouve plus anciennement les principaux
éléments en analyse conversationnelle chez Schiffrin (1987) – : il s’agit
d’abord d’une structure figée qui n’admet ni d’insertion adverbiale -?? tu
dois ranger ta chambre avant de sortir, cela va absolument sans dire/ ?, ni d’ajout
pronominal – ? tu dois ranger ta chambre avant de sortir, cela va sans le dire, si
bien que le verbe dire s’est ici éloigné de sa construction actancielle habi-
tuelle, c’est-à-dire avec compléments direct et indirect (dire quelque chose
à quelqu’un). Nous avons vu que l’expression était de plus relativement
autonome dans l’énoncé même si sa mobilité, nous le verrons ci-dessous,
est en réalité restreinte ; ce critère souvent invoqué4 n’est d’ailleurs pas
si général que cela, Andersen (2007) ayant par exemple montré qu’il ne
s’appliquait pas aux « marqueurs discursifs propositionnels » du type tu
vois, tu sais, etc. L’expression, comme la plupart des marqueurs discursifs,
est aussi optionnelle sur le plan syntaxique et elle ne contribue pas au
contenu propositionnel de l’énoncé. Enfin, elle apporte une information
3 Voir néanmoins Bonami et Godard (2005) qui révisent les notions d’incidente et de
parenthétique dans un modèle anglo-saxon, mais que nous ne suivrons pas ici.
4 « [les marqueurs discursifs] n’entrent pas dans une structure argumentale et ils
peuvent occuper différentes positions par rapport à un énoncé, s’ils ne sont pas
utilisés comme mots-phrases » (Dostie & Pusch, 2007 : 4). Les auteurs indiquent
eux-mêmes que cette liste de propriétés est en réalité trop étroite pour circonscrire
l’ensemble des marqueurs discursifs.
Explication de quelques expressions paradoxales en « dire » 43
sur l’attitude du locuteur par rapport à son énoncé, dernier point qui que
nous traiterons dans les chapitres suivants.
Nous avons dit infra que cela va sans dire était une construction figée
et à la position syntaxique finalement relativement contrainte, cependant
il existe une sorte de variante, sous la forme il va sans dire (que p). Contrai-
rement aux verbes parenthétiques du type je pense/je trouve qui peuvent
constituer des marqueurs discursifs propositionnels (cf. Andersen 2007)
et qui acceptent une complétive en que p, cela va sans dire ne permet une
telle construction, du moins n’est-ce pas attesté dans les corpus (Frantext
notamment). En revanche la forme très proche il va sans dire peut être
suivie ou non de que p (avec indicatif). Cependant, plutôt que de voir
dans cette dernière forme une proposition principale suivie d’une com-
plétive, on considérera qu’il s’agit d’un marqueur discursif suivi d’une
proposition en que p, à l’image de probablement que p. Il va sans dire/cela va
sans dire possèdent d’ailleurs certaines caractéristiques communes avec
l’adverbe modal5 probablement, et notamment, ce qui nous intéresse ici,
leur valeur essentiellement rhématique. Celle-ci se repère à travers la
position syntaxique particulière de ces adverbes. En effet, contrairement
à la description générale qui est faite des adverbes de phrase, cela va sans
dire/il va sans dire sont mauvais en position frontale mais bien meilleurs
en incise ou en finale, comme probablement :
(7) – Qu’est-ce que va faire Max demain soir ? – Il va sortir, probablement.
– Qu’est-ce que va faire Max demain soir ? – ? Probablement, il va sortir.
– Qu’est-ce que va faire Max demain soir ? – Il va sortir, et probablement, il
ira au ciné.
(8) – Qu’est-ce que va faire Max demain soir ?
– Il voit sa maîtresse, cela/il va sans dire.
– ??Cela/il va sans dire, il voit sa maîtresse.
– Il voit sa maîtresse, et cela/il va sans dire, il va rentrer tard.
Dans Frantext, la forme cela va sans dire n’apparaît que 4 fois sur 265 occur-
rences en position initiale. Et encore, dans ces rares cas, cela va sans dire
5 Voir par exemple Molinier & Levrier (2000) pour une description de la sous-caté-
gorie des adverbes modaux, adverbes de phrases « disjonctifs d’attitude ».
44 Juliette Delahaie
Il en est de même pour il va sans dire, qui apparaît seulement 4 fois à l’ini-
tiale d’un énoncé sur les 132 occurrences sans que p, et qui peut également
faire office de proposition à part entière :
11. Quant au moral, il va sans dire. (P. Reverdy, Le livre de mon bord :
notes, 1936)
Il va sans dire que p est donc largement préféré en début d’énoncé, et il est très
fréquemment utilisé dans Frantext (467 occurrences de il va sans dire que p
contre 132 de il va sans dire). Or Anscombre & Delahaie (à par.) ont montré
qu’il existait le même contraste entre probablement, très mauvais en début
d’énoncé, et probablement que p. Ils expliquent cela par la valeur fondamen-
talement rhématique de probablement : cet adverbe occupe difficilement la
position frontale qui est plutôt la position du thème ; la forme adverbe que
p jouerait ainsi un rôle similaire à celle des constructions clivées en c’est X
que qui servent à mettre en valeur un rhème à l’initiale d’un énoncé. On
peut donc rapprocher il va sans dire que p de probablement que p, où il va sans
dire est à la fois rhématique et pourvu d’une valeur énonciative, exprimant
une attitude du locuteur à l’égard de p, proche, malgré sa construction
relativement contrainte, d’un marqueur discursif. Les deux constructions
il va sans dire/ il va sans dire que p apparaissent à des périodes très proches et
postérieures à cela va sans dire, d’après les données de Frantext au cours du
XIXe siècle :
Explication de quelques expressions paradoxales en « dire » 45
12. Vous chicanez, mon cher ami ; il va sans dire que j’entends parler
d’une qualité réelle. (J. De Maistre, Les soirées de Saint-Pétersbourg ou En-
tretiens sur le gouvernement temporel de la Providence, 1821)
13. D’autres instruments, façonnés grossièrement, il va sans dire, furent
ainsi fabriqués, lames de rabot, haches, hachettes, bandes d’acier qui
devaient être transformées en scies, ciseaux de charpentier, puis, des
fers de pioche, de pelle, de pic, des marteaux, des clous, etc. (J.Verne,
L’Île mystérieuse, 1874)
14. – Ce qui est drôle, se reprit l’amie, c’est que tes filles ne se ressemblent
pas entre elles et pourtant… chacune a quelque chose de toi. Je bu-
vais du petit-lait, cela va sans dire. (M.Chaix, L’été du sureau, 2005)
46 Juliette Delahaie
On remarquera alors que il va sans dire est bien meilleur en (15) qu’en (16),
et peu acceptable lorsque cela va sans dire sert à marquer un accord à la suite
d’une assertion :
6 Voir par exemple Dostie & Pusch (2007 : 4), sans doute influencés par l’analyse
conversationnelle anglo-saxonne qui s’est avant tout intéressée à l’oral, et aux mar-
queurs discursifs : « les MD sont des mots, particulièrement usités dans la langue
orale, qui n’entrent pas dans les classes grammaticales traditionnelles ».
48 Juliette Delahaie
plus loin quels sont les ponts entre ces différents tiroirs verbaux. Contrai-
rement aux marqueurs discursifs, ne me dis pas/ne va pas me dire que p n’est
pas optionnel sur le plan syntaxique et généralement, il est impossible de
l’enlever :
Enfin, ne me dis pas/ne va pas me dire ne jouit bien sûr d’aucune autonomie
dans la phrase. Ce trait, avec la non-optionnalité sur le plan syntaxique,
l’éloigne de la catégorie du marqueur de discours, cependant d’un point
de vue sémantique, nous verrons par la suite que les choses ne sont pas si
claires. On remarquera pour l’instant que ne me dis pas/ne va pas me dire que
p ne fonctionne qu’en situation de dialogue :
que l’on ne développera pas ici, selon qu’il s’agit d’une négation descriptive,
polémique ou métalinguistique7.
Le problème c’est que nos trois expressions, et en l’occurrence ne
me dis pas/ne va pas ma dire, ne peuvent relever d’une interprétation « clas-
sique » de la négation ; ainsi l’énoncé ne me dis pas qu’il est le coupable, ne peut
relever du même schéma que ne me dis pas qui est le coupable. On essaiera de
reprendre le modèle de base et de comprendre le fonctionnement de ne me
dis pas/ne va pas me dire que p, en faisant un petit détour au préalable par la
valeur de l’impératif dans nos expressions.
Nous avons déjà dit que le propre de ne me dis pas/ne va pas me dire que p
était de mettre en place une scène dialogale, en attribuant à un allocutaire
le dire de p, tout en l’appelant à ne pas dire. La formule est donc à l’inter-
section de la fonction d’expression et de la fonction d’appel. Selon Bühler
(1950 : 70 sq.) en effet8, la signification est composée de trois fonctions
fondamentales et indépendantes : représentation, expression (concernant
la subjectivité du locuteur) et enfin appel (centrée sur l’allocutaire). En
ce qui concerne ne me dis pas/ne va pas me dire que p, sont au centre de ses
valeurs les fonctions d’expression et d’appel (Bühler dit que le langage de
l’ordre en est l’illustration exacte) : ne me dis pas/ne va pas me dire que p consti-
tue en effet un acte de langage indirect, puisque l’appel littéral à ne pas dire
p est doublé par une seconde valeur sémantique, qui est l’expression d’un
refus de p, jugé comme inacceptable et/ou déjà connu (comme en 21).
On serait dans le cadre d’un acte illocutoire dérivé non marqué, dans la
mesure où le premier acte primitif (l’appel à ne pas dire) n’est pas oblitéré
par la seconde valeur (à la différence par exemple de pouvez-vous me passer
le sel ? voir Anscombre 1980).
7 Cf. Anscombre (1990 : 93–94). L’énoncé dans lequel apparaît la négation métalin-
guistique se présente comme s’opposant à une parole effective ; avec la négation
polémique, « le locuteur s’oppose à un énonciateur que sa propre énonciation met
en scène, sans l’assimiler à l’auteur d’un discours effectif » ; la négation descriptive
enfin, est vue comme l’état de fait qui justifierait le dialogue cristallisé dans la néga-
tion polémique, dialogue en quelque sorte « effacé » dans la négation descriptive.
8 Merci à J.C. Anscombre qui a bien voulu m’envoyer son article à paraître sur le
marqueur voyons (cf. Bibliographie, à par.), et qui utilise cette référence pour traiter
ce marqueur.
Explication de quelques expressions paradoxales en « dire » 51
21. Ils m’ont couru après. J’ai voulu remonter dans le train d’où je venais.
Ne me dis pas que c’est idiot, je le sais.
– C’était le train de Dax ? Celui qui reste à Bordeaux sept minutes
au minimum ?
(H. De Monferrand, Journal de Suzanne, 1991)
– pdv1 : p
– pdv2 : « appel à ne pas dire que p »
– pdv3 : opposition à p
Le premier point de vue est attribué à un allocutaire, fictif ou réel, qui
aurait prononcé p, tandis que les pdv 2 et pdv 3 sont pris en charge par le lo-
cuteur du tout, qui reconnaît l’existence de p mais s’y oppose ( pdv 3). Dans
la négation classique le locuteur considère le pdv 1 comme faux ; ici, au
contraire, il considère le pdv 1 comme vrai, mais exprime son opposition :
« ne pas dire p pour montrer p et s’y opposer ». Il s’agit ainsi d’une sorte
de « refus montré », et ne me dis pas/ne va pas me dire que p aurait des affi-
nités avec les termes de monstration9, notion qui regroupe des interjec-
tions (aïe), des adverbes ( franchement) ou des marqueurs discursifs servant
à montrer un énoncé et non à l’exprimer. On remarquera que, comme la
plupart des termes de monstration, ne me dis pas/ne va pas me dire exprime
souvent une forme d’emphase, il peut notamment être associé à la moda-
lité exclamative et la répétition :
9 Cf. Anscombre (1990). C’est la différence entre « aïe » et « j’ai mal » par exemple.
52 Juliette Delahaie
22. « ne me dis pas, ne me dis pas qu’elle est morte ! » il se jeta sur
Dorothée en baisant ses pieds, ses genoux et ses cuisses. (P.J. Jouve,
La scène capitale, 1935)
3.2.
Ne me dis pas et ne va pas me dire : valeur sémantique de l’auxiliaire aller
Quelle est la valeur de l’auxiliaire aller dans ne va pas me dire que p ? Il s’agit à
première vue, non d’une valeur temporelle, mais d’une valeur « extraordi-
naire », terme employé par Damourette & Pichon : l’auxiliarisation du verbe
aller « confère au verbe dont l’infinitif le suit un caractère dérangeant par
rapport à l’ordre attendu des choses » (Damourette & Pichon, 1911–1936 :
108). Le verbe aller ne se retrouve pas qu’avec le verbe dire dans ces emplois
directifs : « tu ne vas pas manger ça quand même ! », et il s’agit en fait d’une
valeur modale déjà bien identifiée par les grammairiens du 17e selon Bres
& Labeau (2013). Ces auteurs donnent quelques critères qui permettent de
distinguer l’extraordinaire des autres emplois de l’auxiliaire : d’abord « il est
possible d’effacer l’auxiliaire et de déplacer le temps verbal sur le procès »,
au prix du sacrifice d’une nuance près. En effet, pour Bres & Labeau (2013),
avec l’auxiliaire aller, « le locuteur porte un jugement sur le procès auxilié : il
le signale à son interlocuteur comme dérangeant par rapport à l’ordre atten-
du des choses » ; c’est-à-dire que le locuteur rejette le procès comme ce qu’il
considère comme inacceptable ou souhaitable, hors de la sphère normée
en tout cas : ce que dit aller, « en emploi extraordinaire, c’est que le locuteur
pose le procès qui suit l’auxiliaire comme au-delà de la limite de ce qui
doit être, déontico-axiologiquement ou épistémiquement. ». Un des critères
donnés est la possibilité de gloser le tour par l’évaluation négative c’est inaccep-
table, et la combinaison fréquente avec la négation. Cette interprétation de
l’auxiliaire aller convient parfaitement à la valeur sémantico-pragmatique de
nos expressions ne me dis pas/ne va pas me dire que p, mais elle peine à mettre
au jour les différences. Pourtant, il existe des contextes où ne va pas me dire10
est moins bon, lorsque p est attribué à un allocutaire réel, dans un dialogue :
Cela va sans dire peut être glosé par l’adverbe de phrase naturellement. Ain-
si dans le Trésor de la Langue française, naturellement adverbe d’énonciation
« marque que le locuteur juge que ce qu’il entend est dans la norme », et
le dictionnaire donne comme synonymes bien sûr, bien entendu, cela va de soi,
naturellement. Naturellement, comme cela va sans dire, « présente toujours ce
sur quoi il porte comme allant de soi » (Amiot & Flaux, 2005 : 92). Ils
peuvent apparaître tous deux comme marqueurs d’accord :
Molinier & Levrier (2000) classent naturellement parmi les disjonctifs d’at-
titude modale, qui parmi d’autres critères, peuvent constituer une réponse
à une question totale sans être soumis à des restrictions particulières ;
c’est également le cas de cela va sans dire :
Comme les modaux et tous les disjonctifs d’attitude, cela va sans dire ac-
compagne nécessairement des énoncés assertifs :
Par rapport à ne me dis pas/ne va pas me dire, cela va sans dire présente donc
une autre forme de négation paradoxale. Il s’agit toujours d’un jeu entre
dire et ne pas dire, en revanche dans cela va sans dire, p, où p est pas attribué
à un allocutaire quelconque, mais aussi à un ON-locuteur. On partira de
l’exemple suivant et l’on essaiera encore une fois de raisonner à partir du
modèle classique :
30. Tes filles ne se ressemblent pas entre elles et pourtant… chacune
a quelque chose de toi. Je buvais du petit-lait, cela va sans dire.
(M.Chaix, L’été du sureau, 2005)
5. Conclusion
Bibliographie
Introduction1
Cet article est consacré aux emplois des marqueurs autant dire, pour tout dire
et disons-le en tant que connecteurs intra-phrastiques (P(xn) marqueur (y)).
Par exemple :
(1) Moi, je suis née (P) dans une ambassade (x n), autant dire dans le champagne
(y). (A. Nothomb, Pétronille, 2014)
(2) La place d’Italie m’a toujours semblé (P) biscornue (x n), pour tout dire mal
fichue (y). (L. Deutsch, Métronome, 2009)
(3) Un caprice de l’écrivain transforme ma mère (P) en petite coureuse (xn),
disons-le : en pute (y). (F. Weyergans, La vie d’un bébé, 1986, Frantext)
Cadre théorique
lequel il se présente (Anscombre & Ducrot, 1978 : 355 ; Haillet, 2007 : 15),
c’est-à-dire non seulement du contexte linguistique dans lequel il apparaît,
mais aussi de la situation dans laquelle il est employé et des savoirs communs
convoqués par l’énonciation. Dans ce cadre, la description sémantique d’un
mot est conçue comme un ensemble d’ « instructions » (Anscombre & Du-
crot, 1983) indiquant (i) avec quels éléments de l’environnement discursif
le mot interagit, (ii) quel type d’interaction il met en place et (iii) comment
construire l’interprétation résultant de cette interaction.
1. Données distributionnelles
Dans les emplois que nous étudions2, les trois marqueurs mettent en re-
lation deux séquences à l’intérieur de la phrase. Ils sont en général placés
2 Faute de place, nous n’analysons dans cette section que les propriétés distribution-
nelles des trois marqueurs en tant que connecteurs intra-phrastiques. On trouvera
ci-dessous des exemples d’autres emplois :
(i) Je vis de la charité d’autrui, autant dire que je meurs de faim. (E.E. Schmitt,
La secte des égoïstes)
(ii) Je n’avais autant dire pas dormi ; mais j’étais on ne peut plus réveillé. ( J. Ro-
mains, Quand le navire, Frantext)
(iii) C’était tellement exceptionnel que Mlle Raymond en resta suffoquée. Pour
tout dire, depuis qu’elle travaillait pour le maire d’arrondissement, ça ne s’était
même jamais vu. (P. Lemaître, Au revoir là-haut)
(iv) J’écrivais dans mon coin, des poèmes, des récits de rêves, des fragments de
journal intime, des ébauches de fiction, des textes que je ne travaillais pas,
parce que je n’avais pas compris qu’il fallait travailler, et que généralement
je ne terminais pas non plus. C’était néanmoins une activité, pour tout dire,
d’élection. ( J. Echenoz et Al., Dans l’atelier de l’écrivain, Frantext)
(v) Quand le contrat sera ensuite renégocié chaque année, l’essentiel du profit sera
réalisé par TF1 et Endemol. Disons-le : à partir de la « Star Ac’ 3 », Universal
ne dégage quasiment plus de profit avec l’émission. (P. Nègre, Sans contrefaçon)
(vi) I l y a des hommes qui insinuent que M. Mitterrand avait dû quitter le gouver-
nement de M. Laniel, l’année dernière, dans des conditions, disons-le, désho-
norantes. (P. Mendès-France, Oeuvres complètes, Frantext).
Quand le locuteur renonce à tergiverser : les marqueurs autant dire, pour tout dire et disons-le 61
entre les deux séquences (configuration P(xn) marqueur (y) : exemples (1),
(2) et (3)) mais on peut également les trouver à droite de la seconde sé-
quence (configuration P(xn) (y) marqueur) :
(4) Ça n’est pas une chose ordinaire de se fier à une fille, et surtout à (P) une fille
de ton âge (x n) – une gamine (y) autant dire. (G. Bernanos, Nouvelle histoire de
Mouchette, 1937, Frantext)
(5) Saint-Hiver s’est fait assassiner, on l’a (P) torturé (xn), massacré (y) pour tout
dire, il n’est absolument pas visible. (D. Pennac, La petite marchande de prose, 1989)
(6) Marie s’ennuie. Le flegme de son époux la rend (P) colérique et capricieuse
(x n), insupportable (y) disons-le. (<http://pickachu.over-blog.net/>)
Dans la très grande majorité des cas, les trois marqueurs mettent en re-
lation des syntagmes de même type : ainsi, en (1) et (3) xn et y sont des
syntagmes prépositionnels, en (2) et (6) des adjectifs, en (4) des syntagmes
nominaux et en (5) des participes passés.
Si nous avons choisi de noter la première séquence xn, c’est parce que,
contrairement à y, cette séquence peut comporter plusieurs constituants
juxtaposés. C’est le cas par exemple en (7), (8) et (9) :
(7) Nelly m’a toujours dit que pour porter un short ou un bermuda, il fallait être
absolument dépourvue de fesses : or celles de Charonne sont (P) monu-
mentales (x1), dignes d’une Vénus hottentote (x 2), autant dire affreuses (y).
(E. Bayamack-Tam, Je viens, 2015)
(8) Nous pouvons donc ici, pour une fois, suivre les médias dans leur qualification
d’« historique » de la manifestation du 11 janvier, une qualification (P) intense
(x1), répétitive (x 2), obsessionnelle (x 3), incantatoire (x4), pour tout dire reli-
gieuse (y). (E. Todd, Qui est Charlie ?, 2015)
(9) La raison contre les élans du cœur : c’est cette partition (P) binaire (x1), mani-
chéenne (x 2), stupide (y) disons-le, mais structurante dans tout sermon éditocra-
tique qui se respecte, que joue ici Sœur Caroline […] (<http://lmsi.net/Retour-
de-flamme>)
Notons que cette configuration est rare avec autant dire alors qu’elle est
très courante avec pour tout dire et disons-le.
Dans la configuration P(xn) marqueur ( y), les locutions autant dire, pour
tout dire et disons-le sont séparées de la séquence de gauche par une pause.
62 Sandrine Deloor
A l’écrit, cette pause est généralement marquée par une virgule dans le
cas de pour tout dire et disons-le, et par une virgule ou un point dans le cas
de autant dire. Alors que pour tout dire et autant dire introduisent directement
le segment de droite, disons-le est systématiquement séparé de y par une
pause, représentée à l’écrit par une virgule ou deux points. Enfin, dans la
configuration P(xn) (y) marqueur, aucun des trois marqueurs n’est précédé
d’une pause. On a :
P(xn ), pour tout dire ( y).
P(xn ), autant dire ( y). ou P(xn ). Autant dire ( y).
P(xn ), disons-le, ( y) ou P(xn ), disons-le : ( y).
P(xn ) ( y) marqueur.
Contrairement à autant dire, les locutions pour tout dire et disons-le peuvent
être déplacées en tête de phrase. Néanmoins ce déplacement entraîne
un changement de sens radical : une fois en tête de phrase, pour tout dire
et disons-le ne mettent plus en relation deux séquences à l’intérieur de la
phrase mais portent sur toute la phrase (cf. note 2) :
(1bis) *Autant dire, je suis née dans une ambassade, dans le champagne.
(2bis) Pour tout dire, la place d’Italie m’a toujours semblé biscornue, mal fichue.
(3bis) D
isons-le : un caprice de l’écrivain transforme ma mère en petite coureuse,
en pute.
(10) Il n’a pas avoué qu’il l’avait tuée. Et les seules preuves qu’on ait contre lui, c’est
la parole de Brown. Autant dire rien. (M.E. Coindreau, Lumière d’août, 1935,
Frantext)
Quand le locuteur renonce à tergiverser : les marqueurs autant dire, pour tout dire et disons-le 63
(11) Il n’y aurait plus quinze cents à deux mille initiés, mais quarante mille, autant
dire tout le monde. (M. Déon, La Carotte et le bâton, 1960, Frantext)
(12) Il n’ose compter les heures passées à atteindre cette quarante-huitième page.
Le bouquin en compte exactement quatre cent quarante-six. Autant dire cinq
cents. 500 pages ! S’il y avait des dialogues, encore. Tu parles ! (D. Pennac,
Comme un roman, 1992)
(13) En Chine, l’agriculture a été inventée il y a 8 500 ans, dans le Shanxi et le
Henan. Une région de riches terres limoneuses, traversée par le Houang Ho,
le fleuve Jaune, et qui se situe grosso modo à 500 kilomètres au sud-ouest de
Pékin. Les premières plantes cultivées ont été le millet des oiseaux et quelques
légumes, dont le chou et le navet. Autant dire pas grand-chose. ( J.M. Pelt
et al., La plus belle histoire des plantes, 2004)
(14) « Allô Bernard ? C’est François. Je vais venir en Corrèze demain, est-ce que
tu pourrais m’organiser une visite chez les Chirac, à Bity ? » […] La sécurité
autour d’un déplacement du chef de l’État nécessite un brin d’organisation.
Or, ce vendredi 18 juillet 2013, il est environ 19 heures – autant dire déjà le
week-end. (E. Karlin, Le président qui voulait vivre ses vies, 2014)
(15) Le lendemain matin, Adamsberg appela son bureau dès son lever. L’homme
avait été cercler dans le 5e arrondissement, rue Saint-Jacques, autant dire à
deux pas de la rue Pierre-et-Marie-Curie où Madeleine Châtelain avait été
égorgée. Suite de la conversation, pensa Adamsberg. Quelque chose comme :
« Rien ne m’empêchera de tracer un cercle près du lieu du meurtre. » (F. Var-
gas, L’homme aux cercles bleus, 1991)
(16) […] le fonctionnaire n’est pas décidé à se laisser faire, et sa défense les prend
de court : oui, il a bien autorisé le départ du train, mais c’est suite à la demande
expresse du ministère de l’Air à Berlin. Autant dire de Göring. (L. Binet,
HHhH, 2010)
(17) Retancourt lui tendit sa torche et Adamsberg éclaira le visage de son prison-
nier. Puis il lui passa les menottes, un anneau attaché au poignet de Retan-
court. Autant dire à un arbre. (F. Vargas, Pars vite et reviens tard, 2001)
L’hypothèse que nous proposons pour rendre compte du sens des énon-
cés de type P(xn), autant dire (y) est la suivante :
64 Sandrine Deloor
(i) P(x n) [ Je suis née dans une ambassade] est présenté comme une formulation
conforme à la réalité et rigoureusement objective. L’opinion du locuteur sur ce
qu’implique le fait d’être né dans une ambassade ne transparaît pas dans cette
formulation. Le locuteur est conscient que son interlocuteur pourrait tirer de
cette phrase de multiples conclusions. Par exemple : R1 qu’il est habitué à vivre
à l’étranger, R 2 qu’il est polyglotte, R 3 qu’il est issu d’une famille aisée, R4 qu’il
est habitué au luxe, etc. En fait, tous les stéréotypes3 attachés à P(x n) [ Je suis
née dans une ambassade] sont susceptibles d’être activés.
(ii) Afin de communiquer son appréciation de la situation à son interlocuteur, le
locuteur compare P(x n) [ Je suis née dans une ambassade] à P(y) [ Je suis née
dans le champagne].
(ii-1) P(y) [ Je suis née dans le champagne] est clairement faux. C’est une image.
(ii-2) Le locuteur présente la différence entre P(x n) [ Je suis née dans une ambas-
sade] et P(y) [ Je suis née dans le champagne] comme négligeable : dire P(x n)
[ Je suis née dans une ambassade] ou P(y) [ Je suis née dans le champagne]
revient au même, les conséquences que l’on peut tirer de P(y) [ Je suis née dans
le champagne] valent pour P(x n) [ Je suis née dans une ambassade].
(iii) En mettant en regard P(x n) [Je suis née dans une ambassade] et P(y) [Je suis née
dans le champagne], le locuteur permet à son interlocuteur d’identifier, parmi
R1, R 2, R 3 et R4, la conclusion R qu’il vise. Le champagne n’a pas de lien avec le
fait de vivre à l’étranger (R1) ou de parler plusieurs langues (R 2). R1 et R 2 doivent
donc être écartées. Parmi les stéréotypes associés au champagne, il y a l’idée
d’argent et de luxe, deux idées proches de R 3 [Je suis issue d’une famille aisée] et
R4 [Je suis habituée au luxe]. Ce sont donc ces conclusions que vise le locuteur.
Force est de constater que, seul, P(xn) peut être utilisé aussi bien pour
défendre R que non R :
P(xn) donc R / non R : Ce vendredi 18 juillet 2013, il est environ 19h. Il est donc
trop tard pour nous puissions nous organiser / Nous avons donc tout notre temps
pour nous organiser.
P(y) donc R / *donc non R : C’est déjà le week-end. Il est donc trop tard
pour nous puissions nous organiser / *Nous avons donc tout notre temps
pour nous organiser.
Notons que cette démonstration n’est pas possible pour une grande partie
des énoncés du corpus. Par exemple, en (17), P(y) n’est pas suffisant pour at-
teindre la conclusion R [Le prisonnier n’avait aucune chance de s’échapper] :
P(y) donc R / donc non R : L’anneau était attaché à un arbre. Le prisonnier n’avait
donc aucune chance de s’échapper / Le prisonnier pouvait donc s’échapper à tout
moment.
Dans cet exemple comme dans la plupart des autres, ce n’est pas P(y) seul
mais la mise en regard de P(xn) et de P(y) qui permet d’identifier la conclu-
sion R parmi les conclusions envisageables : en comparant la policière (qui,
en tant qu’être doué de raison, est capable de surveiller le prisonnier et de
prendre des décisions en cas de comportement anormal, mais qui n’a pas
forcément la force physique pour empêcher sa fuite) à un arbre (symbole
de force et de stabilité, inamovible grâce à ses racines, mais non doué de
raison), le locuteur met en avant les qualités physiques de Retancourt : tant
que l’anneau restera attaché à son poignet, elle saura opposer au prisonnier
la même force de résistance qu’un arbre.
Nous proposons ci-dessous une analyse des autres exemples du
corpus :
autant dire
P (xn) (y) R
(4) C
e n’est pas une à une fille de ton une gamine [ Je prends des
chose ordinaire de âge risques en te faisant
se fier confiance]
(7) L
es fesses de monumentales, affreuses [Il faut que Charonne
Charonne sont dignes d’une Vénus évite les bermudas]
hottentote
(10) L
es seules preuves la parole de Brown rien [Nous ne pourrons
qu’on ait contre pas prouver sa
lui, c’est culpabilité]
Quand le locuteur renonce à tergiverser : les marqueurs autant dire, pour tout dire et disons-le 69
autant dire
P (xn) (y) R
(11) Il y aurait quarante mille tout le [Nous allons être
initiés monde débordés]
(12) L e bouquin quatre cent cinq cents [C’est un très gros
compte quarante-six pages livre, il faut des mois
pour en venir à bout]
(13) L es premières le millet des pas grand- [Les débuts de l’agri-
plantes cultivées oiseaux et quelques chose culture en Chine n’ont
ont été légumes, dont le pas été fulgurants]
chou et le navet
(15) L’homme avait été dans le 5e arron- à deux pas [L’homme choisit les
cercler dissement, rue de la rue lieux où il cercle pour
Saint-Jacques Pierre-et- envoyer des messages
Marie-Curie à la police]
où Made-
leine Châte-
lain avait été
égorgée
(16) I l a autorisé le du ministère de de Göring [Il ne pouvait pas se
départ du train l’Air à Berlin soustraire aux ordres
suite à la demande qu’il avait reçus]
expresse
(20) Elle semble soudain terriblement bouleversée. Ça lui arrive souvent. Elle est
émotive, instable pour tout dire. (M. Dugain, Avenue des géants, 2012)
(21) « Four more years. » « Quatre ans de plus. » Tout le monde, sur Twitter, n’a pas le
style, la sobriété, pour tout dire la classe de Barack Obama commentant ainsi
sa réélection à la présidentielle américaine. (P. Duhamel & J. Santamaria, Les
flingueurs, 2014)
(22) « Quand j’aurai fini mon instruction (je compte encore six ans pour cela), je
me joindrai, si cela m’est permis, aux étudiants et aux professeurs qui font
une croisière annuelle dans le Proche-Orient. Je voudrais préciser certaines
connaissances, dit-il avec onction, et j’aimerais aussi qu’il m’arrivât de l’inat-
tendu, du nouveau, des aventures pour tout dire. » (Sartre, La nausée, 1938)
(23) Et, bien entendu, on n’aime pas lire. Trop de vocabulaire dans les livres. Trop
de pages, aussi. Pour tout dire, trop de livres. Non, décidément, on n’aime
pas lire. (D. Pennac, Comme un roman, 1992)
(i) Le locuteur fait comme s’il s’était rendu compte, après avoir énoncé
P(xn) :
(i-1) que P(xn) était au-dessous de ce qu’il cherchait à dire
(i-2) que P(y) était plus adéquat que P(xn).
(ii) P(y) est plus adéquat que P(x n) parce que (ii-1) y englobe xn et (ii-2)
y va plus loin que xn.
(iii) Le locuteur n’aurait pas spontanément eu recours à y mais, après
s’être rendu compte que xn était au-dessous de ce qu’il cherchait à
dire et que y englobait xn, il choisit d’assumer la formulation y.
Appliquons cette hypothèse à l’exemple (5) :
(i) Après avoir énoncé la séquence on l’a torturé, le locuteur se rend compte que le
terme torturé est au-dessous de ce qu’il cherche à dire et que le terme massacré
serait plus adéquat.
(ii) Le terme massacré est plus adéquat car il englobe torturé, tout en allant plus
loin.
Quand le locuteur renonce à tergiverser : les marqueurs autant dire, pour tout dire et disons-le 71
(iii) Le locuteur n’aurait pas spontanément utilisé le terme massacré. C’est après s’être
rendu compte que torturé était au-dessous de ce qu’il cherchait à dire et que mas-
sacré englobait torturé que le locuteur a choisi d’assumer cette formulation.
On l’a torturé et même massacré / *On l’a massacré et même torturé / *On l’a
massacré, torturé pour tout dire.
Elle est émotive et même instable / *Elle est instable et même émotive / Elle est
instable, *émotive pour tout dire.
Il a du style, de la sobriété et même de la classe / *Il a de la classe, de la sobriété et
même du style / *Il a de la classe, de la sobriété, pour tout dire du style.
J’aimerais aussi qu’il m’arrivât de l’inattendu, du nouveau, et même des aventures /
*J’aimerais aussi qu’il m’arrivât de l’inattendu, des aventures et même du nouveau /
*J’aimerais aussi qu’il m’arrivât de l’inattendu, des aventures, du nouveau, pour tout
dire.
Dans cet exemple, xn est donc non seulement indispensable pour que y soit
admis malgré son caractère polémique mais aussi, de façon plus triviale,
pour qu’il soit tout simplement compris. On remarquera qu’il s’agit-là d’un
effet de sens courant des marqueurs regroupés par J. Authier-Revuz (1995)
dans un paragraphe intitulé « “Le dernier mot” de la nomination : X, Y, en
un mot Z » (en un mot, bref, en somme, pour tout dire, disons-le, pour (puisqu’il faut)
l’appeler par son nom) :
« On voit clairement dans l’ensemble de ces nominations “à progression montrée”,
relevant majoritairement de l’écrit, comment, si les premiers termes proposés sont
affectés d’incomplétude par le dernier donné comme “le” mot enfin atteint, inver-
sement, c’est non pas détachée mais comme élément de nomination complexe, en
s’appuyant à ce qui la précède, que cette formulation ultime peut être risquée – c’est-
à-dire comprise et admise – avec son degré élevé […], son caractère insolite […],
paradoxal […], métaphorique […], sa rareté ou sa néologie […], ou encore son vague
[…]. » (Authier-Revuz, 1995 : 618)
3.2. Disons-le
4 Faute de place, nous n’analyserons pas les liens entre disons-le et disons le mot. La proxi-
mité entre les deux marqueurs est évidente, comme en témoigne le rapprochement
74 Sandrine Deloor
(25) Mais, encore une fois, il faut à ce genre de transplantation une générosité de
moyens, un ensemble de précautions, disons-le, une tendresse d’éducation,
qui se trouvent réunies rarement. ( J. Michelet, L’oiseau, 1856, Frantext)
(26) C’est parce que vous avez eu de la chance, me dit-il. Vous êtes bien tombé. Et il
s’éloigne. S’il avait raison ! Si j’étais seulement bien tombé, moi qui m’imagine
avoir créé mon bonheur moi-même par mon application, ma persévérance,
mon sens de la vie, disons-le : par mon intelligence ! Si je n’étais que bien
tombé ! ( J. Renard, Journal, 1925, Frantext)
(27) Elles se tournèrent, médusées, vers la blonde et grasse Lily, la plus écervelée
d’entre elles, la plus sentimentale, la moins volontaire, bref, disons-le : la plus
normale. Si l’on avait dû pronostiquer quelle prisonnière inaugurerait la rédac-
tion des feuillets, sûr que Lily aurait été désignée parmi les dernières. Tatiana
d’abord, Olga peut-être, ou bien Irina… mais la suave et ordinaire Lily ? (E.E.
Schmitt, Odette Toulemonde et autres histoires, 2006)
que l’on peut faire entre l’exemple (24) (tiré d’un ouvrage de C. Mauriac publié en
1983) et l’exemple suivant (tiré d’un journal que C. Mauriac rédigea en 1938 et publia
en 1992) : « Mais enfin si Léon Blum n’intervint pas en Espagne, s’il échoua à l’inté-
rieur, ce fut à cause de cette opinion publique anti-Front populaire, disons le mot :
anti-française, dont je faisais, dont mon père faisait partie. » (C. Mauriac, Histoire de
ne pas oublier : Journal 1938, 1992, Frantext)
Quand le locuteur renonce à tergiverser : les marqueurs autant dire, pour tout dire et disons-le 75
(i) Après avoir qualifié la partition entre coeur et raison de binaire et manichéenne,
le locuteur se rend compte que ces termes sont au-dessous de ce qu’il cherche
à dire et que le terme stupide serait plus adéquat.
(ii) Le terme stupide est plus adéquat car il va plus loin que binaire et manichéenne.
(iii) Le terme stupide est une formulation linguistiquement audacieuse. Le locuteur
n’aurait pas spontanément utilisé ce terme. C’est après s’être rendu compte que
binaire et manichéenne étaient au-dessous de ce qu’il cherchait à dire qu’il a choisi
d’assumer cette formulation.
Selon notre description, la différence entre pour tout dire et disons-le est que
pour tout dire souligne le caractère englobant de y par rapport à xn tandis
que disons-le met l’accent sur son caractère linguistiquement audacieux. La
différence d’acceptabilité entre (3) et (3bis) corrobore cette hypothèse.
On remarquera tout d’abord que le test utilisé en 3.1.3. pour prouver le
caractère englobant de y par rapport à xn dans les exemples de type P(xn )
pour tout dire y ne peut s’appliquer aux termes pute et petite coureuse :
*Une pute, c’est une petite coureuse et d’autres choses.
(i) Les trois marqueurs présentent P(xn) comme insuffisant sur le plan
argumentatif :
– Dans P(xn ) autant dire ( y), P(xn) doit être complété pour que l’in-
tention argumentative du locuteur apparaisse clairement.
– Dans P(xn ) pour tout dire ( y) et P(xn ) disons-le ( y), c’est précisément
la faiblesse de P(xn) qui amène le locuteur à proposer la formu-
lation y.
(ii) Dans les trois cas, xn et y sont tout aussi importants l’un que l’autre
car l’un apporte un éclairage sur l’autre :
– Dans P(xn ) autant dire ( y), c’est y qui éclaire P(xn) : l’intérêt de
l’information P(xn) ne peut être compris qu’à travers la compa-
raison avec P(y).
– Dans P(xn ) pour tout dire ( y) et P(xn ) disons-le ( y), c’est xn qui éclaire
y : la formulation y paraît arbitraire et exagérée si elle n’est pas
précédée de xn.
(iii) Enfin, alors que dans P(xn ) autant dire ( y), P(xn) est présenté comme
une formulation conforme à la réalité et P(y) comme une formula-
tion non conforme, utilisée seulement comme point de comparaison,
c’est l’inverse qui se produit dans P(xn) pour tout dire (y) et P(xn) disons-le
5 Nous reprenons ici une formule utilisée par A. Steuckardt (2005) à propos du mar-
queur disons le mot : « […] avec disons le mot, qui délivre la nomination audacieuse,
[le locuteur] met en scène un cheminement menant de la réserve vers un acte de
courage linguistique. […] C’est l’héroïsme du dire qui est alors représenté. » (Steuc-
kardt, 2005 : 56).
Quand le locuteur renonce à tergiverser : les marqueurs autant dire, pour tout dire et disons-le 77
(y) où P(y) est présenté comme une formulation plus adéquate que
P(xn).
(13bis) Les premières plantes cultivées ont été le millet des oiseaux et quelques
légumes, dont le chou et le navet. Autant dire pas grand-chose. / Pas grand-chose
pour tout dire6 / Pas grand-chose, disons-le.
(16bis) […] le fonctionnaire n’est pas décidé à se laisser faire, et sa défense les prend
de court : oui, il a bien autorisé le départ du train, mais c’est suite à la demande
expresse du ministère de l’Air à Berlin. Autant dire de Göring / De Göring pour
tout dire / De Göring, disons-le.
(17bis) Retancourt lui tendit sa torche et Adamsberg éclaira le visage de son pri-
sonnier. Puis il lui passa les menottes, un anneau attaché au poignet de Retancourt.
Autant dire à un arbre / *A un arbre pour tout dire / *A un arbre, disons-le.
(1ter) Moi, je suis née dans une ambassade, autant dire dans le champagne / *dans
le champagne pour tout dire / *dans le champagne, disons-le.
6 Dans plusieurs des exemples proposés dans cette conclusion, l’insertion de pour
tout dire est possible dans des exemples où y n’englobe pas xn. Il semble que, dans
ces exemples, la ponctuation forte rapproche l’emploi de pour tout dire des emplois
inter-phrastiques cités dans la note 2 (on remarquera en effet qu’avec une ponctua-
tion faible, pour tout dire serait moins facilement acceptable). Dans la mesure où nous
ne prenons pas en compte le trait « y englobe xn » dans notre comparaison des trois
marqueurs, ce problème a peu d’impact sur notre propos.
78 Sandrine Deloor
Références bibliographiques
Haillet, P.P. (2007), Pour une linguistique des représentations discursives, Duculot,
Paris.
Steuckardt, A. (2005), « Les marqueurs formés sur dire », in A. Steuckardt
& A. Niklas-Salminen (éds), Les marqueurs de glose, Publications de
l’université de Provence, pp. 51–65.
Je dirais, je ne saurais dire, comment dirais-je :
s’agit-il vraiment d’un dire au conditionnel ?1
M aría Luisa Donaire
Université d’Oviedo, groupe OPÉR AS
Introduction
comment dirais-je ? ; dans deux d’entre eux c’est le verbe dire qui est au condi-
tionnel, tandis que dans je ne saurais dire c’est le verbe savoir. Quant à leur
fonctionnement contextuel, je ne saurais dire admet certaines insertions (te/
vous, trop), ce qui n’est pas le cas pour je dirais et pas souvent pour comment
dirais-je ? Par ailleurs, je dirais connaît une variante avec inversion dirais-je et
comment dirais-je une variante sans inversion.
Les dictionnaires et les grammaires, ainsi que certains linguistes5,
voient en général dans je dirais et je ne saurais dire des conditionnels d’atté-
nuation6 et dans comment dirais-je ? un marqueur d’hésitation7. Mais l’obser-
vation d’un vaste corpus, constitué par des textes divers, tant littéraires
que de presse, ainsi qu’oraux8, permet de détecter, sous les apparences,
des valeurs énonciatives qui questionnent tant ces considérations parfois
intuitives que ce que la surface donne à observer.
Concrètement, je dirais ne semble pas aisément commutable dans
toutes ses occurrences avec la forme de présent je dis, ce qui, d’après
Haillet (2002), permettrait de le classer parmi les formes d’atténuation9.
Comparer, à ce propos, d’une part Je voudrais vous faire part de mes réflexions
sur l’interview de Michel-David Weill10, où l’équivalence avec je veux apparaît
contenu). Ces pdv sont interprétés, en surface, comme des voix identifiant
plusieurs auteurs de discours.
Je me propose d’appliquer ces postulats théoriques aux trois mar-
queurs choisis, en allant du superficiel, la description du comportement
distributionnel, vers la structure sémantique profonde, l’analyse sémanti-
co-pragmatique.
1. Je dirais
Lorsqu’il est en position finale, X est un énoncé, comme c’est le cas dans
(1), mais en position médiane je dirais est rattaché à un constituant de syn-
tagme, un adjectif dans (5), ou à un syntagme, comme dans (4) :
(5) mais pour la recherche d’emplois ça devient euh je dirais euh obligatoire (HF8,
<http://eslo.in2p3.fr>)
Cette variante se met derrière le segment modifié, ce qui n’est pas obli-
gatoire pour je dirais. D’ailleurs, elle peut adopter la forme interrogative
dirais-je ? lorsque le marqueur introduit un constituant :
(7) Courageuse, téméraire – et dirais-je inconsciente ? – Guillemette de Véricourt
sait que sur les vingt et un mille victimes d’homicides et les mille deux cent
huit enlèvements perpétrés en Colombie, on compte plus de cinquante jour-
nalistes ; […]. (MD14, M. Pons, mai 1992)
(8) les conservatoires ils ont tout de même une sélection. on choisit oui. même
un milieu choisi eh bien l’échec est très rare je dirais même rarissime (FZ61,
<http://eslo.in2p3.fr>)
Il admet aussi plutôt, tel que dans (9) ; presque, dans (10) ; volontiers, dans (11) :
(9) Une science eidétique descriptive, telle la phénoménologie, peut être rigou-
reuse mais elle est nécessairement inexacte – je dirais plutôt « anexacte » –
et il n’y faut voir aucune infirmité. ( J. Derrida, L’écriture et la différence, 1967,
p. 240–241, F)
(10) Bill et Hillary ont passé un accord, je dirais presque un pacte faustien, par le-
quel il s’est engagé à l’aider à conquérir à son tour la Maison-Blanche. (<http://
www.letemps.ch/template/opinions.asp?page=6&article=230523>, W )
(11) […] c’est que votre manière de traiter les hommes et de ne pas leur permettre
de traiter les problèmes éveille en nous une douloureuse préoccupation, je
dirais volontiers une véritable anxiété. (R. Debray, Loués soient nos seigneurs : une
éducation politique, 1996, p. 536–538, F)
– il admet l’insertion de même (15), plutôt (16), presque (17) et volontiers (18) :
15 Voir dans ce même volume l’analyse de D. Tejedor à propos de je te/vous dirais bien.
Je dirais, je ne saurais dire, comment dirais-je : s’agit-il vraiment d’un dire au conditionnel ? 87
(15) euh ma foi euh je ne m’en plains pas je dirais même que je trouve que c’est très
bien (HN169, <http://eslo.in2p3.fr>)
(16) Autrefois, on appelait ça « cristalliser ». En ce qui me concerne, je dirais plutôt
que j’avais « flashé » sur Anne, car il faut vivre avec son temps. (F. Beigbeder,
Mémoires d’un jeune homme dérangé, La Table Ronde, 1990, p. 40)
(17) « Je prévois que ce défilé me fera souffrir, or ma souffrance m’est précieuse, je
dirais presque que c’est mon outil de travail principal, et je ne peux vous la cé-
der pour 2 000 francs ». (H. Guibert, Le Mausolée des amants : Journal 1976–1991,
2001, p. 356–357, F)
(18) S’agissant de ma propre vie, je dirais volontiers que la réponse à toute question
a toujours été le travail. (F. Nourrissier, À défaut de génie, 2000, p. 325–326, F)
– je dirais que n’admet pas l’insertion d’un pronom complément de forme te/
vous/lui (*je te/vous/lui dirais que)16 et encore moins le (*je vous le dirais que).
On pourrait avancer l’hypothèse qu’il s’agit en effet d’une variante de je
dirais en position initiale, ce qui détermine la présence de que pour intro-
duire la suite. La possibilité de transformer l’énoncé en déplaçant le mar-
queur en position incise finale ou médiane pourrait fournir un argument
en faveur de cette hypothèse. Cependant, cette transformation n’est pas
toujours possible :
(19) Si j’osais, je dirais que j’éprouvais son arbitraire. (S. Lilar, Une enfance gantoise,
1976, p. 54–55, F)
(19’) *Si j’osais, j’éprouvais son arbitraire, je dirais.
On pourrait donc conclure que je dirais que est une variante de je dirais
quand la forme avec que admet le déplacement en position incise sans le
que. Mais c’est plutôt l’analyse sémantique qui devrait permettre de vérifier
cette hypothèse.
16 Voir dans ce même volume l’analyse de D. Tejedor à propos de je te/vous dirais que.
88 María Luisa Donaire
Les guillemets seraient aussi une marque de cette mise à distance, comme
c’est le cas dans (9) et dans (24), celui-ci un exemple de l’oral :
(24) y a vraiment ça vaut le coup de se déplacer je dirais entre guillemets c’est c’est
vraiment il y a de très très beaux parcs hein (NH63, <http://eslo.in2p3.fr>)
20 « Je suis devenu membre du MoDem […] Avec humour, je dirais que j’ai un faible
pour les causes perdues », a déclaré sur France Inter l’ancien militant d’extrême
droite, libéré en août 2009. (NObs, 28/07/2011).
90 María Luisa Donaire
(27) Je retiens votre idée : un patrimoine. À ceci près que je dirais plutôt un pa-
trimoine d’énergie et d’orgueil. D’orgueil, pourquoi pas ? (A. Césaire, La
tragédie du roi Christophe, 1970, p. 61–62, F)
À cela s’ajoute le fait que, dans tous les contextes, on peut toujours pa-
raphraser je dirais p par une forme hypothétique comme s’il m’était permis/
si j’osais, je dirais p, ce qui viendrait appuyer l’interprétation hypothétique.
Mais une remarque s’impose à ce propos : la protase est toujours
constituée par une phrase négative (ex. 28, 29) ou qui présuppose une
phrase négative, comme c’est le cas dans (30), où je ne reste pas dans le cadre
de… est présupposé. C’est bien le cas dans toutes les occurrences de je
dirais, même quand il est possible ajouter s’il m’était permis (présupposé = il
ne m’est pas permis) ou si j’osais (présupposé = je n’ose pas)22 .
On retrouve alors à nouveau la dualité, propre au conditionnel23, entre
ce qui est effectivement dit, donc pris en charge, et cette présentation
du dit comme si ce n’était pas dit ou pas pris en charge. La structure hy-
pothétique nous conduit ainsi au même point de l’analyse que la valeur
d’atténuation et se présente donc aussi comme insuffisante. Cependant, la
présence de la négation dans la structure sémantique profonde et la réfé-
rence à ce qui est linguistiquement acceptable fournissent, à mon avis, un
argument éclairant concernant la signification du marqueur. Le recours
à la polyphonie permet d’identifier, sous la négation, un pdv dont L n’est
pas la source et qui, de par la référence à la langue, se présente d’ailleurs
comme attribué à la communauté linguistique (ON-locuteur). L’hypothèse
situe L comme n’appartenant pas à cette communauté (cf. 30) : si je restais
dans le cadre de la pratique sage de la langue française.
Quelques critères en faveur de cette hypothèse.
Lorsque p constitue la réponse à une question q, p ne peut pas être
l’équivalent d’une réponse confirmant q :
– Vous vous sentez mieux ?
– Je me sens mieux, ??je dirais.
Par ailleurs, il y a la combinaison avec plutôt (ex. 9, 32) ou même (ex. 8), qui
font référence à un discours préalable (un pdv) pour lui opposer un argu-
ment meilleur ( plutôt) ou plus fort (même) : dans la structure sémantique
q, je dirais plutôt/même p, il n’y a que p qui peut être attribué à L, q pouvant
en tout cas être attribué à λ mais représenté dans l’énoncé comme un
ex-locuteur. C’est le cas dans (8) l’échec est très rare je dirais même rarissime et
dans (9) elle est nécessairement inexacte – je dirais plutôt « anexacte ».
La présence des guillemets, fréquente lorsque p est un constituant,
marque également la présence d’un pdv présenté comme non partagé par la
communauté : c’est bien le cas de (9) où le mot « anexact » apparaît comme
n’appartenant pas à la langue mais créé de toutes pièces par le locuteur.
Je dirais p présente donc un pdv comme non imposé, pdv qui devient
par là « incontestable », dans le sens qu’il n’est pas soumis à contestation.
Dans cette optique, l’atténuation constituerait une stratégie discursive
mise en place pour faire adhérer à ce qui se présente comme un pdv dont
le locuteur (L) est la source.
Le pourquoi (et le pour quoi) de cette stratégie ne serait pas dans
la force ou la faiblesse de l’argument introduit par je dirais, ce qui n’est
qu’une partie de la stratégie, mais plutôt dans l’attitude de L, source du
pdv ( pdv1) dont l’objet construit est {p}, attitude qui consiste à se situer par
rapport à un pdv 2 , dont l’objet construit est {q} et la source la communauté
linguistique (ON-locuteur). Plus précisément, cette attitude consisterait
à se présenter comme n’appartenant pas à la communauté linguistique :
il s’agit de faire adhérer à pdv1 moyennant la non prise en charge de pdv2 .
L’intention du locuteur est de « faire passer » le pdv marqué en surface
( pdv 1) et son « astuce » consisterait à ne pas prétendre l’imposer (condi-
tionnel), ni le soumettre à l’accord de la collectivité, lui affectant de cette
façon une force particulière sous une apparence de faiblesse, car il n’y a
pas lieu de le contester24.
Tant les marques de distance que les marques d’adhésion qui, comme
on a vu, peuvent accompagner ce marqueur signalent le pdv qui n’est pas
pris en charge ( pdv 2) : je dirais p en exagérant, en exagérant par rapport à ce
24 Je dirais que partage avec je dirais les propriétés sémantico-pragmatiques, ce qui fa-
vorise la considération de je dirais que comme une variante de je dirais. Par manque
d’espace, ne sont pas cités ici les contextes qui permettent de le montrer.
94 María Luisa Donaire
qui est acceptable par la communauté ; je dirais p de mon point de vue et donc
non pas celui de la communauté, etc. Une paraphrase linguistique du fonc-
tionnement de je dirais serait je dis p et non pas q comme on dit 25.
2. Je ne saurais dire
25 On remarquera que l’enchaînement par comme on dit n’est pas possible à partir de
p : je dirais p *comme on dit.
26 On trouve aussi la structure Je ne saurais dire X, où X prend la forme d’une inter-
rogation indirecte : « Je ne saurais dire combien de temps s’écoula ainsi jusqu’au
moment où un hurlement déchirant provenant de l’immeuble me glaça la moelle. »
(M. Tournier, Le Roi des Aulnes, 1970, p. 194–195, F). Par manque d’espace on ne
traitera pas ici la possibilité de considérer cette forme une variante de X, je ne saurais
dire, mais on se tiendra à la forme en incise. Il faut cependant signaler que cette pos-
sible variante n’admet pas la position en incise, de par la présence de la proposition
subordonnée.
27 Les deux formes avec et sans pas coexistent dans ce contexte : « oui je crois elle a dû
avoir ça au moins quand nous étions jeunes. oui. mais je saurais pas dire je ne saurais
dire où il est » (NC, CP7, <http://eslo.in2p3.fr>).
Je dirais, je ne saurais dire, comment dirais-je : s’agit-il vraiment d’un dire au conditionnel ? 95
(34) – Vous pensez que quelqu’un s’est introduit dans sa chambre, ce soir-là, et
l’a emmenée de force ?
– Je ne saurais pas vous dire. Je n’ai rien entendu. Mais comme vous pouvez
le voir, il n’y avait aucune trace de lutte. ( J. Dicker, La vérité sur l’affaire
Harry Quebert, 2012, p. 113)
L’insertion des deux pronoms combinés, vous+le, est aussi possible, pour
référer en même temps à l’interlocuteur et à l’objet de la question :
96 María Luisa Donaire
(39) et votre premier stylo à encre c’était à quel âge ?. oh seize ans. seize ans et à la
suite de quelles circonstances ? c’était en cadeau ou vous l’avez acheté vous-
même ?. euh je ne saurais vous le dire ça remonte à cinquante ans (NC, CP7,
<http://eslo.in2p3.fr>)
pas toujours une information (cf. 33) mais aussi et le plus souvent une
opinion (cf. 40).
Un argument en faveur de cette interprétation : la présence fréquente
dans les contextes de je ne saurais dire d’une justification de ce non-dire
( parce que, dans l’exemple 36), justification qui peut s’appuyer sur le temps
écoulé favorisant l’oubli (42), le silence imposé par le secret (43), ou tout
autre facteur qui pose des difficultés à un certain calcul 28 ou à l’expression
d’une opinion :
(42) et votre premier stylo à encre c’était à quel âge ?. oh seize ans. seize ans et à la
suite de quelles circonstances ? c’était en cadeau ou vous l’avez acheté vous-
même ?. euh je ne saurais vous le dire ça remonte à cinquante ans (NC, CP7,
<http://eslo.in2p3.fr>)
(43) – Et quelles sont ces herbes ? dit mon père, qui était toujours très curieux
des simples utilisés dans les chaumières.
– Avec votre respect, je ne saurais vous le dire, dit la Maligou. La ménine, qui
me les a enseignées, m’a fait promettre le secret. (R. Merle, Fortune de
France I, 1997, p. 201)
Parmi ces facteurs, il peut s’agir aussi d’un manque de savoir ou d’infor-
mation :
(44) et combien en possédez-vous environ ?. ah ça je ne saurais dire ah ça je ne saurais
dire ça je ne sais pas (RC, FH717, <http://eslo.in2p3.fr>)
(45)
–
« L’établissement du Reichskommissariat sera différé un certain
temps. » – « Et pourquoi les représentants de la SP et du SD n’ont-ils pas
été informés ? » – « Je ne saurais vous le dire. J’attends encore des complé-
ments d’information. » ( J. Littell, Les bienveillantes, 2006, p. 154)
L’analyse formelle a montré que je ne saurais dire p est associé à une question
à propos de p : combien p ?, comment p ?, où p ?, qui p ?, etc., et que la référence
à l’interlocuteur (vous) est assez fréquente. Je ne saurais dire constitue la ré-
action à cette question, la réponse, sans que la demande d’information
ou d’opinion soit satisfaite. On peut donc dire que quand on emploie ce
marqueur on assume l’obligation intrinsèque à toute question, l’obligation
28 Dans l’exemple (37), le locuteur ne peut pas dire combien d’heures il a passé quelque
part parce qu’il ne compte pas.
98 María Luisa Donaire
3. Comment dirais-je ?
29 Ducrot (1991).
Je dirais, je ne saurais dire, comment dirais-je : s’agit-il vraiment d’un dire au conditionnel ? 99
Il constitue à lui tout seul un énoncé, comme c’est le cas pour les deux
autres marqueurs.
Il connaît une variante sans inversion comment je dirais, peu fréquente
dans mon corpus :
(47) – Peu importe son nom, a déclaré Pradier d’un ton livresque. Moi, je ne
connais pas les détails, comment je dirais ? psychologiques, hein ? Mais le fait
est qu’ils se fréquentaient, mon copain et elle. ( J-P. Manchette, Que d’os !,
1976, p. 26–27, F)
Il connaît aussi une variante au futur, comment dirai-je 30, assez fréquente :
(48) « Tu n’es pas en train de tondre la pelouse ? », lui ai-je demandé sachant que de-
hors il pleuvait, comment dirai-je… fort, très fort ! (La voix du nord, 13/06/2012)
Par ailleurs, on trouve comment dirais-je tant en emploi monologal (ex. 3, 48,
49, 50) qu’en emploi dialogal (ex. 46, 47).
Dans (53), même s’il n’est pas explicitement sollicité, l’interlocuteur for-
mule la suite du discours interrompu par comment dirais-je :
(53) – Écoute Léo, tu ne pourras jamais faire pleurer aux gens, car si tu te voyais
lorsque tu louches et comment tu montres ton visage de… Comment di-
rais-je…
– Oui, d’imbécile quoi, l’aide-t-il à terminer ce qu’elle voulait lui insinuer.
( J. Gonzalez, La folle du dimanche, Société des Écrivains, 2008, p. 25)
32 Notez ici la présence d’enfin, unité qui vise l’approbation du destinataire. Il s’agit
d’un enfin 2, d’après Donaire (2013).
102 María Luisa Donaire
que c’est le locuteur qui pose la question et que c’est à lui de répondre,
le vrai destinataire est l’allocutaire. En effet, ce marqueur instruit une
représentation discursive qui met l’accent sur la relation du locuteur avec
son allocutaire (interlocuteur en contexte dialogal), celui-là cherchant à se
rapprocher de celui-ci, au moins discursivement.
Cela explique que la présence d’unités linguistiques faisant référence à
l’interlocuteur, comme l’insertion du pronom vous dans (50) ou la demande
de confirmation n’est-ce pas ?, soit fréquente. Par ailleurs, le commentaire si
vous voyez ce que je veux dire, dans (54), paraphrase nettement l’intention impli-
cite dans comment dirais-je, la recherche de l’accord de l’allocutaire :
(54) Il a, comment dirais-je, un peu « fêté » la sortie de l’album, si vous voyez ce que
je veux dire. (<http://www.blam.be/dossiers/markolier.php>, W )
À cela s’ajoute que ce marqueur apparaît dans des contextes qui contiennent
des jugements ou des opinions peu favorables à l’interlocuteur, (55) étant
particulièrement intéressant de par la présence d’une excuse qui suit l’ex-
pression introduite par le marqueur :
(55) – Vous savez, même sans le livre, j’avais déjà senti en vous… comment
dirais-je ?… une certaine…
– Oui ?
– Une certaine désespérance, pardonnez-moi. ( J-L. Izambert, Le crédit agri-
cole hors la loi ?, Carnot, 2001, p. 89)
même si elle risque de ne pas l’être. L’exemple (56) est, dans ce sens, parti-
culièrement significatif, s’agissant du discours d’un non-humain, un virus
dans la fiction :
(56) De là où nous sommes, la vue est comment dirais-je ?, « Imprenable », je crois
que c’est le mot humain. (E. Nataf, Autobiographie d’un virus, Odile Jacob,
2004, p. 189)
Il s’agit donc de trouver le bon mot, la bonne expression, bons pour le lo-
cuteur mais surtout bons (ce n’est pas ‘quoi dire’ mais ‘comment le dire’),
c’est-à-dire acceptables, pour la communauté linguistique à laquelle le lo-
cuteur dit appartenir ainsi que son allocutaire. Dans (57), le locuteur
confirme avoir trouvé le bon mot ou la bonne expression :
(57) Vous avez besoin d’une présence régulière, ça se sent et je suis un courant
d’air ! Vous avez besoin, comment dirais-je ?, d’équilibre, voilà le mot ! Et je ne
pourrais que vous déséquilibrer. (P. Barbarin, 20 ans ou la conscience accrue, Ed.
Publibook, 2004, p. 51)
4. Conclusions
Références bibliographiques
1. Introduction
La présente étude repose sur des données recueillies dans les 4 corpus sui-
vants, qui reflètent différentes variétés diatopiques/diaphasiques de français
108 Gaétane Dostie
1 La différence de taille entre les corpus consultés explique sans doute pourquoi la
séquence je veux dire y est inégalement répartie. Par exemple, OFROM est le plus
petit des 4 corpus en question et c’est aussi celui qui contient le moins d’occur-
rences de je veux dire.
2 De manière plus spécifique, les données se répartissent comme suit : le CFPQ contient
243 occurrences de je veux dire et 444 occurrences de je veux, si bien que dire appa-
raît tout de suite après je veux dans 55 % des cas (243 / 444 = 55 %). De même, le
CFPP2000 renferme 124 occurrences de j’veux/ je veux et 191 de j’veux/ je veux dire, ce
qui signifie que dire suit j’veux/ je veux dans 65 % des cas (124 / 191 = 65 %). Le corpus
ESLO2 contient, quant à lui, 369 occurrences de la première séquence et 632 de la
seconde, ce qui revient à dire que dans 62 % des cas, je veux introduit dire (369 / 632 =
62 %). Enfin, OFROM présente 51 occurrences de je veux dire contre 91 occurrences
de je veux, de sorte que dire apparaît après je veux dans 56 % des cas (51 / 91 = 56 %).
3 Le calcul se décline de la manière suivante : dans le CFPQ, il y a 243 occurrences
de je veux dire et 284 occurrences de veux dire (ce qui donne un rapport de 243 / 284
ou 86 %). Dans le CFPP2000, le nombre d’occurrences de je veux dire est de 124 et
celui de veux dire est de 215 (124 / 215 = 58 %). De même, ESLO2 contient 369 de je
veux dire et 389 occurrence de veux dire (369 / 389 = 95 %). Enfin, OFROM renferme
51 occurrences de je veux dire et 52 occurrences de veux dire (51 / 52 = 98 %).
Je veux dire et t’sais (je) veux dire en français parlé 109
Tableau 1: Nombre d’occurrences de je veux dire, je veux et veux dire dans 4 corpus du
français actuel.
CFPQ CFPP2000 ESLO2 OFROM Nombre total
Conversations à Entrevues semi- (sans la partie Entrevues semi- d’occurrences
bâtons rompus dirigées diachronie) dirigées dans les 4
Enregistrements : Enregistrements : Entrevues Enregistre- corpus
2006–2012 2005–2006 semi-dirigées ments :
Enregistre- 2008–2014
ments : 2014–
4 Le nombre total d’heures actuellement accessibles en ligne n’est pas précisé sur le
site du corpus.
5 Dans le CFPP2000, la transcription je veux / je veux dire alterne avec j’veux / j’veux
dire. Le nombre total d’occurrences présentées dans ce tableau pour je veux / je veux
dire inclut cette variante graphique.
110 Gaétane Dostie
6 Nous excluons l’interprétation selon laquelle je veux dire serait un marqueur « vide
de sens », peu défendable dans une optique lexico-sémantique.
Je veux dire et t’sais (je) veux dire en français parlé 111
Pour évaluer l’apport des sens d’origine à celui exprimé par le MD je veux
dire, un détour du côté de la locution vouloir dire s’impose. Celle-ci, qui est
polysémique, met en relation les actants X et Y (cf. X veut dire Y ). Elle est
proche :
7 Pottier (1976) présente vouloir comme un prédicat modal « qui demande une base
animée » en français dit « standard ». La locution vouloir dire1, bien attestée dans les
4 corpus pris comme cibles, diffère sur ce point de vouloir suivi d’un verbe autre que
dire. Par exemple, le il, dans il veut parler, renvoie forcément à un être animé.
112 Gaétane Dostie
Dans un exemple comme (5), la séquence je veux dire est donc une instance
particulière de vouloir dire2. Son statut verbal ne fait aucun doute8. Or
fait important pour nous, la dimension volitive inhérente à cet emploi
se retrouve également dans le sémantisme du MD je veux dire, auquel elle
donne une teinte particulière. Nous y revenons plus loin, après une incur-
sion du côté du je dont l’apport au sémantisme global du marqueur s’avère
tout aussi central.
(7) M : fait que si t’as pas le temps (.) elle mettons <acc<elle a pas le temps de prier
là>> on s’entend-tu là/ elle est ici euh t- (.) une bonne partie de la journée je
veux dire elle fait peut-être ses prières le matin mais le soir pis l’après-midi
euh je veux dire elle s’en va pas pour faire ça là\ fait que pour elle c’est ben
euh FLEXIBLE dans le fond
(CFPQ, sous-corpus 10, segment 1, p. 3, ligne 2)
(8) mon mari très gentiment a cherché un appartement il en a visité quatre-vingt-
dix jusqu’à c’que j’accepte finalement de déménager et euh nous nous sommes
installés ici c’est-à-dire pas loin nous avons juste t- traversé la rue de Sèvres
et donc nous sommes dans un quartier qui je dois dire maintenant que je suis
euh sevrée de mon septième est euh je pense plus plus agréable à habiter
(CFPP2000)
Cela étant, il est clair que je veux dire inscrit la prise de parole du locuteur
dans un cadre ouvertement subjectif (ce qui est imputable à l’influence du
je dans sa morphologie), alors que c’est-à-dire présente cette parole comme
davantage objective. Ce dernier fait est notamment souligné par Murât
et Cartier-Bresson (1987 : 8). Le caractère subjectif inhérent à je veux dire
est quant à lui mis en relief par Authier-Revuz 2012 [1995] lorsqu’elle
écrit : « [ je veux dire] correspond aux deux valeurs (à frontière non discrète)
de la rectification – c’est une des formes types de la reprise de lapsus vrai
ou simulé – et de l’explicitation, équivalente d’un ce qui signifie pour moi »
(p. 116–117). Le segment pour moi, présent dans la glose proposée par l’au-
teure, est ici sans équivoque.
Partant, la séquence X je veux dire Y émane systématiquement d’un
seul et même être physique et discursif. Voilà pourquoi le marqueur ne
s’emploie pas en parallèle à c’est-à-dire dans les dialogues relevés en (9) et
(10)11. En (9), le locuteur cherche à obtenir une explication ou une clari-
fication auprès de l’interlocuteur, grâce à un c’est-à-dire associé à une into-
nation fortement montante, qu’il produit sans rien d’autre12 . De même en
11 Ces exemples contredisent une propriété souvent attribuée à c’est-à-dire selon laquelle
il s’agirait d’un marqueur uniquement monologual. À titre d’exemple, Gülich et
Kotschi (1983 : 320) le rangent parmi les marqueurs de « relation paraphrastique
entre énoncés du même locuteur », en fonction des données recueillies dans leur
corpus (oral).
12 Dans les transcriptions du CFPQ, la flèche orientée vers le haut indique une into-
nation fortement montante.
Je veux dire et t’sais (je) veux dire en français parlé 115
Honoré de l’Elysée euh ça m’a pas paru un quartier euh + en revanche j’vais
deux fois par semaine dans le vingtième où+ qu’est un vrai quartier où je
vais travailler faire de l’alphabétisation
(CFPP2000)
Nous justifions d’abord, dans ce qui suit, notre intérêt pour la séquence
t’sais (je) veux dire, à partir de quelques données quantifiées qui montrent
que t’sais apparaît de manière régulière à la gauche de je veux dire en fran-
çais québécois (section 3.1). Par la suite, nous nous intéressons aux em-
plois où t’sais est un MD précédant le je veux dire discursif décrit plus haut
(section 3.2). Enfin, nous scrutons les cas où t’sais (je) veux dire a le statut
de MD morphologiquement complexe, polysémique, distinct de je veux
dire (section 3.3).
précède je veux dire près de 1 fois sur 514 . On pourrait croire, à première
vue, que cette fréquence d’emploi découle de la fréquence particuliè-
rement élevée du marqueur tu sais/ t’sais dans le corpus québécois (on
en repère plus de 3 900 occurrences), comparativement à une appari-
tion nettement plus restreinte dans les 3 autres corpus : il y a, en effet,
86 occurrences de tu sais / t’sais dans le CFPP2000, 353 dans ESLO2 et
97 dans OFROM. Or une recherche sommaire dans nos corpus montre
que la fréquence élevée d’un marqueur sur une base individuelle ne suffit
pas à rendre compte de sa fréquence importante d’association avec un
autre marqueur. En guise d’exemple, le tableau 2 ci-dessous illustre le
fait que des marqueurs extrêmement fréquents sur une base individuelle
dans le CFPQ, tels pis, oui et non, ne précèdent que rarement je veux dire,
voire, jamais. Pourtant, les séquences pis je veux dire, oui je veux dire ou
encore non je veux dire n’ont, en soi, rien d’impossible.
Tableau 2 : Trois marqueurs fréquents dans le CFPQ et leur association à je veux dire.
Unités simple et unités en cumul Nombre d’occurrences
pis 9 033
pis je veux dire 8
oui 8 331
oui je veux dire Ø
non 5 516
non je veux dire 2
T’sais est de fait l’unité graphique qui introduit le plus souvent je veux dire
dans le corpus considéré. La deuxième unité à le faire est mais (43 occur-
rences) et la troisième est là (25 occurrences). Un calcul simple permet ainsi
d’établir que dans 46 % des cas où la séquence je veux dire est utilisée, soit
t’sais, soit mais, soit là apparaissent à sa gauche et, ce, au détriment de toute
autre unité qui, par ailleurs, pourrait être extrêmement fréquente dans le
corpus.
Au vu de ce qui précède, nous concluons que je veux dire sélectionne
naturellement t’sais au nombre de ses cooccurrents privilégiés. Voyons
14 Le calcul est établi de la manière suivante : 44 occurrences sur un total de 243 équi-
vaut à 18 % et donc, à un rapport de près de 1 sur 5.
120 Gaétane Dostie
3.2. Deux marqueurs discursifs figurant en contiguïté : je veux dire précédé de t’sais
En un mot, le sens exprimé par t’sais est donc totalement intégré au sé-
mantisme de l’expression discursive t’sais veux dire1. Qu’en est-il, main-
tenant, de celui induit par je veux dire ? La valeur explicative et la portée
réflexive de ce marqueur semble ici moins prégnante. En revanche, il est
facile d’établir un lien avec la locution verbale vouloir dire2. Pour mémoire,
cette locution a le sens de ‘chercher à exprimer, à énoncer quelque chose’
(section 2.1). De là, nous retenons la glose suivante pour t’sais veux dire1 :
122 Gaétane Dostie
Par ailleurs, l’expression vous comprenez ce que je veux dire est parfois utili-
sée en parallèle à t’sais veux dire1 et à tu vois ce que je veux dire. En voici un
exemple en (17), extrait du corpus ESLO117.
15 Cette séquence est sentie comme étant suffisamment lexicalisée pour être consi-
gnée dans le Petit Robert 2015 sous l’entrée dire. Elle n’est cependant pas définie.
16 Ce que peut être prononcé [səkə] ou [skə].
17 Les 4 corpus consultés qui reflètent, nous l’avons dit, un français en usage dans les
années 2000, ne contiennent aucune occurrence de la séquence tu comprends ce que je
veux dire / vous comprenez ce que je veux dire. Il faut interroger le corpus ESLO1, dont
Je veux dire et t’sais (je) veux dire en français parlé 123
3.3.2. T
’sais veux dire2 : affirmation d’une intercompréhension sur la base d’un
savoir partagé
T’sais veux dire2 partage plusieurs propriétés avec t’sais veux dire1. Par
exemple, comme lui, il est figé sous cette forme (ex. : *vous savez veux dire)
et l’insertion du subordonnant ce que, sur le modèle de tu vois ce que je veux /
tu comprends ce que je veux dire, n’est pas naturelle. Une première différence
entre les deux emplois tient au fait que t’sais veux dire2, contrairement à
t’sais veux dire1, n’est pas associé à une intonation montante et qu’il n’ap-
pelle pas ouvertement une réaction de la part de l’interlocuteur. Sur le
plan distributionnel, il s’en suit que t’sais veux dire2 se trouve souvent à
l’intérieur du tour de parole du locuteur, comme en (18) et (19). Celui-ci
n’a pas à attendre une réaction de la part de l’autre pour se sentir conforté
dans son rôle de parleur18 .
les enregistrements ont été effectués dans la ville d’Orléans entre 1969 et 1974,
pour trouver 3 occurrences de cette séquence. Il se pourrait que l’expression soit
un peu vieillie.
18 Nous n’avons trouvé aucune attestation, dans nos corpus, des expressions tu vois
ce que je veux dire / tu comprends ce que je veux dire en parallèle à t’sais veux dire2, mais
Authier-Revuz, (2012 : 198–199) propose quelques exemples similaires avec (si) vous
voyez ce que je veux dire.
124 Gaétane Dostie
Il reste maintenant à établir quel est l’apport spécifique de t’sais veux dire2
dans l’interaction. Pour commencer, remarquons que t’sais et je veux dire
pourraient être utilisés l’un sans l’autre dans les contextes où t’sais veux
dire2 surgit. On le voit en (18) et (19). T’sais servirait alors à faire appel à
la compréhension de l’interlocuteur et le MD je veux dire aurait une portée
réflexive et explicative, conformément aux analyses proposées plus haut
(section 2). Cependant, malgré sa proximité avec ces deux marqueurs, la
séquence t’sais veux dire2 ne se résume pas à la somme des sens qu’ils ex-
priment sur une base individuelle, ni d’ailleurs au sens exprimé par t’sais
veux dire1, reformulé sous forme assertive. Certes, t’sais veux dire2 fait appel
à la compréhension de l’interlocuteur relativement à l’idée que le locuteur
cherche à exprimer, mais également, à la connivence – réelle ou feinte –
qui lierait ces interactants l’un à l’autre. Cette connivence vient de ce que
le locuteur impute à l’autre un savoir lui permettant de comprendre ce
qu’il cherche à dire, sans qu’il soit forcément nécessaire de tout expliciter.
De là, nous proposons pour t’sais (je) veux dire2, la glose approximative sui-
vante : ‘Étant donné le savoir général dont tu disposes, tu comprends cer-
tainement ce que je cherche à exprimer / l’idée que je cherche à énoncer’.
À titre illustratif, considérons le dialogue en (20). Dans cet exemple,
la locutrice M évoque l’époque où elle a quitté le giron familial : elle de-
vait veiller seule à la préparation de tous ses repas et elle est devenue
Je veux dire et t’sais (je) veux dire en français parlé 125
anémique. T’sais veux dire2 lui sert ici à affirmer que l’interlocutrice V com-
prendra certainement pourquoi son état de santé s’est alors dégradé. Pour
ce faire, cette dernière prendra appui sur l’information donnée dans le
segment textuel figurant à la droite du marqueur et sur les connaissances
générales du monde dont elle dispose. Ainsi, pour établir un lien entre,
d’un côté, être anémique et, de l’autre, manger un type de saucisse fumée
appelé pogo, il faut savoir ce qui suit : la pauvreté d’un tel régime alimen-
taire risque d’entraîner des carences nutritionnelles.
(20) M : t’sais quand j- quand [tu commences à être en appart là
V: [(elle hoche la tête affirmativement)
M : à un moment donné heille je faisais de l’anémie ma première année d’ap-
part là parce que: (rire) j’étais pas euh <all<t’sais je veux dire je mangeais
des pogos>> pis des moi j-je savais pas là t’sais dans le fond là à part des petits
plats genre pain de viande pâté chinois des affaires de même (.) chez nous
c’était pas la grande gastronomie là t’sais
(CFPQ, sous-corpus 10, segment 9, page 108, ligne 13)
4. Conclusion
Dans un deuxième temps, nous avons focalisé notre attention sur la sé-
quence t’sais (je) veux dire pour laquelle deux cas ont été distingués :
Références
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réflexives et non-coïncidences du dire, Limoges : Lambert Lucas.
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à-dire, enfin, hein, quand même, quoi et si vous voulez : une question d’iden-
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tadiscursives », in : Jacques Cosnier et Catherine Kerbrat-Orecchioni
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p. 167–198.
Dictionnaire du français plus (DFP), 1998, sous la direction de Claude Poirier,
avec le concours de Louis Mercier et Claude Verreault, Montréal :
Centre Éducatif et Culturel (CEC).
Dictionnaire québécois d’aujourd’hui (DQA), 1993, sous la direction de Jean-
Claude Boulanger, Jean-Yves Dugas et Bruno De Bessé, avec la col-
laboration de Jean Blouin, Dicorobert inc : Saint-Laurent.
Dostie, Gaétane et Suzanne de Sève, 1999, « Du savoir à la collaboration.
Étude pragma-sémantique et traitement lexicographique de t’sais »,
Revue de sémantique et pragmatique, 5, p. 111–138.
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Morgan (éds.), Syntax and semantics, vol. 3. Speech Acts, New York :
Academic Press, p. 187–210.
128 Gaétane Dostie
Corpus
1. Introduction
2. Cadre théorique
1 Pour un développement de cette approche, en lien direct avec cet article, cf. en
particulier A. Culioli et C. Normand (2005), S. De Vogüé (1999, 2006 et 2011),
J.-J. Franckel (2002), D. Paillard (2009).
Formes impératives de dire : disons, dis, dites et leurs variantes 133
Dire met en scène la production d’une forme verbale qui rend vi-
sible pour un sujet S une représentation non visible en elle-même.
R) est cela même que cette forme rend visible, et n’a aucun statut indépen-
damment de cette forme (que nous noterons f) : f n’est pas une « mise en
mots » de R. La représentation R (ce dont f est la forme) est invisible en soi,
dire ne la rend visible qu’à travers la forme que lui confère f. Dans la suite,
nous notons <f-R> la représentation R telle que la forme f la donne à voir.
Visible est pris comme un méta-terme3, que l’on peut mettre en re-
gard de la valeur que prend voir dans des emplois tels que vous voyez ou voyez
ponctuant un discours ou encore je vois ce que tu veux dire qui peut être glosé
(nous y reviendrons) par : je vois de quel invisible émerge ce que tu donnes à voir (ce
que tu en donnes à voir de façon imparfaitement complète et adéquate).
Les différents emplois du verbe correspondent à des pondérations
variables, soit sur la représentation (rendre visible signifiant alors rendre
cette représentation appropriable et partageable) ; soit sur le fait même de
rendre visible (rendre visible signifiant rendre public et manifeste).
Le sujet S correspond au complément attributif de dire, dont nous ver-
rons les enjeux de la présence ou de l’absence en fonction des types d’em-
plois. L’agent du verbe (Co) peut correspondre ou non à un sujet énonciateur
(So ) : Il m’a dit qu’il venait / quelque chose me dit qu’il va venir aujourd’hui ; Ça te dit
de venir faire un tour ? ; Voyons ce que dit le thermomètre ; Ce nom me dit quelque chose ;
Ça en dit long etc. S peut s’inscrire dans des rapports et des régimes d’altérité
variables à Co et So.
Le propre de dire est d’introduire une articulation visible / invisible,
ou non visible pour S. S’agissant de l’invisible d’une représentation qu’une
forme rend visible, dire met en jeu le visible dans ou relativement à l’in-
visible, l’invisible dans ou relativement au visible. C’est en raison de la
mise en jeu de cette articulation visible / invisible qu’une assertion intro-
duite par dire n’est jamais équivalente à l’assertion simple correspondante.
Comparer par exemple : voici ce qui s’est passé / je vais te dire ce qui s’est passé
(dévoilement).
3 Ce méta-terme fait écho à l’étymologie du verbe dire qui remonte à la racine in-
do-européenne deik, dik, renvoyant à l’acte de montrer, de désigner, de donner à
voir, d’attirer l’attention. Pour Levinas dans Le visage de l’autre, « l’acte de désigner
place les choses dans la perspective d’autrui ».
Formes impératives de dire : disons, dis, dites et leurs variantes 135
2.2.1.2.1. Passage de non visible d’une forme verbale pour S au visible de cette forme
pour S
Il s’agit de toutes les variantes, replis et strates des différents types de dis-
cours citationnels (directs ou rapportés). Invisible correspond ici à non visible
pour S. Dire marque l’actualisation pour S du visible d’une forme f dont la
représentation R lui est inhérente. La question de l’adéquation de la forme
à la représentation dont elle est la forme ne se pose pas (la représentation
R est inhérente à la forme f). Visible et non visible sont ici exclusifs l’un de
l’autre. Une pondération sur la mise en scène de la forme verbale apparaît
avec les exemples où dire se rapproche de proclamer, déclamer, clamer, proférer,
prononcer, articuler, citer, réciter, dénoncer, manifester quelque chose. Ex. Dire la messe ;
Dis merci ; C’est dit, tope là ! La mise en scène peut correspondre à des valeurs
de « théâtralisation » : Je vais le dire à maman que tu m’as frappé !
Pour ce qui est des formes impératives, relèvent de ce cas :
4 Un rapprochement de invisible avec indicible ne s’avère pertinent que dans les cas
particuliers où se trouve en jeu ce qui par l’intensité de sa beauté ou de son horreur
échappe à toute verbalisation.
Formes impératives de dire : disons, dis, dites et leurs variantes 137
5 On peut mettre cet emploi en parallèle avec l’empoi du mot forme je vois une forme
se détacher sur le mur, dont ce qu’elle représente ne correspond à rien d’autre qu’elle
même, se réduisant à sa seule manifestation.
138 Jean-Jacques Franckel
Nous insistons sur le fait que So et S1 représentent non pas des locu-
teurs physiquement distingués, mais des positions énonciatives. Ces positions
sont construites comme discontinues i.e. dans un rapport de démarcation
stricte. Cela signifie que pour une relation prédicative p associée à So, S1
correspond à un pôle d’altérité susceptible d’être associé à p’ excluant p (soit
non p, soit autre que p). L’avancée décisive de ce schéma est l’introduction
de la position S’o qui établit un rapport de continuité d’un côté à So, de l’autre
à S1, dans un rapport d’altérité non exclusif à chacun de ces pôles. S’o est à la
fois autre que So et que S1, et en même temps dans un rapport de continuité
à l’un et à l’autre, eux-mêmes dans un rapport d’altérité exclusive. S’o n’est en
aucune façon assimilable à une « tierce personne ». Il s’agit d’une zone fron-
tière, partagée, intermédiaire, charnière, de coexistence. Selon les modali-
tés mises en jeu dans les énoncés (différentes formes d’assertion, question,
exclamation, injonction, etc.), ces trois pôles sont activés de façon variable.
S o -->p p’
S1
Formes impératives de dire : disons, dis, dites et leurs variantes 139
S o -->p p’ (S)1
S’o
– Prenons le cas de Paul, par exemple. Par l’intermédiaire de S’o, S o est as-
socié à S1 a priori susceptible d’être partie prenante de l’actualisation
de p ( prendre Paul comme exemple) ;
– Voyons ! Cette forme se prête à deux interprétations :
a) Valeur de coopération dans le contexte où il s’agit par exemple
de prendre connaissance d’un document. La pondération est sur
S o, p’ est désactivé et S1 neutralisé ;
b) Faites attention, voyons ! La pondération est sur la relation S’o – S1.
On aurait de même Allons ! Pressons ! Dépêchons ! On notera la
différence avec dépêchons-nous où So et S1 se trouvent associés à
l’actualisation de p. Allons-y est compatible avec les deux inter-
prétations.
3. Données distributionnelles
– Dans Le plaisir du texte, vous dites que le plaisir est à droite. S’agit-il d’un
paradoxe, d’un clin d’œil au lecteur, ou d’une opinion profonde ?
– Non, c’est-à-dire j’ai pris, disons, ce que je croyais être l’opinion courante sur le
plaisir qui effectivement attribue plutôt au plaisir de la littérature, au plaisir du
texte disons une sorte de contexte disons en gros réactionnaire […] et ce que
j’ai voulu, c’est persuader disons les écrivains, les intellectuels et les chercheurs
disons en gros de gauche qu’ils devaient assumer la notion de plaisir dans la
théorie du texte.
Il vous a paru en bonne forme ? Disons qu’il était tout de même très éprouvé.
7 De ce point de vue, nous ne plaçons pas sur le même plan les exemples proposés
par J. Delahaie (op. cit, p. 42) dont nous reprenons la numérotation : (36)a La ruse,
disons mieux la perfidie, est la meilleure arme politique ; (36)b La ruse, disons plutôt la perfidie,
est la meilleure arme politique ; (36)c La ruse, disons le mot, la perfidie, est la meilleure arme
politique. De notre point de vue (36)c relève du cas analysé dans le § 2.2.1.2.1 (avec
une pondération sur la « mise en scène ») à la différence de (36) a et b qui relèvent
du présent cas, correspondant à la recherche du mot adéquat.
142 Jean-Jacques Franckel
4. Analyse sémantique
4.1. Disons
4.1.2. Sélection d’un élément dans une classe préconstruite. Pondération S’o- S1
Disons ajoute une précision à une forme préconstruite. Il y a pondéra-
tion sur la relation S’o-S1. C’est relativement à la prise en compte de S1
qu’est ajoutée une précision à l’énonciation qui précède, comme dans les
exemples (1) à (4) supra.
La pondération sur la relation S’o-S1 se traduit par le fait que la sé-
quence introduite par disons peut prendre ou tendre vers une intonation
interrogative, ou s’accompagner d’une séquence telle que si ça vous convient,
dans la recherche coopérative d’un affinement.
Dans le cas précédent, disons était en général compatible avec plutôt ; la
compatibilité qui se fait jour ici est avec par exemple : <f-R> prend le statut
d’élément sélectionné dans une classe parmi d’autres possibles, à titre,
d’exemple, d’illustration, de précision, de stabilisation.
<f-R> ne correspond plus comme précédemment à la construction
d’une valeur référentielle. Disons introduit la sélection d’un élément dans
une classe d’éléments préconstruite par un terme qui précède. Comparer :
On se voit demain 14h qui fixe la donnée du rendez vous et On se voit demain
disons à 14h qui dissocie demain et 14h : demain est pris comme ensemble
d’heures, ouvrant à un choix d’heures possibles. Ou encore : Vous voulez
laquelle ? – celle là qui marque qu’un choix est fixé et – Disons celle là qui
marque un choix ouvert et associant S1 à d’autres choix possibles. Ces
exemples marquent un effet de coopération liée à la neutralisation de la
discontinuité entre So et S1 : 14h ou celle-là est introduit comme relevant
Formes impératives de dire : disons, dis, dites et leurs variantes 145
Disons que vous vouliez la monter sur ce dispositif. Tout d’abord, dégagez le
boitier, puis montez-le sur l’autre branche…
4.2.1. Dis-moi
Il s’agit des emplois avec présence d’un complément attributif S (moi)
Dis moi place S1 en position de produire (ou non) une forme f.
Selon les cas, dire prend une valeur de dévoilement plus ou moins
saillante. Elle est neutre dans le cas de Dis moi ce que tu en penses ; Dis moi ce
qui s’est passé. Il s’agit d’une injonction ou invitation a priori neutre à dire ce
que tu en penses ou ce qui s’est passé. La mise en scène est en revanche
saillante, à divers titres dans les exemples suivants :
– Dis moi, tu le vois souvent, Paul ? Cette question n’est pas une simple
demande de réponse (comme elle se serait sans la présence de dis-moi).
148 Jean-Jacques Franckel
A travers non mais dites ! So marque que la forme f10 Ça va pas la tête ! est dé-
clenchée par le comportement de l’interlocuteur auquel renvoie S. Il s’agit
d’une pseudo-injonction à valeur d’interpellation, résultant du court-circui-
tage de la position S1. La position S1 correspondant au déclencheur de la
production d’une forme verbale f n’est prise en compte que pour la rame-
ner à celle de So qui produit f à la place de S1.
4.2.2.5. Synthèse
Dans les trois premiers cas supra, la forme impérative dis / dites est une
forme déclenchée : elle marque la production d’une forme correspondant à
une interpellation consécutive à ce déclenchement et présente trois carac-
téristiques :
– s’agissant de la mise en jeu du verbe dire, elle est essentiellement asso-
ciée à la production d’une forme verbale à la forme exclamative de la
plus neutre (eh ben dis donc, il y a du monde !) à la plus appuyée (non mais
dis, ça va pas la tête !) ;
– s’agissant de la mise en jeu de l’impératif, elle sollicite S1 comme sus-
ceptible d’actualiser ou non la production d’une forme verbale mar-
quée par dire ; mais en même temps, elle court-circuite S1 pour ce qui
est de cette latitude : So produit une forme verbale à sa place ;
– elle est déclenchée en réaction à un événement. Il peut s’agir d’un
événement lié à S1 : comportement (non mais dis donc, ça va pas la tête !)
ou d’une première séquence proférée par S1 (eh ben dis donc, il devait être
content !) ; d’un événement récent dont le souvenir se présente à So dis
donc (oh dis donc, tu sais pas qui j’ai vu hier) ; ou d’un événement externe
(eh ben dis donc, qu’est ce qu’il pleut !)
152 Jean-Jacques Franckel
4.2.2.6. Donc
Dans ces différents cas, la forme impérative de dire se trouve associée à donc.
Des trois types d’emploi de dis /dire, seul le troisième (Il a été reçu
premier ! – Eh bien dites moi ! Eh bien dites donc !) ne peut fonctionner sans
l’ajout de donc ou de moi. Dans les autres cas la forme simple est possible :
(non mais) dis (donc) tu pourrais pas faire attention ! Dis (donc), tu n’aurais pas vu
mes lunettes par hasard.
Le connecteur donc est le plus souvent décrit par le biais de la notion
problématique d’inférence ou de conséquence : dans le schéma X donc Y,
donc introduit Y comme conséquence de X, établit une inférence de X à Y.
Cette description est particulièrement problématique dans le cas des formes
exclamatives ( je suis désolé ! – Et moi, donc !) ou impératives. À la suite de A.
Culioli (1997) et D. Paillard et V.T. Ngan (2012) nous caractériserons donc de
la façon suivante : étant donné / dès lors que X, Y s’impose, va de soi (X étant
un terme ou une situation). Y est à la fois lié à X (donc est un connecteur et Y
ne s’impose qu’en référence à X) et en même temps acquiert son autonomie
par ce lien même. Dans les exemples analysés, donc marque que le surgisse-
ment interpellatif est immédiatement déclenché par la situation.
Conclusion
Références bibliographiques
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et non coïncidence du dire, Limoges : Lambert-Lucas.
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154 Jean-Jacques Franckel
Introduction
Cadre théorique
1. À qui le dis-tu
2 Nous avons également cherché dans des corpus oraux tels que Clapi, <http://
clapi.ish-lyon.cnrs.fr/>, ou le corpus de français parlé parisien, <http://cfpp2000.
univ-paris3.fr/>, mais nous n’avons pas trouvé d’occurrences.
À qui le dis-tu, c’est toi qui le dis, comme qui dirait : marqueurs d’un même groupe ? 157
(3) A (interlocuteur) : Quel boucan ont fait les voisins hier soir ! (X)
B (locuteur) : À qui le dis-tu ! Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit ! (Y)
158 Sonia Gómez-Jordana Ferary
Une autre propriété est que l’élément X introduit par l’interlocuteur est déjà
connu du locuteur du marqueur. Il s’agit d’un trait important du marqueur,
ce qui est reflété par le pronom le anaphorique, reprenant « Marie est une
vraie peau de vache ». Le locuteur sait déjà « le » parce qu’il l’a vécu lui-
même. À nouveau les adverbes en effet, effectivement décrits par Danjou-Flaux
(1980 : 113) partagent ce trait. Dans le cas du marqueur A qui le dis-tu, le
locuteur donne son accord à l’interlocuteur, mais de façon autonome dans
la mesure où lui-même connaissait déjà X, parce que lui-même l’a vécu. Ceci
peut être spécifié ou pas.
Dans l’occurrence suivante, le locuteur spécifie qu’il a vécu lui-
même X :
(8) Quel bel ensemble ! Voilà un mensonge bien agencé. Ça devient sérieux, d’au-
tant plus sérieux que j’ai surpris, à la brune, ce bout de dialogue entre les deux
garçons, derrière le tennis :
– mon vieux, il n’a pas arrêté de minuit à trois heures.
– à qui le dis-tu, mon petit ! De minuit à quatre heures, oui ! Je n’ai pas fermé
l’œil.
À qui le dis-tu, c’est toi qui le dis, comme qui dirait : marqueurs d’un même groupe ? 159
Il faisait : “pom… pom… pom…” comme ça, lentement… comme avec des
pieds nus, mais lourds, lourds…
COLETTE, La Maison de Claudine, 1922, p. 252
X est dans ce cas le segment énoncé par l’interlocuteur « Il n’a pas arrêté
de minuit à trois heures ». Le marqueur à qui le dis-tu marque que le fait
qu’il n’ait pas arrêté de minuit à trois heures est déjà connu du locuteur,
d’autant plus qu’il l’a vécu et qu’il n’a pas fermé l’œil de minuit à quatre
heures. Nous appellerons cette spécification Y.
En revanche dans cette autre occurrence, Y n’est pas spécifié :
(9) – Eh bien, ma fille, dis-lui qu’il aille à l’ambassade de Portugal, voir le comte
de Funcal, ton père, j’y serai.
– Et M. de Maulincour qui lui a parlé de Ferragus ? Mon Dieu, mon père,
tromper, tromper, quel supplice !
– À qui le dis-tu ? Mais encore quelques jours, et il n’existera pas un homme
qui puisse me démentir.
BALZAC Honoré de, Histoire des Treize, 1835, p. 877
A : – X.
B : – À qui le dis-tu ? (À qui dis-tu X ? À moi ? Tu ne devrais pas
me le dire puisque je sais déjà X. La preuve : Y explication).
Y est co-orienté avec X, avec plus de force que X. À qui le dis-tu marque
que Y est plus fort argumentativement que X.
A : – X. (orienté par exemple vers on va prendre des mesures envers les voisins)
B : – A qui le dis-tu ? Y.
162 Sonia Gómez-Jordana Ferary
par rapport à :
(17) A : J’adore le chinois !
B : ??À qui le dis-tu ! Ça fait à peine un an que je l’étudie et je peux déjà
maintenir une petite conversation.
qui lui est nettement plus difficile à accepter. Aussi bien X énoncé par
l’interlocuteur que Y énoncé par le locuteur du marqueur, dans – X. –
À qui le dis-tu ! Y, sont marqués axiologiquement et doivent véhiculer le
mécontentement de la part de l’interlocuteur et du locuteur. X et Y sont
toujours coorientés argumentativement.
À un niveau polyphonique, le locuteur, en employant cette locution,
donne son accord à l’interlocuteur, il est d’accord avec X, mais il va plus
loin dans le mécontentement. Il existe d’autres marqueurs similaires en
À qui le dis-tu, c’est toi qui le dis, comme qui dirait : marqueurs d’un même groupe ? 163
français qui feraient partie de la même famille que À qui le dis-tu. Ainsi, Tu
me dis ça à moi ? ou Tu peux le dire ! serviraient également à diriger un dis-
cours – marqué axiologiquement vers le mécontentement – vers la même
orientation que l’énoncé précédent de l’interlocuteur, mais avec plus de
force. Dans l’occurrence suivante, nous voyons que le marqueur Tu peux
le dire ! a un fonctionnement similaire à À qui le dis-tu ! Le chauffeur et la
cuisinière d’une maison critiquent leur patron :
(18) Le chauffeur
Pire, mon vieux, pire ! Ah ! ce qu’il a pu me faire poireauter jusqu’à des quatre
heures du matin devant des bistrots… Et au petit jour, quand tu étais gelé, ça
sortait de là congestionné, reniflant le vin à trois mètres, et ça venait vomir sur
les coussins de la voiture…Ah ! le salaud !
La cuisinière
Tu peux le dire… Combien de fois je me suis mis les mains dedans, moi qui
te parle ! Et ça avait dix-huit ans.
Anouilh, Le voyageur sans bagages, 1958, p. 36
Nous aurions très bien pu avoir À qui le dis-tu à la place de Tu peux le dire.
Il serait intéressant d’étudier les différences avec A qui le dis-tu et les placer
dans une échelle argumentative afin de vérifier la force de chacun de ces
marqueurs. La traduction espagnole est également digne d’intérêt dans ce
sens-là : Dímelo a mí / A mí me lo vas a decir / Y a mí que lo digas qui expriment
également le mécontentement du locuteur, coorienté avec l’énoncé de son
interlocuteur.
HARPAGON.
Je vous prends à partie, pour me payer dix mille écus qu’il m’a volés.
ANSELME.
Lui, vous avoir volé ?
HARPAGON.
Lui-même.
VALÈRE.
Qui vous dit cela ?
HARPAGON.
Maître Jacques.
VALÈRE.
C’est toi qui le dis ?
MAÎTRE JACQUES.
Vous voyez que je ne dis rien.
MOLIÈRE, L’Avare, 1669, p. 201
C’est toi qui le dis apparaît le plus souvent en situation dialogale à la suite
d’une intervention de l’interlocuteur, comme dans :
Nous nous trouvons face à une extraction par clivée mettant en relief le
pronom tonique toi, qui fait référence à cet interlocuteur et qui souligne
que c’est bien l’interlocuteur le responsable des propos X et non pas le
locuteur. Le pronom le reprend ces propos X. Ce marqueur ne peut pas
apparaître sous une forme interrogative puisqu’il perdrait son statut de
marqueur de mise à distance pour prendre un sens littéral, comme dans
l’exemple (19). Il peut apparaître en position absolue, comme dans :
(22) A : C’est la droite qui va l’emporter aux prochaines élections.
B : C’est toi qui le dis !
Le locuteur dit quelque chose comme Prends X à ton compte, moi je m’en
détache et je ne lui donne pas mon accord. En même temps, il ne s’agit pas d’une
réfutation catégorique. Si on pense en termes d’échelles argumentatives,
que tu dis exprimerait une réfutation plus forte que c’est toi qui le dis, comme
nous pouvons le voir dans cet exemple.
À qui le dis-tu, c’est toi qui le dis, comme qui dirait : marqueurs d’un même groupe ? 167
C’est toi qui le dis opère une mise à distance avec les paroles de l’interlocu-
teur sans exprimer une réfutation catégorique pour autant.
Parfois cette mise à distance et le désaccord du locuteur envers
l’énonciateur4, qui correspond dans ce cas à l’interlocuteur, est expliquée
à la suite du marqueur :
(30) VLADIMIR. – Je n’avais pas pensé à ça.
ESTRAGON (ayant trouvé). – Qui peut le plus peut le moins.
VLADIMIR. – Mais est-ce que je pèse plus lourd que toi ?
ESTRAGON. – C’est toi qui le dis. Moi je n’en sais rien. Il y a une chance
sur deux. Ou presque.
BECKETT Samuel, En attendant Godot, 1952, p. 27
4 Rappelons très brièvement que dans la théorie de la polyphonie telle que développée
par Ducrot (1984) ou Anscombre (1990), le locuteur est le responsable de l’énoncia-
tion, du dire. Quant à le ou les énonciateurs, « s’ils “parlent”, c’est seulement en ce
sens que l’énonciation est vue comme exprimant leur point de vue, leur position, leur
attitude, mais non pas au sens matériel du terme, leurs paroles ». (Ducrot 1984 : 204).
Le locuteur, comparé par Ducrot à un auteur de théâtre, met en scène un ou plusieurs
énonciateurs avec lesquels il peut s’identifier, auxquels il peut donner son accord –
sans s’identifier avec lui ou avec eux pour autant – ou dont il peut se distancier.
168 Sonia Gómez-Jordana Ferary
Moi je n’en sais rien vient expliquer pourquoi le locuteur ne peut pas donner
son accord à « je pèse plus lourd que toi ».
À un niveau argumentatif, il est intéressant de comparer les mar-
queurs À qui le dis-tu et C’est toi qui le dis. Comme nous l’avons vu, les deux
exigent un contexte antérieur et ne pourraient pas ouvrir un discours.
Tous les deux apparaissent également en situation dialogale. Cependant,
À qui le dis-tu est toujours coorienté avec le segment précédent de l’inter-
locuteur, alors que C’est toi qui le dis est anti-orienté avec le segment précé-
dent de l’interlocuteur. L’un sert à donner l’accord au segment X, orienté
avec plus de force vers une conclusion donnée – À qui le dis-tu –, l’autre –
C’est toi qui le dis – sert à réfuter ce que vient d’énoncer l’interlocuteur, sans
que cette réfutation soit aussi forte qu’avec d’autres marqueurs comme que
tu dis. À qui le dis-tu et C’est toi qui le dis sont deux marqueurs qui servent
à exprimer respectivement l’accord et le désaccord avec le segment anté-
rieur énoncé par l’interlocuteur.
Comme qui dirait est un marqueur figé de nos jours et présente le sujet qui,
équivalant sémantiquement à si on et qui fait allusion à un ON-énoncia-
teur5, à une communauté linguistique. Dans comme qui dirait Y, le temps
verbal est toujours le conditionnel, qui marque une distance avec ce qu’in-
troduit la locution. Dans,
(31) « – Engueulés ?
– Oui, enfin, j’ai l’impression. Diaz et lui, enfin, ils ont échangé comme qui
dirait des insultes. »
Manchette J.P., Nada, 1972, p. 140.
le conditionnel opère déjà une mise à distance avec Y – ils ont échangé des
insultes. Fuchs (2007) dans son étude sur comme qui dirait signale que le
verbe instaure une situation d’énonciation imaginaire et propose comme
paraphrase « quiconque dirait, s’il était à ma place d’énonciateur ». Nous
ajouterons, reprenant les termes d’Haillet (2002), qu’il s’agit dans les deux
cas, d’un conditionnel d’hypothèse où le point de vue est mis à distance et re-
présenté comme attribué à une instance distincte, imaginée. Remarquons
cependant que même si de nos jours le temps est figé dans la locution comme
qui dirait, en moyen français il y avait une alternance entre l’imparfait de
l’indicatif et le conditionnel du verbe dire : comme qui diroit, comme si l’on disoit6 .
Comme qui dirait avec son sens contemporain apparaît à partir de 1648.
Nous avons 239 occurrences à partir de cette date-là.
Dans le cas de comme qui dirait nous sommes face à deux mises à distance.
La première signale que la source7 de Y n’est pas le locuteur. Dans ce cas,
il s’agit de qui, que l’on peut paraphraser par si on 8. L’énonciateur de Y est
dans ces cas-là un ON anonyme, la voix collective d’une communauté
linguistique. Il y a une deuxième mise à distance dans le cas de comme qui
dirait. Le marqueur sert en plus à atténuer Y.
7 Rappelons que la notion de source est empruntée aux travaux sur la médiativité, où
sont étudiées les sources auxquelles renvoient les marqueurs.
8 Rappelons que le pronom relatif qui a eu comme valeur, jusqu’au XVIIème siècle
inclus, aussi bien celui qui que si on. C’est ce que l’on voit dans certains proverbes tels
que Tout vient à point qui sait attendre (équivalant à Tout vient à point si l’on sait attendre) et
auquel la préposition à a été ajoutée récemment. (Voir à ce sujet Anscombre 1994 :
96). Nous gardons des traces de cette valeur en si on du pronom relatif dans cer-
tains proverbes et dans certaines locutions, telles que Qui dit X, dit Y, par exemple
dans Qui dit Picasso, dit cubisme que l’on peut paraphraser par Si on dit/si on parle de
Picasso, on pense à cubisme. Voir Bertrand (2003) pour une étude diachronique du
pronom relatif.
À qui le dis-tu, c’est toi qui le dis, comme qui dirait : marqueurs d’un même groupe ? 171
Comme qui dirait peut être suivi de ce n’est pas marqueur X, c’est X tout court,
ce qui permet de mettre en relief les deux mises à distances opérées par
ce marqueur.
(47) – Lia est comme qui dirait le bras droit de Max.
– Ce n’est pas comme qui dirait le bras droit de Max, c’est le bras droit tout
court !
(48) – C’était comme qui dirait une dispute de politique.
– C’était pas comme qui dirait une dispute de politique, c’était une dispute
de politique tout court !
Comme le montrent ces exemples, comme qui dirait non seulement attribue
la source du segment p à un autre énonciateur, d’où son aspect médiatif,
mais atténue en plus le segment p, d’où son aspect modal.
Par ailleurs, comme qui dirait est commutable par en quelque sorte ou pour
ainsi dire qui viennent, comme notre marqueur, atténuer Y.
(49) Ça s’est passé comme qui dirait malgré moi
Anouilh, Le voyageur sans bagages, 1958, p. 63
Ça s’est passé en quelque sorte / pour ainsi dire malgré moi.
(50) Nous sommes comme qui dirait voisins.
Nous sommes voisins en quelque sorte / pour ainsi dire.
Dans les deux cas précédents, nous ne pouvions présenter une notice dia-
chronique étant donné que les marqueurs À qui le dis-tu et C’est toi qui le dis
ont une apparition relativement récente, au XIXème siècle. En revanche,
comme qui dirait se prête à une analyse diachronique que nous résumerons
très brièvement ici.
Il a connu les valeurs suivantes11 :
(55) – […] mais c’est des gens pas habitués au malheur, alors, ça y applique des
remèdes de bonne femme, comme qui dirait… et puis…
– et puis quoi, alors ?
GIONO Jean, Un de Baumugnes, 1929, p. 124–125.
Conclusion
Nous venons de passer en revue une série de marqueurs qui ont comme
points communs la présence du verbe dire et le pronom qui, interrogatif
et relatif. Il y aurait apparemment deux groupes si notre analyse part du
pronom qui :
Nous voyons grâce à cette analyse que les marqueurs en dire combinés au
pronom qui – interrogatif ou relatif – sont très productifs. Cependant, il ne
faut pas penser pour autant qu’ils ont un quelconque rapport et chacun des
marqueurs étudiés possède une signification bien précise qui se distingue
entre autres par son aspect polyphonique. Nous pourrions penser en re-
vanche à d’autres marqueurs qui pourraient faire partie de la famille de ceux
que nous venons d’étudier. Ainsi, à qui le dis-tu ? admettrait des gloses en je
le sais bien, je le sais bien d’autant plus que Y. Il pourrait faire partie de la même
famille que Tu peux le dire, Tu me dis ça à moi ? Le marqueur c’est toi qui le dis,
pourrait faire partie de la même famille que que tu dis, l’un exprimant une
réfutation plus catégorique (que tu dis). Comme qui dirait serait commutable
par pour ainsi dire et pourrait faire partie de la famille de comme dirait l’autre,
avec quelques différences sémantiques entre les deux, qui ont fait l’objet
d’un autre travail14.
Petit à petit, nous pouvons commencer à dresser un arbre généa-
logique des marqueurs en dire, qui nous permettra de créer différents
groupes de familles de marqueurs, ce qui sera d’une grande aide au niveau
des définitions et des commutations possibles, mais également au niveau
de la traduction des marqueurs dans d’autres langues.
14 Voir Gómez-Jordana et Anscombre (2015), Dire et ses marqueurs, Langue française 186.
178 Sonia Gómez-Jordana Ferary
Références bibliographiques
1. Introduction
Le but de cet article est l’analyse contrastive de soit dit en passant et soit
dit entre nous (SDEP et SDEN, respectivement, par la suite). Le choix de
ces deux locutions répond à une question formelle : elles présentent une
même structure de base constituée du verbe dire à la forme impérative
passive avec auxiliaire être [soit + dit]. Cette singularité morphosyntaxique
aura un effet de sens dans la manière d’opérer de ces deux expressions,
un effet qui concerne, d’un côté, l’absence de complément agent du passif
et, d’un autre côté, la valeur expressive directement associée à la forme
injonctive du verbe de base.
Ces données linguistiques nous amènent à penser que, dans les deux
cas, le passage de la phrase d’origine à l’expression figée serait susceptible
de déboucher sur un emploi énonciatif de SDEP et SDEN : ces deux ex-
pressions se comporteraient dès lors comme des marqueurs discursifs. En
effet, comme le montre le corpus d’étude, tant SDEP que SDEN accom-
pagnent, la plupart des cas, des énoncés qui incluent des traces de l’enga-
gement du locuteur dans son discours, comme c’est le cas des exemples
(1) et (2) ci-dessous :
(1) Il faut attendre le XXe siècle pour assister à la « résurrection d’Homère », selon
la belle expression de Bérard, un charmant Français, soit dit en passant (P. Sol-
lers, Le Coeur absolu, 1987).
(2) Pendant que je vous envoie ces lignes, la Princesse répondait à Mallefille dont
la lettre m’a paru (entre nous soit dit) bien singulière, pour ne pas dire d’avantage
(T. Marix-Spire, Les romantiques et la musique : le cas George Sand, 1804–1830, vol.
1, 1953).
2 Ainsi que ses variantes entre nous soit dit et entre nous.
3 Cf., Anscombre, 2005.
Soit dit en passant et soit dit entre nous : deux marqueurs d’attitude énonciative ? 183
Pour ce qui est de la locution SDEP, elle n’a pas fait l’objet – à notre
connaissance – d’une étude à part entière ; on trouve une seule mention
de SDEP dans Steuckardt (2005 : 51), qui la range parmi les « marqueurs de
glose » construits sur le verbe dire, et signale que, contrairement à d’autres
unités de ce même groupe (c’est-à-dire, autrement dit, etc.), SDEP « ne semble
pas participer d’un processus explicatif ».
Le but de cet article est de montrer que, malgré les similitudes for-
melles que présentent SDEP et SDEN, ils ne possèdent pas les mêmes
propriétés sémantico-pragmatiques, ni ne manifestent le même compor-
tement dans un contexte – et un cotexte – donné.
Le présent article sera donc axé sur deux questions :
a) Les locutions soit dit en passant (SDEP) et soit dit entre nous (SDEN)
sont-elles des marqueurs discursifs d’attitude ?
Et si tel est le cas :
b) Extraction en c’est…que
(7) Soit dit en passant, cela m’a pris trois bons quarts d’heures
*C’est soit dit en passant que cela m’a pris trois bons quarts d’heure
Je crois qu’il ne m’aime guère, soit dit entre nous
*C’est soit dit entre nous que je crois qu’il ne m’aime guère
(3a) Quelques voyageurs conseillent la visite de l’institut vétérinaire. Soit dit en pas-
sant [*En pasant], malgré des tempêtes de neige et de sable violentes mais inter-
mittentes, son climat est réputé clément.
Dans le cas de SDEN, en revanche, les trois formes de la locution soit dit
entre nous, entre nous soit dit et entre nous peuvent figurer dans un même en-
tourage discursif sans provoquer un changement de sens6 :
(4a) Ton défaut essentiel vient de ce que tu es un découvreur-né, disait-il. Entre nous
soit dit [Soit dit entre nous + Entre nous], heureusement que les gens comme ça sont
rares.
Or, il faut tout de même préciser que la forme parenthétique entre nous
paraît réfractaire à occuper la position finale d’une séquence, comme on
le voit sur les exemples (6a) et (9) ci-dessous :
(6a) le repas n’attendait qu’un signe de notre part pour bondir sur la table dressée,
une des choses dont nous étions les plus fiers, soit dit entre nous [entre nous soit dit
+ ??entre nous].
(9) Je crois qu’il ne m’aime guère, soit dit entre nous [entre nous soit dit + ??entre nous].
6 Nous traiteront ici les locutions soit dit entre nous, entre nous soit dit et entre nous comme
des synonymes et laisseront pour une autre occasion la question de l’évolution
d’une expression vers l’autre et du phénomène résultant de parenthétisation.
Soit dit en passant et soit dit entre nous : deux marqueurs d’attitude énonciative ? 187
SDEP n’apparaît jamais dans une relative restrictive. Elle figure en re-
vanche dans des relatives appositives (exemple 12) ou bien dans des rela-
tives semi-substantives mises en apposition (exemples 13) :
(12) Peut-être aussi est-ce la gouvernante qui l’a tué, et qui a imaginé tout le reste
avec la complicité de ce docteur Juard, dont la réputation – soit dit en passant –
n’est pas tellement bonne (A. Robbe-Grillet, Les Gommes, 1952).
(13) J’ai donc changé la roue, et parcouru au moins vingt kilomètres (ce qui, soit
dit en passant, m’a pris trois bons quarts d’heure !) avant de crever à nouveau
(L. Benjamin, L’Opéra du fond des mers, 1983).
Dans (14) la locution accompagne une restrictive mais d’un terme lui-
même apposé à un autre terme :
(14) Voici le cueilleur de cerises sur l’arbre, un métier, soit dit en passant, qui n’est pas
prêt d’être livré à la machine (G. Friedmann, Où va le travail humain ? 1950).
(16) J’ai chargé Péletier qui est à Londres – et qui, soit dit en passant, me coûte fort cher
en sucre et en café- (A. Césaire, La Tragédie du roi Christophe, 1970).
(17) En y réfléchissant bien, je sais aussi d’où me vient mon manque de sympathie
pour Blouse blanche, qui, soit dit en passant, est un très bon et même une crème de
vétérinaire (C. Guillebaud, Dernière caresse, 2009).
– Exclamatives directes :
(20) – Soit dit en passant : qu’il est beau notre vieux Paris rajeuni ! (Ch. De Gaulle,
Discours et messages 1962–1965, 1970).
– Exclamatives indirectes :
Soit dit en passant, je me demande comment vous faites avec ce clavier de ma-
(21)
chine à écrire allemande, il y manque toutes les touches des signes diacritiques
(A.-M. Garat, Dans la pente du toit, 1998).
Les prédicats savoir et être sûr sélectionnent une phrase déclarative, ils ac-
ceptent donc une subordonnée non factive, ce qui n’est pas le cas pour les
prédicats déplorer et regretter lesquels régissent des subordonnées exclama-
tives à contenu factif.
L’on constate que ce même critère vaut pour la locution SDEP : elle
accepte la présence d’un sujet au singulier (25a) ou au pluriel (25b) mais
supporte assez mal la présence de deux SN coordonnés par la conjonction
disjonctive ou. Comme le montre l’exemple (25c) le résultat de cette com-
binaison semble un peu bizarre :
(25a) […] Soit dit en passant, c’est Paul qui a gagné le concours
(25b) […] Soit dit en passant, ce sont Paul et Jean qui ont gagné le concours
(25c) […] ?Soit dit en passant, c’est Paul ou Jean qui a gagné le concours
Une autre propriété linguistique qui rapproche la locution SDEP des ex-
clamatives concerne l’existence d’une échelle pragmatique et la lecture
polarisée qui en résulte. Comme le signale Bosque (1984), « la lectura
exclamativa está obligatoriamente polarizada hacia uno de los extremos
de una escala pragmática » (p. 297).
Anscombre (2010 : 35), pour sa part, décrit les exclamatives en [Quel
+ SN !] comme mettant « en jeu une scalarité qu’elles présentent comme
préexistante », et ajoute : « elles n’assignent pas vraiment un degré, mais
qualifient une entité par référence à un parangon qui ne peut renvoyer à
un degré bas ou même moyen ».
Pour illustrer ces descriptions, observons les exemples (26 a et b) :
le locuteur de (26a) réfère par « le prix de l’appartement » soit à un prix trop
bas, soit à un prix trop élevé par rapport à la norme, mais jamais au prix
moyen. Le syntagme « le prix de l’appartement » de (26b) joue à la place d’une
phrase déclarative qu’on pourrait restituer sans problème à l’aide d’une
interrogative indirecte, elle accepte donc les trois enchaînements (a), (b) et
(c). Dans l’exemple (26a), en revanche, ce même syntagme joue à la place
d’une phrase exclamative en héritant ses traits sémantico-pragmatiques,
en particulier le fait d’induire une lecture « extrême » représentée par les
enchaînements (a) et (b) et non pas par la continuation (c).
192 Adelaida Hermoso Mellado-Damas
(26a) J’ai été frappée par le prix de l’appartement [(a) C’est trop cher + (b) C’est pas
mal du tout + (c) ?? C’est un prix normal].
(26b) On m’a communiqué le prix de l’appartement [(a) C’est trop cher + (b) C’est pas
mal du tout + (c) C’est un prix normal].
D’après ces critères on peut affirmer qu’il s’agit bien dans le cas de SDEN
d’un marqueur d’attitude énonciative. Voyons maintenant en quoi consiste
l’attitude énonciative véhiculée par SDEN.
(42) Aussi, je tiens à commencer par vous rassurer de suite, Polux va pour le mieux
et se porte très bien. Soit dit entre nous [Soit dit en passant], vous auriez pu trouver
un nom un peu moins con pour un castor, enfin…personne n’est parfait (S. Fatrov,
Dernier avertissement avant saisie ! 2013).
(43) Pendant que je vous envoie ces lignes, la Princesse répondait à Mallefille dont
la lettre m’a paru (entre nous soit dit [soit dit en passant]) bien singulière, pour ne pas
dire d’avantage (T. Marix-Spire, Les romantiques et la musique : le cas George Sand,
1804–1830, vol. 1, 1953).
Face à SDEP, la locution SDEN n’impose pas une lecture polarisée ; elle
autorise une interprétation neutre et littérale des contenus énoncés :
(45) On est allés à un bar près de chez moi où, soit dit entre nous, la bière coûte trois
euros [(a) c’est un prix scandaleux + (b) c’est un prix pas mal du tout + (c) c’est
un prix correct].
L’énoncé (45) accepte les trois types d’enchaînements (a), (b) et (c), ce qui
nous montre que la locution SDEN se comporterait comme un prédi-
cat déclaratif. Le locuteur de SDEN dans (45) est l’auteur responsable
de l’énoncé explicitement exprimé ; SDEN autorise une lecture neutre et
objective du SN de quantité « trois euros ».
Si la locution SDEN n’exprime pas une attitude exclamative, quelle
est donc la valeur sémantico-pragmatique qui lui est attachée ?
Comme nous l’avons déjà fait remarqué ci-dessus, le corpus objet
d’étude montre que le locuteur de SDEN émet un jugement de valeur
qui se traduit en une évaluation subjective sur un fait ou un événement.
Soit dit en passant et soit dit entre nous : deux marqueurs d’attitude énonciative ? 197
Dans (42) ci-dessus, par exemple, l’évaluation porte sur le fait d’appeler
un Castor « Polux » ; dans (46) ci-dessous c’est le fait que Zan fixe un ren-
dez-vous avec son ex-mari qui se voit critiqué :
(46) J’avais demandé à Zan de venir dîner ce soir mais elle a rendez-vous avec son
ex-mari, ce qui est une erreur entre nous soit dit. Il l’accuse d’avoir laissé son fils
(M. Higgins Clark, Quand reviendras-tu ? 2011).
En nous appuyant sur ces données, nous faisons l’hypothèse que SDEN
ouvre un espace polémique où placer deux points de vue dont les conte-
nus s’opposent. Observons à cet égard les exemples (48) et (49) :
(48) On dit que Paul est un bon chercheur. Soit dit entre nous, il est plutôt médiocre /
je ne partage pas ce point de vue
(49) On dit que Paul est un bon chercheur. ?Soit dit entre nous il est très bon / je
partage tout à fait ce point de vue
Pour que l’enchaînement dans (49) soit senti comme naturel, on doit ima-
giner un contexte, un peu forcé, où l’opinion selon laquelle « Paul est un
bon chercheur » serait en grande minorité par rapport à « Paul est un chercheur
médiocre ».
Ajoutons à cette explication que l’expression on dit que, dans une
structure du type [On dit que X], n’implique pas forcément que le locuteur
fait partie de la source énonciative de X10, ce qui autorise sa combinaison
pdv 1 attribué à d’autres, dont les contenus seraient « A a fait un grand effort »
et un pdv 2 sous-jacent à l’intervention de B, selon lequel « A n’a pas fait un
grand effort » ; franchement agit ici en tant que cadre polémique où insérer le
contenu « je te crois », ce qui pose problème.
Curieusement on constate que la substitution de l’adverbe à la locu-
tion dans les trois exemples (42), (50) et (51) commentés ci-dessus n’en-
traîne pas de changement de sens significatif. La présence de franchement
convient parfaitement :
(42a) Aussi, je tiens à commencer par vous rassurer de suite, Polux va pour le
mieux et se porte très bien. Soit dit entre nous [+ franchement], vous auriez pu
trouver un nom un peu moins con pour un castor, enfin…personne n’est
parfait.
(50a) Mais, entre nous soit dit [+ franchement], Ronny, si Faye était encore vivante, je
doute fort qu’elle apprécierait tes manœuvres.
(51a) – Ben, la conversion des yens vers l’euro ! s’indigne-t-elle. Ça prend du
temps, et entre nous [+ franchement], des budgets européens en yen, ça n’a pas
beaucoup de sens.
11 Rappelons que, pour Ducrot (1980 : 38), l’énonciateur serait « la personne à qui est
attribuée la responsabilité d’un acte illocutoire » et le destinataire « celle à qui cet acte
est censé s’adresser ».
12 Exemple emprunté à Nølke (1990 : 50).
Soit dit en passant et soit dit entre nous : deux marqueurs d’attitude énonciative ? 201
On s’aperçoit que la substitution de soit dit entre nous à soit dit en passant
s’avère impossible : l’instance de deuxième personne soulignée « tu » ne
réfère pas ici à l’interlocuteur du message mais au destinataire de celui-ci,
i.e. à la personne à laquelle est adressé l’acte illocutif de reproche émis par
l’auteur de (57).
Terminons par une dernière remarque sur SDEN qui va dans le
même sens. Comme on le voit sur les exemples (58) et (59), la présence de
comme tu sait résulte incompatible avec celle de SDEN.
13 Soulignons que c’est la présence du pronom de deuxième personne tu qui rend cette
séquence maladroite ; si on remplace tu par un pronom de troisième personne, la
phrase redevient grammaticale : « Entre nous, il / elle a refusé », ainsi que la phrase
d’énonciation correspondante « Je te dis qu’il / elle a refusé ».
202 Adelaida Hermoso Mellado-Damas
(58) (a) Soit dit entre nous [Soit dit en passant], ta femme te trompe
(b) *Entre nous [Soit dit en passant], comme tu sais, ta femme te trompe
(59) (a) Etre nous [Soit dit en passant], j’ai gagné à la loterie
(b) *Entre nous [Soit dit en passant], comme tu sais, j’ai gagné à la loterie
Comme tu sais convoque un pdv qui traduit un savoir partagé des interlo-
cuteurs et évoque ainsi l’instance de deuxième personne comme étant
co-responsable et donc destinataire du message communiqué.
L’auteur de [soit dit entre nous, P] s’adresse à l’interlocuteur de P et non
pas au destinataire du message communiqué dans P. La locution SDEN dé-
cide du statut discursif de la marque de deuxième personne contenue dans
l’énoncé qu’elle accompagne. Cette contrainte ne pèse pas sur l’expression
SDEP, sa cooccurrence avec comme tu sais ne posant aucun problème.
4. Conclusion
Notre étude a montré que SDEP et SDEN sont deux marqueurs d’atti-
tude énonciative : ils ouvrent un espace discursif à partir duquel inter-
préter l’énoncé proféré. La différence existant entre ces deux locutions
concerne le type d’attitude énonciative qu’elles aident à véhiculer.
La locution SDEN exprime une attitude polémique : le locuteur de
SDEN est l’auteur de l’énoncé explicitement proféré, celui-ci s’opposant
à un autre énoncé censé être prononcé avant. À ce trait sémantico-prag-
matique polémique viendrait s’ajouter un autre trait concernant le rôle
joué par les interlocuteurs du message proféré. D’après notre approche
polyphonique, SDEN ouvre un espace polémique où placer deux pdv qui
s’opposent : un pdv1 dont la source est le locuteur de l’énoncé et un pdv 2
qui serait attribué à d’autres et dont l’interlocuteur se verrait aussi exclu.
La locution SDEP, pour sa part, ouvre un espace où placer un énon-
cé exclamatif, explicite ou implicite, dont la source est le locuteur. Cette
propriété sémantique et pragmatique donne lieu à un enjeu polyphonique
complexe : SDEP convoque une voix ( pdv1) qui traduit un écart par rapport
Soit dit en passant et soit dit entre nous : deux marqueurs d’attitude énonciative ? 203
à une autre voix ( pdv2) qui représente la norme. Cet écart repose sur l’exis-
tence d’une échelle pragmatique à deux pôles bien éloignés.
L’étude présentée ici rend ainsi compte du caractère hétérogène de
la classe générale des marqueurs discursifs formés sur le verbe dire. L’ap-
plication de critères sémantiques et pragmatique pertinents s’avère, de ce
point de vue, nécessaire pour réussir une description complète et exhaus-
tive des unités qui l’intègrent.
Références bibliographiques
Introduction
Cadre théorique
1. Et dire que !
(3)a. [Les miracles] arrivent. Et dire que notre monde déchristianisé n[’y] croit
plus
208 Christiane Marque-Pucheu
(5)a.* Dire que le climat est bon (ce ne serait pas vrai / *Ø)
2 Je te raconte pas existe parallèlement à Je te dis pas, avec une valeur différente
(Marque-Pucheu 2015).
Entre syntaxe et interprétation de dire : les exclamatives et dire que ! 209
q est donné comme vrai ( je l’avais totalement oublié), mais en même temps
les locuteurs admettent que, habituellement, de p on infère ~q : on n’oublie
pas sa première peluche. Cette relation sous-jacente qui apparait dans des
phrases souvent associées à des stéréotypes renvoie à des croyances parta-
gées par les locuteurs d’une communauté linguistique ou à une croyance
vraie pour un locuteur particulier (Anscombre 2005). Décider s’il s’agit du
premier cas ou du second n’est pas toujours trivial. L’exemple :
(7) Et dire que quelqu’un est mort pour ce barrage à la con (<http://www.fran-
cetvinfo.fr/monde/environnement/barrage-de-sivens/sivens-et-dire-que-
quelqu-un-est-mort-pour-ce-barrage-a-la-con_730113.html>)
Au passé composé, Que n’a-t-on point dit ! est une variante soutenue de Que
n’a-t-on pas dit ! D’un style plus standard, (Qu’est-ce / Ce) qu’on n’a pas dit ! est
préférable avec complément. Au présent, au contraire, Qu’est-ce qu’on ne dit
pas ! est plus approprié (à la situation) que les formes Que ne dit-on pas /
point ! Ce temps est souvent associé à des stéréotypes avec, pour variante
de on, les gens. Le futur semble réservé à la forme en ce que : Ce qu’on ne dira
pas (si tu pars) ! Le registre peu soutenu de raconter6 explique l’absence d’oc-
currence avec que (Que n’a-t-on pas raconté !) dans Frantext, contre 15 pour
dire. Si ce corpus n’en comporte pas non plus avec qu’est-ce que, on ne saurait
exclure la variante plus standard Qu’est-ce qu’on ne raconte pas (sur les gens) !
(16) On dit (mais que n’a-t-on pas dit à son sujet !) que […] Louis XVIII […] lui
tint […] ce langage
(<http://www.talleyrand.org/politique/talleyrand_diable_d_homme.html>)
214 Christiane Marque-Pucheu
La source du pdv 1 est un ON-locuteur, les habitants, éclaté en les uns, d’autres,
certains, avec, en regard, les contenus correspondants : l’événement était
vrai ou non, Manuel avait rapporté les fièvres.
D’une manière générale, le pdv 2 a pour source le locuteur qui se dé-
marque du pdv 1 dont il ne prend pas en charge le contenu : il conteste le
(déjà) dit, ce qu’indique l’incrédule. Appliquons un critère testant l’absence
de prise en charge, le commentaire et j’en suis d’accord : *Que n’a-t-on pas dit, et
j’en suis d’accord. On contrastera ce cas où le locuteur est exclu de l’ensemble
du ON-locuteur avec ne dit-on pas. Dans (18) :
(18) Mais ne dit-on pas dans mon pays que lorsqu’on veut tuer son chien, on l’ac-
cuse de la rage ? [Et j’en suis d’accord] (Europarle)
Parfois, la divergence instaurée par Que n’a-t-on pas dit est confirmée dans
le cotexte droit – en (20) par Et si ce n’était pas là l’essentiel ? –, notée en
caractères gras :
(20) Que n’a-t-on pas dit sur cette société bourgeoise, hypocrite, pudibonde,
avare de ses plaisirs […] ? Que n’a-t-on pas dit sur le plus lourd héritage
qu’elle aurait reçu du christianisme – le sexe-péché ? […]
Entre syntaxe et interprétation de dire : les exclamatives et dire que ! 217
(22) Quand je le vois, tout effroi s’efface[…]. Que veux-tu que je te dise ? Je
l’aime ! (Sand 1864, Le Marquis de Villemer)
(23) vous savez que je n’ai aucun préjugé de races, […] mais enfin, que diable !
Quand on s’appelle le marquis De Saint-Loup, on n’est pas dreyfusard, que
voulez-vous que je vous dise ! (Proust 1920, À la recherche du temps perdu)
(24) Écoute, à la fin de la semaine, on saura s’il en sort ou – que veux-tu que je te
dise – ou s’il n’en sort pas (Chaix 1974, Les Lauriers du lac de Constance)
(30) L e moniteur. […] Quant à répondre à tes infâmes plaisanteries, que veux-
tu que je te dise, si ce n’est qu’on me fait beaucoup d’honneur. (Flaubert
1868, Correspondance)
L’exemple (25a) modifié par nos soins illustre un pdv 3 :
(25)a. Le visiteur –. Comme au cinéma où […] une fée remplit une pièce de fauteuils
et de plantes décoratives… Mais peut-être est-ce son métier : producteur, puis
se rappelant : « Non : promoteur, car pour ce qui est du mobilier… ». Il regarda
avec incrédulité son hôte, l’appartement vidé comme par un aspirateur géant ;
à mesure qu’il parlait, il expliquait la raison de sa visite (ce qu’il avait déjà fait
au téléphone, n’obtenant que des réponses évasives).
(32) Eh bien ! Que voulez-vous que je vous dise ? Il est trop tard. (Bernanos
1943, Monsieur Ouine)
une alternative (s’il en sort ou s’il n’en sort pas), qui met un terme à tout dire
supplémentaire (31), ou une incompréhension du locuteur (33) :
(33) Garcin. – Estelle ! […] est-ce que c’est vrai ?
Deuxième cas de figure : trois pdv sont en présence. Le marqueur est plus
fortement conclusif puisqu’il renchérit sur une précédente conclusion : le
destinataire sait déjà et, comme précédemment, l’agacement du locuteur
est explicité (28) ou implicite (25). En cas de pdv 3, le marqueur implique
donc qu’il n’y a rien d’autre à dire, et dans ce cas, le locuteur source du pdv 1
limite les justifications – déjà données –, ou esquisse une explication pour
clore l’échange, alors qu’en l’absence de pdv 3, il implique qu’il n’y a rien à
dire. L’implicite est donc attaché à un dit supplémentaire rarement dit ou
à un dit déjà connu du destinataire.
Notant un reproche implicite, le marqueur tient lieu d’explication,
confirmant l’inutilité d’explications en « plus » à donner « à des choses
qui s’expliquent d’elles-mêmes » (28). Explicite (de plus), le reproche est
généralement implicite, de plus ou d’autre n’étant pas exprimé. Alors que
la critique ne vise pas nécessairement un destinataire précis comme avec
Que n’a-t-on pas dit !, le reproche attaché à Qu’est-ce que tu veux que je te dise !
vise l’interlocuteur, marquant le dernier mot dans le dialogue.
Entre syntaxe et interprétation de dire : les exclamatives et dire que ! 223
Avec le marqueur en quand, à cette place, le pronom le est corrélé à que, an-
nonçant cataphoriquement la complétive complément du verbe en (36) :
(36) La nommée Delobelle est morte […]. Quand je vous le disais qu’elle ne
recommencerait plus. (Daudet 1874, Fromont jeune et Riesler aîné)
La place après p et la place absolue sont illustrées par une réplique dans
(37) :
(37) Rose. – Oh ! monsieur.
Amy Férat […] – Il est joliment bien, ton bonhomme.
Canilhac. – Quand je te le disais. (Daudet 1881, le Nabab en sept tableaux)
(38) […] toutes ces lumières […] qui dansent sur la mer… la voilà… […] c’est la
flotte… quand je vous le disais… (Daudet 1894, La petite paroisse)
224 Christiane Marque-Pucheu
ou en incise :
(40) « […] mon brave Valmajour, quand je vous le disais… Quel succès !… hein
? » criait Roumestan […] (Daudet 1881, Numa Roumestan)
(41) – Ça alors ! qu’est-ce que je vous disais… Quel succès !…
Comme avec Et dire que P, elle est facultative lorsque Quand je vous le disais !
correspond à un acte de langage (voir 3), contrairement à la séquence libre
où son omission est interdite :
(45) Quand je te le disais (,tu ricanais /* Ø).
Conclusion
Que ces marqueurs soient introductifs (Et dire que !), conclusifs (Qu’est-ce
que je vous disais !, Quand je vous le disais !), médians (Que n’a-t-on pas dit !),
et quelle que soit leur fonction discursive (contestation du dit, reproche,
conclusion), ils impliquent un non-dit. Leur sens se déduit pour certains
d’un complément réduit, mais aussi d’une mise en rapport avec des énon-
cés présents ou non (polyphonie). Car les marqueurs étudiés impliquent
un jeu de voix et l’absence de ces énoncés correspond souvent à une polé-
mique sous-jacente, mais perceptible dans l’exclamation.
Le non-dit peut revêtir divers aspects :
Entre syntaxe et interprétation de dire : les exclamatives et dire que ! 227
• il correspond à une vérité générale qui fait consensus (et dire que P), à
laquelle s’ajoute un sentiment ;
• un déjà dit n’est pas toujours répété et sa qualification est implicite,
puisqu’il est considéré comme « faux » (Que n’a-t-on pas dit !) ou « vrai »
(Quand je vous le disais !) ;
• il a une fonction conclusive (Qu’est-ce que tu veux que je te dise !).
Références bibliographiques
Corpus
Introduction
soit d’un emploi à l’intérieur de la séquence dis-moi donc, comme dans (3)
(3) Anselme : Di moy dont, que paieras tu a Dieu pour ton pechié ?
Boso : Je douray a Dieu penitance, contricion de cuer, humiliacion et absti-
nence et maintes manieres de labours de corps, misericorde en donnant
et pardonnant, et vraie obbeissance.
(Crapillet Pierre, Cur Deus homo de arrha animae, 1450, p. 196, livre I, chap. XVI).
4 Nos occurrences proviennent toutes de la base Frantext, et, pour la période 1400–
1500, de la base du Dictionnaire du Moyen Français – DMF (base textuelle initiale
consultée à partir de Frantext).
5 L’exemple (1) relève du moyen français, mais on peut trouver, sporadiquement,
des occurrences similaires dès l’ancien français : « Di moi, vassal, fait l’emperere, /
comment osa li fius ton pere / me honte querre et porcachier ? » (Gautier d’Arras,
Eracle, 1180, v. 4901-03).
Dis/dites-moi, dis/dites donc : la naissance de deux marqueurs discursifs en français 231
1. Cadre théorique
verbaux) : pour nos marqueurs, ce critère n’est en effet pas pertinent, dans
la mesure où la variation dis/dites reste toujours liée à la présence de tu ou
de vous dans le discours.
Etant donné que la pragmaticalisation est présentée comme un pro-
cessus graduel et progressif, on pourra poser l’hypothèse que nos deux
marqueurs discursifs sont susceptibles d’avoir différents emplois, témoi-
gnant d’un degré de pragmaticalisation plus ou moins avancé.
2. Données distributionnelles
Si l’on prend en compte les contextes plus larges dans lesquels s’inscrivent
les occurrences de « dis/dites-moi + interrogative », deux types d’emplois
peuvent être dégagés pour notre marqueur :
Dy moy, toy qui entends Latin, estoit il possible de bien traduire ce passage sans
(9)
une grande intelligence de Ciceron ? Or saiche donques qu’il est besoing et necessaire
à tout traducteur d’entendre parfaictement le sens de l’autheur, qu’il tourne d’une langue en
autre. Et sans cela, il ne peut traduire seurement et fidelement. (Dolet Estienne, La Ma-
niere de bien traduire d’une langue en aultre / D’advantage de la punctuation de la langue
francoyse / Plus des accents d’ycelle, 1540, p. 14)
(11) Comme elle achevoit ces mots, une belle dame est entrée. J’ai compris que c’étoit
Obscurophile. Laure l’a mise au fait en deux mots. – ah bon dieu ! (s’est écriée
la danseuse)… mais il faut faire pendre cet homme-là ! … dis donc l’amie ? Je ne
remettrai plus les pieds chez toi, je t’en avertis : s’il y venoit encore, je mourrois de peur :
fi donc ! Un assassin ! Mais c’est horrible ! (Rétif de la Bretonne Nicolas, Le
Paysan perverti ou les Dangers de la ville, 1776, p. 61, 7e partie)
(12) …mon ami, qu’est-ce que vous me prendrez pour me mener au pont-tour-
nant ? Mamselle, ce lui fis-je, vous êtes raisonnable. Oh, point-du-tout, ce
fit-elle, je veux faire marché. Eh bien, vous me donnerez vingt-quatre sols, la
pièce toute ronde… oui-dà, qu’ il est gentil avec ses vingt-quatre sols ! Il n’y
a qu’un pas. Je vous en donnerai douze : tenez, j’en mettrai quinze ; si vous
ne voulez pas, je prendrai une brouette… allons, mamselle, montez. Vous
donnerez de quoi boire… oh, pour cela non, ne vous y attendez pas : c’est
bien assez… eh mais ! Dites donc, l’homme, tirez vos vitres, il fait tout plein de
vent, (il ne souffloit pas) cela me défriseroit ; et ma tante croiroit que j’ai été
je ne sais où. (Caylus Anne-Claude de, Histoire de Monsieur Guillaume, cocher,
1737, p. 12)
Ces propriétés distributionnelles laissent déjà entrevoir que les trois em-
plois de dis/dites donc qui s’y rattachent correspondent à trois étapes dans
la pragmaticalisation du marqueur discursif : seul dis/dites donc 1 témoigne
du maintien du sémantisme premier de [dire], et si la fonction d’appel liée
à l’emploi de l’impératif reste pertinente dans dis/dites donc 2, elle semble
devenir secondaire dans dis/dites donc 3.
236 Evelyne Oppermann-Marsaux
3. Analyse sémantico-pragmatique
3.1. Dis/dites-moi
Pitavy (2005) qualifie dis moi dans cet emploi d’ « auxiliaire pragmatique
d’interrogation directe » : le marqueur discursif attire l’attention de l’al-
locutaire sur la question posée, l’invite à la prendre en compte et à y ré-
pondre.
Nous retenons cette interprétation quelles que soient les proprié-
tés de l’interrogative sur laquelle porte dis/dites moi1. Qu’il s’agisse d’une
question ouverte ou orientée vers une réponse attendue par le locuteur,
Dis/dites-moi, dis/dites donc : la naissance de deux marqueurs discursifs en français 237
celui-ci attend une réaction verbale de son allocutaire, qui doit « dire »
quelque chose. Les occurrences telles que (6) et (7),
(6) La femme : N’avés vous pas un bien parfaict amant ?
La seconde fille : Le plus parfaict dessoubz le firmament.
La femme : Il n’ayme rien plus que vous, dictes moy ?
La seconde fille : Madame, non : il tient ferme sa foy.
(Navarre Marguerite de, Comédie du parfait amant, 1549, scène 1)
Hé, dis-moi, elle ne demeureroit pas dans ce château que tu dis, où il y a un
(7)
soldat qui a une arbalète ? (Sedaine Michel-Jean, Richard Coeur de Lion, 1786,
acte 1, scène 1)
9 Dans cet emploi, l’énoncé introduit par le marqueur discursif comporte, malgré sa
forme interrogative, des propriétés de la phrase déclarative : nous relevons l’ordre
S – V dans (6) et (7) et l’emploi du conditionnel à valeur épistémique dans (7).
D’autres modalisateurs à valeur épistémique peuvent être présents, cf. « Dites-moi,
vous avez à Colmar garnison, que je croi ? (Collin d’Harleville, Le Vieux célibataire,
1792, acte 4, scène 11) ; « Dis-moi, la jolie Baron l’aînée, est sans doute endoctrinée par
toi ? » (Rétif de la Bretonne Nicolas, Le Paysan perverti ou les Dangers de la ville, 1776,
3e partie, p. 9–10). Mais, de par sa ponctuation, l’énoncé introduit par dis/dites-moi
n’est que très rarement déclaratif : « Hé, dis-moi un peu : il me semble avoir distingué
quelquefois ta Céphalide entre ses compagnes. – oui, mon père, on la distingue ai-
sément. » (Marmontel Jean-François, Contes moraux, t. 3, 1761, Les mariages samnites).
10 Il ne s’agit alors plus d’une demande de confirmation mais d’une véritable ques-
tion rhétorique, caractérisée par « l’inversion de polarité qui s’opère entre la forme
grammaticale de l’interrogation telle qu’elle est formulée et la proposition par la-
quelle on peut rendre compte du sens suggéré » (Borillo, 1981, p. 2) ; elle n’est
nullement employée « pour marquer un doute et provoquer une réponse mais pour
indiquer au contraire la plus grande persuasion et défier ceux à qui l’on parle de
pouvoir nier ou même répondre. » (ibid.).
238 Evelyne Oppermann-Marsaux
(5) Dom Juan, apercevant Charlotte : Ah ! ah ! d’où sort cette autre paysanne, Sgana-
relle ?
As-tu rien vu de plus joli ? et ne trouves-tu pas, dis-moi, que celle-ci vaut bien
l’autre ?
Sganarelle : Assurément. Autre pièce nouvelle. (Molière, Dom Juan, 1673, acte 2,
scène 2)
(15) Angélique : Dis-moi un peu, ne trouves-tu pas, comme moi, quelque chose du
Ciel, quelque effet du destin, dans l’aventure inopinée de notre connoissance ?
Toinette : Oui. (Molière, Le Malade imaginaire, 1673, acte 1, scène 4)
(16) Alain : Je m’en vais te bailler une comparaison,
Afin de concevoir la chose davantage.
Dis-moi, n’est-il pas vrai, quand tu tiens ton potage,
Que si quelque affamé venoit pour en manger,
Tu serois en colère, et voudrois le charger ?
Georgette : Oui, je comprends cela.
Alain : C’est justement tout comme :
La femme est en effet le potage de l’homme ;…
(Molière, L’École des femmes, 1663, acte 2, scène 3)
d’ailleurs pas toujours, on remarque en même temps qu’il ne lui pose plus
véritablement de question : il ne cherche plus à obtenir la validation d’une
hypothèse qu’il avance mais souhaite convaincre son allocutaire du bien-
fondé de ses actions et de ses opinions.
3.1.2. Dis/dites-moi2
A côté de ces emplois, on commence à rencontrer, à partir du milieu du
XVIe siècle, c’est-à-dire à une période qui marque le passage du moyen
français au français préclassique, des occurrences de « dis/dites-moi + inter-
rogative » dans lesquelles le locuteur ne laisse cette fois plus la possibilité
à son allocutaire de formuler une réponse verbale : la réponse souhaitée,
impliquée par l’interrogation (qui correspond, là encore, à une question
rhétorique), est alors exprimée, dans la suite du discours, par le locuteur
lui-même, comme nous l’avons déjà noté dans (9) :
Dy moy, toy qui entends Latin, estoit il possible de bien traduire ce passage sans
(9)
une grande intelligence de Ciceron ? Or saiche donques qu’il est besoing et necessaire
à tout traducteur d’entendre parfaictement le sens de l’autheur, qu’il tourne d’une langue en
autre. Et sans cela, il ne peut traduire seurement et fidelement. (Dolet Estienne, La
Maniere de bien traduire d’une langue en aultre / D’advantage de la punctuation de la langue
francoyse / Plus des accents d’ycelle, 1540, p. 14)
(21) Di-moi, mon enfant, l’âme a-t-elle un sexe ? En vérité, je ne le sens guère à la mienne.
(Rousseau Jean-Jacques, La Nouvelle Héloïse, 1761, 2de partie, p. 269–270)
11 Cf. « Dire, Se prend aussi quelquefois pour, Juger. Les avis sont si partagez sur cette affaire
qu’on n’en sçait que dire », Dictionnaire de l’Académie française, 1ère éd. 1694. – Le Dictionnaire
de la langue française (1872–77) d’E. Littré mentionne le sens de « juger, penser, être
tenté de croire », avec, entre autres les exemples « Qu’en dites-vous ? Que dira-t-on
de vous ? » (La Fontaine, Fab. VII, 7) et « Qui l’eût dit ? ».
Dis/dites-moi, dis/dites donc : la naissance de deux marqueurs discursifs en français 241
(10) J’aime ma fille, c’est mon unique héritière ; je veux faire son bonheur en la
donnant, non à un efféminé, mais à un honnête mari, qui l’aime de façon à la
préserver de l’envie, ou du besoin d’en aimer d’autres. Dis donc, est-ce qu’elle
ne te plaît pas ? – à moi, monsieur ? C’est une charmante demoiselle ! (Rétif de
la Bretonne Nicolas, La Vie de mon père, 1778, p. 35, livre 1er)
242 Evelyne Oppermann-Marsaux
Dans les deux cas de figure, dis/dites donc 1 appelle bien une réponse verbale
de la part de l’allocutaire, et une commutation avec dis/dites moi1 nous pa-
raît ici tout à fait envisageable.
Notons toutefois que, contrairement à dis/dites moi1, qui implique (ou
qui vise) une relation consensuelle entre les interlocuteurs, dis/dites donc 1 peut
traduire, avec l’énoncé qu’il accompagne, la surprise voire l’agacement du
locuteur face à un discours antérieur de son interlocuteur. Nous le voyons
dans (23), où la locutrice souligne d’ailleurs qu’elle est « bien ébahie ».
(23) Une autre [femme] : On ne vous prendra jamais pour un astre.
Lina : Tredame, ni vous non plus pour une étoile.
Une femme : Tenez, ce petit étourneau, avec son caquet.
Madame Sorbin : Ah ! pardi, me voilà bien ébahie ; eh ! dites donc, vous autres
pimbêches, est-ce que vous croyez être jolies ?
Une autre : Eh ! mais, si nous vous ressemblons, qu’est-il besoin de s’enlaidir ?
Par où s’y prendre ? (Marivaux, La Colonie, 1750, scène 9)
(12) …mon ami, qu’est-ce que vous me prendrez pour me mener au pont-tour-
nant ? Mamselle, ce lui fis-je, vous êtes raisonnable. Oh, point-du-tout, ce
fit-elle, je veux faire marché. Eh bien, vous me donnerez vingt-quatre sols, la
pièce toute ronde… oui-dà, qu’ il est gentil avec ses vingt-quatre sols ! Il n’y a
qu’un pas. Je vous en donnerai douze : tenez, j’en mettrai quinze ; si vous ne
voulez pas, je prendrai une brouette… allons, mamselle, montez. Vous don-
nerez de quoi boire… oh, pour cela non, ne vous y attendez pas : c’est bien
assez… eh mais ! Dites donc, l’homme, tirez vos vitres, il fait tout plein de vent, (il
ne souffloit pas) cela me défriseroit ; et ma tante croiroit que j’ai été je ne sais
où. (Caylus Anne-Claude de, Histoire de Monsieur Guillaume, cocher, 1737, p. 12)
(24) Suzon : À quelle heure que vous vienrez me prendre, pour que je me tienne
prête ? Janot : À huit heures. Mais, dites donc, faut pas aller avec ce guernadier de
l’aute jour. J’ai toujours peur qu’il me racole, avec ses crocs. C’est de la mauvaise
compagnie, ça ; et vous savez ben le proverbe : Dis-moi qui tu hantes, je te
dirai qui tu fréquentes… (Dorvigny, Les Battus paient l’amende, 1779, scène 5)
(25) Charle suivant des yeux sur l’arbre généalogique : Arrêtez donc un peu.
Je vois plus près, tout seul, Pierre Armand, un neveu :
Il exclut les cousins ; la chose paroît claire.
Le deuxième cousin : Embarrassé Oui ; mais… frère, dis donc…
Le grand cousin : Nous ne le craignons guère.
(Collin d’Harleville, Le Vieux célibataire, 1792, acte 2, scène 14)
(26) Enfin je me rends un samedi saint pour dîner. Ma chère tante m’annonce
qu’elle est forcée de sortir et qu’elle ne reviendra qu’à huit heures et demie ;
qu’une assemblée de charité, un sermon, une quête et toute la simagrée sont
pour elle d’une obligation indispensable (car, par contenance, la bonne dame
place l’ordre dans le temple de Dagon). Je peste, je me fâche… on se flatte d’
un jour de bonheur… on est cruellement abusé. – la bonne dame me console
avec attendrissement… eh bien ! Mon petit, ne te fâche pas ; je m arrangerai
pour souper avec toi, et puis…hein ? … dis donc, petit fripon ! … mais je ne
veux pas que tu sortes. Julie restera avec toi, et vous ferez de la musique…
(Mirabeau Honoré de, Le Libertin de qualité, ou Ma conversion, 1783, p. 33)
Conclusion
Références bibliographiques
1. Introduction
La parenté des formules réunies dans le titre de cette étude tient à leurs
effets d’intensification. Elles ont pour vocation commune de déterminer
le haut degré d’intensité de ce que représente le contenu d’un énoncé dont
elles modalisent l’énonciation. Ces formules n’ont de sens que si ce contenu
représente un état de chose graduel, dont elles déterminent le haut degré.
Ainsi les énoncés comme : C’est grand (ou petit), je vous dis pas ; C’est dire
si c’est beau ; Il n’y a pas à dire (ou Tu peux le dire), ça fait plaisir… sont gé-
néralement compatibles avec un adverbe du haut degré d’intensité comme
très, vraiment, énormément, mais pas avec un adverbe atténuateur comme assez,
plutôt, un peu. Sauf effet rhétorique de litote ironique sur l’atténuateur, les
constructions comme : Ça fait *assez plaisir, je vous dis pas ; C’est dire si
il est *plutôt grand ; Il n’y a pas à dire (ou Tu peux le dire), il a *un peu
bu… ne sont pas recevables. Que dis-je impose quant à lui un effet de reprise
autocorrective de haut degré (Que dis-je un peu ? Il a beaucoup bu ; Que
dis-je il est grand ? Il est immense). Les constructions inverses (Que dis-je
il est immense ? Il est *grand) ne seraient pas recevables.
Comme marqueurs discursifs (ou énonciatifs) du haut degré, les for-
mules en question interagissent, mais pour autant ne se confondent pas
avec les expressions d’intensité conceptuelle en quoi consistent les ad-
verbes comme très, vraiment, beaucoup, énormément, ou avec toute autre ex-
pression lexicale notamment adjectivale comme immense, énorme, minuscule,
250 Laurent Perrin
2. Cadre théorique
Pour ce faire, le cadre théorique élaboré s’appuiera sur ce qui oppose, selon
différents modèles linguistiques, deux dimensions complémentaires du
sens des énoncés, associées respectivement à ce qui par exemple est défini
comme procédural ou instructionnel (vs conceptuel ou vériconditionnel ), ou encore
à ce qui est parfois qualifié de modal (vs dictal ) au sens de Bally (1932), ou
sous un angle plus sémiotique, à ce qui est montré (vs dit) selon Wittgenstein
(1922) – repris par Ducrot (1984, 151), Kroning (1990, 2013), Nølke (1994,
114), entre autres –, plus techniquement à ce que nous définirons comme
indiciaire (vs symbolique) au sens de Peirce (1955). L’opposition peircienne
entre indice et symbole permet de rendre compte de ce qui caractérise les
expressions à sens montré que sont les formules énonciatives qui vont nous
intéresser, plus généralement de ce qui est énonciatif à l’intérieur du sens,
par opposition à ce qui est décrit symboliquement au plan du contenu
conceptuel ou propositionnel des énoncés.
J’ai tenté ailleurs de faire apparaître que le sens de certaines expres-
sions ne relève pas (ou pas exclusivement, selon les cas) de la fonction dite
symbolique du langage, attachée à un sens littéral dénotatif ou conceptuel
saisissable hors contexte, sans tenir compte de l’événement en quoi consiste
Des effets d’intensification attachés aux formules 251
1 L’interjection ouf ! comme formule de soulagement, par exemple, est issue d’un sou-
pir interprété comme l’indice contextuel d’un soulagement du locuteur. Au terme
252 Laurent Perrin
de la dérivation diachronique dont elle procède, l’interjection n’a plus besoin au-
jourd’hui d’être reconnue comme l’onomatopée d’un soupir associé à une inférence
contextuelle ; elle fonctionne directement comme l’indice conventionnel d’un sou-
lagement que manifeste le locuteur.
2 Certains parlent à ce sujet de pragmaticalisation.
Des effets d’intensification attachés aux formules 253
En tant que formule modale à effets énonciatifs simples, Je vous dis pas s’ar-
ticule à l’énonciation d’une séquence X prise comme un tout indépendant
(par opposition aux connecteurs abordés ultérieurement, impliquant une
relation X-Y entre au moins deux séquences discursives). Parmi d’autres
formules simples, assimilables à des indices du haut degré d’intensification,
généralement postposées à l’énonciation de X (comme Je vous dis que ça, C’est
moi qui vous le dis, etc.), Je vous dis pas (en gras dans nos exemples authentiques)
se caractérise en raison du fait qu’il peut soit préfacer l’énonciation de X (en
gras italiques), comme en (1) à (3) discutés ci-dessous, soit lui succéder pour
la qualifier rétroactivement, comme en (4) à (6) abordés ultérieurement.
Comme marqueur ou formule énonciative, Je vous dis pas ne consiste
pas (ou plus) aujourd’hui simplement à représenter un état de chose se-
lon lequel le locuteur n’exprime pas, n’énonce pas, n’affirme pas ce que
dénomme une séquence régie par le verbe dire. La formule en question
s’est peu à peu affaiblie conceptuellement, et syntaxiquement détachée
de son complément verbal, pour en venir à qualifier symptomatiquement
les effets d’intensification associés à l’énonciation d’une séquence X dans
sa portée. Il apparaît cependant que cette évolution n’est pas à ce jour
suffisamment aboutie pour avoir engendré une formule intégralement dé-
tachée de son sens descriptif originel. La difficulté consistera donc à faire
la part de ce qui oppose et à la fois de ce qui relie ces deux dimensions du
sens de Je vous dis pas, respectivement descriptive et énonciative, qui sont
comme les deux faces d’une seule et même formulation.
C’est en position de préface, et lorsqu’il modalise de surcroît l’énon-
ciation d’un syntagme nominal (SN), que le sens énonciatif de la formule
est sans doute le moins aisé à dissocier de ce qui est perçu intuitivement
comme son sens descriptif source. Dans le passage suivant, par exemple,
le sens énonciatif tient au fait que Je vous dis pas intensifie une évaluation
du prix dont il est question (susceptible d’être orientée vers le cher ou au
254 Laurent Perrin
Comme formule énonciative, Je vous dis pas n’a de sens que s’il modalise
une énonciation comme exprimant le haut degré d’évaluation quantitative
d’un état de chose mesurable comme le prix en (1), ou plus généralement
de ce que représente une expression qualifiante comme le bordel en (2) :
Je vous dis pas le bordel s’ils gagnent la finale. [<http://mousa.dcs.gla.ac.uk>]
(2)
Dans un cas comme dans l’autre, quel que soit le rôle éventuel de son sens
descriptif résiduel, la formule n’est alors interprétable que si elle modalise
le haut degré d’intensité associé à l’énonciation d’une expression à effets
qualifiants (vs classifiants). Un énoncé comme Je vous dis pas le vélo, ou
la maison, par exemple, ne peut être interprété que comme exprimant le
haut degré d’intensité de telle ou telle propriété d’un vélo ou d’une maison
dont il est question3.
Les effets énonciatifs indiciaires dont relèvent les propriétés in-
tensives de la formule peuvent être appréhendés à différents niveaux et
sous différents angles, par le biais de ce qui les oppose aux propriétés
strictement descriptives du verbe dire. Au plan de la cohérence discursive
d’abord, contrairement à ce qui semble être littéralement interprétable,
personne ne comprend que c’est de révéler le prix qui est présenté comme
indécent en (1). Et personne ne comprend que le locuteur s’engage à ne
pas ébruiter les débordements que pourraient provoquer la victoire dont
il est question en (2). Dans un cas comme dans l’autre, l’enchaînement
ne s’articule pas alors à un contenu descriptif selon lequel le locuteur ne
dit pas quelque chose, mais à une forme d’exclamation évaluative du haut
degré de cherté (ou au contraire de bon marché) en (1), de désordre en
(2), que détermine le simple fait d’énoncer l’expression le prix, ou le bordel.
3 Je vous dis pas la bécane ou la baraque seraient sans doute jugés plus naturels en
ce sens, compte tenu des connotations évaluatives attachées aux expressions dont
l’énonciation est alors modalisée.
Des effets d’intensification attachés aux formules 255
4 Contrairement à d’autres formules, comme Tu l’as dit, Tu parles, par exemple, dont le
sens indiciaire n’autorise pas les variantes : *Vous l’avez dit, *Vous parlez (Perrin 2014).
5 Par exemple, dans le cadre d’un énoncé comme C’était le prix, je dis pas, la formule
modalise un sens concessif tout à fait dépourvu d’effets intensifs (Perrin 2014).
6 Sur l’affaiblissement de la rection verbale et la notion de verbe parenthétique, se réfé-
rer à Blanche-Benveniste (1989). Voir aussi sur ce sujet Apothéloz (2003).
256 Laurent Perrin
Vue sous cet angle diachronique, la force intensive de Je vous dis pas dans
nos exemples (1) à (3) ne serait pas dérivée contextuellement d’une phrase
où le verbe dire aurait consisté simplement à régir un SN, mais de la ré-
duction d’une phrase plus complexe intégrant une subordonnée exclama-
tive de la forme Je vous dis pas comme le prix est indécent, à quel point c’était
le bordel, ce que c’était l’angoisse. De même en (4), Je vous dis pas serait issu
d’une construction de la forme Je vous dis pas si c’était la joie, combien c’était
passionnant, comment ça fait plaisir… Loin de contredire l’analyse qui vient
d’être formulée, relative à une figure de prétérition originelle, le procédé
tiendrait dès lors plus précisément d’une forme de litote associée à la re-
tenue du locuteur (au sens de Perrin 2015), face à l’énormité de ce dont
il cherche à rendre compte. De fait, en position de préface énonciative
comme en (1) à (3), Je vous dis pas semble aujourd’hui toujours compatible
avec une inférence du genre « Le locuteur n’ose dire le prix, car il est
trop élevé », « ne peut verbalement rendre justice au degré de bordel »,
« à l’angoisse abyssale ». Plutôt que d’un simple renoncement du locuteur à
représenter ce que dénomme un SN, Je vous dis pas serait aisni le fruit d’une
Des effets d’intensification attachés aux formules 259
4. C’est dire si
(8) [Selon l’AFP] le prince Georges « sera baptisé avec de l’eau du Jourdain – où Jésus a
été baptisé par Jean-Baptiste selon l’Evangile ». C’est dire si l’on prend les
choses au sérieux, à Buckingham. [<http://www.illustre.ch>]
lisateur. Pour rendre compte de cette dernière propriété, une autre piste
à explorer concerne la structure attributive c’est dire, qui semble avoir ins-
tauré à la base une équivalence (ou comparaison) non entre concepts en
l’occurrence (comme dans Partir, c’est mourir un peu), mais entre l’énoncia-
tion préalable d’une séquence X (à laquelle réfère métadiscursivement le
pronom démonstratif ce) et d’une propositions subordonnée Y (introduite
par la conjonction si). Ainsi la structure argumentative de la période [X.
C’est dire si Y ] serait l’héritière d’une comparaison propositionnelle épisté-
mique selon laquelle : Dire X, c’est dire si Y (Le fait de dire X revient/équivaut
à dire si Y ). D’autres formules plus ou moins figées (comme Ça veut dire
que, Autant dire que) peuvent sous cet angle être apparentées à C’est dire si.
Incontestablement moins figé, plus proche encore de leur sens descriptif
source, C’est dire que semble ainsi pouvoir leur être substitué la plupart
du temps en contexte, moyennant quelques nuances de sens d’un cas à
l’autre, tout comme inversement C’est dire si (ou Ça veut dire que, Autant dire
que) semblent pouvoir être substitués à C’est dire que, par exemple dans le
passage suivant (tiré d’un discours de Malraux à l’Assemblée) :
(10) Considérez les collections américaines. Il n’y en avait pas une, l’année dernière, qui,
après deux générations, n’ait pas été remise à un musée. C’est dire que, à l’heure ac-
tuelle, la notion de possession de l’objet d’art est en train de disparaître.
[Malraux, le 26/10/1961]
Autre fait remarquable en ce qui concerne cette formule, C’est dire si com-
porte certaines variantes dont on peut illustrer le fonctionnement par
simple suppression de la conclusion Y. Les séquences de la forme : Je
suis ancien combattant […] c’est dire ; Le prince sera baptisé à l’eau du Jourdain,
c’est tout dire ; Un paysan auvergnat ne reconnaît même pas un plant de frêne de
Normandie, ça veut tout dire, comportent certes un déficit d’information
par rapport à (7), (8), (9), mais restent interprétables en un sens analogue.
Avec C’est dire en particulier, seul le contenu de la conclusion Y fait défaut,
créant ainsi un effet de suspension de sens que l’interprète est mis en de-
meure de combler, mais sans neutraliser les effets d’intensification dont
bénéficie indirectement l’argument X. Le propre de C’est dire serait dès
lors de renforcer simplement, par le moyen d’une conclusion sous-enten-
due, un argument X antécédent. Deux sortes de situation semblent pou-
voir se présenter dans ces conditions. Soit le procédé consiste à placer le
destinataire devant une sorte d’énigme, de béance interprétative, suscep-
tible d’être comblée selon son inspiration, quitte à ignorer définitivement
à quelle conclusion effective le locuteur voulait en venir. Soit il consiste
simplement à réactiver, au titre de conclusion, un contenu préalablement
énoncé, comme c’est le cas en (11), un contenu du moins aisément déduc-
tible de ce qui a été dit :
(11) Ensuite, la situation des constructeurs, eh bien, elle est très difficile. On sait
même que Toyota va mal, c’est dire. [France Inter, « L’édito-éco », 30 mars 2009]
si peut simplement être rétabli par inversion dans ces conditions (On sait
même que Toyota va mal. C’est dire si la situation des constructeurs est difficile).
5. En guise de conclusion
Compte tenu du cheminement qui nous a conduit de Je vous dis pas à C’est
dire si, l’espace imparti aux contributions de ce recueil nous force à re-
voir à la baisse nos ambitions, qui étaient initialement de passer en revue
cinq différents marqueurs discursifs à effets d’intensification. L’objectif
était d’aborder l’intensification externe à l’expression propositionnelle sous
l’angle de ce qui oppose trois grandes sortes de formules énonciatives, en
quoi consistent respectivement les modalisateurs simples comme Je vous dis
pas, les connecteurs comme C’est dire si, Y’a pas à dire, Que dis-je, et enfin une
troisième catégorie de formules, dont relève en l’occurrence Tu peux le dire.
Les effets d’intensification attachés à cette dernière forme de marqueurs –
dont la fonction commune est de déterminer la structuration dialogique
des échanges de paroles (au sens de Roulet & al. 1985) – ayant été esquissés
dans Perrin (2014), il ne nous reste que le temps désormais de nous focali-
ser, en guise de conclusion de cette étude, sur les propriétés distribution-
nelles de Y’a pas à dire et Que dis-je, sous l’angle de ce qui les oppose à C’est
dire si, quitte à laisser en suspens les questions d’analyse qui s’y rapportent.
Souvent transcrite par la graphie Y’a pas à dire (pour figurer le registre
d’oralité dont elle est censée procéder), la formule en question est séman-
tiquement très proche de C’est dire si, puisqu’elle sert elle aussi à intensifier
une conclusion Y, pour agir indirectement sur la force d’un argument X.
A quelques nuances de sens près, Y’a pas à dire peut donc généralement
être substitué sans trop de perturbation à C’est dire si, par exemple dans
(7), (8) ou (9).
Des effets d’intensification attachés aux formules 265
Au plan distributionnel, Y’a pas à dire est néanmoins plus libre que
C’est dire si, ce qui rend la substitution inverse parfois plus ardue. Contrai-
rement à C’est dire si, Y’a pas à dire peut notamment être placé en incise, ou
postposé à la conclusion dont il modalise alors rétroactivement l’énoncia-
tion. Et par ailleurs il est fréquent que l’argument X ne précède pas, mais
succède à l’énonciation de la conclusion Y, ou même que cet argument
ne soit pas du tout énoncé explicitement. En (13) par exemple, le rôle de
l’argument X est assuré par une vidéo censée justifier le compliment dont
fait l’objet le Président Obama :
(13) Obama c’est un mec cool, y’a pas à dire… [ebeho.wordpress.com]
Avec C’est dire si, l’organisation de la période impose d’inverser l’ordre des
séquences, d’enchaîner l’énonciation de Y sur celle de X ( Jens Voigt a mis
un terme à sa carrière en établissant un nouveau record de l’heure. C’est dire s’il
a soigné sa sortie). Cette contrainte s’explique diachroniquement par
la structure d’équivalence dont procède C’est dire si, assortie de la visée
anaphorique du pronom démonstratif ce, qui impose d’avoir préalable-
ment explicité l’argument X. Et sans parler du fait que Y’a pas à dire, à la
différence de Je vous dis pas et de C’est dire si, ne consistait peut-être pas
initialement à régir un complément du verbe dire. La forme descriptive
source de Y’a pas à dire s’articule en outre à diverses propriétés relatives à
l’identité du dire dont il était question à la base, à la visée de la négation, à
la force directive de la formulation. S’agissait-il alors d’un refus d’enchérir
face à une évidence ? D’une forme de prétérition à effet de litote comme
Je vous dis pas ? S’agissait-il en revanche de récuser un contre-argument,
comme le laissent entrevoir certains exemples à effets adversatifs ? Autant
de questions que nous allons devoir laisser ici en suspens.
266 Laurent Perrin
Quant à ce qui oppose sémantiquement Y’a pas à dire à C’est dire si,
dont témoigne leur substitution par exemple en (14), nous allons là aussi
devoir nous contenter de formuler un peu brutalement une hypothèse
que nous n’aurons le loisir ni vraiment d’étayer ni de justifier dans cette
étude. Tandis que C’est dire si repose simplement sur la force d’un argu-
ment X présenté comme décisif en faveur de l’intensité conclusive de Y,
Y’a pas à dire renforce lui aussi la conclusion Y, mais en jouant cette fois
sur la prise en compte d’un argument supplémentaire, qui s’ajoute à une
liste préétablie, et présenté de surcroît comme impromptu dans l’esprit du
locuteur. Ainsi en (13) et (14), Y’a pas à dire ne renforce pas l’énonciation
de la conclusion Y par la seule force d’un argument X, mais par le fait que
ce dernier s’ajoute alors abruptement à un ensemble d’arguments sous-en-
tendus présentés comme déjà connus des interlocuteurs. Entre C’est dire si
et Y’a pas à dire, la différence ne tient ni à la nature de la relation X-Y, ni à
la force conclusive de Y, mais essentiellement à la prise en compte énon-
ciative de X, soit comme un argument décisif lié à une norme préétablie,
soit comme l’irruption d’un argument supplémentaire à effet confirmatif.
A l’inverse de Y’a pas à dire, Que dis-je ne renvoie pas à un registre d’oralité,
mais à un style élaboré et châtié propre à l’écrit. Et sémantiquement, Que
dis-je ne joue pas sur la force d’une conclusion Y relativement à un argu-
ment X, mais sur celle de la reformulation autocorrective d’un argument
trop faible. Sous un angle strictement distributionnel, Que dis-je s’inscrit
dans une période discursive de la forme [X. Que dis-je X ? Y ], sur le mo-
dèle du fameux vers de Rostand mémorisé par des générations d’écoliers :
(15) C’est un roc !… c’est un pic… c’est un cap ! Que dis-je, c’est un cap ? C’est une
péninsule ! [Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac]
ou sur celui du cri amoureux de Néron dans le vers racinien non moins
célèbre :
Références bibliographiques
Introduction1
Dans cet article, notre objectif est de présenter une étude détaillée de
trois locutions – si on peut dire, si je puis dire, si j’ose dire – telles que l’on les
trouve par exemple dans :
(1) Elle est née Louise Sergent, le 3 janvier 45 à Courville, près d’Envermeu,
Seine-Maritime. Comédienne, si on peut dire. Des petits rôles dans des ma-
chins intitulés Caresses Interdites, Comment Guérir un Homosexuel Sans
Vraiment se Fatiguer […] ( Jean-Patrick Manchette, Morgue pleine, 1973)
(2) Saint-Sulpice adopte les tableaux électroniques [Titre] Pour les enfants, qui
naissent si je puis dire avec une tablette, c’est un outil très intuitif. (24 heures,
<www.24heures.ch>, 24 aout 2015)
(3) J’ai une demi-compagne, si j’ose dire. C’est une femme que je connais depuis
une quinzaine d’années, on a beaucoup d’affection l’un pour l’autre. (L’illustré,
<www.illustre.ch>, 18 aout 2015)
À l’issue de cette analyse, nous devrons être en mesure de dire s’il s’agit,
soit de trois marqueurs différents, soit de variantes du même marqueur,
ainsi que la similitude de leur structure de surface le laisserait présumer.
Nous commencerons par poser quelques prémisses syntaxiques : nous
nous limitons à l’analyse des cas dans lesquels les locutions sont utilisées
Les relations entre les locutions-que et les marqueurs tels que nous les étu-
dions sont certes dignes d’intérêt mais par manque de place nous ne pour-
rons les développer ici.
Précisons également certaines données morphologiques y paradig-
matiques. Au niveau morphologique, les possibilités de variation sont très
restreintes : la variation en temps est impossible, et reste extrêmement li-
mitée quant à la personne. On trouve pourtant dans la presse (mais aucune
occurrence dans Linguee, une seule dans Frantext) quelques cas de si nous
pouvons dire2 qui seront traités en (3). La seule variation immédiatement en-
visageable est si l’on peut dire, l’emploi du déterminant devant le pronom ne
répondant à rien d’autre, ici comme ailleurs, qu’à une variante diaphasique :
une recherche sur le corpus littéraire de Frantext débouche sur 640 occur-
rences de si l’on peut dire contre 82 de si on peut dire, alors que, dans les archives
du Monde depuis 1987, on trouve 67 fois la séquence si on peut dire, mais
aucune de la variante en l’on. Toutefois, étant donné que cette variante n’a
pour corollaire aucun glissement d’aucune sorte (autre qu’en ce qui concerne
le registre de langue, donc) ni sur l’environnement de la lexie, ni sur sa
valeur sémantico-pragmatique, nous ferons dorénavant référence, par le
biais de l’item si on peut dire aux deux variantes en question.
Par ailleurs, une variation sur un axe paradigmatique débouche sur d’autres
locutions, telles que si je puis m’exprimer ainsi, si je puis me permettre ou encore
(x) si on peut appeler ça un (x). Nous ne préjugerons pas de leurs liens (ou de
l’absence de ces liens) avec celles que nous étudions ici, mais considérons
logique de les maintenir en dehors de cette étude sur les marqueurs en dire.
Les exemples attestés utilisés sont extraits pour la plupart de la base
Frantext, mais aussi de différents journaux (Google news) ainsi que de divers
blogs et sites sur Internet.
1. Cadre théorique
3 Avec l’inconvénient suivant : si je puis dire est incompatible (pour le moins, en syn-
chronie) avec un emploi comme protase, ce qui n’est pas le cas de si je peux dire ;
or, il est impossible, sur Google, que les résultats obtenus prennent en compte les
marques de ponctuation comme les virgules ou les points, ce qui rend impossible
le dénombrement précis des occurrences isolées de la locution. Mais le nombre de
718 est forcément supérieur, voire bien supérieur, à la réalité.
274 Laurence Rouanne
2. Si on peut dire
2.1. Distribution
(9) 20 septembre 1940, fin des vacances, si on peut dire ! Demain, au petit jour,
J. doit venir nous enlever nous et notre bazar. Cette dernière nuit à Vinerville
figurera dans nos souvenirs de guerre les plus tragiques. (Berthe Auroy, Jours de
guerre : Ma vie sous l’Occupation, 2008)
(11) […] vie moins effrénée et moins surchauffée que dans les grandes capitales où
la vitesse commerciale, si on peut dire, de la course à la mort devient trop ra-
pide pour ces névropathes qui succombent en masse. (Colette Fellous, Avenue
de France, 2001)
Modalisation et expression de la réserve : si on peut dire, si je puis dire, si j’ose dire 275
Cette séquence reste rare. En fait, cette position initiale est un leurre et n’a
jamais pour corollaire un emploi dans une phrase autonome, Si on peut dire
(y) reste dépendant syntaxiquement et sémantique du P(x) qui le précède.
Le même mécanisme se reproduit dans (e)
(18) I l parvient plus à se souvenir, voilà sur quoi il préfère glisser, en même
temps que lui revient brusquement à la mémoire le seul objet qui, si
l’on peut dire, meublait la pièce. ( Jean-Luc Benoziglio, La voix des
mauvais jours et des chagrins rentrés, 2004)
(19) […] en me tendant, par-dessus le bureau encombré de paperasses, le
manteau et, comme à regret, le curieux objet qu’il avait, si l’on peut
dire, dégainé et rengainé à plusieurs reprises, l’air de s’amuser. (Hector
Bianciotti, Le Pas si lent de l’amour, 1995)
ou être faite par le biais d’un adverbe ou d’une locution adverbiale, avec
ou sans copie pronominale :
Modalisation et expression de la réserve : si on peut dire, si je puis dire, si j’ose dire 277
Janus, un des plus anciens dieux romains, dieu des commencements et des
fins, des choix, du passage et des portes, est bifront : il est représenté par
deux visages, avec une face tournée vers le passé, l’autre sur l’avenir. Par
ailleurs, l’expression dos-à-dos s’applique, littéralement du moins, à la des-
cription d’êtres animés qui se présentent mutuellement leur dos (travailler
dos-à-dos, être assis dos-à-dos). Il est donc tout à fait inusité, et par là surpre-
nant, d’employer une expression comprenant le terme dos pour en réalité se
référer au crâne. L’association entre « deux têtes accolées » et « dos-à-dos »
est présentée par le locuteur comme étant risquée, hardie, car hors-norme.
(26) Quand j’étais à Bordeaux, il y avait une exposition en plein air avec des
œuvres de Jaume Plensa. Ma sculpture préférée était Marianna et Awilda,
une œuvre en acier de deux têtes face à face. (France Langue, <www.blog.
france-langue.fr>)
(26’) * Ma sculpture préférée était Marianna et Awilda, une œuvre en acier de deux
têtes face à face, si on peut dire.
Utiliser une expression comportant le terme face pour décrire les positions
respectives de deux têtes est logique, courant prévisible (912 occurrences
sur Google de « tètes face--à-face »). La non-recevabilité de (26’) démontre
que la formulation x doit être inusitée et surprenante pour pouvoir être
marquée par si on peut dire.
D’un point de vue argumentatif, si on peut dire1 est orienté vers on ne
peut pas dire : en effet les conditionnelles en si sont ce qu’il est convenu
Modalisation et expression de la réserve : si on peut dire, si je puis dire, si j’ose dire 279
d’appeler des contextes négatifs, ce qui fait de si on peut dire une locution à
polarité négative. Malgré cette orientation argumentative, de fait, le locu-
teur dit quand même, ose employer effectivement cette anti-collocation qu’il
reconnait comme telle : deux têtes accolées dos-à-dos, si on peut dire peut se gloser
par je sais qu’on ne peut pas dire « deux têtes accolées dos-à-dos » mais je le dis malgré
tout. En d’autres termes, l’emploi de si on peut dire permet au locuteur d’avoir
recours à une association atypique de deux termes, tout en marquant qu’il
est conscient de cette bizarrerie. Si on peut dire est fréquent dans le discours
littéraire car il permet d’introduire dans le discours une incohérence sé-
mantique, avec des effets de sens certains au niveau expressif.
2.2.4. Le rôle de on
Nous faisons l’hypothèse que le on de si on peut dire n’est plus une marque
fléchie de personne, mais représente une voix collective et anonyme, aux
282 Laurence Rouanne
limites floues : il s’agit d’un ON-locuteur (décrit par exemple dans Ans-
combre : 2005 et 2006). À l’appui de cette hypothèse, on constate que :
6 Cette analyse diffère de celle proposée dans Rouanne (2014). Nous avons, dans la
présente étude, modifié la représentation polyphonique proposée.
Modalisation et expression de la réserve : si on peut dire, si je puis dire, si j’ose dire 283
3. Si je puis dire
Rappelons tout d’abord que nous considèrerons si je peux dire comme une
variante diaphasique de si je puis dire. Aucune modification de sens ni
d’emploi ne les différencie (si ce n’est que si je puis dire bloque pratiquement
l’apparition d’une complétive7 ).
7 Sur la base Frantext, 0,25 % des occurrences de si je puis dire se réalisent sous la
forme si je puis dire que (1 cas parmi 400), contre 8,4% des occurrences en si je peux
dire que, par rapport à si je peux dire (8 cas parmi 95).
284 Laurence Rouanne
3.1. Distribution
(38) A 76 ans, je ne peux pas faire mieux, j’ai atteint mes limites de la rejuvénation,
si je puis dire. (Serge Doubrovsky, Un homme de passage, 2011)
(39) Georges pense en effet que le personnage, à la fin du film, a appris quelque
chose. Je pense au contraire qu’il a vécu une expérience « de moins », si
je peux dire : il ne pourra pas se référer à cette expérience, il ne peut que
s’engager dans la société, ou se suicider. Il revient au même point. (Georges
Perec, Entretiens et conférences I, 2003)
(1’) Elle est née Louise Sergent, le 3 janvier 45 à Courville, près d’Envermeu,
Seine-Maritime. Comédienne, si je puis dire. Des petits rôles dans des ma-
chins intitulés Caresses Interdites, Comment Guérir un Homosexuel
Sans Vraiment se Fatiguer.
La simple atténuation, la réserve véhiculée par si je puis dire est sans com-
mune mesure avec le contre-pied amené, sous (1), par si on peut dire, qui
est interprété dans le sens où il n’est franchement pas approprié de dire
qu’elle est comédienne (elle n’a joué que des petits rôles dans des films de
série Z). Contrepied rendu possible, répétons-le, par le fait que le locuteur
n’est pas la source du pdv sous-jacent.
Parmi les exemples cités précédemment, un certain nombre répondrait
au même schéma. La commutation serait possible, mais l’interprétation
substantiellement différente (exemples (9) à (12), (14) et (15)). En revanche,
la recevabilité pragmatique serait sérieusement remise en question sous (18),
(19), (27), (29) et (30), et (32)). La plupart des exemples de cette deuxième sé-
rie sont des extraits de journaux ou des séquences fortement marquées par
un discours fait à la non-personne, et sont donc difficilement compatibles
avec le je de si je puis dire.
À l’inverse, peu d’énoncés attestés en si je puis dire pourraient permu-
ter avec si on peut dire. Tel est le cas sous (8), ou encore sous (40) ou (41) :
(40) J’aimerais que ceux qui s’émeuvent le plus de cette situation fassent un petit
peu un bilan de conscience si je puis dire. (Le Lab politique, <www.lelab.
europe1.fr>, septembre 2015)
(41) Curieusement, Azaïs (autant que j’ai pu le voir dans la lecture partielle qui a été
la mienne) plonge toujours en surface, si je puis dire, dans les eaux de l’année
précédente, et non dix, vingt ou trente ans en arrière. (Philippe Lejeune, Signes
de vie, le pacte autobiographique 2, 2005)
8 Sur les modalités véhiculées par ce verbe, on pourra consulter Fuchs & Guimier
(1989).
288 Laurence Rouanne
4. Si j’ose dire
4.1. Distribution
Conclusion
(ainsi que si nous pouvons dire) est une variante de si j’ose dire et non pas de si
on peut dire.
Références bibliographiques
1. Introduction
« Mettre des on va dire partout, c’est surtout pratique pour meubler des
conversations. Et parfois, ça permet d’éviter des euh interminables ; mais
quand on veut dire quelque chose, on peut très bien le dire sans préciser
explicitement qu’on va le dire. Signalons encore la variante on va dire ça
comme ça »1. On va dire et ses « variantes » on va dire ça, on va dire ça comme ça ne
servent-il qu’à « meubler les conversations » ? Comme souvent, l’émergence
d’un nouveau marqueur discursif suscite l’agacement des chroniqueurs de
langue et l’intérêt des linguistes, qui ne manquent pas de débusquer dans
l’insupportable tic de langage de subtiles valeurs sémantico-pragmatiques.
Depuis 2010, quatre enquêtes linguistiques ont exploré l’installation de ce
nouveau venu dans la famille des marqueurs discursifs : deux se fondaient
exclusivement sur des corpus oraux (Lansari, 2010 ; Labeau 2012), deux
autres (Kuyumkuyan 2008 ; Steuckardt 2014) intégraient les usages écrits
(traditionnels et numériques). En nous appuyant sur ces premières enquêtes
et en les complétant par de nouvelles données2 , nous proposons de faire un
point d’étape sur l’usage actuel de on va dire et de ses variantes.
et 05/2015). Soit pour l’oral : 157 occurrences ; pour l’écrit numérique : 56 ; pour
l’écrit journalistique : 97. Ces corpus servent de base aux données statistiques ; on ne
s’interdit pas, pour l’analyse qualitative, d’utiliser d’autres sources documentaires.
À la recherche du consensus : on va dire, on va dire ça, on va dire ça comme ça 295
2. Cadre théorique
Notre analyse s’inscrit dans une conception sociale de la langue : elle part
de corpus authentiques, quantifie les occurrences et les appréhende dans
leurs conditions de production (notamment ici : oral/écrit). Les possibles
de langue sont actualisés par les usages attestés, dont la description requiert
une analyse syntaxique et sémantique de la séquence on va dire. Du point de
vue syntaxique, l’analyse de on va dire demande, à cause de la possible ab-
sence de complétive (2), de solliciter la notion de recteur faible3, construite
dans le cadre de la grammaire du français parlé (Blanche-Benveniste, 1989)
et précisée par Apothéloz (2003). Blanche-Benveniste définit les recteurs
faibles (e. g. je crois, je pense, je trouve) par deux propriétés : « (1) ils peuvent
régir une proposition complétive, (2) ils peuvent former une proposition
parenthétique de forme « clitique sujet (ou SN sujet + verbe » ou « verbe +
clitique sujet (ou SN sujet) », incise dans une proposition ou postposée à
celle-ci » (synthétisé par Apothéloz, 2003, 242). Nous montrerons que on va
dire peut être utilisé comme un recteur faible et qu’il possède les propriétés
morphosyntaxiques identifiées par Apothéloz (2003, 243–247).
Pour dégager la valeur sémantique particulière développée dans cet
emploi, nous partirons du concept de modalisation autonymique, élaboré
par Jacqueline Authier-Revuz : il permet de rendre compte du statut par-
ticulier que confère à un énoncé la présence d’un marqueur métalinguis-
tique. En (2) par exemple, un petit troquet de quartier apparaît d’abord, dans la
linéarité de l’écoute, employé en usage, mais la présence de on va dire amène
une réinterprétation du statut : le constituant un petit troquet de quartier est
alors aussi envisagé en tant que choix de dénomination. Sans se trouver
à proprement parler en emploi autonymique (comme il le serait dans on
appelle cela un troquet de quartier), il est placé sous modalisation autonymique.
L’interprétation sémantico-pragmatique de la modalisation opérée par on
va dire ou ses variantes sera déduite à la fois de la décomposition séman-
tique des marqueurs eux-mêmes et des emplois repérés en corpus.
On va dire est constitué d’un pronom et d’une forme verbale. Une première
distinction est entraînée par la référence du pronom : on distinguera on
excluant la 1ère personne vs on l’incluant. Dans cette seconde interpréta-
tion, on distinguera deux interprétations du futur périphrastique. Trois on
va dire peuvent ainsi être décrits.
Les propositions c’est nous les coupables, je suis sentimental ne sont pas prises
en charge par le locuteur : elles posent sur lui une prédication négative
à laquelle il ne saurait adhérer. La première, prononcée par un locuteur
musulman après les attentats contre Charlie Hebdo, est imputable à une
opinion commune aux relents d’extrême droite, la seconde, à des détrac-
teurs rappelant le Président vaincu à plus de retenue. Le pronom on pose
ici une instance énonciative distincte du locuteur.
(7) On l’a vu par ce qui a été dit, et on le verra encore par ce que l’on va dire.
(Esprit Jacques, La fausseté des vertus humaines, 1678, référence Frantext)
(8) « Je vais naturellement parler de la Syrie avec Vladimir Poutine, mais ce n’est
pas conseillé de communiquer avant ce qu’on va dire », esquivait-elle. (Sud
Ouest, « Le cas syrien divise », 31 mai 2012)
(9) On nous aurait accusés de plomber la campagne du second tour, mais à partir
de dimanche, on va dire ce qu’on pense », lâche une députée. (Aujourd’hui en
France, 26/03/2015)
(10) J’ai pas pu voir le powerpoint de si en entier car pb d’ordi mais ce que tu as
fait me semble pas mal après il reste à voir ce qu’on va dire oralement pour
l’accompagner. (SMS, 08/11/2011)
(11) Quand on retire une sonde gastrique à une vieille dame, on va dire que ce n’est
pas de l’euthanasie parce que la loi le permet. (Libération, 30/05/2015)
(12) Toi, tu diriges, mais ce sont bien les musiciens qui jouent ? Alors on va dire
que ce sont les musiciens qui travaillent et pas toi. (Le Figaro, 11/02/2012)
L’énonciation de p11 (ce n’est pas de l’euthanasie) et celle de p12 (ce sont les mu-
siciens qui travaillent et pas toi) sont-elles situées au-delà du hic et nunc de
l’énonciation ? Si oui, il devrait être possible d’ajouter des circonstants du
type plus tard pour le temps, sur la place publique pour l’espace :
(11’) On va dire plus tard/sur la place publique que ce n’est pas de l’euthanasie.
(12’) On va dire plus tard/sur la place publique que ce sont les musiciens qui tra-
vaillent et pas toi.
deviennent
(1’) j’ai perdu mais ce qu’on va dire, c’est que je ressors la tête haute
(13’) ce qu’on va dire, c’est qu’il courait pour attraper un cabri.
type je suis désespéré, conclusion que contrecarre mais je ressors la tête haute.
(1’), en mettant en relief on va dire, brouille l’enchaînement argumentatif et
rend problématique le sens de l’énoncé.
De même, la transformation négative concerne la complétive et non
son introducteur en (1) :
(1’’) j’ai gagné mais on ne va pas dire que je ressors la tête haute.
? (13’’’) – Si on nous demande comment c’est arrivé, qu’est-ce qu’on va dire ? Et
notre secret ?
– Eh bien il ne courait pas pour attraper un cabri [mais pour attraper un
lièvre].
(14) on va dire qu` tu la donnes au gardien/ (CLAPI, « Foot 2 joueurs Aix »,
30/10/2007)
antéposé est en tout cas plus conforme à l’idée que se fait le journaliste du
style écrit qui doit être le sien.
La postposition d’un on va dire à portée propositionnelle est possible,
et à peu près également représentée dans les trois types des corpus :
(16) Bah…c’est compliqué…, j’évite de trop reflechir on va dire. (Corpus 88milSMS,
27/09/2011)
Dans le corpus POLOP, deux tweets prennent la forme oui on va dire ça.
Plutôt que le pronom personnel le, c’est le pronom démonstratif ça qui est
utilisé pour opérer l’anaphore. La préférence pour cette forme caractéris-
tique de l’oral familier signale un ancrage du marqueur on va dire dans ce
registre.
Les recteurs faibles du type je crois, je pense, mais aussi il faut dire, je veux
dire, devenus marqueurs discursifs, peuvent réinvestir la position objet par
un pronom anaphorique, pour signaler une insistance sur le marquage ; il en
va de même de on va dire, à la préférence près pour l’anaphorique familier ça.
L’insistance de la comparative comme ça, où ça ne fait que réitérer l’anaphore,
apparaît comme une redondance, qui a pu être mise en œuvre, dans l’his-
toire du français, avec d’autres marqueurs en dire : dans un registre soutenu,
À la recherche du consensus : on va dire, on va dire ça, on va dire ça comme ça 303
Vaugelas relève par exemple s’il le faut ainsi dire, où le pronom le et l’adverbe
ainsi opèrent le même type d’anaphore redoublée (Steuckardt, 2015).
Le choix entre on va dire et on va dire ça comme ça semble tenir non seu-
lement à des motivations d’insistance, mais aussi au support du discours :
dans nos corpus d’étude, la forme on va dire ça est spécifique des tweets,
propices à une certaine concision.
Le fonctionnement anaphorique induit une situation préférentielle en
postposition, avec une portée propositionnelle (3), ou infraproposition-
nelle (4). Cependant, l’antéposition, avec un fonctionnement cataphorique
du démonstratif, reste possible, que la cataphore concerne une structure
propositionnelle, voire suprapropositionnelle, comme :
(18) On va dire ça comme ça : à la CCFL, on a la chance de pouvoir mener les
projets qu’on veut mener. (La Voix du Nord, 18/01/2014)
ou infrapropositionnelle, comme :
(19) oui, on va dire ça, tonique. y avait aussi abject ou honteux. (Corpus POLOP,
05/2012)
4. Analyse sémantico-pragmatique
Mourad Boudaoud, patron du restaurant Sidi Rached, rue Myrha, a le même ré-
flexe : « Ça recommence ! Les gens diront que c’est nous les coupables. »
le futur je dirai situe la profération de l’énoncé c’était un café tabac un petit petit
euh un petit troquet de quartier au-delà du moment de l’énonciation ; il s’agit
d’une mise en scène énonciative, puisque le locuteur vient en réalité de
proférer cet énoncé. On va dire, de même que je dirai et je vais dire, ne pose
pas explicitement la réalisation de l’acte déclaratif : il envisage le moment
où cet acte n’est pas encore réalisé. Des indices de temporisation (points
de suspension (16), euh (23), reformulation (2)) soulignent l’arrêt sur cet
instant. Placé à l’orée de l’à-dire, le locuteur a choisi un énoncé possible,
mais qui aurait pu être autre. Cette saisie du procès déclaratif permet d’en
signaler l’arbitraire.
306 Agnès Steuckardt
4.2.2. Valeur de on
Dans on va dire, le pronom on associe dans l’acte de formulation la 1ère et la
2e personne de l’interlocution : forçant la participation de l’interlocuteur,
il se rapproche de disons, qui, par la personne 4, associe l’interlocuteur à
l’acte déclaratif. La comparaison entre disons et on va dire met en évidence
l’importance du registre spécifique à on va dire. Dans :
C’était un café tabac un petit petit euh un petit troquet de quartier disons
(25) Par rapport à certains sports, on va dire qu’ils mouillent le maillot. (Midi libre,
25/05/2015)
(26) C’est bien de se dépuceler aujourd’hui, on va dire ça comme ça. (AFP Infos
Françaises, 02/10/2014).
8 Le verbe aller est fortement sollicité dans cette marche vers le consensus, où locu-
teur et interlocuteur sont invités à faire chacun un bout de chemin dans la négocia-
tion du dire.
308 Agnès Steuckardt
5. Notice diachronique
(32) J’attends qu’on me va dire : jusque-là vous avez toujours disputé, mais vous
n’avez rien résolu. (Vaugelas (trad.), Histoire d’Alexandre le Grand, Paris, Tous-
saint, 1646, 758)
Références bibliographiques
Introduction
1. Cadre théorique
3’) Le château d’Hiroshima a eu moins de chance. Il se trouve à moins d’un kilo-
mètre de ground zéro et il a été entièrement rasé, soufflé comme dans l’histoire
des trois petits cochons. (*tu vois / *vous voyez) Je l’avais bien dit, les mai-
sons en bois ce n’est pas assez résistant.
2.1.2. Position
Quelle est la situation de je te/vous l’avais bien dit dans le discours, et plus
exactement par rapport à p, qui correspond à un contenu que le locuteur
dit avoir tenu ? Deux cas sont à envisager :
a.– Je te/vous l’avais bien dit est autonome, il peut alors se placer en incise
aussi bien devant que derrière p :
4) Nous avons repris le bus. Toujours aussi peu de voyageurs. Nous avons revu le
char des soldats canadiens Laigle et Legrand, en arrêt, surveillant le trafic. Laigle
m’a fait un signe amical. Comme pour me dire : « Je vous l’avais bien dit, hein ?
Elle est belle, la route. » À quelques kilomètres de l’arrivée, une bande de lycéens
est montée. Chahuteurs et insouciants, les baskets sur les banquettes.
(Maspero, F. (2002) : Les abeilles et la guêpe, Éditions du Seuil p. 165)
Polyphonie et/ou médiativité 319
5) Nous étions heureux ainsi, je te l’avais bien dit, pourquoi t’étonner que je
refuse lorsque tu me proposes de changer ?
(Gide, A. (1909) : La Porte étroite, pp. 525–526)
8) Nous sommes à nouveau dans la petite pièce du fond… *Maurice est rouge de
colère : je vous l’avais dit, je vous l’avais bien dit qu’il fallait le descendre ! …
vous êtes tous là : il est fils unique, sa mère n’a que lui ! …
(Triolet, E. (1945) : Le Premier accroc coûte deux cents francs, pp. 373–374.)
9) Ce qu’elle appelait « mon idylle » l’excitait au moins autant que les événements
du 8 février.
Je vous l’avais bien dit, répétait-elle à chaque dîner, que cette affaire Stavisky
amènerait un coup de balai général. Les braves gens !…
(Bazin, H. (1950) : La Mort du petit cheval, pp. 89–91)
10) Frères, bonnetiers en gros. Mariette a téléphoné. Je trouve la belle-mère en
train d’engueuler fermement le beau-père :
Je te l’avais bien dit que, dans l’état des filles, on ne pouvait pas s’éloigner !
(Bazin, H. (1967) : Le Matrimoine, pp. 115–116)
320 Didier Tejedor
(13’) Ce sont les gauchos, j’en suis certain. Ne chantons pas trop tôt victoire. * Je
ne vous l’avais pas bien dit, hein !
l’avais-je pas bien dit, que vous exposiez votre vie par votre obstination à ne
vouloir pas que je vous accompagnasse ?
(Les mille et une nuits, T1, Édition du groupe « Ebooks libres et gratuits »,
p. 492–493, <http://www.crdp-strasbourg.fr/je_lis_libre/livres/Anonyme_
LesMilleEtUneNuits1.pdf>)
Pour résumer l’approche générale que nous adoptons, nous dirons que
dans la théorie polyphonique à laquelle nous avons recours, nous essayons
de rendre compte des observables, i.e. des énoncés, au moyen d’une or-
ganisation abstraite d’entités abstraites qui correspond à la structure pro-
fonde. La thèse étant qu’au niveau de surface, il n’y a ni énonciateurs,
ni points de vue, mais simplement des voix, niveau auquel on ne peut
expliquer directement le jeu des voix. La solution consiste à construire ce
système abstrait constitué d’entités abstraites (les fameux points de vue)
auxquelles on applique une série de règles aboutissant à un résultat dont
l’interprétation est censée dévoiler le sens de la structure de surface. En
d’autres termes, et dans le cas qui nous occupe, que cherche le locuteur
en utilisant ce marqueur ? Il nous semble que c’est fondamentalement une
question d’ethos : le locuteur prétend donner une image le valorisant aux
yeux de son interlocuteur.
Polyphonie et/ou médiativité 323
1 Pour une description de la construction d’un ethos positif dans le cadre de l’auto-
critique, voir Tejedor (2006).
324 Didier Tejedor
23) Je vous l’avais bien dit que Pierre viendrait. * Mais je ne l’ai pas vu de la soirée
/ pourtant je ne l’ai pas vu de la soirée.
Nous observons dans notre corpus que je te/vous dirais bien et je te/vous
dirais que apparaissent en emploi dialogal comme en 24) et 25). Ces struc-
tures manifestent systématiquement un échange entre un locuteur – re-
présenté par je – et son interlocuteur qui s’inscrit dans l’énoncé avec les
noms personnels te ou vous – l’utilisation du second étant plus fréquente.
24) Adieu, mon petit, je vous dirais bien d’entrer avec nous pendant que nous
essaierons, pour vous amuser. Mais nous causerions, il va être minuit et il faut
que nous n’arrivions pas en retard pour que la fête soit complète.
(Proust, M. (1921) Sodome et Gomorrhe, p. 262)
328 Didier Tejedor
25) – Écoute, Landry, lui dit-elle de sa voix douce et flatteuse, si j’étais belle, je
te dirais que ce n’est le lieu ni l’heure de s’embrasser comme en cachette.
(Sand, G. (1849) La petite Fadette, p. 155–156)
30) Je te dirais bien que ton Gabriel t’adore ; mais ce n’est pas une nouvelle.
Je te dirais bien encore que ton Gabriel t’adore, si c’était une nouvelle ; mais ce
n’est pas une nouvelle.
Polyphonie et/ou médiativité 329
3.1.1. Position
L’autonomie et la position en incise ne sont pas compatibles avec ces
formes. Dans notre corpus, je te/vous dirais bien et je te/vous dirais que se
situent toujours devant un p qui correspond à un syntagme nominal com-
plément d’objet direct, ou à une complétive :
31) – Moi, Monsieur le curé, je ne peux pas croire des histoires pareilles ! Si
c’était vrai, je vous dirais que le Bon Dieu, il a raté son coup en créant un
premier homme et une première femme aussi bêtes !
(L’Hôte, J. (1981), Le Mécréant ou les preuves de l’existence de Dieu, p. 103–104)
32) Bonsoir, mon cher Meure. Je vous dirais bien des choses charmantes de la
part de toute la maison et de tous les environs, mais je suis forcée d’avouer
qu’en ce moment, personne ne pense à vous à moins que ce ne soit en rêve, car
il est 2h. du matin et chacun dort excepté moi.
(Sand, G. (1830), Correspondance, p. 692–694)
34) […] Chili, je récuse cette interprétation. Mais si vous me demandez dans quel
contexte il se situe, je vous dirai que nous nous situons dans le contexte […]
(Buhrer, J.Cl. Le Monde diplomatique, avril 1971)
Dans tous les cas, ainsi que nous le verrons dans l’analyse sémantique,
le locuteur est représenté dans un procès n’appartenant pas à sa réalité2 .
Comme cela a été annoncé, nous concevons ces deux structures
comme des variantes qui manifestent une valeur unique du verbe dire. La
variante minimale étant : je te/vous dirais. L’absence de marques représentant
l’interlocuteur en combinaison avec bien ou que, octroie un sens différent
à la forme résultante, à savoir : je dirais. En effet, cela en fait un marqueur
permettant d’introduire – comme le souligne Donaire dans ce même vo-
lume – un commentaire du locuteur à propos de p. En voici un exemple :
35) – Ce n’est jamais bon – je dirais même que c’est dangereux – d’être fils
unique. On prend ainsi l’habitude de se sentir le centre du monde, […]
(GARY, R., La Promesse de l’aube, 1960, p. 188)
Je te/vous dirais bien et je te/vous dirais que ne sont donc pas des variantes de
je dirais. Cependant, quelques précisions s’imposent notamment en ce qui
concerne les combinaisons possibles. Dans les deux cas, le pronom person-
nel complément d’objet indirect lui peut naturellement s’insérer comme le
font te ou vous, sans modifier la valeur sémantique première de la structure :
36) Probablement qu’il n’arrive jamais à se décider, car il ne m’a encore rien dit.
Je lui dirais bien ce qu’il en est, s’il le fallait.
(Léautaud, P., In memoriam, 1905, p. 194)
37) Si j’étais franche, je lui dirais que se faire traiter de mort vivant, tous les jours
que Dieu, n’est pas ce qu’on peut souhaiter de mieux à un ami.
(Brisac, G., Week-end de chasse à la mère, 1996, p. 59)
2 « […] par convention, nous dirons que la réalité du locuteur est constituée par ce que son
discours représente comme des faits contemporains et / ou antérieurs par rapport au moment de
l’énonciation. ». P. P. Haillet (2002, p. 7–8).
Polyphonie et/ou médiativité 331
3 Nous n’avons pas relevé dans notre corpus d’exemples au mode irréel du passé, bien
qu’il soit tout à fait possible. De même, le mode réalisable potentiel avec une struc-
ture en protase et apodose, bien qu’habituellement rare, n’est pas à rejeter. Nous
renvoyons à Foullioux & Tejedor (2004) pour une description générale du mode.
4 Pour une description plus exhaustive du conditionnel, nous renvoyons, entre autres
à Haillet (2002), où divers critères sont proposés afin d’en distinguer les différentes
valeurs sémantiques.
332 Didier Tejedor
Dans cette perspective, les énoncés qui relèvent du mode irréel représentent
la réalisation du procès comme impossible, c’est-à-dire que le locuteur sait
que le procès n’a pas existé, n’existe pas, voire n’existera pas. Les critères
permettant de distinguer un tel mode sont les suivants :
C’est un cas identique que l’on retrouve sous (40), malgré l’apparente
absence de protase :
40) Dans le tableau de Doyen, tout en haut de la toile à gauche, on voit la sainte à
genoux, portée sur des nuages ; elle a les regards tournés vers un endroit du
ciel éclairé au-dessus de sa tête, le geste des bras dirigé vers la terre, elle prie,
elle intercède… je te dirais bien le discours qu’elle tient à Dieu, mais cela est
inutile ici.
(Diderot, D. (1768), Salon de 1767, p. 178, Frantext)
Polyphonie et/ou médiativité 333
Dans les deux cas, le locuteur auteur est la source des deux contenus as-
sociés à la protase et à l’apodose, et il les prend en charge. De plus, c’est le
pdv2 qui justifie l’existence du pdv1. En effet, l’apodose étant en corrélation
avec la protase, le pdv1 est également en corrélation avec le pdv2 dont il dé-
pend, ce qui veut dire qu’à un moment de la formalisation, il faudrait tenir
compte de cette variable, afin de marquer un rapport de dépendance entre
le pdv1 et le pdv2.
Le pdv3, quant à lui, constitue le pdv que nous associons à la com-
plétive présente dans l’apodose qui correspondrait en discours direct à un
impératif à valeur d’invitation, du type Venez chez moi.
Le locuteur est à l’origine aussi bien du pdv4 que du pdv5, il les prend tous
les deux en charge.
Conclusion
Références bibliographiques
Introduction
Les trois marqueurs sont métalinguistiques dans des énoncés où nous avons
des définitions ou des traductions qui analysent le contenu du signe X,
mais dans de nombreux exemples le dire s’efface un peu pour se spécifier
en d’autres opérations et pour que les glissements de « X signifie la même
chose que Y » à « X désigne la même chose que Y » voient le jour (Fuchs
1982 : 116) :
340 Hélène Vassiliadou
(4) Il avait les crocs, càd qu’il a fallu s’arrêter. (Authier-Revuz ibidem)
(5) Promouvant la “responsabilité individuelle”, le radical a déjà augmenté les fran-
chises minimales. Autrement dit : tout le monde paiera plus de sa poche. (La
Tribune de Genève 2003)
(6) Bon, vous êtes en opposition : ça veut dire que vous avez tort ! (Bayon, Le lycéen,
1987)
2. Données distributionnelles
préférence pour les propositions. Les positions insérées ont une valeur
reformulative plus forte, et les positions initiales revêtent plus facilement
des valeurs conclusives et/ou de réorientation discursive. Les trois fonc-
tionnent en quelque sorte comme des isolants : on ne peut jamais trouver
en Y des éléments qui ne soient pas autonomes :
(8) C’est un chat très beau, càd / ça veut dire / autrement dit *immensément vs immen-
sément beau.
Càd a une position fixe et ne jouit pas d’une grande souplesse syntaxique
à l’intérieur de la phrase. Il ne peut se loger ni entre les composants d’un
syntagme nominal complexe ni entre le verbe et son attribut à la manière
de autrement dit ou encore de en d’autres termes (formule elliptique de dit en
d’autres termes) :
(10) * La traversée càd de l’Atlantique.
(11) Pierre est, en d’autres termes, un incapable. (Melis 1983 : 155) vs * Pierre est, càd,
un incapable.
Càd remplit un rôle conjonctif différent de celui des adverbes qui ouvrent
vers la phrase qui suit et non pas sur la précédente. Il ne peut pas être fo-
calisé, nié, interrogé, placé dans des positions détachées ni avoir d’emplois
absolus en tant qu’intervention réactive dans un dialogue. Mais il se com-
bine avec des questions, des structures impératives, négatives ainsi qu’avec
des modalisateurs quand ceux-ci ne portent pas directement sur lui :
(12) Càd qui ? / Càd combien de personnes ?
(13) Envoie-moi mes livres, càd, envoie-moi seulement mes dictionnaires. (Corpus
V = CV = Vassiliadou 2004)
En (12) par exemple, c’est la question qui est cette fois dans la portée de
càd et l’énoncé devient possible, contrairement à *Combien càd ? La ques-
tion porte sur le contenu de l’assertion X et l’enchaînement se fait sur
l’énonciation de la question. Le marqueur forme un bloc intonatif ho-
mogène avec la particule interrogative et l’intégration de la question à la
portée de càd est totale. Càd peut également introduire une question qui
porte sur les inférences à tirer d’un discours précédent :
(14) A : Tout est fini entre nous ?
B : C’est ce que je pensais avant que tu reviennes.
A : Et maintenant ?
B : Je ne sais plus où j’en suis.
A : Càd que mon retour a changé la situation ? (CV, Les feux de l’amour 2004)
Ici càd enchaîne en apparence sur une question et non sur une assertion.
Le contenu concerné par l’enchaînement correspond à la valeur argumen-
tative de la question (Anscombre et Ducrot 1983), à savoir non-P : « est-ce
que les athlètes… » laisse présager une réponse négative du type « non, ils
ne sautent plus avec le même plaisir qu’avant ».
Càd impose bien des restrictions sélectionnelles aux constituants de
la phrase, il ne partage pas la mobilité des adverbes et n’a pas la possibilité
d’être dans le focus de l’interrogation ou de la négation. Il ne peut pas se
combiner avec une autre conjonction de coordination, on peut procéder
à des effacements des éléments identiques et coréférents et, dans beau-
coup de cas, on peut inverser l’ordre des constituants puisqu’ a priori ils
entretiennent les mêmes relations syntaxiques. S’il semble plus proche de
la catégorie des conjonctions de coordination, ces propriétés ne se vérifient
pas toujours, car la valeur sémantique de càd n’est pas celle d’un opérateur
« d’addition » (Ducrot 1983 : 166). Càd est un connecteur « non descriptif
ou rhétorique » (Le Groupe λ-1 1975), textuel et parenthétique qui « précise
le contenu rhétorique du rapport, alors que la conjonction, pur élément
de liaison, est un opérateur numérique » (Nøjgaard 1992 : 146). La mise
en commun du déterminant est ainsi contraignante pour càd (que) (16) et,
même si les éléments restent syntaxiquement sur un pied d’égalité, l’effet
sémantique ne sera pas forcément le même en cas d’inversion, surtout dans
des structures causales :
* En 1630 se produit une mare moto, càd raz-de-marée. (Authier-Revuz
(16)
1987 : 59)1
1 Pour Authier-Revuz, cet exemple n’est pas agrammatical. Nous ajoutons l’asté-
risque.
Mouvements de réflexion sur le dire et le dit : c’est-à-dire, autrement dit, ça veut dire 345
De plus, l’alternance des occurrences càd / càd que dans des contextes
semblables est très régulière même s’il y a évidemment une préférence
pour que + P :
(18) D’abord il s’agit d’un autoclonage, càd ils ont fait appel, pour obtenir un tel
embryon cloné, à deux types de cellules. (Le Figaro 2004)
Par ailleurs, que peut être séparé de càd et se trouver plus loin dans la
phrase, chose difficile pour une conjonction de subordination propre-
ment dite :
(19) La théorie de X ne s’applique qu’à des arguments conçus comme des entités
individuelles spécifiques. Càd, entre autres, qu’elle ne convient pas pour les
relatives des SN génériques. (Kleiber 1987 : 48)
Dans la suite X càd que Y, càd que Y ne se laisse pas non plus focaliser
comme un constituant de X :
*C’est seulement càd qu’il a faim qu’il mange. Vs. C’est seulement parce qu’il a
(21)
faim qu’il mange.
346 Hélène Vassiliadou
En revanche, dit dans autrement dit 2, dont la lexicalisation est plus nette,
« ne peut être remplacé sans dommage par appeler ou nommer » (Steuckardt
op. cit. : 235) :
(24) Par une porte à l’ogive demi-brisée, nous atteignons la campagne, autrement
dit / ?? autrement appelée la région sans fin des cyprès et des tombes (P. Loti,
Suprêmes visions d’Orient 1921)
Mouvements de réflexion sur le dire et le dit : c’est-à-dire, autrement dit, ça veut dire 347
Autrement dit 2 relie des termes déjà exprimés qui sont à appeler autrement
(Vassiliadou 2008). Il ne s’assimile donc pas à une question sous-jacente :
Qu’est-ce que tu veux dire par la semaine comme nous la connaissons ? La réponse
décrit la semaine en question. C’est l’une des raisons pour lesquelles il
apparaît rarement en contexte dialogal avec la forme interrogative :
(26) – C’est un manomètre.
– Càd ? vs ?? Autrement dit ? / ?? Ça veut dire ?
Il ressort du corpus oral (ESLO1, 2 et CV) que les locuteurs n’utilisent pas
autrement dit pour interroger le sens et/ou le contenu propositionnel de X.
Ainsi, la configuration (b1) (vue pour càd) est difficile pour autrement dit 2 et
la configuration (c) est impossible. Autrement dit2 a la particularité gramma-
ticale d’osciller entre locution adverbiale (Steuckardt 2005 : 237) et connec-
teur, ce qui l’autorise à avoir une plus grande liberté positionnelle que càd.
Les unités lexicales ça/cela, veut, dire ont gardé leur sens plein et leurs
constructions n’ont pas été converties en une seule unité aux valeurs
sémantiques multiples. Ça veut dire est une expression non figée qui n’a
pas vraiment subi de réanalyse syntaxique. Le paradigme construction-
nel des locutions en vouloir dire est ouvert sur une multitude de combi-
naisons en ça veut tout dire, ça veut rien dire, (ce) qui veut dire, etc. De plus,
la séquence est variable en temps (ça voudrait dire, ça voulait dire…), ça est
bien le sujet du prédicat vouloir dire et (que) Y son complément. Il entre
348 Hélène Vassiliadou
Les deux cadres syntaxiques que ça veut dire privilégie sont (a2) et (b2)
alors que la configuration en (c) est sémantiquement impossible (§ 3).
L’alternance cela veut dire / ça veut dire n’est pas clairement tranchée dans les
différents corpus. Il n’y a qu’une seule occurrence de cela veut dire dans E1
et, dans Frantext (tous genres confondus), ça veut dire domine également.
3. Analyse sémantico-pragmatique
Càd présente des emplois relativement diversifiés dont les exemples (30)
à (43) sont un aperçu.
Càd2 n’a pas vocation à expliquer la signification, mais à indiquer quel est
le référent du signe X et il est majoritaire tout corpus confondu. Les gloses
(référentielles) pour cette série sont : càd quand ? / comment ?/ quoi ? /
qui ? / où ? / combien ?
On peut inclure dans cet ensemble quelques exemples qui ont trait à
la « scalarité argumentative », à des relations argumentatives qui s’ins-
taurent dans un même champ argumentatif, mais qui signalent des forces
différentes :
Mouvements de réflexion sur le dire et le dit : c’est-à-dire, autrement dit, ça veut dire 351
Càd indique que le locuteur revient en arrière pour rectifier, non pas le
contenu propositionnel de X, mais sa force argumentative. On a affaire
ici à une coorientation de force croissante (Norén 1999). Une coorientation de
force décroissante est également possible, càd Y s’interprète alors comme
une « version bémolisée » (Haillet 2004 : 11) de l’assertion présentée en X.
Y nuance cette première assertion sans l’annuler :
(39) A : Est-ce que le statut social dont une personne jouit a une importance capi-
tale pour vous ?
B : Euh, càd capitale non, mais importante quand même. (CV, Vie privée, vie
publique 2004)
Dans cet emploi, càd et autrement dit présupposent tous deux un anté-
cédent et présentent en eux-mêmes un élément anaphorique (ce, autre).
Autrement dit1 apparaît dans les contextes de définition analytique, car
la lecture propositionnelle de l’équivalence s’ancre dans le contenu
même des énoncés mis en relation. Le mot étranger en (44) continue
à renvoyer à son référent, mais attire notre attention par le fait qu’il
est étranger. Le terme Y est rarement, voire jamais, en mention. Cette
première description générale qui présente càd1 et autrement dit1 comme
des introducteurs de gloses parfaitement synonymes est trompeuse. En
effet, si on considère les phrases définitionnelles analytiques (X est un
hyponyme de Y) d’une part (46), et les phrases caractérisées par une
relation d’inclusion, au sens strict, comme en (47) d’autre part, la subs-
titution n’est plus possible :
(46) Il s’agit d’un tandem, càd / autrement dit d’une bicyclette pour deux personnes.
(47) J’ai acheté une tulipe, càd / ? autrement dit / *ou une fleur que j’aime beaucoup.
354 Hélène Vassiliadou
Alors qu’on peut gloser (46) par tandem signifie bicyclette…, tulipe ne signifie
pas fleur. Dans (47), le locuteur ne pointe pas le sens de tulipe mais rappelle
qu’il va parler de tulipe en tant que fleur. Autrement dit1 et ou (avec lequel
il se combine souvent) servent à proposer un autre nom pour tulipe et
établissent ainsi une relation d’identité. Or, c’est connu, on ne peut pas
paraphraser par tulipe est un autre nom pour fleur. Le phénomène est encore
plus saillant dans les contextes dialogaux dans lesquels, en règle générale,
càd ne pose pas une question métalinguistique et/ou épilinguistique sur le
sens de X. Autrement dit1 ne cible pas tant l’explication du contenu propo-
sitionnel de X, mais en propose une autre nomination : il donne l’instruc-
tion que le locuteur présentera son dire d’une autre manière paraphrasable
par j’ai utilisé pour X les termes Z. La combinaison syntagmatique de autre-
ment dit1 avec ça veut dire et ce qui signifie corrobore ce constat :
(48) […] nationale de transport aérien Air Madagascar et qui vient à échéance ce
mois de janvier ne sera pas renouvelé. Autrement dit, cela veut dire qu’Air Mada-
gascar va avoir un nouveau directeur général. (Libération 2004)
(49) La protection est donc accordée pour l’essentiel « en échange du travail », ce
qui signifie, autrement dit, que la citoyenneté procède du contrat ( J. Rodriguez, Le
pauvre et le sociologue : la construction de la tradition sociologique 2007)
Autrement dit2, comme càd2, peut intervenir dans les cas où le rapport entre
X et Y n’est pas celui d’une identité de signifiés construite en langue. Les
Mouvements de réflexion sur le dire et le dit : c’est-à-dire, autrement dit, ça veut dire 355
Nous retrouvons ici le cas où le locuteur lui-même pose X=Y, selon ses
propres jugements et selon le message qu’il veut transmettre. Autrement dit2
sert à légitimer la mise en équivalence des deux segments. La référence de
visiblement choqués en (52) est spécifiée par calmement indignés et bien qu’elle
fasse l’objet d’une mise à distance ironique, elle pose l’identité entre X et Y :
(52) Les camarades chinois étaient visiblement choqués, càd / autrement dit calme-
ment indignés ( J. Kristeva, Les Samouraïs 1990)
Càd ne suppose jamais clairement que ce qui est présenté dans le contexte
antérieur est fini. Il souligne la reprise du dire et présuppose ainsi la
conservation de la forme et du sens de X. En revanche, autrement dit3 sou-
ligne la reprise du dit et présuppose la conservation du sens avant tout.
Cette propriété le lie étroitement aux formes bref ou en un mot issues de
dit brièvement, dit en un mot. Autrement dit3 marque des séquences « suras-
sertées », qui « se trouve(nt) en position saillante, le plus souvent en fin
de texte, de manière à [leur] donner le statut d’un condensé sémantique »
(Maingueneau 2006 : 110).
On signalera que la compatibilité de autrement dit3 avec des énoncés où
le locuteur prend en charge son énonciation est largement exploitée par
les interviewers. Il permet d’indiquer que l’énoncé de l’interlocuteur est
inféré de l’énoncé produit par le locuteur : autrement dit3 présente l’énoncé
qui suit comme une « reformulation inférentielle synthétisante » : le rai-
sonnement inférentiel permet d’introduire aisément en Y un récapitulatif
de X (Rossari & Jayez 1996). Autrement dit3 dans un contexte dialogal ou
dialogique peut porter sur l’assertion de X et introduire en Y une conclu-
sion à valeur généralisante et/ou restrictive, il se greffe le plus souvent sur
une interprétation personnelle du locuteur inférée à partir d’un implicite :
(58) FO221 : dans les petites classes y a beaucoup de livres qui permettent d’ap-
prendre l’orthographe quand même
MM : autrement dit c’est mieux quoi (E1 ENT 069)
(59) A : Dites à votre ami Elie Sémoun ce que vous voulez faire plus tard dans
la vie.
B : Alors, mon ami Elie, plus tard…
A : Ah, parce que c’est votre ami !
B : Mais, vous m’avez dit « dites à votre ami ».
C : (Elie Sémoun) càd que / ?? Autrement dit lui, il répète ce qu’on lui dit, quoi.
D’accord. (CV, Jeu télévisé 2004)
Par conséquent, autrement dit3 ne peut pas non plus partager les emplois
d’hésitation et de « refus poli » de càd4 :
(62a) A : Viendrez-vous vous promener avec nous ?
B : Càd que /*Autrement dit je ne suis pas libre (Larousse 1971 : 653)
(62b) Je ne suis pas libre. C’est-à-dire que / Autrement dit je ne viendrai pas.
Mouvements de réflexion sur le dire et le dit : c’est-à-dire, autrement dit, ça veut dire 359
Si X n’est pas exprimé explicitement ou, du moins, ne peut pas être récu-
péré en termes, autrement dit est inapte à le reprendre ou à le spécifier. Càd
est porteur d’une instruction sémantique lui permettant de donner à voir,
d’une certaine façon, le référent désigné par X, puis corrigé par Y.
Ça veut dire1 se différencie également de je veux dire qui peut introduire des
gloses :
(69) Elle témoigna beaucoup de désir de me servir jusqu’à ce qu’elle eut reconnu
que j’étais des deux sexes, je veux dire hermaphrodite. (Foigny, La terre australe
connue 1676)
Mouvements de réflexion sur le dire et le dit : c’est-à-dire, autrement dit, ça veut dire 361
Mais je veux dire ne se traduit pas par je signifie ou j’ai pour sens et ses em-
plois ne découlent pas tous du sens habituel de la locution verbale vouloir
dire.
Conclusion
Le point commun, malgré les spécificités de chaque exemple, est que les
trois marqueurs examinés indiquent à chaque fois l’opération effectuée et
annoncent sa « justification comme production du ‘même’ au moment où
le locuteur produit de l’‘autre’ » (Gardin 1987 : 95). C’est ce trait-là qui per-
met à càd de commuter avec autrement dit et ça veut dire, malgré les nuances
de sens perceptibles.
Références bibliographiques
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trinsèques et formes topiques extrinsèques », Journal of Pragmatics 24,
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Mouvements de réflexion sur le dire et le dit : c’est-à-dire, autrement dit, ça veut dire 363
Anscombre, J.-C. (éd.) (2006), Les objets de la polyphonie, Français moderne 74/1.
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364 Hélène Vassiliadou
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12. Norbert Dupont – Linguistique du détachement en français, 1985
13. Yves Gentilhomme – Essai d’approche microsystémique · Théorie et pratique · Appli-
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14. Thomas Bearth – L’articulation du temps et de l’aspect dans le discours toura, 1986
15. Herman Parret – Prolégomènes à la théorie de l’énonciation · De Husserl à la pragma-
tique, 1987
16. Marc Bonhomme – Linguistique de la métonymie · Préface de M. Le Guern, 1987
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17. Jacques Rouault – Linguistique automatique · Applications documentaires, 1987
18. Pierre Bange (éd.) – L’analyse des interactions verbales: «La dame de Caluire. Une
consultation» · Actes du Colloque tenu à l’Université Lyon II (13-15 décembre 1985),
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19. Georges Kleiber – Du côté de la référence verbale · Les phrases habituelles, 1987
20. Marianne Kilani-Schoch – Introduction à la morphologie naturelle, 1988
21. Claudine Jacquenod – Contribution à une étude du concept de fiction, 1988
22. Jean-Claude Beacco – La rhétorique de l’historien · Une analyse linguistique du dis-
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23. Bruno de Foucault – Les structures linguistiques de la genèse des jeux de mots, 1988
24. Inge Egner – Analyse conversationnelle de l’échange réparateur en wobé · Parler WEE
de Côte d’Ivoire, 1988
25. Daniel Peraya – La communication scalène · Une analyse sociosémiotique de situations
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65. Pierre Boudon – Le réseau du sens II · Extension d’un principe monadologique à
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66. Pascal Singy (éd.) – Le français parlé dans le domaine francoprovençal · Une réalité
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68. Hanne Leth Andersen et Henning Nølke – Macro-syntaxe et macro-sémantique · Actes
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69. Jean Charconnet – Analogie et logique naturelle · Une étude des traces linguistiques
du raisonnement analogique à travers différents discours, 2003
70. Christopher Laenzlinger – Initiation à la Syntaxe formelle du français · Le modèle
Principes et Paramètres de la Grammaire Générative Transformationnelle, 2003
71. Hanne Leth Andersen et Christa Thomsen (éds) – Sept approches à un corpus · Analyses
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72. Patricia Schulz – Description critique du concept traditionnel de «métaphore», 2004
73. Joël Gapany – Formes et fonctions des relatives en français · Etude syntaxique et
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76. Pascal Singy (éd.) – Identités de genre, identités de classe et insécurité linguistique,
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78. Injoo Choi-Jonin, Myriam Bras, Anne Dagnac et Magali Rouquier (éds) – Questions de
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79. Marc Bonhomme – Le discours métonymique, 2005
80. Jasmina Milićević – La paraphrase · Modélisation de la paraphrase langagière, 2007
81. Gilles Siouffi et Agnès Steuckardt (éds) – Les linguistes et la norme · Aspects normatifs
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91. Marie-José Béguelin, Mathieu Avanzi et Gilles Corminboeuf (éds) – La Parataxe · Entre
dépendance et intégration; Tome 1, 2010
92. Marie-José Béguelin, Mathieu Avanzi et Gilles Corminboeuf (éds) – La Parataxe ·
Structures, marquages et exploitations discursives; Tome 2, 2010
93. Nelly Flaux, Dejan Stosic et Co Vet (éds) – Interpréter les temps verbaux, 2010
94. Christian Plantin – Les bonnes raisons des émotions · Principes et méthode pour l’étude
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95. Dany Amiot, Walter De Mulder, Estelle Moline et Dejan Stosic (éds) – Ars Grammatica ·
Hommages à Nelly Flaux, 2011.
96. André Horak (éd.) – La litote · Hommage à Marc Bonhomme, 2011.
97. Franck Neveu, Nicole Le Querler et Peter Blumenthal (éds) – Au commencement
était le verbe. Syntaxe, sémantique et cognition · Mélanges en l’honneur du Professeur
Jacques François, 2011.
98. Louis de Saussure et Alain Rihs (éds) – Etudes de sémantique et pragmatique françaises,
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99. L. de Saussure, A. Borillo et M. Vuillaume (éds) – Grammaire, lexique, référence.
Regards sur le sens · Mélanges offerts à Georges Kleiber pour ses quarante ans de
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101. C. Guillot, B. Combettes, A. Lavrentiev, E. Oppermann-Marsaux et S. Prévost (éd.) –
Le changement en français · Etudes de linguistique diachronique, 2012.
102. Gudrun Vanderbauwhede – Le déterminant démonstratif en français et en néerlandais ·
Théorie, description, acquisition, 2012.
103. Genoveva Puskás – Initiation au Programme Minimaliste · Eléments de syntaxe com-
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104. Coco Norén, Kerstin Jonasson, Henning Nølke et Maria Svensson (éds) – Modalité,
évidentialité et autres friandises langagières · Mélanges offerts à Hans Kronning à
l’occasion de ses soixante ans, 2013.
105. Jean-Claude Anscombre, María Luisa Donaire et Pierre Patrick Haillet (éds) – Opérateurs
discursifs du français · Eléments de description sémantique et pragmatique, 2013.
106. Laurent Gosselin, Yann Mathet, Patrice Enjalbert et Gérard Becher (éds) – Aspects de
l’itération · L'expression de la répétition en français: analyse linguistique et formalisation,
2013.
107. Alain Rihs – Subjonctif, gérondif et participe présent en français · Une pragmatique
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108. Emmanuelle Labeau and Jacques Bres (éds) – Evolution in Romance Verbal Systems,
2013.
109. Alda Mari – Modalités et Temps · Des modèles aux données, 2015.
110. Christiane Soum-Favaro, Annelise Coquillon et Jean-Pierre Chevrot (éds) – La liaison:
approches contemporaines, 2014.
111. Marion Fossard et Marie-José Béguelin (éds) – Nouvelles perspectives sur l’anaphore ·
Points de vue linguistique, psycholinguistique et acquisitionnel, 2014.
112. Thierry Herman et Steve Oswald (éds.) – Rhétorique et cognition / Rhetoric and Cognition,
2014.
113. Giovanni Gobber and Andrea Rocci (éds) – Language, reason and education, 2014 ·
Studies in honor of Eddo Rigotti, 2014.
114. Elena Siminiciuc – L’ironie dans la presse satirique · Etude sémantico-pragmatique,
2015.
115. Milton N. Campos – Traversée · Essai sur la communication, 2015.
116. Gaétane Dostie & Pascale Hadermann (éds) – La dia-variation en français actuel ·
Etudes sur corpus, approches croisées et ouvrages de référence, 2015.
117. Anne Carlier, Michèle Goyens & Béatrice Lamiroy (éds) – Le français en diachronie ·
Nouveaux objets et méthodes, 2015.
118. A paraître
119. Laurence Rouanne & Jean-Claude Anscombre – Histoires de dire · Petit glossaire des
marqueurs formés sur le verbe dire, 2016.